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Journal de la Société des

Américanistes

Les Chitarera, anciens habitants de la région de Pamplona,


Colombie.
Père H. Rocheraux

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Rocheraux H. Les Chitarera, anciens habitants de la région de Pamplona, Colombie.. In: Journal de la Société des
Américanistes. Tome 12, 1920. pp. 55-63 ;

doi : https://doi.org/10.3406/jsa.1920.2881

https://www.persee.fr/doc/jsa_0037-9174_1920_num_12_1_2881

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LES GHITARERA,
ANCIENS HABITANTS DE LA RÉGION DE PAMPLONA, COLOMBIE.

pak le Père H. ROCHERAUX.

Nous n'avons recueilli que peu de chose sur les Chi tarera, anciens
habitants de la région de Pamplona, parce que, la valeur artistique des
objets trouvés dans les sépultures étant presque nulle, ils ne constituent
pas un objet de commerce, et par suite quand les paysans ne peuvent
pas les utiliser, ils les rompent et les détruisent. En outre, pendant les
révolutions, les sépultures constituent en général des abris très sûrs et
ont été dévastées par les fugitifs ou déserteurs.
C'est donc avec la plus grande difficulté que nous avons réuni, dans le
musée dont nous avons la direction, les quelques objets se rapportant â
cette tribu, dont nous allons donner la description.

1 . — Sépultures.

Les sépultures que nous avons visitées peuvent se diviser en trois


catégories :
les excavations qui servaient de sépulture à un ou deux indiens sur les
hautes montagnes ;
les ossuaires, ou cavernes qui servaient de sépulture à un grand
nombre de corps ;
les sépultures de la vallée de Pamplona creusées dans la terre et les
roches décomposées de la vallée.
Nous avons rencontré les premières au nord de Pamplona et à une lieue
à l'est de Chopo, sur le mont Borero; au nord de Bochalema, sur le mont
Cachiri; au sud et à une lieue de Pamplona, à l'endroit désigné sous le
nom de Pierre de l'épervier (Piedra del gavilan).
Toutes ces. tombes sont à côté dune lagune. Cette lagune se réduit en
général à un pajonal (endroit où croit une herbe jaune") humide, et
il s'y rattache toujours des légendes locales. Si la lagune a la réputation
d'attirer la pluie ou le tonnerre, on dit qu'elle est méchante (lagunu
brava) et certains ont vu sortir de ses eaux un Indien d'aspect
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semi-diabolique précurseur des plus grands sinistres. Ailleurs, les vieilles
racontent que, le vendredi saint à trois heures précises, il en sort un coq
ou un agneau d'or.
Ces croyances prouvent qu'il s'agit de lieux très anciennement
consacrés à un culte quelconque, et c'est sans doute pour cela que ces lagunes
sont environnées de tombeaux.

Mont [Cachiri. — On arrive au mont Cachiri, en se frayant un


passage au machete dans une brousse, épaisse après quelques kilomètres
d'une montée très pénible, sur un plateau qui s'incline en pente
douce vers le nord. On se croirait sur un terrain très plat ; en
réalité, un véritable cataclysme a détruit les crêtes qui le dominaient
autrefois et les rochers amoncelés en désordre ont formé des cavernes en
tombant ,les uns sur les autres ; un épais tapis de lichen et de verdure
parasite couvre le tout, cachant lés entrées, des grottes et les crevasses,
et rend la marche sur le plateau dangereuse et difficile. Vers le centre du
plan, on voit une dépression : c'est, la lagune, sorte de bourbier mouvant
où croît une végétation rachitique et jaunâtre.
Ce lieu a. servi de refuge pendant les guerres et pour cela il est assez
difficile de rencontrer autre chose que dés os dispersés et des débris
informes. On dit qu'un homme y fit la découverte d'une poterie remplie
d'or et qu'il disparut avec son trésor. En, тее qui nous concerne, nous
n'avons pas rencontré d'or. Après avoir beaucoup travaillé, nous
trouvâmes quelques poteries dont les formes nous parurent élégantes, mais qui
étaient en mauvais état de conservation. Leur forme rappelle celle des
amphores grecques avec leur col étroit et leur corps ovoïde. Deux oreilles
permettaient de les saisir. A côté de ces poteries, il y avait les restes
d'un indigène. Le guide qui nous accompagnait nous déclara avoir
rencontré dans lé même endroit une flèche demacana (bois de palmier
ressemblant au bois d'ébène) au milieu des os.

Mont Borero. — Les sépultures du mont Borero se trouvent situées


dans un lieu encore plus agreste et sauvage que celles du mont Gachiri.
Une brousse épaisse nous conduit- au pied d'une paroi de rocher
verticale de 200 ou 300 mètres de hauteur. On ne peut y grimper et il nous
faut chercher un chemin de chamois du côté du nord. A l'aidé de
cordes nous pouvons terminer notre ascension et naus arrivons sut
une pente assez raide où les roches amoncelées forment des cavernes.
Ce sont les sépultures. En bas, on aperçoit la lagune, une des plus
« méchantes » qu'il y ait, et qui se réduit en réalité à une petite mare
envahie par la végétation .
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Dans les cavernes, nous trouvons des ossements, des poteries brisées,
des têtes de fuseau et de petits débris de porcelaine provenant de vases de
style espagnol ancien.
Voici quelle est la disposition des tombes en ce lieu :
Les grandes cavernes ne semblent pas avoir été utilisées. Seules, les
cavernes formées par les rochers inclinés en forme de toit (dans le sens
de la sédimentation de la montagne) et qui ont une ouverture vers l'orient
contiennent des restes. Des dalles, disposées en forme d'escalier le long
du sommet de l'angle formé par le terrain et le toit de pierre, couvrent
les restes d'un ou plusieurs individus.

Piedra del gavilan. — Ce point est plus accessible, les grottes ont la
même forme que celles de Borero, mais elles sont plus petites et moins
nombreuses. Elles ont été visitées souvent et elles ne contiennent que des
os en mauvais état.
Sépultures de la vallée de Pamplona. — Ces sépultures sont
communes dans les terrains rouges (micaschistes décomposés) qui dominent
la ville. Chacune se compose d'une excavation assez profonde pour qu'un
corps assis puisse y tenir avec quelques objets. L'ouverture du haut ou
d'un côté est fermée par une dalle de pierre. Quelquefois il y a deux
entrées, et l'une d'elles a été fermée par l'intérieur, ce qui explique une
légende d'après laquelle les Indiens entraient d'eux-mêmes dans " ces
excavations avec des vivres et des instruments.de travail, fermaient la
porte par 1'intéťieur et attendaient la mort. Dans ces tombes, on trouve
des poteries, des haches de pierre eť des cylindres de terre cuite (pinta-
deras?) dont nous parlerons plus tard.
Les poteries contiennent souvent une terre d'origine organique (très
probablement des restes d'aliments), d'autres fois, c'est une poussière,
jmcacée très fine dont nous ignorons l'usage ou des morceaux de la même
argile graphiteuse qui sert à fabriquer lès poteries.
Nous connaissons des sépultures *de cette espèce au sud de la ville dans
un terrain appartenant à Don Leandro Ramirez au lieu appelé « Las
piedras » et sur le chemin de Cariongo .

Mutiscua.. — Mutiscua est un petit village situé au sud de Pamplona


(à vingt kilomètres environ), dominé par d'imposantes masses de
montagnes qui dépassent 4.000 mètres et très» peu fréquentées à cause du
froid, des coups de vent et de la forme bizarre de leurs crêtes qui les
rendent dangereuses.
Un premier groupe <le tombes se trouve au point que l'on appelle
Tapagua. Ce sont des excavations en escalier, recouvertes chacune d'une
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dalle où, à côté d'os en très mauvais état, nous avons trouvé une idole
(fig. 3, n° 5) et quelques haches du type commun dans la région.
De l'autre côté de la quebrada, à l'endroit que l'on appelle « El Chorre-
ron », nous avons réussi à découvrir l'entrée de quelques grottes où nous
avons fait une abondante récolte de crânes mélangés à des poteries.
Après ces grottes, nous avons exploré des grottes calcaires humides et
semi-éboulées à une lieue et demie au sud de Mutiscua. Nous n'y avons
trouvé que quelques os en décomposition complète.
Enfin, nous avons organisé une exploration plus complète dans les
paramos de La Lagunilla avec une dizaine d'hommes. Là, après avoir
fait une ascension à pied très pénible, je n'ai trouvé que quelques
misérables os dans des grottes formées par un terrain d'éboulis.
Au lieu appelé El Cucáno (sur le chemin de Pamplona, à une lieue de
Mutiscua), on a trouvé des objets fabriqués avec un certain art dont nous
reparlerons plus loin : poteries, haches et pinfaderas.
El Carmen. — A 35 kilomètres à l'ouest de Pamplona, il y a dçs
grottes remplies de poteries brisées par les passants et mélangées à des
ossements. Ces poteries contenaient une terre noire graphiteuse.
Bochalema [noir). La Matariza. — Ces points sont riches en ossements
humains et en débris de poteries. A l'ouest de Pamplona, un point assez
riche en objets indigènes a reçu le nom de « Village des Indiens »,
« Pueblo de los Indios ».
Silos. — Entre Silos et Guasco (au point connu sous le nom de
Colorado); les cavernes sont extrêmement nombreuses et riches. On y
rencontre des têtes de fuseau, des colliers, des stalagmites sculptées
représentant des bustes humains, des momies (certains corps sont
traversés par une macana, nous supposons que c'était pour les maintenir
dans leur position).'

Chitaga. — Grottes, poteries, etc.


Environs de Cucuta. — II existe un cimetière indigène au point
appelé El Cerrito (au nord de Cucuta) et à San Antonito (à 3 lieues au
sud-ouest de la ville). Le nom de San Antonito provient d'une croyance
locale. On dit que, dans les premiers temps de la fondation de Cucuta,
les Indiens assaillaient fréquemment les colons, et ceux-ci se
recommandaient à Saint Antoine et étaient persuadés que le saint se faisait visible
pour repousser les indigènes.

En outre des lieux ci-dessus mentionnés, nous connaissons l'existence


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de sépultures indigènes dans le Páramo de Tama, à peu de distance
de Mundonuevo, к Caïmito, au sud de Santiago, à Tona, à Chinacota,
etc Toutes ressemblent plus ou moins aux grottes que nous avons
déjà décrites.

2. — Description de quelques objets.

a) Momies. — Les deux seules que nous connaissons existent au Musée


national de Bogota, la peau est devenue d'un blanc jaunâtre, les cheveux
sont bien conservés. Le mort est assis, le menton sur les genoux et les
bras croisés sur les jambes (fîg. 1).

Fig. 1. — Momie de la région de Pamplona (Musée de Bogota).

b) Crânes. — Les crânes en bon état de conservation sont assez rares.


Presque tous présentent une déformation frontale, qui augmente la doli-
chocéphalie. Certains crânes (nous en possédons deux) sont métopiques.
Sur les crânes les plus anciens, les dents sont très usées, parfaitement
planes ; la dentition est excellente.
c) Poteries.
iet type. — Mutiscua (El Cucáno).
Dans les sépultures de El Cucáno, on a trouvé des poteries très élé-
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gantes modelées dans une argile noire graphiteuse. Dans la terre de
certaines poteries, on a rencontré des paillettes d'or. Une de ces poteries
est asymétrique dans le sens de Taxe antéro-postérieur, elle est renflée
par devant, et le col est rejeté en arrière avec une anse unique. Devant
le col, on voit une espèce dé rose avec deux feuilles en relief. Au milieu
de la partie renflée, existe une sorte de chaîne en relief, deux autres
chaînes décrivent une courbe sur les côtés et viennent se réunira la

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Fig. 2. — Objets extraits des tombes de la region de Pamplona.

première. Cette poterie est la seule où nous ayons rencontré les traces
d'un réel sentiment esthétique, et une véritable science de l'élégance des
courbes dans les profils. et les ornements (fig. 2, n° 1).
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'2* type. — Muliscua (El Cucáno).
Ce type est une poterie symétrique à flancs élargis vers la base et à
col étroit, avec deux anses et des ornements gravés en forme de raies
concentriques autour du bord. Elle est aussi de terre graphiteuse noire
(%. 2, no -2).

Fig. 3. — Objets en pierre extraits des tombes de la région de Pamplona.

3e type.
Ce type, commun un peu partout, a la forme d'une demi-sphère
de terre cuite et ne diffère guère des poteries que l'on vend sur les
marchés de Santander et de Boyaca. Quelques-unes de ces poteries
portent des dessins gravés. Elles contiennent des restes de terre orga-
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nique (aliments), ou bien une poussière micacée d'usage inconnu, ou
des morceaux de terre à potier. Ces poteries sont en bon état de
conservation. Elles sont généralement de couleur rougeâtre (fig.' 2, n° 3).
4e type. — Cachiri.
Ces poteries rappellent un peu les amphores grecques, et sont assez
élégantes. Le corps en est vaguement ovoïde, l'ouverture en forme de
cône inverti et tronqué et les anses en forme d'oreilles avec quelques
dessins (lignes et points gravés) (fig. 2, n° 4).
Plats. — A Pamplona, nous avons trouvé des plats arrondis sur une
base haute et creuse avec des ornements en forme de lignes noires se
détachant sur un fond uniforme ocre clair : une ligne noire sur les bords
et trois groupes de trois lignes noires dans le sens vertical sur les côtés
(fig. 2, n° 5).

.
d) Mortiers. — Ils sont de forme circulaire avec une excavation sphé-
rique vers le centre. Une boule de' même diamètre et de la même pierre
complète l'ensemble (fig. 3, nos 1, 3). Des mortiers de même forme se
rencontrent souvent dans les maisons de campagne. Nous possédons, en
outre, un mortier en pierre noire complètement carré, rappelant la forme
d'une cuvette à photographie.
e) Haches. — Ces haches sont en marbre, en jaspe, en porphyre, en
serpentine, etc.. Toute matière dure capable d'être polie est employée.
On les trouve dans la plupart des sépultures, mais il faut remarquer
qu'aucune n'a été utilisée, et que jamais nous n'en avons trouvé le
manche.
Les formes en sont des plus variées. Les unes vues de face offrent un
piofil rectangulaire à l'exception d'une légère courbe sur la crête du
tranchant (fig. 3, n° 11). Dans les autres, les côtés forment un certain
angle entre eux. Il y en a d'elliptiques à l'exception de la partie qui devait
entrer dans un manche, et il y en a de triangulaires.
Les unes sont très épaisses, les autres très minces, certaines présentent
les bords à angle droit, beaucoup les ont arrondis, enfin il y a des haches
très grandes dont le profil est asymétrique si on les considère dans le
sens de l'épaisseur (fig. 3, n° 10) ; parmi celles-ci les unes se courbent
vers l'arrière et les autres sans se courber n'ont pas la même forme par
devant et par derrière.
Avec ces haches, on trouve parfois de petits instruments en forme de
ciseau. Tous ces objets sont communs à Pamplona, Mundonuevo, Cucuta,
Bochalema, etc....
f) Armes de macana. — II existe un poignard de macana au Musée
de Pamplona. Ce poignard a été trouvé à Chitaga. Le manche porte un
ornement en forme de diadème (fig. 2, n° 9).
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g) Fusaïoles. — Quelques-unes ont été taillées dans une ardoise
siliceuse bien polie, d'autres ont été modelées en argile et portent des dessins
de lignes parallèles et de points (fig. 2, n° 8).
h) Pintaderas. — Nous rangeons sous ce nom toute une série d'objets
dont quelques-uns ne méritent sans doute pas ce nom, ce sont de petits
cylindres de terre avec dessins gravés, dont certains ont des formes très
fantaisistes (fig. 2, n° 7).
i) Colliers. — Nous n'avons trouvé que quelques grains de collier en
schiste noir siliceux, et un très petit collier en osselets et dents au mont
Cachiri.
j) Instruments de musique. — Nous possédons une flûte en os sculpté
trouvée du côté de Chitaga (fig. 2, n° 10).
k) Objet métallique. — Nous n'avons recueilli qu'un petit objet en or,
très mince, provenant d'une sépulture des anciens Guanes, au sud de
Pamplona.

////à

Fig. 4. — Pétroglyphe de Malaga.

1) Pétroglyphe. — Le seul pétroglyphe que nous ayons relevé est celui


dont nous donnons ici la reproduction (fig. 4). Ц a été trouvé sur un
rocher de Malaga.

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