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La Bible

l’ancien testament
Collection 25 questions
La collection 25 questions explore de façon
contemporaine des sujets liés à l’univers religieux
et à son expression dans le monde actuel.
Par son style et sa présentation, elle permet
une compréhension rapide et facile des thèmes
abordés, invite au renouvellement des connais-
sances et nourrit la quête de sens.
Elle rassemble des auteurs reconnus pour leur
maîtrise du sujet et leur capacité de le présenter
avec rigueur et simplicité.

Dans la même collection


André TIPHANE et Pierre MURRAY, Les prêtres, 2008.
Catherine CLIFFORD, Pierre HURTUBISE
et Francis MORRISEY, Le pape, 2009.
Charles WACKENHEIM, Croire aujourd’hui, 2008.
Denis GAGNON, La messe, 2008.
INTERBIBLE, La Bible : nouveau testament, 2008.
Jean-Pierre PRÉVOST, L’apocalypse, 2009.
Micheline MILOT, La laïcité, 2008.
Pierre LÉGER, La mort et l’au-delà, 2008.
Roland LACROIX, La foi chrétienne, 2009.
Samia AMOR, L’islam, 2008.
La Bible
l’ancien testament
Les biblistes de
www.interbible.org
La Bible : ancien testament est publié par Novalis.
Révision : Chantal Bousquet
Couverture : Audrey Wells
Mise en pages : Mardigrafe
© Les Éditions Novalis inc. 2009
Novalis, 4475, rue Frontenac, Montréal (Québec), H2H 2S2
C.P. 990, succursale Delorimier, Montréal (Québec), H2H 2T1
Dépôt légal –
Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2009
Bibliothèque et Archives Canada, 2009
ISBN 978-2-89646-046-5
ISBN 978-2-89646-714-3 – version numérique
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement
du Canada par l’entremise du Programme d’aide au
développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ)
pour nos activités d’édition.
Cet ouvrage a été publié avec le soutien de la SODEC.
Gouvernement du Québec – Programme de crédit
d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.
Imprimé au Canada
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives
nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Vedette principale au titre :
La Bible
(Collection 25 questions)
Comprend des réf. bibliogr.
Sommaire: [1] L'Ancien Testament –
[2] Le Nouveau Testament.
ISBN 978-2-89646-046-5 (v. 1)
ISBN 978-2-89646-047-2 (v. 2)
1. Bible – Miscellanées. I. InterBible (Association).
II. Collection.
BS612.B53 2008 220.6'1 C2008-941750-X
Introduction

InterBible : le portail
francophone de la Bible
Le site InterBible présente sur le Web une infor-
mation biblique de qualité depuis plus de dix ans.
Il est né de la vision audacieuse des intervenants
de la Table interdiocésaine de pastorale biblique
de la région de Montréal. Mis en ligne, le 18 février
1999, le cardinal Jean-Claude Turcotte disait à
son lancement : « L’enseignement de la Bible est
toujours d’actualité. Je me réjouis donc de la
création du site InterBible qui facilitera le contact
avec les Écritures saintes et permettra ainsi de
rejoindre et d’inspirer des millions d’hommes et de
femmes. » Avec le temps, InterBible est devenu
une figure de référence sur le Web par son
approche à la fois ouverte, pastorale et scienti-
fique. En moyenne par jour, 2 000 personnes
visitent les pages du site.

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Voici quelques-unes des ressources qu’on retrouve
sur InterBible : Le moteur de recherche biblique permet
de trouver un verset ou un mot clé dans la Bible
en français courant. L’annuaire liste une centaine de
ressources bibliques virtuelles, commentées et
organisées par catégories. La section Livres pré-
sente une centaine de livres récents, des ouvrages
d’études bibliques aux romans liés à la Bible.
Le glossaire Les mots pour le dire et la section
Symboles bibliques éclairent le vocabulaire de la
Bible. Des commentaires des textes liturgiques
du dimanche peuvent inspirer la préparation
d’homélies ou de catéchèses. Il y a plusieurs
chroniques à découvrir : Bible et culture, Archéologie,
Carnet de voyage, La Bible au féminin, etc.
L’interaction entre les internautes et l’équipe de
rédaction est un élément unique d’InterBible. Les
internautes sont invités à poser leurs questions
bibliques par courriel. L’équipe de biblistes répond
personnellement aux questions. Les meilleures
questions/réponses sont publiées dans les sections
Comprendre la Bible et Lampe de ma vie.
On retrouvera rassemblées ici 25 questions posées
par des internautes. Ces questions mènent à une
bonne introduction à l’Ancien Testament.
N’hésitez pas à nous contacter pour nous partager
vos commentaires ou, si vous portez une question
particulière, à la soumettre à notre équipe de
biblistes : redaction@interbible.org
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Auteurs

Roland BUGNON (question 9) : prêtre spiritain,


auteur, animateur de groupes bibliques en Suisse.

Guy COUTURIER (question 22) : professeur émé-


rite à la Faculté de théologie et de sciences des
religions de l’Université de Montréal.

Sébastien DOANE (introduction, questions 1, 6, 7,


8, 12 et 21) : responsable de la rédaction de
www.interbible.org et du présent ouvrage, anima-
teur de pastorale au Collège Saint-Jean-Vianney.

Rodolfo FELICES LUNA (question 20) : professeur


associé à la Faculté de théologie, d’éthique et de
philosophie de l’Université de Sherbrooke.

Yolande GIRARD (questions 4 et 10) : doctorante


à l’Université du Québec à Montréal, professeure
d’éthique et culture religieuse à l’École secondaire
Saint-Exupéry.

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Yves GUILLEMETTE (questions 5 et 23) : directeur
du Centre biblique de Montréal, curé de la
paroisse Saint-Léon, Westmount, président de
SOCABI, directeur du site www.interbible.org.

Nathalie HENCHOZ (questions 2, 3 et 13) :


bibliste, diacre à Neyruz (Fribourg), Suisse.

Jérôme LONGTIN (question 18) : bibliste, prêtre


au diocèse de Saint-Jean-Longueuil.

Jérôme MARTINEAU (question 11) : bibliste et


rédacteur en chef de la revue Notre-Dame du Cap.

Patrice PERREAULT (Coup de coeur) : bibliste, agent


de pastorale à Granby.

Guylain PRINCE (question 25) : bibliste, prêtre


franciscain.

Hervé TREMBLAY (questions 15, 19 et 24) : domi-


nicain, professeur d’Ancien Testament au Collège
universitaire dominicain d’Ottawa.

Walter VOGELS (questions 14, 16 et 17) : membre


de la Société des Missionnaires d’Afrique, profes-
seur émérite de l’Université Saint-Paul, Ottawa.

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1. Quelle importance a l’Ancien Testament
pour la foi chrétienne ?
L’Ancien Testament est beaucoup plus important
pour la foi chrétienne que ne le pensent les chrétiens
en général.
Ceux qui ne partagent pas cette opinion
pourraient dire que la prédication de Jésus
et surtout sa mort/résurrection ont amené
beaucoup de changements par rapport à la
foi juive. Et, que les premiers chrétiens ont
décidé de ne plus suivre plusieurs prescrip-
tions de l’Ancien Testament (les rituels, la
nourriture permise, la circoncision, les fêtes
religieuses, etc.).
Pourtant, sans l’Ancien Testament on ne peut
comprendre Jésus. Par exemple, savez-vous
pourquoi on appelle Jésus « le Christ » ?
Christ n’est évidemment pas son nom de
famille. Christ est un mot grec traduisant le
mot hébreu mashiah (messie) qui signifie celui

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qui a été oint, qui a reçu l’onction de Dieu.
Pour savoir ce qu’on veut dire lorsqu’on
affirme que Jésus est le Christ/Messie, il faut
aller voir comment s’est développée l’attente
messianique dans l’Ancien Testament.
Les messies d’Israël sont d’abord les rois de
la lignée de David qui ont été oints pour
guider et protéger le peuple de Dieu. Pour
Dieu, cette mission est si grande qu’il dit au
roi qui est son fils : « Je serai pour lui un
père et il sera pour moi un fils » (2 S 7, 14).
Seul le roi portera ce titre de « fils de
Dieu » dans l’Ancien Testament (un autre
titre attribué à Jésus). Après l’Exil, lorsqu’il
n’y a plus de roi, apparaît l’espérance
messianique : un jour, un nouveau messie
prendra la tête du peuple de Dieu. Toute la
tradition chrétienne a reconnu, en Jésus, le
plein accomplissement de l’espérance
messianique d’Israël. Les premiers chrétiens
n’ont pas hésité à voir Jésus comme le par-
fait fils de David, tel que l’avaient annoncé
les prophètes.
De même, comment est-ce que les chré-
tiens peuvent croire à la résurrection de
Jésus s’ils ne savent pas comment est appa-
rue l’idée de la résurrection dans l’Ancien
Testament ?

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La résurrection est une croyance relativement
récente dont on retrouve les premières traces
dans le livre de Daniel et dans les livres des
Maccabées. Avant, on pensait qu’il n’y avait
pas de vie après la mort. Au 2e siècle avant
notre ère, les juifs étaient sous la domination
des Séleucides (Grecs) et ils étaient persécu-
tés par le roi Antiochus IV Épiphane. Afin
de les assimiler, on brûla leurs livres saints,
on interdit leurs pratiques alimentaires et
religieuses, et on installa un autel à Zeus dans
la partie la plus sainte du Temple. Plusieurs
juifs se révoltèrent et finirent par être tués
pour leur foi.
De cette persécution surgit une grave
question théologique : si une personne se
fait tuer à cause de sa fidélité à Dieu et
qu’il n’y a rien après la mort, en quoi Dieu
a-t-il été fidèle envers elle ? Une solution
apparaît tranquillement avec le livre de
Daniel qui affirme, en pensant aux mar-
tyrs : « Beaucoup de ceux qui dorment
dans le sol poussiéreux se réveilleront,
ceux-ci pour la vie éternelle, ceux-là
pour l’opprobre, pour l’horreur éternelle »
(Dn 12, 2). Les persécutions subies par les
Juifs au 2e siècle sont aussi racontées dans
le livre des Maccabées, qui propose l’idée
de résurrection. Dans le récit (2 Ma 7),

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sept frères sont arrêtés avec leur mère. On
leur ordonne de manger du porc (proscrit
par la loi juive). Ils refusent et se font donc
torturer et tuer. Avant de mourir, ils affir-
ment au roi : « Scélérat que tu es, tu nous
exclus de la vie présente, mais le roi du
monde, parce que nous serons morts pour
ses lois, nous ressuscitera pour une vie
éternelle » (2 Ma 7, 9).
Après la mort de Jésus, les disciples vécu-
rent une expérience incroyable : Jésus était
revenu à la vie. Comment comprendre
cela ? Comment l’expliquer aux autres ? Le
premier réflexe des disciples fut de com-
prendre l’événement par le concept de la
résurrection évoqué dans les livres de
Daniel et des Maccabées.
Sans l’Ancien Testament, il nous manque-
rait un pan de l’histoire de la relation entre
Dieu et son peuple. C’est dans l’Ancien
Testament qu’on voit Dieu comme le créa-
teur du monde, comme le libérateur du
peuple en esclavage, comme le partenaire
d’une alliance avec les hommes.
Enfin, la lecture de l’Ancien Testament
s’impose simplement parce qu’elle est inté-
ressante et surprenante. L’Ancien Testament,
c’est « le fun »… Il y a des personnages très

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humains (même Abraham, David et Moïse
commettent des péchés graves), il y a de la
violence, mais aussi des pardons, des grands
exploits, des miracles, des contes mythiques,
de la sagesse, des prières et même des
poèmes érotiques ! Au fond, il y en a pour
tous les goûts.
Bonne lecture…

2. Comment comprendre la Bible, ce livre si


complexe ?
Pourquoi la Bible n’est-elle pas marquée par une
unité littéraire, mais par un amalgame d’écrits
variés ? Pourquoi est-ce si ardu de comprendre les
textes de l’Ancien Testament ? Le ou les fils conduc-
teurs sont difficiles à saisir et à cerner dans toute
la Bible.
Pour comprendre cette diversité, je repar-
tirai de ce qu’est la Bible, ou plutôt de ce
que ses auteurs ont voulu transmettre dans
ces écrits. En effet, la Bible n’est pas un
livre historique, ni un recueil de contes, ni
les annales d’un royaume, ni un volume
scientifique, ni un catéchisme, même s’il
est vrai que certains textes s’approchent
parfois de l’un ou l’autre de ces genres.

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La diversité dans la Bible
Les auteurs des écrits de cette « biblio-
thèque » ont eu à cœur de transmettre à
leurs contemporains et à leurs descendants
une relecture de leur histoire, en utilisant
un éclairage bien particulier : celui de la
relation de Dieu avec son peuple et, plus
largement, avec l’humanité tout entière.
C’est dans cette optique que les événements
importants de l’histoire du peuple juif ainsi
que les grandes questions liées aux origines
de l’humanité, au sens de la vie et à la vie
après la mort ont été abordés dans ces
textes. Ainsi, au fil des événements, des
hommes ont regardé vers le passé pour
essayer de comprendre ce qui les avait
amenés à leur situation actuelle. Ils y ont
vu la main de Dieu, un Dieu aimant son
peuple au-delà de toutes ses erreurs, de
toutes ses errances, de tous ses doutes.
Ces hommes ont, bien entendu, été inspi-
rés par la situation qu’ils vivaient, leur
contexte historique, culturel et géogra-
phique, mais aussi inspirés par Dieu au
moment d’en témoigner par l’écriture. C’est
du moins ainsi qu’en ont jugé ceux qui ont
délibérément choisi ces textes pour les
réunir en un seul livre, constituant ainsi la
Bible telle que nous la connaissons.
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Un fil conducteur à travers la Bible
Ceci explique la variété que nous retrouvons
dans les textes, mais aussi les divergences
et même les contradictions (et elles sont
nombreuses) entre les différents écrits. Cela
dit, le principal fil conducteur, qui traverse
toute la Bible, est justement ce regard porté
sur la relation entre Dieu et les humains, sur
la manière dont ce Dieu, qui aime tant sa
créature, peut intervenir dans nos vies.
Chaque livre biblique a quelque chose à
nous apprendre à ce sujet, que ce soit dans
l’Ancien ou le Nouveau Testament.
J’ajouterai même que le Nouveau Testament
apporte souvent un éclairage supplémentaire
aux textes de l’Ancien. En effet, en lisant
notre Bible, nous faisons le même travail que
les auteurs des textes : nous relisons l’histoire.
Seulement, nous le faisons à partir de notre
contexte historique, culturel et géogra-
phique. Et surtout, au travers d’une nouvelle
lunette : celle du christianisme. Ce que nous
savons de Jésus-Christ, par les évangiles et les
épîtres, apporte un nouvel éclairage à la scène
du passé. Et loin de supprimer ou de rendre
caducs ces vieux livres, cet éclairage les enri-
chit et les complète.
Alors, est-ce si difficile de lire l’Ancien
Testament ? Peut-être parfois… Et je dirais
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même heureusement parfois. Pour moi, il
est clair que « la Bible grandit avec celui qui
la lit » (saint Grégoire), ce qui signifie que,
quel que soit notre niveau de connaissances
en théologie, la Bible a toujours quelque
chose à nous dire. Mais les textes n’ont
jamais qu’une seule et même interprétation
possible, jamais une seule vérité à nous
apprendre. Au fur et à mesure que nous
avançons sur notre chemin de foi, de
nouvelles portes s’ouvrent à nous. Les
difficultés que nous rencontrons parfois
dans nos lectures nous imposent de ne pas
rester assis sur nos certitudes, de toujours
remettre « notre vérité » à la lumière de la
« Vérité de Dieu ». Remis en question par
le texte biblique, nous nous remettons au
travail. Ce n’est qu’à cette condition que
nous nous approchons de Dieu, petit pas
après petit pas…

3. Comment se donner des outils pour


comprendre la Bible ?
Heureusement, lorsque nous sommes coin-
cés par la complexité de la Bible, il existe
une « boîte à outils » : ce sont les aides exté-
rieures qui peuvent apporter des éléments
nécessaires à notre compréhension. Ces
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outils vont nous aider à replacer la Bible
dans son contexte pour mieux la compren-
dre. Sans vouloir être exhaustive, je mettrais
dans cette boîte à outils :
1. La prière : avant de lire un texte, je
demande l’aide de Dieu. Son Esprit
nous est promis pour nous aider. Il
nous permet de découvrir ce que nous
pouvons découvrir petit à petit.
2. Les introductions aux livres bibliques et
les notes de bas de page : la majorité des
bibles d’aujourd’hui indiquent le con-
texte dans lequel a été écrit le livre et
donnent des informations sur son auteur.
En le replaçant ainsi dans « son pay-
sage », le texte prend souvent un autre
relief. De même, les notes en bas de
page nous expliquent certains termes
plus difficiles ou mettent le texte en lien
avec d’autres récits bibliques traitant du
même sujet.
3. Les différentes traductions bibliques : la
traduction est toujours un art difficile,
tant les cultures imprègnent les langues.
Quand en plus s’ajoute la distance histo-
rique, le traducteur se trouve confronté
à des embûches qu’il contourne comme il
le peut. À ceci s’ajoute encore le public

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cible du traducteur qui influencera l’uti-
lisation d’un mot plutôt qu’un autre. Ainsi
apparaissent des différences entre les
diverses traductions bibliques. Les com-
parer nous permet parfois de mieux com-
prendre le sens d’un verset difficile.
4. Les questions : interrogez vos amis, vos
proches, votre communauté paroissiale, les
ministres de votre église… et pourquoi pas
InterBible (<redaction@interbible.org >).
Chacun d’eux pourra apporter sa petite lu-
mière, sa façon de voir le texte, sa vérité du
moment qui, confrontée à la vôtre vous
permettra d’avancer. C’est d’ailleurs à ceci
que sert une communauté!
5. Les livres de commentaires et les diction-
naires bibliques : à l’ère de l’imprimerie et
de l’informatique, une foison de livres et
de sites Internet existent, proposant des
commentaires de toute la Bible. Le plus
difficile est sans doute de faire le tri
dans toute cette offre. Une librairie
spécialisée pourra vous y aider. La seule
règle à retenir est de garder une dis-
tance : aucun livre, aucun site, même le
meilleur des meilleurs ne détiendra « La
Vérité ». Rien n’est jamais fini sur le
chemin de Dieu… Et c’est en confron-
tant nos idées que nous avançons.
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Quoi qu’il en soit, ne vous découragez
jamais ! C’est une merveilleuse aventure que
de se confronter à la Bible ! Dieu nous le
promet : « Cherchez et vous trouverez »
(Matthieu 7, 7). Approcher Dieu, le « Tout
Autre », ne se fait qu’à ce prix : en cherchant !
Et ce que je trouve me nourrit tellement, que
je continue de chercher encore et encore.

4. Quelle est l’origine du mot « bible » ?


Le mot « bible » vient du grec biblos. Ce mot
a connu, au fil du temps, plusieurs mutations.
Il désignait à l’origine les feuilles de papy-
rus sur lesquelles on écrivait. Ce n’est peut-
être pas un hasard si l’on a nommé Byblos,
la ville phénicienne qui, dès le 4e siècle
av. J.-C., exerçait sur la côte méditerra-
néenne le contrôle du commerce du papy-
rus entre l’Égypte et le monde grec.
Comme ces feuilles de papyrus servaient de
support à la transcription des Écritures, le
singulier biblion fut de plus en plus utilisé
par la Septante (version grecque de
l’Ancien Testament) pour désigner le livre
de la Loi (Dt 28, 58) ou le livre de Moïse
(2 Ch 35, 12) ou encore les livres saints
(1 Mac 12, 9) ou les livres sacrés (2 Mac 8, 23).
Le mot biblos ne désignait donc plus le

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support sur lequel on écrivait, mais ce qui
était écrit, à savoir l’Écriture elle-même.
Pour les juifs de la diaspora, le mot Bible
était devenu la nouvelle façon de désigner
leur livre saint, traditionnellement appelée
Tanakh : un acronyme construit à partir des
trois subdivisions de la Bible hébraïque :
Torah (Pentateuque), Neviim (Prophètes), Ketouvim
(Autres Écrits). La Bible était dans le
monde hellénique ce que la Tanakh était
pour les juifs de Palestine.
Au Ier siècle, on utilisa le pluriel bibloi pour
désigner l’ensemble des livres de l’Ancien
Testament (FLAVIUS JOSÈPHE, Antiquités juives
1,132), le singulier ne servant plus qu’à
nommer l’un d’entre eux. Finalement, au
2e siècle, le mot biblia fut utilisé par les
Pères de l’Église (Clément d’Alexandrie,
Origène) pour désigner l’ensemble des
écrits de l’Ancien et du Nouveau Testa-
ment. Ce dernier sens est celui que la
Tradition a conservé jusqu’à maintenant.
Élie Wiesel faisait remarquer que la Bible
commence par la lettre Beth qui signifie
maison. Ouvrir la Bible, c’est entrer chez soi
et écouter la voix de nos ancêtres nous
raconter comment ils furent visités. C’est
laisser passer, au cœur de leur expérience,

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cet Esprit, ce Souffle créateur qui, à travers
leur histoire, nous rejoint encore aujourd’hui
pour nous révéler notre profonde identité
et nous rassembler, à travers les âges, en
une seule et même communauté.

5. Pourquoi les deux grandes parties de la


Bible sont-elles désignées par les noms d’Ancien
Testament et de Nouveau Testament ?
Il arrive souvent que des gens se demandent
pourquoi les deux grandes parties de la Bible
sont désignées par les noms d’Ancien Testa-
ment et de Nouveau Testament. Si l’on com-
prend le mot « testament » dans son sens
d’acte juridique par lequel quelqu’un ex-
prime ses dernières volontés et dispose de
ses biens, il est évident que l’appellation crée
une certaine confusion quand elle est appli-
quée à la Bible. Le terme ne peut pas être
compris dans le sens juridique où nous l’en-
tendons aujourd’hui. Quelle est l’origine de
ce nom ? Que signifiait-il ?
L’histoire de l’apparition du mot « testa-
ment », pour désigner les deux grandes
parties de la Bible, est le résultat de
traductions successives d’une langue à
l’autre : de l’hébreu au grec, puis du grec
au latin, et enfin à nos langues modernes.

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Quand les Juifs de culture grecque tra-
duisirent la Bible en grec, ils choisirent
le mot diathèkè pour rendre le mot hébreu
berît. En hébreu, le mot berît signifie
« alliance » alors que le mot grec diathèkè
signifie plutôt « testament » au sens juri-
dique. C’est dans ce sens que saint Paul
l’utilise dans la lettre aux Galates pour
désigner les promesses faites à Abraham :
« Frères, partons des usages humains : un
simple testament humain, s’il est en règle,
personne ne l’annule ni ne le complète.
Eh bien, c’est à Abraham que les pro-
messes ont été faites, et à sa descendance.
[…] Voici donc ma pensée : un testament
en règle a d’abord été établi par Dieu. La
loi, venue, ne l’abroge pas, ce qui rendrait
vaine la promesse » (Galates 3, 15-17).
Paul poursuit en disant que, si la loi don-
née à Moïse n’abroge pas la promesse,
c’est donc en continuité avec la promesse
faite à Abraham que Dieu réalise le salut
de l’humanité. C’est donc la descendance
d’Abraham qui, par la foi, hérite de la pro-
messe du salut. Pour Paul, la descendance
d’Abraham est composée de tous les
hommes qui croient au Christ. On devine,
derrière le mot « testament », utilisé dans
son sens juridique, une évocation de

22
l’alliance promise à Abraham et à sa des-
cendance. Derrière la traduction se cache
une certaine interprétation.
Les traductions latines de la Bible vont
consacrer cette interprétation, en rendant
l’hébreu berît par testamentum, qui a le même
sens juridique que le grec diathèkè. Les
traducteurs auraient pu choisir le mot latin
fœdus qui, lui, aurait été fidèle au sens
« d’alliance » qu’avait le mot hébreu berît.
Mais ce ne fut pas leur décision.
Cette histoire de la traduction explique pour-
quoi nous désignons les deux parties de la
Bible par les appellations d’Ancien Testament
et de Nouveau Testament. Il y a une tendance
actuellement, chez certains spécialistes des
Écritures, à leur préférer les appellations
d’Ancienne Alliance (ou Première Alliance)
et de Nouvelle Alliance. Ces formules, si on
prenait l’habitude de les utiliser couramment,
auraient l’avantage de nous faire saisir un peu
mieux l’évolution des relations de Dieu avec
son peuple. On comprendrait un peu mieux
ce que disait Jésus : je ne suis pas venu abolir
la Loi mais l’accomplir. Cela signifie que Jésus
n’est pas venu détruire la première alliance,
mais la renouveler en apportant la plénitude
de la révélation de Dieu et de son projet
d’alliance avec l’humanité entière.
23
6.Pourquoi est-ce que toutes les Bibles ne
sont pas pareilles ?
Plusieurs éléments font que les Bibles ne
sont pas toutes pareilles. D’abord, vous avez
peut-être déjà fait l’expérience de lire ou
d’entendre différentes traductions d’un
même passage biblique. Comme les manus-
crits que nous avons sont en hébreu ou en
grec, nous devons les traduire. Bien entendu,
il y a plusieurs façons de traduire un texte.
Certaines traductions de la Bible tentent de
rester littérales, comme la traduction d’An-
dré Chouraqui. D’autres ont une approche
visant la simplicité et la clarté du langage
comme la traduction de la Bible en français
courant. La Bible Nouvelle Traduction se
démarque par sa visée de rendre le texte
d’une façon plus littéraire. Finalement, il y a
des traductions qui visent l’étude de la Bible,
avec beaucoup de notes de bas de page
comme la TOB (Traduction Œcuménique
de la Bible) et la Bible de Jérusalem. Il y a
donc différentes traductions puisqu’il y a
différents objectifs de traduction et qu’il y a
diverses manières d’exprimer une même idée
dans une langue.
En plus des différences de traduction, il y a
des distinctions dans la sélection des livres
24
contenus dans la Bible. La liste de ces livres
retenus dans la Bible est appelée « canon »
du mot grec kanôn signifiant règle. La
grande majorité des livres bibliques se
retrouve dans toutes les Bibles. Par contre,
certains livres écrits en grec provenant du
judaïsme tardif se retrouvent dans les Bibles
catholiques, alors qu’ils sont absents des
Bibles protestantes et hébraïques1.
Les catholiques reconnaissent ces livres
comme deutérocanoniques, c’est-à-dire
admis secondairement dans le canon, alors
que les protestants les désignent comme
apocryphes et ne les admettent pas dans
leur canon. Il faut aussi dire qu’il y a d’autres
divergences dans les canons des Églises
orientales.
L’histoire de la fixation du canon est très
complexe d’autant plus qu’elle concerne
les religions juive et chrétienne ainsi que les
différents regroupements de ces religions.
Les catholiques et les orthodoxes gardent
plutôt la liste de la Septante, cette première
traduction en grec de ce qu’on appelle

1. Le livre de Judith, le livre de Tobie, le premier et


deuxième livre des Maccabées, le livre de la
Sagesse, l’Ecclésiastique ou le Siracide et la lettre
de Jérémie. Des passages du livre de Baruch, du
livre d’Esther et du livre de Daniel.
25
aujourd’hui l’Ancien Testament. Cette tra-
duction était employée par les communau-
tés juives et chrétiennes du 1er siècle.
Au 2e siècle, les autorités juives retravail-
lent le canon juif pour différentes raisons,
dont l’interprétation chrétienne des Écri-
tures. Par exemple, le Talmud nous transmet
des discussions qui ont eu lieu pour savoir
si on devait garder ou exclure le Cantique des
cantiques du canon juif. Le canon juif qui est
sorti de ces discussions est dit « massoré-
tique », du nom de ses derniers éditeurs les
« massorètes » (groupe d’érudits et de
scribes du 2e siècle au 9e siècle).
Les Bibles protestantes ont choisi de
prendre la même liste que ce canon juif. Les
livres de l’Ancien Testament, dont on dit
qu’ils n’auraient pas été écrits originellement
en hébreu, les apocryphes ou deutérocano-
niques sont donc exclus de cette liste.
En résumé, il y a une diversité de Bibles,
mais malgré les différences, ces Bibles
restent fort similaires.

7. Quels sont les manuscrits utilisés pour


établir le texte de l’Ancien Testament ?
Une découverte archéologique majeure a ra-
dicalement transformé l’étude des manuscrits
26
pour établir le texte de l’Ancien Testament. Il
s’agit de la découverte, en 1947, des manus-
crits de la mer Morte (également appelés
« manuscrits de Qumrân ») par un berger qui
cherchait ses chèvres. Il s’agit d’une série de
parchemins et de fragments de papyrus re-
trouvés dans des jarres disposées dans des
grottes se trouvant tout autour du site de
Qumrân, le lieu de regroupement d’une
communauté de juifs contemporains de
Jésus, appelés « Esséniens ». Parmi ces ma-
nuscrits, il y a des documents qui ne se re-
trouvent pas dans la Bible, mais aussi
plusieurs manuscrits de textes bibliques. Ces
manuscrits datent d’environ 200 à 100 ans
avant notre ère. Ils sont de loin les plus an-
ciens manuscrits du texte biblique. Il faut
noter qu’à l’exception du livre d’Esther, tous
les livres canoniques de l’Ancien Testament
sont représentés dans les manuscrits de
Qumrân. Parmi ces manuscrits, il faut noter
la présence d’un rouleau complet d’Isaïe, me-
surant 7,34 m de long sur 26 cm de haut.
Ces manuscrits datent de plusieurs siècles
après l’écriture des textes bibliques qui, elle,
a probablement eu lieu à partir du 6e siècle
avant notre ère. Cependant, ils sont beau-
coup plus anciens que les manuscrits d’avant
cette incroyable découverte. Les manuscrits

27
de la mer Morte sont antérieurs de près de
mille ans aux plus anciens textes connus
jusqu’alors ! Ils sont donc d’un intérêt consi-
dérable pour la science biblique.
Avant cela, nous n’avions que des manuscrits
datant du Moyen Âge. Le meilleur est sans
doute le codex de Leningrad (« manuscrit
de Saint-Pétersbourg »), du 10e siècle. Les
spécialistes le croient très fiable à cause des
règles strictes des copistes, qu’on appelle les
massorètes. Ce sont des scribes, qui ont tra-
vaillé entre les ans 200 et 1 000 après Jésus-
Christ. Jusqu’alors, le texte n’était écrit
qu’avec des consonnes. Afin de fixer la pro-
nonciation des mots et le sens du texte, les
massorètes lui ont ajouté des voyelles et des
accents. Les massorètes étaient très scrupu-
leux et même superstitieux (ils pensaient que
leur avenir éternel dépendait de la qualité de
leur copie). Le Talmud nous dit qu’après avoir
copié un texte, ils devaient compter le nom-
bre de lettres et de mots pour être certains
de ne pas l’avoir altéré. S’ils inséraient une
consonne à un mot, ils l’ajoutaient au-dessus
du mot, pour ne pas modifier le texte. Une
fois leur travail terminé, les massorètes dé-
truisaient les anciens manuscrits qui
n’avaient plus aucune utilité. C’est d’ailleurs
pourquoi avant la découverte de Qumrân
nous n’avions aucun manuscrit ancien.
28
Le codex de Leningrad est le seul manus-
crit complet de l’Ancien Testament qu’on
possède. Témoin du texte massorétique, il
sert de base aux traductions de l’Ancien
Testament. La Biblia Hebraica Stuttgartensia en
est la principale édition critique.
Pour établir le texte de nos Anciens Testa-
ments, il y a aussi d’anciennes traductions
de la Bible, comme celle de la Septante. On
en possède qui sont plus vieilles de plu-
sieurs siècles que les plus vieux manuscrits
massorétiques. De plus, les traductions
anciennes étaient souvent très littérales, ce
qui facilite la « rétroversion », c’est-à-dire
le retour vers le texte hébreu qui a servi de
base à la version. Ces traductions seraient
les témoins des textes d’avant le travail des
massorètes. La Septante est la traduction
grecque achevée au 2e siècle avant Jésus-
Christ à Alexandrie en Égypte. La légende
veut qu’elle aurait été traduite par soixante-
douze savants qui seraient tous arrivés au
même texte de façon indépendante.
En conclusion, on peut dire que le texte ac-
tuel de l’Ancien Testament reste assez fidèle,
car les règles de copie étaient très strictes. Il
y a correspondance à quelques variantes
près entre la majeure partie du texte de la
Septante (grec) et le texte massorétique
29
(hébreu). Il y a peu de variantes entre le
texte massorétique et les manuscrits de la
mer Morte malgré les 1 000 ans de copies
manuscrites qui les séparent !

8. Comment se retrouver dans la Bible ?


Savez-vous comment vous orienter dans la Bible ?
La Bible est divisée en chapitres et en versets, mais
savez-vous l’origine de ces séparations ?
Dans l’Antiquité, les divers livres qui compo-
sent la Bible étaient écrits sur des rouleaux.
Parfois, un rouleau regroupait plusieurs livres
(le Pentateuque et les « petits » Prophètes),
mais la plupart des rouleaux correspondaient
à un livre biblique, comme le livre d’Isaïe par
exemple. Avec l’apparition des codex (les an-
cêtres de nos livres actuels), on pouvait re-
grouper un plus grand nombre de pages
ensemble. L’Ancien Testament est devenu un
livre de livres. À cette époque, il n’y avait pas
de divisions entre les livres.
Il faut attendre le 13e siècle pour qu’Étienne
Langton, évêque de Canterbury, décide
de diviser la Bible en chapitres. Ceux-ci
permettaient d’en lire un récit à la fois. On
dit qu’Étienne Langton aurait découpé la
Bible en chapitres lors d’un voyage vers
Paris sur le dos d’une mule. Cette anecdote
30
permet peut-être de comprendre pourquoi
parfois les chapitres semblent couper le
texte biblique là où l’histoire se continue.
Il y a encore un autre type de divisions,
plus petites, dans la Bible : les versets. Ils
correspondent grosso modo aux phrases
contenues dans un chapitre. Ainsi, chaque
phrase de la Bible est associée à une
numérotation. Celle qu’on utilise encore
aujourd’hui date du 16e siècle. Robert
Estienne, un imprimeur français, proposera
pour la première fois une édition de
la Bible avec numéros de versets dans la
marge du texte. Cette pratique sera alors
adoptée progressivement par les Bibles
protestantes, catholiques et même un peu
plus tard par les Bibles hébraïques.
Voici quelques indications pour compren-
dre une référence biblique.
— Le nom du livre est toujours la première
indication. Certaines fois, ce nom est
abrégé. La liste des abréviations de
votre Bible se retrouve normalement
dans ses pages de présentation. Par
exemple, Gn indique le livre de la Genèse.
— Le premier chiffre réfère au chapitre.
Gn 3 réfère au troisième chapitre du
livre de la Genèse.

31
— Enfin, les chiffres suivant la virgule indi-
quent le ou les versets. Ainsi, Gn 3, 4-11
renvoie aux versets 4 à 11 du chapitre 3
du livre de la Genèse.
Vous voilà donc équipés pour vous retrou-
ver dans la Bible.

9. Quelle est la différence entre la Bible et


la Torah ?
Le grand livre que nous appelons « la Bible »
est, en fait, une collection de différents livres
écrits et rassemblés durant une période qui
va du 8e siècle avant notre ère jusqu’au début
du 2e siècle de notre ère. Cet ensemble de li-
vres est divisé d’abord en deux grandes sec-
tions que l’on appelle le Premier ou l’Ancien
Testament et le Nouveau Testament. Sans
vouloir entrer dans trop de détails, disons
encore que le judaïsme reconnaît comme
authentiques les seuls livres du Premier
Testament, écrits en hébreu. Ces livres for-
ment ce que l’on appelle communément « la
Bible hébraïque ». Le christianisme gardera,
dans sa Bible, l’ensemble de la Bible hé-
braïque et y ajoutera tous les livres qui por-
tent le témoignage de Jésus comme Christ
et Seigneur. Cet ensemble sera appelé le
« Nouveau Testament ».

32
Venons-en maintenant à la question posée !
La Bible hébraïque est traditionnellement
divisée en trois parties :
Torah ou l’instruction ou la Loi ;
Nebiim ou les Prophètes ;
Ketoubim ou les Écrits.
Comme vous le voyez, la Torah est la pre-
mière partie de la Bible hébraïque ou du
Premier Testament. Elle est composée de
cinq livres : la Genèse, l’Exode, le Lévitique, les
Nombres et le Deutéronome. C’est la raison
qui a fait qu’on l’appelle aussi le Pentateuque
(en grec, les cinq livres). Pour le judaïsme,
la Torah est le pilier de la foi juive, son
cœur, parce qu’elle est la Loi écrite qui se
rattache à Moïse. À côté d’elle se mettra
progressivement en place une loi orale à
partir des commentaires qu’en feront les
rabbins. Cette loi orale répondait à des
questions concrètes concernant l’applica-
tion de la Loi écrite, en fonction du temps
et des lieux. À l’époque de Jésus, ces com-
mentaires étaient devenus particulièrement
compliqués et tatillons. Ils formaient ce que
l’on appelait « la tradition des Anciens » et
certains lui donnaient autant de valeur qu’à
la Torah proprement dite. C’est ce qui
amena Jésus à être parfois très critique

33
envers cette manière de voir. L’exemple le
plus connu est certainement la parabole du
bon Samaritain (Lc 10, 25-37).
Je voudrais évoquer un dernier aspect qui
éclaire l’importance donnée à la Torah. Une
simple lecture des livres qui la composent ré-
vèle différentes couches rédactionnelles. On
est très loin d’un tout homogène. Comment
comprendre cela? En 722 avant Jésus-Christ
a lieu une première catastrophe dans l’histoire
du peuple d’Israël. Samarie, la capitale du
royaume du Nord, est assiégée, conquise par
les armées assyriennes et totalement détruite.
Une grande partie de la population est em-
menée en exil et ira peupler des régions de
la Mésopotamie, tandis que d’autres peu-
plades sont installées sur les terres fertiles du
royaume d’Israël. Ceux et celles qui ont pu
échapper à l’exil, parmi lesquels des scribes et
des lettrés, vont chercher refuge dans le petit
royaume de Juda, à Jérusalem. Les recherches
archéologiques récentes montrent que la Ville
sainte va connaître une grande expansion à
cette époque. Les scribes de la cour de Sama-
rie vont naturellement se mettre au service du
roi de Juda. Ils sont arrivés avec leurs propres
récits, leurs coutumes et leurs traditions. Une
nécessité s’impose alors : il faut unifier cet
ensemble de tribus très indépendantes et

34
disparates. Cet objectif se réalisera à travers
les premières rédactions de la Torah. Cette
parole écrite, que tous peuvent lire, méditer
et dont ils peuvent aussi entendre la procla-
mation dans l’enceinte du Temple, va donner
à la population une nouvelle unité et lui four-
nir son identité. C’est autour de la Torah, avec
ses réformes successives, que se forgera l’iden-
tité juive. Cet aspect sera encore accentué au
retour du deuxième exil.
La Torah sera le livre autour duquel un peuple
dispersé va se rassembler, retrouver force et
courage et forger son unité religieuse et poli-
tique. Pour en avoir une idée, je vous propose
de prendre connaissance de ce qui se passe à
Jérusalem, vers 450 avant Jésus-Christ. Le
livre de Néhémie mentionne l’événement (Ne 8).
Esdras, le scribe, fait une lecture publique de
la Torah devant le peuple réuni. L’adhésion de
tous à une parole, dont chacun porte en lui le
souvenir et en médite le contenu, est devenue
le point d’ancrage du judaïsme d’après l’Exil,
celui que vivra et connaîtra Jésus.

10. Qui a écrit le Pentateuque ?


D’abord, une précision. Le Pentateuque est la
version grecque de la Torah, « le livre de la
loi de Moïse ». Il est le fruit de la rencontre

35
du judaïsme et de l’hellénisme. Ce sont les
Juifs d’Alexandrie qui, sous le règne du roi
Ptolémée II (285-246 av. J.-C.), désignaient
ainsi les cinq premiers livres de la Bible : en
grec, penta signifie « cinq » et teukhos signifie
« étui ». Le Pentateuque est donc à la Septante
ce que la Torah est à la Bible hébraïque.
Les traditions juive et chrétienne ont tou-
jours cru que le Pentateuque (ou que la
Torah) était l’ouvrage d’un seul homme :
Moïse. Mais il est difficile de croire qu’il
ait pu lui-même décrire sa propre mort
(Dt 34, 5-12) ! L’hypothèse de l’existence
d’autres auteurs ayant rédigé ce livre a donc
été avancée. L’histoire rédactionnelle du
Pentateuque est même, en exégèse, l’une des
questions les plus discutées.
Pour vous faire entrer dans l’intelligence de
ce livre, je poserai une autre question :
qu’est-ce que le Pentateuque sinon un livre qui
raconte l’histoire des origines d’un peuple ?
Or, la réception de cette histoire, si impor-
tante pour ce peuple, prend à des époques
différentes des accents différents selon les
situations de vie de la communauté croyante
qui s’y réfère. Ainsi, selon les circonstances
historiques, la même histoire se trouve tou-
jours à nouveau réinterprétée. Au cours de
cette activité de réécriture, de nouveaux
36
angles seront introduits et développés, pro-
jetés même dans l’histoire ancienne pour
permettre de comprendre le présent ou de
justifier l’émergence de nouveaux rites qui
se révèlent être essentiels à la foi telle que
perçue et comprise à l’époque où ces écrits
ont été rédigés.
Le Pentateuque a donc des siècles d’histoire.
C’est un livre qui a connu de constantes
mutations. Il contient des traditions orales,
dont certaines furent consignées et d’autres
oubliées. Elles ne furent pas consignées en
un seul jour, mais progressivement, à des
endroits et à des époques différentes par
des gens différents : c’est ce qui explique
l’existence de nombreuses couches rédac-
tionnelles (que l’on peut percevoir par les
répétitions, les inversions, les contradic-
tions aussi, parfois). C’est ce qui explique
également la présence de nombreuses
variantes, car le texte que nous avons dans
nos Bibles n’est qu’un texte parmi d’autres :
le plus officiel, certes, mais pas le seul !
N’oublions pas qu’il existe également le
Pentateuque des Samaritains, qui est différent
du nôtre… On situe généralement la rédac-
tion finale de notre Pentateuque à l’époque
perse (538-333 av. J.-C.), mais il fut, jusqu’à
cette époque, continuellement remanié.

37
Pour comprendre la raison d’être de l’en-
semble de ces modifications, il faut savoir
que les Anciens n’avaient pas la même
conception de l’Écriture que nous. Ils
n’avaient pas, d’abord, le sens de la propriété
privée. Nous ne connaissons nullement les
noms des personnes qui ont rédigé le Penta-
teuque. Tout est anonyme. Ensuite, ces textes
inspirés étaient aussi inspirants pour la caste
sacerdotale qui, en cette dernière époque,
en colligeait les traditions : ce qui signifie
qu’en recopiant les manuscrits, ils les trans-
formaient selon les inspirations de l’heure.
Ils modifièrent ainsi les récits pour y intro-
duire des éléments législatifs dans le but
d’unifier la future communauté. De cette ac-
tivité, que l’on pourrait qualifier de prophé-
tique, jaillissait un texte nouveau, modifié,
transformé. Un exemple de ces ajouts
rétrospectifs se retrouve dans l’histoire
d’Abraham, où on le voit obéir aux règles du
Temple avant même que le Temple n’existe :
il paye, par exemple, à Jérusalem, la dîme à
Melchisédech (Gn 14, 18-20). Isaac se marie
selon les règles qui prévalaient après l’Exil
(Gn 24, 3-37). La caste sacerdotale voulait
ainsi justifier son propre retour d’exil et
la nécessité de reconstruire le Temple de
Jérusalem à une population du pays (ham-ha-
haretz) qui, elle, se réclamait d’Abraham. Les
38
vrais fils d’Abraham étaient ceux qui obéis-
saient aux règles du Temple !
Toutes ces retouches, à différentes époques
de son histoire rédactionnelle, font qu’il
est si difficile d’en retracer les étapes ! C’est
ici que les théories s’affrontent. Je n’en
nommerai que quelques-unes :
• L’hypothèse documentaire où l’on dis-
tingue les documents : yahviste (J), datant
du 10e siècle av. J.-C., sous le règne du roi
Salomon ; élohiste (E), datant du 7e siècle
av. J.-C., dans le royaume du Nord ; sacer-
dotal (P), datant de l’époque de l’exil à
Babylone de la caste sacerdotale au 6e siècle
av. J.-C. Mais, à l’intérieur de ces docu-
ments, on a aussi découvert d’autres
couches rédactionnelles intermédiaires.
• L’hypothèse deutéronomiste (D), prove-
nant en partie du royaume du nord avant
la chute de Samarie (723 av. J.-C.), rédigée
à Jérusalem sous le règne de Josias (641-
609 av. J.-C.) et complétée par la suite.
• L’hypothèse des fragments dont les plus
anciens remonteraient à l’époque de
David (1012-972 av. J.-C.) et auraient
été compilés par un seul rédacteur final.
• L’hypothèse des compléments où il y au-
rait eu, dès le départ, un texte auquel on
aurait greffé de nombreux compléments.
39
Pour les uns, les récits du Pentateuque ont été
rédigés à partir de traditions qui furent déjà
écrites à l’époque de David. Pour d’autres, ils
dateraient de l’époque de l’Exil (597-539
av. J.-C.). D’autres encore croient que rien
n’a existé avant l’époque perse (538-333
av. J.-C.). Quoi qu’il en soit, la prise de
conscience de ces différentes couches ré-
dactionnelles nous permet de comprendre
pourquoi il y a des répétitions, des textes pa-
rallèles, des omissions, des contradictions, des
divergences, des différences de style et de lan-
gage. Elle permet aussi de voir qu’à travers
toutes ces différences, un seul et même Esprit
(Rouha) traverse le temps et laisse une trace de
son passage dans l’histoire de son peuple.
Au fond, qu’est-ce que le Pentateuque, sinon
l’expression d’un éternel rendez-vous entre
Dieu et l’homme ! N’est-il pas, encore
aujourd’hui pour nous, juifs et chrétiens, le
lieu d’une perpétuelle Rencontre ?

11. Le récit de la Création dans la Bible est-


il compatible avec le discours scientifique sur
l’évolution des espèces ?
Les chrétiens doivent pouvoir répondre avec
intelligence à cette question, car il y va des
rapports entre la science et la religion. Cette

40
question est devenue d’actualité depuis que
plusieurs groupes de chrétiens évangélistes
originaires des États-Unis ont commencé à
mener une lutte contre la théorie de Darwin.
Ils proposent le créationnisme comme seule
voie pour expliquer la naissance de l’Univers
et la création de l’être humain. Il faut étudier
les premiers chapitres du livre de la Genèse
pour trouver une réponse éclairante.

Le livre de la Genèse
Les onze premiers chapitres du livre de la
Genèse s’attardent à raconter dans un style
imagé la création du ciel, de la terre, de la
végétation, des animaux et finalement de
l’être humain. L’œuvre de la création est
racontée aux chapitres 1 et 2. De quel type
de récits s’agit-il ? Il n’y a pas eu de témoins
oculaires de la Création.
Cette simple constatation nous fait dire que
le récit de la Création, dans le livre de la Ge-
nèse, n’est pas un récit historique. Il n’est pas
non plus le compte rendu du témoignage
d’une personne. Non, il s’agit d’abord et
avant tout d’un texte religieux qui a proba-
blement été rédigé entre le 10e siècle et le 6e
siècle avant Jésus-Christ. Cela veut dire que
les auteurs n’avaient pas pour but de don-

41
ner des informations scientifiques sur la
naissance de l’Univers, mais plutôt de ten-
ter de proposer une réflexion sur la relation
qui existe entre l’Univers et Dieu et entre
l’être humain et Dieu. Ils veulent démon-
trer que la relation privilégiée qui existe
entre Dieu et le peuple d’Israël est une re-
lation qui a été offerte à toute l’humanité
lors de la Création. Ce récit ne concerne
pas seulement le peuple élu, mais toute la
Création incluant l’être humain. En ce sens,
on dit que les premiers chapitres du livre
de la Genèse sont des écrits théologiques.
Les spécialistes de l’Écriture sainte ont étu-
dié ces textes depuis le début du christia-
nisme et plusieurs d’entre eux, même parmi
les Pères de l’Église, avaient déjà émis l’idée
que l’Univers était le fruit d’une lente trans-
formation. Il faut aussi savoir que plusieurs
textes du livre de la Genèse sont inspirés par
des mythes qui appartenaient à des peuples
voisins d’Israël. Ces récits n’appartiennent
pas en propre à la littérature juive de
l’époque. Ils font partie du patrimoine de
l’humanité. Il est cependant indéniable que
les rédacteurs juifs ont transformé la visée
de ces textes. Ils ont voulu montrer que le
sujet du verbe « créer » qu’on trouve dans
ces textes était Dieu.

42
Il est d’ailleurs intéressant de constater que
Dieu ne crée pas à partir de rien. Le ver-
set 2 du chapitre 1 dit que la terre « était
vide et vague ». Il s’agit ici d’un jeu de mots
hébreu qui veut dire que la terre était en
désordre, c’est-à-dire « tohù bohù ». Il s’agis-
sait selon les auteurs du livre de la Genèse d’un
désert en désordre. Dieu est venu mettre de
l’ordre par l’action de la Création.

L’interprétation de l’Église catholique


L’Église a tenu jusqu’au tournant des
années 1950 un discours rivé sur une
interprétation littérale du livre de la
Genèse. L’Église enseignait que la littérature
biblique racontait la création de l’Univers
en six jours. Son opposition s’adressait
aux propositions du chercheur anglais
Charles Darwin qui a proposé la théorie
de l’évolution des espèces. Cette théorie
apparue au 19e siècle décrit le processus
par lequel les espèces se modifient au
cours du temps et donnent naissance à de
nouvelles espèces.
Le pape Léon XIII (1878-1903) réaffirma
que les textes de la Bible « [avaient] été
écrits sous l’inspiration du Saint-Esprit et
[avaient] ainsi Dieu pour auteur ».

43
Il faut attendre le pape Pie XII dans son
encyclique Humani Generis (1950) pour
que la position de l’Église s’assouplisse.
Pie XII a affirmé qu’il n’y avait pas d’op-
position entre la théorie de l’évolution et
« la doctrine de la foi sur l’homme et sa
vocation ». Il a écrit que les premiers cha-
pitres de la Genèse « décrivent de façon
populaire l’origine du genre humain et
celle du peuple élu ». Il affirme aussi que
ces récits appartiennent au genre histo-
rique. Pie XII ouvre des portes, mais il en
tient d’autres fermées.
Le pape Jean-Paul II, dans un discours
prononcé à l’Académie des sciences, au
Vatican le 22 octobre 1996, a affirmé que le
pape Pie XII « considérait l’évolutionnisme
comme une hypothèse sérieuse, digne
d’une investigation et d’une réflexion
approfondie ». Jean-Paul II va un plus loin
en affirmant :
« Aujourd’hui, près d’un demi-siècle après
la parution de l’encyclique, de nouvelles
connaissances conduisent à reconnaître
dans la théorie de l’évolution plus qu’une
hypothèse. Il est en effet remarquable que
cette théorie se soit progressivement
imposée à l’esprit des chercheurs, à la suite
d’une série de découvertes dans diverses
disciplines du savoir. La convergence,

44
nullement recherchée ou provoquée des
résultats des travaux menés indépendam-
ment les uns des autres, constitue par elle-
même un argument significatif en faveur
de cette théorie. »
Jean-Paul II explique que la théorie de
l’évolution ne propose pas une solution
pour expliquer l’âme humaine. Le moment
du passage au spirituel n’est pas l’objet
d’une explication scientifique. Il fait ici
appel à l’intervention divine. L’Église re-
connaît aujourd’hui que le livre de la Genèse
n’est pas l’histoire des débuts de l’humanité.
Ce livre donne plutôt un enseignement sur
le sens de la Création et sur le modèle de
relation qui existe entre l’humanité et Dieu.

12. Comment la Bible décrit-elle notre


rapport à l’environnement ?
« Dominez la terre, soumettez les animaux. » Est-ce
que la Bible invite les humains à polluer et à exploiter
les ressources de la terre ?
Cette question reprend le texte de la Créa-
tion dans livre de la Genèse. Est-ce qu’il
incite à l’exploitation ou au développement
durable ? Tout dépend de la traduction et
de l’interprétation de deux verbes hébreux :
kabash (dominer) et radah (soumettre).

45
« Dieu les bénit et Dieu leur dit : “Soyez
féconds et prolifiques, remplissez la terre
et dominez-la. Soumettez les poissons de
la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui
remue sur la terre !” » (Gn 1, 28).
Ce texte décrit la mission que le Créateur
donne aux premiers : avoir des enfants,
dominer la terre et être maîtres des ani-
maux. Est-ce que Dieu justifie l’exploitation
de la terre par les humains ?

Dominer la terre
Le verbe kabash (dominer) est employé
quatorze fois dans la Bible. On le retrouve
dans des contextes de violence ou de lutte
comme lors de la conquête de la Terre
promise (Jos 18, 1). Dans ce contexte, ce
mot ne signifie pas « détruire », mais plutôt
enlever les obstacles pour que le peuple
puisse vivre paisiblement sur cette terre. De
la même façon, son usage dans le récit de
création n’implique pas la destruction, mais
demande aux humains de faire de cette
Création un endroit paisible pour l’huma-
nité. Le verbe kabash (dominer) décrit aussi
la responsabilité du roi envers les nations
qu’il domine (2 S 8, 11). Or, la fonction du
roi, décrite dans la Bible, demande une
attitude de service et de respect des autres.
46
Soumettre les animaux
Le verbe radah (soumettre) apparaît vingt-
deux fois dans la Bible. Dans ce cas-ci, il
fait référence à la relation entre les humains
et les animaux, mais les autres fois, il est
employé pour décrire les relations entre
humains. La plupart du temps, c’est le roi
qui est désigné comme maître par ce verbe
(1 R 5, 4 ou Ps 72, 8). Le roi ne devait pas
exploiter les autres et abuser de son auto-
rité. Je crois qu’il faudrait trouver un autre
mot pour mieux traduire radah que les mots
français « soumettre », « commander » ou
« être le maître de ». En anglais, certains
biblistes traduisent ce passage par le mot
steward (intendant, gardien) qui se dit d’une
personne responsable d’un service. Ainsi
traduit, on met l’accent sur la responsabilité
que Dieu donne aux humains de s’occuper
de la terre et des animaux, et non sur un pou-
voir d’exploiter. Nous sommes donc appelés
à devenir des gardiens de la Création.
Les premiers chapitres de la Genèse montrent
bien comment l’humain a pris la mission de
Dieu de dominer la terre et les animaux
au sérieux. Rapidement, ils se déplacent,
prennent possession de la terre et dévelop-
pent ses ressources. Déjà, les enfants d’Adam
et Ève cultivaient le sol (Caïn) et élevaient
47
des animaux (Abel). Ce développement ne
se fera pas sans problèmes. Si bien que,
quelques chapitres plus loin, Dieu doit tout
effacer avec le Déluge.

Quel sorte de maître sommes-nous ?


Dans notre relation à la terre et aux ani-
maux, est-ce qu’on se comporte comme des
dictateurs égocentriques où seul le profit
compte ? Ou pouvons-nous devenir des in-
tendants responsables de la Création que
Dieu nous donne ? Chacun doit répondre
par ses actes à cette question.
Lorsqu’il créa, Dieu vit que cela était
très bon. Pourtant, aujourd’hui, lorsqu’on
regarde la pollution causée par les humains,
plusieurs pourraient dire que l’état de la
Création est de moins en moins bon.
Le récit de la Genèse affirme que nous
sommes à l’image de Dieu. C’est donc à
nous de poursuivre son action créatrice
pour que le monde soit beau et bon. Notre
mission est de nous occuper du développe-
ment durable de la terre et non d’en être
les exploiteurs. Nous devons devenir les
gardiens de la Création.

48
13. Comment comprendre le meurtre
d’Abel par son frère Caïn2 ?
Les actes violents, qui font la une de nos quotidiens,
m’interpellent tout particulièrement. Il me semble qu’une
espèce de climat de violence s’est installée sur la planète.
Lancinante question de la violence. De
tous les temps, les hommes ont cherché à y
répondre de façon plus ou moins convain-
cante. Ce n’est donc pas étonnant de
retrouver une histoire de meurtre dès les
premiers chapitres de la Bible. Le récit
biblique de Caïn et Abel inscrit la violence,
le meurtre, au commencement de l’huma-
nité. Je vous rappelle que le livre de la
Genèse n’est pas une narration qui se veut
historiquement véridique de la naissance de
notre monde. Les récits qui la composent
parlent plutôt des relations des hommes
avec Dieu. Dans ce sens, l’épisode de Caïn
et Abel n’est pas une simple « histoire de
famille », mais un mythe qui cherche à ex-
pliquer l’origine de la violence et sa gestion.
Dès le premier verset, l’exclamation d’Ève
nous étonne : « J’ai procréé un homme avec
le Seigneur. » C’est comme si Ève avait
voulu donner à Caïn une double origine :

2. Lire Genèse 4, 1-16


49
par son père Adam, il est fils du sol (adamah,
en hébreu) et il est d’origine divine par
l’affirmation de sa mère. Nous verrons
qu’après son meurtre, Caïn sera séparé à la
fois de Dieu et du sol.
Abel, son frère, a quant à lui un nom parti-
culièrement étrange, puisqu’il signifie
« buée » ou « petit vent ». Qui aurait idée
de prénommer ainsi son fils ? Dans le pré-
nom d’Abel apparaît déjà toute l’expérience
de la fragilité humaine.
Ces deux frères vont devenir rivaux, le jour
où l’un des deux fera l’expérience de l’inéga-
lité. Dieu reconnaît en effet le sacrifice
d’Abel, mais pas celui de Caïn. Comment les
frères se sont-ils rendu compte de cette réac-
tion divine ? Le texte ne le dit pas. On ne sait
même pas si Abel s’en est aperçu. Comme
souvent, celui qui subit l’inégalité y est plus
sensible que l’autre. Le texte reste aussi si-
lencieux sur ce qui a motivé le choix partial
de Dieu. On a souvent cherché à noircir
Caïn, en postulant, par exemple, qu’il aurait
offert un sacrifice de moindre qualité, ou en-
core que Dieu aurait privilégié Abel parce
qu’Ève n’aurait eu d’yeux que pour Caïn. Le
narrateur laisse cependant un vide, qu’il nous
faut accepter, et nous rendre à l’évidence : il
n’y a pas de raison logique à la préférence
50
divine. Elle trouve son seul fondement dans
l’arbitraire divin qui est souligné dans le livre
de l’Exode (Ex 33, 19) : « J’accorde ma bien-
veillance à qui je l’accorde, je fais miséri-
corde à qui je fais miséricorde. »
Derrière cet arbitraire divin se cache une
expérience humaine quotidienne : la vie
n’est pas juste, elle est toujours imprévisible
et elle est faite d’inégalités qui ne sont pas
toujours logiques et explicables. Ce récit
ne nous donne aucune réponse quant au
pourquoi de cette injustice : elle est, et
nous devons vivre avec.
Caïn fait l’expérience de l’inégalité et il réa-
git de manière forte. Pourtant, si Dieu s’est
détourné de son sacrifice, il ne le rejette pas
pour autant. Il lui parle, il l’exhorte à ne pas
se soumettre au péché. Le terme « péché »
apparaît pour la toute première fois dans la
Bible ! C’est significatif ! Le « péché origi-
nel » n’est pas celui de l’histoire d’Adam et
Ève, à savoir la transgression de l’interdit
divin. Le premier péché, c’est de laisser
libre cours à la violence !
Dieu en appelle à la responsabilité de Caïn,
l’encourageant à ne pas s’abandonner à la
violence, mais Caïn n’arrive pas à gérer cette
colère qui monte en lui. Il essaie pourtant de
parler à son frère. Le texte ne nous transmet
51
pas ce qu’ils se disent, mais quoi qu’il en
soit, puisque le meurtre a lieu juste après,
nous pouvons en conclure que la commu-
nication n’a pas passé. Le meurtre est donc
lié à l’incapacité des deux protagonistes à
communiquer.
Dieu est immédiatement présent pour
questionner et sanctionner. La réponse
de Caïn : « Suis-je le gardien de mon
frère ? » peut sembler ironique. Mais je
vois plutôt dans cette réponse tout le
désarroi de Caïn : il vient de réaliser la
portée de son geste et reste stupéfait,
choqué. Il ne sait pas comment affronter
l’irruption de la violence.
Il est alors menacé de perdre tous ses repères :
la terre le renie, il devient dès lors vagabond.
Son geste l’a aussi coupé de sa relation avec
Dieu. Quand il découvre les conséquences de
son geste, Caïn a peur. Il découvre aussi qu’il
vient de mettre en route la spirale de la vio-
lence (« quiconque me trouvera me tuera »).
Il crie alors vers Dieu : « Ma faute est trop
lourde à porter! » Et Dieu décide de protéger
Caïn par un signe. Le narrateur insiste ainsi
sur le fait que, pour Dieu, la vie humaine,
même celle d’un meurtrier, est sacrée. Aucun
être humain n’a le droit de prendre la vie d’un
autre, fut-il mauvais.
52
Dieu offre, par sa décision, les conditions
d’un avenir en dépit du meurtre. Il permet
à Caïn de s’installer au pays de Nod (un
pays imaginaire dont le nom est construit à
partir d’un jeu de mots en hébreu avec le
verbe « errer »). Ce pays est situé à l’est
d’Éden, l’est étant le symbole de l’espé-
rance, là où le soleil se lève.
La suite du récit du livre de la Genèse nous
apprend que l’installation de Caïn va per-
mettre la naissance de la civilisation. Sept
générations descendront de lui, un chiffre
symbolique pour dire un peuple. Parmi ses
descendants, il y aura des éleveurs, des ar-
tisans, des musiciens, etc. Ainsi, la violence
n’empêchera pas le progrès, la civilisation.
La violence n’a pas empêché la vie, même si
celle-ci demeure fragile et menacée.
Le récit de Caïn et Abel nous présente
donc une réflexion sur la violence comme
faisant partie de la condition humaine.
Selon ce texte, cette violence naît du fait
que l’homme ne supporte pas la différence,
l’inégalité. Dieu néanmoins n’est pas étran-
ger à cette violence puisqu’il confronte
l’homme à l’expérience de l’inégalité. La
violence, comme la liberté et la responsa-
bilité, fait partie de la situation de l’être
humain. Mais Dieu veut également que
53
l’homme apprenne à gérer la violence en
s’opposant à son escalade. La gestion de la
violence implique que nous reconnaissions
notre propre violence et que nous ne
fermions pas les yeux sur celle qui nous
entoure et nous laisse souvent démunis.
L’expérience humaine nous livre plusieurs
tentatives plus ou moins heureuses pour
gérer cette violence. Par contre, voici ce
que le Christ nous propose : métamor-
phoser, transformer les manifestations de
violence pour les mettre au service de
l’amour. C’est ce qu’on appelle la non-
violence, le concept que Gandhi et Martin
Luther King ont utilisé dans leurs luttes
politiques. La non-violence n’est pas paci-
fique, elle n’est pas « ne rien faire » : Jésus
ne s’est jamais tu devant l’injustice. Il n’a
jamais non plus refusé d’entrer dans l’ac-
tion de peur de toucher à la violence. Cer-
taines de ses paroles ou certains de ses
actes ne sont d’ailleurs pas tendres ! Mais
ils laissent toujours une issue à la relation
et à la communication, et c’est cela qui fait
toute leur différence. Rappelez-vous : le
péché est la rupture de la relation. Un acte
ne peut être qualifié de non violent que
lorsqu’il garde la porte ouverte à la rela-
tion et au dialogue.

54
Jésus nous invite à gérer la violence non
pas en la niant, la cachant, en l’opprimant
ou en la détournant sur quelque chose ou
quelqu’un, mais en la métamorphosant,
en la transformant en énergie positive, en
utilisant notre imagination pour changer
des situations de violence en situations de
dialogue et de relation.
La violence fait partie de la condition
humaine. Nous n’y pouvons rien. Par
contre, nous sommes responsables de nos
actes par rapport à cette violence.

14. Comment comprendre le récit de la


tour de Babel ?
Cette histoire de tour… Je ne peux pas croire
que des gens aient été un jour rassemblés sur
une même plaine. Et puis, pourquoi punir des
personnes pour avoir construit une tour ?
Aujourd’hui, nous essayons d’apprécier posi-
tivement les différentes cultures. Là, on pré-
sente la diversité des langues comme une
punition. Bizarre.
Je comprends très bien que vous ne puis-
siez pas croire que des gens aient été un
jour rassemblés sur une même plaine, car
de fait, cela n’a jamais eu lieu. Pour com-
prendre cette histoire de la tour de Babel
55
(Gn 11, 1-9), il faut se rappeler qu’elle fait
partie de la section de la Bible qu’on appelle
la préhistoire ou le cycle des origines
(Gn 1-11), une section de la Bible qui ne
prétend pas être historique ni scientifique.
Ces textes réfléchissent sur ce que nous
sommes maintenant, ce que nous avons
toujours été et ce que nous serons toujours
comme êtres humains.
À Ur, en Mésopotamie, un des édifices les
plus imposants était la ziggourat, sorte de
tour bâtie en briques séchées, haute de
plusieurs étages, et surmontée d’un temple.
La tour de Babel (dans la cité de Babylone)
devait avoir une structure semblable. De la
ziggourat d’Ur, seuls les étages inférieurs ont
été reconstitués.
L’histoire de la tour de Babel décrit ce
désir humain de pénétrer les cieux, en
somme de remplacer Dieu. Elle est la ré-
édition du récit du paradis où l’homme et
sa femme voulaient aussi devenir comme
Dieu (Gn 2-3). Il est remarquable que, dans
la description du projet humain (v. 1-4),
il n’y ait aucune référence à Dieu ; c’est un
de ces projets, comme on en trouve par-
tout au monde, qui veut montrer que l’être
humain peut tout faire. Mais comme on le
voit aussi partout, tôt ou tard ces projets
56
aboutissent à la confusion, à la dispersion.
Il me semble qu’on peut facilement
comprendre l’origine de cette histoire de
tour à l’aide de la comparaison suivante.
Imaginez quelqu’un d’un petit village du
Québec, qui ne parle que le français, et qui
gagne un voyage à New York. Quelle
pourrait bien être son impression sur place
et quel serait son compte rendu en reve-
nant ? Il a vu cette ville immense, avec ses
immeubles en hauteur ; par ailleurs, il a
aussi été frappé par le fait qu’il ne com-
prenait pas les gens. Il a entendu toutes
sortes de langues et peut-être juge-t-il
aussi que la ville était sale et dangereuse.
Non, il n’a aucun désir de vivre dans une
telle ville de confusion, « Dieu merci »
d’être rentré dans son village où il connaît
tout le monde. L’auteur du récit biblique a
une impression semblable de la grande
ville de Babylone, la ville orgueilleuse
dans la Bible.
Si vous prenez le temps de lire le chapitre
précédent, vous trouverez quelque chose
de plutôt surprenant encore. On y énumère
les peuples de la terre, les descendants des
trois fils de Noé. Après la descendance de
Japhet, le texte dit : « Tels furent les fils de
Japhet, d’après leurs pays et chacun selon

57
sa langue… » (Gn 11, 5). Lisez la même
chose aux versets 20 et 31. Il est dit claire-
ment, à trois reprises, que les peuples du
monde parlent des langues différentes. Et
alors, tout d’un coup, l’histoire de la tour de
Babel s’ouvre avec : « Tout le monde se ser-
vait d’une même langue… » (v. 1). Nous
sommes en présence de deux récits d’au-
teurs différents, qui réfléchissent chacun à
la fameuse question de l’origine des diffé-
rentes langues. Le premier auteur (Gn 10)
présente ce fait comme une bonne chose,
fruit d’une bénédiction divine. En effet,
après le Déluge, Dieu a béni Noé et ses fils
en disant : « Soyez féconds, multipliez,
emplissez… » (Gn 9, 1). L’auteur de l’his-
toire de la tour de Babel voit ce phéno-
mène humain de façon plutôt négative,
comme un châtiment divin. Ces deux po-
sitions sont curieuses et on pourrait se de-
mander lequel des deux auteurs a raison.
La réponse est très simple : les deux disent
vrai. D’une part, la variété de langues et de
cultures des peuples donne une richesse à
l’humanité. Celui qui a fait l’effort d’ap-
prendre une autre langue, d’entrer dans
une autre culture, le sait par expérience :
c’est un enrichissement. Quelle pauvreté
ce serait si toute l’humanité parlait la
même langue et avait la même culture !
58
Mais, d’autre part, tout le monde sait aussi
comment la différence de langues et de
cultures cause bien de frictions et de
guerres. Le phénomène humain de cul-
tures différentes est positif et négatif à la
fois, les deux récits bibliques le disent
d’une façon claire.

15. Est-ce que les Juifs et les Arabes sont


descendants d’Abraham ?
Apparemment, les Juifs et les Arabes ont le même
ancêtre en Abraham. Sont-ils vraiment reliés ? Si oui,
pourquoi la guerre au Moyen-Orient ?
La question avait si bien commencé avec
le mot « apparemment »… Quelques élé-
ments sont confus dans la formulation
même de la question, et il est important
de les clarifier.
D’abord, le point de vue généalogique.
Oui, selon les généalogies du livre de la
Genèse, les peuples d’Orient descendraient
tous d’Adam, de Noé et d’Abraham par
Isaac et Jacob. On n’a qu’à lire, par exem-
ple, Gn 4, 17-26 sur la descendance d’Adam
et Ève, Gn 5, appelé la « Table des peu-
ples » et Gn 11, 10-32 sur les descendants
de Noé jusqu’à Abraham. Le problème avec
ces textes, c’est que personne ne croit en
59
leur historicité. Même si les peuples de
l’Antiquité vivaient dans des sociétés où la
tradition orale était bien plus développée
que pour nous, et même si certaines socié-
tés (africaines surtout) ont démontré être
capables de déclamer la généalogie de leur
famille, il semble bien qu’en Orient peu de
gens récitaient de véritables généalogies
s’étendant sur plusieurs siècles. On peut
bien proclamer qu’on descend de tel ou tel
héros, il est plus difficile d’en être certain.
De plus, diverses généalogies de mêmes
personnes ne concordent pas. L’exemple le
plus classique est la généalogie de Jésus en
Mt 1, 1-17 et Lc 3, 23-38, où il y a fort peu
de noms en commun. La raison est simple.
Les généalogies sont des créations littéraires.
Si on ne sait pas de qui exactement on
descend, on y décrit qui on est, qui on veut
être ou qui on prétend être. Les généalo-
gies sont des moyens de se forger une iden-
tité ou d’affirmer celle d’un peuple, d’une
famille, d’un clan (une tribu), et ce, parfois
aux dépens d’un autre peuple.
Ensuite, la question ethnique n’est pas si
claire. Les Juifs existaient certainement
comme peuple distinct des Cananéens autour
du règne de David (1000 avant Jésus-Christ),
mais il est plus difficile de l’affirmer pour ce

60
qui précède cette époque. En effet, la récente
« révolution archéologique » a démontré
hors de tout doute que le peuple d’Israël est
venu non pas de l’extérieur de Palestine,
comme l’affirme la Bible, mais d’une scission
interne de la société cananéenne. Cela signi-
fie que des Cananéens, pour différents motifs
plus ou moins accessibles pour nous, se sont
séparés de leur peuple pour en former un
autre. Ce processus a duré plusieurs siècles.
Les Israélites se sont ensuite créé un passé
avec, entre autres, des généalogies justifi-
catives. Quant aux Arabes, il faut faire
attention. La Bible n’en parle presque pas, et
il s’agit de textes relativement récents (Jr 3,
2 ; 1 R 10, 15 ; 2 Ch 27, 11 ; Éz 27, 21), où ils
sont déjà considérés en ennemis (Is 13, 20 ;
21, 13-17 ; Jr 25, 23-24 ; 49, 28-33). Ils sont
devenus ce que nous en connaissons aujour-
d’hui par leur adhésion presque généralisée à
l’islam à partir du 6e siècle de notre ère. Il n’y
a donc presque jamais eu de relations entre
le peuple d’Israël et les Arabes, à l’époque
biblique du moins.
En conséquence, il est donc facile de donner
une réponse à la dernière partie de la ques-
tion. Les tensions au Moyen-Orient sont
une problématique qui n’a rien à voir avec
la Bible comme telle. C’est une question

61
ethnique et politique, religieuse aussi si l’on
veut, mais pas au premier chef, dans la me-
sure où le peuple d’Israël est majoritairement
juif et les Arabes majoritairement musul-
mans. Tout a commencé avec le mouvement
sioniste du 19e siècle et la fondation de l’État
d’Israël en 1948. Le reste est connu de tous.
Que certains Israélites utilisent la Bible pour
fonder leurs revendications est une question
d’interprétation actuelle plus qu’une ques-
tion biblique en soi.
Dans ces questions épineuses, il est impor-
tant de bien distinguer les plans, et de ne
pas tout confondre. Autrement, certaines
questions sont sans solution tandis que
d’autres sont de fausses questions qui ne
s’appliquent pas vraiment.

16. Peut-on parler d’une évolution du


monothéisme ?
Il est clair que la pleine découverte du mo-
nothéisme, dans la Bible, a pris bien du
temps. Elle est d’ailleurs explicite à ce sujet.
Lorsque Josué réunit les tribus à Sichem et
leur adresse l’invitation de s’unir dans une fé-
dération, il leur dit : « Au-delà du Fleuve
habitaient jadis vos pères, Térah, père
d’Abraham et de Nahor, et ils servaient

62
d’autres dieux » (Josué 24, 2). Certains noms
de la famille des patriarches confirment qu’ils
étaient polythéistes et nous renseignent
même sur l’identité de leurs dieux. Ils ado-
raient des dieux lunaires, mais ils croyaient
aussi dans un dieu qui s’occupait d’une façon
particulière de chaque famille. On l’appelle
parfois « le dieu des pères ». Et de fait, on
mentionne « le dieu d’Abraham » (Genèse 26,
24), ensuite « le dieu d’Abraham et d’Isaac »
(Genèse 28, 13), et finalement « le dieu d’Abra-
ham, d’Isaac et de Jacob » (Exode 3, 13.15.16).
En quittant la région des dieux lunaires, les
patriarches ont trouvé en Canaan d’autres
dieux. Le texte mentionne que Dieu est
apparu à Abraham en lui disant : « Je suis
El Shaddaï. » Le dieu El est le dieu suprême
qui était adoré sous des titres différents, par
exemple : El Elyôn (« El très haut », Genèse
14, 18-20), El Roï (« El qui me voit », Genèse
16, 13), El Shaddaï (« El de la montagne »,
ou « El tout-puissant », Genèse 17, 1). À ce
stade, la religion des patriarches combinait
ainsi deux aspects de Dieu, sa transcendance
ou sa grandeur (El) et son immanence ou
sa proximité (« le dieu des pères »).
La révélation du nom sacré de Yahweh n’est
venue, selon la tradition biblique, que sous
Moïse. Les textes disent explicitement que
63
les patriarches ne le connaissaient pas. « Je
suis Yahvé. Je suis apparu à Abraham, à Isaac
et à Jacob comme El Shaddaï, mais mon nom
de Yahvé, je ne leur ai pas fait connaître »
(Exode 6, 2-3; 3, 13-16). L’auteur biblique, qui
croit en Yahvé, peut bien dire : « Yahvé dit à
Abraham : “Quitte […]”» (Genèse 2, 1), mais
ce dieu était inconnu d’Abraham. L’auteur fait
un anachronisme théologique. Il sait que
Dieu, qui était à l’œuvre dans la vie d’Abra-
ham et auquel celui-ci a donné sa confiance,
est le vrai Dieu, le Dieu que l’auteur appelle
à son époque « Yahvé ».
Il y a donc eu une croissance et une décou-
verte graduelle de l’unicité de Dieu. La ferme
croyance en un seul Dieu a pris du temps à se
forger. Même quand Israël croyait en un seul
Dieu, il acceptait encore que d’autres peuples
puissent avoir leurs dieux. On appelle cette
étape, la monolâtrie. La dernière étape est la
croyance que le Dieu d’Israël est en même
temps le dieu de tous les peuples, et alors on
est dans le monothéisme pur, tel qu’on le
voit, par exemple, dans le Deutéro-Isaïe (Isaïe
40-55). Tout ceci est la théorie, mais il suffit
de lire la Bible pour voir que le peuple était
continuellement attiré vers d’autres dieux,
vers l’idolâtrie, une attitude dénoncée par les
prophètes.

64
17.
Bible ?
Que sont les écrits de sagesse de la

Les gens qui en avaient assez de la prédi-


cation du prophète Jérémie voulaient se dé-
barrasser de lui en disant : « Allons mettre
au point nos projets contre Jérémie ; on
trouvera toujours des directives divines
(la Torah) chez les prêtres, des conseils chez
les sages, la parole chez les prophètes »
(Jr 18, 18). Ce verset présente bien les trois
catégories de chefs spirituels en Israël avec,
pour chacun, sa fonction propre : le prêtre
proclame la Torah, le prophète la Parole
de Dieu, et le sage donne conseil. Chose
intéressante, ces trois catégories corres-
pondent exactement aux trois grandes
divisions de la Bible hébraïque : la Torah
(la Loi), que nous appelons le Pentateuque ;
les livres prophétiques et les livres
sapientiaux (Proverbes, Job, Ecclésiaste ou
Qohélet, le livre de la Sagesse, l’Ecclésiastique
ou Ben Sirac).
Torah et prophètes ont beaucoup en com-
mun, mais la littérature sapientielle est très
différente. Dans la Torah et les prophètes,
Dieu est au centre : il détermine l’histoire
par ses actions pour son peuple. Israël
s’adresse à Yahvé pour venir à son aide et
65
Yahvé promet d’intervenir (Ex 6, 5-6) et il
réalise sa promesse. Les prophètes encou-
ragent le peuple à faire confiance à Dieu
(Is 7, 9). Dans ces deux catégories de li-
vres, on pourrait dire que l’homme met
sa confiance en Dieu. À l’inverse, c’est
l’homme qui est au centre de la littérature
sapientielle. Dieu met sa confiance en
l’homme auquel il a donné l’intelligence
pour s’occuper du monde, comme il est dit
d’une façon explicite dans le récit de la
Création (Gn 1, 27-28). Dans l’Évangile,
Jésus dit la même chose : il recommande de
bien réfléchir avant d’agir, avant d’aller à la
guerre, avant de construire une tour. Ainsi,
la Loi et les prophètes se caractérisent par
une théologie de l’histoire du salut, tandis
que le courant sapientiel présente, pourrait-
on dire, une théologie de la Création.
Ces deux courants ont des incidences dif-
férentes sur l’agir humain. Dans le premier
groupe d’écrits, caractérisé par une théolo-
gie de l’histoire, Dieu nous dit quoi faire.
La Loi est présentée comme une révélation
de Dieu à Moïse (Ex 20, 1) ; les prophètes
aussi proclament la Parole de Dieu et di-
sent au peuple ce que Dieu attend de lui
(Mi 6, 6-8). Cette approche offre ainsi à
l’homme une grande sécurité : on ne peut

66
pas se tromper si Dieu nous dit quoi faire.
Par ailleurs, l’homme reste toujours libre
d’accepter ou de refuser ; on parle ainsi
d’obéissance à la Parole de Dieu ou bien de
désobéissance ou de péché.
Le courant sapientiel présente une tout
autre approche par rapport à l’agir humain.
Comme Dieu nous a donné l’intelligence et
nous fait confiance, l’homme peut trouver
quoi faire par lui-même. Ceci entraîne tou-
tefois un risque, car on peut se tromper.
Mais, après tout, ce n’est pas la fin du
monde de se tromper. Au contraire, on peut
apprendre par ses bêtises. Ainsi, l’homme,
qui observe autour de lui comment les gens
agissent et qui en tire des conclusions, com-
mence à trouver ce qui est le mieux. Après
un certain temps, il acquiert une certaine
expérience, il devient sage.
La personne, qui a acquis une expérience de
vie, veut parfois partager cette expérience
avec d’autres, surtout avec ses enfants, pour
qu’ils trouvent plus rapidement la bonne
conduite à suivre. Les conseils ainsi prodi-
gués sont à l’origine de certains écrits de sa-
gesse, comme les proverbes, les instructions,
les réflexions sur la vie, sur la souffrance, sur
la richesse, etc. Le jeune qui reçoit l’instruc-
tion de ses parents ou le moins jeune qui
67
profite de l’expérience des Anciens n’est pas
devant une obligation de loi. Il est placé de-
vant un conseil qu’il va évaluer. Le grand
principe de la sagesse est « voir — juger —
agir ». La personne reste libre, et on ne parle
pas ici d’obéissance ou de péché. La per-
sonne qui rejette le bon conseil ne commet
pas de péché, mais elle fait une bêtise, c’est
une folle ; la personne qui l’accepte est sage.
Il n’y a donc pas de limite à la sagesse, même
le sage peut accroître sa propre sagesse.
On peut donc résumer ces deux approches
en disant que, dans la Loi et les prophètes,
on présente une théologie qui vient d’en
haut, tandis que, dans le courant sapientiel,
il s’agit d’une théologie d’en bas, de l’expé-
rience humaine. Il est remarquable que,
dans l’Écriture, on trouve ces deux courants
bien distincts, aussi bien dans l’Ancien que
dans le Nouveau Testament. Aujourd’hui,
ces mêmes courants, qui se complètent,
s’observent encore dans notre société et
dans l’Église.

18. Comment prier avec les Psaumes ?


Plusieurs personnes sont mal à l’aise de-
vant ces poèmes venus d’un lointain passé.
Il ne leur semble pas possible d’exprimer

68
leurs sentiments, leurs préoccupations,
leur joie à travers les mots utilisés par des
fidèles ayant vécu il y a plus de 2 000 ans.
Par ailleurs, le psautier demeure la base de
la prière officielle de l’Église (Liturgie des
heures) et on retrouve des extraits de
psaumes dans chaque eucharistie. Com-
ment peut-on se familiariser avec les
psaumes, entrer dans leur univers, en faire
sa prière ? Je vous propose de prendre
contact avec les psaumes en espérant que
cette prise de contact amènera une plus
grande familiarité et développera le goût
de cette forme de prière qui est, en même
temps, Parole de Dieu.
Les quelques questions qui suivent peuvent
être posées pour entrer dans l’univers de
chaque psaume. Ils constituent, en quelque
sorte, une méthode simple d’analyse.

1.Quel est l’accent majeur du psaume ?


Il s’agit de dégager la note dominante
du psaume : s’agit-il d’une action de
grâce, d’une supplication, d’un ensei-
gnement de sagesse, d’une hymne de
louange, etc. Souvent un même psaume
présentera des caractéristiques de plu-
sieurs genres. Par exemple, le Ps 22

69
(21) : les v. 2-19 sont une longue la-
mentation ; les v. 20-22, une prière de
supplication et les v. 23-32, une action
de grâce. Il est clair que la lamentation
occupe la plus grande place, mais elle
prépare la supplication qui est au cœur
même du psaume et l’action de grâce
anticipe déjà sur le résultat de la prière.
On peut donc dire que ce psaume est
surtout une prière de supplication, où
la description du malheur est particu-
lièrement développée.

2. Qui parle à la première personne (je


ou nous) dans ce psaume ?
La personne, ou le groupe qui parle à la
première personne, devrait nous fournir
un bon indice du genre de psaume dont
il s’agit. Cependant, il n’y a pas toujours
un « je » ou un « nous » dans chaque
psaume. Les psaumes en « nous » expri-
ment la prière du peuple d’Israël dans son
ensemble ou bien celle d’un groupe par-
ticulier, les pauvres, par exemple, ou les
exilés. Le « je » peut représenter une per-
sonne qui exprime sa prière — c’est là
probablement la forme la plus ancienne
de prière —, mais parfois le « je » re-
couvre, en fait, le peuple tout entier qui
70
s’exprime comme un individu. Le « je »
peut également représenter le roi qui prie
en son nom ou au nom du peuple. Il
désigne enfin, parfois, Dieu lui-même
qui prend la parole pour répondre à la
personne priante.

3. À qui ce psaume s’adresse-t-il ?


(Qui est représenté à la deuxième
personne : vous ou tu ?)
Le psaume peut évidemment s’adresser à
Dieu qui est alors figuré à la deuxième per-
sonne : c’est le mode le plus habituel de la
prière. Mais il peut aussi s’adresser à un au-
ditoire réel ou supposé. Dans le contexte
liturgique, certaines parties des psaumes
s’adressent à l’assemblée réunie pour l’invi-
ter à participer à la prière (voir, par exem-
ple, Ps 118 (117), 27). Enfin, il arrive que
le psalmiste s’adresse à ses adversaires pour
les menacer des châtiments divins (voir,
par exemple, Ps 137 (136), 8-9).

4. À quelle personne Dieu est-il


représenté : je, tu ou il ?
Si, dans un psaume, Dieu parle à la pre-
mière personne, on a affaire à un oracle
(par exemple, Ps 95 (94), 8-11). Si on

71
s’adresse à Dieu à la deuxième personne,
il s’agit d’une prière de demande ou de
reconnaissance (par exemple, Ps 94 (93),
1-6). Enfin, lorsqu’on parle de Dieu à la
troisième personne, on se trouve en pré-
sence d’une hymne (par exemple, Ps 95
(94), 1-7) ou d’un enseignement (par
exemple, Ps 1).

5. Y a-t-il dans le psaume des mentions


d’événements connus ou des références
à d’autres passages de la Bible ?
De nombreux psaumes font mention
explicitement de grands événements de
l’histoire d’Israël : l’Exode, le don de la
loi, la conquête de la Terre promise, etc.
Parfois, il est fait mention d’événements
plus particuliers, comme la délivrance de
Jérusalem en 701, racontée en 2 R 19, 35
et évoquée en Ps 34 (33), 8. Cela ne si-
gnifie pas nécessairement que le psaume
est contemporain des événements men-
tionnés, mais qu’il illustre le lien entre la
prière et les événements de l’histoire.
Nous devons cependant admettre qu’il
y a sûrement dans les psaumes de nom-
breuses allusions à des événements in-
connus de nous, mais qui n’échappaient
pas aux contemporains du psalmiste.
72
6. Pour prier avec ce psaume, où pouvons-
nous nous situer ?
Pour faire de chaque psaume une prière,
nous pouvons nous situer soit du côté du
« je » ou du « nous » qui prononce le
psaume, soit du côté du « vous » auquel
il s’adresse. Mais cette identification est
parfois difficile. On peut alors prier en
solidarité avec les autres croyants et
croyantes de maintenant ou d’autrefois,
qui se retrouvent à travers ces cris d’an-
goisse ou ces hymnes de louange. Je vous
invite à faire l’expérience de cette mé-
thode à partir d’un psaume de votre choix.

19.
ou divin ?
Le Cantique des cantiques : érotique

Le Cantique des cantiques est un livre qui a


suscité beaucoup de discussions au long des
siècles. Sa canonicité a longtemps été
incertaine, puis sa place dans le canon des
Écritures a provoqué des débats. Quant à
son sens premier, il y a deux opinions. La
première, de loin la plus répandue, voit
dans le Cantique des cantiques un chant
d’amour entre un homme et une femme qui
aurait été par la suite appliqué, à un second
niveau, à l’amour entre Dieu et Israël, son

73
peuple. La seconde opinion défend que
le Cantique des cantiques aurait été écrit dès le
départ avec cette seule optique de la rela-
tion entre Dieu et son peuple. Cela dit, la
seconde opinion semble difficile à soutenir.
En effet, certains passages du livre sont plu-
tôt explicites, voire franchement lascifs, ce
qui s’applique mal (ou avec des pirouettes
interprétatives assez malvenues) à l’amour
de Dieu et de son peuple. Ce sont d’ailleurs
ces passages trop explicites qui ont long-
temps fait douter de la canonicité du livre.
En effet, on ne voyait guère comment un
livret qui célèbre l’amour humain, l’amour
charnel même, pourrait être considéré par
les croyants comme Écriture sainte norma-
tive pour la foi. C’est pourquoi l’interpréta-
tion qui en fait l’histoire de l’amour entre
Dieu et son peuple a pris de plus en plus
d’importance. Certains Pères de l’Église ont
même commenté le Cantique des cantiques en
en faisant un éloge de la chasteté !
Le problème est beaucoup plus profond
qu’il n’y paraît à première vue. Il s’agit ni
plus ni moins que de l’éternel problème
de l’humain envers le divin. En spiritualité
et en théologie, il y a toujours eu des
écoles qui ont insisté sur l’un des deux
aspects, souvent au détriment de l’autre.

74
Aujourd’hui, on fait ressortir les deux
lignes d’interprétation. Si le Cantique des
cantiques a d’abord été écrit pour chanter
l’amour entre un homme et une femme,
c’est que cet amour, dans la mesure où il
est vrai et authentique, est valable et
digne. À un second niveau, il chante aussi
l’amour de Dieu envers son peuple, qui est
certes différent sous plus d’un aspect, mais
qui offre encore assez de similitudes pour
convenir.
Il s’agit d’une analogie en deux niveaux de
sens. À partir d’un sens littéral, on applique
une autre réalité qui lui est semblable. C’est
là un principe fondamental d’herméneu-
tique (d’interprétation) qui s’applique à
bien des passages bibliques.

20. Est-ce que la Bible est la Parole de


Dieu ou des textes d’hommes ?
Lorsqu’il est question des écrits de l’Ancien et du
Nouveau Testament, on affirme souvent qu’il s’agit
de la Parole de Dieu, mais qu’en est-il au juste ?
1. Lorsque Paul parle, cela a-t-il une valeur
égale à la Parole du Christ ?
2. Y a-t-il une hiérarchie dans la Parole de
Dieu ? Ceci étant plus de Dieu que cela ?

75
3. Est-ce que « Parole de Dieu » signifie
que tout est nivelé ou que ce que pro-
pose le Christ a priorité, pour nous, sur le
reste de la Bible ?
Aucun texte biblique ne porte la signature
divine, garantissant son origine. Absolument
tous ont été écrits par des personnes en
chair et en os. Ces personnes prétendaient
porter témoignage à la Parole de Dieu,
comme, d’ailleurs, bien d’autres personnes
de leur temps.
La différence se situe dans la place que
leurs livres ont occupée par la suite. Le
peuple d’Israël et l’Église chrétienne ont
lentement sélectionné les livres qui forment
l’Ancien et le Nouveau Testament en fonc-
tion de l’importance de leur témoignage,
jugeant de leur inspiration par Dieu. Cette
sélection s’appelle le « canon », du grec
kanôn, qui veut dire « mesure » ou « règle ».
Le canon biblique, liste des livres sacrés,
est en quelque sorte la règle ou la mesure
de la foi, reconnue par la communauté
des croyants.
L’Église, communauté de croyants, nous offre
la Bible comme héritage et interpellation
de la Parole de Dieu. Cela veut dire que,
d’après son expérience deux fois millénaire,

76
ces livres se sont avérés les compagnons in-
dispensables du pèlerinage des chrétiens et
des chrétiennes qui nous ont précédés. Ils
donnent accès à l’expérience de Dieu de
personnages fondateurs de notre foi comme
Moïse, Jésus ou Paul. Ils peuvent donc éclai-
rer nos propres expériences humaines et
religieuses d’aujourd’hui.
Dans une Bible, qui compte des dizaines et
des dizaines de livres, autant d’auteurs et
bien plus de personnages, y a-t-il un livre,
un auteur, un personnage qui soit plus
Parole de Dieu qu’un autre ?
Naturellement, l’Église opterait pour
Jésus-Christ, Parole de Dieu faite chair.
C’est lui qui nous a révélé le Père en pléni-
tude. Sa Parole éclaire les Écritures et son
Esprit continue de nous guider vers la
vérité tout entière (Jn 16, 13). Voilà pour-
quoi elle privilégie le Nouveau Testament
et chérit tout particulièrement les Évan-
giles, témoins de la vie du Maître.
L’ennui ? Jésus n’a rien laissé par écrit. Pas un
mot de la part de celui qui est acclamé par
les chrétiens et les chrétiennes de tout temps
et de toute confession comme le Verbe de
Dieu ! Ses disciples et les disciples de ses
disciples nous transmettent ses paroles, ses

77
paraboles, ses discours et son enseignement
ou son message en général. Il s’ensuit que,
même si l’histoire retient un seul Jésus de
Nazareth, la Bible nous présente plusieurs
visages du Christ, selon que Jésus est pré-
senté par Marc, Matthieu, Luc, Jean, Paul,
Jacques, Pierre, etc. Il y a vingt-sept livres
au Nouveau Testament et presque autant de
portraits ou de façons de voir Jésus-Christ.
Quel point de vue adopter ? Si seulement
Jésus nous avait laissé ses mémoires…
Ce qui semble un handicap s’avère en fait
une force du christianisme. Dieu n’est pas
un objet à saisir et à maîtriser, pas plus que
le Christ qu’Il nous a donné. Ni Dieu ni le
Christ ne sont une parole toute faite et
mémorisable. Ils donnent forme à une
Parole vivante qui se laisse découvrir par
autant de points de vue, de facettes et de
chemins qu’il nous est possible d’explorer.
Au lieu de chercher le livre des livres, le
« canon dans le canon », explorons la foi-
sonnante diversité de regards chrétiens
sur Dieu.
Au commencement étaient les livres (ta
biblia, en grec) et non pas le livre (to biblion).
Ce que nous gardons comme un héritage
précieux de la Parole de Dieu — la Bible
— se nomme au pluriel dans la langue
78
d’origine. Même si nous avons droit à nos
préférences personnelles, nos sensibilités
ou nos spiritualités particulières, gardons
nos horizons ouverts. Dieu pourrait bien
nous parler aujourd’hui par le livre que nous
aimons le moins…

21. Quels sont les noms de Dieu dans


l’Ancien Testament ?
Pour savoir qui est le Dieu de l’Ancien Testament, il
n’y a qu’une chose à faire : ouvrir sa Bible et la lire.
Dans cette lecture, vous verrez un Dieu qui libère un
peuple et entre en alliance avec lui. Pour mieux
connaître ce Dieu, je vous propose de regarder les
différents mots employés pour le désigner dans
l’Ancien Testament.

El
Comme le mot français « Dieu », El nomme
à la fois la divinité en général et le nom
propre de Dieu. On adore El en dehors
d’Israël. Ce nom commun désigne la divi-
nité dans tout le monde sémitique. Les
patriarches de la Bible le nomment avec
divers qualificatifs :
El ‘Elyon : le Très-Haut (Gn 14, 22).
El Roï : le Dieu qui me voit (Gn 16, 13).

79
El ‘Olam : le Dieu éternel (Gn 21, 33).
El Shaddaï : Habituellement traduit par le
Dieu puissant. En hébreu, Shad veut dire
sein. On traduit parfois par Dieu des
montagnes, les montagnes ayant une forme
ressemblant à des seins (Gn 17, 1).
On retrouve le nom El dans beaucoup de
noms propres de lieux et de personnes :
Babel = porte de Dieu, Bethel = maison de
Dieu, Daniel = Dieu juge, Gabriel = homme
de Dieu, Israël = que Dieu se montre fort, etc.

Élohim
Élohim est un nom pluriel qui désigne à la foi
des divinités qui peuplent l’Univers, les au-
tres dieux de la région dénoncés par les pro-
phètes et le Dieu d’Israël. Ex 15, 11 est un
exemple de l’utilisation de élohim pour dési-
gner des divinités : « Seigneur, qui parmi les
dieux (élohim) est comparable à toi ? »
En Gn 35, 2, on voit un avertissement clair
contre les autres dieux : « Jacob dit à sa
famille et à tous ceux qui étaient avec lui :
Débarrassez-vous des dieux (élohim) étran-
gers qui se trouvent chez vous. »
Par contre, la plupart du temps, Élohim
désigne le Dieu d’Israël. Ce titre sera même
préféré à YHWH à partir du 7e siècle

80
avant Jésus-Christ. La Bible s’ouvre avec
son action : « Au commencement, Dieu
(Élohim) créa le ciel et la terre » (Gn 1, 1).
Bien que élohim soit un pluriel, il est utilisé
comme un nom singulier lorsqu’il désigne
Dieu. L’emploi d’un mot pluriel peut être
expliqué comme un pluriel de majesté,
comme une trace du polythéisme ancien,
ou comme une expression désignant l’en-
semble de la cour céleste entourant Dieu.

YHWH (Yahvé)
Ces quatre lettres forment le tétragramme
divin. Certaines bibles traduisent YHWH
par Seigneur, d’autres par Yahvé et enfin,
quelques-unes gardent YHWH. YHWH se
révèle à Moïse avec le buisson ardent (Ex 3,
1-15). Lorsque Moïse demande à Dieu son
nom, « Dieu dit à Moïse : Je suis qui je serai
(YHWH) » (Ex 3, 14), il s’agit d’une forme
ancienne d’un verbe être agissant. Il y a plu-
sieurs façons de traduire ce verset, mais
l’important est de noter la fidélité d’un
Dieu dans le présent et dans l’avenir. YHWH
est celui qui libère les Hébreux de l’escla-
vage et fait alliance avec eux. On ne sait pas
vraiment comment était prononcé ce nom
de Dieu puisque, par respect, on substituait
Adonaï (Seigneur) lorsqu’on lisait YHWH.
81
La tradition que l’on appelle yahviste met
en scène YHWH bien avant l’épisode du
buisson ardent. On le voit dès le début de
l’humanité (Gn 4, 26). Au contraire, les
traditions élohistes placent l’accent sur la
nouveauté de la révélation du buisson
ardent en désignant Dieu par El ou Élohim
avant la rencontre entre Dieu et Moïse.
Notons aussi que la Bible qualifie Dieu par
toutes sortes d’images : « mon rocher » (Ps 18
et 144); « notre bouclier » (Ps 84, 89); « mon
berger » (Ps 23) ; « le vivant » (Jg 8, 19) ;
« Dieu Saint » (Os 11, 9) ; « Dieu jaloux »
(Ex 20, 5) ; « le père » (Os 11, 1) ; « la ten-
dresse d’une mère » (Is 49, 25) ; « il est fragile
comme l’herbe » (Is 40, 7) ; « l’orage »
(Ex 19,18); « la brise légère » (1 R 19, 12), etc.
L’image de Dieu présentée par la Bible est
fort complexe. Pour mieux le connaître,
suivez ce conseil de la lettre de Jacques :
« Approchez-vous de Dieu et il s’appro-
chera de vous » (Jc 4, 8).

22. Est-ce que l’archéologie peut nous


aider à mieux comprendre le peuple de la Bible
et ses croyances ?
Comment l’archéologie peut-elle nous aider à
comprendre la Bible ? Par exemple, est-ce qu’on a
trouvé des traces d’autres dieux que Yahvé ?
82
L’orthodoxie d’Israël a toujours défendu
l’existence d’un seul Dieu, qu’on appelait
tout simplement El (Dieu), au temps des
Patriarches, mais qui s’est révélé à Moïse,
plus tard, sous, le nom de Yahvé, nom qui
s’est imposé pour le reste de l’histoire
d’Israël (Ex 6, 3). Toutefois, on sait que la
foi populaire a très souvent introduit d’au-
tres dieux à côté de Yahvé, excitant ainsi la
colère des prophètes ; ceux-ci réussissaient
parfois à convaincre les rois d’instaurer les
réformes nécessaires, mais sans de très
longs lendemains. Ba’al a sans doute été le
dieu le plus populaire après Yahvé ; au
9e siècle, il semble même qu’il soit allé
jusqu’à supplanter ce dernier (voir l’histoire
d’Élie sur le Carmel : 1 R 18, 20). Deux
déesses sont aussi connues et vénérées :
Astarté, qui joue un rôle important dans la
recherche de la fertilité, et Ashérah, dont
le nom est mentionné pas moins de qua-
rante fois dans l’Ancien Testament.
La découverte des textes d’Ugarit, grande
ville cananéenne du 14e siècle av. J.-C.,
nous a admirablement éclairés sur ces di-
verses figures divines. On sait maintenant
que Ba’al était étroitement associé soit à la
déesse Anat, soit à la déesse Astarté, pour
vaincre les forces mauvaises (la sécheresse

83
et la mer) qui menaçaient sans cesse la
fertilité nécessaire à la survie des hommes.
Les Israélites ont donc toujours été tentés
de réintroduire chez eux ces antiques divi-
nités, jamais complètement mortes ! On
sait aussi que le chef du panthéon cananéen
s’appelait El et qu’avec l’assistance de la
déesse Ashérah, il avait engendré les autres
dieux, et ensuite procédé à la création de
tout l’Univers. Comme Israël s’adressait
aussi à son Dieu sous le nom de El, on com-
prend facilement que la déesse Ashérah ait
pu être une constante tentation de vénéra-
tion à côté de ce Dieu national.
Une découverte archéologique relativement
récente dans un fortin israélite bâti au cours
du 8e siècle av. J.-C., dans un coin reculé du
nord de la péninsule du Sinaï, vient illustrer
vivement cette tentation. En effet, dans les
salles d’entrée de ce fortin de Kuntillet Ajrud,
on découvrit de gros fragments de jarres cou-
verts de dessins nombreux et variés et sou-
vent accompagnés d’inscriptions, dont la
provenance ne fait aucun doute : la forme des
lettres et la mention fréquente de « Yahvé »
nous forcent à les attribuer à un groupe
d’Israélites établis dans ce poste frontière de
Juda, pour protéger le pays contre des incur-
sions égyptiennes ou édomites.

84
Deux de ces inscriptions sur jarre sont des
formules de bénédictions, aux noms de
« Yahvé et son Ashérah » ! D’autres inscrip-
tions sur des fragments de plâtre ayant
recouvert les murs des salles mentionnent
aussi Ba’al et El avec le même Yahvé. Mais
comment comprendre la première formule :
« Yahvé et son Ashérah » ?
À la suite des diverses mentions d’Ashérah
dans l’Ancien Testament, nous devons voir
en ce terme tantôt le nom personnel de la
déesse (ainsi Jg 3, 7 ; 1 R 15, 13 ; 18, 19 ;
2 R 21, 7 ; etc.), tantôt un objet qui lui est
intimement associé, qui n’est jamais décrit,
mais que l’on imagine ressembler à un pieu
équarri ; en effet, il est fait de bois (Jg 6, 26),
puis planté (Dt 16, 21) ; il peut être brûlé
(Dt 12, 3) ou abattu (Dt 7, 5). À la lumière de
ces indications générales retenues par la tra-
dition biblique, les inscriptions de Kuntillet
Ajrud font donc l’objet de discussions assez
vives à l’heure actuelle.
L’une de ces inscriptions se lit au-dessus de
trois figures claires. En premier lieu, deux
d’entre elles représentent des figures mâles
évidentes, dont les traits rappellent ceux du
dieu égyptien Bes. À côté d’eux, on voit très
bien une figure féminine assise sur un trône
ou une chaise, et jouant de la lyre. Ne
85
pourrait-on pas y voir justement une repré-
sentation de la déesse Ashérah ? Ainsi, nous
aurions non seulement une première men-
tion de celle-ci dans un texte israélite en
dehors de la Bible, mais nous aurions même
sa représentation graphique.
On peut évoquer trois arguments pour iden-
tifier cette figure assise à Ashérah. Son
costume (robe et « foulard ») ressemble
beaucoup à celui des déesses de fertilité tel
que connu sur les bas-reliefs d’Ugarit ; il faut
en dire autant de sa coiffure. Surtout, le
siège sur lequel elle est assise peut être
facilement identifié à un trône à chérubins
(sphinx). Or, ces trônes ne sont utilisés que
par les rois et les dieux ; comme la présente
figure est associée à deux représentations de
dieux, on est donc invité à l’identifier à une
déesse et par suite à Ashérah, dont il est fait
mention dans l’inscription qui la surplombe.
Que l’Ashérah de l’inscription soit comprise
comme nom de la déesse ou comme son
symbole (pieu sacré), il ne fait pas de doute
que des Israélites du 8e siècle l’associaient
sans gêne à Yahvé lui-même dans des for-
mules voulant attirer sur eux leur bénédiction
conjointe. Pouvait-on espérer trouver un jour
une illustration aussi vivante du syncrétisme
religieux si violemment condamné par la Loi
86
et les prophètes ? Par cet exemple, on voit
bien comment l’archéologie peut renseigner
sur la foi populaire en Israël et éclairer les
propos de la Bible.

23. Pourquoi parle-t-on de la crainte de


Dieu dans la Bible ?
L’expression « crainte de Dieu » réveille de
mauvais souvenirs chez beaucoup de per-
sonnes. Son usage dans une certaine spiri-
tualité a défiguré le visage de Dieu. C’est
ainsi que le Seigneur, dans l’Ancien Testa-
ment, passe pour être un Dieu vengeur,
colérique, « malcommode », qu’il faut se
ménager pour ne pas tomber sous la force
aveugle de son bras. On lui oppose souvent
la révélation du Dieu Amour qu’en fait Jésus,
comme si le Seigneur était déclassé par le
Père tout aimant de Jésus. En face d’une telle
méprise, il est important de comprendre la
signification de l’expression « crainte de
Dieu » afin de réhabiliter l’image de Dieu,
qui a mis en œuvre la puissance de son
amour pour se choisir un peuple et vivre une
relation d’alliance avec lui.
Qui n’est pas subjugué par les manifesta-
tions grandioses, parfois violentes, des
forces de la nature, même si la science

87
arrive à expliquer ces phénomènes natu-
rels ? Pour les gens de l’Antiquité, ces phé-
nomènes étaient des manifestations des
dieux. Les Hébreux n’ont pas fait exception
à la règle : les phénomènes de la nature
expriment la majesté et la puissance du
Seigneur. Cette même puissance fut mise à
l’œuvre dans le cours de l’histoire, lors de
l’Exode, par exemple. Mais dans ce cas,
cette puissance était au service de l’amour
de Dieu pour son peuple. Il était donc nor-
mal d’avoir de la crainte ou du respect pour
Dieu qui surpasse en puissance les êtres hu-
mains. Du même coup, ceux-ci ne peuvent
que reconnaître leur fragilité et leur peti-
tesse, et se tourner vers Dieu avec des sen-
timents d’adoration et d’émerveillement.
Au-delà de cette attitude de respect devant
les manifestations de la grandeur de Dieu,
il faut reconnaître également que le salut
accordé par le Seigneur à son peuple et
le type de relation entre eux (l’Alliance)
comportaient certaines exigences de fidé-
lité sur le plan de la vie morale. Un aspect
de la crainte de Dieu, sur ce plan, est lié à
la conscience de la sainteté de Dieu et de
la condition pécheresse de la personne
humaine. Il faut évacuer ici l’idée d’une
conscience maladive du péché. Le péché

88
est avant tout la capacité qu’a l’être humain
de passer à côté du projet de salut que
Dieu caresse pour lui. Il en résulte un
sentiment de crainte vis-à-vis de tout ce
qui pourrait provoquer des ratées dans la
conduite de sa vie. Ce sentiment de crainte
s’accompagne surtout du désir et de
l’amour de Dieu. Si Dieu a choisi Israël
pour la seule raison qu’il l’aimait, et non
en vertu de ses mérites, les membres du
peuple doivent en retour avoir pour lui un
amour qui englobe toutes les dimensions
et les ressources de leur personne.
Dans cette relation avec Dieu, la crainte
est équilibrée par la confiance. À maintes
reprises, quand Dieu se manifeste à un
individu, il l’invite à ne pas craindre, à ce
moment précis où la proximité de Dieu et
de l’être humain est si étroite. Ainsi, la foi
bannit tout sentiment de peur humaine, à
cause de l’assurance qu’apporte la présence
amoureuse de Dieu. Tel est le cas de Marie,
entre autres au moment de l’Annonciation.
Le Nouveau Testament fait un usage res-
treint de l’expression « crainte de Dieu ».
Ce sentiment habite cependant les disciples
lorsqu’ils discernent, dans un geste miracu-
leux de Jésus (par exemple, lorsqu’il marche
sur les eaux), la présence et l’action de Dieu.
89
C’est la même chose qui se produit lors de
la Transfiguration. Dans ces cas, la crainte
de Dieu est identifiée à un sentiment
d’émerveillement devant sa transcendance.
Lorsque l’on dit que les premiers chrétiens
vivaient dans la crainte de Dieu, on entend
par là qu’ils s’efforçaient de mener une vie
conforme à leur vocation d’enfants de Dieu
et dans l’adoration de ce Dieu qui a mis en
œuvre sa puissance de salut en Jésus-Christ.

24. Le Dieu de l’Ancien Testament est-il


un Dieu vengeur et violent ?
J’avoue que je passe vite sur l’Ancien
Testament parce que je trouve que le
Seigneur est bien vengeur… Ma percep-
tion est-elle juste ?
Quel dommage ! Permettez à un professeur
d’Ancien Testament de vous le répéter :
quel dommage ! L’Ancien Testament, c’est
plus gros que le Nouveau, et c’est venu
bien avant… Il y a bien des choses à l’inté-
rieur. Dire que Dieu y est vengeur, cela
prouve seulement que vous n’avez pas lu
l’Ancien Testament suffisamment ou que
vous véhiculez un vieux cliché qui n’est
pas fondé.

90
Je dirais d’abord que Dieu est un mystère.
Cela signifie qu’on ne peut certainement
pas le réduire à un grand-papa bonasse qui
aimerait trop ses petits-enfants, comme on
s’imagine trop souvent le Dieu du Nouveau
Testament. Si on lit bien la Bible, Ancien
et Nouveau Testament, Dieu y apparaît
chaleureux, jaloux, aimant, sentimental,
blessé, tout à la fois. On ne peut pas réduire
l’Ancien Testament au Dieu vengeur ni le
Nouveau au Dieu amour. Pour faire cela, il
faut oublier trop de textes de l’Ancien où
Dieu se montre amoureux ou des textes du
Nouveau dans lesquels le Seigneur est
un peu rude… Il faut lire tout l’Ancien
Testament et tout le Nouveau. Dieu ne se
résume certainement pas à des petites
phrases simples. S’il est Dieu, c’est qu’il y
aura toujours en lui quelque chose qui nous
échappera. Et puis, somme toute, on a
autant besoin d’un Dieu viril, jaloux, entre-
prenant, que d’un Dieu amoureux et bon.
La Bible nous propose toutes ces facettes
de notre Dieu. Il ne faut en négliger
aucune, sinon on ne rencontre pas le vrai
Dieu de la révélation judéo-chrétienne.
Un dernier petit mot sur l’Ancien Testament.
Il ne faut pas le lire d’abord et avant tout
comme un traité doctrinal sur Dieu. L’Ancien

91
Testament, c’est l’histoire d’un peuple et de
son expérience de son Dieu au cours des siè-
cles. Cette expérience a commencé il y a
4 000 ans ! On ne peut pas demander à des
personnes qui ont vécu il y a tant de siècles
au milieu d’un monde dur et violent, entou-
rées de païens, d’avoir les mêmes sensibilités
religieuses que nous. Il ne faut pas les juger.
Si vous savez lire l’Ancien Testament comme
la marche d’un peuple vers ce Dieu qui se ré-
vèle toujours davantage et clarifie les choses
toujours davantage, vous l’aimerez. L’Ancien
Testament est humain, profondément hu-
main ; certains ne l’aiment pas justement
parce qu’ils le trouvent trop humain. Si
vous acceptez et aimez votre humanité,
vous aimerez l’Ancien Testament. Si vous
vous scandalisez des meurtres, des adul-
tères ou des attitudes trop humaines, c’est
que vous ne voyez pas vraiment le monde
qui vous entoure, même aujourd’hui. C’est
cette humanité-là que le Seigneur est venu
sauver et qu’il appelle à se dépasser en lui.

25. En quoi la Bible dit-elle vrai ?


Qu’est-ce qui me prouve que la Bible est crédible ?
Que la Bible dit vrai ? Il faut la foi, me direz-vous,
mais ce n’est pas suffisant pour moi.

92
D’abord, il est très important de clarifier
votre expression « dire vrai », et donc de
comprendre en quoi la Bible pourrait être
crédible. Souvent, les gens confondent
deux plans : le « vrai » signifie pour eux
que « les événements se sont exactement
passés tels que racontés ». Ils ne réalisent
pas qu’ils imposent alors aux récits
bibliques des exigences qui relèvent de
notre culture moderne.
En fait, même dans notre civilisation, une
telle manière de raconter « l’Histoire » ou
les sciences de l’Histoire est très récente. La
recherche historique s’est développée chez
nous, en Occident, dans les derniers siècles
seulement. La Bible, comme tous les écrits
de l’Antiquité, même si elle tend à l’occasion
à raconter le passé, ne le fait pas à « notre
manière » ; elle n’utilise pas les mêmes ou-
tils, les mêmes techniques pour construire
un récit. La Bible manifeste une manière de
raconter qui plonge ses racines dans d’autres
cultures et une autre époque que la nôtre.
Sans prendre le temps de clarifier cette don-
née essentielle, on risque de chercher dans
les Écritures des renseignements et un ni-
veau d’information qui ne s’y trouvent pas.
Par exemple, certains de nos frères chré-
tiens, appartenant surtout à des Églises dites
93
« fondamentalistes », consacrent une éner-
gie folle à prouver qu’il n’y a pas « d’erreurs
dans la Bible » — ce que l’on appelle « l’iner-
rance des Écritures » même au plan his-
torique ou scientifique — que l’erreur
relèverait plutôt des interprètes qui l’auraient
mal comprise. Sur des thèmes comme la
création du monde ou de l’histoire d’Israël,
ils cherchent des versets qui s’accorderaient
aux résultats des sciences ou qui parfois les
contrediraient en alléguant que la Bible
seule relate les faits avec exactitude. Les rai-
sonnements, souvent très complexes, s’ils
sont essentiels pour ces chrétiens, apparais-
sent peu convaincants à nos contempo-
rains… et même à de nombreux croyants
qui, par ailleurs, accordent beaucoup d’im-
portance aux Écritures. L’argumentation
semble fragile et souvent artificielle. Pour
ces derniers, comme pour moi d’ailleurs, la
vérité de la Bible se trouve ailleurs.
Or, justement, chose qui m’étonne dans
votre question, vous êtes l’une des rares
personnes qui visent directement la vérité
religieuse des Écritures. Vous faites déjà
la distinction entre les deux niveaux de
vérité : historique et religieuse.
La Bible est l’une des grandes œuvres sacrées
de l’humanité. On y trouve la sagesse et la
94
vision du monde qu’un peuple a soigneuse-
ment rassemblées et transmises. En tant que
réflexion sur la réalité, la Bible rend souvent
manifeste une grande capacité d’observation
et d’analyse. Les études bibliques ne cessent
d’apporter de nouveaux résultats, de nou-
velles découvertes sur des textes vieux de
plus de deux mille ans. Si ce n’était qu’à ce
titre seulement, la Bible vaut encore la peine
d’être consultée.
Mais, pour les croyants, héritiers de ce peu-
ple de foi, les Écritures représentent plus que
cela ; elles témoignent de la rencontre entre
Dieu et l’humanité. Or, je constate que, déjà,
vous pressentiez ma réponse. Sur ce plan, il
n’y a pas de « preuve » que la Bible dise vrai.
Tout se joue sur le plan d’une relation de
confiance avec son Dieu, et à l’intérieur de la-
quelle la Bible est un point de repère incon-
tournable. Il n’y a pas de « preuve », mais cela
ne veut pas dire que la Bible est irrationnelle
ou non raisonnable. Au contraire ! La Bible
appréhende le réel avec beaucoup d’intelli-
gence, mais il est vrai qu’à sa fondation
même, se situe une profession de foi : Dieu
existe et il veut entrer en relation avec nous.
En quoi la Bible est-elle crédible ? Pour
admettre que la Bible dise vrai, sur le plan
religieux, il faut d’abord lui accorder une
95
certaine valeur en tant qu’héritage : celui
d’un peuple qui cherche Dieu, mais surtout
d’un Dieu qui vient à la rencontre de l’hu-
manité. Sinon, elle n’est qu’une parole
parmi d’autres.
À mon avis, la Bible est crédible lorsqu’elle
apporte une vision de Dieu et du monde,
lorsqu’elle nous livre un sens à la vie. Et la jus-
tesse de son propos se vérifie par le quoti-
dien. Lorsque la vie nous bouscule, lorsqu’elle
nous provoque à la réflexion, qu’est-ce que
les Écritures apportent comme éclairage sur
cette situation? Comment nous aident-elles à
comprendre ces étapes de notre vie ? Devant
les éléments de réponse que la Bible nous
fournit, nous apprenons à nous situer, à
interpréter notre existence.
La Bible est une grande réponse aux ques-
tions de la vie. En la confrontant à notre
existence, on en tire toute la substance.
Elle révèle alors une richesse de sens et de
profondeur inépuisable. Je ne peux ré-
pondre à votre question qu’en apportant le
témoignage que, pour moi, la Bible est une
source crédible de sens, et que de même, il
en est ainsi pour des millions d’autres
croyants. Partant de là, le pas à franchir
reste le vôtre…

96
Coup de cœur

Abraham et papa,
Sylvain Lelièvre
album Versant jazz (2002) Sélect/GSI
Musique, NAC-9408
Même si nos sociétés occidentales sont
visiblement en processus de sécularisation,
il existe encore une myriade d’images de
Dieu qui sont présentées dans différentes
sphères de notre culture. Songeons, par
exemple, à la chanson du regretté Sylvain
Lelièvre, intitulée Abraham et papa.
Cette chanson est d’autant plus intéressante
qu’elle présente une critique des images de
Dieu, en plus de questionner l’héritage de
la chrétienté. L’injustice et le caractère
absurde de la souffrance de l’innocent y
sont décriés avec insistance. Il s’agit d’une
chanson qui ne laisse pas indifférent et qui
suscite chez son auditeur une réflexion.
97
L’image de Dieu dans Abraham et papa
Sylvain Lelièvre fait référence au sacrifice
d’Isaac en Genèse 22. Dans la chanson, on
constate d’abord que le Dieu d’Abraham est
caractérisé sous les traits d’un être omni-
potent, oppressant et arbitraire. Cette
image de Dieu se retrouve dans beaucoup
de courants de pensée, y compris dans
certaines traditions chrétiennes comme le
jansénisme.
Une autre facette de l’image de Dieu, véhi-
culée dans la chanson, est le peu d’intérêt
que Yahvé semble porter à l’égard de la vie
humaine. Il semble même que ce Dieu
prend plaisir à la souffrance humaine. Dans
cette chanson, c’est comme si Dieu s’amu-
sait avec les êtres humains, sans aucune
considération pour eux.
Cette image du divin s’enracine dans un
bagage religieux propre non seulement à
notre culture, mais aussi à d’autres peuples
où on n’hésitait pas à recourir aux sacrifices
humains afin d’amadouer les divinités.
Cette conception religieuse perdure même
aujourd’hui. N’observe-t-on pas des men-
tions de « sacrifices » afin de plaire à Dieu ?
Comment expliquer la persistance de cette
image divine dans notre société sécularisée ?

98
Une réponse possible se situe peut-être dans
une compréhension du développement
humain, selon lequel l’intégration des images
de Dieu s’effectue dans un cheminement.
Considérer Dieu comme un être omnipotent
et omniscient, maître capricieux du devenir
humain, est habituellement une image pre-
mière, « archaïque », et correspond à une
projection du désir humain de toute-puis-
sance. L’expérience de certaines réalités,
comme la souffrance, peut amener une per-
sonne à développer des images différentes de
Dieu. Celles-ci sont appelées à s’intégrer
progressivement dans la conscience hu-
maine. Ce processus de développement n’est
pas linéaire et il est rare qu’il soit totalement
accompli.
Correspondant aux différentes étapes du dé-
veloppement spirituel, ces différentes images
du divin se retrouvent généralement au sein
d’un même mouvement religieux. Cepen-
dant, le judéo-christianisme a rendu suspecte
cette image d’une divinité sacrificatrice. C’est
sans doute pour cette raison que Sylvain Le-
lièvre critique cette image de Dieu dans le
refrain : « Toi, t’aurais jamais fait ça, papa,
non t’aurais jamais, jamais fait ça. »

99
Les images de Dieu
dans les textes bibliques
Mais cette image d’une divinité capricieuse
et omnipotente reflète-t-elle réellement les
images présentées dans les textes bibliques,
dont celui de Gn 22? Si nous examinons briè-
vement le texte, nous constatons rapidement
que Dieu n’y est pas présenté comme un être
omnipotent et tyrannique, mais qu’il appa-
raît plutôt comme quelqu’un qui se ques-
tionne et qui veut s’assurer de l’authenticité
de la confiance d’Abraham à son endroit.
Quand on le creuse davantage, ce qui res-
sort de ce texte biblique est le refus de la
divinité d’accueillir des sacrifices humains.
Le Dieu biblique est un être qui rejette le
concept même de sacrifice. Rompant avec
les coutumes de son époque, Abraham ac-
complit la volonté divine.
Autrement dit, si Abraham avait sacrifié
Isaac, il se serait inscrit dans le contexte cul-
turel de son époque qui prônait les sacrifices
humains. Or, dans le récit, Dieu ouvre un es-
pace de liberté par rapport à cette pratique.
Nous y retrouvons l’image biblique d’un
Dieu libérateur qui permet l’inédit et qui se
préoccupe du sort des êtres humains, en
particulier des plus vulnérables.

100
L’image de Dieu qui émerge dans le dernier
couplet de la chanson, là où l’on dénonce la
mort de Jésus, peut également être sujette à
caution. En effet, dans le Nouveau Testa-
ment, même si on parle parfois du sacri-
fice de Jésus (surtout dans la lettre aux
Hébreux), il n’est pas réellement question
d’un Dieu sacrificateur prenant plaisir à la
souffrance. Au contraire, dans les évan-
giles synoptiques, toute l’activité de Jésus
révèle un Dieu qui est attentif aux souf-
frances des humains et qui y remédie.
Dans le Nouveau Testament, la mort de
Jésus dénonce l’image d’un Dieu sacrifica-
teur. En effet, sa mort met en lumière les
intérêts et les justifications des autorités
en place qui légitiment un système sacrifi-
ciel et meurtrier.

Conclusion
Comme nous pouvons le constater, cer-
taines images plutôt archaïques de Dieu
persistent dans nos sociétés. La chanson de
Sylvain Lelièvre nous invite à examiner
l’image de Dieu que nous portons en nous,
comme individu et comme Église. Elle nous
offre une vive critique d’images de l’Absolu
qui enchaîne et qui opprime, images qui
s’avèrent toutefois fort éloignées du Dieu
101
révélé par l’expérience des croyantes et
des croyants dans les textes bibliques. La
chanson de Sylvain Lelièvre nous invite à la
vigilance dans notre discours sur Dieu et
nous incite à dénoncer toute image de Dieu
aliénante. Comme certains invoquent
parfois Dieu pour légitimer des entreprises
destructrices et injustes, telles que des
guerres, il importe de rappeler que le Dieu
biblique est un Dieu de la vie, qui rejette
toutes les oppressions et qui œuvre pour
construire un monde de paix, de solidarité,
d’égalité et d’amour.

102
Pour aller plus loin
BILLON, GÉRARD et GRUSON, PHILIPPE. Pour lire l’Ancien
Testament : Le Premier Testament par les textes, Paris, Cerf,
2007, 188 pages.
DENIMAL, ÉRIC. La Bible illustrée pour les nuls, Paris, First
Éditions, 2007, 489 pages.
QUESNEL, MICHEL et GRUSON, PHILIPPE (dir.). La Bible et
sa culture, Ancien Testament – Jésus et le Nouveau Testament,
Paris, Desclée de Brouwer, 2000, 575 et 606 p.
RÖMER, THOMAS. MACCHI, JEAN-DANIEL et NIHAN,
CHRISTOPHE (dir.). Introduction à l’Ancien Testament,
Genèse, Paris, Labor et Fides, 2004, 720 pages.
L’Ancien Testament à travers 100 chefs-d’oeuvre de la
peinture. Le Nouveau Testament à travers 100 chefs-
d’oeuvre de la peinture, Préface de Régis Debray,
Paris, Presses de la Renaissance, 2003,
222 pages chacun.
Un site Internet à consulter : www.interbible.org
Écrivez-nous à : redaction@interbible.org
Un excellent annuaire de sites web bibliques :
http://www.interbible.org/interBible/carrefour/
annuaire/index.htm
103
Table des matières
Introduction ........................................................ 5

Auteurs ................................................................ 7

1. Quelle importance a l’Ancien Testament pour la


foi chrétienne ? .............................................. 9

2. Comment comprendre la Bible,


ce livre si complexe ? ..................................... 13

3. Comment se donner des outils


pour comprendre la Bible ? ............................ 16

4. Quelle est l’origine du mot « bible » ? .......... 19

5. Pourquoi les deux grandes parties de la Bible


sont-elles désignées par les noms d’Ancien Testa-
ment et de Nouveau Testament ? .................. 21

6. Pourquoi est-ce que toutes les Bibles


ne sont pas pareilles ? .................................... 24

7. Quels sont les manuscrits utilisés pour


établir le texte de l’Ancien Testament ? ......... 26

8. Comment se retrouver dans la Bible ? ........... 30

105
9. Quelle est la différence entre la Bible
et la Torah ? .................................................... 32

10. Qui a écrit le Pentateuque ? .............................. 35

11. Le récit de la Création dans la Bible est-il compa-


tible avec le discours scientifique
sur l’évolution des espèces ? .......................... 40

12. Comment la Bible décrit-elle notre


rapport à l’environnement ? .......................... 45

13. Comment comprendre le meurtre


d’Abel par son frère Caïn ? ............................ 49

14. Comment comprendre le récit de


la tour de Babel ? ........................................... 55

15. Est-ce que les Juifs et les Arabes sont


descendants d’Abraham ? .............................. 59

16. Peut-on parler d’une évolution


du monothéisme ? ......................................... 62
17. Que sont les écrits de sagesse
de la Bible ? ................................................... 65

18. Comment prier avec les Psaumes ? ................ 68

19. Le Cantique des cantiques :


érotique ou divin ? ......................................... 73

20. Est-ce que la Bible est la Parole de Dieu


ou des textes d’hommes ? .............................. 75

21. Quels sont les noms de Dieu dans


l’Ancien Testament ? ..................................... 79

106
22. Est-ce que l’archéologie peut nous aider
à mieux comprendre le peuple de la
Bible et ses croyances ? ................................. 82

23. Pourquoi parle-t-on de la crainte de


Dieu dans la Bible ? ....................................... 87

24. Le Dieu de l’Ancien Testament est-il


un Dieu vengeur et violent ? ......................... 90

25. En quoi la Bible dit-elle vrai ? ....................... 92

Coup de cœur ..................................................... 97

Pour aller plus loin .............................................. 103

107
9
78-
2-89
646
-71
4-3

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