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Ouvrages de Pierre Prigent aux éditions Olivetan

 
Suivre le Christ. Commentaire de la première épître de Pierre (2006)

Heureux celui qui croit. Lecture de l’évangile de Jean (2006)

Au nom des pères. Florilège des textes chrétiens des premiers siècles (2008)

Jésus. La foi au risque de l’histoire (2010)

Des paroles de Jésus à la Bible. L’Eglise des années 100 à 250 (2011)

Aux sources de la liturgie (2011)

Les premiers symboles chrétiens (2013)


Les citations bibliques présentes dans l’ouvrage sont, pour la plupart, données dans la Traduction
Œcuménique de la Bible (© Cerf – Société biblique française).
Il peut arriver que l’auteur, pour souligner son propos, propose une traduction personnelle.

© 2014 Editions Olivetan


20 rue Calliet
BP 4464
69241 LYON cedex 04
France
www.editions-olivetan.com

ISBN : 978-2-35479-245-9

Dépôt légal pour la France : 3etrimestre 2014


Table des matières
 
1. Introduction
2. L’alliance
3. Les anciens et les ministères dans l’Eglise ancienne
4. L’annonce de l’Evangile, la prédication chrétienne
5. Les autorités, le pouvoir
6. Le baptême
7. La bénédiction et la malédiction
8. La chair
9. La croix et la mort de Jésus
10. Le diable, Satan
11. La diaconie, diacre, servir
12. Dieu le Père et son Fils Jésus
13. L’Eglise
14. L’Esprit
15. L’éternité
16. L’eucharistie
17. La foi
18. Le judaïsme
19. Le jugement dernier
20. La justification
21. Le miracle
22. Les paraboles
23. Le péché
24. La prédestination
25. La prière
26. La résurrection
27. Le royaume de Dieu (des cieux, du Christ)
28. Le sacrifice
29. La sainteté
30. La tentation
31. La vie chrétienne (ou comment vivre en accord avec les lois de Dieu)
Introduction

Ce petit livre vient de loin, c’est l’aboutissement d’une histoire qui a de l’âge, presque autant
que moi !

J’étais un enfant qui grandissait tranquillement dans une famille chrétienne située sur les
confins du protestantisme piétiste. La Bible y faisait partie de l’univers familier. Cela ne posait aucun
problème et les années passaient au fil d’une scolarité sans histoire. Mais voilà la première étape
marquante  : en classe de première, j’eus la chance d’avoir comme professeur de Lettres (français,
latin, grec) un homme passionné par son enseignement et doué pour la pédagogie de façon
merveilleuse. C’est à son école que j’ai découvert ce que peut être la lecture, la vraie lecture. Je me
souviens encore comment il entreprit d’ouvrir devant nous ce portail magnifique. Nous avions rédigé
une dissertation sur un thème du genre : avez-vous été touchés par un livre ? Le jour du corrigé, il
commença par nous poser la question : quel était le véritable sujet du devoir ? Après nous avoir laissé
piétiner, il nous fit découvrir cette évidence : il fallait raconter le livre qui nous avait marqués. Il y a
donc, même derrière une phrase imprimée, un arrière-pays où se niche le sens. C’est là qu’il faut le
chercher.

Nous apprenions des langues anciennes qui rendaient, sans le dire, ces explorations
nécessaires. Un texte doit être sondé, éprouvé, en un mot traduit même quand il est écrit dans votre
langue. Les livres sont un monde qui ne s’ouvre qu’au pèlerin patient, décidé et aussi bien armé que
possible avec les instruments de ce qu’on m’apprendra plus tard à nommer la critique littéraire et
historique.

C’est à cette époque que, trouvant sur le comptoir de librairie de notre paroisse, un livre
catalogué comme théologique, ma curiosité me poussa à l’acheter et à le lire. C’était un volume de
mélanges et quelques articles s’attachaient à expliquer des textes du Nouveau Testament.
Eblouissement  ! La même méthode de lecture attentive ouvrait littéralement ces passages à mon
esprit habitué à laisser ces mots ronronner un message convenu. C’était une découverte passionnante
et qui en appelait d’autres. Et cette fois, la démarche ne se contentait pas d’une illumination
seulement littéraire. C’est le message même de l’Evangile qui prenait les couleurs de la vie. Il
parvenait à mes oreilles comme le son d’une cloche lointaine mais qui résonne clairement pour
appeler à l’éveil et demande qu’on relaye son message. Dès lors l’avenir se dessinait devant moi : je
consacrerais ma vie à tenter d’apprendre à lire la Bible de cette façon si prometteuse. Deux ans plus
tard, j’étais inscrit à la Faculté de Théologie de Paris et en recevais l’enseignement avec un
enthousiasme qui ne tarda pas cependant à diminuer  : les connaissances qu’on nous demandait
d’acquérir pour comprendre et expliquer la Bible me semblaient trop élémentaires et donc
insuffisantes. Mais à deux pas il y avait la Sorbonne, l’Institut d’études sémitiques anciennes, l’Ecole
des hautes études section religion et le Collège de France. On y trouvait de quoi étancher les plus
grandes soifs de connaissances. Du moins dans les domaines de la linguistique et de l’histoire, y
compris celle des religions. Evidemment, en ce qui concerne la théologie, il me fallait me débrouiller
moi-même  : mes bons maîtres voulaient ignorer totalement cet aspect pourtant essentiel des textes
bibliques.

Après une année à Heidelberg pour entendre un professeur remarquable, me voici assistant à la
Faculté de Théologie de Paris. Le protestantisme local s’évertuait à offrir par correspondance une
culture théologique destinée à des non-spécialistes. Le mot d’ordre était : simplicité mais sérieux. On
me demanda de me charger du Nouveau Testament. L’expérience fut rude  : j’avais de hautes
exigences, mais il fallait que tout le monde puisse suivre. Je crains bien d’avoir parfois maltraité mes
correspondants par mon impatience. Ce sont eux qui m’ont appris les difficultés de la vulgarisation
qui est toujours un pari, mais aussi une joie quand on réussit (ou qu’on le croit !) à tenir bien en main
à la fois la science et le souci de se faire entendre.

Nommé à la Faculté de Théologie Protestante de l’Université de Strasbourg, j’y fus chargé


d’enseigner le grec du Nouveau Testament. La tâche était jugée mineure et même à peine avouable
pour un professeur. Mais la langue est un très bel escalier qui monte vers l’exégèse. L’apprentissage
du vocabulaire est un moment capital, une voie royale qui mène à la découverte des plus fines
nuances d’un texte.

Là-dessus, le Centre d’Etudes Pédagogiques de la Faculté me demande d’assurer


l’enseignement du Nouveau Testament. Le public est exclusivement composé de laïcs et pour une
bonne partie il vient d’un protestantisme alsacien très coloré de piétisme. Nouvelle difficulté : il ne
s’agit plus seulement de traduire des démarches scientifiques en des termes intelligibles pour tous, il
faut aussi et surtout montrer que le travail sur des textes sacrés, loin d’être un sacrilège, est au
contraire la preuve du plus grand respect. Les évangiles ont souvent des passages parallèles, mais
avec des différences. Ce sont elles qui révèlent l’originalité qu’il faut déceler pour bien entendre leur
message propre. Ce n’est pas là un sujet d’étonnement ou même de scandale, mais au contraire une
fenêtre ouverte sur les anciennes Eglises où ces récits ont été rédigés.

De même, pour bien écouter l’apôtre Paul, il est absolument nécessaire de discerner en quoi
son enseignement se différencie de celui des autres livres du Nouveau Testament.
Jamais on ne m’a fait reproche de soumettre le Nouveau Testament aux impératifs d’une
science profane et de cela je reste encore aujourd’hui profondément heureux. Ces heures passées
avec des non-spécialistes ont été la plus belle part d’une longue carrière d’enseignant.

Mais il s’agissait là d’un cercle limité aux seuls protestants. Or les catholiques réunissaient
régulièrement des fidèles désireux d’approfondir leur foi en des soirées studieuses. Avec l’ingénuité
du nouveau venu, je rendis visite à l’archiprêtre de la cathédrale qui organisait ces enseignements et
lui demandai s’il ne pensait pas qu’on pourrait faire œuvre commune. Il me répondit qu’il attendait
une semblable démarche et ce fut le début d’une heureuse collaboration dans laquelle il me revenait
d’assurer la formation biblique. Aux difficultés de la vulgarisation s’ajoutaient maintenant celles de
délivrer un enseignement biblique recevable par un public œcuménique. L’avancement des travaux
de la Traduction Œcuménique de la Bible me fut là d’une très grande aide.

Avec ces précieuses expériences, on se prend vite au jeu ! Vulgariser est devenu pour moi un
besoin et l’heure de la retraite venue, je me suis laissé glisser vers ce plaisant domaine.

J’ai consacré des années à des travaux destinés à entrer en dialogue avec les exégètes de tous
les pays. Mais il fallait que ce travail exigeant sorte de la pénombre des bibliothèques et des bureaux
professoraux. J’ai donc tenté de rendre quelques textes du Nouveau Testament plus accessibles à un
public de non-spécialistes. Mais à ce faire, un nouveau désir apparaît : rendre le lecteur capable de
mener lui-même cette démarche jusqu’au bout ou presque. Pour cela, il m’a semblé qu’il faudrait
vulgariser non seulement les résultats de l’exégèse, mais sa méthode même. J’ai rêvé d’un livre dont
le sujet, sinon le titre qui est protégé, serait : « l’exégèse pour les nuls ». L’éditeur consulté m’a fait
changer d’avis et nous sommes convenus d’entreprendre ce petit dictionnaire. Il reprend, en la
développant, l’initiation au vocabulaire du Nouveau Testament que j’aimais proposer aux débutants
en grec.

Puisse ce modeste instrument servir à éveiller une soif biblique que je me désole de voir
diminuer partout aujourd’hui.

Pierre Prigent,
enseignant de profession,

bibliste de vocation.

La vulgarisation exégétique rencontre une difficulté  : la discipline use bien naturellement d’un
jargon technique. Il est presque impossible de toujours éviter d’y recourir. Aussi trouvera-t-on dans
les pages de ce livre quelques mots difficiles, par exemple :
L’adjectif « synoptique » qualifie les trois premiers évangiles dont les parallèles permettent souvent
une présentation en colonnes rendant possible de les envisager d’un seul coup d’œil.

De même l’eschatologie désigne l’objet d’un discours, ou d’une pensée qui concerne la fin (eschatos
en grec signifie : dernier) des temps.

Je ne puis terminer sans exprimer ma sincère et amicale gratitude à Daniel Poujol qui a accepté de
relire fidèlement ces pages et de me communiquer ses critiques ou suggestions (et aussi ses
encouragements  !). Ses judicieuses remarques m’ont amené à corriger mon texte en de multiples
occasions.
L’alliance

L’ANCIEN TESTAMENT

Un engagement mutuel

En hébreu, le mot Berit exprime l’idée d’alliance ou plus


généralement de communauté établie entre des hommes, des familles, des
clans, des peuples, ou entre Dieu et les hommes.
L’alliance se conclut entre deux partenaires qui ne sont pas
forcément égaux. Le plus fort peut imposer ses conditions au plus faible.
Dans tous les cas, l’alliance implique que l’un des partenaires, voire les
deux, s’engage à respecter certaines obligations. A cette condition, leurs
relations peuvent être appelées Shalom, mot qui a un sens plus large que son
équivalent français de «  paix  »  : ce sont des relations en tous points
fraternelles.
On notera que le mot grec choisi pour traduire Berit : diathèkè peut
ajouter à l’idée d’alliance celle de testament.

Marqué par un signe

En Israël, c’est Dieu qui fait alliance avec Abraham en lui


promettant une descendance dont il fera son peuple (Gn 15). L’alliance est
garantie par un signe : Abraham sacrifie des animaux et les partage par le
milieu. Alors, entre les moitiés, passent un four (symbole de malheur) et
une torche enflammée (signe favorable). Dieu signifie par là qu’il est à la
fois grâce pour ses fidèles et menace pour ceux qui s’opposent à sa volonté.
Plus clairement encore, après le don de la loi au Sinaï, Moïse prend
le sang des taureaux offerts en sacrifice de paix et, après avoir lu les
commandements de Dieu, en asperge le peuple en proclamant que c’est là le
sang de l’alliance que Dieu a conclue avec eux sur la base de toutes ces lois
qu’ils ont promis d’observer1.
LE NOUVEAU TESTAMENT

L’annonce d’une nouvelle alliance

Le texte le plus ancien qui mentionne le terme d’  «  alliance  » se


trouve dans les paroles d’institution de l’eucharistie que la tradition
chrétienne a enseignées à l’apôtre Paul  : «  Cette coupe est la nouvelle
alliance en mon sang »2.
Examinons ce texte avant de relire les récits d’institution dans les
évangiles. S’agissant de textes « liturgiques » dont la formulation a donné
lieu à des choix mûrement éprouvés, notre lecture doit être attentive afin de
déceler les moindres allusions ou références à des versets bibliques. Les
mots « nouvelle alliance » font référence à la prophétie de Jérémie : « Des
jours viennent, oracle du Seigneur, où je conclurai avec la communauté
d’Israël… une nouvelle alliance…   : je déposerai mes directives au fond
d'eux-mêmes… Je deviendrai Dieu pour eux et ils seront un peuple pour
moi… Ils me connaîtront tous… Je pardonne leur crime ; leur faute, je n’en
parle plus »3. On retiendra :
–Qu’il s’agit d’une prophétie eschatologique ;
–Que le régime de la loi dont les commandements s’imposent à
l’homme cède la place à une intériorisation de la volonté de Dieu que
tous ont appris à connaître ;
–Que cette nouvelle ère commence avec le pardon de Dieu.
Les paroles d’institution précisent que la prophétie de Jérémie
s’accomplit avec la mort du Christ : « mon sang », ce qui fait référence à Ex
24.
Luc, le compagnon de Paul, reproduit le modèle reçu de son maître,
mais il ajoute, d’après la tradition synoptique, que ce sang «  est répandu
pour vous  ». Matthieu et Marc ont la même interprétation  : ils font une
adjonction qui est certainement inspirée par un texte très remarquable, l’un
des chants du Serviteur du livre d’Esaïe  : «  Il s’est dépouillé lui-même
jusqu’à la mort… il a porté, lui, les fautes de beaucoup »4. « Ceci est mon
sang de l’alliance répandu pour beaucoup  » lit-on dans les deux premiers
évangiles.
C’est là un signe de l’interprétation christologique de la célèbre
prophétie d’Esaïe. Matthieu5 ajoute encore : « pour le pardon des péchés » –
ce qui fait directement écho à Jérémie6 dont la prophétie a été citée plus
haut. Enfin, Marc et Matthieu terminent avec une phrase qui souligne le
caractère eschatologique de la scène : « En vérité je vous le déclare, jamais
plus je ne boirai du fruit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai, nouveau,
dans le royaume de Dieu »7. L’eucharistie est une anticipation du royaume
final.
En résumé :
–Paul connaît un récit de l’institution qui fait implicitement référence à
Exode 24 et Jérémie 31. La nouvelle alliance que ce dernier texte
annonce pour la fin des temps est l’accomplissement présent de celle
que le Seigneur avait conclue avec Israël (Exode 24). Le peuple avait
promis d’être fidèle à son Dieu. Il n’a pas tenu ses promesses, mais
Dieu s’engage maintenant à lui pardonner.
–Le texte de Marc et de Matthieu ne renvoie pas indiscutablement à la
prophétie de Jérémie (pas de « nouvelle alliance »). Il se réfère à Esaïe
53.12 qui, comme Jérémie 31.34, annonce le pardon des péchés. La
mention du sang de l’alliance rappelle que la mort du Christ accomplit
enfin l’alliance dont la célébration sacrificielle par Moïse était la
prophétie.
Nos textes, malgré leurs différences, ont deux points communs :
–L’eucharistie est l’accomplissement d’une promesse eschatologique.
En Jésus la fin est donc là.
–C’est la proclamation du pardon des péchés en Jésus.
Tel est l’évangile de la nouvelle alliance.

La théologie paulinienne de l’alliance

A partie de ces affirmations solennelles, les premiers chrétiens ont


développé leurs réflexions théologiques sur l’alliance. Pour l’apôtre Paul, le
mot grec diathèkè a une double résonance :
–La nouvelle alliance est celle de la liberté qui succède à la servitude
de la loi 8
.
–Mais c’est aussi le testament inviolable qui promettait à Abraham une
descendance, à savoir le Christ et les chrétiens 9
.
Le pardon qui inaugure cette nouvelle relation à Dieu est tellement
assuré qu’on peut en trouver de nouvelles annonces prophétiques, par
exemple en Esaïe 59. 20s cité d’après la Bible grecque dans l’épître aux
Romains10  : «  Voici quelle sera mon alliance avec eux quand j’enlèverai
leurs péchés ». Selon la prophétie de Jérémie, les volontés de Dieu ne sont
plus écrites sur des tables de pierre, comme dans l’ancienne alliance
(«  l’Ancien Testament  »  ?), l’Esprit les a écrites dans le cœur des
croyants11.

L’alliance dans l’épître aux Hébreux

L’épître aux Hébreux demande une attention toute particulière car


elle joue sur les deux sens du mot grec diathèkè : le Christ est médiateur
d’une «  alliance nouvelle  » et sa «  mort  » a opéré le rachat des
transgressions commises lors de la première «  alliance  ». Or, là où il y a
« diathèkè », il faut que la mort du « testateur » soit constatée. La première
«  alliance  » a été conclue avec effusion de «  sang  », la «  nouvelle  » est
scellée par la «  mort  » du Christ, celui-ci est donc, au nom de Dieu, le
« testateur »12. On notera en Hébreux 9.20 le rapprochement explicite entre
l’alliance au Sinaï et les paroles d’institution : Exode 24.8 est cité, non pas
d’après la Septante, mais selon le texte de Marc13 : « Ceci est mon sang de
l’alliance… » et non comme dans l’Exode : « Voici
le sang… ».
Après avoir noté les développements que les différents auteurs du
Nouveau Testament ont apportés au thème de l’alliance, on ne peut qu’être
impressionné par la convergence fondamentale de ces réflexions :
–Dès le début, dès que Dieu a voulu faire des hommes son peuple, il
s’est lié à eux par un traité d’alliance qui marque leurs relations
privilégiées. Puis il leur demande d’obéir à ses lois. Mais c’est un
échec. Alors les prophètes inspirés annoncent que l’histoire marche
vers un but : une alliance nouvelle qui ne sera plus conditionnée par la
fidélité des hommes, mais sera fondée sur l’amour de Dieu qui
pardonne.
–Dieu envoie son fils qui scelle par sa mort cette alliance éternelle.
L’eucharistie qu’il instaure rappellera à jamais cette nouvelle
communion et permettra de goûter à l’avance les bénédictions du
royaume dont le roi est aussi le Sauveur.
Les anciens et les ministères dans l’Eglise
ancienne

Ancien Testament et Judaïsme

Il est question d’anciens dès les débuts de l’histoire d’Israël : à côté


de Moïse et de Josué qui seuls exercent le pouvoir, ils semblent être les
représentants des principales familles dont ils sont les chefs.
L’exil leur donne un rôle beaucoup plus actif qu’ils conservent après
le retour, surtout lorsque le judaïsme se répand dans le monde hellénistique
et que la synagogue (sous le nom grec de proseuchè  : prière ; synagogè  :
[lieu de] rassemblement) apparaît pour assurer la cohésion socioreligieuse
des juifs. Les anciens de chaque localité comportant une synagogue forment
alors un conseil assurant des fonctions de gestion, exerçant une autorité
disciplinaire et même souvent coercitive dont on trouve plusieurs
témoignages dans le Nouveau Testament. Lorsque Jésus intervient lors du
service du sabbat dans la synagogue de Nazareth1, on constate que ni la
lecture des saints livres, ni la prédication ne sont assurées par des anciens et
c’est à un servant que Jésus rend le rouleau après avoir lu. Quant Paul entre
dans la synagogue d’Antioche, après la lecture de la Loi et des Prophètes,
les «  archisynagogues  » (ce sont certainement des anciens) lui demandent
de prêcher2. C’est l’un de ces personnages qui réagit à la guérison par Jésus
d’un malade un jour de sabbat dans une synagogue. Il constate une violation
du commandement interdisant tout travail en ce jour-là3. Les disciples de
Jésus doivent compter être traduits devant les sanhédrins locaux, formés
d’anciens, qui peuvent condamner à la flagellation dans les synagogues4.
Enfin ce sont évidemment les anciens qui, d’après le quatrième évangile5,
décident d’excommunier les juifs qui s’attachent au message de Jésus.

Les débuts du christianisme


Les premières communautés (judéo)-chrétiennes s’inspirent de ce
modèle mais n’en reproduisent que les formes extérieures : si les anciens de
Jérusalem gèrent les fonds récoltés pour les chrétiens de Judée6, ils sont
directement et profondément impliqués dans la vie religieuse du
christianisme naissant. Lorsque surgit la grave opposition entre ceux qui,
comme Jacques, veulent contraindre tous les chrétiens à observer la Loi et
ceux qui, comme Paul, estiment que cette obligation est abolie, la
communauté d’Antioche envoie Paul et Barnabé à Jérusalem pour y
rencontrer «  les apôtres et les anciens  »7. La réunion, qu’on a coutume
d’appeler le ‘concile de Jérusalem’ et qui regroupe les mêmes participants,
suscite un vif débat en présence de toute la communauté8. A la suite de
l’intervention décisive de Pierre9, Jacques se rallie à la thèse « libérale » et
l’on confie à Paul et Barnabé le soin de rapporter à Antioche la décision de
«  toute l’Eglise, les apôtres et les anciens  »10. Il est donc clair que les
anciens de Jérusalem forment un conseil de grande influence dans les
débats théologiques de la jeune Eglise.
On notera avec intérêt que dans les épîtres dont l’attribution à Paul
lui-même ne soulève aucun doute, on ne trouve pas de mention des anciens.
Mais le livre des Actes affirme que Paul et Barnabé, visitant Lystre,
Iconium et Antioche, y désignent des anciens et que, lors d’une étape à
Milet, Paul y convoque les anciens d’Ephèse11.
Sans doute le conseil des anciens est-il une institution que son
origine juive a d’abord limitée au christianisme palestinien.
La chose est d’autant plus remarquable que Paul se soucie très
précisément de l’organisation du corps social de l’Eglise. Il y distingue12 en
premier lieu trois ministères essentiels : les apôtres (choisis et envoyés par
Jésus ou par le saint Esprit), les prophètes (nous parlerions de prédicateurs
inspirés) et les docteurs (chargés de l’enseignement). Les autres ministères
ne sont pas statutaires. Ils sont librement suscités par l’Esprit. Ce sont les
« charismes » (dons de la grâce) dont il n’y a pas de listes normatives.
Le discours de Paul aux anciens d’Ephèse apporte une précision
significative : l’apôtre les exhorte à prendre soin du troupeau dont le saint
Esprit les a établis «  surveillants  » (littéralement «  épiscopes  », mot qui
bientôt désignera régulièrement les évêques13). Dans la première épître aux
Thessaloniciens14, il est fait mention de ceux qui dirigent ou président : on
voit s’esquisser une évolution qui, généralisant l’institution du collège des
anciens, aboutit à spécifier la tâche de quelques-uns d’entre eux auxquels
est confié un ministère de direction.
Mais avant ce développement, on peut noter que selon la première
épître de Pierre15, les anciens, qui semblent être les seuls « fonctionnaires »
de l’Eglise, sont exhortés à exercer leur ministère avec enthousiasme, sans
autoritarisme ni souci d’enrichissement (sont-ils salariés ou gèrent-ils
l’argent de la diaconie  ?). Le texte poursuit en parlant de ceux «  qui leur
sont échus en partage » (littéralement : les lots qui leurs sont échus) et l’on
hésite à décider s’il faut comprendre que des quartiers de la ville sont
confiés à chaque ancien ou bien si c’est une allusion à des ministères
spécialisés. L’épître de Jacques16 invite les malades à appeler les anciens
afin qu’ils prient pour leur guérison.

L’institutionnalisation

Très vite, l’éventail des ministères va à la fois s’élargir et se


spécifier. L’épître aux Philippiens s’adresse aux chrétiens de la communauté
locale «  avec leurs épiscopes et leurs diacres  » (littéralement  : leurs
surveillants et leurs serviteurs)17.
Les épîtres Pastorales (à Timothée et Tite) montrent une
organisation ecclésiastique qui peu à peu se précise et s’institutionnalise.
Les anciens sont choisis par les délégués apostoliques (Timothée et Tite, qui
agissent au nom de Paul) et solennellement installés avec imposition des
mains18.
Au sein du collège des anciens, certains aspirent au ministère de
direction. Ils doivent être, en tout point, irréprochables19. D’autres président
effectivement20 et méritent une considération particulière (ou un double
salaire  ?). On se préoccupe de ne porter au diaconat que des candidats
éprouvés21.
La Didachè connaît d’une part des ministères itinérants  : apôtres,
prophètes22 et docteurs23 et d’autre part une hiérarchie locale, élue par la
communauté et composée d’évêques et de diacres24qui sont regardés
comme remplaçant les prophètes et les docteurs. Vers les années 110,
Ignace, évêque d’Antioche, écrit aux Eglises d’Asie Mineure et les exhorte
fermement à s’attacher étroitement à l’évêque (désormais le mot se réfère à
un épiscopat monarchique). Assisté par un conseil presbytéral (on se
souvient que prebyteros a donné en français  : prêtre) et par des diacres,
l’évêque est une figure de Dieu lui-même :
«  Que tous révèrent les diacres comme Jésus Christ, comme aussi
l’évêque qui est l’image du Père, et les presbytres comme le sénat de Dieu
et comme l’assemblée des apôtres. Sans eux, on ne peut parler d’Eglise »25.
Là où est l’évêque, là est l’Eglise26.
Le témoignage d’Ignace doit être soigneusement évalué :
–Il est à quelque dix ans près, pour la même région et parfois pour les
mêmes villes, contemporain des Lettres aux Eglises de l’Apocalypse.
Or celles-ci, qui ne parlent jamais d’évêques, ne semblent connaître, en
fait de ministères, que celui de prophète, titre dont se réclame l’auteur
de l’Apocalypse 27
. Les anciens, qui au ciel rendent à Dieu le culte
qu’il attend 28
, ne sont que très difficilement regardés comme
représentant au ciel leur homologues terrestres.
–Polycarpe, évêque de Smyrne et contemporain d’Ignace, écrivant aux
chrétiens de Philippes, n’y connaît que des presbytres et des diacres.
On doit sans doute en conclure qu’Ignace soutient et cherche à
imposer un type d’organisation (évêque, presbytres, diacres) qui est loin
d’exister partout et qui est peut-être même parfois refusé.
L’annonce de l’Evangile, la prédication chrétienne

Sous ce titre peu évocateur, c’est l’histoire des débuts de la


proclamation de l’Evangile et de sa transmission que nous voulons
présenter, depuis les premiers commencements en la personne de Jésus
jusqu’aux premières années du deuxième siècle.

L’Evangile de Jésus

Lorsque Jésus se met à prêcher en Galilée, Marc1 propose en une


phrase un résumé de son message qui tient en deux propositions :
–le temps est accompli et le royaume de Dieu s’est approché,
–convertissez-vous et croyez à l’Evangile.
De fait, Jésus a le constant souci de montrer qu’en sa personne, les
promesses eschatologiques des anciens prophètes sont accomplies et que
cela doit amener les hommes à changer de vie. Il se réfère donc
constamment aux prophéties de l’Ancien Testament et propose une nouvelle
interprétation de la Loi de Dieu pour conduire à une obéissance plus
profonde dont on trouvera un bon exemple dans le Sermon sur la
montagne2.
Même s’il est peu probable que Jésus ait tenu de si longs discours, il
demeure établi qu’il a, tout au long de son ministère terrestre, proposé des
maximes et des paraboles et dialogué avec de nombreux interlocuteurs bien
disposés ou hostiles.

Les Logia

Lorsqu’on compare minutieusement les trois premiers évangiles, on


se convainc aisément qu’ils ont été composés en recourant, de manière
originale ou interdépendante, à de petites unités rapportant des paroles de
Jésus. La conclusion qui s’impose est qu’il a existé, avant la rédaction des
évangiles, des recueils de logia (paroles, en grec). Ce n’est pas là simple
hypothèse  : on connaît depuis longtemps des fragments de papyrus
contenant des textes grecs très semblables à des passages de nos évangiles.
Depuis 1946, nous disposons d’un manuscrit copte contenant 114 paroles
de Jésus  : l’évangile de Thomas. En son état présent, ce livre ne peut
remonter ni au premier ni même au deuxième siècle, mais il est évident
qu’il a utilisé un recueil bien antérieur, très proche des traditions
évangéliques  : sans doute une collection de logia. Le lecteur qui ouvre
l’évangile de Matthieu en son chapitre 13 peut se faire une idée assez
précise de ce que pouvaient être de semblables recueils. Matthieu s’inspire
directement d’un chapitre regroupant les logia traitant du royaume de Dieu :
ce sont les paraboles du semeur, de l’ivraie, de la graine de moutarde, du
levain, du trésor, de la perle et du filet.

Les évangiles : Marc

Parfois il faut se livrer à un travail de critique littéraire plus élaboré


pour discerner l’existence d’une semblable source et en déterminer le genre
et les contours.
En voici un exemple  : l’entretien de Jésus avec un scribe sur le
premier des commandements se lit dans les trois évangiles : Mc 12.28-34 ;
Mt 22.34-40 ; Lc 10.25-28.
Lisons attentivement l’évangile de Marc. Il raconte la conversation
de Jésus avec un scribe bien disposé envers le message du maître. Or, si on
lit ce qui précède dans l’évangile de Marc, on remarque que les paragraphes
précédents rapportent des entretiens de Jésus avec les représentants des
différentes composantes de la société juive de son temps  : d’abord les
grands prêtres, les scribes et les anciens (autrement dit les membres du
grand sanhédrin)3, puis des Pharisiens et des Hérodiens4 et enfin des
Sadducéens5. Cela a tout l’air de venir d’une collection d’entretiens de
Jésus. Les trois premières rencontres montrent que Jésus savait répondre
victorieusement à l’argumentation séditieuse des têtes pensantes du
judaïsme et la série se terminait avec l’entretien de Jésus avec un scribe
sympathisant.
Or il faut renoncer à attribuer à Marc la rédaction de cette série, ou
du moins de son dernier paragraphe : en effet lorsque c’est Marc lui-même
qui parle des scribes, il les décrit comme les opposants les plus résolus à
Jésus et à son Evangile. Ici c’est un homme dont on attendrait volontiers
qu’il se convertisse  ! C’est que la petite collection des logia qui faisait
valoir la souveraine autorité de Jésus concluait avec ce sommet  : même
parmi les chefs des juifs, il y avait des hommes qui écoutaient l’Evangile
avec intérêt.
C’était donc un document de tonalité optimiste, optimisme que vient
corriger l’ajout de la parabole des vignerons6 – il condamne sévèrement les
chefs des Juifs qui finiront par crucifier le Fils de Dieu. Celui qui a inséré
cette parabole dans la collection d’entretiens de Jésus montre que pour lui
l’optimisme missionnaire des débuts a été cruellement déçu.

Matthieu

Quelques années plus tard, lorsque Matthieu rédige son évangile, il


utilise la même séquence d’entretiens de Jésus, mais dans laquelle ne figure
évidemment pas l’addition de la parabole des vignerons. Il introduit ces
dialogues dans son texte, sans toutefois s’interdire de les retoucher. C’est ici
que nous touchons du doigt la question de la transmission de l’Evangile.
Les années ont passé et l’hostilité du judaïsme s’est cristallisée dans le parti
de Pharisiens. Cela pousse Matthieu à introduire trois modifications
importantes dans le texte :
–Ce n’est plus un scribe sympathisant qui interroge Jésus, mais un
Pharisien aussi perfide que ceux que Matthieu doit affronter.
–La réponse de Jésus est plus courte : il y manque la citation de Dt 6.4
qui est le texte auquel le judaïsme accorde dans son culte la toute
première place. C’est le Shema Israël (
Ecoute, Israël) autour de quoi
la piété juive s’organise. Matthieu ne croit pas possible que Jésus se
soit référé à ce symbole majeur du judaïsme hostile.
–Enfin la phrase conclusive est hautement significative : « De ces deux
commandements dépendent toute la Loi et les prophètes » 7
. La Loi,
ce sont les cinq premiers livres de la Bible réputés écrits par Moïse.
Les prophètes, ce sont ce que nous appelons les livres historiques
(Josué, Juges, 1 et 2 Samuel, 1 et 2 Rois) et les livres des prophètes, les
grands et les petits. Autrement dit, c’est toute l’histoire d’Israël qui se
trouve rappelée. Jésus précise donc qu’il faut chercher les volontés de
Dieu non seulement dans les lois, mais aussi dans l’histoire au cours de
laquelle Dieu chemine avec son peuple qu’il interpelle et exhorte sans
cesse parce qu’il est le Dieu d’amour. Parvenu jusqu’à Matthieu,
l’écho des paroles de Jésus a pris une résonance nouvelle  : la
transmission de l’Evangile a rejoint les hommes jusque dans leur
actualité.

Luc

La collection de logia que Luc a connue a perdu sa cohérence


initiale et l’entretien de Jésus prend une coloration nouvelle :
–L’interlocuteur n’est plus ni un scribe ni un Pharisien, toutes
catégories ignorées du public auquel Luc s’adresse et qui n’est pas
principalement palestinien. C’est un légiste  : dans le monde
hellénistique chacun sait ce que cela veut dire.
–Sa question n’est plus celle qui tracasse une conscience juive
soucieuse de classer les trop nombreux commandements. La demande
est simplement universelle  : que faire
pour recevoir la vie éternelle  ?
Et le légiste sait formuler la bonne réponse.
–En suite de quoi, Luc continue en racontant la parabole du Bon
Samaritain, c’est-à-dire l’histoire d’un homme qui, bien que suspecté
d’impiété, a obéi au double commandement d’amour.

Transmettre l’Evangile

Ainsi, des paroles de Jésus appelant ses contemporains juifs à une


vraie obéissance à leur Dieu, on est passé à un discours universel incitant à
voir dans l’amour du prochain la vraie fidélité au Seigneur. C’est toujours la
parole de Jésus, c’est toujours l’Evangile, mais c’est un message qui garde
en tous lieux et en tous temps sa vérité profonde en parlant à chacun le
langage de sa propre actualité. Voilà l’Evangile sans cesse répété et toujours
renouvelé !
Les évangélistes ont fait ce que font tous les prédicateurs  : partant
d’une parole de Jésus, ils en dégagent le message qui peut atteindre leurs
auditeurs de manière vivante.

Raconter Jésus
Mais les paroles de Jésus ne sont pas tout l’Evangile. Jésus a agi et
ses actes eux aussi font partie de l’Evangile. L’histoire de Jésus parmi les
hommes est proprement capitale. En tout premier lieu, la fin de son histoire
terrestre : il est mort pour nous et c’est bien là le cœur de l’Evangile. Il est
donc bien normal de constater que les écrits du genre «  évangile  » ont
commencé avec les récits de la Passion  : depuis l’arrestation de Jésus
jusqu’à sa crucifixion, sa mise au tombeau et sa résurrection. Une simple
lecture des quatre évangiles a tôt fait de nous en convaincre  : c’est dans
cette partie finale que le parallélisme entre nos quatre témoins est le plus
évident. Cette fin a semblé tellement importante que l’unanimité des
témoignages s’est imposée (ou presque).
C’est bien aussi la conviction qui pousse Paul à écrire aux
Corinthiens qu’il n’a rien voulu prêcher d’autre chez eux que Jésus Christ
crucifié8 et lorsque l’apôtre rappelle les mots du credo qu’il a reçu et qu’il
transmet, il mentionne seulement la mort et la résurrection du Christ9.

L’Evangile du Fils de Dieu

Si les évangiles racontent Jésus et font entendre sa voix, ils ne


veulent pas écrire une vie de Jésus. On s’en convaincra aisément en relisant
leurs premières pages. Matthieu et Luc parlent de la naissance de Jésus et
leurs récits sont si différents qu’on en vient à soupçonner que le but de ces
histoires est de parvenir, par des moyens variés, à amener le lecteur à
confesser que Jésus, né de manière si extraordinaire, était plus qu’un
homme ordinaire. C’est d’ailleurs ce que veut exprimer le prologue du
quatrième évangile  : «  Au commencement était le Verbe (c’est-à-dire le
Christ)… et le verbe était Dieu…Rien de ce qui fut ne fut sans lui… »10.

L’Evangile, transmis dans le culte

L’Evangile est donc transmis par les évangiles et les autres écrits du
Nouveau Testament. Mais cette transmission se réalise aussi parfois par des
voies originales, à savoir par le truchement de créations littéraires ou plus
exactement liturgiques et cultuelles.
Le texte que Paul cite au chapitre 2 de son épître aux Philippiens
contient une confession de foi particulièrement remarquable du fait qu’elle
ne mentionne le ministère terrestre du Christ que par allusion aux
prophéties du Serviteur du Seigneur11. Elle rappelle ensuite la crucifixion,
la résurrection et l’ascension, toutes manifestations de la seigneurie du
Christ :
« Lui qui est de condition divine
n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu.
Mais il s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur,
devenant semblable aux hommes,
et par son aspect reconnu comme un homme, il s’est abaissé,
devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix.
C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé
et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom,
afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse,
dans les cieux, sur la terre et sous la terre,
et que toute langue confesse que Jésus Christ est le Seigneur,
A la gloire de Dieu le Père ».
C’est ainsi que les premières communautés chrétiennes confessaient
et proclamaient leur foi en un Evangile qu’elles avaient à cœur de
transmettre. Elles recouraient parfois pour cela aux mots des anciennes
prophéties qu’elles combinaient pour faire entendre, à un auditoire convenu,
les grandes vérités de l’Evangile. « On lit dans l’Ecriture :
Voici, je pose en Sion une pierre angulaire, choisie et précieuse.
Celui qui met en elle sa confiance ne sera pas confondu.
A vous donc, les croyants, l’honneur.
Mais pour les incrédules
La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre de l’angle
Et aussi une pierre d’achoppement, un roc qui fait chuter » 12
.

Une ancienne célébration : Ap 4-5

Parfois il arrive que les premières célébrations cultuelles dont le


christianisme a hérité du judaïsme marquent de manière indélébile
l’expression de la foi nouvelle. Ainsi en Ap 4 et 5 : c’est la vision d’un culte
céleste qui commence, comme le culte matinal de la synagogue, par une
célébration du Dieu créateur inspirée par la vision d’Ez 1 (en hébreu le
Yotser, ce qui signifie le créateur). On y trouve notamment la proclamation
du Sanctus (Saint, saint, saint est le Seigneur…)  tiré d’Es 6.3, appelé en
hébreu : la Qedousha (de Qadosh qui signifie saint). Ensuite, en Ap 5.1-8,
le Christ intervient comme seul capable d’ouvrir un saint livre (c’est
l’Ancien Testament ; ce qui rappelle la bénédiction de la Tora dans le culte
juif). Des cantiques célèbrent alors l’œuvre du salut accomplie pas le Christ
(Ap 5.9-14 ; voir le parallèle juif : la Geoulla, c’est-à-dire la rédemption).
L’Evangile est crédité d’un tel pouvoir que même les anciennes prières
héritées du judaïsme sont capables de le transmettre tout en célébrant sa
nouveauté.

Liturgies baptismales et eucharistiques

Les différents moments de la vie cultuelle des anciennes Eglises


suscitent des créations originales qui ne sont pas sans intérêt ni sans beauté.
Une confession de foi très classique entraîne dans la première épître de
Pierre13 un développement inattendu sur le baptême avant de reprendre les
traditionnelles affirmations finales du credo  : c’est la marque de la
célébration cultuelle du baptême qui comportait la récitation du credo.
Citons pour terminer les prières eucharistiques qu’on peut lire dans
la Didachè14 :
« D’abord pour la coupe :
Nous te rendons grâce, notre Père
Pour la sainte vigne de David, ton serviteur,
Que tu nous as révélée par Jésus, ton serviteur.
Gloire à toi dans les siècles !
Puis pour le pain rompu :
Nous te rendons grâce, notre Père,
pour la vie et la connaissance
que tu nous as révélées par Jésus, ton serviteur.
Gloire à toi, dans les siècles !
Comme ce pain rompu, dispersé sur les montagnes
a été rassemblé pour être un,
que ton Eglise soit ainsi rassemblée
des extrémités de la terre dans ton royaume.
Car c’est à toi qu’appartiennent la gloire et la puissance par Jésus
Christ dans les siècles !...
Nous te rendons grâce, Père saint,
pour ton saint nom
que tu as fait habiter dans nos cœurs,
et pour la connaissance, la foi et l’immortalité
que tu nous as révélées par Jésus ton serviteur.
Gloire à toi dans les siècles !
C’est toi, maître tout-puissant
qui as créé l’univers à cause de ton nom
et qui as donné aux hommes la nourriture et la boisson en jouissance
afin qu’ils te rendent grâce.
Mais à nous tu nous as fait la grâce d’une nourriture et d’une boisson
spirituelles
et de la vie éternelle par Jésus ton serviteur…
Souviens-toi, Seigneur, de ton Eglise,
pour la délivrer de tout mal et la parfaire dans ton amour.
Et rassemble-la des quatre vents, elle que tu as sanctifiée,
dans ton royaume que tu lui as préparé.
Car c’est à toi qu’appartiennent la puissance et la gloire dans les
siècles !
Que la grâce vienne et que ce monde passe !
Hosanna au Dieu de David !
Si quelqu’un est saint, qu’il vienne !
Mais si quelqu’un ne l’est pas, qu’il se repente !
Maranatha. Amen. »
Les autorités, le pouvoir

La première relation du christianisme avec le pouvoir impérial se


situe à la fin du ministère terrestre de Jésus  : les membres du sanhédrin
présentent Jésus au préfet Pilate en l’accusant de troubler l’ordre public,
d’inciter à refuser de payer l’impôt et de prétendre à la royauté sur le peuple
juif1. C’est sur ces chefs d’accusation que Pilate prononce sa
condamnation  : l’enseignement de Jésus n’est aucunement en cause, non
plus que le christianisme qui en découlera. Trois textes du Nouveau
Testament traitent des relations entre le christianisme et le pouvoir : Rm 13,
1P 2 et Ap 13 : il faut les lire attentivement.

Romains 13.1-4 : un mandat reçu de Dieu

C’est notre témoin le plus ancien. Paul demande l’obéissance (la


soumission), mais il avance une justification intéressante. Les autorités, dit-
il, sont mandatées par Dieu. Se rebeller contre elles, c’est se dresser contre
l’ordre voulu par Dieu  : en effet les pouvoirs civils incitent à pratiquer le
bien (que Dieu veut) et châtient les malfaiteurs (dont Dieu condamne la
conduite). Le loyalisme civique est donc non seulement compatible avec la
foi chrétienne, mais il coïncide avec elle.
Cette position témoigne d’un optimisme qui ne laisse pas de
surprendre, car nous savons parfaitement que le pouvoir romain de ce temps
n’a jamais été très accueillant pour la foi chrétienne. Le loyalisme fiscal
défendu par Paul2 témoigne d’un idéalisme que le jugement sévère des
évangiles sur les vénalités des collecteurs d’impôts fait apparaître comme
singulièrement utopique. Pourtant Paul ne demande pas aux chrétiens de se
montrer toujours comme des citoyens obéissants. Il argumente3 en disant
que cette obéissance n’est pas justifiée par la crainte du châtiment, mais par
la « conscience de Dieu », comprenons : la conscience chrétienne. On voit
donc poindre à l’horizon la possibilité d’une contestation, voire d’une
rébellion. En effet pour Paul, la conscience est une réalité universelle. Tous
les hommes, y compris les païens, entendent cette voix intérieure4. Mais
c’est une voix seulement humaine, elle n’est pas au-dessus des faiblesses et
des erreurs, même chez les chrétiens5. Pourtant la conscience est en
l’homme comme une porte ouverte sur un monde transcendant, un accès
privilégié que Dieu s’est ménagé dans ses créatures6. Ceci se vérifie
particulièrement chez les chrétiens, car ils connaissent le Seigneur et
désirent entendre sa voix et s’y conformer. On peut donc sans doute
prolonger l’exposé de l’apôtre en disant que cette conscience est susceptible
d’amener les croyants à refuser d’obéir lorsque ce que le pouvoir
commande est contraire à la volonté de Dieu. C’est bien pourquoi Paul écrit
que l’Esprit de Dieu ne peut conduire un homme à renier Jésus, ce que les
pouvoirs humains peuvent être amenés à exiger et qu’ils exigeront
effectivement. Lorsqu’un homme confesse que Jésus est le Seigneur, c’est
le Saint-Esprit qui lui inspire de refuser ainsi de reconnaître en l’empereur
le véritable Seigneur.

1 Pierre 2.13-17 : des autorités humaines

Vers la fin du premier siècle, la société de la province romaine de ce


que nous appelons aujourd’hui l’Asie Mineure montre envers le
christianisme une méfiance qui se change souvent en hostilité. Comme
l’empereur est volontiers regardé comme un dieu, toute contestation de son
autorité prend le caractère d’un acte nuisible au bon équilibre social. Cela
est évidemment ressenti comme une menace par les bons citoyens dont la
piété cherche à se concilier la faveur du monde divin. D’où des réactions
hostiles qui viennent des différentes couches de la société. En réponse, les
chrétiens s’efforceront de faire valoir leur loyalisme  : leur civisme les
pousse jusqu’à prier pour les autorités.
Le premier mot est pour commander la soumission : il faut obéir aux
institutions humaines. Relevons le qualificatif  : il exclut d’emblée la
prétention du pouvoir à la divinité, ce qui le rend totalitaire. La soumission
demandée ne sera donc pas aveugle. Elle restera conditionnelle car le
pouvoir doit rester dans les limites d’une institution humaine. S’il se
prétend divin, il ne peut s’attendre à être obéi par ceux qui ne reconnaissent
qu’un seul Seigneur et Dieu. Lorsque l’obéissance est due, elle trouve une
justification particulière  : «  à cause du Seigneur  ». L’empereur, qui n’est
qu’un homme, sera obéi non pas en raison de ses titres, de sa gloire, de son
pouvoir, de ses promesses ou de ses menaces, mais à cause du Seigneur.
Les gouverneurs sont en principe chargés de faire régner l’ordre et
le bien. En fait, ce n’est évidemment pas toujours le cas, du moins du point
de vue des chrétiens. L’obéissance n’en est pas moins demandée : l’opinion
que la société se fait des chrétiens en dépend et cela doit (théoriquement)
mettre fin aux injustes calomnies dont le christianisme est la victime.
Pourtant, le chrétien est un homme libre, libre pour servir Dieu et
non pour agir en fonction de ses intérêts propres. La liberté chrétienne n’est
pas un paravent qui masque une vérité inavouable.
En résumé, il faut honorer (nous dirions  : respecter) tous les
hommes et en particulier l’empereur qui n’est somme toute que l’un d’entre
eux. Dieu, il faut le craindre. Cette crainte-là est faite de révérence,
d’adoration et d’obéissance. Enfin, il faut aimer la fraternité, c’est-à-dire
aimer les frères, les membres de la famille chrétienne. A n’en pas douter ces
quatre règles de conduite sociale ne coïncidaient pas avec le code
socioculturel de l’époque. Les occasions de friction étaient donc inévitables.

Apocalypse 13 : un pouvoir ennemi de Dieu

Ce texte est, des trois, le plus tardif. Il date sans doute de l’an 96,
c’est-à-dire bien après les redoutables mesures antichrétiennes que Néron a
appliquées à Rome. C’est l’époque du règne de Domitien qui favorise le
culte impérial en Asie Mineure. Dans la vision de l’Apocalypse, une bête
monstrueuse monte de la mer (qui baigne les rivages de l’empire romain).
La description s’inspire de la prophétie de Daniel7 qui annonce la venue de
grands empires destinés à dominer le monde. Dans l’Apocalypse, la bête
représente l’empire romain. Son nom est un blasphème  : ne regarde-t-on
pas l’empereur comme Seigneur et Dieu ! On l’acclame au cri de « Qui est
comme la bête ? »8, alors que le chef des anges se nomme Michaël9 ce qui
signifie en hébreu : Qui est comme Dieu ! Elle exerce le pouvoir pendant
quarante-deux mois10, comme Satan lui-même. C’est la durée de la
persécution d’Antiochus IV Epiphane qui, au temps du prophète Daniel,
voulut anéantir Israël. Il fut révélé au prophète que l’épreuve ne serait que
passagère, car Dieu n’oublie pas son peuple et annonce déjà la date du salut.
Le monde entier adore la bête, à l’exception des chrétiens qui pour
cela sont persécutés11. Mais l’empire n’est qu’une création humaine, c’est
ce que signifie le chiffre mystérieux dont il marque ses sujets, 666, qui est
très vraisemblablement l’expression en code chiffré de la proclamation  :
Néron est Seigneur !
En 96, il n’y a pas encore de persécutions antichrétiennes générales,
mais l’auteur de l’Apocalypse jette sur l’empire un regard lucide parce
qu’inspiré  : le pouvoir impérial ne peut que s’opposer frontalement au
christianisme. Au nom de Dieu, la révélation (c’est le sens du mot grec
Apocalypsis) adresse aux chrétiens un pressant appel à obéir au seul
Seigneur dans un monde dont l’hostilité ne peut que croître.

La première lettre de Clément

Dans un texte romain pratiquement contemporain de l’Apocalypse,


la lettre de Clément aux chrétiens de Corinthe, on lit cette prière dont le ton
tranche singulièrement avec celui de l’Apocalypse12  : « Aux princes et à
nos gouverneurs sur la terre, c’est toi, Maître, qui leur as donné l’autorité
impériale par ta merveilleuse et ineffable puissance afin que, reconnaissant
la gloire et l’honneur que tu leur as donnés, nous leur soyons soumis pour
ne pas nous opposer à ta volonté. Accorde-leur, Seigneur, la santé, la paix,
la concorde et la stabilité pour qu’ils exercent sans faillir la souveraineté
que tu leur as confiée. Car c’est toi, Maître céleste et roi des siècles, qui
donnes aux fils des hommes gloire, honneur et pouvoir sur les choses de la
terre. Dirige, Seigneur, leur gouvernement suivant ce qui est bien et
agréable à tes yeux afin qu’ils exercent dans la paix et une pieuse douceur
le pouvoir que tu leur as donné et qu’ils trouvent grâce devant toi… »

Au deuxième siècle13

Nous possédons les lettres que Pline le Jeune, gouverneur de l’Asie


Mineure, adresse à son ami, l’empereur Trajan, vers les années 110.
Dans la lettre 96, il confesse sa perplexité sur la conduite à tenir
envers les chrétiens que des dénonciations ont amenés devant son tribunal.
Il leur a demandé s’ils étaient chrétiens. Quand ils l’ont avoué, il a répété sa
question une deuxième puis une troisième fois en les menaçant du supplice.
Quand ils ont persisté, il les y a envoyés car, de quelque nature que fût le
fait qu’ils avouaient, il ne doutait pas qu’on dût au moins punir leur
résistance et leur inflexible obstination. Ceux qui ont nié être chrétiens ou
l’avoir été et qui, selon la formule que Pline leur dictait, ont invoqué les
dieux, offert de l’encens et du vin à l’image de l’empereur et aux statues des
dieux et qui enfin ont blasphémé le Christ, le gouverneur a pensé qu’il
fallait les absoudre.
Mais Pline a quelques scrupules ; les chrétiens ne semblent pas être
des opposants bien redoutables : ils se rassemblent (le dimanche) à l’aube
pour chanter un hymne au Christ comme à un dieu et ils s’engagent à mener
une vie exemplaire. Puis ils prennent en commun un repas qui n’a rien de
répréhensible. Pourtant Pline a interdit ces pratiques au motif qu’elles se
répandent de manière inquiétante et entraînent une regrettable désaffection
des cultes traditionnels. La réponse de Trajan approuve les mesures prises
par Pline, mais demande de ne pas tenir compte des dénonciations
anonymes et de ne pas rechercher activement les chrétiens. L’empire ne
poursuit donc pas encore les chrétiens en tant que tels. Il se borne à sévir
lorsqu’ils lui sont dénoncés comme manquant au devoir élémentaire de
s’associer aux cultes traditionnels qui garantissent la faveur des dieux et de
l’empereur regardé comme l’un d’eux.
Toutefois, les réactions populaires finiront par s’imposer au plus
haut niveau de l’Etat. En 250, l’empereur Dèce, dont l’empire est menacé
sur toutes ses frontières, exige que tous ses sujets sacrifient aux dieux afin
de gagner la faveur divine et son aide. Les chrétiens seront, en tant que tels,
les premiers visés par ce décret qui entraînera la première persécution
générale contre le christianisme.
Le baptême

Le verbe baptiser (ainsi que le substantif dérivé : baptême) est une


transcription du grec baptizô (voir aussi baptô) qui signifie  : plonger,
immerger, éventuellement laver, baigner. Un baptême est donc une
immersion, voire un bain.

Jean le Baptiste

Le rite baptismal n’est pas inconnu dans le judaïsme au début de


l’ère chrétienne, mais c’est avec Jean le Baptiste qu’il apparaît dans la
tradition chrétienne avec une signification qui lui est propre. «  Jean le
Baptiste parut dans le désert, proclamant un baptême de conversion en vue
du pardon des péchés… Il proclamait  : “Celui qui est plus fort que moi
vient après moi…Moi je vous ai baptisés d’eau, mais lui vous baptisera
d’Esprit saint” »1.
Dans les passages parallèles de Matthieu et de Luc2 on lit une
intéressante addition : Jésus baptisera dans l’Esprit saint et le feu. La phrase
suivante ne laisse aucun doute : le feu dont il s’agit est celui du jugement
dernier. Selon le Baptiste, Jésus baptisera. Pourtant lorsque Jésus
commence son ministère public, le quatrième évangile précise avec
insistance  : Jésus lui-même ne baptisait pas, ce sont ses disciples qui le
faisaient3. Comme ce renseignement contredit la prophétie de Jean le
Baptiste, il doit être exact. Donc, Jean le Baptiste appelle à la repentance et
son baptême vient laver les péchés des pénitents qui sont, d’après Luc4,
instamment exhortés à se conduire ensuite de manière à ne plus avoir à
redouter la colère de Dieu. Autrement dit ce baptême prépare un peuple de
fidèles en vue du jugement dernier sur la base du pardon des péchés.

Le baptême de Jésus
Or, tous nos témoins s’accordent sur ce point  : Jésus a voulu être
baptisé par Jean, s’assimilant ainsi aux pécheurs qui avaient besoin de
repentance. Le fait est ressenti comme choquant par Matthieu5 qui
mentionne l’objection de Jean : « C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par
toi », tandis que Jésus répond : « Laisse faire maintenant : c’est ainsi qu’il
nous convient d’accomplir toute justice ». Ce qui signifie à peu près : telle
est la volonté de Dieu.
Il s’agit donc d’un baptême très exceptionnel : comme Jean l’avait
prophétisé, l’Esprit de Dieu descend sur le baptisé, le désignant ainsi
comme le Fils de Dieu selon les termes de la voix céleste qui cite alors le
Psaume 2.7. Celui qui a été baptisé d’Esprit saint est celui qui instaure un
nouveau baptême, non plus d’eau seulement, mais aussi d’Esprit saint.

Le baptême et l’Esprit saint

C’est là une mutation essentielle. Pourtant des textes des Actes nous
apprennent que, bien que les apôtres aient prêché fidèlement un baptême
chrétien conférant le pardon des péchés et le don du saint Esprit6, Pierre et
Jean rencontrent en Samarie des chrétiens qui ont été baptisés au nom du
Seigneur Jésus mais n’ont pas reçu l’Esprit. Les deux apôtres s’empressent
de pallier cette inacceptable déficience7.
Lorsque Paul, après sa vision décisive, se rend à Damas chez
Ananias, celui-ci l’exhorte à recevoir le baptême et la purification des
péchés en invoquant le nom de Jésus. Il n’est pas question du saint Esprit8.
Plus tard Paul découvrira qu’il y a à Ephèse des membres de la
communauté chrétienne, et parmi eux Apollos, qui n’ont aucune
connaissance du saint Esprit, n’ayant reçu que le baptême de Jean. Paul les
baptise au nom du Seigneur Jésus et ils reçoivent le saint Esprit9. Ce re-
baptême montre bien que le don du saint Esprit est la caractéristique
essentielle du baptême chrétien célébré au nom de Jésus.

L’invocation trinitaire

Les chrétiens sont donc régulièrement baptisés au nom de Jésus


Christ, mais très vite le baptême est célébré au nom du Père, du Fils et du
saint Esprit10 et l’on distingue le baptême proprement dit et le don de
l’Esprit conféré par imposition des mains, pratique qui change un baptême
comme celui de Jean, en baptême vraiment chrétien11. Toutefois l’Esprit,
dans sa souveraine liberté, peut descendre sur de nouveaux croyants,
attestant par-là que, quelle que soit leur origine, ils peuvent recevoir le
baptême12.
L’auteur du livre des Actes estime que ce don de l’Esprit donne lieu
à des manifestations comme celles que connurent les disciples assemblés au
jour de la Pentecôte. C’est bien ce qu’annonce le ressuscité13 et Pierre peut
le vérifier à Césarée dans la maison de Corneille. Voici en quels termes il
rend compte de ce miraculeux épisode : « A peine avais-je pris la parole que
l’Esprit saint tomba sur eux comme il l’avait fait sur nous au
commencement »14.

Signification du baptême

Le pardon des péchés et don de l’Esprit


L’immersion dans l’eau est un rite de purification. Cette dimension,
évidente pour le baptême de Jean (comme pour les baptêmes que
pratiquaient régulièrement les Esséniens), se retrouve dans le christianisme.
Le baptême, nous l’avons vu, confère le pardon des péchés15. Paul rappelle
aux chrétiens qu’ils ont été lavés16, l’épître à Tite17 fait référence au
baptême en parlant d’un bain. La lettre aux Ephésiens18 mentionne la
purification assurée par le bain de l’eau. Le don de l’Esprit, souvent lié à
l’imposition des mains, est conféré à tous les baptisés, les rendant ainsi
participants d’un seul et même corps19.Très vite on va réfléchir sur les
résonances théologiques des deux moments du baptême.

Communion à la mort du Christ


L’apôtre Paul occupe dans ce développement une place
prépondérante. L’immersion n’est plus seulement regardée comme un acte
de purification, c’est une communion à la mort du Christ  : «  Nous tous,
baptisés en Jésus Christ, c’est dans sa mort que nous avons été baptisés. Par
le baptême en sa mort nous avons été ensevelis avec lui  »20. L’eau n’est
plus regardée comme ce qui lave, mais ce dans quoi l’homme pécheur se
noie et meurt.
La nouvelle naissance
Cette mort symbolique conduit, comme ce fut le cas du Christ, à une
résurrection dont le don de l’Esprit est à la fois le signe et l’auteur. C’est
pourquoi le baptême peut être appelé « sceau »21 : il est le témoin matériel
de la communion au Christ et de l’appartenance au peuple de ses fidèles.
Il s’agit d’un nouveau commencement, ouvrant à une vie nouvelle22.
C’est le bain de la nouvelle naissance et de la rénovation que produit
l’Esprit saint23. Le baptême est donc non seulement l’occasion d’une
purification, mais également d’une sanctification et d’une justification24.
Lorsque le quatrième évangile parle de naître d’eau et d’Esprit25, c’est bien
le baptême qu’il évoque, sans le dire expressément.

Encore pécheurs ?
Le baptisé est ressuscité avec le Christ. L’affirmation, on le
comprend, ne laisse pas de poser question. La vie quotidienne des chrétiens
a tôt fait de soulever un redoutable problème : morts au péché, vivant de la
vie nouvelle que le saint Esprit anime, ils restent des créatures faibles et
faillibles. Il y a dans la tradition paulinienne deux réponses données à la
question « Sommes-nous encore pêcheurs après le baptême ? »:
–Si nous avons communié à la mort du Christ, nous serons également
unis à sa résurrection 26
. Notons bien l’emploi du futur ! Ou encore :
« Morts avec Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui » 27
. Mais n’est-ce pas là une réponse incomplète ? Le baptême est un fait.
Il a été célébré et si la vie nouvelle qu’il inaugure tend vers un avenir
eschatologique, son effet ne peut être différé jusque-là.
–Associé à la mort du Christ, le baptisé est libéré du péché 28
et
pourtant l’apôtre poursuit aussitôt avec cette exhortation  : «  Que le
péché ne règne plus dans votre corps mortel  » 29
. Il y a là une
contradiction dans les termes qu’aucune théologie ne peut ni ne doit
ignorer. La vie nouvelle, ressuscitée, n’est pas de l’ordre des
phénomènes naturels, ce qui rendrait la sanctification parfaite et
automatique. Le chrétien ne peut espérer posséder que les arrhes de
l’Esprit 30
.

La foi nécessaire
La vie nouvelle est bien réelle, elle peut s’expérimenter, mais
l’homme n’y accède que par la foi et il n’y demeure que par la foi. Après
l’apôtre Paul, l’Eglise insistera sur ce point : « Faites de toutes les nations
des disciples  »31 c’est-à-dire des gens qui croient en Jésus. «  Celui qui
croira et sera baptisé sera sauvé »32.
Paul et Silas, miraculeusement délivrés de leur prison, répondent au
geôlier qui demande ce qu’il doit faire pour être sauvé : « Crois au Seigneur
Jésus et tu seras sauvé »33 et ils le baptisent.
Il faut encore citer un texte johannique34 bien qu’il n’y soit pas
question nommément du baptême mais de la nouvelle naissance qu’il
signifie : « A ceux qui croient en son nom (il s’agit de la Parole de Dieu et
donc du Christ), il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu  ». Et
encore  : «  Tout esprit qui confesse Jésus-Christ venu dans la chair est de
Dieu »35. Dans son entretien avec Apollos, Paul pose l’équivalence entre
« devenir croyant » et « recevoir le baptême »36.
La communion avec le Christ mort et ressuscité se réalise donc par
la foi, témoin en est cette exhortation si souvent mal comprise  :
«  Considérez que vous êtes morts au péché et vivants pour Dieu en Jésus
Christ  »37. Non pas  : Faites comme si vous étiez…, mais  : Prenez
conscience que vous êtes… C’est une réalité, mais on n’y accède que par la
foi. C’est donc beaucoup plus sûr qu’une simple résolution psychologique.

Le baptême et la confession de foi

Comme il s’agit de croire en Jésus Christ et à son œuvre, il est assez


normal que le baptême soit précédé et conditionné par une confession de
foi. C’est même à propos du baptême que l’on peut découvrir à l’arrière-
plan de plusieurs textes du Nouveau Testament l’existence et même parfois
le libellé de très anciens crédos.
Voici, d’après Paul, « la parole de la foi que nous proclamons : si de
ta bouche tu confesses que Jésus est Seigneur et si dans ton cœur tu crois
que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauvé »38. C’est la célébration du
baptême qui a d’abord donné lieu à une confession de la foi au Christ. C’est
pourquoi on lit cette variante dans un manuscrit du deuxième siècle qui
ajoute au récit de la conversion du ministre éthiopien (Ac 8) un verset 37 :
«  Philippe lui dit  : Si tu crois de tout ton cœur tu seras sauvé. Il lui
répondit  : Je crois que le Christ est le Fils de Dieu  ». Il est alors baptisé.
Bientôt l’Eglise demandera au candidat au baptême une confession de foi
publique : « Combats le beau combat de la foi, conquiers la vie éternelle à
laquelle tu as été appelé comme tu l’as reconnu dans une belle profession de
foi en présence de nombreux témoins »39.

1 Pierre 3.18-22

Le plus bel exemple de confession de foi baptismale se trouve dans


la première épitre de Pierre40, passage dont voici la traduction afin de
permettre au lecteur de mieux suivre l’explication :
18
«  En effet le Christ lui-même est mort 41
pour les péchés une fois

pour toutes,
lui, juste, pour les injustes
afin de vous présenter à Dieu,
lui mis à mort pour ce qui est de la chair,
mais rendu à la vie pour ce qui est de l’Esprit.
19
C’est alors qu’il est allé prêcher même aux esprits en prison,
20
aux rebelles d’autrefois quand se prolongeait la patience de Dieu

aux jours où Noé construisait l’arche,


dans laquelle peu de gens, huit personnes,
furent sauvées par l’eau.
21
C’était l’image du baptême qui vous sauve maintenant :

Il n’est pas la purification des souillures du corps,


Mais l’engagement envers Dieu d’une bonne conscience ;
Il vous sauve par la résurrection de Jésus Christ,
21
Qui, parti pour le ciel, est à la droite de Dieu,

Et à qui sont soumis anges, autorités et puissances.»


Le texte commence par le rappel de la passion, de la mort et de la
résurrection du Christ. Il poursuit en mentionnant l’élévation et la
seigneurie du ressuscité, auquel même les puissances invisibles sont
soumises. C’est très exactement le mouvement d’une confession de foi
comme celle qu’on peut déceler à l’arrière-plan de Ph 2.6-11  : mort,
élévation, domination cosmique. Il est donc très vraisemblable que l’auteur
de l’épître, désireux de fonder théologiquement (christologiquement) son
exhortation, a eu recours à une formule traditionnelle de confession de foi.
Celle-ci se trouve comme éclatée par l’insertion d’un développement qui,
s’il nous reste un peu mystérieux, n’en est pas moins évidemment une
explication baptismale. Etant donné le lien historiquement avéré entre la
célébration du baptême et la confession de la foi, il faut sans doute conclure
que nous avons ici un credo baptismal augmenté d’une instruction sur le
sens du baptême. Celui-ci n’est pas principalement une purification
physique, il est avant tout l’engagement envers Dieu de mener une vie
conforme aux impératifs formulés par une conscience renouvelée.

Un enseignement pré-baptismal

S’il est demandé au baptisé de vivre saintement, il faut qu’un


enseignement préalable lui ait été donné : un catéchuménat a certainement
précédé le baptême dont il devait être la condition absolue. Dans la finale
tardive de l’évangile de Matthieu42, le ressuscité, après avoir donné l’ordre
d’évangéliser et de baptiser les nations, poursuit en ces mots  : «  leur
enseignant à garder tout ce que je vous ai commandé  ». Dès la fin du
premier siècle, les chrétiens ont cherché à normaliser cet enseignement. Le
livre de la Didachè en conserve l’exact souvenir : il commence par définir
très concrètement ce qu’un chrétien doit faire et ce qu’il doit s’interdire,
autrement dit la voie de la vie et celle de la mort. Voici ce qu’on lit ensuite :
«  Pour le baptême, baptisez ainsi  : après avoir dit auparavant tout ce qui
précède (c’est-à-dire l’enseignement moral des Deux voies), baptisez au
nom du Père et du Fils et du saint Esprit dans de l’eau courante »43. Le texte
poursuit en envisageant les cas où l’on n’a pas la possibilité d’utiliser de
l’eau courante ou quand l’eau est trop froide, ou quand elle est rare. On
baptise alors par triple aspersion au nom du Père, du Fils et du saint Esprit.
Plus loin il est précisé que seuls ceux qui sont baptisés au nom du Seigneur
peuvent être admis à participer à l’eucharistie44.

Au deuxième siècle

Vers les années 110, Ignace d’Antioche, transposant ce qui était une
exigence de foi en impératif d’obéissance à la hiérarchie ecclésiastique,
durcit cette discipline  : «  Il n’est pas permis en dehors de l’évêque ni de
baptiser, ni de faire l’agape »45.
L’épître de Barnabé reproduit, dans ses derniers chapitres46, une
version des Deux voies sans imposer cet enseignement comme condition du
baptême. Pour cet écrit, qui est sans doute d’origine palestinienne, le
baptême « en nous renouvelant par le pardon des péchés, a fait de nous un
autre être, en sorte que nous avons une âme d’enfant, tout à fait comme s’il
(le Seigneur) nous créait à nouveau … Nous voici donc créés à nouveau et
le Seigneur vient habiter en nos cœurs  »47. Le baptême efface donc toute
l’histoire de l’homme qui est placée depuis la chute sous la domination du
péché. Le baptisé recommence l’histoire là où elle s’était arrêtée  : il se
retrouve dans le paradis pour mener la vie d’obéissance à Dieu qu’Adam
avait refusée. Telle est l’interprétation que Barnabé donne de la nouvelle
naissance. Le baptisé voit donc l’avenir s’ouvrir devant lui : il portera des
fruits en son cœur « ayant dans l’esprit la crainte et l’espérance en Jésus ».
Il peut manger de l’arbre de vie, c’est-à-dire écouter l’enseignement de
l’Eglise et croire. Alors il vivra éternellement48.
L’auteur se garde de limiter en les énumérant les commandements
que le baptisé doit respecter. De plus, le salut qu’il promet est repoussé au
royaume eschatologique.

A Rome

Justin décrit et explique le rite baptismal tel qu’il est pratiqué à


Rome au milieu du deuxième siècle. Le baptême est pour celui qui le reçoit
un renouvellement opéré par le Christ. Il est précédé par un enseignement
qu’il faut recevoir avec foi. En outre, le catéchumène doit promettre de
conformer sa conduite à ces commandements. Il demande alors, dans une
prière que le jeûne accompagne, la rémission de ses péchés passés. Il est
ensuite plongé dans l’eau pour une régénération avec invocation du Dieu
Père et souverain de l’univers, de notre Sauveur Jésus Christ et de l’Esprit
saint. «  Ce bain est appelé illumination parce que ceux qui reçoivent cet
enseignement ont l’esprit inondé de lumière. Et celui qui est illuminé est
lavé au nom de Jésus Christ qui a été crucifié sous Ponce Pilate, et au nom
de l’Esprit saint qui, par la bouche des prophètes, a prédit tout ce qui
concerne Jésus »49.
« Après avoir ainsi conduit au bain celui qui a embrassé la foi et
marqué son assentiment (à notre doctrine), nous le menons vers ceux que
nous appelons frères  » pour des prières communes  ; puis on célèbre
l’eucharistie50 à laquelle « il n’est permis à personne de prendre part s’il ne
croit pas à la vérité de notre doctrine, s’il n’a pas reçu le bain pour la
rémission des péchés et en vue de la régénération et s’il ne vit pas selon les
préceptes donnés par le Christ »51.
On aura noté que le baptême est précédé d’un enseignement relatif
aux préceptes donnés par Jésus dans l’Evangile. Le catéchumène doit
s’engager à vivre en observant ces commandements. Il déclare en outre
adhérer à la foi chrétienne. Le baptême qui est alors célébré a trois effets : il
accorde le pardon des péchés ; il signifie une nouvelle naissance ; il a valeur
d’un rite d’agrégation à la communauté locale, ce qui donne accès à
l’eucharistie. Le baptême est célébré au nom de la trinité, mais il faut
remarquer que Justin revient finalement à la première pratique chrétienne
avec invocation du seul « Jésus Christ qui a été crucifié sous Ponce Pilate »
(allusion évidente à un credo traditionnel), tandis que le saint Esprit n’est
plus mentionné que comme l’inspirateur des prophéties annonçant le Christ
dans l’Ancien Testament.

Le troisième siècle

Au début du troisième siècle, voici comment l’Eglise de Rome


baptisait : les candidats au baptême quittent leurs vêtements et prononcent
une renonciation solennelle à Satan. Puis «  que celui [qui va être baptisé]
descende dans l’eau et que celui qui le baptise lui impose la main sur la tête
en disant  : Crois-tu en Dieu le Père tout puissant  ? Et que celui qui est
baptisé réponde : ‘Je crois’. Qu’il le baptise alors une fois en lui tenant la
main sur la tête  ». Viennent alors les deux autres questions  : “Crois-tu au
Christ Jésus ? Crois-tu au saint Esprit ?” Le baptisé répond chaque fois : ‘Je
crois’ et il est à nouveau deux fois plongé dans l’eau. Ensuite il se rhabille
et est admis à rejoindre l’assemblée dans l’Eglise »52.

Le baptême des enfants


La pratique du baptême des enfants n’est attestée qu’à partir du
troisième siècle. Pour une pratique antérieure, on cite parfois la parole de
Paul : « Le mari non croyant est sanctifié par sa femme  et réciproquement.
S’il en était autrement, vos enfants seraient impurs, alors qu’ils sont
saints  »53. Mais il faut reconnaître que le texte ne parle pas de baptême.
Lorsque le livre des Actes54 raconte comment toute la famille du geôlier de
Philippes fut baptisée alors que lui seul avait fait acte de foi, on ne doit rien
déduire de cette histoire qui n’exprime qu’une conception de l’unité
organique de la famille (au sens large, avec enfants et serviteurs) qui règne
en ce temps-là. Le Nouveau Testament ne connaît donc pas de baptêmes
d’enfants.
La bénédiction et la malédiction

Presque tous les humains partagent ou ont partagé la croyance qu’il


y a, au-dessus d’eux, des forces surnaturelles qui leur sont favorables ou
hostiles et qui, à certaines conditions, peuvent être activées et dirigées.
Certains individus sont, par nature ou par institution, capables d’interagir
avec ces forces surnaturelles : ce sont les sorciers et les prêtres.

Bénédiction et malédiction en Israël

Israël croit en un Dieu unique qui est son Dieu. C’est donc lui qui
est réputé bénir ou maudire. Nul ne peut maudire si Dieu ne le veut pas ; il
reste maître de la bénédiction, comme le montre l’histoire de Balaam  :
mandaté par un roi ennemi pour maudire Israël, le sorcier voit sa
malédiction changée par Dieu en bénédiction1.
Quand un homme en Israël bénit ou maudit, il le fait au nom de son
Dieu. C’est bien pourquoi il s’agit le plus souvent de bénédiction et ce geste
est délibérément voulu par Dieu et non l’effet d’une force obscure. La
bénédiction appelle en retour la reconnaissance du bénéficiaire2, ce que la
traduction grecque de l’Ancien Testament a très bien compris : le mot grec
choisi pour rendre beraka (bénédiction) est eulogia qui signifie exactement
« louange ».
Parmi les premières bénédictions mentionnées dans la Bible, citons
celle que Dieu adresse à Abraham qu’il appelle à quitter son pays : « Pars…
vers le pays que je te ferai voir. Je ferai de toi une grande nation et je te
bénirai  »3. Et voici la bénédiction d’Isaac à qui Dieu promet  : «  Je serai
avec toi et je te bénirai  »4. Le premier membre de phrase ne fait
qu’expliciter le second : celui que Dieu bénit peut compter sur la constante
présence de son Seigneur.
Depuis ce monde ancien jusqu’aujourd’hui, il est fait souvent un
double usage du mot bénédiction :
–il peut désigner des réalités concrètes et généralement matérielles que
les hommes saluent comme bénédictions de Dieu (succès, richesse,
santé, longévité),
–mais il veut d’abord signifier que Dieu accorde aux siens la
bénédiction suprême qu’est sa faveur, son aide, sa présence aimante,
en un mot son salut. C’est pourquoi les prières demandent instamment
la bénédiction de Dieu 5
.
La demande de bénédiction est au cœur de la prière du croyant et
Dieu atteste de sa volonté d’y répondre par l’intermédiaire des prêtres dans
le culte : « Le Seigneur dit à Moïse : Dis à Aaron et à ses fils (les prêtres) :
Vous bénirez ainsi les Israélites. Vous leur direz :
Que le Seigneur te bénisse et te garde ! Que le Seigneur fasse briller
sa face sur toi et t’accorde sa grâce  ! Que le Seigneur porte sur toi son
regard et te donne la paix ! »6.
La foi discerne et accueille la bénédiction dans l’obéissance à la
volonté de Dieu  : «  Celui qui a les mains innocentes et le cœur pur…
obtiendra la bénédiction du Seigneur  »7. Se rebeller contre Dieu, c’est
encourir sa malédiction comme le serpent au jardin d’Eden8, ou Caïn,
meurtrier d’Abel9. Jérémie proclame au nom du Seigneur  : «  Maudit soit
l’homme qui n’écoute pas les paroles de cette alliance que j’ai instituée
pour vos pères, le jour où je les ai fait sortir d’Egypte »10 et Dieu s’adresse
en ces termes à son peuple  : «  Vois, je mets aujourd’hui devant vous
bénédiction et malédiction  : la bénédiction si vous écoutez les
commandements du Seigneur, votre Dieu… la malédiction si vous
n’écoutez pas…»11. La malédiction sanctionne donc le mépris des
commandements, la violation de l’alliance ; elle frappe celui qui fait le mal
et ceux qui s’opposent au peuple de Dieu.

Le culte et le jugement dernier

Le bas-judaïsme12 met en toute première place la volonté de


l’homme de bénir le Dieu qui veut être son Dieu. Les prières juives répètent
à l’envi  : «  Béni sois-tu, Adonaï (Seigneur), notre Seigneur  »13. Les
premiers chrétiens ont directement hérité de ces formules liturgiques. Ainsi
Paul parle-t-il du créateur «  qui est béni éternellement. Amen  !  »14 ou du
Christ « qui est au-dessus de tout, Dieu béni éternellement. Amen ! »15.
La mention de la bénédiction et de la malédiction amène souvent
l’idée du jugement dernier : « Heureux qui ouvre son cœur aux louanges et
loue le Seigneur. Maudit qui ouvre son cœur à l’outrage et aux calomnies
contre son prochain  »16. Ce texte continue en énumérant six autres
bénédictions/malédictions pour conclure : « Tout cela se dénoncera dans la
balance et dans le livre au jour du grand jugement »17.

Quand Jésus bénit

L’évangile de Luc rapporte qu’après être apparu aux onze disciples,


Jésus « les emmena jusque vers Béthanie et, levant les mains, il les bénit »,
et plus loin «  Ils étaient sans cesse dans le temple à bénir Dieu  »  18 et
plusieurs manuscrits ajoutent : « Amen ! ».
Quand on amène à Jésus des enfants «  il les embrassait et les
bénissait en leur imposant les mains  »19. L’enseignement de Jésus est très
clair sur ce sujet  : «  Aimez vos ennemis… bénissez ceux qui vous
maudissent »20. L’apôtre Paul s’en fait le fidèle écho : « Bénissez ceux qui
vous persécutent. Bénissez et ne maudissez pas  »21. De même dans la
première épître de Pierre  : «  Ne rendez pas le mal pour le mal… au
contraire, bénissez, car c’est à cela que vous avez été appelés, afin d’hériter
de la bénédiction »22. D’autre part, quand on évoque Jésus bénissant, cela
éveille plus ou moins directement le souvenir des repas que Jésus a partagé
avec les foules – « Jésus prit les cinq pains et les deux poissons et, levant
son regard vers le ciel, il prononça la bénédiction  »23 – ou bien encore le
récit d’institution de l’eucharistie  : «  Pendant le repas, il prit du pain et,
après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit et le leur donna  »24.
L’apôtre Paul s’inspire assurément d’une formule liturgique quand il
écrit  :  «  La coupe de bénédiction que nous bénissons n’est-elle pas une
communion au sang du Christ ? »25.

La bénédiction et l’eschatologie
L’accent eschatologique décelé plus haut dans le judaïsme se
retrouve dans les Béatitudes de Matthieu dont le parallèle chez Luc
conserve le souvenir d’un volet symétrique avec des malédictions,
témoignant ainsi que le mot initial « Heureux ! » est un parfait synonyme de
« Béni ! ». Un instant de réflexion emporte la conviction : si les Béatitudes
ne sont pas entendues dans une perspective eschatologique, elles ne sont
que trompeuse illusion !
L’évangile de Matthieu offre une description métaphorique du
jugement dernier. Le Christ énonce son verdict : « Venez, les bénis de mon
Père, recevez en partage le royaume qui a été préparé pour vous depuis la
fondation du monde… Allez-vous en loin de moi, maudits, au feu éternel
qui a été préparé pour le diable et ses anges… Et ils s’en iront, ceux-ci au
châtiment éternel, et les justes à la vie éternelle »26. C’est aussi dans cette
perspective qu’il faut lire dans le livre des Actes que « Dieu a envoyé son
Serviteur pour vous bénir, en détournant chacun de vous de ses méfaits »27.

Bénédiction et malédiction selon l’apôtre Paul

La théologie paulinienne réserve une place centrale à l’annonce de


la bénédiction et de la malédiction. Avant de lire le passage qui, dans
l’épître aux Galates, est consacré à ce sujet, il est bon de citer le résumé
qu’en fait l’apôtre en une phrase lapidaire qui, bien que n’employant pas les
deux mots en question, n’en traite pas moins le thème : « Celui qui n’avait
pas connu le péché, [Dieu] l’a, pour nous, identifié au péché tous, afin que,
par lui, nous devenions justice de Dieu »28. Suivons maintenant le texte des
Galates (3.6-14)  : Abraham eut foi en Dieu et cela lui fut compté comme
justice. Les croyants sont ses fils et Dieu a promis qu’il les bénirait tous en
Abraham. Ceux qui pratiquent la loi doivent l’accomplir parfaitement sous
peine de tomber sous le coup de la malédiction. C’est le sort promis à tout
homme qui cherche sa justice dans l’obéissance à la loi, car seul celui qui
est juste par la foi vivra. Or accomplir parfaitement la loi est une exigence
impossible. Comment échapper à ce châtiment de malédiction  ? Le Christ
nous a rachetés de cette malédiction en devenant lui-même malédiction
pour nous  : sa crucifixion est en effet le signe de la malédiction qui nous
atteint tous. Mais par la foi nous recevons la bénédiction d’Abraham le
croyant, avec le saint Esprit promis.
Ce résumé est, je crois, fidèle au texte. Mais le raisonnement est si
dense qu’il mérite qu’on en tente un nouvel exposé  : Abraham eut foi en
Dieu et les fils que le Seigneur lui avait promis participeront à la
bénédiction promise aux hommes de foi. Mais la loi intervient, annonçant la
malédiction à tous ceux qui n’obéiraient pas toujours et parfaitement à ses
commandements. Personne ne pouvant satisfaire à cette exigence, c’est
donc la malédiction pour tous. Alors Dieu envoie son Fils comme homme
pour prendre sur lui la malédiction et désormais tous les hommes de foi
peuvent se présenter devant Dieu comme ses fils en Jésus Christ. Croire en
Jésus, c’est recevoir la bénédiction promise aux descendants d’Abraham le
croyant.

Après le Nouveau Testament

Cette extraordinaire révélation de ce que sont la bénédiction et la


malédiction de Dieu ne s’est pas aussitôt imposée à tout le christianisme.
Les jeunes communautés chrétiennes ont suivi avec prédilection les voix
qui assuraient simplement aux membres des Eglises la participation à la
bénédiction de Dieu. Dieu, écrit Hermas, a fondé sa sainte Eglise et l’a
aussi bénie29. Lorsqu’Ignace d’Antioche s’adresse à la communauté d’une
cité, il l’appelle « celle qui est bénie »30. Autrement dit : là où il y a Eglise,
il y a bénédiction.

Un dernier mot

Après cet exposé panoramique, peut-être n’est-il pas inutile de


rappeler le double usage qui est fait du mot bénédiction depuis le monde de
la Bible jusqu’au nôtre :
–Il désigne souvent au pluriel des réalités concrètes et généralement
matérielles que les hommes saluent comme des dons de Dieu : succès,
richesse, santé, longévité, etc.
–Mais il veut d’abord signifier que Dieu accorde aux siens la
bénédiction suprême qui est sa grâce, son aide, sa présence aimante, en
un mot son salut.
La chair

L’homme est chair

Il est sans doute utile de commencer par prendre conscience que nos
habitudes d’occidentaux voient l’homme comme doté d’un corps (de chair)
et d’un esprit immatériel. A quoi nous ajoutons le plus souvent une âme.
Cette conception nous vient de très loin, mais plutôt de la culture grecque
que de la Bible.
Pour les anciens Hébreux, l’anthropologie (la conception de
l’homme) peut être caractérisée comme somatique ou holistique pour
employer la terminologie contemporaine : l’homme est (remarquer le verbe)
chair c’est-à-dire qu’il est une créature dont la réalité physique peut le
rendre sensible à la révélation de Dieu comme en témoigne cette prière  :
«  Mon âme a soif de toi, ma chair languit après toi  »1. Mais la chair est
aussi le signe de la faiblesse de l’homme et de son caractère éphémère : la
chair est comme l’herbe2, elle fane et disparaît. Le créateur, qui a façonné
l’homme, souffle en lui son Esprit et l’homme devient un être vivant3,
littéralement « une âme vivante ». On aura noté qu’il n’est pas dit qu’une
âme est donnée à l’homme : il est chair et devient animé (du latin anima,
d’abord le souffle vital, finalement l’âme), vivant.
Pour compléter cette brève présentation de l’anthropologie
hébraïque, il faut ajouter que l’Esprit de Dieu qui anime l’homme implante
en lui un esprit qui est le siège de la volonté active. C’est l’esprit qui suscite
l’irritation et la colère dont l’homme n’est pas toujours maître. Il faut donc
que l’esprit de l’homme soit surveillé et maîtrisé par l’Esprit de Dieu.
Ajoutons enfin que dans l’homme, le cœur abrite l’intelligence
affective, la mémoire et la conscience. Une bonne synthèse de ces
conceptions se lit dans le Ps 51.12 : « Ô Dieu, créé pour moi un cœur pur !
Enracine en moi un esprit tout neuf ! » Comme être de chair, l’homme est
faible. Cette faiblesse sera vite regardée comme l’occasion offerte au mal
d’éloigner l’homme de son Dieu. A Qumran, on met en garde contre
l’iniquité de la chair4, mais on proclame que l’Esprit du Seigneur peut
purifier la chair5.

L’homme a une chair

Bientôt, l’influence de l’hellénisme se fera sentir avec son hésitation


à distinguer dans l’homme deux ou trois éléments constitutifs. On dira que
l’homme a (remarquer le verbe) un corps de chair et une âme, à quoi on
ajoute souvent qu’il a également un esprit. Selon le livre de la Sagesse de
Salomon6, « le corps soumis à la corruption, alourdit l’âme, l’enveloppe de
terre est un fardeau pour l’esprit, sollicité en tous sens». La chair prend
donc une connotation négative : c’est la partie de l’homme qui est encline
au péché. Cette idée a contaminé toute une partie du christianisme ancien.
Selon l’auteur de la première épître de Pierre, «  il faut s’abstenir des
convoitises charnelles qui font la guerre à l’âme  »7. L’épître à Diognète8
s’exprime de manière encore plus radicale : « La chair déteste l’âme et lui
fait la guerre… parce qu’elle l’empêche de jouir des plaisirs (de la chair) ».

Le Nouveau Testament

Mais la plupart des livres du Nouveau Testament témoignent d’une


conception de l’homme qui s’enracine dans la foi de l’ancien Israël. La
chair et le sang caractérisent la condition humaine9. C’est pourquoi il est si
important de confesser que Jésus-Christ est venu dans la chair10. Le
prologue du quatrième évangile culmine avec cette affirmation : « Le Verbe
s’est fait chair  »11. C’est là une action créatrice et miraculeuse de Dieu  :
quand l’apôtre Pierre confesse avoir reconnu en Jésus le messie, c’est une
révélation que ni la chair ni le sang n’ont pu lui accorder12. En effet « ce qui
est né de la chair est chair et ce qui est né de l’Esprit est esprit »13. Devant
les doutes des disciples et l’incrédulité des Juifs, Jésus donne cette
explication : « La chair ne sert de rien »14, ce qui signifie que ni la vue, ni
l’ouïe, ni le toucher – toutes fonctions de la chair – ne sont capables de
reconnaître en l’homme Jésus l’envoyé du Père.
Paul poursuit la réflexion de manière originale  : la faiblesse de la
chair en fait un instrument disponible pour la rébellion contre Dieu  ; elle
amène l’homme à chercher son assurance dernière, et donc son salut, dans
des valeurs et des comportements qui n’ont de réalité que charnelle. Les
pratiques religieuses qui prétendent garantir la faveur de Dieu mettent en
réalité leur confiance dans la chair15. Elles vont même jusqu’à pervertir
complètement la loi divine, la transformant en exigences d’actions
méritoires16.
Mais avec le Christ tout est changé : il est venu dans la chair et il a
crucifié la chair, ouvrant pour les hommes l’accès à un nouveau monde dans
lequel la vie est possible, la vraie vie, la vie que Dieu veut et qu’il donne17.
Là où la chair entraînait la domination du péché, l’Esprit de Dieu défait cet
esclavage et la loi retrouve sa finalité première qui est d’appeler à la
sainteté jusque dans l’existence charnelle18.
La croix et la mort de Jésus

Pourquoi la croix ?

Telle est bien la question, respectable dans sa naïveté, qu’un


ignorant pose en découvrant la doctrine chrétienne. Le but étant le salut, ne
suffisait-il pas au Tout-Puissant de le décréter ?
Pour celui qui pense en savoir un peu plus long, c’est parce que les
hommes sont pécheurs. Dieu a donc institué dans le passé d’Israël une
religion prévoyant que, par le moyen de sacrifices pour le péché, il leur
serait possible d’être pardonnés. Cette religion rituelle appelait un
accomplissement : sur la croix, le Christ meurt en parfait sacrifice pour les
péchés non de chaque individu offrant une victime, mais pour les péchés de
tous les hommes, quels qu’ils soient. Or, comme on va le voir, les textes des
évangiles ne soutiennent pas cette explication. Il faut donc les relire avec
attention. La première question qu’il faut poser concerne la manière dont on
peut penser que Jésus a envisagé son propre ministère.

Jésus a annoncé qu’il mourrait de mort violente

Selon les évangiles, Jésus a, à plusieurs reprises, annoncé sa


certitude de marcher vers une mort violente et ce de manière très explicite :
Mc 8.31 ; 9.31 ; 10.33. La troisième de ces annonces est souvent regardée
comme prophétie ex eventu, c’est-à-dire rédigée par quelqu’un qui
connaissait les détails de l’histoire de la Passion et voulait montrer que
Jésus en avait précisément prédit le déroulement  : Jésus sera livré aux
grands prêtres et aux scribes qui le condamneront à mort et le livreront aux
païens. Il sera l’objet de moqueries, on crachera sur lui, il subira le fouet,
sera tué et trois jours après il ressuscitera.
Il est clair que plusieurs détails de ce texte dépendent du récit de la
Passion. Il n’en faut pas pour autant conclure que toutes ces annonces sont
des créations de l’Eglise primitive. En effet, les deux premières annonces se
prêtent beaucoup moins bien à cette interprétation. Et même dans le
troisième texte, la mention «  après trois jours  » n’est manifestement pas
créée d’après les évangiles : elle ne s’accorde pas avec la chronologie qu’ils
supposent et que l’Eglise a reprise et selon laquelle c’est le troisième jour
qu’a lieu la résurrection et non le quatrième comme les disent nos trois
textes.
–Mc 8.31 prophétise les souffrances, le rejet par les anciens, les grands
prêtres et les scribes (c’est-à-dire le sanhédrin, expression de l’autorité
juive du temps), la mort et la résurrection après trois jours.
–Selon Mc 9.31, Jésus sera livré aux hommes qui le tueront. Il
ressuscitera après trois jours.
Il n’y a là rien d’inouï  : à plusieurs reprises Jésus a exprimé la
conviction que son ministère le conduirait nécessairement à la mort  :
« Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes… ! »1.
–En Mc 2.18ss, questionné sur la pratique du jeûne qui exprime la
tristesse, Jésus répond que tant qu’il est présent, lui l’époux, il n’est
pas question de s’affliger. Il en sera temps lorsqu’il sera enlevé à ceux
qu’il aime. C’est une allusion évidente à l’issue fatale de son ministère
terrestre.
–En Mc 10.38, la coupe que Jésus annonce qu’il devra boire et le
baptême dont il doit être baptisé font clairement référence à sa mort
qu’il voit violente et proche.
–Selon Lc 13.33, il n’est pas possible qu’un prophète périsse hors de
Jérusalem.
–En Mc 14.8, Jésus interprète l’onction de Béthanie comme
l’anticipation de l’embaumement de son corps après sa mort.
–En Mc 10.45, Jésus dit qu’il est venu pour donner sa vie en rançon
pour la multitude.
–Jn 10.15 présente Jésus comme le bon berger qui donne sa vie pour
ses brebis.
–En Jn 1.29, lorsque Jean le Baptiste salue Jésus comme l’agneau de
Dieu qui enlève le péché du monde, il prophétise selon l’évangile de
Jean la crucifixion au cours de laquelle, conformément aux
prescriptions relatives à l’immolation de l’agneau pascal, ses membres
ne seront pas brisés (Jn 19.36).
–Selon Jn 3.14ss, le Christ doit être élevé (ici dans le sens : élevé sur la
croix) pour que les hommes puissent accéder à la vie éternelle.
–En Jn 12.32ss, Jésus dit : « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai
les hommes à moi » et l’évangéliste explique que par ces paroles Jésus
indiquait de quelle mort il allait mourir.
Tous ces textes n’ont pas la même valeur probante. Il n’en demeure
pas moins qu’on peut se convaincre que Jésus a compté avec une mort
violente comme partie intégrante de son ministère terrestre.

Une mort prophétisée

A plusieurs reprises, Jésus se réfère à une prédiction scripturaire.


Mais il faut remarquer que dans la plupart des cas, il décrit son sort comme
celui du Fils de l’homme dont la mort est prophétisée. Elle est clairement
alléguée en Mc 8.31 et parallèles  : «  Il commença à leur enseigner qu’il
fallait que le Fils de l’homme souffrît beaucoup, qu’il soit rejeté… » Même
annonce en Mc 9.12 : « Il est écrit du Fils de l’homme qu’il doit beaucoup
souffrir…  » On notera que cette problématique référence a été reprise par
Matthieu2. A quel texte Jésus se réfère-t-il  ? On ne lit nulle part dans
l’Ancien Testament que le Fils de l’homme dont il n’est question que dans
le chapitre 7 du livre de Daniel ait à connaître mort et souffrances. Mais
peut-être posons-nous la question en des termes inadéquats  : Jésus
s’identifie au Fils de l’homme, mais il se reconnaît en tout premier lieu
comme un envoyé de Dieu comme l’ont été avant lui et le seront encore les
prophètes. C’est pourquoi il n’envisage pas pour lui-même un sort différent
du leur3. Quels textes peuvent être invoqués pour justifier cette conviction ?

La prophétie d’Esaïe

On pensera en premier lieu aux chants du Serviteur du Seigneur


qu’on lit dans les chapitres 42 et suivants du livre d’Esaïe et spécialement
au chapitre 53. Le premier poème présente ce mystérieux personnage  :
«  Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu que j’ai moi-même en
faveur. J’ai mis mon Esprit sur lui4  ». Le Seigneur destine ce Serviteur à
être l’alliance du peuple, la lumière des nations. Il rendra la vue aux
aveugles et la liberté aux captifs5. Ce serviteur est parfois identifié au
peuple élu : « Ecoute, Jacob mon serviteur, Israël, que j’ai choisi »6. Parfois
il s’agit à l’évidence d’un individu qui se plaint de la dureté de son sort  :
«  J’ai livré mon dos à ceux qui me frappaient… je n’ai pas caché mon
visage face aux outrages et aux crachats »7.
Mais Dieu intervient puissamment en sa faveur  : «  Voici que mon
Serviteur réussira, il sera haut placé, élevé, exalté à l’extrême… Son
apparence n’était plus celle d’un homme… il n’avait ni aspect ni
prestance… méprisé, laissé de côté par les hommes, homme de douleurs,
familier de la souffrance… Mais ce sont nos souffrances qu’il a portées… Il
a été broyé à cause de nos perversités… La sanction, gage de paix pour
nous était sur lui, dans ses plaies se trouvait notre guérison… Brutalisé, il
s’humilie, il n’ouvre pas la bouche, comme un agneau traîné à l’abattoir,
comme une brebis devant ceux qui la tondent : elle est muette ; lui n’ouvre
pas la bouche… Il a été retranché de la terre des vivants, à cause de la
révolte de son peuple, le coup est sur lui »8. Et le texte poursuit en parlant
de la mort du Serviteur comme d’un sacrifice de réparation et en lui
promettant au nom du Seigneur une gloire finale valant justification pour
des multitudes «  parce qu’il s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort et
qu’avec les pécheurs il s’est laissé recenser, puisqu’il a porté, lui, les fautes
des foules et que pour les pécheurs, il vient s’interposer »9.
Quel est ce Serviteur dont le destin personnel est si riche de
bénédictions pour les hommes pécheurs  ? Un prophète assurément qui
assume douloureusement la mission confiée au peuple d’Israël. Il faut
prendre conscience que cette annonce n’est pas tout à fait unique. Jérémie
déjà prenait sa part du châtiment et des souffrances que Dieu, dans les
larmes, infligeait à son peuple. Ezéchiel a vécu dans sa chair la culpabilité
et le châtiment d’Israël10. De sa personne Dieu a fait un signe de jugement
et d’espoir pour le peuple11. Mais c’est surtout au précédent de Moïse qu’il
faut penser  : pendant qu’il reçoit les lois du Seigneur sur le mont Sinaï,
Israël se fabrique un veau d’or pour se prosterner devant lui. La colère de
Dieu s’enflamme  : il veut anéantir son peuple. Seule l’intercession de
Moïse le fait renoncer à sévir12, mais rien n’est oublié. Alors Moïse plaide
pour le pardon. Si Dieu ne l’accorde pas, qu’il efface son nom, à lui Moïse,
du grand livre écrit par le Seigneur ! La réponse sera mesurée : Moïse doit
endosser la faute du peuple. En conséquence il ne verra que de loin la terre
promise à Israël13.

Le Serviteur de Dieu

En vérité, les chants du Serviteur dans la deuxième partie du livre


d’Esaïe pourraient bien être une prophétie inspirée par l’histoire de Moïse
que la piété d’Israël regardait comme promise à un avenir heureux. Voici
comment, dans le Deutéronome, Moïse est censé exprimer cette prédiction :
«  C’est un prophète comme moi que le Seigneur ton Dieu te suscitera du
milieu de toi, d’entre tes frères. C’est lui que vous écouterez  »14. Il faut
pourtant remarquer  un élément nouveau dans les chants du Serviteur  : le
caractère volontaire de la décision d’assumer la souffrance et la mort.
Reste un point capital : dans les exemples de Moïse, de Jérémie et
d’Ezéchiel, il s’agissait du châtiment mérité par les infidélités d’Israël  :
elles retombaient sur le seul prophète regardé comme représentant le
peuple. C’était, il faut bien le voir, de la part du Seigneur une mesure de
grâce signifiant que les fautes des hommes ne peuvent empêcher l’histoire
du salut de marcher vers son accomplissement. Ainsi Moïse n’entrera pas
dans la terre promise, mais le peuple coupable y sera conduit.
Dans le cas du Serviteur, comment les mortelles souffrances sont-
elles qualifiées  ? La réponse qui semble s’imposer est qu’elles sont
regardées comme un sacrifice. A regarder de près, cette évidence est
problématique. Certes on lit en Es 53.10 que le Seigneur prend la vie du
Serviteur comme un Asham, mot qui fait effectivement partie de la
nomenclature sacrificielle sans qu’on puisse clairement définir de quel
sacrifice il s’agit. On traduit généralement « sacrifice de réparation »15, en
le distinguant clairement du sacrifice d’expiation ou sacrifice pour le péché
(Hattat16) qui est à proprement parler un rite d’absolution. L’hésitation sur
l’appréciation de ce rite est particulièrement perceptible en 1S 6.3  : les
prêtres et les devins donnent ce conseil aux Philistins qui veulent se
débarrasser de l’arche de l’alliance dont la conquête ne leur apporte que des
malheurs : « Si vous renvoyez l’arche du Dieu d’Israël, ne la renvoyez pas
sans rien. Au contraire, ayez soin de lui fournir une réparation (Asham) ».
On aurait tendance à traduire «  compensation, dédommagement  », ce qui
oriente vers le domaine du juridique plus que du sacrificiel.
De plus, comment accepter que dans cet exemple unique, il soit
question d’un sacrifice humain sans qu’un mot soit dit pour introduire cette
énormité ! Quoi qu’il en soit, l’accent majeur dans les chants du Serviteur
est que la victime prend la place des coupables dans un processus de
substitution qui ne relève pas des catégories sacrificielles. Les péchés du
peuple se condensent en quelque sorte dans la personne du Serviteur. Pour
les coupables, Dieu n’est plus que le Seigneur qui accorde paix et justice, et
qui se veut alliance du peuple et lumière des nations. C’est ce rôle
substitutif du Serviteur qui est la pointe originale de ces textes qu’on a
parfois appelés ‘le cinquième évangile’, tant ils semblaient prophétiser
clairement la Passion du Christ.

La prophétie du Serviteur dans le christianisme primitif

C’est bien ainsi que les premiers chrétiens l’ont comprise. Si les
textes du Nouveau Testament s’y réfèrent rarement de manière explicite, les
allusions ou citations indirectes sont très nombreuses.
On mentionnera en tout premier lieu les mots qui, malgré les
différences qui les séparent, se retrouvent dans tous les récits d’institution
de l’eucharistie  : «  Ceci est mon sang, le sang de l’alliance versé pour la
multitude (en grec hyper pollôn17). On se réfèrera à Es 53.12 : « Il a porté
les péchés de la multitude (pollôn) ». L’apôtre Paul cite une confession de
foi antérieure : « Christ est mort pour nos péchés selon les Ecritures »18.
Selon Lc 22.37, Jésus voit son dénuement comme
l’accomplissement d’Es 53.12.
En Rm 8.32, Paul écrit que Dieu a livré son Fils pour nous tous »19.
Selon Rm 5.16,19, l’obéissance du seul Jésus Christ est la
justification pour la multitude20.
L’hymne de Ph 2.7-8 célèbre Jésus qui a pris la condition de
Serviteur et s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort21.
Il est donc clair que Jésus lui-même a vu dans son ministère terrestre
l’accomplissement des prophéties d’Esaïe et que le christianisme primitif a
très tôt fait de même. Pourtant il faut noter que ces références aux chants du
Serviteur ont bien vite cessé d’être considérées comme une explication
suffisante de l’œuvre du Christ. Après l’époque de la rédaction du Nouveau
Testament, on n’en trouve plus que des références globales et encore
seulement dans des écrits qui s’inspirent d’anciennes liturgies comme la
Didachè, la première épître de Clément et le Martyre de Polycarpe. La
remarque a son prix  : elle permet de faire remonter très haut et jusqu’à
Jésus lui-même la conviction que sa vie et sa mort étaient
l’accomplissement des prophéties annonçant le sort du Serviteur. Si après
les années 100, ces références deviennent rares et à peine perceptibles, c’est
que le souvenir de cette prédication s’est presque estompé et qu’il cède la
place à l’annonce de Jésus le Messie.

Jésus a-t-il voulu être le Messie ?

On évoquera ici en premier lieu la très célèbre confession de Pierre.


A Jésus qui demande à ses disciples «  Et vous, qui dites-vous que je
suis  ?  », Pierre répond  : «  Tu es le Christ (le Messie), le Fils du Dieu
vivant  »22. Mais il faut poursuivre la lecture du texte qui se termine sur
l’ordre surprenant de Jésus interdisant à ses disciples de répandre cette
confession de foi. Le titre de Messie a en effet trop d’harmoniques
politiques et il évoque trop les pouvoirs et les gloires d’un roi, ce que Jésus
refuse.
Il est à cet égard très significatif que Marc23 suivi par le seul Luc24
enchaîne immédiatement avec une correction que Jésus apporte : le titre de
Messie ne lui convient pas car «  il faut que le Fils de l’homme souffre
beaucoup, soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il
soit mis à mort et que, trois jours après, il ressuscite  ». Cette annonce
suscite les protestations scandalisées de Pierre qui ne veut pas entendre
parler d’un Messie souffrant. Mais Jésus dénonce le caractère satanique de
cette méprise fondamentale  : les souffrances et la mort font, selon les
prophéties d’Esaïe, nécessairement partie du ministère de l’Envoyé de Dieu
qu’est le Serviteur. Et c’est le moment d’ajouter que le mot grec Serviteur
peut aussi bien être traduit par « fils ».

Le Fils de l’homme

On aura noté que Jésus a remplacé le titre de Messie par celui de


Fils de l’homme. Cette correction n’a rien de fortuit : lorsque, au cours du
procès de Jésus, le grand prêtre lui demande : « Es-tu le Messie ? », Jésus
répond affirmativement mais il se reprend aussitôt : « Vous verrez le Fils de
l’homme siégeant à la droite du Tout-Puissant et venant avec les nuées du
ciel  »25. Les termes sont assez précis pour indiquer une référence quasi
littérale à Daniel26qui prophétise l’intronisation céleste d’un Fils d’homme
appelé à prendre part au jugement eschatologique sur les royaumes du
monde. Au cours de la vision, on apprend que ce mystérieux personnage est
sans doute la représentation symbolique du «  peuple des saints du Très
Haut  »27. Pourtant, la première mention de ce Fils de l’homme fait
naturellement penser à un individu. Le bas-judaïsme l’a, à plusieurs
reprises28, identifié au Messie. Or, on se souvient que Jésus, manifestant
une sévère réserve à se dire Messie, se réclame régulièrement du titre de
Fils de l’homme. Avant de tenter de cerner le sens de cette appellation,
notons que, comme le Serviteur, le Fils de l’homme semble désigner aussi
bien le peuple saint qu’un individu qui le représente ou l’incarne.
Il est temps de s’interroger : que veut dire Fils de l’homme ou Fils
d’homme ? L’expression désigne, au moyen d’une périphrase typiquement
sémitique, tout simplement l’homme. Sans doute faut-il cependant préciser :
l’Homme – avec une majuscule. De toute évidence il s’agit d’un titre et le
personnage en question est en relation avec l’homme Adam qui représente
l’humanité et l’a entraînée dans la rébellion contre son créateur. Si les
paroles de Jésus ne nous permettent pas de découvrir toutes les idées
théologiques qui pouvaient se développer à partir du titre de Fils de
l’homme, des textes chrétiens parmi les plus anciens le font. Dans le
chapitre 5 de son épître aux Romains, l’apôtre Paul brosse une peinture
saisissante de l’histoire du salut  : par le péché du seul Adam, c’est
l’humanité entière qui se montre désobéissante à Dieu. Par la grâce
accordée à un seul homme, Jésus Christ, sa grâce s’est répandue sur la
multitude. A la faute d’Adam, répond souverainement la justice du Christ.
La désobéissance d’Adam est effacée par l’obéissance du Christ. Plus
précisément voici ce qu’en substance Paul écrit aux chrétiens de
Corinthe29 : Adam n’avait qu’une vie animale, mais le dernier Adam vit de
l’Esprit et le communique. Tel est le raisonnement théologique qui pouvait
s’appuyer sur le titre ‘Fils de l’homme’.
Le Fils de l’homme doit-il souffrir ?

Reste une difficulté majeure : Jésus, lorsqu’il se reconnaît comme le


Fils de l’homme, affirme aussitôt que cela entraîne nécessairement pour lui
des souffrances et la mort. Un texte que Paul emprunte peut-être à une
tradition chrétienne antérieure (l’hymne de Ph 2.5-11) est susceptible de
nous faire comprendre pourquoi il en est ainsi. Le Christ qui était «  de
condition divine  » a pris «  la condition de Serviteur  ». Notre mot
«  condition  » traduit le grec morphè  : la forme, l’aspect, l’apparence, la
ressemblance. C’est certainement une référence à Gn 1.26  : Dieu crée
Adam à son image et ressemblance. Or le Christ est l’image de Dieu, selon
l’apôtre Paul30. Adam a désobéi et le serpent satanique a justement apprécié
l’importance de cette faute initiale  : «  Le jour où vous mangerez… vous
serez comme des dieux possédant la connaissance de bien et du mal ». Mais
le Christ, deuxième Adam, « n’a pas regardé comme une proie à saisir
d’être égal de Dieu  »31. Voici donc enfin l’Homme, le Fils de l’homme,
celui qu’attendait le créateur, celui que Jésus a choisi d’incarner. Qu’est-ce
que cela implique pour lui ? Loin de la désobéissance d’Adam qui l’amène
à se vouloir Dieu, à se préférer à Dieu, le nouvel Adam est obéissant
jusqu’à en mourir sur la croix32.
Voilà le grand mystère  : Jésus, parfaite image de Dieu, obéit
parfaitement à sa volonté et cela entraîne sa crucifixion. La volonté de
Dieu, l’image de Dieu c’est non pas l’aspiration au pouvoir suprême, mais
le don de soi poussé jusqu’à sa dernière conséquence. Voilà l’Homme,
l’homme de Dieu, le nouvel Adam qui recommence enfin l’histoire et qui, à
son tour, entraîne l’humanité vers l’avenir glorieux que le créateur lui
destinait.
On ne saurait mieux résumer tout cela qu’en citant le quatrième
évangile  : «  Il faut que le Fils de l’homme soit élevé afin que quiconque
croit ait, en lui, la vie éternelle  »33. L’élévation dont parle Jean, c’est la
crucifixion qu’il qualifie également de glorification34.

En conclusion

Faisons le point  en tentant un résumé synthétique. Jésus n’a pas


accepté sans de sérieuses réserves d’être reconnu comme le Messie. Il se
voit plutôt comme le Fils de l’homme, mais comprend ce titre comme
impliquant ses souffrances et sa mort. Tel était le destin promis au Serviteur
du Seigneur dans la prophétie dans laquelle Esaïe annonçait la venue d’un
personnage appelé à souffrir et à mourir pour les hommes bien qu’ils
fussent pécheurs. Il doit mourir pour eux, c’est-à-dire à leur place dans une
logique de substitution et non de sacrifice.
Comment cela se réalise-t-il  ? Selon l’apôtre Paul, le Fils de
l’homme (comprenons  : l’Homme) est celui qui vient accomplir ce que
Dieu avait voulu pour Adam, le premier homme. Celui-ci avait préféré son
désir propre à la volonté de Dieu. Mais voici le second Adam qui est
l’homme selon le cœur de Dieu. Il se donne pour le monde que Dieu a tant
aimé. Il pousse cet amour jusqu’au don suprême. Il accepte de mourir pour
les pécheurs que nous sommes. L’histoire de Jésus vient récapituler toute
l’histoire depuis son tout début. Elle devient ainsi l’histoire nouvelle de tous
les hommes.
Le diable - Satan

Contrairement à ce qu’on croit, le mot Satan est en hébreu un nom


commun qui signifie à peu près adversaire, ennemi, accusateur  : les
Philistins se méfient de David qu’ils craignent de voir se transformer d’allié
en adversaire1. David reprend Abishaï parce qu’il intervient comme un
accusateur de Shiméï2.
Mais le mot ne tarde pas à prendre un sens plus précis : Zacharie3 a
la vision du grand prêtre Josué, debout devant l’ange du Seigneur. Le satan
se tient à sa droite pour l’accuser. Dans l’audience de la cour céleste que
décrit Job4, le satan est présent et il ne tarde pas à mettre en doute la
sincérité de la fidélité de Job à son Dieu.
Dans le premier livre des Chroniques5, pour la première fois dans la
Bible, le mot, employé sans article, apparaît comme nom propre : Satan se
dresse contre Israël et pousse David, contre la volonté de Dieu, à dénombrer
son peuple.
Il est intéressant de noter que Satan n’a pas de nom puisqu’on ne le
nomme qu’à partir de ce qu’il fait. Il faut comprendre qu’Israël n’a pas
voulu chercher à dissiper le mystère qui entoure l’inexplicable justification
de l’existence du mal dans le monde, car expliquer le mal, c’est – en
dernière analyse – en attribuer la responsabilité au Dieu tout-puissant, ce
qui est un scandale  ! On constate le mal, on ne peut l’expliquer. Le bas-
judaïsme6 n’aura pas la même sagesse  : les Pharisiens de l’évangile
accusent Jésus de pratiquer des exorcismes au nom de Béelzéboul, le prince
des démons, et la réponse de Jésus montre qu’il connaît ce nom comme l’un
de ceux que porte Satan7.
L’apôtre Paul mentionne en une seule occasion un autre nom que le
judaïsme emprunte au langage commun pour l’appliquer à Satan : « Qu’y a-
t-il de commun, demande-t-il, entre Christ et Béliar  ?  » Ce nom est une
approximative transcription du mot hébreu Béliyya’al qui signifie
exactement : vaurien (vaut rien)8.
Il est très significatif que les premiers chrétiens aient souvent choisi
de traduire en grec le mot Satan par diabolos qui a le même sens  :
l’adversaire, l’ennemi, l’accusateur. Et l’on sait énumérer à l’infini les
actions de ce diable/Satan :
Selon Jean 8.44, il est le père du mensonge, car il met en doute la
vérité de la parole de Dieu adressée à Adam et Eve, ce qui les conduit à la
mort. Il est donc aussi le premier meurtrier. C’est lui qui, sous la forme du
serpent des origines, réussit par ses insinuations à séparer Adam et Eve de
leur Dieu9. Il empêche la semence de l’Evangile de germer10  ; il nuit à
l’exercice du ministère de Paul11  ; il suscite l’hostilité envers les Eglises
chrétiennes12 et dresse les empereurs romains contre elles13 ; il détourne les
fidèles de leur obéissance14 ; c’est lui qui inspire sa trahison à Judas15 qui
de ce fait peut être appelé diable16 ; il est l’auteur de la tentation de Jésus17
et lorsque Pierre refuse d’envisager que le ministère de Jésus le conduise à
la mort, il faut y voir l’œuvre de Satan lui-même18.
Mais au centre de l’Evangile, se trouve l’affirmation de la victoire
remportée par Jésus sur Satan. Lorsque les disciples, envoyés en mission,
reviennent vers leur maître, heureux d’avoir pu constater la puissance
miraculeuse de l’Evangile, Jésus s’écrie : « Je voyais Satan tomber du ciel
comme l’éclair »19. Selon l’Apocalypse, c’est la mort du Christ qui signifie
la défaite de Satan et la victoire que les chrétiens peuvent remporter sur lui,
quand bien même ils auraient à subir le martyre20.
C’est là que l’on découvre la problématique fondamentale du
message chrétien  : l’ère nouvelle est là, les derniers temps sont arrivés, le
royaume de Dieu s’est approché, Satan est vaincu, du ciel il est chassé sur
la terre. Mais là il peut encore nuire21. C’est pourquoi les chrétiens ont
appris à prier  : «  Délivre-nous du Mal  »22 et il faut comprendre qu’il ne
s’agit pas du principe impersonnel du mal, mais de celui qui l’invente et le
réalise tous les jours  : le Mauvais, le Malin. Et cette prière s’appuie sur
celle que Jésus lui-même adresse à son Père : « Je ne te demande pas de les
ôter du monde, mais de les garder du Mauvais »23.
Mais la menace que celui-ci, malgré la victoire du Christ peut
encore faire peser sur les fidèles du Christ, ne dure pas à jamais  : un
châtiment éternel attend Satan et les siens24 et c’est alors le règne de Dieu
pour les siècles des siècles25.
La diaconie (diacre, servir)

L’hébreu comme le français utilise le verbe «  servir  » dans deux


sens : servir à table et servir Dieu. Les traducteurs de l’Ancien Testament en
grec ont voulu lever toute ambiguïté  : ils ont choisi Douleuein quand il
s’agit d’un service domestique et Leitourgein (qui a donné le mot liturgie)
ou Latreuein (que l’on retrouve dans idolâtrie) quand le mot est pris dans
une acception cultuelle. Diakonein est tout simplement ignoré par les
traducteurs de l’Ancien Testament, alors que le Nouveau Testament
privilégie absolument ce verbe et ses dérivés.
Le sens premier est celui qui caractérise l’activité du serviteur ou de
l’esclave à qui son maître ordonne de lui servir un repas, en se préparant
pour ce service1. Jésus est invité à Béthanie à un repas où Marthe sert,
tandis que Marie oint les pieds de Jésus2. C’est l’occasion pour le Christ de
révéler la portée spirituelle du mot dans sa double acception  : «  Si
quelqu’un veut me servir, qu’il se mette à ma suite, et là où je suis, là aussi
sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, le Père l’honorera »3. Et encore :
« Lequel est le plus grand, celui qui est à table ou celui qui sert ? N’est-ce
pas celui qui est à table  ? Or moi je suis au milieu de vous à la place de
celui qui sert »4. Servir est donc la vocation du Christ et ceux qu’il appelle
pour les envoyer en mission seront des serviteurs, servant l’Evangile ou la
communauté chrétienne, ou l’Esprit, ou la justice de Dieu5. Dans ce sens,
Paul peut bien regarder son apostolat comme un service6. La traduction qui
s’impose alors est celle de ministère.

La diaconie et les diacres

Si le service peut être mentionné parmi des ministères ou des


charismes variés7, le mot n’en conserve pas moins le souvenir de son
origine très liée à un service matériel de bienfaisance  : c’est à tous les
fidèles que sera confié le soin de donner à manger aux affamés et à boire à
ceux qui ont soif, d’accueillir les étrangers, de vêtir les démunis, de visiter
les malades et les prisonniers, c’est-à-dire d’assurer le ministère d’une
diaconie qui est la vocation de toute communauté chrétienne8.
La première épître à Timothée9 énumère les conditions que doivent
remplir ceux qui aspirent au ministère de diacre (diakonos en grec). Et la
Vulgate latine renonce alors à traduire minister (serviteur)
pour choisir
diaconus. C’est l’apparition du ministère diaconal spécialisé dans la
bienfaisance et donc dans la gestion des sommes que les chrétiens donnent
dans ce but.
Le christianisme a regardé les diacres comme les premiers
auxiliaires de l’évêque. Les règles qui les concernent suivent
immédiatement celles qui sont applicables aux évêques10 et Paul adresse sa
lettre aux chrétiens de Philippes en mentionnant les évêques et leurs
diacres11.
Lorsque l’apôtre organisera une collecte en faveur des chrétiens de
Jérusalem parmi les Eglises de Grèce, il regardera cette action diaconale
comme une grâce et un service, revenant ainsi de manière admirable à la
double acception du mot  : c’est à la fois une geste très matériel et
l’expression du culte rendu au Seigneur12.
Dieu le Père et son Fils Jésus

L’ANCIEN TESTAMENT

Au commencement – souvenons-nous que les premiers chapitres de


la Genèse ne présentent pas la tradition la plus ancienne – au
commencement, il y a Abraham. Il entend une voix qui n’est pas celle d’un
homme. Elle lui dit deux choses  : «  Va-t-en vers un pays que je te
donnerai. » et « Je ferai de toi un peuple, mon peuple car je suis le Dieu qui
bénit. » Abraham eut foi en ce Dieu1 qui fit alliance avec lui2.
Ensuite vient Moïse à qui le même Dieu confie la mission de libérer
son peuple de l’esclavage en Egypte. Mais Moïse veut en savoir plus sur ce
Dieu  : «  Quel est ton nom, demande-t-il, afin que le peuple sache à qui
s’adresser et qui adorer et supplier ? » La réponse de Dieu est remarquable :
elle joue sur les mots ; « Je suis qui je suis » ou plus vraisemblablement « Je
serai qui je serai »3. Autrement dit : pour vous je suis là et je le serai.
Les consonnes du verbe, correctement vocalisées, se prononcent  :
Yahwé. Dieu ne donne donc son nom qu’à demi-mot, à ceux qui en lisant le
texte le savent déjà. Cette révélation prend en outre grand soin de préserver
le mystère de la libre volonté de Dieu, ce que le second verbe précise
clairement. Lors de la traduction en grec, bien des siècles plus tard, on a
voulu trouver là une définition quasi philosophique de l’être de Dieu : « Je
suis l’étant (celui qui EST) », ce qui est tout à fait étranger au texte hébreu.
Celui-ci se comprend plutôt comme une promesse d’histoire partagée.
Par la suite, Israël affirmera sa foi en ce Dieu reconnu comme
unique. Il est le Dieu jaloux qui ne tolère pas de coexister avec d’autres
prétendues divinités4. Il est le seul et il est tout-puissant, c’est lui qui a créé
le monde. Cette œuvre extraordinaire n’a en fait qu’une finalité : l’homme à
qui Dieu confie le soin de la création5, mais en lui interdisant de chercher à
se diviniser6. Ainsi, dire que Dieu est créateur, c’est confesser qu’il est le
Dieu qui ouvre devant l’homme une histoire qui est l’histoire du salut. C’est
pourquoi les prophètes et les psalmistes célèbrent d’une seule voix Dieu
comme créateur et comme sauveur7.
Yahwé révèle à l’homme sa sainteté dans le culte, mais de manière
proprement extraordinaire8. C’est là que les hommes peuvent l’approcher
sans que sa sainteté les détruise. C’est là que l’on célèbre son action (voir
Dieu de dos, quand il a passé9). C’est une œuvre de salut, car il sauve pour
l’amour de son nom10. S’il châtie ceux qui s’opposent à ses desseins, c’est
pour qu’ils finissent par reconnaître qu’il est Yahwé, comme Ezéchiel ne
cesse de le répéter11.
Il règne donc : c’est à bon droit que les juifs prononcent « Adonaï
(Seigneur)  » chaque fois qu’ils lisent les quatre consonnes du nom divin,
usage que la traduction grecque de l’Ancien Testament a repris en
employant chaque fois le mot Kyrios (Seigneur). Yahwé est avant tout un
Dieu qui place l’humanité dans une histoire et celle-ci tend vers une fin  :
ses fidèles sont appelés à proclamer son nom dans le monde12 et, lorsque
viendra le temps de l’achèvement, ce sera l’instauration définitive du règne
de Dieu. Tous les peuples, même les plus hostiles, monteront à Jérusalem
pour adorer le Seigneur en une célébration cultuelle universelle13.

LE NOUVEAU TESTAMENT

Tous les auteurs du Nouveau Testament s’accordent pour affirmer


que leur Dieu est bien celui que les patriarches et les prophètes ont adoré.
Ils parlent volontiers du « Dieu de nos pères ».
Mais une révolution profonde s’est opérée  : Jésus est venu et il a
apporté une révélation parfaite d’un Dieu jusque-là souvent seulement
deviné ou mal compris. Pour apprécier justement cette mutation, il faut
essayer de découvrir aussi précisément que possible ce que fut Jésus, son
message, son œuvre, en un mot : sa vie.

Comment connaître Jésus ?

Ici il faut s’arrêter un instant pour réfléchir aux conditions de cette


recherche. La personne de Jésus nous est présentée dans les quatre
évangiles. Mais ces livres ne veulent absolument pas être des biographies.
Ils racontent ce que d’anciennes et précieuses traditions leur ont appris sur
celui qui est leur maître et le Seigneur éternellement présent pour les siens,
ayant triomphé de la mort par sa résurrection. Autrement dit, les évangiles
sont des témoignages délibérément colorés par la foi qui anime les
premières communautés chrétiennes. En conséquence, les renseignements
qu’ils nous donnent sur Jésus ne sont recevables comme historiques
qu’après un sérieux travail exégétique. Il ne faut aucunement s’en effrayer,
encore moins s’en scandaliser  : selon une parole de Jésus, la foi des
chrétiens se fonde sur la parole des apôtres14, c’est-à-dire sur les évangiles
tels que nous les lisons. Il faut insister : la seule base sûre de la foi n’est pas
donnée par le travail de l’historien cherchant à déterminer ce que Jésus a pu
sûrement dire ou faire, mais le témoignage de la foi des tout premiers
croyants. La démarche critique de l’historien n’est pourtant pas inutile : elle
parvient parfois, souvent, à répondre à notre très respectable et pieuse
curiosité, avide d’entendre les mots mêmes que Jésus a prononcés et de le
voir agir.
Ce long préambule était nécessaire pour expliquer le plan de
l’exposé qui va suivre. Il tentera – et c’est vraiment une tentative – de
distinguer entre le Jésus que le travail de l’historien sur les évangiles permet
d’approcher avec une relative sûreté et le Jésus que les évangélistes et les
auteurs des autres livres du Nouveau Testament reconnaissent comme leur
Seigneur et le Seigneur du monde.

LE JÉSUS DE L’HISTOIRE

Il est parfaitement établi que, sous le règne de l’empereur Tibère,


paraît en Palestine un homme exceptionnel dont la prédication attire autour
de lui un grand nombre de disciples et d’auditeurs. Il finit sur une croix,
condamné par le préfet Pilate. Ensuite de quoi, ceux qui l’avaient suivi ont
proclamé qu’il était ressuscité. Tel est le cadre général. Mais les évangiles
permettent d’avancer avec assurance bien d’autres affirmations.
Au risque de tomber dans un schématisme appauvrissant, il est
possible de dégager quelques lignes de force qui ont structuré la vie et
l’enseignement de Jésus.

Fils de Dieu
Jésus est baptisé par Jean le Baptiste. A cette occasion, il entend une
voix céleste proclamer  : «  Tu es mon Fils bien aimé, il m’a plu de te
choisir »15. Jésus se sait donc invité à reconnaître en Dieu son Père et à faire
partager cette assurance à tous ceux qui veulent bien l’entendre. N’invite-t-
il pas à prier : « Notre Père… » ?
C’est la bienheureuse annonce d’une nouvelle relation personnelle à
un Dieu jusque-là présenté comme principalement intéressé par le destin de
son peuple. Il est particulièrement remarquable que Jésus ait manifesté une
nette réserve quant au titre de messie, évidemment en raison des accents
politiques et triomphaux que ce terme véhicule16. Messie (Mashiah en
hébreu, Christos en grec) signifie « oint ». En Israël, c’est d’abord le roi qui
est oint au nom de Dieu. Ainsi Samuel oint-il David17. Celui-ci est un roi si
remarquable que sa royauté est bientôt regardée comme un modèle et les
prophètes d’Israël annoncent la venue d’un souverain de même
descendance, que Dieu enverra pour le salut de son peuple18. Au temps de
Jésus, le judaïsme attend ardemment ce royal sauveur19.

Le royaume de Dieu est là

Marc, résumant au début de son évangile le message de Jésus, écrit


que ce dernier proclamait l’Evangile de Dieu et disait  : «  Le temps est
accompli et le règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à
l’Evangile  »20. Tout ce que nous apprenons par les évangiles vient
entièrement confirmer ce résumé énoncé par Marc  : Jésus a la conviction
que les prophéties bibliques concernant un salut définitif sont maintenant
accomplies. Le royaume promis s’est tellement approché qu’il est là. Jésus
l’exprime clairement  : «  Le règne de Dieu est parmi vous  »21. Une foi
entière comme celle de l’enfant permet d’y entrer22, mais celui qui se confie
en ses richesses terrestres n’y a pas accès23.
A travers de nombreuses paraboles, Jésus annonce que ce royaume
est ouvert à quiconque accueille de tout son être la parole qu’il répand
comme une semence dans le monde. C’est un royaume à peine visible
aujourd’hui, mais promis à un épanouissement extraordinaire. Sa force est
comme celle du levain qui fait lever la pâte. C’est un trésor qui mérite
qu’on sacrifie tout pour le posséder dès maintenant, mais c’est au jugement
dernier que sa valeur miraculeuse apparaîtra aux yeux de tous24.
D’après le résumé de Marc, la présence du royaume en la personne
de Jésus appelle à la conversion. Il faut naître d’une nouvelle naissance
pour voir ici-bas le royaume, a fortiori pour y entrer25. C’est ce qu’il faut
rechercher par-dessus tout26 car cela inaugure l’avenir que Dieu dans sa
bonté prépare pour quiconque accepte d’en vivre dès maintenant.

Convertissez-vous !

Jésus sème une parole qui doit fructifier en chacun. Une attitude de
réception est donc exigée, suivie d’une conduite susceptible de ne pas
étouffer la croissance de cette semence. Comment vivre maintenant cette
vie nouvelle ? L’Evangile de Jésus comporte des enseignements relevant de
la morale pratique. Le Sermon sur la montagne27 en donne un échantillon
significatif  : les commandements de Dieu contenus dans l’Ancien
Testament ne sont pas caducs, mais, au-delà de leur sens littéral, souvent
réduit à leur aspect formel, il faut entendre ce que Dieu veut véritablement.
Jésus vient révéler  quelle était l’intention de Dieu en donnant ces
commandements  : «  Vous avez appris qu’il a été dit  ‘Tu aimeras ton
prochain et tu haïras ton ennemi’. Et moi je vous dis  : Aimez vos
ennemis »28.

Le Fils de l’homme et le Serviteur de Yahwé

Jésus peut révéler Dieu comme Père, car Dieu l’a appelé son Fils.
Mais ce n’est pas un titre dont Jésus semble s’être réclamé. Lorsqu’il se
réfère aux prophéties qui annonçaient la venue d’un envoyé de Dieu, il
mentionne le Fils de l’homme dont le livre de Daniel29 prophétise
l’intervention lors du jugement dernier. C’est en tant que tel que Jésus peut
dès maintenant pardonner les péchés30 et qu’il est venu pour chercher et
sauver ce qui était perdu31.
Mais il est tout à fait évident qu’il s’attend, en tant que Fils de
l’homme, à connaître un sort plus que difficile : « Le Fils de l’homme doit
souffrir beaucoup »32. Il doit donner sa vie en rançon pour beaucoup33.
Où Jésus a-t-il trouvé la prophétie d’une mort subie en faveur
d’hommes en grand nombre  ? Rien de semblable ne se trouve dans la
prophétie de Daniel. Mais les chants du Serviteur de Yahwé qu’on lit dans
le livre d’Esaïe donnent la réponse  : ce personnage mystérieux désigné
comme Serviteur du Seigneur doit être humilié et maltraité  ; mais ce sont
nos souffrances qu’il porte ; il s’est dépouillé jusqu’à la mort ; il a porté les
fautes de beaucoup34. C’est là un aspect de la prédication de Jésus que les
disciples n’ont pas facilement accepté : Pierre a protesté contre la prophétie
des souffrances et de la mort de Jésus35. Jésus exprime sa certitude d’être
un messie très inattendu : contrairement à ce que le peuple aime à croire, il
ne connaîtra ni pouvoir ni gloire. Il mourra d’une mort infâmante qui sera
pourtant le salut pour d’innombrables foules. Tel est le jugement exercé par
le Fils de l’homme à la fin des temps : il meurt pour que les hommes vivent.
C’est le jugement d’un Dieu qui est grâce.

LE JÉSUS DES CHRÉTIENS

Dans le livre des Actes des apôtres et dans les épîtres de Paul, on
constate que le discours tenu sur Jésus se focalise sur la résurrection : la vie,
les miracles, l’enseignement et les rencontres de Jésus sont laissés dans
l’ombre du sous-entendu. Voici la bonne nouvelle que Paul annonce à
Antioche : « La promesse faite aux pères, Dieu l’a pleinement accomplie à
l’égard de nous, leurs enfants, quand il a ressuscité Jésus »36. Ce n’est pas
seulement l’accomplissement des promesses, c’est d’abord et surtout une
parfaite révélation de Dieu lui-même  : Il «  a tant aimé le monde qu’il a
donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse
pas mais ait la vie éternelle  »37. Aimer c’est connaître Dieu car Dieu est
amour38. Jésus est la manifestation de cet amour : la gloire de Dieu rayonne
sur le visage du Christ39. Il s’agit vraiment d’une révélation : la sagesse des
hommes considère qu’un pareil don n’est de la part de Dieu que folie40.
C’est en Christ que l’homme se découvre appelé par Dieu au salut41 et
devient capable d’un culte adressé à un Dieu dont il a découvert le visage
de miséricorde, d’espérance, de paix, de vérité, de bonté, de patience et de
générosité42.
L’œuvre du Christ ne se réduit pas à révéler l’être véritable du Père.
En effet « Dieu l’a souverainement élevé (par la résurrection et l’ascension)
et lui a donné le nom (le nom de Seigneur qui est le nom de Dieu) qui est
au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse, dans
les cieux, sur la terre et sous la terre (c’est-à-dire le séjour des morts) et que
toute langue confesse que le Seigneur, c’est Jésus Christ, à la gloire de Dieu
le Père  »43. Les chrétiens s’opposeront donc farouchement aux exigences
du culte impérial qui proclame que l’empereur est Seigneur44.
Voilà pourquoi le baptême qui marque le croyant du sceau divin est
célébré au nom du Père, du Fils et du saint Esprit45. Bientôt l’affirmation de
la divinité du Christ amènera les chrétiens à confesser son éternité et sa
participation à l’œuvre de la création : « Le Logos (la Parole en grec, c’est-
à-dire le Christ, Verbe de Dieu) était Dieu. Il était au commencement auprès
de Dieu. Tout fut par lui et rien de ce qui fut, ne fut sans lui »46.
C’est pourquoi le plan de salut conçu par Dieu avant la fondation du
monde comportait déjà l’œuvre du Christ47. C’est lui l’agneau immolé pour
ouvrir le livre de la vie éternelle depuis la fondation du monde48 et dont le
retour glorieux et tant désiré est attendu pour la fin du monde49.
L’Eglise

Le mot et l’idée

Ecclésia en grec signifie « assemblée, réunion, session ». La société


hellénistique profane désigne généralement par ce mot des assemblées de
nature juridique ou politique. C’est le cas des assemblées éphésiennes
mentionnées en Ac 19.32,39-40. Le mot est très tôt repris par les chrétiens
qui le connaissent par l’Ancien Testament grec où il traduit souvent
l’hébreu qahal. Il y est fréquemment fait mention de «  l’assemblée du
Seigneur  », formule qui est un quasi synonyme de «  peuple de Dieu  ». Il
faut noter que le mot n’est guère utilisé que pour parler de l’histoire
factuelle d’Israël. Il n’apparaît que très exceptionnellement pour évoquer
les promesses que Dieu fait à son peuple pour la fin des temps.
Dans ce contexte eschatologique, c’est la racine hébraïque qabats
(rassembler) qui est
régulièrement employée, ce qui se traduit en grec
synagogein qu’on retrouve dans le français « synagogue ». Au jour dernier,
le Seigneur «  rassemblera les exilés d’Israël  »1, et dans les chants du
Serviteur on lit : « Le Seigneur…m’a formé…pour être son Serviteur afin
de rassembler Jacob vers lui afin qu’Israël pour lui soit regroupé»2. Par la
bouche de Jérémie, le Seigneur fait cette promesse  :  «  Je rassemble ceux
qui restent de mon troupeau »3.
Une prière de la Didachè mérite d’être citée ici : « Que ton Eglise
soit rassemblée… dans ton royaume… Souviens-toi, Seigneur de ton
Eglise… rassemble-la dans ton royaume »4. L’intérêt de ce dernier texte est
de montrer que le christianisme faisait, dès le premier siècle, le
rapprochement entre Eglise et rassemblement eschatologique. Ce
rapprochement était également effectué à Qumran où l’on emploie des
synonymes de Qahal (‘eda ; yahad) pour désigner le peuple eschatologique
de Dieu dont la communauté qumrânienne est l’anticipation.
La conclusion est que le mot ecclésia ne parvient pas au
christianisme tout chargé d’un sens de théologie eschatologique qui en
imposerait l’usage. En revanche de nombreuses prophéties annoncent que
Dieu réservera à son peuple un merveilleux destin final.

Dans les évangiles

La dernière remarque prépare à la lecture des évangiles  : on n’y


trouve qu’en deux occasions le mot «  église  ». Cette rareté a priori
surprenante demande explication :
–Mt 18.15-18  : Si un frère vient à pécher, il faut le reprendre seul à
seul. S’il n’écoute pas, il faut recommencer avec une ou deux
personnes. « S’il refuse de les écouter, dis-le à l’Eglise ».
Il est bien difficile d’admettre que ce règlement de discipline
ecclésiastique ait été formulé tel quel par Jésus. Sans doute Matthieu a-t-il
développé une parole de Jésus pour en faire valoir l’actualisation dans le
cadre des communautés qu’il connaît.
–Mt 16.18 : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise ».
C’est la réponse de Jésus à la solennelle confession de foi de Pierre :
« Tu es le Christ, le Fils de Dieu ».
Essayons d’écarter toutes les querelles théologiques auxquelles cette
parole a donné lieu et regardons sereinement le texte sans nous laisser
hypnotiser par le mot « Eglise ». Jésus annonce à Pierre qu’il aura (noter le
futur) à jouer un rôle primordial dans l’édification du peuple de Dieu dans
la nouvelle alliance. Le mot « Eglise » est susceptible de recevoir ce sens :
on pourrait aussi bien traduire «  mon troupeau  » pour employer un mot
johannique dont le quatrième évangile multiplie les synonymes : mes amis,
mes disciples, mes brebis, les miens, les sarments dont je suis le cep5. Il est
clair que Jésus a, dès les débuts de son ministère, voulu réunir autour de lui
un groupe dont les douze disciples ont été le noyau et auquel il a promis un
rôle exceptionnel dans les derniers jours  : «  Lors du renouvellement de
toutes choses, quand le Fils de l’homme siègera sur son trône de gloire,
vous qui m’avez suivi, vous siégerez vous aussi sur douze trônes pour juger
les douze tribus d’Israël  »6. Il n’est donc pas du tout exclu que Jésus ait
prononcé, en araméen, une phrase semblable. Si cette conclusion est
recevable, nous nous trouvons devant la plus ancienne occurrence en terrain
chrétien d’un mot désignant le peuple messianique de Dieu, regardé comme
la communauté eschatologique. Ce fait mérite d’être salué  ! La seule
originalité de cette parole, il faut le souligner, est d’établir entre ce peuple
eschatologique et la personne de Jésus un lien indissociable. Il n’est pas de
messie sans ce peuple et celui-ci n’existe pas sans messie.

Le don de l’Esprit

Le grand jour du Seigneur verra s’accomplir la prophétie du don de


l’Esprit sur tous les membres du peuple de Dieu : « Alors, dans les derniers
jours, dit Dieu, je répandrai de mon Esprit sur toute chair… Oui, sur mes
serviteurs et mes servantes en ces jours-là je répandrai de mon Esprit »7.
Lorsque la première communauté chrétienne de Jérusalem est, à la
Pentecôte, visitée par le saint Esprit8, elle peut donc à bon droit estimer que
la fin promise est arrivée. Quoique le mot ne soit pas prononcé, nous
sommes là devant l’acte de naissance de l’Eglise et par la suite, notamment
sous la plume de l’apôtre Paul, toute description de l’Eglise comportera une
référence appuyée au rôle fondateur que joue le saint Esprit.
Une constatation s’impose d’emblée  : l’Eglise est d’abord une
expérience que font les fidèles de Jésus. C’est seulement dans un deuxième
temps qu’elle sera l’objet d’une conceptualisation théologique. Alors le
quatrième évangile rappellera que Jésus avait promis aux siens qu’après son
ascension auprès du Père, il le prierait d’envoyer l’Esprit de vérité qui
resterait pour toujours avec eux9.

L’Eglise et les Eglises

Réalité expérimentale, l’Eglise sera donc très facilement perçue


comme étant par nature diversifiée, selon que l’Esprit suscite en des lieux
variés des assemblées de croyants. C’est pourquoi le mot « Eglise » apparaît
presque toujours dans le livre des Actes au pluriel pour désigner les Eglises
locales. Ainsi mentionne-t-on la persécution subie par l’Eglise de
Jérusalem10. Le ministère de Paul contribue à affermir les Eglises en Syrie
et Cilicie11.
Il faut relever deux exceptions à cette pratique :
–«  L’Eglise, sur toute l’étendue de la Judée, de la Galilée et de la
Samarie, vivait donc en paix, elle s’édifiait et marchait dans la crainte
du Seigneur et, grâce à l’appui du saint Esprit, elle s’accroissait » 12
.
–Plus loin l’apôtre Paul s’adresse aux anciens de l’Eglise d’Ephèse en
ces termes : « Prenez soin de vous-mêmes et de tout le troupeau dont
l’Esprit saint vous a établis gardiens (littéralement : épiscopes, c’est-à-
dire  : évêques), soyez les bergers de l’Eglise de Dieu qu’il s’est
acquise par son propre sang » 13
. La phrase est tout à fait remarquable
car elle emploie le mot «  Eglise  » pour désigner d’abord une réalité
locale et ensuite un peuple unique.
On en tirera cette conclusion importante  : il y a, de par le monde,
des Eglises. Mais à bien voir ce ne sont que les manifestations
occasionnelles d’une seule et même action du saint Esprit de Dieu14. C’est
bien pourquoi Paul, qui parle souvent de toutes les Eglises qu’il connaît ou
visite (et il s’agit parfois d’Eglises de maison15) précise par trois fois qu’il
a, dans le passé, persécuté l’Eglise de Dieu16.
La Didachè emploie le même mot pour désigner l’assemblée locale
qui reçoit la confession des péchés des fidèles17 et l’Eglise qui réunit tous
les croyants18. Les adresses des deux lettres de Paul aux Corinthiens
expriment clairement la même conception : elles sont envoyées « à l’Eglise
de Dieu qui est à Corinthe  »19. En une occasion, l’apôtre ose parler des
«  Eglises du Christ en Judée  »20. C’est que l’unité proclamée vient de ce
que « nous avons été baptisés dans un seul Esprit pour être un seul corps…
le corps du Christ »21.
Quand le mot est au singulier cela ne doit donc rien au hasard mais
répond à une conviction profonde qui entraîne des conséquences
importantes : puisque l’Eglise est une selon la volonté de Dieu, il n’est pas
admissible qu’on y distingue entre les chrétiens. Il n’y a pas d’Eglise judéo-
chrétienne ou pagano-chrétienne. La vie concrète des communautés
regroupant des fidèles d’origines différentes doit à tout prix manifester cette
unité.

L’image du corps
Cette conception de l’unité s’exprime par le recours à des images
variées  : Jean emploie l’image du cep et des sarments22. Paul privilégie
celle du corps et des membres. Ce n’est pas à la Bible juive qu’il emprunte
cette métaphore, mais sans doute à l’école philosophique stoïcienne, sans
que cela l’entraîne loin de sa foi au Christ. Le développement qu’il consacre
au sujet23 est introduit par un paragraphe consacré aux dons de l’Esprit dont
l’affirmation centrale est  : «  Il y a diversité de dons, mais c’est le même
Esprit »24 et c’est l’Esprit qui pousse à confesser la foi en la seigneurie de
Jésus25. «  A plusieurs, nous sommes un seul corps en Christ, étant tous
membres les uns des autres, chacun pour sa part »26.
Comme l’image du corps sera reprise, avec un élargissement
remarquable, dans les lettres aux Colossiens et aux Ephésiens, il importe de
bien saisir la spécificité de la pensée de l’apôtre dans les textes
précédemment cités  des grandes épîtres: l’Eglise est une société dont
l’unité est la résultante de l’action du saint Esprit qui suscite des vocations
au service de l’ensemble. En cela, elle est comparable au corps humain dont
les différents membres sont dévoués au service de l’ensemble qui forme un
être humain. Pourtant, ce corps a une particularité essentielle  : il est par
l’Esprit le corps du Christ et c’est l’Esprit qui fait de chaque membre un
serviteur du corps, c’est-à-dire un serviteur du Christ. L’image est donc
riche de signification, mais elle reste sagement au niveau de la comparaison
sans dériver, comme ce sera le cas plus tard, en direction d’une mystique
aventurée.

L’image du temple

Bien que le mot « Eglise » ne soit pas mentionné, c’est bien le sujet
de la réflexion qu’on lit dans la première épître de Pierre27. Ce paragraphe
dans lequel il faut sans doute reconnaître la citation d’une œuvre antérieure
reprend dans son introduction les thèmes des textes qui vont être cités : Es
28.16, «  Voici que je pose en Sion une pierre à toute épreuve, une pierre
angulaire, précieuse, établie pour servir de fondation et celui qui met en elle
sa confiance ne sera pas confondu  »  ; puis Ps 118.22, «  La pierre que les
maçons ont rejetée est devenue la pierre angulaire ».
Ces prophéties sont comprises comme relatives au Christ : c’est lui
la pierre rejetée lors de la crucifixion qui devient, par la résurrection, la
pièce maîtresse d’un bâtiment dans lequel il faut voir l’image de l’Eglise :
«  Approchez-vous de lui, pierre vivante, rejetée par les hommes mais
choisie et précieuse devant Dieu. Vous-mêmes, comme des pierres vivantes,
entrez dans la construction de la maison habitée par l’Esprit… pour offrir
des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus Christ  »28. La maison
spirituelle, c’est le vrai temple où sont offerts à Dieu, par Jésus-Christ, des
sacrifices spirituels, c’est-à-dire un culte conforme à la volonté de Dieu.
C’est l’Eglise, édifice que forment ensemble tous ceux qui confessent
Jésus-Christ29.

La foi commune

L’unité dans la diversité se manifeste dans une commune confession


de foi dont l’apôtre Paul reproduit scrupuleusement les termes30. Elle
commence par rappeler la Passion et la résurrection du Christ. Elle poursuit
en énumérant les apparitions du ressuscité  : à Céphas (Pierre), à plus de
cinq cents frères, à Jacques, à tous les apôtres et à Paul lui-même. Cette
énumération qui occupe plus de place que le rappel de l’œuvre du Christ a
de quoi surprendre. On doit comprendre que la mention précise de ces
personnages répond à un souci primordial  : se référer aux témoins de la
réalité de la résurrection, fondement de l’assurance du don de l’Esprit,
créateur de l’Eglise. Le nombre de ces témoins est la garantie que c’est bien
un seul et même Esprit qui fait des diverses Eglises locales, l’Eglise du
Christ.

Des développements ultérieurs

Le quatrième évangile pose une étonnante unité entre le Père, le Fils


et les chrétiens : « Comme le Père est dans le Fils… qu’ils (les chrétiens)
soient en nous… qu’ils soient un comme nous sommes un  »31. C’est
pourquoi on a pu dire, non sans raison, que pour Jean, l’ecclésiologie se
confond avec la christologie.
Les épîtres aux Colossiens et aux Ephésiens reprennent l’image du
corps. Mais ce n’est plus une simple image : l’expression traduit une pensée
métaphysique qui mêle des idées assez différentes, mais dont le caractère
est tout sauf superficiel : l’Eglise est le corps du Christ qui en est la tête32.
Le Christ est l’époux de l’Eglise, il l’aime, la nourrit et la sanctifie33. Il la
fait participer à son éternelle préexistence34. A coup sûr, il s’agit là d’un
profond mystère35.
Un pareil discours a ses racines dans le paulinisme, mais il suppose
un développement considérable. C’est sans doute l’œuvre d’un disciple de
Paul qui puise aux sources du vocabulaire non plus stoïcien, mais
gnostique. A tout prendre, ces conceptions ne sont pas très éloignées de la
théologie johannique.

Les ministères

De quelque manière que la théologie décrive l’Eglise, celle-ci


apparaît toujours sous la forme de communautés qui doivent se plier aux
impératifs que sont les règles sociales communes à tous les regroupements
humains : leur bon fonctionnement et leur pérennité ne sont assurés que si
quelques individus sont particulièrement chargés de les conduire.
Jésus n’a pas investi les douze de cette tâche. Paul affirme que
l’Esprit pourvoit librement à ces nécessités ministérielles, mais il reconnaît
cependant une autorité particulière aux apôtres, aux prophètes et à ceux qui
ont la tâche d’enseigner36. Viennent ensuite des charismes variés (don des
miracles, don de guérison et d’assistance, de direction et de glossolalie –
don des langues). Mais l’énumération ne prétend suivre aucun ordre ni
cultuel, ni hiérarchique et il ne donne pas du tout l’impression de vouloir
être à jamais invariable : le temps des apôtres est proche de sa fin.
Le livre des Actes atteste l’existence d’anciens (presbytres,
transcription du mot grec qui a donné « prêtre » !) dans plusieurs Eglises.
C’est la reproduction d’un modèle d’organisation pratiqué dans les
synagogues juives. Paul lui-même s’est parfois conformé à ce modèle  : à
Lystre, Iconium et Antioche il désigne et installe des anciens37 et il
rencontre à Milet les anciens d’Ephèse38.
A côté de ces ministères, apparaissent assez vite deux charges
appelées à un grand avenir  : les épiscopes et leurs diacres39. Episcope
signifie surveillant et c’est le titre que porteront les premiers évêques.
Diacre est un mot qui vient du grec diakonos qui signifie serviteur. Il est
intéressant de noter que dans ce texte de l’épître aux Philippiens qui
mentionne pour la première fois ces deux titres, il est question d’épiscopes
au pluriel et que les diacres leur sont attachés.
Les épîtres pastorales40 montrent que ces ministères (le couple
épiscope/diacre et les anciens) font désormais partie de l’organisation de
toutes les Eglises. Un passage de l’épître à Tite laisse deviner que c’est du
collège des anciens que sort l’épiscope, primus inter pares  : Tite doit
installer dans chaque ville des anciens. Ils doivent être irréprochables, car
tel doit être l’épiscope41.
D’après la Lettre de Clément de Rome aux Corinthiens, la
communauté de Corinthe est dirigée par des anciens42. Mais, lorsqu’il est
question d’assurer fidèlement la succession des apôtres du Christ, ce sont
les épiscopes assistés des diacres qui en sont chargés43.
Terminons avec le témoignage d’Ignace d’Antioche qui marque une
étape importante dans l’histoire de l’organisation de l’Eglise : « Ayez donc
soin de ne participer qu’à une seule eucharistie… comme il n’y a qu’un seul
épiscope (il faut maintenant traduire «  évêque  »  !) avec le conseil des
anciens et les diacres »44 . « Suivez tous l’évêque, comme Jésus Christ suit
son Père, et le conseil des anciens comme les apôtres. Quant aux diacres,
respectez-les comme la loi de Dieu… Là où paraît l’évêque, que là soit la
communauté, de même que là où est le Christ Jésus, là est l’Eglise
universelle (littéralement « catholique ») »45.
L’Esprit

La Bible entière et surtout le Nouveau Testament s’organise autour


de l’annonce de l’Esprit, Esprit de Dieu, réalité promise, révélée d’abord
parcimonieusement et puis manifestée, expérimentée par les premiers
chrétiens qui se l’approprient de manière chaque fois différente. Pourtant,
l’Esprit se manifeste de manière aussi semblable dans son unité foncière
que le Dieu qui le crée et le Christ qui le donne. Ces très nombreuses
occurrences accroissent considérablement la difficulté qu’il y a à rendre
compte du sens du mot selon les livres et les auteurs.
La prudence élémentaire conseille donc de les envisager
séparément. Non qu’il y ait entre ces textes différents des contradictions
flagrantes, mais parce qu’il est essentiel d’entendre aussi précisément que
possible, aussi respectueusement que possible, les nuances que chacun
apporte à cette réalité centrale pour la foi.
L’exposé suivra un ordre très approximativement chronologique  :
après une présentation sommaire du message de l’Ancien Testament, c’est
aux évangiles de Marc et de Matthieu que nous demanderons leurs
conceptions des relations entre Jésus et l’Esprit. Luc développe une
théologie originale selon laquelle l’Esprit caractérise le temps de l’Eglise.
Paul se soucie d’exhorter les croyants à accueillir l’Esprit du ressuscité qui
fait vivre et les chrétiens et l’Eglise d’une vie nouvelle. Jean célèbre la
présence éternelle de Jésus dans ceux qui ouvrent leur cœur à l’Esprit, qui
est son témoin sur notre terre. Enfin un rapide aperçu permettra de discerner
l’évolution ultérieure d’une théologie de plus en plus ecclésiale.

L’ANCIEN TESTAMENT

Le mot hébreu que l’on traduit le plus souvent par «  Esprit  » est
Roua’ qui signifie « le vent, l’haleine, le souffle vivifiant de Dieu ». Le mot
grec correspondant est Pneuma qui a le même sens. Dieu crée l’homme et
insuffle en lui l’haleine de vie ( ici Neshama qui est un synonyme de Roua’)
et l’homme devient un être vivant1. Il n’en va pas autrement de tous les
hommes  : «  Si Dieu leur reprend le souffle, ils expirent. Il envoie son
souffle : ils sont créés »2.
Mais l’Esprit de Dieu ne se contente pas de donner la vie  : il peut
éveiller en l’homme des possibilités extraordinaires.
Samuel oint Saül et lui dit  : «  Alors fondra sur toi l’Esprit du
Seigneur, tu entreras en transe et tu seras changé en un autre homme »3. Et
de fait, quand l’armée des Ammonites menace Israël, une force
extraordinaire fait de Saül le chef qui entraîne tout le peuple à le suivre dans
sa résistance4. David sera lui aussi habité par l’Esprit du Seigneur5 et la
merveilleuse sagesse de Salomon apparaîtra comme un signe de
l’inspiration divine6.
Ensuite les perspectives s’élargissent et c’est le messie qui reçoit la
promesse de l’Esprit : « Un rameau sortira de la souche de Jessé (le père de
David)… Sur lui reposera l’Esprit du Seigneur  : esprit de sagesse et de
discernement, esprit de conseil et de vaillance, esprit de connaissance et de
crainte du Seigneur »7. Parfois la promesse prend un ton plus mystérieux :
« Voici mon Serviteur… mon élu… j’ai mis mon Esprit sur lui »8, ou plus
général : Dieu promet à Israël son soutien. Son Esprit se tient au milieu de
son peuple comme jadis la colonne de feu lors de la sortie d’Egypte. Il n’y a
donc rien à craindre9.
Mais l’Esprit n’est pas nécessairement destiné à favoriser Israël  :
Dieu peut envoyer un Esprit de torpeur pour aveugler les prophètes10, et
l’Esprit du Seigneur se retire de Saül pour laisser place à un Esprit mauvais,
envoyé par le Seigneur11. Le judaïsme ultérieur tend à restreindre le rôle de
l’Esprit en limitant son action à l’inspiration des Ecritures.

LE NOUVEAU TESTAMENT

Marc et Matthieu : le messie et l’Esprit

Jésus hérite naturellement de ces certitudes  : David, dit-il, était


inspiré par l’Esprit saint quand il composa le Psaume 110 qui vise le
messie12. C’est maintenant le temps de l’accomplissement : baptisé par Jean
le Baptiste, Jésus voit l’Esprit descendre sur lui comme une colombe et
c’est l’occasion pour Dieu de proclamer que Jésus est son Fils bien aimé,
c’est-à-dire le messie promis13. Dans le passage parallèle, Matthieu précise
que ce baptême d’eau annonce le ministère de Jésus qui baptisera d’Esprit
saint et de feu. C’est dire qu’avec la venue de Jésus, commence l’ère
eschatologique qui rend proche le jugement dernier (le feu)14.
Donc avec la venue de Jésus se réalise le grand bouleversement
prophétisé pour la fin. Jésus est de ce fait un être d’une qualité unique, ce
que les deux récits (de Matthieu et de Luc) de la naissance miraculeuse de
Jésus veulent exprimer à leur manière. Matthieu dit que Marie se trouve
enceinte de par le saint Esprit15, Luc exprime la même certitude en d’autres
mots  : «  L’Esprit saint viendra sur toi et la puissance du Très Haut te
couvrira de son ombre. C’est pourquoi celui qui va naître sera saint et sera
appelé Fils de Dieu »16. Le ministère de Jésus sera donc la manifestation de
l’accomplissement eschatologique des promesses concernant la présence
miraculeuse de l’Esprit.
Jésus agit sous la seule impulsion de l’Esprit. Marc l’exprime en des
termes assez brutaux  : « Aussitôt l’Esprit le chassa au désert  »17, ce que
Matthieu adoucit sans modifier le sens  : «  Jésus fut conduit au désert par
l’Esprit »18.
Matthieu rapporte comment Jésus, ayant opéré des guérisons,
regarde ces actions comme la réalisation de la prophétie d’Esaïe19. Les
Pharisiens expliquent ces miracles comme des œuvres d’inspiration
démoniaque. Jésus réfute cette interprétation  : c’est par l’Esprit de Dieu
qu’il chasse les démons, c’est donc que le royaume de Dieu vient de
commencer20.
Marc raconte qu’en de très nombreuses occasions Jésus chasse les
esprits impurs21 et il en tire la même conclusion que Matthieu : Jésus est la
manifestation eschatologique de la réalisation du plan de Dieu pour le
monde. En lui, c’est l’Esprit même de Dieu qui est présent ainsi que les
prophéties l’annonçaient. Voilà pourquoi refuser de reconnaître dans
l’œuvre de Jésus le dernier geste de Dieu envoyant son Esprit dans le
monde est la plus grave marque d’hostilité envers le Seigneur22.
Il faut remarquer l’étonnante limitation de ce message  : Jésus est
venu pour inaugurer sur terre le royaume de Dieu. Sa personne et son œuvre
manifestent clairement qu’il est le messie promis pour la fin : tel est le cœur
de l’Evangile qui précède toute foi. Jamais il n’est question que l’Esprit
pousse Jésus à demander aux hommes une conduite inspirée par une morale
nouvelle valable pour les chrétiens réunis en un peuple nouveau. L’Esprit
concerne presque uniquement Jésus. C’est seulement dans le discours
appelé «  apocalypse synoptique  », qui montre des signes de rédaction
tardive, qu’on lit cette promesse qui annonce le rôle de l’Esprit dans la
communauté des chrétiens quand on les fera comparaître devant les
tribunaux : « Ne soyez pas inquiets à l’avance de ce que vous direz ; mais
ce qui vous sera donné à cette heure-là, dites-le ; car ce n’est pas vous qui
parlerez, mais l’Esprit saint »23.
Le lecteur aura sans doute remarqué qu’un texte important n’a pas
été pris en compte : la dernière parole de Jésus selon l’évangile de Matthieu
– « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au
nom du Père et du Fils et du saint Esprit  »24.Ce n’est pas un oubli  : la
formule est très certainement empruntée à une liturgie baptismale de
l’Eglise primitive. Elle ne nous apprend donc rien sur l’idée que se faisait
Matthieu de l’Esprit.

L’évangile de Luc et le livre des Actes. L’Esprit et le temps de l’Eglise

Les deux livres étant du même auteur, il est évident qu’il faut les
aborder comme une unité. Pourtant on distingue dans cet ensemble deux
parties  : il est d’abord question, comme chez Marc et Matthieu mais de
manière assez originale, des relations entre Jésus et l’Esprit. Et puis, dès
l’évangile mais plus décidément dans les Actes, les récits se focalisent sur
l’Esprit en tant qu’il ouvre le temps de l’Eglise.

Dans la vie de Jésus


Dès le début de son évangile, Luc souligne le rôle déterminant de
l’Esprit dans l’histoire qui commence avec les parents de Jean le Baptiste25,
se poursuit avec la conception miraculeuse de Jésus26 et sa naissance
prophétisée et saluée par Elisabeth27 et Siméon28 en des discours inspirés.
Le texte mentionne encore la présence active d’Anne, la prophétesse29 et,
même si le mot y manque, le cantique de Marie est à considérer de la même
manière30.
Au baptême, Jésus reçoit l’Esprit31. Aussitôt après, rempli d’Esprit
saint, il est conduit par lui au désert32. A l’issue de la tentation, Jésus est
poussé par l’Esprit à revenir en Galilée pour y délivrer son enseignement33.
C’est là que, dans la synagogue de Nazareth, il commente le texte d’Esaïe34
qui prophétise : « L’Esprit du Seigneur est sur moi » en expliquant que c’est
de lui qu’il s’agit35. Les auditeurs s’étonnent des « paroles de la grâce » qui
sortent de sa bouche36, Jésus se réfère alors à un questionnement qui n’est
pas rapporté et qui devait porter sur des miracles opérés à Capharnaüm37.
Le texte demande à être examiné de près  : les traditions reprises par les
évangélistes mentionnent avec insistance les miracles de Jésus. Or ici, Luc
se borne à évoquer de manière elliptique les premières guérisons opérées
par Jésus. Le texte laisse entendre que la réponse à la question des Juifs
est  que le message et les paroles de grâce de Jésus ont plus de sens et de
valeur comme preuves de l’action de l’Esprit, que d’éventuels miracles.
Cette remarque est confortée par une constatation assez surprenante  :
lorsque, dans la suite de son évangile, Luc raconte des miracles, il prend
soin de ne pas les attribuer à l’Esprit, mais à une puissance anonyme que
Jésus sent sortir de lui38.
Pour Luc, la venue de Jésus est le merveilleux accomplissement du
plan de Dieu pour le salut des hommes : l’Esprit est toujours présent dans
cette histoire. Mais la finalité et la preuve de son action sont à trouver dans
l’Evangile prêché par Jésus plutôt que dans les guérisons et les miracles.
L’Esprit a partie liée avec la prédication de Jésus que l’Eglise va reprendre.
C’est aussi sous l’action de l’Esprit que Jésus se met à prier : « Je te
loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et
aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout petits  »39. Au moment de
reproduire dans le Notre Père la demande  : «  Que ton règne vienne  »,
plusieurs anciens manuscrits ont écrit : « Fais venir ton saint Esprit sur nous
et qu’il nous purifie »40. Il y a tout lieu de penser que cette variante a été
introduite sous l’influence d’une liturgie, sans doute baptismale.
Décidément la prière de Jésus est regardée comme source inspirée par
l’Esprit de la prière de l’Eglise.
Un dernier texte sur la prière doit être allégué  : selon Matthieu41,
Jésus invite à prier Dieu avec confiance  : «  Si vous… savez donner de
bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père céleste donnera-t-il de
bonnes choses à ceux qui le lui demandent ». Et voici la version de Luc42 :
« Si vous… savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le
Père qui est aux cieux donnera-t-il l’Esprit saint à ceux qui le lui
demandent  ». La prière de l’Eglise demande donc en tout premier lieu le
saint Esprit.

Dans la vie de l’Eglise


Avec ces derniers textes nous avons insensiblement glissé vers la
deuxième partie de l’exposé des idées de Luc sur le saint Esprit  : s’il a
commencé par accomplir le dessein de Dieu en envoyant Jésus qui révèle
l’Evangile, l’Esprit poursuit son œuvre dans la vie, la prédication et la
prière de l’Eglise. Le titre du livre des Actes devrait mentionner cette action
de l’Esprit, plus déterminante que celle des apôtres. Selon Luc, les dernières
paroles de Jésus ressuscité sont une promesse d’envoyer sur ses disciples ce
que son Père a promis (le saint Esprit)43. Le livre des Actes rapporte la
réalisation de cette promesse : au jour de la Pentecôte, les disciples réunis
sont tous remplis d’Esprit saint qui leur donne de s’exprimer en d’autres
langues et les étrangers présents à Jérusalem s’émerveillent d’entendre
l’annonce de l’Evangile chacun dans sa propre langue44. L’apôtre Pierre y
voit l’accomplissement de la prophétie de Joël : « Alors, dans les derniers
jours, dit Dieu, je répandrai de mon Esprit sur toute chair…vos fils et vos
filles seront prophètes …et quiconque invoquera le nom du Seigneur sera
sauvé »45. Ce texte qui comporte deux additions (en italiques) à la citation
de Joël appelle deux remarques :
–L’Esprit fait de ceux qui le reçoivent des prophètes. C’est dire qu’ils
parlent, comme jadis les anciens prophètes, au nom de Dieu. Ici, ce
qu’ils annoncent avec solennité est l’Evangile adressé à toutes les
nations. C’est une démarche d’évangélisation universelle 46
.
–Luc précise, en ajoutant à la citation de Joël, que le phénomène
caractérise la fin des temps.
Ainsi la mission universelle est-elle le signe de l’achèvement
eschatologique. Ce qu’on attendait pour la fin, par exemple la parousie –
retour glorieux du ressuscité – est accompli. C’est le temps de la mission, le
temps de l’Eglise, le temps de l’Esprit, le temps dernier. Et c’est un temps
miraculeux. La prédication de Pierre, qui est la première prédication
missionnaire, bouleverse les auditeurs qui demandent ce qu’ils doivent
faire. «  Pierre leur répondit  : Convertissez-vous  : que chacun de vous
reçoive le baptême au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés et
vous recevrez le don du saint Esprit. Car c’est à vous qu’est destinée la
promesse et à vos enfants ainsi qu’à tous ceux qui sont au loin, aussi
nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera »47. L’Esprit qui suscite
la mission, l’accompagne donc et en valide les succès.
Traduit devant le sanhédrin, Pierre confirme ce message  : «  Nous
sommes témoins de ces événements (la mort et la résurrection du Christ),
nous et l’Esprit saint que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent  »48 .
L’Esprit se manifeste encore par des dons prophétiques : il avertit Paul des
épreuves qui l’attendent à Jérusalem49. Il pousse Agabus à prédire une
famine50 et annonce la prochaine arrestation de Paul51, confirmant ainsi les
craintes de ses disciples qui tentent de dissuader l’apôtre de monter à
Jérusalem52. Mais ces avertissements, bien qu’inspirés, ne peuvent remettre
en question le mandat impératif de l’Esprit qui pousse l’apôtre à rendre
témoignage à Jérusalem devant les autorités juives puis romaines53  : quel
qu’en soit le prix, la mission doit atteindre tout l’empire. C’est bien
pourquoi l’Esprit choisit les missionnaires et les envoie évangéliser, remplis
de sa force54. La mission est souvent couronnée de succès, des Eglises
locales naissent et bientôt apparaissent les premiers signes d’une pratique
ecclésiale. Le don de l’Esprit est lié au baptême, mais on hésite encore  :
certains ignorent le baptême d’Esprit55, parfois le don de l’Esprit précède le
baptême56, parfois il le suit57, parfois il est lié à l’imposition des mains58.

Paul. L’Esprit et la vie chrétienne

«  Esprit saint  » est l’une des expressions qui reviennent le plus


souvent sous la plume de l’apôtre Paul. Il en est question, et de manière
déterminante, dans tous les développements de sa pensée théologique. Cette
fréquence rend difficile la tâche d’en faire une présentation synthétique. Il a
donc paru souhaitable, plutôt que de s’attacher à examiner les multiples
occurrences, d’entreprendre de rendre compte du passage dans lequel
l’apôtre propose un exposé assez complet, sinon systématique, sur le rôle de
l’Esprit dans l’histoire du salut : le chapitre 8 de l’épître aux Romains. Si la
présentation qui en est ici donnée ne suit pas toujours le cours du texte
paulinien, le lecteur se persuadera, en recourant à l’épître, que cette liberté
n’est pas infidélité.
Deux remarques préalables facilitent l’intelligence du texte :
–Une opposition structure tout le développement  : Esprit/spirituel et
chair/charnel.
–L’exposé ne se situe pas au niveau de la croyance, du dogme ou de la
théologie. Il n’est pas question de croire, d’estimer, de penser, mais de
marcher, de suivre, de vivre selon la chair ou selon l’Esprit. C’est une
question de vie concrète. On pourrait même dire que c’est une question
d’expérience. A quoi ou à qui obéit-on  ? Pour quel service et quel
devoir ? Est-on libre ou esclave ?
Mais la question n’est pas totalement ouverte, témoins en sont les
nombreuses négations : nous ne marchons pas selon la chair59, vous n’êtes
pas redevables à la chair60, vous n’êtes pas esclaves61. Vous êtes en Christ,
justifiés, libres. L’Esprit donc est en vous. Qu’il conduise votre vie !
Avant de recevoir le baptême qui fait communier au Christ,
l’homme est par nature une créature faible que le péché asservit. Il tend
toujours à l’autonomie (être sa propre loi), allant jusqu’à dénaturer la loi de
Dieu, en en faisant un instrument d’autojustification, y voyant les
conditions nécessaires et suffisantes pour se rendre Dieu favorable. Et c’est
l’échec. Voilà la définition même du péché62.
Alors Dieu intervient : il envoie son Fils dans la chair, et l’histoire
de l’humanité en est transformée63. Pour la première fois depuis Adam, une
créature de chair montre qu’il est possible d’être homme et de ne pas
pécher64. Par sa mort, le Christ proclame qu’il est possible de préférer les
autres à soi-même et Dieu à son égoïsme. La chair est donc capable de
recevoir Dieu. Ce n’est pas elle qui doit être condamnée, c’est le péché65 ;
les pécheurs, eux, sont libérés pour vivre selon Dieu. C’est l’Esprit qui le
rend possible, même à une créature charnelle66. Pourtant, c’est bien le
contraire de ce que la chair recherche, elle qui pousse à la révolte contre
Dieu. Il faut donc se placer sous l’influence de l’Esprit67.
Or, écrit Paul, cet Esprit créateur et vivifiant, vous l’avez reçu, il est
en vous, il vous est aussi proche que la chair qui vous dominait. Et l’Esprit,
c’est le Christ en vous68. Il fait de vous des créatures nouvelles. Mais vous
restez des hommes : c’est une mutation qui n’est pas de l’ordre des fatalités
naturelles, mais c’est un fait. Vous pouvez le vérifier dans votre vie69. Bien
plus  : c’est l’Esprit du Christ ressuscité, l’Esprit qui éveille de la mort et
donne la vie éternelle70. L’histoire de Jésus veut se réaliser en vous. Cette
résurrection à laquelle vous êtes promis est déjà une réalité présente. La
preuve en est que cet Esprit qui habite en vous vous fait dire à Dieu  :
«  Père  »  71. Priez-le ainsi  ! Vous manifesterez alors que vous êtes des
créatures libérées et renouvelées, qui se présentent à leur juste place devant
Dieu avec confiance et bonheur72. Certes, votre vie terrestre reste dans
l’attente de l’achèvement que sera le royaume de Dieu, mais vous en avez
les arrhes, l’anticipation : l’Esprit73. Et Paul ose ce paradoxe magnifique :
« nous avons été sauvés, mais c’est en espérance ! »74 . Magnifique parce
que espérer, c’est attendre de Dieu, tandis que posséder, c’est avoir à soi.
Le chrétien, dans son impatience, crie vers Dieu. Il prie : « Que ton règne
vienne ! ». Or, dit Paul, nous ne savons pas prier comme il faut. Alors c’est
l’Esprit qui prie pour nous, c’est-à-dire à notre place et en notre faveur. Et
la prière de l’Esprit, la prière d’espérance, pour ceux qui vivent de
l’espérance, demande que nous soyons capables d’être ici-bas les signes
avant-coureurs du royaume75. Voilà pourquoi les exhortations de Paul qui
poussent les chrétiens à vivre selon l’Esprit, s’expriment d’abord à
l’indicatif, car le salut est une donnée certaine, c’est le fondement même de
la foi en Jésus Christ. Mais l’emploi de l’impératif est tout aussi normal, car
il appartient à chacun de laisser l’Esprit agir en soi. Tel est bien l’Evangile,
la bonne nouvelle de l’habitation du Christ, par le saint Esprit, en quiconque
lui ouvre la porte.
Pourtant tout n’est pas dit : la présence du saint Esprit dans l’homme
se manifeste concrètement, visiblement et puissamment. Les chrétiens
forment une société aussi diverse que les individus qui la composent, mais
c’est d’abord une société spirituelle : le corps du Christ que l’Esprit a créé
et qu’il anime. Il y suscite donc toutes les fonctions nécessaires à la vie. Ce
sont des dons spirituels, les charismes, aussi variés qu’il est nécessaire.
Chaque chrétien est poussé par l’Esprit à exercer les fonctions qui
répondent aux besoins de la communauté. Certains charismes sont éclatants,
comme les ministères de l’évangélisation et de la prédication et tous les
services utiles à la vie en Eglise. D’autres sont plus discrets, d’autres enfin
sortent de l’ordinaire comme le parler en langues. Mais, Paul le souligne, ce
qui compte n’est pas l’extraordinaire, mais l’obéissance à un seul et même
Esprit76. Cet Esprit est constamment présent dans la vie de l’individu
comme de la communauté. Le tout est de le laisser nous conduire. C’est
pourquoi, par deux fois, l’apôtre formule cette exhortation  : «  N’éteignez
pas l’Esprit »77, « N’attristez pas l’Esprit »78.

L’évangile de Jean. L’éternelle présence de Jésus

Le quatrième évangile est le plus tardif des écrits jusqu’ici


examinés. Pourtant son message ne ressemble en rien à celui des livres
composés au début du deuxième siècle, même s’ils proviennent du même
terrain ecclésial que les écrits johanniques, comme les Lettres d’Ignace. La
théologie johannique occupe une place unique dans l’histoire du
christianisme primitif. Il faut donc en découvrir les spécificités.
Le cadre dans lequel Jean s’exprime est, apparemment au moins,
dualiste. D’un côté il y a le monde, la chair, l’en-bas  ; de l’autre Dieu,
l’Esprit, l’en-haut. La chair ne connaît pas Dieu et ne peut même pas le
connaître. Mais Dieu, qui est Esprit79, envoie son Fils dans la chair80 pour
que les hommes de chair puissent accéder à la vie éternelle81. Pour cela il
leur faut croire que Jésus est l’envoyé du Père. Alors c’est une nouvelle
naissance d’eau et d’Esprit qui permet d’entrer dans le royaume de Dieu82.
L’affirmation demande à être expliquée. Commençons par explorer les
relations de Jésus et de l’Esprit.
–Jésus fait connaître le vrai Dieu, la vérité de Dieu 83
  : «  La vie
éternelle, c’est qu’ils (ceux que le Père donne au Fils) te connaissent,
toi le seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » 84
. C’est
évidemment la foi de l’Eglise qui s’exprime là, n’hésitant pas à faire
parler Jésus de Jésus Christ ! Le Dieu Père que révèle Jésus est le Dieu
de vérité, tandis que le monde n’adore que des apparences trompeuses
de divinités. «  L’heure vient, elle est là, où les vrais adorateurs
adoreront le Père en Esprit et en vérité » 85
. Révélant le vrai Dieu qui
est Esprit, l’Evangile appelle à un culte spirituel qui est la seule
adoration que Dieu demande. Plus loin le quatrième évangile
emploiera à deux reprises l’expression : Esprit de vérité 86
. Il y a donc
une étroite relation entre l’Esprit et le message de Jésus  : «  C’est
l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai
dites sont esprit et vie » 87
. L’Evangile, selon Jean, annonce donc un
salut révélé et effectué dans la parole de Jésus.
–Dès lors nous avons sans doute la clef qui ouvre l’intelligence du
texte cité plus haut : « Nul, s’il ne naît d’eau et d’Esprit, ne peut entrer
dans le royaume de Dieu » 88
et cette naissance est naissance d’en haut
89
. Les mots font évidemment penser au baptême qui, célébré dans

l’eau, confère le saint Esprit. Mais comment ne pas remarquer que le


mot « baptême » n’est pas prononcé ! C’est la parole du Christ, portée
par l’Esprit, qui réalise le miracle qui fait accéder le croyant depuis le
monde d’en bas, de la chair, au monde d’en haut, au royaume du Dieu
qui est Esprit. La même conclusion peut être tirée d’un texte de la
première épître de Jean : « Qui est vainqueur du monde sinon celui qui
croit que Jésus est le Fils de Dieu ? C’est lui qui est venu par l’eau et le
sang, Jésus Christ, non avec l’eau seulement, mais avec l’eau et le
sang  ; et c’est l’Esprit qui rend témoignage parce que l’Esprit est la
vérité. C’est qu’ils sont trois à rendre témoignage : l’Esprit, l’eau et le
sang » 90
. L’eau c’est le baptême, celui de Jésus et celui des chrétiens.
Le sang fait allusion à la mort du Christ, mais c’est l’Esprit qui
transforme le rite baptismal en proclamation de victoire sur le monde
et de salut. Le message de Jésus, repris par la prédication de l’Eglise,
voilà l’œuvre de l’Esprit. Le sacrement n’en est que l’occasion
formelle. Ne sait-on pas que le culte en Esprit et en vérité n’est
aucunement lié à une tradition, fut-elle religieuse 91
ou même
sacramentelle ?
C’est sans doute le moment de rappeler que le quatrième évangile
n’a pas de récit de l’institution de l’eucharistie, quoiqu’il connaisse et
vénère ce sacrement sur lequel il médite longuement92, y voyant l’offre
faite à la foi de s’approprier et le message et l’œuvre du Christ.
La religion chrétienne est, selon Jean, une religion spirituelle et
l’adjectif est pris dans ses deux sens  : inspirée par l’Esprit et manifestant
que les rites le cèdent à la prédication et à son message de vie. Cette vie
nouvelle irrigue miraculeusement celui qui la reçoit  : il devient dans le
monde un vivant témoin d’en-haut, une question posée à la chair qui est
incapable de comprendre et d’expliquer son comportement. Un vent
imprévisible le pousse93 et, merveilleusement, il devient pour les autres une
source vivifiante parce que spirituelle94. Réunis en Eglise, ces chrétiens
deviennent les témoins vivants du pardon de Dieu dont l’Esprit les fait ses
messagers95. L’Esprit présent dans les paroles de Jésus n’a pas disparu avec
le départ du monde du ressuscité.
C’est là une des affirmations majeures du quatrième évangile. Jésus
promet aux siens que l’Esprit qui l’animait assurera sa présence continuée
auprès des siens et ce, pour l’éternité. Voilà le leitmotiv qui structure le
chapitre 14 de l’évangile de Jean. Jésus recourt pour le dire à un mot
souvent utilisé par la langue juridique grecque  : il nomme l’Esprit le
«  paraclet  », ce qui se traduit par l’«  avocat  », le «  défenseur  »,
éventuellement le « consolateur ». Mais fondamentalement le paraclet, c’est
l’Esprit96 qui en l’absence de Jésus demeure avec les siens et même en eux.
Il joue pour eux le même rôle que Jésus. Il rappelle son enseignement97. Il
confond le monde en révélant la réalité du péché, en justifiant ceux qui le
reçoivent et en anticipant le jugement dernier qui est un jugement de vie98.
Il témoigne de Jésus et fait des chrétiens des témoins de leur Seigneur99. En
un mot, l’Esprit signifie pour l’Eglise et pour chaque croyant l’éternelle
présence de Jésus.

QUELQUES ANNÉES PLUS TARD

Une évolution considérable ne tarde pas à se dessiner dans les


jeunes Eglises. On en discerne les premiers signes dans les épîtres
pastorales. L’auteur de la première épître à Timothée exhorte son
destinataire en ces termes : « Ne néglige pas le don de la grâce (le charisme)
qui est en toi et qui te fut conféré par une intervention prophétique
accompagnée de l’imposition des mains par le collège des anciens »100. Et
encore ce rappel « d’avoir à raviver le don de Dieu (charisme) qui est en toi
depuis que je t’ai imposé les mains »101.
L’Eglise procède maintenant à l’ordination de ses ministres et c’est
l’imposition des mains qui confère le saint Esprit qui les rend capables de
servir fidèlement. Plus précisément encore Clément, évêque de Rome,
s’adresse à l’Eglise de Corinthe, divisée entre factions rivales. Il exhorte à
l’unité et fonde ainsi son argumentation : le Christ vient de Dieu, les apôtres
viennent du Christ. Ils en ont reçu l’enseignement et croient à sa
résurrection. Affermis par la parole de Dieu, avec la pleine certitude de
l’Esprit saint, ils ont évangélisé, choisi les meilleurs hommes et les ont
éprouvés par l’Esprit afin d’en faire des évêques et des diacres102. Il est
donc exclu de se diviser puisque les chrétiens ont un seul Dieu, un seul
Christ et un seul Esprit de grâce qui a été répandu sur eux103. Devant le
danger d’un schisme, c’est l’Esprit qui est invoqué comme appelant à
l’unité du plan de Dieu pour le salut, unité qui est concrètement garantie par
la succession apostolique, et vivifiée par l’action de l’Esprit qui inspire la
mission.
Quelques années plus tard, Ignace, évêque d’Antioche, exhorte les
chrétiens de Magnésie à vivre « de chair et d’Esprit dans la foi et l’amour,
dans le Fils, le Père et l’Esprit, avec votre très digne évêque et la précieuse
couronne spirituelle de votre conseil de presbytres et vos saints diacres.
Soyez soumis à l’évêque… comme le Christ selon la chair fut soumis au
Père et les apôtres au Christ et au Père et à l’Esprit, afin que l’union soit à la
fois charnelle et spirituelle »104.
Citons enfin Irénée  : «  Il faut écouter les presbytres qui sont dans
l’Eglise  : ils sont les successeurs des apôtres… Avec la succession de
l’épiscopat, ils ont reçu le sûr don de l’Esprit (charisme) de la vérité »105.
C’est cette évolution que l’on convient parfois d’appeler la marche vers le
pré-catholicisme.
L’éternité

Dans le judaïsme

Le mot même d’éternité fait problème  : dans l’Ancien Testament,


les premières affirmations qui se rapprochent de la notion d’éternité se
bornent à confesser que Dieu est en toutes choses le premier et qu’il le sera
encore auprès des derniers1. Autrement dit, il est présent dans le passé et
sera là dans l’avenir sans qu’on puisse fixer de limites à cette proposition.
Parfois celle-ci est mise en relation avec l’idée de création qui, elle-même,
inclut la notion de temporalité : selon la Genèse, l’action créatrice de Dieu
s’accomplit dans le cadre de la première semaine.
Mais Dieu est avant la création : « Avant que les montagnes naissent
et que tu enfantes la terre et le monde, depuis toujours, pour toujours, tu es
Dieu »2. Une apocalypse juive qu’on peut dater des débuts de notre ère dit
que c’est à cause de la création de l’homme que Dieu a inventé le temps et
ses divisions afin d’inciter sa créature à se reconnaître mortelle3.
Le propre de Dieu est donc une extra-temporalité qui n’est pas
exactement identifiable à l’éternité  : «  Le Seigneur est le Dieu de
toujours »4.
Plusieurs anciennes traductions de l’Ancien Testament ont choisi de
rendre par ‘Eternel’ les quatre lettres (YHWH) du seul nom que Dieu se
donne et révèle à Moïse. Comme il le développe en une paraphrase que l’on
peut traduire  : «  Je suis qui je serai  »5, on a conclu que cela signifiait
l’éternité. En fait, cette traduction de la paraphrase est très aventurée. Les
quatre consonnes gardent leur mystère. C’est pour le respecter que la
tradition juive, suivie par la Traduction Œcuménique de la Bible, remplace
systématiquement le nom secret par le mot hébreu Adonaï, le Seigneur.
Sous l’influence de la religion dualiste de ses voisins orientaux, le
judaïsme ne tarde pas à évoluer : le temps que Dieu a créé comporte deux
périodes. Il y a le temps présent soumis aux puissances mauvaises de la
matière, et le temps à venir dans lequel Dieu exercera sans partage son
règne spirituel. Les mots utilisés pour parler de ces temps se multiplient  :
monde (kosmos), période (kairos), siècle ou éon (aiôn,
qui finira par
signifier «  éternité  »). L’apocalypse juive précédemment citée prédit que,
lorsque la création s’achèvera avec le jugement dernier, les temps eux-
mêmes périront. Il ne restera que le grand siècle dans lequel les justes
jouiront de l’éternité6. Le judaïsme rabbinique raisonnera constamment sur
le ‘olam hazeh (ce monde) et le ‘olam habba (le monde à venir).

Dans le christianisme

Le christianisme primitif hérite de cette conception à la suite de


Jésus lui-même : « Personne n’aura laissé maison, femme, frères, parents ou
enfants à cause du royaume de Dieu, qui ne reçoive beaucoup plus en ce
temps-ci et dans le monde à venir la vie éternelle »7. Le monde présent est
mauvais. La parabole du Semeur sait que la semence tombe parfois parmi
les épines que sont les soucis de ce monde. Elles étouffent la Parole8.
L’apôtre Paul ne tient pas un autre langage : il dit enseigner une sagesse qui
n’est pas de ce monde9.
Pourtant les perspectives ont radicalement changé  : Jésus Christ a
arraché les chrétiens du monde mauvais10. Le grand basculement a eu lieu.
Avec Jésus, le royaume attendu pour l’avenir est devenu présent. Le monde
à venir est advenu. Les croyants goûtent dès à présent les forces du monde à
venir11. Jésus promet à celui qui mangera du pain de vie (allusion évidente
à l’eucharistie) qu’il vivra pour l’éternité12. L’Evangile est la sagesse que
Dieu tenait cachée, la destinant de toute éternité à être la gloire des
chrétiens13. Le Christ qui accomplit ce dessein participe donc de l’éternité
divine  : le Fils de l’homme proclame dans la première vision de
l’Apocalypse : « Je suis le premier et le dernier et le vivant ; je fus mort et
voici, je suis vivant pour les siècles des siècles et je tiens les clefs de la mort
et de l’Hadès. »14. Le Christ porte les titres même de Dieu, son Père, il est
auteur de la création. Celle-ci périra, mais lui demeure15. Il est le même hier
et aujourd’hui, il le sera à jamais16.
Celui qui tient les clefs de la mort annonce l’accomplissement des
promesses de Dieu  : «  La mort ne sera plus  », car le premier ordre des
choses a disparu17. La mort qui était la marque ineffaçable de la finitude de
l’homme et qui était donc l’ennemi suprême, est anéantie par le pouvoir de
l’Evangile du Christ, puissance destinée au règne éternel18.
«  Celui qui écoute ma parole, dit Jésus, et croit en celui qui m’a
envoyé, a la vie éternelle… Il est passé de la mort à la vie »19.
L’eucharistie

Le titre déjà pose problème  : il s’agit de la pratique sacramentaire


qui fait écho au dernier repas de Jésus avec ses disciples. Dans les pays
francophones, la tradition protestante l’appelle Sainte Cène (le mot latin
cena signifie repas). Pour les catholiques, c’est l’eucharistie (transcription
d’un mot grec qui signifie action de grâce, remerciement). La première
mention qui en est faite se trouve sous la plume de l’apôtre Paul qui parle
du repas du Seigneur (1Co 11.20). Dès la fin du premier siècle et surtout au
deuxième, c’est le mot d’eucharistie qui s’impose.
Un texte liturgique1 de cette ancienne époque nous permet de saisir
le moment où le mot change de sens, passant de «  l’action de grâce  » à
«  l’eucharistie  »  : «  Pour l’eucharistie, rendez grâce (littéralement  :
eucharistiez) de cette manière  : d’abord pour la coupe  : ‘Nous te rendons
grâce (nous t’eucharistions) notre Père…’. Puis pour le pain rompu : ‘ Nous
te rendons grâce (nous t’eucharistons)…’. »
Ignace d’Antioche, vers les années 110, joue encore sur les deux
sens du mot. Il exhorte les chrétiens d’Ephèse à se réunir fréquemment
«  pour rendre à Dieu actions de grâce et louange  »2. Mais bientôt chez le
même auteur, le sens «  technique  » l’emporte  : Ignace ordonne aux
Smyrniotes de ne tolérer qu’une eucharistie, celle que préside l’évêque3.
Le partage du pain et du vin qui est célébré chaque dimanche dans
les assemblées chrétiennes «  reçoit chez nous le nom d’eucharistie  » écrit
Justin4 à Rome au milieu du deuxième siècle.
Dans le Nouveau Testament, nous trouvons quatre récits du dernier
repas de Jésus avec ses disciples. En voici la présentation en un tableau
synoptique :

Tableau synoptique des récits eucharistiques


Le verbe grec eucharistein est ici régulièrement traduit par : rendre
grâce.
Mt 26.26-29 Mc 14.22-25 Lc 22.15-20 1Co 11.23-26
15) Et il leur dit : j’ai
23) Moi, voici ce que
vivement désiré manger
j’ai reçu du Seigneur et

cette Pâque avec vous


que je vous ai

avant de souffrir, 16)


transmis :
car je vous le dis : je ne

la mangerai plus

jusqu’à ce qu’elle soit

accomplie dans le

royaume de Dieu. 17)

Ayant reçu une coupe il

rendit grâce en disant :

Prenez-la et partagez

entre vous. 18) Car je

vous le dis : je ne boirai

plus désormais du fruit

de la vigne jusqu’à ce

que vienne le royaume

de Dieu.
26) Pendant le repas,
22) Pendant le repas, il
19) Puis il prit du pain
Le Seigneur Jésus, dans

Jésus prit du pain et


prit du pain et après
et après avoir rendu
la nuit où il fut livré,

après avoir prononcé la


avoir prononcé la
grâce il le rompit et le
prit du pain 24) et après

bénédiction il le rompit
bénédiction, il le
leur donna en disant :
avoir rendu grâce, il le

et, le donnant aux


rompit, le leur donna et
Ceci est mon corps
rompit et dit :

disciples, il dit :
dit :
donné pour vous. Faites
Ceci est mon corps qui

Prenez, mangez, ceci


Prenez, ceci est mon
cela en mémoire de
est pour vous. Faites

est mon corps.


corps.
moi.
cela en mémoire de

27) Puis il prit une


23) Puis il prit une
20) Et pour la coupe il
moi.

coupe et, après avoir


coupe et après avoir
fit de même après le
25) Il fit de même pour

rendu grâce, il la leur


rendu grâce, il la leur
repas en disant :
la coupe après le repas

donna en disant :
donna et ils en burent
Cette coupe est la
en disant :

Buvez en tous,
tous.
nouvelle alliance en
Cette coupe est la

28) car ceci est mon


24) Et il leur dit :
nouvelle alliance en

sang, le sang de
Ceci est mon sang, le
mon sang versé pour
mon sang. Faites cela

l’alliance versé pour la


sang de l’alliance versé
vous. toutes les fois que vous

multitude, pour le
pour la multitude.
en boirez en mémoire

pardon des péchés. 25) En vérité je vous le


de moi.

29) Je vous le dis : je ne


dis : je ne boirai jamais
26) Car toutes les fois

boirai plus désormais


plus du fruit de la vigne
que vous mangez de ce

de ce fruit de la vigne
jusqu’au jour où je le
pain et que vous buvez

jusqu’au jour où je le
boirai nouveau dans le
de cette coupe, vous

boirai nouveau avec


royaume de Dieu. annoncez la mort du

vous dans le royaume


Seigneur jusqu’à ce

de mon Père. qu’il vienne.

Lecture du tableau

Une lecture attentive du tableau synoptique suggère les remarques


suivantes :
–La scène est chaque fois ponctuée par des moments qui sont
indifféremment appelés « bénédiction » ou « action de grâce ». Il y a
fort à parier que les mots grecs employés sont considérés comme des
synonymes et qu’ils traduisent la même forme araméenne utilisée par
Jésus.
–Luc se singularise en mentionnant deux coupes, l’une avant, l’autre
après le repas.
–Les quatre textes s’accordent, malgré les différences de plan et de
formulation, pour affirmer que Jésus a donné à son geste une portée
eschatologique. Ainsi chez Matthieu et Marc  : Je ne boirai plus…
jusqu’au royaume de Dieu. Chez Luc : Je ne mangerai plus… jusqu’au
royaume. Je ne boirai plus…jusqu’au royaume. Et chez Paul  :
« Chaque fois que vous mangez… et buvez… vous annoncez la mort
du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne ».
–Le texte le plus ancien est évidemment celui de Paul. Or l’apôtre dit
l’avoir reçu par le canal d’une tradition antérieure, assurément de
genre liturgique.
–Cette dernière remarque doit être prolongée : deux des textes portent
la marque de célébrations régulières. Luc à propos du pain, Paul pour
le pain et la coupe : « Faites cela en mémoire de moi… toutes les fois
que vous mangez de ce pain et buvez de cette coupe ».
–Le partage rituel des éléments a lieu au cours d’un repas.

Un repas pascal ?

Selon Luc5, il s’agit d’un repas pascal, ce que Matthieu6 et Marc7


confirment incidemment. Pourtant la description du repas montre qu’il ne
suit pas les minutieuses prescriptions juives qui règlent le déroulement du
repas de la Pâque. Sans doute faut-il admettre que la célébration
eucharistique a sa place au cours d’un repas dont le rituel complet n’a pas
été retenu par nos textes. Et, si l’on se souvient que Paul hérite son texte
d’une pratique liturgique régulière, on comprend que la coloration
proprement pascale n’y ait pas été retenue, étant trop liée avec le genre
narratif.
Au reste, la question n’a pas l’importance qu’on lui accorde parfois.
Lors du repas pascal juif, le fils aîné pose au père de famille cette question
rituelle  : «  En quoi cette nuit diffère-t-elle des autres nuits  ?  ». Et le père
répond : « C’est en cette nuit que le Seigneur nous a fait sortir d’Egypte »8.
Rabbi Gamaliel, un maître juif vénéré, insiste : à chaque génération on doit
se regarder comme sortant d’Egypte. Le rituel pascal n’est donc pas une
simple commémoration. On ne fait pas seulement mémoire de l’Exode, on
en revit la libération, année après année. Voilà la tonalité du repas pascal.
Elle jette sur nos textes un précieux éclairage : la participation au pain et au
vin est une communion au Christ mort pour la multitude (Marc et Matthieu)
et d’abord «  pour vous  » (Luc, Paul). S’il faut manger et boire «  en
mémoire de moi  », ce n’est pas un simple geste de souvenir, c’est une
appropriation, une actualisation.

L’agape

Il est souvent question dans le christianisme primitif d’un repas qu’il


n’est pas facile de distinguer de l’eucharistie du fait que celle-ci était
d’abord célébrée dans le cadre d’un repas. Il s’agit de l’agape (en grec,
agapè signifie amour), repas destiné à manifester concrètement l’amour
fraternel qui est le ciment des communautés chrétiennes. Ce repas, pour
lequel les participants apportent leur nourriture, permet grâce à sa
surabondance de subvenir aux besoins des indigents, notamment les veuves
et les orphelins. Très tôt, ce repas caritatif sera distingué de l’eucharistie
proprement dite.

Signification de l’eucharistie

L’eucharistie est la valorisation symbolique d’un repas dont la


signification religieuse se déploie en plusieurs directions de grande
importance.
– La mort du Christ
Selon l’apôtre Paul, partager les éléments eucharistiques c’est
annoncer la mort du Seigneur. Mais il ne s’agit pas d’un repas comme
ceux des rituels funéraires païens qui ne se préoccupent que d’honorer
la mémoire du défunt, voire de contribuer à rendre son séjour outre-
tombe plus facile. La mort du Christ est «  pour vous  », «  pour
beaucoup », « pour le pardon des péchés ». C’est dire que le Christ a
par sa mort accompli la prophétie d’Esaïe qui annonçait que le
Serviteur du Seigneur mourrait pour porter les fautes de beaucoup 9
.
C’est une mort «  pour  » (la préposition hyper
en grec, comme notre
« pour » en français, peut avoir plusieurs sens, entre autres « en faveur
de » et « à la place de »). Cette mort concerne la multitude des futurs
chrétiens, elle a valeur de pardon pour quiconque accepte de
communier avec celui qui va à la mort pour les autres. Esaïe a recours
dans sa prophétie à l’idée de substitution  : le Serviteur subit le
châtiment à la place des coupables. C’est bien ainsi qu’il faut
interpréter l’explication du pain dans l’ancienne liturgie eucharistique.
– La nouvelle alliance
La coupe est l’objet d’une interprétation tout aussi précise, mais bien
différente. Tous nos témoins s’accordent pour y voir une allusion au
sang de l’alliance. C’est une référence au récit de la conclusion de
l’alliance solennelle de Dieu avec son peuple 10
. Moïse immole des
taureaux en sacrifice de paix et, du sang qu’il recueille, il asperge le
peuple assemblé en prononçant ces mots : « Voici le sang de l’alliance
que le Seigneur a conclue avec vous ». La cérémonie s’achève, comme
il est d’usage pour un sacrifice de paix, par un repas : tous mangent et
boivent 11
.
Jésus est venu, il a manifesté que les relations entre Dieu et les
hommes étaient fondamentalement changées : dans la société juive de
son temps, il a mangé avec les pécheurs, inaugurant ainsi une nouvelle
alliance fondée sur le pardon des péchés comme Mt 26.28 le précise.
Ces initiatives n’ont pas le caractère solennellement sacramentel de
l’institution de l’eucharistie, mais elles en annoncent l’enseignement :
à nouveau les hommes peuvent être invités à la table de Dieu. C’est la
révélation de la grâce, sur quoi repose tout l’Evangile.
– Jusqu’au royaume
Il faut se garder d’oublier l’accent eschatologique de la Cène. Nos
quatre textes l’expriment de manière certes différente, mais montrent
que sans ce message, le récit serait incomplet. L’eucharistie est ainsi
présentée comme une anticipation prophétique du repas messianique
attendu dans le royaume de Dieu  : «  Le Seigneur… va donner… un
festin pour tous les peuples… Il fera disparaître… le voile tendu sur
les peuples… Il fera disparaître la mort pour toujours… Le Seigneur
Dieu essuiera les larmes de tous les visages… On dira en ce jour-là :
c’est lui notre Dieu…C’est le Seigneur en qui nous avons espéré.
Exultons… puisqu’il nous sauve  » 12
. Citons encore un texte juif
antérieur à l’ère chrétienne : « Les justes et les élus seront sauvés en ce
jour-là… C’est en compagnie de ce Fils d’homme qu’ils mangeront »
13
.

L’eucharistie à Corinthe

Le témoignage de Paul ne se limite pas à la formulation de la


liturgie eucharistique, il nous permet de jeter un regard sur la pratique
ecclésiale, sur ses richesses, ses risques et ses perversions. L’eucharistie est
encore célébrée dans le cadre d’un repas communautaire qui est le « repas
du Seigneur »14 et qui doit manifester l’unité des chrétiens formant le corps
du Christ. Or, à Corinthe, c’est l’occasion pour les différences de statut
social de s’affirmer : chacun apportant sa nourriture, les riches festoient, les
pauvres n’ont pas assez.
Dans sa réaction, l’apôtre est entraîné à utiliser des expressions qui
frôlent une conception très matérialiste de l’eucharistie  : en 1 Co 10 il
compare de très près la communion eucharistique à la communion que les
païens établissent avec les démons, en mangeant les viandes des sacrifices
offerts aux idoles. Mais il précise aussitôt que l’eucharistie doit susciter des
comportements qui manifestent la communion avec le seul Seigneur.
Manger le pain et boire la coupe exige un engagement sérieux et
conséquent, bref une conduite appropriée. C’est dire que la communion
avec le Christ n’est pas physiquement liée aux éléments eucharistiques,
mais qu’elle est de nature spirituelle. L’affirmation était sans doute tout à
fait nécessaire dans un monde où la religion était fortement colorée de
magie.
Ceci nous permet de préciser le sens du verbe  : «  Ceci est mon
corps… mon sang  ». Jésus a prononcé ces mots en araméen, langue dans
laquelle le verbe être est naturellement sous-entendu. On a donc tort de
tenter de spéculer sur le sens métaphysique du verbe en cherchant comment
le pain peut être le corps du Christ. La meilleure traduction serait sans
doute : « C’est moi » ; « Je suis présent, tel que vous m’avez connu, moi et
mon enseignement, moi et mon histoire qui conduisait à la croix, c’est-à-
dire à la mort pour vous ».

Le quatrième évangile

L’évangile de Jean demande à être interrogé à part  : il présente en


effet cette particularité d’être le seul évangile à ne pas contenir de récit
d’institution de l’eucharistie. Ce fait remarquable peut recevoir deux
explications :
–Jean organise l’histoire de la Passion de Jésus selon un calendrier qui
lui est propre. Alors que pour les synoptiques le dernier repas de Jésus
est un repas pascal qui a donc lieu le vendredi soir 15
, pour le
quatrième évangile Jésus est crucifié le jour où les Juifs immolent
l’agneau pascal, dans lequel Jean voit la prophétie de la mort de Jésus.
En conséquence, le dernier repas ne peut-être pascal puisque Pâque
était la veille. C’est la crucifixion qui est l’accomplissement de la
Pâque. De ce fait, le dernier repas n’offrant plus les mêmes
potentialités symboliques, il peut être ignoré.
–Jean connaît les célébrations eucharistiques. Le discours de Jn 6 sur
le pain de vie peut être lu, au moins en partie, comme une méditation
sur ce sacrement. La meilleure preuve en est que le propos de Jésus qui
ne concerne au début que le seul pain dont la manne était une
imparfaite prophétie, en vient tout naturellement à parler de manger la
chair et de boire le sang du Fils de l’homme 16
.
Ce développement dont la formulation pourrait traduire une
conception très matérialiste de l’eucharistie (le verset 54 ne parle-t-il
pas de «  mâcher la chair  » de Jésus  !) aboutit à une conclusion
parfaitement spiritualiste : « C’est l’esprit qui vivifie, la chair ne sert
de rien » 17
. Tout le discours est à comprendre dans cette perspective :
c’est la foi, œuvre du saint Esprit, qui seule permet de demeurer en
Jésus et de connaître la vie éternelle. Si l’on prend la liberté de
prolonger cette affirmation, on peut deviner que pour Jean la
célébration effective de l’eucharistie risque de susciter une
interprétation du sacrement comme agissant naturellement et de
manière quasi magique pour procurer la vie éternelle 18
. D’où le
silence sur le dernier repas qu’une méditation sur la juste interprétation
du sacrement veut utilement remplacer.
Le choix à première vue surprenant du mot «  chair  », à la place de
« corps » que tous les autres témoins retiennent, ne doit pas prêter le
flanc à une interprétation fautive. On s’en convaincra en se reportant
au message central du prologue du quatrième évangile  : «  Le Verbe
s’est fait chair
 » 19
. La chair, pour Jean, c’est la condition d’existence
de l’homme et donc l’incarnation.

Conclusion

Quoi qu’il en soit des variations attestées, dans la forme comme


dans le fond, nos textes s’accordent pour affirmer que l’eucharistie offre,
avec le pain et le vin, une réelle possibilité de communion avec Jésus : il est
mort pour le croyant qui de ce fait est appelé à une vie nouvelle dans
l’alliance nouvelle avec Dieu. Il annonce par là-même l’espérance sûre du
royaume de Dieu qui vient.
La foi

L’ANCIEN TESTAMENT

L’un des mots qui dans l’Ancien Testament est privilégié pour son
aptitude à exprimer un sens religieux est Aman dont la racine signifie la
solidité, la certitude et la confiance. Amen veut dire : c’est sûr, c’est vrai. En
grec, croire se dit Pisteuô et Pistis est la foi, la fidélité.
Le fondement de la religion d’Israël est la confession d’un Dieu
fidèle, sûr. On peut compter sur lui. Le fidèle s’adresse donc à lui avec une
pleine confiance.
Esaïe1 le nomme «  Dieu Amen  » et si en grec, la Septante
traduit « Dieu véritable », une autre traduction plus soucieuse de littéralité
(Symmaque), choisit de garder le mot comme nom propre  : le «  Dieu
Amen », solution dont l’Apocalypse2 s’inspirera : « Ainsi parle l’Amen, le
témoin fidèle et véritable (c’est-à-dire le Christ)  ». Selon l’apôtre Paul,
toutes les promesses de Dieu ont trouvé dans le Christ un « oui » : « Aussi
est-ce par lui que nous disons Amen à Dieu pour sa gloire »3.
Abraham reçoit de ce Dieu fidèle la promesse d’une descendance
innombrable. Il accueille cette parole avec foi et le Seigneur pour cela le
considère comme un juste, c’est-à-dire comme un homme selon son cœur4.
Dieu tient ses promesses. Lorsque son peuple est réduit en esclavage en
Egypte, il l’en fait sortir par amour et fidélité à ce qu’il a promis : « il garde
son alliance et sa fidélité  » à son peuple qui l’aime et garde ses
commandements5. La sortie d’Egypte est donc le moment où Dieu se révèle
comme le Dieu sûr. Lorsque Israël vit le miracle de la Mer Rouge qui
s’ouvrait pour laisser passer le seul peuple élu, il « craignit le Seigneur, il
mit sa foi dans le Seigneur et en Moïse son serviteur  »6. Les doutes qui
s’exprimaient en Israël n’ont pas ébranlé la décision du Dieu fidèle7. A
cette fidélité, l’homme répond  : Amen  ! «  Béni soit le Seigneur, le Dieu
d’Israël, depuis toujours et à toujours ! Amen et Amen ! »8.
Dieu ne se contente pas de sauver son peuple, il lui donne sa loi et
demande qu’on lui obéisse. «  La loi du Seigneur est parfaite… elle est
sûre  »9. Le Psalmiste proclame qu’il veut se fier aux commandements de
son Dieu10. Le Seigneur est le Très-Haut, le Dieu du ciel et de la terre. Il
inspire le respect et même une crainte religieuse qui n’est finalement pas
vraiment différente de la foi. Ainsi parle le Seigneur : « Je conclus avec eux
une alliance perpétuelle… et je mettrai ma crainte dans leur cœur11. A quoi
répond la prière de l’homme  : «  Unifie mon cœur pour qu’il craigne ton
nom  »12. Rappelons enfin le texte déjà cité13 qui regarde foi et crainte du
Seigneur comme des quasi-synonymes.

LE NOUVEAU TESTAMENT

Les évangiles synoptiques

Les évangiles synoptiques se situent dans la droite ligne de ce que


l’Ancien Testament enseigne sur la foi, avec cette différence capitale : la foi
que les hommes étaient jadis appelés à placer dans le Seigneur Dieu doit
maintenant s’adresser principalement à Jésus. C’est à lui qu’il convient de
faire confiance. Lorsqu’une femme réussit à toucher le vêtement de Jésus
dans l’espoir que ce geste suffira à la guérir, Jésus lui dit  : «  Ta foi t’a
sauvée… sois guérie ! »14. Quand on annonce au chef de la synagogue que
sa fille, pour la guérison de laquelle il implore Jésus, vient de mourir, Jésus
s’interpose : « Sois sans crainte, crois seulement »15 et il ranime la fillette.
C’est bien la révélation d’un pouvoir et la revendication d’une autorité
proprement divines. Mieux, ce qui dans l’Ancien Testament se fondait sur
une intervention salvatrice du passé, mais visait principalement l’avenir,
concerne maintenant le présent. C’est aujourd’hui qu’il faut croire en
Jésus16. Il ne guérit pas seulement, mais, comme Dieu lui-même, il
pardonne les péchés17.
La foi est donc essentiellement confiance. Il faut se fier à Jésus.
Pourquoi  ? La seule réponse se trouve dans l’accomplissement des
prophéties. Jésus s’adresse aux deux disciples d’Emmaüs qui considèrent la
crucifixion comme la fin de leur aventure pleine d’espérance  : «  Esprits
sans intelligence, cœurs lents à croire tout ce qu’ont déclaré les prophètes !
Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela et qu’il entrât dans sa gloire ? »18.
La foi demandée est donc une décision que rien de tangible ne vient fonder.
Les miracles ne sont pas présentés comme des arguments apologétiques, ils
ne sont pas des preuves facilitant la foi19. Au contraire, ils supposent la foi.
Ils sont même conditionnés par l’affirmation de la foi. La foi du centenier
de Capernaüm suscite l’admiration de Jésus et vainc sa réticence à
intervenir : « Je n’ai, dit-il, trouvé chez personne en Israël une telle foi »20.
C’est la foi des amis d’un paralytique qui amène Jésus à guérir le malade21.
Quand le père d’un enfant possédé demande à Jésus de faire quelque chose
pour lui s’il le peut, il s’attire cette vive réaction : « Si tu peux !... Tout est
possible à celui qui croit. Aussitôt le père de l’enfant s’écria  : Je crois  !
Viens au secours de mon manque de foi !»22.
Mais devant l’incrédulité des habitants de Nazareth, Jésus ne peut y
faire de miracles23 et si les disciples échouent à guérir un enfant, c’est à
cause de la pauvreté de leur foi : « En vérité je vous le déclare, si un jour
vous avez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous direz à cette
montagne  : ‘Passe d’ici là-bas’ et elle y passera. Rien ne vous sera
impossible ! »24. Pourtant il arrive à Jésus comme à ses disciples d’opérer
des guérisons sans qu’il soit question de foi25.

Le quatrième évangile

L’évangile de Jean reprend les convictions des synoptiques sur la foi


en Jésus, mais il en développe les différents aspects en les enrichissant et les
approfondissant de manière originale  : Jésus fait des miracles, mais les
spectateurs en tirent des conclusions fort différentes. Pour les uns, ce sont
des actions extraordinaires dont ils espèrent tirer quelque bénéfice. « Vous
me cherchez, dit Jésus à la foule qui le suit après le miracle de la
multiplication des pains et des poissons, parce que vous avez mangé des
pains à satiété  »26. Et encore ce reproche  : «  Si vous ne voyez signes et
prodiges, vous ne croirez donc jamais ! »27.
Voir n’amène donc pas nécessairement à croire. Thomas demande
des preuves tangibles de la résurrection du Christ. Jésus le satisfait, mais il
poursuit en l’exhortant à devenir un homme de foi. Thomas répond en
confessant que Jésus est son Seigneur et son Dieu et Jésus lui dit : « Parce
que tu m’as vu, tu as cru. Bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru »28.
Les témoins directs ne sont donc nullement privilégiés par rapport aux
lecteurs de l’évangile qui sont eux aidés à discerner le sens profond des
miracles, fort justement appelés des ‘signes’.
Que signifient ces signes ? Relisons le récit du premier d’entre eux :
les noces de Cana29. Jésus change en vin l’eau destinée aux purifications
rituelles de la religion juive. Le maître d’hôtel accueille ce vin inattendu
avec joie, sans plus  ! Mais, selon l’évangéliste, l’épisode est pour les
disciples une révélation de la gloire de Jésus et ils y répondent par la foi.
Qu’ont-ils compris qui échappait aux convives et échappe encore à notre
lecture trop rapide ? L’eau des purifications permet de s’approcher de Dieu
dans la prière pour lui rendre grâce de ses bénédictions. Mais y a-t-il
toujours des conditions préalables, fussent-elles religieuses, pour rencontrer
Dieu  ? Marie invite son fils à intervenir miraculeusement mais il répond
que son heure n’est pas venue. Pour le quatrième évangile, l’heure de Jésus
est celle de la crucifixion. La réponse sous-entend donc que Marie a
suggéré que la question de la communion des hommes avec Dieu ne
nécessite pas ce drame. Le Tout Puissant n’a qu’à pousser son envoyé à
opérer un petit miracle et tout sera réparé, la joie de la communion parfaite
sera rétablie, et à bon compte  ! Le Fils n’aura pas à mourir  : on va
marchander le prix du péché qui sépare de Dieu. Mais Jésus s’indigne : la
crise est malheureusement inéluctable et c’est au Golgotha que sera révélé
le salut pour les hommes, la véritable gloire du Christ. Voilà pourquoi le
miracle de Cana est un signe qui appelle à la foi. Les disciples ont, par-delà
ce qu’ils ont vu, discerné le signe. Ils ont cru et les lecteurs dont nous
sommes sont appelés à partager leur foi. Tout homme est appelé à croire,
pourtant certains s’y refusent. Ce sont ceux que le diable entraîne dans le
déni de la vérité de Dieu et de la vie qu’il veut donner30.
Quel est le contenu de cette foi  ? La connaissance que Jésus est
vraiment l’envoyé du Père31, qu’il est le parfait représentant de son Père32.
Croire en lui c’est donc recevoir de lui la vie que Dieu donne et qui est
éternelle par-delà le jugement dernier qui fait trembler tous les hommes.
« Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que
tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais qu’il ait la vie éternelle. Car
Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour
que le monde soit sauvé par lui. Qui croit en lui n’est pas jugé  »33. Et
encore : « Celui qui croit a la vie éternelle… Celui qui mange ma chair et
boit mon sang a la vie éternelle… Comme le Père est vivant qui m’a envoyé
et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mangera vivra par moi »34.
Tout commence avec l’amour de Dieu, il est donc bien
compréhensible que la communion que la foi rétablit avec le Seigneur
puisse être résumée dans un commandement d’amour : « Comme je vous ai
aimés, aimez-vous les uns les autres. A ceci, tous vous reconnaîtront pour
mes disciples  : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres »35. « Si
vous observez mes commandements vous demeurerez dans mon amour,
comme, en observant les commandements de mon Père, je demeure dans
son amour »36.

L’apôtre Paul

Avec le quatrième évangile, mais bien avant lui37, l’apôtre Paul


réserve à la notion de foi une place prééminente dans ses réflexions
théologiques. Ses idées ont joué un rôle capital dans l’histoire du
christianisme, même si les Eglises n’ont pas vraiment pris conscience avant
le troisième siècle de l’importance de sa contribution. Pour Paul, la foi
marque de manière décisive le cours des relations entre Dieu et les hommes.
Cette histoire comporte deux périodes que tout oppose :
–Par nature, l’homme est porté à l’autonomie. Adam déjà conteste
qu’il ait tout à recevoir de Dieu  : et son existence et la manière de
déterminer sa conduite. Plus tard intervient le don de la loi. C’était une
grâce invitant à servir le Dieu qui avait sauvé son peuple de
l’esclavage. Mais la liberté ainsi accordée se change en une nouvelle
servitude : les hommes prennent la loi comme le catalogue des actions
assurant la faveur de Dieu. C’est là à la fois une impiété et une
inquiétante perspective ; en effet qui peut se dire juste devant le Dieu
juge ?
–Abraham pourtant avait montré la voie  : Dieu lui promet une
descendance innombrable. Abraham ne calcule pas, il ne met pas en
doute la parole du Seigneur au nom des contingences humaines. Il
croit le Seigneur, il a foi en lui et Dieu proclame que c’est là ce qu’il
attend des hommes. Abraham est un juste. Le premier juste parce que
juste par la foi 38
. C’est l’annonce prophétique d’un autre chemin
d’accès à Dieu à la place de la fallacieuse recherche de mérites qui
écrase toutes les espérances religieuses. C’est la possibilité d’une
libération après la servitude. C’est le don de la grâce au lieu de la
terrible exigence d’une inaccessible perfection. L’Evangile que Jésus
incarne est la révélation que cette nouvelle religion est maintenant
offerte à tous les hommes quels qu’ils soient, dès maintenant et à
jamais. Toutes les nations sont bénies en Abraham, tous ceux qui
croient sont bénis avec Abraham le croyant 39
. Avant la loi, Abraham
a cru en Dieu, maintenant que Dieu est venu jusqu’à nous pour
apporter la bonne nouvelle du salut par grâce, c’est en Jésus qu’il faut
croire. Voici enfin le but poursuivi depuis la création  : le salut des
hommes.

Le contenu de la foi chez Paul


Mais il faut poser à Paul la même question qu’à l’auteur du
quatrième évangile  : quel est le contenu de la foi  ? Elle est, comme pour
Abraham, confiance en Dieu. Mais maintenant, il faut préciser. Jean
répondait en insistant sur la crucifixion comme révélation de l’amour de
Dieu. La réponse de Paul a le plus souvent un accent un peu différent. Jean,
dans son évangile, raconte l’histoire de Jésus. Cette présentation exhaustive
lui permet d’insister sur l’importance unique de la croix, glorification du
Christ, parce qu’il rapporte ensuite les apparitions du ressuscité. Paul
connaît des confessions de foi. Les Eglises ont ramassé dans des credos les
principales affirmations de la foi. Le plus ancien exemple se trouve dans la
première épître aux Corinthiens40. Voici, écrit l’apôtre, l’Evangile que j’ai
reçu, que je vous ai transmis et auquel vous avez cru  : «  Christ est mort
pour nos péchés, selon les Ecritures. Il a été enseveli. Il est ressuscité le
troisième jour selon les Ecritures. Il est apparu à Céphas, puis aux Douze.
Ensuite il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois… Ensuite il est
apparu à Jacques, puis à tous les apôtres. »
Voilà le credo que Paul a reçu de l’Eglise de Jérusalem. Il est
remarquable autant par ce qu’il affirme que par ce qu’il tait  : la mort
salvatrice du Christ est mentionnée, mais c’est la résurrection et les
apparitions qui la suivent et l’authentifient qui sont le plus longuement
développées. Car « si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vide
et vide aussi notre foi  »41. Voilà, pour Paul, la parole de la foi que les
chrétiens proclament : « Si de ta bouche tu confesses que Jésus est Seigneur
et si dans ton cœur tu crois que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras
sauvé »42. La foi chrétienne peut s’exprimer dans cette formule lapidaire :
«  Jésus est Seigneur  »43. On relira encore l’hymne cité dans l’épître aux
Philippiens44 qui culmine dans cette proclamation finale  : «  Que toute
langue confesse que le Seigneur, c’est Jésus Christ, à la gloire de Dieu le
Père  ». Reconnaître le Christ comme Seigneur, Seigneur du monde et
Seigneur de celui qui croit, telle est la première définition de la foi selon
Paul. C’est d’abord la foi en la résurrection qui est communion à une vie
nouvelle, ce que le quatrième évangile énonce aussi, fût-ce à sa manière
propre.
La foi, se référant au Christ, a donc un autre contenu : elle peut être
considérée comme une connaissance, mais elle est d’abord communion
personnelle avec le ressuscité. « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est Christ
qui vit en moi. Car ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils
de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi »45. La foi ouvre donc la porte
vers une vie nouvelle, mais celle-ci, qui est don de la grâce de Dieu46, n’en
exige pas moins la détermination volontaire d’être et de rester un fidèle
disciple du Christ. Paul peut donc parler de la foi comme d’une obéissance :
«  Vous qui avez toujours été obéissants, soyez-le non seulement en ma
présence, mais bien plus maintenant en mon absence  ; avec crainte et
tremblement mettez en œuvre votre salut »47. C’est dire que la foi n’est pas
un état. On doit y progresser48, s’y affermir49, veiller à s’y maintenir50 car il
y a risque de défaillir51, afin de parvenir au but final  : «  Si nous sommes
morts avec Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui »52. Forts
de cette foi, les chrétiens savent que «  celui qui a ressuscité le Seigneur
Jésus nous ressuscitera nous aussi avec Jésus »53.
Puisque la foi concerne ce que l’homme a de plus personnel, on ne
s’étonnera pas d’entendre l’apôtre parler des différences qu’il peut y avoir
entre la foi des croyants individuels54. A Corinthe, certains – qui sont
faibles dans la foi – s’abstiennent des viandes qui viennent des sacrifices
païens et se scandalisent de voir des frères en manger. Paul, interrogé sur la
question, se sent manifestement proche de ces derniers, mais au lieu de
condamner les faibles, il demande aux forts de respecter la foi de leurs
frères55. Ce n’est pas là une attitude d’indifférence, elle procède au
contraire de la certitude qu’au-dessus des convictions personnelles, il y a le
commandement suprême qui est d’amour  : «  Quand j’aurais la foi la plus
totale, celle qui transporte les montagnes, s’il me manque l’amour, je ne
suis rien  »56. On remarquera, ici encore, l’accord avec le message
johannique. Il faut enfin noter qu’en plusieurs occasions l’apôtre parle de
croire dans le sens : être chrétien57.
Le judaïsme

Les Pharisiens

Les Pharisiens apparaissent dans l’histoire d’Israël en 135 avant


notre ère, comme un mouvement qui s’oppose en vain à des souverains
qu’ils jugent infidèles à la religion juive. Cet échec les éloigne
définitivement de l’action politique. Ils se consacrent désormais à l’étude,
l’enseignement et la pratique de la Loi de Dieu, ce qui les amène à se
distinguer du commun peuple (en hébreu ‘am ha-arets, littéralement  : le
peuple du pays). C’est pourquoi on les nomme en hébreu Peroushim
(Séparés = pharisiens). Eux se disent compagnons, confrères et de fait ils
forment une sorte de tiers ordre bien structuré. Ce sont des laïcs qui souvent
exercent une profession artisanale. Mais ils consacrent leur vie à étudier la
Tora, la Loi telle qu’on la trouve dans les cinq premiers livres de la Bible
attribués à Moïse. Ils en envisagent les conditions d’application jusque dans
les moindres détails.
L’occupation romaine leur semble difficilement tolérable pour des
raisons religieuses. Leur stricte piété leur vaut d’être estimés, respectés et
souvent écoutés par la population qu’ils veulent guider. Leur influence est
grande au premier siècle de notre ère et leur enseignement inspire l’un des
écrits qui, à partir du 2ème siècle, sera l’un des fondements du rabbinisme :
la Mishna (mot araméen qui signifie, la répétition – sous-entendu  : de la
Loi).
Parallèlement à la Loi biblique, ils accordent une grande autorité
aux enseignements donnés par ceux qu’ils reconnaissent comme leurs
maîtres  : c’est la tradition orale. En un mot ils sont un peu les maîtres à
penser, les guides religieux du judaïsme. C’est pourquoi ce sont eux qui
vont s’opposer le plus fortement à Jésus et à ses disciples. Les évangiles
sont très marqués par cette hostilité et leur peinture des Pharisiens est de ce
fait uniquement négative. Pourtant ce sont des gens qui prennent les
commandements de Dieu tellement au sérieux qu’ils en viennent à
s’adonner à une casuistique dont Jésus dénonce le formalisme1. De fait, ils
veulent préciser parfaitement les modalités de l’obéissance aux lois de
pureté, aux commandements de la dîme, du sabbat, de la circoncision, etc.
Ils refusent la culture étrangère et ne se soucient que d’être justes devant
Dieu, devoir qu’il revient à la liberté de chacun d’accomplir et qui lui vaut
de réels mérites – toutes choses à quoi il est en réalité prédestiné. Ils sont
plus que réservés quant à l’espérance messianique mais croient en la
résurrection et attendent la venue du royaume de Dieu qu’on ne peut hâter
que par une vie de parfaite obéissance.
Paul, qui est sorti du pharisaïsme, opposera à ses anciens confrères
la critique la plus forte notamment sur le rôle de la Loi et sur la notion de
mérite. L’influence des Pharisiens va diminuer jusqu’à disparaître au
quatrième siècle.

Les Sadducéens

Dans la société juive du premier siècle, à côté des Pharisiens et


souvent en opposition avec eux, il faut citer les Sadducéens, en hébreu
Tsaddoukim d’après le nom du grand prêtre Tsaddok2 qui oignit Salomon.
De fait, c’est un parti de prêtres. Ils se différencient des Pharisiens en
refusant de reconnaître une autre autorité que celle de la Tora  : pas de
tradition orale. C’est pourquoi ils ne croient ni à la résurrection, ni à la
prédestination.
Ils ne forment pas un parti très organisé et s’ils interviennent
souvent sur la scène politique, c’est principalement à travers les grands
prêtres (actuels ou anciens) qui n’ont guère de scrupules à collaborer avec
l’occupant. C’est donc plutôt un mouvement aristocratique, conservateur en
religion et accommodant en politique. Après 70 (la destruction du temple de
Jérusalem par Titus), ils disparaissent avec l’état juif.

Les Esséniens

Il faut évoquer les Esséniens, brièvement car les écrits du Nouveau


Testament ne les mentionnent pas. Ce que nous connaissons d’eux vient de
quelques historiens, tant juifs que romains, vivant au premier siècle. Ces
renseignements sont confirmés par la riche bibliothèque de rouleaux
manuscrits trouvés il y a quelque cinquante ans dans le désert de Juda et qui
émanent d’une communauté essénienne établie non loin de la rive
occidentale de la Mer Morte (Qumran).
Les Esséniens, relativement peu nombreux, ont pour la plupart
d’entre eux vécu en communauté quasi monastique. Leur nom provient sans
doute d’un mot araméen signifiant «  les pieux  ». Ils observent le célibat,
renoncent à toute possession personnelle et pratiquent une piété très
organisée comportant notamment des purifications et des baptêmes. Ils se
réunissent quotidiennement pour partager un repas cultuel, croient à la
résurrection et à la prédestination et sont tendus vers la fin des temps et le
jugement dernier. Ils s’adonnent longuement à la prière et à la méditation
des textes bibliques mais condamnent sans appel le culte célébré au temple
par un clergé regardé comme impie en particulier parce qu’il ne respecte
pas le calendrier qu’ils tiennent pour sacré.
Le fait que les plus anciens écrits chrétiens ne les mentionnent pas
s’explique sans doute par leur petit nombre, leur style de vie et, partant, la
part minime qu’ils prennent dans la société juive du temps.

La synagogue

C’est la transcription d’un mot grec signifiant « rassemblement, lieu


de rassemblement  ». On l’appelle encore «  prière  », c’est-à-dire lieu de
prière. Il est difficile de déterminer précisément où et quand la synagogue
est apparue dans le judaïsme. Sans doute l’exil et le phénomène de diaspora
(dissémination des juifs au sein du monde hellénistique) ont-ils joué un rôle
déterminant  : ne pouvant plus participer physiquement, fût-ce
épisodiquement, au culte rendu dans le temple de Jérusalem, les Juifs ont
éprouvé le besoin de disposer de lieux de réunion où ils pouvaient entendre
lire la Loi, l’expliquer, prier Dieu et accomplir les principaux rites de
purification. En outre les synagogues pouvaient servir à des assemblées
gérant les affaires de la communauté locale en matière religieuse et
juridique. Bientôt les mêmes impératifs aboutiront à l’édification de
synagogues en Palestine – on en connaît plusieurs ruines datant du
troisième au septième
siècle.
Les bâtiments comportent toujours au fond de la salle principale une
niche destinée à abriter l’armoire aux rouleaux (les livres de la Bible). Le
texte de Luc3 permet de se représenter assez bien le déroulement d’un office
du sabbat dans une synagogue  : lecture d’un passage de la Bible par un
assistant qui peut ensuite en proposer l’explication dans un prêche. Dans les
synagogues de Grèce, d’Egypte, d’Italie et de Mésopotamie dont il reste des
ruines, on constate l’existence de locaux annexes destinés à loger visiteurs
et pèlerins.

Le sanhédrin

Il y eut des sanhédrins en de nombreux lieux où ils fonctionnaient


comme des tribunaux jugeant d’après les lois juives. A Jérusalem se réunit
le grand sanhédrin devant lequel Jésus fut traduit4. C’est la juridiction
suprême et le sénat de Jérusalem. Il existe depuis le deuxième siècle avant
notre ère.
Sa composition est minutieusement réglée  : présidé par le grand
prêtre en exercice, il comprend soixante et dix membres représentant les
Sadducéens et les Pharisiens. Les pouvoirs du sanhédrin ont été rognés sous
Hérode le grand (qui a régné de 37 à 4 avant notre ère) et les occupants
romains lui ont enlevé le droit de prononcer des sentences capitales. C’est
donc à Pilate qu’il reviendra de condamner Jésus à la crucifixion5.
Le jugement dernier

L’ANCIEN TESTAMENT

En hébreu le verbe shaphat a un double sens : régner, gouverner et


juger. Le substantif dérivé mishepat signifie jugement, verdict, mais aussi
commandement, droit et même religion. Salomon demande à Dieu la
sagesse pour gouverner le peuple en discernant (= jugeant) le bien du mal1.
Il désire être capable de distinguer quelle est la volonté de Dieu, ses
commandements, base de l’alliance qu’il conclut avec Israël. Voilà le Droit,
voilà la Justice. Mais l’histoire d’Israël montre que les promesses de son
Dieu se heurtent à chaque pas à l’hostilité des peuples voisins.

Le Jour du Seigneur

La foi d’Israël s’exprime alors dans l’attente d’une intervention


dernière de son Dieu. Ce sera le Jour du Seigneur, le jour de sa colère. Dieu
remportera sur ces adversaires une victoire guerrière aux dimensions
cosmiques. Il rétablira le droit en exterminant les ennemis, c’est-à-dire en
jugeant et confirmant Israël dans son statut unique de peuple élu. «  La
colère du Seigneur est contre toutes les nations… Mon épée, dit le Seigneur,
est ivre dans les cieux. Voici qu’elle s’abat sur Edom… C’est pour le
Seigneur un jour de vengeance  »2. L’Egypte est traitée de la même
manière : « Le Seigneur va détruire la puissance de l’Egypte… Ce jour-là
est pour le Seigneur Dieu le Tout Puissant, un jour de vengeance… Ne te
laisse pas accabler, Israël je vais te délivrer des pays lointains… Toi mon
serviteur Jacob, ne crains pas… je suis avec toi  »3. «  Le jour est proche,
proche est le jour du Seigneur. Ce sera un jour de nuées, le temps des
nations. L’épée pénètrera en Egypte  … J’exécuterai des jugements en
Egypte, alors on connaîtra que je suis le Seigneur »4.
Le jugement d’Israël

Mais Israël n’accomplit pas toujours la volonté de son Dieu.


L’alliance est fréquemment et gravement violée. Les prophètes dénoncent
ces infidélités  : « Vous pressurez l’indigent, oppressez le juste, corrompez
les juges  » accuse Amos5 s’en prenant à ceux qui «  changent le droit en
poison et traînent la justice à terre »6. Mais une trompeuse assurance ne leur
promet pas le secours du Seigneur7 : en vain prétendent-ils pratiquer avec
zèle leur religion avec des pèlerinages, des sacrifices et des dîmes8.
« Malheureux ceux qui misent sur le jour du Seigneur… Que sera-t-il pour
vous, le jour du Seigneur  ? Il sera ténèbres et non lumière  !  »9. En vérité
« la fin est arrivée pour Israël, dit le Seigneur »10. « Il arrivera, ce jour-là…
où je ferai se coucher le soleil en plein midi… J’y ferai tourner en deuil vos
pèlerinages… je répandrai la famine dans le pays, non pas la faim de pain…
mais celle d’entendre la parole du Seigneur »11.
Israël doit donc s’attendre à subir un châtiment mérité  : «  La
tempête du Seigneur, la fureur éclate… L’ardeur de la colère du Seigneur ne
s’apaisera pas »12.

Justice et miséricorde

Cependant, à côté de ces paroles de menaces ou de condamnation,


un autre ton se fait entendre, car le châtiment n’est pas le dernier mot du
Seigneur  : «  Je t’ai frappé comme frapperait un ennemi… pour tes
innombrables crimes… Ta plaie est incurable… Mais pour toi je fais
poindre la convalescence, je te guéris de tes blessures  »13. Ce type de
prophétie aboutit à préciser le sens des mots pour qu’ils servent à mieux
dire le dessein de Dieu : il est un Dieu juste, mais sa justice se révèle dans
sa miséricorde. Esaïe ose affirmer que c’est l’ardeur du Seigneur qui
assurera à jamais le trône de David sur le droit et la justice14. « Le Seigneur
attend le moment de vous faire grâce, il va se lever pour vous manifester sa
miséricorde, car le Seigneur est un Dieu juste »15.
Voici l’explication, de ce changement :
« Ainsi parle le Seigneur… Je t’aime d’un amour d’éternité… Le
Seigneur rachète Jacob… Ton avenir est plein d’espérance… Ephraïm est
pour moi un fils chéri… Des jours viennent, oracle du Seigneur, où je
conclurai avec la communauté d’Israël et la communauté de Juda une
alliance nouvelle… Je déposerai mes directives au fond d’eux-mêmes, les
inscrivant dans leur être  ; je deviendrai Dieu pour eux, et eux, ils
deviendront un peuple pour moi… Je pardonne leur crime, leur faute je n’en
parle plus  »16. Ce sont donc de nouvelles relations entre Dieu et son
peuple  : «  Le Seigneur attend que tu craignes le Seigneur ton Dieu en
suivant tous ses chemins, en aimant et servant le Seigneur ton Dieu de tout
ton cœur… En gardant… les lois que je te donne aujourd’hui pour ton
bonheur »17. Voilà pourquoi le cantique de Moïse chante le Dieu fidèle en
qui il n’y a pas d’injustice  : il est juste et droit18. C’est une nouvelle
conception de la justice et donc du jugement, même si ce dernier est
toujours attendu comme sanction finale, car on ne se moque pas de Dieu.
Mais le verdict est rendu au nom du droit inspiré par la miséricorde du
Seigneur. Si l’on ose traduire cela dans une perspective juridique
paulinienne, on dira que c’est la justice du juge qui rend juste (justifie)
l’accusé.

LE NOUVEAU TESTAMENT

Le juge est le Fils de l’homme

Comme le judaïsme contemporain, Jésus et les premiers chrétiens


ont attendu un jugement dernier dont la venue prendrait les hommes par
surprise. En conséquence, il convient de faire toujours preuve de
vigilance19. Pourtant la perspective est fondamentalement renouvelée  : la
plupart du temps, les chrétiens affirment que Dieu a remis le jugement au
Christ  : «  C’est lui que Dieu a désigné comme juge des vivants et des
morts  »20. Il faut préciser  : dans les évangiles, Jésus – qui manifeste une
vraie réserve à se reconnaître comme Messie – se réclame régulièrement
d’un autre titre : il est le Fils de l’homme. Ce titre apparaît dans le livre de
Daniel21 où il désigne un mystérieux personnage céleste auquel est donné
d’exercer une souveraineté universelle lorsque Dieu décidera de la fin de
l’histoire et du jugement dernier qui la clôturera22. On ne s’étonnera donc
pas de constater que presque chaque fois qu’il est question du Fils de
l’homme dans les évangiles, c’est pour parler du jugement dernier. Par
exemple Mt 16.27 : « Le Fils de l’homme va venir avec ses anges dans la
gloire de son Père et alors il rendra à chacun selon sa conduite ». « Quand le
Fils de l’homme viendra dans sa gloire, accompagné de tous les anges, alors
il siégera sur son trône  » c’est-à-dire qu’il exercera le jugement23. Ou
encore «  Quand le Fils de l’homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la
terre ? »24.

Le Fils de l’homme et son jugement

Le Fils de l’homme n’a pas qu’une relation externe au jugement. Le


verdict est étroitement lié à sa personne et aux relations que les hommes ont
avec lui :
«  Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, je me
déclarerai moi aussi pour lui devant mon Père qui est aux cieux. Mais
quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai moi aussi devant
mon Père qui est aux cieux »25. Dans la grande fresque du jugement dernier
du chapitre 25.31ss de l’évangile selon Matthieu, le verdict est déterminé
par les actions que l’on a ou non réalisées en faveur du Fils de l’homme.
Celui-ci est donc à la fois le juge et le critère du jugement. De même en Mt
19.28-29 : « Quand le Fils de l’homme siégera sur son trône de gloire, vous
qui m’avez suivi, vous siégerez vous aussi sur douze trônes pour juger les
douze tribus d’Israël. Et quiconque aura laissé maisons… à cause de mon
nom, recevra beaucoup plus et, en partage, la vie éternelle ».

Le jugement au présent

Si Jésus s’est identifié au Fils de l’homme, c’est que sa présence


signifie que le jugement est actuel. Le quatrième évangile développe cette
idée avec insistance. Jésus dit : « C’est pour un jugement que je suis venu
dans le monde, pour que ceux qui ne voyaient pas voient et que ceux qui
voyaient deviennent aveugles »26. Ainsi ceux qui ne connaissaient ni Jésus
ni le salut qu’il apporte reçoivent cette révélation décisive. Mais ceux qui se
prétendaient éclairés sont incapables de voir le caractère ultime de ce
message qui détermine le jugement dernier.
«  C’est maintenant le jugement de ce monde, maintenant le prince
de ce monde va être jeté dehors  »27. Le maintenant dont il s’agit est la
crucifixion, victoire finale remportée sur Satan. Jésus a dit  : «  Celui qui
écoute ma parole et croit en celui qui m’a envoyé a la vie éternelle. Il ne
vient pas en jugement, mais il est passé de la mort à la vie… Le Père a
donné au Fils de posséder la vie en lui-même. Il lui a donné le pouvoir
d’exercer le jugement parce qu’il est le Fils de l’homme… Mon jugement
est juste parce que je ne cherche pas ma propre volonté, mais la volonté de
celui qui m’a envoyé »28.

Le Christ, nouvel Adam

D’après ces textes, qu’est-ce qui distingue le Fils de l’homme du


commun des mortels ? Suivant l’exemple d’Adam, ceux-ci vivent non pour
Dieu mais pour eux-mêmes. Le Fils de l’homme est le premier d’une
nouvelle humanité qui préfère Dieu à soi. En tant que tel il peut révéler
quelle est en vérité la volonté de Dieu. Ici le mot central est le pardon : « Le
Fils de l’homme a autorité pour pardonner les péchés sur la terre »29. C’est
une affirmation qui peut déterminer et la conduite des hommes et le
jugement dernier : « Si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père
céleste vous pardonnera à vous aussi  »30. L’apôtre Paul ne dit pas autre
chose quand il emploie d’autres mots pour dire que les hommes, pécheurs
qu’ils sont, sont gratuitement justifiés par la grâce de Dieu manifestée en
Jésus Christ31. Le verdict qui reconnaît en l’homme un juste est donc pure
grâce de Dieu, grâce qui est révélée dans la vie et l’œuvre de Jésus. Le
jugement est donc conditionné par l’attitude du juge qui justifie le pécheur
de par sa seule bienveillance.

Romains 5

Un passage de l’épître de Paul aux Romains (chapitre 5) permet de


suivre avec précision le raisonnement théologique de l’apôtre : Adam est le
type de l’homme qui veut vivre pour soi et non pour son Dieu. Jésus est le
représentant d’une humanité vivant pour accomplir la seule volonté de
Dieu. C’est le nouvel Adam. Il est donc désormais possible pour un homme
de vivre ainsi, par la foi, et d’être justifié, d’échapper au jugement de
condamnation. Le Christ est bien à la fois le juge et le jugement.
Un point demeure encore obscur  : comment cela peut-il se faire  ?
Comment l’homme peut-il se mettre au bénéfice de cette nouvelle
création ? On aura noté la remarquable parenté de l’argumentation de Paul
avec celle de Jean. C’est donc à la première épître de Jean que nous
demanderons un début de réponse : « Nous connaissons, pour y avoir cru,
l’amour que Dieu manifeste… Dieu est amour : qui demeure dans l’amour
demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui  »32. Et, poursuit le texte, c’est
pour nous la pleine assurance pour le jour du jugement «  parce que, tel il
est, lui Jésus, tels nous sommes, nous aussi, dans ce monde ».

A l’image du Christ

Par la foi l’homme se met à ressembler à Jésus qui n’est qu’amour


de Dieu et des autres. Ecoutons encore Paul  : Dieu a créé l’homme pour
qu’il soit (qu’il devienne) conforme à l’image de son fils, afin que celui-ci
soit le premier-né d’une multitude de frères33. Voilà la justification et la
gloire finale. Adam a été créé à l’image et ressemblance de Dieu34, mais il a
contesté cette référence, voulant, selon le mot du serpent, être lui-même
Dieu35. Le Christ, parfaite image de Dieu36, appelle les hommes à s’unir à
lui par la foi que suscite l’Esprit. Le croyant est alors un vrai fils de Dieu,
transfiguré en cette même image37. Comme cet Esprit est l’Esprit du
ressuscité « il est votre vie, à cause de la justice »38. C’est ainsi que l’amour
de Dieu, manifesté en Jésus, parvient finalement au but de la création : la
justice de Dieu est satisfaite, sa volonté ultime accomplie. L’homme peut
sans crainte se présenter au jugement dernier : il est justifié, Dieu reconnaît
en lui sa créature, faite à son image.
Tout est-il donc joué dès à présent, quelle que soit la conduite des
hommes  ? Loin de là  ! Le jugement de Dieu demeure, mais il est bonté,
patience et générosité  : il appelle à la conversion. Il faut donc se laisser
convertir et vivre selon la loi que le Seigneur met dans le cœur des hommes.
Alors le jugement dernier sera la confirmation d’un verdict déjà
secrètement décidé et pourtant concrètement vécu39. Il faut ajouter que
quelques très rares textes empruntent aux conceptions du temps l’idée d’un
verdict qui, tenant compte des actions réalisées pendant la vie, promet des
récompenses différenciées lors du jugement dernier40.
Cette présentation des textes bibliques et leur interprétation a peut-
être semblé convaincante. Pourtant il ne serait pas étonnant qu’une question
critique subsiste : que fait-on du jugement dernier tel qu’on se le représente
traditionnellement et tel qu’on le voit sculpté sur les tympans de nos
cathédrales ? On y voit un Christ trônant en juge avec à sa droite les élus
figurés en béatitude et à sa gauche les réprouvés dont les supplices sont
complaisamment détaillés.
Il faut reconnaître que cette scène n’est pas absente de la Bible  :
ouvrons par exemple le livre de l’Apocalypse en son chapitre 20. A partir
du verset 4, le texte décrit les trônes des juges et le verdict privilégié réservé
aux martyrs, puis, au chapitre 20, verset 12 et suivants, l’intervention du
juge suprême :
« Et je vis les morts, les grands et les petits, debout devant le trône
et des livres furent ouverts. Un autre livre fut ouvert : le livre de vie. Et les
morts furent jugés d’après ce qui était écrit dans les livres… Et quiconque
ne fut pas trouvé inscrit dans le livre fut précipité dans l’étang de feu ».
Voilà qui semble bien différent de ce que nous avons découvert
jusqu’ici. Or comme cela répond à nos représentations communes, le
tableau semble d’autant plus impressionnant. On s’arrête en particulier sur
l’inquiétante existence de livres célestes où les actions de tous les hommes
seraient consignées par écrit, déterminant le jugement d’une manière aussi
définitive que redoutable. Est-il possible de se faire une idée un peu précise
de ces livres célestes  ? Il en est question à plusieurs reprises dans
l’Apocalypse. En Ap 21.27 la désignation est plus complète : c’est le livre
de vie de l’agneau. En 13.8 on note une précision supplémentaire tout à fait
capitale : il s’agit du livre de vie de l’agneau immolé. Le contenu de ce livre
est donc entièrement conditionné par l’événement de Pâques : la crucifixion
du Christ, sa mort et sa résurrection. Le livre qui détermine le jugement
final est le livre de l’histoire du salut qui culmine au Golgotha et concerne
l’humanité entière. La question essentielle n’est donc pas de savoir qui y est
ou non inscrit et avec quel bagage d’œuvres, mais de veiller à ce que la
conduite terrestre de chaque humain n’amène pas le Christ à en effacer la
mention dans le livre de vie41. La conclusion est que ce livre contient les
noms de tous ceux que Dieu veut sauver en donnant son Fils. Il appartient à
chacun d’accepter d’y figurer et de tenter de mener sa vie d’une manière qui
réponde à cet appel. On notera, et ceci est capital, qu’il n’est jamais
question d’un livre contenant le nom des damnés !
La justification

L’explication de la justification suggère une démarche inhabituelle.


En effet le mot appartient presque exclusivement au vocabulaire paulinien
où il occupe une place si importante qu’elle représente le fondement de la
théologie de l’apôtre, spécialement de sa sotériologie, c’est-à-dire de sa
doctrine du salut.
Aussi bien est-ce à une méditation d’un texte de l’épître aux
Romains1 que nous allons procéder. C’est là qu’on peut lire le magistral
exposé de ce qu’est la justification.
Pourtant il n’est peut-être pas de mauvaise méthode de commencer
par citer une parabole que Luc, ce fidèle compagnon de Paul, a conservée
dans son évangile2 : deux hommes montent ensemble au temple. Le premier
est un pharisien qui se félicite d’être si vertueux, tandis que le second, un
collecteur d’impôts, demande à Dieu d’avoir pitié de lui parce qu’il se
reconnaît pécheur. Seul ce dernier s’en retourne justifié.

Aux yeux de qui ?

Notre langage moderne s’est emparé du mot «  justification  » en


privilégiant une acception psychologique  : tout homme, nous le savons
bien, a un besoin vital de se sentir justifié. Aux yeux des autres, dans sa
famille, sa profession, dans le milieu où il vit et d’abord à ses propres yeux.
Etre justifié, c’est tenir pour assuré que l’on a les meilleures raisons
d’être celui qu’on est, de dire ce que l’on dit et de faire ce que l’on fait. En
un mot, cela signifie avoir raison. C’est un besoin impérieux que l’enfant
découvre très tôt. Or on a généralement raison contre quelqu’un, contre
toute contestation d’où qu’elle vienne. L’homme qui vient à douter de lui-
même peut aller jusqu’à douter de ses raisons de vivre. Mais en dernier
ressort, celui dont le jugement importe plus que tout autre, c’est Dieu : Est-
ce moi qui ai raison ou bien lui ? Qui prononce la définitive justification ?
Moi ou lui  ? Autrement dit, puis-je conquérir ma justification ou dois-je
l’attendre et la recevoir de Dieu ? Comment ? En se tenant devant lui et en
confessant que c’est lui qui a raison, qui a mes raisons de vivre. Que je ne
peux justifier ce que je suis qu’en devenant celui qu’il veut que je sois et
qu’il m’offre d’être. Telle est la définition de la foi et, comme l’écrit Paul,
c’est bien par la foi et par elle seule qu’on peut recevoir sa justification.
C’est un don de Dieu.

Par quel moyen ?

Quittant le domaine de la psychologie pour celui, non moins


existentiel, de la théologie paulinienne, il faut noter à la lecture de Rm 3.23
que le péché, qui rend la justification nécessaire, a pour conséquence de
priver l’homme de la gloire de Dieu. Ce n’est pas une affirmation purement
théorique  : il y a en l’homme un vide, un manque, la trace en creux de
l’image de Dieu, le souvenir d’une présence qui seule peut combler cette
attente mystérieusement sensible. Moïse demandait à Dieu : « Fais-moi voir
ta gloire »3. Il la verra, mais seulement quand elle aura passé et s’éloignera.
L’homme ne peut prétendre voir Dieu que de dos, en discernant les traces
dont témoignent ses œuvres achevées. Dans le livre de l’Exode, il est écrit
que Dieu a voulu établir sur la terre un lieu où il rencontrerait les hommes :
sa gloire descend sur le couvercle de l’arche de l’alliance, mais elle ne se
révèle qu’enveloppée de nuées qui la voilent4. Ce couvercle est appelé en
hébreu kapporet (en grec hilastèrion) mot que l’on rend parfois par
propitiatoire, ce qui est une excellente traduction, malheureusement
aujourd’hui désuète. La traduction la plus fréquente est expiation, à quoi il
faut décidément préférer absolution. Le mot hébreu dérive peut-être du
verbe kipper qui signifie ‘couvrir’. Si cette étymologie est juste, elle ne
renvoie pas à la fonction de couvercle, mais à celle de couvrir le péché, de
l’abolir, de le pardonner. Au jour du Grand Pardon5 le grand prêtre offre un
taureau en sacrifice pour son propre péché. Il brûle du parfum provoquant
une nuée qui recouvre le kapporet. Ainsi peut-il rencontrer Dieu sans en
perdre la vie. Du doigt, il pratique avec le sang du sacrifice une aspersion
du kapporet. Puis il sacrifie un bouc pour le péché du peuple et reprend les
mêmes gestes et c’est enfin l’envoi au désert du bouc émissaire.
Le rôle de Jésus

Or on lit sous la plume de l’apôtre Paul6 : « Dieu a destiné Jésus à


servir d’expiation par son sang, par le moyen de la foi, pour montrer ce
qu’était la justice  ». Jésus est donc le lieu qui rappelle et actualise la
rencontre de Dieu et de son peuple sur le Sinaï7. Cette communion a été
rompue par les souillures par lesquelles les hommes ont introduit les forces
du mal dans leur histoire. La communion qui est la vie doit être restaurée.
Par un rite de sang, car le sang est la vie donnée par Dieu : « La vie d’une
créature est dans le sang  ; et moi, dit le Seigneur, je vous l’ai donné sur
l’autel, pour l’absolution de votre vie. En effet le sang procure l’absolution
parce qu’il est la vie  »8. La législation rituelle juive dira que c’est par la
médiation d’un sacrifice. C’est une présentation systématisante, une facilité
d’expression qui recourt au concept englobant de sacrifice. Mais le sacrifice
est seulement le fournisseur du sang qui est la vie donnée. De la mort, Dieu
fait la vie et, comme cela se réalisait sur le kapporet, c’est maintenant en
Jésus que la mort se change en don de vie. A proprement parler, ce n’est pas
un sacrifice, en tout cas pas un sacrifice d’expiation destiné à se concilier
un Dieu irrité. Ce n’est pas non plus le prix à payer pour effacer le péché.
Jésus est la personne en qui Dieu absout et Golgotha le lieu où ce pardon se
réalise.

C’est Dieu qui justifie

Voici la grande nouveauté : « Le Verbe s’est fait chair, et il a habité


parmi nous et nous avons vu sa gloire9 ». Or, pour le quatrième évangile, la
parfaite manifestation de la gloire de Jésus a lieu sur la croix. Maintenant, la
parabole qu’était la révélation de la gloire de Dieu sur le kapporet devient
réalité. C’est la justification.
La justification est donc le geste de Dieu accompli en Jésus Christ.
C’était bien ce que Dieu voulait depuis le fond des âges : Abraham, le père
de tous les croyants, fut pour la première fois appelé juste, parce que
justifié10. Le récit du chapitre 22 de la Genèse explique cela : Abraham doit
montrer à Dieu son obéissance par un sacrifice terrible qui révélera quelle
est pour lui la priorité absolue  : Dieu ou son amour de père. Mais Dieu
arrête la main armée du couteau levé sur Isaac. C’est Dieu qui fournit la
victime. Ainsi ce sacrifice n’en est pas un. Il est l’occasion d’une
intervention extraordinaire. C’est Dieu qui justifie, ce n’est pas le système
des rites sacrificiels calculés selon la nature et la gravité de la faute.
Abraham croit en Dieu. Voilà ce que Dieu veut de l’homme : la foi. Alors il
justifie11. C’est l’annonce de l’irruption sur la terre des hommes d’une
nouvelle humanité, celle qui reçoit de Dieu une existence neuve qui accepte
de recevoir de Dieu ses véritables raisons de vivre12, c’est sa justification.
Le miracle

Ce mot requiert une approche particulière due à l’évolution du sens


au cours des siècles. Sa racine latine (mirari :
admirer) oriente vers le sens :
chose ou événement admirable ou remarquable, voire extraordinaire.
Aujourd’hui, le mot désigne le surnaturel, c’est-à-dire ce que ni la raison ni
la science des hommes ne peuvent expliquer. Or, rien n’est plus subjectif
que le surnaturel : ce qui aujourd’hui reste inexplicable peut devenir demain
conforme à des lois naturelles nouvellement découvertes.

L’ANCIEN TESTAMENT

Quand il s’agit des anciens temps, en l’occurrence l’ancien Israël


dont la science est embryonnaire, le domaine de l’inexpliqué commence
aux toutes proches limites de l’expérience humaine. Ce qui surprend d’un
étonnement profond est alors expliqué par un recours à ce qui domine
souverainement et mystérieusement la nature et les créatures, l’homme en
premier. Au-dessus de ce qu’on voit ou qu’on ressent, au-dessus de toute
compréhension, il y a la transcendance, le divin, c’est-à-dire pour Israël : le
Seigneur, son Dieu qui est tout-puissant, libre de tout décider selon ses
seules volontés.

Le miracle, œuvre de Dieu

Il ne s’en prive pas, par exemple pour authentifier le mandat de ses


serviteurs : le bâton de Moïse est changé en serpent et sa main subitement
atteinte de la lèpre est aussitôt guérie. C’est afin que le peuple et les
Egyptiens croient que c’est bien Dieu qui l’envoie1. De même des miracles
opérés par Elie : la veuve de Sarepta confesse : « Maintenant je sais que tu
es un homme de Dieu et que la parole du Seigneur est vraiment dans ta
bouche »2. Il n’en va pas autrement pour Elisée3. Mais Dieu intervient aussi
miraculeusement sans intermédiaire pour réaliser ses plans. Les miracles
dont Israël ne se lasse pas de célébrer la mémoire sont d’abord les prodiges
qui ont rendu possible la sortie d’Egypte, la traversée de la Mer Rouge, le
long cheminement dans le désert et la prise de possession de la terre
promise. Ces miracles-là sont particulièrement admirables parce qu’ils
révèlent la volonté de Dieu de se lier à un peuple : Israël. On en retrouve
l’énumération reconnaissante dans des textes de genre poétique ou plutôt
liturgique4.

Le miracle signifie

Ces miracles ne se bornent pas à susciter l’étonnement, ils appellent


à l’adoration. Ils ont un sens, une signification, ce sont des signes. Aucun
Dieu n’a fait comme le Seigneur des signes et des prodiges pour faire sortir
son peuple d’Egypte, rappelle le Deutéronome5. L’ange a fait, devant
Gédéon, jaillir du rocher un feu qui consume la viande et le pain de son
offrande, « alors Gédéon vit que c’était l’ange du Seigneur et il dit : Ah !
Seigneur Dieu, j’ai donc vu l’ange du Seigneur face à face ! »6.
Le bâton d’Aaron fleurit en une nuit, c’est le signe que Dieu l’a
choisi pour être son prêtre7. Devant l’infidélité d’Israël, le Seigneur
proclame qu’aucun de ces hommes qui ont vu sa gloire et les signes qu’il a
opérés en Egypte et au désert ne verra la terre promise8. Le prophète Esaïe
promet pour la fin des temps que le Seigneur mettra au milieu des nations
un signe et toutes les nations païennes qui n’ont jamais vu sa gloire la
célèbreront dans le monde entier9. De fait, à la fin de l’histoire que Dieu
conduit, les exilés reviendront en Israël10, la nature connaîtra une
merveilleuse restauration11 et les conditions paradisiaques redeviendront le
cadre de toute vie12. Ces miracles qui jalonnent l’existence d’Israël sont
donc les signes de l’amour de Dieu pour les siens. Et comme l’histoire
d’Israël est tendue vers un accomplissement eschatologique, la venue du
messie attendu sera accompagnée de ces miracles prophétisés.

LE NOUVEAU TESTAMENT

Les évangiles synoptiques


Ces évangiles se situent dans le prolongement de l’Ancien
Testament dont ils ont conscience d’être l’accomplissement  : Jésus opère
des miracles qui attestent son statut d’envoyé privilégié de Dieu. Ses
adversaires exigent cette marque d’authentification  : s’il dit vrai, la toute-
puissance de Dieu doit se manifester à travers lui. Les Pharisiens et les
Sadducéens demandent à Jésus un signe venant du ciel13. Les disciples de
Jean le Baptiste s’inquiètent  : «  Es-tu celui qui vient, ou devons-nous en
attendre un autre ? » demandent-ils à Jésus qui, en guise de réponse, opère
de nombreuses guérisons miraculeuses et invite à voir là l’accomplissement
des prophéties par lesquelles Esaïe annonçait l’ère finale du salut14. Après
un exorcisme, Jésus propose cette conclusion  : «  Si c’est par le doigt de
Dieu que je chasse les démons, alors le Règne de Dieu vient de vous
atteindre »15.
Puisque la puissance de Dieu agit à travers lui, Jésus est le messager
dont Dieu avait annoncé la venue eschatologique. On comprend donc que
les évangiles synoptiques aient privilégié un nouveau mot pour désigner ces
miracles : ce sont des manifestations de puissance (en grec dynameis).
Néanmoins, l’accent décelé dans l’Ancien Testament n’est pas
oublié  : ces miracles sont d’abord destinés à signifier que Dieu intervient
maintenant de manière décisive, ce sont des signes. Ils signifient que,
comme les disciples de Jean le Baptiste doivent le comprendre, le royaume
de Dieu est là, ce qui est le fondement même de l’évangile de Jésus16, ce
que Luc traduit de manière très significative : « Jésus, avec la puissance de
l’Esprit, revint en Galilée »17.
Un autre texte mérite qu’on s’y arrête. Aux juifs qui demandent à
voir un signe, Jésus répond qu’il ne leur sera pas donné d’autre signe que
celui de Jonas18. La suite du récit peut laisser perplexe. Jésus résume
l’histoire de Jonas en deux épisodes marquants :
–il a passé dans le ventre du monstre trois jours et trois nuits et le Fils
de l’homme sera pendant la même durée dans le sein de la terre.
–à sa prédication les habitants de Ninive se sont convertis.
Ce deuxième rappel se laisse aisément transposer : Jésus annoncerait
par là le miracle que sera l’extraordinaire diffusion de l’Evangile comme
signe eschatologique. La première phrase pose problème, car elle fait
incontestablement allusion à la mort et à la résurrection du Christ,
événements dont il ne sera question qu’à la fin de l’évangile. Jésus
prophétiserait-il ? Mais il ne faut pas confondre la prophétie qui dévoile le
plan de Dieu avec la prédiction qui en décrit le quand et le comment ! Une
comparaison avec le passage parallèle de Marc (évangile qui a servi de
modèle et de source à ceux de Matthieu et de Luc) suggère une explication :
la réponse de Jésus y est beaucoup plus brève  : «  Il ne sera pas donné de
signe à cette génération »19. On lira encore avec grand intérêt une parole de
Jésus qui, dans Matthieu, fait manifestement écho au même épisode : « En
fait de signe, il ne lui en sera pas donné d’autre que le signe de Jonas »20.
La conclusion qui s’impose, ou du moins se recommande, est que Marc et
le deuxième texte de Matthieu ont conservé la forme primitive de la parole
de Jésus : l’Evangile est un miracle qui montre clairement la puissance de
Dieu manifestée en Jésus. Au chapitre 12, Matthieu (qui rédige, rappelons-
le, au plus tôt dans les années 80) ajoute une interprétation de l’histoire de
Jonas qui s’est imposée à son Eglise  : c’est l’annonce de la mort et de la
résurrection de Jésus, le plus grand signe de la puissance de Dieu !

L’évangile de Jean

Le quatrième évangile a choisi une traduction du mot «  miracle  »


qui lève toute ambiguïté en soulignant la portée significative des actions de
Jésus. A la différence des synoptiques, il nomme constamment les miracles
des ‘signes’. Il va même jusqu’à en entreprendre le décompte : à Cana, c’est
le premier signe21, le second aura lieu au même endroit22 et, en achevant
son livre, Jean précise qu’il connaît une collection d’autres signes de Jésus.
Il ne les a pas rapportés, car ceux qu’on lit dans son évangile suffisent à
amener les lecteurs à la foi23.
Ce sont des signes et non de simples actions, fussent-elles
merveilleuses : on peut les voir, y assister même et manquer d’en saisir le
sens et la portée miraculeuse. La foule que Jésus vient de nourrir de
manière inattendue autant qu’extraordinaire, ne tire du miracle qu’une
pauvre conclusion  : Jésus est le prophète annoncé ce qui fait allusion à la
prophétie du Deutéronome où Moïse annonce que Dieu suscitera en Israël
un prophète semblable à lui24. A l’officier qui vient demander la guérison
de son fils, Jésus répond sévèrement que si l’on attend de lui des miracles,
c’est pour éviter la démarche risquée de la foi en fournissant une preuve
bien tangible de son pouvoir divin. Or il ne s’agit pas de faire confiance à
un thaumaturge mais de croire en Jésus, ce qui signifie croire en celui qui
l’envoie pour sauver le monde25.
A Cana, les disciples ont discerné dans le miracle le signe vraiment
miraculeux. Ils ont su voir la manifestation de la gloire de Jésus et ils ont
cru en lui. Voilà pourquoi l’une des affirmations fondamentales du
quatrième évangile se trouve en conclusion du chapitre 20 qui terminait
sans doute la première édition du livre : « Heureux ceux qui, sans avoir vu,
ont cru »26. Voir un miracle – dans ce cas, c’est l’apparition du ressuscité –
ne sert à rien si l’on n’y discerne pas un signe  : l’assurance de l’effective
présence de Jésus auprès des siens. Cette assurance, c’est la foi et la foi fait
découvrir la gloire de Dieu, c’est-à-dire la présence miraculeuse du Très-
Haut dans notre monde. « Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu » dit Jésus
à Marthe27. On peut donc dire qu’il n’y a de miracles que pour les croyants.
Pour les autres, il y a seulement des prodiges.
Les Paraboles

L’ANCIEN TESTAMENT

Dans l’Ancien Testament, le mot hébreu mashal se traduit, selon le


contexte  : comparaison, parabole, énigme (en grec parabolè a le même
sens). C’est une parole ou un récit qui signifient plus que ce qu’ils disent.
Cela appelle une compréhension à deux niveaux : l’apparence (par
exemple l’historiette racontée) et la vérité signifiée (le sens profond,
l’intention dernière). C’est cette ambiguïté qui fait de la parabole un
discours singulièrement prégnant, mais aussi un propos qui exige de ses
auditeurs/lecteurs une intelligence aiguisée.
Lorsque David entend la parabole de l’agnelle volée au pauvre par
le riche, il ne comprend pas que Nathan lui parle de Bethsabée qu’il a
enlevée à son mari. Il faut que le prophète lui ouvre les yeux  : c’est ton
histoire, lui dit-il1. Dans le livre d’Esaïe, la parabole de la vigne doit être
suivie d’une explication  : «  La vigne… c’est la maison d’Israël  »2. Le
prophète Ezéchiel, après avoir raconté la parabole de l’aigle3, se sent obligé
d’en apporter la clé4.
Ce caractère d’énigme à déchiffrer a séduit les auteurs des livres
apocryphes qui veulent offrir des révélations apocalyptiques forcément
ésotériques. C’est ainsi que les visions du premier Livre d’Hénoch appellent
l’intervention d’un ange interprète qui vient expliquer le sens des
surprenantes descriptions.
Mais le monde des scribes et des sages utilise lui aussi volontiers ce
mode d’expression  : l’Orient aime que la plus haute sagesse ne soit
accessible qu’à des privilégiés. La vocation du sage est donc de percer le
mystère des paraboles5. Le livre des Proverbes est écrit pour l’aider dans
cette tâche6. Pourquoi cette médiation appelée par la polysémie du
langage  ? Parce qu’il s’agit le plus souvent de révélations solennelles qui
expriment les ultimes volontés du Dieu très-haut et que, dans leur misère
terrestre, les hommes ne peuvent l’entendre sans l’aide que leur Seigneur
seul peut leur donner.

LES PARABOLES DE JÉSUS DANS LE NOUVEAU TESTAMENT

La parabole est une comparaison dont seul le premier terme est


évident. L’intelligence du second, qui donne le vrai sens de l’histoire,
demande que l’on possède ou, à tout le moins, que l’on devine la clé, la
grille de lecture qui oriente vers le genre de conclusion que la comparaison
veut générer. C’est pourquoi Jésus prend souvent le soin de donner lui-
même, explicitement, le message que la parabole veut délivrer. Quand ce
n’est pas le cas, il revient au lecteur de trouver dans le texte même ou dans
son contexte l’indication d’une juste interprétation.

La parabole du Semeur chez Marc

Prenons l’exemple de la parabole du Semeur dans l’évangile de


Marc7. Les semences tombent dans des terrains plus ou moins propices à
leur fructification. Jésus s’adresse là à une foule qui n’est pas naturellement
prête à accueillir sa parole. La pointe de la parabole est suggérée par la
citation d’Es 6.9-10 que Jésus propose comme clé de l’énigme8  : le
prophète dont l’appel à la conversion n’est pas entendu par le peuple, trouve
l’explication de cet échec dans la volonté de Dieu qui a décidé qu’il en
serait ainsi. Du coup la parabole du Semeur devient toute claire  : Jésus
annonce à tous et en toutes occasions la bonne nouvelle. Si cet évangile est
diversement reçu et si la plupart des auditeurs ne laissent pas ce message
s’épanouir en eux, il ne faut ni s’en scandaliser, ni même désespérer : cela
était prévu et même prophétisé. De plus l’échec n’est qu’apparent  : la
semence finit toujours par trouver des terrains favorables. L’Evangile porte
des fruits.
Mais voici que le texte de Marc se poursuit en offrant une
explication discursive de la parabole9  : l’identité du Semeur est tellement
évidente qu’elle ne requiert pas d’explication : c’est Jésus. La semence est
la Parole, la Parole de Dieu, l’Evangile. Tous les terrains la reçoivent, tous
entendent le message de Jésus, mais tous ne reçoivent pas de la même
manière. Certains laissent Satan emporter les graines, pour d’autres les
soucis de l’existence ont tôt fait d’étouffer les jeunes pousses. Mais pour
ceux qui l’accueillent vraiment, la moisson est magnifique, l’Evangile porte
ses fruits en abondance. La parabole a reçu là un sens différent  : c’est
maintenant une exhortation à bien recevoir l’Evangile. Ce n’est plus la
parabole du Semeur, mais celle des terrains. De là à penser qu’une parabole
proposée par Jésus pour expliquer que le judaïsme ne se rallie pas
massivement à son enseignement, a été reprise par la première communauté
chrétienne pour exhorter les fidèles à laisser l’évangile régner
souverainement sur leur vie, il n’y a qu’un pas bien facile à franchir.
Matthieu reprend la parabole du Semeur10 avec une petite
modification  : la moisson promise est présentée dans l’ordre inverse,
décroissant  : un grain en produit cent, soixante, trente. L’accent est
différent. Ce qui est souligné, ce n’est plus le rendement miraculeux qui ne
peut que surprendre, mais c’est qu’il soit assuré  : le royaume vient, quoi
qu’on puisse en penser.

Les paraboles du royaume chez Matthieu

Telle est aussi l’interprétation qui s’impose dans les paraboles que
Matthieu ajoute à celle du Semeur. Il leur donne même un titre commun qui
vaut interprétation  : ce sont les paraboles du royaume. Les mauvaises
herbes qui poussent avec le blé n’empêchent pas le bon grain de fructifier.
Seul le jugement dernier saura faire le tri11. Une graine de sénevé est bien
petite, mais elle pousse et se développe merveilleusement, ainsi du
royaume12. De même une pincée de levain fait lever toute la pâte13.Toutes
ces paraboles annoncent donc maintenant l’assurance de
l’accomplissement, jusqu’ici incroyable, du dessein de Dieu. Le salut
promis se réalisera certainement. Les paraboles éclairent donc le mystère du
plan du salut. Rien ne saurait être, quoi qu’il en semble, préféré à cette
extraordinaire promesse et c’est là le message des paraboles du trésor et de
la perle14.
L’interprétation d’une parabole n’est donc pas toujours évidente.
Elle se heurte à la polysémie potentielle des images, fussent-elles littéraires.
L’histoire racontée, pour être bien comprise, demande une intelligence
éclairée. Seuls les disciples se voient promettre de bien comprendre que ces
petits récits de la vie de tous les jours parlent en réalité du royaume de
Dieu. Et Jésus le précise avant de proposer ces paraboles15.
C’est dire que dans les évangiles, la clé de la compréhension
précède l’anecdotique de la parabole. De ce fait, la citation apparemment
scandaleuse que fait Marc d’Es 6.9-10 (« pour qu’ils ne comprennent pas…
et qu’ils ne se convertissent ») signifie en vérité que la prédication de Jésus,
en particulier les paraboles, suscite le rejet des auditeurs tant qu’ils ne
discernent pas dans sa personne l’intervention de Dieu lui-même inaugurant
son royaume.

Les paraboles chez Jean

Cette troublante nécessité d’une clé d’interprétation des paraboles


amène l’auteur du quatrième évangile à une originalité  : on sait que Jean
emploie systématiquement le mot «  signe  » pour désigner les miracles de
Jésus  : il souligne ainsi la signification profonde de ces actions. Or, on
remarque qu’il choisit tout aussi régulièrement un synonyme grec de
parabolè : paroïmia pour parler des paraboles comprises comme énigmes :
ce sont des paroles nécessairement obscures et appelant une explication.
Ainsi ne comprend-on la parabole du bon berger qui donne sa vie pour ses
brebis, que si la résurrection de Jésus et le don du saint Esprit viennent
l’éclairer16. Les disciples ne discerneront le sens des paraboles que
lorsqu’ils accèderont, après Pâques, à une communion réelle avec le Père17.
Le péché

Des problèmes de vocabulaire

En français, le mot ‘péché’ désigne sans ambiguïté une faute


religieuse. La faute, mot plus général, peut être d’ordre moral ou religieux,
voire juridique. C’est cette dernière acception qui est seule présente dans les
mots délit et infraction. Le manquement a généralement ce sens, mais le
langage commun l’emploie dans un sens atténué.
Quant à l’offense, dont la présence dans la traduction du Notre Père
est un peu problématique, elle désigne une parole ou un acte attentant
d’abord à la dignité. Une faute commise inconsciemment ou par
inadvertance est une erreur.
Ce tableau nous fait prendre conscience qu’en fait nous n’avons
qu’un mot, deux à la rigueur, pour traduire en français des textes hébreux
qui jouent avec les sens très variés que peuvent prendre des mots qui
s’enracinent dans un univers mental très différent du nôtre. C’est pourquoi
énumérer les quatre principales racines hébraïques qui ont donné les mots
dont le sens premier est celui que nous tentons ici de cerner est une
entreprise assez formelle sinon superficielle. Précisons pourtant :
Le mot le plus fréquent est hattat. C’est le péché comme
manquement. On manque le but, ce qui peut s’effectuer dans les relations
humaines comme dans celles envers Dieu, principalement dans le culte que
les hommes prétendent lui rendre.
‘Awon , c’est la faute, la mauvaise action, le délit. Cela entraîne la
conscience de la culpabilité.
Ma’al, c’est l’infidélité.
Pésha’, c’est la révolte, la rébellion contre Dieu  : le péché par
excellence. C’est le mot auquel les prophètes ont donné le sens le plus
lourd.
Dans le monde ancien

Ces distinctions d’ordre lexicographique ne doivent pas masquer


l’unité du panorama culturel dans lequel ces mots sont nés et ont évolué :
l’ancien Israël vit dans un monde entièrement pénétré par le sacré. L’ordre
voulu par Dieu s’exprime dans les règles cultuelles et sociétales dont
l’Ancien Testament nous conserve le souvenir. Cet ordre est atteint par de
nombreuses violations qui sont des menaces autant pour celui qui les a
commises que pour son entourage. C’est un poison indûment libéré qui ne
peut manquer d’affecter le coupable et toute la société : « Si vous péchez,
votre péché vous trouvera  !  »1. C’est pourquoi la société s’en inquiète à
juste titre et cherche, en infligeant une punition au coupable, à détourner la
puissance maléfique du péché. Celui-ci, il faut le répéter, est forcément de
nature religieuse puisque le monde est le monde de Dieu et qu’il est donc
entièrement sacré.

Genèse 3

Cette conception ancienne est fondamentalement bouleversée par le


récit que le rédacteur du chapitre 3 de la Genèse a tenu à ajouter à la
peinture des origines pour lui donner une signification d’une profondeur
unique. Il dit que le péché est un phénomène humain quoique d’origine
mystérieuse : l’homme est une créature encline à prêter une oreille attentive
à la voix qui l’incite à devenir l’égal de Dieu, c’est-à-dire à accéder à la
connaissance du bien et du mal. Il faut se garder d’interpréter ces mots dans
un sens exclusivement moral, comme l’usage que nous en faisons nous le
suggère nécessairement. Il s’agit effectivement de vouloir s’arroger le droit
de définir ce qui est bien et ce qui est mal, mais aussi d’acquérir un savoir
qui confère le pouvoir suprême : celui de Dieu. Cet aspect des choses nous
est peut-être plus facile à percevoir, car nous appartenons à une génération
qui pour la première fois entrevoit la possibilité de porter atteinte à ce
qu’est la vie (voir les recherches en génétique) et de mettre pour toujours
fin à la destinée humaine sur la terre (les stocks existants d’armes nucléaires
y suffiraient amplement).
C’est un récit qu’il ne faut pas prendre pour un mythe. Il est
étiologique (il explique les causes de la situation présente) : il révèle ce que
sont tous les hommes, enclins au péché – qui est par essence rupture avec
Dieu – et qui sont appelés à en prendre conscience pour se convertir. Ce
sera le message des prophètes  : ils demandent qu’on en revienne, par
conversion, à la communion des origines, à la bienheureuse obéissance et à
l’alliance avec Dieu que l’homme n’aurait jamais dû violer.

La réparation

Le péché est un fait et ses conséquences ont pour premier effet de


perturber gravement les relations entre les hommes et Dieu. Comment
réparer les dégâts et rétablir une situation si gravement dégradée ? Les lois
rituelles ont prévu les conditions qui rendent possible ce rétablissement  :
pour des péchés qui ne résultent pas d’une désobéissance délibérée, il y a
sacrifice d’un animal dont le sang est versé sur l’autel. Il ne faut pas se
hâter de conclure à un procédé quasi magique : le sang est l’élément dans
lequel le Dieu créateur a choisi de faire résider la vie2. Le présenter
rituellement au Seigneur, c’est lui demander de restaurer une vie
compromise. Le sacrifice n’est pas efficace par lui-même, c’est un
instrument dans la main de Dieu qui seul peut écarter le châtiment mérité. Il
est donc moins punitif que salvateur. Dieu y déploie sa pédagogie, il veut
que le pécheur se repente et se redresse.

Dieu pardonne

« Par ma vie, dit le Seigneur Dieu, est-ce que je prends plaisir à la


mort du méchant ? Bien plutôt à ce que le méchant change de conduite et
qu’il vive ! Revenez, revenez (on pourrait traduire : convertissez-vous) de
votre méchante conduite ! »3. Cela signifie que Dieu est prêt à pardonner au
pécheur qui confesse sa faute et se repend : « Je confesserai mes offenses au
Seigneur et Toi tu as enlevé le poids de mon péché »4. Le psalmiste qui prie
en ces termes sait pouvoir compter sur la miséricorde de son Dieu car Dieu
aime son peuple. Une nouvelle relation peut alors s’instaurer et l’homme
découvre qui est en vérité son Dieu  : «  Et lui, le miséricordieux, loin de
détruire, il effaçait la faute »5. Jérémie voit la plus grande intelligence dans
la connaissance que toujours le Seigneur œuvre avec bonté6.
LE NOUVEAU TESTAMENT

Convertissez-vous !

Comment Jésus s’est-il exprimé au sujet du péché ? La question doit


être posée aux évangiles synoptiques (Mt, Mc, Lc) car le témoignage du
quatrième évangile est très marqué par l’interprétation théologique (une
théologie spirituelle sinon mystique) de la communauté johannique et dans
ses épîtres, l’apôtre Paul présente une magistrale réflexion sur le rôle du
péché dans l’histoire du salut.
La première remarque est de s’étonner devant le petit nombre de
mention du mot péché et la régularité significative de ses occurrences dans
la formule «  rémission (pardon) des péchés  ». C’est certainement là que
nous avons l’une des affirmations les plus importantes, sinon la plus
importante, du message de Jésus. Avant d’examiner les textes, peut-être
faut-il rappeler la manière dont Jésus a résumé l’Evangile qu’il est venu
annoncer, même si cette définition programmatique ne comporte pas le mot
péché  : «  Le temps est accompli et le règne de Dieu s’est approché  :
convertissez-vous et croyez à l’Evangile  »7. L’homme est donc invité à
entrer dès maintenant dans le royaume de Dieu. Deux conditions sont
posées  : la conversion et la foi. S’il y a conversion, c’est donc qu’il y a
péché. S’en détourner pour s’attacher à Jésus, voilà tout l’Evangile. Ainsi
donc, dès les premiers mots de sa prédication, Jésus parle, sans le dire, du
péché. Non pour l’expliquer, mais pour lui donner sa juste place dans le
monde nouveau que l’Evangile ouvre aux hommes  : le péché est ce qui
empêche de connaître les bénédictions du royaume de Dieu. Il faut donc
s’en séparer, se repentir d’avoir péché et s’attacher décidément à Jésus pour
marcher à sa suite. Cette conversion est un bouleversement des tendances
naturelles de l’homme, mais l’extraordinaire est possible : le péché peut être
vaincu. Venons-en aux textes qui parlent du péché.

Le pardon des péchés

Le prêtre Zacharie, père de Jean le Baptiste, prophétise sur le


berceau de son fils : « Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-
Haut. Tu marcheras par devant sous le regard du Seigneur pour préparer ses
routes, pour donner à son peuple la connaissance du salut par le pardon des
péchés »8.
Et telle est bien la vocation à laquelle répond le précurseur du
Christ : Jean le Baptiste prêche un baptême de conversion en vue du pardon
des péchés et les juifs en foule viennent se faire baptiser en confessant leurs
péchés9. Et l’évangéliste poursuit en précisant les impératifs moraux que
cette conversion doit entraîner.
Le ministère de Jésus étant ainsi prophétisé, on ne s’étonne pas que
la description de sa réalisation reprenne les mêmes termes. L’ange qui
apparaît à Marie lui annonce qu’elle enfantera un fils. Elle devra le nommer
Jésus «  car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés  »10. On attend
donc que Jésus soit directement associé à la rémission des péchés qui est la
prérogative exclusive de Dieu. L’une des premières guérisons opérées par
Jésus selon l’évangile de Marc est celle d’un paralysé auquel Jésus dit  :
«  Mon fils, tes péchés sont pardonnés  »11. Les assistants en sont
scandalisés. Pour eux Jésus blasphème car seul Dieu peut pardonner. Pour
attester qu’il a bien l’autorité divine pour pardonner les péchés, Jésus guérit
l’infirme.
La communauté chrétienne de Jérusalem ne prêchera pas autre
chose  : Pierre s’adresse en ces mots aux habitants de la ville  :
«  Convertissez-vous  ! Que chacun de vous reçoive le baptême au nom de
Jésus Christ pour le pardon de ses péchés  »12. L’apôtre Paul étendra cet
appel aux non juifs13. L’Evangile, c’est donc d’abord le pardon des péchés.
Mais qu’est-ce que le péché pour Jésus ?

Le fils prodigue

C’est une parabole qui donne la réponse la plus claire : un homme


avait deux fils. Le cadet exige de son père sa part du patrimoine et s’en va
dilapider cet argent. Réduit à la misère, il se décide à revenir vers son père
pour lui dire : « « Père j’ai péché envers le ciel et contre toi. Je ne mérite
plus d’être appelé ton fils  ». Et comme il est en chemin pour revenir, il
rencontre son père qui l’accueille avec amour14.
L’interprétation est évidente : le fils qui a rompu avec son père, c’est
l’homme qui se sépare de Dieu et la séparation, c’est le péché. La parabole
délivre en outre un message beaucoup plus large, mais nous en savons assez
pour répondre à la question posée  : comme dans le récit de la Genèse, le
péché, c’est le refus de Dieu. Ici ce qui est refusé n’est pas un
commandement mais la communion avec Dieu qui est un Père aimant. La
Genèse en restait à un constat dramatique15, Jésus annonce une issue
magnifique  : il faut revenir, se convertir et changer de route. L’amour de
Dieu attend le pécheur qu’il pardonne et accueille dans la joie. Alors c’est
le bonheur, la fête, le festin du royaume. Les relations rompues sont
rétablies, le péché est effacé et ses mortelles conséquences sont anéanties.
L’amour prévenant de Dieu attend déjà le pécheur repentant.

L’évangile de Jean

La théologie johannique s’exprime dans le quatrième évangile et


dans la première épître de Jean. Cette dernière présente un double
caractère  : d’un côté, la marque du johannisme est clairement décelable.
Mais d’autre part on doit relever des différences importantes. Sans chercher
à expliquer ce constat problématique, nous nous contenterons de relever les
particularités les plus notables de l’un et l’autre écrit.
L’évangile et l’épître s’accordent pour faire remonter l’origine du
péché à l’action de Satan aux origines. Dès les origines, il a en effet conduit
l’homme à la mort en contestant la parole du Seigneur  : il est menteur et
meurtrier dès le commencement16. Celui qui pèche est du diable, qui est
pécheur dès le commencement17. Depuis lors, tous les hommes pèchent et
c’est pour eux un esclavage18. C’est là une réalité d’expérience, bien que
l’œuvre du Christ donne aux hommes un pardon définitif  : celui qui
demeure en lui ne pèche plus. Quiconque est né de Dieu ne pèche pas19.
«  Ne pèche plus  » dit Jésus au paralytique qu’il vient de guérir et à la
femme qu’il a sauvée de la lapidation20. Mais s’il arrive que quelqu’un
pèche, le Christ sera son avocat21.
Dans des passages d’interprétation difficile, l’épître distingue entre
deux sortes de péchés  : ceux qui peuvent être pardonnés et ceux qui
conduisent de manière irrémédiable à la mort spirituelle22. Le Christ est
venu dans le monde non pour le juger, mais pour le sauver. Celui qui croit
en lui n’est pas jugé et voici quel est le jugement : la lumière est venue dans
le monde. Celui qui fait la vérité vient à la lumière23. «  Le Verbe était la
vraie lumière qui, en venant dans le monde, illumine tout homme… A ceux
qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de
devenir enfants de Dieu »24.
Le péché, c’est le refus de recevoir la Parole de Dieu incarnée en
Jésus. Celui qui accueille Jésus comme le messager de Dieu et comme la
réalisation de la présence de Dieu dans le monde et en soi, celui-là
témoigne que le péché est vaincu et que la Parole de Dieu donne à l’homme
la vraie vie. L’évangile de Jean multiplie les affirmations sur ce thème : « Si
vous ne croyez pas que Je Suis (allusion à Ex 3.14-16 : en Jésus, c’est Dieu
lui-même qui se révèle), vous mourrez dans vos péchés »25. Le péché, c’est
le refus de la Parole de Dieu dont le serpent invite à contester la valeur
souveraine. La victoire sur le péché consiste donc bien à accueillir cette
Parole comme la lumière qui dissipe toutes les ténèbres et donne la vie.
Dieu seul peut rétablir une situation si gravement compromise. C’est
une démarche de grâce et de pardon comme jadis dans la nuit de la
première Pâque la mort de l’agneau est le signe qui sauve. Tel est le sens de
la salutation avec laquelle Jean le Baptiste accueille Jésus : « Voici l’agneau
de Dieu qui enlève le péché du monde  »26  : il met fin à l’esclavage dans
lequel le péché tenait l’humanité, comme le Pharaon tenait Israël dans la
servitude en Egypte. L’épître reprend les mêmes mots  : le Christ, écrit-il,
enlève les péchés (remarquer le pluriel, là où l’évangile employait le
singulier  !), mais son œuvre est maintenant qualifiée de sacrificielle  :
«  C’est le sang de Jésus qui nous purifie de tout péché  »27. C’est à
proprement parler une expiation28 et le mot (hilasmos) est directement
emprunté au langage sacrificiel de l’Ancien Testament29. Il faut remarquer
que c’est ici l’un des rares textes qui, dans le Nouveau Testament,
interprètent la mort du Christ comme un sacrifice d’expiation30. Encore
faut-il ajouter que ce sacrifice est offert par Dieu, par amour pour les
pécheurs, et que son efficacité se réalise dans l’amour qui s’éveille dans
leurs cœurs en réponse à cet amour premier de Dieu31. Cette manifestation
tant attendue de la communion parfaite entre Dieu et sa créature est le but
dernier de la création.

L’apôtre Paul
La chronologie aurait conseillé de placer ce paragraphe au début de
notre exposé consacré au Nouveau Testament. Mais nous avons pris en
compte la personne de Jésus et son enseignement plutôt que la date de
rédaction des évangiles synoptiques. Comme Paul développe une pensée
théologique systématique, il a paru sage de repousser jusqu’ici l’exposé de
la pensée du premier dogmaticien de l’histoire de l’Eglise. C’est
évidemment l’épître aux Romains qui servira de guide à notre présentation.
En son chapitre 5, l’apôtre explique d’où vient le péché et ce qu'il est.
– Romains 5
Lorsqu’il entreprend cette explication, Paul commence 32
, et la
remarque est essentielle, par se référer à ce qui précède. Dans les
premiers versets du chapitre 5, l’apôtre a célébré l’œuvre du Christ qui
nous justifie et nous réconcilie avec Dieu – ce qui est une bonne
définition du salut. «  Voilà pourquoi  » continue-t-il, pour aborder
l’histoire du péché. C’est que la figure d’Adam, le péché, la mort ne
peuvent être expliqués et compris qu’à partir de l’histoire du Christ.
Autrement dit, c’est le salut qui éclaire la faute et non l’inverse ! On ne
peut parler justement d’Adam que parce que Jésus Christ a révélé le
Dieu sauveur.
Voici l’histoire d’Adam et Eve. Ils sont seuls devant leur Dieu. Seuls ?
Non pas  ! Il y a là, dans une ombre insondable, un être dont la
scandaleuse présence ne peut être expliquée. La Genèse ne peut parler
de lui qu’en une image allusive : le serpent qui est à la fois le mal, la
souffrance et la mort parce qu’il est le péché, l’hostilité envers Dieu.
Celui-ci a tout donné de sa création aux hommes, sauf de chercher à
posséder la connaissance du bien et du mal, c’est-à-dire le pouvoir
absolu que génère une science qui prétend tout savoir. C’est cette
limitation que le serpent amène Adam à contester : Dieu a-t-il vraiment
donné ce commandement ? Et voici que naît la tentation d’écouter la
voix des insatiables désirs humains plutôt que la parole de Dieu.
L’homme tourne le dos à son Dieu, c’est la rupture, c’est le péché.
Telle est l’histoire de l’homme, de toute l’humanité car, ne nous y
trompons pas, ni Adam ni Eve ne nous sont étrangers. Leur histoire est
la nôtre et c’est leur sort que nous partageons. Voilà pourquoi on parle
de péché originel, au risque désastreux de faire penser à une maladie
contagieuse dont nous serions atteints sans l’avoir aucunement mérité.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là  : l’humanité est pécheresse  ? Dieu
créera l’homme nouveau, Jésus, premier-né d’innombrables frères.
Voilà l’homme tel que Dieu le veut. Adam n’en était que la prophétie.
Jésus est l’image de Dieu dans le monde  : il vient au nom du Dieu
sauveur, il n’est que don et amour. Il offre la vie véritable qui est
éternelle parce qu’il est un Dieu de grâce et que la grâce est plus forte
que le péché.
– Romains 6-7
C’était là une présentation résumée de l’histoire de l’homme. Trop
résumée : entre temps il y a eu le peuple élu auquel Dieu a donné sa
loi. A quoi cela a-t-il servi  ? La loi est intervenue pour nommer les
choses par leur nom : elle dévoile, dénonce et condamne. La conduite
naturelle de l’homme – se laisser diriger par ses désirs propres – est
démasquée : elle est péché.
Mais maintenant, c’est du passé. Il y a eu pardon et même davantage :
le Christ est mort pour cela et en communion de foi avec lui nous
sommes morts, morts au péché, pour naître de nouveau pour une vie
nouvelle. Le baptême en est l’attestation. Nous voici vraiment libres
d’être ceux que le créateur voulait : justifiés. C’est là ce que la foi nous
permet d’expérimenter et que l’Esprit actualise. Mort au péché, le
croyant l’est aussi à la loi qui ordonne ou interdit en laissant la créature
se débrouiller avec ses propres forces qui sont faiblesse. Maintenant,
l’Esprit suscite un comportement nouveau.
– Romains 8
Dieu est intervenu. Ce qui était impossible aux hommes sous la loi –
devenir des justes – il le fait. C’est lui qui offre le sacrifice qu’exigeait
le péché. Mais à bien voir, ce n’est pas vraiment un sacrifice. L’homme
de chair était pécheur ? Un homme va vivre dans la chair sans céder au
péché. Il va même jusqu’à mourir pour le péché et ainsi c’est le péché
qui se trouve condamné et non les pécheurs. L’homme veut se
justifier  lui-même? Alors Dieu se donne. Son fils, l’homme nouveau
s’offre comme victime. C’est en cela qu’il est l’homme nouveau. Le
don annule la faute. La fatalité est rompue : voici qu’une créature de
chair montre qu’il est possible d’être homme et de ne pas pécher. La
chair s’est donnée pour les autres alors que jusque-là elle ne savait que
souhaiter s’affirmer contre les autres et contre l’Autre. Du coup, la loi
retrouve sa vraie et sainte fonction  : mener à la justice. L’Esprit y
conduit, l’Esprit qui est le Christ présent en l’homme. C’est en Christ
que l’homme devient fils de Dieu, comme le fils de la parabole de
l’évangile de Luc. C’est une adoption, désormais on peut s’adresser à
Dieu en lui disant ‘Père’.
La prédestination

La prédestination au salut

L’idée de prédestination et celle d’élection qui en est si proche, sont


constamment présentes dans l’histoire de Dieu avec les hommes, telle qu’en
témoigne l’Ancien Testament. Dieu appelle Abraham, fait avec lui une
alliance éternelle, lui promet de posséder un pays et d’être le père de son
peuple. Lui, Dieu, sera son Dieu. C’est encore plus évident d’Israël avec
des formulations particulièrement claires dans le livre d’Esaïe (surtout dans
ce qu’on appelle le deutéro-Esaïe, c’est-à-dire les chapitres 40 et suivants) :
«  Toi, Israël, mon Serviteur, Jacob que j’ai choisi, descendance
d’Abraham »1.
Il faut remarquer que :
–cette élection concerne presque toujours le peuple et non des
individus 2
. Abraham n’est choisi que comme père du peuple à venir ;
–l’élection est la manifestation de la volonté d’un Dieu dont la parole
est éternellement fiable. Pour autant, elle ne dispense pas le peuple élu
d’une fidèle obéissance à son Seigneur. Lorsqu’il se rebelle contre la
volonté de Dieu, le châtiment ne tarde pas et il est parfois radical  :
«  Le Seigneur dit  : même Juda, je l’écarterai loin de ma présence
comme j’ai écarté Israël. Je rejetterai cette ville que j’ai choisie,
Jérusalem, et la Maison dont j’ai dit : là sera mon Nom » 3
. Mais, si
dure que soit la punition, Dieu se souvient de l’élection, il se penche
avec compassion vers le petit reste qui, en Israël, s’est toujours voulu
fidèle et c’est le règne du pardon  : «  Est-ce que je rejetterais la
descendance de Jacob et de mon serviteur David  ?... Non  ! Je les
restaurerai, car je les prends en pitié » 4
.

La prédestination du Christ
Les affirmations les plus fortes sur la prédestination se trouvent
principalement dans les épîtres du Nouveau Testament. Elles concernent le
Christ dont l’Evangile est, selon l’apôtre Paul, une sagesse que Dieu avait
prédestinée, avant que l’histoire des hommes ne commence, à servir à la
gloire des chrétiens5. La première épître de Pierre parle du Christ comme
prédestiné avant la fondation du monde et manifesté à la fin des temps à
cause des chrétiens6. Le thème ne se prête guère à être repris dans les
évangiles.

La prédestination des chrétiens

Il faut cependant signaler l’exception de l’évangile de Jean, le plus


théologique des quatre évangiles. On lit dans la grande prière de Jésus  :
« Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient eux aussi
avec moi et qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée, car tu m’as
aimé dès avant la fondation du monde »7. Il faut remarquer le lien établi par
ce texte entre la prédestination éternelle du Christ et celle des chrétiens qui
lui ont été donnés par Dieu. Ce lien nécessaire est célébré dans le plus grand
texte du Nouveau Testament sur la prédestination : Eph 1.3-12.
Le texte présente des caractères remarquables. Il commence par une
bénédiction.
C’est un ensemble stylistique assez extraordinaire  : ces dix versets
ne forment en grec qu’une seule phrase en l’absence de tout verbe principal.
Le contenu est d’une richesse théologique étonnante. On suppose
généralement que cela s’explique au mieux si l’on regarde le texte comme
littéralement décalqué sur un hymne liturgique ancien. Une lecture rapide
relève l’insistance sur le thème central : Dieu nous a choisis en Christ avant
la fondation du monde pour que nous soyons saints. Il nous a prédestinés à
être pour lui des fils adoptifs par Jésus Christ. En lui nous avons été choisis
comme son lot, ayant été prédestinés selon le projet de celui qui réalise tout
selon sa volonté8.
Par trois fois il est fait mention explicite de la prédestination, les
trois fois en relation étroite avec la personne et l’œuvre du Christ et l’amour
de Dieu. C’est donc un sujet de reconnaissance. On en rend grâce à Dieu,
on le bénit pour cela, on y trouve l’exhortation à mener une vie sainte. La
prédestination n’est donc pas d’abord un article de dogme mais le sujet
d’une prière de bénédiction. Elle ne s’enseigne pas, elle se confesse dans la
foi et la louange. Les chrétiens disent leur certitude d’être appelés, en
Christ, pour vivre le salut dès ici-bas, en marche vers le royaume. Tel est le
plan éternel de Dieu pour les hommes. Heureux ceux qui entendent cet
appel et y répondent : ils manifestent que Dieu les a donnés au Christ qui
leur permet de goûter, dès maintenant, à la vie éternelle en attendant la
résurrection finale9 : ils sont destinés non à la colère, mais au salut10.

L’Apocalypse

Deux textes de l’Apocalypse demandent un examen particulier : le


voyant prophétise et annonce la venue d’un empereur romain satanique qui
persécutera les chrétiens dans tout l’empire : « Tous ceux dont le nom n’est
pas écrit, depuis la fondation du monde, dans le livre de vie de l’agneau
immolé  » cèderont à la tentation de renier leur foi11. Une remarque
s’impose : le livre céleste où est inscrit à l’avance le sort des hommes est le
livre de l’agneau immolé pour le salut du monde. On y trouve le nom de
tous ceux que le Christ appelle. C’est donc en conséquence une exhortation
à la fidélité, quel qu’en soit le prix. Il n’est jamais question d’un livre
contenant les noms des rejetés : il n’existe que dans l’impitoyable logique
humaine qui exige qu’à l’élection réponde le rejet. En vérité les ténèbres
sont la réalité dont notre Dieu veut nous sauver.

Y a-t-il une prédestination à la perdition ?

Jusqu’ici nous avons entendu prédestination dans le sens d’élection


et uniquement élection au salut. Or qui parle d’élection et de choix
préférentiel sous-entend l’existence de ceux qui ne sont pas ainsi appelés au
salut et qui donc sont prédestinés à un sort beaucoup moins favorable, voire
à la perdition. Notre logique humaine nous enseigne cette symétrie. Qu’en
est-il dans la Bible ?

Dieu endurcit le cœur de Pharaon

On invoque à ce propos l’exemple du récit de la sortie du peuple élu


hors d’Egypte. Dans le livre de l’Exode, il est fréquemment question de
l’endurcissement du cœur de Pharaon et cet endurcissement qui l’amène à
s’opposer à la volonté de Dieu est par huit fois présenté comme suscité par
le Seigneur lui-même. Rappelons brièvement le cours de l’histoire : Israël
est esclave en Egypte, mais Dieu envoie Moïse pour le conduire à la
libération. Après une série des plaies de plus en plus terribles, Pharaon dont
le Seigneur endurcit le cœur, le poussant à refuser de donner la liberté aux
Israélites, finit par céder. Il laisse le peuple esclave s’en aller. C’est le
premier acte de l’histoire d’Israël comme peuple de Dieu.
Le récit qui en rend compte n’a rien d’une chronique historique.
C’est la confession de foi d’un peuple qui reconnaît ainsi ne devoir son
élection qu’à la seule grâce de Dieu. Le statut naturel de l’homme est
l’esclavage, la soumission aux forces du mal qui règnent sur le monde.
Lorsque Dieu intervient pour sauver, le mal est dévoilé dans sa réalité
même qui est opposition au plan du salut. On peut dire que la révélation du
salut est révélation de la colère. Le vieux livre de l’Exode exprime cela
dans un langage objectivant (osera-t-on dire rationalisant  ?) pour se faire
entendre de ses contemporains  : pour manifester qu’il sauve Israël, Dieu
endurcit le Pharaon.

L’Evangile rend-il aveugle ?

L’évangile de Jean ne dit pas autre chose, même si sa formulation


témoigne d’une mutation capitale. Jésus dit qu’il est venu dans le monde
pour que ceux qui voient (ou prétendent voir clair) deviennent aveugles12.
Autrement dit l’Evangile, qui est bonne nouvelle, est dévoilement du péché
en tant que tel. Ceux qui, comme Adam, prétendent voir clair, décidant du
bien et du mal, sont révélés comme ce qu’ils sont en réalité : des aveugles.
On pourrait dire que c’est l’Evangile qui les rend aveugles et que c’est Dieu
qui les endurcit. Mais en vérité c’est seulement l’envers de la révélation du
salut, car ceux dont les yeux étaient obscurcis recouvrent la vue. Voilà
l’œuvre du Seigneur.

Israël a refusé l’Evangile !

Dans les chapitres 9-11 de l’épître aux Romains, l’apôtre Paul


développe une interprétation théologique de l’histoire juive : Israël a refusé
l’Evangile de Jésus. C’est l’occasion, pour Dieu, de développer son plan de
salut jusqu’à son achèvement qui est le salut de l’humanité entière, Israël
compris. L’adoption des païens, véritable Israël, signifie que la grâce
l’emporte sur le refus des hommes. Mais Paul ne peut accepter que l’on
parle d’une chute définitive d’Israël : le dessein de Dieu qui n’est que grâce
s’affirme d’autant plus souverainement qu’il ne peut être arrêté par
l’hostilité des hommes. De même, il est parfaitement inadéquat de poser la
question du sort final de Pharaon : il est celui que la grâce de Dieu a vaincu
pour sauver Israël. Voilà sa place dans l’histoire du salut.

Que dit Jésus à ce sujet ?

Nous avons entendu une confession de foi juive et un exposé


théologique chrétien, qu’en est-il de la prédication de Jésus ? On se tourne
vers les évangiles et les difficultés s’accumulent  : nous y entendons les
paroles de Jésus telles que les évangélistes croient devoir les rapporter.
C’est donc Jésus vu par ceux qui, depuis plusieurs décennies, vivent de son
Evangile et si leur témoignage en est d’autant plus recevable, il est
profondément marqué par leur appropriation du message de Jésus.
Retrouver celui-ci dans son état premier est une entreprise délicate, c’est
celle de l’historien/exégète qui lit les textes avec un plein respect, mais en
tentant de faire la distinction entre un état premier et une interprétation
ultérieure.
Nous prendrons deux exemples.

La parabole du Semeur

Dans la parabole rapportée par Marc13, les grains qu’un semeur


répand largement tombent souvent sur des terres infertiles et restent donc
stériles. Mais qu’une partie atterrisse sur une bonne terre et la moisson
paraît merveilleuse. Que veut dire la parabole  ? Jésus répand l’Evangile
dans le monde et il y a beaucoup d’échecs apparents. La prédication de
l’Evangile connaît de nombreux insuccès, mais regardez  : la moisson
pourtant est étonnante !
Tel fut sans doute le message de Jésus. Mais dans nos évangiles, on
lit une explication qui suit la parabole14. Ces versets proposent de révéler la
raison pour laquelle Jésus parle en paraboles : elles sont un discours que les
disciples seuls, puis les chrétiens, peuvent comprendre. Les autres, ceux qui
sont extérieurs au cercle des fidèles, ne comprennent pas et c’est
l’accomplissement de la prophétie d’Esaïe15  : la prédication de l’Evangile
leur reste incompréhensible pour qu’ils ne voient ni n’entendent de peur
qu’ils ne se convertissent et qu’il ne leur soit pardonné  ! Est-ce Jésus qui
parle ainsi, ou n’est-ce pas plutôt la voix d’un chrétien qui répond à la
déception de l’Eglise  : l’Evangile qu’elle prêche est rarement reçu de
manière à donner ses fruits. Il ne faut pas s’en scandaliser, ni même s’en
désoler  : c’était prédit  ! Le prophète l’avait annoncé. Dans le champ
immense qu’est le monde, il y a pourtant des résultats merveilleux.
L’Evangile est toujours un miracle. Grâce à Dieu !

La prophétie d’Esaïe

Admettons cette explication. Pourtant elle ne va pas au fond de la


question. Que voulait dire Esaïe ? Le texte16 vient aussitôt après le récit de
la vocation du prophète. Esaïe est appelé par Dieu à prêcher au nom de son
Dieu. Eh bien, sa prédication rendra aveugles et sourds ceux qui
l’entendent. Ainsi ne se convertiront-ils pas  ! Le message nous semble
inacceptable  ? Encore faut-il le prendre pour ce qu’il est. Ce n’est pas un
exposé de théologie systématique, c’est le souvenir d’un moment de
l’histoire du salut. Esaïe proclame la grâce du Dieu qui se veut Dieu avec
nous, Emmanuel17. C’est vraiment une grâce, une bonne nouvelle, un
Evangile. Pourtant les hommes ne veulent pas entendre. Ils réclament des
choses qui leur plaisent mieux18. Ici encore la grâce ne se réalise qu’en
affrontant l’hostilité des hommes qui ont, par nature, d’autres désirs nés de
leur fond le plus ténébreux. C’est ce que révèle la prédication de la parole
de Dieu.
Nous voici donc avec cette parabole du semeur devant un texte qui
peut suggérer une double lecture :
–ou bien l’endurcissement marque seulement une première étape vers
un accomplissement qui sera magnifique ; une partie du grain va lever.
–ou bien il révèle le salut comme victoire sur le mal  : la moisson de
l’Evangile ne peut être arrêtée par aucun obstacle.
Dans les deux cas il s’agit d’une interprétation théologique de
l’histoire et non d’un exposé systématique (mais réaliste) de l’effectuation
du plan de Dieu. Ici encore, c’est faire fausse route que de se demander ce
qu’il advient finalement de ceux qui ne voient ni ne comprennent. Ils sont
seulement l’illustration de cette vérité profonde qu’on ne peut que confesser
avec le Psalmiste : le Seigneur illumine mes ténèbres19.

La parabole du festin

Prenons encore l’exemple de la parabole du festin dont nous


connaissons trois versions : Mt 22.1-14 ; Lc 14.15-24 ; évangile de Thomas
64. Les trois textes présentent de telles ressemblances qu’ils doivent
remonter, plus ou moins directement, à un modèle unique : la parabole que
Jésus a prononcée. Résumons les trois textes.
Matthieu :
a) C’est une parabole du royaume des cieux.
b) Un roi marie son fils. Il invite au festin. Une première invitation
reste sans effet. Lors d’une seconde démarche les messagers sont mis à
mort.
c) Colère du roi qui fait tuer les assassins et incendier leur ville.
d) Le roi lance alors une invitation universelle qui est entendue.
e) Un invité n’a pas d’habit de noce. Il est jeté dans les ténèbres du
dehors.
f) Il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus.
Luc :
a) Heureux qui prend part au repas dans le royaume.
b) Un homme invite à un festin. Les invités s’excusent.
c) Colère de l’homme.
d) Il invite les pauvres. Comme il reste de la  place il fait entrer les
passants.
ef) Aucun des premiers invités ne goûtera au repas.
Evangile de Thomas :
a) Un homme invite à un repas. Les invités s’excusent.
d) Invitation à tous.
ef) Mais ceux qui ne s’occupent que des affaires du monde n’entreront
pas chez le Père.
Spécificité des trois versions

Pour Matthieu et Luc, c’est une parabole du royaume. Pour les trois
textes, les invités ne répondent pas. Qui sont-ils ? Pour Matthieu, ce sont les
Juifs ou du moins leurs chefs. En punition de leurs actes, Jérusalem est
incendiée par les Romains en l’an 70. L’invité de la dernière invitation qui
n’a pas d’habit de noce est un chrétien qui n’a pas revêtu la justice que Dieu
attend de ceux qu’il appelle. Pour Luc, ce sont également les Juifs ou leurs
chefs. Ils sont exclus à jamais. L’invitation est alors adressée aux pauvres et
aux misérables, c’est-à-dire à ceux que la religion juive du temps exclut
souvent (c’est là un leitmotiv chez Luc)20. Les pauvres d’Israël étant entrés,
il reste de la place. L’invitation est alors élargie aux païens. La conclusion
est d’une grande sévérité et va jusqu’à contredire celle de l’apôtre Paul pour
qui Israël participe nécessairement au salut final. Pour Thomas, la pointe de
la parabole est dirigée contre les hommes dont la vie n’est que recherche de
biens matériels. Ils sont définitivement exclus.
En conclusion, Matthieu porte les marques d’une rédaction
postérieure à l’incendie de Jérusalem. Il interprète la parabole première et
termine en soulignant que l’élection des chrétiens comporte une exigence
de fidélité. Luc voit dans la parabole de Jésus l’annonce de l’histoire du
salut  : les chefs d’Israël refusent l’Evangile, Jésus s’adresse alors à ceux
que le judaïsme marginalise, puis aux païens. Quant aux premiers invités,
ils sont définitivement rejetés. Thomas ne veut trouver dans la parabole que
la condamnation des hommes occupés exclusivement par les soucis du
monde.

Qu’a dit Jésus ?

Revenons à la question première : peut-on retrouver avec quelques


chances de succès la parabole telle que Jésus l’a prononcée  ? Oui, à
condition de ne pas prétendre en reconstituer la formulation exacte au mot
près. Jésus prêche l’Evangile aux juifs de son temps. Devant le refus des
élites, il élargit l’invitation. On se convaincra aisément que tel est bien le
message de Jésus, il faut pour cela relire les Béatitudes21  : la bonne
nouvelle est annoncée aux pauvres22, Jésus est venu appeler non les justes,
mais les pécheurs23. Voilà sans doute le sens que Jésus donnait à la
parabole. Le reste est, chez Matthieu comme chez Luc, additions qui
témoignent que l’Eglise chrétienne a, dès ses débuts, commenté le message
du Christ pour en tirer des enseignements concernant leur actualité.
Si cette analyse est juste, voici la pointe de la parabole des invités :
l’Evangile de la grâce doit être prêché à ceux que leurs satisfactions
sociales et religieuses ne ferment pas à son annonce d’un salut immérité.
C’est donc une parabole de l’invitation et non de l’exclusion. Celle-ci,
encore une fois, n’apparaît que comme l’envers inévitable de l’offre
évangélique. Une des meilleures illustrations de cette vérité se trouve dans
le quatrième évangile24  : Jésus rencontre un aveugle et les disciples
demandent quel est le péché qui a entraîné le châtiment de la cécité. Jésus
répond qu’il n’est pas question de péché ni de prédestination : l’aveugle se
trouve là afin que les œuvres de Dieu soient en lui manifestées. Et il le
guérit !

En résumé

Après ce long parcours dans les textes bibliques, voici un résumé


des principales conclusions proposées :
Le mal est dans le monde et avec lui la mort. Mais Dieu, qui ne veut
que le salut, sauve son peuple de l’esclavage en Egypte. C’est une
démarche qui s’apparente à un combat : le Seigneur vainc miraculeusement
Pharaon dans les ténèbres de la nuit de la Pâque, révélant que Pharaon n’est
pas un ennemi historique accidentel, mais l’incarnation de l’hostilité envers
Dieu.
L’ennemi peut gagner même les élus comme il le fit à l’origine. Seul
Dieu peut démasquer Satan et le vaincre.
L’histoire du salut s’accomplit : le Christ vient assumer l’humanité.
Il affronte le mal dans sa forme la plus redoutable : la mort. Mais à l’aube
de la nuit pascale, il remporte la victoire. C’est la résurrection, gage du salut
annoncé depuis les origines. L’Evangile est révélation de la gloire à laquelle
les juifs comme les païens sont prédestinés25. C’est un salut coûteux  :
vaincre l’ennemi est une entreprise dans laquelle Dieu s’engage jusqu’à la
mort.
Reste la question : quel est l’ennemi ? Au début, il existe sans que
Dieu l’ait créé. Il est si mystérieux que la Genèse ne peut en parler qu’en
termes parabolique  : le serpent. On ne peut expliquer son existence, mais
son action est identifiable  : il persuade l’homme qu’il peut être l’égal de
Dieu en décidant souverainement du bien et du mal. Pharaon en est une
incarnation accidentelle, Judas de même26 et le monde vit dans l’attente de
sa manifestation ultime : l’Antichrist27. Seul le prophète peut le démasquer
dans l’actualité28. C’est toujours Satan sous les masques qu’il revêt sur la
terre et c’est lui qui est promis à la perdition.
A ceux qui se réclameraient de la présence, ici ou là dans la Bible,
de menaces d’être jeté dans les ténèbres d’un enfer épouvantable, il faut
répondre que la seule chose importante est de répondre à Dieu qui, par le
Christ, nous appelle au salut. Quant à spéculer sur le sort de ceux qui ne
répondent pas, nous laisserons au Seigneur le soin d’en décider, en nous
fiant à sa bonté.
La prière

LE CHRISTIANISME ET LA PRIÈRE

La pratique de la prière fait partie de la religion d’Israël. L’Ancien


Testament l’atteste à plusieurs reprises, la présence du livre des Psaumes en
offre un vivant témoignage et les liturgies du judaïsme ancien donnent de
nombreux exemples de prières destinées à être dites dans le cadre du culte.
Que le christianisme primitif ait conservé ces usages n’a donc rien
de surprenant. Mais une lecture attentive du Nouveau Testament suscite une
réflexion plus étonnante : pour celui qui relève scrupuleusement toutes les
occasions où il est question de prier (présence des mots ou verbes de même
racine  : prière  ; demande  ; intercession  ; louange  ; action de
grâce/remerciement, etc.) sans oublier les citations de prières, le nombre des
occurrences a de quoi impressionner  ! La prière occupe dans le
christianisme primitif une place qui est sans commune mesure avec celle
que lui réservait la religion du judaïsme aussi bien ancien que contemporain
des débuts de l’ère chrétienne.
Pourtant, il est évident que les premiers chrétiens ont hérité du
judaïsme leurs pratiques les plus spirituelles. Le livre des Actes rapporte
que les membres de la première communauté chrétienne de Jérusalem
« unanimes, se rendaient chaque jour assidûment au temple… Pierre et Jean
montaient au temple pour la prière de trois heures de l’après-midi »1. Mais
les textes abondent qui attestent que la prière avait littéralement investi tous
les moments et toutes les occasions de la vie des chrétiens. Pour expliquer
cette mutation capitale, il faut naturellement se tourner vers l’enseignement
et la pratique de Jésus. C’est là qu’on peut espérer découvrir la spécificité
de la prière chrétienne et l’explication de cette étonnante multiplication.

Jésus prie
Selon les évangiles, Jésus prie souvent, particulièrement dans des
occasions remarquables et dans des termes qui doivent être notés. Luc2
précise que Jésus, baptisé par Jean le Baptiste, était en prière lorsqu’une
voix céleste vient proclamer l’accomplissement de la prophétie d’un
Psaume messianique3 : « Tu es mon fils, mon bien-aimé… ». Et la suite de
la citation se lit dans la plupart des manuscrits : « il m’a plu de te choisir »
comme dans les passages parallèles de Matthieu et de Marc. Mais d’anciens
témoins reproduisent plus fidèlement le texte du Psaume : « Aujourd’hui je
t’ai engendré » ce qui souligne le caractère solennel de l’événement.
Il faut dès maintenant remarquer que, parmi les évangiles
synoptiques, Luc se singularise fréquemment en mentionnant une prière de
Jésus dans les moments cruciaux. Avant de choisir les douze disciples,
Jésus passe la nuit en prière4. C’est dans la prière que Jésus se prépare à
entendre la confession de foi de Pierre : « Tu es le Christ de Dieu »5. C’est
pendant qu’il prie que Jésus est transfiguré devant ses disciples qui
entendent une voix céleste proclamer à nouveau le Ps 2.7 complété par une
référence significative à la prophétie annonçant la venue d’un nouveau
Moïse6 qu’il faudra écouter7. C’est en voyant Jésus prier que l’un de ses
disciples est amené à demander : « Seigneur, apprends-nous à prier »8. Et
Jésus répond en proposant le modèle de prière qu’est le Notre Père. Dans la
nuit de l’arrestation, Jésus prie sur le mont des Oliviers : « Abba, Père, à toi
tout est possible, écarte de moi cette coupe. Pourtant, non pas ce que je
veux, mais ce que tu veux »9. Luc est le seul à raconter la suite : « Alors lui
apparut du ciel un ange qui le fortifiait. Pris d’angoisse, il priait plus
instamment  »10. Luc est encore le seul à citer ces prières de Jésus sur la
croix  : «  Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font  »11. Et  :
« Père, entre tes mains je remets mon esprit »12.
Marc et Matthieu citent encore ce cri de Jésus en araméen puis en
traduction grecque  : «  Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu
abandonné »13.

Prier Dieu le Père

Il faut noter la présence presque constante dans ces prières de


l’invocation initiale : « Père », « Abba, Père ». C’est l’écho direct de la voix
céleste qui proclamait au nom de Dieu  : «  Tu es mon fils  ». Comme ces
mots viennent d’un Psaume regardé comme prophétie messianique, la
conclusion qui s’impose est que, lorsque Jésus s’adresse à Dieu comme à
son Père, il sous-entend tout autre chose qu’un lien ordinaire de parenté. Il
est Le Fils de Dieu. Celui qui peut vraiment l’appeler Père. C’est pourquoi
les textes insistent si fortement sur le fait que Jésus, malgré l’angoisse qui
l’étreint, se rallie décidément à la volonté de son Père.
L’évangile de Jean développe ce thème dans la grande prière de
Jésus qui occupe tout le chapitre 17. Il commence ainsi : « Père, l’heure est
venue… Je t’ai glorifié sur la terre, j’ai achevé l’œuvre que tu m’as donnée
à faire… Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient eux
aussi avec moi et qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée, car tu
m’as aimé dès avant la fondation du monde »14.
Ces textes demandent un bref commentaire  : l’heure qui est venue
est celle de la crucifixion qui est aussi celle de la glorification du Christ.
C’est alors en effet que l’amour de Dieu pour le monde sera pleinement
révélé15. On verra enfin Dieu tel qu’il est en vérité, c’est-à-dire dans sa
gloire et c’est le Fils qui en est la fidèle manifestation dans le monde. La
relation Père/Fils montre la parfaite unité des deux personnes dont Jésus
dit : « Nous sommes un »16 et : « Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et
que le Père est en moi ? »17. Voilà ce qu’expriment les prières de Jésus.

Prier Jésus

En quelques rares et dramatiques occasions, la prière s’adresse


directement à Jésus. Etienne prie : « Seigneur Jésus, reçois mon esprit » et
plus loin : « Seigneur, ne leur compte pas ce péché »18. On remarquera que
ces deux demandes s’inspirent très directement des prières de Jésus19. Le
bon larron prie  : «  Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras comme
roi »20

Prier au nom de Jésus

Il n’appartient pas à l’homme de s’approprier simplement les


paroles du Christ. Mais Jésus est ici le médiateur  : «  Tout ce que vous
demanderez en mon nom, je le ferai  »21. La promesse est tellement
importante qu’elle est encore deux fois répétée22 et c’est au nom de Jésus
que le Père enverra l’Esprit saint sur les siens23. Au nom de. Quel est le sens
de l’expression ? Elle traduit une formule juive susceptible d’exprimer
–soit la finalité : on circoncit un prosélyte au nom de l’alliance, c’est-
à-dire pour qu’il en fasse partie,
–soit la cause : tout ce qu’on fait doit être fait au nom de Dieu
, c’est-à-
dire à cause de Dieu, pour lui être fidèle, en référence à lui.
Les chrétiens transposent facilement cela lorsqu’ils recommandent
de tout faire au nom du Seigneur Jésus, en rendant grâce au Père par lui24.
Ces exemples peuvent suffire à expliquer le sens de la formule dans les trois
textes johanniques cités. Il est cependant possible d’y trouver un sens plus
profond ; lorsque les habitants de Jérusalem accueillent Jésus avec les mots
du Psaume 118.26 : « Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient »25, on
peut comprendre :
–ou que la bénédiction est donnée parce que l’arrivant accomplit la
volonté de Dieu,
–ou bien qu’il vient, envoyé par le Seigneur, à sa place, en son nom.
Cette éventualité ne peut être écartée quand on lit dans le quatrième
évangile cette parole de Jésus : « Je suis venu au nom de mon Père »26. Et
encore  : «  Les œuvres que je fais au nom de mon Père me rendent
témoignage… Moi et le Père nous sommes un »27. L’Esprit que Dieu envoie
sur les disciples au nom de Jésus remplace celui-ci auprès d’eux28. Et le but
dernier de l’Evangile du Christ est que ceux qui croient en lui ne soient plus
qu’un avec leur Sauveur : « Que tous soient un comme toi, Père, tu es en
moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi, afin que le monde
croie que tu m’as envoyé »29.
Si tel est le sens de la formule, prier au nom de Jésus peut être
interprété  : prier de la prière même de Jésus. Dès lors, on comprend que
Jésus invite ses disciples à entrer dans sa prière en disant : Notre Père. Il ne
s’agit pas tant d’un modèle à imiter que d’une communion offerte. La
question n’est pas de formuler quelques phrases, mais de se laisser entraîner
par l’extraordinaire de l’Evangile de Jésus Christ qui est l’attestation
miraculeuse de l’amour du Dieu très-haut pour ses créatures.

Notre Père
Le Notre Père n’est donc pas simplement l’adaptation chrétienne
d’une prière juive, même s’il est vrai que le judaïsme, comme l’Ancien
Testament30, sait que Dieu est un Père. Mais c’est presque toujours le
peuple d’Israël qui se dit son fils.
La structure même du Notre Père est à cet égard significative. Les
trois premières demandes concernent l’accomplissement du plan du salut :
reconnaissance universelle de Dieu  ; réalisation de son règne et de sa
volonté. Puis le sujet change  : c’est le «  nous  » de la communauté des
chrétiens qui s’exprime. Ces trois dernières demandes doivent être
considérées de près pour éviter tout faux sens :
–Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour :
Le pain demandé est qualifié par un adjectif que la langue grecque
ignore. On est donc réduit, pour le traduire et donc pour le
comprendre, à recourir à l’étymologie du mot.
Il s’agit ou du pain surnaturel ou du pain du lendemain.
Surnaturel
et donc miraculeux comme l’a été la manne 31
, pain du ciel
32
. Il faut ici relire le quatrième évangile  : «  Moïse ne vous a pas

donné le pain du ciel, mais c’est mon Père qui vous donne le véritable
pain du ciel… C’est moi qui suis le pain de vie » 33
.
Du lendemain :
les Hébreux ramassaient chaque jour la manne dont ils
faisaient leur nourriture quotidienne. Mais, pour éviter de violer le
repos du sabbat, le vendredi la récolte était double, assurant ainsi la
nourriture du lendemain. La demande du Notre Père vise la vraie
nourriture qui fait vivre à jamais, dont l’eucharistie est la figure et
l’anticipation et dont la nourriture quotidienne est l’image. On peut
donc comprendre : Donne-nous le pain qui fait vivre dès aujourd’hui et
pour la vie éternelle.
–La demande suivante chez Matthieu peut être traduite littéralement :
« Remets-nous nos dettes comme nous avons remis à nos débiteurs »
34
. Luc parle de péchés à la place de dettes 35
. Le même mot araméen

peut avoir les deux sens : le péché est une violation des relations justes
entre l’homme et Dieu et les dettes altèrent profondément les rapports
sociaux. On relira la parabole du débiteur impitoyable 36
 : elle jette sur
la demande du Notre Père une nécessaire lumière  : c’est Dieu qui
pardonne en premier et si la miséricorde est attendue de celui qui est
ainsi pardonné, elle n’est que l’indispensable conséquence de la grâce
divine. Elle en est l’attestation : « Comme nous avons pardonné ». Et
si nous avons pardonné, c’était seulement l’écho que nous donnions au
pardon de Dieu. Quel est ce pardon ? C’est l’anticipation présente du
pardon que, selon les prophéties, Dieu a promis de prononcer lors du
jugement dernier sur son peuple infidèle. L’Evangile de Jésus est
l’annonce de ce pardon 37
qui, célébré au baptême 38
, peut à jamais
changer la vie d’un homme.
–Ne nous laisse pas tomber dans la tentation, mais délivre-nous du
Mal.
Ne nous expose pas à la tentation. Ne nous abandonne pas au pouvoir
de la tentation. Et, derrière ce que nous connaissons comme tentations,
il faut discerner la tentation suprême qui, par la voix de Satan (le Mal,
le Malin) suggère que l’obéissance au Christ risque de nous mener trop
loin. La demande doit donc être entendue dans toute son ampleur : elle
ne concerne que secondairement les tentations qui jalonnent toute vie
humaine.
Ainsi, tout au long de la prière que Jésus propose comme modèle
aux oraisons humaines, les demandes concernent d’abord la venue du
royaume de Dieu promis. Elles contiennent implicitement les prières de
consécration, de louange et de demandes que chaque chrétien fait monter
vers un Dieu Père qui sait ce dont il a besoin avant qu’il le lui demande39.
Au reste, il faut prendre conscience que les trois premières demandes
impliquent très directement celui qui les dit : prier pour que le nom de Dieu
soit sanctifié, c’est s’associer au culte céleste qui célèbre le Dieu trois fois
saint40 et donc vivre en vue de la manifestation universelle de ce Dieu. La
demande qui concerne le règne de Dieu n’a rien d’un vœu purement verbal :
le chrétien demande d’être, dès maintenant, le témoin agissant de cet
achèvement dernier. Quant à la troisième demande, il est clair que celui qui
prie pour que la volonté de Dieu soit faite se déclare prêt à tout faire pour
l’accomplir et qu’il compte sur l’aide du saint Esprit pour y parvenir.
Il est intéressant de remarquer que c’est dans le seul évangile de
Matthieu que Jésus s’adresse à Dieu comme à « Notre Père ». Selon Luc41
Jésus dit «  Père  » comme dans plusieurs de ses autres prières42. Telle est
aussi l’habitude de Paul43. Il est particulièrement remarquable que l’apôtre,
écrivant à des chrétiens de langue grecque, commence par la version
araméenne de l’invocation qu’il traduit ensuite. Cet indice conseille de voir
dans le mot Abba (Père, et non Notre Père !) la forme primitive araméenne,
conservée par la liturgie, de l’invocation qui ouvre la prière de Jésus. Si
cette conclusion est juste, elle confirme décidément que Dieu n’est le Père
des chrétiens que parce que son Fils est Jésus… ainsi que quiconque se
présente en son nom. « Nous » pouvons prier ainsi en tant que participants
aux demandes qui sont relatives à la réalisation de l’Evangile annoncé par
Jésus qui révèle Dieu comme un Père aimant.

LES PRIÈRES DES CHRÉTIENS

Dans la nouvelle alliance, les chrétiens osent donc s’adresser à Dieu


comme à leur Père parce qu’il est le Père révélé par Jésus Christ. Ils y sont
même instamment invités. L’apôtre Paul les incite à présenter à Dieu toutes
leurs difficultés44. Mais si l’on relève toutes les occasions de prière de
l’apôtre ou celles qu’il recommande à ses correspondants, on est frappé de
constater qu’il s’agit
–de louanges à Dieu pour les succès de l’Evangile,
–de prières pour que Dieu accorde aux Eglises de demeurer fidèles 45
,
–ou de prières demandées aux chrétiens pour que le ministère de
l’apôtre soit béni par Dieu.
C’est dans les textes plus tardifs qu’apparaissent des prières
orientées vers des questions individualisées : prière pour un malade46, pour
le pardon d’un péché particulier47, intercession des membres d’une
communauté les uns pour les autres48.
Une exception notable n’a pas le poids qu’on lui reconnaît souvent :
la triple prière de Paul pour sa propre guérison49. Il est clair que l’apôtre
regarde ce mal d’abord comme un obstacle au plein exercice de son
ministère d’évangéliste.
La parabole du juge inique50 doit être alléguée ici. Dans son
introduction, Jésus donne son interprétation : il faut prier constamment et ne
pas se décourager. De quelles prières s’agit-il ? La veuve est la figure de la
communauté chrétienne. Les élus qui la composent souffrent que Dieu tarde
à accomplir les promesses annoncées pour le royaume final  : ils vivent
présentement dans un monde hostile qui ignore leur vie véritable. Ils crient
donc au Seigneur leur juste impatience et ce cri sera assurément entendu,
car la fin n’est pas éloignée : « Redressez-vous et relevez la tête, car votre
délivrance est proche… Restez éveillés dans une prière de tous les instants
pour être jugés dignes… de vous tenir debout devant le Fils de
l’homme »51.

Amen

Les prières communautaires des chrétiens ne font pas des fidèles de


simples auditeurs. Ils sont invités à manifester ouvertement leur pleine
communion à ces louanges et à ces demandes en y répondant : Amen ! Le
mot qui, une fois encore, est une transcription liturgique d’un original
hébreu, apparaît à de nombreuses reprises dans les lettres de l’apôtre
lorsque celui-ci termine un paragraphe par une formule de type
doxologique. Citons un seul exemple : « A lui (à Dieu) soit la gloire pour
les siècles des siècles. Amen »52. C’est effectivement la communauté qui,
dans les assemblées cultuelles est invitée à répondre Amen comme le
prévoit expressément Paul en s’adressant aux Corinthiens53.
Le mot, qui vient du culte juif, exprime une ferme adhésion, une
reconnaissance de l’entière vérité du discours écouté. Il prend rapidement la
valeur d’une acclamation liturgique (et eucharistique) dont on peut
reconstituer le mouvement, sinon les mots, grâce aux textes de 1Co 16.20s,
Ap 22.17-22 et Didachè 10.6 dont voici le texte qui suppose sans doute un
dialogue entre l’officiant et l’assemblée :
« Que la grâce vienne et que ce monde passe !
Hosanna au Dieu de David !
Si quelqu’un est saint qu’il vienne  ! S’il ne l’est pas qu’il fasse
pénitence !
Maranatha 54
. Amen ! »

L’Esprit et la prière

Un point important a jusqu’ici été laissé de côté  : si la prière peut


être l’occasion d’une communion exceptionnelle avec le Christ, c’est
qu’elle est suscitée, visitée et fortifiée par le saint Esprit. «  Vous avez
reçu… un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions :
Abba, Père »55. « Que l’Esprit suscite votre prière sous toutes ses formes,
vos requêtes en toutes circonstances. Employez vos veilles à une infatigable
intercession pour tous les saints et pour moi aussi : que la parole soit placée
dans ma bouche pour annoncer hardiment le mystère de l’Evangile  »56.
«  L’Esprit vient en aide à notre faiblesse, car nous ne savons pas prier
comme il faut. Mais l’Esprit lui-même intercède pour nous »57. Ce texte se
termine en assimilant l’intercession de l’Esprit à des «  gémissements
inexprimables  », ce qui fait penser aux prières «  pneumatiques  »
(aujourd’hui on dirait  : charismatiques) auxquelles l’apôtre consacre le
chapitre 14 de sa première lettre aux Corinthiens. A proprement parler, Paul
traite de la glossolalie, c’est-à-dire du parler en langues. Mais, au cours du
développement, il emploie indifféremment le mot de prière58. Il s’agit
incontestablement d’un phénomène suscité par l’Esprit, mais si ces
manifestations extraordinaires transportent celui qui en est bénéficiaire,
elles laissent le reste de la communauté parfaitement étrangère à ce discours
inintelligible. Or, c’est le service de la communauté qui prime. Celui qui
veut prier ainsi veillera donc à soumettre cette très spéciale inspiration au
souci d’édifier tous ses frères59.

En conclusion

La prière chrétienne est née de celle du Christ. Elle vise


premièrement la diffusion de l’Evangile et la venue du royaume de Dieu.
C’est l’occasion pour le chrétien de communier avec le Christ qui révèle la
volonté de Dieu et son amour. L’Eglise est invitée à entrer ainsi activement
dans le plan de Dieu pour le monde et pour chaque homme. La prière que le
saint Esprit inspire peut donc aborder tous les domaines de la vie, encore
faut-il se souvenir que ce discours qui élève l’homme jusqu’à Dieu n’a rien
d’un bavardage et qu’il s’adresse au souverain de l’univers, au nom du
Christ dont il reprend la prière qui a désormais l’assurance d’être exaucée.
La résurrection

Le sujet est proprement extraordinaire et les textes qui en font le


récit montrent des interrelations complexes. Le lecteur est donc prié de bien
vouloir consacrer sans trop d’impatience sa meilleure attention aux pages
qui suivent.

LA RÉSURRECTION DU CHRIST

Dans les textes grecs que nous allons examiner, l’idée de


résurrection est exprimée par des mots de la racine egeirein qui signifie
exactement : lever, relever ; dresser, redresser ; d’où : ressusciter.

La première affirmation de la résurrection du Christ

La plus ancienne mention de la résurrection de Jésus se trouve dans


la première lettre de Paul aux Corinthiens1. L’épître date de l’an 56, mais
Paul précise qu’il cite ce qu’on lui a enseigné, ce qui renvoie évidemment à
une époque antérieure, vraisemblablement au séjour que l’apôtre fit à
Jérusalem après sa conversion2. Voici le texte :
« Je vous ai transmis en premier lieu ce que j’avais reçu moi-même :
Christ est mort pour nos péchés selon les Ecritures. Il a été enseveli, il est
ressuscité le troisième jour, selon les Ecritures. Il est apparu à Céphas, puis
aux douze. Ensuite il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois  ; la
plupart sont encore vivants et quelques-uns sont morts. Ensuite il est apparu
à Jacques, puis à tous les apôtres.  » Il s’agit d’un credo, une ancienne
confession de foi récitée dans la primitive communauté chrétienne de
Jérusalem. Paul y a sans doute ajouté le commentaire précisant que
plusieurs des cinq cents sont encore en vie, ainsi que la mention de
l’apparition dont il a été l’exceptionnel et dernier bénéficiaire.
Le contenu de ce credo est tout à fait remarquable : il est seulement
christologique  – pas de mention du Dieu créateur, non plus que du saint
Esprit. Rien sur la naissance du Christ, sur son enseignement, son retour et
son jugement eschatologiques. Rien sur la « doctrine chrétienne » : Eglise,
pardon des péchés, résurrection des morts, vie éternelle. Ne sont
mentionnés que la mort de Jésus, l’ensevelissement et la résurrection. En
tout une vingtaine de mots en français comme en grec, articles compris  !
Vient ensuite l’énumération des apparitions qui occupe une place double ce
qui ne laisse pas d’étonner, voire de gêner car nous ne savons trop que faire
de ces manifestations religieuses tellement extraordinaires que nous en
écartons généralement jusqu’à l’éventualité au nom de notre logique
humaine moderne. L’insistance du vieux credo sur les apparitions demande
donc une explication.

Comment dire la résurrection ?

Comment peut-on rendre compte de la résurrection  ? A cette


question il n’y a que deux réponses
Ou bien elle est racontée. C’est ce que fait l’Evangile de Pierre, un
apocryphe judéo-chrétien des années 200, d’après lequel les soldats de
garde au tombeau racontent ce qu’ils ont vu  : le tombeau s’ouvre et deux
hommes brillant d’un éclat intense y entrent. Peu après  :  «  Du tombeau
sortirent trois hommes et les deux soutenaient l’autre et une croix les
suivait. Et la tête des deux atteignait jusqu’au ciel, alors que celle de celui
qu’ils conduisaient par la main dépassait les cieux ». Alors une voix céleste
demande  : « As-tu prêché à ceux qui dorment (les morts)  ?  » Et c’est la
croix qui répond : Oui3 !
Ou bien ce sont les apparitions de Jésus ressuscité qui manifestent
que le crucifié est vivant. Les témoins de ces apparitions rapportent ce
qu’ils ont vu et entendu. Ils jouent le même rôle que les évangélistes qui
racontent ce que Jésus a fait et dit. Il n’est donc pas a priori étonnant que
leur témoignage soit traité de manière comparable  : comme les évangiles,
ils appellent à la foi. Comme eux, leur témoignage n’a de valeur que si de la
vue ou de l’audition, on en vient à croire. Voilà pourquoi le vieux credo
attache tant de prix aux premières apparitions du ressuscité, imitant en cela
les évangiles de Matthieu, de Luc et de Jean qui consacrent à les raconter
une place considérable  : cinquante-six versets chez Jean  ; cinquante-trois
chez Luc.
Il faut maintenant présenter aussi précisément que possible ces
textes en suivant à peu près un ordre chronologique.

Marc 16.1-8

L’évangile de Marc dans son état premier s’arrête au verset 8 du


dernier chapitre. Les versets 9 à 20 ne figurent pas dans les meilleurs
témoins manuscrits. Dans certains autres le copiste précise même, au
moment d’ajouter les versets 9-20, que le verset 8 marquait la fin de
l’évangile. Plusieurs auteurs anciens expriment la même opinion. De fait, la
finale est un résumé des récits d’apparitions mentionnés par les autres
évangiles, à quoi s’ajoutent des allusions à des événements rapportés dans
le livre des Actes.
Le texte primitif raconte la démarche de trois femmes qui, au matin
du dimanche de Pâques, trouvent le tombeau vide. Un ange leur révèle que
Jésus est ressuscité et il leur ordonne d’aller dire aux disciples et à Pierre
que le ressuscité les attend en Galilée. Or les femmes, épouvantées,
s’enfuient et ne disent rien à personne ! Le tombeau vide n’est donc pas une
preuve de la résurrection. Seule une manifestation du ressuscité lui-même
peut amener à une certitude. Or l’apparition n’est pas racontée. L’évangile
de Marc se clôt donc sur un appel à la foi, celle des femmes, comme celle
de tous les lecteurs dont nous sommes. La foi ne se démontre pas, le récit
s’achève sur un constat objectif auquel il appartient à chacun de donner un
sens.

Matthieu 28

L’évangile de Matthieu reprend le récit de Marc, mais il lui donne la


conclusion attendue : Les femmes courent porter la nouvelle aux disciples.
En chemin, Jésus leur apparaît et c’est lui qui promet la rencontre en
Galilée. Les onze disciples y vont donc. Jésus les y attend et leur dit :
« Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, de
toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils
et du saint Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et
moi je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps »4.
Luc 24

Le dimanche matin, trois femmes trouvent le tombeau vide. Deux


anges leur annoncent la résurrection de Jésus conformément à ce qu’il avait
dit lorsqu’il était en Galilée. Elles rendent compte aux onze qui ne les
croient pas. Pierre va constater que le tombeau est vide, mais il ne fait que
s’en étonner.
Deux disciples se rendent à Emmaüs. En chemin, Jésus les rejoint
sans qu’ils le reconnaissent. Ils lui disent leur désarroi devant la mort de
leur maître. Des femmes ont bien rapporté que des anges leur avaient assuré
que Jésus était ressuscité, mais lui-même personne ne l’a vu. A l’étape,
Jésus prend le pain, prononce la bénédiction, le rompt et le partage avec ses
disciples. Le repas prend ainsi le caractère d’une eucharistie. C’est alors que
les deux compagnons reconnaissent leur maître. Mais l’assurance de la
présence du ressuscité doit aussitôt compter avec son absence physique. Ils
rejoignent à Jérusalem les onze qui proclament leur foi en la résurrection :
Jésus est apparu à Simon !
Et voici que Jésus est au milieu d’eux, il se fait reconnaître : c’est
bien lui avec les marques de la crucifixion. Il mange avec eux du poisson
grillé, leur explique les prophéties de la Passion, de la résurrection ainsi que
de la prédication universelle (en commençant par Jérusalem) de la
conversion et du pardon des péchés. Il annonce qu’il va leur donner le saint
Esprit promis par le Père. Puis, les emmenant à Béthanie, il les bénit et, ce
faisant, est emporté au ciel.

La fin du quatrième évangile

Il faut examiner séparément les deux derniers chapitres 20 et 21. Le


lecteur se convaincra aisément de la nécessité de cette distinction. Voici les
deux derniers versets du chapitre 20 :
«  Jésus a opéré sous les yeux de ses disciples bien d’autres signes
(miracles) qui ne sont pas consignés dans ce livre. Ceux-ci l’ont été pour
que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en
croyant, vous ayez la vie en son nom »5.
En vérité c’est là une parfaite conclusion du quatrième évangile. Or
le chapitre suivant poursuit, sans reprendre haleine, en racontant
l’apparition de Jésus aux disciples pêchant sur le lac de Tibériade et il se
termine avec une nouvelle conclusion qui rappelle que si l’on voulait
raconter tout ce que Jésus a fait, aucune bibliothèque ne suffirait à contenir
les livres d’une pareille collection6. L’explication de ce doublon est assez
évidente : l’évangile de Jean s’est d’abord terminé avec le chapitre 20. Dans
une deuxième édition, l’auteur a éprouvé la nécessité de rajouter l’épisode
Galiléen, nous verrons bientôt pourquoi.

Jean 20

C’est le matin du dimanche pascal. Marie de Magdala se rend au


tombeau qu’elle trouve vide. Elle avertit Pierre et un autre disciple, celui
que Jésus aimait et que nous appellerons Jean, suivant une identification
plus que vraisemblable. Les deux hommes courent au tombeau. Jean y
arrive le premier. Sans entrer, il constate que le corps de Jésus n’est plus là.
Pierre le suit de près, il entre et voit tout. Alors Jean entre à son tour et de la
constatation il passe à la foi. Marie voit dans le sépulcre deux anges.
Derrière elle, arrive Jésus qu’elle ne reconnaît pas. Il l’appelle par son nom
et c’est la révélation. Jésus lui demande de transmettre ce message  : il va
monter vers son Père.
Le soir du même jour, les disciples sont réunis dans une maison
dont, par crainte des juifs, les portes sont verrouillées. Tout à coup, Jésus est
parmi eux. Comme le Père l’a envoyé, il les envoie avec l’aide du saint
Esprit avec mission de pardonner les péchés. Thomas n’était pas présent ce
soir-là. Il refuse de croire sans preuves à la réalité de la résurrection de
Jésus. Huit jours plus tard, Jésus apparaît au groupe au complet. Thomas se
rend à l’évidence, mais sa conclusion n’est pas : c’est vrai ! Il confesse sa
foi : mon Seigneur et mon Dieu !
Et le récit se termine sur cette béatitude : « Heureux ceux qui, sans
avoir vu, ont cru »7.

Jean 21

Avec ce dernier chapitre, le cadre est tout différent. Nous sommes au


bord du lac de Tibériade, donc en Galilée. Les disciples sont au nombre de
sept, parmi eux sont Pierre et Jean. Ils pêchent mais ne prennent rien. Jésus
apparaît sans qu’ils le reconnaissent. Sur son conseil, ils jettent leur filet et
cette fois, c’est une pêche miraculeuse. Alors les disciples le reconnaissent
et ils partagent avec lui un repas : Jésus leur donne le pain et les poissons.
C’était, dit le texte, la troisième apparition de Jésus à ses disciples.
La première est celle à Pierre évoquée brièvement par Luc8, la
deuxième est l’apparition aux onze9.
La fin du chapitre rapporte les prophéties de Jésus sur la mission
confiée à Pierre, sur son prochain martyre et sur le sort quelque peu
mystérieux réservé à Jean, l’auteur du quatrième évangile.

Marc 16.9-20

La rédaction de ce passage a dû s’imposer comme une absolue


nécessité  : d’une part la fin brutale des versets 1 à 8 qui annoncent une
apparition en Galilée, mais n’en dit pas un mot, d’autre part le silence des
femmes pourtant chargées par l’ange de transmettre aux disciples l’ordre de
se rendre en Galilée, tout cela laissait les lecteurs dans un sentiment
d’insatisfaction et même de frustration. Comme les autres évangiles et le
livre des Actes permettaient de combler cette lacune, la tentation était
grande de rédiger, à partir de ces documents, une vraie conclusion au
deuxième évangile.
Composée à partir de textes que nous connaissons bien, cette
conclusion ne présente de réel intérêt que sur les points où elle s’écarte de
ses sources, révélant ainsi l’intention secrète de son rédacteur : elle apparaît
dans l’insistance sur le doute suscité par les apparitions du ressuscité. Le
récit de Marie de Magdala n’est pas cru. Les deux disciples d’Emmaüs
connaissent le même accueil. Or ceci est contraire au récit de Luc10  : Les
onze leur disent  : «  c’est bien vrai  ! Le Seigneur est ressuscité et il est
apparu à Simon.  » Enfin apparaissant aux onze, Jésus leur reproche de
n’avoir pas cru ceux qui l’avaient vu ressuscité. Ceci n’est rapporté par
aucune de nos sources.
Donc, cette finale de Marc mentionne par trois fois l’incrédulité
opposée aux témoins des apparitions. Or de ces trois, seule la première est
fidèlement puisée dans un évangile. Les deux autres y sont ou contredites
ou ignorées. Elles expriment donc le souci du rédacteur de la finale
secondaire : il fait, dans sa vie d’Eglise, l’expérience d’un doute récurrent
sur la réalité de la résurrection et veut combattre cette incrédulité en
montrant que le ressuscité l’avait d’avance connue et condamnée.

Galilée ou Jérusalem ?

Tel est notre corpus documentaire. A le regarder dans son ensemble,


un classement élémentaire s’impose  : les apparitions ont lieu soit à
Jérusalem, soit en Galilée et les deux localisations ne sont jamais
coordonnées. Par exemple, il n’est jamais dit que les disciples vont en
Galilée et reviennent ensuite à Jérusalem. Il faut même avouer que cette
hypothèse est difficilement défendable et qu’elle ne trouve aucun appui
dans les textes. La conclusion est qu’il a existé dans le christianisme
primitif deux traditions indépendantes relatant les apparitions du ressuscité :
une tradition jérusalémite et une tradition galiléenne. Par « tradition » nous
entendons le contenu de ce qu’on pouvait écrire, raconter, lire et prêcher
dans un contexte historique, géographique, sociologique ou ecclésial
déterminé. Ces deux traditions sont-elles vraiment indépendantes ?
Oui, si l’on considère que la société du temps ne tient pas les
femmes pour des témoins à part entière. De fait, à part l’apparition aux
femmes, que Matthieu situe à Jérusalem, le premier évangile reste dans la
seule dépendance de la tradition galiléenne.
Oui encore si l’on se souvient que la finale « jérusalémite » de Marc
est secondairement ajoutée à l’annonce d’une apparition unique située en
Galilée.
Oui enfin si le récit Galiléen de Jean 21 n’apparaît que lors d’une
deuxième édition du quatrième évangile qui ne connaissait primitivement
que des apparitions à Jérusalem auxquelles était consacré le vingtième et
dernier chapitre de la première édition.
En sens contraire, on ne peut relever qu’un bien faible indice : Luc,
le meilleur témoin de la tradition jérusalémite, ne peut éviter de mettre dans
la bouche des anges une furtive mention de la Galilée11. Laissant à la
sagacité des meilleurs historiens le soin d’harmoniser ces deux traditions,
nous nous contenterons de les recevoir toutes deux en essayant d’écouter
ces deux témoignages et d’en discerner la spécificité. Il faut cependant
poser la question : pourquoi cette insistance sur ces deux localisations ? La
Galilée a vu le début du ministère terrestre de Jésus. On comprend qu’il ait
semblé naturel que le ressuscité veuille y inaugurer sa mission universelle.
Quant à Jérusalem, c’est la ville dans laquelle la première communauté
chrétienne s’est constituée, formant l’Eglise-mère où s’enracine le
développement mondial du christianisme. C’est Luc qui souligne le mieux
cette perspective  : la mission mondiale, écrit-il, doit commencer par
Jérusalem et c’est là que s’accomplira à la Pentecôte la promesse du don du
saint Esprit12.

Deux traditions, un message commun

Relevons les affirmations communes aux deux familles de récits :


–La constatation du tombeau vide.
–L’apparition aux disciples.
–Le cadre d’un repas. Comment ne pas relever que la formulation de
Jn 21.13 – «Il prend le pain et le leur donne. Il fit de même avec le
poisson  » – rappelle le récit de la multiplication des pains et des
poissons 13
qui, lui-même, évoque l’institution de l’eucharistie  ? Lc
24.30 est encore plus directement dépendant des récits de l’institution.
–Jésus envoie ses disciples pour une mission d’évangélisation
universelle avec l’aide du saint Esprit ou avec l’assurance de sa propre
présence éternelle 14
.
–L’importance accordée à l’apôtre Pierre  : il est, d’après 1 Co 15, le
premier témoin des apparitions du ressuscité, ce que Luc confirme 15
.
Selon Jean 16
, Pierre est le premier à pénétrer dans le sépulcre vide et,
en Galilée, Jésus par trois fois confie à Pierre la mission d’être le
berger de ses brebis 17
.
–Enfin, à plusieurs reprises, les récits insistent sur le fait que le
ressuscité n’est pas reconnu, même par ses familiers.
Y a-t-il une tradition primitive ?
Peut-on sinon dater ces deux traditions, du moins déceler ici ou là
des indices de rédaction tardive ? On le peut, mais ces indices existent dans
les deux traditions ! C’est assurément Matthieu et l’Eglise de son temps qui
parlent lorsque Jésus ordonne de baptiser au nom de la Trinité, après un
enseignement catéchétique18.
L’insistance sur les stigmates de la crucifixion, signes de la réalité
physique du ressuscité19, et le récit des doutes de Thomas20 évoquent
irrésistiblement les thèses des gnostiques docètes qui, dès la fin du premier
siècle, réduisaient la résurrection à un phénomène purement spirituel. Un
peu plus tard, Ignace d’Antioche citera, pour combattre ceux qu’il considère
comme de dangereux hérétiques, un texte d’un évangile apocryphe selon
lequel Jésus ressuscité dit à ses disciples : « Prenez, touchez-moi et voyez
que je ne suis pas un esprit sans corps »21.
La promesse de Jésus aux disciples concernant le pouvoir qui leur
sera donné de pardonner les péchés22 se rapporte plus naturellement à la vie
en Eglise qu’à celle du petit groupe des onze.
Lorsque Jésus prédit le martyre de Pierre23, il est difficile de dater
cette parole d’avant le règne de Néron, l’empereur qui fit exécuter Pierre.
Enfin l’insistance sur le rôle de pasteur des brebis de Jésus qui est confié à
Pierre fait facilement penser au ministère de l’apôtre à Rome et plus
généralement à son autorité reconnue dans de nombreuses Eglises24.

Conclusion

Il faut accepter paisiblement ces remarques. Elles n’amènent pas à


conclure à l’inauthenticité de ces récits. Ils ne sont pas inventés de toutes
pièces, ils nous disent seulement que ceux qui les ont mis par écrit,
plusieurs années après les événements, confessaient que leur vérité était
telle qu’ils en voyaient encore les effets dans la vie des Eglises de leur
temps. La résurrection pour eux n’était assurément pas un miracle relégué
dans un lointain passé, mais une réalité agissant jusque dans leur situation
présente et une prophétie éclairant tout leur avenir. Les apparitions
annoncent les rencontres sacramentaires avec le ressuscité. Matthieu insiste
sur le baptême et sur la fidélité à laquelle conduit l’enseignement de Jésus,
relayé par l’Eglise à travers le monde. Luc et Jean évoquent les repas
eucharistiques des chrétiens. Jean annonce le destin de Pierre, chef d’Eglise
et martyr. Tous promettent la présence assurée du Christ ou du saint Esprit.
C’est pourquoi l’histoire de l’Eglise s’ouvre sur une appropriation
de la résurrection. Ce que nous considérons comme des développements
ultérieurs et donc secondaires peuvent être regardés comme les visages pris
par la foi de l’Eglise. Elles sont toutes des manières de croire à la
résurrection. Loin d’être une gêne pour le lecteur d’aujourd’hui, les récits
d’apparition sont la très précieuse assurance de se situer soi-même, avec
reconnaissance, dans la longue lignée de ceux qui croient que la
résurrection de Jésus est le fondement de leur foi, ce que l’apôtre Paul
proclamait déjà : « si Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est vide,
et vide aussi votre foi. » (1Co 15.14)

LA RÉSURRECTION DES MORTS

La résurrection dans l’Ancien Testament

L’Ancien Testament ignore presque totalement l’idée d’une


résurrection individuelle des humains. Les textes anciens qu’on cite parfois
à ce propos relèvent certainement d’une interprétation symbolique et
collective. Ainsi la prophétie d’Esaïe25  : «  Tes morts revivront, leurs
cadavres ressusciteront. Réveillez-vous, criez de joie vous qui demeurez
dans la poussière ». Qu’il s’agisse d’un langage imagé, on s’en convaincra
en lisant un peu plus haut que les morts ne revivent pas et les trépassés ne
se relèvent pas26. Dans le livre d’Ezéchiel, la célèbre vision des ossements
qui reviennent à la vie est à prendre dans le même sens : « Ces ossements,
c’est toute la maison d’Israël. Ils disent  : ‘Nos ossements sont desséchés,
notre espérance a disparu’ »27.
La première allusion claire à une résurrection personnelle se trouve
dans le livre de Daniel, l’un des plus tardifs de l’Ancien Testament  :
«  Beaucoup de ceux qui dorment dans le sol poussiéreux se réveilleront,
ceux-ci pour la vie éternelle, ceux-là pour l’opprobre, pour l’horreur
éternelle  »28. Plus tard, le judaïsme rabbinique acceptera l’idée de
résurrection des personnes, mais il la concevra de manière très matérielle,
comme le retour aux conditions concrètes de l’existence terrestre. C’est
bien pourquoi cette perspective est contestée et moquée par les Sadducéens
qui s’amusent à imaginer le sort futur d’un homme plusieurs fois remarié29.

L’Evangile de la résurrection
La réponse de Jésus à ces Sadducéens montre la nouveauté de son
message : la résurrection n’est pas un phénomène de simple physique, c’est
une réalité spirituelle : « Quand on ressuscite d’entre les morts, on ne prend
ni femme ni mari  »30. Et si Jésus parle du royaume de Dieu comme d’un
festin, c’est seulement l’image d’un bonheur promis : « Beaucoup viendront
du levant et du couchant prendre place au festin avec Abraham, Isaac et
Jacob dans le royaume des cieux »31.
Les affirmations de l’apôtre Paul vont dans le même sens  : les
comportements alimentaires n’ont qu’un temps qui est celui de la vie sur
terre32, ce qui ne signifie pas que les chrétiens peuvent se permettre
n’importe quelle conduite33.
Un texte de l’Apocalypse a pourtant donné lieu, mais à tort, à une
interprétation tout à fait matérialiste : les martyrs « revinrent à la vie avant
l’accomplissement des mille ans. C’est la première résurrection »34. Vers les
années 130 Papias, évêque de Hiérapolis, prend ce texte au pied de la lettre.
D’après Eusèbe « il dit qu’il y aura mille ans après la résurrection des morts
et que le règne du Christ aura lieu corporellement sur cette terre »35. C’est,
pour le même auteur, une preuve d’inintelligence que de ne pas avoir saisi
la valeur symbolique de la prophétie. De fait, le texte de l’Apocalypse veut
seulement annoncer une période au cours de laquelle les chrétiens fidèles
seront pleinement participants dès cette terre à la manifestation du règne de
la volonté de Dieu révélée en Jésus-Christ, autrement dit il s’agit du temps
de l’Eglise  ! La grande question qui se pose aussitôt est celle de la
temporalité ou plus exactement de la chronologie  : la résurrection est-elle
attendue pour les derniers jours du monde, ou bien a-t-elle une réalité
présente ?

La résurrection au présent

L’apôtre Paul développe à plusieurs reprises ce message


extraordinaire. Pour lui, le baptême met le chrétien en communion avec le
Christ mort et enseveli. Cette communion le fait participer à la résurrection
qui le conduit à mener, dès maintenant, une vie nouvelle36 : il est mort au
péché, mais vivant pour Dieu en Jésus Christ37. Quelle est la nature de cette
communion  ? Ce n’est ni un simple idéal, ni un rêve, ni même une
aspiration mystique, mais une certitude reposant sur le témoignage du saint
Esprit dont l’action efficace et sensible peut seule transformer les faibles
créatures que nous sommes en vrais enfants de Dieu  : «  L’Esprit atteste à
notre esprit que nous sommes enfants de Dieu »38. « Dieu envoie dans nos
cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : Abba, Père ! »39.
L’Evangile de Jésus insiste fortement sur cette actualisation de la
plus grande promesse que le Christ annonce au nom de son Père. Après la
mort de Lazare, sa sœur Marthe se désole, nullement consolée par la
certitude d’une résurrection au dernier jour. Jésus lui dit  : «  Je suis la
résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra  ; et
quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais »40. Et encore : « Celui qui
écoute ma parole et croit en celui qui m’a envoyé a la vie éternelle… Il est
passé de la mort à la vie »41. La vie ressuscitée est donc une réalité offerte
dès maintenant à la foi.

La résurrection au futur

Que la résurrection soit pourtant une espérance, c’est ce que les


premiers chrétiens envisagent très naturellement. Mais la surprise, qui va
jusqu’à l’incompréhension, est de découvrir que les mêmes auteurs qui
regardent la foi chrétienne comme l’ouverture présente à une vie nouvelle,
au-delà de la mort, n’ont aucune hésitation à parler de la résurrection au
futur.
Paul voit la création entière tendue vers la révélation des fils de
42
Dieu et les chrétiens eux-mêmes, qui pourtant connaissent la présence en
eux de l’Esprit, gémissent, attendant l’adoption, la délivrance pour le corps.
Car s’ils ont bien été sauvés, c’est en espérance43. L’espoir du chrétien est
de parvenir, s’il est possible, à la résurrection d’entre les morts44.
Jean met dans la bouche de Jésus une semblable promesse  :
«  L’heure vient où tous ceux qui gisent dans les tombeaux entendront sa
voix (celle du Fils de l’homme) et ceux qui auront fait le bien en sortiront
pour la résurrection qui mène à la vie ; ceux qui auront pratiqué le mal, pour
la résurrection qui mène au jugement »45.
Que faut-il comprendre  ? En Jésus, le royaume de Dieu s’est
approché des hommes. Il les appelle tous à être, dès maintenant, les témoins
de la vie nouvelle, ressuscitée, qu’il leur offre. C’est la nouvelle naissance,
l’œuvre du saint Esprit qui est maître du temps. C’est l’anticipation réelle,
mais donnée à la foi seule, d’une réalité vers laquelle toute l’humanité est
tendue et qui verra s’accomplir aux yeux de l’univers entier, celui du passé
et celui du futur, la promesse de Dieu en Jésus Christ, car il a tant aimé le
monde qu’il a donné son Fils afin que tout homme qui croit en lui ait la vie
éternelle46. Celui qui dès ici-bas fait l’expérience de cette nouveauté de vie
doit donc rester dans l’attente d’un accomplissement que seul Dieu
réalisera. C’est pourquoi les chrétiens qui, comme Hyménée et Philètos
cités dans la deuxième lettre à Timothée, «  se sont écartés de la vérité en
prétendant que la résurrection a déjà eu lieu  »47 sont regardés comme
infidèles à la foi chrétienne. Sans doute ne retenaient-ils qu’une résurrection
spirituelle lors du baptême et niaient-ils la résurrection eschatologique.

La résurrection, miracle de Dieu

Dire la résurrection présente et future n’est pas une inconséquence


logique. C’est simplement poser que, sur un sujet aussi capital, la seule
logique humaine ne peut rendre compte de l’œuvre de Dieu qui transcende
nos catégories temporelles. Car la transcendance peut visiter notre terre.
Voilà pourquoi quelques textes tentent d’exprimer – aussi bien qu’ils le
peuvent, mais toujours de manière trop imparfaite – cet Evangile qui
dépasse les possibilités des langages humains. Au jugement, dit Jésus selon
Matthieu, «  Les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de
leur Père »48. La tentative la plus aboutie se lit sous la plume de l’apôtre
Paul  : «  A la résurrection des morts, écrit-il, le corps semé corruptible,
ressuscite incorruptible… semé corps animal, on ressuscite corps
spirituel… Tous nous serons transformés… les morts ressusciteront
incorruptibles. Il faut en effet que cet être corruptible revête
l’incorruptibilité et que cet être mortel revête l’immortalité  »49. L’apôtre
avoue qu’il s’avance là sur un terrain où les certitudes humaines doivent
accepter de s’effacer devant les vérités de la foi. Encore peut-on remarquer
que Paul s’abstient sagement de parler de résurrection de la chair, alors que
le Symbole des apôtres (credo datant du 4ème ou 5ème siècle50) ne s’en prive
pas. La résurrection est promise au corps, c’est-à-dire à ce qui fait la réalité
– affective, comme raisonnable, psychologique comme morale – d’un être
dans son identité.
Les témoins des apparitions de Jésus ont la même réserve quant aux
modalités de la résurrection : ils ne reconnaissent pas facilement celui qui
pourtant était leur maître depuis de longs mois51 : la résurrection n’est pas
une réalité naturelle, elle n’est révélée qu’à la foi.
Le royaume de Dieu (des cieux, du Christ)

L’ANCIEN TESTAMENT

En de nombreuses occasions, les croyants de l’ancienne alliance


affirment que Dieu, le Dieu d’Israël, est un roi qui règne sur son peuple et
sur le monde. Si cette royauté n’est pas pour tous évidente, la foi la
confesse et la fin de l’histoire la manifestera universellement. «  Je suis le
Seigneur, votre Saint, celui qui a créé Israël, votre Roi… Je vais faire du
neuf… Je vais mettre en plein désert un chemin… pour abreuver mon
peuple, mon élu, peuple que j’ai formé pour moi et qui redira ma
louange »1.
Dès à présent, ce roi se révèle dans toute sa gloire au cours du culte.
Esaïe a la vision d’une célébration céleste et il tremble de peur car il a vu
« le roi, le Seigneur tout-puissant »2. Ce souverain céleste mandate les rois
d’Israël pour exercer en son nom le pouvoir. Parmi eux, David est le
premier qui soit roi ‘selon le cœur de Dieu’ et son règne est si marquant que
le Seigneur promet à sa descendance une royauté éternelle3.
Ces prophéties suscitent une attente messianique dont il faut préciser
qu’elle n’occupe qu’une timide place dans l’Ancien Testament. Esaïe est
l’un des prophètes qui annoncent le plus clairement la venue de celui dont
le règne verra l’instauration d’une paix sans fin. Sa royauté sera fermement
fondée « sur le droit et la justice dès maintenant et pour toujours »4. « Un
rameau sortira de la souche de Jessé (le père de David)… Sur lui reposera
l’Esprit du Seigneur… Le loup habitera avec l’agneau… Tout le pays sera
rempli de la connaissance du Seigneur »5. Ce sera l’accomplissement final
d’une histoire dont le jardin d’Eden était la prophétie.
Ces perspectives finiront par se dégager des limitations imposées
par les situations historiques et les aventures politiques pour s’épanouir
dans la transcendance. Daniel prophétise une éternelle royauté « donnée au
peuple des saints du Très-Haut  »6, mais il annonce aussi la venue d’un
personnage céleste, un Fils d’homme auquel est donnée une souveraineté
universelle7. Le bas-judaïsme reprend ce type de promesse8 qui ne contredit
en rien les prophéties eschatologiques de la royauté de Dieu lui-même  :
«  Roi des rois et Dieu de l’univers, ta divinité, ta royauté, ta grandeur
demeurent pour toujours aux siècles des siècles »9.

L’EVANGILE DU ROYAUME

L’évangile de Marc rapporte ce qu’il présente comme les premières


paroles publiques de Jésus  : «  Il proclamait l’Evangile de Dieu et disait  :
“Le temps est accompli et le royaume de Dieu s’est approché  :
convertissez-vous et croyez à l’Evangile” »10. Plutôt qu’une citation, c’est
là un résumé du message de Jésus. Le résumé est l’œuvre de Marc  : on
imagine mal Jésus qualifiant sa prédication d’Evangile. C’est l’Eglise
primitive qui emploie régulièrement le mot pour désigner la foi nouvelle.
Ceci dit, le résumé est certainement fidèle : le lecteur des évangiles a tôt fait
de s’en convaincre. L’annonce du royaume de Dieu a bien été au centre du
message de Jésus. Il est donc tout à fait important de comprendre ce qu’il a
voulu dire par là et qui tranche de manière si originale sur les prophéties de
l’Ancien Testament.

Royaume ou règne ?

La première question qui se pose est celle de la traduction : tous les


textes que nous serons amenés à examiner emploient un seul et même mot
grec  : basileia qui peut se traduire par règne, royauté ou royaume. Ce
dernier mot est généralement entendu dans un sens historique, voire
géographique (le Royaume Uni est la Grande Bretagne, l’Angleterre, centre
géographique et politique de ce qui fut l’empire britannique). Le mot a une
consonance concrète, objectivement constatable. Le règne peut bien se
référer à une période historique, mais il a le plus souvent un sens abstrait :
c’est l’exercice d’une autorité, d’un pouvoir généralement absolu – ne
parle-t-on pas du règne de la terreur ?
La difficulté est réelle. On en prend la mesure en lisant la Traduction
Œcuménique du Nouveau Testament : chaque fois que revient le mot, une
sérieuse réflexion a orienté les traducteurs vers l’un ou l’autre mot : en Mc
1.15, ils ont choisi de parler du Règne de Dieu qui s’est approché. Plus loin,
on lit  : «  A quoi allons-nous comparer le Royaume de Dieu  ?  »11. Ou
encore : « Il en viendra du levant et du couchant, du nord et du midi, pour
prendre place dans le Royaume de Dieu »12.
Traduire systématiquement par royaume le mot basileia, c’est
risquer de suggérer une compréhension qui enferme l’énoncé dans un
monde soumis aux impératifs de la temporalité et de la spatialité, ce qui
entraîne un rétrécissement du sens, voire un contresens : la chosification de
l’une des affirmations les plus fortes de l’action du Dieu tout puissant. C’est
sans doute là l’une des principales raisons qui ont poussé l’auteur du
quatrième évangile à éviter si constamment toute mention de la Basileia de
Dieu. L’exception la plus notable à cette règle est extrêmement
significative  ; Jésus dit à Pilate qui lui demande s’il est le roi des juifs  :
«  Ma Basileia n’est pas de ce monde  »13. Dès lors, il est clair que Jésus
exclut une compréhension objectivement historique. Malgré cette précision
capitale, le quatrième évangile s’est gardé, à une exception près14, de parler
du royaume de Dieu. Il privilégie à la place l’annonce de la vie éternelle15,
expression d’une promesse indissolublement liée à la réalité existentielle
des hommes.

Les mystères du royaume

Il est donc urgent de déterminer le contenu du concept de royaume


de Dieu : à quoi Jésus fait-il référence lorsqu’il parle du royaume et quels
souvenirs les évangélistes en ont-ils gardé ? Ecartons d’abord un problème
souvent allégué, mais qui n’a guère d’incidence sur le sens du mot. Là où la
plupart des auteurs du Nouveau Testament parlent du royaume de Dieu,
Matthieu se singularise en privilégiant presque exclusivement la formule  :
royaume des cieux. C’est évidemment une option délibérée, mais elle ne
semble pas induire une compréhension très originale.
En revanche, Matthieu nous offre une formule très prometteuse de
signification malgré son étrangeté : Jésus se réjouit de ce qu’il ait été donné
à ses disciples « de connaître les mystères du royaume des cieux »16. Il veut
dire qu’ils comprennent les paraboles qui comparent le royaume à un
semeur, à l’ivraie, à une graine de moutarde, au levain, à un trésor caché, à
une perle précieuse et à un filet de pêche. Ce sont des images forcément
approximatives parce qu’elles cherchent à rendre compte d’une vérité qui
dépasse les limites de l’entendement humain. Le royaume est toujours un
mystère et son secret n’est accessible qu’à ceux à qui cela est donné, par
Dieu bien entendu.
En lisant les évangiles, il est cependant possible de commencer à
percer le mystère : très vite le lecteur se convainc que le mystère recèle en
réalité une série de paradoxes dont il faut s’attacher à chercher
l’explication. Par souci de simplification, nous présenterons ces paradoxes
en les regroupant sous quelques titres généraux.

Le royaume : futur ou présent ?

Le plus évident de ces paradoxes est que le royaume est annoncé


comme futur et comme présent. Les prophéties de l’Ancien Testament
orientent naturellement vers un royaume promis pour la fin des temps et de
nombreux textes des évangiles confortent cette compréhension : « Que ton
règne vienne ! »17. Telle est la prière que Jésus enseigne à tous ceux qui le
prennent pour maître. Le royaume est donc à venir. Ou encore cette
prédiction  : «  Parmi ceux qui sont ici, certains ne mourront pas avant de
voir le royaume de Dieu venu avec puissance  ». Plus clairement encore,
Jésus promet aux Douze que, lors du renouvellement de toutes choses, ils
siégeront avec lui sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël18.
Lors du dernier repas, Jésus déclare qu’il ne boira plus du fruit de la vigne
jusqu’au jour où il le boira, nouveau, dans le royaume de Dieu19.
Ceci semble aller de soi, et pourtant de nombreux textes tiennent un
tout autre langage  : les Pharisiens voient que Jésus guérit en chassant les
démons et ils l’accusent de sorcellerie satanique. A quoi Jésus réplique que
puisque c’est en invoquant le saint Esprit de Dieu qu’il opère ces miracles
annoncés comme les signes de la fin, c’est donc que le royaume de Dieu est
arrivé sur eux et qu’il les a atteints20. Les disciples sont invités à continuer
cet étonnant ministère  : «  Guérissez les malades, leur dit Jésus, et dites-
leur  : ‘le royaume de Dieu est arrivé jusqu’à vous’  » et il poursuit en
prédisant que, malgré ces guérisons, ils seront souvent chassés «  mais,
sachez-le, le royaume de Dieu s’est approché »21. Le dernier verbe est celui
que, selon Marc 1.15, Jésus met au cœur de son Evangile : le royaume s’est
approché. Cette traduction littérale n’est fidèle qu’en apparence : la langue
grecque entend dans le temps verbal employé (le parfait) l’expression du
résultat présent d’une action passée. Autrement dit  : le royaume s’est
approché, c’est fait, donc maintenant il est là. La Traduction Œcuménique
de la Bible rend ainsi le texte de Luc 10.11 : « Pourtant, sachez-le, le Règne
de Dieu est arrivé », ce qui est une bonne traduction22. Tel est bien le sens
du résumé programmatique de Marc. Citons pour terminer cette parole de
Jésus : « Le royaume de Dieu est parmi vous »23.
Tel est le premier des paradoxes annoncés  : pour Jésus, selon les
évangiles, le royaume de Dieu est attendu pour un avenir parfois très
proche, parfois rejeté dans un futur plus lointain et cependant Jésus affirme
nettement que le royaume est une réalité actuelle. Une remarque suggère la
solution du problème : dans les deux cas (futur et présent), la personne de
Jésus se trouve au centre de l’affirmation. Laissons à cette conclusion son
caractère d’imprécision qui se corrigera peu à peu et retenons dès
maintenant que le premier paradoxe révèle, au-delà d’une incohérence
apparente, une profonde unité  : le royaume dont la révélation finale est
attendue par tous, est une réalité dont la présence de Jésus atteste l’actualité.

Le royaume : un cadeau ou des devoirs ?

Selon Marc24, la proclamation de la venue du royaume entraîne


aussitôt un appel à la repentance, ou à la conversion : le grec metanoia et le
verbe de même racine ont les deux sens. Se convertir, c’est changer de vie,
s’efforcer d’obéir à la volonté de Dieu et donc entreprendre une vie qui veut
être fidèle et suivre le Christ : être un humble serviteur et non un supérieur
arrogant25 ; s’astreindre à des renoncements difficiles26 ; ne pas craindre de
confesser le Christ27  ; s’engager avec décision et persévérer avec
constance28  ; renoncer à bien des désirs et des ambitions29  ; rechercher
avant tout la justice de Dieu30 ; ne pas se contenter d’être fidèle en paroles
mais agir en conséquence de sa foi31.
Ce message est souvent repris par les premières Eglises dont
l’enseignement catéchétique n’hésite pas à énumérer les conduites
incompatibles avec une vie chrétienne et affirme que ceux qui agissent ainsi
n’hériteront pas du royaume de Dieu32. Cette fidélité demandée est parfois
comparée à un combat et c’est peut-être en ce sens qu’il faut comprendre la
mystérieuse parole de Jésus  : «  Le royaume des cieux est l’objet de
violence, les violents s’en emparent »33.
Mais à côté de ces exhortations à une nécessaire militance,
résonnent dans les évangiles des invitations très ouvertes, l’annonce d’un
royaume qui est le don gratuit de Dieu et dont l’épanouissement ne dépend
aucunement de l’effort des hommes : « Jésus disait : ‘Il en est du royaume
de Dieu comme d’un homme qui jette la semence en terre. Qu’il dorme ou
qu’il soit débout, la nuit et le jour, la semence germe et grandit, il ne sait pas
comment. D’elle-même (en grec automatè) la terre produit d’abord l’herbe,
puis l’épi, enfin du blé plein l’épi »34. Il faut accueillir le royaume comme
un enfant, c’est la seule condition pour y être admis35 ; le royaume est un
don gracieux du Père36  ; c’est comme un festin royal auquel tous les
hommes sont invités37.
La profonde unité de ces deux volets apparemment inconciliables se
trouve sans doute dans la peinture du jugement dernier38. Si l’idée du
royaume y est présente, le mot lui-même n’apparaît pas  : ceux qui sont
admis à la vie éternelle n’ont pas eu conscience d’être parvenus à la
perfection morale en suivant les lois de Dieu. Ils ont « simplement » obéi à
la loi d’amour envers tous ceux qui en ont besoin. Ce faisant, ils suivaient le
Christ sans même en avoir une claire conscience. Telle est la réponse
adéquate à l’invitation que Dieu adresse à tous les hommes  : la porte du
royaume leur est ouverte, mais on n’entre pas sans honorer visiblement par
sa conduite (l’habit de noce de l’invité au festin des noces du fils du roi39)
celui qui invite et qui est le roi. Nous avons là un début de réponse à la
question posée par ce nouveau paradoxe. Cette fois encore la solution ne
peut être trouvée sans que la personne et l’enseignement de Jésus
n’occupent la première place dans l’interprétation.
Mais il faut faire un pas de plus  : dans les Béatitudes, seules deux
propositions parlent explicitement du royaume :
–« Heureux les pauvres de cœur, le royaume des cieux est à eux »,
–«  Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, le royaume des
cieux est à eux » 40
.
Il est clair cependant que le bonheur chaque fois proclamé n’est pas
étranger au royaume promis. Il faut donc considérer avec attention ce texte
admirable et poser la question cruciale  : qui, sur la terre, peut prétendre
avoir vécu et vivre de manière à recevoir les bénédictions du royaume  ?
Cela n’est vrai que d’un seul homme : Jésus. Il est donc pour nous la figure
même du royaume. C’est la conviction qu’exprime Origène41 et la
puissance de cette révélation pousse notre auteur à oser des néologismes
hautement significatifs. Amené à parler du Fils de Dieu, il poursuit : « C’est
lui le roi des cieux, il est la sagesse en personne, la justice en personne, la
vérité en personne et même le royaume en personne (en grec
autobasileia) ».

Le royaume de Dieu ou le royaume du Christ ?

A la lumière des remarques précédentes, l’explication de l’hésitation


qui attribue le plus souvent le royaume à Dieu, mais parfois au Christ, ne
pose plus de problème insoluble.
A Rome, Paul proclame le royaume de Dieu et enseigne tout ce qu’il
sait sur Jésus42. Philippe annonce l’Evangile du royaume de Dieu et du nom
de Jésus43. Dans la deuxième lettre à Timothée44, Paul écrit que le Christ
jugera les vivants et les morts au nom de sa manifestation et de son règne.
Ailleurs45, il est rappelé aux chrétiens que Dieu les a arrachés au pouvoir
des ténèbres et les a placés dans le royaume du Fils de son amour. Ou
encore : c’est la piété et l’amour qui ouvrent la porte du royaume éternel de
notre Seigneur Jésus Christ46. Enfin, l’Apocalypse proclame que le
royaume du monde est dès aujourd’hui à notre Seigneur et à son Christ47.
Plus précisément encore  : « Voici le temps du salut, de la puissance et du
règne de notre Dieu et de l’autorité de son Christ  ; car il a été précipité,
l’accusateur de nos frères… ils l’ont vaincu par le sang de l’agneau »48. La
victoire a été remportée sur Satan lorsque le Christ a, selon la volonté de
Dieu, donné sa vie sur la croix. Les chrétiens s’approprient cette victoire
qui est l’instauration sur terre du royaume que l’on peut donc attribuer aussi
bien à Dieu qu’au Christ.
C’est cette certitude qui éclaire une phrase de Paul qu’il faut se
garder de comprendre comme la description d’un processus historique  :
quand viendra la fin, le Christ « remettra la royauté à Dieu le Père »49 . En
la personne de Jésus et dans son œuvre, le royaume de Dieu se révèle sur la
terre comme le royaume du Christ. L’accomplissement final montrera au
monde entier l’unité profonde du plan divin.
Cette conclusion se situe au confluent de deux lignes théologiques :
Jésus prêche le royaume et il est le roi-messie. En effet si, face à ses
disciples50 ou à Pilate51, Jésus marque une réelle réserve à l’égard d’un titre
que tous comprennent comme celui d’un roi politique, la foi du larron sur
l’une des croix du Golgotha ne s’embarrasse pas de ces prudences  : il
supplie Jésus de se souvenir de lui lorsqu’il viendra comme roi52.
Une dernière remarque : le lecteur aura noté que c’est généralement
dans les textes les plus tardifs qu’il est question du royaume du Christ. Cela
n’est pas dû au hasard : avec les années qui passent, les chrétiens ont pris
une toujours plus nette conscience que leur foi se fondait sur la confession
de la Seigneurie du Christ.

Le royaume et l’Eglise

Le développement historique de cette foi s’est parfois poursuivi au


risque de s’éloigner du message de Jésus : on trouve dans l’Apocalypse des
affirmations qui, si elles peuvent être comprises dans le droit fil de
l’Evangile, peuvent aussi annoncer une théologie plus suspecte :
Jésus Christ, le prince des rois de la terre a fait des chrétiens un
royaume53. A la fin, ils règnent avec lui, d’abord pour mille ans54, ensuite
pour toujours55. De là à identifier le royaume à l’Eglise il n’y a qu’un pas,
que l’Apocalypse se garde de franchir et dont on ne saurait trouver l’amorce
dans la promesse de Jésus à Pierre : « Je te donnerai les clefs du royaume
des cieux »56.
Le sacrifice

L’ANCIEN TESTAMENT

Pourquoi les sacrifices ?

L’histoire et l’interprétation des pratiques sacrificielles en Israël


présentent de grandes difficultés. En effet, les livres de l’Ancien Testament
couvrent une très longue période. De plus ils ont conservé la trace de rites
sacrificiels hérités des populations cananéennes. C’est dire que les textes
attestent des usages qui n’ont pas du tout le même âge. Il faut donc compter
avec une grande variété plus qu’à une unité. Enfin les renseignements les
plus précis nous sont fournis par des textes d’origine sacerdotale qui datent
en gros de l’exil et se montrent plus soucieux d’assurer la transmission
exacte des rites que d’en donner l’interprétation. Celle-ci doit donc être
retrouvée en filigrane dans les textes, sans que cette recherche ne tourne à la
devinette.
Ceci dit, il n’est pas impossible de comprendre ce qui est le
fondement des pratiques sacrificielles en Israël  : c’est toujours une affaire
de communion entre Dieu et les hommes. Dieu vient à eux au Sinaï et c’est
pour les bénir1. Il instaure là un type de relations qui met des humains dans
un contact possible avec la sainteté. Or toute impureté, de quelque nature
qu’elle soit, souille cette communion et la rend même impossible. Le
sacrifice a pour fonction de la restaurer  : il faut renouer les relations
privilégiées entre Dieu et son peuple. On ne s’étonne donc pas de constater
que le sacrifice aboutit souvent à la célébration d’un repas auquel Dieu est
réputé participer : « C’est seulement devant le Seigneur ton Dieu que tu en
mangeras… tu seras dans la joie devant le Seigneur ton Dieu »2.

Différents sacrifices
Comment le sacrifice parvient-il à cette restauration  ? Il compte
uniquement sur le pardon de Dieu qui se manifeste par son acceptation du
sacrifice, agrément assuré par l’action et la parole des prêtres. Il convient ici
d’examiner quelques sacrifices particuliers – encore qu’il ne soit pas établi
que cette distinction soit ni très ancienne, ni même très précise !
–Il y a d’abord l’offrande soit d’animaux (souvenir de la période
nomade), soit de fruits de la terre cultivée. En hébreu, c’est la Minha.
Ce que Dieu lui a donné, l’homme manifeste qu’il en est reconnaissant
et qu’il rend hommage au créateur 3
. L’offrande est souvent faite de la
partie la plus précieuse du bien : prémices, éventuellement sanglantes.
–Certains sacrifices sont offerts pour effacer les effets des fautes
humaines. Parmi les plus importants (les plus souvent cités), il faut
mentionner le sacrifice pour le péché (en hébreu Hattat
, mot que l’on
traduit souvent par : sacrifice d’expiation) et le sacrifice de réparation (
Asham
, mot que les traducteurs de la Traduction Œcuménique de la
Bible ont avec raison rendu par : sacrifice d’absolution).

Comment le sacrifice agit-il ?

Comment ces rites sacrificiels sont-ils réputés effacer le péché ?


Il faut accepter de remettre en cause une explication de l’expiation
devenue traditionnelle dans le christianisme depuis le Moyen Age : le péché
susciterait la colère de Dieu. Celle-ci ne pourrait être apaisée que par des
sacrifices de valeurs différentes, correspondant à la gravité de la faute.
Ainsi achèterait-on, d’une certaine façon, le pardon. Le péché mortel ne
serait racheté que par une mort, finalement par la mort du Christ  : c’est
comme le paiement d’une dette.
Ce système parfaitement logique brosse de Dieu une image vraiment
singulière  : Dieu se bornerait à appliquer les articles d’un code ayant tout
prévu et mesuré, aussi bien sa volonté que sa colère et sa grâce. Telle n’est
pas la conception de Dieu qui ressort des textes de l’Ancien Testament.
Rappelons que le péché est d’abord regardé comme ce qui, par son
impureté, rend impossible la communion de l’homme avec le Dieu très
saint. Cela résulte souvent d’une action délibérément contraire à la loi
divine. Le coupable est l’homme qui a agi, mais la faute contamine tout son
environnement social. Il arrive cependant très fréquemment que la violation
des lois de sainteté soit faite par ignorance des commandements. Les
conséquences sont néanmoins les mêmes. Dans tous les cas il s’agit de
restaurer une communion menacée, non en suivant un code dont les
prescriptions sont précisément calculées pour apaiser la colère de Dieu,
mais par des actions destinées à supprimer et la cause et l’effet du mal.
C’est dire que l’expiation ne concerne pas premièrement Dieu afin qu’il
s’apaise, mais l’homme pour qu’il puisse à nouveau paraître devant son
Dieu.

Pourquoi des sacrifices sanglants ?

Pourquoi faut-il pour cela que du sang soit versé sur l’autel ? Deux
textes peuvent nous aider à comprendre :
–Lévitique 17.11  : «  La vie d’une créature est dans le sang. Moi (dit
Dieu) je vous l’ai donné sur l’autel pour l’absolution de votre vie. En
effet le sang procure l’absolution parce qu’il est la vie ». La phrase est
difficile, mais on comprend que le pouvoir expiatoire ne réside pas
dans le sang en tant que tel, mais dans la vie dont il est le réceptacle.
Voilà pourquoi c’est bien la vie qui est bénéficiaire de l’expiation.
C’est elle dont les conditions sont changées. Autrement dit, c’est elle
qui est pardonnée. Le sang de l’animal symbolise sa vie comme celle
du coupable (disons plutôt celle du fautif). Ce sang est présenté à Dieu
pour qu’il décide d’effacer la faute et ses conséquences et pour que,
par grâce, il restaure les conditions d’une parfaite communion entre sa
sainteté et la faiblesse des hommes.
Un deuxième texte permet de poursuivre la découverte du rite
sacrificiel et de sa signification profonde :
–Deutéronome 21.1-9 : il y a eu meurtre mais, bien que l’auteur en soit
inconnu, tout le pays alentour en est gravement souillé. On sacrifie une
génisse. Les représentants des habitants du voisinage déclarent qu’ils
ne sont pas responsables de ce sang versé, puis ils prient en ces mots :
« Seigneur, absous Israël, ton peuple que tu as racheté, et ne laisse pas
l’effusion de sang innocent au milieu d’Israël, ton peuple. Et ils seront
absous de l’effusion du sang » 4
.
Le sang de la victime est pour tout le pays une menace redoutable
que seule la décision de Dieu peut écarter, redonnant ainsi au peuple
d’Israël son statut de peuple de Dieu, c’est-à-dire de peuple en communion
avec Dieu. Ainsi c’est à Dieu que, dans le cadre d’une action sacrificielle,
on demande de réaliser l’expiation, autrement dit de pardonner. Dieu est
donc l’acteur et Israël le destinataire du salut.
La sévère condamnation des sacrifices par les prophètes vise surtout
la perversion qui transforme un rite d’appel à la grâce de Dieu en une
pratique assurant automatiquement son pardon et dispensant d’une
obéissance véritable  : «  Que me fait la multitude de vos sacrifices, dit le
Seigneur ? Les holocaustes… j’en suis rassasié. Le sang des taureaux… je
n’en veux plus… Cessez de faire le mal. Apprenez à faire le bien. Mettez au
pas l’exacteur, faites droit à l’orphelin… Si vos péchés sont comme
l’écarlate, ils deviendront blancs comme la neige.5 »

LE NOUVEAU TESTAMENT

Les évangiles synoptiques

Il n’est que très rarement question de sacrifices dans les évangiles ;


le sujet appartient visiblement à un univers jugé dépassé d’un double point
de vue : d’abord dans la ligne de la critique que les prophètes adressent à
une pratique seulement formelle des lois sacrificielles, ensuite et surtout
parce que les sacrifices appartiennent à une religion que l’évangile de Jésus
vient définitivement remplacer. Par deux fois Matthieu met dans la bouche
de Jésus une parole d’Osée6 : « C’est l’amour qui me plaît (dit le Seigneur)
et non le sacrifice  »7. Le second de ces passages est précédé d’une
affirmation de grande importance  : la présence de Jésus rend caduc le
temple et donc tous les commandements des lois rituelles8.
L’évangile de Marc raconte la rencontre entre Jésus et un scribe
étonnamment bien disposé à accueillir son message. Jésus résume toute la
loi juive en un double commandement : aimer Dieu et le prochain. Le scribe
approuve. Il appartient à cette partie du judaïsme qui considère que la vraie
religion est spirituelle et non rituelle : « Très bien, Maître, tu as dit vrai : Il
est unique… l’aimer de tout son cœur… et son prochain comme soi-même,
cela vaut mieux que tous les holocaustes et les sacrifices  »9. Il est
intéressant d’écouter la réponse de Jésus : « Tu n’es pas loin du royaume de
Dieu »10. Le scribe a la sagesse d’accueillir le message des prophètes qui
demandent une obéissance spirituelle et non formelle. C’est bien ainsi qu’il
fallait comprendre la loi. Mais la loi n’était qu’une introduction à la
révélation parfaite apportée par le Christ dont l’Evangile annonce
l’irruption du royaume de Dieu. Le scribe n’en est pas loin, il est sur le
seuil, mais il n’est pas entré. Pour cela il faut plus qu’une simple sagesse, il
faut une conversion, il faut suivre Jésus. Ce bouleversement ne peut résulter
que de l’intervention de Dieu lui-même. Voilà pourquoi aucun des juifs
présents n’osait plus s’adresser à Jésus.
Venons-en au texte le plus significatif. Lors de l’institution de
l’eucharistie, selon Marc, Jésus prononce ces paroles : « Ceci est mon sang
(le sang) de l’alliance versé pour beaucoup  »11. Le texte de Matthieu est
semblable12. Luc et Paul ne sont pas vraiment différents13 : « Cette coupe
est la nouvelle alliance en mon sang ». Le sang de l’alliance fait clairement
allusion à la conclusion de l’alliance entre Dieu et son peuple14 : sur l’ordre
du Seigneur, Moïse fait sacrifier des taureaux dont il recueille le sang pour
en asperger le peuple en disant  : «  Voici le sang de l’alliance que le
Seigneur a conclue avec vous ». Faut-il conclure que Jésus voyait sa mort
comme un sacrifice  ? Ce n’est pas évident  : Jésus dit qu’à sa mort
commencera une nouvelle alliance, une nouvelle relation avec Dieu, une
nouvelle religion dont nous savons déjà qu’elle ne recourra plus aux
sacrifices. Pour une étude plus approfondie du texte, on se reportera à
l’article «  alliance  »  : la référence «  sacrificielle  » se double d’une
interprétation de la prophétie du Serviteur souffrant portant les péchés de
beaucoup15. Ainsi, même s’il est fait allusion au sacrifice, cela a paru
insuffisant au point qu’il a fallu la doubler par une référence à une autre
prophétie.

Les autres écrits du Nouveau Testament

Lettres de Paul
L’analyse des lettres de Paul présente une réelle difficulté : la lettre
aux Ephésiens, si elle est bien de l’apôtre lui-même, est en tout cas l’une
des pièces les plus tardives du corpus paulinien. Or, on y trouve les plus
claires affirmations de l’interprétation sacrificielle de la mort du Christ. Il
faut donc examiner à part les textes de cette épître.
Nous commencerons donc par interroger les lettres
incontestablement pauliniennes et qui, du reste, sont datables de la période
de pleine activité de l’apôtre. Dans l’épître aux Romains16, Paul écrit que
Dieu a destiné Jésus Christ à servir d’expiation (littéralement  : de
propitiatoire) par son sang. C’est une évidente allusion aux rites du Grand
Pardon17. Le propitiatoire est le couvercle d’or de l’arche de l’alliance18.
Après avoir sacrifié un taureau pour ses propres péchés, Aaron égorge un
bouc pour le péché du peuple et asperge le propitiatoire avec le sang. C’est
un rite d’absolution de tous les péchés des fils d’Israël. Cependant, c’est
avec l’envoi d’un deuxième bouc, le bouc émissaire, que tous les péchés
des fils d’Israël sont véritablement pardonnés, car l’animal les emporte au
désert. Paul rapproche donc clairement la mort du Christ d’un sacrifice
d’expiation. Toutefois il faut remarquer que le rapprochement reste dans le
vague et se borne finalement à évoquer en bloc les rites du Grand Pardon
pour expliquer que la mort du Christ signifie pour les croyants le pardon de
leurs péchés. Ce texte ne peut donc être retenu comme preuve incontestable
d’une interprétation sacrificielle de la crucifixion. Celle-ci est plutôt
regardée comme l’accomplissement de la liturgie annuelle du Grand Pardon
comprise comme une prophétie.
Un autre texte des Romains19 est souvent invoqué pour justifier une
interprétation sacrificielle de la mort du Christ : « A cause du péché, Dieu
en envoyant son propre Fils dans la condition de notre chair de péché, a
condamné le péché dans la chair ». « A cause du péché » ne doit pas être
traduit, comme c’est quelquefois le cas, « en sacrifice pour le péché ». La
meilleure preuve est qu’ici l’apôtre utilise un vocabulaire juridique et non
sacrificiel pour expliquer la rédemption  : c’est d’une condamnation du
péché qu’il est question. Plusieurs textes se réfèrent aux prophéties du
Serviteur dans lesquelles Esaïe annonce la venue d’un envoyé du Seigneur
dont la mort « pour beaucoup » apportera le pardon20 : il meurt pour eux,
par substitution. Ainsi Romains 5.15  : «  La grâce accordée en un seul
homme, Jésus Christ, s’est répandue en abondance sur beaucoup ».
L’apôtre explique parfois la rédemption grâce à des allusions
pascales : « Christ, notre Pâque, a été immolé »21. Mais si l’on se reporte au
récit de la première Pâque22, il faudra convenir que le sang de l’agneau
pascal ne provient pas d’un sacrifice d’expiation  : il montre à l’ange
exterminateur les maisons à épargner. Les liturgies pascales célèbrent la
libération de l’esclavage égyptien et le début de l’histoire du peuple de
Dieu. Il n’est nullement question d’expiation.
Enfin l’apôtre parle souvent de la mort du Christ comme d’un
événement unique auquel il faut que le chrétien communie : « C’est en sa
mort que nous avons été baptisés… nous avons été ensevelis avec lui…
totalement unis, assimilés à sa mort, nous le serons aussi à sa
résurrection »23. Et encore : « La coupe de bénédiction que nous bénissons
n’est-elle pas une communion au sang du Christ ? »24 , « Avec le Christ je
suis un crucifié. Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est Christ qui vit en
moi »25.
Les textes jusqu’ici envisagés n’invitent pas à conclure que Paul a
regardé la crucifixion comme un sacrifice d’expiation. S’il lui arrive de
faire allusion à des rites sacrificiels, il montre plutôt le désir de recourir à
toutes les occasions d’élimination du péché qu’il peut trouver dans l’Ancien
Testament  : condamnation, communion avec le vainqueur du péché,
participation à la première Pâque, acceptation de compter parmi les
bénéficiaires de l’œuvre du Serviteur souffrant. Bref, c’est toute l’histoire
d’Israël qui se trouve récapitulée lorsque Jésus meurt sur la croix pour les
hommes. Qu’il soit aussi parfois question de sacrifice, comment s’en
étonner ? Mais il ne faut assurément pas voir là l’unique explication de la
rédemption.
C’est à la lumière de cette conclusion qu’il faut lire le texte des
Ephésiens 5.2 : « Le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même à Dieu pour
nous en offrande et sacrifice ». Encore faut-il remarquer que si le deuxième
terme (sacrifice) peut s’interpréter comme une expiation, le premier
(offrande) désigne souvent l’offrande de productions agricoles et qu’il
s’applique généralement à des rites d’hommage et de louange plutôt que
d’expiation.

Les écrits johanniques


Le texte de Jean 1.29 retient naturellement l’attention  : «  Voici
l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». On peut aussi traduire :
« qui porte, qui prend sur soi ». L’allusion à Esaïe 53.12 est alors évidente :
le Serviteur qui est mis à mort comme un agneau mené à l’abattoir porte les
péchés de beaucoup. Et quand l’évangéliste précise plus loin26 que pas un
des os du crucifié n’a été rompu, il se réfère explicitement au rituel
présidant à l’immolation de l’agneau pascal27.
L’Apocalypse parle du sang de l’agneau immolé qui a racheté des
hommes de toute tribu, langue, peuple et nation28, mêlant l’idée d’un
sacrifice à celle de l’agneau pascal dont le sang était le signe que Dieu se
donnait un peuple en le rachetant de l’esclavage. Dans la tardive première
épître de Jean, l’œuvre salvifique du Christ est clairement interprétée
comme un sacrifice pour le péché  : «  Le sang de Jésus… nous purifie de
tout péché  »29. Jésus est «  victime expiatoire pour nos péchés  »30. Dieu
nous a aimés, il a envoyé son Fils «  en victime expiatoire pour nos
péchés »31.

La première épître de Pierre et l’épître aux Hébreux


La première épître de Pierre qui demande aux chrétiens de recevoir
l’aspersion du sang du Christ32 et qui les dit « rachetés par le sang précieux
du Christ comme d’un agneau sans tache  »33 se réfère d’abord à la
cérémonie de conclusion de l’alliance34, ensuite à la libération pascale
marquée par l’immolation de l’agneau.
L’épître aux Hébreux pousse l’explication sacrificielle jusqu’à ses
limites dans le cadre d’une théologie qui interprète l’œuvre du Christ
comme l’accomplissement de la religion sacrificielle d’Israël : le Christ, à
la différence des grands prêtres, n’a pas eu besoin d’offrir des sacrifices
pour ses propres péchés, avant d’en offrir pour ceux du peuple. Il l’a fait
une fois pour toutes en s’offrant lui-même35. Par son propre sacrifice, il a
aboli le péché36.
Il faut donc conclure que, contrairement à ce qu’on affirme souvent,
l’interprétation de la crucifixion comme sacrifice d’expiation est loin
d’avoir dominé le christianisme primitif pour lequel le premier souci
semble avoir été de souligner de plusieurs manières que la rédemption est
l’accomplissement de différents événements ou prophéties. Comme il s’agit
toujours du pardon des péchés, l’évocation du sacrifice s’est imposée et la
crucifixion a fini par être assimilée à un sacrifice d’expiation.

APRÈS LE NOUVEAU TESTAMENT


Lorsqu’il s’agit de sacrifices offerts individuellement par chaque
chrétien, on retrouve la spiritualisation de la notion de sacrifice, entendu
comme l’offrande à Dieu du croyant qui veut consacrer toute sa personne au
service du Seigneur37.
Mais, parallèlement, apparaît l’interprétation de l’eucharistie comme
célébration du sacrifice du Christ sur la croix. Bientôt l’eucharistie elle-
même sera comprise comme la répétition de ce sacrifice.
Justin appelle l’eucharistie ‘sacrifice’38, Irénée y voit « l’oblation de
la nouvelle alliance  » et un «  sacrifice pur  »39. Clément d’Alexandrie
emploie le mot d’offrande40 et Tertullien parle de l’eucharistie comme d’un
sacrifice ou d’une oblation41.
La sainteté

L’ANCIEN TESTAMENT

Dieu saint

Le sens premier de la racine hébraïque Qadash (sanctifier. Qadosh :


saint) est sans doute « séparer », dans une acception particulière : ce qui est
sacré doit être scrupuleusement séparé de ce qui est profane. Et ce, pour
deux raisons :
–la sainteté est une force redoutable elle représente pour le profane une
menace potentielle dont il faut se protéger.
–symétriquement, la sainteté doit être protégée de la souillure apportée
par le profane, marqué qu’il est par l’impureté et le péché. Des règles
rituelles, minutieusement spécifiées, permettent à ces deux domaines
de se rencontrer, voire de coexister.
Dieu est le Saint. On peut même dire qu’il est la sainteté. C’est
pourquoi il est le Tout-Autre, celui que l’homme ne peut même pas
connaître. Tel est le sens de la révélation à Moïse dans l’épisode du buisson
ardent1  : Dieu, mystérieusement présent dans le feu qui flambe dans le
buisson sans le consumer, refuse de donner son nom, même à celui qu’il
envoie. « Je suis qui je suis »2 ; cette phrase n’est pas seulement un jeu de
mots sur les quatre lettres (YHWH) du nom imprononçable, c’est d’abord,
au prix d’une étymologie aventurée (YHWH : « je suis »), l’affirmation que
Dieu est et doit rester pour l’homme un mystère. Il ne peut être enfermé
dans les catégories essentielles du monde terrestre, qu’elles soient spatiales
ou temporelles.
Un deuxième texte vient compléter cette révélation  : Es 6. Le
prophète Esaïe a l’exceptionnel privilège d’une vision dans laquelle il
contemple Dieu lui-même siégeant sur son trône. Sensible à ce qu’une
semblable scène a d’extraordinaire et même de scandaleux (l’homme ne
peut voir Dieu et vivre3), le judaïsme rabbinique interdit la lecture et
l’explication de ce passage en public.
On notera que cette vision exceptionnelle lève le voile au cours d’un
culte céleste qui reproduit la liturgie des cultes rendus sur terre par les
hommes. On y retrouve la Qedousha («  saint, saint, saint…  ») que les
liturgies chrétiennes emprunteront au judaïsme. Il faut donc comprendre
que c’est dans le cadre du culte que, miraculeusement, le Dieu saint se
laisse approcher. Le culte est l’occasion, rituellement organisée, de cette
rencontre a priori impossible. Il est la manifestation de l’incroyable volonté
du Dieu saint de rencontrer le monde profane des hommes.
Voilà pourquoi tout ce qui touche au culte est appelé saint  :
Jérusalem, la colline du temple, le temple avec ses prêtres et son mobilier,
et dans le temple le saint des saints dans lequel le grand prêtre lui-même ne
pénètre qu’une fois par an.

Le peuple saint

Le culte est possible parce que, au commencement de l’histoire,


Dieu a choisi de faire une alliance éternelle avec le peuple qu’il a choisi :
Israël. Abraham, le père de tous, a reçu de Dieu cette promesse4. Dès lors,
Dieu chemine avec son peuple à qui il confère le titre de peuple saint et
qu’il appelle à vivre conformément à cette sainteté : « Vous serez saints, car
je suis saint  »5. Lorsque le peuple ne respecte pas cette volonté, le Dieu
saint châtie ces profanateurs. Mais telle n’est pas la révélation première de
sa sainteté : Dieu est d’abord, en tant que « saint d’Israël », le sauveur et le
rédempteur  : «  Ainsi parle le Seigneur, celui qui vous rachète, le saint
d’Israël  »6. «  N’est-ce pas moi, le Seigneur, et nul autre n’est Dieu en
dehors de moi, un Dieu juste et qui sauve… »7. C’est dans l’histoire d’Israël
que Dieu manifeste sa sainteté qui, en ce sens, est un quasi synonyme de sa
gloire8. Les prophètes dégageront de cette certitude une foi d’une grande
profondeur spirituelle. On peut donc dire que la sainteté est une histoire et
non un état. Pourtant l’Ancien Testament conserve quelques souvenirs d’un
temps dans lequel la sainteté était conçue comme une réalité statique,
matériellement liée à des lieux ou des objets – ainsi l’histoire d’Ouzza qui
porte la main sur l’arche sainte pour l’empêcher de tomber et qui est
immédiatement foudroyé9.

Sainteté et amour

Israël s’est-il montré infidèle ? Mais, dit le Seigneur « je ne donnerai


pas cours à l’ardeur de ma colère, je ne reviendrai pas détruire Ephraïm  ;
car je suis Dieu et non pas homme, au milieu de toi je suis saint  : je ne
viendrai pas avec rage  »10. La promesse s’élargit  : la sainteté de Dieu se
révèle particulièrement dans l’amour qu’il a pour son peuple. «  Je vous
rassemblerai hors des pays où vous avez été dispersés. Par vous je
montrerai ma sainteté aux yeux des nations »11.

LE NOUVEAU TESTAMENT

La sainteté de Jésus

Nous ne connaissons qu’une seule parole de Jésus relative à la


sainteté de Dieu, mais elle est très significative : dans la grande prière que
le quatrième évangile nous a conservée, Jésus intercède pour ceux qui
croient en lui : «  Père saint, garde-les en ton nom… pour qu’ils soient un
comme nous sommes un… Consacre-les par la vérité… Je leur ai donné la
gloire que tu m’as donnée pour qu’ils soient un comme nous sommes
un »12. Il faut donc comprendre que, selon l’évangile de Jean, Jésus se dit
participant de la sainteté de Dieu avec la vocation d’y faire participer les
chrétiens. Tel est bien le discours que les premières Eglises ont tenu sur
Jésus. Luc rapporte la proclamation de l’ange qui apparaît à
Marie  :  «  L’Esprit saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te
couvrira de son ombre. C’est pourquoi celui qui va naître sera saint et sera
appelé Fils de Dieu  »13. Le caractère surnaturel de cette naissance veut
attester la sainteté, c’est-à-dire la divinité de Jésus.
Tel est bien le sens de la confession de foi de Pierre : « Nous avons
connu que tu es le saint de Dieu  »14  ; les démons eux-mêmes le
proclament15.
Le Christ qui partage avec Dieu son Père la sainteté divine, est
habité par le saint Esprit de Dieu16 et il le confère aux disciples puis aux
chrétiens. C’est pourquoi il est parfois question de « l’Esprit de Jésus »17

Le saint Serviteur

Par deux fois, le livre des Actes se souvient que les disciples (en
l’occurrence Pierre et Jean) ont parlé de Jésus comme du Serviteur de
Dieu18. Cette traduction est fidèle, mais le mot « serviteur » se lit en grec
Païs mot qui peut avoir deux sens  : fils ou serviteur. Esaïe prophétisait la
venue du Serviteur de Dieu (‘ebed en hébreu)19. Les traductions grecques
de l’Ancien Testament hésitent entre Païs et Doulos (serviteur). C’est à ces
prophéties que se réfère le texte des Actes qui sait que ce personnage est élu
par Dieu, oint de son Esprit et investi d’une mission admirable (évangéliser
les pauvres, guérir les cœurs brisés…20), mais promis à la mort pour les
fautes des pécheurs21. Les premiers chrétiens ont entendu ces prophéties
comme relatives au Christ et ils ont tout naturellement ajouté le qualificatif
de «  saint  » à ce Serviteur dont ils confessaient la divinité22. C’était
attribuer à Dieu lui-même une sainteté qui incluait la volonté de sauver les
hommes au prix d’une mort rédemptrice. L’épître aux Hébreux développera
cette idée en la plaçant dans un contexte sacrificiel23.

Le saint temple

Le quatrième évangile recourt encore à une autre référence à la


sainteté du Christ lorsqu’il explique que le temple dont il annonce la
destruction et le relèvement le concerne personnellement, lui qui connaîtra
mort et résurrection24.
La tradition paulinienne ne raisonne pas très différemment25  :
l’Eglise chrétienne est un saint édifice fondé sur la personne du Christ26.
L’apôtre Paul développe l’image du temple saint en l’appliquant aux
chrétiens individuels : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu
et que l’Esprit de Dieu habite en vous ?... Le temple de Dieu est saint et ce
temple, c’est vous »27. « Votre corps est le temple du saint Esprit  »28. La
conclusion nécessaire est que la vie du chrétien doit être pure de toute
souillure29. Ainsi, même quand l’idée de sainteté de l’Eglise est
spiritualisée, l’arrière-plan cultuel n’a pas disparu  : «  La religion (on peut
aussi bien traduire  : le culte) pure et sans tache devant Dieu le Père, la
voici : visiter les orphelins et les veuves dans leurs détresses, se garder du
monde pour ne pas se souiller »30.
Quant à la demande du Notre Père  :  «  Que ton nom soit
sanctifié »31, elle est justement traduite dans la Traduction Œcuménique de
la Bible : « Fais connaître à tous qui tu es ». Dieu est le saint, mais l’histoire
de Dieu avec les hommes doit aboutir à la reconnaissance universelle (et
d’abord par ceux qui prient le Notre Père) de cette sainteté divine. Ce ne
sont pas les hommes et leurs efforts qui peuvent réaliser cela, mais ils
peuvent demander à Dieu de conduire le monde vers cet accomplissement
auquel ils participent.

Qui sont les saints ?

L’apôtre Paul appelle « saints » les chrétiens des Eglises auxquelles


il écrit. Non qu’ils soient tous et toujours de parfaits modèles de vertus
chrétiennes  ! La lecture des épîtres pauliniennes en témoigne clairement.
Mais ils ont accepté d’être touchés et transformés par la sainteté de Dieu.
C’est un don, la sainteté ne leur appartient pas, elle ne dépend pas de leurs
mérites, c’est une grâce sur laquelle il leur faut constamment veiller. Ils
sont, dans le monde, les témoins de la sainte présence d’un Dieu qui peut
encore choisir de manifester autrement et ailleurs sa sainteté.
La tentation

En grec, le verbe peirazein signifie éprouver, mettre à l’épreuve,


expérimenter, faire une tentative, tenter. Le substantif peirasmos prend le
sens de mise à l’épreuve, épreuve, tentation. Dans la Bible, c’est
évidemment le sens religieux qui prévaut. Mais il est utilisé avec des
accents différents, ce qui appelle une étude attentive.

L’ANCIEN TESTAMENT

Dire que Dieu est seul tout-puissant, c’est affirmer implicitement


que c’est lui qui est aussi l’auteur de toute tentation. Par exemple, Dieu,
dans sa colère contre Israël, pousse David à faire un recensement de son
peuple. Il punira cette action qu’il regarde comme l’expression d’un
manque de foi1. Dieu met Abraham à l’épreuve en lui demandant de lui
sacrifier son fils Isaac2. Il donne à son peuple sa Loi pour éprouver sa
fidélité3. La longue marche au désert est une mise à l’épreuve4. C’est dans
le même but que le Seigneur laisse subsister dans la terre promise quelques
peuples païens5. Le résultat de cette mise à l’épreuve n’est pas toujours
positif. Les textes disent alors que c’est Israël qui tente Dieu : il doute de
son Seigneur en ne comptant pas sur lui seul pour assurer son salut6.
Avec le temps, on en vient à refuser qu’un Dieu bon puisse tenter les
siens. On fait alors intervenir l’Ennemi (Satan, le diable) qui est l’auteur de
la tentation, mais – il faut le souligner – Dieu le laisse faire.
Cette conviction est bien illustrée par l’histoire de Job. L’adversaire
(le satan) l’accuse de servir Dieu par intérêt et il réclame alors qu’il soit mis
à l’épreuve pour voir si sa foi en Dieu traversera victorieusement l’épreuve.
Dieu donne au tentateur la permission d’éprouver Job7, lequel triomphe
finalement de la tentation en confessant que Dieu est le tout-puissant8, ce
qui exclut tout doute : quoi qu’il arrive, il est le Seigneur en qui le fidèle se
confie.
L’auteur des livres des Chroniques9 n’hésite pas à corriger le récit
du recensement d’Israël par David, tel qu’on le lit dans le deuxième livre de
Samuel  : il précise que c’est Satan qui pousse David à cette entreprise
impie.
Le livre des Jubilés10 prétend que c’est Satan (sous le nom de
Mastéma) qui suggère à Dieu de demander à Abraham de lui sacrifier Isaac
afin de voir s’il est vraiment fidèle jusque dans l’épreuve. Et le texte
poursuit en attribuant à Dieu lui-même sept occasions de semblables
tentations dans l’histoire d’Israël. Comme de toute façon, Dieu autorise
l’épreuve, Israël en vient à attribuer à celle-ci un souci éducatif : les lois de
la sagesse divine accompagnent le fidèle, l’amenant à mettre sa confiance
en Dieu. Son obéissance en sera la preuve – c’est donc une mise à
l’épreuve11. L’épreuve est donc un signe de l’amour paternel de Dieu.
Judith s’écrie : « Rendons grâces au Seigneur notre Dieu qui nous éprouve
comme nos pères  »12. Et le psalmiste va jusqu’à exprimer le souhait que
Dieu manifeste envers lui ce souci éducatif  : «  Dieu  !...éprouve-moi et
connais mes soucis »13.

LE NOUVEAU TESTAMENT

Les écrits du Nouveau Testament témoignent d’hésitations


comparables  : c’est le diable lui-même qui tente Jésus, mais celui-ci est
poussé au désert par le saint Esprit pour y affronter le tentateur14. Jésus
perçoit alors que les suggestions du diable sont une invite à tenter Dieu,
c’est-à-dire à ne pas obéir à la vocation messianique qu’il a reçue de Dieu15.
La même ambiguïté sur l’origine de la tentation se retrouve sous la plume
de l’apôtre Paul16 :
Dieu, promet-il aux chrétiens de Corinthe, ne permettra pas qu’ils
soient tentés au-delà de leurs forces. Avec la tentation, il donne le moyen
d’en sortir et la force de la surmonter. Il faut donc comprendre que Dieu
permet la tentation (le texte suggère même qu’il la suscite  !). Mais le
contexte précise qu’il s’agit toujours de tentations à la mesure de l’homme.
Ce sont des tentations communes. C’est pourquoi on en parle au pluriel.

Comment traduire le Notre Père ?


Les verbes employés «  entrer en tentation, en sortir  » doivent être
rapprochés de la demande du Notre Père  : «  Ne nous conduis pas dans la
tentation  »17. Les exemples précédents recommandent de comprendre, et
donc de traduire  : «  Ne nous expose pas à la tentation. Fais que nous
n’entrions pas en tentation ». C’est bien ainsi que le texte parallèle de Luc18
cité au deuxième siècle par Marcion voulait comprendre  : «  «  Ne nous
laisse pas entrer en tentation  ». Dans la phrase qui suit, Matthieu laisse
entendre que le tentateur est Satan contre l’œuvre de qui la prière demande :
«  Délivre-nous du Mal  ». On rapprochera 1Pi 5.8ss  : «  Veillez  ! Votre
adversaire, le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer.
Résistez-lui, fermes dans la foi ».
Nous l’avons noté  : si la tentation est l’œuvre de Satan, elle
n’échappe pas au pouvoir de Dieu qui la tolère mais qui vient au secours
des fidèles s’ils l’appellent dans leur prière. Ce reste de l’ancienne
conviction qui voit en Dieu l’auteur de la tentation finit par sembler
insupportable  : le bas-judaïsme et le judéo-christianisme font un pas de
plus ; Dieu ne tente pas, c’est dans la nature même de l’homme que naît la
tentation : « Ne dis pas : c’est à cause du Seigneur que je me suis écarté…
Ne dis pas : Lui-même (Dieu) m’a égaré »19. L’homme est un être libre et
responsable. Il lui appartient de choisir d’obéir aux commandements de
Dieu ou de pécher. Il faut par-dessus tout laver le Seigneur de la
responsabilité en ce domaine.

Dieu peut-il nous tenter ?

C’est aussi la conviction qui anime l’auteur de l’épître de Jacques :


« Que nul, quand il est tenté, ne dise : Ma tentation vient de Dieu. Car Dieu
est inaccessible au mal (littéralement : Dieu est  « intentable » par le mal) et
il ne tente personne. Chacun est tenté par sa propre convoitise qui l’entraîne
et le séduit  »20. Et le raisonnement se poursuit  : la convoitise enfante le
péché qui conduit à la mort. On dirait un commentaire du chapitre 3 de la
Genèse  : Adam qui, à la suite d’Eve, a cédé à la convoitise du fruit de
l’arbre de la connaissance, rejette la responsabilité sur sa compagne qui, à
son tour, accuse le serpent. Mais les humains sont les vrais coupables.
Accuser le Dieu tout-puissant d’être l’instigateur de la faute est une
insupportable impiété. L’homme est seul responsable et la tentation n’est
jamais qu’un accident purement humain. Que chacun s’arme donc de
courage pour lutter contre les très humaines passions qui le poussent à mal
faire. S’il y cède il ne peut s’en prendre qu’à lui. Il n’y a pas intervention de
puissances supérieures, il n’y a pas de destinée inflexible, pas de
déterminisme – fût-il astral. Dieu est fidèle et il est plus fort que les astres
qui parcourent les cieux (les lumières dont parle Jc 1.17).
Ce discours se situe encore au sein de la confession chrétienne où il
joue un rôle important en insistant sur la responsabilité de l’homme : c’est
lui seul qui, en dernière analyse, fait le choix d’une conduite et décide de
céder ou non aux tentations que sa nature lui propose. Néanmoins, comment
ne pas être sensible au glissement qui s’amorce vers un certain
rationalisme  : si la tentation est une affaire seulement humaine, quel rôle
actif Dieu joue-t-il encore dans ce drame  ? Et l’on se souvient alors de
l’appréciation sévère de Luther qui qualifiait l’épître de Jacques d’épître de
paille, car, disait-il, on n’y entend plus le message libérateur de l’Evangile.
Pourtant l’Eglise a tenu à conserver l’épître dans le Nouveau Testament,
affirmant par là que, malgré le risque d’affadissement qu’on peut y déceler,
ce texte reste susceptible d’une lecture authentiquement chrétienne.

Conclusion

Après avoir parcouru les étapes de ce long périple biblique, il n’est


pas superflu de tenter de dégager une conclusion, quand ce ne serait que
pour éviter une lecture trop simpliste qui voudrait voir un développement à
la fois logique et chronologique. A savoir qu’au commencement, c’est Dieu
qui tente. On précise bientôt qu’il éprouve et éduque par l’épreuve, puis la
tentation mauvaise est attribuée à Satan et, pour finir, on en trouve l’origine
en l’homme.
Il faut mieux lire et noter que, au cours de toute l’histoire, un
partenaire est régulièrement présent  : Dieu. Cette insistance est
significative : elle suggère que l’homme a, par essence, tendance à satisfaire
ses désirs, mais que ceux-ci ne prennent éventuellement le caractère de
tentations mauvaises que si est acceptée une parole de Dieu
(commandement, interdit, condamnation, reproche, exhortation, aide) qui
vient en révéler la véritable nature. Sans Dieu, il n’y a que des tendances et
des penchants. Lorsque Dieu parle, ces penchants apparaissent clairement
comme bons ou mauvais. C’est bien pourquoi il est risqué de parler de la
tentation, comme l’esquisse l’épître de Jacques, en restreignant la réflexion
aux seules dimensions de l’humain.
La vie chrétienne (ou comment vivre en accord
avec les lois de Dieu)

Comment vivre d’une manière que Dieu commande et qu’il


approuve ? Se borner à invoquer le Décalogue est une réponse trop rapide

L’ANCIEN TESTAMENT

Même si l’interrogation porte sur le seul Ancien Testament, il


convient de regarder le texte de plus près. Il vaudrait d’ailleurs mieux parler
des textes, au pluriel, car les listes de commandements sont nombreuses et
de datations différentes. Une première conclusion s’impose : aucun de ces
textes ne prétend énoncer un code de morale universelle et éternelle. Les
dix commandements d’Exode 20 s’adressent au peuple que Dieu a fait sortir
d’Egypte1. Il s’agit donc d’abord des conditions qui feront d’Israël le peuple
de Dieu. Avec la libération de l’esclavage égyptien, Dieu a manifesté sa
volonté de faire alliance avec Israël. Cette alliance implique des
conséquences pour les deux partenaires. Dieu intervient en faveur de son
peuple et celui-ci s’engage à ne pas franchir les limites qui le rendraient
étranger à son Dieu. Ce sont donc des lois élémentaires qu’il faudra par la
suite constamment préciser et interpréter selon les temps et les situations.
C’est ainsi que les derniers commandements qui interdisent de nuire au
prochain deviendront une condamnation de la haine, de la vengeance et une
loi d’amour2 fondée sur le tout premier commandement qui est d’aimer
Dieu3.
Ainsi, dès le début de l’histoire du salut, Dieu attend des hommes
qui prennent conscience de son amour pour eux, qu’ils répondent à leur
vocation en vivant de manière à plaire à ce regard aimant dans la
reconnaissance et le bonheur.

LE NOUVEAU TESTAMENT
La lecture du Nouveau Testament a tôt fait de convaincre que s’il y
a une seule foi au Christ, il est impossible de parler d’une morale
chrétienne. L’obéissance au Christ est toujours une réponse à des problèmes
liés aux conditions concrètes de l’existence du chrétien. La référence au
seul Seigneur est et reste unique et sans altération. En revanche, selon les
circonstances, les temps et les lieux, la réponse peut prendre des colorations
variées. C’est ce que l’exposé qui suit veut faire apparaître.

Le témoignage des évangiles synoptiques

Jean le Baptiste annonce le jugement dernier auquel on ne peut se


préparer que par une conversion. Cela se traduit par une conduite
scrupuleusement soucieuse d’honnêteté et de justice : partager avec les plus
démunis, ne pas profiter indûment de son pouvoir, de sa force ou de ses
armes4. Il s’agit en somme d’un code énumérant différents cas d’obéissance
en une casuistique élémentaire.
Jésus annonce la venue du royaume de Dieu. Il le dit si proche que
cela détermine très concrètement la conduite des hommes. Mais, loin d’en
détailler les conséquences par des commandements visant des
comportements singuliers, son message implique un bouleversement
complet, une profonde révolution intérieure de ceux qui veulent, plus que
tout au monde, suivre ce nouveau maître5 sans même tenir compte des liens
familiaux6.
Les exigences sacrées de la loi juive cèdent la place à un
commandement qui transforme toute la vie : aimer Dieu et son prochain7, et
cet amour englobe même les ennemis8. Il s’agit d’un comportement qui ne
se conforme plus du tout aux règles qui régissent naturellement la conduite
des hommes. Ceux-ci placent l’argent et le pouvoir parmi les plus hautes
valeurs, mais, dit Jésus, on ne peut servir à la foi Dieu et l’argent9.
« Heureux les pauvres, le royaume de Dieu est à eux »10, mais malheureux
sont les riches, car ils n’attendent pas de Dieu seul leur consolation11 et il
est bien difficile à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu12. La grandeur
en ce monde n’est pas de satisfaire les désirs d’une ambition égoïste, mais
de servir les autres13. La vie sociale idéale est de recevoir ceux qui ne
peuvent pas rendre l’invitation14. La simplicité des enfants est un parfait
modèle de conduite15. Il faut être toujours prêt à pardonner16 : «  Heureux
les miséricordieux, car il leur sera fait miséricorde »17.
C’est la description d’une conversion si totale qu’elle touche toutes
les valeurs que le monde estime incontestables et souveraines. C’est
l’irruption d’une nouvelle sagesse contraire aux enseignements et aux
habitudes du monde.
Très vite (dès la fin du premier siècle), une partie du christianisme
éprouvera le besoin de monnayer cette conversion fondamentale en
prescriptions précises énumérant les actions commandées et celles qui sont
interdites. Ainsi fait le Manuel des deux voies qui ouvre le livre de la
Didachè et prétend fixer les contours précis de la morale chrétienne au prix
d’une casuistique redoutable.
Le message de Jésus demande, dans sa nouveauté absolue, à être
prêché sans relâche. Il y aura donc des missionnaires qui, naturellement,
devront incarner de manière visible cette nouvelle manière de vivre en
parcourant le monde, d’abord réduit aux dimensions de la Palestine. Les
exigences particulières qui concernent ces prédicateurs itinérants ne doivent
pas être confondues avec les commandements intéressant tous les fidèles.
En effet ils demandent une consécration si totale que, s’adressant à tous,
elle ferait figure d’utopie. Ces hommes ont vocation de chasser les démons
et de guérir les malades18. Voyageurs infatigables, ils n’ont ni logis, ni
attaches familiales19. Ils ne doivent pas s’encombrer du moindre bagage20.
Pour leur nourriture, ils ne compteront que sur l’hospitalité de ceux qui les
accueilleront21.
A la fin du premier siècle, la Didachè doit se préoccuper de régler
de manière prudente et sûre l’accueil des prédicateurs itinérants  : ces
visiteurs doivent être reçus comme le Seigneur lui-même. Mais leur séjour
se limitera à un ou deux jours. Celui qui veut rester plus longtemps est un
faux prophète. A son départ, on lui donnera seulement le pain pour l’étape.
Celui qui demande de l’argent est un faux prophète. Mêmes précautions
envers les prophètes qui se réclament de l’autorité du saint Esprit qui les
anime  : s’ils se sentent poussés à quelque conduite trop particulière, ils
n’imposeront pas cette forme d’obéissance à la communauté et surtout ils
ne demanderont pas d’argent22.
L’enseignement du quatrième évangile

La tradition johannique conserve un souvenir assez différent de


l’enseignement moral de Jésus  : le fondement unique de la conduite des
chrétiens est la foi au Christ. Ceux qui croient en son nom deviennent des
enfants de Dieu23. L’Esprit saint leur inspire une conduite conforme à la
volonté de Dieu24. Quand on demande à Jésus comment il faut agir pour
être fidèle à Dieu, il répond que se comporter selon la volonté de Dieu, c’est
croire en celui qu’il a envoyé25. Plus loin, l’évangéliste précise un peu sa
pensée ; au moment de raconter la scène du lavement des pieds, il affirme
que ce fut l’occasion d’une parfaite manifestation de l’amour de Jésus pour
ses disciples  : il se comporte comme leur serviteur, lui leur maître et
Seigneur et il les invite à suivre son exemple26. Il n’y a donc qu’un
commandement qui résume toute la nouvelle alliance (le Nouveau
Testament) : « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les
uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres  ».
C’est à cela qu’on reconnaît les fidèles du Christ27. Cet amour n’est pas une
simple inclination humaine, c’est l’œuvre du saint Esprit que le Père envoie
à ceux qui aiment son Fils ; or aimer Jésus, c’est faire ce qu’il demande28.
Ainsi s’instaure une communion étroite : le chrétien demeure en Christ dont
les paroles demeurent en lui. Dès lors le croyant produit des fruits en
abondance29.
Ce message simple et puissant est loin de prêcher une piété très
ordinaire  : Jean, qui sait que les miracles de Jésus sont des signes, ne se
lasse pas de répéter que l’apparence ne suffit pas et que la vue ne conduit
pas à la foi. Celle-ci est un miracle : elle révèle la gloire du Christ c’est-à-
dire l’être même de Dieu30. L’obéissance chrétienne est donc l’attestation
miraculeuse de l’action de l’Esprit dans l’homme.
La première épître de Jean se fait l’écho de ce message en le
précisant : l’amour se manifeste dans la communauté par l’aide matérielle
apportée aux frères qui en ont besoin31. La vie du chrétien répond à cette
seule exigence  : aimer Dieu et garder ses commandements. C’est là une
morale impressionnante qui semble presque annoncer la phrase de saint
Augustin qui dit que celui qui aime peut bien faire ce qu’il veut  ! Avec
l’entière foi dans l’action souveraine du saint Esprit.
La vie chrétienne selon l’apôtre Paul

Pour apprécier l’enseignement moral de l’apôtre, il est sage de


commencer par tenter de brosser le panorama socio-religieux dans lequel
son ministère s’est exercé. Comme une partie importante de sa
correspondance est adressée aux chrétiens de Corinthe, c’est sur cette ville
que portera notre enquête.
La communauté chrétienne de Corinthe est nombreuse. Composée
pour une bonne part de convertis du paganisme, elle compte quelques
personnages d’importance issus d’un milieu privilégié et d’un statut social
supérieur. Ce sont des gens aisés, cultivés, soucieux de maintenir leur rang
au sein d’une cité où ils sont estimés. Ils accueillent dans leurs vastes
demeures les réunions cultuelles régulières de la communauté sur laquelle
leur influence pèse de manière évidente. Entre les différentes « Eglises de
maison  » s’instaure une certaine rivalité tandis que des clivages sociétaux
apparaissent, divisant fâcheusement la communauté jusque dans ses
pratiques cultuelles et notamment liturgiques (célébration du repas
eucharistique). De cette rapide peinture retenons deux traits importants :
–Le monde païen environnant fait problème
–L’unité de la communauté est souvent mise en question.
La société hellénistique du temps ne se préoccupe pas
prioritairement de morale. Les religions les plus répandues n’ont guère
d’exigences de cette nature. La liberté des mœurs est souvent un idéal
ouvertement revendiqué, surtout par les classes supérieures. Et voici avec
quelle sévérité l’apôtre réagit : « Ne vous y trompez pas ! Ni les débauchés,
ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les pédérastes, ni les
voleurs, ni les accapareurs, ni les ivrognes, ni les calomniateurs, ni les
filous n’hériteront du royaume de Dieu  ». Quant à vous, poursuit Paul
« vous avez été lavés, sanctifiés, justifiés au nom du Seigneur Jésus Christ
et par l’Esprit de notre Dieu  »32. Comme la dernière phrase se réfère
clairement au baptême et même à sa pratique liturgique (lavés au nom du
Christ  ; don de l’Esprit), on est en droit de penser que l’énumération de
vices qui précède s’inspire directement du catéchisme pré-baptismal qui
conditionnait à Corinthe l’accès au sacrement. Pour ceux qui hésitaient à
tracer une frontière nette entre le christianisme et le monde, c’était une
réponse tranchante et sans ambiguïté.
Tout ce qui peut diviser la communauté est pour Paul absolument
inacceptable. L’existence de clans ou de partis au sein de l’Eglise est
inadmissible et condamnable33. Que des chrétiens s’opposent devant les
tribunaux est un scandale34. Le plus insupportable est que les clivages
sociaux viennent contredire ouvertement le message d’unité de la
célébration eucharistique. De quoi s’agit-il exactement ?
Le repas du Seigneur est un vrai repas au cours duquel l’eucharistie
proprement dire est célébrée. Chacun mange ce qu’il a apporté. Pour
certains, c’est l’occasion de festoyer, pour d’autres, le repas est par
nécessité frugal pour ne pas dire insuffisant. Et bien sûr, tout le monde ne
finit pas en même temps. Ce qui devrait manifester l’unité du corps du
Christ ne fait que souligner ses divisions35. L’apôtre condamne clairement
ces pratiques, mais quelle est sa réponse positive ? D’abord il suggère des
solutions concrètes, faciles à mettre en œuvre  : que ceux qui veulent bien
manger se sustentent préalablement et que l’on veille à terminer
ensemble36. Néanmoins il demeure que l’existence de statuts sociaux si
différents – au sein d’une communauté que sa foi dit unie – est un réel
problème. La position de Paul sur ce sujet est d’une prudence qui ne laisse
pas de nous décevoir, mais écoutons avant de juger  : «  Que chacun vive
selon la condition que le Seigneur lui a donnée en partage et dans laquelle il
se trouvait quand Dieu l’a appelé  »37. Que l’esclave demeure donc dans
l’esclavage38 et symétriquement, le riche n’aura aucun scrupule à posséder
un personnel servile. Rien n’a donc changé en passant du monde à
l’Eglise  ? Si  ! Pour Paul, ce qui compte n’est pas l’organisation de la
société, mais la nature des relations interpersonnelles. Ce qui, dans le cas de
l’eucharistie, n’apparaissait que comme une solution pauvrement limitée à
la pratique, était en réalité une réponse de quelque profondeur : les rapports
sociaux restent inchangés, mais un éclairage nouveau vient modifier le
climat. Les riches se préoccupent des pauvres. Ils ont pour eux de
l’attention et du respect. Pourquoi  ? Parce qu’ils sont dans l’Eglise des
frères qui doivent être unis et solidaires. «  Si un membre souffre, tous les
membres partagent sa souffrance. Si un membre est à l’honneur, tous les
membres partagent sa joie »39. C’est bien pourquoi au sommet de toutes les
vertus, de tous les efforts vers le bien, de toutes les générosités, l’apôtre
place l’amour fraternel40.
Deux exemples particuliers permettront d’éprouver la réalité de
cette proposition :

La question des viandes sacrifiées aux idoles


La société hellénistique impose presque une alimentation
végétarienne à base de farines en bouillies, de pain et d’huile d’olive dans le
meilleur des cas. La viande est un mets de luxe réservé aux tables des
riches. Elle n’est qu’exceptionnellement proposée aux moins favorisés. Du
reste, l’abattage des bêtes ne se fait guère que dans les temples, évidemment
païens, pour finir sur les autels des sacrifices. Une partie est alors brûlée et
les dieux en apprécient le parfum (!). Une partie revient aux prêtres et une
autre aux sacrifiants, qu’il s’agisse d’individus ou de collectivités. Ces
bénéficiaires peuvent revendre leur part qu’on retrouve alors sur les étals
des marchés, ou bien ils offrent ces mets de choix à leurs invités lors de
repas de fête. Mais la fête peut être donnée par une corporation, une riche
famille, une cité, ou un représentant de la haute administration. Ce sont là
des occasions pour les classes inférieures (les plus nombreuses) de goûter à
la viande.
Et voici le problème : cette nourriture vient des temples païens, elle
a été offerte à des idoles. Sur la question, deux attitudes s’affrontent chez
les chrétiens ; les uns, les plus riches, les plus instruits , ceux qui de par leur
position sociale ont fréquemment l’occasion de participer à ces repas, disent
qu’il n’y a qu’un seul Dieu, que les idoles n’existent pas et qu’en
conséquence on peut, sans la moindre hésitation, participer avec ses amis ou
ses pairs à ces banquets. Face à ce libéralisme, d’autres, sans doute moins
cultivés et dont la foi plus simple ne s’embarrasse pas de ces subtiles
réflexions, n’envisagent à aucun prix de manger une nourriture toute
souillée d’idolâtrie. Ils se scandalisent de voir des chrétiens attablés devant
des plats de cette viande interdite. Et cela au vu de tous, car bien souvent, le
banquet se situe dans l’enceinte publique d’un temple !
L’apôtre appelle les premiers des forts et les seconds des faibles. Il
partage évidemment les opinions des forts mais, en leur donnant raison, il
leur demande de renoncer à leur juste liberté, afin de ne pas « faire tomber »
des frères41. Cet égard, cette sollicitude, ce souci des frères est le fruit de
l’amour  : «  Si quelqu’un vous dit  : “c’est de la viande sacrifiée”, n’en
mangez pas à cause de celui qui vous a averti et par motif de conscience. Je
parle ici non de votre conscience, mais de la sienne  »42. «  Soit que vous
mangiez, soit que vous buviez, quoi que vous fassiez, faites tout pour la
gloire de Dieu. Ne soyez pour personne une occasion de chute »43.

Autre exemple, celui de l’esclavage.


Onésime, esclave du chrétien Philémon, s’est enfui. Il a fini par
rencontrer l’apôtre Paul et s’est converti. Mais aux yeux de la loi, il est
coupable. Paul le renvoie donc à son maître, mais en lui demandant de le
recevoir « comme un frère bien aimé »44. Les relations maître/esclave sont
fondamentalement transformées par la foi chrétienne. Nous jugeons
aujourd’hui la morale paulinienne très insuffisante. L’évolution sociale nous
rend ce jugement facile. Il faut pourtant accorder que les enseignements de
l’apôtre ont permis aux communautés chrétiennes immergées  dans un
monde parfaitement étranger à leur foi, de vivre ensemble leur fidélité au
Seigneur Jésus Christ.

Le message de l’Apocalypse

Tournons, pour finir, nos regards vers les Eglises d’Asie Mineure,
telles que l’Apocalypse nous permet de les percevoir. Vers la fin du premier
siècle, les cités de cette région se consacrent, en rivalisant de zèle, au culte
rendu à l’empereur de Rome comme à un dieu.
La tentation est grande dans les Eglises de composer avec les
impératifs que la société fait tacitement ou très explicitement peser sur tous
les habitants : c’est là la tiédeur que l’auteur des lettres aux Eglises reproche
aux chrétiens de Laodicée45.
Mais, dira-t-on, c’est un cas d’espèce. Il faut considérer la situation
d’ensemble, c’est-à-dire l’enseignement délivré à tous les chrétiens de cette
époque dans ce pays. Un texte le permet. Il se situe dans la vision finale de
l’Apocalypse et il y fait tache ! Le chapitre 21 commence par la description
du monde nouveau que Dieu a préparé pour la fin des temps. C’est une
peinture qui célèbre le bonheur sans limite couronnant l’histoire humaine :
« La mort ne sera plus. Il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni souffrance, car le
monde ancien a disparu  »46. Or la dernière phrase de cette vision de
béatitude tient un langage scandaleusement différent : « Quant aux lâches,
aux infidèles, aux dépravés, aux meurtriers, aux impudiques, aux
magiciens, aux idolâtres et à tous les menteurs, leur part se trouve dans
l’étang embrasé de feu et de soufre »47.
Cette surprenante finale oblige à conclure que les bénédictions qui
précèdent ne sont pas réservées à un lointain avenir de perfection, puisqu’il
faut encore menacer les pécheurs afin qu’ils se repentent ! De quoi doivent-
ils se repentir  ? Evidemment des vices qui tentent les contemporains de
l’Apocalypse. Leur énumération forme le volet négatif de l’enseignement
délivré par le voyant. Un premier coup d’œil laisse l’impression qu’il s’agit
d’un enseignement moral très classique  : fuir l’idolâtrie et mener une vie
qui proscrit l’inconduite. L’examen attentif des termes de l’énumération
conduit à une tout autre appréciation.
Commençons par les mots les plus clairs  : idolâtres, infidèles
(littéralement  : incroyants), magiciens  : le contexte est évidemment
religieux et non moral. Il s’agit de ce qui illustre souvent les religions du
temps. Impudiques (littéralement : prostitués) : le mot doit être pris dans le
sens symbolique qu’il a chez les prophètes de l’Ancien Testament – Israël
se prostitue quand il est infidèle à son Dieu et se laisse séduire par les faux
dieux. C’est d’ailleurs le sens du mot dans les lettres aux Eglises : il y est
question de chrétiens qui se détournent du Seigneur pour suivre d’autres
maîtres48. Mais voici deux mots qui semblent venir tout droit du code moral
le plus élémentaire  : menteurs et meurtriers. Relisons le
quatrième49évangile : Satan est le meurtrier et le menteur par excellence – il
a entraîné Adam dans la mort en lui faisant préférer sa parole trompeuse à
la vérité de Dieu. Venons-en au premier mot de la liste  : lâches. Cette
lâcheté, c’est la tiédeur des chrétiens de Laodicée qui veulent n’avoir pas à
choisir entre la foi chrétienne et la participation au culte impérial.
Nous constatons donc que cette liste de vices est décidément
orientée vers le domaine du religieux. De plus, elle colle parfaitement à
l’actualité des destinataires de l’Apocalypse. Elle dessine en négatif les
contours de l’obéissance chrétienne telle que l’auteur de l’Apocalypse la
définit pour les chrétiens d’Asie Mineure en cette fin du premier siècle. Il
leur dit que la vie chrétienne doit prendre pour eux un chemin particulier :
ils vivent dans un monde où l’idolâtrie qu’exigent l’empereur et toute la
société est le danger suprême. La fidélité au Christ doit amener à se garder
de toutes les formes de cette tentation. Une fois de plus, l’obéissance
chrétienne se définit d’abord par ce qu’elle refuse. Il faut donc scruter
l’Apocalypse plus avant pour lui demander comment elle décrit
positivement la conduite que sa foi doit inspirer au chrétien.
La découverte est étonnante ; les lettres aux Eglises formulent bien
quelques commandements, mais ils se laissent résumer assez simplement :
« Sois fidèle jusqu’à la mort et je te donnerai la couronne de vie »50. « Sois
vigilant…Souviens-toi de ce que tu as reçu et entendu. Garde-le… »51.
Mais ces paroles sont mises dans la bouche du Christ et c’est
maintenant le ressuscité qui parle. Le lecteur est, comme dans les évangiles,
invité à écouter Jésus et, avec tous les croyants, à suivre l’agneau partout où
il va52. Au-delà de cette exigence première, il faut savoir entendre la suite :
les chrétiens qui répondent à ce commandement peuvent être amenés à le
payer de leur vie. Or ils sont appelés des ‘vainqueurs’ par chacune des sept
lettres aux Eglises, et une vision ultérieure vient préciser le sens
extraordinaire du mot. Ceux qui, pour suivre le Christ « n’ont pas aimé leur
vie jusqu’à craindre la mort  » ont par là même remporté sur Satan la
victoire, celle que le Christ remporta sur la croix, car à Pâques, Satan fut
définitivement vaincu53. Définitivement  : la fin que tous attendent s’est
donc réalisée et le temps maintenant imparti à l’Eglise n’est qu’un instant
au regard de l’éternité toute proche. Face à cette révélation au
retentissement inouï, les petits problèmes de la morale quotidienne sont
remis à leur juste place, qui n’est pas la première.

Conclusion

Au terme de ce cheminement parmi quelques textes du premier


siècle, la conclusion s’impose  : l’obéissance chrétienne prend au fil des
temps, des lieux et des circonstances des accentuations particulières. Elle
est toujours l’acceptation de cette conversion totale que demandait Jésus.
Mais la réponse des hommes est une démarche qui n’est pas établie une fois
pour toutes. Le christianisme est une religion de l’incarnation, il n’y a donc
aucune surprise à découvrir que la fidélité des chrétiens à leur seul et unique
Seigneur peut prendre des formes adaptées aux temps et aux lieux où ils
vivent.
Ils témoignent par là d’une pleine confiance dans l’action de l’Esprit
qui permet de demeurer dans l’amour du Christ éveillant l’amour des frères
(Jean). L’Esprit rend lucide sur le monde contemporain et ses déviances
morales. Il constitue un corps unique de croyants, malgré les divisions
sociales existantes, par l’exigence primordiale de l’amour des frères (Paul).
Il suscite une résistance résolue contre les pressions qu’un monde
fondamentalement idolâtre fait peser sur les fidèles du Christ et dévoile les
gloires promises à ceux qui veulent suivre le Christ, vainqueur de Satan
(Apocalypse).
L’Esprit n’inspire jamais une obéissance inattendue  : Jésus lui-
même a tenu à résumer la Loi de Dieu en deux commandements  : Aimer
Dieu et aimer le prochain54. C’est la même foi qui inspire des
comportements différents. Le dernier témoin cité, l’auteur de l’Apocalypse,
est un prophète, c’est un fait qu’il ne faut pas oublier : le discernement des
spécificités variables de l’obéissance chrétienne relève vraiment du don de
prophétie – laquelle, comme l’apôtre Paul le rappelle, est un charisme
suscité par Dieu lui-même55.
1 Ex 24.8. Voir aussi Jos 24
2 1Co 11.25
3 Jr 31.31-34
4 Es 53.12
5 Mt 26.28
6 Jr 31.34
7 Mc 14.25
8 Ga 3.15ss
9 Ga 3.16
10 Rm 11.27
11 2Co 3.2-3
12 Hb 9.15ss
13 Mc 14.24
1 Lc 4.16ss
2 Ac 13.14ss
3 Lc 13.10ss
4 Mt 10.17 et parallèles
5 Jn 9.22 ; 12.42
6 Ac 11.30
7 Ac 15.2,4
8 Ac 15.12,22
9 Ac 15.7-11
10 Ac 15.22
11 Ac 20.17
12 1Co 12.28s
13 Ac 20.28
14 1Th 5.12
15 1P 5.1-4
16 Jc 5.14
17 Ph 1.1
18 1Tm 5.22 ; Tt 1.5
19 1Tm 3.1-7
20 1Tm 5.17
21 1Tm 3.8-13
22 Didachè 11.3-12
23 Didachè 13.2
24 Didachè 15.1
25 Ignace, Lettre aux Tralliens 3.1
26 Ignace, Lettre aux Smyrniotes 8.2
27 Ap 1.3
28 Ap 4
1 Mc 1.15
2 Mt 5-7
3 Mc 11.27-33
4 Mc 12.13-17
5 Mc 12.18-27
6 Mc 12.1-12
7 Mt 22.40
81Co 2.2. Paul connaît cependant des paroles de Jésus et ce n’est pas dans
nos évangiles qu’il les a trouvées, voir Ac 20.35.
9 1Co 15.1-11
10 Jn 1.1-3
11 Es 42 ; 44 ; 49 ; 52 ; 53
121 Pi 2.6ss. On identifie des allusions précises à Es 28.16 ; Ps 118.22 et Es
8.14.
13 1P 3.18-22
14 Didachè 9.1-4 ; 10.2-6
1 Lc 23.1-5 ; Jn 19.15-16
2 Rm 13.6
3 Rm 13.5
4 Rm 2.15
5 1Co 8.7-12
6 Rm 9.1 ; 2Co 1.12
7 Dn 7.2-8
8 Ap 13.3-4
9 Ap 12.7
10 Ap 13.5. Quarante-deux mois de 30 jours font mille deux cent soixante
jours ou trois tels (années) et demi. Voir Ap 11.2 ;12.6-14
11 Ap 13.7-8
12 1Clément 60-61. Lire également 1Tm 2.1-2.
13 Dans les épîtres aux Ephésiens (1.21) et aux Colossiens (1.16), l’auteur
confesse sa foi dans le Christ qui règne sur les Trônes, Souverainetés,
Autorités et Pouvoirs. Ces mots, empruntés au langage de la gnose,
désignent des êtres transcendants qui président au gouvernement de
l’univers et qui sont les doubles célestes des pouvoirs terrestres.
1 Mc 1.4-8
2 Mt 3.11 ; Lc 3.16
3 Jn 4.1-2
4 Lc 3.10-14
5 Mt 3.14-15
6 Ac 2.38
7 Ac 8.15-17
8 Ac 22.16
9 Ac 18.25 ; 19.1-6
10 Mt 28.19
11 Ac 8.17 ; 19.6
12 Ac 10.44-48
13 Ac 1.5
14 Ac 11.15
15 Ac 2.38
16 1 Co 6.11
17 Tt 3.5
18 Ep 1.26
19 1 Co 12.13
20 Rm 6.3-4. L’image est reprise dans Col 2.12.
21 2Co 1.22
22 Rm 6.4
23 Tt 3.5
24 1 Co 6.11
25 Jn 3.5
26 Rm 6.5
27 Rm 6.8
28 Rm 6.7
29 Rm 6.12
30 2 Co 1.21s
31 Mt 28.19
32 Mc 16.16
33 Ac 16.31-33
34 Jn 1.12
35 1 Jn 4.2
36 Ac 19.2-3
37 Rm 6.11
38 Rm 10.9
39 1Ti 6.12
40 1 Pi 3.18-22
41 Variante : a souffert
42 Mt 28.19-20
43 Didachè 7.1ss
44 Didachè 9.5
45 Ignace, Aux Smyrniotes 8.2
46 Barnabé 18ss
47 Barnabé 6.11 et 14
48 Barnabé 11.10
49 Justin, Apologie 1.61,1-3 et 10-13
50 Justin, Apologie 1.65,1-3
51 Justin, Apologie 1.66,1
52 Tradition apostolique 21
53 1 Co 7.14
54 Ac 16.33
1 Nb 22
2 Gn 24.48.
3 Gn 12.1-2
4 Gn 26.3
5 Gn 49.25
6 Nb 6.22-26
7 Ps 24.4-5
8 Gn 3.14
9 Gn 4.11
10 Jr 11.3
11 Dt 11.26-28
12 On appelle ‘bas-judaïsme’ la période des trois derniers siècles avant notre
ère. Ensuite on parle de ‘judaïsme rabbinique’.
13Voir le Shema Israël et la prière dite des dix-huit bénédictions (Shemoné
‘Esré).
14 Rm 1.25
15 Rm 9.5
16 1 Hénoch 52.1
17 1 Hénoch 52.8
18 Lc 24.50 et 53
19 Mc 10.13-16
20 Lc 6.27-28
21 Rm 12.14
22 1Pi 3.9
23 Mc 6.41
24Mc 14.22 ; Mt 26.26. Les parallèles dans Luc et dans 1Co remplacent le
mot « bénir » par « eucharistier ».
25 1Co 10.16
26 Mt 25.34, 41, 46
27 Ac 3.26
28 2Co 5.21
29 Hermas, Le pasteur, vision 1.3,4
30 Ignace, Lettre aux Ephésiens 1.1 ; Lettre aux Magnésiens 1.1
1 Ps 63.2
2 Es 40.6-7
3 Gn 2.7
4 Livre de la Règle (I QS) 11.12
5 Livre de la Règle (I QS) 3.7s
6 Sg 9.15
7 1 Pi 2.11
8 A Diognète 6.5
9 Hb 2.14
10 1 Jn 4.2
11 Jn 1.14
12 Mt 16.17
13 Jn 3.6
14 Jn 6.63
15 Ph 3.3
16 Rm 8.3
17 Ga 5.16-24
18 Rm 8.1-4
1 Mt 23.37
2 Mt 17.12
3 Voir Lc 6.22 ; 13.33
4 Es 42.1
5 Es 42.7
6 Es 44.1
7 Es 50.7
8 Es 52.13-53,8
9 Es 53.12-13
10 Ez 4.4-8
11 Ez 12.6
12 Ex 32.9-14
13 Dt 32.48-52
14 Dt 18.15
15 Lv 5.14-26
16 Lv 4.1-5,13
17 Mc 14.23 et parallèles 1Co 11.24 : « Ceci est mon corps pour vous ». Il
faut préciser que la préposition grecque hyper peut comme pour en français
signifier aussi bien « en faveur de » que « à la place de ».
18 1Co 15.3
19 Voir Es 53.6 en grec : « Dieu l’a livré pour nos péchés »
20 Voir Es 53.11
21 Voir Es 53.8,12
22 Mt 16.15-16 et parallèles
23 Mc 8.31-32
24 Lc 9.22
25 Mc 14.61-62 et parallèles
26 Dn 7.13ss
27 Dn 7.27
28 4 Esdras 13 ; 1 Hénoch 46
29 1Co 15.45-47
30 2Co 4.4
31 Ph 2.6
32 Ph 2.8
33 Jn 3.14s
34 Jn 12.23 ; 13.31
1 1S 29.4
2 2S 19.23
3 Za 3.1
4 Jb 1.6
5 1Ch 21.1
6 Voir explication note 12, p 42.
7 Mt 12.24-26
8 2Co 6.15
9 Ap 12.9
10 Mc 4.15
11 2Co 12.7 ; 1Th 2.18
12 1Pi 5.8 ; Ap 2.8ss ; 3.9; 12.9
13 Ap 17.9-13
14 Ac 5.3 ; 1Co 7.5
15 Jn 13.27 ; Lc 22.3
16 Jn 6.70
17 Mt 4.1-11
18 Mt 16.23
19 Lc 10.18
20 Ap 12.10-12
21 Ap 12.12 ; 20.7ss
22 Mt 6.13
23 Jn 17.15
24 Mt 25.46 ; Ap 20.10
25 Mt 6.13 (doxologie finale attestée par plusieurs manuscrits)
1 Lc 17.8
2 Jn 12.2-3
3 Jn 12.26
4 Lc 22.27
5 2Co 3.3ss
6 Ac 20.24 ; Rm 11.13
7 Rm 12.6ss ; 1Co 12.4ss ; Ep 4.11ss
8 Mt 25.35-36
9 1Tm 3.8-10
10 1Tm 3.1-7
11 Ph 1.1
12 Ac 11.29ss ;Rm 15.25 ; 2Co 8.19
1 Gn 12
2 Gn 15
3 Ex 3.14
4 Ex 34.14 ; Jos 24.19
5 Gn 1.26
6 Gn 2.15-17
7 Es 44.24 ; Ps 77.16-21
8 Es 6
9 Ex 33.20
10 Ps 23.3 ; 25.11
11Voir entre autres Ez 38.23
12 Es 12.4 ; Ps 105.1-3
13 Za 14.16
14 Jn 17.20
15 Mc 1.11
16 Mt 3.17
17 1S 16.13
18 Voir par exemple Ps 2 ; 110 ; Es 9.5ss ; 11.1ss ; Mi 5.1-3
19 Mc 15.32 ; Jn 4.25
20 Mc 1.15
21 Lc 17.21
22 Mc 10.15
23 Mc 10.23-25
24 Mt 13
25 Jn 3.3-5
26 Mt 6.33
27 Mt 5-6
28 Mt 5.43ss
29 Dn 7.13
30 Mc 2.10
31 Lc 19.10
32 Mc 8.31 ; 9.12
33 Mc 10.45
34 Es 53.3,4,12
35 Mc 8.32ss
36 Ac 13.32
37 Jn 3.16
38 1Jn 4.7-8
39 2Co 4.6.
40 1Co 1.25
41 1Co 1.9
42 Jn 3.33 ; Rm 2.4 ; 15.5,13,33 ; 1Co 1.3 ; 1Pi 5.10
43 Ph 2-11
44 1Co 8.6
45 Mt 28.19
46 Jn 1.1-3
47 Ep 1.4
48 Ap 13.8
49 Ap 22.13,20
1 Es 11.12
2 Es 49.5
3 Jr 23.3, voir encore 31.7-8
4 Didachè 9.4 ; 10.5
5 Jn 10.3 ; 13.1,35 ; 15.1,5,13ss
6 Mt 19.28. Voir aussi Lc 22.30.
7 Joël 3.1ss cité dans Ac 2.17ss.
8 Ac 2
9 Jn 14.16-17
10 Ac 8.1
11 Ac 15.41
12 Ac 9.31. Plusieurs manuscrits corrigent en lisant  : «  Les Eglises…  ».
C’est sans doute une tentative d’harmonisation pour rejoindre l’habitude du
livre des Actes qui voit l’Eglise comme incarnée dans des réalités locales.
13 Ac 20.28
14 La première épître de Clément de Rome (1.1) suggère la même théologie
lorsqu’elle parle de l’Eglise qui séjourne à Rome ou à Corinthe.
15 Rm 16.5 ; 1Co 16.19 ; Col 4.15
16 1Co 15.9 ; Ga 1.13 ; Ph 3.6
17 Didachè 4.14
18 Didachè 9.4 ; 10.5 ; 11.11
19 1Co 1.2 ; 2Co 1.1
20 Ga 1.22
21 1Co 12.13,27
22 Jn 15
23 1Co 12
24 1Co 12.4
25 1Co 12.3
26 Rm 12.5
27 1P 2.4-10
28 1P 2.4-5
29 Voir aussi 1Co 3.16 : « Vous êtes le temple de Dieu » et 2Co 6.16. Dans
la première épître de Pierre le temple est l’Eglise, pour Paul l’image
s’applique aux chrétiens individuels.
30 1Co 15.1-8
31 Jn 17.21
32 Ep 1.22
33 Ep 5.23ss
34 Ep 1.4
35 Ep 3.4s
36 1Co 12.28
37 Ac 14.23
38 Ac 20.17
39 Ph 1.1
40 1 et 2 Timothée, Tite.
41 Tt 1.5-7
42 1 Clément 47.6 ; 54.2 ; 57.1
43 1 Clément 42.4-5
44 Ignace, Lettre aux Philadelphiens 4
45 Ignace, Lettre aux Smyrniotes 8
1 Gn 2.7
2 Ps 104.29-30
3 1S 10.6
4 1S 11.6
5 1S 16.13
6 1R 3.28
7 Es 11.1ss
8 Es 42.1
9 Ag 2.5
10 Es 29.10
11 1S 16.14
12 Mc 12.36
13 Mc 1.10ss
14 Mt 3.12ss
15 Mt 1.18-20
16 Lc 1.35
17 Mc 1.12
18 Mt 4.1 ; Lc 4.1
19 Es 42.1ss cité plus haut.
20 Mt 12.22-28
21 Mc 1.23,26ss ; 3.11,30 ; 5.2,8,13 ; 6.7 ; 7.25 ; 9.17-25,28
22 Mc 3.29
23 Mc 13.11
24 Mt 28.19
25 Lc 1.15
26 Lc 1.35
27 Lc 1.41ss
28 Lc 2.25-32
29 Lc 2.36-38
30 Lc 1.46-55
31 Lc 3.22
32 Lc 4.1
33 Lc 4.14
34 Es 61.1
35 Lc 4.16-21
36 Lc 4.22
37 Lc 4.23
38 Lc 5.17 ; 6.19 ; 8.46
39 Lc 10.21
40 Lc 11.2
41 Mt 7.11
42 Lc 11.13
43 Lc 24.49
44 Ac 2.4,11
45 Joël 3.1-5
46 Voir encore Ac 4.31
47 Ac 2.38-39
48 Ac 5.32
49 Ac 20.23
50 Ac 11.28
51 Ac 21.11
52 Ac 21.12
53 Ac 20.22-23
54 Ac 4.8 ; 6.3-5 ; 7.55 ; 8.29 ; 9.17ss ; 10.19 ; 11.12,24 ; 13.2,4,9
55 Ac 19.1ss
56 Ac 10.44-47 ; 11.15 ; 15.8
57 Ac 2.38 ; 8.15-16
58 L’imposition des mains est une pratique rituelle qui peut prendre des
significations différentes. Elle manifeste la participation prise par l’homme
au sacrifice qu’il offre à Dieu (Lv 1.4 ; 4.4). Elle rend à la fois solennelle et
visible une transmission de pouvoirs ou de mission et dans ce cas elle peut
s’apparenter à une consécration (Nb 27.18  ; Ac 6.6  ; 13.3  ; 1Tm 4.14  ;
5.22 ; 2Tm 1.6). On attend de Jésus qu’il ramène à la santé ou à la vie en
imposant les mains (Mt 9.18 ; Mc 5.23 ; 7.32). Les premiers chrétiens font
de même (Ac 9.12 ; 28.8). Souvent le geste signifie le don du saint Esprit,
notamment au moment du baptême (Ac 9.17s ; 19.5s ; Hb 6.2).
59 Rm 8.9
60 Rm 8.12
61 Rm 8.15
62 Rm 8.2
63 Rm 8.2s
64 Voir aussi 1Co 15.45-50
65 Rm 8.3
66 Rm 8.14 ; 1Co 3.16s ; 2Co 3.7,18
67 Ga 5.25
68 1Co 6.17
69 Rm 8.13
70 1Co 15.45
71 Rm 8.15
72 Rm 8.16s
73 Rm 8.23-25 ; 2Co 1.22 ; 5.5 ; Ga 5.5
74 Rm 8.24
75 Rm 8.26s
76 1Co 12 et 14
77 1Th 5.19
78 Ep 4.30
79 Jn 4.24
80 Jn 1.14
81 Jn 3.16
82 Jn 3.5
83 Jn 8.32
84 Jn 17.3
85 Jn 4.23
86 Jn 15.26 ; 16.13
87 Jn 6.63
88 Jn 3.5
89 Jn 3.7
90 1Jn 5.5-8
91 Jn 4.21-24
92 Jn 6.22-58
93 Jn 3.8
94 Jn 7.38ss
95 Jn 20.22s
96 Jn 14.16s
97 Jn 14.26
98 Jn 16.8-15 ; voir aussi 5.24
99 Jn 15.26s
100 1Tm 4.14
101 2Tm 1.6
102 1 Clément 42
103 1 Clément 45.5-6
104 Ignace, Lettre aux Magnésiens 13.2
105 Irénée, Contre les hérésies 4.26-27
1 Es 41.4
2 Ps 90.2
3 2 Hénoch encore appelé Livre des secrets d’Hénoch ou Hénoch slave 65.3
4 Es 40.28
5 Ex 3.14
6 2 Hénoch 65.4-5
7 Lc 18.29-30
8 Mc 4.19
9 1Co 2.6
10 Ga 1.4
11 Hb 6.5
12 Jn 6.51
13 1Co 2.7
14 Ap 1.17s
15 Hb 1.11
16 Hb 13.8
17 Ap 21.4
18 1Co 15.25
19 Jn 5.24
1 Didachè 9,1ss
2 Ignace, Ephésiens 13,1
3 Ignace, Smyrniotes 8,2
4 Justin, Apologie 1,66,1, voir encore 1,67,5
5 Lc 22.15
6 Mt 26.17
7 Mc 14.12
8 Ex 13.14
9 Es 53.12
10 Ex 24.1-11
11 Jr 31.31-34 prophétisait déjà une nouvelle alliance aux termes de laquelle
la loi serait inscrite dans le cœur des Israëlites.
12 Es 25.6-9
13 1 Hénoch 62.13-14
14 1 Co 11.20
15 Souvenons-nous que le judaïsme fait commencer un nouveau jour à la
tombée de la nuit. Selon nos habitudes nous dirions que la scène se déroule
le jeudi soir !
16 Jn 6.53
17 Jn 6.63
18C’est le risque de la théologie d’Ignace d’Antioche qui n’hésite pas à voir
dans l’eucharistie un «  remède d’immortalité  », Ignace, Lettre aux
Ephésiens 20,2
19 Jn 1.14
1 Es 65.16
2 Ap 3.14
3 2Co 1.20
4 Gn 15.6
5 Dt 7.8-9
6 Ex 14.31
7 Dt 1.32 ; 9.23 ; Ps 78.22
8 Ps 41.14
9 Ps 19.8
10 Ps 119.66
11 Jr 32.40
12 Ps 86.11
13 Ex 14.31
14 Mc 5.34
15 Mc 5.36
16 Mc 11.31
17 Mc 2.5
18 Lc 24.25-26
19 Pourtant lire Mc 2.10-11
20 Mt 8.10
21 Mc 2.5
22 Mc 9.23-24
23 Mc 6.5
24 Mt 17.20
25 Mc 1.23 ; 6.13
26 Jn 6.26
27 Jn 4.48
28 Jn 20.29
29 Jn 2.1-11
30 Jn 8.44-47
31 Jn 17.8
32 Jn 14.21
33 Jn 3.16-18
34 Jn 6.47,54,57
35 Jn 13.34-35
36 Jn 15.10
37 Nous avons rangé l’évangile de Jean avec ses cousins synoptiques en
raison de leur genre littéraire commun.
38 Rm 4 ; Ga 3.6-29
39 Ga 3.8-9
40 1Co 15.1-7
41 1Co 15.14
42 Rm 10.9
43 1Co 12.3
44 Ph 2.6-11
45 Ga 2.20
46 Ph 1.27ss
47 Ph 2.12
48 2Co 10.15 ; Ph 3.12-14
49 1Co 16.13
50 2Co 13.5
51 Rm 11.20. Voir à ce propos l’article “Prédestination”.
52 Rm 6.8
53 2Co 4.14
54 Rm 12.3
55 Rm 14
56 1Co 13.2 ; voir aussi Ga 5.6
57 1Th 1.8 ; Ga 6.10
1 Mc 3.1-6 ; 7.1-23
2 1R 1.39
3 Lc 4.16-30
4 Mc 14.53-65
5 Mc 15.1-15
1 1R 3.9
2 Es 34.1-17
3 Jr 46.10,27s
4 Ez 30.3-4,19
5 Am 5.11-13 ; 8.6
6 Am 5.7
7 Am 5.7
8 Am 4.4
9 Am 5.18
10 Am 8.2
11 Am 8.9-12
12 Jr 30.23
13 Jr 30.14,17
14 Es 9.6
15 Es 30.18
16 Jr 31.3,11,17,20,31,33s
17 Dt 10.12s
18 Dt 32.4
19 Mc 13.24-27,33-37 et parallèles
20 Ac 10.42
21 Dn 7.13-14
22 Dn 7.26-27
23 Mt 25.31
24 Lc 18.8
25 Mt 10.32-33
26 Jn 9.39
27 Jn 12.31
28 Jn 5.24-30
29 Mc 2.10
30 Mt 6.14. Voir aussi Mt 6.12
31 Rm 3.24
32 1Jn 4.16-17
33 Rm 8.29-30
34 Gn 1.26
35 Gn 3.5
36 2Co 4.4
37 2Co 3.18
38 Rm 8.10
39 Rm 2.1-16
40 Voir 1Co 3.13-15
41 Voir Ap 3.5. Si le texte n’apparaît pas assez clair, on relira Mt 10.32-33
cité plus haut.
1 Rm 3.21 ; 4.1-25
2 Lc 18.9-14 
3 Ex 33.18
4 Lv 16.13
5 Lv 16
6 Rm 3.25
7 Ex 19
8 Lv 17.11
9 Jn 1.14
10 Rm 4
11 Gn 15.6
12 L’idée de sacrifice et son application à la crucifixion sont difficiles à
exposer en toute clarté. Deux raisons à cela  : d’abord les textes anciens
témoignent d’une évolution dans la pensée des premières Eglises. Ensuite
les exposés les plus systématiques (celui de Paul par exemple) ne font pas
toujours preuve d’une absolue rigueur dans l’expression. Ils recourent au
concept globalisant de sacrifice, alors que les textes auxquels ils se réfèrent
ne l’impliquent pas précisément. Le lecteur que le sujet intéresse voudra
bien se référer à l’article « Sacrifice ».
1 Ex 4.1-9
2 1R 17.24
3 2R 6.1ss
4 Ex 15 ; Ps 136
5 Dt 4.34
6 Jg 6.22
7 Nb 17.16ss
8 Nb 14.22s
9 Es 66.19
10 Jr 23.8
11 Am 9.13
12 Es 11.6ss
13 Mt 16.1
14 Lc 7.18ss
15 Lc 11.20
16 Mc 1.15
17 Lc 4.14
18 Mt 12.38ss
19 Mc 8.12
20 Mt 16.4
21 Jn 2.11
22 Jn 4.54
23 Jn 20.30-31
24 Dt 18.15
25 Jn 12.44ss
26 Jn 20.29
27 Jn 11.40
1 2S 12.1-7
2 Es 5.1-7
3 Ez 17.1-10
4 Ez 17.11ss
5 Sir 39.2
6 Pr 1.6
7 Mc 4.3-9
8 Mc 4.10-13
9 Mc 4.14-20
10 Mt 13.3-9
11 Mt 13.24-30
12 Mt 13.31-32
13 Mt 13.33
14 Mt 13.44-46
15 Mt 13.11,19,24,31,33,44,47
16 Jn 10.6
17 Jn 16.25-29
1 Nb 32.23
2 Lv 17.11
3 Ez 33.11
4 Ps 32.5
5 Ps 78.38
6 Jr 9.23
7 Mc 1.15
8 Lc 1.76s
9 Mc 1.4-5 ; Lc 3.3
10 Mt 1.21 En hébreu, Jeshua signifie : le Seigneur sauve.
11 Mc 2.5
12 Ac 2.38. Voir encore Ac 5.31 ; 10.43 ; 13.38
13 Ac 26.18
14 Lc 15.11-32
15 Il faut cependant entendre la promesse formulée en Gn 3.15
16 Jn 8.44
17 1 Jn 3.8.
18 Jn 8.7,34
19 1 Jn 3.6,9
20 Jn 5.14 ; 8.14
21 1 Jn 2.1
22 1 Jn 3.4 ; 5.16. Il s’agit sans doute de l’apostasie suscitée par Satan dans
les derniers jours.
23 Jn 3.17-21
24 Jn 1.9-12
25 Jn 8.24. Voir encore Jn 9.41 ; 15.22
26 Jn 1.29
27 1 Jn 1.7. Le péché est donc une souillure !
28 1 Jn 2.2 ; 4.10
29 Nb 5.8
30
Voir aussi Hb 9.11ss, spécialement le verset 26. On reparlera plus loin de
Rm 8.3.
31 1 Jn 4.7-21
32 Rm 5.12
1 Es 41.8, voir encore 44.1-2 ; 45.4 ; 48.12
2 Voir Es 49.1,5 ; Jr 1.5
3 2R 23.27
4 Jr 33.26 ; voir encore Es 1.9 ; 11.1 ; Jr 50.20
5 1Co 2.7
6 1P 1.20
7 Jn 17.24
8 Eph 1.4-5,11
9 Jn 12.37-40
10 1Th 5.9
11 Ap 13.8 ; voir aussi 17.8
12 Jn 9.39-41
13 Mc 4.1-9
14 Mc 4.10-13
15 Es 6.9-10
16 Es 6.9-10
17 Es 9.9ss
18 Es 30.9-11
19 Ps 18.29 ; 2S 22.29
20 Voir Lc 4.18 ; 6.20 ; 7.22 ; 13.21 ; 16.19ss
21 Mt 5.3-11
22 Mt 11.5
23 Mt 9.13
24 Jn 9.1-7
25 Rm 9.22s
26 Jn 17.12
27 2Th 2.3
28 Ap 17.8,11
1 Ac 2.46 et 3.1
2 Lc 3.21
3 Ps 2.7
4 Lc 6.12
5 Lc 9.20
6 Dt 18.15
7 Lc 9.35
8 Lc 11.1
9 Mc 14.36 et parallèles.
10 Lc 22.43-44
11 Lc 23.34
12 Lc 23.46
13 Mc 15.34 ; Mt 27.46
14 Jn 17.1,4,24
15 Jn 3.16
16 Jn 17.22
17 Jn 14.10
18 Ac 7.59-60
19 Lc 23.46 et 40
20 Lc 23.42
21 Jn 14.13-14
22 Jn 15.16 ; 16.23,26
23 Jn 14.26
24 Col 3.17
25 Mc 11.10
26 Jn 5.43
27 Jn 10.25,30
28 Jn 14.26
29 Jn 17.21
30 Voir par exemple Es 63.16 ; Jr 3.4
31 Ex 16
32 Ps 78.24
33 Jn 6.31-32,35
34 Mt 6.12
35 Lc 11.4
36 Mt 18.23-35
37 Lc 24.47
38 Ac 2.38
39 Mt 6.8
40 Es 6.3
41 Lc 11.1
42 Lc 10.21 ; 22.42 ; 23.34,46. Mt 11.25 ; Mc 14.36
43 Rm 8.15 ; Ga 4.6
44 Ph 4.6
45Voir aussi Mt 26.41. En ce contexte il ne peut s’agir de tentations
communes.
46 Jc 5.13
47 1Jn 5.16
48 Jc 5.16
49 2Co 12.8
50 Lc 18.1-8
51 Lc 21.28 et 36
52 Ga 1.5
53 1Co 14.16
54 Mot araméen qui signifie « Viens, notre Seigneur ! » ou « Notre Seigneur
vient ».
55 Rm 8.15
56 Ep 6.18-19
57 Rm 8.26
58 1Co 14.14
59 1Co 14.32
1 1Co 15.3-7
2 Voir Ac 9.26ss. ; Ga 1.18-19
3 Evangile de Pierre 39-42
4 Mt 28.18-19
5 Jn 20.30-31
6 Jn 21.25
7 Jn 20.29
8 Lc 24.34
9 Lc 24.36ss.
10 Lc 24.34
11 Lc 24.6
12 Lc 24.47-49
13 Mc 6.41
14 Mt 28.18-20 ; Lc 24.47-49 ; Mc 16.15-18 ; voir aussi Jn 20.22-23
15 Lc 24.34
16 Jn 20.6
17 Jn 21.15-17
18 Mt 28.19-20
19 Lc 24.39-43
20 Jn 20.25
21 Ignace, Lettre aux Smyrniotes 3.2
22 Jn 20.23
23 Jn 21.18-19
24 Jn 21.15-17
25 Es 26.19
26 Es 26.14
27 Ez 37.11
28 Dn 12.2
29 Mc 12.18-27
30 Mc 12.25
31 Mt 8.11
32 1 Co 6.13
33 1Co 6.15
34 Ap 20.4-5
35 Eusèbe, Histoire ecclésiastique 3,39,12
36 Rm 6.4ss.
37 Rm 6.11
38 Rm 8.16.
39 Ga 4.6
40 Jn 11.24-25
41 Jn 5.24
42 Rm 8.19
43 Rm 8.23s
44 Ph 3.11s
45 Jn 5.28s
46 Jn 3.16
47 2Tm 2.18
48 Mt 13.43
49 1 Co 15.42-53
50Mais la même formulation se trouve dès la fin du 2ème siècle dans une
confession de foi romaine : Hippolyte, La tradition Apostolique 21
51 Mt 28.17 ; Lc 24.16,37 ; Jn 20.15 ; 21.4
1 Es 43.15-21
2 Es 6.5
3 2S 7.13-16 ; 1Ch 17.14
4 Es 9.5-6
5 Es 11.1ss ; 6.9
6 Dn 7.27
7 Dn 7.13
8Voir 1 Hénoch 90.30ss. Sur l’expression bas-judaïsme, voir explication en
note 12 p 42.
9 1 Hénoch 84.2
10 Mc 1.14-15
11 Mc 4.30
12 Mt 8.11
13 Jn 18.36
14 Jn 3.5
15 Voir Jn 3.15-16
16 Mt 13.11
17 Mt 6.10
18 Mt 19.28. Voir aussi Lc 22.29ss
19 Mc 14.25
20 Mt 12.28
21 Lc 10.9-11
22 Voir aussi Col 1.13
23 Lc 17.21
24 Mc 1.15
25 Mt 18.3
26 Mc 9.47
27 Mc 8.38
28 Lc 9.62
29 Lc 18.29
30 Mt 5.20 ; 6.33
31 Mt 7.21-27
32 1 Co 6.9-10  ; Eph 5.5. L’auteur de la lettre aux Colossiens (4.11) va
jusqu’à affirmer qu’un chrétien nommé Justus travaille, avec l’apôtre Paul,
pour le royaume de Dieu.
33 Mt 11.12
34 Mc 4.26-28
35 Mc 10.15
36 Lc 12.32
37 Mt 22.1-14
38 Mt 25.31-46
39 Mt 22.11-12
40 Mt 5.3,10
41 Commentaire sur Matthieu 14.7
42 Ac 28.31
43 Ac 8.12
44 2Tm 4.1
45 Col 1.13
46 2Pi 1.5-11
47 Ap 11.15
48 Ap 12.10-11
49 1Co 15.24 
50 Mt 16.20
51 Mc 15.2,9,12,18,26
52 Lc 23.42
53 Ap 1.5-6 ; 5.10
54 Ap 20.4
55 Ap 22.5
56 Mt 16.19
1 Ex 20.24
2 Dt 12.18 ; voir aussi Ex 24.11
3 Gn 4.3ss
4 Dt 21.8
5 Es 1.11,16-18
6 Os 6.6
7 Mt 9.13 ; 12.7
8 Mt 12.6
9 Mc 12.32-33
10 Mc 12.34
11 Mc 14.24
12 Mt 26.28
13 Lc 22.20 ; 1Co 11.22
14 Ex 24
15 Es 53.12
16 Rm 3.25
17 Lv 16
18 Ex 25.17ss
19 Rm 8.3
20 Es 53.12
21 1Co 5.7
22 Ex 12
23 Rm 6.3-5
24 1Co 10.16
25 Ga 2.19-20
26 Jn 19.36
27 Ex 12.46
28 Ap 5.6 et 9
29 1Jn 1.7
30 1Jn 2.2
31 1Jn 4.10
32 1Pi 1.2
33 1Pi 1.18s
34 Ex 24
35 Hb 7.27s
36 Hb 9.26s
37 Rm 12.1
38 Justin, Dialogue avec Tryphon 116s
39 Irénée, Contre les hérésies 4, 17, 5
40 Clément d’Alexandrie, Stromates 1, 19
41 Tertullien, La toilette des femmes 2, 11 ; A son épouse; 2, 8
1 Ex 3
2 Ex 3.14
3 Ex 33.20
4 Gn 15.18
5 Lv 19.2
6 Es 43.14
7 Es 45.21
8 Es 6.3
9 2S 6.7
10 Os 11.9
11 Ez 20.41
12 Jn 17.11,17,19,22
13 Lc 1.35
14 Jn 6.69. Voir Ac 3.14,
15 Mc 1.24 ; Lc 4.34
16Lc 4.14 ; Ac 10.3,47 ; Voir les récits du baptême de Jésus : Mc 1.10 et
parallèles.
17 Ac 16.7 ; Rm 8.9
18 Ac 4.27,30
19 Es 42.1
20 Es 61.1ss
21 Es 53.12
22 Ac 3.14
23 Hb 9.13s ; 13.12
24 Jn 2.21
25 Eph 2.20s
26 Voir également 1 Pi 2.4s qui parle d’une sainte communauté sacerdotale.
27 1Co 3.16s
28 1Co 6.19
29 1Co 6.18
30 Jc 1.27
31 Mt 6.9
1 2S 24.1
2 Gn 22.1
3 Ex 20.20
4 Dt 8.2
5 Jg 2.22
6 Ex 15.25 ; 17.1-7 ; Dt 6.16
7 Jb 2.6
8 Jb 42.2
9 1Ch 21.1
10 Jubilés 17.16-17. C’est un écrit émanant du judaïsme intertestamentaire.
11 Siracide 4.17
12 Jdt 8.25
13 Ps 139.23
14 Mt 4.1
15 Mt 4.7
16 1Co 10.13
17 Mt 6.13
18 Lc 11.4
19 Si 15.11-12
20 Jc 1.13ss
1 Ex 20.2
2 Lv 19.17
3 Dt 6.5
4 Lc 3.10-13
5 Mt 10.37-39
6 Lc 14.26
7 Mc 12.28-34
8 Mt 5.43-44
9 Mt 6.24 ; Lc 16.9-13.
10 Lc 6.20
11 Lc 6.24
12 Mc 10.25
13 Mt 20.26
14 Lc 14.12-13
15 Mt 19.13-15
16 Mt 18.21-22
17 Mt 5.7
18 Mt 10.1
19 Mt 8.18-22
20 Lc 9.3
21 Lc 10.4ss
22 Didachè 11.4-12
23 Jn 1.12
24 Jn 3.8. Le jugement dernier est donc pour eux déjà réalisé (Jn 3.18-21).
25 Jn 6.29
26 Jn 13.1-20
27 Jn 13.34-35
28 Jn 14.23-26
29 Jn 15.7-8
30 Jn 1.14,18
31 1 Jn 3.17
32 1Co 6.9-11
33 1Co 1.10-17
34 1Co 6.1-8
35 1Co 11.17-34
36 1Co 11.33-34
37 1Co 7.17
38 1Co 7.21
39 1Co 12.26
40 1Co 13
41 1Co 8
42 1Co 10.28
43 1Co 10.31-32
44 Phm 16
45 Ap 3.15-16
46 Ap 21.4
47 Ap 21.8
48 Ap 2.14-15,20
49 Jn 8.44
50 Ap 2.10
51 Ap 3.2-3
52 Ap 14.4
53 Ap 12.10-11
54 Mc 12.28-34. Paul ne tient pas un autre discours : Rm 8.13.
55 1 Co 12.28

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