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5 0 M M A 1 R E

Les grandes énigtnes de la Collaboration


4 21
Actualité de l'histoire Pétain, Darlan, Laval et la
PAR MACHA MANSKI
collaboration d'État
PAR PHILIPPE CONRAD
7
Révélations sur la mort 24
de Mussolini De la LVF à la division
PAR DOMINIQUE LORMIER
Charlemagne
PAR GUY CHAMBARLAC
8
Agenda de l'histoire 26
PAR VIRGINIE TANLAY
Joseph Darnand et la Milice
PAR CHARLES VAUGEOIS
POPULATIONS
obondonnées, 29 Pie"e Laval.
Hitler et la France 53
PAR THIERRY BURON
Une collaboration juive
32 PAR JEAN·CLAUDE VALLA

Vichy et la question juive 56


PAR FRANÇOIS·GEORGES DREYFUS
L'énigme de Louis Renault
36 PAR NICOLAS MERCIER

La France dans l'étau: 57


Chronologie 1940.1944 Gestapo et bonnes affaires
PAR ADRIEN BROCARD
37
Propagande allemande en 1940. Le who's who des épurés 59
9
PAR DOMINIQUE VENNER
Causes, fonctionnement
Éditorial: et bilan de l'épuration
PAR DOMINIQUE VENNER
Une époque mystérieuse
PAR DOMINIQUE VENNER 60
10 Une bibliographie indicative :
Une nouvelle affaire Dreyfus ? Collaboration et collaborateurs
Maurice Papon accuse 61
PROPOS RECUEILLIS
PAR DOMINIQUE VENNER ET ÉRIC VATRÉ Les livres et l'histoire
12 64
Polices allemandes Quand de Gaulle pensait
et polices françaises que la France était finie
PAR FRANÇOIS MAJOR Marcel Déat. PAR GILBERT COMTE

15 45 66
Les vainqueurs de 1940 Le monde La parole est aux lecteurs
vus par les vaincus de la gauche collabo
PAR JEAN MABIRE PAR HENRI LANDEMER

18 49 En couverture :
Joseph Darnand
La cocollaboration Brasillach et Drieu
PAR PATRICK JANSEN PAR PIERRE MAUGUÉ

Il
Actualité de l ~histoire
destiné à concevoir la défense ou valoir l'héritage qu'on a reçu
EXPOSITIONS l'attaque des places, à former aussi indivis. » a depuis souvent été
les officiers, comme le fera plus tard reprise. Barrès et Maurras avaient vu
le Kriegspiel prussien. Le titre de en Renan le « restaurateur du sens
Bestiaire l'exposition,<< Un pied pour cent national», et ont été ses disciples.
toises >>, se rapporte à l'échelle de L'exposition se propose d'illustrer à
fantastique 1/600' choisie aux XVII' et XVIII' partir de dessins, de caricatures et
siècles pour représenter en maquette d'affiches de 1' époque, voire de
Jacques de Larocque Latour est les villes fortifiées. chansons, de pamphlets, ou même
peintre animalier. D'origine Un pied pour cent toises, la guerre de siège faïences, l'évolution du sentiment
vendéenne, il expose ses œuvres en maquettes. Musée des Plans-Reliefs. national et du patriotisme de la
depuis une dizaine d'années. Pour la Hôtel des Invalides, 75007 Paris.
Tél : 01 45 51 95 05.
guerre de 1870 jusqu'à la fin du
première fois, il a mêlé mythe et
XIX' siècle. L'intérêt de l'exposition
réalité, en tentant de faire revivre sur
réside avant tout dans la variété des
ses toiles des légendes anciennes. Renan et l'idée documents présentés.
Des animaux fantastiques échappés Le château de Châteaudun.
de nation Renan et l'idée de nation. Musée Renan.
de contes d'autrefois voisinent avec 20, rue Ernest Renan 22220 Tréguier. Tél :
la faune de nos bois et de nos s'appuie en partie sur les campagnes
Ernest Renan (1823-1892), comme 02 96 92 45 63. Jusqu'au 2 novembre 1997.
marais. Le sanglier bleu de la photographiques réalisées dès 1851
à la demande des Monuments Chateaubriand ou Lamennais, était
mythologie irlandaise côtoie le breton. Sa maison natale à Tréguier La bataille
solitaire des forêts normandes. historiques pour dresser l'inventaire
« Quand les loups ont disparu de
de notre patrimoine architectural. était depuis 1923 ouverte au public. de Reichshoffen
Elle s'intéresse aux fonctions En 1947, à la suite d' un legs, elle
nos forêts, les "meneux de loups " avait été transformée en musée. Pour
qui parlaient leur langage et défensives des donjons, comme aux En 1870, quand les armées du
possibilités d'habitat qu'ils offraient. son cinquantième anniversaire, le
dirigeaient les meutes sauvages s'en Kronprinz avaient pénétré en Alsace
Elle étudie les raisons de leur musée Renan a fait peau neuve. Une
sont allés. Les garraches, galipotes, et en Lorraine, dès la défaite de
implantation sur un site à une exposition<< Renan et l'idée de
chiens rouges, aloubis et autres Frœschwiller, le 6 août, et malgré la
époque donnée. nation >>marque sa réouverture.
bêtes pharamines s'en sont allées charge des cuirassiers de
Seigneurs de pierre, les donjons du Xl' au Renan avait en 1882, à la Sorbonne,
également. Le cheval Malet ne Reichshoffen, l'issue des combats
Xlii' siècle en région Centre. Château de prononcé sa fameuse conférence
galope plus autour des voyageurs n'avait plus fait de doute. En Alsace,
Châteaudun. 28200 Châteaudun. <<Qu'est-ce qu' une nation?>>. Sa
épuisés et les roues de la charrette Tél: 02 37 94 02 90. la mémoire de la guerre franco-
définition, « c'est un plébiscite de
de l'Ankou ne grincent plus dans les Jusqu'au 31 décembre 1997. prussienne de 1870 n'est pas perdue.
tous les jours. Une nation est une
chemins creux. Les fées sont Au château de Wœrth, un musée est
âme, un principe spirituel. Deux
devenues sorcières, les enchanteurs Le musée choses qui, à vrai dire n'en font
même consacré à la bataille du 6
sont désenchantés ... » glisse août. Des armes blanches, des armes
1' artiste, en guise de préambule à
des Plans-Reliefs qu 'une, constituent cette âme, ce
à feu, des uniformes, et toutes sortes
principe spirituel. L'une est dans le
1'exposition. passé, l'autre dans le présent. L'une de vestiges provenant du champ de
Légendes et bestiaire fantastique. Abbaye La première tranche des travaux bataille (des cartouches, des éclats
de Mortemer. 27440 Lisors. A 5 kilomètres pour le réaménagement du musée est la possession en commun d'un
riche legs de souvenirs ; l'autre est d'obus ... )- plus de 600 pièces en tout
de Lyons·la-Forêt. Tél : 02 32 49 54 34. des Plans-Reliefs, l'héritier de la -ont été réunis. Un diorama composé
Jusqu'au 31 octobre 1997. collection admirable des plans en le consentement actuel, le désir de
vivre ensemble, la volonté de faire de 4 000 figurines en étain restitue la
relief des places fortes créée par charge des quatre régiments de
~hâteaux-fo.-ts Louis XIV en 1668 et installée cuirassiers qui avaient tenté le 6 août
depuis 1777 dans les combles de 1870 entre Frœschwiller et
Entre le XI' et le XIII' siècle, l'Hôtel des Invalides, est achevée. Elsasshausen de contenir les
beaucoup de châteaux-forts avaient 28 maquettes de places fortes de la Prussiens pendant que l'armée
été édifiés dans la région Centre qui Manche (fort Chavagnac, mont
française faisait retraite. Mais le
recouvre aujourd'hui les cinq Saint-Michel...), du littoral
fleuron du musée, c'est une toile du
départements de l'Eure-et-Loir, de atlantique (citadelle de Belle-Île,
peintre Édouard Detaille ( 1848-
l'Indre, de l'Indre-et-Loire, du Loir- ville du Palais, fort de la Prée, Saint-
1912), élève de Meissonnier, qui
et-Cher et du Loiret. Les châteaux Martin-de-Ré, château d'Oléron .. .),
représente la charge du 9' régiment de
de Langeais, Loches ou Beaugency, des Pyrénées (Villefranche-de-
Cuirassiers du général Michel à
les plus connus, ont conservé leur Conflent, Perpignan ... ) et de la
Morsbronn. Une exposition met en
aspect d'origine. Mais ailleurs, seuls Méditerranée (Antibes, îles de
parallèle le célèbre tableau et la
les donjons subsistent - on en a Lérins, Calvi, fort des Pomets ... )
vision que d'autres artistes, spécialisés
recensé trente-et-un. Une exposition, sont de nouveau accessibles au
aussi dans la peinture militaire, ont
présentée justement dans le donjon public. Une exposition marque la
donné de la guerre de 1870.
du château de Châteaudun, ouvert réouverture de cette première partie
Champs de bataille de 1870. Musée de
récemment au public, met en du musée. Elle brosse à grands traits Woerth. 4, rue du Moulin 67360 Woerth.
perspective les vestiges de tous les l' histoire de la collection, rappelle Tél : 03 88 09 30 21 .
châteaux-forts de la région. Elle l'intérêt stratégique des plans-reliefs, La maison natale de Renan à Tréguier. Jusqu'au 11 novembre 1997.
ACTUALITÉ DE L'HISTOIR

Le musée Hommage à Marcel Aymé


EN BHEF de la Marine ne
déménagera pas
L'homme
Jacques Chirac, peu après son
de Neandertal élection à la présidence de la
République, avait décidé la création
La génétique, grâce aux progrès de d'un grand musée des Arts premiers,
la biologie moléculaire, vient de regroupant les collections du musée
démontrer que l'homme de de l'Homme et celles du musée des
Neandertal, ce fossile découvert en Arts d'Afrique et d'Océanie, qu 'il
1856 dans une grotte de la vallée de souhaitait voir installé au Palais de
la Neander près de Düsseldorf, et Chaillot, à l'emplacement du musée
qui aurait vécu il y a entre 100 000 de la Marine. Le transfert des
et 35 000 ans, n'est pas notre collections de la Marine dans des
ancêtre. Une équipe de scientifiques bâtiments vacants du quai
allemands a en effet réussi à extraire d'Austerlitz avait été arrêté, malgré
de l'ADN du squelette de la vague de protestations que la
Neandertal. Après avoir comparé les nouvelle avait soulevée chez les
paires de bases qui le composent officiers de marine comme chez les
avec celles de l'ADN de 1 500 navigateurs. Le ministre de la Marcel Aymé est mort il y a tout juste trente ans, le 14 octobre 1967. Il avait
individus modernes, les savants sont Culture, devant le coût prohibitif du publié son premier roman en 1926 et, dès 1933, grâce au succès remporté par
formels : on ne peut imaginer que déménagement du musée de la La jument verte, il avait réussi à vivre de sa plume. Il s'était toujours tenu à
l'homme descende de Neandertal, il Marine, a tranché : le musée des l'écart de la politique. Mais à la Libération, quand le Comité d'épuration des
n'aurait même aucun lien de parenté Arts Premiers sera implanté sur un écrivains entama sa chasse aux sorcières, il sortit de sa réserve. Il fit
avec lui. Son patrimoine génétique terrain propriété de l'État quai campagne pour obtenir la grâce de Robert Brasillach. Et il ne pardonna
est radicalement différent, il s'agit Branly, et le musée de la Marine jamais à de Gaulle d'avoir laissé fusiller le poète. Il prit aussi
bel et bien d'une espèce hominienne restera au Trocadéro. courageusement la défense de Maurice Bardèche, emprisonné après la
à part. La querelle qui agitait les publication de Nuremberg ou la Terre promise. L'œuvre de Marcel Aymé est
paléoanthropologues depuis un jugée à tort divertissante. Très fin observateur des mœurs de ses
siècle n'a donc plus lieu d'être. Cro-
La chaîne Histoire contemporains, il a brossé un portrait sans complaisance de son époque. Sa
Magnon n'est qu'un lointain cousin trilogie commencée en 1941 avec Travelingue, puis Le Chemin des écoliers
de Neandertal. Cette découverte Longtemps envisagé, sans cesse (1946), qui se situe sous l'Occupation et Uranus (1948), le dernier volet, qui
relance le débat fondamental de la retardé, le lancement de la chaîne décrit les lendemains de la Libération, offre une lecture crue de l'histoire
polygénèse. câblée entièrement consacrée à contemporaine.
l'histoire a enfin eu lieu fin juillet.
Les téléspectateurs abonnés au réseau Diverses manifestations et publications vont commémorer le trentième
Les archives de TPS - ils sont 350 000 à ce jour - ont anniversaire de la disparition de Marcel Aymé.
Charles Maurras désormais accès à un programme
- La comédie musicale adaptée du Passe-Muraille par Didier Van
spécifiquement historique. Les
Cauwelaert sur une musique de Michel Legrand se donne au théâtre des
Les archives de Charles Maurras, émissions sont diffusées à six reprises
Bouffes-Parisiens jusqu'à la fin de l'année.
constituées pour l'essentiel de sa sur une période de 15 jours, la
correspondance, viennent d'entrer première diffusion ayant toujours lieu -La ville de Dôle, où Marcel Aymé a passé sa jeunesse et qu'il décrit dans
aux Archives nationales- une partie à 21 heures. Des documentaires et Le moulin de la Sourdine, organise en coopération avec la Société des amis
par don, une partie par acquisition. des fictions sur l'histoire de France de Marcel Aymé, en octobre et en novembre, une exposition, un cycle de
On dénombre pas moins de 25 000 des origines à nos jours sont proposés conférences et des rencontres littéraires, auxquelles participeront Michel
lettres. La plupart émane de dans << Il était une fois ... la France ». Lecureur et Marie-France Briselance. Le 25 octobre 19971e téléfilm Marcel
prestigieux signataires : Maurice L'émission << Il était une fois .... les Aymé, réalisé par Sylvain Roumette dans le cadre de la série de France 3 << Un
Barrès, Anatole France, Pierre Français >> s'intéresse à l'histoire des siècle d'écrivains >>, sera projeté en présence du réalisateur à la bibliothèque
Gaxotte, Lyautey, Poincaré... Mais il groupes sociaux, et << Il était une municipale. Renseignements : Hôtel de Ville. Services culturels. BP 44-
39108 Dôle. Tél : 03 84 79 79 81. Société des amis de Marcel Aymé.
y a aussi de plus humbles fois ... le monde >>, à l'histoire de pays
Bibliothèque municipale. 23 ter, rue du Collège-d' Arc- 39100 Dôle. Tél :
correspondants : des soldats de 1914- et de peuples étrangers. Des
03 84 72 24 25.
1918, ou de simples quidams qui biographies d'hommes célèbres vont
approuvent ou critiquent les être retracées dans << Mille et une vies >>. -Sur la nouvelle autoroute A 39, reliant Dijon à Bourg-en-Bresse, les aires
positions de l'Action française. Ces Pour l'histoire immédiate, d'anciens de repos vont chacune être baptisées du nom d'une œuvre de Marcel Aymé :
lettres retracent un pan entier de numéros du magazine de France 2 << La jument verte, La vouivre ...
l'histoire contemporaine- des Envoyé spécial >> seront mis en - Gallimard publie en octobre dans la bibliothèque de la Pléiade le tome II des
prémisses de l'affaire Dreyfus à la perspective, avec une présentation œuvres romanesques de Marcel Aymé (édition établie par Michel Lecureur).
Libération. Elles renseignent aussi actualisée. L'émission diffusée -Les Belles Lettres rééditent en octobre la biographie de Marcel Aymé par
sur la profondeur des liens qui chaque samedi sur France 3, <<Les Michel Lecureur dans une version revue et augmentée, ainsi qu'un recueil de
unissaient Charles Maurras à Léon Dossiers de l'histoire>>, sera textes de Marcel Aymé présenté par Michel Lecureur, Marcel Aymé et les
Daudet, à Henri Massis ... Elles régulièrement reprogrammée. Marc femmes.
représentent en tout cas un fonds très Ferro va présenter dans << De
-La Société des amis de Marcel Aymé fait paraître un numéro double
riche, dont l'inventaire a été confié à l'actualité à l'histoire >> un événement
(no 13-14) des Cahiers Marcel Aymé, contenant une correspondance inédite
deux conservateurs de la section XX' de la semaine replacé dans son
ainsi qu'un scénario lui aussi inédit intitulé Fantomas.
siècle des Archives nationales. contexte historique. << Télé notre
LITÉ DE L'HISTOIRE

histoire » offrira la possibilité de aussi une réhabilitation de Tocqueville avait encore exercé sa clairvoyance Le Feld-maréchal von Bonaparte, de
revisionner des archives de la et d'Augustin Cochin. Son récemment dans Regarder la France Jean Dutourd.
télévision. Enfin, << Le Magazine de Dictionnaire critique de la (Perrin, 1997). En octobre, au Livre de Poche.
l'Histoire>> sera une sorte de tribune Révolution, publié en collaboration Un provincial à Paris, Mémoires, par
hebdomadaire, des historiens avec Mona Ozouf en 1989, au Jean-Claude Faur Arthur Conte. En octobre, chez Plon.
viendront débattre, présenter leurs moment de la célébration du
livres ... Encore faudrait-il que le bicentenaire de la Révolution, allait
choix ne se limite pas aux auteurs qui imposer au public sa lecture de
Jean-Claude Faur, directeur et Essais, docum.ents
fondateur en 1976 de la revue
en ont pincé pour Lénine ou Trotski. l'événement, bouleversant l'image Bédésup, est mort à Marseille le 3
idyllique qui jusque-là avait prévalu. L'âme romaine, par Pierre Grimal.
juillet 1997. Il avait publié en 1992 En octobre, chez Perrin.
L'Afrique réelle Après la chute du mur de Berlin et la
sous le titre Les BD de l'extrême
désagrégation du communisme, il Naissance de la noblesse. L'essor
droite, un album rassemblant les
publia en 1995 Le passé d'une des élites politiques en Occident,
La dernière livraison de L'Afrique dessins de la presse nationale des
illusion, un essai sur« l'idée par Karl-Ferdinand Werner.
réelle est un numéro double consacré années soixante à nos jours, qui
communiste au XX' siècle »,qui a En septembre, chez Fayard.
à 1'explosion des deux Congos. offrait une vision nettement non-
suscité enthousiasme et controverses. Dictionnaire encyclopédique du
« Dans les deux pays, créations conformiste de 1' histoire
Furet ne cachait pas son espoir d'aider Moyen Âge, sous la direction de
artificielles héritées de la période contemporaine.
par ce livre à la renaissance d'une André Vauchez.
coloniale, la greffe occidentale n'a
conscience historique européenne. En octobre, chez Cerf.
pas pris. Elle a même été rejetée avec /
Brisant le tabou de l' antifascisme et
violence. Les deux ensembles en sont
montrant que celui-ci avait été
LIVRES ANNONCES Le siècle de Louis XV, par Pierre
donc revenus aux seules réalités qui Gaxotte. En novembre, chez Fayard.
instrumentalisé pour interdire toute
comptent en Afrique : les ethnies », Versailles, par Jean-François Solnon.
étude relationnelle entre léninisme et
souligne Bernard Lugan dans son Biographies, En octobre, au Rocher (collection Le
nazisme, Furet ne pouvait qu'irriter
éditorial, avant de rappeler le rôle Présent de l'histoire)
néfaste en Afrique du modèle
ceux qui n'avaient pas épousé sa m.ém.olres,
liberté de vues. D'autant qu'il prenait Une histoire personnelle de la
démocratique préconisé par
la défense de l'historien allemand
correspondances littérature française, par Jacques
l'Occident et la France en tête : «Au
Ernst Nolte, diabolisé par la gauche Laurent, avec la collaboration de
Congo, comme auparavant au Jules César, par Alexandre Dumas
allemande, tout en critiquant Christophe Mercier.
Rwanda et au Burundi, la démocratie (première réédition depuis la
l'interprétation noltienne des crimes En novembre, chez Bartillat.
ethnique a tout naturellement publication originale en 1855).
nazis. Quoi qu'il en soit, une réflexion Pour en finir avec Vichy. Les oublis
débouché sur la guerre civile. » En octobre, aux Belles Lettres.
sur le XX' siècle et sur les drames de la mémoire, par Henri Amouroux.
Signalons également dans ce numéro Vasco de Gama, par Geneviève
immenses provoqués par le heurt de En septembre, chez Robert Laffont.
un remarquable dossier consacré aux Bouchon.
ses deux grandes religions séculaires,
responsabilités historiques de l'Église Sous-marins allemands au combat.
ne pourra désormais se concevoir sans En novembre, chez Fayard.
dans le drame du Rwanda. 1939-1945, par Patrick de Gmeline.
recourir à François Furet. Celui-ci ne Richelieu tel qu'en lui-même, par
L'Afrique réelle. BP no 6-03140 Charroux. En octobre, aux Presses de la Cité.
no 15·16: 120 F. fut pas seulement un historien Georges Bordonove.
profond, mais aussi un grand écrivain. La Main rouge, l'armée secrète de
Abonnement (4 numéros/an) : 380 F. En octobre, chez Pygmalion.
D.V. la République, par Antoine Méléro,
Leibnitz, par Jean-Michel Robert. avec la collaboration de Jean-Émile
Le passé d'une illusion est paru
1
En octobre, aux Belles Lettres Néaumet. En octobre, au Rocher.
DISPARITIONS récemment au Livre de Poche.
(collection Figures du savoir).
(n°14 018, 824 pages, 55 F.) Histoire des services secrets
Saint-Simon, le système de la cour, français, par Douglas Porch.
Jean-Marle par Emmanuel Le Roy-Ladurie. En octobre, chez Albin Michel.
François Furet En novembre, chez Fayard.
Dom.enach Le Grand Livre de Dumas, sous la
La roue rouge. Troisième nœud.
François Furet est mort le 12 juillet Mars 17, par Alexandre
1997. L'historien, élu à l'Académie direction de Charles Dantzig, avec la Soljenitsyne.
L'écrivain et journaliste Jean-Marie
française en mars dernier, avait collaboration de Jérôme Leroy, En septembre, chez Fayard.
Domenach est mort le 6 juillet 1997
consacré 1' essentiel de ses travaux à la Philippe de Saint Robert, François
à l'âge de 75 ans. Ancien de l'École Manuel du Goulag, par Jacques
Révolution française. Militant Taillandier, Jean Tulard ...
des cadres d'Uriage, passé ensuite à Rossi.
communiste dans sa jeunesse, En octobre, aux Belles-Lettres.
la Résistance, il collaborait depuis En novembre, au Cherche Midi.
côtoyant Emmanuel Le Roy-Ladurie, 1946 à la revue Esprit, dont il avait Le prince impérial« Napoléon IV>>,
L'aujourd'hui blessé. Témoignages
Jacques Ozouf et Annie Kriegel au assumé de 1957 à 1976 la direction. par Jean-Claude Lachnitt. des victimes de la terreur
sein de la cellule Saint-Just pendant sa Malgré un engagement politique En septembre, chez Perrin. stalinienne, collectif.
préparation à 1' agrégation, il avait longtemps marqué à gauche, Jean- Marcel Aymé, un honnête homme, En septembre, chez Verdier.
rompu en 1956 avec le parti. Cette Marie Domenach a toujours fait par Michel Lecureur. Quand les Alliés bombardaient la
expérience devait se révéler capitale preuve d'une grande indépendance En octobre, aux Belles Lettres. France, 1940-1944, par Eddy
dans son interprétation de 1'histoire. d'esprit. Auteur déjà d'un Maurice Les Compagnons de l'aventure, Florentin. En octobre, chez Perrin.
Dès son premier livre (La Révolution Barrès (1954), il n'a pas hésité, dans
par Pierre Mac Orlan. Le livre des crimes communistes, par
française, 1964), il brise avec ses articles, comme dans ses essais, En octobre, au Rocher. Stéphane Courtois.
l'historiographie jacobine et marxiste. à aller à 1' encontre de la pensée
Dans Penser la Révolution française, dominante (Une morale sans Cahiers, par Cioran. En octobre, chez Robert Laffont.
son maître livre, publié en 1978, il moralisme, Flammarion 1992) En novembre, chez Gallimard.
refusait de considérer la Révolution comme à dénoncer le terrorisme de Quelques coups de burin sur la Pages r~alis~cs pat·
comme un bloc et insistait sur la la pensée unique (Le crépuscule de statue de Jean Dutourd, par Bernard
MACHA MAl\'SKI
rupture de 1792-1793. Il entreprenait la culture française, Plon 1995). Il Leconte. En septembre, chez Plon.
ACTUALITÉ DE L'HISTOI

Révélations sur la mort de Mussolini


Spécialiste de l'Italie contemporaine, exemptions pour les familles juives fidèles au compromettantes. Dans une lettre de Mussolini,
fascisme ou celles dont l'un des membres est adressée le 23 avril 1945 à Churchill par
auteur d'une quinzaine d'ouvrages, mort à la guerre, si bien que très peu de personnes l'intermédiaire de l'ambassade de Grande-
Dominique Lormier a découvert dans sont finalement touchées. Mussolini se démarque Bretagne en Suisse, on peut lire : « Il est inutile de
les archives italiennes, allemandes, des nazis en condamnant le racisme biologique. vous rappeler ma position devant l'histoire. Vous
Influencé par l'écrivain Julius Evola, Mussolini êtes peut-être le seul aujourd'hui à savoir que je
britanniques et américaines des parle d'une « race» spirituelle. Pour en faire n'ai pas à craindre son verdict. Envoyez-moi donc
documents qui apportent un certain partie, il suffit d'adhérer à des valeurs un de vos hommes de confiance. Les documents
nombre de révélations sur Mussolini « romaines », comme le sens de l'honneur, le don que je pourrai lui donner vous intéresseront... » On
de soi, la fidélité, le courage, etc. Ainsi, le connaît la suite...
et le fascisme italien. Il publie ce
commandant italien de la base sous-marine de
mois-ci une biographie de Mussolini Bordeaux de 1943 à 1945, Enzo Grossi, est juif. ESH : Pouvez-vous préciser ce qui s'est passé ?
aux Éditions Chronique, très Je donne bien d'autres exemples dans mon livre. DL : Cinq jours après avoir expédié cette lettre,
Durant l'occupation, Mussolini s'oppose à la Mussolini était abattu par un agent des services
richement illustrée. secrets britanniques, d'origine italienne, Max
déportation des Juifs. Léon Steinberg fait
remarquer que dans « la zone d'occupation Salvadori. Ce dernier avait pour mission de
Enquête sur l'histoire : Votre ouvrage apporte s'emparer de la correspondance adressée jadis par
italienne du sud-est de la France, en 1942, les
un éclairage nouveau et des révélations, Churchill, dont Mussolini ne se séparait jamais.
autorités italiennes font libérer de vive force les
notamment sur la mort de Mussolini. Quelles Comme l'a révélé Renzo De Felice, il y avait
Juifs arrêtés par les autorités de Vichy et en
sont vos sources principales ? notamment deux lettres de 1940 au contenu
instance de remise aux Allemands ». Il en sera de
Dominique Lormier: J'ai travaillé sur des explosif. Dans la première, datée de juin 1940, en
même des zones contrôlées par les Italiens dans
archives inédites du professeur Renzo De Felice, pleine campagne de France, Churchill incitait le
les Balkans. On estime à près de 92 000 le
de l'Ufficio Storico de Rome, de l'État italien à Duce à entrer en guerre contre la France aux
nombre de Juifs sauvés par l'Italie de Mussolini
Rome et sur les microfilms des National Archives côtés d'Hitler avec l'arrière-pensée d'obtenir,
(Italie, France, Balkans, Afrique).
de Washington. grâce à Mussolini, des conditions favorables en
cas de défaite anglaise. Dans la deuxième
ESH : Vous apportez des faits nouveaux et
ESH : Ce sont les communistes, à partir de correspondance, Churchill proposait à Mussolini
surprenants sur les circonstances et les causes
1934, qui ont fait du qualificatif<< fasciste >> une alliance contre l'URSS (à l'époque en guerre
exactes de la mort de Mussolini ?
l'une des pires insultes politiques. Pourtant, le aux côtés de l'Allemagne) une fois le conflit
DL : Le professeur Renzo De Felice a été le
communisme s'est rendu coupable de crimes terminé.
premier à les révéler dans son livre Rosso e Negro
bien plus atroces. Quels sont les chiffres exacts
(Rouge et Noir) publié en 1995, avant sa mort.
des victimes de la révolution fasciste en Italie ? ESH : Ces lettres ont-elles été retrouvées ?
Contrairement à la version officielle soutenue
DL : Contrairement à Staline, Hitler, Mao et Pol DL : Pas encore, mais Renzo De Felice en avait
depuis 50 ans, selon laquelle Mussolini et sa obtenu la copie. Il avait réuni une importante
Pot, responsables de la mort de plusieurs dizaines
maîtresse Clara Petacci avaient été exécutés par un documentation à laquelle j'ai eu accès,
de millions de personnes, le bilan du fascisme
groupe de partisans communistes commandés par témoignant de 1'admiration constante de
italien en vingt années de régime est fort
Walter Audisio, De Felice assure qu'ils ont été Churchill pour Mussolini, au moins jusqu'en
modeste. L'OVRA, police secrète de Mussolini, a
assassinés par des agents de l'IS, sur ordre de 1940. Et c'était amplement suffisant, dans le
fait exécuter 25 opposants au régime. Il y eut
Churchill. Les archives que j'ai pu consulter à ce climat psychologique de 1945, pour éviter à tout
5 619 emprisonnements, à des peines moyennes
sujet sont irréfutables. L'exécution de Mussolini prix un procès public au cours duquel Mussolini
de 5 ans, 42 condamnations à mort et 3
arrangeait beaucoup de monde. Un procès aurait aurait rappelé ces faits.
condamnations aux travaux forcés à perpétuité.
obligé Churchill à s'expliquer sur le soutien qu'il PROPOS RECUEILLIS
Les familles des accusés, restées en Italie, ont
avait accordé au dictateur et à son régime. PAR GUY CHAMBARLAC
touché une pension de l'État fasciste. Les
Mussolini conservait des lettres de Churchill fort
opposants les pl us durs étaient placés en
résidence surveillée dans les chalets en montagne
ou dans les plus belles îles de la Méditerranée,
recherchées aujourd'hui par les touristes.

ESH : Quelle fut son attitude à l'égard des Juifs? En conversation avec un
DL : De 1922 à 1937, Mussolini est étranger à authentique sosie de Don Camillo,
tout antisémitisme. Les Juifs italiens qui occupent un agent de l'OSS (services
secrets américains) parmi les
des postes importants sont nombreux. Deux de
partisans antifascistes en Italie
ses maîtresses sont juives. Plusieurs spécialistes, du nord au début de 1945.
qui ont inspiré ses réformes économiques sont Les communistes y côtoyaient,
juifs. Certains dignitaires et ministres fascistes, comme ici, des membres du clergé
comme Aldo Finzi et Guido Jung (ministre bien armés. Les services spéciaux
fasciste des Finances de 1932 à 1935), sont juifs. anglais et américains ont
parachuté aux partisans des
En août 1938, le rapprochement de Mussolini armes (mitraillette Sten visible sur
avec 1' Allemagne s'accompagne de mesures la photo) et des agents de liaison,
discriminatoires, mais elles sont appliquées sans parmi lesquels le futur assassin
excès policiers. Le régime multiplie les de Mussolini.
Agenda de
Septembre combats au cours desquels a été tué
le général Damrémont.

!~histoire 14 octobre
1066- Victoire de Guillaume le
1er septembre Conquérant sur le saxon Harold à
1870 - Combats de Bazeilles dans duc de Bourgogne. C'est une Hastings.
16 septembre
les Ardennes. effroyable humiliation pour la
1799- Naissance de l'explorateur
français René Caillié. Traversant le monarchie française. 16 octobre
3 septembre Sahara, il atteint Tombouctou en 1925 - Traités de Locarno destinés à
1819 - Parry atteint la pointe de l'île 1828 et publie son Journal d'un 5 octobre garantir la paix en Europe en
Melville (110° de longitude ouest) voyageur en 1830. Il mourra en 1838. 1795 - L'insurrection royaliste du maintenant le statu quo de Versailles
découvrant ainsi 1' essentiel du passage 13 vendémiaire an III, à Paris, est tout en prévoyant une procédure de
du Nord-Ouest qui relie 1' océan écrasée par le général Bonaparte. règlements pacifiques des
1 7 septembre contestations entre États européens.
glacial Arctique à la mer de Baffin.
1394 - Charles VI signe un décret de Ses artisans ont été Mussolini et
<< bannissement perpétuel >> des Juifs 1'Angleterre.
5 septembre du royaume de France.
1847- Naissance, dans le Missouri,
de lesse James, futur guérillero 19 octobre
sudiste et bandit célèbre.
18 septembre 1944 - Début de la grande
96·- Mort à Rome de l'empereur offensive soviétique en Prusse
Domitien, âgé de 45 ans. Second fils orientale. Au cours de la débâcle,
6 septembre
de Vespasien, il était le successeur de plus de deux millions de civils,
1566 - Mort au combat de Soliman Titus.
le magnifique, durant le siège de la Allemands de l'Est vont périr,
forteresse de Szeged, en Hongrie. tandis que douze autres millions
20 septembre parviennent à se réfugier
1703 - Victoire française de à l'Ouest.
Hoechstaedt. Villars et ses troupes
bavaroises battent les Impériaux mais 21 octobre
ne peuvent mener à bien le plan de 1833- Naissance à Stockholm du
marche sur Vienne. chimiste Alfred Nobel, fondateur des
Louis-Philippe. prix portant son nom.
21 septembre
1792- Entrée en vigueur du 6 octobre 25 octobre
calendrier révolutionnaire. 1773- Naissance au Palais-Royal de 1555- A Bruxelles, devant une
Paris du futur roi Louis-Philippe, fils assistance stupéfaite, Charles Quint
25 septembre de Philippe, duc d'Orléans (le annonce qu'il renonce à tous ses
1506- Mort à Bruges de Philippe le Philippe-Égalité de la Révolution) et pouvoirs impériaux et royaux.
Beau. Son fils Charles, duc de de Marie-Adélaïde de Bourbon, fille A son frère, Ferdinand, il confie
Bourgogne, le futur Charles Quint, du duc de Penthièvre et arrière- l'empire. A son fils, Philippe Il,
est alors proclamé roi de Castille et petite-fille de Louis XIV. il donne la couronne d'Espagne,
d'Aragon, conjointement avec sa dans laquelle il inclut les Flandres.
mère, Jeanne la Folle, à l'issue d'une 7 octobre
Frédéric Mistral. sorte de coup d'État de son conseiller 1337 - Le roi de France Philippe de 28 octobre
Guillaume de Croy. Le cardinal Valois décide de rattacher le duché 1533 - Mariage à Marseille
Cisneros, régent, s'inclinera. de Guyenne à la couronne. En du futur Henri II et de Catherine
8 septembre de Médicis, célébré par le pape
1830- Naissance à Maillane, dans le réponse, Édouard III prend le titre de
2 7 septembre roi de France. C'est le début de la Clément VII, oncle de la jeune fille.
Vaucluse, de Frédéric Mistral, écrivain
français d'expression provençale. Il 1795 - Le Directoire remplace la guerre de Cent Ans.
termine en 1878 le Trésor dou Convention. 29 octobre
Felibrige, un dictionnaire des parlers 11 octobre 1923- A Ankara, proclamation
d'oc, comportant 80 000 mots. Auteur 29 septembre 1973- Le prix Nobel de médecine et de la République turque et
de Mireille en 1859, il reçoit le prix de physiologie est décerné à élection de Mustapha Kemal à la
Saint-Michel. Fête des vendanges, de
Nobel de littérature en 1904. l' éthologiste autrichien Konrad présidence.
la moisson et des parachutistes.
Lorenz.
10 septembre 31 octobre
12 octobre 1517- Sur la porte de la chapelle du
1419- Jean sans Peur, duc de
Bourgogne est assassiné au cours Oetobre 355 - Âgé de 23 ans, le futur château de Wittemberg, Luther
d'un rencontre à Montereau avec le empereur Julien devient César des placarde ses 95 thèses (contre le
dauphin, futur Charles VII. Gaules. trafic des indulgences).

14 septembre 3 octobre 13 octobre Pal!<' •·c·ali~c:f' pm·


1791- Avignon et le comtat 1486- Louis XI est arrêté à Péronne 1837 - Prise de Constantine par le VIHGii\IE TAJ\LAY
Venaissin sont réunis à la France. par son vassal, Charles le Téméraire, général Vallée après de très durs
ÉDITORI

Une époque mystérieuse


qui furent minutieusement épluchés

D
ans la soirée glaciale du
27 janvier 1945, la cour de en Haute Cour après 1944, il fut
justice de Lyon rendit son ver- impossible de découvrir un seul cas
dict contre Charles Maurras, soixante- d'enrichissement crapuleux. D'évi-
seize ans. L'écrivain, qui avait été l'un dence, cette époque n'est pas la
des plus influents de son temps, se vit nôtre. Et les politiciens d'aujour-
condamner à la réclusion perpétuelle d'hui, dont on connaît la vertu légen-
et à la dégradation nationale pour daire ainsi que Je dévouement désin-
« intelligence avec l'ennemi ». Il y téressé, ont certainement de bonnes
avait là, pour le moins, une improprié- raisons de fustiger l'amoralité de
té de termes. Si quelqu'un n'avait leurs prédécesseurs sur des sujets
jamais eu d'« intelligence » avec étrangers aux prévarications.
l'Allemagne, c'était bien Charles Qu'il y eut des aspects ignobles
Maurras. Lutter contre le germanisme ou méprisables dans la Collaboration,
avait été l'un des buts de sa vie. Et on ne saurait en douter. Par disposi-
voilà que cette vie se finissait sur une tion de caractère, je préfère, pour ma
condamnation qui était la négation de part, la résistance à la résignation. Je
son principe même. Le fait attire m'en suis longuement expliqué
l'attention sur la difficulté que l'on ailleurs. Il y eut dans la France vain-
rencontre à cerner la Collaboration. cue une détestable pesanteur rési-
En 1945, un collaborateur était gnée. A bien regarder, elle est
donné comme un traître. Avec un peu d'ailleurs sensible longtemps avant
de recul, on s'étonne évidemment de 1940. Pour une part, la Collaboration
rencontrer autant de traîtres chez des fut un reflet de cette résignation. Pour
hommes pour qui, de Pétain à Dar- une part seulement. Ni Laval, ni Déat,
Jacques Benoist-Méchin, figure énigmatique et lucide
nand, la patrie était tout, et qui avaient de la collaboration politique. ni Drieu, ni Doriot n'étaient des rési-
été d'héroïques combattants dans la gnés. Leur collaboration fut volonta-
guerre face aux Allemands. riste, trop même au gré de ses adver-
Surprenant, aussi, qu'il se soit trouvé tant de« traîtres» parmi saires. Elle était le fait de politiques, d'intellectuels ou de mili-
les plus talentueux écrivains de l'époque. En 1944, le CNE tants de toutes origines, qui croyaient en un avenir différent pour
(Comité national des écrivains), organisme d'épuration des lettres la France et pour l'Europe. A leur façon, ils furent peut-être les
françaises, décida d'interdire de publication cent cinquante-huit derniers révolutionnaires français. Qu'ils se soient trompés dans
romanciers, poètes et dramaturges, parmi lesquels Giono, Céline, leurs espérances, c'est évident. Le plus lucide d'entre eux,
Montherlant, Chardonne, Guitry, Morand, Jouhandeau, Benoit, Jacques Benoist-Méchin, l'a dit avec autant d'orgueil que
Brasillach et Drieu La Rochelle. Autant dire que, si 1' on s'en d'amertume dans ses souvenirs. (1)
tenait à cette liste de proscription, il ne resterait plus grand-chose Et pourtant, ces énigmatiques vaincus ne sont pas pour rien
de la littérature française des années 1920-1960. dans la fascination qu'exerce l'époque. Au fil du curieux livre
Certes, aujourd'hui, le prisme s'est modifié. On ne parle plus qu'il a consacré à son ami Lucien Combelle, dont tout aurait dû
de trahison mais d'antisémitisme. La mode a sa part dans cet ana- le séparer, Pierre Assouline dit ce que fut pour lui la découverte
chronisme. A l'époque, hormis les victimes, quelques obsédés ou de l'histoire de Vichy : « La densité et l'intensité des années
des mercenaires, la question juive n'était prioritaire ni dans l' opi- d'Occupation me frappèrent plus que tout. Puis l'idée selon
nion publique ni même dans les rangs incertains et contradic- laquelle c'était une des rares périodes qui permettaient à chacun
toires des diverses collaborations. de transformer sa vie en destin. » (2)
La morale trouve son compte, dit-on, dans l'interminable pro- DOMINIQUE VENNER
cès instruit maintenant contre le passé. Peut-être. Encore ne fau- (1) Jacques Benoist-Méchin, De la défaite au désastre, 2 volumes.
drait-il pas que la morale devienne l'alibi de la corruption. Sur les Albin Michel, 1984-1985.
108 dossiers d'anciens ministres et hauts fonctionnaires de Vichy (2) Pierre Assouline, Le fleuve Combelle. Calmann-Lévy, 1997.

Il
ENTRETIEN AVEC MAURICE PAPON

Une nouvelle
affaire Dreyfus ?
Le 8 octobre, s'ouvre devant les assises le procès de Maurice Papon pour« complicité de crimes contre
l'humanité». L'ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde est accusé d'avoir apporté son
concours à l'arrestation, entre juin 1942 et août 1944, de 1 560 personnes d'origine juive.
Tous les commentateurs ont souligné le caractère politique de ce procès dont les initiateurs voudraient qu'il
soit celui de Vichy et peut-être de la France. Que pense l'intéressé des accusations portées contre lui et des
conditions dans lesquelles fut conduite la très longue procédure qui, seize ans après avoir été ouverte,
aboutit enfin? C'est ce que nous lui avons demandé. Malgré ses 87 ans, Maurice Papon n'a rien perdu de
sa vigueur intellectuelle. Il se refuse à parler de ses tourments, mais ses proches estiment
que les seize années qu'il vient de vivre et le lynchage médiatique dont il est l'objet
constituent l'une des pires épreuves qui puisse être imposée à un homme.

Enquête sur l'histoire : Quelle est l'ori- L'Humanité, M. Cardoze. Travail très sélectif, sées cette fois par des associatiOns dont
gine des accusations portées contre vous ? comme ces gens savent le faire. Ce livre M' Klarsfeld est le conseil sinon l'inspirateur.
Maurice Papon : Tout a commencé pen- retient par exemple un rapport allemand du 5
dant la campagne présidentielle de 1981. Entre avril 1943 où je suis défini comme « tra- ESH : Après que le parquet de Bor-
les deux tours, Le Canard enchaîné a publié vaillant bien avec la Kommandantur, rapide et deaux eut décidé d'ouvrir une enquête, on
des documents destinés à me mettre en cause sûr ». Mais il omet une seconde note de vous inculpe de « crimes contre l'humani-
dans mes fonctions de secrétaire général de la décembre 1943 qui corrige et dément la pre- té » le 19 janvier 1983.
Gironde en 1942. Cette publication opportune, mière : « Papon doit être considéré comme un MP : Auparavant, j'avais demandé à être
accusant un ministre du candidat Giscard pro-américain et ne peut permettre un travail jugé par un jury d'honneur constitué par de
d'Estaing, n'était évidemment pas innocente. commun entre lui et l'Allemagne. » hautes personnalités de la Résistance. Ce jury
s'est réuni sous la présidence de Daniel
ESH : Sur quoi se fondait Le Canard ESH : Ensuite, des plaintes ont été Mayer, président de la Ligue des droits de
enchaîné? déposées contre vous. l'homme, avec la participation d'éminents
MP : Entre autres, sur des recherches MP : Il y eut d'abord 19 plaintes avec résistants de tous bords, Marie-Madeleine
effectuées dans les archives de la Gironde par constitution de parties civiles, datées du 25 Fourcade, Jean Pierre-Bloch, Charles Verny,
un militant communiste, M. Slitinsky. Son but, avril 1982, toutes articulées selon le même le révérend père Riquet, tous décédés
disait-il, était d'identifier les complices de la modèle. Puis, le 8 mars 1984, 17 nouvelles aujourd'hui. Le 15 décembre 1981, ce jury me
déportation, dont lui-même avait failli être plaintes suscitées par l'organisation de M' reconnut la qualité de résistant, notamment
victime. Il en fit un livre publié sous sa signa- Klarsfeld, toujours sur le même modèle. Enfin, pour avoir appartenu dès janvier 1943 au
ture, mais rédigé par un journaliste de en 1990, un nouveau train de plaintes dépo- réseau Jade-Amicol. Il prit acte de mes initia-

Il
ENTRETIEN AVEC MAURICE PAPO

QUI EST
MAURICE PAPON ?
Maurice Papon est né le 3 septembre
1910. Entré au ministère de l'Intérieur, en
1935, il fut attaché au cabinet de plusieurs
ministres de la Ill' République. Mobilisé en
1939, il reçut le baptême du feu lors des
combats de la pointe de Graves en 1944. Il
poursuit sa carrière administrative après
l'armistice, étant nommé secrétaire général
de la préfecture de la Gironde le 1" juin 1941,
sous les ordres du préfet Sabatier connu
pour sa fermeté face aux occupants. En
raison de sa participation à la Résistance
(réseau Jade-Amicol et réseau Marco-
Kléber), Maurice Papon est délégué dans les
fonctions de préfet des Landes en août 1944
Maurice Papon, alors ministre du Budget, en conversation avec Raymond Barre, Premier ministre, à par le grand résistant et commissaire de la
leur sortie de l'Élysée après le Conseil du JO septembre 1980. République à Bordeaux, Gaston Cusin.
Préfet de la Corse en 1947, préfet de
tives personnelles pour sauver des Juifs et piège tendu par mon adversaire était à la fois Constantine en 1949, il revient dans l'est
pour aider des aviateurs alliés. Il considérait grossier et dérisoire. Manifester de « véri- algérien en 1956 comme inspecteur général
enfin que des poursuites pour crimes contre tables regrets », cela revenait à m'accuser. Et en mission extraordinaire. Nommé préfet de
l'humanité étaient parfaitement injustifiées. comment pourrait-on s'exonérer par des police à Paris en 1958, peu avant le retour
excuses d'un crime contre l'humanité ? N'est- du général de Gaulle au pouvoir, il est
ESH : Après votre inculpation vous ce pas la preuve que les accusations portées maintenu par ce dernier dans cette fonction
avez encore reçu le soutien officiel de contre moi sont dérisoires puisqu'au dire de particulièrement sensible jusqu'en 1967.
grands résistants. mon principal accusateur elles relèveraient de Nommé alors PDG de Sud-Aviation, il est
MP : A l'initiative d' importantes person- simples excuses ? Au demeurant, M' Klarsfeld peu après élu député gaulliste (UDR) du
nalités de la Résistance s'est constitué un n'est que l'agent d'exécution d' une vaste et Cher en 1968, 1973 et 1978.11 devient
comité pour ma défense, appelé « Résistance- puissante configuration. trésorier national du mouvement gaulliste en
Vérité-Souvenirs ». Sous son égide, Maurice 1969, sous la présidence de Georges
Bourgès-Maunoury (compagnon de la Libéra- ESH : Il a fallu seize ans pour que la pro- Pompidou. Raymond Barre fait de lui son
tion), Jacques Soustelle, Gaston Cusin, cédure déclenchée en 1981 aboutisse. Comme ministre du Budget de 1978 à 1981, sous la
Charles Verny, ont été reçus le 13 juillet 1988 expliquez-vous cette extrême lenteur? présidence de Valéry Giscard d'Estaing. Un
par le président Mitterrand. Dans le rapport MP: Je n'ai pas cessé de m'élever contre parcours sans faute jusqu'à la publication
établi par ces personnalités après l'audience les lenteurs de la procédure. J'ai même écrit au par Le Canard enchaîné, entre les deux
on peut lire que « l'affaire a paru au président président de la République à ce sujet en tours des élections présidentielles de 1981,
comme un règlement de compte politique, octobre 1991. de plusieurs documents qui mettent en
méthode qu 'il condamne, car il est bien sur- Aujourd'hui, avec un regard rétrospectif, il cause son action en 1942-1944.
prenant que l'on ait mis plus de quarante ans rn' apparaît que certains incidents de procédure
à découvrir la prétendue culpabilité d'un n'ont sans doute pas été fortuits. A deux
homme ayant occupé depuis toutes ces années reprises, la procédure d'instruction, qui ne défense, notamment le rapport d'expertise qui
les diverses fonctions administratives ou élec- donnait pas satisfaction à l'accusation, s'est confondait mes détracteurs.
tives qui ont été les siennes ». trouvée annulée ou entravée. Après quoi on a
trouvé un troisième magistrat instructeur, dont ESH : En quoi consistait ce rapport
ESH : Dans Le Figaro du 3 décembre mes détracteurs ont tout lieu d'être satisfaits. d'expertise ?
1990, M' Klarsfeld, partie civile au nom des C'est ainsi qu'il a fondé la complicité notam- MP : Le magistrat instructeur avait prescrit
familles de victimes, déclarait : « Si Maurice ment sur le fait d'avoir obtenu des wagons de à trois spécialistes impartiaux de l'histoire
Papon avait accepté une forme de culpabilité, voyageurs à la place de wagons de marchan- administrative et du régime de Vichy d'effec-
même s'il avait précisé ne pas se douter de fil dises pour transporter ces malheureux. tuer une expertise détaillée permettant d'établir
solution finale, du moment qu'il aurait mani- mon rôle supposé dans la déportation des Juifs
festé de véritables regrets, je ne me serais pas ESH : Pouvez-vous préciser comment de Bordeaux. Il résultait de cette expertise que
associé à l'action entreprise contre lui. Mais il l'instruction s'est trouvée annulée? je n'avais à l'époque des faits aucun pouvoir
a toujours opposé fil meilleur bonne conscien- MP : Grâce à un vice de forme providen- sur la police, ce qui conduisait à ma mise hors
ce. » Que pensez-vous de cette déclaration ? tiel, toute l'instruction honnêtement conduite de cause (1 ). Elle établissait au surplus une
MP : M' Klarsfeld a raison sur un point. pendant les quatre premières années a été liste non exhaustive de 139 Juifs radiés des
J'ai en effet bonne conscience, parce que j'ai annulée le 11 février 1987, ce qui a entraîné la registres à mes risques et périls. Parmi les Juifs
conscience d'être innocent. Quant au reste, le purgation de toutes les pièces favorables à ma nommément désignés, libérés par mes soins
IEN AVEC MAURICE PAPON

POLICES ALLEMANDES ET POLICES FRANÇAISES


Après l'effondrement des armées françaises, contacts avec les autorités allemandes. Au sein
un armistice est signé le 21 juin 1940 entre le de cet ensemble, une institution se trouve
Reich et la France. rapidement en première ligne : la police.
Depuis le 16 juin le maréchal Pétain s'est vu Attribut par essence de la souveraineté de
légalement confier la direction du gouvernement l'État, garante du maintien de l'ordre et de la
par le président de la République. L'Assemblée protection de la paix publique, la police devient
nationale réunie en séance extraordinaire à un enjeu capital entre la puissance occupante et
Vichy le 10 juillet 1940 lui accordera les pleins le gouvernement de Vichy. Pour celui-ci, elle est
pouvoirs par 569 voix contre 80 et 17 le signe visible de son existence, d'où un soin
abstentions. extrême à en défendre l'intégrité ; pour celle-là,
Les Allemands étendent leur emprise sur la elle est un instrument suspect qui peut entraver
moitié nord de la France ne laissant à la l'action des forces allemandes.
disposition du nouveau gouvernement qu'un En juillet 1941, la police échoit à Pierre
territoire métropolitain restreint qualifié de Pucheu nommé secrétaire d'État à l'Intérieur,
« zone libre ., avec Vichy pour capitale dans le gouvernement Darlan.
provisoire. A ce territoire s'ajoute cependant Le nouveau ministre, qui n'a aucune
l'Afrique du Nord française (Tunisie, Algérie, sympathie pour les Allemands, va très vite se
Maroc) et les colonies d'Afrique noire, ainsi que Chef suprême de la SS et de la police alle- trouver confronté aux exigences de l'occupant :
l'Indochine. mande en France, de juin 1942 à août 1944, le les premiers attentats contre les officiers
Coupé en deux par une ligne de démarcation, général SS Karl Oberg (1897-1965) porte les plus allemands provoquent par réaction des prises
véritable frontière étanche entre le nord et le lourdes responsabilités dans l'exécution d'otages, d'otage et l'arrestation de nombreux Juifs à
sud, le pays a été en partie démembré. Les la répression contre les résistants, les rafles de Paris.
Juifs, notamment celle du Vél' d'Hiv', les 16 et Contraint par l'évolution de la situation,
départements qui forment l'Alsace et une partie
17 juillet 1942. A"êté en 1945, condamné à mort Pucheu va devoir développer la répression.
de la Lorraine ont été annexés au Reich. Ceux du
le 20 septembre 1954 par le tribunal militaire de
Nord et du Pas-de-Calais dépendent du Le 18 avri11942, Darlan et son équipe quittent
Paris, il bénéficia d'une grâce présidentielle le JO
commandement militaire allemand établi en avril1958, sa peine étant commuée en détention le pouvoir, Laval prend les commandes de l'État.
Belgique. Sur le reste de la zone occupée, les perpétuelle. Dans un but d'apaisement, il fut li conserve personnellement le portefeuille de
pouvoirs les plus larges ont été dévolus au définitivement gracié et libéré par le général de l'Intérieur. Mais un jeune préfet de 33 ans, René
Militiirbefehlshaber in Frankreich (MBF), le Gaulle le 20 novembre 1962. Bousquet, l'assiste dans ses fonctions de chef
général Otto von Stupnagel (d'octobre 1940 à de la police. Administrateur-né, doué d'un grand
février 1942), dont l'état-major et les services Le schéma d'organisation des services de sens de la chose publique, Bousquet est habité
exercent leurs attributions militaires mais aussi police locaux reproduit l'organigramme de par une pensée : conserver la maîtrise totale de
les questions d'administration et de police. l'Office central de sécurité du Reich (RSHA) dont l'appareil policier.
Celles-ci sont d'abord confiées à la la section IV constitue l'administration centrale Soucieux de mieux contrôler les forces
Feldgendarmerie en uniforme et la Geheime de la Gestapo. placées sous son autorité, il fait disparaître la
Feldpolizei dépendant des kommandanturs Quels sont ses interlocuteurs, côté français ? Police aux questions juives qu'avait créé Pucheu
locales. Depuis les travaux de,Robert Paxton et de et s'assure ainsi, par l'intermédiaire des préfets
Simultanément, sur ordre de Heydrich, chef François-Georges Dreyfus, on sait que les régionaux et des intendants de police,
du RSHA, Office central de sécurité du Reich efforts des responsables qui se sont succédé l'application directe, dans sa composante
(Reichsicherheitshauptamt), et de Himmler, son aux commandes de l'État français ont tendu à pénale, de la législation sur les Juifs.
supérieur, un groupe d'officiers SS dirigés par obtenir de l'occupant, moyennant une A l'issue de tractations assez complexes,
Helmut Knochen s'installe à Paris dès le 14 juin collaboration en apparence loyale et totale, des conduites sous l'égide de Laval, il obtient un
1940 et commence, presque clandestinement, un contreparties juridiques et matérielles modus vivendi avec la police allemande le 4
travail de renseignement. De nouvelles équipes permettant d'adoucir la dure loi de la guerre qui juillet 1942. Ce sont les accords Oberg·
arrivées d'Allemagne viennent renforcer ce livre le vaincu au bon vouloir du vainqueur. Ce Bousquet. Les Allemands - qui y trouveront
dispositif. Knochen prend les mesures fut souvent un jeu de dupes. bientôt des avantages - renonceront à certaines
nécessaires en vue d'étendre ses pouvoirs sur la Jusqu'en novembre 1942, il existe cependant de leurs prérogatives. En compensation, Vichy
province. une zone libre dans laquelle tournent les s'engage à lutter sans faiblesse contre ceux qui
Un tournant décisif pour l'organisation de la mécanismes d'un État diminué, mais actif. Le menacent la paix française et la tranquillité des
police allemande en France est marqué en mai tissu administratif couvre en fait la totalité du armées du Reich. Le maintien de l'autonomie
1942 par l'installation, en présence de Heydrich, territoire. Mais un ministre venant de Vichy a les des forces françaises de police a donc été
du général SS Oberg chargé de diriger et de plus grandes peines à franchir la ligne de obtenu. Mais le prix à payer est une
coordonner l'action des différents services des démarcation pour aller contrôler ce qui se passe collaboration dont les limites font l'objet de
SS et du SIPO.SD, dont les effectifs ont été en zone occupée. Pour cette raison, chaque dures négociations. Ayant perdu la confiance
grossis de ceux de la plupart des détachements membre du gouvernement a un délégué à Paris des Allemands, Bousquet est révoqué le 31
de la Geheime Feldpolizei placés jusqu'alors relayant son action sur les services dépendant décembre 1943, arrêté et déporté.
sous commandement militaire. de son domaine, assurant la permanence des FRANÇOIS MAJOR
ENTRETIEN AVEC MAURICE PAPO

SOUVENIRS D'UN DES FLICS


PRÉFET DE POLICE EN COLLABORATION
Début 1988, paraissait sous le titre Les [A la prison de Fresnes, au temps de
chevaux du pouvoir, un livre signé Maurice l'épuration, Lucien Combelle côtoie tous les
Papon et sous-titré Le Préfet de police du milieux du pétainisme et de la Collaboration.
général de Gaulle ouvre ses dossiers, 1958- Parmi ces hommes, un certain nombre de
1967(1). policiers. Il recueille le plaidoyer de l'un
Avant d'être nommé préfet de police de d'entre eux, commissaire aux RG.] " Depuis
Paris en mars 1968 grâce au ministre de vingt ans, je suis aux Renseignements
l'Intérieur de l'époque, Maurice Bourgès· généraux, j'ai été un serviteur loyal de la Ill'
Maunoury (résistant indiscutable, on le sait), République et ma mission était de surveiller,
Papon avait exercé de hautes fonctions de ficher tous les adversaires du régime, de
administratives au ministère de l'Intérieur l'Action française au parti communiste; je
d'abord, puis en Corse et à Constantine n'ai favorisé personne et j'ai obéi aux ordres
comme préfet IGAME (inspecteur général de de tous les gouvernements. Léon Daudet
l'administration en mission extraordinaire), était pour moi sur le même plan que Paul
entre 1956 et 1958. Maurice Papon sur le plateau de télévision de
Vaillant-Couturier. Même surveillance, même
Le voilà donc à Paris où, dans une Paul Amar, le 28 janvier 1997.
procédé d'information, avec les femmes
fonction ô combien sensible, il va connaître surtout, précieuses auxiliaires. En 1940, la
la fin de la IV' République et les débuts de la des mains allemandes, figurait Alice Slitinsky,
légalité a changé de maître, je n'avais pas à
v•, avec en toile de fond le drame algérien sœur de mon principal accusateur !
changer de métier, que je sache ? On a vu
qui occupe la plus grande partie de
des coups d'État ou des changements de
l'ouvrage : lutte contre le terrorisme FLN, ESH : Qui étaient les experts ?
régime plus radicaux que celui-là, on épurait
contre la subversion OAS et contre le parti MP : M. Roger Bellion, préfet honoraire,
les ci-devants, on fusillait des meneurs ou
communiste, alors très puissant en région président du Groupe d'histoire du corps préfecto-
emprisonnait des journalistes, mais on
parisienne. Sur ces trois sujets Maurice ral. M. Jacques Delarue, commissaire division- conservait à leurs postes les fonctionnaires
Papon donne d'abondantes précisions. Il naire honoraire, membre du groupe d'études de de mon espèce ! Un État, quel que soit son
applique les consignes de De Gaulle " tenir la collaboration au Comité d'histoire de la nom, a besoin de serviteurs fidèles et ses
Paris en toutes circonstances » et " force Deuxième Guerre mondiale (Institut d'histoire serviteurs les plus fidèles sont ceux qui,
doit rester à ta toi "• même s'il éprouve des du temps présent). M. André Gouron, doyen n'obéissant à aucune faction, ne
problèmes de conscience dans la lutte honoraire de la faculté de droit de Montpellier. reconnaissent que l'autorité du chef de
contre les réseaux de l'Algérie française.
gouvernement. Oui, vingt ans pendant
Plusieurs événements d~amatiques ont
ESH : Vous avez évoqué un second inci- lesquels j'ai été le policier politique de
marqué cette époque, notamment la
dent de procédure. M. Tardieu comme de M. Blum, celui de
répression de la manifestation FLN du 17
MP: Le 4 août 1987, la chambre d'accu- M. Herriot comme celui de M. Laval. Succède
octobre 1961 et celle de Charonne le 8
février 1962. Le préfet défend son action et sation de Bordeaux a désigné le conseiller à ces messieurs le maréchal Pétain et je
celle des 30 000 hommes dont il disposait François Braud pour reprendre complètement continue, puisque c'est dans la continuité
pour tenir la rue. A juste titre, il rappelle le l'instruction. Celle-ci a été conduite scrupuleu- même que réside l'utilité d'un métier comme
bilan meurtrier du terrorisme FLN contre la sement. Trop sans doute. Deux ans plus tard, le mien. Et les ordres, en 1940, continuent
police parisienne et souligne que de Gaulle le 31 décembre 1989, alors qu'il était sur le ceux de 1939: répression anticommuniste.
ne pouvait tolérer d'être bafoué dans sa point de clore son dossier, ce magistrat a fait Car cela remonte à M. Daladier. Donc, rien
propre capitale, alors qu'il était engagé dans l'objet d'une promotion soudaine. Nommé n'est changé, les instructions sont les
des négociations avec le GPRA. Ordre fut président du tribunal de grande instance de mêmes puisque l'illégalité est la même ! Et
donc donné de casser la manifestation, fut· Poitiers, il s'est trouvé dessaisi. pour avoir servi l'État comme on doit le
ce au prix de lourdes bavures. Le bilan exact servir, me voici parmi vous, vous qui figuriez
des morts ne put jamais être établi, mais le ESH: Que s'est-il alors passé? sur nos contrôles comme ennemis de l'ordre
FLN ne rompit pas les pourparlers. MP: Un nouveau juge d'instruction a été républicain, parmi vous, bagnard à
Quant à Charonne, si Papon déplore le perpétuité ! Certains de mes collègues,
désigné, qui a donné pleine satisfaction à
sort tragique des manifestants écrasés ou moins heureux, ont été fusillés ... Que fais-je
l'accusation. L'instruction a été reprise, mais
étouffés par une brutale charge de police ici, parmi des idéologues dénationalisés,
cette fois avec une partialité évidente. Tout en
contre les grilles (fermées) du métro, il en des mercenaires et des clients de la
minimisant les éléments favorables à ma
rejette la responsabilité sur le parti Mondaine qui n'ont été bien souvent que des
défense, cette instruction s'est employée à
communiste qui, se sentant débordé sur sa espions ? Je souhaite au nouveau régime
multiplier de façon perverse les arguties falla-
gauche (porteurs de valises, etc.), avait des fonctionnaires aussi fidèles que moi. Ce
cieuses destinées à me charger. Au surplus, a qui m'est arrivé servira de leçon désormais
multiplié les manifestations de rue où des
commandos mobiles et entraînés été évincé de la procédure par la chancellerie aux collègues trop zélés ! ,.
harcelaient les forces de l'ordre. un magistrat qui concluait au non-lieu ! LUCIEN COMBELLE
J.·P.A. Prisons de l'espérance.
(1) Plon. Paris, 1988. ESH : Après quoi, le 18 septembre 1996 Éditions ETL, Paris, 1952.
la chambre d'accusation de Bordeaux a
IEN AVEC MAURICE PAPON

"'0
MAURICE PAPON
À BORDEAUX
moi pour régler leurs comptes. Les commu-
Dans la région de Bordeaux, l'autorité nistes avec l'ancien préfet de police du général
administrative locale, incarnée à l'époque de Gaulle. Les lobbies gauchistes de la presse
par le préfet Sabatier, ne s'est pas pliée de et de la magistrature avec un homme qui
bonne grâce aux directives reçues représente tout ce qu'ils haïssent. Le groupe de
concernant les arrestations de Juifs pression international qui a décidé, à travers
étrangers et a fait ce qu'elle a pu pour
moi, d'impliquer la France dans le génocide.
contrecarrer ou retarder la mise en œuvre de
Enfin, au sommet de l'État, on se félicite d'éli-
ce processus.
miner l'ancien trésorier national de l'UDR,
Maurice Papon, qui servait alors, en rang
dans l'espoir d'assurer un silence rédempteur.
subordonné, comme simple secrétaire
général pour le seul département de la
Gironde, n'est à aucun moment intervenu ESH : Quel est le but poursuivi par vos
dans la préparation et le déclenchement des adversaires ?
opérations d'arrestation et d'internement. 11 MP : Sur le personnage que j'étais, on
n'avait d'ailleurs aucun pouvoir en ce s'efforce de greffer le procès d'une adminis-
domaine, la police étant placée sous tration et de la France elle-même. On veut
l'autorité directe du préfet régional. impliquer le pays comme coauteur du génoci-
En revanche, ses interventions de. On veut mettre dans la tête des Français
Toute la complexité d'une époque résumée par
personnelles ou aux côtés du préfet Sabatier d'aujourd'hui qui n'ont pas vécu cette époque
une photo. En 1942, François Mitte"and était un
pour adoucir le sort des victimes ou tenter fervent admirateur du maréchal Pétain et même de que leurs parents ou grands-parents ont été des
d'arracher certaines d'entre elles à la police Pie"e Laval. On sait qu'ilfut décoré à l'époque de collaborateurs. Je suis la victime désignée de
allemande sont avérées. Répondant à la l'ordre vichyssois de la Francisque, alors même cette machination illustrant les déclarations
demande du Grand rabbin Cohen, il a qu'il songeait à rejoindre la Résistance. La photo imprudentes faites officiellement sur les res-
notamment confié à la gendarmerie ci-dessus fut prise à l'Élysée le 11 octobre 1983. Le ponsabilités françaises.
française (estimant qu'elle serait moins président de la République décorait de la Légion
brutale que la soldatesque teutonne) le soin d'honneur son ami Jean-Paul Martin qui était en ESH : Comment conduirez-vous votre
d'escorter les personnes arrêtées et s'est 1943 directeur de cabinet d'Henri Cado, directeur défense?
soucié de les faire voyager dans des général de la Police nationale, et à ce titre collabo-
MP : Puisqu'il s'agit d'un procès poli-
conditions décentes. Il est prouvé qu'il a rateur direct de René Bousquet, lui-mêm: ami per-
tique, les jeux sont faits d'avance. Mais je ne
déployé ses efforts pour réduire l'ampleur sonnel de François Mitte"and ...
me prêterai pas passivement à ces entreprises
des arrestations (pour l'opération du 19 déshonorantes qui rappellent la triste aventure
octobre 1942, quarante personnes arrêtées
rendu un arrêt de renvoi, bientôt confirmé
et même aggravé par un arrêt de la du capitaine Dreyfus. Je ne tergiverserai pas, à
au lieu des quatre cents prévues). Cette
chambre criminelle de la Cour de cassation, l'exemple de Cicéron, pour attendre d'être
action, conjuguée à la politique de radiation
en date du 23 janvier dernier, qui rejetait égorgé par les sbires de Marc-Antoine ! (2). Je
de nombreux Juifs des listes où ils auraient
votre pourvoi. n'ai aucune confiance en notre triste époque.
pu figurer, a permis de sauver quantité de
MP : Ce dernier arrêt, basé sur des faits Des historiens, plus tard, rétabliront la vérité.
vies humaines comme l'ont reconnu les
experts et les membres du jury d'honneur. falsifiés par la chambre d'accusation de Bor- PROPOS RECUEILLIS PAR
Des résistants aussi incontestables que MM. deaux, a été rendu contre la jurisprudence de la DOMINIQUE VENNER
Jousselin de Saint-Hilaire, Maisonneuve, Cour de cassation elle-même. Ce qui souligne ET ÉRIC VATRÉ
Samuel Roger Bloch (ce dernier hébergé par le caractère politique de ce procès scandaleux.
Maurice Papon en novembre 1943) s'y sont ( 1) Sept ans après avoir annulé le rapport
si peu trompés qu'ils ont constamment d'expertise, la chambre d'accusation a décidé, le 3
ESH : En quoi est-ce un procès politique ?
apporté les témoignages les plus élogieux mai 1994, de le réintégrer dans la procédure, sans
MP : L'arrêt de la Cour de cassation me que le magistrat-instructeur en tienne le moindre
sur sa conduite à l'époque. déclare coupable avant même que je ne sois compte.
Soutien actif des membres du réseau jugé. En droit français un inculpé reste présu- (2) Orateur, homme politique et avocat romain,
Marco-Kieber, affilié auparavant au réseau ment innocent, même si aux yeux de l'opinion Cicéron (- 106 à- 43) se rendit célèbre par l'énergie
Jade·Amicol, considéré en 1943 par les il apparaît comme un quasi coupable, ce que qu'il déploya contre la conjuration de Catilina
Allemands comme un agent pro-américain, (- 63). Durant la guerre civile qui opposa Pompée à
ne cesse de répéter le chœur vociférant de mes
Maurice Papon a été récompensé des César, il se rangea au côté du premier contre le
accusateurs. Il est nouveau que la Cour de cas-
services rendus par son élévation au rang second. Devenu le chef du parti sénatorial après
sation, contre toute règle de droit, se prête à la
de préfet. C'est avec cette qualité que l'assassinat de César, il soutint Octave contre Marc-
diffamation d'un innocent. C'est comme cela
Gaston Cusin, commissaire de la Antoine qui le fit tuer par ses soldats. On sait que
République dépêché à Bordeaux, lui a confié
que se prépare un procès de type stalinien.
Marc-Antoine, personnage doué de séduction dans
la direction de son cabinet. En considération sa jeunesse, mais vaniteux, hâbleur et perdu
du rôle bénéfique joué par lui en ces temps ESH : Pourquoi vous aurait-on choisi d'ambition, se laissa corrompre par Cléopâtre qui le
difficiles, il a reçu des mains de Jules Moch, comme bouc-émissaire ou victime expiatoire ? détourna de l'idée romaine. Vaincu à Actium par
la croix de chevalier de la Légion d'honneur. MP : Je constate que plusieurs groupes Octave en - 31 , abandonné des siens, il se donna la
d'intérêts politiques se trouvent ligués contre mort i' année suivante.

Il
LES VAINQUEURS vus PAR LES VAINCUS

Ils sont entrés dans Paris ...


PAR JEAN MABIRE

On se souvenait des Prussiens à


casques à pointe. On vit arriver
des jeunes types sportifs et bron-
zés. Quel choc ! Les Martiens
entraient dans Paris. Description
sous la plume des témoins.

L
e temps passé transforme le souvenir
en légende. Si l'on veut comprendre
les premières réactions des Français
devant l'occupation, il faut lire quelques-uns
des livres qui furent écrits à chaud, dans
l'incendie de la défaite, ou même plus tard,
quand restait encore cuisant le souvenir de ce
terrible coup de soleil de juin 1940.
Henri de Montherlant (ancien combattant
de la Grande Guerre) publie le Solstice de juin
en 1941 . Dans une réédition ultérieure, il sup-
primera les passages les plus brutaux. Dom-
mage.
Son texte, à l'époque, avait provoqué
quelque scandale, tant il exprimait des senti-
ments surprenants sous la plume d'un écrivain
qui se disait catholique et aussi patriote, ainsi
qu' il apparaissait encore quelques mois aupa-
ravant dans son Équinoxe de septembre, livre
très antimunichois. « J'étais parmi les troupes Succès de curiosité, le 15 juin 1940 à Saint-Ouen, dans la banlieue parisienne. Un mois plus tard,
chrétiennes et numides, et les nègres portant l'Humanité, organe communiste clandestin écrira (14 juillet 1940): «Fraternité franco-allemande : les
au poignet des "Immaculée Conception " pour conversations amicales entre travailleurs parisiens et soldats allemands se multiplient. Nous en
grigris. Longtemps j'avais eu faim de voir sommes heureux. Apprenons à nous connaître ... »
cette armée d'enface, et de savoir quelle était
sa contenance ; quels étaient ces hommes rions ces bourreaux horribles. Puis, nous les combat, alors qu'ils avaient une vingtaine
"qui nomment dieu le secret des bois" ; dont entendions... Ils débouchaient... De grands d'années, natifs qu 'ils étaient des lendemains
c'était la gloire ancienne d'avoir haï le chris- écoliers pâlots, aux jambes nues, s'avançaient d'une victoire qui avait bercé leur enfance.
tianisme, et dont maintenant c'était la mission en jouant de l'harmonica : c'étaient les enva- Le texte qui donne le plus l'impression de
de ruiner la morale bourgeoise et la morale hisseurs du royaume de Clovis. » vécu est sans doute celui de Jean Dutourd qui
ecclésiastique, depuis les rives de l'Atlantique L'impression la plus forte est sans doute écrira, en 1956, Les taxis de la Marne, alors
jusqu'aux marches de Russie. Nous les fiai- celle des soldats vaincus dans leur premier qu'à la défaite d'Indochine succédaient les
NT ENTRÉS DANS PARIS

VICTOIRE BOTTÉE POPULATIONS


a bondonnées,
Des bottes ! Que n'eussions-nous pas
fait, nous autres, avec des bottes ! Les ~· Ces vainqueurs ne sont leurs aînés que de
quelques années et la rencontre restera inou-
exclamations admiratives des minables
bliable pour ces futurs écrivains, nés en 1925,
grivetons captifs, mes collègues, devant
1926 ou 1927. Le plus« exemplaire» d'entre
chaque pièce de l'habillement prussien
résonnent encore dans mes oreilles ; eux,
eux est sans doute Jean Cau, dont Le meurtre
les grivetons, "tee leurs calots cornus, leurs
d'un enfant, paru en 1965, amorce un virage à
molletières dégoulinantes, leurs chemises
180 degrés qui en surprendra plus d'un : «Je
d'uniforme longues comme des chemises de
n'oublierai jamais le jeune tankiste SS qui
nuit, sans col, plus épaisses que de la toile à
beurrait calmement son pain du plat de la
voile, leurs culottes en gros drap puantes de lame de son poignard. Il ne nous regardait
sueur, leurs godillots fabriqués dans les même pas. Il flottait autour de lui une odeur
prisons, vraies chaussures de vagabonds, de guerre. De drap en sueur, de cuir, d'huile et
ils ressentaient leur déchéance jusqu'aux
) de graisse tiède. Et s'il nous avait offert des
tréfonds de l'âme. Les bottes des Allemands {ailes confJance poignards, des uniformes à notre taille et s'il
nous avait assis aux commandes de l'énorme
les ulcéraient. Ils y voyaient le symbole de
leur infortune ; elles représentaient
~AU SOLDAT ALLEMANDf jouet, qu'eussions-nous fait de nos cahiers et
exactement ce dont ils avaient manqué, et de nos livres ? Un feu de joie, peut-être. Mais
Affiche de propagande allemande collée au il était allemand comme est français, vingt ans
grâce à quoi les autres étaient devenus des fil de l'avance de la Wehrmacht.
vainqueurs. Pas moyen de perdre une plus tard, le parachutiste qui ne prête aucune
guerre quand on a des bottes ! Un homme attention aux enfants de ce village kabyle. Une
Né en 1922, Antoine Blondin n'a pas connu
est deux fois homme avec des bottes. fille s'est arrêtée pour regarder le SS à tête de
le sort de ses aînés de quelques mois. Il se rat-
JEAN DUTOURD mort. Il a levé les yeux, elle a baissé les siens
trapera grâce au STO qui lui fera découvrir ce
Les taxis de la Mame. Gallimard, 1956. et est partie toute droite et toute patriote. Il a
qu'il nommera L'Europe buissonnière dans son
souri en la suivant du regard. Est-ce que la
insolite roman de 1961, fournissant des mots de
fille ose penser qu'il est bien dommage et bien
passe à toute une génération qui rêvera d'entrer
« événements >' d'Algérie, qui allaient se ter- étrange que le Mal soit si beau ? »
dans la vie « à la hussarde » : « Hans condui-
miner sur une J\itre défaite : «A cette époque,
sait la machine. Helmuth occupait le side-car.
les soldats allr~;nands ne m'inspiraient nulle Ils chantaient la guerre,
Ils avaient retroussé les manches de leurs cour-
horreur ; un peu de curiosité seulement. [... ] l'amour et les jeunes filles
te vareuse verte et ouvert grand leur col. Hans,
L'équipement, la discipline, les défilés recti-
les bras écartés, pesait sur le guidon et s'amu-
lignes, les claquements de talons, les grenades sait à faire rouler ses muscles. Il portait une C'est au cours de la guerre d'Algérie que
à manche enfilées dans les bottes, la vareuse mitraillette en sautoir. Il riait et, malgré la Philippe Héduy, jeune journaliste, collabora-
courte à poches boutonnées, l'allure sportive vitesse, gobait la chaleur entre ses dents. Hel- teur de la grande presse féminine, va brusque-
des hommes nous en imposaient. Nous muth, à ses côtés, semblait aller moins vite. ment découvrir ce que Drieu La Rochelle
contemplions tout cela avec nostalgie, envie, Mais c'était comme bien on pense, un effet nommait « ce couple divin, le courage et la
moquerie, colère, chagrin. Penser que nous d'optique dû, pour une grande part, à l'attitude peur ». Dans son bouleversant récit Au lieute-
aurions pu, nous aussi, être de beaux soldats, du jeune homme. Dédaigneux des profondeurs nant des Taglaïts, paru en 1960, il revient sur
disciplinés et méchants. Car méchants, nous de la nacelle, il se tenait assis sur le rebord les images d'une autre guerre, celle qu'il n'a
l'eussions été, nous ! Nous eussions été de arrière, une jambe pendante, l'autre repliée pas faite, mais qui devait marquer au fer rouge
vrais vainqueurs, violents, cruels, foulant avec sous le menton. N'eussent été les deux grenades sa quatorzième année : « Ils étaient magni-
orgueil la terre conquise, prenant les femmes à manche fichées dans ses bottes, qu'on l'eût fiques ; ceux que j'avais alors vus défiler
et humiliant les hommes ! Ce n'est pas nous pris pour quelque écuyer romantique. [... ] Oui, devant moi, et comme pour moi... Ils chan-
qu'on aurait accusé d'être corrects![ ... ] » ainsi posé, le coude sur le genou, apparemment taient la guerre, l'amour et les jeunes filles.
Cette expérience de la rencontre de deux plongé dans un souci sublime, il incarnait au Quelques villageois les regardaient, étonnés
armées, la victorieuse et la défaite, est fort mieux ce personnage du Panzer de Rodin qui par l'allure de leurs vainqueurs, et les écou-
bien résumée par Henri-François Rey dans Le allait devenir, sous une forme ou sous une taient, stupéfaits. Ces chants étaient d'un
rachding1:e, cruel coup d'œil par-dessus autre, le parangon mythifié de l'esthétique autre monde et les chanteurs conquéraient
l'épaule : ,, Bon, j'avais vingt ans. Vingt ans européenne. » sans peine leur public... Dans la petite ville,
dans un : France agonisante, les cuisses Maintenant, ceux qui vont prendre la paro- les premiers Allemands marchaient en plein
ouvertes, ez violée à chaque seconde par les le n'ont pas connu les combats, la captivité, soleil. Ils marchaient au pas, le torse nu. Ils
robots aux yeux bleus, par les Martiens de l'errance au hasard des camps et des routes. n'avaient sur eux qu 'une mince culotte kaki,
l'Est qui rigolaient devant les fuyards à mate- Quand ils évoquent cette période où ils furent pas de casque, pas de vareuse, pas de bandes
las, les pique-niqueurs du dimanche, les stra- des « J 3 », ainsi que le proclamaient leurs molletières, rien que le short et, en bandouliè-
tèges de tous les cafés du commerce. Ah ! nos cartes d'alimentation, c'est toujours au même re mais pointée droit, la mitraillette. Nos sol-
jolis vingt ans ! La fleur au fusil. Non. La instant qu 'ils reviennent, leur premier contact dats n'avaient pas été vaincus par des blindés
plume au cul, comme un feu rouge, et les Alle- avec des soldats allemands déboulant dans une au poitrail d'acier ; suant pendant les jour-
mands tirant dessus, comme à l'exercice. » sorte d'ivresse guerrière. nées de mai et de juin sous leurs uniformes de
ILS SONT ENTRÉS DANS PARI

drap, ils avaient été bousculés par ces poi-


trines nues ».
François Nourissier, dans Une histoire
française, paru en 1965, exprime parfaitement
les impressions d'un garçon de treize ans qui
découvre l'arrivée de la Wehrmacht sur les
rivages de l'océan Atlantique. Toujours les
mêmes sentiments : surprise, gêne, envie, et
toujours la magie des corps dénudés qui
devaient tant frapper nos collégiens aux
vareuses hermétiquement boutonnées : « Les
premiers Allemands arrivés se mirent tout de
suite à poil. Hâlés comme des riches, d'un
beau ton uni, sans raccords ni brûlures. Ce fut
une vilaine surprise quand on les aperçut,
tout nus devant le "Miramar". Et toutes les
villas bourrées de jeunes filles ... On avait tout
attendu, tout redouté sauf ces blondeurs
d'avant le péché... »
Pour des garçons nés en 1935 ou 1936 -
cinq ou six ans en juin 1940 - il n'est plus
question de retrouver des impressions qu'ils ~
n'avaient pu ressentir mais de donner une
représentation littéraire d'événements dont Juin 1940. Jeunes et motorisés, les vainqueurs traversent la campagne française. Et une jeune per-
leurs parents et leurs aînés leur avaient sans sonne ne semble pas trouver déplaisant d'être occupée.
nul doute rebattu les oreilles. Curieusement,
en devenant légende, cette évocation semble Ils chantaient une mélodie rauque, coupée de français essaye de rendre les Allemands
prendre une dimension nouvelle qui abandon- longues interruptions où l'on n'entendait plus « transparents ». La Blitzkrieg se transforme
ne l'histoire pour rejoindre le mythe. Ainsi, que le craquement rythmé de leurs bottes, et en occupation.
Dominique de Roux, dans La mort de Céline, qui n'évoquait nulle joie, nul triomphe, mais Moment étrange de flottement. L'été 1940
au-delà du portrait d'un écrivain maudit, seulement cette volonté d'avancer, de pour- brûle dans l'ambiguïté. Il manque encore deux
ramasse tout l'été 1940 en quelques phrases suivre, de pousser toujours plus loin, broyant mots au vocabulaire de la plupart des Fran-
nerveuses : « Un nouvel été s'anime. La nuit les obstacles, vers une terre inconnue et pro- çais : Résistance et Collaboration.
meurt. Le bâton de Goering brille comme un mise - cette même volonté qu'exprimaient le A la rentrée scolaire de 1940, les enfants
obélisque de mica. Les soldats allemands sont mouvement de leurs bottes (comme s'ils écra- racontent leur première vision de ces jouets de
les fils du Soleil, après ceux d'Alexandre. Ils saient à chaque pas quelque chose), leurs Nuremberg brusquement animés par les coups
ne dorment pas. Ils ont la chair provocante regards raidis vers l'horizon, leurs fronts de de sifflets des Feldwebels.
des torses nus, maculés de l'huile des char- rêveurs butés. Ils passaient, ils passaient, sans Le 24 octobre 1940, les grandes personnes
geurs, et leur sexe est une barre prise sous le s'arrêter, verts et noirs, et s'effaçaient dans le se rencontrent à Montoire. Cette poignée de
ceinturon. Ils chantent. Ils ont bu de la glace, poudroiement de la route sans qu'un seul main sur le quai d'une petite gare du Loir-et-
lapé des brasiers, verts dans les sables si durs. d'entre eux eut jeté un regard à la foule subju- Cher rend tout cela beaucoup moins intéres-
Ils brûlent. Ils tuent. Ils pénètrent dans les guée qui tapissait les murs comme une haie sant. Le chancelier Hitler et le maréchal Pétain
ventres vides. » d'honneur. "Maman, je voudrais être alle- ramassent leurs billes.
Celui qui restitue peut-être l'image la plus mand." "Tais-toi, tu dis des bêtises." "Je vou- Les Français vont pouvoir s'intéresser à
juste de la brusque intrusion des soldats alle- drais tant être allemand, maman !" » des choses sérieuses, comme la culture des
mands dans la torpeur provinciale d'une petite Les Allemands chantent et ne parlent pas. rutabagas. Les vacances sont bien finies. Il
ville française, c'est Jean-René Huguenin dans Ces vainqueurs ne demandent rien et ne sem- faut travailler. On achète les images bistres du
son unique roman La côte sauvage, paru en blent même pas voir ceux qui les regardent. Secours national.
1960. Quelques mois avant sa mort brutale, en Très vite, d'autres rapports s'établissent. Un instant, la France croit qu'elle va sortir
septembre 1962, un très jeune écrivain ne se La fascination du premier choc fait place à la de la guerre, sur la pointe des pieds, et attendre
doute pas qu'il est en train de nous donner des servilité pour les uns et à l'aversion pour les la suite des événements dans son réduit auver-
images définitives d'une époque qui fut celle autres. Les extrémistes sont peu nombreux ; gnat. Mais la guerre va tout bouleverser.
de son enfance : « C'est alors qu'ils étaient personne ne changera rien à ce fait : la rési- J.M.
arrivés, précédés de leurs motocyclistes qui gnation confine à l'indifférence. Le gouverne- Le tome 4 de Que lire ? (75 portraits d'écri-
roulaient lentement, les bras écartés, le buste ment de Vichy s'installe en zone libre. Le vains) de Jean Mabire paraîtra fin septembre.
droit. C'était au moment du déjeuner ; de Maréchal permet aux orphelins de retrouver un En vente à la librairie Duquesne, 27, avenue
toutes les maisons, on jaillissait pour les voir. grand-père. Toute la propagande de l'État Duquesne 75007 Paris.
QUAND LE PARTI PACTISAIT

La cocollaboration
PAR PATRICK JANSEN

Les communistes ont bâti leur


fortune sur la Résistance. Au prix
d'un oubli. Celui de leur collusion
avec les nazis jusqu'à l'été 1941.

E
n septembre 1939, quand la France
entre dans la guerre, le PCF est au ban
de la nation : ses dirigeants et ses
cadres sont emprisonnés, poursUivis ou en
fuite, ses militants désorientés ou découragés
par les volte-face auxquelles on vient de les
contraindre depuis quelques mois. En mai
1945, à l'heure de la victoire alliée, le PCF
triomphe : il est devenu le premier parti de
France, le partenaire incontournable et souvent
encombrant d'un pouvoir gaulliste qui ne sait
pas encore combien son règne sera éphémère.
Le PCF, lui, s'installe durablement dans la vie
politique de la IV<République : c'est l'époque
où il se présente volontiers comme l'âme de la Signature à Moscou du pacte germano-soviétique, le 23 août 1939. De gauche à droite, Ribbentrop,
Résistance, comme le parti des 75 000 fusillés, ministre des Affaires étrangères du Reich, Staline et Molotov. Ce dernier enverra à Hitler les chaleu-
(chiffre purement mythique destiné à la propa- reuses félicitations de l'URSS pour 1'entrée des troupes allemandes à Paris, le 14 juin 1940.
gande, puisque le chiffre total des Français
fusillés n'a pas dépassé 30 000). Il cherche le monde apprend que « le gouvernement du Dans une France qui est sur le point de
alors à faire oublier, et il y parvient le plus Reich et le gouvernement soviétique ont déci- s'engager dans la guerre (ce sera fait le 3 sep-
souvent, son attitude pendant les deux pre- dé de conclure entre eux un pacte de non- tembre à la suite de l'Angleterre), le retourne-
mières années de guerre. agression ». Cet accord est signé le 23. A la ment spectaculaire du PCF apparaît comme
A l'époque de la crise des Sudètes et de direction du parti c'est l'affolement. Pourtant, une trahison en faveur de l'Allemagne.
Munich, tout semble clair. Conforme à l'anti- le virage est pris instantanément. Le 24, L'alignement officiel sur les positions
fascisme qu'il proclame depuis des années, le l'Humanité, sous la plume de son rédacteur en soviétiques ne doit masquer ni l'ampleur des
parti communiste se veut le plus belliciste des chef Pierre-Laurent Damar, voit dans ce pacte dissensions internes ni certaines incohérences
bellicistes. une « politique à la fois énergique et intelli- dans les démarches journalières ; ainsi, le 2
Malgré ses relations étroites avec le gente, seule conforme à la cause de la Paix ». septembre, les députés communistes votent les
Komintern, le PCF n'a pas deviné l'évolution Le lendemain 25 août, l'Humanité est empê- crédits militaires, ce qui n'empêchera pas le
des relations germano-soviétiques et l'ampleur chée de paraître et son plomb saisi ; suspen- Comité central de protester contre le fait que la
du renversement des alliances auquel elle va due, elle ne reparaîtra officiellement qu'en France soit entrée en guerre sans l'accord du
conduire. 1944. Le même jour, le parti communiste est Parlement... après que, le 17 septembre,
L'annonce de l'accord commercial germa- interdit de séjour à la Chambre des députés et l'armée russe aura franchi la frontière de la
no-soviétique, le 20 août 1939, le prend com- le 30 août, le procureur de la République Pologne. Ce même jour, Molotov félicite Hit-
plètement au dépourvu. Le lendemain 21 août, ouvre une information générale contre lui. ler pour ses brillants succès .
LA COCOLLABORATIO

Le gouvernement, lui aussi, semble avoir mettent les ordres du Komintern, comme celui
eu besoin de quelques jours pour se faire une de ne pas quitter Paris quoi qu'il arrive, ou les
religion dans ses rapports avec les commu- consignes.
nistes. Le 26 septembre (la France a déclaré la Ainsi, pendant la drôle de guerre, l'Huma-
guerre à l'Allemagne depuis trois semaines), nité clandestine dénonce ceux qui, comme les
le Conseil des ministres adopte, à l'unanimité, Finlandais, résistent à l'URSS : « Pas une
le décret-loi qui « dissout de plein droit le arme, pas un sou pour les domestiques finlan-
parti communiste, toutes associations ou tous dais de Londres et de Paris ». Défaitisme et
groupements de fait qui s'y rattachent et tous appels à la désertion s'unissent: « Tournez vos
ceux qui, affiliés ou non à ce parti, se confor- armes contre vos ennemis de classe à l'inté-
ment dans l'exercice de leur activité à des rieur du pays », écrit l'Avant-Garde, le l"
mots d'ordre relevant de la Il/' Internatio- février 1940, et un tract : « 1'ennemi n'est pas
nale ». Ce décret paraît le lendemain, 27 sep- de l'autre côté de la ligne Siegfried, mais bien
tembre, au Journal officiel. Le gouvernement à l'intérieur de votre propre pays».
aura ainsi mis un mois entier, après le pacte Le 15 mai 1940, le premier numéro de
germano-soviétique, pour agir contre celui l'Humanité clandestine paru après l'offensive
qu'il qualifie d'« ennemi de l'intérieur», et il Jacques Duclos (1896-1975), n° 2 du parti allemande multiplie les attaques contre « les
ne le fait qu'après l'agression soviétique derrière Maurice Thorez. C'est lui qui prend impérialistes de Londres et de Paris ». Hitler
contre la Pologne. 1'initiative des contacts avec les autorités alle- est mis sur le même plan que Churchill, tous
A l'intérieur du parti ou sur ses franges, mandes d'occupation en juin et juillet 1940, pour deux sont des « gangsters impérialistes ».
nombreux sont ceux qui refusent de suivre la faire reparaître l'Humanité. Rapidement, le mot hitlérisme disparaît du
nouvelle ligne et restent fidèles à leurs enga- vocabulaire. La violence anti-belliciste des
gements antifascistes d'hier. On connaît le mot te à l'égard de 1' ancien chef du Front populaire propos devient égale à la violence belliciste de
de Malraux : « La révolution à ce prix, non ! » n'est pas plus amène et ne déparerait pas les l'époque de Munich. Après l'armistice du 25
Nizan quitte le parti en septembre. Il meurt à plus venimeuses feuilles antisémites de juin, de Gaulle,« l'émigré de Londres», et les
Dunkerque en 1940, mais longtemps, les com- l'époque :Thorez parle du« chacal Blum ... », Français libres, sont considérés comme des
munistes entretiendront la légende calomnieu- ce « reptile répugnant... », cette « hyène... », aventuriers soumis au capitalisme anglo-saxon
se de son émargement au ministère de l'Inté- ce «sbire de la police ... ». et renvoyés dos à dos avec Doriot ou Déat. Le
rieur. Les positions de chacun ne sont châtiment des fauteurs de guerre est réclamé
d'ailleurs pas toujours bien connues car Propagande pacifiste et avec régularité jusqu'au début de 1941.
l'interdiction rapide des journaux commu- sabotage des armements Les actes sont de nature très diverse et par-
nistes, suivie des poursuites contre le parti, fois spectaculaires. Le 4 octobre 1939, le
empêche souvent les intellectuels commu- Le 5 octobre et les jours suivants, le gou- caporal Maurice Thorez déserte, passe en Bel-
nistes de prendre position publiquement. vernement frappe : un certain nombre de gique, puis en Suisse et rejoint Moscou au
Les démissions, pourtant, sont multiples, membres du Groupe ouvrier et paysan sont printemps 1940. On sait maintenant avec certi-
et parfois éclatantes : 22 des 74 parlementaires arrêtés (mais les chefs sont en fuite) ; 2 500 tude que le courage ou la lâcheté n'ont rien à y
rompent avec le parti (21 députés et un séna- conseillers municipaux communistes sont sus- voir, mais seulement les ordres de Moscou. En
teur). Parmi bien d'autres, Marcel Gitton, qui pendus, ainsi que 87 conseillers généraux. Le obéissant à ces ordres, non seulement Thorez
vient en uniforme lors d'une permission, pour 30 novembre, Florimond Bonte est arrêté à la reste fidèle aux consignes de l'Internationale
faire enregistrer sa démission dans un com- Chambre, d'où sont expulsés, le 9 janvier, de qui veulent que le numéro un soit préservé,
missariat de police (il sera, en septembre façon musclée, quatre communistes qui refu- mais aussi il montre par cet acte provocant que
1941, abattu par le parti qui se venge, à peine sent l'hommage unanime à l'armée. La la voie illégale reste ouverte.
entré en résistance, de ceux qui ont refusé de déchéance des députés communistes va suivre. Les actes, ce sont aussi les sabotages dans
suivre ses errements collaborationnistes). Le débat a lieu à la Chambre le 16 janvier l'industrie d'armement, plus nombreux qu'on
Beaucoup de militants de base refusent de 1940. S'y illustre, pour l'accusation, le jeune ne l'a dit à l'époque. Certains (aux usines
suivre la ligne du parti et insultent leurs député Jean-Louis Tixier-Vignancour. Seuls aéronautiques Farman) sont commis par de
cadres. Il en va de même de la grande majorité votent contre les deux députés communistes très jeunes membres des Jeunesses commu-
des dirigeants syndicaux. présents, dont Étienne Fajon, qui a défendu nistes : trois seront exécutés, le plus jeune
Dès le 29 septembre, le Groupe ouvrier et son parti. Trois jours plus tard, le Sénat vote la n'ayant que dix-sept ans, mais le parti n'osera
paysan, dont le président est Arthur Ramette, déchéance à l'unanimité. jamais revendiquer ces martyrs de sa lutte
et le secrétaire général Florimond Bonte, vien- Pendant la période de près de deux ans qui d'un moment. Les poudreries (à Sorgues), les
nent prendre le relais du PCF dissous. Il appel- sépare la déclaration de guerre de l'entrée en usines des chars (Renault) furent aussi visées
le à la paix dès le 1" octobre par une lettre guerre de l'Allemagne contre la Russie sovié- et touchées.
ouverte à Herriot, président de la Chambre. tique le 22 juin 1941, les communistes se Mais les actes les plus importants sont
Blum dénoncera immédiatement, plus encore manifestent aussi bien par une intense propa- sans doute, en juin 1940, ceux qui traduisent la
que le cynisme et l'hypocrisie, « la servilité » gande que par des actes. Journaux clandestins, volonté du parti de faire reparaître l'Humanité,
de cette démarche. Le vocabulaire communis- tracts, lettres ronéotées se multiplient et trans- car retrouver un moyen d'expression légal est
COLLABORATION

une priorité à un moment où le pouvoir semble po laisse faire, mais pas la police de Vichy qui
à ramasser. poursuit la répression commencée en 1939
Stéphane Courtois et Annie Kriegel ont sous la III' République, d'où une haine tenace,
mis en lumière, dans le livre passionnant et encore aujourd'hui : en mars 1941, il y a
i'l
largement appuyé sur les archives de Moscou 18 000 emprisonnés politiques, majoritaire-
qu'ils lui ont consacré (Seuil, 1997), l'impor- ment communistes.
tance considérable, dans cette affaire comme En octobre 1940 a lieu la création de
dans bien d'autres, d'Eugen Fried, le camara- l'Organisation spéciale (OS), dont les cadres
de « Clément ». viennent des Brigades internationales et les
Fried, à la « silhouette longue, mince et membres des Jeunesses communistes ; elle est
distinguée d'intellectuel juif de Slovaquie », chargée, non de lutter contre les Allemands
écrit Stéphane Courtois, a connu une ascen- mais d'assurer la protection des cadres contre
sion fulgurante au sein du PC tchèque, puis est Eugen Fried, juif tchécoslovaque, agent
la police française toujours active et aussi de
supérieur du Komintern, véritable chef clandestin
devenu homme de confiance de Dimitri faire respecter la ligne officielle. Les velléités
du PCF de 1930 à 1940.
Manouilski au sein du Komintern. Envoyé fin de résistance sont vigoureusement condam-
1930 en France avec tous les pouvoirs, il réor- nées comme « provocations ». A Marseille, à
d'occupation. Cinq jours plus tard, il sera
ganise par le haut un PCF manquant de cadres. Nantes, dans le Limousin, à Bordeaux, où
démis sur pression des Allemands.
Il impose des fidèles à Staline : Thorez, Charles Tillon avait par tracts dénoncé le
Une nouvelle demande est faite : le 27
Duclos, Frachon, Marty, qui, nommés fin « fascisme nazi », en Seine-Inférieure, les ini-
juin, Otto Abetz en personne reçoit Tréand,
1931, resteront à la tête du parti pendant 40 tiatives de ce type sont mises au pas. La grève
Catelas, M' Foissin (avocat en relations
ans dans une totale dépendanc~ vis-à-vis de
étroites avec l'ambassade soviétique), et Deni- des mineurs de mai-juin 1941, essentiellement
Moscou. Il impose à la section des cadres
se Ginollin. Elle n'aboutit pas du fait de la revendicative et organisée par Lecœur, est sur
Maurice Tréand (c'est lui qui contrôle le
pression de Vichy sur les Allemands. Le 4 · l'heure désavouée (elle sera plus tard revendi-
fichier, et les fameuses « bios » ainsi que les quée).
juillet, Abetz suggère la reparution de Ce soir.
renseignements accumulés sur les sympathi- Le ton commence de changer fin mai
Le numéro prévu pour le 8 juillet et déjà com-
sants ou les adversaires). Il développe le syn- 1941, après les attaques contre la Bulgarie, la
posé ne sort pourtant pas. De nouvelles ren-
dicalisme et découvre en Benoît Frachon Yougoslavie et la Grèce, et à un moment où la
contres avec Abetz ont encore lieu. En fait, il
l'homme qui saura le mettre au service absolu rupture du pacte germano-soviétique s' annon-
est aujourd'hui prouvé que quatre mois après
du parti. Il impose, à partir de 1934 la ligne de ce. Sa rupture effective, avec le début de
l'armistice, les communistes ne désespèrent
Front populaire souhaitée par Moscou que l'opération Barbarossa fera, enfin, des com-
toujours pas de faire reparaître l'Humanité et
Thorez proclame le 26 juin 1934, juste après même La Vie ouvrière. munistes français des résistants. « Hitler fait
la rupture de Doriot. Il impose, lors du Front Pendant toute cette affaire, Duclos envoie la guerre à l'URSS. De ce fait, chaque Fran-
populaire, la ligne de « soutien sans participa- de fidèles rapports à Moscou, qui sèment le çais digne de ce nom doit désormais se consi-
tion » contre ceux qui veulent « aller au gou- trouble ou la consternation. Thorez comprend dérer comme un allié de l'URSS », écrit
vernement ». Pendant toutes ces années, il que Duclos se fait manipuler par les Alle- l'Humanité le 22juin 1941.
n'est pas exagéré de dire qu'il fut, dans mands. Ordre est alors donné par l'Internatio- Les actes ne vont pas tarder.
l'ombre, le véritable chef du Parti communiste nale communiste de cesser tout contact (le 5 Le 21 août 1941, sur le quai de la station
français . août). Duclos exclut Foissin, et fera porter le Barbès, un inconnu tire deux balles à bout por-
chapeau au seul Tréand. tant dans le dos de l'aspirant Moser, qui attend
L'affaire de l'Humanité Dès lors, l'Humanité clandestine paraît paisiblement le métro. Cet inconnu, c'est Pierre
deux fois par semaine. Aux premiers temps de Georges, le futur « colonel Fabien ». Son
C'est directement à son instigation que le l'occupation, le PC lutte (verbalement surtout) action marque ainsi l'entrée effective des com-
18 juin 1940, Maurice Tréand et Jean Catelas contre Vichy, dans lequel il voit la porte munistes dans la Résistance. Avec eux vont se
(député d'Amiens), membres du Comité cen- ouverte aux ploutocrates, mais nullement nouer de nouvelles alliances : du jour au len-
tral, demandent officiellement à la Propaganda contre l'occupant allemand. Après la Libéra- demain, les gaullistes cessent d'être des « sup-
Staffel l'autorisation de faire reparaître tion, les communistes forgeront un apocryphe pôts de l'impérialisme » et deviennent des
l'Humanité : Denise Reydet (Mme Ginollin) numéro spécial de l'Humanité clandestine compagnons de lutte. Avec eux surtout vont
se rend à la section de presse de la Komman- cherchant à faire croire que l'option de la apparaître de nouvelles méthodes, fondées sur
dantur, 12, boulevard de la Madeleine. Elle est résistance était déjà choisie. La vérité de la le terrorisme provocateur terrible de la répres-
reçue par le lieutenant Weber. Le 19 juin, les position communiste est plutôt à chercher dans sion. Peu importe la mort d'un soldat allemand
Allemands donnent leur accord. L'Humanité l'Humanité du 14 juillet 1940 : « Fraternité sans responsabilités, elle n'affaiblira guère
doit reparaître le 21 juin, et le numéro est prêt, franco-allemande : les conversations amicales l'armée d'occupation. Mais cinquante otages
aux conditions mises par les Allemands. entre travailleurs parisiens et soldats alle- fusillés aujourd'hui en représailles, ce sont dès
C'est la police française qui fera capoter mands se multiplient. Nous en sommes heu- demain cinquante familles de vengeurs qui
l'affaire en arrêtant Tréand et Denise Ginai- reux. Apprenons à nous connaître ... » viendront grossir les rangs de l'armée des
lin : le préfet Langeron n'apprécie pas le rap- Pendant quelques mois les communistes ombres.
prochement entre communistes et forces vivront dans une semi-clandestinité. La Gesta- P.J.


/

PETAIN DARLAN LAVAL


' '
~

La collaboration d'Etat
PAR PHILIPPE CONRAD

Fatidique été 1940 Après


avoir déclaré la guerre à l'Alle-
magne, la France a subi une
défaite sans précédent. Elle a
deux millions de prisonniers pris
en otage. Son territoire est occu-
pé. Elle est soumise à un vain-
queur tout puissant qui risque de
dominer l'Europe pour long-
Le 10 juillet 1940, alors que la li/' République est balayée par l'effroyable défaite, l'Assemblée
temps. Les responsables du nationale se réunit à V~ehy. De la façon la plus légale, par 569 voix contre 80, elle accorde les pouvoirs
constituants au maréchal Pétain. Le lendemain, celui-ci constitue son premier gouvernement dont la
direction effective sera assurée par Pierre Laval. De gauche à droite: Caziot (Agriculture), l'amiral Dar-
désastre se sont éclipsés. Que lan (Marine), Pietri (Communications), Baudouin (Affaires étrangères), Alibert (Justice), Laval, Mar-
quet (Intérieur), Bouthillier (Finances), le maréchal Pétain, Mireaux (Instruction publique), le général
faire ? Collaborer comme le pro- Weygand (Défense nationale), Ybarnegaray (Jeunesse et Famille), Lémery (Colonies), le général Pujo
(Aviation), le général Colson (Guerre).
pose le vainqueur ? Un mot rem-
près de cent cinquante mille hommes, la défai- assumer dans l'immédiat l'écrasante défaite et,
pli de dangereuses équivoques. te est totale, la pire peut-être de toutes celles au cours de ce triste été de 1940, la France
qu'a essuyé le pays au cours de sa longue his- apparaît tragiquement seule. L'Angleterre est
toire. Pour une écrasante majorité de Français, repliée sur son île dans son égoïsme sacré, elle
uin 1940. La France est abasourdie par la

J
dont beaucoup errent en lamentables cortèges n'hésite pas devant le coup bas de Mers el-
défaite. Lancée le 10 mai, la blitzkrieg sur les routes de l'exode, l'annonce de l'armis- Kébir. L'URSS est de fait l'alliée de Hitler.
allemande a tout balayé. Les armées hol- tice engendre un soulagement certain. Sonnée L'Amérique de Roosevelt, en pleine campagne
landaise et belge ont été contraintes à la capi- par l'ampleur du désastre, la nation a besoin électorale, n'a aucune intention d'intervenir
tulation, le front de la Meuse a été enfoncé, de récupérer et il ne fait aucun doute que la dans le conflit. L'Italie ne cache pas ses vues
rien n'a pu stopper la ruée des panzers vers présence à sa tête du vainqueur de Verdun, de sur l'Afrique du Nord française, la Corse, la
l'estuaire de la Somme. La réduction du camp l'ancien commandant en chef de l'armée vic- Savoie et Nice. Même l'Espagne de Franco
retranché de Dunkerque et le repli britannique torieuse de 1918, ranime la confiance dans les s'intéresse au Maroc et à 1' Oranie. L'Alle-
ont ensuite précédé de peu l'ultime coup de destinées de la patrie, trahie par les politiciens magne surtout apparaît durablement victorieu-
boutoir sur la Somme et sur l'Aisne. Le 14 incapables d'une Ill' République à bout de se et les points qu'elle marquera bientôt dans
juin, les Allemands sont à Paris. Une fois la souffle. l'Europe danubienne, les succès qu'elle
Loire franchie, leurs grandes unités blindées et Dès ce moment une petite minorité entend obtiendra en Yougoslavie et en Grèce au prin-
mécanisées foncent vers Bordeaux, Clermont- poursuivre la lutte et, prenant date pour un temps 1941, suivis des premières victoires
Ferrand, Lyon et Grenoble. Malgré le sacrifice avenir qui est imprévisible, elle contribuera à remportées sur le front russe vont confirmer
- au cours de ces six semaines fatales - de la résurrection de 1944-1945. Mais il faut son apparente invincibilité.
LLABORATION D'ÉTAT

ANACHRONISMES
L'obsession de Vichy, depuis quelques
années, marque le triomphe de
l'anachronisme. Le phénomène n'a rien de
surprenant.[...]
Anachronique, telle est une certaine
lecture idéologique de la Résistance et de
l'histoire des résistants, qui fustige les
engagements antifascistes, malgré leur
diversité et leurs motivations multiples. [...]
Anachronique, telle est encore la
tentation du " judée-centrisme ,. qui cherche
à relire toute l'histoire de l'Occupation à
travers le prisme de l'antisémitisme. Si, à
nos yeux, la politique antijuive est un fait
majeur, elle n'était, à l'époque, qu'un des
aspects parmi d'autres de l'Occupation, les
Juifs étant des victimes au même titre que
d'autres persécutés ou réprouvés. Que cela La fameuse poignée de main de Montoire entre k maréchal Pétain et k chancelier Hitkr, 24 octobre 1940.
puisse choquer la conscience est une
chose, que cela doive conduire à refaire On ne peut aborder la question de la « col- Pierre Laval - à rechercher avec l'Allemagne
l'histoire en est une autre : l'anachronisme laboration » sans avoir à l'esprit ce contexte un modus vivendi qui permettrait d'alléger -
consiste ici à confondre la morale de la très défavorable à la France. L'armistice a, puisque la guerre se prolonge - le poids des
postérité avec la réalité du passé. [...] certes, permis de sauver la flotte et l'empire, conditions d'armistice.
Le Vél' d'Hiv' ? L'événement est devenu de maintenir une zone libre où l'État français Déjà, au cours des années précédant la
depuis 1993 le symbole officiel du Vichy exerce toujours une autorité pleine et entière, guerre, le souhait d'un rapprochement et d'une
antisémite. Mais la grande rafle de juillet de conserver une souveraineté plus formelle coopération franco-allemande susceptibles de
1942, comme toutes celles qui ont suivi, en sur la zone occupée, mais l'avenir s'annonce garantir la paix en Europe a été fréquemment
zone nord comme en zone sud, furent moins plus qu'incertain. L'agression anglaise contre exprimé et l'accord de Munich (30 septembre
la conséquence de l'antisémitisme d'État Mers el-Kébir et Dakar a rompu les liens entre 1938) a soulagé la majorité de l'opinion.
que celui de la collaboration d'État. Le rôle la France et l'Angleterre et une éventuelle paix Quelques semaines plus tard, en décembre
des Bousquet, Leguay et consorts de compromis anglo-allemande - à laquelle 1938, les conversations entre Ribbentrop et
s'explique non par un fanatisme antijuif mais tout le monde pense fatalement à ce moment - Georges Bonnet ont confirmé ces espoirs. Les
par la politique d'un régime prêt à payer le a toutes les chances de se conclure sur le dos sentiments pacifistes de certains et le pragma-
prix du sang, celui des autres, la défense de la France, la grande perdante de l'été 1940. tisme d'autres les encouragent alors à souhai-
d'une certaine conception de la Dans le règlement à venir - et l'on espère à ter que l'on enterre la vieille querelle franco-
" souveraineté nationale "· Cette politique Vichy qu'il interviendra rapidement, pour libé- allemande pour laisser le Reich se tourner vers
n'a pas de lien nécessaire avec les lois rer le pays des contraintes très lourdes de l'est, vers une URSS perçue avant tout comme
antijuives promulguées deux ans plus tôt l'armistice - la France ne disposera également le vecteur d'une révolution assimilée à un
par Vichy. C'était même ce que la mémoire que de peu d'atouts face aux revendications déferlement de barbarie asiatique.
nationale était supposée intégrer : la part territoriales et coloniales d'une Italie alliée du
d'autonomie à l'égard de l'occupant. Certes, vainqueur. Montoire
ces lois ont favorisé ultérieurement Dans la perspective d' une hégémonie
l'application de la " Solution finale "• un durable de l'Allemagne- ce pays prenant ainsi Dans la nouvelle donne née de la défaite
crime prémédité et organisé par les nazis. désormais le relais de l'Angleterre en Europe française, ces perspectives reprennent une
Statuts, fichiers, lois d'exclusion françaises - le nouveau régime français, placé dans un actualité certaine même s'il faut tenir compte
ont facilité les arrestations massives de rapport de forces on ne peut plus défavorable, de deux éléments nouveaux : l'ampleur du
1942-1943. Mais le sens de ces lois, doit normalement chercher à se tailler une désastre militaire et politique que la France
promulguées entre juillet 1940 et l'été 1941, place dans «l'ordre nouveau » qui s'annonce. vient de subir et le fait qu'Hitler n'a pas
n'était pas celui de prémisses à une L'issue inattendue de la bataille aérienne 1' intention de faire le moindre cadeau au vain-
extermination, projet qui, à ce moment-là, d'Angleterre reportera sine die le débarque- cu (il a beau jeu de rappeler que c'est la Fran-
n'est pas à l'ordre du jour, ni dans la ment allemand dans les îles britanniques mais ce qui lui a déclaré la guerre le 3 septembre
politique de Vichy, ni même dans celle du le gouvernement de Londres n'en demeure pas 1939) et, d'autre part, l'alliance de fait qui unit
Reich. moins condamné pour longtemps à une straté- à l'époque encore le Führer à Staline. Placés
ÉRIC CONAN ET HENRY ROUSSO gie périphérique qui ne peut lui laisser l'espoir ainsi dans une position très inconfortable, les
Vichy, un passé qui ne passe pas, de renverser rapidement la situation. Toutes dirigeants français ne peuvent demeurer pour
pp. 268-272. Fayard, 1994. ces considérations conduisent naturellement autant passifs. Ils sont condamnés à prendre
les responsables de Vichy - et singulièrement des initiatives pour essayer de modifier une
LA COLLABORATION D'ÉTA

~
Carte du découpage de la France
imposé par sa défaite
situation qui leur est totalement défavorable.
C'est en ce sens qu'il convient d'interpréter \
leur attitude au cours de l'automne de 1940. l
On sait que Je mot « collaboration », déjà
lancé par Laval le 10 juillet 1940, surgit avec
force à l'occasion de la fameuse rencontre de 0 IOOkm
Montoire du 24 octobre 1940. Deux jours plus
tôt Laval s'est entretenu avec Hitler qui se ren-
dait à Hendaye pour rencontrer Franco et Ser-
- Ligne de démarcation
rano Suiier. C'est lui qui a eu l'idée de ce
contact direct entre le Maréchal et le chance-
lier allemand. Un communiqué officiel rend
D Zone libre jusqu' en novembre 1942

compte, deux jours plus tard, de l'événement : D Zone d'occupation allemande

« L'entrevue qui a eu lieu le 24 octobre entre


_le chancelier Hitler et le maréchal Pétain, en D Zone rattachée à l'administration
allemande de Bruxelles

présence de M. von Ribbentrop et de M. Pier-


re Laval s'est déroulée dans une atmosphère
D Alsace-Lorraine annexée
par 1' Allemagne

de haute courtoisie. [... ] Les deux interlocu- ~ Zone interdite« réservée »


teurs se sont mis d'accord sur le principe
Zone côtière interdite
d'une collaboration. Les modalités en seront
examinées ultérieurement. » Hitler avait
employé le terme allemand signifiant « tra-
vailler ensemble» et c'est l'interprète Schmidt
--- Limite de l'occupation italienne
à partir du 11 novembre 1942

qui a utilisé celui de « collaboration », qui tenir dix millions de soldats français ... » Le bien entendu du fait que la France est co res-
prendra ultérieurement la connotation péjorati- vainqueur profite donc à fond de son triomphe ponsable de la guerre actuelle, qu'elle a per-
ve que l'on sait. Le 30 octobre, une interven- et la France est, de fait, mise en coupe réglée, due, et dont, pour sa part, elle devra suppor-
tion à la radio du chef de l'État permet aux une partie des indemnités versées servant ter les conséquences ... »
Français d'en savoir un peu plus : « C'est ensuite au rachat ou à la prise de contrôle Dès le 28 octobre, Hitler se charge
dans l'honneur et pour maintenir l'unité fran- d'entreprises françaises. d'ailleurs de rassurer Mussolini à Florence, au
çaise que j'entre aujourd'hui dans la voie de moment où les Italiens s'apprêtent à se lancer
la collaboration. Ainsi, dans un avenir pro- Illusions volontaires dans leur désastreuse offensive contre la
chain, pourrait être allégé le poids des souf Grèce. Il a du calmer les inquiétudes du Duce,
frances de notre pays, amélioré le sort de nos Si la presse de la zone libre demeure pru- agacé par « cette mauvaise plaisanterie de
prisonniers, atténuée la charge des frais dente quant à l'interprétation de l'entrevue de Montoire ». Quelques jours plus tard, le Maré-
d'occupation. Ainsi pourrait être assouplie la Montoire, celle de la zone occupée, qui chal rassure pour sa part Roosevelt, qui
ligne de démarcation et facilités l'administra- dépend souvent étroitement de l'autorité alle- s'inquiétait d'éventuels accords franco-alle-
tion et le ravitaillement du territoire.. . Cette mande, donne à la rencontre une dimension mands à propos de la flotte française : « Mon
politique est la mienne. Les ministres ne historique et un journaliste de L'Illustration gouvernement a déclaré que la flotte française
seront responsables que devant moi. C'est n'hésite pas à écrire que« l'Allemagne a choi- ne serait jamais livrée et rien ne peut autori-
moi seul que 1'histoire jugera ... » si la collaboration avec la France. {. .. ] Le ser le gouvernement américain à mettre en
On comprend les préoccupations expri- maréchal Pétain, fermement convaincu que le doute aujourd'hui cet engagement solen-
mées dans ce message. Les Allemands appli- redressement de la France est en fonction nel... » A certains de ses ministres, inquiets de
quent les conventions d'armistice avec la plus directe de son rapprochement avec l'Alle- ce qui a pu être négocié à Montoire, le Maré-
grande rigueur et vont même au-delà, en ratta- magne, a pensé que ce rapprochement n'était chal indique, dès son retour, qu'il ne s'est
chant par exemple l'Alsace-Lorraine au Reich, réalisable que s'il était entrepris dès mainte- «engagé à rien. Hitler m'a offert de collabo-
en traçant la frontière d'une « zone interdite » nant, quelle que soit l'issue de la guerre avec rer sans autre précision. Nous ne pouvons pas
dans le nord et l'est du pays, une frontière qui 1'Angleterre et, en liant notre sort, sans arriè- faire autrement que d'étudier sa proposition.
correspond en gros à celle de l'ancien Empire re-pensée ni réticences, à celui de l'Alle- Mais nous suivrons notre politique. Et il fau-
germanique du Moyen Âge, ce qui ne va pas magne. {. .. ] » On peut difficilement mentir ou dra être prudent. Collaboration ? Il ne s'agit
sans susciter des inquiétudes quant à leurs s'illusionner davantage quant aux intentions que d'un principe. En tout cas, elle ne sera
intentions à moyen terme. Ils prélèvent une réelles des deux interlocuteurs ... A l'inverse, jamais militaire, mais tout au plus écono-
indemnité destinée à l'entretien des troupes l'agence de presse allemande DNB précise, le mique. Il ne faut pas oublier qu'ils sont là ... »
d'occupation en fixant arbitrairement, au désa- 30 octobre« qu'aucun accord formel n'a mar- Attentisme et prudence sont alors les
vantage de la France, le cours du mark par qué la rencontre du Führer avec les hommes maîtres mots qui commandent l'attitude du
rapport au franc. Avec les quatre cents mil- d'État français. On admet que des questions Maréchal. Malgré Mers el-Kébir, il maintient
lions que la France doit payer quotidienne- fondamentales pour la position future de la des contacts avec les Anglais, à l'occasion de
ment, il y aurait de quoi, dit Weygand, « entre- France en Europe ont été abordées, en partant la « mission » à Londres du professeur Louis
LLABORATION D'ÉTAT

' LA DIVISION CHARLEMAGNE


DE LA LVF A

Présentée comme une cc croisade " contre le la lutte contre les partisans. Les Français vont
bolchevisme, la guerre qui commence à l'Est entre appliquer avec un certain succès les méthodes
l'Allemagne et la Russie soviétique, le 22 juin de pacification de l'armée coloniale.
1941, a notamment pour conséquence de A la fin de l'année 1943, les deux dirigeants
provoquer la formation d'un corps de volontaires les plus célèbres de la LVF sont le colonel
français. L'initiative en revient ni au gouvernement Puaud, ancien officier de la Légion étrangère, qui
de Vichy ni aux autorités allemandes, mais aux a remplacé le col()nel Labonne, et Mgr Mayol de
partis favorables à la Collaboration. Dès le soir du Lupé, qui sert sur le front de l'Est, comme
22 juin, lors d'un meeting à Villeurbanne, Jacques aumônier, depuis le printemps 1942 et a même
Doriot, chef du PPF, déclare qu'il partira avec été blessé au combat.
d'éventuels volontaires. Le 7 juillet, Marcel Déat, Parallèlement, le 22 juillet 1943, Laval a signé
chef du RNP, dans un article de L'Œuvre, évoque à un décret autorisant les Français à s'engager
son tourte projet d'une cc légion "· Un comité est dans la Waffen SS, formation qui comptera à la
installé à Paris et des permanences installées fin de la guerre plus d'Européens de nationalités
dans toute la France occupée. Eugène Deloncle se ~ diverses que d'Allemands. Les Français sont
joint à Doriot et Déat. Détail important : Otto Abetz ;s environ 2 000 à la fin de 1943.
soutient l'initiative. Au début de juillet 1944, après de très durs
Le 18 juillet 1941, une grande réunion est Mgr Jean Mayol de Lupé (1873-1955). combats sur l'axe Minsk-Moscou, les rescapés
organisée au Vél' d'Hiv' devant 12 000 partisans, Ancien aumônier militaire français (14-18, de Russie de la LVF gagnent le corridor de
avec la participation de Déat, Doriot et Deloncle. Levant, Maroc), décoré de la Croix de gue"e avec Dantzig, où se rassemblent également les
Le 5 août, la LVF est officiellement créée, et sept citations, il se laisse forcer la main par Ott(} volontaires SS français, dont le 1" bataillon vient
Fernand de Brinon, délégué général du Abetz, devenant aumônier de la LVF puis de la de subir de lourdes pertes en Galicie. Ces deux
gouvernement français dans les territoires division Charlemagne. Il fut condamné en 1947 à unités, renforcées par des éléments de la Milice
occupés, accepte la présidence du comité de quinze ans de réclusion. française qui ont fui la France et par leurs
patronage, auquel Mgr Baudrillart, recteur de compatriotes mutés de la Kriegsmarine et de
Destinée à devenir le Régiment 638 de la
l'Institut catholique, donne aussitôt son l'organisation Todt, formeront alors une division
Wehrmacht, la LVF s'entraîne pendant huit
adhésion, ainsi que les écrivains Abel Hermant, de la Waffen SS, qui prendra le nom de
semaines sous la direction sévère d'instructeurs
Abel Bonnard et Paul Chack. Cependant le " Charlemagne "· Ce passage obligatoire dans la
allemands. Elle comprend alors 181 officiers et
gouvernement français tout comme l'état-major Waffen SS ne se fait pas sans mal pour les
2 271 sous-officiers et hommes de troupe. Le 5
allemand freinent le recrutement d'une unité hommes de la LVF et pour les miliciens très
novembre 1941, le maréchal Pétain envoie un « catholiques et Français toujours "· Mgr Mayol
combattante qui risque de jouer un rôle
message : " Vous détenez une part de notre de Lupé se charge d'apaiser les scrupules. Ce
politique. Tandis que les militaires d'active de
honneur militaire. » sont près de 10 000 hommes que le général SS
l'armée d'armistice se voient interdire
Mis en route les 28 et 30 octobre 1941, les Krukenberg a pour tâche de transformer
l'engagement à la LVF, les médecins allemands
deux bataillons français rejoignent Smolensk. rapidement en véritables Waffen SS, au camp de
imposent une sélection impitoyable. En tout,
Par un froid épouvantable, sous les rafales de Wildfleken.
13 000 volontaires se présenteront sur lesquels
moins de la moitié sera retenue. pluie et de neige, la LVF poursuit sa route à pied, En février 1945, dans la neige et la glace,
Les premiers engagés de la LVF se jusqu'à 63 km seulement de Moscou, à l'extrême 5 000 hommes de la Charlemagne, commandés
répartissent en trois catégories : des anciens pointe de l'offensive allemande. Le 1" bataillon par Bourmont (57' régiment) et Raybaud (58'
militaires, nostalgiques de la vie des camps, des monte en ligne le 1" décembre 1941, par un froid régiment), montent en ligne. Ils sont jetés dans
militants des partis politiques, enfin des de • 40 • C, sans équipement d'hiver, sans la fournaise de l'épouvantable retraite
aventuriers ou des miséreux venus « pour la soutien de blindés ni d'artillerie. Les volontaires allemande, en Poméranie, face à plusieurs
gamelle». français, cloués sur place par de fortes contre· armées soviétiques se ruant vers la Baltique. En
Constitués en unité sous commandement attaques des troupes sibériennes, tiennent leurs quelques heures, la Charlemagne a 500 tués,
français, les volontaires seront instruits, équipés positions, subissant de grosses pertes. autant de blessés graves et un millier de
et habillés par l'armée allemande. Un écusson Retiré du front au début de 1942, et renforcé disparus 1Les 3 000 rescapés, rejoints par 1 000
tricolore sur le bras droit de leur uniforme, par de nouveaux volontaires, la LVF est hommes de renforts commandés pa~
entièrement feldgrau, indique leur nationalité. A regroupée en Pologne. 1 500 légionnaires sont Bassompierre, sont encerclés dans l'hiver glacé.
la tête de la Légion, est placé d'abord le colonel cc épurés » et renvoyés en France. Parti en 1941 Seuls Krukenberg, son état-major (Vaugelas) et
Labonne, retraité de la Coloniale. comme sergent, Jacques Doriot, pr,omu sur le le bataillon .Fernet parviennent à percer vers le
Tous les volontaires français sont rassemblés front Oberleutnant joue au commissaire sud. Tous les autres (dont le général Puaud,
au camp de Demba en Pologne, Le 5 octobre politique. Après avoir combattu pendant le Bourmont et Raybaud) disparaissent dans la
1941, en présence du général allemand Halm, ils premier hiver, il reviendra en France de mars tourmente. Après avoir franchi l'Oder, le dernier
prêtent serment de fidélité à Hitler, commandant 1942 à juillet 1943, pour s'occuper de son parti. carré, sous le commandement de Fernet, va
suprême de l'armée allemande, dans laquelle ils La LVF, entièrement réorganisée et se livrer son dernier combat dans la capitale du
se trouvent intégrés. Cela ne sa fait pas sans composant de trois bataillons, sera désormais Reich à l'agonie.
remous. engagée sur les arrières du front de l'Est, dans GUY CHAMBARLAC
LA COLLABORATION D'ÉT~

LAVAL
LE RÉPUBLICAIN
Rougier, ou quand il encourage les rencontres
du comte de La Baume, ambassadeur à A la faveur de son retour (en avri11942),
Madrid, avec son homologue anglais Samuel Laval entend insuffler un nouveau
Hoare. Dès le 30 octobre, il confie également à dynamisme à sa politique, en la situant dans
l'ambassadeur du Portugal à Vichy le soin de le rétablissement d'une authentique
rassurer Churchill. La teneur du message est continuité républicaine. Laval et ses alliés
claire: il n'y aura pas d'entrée en lutte contre ont beaucoup joué sur la fin d'un mode de
1' Angleterre et si la France est attaquée, elle se gouvernement réactionnaire et clérical et le
défendra, mais seule. C'est un message ana- retour à une saine « pratique républicaine ''·
logue qui est transmis par Weygand au repré- Avec Laval, c'est la fin de la « réaction "·
sentant anglais à Tanger. Le 9 novembre, le Au total, près de la moitié du corps
délégué général du gouvernement en Afrique préfectoral est renouvelé. On relèvera la
reçoit une lettre manuscrite du Maréchal, qui « réintégration " dans le corps préfectoral
cherche sans doute à le rassurer, dans la mesu- de Jean Moulin, préfet d'Eure-et-Loir, de
re où Maxime Weygand se méfie par-dessus Le maréchal Pétain (en civil) en compagnie Robert Génébrier, ancien chef de cabinet
tout des initiatives de Pierre Laval et demeure de l'amiral Darlan, chef du gouvernement du 9 d'Édouard Daladier, et d'Émile Bollaert,
convaincu qu'il ne faut pas aller au-delà d'une février 1941 au 18 avril 1942. Il échouera dans ancien chef de cabinet d'Édouard Herriot.
stricte application des conditions d'armistice. ses tentatives d'utilisation de la collaboration On assiste à la réhabilitation de préfets
Le chef de l'État s'exprime alors dans les pour desserrer l'étau qui enferme la France. chassés par le premier Vichy et à
termes suivants : «Il n'a été question à Mon- l'élimination d'un grand nombre d'autres
toire que d'une collaboration de principe. niers mais une part infime de ceux-ci a pu ren- nommés sous Darlan.
Aucune modalité n'a été envisagée ... Il est pro- trer d'Allemagne. Parallèlement, Laval multi- La chasse aux francs-maçons est
bable que cette question de la "collaboration" plie les concessions en livrant à l'occupant l'or pratiquement arrêtée. Dès le '0 mai 1942, le
se reposera un jour. Je ferai en sorte qu'elle ne de la Banque nationale de Belgique, en lui commandant Labat, responsable de la
se pose que sur des considérations d'ordre abandonnant certains intérêts français ... C'est cellule antimaçonnique, est limogé. Une loi
économique ou sur la défense de notre empire dans ce contexte que se place la « révolution de du 19 août 1942 place sous l'autorité du chef
africain, en écartant toute idée d'agression palais » du 13 décembre 1940, qui voit l'évic- de gouvernement l'ensemble des questions
contre l'Angleterre. Je suis bien résolu à ne tion de Laval, son arrestation et sa mise en rési- relatives aux sociétés secrètes.
m'associer pour cette tâche, ni aux Italiens, ni dence surveillée en sa propriété de Châteldon, En janvier 1943, le chef du gouvernement
aux Allemands... Personne ne doit être autori- d'où son ami Abetz vient le tirer pour l'emme- créera une '' Commission de libération des
sé à utiliser nos bases aériennes et navales. ner avec lui à Paris, sans avoir pu convaincre le internés administratifs "• dont il confiera la
Nous y veillerons. La situation de notre pays Maréchal de le reprendre comme ministre des présidence à Émile Bernon, franc-maçon lui-
nécessite de maintenir un équilibre prudent Affaires étrangères. En représailles, la ligne de même; en mars 1943, il en fera le vice·
entre la collaboration avec l'Allemagne - démarcation deviendra plus hermétique. Dès ce président de la Commission spéciale des
inévitable sur le plan économique - et les moment, il apparaît clairement que la « colla- sociétés secrètes, présidée par Maurice
invites anglaises et américaines. » boration » évoquée à Montoire ne peut être en Reclus à qui il demandera d'accorder
Cette prudence n'est pas celle de Laval qui final qu'un marché de dupes. « toutes les dérogations possibles en
attend beaucoup de la « collaboration » évo- Après le court intermède assuré par Pierre- essayant de faire rentrer en masse tous les
quée à Montoire et qui est encouragé en ce Étienne Flandin, c'est l'amiral Darlan qui maçons éliminés dans l'administration, dans
sens par son interlocuteur parisien, l'ambassa- devient, le 9 février 1941, vice-président du l'armée, dans fa magistrature, dans
deur Otto Abetz, lequel s'illusionne beaucoup Conseil. L'amiral était prêt à continuer la lutte l'Université"· En ce début de 1943, il
lui-même sur les intentions de ses chefs, aveu- en 1940 et il a derrière lui un long passé au ser- supprime la police antimaçonnique (que
glé qu'il demeure par la nécessité - absolue vice de la République, ce qui signifie de dirigeait avec zèle l'amiral Platon) sans aller
selon lui- d'une réconciliation avec une Fran- solides amitiés radicales, voire maçonniques. toutefois jusqu'à supprimer les lois contre
ce à laquelle il est très attaché depuis les Mais Mers el-Kébir l'a confirmé dans son les maçons, manière de garder en main de
années d'avant-guerre. Par son activisme anglophobie et il s'entend bien avec Abetz. Il solides moyens de pression. En août 1943,
« collaborateur », Laval finit par agacer pro- pense donc disposer d'atouts pour relancer une Laval autorisera secrètement la réouverture
fondément Pétain qui, de plus, le soupçonne politique qui amènerait les Allemands à adou- des loges en zone sud. Il entend encore
de le tenir à l'écart de ses conversations avec cir les clauses de l'armistice. Il sait que « sa » mettre fin au règne des militaires. Significatif
ses interlocuteurs allemands. marine peut faire la différence en Méditerra- est, à cet égard, le remplacement à la
L'attitude de l'occupant en dit également née, au moment où les fulgurantes victoires préfecture de police de Paris de l'amiral
long sur le contenu qu'il entend donner à la remportées par la Wehrmacht dans les Balkans Bard par Amédée Bussière, qui avait occupé
politique de « collaboration » puisqu'au début affaiblissent encore, au printemps de 1941, la d'importantes fonctions au ministère de
novembre le gauleiter Bürckel expulse de Lor- position de l'Angleterre, arc-boutée à Malte et l'Intérieur jusqu'en mai 1940.
raine des dizaines de milliers d'habitants jugés à l'Égypte. Les difficultés britanniques peuvent JEAN·PAUL COINTET
trop« francophiles». L'opinion attendait beau- d'ailleurs réveiller les tentations d'une paix de Histoire de Vichy. Plon, Paris, 1996.
coup de Montoire pour la libération des prison- compromis et de nombreux milieux anglais
LLABORATION D'ÉTAT

JOSEPH DARNAND ET LA MILICE

Tout a commencé le 30 août 1940 par recrute surtout dans la droite


une loi de Vichy créant la Légion catholique et monarchiste. Ses cadres
française des combattants (LFC), viennent souvent de l'armée. Dans leur
immense mouvement apolitique qui majorité, cadres et membres de la
rassemble tous les anciens Milice sont même pour la plupart
combattants de zone Sud dans le foncièrement anti-allemands, ce qui
soutien au maréchal Pétain. Les posera de sérieux problèmes quand
Allemands s'opposent à son extension 2 000 d'entre eux seront versés
en zone occupée. Joseph Darnand en d'autorité dans la Watten SS (division
est le responsable pour les Alpes- Charlemagne), en Allemagne, à la fin de
Maritimes. Trouvant la LFC beaucoup 1944.
trop molle, il fonde à la fin de 1941 un Le 31 décembre 1943, Darnand est
Service d'ordre légionnaire (SOL)", nommé secrétaire général au Maintien
contre l'avis de François Valentin, de l'Ordre. En janvier 1944, les
secrétaire général de la LFC. Après le Allemands autorisent l'implantation de
débarquement anglo-américain en la Milice en zone Nord où elle était
Afrique du Nord et l'occupation de l'ex· interdite jusque-là. Des cours martiales
zone libre (novembre 1942), Pierre de la Milice ont été instituées par une
Laval décide de transformer le SOL en loi du 20 janvier 1944. Désormais, la
Milice française, dont il veut faire un Franc-Garde va participer à des
mouvement à sa dévotion. Il sera opérations armées de maintien de
d'ailleurs le chef nominal de la Milice. l'ordre contre les maquis, notamment
Darnand n'étant que le secrétaire aux Glières en mars 1944. Prise dans
général révocable. l'engrenage des représailles, la Milice
Pour mener sa politique de trempera dans plusieurs meurtres
finasserie -collaboration apparente et (Hélène et Victor Basch, Jean Zay,
freinage occulte -, Pierre Laval a besoin Georges Mandel), tandis que ses
d'hommes et de moyens. Il ne veut pas hommes deviennent la cible des FTP
d'un parti unique qu'il ne contrôlerait (assassinat à Voiron de sept membres
pas. Il se méfie des cc ultras " de Paris de la famille Jordan, dont la grand·mère
qui le détestent. Contre eux, il va et un bébé de quinze mois, de l'abbé
brandir Darnand et le SOL Joseph Darnand (1897-1945). Héros de Ûl Grande Gue"e et des Sorel (72 ans) à Toulouse ou de
cc modernisé "· combats de 1939-1940, il a <<fait», le 21 mars 1940, Ûl couverture Philippe Henriot à Paris).
Officiellement créée par décret le de Match, à Ûl suite de ses exploits contre les lignes allemandes. A Le paroxysme des violences se
30 janvier 1943, la Milice française Ûl fin de 1941, il est le fondateur du Service d'ordre. légionnaire développe après le débarquement de
reçoit une triple mission : vigilance, (SOL). Épuré de ses tièdes et ouvert à de jeunes volontaires qui ne Normandie (6 juin 1944), dans le Centre,
propagande et sécurité. Sécurité ? Mais sont pas anciens combattants, le SOL est transformé par Laval en le Sud.Quest et en Bretagne.
avec quoi ? Elle n'est pas encore la Milice française au début de 1943. Pris dans l'enchaînement de Ûl Joseph Darnand intervient pour
police auxiliaire qu'elle deviendra. Pour guerre civile, ce mouvement musclé se transforme en police supplé- sanctionner les exactions dont il a
le moment, cette milice est désarmée,
tive à Ûl fin de l'année. Bien avant cette dérive, Joseph Darnand connaissance, mais l'Insurrection de
avait tenté de rejoindre le général de Gaulle et les FFL Le refus qui
elle le restera longtemps. Avant d'être l'été 1944 va tout engloutir dans un
lui fut opposé 1'enfermait i"émédiablement dans le jusqu 'au-boutis-
un instrument répressif, elle est une me de Ûl Collaboration. chaos de fin du monde.
cible. Les communistes ont commencé Quinze ans après, le général de
de s'attaquer aux " collabos " durant Gaulle aura le dernier mot dans ses
l'année 1942. Mais c'est en 1943 que les En novembre 1943, la Milice obtient de la SS Mémoires de guerre: « De ces miliciens,
attentats vont se multiplier contre eux. Soixante· ses premières armes et l'autorisation de s'en fonctionnaires, policiers, propagandistes, il en
treize miliciens seront abattus avant que Joseph servir pour riposter, se protéger, attaquer. Cette fut qui répondirent aveuglément au postulat de
Darnand obtienne, en septembre 1943, la fois, on bascule définitivement dans la guerre l'obéissance. Certains se laissèrent entraîner
décision d'armer certains de ses hommes, l'élite, civile. D'autres mouvements de la Collaboration, • par le mirage de l'aventure. Quelques-uns
ceux de la Franc-Garde. Laval, qui craint le PPF notamment, passent aussi des accords crurent défendre une cause assez haute pour
l'engrenage de la guerre civile, refuse de donner avec la SS et la Gestapo qui en dépend. Pour se justifier tout. S'ils furent des coupables, nombre
des armes. Darnand se tourne alors vers les défendre à l'origine, sans comprendre qu'ils d'entre eux n'ont pas été des lâches. Une fois de
Allemands, précisément les SS. Il est sommé de vont devenir des auxiliaires, des cc harkis " en plus, dans le drame national, le sang français
donner des gages. Il prêtera le serment qui fait quelque sorte de l'occupant. coula des deux côtés. [...] Un jour, les larmes
de lui un membre honoraire de l'Ordre noir. Quel A la différence des partis collaborationnistes seront taries, les fureurs éteintes, les tombes
chemin parcouru pour l'ancien héros de 1918 et de Paris et de zone occupée, dont la tonalité est effacées. Mais il restera la France. "
de 1940! plutôt de gauche, la Milice, comme le SOL, CHARLES VAUGEOIS

Il
LA COLLABORATION D'ÉT~

sont prêts à jouer ce jeu (ce n'est pas un hasard


si c'est à ce moment que vient se placer la
curieuse équipée de Hess outre-Manche).
L'occasion se présente justement, au len-
demain des victoires allemandes en Yougosla-
vie et en Grèce. Le soulèvement de Rachid Ali
en Irak ne peut espérer l'emporter que s'il
reçoit une aide allemande et Berlin demande
alors au gouvernement de Vichy l'autorisation
d'utiliser les aérodromes français de Syri~.
Les moyens en question seront prélevés sur les
stocks des troupes françaises du Levant, gelés
du fait de l'armistice. Le 11 mai 1941 , escorté
de Benoist-Méchin, l'amiral est donc amené à
rencontrer Hitler à Berchtesgaden, au moment
où le Führer vient d'apprendre le départ de L'une des nombreuses négocwtions opposant les représentants de l'Allemagne et ceux de la France.
Rudolf Hess pour l'Angleterre. Hitler accepte Debout, le Dr Michel, chef d'état-major économique auprès du commandant en chef des forces d'occu-
le principe d'une coopération militaire mais pation (MBF). Bénéficwnt d'assimilation de grades dans la Wehrmacht, le Dr Michel est en uniforme de
s'affirme certain de gagner la guerre en se pas- général de la Heer, distingué par des pattes de col vertes. A sa droite, M. Lehideux, ministre français de
sant de la France. Il consent simplement à des la Production industrielle. A son côté, M. Lassalle, président de la Chambre de commerce de Paris.
concessions au coup par coup(« donnant-don- Photo exclusive extraite du livre de Claude Gwsone, Paris occupé, Éditions Jacques Grancher 1997.
nant » ), correspondant aux gestes de bonne
Benoist-Méchin, soutenu par Darlan, tente pouvez faire seuls la paix. Vous ne pouvez
volonté qui viendront du côté français .
alors de relancer le processus en proposant une faire la paix sans la France. En ne faisant pas
Cette rencontre se poursuit du 21 au 28 mai,
adhésion de la France au pacte anti-Komintern une paix de collaboration, vous vous exposez
par les entretiens qui déboucheront sur les « pro-
et la rédaction de « conventions transitoires » à perdre la paix... » •
tocoles de Paris », négociés par Abetz et Warli-
par lesquelles l'Allemagne et l'Italie s'engage- De nouvelles conversations militaires ont
mont du côté allemand, par Darlan, Benoist-
raient à garantir l'intégrité territoriale de la cependant lieu à Berlin entre le général Juin et
Méchin, le général Huntziger et l'amiral Platon,
France et de l'empire- à l'exclusion du Togo Goering, car le repli que Rommel a opéré en
qui détiennent respectivement les portefeuilles
et du Cameroun, anciennes colonies alle- Tripolitaine peut annoncer une retraite sur la
de la Guerre et des Colonies, du côté français.
mandes - la question d'Alsace-Lorraine étant Tunisie et il faut alors s'assurer le soutien des
Les représentants de Vichy acceptent de mettre
résolue « de façon telle que ce territoire ne Français. Darlan voit une nouvelle opportunité
à la disposition des Allemands leurs aérodromes
soit plus l'enjeu de luttes fratricides ». Cette de relancer cette collaboration militaire, même
de Syrie, de faire transiter par Bizerte du maté-
fois, le Maréchal approuve ce projet mais en limitée, qui peut permettre de desserrer en par-
riel destiné à l'Afrikakorps qui opère en Libye.
précisant qu'il ne veut à aucun prix prendre tie l'étau des conditions d'armistice. Sur la base
En contrepartie, ils obtiennent le renforcement
des engagements militaires. Tout cela n'inté- de propos du Führer déformés par Abetz, on
de l'Armée d'Afrique, le réarmement d'une par-
resse guère Hitler en cet été 1941. Il songe pense également à Vichy que les choses sont
tie de la flotte, la libération de certains officiers, avant tout à ses victoires en Russie et il sur le point de bouger, mais c'est Pétain qui
dont le général Juin. Un protocole politique n'entend pas mécontenter l'allié italien en prê- freine les ardeurs de certains en faisant valoir
visant à un assouplissement des conditions tant l'oreille aux « conditions » posées par les qu'une éventuelle paix avec le Reich ne doit
d'armistice accompagne cet accord. représentants d'une France totalement vaincue pas signifier pour la France qu'il faut faire la
1' année précédente. guerre aux ennemis de l' Allemagne. La ques-
Darlan abandonne La perte de la Syrie montre également, en tion va se régler toute seule, avec les nouvelles
juillet 1941, malgré l'énergique résistance victoires remportées par Rommel. L'Axe
Ces protocoles vont rester sans lendemain. opposée par les troupes du général Dentz aux n'ayant plus besoin de l'aide française, il n'est
A Vichy, la plupart des ministres et les gou- forces anglo-gaullistes, quelles sont les limites plus question non plus de faire des concessions.
verneurs des colonies notamment Boisson à des « atouts » dont dispose réellement Vichy. Cette fois, Darlan est complètement désa-
Dakar, Esteva à Tunis ou Noguès au Maroc y On le mesure également en décembre suivant, busé. Il a bien obtenu un renforcement de
sont hostiles, de même que Weygand, délégué quand Darlan et le Maréchal rencontrent Goe- l'armée d'Afrique, un assouplissement de la
général en Afrique du Nord. On craint de nou- ring à Saint-Florentin. Ils se heurtent toujours ligne de démarcation, la libération de contin-
velles dissidences dans l'empire en cas de aux mêmes refus de la part des Allemands, au gents importants de prisonniers et, surtout, la
coopération trop poussée avec l'Axe. Hitler point que Pétain s'emporte : « J'ai compris réduction à trois cents millions de l'indemnité
n'est pas plus enthousiaste car il est alors per- que la collaboration véritable impliquait de quotidienne mais tout cela· demeure relative-
suadé que la blitzkrieg qu'il prépare va abattre traiter d'égal à égal. S'il y a en haut un vain- ment superficiel et rien n'est fondamentale-
en quelques semaines l'URSS. Dans ce cas, queur et en bas un vaincu, il n'y a plus de col- ment changé dans . la situation de la France.
les concessions françaises paraîtront bien dé ri- laboration, il y a ce que vous appelez un Dik- Quatorze mois après l'arrivée de l'amiral au
soires et l'Angleterre, définitivement isolée, tat et que nous appelons la loi du plus fort. pouvoir, Pétain tire les conséquences de son
ne manquera pas de traiter. Vous pouvez gagner seuls la guerre. Vous ne échec et se résigne à jouer de nouveau la carte

Il
LLABORATION D'ÉTAT

QUAND
PAUL MORAND
CROYAIT EN LAVAL l'empire aux Alliés- à l'appel de Darlan, qui
se trouvait à Alger en novembre 1942 - et le
Paul Morand, dès la publication de Tendre sabordage de la flotte de Toulon enlèvent au
Stock en 1921, à l'instar de Giraudoux ou gouvernement de Vichy ses derniers
Claudel, avait mené une double carrière « atouts ». Il ne peut plus s'opposer sérieuse-
d'écrivain et de diplomate. En 1939, à la ment aux exigences de l'occupant et le temps
déclaration de guerre, il était nommé chef de des « finasseries » est terminé.
la mission française de guerre économique à
Londres. En juillet 1940, au lendemain de La fin de Laval
l'armistice, il décidait de quitter Londres de
son propre chef pour Vichy -tandis que Sans être aucunement séduit par l'idéolo-
d'autres traversaient la Manche en sens gie national-socialiste à laquelle adhèrent lar-
inverse pour rejoindre le général de Gaulle. gement les « ultras » de la collaboration pari-
Ce choix lui sera reproché à la Libération. sienne, Laval a tout joué sur l'hypothèse de la
Vichy, 26 juin 1944. Laval en compagnie de
Quand Laval est rappelé aux affaires, Morand victoire allemand\!. Il continue donc jusqu'au
deux ultras de la collaboration, membres de son
qui l'a toujours soutenu, est nommé bout, contraint de .céder à toutes les exigences
dernier gouvernement, en pleine guerre civile~
ambassadeur à Bucarest. En 1944, il est personnages au demeurant parfaitement intègres des représentants du Reich, même s'il parvient
affecté à l'ambassade de Berne. C'est là que et sincères. A gauche, Joseph Darnand, secrétaire parfois à limiter les effets de certaines mesures.
la nouvelle de sa révocation par le d'État à l'Intérieur et chef de la Milice. A droite, C'est l'instauration du STO, ce sont les accords
gouvernement du général de Gaulle lui Philippe Henriot, secrétaire d'État à l'Informa· Speer-Bichelonne qui, en novembre 1943, met-
parviendra. Il ne sera réintégré dans la tion et orateur exceptionnel. Deux jours plus tard, tent l'économie française au service de l'effort
Carrière qu'en 1955. Entre-temps, il aura il sera assassiné à Paris. Il était sans garde et de guerre allemand. Détesté de l'entourage de
vécu une sorte d'exil en Suisse à Vevey. Il n'était pas armé, Pétain, notamment par le docteur Ménétrel qui
sera élu en 1968 à l'Académie française, est le confident dti Maréchal, lâché par beau-
après que de Gaulle eut fait échouer à deux de Laval, qui paraît le mieux placé pour ama- coup de pétainistes de 1940 à qui 1' invasion de
reprises sa candidature. douer l'occupant. la zone libre a fourni l'occasion d'un retourne-
Deux mois après l'exécution de Pierre Dès le 18 janvier 1941, le Maréchal a réta- ment de veste opportun, il doit compter aussi
Laval, le 18 décembre 1945, Paul Morand bli le contact avec son ancien ministre en le ren- avec les « ultras » parisiens qui ne manquent
écrivait à Josée de Chambrun, fille de contrant à La Ferté-Hauterive, près de Vichy. pas une occasion de reprocher aux hommes de
l'ancien chef de gouvernement : «Je ne Pétain n'a pas voulu lui confier alors les Vichy leur attentisme et de le dénoncer, lui,
l'oublierai jamais, pas plus qu'on n'oublie Affaires étrangères et, pendant près de dix-sept Laval, comme « enjuivé ». Pétain essaie même,
son père et le jour où on l'a mis au cercueil. mois, l'homme de Châteldon va se replier sur à la fin de 1943, de se débarrasser de nouveau
Il ne se passe pas d'heure qu'il ne soit Paris, en attendant son heure. Elle survient le 18 de lui, mais les Allemands l'empêchent de
présent. Lui vivant, rien n'était perdu ; mais avril 1942, quand il retrouve ses fonctions mettre son projet à exécution.
où placer aujourd'hui ce peu d'espérance ministérielles et prend ainsi une éclatante Parallèlement, la France plonge lentement
qui fait qu'on a le courage de se réveiller et revanche sur son limogeage du 13 décembre dans la guerre civile qui voit s'affronter mili-
de recommencer la journée ? Quelle 1940. Ce ne sont pas les Allemands qui l'impo- ciens et maquisards. Au début de 1944, Laval
expérience singulière que mon chemin sent car ils n'ont plus, à cette date, la moindre doit accepter l'entrée au gouvernement de Dar-
venant si tardivement croiser le sien, illusion sur la « collaboration ». Laval n'en fait nand, Déat et Henriot, les « collaboration-
rencontre si étrange.qu'elle ressemble par pas moins le pari que le Reich gagnera la guerre nistes ». Le débarquement de Normandie
certains côtés à un signe magique fait par et il l'exprime dans la fameuse formule du 22 annonce la débâcle prochaine. Et les ultimes
des puissances inconnues. D'avoir foi en un juin 1942 : « Je souhaite la victoire de l'Alle- tentatives en direction d' Herriot et de De Gaulle
homme, cela ne m'était jamais arrivé. J'ai cru magne car, sans elle, le bolchevisme triomphe- menées respectivement par Laval et Pétain ne
en lui, en sa personne, en son étoile; je rait partout en Europe ». Il doit, au même peuvent aboutir. Bientôt, les Allemands emmè-
ressentais profondément sa force psychique, moment, résister aux exigences de Sauckel, qui nent le Maréchal et Laval dans leur retraite. Ils
son don de divination. J'y crois encore, avec réclame de la main-d'œuvre pour faire tourner se retrouvent à Belfort puis à Sigmaringen, où
cette différence qu'il s'accomplit dans la l'appareil industriel nazi. En exprimant le sou- ils refusent de se prêter au jeu qu'entendent leur
mort alors que, comme beaucoup, je pensais hait d'une victoire allemande, Laval espère faire jouer les vainqueurs d'hier. Fernand de
qu'il se réaliserait de son vivant. Et je ainsi disposer de plus grandes possibilités de Brinon prend alors la direction d'une Commis-
tremble en voyant venir les jours qu'il manœuvre pour défendre les intérêts français. sion générale des intérêts français en Alle-
annonçait, mais 'bien plus terribles parce Pour réaffirmer la place de l'État français magne, mais les jusqu'auboutistes de la colla-
qu'il ne sera plus là, et parce que rien ne et de sa police en zone occupée, il accepte de boration, qui se sont lourdement trompés sur les
peut plus conjurer le progrès démoniaque "· faire collaborer celle-ci avec les autorités alle- véritables intentions des Allemands, ne repré-
Cité par Éric Canal-Forgues et Pascal mandes lors de la grande rafle de Juifs étran- sentent plus alors qu'eux-mêmes.
Louvrier dans leur biographie de Paul gers de juillet 1942. Ph.C.
Morand publiée en 1994 chez Perrin. Le débarquement en Afrique du Nord, Philippe Conrad prépare actuellement une
l'invasion de la zone libre, le ralliement de biographie du maréchal Pétain.

Il
"
ENQUETE AUX SOURCES

Hitler et la France
PAR THIERRY BURON

C'est lui qui offrit à la France vaincue de 1940 une« collaboration». Le mot eut peu de suites pratiques,
généra toutes les équivoques et engendra les plus dramatiques conséquences. Nationaliste fanatique, pan-
germaniste impénitent, il avait bâti sa fortune politique sur la revanche de 1918 et la liquidation du traité
de Versailles. Mais que sait-on de ses véritables intentions concernant la France ? Enquête aux sources.

«L'ennemi mortel implacable du tions internationales comme des rapports


peuple allemand est et reste la de force, ne peut, avant 1940, que s'oppo-
France » (1927). « Il ne fallait ser à la France, la grande puissance domi-
pas collaborer avec eux [les Français], nante battue par l'Allemagne seule en
cette politique les a servis et nous a des- 1871, victorieuse avec l'aide alliée, pour le
servis » (14 février 1945). De Mein Kampf malheur de l'Allemagne, en 1918, hégémo-
à la fin de sa vie, la francophobie de Hitler nique et décadente depuis.
paraît constante et profonde, relativisant les Haïr la France est donc un devoir
offres de paix et d'entente des années tren- patriotique tant qu'elle est une grande puis-
te ou le geste de Montoire en 1940. La Col- sance en Europe, tant qu 'elle est capable de
laboration ne fut-elle alors pour lui qu'une ·tenir l'Allemagne « dans les chaînes de
tactique, ou une tentation éphémère ? Rien Versailles », tant qu'elle veut l'empêcher
de plus? de « reprendre sa poussée à l'Est ». Les
Les racines de son hostilité sont nom- Français ont connu ces sentiments après
breuses : les leçons d'histoire sur la domi- Sedan ; ils ont cru tenir leur revanche en
nation française en Allemagne, de Riche- 1918. Mais autrement ?
lieu à Napoléon « La France a attaqué Jusqu'en 1940, pas de doute, le senti-
l'Allemagne 29 fois en trois siècles à cause ment et la politique s'accordent dans l'hos-
Engagé volontaire le 16 août 1914 au 2' régiment
du Rhin. » (4 octobre 1940), sa répugnance d'infanterie de réserve bavaroise, Adolf Hitler (au centre)
tilité à la France. De 1920 à 1933, le natio-
pour le cosmopolitisme francophile vien- se trouve en convalescence à l'hôpital militaire de Beelitz nalisme antifrançais est un moyen d'agita-
nois, son passé de soldat vaincu, et surtout dans le Brandebourg, à la suite de sa deuxième blessure, tion efficace pour discréditer les hommes
« la faute de Versailles », ce Francfort fran- le 7 octobre 1916 à La Bargue, près de Bapaume. Il avait de Weimar (Ruhr, plan Young), rallier les
çais en pire, que « la France devra réparer été blessé une première fois le 15 novembre 1914 dans la masses, conquérir le pouvoir. Durant la
pendant cinquante ans » (5 avril 1942), région de Lille, ce qui lui avait valu la Croix de fer de transition périlleuse de 1933 à 1936, Hitler
enfin le rejet de la Révolution française deuxième classe. Renvoyé au front en mars 1917 avec le chancelier multiplie les offres de paix et les
subversive et conquérante et la lutte contre grade de caporal, il participera aux combats devant Arras déclarations favorables à la détente avec la
la république weimarienne de Stresemann et à la troisième bataille d'Ypres. Le 4 août 1918, après France quand celle-ci est encore capable
avoir fait douze prisonniers français devant Montdidier, il d'intervenir pour sauvegarder le traité de
et de Brüning qui pratique la détente avec
recevra la Croix de fer de première classe, décoration
la France sans restaurer la puissance alle- Versailles et empêcher le réarmement alle-
rarement attribuée à un caporal. Dans la nuit du 13 au 14
mande. octobre, au sud d'Ypres, à la suite du bombardement de sa mand (renonciation à l'Alsace-Lorraine,
L'Autrichien pangermaniste, 1'ancien tranchée, il sera évacué, les yeux brûlés par le gaz. C'est éloge de Briand et de Stresemann lors du
combattant humilié par la défaite et avide ainsi que le surprendra la défaite de son pays : << Dans ces fameux entretien accordé à Brinon le 16
de revanche, le nationaliste qui rêve nuits, écrira-t-il, naquit en moi la haine, la haine contre novembre 1933), « Vouloir la guerre ? Je
d'hégémonie allemande et conçoit les rela- les auteurs de ces événements. >> serais fou ! Ce serait la fin de nos deux

Il
R ET LA FRANCE

Elle s'accorde mal avec le ressentiment persis-


tant de Hitler pour l'« ennemi héréditaire » et
son mépris croissant pour le régime français.
Mais elle reparaîtra en 1940.
Or, en 1940, tout change, en apparence,
avec la défaite française. Mais cette défaite,
c'est trop ou c'est trop peu.
Trop, car la France n'est plus une grande
puissance en Europe. Elle sort de la guerre, la
république parlementaire s'effondre, le nouveau
régime se consacre à la régénération interne, le
pays est en partie occupé. Ce n'est plus un
ennemi dangereux dans l'immédiat. Alors que
la guerre continue, il ne peut être non plus un
partenaire égal, même pas comme l'Italie.
Trop peu, car en refaisant ses forces grâce
à un armistice clément et en attendant un ren-
versement du sort des armes, il peut redevenir
un ennemi dangereux. Comme la Prusse, après
Iéna...

Une paix équitable


et clémente

Trop, d'où le mépris de Hitler pour la


France vaincue ; trop peu, d'où sa méfiance,
qui affleure presque constamment de 1940 à
1944. Au-delà de la haine contre la puissance
et du mépris pour l'impuissance, y avait-il une
place pour la Coiiaboration aux yeux de
Hitler ? Oui, s'il émergeait en France une
dynamique radicalement nouvelle. Autrement,
non, et ce fut le cas.
La Collaboration ne fut pas à sens unique,
mais bancale, c'est-à-dire inégale à cause de la
défaite, et précaire à cause de l'issue incertaine
de la guerre. Or, pour Hitler, tout est subor-
donné à la victoire. D'où les ouvertures en
même temps que les réticences.
La France de Vichy peut être utile à la vic-
toire allemande en limitant la dissidence gaullis-
Au petit matin du 23 juin 1940, Hitler est venu se recueillir devant le tombeau de Napoléon aux
te ou en évitant la sécession de l'empire et la
Invalides. L'artiste qui sommeille en lui se dira impressionné par l'architecture monumentale de Paris.
défection de la flotte qui renforceraient le camp
races qui sont à la tête de l'histoire du monde. De 1936 à 1939, l'affaiblissement de la adverse. Son armée et sa marine le poussent à
Le bolchevisme triompherait. » Mais bientôt France (le Front populaire en paralysant le une collaboration pour la sécurité de l'Alle-
magne, l'ambassadeur Abetz à une coiiaboration
naît le frêle espoir d'inciter la France, qui pays et en aliénant les alliés anticommunistes
du sentiment et de la raison. Hitler lui-même, au
s'enfonce dans la crise, d'abandonner son de la France, est pain bénit pour Hitler) et, au-
moment de Montoire (octobre 1940) paraît
droit de regard sur l'est de l'Europe et de delà de l'« appeasement », la résistance de
s'engager dans cette voie. Dans le futur traité de
l'engager, pour assurer ses arrières, dans la 1' Angleterre aux ambitions hitlériennes, rédui- paix, « la France ne sera pas traitée comme
croisade antibolchevique qui permettra de sent la France, aux yeux de Hitler, à un satelli- l'Allemagne en 1918, mais avec les égards dus
conquérir le Lebensraum (espace vital). Dans te de l'Angleterre, cette dernière étant promue à son importance en Europe et en Afrique » (à
les deux cas, le rapprochement avec la France au rang d' « ennemi principal de l'Alle- Laval, 22 octobre 1940) ; eiie bénéficiera
n'est pas une fin en soi, mais le moyen de la magne ». L'idée de Ribbentrop, futur ministre d'« une paix équitable et clémente », grâce à
seule grande politique aux yeux de Hitler, des Affaires étrangères, de transformer la « l'immense bienveillance » de l' Ailemagne (à
celle de l'hégémonie à l'Est. La France désor- France en alliée contre la Grande-Bretagne, Mussolini, 28 octobre 1940). Mais la France
mais est un obstacle plutôt qu'un ennemi. apparaît, en 1937, iiiusoire, ou prématurée . doit « s'en montrer digne en offrant de corn-
HITLER ET LA FRANCE

battre la Grande-Bretagne, l'ennemi du conti- puissance autonome gravitant autour de 1' Alle-
nent » ; elle trouvera, au détriment de celle-ci, magne, satellisée au pire, « otanisée » au
• des compensations à ses pertes territoriales mieux) ? La victoire à l'Est sera le remède
inévitables (Nigeria). Une victoire rapide de miraculeux, << après la victoire, nous aurons
l'Allemagne est donc de l'intérêt de la France. tant de matière premières et de territoires que
Jamais Hitler n'a été plus loin dans ce nous n'aurons plus besoin de la France ».
sens : la France vaincue s'alliant à son ancien Alors, en attendant, << je fais la guerre ».
ennemi. Il en attend un effet psychologique D'où la propagande européenne, les hom-
énorme dans toute l'Europe. mages à l'engagement des Français sur le front
de l'Est, dans << un puissant front européen [...],
L'impossible collaboration une croisade européenne » (11 décembre
1941), dans l'espoir d'un retournement décisif
Or c'est la déception, qui, comme plus des Français. Mais même l' antibolchevisme ne
tard en 1941 lors des accords Darlan, ranime balaie pas la méfiance. La France est soupçon-
Pierre Laval et Otto Abetz descendant les née de ne vouloir la victoire ni du bolchevisme
le vieux fonds de ressentiment et de méfiance
marches de l'hôtel de Beauharnais, ambassade ni de l'Allemagne, mais seulement profiter de
contre la << France éternelle ». Pour trois rai- d'Allemagne, rue de Lille, à Paris. Né en 1903,
sons. son affaiblissement. Plus la guerre s'enlise et
social-démocrate dans sa jeunesse, pacifiste, fran-
- Les partenaires d'abord. Vichy est un plus il faut traiter durement la France, exploiter
cophile et francophone, rallié au nazisme sans
choc de tendances << nationalistes, antisémites, fanatisme, Abetz fut du côté allemand le partisan l'économie et la main-d'œuvre, augmenter les
cléricaux, judéophiles, royalistes, révolution- le plus sincère de la Collaboration. Il l'habillait à frais d'occupation, coopérer seulement avec la
naires ». Pas de vrai pouvoir. Pas de réalisme, sa façon, louvoyant entre les ordres de Berlin et police française. En novembre 1942, l'Afrique
pas d'imagination. << Ni homme énergique ni les réserves de V~ehy. Arrêté en 1945, il fit quatre française a rejoint le camp allié, Darlan trahit,
politique claire » (13 mai 1942). Pétain ? années de préventive à Paris au régime le plus la flotte se saborde à Toulon. Depuis 1943, les
dur. Condamné le JO juillet 1949 à vingt ans de Français attendent la Libération. En 1944-
Droiture et expérience, mais son autorité est
travaux forcés, libéré pour raisons de santé, il est 1945, la France libre participe à la guerre
celle du grand âge, il appartient à une généra- mort accidentellement en 1958.
tion dépassée. Laval ? Un produit du parle- contre l'Allemagne. Hitler meurt donc en
mentarisme. Darlan ? Le double jeu. vomissant la France et en regrettant ses conces-
1942, Goebbels estime que la Collaboration a sions, mais on peut se demander si ses invec-
Weygand et les autres ? Des gaullistes. A qui fait faillite. Les Français ne changeront-ils
parler ? Vichy veut sauver ce qui peut l'être, tives, <<la France a pris en cent ans le visage
donc pas ? d'une prostituée. C'est une vieille putain qui
arracher des garanties au moindre prix, -L'intérêt allemand enfin. Faire davantage
attendre des jours meilleurs. Pourquoi parler ? n'a cessé de nous tromper, de nous bafouer, de
de concessions à la France, c'est non seule- nous faire chanter » (14 février 1945), ne tra-
- Les Français ensuite. Ils restent les ment mettre en péril la sécurité du Reich, c'est
mêmes après la défaite, petits-bourgeois hissent pas, dans l'amertume de la défaite, une
aussi renoncer aux ressources et à la main-
(« Spiesser » ), attentistes, mesquins, an ti -alle- attente déçue ? < <Le malheur a voulu que la
d'œuvre françaises et compromettre les
mands. < <On veut toujours me persuader de me France ait dégénéré au cours des siècles et
chances de la victoire. C'est enfin la quadratu-
concilier les Français. En tant qu'individus, que ses élites aient été subverties par l'esprit
re du cercle diplomatique. Comment satisfaire
les Français seraient fort aimables envers juif » (2 avril 1945).
la France vaincue, en même temps que l'Italie,
nous, mais mettez-en trois ensemble et vous Qu'a-t-il manqué aux yeux de Hitler pour
alliée de l'Allemagne, en Méditerranée et en
aurez du nationalisme anti-allemand » (1 " qu'il en fût autrement? Avant 1939, un chan-
Afrique (la Corse, Nice, la Tunisie), et
avril 1942). Ils ne souhaitent pas la défaite de gement de régime, l'abandon volontaire ~es
l'Espagne au Maroc et à Oran, quand on a pro-
l'Angleterre (Laval est renvoyé le 13 décembre restes d'hégémonie européenne, les mams
mis de la << traiter en ennemie » (à Ciano, 8
1940). Vichy exige des garanties territoriales, libres à l'Est, l'antibolchevisme, auraient sans
juillet 1940), avant de promettre le contraire à
Pétain bloque les accords Darlan de 1941. Ils doute libéré Hitler de ses prétentions. Pas
Montoire ? Comment satisfaire la France alors
refusent de reconnaître leur responsabilité dans moins. Mais après 1940?
que la victoire ouvre les appétits territoriaux
la guerre lors du procès de Riom. Seule une <<J'ai été la dernière chance de l'Europe ...
allemands (l'Alsace-Lorraine, mais aussi les
petite minorité est collaborationniste, < < Ce Il fallait la violer pour la prendre » (26 février
anciennes colonies allemandes, et des bases
sont des hommes de valeur, sincères et coura- 1945). La France, selon lui, ne l'a pas compris
sur le littoral, et les départements du Nord, la
geux, des précurseurs traités avec sauvagerie à temps. Tout cela Hitler l'a certainement rêvé,
Bourgogne et les frontières de Charles
par leurs compatriotes» (15 février 1945). mais seulement rêvé. En démiurge, plus qu'en
Quint !) ? Un « traité futur assez dur » en effet
Toute concession serait donc un aveu de politique.
(Goebbels), mais qu'on ne peut révéler au
faiblesse, encourageant résistances et dissi- T.B.
risque de faire basculer la France dans le camp
Thierry Buron est agrégé d'histoire et ger-
dences : l'assouplissement de la ligne de adverse, et qui reste de toute façon assez théo-
maniste. II a collaboré à plusieurs numéros
iémarcation favorisera l'espionnage ; la libé- rique car il est suspendu à la victoire. Alors d'Enquête sur l'histoire : n° 6, L'âge d'or de la
ration des prisonniers alimentera les maqui~ ; l'ambiguïté demeure sur la place de la France droite (1993) ; no 10, Les écrivains et la Collabo-
!n s'évadant, Giraud a violé la parole donnée ; dans l'Europe future. Faut-il agir comme Bis- ration (1994) ; n° 12, La Grande Guerre 1914-
'assassinat d'officiers allemands par les com- marck (faire à la fois accepter et oublier 1918 (1994) ; no 20, L'Allemagne de Charle-
nunistes sabote la Collaboration. En janvier 1940) ? ou comme Napoléon (une France, magne à Helmut Kohl (1997).
CE QUE NOUS APPREND L'HISTOIRE

Vichy et la question juive


PAR FRANÇOIS-GEORGES DREYFUS

Depuis le début des années gueux - organe de Georges Bonnet - ), ce sont


les Juifs qui veulent la guerre pour protéger
quatre-vingt, l'histoire de l'Occu- leurs coreligionnaires ! Tout cela contribue à
expliquer le désintérêt de 99 % des Français
pation semble se résumer à l'anti- devant les mesures antisémites de Vichy, au
moins jusqu'en 1942. Et pourtant durant ce
sémitisme. Qu'en fut-il réelle- régime, les Juifs vont connaître un sort
d'abord difficile, puis de plus en plus drama-
ment de cette question doulou- tique. Et cela, même si on ne peut pas ramener
l'histoire de Vichy au problème juif, comme
reuse ? Examen en connaissance certains ont un peu trop tendance à le faire. Le
problème juif n'a pas été la préoccupation pre-
de cause. mière du gouvernement de Vichy (la lecture de
la presse de la zone sud est éclairante à cet
égard), même s'il prend de nombreuses

C
ommémorant le tragique événement mesures antisémites au point que l'on peut
que fut la Rafle du Vél' d'Hiv', Lionel parler d'un antisémitisme d'État. Mais - ce
Jospin, à la suite de Jacques Chirac, a que l'on néglige- c'est que le problème juif
reconnu avec raison la responsabilité de la n'est pas davantage la préoccupation de la
France dans cet acte dramatique. Toutefois si, Défilé des vainqueurs sur les Champs-Élysées Résistance, à l'exception de ceux qui contri-
comme il le dit « Pas un soldat allemand ne à Paris. Une scène qui rappelle que la France buent au mouvement Témoignage Chrétien,
fut nécessaire à ce foifait », il s'égare sur deux était vaincue. De 1940 à 1944, elle fut soumise à auxquels s'ajoutent quelques universitaires
points : la rafle n'a pas été «décidée» par des la volonté de l'occupant. Pétain et Laval n'étaient communistes. Mais les textes protestants
responsables ni de la guerre ni de la défaite. Ils
Français, mais par les nazis dans le cadre de contre les lois scandaleuses d'octobre 1940 et
s'efforcèrent d'en atténuer les conséquences.
l'abominable décision de Wannsee et la France Avec quel succès ? Les historiens en discuteront de juin 1941 qui émanent des grands mouve-
a dû se résoudre à la réaliser, conformément à encore longtemps. Photo de Claude Giasone, ments de résistance (Combat, Franc-Tireur,
l'article 19 de la convention d'armistice de juin Paris occupé, Éd. Jacques Grancher, 1997. Libération Nord et Sud, Défense de la France,
1940, article par lequel la France vaincue (on OCM) se comptent sur les doigts de la main.
l'oublie un peu trop), s'engageait à remettre France du nord est occupée et celle du sud Seule la Fédération protestante de France, der-
aux Allemands tous les ressortissants alle- menacée de l'être du fait de la cuisante défaite rière le pasteur M. Boegner, protestera ferme-
mands que le gouvernement du Reich réclame- subie par nos armées en mai-juin 1940. Or ment, dès octobre 1940, contre l'antisémitisme
rait: or, aux yeux du Reich, les Juifs d'origine cette défaite, le peuple français - et le général d'État instauré par Vichy.
polonaise, autrichienne, tchèque étaient, du fait de Gaulle lui-même - en incombe la responsa- Le gouvernement de Vichy rompt en 1940
des annexions, des ressortissants allemands. bilité à la Ill' République, à ses gouverne- avec la politique menée par tous les gouverne-
Après tout, quelques mois auparavant, la Fran- ments et à ses partis. Pour beaucoup de Fran- ments depuis 160 ans. De Louis XVI à la Ill'
ce n'avait-elle pas remis au Reich un certain çais de l'époque, la guerre n'était pas indis- République, la politique constante à l'égard
nombre de responsables du KPD ou du SPD pensable. Après tout, le Front populaire avait des communautés juives a été de rechercher et
réfugiés en France depuis 1933 ? C'est en - malgré la remilitarisation de la Rhénanie en d'accélérer le processus d'assimilation des
vertu de ce même article 19 de la convention mars précédent - gagné les élections de mai- Israélites. Cette attitude contribue à la consti-
d'armistice que, en août 1942, le gouverne- juin 1936 sur le thème «Pain, Paix, Liberté », tution de véritables dynasties de « Juifs
ment Laval livrera une quinzaine de milliers de et cela explique que l'on s'y soit mal préparé. d'État » comme l'a excellemment démontré
Juifs étrangers aux services du Reich. Pour nombre de Français- c'est ce que décla- P. Birnbaum, créant par conséquent quelques
On semble, chez nombre d'historiens ou re souvent la presse radicale de province au jalousies parfois furieuses. L'antisémitisme
de politiques, négliger le fait qu'en 1942, la printemps 1939, (telle La République de Péri- d'État se fonde naturellement aussi sur des
VICHY ET LA QUESTION JUIV

LA CULPABILISATION
DELA FRANCE
Peut-on applaudir [le président de la
République) qui accuse la France de
complicité avec le crime nazi, ce qui sous·
entend qu'en juillet 19421es Français
savaient l'horreur du génocide ? Comment
affirmer que les policiers qui arrêtent et les
cheminots qui transportent « secondent "•
selon le mot terrible de Jacques Chirac, « la
folie criminelle de l'occupant » ? que l'État
français « seconde » la solution finale
perpétrée par la demence nazie ?
L'histoire politisée et médiatisée occulte
ainsi la vérité que l'on doit au peuple
français. Car « seconder» une entreprise
suppose que l'on est informé de son objet,
de son dessein. Or, s'il est certain que des
policiers, des cheminots et des
Collaboration policière. Un gardien de la paix et un SS. Les policiers parisiens qui ont participé aux responsables de l'État français furent
rafles de juillet 1942 sont les mêmes qui s'insurgeront en août 1944 et recevront, à ce titre, la prestigieuse contraints, sous la menace allemande, de
fourragère rouge de la Légion d'honneur. participer à la déportation des Juifs qui,
selon Oberg, partaient en Pologne où l'on
comportements antisémites non négligeables sur le statut des Juifs du 3 octobre 1940. De créerait un« État juif», il est non moins
en France depuis le milieu du XIX' siècle. Il surcroît, le texte ne touche qu'un nombre avéré.que les uns et les autres ignoraient
s'agit d'abord d'un antisémitisme socialiste limité de personnes, moins de 4 000 fonction- que le dessein allemand se résumait en un
(Proudhon, Marx, Blanqui, Toussenel) contre naires, même s'il fonde une nouvelle tradition acte de barbarie que l'histoire a rarement
la banque juive, relayé après le krach d'une juridique en rupture totale avec les principes égalé.[...]
des rares banques catholiques françaises par fondamentaux du droit français. Au reste, de Les contempteurs de la France blessée
les campagnes de certains milieux catholiques nombreux juristes ne seront nullement cho- évoquent son irréparable manquement à sa
(pensons au rôle joué par w Croix jusqu'au qués par ces mesures, en témoignent les
vocation de terre d'accueil et d'asile. Mais
milieu des années trente) accentuées par un manuels de droit pour étudiants ou la thèse du
que peut être le droit d'asile dans un pays
disciple de Blanqui, Drumont. L'affaire Drey- jeune Maurice Duverger, ainsi que les
ouvrages de Robert Badinter sur les silences sous la botte, quand la protection de ses
fus fait pénétrer l'antisémitisme dans une par-
du barreau de Paris. propres citoyens est suspendue aux
tie de la bourgeoisie française.
Les mesures antisémites de Vichy avaient volontés d'un occupant inhumain ? Qu'était,
été préparées par la loi du 27 août 1940, abro- en ces temps d'ombre misérable, le droit
Les lois de Vichy d'asile, quand Américains, Britanniques et
geant le décret-loi du 21 avril 1939 « punis-
sant l'injure envers un groupe de personnes Suisses émettaient les plus grandes
Mais quoi qu'on en dise, l'antisémitisme
qui appartiennent par leur origine à une race réserves sur l'accueil des réfugiés juifs?
n'est pas une idéologie propre à la droite : la ou une religion déterminée ». Notons que ce Que devint, en 1945, le droit d'asile, lorsque
mainmise des partisans de Blum (André Blu- texte n'avait guère été appliqué et qu'on ne
mel, Georges Boris, Jules Moch) sur la SFIO les Alliés, vainqueurs et maîtres de leurs
l'avait pas utilisé contre Giraudoux. actes, estimèrent devoir rendre à Staline le
au milieu des années trente favorise l'appari- Même si Vichy avait l'intention de prendre
tion d'un courant antisémite incontestable au général Vlassov et ses soldats dont le crime
des mesures contre les Juifs, ce à quoi l'on
sein de ce parti et un courant analogue se avait été de lutter contre la dictature
songeait primitivement était assez différent de
développe depuis le Front populaire chez les sanguinaire de celui qui sera leur bourreau ?
la législation qui sera promulguée. Le Maré-
radicaux de droite comme l'a bien montré chal, que Paul Baudouin fait passer pour anti- Et qu'était donc, en 1962, pour Charles de
Serge Berstein. Même au PC, cet antisémitis- sémite, avait, en octobre 1938, cosigné avec le Gaulle, le droit d'asile, lorsque la France,
me de gauche existe et il ne s'effacera pas cardinal Baudrillard une pétition protestant libre de toute domination étrangère et
avec la guerre, on pourrait presque dire au contre les abominations de la Nuit de cristal et militairement victorieuse, décidait de livrer
contraire, témoin le rôle imparti pendant avait largement contribué à l'élection d'André au FLN nos fidèles harkis, sachant qu'ils
l'occupation à la MOI. Et dans Pleins Pou- Maurois (né Herzog) à l'Académie française. étaient voués à une mort atroce ?
voirs, J. Giraudoux, futur ministre de Dala- Pour Xavier Vallat, futur commissaire aux GÉNÉRAL JACQUES LE CROIGNEC
:lier, fait preuve en juillet 1939 d'un antisémi- questions juives, « le problème juif se rame- Pétain et les Américains, pp. 417-418.
éisme délirant. Dès lors, on comprend mieux nait au cas des Juifs étrangers non encore Nouvelles Éditions Latines, 1995.
le silence qui se fait autour de la loi portant assimilés ». Pour lui, « les anciens combat-
ET LA QUESTION JUIVE

tants devaient être exemptés de la plupart des te de Blocq-Mascart dans le premier Cahier de
mesures discriminatoires » (c'est nous qui l'Organisation civile et militaire (OCM)
soulignons). publié en juin 1942.
La loi d'octobre 1940 de Vichy va être très Ce qui différencie le nazisme des autres
largement inspirée par l'ordonnance alleman- totalitarismes de son temps (bolchevisme, fas-
de du 27 septembre 1940 applicable à la zone cisme), c'est son racisme: les nazis sont fréné-
occupée contre laquelle Vichy a aussitôt pro- tiquement convaincus que les Allemands
testé. Elle donne une définition du Juif à la constituent une race « pure » et supérieure.
fois raciale et religieuse : « Sont juives les Pour Hitler et ses sbires, tous les autres, Juifs,
personnes appartenant à la religion juive ou Slaves, Tsiganes, Latins, Noirs et Jaunes (sauf
ayant plus de deux grands-parents juifs. » les Japonais - pacte anti-Komintern oblige !)
C'est ce texte qui va conduire à la rédaction de sont des sous-hommes (untermenschen). Il
la loi française qui ne conserve, en raison de la faut donc les expulser d'Allemagne et, soit les
laïcité de l'État, que la définition raciste en éliminer, soit les réduire en esclavage. Hitler
l'aggravant. Cela conduit à une définition l'écrit dès le début des années vingt dans Mein
aberrante du « Juif» d'essence exclusivement ~ Kampf et sitôt au pouvoir applique ses idées
raciste (« Est juif celui qui a trois grands- contre les Juifs sans que les grandes démocra-
parents juifs ») car nombre de Juifs français ties s'en offusquent réellement. Ce seront les
avaient des grands parents totalement assimi- Dans ses Mémoires (Julliard, 1993, p. 176), décrets d'avril 1933, les lois de Nuremberg de
lés qui, depuis des décennies, ne pratiquaient le grand honnête homme que fut Raymond Aron
souligne que même en Angleterre où il s'était 1935, la Nuit de cristal en 1938. Pogroms et
plus guère le judaïsme et n'allaient plus à la spoliations se succèdent en Pologne dès
réfugié, on ignorait tout du génocide : « Qu'en
synagogue sauf pour un mariage. La loi inter- savions-nous à Londres ? Les journaux anglais l'automne 1939, puis en URSS en 1941 et
disait aux Juifs ainsi définis la haute fonction l'ont-ils évoqué ? S'ils l'ont fait, était-ce hypo- après les expériences des bataillons de liquida-
publique, l'enseignement, la participation aux thèse ou affirmation ? Au niveau de la conscien- tion vont suivre les mesures systématiques
médias (presse, radio, cinéma) de manière à ce claire, ma perception était à peu près la sui- d'extermination qui sont prises à Wannsee en
« déjudaïser », pensait-on, l'esprit français, vante : les camps de concentration étaient janvier 1942. Au printemps 1942, elles vont
diminuer aussi l'impact de certaines concep- cruels, dirigés par des gardes-chiourme recrutés être étendues à la France.
tions dites sionistes, en liaison avec le bellicis- non parmi les politiques mais parmi les crimi-
Dès ce moment, on estime que la France
me attribué aux Juifs à la veille de la guerre. nels de droit commun ; la mortalité y était forte,
mais les chambres à gaz, l'assassinat industriel
doit livrer, dans le cadre de l'opération Vent de
Nous l'avons dit, ce texte n'affecta pas l'opi- printemps, 100 000 Juifs et le gouvernement
d'êtres humains, non, je l'avoue, je ne les ai pas
nion, même hostile à Vichy, témoin le mani- imaginés et, parce que je ne pouvais les imagi- Laval va obtempérer en essayant de protéger
feste de Frenay (ce que Cordier lui reproche ner, je ne les ai pas sus. >> au maximum les Juifs français. Mais on accep-
avec une véhémence exagérée) ou les articles te sans grands états d'âme de remettre les Juifs
d'Emmanuel Mounier dans Esprit de l'autom- novembre réglemente l'accès des Juifs à la étrangers au Reich, espérant éviter ainsi
ne 1940. propriété foncière et, simultanément, on ins- l'envoi en Allemagne de trop d'ouvriers fran-
taure un numerus clausus de 3 % d'étudiants çais. La hantise de la polonisation et de
Le racisme hitlérien juifs par université, de 2% pour l'accès aux l'administration directe sous la férule des SS
et ses conséquences professions libérales (médecins, avocats, chi- poussent Laval à céder et à accepter les exi-
rurgiens, dentistes). Circonstance aggravante, gences que Bousquet, dans un premier temps,
La loi du 2 juin 1941 va beaucoup plus ces quotas sont calculés par université ou par avaient refusées à Heydrich. Dès lors, le pro-
loin et renforce le caractère étatique de l' anti- département : être juif et médecin devient très cessus des rafles systématiques est engagé.
sémitisme vichyssois. Cette loi émane du gou- difficile à Paris mais ne pose guère de problè- Respectant l'engagement de l'article 19, le
vernement Darlan qui précise au même me dans certains départements (telles les gouvernement obéit aux ordres du Reich et va
moment que « les directives [... ] sont de ne Basses-Alpes). Dans certains cas, ces textes « planifier et réaliser » les rafles en zone
pas embêter les vieux Juifs français ». Elle a sont appliqués strictement, avec plus de laxis- occupée comme en zone sud.
pour but d'« écarter les Juifs des emplois me dans d'autres. Il fallait éviter, dira-t-on un A Paris, la circulaire 173/42 de la préfec-
publics et des postes de commande de l'activi- peu plus tard, une intervention allemande dans ture de Police prévoit l'arrestation « de Juifs
té industrielle et commerciale du pays ». les entreprises juives de zone sud. Rappelons allemands, autrichiens, polonais, russes et
C'est bien le sens qu'il faut donner à ce en tout cas qu'au début de 1943, Hubert apatrides ». 4 500 policiers vont arrêter des
texte qui ordonne le recensement des Juifs et Beuve-Méry et Dunoyer de Segonzac, déjà milliers de Juifs les 16 et 17 juillet : en tout
ouvre la voie à un contrôle ou une mainmise résistants et anciens dirigeants d'Uriage, plus de 13 000 Juifs seront arrêtés et regroupés
sur leurs biens. Une série de textes connexes créant l'Ordre d'Uriage, déclarent : « Nous ne pour la plupart au Vélodrome d'Hiver. Des
va être promulguée. La loi du 22 juillet 1941 devons pas sous-estimer le danger d'une opérations analogues sont menées dans les
permet de pourvoir les entreprises appartenant revanche juive ni méconnaître l'existence départements occupés : quinze jours plus tard,
à un Juif d'un administrateur provisoire. La loi d'une internationale juive dont les intérêts les camps de regroupement français de zone
du 2 novembre interdit l'acquisition de fonds sont opposés à ceux de la France. » Sans sud, mis en place par le gouvernement Dala-
de commerce sans autorisation, celle du 17 insister, rappelons le texte nettement antisémi- dier pour rassembler les étrangers des pays
VICHY ET LA QUESTION JUIVE

ennemis et réfugiés en France, vont être vidés


systématiquement de leurs ressortissants juifs
qui seront aussitôt remis aux autorités alle-
mandes : en six semaines, près de 25 000 Juifs
étrangers sont livrés au Reich qui va les
envoyer à Auschwitz où ils seront éliminés
systématiquement.
Notons d'ailleurs que, dès 1941, quelques
milliers de Juifs avaient été arrêtés par les
Allemands (dont près d'un millier de Juifs
français), en représailles des attentats commu-
nistes contre la Wermarcht.
En tous cas, le processus des rafles va se
poursuivre tout au long des deux terribles
années qui suivent. Au total, sur les 350 000
israélites que compte la France en janvier
1940, 75 000 Juifs (52 000 d'origine étrangère
et 23 000 français) seront déportés de 1941 à
août 1944, le dernier convoi partant de Drancy
le 17 août 1944, sans que la Résistance tente
jamais d'empêcher les convois de déportés !
René Bousquet lors de son procès en Haute Cour en 1949. llfut condamné à une peine symbolique,
dont il fut aussitôt relevé pour services rendus à la Résistance.1nculpé de« crimes contre l'humanité» le
Entre persécutions 19 janvier 1983, il fut assassiné en 1993 avant de passer en jugement.
et protection
Cévennes ou du Sidobre) s' activent pour siècle qu 'est la « Shoah », même si rien de
Mais un élément nouveau est apparu. s'opposer aux rafles d'enfants. cela n'a été voulu par les divers gouverne-
Jusqu'en juillet-août 1942, les Français, dans Il est vrai aussi que l'action gouvernemen- ments de Vichy. Jamais à Vichy on n' a envisa-
leur très grande majorité, sont restés indiffé- tale est pleine d'ambiguïtés. D'un côté, on per- gé une seconde l'extermination des Juifs. Mais
rents devant la question juive. La brutalité sécute les Juifs, d' un autre, on aide très offi- le processus engagé avec la complicité silen-
avec laquelle les polices et les gendarmeries ciellement les Éclaireurs israélites de France cieuse des Français, vichyssois ou résistants,
allemande et française agissent, entraîne un (EIF) et on favorise leur action en assistant favorisé par l'antisémitisme latent des classes
bouleversement du comportement populaire : fortement R. Gamson dans la mise en place de dirigeantes, des adversaires SFIO de Léon
indifférent ou même antisémite jusqu'à l'été l'École d'agriculture de Lautrec et en Blum aux fanatiques du Pilori et de Je Suis
1942, le Français devient philosémite. Désor- envoyant des chefs EIF au centre de formation Partout, en passant par la xénophobie des
mais, les Juifs apparaissent comme des vic- des cadres de l'État français, l'école d'Uriage. vieilles familles israélites, les déclarations
times de la brutalité nazie. Comme le dit le Bien plus, nombre de membres du corps pré- ahurissantes de certaines feuilles radicales ou
capitaine de gendarmerie de Cahors : « Le fectoral - entre autres MM. Hontebeyrie certains écrits de Jean Giraudoux, va faciliter
spectacle de ce train impressionna fortement (Hérault) et François-Martin (Tarn-et-Garon- cette chasse aux Juifs qui conduira sans le
et défavorablement les populations non juives ne),- de la direction de la gendarmerie appor- savoir à Auschwitz et à l'extermination.
qui eurent à le voir. » Bien plus, les autorités tent un appui direct aux Juifs persécutés. Mais au-delà du déshonneur qu'impliquent
catholiques, cette fois-ci, s'engagent à fond et Évêques et pasteurs, dans un pays encore chré- ces comportements, il faut aussi admettre que
condamnent fermement ce << triste spectacle » tien, préfets fidèles à la tradition nationale la politique de Laval contribua à limiter consi-
où l'on voit « des enfants, des femmes, des vont, à partir de l'automne 1942, faire ce qui dérablement les pertes humaines. Il suffit de
hommes [... ] traités comme un vil trou- est en leur pouvoir pour aider les Juifs persé- comparer les statistiques françaises à celles de
peau [...].Les Juifs sont des hommes », rappel- cutés. Ils sont soutenus par une part importan- nos voisins belges ou néerlandais pour consta-
le Mgr Saliège à son diocèse de Toulouse. Il te de la population. Au reste, durant toute la ter que le pourcentage de Juifs déportés et non
n'est pas seul : il est accompagné de Mgr période, en zone sud, ce qui demeure du gou- revenus est deux fois plus faible en France
Moussaron (Albi), de Mgr Remond (Nice), de vernement de Vichy se refuse au port de l'étoi- qu'en Belgique, quatre fois plus faible qu 'aux
Mgr Théas (Montauban) et du cardinal Ger- le jaune, au couvre-feu pour les Juifs, et aux Pays-Bas.
lier, tandis qu'en zone nord, les prélats rappel- diverses mesures discriminatoires mises en Pourcentage de Juifs déportés non
lent « les droits imprescriptibles de la place par les autorités allemandes en zone revenus, présents au l" janvier 1940 : France:
conscience humaine, les exigences de la justi- nord. 21,4%; Belgique: 45%; Pays-Bas: 81,5 %.
ce et les droits de la charité ». En définitive, l'antisémitisme d'État de Ne soyons donc pas manichéens comme
Toute une série d'œuvres chrétiennes, Vichy, les lois abominables de 1940 et 1941 - trop d'historiens l'ont été ou le demeurent
catholiques autour de Témoignage Chrétien, même si elles avaient pour but de limiter le depuis 50 ans.
protestantes (telle l'action du pasteur Trocmé « pouvoir juif », comme l'écrira Darlan- vont F.-G. D.
au Chambon-sur-Lignon, des pasteurs des faciliter ce moment atroce de l'histoire du XX' F.-G. Dreyfus est professeur à la Sorbonne.
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LA FRANCE DANS L'ETAU, 1940-1944


1940 • 13 février. A Montpellier, rencontrant • 5 mal. Nomination à Paris du général garantissant la collaboration » et que,
• 16 juin. Devant l'écrasante défaite Franco, Pétain garantit qu'il SS Oberg à la tête des services de désormais, « toutes les modifications
française, Paul Reynaud démissionne. s'opposera à toute pénétration sécurité allemands. Le lendemain, de lois projetées soient soumises à
A la demande du président Lebrun, le allemande en AFN. accords Bousquet (secrétaire général temps à l'approbation du
maréchal Pétain forme le dernier • 2 avril. Pétain : « L'honneur nous à la police)-Heydrich. gouvernement du Reich "·
gouvernement de la Ill' République. commande de ne rien entreprendre • 29 mai. Obligation du port de l'étoile • 30 décembre. René Bousquet est
• 22 juin. Signature de l'armistice contre d'anciens alliés. » jaune en zone occupée pour les Juifs limogé. Joseph Darnand, chef de la
(cessez-le-feu le 25). • 11 mai. Entrevue Hitler-Darlan à âgés de plus de six ans. Milice, entre au gouvernement comme
• 3 juillet. Agression anglaise à Mers Berchtesgaden, en présence de • 1" juin. Le gauleiter Sauckel réclame secrétaire général au maintien de
ei·Kébir. Benoist·Méchin. 250 000 travailleurs. l'ordre.
• 10 juillet. L'Assemblée nationale • 19 mai. Libération de prisonniers de • 22 juin. Laval : « Je souhaite la Le 6 janvier 1944, Philippe Henriot
donne par 569 voix contre 80 et 17 guerre anciens combattants de 14-18. victoire de l'Allemagne car, sans elle, deviendra secrétaire d'État à
abstentions « tous les pouvoirs au • 27 mai. Accords Darlan-Warlimont le bolchevisme triompherait partout en l'Information et à la Propagande, et
gouvernement de la République à (protocoles de Paris), auxquels Pétain Europe. » Annonce de la« Relève •. Marcel Déat sera nommé le 16 février
l'effet de promulguer par un ou opposera son veto. • 16 juillet. A Paris, rafle et internement ministre du Travail.
plusieurs actes une nouvelle • 8 juin. Attaque angle-gaulliste contre de 13 000 Juifs d'origine étrangère.
Constitution de l'État français "· la Syrie. Riposte des troupes • 15 août. Arrestation en zone libre de 1944
• 11 juillet. Promulgation des trois françaises. 4 000 Juifs apatrides remis aux • 20 janvier. Création de cours
premiers actes constitutionnels • 22 juin. Déclaration de guerre de Allemands . martiales.
attribuant au maréchal Pétain le titre l'Allemagne et de l'Italie à l'URSS. • 8 novembre. Débarquement allié en • 26 janvier. La Milice est autorisée à
de « chef de l'État • et organisant ses • 8 juillet. Constitution de la LVF AFN. (Le 13, Darlan, «au nom du étendre son recrutement et son
pouvoirs. contre le bolchevisme à l'initiative de maréchal Pétain » ordonne aux activité à la zone nord.
Laval est vice-président du Conseil Doriot (qui partira sur le front), Déat et troupes de se battre contre l'Axe. Il est • 11 mars. A Alger, Pierre Pucheu,
(c'est-à-dire, chef du gouvernement et Deloncle. officiellement désavoué par Pétain, ancien ministre de l'Intérieur de Vichy
ministre des Affaires étrangères). • 21 août. Attentat de Barbès organisé mais un télégramme secret lui donne passé en AFN, est condamné à mort (il
• 25 septembre. Échec de la tentative par le parti communiste contre un « l'accord intime du Maréchal •.) sera exécuté le 20).
anglo-gaulliste de débarquement à officier allemand. • 11 novembre. Invasion de la zone • 25 mars. Les Allemands, assistés de
Dakar. • 16-20 septembre. 22 otages fusillés libre. Protestation de Pétain. miliciens, attaquent le maquis des
• 27 septembre. Ordonnances en représailles d'attentats contre les • 19 novembre. Entrevue Hitler-Laval. Glières.
allemandes portant statut des troupes allemandes. • 27 novembre. Sabordage de la flotte • 2 avril. Massacre par les SS de
Israélites en zone occupée. • 21·22 octobre. 48 otages exécutés à française à Toulon. 86 habitants d' Ascq (Nord).
• 3 octobre. Loi de Vichy portant Nantes, Châteaubriant et Paris, pour • 24 décembre. Darlan assassiné à • 20 avril. Bombardement allié sur
statut des Juifs. répondre à l'assassinat du lieutenant· Alger. Paris (gare de la Chapelle) 642 morts.
• 22 octobre. Entrevue Laval-Hitler à colonel Hotz à Nantes et du conseiller • 26 mai. Bombardements américains
Montoire. Reimers à Bordeaux. 1943 sur Lyon.(717 morts) et sur Saint·
• 24 octobre. Entrevue Pétain-Hitler à .18 novembre. Sur injonction • 30 janvier. Création de la Milice Étienne (870 morts).
Montoire. allemande, le général Weygand est française. • 27 mai. Bombardement allié sur
• 25 octobre. A Londres, Louis relevé de ses fonctions de délégué • 2 février. Capitulation de la Marseille (1 979 morts).
Rougier, envoyé secret du Maréchal, général du gouvernement et de VI' Armée allemande à Stalingrad. Les bombardement alliés sur la
s'entretient avec Churchill. commandant en. chef en AFN. Il est • 16 février. Vichy institue le STO. France feront au total plus de victimes
• 12·22 novembre. Expulsion par les remplacé par le général Juin. • 11 avril. Accords Lavai·Sauckel sur civiles (69 078 morts) que les
Allemands vers la zone libre de 120 000 • 1" décembre. Entrevue Pétain· la transformation de certains bombardements allemands sur
Alsaciens et de 60 000 Lorrains. Goering à Saint·Aorentin. prisonniers en travailleurs libres. l'Angleterre (60 227 morts).
• 2 décembre. Scapini nommé • 11 décembre. L'Allemagne et l'Italie • 15 mai. Constitution à Paris du • 3 juin. A Alger, le CA.N se proclame
ambassadeur de France chargé des déclarent la guerre aux États-Unis. Conseil national de la Résistance gouvernement provisoire de la
rapports avec les Allemands pour ce • 21-22 décembre. Goering exige la (CNR). République française.
qui concerne les prisonniers. possibilité de ravitailler Rommel par • 20 juin. Formation à Alger du CFLN • 6 juin. Débarquement allié en
• 13-14 décembre. Contraint de Bizerte. Acceptation de la France, coprésidé par de Gaulle et Giraud. Normandie.
démissionner, Laval est arrêté à Vichy mais en échange de concessions • 16·23 septembre. Bombardement • 9 juin. Pendaisons de Tulle.
et remplacé par Flandin. Colère des inacceptables par l'occupant. allié sur Nantes (712 morts). • 10 juin. Massacre d'Oradour.
Allemands. • 13 novembre. Les Allemands • 9 juillet. Protestation solennelle de
1942 interdisent la publication d'un Pétain auprès d'Hitler contre les
1941 • 1" janvier. Message de Pétain : message de Pétain déclarant que, s'il représailles d' Ascq, de Tulle et
• 3-4 février. Entrevue Darlan-Laval· " Dans la demi-liberté qui m'est mourait, le pouvoir devrait revenir à d'Oradour.
Abetz. laissée... • l'Assemblée nationale. • 15 août. Débarquement de Provence.
• 8 février. Démission de Aandin. • 23 février. Création du SOL (Service • 4 décembre. Ultimatum de Hitler à • 18·20 août. Installation du
e10février. Darlan nommé vice- d'ordre légionnaire). Pétain. Il met son veto à tout projet de gouvernement Laval à Belfort.
président du Conseil. Il devient le • 3 mars. Bombardement allié sur réunion de l'Assemblée nationale, • 20 août. Enlevé par les Allemands, le
dauphin du Maréchal (acte Paris (usines Renault), 623 morts. exige que Laval remanie le cabinet maréchal Pétain quitte Vichy.
constitutionnel n' IV quater). .18 avril. Démission de Darlan. « dans un sens acceptable pour le • 25 août. Le général de Gaulle,
(Formation du ministère Darlan le 25). Formation du ministère Laval. gouvernement allemand et président du GPRF, arrive à Paris.
s
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WHO WHO DES EPURES

Tragiques destinées
PAR DOMINIQUE VENNER

Abellio, Raymond nom de plume de place, avec les Comités d'organisation,


Robert Soulès ( 1907 -1986). Né dans un milieu l'amorce d'une économie dirigée. II se cache
très modeste et anticlérical du Sud-Ouest, lors de la Libération, puis se réfugie en Suisse.
polytechnicien et ingénieur des Ponts et Le 29 janvier 1949, un arrêt de la commission
Chaussées, il est tenté par la franc-maçonne- d'instruction de la Haute Cour le met hors de
rie. Pendant quinze ans, il appartient à l' oppo- cause sans avoir à comparaître.
sition de gauche du parti socialiste SFIO avec
Marceau Pivert. Capturé à Calais en 1940, il Benoist-Méchin, Jacques (1901-
est libéré en mars 1941. Intellectuel séduit par 1983). Intellectuel brillant, ami de Marcel
l'action, il adhère au Mouvement social révo- Proust, mélomane, auteur remarqué d'une His-
lutionnaire (MSR) du cagoulard Eugène toire de l'armée allemande (1938), il fut appelé
Deloncle et finit par s'emparer de ce mouve- en février 1941 par 1' amiral Darlan à un poste
ment, aidé par son ami, l'ancien communiste officiel et devint en juin secrétaire d'État char-
André Mahé. Au début de 1943, Soulès et gé des rapports franco-allemands. Partisan
Mahé, proches de Pierre Laval, prennent d'une Europe nouvelle dans laquelle la France
contact avec des résistants à qui ils transmet- jouerait un rôle important grâce à son empire
tent d'utiles renseignements. Leur but est colonial, il s'efforce d'engager Vichy dans une
d'ouvrir une impossible «troisième voie». collaboration militaire avec l'Allemagne, sans
Réfugié en Suisse en 1945 dans des conditions percevoir qu'il s'écarte ainsi de la ligne
extrêmement précaires, condamné par contu- Rare photo de René Belin, ancien secrétaire constante suivie par le maréchal Pétain. Déçu
mace à vingt ans de réclusion, Soulès sera général de la CGT, ministre de la Production par l'obstruction allemande, révulsé par le
industrielle du gouvernement de Vichy de juillet
acquitté quand il se présentera en 1952 devant double jeu de Vichy et l'immobilisme de Pier-
1940 à avri/1942.
le tribunal militaire de Paris. En 1947, le jury re Laval, il quitte le gouvernement le 27 sep-
du prix Sainte-Beuve, ignorant sa véritable tembre 1942. Arrêté en 1944, condamné à mort
clémente pour l'époque. II sera libéré le 25
identité, couronna Raymond Abellio pour son le 6 juin 1947, il reste 59 jours aux chaînes.
février 1948. Ayant fait connaissance en prison
premier roman, Heureux les pacifiques. Ayant été gracié, il voit sa peine commuée en
du banquier Hypolite Worms, celui-ci l'engage
détention perpétuelle. Libéré en 1953, il se
comme conseiller. Albertini entame alors une
Albertini, Georges (1911-1983). Nor- consacre à son œuvre d'historien (Les soixante
carrière d'éminence grise auprès de nom- jours qui ébranlèrent l'Occident, Ibn Seoud,
malien comme Marcel Déat, il adhère en 1932
au parti socialiste SFIO, occupant d'impor- breuses personnalités politiques de la IV' et de Mustapha Kemal, Frédéric Il de Hohenstau-
tantes fonctions au sein de la SFIO et de la la V' République. fen, etc.). Ses souvenirs 1940-1942 (De la
CGT dans son département de l'Aube. Mobili- défaite au désastre et A l'épreuve du temps)
sé comme lieutenant, il est cité en 1940. Belin, René (1898-1977). Employé des ont été publiés après sa mort.
L'année suivante, il rejoint à Paris Marcel PTT, secrétaire national du syndicat des pos-
Déat qui a choisi la Collaboration et vient de tiers en 1930, il est de 1933 à 1940 le deuxiè- Bergery, Gaston (1892-1974). Ancien
créer le RNP. II en sera le secrétaire général. me personnage de la CGT, face à Léon Jou- combattant de 14-18. Membre du parti radical-
Lorsque Déat devient ministre du Travail en haux qu'il accuse de faire le jeu des commu- socialiste, directeur de cabinet d'Édouard Her-
janvier 1944, Albertini le suit comme direc- nistes. En juillet 1940, il accepte le porte- riot (1924), député en 1928, réélu en 1932 puis
teur de cabinet, s'affirmant partisan d'un feuille de la Production industrielle et du Tra- en 1936, membre du comité central de la
national-socialisme à la française. Quand il est vail dans le cabinet Laval. II reste au gouver- Ligue des droits de l'homme, il fonde le Parti
arrêté à la Libération, sa femme est torturée à nement jusqu'en avril 1942, résistant constam- frontiste ( 1936) et le journal La Flèche. II sou-
l'Institut dentaire et leur enfant de 18 mois ment aux exigences allemandes en matière de tient d'abord le Front populaire, puis il subit
meurt faute de soin. II est condamné à 5 ans de main-d'œuvre. Promoteur de la Charte du tra- l'attrait du fascisme. Hostile à la guerre en
travaux forcés le 21 décembre 1944. Peine fort vail, il institue la retraite des vieux, et met en 1938, partisan de la Révolution nationale en
S WHO DES ÉPURÉS

1940, il rédige le fameux message prononcé qu'il place dans un fascisme poétique, il se
par Pétain à la radio le 11 octobre 1940. Parti- refuse à cautionner la propagande allemande,
san d'une collaboration active en 1941, il est alors même qu'il doute de la victoire de l'Axe
nommé ambassadeur à Moscou (1941) puis à depuis le renversement de Mussolini. Il colla-
Ankara (1942). Il est arrêté en 1945 mais fait bore à plusieurs publications, notamment
l'objet d'un non-lieu en 1949. Révolution Nationale. Ayant refusé de quitter
la France lors de l'arrivée des troupes alliées,
Bichelonne, .Jean (1904-1944). Né à il se constitue prisonnier le 14 septembre 1944
Bordeaux dans un milieu modeste, major de afin d'obtenir la libération de sa mère que l'on
Polytechnique, il intègre le corps des Mines, a prise en otage. Assisté de M' Jacques Isorni,
se faisant remarquer par son intelligence il affronte avec une rare fermeté la cour de jus-
exceptionnelle et sa puissance de travail. Chef tice qui le condamne à mort le 19 janvier
de cabinet du ministre de l'Armement Raoul Fernand de Brinon. 1945. Malgré l'intervention de nombreux écri-
Dautry en 1939, puis secrétaire général au vains, il est fusillé au fort de Montrouge au
Commerce et à l'Industrie dans le nouveau 1942, Laval le nomme secrétaire général à la matin du 6 février 1945. Il laisse une œuvre
ministère de la Production industrielle créé par Police « pour tenir tête aux Allemands ». Le considérable, critiques littéraires (Corneille,
Vichy, obsédé par la modernisation du pays, il 24 juillet 1942, Bousquet conclut des accords 1938 ; Les Quatre Jeudis, 1944), romans
devient l'un des acteurs principaux de la poli- avec le général Oberg, chef des services de (Comme le temps passe, 1937 ; Les Sept cou-
tique dirigiste du nouveau pouvoir. Le 18 avril sécurité allemands. La police française ne se leurs, 1939 ; La Conquérante, 1943), études
1942, il est nommé par Laval secrétaire d'État trouvera plus engagée aux ordres de la police historiques (Histoire du Cinéma, 1935 ; His-
à la Production industrielle. Ayant rang de allemande et sera déchargée de l'obligation de toire de la guerre d'Espagne, 1939, en colla-
ministre en novembre, il voit ses compétences désigner des otages. En échange, elle exécute- boration avec son beau-frère, Maurice Bar-
étendues aux Communications et au Travail. ra les tâches prescrites par la puissance occu- dèche), souvenirs (Notre Avant-guerre, 1941 ;
Après avoir été l'organisateur du STO, il pante, non sans négociations constantes et Journal d'un homme occupé, 1944 ; Lettre à
conclut en décembre 1943 un accord avec le épuisantes. Bousquet a déjà négocié de la sorte un soldat de la classe 60, 1945), poésies
ministre allemand Speer de façon à effectuer la protection des Juifs français en échange de (Poèmes de Fresnes, 1945), etc.
en France même la production de guerre la livraison des Juifs apatrides ou étrangers. La
nécessaire à 1' Allemagne, pour le bénéfice des trop fameuse rafle du Vél' d'Hi v' ( 16 et 17 Brinon, Fernand de (1885-1947).
deux parties. Refusant de se renier, il se réfu- juillet 1942), organisée par la police parisien- Chef du service de politique étrangère de
gie en Allemagne où il meurt en décembre ne, résulte de cette négociation. Mais, le 31 L'Information, il est le premier journaliste
1944 dans des circonstances controversées. décembre 1943, ayant refusé de communiquer français à obtenir un entretien avec Hitler en
à la Gestapo les listes de Juifs français de zone 1933. Lié à Otto Abetz, il participe à la fonda-
Bonnard, Abel (1883-1968). Écrivain, Sud, Bousquet est révoqué puis interné en tion du Comité France-Allemagne, sans que
élu en 1932 à l'Académie française. Proche Allemagne. Jugé en 1949 par la Haute Cour de son mariage avec une israélite (Lisette Franck)
tout d'abord de l'Action française. Par l'élé- justice, il est condamné à une peine symbo- ne nifroidisse ses sympathies. En raison de ses
gance et la causticité de sa plume, il s'appa- lique dont il est aussitôt relevé pour services liens privilégiés, il est officiellement chargé
rente à Antoine de Rivarol. Il publie en 1936 rendus à la Résistance. Quarante ans après les par Laval, dès le 11 juillet 1940, de renouer
Les Modérés, essai polémique d'une vigueur faits, il sera inculpé en 1983 de « crimes des relations avec les Allemands. Les résultats
virile. Partisan convaincu de la Collaboration, contre l'humanité » malgré la protection du obtenus lui valent d'être nommé en décembre
intellectuel fourvoyé dans la politique, il est président Mitterrand. A la suite de violentes 1940 délégué général du gouvernement de
ministre de Î'Éducation nationale dans le gou- campagnes de presse, il est assassiné à son Vichy en zone occupée, avec rang d'ambassa-
vernement Laval d'avril 1942 à août 1944, domicile par un illuminé. deur. Après son retour au pouvoir (avril1942),
conduisant une politique vivement critiquée Laval le nomme secrétaire d'État. Il intervient
par le clan réactionnaire de Vichy. Réfugié en Brasillach, Robert (1909-1945). Son de façon constante auprès des autorités
Allemagne puis en Espagne, il est condamné à père, officier, a été tué au Maroc en 1914. d'occupation pour obtenir la grâce ou l'élar-
mort par contumace le 4 juillet 1945 et bénéfi- Reçu à l'ENS en 1928, il publie son premier gissement de résistants arrêtés (592 grâces et
cie d'une grâce en 1961. Il est mort à Madrid livre, Présence de Virgile, en 1931. Cette 7 371 libérations). En septembre 1944, contre
en 1968, laissant un ouvrage posthume : Ce même année, à 22 ans, il devient le critique lit- l'avis de Pétain et de Laval, il dirige la« com-
monde et moi (Avallon, 1987). téraire du quotidien L'Action française, et le mission gouvernementale française » formée à
restera jusqu'en 1939. Attiré par Pierre Gaxot- Sigmaringen. Arrêté en mai 1945, condamné à
Bousquet, René (1909-1993). Secré- te à l'hebdomadaire Je Suis Partout, il y enta- mort par la Haute Cour, il est fusillé le 15 avril
taire général à la police en 1942-1943, il est le me une collaboration régulière en juin 1936 et 1947 après avoir subi un véritable martyre à la
symbole des ambiguïtés de la collaboration devient rédacteur en chef le 21 juin 1937. fin de sa détention.
d'État. Préfet de la Marne en septembre 1940, Mobilisé en 1939, fait prisonnier en 1940, il
il se fait remarquer par son opposition à la est libéré au printemps 1941 et reprend sa Bucard, Marcel ( 1895-1946). Il se des-
législation antijuive et antimaçonnique de place à JSP jusqu'en août 1943 (dernier article tine à la prêtrise quand la guerre éclate en
Vichy. Dès son retour au pouvoir, le 18 avril publié le 27 août). Sans rien renier de l'espoir 1914. Sa conduite héroïque lui vaut, en 1917,
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à 22 ans, d'être le plus jeune cap1tame de


l'armée française et l'un des plus décorés.
Démobilisé en 1923, il adhère bientôt au Fais-
ceau de Georges Valois, et collabore à partir
de 1928 au journal de François Coty, L'Ami
du Peuple. En 1933, il fonde le Francisme,
parti qui se veut fasciste. L'année suivante,
Bucard participe au premier et seul congrès
international des mouvements fascistes de
Montreux (Suisse). Au nom de l'internationa-
lisme fasciste (qui se manifeste rarement), il 25
reçoit quelques subsides de l'Italie mussoli-
nienne. Malgré son opposition à la guerre, il Manifestation du Front révolutionnaire national, le 11 avril 1943. De gauche à droite, l'écrivain
s'engage en 1939 dans une unité combattante. Alphon.~e de Châteaubriant, Marcel Déat, Marcel Bucard et Paul Chack. Les deux premiers, condamnés
En 1941, il participe à la création de la LVF. à mort par contumace, sont morts proscrits. Les deux autres ont été fusillés.
Alors que l'audience du parti franciste reste
faible, la Jeunesse franciste marquera son cin des pauvres, publiant cependant D'un châ- Romain Rolland à qui le liera une amitié indé-
époque. Ayant suivi la retraite des troupes teau l'autre (1957), Nord (1960), et Rigodon fectible, malgré leurs différends politiques.
allemandes, Bucard est arrêté en Italie en (posth. 1969). Son premier roman, Monsieur des Lourdines,
1945. Condamné à mort le 31 février 1946, il obtient le prix Goncourt en 1911. Le second,
marche au poteau le 19 mars, chantant « Je Chack, Paul (1875-1945). Fils naturel La Brière, reçoit douze ans plus tard le Grand
suis chrétien, voilà ma gloire ... » d'un jeune lord irlandais d'origine anglaise et Prix du roman de 1'Académie française. Entre-
d'une chanteuse française, cet officier de mari- temps, l'écrivain a participé à la Grande Guer-
Céline, nom de plume de Louis-Ferdinand ne cultive une anglophobie qui explique large- re, refusant d'être affecté à un bureau. Il tire
Destouches (1894-1961). Écrivain né à Cour- ment son acquiescement à la Collaboration. de cette expérience le sentiment d' un désastre
bevoie. Service militaire en 1912 au 12' régi- Chef du Service historique de la marine depuis irrémédiable et l'espoir d' une réconciliation
ment de cuirassiers. En 1914, au cours d'une 1934, président de l'Association des écrivains européenne. Un premier voyage dans l'Alle-
mission, il est gravement blessé, reçoit la combattants, il s'est acquis une grande célébri- magne de 1934 le convainc que le national-
médaille militaire avant d'être réformé en té par ses récits de guerre navale. A partir de socialisme annonce un renouveau européen,
1915. Ayant suivi des études de médecine, il 1941, il publie des articles favorables à la Col- médiéval et chrétien ... Il exprime cette convic-
soutien sa thèse en 1924 sur la vie et l'œuvre laboration, notamment dans l'hebdomadaire tion dans La Gerbe des Forces (1937), essai
du Dr Sommelweis. Entré au Service d'hygiè- Aujourd'hui. Président du Comité d'action fuligineux qui fait scandale. Après l'armistice
ne de la SDN, il est envoyé en mission aux antibolchevique dès sa création en 1941, il de 1940, il fonde à Paris l'hebdomadaire La
USA et en Afrique. Il publie en 1932 Voyage s'attire la haine des communistes. Arrêté à Gerbe qui « proclame dans un style grégorien
au bout de la nuit, salué aussitôt comme une Paris, il est condamné à mort le 18 décembre l'incontestable caractère chrétien de la croi-
œuvre géniale et novatrice (notamment par 1944 et exécuté le 9 janvier 1945, affrontant la sade hitlérienne » (Combelle). Réfugié en
Léon Daudet). L'intelligentsia de gauche se camarde pavillon haut. Allemagne en 1945, puis en Autriche, il se
reconnaît dans l'esprit de ce livre, mais l' écri- dissimule sous une identité d'emprunt.
vain-médecin est rétif à tout engagement. A Chateau, René (1906). Universitaire. Condamné à mort par contumace, il meurt à
son retour d'URSS, la publication de Mea Agrégé de philosophie, membre dirigeant du Kitzbühel le 2 mai 1951 .
culpa (1936) entraîne son divorce avec la Grand Orient et de la Ligue des droits de
gauche. Sentant venir une nouvelle guerre, il l'homme, député radical-socialiste de La Cousteau, Pierre-Antoine (1906-
publie alors plusieurs pamphlets virulents qui Rochelle en 1936, il vote les pouvoirs consti- 1958). Journaliste originaire de Cubzac, en
lui font soudain une réputation d'antisémitis- tuants au maréchal Pétain en 1940. Très favo- Gironde. Frère aîné du commandant Jacques-
me : Bagatelles pour un massacre (1937), rable à Laval, il rejoint Paris, collabore à Yves Cousteau (191 0-1997). Représentant de
L'École de cadavres (1938) et, dans un genre L'Œuvre de Marcel Déat, et prend en 1941 la commerce, il séjourne aux USA (« la pire
très différent Les beaux draps (1941), son seul direction du quotidien La France socialiste, année de ma vie ») et en rapporta un pamphlet,
livre « optimiste ». Il ne publie pas durant sans jamais renier ni ses idées de gauche ni ses L'Amérique juive (1942). Il collabore à l' orga-
l'Occupation, mais écrit à des journalistes et liens maçonniques. De son passage dans les ne communiste Monde, puis au Journal
accorde quelques entretiens, délivrant des cri- prisons parisiennes de l'épuration, il tirera un ( 1930), dont il devient secrétaire de rédaction.
tiques acerbes et débridées contre Vichy, les témoignage hallucinant publié en 1948 sous le Entré à l'hebdomadaire Je Suis Partout en
Juifs ou les Allemands. Durant l'été 1944, il se pseudonyme de Jean-Pierre Abel, L'Âge de 1932, il y révèle un vigoureux talent de polé-
réfugie en Allemagne puis au Danemark où il Caïn. miste et ne tarde pas à voir dans le fascisme le
est emprisonné. Il tente alors d'organiser sa seul salut pour la France et l'Europe. Mobilisé
défense, reniant sans vergogne ses diatribes Châteaubriant, Alphonse de en 1939, prisonnier en 1940, il est libéré au
antérieures. Amnistié en 1951, il s' installe à (1877 -1951 ). Écrivain. Dreyfusard et très à début de 1941 et reprend sa place à Je Suis
Meudon où il vit misérablement comme méde- gauche dans sa jeunesse, il découvre en 1906 Partout, tout en assurant la rédaction en chef
S WHO DES ÉPURÉS

de Paris Soir. Incarnant la ligne « dure » de la à Nice une entreprise de transport routier, il crée le Rassemblement national populaire
collaboration, il devient directeur politique de milite à l'Action française puis à la Cagoule, (RNP), qu'il dirigera seul à partir de sep-
JSP en remplacement de Brasillach, le 1" ce qui lui vaut un séjour en prison. En 1939- tembre 1941. Ses efforts pour unifier les mou-
octobre 1943. Il adhère à la Milice en 1944 et 40, à la tête d'un corps-franc du 24' BCA, il se vements collaborationnistes de zone Nord se
se rapproche du PPF. Réfugié en Allemagne, il couvre de gloire une nouvelle fois. Ses heurtent au refus d'A betz et à l'opposition de
est arrêté en 1945. Il affronte avec courage la exploits lui valent la rosette de la Légion Doriot. Il participe à la fondation de la Légion
cour de justice qui le condamne à mort le 23 d'honneur et la << une )) de Match. Capturé en des volontaires contre le bolchevisme (LVF),
novembre 1946, malgré la déposition de son juin 1940, il s'évade deux mois plus tard et c'est à cette occasion qu'il est blessé lors de
frère, portant la médaille de la Résistance. regagne Nice pour y diriger la Légion des l'attentat du 27 août 1941 contre Laval. En
Après 5 mois de chaînes, sa peine est combattants. A l'automne 1941, il fonde un février 1944, il est nommé ministre du Travail
commuée en détention perpétuelle le 10 avril Service d'ordre légionnaire (SOL) plus mus- dans le gouvernement << pur et dur )) formé par
1947. Libéré en 1954, il collabore jusqu'à sa clé. Un an plus tard, avec l'accord de Laval, le Laval avec Philippe Henriot et Joseph Dar-
mort à Rivarol, revendiquant, comme son ami SOL est transformé en Milice française. Celle- nand. Réfugié en Allemagne après août 1944,
Rebatet, un agnosticisme total. ci ayant encaissé plusieurs attentats sans pou- il fait partie de la commission gouvernemen-
voir riposter, Damand se tourne vers les SS tale de Sigmaringen. En mai 1945, il parvient
Darlan, amiral François ( 1881- qui lui fournissent des armes à partir de à s'échapper vers l'Italie où il trouvera refuge
1942). Issu d'une dynastie républicaine du novembre 1943. Les Allemands exigent qu'il dans un couvent en compagnie de sa femme,
Sud-Ouest, l'amiral Darlan est un pur produit remplace Bousquet, secrétaire général au échappant ainsi à une niort certaine.
de la ill' République qui fait de lui une sorte Maintien de l'ordre (31 décembre 1943). Il
de vice-ministre de la Marine de 1926 à 1939, deviendra secrétaire d'État à l'Intérieur en mai Deloncle, Eugène (1890-1944). Ancien
et lui accorde le titre exceptionnel d'amiral de 1944. A la suite du débarquement, il regroupe polytechnicien, major de sa promotion du
la Flotte en 1937. Devant la défaite de 1940, il ses miliciens en Lorraine et organise leur repli Génie maritime, il est grièvement blessé en
est partisan de l'armistice et apporte son sou- vers l'Allemagne. Capturé en Italie en 1945, 14-18 et connaît ensuite une brillante carrière
tien au maréchal Pétain. Son anglophobie que ramené en France, il est condamné à mort le 3 d'ingénieur tout en militant aux Camelots du
renforce l'agression anglaise de Mers el-Kébir octobre 1945 et exécuté le 10. roi. De l'échec du 6 février 1934, il tire la
(3 juillet 1940), le sentiment aussi d'incarner conclusion qu'il faut édifier une organisation
le capital intact de la flotte et de l'empire, la Déat, Marcel ( 1894-1955). Originaire secrète capable de prendre le pouvoir par la
certitude enfin d'une victoire durable de de la Nièvre, élève de l'ENS, il est mobilisé force, ce sera l'OSARN, la « Cagoule )). Se
l'Allemagne, vont le pousser à devenir le en 1914 et fait toute la guerre en première jetant dans cette entreprise avec autant de
champion de la collaboration d'État quand il ligne comme officier de troupe, expérience sérieux que dans ses tâches professionnelles,
accède au pouvoir, le 9 février 1941 en qualité dont il tirera fierté et qui le marquera à il obtient des concours financiers et des sou-
de vice-président du Conseil. Son gouverne- jamais. Agrégé de philosophie, inscrit au parti tiens militaires. Mais le complot est décou-
ment comprend une équipe remarquable de socialiste (SFIO), il entreprendra de réformer vert. Lui-même et plusieurs de ses affidés sont
jeunes loups (Pucheu, Marion, Bamaud, celui-ci de l'intérieur dans l'intention de emprisonnés en 1938. La guerre les fait sortir
Bichelonne, Benoist-Méchin, Belin, Bouthil- dépasser le marxisme et la lutte des classes de prison pour servir sous les drapeaux. Sur-
lier, Lehideux, etc.). Après sa rencontre avec comme le propose alors le socialiste belge vient la défaite de 1940 qui divise l'ancienne
Hitler à Berchtesgaden (12 mai 1941), il persé- Henri de Man. Ces idées se heurtant à l'oppo- Cagoule. La plupart de ses anciens lieute-
vère dans la politique décevante du << donnant- sition de Léon Blum et des caciques du parti, nants, Groussard, Duclos, le Dr Martin, choi-
donnant », acceptant les protocoles de Paris il fait scission en 1933 et fonde le parti socia- sissent la Résistance. Il ne conserve qu' un
auxquels Weygand fait obstacle. Après liste de France. En 1936, il se révèle un poignée de fidèles avec qui il fonde à Paris à
l'entrée en guerre des États-Unis (décembre ministre de l'Air très entreprenant dans le la fin de 1940 le Mouvement social révolu-
1941), Darlan commence à douter de la victoi- cabinet Sarraut. C'est à cette époque qu'il fait tionnaire (MSR) favorable à la collaboration.
re de l'Axe. Il est remplacé par Laval le 18 la connaissance du colonel de Gaulle. Déat est En février 1941, à l'instigation d'Abetz, il
avril 1942, mais reste le << dauphin » du Maré- partisan d'un rapprochement avec l'Alle- rencontre Déat. Les deux hommes que tout
chal. Présent à Alger lors du débarquement magne pour éviter une nouvelle guerre. sépare vont constituer le Rassemblement
anglo-américain du 8 novembre 1942, il pro- Quand celle-ci menace, au sujet de la national populaire (RNP). L'association dure-
clame (non sans hésitation) « au nom du Pologne, il écrit dans L'Œuvre un article ra peu. Deloncle reprend sa liberté et participe
Maréchal » le retour de la France dans la guer- retentissant: « Faut-il mourir pour Dantzig ? » à la création de la LVF. Mais dans le cours de
re au côté des Alliés qui reconnaissent son En juillet 1940, lors de la création de l'État 1942, il commence à éprouver des doutes sur
autorité. Devenu un obstacle incontournable français, il tente vainement de convaincre le la victoire allemande. Il s'abouche avec des
pour le général de Gaulle, il est assassiné à maréchal Pétain d'appuyer le nouveau régime officiers de l'Abwehr hostiles à Hitler. Infor-
Alger le 24 décembre 1942. sur un parti unique. Ayant échoué dans cette mée de ces agissements, la Gestapo le fait
ambition, il s'installe à Paris et prend la direc- assassiner chez lui, à Paris, le 7 janvier 1944.
Darnand, Joseph (1897-1945). Enga- tion de L'Œuvre, y dénonçant quotidienne-
gé volontaire à 18 ans en 1916, il termine la ment Vichy, siège du cléricalisme et de la Doriot, Jacques (1898-1945). Malgré
guerre avec sept citations et le titre d'artisan réaction. En janvier 1941, avec Jean Goy de grands défauts, il est sans doute le plus
de la victoire. Revenu à la vie civile, dirigeant (président de l'UNC) et Eugène Deloncle, il doué des grands personnages de la collabora-
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tion. Il a débuté dans les rangs communistes et


en a conservé à jamais un savoir-faire qui
explique le succès durable du PPF. Secrétaire
général des Jeunesses communistes en 1924,
député et maire communiste de Saint-Denis, il
est exclu du PC en 1934 pour avoir préconisé
avec une année d'avance la stratégie qui sera
celle du Front populaire. Retournant désor-
mais toute son énergie contre le communisme,
il fonde en 1936 le Parti populaire français
(PPF) qui suscite un grand enthousiasme et
des adhésions prestigieuses (Drieu La Rochel-
le, Fabre-Luce, Ramon Fernandez, Pierre
Pucheu, etc.). Après l'armistice de 1940, il se
Deux écrivains, deux destins. A
pose en partisan du Maréchal tout en jouant
gauche, Jean Fontenoy, suicidé à
son propre jeu à Paris. Dès le déclenchement Berlin en 1945. A droite, Jean Giono,
de la guerre germano-soviétique (22 juin arrêté plusieurs mois en 1944, a
1941) il préconise la création d'une Légion 15 renoué avec une carrière brillante.
des volontaires français contre le bolchevisme
(LVF) et va combattre lui-même en Russie Fontenoy, .Jean (1899-1945). On a Giono, Jean (1895-1970). Écrivain né à
(1942-1943). Réfugié en Allemagne avec les souvent écrit que cet aventurier était un per- Manosque. De son enracinement rural et du
cadres de son parti en août 1944, il est reconnu sonnage sorti d'un roman de Malraux, mais on cauchemar de 14-18 (Le grand troupeau,
par Hitler comme le futur chef d'un gouverne- est en dessous de la vérité. Mobilisé en 1918, 1931), il a tiré une horreur définitive de la
ment français provisoire. Il est tué dans le il termine la guerre avec le galon de sous-lieu- guerre. Membre du comité de vigilance des
mitraillage fortuit de sa voiture par un avion tenant. Il suit les cours de l'École des langues intellectuels antifascistes, le grand écrivain
anglais le 22 février 1945. orientales, s'improvise journaliste, adhère au bucolique se brouille à partir de 1938 avec
parti communiste et se fait envoyer à Moscou ceux de ses confrères qui sont partisans d'une
Drieu La Rochelle, Pierre (1893- comme correspondant de l'agence Havas guerre préventive contre l'Allemagne. Arrêté
1945). Romancier, essayiste et journaliste, il a (1924-1926). On le retrouve ensuite en Chine quelques semaines en 1939 pour avoir signé
été marqué dans sa jeunesse par la lecture de en pleine révolution où il dirige le Journal de un manifeste pacifiste, il ne se sent pas com-
Barrès, Nietzsche et Maurras. Combattant Shanghai. Guéri du communisme, il adhère au plètement dépaysé dans le climat du « retour à
courageux de la Grande Guerre, il fait ses PPF de Doriot qu'il quittera à l'époque de la terre » qui prévaut après 1940. Il donne des
débuts littéraires par des poèmes inspirés de Munich. Il publie coup sur coup trois ouvrages articles à la NRF de Drieu La Rochelle, se lais-
cette expérience (Interrogation, 1917 ; Fond qui le font connaître : L'école du renégat se photographier dans le magazine allemand
de cantine, 1920). Ses romans le révèlent (1936), Cloud ou le communiste à la page Signal, et ne manifeste aucun empressement
comme le témoin lucide de la crise morale des (1937) et Shanghai secret (1938). Il continue en faveur de la Résistance. Cela lui vaut d'être
années vingt et trente (Plainte contre inconnu, de voyager partout en Europe, se prenant de inscrit sur la liste noire du CNE et d'être
1924 ; L'Homme couvert de femmes, 1925 ; sympathie pour les régimes fascistes. Engagé emprisonné plusieurs mois à partir de sep-
Le Feu follet, 1931; Rêveuse bourgeoisie, durant l'hiver 1939 dans l'armée finlandaise tembre 1944. N'ayant rien oublié, il s'inspirera
1937 ; Gilles, 1939). Convaincu de la déca- contre l'agression soviétique, il a le visage de ses souvenirs de l'épuration pour décrire la
dence française (Mesure de la France, 1922), gelé. Le 7 juillet 1940, il arrive à Vichy, por- chasse à l'homme au début du Hussard sur le
séduit par l'espérance d' une réconciliation teur pour Laval d' un message de son ami Otto toit.
européenne (L'Europe contre les patries, Abetz. De retour à Paris, il fonde un quotidien
1921 ), il pense trouver dans le fascisme les collaborationniste de gauche La France au Henriot, Philippe (1889-1944). Né à
voies d'un humanisme viril et fraternel travail, mais il le quitte au début de 1941. Il Reims, ce professeur de lettres fera une grande
(Socialisme fasciste, 1934). Il apporte son est devenu l'un des chefs du MSR de Deloncle partie de sa carrière professorale et politique
adhésion au PPF de Doriot en 1936, mais se en attendant de rejoindre pour un temps le dans la région de Bordeaux. Marié, père de
brouillera avec lui deux ans plus tard. Ami RNP de Déat. Ne pouvant rester en place, il trois enfants, il perdra l'aîné, aviateur, en
d'Otto Abetz avant la guerre, il soutient dès lance l'hebdomadaire Révolution nationale 1940. Ayant adhéré à la Fédération nationale
1940 la politique de collaboration, prenant la qu 'il dirige de loin jusqu'en juin 1942. Entre- catholique en 1925, il en devient rapidement
direction de la Nouvelle Revue française de temps, il s'est engagé dans la LVF, mais il se l'un des principaux orateurs. Élu député de
1941 à 1944. Après avoir vécu caché à Paris brouille avec Doriot et finit par être cassé de Bordeaux en 1932, réélu en 1936, il est inscrit
lors de la Libération, il se suicide peu après. son grade. Revenu à Paris, il est nommé par à la Fédération républicaine de Louis Marin.
Son Journal 1939-1945 témoigne de son Laval directeur de l'Office français d' informa- Partisan dès 1938 d'une entente franco-alle-
désespoir devant l'impuissance de l'Alle- tion. Ayant suivi la retraite de l'armée alle- mande, il s'oppose au courant belliciste, mais
magne à être le fédérateur d' une nouvelle mande à la fin de 1944, il se tue d' une balle au soutiendra l'effort de guerre dès l'ouverture du
Europe arrachée à la décadence. cœur dans le ruines de Berlin en avrill945. conflit. Après l'armistice de 1940, il apporte

Il
S WHO DES ÉPURÉS

Affaires étrangères. Après avoir détenu diffé-


rents portefeuilles, il retrouve la direction du
gouvernement et les Affaires étrangères durant
huit mois en 1935-36. Période capitale pen-
dant laquelle il mène une politique offensive
contre 1' Allemagne, s'efforçant d'obtenir un
rapprochement avec l'Italie (que compromet la
guerre d'Éthiopie) et signant à Moscou
l'alliance franco-soviétique. Sa politique
déflationniste ayant été mal accueillie, son
gouvernement est renversé. Il ne retrouvera le
pouvoir qu'à la faveur de la défaite, en juillet
1940. Fermement attaché au principe républi-
cain, mais ayant médité les faiblesses de la III'
République, il est le principal artisan du vote
Jean Hérold-Paquis, journaliste vedette de Radio-Paris, fusillé en 1945. du 10 juillet qui accorde au maréchal Pétain le
pouvoir constituant et précipite la mise en
son concours au maréchal Pétain. Tout en col- arrêté l'année suivante. Ayant fait front pen- place du régime de Vichy. Dans l'exercice du
laborant à l'hebdomadaire Gringoire, il pré- dant son procès, il est condamné à mort et exé- pouvoir, il rencontre l'hostilité de la fraction
sente chaque semaine un éditorial à la radio de cuté au fort de Châtillon le 11 octobre 1945, antirépublicaine de Vichy, l'opposition des
Vichy et fait des tournées de conférences dans revêtu de la chemise bleue du PPF. militaires hostile à la collaboration, la méfian-
les deux zones. Décidément très engagé, il ce enfin du maréchal Pétain. Le 13 décembre
adhère à la Milice en mars 1943 et devient Lagardelle, Hubert (1874-1958). 1940, il est destitué par un coup de force et
secrétaire d'État à l'Information en février Avocat et homme politique, théoricien avec arrêté alors qu' on le soupçonne de préparer
1944. Tout en dirigeant ce département, il Georges Sorel du syndicalisme révolutionnaire, avec l'Allemagne des accords entraînant la
réussit l'exploit de rédiger et de prononcer il évolue ensuite vers le corporatisme. Il dirige France dans une cobelligérance. Libéré par
chaque jour deux éditoriaux à la radio de de 1898 à 1914la revue Le Mouvement socia- l' intervention d'Otto Abetz, il trouve refuge à
Vichy, se révélant un irrésistible propagandis- liste et adhère au parti socialiste. Conseiller à Paris. Le 27 août 1941, il est blessé par un
te, passionné, sincère et pugnace, maîtrisant l'ambassade de France à Rome de 1932 à attentat à Versaille en compaghie de Déat. En
parfaitement sa langue, ripostant avec une iro- 1940, lié à Mussolini, il devient à Vichy l' un avril 1942, sur pression de l'Allemagne,
nie déstabilisante à la propagande adverse. des théoriciens de la Révolution nationale. Pétain le rappelle au pouvoir. Il reste au gou-
L'emprise qu'il a sur l'opinion est brisée par Secrétaire d'État au Travail dans le cabinet vernement jusqu'en août 1944. Emmené de
son assassinat, à Paris, le 28 juin 1944. Ses Laval en avril 1942, puis ministre, il démis- force en Allemagne, puis réfugié en Espagne
obsèques seront suivis par une foule immense. sionne en janvier 1944 et prend la direction de au début de 1945, il est livré par Franco aux
La France socialiste en remplacement de René autorités françaises. A l'issue d'un procès
Hérold-Paquis, Jean (1912-1945). Chateau. Condamné par la Haute Cour aux tra- bâclé, il est condamné à mort le 9 octobre
Né dans les Vosges, orphelin de père et mère, vaux forcés à perpétuité le 18 juillet 1946, il 1945. Ayant tenté de se suicider le matin de
il devient très tôt journaliste et s'éprend du bénéficie d'une remise de peine en 1947. son exécution (15 octobre 1945) «pour ne pas
fascisme. Parti en Espagne en 1937, il s'enga- être tué par des soldats français », il est rani-
ge dans la Bandera et combat dans les rangs Laval, Pierre (1883-1945). Avocat et mé puis fusillé sur une • chaise. Dans ses
franquistes. Réformé à la suite d'une grave homme politique né à Châteldon (Puy-de- Mémoires de Guerre, le général de Gaulle lui
maladie, il devient speaker à Radio-Saragosse. Dôme) dans une famille très modeste, il rendra un hommage inattendu : « Laval avait
Rentré en France en décembre 1939, il s'enga- s'élève à force de travail et s'inscrit au barreau joué. Il avait perdu. Il eut le courage
ge dans une unité antichar malgré son mauvais de Paris en 1907. Il appartient à la fraction de d'admettre qu'il répondait des conséquences.
état de santé. Après avoir combattu en 1940, il gauche du parti socialiste. Avocat des syndica- Sans doute dans son gouvernement, déployant
entend continuer la lutte malgré l' amùstice, et listes, maire d'Aubervilliers, député socialiste pour soutenir l'insoutenable toutes les res-
ne renonce à ce projet qu'à la suite de Mers el- en 1914, battu en 1919, réélu en 1924. Il se sources de la ruse, tous les ressorts de l' obsti-
Kébir. Tout d'abord délégué à la propagande proclame alors socialiste indépendant. Briand nation, chercha-t-il à servtr. son pays. Que
de Vichy dans les Hautes-Alpes, il gagne Paris le prend dans son ministère comme sous- cela lui soit laissé ! »
en janvier 1942, s'inscrit au PPF et entre au secrétaire d'État aux Affaires étrangères en
Radio-Journal, dont il devient le journaliste 1925. Le voici lancé dans la grande politique, Luchaire, Jean (1901-1946). Fils d'un
vedette, conservant un ton cocardier et une il n'en sortira plus. Il est ministre de la Justice directeur de l'Institut français de Florence, il
gouaille populaire dans ses pires transes colla- en 1926. Tardieu lui confie le ministère du est né en Italie où il a passé sa jeunesse. Jour-
borationnistes. Chaque jour il reprend la for- Travail en 1930 (il est l'auteur d'une loi sur les naliste au Matin et au Petit Parisien, membre
mule fameuse du général Hoche : « L'Angle- assurances sociales). L'année suivante, il est du parti radical, il soutient la politique étran-
terre comme Carthage doit être détruite! » pour la première fois président du Conseil. En gèré de Briand de rapprochement franco-alle-
Réfugié en Allemagne à la fin de 1944, il est 1932, il cumule cette fonction avec les mand et de construction européenne. Grâce

Il
1
WHO'S WHO DES ÉPURÉ

aux subsides du Quai d'Orsay, il fonde en taire, sur promesse du général Giraud de garan-
1927 le mensuel officieux Notre Temps. En tir sa liberté. Il est immédiatement arrêté sur la
1932, lors des rencontres franco-allemandes pression des gaullistes (Pierre-Bloch) et des
de la jeunesse de Mayence, il sympathise avec communistes (Fernand Grenier) qui réclament
Otto Abetz (alors social-démocrate) qui épou- sa tête. En application d'une loi à effet rétroac-
sera sa secrétaire. Il soutient le Front populaire tif, il est traduit devant un tribunal militaire aux
en 1936, et approuve les accords de Munich. ordres. Condamné à mort à la suite d'un procès
En juillet 1940 à Vichy, La valle charge d'éta- bâclé, il est fusillé le 20 mars 1944, après que
blir un premier contact à Paris avec Otto le général de Gaulle eût refusé sa grâce pour
Abetz, ambassadeur du Reich. Il fonde bientôt « raison d'État ». Cet acte symbolique souli-
un quotidien, Les Nouveaux Temps (1 " gnait le caractère inexpliable de la lutte entre
novembre 1940) de tonalité pacifiste de les résistants et leurs adversaires.
gauche. Élu président de la Corporation de la
presse française en 1942, il joue un rôle Rebatet, Lucien (1903-1972). Pam-
important dans les milieux de l'information. ~ phlétaire convulsif et féroce des Décombres
Réfugié à Sigmaringen en 1944, il fait paraître ~ ( 1942), romancier immense et méditatif des
le quotidien La France destiné aux requis du Deux Étendards (1951 ), historien et critique
Lucien Rebatet.
STO. Arrêté en Italie, ramené à Paris, il est accompli de l'Histoire de la musique ( 1969),
condamné à mort le 21 janvier 1946 et meurt Pucheu, Pierre (1899-1944). L'homme Lucien Rebatet s'est vu refuser par son temps
courageusement le 22 février. Jusqu'à la fin, il était ambitieux, profondément patriote, hostile la place de grand écrivain à laquelle son talent
restera l'homme de gauche qu'il n'avait aux Allemands et courageux, comme ille mon- lui donnait droit. Né à Momas en Dauphiné,
jamais cessé d'être. trera devant le peloton d'exécution. Sorti du ce petit homme truculent au physique de
peuple, il réussit le concours de Normale supé- « Français moyen » était né pour l'invective.
Marion, Paul (1899-1954). Attiré très tôt rieure, et se dirige vers les affaires. Recruté par Agnostique virulent, patriote effervescent,
par le marxisme, licencié de philosophie, il est la banque Worms, on lui confie la direction de bouffeur de curés, de juifs et de badernes
membre du comité central du parti communiste la société Japy dont il rétablit la situation com- galonnées, il avait débuté à L'Action française
en 1926, et tient dans l'Humanité la rubrique promise. Séduit par la politique, hostile au en qualité de critique de cinéma (François Vin-
des « gueules de vache ». Il suit les écoles de communisme comme au système parlementai- neuil), spécialité où sa sûreté de jugement était
cadres à Moscou de 1927 à 1929, ce qui a pour re, il adhère en 1936 au PPF de Doriot, mais il rarement aveuglée par la passion furieuse de
effet de le dégoûter définitivement du commu- le quitte en 1938. En février 1941, il est appelé ses écrits politiques. A partir de 1932, il donne
nisme. Il adhère au PPF de Doriot en 1936 et avec les autres jeunes « technocrates » de la des articles à Je Suis Partout, dont il épouse
devient le rédacteur en chef de son journal La banque Worms à participer au gouvernement l'évolution fasciste. Mobilisé en 1939-40, il
Liberté jusqu'à sa rupture en 1939. Il publie de l'amiral Darlan comme secrétaire d'État à la reprend sa place à JSP dès la reparution de
alors un ouvrage sur la technique révolution- Production industrielle. Hostile à la collabora- l'hebdomadaire en février 1941, s'affirmant
naire, Leur combat, Lénine, Mussolini, Hitler; tion, il accepte le 18 juillet 1941 le poste d'emblée comme le plus antivichyssois et le
Franco. Prisonnier en 1940, il est libéré en périlleux de secrétaire d'État à l'Intérieur. Il plus collaborationniste de l'équipe. Ceux qu'il
1941. Appelé aussitôt à Vichy par l'équipe des estime que l'État doit prendre en charge la avait étrillés sans mesure se vengèrent quand
jeunes technocrates réunis par Darlan, il est répression de la « dissidence ». Il crée ainsi en la défaite allemande le livra à leur merci. Arrê-
nommé secrétaire général à l'Information (23 septembre 1941 le tribunal d'État (section spé- té au printemps 1945, condamné à mort le 23
février 1941 ). Se déclarant ouvertement fascis- ciale), juridiction qui peut saisir directement novembre 1946, il resta aux fers presque cinq
te, affichant son mépris pour les milieux cléri- sans l'accord de la chancellerie. Il se trouve mois, attendant la mort chaque matin. Gracié
caux, il scandalise le maréchal Pétain, mais également mêlé à la désignation des otages exi- le 10 avril 1947 sur intervention de Jean Paul-
Laval le prend dans son gouvernement comme gés par la Wehrmacht en représailles des pre- han, il croupit en centrale encore six ans
secrétaire d'État à l'Information (18 avril miers attentats communistes contre des mili- jusqu'à sa libération, le 16 juillet 1952. A cette
1942). Il crée des comités de propagande ainsi taires allemands (affaire de Châteaubriant), date avait paru Les Deux Étendards, roman
que l'École des cadres de Mayet-de-Montagne. réussissant cependant à réduire de moitié le exceptionnel écrit pendant sa détention. Ne
Il cède ce poste à Philippe Henriot le 6 janvier nombre des victimes exigées. Simultanément, reniant rien, il mit encore une fois sa plume au
1944 tout en restant membre du gouvernement. il protège certains résistants et s'efforce par des service de ses idées, notamment dans l'hebdo-
Contraint de suivre Laval à Sigmaringen, mais contacts directs avec Frenay d'éviter l' enchaî- madaire Rivarol. Des confrères qui ne le
refusant d'entrer dans la commission gouver- nement de la guerre civile. Convaincu de la valaient pas ont souligné quelques brèves
nementale de Brinon, il se constitue prisonnier défaite de 1' Axe après 1' entrée en guerre des défaillances, notamment à son procès. Il n'est
en juillet 1945. Le 14 décembre 1948, il est États-Unis, il tente vainement d'obtenir de que de lire ses Lettres de prison (Le Dilettante,
condamné par la Haute Cour aux travaux for- Vichy un renversement des alliances. Il est 1995), pour prendre la mesure d'un courage
cés à perpétuité. Il sera gracié en 1953 pour écarté du pouvoir en avril 1942, quand Laval dont il est peu d'exemples. Il avait épousé
raisons de santé. Tous ceux qui l'ont connu en revient au gouvernement. Il gagne l'Espagne Véronique, petite-fille d'un prêtre orthodoxe
prison ont témoigné de l'estime qu'il leur ins- en novembre, puis l'Afrique du Nord en mai roumain, qui l'escorta dans toutes ses aven-
pirait. 1943 pour s' engager dans une formation mili- tures. Lucien Rebatet est mort le 24 août 1972.
S WHO DES ÉPURÉS

Spinasse, Charles (1893-1979). été en affaires avec l'État, dont elle était l'un
Homme politique, dirigeant socialiste. Profes- des fournisseurs, notamment pour la Guerre et
seur au Conservatoire des arts et métiers, mili- la Marine. Elle attire de jeunes et brillants col-
tant socialiste SFIO dès sa jeunesse, député de laborateurs qu'elle « prête » à l'État. Directeur
la Corrèze (fief familial) de 1924 à 1940, il est de la banque Worms de 1940 à 1944, le sédui-
alors le principal économiste de la SFIO. Son sant et habile Gabriel Le Roy Ladurie apparaît
socialisme ne doit rien au marxisme. II est par- comme le mentor des jeunes et brillants tech-
tisan d'une rationalisation de l'économie au nocrates présents dans le gouvernement Dar-
niveau européen. Ministre de l'Économie lan, Barnaud, Pucheu, Lehideux, Belin, Bou-
nationale du Front populaire (gouvernement thillier, Bichelonne, Benoist-Méchin, etc.
Léon Blum) de juin 1936 à juin 1937. Ardant Ceux-là font tant de jaloux qu'on invente à
pacifiste, partisan d'une entente avec l'Alle- leur intention la fable de la Synarchie, imagi-
magne, il s'oppose sur ce point à Léon Blum à née par l'inusable Dr Martin. Bien que dénon-
partir de 1938. En juillet 1940, il vote les cée comme «juive » et connue pour ses liens
pleins pouvoirs au maréchal Pétain et s'affir- :5 avec l'Angleterre, la banque Worms prospère
me comme un partisan de Pierre Laval, au à Paris grâce à l'Occupation. Son avoir se
moins jusqu'à la fin de 1942. En novembre Georges Suarez, premier journaliste condamné trouve pratiquement multiplié par trois entre
1941, il fonde l'hebdomadaire Le Rouge et le à mort et fusillé lors de l'épuration. 1938 et 1944. Elle utilise habilement la pré-
Bleu, favorable à la collaboration, dans le sence de commissaires allemands fort peu
cadre de 1'héritage socialiste. Il se querelle appartient au Faisceau de Valois, puis aux nazis, faisant savoir dans le milieu des affaires
avec Marcel Déat dont il n'approuve pas le Croix-de-Feu de La Roque et à la Fédération que chez elle les capitaux seront en sécurité,
projet de parti unique et l'adhésion au modèle nationale catholique du général de Castelnau. sous la garde d'Allemands parfaitement
national-socialiste, ce qui provoque l'interdic- Nommé par le maréchal Pétain en juillet 1940 contrôlés (Cf. Rochebrune & Hazéra, Les
tion de son journal à la fin de 1942 et son secrétaire général aux Anciens combattants, il Patrons sous l'Occupation, Odile Jacob, 1995,
retrait de la vie publique. Arrêté à Paris le 20 est le fondateur de la Légion des combattants. p. 657-691). Arrêté en septembre 1944, Hypo-
janvier 1945, il est acquitté le 22 octobre sui- Héritier de l'antisémitisme chrétien (non lite Worms séjournera quelques mois à la pri-
vant, grâce, pense-t-on, à son appartenance à racial), il est l'inspirateur de la législation de son de Fresnes avant de voir son dossier classé
la franc-maçonnerie. Vichy sur les Juifs, mais il est hostile à toute sans suite.
politique brutale. C'est progressivement qu'il
Suarez, Georges (1894-1944). II est le veut écarter les Juifs de certaines fonctions Zoretti, Ludovic (1880-1948). Univer-
premier journaliste fusillé dans le cadre de d'influence. Il est nommé en juillet 1941 pre- sitaire et syndicaliste. Ancien élève de l'École
1' épuration. Combattant de 14-18, il devient mier commissaire général aux question juives. normale supérieure, professeur à la faculté des
après la guerre correspondant de 1'agence S'étant opposé à diverses mesures exigées par sciences de Caen. Fondateur du Syndicat de
Havas à Vienne. Il collabore à plusieurs jour- les Allemands (port de l'étoile jaune entre l'enseignement supérieur (ancêtre du SNE-
naux, Le Temps, L'Écho de Paris et publie des autres) et résolu par ailleurs à défendre les SVP). Membre dirigeant du parti socialiste
biographies de Georges Clemenceau et d' Aris- Juifs éta~lis en France de longue date, il est SFIO et de la CGT depuis 1919, il est en
tide Briand. Sur recommandation d' Abetz, il remplacé en mai 1942 à la demande des Alle- 1938-39 le principal animateur de la tendance
devient en décembre 1940 le directeur de mands par Darquier de Pellepoix. Détaché Redressement qui combat Léon Blum et la
l'hebdomadaire Aujourd'hui en remplacement auprès du chef de l'État, il succède à Philippe direction belliciste du parti : « Le peuple fran-
d'Henri Jeanson et le restera jusqu'en août Henriot comme éditorialiste radio en 1944. çais ne veut pas faire tuer des millions
1944. Ayant refusé de quitter Paris, il est arrê- Arrêté à la Libération, de nombreux témoi- d'hommes et détruire une civilisation pour
té et, bien que son dossier soit peu pendable, il gnages individuels en sa faveur modèrent le rendre la vie plus facile aux cent mille Juifs
est condamné à mort par la cour de justice le jugement de la Haute Cour qui le condamne le des Sudètes » (Le Pays normand, journal de la
23 octobre 1944. Abandonné par ses amis non 10 décembre 1947 à dix ans de prison. Après fédération socialiste du Calvados, 1" sep-
collaborationnistes, sauf Kessel et Desnos, il sa mise en liberté, il prendra la direction de tembre 1938). Il milite pour la réconciliation
est exécuté le 8 novembre 1944. l'hebdomadaire monarchiste Aspects de la de la France et de l'Allemagne, d'autant qu'il
France jusqu'en 1966. juge favorablement l'évolution économique et
Vallat, Xavier (1891-1972). Avocat, sociale du III' Reich. Rallié à la collaboration
héros de 14-18 (engagé comme caporal en Worms, Hypolite. Héritier de la par amour de la paix, il milite en 1942 au RNP
1914, il termine lieutenant de chasseurs alpins banque d'affaires fondée en 1848 par son de Déat. En compagnie de Georges Dumoulin,
avec de nombreuses décorations), grand inva- grand-père également nommé Hypolite, il pré- ex-secrétaire général de la CGT et de Marcel
lide de guerre énucléé de l'œil droit. Élu dépu- sente la particularité d'avoir été accusé de col- Lapierre, ancien rédacteur en chef de L'École
té de l'Ardèche en 1919, réélu en 1928, 1932 laboration malgré ses origines partiellement libératrice, il anime L'Atelier, hebdomadaire
et 1936, il a toujours siégé à l'extrême droite. juives (sa mère et sa femme étant« aryennes», des syndicalistes favorables à la collaboration.
Conseiller général de Saint-Félicien, maire de la loi allemande ne le considère pas comme Arrêté en 1944, condamné en 1945, il meurt
Paillarès jusqu'à la Libération. Inscrit au Bar- juif). Par tradition, la banque Worms, dont quatre ans plus tard en prison.
reau de Paris. Proche de 1' Action française, il l'activité maritime était importante, a toujours D.V.


LE MONDE DE LA GAUCHE COLLABO

Déat~ Doriot~ Luchaire


et les autres
PAR HENRI LANDEMER

Il faut se faire une raison. La


recherche historique montre que
la gauche a fourni les gros
bataillons de la vraie Collabora-
tion. Journalistes ou chefs de par-
tis, la plupart des ténors venaient
du parti socialiste, du parti com-
muniste, du syndicalisme, de la
gauche laïque, antifasciste et
pacifiste.

e 14 juin 1940 les troupes allemandes

L entrent dans Paris, déclaré depuis


l'avant-veille ville ouverte. Trois jours
plus tard, alors que la guerre continue encore,
Marcel Déat (assis), chef du RNP, ministre du Travail et de la Solidarité nationale dans le dernier
cabinet Laval de 1944. Cet ultra de la Collaboration, intellectuel brillant et socialiste de toujours, restera
un homme de gauche jusqu'à son dernier souffle. Il est entouré de Georges Albertini (lunettes), son
paraît le premier journal français dans la capi-
directeur de cabinet, socialiste et républicain lui aussi ; de Roger Bertrand, directeur du Travail ; et du
tale occupée. Son titre : La Victoire !
général Redempt (à droite), directeur de la Solidarité nationale.
Son directeur, alors âgé de soixante-dix ans
et qui mourra avant la fin de l'été 1944, se Il se retrouve en cour d'assises. Acquitté La boucle est bouclée qui l'a conduit de
nomme Gustave Hervé. Il avait été à la fin du grâce à la plaidoirie de son avocat, Aristide l'extrême gauche à l'extrême droite (ou ce que
siècle précédent un des plus célèbres agitateurs Briand, il n'en sera pas moins révoqué. Il l'on nomme ainsi). Ce précurseur de la Colla-
d'extrême gauche. Breton de Brest, professeur devient alors le plus en vue des ténors de l'aile boration ne publiera que quelques numéros de
d'histoire, il fut à la Belle Époque socialiste gauche du parti socialiste et publie un hebdo- son journal sous l'Occupation. Son itinéraire
révolutionnaire, antimilitariste forcené, dreyfu- madaire La Guerre sociale. 1914le voit se ral- n'en est pas moins révélateur.
sard parmi les plus acharnés. En avril1900, il a lier à« l'Union sacrée» et il fonde La Victoire. Que cela plaise ou non, la Collaboration,
publié dans le Travailleur socialiste, organe de Entre les deux guerres, il prône le rapproche- sous sa version politique et parisienne, fut
la fédération de l'Yonne, des articles signés ment franco-allemand et devient le chef de la avant tout le fait d'hommes venus de la
« Un Sans-Patrie » et où il déclare vouloir Milice socialiste-nationale - avec pour adjoint gauche. Cette constatation, étayée par la
planter le drapeau français dans le fumier. Marcel Bucard, futur chef du Francisme. recherche historique (1 ), ne paraît scandaleuse
UCHE COLLABO

qu'aux ignorants de la loi primordiale de toute allemand de Paris. Le rang d'ambassadeur lui
recherche historique : la chronologie, c'est-à- sera accordé en août.
dire l'enchaînement des faits . Entre-temps, on assiste aux premières
Il faut remonter, brièvement, à l'avant- manifestations de la collaboration journalis-
guerre et même à l'autre après-guerre. tique. Le quotidien Le Matin est paru le 17
Au lendemain de la victoire de 1918, la juin et, dès le lendemain, on note une première
droite est tout naturellement nationale, elle démarche communiste auprès des autorités
répand le slogan << L'Allemagne paiera » et allemandes pour la reparution de l'Humanité,
continue à développer les arguments habituels 2'5 démarche qui se situe dans le droit fil du pacte
de la propagande de guerre. La gerrnanopho- germano-soviétique du 22 août de l'année pré-
bie reste, tout autant que l' antirépublicanisme, Le journaliste Jean Luchaire (1901-1946). cédente.
le ciment de l'Action française. Le trio Maur- Homme de gauche, pacifiste, briandiste, ami Paris-Soir reparaît le 22 juin et La France
ras-Daudet-Bainville multiplie au quotidien d'Otto Abetz, il joue un rôle capital dans la presse au travail fait son apparition le 30 du même
des arguments dont beaucoup relèvent de la parisienne de 1940 à 1944. Il sera fusillé en 1946. mois. Les hebdomadaires vont suivre. A com-
gerrnanophobie la plus primaire : le Boche mencer par un titre nouveau : La Gerbe, dont
reste l'ennemi, tout autant que « la Gueuse ». Reich à Adolf Hitler, chef du parti national- le premier numéro date du 11 juillet. Son
Par la suite, la xénophobie restera un réflexe socialiste, tout va changer. Le ralliement des directeur, le romancier chrétien Alphonse de
de base de la droite, à peine tempéré par une Allemands au nouveau régime est spectaculai- Châteaubriant, ami de Romain Rolland est un
idée de « fraternité latine » : Italie-France- re. La trajectoire d' Abetz est en ce sens exem- sympathisant avoué du national-socialisme. Il
Espagne (2). plaire. choisit comme rédacteur en chef Camille
En revanche, la gauche est naturellement Il n'est pas affilié au parti. Il y entrera si Fégy, ancien secrétaire de rédaction à l'Huma-
internationaliste. L'idée d'une compréhension tardivement que sa carte de membre porte le nité et ex-militant communiste, et comme
franco-allemande semble dans le droit fil de la numéro 7 011 453 ! Son désir de travailler au gérant et animateur de la page des jeunes Marc
fidélité à Jaurès, le tribun assassiné. Elle est rapprochement franco-allemand reste inchan- Augier, ancien chargé de mission du ministre
reprise par des hommes comme Aristide gé. Il n'empêche qu'il devient un des respon- socialiste Léo Lagrange au temps du Front
Briand ou Joseph Caillaux, dont on ne peut sables de la Jeunesse hitlérienne puis membre populaire.
certes dire qu'ils appartiennent à la droite. de l'Ordre noir (numéro de sa carte SS : 253 Le 10 septembre 1940 paraît le premier
Toute une gauche, dont le premier mot d'ordre 314 ), où il obtiendra, au début de l'année numéro du quotidien Aujourd'hui. Rédacteur
est le pacifisme, tout naturellement assorti 1942, le grade de Brigadeführer, en chef : Henri Jeanson, un libertaire qui n'a
d'antimilitarisme, d'anticolonialisme, d' anti- correspondant à général de brigade. jamais caché son tempérament anarchiste.
cléricalisme, prône une Europe enfin réconci- Quand il sera écarté par les Allemands à la fin
liée et même unifiée. Journaux et journalistes de l'année, le nouveau directeur d'Aujourd'hui
La ligne de clivage est évidente entre les sera Georges Suarez, surtout connu par sa
nationalistes et les « Européistes » (qui ne sont L'ambiguïté s'est installée de part et monumentale biographie d'Aristide Briand et
pas forcément mondialistes). d'autre du Rhin avec l'arrivée au pouvoir qu'on dit soutenu par Abetz.
La future histoire de la collaboration 40- d'Adolf Hitler. Une fraction de la droite glisse Abetz est bien au centre de toutes les
45 s'explique en partie par les rencontres qui vers le fascisme - ce sera le cas des dissidents intrigues parisiennes. Un de ses amis français
eurent lieu dix ans plus tôt, lors de l'été 1930, de l' AF qui se retrouvent à Je Suis Partout, du temps du Sohlbergkreis, Jean Luchaire, a
du 28 juillet au 3 août, dans l'auberge de jeu- alors que la grande masse du PSF du colonel été chargé par le président Laval, le 10 juillet
nesse de Sohlberg, sur un des sommets de la de La Rocque, farouchement anticommuniste 1940, d'établir les premiers contacts officieux
Forêt-Noire, d'où l'on découvre la plaine du reste aussi traditionnellement anti-allemande. avec celui qui ne tardera pas à devenir ambas-
Rhin. Là, dans un cadre fort symbolique, vont A gauche, l' antifascisme ne parvient pas à sadeur d'Allemagne à Paris.
fraterniser jeunes Français et jeunes Alle- transformer en bellicisme l'important courant Ce journaliste, né à Sienne, en Italie, au
mands. pacifiste, inhérent à cette partie de l'éventail physique de jeune quadragénaire play-boy,
Parmi ceux-ci, un garçon de vingt-sept politique. vient des milieux pacifistes et briandistes et a
ans, le jeune Badois Otto Abetz, professeur de Un article de L'Œuvre, le grand quotidien fondé en 1927 Notre Temps qui sera tour à tour
dessin à Karlsruhe, de tendance sociale-démo- de gauche, fondé en 1902 par Gustave Téry, mensuel, quotidien du soir puis hebdomadaire.
crate. deviendra emblématique de cette tendance Après avoir été rédacteur en chef du Matin
Celui qui sera un jour ambassadeur pacifiée, appelée à déboucher sur la Collabora- après l'armistice, il va créer son propre journal
d'Allemagne à Paris, se réclame alors, comme tion. Publié le 4 mai 1939 et signé Marcel Les Nouveaux Temps, dont le premier numéro
ses interlocuteurs français, de Romain Rol- Déat, il pose la question : << Mourir pour paraît le l" novembre 1940. D'un aspect sévè-
land, qui se voulut pendant la Grande Guerre Dantzig ?» re qui sera par la suite repris par Le Monde, ce
<< au-dessus de la mêlée » et que l'on devait Quelques semaines plus tard, Otto Abetz quotidien du soir, dont l'éditorialiste est Guy
retrouver compagnon de route des commu- est expulsé, mais il conserve des amis à Paris. Crouzet, ancien lui aussi des rencontres de
nistes après la révolution russe de 1917. Il les retrouvera dès la mi-juin 1940, quand il Sohlberg, va défendre une politique de colla-
Quand le vieux maréchal Hindenburg devient représentant du ministère des Affaires boration marquée par la gauche et le pacifis-
confie, le 30 janvier 1933, la chancellerie du étrangères auprès du commandant militaire me .


LA GAUCHE COLLAB

Abetz a fort bien compris qu'il ne saurait


y avoir de révolution politique sans une véri-
table « révolution culturelle », dont l'expres-
sion alors la plus efficace est la presse. Le
Matin tire à plus de 500 000 exemplaires, Le
Petit Parisien à 680 000, Paris-Soir à plus de
800 000. Un hebdomadaire comme La Gerbe
approche des 150 000 exemplaires, suivi de
près, dès le début de l'année 1941, par Je Suis
Partout.
Le directeur de la Nouvelle Revue Fran-
çaise, Drieu La Rochelle, est un ami d'Otto
Abetz depuis une rencontre franco-allemande
à Berlin, en janvier 1934, sous les auspices du
Sohlbergkreis.
Jacques Doriot
A côté de cette gigantesque mise en condi- (à gauche), ancien espoir
tion de l'opinion publique, compte bien peu du parti communiste, chef
l'agitation des groupuscules politiques droi- du PPF,fondateur de la
tiers, comme le Front Franc de l'ancien com- LVFen1941,
battant Jean Boisse!, lancé dès novembre tué en Allemagne
1940, le Jeune Front de Robert Hersant ou le en 1945. On le voit ic~
PFNC de Pierre Clémenti. Ce Parti français le 28 juin 1942, gare de
national-collectiviste s'appelait d'ailleurs l'Est à Paris,
en compagnie du
avant-guerre national-communiste et son chef
commandant Lacroix,
Pierre Clémenti, avait travaillé comme journa- de la LVF.
liste sportif dans le quotidien radical-socialiste
La République. revenir, avec son journal, à Paris, dès sep- ment par Georges Dumoulin, ancien respon-
Ces petites formations de l'automne 1940 tembre 1940, où il mène une violente cam- sable de la CGT dans le Nord. Le CSP, Centre
n'ont certes pas l'importance des deux grands pagne contre la droite vichyste, préparant ainsi syndicaliste de propagande, formera un véri-
mouvements politiques de la collaboration : le le terrain à une initiative qu'il espère décisive :
table tandem avec le RNP.
RNP de l'ancien socialiste Marcel Déat et le en février 1941, il fonde le Rassemblement Le RNP va se trouver en concurrence avec
PPF de l'ex-communiste Jacques Doriot. national populaire, s'alliant pour la circonstan- le PPF, Parti populaire français, de Jacques
Celui qui ne voulait pas « mourir pour ce avec l'ancien cagoulard Deloncle, dont il ne Doriot, dont la création remonte à la fin du
Dantzig » a mis plusieurs mois avant de se tardera pas à se séparer. mois de juin 1936. Le premier congrès en zone
décider à sauter le pas et à quitter la zone libre occupée du PPF date de mars 1941 quelques
pour la zone occupée. RNP et PPF semaines après la fondation du RNP.
Jusqu'à la défaite, Marcel Déat apparaît Ce relanc~ent du mouvement a été, lui
comme un socialiste incontestable, même s'il Le RNP récupère incontestablement une aussi, précédé par la parution d'un journal, Le
n'est pas orthodoxe. Fils d'un Auvergnat et partie de la gauche, pacifiste, pro-allemande, Cri du Peuple, dont le premier numéro est
d'une Bretonne, il est reçu en juillet 1914 à européenne, « briandiste » en un mot. La paru le 19 octobre 1940. Certes le tirage de
l'École normale supérieure. Il a vingt ans. Un « clientèle » de Déat est cJrle de l'ancienne 35 000 exemplaires ne saurait se comparer
mois plus tard, il est mobilisé comme simple SFIO, même s'il cède au goût de l'époque : avec les 200 000 de L'Œuvre, mais d'autres
soldat et terminera la guerre capitaine, avec la chemise bleu marine, béret basque, brassard, quotidiens sont plus ou moins ouvertement
Légion d'honneur et cinq citations sur sa croix ceinturon-baudrier et même bottes d'équitation d'obédience doriotiste comme Le Petit Pari-
de guerre. Agrégé de philo, député SFIO de la pour les cadres. sien, animé par Claude Jeantet.
Marne, président de la fédération des étudiants Sur 15 membres de la Commission perma- Bien qu'inconnu au départ d' Abetz, le
socialistes, il fait scission de la vieille maison nente, la plus haute instance du RNP, six chef du PPF va apparaître comme l'homme
en 1933 pour créer le Parti socialiste de Fran- étaient des néo-socialistes et six appartenaient fort de la Collaboration, d'autant qu'à l'inver-
ce. Il adhère au Comité de vigilance des intel- à la SFIO, dont Georges Albertini, secrétaire se de Marcel Déat, il fait acte d'allégeance à
lectuels antifascistes et sera pour quelques général et cheville ouvrière du Rassemble- Pétain. « Je suis un homme du Maréchal »,
mois ministre de 1' Air en janvier 1936. Il reste ment, où sont nombreux les fonctionnaires et affirme le chef du PPF.
pacifiste, peu porté à une alliance avec les spécialement les enseignants qui n'ont rien Il est surtout un ancien communiste, très
communistes. renié de leur idéal laïque, ni même de leur affi- marqué par ses origines prolétariennes et parti-
En juillet 1940, directeur politique de liation à la franc-maçonnerie. sanes. Né dans l'Oise, mais avec des origines
L'Œuvre, repliée à Clermont-Ferrand, il rêve Le RNP contrôle une partie des anciens\- nivernaise, flamande, bretonne et même ita-
d'un « parti unique », idée qui sera sabotée par syndicalistes, lecteurs de L'Atelier, hebdoma- \ lienne, il a été mobilisé à dix-neuf ans en 1918
l'entourage du Maréchal. Déat va désormais daire fondé en décembre 1940, animé notam- et a gagné une croix de guerre sur le front de
UCHE COLLABO

SOCIALISME,
PACIFISME ET
COLLABORATION Lorraine. Lors de la scission de Tours, il quitte me de Raymond Abellio. Polytechnicien,
les jeunesses socialistes pour le parti commu- ancien militant des Jeunesses socialistes de la
La paix est au cœur de l'idéologie des niste, séjourne à Moscou, devient député et SFIO et de la Gauche révolutionnaire de ten-
socialistes dans la mesure où ceux-ci entre en rivalité avec Maurice Thorez à la tête dance trotskiste, il a adhéré au Parti socialiste
considèrent la guerre comme une du parti, où il bénéficie du soutien des jeunes. ouvrier et paysan de Marceau Pivert avant de
conséquence du capitalisme.[...] Exclu en 1934, mais toujours maire de la cité rejoindre la tendance du Redressement socia-
En mai 1935, le mouvement socialiste ouvrière de Saint-Denis, il fonde le « Rayon liste de Ludovic Zoretti, qui passera lui aussi à
accueille avec réserve la signature du pacte majoritaire», dissident du PCF, puis le PPF, où la Collaboration. Fait prisonnier, il donne dans
franco-soviétique. Il se méfie moins de la plupart des cadres et les premiers militants son Oflag des conférences dont il devait tirer
Staline que de la politique des alliances. viennent comme lui des rangs communistes. la matière de son essai doctrinal La fin du
Selon lui, ces alliances partagent les Si les positions de Doriot devaient évoluer nihilisme, où il adapte à l'usage des Français
puissances en camps hostiles, accélèrent la dès l'avant-guerre, soutenant les insurgés le national-socialisme et même le racisme hit-
course aux armements et ramènent l'Europe à lérien.
nationalistes espagnols, acceptant des fonds du
une situation voisine de celle qui a précédé et, Parmi tous les hommes de gauche à se ral-
gouvernement fasciste italien, cotisant pour
pour une part, provoqué la guerre de 1914. [...] lier à la politique de la Révolution nationale, il
offrir son épée d'académicien à Charles Maur-
Tant que l'URSS propose des plans de faut citer Gaston Berery, qui, lui, a refusé le
ras, défendant les accords de Munich, il
désarmement mirifiques et ménage Hitler,
conserve au sein de son parti les méthodes jeu parisien et n'a pas quitté l'orbite du gou-
les pacifistes radicaux sont souvent
communistes. Malgré l'apport d'anciens de vernement de Vichy. Ce radical, avant la guer-
procommunistes. A partir de 1935, quand
l'Action française ou des Croix-de-Feu, la re, avait lancé l'hebdomadaire antifasciste La
Staline et le PCF mettent en parallèle le
grande majorité des cadres, à commencer par Flèche et en avait fait l'organe du parti« fron-
fascisme et la guerre, ils deviennent
antisoviétiques. Leur pacifisme leur fait l'intellectuel Paul Marion, sont passés par le tiste » qui finira par défendre une sorte de
découvrir la nature totalitaire de l'URSS, PCF et en ont gardé l'esprit de centralisme socialisme national assez ambigu. Il sera mêlé
mais il leur dissimule de plus en plus celle bureaucratique. L'atmosphère du PPF, même aux tentatives de« parti unique » de l'automne
de l'Allemagne nazie. Leur haine de la s'il a évolué depuis 1936, reste celle de 1940 et finira sa carrière politique comme
guerre est plus forte que leur dégoût pour l'extrême gauche. La lutte à mort avec l'appa- ambassadeur du Maréchal à Moscou puis à
l'hitlérisme. Ils affirment inlassablement que reil du PCF est celle, impitoyable, qui oppose Ankara.
la paix est possible avec Hitler, si la France des frères ennemis. Peut-on qualifier d'homme de droite le
donne une orientation pro-allemande à sa Le pacte germano-soviétique a provoqué chef du Francisme Marcel Bucard, qui reprend
diplomatie, renonce à ses alliances avec la une nouvelle vague de départs parmi les res- le combat politique au printemps 1941, après
Grande-Bretagne et la Russie soviétique et ponsables communistes. Certains, comme être passé en Suisse avec les soldats de son
prend l'initiative de détruire le traité de Marcel Gitton, fonderont, après l'armistice, le régiment pour leur éviter d'être faits prison-
Versailles, jugé responsable de tous les POPF, Parti ouvrier et paysan français, favo- niers des Allemands ? Fasciste déclaré depuis
malheurs de l'Allemagne. 1933, on doit à ce glorieux ancien combattant
rable à la politique de collaboration. Gitton
Plus les intentions guerrières de Hitler de 14-18, à la croix de guerre ornée de dix
sera un des premiers à tomber sous les balles
sont évidentes, plus les partisans de la paix citations, cette affirmation sans équivoque,
de résistants communistes en septembre 1941.
à tout prix confortent leur analyse de la lors des événements de février 1934 : « Le
Un mois plus tard, une affiche apposée dans
situation en recourant à l'idéologie Francisme n'est ni à gauche, ni a droite, il est
socialiste. En vertu d'un processus de
Paris et portant la signature de Marcel Cachin,
un des chefs historiques du PCF, réprouvera en avant! »
contamination qui s'exprime ouvertement On pourrait conclure sur un paradoxe : le
dès 1938, ils découvrent les traits du sans ambages les attentats individuels contre
l'armée d'occupation, rappelant au passage seul dirigeant politique de la collaboration qui
socialisme dans le national-socialisme :
que l'ancien directeur de l'Humanité avait tou- venait de la droite et, dans une certaine mesu-
dirigisme économique, mesures antitrusts,
re, y était resté, fut Eugène Deloncle, le chef
organisation de l'existence sous une forme jours été partisan du rapprochement franco-
du premier MSR. Il sera assassiné par la Ges-
collective, rejet de l'individualisme. [...] allemand.
tapo le 7 janvier 1944.
L'hitlérisme n'est pas encore le vrai
H.L.
socialisme, mais ce n'est déjà plus le Assassiné par la Gestapo
capitalisme. Il représente une étape
( 1) On peut notamment consulter : Du commu-
intermédiaire. Cette parenté entre socialisme En quittant le Rassemblement national- nisme au fascisme, Victor Barthélemy (Albin
et national-socialisme leur fait sous-estimer, populaire de Marcel Déat, les amis d'Eugène Michel, 1978). La dérive fasciste, Doriot, Déat,
avant 1939,1a volonté expansionniste et Bergery, 1933-1945, Philippe Burrin (Le Seuil,
Deloncle devaient développer une organisation
guerrière du nazisme. Après la défaite de 1986). Hitler ou Staline, Christian Jelen (Flamma-
concurrente : le MSR ou Mouvement social-
1940, certains croient même qu'ils pourront, rion, 1988). La collaboration... à gauche aussi,
révolutionnaire, qui rassemblait surtout
la paix recouvrée, engager la France dans la Rémy Handourtzel et Cyril Buffet (Perrin, 1989).
construction d'un régime socialisant. D'où
d'anciens cagoulards. Ils incarnent, certes, les
Mémoires politiques, Marcel Déat (Denoël, 1989).
les espoirs qu'ils mettent dans la fumeuse tentations les plus extrêmes de la droite, à
(2) Dans son Histoire critique de la Résistance
« Révolution nationale • de Pétain.
commencer par le rêve d' un « putsch » para- (Pygmalion, 1995), Dominique Venner a montré
CHRISTIAN JELEN militaire. Mais ils se donnent pour idéologues que les maurrassiens, les cagoulards et les anciens
Hitler ou Staline. Flammarion, 1988. des hommes de gauche, comme Georges Sou- Croix-de-Feu ont formé la majorité des premiers
lès - connu après la guerre sous le pseudony- résistants et des premiers agents de la France libre.


"
DEUX ECRIVAINS DANS LA TOURMENTE

Brasillach et Drieu
PAR PIERRE MAUGUÉ

Robert Brasillach et Pierre


Drieu La Rochelle sont les figures
emblématiques du « romantisme
fasciste ». Tous deux ont subi la
fascination des révolutions noire
ou brune. Tous deux ont soutenu
la collaboration avec l'Allemagne
et ont payé cet engagement par
une mort tragique. Pourtant tout
semblait les séparer et rien
n'annonçait ce que fut leur destin. Pierre Drieu La Rochelle à sa table de travail, chez lui, en 1943.

eize ans séparent Drieu La Rochelle (né Brasillach qui eut vingt ans en 1929, au corollaire. Même s'il ne peut parfois retenir

S en 1893) de Brasillach (né en 1909), et


cette différence d'âge prend en l'occur-
rence une importance toute particulière. De
cœur même de l'entre-deux-guerres, ne passe-
ra pas sa jeunesse sur les champs de bataille et
ne ressent pas d'attirance pour l'idéal du guer-
rier. A l'âge où la génération précédente se
certains sursauts d'idéalisme, ses romans,
comme son journal, refléteront l'image déses-
pérée qu'il se fait des rapports homme-femme.
Pour Drieu, l'homme est seul et il invente la
1914 à 1918, la jeunesse de Drieu est marquée
par l'expérience de la guerre et, à l'âge de battait et mourait sur la Marne ou à Verdun, il femme comme il invente ses dieux.
vingt-cinq ans, il est déjà un ancien combat- connaîtra les charmes de la vie estudiantine et Brasillach n'aura ni la vie amoureuse ora-
tant ayant perdu pas mal d'illusions et décidé à tout ce que Paris peut offrir à un jeune homme geuse de Drieu ni le goût des amours faciles . Il
joui~ de la vie. Cette expérience fera naître avide de théâtre, de cinéma, de littérature et a, ou veut garder, une image idéalisée de la
chez Drieu des sentiments contradictoires d'amitié. Tout en Brasillach est alors ferveur et femme. Rien du cynisme de l'auteur de
qu'il exprimera plus tard dans La Comédie de émerveillement. Gilles ; mais les mondes qu'ils fréquentent
Charleroi. Sa jeunesse c'est, comme il l'écrit dans sont aussi très différents. Si Drieu marque une
Des combats de Charleroi à Verdun, en Notre avant-guerre, « les féeries du cinéma prédilection pour les femmes du monde plus
passant par les Dardanelles, Drieu a été muet, le théâtre dans sa vitalité, la poésie dans ou moins légères et les putains, Brasillach est
confronté à la guerre dans toute sa violence. sa pureté, l'anarchie dans son charme ... » fasciné par des femmes exceptionnelles,
Volontaire pour le front, il est trois fois blessé. Mais Drieu et Brasillach ne se distinguent comme Ludmilla Pitoëff et Annie Jamet, avec
A la bataille de Charleroi, il confesse avoir été pas seulement par leur attitude à l'égard de la lesquelles il entretint une sorte d'amitié amou-
pris par l'ivresse du combat: « Je m'élançai à guerre ; celle qu'ils adopteront à l'égard de reuse. La mort brutale de Annie Jamet sera
travers les balles avec une étrange allégresse. l'amour et des femmes est peut-être encore pour lui une épreuve si douloureuse qu'il lui
Allégresse d'être seul et de me séparer; autant plus contrastée. dédiera un long poème plein de tendresse,
que de me distinguer des autres, par un acte Drieu affiche un goût immodéré des dont certains vers peuvent paraître énigma-
surprenant. » (l) femmes et une misogynie qui est souvent son tiques.

Il
ILLACH ET DRIEU

ALPHONSE
DE CHÂTEAUBRIANT
Ce sont leurs prises de position en faveur nationalisme est fondé sur le culte des
Alphonse de Châteaubriant est contumax du fascisme qui vont rapprocher Drieu et Bra· races.» (4)
mais j'ai retrouvé, en prison, des esprits sillach et les amener, en 1944, à rédiger à tour La parenté que Drieu ressent avec les
encore envoûtés par la littérature pour vitrail de rôle l'éditorial de Révolution Nationale. peuples nordiques l'a longtemps porté vers
de l'auteur de Monsieur des Lourdines, Mais le terme fascisme qu'on tend aujourd'hui l'Angleterre plus que vers l'Allemagne. « Je
devenu directeur politique de La Gerbe. à utiliser sans aucun discernement couvre des n'étais nullement germanophile, écrit-il dans
Pour ma part, j'évoque non sans malice la réalités très différentes. On peut ainsi établir sa dernière lettre à son frère, mais il s'est trou-
barbe du Burgrave qui, échappé d'une lande une distinction nette entre le fascisme latin - vé que l'Allemagne a représenté tant bien que
bretonne pour se germaniser, proclamait, italien ou espagnol - et le fascisme germa- mal une partie de ces choses auxquelles je
dans un style grégorien, l'incontestable nique, qui, parti d'Allemagne et d'Autriche, tiens et que représentait autrefois une certaine
caractère chrétien de la croisade allait étendre ses ramifications dans tous les France nordique, normande, gauloise ou
hitlérienne ! pays nordiques. Le fascisme français occupe à franque dont nous sommes. » (5)
Alphonse de Châteaubriant n'a nul cet égard une position charnière qui tient Il souffre d'une certaine déchéance fran-
besoin d'équivoque pour être salué selon autant à la géographie qu'à l'histoire, et cette çaise, soulignée déjà en 1937 : « Les belles
son mérite et son très beau talent. L'homme
dualité est incarnée de manière quasi archéty- formules comme "La France libre, forte et heu-
a de la race, de l'allure, il porte haut son
pique par Drieu et Brasillach. reuse" tombent à plat au milieu des villages
nom et sa fonction, il impose le respect. ruinés, des villes peuplées de célibataires, de
Littérairement, que peut-il envier ? Il est des La hantise la poussière des noms de famille français qui
premiers prix Goncourt et, sans être de la décadence disparaissent les uns après les autres de l'état
civil. Il faut bien se dire que la France, la
cc parisianisé "• son audience est celle des
Drieu est, plus que Brasillach, conscient France réelle, ou bien c'est un village dont la
écrivains de la capitale. Il a été l'ami de
de la position unique qu'occupe la France en moitié des fenêtres sont à jamais fermées, ou
Romain Rolland et, par ce dernier, est allé
Europe et cette particularité a pour lui un fon- bien c'est un village habité pour la moitié ou
vers la spiritualité hindoue avec
dement racial. « Sous le visage usé et tourné les deux tiers par des Espagnols, des Italiens,
l'enthousiasme du néophyte.
vers l'intérieur des Français, quel combat des Tchèques, des Polonais, des Arabes. Et
S'il n'y avait pas les grands livres, les
théogonique se livrent les races d'Euro- dans l'armée française, sur trois soldats, il y
beaux livres qu'il a écrits, peut-être le
pe?» (2) Et d'évoquer le creuset de la France, en a un qui vient d'Afrique ou d'Asie ... » (6)
prendrait-on pour un maniaque de
ce bassin de la Seine où « se sont épousés sans Si la France doit revivre, ce ne peut être
l'ésotérisme. Mais le problème n'est point
cesse le génie celte et le génie franc et les qu'au sein d'une fédération européenne dans
littéraire: depuis 1937, il est politique. Le
génies de la Méditerranée ». Mais, au-delà de laquelle elle pourrait « retrouver la filiation de
gentilhomme breton, aux yeux rêveurs, de l'Europe chrétienne du X/Il' siècle, de la
ce creuset, c'est le génie nordique à l'état pur
retour d'Allemagne, n'a point imité Gide, de société aristocratique et intellectuelle du
qu'il voit à l'œuvre dans la France des ori-
retour de Russie. Alphonse de XV/Il' siècle. » (7)
gines. « Les chansons de geste, les cathé-
Châteaubriant, écrivain chrétien et Ses rêves s'étant écroulés, l'Allemagne
drales, les premières philosophies chrétiennes,
spiritualiste, mainteneur de traditions, victorieuse de 1940 va lui apparaître comme la
si libres, si pénétrantes, si audacieuses sous
aristocrate de plume autant que d'esprit et seule nation du continent capable de reprendre
leur enveloppe orthodoxe, la société en perpé-
autant que de sang, vient de découvrir le le flambeau de l'unification européenne. Cette
tuelle évolution de la féodalité et des com-
plus extraordinaire chemin de Damas : ayant munes, le vaste mouvement des croisades et Allemagne victorieuse n'est toutefois pas
visité l'Allemagne hitlérienne, ayant été reçu des premières hérésies, tout cela atteste la n'importe quelle Allemagne ; c'est l'Alle-
par Hitler en personne, il revient en France magnificence du génie nordique qui s'est épa- magne national-socialiste qui - même si l'hor-
proclamer à ses compatriotes, qui traversent noui entre la Meuse et la mer; autour des val- reur des camps d'extermination n'a pas encore
la crise de fièvre du Front populaire, que le lées de la Seine et de la Loire. » (3) commencé (elle ne sera connue qu'après la
salut de l'Europe chrétienne, en vérité, il Comme ses compatriotes normands, Bou- capitulation de 1945) - n'en représente pas
vous le dit, est dans cette Allemagne des lainvilliers et Gobineau, Drieu se fait le héraut moins un nationalisme exacerbé et un expan-
nuits de Nuremberg, quand monte, sous le de l'idée nordiste: « Je regardais hier dans les sionnisme inquiétant. Drieu le sait et il ne se
ciel noir, l'angoisse mystérieuse des Champs-Élysées les jeunes SS sur leurs chars. privera pas de critiquer le pangermanisme de
légendes germaniques à l'usage et au J'ai aimé cette race blonde dont je suis, mais l'Allemagne conquérante qui l'empêche de
service d'une politique fort réaliste qui elle est aussi bien chez les Anglais, les Améri- réaliser le grand rêve européen ainsi que la
menace le vieux continent de la croix cains et les Russes. En tous cas, cette guerre, révolution sociale qui lui paraît nécessaire.
gammée du dieu Thor. Quand paraît le livre c'est le convulsif enlacement des races nor- Le danger bolchevique est aussi une des
de Châteaubriant, La Gerbe des forces, diques et leur triomphe sur la terre mais tout raisons essentielles pour lesquelles Drieu choi-
l'émotion est vive dans Paris ; Brasillach cela est mêlé d'éléments bien hétéroclites, sit le camp de la collaboration. C'est ce qu'il
parlera de Jocrisse au Walhalla ... Juifs par ici, Mongols par là. » Et Drieu exprime clairement dans son Journal, le 29
LUCIEN COMBELLE d'ajouter : « J'aime les autres races d'ailleurs décembre 1941 : «Je suis persuadé plus que
Prisons de l'espérance. Éditions ETL, chez elles : j'aurais aimé singulièrement les jamais que l'intérêt des Français est du côté
Paris, 1952. Juifs chez eux. Cela ferait un beau peuple. Je allemand, puisque le fondement de la France
suis raciste pour toutes les races, mon inter- c'est l'Europe et que l'Europe est perdue dans


BRASILLACH ET DRIE

LE ROMANTISME
FASCISTE
toutes ses propriétés spirituelles comme dans
tous ses biens matériels si la Russie est victo- En 1960, parait aux Éditions Fasquelle Le
Romantisme fasciste, essai majeur de Paul
rieuse. Cela l'emporte sur toutes les autres
Sérant, ancien résistant que sa liberté
considérations. » (8)
d'esprit et sa passion pour l'histoire des
La possibilité d'une victoire des États-
idées portaient à s'intéresser aux vaincus. Il
V nis l'inquiète d'ailleurs autant, sinon plus. Il
y analyse la démarche de six écrivains
s'exclame ainsi dans un article de La Gerbe du français qui assumèrent les conséquences
19 juin 1941 : « L'Amérique gouvernant de leur engagement sans se déjuger, hormis
l'Europe, quelle folie ! Qu'est-ce que l'Amé- peut-être Louis-Ferdinand Céline.
rique peut comprendre à l'Europe ?... Et Farouchement solitaire et prophète d'une
pourtant c'est à cette puissance fant ômale que irrémédiable décadence, Céline fut-il sensible
nos anglophiles, devenus américanophiles, au romantisme fasciste ? C'est moins sûr que
voudraient confier le sort de notre continent. .!!j pour les autres. Pendant l'Occupation, il
Délire de démission et d'abjection. » (9) o n'adhère à aucun parti, ne collabore à aucun
Le fascisme de Brasillach est d'une tout ~ journal, et ne publie qu'un seul livre (son seul
autre nature que celui de Drieu, même si les livre<< optimiste»), Les Beaux Oraps(1941),
événements vont progressivement les rappro- beaucoup moins violent que ses pamphlets
cher. Non seulement Brasillach est marqué par Louis-Ferdinand Destouches, Céline en litté- d'avant-guerre. A l'époque, son irritation
rature, (1894-1961). Écrivain génial et admiré, il dévastatrice n'épargne d'ailleurs ni les
l'influence de Maurras, mais il demeure fon-
fut beaucoup plus consciemment engagé qu'il ne Allemands ni la Collaboration dont il sent
cièrement un Méditerranéen par ses origines voulut l'admettre après 1945. qu'elle ne mène à rien. C'est ce qui le distingue
familiales et sa sensibilité. Ses liens avec le
du pamphlétaire volcanique qu'est Lucien
Roussillon, où il passa une partie de sa jeunes-
Rebatet. Exaspéré par le double jeu et
se près de ses grands-parents, demeureront ment vu conneries plus plates et plus déso-
l'attentisme cocardier de Vichy, qu'il pourfend
très forts, et il ressentira toujours une grande lantes. » (12) dans Les Décombres (1942), Rebatet veut
attirance pour l'Espagne: «L'Espagne, depuis Un an plus tôt, apprenant les premières
mesures antisémites de Hitler, il écrivait au croire aux chances d'une greffe franco-
toujours, était le pays de notre cœur, et six allemande. Il sera le seul à reprendre le
générations d'hommes, après tout, me sépa- même, le 3 avrill933 : « Je pense que l'anti-
sémitisme est bon et juste quand il s'adresse combat après la guerre, à sa sortie de prison.
rent seulement de mes ancêtres espa- Jusqu'au bout, il affirme que " l'espérance est
aux potentats, aux financiers et à l'internatio-
gnols. » (1 0) fasciste "· Chemin sur lequel Robert Brasillach
nale juive, mais ignoble quand sous prétexte
refuse de le suivre, au point de se brouiller
de race (!) on expulse le boulanger juif, la
Les « conneries » marchande des quatre saisons juive et le bis-
avec les maximalistes de Je Suis Partout
après le choc du renversement de Mussolini
de Mein Kampf trot juif. Malheureusement, je suis bien sûr (25 juillet 1943). Drieu la Rochelle a perdu ses
qu'on n'embête que ceux-là et qu'on laisse illusions plus tôt encore, mais pas plus que
Au plan politique, c'est donc avec les fas- tranquilles les autres ... Je ne comprends pas Brasillach il ne se reniera, assumant jusqu'à la
cismes de l'Europe latine, en particulier le fas- ce que veut Hitler: ni le massacre ni l'expul- mort le poids de son engagement. Très
cisme espagnol, que Brasillach ressent le plus sion ne sont une solution». (13) différent est l'itinéraire d'Abel Bonnard,
d'affinités. Un fascisme espagnol incarné par Comme chez Maurras, il n'y a pas de intellectuel brillant égaré dans la politique, qui
José Antonio Primo de Rivera, fondateur de la racisme à l'origine de l'antisémitisme de Bra- joue un rôle de premier plan comme ministre
Phalange. De l'autre côté, il y a le fascisme sillach, mais du nationalisme. S'il en veut aux de l'Éducation nationale de 1942 à 1944. Exilé
allemand, le nazisme « planète inconciliable capitalistes juifs internationaux et aux émigrés en Allemagne, puis en Espagne après 1945, il
avec la nôtre », selon Brasillach. Pour lui, « il qui ont fui l'Allemagne et se sont installés en se réfugie dans la silence. Ce que fait
n'y a pas de fascisme international, c'est une France, c'est notamment parce que, selon lui, également Alphonse de Châteaubriant,
idole créée par les marxistes. » Comme Maur- ils incitent la France à la guerre. écrivain mystique effervescent, directeur de
ras, il voit dans l'Allemagne un autre monde : Si l'effondrement de la France en 1940 l'hebdomadaire La Gerbe, dont le national-
« Tout cela s'est transformé en paganisme à entraîne Brasillach vers la collaboration avec socialisme chrétien est aussi éloigné de la
l'éclat insoutenable, qui se traduit par les l'Allemagne, c'est tout d'abord dans l'inten- réalité du nazisme que le communisme idéal
cérémonies presque magiques de Nuremberg. tion de sauvegarder au mieux les intérêts fran- de son ami Romain Rolland l'est du stalinisme.
Un septième écrivain, Marc Augier, le
Il n'y a pas de fascisme international, car çais et de favoriser le retour des prisonniers. Il
futur Saint-Loup, était encore obscur
l'Allemagne n'appartient pas à notre ordre n'attend rien des Anglo-Américains qui n'ont
pendant l'Occupation, ce pourquoi Sérant
moral. » (11) pas tenu leurs promesses, et estime que la
n'en parle pas. Dans les années 60, renouant
Écrivant à son ami José Lupin en 1934, il France doit chercher à reprendre sa place au
avec le romantisme politique, il publie des
confie : «J'ai lu Mein Kampf. Je dois avouer, sein de la nouvelle Europe qui se dessine. A romans dont la séduction s'exerce sur de
même si cela contriste les jeunes hitlériens, partir de 1941, Brasillach pense que la France jeunes lecteurs sensibles à l'héroïsme
nos contemporains, que je trouve cette lecture doit participer à l'effort de guerre allemand militaire et à la mystique nordique d'une
particulièrement désolante. La majeure partie contre le bolchevisme, car l'Union soviétique tragédie dont il fut le témoin très engagé.
du livre est le récit de la découverte de la ne vise pas tant à libérer l'Europe de l'occu- DOMINIQUE VENNER
vérité raciste par le petit Hitler. .. J'ai rare- pation allemande qu'à y installer des régimes
ILLACH ET DRIEU

communistes. Pour cette raison, la ~


i grecque, fidèle à lui-même jusqu'à la
création de la LVF lui paraît justi- ~ fin. Enfin, Brasillach demeure chré-
fiée, et l'entente avec l'Allemagne tien, même s'il y a chez lui un atta-
une nécessité pour la survie de la chement tout païen à la terre et aux
France. êtres de chair et de sang, comme il
Brasillach n'avait a priori aucune l'exprime avec tant de force dans le
sympathie pour le monde germa- Psaume li des Poèmes de Fresnes.
nique et n'a pas avec lui les mêmes La mort de Brasillach comme
affinités que Drieu. L'évolution de celle de Drieu aura un aspect sacrifi-
ses sentiments à l'égard de 1' Alle- ciel et rappelle que mourir pour ses
magne devra beaucoup à son amitié idées n'est pas toujours un vain mot.
avec Karl-Heinz Bremer, lecteur de Après avoir entendu le verdict de la
langue allemande à la Sorbonne et Cour qui le condamnait à mort, et
membre de l'Institut allemand de alors que dans la salle on crie :
Paris, qui tomba en septembre 1942 « C'est une honte ! », Brasillach
sur le front de l'Est. La veille de sa répond : « C'est un honneur», faisant
mort, lorsque son unité était déjà ainsi écho à Drieu qui écrivait dans la
encerclée par l'Armée rouge, Bremer dernière lettre adressée à son frère :
écrivait à Brasillach : « Sur le front « J'estime donc un honneur de pou-
même, on doit constater chaque jour voir mêler mon sang à mon encre et
combien nous sommes proches, Alle- de rendre sérieuse à tous les points de
mands et Français, au point de vue vue la fonction d'écrire ... ». (18)
de la civilisation et des valeurs P. M.
humaines. » (14) Pierre Maugué est docteur d'État
Les contacts entre les intellec- en sciences politiques. Sur le destin croi-
tuels et les artistes des deux pays sé de Drieu La Rochelle et de Brasil-
marqueront profondément Brasillach lach, il a publié une longue étude dans
les Cahiers des amis de Robert Brasil-
et il le reconnaîtra volontiers, écri-
lach, no 40, automne 1995, case postale
vant le 19 février 1944 dans Révolu-
1211, Genève 3, Suisse.
tion Nationale : « Je n'étais pas ger-
manophile avant la guerre, ni même (1) La Comédie de Charleroi, p. 48.
au début de la politique de collabo- Folio, Paris, 1982.
ration. Maintenant les choses ont (2) Lettre - préface à Odes aux Voiles
changé. J'ai contracté, me semble-t- du Nord. Le Marois, 1928.
Robert Brasillach à son procès. Il assuma tous ses engagements, (3) Le Français d'Europe, Paris, 1942.
il, une liaison avec le génie alle- faisant face, n'ignorant pas ce que serait le prix.
mand, je ne l'oublierai jamais » (15). (4) Journal1939-1945, p. 367. Galli-
mard, Paris, 1992.
Par-delà les convictions qu'ils
que par cette pointe supérieure où il rejoint les (5) Dernière lettre à son frère, 10 août 1944,
partagent et les choix communs qu'ils sont Journa/1939-1945, op. cité, p. 505.
autres grandes religions. » (16)
amenés à faire, Drieu et Brasillach continue- (6) Chronique politique 1934-1942, p. 57. Gal-
ront toujours à se distinguer par leur sensibili- limard, Paris, 1943.
té. Ils apparaissent même comme incarnant Mourir pour ses idées (7) Mesure de la France, p. 65. Grasset, Paris,
chacun l'une des deux composantes de l'unité 1922.
française : la France du Nord et la France du Brasillach aurait pu, comme le lui (8) Journa/1939-1945, op. cité, p. 281.
Sud. A l'esprit faustien de Drieu, hanté par la conseillaient ses amis, se réfugier en Alle- (9) Chronique politique 1934-1942, op. cité,
magne, en attendant que l'orage passe. Mais il p. 313.
puissance, fasciné par les mythes nordiques, la
(10) Notre avant-guerre, p. 153. Plon, Paris,
France des cathédrales et des chansons de refusa. « Nous n'avions pas, pendant quatre 1954.
geste, s'oppose l'esprit de Brasillach tout ans, répété à satiété qu'il ne fallait pas émi- (11) L'Actionfrançaise, 23 mars 1939.
empreint de mesure, nourri de latinité et d'hel- grer pour nous sauver en Allemagne dès (12) Anne Brassié, Robert Brasillach ou Enco-
lénisme, et plus avide de bonheur et d'harmo- l'approche des Alliés. » (17) Il ne quittera re un instant de bonheur, p. 62. Robert Laffont,
nie que de puissance. donc pas la France. Lorsqu'il apprendra Paris, 1987.
Ils verront tous deux leur destin s'achever l'arrestation de sa mère, il se rendra de lui- (13) Anne Brassié, op. cité, p. 96.
de manière tragique en 1945, restant jusqu'à la même à la préfecture de Police pour se livrer à (14) Karl Epting, Hommages à Robert Bra-
la justice. sillach, p. 143, no 11-12 des Cahiers des amis de
fin fidèles à eux-mêmes : Drieu choisira la
mort, alors que Brasillach la défiera. Brasillach se sent responsable de tous ceux Robert Brasillach, Lausanne, 1965.
(15) Œuvres complètes, tome XII, p. 612. Club
Au seuil de la mort, Drieu avait tenu à qui l'ont suivi et tient à se justifier devant la de l'Honnête Homme, Paris, 1964.
marquer clairement la distance qu'il avait cité, même s'il n'a aucune confiance en la jus- (16) Journal 1939-1945, op. cité, p. 506.
prise par rapport à la religion chrétienne. « Je tice des vainqueurs. Il affrontera donc son pro- ( 17) Anne Brassié, op. cité, p. 301.
suis au-delà du christianisme ou je n'y touche cès et la mort comme le héros d'une tragédie (18) Journal 1939-1945, op. cité, p. 505.


UN SUJET TABOU

Une collaboration juive


PAR JEAN-CLAUDE VALLA

Cette affaire dramatique ne


met pas en cause quelques merce-
naires, mais souvent l'élite du
judaïsme français. Quand ils
n'ont pas été victimes de la
déportation, les acteurs de cette
stupéfiante « collaboration »
seront pour la plupart absous à la
Libération.

nterrogé par Paul Amar, le 29 janvier sur

I TF1 , Maurice Papon avait suscité l'indi-


gnation en déclarant : « Pour faire le pro-
cès de Vichy, on ne pourra pas éviter de par-
ler du rôle de l'Union générale des israélites :s
français qui a participé, sous la contrainte
c'est vrai, à ce genre d'opérations. [... ] Je
connais, par exemple, une des personnalités
du CRIF ou d'une autre association, qui était Une étonnante cohabitation. Photographiés côte à côte lors d'une rrumifestation de l'Institut
d'études des questions juives (IEQJ), Raymond-Raoul lAmbert, directeur général de l'UGIF, et l'écri-
chargée pendant la guerre de trier les Juifs
vain Céline. Ancien combattant des deux guerres, capitaine de réserve et chevalier de la Légion d'hon-
entre ceux qu'ils gardaient pour Drancy et neur, le premier sera déporté en août 1943 pour avoir protesté contre les exactions allemandes. Il dispa-
ceux pour la déportation en Allemagne. C'est raîtra à Auschwitz avec sa femme et ses quatre enfants.
eux qui triaient, pas moi ! »
Nous ignorons le nom de la personnalité des Juifs, notamment un service des effectifs, Rajsfus raconte également que le Haupts-
mise en cause par Maurice Papon, mais, si chargé d'établir la liste de ceux qui devaient turrnführer SS Aloïs Brunner, nouveau respon-
l'on en croit le livre de l'historien Maurice être déportés. « Viendra ensuite, écrit Rajsfus, sable du camp de Drancy, ira jusqu'à créer, en
Rajsfus, Drancy - Un camp de concentration la création du service d'ordre juif du camp ou juillet 1943, le << bureau des missions exté-
très ordinaire 1941-1944 (1 ), l'administration MS. A la mi-septembre 1942, des internés juifs rieures » : les « missionnaires » sont des rabat-
interne de ce camp de transit (2) fut confiée à se verront confier la tâche de faire respecter le teurs juifs « chargés d'aller traquer leurs
des Juifs qui jouaient en quelque sorte le rôle règlement intérieur du camp établi par la pré- coreligionnaires encore en liberté dans Paris ».
de «kapos ». A leur tête se trouvait un respon- fecture de Police, sous l'œil attentif du service René Bousquet, secrétaire général de la police
sable portant le titre de « gérant du bureau IV J de la Gestapo. » Cette police juive avait de Vichy, s'indignera de l'utilisation de telles
administratif », puis, à partir de 1943, celui de si mauvaise réputation à l'intérieur du camp méthodes auprès de Karl Oberg, chef des SS
« commandant juif du camp » (3). Divers ser- qu'elle fut affublée du sobriquet de « Gestapo- en France. Le « bureau des missions exté-
vices furent mis en place, également confiés à Jack ». rieures » aura une existence éphémère, mais
OLLABORATION JUIVE

son chef, le Juif autrichien Oscar Reich, deve- missaire général aux questions juives, par hos- gérer que « les étrangers israélites actuelle-
nu chef de la « Gestapolack », « poursuivra tilité à l'égard des Juifs venus des ghettos ment au chômage ou internés dans des camps
avec quelques acolytes triés sur le volet la d'Europe centrale et soupçonnés d'être acquis soient utilisés au maximum de leur capacité
traque aux Juifs dans les rues de Paris », aux idées révolutionnaires. pour l'économie nationale ».
avant de devenir l'avant-dernier commandant Traumatisés par la victoire éclair des C'est en partie pour tenter de contrer le
juif de Drancy. troupes hitlériennes, ces notables juifs sont les projet allemand de << Judenrat » que Xavier
Pis encore, lorsque Brunner ira sur la Côte premiers à se rallier au maréchal Pétain (9). Vallat va tenter de mettre sur pied l'Union
d'Azur, ancienne zone d'occupation italienne, Beaucoup d'entre eux approuvent la loi du 16 générale des israélites de France (UGIF). Il y
pour procéder à des rafles, il se fera accompa- août 1940 permettant de retirer la nationalité aura préalablement de longues et difficiles dis-
gner de deux médecins juifs de l'hôpital Roth- française aux Juifs fraîchement naturalisés et, cussions avec des représentants de la commu-
schild (4) dont le rôle était, selon le témoigna- lorsqu'est promulguée la loi portant statut des nauté juive ou avec des personnalités comme
ge d'un juif résistant, Albert Akerberg, « de Juifs, le 3 octobre de la même année, ils sont Raymond-Raoul Lambert, ancien combattant
faire se déculotter les hommes sous les portes convaincus qu'il s'agit d'une mesure visant des deux guerres. Le nouvel organisme voit le
cochères pour voir s'ils étaient juifs ou pas ». surtout les Juifs étrangers (10). Ils ne vont pas jour le 29 novembre 1941, avec l'aval offi-
Ces deux médecins furent arrêtés à la Libéra- tarder à déchanter, mais certains, par légalisme cieux de Jacques Helbronner, président du
tion, alors qu'ils étaient toujours en poste à et dans l'espoir de limiter les dégâts, s'obsti- Consistoire central israélite replié à Lyon, qui
l'hôpital Rothschild, et aussitôt transférés à neront à collaborer aussi bien avec le Commis- avait exigé - et obtenu - de Xavier Vallat que
Drancy, recyclé en camp de détention pour les sariat général aux questions juives (créé par I'UGIF soit cantonnée dans un rôle philanthro-
« collabos ». Mais aucun dossier ne fut consti- Vichy le 29 mars 1941) qu'avec les services pique et social.
tué contre eux et ils furent rapidement libérés. anti-juifs de la Gestapo. C'est en zone Nord que I'UGIF- dont les
Sur les huit commandants juifs qui se sont liaisons avec la Gestapo sont assurées par Léo
succédés à la tête de l'administration interne Création de I'UGIF Israël Israélowicz - va se montrer la plus
de Drancy, seul Oscar Reich, sans doute en conciliante à l'égard des Allemands. Elle va
raison de ses précédentes fonctions à la tête de En zone occupée, André Baur, président poursuivre et intensifier le recrutement des
la « Gestapolack », a été condamné à mort et de l'Union libérale israélite, Georges Edinger, Juifs étrangers envoyés dans les Ardennes. Le
exécuté en 1946. Tous les autres seront blan- membre du conseil d'administration de la 15 juillet 1942, la veille et l'avant-veille de la
chis par des « tribunaux d'honneur ». Il est société Les enfants de Sion, Albert Weill, rafle du Vél' d' Hiv', des adhérents de I'UGIF
vrai que quatre d'entre eux, pris à leur propre secrétaire général du Comité de bienfaisance reçoivent l'ordre de leurs dirigeants, qui ne
piège, avaient fini par être déportés (5). israélite de Paris, Fernand Musnik, commissai- pouvaient ignorer ce qui se prépare, de confec-
C'est également un «jury d'honneur » - re général adjoint des Éclaireurs israélites de tionner des milliers d'étiquettes destinées aux
présidé par Léon Meiss, premier président du France, et quelques autres notables de la com- enfants qui vont être séparés de leurs parents.
CRIF (6) - qui a jugé et acquitté les respon- munauté vont accepter en janvier 1941 de diri- Dans une lettre adressée le 1" août 1942
sables de l'Union générale des israélites de ger un Comité de coordination des œuvres aux responsables parisiens de l'UGIF, le nou-
France (UGIF), coupables d'avoir incité leurs juives de bienfaisance du Grand-Paris qui veau commissaire général aux questions
coreligionnaires à l'obéissance aux lois de s'installe au 29, rue de la Bienfaisance dans un juives, Louis Darquier de Pellepoix, exige que
Vichy et aux exigences allemandes. Lorsque immeuble réquisitionné par les Allemands. soient établies « des listes nominatives de tous
Albert Akerberg, ancien secrétaire général du Dans l'esprit des autorités d'occupation, ce les chefs de famille juifs de la zone occupée »
Comité d'union et de défense des Juifs de comité est l'ébauche d'un << groupement obli- et que soient fournis des renseignements sur
France, écrivit à Léon Meiss pour s'étonner gatoire des juifs », version française de la les Juifs ayant quitté la zone occupée pour se
qu'aucun Juif résistant n'ait été appelé à parti- Reichsvereinnigung des Juden in Deutschland réfugier en zone libre. L'objectif est de mettre
ciper à ce « jury d'honneur », le président du (Union générale des juifs d'Allemagne, créée à jour le fichier des Juifs établi avant la guerre
CRIF lui répondit : « ... Il fallait savoir en juillet 1939). Le Hauptsturmführer SS par la préfecture de police de Paris (12).
oublier les événements. On a absous les diri- Theodor Dannecker, responsable des affaires Les rafles de Juifs se multipliant, les res-
geants de l'UGIF mais on ne pouvait pas faire juives de la Gestapo, s'empresse d'ailleurs d'y ponsables de I'UGIF savent pertinemment que
autrement. » Au nom des intérêts supérieurs introduire un juif autrichien, Léo Israël Israé- ce fichage permet aux Allemands de retrouver
de la communauté juive ! lowicz, qui lui est totalement inféodé et qui les Juifs d'Europe centrale qui ont eu la pru-
Le réquisitoire le plus accablant contre sera responsable des Informations juives, le dence de se disperser. Mais, ils vont exécuter
I'UGIF a été dressé par Maurice Rajsfus dans journal du comité. ces ordres docilement, sans doute, comme le
un livre bien documenté, Des Juifs dans la L'une des initiatives les plus contestables dit Henri Bulawko (13), parce qu'« ils ne pou-
Collaboration - l'UGIF 1941-1944 (7), qu'il de ce comité sera de recruter des travailleurs vaient imaginer le sort qui était réservé à ces
convient toutefois de lire avec un esprit cri- juifs étrangers pour des fermes des Ardennes, Juifs étrangers trop voyants, qui parlaient mal
tique, tant il apparaît que l'auteur- juif d'ori- en zone interdite, que les nazis avaient trans- le français et qui étaient si différents d'eux. Ils
gine polonaise dont les parents sont morts à formées en véritables camps de travaux forcés imaginaient probablement qu'on les renvoyait
Auschwitz après avoir transité par Drancy (8) (Il). L'idée en revient au Consistoire central chez eux pour travailler. »
- règle des comptes avec la bourgeoisie juive israélite qui, très imprudemment - le retour à Le 21 juillet, André Baur est convoqué à
de vieille souche française qu'il accuse d'avoir la terre étant dans l'air du temps - , avait écrit Drancy où les SS décident de le retenir sous
collaboré avec Xavier Vallat, le premier corn- le 21 avril 1941 à Xavier Vallat pour lui sug- prétexte que son cousin, Adolphe Ducas, qui


UNE COLLABORATION JUIV
1

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jouait le rôle de« kapo», s'est évadé du ( 1) Le Cherche Midi éditeur, 1996.
camp. Il y restera comme otage tant que (2) Du 27 mars 1942 au 17 août
1944, 67 000 juifs (dont 8 500 de natio-
le fugitif n'aura pas été retrouvé. Aussi-
tôt, l'UGIF fait procéder à des
, . nalité française) ont transité par Drancy
avant d'être déportés par les Allemands
recherches. Apprenant finalement que
dans les camps de Pologne.
son cousin s'est réfugié en Suisse, (3) L' un d'eux, Georges Schmidt
André Baur n'hésite pas à écrire au (commandant juif du camp de
Commissaire général aux questions novembre 1943 à avril 1944) était un
juives pour lui suggérer de demander ancien directeur de cabaret qui .accom-
son extradition aux autorités helvé- pagnait volontiers les SS dans leurs
tiques. En vain. Il sera finalement virées nocturnes à Paris.
déporté ainsi que Marcel Stora et Fer- (4) Réquisitionné par le préfet de
nand Musnik. Le 21 août, c'est au tour police de Paris pour les malades du
camp de Drancy, l'hôpital Rothschild
de Raymond-Raoul Lambert, président
dépendait administrativement de l'UGIF.
provisoire de l'UGIF, d'être arrêté par (5) Un seul est mort en déportation :
les Allemands qui cherchent ainsi à cas- Robert Blum, commandant du camp de
ser toute velléité de double jeu. Le 7 juillet à novembre 1943.
décembre, il sera déporté avec sa (6) Fondé dans la clandestinité, le
femme et ses enfants, qui tous périront Conseil représentatif des israélites de
à Auschwitz. Georges Edinger aura plus France était une émanation du Consis-
de chances : interné pendant quelques :5 toire central. Il est devenu par la suite,
jours à Drancy, il est libéré en sep- sous le même sigle, le Conseil représen-
L'hebdomadaire Informations juives, un instrument contrôlé tatif des institutions juives de France.
tembre 1943 et devient alors le« prési-
par les autorités d'occupation. Les initiales du signataire de l'édito- (7) EDI, 1980.
dent général » de l'UGIF. rial de ce numéro sont celles de Léo Israël lsraélowicz, un Juif (8) De surcroît, Rajsfus fut, jusqu'à
En zone Sud, les choses se sont autrichien totalement inféodé à la Gestapo. une date récente, président de l'organi-
gâtées en novembre 1942. Certes, mal- sation d'extrême gauche Ras l'Front.
gré l'occupation allemande, les Juifs de la mort avec la complicité active de (9) Jacques Helbronner, président du Consistoi-
n'y seront jamais astreints au port de l'étoile notables juifs qui ne seront même pas inquié- re central israélite, connaissait personnellement Phi-
jaune. L'UGIF y bénéficie encore d'un certain tés après la Libération. lippe Pétain depuis la guerre de 14-18.
répit et le directeur général de la zone sud, ( 10) A propos de certaines mesures prises par
Raymond Geissmann (14), qui a maintenu le Vichy contre les Juifs étrangers, Jacques Helbron-
Négociations avec Barbie ner parlait en novembre 1940 de « normal anti-
contact avec le Consistoire central, se montre
sémitisme » (cité par Denis Peschanski, <<Les sta-
plus prudent que ses homologues de la zone Lors du procès Touvier, en avril 1994, tuts des Juifs du 3 octobre 1940 et du 2juin 1941 »,
nord. Mais il va commettre la même erreur Jean Ebstein-Langevin, ancien résistant et in Le Monde juif, janvier-mars 1991).
qu'eux en cherchant à tout prix à garder le ancien déporté, a raconté comment dix-huit (11) Sur ces camps agricoles, voir Rajsfus, Des
contrôle des enfants juifs dont les parents ont dirigeants de l'UGIF, dont Raymond Geiss- Juifs dans la collaboration (Il)- Une terre promise ?
déjà été déportés. La prudence aurait voulu mann, « avaient négocié à Lyon, avec Klaus (1941-1944), L' Harmattan, 1989.
que ces enfants soient confiés à des familles Barbie, la protection des Juifs français, en (12) Ce fichage se poursuivra jusqu'à la fin de
non juives mais les autorités rabbiniques ou l'Occupation. La dernière liste parvenue au Corn-.
livrant au même Barbie une liste, dressée par
consistoriales craignent de les voir catéchisés eux, de Juifs étrangers » (15). Ils furent missariat général aux questions juives date de la
première quinzaine d'août 1944.
par les catholiques. Le risque est d'autant plus acquittés par le « jury d'honneur », au motif (13) Témoignage cité par Maurice Rajsfus dans
grand que la plupart de ces enfants, issus de qu'ils avaient agi en état de nécessité. Des Juifs dans la Collaboration - l'UGJF 1941-
familles incroyantes ou non pratiquantes, sont Tous les Juifs impliqués dans ces affaires 1944.
très malléables. Il convient donc de les regrou- se sont défendus en expliquant qu'ils avaient (14) Geissmann reconnaîtra, quarante ans après
per et de les « rejudaïser » par un enseigne- dû composer pour tenter d'éviter le pire. Entre l'Occupation, avoir rencontré Klaus Barbie à plu-
ment religieux approprié. deux maux, il fallait choisir le moindre. Et, qui sieurs reprises. Son témoignage sera adressé à la
Cette politique répond évidemment aux plus est, ils ignoraient tout du sort qui était justice allemande en vue de la réouverture du dos-
vœux des Allemands qui n'ont qu'à se féliciter réservé aux Juifs déportés. Ce sont précisé- sier de l'ancien gestapiste. Si l'on en croit Claude
de la bonne volonté des responsables de Lanval (<< La grande chasse » in Miroir de l'histoire
ment les arguments qui ont été avancés par les
no 274, janvier-février 1973), Serge Klarsfeld,
l'UGIF, lesquels n'hésitent pas à faire recher- hauts fonctionnaires français accusés d'avoir jouant de la mauvaise réputation de l'UGIF, aurait
cher les enfants qui ont pu être confiés à des cédé à certaines exigences allemandes. C'est plus ou mois extorqué ce témoignage et Roland
familles chrétiennes. Lorsque les services anti- le langage que tenait René Bousquet et c'est Geissmann, alors avocat d'affaires à Paris, aurait
juifs de la Gestapo décident de déporter des celui que tient aujourd'hui Maurice Papon. contribué au financement du voyage effectué par
enfants qui ont été regroupés, ce sont parfois J.-C. V. Beate Klarsfeld en Bolivie.
des employés de l'UGIF qui se chargent de les Jean-Claude Valla a récemment publié (15) Cité par Jacques Trémolet de Villers,
accompagner jusqu'à Drancy. Des milliers de l'Affaire Touvier, la contre-enquête aux édi- L'affaire Touvier - Chronique d'un procès en idéo-
gosses seront ainsi acheminés vers les camps tions du Camelot, tél : 01 45 75 09 96. logie, Dominique Martin Morin, 1994.
L~ énigme de Louis Renault
A
oût 1944 : Paris à peine libéré, tembre sur la nomination d'un juge
un Comité parisien de libéra- d'instruction, le juge Martin, qui délivre
tion, aux mains des commu- un mandat d'amener. Renault, réfugié
nistes, s'occupe de châtier les « collabo- dans le Perche, pourrait s'y soustraire, il
rateurs » véritables ou supposés. La se présente pourtant le 22 septembre
nomination de l'avocat communiste devant le juge, qui le fait incarcérer à
Marcel Willard au secrétariat général à Fresnes le lendemain.
la Justice n'arrange rien : au cours des A 67 ans, le prisonnier souffre de
trois mois qui suivent, plusieurs milliers graves handicaps : depuis 1940, il
de personnes (1 0 000 selon Robert s'exprime de plus en plus difficilement
Aron) sont arrêtées et emprisonnées et perd la mémoire. Examiné le 27 sep-
dans la capitale. Au premier rang de ces tembre par deux médecins, ceux-ci par-
ennemis de classe, figurent les chefs lent de sénilité et conseillent de l'inter-
d'entreprise accusés de collaboration ner dans un hôpital psychiatrique. En
« économique », comme Louis Renault. fait d'hôpital, il reste à Fresnes, où les
A l'été 1944, se règlent ainsi des FfP imposent leur loi ... Sur les sévices
comptes ouverts bien avant la guerre et qu'ils lui font subir, les témoignages
la défaite ; et le passé de Renault paraît, convergent : à sa femme Christiane, qui,
jugé à cette aune, particulièrement le visitant le 3 octobre, lui laisse espérer
lourd. une proche libération, il répond : « Ce
Autodidacte, passionné de méca- sera trop tard, ils m'auront tué avant,
nique, Louis Renault, né le 12 février car c'est la nuit qu'ils viennent. » Le
1877, construit à Billancourt en 1898 lendemain, 4 octobre, à un visiteur,
une voiturette à prise directe, premier Louis Renault (1877-1944). Le plus célèbre construc-
Louis Charels, qui l'aperçoit mal en
moteur de sa fortune. Dès 1899, il crée teur français d'automobiles est-il mort en prison de mort point, un gardien confie : « Cette nuit ils
avec ses frères Marcel, puis Fernand, naturelle, ou a-t-il été assassiné comme son épouse pensait l'ont tabassé, ils ne l'ont pas ménagé. »
l'usine Renault Frères de Billancourt, en avoir la preuve ? A l'un de ses codétenus, Pierre Collet,
spécialisée dans la production de voi- qui l'encourage un autre jour, l'indus-
tures de course. A cette époque, il n'est toute- des avions, des camions et des blindés, tra- triel répond : « Ils sont terribles, ils sont
fois que salarié de la société. En 1903, Mar- vaille pour la Défense : à cette époque, les capables de tout. C'est épouvantable, ils
cel se tue accidentellement au cours de la militants communistes sabotent le matériel nous tueront! »...
course automobile Paris-Madrid, laissant ses destiné aux armées ... Le juge Martin ordonne trop tard de
parts à sa maîtresse Suzanne, qui les cède à Avec la défaite, se pose cependant la transférer le captif à la maison de santé de
Louis moyennant l'attribution chaque année question du maintien de l'entreprise entre Ville-Évrard : transporté le 17 octobre à la
d'une voiture et d' une rente de 10 000 des mains françaises. Composant avec les clinique des frères Saint-Jean-de-Dieu à
francs : le voilà patron. A la veille de la vainqueurs, Louis Renault consent à Paris, Louis Renault décède le 24, au terme
Grande Guerre, l'usine de Billancourt s'étend construire des camions en exécution d'un d'une agonie très douloureuse. De quoi est-il
sur 14 hectares et emploie 4 000 ouvriers. programme fixé, pour satisfaire aux exi- mort ? Selon les médecins de Saint-Jean-de-
Renault participe à l'effort de guerre en sor- gences allemandes, par le Comité d' organi- Dieu, d'une pyélonéphrite ; selon le Dr Paul,
tant notamment des moteurs d'avion et, en sation de l'automobile (COA). Il accepte médecin légiste qui constate le décès, de
1918, le premier char léger FrA dont l'enga- d'ouvrir dès 1940 un atelier de réparation de complications cérébrales. Mais, Christiane
gement sur le front, théorisé par le général chars d'assaut et reconstruit ses usines aussi Renault ayant fait radiographier le crâne de
Estienne, décide en partie de la victoire. vite que possible après leur bombardement, son mari, un autre médecin, le Dr Truchot,
Dès le début du siècle, cependant, en mars 1942 et avril 1943, par l'aviation remarque quelques années plus tard une frac-
l'industriel, qui prétend mettre son entreprise britannique. Mais il refuse de construire des ture de la première vertèbre cervicale,
à l'heure du taylorisme, passe pour un patron blindés comme l'en pressent les Allemands ; constatation sur laquelle il reviendra après la
tyrannique et collectionne les conflits avec et la rapidité de la reconstruction après les plainte contre X déposée en 1955 par Mme
les syndicats. La victoire du Front populaire raids anglais dissuade l'occupant de transfé- Renault pour homicide volontaire ...
en 1936 se traduit par des grèves, auxquelles rer du personnel français vers l'Allemagne. En 1956, après exhumation du corps,
répond en 1938 une vague de licenciements : Qu'y aurait-on gagné? Louis Renault sera réputé décédé des suites
2 000, pour un total de 38 000 employés. Dès le 22 août 1944 pourtant, l'Humani- d'une pneumonie. Pas de quoi revenir sur la
Lorsque survient la guerre, Renault, dont té voue ce patron indigne à la vindicte des confiscation pure et simple de ses usines,
l'entreprise - la plus grosse de France - pro- patriotes. Une lettre de dénonciation adres- décidée dès le 15 novembre 1944 ...
duit des tracteurs, des voitures, mais aussi sée au garde des Sceaux débouche le 1" sep- NICOLAS MERCIER
MONSIEUR JOSEPH

Gestapo et bonnes affaires


PAR ADRIEN BROCARD

Il fricotait avec la Gestapo trahit sans scrupule, jusqu'à le ruiner et à Joanovici n'a ni patrie ni convictions.
s'emparer de son entreprise. Début d'une pros- Agent double, il travaille dès cette époque
quand on fusillait des résistants périté : les affaires marchent, il trouve de nou- pour l'espionnage allemand et pour les ser-
veaux marchés, crée des filiales en Belgique et vices soviétiques. Sous le couvert des deux
et tripatouillait avec des ex-résis- en Hollande. Mieux : au début des années tren- sociétés qu'il crée, la Société de triage et de
te, il passe avec l'armée de fructueux marchés récupération et les Établissements Joanovici
tants quand on fusillait les mili- dans le cadre de la construction Frères, il donne aussi dans le recel et la reven-
de la ligne Maginot, te de marchandises volées : en 1939, ses deux
ciens. Il a trompé tout le monde, tout en fournissant sociétés déclarent officiellement un chiffre
aux Allemands des d'affaires de 6 millions de francs, sans préju-
s'est rempli les poches et s'en est renseignements bien dice des sommes considérables que le Bessa-
informés sur cette rabien engrange en toute illégalité.
bien tiré. Exemplaire ! ceinture défensive '- Arrive la déclaration de guerre. En gage
frm>çoire. ~ de patriotisme, Joanovici envoie à Daladier
3 000 dollars, en contribution à la défense du
abuleux itinéraire d'une fripouille pays. Pour autant, les affaires continuent, y

F compris avec le Reich, qu'on le soupçonne de

~
gâtée, l'histoire de Joseph Joanovici,
petit émigré juif roumain qui fit fortune fournir en métaux par le biais de ses filiales
à l'abri du nazisme avant d'enfiler le brassard des pays neutres. Devenu richissime, il s'ins-
de la Résistance, ressemble à un conte de talle près de l'Étoile, fraye avec la bourgeoisie
notre époque : un conte noir par plus d'un et l'aristocratie, donne des réceptions fas-
aspect et dont la morale paraît bien faible. tueuses au cours desquelles les gens qu'il
veut s'attacher empochent des for-
Agent double, escroc, donneur, assassin,
tunes en gagnant au poker contre des
l'addition que Joanovici dut payer pour ses
professionnels que le ferrailleur paie
crimes fut pour le moins légère.
grassement. .. pour perdre ! Il incarne
Né sujet russe en 1902 à Kichinev, Bessa-
l'immigré patriote, le Juif persécuté,
rabie, puis devenu roumain en 1920 par l'effet
hier victime des Russes et demain
du traité de Trianon, Joanovici, arrivé à Paris
de leurs alliés nazis .. .
peu après, n'y trouve pourtant pas tout de suite
l'accueil espéré. En 1923, logé dans la zone de
Saint-Ouen, il survit tant bien que mal en
revendant aux chiffonniers et ferrailleurs des
alentours les vieilleries récoltées dans les pou-
belles de Clichy-La Garenne. Quel avenir
peut-il espérer? Il ne sait ni lire ni écrire, mêle
pour s'exprimer le roumain au français et le
russe au yiddish. Pour sortir de la « mouise »
où végètent ses pareils, il dispose de deux
atouts : une capacité de travail impressionnante
et une astuce hors pair. Ces armes-là vont se Ficelé dans la robe de chambre d'Al Capone,
révéler redoutables. tenant d'une main son instrument de travail,
Sa première victime est un de ses coreli- Monsieur Joseph au temps de sa splendeur.
gionnaires : Yacoub, ferrailleur d'origine polo- Il ne savait pas lire, mais il savait compter.
naise, qui le prend sous sa protection et qu'il Un vrai héros des temps modernes !
PO ET BONNES AFFAIRES

Juin 1940 : la France est envahie. Joano- réseau. Son nouveau nom de guerre : Spass.
vici s'inquiète : n'est-il pas juif? Les services Avec de l'argent et des complicités, il dote
qu'il rend au Reich devraient pourtant suffire à Honneur de la police d' un véritable arsenal, à
le mettre à l'abri. Bien que la zone Sud soit partir d'armes achetées à ses amis de la « Ges-
largement protégée par l'armistice, les condi- tapo française » de l'avenue Foch, qui, ayant
tions imposent à la France de très lourdes constitué un faux maquis, les tiennent des
indemnités versées pour l'entretien des Américains ; ou parachutées aux maquis de la
troupes d'occupation. En outre, en zone Nord Gironde et saisies sur ses propres indica-
l'armistice n'empêche rien : l'Abwehr contrôle tions ... Pour donner le change, le Bessarabien
le « Bureau d'achat » chargé d'organiser le « balance » des résistants non communistes,
pillage du pays vaincu. Joanovici y collabore, comme le colonel Touny, chef du réseau Orga-
sous la direction d'Hermann Brandi, du capi- nisation civile et militaire, ou l'état-major FFI
taine allemand Radecke et du docteur Fuchs. de la Seine-et-Marne. En juillet 1944, il
En quatre ans, le ferrailleur va leur livrer dénonce encore, avec la complicité de Fournet
60 000 tonnes de métaux non ferreux. La col- et de Piednoir, les oblats de Marie de la com-
laboration économique rapporte : son chiffre munauté de la Brosse-Montceaux, qui cachent
d'affaires atteint 8 milliards de francs, son des armes. Les témoins sont liquidés.
bénéfice net 4 milliards ! Ainsi, à la Libération, tandis que Lafont
- « donné » par Joanovici - est fusillé, que le
Honneur de la police Henri Chamberlain, dit Lafont. Né en 1902, docteur Petiot est guillotiné, le ferrailleur fait
abandonné par sa mère à la mort de son père, le figure de grand résistant. On lui installe même
A cela s'ajoute le fruit de ses trafics futur chef de la « Carlingue >> de la rue Lauriston un bureau à la préfecture de Police, où ses
divers, y compris ceux auxquels il se livre à la apprend la vie en maison de correction. Chargé créatures ont, comme l'ancien brigadier Four-
demande de l'occupant : ainsi sur les fausses de participer au pillage de la France en 1940, il net devenu commissaire divisionnaire, pris le
livres sterling, fabriquées dans le cadre de fait appel à des truands qui resteront célèbres, pouvoir à la faveur de l'épuration. Il jouit
comme Pierre Loutre[, dit Pierrot le Fou, Abel ainsi, jusqu'en 1947, d'une impunité effarante,
l'opération Bernhardt pour affaiblir la Gran-
Danos, ou Jo Attia qui, déporté pour avoir escro-
de-Bretagne en écoulant massivement cette due aux protections qu'il s'est achetées. Les
qué les Allemands, reviendra des camps auréolé
fausse monnaie par le biais des pays neutres, du prestige de la Résistance ... La « Gestapo fran-
choses ne changent qu'avec l'arrivée aux
fructueuse mission confiée à Joanovici et à çaise >> travaille pour l'Abwehr, puis pour les SS affaires de Paul Ramadier. A cette époque,
son rival, juif aussi, Mandel Szkolnikoff. de la Sipo-SD, sans négliger ses propres intérêts. Édouard Depreux, ministre de l'Intérieur, et
Pour« M. Joseph », tout est propre à faire Lo.font mène grand train, côtoie la meilleure Roger Wybot, à la tête de la DST, font enfin le
de l'argent : après la rafle de 5 000 Juifs étran- société, s'associe avec Joanovici, mélange haut ménage. Fournet est arrêté, le préfet de police
gers en mai 1941, c'est lui qui s'occupe des banditisme et lutte contre la Résistance, ne recule Luizet, le directeur de la Police générale
biens laissés vacants par les internés du camp jamais devant l'assassinat, mais sauve aussi de Redon, le directeur de la Police judiciaire Des-
nombreuses vies grâce à ses relations. Sans opi- vaux, suspendus ... L'empire corrompu du fer-
de Beaune-la-Rolande, source de nouveaux
nion politique, il jouit dans le Milieu, même après
marchés avec les Allemands ... railleur s'écroule-t-il enfin? En 1949, la justi-
sa chute, d'un immense prestige . « Balancé >> à
A cette époque, il rencontre, dans les la Libération par }oanovici, il assume au cours de ce s'en mêle : le garde des Sceaux Robert
locaux de l'Abwehr, Henri Chamberlain, dit son procès tous les crimes de ses hommes et Lecourt, qui protège le Bessarabien, est pris à
Lafont. Authentique truand, Lafont a été placé meurt courageusement. partie à l'Assemblée, l'affaire des oblats de
par les Allemands à la tête des « Services éco- Marie ressort, aussi celle des armes parachu-
nomiques français » sis au 93, rue Lauriston, cuirs, les chaussures. Pour acheter les protec- tées aux maquis girondins, les anciens de la
où il monte, avec la participation de l'ancien tions, il multiplie les bakchichs, érige la cor- Gestapo de l'avenue Foch témoignent. C'est la
inspecteur de police Pierre Bonny, une bande ruption au rang d'investissement. fin : incarcéré en novembre 1947, Joseph Joa-
redoutable, composée de tueurs comme Jo Cependant, le sort des armes se retourne novici est condamné en juillet 1949 à 5 ans de
Attia et Georges Boucheseiche, impliqués contre les nazis. Le vent souffle du côté de la prison, 660 000 francs d'amende, la confisca-
après guerre dans l'affaire Ben Barka, Abel Résistance : le temps est venu de s'y ménager tion de ses biens jusqu'à concurrence de 50
Danos, ou Pierre Loutre!, qui passera à la pos- des appuis, et pour cela le mieux n'est-il pas millions et la dégradation nationale à vie. On
térité sous le sobriquet de Pierrot le Fou. Joa- de contrôler un réseau ? Son ami Lafont s'est ose à peine parler de « justice ». Relâché en
novici et Lafont, faisant affaires ensemble, acquis à la préfecture de Police d'importantes août 1951, il subit le chantage du Milieu, est
s'assureront encore la collaboration d'une complicités : c'est vers la police aussi que poursuivi par le fisc et finit par gagner Israël
autre vedette du crime : le fameux docteur regarde M. Joseph. Les hommes de la rue Lau- en 1957 ! Expulsé par l'État juif, il est arrêté
Petiot, dont l'industrieuse activité les aidera à riston commencent par décapiter un réseau de en décembre 1958, incarcéré aux Baumettes et
faire disparaître définitivement un certain policiers résistants, Honneur de la police, dont condamné en juin 1961 à un an de prison
nombre de gêneurs et de victimes. les chefs sont arrêtés et déportés, à l'exception pour... émission de chèques sans provision !
En 1942, le Bessarabien gagne 30 millions des moins importants : le brigadier André Libéré en mai 1962, Monsieur Joseph mourra
par semaine ! Il spécule, à cette époque, sur Fournet et l'agent Lucien Piednoir. Grâce à ces tranquillement dans son lit en 1965, à Clichy.
les ferrailles, le plomb, le nickel, le cuivre, les deux hommes, Joanovici met la main sur le A. B.


CAUSES , FONCTIONNEMENT ET BILAN DE L'ÉPURATION
L'épuration procède initialement d'une condamné de tout droit civique. Elle lui fait perdre
intention politique. Elle vise à l'exclusion des son grade dans l'armée, le destitue ou l'exclut des
cc collaborateurs ., ou supposés tels et à la emplois dans les offices publics et corps
répression des faits " révélant l'intention de constitués ; le prive de la possibilité d'être juré,
favoriser les entreprises de l'ennemi "· Elle est la expert, arbitre, avocat, notaire, avoué, enseignant
conséquence d'une occupation toujours plus ou surveillan~ directeur ou simple salarié d'une
dure et brutale qui a fait lever de légitimes désirs entreprise de presse, de radio ou de cinéma,
de vengeance. Elle résulte aussi du climat de journaliste, gérant ou dirigeant de société. Près de
guerre civile des années 1943-1944 et de la 50 000 cc indignes nationaux »,cela signifie
logique gaullienne qui niait la légalité du 250 000 personnes directement touchées, réduites
gouvernement de Vichy et avait dénoncé comme à la pauvreté, parfois à la misère, par la perte du
traîtres ses dirigeants et ses partisans. Elle fut travail de celui qui assurait leur subsistance.
constamment aggravée par la pression des Chiffres et statistiques
communistes.
Exécution sommaire d'un jeune milicien. Les statistiques de l'épuration légale sont
mieux tenues que celles de l'épuration sauvage.
L'épuration sauvage Quand la dernière cour de justice cessa ses
L'épuration légale
Des résistants authentiques ne furent pas à activités en 1951, le nombre d'affaires jugées
Le premier grand procès de l'épuration fut
l'abri des coups. Déjà, pendant les derniers mois s'élevait à 57 954, auxquelles il faut ajouter 69 797
organisé à Alger au début de 1944 pour juger
de l'Occupation, lorsque s'instaurait le climat autres réglées par les chambres civiques ou
Pierre Pucheu, ancien ministre de l'Intérieur de
pré-insurrectionnel, des heurts sanglants qu'eut à connaître (membres du gouvernement
Vichy. Condamné sans preuves, il fut exécuté le
avaient opposé les FTP communistes aux et assimilés) la Haute Cour. Le bilan suivant ne
20 mars 1944 par« raison d'État "• suivant la
maquis de l'AS. tient pas compte des condamnations à mort
formule du général de Gaulle.
L'épuration sauvage ne revêt pas la même prononcées par les cours martiales :
L'épuration légale, judiciaire et administrative
intensité dans toutes les régions. Le Midi et le - condamnations à mort en présence des
fut instituée par l'Assemblée provisoire d'Alger lors
Centre sont les plus touchés, le Nord et l'Est accusés : 2 853 ;
de ses séances des 11, 12 janvier et 10 juillet 1944. -condamnations à mort par contumace: 3 910;
relativement épargnés. Mais il suffit de peu de
L'ordonnance signée par le général de Gaulle le 26 -condamnations à mort suivies d'exécution : 767 ;
chose pour que, dans une région calme, un
juin 1944 instituait déjà, au chef-lieu de chaque - travaux forcés à perpétuité : 2 m ;
maquis se transforme en bande de
ressort de cour d'appel, des cours de justice ayant -travaux forcés à temps: 10 434;
cc chauffeurs .. , échappant à toutes les règles et à
pour objet de juger les faits postérieurs au 16 juin - réclusion : 2 173 ;
tous les interdits du droit et de la morale.
1940 et antérieurs à la Libération. Il pouvait s'agir de - dégradation nationale : 49 723 ;
L'estimation des exécutions sommaires de 1943
simples délits d'opinion ou d'actes ne relevant pas (peine principale d'une cour de justice : 3 578 ;
à 1945 est impossible. Cinquante ans après les
du droit courant. Les jurés des cours de justice par chambre civique : 46 145, dont 3 184
faits, la loi du silence et la peur continuent de
étaient choisis exclusivement parmi des résistants, condamnés relevés).
sévir.
souvent communistes. De son côté, la Haute Cour a examiné 108
Selon le colonel Passy, chef de la OGER L'épuration administrative fut réglée par les affaires, prononcé 8 condamnations à mort, dont
(services spéciaux) en 1951, le ministre de ordonnances des 27 juin et 28 novembre 1944 3 appliqués (Laval, Darnand, Brinon), 42 non-
l'Intérieur socialiste Adrien Texier, se basant sur qui créaient des commissions d'épuration. lieux, 17 peines d'emprisonnement, 14 peines
les rapports des préfets, évaluait à 105 000 les 11 343 fonctionnaires feront l'objet de d'indignité nationale, dont 7 relevées " pour
exécutions sommaires commises entre juin 1944 mesures disciplinaires allant jusqu'à la services rendus à la Résistance»,
et février 1945. Dans son Histoire de l'Épuration, révocation sans solde. De toutes les catégories Ces statistiques ne tiennent pas compte des
Robert Aron estime ce chiffre excessif et le professionnelles, c'est la presse qui sera le plus innombrables enfermements légaux ou illégaux
ramène à environ 40 000 exécutions. rudement frappée. La proportion d'écrivains et en détention préventive, dans des locaux
Divers auteurs ont voulu réviser encore à la de journalistes fusillés, emprisonnés ou interdits administratifs, dans des prisons privées ou dans
baisse. Le Comité d'histoire du temps présent a d'exercer leur métier dépasse celle de toutes les des camps d'internement.
entrepris une enquête qui reste partielle et ne autres catégories. Au début de septembre 1944, les arrestations
tient pas compte des meurtres perpétrés par des légales semblent toucher 100 000 personnes. Le
cc bandes » sans lien officiel avec la Résistance, Le crime d'indignité nationale maximum sera atteint au début de 1945 avec
ni des exécutions faisant suite aux jugements Une ordonnance signée par le général de 200 000 internés. Il faut naturellement ajouter à
sommaires des cours martiales de la Libération, Gaulle, le 26 août 1944, institue rétroactivement ces chiffres ceux des arrestations illégales.
avant l'institution des tribunaux réguliers. un crime inédit, celui d'indignité nationale, et Dans sa Lettre aux directeurs de la
Au terme d'une analyse minutieuse et une sanction, la dégradation nationale. Cette loi Résistance, l'écrivain et ancien résistant Jean
impartiale, Henri Amouroux parvient, par des légitime la répression non plus d'actes mais Paulhan écrit : "Il n'est pas exagéré d'évaluer à
voies différentes et en s'appuyant sur des d'opinions. 1 500 000 ou 2 000 000 de personnes le nombre
documents plus sûrs, à une évaluation semble+ Ses conséquences seront dramatiques pour de Français touchés d'une façon ou d'une autre
il assez proche de celle faite en son temps par l'honneur de quantité de braves gens et pour leur par des crimes d'épuration. "
Robert Aron. famille. La dégradation nationale prive le DOMINIQUE VENNER
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LIVRE

Eros romain, fut le protagoniste de


sexe et morale dans
l'ancienne Rome
par Jean-Noël Robert

Sur la couverture du livre de


Livres l'invraisemblable affaire du collier
(1784) qui valut à la jeune Marie-
Antoinette une réputation détestable
de femme légère et dépensière.
Rohan en sortit meurtri car ridicule.
L'auteur mène la vie de son héros
Jean-Noël Robert, le détail d'une
avec érudition et vivacité. Son
fresque de Pompéi. Elle ne décorait
pas un lupanar mais la maison d'un analyse de l'affaire proprement dite
honnête banquier, Caecilius reste dans des sentiers déjà balisés.
Le plus curieux à découvrir est en
Jucundus. A cette époque, le milieu
fait la disgrâce du cardinal puis sa
du premier siècle de notre ère, « les
pitoyable émigration. Il meurt au
hommes et les femmes, du plus
humble au plus souverain, moment même où le Premier Consul
s'autorisent toutes les déviances, reconstruit la France (1803).
Perrin. 357 pages, 139 F.
tous les dévergondages», note
J,·J.B.
l'historien. Avec des contraintes
malgré tout. Ne sont fustigés que
ceux qui entachent l'image
La Vendée
traditionnelle du vir (l'homme) et de Après la Terreur,
sa virtus. Mais l'adultère est promu la reconstruction
au rang de divertissement à la mode, Ouvrage collectif
la bisexualité semble être la règle et
le sexe n'a rien d'obscène: sur tous, Sur ce site, à l'emplacement du Monnaies médiévales, Succédant à un premier colloque
Vénus exerce alors un pouvoir Louvre, sur l'île de la Cité, l'homme reflets des pouvoirs tenu à la Roche-sur-Yon en 1993,
tyrannique. apparaît dès le V' millénaire. TI par Jean-Philippe Cormier cette seconde manifestation
Jean-Noël Robert montre chasse le mammouth et le renne dans prétendait en prolonger les
cependant qu'il est impossible de le quartier de Beau grenelle, taille des Le métal est moins fragile que le réflexions. Une trentaine
s'arrêter à une seule image de silex place du Châtelet, utilise des parchemin, le bois, le verre, le tissu d'intervenants se sont succédé, de
l'amour à Rome. Sur douze siècles, pirogues qu'il range à Bercy et se ou la peinture. Aussi les pièces de disciplines et de niveaux très divers,
la morale sexuelle des Romains se fortifie sur un éperon rocheux de la monnaie sont les vestiges du Moyen mais bien conduits et coordonnés par
transforme, passe de l'austère vertu rive gauche entre Villejuif et la Âge qui nous sont parvenues le plus Alain Gérard, le maître d'œuvre du
des origines à la passion la plus Salpêtrière. Puis ces sites sont facilement. Sans avoir l'ambition colloque 1996. La lecture de ces
débridée avant de retrouver au II' abandonnés. Les Celtes les ignorent d'en dresser un catalogue exhaustif, communications en souligne les
siècle de notre ère, sous l'influence jusqu'à ce qu'une branche du peuple Jean-Philippe Cormier se propose de limites académiques. Mais on y
des philosophes et des médecins, la des Parisii s'y arrête vers 250-255. nous initier à leur lecture, et par là à trouvera des contributions novatrices
tempérance, le<< souci de soi>>, celui Avec César, la bourgade entre dans leur histoire. Une pièce de monnaie comme celles de Pierre Gueniffey
de l'âme et celui du corps. l'histoire. Il en connaît le nom, est souvent le reflet d'une époque. (qui traite admirablement de la
Les Belles Lettres. 394 pages, 135 F. Lutecia ou Lucetia. Mais de la Desclée de Brouwer, collection Patrimoine dictature idéologique des
F. V. Lutèce gauloise, il subsiste peu de vivant. 112 pages, 120 F. missionnaires de 1793), du recteur
chose. M. M. Quenet (sur la portée du 9-
Paris, deux mille ans En revanche la ville nouvelle, Thermidor), de Roger Du puy ou de
d'histoire romaine, qui s'élève rapidement sur Jean-Phili pp< Cormier Donald Sutherland.
par Jean Favier la rive gauche en profitant de la La conclusion d'Alain Gérard est
hauteur de la montagne Sainte- ~
MONNAIES ù' affirmer : « La Vendée constitue
L'ouvrage force le respect, suscite
l'admiration et entraîne l'adhésion.
Geneviève, marque le sol de façon
durable. Au IV' siècle, après que la 1MEDIEVALES un site extraordinaire pour penser la
Terreur. >> Le colloque 1996
s'emploie à en faire la
L'ancien directeur général des cité, devenue chrétienne, ait vu
Archives de France a évité tous les acclamer l'empereur Julien, Lutèce démonstration.
disparaît. On parle de la cité des Perrin. 671 pages, 159 F.
pièges. Mieux : il a construit un livre
personnel qui ne ressemble à aucun Parisii. Au V' siècle, ce sera Paris. J.-J. B.
autre. Désormais existe le Paris de Le décor planté, s'ouvre alors la
Favier. A la base, trois éléments : un pièce dont Jean Fa vier est l'auteur. Napoléon
fleuve, la Seine, toujours navigable, Quatre actes : « structures >>, Le pouvoir, la nation,
aux crues rarement dramatiques et « une ville d'exception >> , « la vie au la légende
qui forme un carrefour fluvial ; des quotidien>>, « quand l'histoire de par Jean Tulard
îles, nombreuses, qui rendent France se fait à Paris >>. A chaque
incommode la navigation mais fois une touche personnelle, une Ce petit volume est issu des cours
facilitent le passage et la défense ; manière unique d'aborder l'histoire. Louis de Rohan, professés par Jean Tulard au Collège
des arbres, des forêts qui entouraient Si chaque chapitre est un guide à le cardinal << Collier >> universitaire français de Moscou.
le site et procuraient bois de lui seul, l'ensemble impressionne par par Éric de Haynin C'est toujours avec plaisir qu'on lit
chauffage et bois d'œuvre. Le temps la cohérence de son architecture et les exposés de cet historien. Tulard
venu, de la pierre, de l'excellente par le souci du détail. Car rien n'est Le prince-évêque de Strasbourg pratique une science historique à la
pierre de taille, celle de Charenton, oublié. descendait d'une très ancienne fois jubilatoire et critique. Il aime la
celle de la Bièvre, permettra de bâtir Fayard. 1 008 pages, 198 F. lignée. Dire qu' il l'a illustrée serait période, il est fasciné par le
au XII' siècle l'enceinte de Paris. F. V. franchement exagéré. On sait qu'il personnage, mais pas au point de
perdre son sang-froid. A noter les éclairants symboles :fêtes,
Les Blanes et les Rouges échappées en direction du cinéma emblèmes, monuments et
(précieuse filmographie) qui, comme commémorations, mais aussi
Histoire de la guerre eivlle toujours chez cet auteur, sont des dictionnaires et musées ».
russe 1917-1921 plus savoureuses. En 1984 sortit le premier volume
Livre de poche, références. 149 pages, 30 F. de ces Lieux de mémoire, une
par Dominique Venner J,-J, B. enquête qui rassemble Raoul
En publiant cette remarquable l'ambition personnelle. De longs Girardet et Maurice Agulhon (entre
Histoire de la guerre civile russe, développements sont consacrés Bonaparte en Égypte autres), et qui brosse un portrait de la
Dominique Venner complète avec aux figures centrales de Dénikine, par Jacques Bainville République avec ses symboles, ses
bonheur l'ensemble qu'il a ouvert Koltchak, Wrangel et à tant de hauts lieux, sa pédagogie et aussi les
avec l'Histoire des corps-francs du leurs camarades, Miller, Très opportune réédition d'une lieux de sa contre-mémoire, la
Baltikum et poursuivi avec son Koutiepov, Kappel ou loudenitch, étude, certes mineure mais brillante Vendée et le mur des Fédérés. Deux
Histoire de l'Armée rouge devenue sans oublier ces chefs de bande de Bainville, historien monarchiste autres volumes ont suivi, pour la
une référence. cruels que furent qui eut son heure de gloire dans les Nation et pour les France, France
Certes, la
Russie est << à la
l ES Petlioura et
Makhnoen
années trente. D'une très grande politique, sociale, religieuse,
régionale.
culture historique, il était aussi doué
mode » depuis Ukraine ou le d'un esprit de synthèse dont Après les lieux descriptifs de la
1' effondrement baron Ungem- témoigne, par exemple, son Histoire division, après les lieux constitutifs
de l'URSS . Les Stembergen de France (1924). En annexe, Je de la tradition, s'affichent les lieux
Occidentaux Mongolie. Tout un curieux poème de Barthélemy et démonstratifs de l'identité.
n' en finissent chapitre est encore Méry, Napoléon en Égypte, du Suit une série de Hauts lieux où
plus de découvrir consacré à ce Vigny édulcoré mais qui reste assez bat le plus intensément le cœur de la
les aspects grand chef de drôle à lire. France: Lascaux, Alésia, Vézelay,
multiples et guerre et à ce Le Nadir-Balland. 186 pages, 90 F. Notre-Dame de Paris, les châteaux
souvent grand homme J,-J,B. de la Loire, le Sacré-Cœur de
méconnus du d'État que fut le Montmartre et la tour Eiffel, classée
passé russe, qu'il général-baron Les lieux de mémoire en tête par les Français ...
soit militaire, Mannerheim, sous la direction de Pierre La conclusion générale de ce
social ou vainqueur des Nora vagabondage extraordinaire (avec
économique, le Rouges en des faiblesses parfois) est
volet impérial, Finlande. passionnante. Elle interroge, expose
L'expression << lieux de
en particulier celui du dernier Le conflit Blanc/Rouge laissera des problèmes mais laisse à chacun
mémoire » est étrange, lourde de
règne, prenant une place la Russie exsangue, après avoir le soin de répondre.
rêve et de mystère, avec une pointe
significative. Mais le combat bien failli, on l'oublie trop « Les Anglais ont la tradition,
de nostalgie. Pourtant elle a été
impitoyable entre Blancs et souvent, voir la victoire des nous avons la mémoire», écrit un
forgée pour patronner une entreprise
Rouges était très peu connu. Blancs. Dans cette guerre sans peu rapidement Pierre Nora. Une
éditoriale et scientifique en trois gros
Quelques très rares livres en pitié, le rôle des Alliés ne fut pas mémoire plurielle, complexe,
volumes. Elle apparaît en 1984. Son
français, d'autres en russe et à toujours beau, le livre de Venner contradictoire, où chacun reconstruit
auteur ? Pierre Nora, un Parisien né
diffusion restreinte, ont évoqué n'en fait pas mystère. Un seul sa France. De ces infinies mémoires,
en 1931, à la fois universitaire et
cette épopée sanglante. regret, celui de ne pas voir évoqué de ces France possibles se dégage+
éditeur, qui, dans son séminaire à
L'ouvrage de Dominique le destin des troupes blanches en il une France dénominateur commun
1'École des hautes études en sciences
Venner comble ce vide historique. exil se préparant à une éventuelle de tous ? Pierre Nora répond par la
sociales, constate « la disparition
Il décrit et analyse les faits, les reprise des combats en Roumanie négative : « De collectif, le sentiment
rapide de notre mémoire nationale >>.
hommes et les pensées de chaque et dans le célèbre camp de national est devenu individuel, et
Une érosion qui le pousse à dresser
camp, en prenant les événements Galipolli. même individualiste ».
« un inventaire des lieux où elles 'est
en aval, dès 1905, au début de la On termine le livre en Les lieux de mémoire. Les France (3 volumes
électivement incarnée et qui, par la de 1 000 pages environ). Collection Quarto-
décomposition du régime tsariste découvrant que les généraux blancs
volonté des hommes ou le travail des Gallimard. 430 F le volume.
et des premiers indicateurs de la n'étaient pas des réactionnaires
siècles, en sont restés comme les plus F.V.
révolution. imbéciles irrémédiablement
Le soulèvement de février 1917, attachés à des privilèges révolus.
à l'arrière, alors que l'armée Pions., dames
impériale se bat sur le front,
précède le putsch bolchevique
La remarquable déclaration faite
par le général-baron Wrangel en
1920, et que reproduit Dominique
LES ,LIEUX et cavaliers
par Alain Chevalier
d'Octobre. C'est peu après que
commence la guerre civile entre
Venner en est une preuve
manifeste : « A cette question
DE ~IEIVIO IRE «L'auteur fait manœuvrer
Blancs et Rouges. Tout en ["Pourquoi nous luttons ?"] il ne fantassins et cavaliers avec les

0
décrivant la genèse et l'évolution peut être qu'une seule réponse : ' qualités d'un grand stratège. On ne
de cette guerre, du Caucase à la nous luttons pour la liberté. [... ] ~
s'ennuie pas une minute», a écrit
-
Sibérie, Venner cisèle les figures C'est à Moscou que se trouve le nid Michel Mohrt de ce roman. L'auteur,
.
de tous les grands acteurs, Lénine, de la réaction. C'est là que résident .
à la fois homme d'affaires et
Trostki et leurs séides, mais aussi les tyrans qui traitent le peuple normalien, ce qui prouve une
les généraux blancs. Aucun n'est comme du bétail... » certaine fantaisie, a imaginé la vie du
laissé dans l'ombre de ces anciens Pygmalion-Watelet. 416 pages, marquis de Sançay en cette période
généraux tsaristes mus autant par cahier photos.139 F. troublée de la fin des guerres
l'amour de la patrie que par PATRICK DE GMELINE napoléoniennes. Cavalier à la noble
figure, il s'accommode mal des

Il
· LIVRE

volte-face des pions gravitant autour prestigieux de Montlouis et de de la Seconde Guerre mondiale, car
du pouvoir, banquiers, généraux et Collioure, associant la mer et la le mouvement est devenu
grand commis de l'État qui passent LA VÉRITÉ montagne, c'est une académie international. Si les Éclaireurs de
sans sourciller du service de . :• ' SUR I.'INSURRECTlON militaire moderne, dont la vocation France connaissent un bon départ,
l'Empereur à celui de Louis XVIII. Il Dl! 8 MAl l945 est de former les futures cadres de notarnrnent sous l'impulsion du
sera donc exilé mais trouvera à • ~ê DANS l'armée de terre. Personne n'était lieutenant de vaisseau Nicolas
s'employer brillamment sur tous les ' ê.fg U CONSTANTINOIS mieux placé que Raymond Muelle, Benoit (tué en 1914, sur l'Yser), le
champs de bataille, en Italie, puis en qui a servi toute sa carrière militaire mouvement va être 1' objet de fort
Russie, au service du tsar. Au service dans les unités de choc et de regrettables divisions sur des critères
des dames aussi, comme tout commando pour évoquer le CNEC. confessionnels, ce qu'avait toujours
chevalier qui se respecte, aussi Lavauzelle, album, 144 pages, nombreuses refusé son fondateur, fils d'un
nobles de cœur que lui. Une belle photos, 195 F. pasteur anglican, plutôt anticlérical.
cavalcade à travers l'Europe M. M. Dès 1920, les << Scouts de
française et une élégante réflexion France » ont été absorbés par la
sur la fidélité aux hommes comme On m'appelait Bleu hiérarchie catholique. Chaque troupe
aux femmes. de Noir ne fonctionne qu'avec la
Albin Michel. 330 pages, 120 F. par Alexis Arette participation d'un aumônier. Ils sont
A. B. ainsi plus de 1 800 prêtres en
répression sévère et rapide empêcha Sous-titré Chroniques fonction en 1936. Comment
Les Mutins le mouvement de se communiquer à d'Indochine, ce sont les souvenirs imaginer que le mouvement ne
Pièce inédite de Jean toute l'Algérie. Ce livre est composé d' un engagé volontaire parachutiste connaisse pas les mêmes vicissitudes
Brune de témoignages précis sur les qui servit dans les commandos du que l'Église?
atrocités des insurgés musulmans qui Nord-Vietnam de 1950 à 1954, La volonté forcenée de rompre
En 1898, la garnison espagnole de s' en prirent aux Européens (hommes, jusqu'au jour où, grièvement blessé avec l'esprit << militaire » des
Baler, aux Philippines, résiste femmes, enfants), ainsi qu'à leurs et médaillé militaire, il fut réformé et origines provoqua d'inévitables
héroïquement à l'assaut des coreligionnaires loyaux à la France. rapatrié. Vêtus comme les Viets du scissions, notarnrnent celle des
indépendantistes soutenus par les C'est un document brut même pyjama noir, encadrant des << Scouts d'Europe », dont les
États-Unis. Quand le supplétifs ou des ralliés, les effectifs atteignent désormais le tiers
indispensable pour comprendre ce
commandement espagnol décide Européens servant dans ces unités de celui de l'association rivale.
drame qui, d' une certaine façon,
d'abandonner la colonie, le jeune avaient une mission difficile de Fayard. 700 pages, 180 F.
préfigurait le conflit de 1954. J.M.
lieutenant Don Saturnino entre en Édité par l'Amicale des Hauts plaleaux renseignements et de coups de main.
rébellion, refusant de livrer les de Sétif, 8 impasse Foujita, 34500 Béziers. Mieux et plus largement utilisés, ils
populations qui lui avaient été 436 pages, 140 F. auraient gêné considérablement le L'Ours et la chandelle
confiées. Cette habile transposition J.-P.A. Vietminh, mais les états-majors par Nicolai Davidoff
de la guerre d'Algérie, permet à Jean étaient hostiles au développement de
Brune une méditation sur la Le Centre national ces guerriers si peu militaires. Amnesty International est -elle
signification intemporelle de d'entraînement Ce récit se distingue par sa une organisation au-dessus de tout
1' honneur militaire et de cet ordre commando: franchise brutale. Les bavures contre soupçon ? La lecture de Davidoff
laïc que devrait être l'armée : « Les les populations civiles, les rapports dicte une réponse négative.
1•• régiment de choc Analysant l'action de cette
ordres naissent du sacrifice et du difficiles entre les sous-officiers et
par Raymond Muelle et leurs officiers, les troubles de organisation tentaculaire, l'auteur
sang. Et ils vivent des morts qui
consentent à faire offrande de leur René Bail conscience et même les mœurs démontre à satiété que les
vie. Ils sont comme les lampes, ils militaires, rien de cela n'est éludé. indignations d'Amnesty sont à sens
brûlent la vie. Et les morts Le CNEC - Centre national De plus, Alexis Arette écrit dans un unique, et sa pitié et sa sollicitude
ressuscitent en eux et les enrichissent d'entraînement commando- est un style remarquable qui ajoute à la sélectives.
de leurs vertus. C'est cela le pacte peu l'héritier du légendaire 1" précision d'un Ernst Jünger, Éditions Ulysse, BP 65 33034 Bordeaux
sans fin. Mourir pour l'Ordre, mais régiment de choc qui s'est illustré l'humour d' un Jacques Perret. Avec, cedex. 256 pages, 159 F, franco.
survivre dans la mémoire de dans les campagnes de la Libération en toile de fond, une foi enracinée Ad. B.
l'Ordre... » et les combats d'Indochine et teintée de mysticisme. Ce très grand
Éditions Atlantis, Wolf Aibes, Geltendorfer d'Algérie. Installé sur les sites livre donne de la guerre d'Indochine Un internement
Str. 17, D-86316 Friedberg. Règlement par une vision à la fois chaleureuse et politique sous la
chèque à l'ordre de Wolf Aibes Éditions tragique. V• République
Atlantis. 92 pages, 65 F.
Éditions J et D. 18, rue du Folin 64200 par Laurent W etzel
D.V. Biarritz. 320 pages, 150 F.
J.-P.A.
La vérité Dans un État dit de droit peut-on
interner (provisoirement), sous
sur l'insurrection L'utopie Scouts prétexte psychiatrique, un maire
du 8 mai 1945 de France (sortant) et ce, à la veille d'un scrutin
dans le Constantinois par Christian Guérin décisif ? C'est ce qui est arrivé en
par Maurice Villard juin 1995 à Laurent Wetzel,
Pendant 1' été 1907, le général conseiller général des Yvelines et
Le 8 mai 1945, jour même de la Baden-Powell réunit une vingtaine haut fonctionnaire. Dans ce livre, il
capitulation allemande, un de garçons sur l'île de Brownsea, en expose les incroyables péripéties de
soulèvement à caractère racial et Angleterre méridionale. Il leur donne cette affaire qui n'est pas sans lien
religieux (sous le signe du djihad) le nom de << scouts » ou éclaireurs. avec le combat qu' il mena à
~n sanglantait la ville de Sétif et sa Ils sont 100 000 deux ans plus tard et Sartrouville contre les communistes
région dans le Constantinois. Une sans doute trois millions à la veille en débaptisant la rue Marcel-Paul

1
ftuand de Gaulle pensait que la France était finie
Vingt-cinq ans après sa mort, il aspects physiques et moraux paradoxale mais « bouleversante » qu'ils demeurent très moches... Ils
devrait quand même devenir quotidiens, avec son œil « sorcier », de ses traits. Pourtant, il fulmine, ne sont pas très intéressants ».
possible d'examiner l'étonnante de soudaines absences où il échappe bougonne, excommunie, dénonce Normalement, de si lourdes
carrière du général de Gaulle avec à son entourage, puis retombe sur pêle-mêle Roosevelt, Churchill, les condamnations devraient le
toute la distance convenable. terre pour couvrir ses adversaires de communistes, Georges Bidault déjà, dissuader à jamais de revenir au
L'exercice demeure pourtant délicat, pénibles outrages. Par exemple, beaucoup d'autres encore, et réunit pouvoir. A quoi bon diriger une
toujours aléatoire. Pour de bonnes et Georges Bidault bassement qualifié tout ce monde dans un verdict multitude aussi décevante ? Mais il
de mauvaises raisons étroitement de« petite crapule ». général :« L'homme! L'homme! ... se voit depuis toujours « à la tête de
mêlées, le personnage inspire des L'homme secret surgit là tel qu'il Ah, l'homme est véritablement une l'État ». Le service d'une France
dévotions infantiles ou des haines se révéla souvent dans sa vie sale bête!» Et ça n'est qu'un début. abstraite justifie donc son
sans fin . Ses admirateurs célèbrent publique : visionnaire, lucide, Continuons le combat ! égocentrisme et autorise encore bien
en lui le héros irréprochable, résolu, indomptable, impitoyable et Au printemps, le nouveau des ambitions. En avrill947, il
demeuré dans toute son existence haineux. Clande Guy en apporte un Misanthrope rejoint Colombey. Là, lance le Rassemblement du peuple
au-dessus de 1'humain. Beaucoup de témoignage probablement unique. A il délivre quelques confidences à ses français - RPF - à Strasbourg. Très
ses adversaires persistent à le l'exception de certains textes du déjà proches : « Voyez-vous, j'ai toujours vite, l'aventure le déçoit. Un jour,
regarder derrière la ligne de mire des bien oublié mais fort honnête Jean- pensé que je serai à la tête de Malraux qualifie de « veaux » ceux
fusils du peloton d'exécution de Raymond Tournoux, aucun des l'État... Si je ne m'étais pas fait qu'il réunit, semblables selon lui aux
Robert Brasillach ou n'entendent sa livres consacrés au grand hérétique militaire, j'aurai fait une carrière velléitaires du parti communiste. Le
voix qu'à travers le dégoût de 1940 n'avait poussé jusqu'aux politique. » En juin suivant, des mot fera une telle fortune qu'il
qu'inspirent tant de paroles mêmes profondeurs l'exploration de élections législatives arrêtent les s'étendra ultérieurement à
trompeuses : « Je vous ai son tempérament retors et progrès communistes. L'homme du 1' ensemble de la nation. Il passera
compris » ; « Moi vivant, le drapeau douloureux, d'un égocentrisme total. 18-juin conclut solennellement : même pour une trouvaille
du FLN ne flottera jamais sur D'un coup, beaucoup d'autres «Souvenez-vous qu'ilfaut toujours personnelle du Général. Parfois, il
Alger », etç. N'oublions pas non ouvrages intéressants déjà consacrés faire confumce au peuple français, circule encore.
plus qu'après avoir menti, il couvrait au Général en deviennent qui est éternel. Avec lui, on croit La mystique républicaine
de sarcasmes les victimes de ses parcellaires. toujours au pire. Et puis, en fin de aujourd'hui à la mode parmi les
mensonges puis abandonnait les Cette rencontre si précieuse pour compte, il ne change jamais. » gaullistes d'adoption à la Philippe
harkis à 1' assassinat. 1'histoire entre une figure de légende Ensuite, ce peuple-là continue de ne Séguin ne lui inspire pas non plus
Mais sans le rebelle du 18-juin, la et un observateur très perspicace point changer. Mais dans le pire, beaucoup de considération. « A les
France eût -elle participé parmi les débute en juin 1944, quand le hélas ! entendre, la France a commencé à
quatre vainqueurs à la capitulation lieutenant d'aviation Claude Guy Deux mois plus tard, un retentir aux oreilles de l'humanité
du Reich ? Treize ans plus tard, la devient aide de camp auprès du chef diagnostic détecte chez les chers en 1789 ! s'exclame-t-il. Incroyable
même détermination la dota d'un de la France libre. Lui-même compatriotes << une crise de dérision : car c'est au contraire
pouvoir exécutif respecté pour la parachutiste victime d'un accident vitalité ». Maintenant, « ils depuis 1789 que nous n'avons cessé
première fois depuis un demi-siècle aérien peu auparavant, le nouveau n'acceptent plus ni leurs maux ni les de décliner! 1789 ! Bah! Que font-
d'impéritie parlementaire. Elle créa venu rejoignit la résistance militaire remèdes à ces maux... depuis ils donc du prestige intellectuel et
aussi la force de frappe nécessaire à dès 1940. Vétéran avant l'âge, il Louis XV, la France n'a cessé de spirituel de la France au XVII' et au
l'indépendance diplomatique. Ces dispose ainsi de l'autorité morale perdre en ressources, en puissance... XVl/1' siècles ? » Mais qu'attendre
importants services deviendraient-ils suffisante pour tenir sa place mieux Nos querelles nous ont privés du des élites, quand le peuple lui-même
sans prix, pour un patriote, parce qu'un subalterne ordinaire. La plus clair de nos forces. » Par ne cesse de choir ? En France, « il
qu'ils s'accompagnèrent de procédés nature a doté ce jeune soldat d'une comparaison, la « vitalité du peuple n'y a plus de courant... » soupire-t-il
exécrables ? 1!1-cidité précoce, d'une intelligence allemand, sa puissance industrielle, à Colombey, en avril1948. Et ainsi
Certes, le tempérament du circulaire, et d'un talent de plume sa passion du travail ont permis à de suite, pendant des pages et des
Général facilite peu l'examen certain. Ses qualités lui permettront Hitler d'opérer un redressement, pages, jusqu'à l'aveu final où son
équitable de son cas. Même en de sténographier auprès de son mais uniquement parce que le nihilisme atteint l'absolu : « Non, ce
politique où la droiture d'âme maître d'assez prodigieux et parfois peuple allemand- voyons les choses pays est fini. Je n'ai jamais mesuré
n'abonde guère, il poussa terrifiants monologues. Comme tant en face - était un grand peuple. à aucun moment comme
l'hypocrisie fort loin. Entre d'autres, il admire son interlocuteur. Mais en France, ça n'est plus le aujourd'hui, à quel point il n'y avait
l'hagiographie et le dénigrement, ses Les propos qu'il rapporte en cas». Suivent bien des mots amers rien à tirer des hommes de ce pays.
biographes apportentdans acquièrent d'autant plus d'intérêt. Ils encore, contre tous. Ils n'épargnent En 1940, j'avais confiance... Je me
l'ensemble des explications ne viennent pas d'un ennemi. Les pas << toute cette écume qui se rends compte aujourd'hui que ma
incomplètes ou partiales. Les héritiers du Général ne souhaitaient réclame aujourd'hui de la confiance d'alors venait de ce que je
témoignages d'anciens ministres, de pas leur publication. Et pour cause ! Résistance ». Les Français ne sont n'avais pas éprouvé la profondeur
proches collaborateurs, n'y Après une esquisse brève mais devenus à ses yeux « rien de plus de notre pourriture. »
remédient guère par le conformisme savoureuse en août 1944, juste avant que des bourgeois », chacun d'abord Sans doute à cause d'elle, ces
ou la timidité. Un ouvrage vraiment la libération de Paris, les notes << en opposition totale avec tous les propos étonnants n'ont pas suscité
neuf restait à écrire. Il vient de débutent vraiment dix-sept mois autres », chacun trichant « mais de grands débats depuis la parution
paraître avec celui de Claude Guy. après, quand de Gaulle abandonne le s'indigne de ceux qui trichent plus du livre. Les « veaux » ont plutôt
Pour la première fois sans doute, pouvoir. Dans les embarras du que lui... » Et la conclusion funèbre tendance à marcher la tête basse.
1'un des familiers décrit de Gaulle déménagement au Pavillon de tombe un soir de décembre : « Non ... GILBERT COMTE
non pas tel qu' il doit passer dans les Marly, il émeut son compagnon par non ... vous n'arriverez pas à En écoutant de Gaulle. Jouma/1946-1949,
li vres d'images, mais dàns ses la «sérénité' », la « douceur » dissimuler le fait qu'ils ont été et par Claude Guy. Grasset. 520 pages 139 F.
LIVRE

dont il dévoila le rôle de Kapo à raconte de l'intérieur la vie de ce étincelant, c'est qu 'il a valeur de
Buchenwald. Il révèle aussi d'autres journal peu ordinaire, dans la document sur les mœurs politiques
sujets sensibles concernant les quotidienneté du travail, de la de cette fin de XX' siècle, et sur ce
banlieues et certains scandales camaraderie et des combats. Un phénomène nouveau du populisme
touchant aux marchés publics d'Île- témoignage passionné et (15 % des suffrages), qu'un système
de-France. C'est dire qu'il devenait passionnant. électoral sur mesure exclut de la
gênant pour certains de ses anciens Éditions Difralivre, 197 pages, 100 F. représentation parlementaire.
amis politiques qui imaginèrent un Ch. V. Publications FB, 5 rue Fondary, 75015
moyen apparemment légal pour Paris. 120 pages, 70 F.
1'évincer de sa mairie. Un hold-up raté V.T.
Éditions Odilon Média. 127, rue Amelot, par François Brigneau Chroniques angéliques
75011 Paris. 254 pages, 130 F. t::hronlques
J.·P.A. En 120 pages féroces et angéliques
hilarantes, le dernier grand par Vladimir V olkoff
JournaHste pamphlétaire français livre son
par Caroline Parmentier journal de la campagne électorale A travers les douze nouvelles qui J.·---'
(avril, mai, juin 1997). « Le seul composent ces Chroniques, Vladimir
''\ ' -
Ce n'est pas tous les jours qu'un commentaire qui s'impose, c'est Volkoff s'est amusé à imaginer
livre bien fait permet de pénétrer celui-ci: bravo, Monsieur Chirac! comment le cours de l'histoire aurait tendant à prouver l'existence de
dans l'univers mal connu et dénigré Encore bravo! Votre dissolution pu être modifié si des anges, à Dieu. La révolution d'Octobre
de la droite de conviction et de sa surprise, c'était génial. Si, si... Ne supposer qu'ils existent, tels les aurait-elle suivi une autre voie, si
presse. D'une plume alerte et très soyez pas modeste ... Génial! Se « agents secrets du Bon Dieu >> , l'homme de sciences avait achevé à
professionnelle, Caroline Parmentier dépêcher d'être raclé en 1997, pour étaient intervenus. Ainsi, met-il face temps son équation?
conte ses souvenirs précoces ne pas 1'être en 1998,fallait le à face en Russie, au lendemain de la De Fallois·L'Âge d'Homme. 340 pages, 125 F.
d'initiation au métier de journaliste trouver! > >Voilà, le ton est donné. révolte des Décembristes, Nicolas l" M. M.
dans un environnement politique, Suivent d'étonnants portraits et Fiodor Dostoïevski. Le tsar et
médiatique et judiciaire qui ne fait d'hommes politiques, le démontage l'écrivain n'aspiraient-ils pas tous rralisrt'S11<11' .Jran·f'anl . \n~ddli ,
1'<1!-!l'S
pas de cadeaux aux réfractaires. En de pièges télévisés retournés contre deux au même idéal - la grandeur du .\mit' llrassir •.kan-.lnd llrrgrnn .
se faisant engager à Présent, le leurs auteurs, et des scènes qu'on ne peuple russe? Vladimir Volkoff .-\drirn llrnrant. Cilhrrt Cnmtt·.
journal que dirige Jean Madiran, trouvera décrites de cette façon nulle dans un autre récit a campé un l'atrirk dt• (;mdim·. .lt'<lll \lahirr.
cette jeune et jolie personne réalisait part ailleurs, notamment l'étonnant Lénine saisi par le doute devant la \l<u·ha \hmski, \ïrginir '1 anla ~.
un rêve d'adolescence. A l'en croire, Frùlrrir \alluirt•, Charlt•s \augt•nis.
défilé FN du l" mai 1997. Si l'on fait démonstration d'un éminent
llnminiqut· \ t·nnt·r.
l'expérience ne 1' a pas déçue. Elle une place, ici, à ce petit livre mathématicien de Saint-Pétersbourg

L~Empire~ tambour battant


Voilà donc l'autre collection qui 1' officier de génie La Farelle et chez trois récits retenus nous donnent une mousquetaire (il est d'ailleurs un
profite du bicentenaire tout proche Lataye qui commandait le l()' idée « moyenne >> des souffrances peu gascon !), duelliste incurable,
du Consulat et de l'Empire pour cuirassier, ci-devant Royal-Cravate, endurées. C'est du << Chabert >> sans trousseur de jupons, sans états
nous donner un certain nombre de dans lequel il servait depuis 1773. la touche romanesque mais avec un d'âme dans le commandement mais
témoignages et de documents Sorti de l'École militaire en 1804, le tel souci vériste du détail qu'il rend toujours avec une droiture, un sens
d'époque. Ils sont tous extraits du capitaine Paris porte sur l'armée de beaucoup de scènes insupportables. de 1'honneur qui revigorent. Il porte
Carnet de la Sabretache, revue 1805 cette appréciation aussi Le général-baron Ameil était en lui tout le drame des demi-soldes,
savante et napoléonâtre fondée au pertinente que nostalgique (il écrit reconnu de ses pairs. Marbot, qui ne de ces jeunes gens qui ne se
siècle dernier et qui poursuit, encore en 1863) : << C'est l'époque où 1' aimait pas, acceptait de le ranger consolaient pas d'avoir perdu le
aujourd'hui, vaillamment ses l'armée avait atteint son bel idéal, parmi les meilleurs cavaliers de « Grand Homme >> et l'Europe avec.
activités. Tous ces textes l'époque, où formée, aguerrie, l'Empire. Entré dans la Garde Superbe parce que mené tambour
proviennent de livraisons du Carnet illustrée par les guerres de la nationale à 14 ans, il ne quitta battant, sincère et désintéressé.
échelonnées entre 1893 et 1932. République, elle venait dans les l'uniforme qu'en 1815 et subit une JEAN-JOËL BRÉGEON
Leur mise en forme critique est camps des côtes de l'océan, de proscription qui contribua à le - Souvenirs et Cahiers sur la campagne
excellente, elle repose toujours sur compléter son organisation, de frapper d'aliénation mentale et à en d'Égypte par Bonnefons, Gai lieux, Ba rallier.
les manuscrits originaux. consolider et perfectionner son mourir en 1822. Destin pitoyable 138 pages, 170 F.
L'intérêt de ces témoignages est instruction, en même temps qu'elle pour un guerrier émérite qui ne se - Journaux et souvenirs sur la campagne
très inégal. Des trois textes sur de 1805 par La Farelle, Dumas, Lalaye,
conservait encore cet esprit de raconte pas mais dont on voit qu'il
Vial, Paris. 135 pages, 170 F.
l'expédition d'Égypte, on négligera désintéressement total qui faisait, n'était à 1' aise que sur les champs de - Carnets et Journal sur la campagne de
le marin Barallier et même le par exemple, que des capitaines de bataille. Russie par Pelet, Bonnet, Everts. 172
caporal Cailleux pour ne retenir que grenadiers préféraient à On terminera avec le superbe pages, 180 F.
l'assez plaisante description de l'avancement qui leur était offert la récit du commandant de - Notes et Documents par le général-baron
1'Égypte due à l'artilleur Bonnefons. satisfaction de rester à la tête de Lauthonnye. Issu de la petite Ameil. 238 pages, 220 F.
-Ma vie militaire (1807-1819) par le
C'est de l'ethnographie bien sentie leurs grenadiers ». noblesse limousine, il prit à contre-
commandant de Lauthonnye. 259 pages,
et plutôt décapante. Sur la campagne Bien entendu, tout ce qui traite de pied sa famille en servant Napoléon. 250 F.
de 1805 (Ulm, Austerlitz), il y a de la campagne de Russie prend des Sa vie a toutes les allures d'un Librairie historique F. Teissedre 102, rue du
bonnes choses à prendre chez dimensions hors du commun. Les roman. Il y a chez lui du Cherche-Midi 75006 Paris.
Vos réactions aux
précédents numéros
Bonnier, le jugeant défectueux, Un Nuremberg du communisme est Comment Muelle peut-il, dans
l'échangea contre un 7,65 donné par absolument indispensable. Je suis son article parler de solde ? Seuls,
Mario Faivre, qui le conduisit au prêt à collaborer à une telle œuvre les pourris ont gagné de l'argent en
Palais d'Été dans sa 302 Peugeot. de mémoire afin que les 60 millions Indochine, soit en volant, soit en
C'est avec cette arme que le meur- de victimes du communisme ne pillant, soit en trafiquant sur la
trier abattit Darlan : l'autopsie soient pas tombés pour rien. piastre. Soldats, nous avons été, sol-
L'assassinat prouva que l'amiral n'avait reçu Guy Faucheteau dats, nous devons rester.
qu'une seule balle, mortelle, dans le Georges Cazalot
de Darlan dos, et non deux dans la tête et le Digniter garder
cœur, comme le dit Poniatowski. Notre correspondant, dont
Celui-ci prétend que la << déposi- nous saluons l'esprit courageux, se
Vous avez rendu compte, dans
tion initiale et complète» de Bonnier Je me sens profondément humilié méprend complètement sur le sens
le numéro 21 de votre publication,
de la Chapelle fut brûlée par le com- dans mon honneur de soldat par le et le contenu de l'article de Ray-
du premier volume des Mémoires
missaire Garidacci, chargé de raisonnement de Raymond Muelle, mond Muelle. D s'agit d'un article
de Michel Poniatowski. Dans cet
l'enquête après le meurtre de Dar- dans son article « Soldats d'Indo- historique et non d'une apologie. D
ouvrage, fort intéressant, l'auteur
lan. Ceci est inexact : le procès-ver- chine - Face au Vietminh », paru souligne une réalité. Au début de la
consacre plusieurs pages à l'assas-
bal des aveux réels de l'assassin, dans votre numéro 22. Car, soyons guerre d'Indochine, la signification
sinat de l'amiral Darlan à Alger, le
mettant en cause Henri d'Astier et honnêtes, nous avons, nous « soldats politique du conflit échappait à
24 décembre 1942.
l'abbé Cordier, fut certes dissimulé d'Indochine » été tous volontaires beaucoup. C'est là-bas, sur place,
J'ai moi-même publié, en 1995, que de nombreux soldats ont
au juge d'instruction Rondreux et à pour aller nous battre dans ce pays ;
un livre intitulé L'assassinat de Dar-
la cour martiale par Garidacci ; personne ne nous a forcé la main découvert la réalité du communis-
lan, (Perrin). Apparemment, l'ancien
mais le policier le garda par devers pour signer nos actes d'engagement me, dont ils sont devenus les adver-
ministre ne l'a pas lu : cela lui
lui et le remit au juge Voituriez le dans l'armée française; personne ne saires farouches. D n'y a rien là qui
aurait évité bien des erreurs.
JO janvier 1943, lors de la seconde nous a obligés d'y accomplir un ou doive choquer notre correspon-
Si Michel Poniatowski met en
enquête judiciaire. J'en ai d'ailleurs plusieurs séjours. Nous savions ce dant.
cause, à juste titre, la responsabilité
publié la photocopie dans mon livre. que nous faisions! Nous n'étions pas
du SOE (Special Operation Executi-
ve) britannique dont j'ai été le pre-
J'espère que l'ancien ministre des bidasses que l'on envoie, sans Le charnier
de Valéry Giscard d'Estaing pourra
mier, en France, à dévoiler le rôle, il
rectifier son récit à l'occasion d'une
leur demander leur avis, au « casse- de Vinnitsa
passe sous silence celle du général pipe », nous n'étions pas de la chair
deuxième édition de son livre. à canon, mais des soldats, et qui plus
de Gaulle et du comte de Paris, qui
Arnaud de Chanterac est, des soldats politiques. Nous par-
est tout aussi certaine. il soutient que Dans le dernier numéro de votre
Carleton Caon, agent du Service de ticipions à la longue lutte contre le revue, le professeur Oleg Kobtzeff
Les faits rapportés par M. de
Renseignements américain, l'OSS bolchevisme. il fallait d'ailleurs être évoque le bilan humain du communis-
Chanterac ne sont pas contes-
(Office of Strategie Service), << encou- bien naïf pour ne pas savoir dès 1946 me, et l'article est notamment illustré
tables. On peut se reporter sur
ragea, motiva, entraîna >> Bonnier de contre qui nous allions nous battre. par une vue du charnier de Vinnitsa.
cette question au dossier que nous
la Chapelle, l'assassin de Darlan, et Faire partir notre lutte contre le il se trouve que, quelques jours
avions publié dans notre no 7
qu'il lui remit un revolver destiné à communisme à I949 est une escro- après cette lecture, je suis tombé sur
(1993) Les crimes politiques qui
tuer l'amiral, arme remplacée par le querie morale que je ne puis caution- le témoignage de Pierre Malo,
comporte notamment un entretien
meurtrier par une autre fournie par ner. Bien sûr, beaucoup des nôtres, ancien journaliste au Matin, intitulé
instructif que nous avait accordé
l'abbé Cordier. Tout ceci est de la faits prisonniers, sont morts dans les Je sors du bagne. C'est le récit de sa
Jean-Bernard d'Astier de la Vige-
plus haute fantaisie : si Carleton camps vietminhs. Mais pourquoi en détention à la prison de Poissy, puis
rie, acteur et témoin du drame.
Caon a bien été un des instructeurs, rajouter et étaler nos souffrances et de Saint-Martin-de-Ré, à la suite
très occasionnel, de Bonnier, il n'a nos sacrifices sur la place publique, d'une condamnation à huit ans de
joué aucun rôle dans l'assassinat de Le Nuremberg les raconter à tout un peuple, une prison en 1944 pour faits de collabo-
Darlan. Ce sont Henri d'Astier, chef du communisme nation qui s'en foutent complètement. ration. Or, le motif qui l'a fait
de la police de Darlan, et l'abbé Gardons donc notre dignité. condamner, c'est une série de huit
Cordier, son plus proche collabora- Soyons des hommes, fiers de ce reportages sur le charnier de Vinnit-
teur, tous deux monarchistes, qui Je tiens à vous féliciter pour qu'ils ont été et de ce qu'ils ont sa, publiés dans Le Matin, en juillet
ont, pendant un mois avant le l'excellente qualité de votre revue. accompli. Nous n'avons pas à 1943. La révélation de ce génocide
meurtre, mis Bonnier en condition. Vous êtes, et de très loin, la meilleu- demander réparation des injustices communiste lui a valu, dans la Fran-
C'est l'abbé Cordier qui lui remit, le re revue historique que l'on puisse et des brimades dont nous avons pu ce libérée de I 944, huit ans de pri-
matin du 24 décembre 1942, un trouver en France. J'ai particulière- faire l'objet. Nous sommes trop fiers son. << Un an par article », constatait-
revolver fourni à Henri d'Astier par ment apprécié le no22 consacré aux pour demander l'aumône à qui- il avec philosophie. Encore, Pierre
le capitaine Watson, officier français révolutions russes, et notamment conque. Soyons nous ! Seulement Malo était-il en dessous d'une réalité
d'origine anglaise, qui le tenait du votre article intitulé « La France est- nous ! Des seigneurs. Les aristo- bien plus épouvantable.
SOE. elle la fille aînée du communisme ? » crates du XX' siècle. Les derniers. Francis Bergeron

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