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Explication de texte n°1 

: Molière, Le Malade imaginaire (1673), acte I, scène 1.

Acte premier - Scène première- Argan

ARGAN, seul dans sa chambre assis, une table devant lui, compte des parties d’apothicaire 1 avec des jetons, il
fait, parlant à lui-même, les dialogues suivants. – Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Trois
et deux font cinq. « Plus, du vingt-quatrième2, un petit clystère3 insinuatif4, préparatif, et rémollient 5, pour
amollir, humecter, et rafraîchir les entrailles de Monsieur. » Ce qui me plaît de Monsieur Fleurant, mon
apothicaire, c’est que ses parties sont toujours fort civiles 6 : « les entrailles de Monsieur, trente sols ». Oui, mais,
Monsieur Fleurant, ce n’est pas tout que d’être civil, il faut être aussi raisonnable, et ne pas écorcher les
malades. Trente sols un lavement : Je suis votre serviteur, je vous l’ai déjà dit. Vous ne me les avez mis dans les
autres parties qu’à vingt sols, et vingt sols en langage d’apothicaire, c’est-à-dire dix sols  ; les voilà, dix sols.
« Plus, dudit jour, un bon clystère détersif 7, composé avec catholicon8 double, rhubarbe, miel rosat, et autres,
suivant l’ordonnance, pour balayer, laver, et nettoyer le bas-ventre de Monsieur, trente sols. » Avec votre
permission, dix sols. « Plus, dudit jour, le soir, un julep hépatique 9, soporatif10, et somnifère, composé pour faire
dormir Monsieur, trente-cinq sols. » Je ne me plains pas de celui-là, car il me fit bien dormir. Dix, quinze, seize et
dix-sept sols, six deniers. « Plus, du vingt-cinquième, une bonne médecine 11 purgative et corroborative12,
composée de casse13 récente avec séné levantin14, et autres, suivant l’ordonnance de Monsieur Purgon, pour
expulser et évacuer la bile de Monsieur, quatre livres. » Ah ! Monsieur Fleurant, c’est se moquer ; il faut vivre
avec les malades. Monsieur Purgon ne vous a pas ordonné de mettre quatre francs. Mettez, mettez trois livres,
s’il vous plaît. Vingt et trente sols. « Plus, dudit jour, une potion anodine et astringente 15, pour faire reposer
Monsieur, trente sols. » Bon, dix et quinze sols. « Plus du vingt-sixième, un clystère carminatif 16, pour chasser les
vents de Monsieur, trente sols. » Dix sols, Monsieur Fleurant. « Plus, le clystère de Monsieur réitéré le soir,
comme dessus, trente sols. » Monsieur Fleurant, dix sols. « Plus, du vingt-septième, une bonne médecine
composée pour hâter d’aller, et chasser dehors les mauvaises humeurs 17 de Monsieur, trois livres. » Bon, vingt
et trente sols : je suis bien aise que vous soyez raisonnable. « Plus, du vingt-huitième, une prise de petit-lait
clarifié, et édulcoré, pour adoucir, lénifier18, tempérer et rafraîchir le sang de Monsieur, vingt sols. » Bon, dix
sols. « Plus, une potion cordiale19 et préservative, composée avec douze grains de bézoard, sirops de limon 20 et
grenade, et autres, suivant l’ordonnance, cinq livres. » Ah ! Monsieur Fleurant, tout doux, s’il vous plaît ; si vous
en usez comme cela, on ne voudra plus être malade : contentez-vous de quatre francs.

1
Parties d’apothicaire : factures du pharmacien.
2
du vingt-quatrième : du 24 du mois.
3
clystère : lavement. Ce traitement consiste à introduire un liquide dans le corps pour laver les intestins.
4
insinuatif : qui s’insinue (s’infiltre, pénètre).
5
rémollient : adoucissant, émollient.
6
civiles : polies, courtoises.
7
détersif : qui nettoie
8
catholicon : remède jugé universel à base de séné, arbuste du Moyen-Orient, et de rhubarbe.
9
julep hépatique : potion adoucissante à base d’eau et de sirop pour le foie.
10
soporatif : qui endort.
11
une médecine : un remède.
12
corroborative : fortifiante.
13
casse : végétal exotique aux vertus purgatives.
14
levantin : originaire des côtes de la Méditerranée orientale (= du levant).
15
anodine et astringente : qui calme la douleur et la réduit.
16
carminatif : qui dissipe les gaz.
17
La médecine du XVIIème siècle s’appuie encore sur la théorie antique des quatre humeurs – sang, bile jaune, bile noire et
lymphe, dont l’équilibre dans le corps garantit une bonne santé.
18
édulcoré : adouci / lénifier : adoucir.
19
cordiale : qui stimule le fonctionnement du cœur (cordis en latin).
20
bézoard : antipoison d’origine animale / limon : citron.
Explication de texte n°1 : Molière, Le Malade imaginaire (1673), acte I, scène 1.

Acte premier - Scène première- Argan

ARGAN, seul dans sa chambre assis, une table devant lui, compte des parties d’apothicaire avec des jetons, il fait,
parlant à lui-même, les dialogues suivants. – Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Trois et
deux font cinq. « Plus, du vingt-quatrième, un petit clystère insinuatif, préparatif, et rémollient, pour amollir,
humecter, et rafraîchir les entrailles de Monsieur. » Ce qui me plaît de Monsieur Fleurant, mon apothicaire, c’est
que ses parties sont toujours fort civiles : « les entrailles de Monsieur, trente sols ». Oui, mais, Monsieur
Fleurant, ce n’est pas tout que d’être civil, il faut être aussi raisonnable, et ne pas écorcher les malades. Trente
sols un lavement : Je suis votre serviteur, je vous l’ai déjà dit. Vous ne me les avez mis dans les autres parties
qu’à vingt sols, et vingt sols en langage d’apothicaire, c’est-à-dire dix sols ; les voilà, dix sols. « Plus, dudit jour,
un bon clystère détersif, composé avec catholicon double, rhubarbe, miel rosat, et autres, suivant l’ordonnance,
pour balayer, laver, et nettoyer le bas-ventre de Monsieur, trente sols. » Avec votre permission, dix sols. « Plus,
dudit jour, le soir, un julep hépatique, soporatif, et somnifère, composé pour faire dormir Monsieur, trente-cinq
sols. » Je ne me plains pas de celui-là, car il me fit bien dormir. Dix, quinze, seize et dix-sept sols, six deniers.
« Plus, du vingt-cinquième, une bonne médecine purgative et corroborative, composée de casse récente avec
séné levantin, et autres, suivant l’ordonnance de Monsieur Purgon, pour expulser et évacuer la bile de
Monsieur, quatre livres. » Ah ! Monsieur Fleurant, c’est se moquer ; il faut vivre avec les malades. Monsieur
Purgon ne vous a pas ordonné de mettre quatre francs. Mettez, mettez trois livres, s’il vous plaît. Vingt et trente
sols. « Plus, dudit jour, une potion anodine et astringente, pour faire reposer Monsieur, trente sols. » Bon, dix et
quinze sols. « Plus du vingt-sixième, un clystère carminatif, pour chasser les vents de Monsieur, trente sols. » Dix
sols, Monsieur Fleurant. « Plus, le clystère de Monsieur réitéré le soir, comme dessus, trente sols. » Monsieur
Fleurant, dix sols. « Plus, du vingt-septième, une bonne médecine composée pour hâter d’aller, et chasser
dehors les mauvaises humeurs de Monsieur, trois livres. » Bon, vingt et trente sols : je suis bien aise que vous
soyez raisonnable. « Plus, du vingt-huitième, une prise de petit-lait clarifié, et édulcoré, pour adoucir, lénifier,
tempérer et rafraîchir le sang de Monsieur, vingt sols. » Bon, dix sols. « Plus, une potion cordiale et préservative,
composée avec douze grains de bézoard, sirops de limon et grenade, et autres, suivant l’ordonnance, cinq
livres. » Ah ! Monsieur Fleurant, tout doux, s’il vous plaît ; si vous en usez comme cela, on ne voudra plus être
malade : contentez-vous de quatre francs.
Expliquer un texte : Observer et chercher.
Molière, Le Malade imaginaire (1673), acte I, scène 1 (extrait).

Problématique  : Quels sont les enjeux de cette scène d’exposition si particulière


(monologue qui prend la forme d’un dialogue fictif) ?

1/ La didascalie initiale : Que nous indique-t-elle sur Argan ? Quel rôle sa maladie (et
donc médecins et apothicaires) joue-t-elle dans sa vie ?

2/ Lignes 2-3 : Votre avis sur l’addition d’Argan ? Effet produit ? Intention de Molière ?

3/ Passez au fluo les dates « Plus, du … ». Quel est l’effet produit par l’anaphore ?
Comment voyez-vous le quotidien d’Argan ? Les apothicaires et médecins ?

4/ Nouveau fluo : Repérez les commentaires d’Argan et les moments de faux dialogue
avec M. Fleurant : Quels sont les traits de caractère d’Argan qui ressortent ? Quel est
l’effet produit par la répétition ?

5/ a. Relevez le nombre de fois où la prescription est une purge (nouveau fluo). Effet
produit ? Quelle image avons-nous des médecins ?
b. Retrouvez dans le texte l’obsession scatologique pour les selles, flatulences,
diarrhées : Comment les formulations évitent-elles la vulgarité ? Comment deviennent-
elles comiquement obséquieuses (très, trop polies), « fort civiles » selon Argan ?

6/ a. Lignes 3-4 : Que direz-vous du style ou du ton de l’apothicaire ?


b. Relevez les énumérations, les redondances (= les synonymes, expressions de même
sens), les ‘’rimes’’ dans les terminaisons (= les homéotéleutes), les mots rares, les
rythmes ternaires, les mots inspirés du matin : Comment l’apothicaire s’exprime-t-il ?

7/ Ligne 8 : De combien est divisé le montant ? Quel trait majeur chez Argan ? chez
l’apothicaire ? L’intention de Molière ?

8/ Ligne 9 : Rhubarbe, miel rosat : Goûteriez-vous à ce médicament ? Un trait de


caractère d’Argan ? La stratégie des médecin et apothicaire ?

9/ Ligne 26 : Argan ne se trahit-il pas ? Comment ?

10/ Bilan : Tout le monologue est fondé sur le comique de répétition et le comique de
mots. Récapitulez les traits de la personnalité d’Argan+ et la critique que l’on peut faire
des apothicaires et médecins.
11/ S’il s’agissait d’un commentaire ORGANISE autour de 2 thématiques (et non d’une
explication linéaire), quel serait votre plan détaillé ?

Explication de texte n°1 : Molière, Le Malade imaginaire (1673), acte I, scène 1 (début de la scène).

PRESENTER MOLIERE ET SON OEUVRE :


Molière met en scène et joue Le Malade imaginaire en février 1673 et meurt après la 4 ème
représentation. Molière, vrai malade (la tuberculose vraisemblablement), jouait Argan, malade
imaginaire robuste. Pour narguer la mort ou pour apprivoiser sa peur, Molière écrivait et jouait sur
scène ; Argan, lui, pour oublier ses peurs viscérales (la solitude, la mort), a trouvé (inconsciemment)
un « divertissement » (au sens philosophique – ce qui détourne de penser) dans la maladie …
imaginaire. Elle occupe tout son temps (consultations de M. Purgon le médecin, visites de M. Fleurant
l’apothicaire, soins, comptabilité …).

Le Malade imaginaire est donc la dernière pièce de Molière. C’est une comédie-ballet, avec des
intermèdes chantés, mis en musique et dansés, avant, entre et après chaque acte. La comédie-ballet
(« comédie mêlée de musique et de danse ») est un spectacle total. Lulli n’est plus le collaborateur de
Molière (Lulli a obtenu du roi Louis XIV le monopole pour représenter des opéras à Versailles) ; c’est un
autre musicien, Charpentier, qui collabora avec Molière, et la pièce fut représentée à Paris et non à
Versailles. L’autre comédie-ballet, avant Le Malade imaginaire, c’est Le Bourgeois gentilhomme. Argan,
le malade imaginaire ou M. Jourdain, le bourgeois gentilhomme, ont bien des affinités : fous à lier tous
deux, c’est leur imagination ou leur ego qui est malade, l’un se croit malade, l’autre se voudrait
gentilhomme (noble). Et dans l’un et l’autre cas, quand il comprend qu’il est vain de tenter de
raisonner des esprits irrémédiablement déraisonnables, l’entourage encourage la folie du
personnage : dans le dernier intermède, Argan est intronisé médecin … imaginaire (intermède créé en
vue du carnaval de février).

Dans Le Malade imaginaire, le 1er intermède (le prologue) est un éloge du roi Louis XIV. Le 2 ème
prologue (qui remplaça le 1er) donne les enjeux satiriques de la pièce (la satire des médecins). Ensuite
vient la première scène de l’acte I, la scène d’exposition …

LIRE le début de manière expressive (jouée) = 2 pts à l’oral.

PRESENTER LA SCENE :
La scène d’exposition est censée nous présenter les personnages et nous donner les éléments
essentiels de l’intrigue. C’est souvent une scène de confidence au cours de laquelle un personnage
apprend à son confident (et au public) ses projets ou ses tourments.
Or, 1ère originalité, Argan est seul en scène. La scène est un monologue qui ne nous apprend rien sur
l’intrigue (nous n’en saurons plus qu’avec les scènes 4 et 5 où nous retrouverons une intrigue connue,
autour du mariage forcé). Mais dans la scène 1, ce qui prime, c’est la comédie de caractère et la
satire : le personnage d’Argan, « malade imaginaire » et la satire des médecins et apothicaires.
Argan fait ses comptes à partir des « parties » (des factures) de son apothicaire, M. Fleurant.

2ème originalité : Dans les comédies précédentes (Le Tartuffe, Le Bourgeois gentilhomme, L’Avare …), le
personnage-titre apparaît assez tard. C’est la stratégie inverse qui est adoptée ici. Argan est presque
toujours en scène (excepté quelques entractes intestinaux …) et apparaît dès le début !

AMENER LA PROBLEMATIQUE :
Quels sont les intérêts ou les fonctions de ce monologue ? On sait qu’un monologue devient
très vite un autoportrait. Comment faire un autoportrait à partir d’une liste de factures et
ordonnances, des « parties d’apothicaire » ? N’avons-nous pas aussi, à travers ces « parties
d’apothicaire », la satire des médecins et des apothicaires du XVIIème siècle ?

Le monologue est assez répétitif, ce qui nous amènera parfois à relier différents passages.
Développer l’explication linéaire.

Lignes 1 à 8 : Le début du monologue fournit le modèle qui va ensuite se répéter,


pendant toute cette lecture à voix haute des factures de M. Fleurant.

 La didascalie initiale campe d’emblée le bourgeois à ses comptes mais aussi le grand enfant
« parlant à lui-même » et dialoguant avec un apothicaire invisible. Ce sont les deux traits de
caractère qui vont constituer pendant tout le monologue le comique de caractère de cet
hypocondriaque. Il consacre en effet sa fortune à sa prétendue maladie mais se montre avare
dans le détail – contradiction qui le rend comique.

 L’attaque du monologue est significative : « Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font
vingt. Trois et deux font cinq. » Cette addition reviendra d’ailleurs comme un refrain quand
Argan aura fini ses comptes. Cette addition simplissime nous ramène à l’enfance. D’ailleurs, les
« jetons » dont il est fait mention dans la didascalie nous ramènent aussi à l’enfance – même si
c’est un détail réaliste. Argan apparaît comme un grand enfant.

 On s’aperçoit très vite que la scène se fonde sur le comique de répétition : Le monologue est
fait de la lecture à haute voix des parties d’apothicaire rédigées par M. Fleurant, entrecoupée
des commentaires d’Argan et de sa répartie imaginaire avec M. Fleurant. C’est ainsi que
Molière parvient, avec des factures, à faire l’autoportrait du personnage. Cf lignes 2-8.

1er constat : Systématiquement, Argan divise les honoraires (le prix) indiqués, par 2 ou par 3 ; c’est
digne du bourgeois avare dont Molière fait la satire. Or, ce réflexe d’avare revient 8 ou 9 fois (citer le
texte) ! Et ce qui donne encore plus de ‘’sel’’ à ces décomptes, c’est que le bourgeois autoritaire met
l’apothicaire devant le fait accompli : « Vous ne me les avez mis dans les autres parties qu’à vingt sols,
et vingt sols en langage d’apothicaire, c’est-à-dire dix sols ; les voilà, dix sols. » Pour le spectateur de
1673, s’ajoutait le plaisir de la satire, les apothicaires étant en effet réputés pour leurs prix excessifs. Et
pourtant, si sourcilleux soit-il à la dépense, l’hypocondriaque est assez crédule (naïf) et égocentrique
pour se laisser soutirer quotidiennement beaucoup d’argent, au vu des factures rythmées par
l’anaphore : « Plus, du vingt-quatrième » (l.3), « Plus, dudit jour » (l.9), « Plus, dudit jour » (l.11), « Plus,
du vingt-cinquième » (l.13), « Plus, dudit jour » (l.17), « Plus du vingt-sixième » (l.18), « Plus, », (l.19),
« Plus, du vingt-septième » (l.20). L’excès est source de comique : Pas un jour du mois qui n’ait eu sa
prescription, et souvent plusieurs fois par jour.

 Molière réussit donc deux satires à la fois : celle du malade imaginaire et simultanément celle
des apothicaires et médecins. Monsieur Fleurant (le bien nommé puisque c’est à lui de humer
les selles ou l’urine des malades) est cupide, à l’image des apothicaires de son temps (à la fin du
XVIIème siècle, le dictionnaire de Furetière donne cette définition : « Des parties d’apothicaire
sont des mémoires de frais, ou de fournitures, dont il faut retrancher la moitié pour les payer
raisonnablement. ») Mais comme le remarque Argan lui-même, il enrobe les choses avec des
parties « toujours fort civiles » (l.5). Sur cet art de la rhétorique, on sera amené à revenir.

Lignes 8 à 26 : C’est la suite du monologue très répétitif.


Puisque Molière fait simultanément une double satire, notre analyse se poursuit selon 2 points (la
caricature d’Argan / la satire des médecins et apothicaires).

 D’une part, Argan poursuit son dialogue fictif avec M. Fleurant qu’il met devant le fait
accompli : « Avec votre permission, dix sols. » (l.10-11), « Ah ! Monsieur Fleurant, c’est se
moquer ; il faut vivre avec les malades. (…) » (l.15-16), « Dix sols, Monsieur Fleurant » et
« Monsieur Fleurant, dix sols. », l.19 et 20 ; « je suis bien aise que vous soyez raisonnable »
(l.22), « Ah ! Monsieur Fleurant, tout doux, s’il vous plaît ; (…) », l.25, etc. Au gré de ce faux
dialogue, il faut imaginer les différentes intonations d’Argan, du blâme à la courtoisie, en
passant par l’indignation, la colère, le reproche ou un ton impérieux. Le côté répétitif renforce
le trait enfantin : Argan a l’imagination d’un enfant qui ‘’fait semblant’’, dans ce dialogue fictif
avec un absent. Argan peut faire penser à un enfant qui joue seul autant qu’à un avare qui
fait ses comptes.

 D’autre part, d’anaphore en anaphore (« Plus, (…) »), on s’aperçoit que le remède prescrit est
le plus souvent la purge : ligne 3 « un petit clystère insinuatif » ; ligne 9 « un bon clystère
détersif », ligne 13 « une bonne médecine purgative et corroborative », ligne 18 « un clystère
carminatif », ligne 19 « le clystère de Monsieur réitéré le soir », lignes 20-21 « une bonne
médecine composée pour hâter d’aller, et chasser dehors les mauvaises humeurs de Monsieur ».
C’est le comique de répétition : Argan est obnubilé par ses ‘’productions intestinales’’,
flatulences et coliques. D’ailleurs, les rares moments de la pièce où il quitte la scène, c’est pour
rejoindre son pot de chambre, pressé par la colique. Cette obsession scatologique le rend
infantile. De plus, cette prescription répétitive et presque unique nous renvoie à
l’incompétence des médecins à l’époque de Molière : selon la théorie des humeurs qu’il faut
chasser du corps, persuadés que la mélancolie et l’humeur noire étaient dues à un mauvais
fonctionnement du pancréas et à la sécrétion de trop de bile, les médecins prescrivaient la
purge pour purifier le corps (et la saignée). Il fallait une constitution robuste pour ne pas
s’affaiblir avec autant de purges … L’exercice de la médecine se réduit donc à la prescription de
purges ou de saignées. D’où le nom satirique des médecins de la pièce, Messieurs Purgon et
Diafoirus (de « dia », qui signifie en grec ‘’à travers’’ et ‘’foirer’’, avoir la colique).
On note d’ailleurs qu’Argan a parfois besoin d’une potion pour ‘’retendre’’ les tissus
intestinaux, « une potion anodine et astringente, pour faire reposer Monsieur », l.17.

 Or, plus la science des médecins est réduite, et plus la rhétorique médicale (ou
pharmaceutique) est savante et redondante. Argan se laisse abuser par le Verbe (le discours).
En réalité l’érudition (le discours savant) masque l’ignorance et révèle la vanité des médecins
et apothicaires. Béralde, le frère d’Argan, l’affirme, acte III, scène 3 : « toute l’excellence de leur
art consiste en un pompeux galimatias, en un spécieux babil, qui vous donne des mots pour des
raisons et des promesses pour des effets. » (le galimatias = le charabia / le babil = le discours /
spécieux = trompeur, illusoire). Ce sont des pédants qui affichent leur prétendu savoir avec un
jargon compliqué, des mots savants. Cela se remarque dès la 1 ère prescription, l.3 (« un petit
clystère insinuatif, préparatif, et rémollient, pour amollir, humecter, et rafraîchir les entrailles de
Monsieur. ») et se confirme avec les exemples qui suivent (l.9-10 « un bon clystère détersif,
composé avec catholicon double, rhubarbe, miel rosat, et autres, suivant l’ordonnance, pour
balayer, laver, et nettoyer le bas-ventre de Monsieur. »)

 La rhétorique médicale qui impressionne Argan et lui donne l’illusion d’être un grand malade
est ainsi faite de :
- synonymes redondants (rémollient/amollir , humecter/rafraîchir ,balayer/laver/nettoyer ),
comme si l’abondance de mots garantissait l’efficacité du remède et attestait de la gravité de la
‘’maladie’’.
- rythmes ternaires (« insinuatif, préparatif et rémollient », « balayer, laver et nettoyer »)
- homéotéleutes (des mots de même terminaison, qui ‘’riment’’, « insinuatif, préparatif »,
« balayer, laver, et nettoyer »).
- euphémismes polis (des expressions moins directes, moins crues, moins vulgaires que ‘’avoir la
colique’’ ou ‘’avoir des gaz’’, comme « amollir, humecter et rafraîchir les entrailles de
Monsieur »).
- termes rares ou calqués sur le latin, « catholicon », « insinuatif », « préparatif ».

Nous venons de mener cette analyse à partir de 2 exemples, lignes 3-4 et 9-10, mais l’examen de la
suite le confirme :
- ligne 11, encore des adjectifs redondants, « soporatif, et somnifère », redoublés par la
traduction plus simple « faire dormir Monsieur ».
- ligne 15, un rythme binaire et un euphémisme, « expulser et évacuer la bile de Monsieur ».
- lignes 18-19 ou 21, des euphémismes, « chasser les vents de Monsieur » ou « hâter d’aller, et
chasser dehors les mauvaises humeurs de Monsieur » - toujours la même obsession
scatologique.
- de pseudo- mots latins ou dérivés du latin, comme « carminatif », l.18.
- des redondances l.23, « clarifié et édulcoré », « adoucir, lénifier » …
- des mots rares, l.24, comme « bézoard ».
- Notons au passage que certains remèdes sont confectionnés de façon gourmande, avec
« sirops de limon et grenade », l.24 ou « rhubarbe, miel rosat », l.9.

 Argan a une confiance naïve, enfantine et aveugle dans le jargon des médecins et apothicaires.
Or, quels sont ces grands remèdes administrés au personnage ? Des purges, des tisanes pour
dormir, du petit-lait sucré. Sous le jargon pédant se cachent les remèdes les plus simples. Argan
n’est plus qu’un ventre ou des intestins. Et le décalage entre sa solide santé et les traitements
décapants qui lui sont prescrits contribue à la satire des médecins, comme le décalage entre la
simplicité répétitive des traitements et le pédantisme sophistiqué des formulations. Ou les
médecins sont incompétents, ou ce sont des imposteurs qui abusent de la crédulité du patient.

 Quant à Argan, son obsession de la maladie est sans doute le moyen inconscient de se
désennuyer et d’exiger de l’entourage soins et prévenances, de manière égocentrique ; et la
maladie imaginaire est un remède paradoxal contre l’ennui et la peur – réelle- de la mort. Tout
à ses comptes et lavements, Argan rythme son quotidien et n’a plus le temps de s’ennuyer.

Conclure :

Qui aurait dit que la lecture de parties d’apothicaire puisse nous renseigner autant sur le
personnage-titre et sur les intentions satiriques de Molière à l’égard des médecins ? que cette lecture
à haute voix des factures puisse représenter un personnage comique par ses excès et sa marotte (son
idée fixe, sa maladie imaginaire) ?
Le malade imaginaire fait rire alors qu’il concentre les peurs les plus viscérales (profondes) de l’être
humain : celles de la solitude et de la mort. Pour le spectateur, le rire et la caricature sont des
exutoires (ils libèrent). La personnalité d’Argan est outrée, le personnage est d’un égocentrisme
forcené, d’une crédulité foncière, d’un infantilisme sans pudeur (avec ses obsessions intestinales) et
l’on rit.
Le rire et la comédie ont donc au moins 3 fonctions. On distingue :
- Le rire cathartique qui permet de rire de nos angoisses, de notre condition d’Homme.
- Le rire caustique (mordant) de la satire sociale, qui permet de démasquer les pédants et les
imposteurs, comme les médecins de Molière. C’est le rire critique, par l’ironie.
- Le ‘’rire euphorique’’ (joyeux) quand on rit d’Argan : le grand enfant est sympathique.

GRAMMAIRE : QUESTIONS POSSIBLES ( /2 pts lors de l’oral).

Explication de texte n°1 : Molière, Le Malade imaginaire (1673), acte I, scène 1.

Acte premier - Scène première- Argan

ARGAN, seul dans sa chambre assis, une table devant lui, compte des parties d’apothicaire avec des
jetons, il fait, parlant à lui-même, les dialogues suivants. – Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et
dix font vingt. Trois et deux font cinq. « Plus, du vingt-quatrième, un petit clystère insinuatif,
préparatif, et rémollient, pour amollir, humecter, et rafraîchir les entrailles de Monsieur. » Ce qui me
plaît de Monsieur Fleurant, mon apothicaire, c’est que ses parties sont toujours fort civiles : « les
entrailles de Monsieur, trente sols ». Oui, mais, Monsieur Fleurant, ce n’est pas tout que d’être civil, il
faut être aussi raisonnable, et ne pas écorcher les malades. Trente sols un lavement : Je suis votre
serviteur, je vous l’ai déjà dit. Vous ne me les avez mis dans les autres parties qu’à vingt sols, et vingt
sols en langage d’apothicaire, c’est-à-dire dix sols ; les voilà, dix sols. « Plus, dudit jour, un bon clystère
détersif, composé avec catholicon double, rhubarbe, miel rosat, et autres, suivant l’ordonnance, pour
balayer, laver, et nettoyer le bas-ventre de Monsieur, trente sols. » Avec votre permission, dix sols.
« Plus, dudit jour, le soir, un julep hépatique, soporatif, et somnifère, composé pour faire dormir
Monsieur, trente-cinq sols. » Je ne me plains pas de celui-là, car il me fit bien dormir. Dix, quinze, seize
et dix-sept sols, six deniers. « Plus, du vingt-cinquième, une bonne médecine purgative et
corroborative, composée de casse récente avec séné levantin, et autres, suivant l’ordonnance de
Monsieur Purgon, pour expulser et évacuer la bile de Monsieur, quatre livres. » Ah ! Monsieur
Fleurant, c’est se moquer ; il faut vivre avec les malades. Monsieur Purgon ne vous a pas ordonné de
mettre quatre francs. Mettez, mettez trois livres, s’il vous plaît. Vingt et trente sols. « Plus, dudit jour,
une potion anodine et astringente, pour faire reposer Monsieur, trente sols. » Bon, dix et quinze sols.
« Plus du vingt-sixième, un clystère carminatif, pour chasser les vents de Monsieur, trente sols. » Dix
sols, Monsieur Fleurant. « Plus, le clystère de Monsieur réitéré le soir, comme dessus, trente sols. »
Monsieur Fleurant, dix sols. « Plus, du vingt-septième, une bonne médecine composée pour hâter
d’aller, et chasser dehors les mauvaises humeurs de Monsieur, trois livres. » Bon, vingt et trente sols :
je suis bien aise que vous soyez raisonnable. « Plus, du vingt-huitième, une prise de petit-lait clarifié, et
édulcoré, pour adoucir, lénifier, tempérer et rafraîchir le sang de Monsieur, vingt sols. » Bon, dix sols.
« Plus, une potion cordiale et préservative, composée avec douze grains de bézoard, sirops de limon et
grenade, et autres, suivant l’ordonnance, cinq livres. » Ah ! Monsieur Fleurant, tout doux, s’il vous
plaît ; si vous en usez comme cela, on ne voudra plus être malade : contentez-vous de quatre francs.

1/ Que direz-vous des négations surlignées en jaune ?

2/ Dans la phrase surlignée en vert, avons-nous une négation ?

3/ Remplacez la proposition indépendante coordonnée par une proposition subordonnée conjonctive.

4/ Analysez la proposition subordonnée surlignée en rose : quel est le mot subordonnant ? quelle idée
exprime-t-il ? nature et fonction de la subordonnée ?

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