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Suivre le Christ. Commentaire de la première épître de Pierre (2006)
Au nom des pères. Florilège des textes chrétiens des premiers siècles (2008)
Des paroles de Jésus à la Bible. L’Eglise des années 100 à 250 (2011)
ISBN : 978-2-35479-245-9
Ce petit livre vient de loin, c’est l’aboutissement d’une histoire qui a de l’âge, presque autant
que moi !
J’étais un enfant qui grandissait tranquillement dans une famille chrétienne située sur les
confins du protestantisme piétiste. La Bible y faisait partie de l’univers familier. Cela ne posait aucun
problème et les années passaient au fil d’une scolarité sans histoire. Mais voilà la première étape
marquante : en classe de première, j’eus la chance d’avoir comme professeur de Lettres (français,
latin, grec) un homme passionné par son enseignement et doué pour la pédagogie de façon
merveilleuse. C’est à son école que j’ai découvert ce que peut être la lecture, la vraie lecture. Je me
souviens encore comment il entreprit d’ouvrir devant nous ce portail magnifique. Nous avions rédigé
une dissertation sur un thème du genre : avez-vous été touchés par un livre ? Le jour du corrigé, il
commença par nous poser la question : quel était le véritable sujet du devoir ? Après nous avoir laissé
piétiner, il nous fit découvrir cette évidence : il fallait raconter le livre qui nous avait marqués. Il y a
donc, même derrière une phrase imprimée, un arrière-pays où se niche le sens. C’est là qu’il faut le
chercher.
Nous apprenions des langues anciennes qui rendaient, sans le dire, ces explorations
nécessaires. Un texte doit être sondé, éprouvé, en un mot traduit même quand il est écrit dans votre
langue. Les livres sont un monde qui ne s’ouvre qu’au pèlerin patient, décidé et aussi bien armé que
possible avec les instruments de ce qu’on m’apprendra plus tard à nommer la critique littéraire et
historique.
C’est à cette époque que, trouvant sur le comptoir de librairie de notre paroisse, un livre
catalogué comme théologique, ma curiosité me poussa à l’acheter et à le lire. C’était un volume de
mélanges et quelques articles s’attachaient à expliquer des textes du Nouveau Testament.
Eblouissement ! La même méthode de lecture attentive ouvrait littéralement ces passages à mon
esprit habitué à laisser ces mots ronronner un message convenu. C’était une découverte passionnante
et qui en appelait d’autres. Et cette fois, la démarche ne se contentait pas d’une illumination
seulement littéraire. C’est le message même de l’Evangile qui prenait les couleurs de la vie. Il
parvenait à mes oreilles comme le son d’une cloche lointaine mais qui résonne clairement pour
appeler à l’éveil et demande qu’on relaye son message. Dès lors l’avenir se dessinait devant moi : je
consacrerais ma vie à tenter d’apprendre à lire la Bible de cette façon si prometteuse. Deux ans plus
tard, j’étais inscrit à la Faculté de Théologie de Paris et en recevais l’enseignement avec un
enthousiasme qui ne tarda pas cependant à diminuer : les connaissances qu’on nous demandait
d’acquérir pour comprendre et expliquer la Bible me semblaient trop élémentaires et donc
insuffisantes. Mais à deux pas il y avait la Sorbonne, l’Institut d’études sémitiques anciennes, l’Ecole
des hautes études section religion et le Collège de France. On y trouvait de quoi étancher les plus
grandes soifs de connaissances. Du moins dans les domaines de la linguistique et de l’histoire, y
compris celle des religions. Evidemment, en ce qui concerne la théologie, il me fallait me débrouiller
moi-même : mes bons maîtres voulaient ignorer totalement cet aspect pourtant essentiel des textes
bibliques.
Après une année à Heidelberg pour entendre un professeur remarquable, me voici assistant à la
Faculté de Théologie de Paris. Le protestantisme local s’évertuait à offrir par correspondance une
culture théologique destinée à des non-spécialistes. Le mot d’ordre était : simplicité mais sérieux. On
me demanda de me charger du Nouveau Testament. L’expérience fut rude : j’avais de hautes
exigences, mais il fallait que tout le monde puisse suivre. Je crains bien d’avoir parfois maltraité mes
correspondants par mon impatience. Ce sont eux qui m’ont appris les difficultés de la vulgarisation
qui est toujours un pari, mais aussi une joie quand on réussit (ou qu’on le croit !) à tenir bien en main
à la fois la science et le souci de se faire entendre.
De même, pour bien écouter l’apôtre Paul, il est absolument nécessaire de discerner en quoi
son enseignement se différencie de celui des autres livres du Nouveau Testament.
Jamais on ne m’a fait reproche de soumettre le Nouveau Testament aux impératifs d’une
science profane et de cela je reste encore aujourd’hui profondément heureux. Ces heures passées
avec des non-spécialistes ont été la plus belle part d’une longue carrière d’enseignant.
Mais il s’agissait là d’un cercle limité aux seuls protestants. Or les catholiques réunissaient
régulièrement des fidèles désireux d’approfondir leur foi en des soirées studieuses. Avec l’ingénuité
du nouveau venu, je rendis visite à l’archiprêtre de la cathédrale qui organisait ces enseignements et
lui demandai s’il ne pensait pas qu’on pourrait faire œuvre commune. Il me répondit qu’il attendait
une semblable démarche et ce fut le début d’une heureuse collaboration dans laquelle il me revenait
d’assurer la formation biblique. Aux difficultés de la vulgarisation s’ajoutaient maintenant celles de
délivrer un enseignement biblique recevable par un public œcuménique. L’avancement des travaux
de la Traduction Œcuménique de la Bible me fut là d’une très grande aide.
Avec ces précieuses expériences, on se prend vite au jeu ! Vulgariser est devenu pour moi un
besoin et l’heure de la retraite venue, je me suis laissé glisser vers ce plaisant domaine.
J’ai consacré des années à des travaux destinés à entrer en dialogue avec les exégètes de tous
les pays. Mais il fallait que ce travail exigeant sorte de la pénombre des bibliothèques et des bureaux
professoraux. J’ai donc tenté de rendre quelques textes du Nouveau Testament plus accessibles à un
public de non-spécialistes. Mais à ce faire, un nouveau désir apparaît : rendre le lecteur capable de
mener lui-même cette démarche jusqu’au bout ou presque. Pour cela, il m’a semblé qu’il faudrait
vulgariser non seulement les résultats de l’exégèse, mais sa méthode même. J’ai rêvé d’un livre dont
le sujet, sinon le titre qui est protégé, serait : « l’exégèse pour les nuls ». L’éditeur consulté m’a fait
changer d’avis et nous sommes convenus d’entreprendre ce petit dictionnaire. Il reprend, en la
développant, l’initiation au vocabulaire du Nouveau Testament que j’aimais proposer aux débutants
en grec.
Puisse ce modeste instrument servir à éveiller une soif biblique que je me désole de voir
diminuer partout aujourd’hui.
Pierre Prigent,
enseignant de profession,
bibliste de vocation.
La vulgarisation exégétique rencontre une difficulté : la discipline use bien naturellement d’un
jargon technique. Il est presque impossible de toujours éviter d’y recourir. Aussi trouvera-t-on dans
les pages de ce livre quelques mots difficiles, par exemple :
L’adjectif « synoptique » qualifie les trois premiers évangiles dont les parallèles permettent souvent
une présentation en colonnes rendant possible de les envisager d’un seul coup d’œil.
De même l’eschatologie désigne l’objet d’un discours, ou d’une pensée qui concerne la fin (eschatos
en grec signifie : dernier) des temps.
Je ne puis terminer sans exprimer ma sincère et amicale gratitude à Daniel Poujol qui a accepté de
relire fidèlement ces pages et de me communiquer ses critiques ou suggestions (et aussi ses
encouragements !). Ses judicieuses remarques m’ont amené à corriger mon texte en de multiples
occasions.
L’alliance
L’ANCIEN TESTAMENT
Un engagement mutuel
L’institutionnalisation
L’Evangile de Jésus
Les Logia
Matthieu
Luc
Transmettre l’Evangile
Raconter Jésus
Mais les paroles de Jésus ne sont pas tout l’Evangile. Jésus a agi et
ses actes eux aussi font partie de l’Evangile. L’histoire de Jésus parmi les
hommes est proprement capitale. En tout premier lieu, la fin de son histoire
terrestre : il est mort pour nous et c’est bien là le cœur de l’Evangile. Il est
donc bien normal de constater que les écrits du genre « évangile » ont
commencé avec les récits de la Passion : depuis l’arrestation de Jésus
jusqu’à sa crucifixion, sa mise au tombeau et sa résurrection. Une simple
lecture des quatre évangiles a tôt fait de nous en convaincre : c’est dans
cette partie finale que le parallélisme entre nos quatre témoins est le plus
évident. Cette fin a semblé tellement importante que l’unanimité des
témoignages s’est imposée (ou presque).
C’est bien aussi la conviction qui pousse Paul à écrire aux
Corinthiens qu’il n’a rien voulu prêcher d’autre chez eux que Jésus Christ
crucifié8 et lorsque l’apôtre rappelle les mots du credo qu’il a reçu et qu’il
transmet, il mentionne seulement la mort et la résurrection du Christ9.
L’Evangile est donc transmis par les évangiles et les autres écrits du
Nouveau Testament. Mais cette transmission se réalise aussi parfois par des
voies originales, à savoir par le truchement de créations littéraires ou plus
exactement liturgiques et cultuelles.
Le texte que Paul cite au chapitre 2 de son épître aux Philippiens
contient une confession de foi particulièrement remarquable du fait qu’elle
ne mentionne le ministère terrestre du Christ que par allusion aux
prophéties du Serviteur du Seigneur11. Elle rappelle ensuite la crucifixion,
la résurrection et l’ascension, toutes manifestations de la seigneurie du
Christ :
« Lui qui est de condition divine
n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu.
Mais il s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur,
devenant semblable aux hommes,
et par son aspect reconnu comme un homme, il s’est abaissé,
devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix.
C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé
et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom,
afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse,
dans les cieux, sur la terre et sous la terre,
et que toute langue confesse que Jésus Christ est le Seigneur,
A la gloire de Dieu le Père ».
C’est ainsi que les premières communautés chrétiennes confessaient
et proclamaient leur foi en un Evangile qu’elles avaient à cœur de
transmettre. Elles recouraient parfois pour cela aux mots des anciennes
prophéties qu’elles combinaient pour faire entendre, à un auditoire convenu,
les grandes vérités de l’Evangile. « On lit dans l’Ecriture :
Voici, je pose en Sion une pierre angulaire, choisie et précieuse.
Celui qui met en elle sa confiance ne sera pas confondu.
A vous donc, les croyants, l’honneur.
Mais pour les incrédules
La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre de l’angle
Et aussi une pierre d’achoppement, un roc qui fait chuter » 12
.
Ce texte est, des trois, le plus tardif. Il date sans doute de l’an 96,
c’est-à-dire bien après les redoutables mesures antichrétiennes que Néron a
appliquées à Rome. C’est l’époque du règne de Domitien qui favorise le
culte impérial en Asie Mineure. Dans la vision de l’Apocalypse, une bête
monstrueuse monte de la mer (qui baigne les rivages de l’empire romain).
La description s’inspire de la prophétie de Daniel7 qui annonce la venue de
grands empires destinés à dominer le monde. Dans l’Apocalypse, la bête
représente l’empire romain. Son nom est un blasphème : ne regarde-t-on
pas l’empereur comme Seigneur et Dieu ! On l’acclame au cri de « Qui est
comme la bête ? »8, alors que le chef des anges se nomme Michaël9 ce qui
signifie en hébreu : Qui est comme Dieu ! Elle exerce le pouvoir pendant
quarante-deux mois10, comme Satan lui-même. C’est la durée de la
persécution d’Antiochus IV Epiphane qui, au temps du prophète Daniel,
voulut anéantir Israël. Il fut révélé au prophète que l’épreuve ne serait que
passagère, car Dieu n’oublie pas son peuple et annonce déjà la date du salut.
Le monde entier adore la bête, à l’exception des chrétiens qui pour
cela sont persécutés11. Mais l’empire n’est qu’une création humaine, c’est
ce que signifie le chiffre mystérieux dont il marque ses sujets, 666, qui est
très vraisemblablement l’expression en code chiffré de la proclamation :
Néron est Seigneur !
En 96, il n’y a pas encore de persécutions antichrétiennes générales,
mais l’auteur de l’Apocalypse jette sur l’empire un regard lucide parce
qu’inspiré : le pouvoir impérial ne peut que s’opposer frontalement au
christianisme. Au nom de Dieu, la révélation (c’est le sens du mot grec
Apocalypsis) adresse aux chrétiens un pressant appel à obéir au seul
Seigneur dans un monde dont l’hostilité ne peut que croître.
Au deuxième siècle13
Jean le Baptiste
Le baptême de Jésus
Or, tous nos témoins s’accordent sur ce point : Jésus a voulu être
baptisé par Jean, s’assimilant ainsi aux pécheurs qui avaient besoin de
repentance. Le fait est ressenti comme choquant par Matthieu5 qui
mentionne l’objection de Jean : « C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par
toi », tandis que Jésus répond : « Laisse faire maintenant : c’est ainsi qu’il
nous convient d’accomplir toute justice ». Ce qui signifie à peu près : telle
est la volonté de Dieu.
Il s’agit donc d’un baptême très exceptionnel : comme Jean l’avait
prophétisé, l’Esprit de Dieu descend sur le baptisé, le désignant ainsi
comme le Fils de Dieu selon les termes de la voix céleste qui cite alors le
Psaume 2.7. Celui qui a été baptisé d’Esprit saint est celui qui instaure un
nouveau baptême, non plus d’eau seulement, mais aussi d’Esprit saint.
C’est là une mutation essentielle. Pourtant des textes des Actes nous
apprennent que, bien que les apôtres aient prêché fidèlement un baptême
chrétien conférant le pardon des péchés et le don du saint Esprit6, Pierre et
Jean rencontrent en Samarie des chrétiens qui ont été baptisés au nom du
Seigneur Jésus mais n’ont pas reçu l’Esprit. Les deux apôtres s’empressent
de pallier cette inacceptable déficience7.
Lorsque Paul, après sa vision décisive, se rend à Damas chez
Ananias, celui-ci l’exhorte à recevoir le baptême et la purification des
péchés en invoquant le nom de Jésus. Il n’est pas question du saint Esprit8.
Plus tard Paul découvrira qu’il y a à Ephèse des membres de la
communauté chrétienne, et parmi eux Apollos, qui n’ont aucune
connaissance du saint Esprit, n’ayant reçu que le baptême de Jean. Paul les
baptise au nom du Seigneur Jésus et ils reçoivent le saint Esprit9. Ce re-
baptême montre bien que le don du saint Esprit est la caractéristique
essentielle du baptême chrétien célébré au nom de Jésus.
L’invocation trinitaire
Signification du baptême
Encore pécheurs ?
Le baptisé est ressuscité avec le Christ. L’affirmation, on le
comprend, ne laisse pas de poser question. La vie quotidienne des chrétiens
a tôt fait de soulever un redoutable problème : morts au péché, vivant de la
vie nouvelle que le saint Esprit anime, ils restent des créatures faibles et
faillibles. Il y a dans la tradition paulinienne deux réponses données à la
question « Sommes-nous encore pêcheurs après le baptême ? »:
–Si nous avons communié à la mort du Christ, nous serons également
unis à sa résurrection 26
. Notons bien l’emploi du futur ! Ou encore :
« Morts avec Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui » 27
. Mais n’est-ce pas là une réponse incomplète ? Le baptême est un fait.
Il a été célébré et si la vie nouvelle qu’il inaugure tend vers un avenir
eschatologique, son effet ne peut être différé jusque-là.
–Associé à la mort du Christ, le baptisé est libéré du péché 28
et
pourtant l’apôtre poursuit aussitôt avec cette exhortation : « Que le
péché ne règne plus dans votre corps mortel » 29
. Il y a là une
contradiction dans les termes qu’aucune théologie ne peut ni ne doit
ignorer. La vie nouvelle, ressuscitée, n’est pas de l’ordre des
phénomènes naturels, ce qui rendrait la sanctification parfaite et
automatique. Le chrétien ne peut espérer posséder que les arrhes de
l’Esprit 30
.
La foi nécessaire
La vie nouvelle est bien réelle, elle peut s’expérimenter, mais
l’homme n’y accède que par la foi et il n’y demeure que par la foi. Après
l’apôtre Paul, l’Eglise insistera sur ce point : « Faites de toutes les nations
des disciples »31 c’est-à-dire des gens qui croient en Jésus. « Celui qui
croira et sera baptisé sera sauvé »32.
Paul et Silas, miraculeusement délivrés de leur prison, répondent au
geôlier qui demande ce qu’il doit faire pour être sauvé : « Crois au Seigneur
Jésus et tu seras sauvé »33 et ils le baptisent.
Il faut encore citer un texte johannique34 bien qu’il n’y soit pas
question nommément du baptême mais de la nouvelle naissance qu’il
signifie : « A ceux qui croient en son nom (il s’agit de la Parole de Dieu et
donc du Christ), il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu ». Et
encore : « Tout esprit qui confesse Jésus-Christ venu dans la chair est de
Dieu »35. Dans son entretien avec Apollos, Paul pose l’équivalence entre
« devenir croyant » et « recevoir le baptême »36.
La communion avec le Christ mort et ressuscité se réalise donc par
la foi, témoin en est cette exhortation si souvent mal comprise :
« Considérez que vous êtes morts au péché et vivants pour Dieu en Jésus
Christ »37. Non pas : Faites comme si vous étiez…, mais : Prenez
conscience que vous êtes… C’est une réalité, mais on n’y accède que par la
foi. C’est donc beaucoup plus sûr qu’une simple résolution psychologique.
1 Pierre 3.18-22
pour toutes,
lui, juste, pour les injustes
afin de vous présenter à Dieu,
lui mis à mort pour ce qui est de la chair,
mais rendu à la vie pour ce qui est de l’Esprit.
19
C’est alors qu’il est allé prêcher même aux esprits en prison,
20
aux rebelles d’autrefois quand se prolongeait la patience de Dieu
Un enseignement pré-baptismal
Au deuxième siècle
Vers les années 110, Ignace d’Antioche, transposant ce qui était une
exigence de foi en impératif d’obéissance à la hiérarchie ecclésiastique,
durcit cette discipline : « Il n’est pas permis en dehors de l’évêque ni de
baptiser, ni de faire l’agape »45.
L’épître de Barnabé reproduit, dans ses derniers chapitres46, une
version des Deux voies sans imposer cet enseignement comme condition du
baptême. Pour cet écrit, qui est sans doute d’origine palestinienne, le
baptême « en nous renouvelant par le pardon des péchés, a fait de nous un
autre être, en sorte que nous avons une âme d’enfant, tout à fait comme s’il
(le Seigneur) nous créait à nouveau … Nous voici donc créés à nouveau et
le Seigneur vient habiter en nos cœurs »47. Le baptême efface donc toute
l’histoire de l’homme qui est placée depuis la chute sous la domination du
péché. Le baptisé recommence l’histoire là où elle s’était arrêtée : il se
retrouve dans le paradis pour mener la vie d’obéissance à Dieu qu’Adam
avait refusée. Telle est l’interprétation que Barnabé donne de la nouvelle
naissance. Le baptisé voit donc l’avenir s’ouvrir devant lui : il portera des
fruits en son cœur « ayant dans l’esprit la crainte et l’espérance en Jésus ».
Il peut manger de l’arbre de vie, c’est-à-dire écouter l’enseignement de
l’Eglise et croire. Alors il vivra éternellement48.
L’auteur se garde de limiter en les énumérant les commandements
que le baptisé doit respecter. De plus, le salut qu’il promet est repoussé au
royaume eschatologique.
A Rome
Le troisième siècle
Israël croit en un Dieu unique qui est son Dieu. C’est donc lui qui
est réputé bénir ou maudire. Nul ne peut maudire si Dieu ne le veut pas ; il
reste maître de la bénédiction, comme le montre l’histoire de Balaam :
mandaté par un roi ennemi pour maudire Israël, le sorcier voit sa
malédiction changée par Dieu en bénédiction1.
Quand un homme en Israël bénit ou maudit, il le fait au nom de son
Dieu. C’est bien pourquoi il s’agit le plus souvent de bénédiction et ce geste
est délibérément voulu par Dieu et non l’effet d’une force obscure. La
bénédiction appelle en retour la reconnaissance du bénéficiaire2, ce que la
traduction grecque de l’Ancien Testament a très bien compris : le mot grec
choisi pour rendre beraka (bénédiction) est eulogia qui signifie exactement
« louange ».
Parmi les premières bénédictions mentionnées dans la Bible, citons
celle que Dieu adresse à Abraham qu’il appelle à quitter son pays : « Pars…
vers le pays que je te ferai voir. Je ferai de toi une grande nation et je te
bénirai »3. Et voici la bénédiction d’Isaac à qui Dieu promet : « Je serai
avec toi et je te bénirai »4. Le premier membre de phrase ne fait
qu’expliciter le second : celui que Dieu bénit peut compter sur la constante
présence de son Seigneur.
Depuis ce monde ancien jusqu’aujourd’hui, il est fait souvent un
double usage du mot bénédiction :
–il peut désigner des réalités concrètes et généralement matérielles que
les hommes saluent comme bénédictions de Dieu (succès, richesse,
santé, longévité),
–mais il veut d’abord signifier que Dieu accorde aux siens la
bénédiction suprême qu’est sa faveur, son aide, sa présence aimante,
en un mot son salut. C’est pourquoi les prières demandent instamment
la bénédiction de Dieu 5
.
La demande de bénédiction est au cœur de la prière du croyant et
Dieu atteste de sa volonté d’y répondre par l’intermédiaire des prêtres dans
le culte : « Le Seigneur dit à Moïse : Dis à Aaron et à ses fils (les prêtres) :
Vous bénirez ainsi les Israélites. Vous leur direz :
Que le Seigneur te bénisse et te garde ! Que le Seigneur fasse briller
sa face sur toi et t’accorde sa grâce ! Que le Seigneur porte sur toi son
regard et te donne la paix ! »6.
La foi discerne et accueille la bénédiction dans l’obéissance à la
volonté de Dieu : « Celui qui a les mains innocentes et le cœur pur…
obtiendra la bénédiction du Seigneur »7. Se rebeller contre Dieu, c’est
encourir sa malédiction comme le serpent au jardin d’Eden8, ou Caïn,
meurtrier d’Abel9. Jérémie proclame au nom du Seigneur : « Maudit soit
l’homme qui n’écoute pas les paroles de cette alliance que j’ai instituée
pour vos pères, le jour où je les ai fait sortir d’Egypte »10 et Dieu s’adresse
en ces termes à son peuple : « Vois, je mets aujourd’hui devant vous
bénédiction et malédiction : la bénédiction si vous écoutez les
commandements du Seigneur, votre Dieu… la malédiction si vous
n’écoutez pas…»11. La malédiction sanctionne donc le mépris des
commandements, la violation de l’alliance ; elle frappe celui qui fait le mal
et ceux qui s’opposent au peuple de Dieu.
La bénédiction et l’eschatologie
L’accent eschatologique décelé plus haut dans le judaïsme se
retrouve dans les Béatitudes de Matthieu dont le parallèle chez Luc
conserve le souvenir d’un volet symétrique avec des malédictions,
témoignant ainsi que le mot initial « Heureux ! » est un parfait synonyme de
« Béni ! ». Un instant de réflexion emporte la conviction : si les Béatitudes
ne sont pas entendues dans une perspective eschatologique, elles ne sont
que trompeuse illusion !
L’évangile de Matthieu offre une description métaphorique du
jugement dernier. Le Christ énonce son verdict : « Venez, les bénis de mon
Père, recevez en partage le royaume qui a été préparé pour vous depuis la
fondation du monde… Allez-vous en loin de moi, maudits, au feu éternel
qui a été préparé pour le diable et ses anges… Et ils s’en iront, ceux-ci au
châtiment éternel, et les justes à la vie éternelle »26. C’est aussi dans cette
perspective qu’il faut lire dans le livre des Actes que « Dieu a envoyé son
Serviteur pour vous bénir, en détournant chacun de vous de ses méfaits »27.
Un dernier mot
Il est sans doute utile de commencer par prendre conscience que nos
habitudes d’occidentaux voient l’homme comme doté d’un corps (de chair)
et d’un esprit immatériel. A quoi nous ajoutons le plus souvent une âme.
Cette conception nous vient de très loin, mais plutôt de la culture grecque
que de la Bible.
Pour les anciens Hébreux, l’anthropologie (la conception de
l’homme) peut être caractérisée comme somatique ou holistique pour
employer la terminologie contemporaine : l’homme est (remarquer le verbe)
chair c’est-à-dire qu’il est une créature dont la réalité physique peut le
rendre sensible à la révélation de Dieu comme en témoigne cette prière :
« Mon âme a soif de toi, ma chair languit après toi »1. Mais la chair est
aussi le signe de la faiblesse de l’homme et de son caractère éphémère : la
chair est comme l’herbe2, elle fane et disparaît. Le créateur, qui a façonné
l’homme, souffle en lui son Esprit et l’homme devient un être vivant3,
littéralement « une âme vivante ». On aura noté qu’il n’est pas dit qu’une
âme est donnée à l’homme : il est chair et devient animé (du latin anima,
d’abord le souffle vital, finalement l’âme), vivant.
Pour compléter cette brève présentation de l’anthropologie
hébraïque, il faut ajouter que l’Esprit de Dieu qui anime l’homme implante
en lui un esprit qui est le siège de la volonté active. C’est l’esprit qui suscite
l’irritation et la colère dont l’homme n’est pas toujours maître. Il faut donc
que l’esprit de l’homme soit surveillé et maîtrisé par l’Esprit de Dieu.
Ajoutons enfin que dans l’homme, le cœur abrite l’intelligence
affective, la mémoire et la conscience. Une bonne synthèse de ces
conceptions se lit dans le Ps 51.12 : « Ô Dieu, créé pour moi un cœur pur !
Enracine en moi un esprit tout neuf ! » Comme être de chair, l’homme est
faible. Cette faiblesse sera vite regardée comme l’occasion offerte au mal
d’éloigner l’homme de son Dieu. A Qumran, on met en garde contre
l’iniquité de la chair4, mais on proclame que l’Esprit du Seigneur peut
purifier la chair5.
Le Nouveau Testament
Pourquoi la croix ?
La prophétie d’Esaïe
Le Serviteur de Dieu
C’est bien ainsi que les premiers chrétiens l’ont comprise. Si les
textes du Nouveau Testament s’y réfèrent rarement de manière explicite, les
allusions ou citations indirectes sont très nombreuses.
On mentionnera en tout premier lieu les mots qui, malgré les
différences qui les séparent, se retrouvent dans tous les récits d’institution
de l’eucharistie : « Ceci est mon sang, le sang de l’alliance versé pour la
multitude (en grec hyper pollôn17). On se réfèrera à Es 53.12 : « Il a porté
les péchés de la multitude (pollôn) ». L’apôtre Paul cite une confession de
foi antérieure : « Christ est mort pour nos péchés selon les Ecritures »18.
Selon Lc 22.37, Jésus voit son dénuement comme
l’accomplissement d’Es 53.12.
En Rm 8.32, Paul écrit que Dieu a livré son Fils pour nous tous »19.
Selon Rm 5.16,19, l’obéissance du seul Jésus Christ est la
justification pour la multitude20.
L’hymne de Ph 2.7-8 célèbre Jésus qui a pris la condition de
Serviteur et s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort21.
Il est donc clair que Jésus lui-même a vu dans son ministère terrestre
l’accomplissement des prophéties d’Esaïe et que le christianisme primitif a
très tôt fait de même. Pourtant il faut noter que ces références aux chants du
Serviteur ont bien vite cessé d’être considérées comme une explication
suffisante de l’œuvre du Christ. Après l’époque de la rédaction du Nouveau
Testament, on n’en trouve plus que des références globales et encore
seulement dans des écrits qui s’inspirent d’anciennes liturgies comme la
Didachè, la première épître de Clément et le Martyre de Polycarpe. La
remarque a son prix : elle permet de faire remonter très haut et jusqu’à
Jésus lui-même la conviction que sa vie et sa mort étaient
l’accomplissement des prophéties annonçant le sort du Serviteur. Si après
les années 100, ces références deviennent rares et à peine perceptibles, c’est
que le souvenir de cette prédication s’est presque estompé et qu’il cède la
place à l’annonce de Jésus le Messie.
Le Fils de l’homme
En conclusion
L’ANCIEN TESTAMENT
LE NOUVEAU TESTAMENT
LE JÉSUS DE L’HISTOIRE
Fils de Dieu
Jésus est baptisé par Jean le Baptiste. A cette occasion, il entend une
voix céleste proclamer : « Tu es mon Fils bien aimé, il m’a plu de te
choisir »15. Jésus se sait donc invité à reconnaître en Dieu son Père et à faire
partager cette assurance à tous ceux qui veulent bien l’entendre. N’invite-t-
il pas à prier : « Notre Père… » ?
C’est la bienheureuse annonce d’une nouvelle relation personnelle à
un Dieu jusque-là présenté comme principalement intéressé par le destin de
son peuple. Il est particulièrement remarquable que Jésus ait manifesté une
nette réserve quant au titre de messie, évidemment en raison des accents
politiques et triomphaux que ce terme véhicule16. Messie (Mashiah en
hébreu, Christos en grec) signifie « oint ». En Israël, c’est d’abord le roi qui
est oint au nom de Dieu. Ainsi Samuel oint-il David17. Celui-ci est un roi si
remarquable que sa royauté est bientôt regardée comme un modèle et les
prophètes d’Israël annoncent la venue d’un souverain de même
descendance, que Dieu enverra pour le salut de son peuple18. Au temps de
Jésus, le judaïsme attend ardemment ce royal sauveur19.
Convertissez-vous !
Jésus sème une parole qui doit fructifier en chacun. Une attitude de
réception est donc exigée, suivie d’une conduite susceptible de ne pas
étouffer la croissance de cette semence. Comment vivre maintenant cette
vie nouvelle ? L’Evangile de Jésus comporte des enseignements relevant de
la morale pratique. Le Sermon sur la montagne27 en donne un échantillon
significatif : les commandements de Dieu contenus dans l’Ancien
Testament ne sont pas caducs, mais, au-delà de leur sens littéral, souvent
réduit à leur aspect formel, il faut entendre ce que Dieu veut véritablement.
Jésus vient révéler quelle était l’intention de Dieu en donnant ces
commandements : « Vous avez appris qu’il a été dit ‘Tu aimeras ton
prochain et tu haïras ton ennemi’. Et moi je vous dis : Aimez vos
ennemis »28.
Jésus peut révéler Dieu comme Père, car Dieu l’a appelé son Fils.
Mais ce n’est pas un titre dont Jésus semble s’être réclamé. Lorsqu’il se
réfère aux prophéties qui annonçaient la venue d’un envoyé de Dieu, il
mentionne le Fils de l’homme dont le livre de Daniel29 prophétise
l’intervention lors du jugement dernier. C’est en tant que tel que Jésus peut
dès maintenant pardonner les péchés30 et qu’il est venu pour chercher et
sauver ce qui était perdu31.
Mais il est tout à fait évident qu’il s’attend, en tant que Fils de
l’homme, à connaître un sort plus que difficile : « Le Fils de l’homme doit
souffrir beaucoup »32. Il doit donner sa vie en rançon pour beaucoup33.
Où Jésus a-t-il trouvé la prophétie d’une mort subie en faveur
d’hommes en grand nombre ? Rien de semblable ne se trouve dans la
prophétie de Daniel. Mais les chants du Serviteur de Yahwé qu’on lit dans
le livre d’Esaïe donnent la réponse : ce personnage mystérieux désigné
comme Serviteur du Seigneur doit être humilié et maltraité ; mais ce sont
nos souffrances qu’il porte ; il s’est dépouillé jusqu’à la mort ; il a porté les
fautes de beaucoup34. C’est là un aspect de la prédication de Jésus que les
disciples n’ont pas facilement accepté : Pierre a protesté contre la prophétie
des souffrances et de la mort de Jésus35. Jésus exprime sa certitude d’être
un messie très inattendu : contrairement à ce que le peuple aime à croire, il
ne connaîtra ni pouvoir ni gloire. Il mourra d’une mort infâmante qui sera
pourtant le salut pour d’innombrables foules. Tel est le jugement exercé par
le Fils de l’homme à la fin des temps : il meurt pour que les hommes vivent.
C’est le jugement d’un Dieu qui est grâce.
Dans le livre des Actes des apôtres et dans les épîtres de Paul, on
constate que le discours tenu sur Jésus se focalise sur la résurrection : la vie,
les miracles, l’enseignement et les rencontres de Jésus sont laissés dans
l’ombre du sous-entendu. Voici la bonne nouvelle que Paul annonce à
Antioche : « La promesse faite aux pères, Dieu l’a pleinement accomplie à
l’égard de nous, leurs enfants, quand il a ressuscité Jésus »36. Ce n’est pas
seulement l’accomplissement des promesses, c’est d’abord et surtout une
parfaite révélation de Dieu lui-même : Il « a tant aimé le monde qu’il a
donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse
pas mais ait la vie éternelle »37. Aimer c’est connaître Dieu car Dieu est
amour38. Jésus est la manifestation de cet amour : la gloire de Dieu rayonne
sur le visage du Christ39. Il s’agit vraiment d’une révélation : la sagesse des
hommes considère qu’un pareil don n’est de la part de Dieu que folie40.
C’est en Christ que l’homme se découvre appelé par Dieu au salut41 et
devient capable d’un culte adressé à un Dieu dont il a découvert le visage
de miséricorde, d’espérance, de paix, de vérité, de bonté, de patience et de
générosité42.
L’œuvre du Christ ne se réduit pas à révéler l’être véritable du Père.
En effet « Dieu l’a souverainement élevé (par la résurrection et l’ascension)
et lui a donné le nom (le nom de Seigneur qui est le nom de Dieu) qui est
au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse, dans
les cieux, sur la terre et sous la terre (c’est-à-dire le séjour des morts) et que
toute langue confesse que le Seigneur, c’est Jésus Christ, à la gloire de Dieu
le Père »43. Les chrétiens s’opposeront donc farouchement aux exigences
du culte impérial qui proclame que l’empereur est Seigneur44.
Voilà pourquoi le baptême qui marque le croyant du sceau divin est
célébré au nom du Père, du Fils et du saint Esprit45. Bientôt l’affirmation de
la divinité du Christ amènera les chrétiens à confesser son éternité et sa
participation à l’œuvre de la création : « Le Logos (la Parole en grec, c’est-
à-dire le Christ, Verbe de Dieu) était Dieu. Il était au commencement auprès
de Dieu. Tout fut par lui et rien de ce qui fut, ne fut sans lui »46.
C’est pourquoi le plan de salut conçu par Dieu avant la fondation du
monde comportait déjà l’œuvre du Christ47. C’est lui l’agneau immolé pour
ouvrir le livre de la vie éternelle depuis la fondation du monde48 et dont le
retour glorieux et tant désiré est attendu pour la fin du monde49.
L’Eglise
Le mot et l’idée
Le don de l’Esprit
L’image du corps
Cette conception de l’unité s’exprime par le recours à des images
variées : Jean emploie l’image du cep et des sarments22. Paul privilégie
celle du corps et des membres. Ce n’est pas à la Bible juive qu’il emprunte
cette métaphore, mais sans doute à l’école philosophique stoïcienne, sans
que cela l’entraîne loin de sa foi au Christ. Le développement qu’il consacre
au sujet23 est introduit par un paragraphe consacré aux dons de l’Esprit dont
l’affirmation centrale est : « Il y a diversité de dons, mais c’est le même
Esprit »24 et c’est l’Esprit qui pousse à confesser la foi en la seigneurie de
Jésus25. « A plusieurs, nous sommes un seul corps en Christ, étant tous
membres les uns des autres, chacun pour sa part »26.
Comme l’image du corps sera reprise, avec un élargissement
remarquable, dans les lettres aux Colossiens et aux Ephésiens, il importe de
bien saisir la spécificité de la pensée de l’apôtre dans les textes
précédemment cités des grandes épîtres: l’Eglise est une société dont
l’unité est la résultante de l’action du saint Esprit qui suscite des vocations
au service de l’ensemble. En cela, elle est comparable au corps humain dont
les différents membres sont dévoués au service de l’ensemble qui forme un
être humain. Pourtant, ce corps a une particularité essentielle : il est par
l’Esprit le corps du Christ et c’est l’Esprit qui fait de chaque membre un
serviteur du corps, c’est-à-dire un serviteur du Christ. L’image est donc
riche de signification, mais elle reste sagement au niveau de la comparaison
sans dériver, comme ce sera le cas plus tard, en direction d’une mystique
aventurée.
L’image du temple
Bien que le mot « Eglise » ne soit pas mentionné, c’est bien le sujet
de la réflexion qu’on lit dans la première épître de Pierre27. Ce paragraphe
dans lequel il faut sans doute reconnaître la citation d’une œuvre antérieure
reprend dans son introduction les thèmes des textes qui vont être cités : Es
28.16, « Voici que je pose en Sion une pierre à toute épreuve, une pierre
angulaire, précieuse, établie pour servir de fondation et celui qui met en elle
sa confiance ne sera pas confondu » ; puis Ps 118.22, « La pierre que les
maçons ont rejetée est devenue la pierre angulaire ».
Ces prophéties sont comprises comme relatives au Christ : c’est lui
la pierre rejetée lors de la crucifixion qui devient, par la résurrection, la
pièce maîtresse d’un bâtiment dans lequel il faut voir l’image de l’Eglise :
« Approchez-vous de lui, pierre vivante, rejetée par les hommes mais
choisie et précieuse devant Dieu. Vous-mêmes, comme des pierres vivantes,
entrez dans la construction de la maison habitée par l’Esprit… pour offrir
des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus Christ »28. La maison
spirituelle, c’est le vrai temple où sont offerts à Dieu, par Jésus-Christ, des
sacrifices spirituels, c’est-à-dire un culte conforme à la volonté de Dieu.
C’est l’Eglise, édifice que forment ensemble tous ceux qui confessent
Jésus-Christ29.
La foi commune
Les ministères
L’ANCIEN TESTAMENT
Le mot hébreu que l’on traduit le plus souvent par « Esprit » est
Roua’ qui signifie « le vent, l’haleine, le souffle vivifiant de Dieu ». Le mot
grec correspondant est Pneuma qui a le même sens. Dieu crée l’homme et
insuffle en lui l’haleine de vie ( ici Neshama qui est un synonyme de Roua’)
et l’homme devient un être vivant1. Il n’en va pas autrement de tous les
hommes : « Si Dieu leur reprend le souffle, ils expirent. Il envoie son
souffle : ils sont créés »2.
Mais l’Esprit de Dieu ne se contente pas de donner la vie : il peut
éveiller en l’homme des possibilités extraordinaires.
Samuel oint Saül et lui dit : « Alors fondra sur toi l’Esprit du
Seigneur, tu entreras en transe et tu seras changé en un autre homme »3. Et
de fait, quand l’armée des Ammonites menace Israël, une force
extraordinaire fait de Saül le chef qui entraîne tout le peuple à le suivre dans
sa résistance4. David sera lui aussi habité par l’Esprit du Seigneur5 et la
merveilleuse sagesse de Salomon apparaîtra comme un signe de
l’inspiration divine6.
Ensuite les perspectives s’élargissent et c’est le messie qui reçoit la
promesse de l’Esprit : « Un rameau sortira de la souche de Jessé (le père de
David)… Sur lui reposera l’Esprit du Seigneur : esprit de sagesse et de
discernement, esprit de conseil et de vaillance, esprit de connaissance et de
crainte du Seigneur »7. Parfois la promesse prend un ton plus mystérieux :
« Voici mon Serviteur… mon élu… j’ai mis mon Esprit sur lui »8, ou plus
général : Dieu promet à Israël son soutien. Son Esprit se tient au milieu de
son peuple comme jadis la colonne de feu lors de la sortie d’Egypte. Il n’y a
donc rien à craindre9.
Mais l’Esprit n’est pas nécessairement destiné à favoriser Israël :
Dieu peut envoyer un Esprit de torpeur pour aveugler les prophètes10, et
l’Esprit du Seigneur se retire de Saül pour laisser place à un Esprit mauvais,
envoyé par le Seigneur11. Le judaïsme ultérieur tend à restreindre le rôle de
l’Esprit en limitant son action à l’inspiration des Ecritures.
LE NOUVEAU TESTAMENT
Les deux livres étant du même auteur, il est évident qu’il faut les
aborder comme une unité. Pourtant on distingue dans cet ensemble deux
parties : il est d’abord question, comme chez Marc et Matthieu mais de
manière assez originale, des relations entre Jésus et l’Esprit. Et puis, dès
l’évangile mais plus décidément dans les Actes, les récits se focalisent sur
l’Esprit en tant qu’il ouvre le temps de l’Eglise.
Dans le judaïsme
Dans le christianisme
la mangerai plus
accomplie dans le
Prenez-la et partagez
de la vigne jusqu’à ce
de Dieu.
26) Pendant le repas,
22) Pendant le repas, il
19) Puis il prit du pain
Le Seigneur Jésus, dans
bénédiction il le rompit
bénédiction, il le
leur donna en disant :
avoir rendu grâce, il le
disciples, il dit :
dit :
donné pour vous. Faites
Ceci est mon corps qui
donna en disant :
donna et ils en burent
Cette coupe est la
en disant :
Buvez en tous,
tous.
nouvelle alliance en
Cette coupe est la
sang, le sang de
Ceci est mon sang, le
mon sang versé pour
mon sang. Faites cela
multitude, pour le
pour la multitude.
en boirez en mémoire
de ce fruit de la vigne
jusqu’au jour où je le
pain et que vous buvez
jusqu’au jour où je le
boirai nouveau dans le
de cette coupe, vous
Lecture du tableau
Un repas pascal ?
L’agape
Signification de l’eucharistie
L’eucharistie à Corinthe
Le quatrième évangile
Conclusion
L’ANCIEN TESTAMENT
L’un des mots qui dans l’Ancien Testament est privilégié pour son
aptitude à exprimer un sens religieux est Aman dont la racine signifie la
solidité, la certitude et la confiance. Amen veut dire : c’est sûr, c’est vrai. En
grec, croire se dit Pisteuô et Pistis est la foi, la fidélité.
Le fondement de la religion d’Israël est la confession d’un Dieu
fidèle, sûr. On peut compter sur lui. Le fidèle s’adresse donc à lui avec une
pleine confiance.
Esaïe1 le nomme « Dieu Amen » et si en grec, la Septante
traduit « Dieu véritable », une autre traduction plus soucieuse de littéralité
(Symmaque), choisit de garder le mot comme nom propre : le « Dieu
Amen », solution dont l’Apocalypse2 s’inspirera : « Ainsi parle l’Amen, le
témoin fidèle et véritable (c’est-à-dire le Christ) ». Selon l’apôtre Paul,
toutes les promesses de Dieu ont trouvé dans le Christ un « oui » : « Aussi
est-ce par lui que nous disons Amen à Dieu pour sa gloire »3.
Abraham reçoit de ce Dieu fidèle la promesse d’une descendance
innombrable. Il accueille cette parole avec foi et le Seigneur pour cela le
considère comme un juste, c’est-à-dire comme un homme selon son cœur4.
Dieu tient ses promesses. Lorsque son peuple est réduit en esclavage en
Egypte, il l’en fait sortir par amour et fidélité à ce qu’il a promis : « il garde
son alliance et sa fidélité » à son peuple qui l’aime et garde ses
commandements5. La sortie d’Egypte est donc le moment où Dieu se révèle
comme le Dieu sûr. Lorsque Israël vit le miracle de la Mer Rouge qui
s’ouvrait pour laisser passer le seul peuple élu, il « craignit le Seigneur, il
mit sa foi dans le Seigneur et en Moïse son serviteur »6. Les doutes qui
s’exprimaient en Israël n’ont pas ébranlé la décision du Dieu fidèle7. A
cette fidélité, l’homme répond : Amen ! « Béni soit le Seigneur, le Dieu
d’Israël, depuis toujours et à toujours ! Amen et Amen ! »8.
Dieu ne se contente pas de sauver son peuple, il lui donne sa loi et
demande qu’on lui obéisse. « La loi du Seigneur est parfaite… elle est
sûre »9. Le Psalmiste proclame qu’il veut se fier aux commandements de
son Dieu10. Le Seigneur est le Très-Haut, le Dieu du ciel et de la terre. Il
inspire le respect et même une crainte religieuse qui n’est finalement pas
vraiment différente de la foi. Ainsi parle le Seigneur : « Je conclus avec eux
une alliance perpétuelle… et je mettrai ma crainte dans leur cœur11. A quoi
répond la prière de l’homme : « Unifie mon cœur pour qu’il craigne ton
nom »12. Rappelons enfin le texte déjà cité13 qui regarde foi et crainte du
Seigneur comme des quasi-synonymes.
LE NOUVEAU TESTAMENT
Le quatrième évangile
L’apôtre Paul
Les Pharisiens
Les Sadducéens
Les Esséniens
La synagogue
Le sanhédrin
L’ANCIEN TESTAMENT
Le Jour du Seigneur
Justice et miséricorde
LE NOUVEAU TESTAMENT
Le jugement au présent
Romains 5
A l’image du Christ
L’ANCIEN TESTAMENT
Le miracle signifie
LE NOUVEAU TESTAMENT
L’évangile de Jean
L’ANCIEN TESTAMENT
Telle est aussi l’interprétation qui s’impose dans les paraboles que
Matthieu ajoute à celle du Semeur. Il leur donne même un titre commun qui
vaut interprétation : ce sont les paraboles du royaume. Les mauvaises
herbes qui poussent avec le blé n’empêchent pas le bon grain de fructifier.
Seul le jugement dernier saura faire le tri11. Une graine de sénevé est bien
petite, mais elle pousse et se développe merveilleusement, ainsi du
royaume12. De même une pincée de levain fait lever toute la pâte13.Toutes
ces paraboles annoncent donc maintenant l’assurance de
l’accomplissement, jusqu’ici incroyable, du dessein de Dieu. Le salut
promis se réalisera certainement. Les paraboles éclairent donc le mystère du
plan du salut. Rien ne saurait être, quoi qu’il en semble, préféré à cette
extraordinaire promesse et c’est là le message des paraboles du trésor et de
la perle14.
L’interprétation d’une parabole n’est donc pas toujours évidente.
Elle se heurte à la polysémie potentielle des images, fussent-elles littéraires.
L’histoire racontée, pour être bien comprise, demande une intelligence
éclairée. Seuls les disciples se voient promettre de bien comprendre que ces
petits récits de la vie de tous les jours parlent en réalité du royaume de
Dieu. Et Jésus le précise avant de proposer ces paraboles15.
C’est dire que dans les évangiles, la clé de la compréhension
précède l’anecdotique de la parabole. De ce fait, la citation apparemment
scandaleuse que fait Marc d’Es 6.9-10 (« pour qu’ils ne comprennent pas…
et qu’ils ne se convertissent ») signifie en vérité que la prédication de Jésus,
en particulier les paraboles, suscite le rejet des auditeurs tant qu’ils ne
discernent pas dans sa personne l’intervention de Dieu lui-même inaugurant
son royaume.
Genèse 3
La réparation
Dieu pardonne
Convertissez-vous !
Le fils prodigue
L’évangile de Jean
L’apôtre Paul
La chronologie aurait conseillé de placer ce paragraphe au début de
notre exposé consacré au Nouveau Testament. Mais nous avons pris en
compte la personne de Jésus et son enseignement plutôt que la date de
rédaction des évangiles synoptiques. Comme Paul développe une pensée
théologique systématique, il a paru sage de repousser jusqu’ici l’exposé de
la pensée du premier dogmaticien de l’histoire de l’Eglise. C’est
évidemment l’épître aux Romains qui servira de guide à notre présentation.
En son chapitre 5, l’apôtre explique d’où vient le péché et ce qu'il est.
– Romains 5
Lorsqu’il entreprend cette explication, Paul commence 32
, et la
remarque est essentielle, par se référer à ce qui précède. Dans les
premiers versets du chapitre 5, l’apôtre a célébré l’œuvre du Christ qui
nous justifie et nous réconcilie avec Dieu – ce qui est une bonne
définition du salut. « Voilà pourquoi » continue-t-il, pour aborder
l’histoire du péché. C’est que la figure d’Adam, le péché, la mort ne
peuvent être expliqués et compris qu’à partir de l’histoire du Christ.
Autrement dit, c’est le salut qui éclaire la faute et non l’inverse ! On ne
peut parler justement d’Adam que parce que Jésus Christ a révélé le
Dieu sauveur.
Voici l’histoire d’Adam et Eve. Ils sont seuls devant leur Dieu. Seuls ?
Non pas ! Il y a là, dans une ombre insondable, un être dont la
scandaleuse présence ne peut être expliquée. La Genèse ne peut parler
de lui qu’en une image allusive : le serpent qui est à la fois le mal, la
souffrance et la mort parce qu’il est le péché, l’hostilité envers Dieu.
Celui-ci a tout donné de sa création aux hommes, sauf de chercher à
posséder la connaissance du bien et du mal, c’est-à-dire le pouvoir
absolu que génère une science qui prétend tout savoir. C’est cette
limitation que le serpent amène Adam à contester : Dieu a-t-il vraiment
donné ce commandement ? Et voici que naît la tentation d’écouter la
voix des insatiables désirs humains plutôt que la parole de Dieu.
L’homme tourne le dos à son Dieu, c’est la rupture, c’est le péché.
Telle est l’histoire de l’homme, de toute l’humanité car, ne nous y
trompons pas, ni Adam ni Eve ne nous sont étrangers. Leur histoire est
la nôtre et c’est leur sort que nous partageons. Voilà pourquoi on parle
de péché originel, au risque désastreux de faire penser à une maladie
contagieuse dont nous serions atteints sans l’avoir aucunement mérité.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là : l’humanité est pécheresse ? Dieu
créera l’homme nouveau, Jésus, premier-né d’innombrables frères.
Voilà l’homme tel que Dieu le veut. Adam n’en était que la prophétie.
Jésus est l’image de Dieu dans le monde : il vient au nom du Dieu
sauveur, il n’est que don et amour. Il offre la vie véritable qui est
éternelle parce qu’il est un Dieu de grâce et que la grâce est plus forte
que le péché.
– Romains 6-7
C’était là une présentation résumée de l’histoire de l’homme. Trop
résumée : entre temps il y a eu le peuple élu auquel Dieu a donné sa
loi. A quoi cela a-t-il servi ? La loi est intervenue pour nommer les
choses par leur nom : elle dévoile, dénonce et condamne. La conduite
naturelle de l’homme – se laisser diriger par ses désirs propres – est
démasquée : elle est péché.
Mais maintenant, c’est du passé. Il y a eu pardon et même davantage :
le Christ est mort pour cela et en communion de foi avec lui nous
sommes morts, morts au péché, pour naître de nouveau pour une vie
nouvelle. Le baptême en est l’attestation. Nous voici vraiment libres
d’être ceux que le créateur voulait : justifiés. C’est là ce que la foi nous
permet d’expérimenter et que l’Esprit actualise. Mort au péché, le
croyant l’est aussi à la loi qui ordonne ou interdit en laissant la créature
se débrouiller avec ses propres forces qui sont faiblesse. Maintenant,
l’Esprit suscite un comportement nouveau.
– Romains 8
Dieu est intervenu. Ce qui était impossible aux hommes sous la loi –
devenir des justes – il le fait. C’est lui qui offre le sacrifice qu’exigeait
le péché. Mais à bien voir, ce n’est pas vraiment un sacrifice. L’homme
de chair était pécheur ? Un homme va vivre dans la chair sans céder au
péché. Il va même jusqu’à mourir pour le péché et ainsi c’est le péché
qui se trouve condamné et non les pécheurs. L’homme veut se
justifier lui-même? Alors Dieu se donne. Son fils, l’homme nouveau
s’offre comme victime. C’est en cela qu’il est l’homme nouveau. Le
don annule la faute. La fatalité est rompue : voici qu’une créature de
chair montre qu’il est possible d’être homme et de ne pas pécher. La
chair s’est donnée pour les autres alors que jusque-là elle ne savait que
souhaiter s’affirmer contre les autres et contre l’Autre. Du coup, la loi
retrouve sa vraie et sainte fonction : mener à la justice. L’Esprit y
conduit, l’Esprit qui est le Christ présent en l’homme. C’est en Christ
que l’homme devient fils de Dieu, comme le fils de la parabole de
l’évangile de Luc. C’est une adoption, désormais on peut s’adresser à
Dieu en lui disant ‘Père’.
La prédestination
La prédestination au salut
La prédestination du Christ
Les affirmations les plus fortes sur la prédestination se trouvent
principalement dans les épîtres du Nouveau Testament. Elles concernent le
Christ dont l’Evangile est, selon l’apôtre Paul, une sagesse que Dieu avait
prédestinée, avant que l’histoire des hommes ne commence, à servir à la
gloire des chrétiens5. La première épître de Pierre parle du Christ comme
prédestiné avant la fondation du monde et manifesté à la fin des temps à
cause des chrétiens6. Le thème ne se prête guère à être repris dans les
évangiles.
L’Apocalypse
La parabole du Semeur
La prophétie d’Esaïe
La parabole du festin
Pour Matthieu et Luc, c’est une parabole du royaume. Pour les trois
textes, les invités ne répondent pas. Qui sont-ils ? Pour Matthieu, ce sont les
Juifs ou du moins leurs chefs. En punition de leurs actes, Jérusalem est
incendiée par les Romains en l’an 70. L’invité de la dernière invitation qui
n’a pas d’habit de noce est un chrétien qui n’a pas revêtu la justice que Dieu
attend de ceux qu’il appelle. Pour Luc, ce sont également les Juifs ou leurs
chefs. Ils sont exclus à jamais. L’invitation est alors adressée aux pauvres et
aux misérables, c’est-à-dire à ceux que la religion juive du temps exclut
souvent (c’est là un leitmotiv chez Luc)20. Les pauvres d’Israël étant entrés,
il reste de la place. L’invitation est alors élargie aux païens. La conclusion
est d’une grande sévérité et va jusqu’à contredire celle de l’apôtre Paul pour
qui Israël participe nécessairement au salut final. Pour Thomas, la pointe de
la parabole est dirigée contre les hommes dont la vie n’est que recherche de
biens matériels. Ils sont définitivement exclus.
En conclusion, Matthieu porte les marques d’une rédaction
postérieure à l’incendie de Jérusalem. Il interprète la parabole première et
termine en soulignant que l’élection des chrétiens comporte une exigence
de fidélité. Luc voit dans la parabole de Jésus l’annonce de l’histoire du
salut : les chefs d’Israël refusent l’Evangile, Jésus s’adresse alors à ceux
que le judaïsme marginalise, puis aux païens. Quant aux premiers invités,
ils sont définitivement rejetés. Thomas ne veut trouver dans la parabole que
la condamnation des hommes occupés exclusivement par les soucis du
monde.
En résumé
LE CHRISTIANISME ET LA PRIÈRE
Jésus prie
Selon les évangiles, Jésus prie souvent, particulièrement dans des
occasions remarquables et dans des termes qui doivent être notés. Luc2
précise que Jésus, baptisé par Jean le Baptiste, était en prière lorsqu’une
voix céleste vient proclamer l’accomplissement de la prophétie d’un
Psaume messianique3 : « Tu es mon fils, mon bien-aimé… ». Et la suite de
la citation se lit dans la plupart des manuscrits : « il m’a plu de te choisir »
comme dans les passages parallèles de Matthieu et de Marc. Mais d’anciens
témoins reproduisent plus fidèlement le texte du Psaume : « Aujourd’hui je
t’ai engendré » ce qui souligne le caractère solennel de l’événement.
Il faut dès maintenant remarquer que, parmi les évangiles
synoptiques, Luc se singularise fréquemment en mentionnant une prière de
Jésus dans les moments cruciaux. Avant de choisir les douze disciples,
Jésus passe la nuit en prière4. C’est dans la prière que Jésus se prépare à
entendre la confession de foi de Pierre : « Tu es le Christ de Dieu »5. C’est
pendant qu’il prie que Jésus est transfiguré devant ses disciples qui
entendent une voix céleste proclamer à nouveau le Ps 2.7 complété par une
référence significative à la prophétie annonçant la venue d’un nouveau
Moïse6 qu’il faudra écouter7. C’est en voyant Jésus prier que l’un de ses
disciples est amené à demander : « Seigneur, apprends-nous à prier »8. Et
Jésus répond en proposant le modèle de prière qu’est le Notre Père. Dans la
nuit de l’arrestation, Jésus prie sur le mont des Oliviers : « Abba, Père, à toi
tout est possible, écarte de moi cette coupe. Pourtant, non pas ce que je
veux, mais ce que tu veux »9. Luc est le seul à raconter la suite : « Alors lui
apparut du ciel un ange qui le fortifiait. Pris d’angoisse, il priait plus
instamment »10. Luc est encore le seul à citer ces prières de Jésus sur la
croix : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font »11. Et :
« Père, entre tes mains je remets mon esprit »12.
Marc et Matthieu citent encore ce cri de Jésus en araméen puis en
traduction grecque : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu
abandonné »13.
Prier Jésus
Notre Père
Le Notre Père n’est donc pas simplement l’adaptation chrétienne
d’une prière juive, même s’il est vrai que le judaïsme, comme l’Ancien
Testament30, sait que Dieu est un Père. Mais c’est presque toujours le
peuple d’Israël qui se dit son fils.
La structure même du Notre Père est à cet égard significative. Les
trois premières demandes concernent l’accomplissement du plan du salut :
reconnaissance universelle de Dieu ; réalisation de son règne et de sa
volonté. Puis le sujet change : c’est le « nous » de la communauté des
chrétiens qui s’exprime. Ces trois dernières demandes doivent être
considérées de près pour éviter tout faux sens :
–Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour :
Le pain demandé est qualifié par un adjectif que la langue grecque
ignore. On est donc réduit, pour le traduire et donc pour le
comprendre, à recourir à l’étymologie du mot.
Il s’agit ou du pain surnaturel ou du pain du lendemain.
Surnaturel
et donc miraculeux comme l’a été la manne 31
, pain du ciel
32
. Il faut ici relire le quatrième évangile : « Moïse ne vous a pas
donné le pain du ciel, mais c’est mon Père qui vous donne le véritable
pain du ciel… C’est moi qui suis le pain de vie » 33
.
Du lendemain :
les Hébreux ramassaient chaque jour la manne dont ils
faisaient leur nourriture quotidienne. Mais, pour éviter de violer le
repos du sabbat, le vendredi la récolte était double, assurant ainsi la
nourriture du lendemain. La demande du Notre Père vise la vraie
nourriture qui fait vivre à jamais, dont l’eucharistie est la figure et
l’anticipation et dont la nourriture quotidienne est l’image. On peut
donc comprendre : Donne-nous le pain qui fait vivre dès aujourd’hui et
pour la vie éternelle.
–La demande suivante chez Matthieu peut être traduite littéralement :
« Remets-nous nos dettes comme nous avons remis à nos débiteurs »
34
. Luc parle de péchés à la place de dettes 35
. Le même mot araméen
peut avoir les deux sens : le péché est une violation des relations justes
entre l’homme et Dieu et les dettes altèrent profondément les rapports
sociaux. On relira la parabole du débiteur impitoyable 36
: elle jette sur
la demande du Notre Père une nécessaire lumière : c’est Dieu qui
pardonne en premier et si la miséricorde est attendue de celui qui est
ainsi pardonné, elle n’est que l’indispensable conséquence de la grâce
divine. Elle en est l’attestation : « Comme nous avons pardonné ». Et
si nous avons pardonné, c’était seulement l’écho que nous donnions au
pardon de Dieu. Quel est ce pardon ? C’est l’anticipation présente du
pardon que, selon les prophéties, Dieu a promis de prononcer lors du
jugement dernier sur son peuple infidèle. L’Evangile de Jésus est
l’annonce de ce pardon 37
qui, célébré au baptême 38
, peut à jamais
changer la vie d’un homme.
–Ne nous laisse pas tomber dans la tentation, mais délivre-nous du
Mal.
Ne nous expose pas à la tentation. Ne nous abandonne pas au pouvoir
de la tentation. Et, derrière ce que nous connaissons comme tentations,
il faut discerner la tentation suprême qui, par la voix de Satan (le Mal,
le Malin) suggère que l’obéissance au Christ risque de nous mener trop
loin. La demande doit donc être entendue dans toute son ampleur : elle
ne concerne que secondairement les tentations qui jalonnent toute vie
humaine.
Ainsi, tout au long de la prière que Jésus propose comme modèle
aux oraisons humaines, les demandes concernent d’abord la venue du
royaume de Dieu promis. Elles contiennent implicitement les prières de
consécration, de louange et de demandes que chaque chrétien fait monter
vers un Dieu Père qui sait ce dont il a besoin avant qu’il le lui demande39.
Au reste, il faut prendre conscience que les trois premières demandes
impliquent très directement celui qui les dit : prier pour que le nom de Dieu
soit sanctifié, c’est s’associer au culte céleste qui célèbre le Dieu trois fois
saint40 et donc vivre en vue de la manifestation universelle de ce Dieu. La
demande qui concerne le règne de Dieu n’a rien d’un vœu purement verbal :
le chrétien demande d’être, dès maintenant, le témoin agissant de cet
achèvement dernier. Quant à la troisième demande, il est clair que celui qui
prie pour que la volonté de Dieu soit faite se déclare prêt à tout faire pour
l’accomplir et qu’il compte sur l’aide du saint Esprit pour y parvenir.
Il est intéressant de remarquer que c’est dans le seul évangile de
Matthieu que Jésus s’adresse à Dieu comme à « Notre Père ». Selon Luc41
Jésus dit « Père » comme dans plusieurs de ses autres prières42. Telle est
aussi l’habitude de Paul43. Il est particulièrement remarquable que l’apôtre,
écrivant à des chrétiens de langue grecque, commence par la version
araméenne de l’invocation qu’il traduit ensuite. Cet indice conseille de voir
dans le mot Abba (Père, et non Notre Père !) la forme primitive araméenne,
conservée par la liturgie, de l’invocation qui ouvre la prière de Jésus. Si
cette conclusion est juste, elle confirme décidément que Dieu n’est le Père
des chrétiens que parce que son Fils est Jésus… ainsi que quiconque se
présente en son nom. « Nous » pouvons prier ainsi en tant que participants
aux demandes qui sont relatives à la réalisation de l’Evangile annoncé par
Jésus qui révèle Dieu comme un Père aimant.
Amen
L’Esprit et la prière
En conclusion
LA RÉSURRECTION DU CHRIST
Marc 16.1-8
Matthieu 28
Jean 20
Jean 21
Marc 16.9-20
Galilée ou Jérusalem ?
Conclusion
L’Evangile de la résurrection
La réponse de Jésus à ces Sadducéens montre la nouveauté de son
message : la résurrection n’est pas un phénomène de simple physique, c’est
une réalité spirituelle : « Quand on ressuscite d’entre les morts, on ne prend
ni femme ni mari »30. Et si Jésus parle du royaume de Dieu comme d’un
festin, c’est seulement l’image d’un bonheur promis : « Beaucoup viendront
du levant et du couchant prendre place au festin avec Abraham, Isaac et
Jacob dans le royaume des cieux »31.
Les affirmations de l’apôtre Paul vont dans le même sens : les
comportements alimentaires n’ont qu’un temps qui est celui de la vie sur
terre32, ce qui ne signifie pas que les chrétiens peuvent se permettre
n’importe quelle conduite33.
Un texte de l’Apocalypse a pourtant donné lieu, mais à tort, à une
interprétation tout à fait matérialiste : les martyrs « revinrent à la vie avant
l’accomplissement des mille ans. C’est la première résurrection »34. Vers les
années 130 Papias, évêque de Hiérapolis, prend ce texte au pied de la lettre.
D’après Eusèbe « il dit qu’il y aura mille ans après la résurrection des morts
et que le règne du Christ aura lieu corporellement sur cette terre »35. C’est,
pour le même auteur, une preuve d’inintelligence que de ne pas avoir saisi
la valeur symbolique de la prophétie. De fait, le texte de l’Apocalypse veut
seulement annoncer une période au cours de laquelle les chrétiens fidèles
seront pleinement participants dès cette terre à la manifestation du règne de
la volonté de Dieu révélée en Jésus-Christ, autrement dit il s’agit du temps
de l’Eglise ! La grande question qui se pose aussitôt est celle de la
temporalité ou plus exactement de la chronologie : la résurrection est-elle
attendue pour les derniers jours du monde, ou bien a-t-elle une réalité
présente ?
La résurrection au présent
La résurrection au futur
L’ANCIEN TESTAMENT
L’EVANGILE DU ROYAUME
Royaume ou règne ?
Le royaume et l’Eglise
L’ANCIEN TESTAMENT
Différents sacrifices
Comment le sacrifice parvient-il à cette restauration ? Il compte
uniquement sur le pardon de Dieu qui se manifeste par son acceptation du
sacrifice, agrément assuré par l’action et la parole des prêtres. Il convient ici
d’examiner quelques sacrifices particuliers – encore qu’il ne soit pas établi
que cette distinction soit ni très ancienne, ni même très précise !
–Il y a d’abord l’offrande soit d’animaux (souvenir de la période
nomade), soit de fruits de la terre cultivée. En hébreu, c’est la Minha.
Ce que Dieu lui a donné, l’homme manifeste qu’il en est reconnaissant
et qu’il rend hommage au créateur 3
. L’offrande est souvent faite de la
partie la plus précieuse du bien : prémices, éventuellement sanglantes.
–Certains sacrifices sont offerts pour effacer les effets des fautes
humaines. Parmi les plus importants (les plus souvent cités), il faut
mentionner le sacrifice pour le péché (en hébreu Hattat
, mot que l’on
traduit souvent par : sacrifice d’expiation) et le sacrifice de réparation (
Asham
, mot que les traducteurs de la Traduction Œcuménique de la
Bible ont avec raison rendu par : sacrifice d’absolution).
Pourquoi faut-il pour cela que du sang soit versé sur l’autel ? Deux
textes peuvent nous aider à comprendre :
–Lévitique 17.11 : « La vie d’une créature est dans le sang. Moi (dit
Dieu) je vous l’ai donné sur l’autel pour l’absolution de votre vie. En
effet le sang procure l’absolution parce qu’il est la vie ». La phrase est
difficile, mais on comprend que le pouvoir expiatoire ne réside pas
dans le sang en tant que tel, mais dans la vie dont il est le réceptacle.
Voilà pourquoi c’est bien la vie qui est bénéficiaire de l’expiation.
C’est elle dont les conditions sont changées. Autrement dit, c’est elle
qui est pardonnée. Le sang de l’animal symbolise sa vie comme celle
du coupable (disons plutôt celle du fautif). Ce sang est présenté à Dieu
pour qu’il décide d’effacer la faute et ses conséquences et pour que,
par grâce, il restaure les conditions d’une parfaite communion entre sa
sainteté et la faiblesse des hommes.
Un deuxième texte permet de poursuivre la découverte du rite
sacrificiel et de sa signification profonde :
–Deutéronome 21.1-9 : il y a eu meurtre mais, bien que l’auteur en soit
inconnu, tout le pays alentour en est gravement souillé. On sacrifie une
génisse. Les représentants des habitants du voisinage déclarent qu’ils
ne sont pas responsables de ce sang versé, puis ils prient en ces mots :
« Seigneur, absous Israël, ton peuple que tu as racheté, et ne laisse pas
l’effusion de sang innocent au milieu d’Israël, ton peuple. Et ils seront
absous de l’effusion du sang » 4
.
Le sang de la victime est pour tout le pays une menace redoutable
que seule la décision de Dieu peut écarter, redonnant ainsi au peuple
d’Israël son statut de peuple de Dieu, c’est-à-dire de peuple en communion
avec Dieu. Ainsi c’est à Dieu que, dans le cadre d’une action sacrificielle,
on demande de réaliser l’expiation, autrement dit de pardonner. Dieu est
donc l’acteur et Israël le destinataire du salut.
La sévère condamnation des sacrifices par les prophètes vise surtout
la perversion qui transforme un rite d’appel à la grâce de Dieu en une
pratique assurant automatiquement son pardon et dispensant d’une
obéissance véritable : « Que me fait la multitude de vos sacrifices, dit le
Seigneur ? Les holocaustes… j’en suis rassasié. Le sang des taureaux… je
n’en veux plus… Cessez de faire le mal. Apprenez à faire le bien. Mettez au
pas l’exacteur, faites droit à l’orphelin… Si vos péchés sont comme
l’écarlate, ils deviendront blancs comme la neige.5 »
LE NOUVEAU TESTAMENT
Lettres de Paul
L’analyse des lettres de Paul présente une réelle difficulté : la lettre
aux Ephésiens, si elle est bien de l’apôtre lui-même, est en tout cas l’une
des pièces les plus tardives du corpus paulinien. Or, on y trouve les plus
claires affirmations de l’interprétation sacrificielle de la mort du Christ. Il
faut donc examiner à part les textes de cette épître.
Nous commencerons donc par interroger les lettres
incontestablement pauliniennes et qui, du reste, sont datables de la période
de pleine activité de l’apôtre. Dans l’épître aux Romains16, Paul écrit que
Dieu a destiné Jésus Christ à servir d’expiation (littéralement : de
propitiatoire) par son sang. C’est une évidente allusion aux rites du Grand
Pardon17. Le propitiatoire est le couvercle d’or de l’arche de l’alliance18.
Après avoir sacrifié un taureau pour ses propres péchés, Aaron égorge un
bouc pour le péché du peuple et asperge le propitiatoire avec le sang. C’est
un rite d’absolution de tous les péchés des fils d’Israël. Cependant, c’est
avec l’envoi d’un deuxième bouc, le bouc émissaire, que tous les péchés
des fils d’Israël sont véritablement pardonnés, car l’animal les emporte au
désert. Paul rapproche donc clairement la mort du Christ d’un sacrifice
d’expiation. Toutefois il faut remarquer que le rapprochement reste dans le
vague et se borne finalement à évoquer en bloc les rites du Grand Pardon
pour expliquer que la mort du Christ signifie pour les croyants le pardon de
leurs péchés. Ce texte ne peut donc être retenu comme preuve incontestable
d’une interprétation sacrificielle de la crucifixion. Celle-ci est plutôt
regardée comme l’accomplissement de la liturgie annuelle du Grand Pardon
comprise comme une prophétie.
Un autre texte des Romains19 est souvent invoqué pour justifier une
interprétation sacrificielle de la mort du Christ : « A cause du péché, Dieu
en envoyant son propre Fils dans la condition de notre chair de péché, a
condamné le péché dans la chair ». « A cause du péché » ne doit pas être
traduit, comme c’est quelquefois le cas, « en sacrifice pour le péché ». La
meilleure preuve est qu’ici l’apôtre utilise un vocabulaire juridique et non
sacrificiel pour expliquer la rédemption : c’est d’une condamnation du
péché qu’il est question. Plusieurs textes se réfèrent aux prophéties du
Serviteur dans lesquelles Esaïe annonce la venue d’un envoyé du Seigneur
dont la mort « pour beaucoup » apportera le pardon20 : il meurt pour eux,
par substitution. Ainsi Romains 5.15 : « La grâce accordée en un seul
homme, Jésus Christ, s’est répandue en abondance sur beaucoup ».
L’apôtre explique parfois la rédemption grâce à des allusions
pascales : « Christ, notre Pâque, a été immolé »21. Mais si l’on se reporte au
récit de la première Pâque22, il faudra convenir que le sang de l’agneau
pascal ne provient pas d’un sacrifice d’expiation : il montre à l’ange
exterminateur les maisons à épargner. Les liturgies pascales célèbrent la
libération de l’esclavage égyptien et le début de l’histoire du peuple de
Dieu. Il n’est nullement question d’expiation.
Enfin l’apôtre parle souvent de la mort du Christ comme d’un
événement unique auquel il faut que le chrétien communie : « C’est en sa
mort que nous avons été baptisés… nous avons été ensevelis avec lui…
totalement unis, assimilés à sa mort, nous le serons aussi à sa
résurrection »23. Et encore : « La coupe de bénédiction que nous bénissons
n’est-elle pas une communion au sang du Christ ? »24 , « Avec le Christ je
suis un crucifié. Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est Christ qui vit en
moi »25.
Les textes jusqu’ici envisagés n’invitent pas à conclure que Paul a
regardé la crucifixion comme un sacrifice d’expiation. S’il lui arrive de
faire allusion à des rites sacrificiels, il montre plutôt le désir de recourir à
toutes les occasions d’élimination du péché qu’il peut trouver dans l’Ancien
Testament : condamnation, communion avec le vainqueur du péché,
participation à la première Pâque, acceptation de compter parmi les
bénéficiaires de l’œuvre du Serviteur souffrant. Bref, c’est toute l’histoire
d’Israël qui se trouve récapitulée lorsque Jésus meurt sur la croix pour les
hommes. Qu’il soit aussi parfois question de sacrifice, comment s’en
étonner ? Mais il ne faut assurément pas voir là l’unique explication de la
rédemption.
C’est à la lumière de cette conclusion qu’il faut lire le texte des
Ephésiens 5.2 : « Le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même à Dieu pour
nous en offrande et sacrifice ». Encore faut-il remarquer que si le deuxième
terme (sacrifice) peut s’interpréter comme une expiation, le premier
(offrande) désigne souvent l’offrande de productions agricoles et qu’il
s’applique généralement à des rites d’hommage et de louange plutôt que
d’expiation.
L’ANCIEN TESTAMENT
Dieu saint
Le peuple saint
Sainteté et amour
LE NOUVEAU TESTAMENT
La sainteté de Jésus
Le saint Serviteur
Par deux fois, le livre des Actes se souvient que les disciples (en
l’occurrence Pierre et Jean) ont parlé de Jésus comme du Serviteur de
Dieu18. Cette traduction est fidèle, mais le mot « serviteur » se lit en grec
Païs mot qui peut avoir deux sens : fils ou serviteur. Esaïe prophétisait la
venue du Serviteur de Dieu (‘ebed en hébreu)19. Les traductions grecques
de l’Ancien Testament hésitent entre Païs et Doulos (serviteur). C’est à ces
prophéties que se réfère le texte des Actes qui sait que ce personnage est élu
par Dieu, oint de son Esprit et investi d’une mission admirable (évangéliser
les pauvres, guérir les cœurs brisés…20), mais promis à la mort pour les
fautes des pécheurs21. Les premiers chrétiens ont entendu ces prophéties
comme relatives au Christ et ils ont tout naturellement ajouté le qualificatif
de « saint » à ce Serviteur dont ils confessaient la divinité22. C’était
attribuer à Dieu lui-même une sainteté qui incluait la volonté de sauver les
hommes au prix d’une mort rédemptrice. L’épître aux Hébreux développera
cette idée en la plaçant dans un contexte sacrificiel23.
Le saint temple
L’ANCIEN TESTAMENT
LE NOUVEAU TESTAMENT
Conclusion
L’ANCIEN TESTAMENT
LE NOUVEAU TESTAMENT
La lecture du Nouveau Testament a tôt fait de convaincre que s’il y
a une seule foi au Christ, il est impossible de parler d’une morale
chrétienne. L’obéissance au Christ est toujours une réponse à des problèmes
liés aux conditions concrètes de l’existence du chrétien. La référence au
seul Seigneur est et reste unique et sans altération. En revanche, selon les
circonstances, les temps et les lieux, la réponse peut prendre des colorations
variées. C’est ce que l’exposé qui suit veut faire apparaître.
Le message de l’Apocalypse
Tournons, pour finir, nos regards vers les Eglises d’Asie Mineure,
telles que l’Apocalypse nous permet de les percevoir. Vers la fin du premier
siècle, les cités de cette région se consacrent, en rivalisant de zèle, au culte
rendu à l’empereur de Rome comme à un dieu.
La tentation est grande dans les Eglises de composer avec les
impératifs que la société fait tacitement ou très explicitement peser sur tous
les habitants : c’est là la tiédeur que l’auteur des lettres aux Eglises reproche
aux chrétiens de Laodicée45.
Mais, dira-t-on, c’est un cas d’espèce. Il faut considérer la situation
d’ensemble, c’est-à-dire l’enseignement délivré à tous les chrétiens de cette
époque dans ce pays. Un texte le permet. Il se situe dans la vision finale de
l’Apocalypse et il y fait tache ! Le chapitre 21 commence par la description
du monde nouveau que Dieu a préparé pour la fin des temps. C’est une
peinture qui célèbre le bonheur sans limite couronnant l’histoire humaine :
« La mort ne sera plus. Il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni souffrance, car le
monde ancien a disparu »46. Or la dernière phrase de cette vision de
béatitude tient un langage scandaleusement différent : « Quant aux lâches,
aux infidèles, aux dépravés, aux meurtriers, aux impudiques, aux
magiciens, aux idolâtres et à tous les menteurs, leur part se trouve dans
l’étang embrasé de feu et de soufre »47.
Cette surprenante finale oblige à conclure que les bénédictions qui
précèdent ne sont pas réservées à un lointain avenir de perfection, puisqu’il
faut encore menacer les pécheurs afin qu’ils se repentent ! De quoi doivent-
ils se repentir ? Evidemment des vices qui tentent les contemporains de
l’Apocalypse. Leur énumération forme le volet négatif de l’enseignement
délivré par le voyant. Un premier coup d’œil laisse l’impression qu’il s’agit
d’un enseignement moral très classique : fuir l’idolâtrie et mener une vie
qui proscrit l’inconduite. L’examen attentif des termes de l’énumération
conduit à une tout autre appréciation.
Commençons par les mots les plus clairs : idolâtres, infidèles
(littéralement : incroyants), magiciens : le contexte est évidemment
religieux et non moral. Il s’agit de ce qui illustre souvent les religions du
temps. Impudiques (littéralement : prostitués) : le mot doit être pris dans le
sens symbolique qu’il a chez les prophètes de l’Ancien Testament – Israël
se prostitue quand il est infidèle à son Dieu et se laisse séduire par les faux
dieux. C’est d’ailleurs le sens du mot dans les lettres aux Eglises : il y est
question de chrétiens qui se détournent du Seigneur pour suivre d’autres
maîtres48. Mais voici deux mots qui semblent venir tout droit du code moral
le plus élémentaire : menteurs et meurtriers. Relisons le
quatrième49évangile : Satan est le meurtrier et le menteur par excellence – il
a entraîné Adam dans la mort en lui faisant préférer sa parole trompeuse à
la vérité de Dieu. Venons-en au premier mot de la liste : lâches. Cette
lâcheté, c’est la tiédeur des chrétiens de Laodicée qui veulent n’avoir pas à
choisir entre la foi chrétienne et la participation au culte impérial.
Nous constatons donc que cette liste de vices est décidément
orientée vers le domaine du religieux. De plus, elle colle parfaitement à
l’actualité des destinataires de l’Apocalypse. Elle dessine en négatif les
contours de l’obéissance chrétienne telle que l’auteur de l’Apocalypse la
définit pour les chrétiens d’Asie Mineure en cette fin du premier siècle. Il
leur dit que la vie chrétienne doit prendre pour eux un chemin particulier :
ils vivent dans un monde où l’idolâtrie qu’exigent l’empereur et toute la
société est le danger suprême. La fidélité au Christ doit amener à se garder
de toutes les formes de cette tentation. Une fois de plus, l’obéissance
chrétienne se définit d’abord par ce qu’elle refuse. Il faut donc scruter
l’Apocalypse plus avant pour lui demander comment elle décrit
positivement la conduite que sa foi doit inspirer au chrétien.
La découverte est étonnante ; les lettres aux Eglises formulent bien
quelques commandements, mais ils se laissent résumer assez simplement :
« Sois fidèle jusqu’à la mort et je te donnerai la couronne de vie »50. « Sois
vigilant…Souviens-toi de ce que tu as reçu et entendu. Garde-le… »51.
Mais ces paroles sont mises dans la bouche du Christ et c’est
maintenant le ressuscité qui parle. Le lecteur est, comme dans les évangiles,
invité à écouter Jésus et, avec tous les croyants, à suivre l’agneau partout où
il va52. Au-delà de cette exigence première, il faut savoir entendre la suite :
les chrétiens qui répondent à ce commandement peuvent être amenés à le
payer de leur vie. Or ils sont appelés des ‘vainqueurs’ par chacune des sept
lettres aux Eglises, et une vision ultérieure vient préciser le sens
extraordinaire du mot. Ceux qui, pour suivre le Christ « n’ont pas aimé leur
vie jusqu’à craindre la mort » ont par là même remporté sur Satan la
victoire, celle que le Christ remporta sur la croix, car à Pâques, Satan fut
définitivement vaincu53. Définitivement : la fin que tous attendent s’est
donc réalisée et le temps maintenant imparti à l’Eglise n’est qu’un instant
au regard de l’éternité toute proche. Face à cette révélation au
retentissement inouï, les petits problèmes de la morale quotidienne sont
remis à leur juste place, qui n’est pas la première.
Conclusion