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Marie-Caroline Aubert
Natalie Beunat
Le Polar pour les Nuls
« Pour les Nuls » est une marque déposée de John
Wiley & Sons, Inc.
« For Dummies » est une marque déposée de John
Wiley & Sons, Inc.
ISBN : 978-2-412-02691-5
ISBN numérique : 9782412042014
Dépôt légal : septembre 2018
Claude Chabrol
Partie 3 : Créateurs et
créatures
Et si l’on autopsiait l’auteur de polar ? On trouve de
tout chez eux, des médecins et des juges, des flics et
des ex-taulards, et parfois même, ils s’y mettent à
deux pour écrire. De drôles de dames s’y collent
également, rien ne va plus !
Auteurs Personnages
Réponses
Observer et déduire : le
triomphe du raisonnement
chez Edgar Allan Poe
On peut avancer sans prendre trop de risques que le
XIXe siècle est le siècle fondateur du roman policier.
Désir de mort
Quelques années plus tard, de l’autre côté de
l’Atlantique, trois auteurs sont les initiateurs du
polar britannique, mélange de mystère,
d’atmosphère trouble et de suspense générateur
d’exquis frissons, et un Français invente le roman
« procédural ». Le lecteur est en droit de
commenter :
UN PARIS PITTORESQUE
Sa méthode
Les deux axes en sont l’observation et la déduction,
ce que Watson résume en une phrase, disant de son
ami qu’il est la « machine à observer et à raisonner
la plus parfaite de la planète ». Une éraflure, un
boîtier cabossé, un numéro gravé que l’on distingue
seulement à la loupe, et Holmes « fera parler » une
vieille montre, comme tout autre objet qu’il se plaît à
étudier pour les progrès de l’enquête. Parfois, il ne
rechigne pas à stimuler son cerveau en prenant de la
cocaïne, laquelle n’est pas illégale à l’époque. Mais
c’est surtout en utilisant toutes les ressources de sa
logique déductive que Sherlock Holmes innove. La
criminalistique avant l’heure, en quelque sorte…
RÉALITÉ OU FICTION ?
Rural et citadin
Le Londres des années 1890, avec ses gares, ses
grands hôtels et ses rues animées, participe de cette
mythologie. Plus rarement, les enquêtes se déroulent
à la campagne, comme dans la nouvelle Le Rituel des
Musgrave, sorte de chasse au trésor dans un manoir
du Sussex. Et bien sûr, c’est le cas pour l’inoubliable
Chien des Baskerville (1901), son roman le plus
célèbre. À Dartmoor, dans le sud-ouest de
l’Angleterre, un chien démoniaque pourchasserait,
selon une vieille légende, les membres de la famille
Baskerville. Lorsque Sir Charles décède dans des
circonstances étranges, Sherlock Holmes et le
docteur Watson enquêtent…
— Par la pensée ?
Le faire-valoir du détective
Dans le couple Holmes-Watson, je demande le bon
docteur Watson. Ce personnage est une invention
capitale. Watson n’est pas seulement le narrateur, le
témoin, le chroniqueur des enquêtes de son ami, il
valorise les lecteurs en proposant des hypothèses
naïves dont ils doutent qu’elles soient pertinentes.
Dans les récits de Conan Doyle, nous sommes un peu
comme dans un jeu de société, nous voulons
découvrir la solution de l’énigme. C’est la dimension
ludique du roman policier classique. Mais nous
sommes tout autant charmés par les relations
presque affectueuses entre Holmes et son comparse.
Et c’est sans doute cela qui prime et que l’on retient.
Pour preuve, les adaptations au cinéma et dans les
séries télé contemporaines ont joué sur cet
attachement singulier au sein du duo.
PASTICHEURS ET SUIVEURS
Un duo incroyable
Chaque mois, Souvestre et Allain doivent livrer un
roman à leur éditeur, Fayard, qui rêve, avec les
aventures de Fantômas, de damer le pion à Gaston
Leroux et à son Rouletabille, lequel a fait fureur dans
Le Mystère de la chambre jaune. Les auteurs écrivent
sur un rythme endiablé selon une méthode qui
n’appartient qu’à eux. Ils se donnent trois jours pour
tisser la trame, puis trois jours pour dicter le roman
au dictaphone, dix autres jours pour relire et le livre
est achevé. En trois ans, le duo produira trente-deux
aventures de Fantômas. Largement inspirées par des
faits divers sanglants de l’époque, les intrigues
connaissent dès 1911-1912 un succès foudroyant
auprès des lecteurs de ces feuilletons.
L’AGATHAMANIA
Tant de livres lui ont été consacrés ! Pas question de tous les
citer. Si l’on compte sur Une autobiographie (1977) pour ce qui
est des révélations tant attendues concernant son inexplicable
disparition, pendant plus d’une semaine, en 1926, Dame
Agatha laisse le lecteur sur sa faim. Si l’on en croit François
Rivière, grand spécialiste de l’auteure, ce livre est « sa plus
sublime œuvre de fiction : la clé de voûte de l’édifice, en
quelque sorte ». Le leurre absolu, de fait : sous couvert de
nous entraîner dans son intimité, elle nous tient à distance.
Tandis que Rivière, lui, qui a exploré comme personne l’œuvre
et la vie de la mystérieuse romancière, pratique dans sa
biographie-essai une sorte de psychanalyse du texte autant
que des faits et gestes, risque des hypothèses et met au jour
des zones d’ombre, réussissant par là même à nous faire
appréhender l’extraordinaire complexité d’une œuvre qui
paraît pourtant si simple.
Dorothy L. Sayers,
l’anticonformiste
Dorothy L. Sayers (1893-1957) naît trois ans à peine
après Agatha Christie, et, un temps, elle connaîtra en
Grande-Bretagne une notoriété presque aussi
grande, sinon davantage, que sa rivale en écriture.
Boileau-Narcejac, un duo de
choc
Sous ce nom composé se cachent deux auteurs qui
ont écrit séparément avant de former un tandem.
Prolifiques et novateurs
À quatre mains, ils ont écrit une soixantaine de
romans dont les deux fleurons sont Les Diaboliques et
D’entre les morts qu’Alfred Hitchcock adapte
brillamment sous le titre Vertigo (Sueurs froides). Là
encore, les duettistes appliquent leur principe
majeur, si audacieux : l’analyse psychologique des
personnages, une situation faussée dès le départ, et
pour narrateur, un coupable qui ne l’est pas
forcément… Pas de meurtre à élucider, pas de privé,
pas de journaliste ou de flic pour conduire une
enquête. Et s’il y en a un, il n’est pas le personnage
important, et de toute manière, il ne comprend rien.
Le lecteur, lui, a les nerfs en pelote : que s’est-il
passé ? Que va-t-il se passer ?
Inspiration classique et
détournement des canons du genre
« Mon rêve est de rénover la littérature policière en
la rendant poétique et humoristique ; d’où ma
décision d’écrire une série de romans de mystère,
une quarantaine, dans la ligne du chef-d’œuvre de
Chesterton, Le Nommé Jeudi, avec des personnages
qui ne seront plus des pantins au service d’une
énigme à résoudre, mais des êtres humains en lutte
vers leur vérité. »
Changement de cap
Au début des années 1950, influencé par les milieux
de cinéma qu’il fréquente comme scénariste et
adaptateur, captant l’air du temps, Steeman amorce
un virage au noir.
GENÈSE DE MAIGRET
– Des hommes ?
Atmosphère, atmosphère !
Simenon a souvent été qualifié d’« écrivain
atmosphérique ». Il est vrai que, pour lui, la météo a
son importance. Le lecteur sent la pluie, ou une forte
chaleur. De même, il capte les odeurs. Celle des
chaussures trempées après une journée dehors, ou
de la sueur dans un bureau mal ventilé, prédispose le
lecteur d’une manière particulière ! Simenon les
donne à sentir quand c’est nécessaire. Toutes les
perceptions d’ailleurs, les bruits aussi, les contours
et les formes, les lumières. Une palette
impressionniste dans un décor d’Utrillo.
LUDIK
1. Bruno Cremer
2. Jean Richard
3. Michel Simon
4. Pierre Renoir
5. Charles Laughton
6. Pierre Fresnay
7. Harry Baur
8. Albert Préjean
9. Charles Vanel
Changement de cap
En 1942, les cousins lancent un magazine qui fera
date dans l’histoire du polar : l’Ellery Queen Mystery
Magazine accueille des nouvelles policières signées
des futurs maîtres du genre.
5. oui.
6. non.
7. oui.
9. non.
12. oui.
Chapitre 3
Les reines du crime et leurs
princes consorts
DANS CE CHAPITRE :
COURONNES ET LAURIERS
Wexford
Si la série des enquêtes de l’inspecteur Wexford suit
un canevas somme toute assez classique – de bons
vieux meurtres entre cottage et presbytère –,
l’auteure y témoigne cependant d’une originalité
déjà notable, qui s’épanouira dans ses polars
psychologiques. Son personnage sort du lot par
certains traits inhabituels – des manières bourrues,
un humour singulier et une remarquable culture
littéraire. Et surtout, l’esprit critique fort développé
de l’auteure donne à ses descriptions une touche
personnelle qui fait défaut à beaucoup de romans du
genre. Et jamais elle n’oublie les menus détails de
bienséance, d’accent, de formulation qui, en
Angleterre, situent définitivement votre
interlocuteur à la place qui est la sienne dans
l’échelle sociale.
Barbara Vine
La parution en 1986 de A Dark-Adapted Eye
(Edgar 1987) – traduit par Vera va mourir – sous le
pseudonyme de Barbara Vine ouvre un pan de son
œuvre moins spécifiquement « polar ». Sans cesser
d’écrire des « Rendell », elle radicalise sa manière,
se permet des constructions plus élaborées,
dramatise et approfondit le suspense psychologique.
Dans Vera va mourir, on voit une jeune femme
enquêter sur sa tante, Vera Hillyard, l’une des
dernières condamnées à avoir été pendues en
Angleterre. L’Été de Trapellune (Gold Dagger 1987) et
Le Tapis du roi Salomon (Gold Dagger 1991) sont
d’autres exemples probants de ce talent parallèle.
La maturité perverse
La narratrice, joliment manipulatrice, d’Un serpent
dans l’ombre (2000) s’évertue à retrouver, vingt ans
après les faits, le meurtrier d’une malheureuse
voisine rouée de coups et laissée pour morte sur la
chaussée, dans leur banlieue londonienne
crapoteuse. Mais pourquoi revenir sur ce fait divers ?
Pour la venger ? Allons, faites confiance à Mrs.
Walters, c’est bien plus tordu que ça !
L eannées
polar historique prend son envol dans les
1990 et revêt bientôt diverses formes. De la
radioscopie d’une civilisation menacée par le
nazisme chez Philip Kerr à la possibilité d’une
rédemption, même ténue, chez Tim Willocks, il
passe par des phases de pur divertissement teinté de
pédagogie, tout en étant capable, au détour d’un
monastère, d’atteindre les sommets du Nom de la rose
ou du Cercle de la croix.
Histoire et fiction
Sur le plan historique, La Trilogie berlinoise est
irréprochable et fascinante. On saisit tout des
rapports entre la police criminelle (la Kripo, qui n’a
pas le beau rôle), la Gestapo et la police secrète
d’État (qui a tous les pouvoirs), de la lutte
d’influence entre les lieutenants d’Hitler. On y côtoie
des personnages historiques dans des situations
quotidiennes, et à cet égard, la rencontre
Gunther/Heydrich dans La Pâle Figure est une scène
d’anthologie. On y perçoit un climat de peur et
d’expectative, palpable chez le moindre passant :
« Et qui prétendrait ne pas être national-socialiste
quand on lui colle un pistolet sur la tempe ? »
Autant d’enquêtes passionnantes qui valent surtout
par la manière dont l’auteur décrit un régime en
train de se durcir, puis de s’effondrer, une folie
collective galopante, d’abord dans la conquête puis
dans la débandade, et surtout, que ce soit avant ou
après la chute, des hommes cherchant tous les
expédients possibles pour sauver leur peau. L’autre
charme de cette trilogie est la restitution de l’esprit
berlinois, à nul autre pareil. À coup sûr un des chefs-
d’œuvre du genre.
L’ESPRIT BERLINOIS
Best-sellers en rafales
Au milieu de cet engouement général pour l’Histoire,
quatre polars qui n’en ont pas l’air se pressent sur
les listes de best-sellers. Ils ont marqué, voire
durablement pour certains, les lecteurs de tous
horizons.
Best-seller no 1 : Le Nom de la
rose d’Umberto Eco
Comme dans les romans d’Ellis Peters, auxquels on
ne peut pas ne pas songer en lisant Le Nom de la
rose** (1980), ce livre plonge dans les arcanes de
l’histoire du Moyen Âge et, plus précisément, dans la
vie des moines. La différence s’arrête là, même si
Umberto Eco ne cache pas son attrait pour le roman
policier classique. Son héros ne s’appelle pas
Guillaume de Baskerville pour rien ! Outre la
référence évidente à Sherlock Holmes et à sa
méthode d’enquête infaillible, il y a chez Umberto
Eco, sémiologue émérite, la volonté de rendre
hommage aux codes du polar de détection (ce
roman – le premier qu’il écrit – comporte par
exemple un plan de l’abbaye et un autre de la
bibliothèque, comme dans les meilleurs whodunit)
tout en les détournant – bien souvent avec
humour – au profit d’un quasi-thriller épatant !
Métaphysique policière
Un moine franciscain, Guillaume de Baskerville, se
rend dans un monastère bénédictin à l’écart du
monde pour y rencontrer, en secret, les frères de son
ordre. Une série de crimes survient, empêchant tout
conciliabule. Comme ces moines s’opposent à
l’opulence et au faste de l’Église, leurs ennemis les
accusent d’hérésie. L’arrivée du grand inquisiteur,
Bernard Gui, précipite alors la fuite de certains
franciscains.
Best-seller no 2 : Le Parfum de
Patrick Süskind.
Traduit en 48 langues, vendu à 20 millions
d’exemplaires, totalement irrésistible, Le Parfum
(1985), sous-titré Histoire d’un meurtrier, connaîtra
un succès mondial. Premier roman d’un scénariste
allemand inconnu, ce récit relate la vie d’un « génie
abominable », Jean-Baptiste Grenouille, dont le
nom pourrait prêter à sourire si cet inoubliable
personnage n’était enclin à une monstrueuse
passion.
Best-seller no 4 : Le Da Vinci
Code de Dan Brown
Autre thriller ésotérique : Da Vinci Code (2003), ou
comment un professeur de symbolique religieuse de
Harvard se retrouve embarqué malgré lui, en plein
Paris, dans une affaire d’assassinat qui l’incrimine
directement ; en l’occurrence, le meurtre abject d’un
conservateur du Musée du Louvre.
William Monk
Les aventures de l’inspecteur de police amnésique,
William Monk, se situent, elles, trente ans plus tôt,
dans le Londres de 1850, mais l’hypocrisie de la
haute bourgeoisie y est tout autant mise à mal.
L’autre personnage de cette série est un avocat,
Oliver Rathbone (par la suite, il deviendra juge), et
ces romans incluent de longues scènes de tribunal,
ce qui pourrait presque faire pencher ces livres du
côté du roman judiciaire. Les mutations de Londres
sous le règne de Victoria y sont également évoquées,
par exemple, la rénovation du système des égouts
qui est – si l’on peut dire – le point d’ancrage de
Meurtres souterrains (2006).
UN AUTEUR PROLIFIQUE
La destruction inéluctable de la
prairie
Selon le critique Jacques Cabau, le héros de roman
noir créé par Dashiell Hammett intègre les valeurs
morales et les qualités d’endurance physique du
pionnier américain. Il n’est plus seul face à
l’immensité de l’Ouest sauvage mais seul dans la
grande ville où les dangers sont bien plus grands.
Son essai, intitulé fort justement La Prairie perdue,
l’explique avec limpidité. Les États-Unis troquent
une mythologie (le Far West, les grands espaces, le
système de valeurs du pionnier) contre une autre
mythologie : le détective privé, la ville, les gangsters.
Nobody’s perfect
Si l’on osait faire un reproche à Chandler, ce serait
une faiblesse dans la construction de ses intrigues…
L’anecdote la plus célèbre concerne Le Grand
Sommeil : les scénaristes affectés à l’adaptation
cinématographique s’arrachent les cheveux. Ils
demandent à l’auteur qui a tué Owen Taylor, le
chauffeur des Sternwood. Chandler répond qu’il n’en
a pas la moindre idée !
L’invention de Marlowe
Mis à part son style inimitable, Chandler doit avant
tout sa célébrité à l’invention d’un personnage
mythique (voir chapitre 9), un authentique héros.
Dans l’histoire du polar, il y a un avant et un après
Marlowe. Le privé de Chandler est désormais LA
référence, et dès que surgit un nouveau détective, on
en fait, parfois sans aucune raison valable, le
Marlowe de Barcelone, de Berlin, de Stockholm…
Exemples :
Le vengeur solitaire
Mike Hammer apparaît pour la première fois dans
J’aurai ta peau (1947) où il déclare tout de go être « à
la fois le jury, le juge et tout le tribunal… ».
L’histoire rappelle un peu celle du Faucon maltais. Le
détective venge son ami dont l’assassin n’est autre
que la femme qu’il aime. La violence exacerbée mais
assumée de Mike Hammer l’entraîne finalement à
abattre la coupable d’une balle de 45. Cette volonté
d’en découdre reflète l’Amérique paranoïaque de
l’après-guerre et de la Guerre froide. Cette exaltation
du côté sombre de la majorité silencieuse est encore
plus évidente avec En quatrième vitesse (1953), célèbre
pour avoir été adapté à l’écran par Robert Aldrich
deux ans après sa sortie. Mike Hammer porte
secours à une femme sur une route isolée, mais ils
sont rattrapés par des hommes qui la torturent à
mort. Le détective s’en sort de justesse mais veut en
savoir davantage sur la morte…
Villes inventées
Dès le début, le concept de la ville imaginaire a été
un des ressorts du roman noir dans la mesure où elle
incarne la corruption à l’état pur. Elle est le symbole
de la déliquescence morale et politique. Un des
premiers romans à utiliser ce principe est La Clé de
verre** de Dashiell Hammett, où une ville de l’Est
jamais citée dans le livre (le modèle en est
Baltimore) est le théâtre d’une guerre des gangs
déchirés entre quête du pouvoir et quête de
respectabilité.
Villes réelles
Los Angeles, présente dans l’imaginaire collectif et
pas seulement grâce à la littérature noire, attire
plusieurs auteurs. Mais à l’origine, il a eu San
Francisco. D’autres ensuite préféreront Washington
et New York, modèles de villes multiculturelles.
San Francisco
Dans presque la moitié des nouvelles de Dashiell
Hammett et dans Le Faucon maltais, San Francisco est
restituée avec minutie par ses restaurants, ses
hôtels, ses théâtres, et par ses bruits, son
ambiance – le son de la corne de brume en
provenance des bateaux de la baie, le cliquetis des
tramways à l’assaut des collines. Après avoir été le
nouvel Eldorado au temps de la Conquête de l’Ouest,
la Californie symbolise l’endroit où se réalise et où
s’effondre le rêve américain.
À L’ÉCRAN AUSSI, CETTE VILLE FASCINE
La tradition rurale en
Amérique
Dans L’Année du polar, édition 1988, Michel Lebrun
déclarait : « Une légende tenace affirme que le crime
ne s’épanouit totalement qu’en milieu citadin… On
tue aussi en milieu rural, et comment ! » De la
Louisiane au Texas, de l’Ohio aux coins les plus
reculés de la Géorgie, en voici l’illustration.
L’élément fondateur : la
paranoïa (1)
L’élément fondateur du roman d’espionnage est la
peur que les visées expansionnistes de l’Allemagne
inspiraient au gouvernement britannique. Tout
commence dans un climat de roman d’aventures.
L’exception française
Face à l’hégémonie anglaise dans le domaine, la
concurrence était faible. Néanmoins deux
contributions sont à signaler.
Nostalgies
L’Allemagne nazie a fourni aux auteurs de romans
d’espionnage un terrain particulièrement fructueux,
que certains ont continué à explorer plusieurs
décennies après les événements.
Philip Kerr, entre noir, policier et espionnage (voir
chapitre 4), a exploité avec panache toutes les pistes
qu’offrait le IIIe Reich. Il n’est pas le seul.
La machine infernale
Enigma (1995), de l’Anglais Robert Harris, né
en 1957, qui a fait grand bruit à sa parution, n’est
finalement qu’une romance d’espionnage assez
moyenne. Le jeune Tom Jericho, mathématicien
surdoué, est arraché à sa retraite de Cambridge où il
se remettait d’une déception sentimentale, et
conduit à Bletchey Park où des centaines de cerveaux
performants essaient de casser les codes,
régulièrement modifiés, d’Enigma, la machine qui
transmet tous les messages secrets allemands. Tom
a trois jours devant lui pour empêcher un convoi allié
d’un million de tonnes de matériel et de personnel
de foncer droit vers le désastre.
Résultats du Ludik :
1) Vesper Lynd – 2) Tiffany Case – 3) Tatiana Romanova – 4)
Honey Rider – 5) Pussy Galore – 6) Domino Derval – 7) Tracy – 8)
Kissy Suzuki – 9) Anya Amasova – 10) Mary Goodnight.
Et les idéologies ?
C’est assez simple : 007 se bat pour défendre le Bien
(sa patrie, le monde occidental) contre le Mal, c’est-
à-dire, avant tout, les Russes, représentés par le Dr.
No ainsi que par le Chiffre qui est au service du
SMERSH, une agence de contre-espionnage
soviétique totalement imaginaire. Mais aussi ce bon
vieux tricheur de Goldfinger, trafiquant d’or qui est
en cheville avec les Russes. Ou encore le tireur d’élite
Scaramanga, qui travaille pour Cuba…
Émergence de la théorie du
complot
Aux États-Unis, les romans d’espionnage offrent un
visage différent et n’ont rien à voir avec les discrets
et cyniques services secrets de Sa Majesté.
L’Amérique aime l’argent, l’efficacité et n’a qu’un
ennemi : le communisme. Sa littérature
d’espionnage lui ressemble : efficace, riche en action
et pauvre en états d’âme, pleine de péripéties et de
rebondissements. Elle est plus spectaculaire, mais ce
qu’on gagne en images et en scènes fortes, on le
perd sans doute en finesse.
LES INFILTRÉS
Lobbies internationaux
Dans La Constance du jardinier (2001), Tessa Quayle
est retrouvée assassinée au bord d’un lac du Kenya.
Son ami le Dr Bluhm, qui l’accompagnait, a disparu.
Son mari, important diplomate à Nairobi, va
enquêter et découvrir que Tessa s’employait à
dénoncer les méfaits d’une société pharmaceutique
qui utilisait des Kenyans démunis comme cobayes
pour tester le dypraxa, médicament miracle contre la
tuberculose. Le Carré dénonce les lobbies et le rôle
douteux des multinationales occidentales en Afrique,
mais il ne s’agit pas tant d’un roman d’espionnage
que d’un constat sur l’état du monde moderne
doublé d’une quête sentimentale.
Par-delà la mort
Adaptation identique au monde qui l’entoure chez
Robert Ludlum. Les derniers livres de l’auteur –
qu’il s’agisse de puissants, tapis dans l’ombre des
banques et des gouvernements, nostalgiques du IIIe
Reich (Les Veilleurs de l’Apocalypse, 1995) ou une
officine ultra-secrète du renseignement américain
qui serait de connivence avec une organisation
terroriste internationale (La Trahison Prométhée,
2000) – marquent une nette préférence pour le
complot.
L’exégète de la CIA
Terminer ce chapitre sur l’espionnage sans évoquer
l’Américain Tom Clancy (1947-2013) serait
impensable, même si son travail s’apparente
davantage au genre du techno-thriller (voir
chapitre 15). Connu pour ses romans très
documentés impliquant la CIA, et surtout sa série
Jack Ryan, il a bénéficié d’un regain de popularité
après les attentats de 2001, pour avoir décrit de
manière prémonitoire ce type d’attaque dans Dette
d’honneur (1994) et Sur ordre (1996).
La Russie de Poutine
N’est pas un auteur-espion de la carrure de Graham
Greene ou de John le Carré qui veut. Jason Matthew,
ancien de la CIA, en apporte la preuve. Son roman,
bien documenté et un rien complaisant s’intitule Le
Moineau rouge (2013) en référence à l’école des
Moineaux, où des jeunes femmes décidées à servir la
mère Russie apprennent dans des conditions
révoltantes l’art de séduire une cible. La cible, ici, est
un agent de la CIA, bien sûr, et le moineau, une
vaillante et jolie danseuse dont la carrière a été
brisée, et qui finit par prendre goût à son nouveau
métier d’agent. En dehors d’informations assez
captivantes sur le profil de l’actuelle société russe –
tout a changé mais rien n’a changé – et de scènes
que certains jugeront peut-être croustillantes, le
livre n’est pas à la hauteur du buzz qui a
accompagné sa publication.
» D’où viennent-ils ?
» Profils contemporains
Réponses
temps)
Professionnalisation de
l’écrivain
Non seulement il faut travailler pour vivre, mais très
vite, les activités se multiplient et se superposent.
Les écrivains ont, déjà à cette époque – le début du
XXe siècle –, du mal à ne vivre que de leur plume. Le
temps des auteurs rentiers est révolu.
Lettres de Chandler
Quand il perd son emploi et se met vraiment à
l’écriture, Raymond Chandler découvre les fins de
mois inconfortables. Pour subsister, il vend des
nouvelles aux pulps et après le succès de son premier
roman, est embauché par les studios. La lecture de
ses Lettres (Christian Bourgois éditeur), considérées
par le critique Michel Lebrun comme un livre capital,
nous apprend ce que l’auteur pensait du roman
policier classique (pas grand bien) et comment il
entendait écrire. On y trouve également des notes
sur son travail de scénariste, pour Assurance sur la
mort par exemple (film de Billy Wilder) ou L’Inconnu
du Nord-Express (film d’Alfred Hitchcock adapté du
roman éponyme de Patricia Highsmith) : « Je suis
presque devenu enragé à essayer de me sortir de
cette scène. »
Connaissance du terrain
Qu’ils soient flics ou voyous, leur expérience
professionnelle de lutte contre la criminalité ou a
contrario leur connaissance du milieu carcéral
nourrissent leurs écrits. Le roman policier est le
territoire où ils se rejoignent.
Par affinités
Nous avons vu au chapitre 2 comment Thomas
Narcejac et Pierre Boileau se sont rencontrés et ont
décidé d’unir leurs efforts pour écrire « le roman de
la victime ». Ils travaillaient essentiellement à
distance, Narcejac le Nantais se préoccupant surtout
de la rédaction quand Boileau le Parisien cogitait sur
l’intrigue. Boileau mort, Narcejac a continué à signer
de leurs deux noms les romans qu’il a écrits seul.
Le duo Giacometti-Ravenne
Éric Giacometti est le co-auteur, avec Jacques
Ravenne, de la série à succès du commissaire
Antoine Marcas, franc-maçon comme Ravenne. La
série entamée en 2005 avec Le Rituel de l’ombre a été
vendue à plus de deux millions et demi
d’exemplaires en France et traduite dans dix-sept
pays.
Liens du sang
Le lecteur a déjà rencontré au chapitre 3 les cousins
de Brooklyn, Frederic Dannay et Manfred B. Lee, qui
sous le pseudonyme Ellery Queen sont devenus un
célèbre auteur, et héros, de polars. Ils ont fait des
émules.
Drôles de dames
Après des débuts américains et le règne des illustres
Anglaises – A. Christie, D. Sayers, P. D. James, R.
Rendell – sur le polar pendant une bonne partie du
XXe siècle, le polar féminin a suivi des voies nouvelles
et inattendues.
Raffinements de scalpel
Née en 1956 à Miami, Patricia Carroll Daniels, dite
Patricia Cornwell, exerçait comme informaticienne à
la morgue de Richmond quand elle a commencé à
rédiger son remarquable premier roman, Postmortem
(1990). Le livre a connu un succès phénoménal et été
couronné par les plus grands prix. Cela n’a rien
d’étonnant : en créant le personnage du Dr Kay
Scarpetta, médecin expert général de l’État de
Virginie qui travaille en tandem avec le FBI, Patricia
Cornwell a créé un genre nouveau, donnant à lire des
scènes jamais vues. Le réalisme saisissant de ses
romans – 24 titres de la série « Scarpetta », sans
compter les autres – tous des best-sellers à l’échelle
planétaire, s’ajoutant à l’empathie que le Dr
Scarpetta témoigne aux victimes qu’elle autopsie,
justifie leur succès. En partageant les souffrances des
proies du serial killer de Postmortem, directement
inspiré par un tueur maniaque qui a sévi à
Richmond – Cornwell a touché un très vaste lectorat,
sensible non seulement à la peur délicieuse qu’elle
distille, mais surtout à la vulnérabilité qu’elle
exprime.
Hémoglobine assumée
Un certain goût pour le gore…
Val McDermid (née en 1955) est une Écossaise
socialiste, ancienne journaliste passionnée de
football et excellente critique de polars pour le
quotidien anglais The Independent. Son engagement
s’exprimait à la fin des années 1980 dans ses séries
féministes – avec Lindsay Gordon, la journaliste
lesbienne, et la détective privée Kate Brannigan.
En 1995, un Gold Dagger a récompensé Le Chant des
sirènes, qui a lancé sa carrière. Et personne n’a
échappé à l’insubmersible série télé éponyme tirée
de La Fureur dans le sang (1997). Les romans où
figurent Carol Jordan et Tony Hill, duo d’enquêteurs
aux relations personnelles complexes, témoigne d’un
penchant de l’auteur pour les blessures corporelles
et la violence physique, certes, mais aussi de sa
quête de justice et de sa haine de l’obscurantisme.
Roman à part, 4 garçons dans la neige (2005) illustre
fort bien cette position, en montrant comment
quatre étudiants de St. Andrews, ayant découvert au
petit matin, après une fête trop arrosée, le corps
poignardé de Rosie la barmaid, deviennent des
suspects de choix pour la police. Leur culpabilité ne
peut être établie, mais ils sont désormais des parias.
La période Adamsberg
Jean-Baptiste Adamsberg apparaît pour la première
fois dans L’Homme aux cercles bleus** (1991). Doté
d’une grande sensibilité, c’est un homme intuitif,
qui sait s’entourer. Il est secondé par l’inénarrable
capitaine Danglard.
Où en est le féminisme ?
Megan Abbott, la subversive
Megan Abbott, née en 1971, auteure d’un essai sur la
suprématie du mâle blanc dans le roman et le film
noirs américains, a écrit quatre petits romans
délectables où elle explore le rôle de la femme dans
le roman noir, nous amenant à repenser certains
clichés. Le plus représentatif de cette veine
brillante – elle s’est par la suite un peu perdue dans
des histoires d’adolescentes vaguement perverses –
est Adieu Gloria (2007) dont le titre original,
intraduisible, Queenpin, donne le ton. En anglais,
kingpin désigne un caïd, un chef de bande criminelle.
Queenpin est un néologisme, une femme n’étant pas
censée occuper pareille position. Sur un fond
traditionnel d’ambition, de trahisons, de cupidité et
de pression du désir, Adieu Gloria reprend les codes,
mais en les inversant. Gloria Denton, qui contrôle
d’une main de fer des cercles de jeux et des officines
de paris sur les champs de courses, prend sous son
aile une jolie comptable en mal de bijoux, de
fourrures et de grands restaurants, qui apprend vite
le métier. Jusqu’au jour où un séduisant bon à rien
menace les liens entre les deux femmes. Un drame
vénéneux et trouble dont les protagonistes évoquent
un aspect du film Ève de Joseph L. Mankiewicz.
Le culte de la personnalité
Héritiers du héros de l’épopée antique ou du
chevalier à l’armure étincelante, ils sont si grands
que leur nom est aussi connu, sinon davantage, que
celui de l’auteur. Ils génèrent essais, pastiches,
associations de fans et leurs incarnations
cinématographiques ou télévisuelles prolifèrent.
LE TEXTE ET LA LÉGENDE
POUR LA POSTÉRITÉ
RISQUE DE CONFUSION
Dans la famille McDo, ils sont trois garçons, nés dans le
premier tiers du XXe siècle, et une fille, la petite dernière. Sans
liens de sang, ni vraiment de points communs littéraires. Seul
le genre les unit. Et attention à l’orthographe !
Figures fondatrices
Le monstre serait-il tapi en nous ? Le serial killer
aurait-il remplacé le croque-mitaine des contes de
fées de notre enfance ? Force est de constater que le
frisson et le trouble s’installent durablement en
littérature policière.
Le si célèbre Dr Mabuse
Créature de l’écrivain luxembourgeois d’expression
allemande Norbert Jacques, le Dr Mabuse apparaît
dans les romans, ignorés du grand public, Dr Mabuse,
le joueur (1921), et Le Testament du Dr Mabuse (1931).
C’est surtout grâce aux magnifiques films de Fritz
Lang que nous connaissons ce fascinant génie du
Mal, obsédé par l’idée de contrôler le monde,
hypnotiseur et capable de changer d’apparence en un
rien de temps.
Le flic ripou
En Amérique, le « flic ripou » peut aussi être un
shérif, élu par les habitants de sa bourgade, parfois
sans limitation de durée. Clientélisme ou
intimidation, le shérif n’est pas toujours celui qui
défend le Bien. Un bel exemple en est le shérif
Bittersmith dans Une contrée froide et paisible (2015)
de Clayton Lindemuth (voir chapitre 6).
Du whodunit au police
procedural
Dans le whodunit, on suivait pas à pas la progression
d’une enquête menée par un policier ou un détective
privé. Le police procedural, ou « roman de procédure
policière », fonctionne selon le même schéma, mais
c’est la brigade criminelle qui opère, se répartissant
les différentes phases de l’enquête dont le lecteur est
informé en détail. Le privé a fait son temps, place au
collectif de flics.
Quand le privé cède la place au
flic
Porté à son sommet par la série du 87e District, où Ed
McBain invente le héros choral – tous les membres
de la brigade criminelle d’Isola –, le police procedural
est souvent un prétexte pour aborder des
préoccupations majeures.
Mutations
La criminalité change, ce qui conduit à un
durcissement du contenu du police procedural.
D’autant que les séries télé, à défaut de signer son
arrêt de mort, amorçant son déclin. D’autres sources
alimentent le polar et l’entraînent vers le thriller.
En perte de vitesse
De nos jours, les romans de type police procedural
continuent d’occuper le terrain en Angleterre,
malgré la concurrence des séries télévisées, en
abordant des problématiques contemporaines : traite
des êtres humains par les fameuses filières de l’Est,
trafic de drogue et milieux criminels pluri-
ethniques.
Religion et coutumes
alimentent le polar
Pas question de nier la place qu’occupent dans le
roman policier, en particulier américain, les mythes
et croyances, la religion et cette nouvelle science
magique, la psychanalyse.
Le mythe et la croyance
« On ne peut reculer les origines du roman policier
et lui procurer une généalogie sans le prendre pour
ce qu’il est : une continuation de l’épopée antique
adaptée aux structures mentales du monde
moderne… Grâce au roman noir, l’épopée antique ou
moderne subit sa minute de vérité et révèle sa
fonction sociale… Elle réalise l’équilibre entre la
pensée mythique et la pensée rationaliste… »
(Francis Lacassin, Mythologie du roman policier,
Christian Bourgois Éditeur, 1974)
La crainte de Dieu
La Bible et le fusil sont les deux instruments
privilégiés de l’expansion américaine. Ce sont aussi
deux armes capables de faire beaucoup de dégâts. Le
roman policier reprend l’héritage du puritanisme en
dénonçant comment le fanatisme religieux peut être
exploité mais aussi comment l’Église et les milieux
criminels peuvent avoir des intérêts communs.
La religion dévoyée
L’hypocrisie religieuse dénoncée à l’envi, c’est un
peu le credo qui anime l’œuvre de Chester Himes
(voir chapitre 5). Dans La Reine des pommes** (1957),
une faune de voleurs et de mendiants, de putains et
de drogués semble chercher l’oubli auprès de la
religion. Mais au lieu de venir en aide aux plus
démunis, elle apparaît comme la pire escroquerie qui
soit. Une religieuse se révèle être un travesti, et la
dérision pointe, devenant le meilleur rempart contre
le désespoir.
Influences diverses et
déterminantes
L’Amérique s’est construite avec des forces venues
d’Europe sur un territoire où étaient nés et vivaient
des Indiens. Les mœurs et les croyances des uns et
des autres ont exercé leur influence sur le polar ; le
même phénomène se vérifie dans d’autres pays
colonisés, telle l’Afrique du Sud.
Les racines
Preuve que le sol américain n’a pas été entièrement
recouvert par l’asphalte des colons, plusieurs auteurs
amérindiens ont choisi le truchement du polar pour
dire la misère d’un peuple opprimé. Du grand James
Welch (1940-2003), auteur blackfoot de l’école du
Montana, à Sherman Alexie, né en 1966 et spokane
par sa mère, en passant par Louis Owens, ils écrivent
des histoires qui revendiquent leur Histoire.
Comparaison en miroir
Pour qui en douterait, voici un tableau comparatif
des ingrédients de base, révélateur de leurs
similitudes :
Winchester Revolver/mitraillette
et quelques autres…
L’anti-polar historique
Tout se nourrissant d’histoire, le roman noir survit
sans pour autant basculer dans le polar historique.
C’est le cas d’un des meilleurs livres de l’Américain
Marc Behm (1925-2007), également son premier : La
Reine de la nuit** (1977). Une jeune allemande,
membre des SA, puis des SS, finit par fréquenter tous
les ténors du Reich. Incarnation du Mal absolu à
travers les exactions auxquelles elle se livre,
l’héroïne n’en demeure pas moins terriblement
humaine. C’est le tour de force de l’auteur que de
nous faire croire à cette voix narrative féminine. On
pense évidemment en lisant La Reine de la nuit –
chef-d’œuvre aux accents shakespeariens – à
l’humour froid et aux descriptions criantes de
réalisme de Kaputt (1944) de Curzio Malaparte.
Sortie de placard
Puisque le polar suit l’évolution de la société, rien
d’étonnant à ce que l’homosexualité et la bisexualité
s’y invitent sans complexe au travers des
personnages et des intrigues.
Le polar gay
Dans les années 1970, Joseph Hansen (1923-2004) a
été le premier auteur de polar ouvertement gay à
créer un héros, Dave Brandstetter, qui assume haut
et fort son homosexualité, mais sans militantisme ou
prosélytisme. Même si les énigmes auxquelles est
confronté son héros – enquêteur pour une
compagnie d’assurances – nous entraînent souvent
dans le milieu homosexuel de Californie, Joseph
Hansen s’inscrit davantage dans la pure tradition du
privé de roman noir (voir chapitre 5) que dans le
folklore communautaire. Ce professeur d’université a
signé (y compris sous pseudo) d’autres romans que
la quinzaine formant la série « Brandstetter », mais
c’est celle-ci qui le révèle au public, en particulier
grâce à sa qualité d’écriture. Outre son premier titre,
Un blond évaporé (1970), il convient de citer À fleur de
peau (1979) ou Les Ravages de la nuit (1984), une
affaire de fûts toxiques.
FAUX AMI
On appelle faux ami un mot qui, dans une langue étrangère,
est identique au mot français sans avoir le même sens. La
bouffe est chouette à Fatchakulla (1978) de Ned Crabb est un
polar faux ami. La bouffe n’est pas du tout chouette à
Fatchakulla, abominable bled perdu dans les marécages du
canton le plus pauvre du nord de la Floride. Les habitants sont
tous des dégénérés consanguins, à se demander s’il ne vaut
pas mieux fréquenter les alligators. Une créature mystérieuse
lacère ses proies pour les dévorer ensuite. Pas intégralement,
on en retrouve des morceaux de ci, de là. C’est absolument
jubilatoire et hilarant, et ce livre, dont on a longtemps cru qu’il
était le seul de son auteur, fait partie des perles rares et
inclassables du catalogue noir. Bonne nouvelle : Ned Crabb en
a écrit au moins un autre, en 2014 : Meurtres à Willow Pond,
récemment traduit, drôle mais quand même plus sage.
Comme dirait Jean-Bernard Pouy, « on ne sait pas grand-chose
de ce Crabb, sinon qu’il pince très fort ».
L’humour à mort
Le rire et le polar sont-ils incompatibles ? Beaucoup
de lecteurs semblent le penser. Mais détrompez-
vous !
Comédies policières
L’humour français
Dans les années 1960, Imogène McCarthery avait la
cote : née sous la plume de Charles Exbrayat (1906-
1989), pittoresque professeur de sciences naturelles
devenu journaliste, puis un pilier de la collection du
« Masque », la turbulente rouquine incarnait le
versant humoristique de la vieille fille enquêtrice du
roman policier anglais. Élevée par un père officier de
l’armée des Indes, Imogène travaille à l’Amirauté,
donc à Londres : un cauchemar pour cette Écossaise
pur grain, aussi vaillante que naïve et d’un
tempérament bouillonnant. Ses bévues et ses
incartades ont fait rire des dizaines de milliers
d’amateurs de comique de situation. Ne vous fâchez
pas, Imogène, extrait des oubliettes à l’occasion de la
sortie du film Imogène McCarthery, où Catherine Frot
incarne la tornade rousse, peut être lu sans déplaisir.
Il n’est toutefois pas garanti que le lecteur
d’aujourd’hui s’esclaffera d’aussi bon cœur que ses
grands-parents.
Éternel ou daté ?
Fantasia chez les ploucs (1956) est l’archétype du
roman noir drolatique, qui a rendu célèbre son
auteur, Charles Williams (1909-1975). D’origine
texane, c’est en Californie où il passera sa vie qu’il se
lance dans l’écriture à l’âge de 40 ans. Il publiera
une vingtaine de romans dont plus de la moitié
seront adaptés au cinéma. Vivement dimanche ! (film
de François Truffaut, 1983), c’est lui. Fantasia chez les
ploucs est le récit que fait Billy de ses vacances avec
son père à la campagne, chez son oncle Sagamore,
bootlegger de son état. Avec la candeur d’un gamin
de 7 ans, il raconte le monde abracadabrant qui
l’entoure : la distillerie clandestine, un shérif tenace
mais dépassé par les événements, une strip-teaseuse
en habits de lumière, pourchassée par des méchants.
Livre éternel, surtout depuis la nouvelle traduction
intégrale publiée en 2017 aux éditions Gallmeister,
sous le titre Le Bikini de diamants, plus conforme au
titre original : The Diamond Bikini.
Et un génial inclassable
John Crosby (1912-1991), journaliste de profession, a
écrit des romans d’espionnage qui sont bien plus que
cela, marqués par la satire sociale et un ton
parfaitement impertinent, caractéristiques qui en
ont fait des ovnis littéraires d’une intelligence
féroce. Leur héros, Horatio Cassidy, professeur
d’histoire médiévale irlando-américain, s’est retiré
de la CIA (enfin, pas complètement) pour devenir le
précepteur-garde du corps de la jeune Lucia di
Castiglione, héritière italienne vivant dans un
building pour milliardaires ultra-protégé de
Manhattan, le Mont-Zéphyr. Les intrigues sont
délicatement complexes et les affaires rondement
menées dans Le Clou de la saison (1979), Tu paies un
canon (1983), Pas de quartier (1985) et À la volée
(1989), d’un humour constant.
LE POÈTE DE MISSOULA
La poésie tue
La poésie venant en aide au crime, des vers servant
d’indices ? C’est arrivé en tout cas deux fois.
Art et polar
Les faussaires (et tous les escrocs malins doués d’un
certain sens artistique) font partie des méchants pas
trop méchants. Une aimable amoralité imprègne
leurs aventures, qui se traduit par une désinvolture
non dépourvue de séduction.
Musique et polar
Marc Villard (né en 1947) est un grand connaisseur
de jazz – il a écrit pour la revue Jazzman – et
l’auteur de nombreuses nouvelles (citons le recueil Si
tu vois ma mère, 2017) et romans (Cœur sombre, 1997 ;
Bird, 2008) traversés par cette passion.
Chats et polar
Il est conseillé au lecteur aimant le polar mais pas
les chats de passer au chapitre suivant.
Le chat enquêteur
Mieux encore, chez certains auteurs, minou joue les
limiers !
Les anars
Même si le polar ne manque pas d’auteurs
libertaires, trois ont été identifiés…
LA TRILOGIE NOIRE
Le néo-polar
En novembre 1979, dans Charlie Mensuel, Jean-
Patrick Manchette pose les bases de ce qu’il appelle
alors « le néo-polar » : « Deux ou trois ans
après 1968, l’apparition d’un “nouveau polar”
français (que nous nommerons néo-polar, pour des
raisons que nous indiquerons) fait écho à la
réapparition éclatante de l’Histoire sur les chaussées
dépavées de Paris et d’ailleurs. » Ce qu’il ignore
encore, c’est qu’il va tout naturellement en devenir
le chef de file.
La bande à Manchette
Dans les années 1970, des auteurs français, grands
admirateurs des auteurs de la « Série Noire », vont
prendre le relais sous la houlette de Jean-Patrick
Manchette.
La mémoire en tête
Dans les années 1980, Didier Daeninckx (né en 1949)
a publié plusieurs polars « d’intervention sociale »
pour reprendre l’expression de Manchette,
s’emparant à chaque fois de sujets d’actualité ou de
faits historiques. Son premier livre, Mort au premier
tour (1982), aborde la question du nucléaire : un
projet d’implantation de centrale en Alsace à la veille
d’élections provoque une réaction en chaîne : au
bout, l’assassinat d’un syndicaliste écolo. L’année
suivante paraît Meurtres pour mémoire** – un Grand
Prix de Littérature Policière bien mérité – où il met
en lumière un épisode de la guerre d’Algérie
quasiment tabou : le massacre, par la police
française, de plusieurs dizaines d’Algériens à Paris
le 17 octobre 1961. Peu de personnes à la parution du
livre étaient au courant des événements décrits, à
commencer par son éditeur. Si Didier Daeninckx ne
cache pas son admiration pour Jean Meckert, à qui il
dédie La Mort n’oublie personne (1989), il lui rend
hommage implicitement avec Le Der des ders (1984)
très inspiré de l’antimilitarisme viscéral du Boucher
des Hurlus. À noter qu’il a créé un héros récurrent,
l’inspecteur Cadin, qui apparaît dans ses deux
premiers livres et dans bien d’autres, par exemple
dans Le Bourreau et son double (1986) ou pour la
dernière fois, dans Le Facteur fatal (1990).
L’inestimable Pouy
Bien que nous ayons abordé au chapitre 11 l’œuvre de
Jean-Bernard Pouy (né en 1946), il convient de
rappeler combien il a toute sa place dans le néo-
polar, même s’il ne commence à être publié qu’au
milieu des années 1980. L’humour est toujours au
rendez-vous comme dans L’Homme à l’oreille croquée
(1987). Un événement dramatique (un accident
ferroviaire) est l’occasion de situations
tragicomiques pour le héros, une oreille en moins :
« Marie-Claude me l’a sectionnée en deux. Elle a dû
avaler l’autre morceau, parce qu’on ne l’a pas
retrouvé. » Son dernier roman, Ma ZAD (2018) est
sorti en pleine actualité de l’abandon du projet de
l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. L’intrigue de
Ma ZAD se déroule dans le nord de la France.
L’héroïne, Camille Destroit, quadra, célibataire,
zadiste de circonstance, travaille dans un
hypermarché bio. Le démantèlement de la ZAD ne se
passe pas bien, mais est-ce vraiment une surprise ?
Sur France Inter, Jean-Bernard Pouy déclare : « Ma
ZAD à moi c’est l’utopie, la résistance et la
déconnade ! » (21 janvier 2018). Rien d’étonnant
pour celui qui a reçu le Grand Prix de l’humour noir
en 2008 pour l’ensemble de son œuvre.
Le découvreur de talents
Patrick Mosconi (né en 1950) est écrivain, scénariste
et peintre. Si ses romans – comme cette histoire de
vengeance et de manipulation sur fond de guerre
d’Algérie qu’est La Nuit apache (1990) – méritent
largement leur place à la « Série Noire », il importe
de signaler que Louise Brooks est morte (1986, réédité
dans une version de 1993 revue par l’auteur)
participe au grand élan de cette décennie magique
des années 1980. Patrick Raynal, alors critique
littéraire à Nice-Matin écrit : « Louise Brooks est morte
est un récit à la construction subtile, dont la
narration tranchante balade le lecteur de surprise en
surprise. Un grand roman noir parce qu’il ne retient
du réalisme que sa dimension poétique, du meurtre
et de la mort que la folie fatale de la passion »
(6 juillet 1986).
Les camarades
Deux auteurs absolument majeurs de cette période,
Thierry Jonquet et Jean-François Vilar, ont milité
ensemble à la Ligue révolutionnaire et écrit, chacun
dans un registre très personnel, une œuvre originale
et mémorable.
C’est une femme qui est là, une vraie et qui est
morte, évidemment assassinée. » (Jean-François
Vilar, C’est toujours les autres qui meurent, Babel noir)
Le franc-tireur
Serge Quadruppani (né en 1952) est essayiste et
traducteur de l’anglais et de l’italien, en particulier
d’Andrea Camilleri (voir chapitre 16). Il débute dans
le roman policier à l’aube des années 1990 avec une
trilogie palpitante et singulière : Y, Rue de la cloche et
La Forcenée. Par dépit amoureux, le protagoniste,
Léon, s’est débarrassé d’un manuscrit, Death Job, et
il n’aurait pas dû car beaucoup de personnes peu
recommandables y tenaient. Un ex-super gendarme
collectionneur de secrets d’État entre dans la danse…
et rien ne va plus. Dans son dernier roman, Loups
solitaires (2017), qui se déroule entre le nord du Mali
aux mains des groupes djihadistes et le Limousin
profond, il est encore question de paranoïa et du rôle
trouble des services secrets français.
La bande voisine
D’autres auteurs sont assimilés au néo-polar, tout
en ayant creusé un sillon à part.
La langue chienne
Encensé à ses débuts pour Mardi gris (1978) et Tarzan
malade (1979) par Jean-Patrick Manchette – à juste
titre –, Hervé Prudon (1950-2017), journaliste et
scénariste, est un des écrivains qui a marqué non
seulement le néo-polar, mais la littérature française.
Il a écrit une vingtaine de livres, dont des récits
désenchantés et poignants comme Cochin (1999). Si
Tarzan malade** est certainement l’un de ses
meilleurs textes, c’est grâce à sa langue inventive qui
se déguste comme un petit vin frais. Ajoutons à cela
un humour subtil (« Albert se foutait de la Vierge
Marie comme du petit Moïse. Albert qui déjà n’était
pas chrétien était en plus un mauvais juif. À dix-sept
ans il avait échangé la Thora contre un manuel
d’économie ») et un personnage principal de tueur à
gages alcoolique et désaxé (Morvan, dit la Morve).
Au sujet de Banquise (1981), le critique François
Rivière écrira dans Les Nouvelles Littéraires : « Un
texte d’une élégance rare, d’une ironie cinglante,
d’une sensibilité à toute épreuve. » Élégance, ironie,
sensibilité : trois mots qui pourraient aussi
s’appliquer à cet auteur inclassable et injustement
méconnu.
Le désenchantement politique
Il y a eu un formidable engouement public et critique
autour de la trilogie marseillaise de Jean-Claude Izzo
(1945-2000) ; elle comprend Total Kheops (1995),
Chourmo (1996) et Solea (1998), centré sur la mafia.
Il est l’un des premiers auteurs de polar à décrire
avec lyrisme et amour les problèmes sociaux de sa
ville. Son héros, l’enquêteur Fabio Montale, est un
ex-flic désabusé, fils d’immigrés, fan de poésie et de
jazz, qui s’emporte contre le racisme, les heurts
entre communautés et les mafieux. Sans jamais
sombrer dans le manichéisme, Jean-Claude Izzo
souligne pourtant que les causes ont bel et bien été
perdues et que la générosité s’est désormais muée en
amertume et en violence.
La tradition politique
Le racisme persiste en
Amérique
I am not Your Negro
Jake Lamar, né en 1961 dans le Bronx, est diplômé de
Harvard et ancien correspondant du magazine Time.
Établi à Paris depuis 1993, il est l’auteur de sept
romans noirs, dont deux qui comptent parmi les plus
importants sur la politique américaine. Le Caméléon
noir (2001), à première vue un polar situé sur un
campus, se penche sur les questions culturelles et
raciales qui ont agité les années Reagan.
Là où il y a de la lutte et de la
répression, le roman noir fleurit
Il convient de signaler ici, sans développer puisqu’ils
seront abordés au chapitre 16, que l’Espagne
franquiste et l’Italie des années de plomb puis celle
de la mainmise mafieuse, ont fourni au roman
policier quelques-uns de leurs meilleurs auteurs en
la personne de Manuel Vázquez Montalbán pour
l’Espagne, et de Loriano Macchiavelli et Massimo
Carlotto pour l’Italie.
Le prix à payer
En 2015, le journaliste Thomas Bronnec écrit Les
Initiés, un polar nerveux qui cible un grand
établissement bancaire, le Crédit parisien, menacé de
faillite. Alors que le spectre de l’affaire Lehman
Brothers hante encore les esprits, la ministre de
l’Économie, Isabelle Colson, ne veut pas d’un
nouveau plan de soutien aux banques, malgré l’avis
contraire des décisionnaires de son administration et
du lobby bancaire qui n’est jamais bien loin. Au cœur
de ce bras de fer, il y a son directeur de cabinet,
homme de l’ombre très influent, et, à la clé, le
suicide d’une ancienne collaboratrice. Voilà pour
l’aspect policier. Sans jamais diaboliser ses
personnages, usant d’une écriture fluide, Thomas
Bronnec rend cette plongée dans la mécanique du
pouvoir économique vraiment passionnante.
Le gros lot
Le romancier anglais Robert Harris (voir chapitre 7),
né en 1957, a capté la nature de nos peurs modernes.
Parmi elle, le krach boursier. Quand sort L’Indice de
la peur en 2011, la crise des subprimes (2007-2008)
est encore dans toutes les mémoires. Alexander
Hoffman, patron d’un fonds d’investissement en
Suisse, a mis au point un algorithme financier qui
permet de rapporter des millions de dollars. Mais la
machine s’emballe, Hoffman est menacé, et la crise
financière menace…
Tous pourris ?
La réalité dépasse toujours la fiction, et le crime
organisé semble avoir pénétré toutes les strates de
nos sociétés, tant sur le plan politique
qu’économique.
Un juste et un héros
Roberto Scarpinato est un juge qui s’est engagé
dès 1989 dans le pool anti-mafia de Palerme. Il a
travaillé avec Giovanni Falcone et vit sous protection
policière depuis plus de vingt-cinq ans. Dans Le
Retour du prince (éd. La Contre-Allée, 2012), Roberto
Scarpinato brise l’omertà sur les alliances entre la
classe politique italienne et la mafia, et martèle que
« le véritable pouvoir est toujours obscène ». Dans
la préface à ce livre d’entretiens, le journaliste Edwy
Plenel écrit : « Lutter contre la corruption, c’est
faire tomber cette mise en scène. Ruiner ses faux-
semblants, dissiper ses mystères, démasquer ses
impostures. » En somme, presque un travail de
détective…
Chapitre 13
Porosité de la frontière
DANS CE CHAPITRE :
La question de la frontière ne
date pas d’aujourd’hui
Il y a vingt ans déjà, Michel Lebrun écrivait dans
L’Année du polar 1987 (éd. Ramsay) : « Depuis
quelque temps, les frontières séparant le roman noir
et la littérature blanche s’estompent, se fendillent,
se fluidifient, s’effritent, s’amenuisent, bref
disparaissent… une immigration sauvage se
développe, irrémédiable, mais dans les deux sens, en
un véritable phénomène de vases communicants ! »
De la noire à la blanche
Pour de nombreux auteurs, passer du polar à la
littérature, ce que dans le jargon éditorial on appelle
passer « de la noire à la blanche », en hommage à la
collection dite « Blanche » où sont publiés les
auteurs de littérature chez Gallimard, c’est comme
gagner son bâton de maréchal.
Enfin respectables ?
À partir des années 1990, une envie de respectabilité
semble gagner certains auteurs de polar français qui
ont rencontré un succès commercial et d’estime.
Ni noirs ni blancs
Les libraires se plaignent de ne pas savoir où ranger
certains livres : sur la table « polars » ou sur la
table « littérature » ? On a envie de leur répondre :
les deux.
Ce besoin de classer...
Mais comment s’y retrouver ?
Ainsi, les deux premiers titres de l’Américain Ron
Rash (voir chapitre 6) – Un pied au paradis** (2002)
et Serena (2008) – qui ont reçu aux États-Unis des
récompenses littéraires, ont été publiés en France
dans une collection de polars. Mais c’est quand un
autre éditeur l’a publié en littérature générale que
l’auteur a été couronné par le Grand Prix de
Littérature Policière pour Une terre d’ombre (2012).
Pour lui cependant, la situation est claire : « Je ne
fais pas “du noir” mais ce que j’écris est noir. Je ne
veux pas qu’on me range dans une case. »
N ous
la
le savons, les enfants adorent se faire peur, et
littérature policière regorge d’univers
inquiétants et mystérieux… Jusqu’au milieu des
années 1980, il était pourtant impensable de
proposer au jeune lecteur des romans où serait
exposée la noirceur de l’âme humaine. Il fallait
ménager sa sensibilité.
La vie en rose
Les amateurs de suspense n’avaient donc à leur
disposition que quelques séries d’aventures,
principalement publiées dans la « Bibliothèque
rose » et la « Bibliothèque verte ». Ces séries ont
laissé souvent de beaux souvenirs, d’autant qu’il n’y
avait pas grand-chose d’autre à se mettre sous les
yeux, avant de passer directement à la bibliothèque
des adultes.
Retour au réel
Au milieu des années 1980, coup de tonnerre dans le
monde tranquille et rassurant du roman policier
pour la jeunesse ! Des écrivains ont envie de raconter
des histoires sans édulcorer le monde dans lequel
vivent leurs enfants, sans en éluder la violence, en
entrant de plain-pied dans la réalité sociale. C’est le
cas du romancier Joseph Périgot qui convainc
quelques auteurs issus du néo-polar (voir chapitre
12), tels Didier Daeninckx, Thierry Jonquet, Patrick
Mosconi ou encore Marc Villard, d’écrire des romans
noirs courts et percutants pour la nouvelle collection
qu’il a créée : « Souris Noire ». Une petite
révolution vient d’éclater.
MORDUS DE POLAR !
Le thriller animalier
Les Fourmis paraît en 1991 et devient rapidement un
best-seller. Grâce à ce livre, Bernard Werber (né
en 1961) s’impose comme le chef de file d’un courant
mêlant données scientifiques, réflexion
philosophique et polar rythmé.
Le thriller se délocalise à la
campagne
En 1994, paraît Le Vol des cigognes, premier roman de
Jean-Christophe Grangé (né lui aussi en 1961). Un
thriller qui réussit à tenir en haleine les lecteurs du
début à la fin en parlant de la migration des cigognes
brusquement perturbée par la disparition de milliers
d’entre elles, voilà qui n’est pas banal. Le héros,
Louis Antioche, armé d’un doctorat en histoire,
enquête sur cet inquiétant phénomène, et ce ne sera
pas une promenade de santé. C’est quatre ans plus
tard, avec Les Rivières pourpres, que Jean-Christophe
Grangé devient un auteur à succès. Cet ex-grand
reporter confie volontiers : « La vraie réussite, c’est
de parler de sujets pointus au plus grand nombre »
(interview dans le magazine Alibi no9, 2013).
En 2000, Les Rivières pourpres est adapté au cinéma
par Mathieu Kassovitz. Le film dépassera
les 3,5 millions d’entrées.
La planète en péril
Pascal Dessaint (né en 1964) construit depuis
longtemps une œuvre dans laquelle le souci de
préserver la nature est une préoccupation constante,
même s’il excelle surtout dans le roman noir absolu.
Sensible, élégante et désespérée, sa prose cerne au
plus près la lâcheté et la peur, l’incompréhension
entre les êtres que dépasse un destin trop lourd.
Cruelles natures (2007) est emblématique de son
travail. De la solitude sauvage et oppressante des
étangs de la Brenne à la dureté urbaine du Nord,
pays minier à la dérive, des personnages tragiques
pris dans leur vie telles des mouches dans une toile
d’araignée, cherchent à s’en sortir. Le thriller écolo
existe et il a trouvé son chef de file.
En direct du prétoire
Le thriller juridique (en anglais : courtroom drama) a
été créé par Erle Stanley Gardner, le père de Perry
Mason (voir chapitre 2). C’est un genre
spécifiquement américain, popularisé par moult
séries télé anciennes et très récentes. Il repose sur
une connaissance approfondie du système judiciaire
des États-Unis et de ses subtilités.
Le thriller ésotérique
Si Dan Brown (né en 1964) est connu pour être
l’auteur de Da Vinci Code (voir chapitre 4), il a écrit
plusieurs autres thrillers dans la veine ésotérique.
Son héros, le professeur Langdon, apparaît pour la
première fois dans Anges et Démons (2000) qui ne
paraîtra pourtant en France qu’après le succès
phénoménal de Da Vinci Code, bientôt suivi par les
trois autres de la série « Robert Langdon » : Le
Symbole perdu, Inferno et Origine. Pour cette même
raison, son tout premier roman, Forteresse digitale
(1998) n’a été traduit dans notre pays qu’en 2007.
Cette histoire de virus dans un super-ordinateur de
la NSA relève davantage du techno-thriller.
Le thriller horrifique
The King : l’insouciance perdue de l’enfance
Le maître de l’angoisse s’appelle Stephen King. Il est
né en 1947 dans le Maine où il situe la plupart de ses
intrigues. Tous ses fans, et ils sont nombreux si l’on
en croit l’accueil de rock star auquel il a droit lors de
ses rares passages en France, vous diront que son
œuvre est inclassable. Plus de 200 nouvelles, une
cinquantaine de romans, voici un écrivain couvert de
prix, très souvent adapté à la télévision et au cinéma.
Qui n’a pas vu Shining de Stanley Kubrick, sorti
en 1980, d’après le livre Shining, l’enfant lumière
(1977) ? La constante de son univers est l’enfance,
les peurs liées à cette période de la vie, la cruauté qui
s’exerce à l’égard des enfants. Dans ses romans, les
monstres qui se cachaient dans le placard lorsque
nous étions petits prennent vie ! L’innocence et
l’intégrité sont confrontées au Mal lors de parcours
initiatiques semés d’embûches. Pyrokinésie,
télékinésie, prémonitions sont bien sûr de la partie,
car le paranormal n’est jamais loin. Pourtant les
monstres matérialisent surtout les sombres
méandres de nos cerveaux.
La femme, ni victime, ni
potiche
Dans le thriller contemporain, les héroïnes prennent
leur destin en main. Écrits par des femmes, mais pas
uniquement, certains romans annoncent la revanche
de la desperate housewife !
» Un tour du monde
L’Irlande
Outre Sam Millar, le rebelle de Belfast évoqué au
chapitre 8, deux auteurs irlandais ont marqué le
roman policier ces dernières années.
Ken Bruen, né en Irlande en 1951, est l’auteur d’une
œuvre abondante de laquelle nous retiendrons deux
séries policières, la plus intéressante étant celle de
Jack Taylor. Viré de la police pour alcoolisme, ce flic
est devenu détective privé dans la bonne ville de
Galway. Tout l’intérêt de ces romans tient à ce
personnage attachant, sans cesse au bord du gouffre
mais en quête de rédemption. Une de ses meilleures
enquêtes est liée à une histoire se déroulant dans le
sinistre couvent des Magdalènes, où des filles-mères
étaient envoyées, souvent contre leur gré, pour
expier leur péché. Un véritable chemin de croix
attend Jack Taylor dans Le Martyre des Magdalènes
(2003), et plusieurs pintes de Guinness ne suffiront
pas à le soulager.
Le Pays de Galles
Bill James est l’un des pseudonymes de Allan James
Tucker, journaliste né en 1929 à Cardiff. Des 33 police
procedurals mettant en scène le superintendant Colin
Harpur et son chef hiérarchique Desmond Iles,
14 ont été traduits en France, révélant une contrée
où la frontière entre celui qui protège les citoyens en
faisant respecter la loi et celui qui l’enfreint est
ténue. Où la notion de corruption est une affaire de
point de vue et la morale un concept fort difficile à
appréhender. Autant de choses déjà vues chez
d’autres auteurs, mais qui prennent une saveur
particulière sous sa plume d’un humour féroce, en
particulier dans Sans états d’âme (1990).
Le Canada
Emily St. John Mandel, née en 1979 et originaire de
Colombie-Britannique, a été remarquée par les
amateurs de polars dès son premier roman Dernière
nuit à Montréal (2009), l’histoire de Lila et de son
père qui, l’ayant enlevée, l’embarque dans une
cavale hallucinante. C’est cependant sa dystopie
Station Eleven (2013), consacrée à une troupe
spécialisée dans le répertoire shakespearien, qui l’a
rendue célèbre : le livre a été finaliste du National
Book Award, prestigieux prix littéraire américain.
Le continent européen
L’Espagne et l’Italie ont attendu l’après-guerre pour
s’embarquer dans l’aventure du polar moderne alors
qu’en Allemagne, les premiers classiques datent des
années 1920. Mais quels que soient leurs mérites
respectifs, leurs meilleurs auteurs ne résisteront pas
au tsunami scandinave.
Du temps du dictateur
Francisco González Ledesma, ancien avocat
humaniste et mélancolique, a été longtemps
rédacteur en chef de La Vanguardia ; il incarne avec
Manuel Vázquez Montalbán, journaliste engagé
politiquement et créateur de la série Pepe Carvalho
(voir chapitre 6), ce qu’un écrivain peut faire de
mieux dans le genre policier. Tous deux ont
transformé leur ville, Barcelone, en personnage
romanesque à part entière et tous deux ont décrit les
méfaits du franquisme en racontant des histoires de
criminels ordinaires.
Écrivains engagés
Dans un pays qui vit sous la loi de l’omertà, la loi du
silence, il est rare que des auteurs dénoncent en
autant de mots les sales manigances et les faiblesses
de l’État. Loriano Macchiavelli, né en 1934, qui vient
du théâtre politique, est un de ceux qui s’y sont
risqués, avec la volonté d’utiliser le polar pour
continuer cet engagement. Il a assorti le très
contestataire sergent Sarti Antonio d’un journaliste
et d’un parlementaire de gauche ; ensemble, ils
mènent des enquêtes criminelles dans une trentaine
de romans dont quatre seulement ont été traduits en
français, parmi lesquels Les Souterrains de Bologne
(2002).
Massimo Carlotto, né en 1959, a dès l’adolescence
fait partie du groupe d’extrême gauche Lotta continua
et, alors qu’il était encore étudiant, a été condamné
à 7 ans de détention pour un crime de droit commun
qu’il n’avait pas commis. Aussitôt libéré, il a inventé
le personnage de Marco, dit l’Alligator, qui a fait
comme lui de la prison et aime le blues ; il est
flanqué de deux personnages qui résument
l’équation italienne des années de plomb (mafia +
contestation politique) : Benjamino Rossini, un
ancien truand, et Max la Mémoire, un vieux militant.
Dans La Vérité de l’Alligator (1995), Marco, qui a un
sens prononcé de la justice, se porte au secours d’un
pauvre toxico accusé à tort.
Oublions la politique
Homme de théâtre, poète, scénariste, né en 1925 en
Sicile, Andrea Camilleri – lointain cousin de
Pirandello et ami de Sciascia – a connu le succès sur
le tard, grâce à son premier polar, La Forme de
l’eau** (1994), mais quel triomphe… Tout le plaisir
de lecture tient à la saveur de l’histoire racontée
dans chaque titre (une trentaine) de la série dont le
héros est Salvo Montalbano, nommé ainsi en
hommage à Manuel Vázquez Montalbán. Pour
autant, Camilleri ne cache pas son admiration pour
Simenon : « Si Montalbano a un “oncle”, c’est le
commissaire Jules Maigret », précise-t-il dans une
interview accordée au magazine Moisson Noire. Il est
également l’auteur de plusieurs romans historiques
sur la Sicile du XIXe siècle.
Le « Krimi »
Le polar allemand débute dans les années 1920 avec
deux titres qui ont marqué l’imaginaire collectif :
Docteur Mabuse de Norbert Jacques (voir chapitre 9)
et Émile et les Détectives d’Erich Kästner, classique
pour la jeunesse traduit dans plus de 70 pays. La fin
de la Seconde Guerre mondiale voit naître le Krimi,
roman d’enquête classique. La production est
aujourd’hui importante, mais peu de romans sont
traduits en France. Le public a peut-être été comblé,
ou dissuadé, par l’inusable série télévisée avec
l’inspecteur Derrick, qui fut diffusée
entre 1974 et 1998…
Le polar néerlandais
Une mention spéciale pour motif d’extravagance et
d’humour est attribuée au seul auteur de polars
néerlandais que nous connaissions, qui a fui son
pays dès qu’il a pu et écrit en anglais aussi bien que
dans sa langue maternelle : Janwillem van de
Wetering (1931-2008), déjà cité au chapitre 11. Son
œuvre s’est nourrie de la pratique du zen, d’un bref
passage dans la police d’Amsterdam, de ses voyages,
de son installation dans le Maine, de son admiration
pour Robert Van Gulik (voir chapitre 4) et d’une
philosophie très particulière de la vie. Le trio que
forment le rhumatisant commissaire Jan, le très zen
sergent De Gier et l’adjudant Gipstra, affublé d’une
femme exaspérante, est une trouvaille unique dans
l’histoire du polar. Leurs enquêtes les conduisent le
long des canaux bien connus mais aussi au Japon, en
Papouasie, aux Caraïbes, dans le Maine. Ils ont une
morale très personnelle et des méthodes singulières :
en quête de signes et prêts à toutes les expériences
parapsychiques, ils pratiquent autant la méditation
que la fumette. Tous les romans de la série méritent
d’être lus mais s’il faut choisir, Comme un rat mort
(1985), Sale temps (1986) et Le Massacre du Maine
(Grand Prix de Littérature Policière 1984) figurent en
tête.
Les précurseurs
Les Suédois Maj Sjöwall (née en 1935) et Per Wahlöö
(1926-1975), mariés à la ville (voir chapitre 8), ont
inventé le polar nordique. S’il leur est arrivé à
l’occasion d’être publiés séparément – Per, deux
romans policiers dont Meurtre au 31e étage (1964) et
Maj, après la mort de son mari, La Femme qui
ressemblait à Greta Garbo (1990), coécrit avec Tomas
Ross – c’est le cycle intitulé « Roman d’un crime »
rédigé à quatre mains qui a fait leur renommée. À
compter de 1965, paraissent dix livres qui racontent
les enquêtes criminelles confiées à une équipe de
policiers de la brigade de Stockholm dirigée par
Martin Beck. Ce commissaire méticuleux et pugnace
résout avec subtilité des crimes odieux – femmes
violées (Roseanna, 1965), petites filles assassinées
par un pédophile (L’Homme au balcon, 1967) ou
massacre collectif (Le Policier qui rit, 1968) – et
dévoile des manœuvres politiciennes ou des
comportements inappropriés dans la police. Déjà, à
leur époque, se fondant sur une critique acerbe de la
société capitaliste suédoise érigée alors en modèle,
les deux auteurs, marxistes convaincus, dénoncent,
dans un style épuré, fluide et qui n’a pas pris une
ride, les conséquences de l’affairisme. Au point que
l’on pourrait presque parler à leur propos de « polar
sociologique ».
HORS PISTE
Best-sellers au freezer
La Suédoise Camilla Läckberg (née en 1974) est
l’auteure de nombreux romans policiers situés à
Fjällbacka, petite ville côtière qu’elle connaît bien.
Ses intrigues sont à la frontière du domestic thriller
(voir chapitre 15) ; son héroïne Erica, qui écrit des
biographies, enquête à ses heures perdues sur les
crimes commis dans ce qui paraissait être une
bourgade provinciale bien tranquille. Bientôt une
idylle avec Patrick, inspecteur de police, la conduira
à l’autel. Camilla Läckberg jouit d’un vrai succès
depuis le premier titre de sa série « Erica Falck et
Patrik Hedström », intitulé La Princesse des glaces
(2003) et récompensé par le Grand Prix de
Littérature Policière. Cette mère de quatre enfants a
par ailleurs publié deux livres de cuisine. Ça ne
s’invente pas.
La vogue islandaise
Parmi les auteurs venus du froid, Arnaldur
Indridason, né en 1961, historien de formation et
ancien critique de cinéma, est sans doute celui dont
le succès a eu le plus grand retentissement. Voici
l’Islande, qui n’avait aucune tradition de littérature
de genre, promue terre de polars grâce à la parution
de La Cité des jarres (2000). Le roman obtient la Clé
de verre, qui récompense le meilleur polar
scandinave de l’année. Suit La Femme en vert**
(2001), Gold Dagger du meilleur livre étranger, avec
son début inoubliable : dans la banlieue de
Reykjavik, une toute petite fille mâchonne un os
humain pendant la fête d’anniversaire de son grand
frère. Les policiers ameutés fouillent le chantier
voisin où ils mettent au jour un squelette entier. Il
s’est passé d’étranges choses dans le coin, à la fin de
la Seconde Guerre mondiale… Suivront une dizaine
de romans dont la figure centrale est le très bourru,
attachant et solitaire commissaire Erlendur, qui
révèle des aspects jusqu’alors occultés de l’histoire
de son pays. Ainsi, dans L’Homme du lac (2004), la
découverte, au fond d’un lac asséché, d’un squelette
lesté d’un émetteur radio russe le lance sur des
dossiers de disparitions non élucidées. L’enquête
s’orientera vers les jeunes boursiers socialistes qui
étudiaient en Allemagne de l’Est pendant la Guerre
froide…
La Méditerranée
Pendant que les Scandinaves occupent toutes les
tables des librairies, des voix venues du Sud se font
entendre avec talent.
Le polar grec
Petros Markaris, né en 1937 à Istanbul, homme de
théâtre et de gauche, brillant, caustique et spirituel,
est LE représentant de la Grèce sur la planète polar.
Ses premiers romans, dont la traduction laissait à
désirer, non pas été vraiment remarqués. Mais la
crise a changé la donne, et à partir de Liquidations à
la grecque (2010), le succès s’est installé. Le
commissaire Kostas Charitos, son enquêteur
récurrent, méthodique, tenace, obsédé par la
découverte de la vérité et épuisé par l’atmosphère
houleuse du domicile conjugal, doit démasquer au
plus vite le « Robin des Bois des banques » qui
décapite des membres de l’élite financière : les
Grecs, dont les économies fondent et les emplois
disparaissent, commencent à le prendre pour un
héros… Ce titre forme avec Le Justicier d’Athènes,
2011 et Pain, éducation et liberté (2012), une trilogie
d’une lucidité jubilatoire dans laquelle Markaris fait
l’autopsie implacable d’une société en pleine
déconfiture.
Israël
Le premier auteur de polars en Israël est une femme,
Batya Gour (1947-2005). Engagée politiquement à
gauche, didactique, sensible, elle incarne ce que doit
être un bon polar : une enquête ou un mystère, mais
qui renseigne sur l’état de la société d’un pays.
Meurtre au kibboutz (1992) est un livre important car
il remet en cause l’un des tabous du jeune État
d’Israël. L’avocat célèbre, qui revient pour la fête des
prémices au kibboutz où il a été élevé, constate que
la ferveur des débuts est retombée. La prospérité de
la communauté repose maintenant sur la fabrication
d’une crème de beauté à base de cactus. Sacrilège !
Même si les traditions sont oubliées, un kibboutz
reste un kibboutz, un espace quasi sacré, un modèle
de société idéale construit sur le labeur. Un meurtre
au kibboutz ? Impossible. Pourtant une femme y a
été assassinée et le commissaire Mikhaël Ohayon,
dépêché de Jérusalem pour élucider l’affaire,
découvre une facette de son pays qu’il ignorait.
À l’est, du nouveau
Pendant longtemps, et pour cause historique, rien
n’est venu de l’Est. C’est pourquoi les romans
d’Alexandra Marinina ont fait grand bruit à la fin des
années 1990. Depuis, d’autres textes sont arrivés de
Russie – au compte-gouttes il est vrai – et l’effet de
surprise s’est atténué. En Pologne, les auteurs de
polars ne sont pas légion non plus.
Pologne
Zygmunt Miloszewski (né en 1976), un des écrivains
les plus lus dans son pays, a été chroniqueur
judiciaire à Varsovie avant de se lancer dans
l’écriture de romans, dont une série policière avec
pour héros le procureur Teodor Szacki. L’auteur
choisit souvent des sujets délicats ou douloureux et
se documente beaucoup. Le public français le
découvre avec Les Impliqués (2007), premier volet où
apparaît le tourmenté Szacki, lequel ne peut
s’appuyer que sur la loi pour combattre la corruption
et le mal. Dans La Rage (2014), ne renonçant ni à son
intransigeance ni à son indépendance, Szacki a
tendance à partir en vrille et à se saborder. Ce livre
ambitieux a reçu le Prix Transfuge du meilleur polar
étranger. Passionnant aussi est son dernier titre
paru, Inavouable (2013), un page-turner qui emprunte
autant à l’espionnage qu’au roman noir.
URSS et Russie
Alexandra Marinina, criminologue née en 1957, qui a
pris sa retraite de l’institut juridique du ministère de
l’Intérieur avec le grade de lieutenant-colonel de
police, a provoqué un petit séisme lors de la parution
de ses romans en France – Le Cauchemar en 1997 et
La Mort pour la mort en 1999. Les lecteurs ont alors
découvert une enquêtrice incorruptible en la
personne d’Alexandra Kamenskaïa, des méthodes
policières décrites en détail et une vie quotidienne
fort prosaïque. Avec le recul, ces enquêtes ont perdu
de leur sel car la nouveauté n’en est plus une.
ZA ZDOROVIE !
Le continent africain
Le polar sud-africain est maintenant bien connu du
public français, mais le genre se développe aussi
dans d’autres points du continent.
Égypte-Soudan
Né à Londres en 1960 d’une mère anglaise et d’un
père soudanais, Parker Bilal (pseudonyme de Jamal
Mahjoub) est un auteur de l’exil. Rien d’étonnant à
ce que son héros, le privé Makana, soit établi au
Caire parce qu’il a dû fuir son pays, le Soudan, pour
raisons politiques. Dans une série qui débute
en 1998 avec Les Écailles d’or (2012) et qui se
poursuivra jusqu’au printemps arabe, l’auteur décrit
les bruits et les odeurs du Caire traditionnel, mais
aussi le danger islamiste, la corruption à tous les
niveaux de l’État, le statut catastrophique de la
femme, le crépuscule de la culture et l’ombre
américaine qui plane sur la région.
Afrique du Sud
Comme le déclare l’écrivain Mike Nicol à son sujet,
Wessel Ebersohn (né en 1940) a été « l’influence
majeure du polar sud-africain ». Avant la libération
de Nelson Mandela en 1990 et l’abolition des
dernières lois piliers de l’apartheid un an plus tard,
la situation de l’Afrique du Sud était proche de celle
d’une dictature. Wessel Ebersohn a écrit des polars à
cette époque-là, créant un personnage de psychiatre
juif attaché à l’autorité judiciaire. Yudel Gordon
essaie de combattre injustice et racisme avec ses
faibles moyens. Le premier roman d’Ebersohn, Coin
perdu pour mourir (1979) lui vaudra d’ailleurs
quelques ennuis avec les autorités. Dans le suivant,
La Nuit divisée (1981), le psy veut démasquer un
épicier qui a mis au point un stratagème pervers
pour assassiner des Noirs.
Un pays de rêve
Né en 1958 dans la petite ville de Paarl, Deon Meyer,
ancien rédacteur publicitaire, est l’auteur
de 10 romans policiers traduits dans 15 pays et d’une
formidable dystopie qui se double d’une enquête
criminelle, L’Année du lion (2016).
La parution de Jusqu’au dernier (1997) a été
l’occasion pour de nombreux lecteurs de découvrir
un pays dont ils ne savaient pas grand-chose : ses
richesses, son passé douloureux, la cohabitation des
Blancs, héritiers des Boers et des Anglais, des Noirs,
représentés par diverses ethnies, et des métis. La
cohabitation aussi de plusieurs langues, l’anglais et
l’afrikaans, mais aussi le xhoza, le zoulou et autres
dialectes indigènes. Depuis, ils ont également
découvert les paysages somptueux, la baie du Cap,
les vignobles de Stellenbosch et le désert du Karoo, le
veld et les réserves d’animaux sauvages, ainsi que
des personnages attachants qui réapparaissent, ou
non, au gré des titres qui suivront : Matt Joubert,
l’ex-flic devenu privé, Benny Griessel et ses
problèmes d’alcoolisme, l’aventurier Lemmer…
Depuis À la trace (2010) qui est sans doute son polar
le plus abouti, une prise de conscience des réalités
géopolitiques et des problèmes de corruption
gouvernementale est venue renforcer une veine dont
les préoccupations étaient plutôt les conflits
ethniques, les contrebandes diverses, la criminalité
en col blanc et, dans Le Pic du diable (2004), l’horreur
d’enlèvements, de viols et de massacres d’enfants
perpétrés au nom de croyances tribales et
archaïques.
Une vision plus réaliste
Pour Mike Nicol et Roger Smith, dont les livres sont
nettement plus violents et révélateurs d’une
situation pas du tout optimiste, l’Afrique du Sud est
loin d’avoir réglé ses problèmes.
L’Afrique noire
Lagos Lady (2015), le premier polar de Leye Adenle,
né en 1975 au Nigeria, a été très remarqué. Les
mésaventures d’un journaliste blanc à Lagos,
emmené au poste par erreur, sauvé par une
prostituée et entraîné dans une enquête placée sous
le signe de la sorcellerie locale, défilent à un rythme
soutenu sur fond de disparités sociales et dans une
langue survoltée.
Japon
Le polar japonais a son Conan Doyle, il s’appelle
Edogawa Rampo (1894-1965) et le plus important
prix japonais attribué à un roman policier porte son
nom. Attiré, comme beaucoup de ses compatriotes,
par le fantastique, il s’y complaît dans L’Île
Panorama (1926), où un jeune étudiant, en prenant
l’identité d’un défunt richissime, devient le mari de
sa veuve. Le voyage de noces dans l’île labyrinthique
sera plutôt sanglant.
Les Latinos
Paco Ignacio Taibo II est né en 1949 à Gijón en
Espagne. En 1958, sa famille fuit le régime
franquiste et s’établit au Mexique. Plus tard, devenu
professeur d’histoire à l’université de Mexico et
militant de gauche, Paco invente le personnage du
détective privé borgne et anarchiste Héctor
Belascoarán Shayne. Il lui permet d’exprimer, avec
un humour batailleur et une certaine mélancolie, son
mécontentement global, ce qu’il pense des liens
complexes qui unissent l’Espagne au Mexique (Adios
Madrid, 1993) ainsi que du système politico-
judiciaire mexicain (Défunts disparus, 2006).
Certaines enquêtes sont plus surréalistes que
d’autres, comme celle de Pas de fin heureuse (1981),
au début de laquelle le tapissier Carlos Vargas,
colocataire avec le plombier Gilberto du bureau
d’Hector, découvre un Romain égorgé dans les
toilettes, avec sandales, casque, tunique et tout. Et ça
ne va pas s’arranger…
Un Britannique en Thaïlande
John Burdett (né en 1951) est anglais, ancien avocat,
et vit depuis une quinzaine d’années entre la France
et Bangkok. Des filières de prostitution aux paradis
artificiels, du stupa de Bodnath aux mystères de la
réincarnation, il connaît parfaitement ce dont il
parle. Dans Le Parrain de Katmandou (2011),
l’inspecteur Sonchaï Jitpleecheep, flic bouddhiste,
moitié thaï, moitié américain est partagé entre la
nécessité de résoudre le meurtre d’un riche
Américain et l’obligation de céder aux injonctions de
sa hiérarchie. Le Pic du vautour (2013), cinquième
roman introduisant ce héros, est une enquête qui
conduit le lecteur au cœur d’un trafic d’organes
effroyable, évidemment noyauté par diverses mafias.
Twin Peaks
Diffusée à partir de 1990, créée par Mark Frost et
David Lynch. La série qui a changé notre perception
des séries ! Après la découverte du cadavre de Laura
Palmer, l’agent spécial du FBI Dale Cooper débarque
à Twin Peaks, ville imaginaire au nord de l’État de
Washington. Atmosphère anxiogène, personnages
loufoques, moments surréalistes : chaque épisode
continue de fasciner le téléspectateur transformé en
enquêteur, avide de percer le mystère de… Twin
Peaks ! La troisième saison (The Return) n’a rien
d’une conclusion : vingt-cinq ans après, une foule de
questions demeurent sans réponse.
Sur écoute (The Wire)
Diffusée à partir de 2002, a été créée par David
Simon et coécrite avec Ed Burns. Elle présente une
densité, une vision quasi documentaire de la
criminalité à Baltimore (trafic de drogue en tête),
une lenteur envoûtante et une bande-son d’enfer :
pour beaucoup, la meilleure série du monde. Très
littéraire – trois auteurs majeurs, Richard Price,
Dennis Lehane et George Pelecanos, en ont écrit des
épisodes – elle forme un ensemble subtil : achetez
les DVD et regardez tout d’un coup.
Engrenages
Diffusée à partir de 2005, a été créée par Alexandra
Clert et Guy-Patrick Sainderichin. Corruption, trafics
en tout genre, défaillances des institutions, l’intrigue
navigue en eaux troubles dans une démocratie qui
est la nôtre. S’y croisent avec un réalisme assumé les
vies d’un procureur, d’une capitaine de police, d’un
juge d’instruction et d’une avocate pénaliste. Un
regard sans concession sur une société à la dérive.
C’est une des meilleures séries françaises, de plus en
plus noire au fil des saisons.
The Killing
Diffusée à partir de 2007, a été créée par Søren
Sveistrup. À partir d’une intrigue de pur polar –
enquête sur une jeune fille violée et assassinée –
l’histoire bascule dans une atmosphère noire et
pesante. L’inspectrice Sarah Lund, éternellement
vêtue d’un pull en grosse laine qui bouloche, ne
lâche rien face aux magouilles politico-criminelles.
Quelque chose serait-il pourri au royaume de
Danemark ? Un remake américain, diffusé à partir
de 2011, reprend fidèlement l’intrigue danoise. Les
deux sont excellentes, même si notre préférence va à
la nordique. Magnétique !
Sherlock
Diffusée à partir de 2010. Créée par Mark Gatiss et
Steven Moffa, elle transpose les aventures de
Sherlock Holmes à notre époque. L’acteur
britannique Benedict Cumberbatch incarne le célèbre
détective. Légèrement sociopathe, il raffole des
nouvelles technologies, avec une prédilection pour
les SMS. Sa relation avec son colocataire, le Dr
Watson (l’excellent Martin Freeman qui joue aussi
dans la série Fargo) n’est pas toujours facile, souvent
passionnelle. Une mise en scène inventive et
audacieuse, de l’humour (anglais) à foison : une
série intelligente et récréative.
Peaky Blinders
Diffusée à partir de 2013, a été créée par Steven
Knight d’après l’histoire vraie d’une famille de
criminels, les Shelby. Leurs exactions diverses
débutent à la fin de la Première Guerre mondiale
dans la région de Birmingham. À la fois fresque
sociale (les conflits dans l’Angleterre industrielle),
film de gangsters d’une violence parfois
insoutenable et saga familiale attachante, la série est
hautement addictive.
True Detective
Diffusée à partir de janvier 2014, a été créée et écrite
par le romancier Nic Pizzolatto. Un must. Dans les
bayous d’une Louisiane moite et hostile, deux flics
(Matthew McConaughey et Woody Harrelson, dans
une interprétation magistrale) enquêtent sur des
meurtres sataniques. Même noirceur dans la seconde
saison, même exploration des névroses masculines,
mais cette fois, en Californie.
Fargo
Diffusée à partir de 2014, a été créée par Noah
Hawley. Basée sur le film éponyme et irrésistible
(de 1996) des réalisateurs Joel et Ethan Coen, ici
producteurs. La route d’un tueur à gages placide,
poli et… efficace, croise celle d’un benêt, employé
d’une compagnie d’assurances et tête de turc d’à peu
près tout le monde. Le plus féroce n’est pas celui
qu’on imagine. Le taux de mortalité a donc tendance
à augmenter à Bemidji, petite ville perdue au cœur
d’un Minnesota perpétuellement enneigé. Humour à
froid garanti.
Columbo
Diffusée à partir de 1968, la série a été créée par
Richard Levinson et William Link. Peter Falk
interprète avec brio cet inspecteur à l’air faussement
débonnaire. Hirsute, l’imper éternellement froissé,
Columbo joue au chat et à la souris avec le suspect
qu’il interroge avec pugnacité et malice. Le début de
chaque épisode montre systématiquement le
criminel commettant son forfait. Pourtant, la
véritable héroïne de la série est celle dont Columbo
parle tout le temps et qu’on ne voit jamais : sa
femme !
Kojak
Diffusée à partir de 1973, la série a été créée par Abby
Mann. Grand succès : il y aura au total cinq saisons
des enquêtes du lieutenant Theo Kojak, policier
américain d’origine grecque affecté au 13e district de
New York. Kojak, humain et sensible sous ses airs de
brute, démêle des enquêtes à la Ed McBain, sans
violence excessive. Quarante ans plus tard, cela peut
paraître soft, mais Telly Savalas, avec ses chapeaux
et ses sucettes, reste une valeur sûre : charmeur et
capable de fermer les yeux quand c’est nécessaire.
Maigret
Diffusée à partir de 1991, avec Bruno Cremer. Il n’est
pas certain que Bruno Cremer soit le Maigret idéal,
avec son air d’en savoir plus que tout le monde et ses
vêtements trop soignés, et l’on peut reprocher à la
reconstitution de l’univers de Simenon son manque
de charme pittoresque. Mais c’est une série
solidement menée et agréable à regarder – il y a
quand même eu 42 épisodes ! – qui respecte les
œuvres et donne envie de les lire.
Les Soprano
Diffusée à partir de 1999, créée par David Chase, la
série est à marquer d’une pierre blanche dans
l’histoire. L’écriture des épisodes est subtile, la
réalisation digne du cinéma et les acteurs
époustouflants. Comment oublier James Gandolfini
en chef mafieux redouté de tous qui souffre de crises
de panique ? Tout en menant ses affaires avec une
impitoyable fermeté, il va geindre sur le divan de sa
psy, et de retour chez lui, doit régler d’éternels
conflits familiaux et conjugaux. Grand succès public
parfaitement mérité.
Bibliosurf II : bibliosurf.com
Nyctalopes : www.nyctalopes.com
Velda : leblogdupolar.blogspot.fr
Goodreads : www.goodreads.com
https://www.livre-rare-book.com/c/b/Marche-Noir :
spécialisé en polar/librairie Ultime Razzia à
Gardanne/Jacques Dugrand)
https://www.abebooks.fr/
Les salons et festivals
spécialisés
Ils sont nombreux, disséminés dans toute la France
(et un peu au-delà de nos frontières). Si vous voulez
être au courant de TOUT, rendez-vous sur le site de
l’association 813 (http://www.blog813.com) qui détaille
le calendrier.
» Le FIRN à Frontignan-la-Peyrade
» Polar Lens
Les médiathèques et
bibliothèques
À signaler tout particulièrement, la BILIPO
(Bibliothèque des littératures policières de la ville de
Paris), 48 rue du Cardinal-Lemoine, 75005 Paris. La
bibliothèque des littératures policières est unique en
son genre, et les auteurs étrangers de passage à Paris
n’en reviennent pas d’y trouver leurs œuvres en V.O.
! Créée en 1995 à partir d’un fonds constitué à la
bibliothèque Mouffetard, c’est un lieu exceptionnel
où l’on peut consulter non seulement tous les
romans et essais du domaine policier et espionnage
publiés en France, mais un fonds précieux de
correspondances, affiches, ouvrages de référence sur
la criminologie, la police et la justice.
Fleuve Noir
Cette maison d’édition a été fondée en 1949 par
Armand de Caro. La même année, ce dernier lance
une collection iconique, « Spécial-Police » (Jean
Bruce, Michel Audiard, San-Antonio, etc.), qui se
révélera d’une longévité exceptionnelle (38 ans). De
très nombreuses collections verront le jour. Parmi
les plus célèbres : « Espionnage », « Engrenage »
et « Engrenage international ». À noter que toute
l’œuvre de Frédéric Dard est publiée au Fleuve Noir
et continue de l’être à ce jour. En 1994 est créée la
collection « Les Noirs ». Auteurs phares : G.J.
Arnaud, Pascal Garnier, Jean-Paul Nozière, Marcus
Malte, Serge Quadruppani, Andrea Camilleri, Gregory
Mcdonald. Elle s’interrompt en 2000, au numéro 71,
avec un recueil de nouvelles inédites (Pascal
Dessaint, Hugues Pagan, Fred Vargas, etc.).
« Un Mystère » (Presses de la
Cité)
Collection créée en 1949 aux éditions Presses de la
Cité, reconnaissable à ses étonnantes couvertures
illustrées, si kitsch, aux femmes fatales drapées
d’étoles en chinchilla, mais surtout à son logo, un
petit éléphant qui tient un livre avec sa trompe.
Auteurs phares : Peter Cheyney, Erle Stanley
Gardner, Dashiell Hammett… (on notera que la Série
Noire et Un Mystère se partagent les mêmes
auteurs), mais aussi Ellery Queen, Michel Lebrun,
Stanilas-André Steeman.
« Rivages/Thriller » et
« Rivages/Noir » (Rivages)
En 1986, François Guérif – après les aventures
interrompues de Red Label, de Fayard Noir, puis
d’Engrenage International – parfait son parcours
éditorial en créant Rivages/Thriller (grand format) et
Rivages/Noir (poche) au sein des éditions Rivages.
Ces collections, inscrites dans la grande tradition du
roman noir américain, incarnent dès lors la seule
véritable concurrence pour la Série Noire, avec des
romans de James Ellroy, Donald Westlake, James Lee
Burke, Dennis Lehane… mais aussi des Anglais :
David Peace, John Harvey et Robin Cook (le bon, pas
celui des thrillers médicaux).
« La Noire » (Gallimard)
Créée par Patrick Raynal chez Gallimard en 1992,
cette collection de grand format, dont la couverture
reprenait la typo de la célèbre « Blanche » mais sur
fond noir, avait pour vocation d’accueillir des textes
ambitieux débordant du cadre strictement policier.
Un catalogue époustouflant où figurent James
Crumley, Nick Tosches, Harry Crews, Larry Brown,
Francisco Gonzàlez Ledesma et Georges Saunders.
Chapitre 26
Dix collections dernières nées,
et pas des moindres
Sonatine
Fondée en 2008 par Arnaud Hofmarcher et François
Verdoux. Polars classiques, thrillers psychologiques
ou historiques : la diversité est réelle avec des
auteurs comme Fabrice Colin, R.J. Ellory, Gillian
Flynn, Kem Nunn, Shane Stevens. Le succès, lui, est
bel et bien au rendez-vous avec La Religion de Tim
Willocks, Avant d’aller dormir de S. J. Watson et
surtout La Fille du train de Paula Hawkins (ces deux
derniers best-sellers ont lancé la mode du domestic
thriller).
La Manufacture de livres
Fondée en 2009 par Pierre Fourniaud, éditeur
indépendant. Des auteurs français contemporains
tels Frank Bouysse, Paul Colize, Cédric Fabre,
Laurent Guillaume, Jean-Hugues Oppel, Benoît
Séverac. Des rééditions remarquées en fiction
américaine, allant du roman noir pur (Kill, Kill, Faster,
Faster de Joel Rose) au roman social (Des voleurs
comme nous d’Edward Anderson), et quelques
classiques : Le Hotu d’Albert Simonin.
Couverture
Copyright
Introduction
Idéologie et religion
Best-sellers en rafales
Drôles de dames
Le culte de la personnalité
L’humour à mort
La tradition politique
Ni noirs ni blancs
La vie en rose
Retour au réel
Un tour du monde
Dix petits nègres (And Then There Were None, 1939) d’Agatha Christie
The Long Goodbye, anciennement Sur un air de navaja (The Long Goodbye,
1953) de Raymond Chandler
Le Silence des agneaux (The Silence of the Lambs, 1988) de Thomas Harris
M le maudit (M, Eine Stadt sucht einen Mörder, 1931) de Fritz Lang
Le Parrain (The Godfather, Part I, II, III, en 1972, 1974, 1990) de Francis
Ford Coppola
Le Facteur sonne toujours deux fois (The Postman Always Rings Twice, 1946)
de Tay Garnett
Les Trois Jours du Condor (Three Days of the Condor, 1975) de Sydney
Pollack
Twin Peaks
Engrenages
The Killing
Sherlock
Peaky Blinders
True Detective
Fargo
Columbo
Kojak
Maigret
Les Soprano
Fleuve Noir
« La Noire » (Gallimard)
Sonatine
La Manufacture de livres
« Rouergue noir » (éditions du Rouergue)