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On a retrouvé la cité perdue au cœur du

Honduras
C’est en hélicoptère que l’on rejoint le site archéologique dans la Mosquitia : 50 000 kilomètres
carrés de végétation dense traversés par quelques rivières dans le nord-est du Honduras.

De notre envoyé spécial au Honduras Romain Clergeat 20/03/2016 à 04:00

Depuis la conquête espagnole, la légende évoquait une ville mythique enfouie au cœur de
l’impénétrable forêt du Honduras. Les archéologues viennent de la mettre au jour.
L’hélicoptère a décollé de Catacamas depuis vingt minutes quand le pilote fait signe : « Sur la
droite, la Ciudad blanca ! Elle est là ! » « Là », c’est la Mosquitia, la plus grande forêt tropicale
d’Amérique centrale. Les habitants du Honduras l’appellent « la petite Amazonie », un paysage
couleur émeraude d’où émerge parfois un bras de rivière avalé par la jungle compacte. C’est
pourtant la seule voie d’accès, avec les airs. A condition de pouvoir se poser… Pendant l’âge d’or
de l’aviation, Lindbergh fut envoyé survoler l’endroit. Il revint témoigner que, oui, il lui avait
semblé « apercevoir des vestiges d’une ville aux murs blancs ».
Nous, depuis notre hélicoptère, nous distinguons, au milieu de ce vert immaculé, un interstice. Il
faut arriver juste au-dessus pour découvrir une rivière et une aire dégagée, à l’évidence déboisée par
la main de l’homme. Au sol, des militaires, armes au poing, nous observent. Nous nous posons en
contrebas. Des troncs d’arbres sont déjà disposés pour nous permettre de franchir la rivière en
équilibre instable. Puis c’est le mur de la jungle. Les explorateurs ne mentaient pas : on ne voit
guère plus loin que 10 mètres. Nous avançons dans un concert de coassements, de ululements et de
stridulations tout droit sortis d’« Indiana Jones », au milieu de plantes qui nous toisent depuis 3
mètres de hauteur ; un passage est tracé à la machette. Sans qu’on ait pu en deviner son existence
depuis la rivière apparaît soudain une petite colline. Sur son flanc, un escalier renforcé par des
rondins de bois en permet l’ascension. La progression est aisée. Virgilio Paredes, le directeur de
l’Institut d’archéologie du Honduras, nous prévient : « Regardez autour de vous. On ne voit rien,
sinon la forêt. Pourtant, nous ne sommes qu’à 30 mètres du site. Il suffirait de se diriger de quelques
degrés plus à droite ou à gauche pour passer à côté. Sans les coordonnées GPS, nous ne l’aurions
jamais retrouvé ! »

La "cité blanche" impénétrable


La légende de la « cité blanche » remonte à l’arrivée des Espagnols sur le continent sud-américain.
Hernan Cortés commande la première expédition. Il a ordonné à ses marins de brûler leurs
vaisseaux. Il leur a ainsi indiqué qu’ils étaient venus pour conquérir de nouvelles terres, et qu’ils
n’en repartiraient qu’une fois cette mission accomplie. En 1526, Cortés écrit à l’empereur Charles
Quint : « J’ai des renseignements sur de grandes et riches contrées gouvernées par de puissants
seigneurs dont le royaume dépasserait celui de Mexico en richesses et l’égalerait pour la grandeur
de ses villes, la multitude de ses habitants et l’ordre qui les gouverne. » Au prix d’un génocide
invraisemblable (selon les historiens, 80 à 93 % de la population ont été décimés), les Espagnols
vont conquérir un continent. Mais jamais ils ne réussirent à trouver la ville gorgée d’or.
Au XXe siècle, le mythe resurgit. Notamment en 1940, quand un journaliste aventurier, Théodore
Morde, se risque aux confins de la Mosquitia. Il en ressort cinq mois plus tard, chargé de dizaines
d’objets et affirmant qu’il a bel et bien trouvé la « cité blanche ». Mais sans en donner la
localisation, afin de ne pas tenter les pillards. Puis il se suicide sans avoir rien révélé, emportant son
mystère dans la tombe. De quoi ajouter à la légende d’un sanctuaire protégé par les dieux… Les
Indiens de la Mosquitia eux-mêmes, les Miskito et les Tawahka, racontent la légende de ces
peuplades anciennes qui avaient trouvé refuge dans la « cité blanche » pour fuir l’avancée des
Espagnols. La Mosquitia restait impénétrable ; et la cité, enfouie à jamais.

La technologie Lidar permet de détecter les ruines cachées


sous les arbres
Oui, mais ni Cortés, ni Charles Quint, ni les Indiens, ni même Indiana Jones n’avaient imaginé un
jour la naissance du Lidar (light detection and ranging). Cette sorte de télédétection par scanner
permet d’envoyer, depuis un avion, des rayons pour cartographier les sols. Ensuite, un logiciel
reconstitue l’environnement de manière digitale, permettant d’isoler par « couches » les différentes
parties du paysage. Ainsi est-on capable d’éradiquer la végétation pour ne laisser apparaître que les
aspérités du sol et ses variations de hauteur. De fait, si une structure non naturelle existe, elle
devient visible. C’est ainsi que, en 2012, Steve Elkins, un documentariste américain, et le
gouvernement du Honduras ont vu apparaître, dans un périmètre de 20 à 30 kilomètres de la
Mosquitia, des formes carrées et rectangulaires, laissant entrevoir des ruines cachées sous les arbres.

Virgilio Paredes et ses équipes ont identifié trois emplacements. Dans le secret, ils ont étudié la
meilleure façon de monter une expédition au sol, cette fois avec des coordonnées GPS, ce qui
change tout. Totalement engloutis dans la jungle, les sites T2 et T3, pourtant d’apparence les plus
vastes, se révèlent d’accès difficile, coûteux et incertains. « Sans même aller sur le terrain, nous
savions que cela prendrait des jours, voire des semaines, pour les atteindre. Mais T1 était accessible
en quelques jours seulement », explique Virgilio Paredes. Va pour le site T1. Sa proximité avec une
rivière présente plusieurs avantages ; à commencer par la possibilité, après un peu d’aménagement,
de pouvoir s’y poser en hélicoptère.
"Pas un homme n'a foulé cet endroit depuis au moins six cents
ans"
En montant l’escalier qui conduit au site, Virgilio Paredes nous rappelle que « pas un homme n’a
foulé cet endroit depuis au moins six cents ans. Lorsque nous sommes arrivés, nous pouvions voir
les singes s’agglutiner dans les arbres au-dessus de nos têtes et nous observer. A l’évidence, c’était
la première fois qu’ils voyaient des êtres humains ».
La colline franchie, nous découvrons un nouveau passage dégagé au milieu des feuillages. Devant
nous, des pins tropicaux immenses et une végétation toujours imposante cachent encore ce que le
gouvernement du Honduras qualifie de « découverte archéologique probablement la plus importante
du XXIe siècle ». Encore un énième combat avec une fougère géante, et nous voilà sur place.
La surface est grande comme celle d’un terrain de basket. Surplombé d’immenses arbres,
empêchant presque de voir le ciel, se trouve le premier site de ce qui pourrait être la Ciudad blanca.
« Nous avons élagué, mais le lieu était plutôt nu. Sans arbres massifs ni plantes gigantesques. Le
premier objet que nous avons vu était un grand bol », se souvient Virgilio Paredes. « D’après les
renseignements fournis par le laser, il y a d’autres sites à proximité, des traces de chemins, des
systèmes d’irrigation, des restes d’édifices aussi, mais nous avons décidé de nous consacrer
exclusivement à cet endroit qui devait être un lieu de cérémonial. Les premières pièces étaient là, à
même le sol. Quand nous avons commencé à creuser, nous en avons trouvé plusieurs autres. En
l’espace de quelques jours, nous en avons récupéré 185 ! C’est à peine 20 % de ce qu’il doit y avoir
sur ces 10 mètres carrés. A mon avis, il reste encore 3 000 pièces éparpillées. »
Si on imagine une ville, enchevêtrée à la jungle façon Angkor, on sera déçu. Mais la découverte est
majeure pour deux raisons. La première tient aux preuves de vestiges collectées sur un large
périmètre par le Lidar. Le fait qu’elles soient, pour l’heure, ensevelies sous la jungle ne relève pas
du fantasme mais de la réalité. Comme le précise Virgilio Paredes : « Dans le passé, on a déjà trouvé
des objets dans la Mosquitia. Mais jamais une telle quantité à un même endroit ! Avec une claire
division des espaces, des aménagements forcément façonnés par la main de l’homme, possiblement
un réservoir, autant de preuves d’un regroupement, donc d’une vie en société. »
Des preuves indiquent qu'une civilisation a prospéré en ces
lieux avant de disparaître, sans que l'on sache pourquoi
La seconde raison, peut-être plus fascinante encore, c’est que ces objets évoquent une culture que
les archéologues ne connaissent pas et pour laquelle ils n’ont même pas de nom ! « Ces pièces n’ont
jamais été vues auparavant, confirme Paredes. Nous estimons leur datation entre 800 et 1200 ans
après Jésus-Christ. C’est définitivement précolombien, mais ce n’est ni maya, ni inca, ni aztèque.
Aujourd’hui, elles posent plus de questions qu’elles n’offrent de réponses. Toutes ces preuves
indiquent qu’une civilisation a prospéré en ces lieux il y a un millier d’années ; avant de disparaître,
sans que l’on sache pourquoi. »
Est-on sûr, au moins, d’avoir trouvé cette « cité blanche » après laquelle couraient les aventuriers ?
On ne le saura pas avant longtemps, « les fouilles vont durer… cent ans », lâche Paredes. « La
pyramide de Copan, la plus connue au Honduras, a été découverte au siècle dernier ; et seulement
20 % de ses vestiges ont été nettoyés. Ici, il va falloir trouver un équilibre entre fouilles et
préservation de la biodiversité à laquelle nous ne voulons pas toucher. » Au cas où la végétation de
la Mosquitia ne suffirait pas à décourager les pillards, un camp militaire a été installé. Les mystères
de la « cité blanche » restent bien cachés. « Ce n’est pas la découverte qui compte, mais ce qu’elle
signifie », disent les archéologues. Si le travail des explorateurs se termine, celui des scientifiques
commence.

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