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L’ARBRE A MARIE

Il était une fois, dans une vallée des monts du Jura, une petite fille prénommée
Marie qui vivait entre ses parents des temps bien difficiles. Rares étaient les
jours où ils pouvaient manger de la viande, et bien plus rares encore les jours ou
ils ne se lamentaient sur leur faible richesse. Pourtant, aussi tristes qu’ils
pouvaient être, chacun chérissait la vie et profitait des petits riens qui font les
grands plaisirs. Les parents de Marie, étaient extrêmement fiers de leur enfant,
sa bonté et sa beauté faisaient déjà une petite légende dans la vallée. Son jeune
âge n’empêchait pas Marie d’aider parents et voisins. Aucune tache ne lui
semblait insurmontable et c’est toujours le sourire aux lèvres qu’elle aidait de
son mieux.
En cet hiver là, la petite chaumière familiale était bien froide, l’année ayant été
mauvaise, les finances manquaient pour acheter bois de chauffage et nourriture.
Chacun se réchauffait de son mieux auprès du maigre feu de cheminée qu’ils
s’autorisaient et bientôt la mère de Marie tomba malade. Obligée de tenir le lit,
elle toussait à en fendre les murs de la chaumière. Le père de Marie, n’eut alors
d’autres choix que d’aller quérir de l’aide en ville. Le voyage allait bien durer
plusieurs jours. Aussi demanda-t-il à sa sœur, Agathe, de veiller sur les siens.
L’acariâtre ne se fit point prier et s’installa aussitôt chez son frère. Celui-ci parti,
elle commença à régner en tyran sur la maisonnée. Elle se choisit la meilleur
place près du foyer, réclamait une part de nourriture plus importante que celle de
Marie et sa mère. Elle exigeait de la fillette qu’elle sorti dans le froid afin de
ramener les lourdes buches de bois pour le feu. Sa mère étant au plus mal, Marie
faisait de son mieux, son sourire devenant de moins en moins présent sur son
visage enfantin. Le soir venu, elle se couchait en espérant le retour rapide de son
père. Hélas, les frimas hivernaux s’acharnèrent, et une violente tempête de neige
s’abattit sur la région, bloquant toutes les routes pour plusieurs jours encore. Un
sordide quotidien s’installa donc.

Un soir, Agathe sembla de meilleur humeur qu’a l’accoutumé, et entrepris de


conter une histoire à sa nièce.
« C’est au cœur de la grande forêt que se cache le Roi des Arbres, un chêne
immense, si grand que dix hommes ne peuvent encercler son fût. Il monte si
haut vers les cieux, que les anges s’y reposent volontiers, écoutant le chant
gracieux des oiseaux de passage ou les discutions animés d’écureuils affairés.
Ses racines plongent dans les tréfonds de la terre, enserrant les lourds secrets de
la création du monde. Car le vénérable existe depuis la nuit des temps et vivra
jusqu'à la toute fin de toutes choses.
Bien des hommes et bien des femmes ont cherchés à atteindre l’auguste feuillu,
par curiosité, par convoitise, ou par cupidité car il possède le pouvoir d’exaucer
un vœu à qui lui donne l’objet le plus cher à son cœur. Hélas pour les
prétendants, Sa Majesté est bien protégée. Milles chemins semblent mener à lui,

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et finissent par perdre les imprudents. Des buissons, des ronciers, et les branches
des sujets du Roi griffent, attrapent, retiennent les fâcheux importuns, si bien
que beaucoup finissent par renoncer à leur dessein. Les malheureux qui
parviennent à sortir des bois ont les cheveux blanchis, leurs yeux fous roulent
sans fin. S’ils n’avaient pas atteint leur but, ils avaient trouvés la folie. »

Agathe assura à l’enfant que la légende était véridique et que le Roi des arbres
existait vraiment. Enfant, elle-même avait tenté de l’atteindre et n’avait
finalement put que l’apercevoir sans jamais l’approcher. Elle raconta aussi a
l’enfant que grâce à sa force de caractère elle avait put s’échapper des pièges de
la grande forêt et à en sortir indemne. Depuis, elle n’avait cessé d’amasser toutes
les connaissances possibles pour enfin, elle souri étrangement en disant cela,
transmettre son savoir à qui le mériterait. Marie jura sur le champ qu’elle se
montrerait digne des secrets de sa tante, et passa les jours suivants à obéir aux
moindres caprices de la vieille dame.
Trois jours passèrent, trois jours d’esclavage pour l’enfant, trois jours où le
sourire méchant ne quitta pas les lèvres de l’acariâtre. Epuisée, Marie, ce soir là,
voulu monter se coucher lorsque sa tante la rappela.
« Ecoute moi, mon enfant, je vais te révéler le secret du chemin qui mène au roi
des arbres. Quand tu te sentiras prête, à l’aube tu iras dans la forêt. Au point du
jour, tu trouveras un oiseau bleu, si tu le suis, il te mènera jusqu’au Roi. Surtout
ne le perd pas de vue, ou tu te perdras à jamais. » Toute la nuit durant, Marie
resta éveillée, tournant et retournant les propos de sa tante dans son esprit
enfiévré. Peu avant potron-minet, sa décision était prise, elle irait trouver le Roi
des Arbres et demanderait à ce que sa mère fût sauve.
Sans bruit, elle se glissa hors de son lit douillet. Nues pieds sur le sol gelé, elle
se risqua à prendre ses vêtements les plus chauds, et sortit de la chaumière sans
même emporter de quoi se nourrir.

La neige crissait et craquait sous ses pas mal assurés. Le vent glacial s’acharnait
à passer à travers les trous de sa misérable pelisse et l’obligeait à garder ses
mains sous ses bras afin d’en garder un peu de chaleur. Comme elle n’aimait pas
ce vent qui faisait tomber des paquets de neige du haut des branches sur elle ou
faisait virevolter la poussière de neige qui l’aveuglait, l’obligeant à s’arrêter
pour ne pas se perdre ! Elle marchait depuis des heures, elle désespérait de voir
apparaître l’oiseau bleu. Elle était perdue. Mais Marie était obstinée, et du haut
de ses six ans, bien décidée à atteindre le Grand Arbre.
La paille dans ses sabots n’était plus efficace depuis longtemps, elle ne sentait
plus ses pieds, elle continua à marcher. Des congères l’obligeaient à faire de
longs détours, des buissons semblaient s’animer et cherchaient à l’agripper.

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Mille fois elle tomba, mille fois elle chercha en vain le providentiel guide qui
devait la sauver. Les heures se succédaient aux heures, Marie, épuisée se blottit
contre un petit boulot dont les branches basses faisait un semblant d’abris.
La nuit venait doucement. Les ombres s’allongeaient, dessinant des mains
griffues qui se tendaient avidement vers l’enfant. Marie n’avait plus la force de
repartir. Elle n’était qu’une enfant, petite, fragile, perdue dans l’immensité de
cette forêt. Elle se mit à pleurer, doucement, de peur de déranger les habitants
des bois, puis engourdie par le froid s’endormit.

Doucement, précautionneusement, une chose blanche sortie d’un taillis et


s’approcha de l’enfant. Dame Renarde huma, inspecta et décida finalement que
l’intruse en son territoire ne présentait que peu de danger. Elle s’apprêtait à
repartir vers son terrier, lorsque Marie bougea dans son sommeil. Elle grelotait
de froid, elle recommença à pleurer sans s’éveiller. Dame Renarde ne put à son
tour retenir une larme devant cette triste scène. Elle se souvint de sa jeunesse
passée, de ses enfants partis et de son compagnon trop tôt disparu. Elle se sentit
vieille, seule, elle choisit alors d’aider cet enfant. Elle se blotti contre elle, et la
réchauffa de son mieux en la couvrant de sa grande queue blanche. Toute la nuit
durant, la vénérable aïeule veilla.
Le petit matin les trouva pelotonnées l’une contre l’autre, frigorifiées mais
vivantes. Marie s’éveilla la première. Elle comprit en voyant sa compagne
qu’elle lui devait la vie, aussi la glissa t’elle sous son manteau pour la réchauffer
à son tour et repartie a la recherche de son chemin perdu. Elle erra encore de
longues heures parmi les nombreux arbres, mais étrangement, il n’y eut plus de
branches traitresses. Le vent était tombé, laissant les doux rayons du soleil
réchauffer, un peu, l’air hivernal. Bien entendu, les congères de neige bloquaient
toujours autant son trajet, mais un chemin semblait se dessiner. Si bien qu’elle
arriva dans une grande clairière. Un large cercle d’arbres entourait un vaste
espace dégagé au creux d’un petit vallon. Respectueusement, les pins, les
boulots, les chênes et toutes les autres essences d’arbres que Marie ne
connaissait pas, montaient la garde autour d’un chêne immense. Le Roi des
Arbres écrasait de majesté ses sujets. Les branches s’élançaient si haut que
Marie n’en voyait pas le bout. Sa maison aurait tenue sans problème dans la
ramure sans feuillage de l’arbre. Il aurait fallut à Marie plusieurs heures pour
faire le tour de l’énorme tronc crevassé d’écorces rugueuses. En s’approchant
lentement, la vision qu’elle avait de l’arbre changea. Elle le vit tour à tour plein
de vie au printemps, fier sous les ardents assauts du soleil de l’été, flamboyant
en automne et digne dans le froid hiver actuel. Sa majesté et ses sujets
observaient l’importune avec une distinction toute végétale.
Très intimidée, l’enfant s’approcha. Dame Renarde pointa son long museau hors
du manteau et regarda sans plus bouger l’immense ramure qui couvrait pour
moitié la trouée. Un bruissement parcouru les branches nues. Un murmure

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curieux, chargée d’une sagesse inhumaine, qui encouragea Marie à stopper et à
se présenter.
« Bonjour, je m’appelle Marie.
Toute la clairière devint silencieuse.
_ S’il vous plait, pouvez-vous m’aider ? 
Silence.
_Je vous ait apporté ma poupée. C’est la seule chose que je possède.
L’enfant sorti de sa poche la modeste poupée de chiffons.
_Vous pouvez guérir ma Maman ??
Un sinistre craquement retenti. Une fente verticale apparue au creux de l’écorce
du Roi des Arbres. L’offrande était acceptée. Marie déposa un baiser sur les
joues de sa poupée, la glissa dans la cavité en soufflant un ‘Merci’ de sa petite
voix fluette.

Dame Renarde qui s’était tenue coite jusqu'à présent, bondit au pied du grand
chêne. Elle clapit un instant, attendit une réponse qu’elle fut seule à entendre,
puis se tourna vers sa protégée. Plongeant son regard au plus profond de l’âme
de l’enfant, elle y vit les intentions les plus pures et désintéressées qui soient.
Elle clapit une dernière fois, et alla mordiller doucement les chevilles de Marie.
Il était temps de repartir.

L’enfant suivit sa guide et au soir tombant se retrouva à l’orée de la forêt sans


avoir été inquiétée. Affamée, fatiguée, transie de froid, Marie se sentit
néanmoins pousser des ailes à la vue de sa maison. D’autant plus que le traineau
de son père se trouvait devant la maisonnée. Dame Renarde sur ses talons, elle
couru rejoindre les siens.
En franchissant le seuil de l’entrée, elle découvrit son père qui se disputait avec
sa tante. Agathe en voyant l’enfant rentrer devint hystérique. Elle se mit à hurler
des propos incohérents.
« NOOON ! Tu es morte ! Je t’ai vu partir dans la forêt, tu n’as pas put survivre
deux jours dans un froid pareil ! Le trésor est à moi !»
La folle se jeta sur l’enfant, le meurtre était inscrit dans son regard. Dame
Renarde lui sauta au visage. La surprise stoppa net l’élan meurtrier. Le père de
Marie se saisit de sa sœur et la jeta sans ménagement dehors.
« Arrière, maudite mégère, retourne t’en dans ta sinistre maison. Ne remets
jamais les pieds ici ou tu tâteras du bâton. »
Il referma alors la porte sur la nuit, le froid et la vociférante acariâtre. Puis les
oubliant sur le champ il attrapa sa fille pour la couvrir de baisers. Une faible
voix se fit entendre depuis la chambre. L’homme, l’enfant et la renarde se
précipitèrent alors au chevet de la malade. Le docteur, finissait son office, une
décoction de plantes soulageait déjà la mère de Marie. Mais se fut surtout la vue
de son enfant retrouvée qui lui donna vraiment le sourire.

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Les mois, les années passèrent, la famille vécue heureuse et à l’abri des besoins
grâce au trésor trouvé dans une caché derrière la cheminée. Ils ne surent jamais
d’où provenait ce trésor ni comment Agathe en connaissait l’existence, mais peu
leur importait tant ils étaient heureux ensembles Marie, ses parents et Dame
Renarde.

[Janvier 2011 : Thème de la Forêt]

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