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La marseillaise

"Fargo" est-elle meilleure que "True


Detective" ?
La question est volontairement provocante, mais la déclinaison du film des frères Coen
n'a pas à rougir devant le carton d'HBO. Et mérite d'être achetée par une chaîne
française, et diffusée.

Le 25 août prochain, aux 66e Emmy Awards, True Detective (HBO) et Fargo (FX), sans
doute les deux meilleures nouveautés américaines de cette année 2014 -- avec
Masters of Sex, lancée en 2013, le trio gagnant de la saison écoulée -- ne combattront
pas dans la même catégorie. Elles ont beau être des anthologies toutes les deux, la
première sera au rayon "série dramatique", la seconde au rayon "minisérie" -- le
résultat d'une politique de nomination qui laisse aux chaînes le choix des catégories.
On ne saura donc pas qui des deux est la meilleure -- du point de vue limité et limitant
des votants, bien entendu.
Au premier abord, il n'y a pas vraiment photo. True Detective est le gros succès de
l'année, la claque critique, le succès public, un classique quasi immédiat, acclamé
pour sa profondeur, son atmosphère, ses acteurs, ses répliques, sa mise en scène…
bref, si Nic Pizzolatto, son créateur, ne se rate pas en saison 2, je ne serai pas étonné
qu'on commence à parler de "True Detective, le chef d'oeuvre de Pizzolatto." Et
pourtant, discrètement, dans l'ombre du film des frères Coen dont elle s'inspire, Fargo
s'est fait une réputation. A surpris. A étonné. A pris des risques. Et, personnellement,
m'a beaucoup plu. Alors, quelques semaines après avoir bouclé sa première saison, je
prends le risque de l'écrire : j'ai autant aimé Fargo que True Detective.

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Comme elles s'opposent géographiquement, du Sud moite au Nord glacial du Midwest


américain, les deux anthologies abordent de manière radicalement différente leurs
enquêtes. True Detective recentre sa narration sur Rust Cohle (Matthew
McConaughey) et Martin Hart (Woody Harrelson) quand Fargo l'élargit à une dizaine de
personnages, dont au moins quatre sont importants, Lester Nygaard (Martin Freeman),
Lorne Malvo (Billy Bob Thornton), Molly Solverson (Allison Tolman) et Gus Grimly (Colin
Hanks). True Detective penche vers le mystique, la métaphysique, quand Fargo joue la
carte du quotidien. Mais toutes les deux entretiennent un goût pour l'étrange, dans le
fantasmagorique et l'horreur pour la première, dans un décalage amusé et une
violence plus absurde pour la seconde.
True Detective fascine, interroge, nous égare parfois, tourne volontiers en rond,
comme le temps qui, comme le dit poétiquement Cohle, est un cercle… On la regarde
(avec des sous-titres, pour comprendre les accents) en suspens, étourdi par les
monologues, captivé par la richesse des personnages, accroché à une intrigue parfois
molle, inégale, mais dont la puissance évocatrice et les promesses (nombreuses mais
pas toutes satisfaites) suffisent à nous emporter. Fargo est bien plus "efficace." Les
rebondissements y sont plus nombreux, le récit plus tendu, sans pour autant sombrer
dans le grand n'importe quoi. L'intrigue est plus complexe, mais plus simple à suivre
(avec des sous-titres aussi, parce que l'accent du Minnesota est aussi salé). Elle
contient aussi sa dose de mysticisme, et je donnerais cher pour voir Lorne Malvo,
tueur à gage froidement poétique, et Rust Cohle, flic philosophe, débattre du sens de
la vie.

Les deux séries réussissent à la perfection à développer leurs univers. Couleurs


chaudes et végétation à outrance pour True Detective, blanc éblouissant, bleu givré
pour Fargo. La mise en scène soignée de Kary Fukunaga et la superbe photo de Adam
Arkapaw ne m'ont pourtant pas autant emballé que la réalisation de Fargo. Bien sûr, il
y a le plan séquence de l'épisode 4 de True Detective, mais la fusillade invisible de
l'épisode 7 ou la séquence dans la tempête de neige de l'épisode 6 de Fargo, certes
moins estomacantes, valent bien l'exploit technique réussit par Fukunaga. Et les plans
originaux, risqués, esthétiquement réussis, sont légion dans l'anthologie de FX.
Un mot enfin sur les personnages. C'est en pensant à eux que je me suis demandé, un
instant, si Fargo est meilleure que True Detective -- et du coup que j'ai écrit ce post.
Pas de compétition entre les comédiens, ils sont tous géniaux, des deux côtés, et se
tirent tous joliment de rôles extrêmement casse-gueule -- ne sous-estimons pas la
performance brillamment cabotinée de Billy Bob Thornton, et regrettons l'oubli de
Allison Tolman dans les nominations aux Emmy Awards. Bien sûr, McConaughey est
immense et Harrelson est remarquable. Mais la quantité de petits rôles
impeccablement incarnés dans Fargo vaut bien deux premiers rôles renversants -- Bob
Odenkirk, Oliver Platt, Kate Walsh, Keith Carradine, Goldberg et Harvard sont tous
parfaits.

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J'en viens au sentiment final ressenti au terme des deux premières saisons de ces
anthologies. J'ai aimé la fin de True Detective (si, si) mais j'ai laissé partir sans
résistance Cohle et Hart. Satisfait. Sans regretter de ne pas les revoir en saison 2. En
revanche, je suis profondément déçu de ne pas retrouver Solverson et Grimly, de les
voir à nouveau mener l'enquête l'an prochain dans Fargo. Je me suis plus attaché aux
personnages de Fargo qu'à ceux de True Detective. Pour une série au long cours, ce
serait un solide argument pour dire que Fargo est meilleure que True Detective. Mais
sachant que ces personnages sont créés pour ne pas durer, doit-on au contraire
conclure que Nic Pizzolatto a mieux réussi son coup, en nous offrant le sentiment
d'avoir suffisamment profité de ses héros ?
Alors, True Detective ou Fargo ? La première m'a plus remué, mais la seconde m'a
offert plus de plaisir. Il y a plus de génie dans le travail de Nic Pizzolatto, mais plus de
savoir-faire et d'efficacité narrative dans celui de Noah Hawley (assurément lui aussi
un nom à suivre). Les deux séries sont des réussites, dans un même format et un
même genre, même sur des tonalités différentes. Les deux ont leurs failles, leurs
exagérations, leurs ratés. Quitte à apporter une réponse de Normand à la question du
titre, disons que mes tripes ont préférées True Detective, mais que mon coeur a un
faible pour Fargo. Ça ne veut rien dire ? Tant mieux, ça plairait sans doute à ces
histoires-là.

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