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« S’il y a un danger de parler de l’amour de Dieu d’une manière
qui met de côté sa justice, l’autre danger serait de ne jamais par-
ler de la grâce et de la compassion de notre Dieu. Nous pouvons
facilement avoir, en tant que chrétiens, une vision d’un Dieu en
colère, prêt à nous tomber dessus à la moindre faute. C’est pour cela
que nous avons besoin de nous souvenir du cœur de Christ pour
nous. L’auteur de ce livre nous aide à le faire, en nous montrant
que le cœur de Christ est une fontaine de grâce pour ses rachetés.
Ce livre nous aide à redécouvrir l’immense compassion dont nous
sommes l’objet. Le rappel de ces vérités bibliques fera un grand
bien à votre âme. »
Benjamin Eggen, ancien coordinateur du blog La Rébellution ;
auteur de Soif de plus ? ; coauteur du livre Une vie de défis

« Les recherches contenues dans ce livre sur la personne de Jésus à


la lumière des écrits des puritains sont impressionnantes et rafraî-
chissantes. Elles donnent le goût d’en connaître davantage non
seulement sur les hommes de Dieu des siècles passés, mais aussi,
et surtout, sur la personne centrale de l’Évangile : Jésus. Chaque
chapitre de ce livre révèle le Fils et expose son cœur comme aucun
autre livre. Les découvertes de l’auteur conduisent nos âmes à une
réflexion nouvelle et à l’adoration de l’être le plus important de
nos vies. Jésus possède une humilité et un amour extrêmement
profonds pour nous. Dane Ortlund en fait l’exposé et nous rappelle
que cet homme – notre frère – est encore doux et humble de cœur
aujourd’hui. »
Rachel Bergeron, épouse d’un pasteur-implanteur ; écrivaine
sur le blogue unepetiteinfluence.com

« Tout croyant risque de ne pas valoriser à sa juste mesure le carac-


tère stupéfiant de l’Évangile de la grâce. Dans notre façon de gérer
le péché et la souffrance, laissons-nous transformer, réjouir et libé-
rer par la vérité biblique que ce livre expose. »
James Hely Hutchinson, directeur, Institut Biblique de Bruxelles

« Doux et humble de cœur est instantanément devenu un de mes


livres préférés. Beaucoup d’ouvrages parlent de l’œuvre de Jésus,
mais très peu décrivent le cœur de Jésus. À travers la théologie
christocentrique des puritains, Dane Ortlund nous révèle qui est
vraiment Jésus. Un pur délice pour l’âme du chrétien ! »
Gaétan Brassard, pasteur principal de l’Église Le Portail

« Nous rencontrons tellement souvent des chrétiens qui luttent


pour comprendre le pardon de Dieu, qui ont de la difficulté à
accepter que notre Seigneur soit doux et accessible, et qui ressentent
de la tristesse à cause de leur mauvaise perception du caractère de
notre Sauveur. Voici un livre important – même essentiel – qui
nous permet de voir Jésus tel qu’il était lorsqu’il a marché sur la
terre, et tel qu’il est encore aujourd’hui. La lecture de cet ouvrage
m’a rempli de joie et a rassuré mon âme. Je le recommande vive-
ment à tous les croyants. »
Douglas Virgint, ancien directeur de Publications Chrétiennes,
professeur à l’Institut francophone de la prédication par exposi-
tion (IFPE)

« Le livre le plus apaisant et le plus encourageant que j’ai lu ces 10


dernières années ! Dane Ortlund dépeint un portrait époustouflant
de l’attitude de Jésus. La délicatesse et la puissance de son attention
à notre égard sont représentées avec une grande précision biblique,
enrichie des perspectives des pasteurs puritains qui ont longuement
médités sur ces vérités. L’âme humaine, marquée de ses zones
sombres, trouvera un réconfort dans ces lignes. Il sera difficile
de lire ce livre sans aimer Jésus davantage, avec émerveillement,
affection et dévouement. Un ouvrage édifiant pour le cœur, qui
enrichit notre compréhension de la doctrine du Christ. »
Florent Varak, pasteur, auteur, directeur international du déve-
loppement des Églises Charis au sein de la mission Encompass,
professeur à l’Institut biblique de Genève

« Aucun livre ne décrit aussi bien le cœur tendre, gracieux, misé-


ricordieux, gentil, aimant, patient et attentionné du Christ que
le livre Doux et humble de cœur de Dane Ortlund. C'est un livre
que chaque croyant devrait absolument lire. Vous ne regretterez
pas d'avoir investi du temps dans la lecture de ce livre. Il vous
permettra d'apprécier le cœur de notre Christ comme nul autre.
Je ne saurais trop vous le recommander. »
Dieudonné Tamfu, Ph. D., pasteur, Église Baptiste Bethléem,
Yaoundé, Cameroun ; professeur adjoint de Bible et théologie, direc-
teur du site d'extension du Cameroun, Bethlehem College & Seminary

« Thomas Goodwin, dans son livre Encouragements to Faith, a écrit :


"Ce qui éloigne les hommes [de Dieu], c'est qu'ils ne connaissent
pas la pensée et le cœur du Christ […] La vérité est qu'il est plus
réjoui de nous que nous ne pouvons l'être de lui. Le père du [fils]
prodigue a été l'intermédiaire entre les deux dans cette joyeuse
rencontre [...] Celui qui est descendu du ciel, comme il le dit lui-
même dans le texte, pour mourir pour vous, vous rencontrera plus
qu'à mi-chemin, comme le père du [fils] prodigue l'a fait […] Venez
donc à lui ! Si vous connaissiez son cœur, vous le feriez." Dans
Doux et humble de cœur, Dane Ortlund met en lumière cette vérité
en nous présentant toute la beauté du cœur de Jésus-Christ. Vous
arrive-t-il de vous éloigner du Seigneur ? Faites-vous un cadeau, et
lisez ce livre dans un esprit de prière jusqu'à ce que le cœur doux
et humble de Jésus-Christ vous attire à lui. »
Vincent Lemieux, pasteur de l’Assemblée Chrétienne de
Rouyn‑Noranda
« Dane Ortlund nous invite à connaître, contempler et adorer le
Christ lui-même ; un état d’esprit et des disciplines spirituelles qui
peuvent malheureusement faire défaut dans nos Églises évangé-
liques francophones d’Occident. Ce livre conduit les âmes assoiffées
à la source et les cœurs affamés au pain de vie. »
Solveig Dret, traductrice et consultante en théologie auprès
d’organismes évangéliques ; membre du comité de la conférence
Chrétiennes Consacrées

« Le Christ que nous connaissons peu : tel aurait pu être le titre du
livre de Dane Ortlund pour beaucoup de croyants, même mûrs.
Le Christ de nos sermons, de nos prières, de notre salut, nous le
percevons comme plus austère et réservé que chaleureux et affec-
tueux. Certes, il bénit les enfants et pleure sur Lazare, son ami,
avant de le ressusciter. Toutefois, nous ne l’imaginons pas aussi
humble, aussi bon (même lorsque nous péchons) et aussi proche
de nous, du moins pas comme Dane Ortlund le décrit. Puisant
principalement aux sources de la théologie puritaine et réformée,
l’auteur met en relief l’extraordinaire proximité de Jésus avec son
peuple en peignant des analogies révélatrices. Comment n’y avons-
nous pas pensé plus tôt ? Dieu merci, il existe des livres comme
celui-ci pour dessiller nos yeux sur des vérités transformatrices
de l’Écriture auxquelles nous restons trop longtemps aveugles ! »
Maxime Pierre-Pierre, pasteur, président du Séminaire Baptiste
de Théologie d’Haïti

« À partir de passages bibliques choisis de l’Ancien comme du


Nouveau Testament, le tout savamment coordonné avec les écrits
des puritains, Dane Ortlund nous ouvre les yeux sur le cœur de
Jésus. Élevé et éduqué dans la foi chrétienne, je me suis aperçu à la
lecture de ce livre que certains de mes a priori sur Dieu devaient
être rectifiés. Cela a été comme un baume pour mon âme de savoir
que le Seigneur n’est pas agacé ou irrité par ma fragilité, mes
rechutes répétitives et mes progrès bien trop lents dans la marche
chrétienne au point de vouloir s’éloigner de moi. Doux et humble
de cœur est un ouvrage qui restera précieusement ancré dans ma
mémoire. Tel un panneau de signalisation, il me permettra d’éviter
les détours et les déviations dans ma piété personnelle. À lire et
relire sans modération ! »
Mike Evans, président d’Évangile 21

« Doux et humble de cœur vient de la plume d’une personne


ayant non seulement profité de la lecture des puritains, mais
qui, surtout, a lu la Bible sous leur tutelle. Un seul petit livre ne
suffirait jamais à rendre toute la gloire des attributs de Christ,
mais ce livre‑ci exprime habilement un concept que nous
négligeons fréquemment : Christ est doux et humble de cœur,
et il accorde du repos à ceux qui sont fatigués et chargés. Écrit
avec une douceur pastorale imprégnée d’une beauté apaisante,
il fait ressortir la contribution de vingt passages bibliques à ce
portrait du cœur de Christ. Tout cela y est réuni afin d’apporter
consolation, force et repos aux croyants. »
D. A. Carson, professeur émérite de Nouveau Testament, Trinity
Evangelical Divinity School ; cofondateur, The Gospel Coalition

« Dans cet ouvrage qui tombe à point nommé, Dane Ortlund


attire notre attention sur la personne de Jésus. Centré sur la
Bible et s’inspirant de ce que la tradition puritaine a de mieux à
offrir, ce livre nous aide à voir le cœur de Dieu tel qu’il nous est
révélé en Christ. Il nous rappelle non seulement les promesses
de repos et de consolation que Jésus nous a faites, mais aussi
la vision biblique de Jésus : un Roi riche en bonté et en grâce. »
Russell Moore, président, The Ethics  &  Religious Liberty
Commission of The Southern Baptist Convention
« Le titre de ce livre a suscité d’emblée en moi le désir d’en
savoir plus, l’espoir et la gratitude. Le message qu’il renferme
met un baume sur chaque cœur que le péché ou le chagrin a
percé, de l’intérieur ou de l’extérieur. Il s’agit d’une invitation
à goûter les douces consolations d’un Sauveur qui nous aborde
avec tendresse et grâce. Or, nous savons que nous méritons tout
le contraire de sa part. »
Nancy DeMoss Wolgemuth, auteure ; enseignante et animatrice
de Revive Our Hearts

« Les vérités magnifiques et stupéfiantes que renferme ce livre


ont transformé ma vie. Dane Ortlund nous fait lever les yeux vers
le cœur rempli de compassion que Christ a pour les pécheurs et
les affligés, nous prouvant que Jésus n’est pas un Sauveur réticent,
mais qu’il se plaît plutôt à se montrer miséricordieux. Si vous
vous sentez meurtri, fatigué ou vide, voilà le baume pour vous. »
Michael Reeves, président et professeur de théologie, Union
School of Theology, Oxford, Royaume-Uni ; auteur de Retrouver
la joie de prier

« Sur le sentier escarpé, pierreux et souvent sombre allant du


‟déjà” au ‟pas encore”, rien n’est plus nécessaire à votre cœur las
que de connaître la beauté du cœur de Jésus. Seule cette beauté
a le pouvoir d’engloutir toute la laideur que vous rencontrerez
chemin faisant. Je n’ai jamais lu de livre qui dépeigne plus
soigneusement, exhaustivement et tendrement le cœur de Christ
que celui‑ci. Comme si j’écoutais une merveilleuse symphonie,
différents passages m’ont ému de diverses façons. Chacun m’a
procuré le sentiment d’être immensément béni de savoir que
ce que l’on y décrit est le cœur même de mon Sauveur, mon
Seigneur, mon Ami et mon Rédempteur. Je n’imagine personne
de la famille de Dieu qui ne profiterait pas considérablement
de passer du temps à contempler le cœur de Jésus par les yeux
d’un guide aussi doué qu’Ortlund. »
Paul David Tripp, président, Paul Tripp Ministries ; auteur
des livres Instruments entre les mains du Rédempteur et Un
appel dangereux

« Les puritains se consacraient corps et âme à leurs pratiques


centrées sur Christ : ils voyaient en la Bible leur bouée de
sauvetage, ils l’exerçaient comme un muscle et ils s’y fiaient
comme à un gilet pare‑balles. Ils savaient détester leurs péchés
sans se détester eux‑mêmes, car ils comprenaient que le Christ
gracieux est une personne omniprésente qui comprend notre
situation et nos besoins mieux que nous. Ils comprenaient
que nous souffrons à cause du péché. Dane Ortlund dévoile
adroitement au lecteur chrétien les trésors de sagesse des
puritains. Lisez ce livre et priez pour que le Saint‑Esprit vous
révèle Christ tel que les puritains le concevaient. Vous recevrez
ainsi une toute nouvelle compréhension de la grâce divine. »
Rosaria Butterfield, ancienne professeure d’anglais à l’Université
de Syracuse ; auteure des livres Les pensées secrètes d’une convertie
insolite et The Gospel Comes with a House Key

« ‟Il est tellement fort qu’il peut se permettre d’être doux.” Cette
réplique d’un vieux film ne se résume pas à un romantisme
mièvre, si l’on considère la précision théologique et l’amour
pastoral avec lesquels Dane Ortlund décrit le cœur de Dieu
rempli d’amour pour ceux qui sont faibles, fatigués, captifs du
péché et du désespoir. Le savoir transmis dans Doux et humble
de cœur forme véritablement un fleuve coulant du trône de
Dieu, par l’intermédiaire des grands pasteurs du passé, jusque
dans un ministère précieux et puissant, adapté à notre époque. »
Bryan Chapell, pasteur principal de la Grace Presbyterian Church
à Peoria, dans l’Illinois
« Après quelques pages à peine, j’ai reconnu à quel point ce livre
sort de l’ordinaire et est essentiel, en ce sens qu’il nous dépeint
le cœur même de Christ. Ce livre nous étonne par l’abondance
et le pouvoir de l’amour de Christ pour nous. Aussi saisissant
que thérapeutique, il compte déjà parmi les meilleurs livres
que j’ai lus. »
Sam Allberry, apologiste et conférencier ; auteur des livres Dieu
est-il homophobe ? et 7 mensonges sur le célibat

« Dane Ortlund écrit au sujet de ce qui semble trop beau pour


être vrai – le Seigneur se plaît à user de miséricorde envers vous
et moi. Par conséquent, il décortique avec soin des passages clés
tout en s’appuyant sur les enseignements des saints du passé.
Il m’a convaincu, et je suis impatient de me laisser convaincre
encore et toujours. »
Ed Welch, conseiller et membre du corps professoral de la Christian
Counseling & Educational Foundation

« Dane Ortlund nous conduit jusque dans le cœur même du Dieu


incarné – soulignant non seulement ce que Jésus a fait pour
nous, mais aussi ce qu’il ressent pour nous. En effet, ce qu’il
ressent pour nous. Ancré dans la Bible et s’inspirant du puritain
Thomas Goodwin, ce livre est un remède pour les cœurs brisés. »
Michael Horton, titulaire de la chaire J. Gresham Machen ; pro-
fesseur de théologie systématique et d’apologétique au Westminster
Seminary California

« Dane Ortlund nous aide à redécouvrir le cœur de Jésus, à


savoir, le cœur même de l’Évangile. Ce livre exquis étale sous
nos yeux le tendre amour que Jésus a pour nous dans toute son
immensité. Tandis que vous plongerez dans le cœur même de
Christ, votre propre cœur se réchauffera au feu de l’amour divin.
Ortlund porte à notre attention (petit à petit de sorte à ne pas
nous déconcerter) un thème négligé que chérissaient pourtant
les puritains et qui nous fait découvrir combien ils saisissaient
la beauté de l’amour de Jésus. Votre âme a besoin de ce livre.
Je vous en recommande donc fortement la lecture. »
Paul E. Miller, auteur d’Une vie en prière et de J‑Curve: Dying
and Rising with Jesus in Everyday Life

« C’est l’un des meilleurs livres que j’ai lus dans ma vie ! »
Mark Dever, pasteur principal, Capitol Hill Baptist Church,
Washington, D.C. ; président du ministère 9Marks

« J’ai mis quelques mois à lire ce livre sans me presser. À mon


avis, c’est la meilleure façon de parcourir cet ouvrage, c’est-à-dire
en prenant le temps de réfléchir au cœur de Christ « pour les
pécheurs et les affligés ». L’auteur y reprend le meilleur des œuvres
de Jean Calvin, John Flavel, Richard Sibbes, John Owen, John
Bunyan, Thomas Goodwin et Jonathan Edwards, et médite sur la
richesse de divers passages de l’Ancien Testament et du Nouveau
Testament. Ce qui fait de son ouvrage un outil réconfortant pour
le chrétien accablé. Ce dont nous avons le plus besoin, c’est de
Christ. Il est une source inépuisable de repos, de joie et d’amour. »
Ivan Mesa (ThM, The Southern Baptist Theological Seminary),
éditeur pour The Gospel Coalition (depuis 2014), où il sélectionne
des ouvrages et supervise les recensions, la programmation de longue
durée et le projet Read the Bible

« Doux et humble de cœur m’attire vers le cœur de Christ et


m’aide à attirer le cœur de mes étudiants à Christ. C’est le
meilleur livre du xxie siècle. »
Bob Kellemen, directeur des études et enseignant de counseling
biblique, Faith Bible Seminary
« Doux et humble de cœur est un livre touchant et réconfortant
qui enrichira votre connaissance, suscitera votre adoration et
alimentera votre culte personnel. Mais surtout, il vous aidera à
connaître et aimer votre Dieu et Sauveur Jésus-Christ et à lui
faire confiance. »
Tim Challies, blogueur, écrivain et pasteur au Canada
DOUX
et
HUMBLE
de cœur

L’amour de Christ pour les


pécheurs et les aff ligés

Dane Ortlund
Édition originale en anglais sous le titre :
Gentle and Lowly: The Heart of Christ for Sinners and Sufferers
Copyright © 2020 par Dane C. Ortlund
Publié par Crossway, un ministère de Good News Publishers
1300 Crescent Street, Wheaton, IL 60187, U.S.A.
Traduit et publié avec permission. Tous droits réservés.

Pour l’édition française :


Doux et humble de cœur : l’amour de Christ pour les pécheurs et les affligés
© 2021 Publications Chrétiennes, Inc.
Publié par Éditions Cruciforme
230, rue Lupien, Trois-Rivières (Québec)
G8T 6W4 – Canada
Site Web : www.editionscruciforme.org
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés.

Traduction : Marie-Andrée Gagnon


Adaptation de couverture et mise en page : Rachel Major

ISBN :
978-2-925131-26-7 (broché)
978-2-925131-27-4 (eBook)
978-2-925131-25-0 (livre audio)

Dépôt légal – 4e trimestre 2021


Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque et Archives Canada

« Éditions Cruciforme » est une marque déposée de


Publications Chrétiennes, Inc.

Sauf mention contraire, les citations bibliques sont tirées de la Nouvelle Édition
de Genève (Segond, 1979) de la Société Biblique de Genève. Avec permission.
À Hope
Luc 18.16
Comme un père, il nous épargne
Notre faible vase il connaît bien
Dans sa main, doucement il nous tient
Il nous sauve de tous nos ennemis
– Henry Francis Lyte, 1834
Table des matières

Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

1 Son cœur même. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23


2 Son cœur en action. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
3 Le bonheur de Christ. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
4 Capable de compassion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
5 L’indulgence de Christ. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
6 Je ne mettrai pas dehors. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
7 Ce qu’évoquent nos péchés.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
8 Il sauve parfaitement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
9 Un avocat. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
10 La beauté du cœur de Christ. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
11 La vie émotionnelle de Christ. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
12 Un tendre ami. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
13 Pourquoi l’Esprit ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
14 Le Père des miséricordes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137
15 Son œuvre « distinctive » et son
œuvre « étrange ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145

17
Doux et humble de cœur

16 L’Éternel, l’Éternel.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155


17 Ses voies ne sont pas nos voies. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165
18 Des entrailles émues. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
19 Riche en miséricorde. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181
20 Notre cœur légaliste, son cœur généreux. . . . . . . . . . . . . 193
21 Il nous a aimés jadis ; il nous
aimera maintenant. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201
22 Il a mis le comble à son amour.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209
23 Enfouis dans son cœur pour toujours.. . . . . . . . . . . . . . . . . . 217

Épilogue.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227
Remerciements. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229

18
Introduction

L e présent livre nous parle du cœur de Christ. Qui est Christ ?


Qui est‑il vraiment ? Qu’y a‑t‑il de plus naturel pour lui ?
Qu’est‑ce qui s’enflamme immédiatement en lui lorsqu’il se porte
vers les pécheurs et les affligés ? Qu’est‑ce qu’il manifeste le plus
librement, le plus instinctivement ? Qui est‑il ?
Le présent livre a été écrit pour ceux qui se sentent découra-
gés, contrariés, fatigués, déçus, cyniques ou vides. Ceux qui sont
au bout du rouleau. Les chrétiens qui ont l’impression de monter
sans arrêt un escalier roulant qui descend. Ceux d’entre nous qui
se disent : Comment ai‑je pu tout gâcher encore une fois ? Ceux qui
commencent à croire que la patience de Dieu envers eux diminue.
Ceux d’entre nous qui savent que Dieu les aime, mais qui devinent
l’avoir profondément déçu. Ceux qui parlent aux autres de l’amour
de Christ, tout en se demandant si – comme nous – il ne nourrirait
pas un certain ressentiment. Ceux qui se demandent s’ils ont détruit
leur vie à tel point qu’elle puisse encore être restaurée. Ceux qui
sont convaincus d’avoir altéré leur utilité au Seigneur de manière
permanente. Ceux dont la souffrance inexplicable a fait perdre
pied et qui se demandent comment continuer de vivre dans des
ténèbres aussi impénétrables. Ceux qui regardent leur vie et qui

19
Doux et humble de cœur

ne savent l’interpréter qu’en concluant que Dieu est fondamenta-


lement mesquin.
Autrement dit, ce livre s’adresse aux chrétiens ordinaires. Bref,
il concerne les pécheurs et les affligés. Que ressent Jésus envers eux ?
Il se peut que le sujet en surprenne déjà certains. Humanisons‑
nous Jésus à outrance en parlant ainsi de ses sentiments ? Vu sous
un autre angle, en quoi le cœur de Christ est‑il lié à la doctrine de
la Trinité ; Christ interagit‑il avec nous autrement que le Père ou
l’Esprit le font ? Ou alors, dépassons‑nous déjà les bornes en nous
demandant ce qu’il y a de plus central dans l’identité de Christ ?
Et quel lien y a‑t‑il entre son cœur et sa colère ? De plus, en quoi le
cœur de Christ correspond‑il à ce que nous trouvons dans l’Ancien
Testament et au portrait que ce dernier trace de Dieu ?
Or, ces questions sont non seulement légitimes, mais aussi
nécessaires. Nous procéderons donc avec prudence sur le plan
théologique, et le meilleur moyen d’y parvenir consiste à rester
près du texte biblique. Nous allons simplement nous demander ce
que la Bible dit au sujet du cœur de Christ et nous en représenter
la gloire pour le bien de notre vie, avec ses hauts et ses bas.
Nous ne sommes toutefois pas les premiers ni les plus intelli-
gents à lire la Bible. Tout au long de l’histoire de l’Église, Dieu a
suscité des enseignants doués et perspicaces pour conduire le reste
d’entre nous dans les verts pâturages et près des eaux paisibles
de la nature de Dieu en Christ. Au xviie siècle, l’Angleterre et les
puritains ont produit un grand nombre d’enseignants de la Bible
des plus éclairés. Le présent livre qui porte sur le cœur de Christ
n’existerait pas si je n’étais pas tombé sur les écrits des puritains,
et plus particulièrement ceux de Thomas Goodwin. C’est Goodwin
qui, plus que tout autre, m’a ouvert les yeux, avec naturel et facilité,
sur la personne qu’est Dieu en Christ, pour les faibles pécheurs. Il
reste que Goodwin et les autres mentionnés dans ce livre, comme

20
Introduction

Sibbes et Bunyan, sont des instruments, et non des sources. La


Bible est la source. Ils ne font que nous montrer, avec une clarté
et une perspicacité particulières, ce que la Bible enseigne depuis
le début sur la véritable identité de Dieu.
Ainsi, la stratégie employée dans ce livre consistera simplement
à prendre un passage biblique ou un enseignement des puritains
ou d’autres personnes, et à découvrir ce qu’il nous dit au sujet du
cœur de Dieu ou de Christ. Nous nous attarderons aux prophètes
Ésaïe et Jérémie, aux apôtres Jean et Paul, ainsi qu’aux puritains
Goodwin, Sibbes, Bunyan et Owen, de même qu’à d’autres comme
Edwards, Spurgeon et Warfield. Nous nous ouvrirons à ce qu’ils
nous disent sur le cœur de Dieu et celui de Christ. La question
cruciale à se poser est celle‑ci : « Qui est‑il ? » Nous progresserons
plutôt naturellement dans le livre, chapitre par chapitre, non pas
tant comme pour bâtir un argument logique que pour contempler
le diamant unique du cœur de Christ sous de nombreux angles.
C’est une chose de demander ce que Christ a accompli. Et il
existe beaucoup d’excellents livres sur le sujet. Par exemple : La
croix de Jésus‑Christ1, de Stott ; Pierced for Our Transgressions2,
de Jeffery, Ovey et Sach ; Christ Crucified3, de Macleod ; l’article
novateur de Packer publié en 19744, ainsi qu’une dizaine d’autres
traitements historiques ou contemporains fiables. Nous ne nous
concentrerons toutefois pas principalement sur ce que Christ a
accompli. Nous considérerons surtout qui il est. Les deux ques-
tions sont reliées entre elles et effectivement interdépendantes.

1. John R. W. Stott, La croix de Jésus‑Christ, Charols, France, Grâce et Vérité, 1988.


2. Steve Jeffery, Michael Ovey et Andrew Sach, Pierced for Our Trangressions:
Recovering the Glory of Penal Substitution, Wheaton, Ill., Crossway, 2007.
3. Donald Macleod, Christ Crucified: Understanding the Atonement, Downers Grove,
Ill., InterVarsity Press, 2014.
4. J. I. Packer, « What Did the Cross Achieve? The Logical of Penal Substitution »,
Tyndale Bulletin, no 25, 1974, p. 3‑45.

21
Doux et humble de cœur

Elles demeurent néanmoins distinctes. L’Évangile ne nous offre


pas seulement une exonération légale, le pardon de nos péchés
(vérité précieuse et inviolable !), mais il nous fait aussi pénétrer dans
le cœur même de Christ. Il se peut que vous sachiez que Christ
est mort et ressuscité pour nous laver de tous nos péchés, mais
connaissez‑vous son cœur rempli d’un amour des plus profond
pour vous ? Êtes‑vous conscient non seulement de l’œuvre qu’il a
accomplie pour purifier vos péchés, mais aussi de son cœur qui
se languit pour vous en dépit de vos péchés ?
Une femme pourrait en dire long sur son mari : sa taille, la
couleur de ses yeux, ses habitudes alimentaires, son éducation,
son emploi, ses talents de bricoleur, son meilleur ami, ses loisirs,
sa personnalité, son équipe sportive préférée. Que pourrait‑elle
cependant dire pour décrire le regard entendu qu’il lui adresse
à la table de leur restaurant préféré ? Un regard qui reflète une
amitié n’ayant cessé de s’approfondir au fil des ans, des milliers de
conversations et de disputes qu’ils ont bien traversées, l’assurance
tranquille d’être accepté de l’autre quoiqu’il arrive ? Ce regard qui
exprime en un seul instant sa protection bienveillante mieux que
ne le pourraient mille mots ? Bref, que peut‑elle dire pour parler à
quelqu’un du cœur de son mari rempli d’amour pour elle ?
C’est une chose de décrire ce que votre mari dit et fait, et ce à
quoi il ressemble. C’en est une autre, plus profonde et plus réelle,
de décrire son cœur rempli d’amour pour vous.
Ainsi en est‑il de Christ. C’est une chose de connaître les
doctrines de l’Incarnation et de l’expiation des péchés, ainsi que
cent autres doctrines vitales. C’en est une autre, exigeant une plus
grande réflexion, de connaître son cœur rempli d’amour pour nous.
Qui est‑il ?

22
1

Son cœur même

Je suis doux et humble de cœur.


Matthieu 11.29

M on père m’a fait remarquer quelque chose que Charles


Spurgeon avait lui-même remarqué. Les quatre Évangiles –
Matthieu, Marc, Luc et Jean, ces quatre‑vingt‑neuf chapitres de
texte biblique – ne renferment qu’un seul passage où Jésus nous
parle de son cœur.
Les Évangiles nous en apprennent beaucoup sur les enseigne-
ments de Christ. Nous y lisons au sujet de sa naissance, de son
ministère et de ses disciples. Ils nous parlent de ses déplacements et
de ses habitudes de prière. Nous y trouvons de longs discours qu’il
a prononcés et les nombreuses objections de ses auditeurs, l’inci-
tant à leur apporter d’autres enseignements. Nous y découvrons
qu’il se savait être l’accomplissement de tout l’Ancien Testament.
Et ces quatre récits nous racontent son arrestation injuste, sa mort
honteuse et sa résurrection étonnante. Considérez les milliers de
pages que des théologiens ont écrites au cours des deux derniers
millénaires concernant tous ces sujets.

23
Doux et humble de cœur

Il reste que nous entendons Jésus nous livrer son cœur dans
un seul passage – peut‑être les paroles les plus merveilleuses que
des lèvres humaines aient jamais exprimées :

Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous don-
nerai du repos. Prenez mon joug sur vous et recevez mes instruc-
tions, car je suis doux et humble de cœur ; et vous trouverez le
repos pour vos âmes. Car mon joug est doux, et mon fardeau léger
(Mt 11.28‑301).

Dans le seul passage où le Fils de Dieu lève le voile pour nous


laisser voir jusqu’au plus profond de son être, la Bible ne nous dit
pas qu’il est « austère et exigeant de cœur ». Elle ne nous dit pas
qu’il est « exalté et majestueux de cœur ». Elle ne nous dit même pas
qu’il est « joyeux et généreux de cœur ». En parlant de lui‑même,
Jésus se déclare, étonnamment, « doux et humble de cœur ».
Précisons une chose dès maintenant : lorsque la Bible parle du
cœur, que ce soit dans l’Ancien ou le Nouveau Testament, elle ne
parle pas seulement de notre vie émotionnelle, mais aussi du centre
d’où découlent toutes nos décisions. C’est ce qui nous motive du
lever au coucher. Ce sont les quartiers généraux de notre moti-
vation. En termes bibliques, le cœur ne fait pas partie de notre
identité, il en constitue le centre. Notre cœur est ce qui nous définit
et nous dirige. Voilà d’ailleurs la raison pour laquelle Salomon
nous exhorte ainsi : « Garde ton cœur plus que toute autre chose,
car de lui viennent les sources de la vie » (Pr 4.232). C’est ce qui

1. Matthieu 11.29 était le verset préféré du réformateur allemand Philip Melanchthon.


Herman Bavinck, « John Calvin: A Lecture on the Occasion of His 400th Birthday »,
traduit par John Bolt, The Bavinck Review, no 1, 2010, p. 62.
2. Un autre puritain, John Flavel, a consacré tout un traité à ce verset et à des stra-
tégies permettant de garder son cœur : John Flavel, Keeping the Heart: How to Maintain
Your Love for God, Fearn, Écosse, Christian Focus, 2012.

24
Son cœur même

fait de chacun de nous l’être humain qu’il est. Le cœur est la force
motrice de la vie. C’est qui nous sommes3.
Et lorsque Jésus nous parle de ce qui lui sert de moteur, de ce
qui est la stricte vérité à son sujet, il nous révèle qu’il est doux et
humble de cœur.
Qui aurait pu inventer un tel Sauveur ?


« Je suis doux… »
Le mot grec ici rendu par « doux » n’apparaît que trois autres
fois dans le Nouveau Testament : dans la première béatitude, disant
que « les débonnaires » hériteront la terre (Mt 5.5) ; dans la pro-
phétie de Matthieu 21.5 (citant Zacharie 9.9), disant que le Roi
Jésus « vient à toi ; plein de douceur, et monté sur un âne » ; dans
l’exhortation que Pierre adresse aux femmes pour les encourager
à chérir plus que toute autre chose « la parure intérieure et cachée
dans le cœur, la pureté incorruptible d’un esprit doux et paisible »
(1 Pi 3.4). Débonnaire. Doux. Jésus n’a pas la gâchette facile. Il
n’est ni dur, ni réactionnaire, ni irascible. Il est la personne la plus
compréhensive de l’univers. Il est dans sa nature profonde non pas
d’accuser les gens, mais de leur ouvrir les bras.
« … et humble… »
La signification du mot « humble » chevauche celle du mot
« doux », en ce sens qu’elles communiquent ensemble une seule
et même réalité au sujet du cœur de Jésus. Il faut toutefois
noter que, dans le Nouveau Testament, le mot grec rendu par
« humble » ne désigne généralement pas l’humilité en tant que

3. Vous trouverez un excellent traitement des enseignements bibliques portant sur


le cœur dans le livre de Craig Troxel intitulé With All Your Heart: Orienting Your Mind,
Desires, and Will toward Christ (Wheaton, Ill., Crossway, 2020).

25
Doux et humble de cœur

vertu. L’humilité équivaut plutôt à la pauvreté ou à l’affliction


(c’est ainsi que l’on utilise en général ce mot grec dans les traduc-
tions grecques de l’Ancien Testament, surtout dans les Psaumes).
Dans le chant de Marie lorsqu’elle portait Jésus, par exemple, ce
mot est utilisé pour parler de la façon dont Dieu élève ceux qui
sont « humbles » (Lu 1.52). Paul utilise le même mot lorsqu’il
nous dit : « N’aspirez pas à ce qui est élevé, mais laissez‑vous
attirer par ce qui est humble » (Ro 12.16), désignant ainsi ceux qui
n’impressionnent pas par leur statut social, ceux qui ne jouissent
pas de la faveur générale.
L’emploi du mot « humble » signifie ici que Jésus est accessible.
Malgré sa gloire resplendissante, sa sainteté éblouissante, son
unicité et son altérité suprêmes, jamais personne dans l’Histoire
n’a été plus accessible que Jésus‑Christ. Il n’impose aucune condi-
tion, aucune exigence. En commentant Matthieu 11.29, Warfield
a écrit : « Sa vie n’a laissé empreinte plus profonde sur le cœur de
ses disciples que celle de son comportement humble et noble4. »
Pour que Jésus nous serre dans ses bras, nous devons à tout le
moins nous ouvrir à lui. Tout ce qu’il demande, c’est que nous
nous ouvrions à lui. Matthieu 11.28 nous dit explicitement qui se
qualifie pour communier avec Jésus : « Vous tous qui êtes fatigués
et chargés. » Vous n’avez pas à vous décharger ou à vous ressaisir
pour ensuite venir à Jésus. Votre fardeau même vous y qualifie.
Aucun paiement n’est requis, puisqu’il dit : « [Je] vous donnerai
du repos. » Son repos est un don, et non une transaction. Que
vous travailliez activement et assidûment à épierrer votre vie
(« fatigués ») ou que vous crouliez passivement sous quelque chose
qui échappe à votre volonté (« chargés »), Jésus‑Christ désire,

4. B. B. Warfield, The Person and Work of Christ, Oxford, Royaume-Uni, Benediction


Classics, 2015, p. 140.

26
Son cœur même

peut‑être même plus encore que vous, que vous trouviez du repos,
que vous sortiez de la tempête.
« Doux et humble. » Voilà le cœur même de Christ, selon son
propre témoignage. C’est qui il est. Tendre. Ouvert. Accueillant.
Conciliant. Compréhensif. Bien disposé. Si l’on nous demandait
de ne décrire qu’un seul trait de Jésus, nous serions fidèles à ses
enseignements en le disant doux et humble.
Si Jésus avait son site Web personnel, on y lirait en gros sous
la rubrique « À mon sujet » : doux et humble de cœur.


Il ne se présente cependant pas ainsi à tous. C’est ce qu’il est
pour ceux qui viennent à lui, qui prennent son joug sur eux, qui
lui crient à l’aide. Le paragraphe précédant cette parole de Jésus
nous indique comment il traite les impénitents : « Malheur à toi,
Chorazin ! malheur à toi, Bethsaïda ! […] au jour du jugement,
le pays de Sodome sera traité moins rigoureusement que toi »
(Mt 11.21,24). L’expression « doux et humble » ne signifie pas « mou
et servile ».
Le péché, la faiblesse, l’insécurité, le doute, l’anxiété et l’échec
du pénitent ne l’emportent jamais sur le cœur doux de Christ.
Jésus n’agit pas simplement à l’occasion avec douceur et humilité.
Il est la douceur incarnée. Il a le cœur d’un Dieu doux. Il ne peut
pas plus perdre de sa douceur envers les siens que vous et moi ne
pouvons changer la couleur de nos yeux. Nous sommes ainsi faits.
La vie chrétienne exige inéluctablement du labeur (1 Co 15.10 ;
Ph 2.12,13 ; Col 1.29). Jésus l’a lui‑même affirmé clairement dans
l’Évangile selon Matthieu (5.19,20 ; 18.8,9). Dans Matthieu 11,
Jésus promet « le repos de l’âme » et non « le repos du corps ». Il
reste que toute l’œuvre chrétienne découle d’une communion avec

27
Doux et humble de cœur

un Christ vivant, qui est essentiellement et véritablement doux et


humble. Il nous étonne et nous soutient par son infinie bonté. Ce
n’est qu’en nous imprégnant toujours plus de cette tendre bonté que
nous pouvons vivre la vie chrétienne comme le Nouveau Testament
nous y appelle. Ce n’est qu’en buvant à la bonté du cœur de Christ
que nous laisserons le parfum des cieux sur notre passage, partout
où nous irons. Et nous mourrons un jour en ayant laissé au monde
des aperçus d’une bienveillance divine qui ne s’est pas limitée à ce
que nous méritions.
Cette notion de bonté se trouve juste ici, dans le passage
à l’étude. Il nous faut bien comprendre le mot grec rendu par
« doux » dans l’affirmation : « Mon joug est doux. » Jésus ne dit
pas que la vie est exempte de toute souffrance et de toute épreuve.
Il s’agit du même mot rendu ailleurs par « bon » – comme dans
Éphésiens 4.32 : « Soyez bons les uns envers les autres, compatis-
sants » (voir aussi Ro 2.4). Considérez ce que Jésus est en train de
dire. Le joug est la lourde pièce de bois que l’on met sur le cou des
bœufs pour les atteler aux instruments aratoires. Jésus use ici d’un
genre d’ironie en disant que le joug dont sont attelés ses disciples
n’est pas un joug en réalité, sinon un joug de bonté. Qui pourrait
y résister ? Ce serait comme dire à un homme qui se noie qu’il
doit prendre sur lui le fardeau d’un gilet de sauvetage et l’entendre
nous crier, en buvant la tasse : « Pas question ! Pas moi ! C’est assez
difficile comme ça de couler dans ces eaux déchaînées. La dernière
chose dont j’ai besoin, c’est du fardeau additionnel d’un gilet de
sauvetage autour de mon corps ! » Or, c’est pourtant ce que nous
faisons tous, lorsque nous confessons Christ des lèvres tout en
évitant couramment de communier étroitement avec lui, en raison
d’une mauvaise compréhension de son cœur.
Son joug est doux et son fardeau est léger. Autrement dit, son
joug n’en est pas un, non plus que son fardeau. Ce que l’hélium

28
Son cœur même

est au ballon, le joug de Jésus l’est à ses disciples. Il nous porte au


fil de la vie par son infinie douceur et son humilité, qui le rendent
d’une suprême accessibilité. Il ne se contente pas de répondre à
nos besoins, il s’y associe également. Il ne se lasse jamais de nous
prendre dans ses tendres bras. Son cœur est ainsi fait.


Nous ne pensons pas intuitivement à Jésus‑Christ de cette
façon. En se penchant sur Matthieu  11, le pasteur anglais
Thomas Goodwin, ayant vécu au xviie siècle, nous aide à mieux
comprendre les paroles de Jésus.

Les hommes sont susceptibles d’entretenir des opinions contradic-


toires au sujet de Christ, mais il les empêche de nourrir de dures
pensées à son égard en leur expliquant sa disposition de cœur, dans
le but de les attirer encore plus près de lui. Nous sommes enclins
à croire qu’en raison de son infinie sainteté, il est de disposition
sévère et austère envers les pécheurs, les lui rendant insupportables.
« Non ! dit‑il, je suis bon ; d’une nature et d’un tempérament doux5. »

Nous projetons sur Jésus ce que nous dicte notre instinct faussé
sur le fonctionnement du monde. La nature humaine nous amène
à penser que plus une personne est riche, plus elle a tendance
à mépriser les pauvres. Plus une personne est belle, plus celles
qui sont laides la rebutent. Et sans même nous en rendre compte,
nous présumons en silence que quelqu’un d’aussi élevé et d’aussi
exalté que Jésus a forcément lui aussi du mal à s’approcher de gens
méprisables et sales comme les pécheurs. Certes, Jésus s’approche
de nous, nous le concédons, mais en se pinçant le nez. Après tout,
ce Christ ressuscité, « Dieu l’a souverainement élevé », et à son

5. Thomas Goodwin, The Heart of Christ, Édimbourg, Banner of Truth, 2011, p. 63.

29
Doux et humble de cœur

nom, tout genou fléchira un jour dans la soumission (Ph 2.9‑11).


Ses yeux sont « comme une flamme de feu », sa voix est « comme le
bruit de grandes eaux », de sa bouche sort « une épée aiguë, à deux
tranchants » et son visage est « comme le soleil lorsqu’il brille dans
sa force » (Ap 1.14‑16). Autrement dit, il brille d’un tel éclat qu’il
est impossible d’exprimer avec justesse sa splendeur en mots, sa
magnificence ineffable est telle que toute langue se tait devant elle.
C’est lui dont le cœur est, plus que tout, doux et humble.
Goodwin dit en fait que ce Christ élevé et saint ne montre
aucune hésitation à tendre la main et toucher ceux que le péché
a souillés et que la souffrance a paralysés. Nous serrer contre son
cœur, voilà précisément ce qu’il se plaît tant à faire. Il ne supporte
pas de se tenir à distance. Nous imaginons tout naturellement Jésus
nous touchant comme un petit garçon touche une limace pour
la première fois – en plissant le visage, en tendant prudemment
le bras, en laissant échapper un petit cri de dégoût à son contact
et en retirant instantanément la main. Nous imaginons le Christ
ressuscité s’approchant de nous avec sévérité et austérité, comme
le dit Goodwin.
Cette méprise sur son compte explique notre besoin de la Bible.
Notre intuition ne peut que nous fournir un Dieu à notre image.
Or, les Écritures déconstruisent nos prédilections intuitives et
nous surprennent par les perfections infinies de Dieu, qui n’ont
d’égale que sa douceur infinie. En effet, ses perfections incluent
sa parfaite douceur.
Le voilà tel qu’il est. Son cœur est ainsi fait. Jésus l’a dit lui‑même.

Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donne-
rai du repos. Prenez mon joug sur vous et recevez mes instructions,
car je suis doux et humble de cœur ; et vous trouverez le repos pour
vos âmes. Car mon joug est doux, et mon fardeau léger (Mt 11.28‑30).

30
2

Son cœur en action

Il […] fut ému de compassion pour elle.


Matthieu 14.14

C e que nous voyons Jésus indiquer par ses paroles rapportées


dans Matthieu 11.29, nous le voyons en prouver la véracité
par ses actions à maintes reprises dans les quatre Évangiles. Ce
qu’il est, il le fait. Il ne peut agir autrement. Sa vie démontre ce
qu’il ressent.

• Lorsque le lépreux dit : « Seigneur, si tu le veux, tu peux


me rendre pur », Jésus tend immédiatement la main et le
touche en prononçant cette parole : « Je le veux, sois pur »
(Mt 8.2,3). Selon le sens de ces paroles en grec, le lépreux
fait appel au désir le plus profond de Jésus, et Jésus lui révèle
son désir le plus profond en le guérissant.
• Lorsque des hommes amènent leur ami paralytique à
Jésus, il agit immédiatement sans même attendre qu’ils
lui fassent leur demande – « Jésus, voyant leur foi, dit au
paralytique : Prends courage, mon enfant, tes péchés sont
pardonnés » (Mt 9.2). Avant même qu’ils puissent ouvrir

31
Doux et humble de cœur

la bouche pour lui demander son aide, Jésus ne peut s’em-


pêcher d’agir – des paroles réconfortantes et apaisantes
s’échappent de ses lèvres.
• Allant de ville en village, « [voyant] la foule, il fut ému de
compassion pour elle, parce qu’elle était languissante et
abattue » (Mt 9.36). Il lui communique donc des enseigne-
ments et guérit ses malades (Mt 9.35). La simple vue de ces
gens accablés suffit à lui inspirer de la pitié.
• Tout au long de son ministère, Christ manifeste constam-
ment cette même compassion, qui le pousse à guérir les
malades (« et [il] fut ému de compassion pour elle, et il gué-
rit les malades », Mt 14.14) ; à nourrir ceux qui ont faim
(« Je suis ému de compassion pour cette foule ; car voilà
trois jours qu’ils sont près de moi, et ils n’ont rien à man-
ger », Mt 15.32) ; à enseigner aux foules (« et [Jésus] fut ému
de compassion pour eux […] et il se mit à leur enseigner
beaucoup de choses », Mc 6.34) ; et à essuyer les larmes des
affligés (« Le Seigneur, l’ayant vue, fut ému de compassion
pour elle, et lui dit : Ne pleure pas ! », Lu 7.13). Le mot grec ici
rendu par « compassion » est le même dans tous les passages
cités et désigne littéralement le ventre ou les entrailles d’une
personne. Il s’agit d’une façon ancienne d’évoquer ce qui
monte du plus profond de son être, de son for intérieur. Or,
cette compassion reflète le cœur même de Christ.
• On nous dit à deux endroits dans les Évangiles que Jésus
a pleuré. Et dans les deux cas, il ne pleure ni sur son
propre sort ni sur ses propres souffrances. Il pleure plu-
tôt sur Jérusalem (Lu 19.41) et sur Lazare, son ami décédé
(Jn 11.35). Qu’est‑ce qui le fait le plus souffrir ? La souf-
france des autres. Qu’est‑ce qui l’émeut jusqu’aux larmes ?
Les larmes des autres.

32
Son cœur en action

• Ce sont encore et toujours les gens moralement dégoû-


tants, les parias de la société, ceux qui sont inexcusables
et indignes qui non seulement reçoivent la miséricorde de
Christ, mais vers qui Christ est aussi le plus attiré. Il est, aux
dires de ses ennemis, « un ami […] des gens de mauvaise
vie » (Lu 7.34).

Lorsque l’on considère les Évangiles comme un tout et l’image


d’ensemble de Jésus qui s’en dégage, qu’est‑ce qui est le plus frappant ?
Oui, il est l’accomplissement des espoirs et des désirs ardents
exprimés dans l’Ancien Testament (Mt 5.17). Oui, c’est quelqu’un
dont la sainteté amène même ses amis à tomber à genoux avec
crainte, conscients de leur état de pécheur (Lu 5.8). Oui, c’est
un enseignant convaincant, quelqu’un dont l’autorité surpasse
même celle des docteurs (Ph. D.) religieux de l’époque (Mc 1.22).
Diminuer la portée de n’importe laquelle de ces réalités revient à
déroger à l’orthodoxie historique fondamentale. Après avoir lu les
Évangiles, un fait dominant nous reste en tête, l’élément le plus
frappant et le plus touchant du portrait qu’ils brossent de Jésus :
la façon dont le saint Fils de Dieu aborde, touche, guérit et étreint
ceux qui le méritent le moins, mais qui le désirent sincèrement, et
leur pardonne leurs péchés.
Voici comment le puritain Richard  Sibbes présente les
choses : « Lorsque [Christ] voit les gens dans la misère, il en est
ému jusqu’aux entrailles ; les œuvres de grâce et de miséricorde
de Christ découlent avant tout de ses entrailles. » Autrement dit,
« quoi que fasse le Christ […] il le fait par amour, par grâce et par
miséricorde » –, puis Sibbes va encore plus loin en disant : « Il les
fait sourdre de son for intérieur, de ses entrailles1. » Le Jésus que les

1. Richard Sibbes, « The Church’s Riches by Christ’s Poverty », dans The Works of


Richard Sibbes, A. B. Grosart, éd., 7 vol., Édimbourg, Banner of Truth, 1983, vol. 4, p. 523.

33
Doux et humble de cœur

Évangiles nous présentent n’est pas quelqu’un qui aime simplement,


mais celui qui est lui‑même amour ; ses miséricordes irradient du
plus profond de son être, de son cœur même, comme les rayons
irradient du soleil.


Mais qu’en est‑il de l’aspect plus sévère de Jésus ?
J. I. Packer a écrit un jour qu’« une demi‑vérité déguisée en
entière vérité devient une complète fausseté2 ». Il s’agit d’un sujet
particulièrement délicat quand on parle de la révélation de Christ
dans la Bible. Les hérésies de l’Église qui ont émergé au fil de son
histoire ne sont pas de fausses représentations de Jésus, mais sim-
plement des concepts erronés. Les controverses christologiques
des premiers siècles appuient toute la doctrine chrétienne fonda-
mentale, à l’exception d’un élément crucial : parfois la véritable
humanité de Christ, d’autres fois sa véritable divinité. En parlant
du cœur de Christ, risquons‑nous de négliger sa colère ? De priver
Christ d’une facette de sa personnalité au profit de l’autre ?
Il se peut que pour beaucoup d’entre nous le danger soit plus
subtil que celui de céder à une hérésie manifeste. Nous pouvons
être pleinement orthodoxes dans notre théologie, mais nous atta-
cher plus à un aspect de Jésus qu’à un autre, et ce, pour toutes
sortes de raisons. Il est possible que certains d’entre nous aient
grandi dans un environnement régi par des règles strictes qui leur
procurait le sentiment étouffant de ne jamais être à la hauteur. Ils
se sentent attirés surtout par la grâce et la miséricorde de Christ.
Il se peut que d’autres aient grandi dans le chaos le plus total et
trouvent la structure et l’ordre propres à une vie morale selon les

2. J. I. Packer, A Quest for Godliness: The Puritan Vision of the Christian Life,
Wheaton, Ill., Crossway, 1990, p. 126.

34
Son cœur en action

commandements de Christ particulièrement attirants. D’autres


ont été maltraités par ceux qui auraient dû les protéger dans la
vie, si bien qu’ils aspirent à la justice et à la rétribution du ciel et
de l’enfer pour redresser tous les torts qu’ils ont subis.
Tandis que nous nous concentrons sur le cœur affectueux de
Christ, comment veiller à acquérir une compréhension saine de
tout le conseil de Dieu, ainsi qu’une vision de Christ exhaustive
et donc bien proportionnée ?
Ici, trois commentaires s’imposent. D’abord, la colère de Christ
et la miséricorde de Christ ne s’opposent pas. L’une ne diminue
pas dans la mesure où l’autre augmente, comme s’il s’agissait
d’une balançoire à bascule. En fait, les deux s’élèvent et s’abaissent
ensemble. Mieux nous comprenons la juste colère de Christ contre
tout ce qui est mal, tant autour de nous qu’en nous, mieux nous
comprenons sa miséricorde.
Ensuite, en parlant précisément du cœur de Christ (et du cœur
de Dieu dans l’Ancien Testament), nous n’évoluons pas vraiment
sur l’axe colère‑miséricorde de toute façon. Son cœur est son cœur.
Lorsque nous évoquons le cœur de Christ, nous n’évoquons pas
simplement un attribut parmi tant d’autres. Nous nous demandons
plutôt qui il est au plus profond de son être. Qu’est‑ce qui découle
de lui le plus naturellement ?
Enfin, nous cherchons simplement à suivre le témoignage
biblique en parlant du cœur de Christ rempli d’affection pour les
pécheurs et les affligés. Autrement dit, si la Bible semble brosser un
portrait mal proportionné de Christ, alors montrons‑nous aussi
mal proportionnés dans notre compréhension. Il vaut mieux être
conformes à la Bible qu’artificiellement « équilibrés ».
Dans tout le reste de notre étude, nous reviendrons sur la ques-
tion qui consiste à savoir comment concilier le cœur même de
Christ avec ses actions ou des affirmations bibliques qui peuvent

35
Doux et humble de cœur

sembler détonner. Il faut cependant garder à l’esprit jusqu’au bout


les trois points qui viennent d’être soulevés. Bref, il est impossible
de célébrer à outrance le cœur affectueux de Christ, d’en faire trop
grand cas et de l’exagérer. Il est insondable. Nous pouvons toutefois
facilement le négliger, le reléguer aux oubliettes. Nous en tirons
trop peu de force. En parlant du cœur même de Christ, nous ne
laissons pas derrière nous l’aspect plus sévère de Jésus. Notre seul
objectif consiste à suivre le témoignage même de la Bible en cher-
chant à découvrir Jésus, et à nous étonner de qui il est.
Et si les actions de Jésus reflètent qui il est au plus profond de son
être, nous ne pouvons qu’en conclure que c’est la déchéance même
qu’il est venu anéantir qui l’attire le plus irrésistiblement à nous.


Nous allons ainsi plus en profondeur que si nous disions sim-
plement que Jésus est amour, miséricorde ou grâce. Voici le témoi-
gnage cumulatif des quatre Évangiles : quand Jésus‑Christ voit la
déchéance du monde qui l’entoure, sa plus profonde inclination,
son instinct le plus naturel, le pousse vers ce péché et cette souf-
france, au lieu de l’en éloigner.
Une façon de voir les choses consiste à les examiner en fonc-
tion de la catégorisation de ce qui est pur ou impur dans l’Ancien
Testament. En termes bibliques, ces catégories ne concernent géné-
ralement pas l’hygiène corporelle, mais la pureté morale. Il est
impossible de les dissocier complètement, mais elles concernent
avant tout la pureté morale ou éthique. Cela est évident en ce que
la solution à l’impureté ne résidait pas dans le fait de prendre un
bain, mais dans celui d’offrir un sacrifice (Lé 5.6). Le problème
ne tenait pas à la saleté, mais à la culpabilité (Lé 5.3). Les Juifs de
l’Ancien Testament se soumettaient donc à un système sophistiqué

36
Son cœur en action

de degrés d’impureté, ils pratiquaient divers rituels et présentaient


des offrandes pour redevenir moralement purs. Voici un élément
particulièrement frappant de ce système : lorsqu’une personne
impure entre en contact avec une personne pure, cette dernière
devient impure. La souillure morale est contagieuse.
Revenons‑en à Jésus. Selon les catégories du Lévitique, il est la
personne la plus pure à avoir marché sur la terre. Il était la pureté
incarnée. Toute horreur qui nous amène à grimacer – nous qui
sommes par nature impurs et déchus – amènerait Jésus à grima-
cer à plus forte raison. Nous ne pouvons même pas imaginer la
pureté et la sainteté parfaites de son esprit et de son cœur. Toute
sa simplicité, son innocence, sa beauté.
Et que faisait Jésus lorsqu’il voyait une personne impure ?
Quelle était sa première réaction lorsqu’il rencontrait des prosti-
tuées et des lépreux ? Il s’approchait d’eux. Son cœur se gonflait
de pitié et de véritable compassion. Il passait du temps avec eux.
Il les touchait. Or, nous pouvons tous attester le caractère humain
du toucher. Une étreinte chaleureuse accomplit ce que de chaleu-
reuses salutations ne peuvent accomplir. Il y a toutefois quelque
chose de plus profond dans le toucher compatissant de Christ. Il
allait renverser le système juif. Lorsque Jésus, la pureté incarnée,
touchait un pécheur impur, Christ ne devenait pas impur. C’est le
pécheur qui devenait pur.
Le ministère terrestre de Jésus‑Christ lui servait à redonner
leur humanité à des pécheurs indignes. Nous avons tendance à
percevoir les miracles des Évangiles comme des interruptions dans
l’ordre naturel. Le théologien allemand Jürgen Moltmann indique
qu’au contraire, ils constituent le rétablissement de l’ordre naturel.
Nous sommes tellement habitués à vivre dans un monde déchu
que la maladie, la souffrance et la mort nous semblent naturelles.
En réalité, ce sont elles, les interruptions.

37
Doux et humble de cœur

En exorcisant les démons et en guérissant les malades, Jésus expulse


de la création les puissances de la destruction, de même qu’il guérit
et restaure les êtres créés qui souffrent et qui sont malades. La souve-
raineté de Dieu, dont témoignent les guérisons, redonne la santé à la
création. Les guérisons de Jésus ne sont pas des miracles surnaturels au
sein d’un monde naturel. Elles constituent la seule chose véritablement
« naturelle » dans un monde contre nature, démoniaque et meurtri3.

Lorsqu’il était ici‑bas, Jésus a œuvré à redonner leur huma-


nité aux personnes déshumanisées et à purifier les personnes
impures. Pourquoi ? Parce que son cœur refusait de s’en désinté-
resser. Jésus affrontait la tristesse dans toutes les villes et tous les
villages. Partout où il allait, partout où il voyait des gens souffrir
et se languir, il propageait la bonne contagion de sa miséricorde
purifiante. Thomas Goodwin a dit : « Christ est l’amour person-
nifié4. » Imaginez ! Retirez la peau des femmes de Stepford ou du
Terminator, et vous trouverez une machine ; retirez la peau de
Christ, et vous trouverez l’amour.
Si la compassion revêtait un corps humain et parcourait la
terre, à quoi ressemblerait‑elle ? Inutile de nous poser la question.


Mais cela, c’était quand Jésus vivait ici‑bas. Qu’en est‑il
aujourd’hui ?
Rappelons‑nous le témoignage du Nouveau Testament  :
« Jésus‑Christ est le même hier, aujourd’hui, et éternellement »
(Hé 13.8). Le même Christ qui a pleuré au tombeau de Lazare

3. Jürgen  Moltmann, The Way of Jesus Christ: Christology in Messianic


Dimensions [Jésus, le Messie de Dieu], trad. libre, Minneapolis, Fortress, 1993, p. 98.
De même, Graeme Goldsworthy, The Son of God and the New Creation, série « Short
Studies in Biblical Theology », Wheaton, Ill., Crossway, 2015, p. 43.
4. Thomas Goodwin, The Heart of Christ, Édimbourg, Banner of Truth, 2011, p. 61.

38
Son cœur en action

pleure avec nous dans notre désespoir et notre solitude. La même


personne qui touchait les lépreux nous étreint aujourd’hui lorsque
nous nous sentons incompris et laissés pour compte. Le Jésus qui
purifiait les pécheurs souillés sonde notre âme et répond à notre
tiède demande de miséricorde par une purification infaillible, car
il ne supporterait pas d’agir différemment.
Autrement dit, le cœur de Christ n’est pas distant malgré sa
présence actuelle au ciel, car il fait tout par son Esprit. Nous nous
concentrerons sur la relation qui existe entre le cœur de Christ et le
Saint‑Esprit dans le chapitre 13. Pour l’instant, notons simplement
que, par l’Esprit, Christ non seulement nous touche lui‑même,
mais vit également en nous. Le Nouveau Testament enseigne que
nous sommes unis à Christ d’une union si intime qu’il est possible
d’affirmer ceci : tout ce que font les membres de notre corps, le
corps de Christ le fait aussi (1 Co 6.15,16). Jésus‑Christ est plus près
de vous aujourd’hui qu’il ne l’était des pécheurs et des affligés avec
qui il a parlé et qu’il a touchés durant son ministère terrestre. Par
son Esprit, Christ enveloppe son peuple d’une étreinte plus étroite
et plus forte que n’importe quelle étreinte physique le pourrait. Les
actions qu’il a accomplies sur la terre lorsqu’il était dans un corps
humain reflétaient son cœur ; le même cœur agit maintenant de la
même façon envers nous, car nous formons aujourd’hui son corps.

39
3

Le bonheur de Christ

En échange de la joie qui lui était réservée…


Hébreux 12.2

T homas Goodwin a écrit ceci : « La joie, la consolation, le


bonheur et la gloire de Christ sont accrus et élargis par… »
Comment finiriez‑vous cette phrase ?
Il existe diverses réponses bibliques à cette question, et nous
devrions éviter d’opter pour un portrait de Christ unidimension-
nel, qui en favorise une au détriment des autres. Nous aurions
raison de dire que Jésus se réjouit de voir ses disciples renoncer
à tout pour le suivre (Mc 10.21‑23). Il serait également pertinent
de voir Christ se réjouir du fait que la fidélité des croyants en peu
de chose les prépare à se montrer fidèles lorsqu’il leur en confiera
beaucoup (Mt 25.21,23). Nous pouvons affirmer qu’il se réjouit du
fait que son Père révèle ses vérités divines à ceux qui ressemblent à
des enfants plutôt qu’à ceux dont l’intelligence est exceptionnelle
(Lu 10.21).
Il y a toutefois une vérité tout aussi biblique que nous mettons
plus facilement à l’écart lorsque nous pensons à Christ. Nous,
les chrétiens, savons intuitivement que nous sommes agréables

41
Doux et humble de cœur

à Christ lorsque nous l’écoutons et lui obéissons. Et s’il s’inté-


ressait à nos faiblesses et à nos échecs, et qu’il se réjouissait de
nous aider ?
Voici dans son intégralité la phrase de Goodwin : « La joie,
la consolation, le bonheur et la gloire de Christ sont accrus et
élargis lorsqu’il procure aux membres de son corps ici‑bas grâce,
miséricorde, pardon, apaisement et consolation1. »


Un médecin compatissant se rend au cœur de la jungle afin
d’apporter des soins médicaux à une tribu primitive luttant contre
une maladie contagieuse. Il fait venir son équipement par avion. Il
diagnostique correctement le problème et obtient les antibiotiques
nécessaires, qu’il met à la disposition de la tribu. Étant financière-
ment autonome, il n’a nul besoin qu’on le rémunère. En revanche,
lorsqu’il s’apprête à offrir ses soins, les malades s’y refusent. Ils
veulent se soigner eux‑mêmes. Ils veulent guérir selon leurs propres
conditions. Finalement, quelques jeunes hommes courageux
acceptent de recevoir les soins qui leur sont offerts gratuitement.
Que ressent alors le médecin ?
De la joie.
Sa joie augmente proportionnellement au nombre de malades
qui viennent à lui pour obtenir de l’aide et la guérison. C’est pré-
cisément pour cette raison qu’il est venu auprès d’eux.

1. Thomas Goodwin, The Heart of Christ, trad. libre, Édimbourg, Banner of Truth,


2011, p. 107. Sibbes écrit similairement : « Nous ne saurions plus plaire à Christ qu’en
accueillant avec joie sa générosité et en y participant. Nous faisons ainsi honneur à
sa richesse. » Richard Sibbes, « Bowels Opened, or A Discovery of the Near and Dear
Love, Union, and Communion, Between Christ and the Church », dans The Works of
Richard Sibbes, trad. libre, A. B. Grosard, éd., 7 vol., réimpr., Édimbourg, Banner of
Truth, 1983, vol. 2, p. 34.

42
Le bonheur de Christ

Et sa joie sera d’autant plus grande si les malades en question ne


sont pas des étrangers, mais bien des membres de sa propre famille.
Ainsi en va‑t‑il pour nous avec Christ. Il n’est ni irrité ni contra-
rié lorsqu’au milieu de la détresse, dans le besoin et avec un senti-
ment de vide intérieur, nous venons à lui pour implorer une fois de
plus son pardon. C’est justement ce qu’il est venu guérir. Il est des-
cendu dans les horribles tréfonds de la mort et en est ressorti pour
offrir à son peuple sa miséricorde et sa grâce d’une infinie richesse.
Goodwin va toutefois plus loin en affirmant que Jésus ne veut
pas que nous puisions dans sa grâce et sa miséricorde uniquement
parce qu’elles justifient son œuvre expiatoire. Il le veut parce qu’elles
le définissent. Il s’est approché de nous par son incarnation afin que
sa joie et la nôtre correspondent – lui en nous procurant sa miséri-
corde, et nous en la recevant. Goodwin va jusqu’à dire que Christ
éprouve plus de joie et de réconfort que nous lorsque nous venons à
lui afin d’obtenir son aide et sa miséricorde. De la même manière
qu’un mari aimant puise un plus grand soulagement et un plus
grand réconfort dans la guérison de sa femme que dans la sienne,
Christ « éprouve un plus grand réconfort […] que celui que nous en
tirons » lorsqu’il voit nos péchés disparaître sous son propre sang2.
En réfléchissant à Christ comme notre Médiateur céleste –
c’est‑à‑dire celui qui élimine tout ce qui nous empêcherait de jouir
d’une amitié avec Dieu –, il écrit :

[La] gloire et le bonheur de Christ [sont] élargis et accrus dans la


mesure où les membres de son corps s’approprient toujours plus sa
mort rédemptrice, de sorte que, lorsque leurs péchés sont pardonnés,
leur cœur est plus sanctifié et leur esprit est réconforté, il voit le fruit
de son labeur, et il en tire du réconfort, car il en est d’autant plus
glorifié, oui, il en éprouve beaucoup plus de plaisir et de joie qu’eux.

2. Goodwin, The Heart of Christ, p. 108.

43
Doux et humble de cœur

Et cela nourrit dans son cœur l’intérêt et l’amour qu’il voue à ses
enfants ici‑bas, ainsi que son désir de les rafraîchir constamment3.

Traduction : Lorsque l’on se présente à Christ pour implorer sa


miséricorde, son amour et son aide alors que l’on se sent anxieux,
perplexe et impie, on abonde dans le sens de ses propres souhaits,
plutôt que d’aller à leur encontre.
Nous avons tendance à penser que, lorsque nous nous appro-
chons, miséreux, de Jésus pour implorer sa miséricorde en raison
de nos péchés, nous le dévalorisons, nous le diminuons, nous l’ap-
pauvrissons. Or, Goodwin est d’un autre avis. Jésus nous étonne
en « accomplissant des actes de grâce, et du fait qu’il recherche
toujours le bien des membres de son corps […] qu’il leur accorde
pleinement miséricorde, grâce, consolation et félicité, il devient
lui‑même d’autant plus riche en les remplissant4 ». Étant le vrai
Dieu, Christ ne peut connaître une plénitude plus grande ; il a part
à la plénitude immortelle, éternelle et immuable du Père. Toutefois,
comme Christ est pleinement homme, le fait que nous venions à
lui n’a pas pour effet de le lasser, mais plutôt de le combler.
Autrement dit, lorsque nous hésitons à nous approcher de
Christ, en restant tapis dans les ténèbres, apeurés et défaillants,

3. Goodwin, The Heart of Christ, p. 111‑112.


4. Goodwin, The Heart of Christ, p. 111. Le mot félicité est un terme ancien qui
désigne le bonheur. Un autre pasteur âgé en parle de manière émouvante : « Si vous
rencontrez ce malheureux qui m’a percé le côté, dites‑lui qu’il existe une autre façon,
une meilleure façon, de toucher mon cœur : qu’il se repente, lève les yeux sur celui
qu’il a percé et pleure. Je le chérirai dans le sein même qu’il a blessé ; il trouvera dans le
sang qu’il a fait couler une expiation suffisante pour son péché. Et dites‑lui pour moi
qu’il aggravera ma souffrance et mon déplaisir s’il refuse l’offre de mon sang plus que
lorsqu’il l’a fait couler. » Benjamin Grosvenor, « Grace to the Chief of Sinners », dans
A Series Of Tracts On The Doctrines, Order, And Polity Of The Presbyterian Church In
The United States Of America, vol. 3, trad. libre, Philadelphie, Presbyterian Board of
Publication, 1845, p. 42‑43. Je suis reconnaissant envers Drew Hunter d’avoir attiré
mon attention sur cette référence.

44
Le bonheur de Christ

nous nous privons non seulement d’un grand réconfort, mais nous
privons aussi Christ du sien. Il vit précisément dans ce but. C’est
ce qu’il se plaît tant à faire. Sa joie et la nôtre correspondent.


Mais cette notion est‑elle biblique ?
Considérons Hébreux 12. L’auteur dit de Jésus qu’il « suscite
la foi et la mène à la perfection ; en échange de la joie qui lui était
réservée, il a souffert la croix, méprisé l’ignominie, et s’est assis à
la droite du trône de Dieu » (v. 2).
« [En] échange de la joie. » Quelle joie ? Qu’est‑ce qui attendait
Jésus de l’autre côté de la croix ?
La joie de voir son peuple être pardonné.
Rappelez‑vous tout le sujet de l’épître aux Hébreux : Jésus est
le Souverain Sacrificateur ayant mis fin à la succession des prin-
cipaux sacrificateurs, qui a accompli le sacrifice expiatoire final
servant à couvrir entièrement les péchés de son peuple afin que ce
dernier reçoive « parfaitement » son pardon (7.25). Et n’oubliez pas
le message que l’auteur veut transmettre à la fin d’Hébreux 12.2,
quand il déclare que Jésus s’est assis à la droite de Dieu. Ailleurs,
l’auteur de l’épître aux Hébreux s’explique :

Il a fait la purification des péchés et s’est assis à la droite de la majesté


divine dans les lieux très hauts (1.3).

Le point capital de ce qui vient d’être dit, c’est que nous avons un
tel souverain sacrificateur, qui s’est assis à la droite du trône de la
majesté divine dans les cieux (8.1).

[Lui], après avoir offert un seul sacrifice pour les péchés, s’est assis
pour toujours à la droite de Dieu (10.12).

45
Doux et humble de cœur

Dans tous ces passages, l’auteur associe le fait que Jésus est assis
à la droite de Dieu avec son œuvre expiatoire et sacerdotale. Le
sacrificateur faisait le pont entre Dieu et l’humanité. Il rétablissait
la connexion entre le ciel et la terre. C’est ce que Jésus a accompli
au suprême degré par le sacrifice inégalable et ultime de sa per-
sonne, purifiant ainsi son peuple une fois pour toutes, le lavant
de ses péchés. C’est la joyeuse anticipation de voir son peuple être
purifié de manière irrévocable qui l’a accompagné tout au long de
son arrestation, sa mort, son ensevelissement et sa résurrection.
Lorsque nous participons aujourd’hui à son œuvre expiatoire – en
venant à Christ pour obtenir son pardon, en communiant avec lui
malgré notre état de pécheur, nous nous approprions la joie et le
désir les plus profonds de Christ même.
Cette notion s’apparente à d’autres passages du Nouveau
Testament, comme la joie que la repentance d’un pécheur produit
dans le ciel (Lu 15.7) ou le désir ardent de Christ de partager la joie
de ses disciples lorsqu’ils demeurent dans son amour (Jn 15.11 ;
17.13). Il souhaite que nous puisions de la force dans son amour,
mais les seuls qui en sont capables sont les pécheurs ayant besoin
d’un amour immérité. Par ailleurs, il ne veut pas simplement que
nous soyons pardonnés. Il nous veut, nous. Comment Jésus parle‑t‑il
de ses désirs les plus profonds ? Comme ceci : « Père, je veux que là
où je suis ceux que tu m’as donnés soient aussi avec moi » (Jn 17.24).


Notre cœur incrédule use ici de prudence. N’est-ce pas faire
preuve d’une audace présomptueuse que de puiser inlassablement
dans la miséricorde de Christ ? Ne devrions‑nous pas plutôt nous
montrer modérés et raisonnables, en veillant à ne pas trop profi-
ter de lui ?

46
Le bonheur de Christ

Le père dont l’enfant est en train de suffoquer voudrait‑il que


ce dernier utilise la bombonne d’oxygène de manière modérée
et raisonnable ?
L’ennui, c’est que nous ne prenons pas la Bible au sérieux lors-
qu’elle parle de nous en tant que Corps de Christ. Christ en est la
tête ; nous sommes les membres de son propre corps. Que ressent
une tête par rapport à sa chair ? Voici ce que l’apôtre Paul nous
dit : « [Il] la nourrit et en prend soin » (Ép 5.29). Puis Paul fait
explicitement le lien avec Christ : « [Comme] Christ le fait pour
l’Église, parce que nous sommes membres de son corps » (v. 29,30).
Comment nous occupons‑nous de l’un de nos membres blessés ?
Nous le soignons, le pansons, le protégeons, lui accordons du temps
pour guérir. Car ce membre du corps n’est pas simplement un
ami intime ; il fait aussi partie de nous. Ainsi en est‑il de Christ
et des croyants. Nous faisons partie de lui. Voilà d’ailleurs pour-
quoi le Christ ressuscité demande à un persécuteur de son peuple :
« [Pourquoi] me persécutes‑tu ? » (Ac 9.4.)
Quand nous puisons dans les richesses de son œuvre expia-
toire, Jésus‑Christ éprouve un réconfort du fait que son propre
corps guérit par la même occasion.

47
4

Capable de compassion

Car nous n’avons pas un souverain sacrificateur


qui ne puisse compatir à nos faiblesses.
Hébreux 4.15

Q uand ils écrivaient un livre, les puritains prenaient un seul


verset biblique et en tiraient toute la théologie qu’ils pouvaient
y trouver ; puis au bout de deux ou trois cents pages, ils envoyaient
leurs conclusions à un éditeur. Le livre de Thomas Goodwin intitulé
The Heart of Christ ne fait pas exception à la règle. Et le verset sur
lequel il s’est penché avec assiduité est Hébreux 4.15 :

Car nous n’avons pas un souverain sacrificateur qui ne puisse com-


patir à nos faiblesses ; au contraire, il a été tenté comme nous en
toutes choses, sans commettre de péché.

Goodwin cherchait à tout prix à convaincre les croyants décou-


ragés du fait que, même si Christ est maintenant au ciel, il demeure
tout aussi ouvert aux pécheurs et aux affligés, et aussi tendre envers
eux, que lorsqu’il était ici‑bas. La page de titre originale du livre de
Goodwin publié en 1651 reflète d’ailleurs cette réalité. Remarquez

49
Doux et humble de cœur

tout particulièrement la juxtaposition notable de « Christ au ciel »


à « pécheurs sur la terre » :

LE
CŒUR
de
CHRIST AU CIEL
envers
les pécheurs sur la terre.

ou

UN TRAITÉ
DÉMONTRANT
la disposition empreinte de grâce et les tendres affections de
Christ, dans sa nature humaine maintenant glorifiée, envers
les membres de son corps ayant toutes sortes de faiblesses,
causées par le péché ou les malheurs

La phrase ci‑dessus précise que, par le cœur de Christ, Goodwin


désigne « la disposition empreinte de grâce et les tendres affections »
de Christ. Il veut surprendre ses lecteurs en leur apportant la preuve
biblique que le Seigneur ressuscité qui est aujourd’hui au ciel n’est
pas moins accessible et compatissant que lorsqu’il vivait ici‑bas.
Après son introduction, Goodwin explique pourquoi il a choisi
Hébreux 4.15 pour explorer cette réalité :

J’ai choisi ce verset parce que, mieux que tout autre, il dévoile le
cœur de Christ et son œuvre envers les pécheurs. Ces paroles le
révèlent avec une sensibilité telle qu’elles nous invitent, pour ainsi
dire, à poser les mains sur le cœur de Christ dans la gloire afin de
nous en faire sentir les battements, ainsi que sa vive affection envers
nous. Elles ont manifestement pour but de garder les croyants du

50
Capable de compassion

découragement, en leur permettant de voir à quel point le Christ


glorifié les aime1.

Que ressentirions-nous si un ami nous prenait les mains et les


plaçait sur la poitrine du Seigneur Jésus‑Christ ressuscité afin que,
comme un stéthoscope nous permettant d’entendre les battements
vigoureux d’un cœur physique, nos mains nous permettent de
ressentir la vigueur des affections et des désirs les plus profonds
de Christ ? Goodwin affirme que nous n’avons pas à nous poser
la question. Hébreux 4.15 est cet ami.


Il convient de prendre un certain recul pour voir Hébreux 4.15
dans son contexte plus large :

Ainsi, puisque nous avons un grand souverain sacrificateur qui a


traversé les cieux, Jésus, le Fils de Dieu, demeurons fermes dans la
foi que nous professons. Car nous n’avons pas un souverain sacri-
ficateur qui ne puisse compatir à nos faiblesses ; au contraire, il a
été tenté comme nous en toutes choses, sans commettre de péché.
Approchons‑nous donc avec assurance du trône de la grâce, afin
d’obtenir miséricorde et de trouver grâce, pour être secourus dans
nos besoins (4.14‑16).

Les versets 14 et 16 renferment tous les deux une exhortation :


rester fidèle à la doctrine de Dieu (« demeurons fermes dans la foi
que nous professons », v. 14) et communier avec Dieu avec assu-
rance (« [approchons‑nous] donc avec assurance », v. 16). Le mot
« car » au début du verset 15 (dans le verset en italiques) signifie
que le verset 14 se fonde sur la vérité du verset 15. Et le mot « donc »

1. Thomas Goodwin, The Heart of Christ, Édimbourg, Banner of Truth, 2011, p. 48.

51
Doux et humble de cœur

vers le début du verset 16 signifie que le verset 16 se fonde sur la


vérité du verset 15. Autrement dit, le verset 15 constitue l’ancrage
du passage ; les versets l’entourant en fournissent l’explication.
Ce verset d’ancrage présente avant tout la solidarité même de
Jésus‑Christ avec son peuple. Toutes nos intuitions naturelles nous
poussent à croire que Jésus est avec nous, de notre côté, présent
et serviable, lorsque tout va bien. Dans « nos faiblesses », Jésus
compatit avec nous. Le verbe ici rendu par « compatir » est un mot
composé du préfixe signifiant « avec » et du verbe pâtir (souffrir).
Or, la « compassion » dont il est ici question ne se résume pas à de
la pitié au sens strict. Il s’agit plutôt d’une solidarité profondément
ressentie que celle entre parents et enfants illustre le mieux. En fait,
elle est même plus profonde encore. Jésus partage notre douleur ;
quand nous souffrons, il ressent notre souffrance comme si elle
était sienne, bien que ce ne soit pas le cas – non pas que sa divinité
invincible soit menacée, mais dans le sens où notre détresse émeut
son cœur bienveillant. Sa nature humaine le pousse à s’intéresser
pleinement à nos problèmes2. C’est un élan d’amour que Christ
ne peut refréner lorsqu’il voit son peuple souffrir.
L’auteur de l’épître aux Hébreux nous prend par la main et
nous révèle en profondeur les affections de Christ, pour nous
montrer le témoignage émouvant de Jésus à l’égard de son peuple.
Dans Hébreux 2, l’auteur dit que Jésus a été « rendu semblable en
toutes choses à ses frères » (v. 17) « et qu’il a été tenté » (v. 18). Ici,
il emploie le même mot grec rendu par « tenté » (au sens d’être
éprouvé) dans 4.15.

2. Pour en savoir plus au sujet de sa nature humaine (distincte de sa nature divine)


comme étant ce qui pousse précisément Christ à faire preuve d’une grande solidarité
envers son peuple souffrant, voir plus particulièrement John Owen, « An Exposition of
the Epistle to the Hebrews », dans The Works of John Owen, vol. 25, W. H. Goold, éd.,
réimpr., Édimbourg, Banner of Truth, 1965, p. 416‑428.

52
Capable de compassion

Cependant, la véritable révélation choc d’Hébreux 4.15 réside


dans ce que l’on nous dit sur la raison pour laquelle Jésus est si
solidaire de son peuple qui souffre. Il a été « tenté » (ou « éprouvé »)
« comme nous », et cela même « en toutes choses » comme nous. La
raison pour laquelle Jésus est d’une si grande solidarité avec nous,
c’est que le chemin difficile que nous parcourons ne nous est pas
unique. Jésus l’a lui‑même parcouru. Ce n’est pas seulement que
Jésus peut nous soulager de nos ennuis, comme un médecin nous
prescrivant un médicament ; c’est aussi qu’avant même de nous en
soulager, il nous accompagne dans nos ennuis, comme un médecin
ayant été atteint de la même maladie que nous.
Jésus n’est pas Zeus. Il était un homme sans péché, et non un
Superman sans péché. Il se réveillait avec les cheveux ébouriffés. Il
a sans doute eu des boutons d’acné comme plusieurs adolescents.
Il n’aurait jamais paru sur la page couverture d’un magazine pour
hommes (« il n’avait ni beauté, ni éclat pour attirer nos regards »,
Ésaïe 53.2). Il est venu comme un homme ordinaire parmi des
hommes ordinaires. Il a connu la faim et la soif, de même que le fait
d’être méprisé, rejeté, dénigré, humilié, embarrassé, abandonné,
incompris, accusé à tort, opprimé, torturé et tué. Il sait ce que
veut dire se sentir seul. Ses amis l’ont abandonné au moment où
il avait le plus besoin d’eux. S’il avait vécu de nos jours, tous les
abonnés de son compte Twitter et tous ses amis Facebook l’auraient
laissé tomber à l’âge de trente‑trois ans – lui qui ne laissera jamais
tomber personne.
La clé pour comprendre la signification d’Hébreux 4.15 consiste
à approfondir autant l’une que l’autre des deux expressions « en
toutes choses » et « sans commettre de péché ». Toute notre fai-
blesse – en fait, toute notre vie – est entachée par le péché. Si le
péché était bleu, nos paroles et nos actes ne seraient pas seulement
bleus à l’occasion, car alors toutes nos paroles, nos actions et nos

53
Doux et humble de cœur

pensées seraient teintées de bleu. Il n’en est pas ainsi pour Jésus.
Il était sans péché. Il était « saint, innocent, sans tache, séparé
des pécheurs » (Hé 7.26,27). Nous devons néanmoins nous inter-
roger sur le sens de l’expression « en toutes choses » de manière à
appuyer le fait que Jésus était sans péché sans pour autant diluer
la signification de cette expression. Votre grande tentation, votre
épreuve douloureuse, votre terrible perplexité – tout cela, il l’a
connu. D’ailleurs, sa pureté parfaite laisse entendre qu’il a éprouvé
cette souffrance de manière plus cruelle que nous, les pécheurs,
ne pourrions jamais l’éprouver.


Considérons notre propre vie.
Lorsqu’une relation tourne mal, qu’un sentiment de futilité
nous envahit, que nous avons l’impression de passer à côté de la vie,
que nous avons le sentiment que notre seule chance de trouver un
sens à notre vie nous a filé entre les doigts, que nous ne parvenons
pas à voir clair dans nos émotions, qu’un ami de longue date nous
tourne le dos, qu’un proche nous trahit, que nous nous sentons
profondément incompris, que les gens importants se moquent de
nous – bref, lorsque la déchéance du monde nous accable et nous
donne envie de baisser les bras – en cet instant même, nous avons
un Ami qui sait précisément ce que nous ressentons pour l’avoir
lui‑même vécu, qui se tient à nos côtés et qui nous étreint. Il est
avec nous. Voilà ce qu’est la solidarité !
Notre intuition nous pousse à croire que, plus notre vie devient
difficile, plus nous sommes seuls. Plus nous nous enfonçons dans
la souffrance, plus notre sentiment d’isolement s’en trouve accru.
Or, la Bible nous reprend à ce sujet. Notre souffrance n’excède
jamais celle que Jésus partage. Nous ne sommes jamais seuls. Il

54
Capable de compassion

a lui‑même éprouvé par le passé cette tristesse si particulière qui


nous procure ce terrible sentiment d’isolement, et il nous aide à
la supporter dans le présent.
Comme nous l’indique le verset 14, Jésus est maintenant monté
au ciel. Cela ne signifie toutefois pas qu’il soit distant ou indifférent
à nos souffrances. Goodwin dit que le verset 15 « nous fait com-
prendre à quel point Christ ressent la souffrance des pécheurs qui
souffrent à cause de toutes […] leurs faiblesses3 ». Nos difficultés
suscitent en Christ une tristesse d’une profondeur que nous ne
pourrions imaginer.
Mais qu’en est‑il de nos péchés ? Devrions‑nous ressentir du
découragement du fait que Jésus ne peut se montrer solidaire avec
nous dans les souffrances, la culpabilité et la honte les plus cruelles
que nous imposent nos péchés ? Non, et cela pour deux raisons.
Voici la première de ces raisons : le fait que Jésus est sans péché
signifie qu’il connaît la tentation mieux que nous. C. S. Lewis l’a
expliqué en parlant d’un homme qui marcherait contre le vent.
« Une fois que le vent de la tentation devient assez fort, cet homme
s’allonge sur le sol, en baissant pavillon – sans donc savoir ce qui
se serait produit dix minutes plus tard. Jésus ne s’est jamais allongé
sur le sol ; il a affronté toutes les mêmes tentations et épreuves que
nous sans jamais baisser pavillon. Il connaît donc mieux la force
de la tentation que n’importe lequel d’entre nous. Il est le seul à
vraiment en connaître le prix à payer4. »
Voici la seconde de ces raisons : notre seul espoir, c’est que celui
qui partage toute notre souffrance la partage à titre de Dieu pur
et saint. Notre Souverain Sacrificateur sans péché n’a pas besoin
d’être secouru, c’est lui qui apporte son secours. Voilà d’ailleurs

3. Goodwin, The Heart of Christ, p. 50.


4. C. S. Lewis, Les fondements du christianisme, Valence, France, Ligue pour la
Lecture de la Bible, 2013, p. 148.

55
Doux et humble de cœur

pourquoi nous pouvons venir à lui « afin d’obtenir miséricorde et


de trouver grâce » (4.16). Il n’est pas lui‑même captif dans le trou du
péché avec nous ; lui seul peut nous en retirer. Notre salut tient au
fait qu’il est sans péché. C’est alors que nous commençons à nous
entretenir de l’œuvre de Christ. Hébreux 4.15, ainsi que le livre de
Thomas Goodwin qui porte sur ce verset, fait la lumière sur le cœur
de Christ. Il est vrai que le verset 16 parle du « trône de la grâce »,
mais le verset 15 nous ouvre le cœur de la grâce. Non seulement
Christ est le seul à pouvoir nous sortir du trou du péché, mais il
est aussi le seul à vouloir y descendre et à porter notre fardeau.
Jésus est capable de compassion. Il « souffre avec » nous. Comme
l’a écrit John Owen, un contemporain de Goodwin : Christ « est
enclin, selon son cœur et ses affections, à nous apporter […] aide
et secours […] nos souffrances et nos épreuves l’émeuvent au point
de le pousser à les partager5 ».
Si vous êtes en Christ, vous avez un Ami qui, dans votre souf-
france, ne vous servira jamais de laïus d’encouragement depuis le
ciel. Il ne supporte pas de rester à distance. Rien ne peut le retenir.
Son cœur est trop étroitement lié au vôtre pour qu’il agisse ainsi.

5. John Owen, « An Exposition of the Epistle to the Hebrews », dans The Works of
John Owen, vol. 21, W. H. Goold, éd., réimpr., Édimbourg, Banner of Truth, 1968, p. 422.

56
5

L’indulgence de Christ

Il peut avoir de la compréhension pour les


ignorants et les égarés.
Hébreux 5.2

D ans l’Israël de l’Antiquité, le roi représentait Dieu auprès du


peuple, alors que le sacrificateur représentait le peuple auprès
de Dieu. Le roi exerçait son autorité sur le peuple ; le sacrificateur
manifestait sa solidarité avec le peuple. L’épître aux Hébreux se
trouve dans la Bible afin de nous expliquer ce que signifie pour
Jésus le fait d’être notre sacrificateur, le véritable sacrificateur, le
sacrificateur duquel tous les autres sont un type et que tous les
autres représentent.
Les sacrificateurs d’Israël étaient eux‑mêmes pécheurs. Si bien
qu’ils devaient offrir des sacrifices non seulement pour les péchés
du peuple, mais aussi pour les leurs. Les sacrificateurs d’Israël
étaient non seulement des pécheurs par définition, mais mani-
festement aussi en pratique. Certains des sacrificateurs de jadis
comptent parmi les personnages les plus ignobles de l’Ancien
Testament – pensons à Hophni et à Phinées, par exemple (1 S 1 – 4).
Aujourd’hui, nous avons tout autant besoin d’un sacrificateur que

57
Doux et humble de cœur

les Israélites de l’Antiquité. Nous avons besoin d’un représentant


auprès de Dieu. Les sacrificateurs d’alors étaient parfois très déce-
vants, très malfaisants, très cruels.
En revanche, si notre sacrificateur savait lui‑même ce que notre
faiblesse nous fait ressentir de sorte qu’il y compatisse véritable-
ment, mais sans lui‑même pécher, et si son cœur ne le poussait
jamais à s’apitoyer sur son propre sort, ce serait un sacrificateur
tout à fait capable de se montrer compréhensif envers nous.


Hébreux 5 poursuit le raisonnement que nous avons entamé
dans le chapitre précédent, où nous avons examiné les derniers ver-
sets d’Hébreux 4. Nous nous sommes alors intéressés à la façon dont
le cœur de Christ l’amène à se montrer solidaire avec son peuple
souffrant et en détresse. Dans Hébreux 5.2, nous nous arrêterons
à une vérité plus poussée : la manière dont il traite son peuple,
vers qui son cœur le porte. Nous étudierons le rôle sacerdotal de
Christ en deux volets : la nature dans 4.15 et la méthode dans 5.2.
Et quelle est cette nature ?
L’indulgence.
La racine grecque de l’expression « avoir de la compréhension »
(de l’indulgence) dans 5.2 est la même que celle de « compatir »
dans 4.15, un fait qui a probablement retenu l’attention des premiers
auditeurs et lecteurs de l’épître aux Hébreux ; ce qui n’est pas le cas
en français. De plus, nous trouvons dans les deux passages la répéti-
tion du verbe grec dunamai, d’ailleurs dans la même forme verbale,
ainsi qu’une mention répétée de « faiblesse » (une notion sur laquelle
nous reviendrons dans le présent chapitre). Permettez‑moi de vous
donner les deux expressions translittérées de sorte que vous puissiez
saisir le sens du parallèle que les premiers auditeurs auraient relevé :

58
L’indulgence de Christ

4.15 dunamenon sunpathesai tois (« puisse compatir à… »)


5.2 metriopathein dunamenon tois (« il peut avoir de la compré‑
hension pour… »)

En plus de la répétition du mot dunamenon, qui signifie « celui


qui est capable de » ou « celui qui a le pouvoir de », remarquez,
dans chacun des versets, la racine commune du verbe clé que j’ai
mise en évidence. Nous avons noté précédemment que sunpathesai
signifie « souffrir avec » dans le sens d’être pleinement solidaire
avec nous. Bien que nous puissions voir que ce mot grec nous
donne notre mot français sympathiser, sa signification est plus
riche que celle que sympathiser tend à évoquer. Dans 5.2, tandis que
l’auteur continue de nous présenter Jésus comme notre Souverain
Sacrificateur, nous tombons sur le mot metriopathein. Il s’agit ici
de la seule occurrence de ce verbe dans le Nouveau Testament.
Or, il signifie précisément ce que nous indique le passage : avoir
de la compréhension. Le préfixe metrio désigne la retenue ou la
modération, et la racine patheo désigne la passion ou la souffrance.
L’idée dans 5.2 est donc que Jésus n’aborde pas les pécheurs avec
exaspération. Il se montre calme, tendre, apaisant, discret. Il se
montre compréhensif envers nous.


Pour qui a‑t‑il de la compréhension ? Assurément pour ceux
dont la faiblesse est raisonnable et modérée – réservant une réponse
plus dure aux pécheurs invétérés.
Une lecture attentive du passage biblique ne nous permet
toutefois pas d’en venir à cette conclusion. « Il peut avoir de la
compréhension pour les ignorants et les égarés. » Ces ignorants
et ces égarés ne sont pas deux genres de pécheurs plus tolérables,
par comparaison avec des pécheurs moins tolérables. Non, il s’agit

59
Doux et humble de cœur

du moyen que l’auteur a choisi pour inclure tout le monde. Dans


l’Ancien Testament – et n’oubliez pas que l’épître aux Hébreux
s’inspire en grande partie de l’Ancien Testament – nous découvrons
qu’il existe fondamentalement deux genres de péchés : inconscients
et intentionnels, ou accidentels et délibérés, ou encore comme
Nombres 15 le dit, involontaires et « la main levée » (ouvertement)
(No 15.27‑31). Or, c’est très certainement ici le sens que l’auteur
de l’épître aux Hébreux avait à l’esprit en parlant des « ignorants »
par rapport aux péchés accidentels et aux « égarés » par rapport
aux péchés délibérés.
Autrement dit, quand Hébreux 5.2 affirme que Jésus « peut
avoir de la compréhension pour les ignorants et les égarés », cela
signifie qu’il agit de la sorte envers tous les pécheurs qui viennent
à lui, indépendamment de leur offense particulière et du degré
d’ignominie de cette dernière1. Ce qui suscite la tendresse de Jésus,
ce n’est pas la gravité du péché commis, mais le fait que le pécheur
vient à lui. Quelle que soit notre offense, il se montre compréhensif
envers nous. Si nous ne venons jamais à lui, nous subirons un juge-
ment si terrible qu’il nous fera l’effet d’une épée à deux tranchants
sortant de sa bouche pour nous frapper (Ap 1.16 ; 2.12 ; 19.15,21).
En revanche, si nous venons à lui, sa tendresse comme celle d’un
agneau envers nous (voir aussi Ap 5.5,6 ; És 40.10,11) sera aussi
touchante que son jugement aurait été terrible dans le cas contraire.
Dieu nous enveloppera dans l’un ou l’autre. Jésus ne se montrera
neutre envers personne.
Considérons ce que tout cela signifie. Lorsque nous péchons,
la Bible nous encourage à soumettre notre gâchis à Jésus, car il
sait exactement comment nous recevoir : sans nous rudoyer, sans

1. Owen soulève et défend ce point avec une élégance particulière : John Owen,


« An Exposition of the Epistle to the Hebrews », dans The Works of John Owen, vol. 21,
W. H. Goold, éd., réimpr., Édimbourg, Banner of Truth, 1968, p. 457‑461.

60
L’indulgence de Christ

manifester son mécontentement, sans nous injurier. Il ne s’en


prend pas à nous comme bon nombre de nos parents l’ont fait.
Et toute cette retenue de sa part ne tient pas au fait qu’il ait une
vision édulcorée de notre impiété. Il connaît cette dernière beau-
coup plus en profondeur que nous. En effet, notre conscience ne
perçoit que la pointe de l’iceberg de notre déchéance, même dans
les moments les plus lucides de notre introspection. Son attitude
tempérée découle simplement de son cœur empreint de tendresse
pour son peuple. L’épître aux Hébreux ne se contente pas d’expli-
quer que c’est parce qu’il nous aime que Jésus s’abstient de nous
réprimander. Elle nous révèle aussi le genre d’amour qu’il nous
porte : au lieu de nous dispenser sa grâce depuis là‑haut, il vient
parmi nous, il nous entoure de ses bras, il nous traite exactement
comme nous en avons besoin. Il a de la compréhension pour nous.
L’ouvrage de John Owen constitue sans doute le commentaire
le plus important jamais écrit sur l’épître aux Hébreux. Des vingt-
trois volumes qui constituent actuellement les œuvres d’Owen, sept
commentent cette épître verset par verset2. Il lui a fallu presque
vingt ans pour achever ce projet d’écriture, dont le premier volume
est sorti en 1668 et le dernier en 1684. Qu’affirme ce commenta-
teur exceptionnel au sujet du message d’Hébreux 5.2 ? Owen écrit
que, lorsque la Bible déclare que le Souverain Sacrificateur « peut
avoir de la compréhension pour les ignorants et les égarés », cela
signifie qu’il

ne peut guère plus rejeter les pauvres pécheurs en raison de leur


ignorance et de leur égarement qu’une nourrice bienveillante ne
repousserait un nouveau-né parce qu’il crie à manger. […] Ainsi

2. Je fais ici référence à l’édition publiée par la maison Banner of Truth, Édimbourg,
1968. La maison d’édition Crossway est en train de préparer une nouvelle édition critique
des œuvres d’Owen qu’elle compte étaler sur 30 volumes.

61
Doux et humble de cœur

doit‑il en être pour un Souverain Sacrificateur, et ainsi en va‑t‑il


pour Jésus‑Christ. Compte tenu de toute sa bonté, sa douceur, sa
patience et sa modération, il peut supporter les faiblesses, les péchés
et les provocations de son peuple, comme une nourrice ou un père
bienveillant supporte la faiblesse… d’un pauvre nourrisson3.

Jésus ne peut pas plus se résoudre à se fermer à vous que le


père bienveillant d’un nouveau‑né en larmes ne peut se résoudre à
repousser son enfant chéri. Le cœur de Jésus le pousse vers nous.
Rien ne peut enchaîner ses affections au ciel ; son cœur est trop
gonflé d’un précieux amour pour qu’il le permette.
Qui plus est, « la bonté et la douceur » de Christ, « sa patience
et sa modération », ne s’inscrivent pas par accident dans l’identité
de Christ, comme s’il trouvait ses délices en autre chose. Ces soins
mêmes, la compréhension avec laquelle il traite tous les genres
de pécheurs, voilà ce qui lui est le plus naturel. Owen ajoute que
Christ « ne manifeste pas, dans ses interactions avec nous, plus
correctement ni plus pleinement ses attributs que par sa compas-
sion, sa patience et sa longanimité4 ». Autrement dit, lorsque Jésus
« a de la compréhension » pour nous, il agit selon sa nature même.
En effet, compte tenu de la profondeur de notre impiété, le fait
que Jésus ne nous ait pas encore rejetés prouve l’immense douceur
empreinte de patience qu’il nous manifeste avec le plus grand des
plaisirs. Owen affirme que la compréhension empreinte de douceur
du Souverain Sacrificateur, « si on l’applique à Jésus‑Christ, procure
aux croyants une consolation et un encouragement merveilleux.
S’il n’y était pas entièrement disposé, et cela en toute situation, il
lui faudrait nous rejeter tous par déplaisir5 ». C’est la façon d’Owen,

3. Owen, Works, vol. 21, p. 455‑456.


4. Owen, Works, vol. 21, p. 462.
5. Owen, Works, vol. 21, p. 454.

62
L’indulgence de Christ

désuète et maladroite, de dire : notre impiété est d’une telle pro-


fondeur qu’une compréhension superficielle de la part de Jésus
ne pourrait suffire ; mais aussi que sa compréhension est toujours
plus grande que notre impiété.


Mais pourquoi ? Pourquoi Christ a‑t‑il de la compréhension
pour nous ?
Le passage biblique nous dit : « [puisque] la faiblesse est aussi
son partage ».
Dans une perspective immédiate, cette proposition évoque
la souveraineté sacerdotale en général. Cela est évident d’après le
verset suivant, qui indique que le principal sacrificateur doit offrir
un sacrifice pour ses propres péchés (5.3), ce que Jésus n’avait
pas à faire (7.27). N’oublions toutefois pas ce que nous avons vu
quelques versets auparavant dans 4.15 : Jésus lui‑même, étant
« sans péché », peut « compatir à nos faiblesses » (le même mot
grec que dans 5.2) puisqu’il a « été tenté comme nous en toutes
choses ». Le péché est inexistant en Jésus. Cependant, il a connu
la gamme entière des expériences humaines dans notre monde
déchu : la souffrance, la tentation et les limitations humaines (voir
aussi 2.14‑18). Les divers principaux sacrificateurs mentionnés
dans l’histoire d’Israël étaient faibles en raison de leurs péchés ;
Jésus, le Souverain Sacrificateur, a connu la faiblesse, mais sans
pécher (voir aussi 2 Co 13.4).
Contrairement à ce à quoi nous pourrions nous attendre, plus
nous nous enfonçons dans la faiblesse, la souffrance et l’épreuve,
plus Christ se montre solidaire avec nous. Tandis que nous des-
cendons dans la souffrance et l’angoisse, nous pénétrons toujours
plus dans le cœur même de Christ, au lieu de nous en éloigner.

63
Doux et humble de cœur

Tournez‑vous vers Christ. Il a de la compréhension pour vous.


Il ne saurait en être autrement. Il est le Souverain Sacrificateur
qui a mis fin à la longue succession des principaux sacrifica-
teurs. Aussi longtemps que vous fixerez votre attention sur vos
péchés, vous ne pourrez voir à quel point vous êtes en sécu-
rité. Toutefois, aussi longtemps que vous vous tournerez vers
ce Souverain Sacrificateur, vous serez à l’abri du danger. Celui
qui se livre à l’introspection ne peut s’attendre qu’à recevoir du
ciel une réponse sévère. Celui qui se tourne vers Christ ne peut
s’attendre qu’à recevoir de la compréhension.

64
6

Je ne mettrai pas dehors

Je ne mettrai pas dehors celui qui vient à moi.


Jean 6.37

T out ce qu’étaient Thomas Goodwin et John Owen – érudits,


analytiques, dignes des meilleures universités du monde –
John Bunyan ne l’était pas. Bunyan était pauvre et sans éduca-
tion. Selon les normes du monde, rien n’annonçait que Bunyan
influencerait le cours de l’Histoire de façon durable. C’est toute-
fois précisément la manière dont le Seigneur se plaît à œuvrer,
c’est-à-dire prendre les laissés pour compte et leur confier des rôles
prépondérants dans le déroulement de l’histoire de la Rédemption.
Et bien qu’il ait eu un style d’écriture beaucoup plus pragmatique
que celui de Goodwin, Bunyan avait la même capacité que lui à
ouvrir le cœur de Christ à ses lecteurs.
Bunyan est devenu célèbre surtout grâce à son livre intitulé
Le voyage du pèlerin, qui est, exception faite de la Bible, le livre le
plus vendu de tous les temps. Il est cependant aussi l’auteur de cin-
quante‑sept autres livres. Come and Welcome to Jesus Christ (Soyez
les bienvenus auprès de Jésus‑Christ), écrit en 1678, compte parmi
ses plus charmants. Le côté chaleureux de ce titre est représentatif de

65
Doux et humble de cœur

tout le traité. Dans un style typiquement puritain, Bunyan a choisi


un seul verset et a écrit tout un livre à son sujet, en l’expliquant en
long et en large. Dans le cas de Come and Welcome to Jesus Christ,
ce verset était Jean 6.37. En se déclarant être le pain de vie donné à
ceux qui ont spirituellement faim (Jn 6.32‑40), Jésus affirme ceci :

Tous ceux que le Père me donne viendront à moi, et je ne mettrai


pas dehors celui qui vient à moi.

C’était l’un des versets préférés de Bunyan, comme le démontre


la fréquence à laquelle il le cite dans ses écrits. Cependant, dans
ce livre en particulier, il se concentre sur ce verset en l’examinant
sous tous les angles et en en tirant tout ce qu’il peut.
Ce verset renferme à lui seul une montagne de théologie récon-
fortante. Considérons ce que Jésus y dit :

• « Tous ceux… » Et non pas « la plupart ». Dès lors que le


Père pose son tendre regard sur un pécheur s’étant égaré,
le secours de ce dernier est assuré.
• « … le Père… » Notre rédemption n’est pas le fait d’un Fils
riche en grâce qui cherche à calmer un Père au tempéra-
ment coléreux. C’est le Père qui ordonne lui‑même notre
délivrance. Il en prend l’initiative par amour pour tous
(remarquez le verset 38).
• « … donne… » Et non « négocie ». Le Père est ravi de confier
librement des rebelles récalcitrants aux bons soins de son Fils.
• « … viendront… » Rien ne peut contrecarrer les desseins
rédempteurs de Dieu envers un pécheur. Rien ne lui résiste.
Ses ressources sont inépuisables. Si le Père nous appelle,
nous viendrons à Christ.
• « … celui qui vient… » Nous ne sommes pas pour autant
des robots. Bien que le Père veille manifestement sur notre

66
Je ne mettrai pas dehors

rédemption selon sa souveraineté, il ne nous force pas à


aller à Christ contre notre gré. La grâce divine est si radi-
cale qu’elle vient transformer en nous jusqu’à nos désirs.
Elle nous ouvre les yeux. Christ devient magnifique. Nous
venons à lui. Et tous – rendu ici par « celui » – sont les bien-
venus. Soyez les bienvenus auprès de Jésus‑Christ.
• « … vient à moi… » Nous ne venons pas à un ensemble
de doctrines. Nous ne venons pas à une Église. Nous ne
venons pas même à l’Évangile. Certes, toutes ces réalités
sont cruciales, mais nous venons davantage en réalité à une
Personne, à Christ lui‑même.


Bunyan établit tous ces faits, et plus encore. Il vaut la peine de
lire son livre du début à la fin1. Ce sont toutefois sur les mots « je
ne mettrai pas dehors » qu’il s’étend le plus, ceux qui comptent le
plus pour lui. Dans ce livre, Bunyan affronte par‑dessus tout nos
doutes innés quant au cœur même de Christ. Il écrit ceci :

Ceux qui viennent à Jésus‑Christ redoutent souvent qu’il ne les


reçoive pas.
Cette observation est implicite dans le passage. Je la déduis de
la portée et de la largesse de la promesse faite : « Je ne mettrai pas
dehors. » En effet, si nous n’avions pas été enclins à « redouter d’être
jetés dehors », Christ n’aurait pas eu à apaiser ainsi nos craintes.
Il aurait été inutile, si je peux m’exprimer ainsi, que la sagesse
céleste invente une telle promesse et qu’elle l’exprime de la sorte,

1. Il existe en un seul volume, publié par Banner of Truth : Come and Welcome to
Jesus Christ, Édimbourg, Banner of Truth, 2004 ; on peut le trouver aussi dans le volume 1
du livre The Works of John Bunyan, 3 vol., George Offor, éd., réimpr., Édimbourg, Banner
of Truth, 1991, p. 240‑299.

67
Doux et humble de cœur

sinon pour faire voler en éclats toutes les objections des pécheurs
venant à Christ, s’ils n’étaient pas enclins à prêter foi à de telles
objections, au grand découragement de leur âme.
Le Seigneur Jésus fait cette promesse à la fois pour réfuter
toutes les objections et pour affermir la foi mêlée d’incrédulité. Et
elle est, pour ainsi dire, la somme de toutes les promesses divines ;
en outre, il vous sera impossible d’avancer une quelconque objec-
tion quant à votre propre indignité à laquelle cette promesse ne
réponde pas.

— Mais je suis un grand pécheur, dites‑vous.


« Je ne te mettrai pas dehors », dit Christ.
— Mais je suis un vieux pécheur, dites‑vous.
« Je ne te mettrai pas dehors », dit Christ.
— Mais je suis un pécheur endurci, dites‑vous.
« Je ne te mettrai pas dehors », dit Christ.
— Mais je suis un pécheur rétrograde, dites‑vous.
« Je ne te mettrai pas dehors », dit Christ.
— Mais j’ai servi Satan toute ma vie, dites‑vous.
« Je ne te mettrai pas dehors », dit Christ.
— Mais j’ai péché contre la lumière, dites‑vous.
« Je ne te mettrai pas dehors », dit Christ.
— Mais j’ai péché contre la miséricorde, dites‑vous.
« Je ne te mettrai pas dehors », dit Christ.
— Mais je n’ai rien de bon à apporter avec moi, dites‑vous.
« Je ne te mettrai pas dehors », dit Christ.

Dieu nous a donné cette promesse afin de réfuter toutes les


objections possibles, ce qu’elle fait d’ailleurs2.

Qu’est‑ce que Bunyan entend par là ?

2. Bunyan, « Come and Welcome to Jesus Christ », dans The Works of John Bunyan,
vol. 1, p. 279‑280.

68
Je ne mettrai pas dehors

L’affirmation de Jésus dans Jean 6.37, ainsi que le livre Come


and Welcome to Jesus Christ et la citation formant la thèse de son
livre visent tous à nous rassurer quant à la nature persévérante du
cœur de Christ. Nous disons : « Mais je… », et il répond : « Je ne
mettrai pas dehors… »
Les pécheurs déchus et anxieux ont la capacité de trouver à l’in-
fini des raisons qu’aurait Jésus de les mettre dehors. Nous inventons
constamment de nouvelles façons de résister à l’amour de Christ.
Même lorsque nous épuisons nos raisons tangibles justifiant, selon
nous, qu’il nous mette dehors, comme des péchés ou des échecs
précis, nous avons tendance à nourrir le sentiment vague qu’avec le
temps Jésus en viendra à se lasser et à s’éloigner de nous. Bunyan
nous comprend. Il sait que nous avons tendance à faire la sourde
oreille à la certitude que Christ nous donne.

« Non, mais attends » – disons‑nous en approchant timidement de


Jésus, « tu ne comprends pas. Je me suis vraiment mis les pieds dans
les plats de toutes sortes de manières. »
Je sais, nous répond‑il.
« Tu en sais long, c’est vrai. Certainement plus que ce que les
autres voient. Mais il existe au plus profond de mon être une per-
version que je cache à tout le monde. »
Je sais tout ça.
« L’ennui, ce n’est pas juste mon passé. C’est aussi mon présent. »
Je comprends.
« Mais j’ignore si je pourrai me libérer de tout ça dans un ave-
nir proche. »
Tu es le seul genre de personne que je peux aider.
« Mon fardeau est lourd – et il ne cesse de s’alourdir. »
Dans ce cas, laisse‑moi le porter.
« Il est trop lourd à porter. »
Pas pour moi.

69
Doux et humble de cœur

« Tu ne comprends pas. Mes offenses ne sont pas dirigées contre


les autres. Elles le sont contre toi. »
Je suis donc le mieux placé pour te les pardonner.
« Mais plus tu découvriras la laideur qu’il y a en moi, plus vite
tu en auras assez de moi. »
Je ne mettrai pas dehors celui qui vient à moi.


Pour fermer la bouche aux discoureurs, Bunyan termine
ainsi la liste des objections que nous émettons pour ne pas venir
à Jésus : « Dieu nous a donné cette promesse afin de réfuter
toutes les objections possibles, ce qu’il fait d’ailleurs. » Affaire
classée. Nous ne pouvons avancer aucune raison pour laquelle
Christ finirait par refuser d’ouvrir son cœur à ses propres brebis.
Rien ne va en ce sens. Tout ami humain a ses limites. Si nous
le vexons un peu trop, si la relation se détériore un peu trop,
si nous le trahissons trop souvent, il nous rejettera. Un mur
s’érigera entre nous. Or, dans le cas de Christ, nos péchés et
nos faiblesses mêmes nous rendent admissibles en sa présence.
Il nous suffit de venir à lui – d’abord lors de notre conversion
et des milliers de fois par la suite jusqu’à ce que nous soyons
avec lui à notre mort.
Il se peut que ce ne soient pas tant leurs péchés que leurs
souffrances qui poussent certains d’entre nous à douter de la per-
sévérance du cœur de Christ. À mesure que la douleur augmente,
que l’abattement s’installe, que les mois passent, la conclusion
devient évidente à un moment donné : nous avons été jetés dehors.
Ce ne serait sûrement pas l’impression que la vie donnerait à
celui qui s’immerge dans le cœur d’un Sauveur doux et humble,
n’est-ce pas ? Jésus ne dit toutefois pas qu’il ne mettra pas dehors
ceux qui ont la vie facile. Il dit plutôt qu’il ne mettra pas dehors

70
Je ne mettrai pas dehors

ceux qui viennent à lui. Ce n’est pas ce que la vie nous apporte,
mais celui à qui nous appartenons qui fait que le cœur de Christ
est rempli d’amour pour nous.
La seule exigence à remplir pour jouir de cet amour consiste
à venir à Christ. À lui demander de nous accueillir. Il ne dit pas :
« Celui qui vient à moi suffisamment contrit » ni : « Celui qui vient
à moi en redoublant d’efforts ». Il dit plutôt : « Je ne mettrai pas
dehors celui qui vient à moi. »
La force de notre détermination ne s’inscrit pas dans la for-
mule consistant à nous assurer de sa bonne volonté. Lorsque
mon petit Benjamin de deux ans entre dans la piscine à pente
douce située près de notre maison, il me prend instinctivement
la main. Il s’y agrippe tandis que le niveau de l’eau monte. Il
reste que la prise d’un enfant de deux ans n’est pas très forte.
Avant longtemps, ce n’est plus lui qui m’agrippe, mais moi qui
l’empoigne. S’il ne pouvait compter que sur ses propres forces,
sa main glisserait certainement hors de la mienne. Cependant,
si j’ai résolu de ne pas lui lâcher la main, il est en sécurité. Il ne
peut m’échapper, quand bien même il le voudrait.
Ainsi en va‑t‑il de Christ. Certes, nous nous cramponnons
à lui. Nous avons toutefois la préhension d’un enfant de deux
ans pris dans les puissantes vagues de la vie. La main de Christ
demeure sûre. Le Psaume 63.9 exprime d’ailleurs cette double
vérité : « Mon âme est attachée à toi ; ta droite me soutient. »


Nous parlons ici de quelque chose de plus profond que la
doctrine de la sécurité éternelle, ou « sauvé un jour, sauvé tou-
jours » – une doctrine glorieuse, une doctrine véridique – que
l’on appelle parfois la persévérance des saints. Nous en venons

71
Doux et humble de cœur

à la doctrine, plus profonde, de la persévérance du cœur de


Christ. Oui, il est possible à une personne se disant chrétienne
de déchoir, dans la mesure où elle n’a jamais vraiment été en
Christ. Oui, dès l’instant où un pécheur est uni à Christ, il n’y a
rien qui puisse les désunir. Mais dans le cadre de ces doctrines,
comment définir les affections de Dieu se manifestant de manière
tangible en Christ ? Qu’est‑ce qui lui vient le plus instinctive-
ment à mesure que nos péchés et nos souffrances s’accumulent ?
Qu’est‑ce qui le retient de se refroidir à notre égard ? Son cœur.
L’œuvre expiatoire du Fils, que le Père a décrétée et que l’Esprit a
appliquée, garantit notre sécurité éternelle. Il reste qu’un verset
comme Jean 6.37 nous rassure quant au fait qu’il ne s’agit pas
seulement d’un décret divin, mais aussi d’un désir divin. C’est
ce qui fait les délices des cieux. « Venez à moi, nous dit Christ.
Je vais vous accueillir au plus profond de mon être et je ne vous
laisserai jamais aller. »
Avez‑vous déjà considéré la réalité de votre appartenance à
Christ ? Pour que vous échappiez à la tendre étreinte du cœur
de Christ, tant maintenant que dans l’éternité, il faudrait que
Christ soit lui‑même retiré du ciel et ramené dans le tombeau.
Sa mort et sa résurrection justifient légitimement que Christ ne
mette pas les siens dehors, peu importe à quelle fréquence il leur
arrive de tomber. C’est le cœur de Christ qui sous‑tend l’œuvre de
Christ. Il ne supporte pas d’être séparé des siens, même lorsqu’ils
mériteraient le plus qu’on les abandonne.
« Mais je… »
Émettez vos objections. Rien ne peut réfuter cette parole
irrévocable : « Je ne mettrai pas dehors celui qui vient à moi. »
Ceux qui sont unis à Jésus vivent en permanence près de
son cœur. Ils ne sont pas des locataires, mais des enfants. Vous
n’êtes pas un locataire ; vous êtes un enfant. Son cœur n’est pas

72
Je ne mettrai pas dehors

une bombe à retardement ; son cœur, ce sont les verts pâturages


et les eaux paisibles de l’assurance infinie de sa présence et de sa
consolation, et ce, quelles que soient nos réalisations spirituelles
actuelles. Il est ainsi fait.

73
7

Ce qu’évoquent
nos péchés

Mon cœur s’agite au‑dedans de moi.


Osée 11.8

I l est probablement impossible de concevoir l’horreur de l’enfer,


de même que la férocité de la justice rétributrice et de la juste
colère qui déferlera au dernier jour sur ceux qui ne seront pas en
Christ. Il se peut qu’un mot comme férocité nous donne ici à penser
que la colère de Dieu sera incontrôlable ou disproportionnée. Il n’y
a toutefois rien en Dieu qui soit incontrôlable ou disproportionné.
Si nous avons l’impression qu’il est facile d’exagérer la gra-
vité de la colère divine, c’est parce que nous ne ressentons pas
le véritable poids du péché. En y réfléchissant, voici ce que
Martyn Lloyd‑Jones a dit :

Vous ne vous infligerez jamais à vous-même le sentiment d’être


pécheur, car il y a en vous un mécanisme que le péché déclenche et
qui vous défendra toujours contre toute accusation. Nous sommes
tous en très bons termes avec nous‑mêmes, et nous sommes tou-
jours capables de bien plaider notre cause. Même si nous essayons

75
Doux et humble de cœur

de nous persuader nous-mêmes que nous sommes pécheurs, nous


ne le pourrons jamais. Il n’y a qu’un seul moyen de savoir que
nous sommes pécheurs, c’est d’avoir une infime lueur de la per-
ception de Dieu1.

Autrement dit, nous ne ressentons pas le poids de notre péché


en raison même de notre péché. Si nous discernions avec une
clarté plus vive à quel point notre péché est insidieux et généralisé,
nous saurions que la méchanceté humaine exige un jugement aux
proportions divines. Même une personne qui possédait un sens
aussi profond du cœur aimant de Christ que Thomas Goodwin
n’a par ailleurs aucun mal à affirmer que, si « sa colère contre le
péché était le feu même », alors « tous les soufflets terrestres […]
n’auraient pas pu attiser suffisamment la fournaise2 ».
Et de même que nous pouvons difficilement imaginer la féro-
cité divine qui attend ceux qui ne sont pas en Christ, il est tout
aussi vrai que nous pouvons difficilement imaginer la tendresse
divine qui repose déjà sur ceux qui sont en Christ. Il se peut que
nous nous sentions légèrement timides, mal à l’aise ou même cou-
pables d’insister autant sur la tendresse de Dieu que sur sa colère.
Il reste que la Bible ne s’attribue pas un tel malaise. Considérons
Romains 5.20 : « [Mais] là où le péché a abondé, la grâce a sura-
bondé. » La grâce surabondante de Christ éclipse par conséquent la
culpabilité et la honte de ceux qui sont en lui. Même si nous avons
l’impression que nos pensées, nos paroles et nos actions atténuent
la grâce de Dieu envers nous, ces péchés et ces échecs l’amènent
en fait à abonder encore davantage.

1. Martyn Lloyd‑Jones, Seeking the Face of God: Nine Reflections on the Psalms,


Wheaton, Ill., Crossway, 2005, p. 34.
2. Thomas Goodwin, « Of Gospel Holiness in the Heart and Life », dans The Works
of Thomas Goodwin, 12 vol., réimpr., Grand Rapids, Mich., Reformation Heritage, 2006,
vol. 7, p. 194.

76
Ce qu’évoquent nos péchés

Examinons plus en profondeur ce principe inviolable de


l’économie de l’Évangile. Jusqu’ici, nous avons parlé de la grâce
divine et de la façon dont elle surabonde afin de toujours satisfaire
pleinement notre besoin d’elle. Or, il n’existe pas à proprement
parler de « chose » comme la grâce. Selon la théologie catholique
romaine, la grâce constitue un genre de trésor auquel on peut
accéder par divers moyens soigneusement contrôlés. Cependant,
la grâce de Dieu vient à nous dans la seule mesure où Christ vient
à nous. Selon l’Évangile, Dieu ne nous donne pas une chose, mais
une Personne.
Approfondissons maintenant cette notion. En nous donnant
Christ, qu’est‑ce que Dieu nous donne en réalité ? Plus précisément,
si nous pouvons parler de la grâce qui correspond toujours à nos
péchés, mais qui vient à nous en Christ lui‑même, nous abordons
une dimension cruciale de l’identité de Christ – une dimension
biblique sur laquelle les puritains aimaient beaucoup réfléchir :
lorsque nous péchons, le cœur même de Christ le porte vers nous.


Il se peut que cette réalité nous fasse grimacer. Si Christ est
d’une sainteté parfaite, ne doit‑il pas forcément se distancier
du péché ?
Nous nous trouvons ici devant l’un des mystères les plus pro-
fonds entourant l’identité de Dieu en Christ. Non seulement la sain-
teté et l’impiété sont-elles mutuellement exclusives, mais Christ,
étant parfaitement saint, connaît et ressent l’horreur et le poids du
péché plus profondément que quiconque parmi nous, pécheurs, le
pourrait. Plus un homme a le cœur pur, plus il est horrifié à l’idée
qu’on vole ou maltraite son prochain. À l’inverse, plus un homme
a le cœur corrompu, moins le mal qui l’entoure l’affecte.

77
Doux et humble de cœur

Poussons l’analogie un peu plus loin. Plus un cœur est pur,


plus le mal l’horrifie, de même, plus un cœur est pur, plus il est
naturellement poussé à aider, à soulager, à protéger et à consoler,
alors que le cœur corrompu reste de marbre, indifférent. Ainsi
en va‑t‑il de Christ. Sa sainteté le pousse à trouver le mal révol-
tant, plus que quiconque parmi nous le pourrait. C’est toutefois
cette même sainteté qui le pousse à aider, à soulager, à protéger
et à consoler. Ici encore, nous devons nous rappeler l’immense
distinction que Christ établit entre ceux qui sont en lui et ceux
qui ne le sont pas. Les péchés évoquent une colère sainte envers
ceux qui ne lui appartiennent pas. Comment un Dieu véritable-
ment moral pourrait‑il réagir autrement ? En revanche, les péchés
évoquent une soif, une tendresse et un amour saints envers ceux
qui lui appartiennent. Dans le passage clé portant sur la sainteté
divine (És 6.1‑8), cette dernière (6.3) donne lieu naturellement et
immédiatement au pardon et à la miséricorde (6.7).
Goodwin explique cette réalité en terminant son livre inti-
tulé The Heart of Christ par une série d’applications finales. En
réfléchissant « aux consolations et aux encouragements » qui sont
nôtres à la lumière du Christ qui souffre de nos péchés et de nos
afflictions, il écrit ceci :

Il y a de quoi vous consoler de telles faiblesses du fait que vos péchés


mêmes le poussent à la pitié plus qu’à la colère. […] Car il souffre
avec vous de vos faiblesses, et par « faiblesses » nous voulons dire
« péchés », ainsi que de vos malheurs. […] Christ y a part avec vous,
et au lieu de vous en vouloir, il s’attaque, dans sa colère, à votre
péché afin de l’anéantir. Oui, sa pitié envers vous s’en trouve accrue,
comme le cœur d’un père souffre pour un enfant atteint d’une mala-
die odieuse, ou comme ce que l’on ressentirait envers un membre
de son corps atteint de la lèpre. On ne hait pas ce membre, car ce
dernier fait partie de sa chair et le pousse d’autant plus à avoir pitié

78
Ce qu’évoquent nos péchés

de son membre le plus affecté. Qu’est-ce qui ne servira pas à notre


bien si nos péchés, tant contre Christ que contre nous-mêmes, le
portent à avoir pitié de nous3 ?
Plus la misère est grande, plus la pitié l’est aussi lorsqu’il s’agit
d’un être bien-aimé. Et de toutes les misères, le péché est la plus
grande. Or, si vous voyez les choses ainsi, Christ les verra aussi de
cette manière. Par ailleurs, comme il aime votre personne et ne
hait que le péché, sa haine tombera tout entière uniquement sur
le péché, afin de vous en libérer par son anéantissement, mais ses
affections le porteront encore plus vers vous ; autant si vous croulez
sous le péché que sous toute autre affliction. Ne craignez donc pas4.

Que dit Goodwin ici ?


Si vous faites partie du corps même de Christ, vos péchés sus-
citent sa plus grande miséricorde, sa compassion et sa pitié. Christ
y a part avec vous, c’est‑à‑dire qu’il est de votre côté. Il se joint à
vous contre votre péché, et non contre vous à cause de votre péché.
Il hait le péché, mais il vous aime. Nous comprenons cette vérité,
nous dit Goodwin, si nous considérons la haine qu’un père éprouve
pour une terrible maladie dont son enfant est atteint – ce père hait
la maladie tout en aimant son enfant. En effet, la présence de la
maladie amène son cœur à se porter d’autant plus vers son enfant.
Il ne faut toutefois pas faire fi de la dimension disciplinaire de
l’amour de Christ envers son peuple. La Bible enseigne clairement
que nos péchés amènent Christ à nous châtier (par ex. : Hé 12.1‑11).
Il ne nous aimerait pas vraiment si ce n’était pas le cas. Il n’en reste
pas moins que ce châtiment reflète son grand cœur rempli d’amour
pour nous. Lorsqu’un membre de notre corps est blessé, sa guérison
exige la douleur et les efforts de la physiothérapie. Cette dernière

3. C’est‑à‑dire que Dieu fait tout concourir à notre bien.


4. Thomas Goodwin, The Heart of Christ, Édimbourg, Banner of Truth, 2011,
p. 155‑156.

79
Doux et humble de cœur

n’est cependant pas punitive ; elle vise plutôt à susciter la guérison.


C’est par souci pour ce membre que la physiothérapie est prescrite.


Nous nous arrêterons à une série de passages de l’Ancien
Testament plus loin dans le livre, mais considérons celui-ci dès
maintenant, car il réunit plusieurs notions auxquelles nous réflé-
chissons dans le présent chapitre, en nous faisant pénétrer en pro-
fondeur dans le cœur de Dieu qui prend la forme concrète de Jésus.
Nous lisons ceci dans le livre d’Osée :

Mon peuple est enclin à s’éloigner de moi ; on les rappelle vers


le Très‑Haut, mais aucun d’eux ne l’exalte. Que ferai‑je de toi,
Éphraïm ? Dois‑je te livrer, Israël ? Te traiterai‑je comme Adma ?
Te rendrai‑je semblable à Tseboïm ? Mon cœur s’agite au‑dedans de
moi, toutes mes compassions sont émues. Je n’agirai pas selon mon
ardente colère, je renonce à détruire Éphraïm ; car je suis Dieu, et
non pas un homme, je suis le Saint au milieu de toi ; je ne viendrai
pas avec colère (Os 11.7‑9).

Nous avons là tous les éléments soulevés jusqu’ici dans ce


chapitre : le peuple de Dieu, son impiété, le cœur de Dieu et une
affirmation explicite de sa sainteté. Et à quelle conclusion en vient
ce passage ? La remarque à retenir est celle‑ci : c’est compte tenu
des péchés de ses enfants que le cœur de Dieu le porte avec com-
passion vers eux.
Dieu voit son peuple dans toute sa souillure morale. Il s’est égaré
non pas à l’occasion, mais sans cesse, de sorte que Dieu dit de son
peuple qu’il « est enclin à s’éloigner de [lui] » (v. 7). Cette inclination
désigne une rébellion invétérée. Mais à vrai dire, ce peuple lui appar-
tient néanmoins. Que se produit‑il donc dans le cœur de Dieu ? Ici,

80
Ce qu’évoquent nos péchés

nous devons user de prudence. Dieu est Dieu. Il n’est donc pas à la
merci d’émotions passagères comme nous le sommes en tant que
créatures, et encore bien moins en tant que pécheurs. Mais que nous
dit le passage ? La Bible nous donne un rare aperçu de ce qui réside
au centre de l’identité de Dieu, et nous voyons et sentons frémir son
cœur même. Son cœur se gonfle de pitié et de compassion pour ses
enfants. Dieu ne peut tout simplement pas renoncer à eux. Rien ne
pourrait le pousser à les abandonner. Ils lui appartiennent.
Quel père se résoudrait à donner son fils chéri en adoption sim-
plement parce que la vie de ce dernier est un échec monumental ?
Ne déshonorons pas Dieu en soulignant sa transcendance
au point de perdre de vue la vie émotionnelle de Dieu à laquelle
nos propres émotions correspondent, même si cette analogie est
déchue et altérée5. Dieu n’est pas un idéal platonique, des plus
austères, inatteignable pour les êtres humains. Dieu est libre de

5. Les théologiens donnent le nom d’anthropopathisme à la manière dont la Bible


parle de la vie émotionnelle de Dieu. Ce terme est utilisé en parallèle avec anthropo-
morphisme, soit le fait que la Bible emploie des expressions connues pour parler de Dieu
d’une façon que l’on ne peut pas prendre au sens littéral, comme « la main » de Dieu.
L’anthropopathisme est un peu plus épineux. Par ce terme, on entend protéger le fait que
Dieu est différent de nous en ce sens qu’il n’a pas notre inconstance émotionnelle. Au
contraire, il est entièrement parfait et transcendant, et les circonstances ne l’affectent pas
comme elles nous affectent nous, les êtres humains finis. Il est « impassible ». En même
temps, nous ne devrions pas ignorer la manière dont la Bible parle de la vie intérieure
de Dieu (par des notions comme l’anthropopathisme) au point de faire de Dieu une
puissance fondamentalement platonique dissociée du bien de son peuple. La clé consiste
ici à comprendre que, même si rien ne prend Dieu au dépourvu, et que rien en dehors
de lui‑même ne peut altérer sa perfection et sa simplicité, il interagit librement avec ses
enfants par le truchement d’une relation d’alliance avec eux et sincèrement pour leur
bien. Si la notion d’« émotion » divine vous est peu utile, pensez‑y plutôt comme (ainsi
que s’exprimaient les puritains) aux « affections » divines – à savoir la disposition du
cœur de Dieu à accueillir ses enfants pécheurs et souffrants. Pour explorer davantage le
concept selon lequel Dieu est à la fois impassible et capable d’émotions, voir Rob Lister,
God Is Impassible and Impassioned : Toward a Theology of Divine Emotion, Wheaton,
Ill., Crossway, 2012.

81
Doux et humble de cœur

toute émotion déchue, mais n’est pas dépourvu de toute émotion


(ou de tout sentiment). Sinon, d’où nous viendraient nos propres
émotions, nous qui sommes faits à son image ?
Le passage biblique dit que « toutes [ses] compassions sont
émues » à la vue des péchés de son peuple. Qui aurait pu imaginer
que c’est la nature même de Dieu ? Ce passage fait un lien entre la
sainteté suprême de Dieu et son refus de venir à nous avec colère.
Qui aurait pu concevoir pareille chose ? Nous lisons :

Je suis Dieu, et non pas un homme, je suis le Saint au milieu de toi ;


je ne viendrai pas avec colère.

Vous vous attendiez à ce que Dieu s’exprime ainsi ?


N’auriez‑vous pas plutôt pensé qu’il dirait ce qui suit, à un petit
changement près ?

Je suis Dieu, et non pas un homme, je suis le Saint au milieu de toi ;


je viendrai donc avec colère.

La Bible dit que, lorsque Dieu voit l’impiété de ses enfants,


sa sainteté transcendante – sa divinité même, ce qui le différen-
cie de nous – le rend incapable de venir à eux avec colère. Nous
avons tendance à croire que, parce que Dieu n’est pas comme
nous, sa sainteté rend encore plus certain le fait qu’il déchaînera
sa colère contre son peuple pécheur. Une fois encore, la Bible nous
reprend. Elle nous arrache à notre tendance naturelle à nous créer
un Dieu à notre image, et nous permettons alors à Dieu de nous
dire lui‑même qui il est.


Nous vivons aussi facilement avec une perception déformée du
cœur compatissant de Dieu pour ceux qui sont en Christ qu’avec

82
Ce qu’évoquent nos péchés

une perception déformée du jugement punitif dont Dieu frappera


ceux qui ne le sont pas. Thomas Goodwin, Osée 11 et toute la
trame biblique nous présentent des vérités à couper le souffle. Les
péchés de ceux qui appartiennent à Dieu ouvrent les écluses de
son cœur rempli de compassion pour nous. Le barrage se rompt.
Ce n’est pas notre charme qui nous vaut son amour. C’est plutôt
notre laideur intérieure.
Cette réalité nous ébahit. Ce n’est pas ainsi que fonctionne le
monde qui nous entoure. Ce n’est pas ainsi que fonctionne notre
propre cœur. Nous nous soumettons toutefois humblement à Dieu,
le laissant déterminer lui‑même de quelle façon il juge bon de nous
manifester son amour.

83
8

Il sauve parfaitement

[Il est] toujours vivant pour intercéder


en leur faveur.
Hébreux 7.25

I l y a parmi les doctrines les plus négligées dans l’Église d’au-


jourd’hui celle de l’intercession de Christ. Cette intercession
évoque ce que Jésus fait actuellement. On a très bien su revaloriser
l’œuvre glorieuse que Christ a accomplie jadis – par sa vie, sa mort
et sa résurrection – pour nous sauver. Mais qu’en est‑il de ce qu’il
accomplit actuellement ? Nous sommes nombreux à penser que
Jésus n’a pas un grand rôle à jouer dans le présent, que tout ce qu’il
nous faut pour être sauvés, il l’a déjà accompli.
Ce n’est toutefois pas la façon dont le Nouveau Testament
présente l’œuvre de Christ. Nous passerons un certain temps à
considérer l’intercession de Christ, non pas seulement parce qu’on
la néglige actuellement, mais aussi parce que c’est un aspect de
l’œuvre de Christ qui reflète son cœur de manière unique.
Pour bien cadrer l’intercession, et notre négligence de celle‑ci,
considérons‑la en rapport avec la doctrine de la justification. Au
cours des dernières années, on a beaucoup écrit, prêché et enseigné

85
Doux et humble de cœur

sur cette glorieuse doctrine – à raison, d’ailleurs. Être justifiés


revient à être déclarés justes aux yeux de Dieu, entièrement et
légalement exonérés devant le tribunal divin, et cela, grâce à ce
qu’un autre (Jésus) a fait à notre place. Cependant, notre cœur
nous pousse constamment à douter de cette pleine exonération.
Cette réticence – relativement à un acquittement intégral devant
Dieu fondé sur ce que Christ a accompli – a été codifiée par la
théologie médiévale, puis par la théologie catholique romaine. Des
réformateurs comme Luther et Calvin ont récupéré et recentré
à juste titre la doctrine de la justification, et chaque génération
depuis lors doit s’approprier cette doctrine pour elle‑même. Or,
il s’agit de la dimension la plus contre‑intuitive du christianisme,
c’est‑à‑dire que nous sommes déclarés justes devant Dieu non pas
dès lors que nous commençons à nous prendre en main, mais
dès lors que nous avons l’honnêteté de reconnaître que nous ne
le ferons jamais.
La doctrine de la justification concerne cependant en grande
partie ce que Christ a accompli par le passé, et est enracinée dans
sa mort et sa résurrection. « Étant donc justifiés » (Ro 5.1). Christ
est mort et ressuscité, et si nous mettons notre foi en lui, nous
sommes justifiés, car il a subi la mort que nous méritons.
Mais que fait‑il actuellement ?
Il n’y a aucun lieu de spéculer. La Bible nous le dit : il intercède
pour nous.
La justification est reliée à ce que Christ a accompli dans le
passé. L’intercession correspond à ce qu’il accomplit dans le présent.
Considérez les choses sous cet angle. La réalité des affections de
Christ a été constante, à toutes les époques. Son cœur, qui battait
pour son peuple lorsqu’il était ici‑bas ne s’est pas arrêté de battre
pour lui une fois qu’il est monté au ciel. La miséricorde l’ayant
conduit jusqu’à la croix ne s’est pas transformée en indifférence.

86
Il sauve parfaitement

Son cœur l’attire tout autant à son peuple maintenant qu’au cours
de sa vie incarnée. Par ailleurs, son intercession constante en faveur
de ce dernier témoigne de ses affections envers lui.


Qu’est‑ce que l’intercession ?
D’une manière générale, elle signifie qu’une tierce personne
vient se placer entre deux autres et plaide devant l’une en faveur
de l’autre. Pensez à un parent qui plaide devant un professeur en
faveur de son enfant ou à un agent qui plaide devant une franchise
sportive en faveur d’un athlète.
Que signifie donc le fait d’intercéder dans le cas de Christ ? Qui
sont les parties concernées ? Dieu le Père, d’un côté, et nous, les
croyants, de l’autre. Mais pourquoi Jésus devrait‑il intercéder pour
nous ? Après tout, n’avons‑nous pas déjà été entièrement justifiés ?
Qu’y a‑t‑il à plaider en notre faveur ? Christ n’a‑t‑il pas déjà fait
tout le nécessaire pour nous acquitter complètement ? Autrement
dit, la doctrine de l’intercession céleste de Christ implique‑t‑elle
que son œuvre expiatoire sur la croix demeure inachevée ? Si nous
parlons de l’œuvre accomplie de Christ à la croix, la doctrine de
l’intercession laisse‑t‑elle entendre que cette œuvre a été incom-
plète en réalité ?
À vrai dire, l’intercession met en œuvre ce que l’expiation a
accompli. L’actuelle intercession de Christ en notre faveur reflète
la plénitude et la victoire de son œuvre terrestre, et non le fait
qu’il manquerait quoi que ce soit à cette dernière. L’expiation a
accompli notre salut ; l’intercession constitue l’application, ins-
tant par instant, de cette œuvre expiatoire. Dans le passé, Jésus a
accompli ce dont il parle actuellement ; dans le présent, Jésus parle
de ce qu’il a alors accompli. Voilà d’ailleurs pourquoi le Nouveau

87
Doux et humble de cœur

Testament marie la justification à l’intercession, comme dans


Romains 8.33,34 : « Qui accusera les élus de Dieu ? C’est Dieu qui
justifie ! Qui les condamnera ? Christ est mort ; bien plus, il est
ressuscité, il est à la droite de Dieu, et il intercède pour nous ! »
L’intercession constitue le bouton « Actualiser » de notre justifi-
cation dans la cour céleste.
L’intercession de Christ reflète les implications personnelles
et profondes de notre salut. Si nous étions informés quant à la
mort et à la résurrection de Christ, mais pas en ce qui a trait à
son intercession, nous serions tentés de percevoir notre salut en
termes outrancièrement axiomatiques. Notre salut nous semblerait
plus mécanique que conforme à la véritable identité de Christ. Son
intercession en notre faveur reflète ses affections – celles qui l’ont
animé tout au long de sa vie et qui l’ont amené jusqu’à mourir pour
son peuple. Ces affections s’expriment actuellement par sa défense
constante de son peuple auprès de son Père et son intercession, le
priant de nous accueillir favorablement.
Non pas que le Père soit peu enclin à nous accueillir ainsi ni
que le Fils soit mieux disposé envers nous que ne l’est le Père. (Nous
approfondirons cette notion au chapitre 14.) De toute éternité, le
Père et le Fils ont convenu de cette œuvre expiatoire ensemble et
avec joie. L’intercession du Fils ne reflète pas le détachement du
Père, mais la chaleur du Fils. Christ n’intercède pas parce que
le Père est insensible à notre sort, mais parce que le Fils brûle
d’amour pour nous. Toutefois, rien ne fait plus plaisir au Père que
d’acquiescer au plaidoyer du Fils en notre faveur.
Pensez à un frère aîné qui encourage son frère cadet durant
une course. Même si en fin de parcours le frère cadet a largement
distancé tout le monde et remportera assurément la course, son
frère aîné arrêtera‑t‑il pour autant d’applaudir et se taira‑t‑il avec
complaisance ? Pas du tout – il poussera à tue‑tête des exclamations

88
Il sauve parfaitement

d’encouragement, d’affirmation, de célébration, de victoire et de


solidarité. Personne ne pourrait lui imposer le silence. Ainsi en
va‑t‑il de notre frère aîné.
John Bunyan a écrit un livre entier portant sur l’intercession
de Christ, qu’il a intitulé Christ a Complete Saviour. Il y explique
entre autres en quoi la doctrine de l’intercession traduit le cœur de
Christ. Notre salut comporte une dimension objective, que Bunyan
décrit sous le rapport de la justification : Dieu « nous justifie non
pas en nous imposant des lois, en nous donnant l’exemple ou en
veillant à ce que nous le suivions, mais en versant son sang pour
nous. Il nous justifie par ce qu’il nous dispense, et non par ce
qu’il attend de nous1. » Or, en plus de cette dimension objective,
l’Évangile renferme une dimension subjective, et remarquez la
manière dont Bunyan en parle :

De même que vous le connaissez et savez qu’il justifie les hommes,


vous devez aussi savoir à quel point il désire accueillir ceux qui
s’approchent de Dieu par lui et agir en leur faveur. À supposer que
ses mérites soient [entièrement] efficaces, s’il se montrait peu enclin
à les mettre à la disposition de ceux qui s’approchent de lui, peu de
gens s’y hasarderaient. Il est aussi libre d’agir qu’il est la plénitude
même. Rien ne lui procure plus de joie que de dispenser ce qu’il a,
de le donner à des êtres nécessiteux 2.

Même si nous croyions pleinement à la doctrine de la justi-


fication et savions que tous nos péchés nous ont été entièrement
pardonnés, nous ne viendrions pas à Christ avec joie s’il était un
Sauveur austère. En effet, même s’il est au ciel, il n’a pas de désir plus

1. The Works of John Bunyan, George Offor, éd., 3 vol., réimpr., Édimbourg, Banner


of Truth, 1991, vol. 1, p. 221.
2. Idem.

89
Doux et humble de cœur

ardent que d’épancher son cœur plein d’amour pour nous devant le
Père. Par son intercession, Christ relie notre cœur à celui du Père.


Le verset sur lequel Bunyan a fait porter son livre intitulé Christ
a Complete Saviour, Hébreux 7.25, constitue peut‑être le verset
clé dans tout le Nouveau Testament au sujet de la doctrine de
l’intercession de Christ. Après avoir réfléchi au sacerdoce éternel
que Christ exerce pour nous, l’auteur de l’épître en vient à cette
conclusion :

C’est aussi pour cela qu’il peut sauver parfaitement ceux qui s’ap-
prochent de Dieu par lui, étant toujours vivant pour intercéder en
leur faveur.

L’adverbe « parfaitement » rend le mot grec panteles. Ce dernier


désigne l’exhaustivité, l’intégralité, la plénitude. Luc 13.11 consti-
tue le seul endroit où ce terme grec est employé dans le Nouveau
Testament. Luc y décrit une femme qui ne pouvait « absolument »
(Semeur) pas se redresser parce que son infirmité la gardait courbée
depuis dix‑huit ans. À quoi bon préciser que Christ sauve « par-
faitement » ? Nous qui connaissons notre cœur le comprenons.
Nous sommes entièrement pécheurs. Nous avons donc besoin
d’un Sauveur parfait.
Christ ne se contente pas de nous venir en aide. Il nous sauve.
Cela semble sans doute évident pour ceux d’entre nous qui marchent
avec le Seigneur depuis longtemps. Bien sûr que Jésus nous sauve.
Cela dit, considérez les penchants de votre cœur. Ne trouvez‑vous
pas en vous‑même une légère tendance à toujours vouloir affer-
mir son œuvre salvatrice en y apportant votre grain de sel ? Nous
sommes enclins à agir comme si l’affirmation d’Hébreux 7.25 était

90
Il sauve parfaitement

que Jésus est capable de « sauver à peu près ceux qui viennent à Dieu
par lui ». Le salut que Christ nous procure est toutefois panteles, en
ce sens qu’il est exhaustif. Selon le fil de pensée d’Hébreux 7, l’au-
teur semble se concentrer plus particulièrement sur la dimension
temporelle du salut. Puisque Jésus « demeure éternellement » et qu’il
« possède un sacerdoce » n’étant pas transmissible (v. 24), contrai-
rement aux sacrificateurs précédents qui sont tous morts (v. 23),
Christ « peut sauver parfaitement ». Nous appartenons pour toujours
à la famille de Dieu et jouirons éternellement de ses bonnes grâces.
Nous avons tous tendance à croire que le pardon de Dieu
ne peut pas atteindre tous les recoins de notre vie. Nous nous
disons entièrement pardonnés. Et nous croyons sincèrement que
nos péchés sont pardonnés. Pour la plupart, en tout cas. Il reste
néanmoins toujours une sphère profonde et sombre de notre vie,
même de notre vie actuelle, qui semble intraitable, laide et irrécu-
pérable. Le mot « parfaitement » dans Hébreux 7.25 signifie que le
pardon, la rédemption, le toucher restaurateur de Dieu atteignent
jusqu’aux brèches les plus sombres de notre âme, là où notre honte
et notre défaite sont les pires. Plus encore : c’est dans ces brèches
remplies de péché que l’amour de Christ se répand le plus. Son
cœur l’y fait aller volontiers. Son cœur l’y pousse le plus fortement.
Il nous connaît parfaitement et nous sauve parfaitement parce que
son cœur l’attire parfaitement à nous. Nous ne pouvons, malgré
nos péchés, nous soustraire à ses tendres soins.
Mais comment le savons‑nous ? Le verset à l’étude nous l’in-
dique : « C’est aussi pour cela qu’il peut sauver parfaitement ceux
qui s’approchent de Dieu par lui, étant toujours vivant pour inter-
céder en leur faveur. » C’est en raison de l’intercession de Christ
que nous savons qu’il nous sauvera parfaitement.
Voici ce que cela veut dire. Le Fils divin présente sans cesse
(remarquez le mot « toujours ») sa vie, sa mort et sa résurrection

91
Doux et humble de cœur

expiatoires devant le Père. Comme l’écrit Calvin, Christ « fixe les


yeux du Père sur sa justice et les détourne de nos péchés, nous
réconciliant si fortement avec son cœur qu’il donne accès, par
son intercession, à son trône3 ». Comprenons‑nous bien ce que
cela signifie ? Vous remarquerez le réalisme béni de la Bible. Il
s’agit de la reconnaissance explicite du fait que nous, les chrétiens,
péchons constamment. Christ continue d’intercéder là‑haut en
notre faveur parce que nous continuons de pécher ici‑bas. Il ne
nous pardonne pas en raison de son œuvre à la croix en espérant
simplement que nous tenions le coup jusqu’à la mort. Imaginez
un planeur remorqué par un avion qui cessera sous peu de le
tracter, le laissant par la suite planer jusqu’au sol. Nous sommes
ce planeur ; Christ est l’avion, mais il ne se détache jamais de
nous. Il ne nous lâche jamais, en nous souhaitant bonne chance
et en espérant que nous parvenions à planer jusqu’au ciel. Il nous
y transporte tout le long.
Voici donc une façon toute simple de concevoir l’intercession
de Christ : Jésus prie pour nous à l’instant même. En ce sens, le
théologien Louis Berkhof a écrit ceci : « Il est réconfortant de penser
que Christ prie pour nous même lorsque nous négligeons notre vie
de prière4. » Celle‑ci fait défaut la plupart du temps. Mais si nous
entendions Jésus prier pour nous à voix haute dans la pièce d’à
côté ? Peu de choses nous apaiseraient davantage.


On néglige de nos jours la doctrine de l’actuelle intercession
de Christ. C’est dommage, car il s’agit d’une vérité réconfortante

3. Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, Charols/Aix-en-Provence,


Excelsis/Kerygma, 2009, p. 461.
4. Louis Berkhof, Systematic Theology, Édimbourg, Banner of Truth, 1958, p. 400.

92
Il sauve parfaitement

venant tout droit du cœur de Christ. Si la doctrine de l’expiation


nous rassure quant à ce que Christ a accompli pour nous dans
le passé, celle de son intercession nous rassure quant à ce qu’il
accomplit dans le présent.
Si vous êtes en Christ, vous avez un Intercesseur, un Médiateur
contemporain, qui célèbre joyeusement avec son Père la merveil-
leuse raison qu’ils ont de nous accueillir de tout leur cœur. À ce
sujet, voici ce que Richard Sibbes a écrit :

Quelle source de réconfort que de pouvoir nous approcher chaque


jour du Dieu qui nous accorde la hardiesse, de lui présenter nos
requêtes au nom de celui en qui il prend plaisir ! Nous avons un ami
à la cour céleste, assis à la droite de Dieu, un ami qui nous repré-
sente au ciel, et qui s’interpose en notre faveur. Qui rend toutes nos
requêtes et nos prières acceptables en les imprégnant de sa bonne
odeur […] Veillons donc à toujours présenter nos requêtes à Dieu
en étant accompagnés de notre frère aîné. […] Dieu pose le regard
sur nous, beaux en lui, et se réjouit à notre vue, car nous sommes
les membres du corps de Christ5.

Notre impiété est extrême, mais Christ nous sauve parfaite-


ment. Et son salut distancie et vainc toujours notre impiété, du fait
qu’il est toujours vivant pour intercéder en notre faveur.

5. Richard Sibbes, « A Description of Christ », dans The Works of Richard Sibbes,


A. B. Grosart, éd., 7 vol., Édimbourg, Banner of Truth, 1983, vol. 1, p. 13.

93
9

Un avocat

Nous avons un avocat auprès du Père,


Jésus‑Christ le juste.
1 Jean 2.1

L a notion de défense est reliée de près à celle de l’interces-


sion. Elles se chevauchent, mais avec une nuance entre les
mots grecs originaux. L’intercession comporte l’idée d’une média-
tion entre deux parties, les rassemblant. La défense est similaire,
mais elle comporte l’idée de se ranger du côté d’une personne.
L’intercesseur se tient entre deux parties ; l’avocat va plus loin : il
passe du côté de l’une d’elles et l’accompagne dans ses pourparlers
avec l’autre. Or, Jésus est non seulement un intercesseur, mais aussi
un avocat. Et comme c’est le cas pour l’intercession, on néglige
aujourd’hui d’enseigner à l’Église ce qui concerne le rôle de Christ
en tant que défenseur, qui émane pourtant tout droit des profon-
deurs de son cœur.
Bunyan a écrit un livre portant sur Hébreux 7.25, le passage clé
relatif à l’intercession de Christ ; il en a également écrit un autre
portant sur 1 Jean 2.1, le passage clé relatif à la défense de Christ,
qui se lit ainsi :

95
Doux et humble de cœur

Mes petits enfants, je vous écris ces choses afin que vous ne péchiez
point. Et si quelqu’un a péché, nous avons un avocat auprès du Père,
Jésus‑Christ le juste.

Le message de grâce du Nouveau Testament n’est pas neutre


sur le plan moral. L’Évangile nous appelle à abandonner le péché.
Jean dit explicitement qu’il a écrit cette épître pour que ses lecteurs
« ne [pèchent] point ». Et si c’était le seul message de l’épître, il
constituerait un appel valable et approprié, mais qui nous brise-
rait. Nous avons besoin non seulement d’une exhortation, mais
aussi d’une libération. Nous avons besoin de Christ non seulement
comme roi, mais aussi comme ami. Non seulement qu’il règne sur
nous, mais aussi qu’il se tienne à nos côtés. Et c’est justement ce
que nous donne le reste du verset.

Et si quelqu’un a péché, nous avons un avocat auprès du Père,


Jésus‑Christ le juste.


Le mot grec rendu par « avocat » (parakletos) dans 1 Jean 2.1
est employé cinq fois dans le Nouveau Testament. Les quatre autres
se trouvent dans le discours de la chambre haute, rapporté dans
Jean 14 – 16, chaque fois en référence au ministère du Saint‑Esprit
après l’ascension de Jésus au ciel (14.16,26 ; 15.26 ; 16.7). Il est dif-
ficile de rendre tout le sens de parakletos par un seul mot français.
La diversité des traductions bibliques témoigne de cette difficulté,
y compris « Avocat » (NEG, BFC, COL), « Défenseur » (BDS, S21),
« quelqu’un d’autre pour vous aider » (PDV) et « Paraclet » (TOB).
Bon nombre de ces traductions renferment une note de bas de page
proposant d’autres équivalents (par ex. : soutien, aide, assistant,
intercesseur), démontrant ainsi la difficulté de rendre parakletos

96
Un avocat

par un seul équivalent français. Ce mot grec évoque une personne


qui se présente au nom d’une autre ; peut‑être que l’équivalent
français « avocat » est celui qui, entre tous, décrit le mieux le rôle
d’un parakletos. (Les premiers théologiens, comme Tertullien et
Augustin, qui écrivaient en latin, rendaient souvent parakletos
dans le Nouveau Testament par advocatus1.)
L’apôtre Jean, dans sa première épître (2.1), s’empresse d’ajou-
ter que Jésus est aussi « une victime expiatoire pour nos péchés »
(1 Jn 2.2). En tant que « victime expiatoire », Jésus apaise et détourne
la juste colère du Père contre nos péchés. Il s’agit d’un terme juri-
dique, objectif. Il se peut que le titre de Christ pour désigner notre
avocat ait une légère connotation juridique, mais le plus souvent
dans la littérature primitive autre que néotestamentaire, il concerne
une réalité plus subjective exprimant une profonde solidarité. Jésus
participe à notre vécu. Il ressent ce que nous ressentons. Il s’ap-
proche de nous. Et il parle avec amour en notre faveur.
Qui cet avocat sert‑il ? Le passage nous l’indique : « quelqu’un »
au sens de quiconque. Il suffit de le vouloir pour obtenir qu’il
nous défende.
Quand bénéficions‑nous de cette défense ? Le passage nous
l’indique : il n’est pas écrit « nous aurons un avocat », mais « nous
avons un avocat ». Ainsi, tous ceux qui sont en Christ ont, à l’ins-
tant même, quelqu’un qui parle en leur faveur.
Pourquoi cet avocat est‑il en mesure de nous aider ? Le pas-
sage nous l’indique : il est « juste ». Lui, et lui seul. Nous sommes
injustes ; il est juste. Même notre repentance la plus sincère est
suivie d’autres péchés requérant plus de pardon. Nous serions
sans recours si nous venions au Père sans avocat. M’allier à un

1. <  https://www.grand-dictionnaire-latin.com/dictionnaire-latin-francais.
php?lemma=ADVOCATUS100 > (page consultée le 10 mars 2021).

97
Doux et humble de cœur

avocat – venu me chercher plutôt que d’attendre que je vienne à


lui, qui est juste en toutes choses – voilà ce qui procure le calme
et la confiance devant le Père.


Examinons de plus près la différence qui existe entre l’inter-
cession de Christ et sa défense, en remarquant la différence qu’il
y a entre Hébreux 7.25 et 1 Jean 2.1. Hébreux 7.25 dit que Christ
vit toujours pour intercéder en notre faveur, alors que 1 Jean 2.1
dit : « Et si quelqu’un a péché, nous avons un avocat. »
Voyez‑vous la différence ? Christ intercède constamment pour
nous tandis qu’il nous défend lorsque la situation l’exige. De toute
évidence, il intercède en notre faveur compte tenu de notre impiété
globale, mais il prend notre défense lorsque nous commettons des
péchés précis. Voici comment Bunyan l’explique :

Christ le Sacrificateur nous précède et Christ l’Avocat nous suit.


Christ le Sacrificateur intercède continuellement ; Christ l’Avocat
plaide en cas de transgressions graves.
Christ le Sacrificateur doit agir sans cesse, mais Christ l’Avocat
n’agit qu’occasionnellement.
Christ le Sacrificateur agit en temps de paix ; mais Christ
l’Avocat agit en temps de tumulte et de grande discorde. Par consé-
quent, Christ l’Avocat est, pour ainsi dire, un réserviste, et son heure
vient de se lever pour plaider la cause des siens quand ils se sont
récemment enlisés dans un péché dont ils se sont souillés2.

Vous remarquerez la nature personnelle de la défense de Christ.


Il ne s’agit pas d’une partie statique de son œuvre. Sa défense

2. John Bunyan, « The Work of Jesus Christ as an Advocate », dans The Works


of John Bunyan, G. Offor, éd., 3 vol., réimpr., Édimbourg, Banner of Truth, 1991,
vol. 1, p. 169.

98
Un avocat

s’établit lorsque la situation l’exige. La Bible n’enseigne nulle part


qu’une fois que nous avons été unis à Christ par le salut, nous
cesserons de pécher. Au contraire, notre état régénéré nous sen-
sibilise plus profondément à l’inconvenance de nos péchés. Ces
derniers nous font l’effet d’être bien pires après notre conversion
qu’avant celle‑ci. Et ce n’est pas qu’une simple perception de notre
impiété ; nous continuons réellement à pécher après être devenus
croyants. Nous commettons d’ailleurs parfois de graves péchés.
Et c’est à ces derniers que sert la défense de Christ. C’est la façon
dont Dieu nous encourage à ne pas baisser les bras. Oui, nous
décevons Christ en tant que disciples. Il reste que sa défense en
notre faveur transcende nos péchés. Sa défense parle plus fort que
nos manquements. Christ s’occupe de tout.
Lorsque vous péchez, rappelez‑vous votre statut juridique
devant Dieu en raison de l’œuvre de Christ ; mais rappelez‑vous
aussi l’Avocat que vous avez devant Dieu en raison du cœur
bienveillant de Christ. Il se porte à la défense de votre cause, sur
le bien‑fondé de ses souffrances et de sa mort. Votre salut n’est
pas simplement associé à une formule rédemptrice, mais à un
Rédempteur. Lorsque vous péchez, il redouble d’ardeur dans votre
défense. Quand ses frères et sœurs trébuchent et tombent, il prend
leur défense en raison de sa nature. Il ne supporte pas de nous
abandonner à nous‑mêmes.


Considérez votre propre vie. Que pensez‑vous de l’attitude
que Jésus adopte relativement au recoin sombre de votre vie que
vous seul connaissez ? Votre alcoolisme. Vos fréquents accès de
colère. Vos pratiques douteuses en affaires. Votre désir invétéré de
plaire à tout le monde qui passe pour de la gentillesse, mais que

99
Doux et humble de cœur

vous savez être plutôt la crainte des hommes. Le vif ressentiment


qui s’exprime par des accusations proférées dans le dos des gens.
L’habitude de consommer de la pornographie.
Qui est Jésus, dans ces moments de vacuité spirituelle ? Non
pas : Qui est‑il une fois que vous avez triomphé de ce péché, mais
qui est‑il lorsque vous cédez au péché ? L’apôtre Jean dit que Christ
défend les croyants contre tous leurs accusateurs. À ce sujet, Bunyan
a écrit : « Satan a eu le premier mot, mais Christ a le dernier. Après
une supplique de notre Avocat, Satan doit rester bouche bée3. »
Jésus est notre parakletos, le défenseur qui nous console, celui qui
est plus près de nous que nous le pensons ; et son cœur le pousse à
prendre notre défense lorsque nous péchons, et non après que nous
ayons triomphé de notre péché. En ce sens, sa défense constitue
en elle‑même notre victoire sur ce péché.
Nous sommes en effet appelés à abandonner nos péchés,
et aucun chrétien en bonne santé spirituelle ne prétendrait le
contraire. Lorsque nous choisissons de pécher, nous renonçons à
notre véritable identité d’enfant de Dieu, nous invitons le malheur
à entrer dans notre vie et déplaisons à notre Père céleste. Nous
sommes appelés à approfondir notre sainteté personnelle au fil de
notre marche avec le Seigneur, ainsi qu’à adopter une consécration
plus vraie et de nouvelles perspectives sur l’obéissance. Cependant,
lorsque ce n’est pas le cas – lorsque nous choisissons de pécher –
notre Sauveur ne nous abandonne pas pour autant, même si nous
renonçons à notre véritable identité. C’est alors même qu’il s’élance
à notre défense au ciel pour faire taire irrévocablement toutes les
accusations portées contre nous, pour émerveiller les anges, pour
célébrer l’accueil que le Père nous réserve malgré toutes nos fautes.
Quel genre de chrétiens cette doctrine engendre‑t‑elle ?

3. Bunyan, The Works of John Bunyan, vol. 1, p. 194.

100
Un avocat

Les êtres humains déchus sont enclins à se défendre eux‑mêmes.


Nous sommes ainsi par nature. Nous croyons à l’auto‑exonération
et à l’autodéfense. Nous n’avons pas besoin d’enseigner aux petits
enfants à se défendre quand nous les surprenons à mal agir. Nous
possédons tous un mécanisme naturel qui s’enclenche aussitôt et
par lequel nous tentons de nous mettre hors de cause. Notre cœur
déchu fabrique intuitivement des raisons de banaliser nos fautes.
La chute se manifeste non seulement par le fait que nous péchons,
mais aussi par notre réaction vis-à-vis de nos péchés. Nous cher-
chons à minimiser, à excuser, à expliquer. Bref, nous parlons, ne
serait‑ce qu’en notre for intérieur, en notre défense. Nous sommes
notre propre avocat.
Et si nous n’avions jamais besoin de nous défendre nous-mêmes
parce qu’un autre a entrepris de le faire ? Et si ce défenseur savait
précisément à quel point nous sommes déchus, et qu’il était capable
en même temps de mieux nous défendre que nous ne le pourrions
jamais ? Et si, contrairement à notre façon d’agir, notre Avocat juste
ne nous excusait pas ni ne nous disculpait, mais nous indiquait son
sacrifice pleinement suffisant et ses souffrances substitutives sur
la croix ? Nous serions libres. Libérés du besoin de nous défendre
nous‑mêmes, de nous valoriser au moyen de notre propre vécu,
de faire discrètement étalage devant les autres de nos vertus tout
en étant cruellement conscients de nos faiblesses. Nous pourrions
confier notre cause à Christ, le seul Juste.
Bunyan présente très bien les choses :

Christ nous a rachetés au prix de son sang, mais ce n’est pas tout ;
Christ le Chef a vaincu la mort et le tombeau pour nous, mais ce
n’est pas tout ; Christ le Sacrificateur intercède pour nous au ciel,
mais ce n’est pas tout. Le péché demeure en nous, et avec nous, et
souille tout ce que nous faisons, que notre action soit religieuse ou

101
Doux et humble de cœur

civile ; car non seulement nos prières et nos sermons, notre écoute
et nos prédications, mais aussi nos maisons, nos boutiques, nos
commerces et nos lits sont tous souillés par le péché.
Et le diable, notre adversaire le jour et la nuit, n’a de cesse de
rapporter nos mauvaises actions à notre Père, en insistant pour qu’en
conséquence ce dernier nous déshérite à tout jamais.
Mais que pourrions‑nous faire maintenant, si nous n’avions pas
d’Avocat ; en effet, si nous n’avions personne pour défendre notre
cause ; en effet, si nous n’avions personne pour triompher du mal
et exécuter fidèlement ces fonctions pour nous ? Rien d’autre que
de mourir.
Mais puisqu’il nous a secourus, imposons‑nous le silence4.

Ne minimisez pas votre péché et ne l’excusez pas. Ne présentez


aucune défense. Soumettez simplement votre cause à celui qui est
déjà assis à la droite du Père et qui vous défend en vertu même de
ses propres blessures. Laissez votre impiété, dans vos ténèbres et
votre désespoir, vous conduire à Jésus‑Christ, le Juste, dans toute
sa lumière et sa toute‑suffisance.

4. Bunyan, Works of John Bunyan, vol. 1, p. 197.

102
10

La beauté du cœur
de Christ

Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi


n’est pas digne de moi.
Matthieu 10.37

À l’été 1740, Jonathan Edwards a prêché un sermon s’adressant


exclusivement aux enfants de son assemblée, âgés d’un an à
quatorze ans. Imaginons ce grand théologien, dans son cabinet de
travail à Northampton, au Massachusetts, en train de se deman-
der que dire aux jeunes de six, huit et dix ans de son Église. De
son élégante écriture, il a noirci douze petites feuilles de papier.
On pouvait y lire simplement, au haut de la première page : « Aux
enfants, août 1740. »
Que croyez‑vous que ce théologien exceptionnel de l’histoire
américaine a dit aux jeunes de son assemblée ? Voici le point princi-
pal d’Edwards : « Les enfants doivent aimer le Seigneur Jésus‑Christ
plus que tout au monde1. »

1. Jonathan Edwards, « Children Ought to Love the Lord Jesus Christ Above


All », dans The Works of Jonathan Edwards, vol. 22, Sermons and Discourses, 1739‑1742,

103
Doux et humble de cœur

Il s’est fondé sur Matthieu 10.37 : « Celui qui aime son père ou


sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. » Il s’agissait d’un court
sermon, qu’il a peut‑être mis quinze à vingt minutes à prêcher.
Dans ce sermon, Edwards énumère six raisons pour lesquelles les
enfants devraient aimer Jésus plus que tout. En voici la première :

Il n’y a d’amour plus grand ni plus merveilleux que celui qui est dans
le cœur de Christ. Il se fait une joie d’user de miséricorde ; il est prêt
à prendre en pitié ceux qui souffrent et qui éprouvent des chagrins ;
il se plaît à faire le bonheur de ses créatures. L’amour et la grâce que
Christ a manifestés surpassent tout ce qu’il y a dans ce monde de la
même manière que la lumière du soleil surpasse celle d’une bougie.
Les parents sont souvent remplis de bonté pour leurs enfants, mais
cette dernière ne saurait se comparer à celle de Jésus‑Christ.

La première chose qui est sortie de la bouche de Jonathan


Edwards, pour exhorter les enfants de son Église à aimer Jésus plus
que tout ce que ce monde a à offrir, est l’expression même du cœur
de Christ. Par ailleurs, dans ce sermon, et plus généralement dans
ses écrits, Edwards nous conduit dans une direction différente de
celle de Goodwin et d’autres théologiens. Quand Edwards parle du
cœur de Christ, il insiste souvent sur la beauté de ce cœur rempli de
grâce. Or, il vaut la peine de consacrer tout un chapitre à ce sujet.


Revenons sur ce que dit Edwards : « Il n’y a d’amour plus grand
ni plus merveilleux que celui qui est dans le cœur de Christ. »
Tout être humain est naturellement attiré par la beauté. Elle
nous captive. Edwards en était tout à fait conscient et il voyait

Harry S. Stout et Nathan O. Hatch, éd., New Haven, Conn., Yale University Press,


2003, p. 171.

104
La beauté du cœur de Christ

que ce magnétisme de la beauté se produisait aussi sur le plan


spirituel – en fait, Edwards disait que c’est de la beauté spirituelle
que toute autre beauté constitue le reflet. Tout au long de son
ministère, Edwards a cherché à attirer les gens par la beauté de
Christ, et c’est précisément ce qu’il a fait auprès des enfants de
son Église en août 1740. Plus loin dans son sermon, il fait cette
remarque : « Tout ce qu’il y a de charmant en Dieu l’est aussi en
Christ, et tout ce qui est ou peut être beau en tout homme l’est
aussi en lui, car il est tout autant homme que Dieu, et il n’y a
eu d’homme plus saint, plus doux, plus humble et en tout point
plus excellent que lui2. »
Toute beauté possible se trouve en Jésus, car « il n’y a eu
d’homme plus saint, plus doux, plus humble et en tout point
plus excellent que lui ». Or, Christ emploie ce même langage dans
Matthieu 11.29 pour décrire la douceur et l’humilité qui caracté-
risent son cœur. Autrement dit, c’est la douceur de son cœur qui
fait sa beauté ; ou en d’autres termes, c’est son cœur doux, tendre
et humble qui nous attire le plus à Christ.
De nos jours, nous évoquons souvent dans nos Églises la
gloire de Dieu et la gloire de Christ. Mais qu’en est‑il de la gloire
divine qui nous attire à lui, qui nous permet de vaincre nos péchés
et qui fait de nous des personnes radieuses ? Est‑ce l’infinité de
Dieu, notre contemplation de l’immensité de l’univers et donc du
Créateur, notre sens de la grandeur transcendante de Dieu, qui
nous attirent à lui ? Non, nous dit Edwards ; c’est la beauté de son
cœur. Il affirme que c’est « la vue de la beauté divine de Christ qui
fait fléchir la volonté des hommes et qui attire leur cœur à lui. La
vue de la grandeur de Dieu dans tous ses attributs a le pouvoir de
terrasser les hommes. » Cependant, notre besoin le plus profond

2. Edwards, Works, vol. 22, p. 172.

105
Doux et humble de cœur

n’est pas de voir la grandeur de Dieu, mais de voir sa bonté. Si


nous ne voyons que sa grandeur, « l’inimitié et l’opposition du
cœur humain peuvent subsister dans toute leur force, et la volonté
rester infléchie ; alors qu’un simple aperçu de la gloire morale et
spirituelle de Dieu et de l’affabilité de Jésus‑Christ, brillant dans
le cœur, triomphe de cette opposition, la réduit à néant, et incline
l’âme vers Christ, pour ainsi dire, au moyen de la toute‑puissance
de Dieu3 ».
Nous sommes attirés à Dieu par la beauté du cœur de Jésus.
Edwards dit dans un autre sermon que, lorsque les pécheurs et
les affligés vont à Christ, « la personne qu’ils trouvent est plus
qu’excellente et magnifique ». Car ils viennent à un être qui est
non seulement « d’une excellente majesté, ainsi que d’une pureté
et d’un éclat parfaits », mais encore en qui cette majesté est « jointe
à la grâce la plus douce qui soit, un être ayant revêtu la bonté et
l’amour4 ». Jésus est « plus que prêt à les recevoir ». Compte tenu
de leur impiété, ils constatent avec stupeur que leurs péchés le
rendent d’autant plus prêt à les accueillir dans son cœur. « Ils le
découvrent, contre toute attente, les bras ouverts pour les accueillir,
prêt à leur pardonner tous leurs péchés pour l’éternité comme s’ils
n’avaient jamais péché5. »
Autrement dit, lorsque nous venons à Christ, nous nous émer-
veillons devant la beauté de son cœur accueillant. C’est d’ailleurs
cet étonnement qui nous attire à lui.

3. Jonathan Edwards, « True grace, Distinguished from the Experience of Devils »,


dans The Works of Jonathan Edwards, vol. 25, Sermons and Discourses, 1743‑1758,
Wilson H. Kimnach, éd., New Haven, Conn., Yale University Press, 2006, p. 635.
4. Jonathan Edwards, « Seeking After Christ », dans The Works of Jonathan Edwards,
vol. 22, Sermons and Discourses, 1739‑1742, Harry S. Stout et Nathan O. Hatch, éd.,
New Haven, Conn., Yale University Press, 2003, p. 289.
5. Edwards, Works of Jonathan Edwards, vol. 22, p. 290.

106
La beauté du cœur de Christ


Avons‑nous considéré la beauté du cœur de Christ ?
Il se peut que cette beauté ne constitue pas un attribut qui
nous vienne naturellement à l’esprit lorsque nous pensons à Christ.
Peut‑être pensons‑nous à Dieu et à Christ en fonction de la vérité,
et non de la beauté. Or, la raison pour laquelle nous aspirons à
préserver la saine doctrine est que nous cherchons à préserver la
beauté de Dieu, de la même manière que nous ajustons l’objectif
d’un appareil photo dans le but de capter avec précision toute la
beauté de ce que nous photographions.
Laissez Jésus vous attirer à lui par la beauté de son cœur. Ce
cœur réprimande l’impénitent avec toute la dureté appropriée,
mais accueille celui qui se repent avec plus d’ouverture que nous
pourrions le concevoir. Ce cœur nous conduit dans les verts pâtu-
rages de l’amour ressenti de Dieu. Ce cœur a attiré les méprisés
et les laissés pour compte à ses pieds, où ils se sont abandonnés à
l’espoir. Ce cœur est parfaitement équilibré ; il ne réagit jamais de
façon excessive, ne cherche jamais d’excuses, ne réprime jamais
avec sévérité. Ce cœur se porte vers les misérables et submerge
ceux qui souffrent d’une grande consolation : celle de savoir qu’il
partage leur souffrance. Ce cœur est doux et humble.
Accueillez donc le cœur non seulement doux, mais également
charmant de Jésus. Si je peux m’exprimer ainsi, soyez épris de Jésus.
Songez à son cœur quand vous méditez sur lui. Laissez‑vous char-
mer par ses attraits. Pourquoi ne pas enrichir votre vie de calme
en adoptant, parmi tant d’autres, la discipline de la contemplation
qui vous permettra d’admirer l’éclat de sa nature, de ses motifs
profonds et de ce qui fait sa joie ? Pourquoi ne pas accorder plus
de place à votre âme en vue de laisser Christ vous charmer encore
et toujours ?

107
Doux et humble de cœur

Comment croyez‑vous que les glorieux et saints aînés dans


votre Église sont parvenus où ils se trouvent actuellement ? Par la
saine doctrine, certes. Par une ferme obéissance, sans aucun doute.
Par l’acceptation de souffrir sans devenir cynique, assurément.
Mais peut‑être aussi pour une autre raison, sans doute la plus pro-
fonde : ils ont été, au fil du temps, gagnés dans leurs plus profondes
affections par un Sauveur rempli de douceur. Il se peut qu’au cours
de nombreuses années, ils aient simplement goûté l’étonnement
d’un Christ que leurs péchés mêmes ont attiré à eux plutôt que de
l’éloigner d’eux. Il est possible qu’ils aient non seulement su que
Jésus les aimait, mais encore qu’ils l’aient ressenti.


Nous ne pouvons clore le présent chapitre sans nous remémorer
les enfants qui font partie de notre vie. Jonathan Edwards a dit ceci
aux enfants qu’il connaissait : « Il n’y a d’amour plus grand ni plus
merveilleux que celui qui est dans le cœur de Christ. » Comment
pourrions‑nous l’imiter à notre façon et à notre époque ?
De quoi ont besoin les enfants que nous croisons dans les cou-
loirs de notre église ? De quoi ont‑ils le plus besoin ? Oui, ils ont
besoin d’amis, d’encouragements et d’une aide aux études, ainsi que
de repas nutritifs. Mais se peut‑il que leur besoin le plus réel – ce
qui les soutiendra et leur donnera de l’élan quand bien même aucun
autre de leurs besoins vitaux ne serait comblé – consiste à savoir
reconnaître toute la beauté de Jésus et ce qu’il ressent à leur égard ?
Parents, quelle responsabilité devons‑nous assumer envers
nos enfants ? Nous pourrions proposer une centaine de bonnes
réponses à cette question. Il reste que notre tâche consiste essen-
tiellement à montrer à nos enfants que même notre amour le plus
profond n’est que le reflet d’un amour encore plus profond. Nous

108
La beauté du cœur de Christ

devons rendre le tendre cœur de Christ irrésistible et inoubliable.


Nous devons veiller à ce que nos enfants, lorsqu’ils quittent la
maison à dix‑huit ans, soient incapables de vivre le reste de leur vie
en croyant que leurs péchés et leurs souffrances rebutent Christ.
C’est peut‑être le plus beau cadeau que mon père m’a légué.
Il a enseigné à ses enfants la saine doctrine, bien sûr – ce qui
fait d’ailleurs cruellement défaut à la vie familiale des chrétiens
évangéliques d’aujourd’hui. Il m’a toutefois montré quelque chose
d’encore plus profond que la vérité au sujet de Dieu, à savoir le
cœur même de Dieu, manifesté en Christ, l’ami des pécheurs.
Mon père a rendu ce cœur beau à mes yeux. Il ne m’a pas forcé
à venir à Jésus ; il m’y a conduit. Nous avons nous aussi le privi-
lège de trouver des moyens créatifs d’attirer les enfants qui nous
entourent au cœur de Jésus. Son désir de s’approcher des pécheurs
et des affligés constitue une vérité non seulement en matière de
doctrine, mais aussi en matière de beauté.

109
11

La vie émotionnelle
de Christ

Jésus, la voyant pleurer, elle et les Juifs qui étaient


venus avec elle, frémit en son esprit,
et fut tout ému.
Jean 11.33

I l y a une doctrine inhérente à la christologie que certains chré-


tiens ont du mal à saisir pleinement : l’humanité permanente
de Christ. On semble croire que le Fils de Dieu est descendu du
ciel sous une forme incarnée, qu’il a passé trois décennies dans
le corps d’un homme, puis est retourné au ciel y réintégrer l’état
dans lequel il se trouvait avant son incarnation.
Il s’agit toutefois d’une erreur christologique, pour ne pas dire
d’une pure hérésie. Le Fils de Dieu s’est revêtu d’humanité, de
laquelle il ne se départira jamais. Il s’est fait homme et le restera
éternellement. Voilà d’ailleurs la signification de la doctrine relative
à l’ascension de Christ, c’est‑à‑dire qu’il est monté au ciel dans le
corps même qui est sorti du tombeau, reflétant sa pleine huma-
nité. Bien entendu, il est et a toujours été Dieu également. Or, son

111
Doux et humble de cœur

humanité, maintenant qu’il l’a revêtue, ne prendra jamais fin. En


Christ, comme le dit le Catéchisme de Heidelberg, « nous avons
notre chair au ciel » (Q. 49).
Voici une implication de cette vérité concernant l’humanité
permanente de Christ : lorsque nous voyons les sentiments, les
passions et les affections du Christ incarné envers les pécheurs
et les affligés, comme ils nous sont communiqués dans les quatre
Évangiles, nous voyons qui est Jésus pour nous aujourd’hui. Le
Fils n’a pas réintégré l’état divin désincarné dans lequel il existait
avant de s’incarner.
Et le corps que le Fils a revêtu était d’une humanité véritable
et intégrale. En effet, Jésus était la personne la plus réellement
humaine à avoir existé. Des hérésies anciennes comme l’euty-
chianisme et le monophysisme en ont amené certains à percevoir
Jésus comme issu d’un croisement d’humanité et de divinité, un
être unique appartenant à une autre catégorie qui se situe entre
Dieu et l’homme – hérésies que l’on a condamnées lors du qua-
trième concile œcuménique du christianisme, qui s’est tenu en
l’an 451 à Chalcédoine (dans la Turquie actuelle). Le symbole de
Chalcédoine qui a résulté de ce concile parle de Jésus comme étant
« véritablement Dieu et véritablement homme », plutôt que de le
réduire à un mélange des deux. Tout ce que comprend le fait d’être
humain (et d’être humain sans pécher), Jésus l’était et l’est encore.
Or, les émotions sont une partie essentielle de tout être humain.
Bien entendu, la chute a entaché nos émotions, comme elle l’a fait
de toutes les dimensions de l’humanité déchue. Les émotions ne
découlent toutefois pas de la chute. Jésus a éprouvé toute la gamme
d’émotions que nous éprouvons (Hé 2.17 ; 4.151). Comme l’explique

1. B. B. Warfield, The Person and Work of Christ, Oxford, Royaume-Uni, Benediction


Classics, 2015, p. 137‑138.

112
La vie émotionnelle de Christ

Calvin : « De même que le Fils de Dieu s’est revêtu de notre chair,
il s’est aussi revêtu volontiers de nos sentiments humains, afin de
ne différer en rien de ses frères, à la seule exception du péché2. »
B. B. Warfield (1851‑1921), le grand théologien de Princeton, a
écrit en 1912 un célèbre essai intitulé « On the Emotional Life of Our
Lord » (Sur la vie émotionnelle de notre Seigneur). Dans cet essai, il
explore ce que les Évangiles révèlent au sujet de la vie intérieure de
Christ, ce que Warfield appelle sa vie « émotionnelle ». Warfield ne
veut pas dire ce que nous entendons souvent par le mot émotion-
nel – à savoir, déséquilibré, réactionnaire, mu par des sentiments
malsains. Il ne fait que remarquer ce que Jésus ressentait. Et en
réfléchissant aux émotions de Christ, Warfield souligne souvent
le fait que ses émotions émanent des profondeurs de son cœur.
Que voyons‑nous donc dans les Évangiles au sujet de la vie
émotionnelle de Jésus ? À quoi ressemble une vie émotionnelle
empreinte de piété ? Il s’agit d’une part d’une vie intérieure par-
faite quant à l’équilibre, aux proportions et à la maîtrise ; mais qui
d’autre part nourrit aussi de profonds sentiments.
Warfield se penche sur diverses émotions que Jésus manifeste
dans les Évangiles. Il explore deux d’entre elles, la compassion et la
colère, d’une manière qui enrichit notre étude du cœur de Christ.


Voici comment Warfield amorce son étude de certaines émo-
tions propres à la vie de Christ :

S’il y a une émotion que nous devrions naturellement nous attendre


à voir le plus souvent attribuée à ce Jésus dont toute la vie constituait
une mission de miséricorde, et dont tout le ministère était si riche en

2. Jean Calvin, Sur l’Évangile selon Saint Jean, Paris, Ch. Meyrueis, 1854, adap-
tation libre.

113
Doux et humble de cœur

bonnes œuvres que ses disciples se le remémoraient comme « allant


de lieu en lieu faisant du bien » (Ac 10.38), c’est certainement « la
compassion ». En réalité, il s’agit là de l’émotion qu’on lui attribue
le plus souvent3.

Puis il poursuit en citant des exemples précis de la compassion


de Christ. Chaque fois, il veut nous aider à voir que Jésus ne s’est
pas contenté d’accomplir des œuvres de compassion, mais qu’il
ressentait en fait un tumulte intérieur et des émotions bouillon-
nantes de pitié envers les plus démunis. Lorsque les aveugles, les
infirmes et les affligés imploraient l’aide de Jésus, « son cœur le
poussait à avoir profondément pitié d’eux. Sa compassion se tra-
duisait par un acte concret ; mais ce que le terme employé pour
exprimer la réponse de notre Seigneur met en lumière, c’est […]
le remous intérieur profond de sa nature émotionnelle4. » Le fait,
par exemple, d’entendre la supplication des deux aveugles voulant
recouvrer la vue (Mt 20.30,31) ou du lépreux voulant être purifié
(Mc 1.40), ou simplement de voir (sans entendre de supplication)
une veuve en détresse (Lu 7.12) « émeut le cœur de notre Seigneur
rempli de pitié5 ».
À chacune de ces occasions, la Bible dit que Jésus est mû par
la même réalité intérieure (Mt 20.34 ; Mc 1.41 ; Lu 7.13). Le mot
grec employé est splanchnizomai, qui est souvent rendu par « être
ému de compassion ». Ce mot évoque cependant plus qu’une pitié
passagère ; il désigne une profondeur de sentiment selon laquelle
nos sentiments et nos désirs nous remuent les entrailles.
Warfield se montre toutefois particulièrement perspicace
quand il parle de l’importance de la compassion dans notre

3. Warfield, The Person and Work of Christ, p. 96.


4. Warfield, The Person and Work of Christ, p. 97‑98.
5. Warfield, The Person and Work of Christ, p. 98.

114
La vie émotionnelle de Christ

compréhension de l’identité de Jésus et de la nature de sa vie émo-


tionnelle. Tout au long de son essai, Warfield réfléchit au fait que
Jésus est le seul être humain parfait à avoir vécu ici‑bas. Et il en
vient à se poser cette question : Comment sommes‑nous donc
censés comprendre sa vie émotionnelle, et une émotion comme
la compassion ? Ce qu’il nous aide à voir, c’est que les émotions
de Christ surpassent les nôtres en profondeur, car il était à la fois
pleinement humain (par opposition à un croisement de divin et
d’humain) et parfait.
Un exemple pourrait bien clarifier les choses. Je me rappelle
avoir parcouru les rues de Bangalore, en Inde, il y a quelques
années. Je venais de prêcher dans une église en ville et j’attendais
que l’on passe me prendre. Tout juste en dehors de l’enceinte de
l’église se tenait un homme âgé, apparemment un sans‑abri, assis
dans une grande boîte de carton. Ses vêtements étaient déchirés
et sales. Il lui manquait plusieurs dents. Et ce qu’il y avait de plus
dérangeant chez lui, c’étaient ses mains. La plupart de ses doigts
étaient partiellement rongés. Il était évident qu’ils n’avaient pas
été endommagés par une blessure, mais simplement rongés au fil
du temps. C’était un lépreux.
Que s’est‑il produit dans mon cœur à ce moment‑là ? Dans
mon cœur déchu et enclin à errer ? De la compassion. Un peu, du
moins. Mais c’était une compassion tiède. La chute a causé la ruine
de tout mon être, y compris celle de mes émotions. Les émotions
déchues non seulement nous font réagir avec une impiété outran-
cière, mais elles peuvent aussi émousser nos réactions. Pourquoi
ressentais‑je si peu de sympathie pour ce pauvre homme ? Parce
que je suis pécheur.
Que pourrait donc représenter pour un homme sans péché et
aux émotions parfaitement saines le fait de poser le regard sur ce

115
Doux et humble de cœur

lépreux ? Le péché en moi a restreint ma compassion ; que pourrait


constituer le fait d’avoir une compassion sans restriction ?
Or, c’est précisément ce que Jésus éprouvait. Une compassion
parfaite, non altérée par quoi que ce soit. À quoi ressemblerait
une telle compassion chez lui ? À quoi ressemblerait une pitié par-
faite, annoncée non pas par un oracle prophétique comme dans
l’Ancien Testament, mais par un véritable être humain ? Et si cet
être humain était encore humain, bien que maintenant au ciel, et
regardait chacun de nous, lépreux spirituels, avec une compassion
non altérée, une affection débordante et non limitée par l’égocen-
trisme impie qui restreint notre propre compassion ?


Et il n’y a pas que la compassion. À quoi ressemblerait une
colère parfaite ?
Voilà peut‑être la contribution clé de l’essai novateur de
Warfield, qui pourrait bien faire naître une question importante
dans votre esprit au cours de la présente étude sur le cœur de
Christ. À savoir, en quoi cet accent sur le cœur de Christ, son cœur
doux et humble, sa profonde compassion, est‑il compatible avec
les épisodes de colère rapportés dans les Évangiles ? En insistant
sur sa douceur, n’abordons‑nous pas la question d’un point de vue
arbitraire ? Christ n’est‑il pas aussi capable de colère ?
Considérons ce que dit Warfield alors qu’il se penche sur
la colère de Jésus. Après avoir noté que la perfection morale
implique non seulement de faire la distinction entre le bien et le
mal, mais aussi de se laisser attirer par l’un et rebuter par l’autre,
il explique ceci :

Il serait donc impossible pour un être moral de rester indifférent et


imperturbable en présence de ce qu’il percevrait comme étant mal.

116
La vie émotionnelle de Christ

Par « être moral », nous entendons précisément un être capable de


faire la différence entre le bien et le mal et qui réagit à sa perception
des deux de manière appropriée. L’indignation et la colère appar-
tiennent par conséquent à l’expression même de l’être moral et ne
peuvent lui faire défaut en présence du mal6.

Warfield dit ainsi qu’un être humain moralement parfait


comme Christ se contredirait s’il ne se mettait pas en colère. Il
se peut que nous ayons le sentiment de négliger sa colère dans la
mesure où nous insistons sur la compassion de Christ ; et que nous
négligeons sa compassion dans la mesure où nous insistons sur
sa colère. Toutefois, ce que nous devons voir, c’est que les deux se
correspondent. Un Christ dépourvu de compassion n’aurait jamais
pu se mettre en colère contre les injustices qui l’entouraient, contre
la dureté et la barbarie humaines, même celles de l’élite religieuse.
Non, « la compassion et l’indignation émanent toutes deux de son
âme7 ». C’est le père qui aime le plus sa fille qui se mettra le plus
farouchement en colère s’il la voit être maltraitée.
Considérons la colère de Jésus au moyen du syllogisme suivant :

Première prémisse : La bonté morale pousse à se révolter avec colère


et indignation contre le mal.

Seconde prémisse : Jésus était le parangon de la bonté morale ; il


était moralement parfait.

Conclusion : Jésus se révoltait contre le mal avec colère et indignation


plus que quiconque.

Oui, Jésus blâmait sévèrement ceux qui amenaient les enfants


à pécher, disant qu’il vaudrait mieux pour eux qu’on les noie

6. Warfield, The Person and Work of Christ, p. 107.


7. Warfield, The Person and Work of Christ, p. 141.

117
Doux et humble de cœur

(Mt 18.6), non pas parce qu’il jubilait à l’idée de torturer les


méchants, mais parce qu’il vouait aux petits enfants un amour
des plus profond. C’est son cœur rempli d’amour, et non le plaisir
qu’il avait à rendre justice, qui le poussait à se prononcer aussi
durement contre les fautifs.
De même, qu’est-ce qui motive ses jugements aussi terrifiants
contre les scribes et les pharisiens tout au long de Matthieu 23 ?
C’est l’intérêt qu’il portait à ceux que ces docteurs de la loi (Ph. D.)
révérés égaraient et maltraitaient. Celui qui prêtait l’oreille à ces
enseignants se voyait imposer « des fardeaux pesants » (Mt 23.4)
et devenait « un fils de la géhenne deux fois plus [qu’eux] » (23.15).
Bref, le sang de toute une succession de prophètes justes est retombé
sur les scribes et les pharisiens (23.34,35). Leur cœur à l’égard des
gens était à l’opposé du cœur de Jésus. Ils désiraient se servir des
gens pour s’élever ; Jésus désirait servir les gens pour les édifier.
Jésus voulait rassembler son peuple sous son aile comme une poule
rassemble ses poussins sous les siennes par souci de protection
maternelle (23.37).
Que dire du fait que Jésus a chassé les changeurs du Temple ?
Ce n’était pas là un geste particulièrement empreint de délicatesse.
En quoi son cœur concorde‑t‑il avec cet acte ? La Bible nous dit
que Jésus a confectionné lui‑même le fouet (Jn 2.15). Imaginez‑le,
seul à l’écart, en train de se fabriquer calmement une arme avec
laquelle il allait chasser férocement les changeurs en renversant
leurs tables. Mais pourquoi a‑t‑il agi de la sorte ? Parce qu’ils
avaient souillé le Temple. C’était la maison de Dieu, le seul endroit
où les pécheurs pouvaient venir offrir des sacrifices et communier
avec Dieu, assurés d’obtenir sa faveur et sa grâce. Ce devait être
un lieu de prière, d’interaction bénie entre Dieu et son peuple. Les
changeurs transformaient littéralement le Temple, ce lieu servant à
connaître et à voir Dieu, en un lieu servant à des fins mercantiles.

118
La vie émotionnelle de Christ

Autrement dit, Christ s’est bel et bien mis en colère, ce qui est
encore le cas aujourd’hui, du fait qu’il est l’être humain parfait,
qui aime trop pour rester indifférent. Et cette juste colère reflète
son cœur, sa tendre compassion. Puisque son cœur éprouve cette
tendre compassion, c’est lui qui se met le plus rapidement en colère
et qui ressent la colère la plus passionnée –, et cela, sans jamais
commettre le moindre péché.
Dans les Évangiles, la meilleure description de la juste colère
de Christ se trouve dans Jean 11.33 et 38, où l’état intérieur de
Jésus est présenté comme une fureur profonde devant la mort de
Lazare. « Jésus s’est approché du tombeau de Lazare dans un état
non pas de chagrin incontrôlable, mais de colère irrépressible.
[…] L’émotion qui lui transperçait la poitrine et qui exigeait de se
manifester était pure fureur8. » Warfield poursuit en considérant
le rôle que joue l’épisode de Lazare dans l’ensemble de l’Évangile
selon Jean. Remarquez la manière dont il fait le lien avec le cœur
de Christ :

Une fureur inextinguible se saisit de lui. […] C’est la mort qui fait
l’objet de sa colère, et derrière la mort celui qui a le pouvoir de la
donner, celui qu’il est venu dans le monde pour détruire. Il se peut
que des larmes de sympathie lui montent aux yeux, mais ce fait
est accessoire. La fureur envahit son âme. […] La résurrection de
Lazare devient ainsi non pas un miracle isolé, mais […] une occa-
sion marquante et le symbole évident de la victoire de Jésus sur la
mort et l’enfer.
Ce que Jean fait pour nous […] c’est de nous dévoiler le cœur
de Jésus, tandis qu’il nous acquiert le salut. Jésus châtie en notre
faveur non pas avec indifférence, mais avec une colère enflammée
contre son ennemi juré. Il ne s’est pas limité à nous sauver des maux

8. Warfield, The Person and Work of Christ, p. 115.

119
Doux et humble de cœur

qui nous oppriment, mais qui plus est, il a ressenti et partagé notre
oppression, et sous l’impulsion de ces sentiments, il a accompli
notre rédemption9.


Si Christ se montre un lion envers l’impénitent, il est un agneau
envers celui qui se repent – celui qui est amoindri, qui fait preuve
d’ouverture, qui a soif, qui se confesse, qui est effacé. Il hait d’une
juste haine tout ce qui vous tourmente. Rappelez‑vous qu’Ésaïe 53
parle de Christ comme portant nos souffrances et se chargeant de
nos douleurs (v. 4). Non seulement a-t‑il été puni à notre place,
subissant quelque chose que nous ne subirons jamais (la condam-
nation), mais encore il souffre avec nous, subissant ce que nous
subissons nous‑mêmes (les mauvais traitements). Lorsque vous
êtes affligé, il l’est aussi. Lorsque vous êtes en détresse, il l’est aussi.
Êtes‑vous en colère ? Ne vous empressez pas de la juger impie.
Après tout, la Bible nous commande de nous mettre en colère
lorsque la situation l’exige (Ps 4.5, BDS ; Ép 4.26, BDS). Peut‑être
avez‑vous de bonnes raisons d’être en colère. Peut‑être a‑t‑on
péché contre vous et que la seule réaction appropriée soit la colère.
Consolez‑vous, Jésus partage votre colère. Il se joint à vous dans
votre colère. En outre, il est plus en colère que vous ne pourriez
l’être devant le tort qui vous est causé. Votre juste colère n’est qu’un
reflet de la sienne. Et sa colère, contrairement à la vôtre, n’est aucu-
nement entachée par le péché. En vous remémorant ceux qui vous
ont causé du tort, laissez Jésus se mettre en colère à votre place. Sa
colère est justifiée, car elle découle de sa compassion pour vous.

9. Warfield, The Person and Work of Christ, p. 117. Voir aussi le commentaire de
Calvin, qui donne explicitement tort à Augustin et qui s’accorde à l’avance avec Warfield
au sujet du caractère pleinement humain des émotions de Christ dans Jean 11 : Calvin,
Commentaire sur l’Évangile selon Saint Jean, tome 1.

120
La vie émotionnelle de Christ

L’indignation qu’il a ressentie à la vue des mauvais traitements


que l’on réservait à d’autres dans les Évangiles est la même qu’il
ressent maintenant au ciel à la vue des mauvais traitements que
l’on vous inflige.
Connaissant cette vérité, libérez votre détracteur et reprenez
votre souffle. Laissez l’amour que Christ vous porte non seulement
vous laver de vos péchés avec compassion, mais vous assurer aussi
sa solidarité avec la fureur qu’il déploie contre tout ce qui vous
tourmente, plus particulièrement la mort et l’enfer.

121
12

Un tendre ami

… un ami des publicains et des gens


de mauvaise vie.
Matthieu 11.19

L e cœur de Christ évoque notamment l’amitié, celle d’un ami


des plus fidèles.
Les générations passées percevaient Christ ainsi plus couram-
ment qu’aujourd’hui. Nous aborderons le thème de l’amitié divine
chez les puritains dans le présent chapitre. Cependant, nul besoin
de revenir à des auteurs historiques ni même à des auteurs chrétiens
pour constater que nous avons de nos jours appauvri lamentable-
ment le concept même d’amitié entre êtres humains, peut‑être en
particulier entre hommes. Richard Godbeer, professeur d’Histoire
à la Virginia Commonwealth University, a démontré par le vaste
examen d’une correspondance épistolaire que l’on a considérable-
ment réduit de nos jours la richesse de l’amitié entre hommes si
on la compare à l’affection saine et non érotique que les hommes
avaient les uns pour les autres dans l’Amérique coloniale1.

1. Richard Godbeer, The Overflowing of Friendship: Love Between Men and


the Creation of the American Republic, Baltimore, Mar., Johns Hopkins University

123
Doux et humble de cœur

Il reste que, si nous laissons le monde qui nous entoure avec


sa culture actuelle nous dicter l’importance de l’amitié, non seu-
lement nous passons à côté d’une réalité essentielle à l’épanouis-
sement humain sur le plan horizontal, mais aussi, et pire encore,
nous passons à côté de la jouissance de l’amitié avec Christ sur le
plan vertical.
L’une des références les plus touchantes à l’amitié de Christ pré-
cède tout juste Matthieu 11.28‑30. Dans Matthieu 11.19, Jésus cite
ses détracteurs, qui l’appellent avec mépris « un ami des publicains
et des gens de mauvaise vie » (à savoir un ami de ceux que la culture
de l’époque considérait comme les pires pécheurs). Et comme c’est
souvent le cas dans les Évangiles – par exemple lorsque les démons
disent : « Je sais qui tu es : le Saint de Dieu » (Mc 1.24) ou lorsque
Satan reconnaît lui‑même que Christ est le « Fils de Dieu » (Lu 4.9),
ce ne sont pas ses disciples, mais ses antagonistes qui discernent le
plus clairement qui il est. Bien que la foule l’accuse d’être l’ami des
pécheurs, cette épithète est des plus réconfortantes pour ceux qui
se reconnaissent pécheurs. Le fait que Jésus est l’ami des pécheurs
n’est répréhensible que pour ceux qui ne se perçoivent pas comme
faisant partie de cette catégorie.
Que signifie le fait pour Christ d’être l’ami des pécheurs ? Au
bas mot, cela veut dire qu’il se plaît à passer du temps en leur
compagnie. Cela signifie également qu’ils se sentent les bienvenus
auprès de lui et à l’aise avec lui. Vous remarquerez la phrase qui
amorce une série de paraboles dans l’Évangile selon Luc : « Tous
les publicains et les gens de mauvaise vie s’approchaient de Jésus
pour l’entendre » (Lu 15.1). Or, les deux groupes de personnes
avec lesquels on accuse Jésus de se lier d’amitié dans Matthieu 11
sont précisément ceux qui n’arrivent pas à rester loin de lui dans

Press, 2009.

124
Un tendre ami

Luc 15. Ces personnes se sentent bien avec lui. Elles sentent qu’il
y a quelque chose de différent chez lui. D’autres les tiennent à
distance, mais Jésus les attire en leur offrant l’espoir. Au fond, ce
qu’il fait, c’est les attirer à son cœur.


Considérez votre propre cercle relationnel. Il ne fait aucun
doute que vous pourriez tracer des cercles concentriques et y placer
vos amis selon leur proximité de vous. Il y a des gens dont nous
connaissons le nom, mais qui sont en réalité en périphérie de nos
affections. D’autres sont plus près du centre, mais peut‑être sans
être des amis intimes. Certains d’entre nous sont bénis d’avoir
un ou deux amis particulièrement proches, qui les connaissent
véritablement et qui les comprennent, des gens avec qui il fait bon
être. Nous placerions ces personnes près du centre. À beaucoup
d’entre nous, Dieu a donné un mari ou une femme pour meilleur
ami ou meilleure amie terrestre.
Pour d’autres, bien entendu, cette simple pensée s’avère dou-
loureuse. Certains d’entre nous sont forcés de reconnaître qu’ils
n’ont pas de véritable ami, une personne à qui confier n’importe
quel problème, sachant qu’elle ne leur tournera pas le dos. Avec
qui nous sentons‑nous vraiment en sécurité – assez pour par-
ler de tout ?
Voici la promesse de l’Évangile et le message de toute la Bible :
en Jésus‑Christ, nous avons un ami qui se plaira toujours en notre
présence plutôt que de s’y refuser. Il s’agit d’un compagnon dont
l’accueil ne s’améliore ni ne se détériore selon que nous sommes
purs ou impurs, attrayants ou révoltants, fidèles ou vacillants. Sur
le plan subjectif, son amitié est aussi stable et ferme que l’est notre
justification sur le plan objectif.

125
Doux et humble de cœur

Ne serions‑nous pas nombreux à admettre que, même avec


nos meilleurs amis, nous ne nous sentons pas pleinement à l’aise
de tout révéler au sujet de notre vie ? Nous les aimons bien, nous
les aimons même tendrement, nous allons en vacances avec eux
et nous les encensons auprès des autres – mais, au plus profond de
nous‑mêmes, nous ne nous livrons pas véritablement à eux. Même
dans leur mariage, bon nombre d’entre nous sont amis, mais sans
jamais dévoiler leur âme comme ils dévoilent leur corps.
Et si vous aviez un ami au centre de votre cercle relationnel qui
ne s’offusquerait jamais de ce que vous lui confieriez, même concer-
nant les pires aspects de votre vie ? Toutes nos amitiés humaines
ont leurs limites quant à ce qu’elles peuvent supporter. Mais s’il
existait un ami n’ayant pas ces limites ? Aucun seuil fixé après
lequel il cesserait de vouloir être avec nous ? « Tous les types et les
degrés d’amitié se rencontrent en Christ », a écrit Sibbes2.
Considérez la description du Christ ressuscité faite dans
Apocalypse 3. Il dit alors (à un groupe de chrétiens qui sont mal-
heureux, misérables, pauvres, aveugles et nus, v. 17) : « Voici, je me
tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre
la porte » – que fera Christ ? – « j’entrerai chez lui, je souperai avec
lui, et lui avec moi » (v. 20). Jésus désire venir à vous – malheureux,
misérable, pauvre, aveugle et nu que vous êtes – et partager un
repas avec vous. Passer du temps en votre compagnie. Approfondir
votre relation. Avec un bon ami, nul besoin de toujours combler
le silence. On peut simplement être en présence chaleureuse l’un
de l’autre, à jouir en silence de la compagnie l’un de l’autre. « La
communion mutuelle est l’âme de toute amitié véritable, écrit

2. Richard Sibbes, « Bowels Opened, Or, A Discovery of the Near and Dear


Love, Union, and Communion Between Christ and the Church », dans The Works of
Richard Sibbes, A. B. Grosart, éd., 7 vol., réimpr., Édimbourg, Banner of Truth, 1983,
vol. 2, p. 36.

126
Un tendre ami

Goodwin, et la conversation familière avec un ami est la plus


douce de toutes3. »
Évitons toutefois d’user d’une trop grande familiarité avec
Jésus. Ce n’est pas un ami comme tous les autres. Quelques cha-
pitres plus tôt dans le livre de l’Apocalypse, nous lisons une des-
cription de Christ si glorieuse que Jean tombe à ses pieds comme
mort (1.12‑17). Nous devons aussi éviter d’altérer la réalité de son
humanité, le pur désir relationnel qui transparaît clairement dans
les propos du Christ ressuscité. Il n’attend pas que l’on suscite en
lui un élan du cœur ; il se tient déjà à la porte, en train d’y frapper,
désireux de venir à nous. Que devons‑nous faire ? « Notre devoir, dit
Sibbes, consiste à accepter l’invitation de Christ. Que ferons‑nous
pour lui, sinon jouir de sa présence4 ? »


Non seulement un véritable ami vous accompagne, mais encore
il vous permet de l’accompagner. De plus, il s’ouvre à vous sans
rien retenir. Avez‑vous déjà remarqué le point particulier que Jésus
soulève en appelant ses disciples « amis » dans Jean 15 ? À l’ap-
proche de sa crucifixion, Jésus leur dit : « Je ne vous appelle plus
serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ;
mais je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait connaître
tout ce que j’ai appris de mon Père » (Jn 15.15).
Les amis de Jésus sont ceux à qui il a confié ses desseins les plus
secrets. Jésus dit qu’il ne transmet pas à ses disciples une partie de
ce que le Père lui a dit, mais plutôt la totalité. Il ne leur cache rien.
Il les laisse entrer dans toutes ses confidences. Les amis de Jésus

3. Thomas Goodwin, « Of gospel Holiness in the Heart and Life, dans The Works
of Thomas Goodwin, 12 vol., réimpr., Grand Rapids, Mich., Reformation Heritage,
2006, vol. 7, p. 197.
4. Sibbes, « Bowels Opened », vol. 2, p. 34.

127
Doux et humble de cœur

sont les bienvenus s’ils souhaitent venir à lui. Jonathan Edwards


a prêché ce qui suit :

En Christ, Dieu permet à de pauvres créatures insignifiantes comme


vous de venir à lui, de jouir d’une communion avec lui et d’entretenir
avec lui une communication empreinte d’amour. Vous pouvez aller à
Dieu et lui dire combien vous l’aimez, lui ouvrir votre cœur, et il vous
accueillera. […] Il est descendu du ciel et a revêtu la nature humaine
afin d’être près de vous et d’être, pour ainsi dire, votre compagnon5.

Le mot compagnon désigne un ami, mais il rend plus précisé-


ment l’idée de quelqu’un qui chemine avec nous. Tout au long de
notre pèlerinage à travers le grand désert qu’est le monde, nous
avons un ami fidèle et constant.
Ce que j’essaie de dire dans le présent chapitre, c’est que non
seulement le cœur de Christ guérit notre sentiment de rejet par
l’accueil qu’il nous réserve, remplace notre perception de sa dureté
par une perception de sa douceur et change notre présomption de
son indifférence en conscience de sa sympathie envers nous, mais
aussi qu’il comble notre solitude par sa simple présence.
Dans le deuxième volume de The Works of Richard Sibbes,
l’auteur réfléchit à ce que signifie le fait d’avoir Christ pour ami.
Le thème commun aux multiples facettes de l’amitié de Christ

5. Jonathan Edwards, « The Spirit of the True Saints Is a Spirit of Divine Love »,


dans The Glory and Honor of God: Volume 2 of the Previously Unpublished Sermons of
Johathan Edwards, Michael McMullen, éd., Nashville, Tenn., Broadman, 2004, p. 339.
Edwards a écrit : « Il n’y a personne dans le monde qui jouisse d’une relation plus tou-
chante avec les chrétiens que Christ ; il est notre ami, et le plus intime. » The Works of
Jonathan Edwards, vol. 10, « Sermons and Discourses, 1720‑1723 », Wilson H. Kimnach,
éd., New Haven, Conn., Yale University Press, 1992, p. 158. Dans l’un de ses sermons
les plus célèbres, « The Excellency of Christ » (L’excellence de Christ), Edwards présente
Christ comme notre ami plus de trente fois. The Works of Jonathan Edwards, vol. 19,
« Sermons and Discourses, 1734‑1738 », M. X. Lesser, éd., New Haven, Conn., Yale
University Press, 2001, p. 21.

128
Un tendre ami

avec son peuple est particulièrement frappant. Ce thème est celui


de la réciprocité ; autrement dit, l’amitié est une relation bilatérale
empreinte de joie, de réconfort et d’ouverture, un rapport entre
pairs, distinct d’une relation unilatérale, comme celle d’un roi
avec ses sujets ou celle d’un parent avec son jeune enfant. Christ
est certainement notre souverain, notre autorité, celui à qui nous
devons avec révérence toute allégeance et obéissance. Sibbes nous
le rappelle explicitement au fil de sa réflexion sur l’amitié de Christ
(« Il est à la fois notre ami et notre roi6 »). En revanche, il est tout
aussi vrai, et peut‑être moins évident ou intuitif pour nous, que la
venue de Dieu en la personne de son Fils signifie qu’il s’approche
de nous à nos propres conditions et se lie d’amitié avec nous pour
notre joie mutuelle.
Considérez la façon dont Sibbes parle de l’amitié de Christ
avec nous :

En amitié, il y a un consentement mutuel, une union de jugement


et d’affections. Il y a une sympathie l’un pour l’autre dans les bons
comme dans les mauvais jours. […]
Il y a de la liberté, qui est la vie de l’amitié ; il y a une libre inte-
raction entre amis, une libre ouverture sur les secrets. Ainsi, Christ
nous livre ses secrets, et nous lui livrons les nôtres. […]
En amitié, il y a une consolation mutuelle. Christ se plaît à aimer
l’Église, et son Église se plaît à l’aimer. […]
En amitié, on s’honore et l’on se respecte l’un l’autre7.

Voyez‑vous le fil conducteur ? Remarquez le mot « mutuel » ou


l’expression « l’un l’autre » partout dans ces diverses facettes de l’ami-
tié de Christ. L’idée, c’est qu’il est avec nous, il est des nôtres, il par-
tage notre vie et notre vécu. Par ailleurs, l’amour et le réconfort dont

6. Sibbes, « Bowels Opened », vol. 2, p. 37.


7. Idem.

129
Doux et humble de cœur

les amis jouissent entre eux se retrouvent aussi entre Christ et nous.
Bref, il interagit avec nous en tant que personne. Jésus ne constitue
pas l’idée de l’amitié, de manière abstraite ; c’est un véritable ami.


Il serait cruel de suggérer que l’amitié humaine perd sa perti-
nence lorsque Christ se lie d’amitié avec une personne. Dieu nous
a créés de telle sorte que nous communions, dans l’union de deux
cœurs, avec d’autres personnes. Il arrive à tout le monde de se
sentir seul – y compris aux introvertis.
Cependant, l’amour que Christ nous porte signifie qu’il sera
notre ami infaillible, et ce, quelles que soient les amitiés dont nous
jouissons ou non ici‑bas. Il nous offre une amitié qui atténuera
notre douloureuse solitude. Même si cette douleur ne disparais-
sait pas entièrement, l’amitié beaucoup plus profonde de Jésus
la rendra tout à fait supportable. Il marche constamment avec
nous. Il connaît la douleur que nous inflige la trahison d’un ami,
mais il ne nous trahira jamais. Il n’ira même jamais jusqu’à nous
accueillir tièdement. Cela irait à l’encontre de sa nature. Son cœur
n’est pas ainsi fait.

Son amitié est aussi douce qu’elle est constante en toute situation.
[…] Si d’autres amis nous déçoivent, comme ce sera peut‑être le cas,
cet ami ne nous décevra jamais. Si nous n’avons jamais honte de
lui, il n’aura jamais honte de nous. Combien notre vie serait belle si
nous puisions tout le réconfort qu’il est possible d’obtenir dans ce
titre d’ami ! Il s’agit d’une amitié bienfaisante, féconde et éternelle8.

8. Idem. Goodwin offre un riche traitement de l’amitié divine, mais n’en parle
que du point de vue de l’amitié avec Dieu, et non précisément de l’amitié avec Christ.
C’est pourquoi j’en ai fait abstraction dans le présent chapitre. « Gospel Holiness », dans
Works, vol. 7, p. 186‑213, surtout les p. 190‑197 ; voir aussi p. 240.

130
13

Pourquoi l’Esprit ?

Et moi, je prierai le Père, et il vous donnera


un autre consolateur.
Jean 14.16

L e présent livre porte sur Christ, le Fils, la deuxième personne


de la Trinité. Nous devons toutefois veiller à ne pas donner
l’impression que ce que nous voyons en Christ n’est pas en har-
monie avec l’Esprit et le Père. En réalité, le Fils, « manifesté dans
la chair, n’exprime que ce qu’il y a dans le cœur des trois1 ».
Nous consacrerons donc un chapitre à chacun d’eux, en nous
demandant ce que la Bible enseigne sur le lien qui existe entre le
cœur de Christ et l’Esprit, puis le Père. Nous nous pencherons sur
l’Esprit dans le présent chapitre, et sur le Père dans le prochain.
Quel est le rôle du Saint‑Esprit ? Que fait‑il au juste ? Il existe bon
nombre de réponses bibliques valables à cette question. L’Esprit :

• nous régénère (Jn 3.6,7) ;


• nous convainc de péché (Jn 16.8) ;

1. Thomas Goodwin, « A Discourse of Election », dans The Works of Thomas Goodwin,


12 vol., réimpr., Grand Rapids, Mich., Reformation Heritage, 2006, vol. 9, p. 148.

131
Doux et humble de cœur

• nous équipe par des dons (1 Co 12.4‑7) ;


• nous confirme que nous sommes les enfants de Dieu (Ga 4.6) ;
• nous conduit (Ga 5.18,25) ;
• nous fait porter du fruit (Ga 5.22,23) ;
• nous accorde et nourrit en nous la vie du Ressuscité (Ro 8.11) ;
• nous rend capables de faire mourir le péché (Ro 8.13) ;
• intercède pour nous lorsque nous ignorons quoi demander
(Ro 8.26,27) ;
• nous conduit dans la vérité (Jn 16.13) ;
• nous transforme à l’image de Christ (2 Co 3.18).

Ce sont là toutes de glorieuses vérités. Dans le présent cha-


pitre, j’aimerais en ajouter une seule à cette liste : l’Esprit nous
amène à ressentir véritablement l’affection de Christ, ce qu’il éprouve
envers nous.
Cette vérité au sujet de l’Esprit chevauche quelque peu certaines
autres énumérées précédemment. Cependant, il serait utile de
préciser en quoi le Saint‑Esprit est relié à la présente étude por-
tant sur le cœur de Jésus. Et ce que je suggère dans ce chapitre, en
m’appuyant une fois de plus sur l’aide de Thomas Goodwin, c’est
que l’Esprit rend le cœur de Christ réel pour nous : il nous permet
non seulement de l’entendre, mais aussi de le voir ; non seulement
de le voir, mais aussi de le ressentir ; non seulement de le ressentir,
mais aussi de le goûter. L’Esprit prend ce que nous lisons dans la
Bible et ce que nous croyons en principe au sujet du cœur de Jésus
et le fait passer de la théorie à la réalité, de la doctrine au vécu.
C’est une chose, quand nous sommes enfants, d’entendre notre
père nous dire qu’il nous aime. Nous le croyons. Nous le prenons
au mot. Mais c’en est une autre, indiciblement plus réelle, de res-
sentir son étreinte, sa chaleur, d’entendre son cœur battre, de nous
savoir instantanément en sécurité dans ses bras. C’est une chose

132
Pourquoi l’Esprit ?

de l’entendre dire qu’il nous aime ; c’en est une autre de ressentir
son amour. Voilà justement l’œuvre glorieuse de l’Esprit !


Dans Jean 14 – 16, Jésus explique l’œuvre de l’Esprit comme
étant un prolongement de sa propre œuvre. Et il dit qu’il bénira
plus encore son peuple en lui envoyant l’Esprit après être monté
au ciel. Remarquez attentivement le fil de la pensée de Jésus en ce
sens dans Jean 16 :

Maintenant je m’en vais vers celui qui m’a envoyé, et aucun de vous
ne me demande : Où vas‑tu ? Mais, parce que je vous ai dit ces choses,
la tristesse a rempli votre cœur. Cependant je vous dis la vérité : il
vous est avantageux que je m’en aille, car si je ne m’en vais pas, le
consolateur ne viendra pas vers vous ; mais, si je m’en vais, je vous
l’enverrai (Jn 16.5‑7).

Quel avantage y a‑t‑il à la venue de l’Esprit ? Il est naturel d’y


voir le redressement d’une anomalie. Mais laquelle ? « [La] tristesse
a rempli [leur] cœur » (Jn 16.6). La venue de l’Esprit accomplira
apparemment le contraire : il remplira leur cœur de joie. L’Esprit
remplacera la tristesse par la joie.
Les disciples étaient tristes parce que Jésus les quittait. Il
s’était lié d’amitié avec eux et les avait accueillis dans son cœur. Ils
croyaient donc que le départ de Jésus voulait dire qu’il les abandon-
nait. Or, la venue de l’Esprit serait la solution, car elle permettrait
à Jésus de partir physiquement tout en continuant de leur vouer
son affection. L’Esprit est la prolongation de l’affection de Jésus
pour les siens après son ascension au ciel.
En réfléchissant à ce passage de Jean 16, Goodwin explique
ce que Jésus dit à ses disciples : « Mon Père et moi n’avons qu’un

133
Doux et humble de cœur

seul ami, qui vit en nous deux, et qui vient de nous deux, le
Saint‑Esprit, et je vous l’enverrai entre‑temps. […] Ce sera un
meilleur Consolateur pour vous que je ne le serais. […] Il vous
consolera mieux que je ne pourrais le faire par ma présence. » En
quoi l’Esprit est‑il un Consolateur plus excellent pour le peuple de
Dieu ? « Si vous l’écoutez sans l’attrister, il vous rappellera simple-
ment mon amour. […] Toutes les paroles qu’il adressera à votre
cœur serviront à me magnifier, à accroître ma valeur et mon amour
à vos yeux, et il en fera ses délices2. » Goodwin explique ensuite le
lien qui nous unit au cœur de Christ :

De sorte que vous ressentiez mon affection aussi sûrement et aussi


vite que si j’étais avec vous ; et il vous brisera continuellement le
cœur, soit par mon amour pour vous, soit par votre amour pour
moi, ou encore les deux. […] Il vous dira, quand je serai au ciel,
qu’il y a une union aussi vraie entre moi et vous, et une affection
aussi vraie en moi envers vous, qu’il y a entre mon Père et moi, et
qu’il est tout aussi impossible de rompre ce lien et de vous priver
de mon affection qu’il est impossible de me priver de celle de
mon Père3.


Avez‑vous déjà envisagé ce rôle particulier du Saint‑Esprit ?
N’oubliez pas que l’Esprit est une Personne. Par exemple, il
est possible de l’attrister (És 63.10 ; Ép 4.30). Qu’en serait‑il si nous
le traitions comme une personne ? À quoi cela ressemblerait‑il
de nous ouvrir à l’amour de Christ et de le ressentir comme s’il
s’agissait de flammes par lesquelles le Saint‑Esprit nous réchauffe le

2. Thomas  Goodwin, The Heart of Christ, Édimbourg, Banner of Truth,


2011, p. 18‑19.
3. Goodwin, The Heart of Christ, p. 19‑20.

134
Pourquoi l’Esprit ?

cœur ? Rappelons‑nous que l’Esprit attisera les flammes de l’amour


ressenti de Christ à la hauteur de l’amour suprême que celui‑ci
nous voue. On ne craint pas que des jumelles nous fassent paraître
le terrain de baseball plus grand qu’il ne l’est en réalité depuis le
haut des gradins ; les jumelles ne servent qu’à nous faire voir les
joueurs plus près de leur grandeur nature.
Jésus a dit qu’il est « doux et humble de cœur » (Mt 11.29). Il
s’agit d’une magnifique affirmation, que l’on pourrait respecter,
voire admirer, même sans l’Esprit. Toutefois, l’Esprit prend ces
paroles de Christ et nous les fait intérioriser individuellement.
L’Esprit transforme la recette en une chose bonne au goût. C’est
ici ce que Goodwin dit. Tout ce que nous voyons et entendons du
cœur gracieux de Jésus durant sa vie sur la terre et dans son état
ultérieur à son ascension, entre dans la conscience de son peuple
comme une réalité expérientielle. Paul parle à la première personne
dans l’épître aux Galates en affirmant ceci : « …je vis dans la foi
au Fils de Dieu, qui m’a aimé et qui s’est livré lui‑même pour moi »
(Ga 2.20). Il affirme alors une vérité qu’il n’aurait pu déclarer en
l’absence de l’Esprit.
Voilà pourquoi Paul dit ailleurs que « nous n’avons pas reçu
l’esprit du monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, afin que nous
connaissions les choses que Dieu nous a données par sa grâce »
(1 Co 2.12). Pour comprendre le rôle du Saint‑Esprit, selon ce
passage, nous devons nous rappeler que le mot grec rendu par
« connaissions » (eido) ne devrait pas être réduit au sens d’une
simple appréhension intellectuelle. Et comme c’est généralement
le cas du langage de l’épistémologie biblique, le verbe « connaître »
est ici de nature holistique – pas moins, mais plus, qu’une appré-
hension intellectuelle. Il s’agit d’une connaissance expérientielle,
comme lorsque l’on constate que le soleil est chaud en tournant
le visage vers un ciel clair de juin. Paul dit que l’Esprit nous a été

135
Doux et humble de cœur

donné afin que nous connaissions, du plus profond de notre être,


la grâce infinie du cœur de Dieu. Rien ne plaît davantage à l’Esprit
que de nous éveiller, de nous apaiser et de nous consoler par la
connaissance profonde de ce qui nous a été donné par grâce.
Le rôle de l’Esprit consiste, en somme, à transformer nos
conceptions étriquées de l’immense cœur de Christ rempli d’une
affection surabondante pour nous en une expérience réelle comme
une scène photographiée : assis sur une chaise longue à la plage,
une boisson à la main, en train de savourer l’instant présent. C’est
ce que l’Esprit accomplit résolument, une fois pour toutes, lors de
notre régénération. Cependant, c’est aussi ce qu’il fait des milliers
de fois par la suite, alors que nous ne ressentons plus l’affection
de Christ en raison de notre péché, de notre bêtise ou de l’ennui.

136
14

Le Père des miséricordes

[…] le Père des miséricordes et le Dieu de


toute consolation.
2 Corinthiens 1.3

« 
C e qui nous vient à l’esprit lorsque nous pensons à Dieu est
la chose la plus importante à notre propre sujet. » C’est
ainsi qu’A. W. Tozer commence son livre intitulé The Knowledge
of the Holy1. La présente étude a pour but de rendre plus juste
notre image mentale de l’identité de Dieu. Je cherche à nous
aider à laisser derrière nous nos perceptions naturelles déchues
selon lesquelles Dieu serait distant et parcimonieux, ainsi qu’à
en venir à la prise de conscience libératrice du fait qu’il est doux
et humble de cœur.
Notre étude se concentre toutefois sur le Fils de Dieu. Qu’en
est‑il du Père ? Pour reprendre l’affirmation de Tozer, devrions‑nous
percevoir le Fils comme doux et humble, mais le Père autrement ?
Le présent chapitre répondra à cette question.

1. A. W. Tozer, The Knowledge of the Holy, New York, HarperCollins, 1961, p. 1.

137
Doux et humble de cœur


Les grands courants de la théologie protestante classique nous
ont toujours amenés à comprendre que l’œuvre du Fils faisait valoir
la justice de Dieu et satisfaisait sa colère. Ce n’est pas d’abord à titre
d’exemple moral, pour vaincre Satan ou manifester son amour que
Christ a vécu, est mort et est ressuscité d’entre les morts. L’œuvre
du Fils, surtout sa mort et sa résurrection, a suprêmement satisfait
la juste colère du Père contre l’horrible rébellion de l’humanité.
Sa colère a été assouvie.
Cela ne veut pas dire que la disposition du Père à l’égard de
son peuple diffère de celle de son Fils. Les chrétiens ont tendance à
s’imaginer, dans une certaine mesure, que le Père est moins enclin
à aimer et à pardonner que ne l’est son Fils.
Or, ce n’est pas ce qu’enseigne la Bible.
Quelle compréhension avons‑nous donc du fait que la colère
qui habitait le Père devait être satisfaite et que le Fils a fait le néces-
saire à cette fin ? Cela laisse‑t‑il entendre que le Père et le Fils sont
différemment disposés envers nous ?
Le secret consiste à comprendre que, pour que les pécheurs
soient déclarés non coupables et jouissent à nouveau de la faveur
du Père, sa colère devait être apaisée. Cependant, que sur le plan de
ses désirs et de ses affections propres, il souhaitait tout autant que
le Fils que cette expiation se produise. Objectivement, le Père était
celui qui avait besoin d’être apaisé ; subjectivement, son cœur ne
formait qu’un avec celui du Fils. Nous aurions tort de fusionner ce
qu’il est sur le plan subjectif avec ce qu’il devait exiger sur le plan
objectif. Les puritains disaient souvent que le Père et le Fils étaient
d’accord, de toute éternité, pour racheter ensemble un peuple de
pécheurs. Les théologiens en parlent comme du pactum salutis, à
savoir « le pacte de la Rédemption », désignant ainsi ce que le Dieu

138
Le Père des miséricordes

trinitaire s’était entendu pour accomplir avant même la fondation


du monde. Le Père n’avait pas plus besoin d’en être persuadé que
le Fils. Au contraire, son ordonnance du mode de rédemption
reflète le même cœur bienveillant que celui du Fils, qui a accompli
cette rédemption2.
Dans des chapitres à venir, nous verrons que l’Ancien Testament
parle de Dieu d’une manière qui correspond à l’affirmation de Jésus
dans le Nouveau Testament quant au fait qu’il est « doux et humble
de cœur ». Pour l’instant, considérons ce que le Nouveau Testament
dit au sujet du Père. Concentrons‑nous sur 2 Corinthiens 1.3, où
l’apôtre Paul amorce son épître par la louange suivante :

Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus‑Christ, le Père des


miséricordes et le Dieu de toute consolation.


Le « Père des miséricordes ». Dans l’introduction de
2 Corinthiens, Paul nous ouvre une fenêtre sur ce qui venait à sa
pensée lorsqu’il réfléchissait à Dieu.
Oui, le Père est juste. D’une justice indéfectible et éternelle. En
l’absence d’une telle doctrine, d’une telle assurance, nous n’aurions
aucun espoir de voir un jour tous les torts être redressés. Mais
comment décrire son cœur ? Qu’est‑ce qui jaillit des tréfonds de
son être ? Qu’est‑ce qu’il engendre ? Des miséricordes.

2. Voir, par exemple, l’hypothèse touchante de Flavel relative à une « conversation »


entre le Père et le Fils visant à sauver les pécheurs, dans The Works of John Flavel, 6 vol.,
Édimbourg, Banner of Truth, 1968, vol. 1, p. 61. Je suis reconnaissant envers mon père,
Ray Ortlund, d’avoir attiré mon attention sur ce passage de Flavel. Voir aussi l’ouvrage
de Goodwin intitulé Man’s Restoration by Grace, un petit livre soulignant à la fois les
rôles distincts et l’unité des Personnes de la Trinité dans l’œuvre de la Rédemption.
Thomas Goodwin, The Works of Thomas Goodwin, 12 vol., réimpr., Grand Rapids,
Mich., Reformation Heritage, 2006, vol. 7, p. 519‑541.

139
Doux et humble de cœur

C’est le Père des miséricordes. Exactement comme un père


engendre des enfants qui lui ressemblent, le divin Père engendre
des miséricordes qui le reflètent. Il existe une ressemblance fami-
liale entre le Père et ses miséricordes. Il est « davantage le Père des
miséricordes que Satan est, dit‑on, le père du péché3 ».
Le mot « miséricordes » (oiktirmôn) n’apparaît que cinq fois
dans le Nouveau Testament. Il apparaît une fois dans Jacques 5.11,
où il est mis en parallèle synonymique avec la compassion divine :
« Vous avez entendu parler de la patience de Job, et vous avez vu la
fin que le Seigneur lui accorda, car le Seigneur est plein de miséri-
corde (oiktirmôn) et de compassion (polusplanchnos). » Nous avons
souligné, au chapitre 11, que le mot grec désignant l’immense
compassion de Jésus est splanchnizomai¸, et l’on peut voir cette
même racine rendue par « compassion » dans Jacques 5.11. Ici,
par contre, ce mot est encore plus riche ; il comporte un préfixe
(polu-) qui signifie « beaucoup » ou « considérablement ». Selon
Jacques 5.11, le Seigneur est donc « très compatissant ». Et dire que
le Seigneur est très ou considérablement compatissant revient à
dire qu’il est miséricordieux.
Parler de Dieu le Père comme étant « le Père des miséricordes »,
c’est dire qu’il est celui qui multiplie les miséricordes compatis-
santes envers ses enfants nécessiteux, égarés et confus. En parlant
de l’amour que Christ voue à son peuple, Goodwin passe harmo-
nieusement des remarques sur le cœur du Fils aux remarques sur
le cœur du Père.

Son amour envers nous n’est pas forcé, comme s’il nous le vouait
simplement parce que le Père lui a commandé de nous épouser.
Non, il s’agit de sa nature, de ses dispositions envers nous […] Il est
par nature ainsi disposé à notre égard. Autrement, il ne serait pas

3. Goodwin, Works, vol. 2, p. 179.

140
Le Père des miséricordes

le Fils de Dieu et ne ressemblerait pas à son Père céleste pour qui il


est naturel de faire preuve de miséricorde, plutôt que d’accomplir
son œuvre étrange (És 28.21), celle du jugement. Il plaît au Père
d’user de miséricorde, car il est le « Père des miséricordes », elles
lui viennent naturellement4.

Nous reviendrons au prochain chapitre sur ce que signifie,


d’une part le fait que cette miséricorde correspond à l’œuvre « natu-
relle » de Dieu, et d’autre part, que ce châtiment correspond à son
œuvre « étrange ». Pour le moment, remarquez simplement la façon
dont Goodwin nous aide à voir que le titre « Père des miséricordes »
constitue le moyen par lequel la Bible nous conduit jusqu’au plus
profond de l’identité de Dieu le Père. Nous aurions tort de percevoir
le Dieu trinitaire comme comportant un Père axé surtout sur le
jugement et un Fils axé surtout sur l’amour. Les deux ont un seul
et même cœur ; il s’agit, après tout, d’un seul Dieu. Leur cœur est
rempli d’un amour rédempteur, non pas qui compromet la justice
enflammée, mais qui la satisfait merveilleusement.
Dans un autre passage, Goodwin réf léchit à la miséri-
corde de Dieu le Père. Il s’agit d’une méditation appropriée sur
2 Corinthiens 1.3.

Dieu est animé de toutes sortes de miséricordes. Comme notre cœur


et le diable sont à l’origine d’une variété de péchés, Dieu est le Père
d’une variété de miséricordes. Il n’y a pas de péché ou de malheur
pour lequel Dieu n’a pas de miséricorde à donner. Il a une multitude
de miséricordes de tous les genres à offrir.
Comme la créature est soumise à une variété de malheurs, ainsi
il a en lui‑même un arsenal, un trésor de toutes sortes de miséri-
cordes, réparties en plusieurs promesses scripturaires, qui sont tout

4. Thomas Goodwin, The Heart of Christ, Édimbourg, Banner of Truth, 2011, p. 60.

141
Doux et humble de cœur

aussi nombreuses que le sont les cassettes de ce trésor, les coffrets


d’une variété de miséricordes.
Si votre cœur est dur, ses miséricordes sont tendres.
Si votre cœur est mort, ses miséricordes peuvent vous
redonner vie.
Si vous êtes malade, ses miséricordes peuvent vous guérir.
Si vous êtes pécheur, ses miséricordes peuvent vous sanctifier
et vous purifier.
Si larges et variés que soient nos désirs, ses miséricordes y cor-
respondent. Nous pouvons donc venir courageusement à lui pour
y puiser la grâce et la miséricorde qui nous aideront en situation
difficile, une miséricorde répondant à chacun de nos besoins. Toutes
les miséricordes qu’il nourrit dans son cœur, il les a transplantées
dans plusieurs platebandes du jardin des promesses divines, où
elles poussent en une abondante variété, correspondant à toute la
variété des maux de l’âme5.


Qu’est‑ce qui devrait nous venir à l’esprit lorsque nous pen-
sons à Dieu ? Le Dieu trinitaire est composé de trois Personnes,
une fontaine d’infinies miséricordes s’étendant à nous dans nos
nombreux besoins, échecs et égarements, pour nous combler. Voilà
qui il est, tout autant le Père que le Fils.
Au‑delà de ce dont nous sommes conscients en toute situa-
tion, les tendres soins du Père nous enveloppent de douceur jusque
dans les moindres détails de notre vie. Il ordonne souverainement
l’angle particulier du flottement de la feuille qui tombe de l’arbre
et la brise qui l’en a détachée (voir Mt 10.29‑31), et il ordonne

5. Goodwin, Works, vol. 2, p. 187‑188. Voir aussi Goodwin, Works, vol. 2, p. 180,
citant également 2 Corinthiens 1.3 : « Il est la source de toute miséricorde, si bien que
celle‑ci lui est aussi naturelle qu’il est naturel pour un père d’engendrer des enfants. »

142
Le Père des miséricordes

souverainement la bombe que les hommes méchants font exploser


(Am 3.6 ; Lu 13.1‑5). C’est toutefois le cœur d’un Père qui soutient
et alimente toutes les circonstances de notre vie, qu’elles soient
importantes ou insignifiantes.
Qui est Dieu le Père ? Notre Père, justement. Certains d’entre
nous ont eu un excellent père. D’autres ont été horriblement mal-
traités et abandonnés par le leur. Quel que soit le cas, le bon en
notre père terrestre est une pâle imitation de la véritable bonté
de notre Père céleste, et le mal en notre père terrestre est tout à
l’opposé de l’identité de notre Père céleste. Il est le Père dont tout
père humain n’est que l’ombre (Ép 3.15).
Dans Jean 14, Philippe demande à Jésus de montrer le Père aux
disciples (Jn 14.8). À cela, Jésus répond : « Il y a si longtemps que je
suis avec vous, et tu ne m’as pas connu, Philippe ! Celui qui m’a vu
a vu le Père ; comment dis‑tu : Montre‑nous le Père ? Ne crois‑tu
pas que je suis dans le Père, et que le Père est en moi ? » (Jn 14.9,10.)
« Celui qui m’a vu a vu le Père. »
Ailleurs, le Nouveau Testament dit de Christ qu’il est « le reflet
de sa gloire [celle de Dieu] et l’empreinte de sa personne » (Hé 1.3).
Jésus est Dieu incarné. Jésus‑Christ est la manifestation visible
du Dieu invisible (2 Co 4.4,6). En lui, nous voyons le Dieu misé-
ricordieux se revêtir d’un corps et traverser le temps et l’espace.
Lorsque nous voyons le cœur de Christ dans les quatre Évangiles,
nous y voyons la compassion et la tendresse mêmes de l’identité
profonde de Dieu.
En considérant ce qui anime le cœur du Père en votre faveur,
n’oubliez pas qu’il est le Père des miséricordes. Il ne se montre pas
réservé dans sa tendresse à votre égard. Il multiplie ses miséri-
cordes par rapport à chacun de vos besoins, pour son plus grand
plaisir. À ce sujet, le puritain John Flavel a dit : « Rappelez‑vous
que ce Dieu, qui tient toutes les créatures dans sa main, est votre

143
Doux et humble de cœur

Père, et se montre beaucoup plus tendre envers vous que vous ne


l’êtes, ou ne pouvez l’être, envers vous‑même6. » La plus grande
douceur avec laquelle vous vous traitez vous‑même est moindre
que celle avec laquelle votre Père céleste vous traite. La tendresse
qu’il vous témoigne dépasse la tendresse dont vous êtes capable
envers vous‑même.
Le cœur de Christ est doux et humble. Or, voilà l’image parfaite
du Père. « [Car] le Père lui‑même vous aime » (Jn 16.27).

6. John Flavel, Keeping the Heart: How to Maintain Your Love for God, Fearn,
Écosse, Christian Heritage, 2012, p. 57.

144
15

Son œuvre « distinctive »


et son œuvre « étrange »

Car ce n’est pas volontiers […] qu’il afflige.


Lamentations 3.33

À compter de maintenant, nous nous tournerons vers l’Ancien


Testament. Jusqu’ici, nous nous sommes penchés sur le
cœur de Christ, et même du Père, du point de vue du Nouveau
Testament. En quoi ce sujet s’inscrit‑il dans l’Ancien Testament ?
Après nous être plongés dans quelques chapitres de l’Ancien
Testament, nous conclurons notre étude en retournant au
Nouveau Testament.
Voici ce que je veux démontrer dans le présent chapitre et les
trois prochains : lorsque Christ nous dévoile les profondeurs de
son cœur doux et humble, il enchaîne tout naturellement avec
ce que l’Ancien Testament a déjà révélé à son sujet. Jésus précise
l’identité de Dieu, sans toutefois nous fournir d’éléments fon-
damentalement nouveaux. Les Évangiles démontrent que leurs
auteurs comprenaient que l’Ancien Testament nous préparait à

145
Doux et humble de cœur

accueillir un Sauveur « humble » (voir Mt 21.51). Le Fils incarné


ne change rien à notre compréhension de l’identité de Dieu. Il
nous fournit simplement, en chair et en os, une réalité sans précé-
dent : celle dont Dieu avait déjà cherché à convaincre son peuple
au fil des siècles. Comme Calvin l’indique, l’Ancien Testament
constitue la révélation imprécise de Dieu – vraie, mais vague. Le
Nouveau Testament en est la substance2.
Lamentations 3 constitue un bon point de départ vers la décou-
verte du cœur de Dieu dans l’Ancien Testament.


Aucun autre livre de la Bible ne joint une émotion profonde à
une complexité littéraire de manière aussi frappante que celui des
Lamentations. Son auteur parle à cœur ouvert, se lamentant sur la
destruction de Jérusalem par les Babyloniens, en 587 av. J.‑C. ainsi
que les horreurs de la famine, de la mort et du désespoir qui se sont
ensuivies. Il se livre au fil d’une série de cinq poèmes richement
structurés reflétant un soin littéraire extrême. Pour le voir, il suffit
de considérer sa versification dans la bible française. Même si l’on n’a
numéroté les chapitres et les versets que de nombreux siècles après
la rédaction du livre des Lamentations, ces divisions dans nos bibles
modernes reflètent néanmoins les divisions nettes de ce livre. Vous
remarquerez que, des cinq chapitres, les deux premiers et les deux
derniers comptent chacun vingt‑deux versets. Le chapitre 3, celui
du milieu, en compte trois fois plus, à savoir soixante‑six. Chaque
chapitre constitue en soi une lamentation soigneusement construite.

1. Le mot grec rendu par « douceur » dans Matthieu 21.5, qui cite la prophétie de
Zacharie 9.9 selon laquelle « ton roi vient à toi […] il est humble et monté sur un âne »,
est le même (praus) employé dans Matthieu 11.29, où Jésus dit être « doux ».
2. Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, Aix-en-Provence/Charols,
France, Kerygma/Excelsis, 2009, 2.11.1‑12.

146
Son œuvre « distinctive » et son œuvre « étrange »

D’après la structure globale de ce livre, nous comprenons que le


verset 33 du chapitre 3 constitue son point littéraire culminant. Ce
verset se situe exactement au milieu du livre et capture l’essence de
ce dernier. Lamentations 3.33 résume tout ce livre en un seul verset.
Que dit‑il ? Il enracine dans la théologie suivante la certitude
de la miséricorde et de la restauration divines à venir :

Car ce n’est pas volontiers qu’il humilie et qu’il afflige les enfants
des hommes.

Dans ce verset se trouvent une prémisse implicite et une affir-


mation explicite. Selon la prémisse implicite, Dieu est en effet celui
qui afflige. Selon l’affirmation explicite, il ne le fait pas volontiers.
Or, il faut épouser pleinement la prémisse implicite avant de
passer à l’affirmation explicite. Lorsque nous parlons de ce que
Dieu fait ou ne fait pas volontiers, nous ne limitons pas son règne
souverain. En effet, nous sommes capables, dans la mesure où
nous croyons que Dieu est souverain dans toutes nos afflictions,
de nous consoler en nous disant qu’il ne nous afflige pas volontiers.
Nous nous rappelons donc d’abord la beauté de la parfaite
souveraineté que Dieu exerce sur toutes choses, bonnes et mau-
vaises. L’orteil écorché, le sumac vénéneux, l’ami qui nous trahit,
la douleur chronique à la nuque, le patron qui tient trop à faire
plaisir à tout le monde pour prendre notre défense, l’enfant rebelle,
l’indigestion en pleine nuit, l’obscurité incessante de la dépression.
La Confession de la Foi Belge présente merveilleusement bien la
gouvernance de toutes choses par Dieu dans ses enseignements
portant sur la providence divine, dont voici une partie :

Cette doctrine nous apporte une consolation indicible, puisque nous


sommes enseignés par elle, que rien ne nous peut arriver à l’aven-
ture, mais par l’ordonnance de notre bon Père céleste, lequel veille

147
Doux et humble de cœur

pour nous par un soin paternel, tenant toutes créatures sujettes à


lui ; de sorte que pas un des cheveux de notre tête (car ils sont tous
nombrés) ni même un petit oiseau ne peut tomber en terre, sans la
volonté de notre Père (article 13).

Cette perception sans filtre de la souveraineté divine trans-


paraît dans tout le livre des Lamentations. Si nous jetons un coup
d’œil au chapitre 3, par exemple, nous voyons des versets com-
mencer les uns après les autres par « Il », tandis que l’auteur relate
toutes les horreurs dont Dieu a frappé Israël (3.2‑16).
Il reste qu’au cœur même de tout le livre, la Bible affirme que
Dieu ne le fait pas « volontiers ».


Dans le livre des Lamentations, la Bible nous conduit jusqu’aux
profondeurs du cœur de Dieu. Celui qui règne sur toutes choses et
qui les décrète suscite l’affliction dans notre vie avec une certaine
réticence divine. Il ne se montre pas réticent par rapport au bien
ultime que cette souffrance procurera ; c’est justement pour cette
raison qu’il agit de la sorte. C’est toutefois avec une certaine répu-
gnance qu’il impose cette affliction. La souffrance en soi ne reflète
pas son cœur. Dieu n’est pas une force platonique tirant des ficelles
comme s’il était indifférent à la souffrance et à l’angoisse véritables
qu’il nous inflige. Si je peux m’exprimer ainsi, il vit – sans remettre
en question ses perfections divines – un conflit intérieur lorsqu’il
nous envoie l’affliction. Dieu a effectivement puni les Israélites pour
leurs infidélités lors de l’invasion de la ville par les Babyloniens. Il
leur a envoyé ce qu’ils méritaient. C’est néanmoins leur restauration
miséricordieuse qui lui tenait le plus à cœur :
Goodwin l’explique ainsi :

148
Son œuvre « distinctive » et son œuvre « étrange »

Mes frères, même si Dieu est juste, on peut dire que sa miséricorde
lui est à certains égards plus naturelle que tous les actes de justice
qu’il accomplit ; je parle ici d’une justice vengeresse. Ces actes de
justice manifestent un attribut divin, en ce sens qu’il rend aux
pécheurs la monnaie de leur pièce. En agissant ainsi, il se fait
néanmoins violence pour ainsi dire, selon les Écritures ; il y a dans
cette justice quelque chose lui étant contraire. « Je ne souhaite
pas la mort du pécheur » – c’est‑à‑dire que je ne m’en réjouis pas
pour le simple plaisir de m’en réjouir. […] Lorsqu’il accomplit des
actes de justice, ce n’est pas dans le but de juger seulement, mais
aussi pour arriver à des fins nobles. Quelque chose en lui s’oppose
au jugement.
En revanche, quand il s’agit d’user de miséricorde, de démontrer
qu’elle est conforme à sa nature et à sa disposition, la Bible dit qu’il
le fait de tout cœur. La miséricorde ne lui répugne en rien. L’acte
lui plaît en soi. Il n’en éprouve aucune réticence.
Dans Lamentations 3.33, lorsqu’il parle de punir les Israélites,
l’auteur dit donc : « Car ce n’est pas volontiers qu’il humilie et qu’il
afflige les enfants des hommes. » Toutefois, lorsqu’il parle d’user de
miséricorde, il dit que Dieu le fait « de tout [son] cœur et de toute
[son] âme », comme il l’exprime dans Jérémie 32.41. Voilà d’ail-
leurs pourquoi, dans Ésaïe 28.21, on appelle ses actes de justice son
« œuvre étrange » et son « travail inouï ». Cependant, quand il s’agit
de manifester sa miséricorde, il se réjouit de faire du bien de tout
son cœur et de toute son âme3.

Goodwin ajoute ici quelques autres versets. Jérémie 32.41, où


Dieu dit ceci au sujet de son œuvre restauratrice : « Je prendrai
plaisir à leur faire du bien, et je les planterai véritablement dans
ce pays, de tout mon cœur et de toute mon âme » ; et Ésaïe 28.21,

3. Thomas Goodwin, The Works of Thomas Goodwin, 12 vol., réimpr., Grand Rapids,


Mich., Reformation Heritage, 2006, vol. 2, p. 179‑180.

149
Doux et humble de cœur

où Dieu décrit son jugement comme son œuvre « étrange » et son


travail « inouï ». En liant ces versets à Lamentations 3.33, Goodwin
met en lumière les profondeurs du cœur de Dieu ; c’est‑à‑dire ce
qu’il se plaît à faire, ce qui lui vient le plus naturellement. La misé-
ricorde lui vient naturellement, mais pas le châtiment.
Certains d’entre nous perçoivent le cœur de Dieu comme
étant fragile, facile à offusquer. Certains d’entre nous le perçoivent
comme étant froid, difficile à émouvoir. Or, l’Ancien Testament
nous présente un Dieu dont le cœur défie ces attentes humaines
innées quant à son identité.
Nous devons user de prudence. Tous les attributs de Dieu sont
immuables. Si Dieu n’était plus juste, par exemple, il cesserait d’être
Dieu tout autant que s’il n’était plus bon. Les théologiens parlent
de la simplicité de Dieu, par laquelle ils entendent que Dieu ne
constitue pas la somme totale d’un certain nombre d’attributs,
comme des pointes de tarte formant une tarte entière ; Dieu est
plutôt chaque attribut à la perfection. Dieu ne se compose pas de
parties. Il est juste. Il est capable de colère. Il est bon. Et ainsi de
suite, chaque attribut étant d’une perfection infinie.
Même quand il s’agit du cœur de Dieu, nous en voyons la com-
plexité dans les premières pages de la Bible. Les deux premières
décisions que Dieu prend après la Création viennent de son cœur :
détruire toute chair, à l’exception de Noé (6.7), ainsi qu’accepter
le sacrifice de Noé et résoudre de ne jamais plus inonder la terre
(8.21). Je peux m’irriter et aimer, et les deux viennent de mon cœur.
La seule différence, c’est que Dieu est parfait dans sa manifestation
de chacun.
Et pourtant, si nous suivons étroitement le témoignage biblique
et nous nous y soumettons, la Bible nous conduit dans une déclara-
tion à couper le souffle selon laquelle, sous un angle plus marqué,
certains sentiments découlent plus naturellement du cœur de Dieu

150
Son œuvre « distinctive » et son œuvre « étrange »

que d’autres. Dieu est inébranlablement juste. Mais quelle est sa


disposition ? Que souhaite‑t‑il faire à tout prix ? Si vous me prenez
de court avant que j’aie le temps de me ressaisir, c’est probablement
mon humeur grincheuse qui s’exprimera. Si vous preniez Dieu de
court, c’est la bénédiction qui s’exprimerait librement. L’impulsion
de faire le bien. Le désir de nous envelopper de sa joie4. Voilà d’ail-
leurs pourquoi Goodwin peut dire de Dieu que « tous ses attributs
semblent mettre son amour en lumière5 ».
Osée 11 constitue un autre passage clé de l’Ancien Testament
où Dieu explique, à l’égard d’Israël après sa fornication spirituelle
et son abandon de son époux divin, ce qu’il éprouvait en termes des
plus affectueux : « Quand Israël était jeune, je l’aimais » (Os 11.1), et
par ailleurs : « C’est moi qui guidai les pas d’Éphraïm, le soutenant
par ses bras […] Je les tirai avec des liens d’humanité, avec des
cordages d’amour […] et je leur présentai de la nourriture » (v. 3,4).
Puis il ajoute : « Mon peuple est enclin à s’éloigner de moi » (v. 7)
et il persiste dans son idolâtrie (v. 2), malgré mes tendres soins.

Que ferai‑je de toi, Éphraïm ? Dois‑je te livrer, Israël ? Te traiterai‑je


comme Adma ? Te rendrai‑je semblable à Tseboïm ? Mon cœur s’agite
au‑dedans de moi, toutes mes compassions sont émues. Je n’agirai
pas selon mon ardente colère, je renonce à détruire Éphraïm ; car
je suis Dieu, et non pas un homme, je suis le Saint au milieu de toi ;
je ne viendrai pas avec colère (v. 8,9).

Nous nous sommes penchés sur ce passage au chapitre 7. Je


le rappelle non seulement parce qu’il met l’accent sur le cœur de

4. Dans Reformed Dogmatics (John Bolt, éd., traduit par John Vriend, 4 vol.,


Grand Rapids, Mich., Baker, 2003‑2008, vol. 2, p. 173‑177), Herman Bavinck définit par-
ticulièrement bien la simplicité de Dieu comme étant « l’amour suprême » (vol. 2, p. 176).
5. Goodwin, « Of Gospel Holiness in the Heart and Life », dans The Works of
Thomas Goodwin, vol. 7, p. 211.

151
Doux et humble de cœur

Dieu de façon semblable à Lamentations 3, mais aussi parce qu’en


commentant Osée 11.8, Jonathan Edwards affirme quelque chose
de semblable à ce que Goodwin vient de dire sur Lamentations 3.
Edwards écrit : « Dieu ne tire aucun plaisir de la destruction ou du
malheur de personnes ou d’un peuple. Il préférerait qu’ils changent
pour connaître la paix. Il serait très heureux de les voir abandonner
leurs mauvaises voies, afin qu’il n’ait aucune raison de les frapper
de sa colère. C’est un Dieu qui prend plaisir à la miséricorde, et le
jugement constitue son œuvre étrange6. »
Conformément aux Écritures, tant Edwards que Goodwin
disent que Dieu prend davantage plaisir à la miséricorde, tandis
que le jugement est son « œuvre étrange ».


En lisant et en méditant cet enseignement provenant de
grands théologiens d’autrefois comme Jonathan  Edwards et
Thomas Goodwin, nous devons comprendre qu’ils n’appellent
pas le jugement l’œuvre « étrange » de Dieu parce qu’ils se font
une idée atténuée de la colère et de la justice de Dieu.
Edwards doit sa célébrité surtout à son sermon intitulé « Sinners
in the Hands of an Angry God » (Des pécheurs entre les mains
d’un Dieu en colère), une description terrifiante de l’état précaire de
l’impénitent subissant la colère divine – bien qu’elle ne soit pas aussi
terrifiante que dans certains autres de ses sermons, comme « The
Justice of God in the Damnation of Sinners » (La justice divine

6. Jonathan Edwards, « Impending Judgments Averted Only by Reformation »,


dans The Works of Jonathan Edwards, vol. 14, Sermons and Discourses, 1723‑1729,
Kenneth P. Minkema, éd., New Haven, Conn., Yale University Press, 1997, p. 221.
De même que le point  1081 dans The Works of Jonathan  Edwards, vol.  20, The
« Miscellanies » 833‑1152, Amy Plantinga Pauw, éd., New Haven, Conn., Yale University
Press, 2002, p. 464‑465.

152
Son œuvre « distinctive » et son œuvre « étrange »

dans la condamnation des pécheurs). C’est ce même homme qui


a affirmé que Dieu « prend le plus plaisir à la miséricorde, tandis
que le jugement est son œuvre étrange ».
Pour ce qui est de Goodwin, il a prêché en chaire plus sou-
vent (357 fois) que tout autre ecclésiastique lors de la rédaction
de la Confession de foi de Westminster en Angleterre dans les
années 1640 – ce grand document, décrivant l’enfer et affirmant
la colère divine, enseigne que les âmes qui meurent hors de Christ
« sont jetées en enfer, où elles demeurent dans les tourments et
d’épaisses ténèbres dans l’attente du jugement du grand Jour »
(Confession de foi de Westminster, 31.1) ; et que lors du jour du
Jugement dernier, « les pervers, qui ne veulent ni connaître Dieu
ni obéir à l’Évangile de Jésus‑Christ, seront jetés en d’éternels
tourments et punis par l’éternelle destruction de la présence du
Seigneur » (33.2). C’était la théologie de Goodwin, l’un de ses
auteurs les plus influents. En ce qui concerne les écrits de Goodwin,
il n’hésitait pas à écrire sur « les souffrances les plus épouvan-
tables » de l’enfer, où « la colère et la parole de Dieu tourmentent
les hommes à jamais », car il « sait infliger une torture cruelle à »
ceux qui persistent dans le péché sans se repentir7.
Edwards, Goodwin et le grand courant théologique auxquels ils
appartenaient ne faisaient pas dans la demi‑mesure. Ils affirmaient,
prêchaient et enseignaient la colère divine et l’enfer éternel. Ils
discernaient ces doctrines dans la Bible (2 Th 1.5‑12, pour ne citer
que ce passage). Toutefois, comme ils connaissaient la Bible à fond
et suivaient ses enseignements scrupuleusement, ils y discernaient
aussi un fil conducteur menant aux tréfonds du cœur de Dieu.
Et c’est peut‑être ce qui explique le secret de leur influence, qui
ne se dément pas au fil des siècles. Il existe un genre de prédication

7. Goodwin, The Works of Thomas Goodwin, vol. 7, p. 304‑305.

153
Doux et humble de cœur

et d’enseignement biblique qui ne fait pas ressentir la tendre affec-


tion que Dieu voue à son peuple inconstant, qui ne fait pas goûter
ce qui irradie naturellement de lui, qui malgré toute sa précision
finit par étouffer l’auditoire. Il n’en était pas ainsi des puritains
ni des excellents prédicateurs du grand réveil. Eux savaient que,
lorsque Dieu daigne répandre sa bonté sur son peuple, il le fait
avec un certain naturel reflétant les profondeurs de son identité.
Dieu est fidèle à sa nature en étant miséricordieux.
Si nous nous en tenions à nos intuitions naturelles au sujet
de Dieu, nous en viendrions à la conclusion que la miséricorde
constitue son œuvre étrange et que le jugement constitue son œuvre
distinctive. En révisant notre vision de Dieu au fil de notre étude
de la Bible, nous voyons en fait, avec l’aide des grands enseignants
du passé, que le jugement constitue son œuvre étrange et que la
miséricorde constitue son œuvre distinctive.
S’il est vrai que Dieu afflige les enfants des hommes, il est tout
aussi vrai qu’il ne le fait pas volontiers.

154
16

L’Éternel, l’Éternel

Dieu miséricordieux et compatissant,


lent à la colère…
Exode 34.6

Q ui est Dieu ?
Si nous pouvions choisir un seul passage de l’Ancien
Testament pour répondre à cette question, il serait difficile de trou-
ver mieux qu’Exode 34. Dieu s’y révèle à Moïse, faisant passer sa
gloire devant ce dernier, qu’il a mis dans le creux d’un rocher
(33.22). Au moment critique, voici ce qui se produit :

Et l’Éternel passa devant lui, et s’écria : L’Éternel, l’Éternel, Dieu


miséricordieux et compatissant, lent à la colère, riche en bonté et
en fidélité, qui conserve son amour jusqu’à mille générations, qui
pardonne l’iniquité, la rébellion et le péché, mais qui ne tient point
le coupable pour innocent, et qui punit l’iniquité des pères sur les
enfants et sur les enfants des enfants jusqu’à la troisième et à la
quatrième génération ! (Ex 34.6,7.)

Mise à part l’Incarnation, il s’agit peut‑être là du point culminant


de la révélation de Dieu dans toute la Bible. La fréquence à laquelle

155
Doux et humble de cœur

on reprend ce passage ailleurs dans l’Ancien Testament suffit à en


démontrer objectivement la réalité. À maintes reprises, les prophètes
qui ont suivi Moïse se sont inspirés de ces deux versets dans le livre
de l’Exode pour affirmer qui est Dieu. L’un de ces exemples apparaît
dans le contexte immédiat du verset que nous venons de considérer,
soit Lamentations 3.33. Dans le verset 32, il est écrit que Dieu « a
compassion selon sa grande miséricorde », et l’auteur y emploie
plusieurs mots hébreux clés soulignant la révélation d’Exode 34.6,7.
Beaucoup d’autres passages se font aussi l’écho d’Exode 34, dont
Nombres 14.18 ; Néhémie 9.17 ; 13.22 ; Psaumes 5.8 ; 69.14 ; 86.5,15 ;
103.8 ; 145.8 ; Ésaïe 63.7 ; Joël 2.13 ; Jonas 4.2 ; et Nahum 1.3.
Exode 34.6,7 ne constitue pas une description isolée, un com-
mentaire fait en passant. Ce texte nous permet d’entrer dans l’es-
sence même de Dieu. Dans son livre intitulé Theology of the Old
Testament, l’érudit de l’Ancien Testament Walter Brueggemann
porte à ce passage une attention toute particulière. Par ailleurs, il
dit de ce dernier qu’il s’agit d’une « caractérisation de Yahvé d’une
très grande importance, stylisée et réfléchie, une formulation si
étudiée que l’on pourrait dire d’elle qu’elle est une déclaration
normative classique à laquelle Israël revient souvent, méritant
l’étiquette de “credo1” ».
Quel est donc le « credo » d’Israël au sujet de l’identité de Dieu ?
Pas ce à quoi nous pourrions nous attendre.


À quoi vous fait penser l’expression « la gloire de Dieu » ?
Imaginez‑vous l’immensité de l’univers ? Une voix tonitruante et
terrifiante provenant du ciel ?

1. Walter Brueggemann, Theology of the Old Testament: Testimony, Dispute,


Advocacy, Minneapolis, Fortress, 1997, p. 216.

156
L’Éternel, l’Éternel

Dans Exode 33, Moïse demande ceci à Dieu : « Fais‑moi voir


ta gloire ! » (33.18.) Que lui répond Dieu ? « Je ferai passer devant
toi toute ma bonté » (33.19). Sa bonté ? La gloire de Dieu n’a‑t‑elle
pas rapport à sa grandeur plutôt qu’à sa bonté ? Il semble que
non. Puis Dieu continue en disant qu’il fait miséricorde à qui il
veut et qu’il fait grâce à qui il veut (33.19). Il dit ensuite à Moïse
qu’il le mettra dans le creux d’un rocher et que (de nouveau) sa
gloire passera devant lui (33.22). Et l’Éternel passe devant lui et
définit (de nouveau) sa gloire dans 34.6,7 comme étant associée à
sa miséricorde et à sa grâce :

Dieu miséricordieux et compatissant, lent à la colère, riche en bonté


et en fidélité, qui conserve son amour jusqu’à mille générations,
qui pardonne l’iniquité, la rébellion et le péché, mais qui ne tient
point le coupable pour innocent, et qui punit l’iniquité des pères
sur les enfants et sur les enfants des enfants jusqu’à la troisième et
à la quatrième génération !

En parlant de la gloire de Dieu, nous parlons de qui est Dieu,


de ce à quoi il ressemble, de sa splendeur distincte, de ce qui fait
que Dieu est Dieu. Et lorsque Dieu fixe lui‑même la description de
sa gloire, il nous étonne et nous émerveille. Selon nos instincts les
plus profonds, nous nous attendons à ce qu’il aime énormément
jouer au juge à la voix tonitruante qui aime brandir le marteau.
Nous nous attendons à ce que Dieu soit enclin à nous châtier pour
notre rébellion. C’est alors qu’Exode 34 nous interpelle. Dieu est
enclin à la miséricorde. Sa gloire est sa bonté. Sa gloire est son
humilité. « [La] gloire de l’Éternel est grande. L’Éternel est élevé :
il voit les humbles » (Ps 138.5,6).
Considérons les paroles d’Exode 34.6,7.
Dieu est « miséricordieux et compatissant ». Voilà les premiers
mots à sortir de la bouche de Dieu après avoir proclamé son nom

157
Doux et humble de cœur

(« l’Éternel » ou « Je suis »). Les tout premiers mots. Les deux seuls
mots que Jésus emploiera pour décrire son propre cœur sont doux
et humble (Mt 11.29). Et les deux premiers mots dont Dieu se sert
pour se décrire sont miséricordieux et compatissant. Dieu ne révèle
pas sa gloire comme suit : « L’Éternel, l’Éternel, exigeant et précis »,
ou : « L’Éternel, l’Éternel, tolérant et qui ferme les yeux sur le mal »,
ou encore : « L’Éternel, l’Éternel, déçu et contrarié ». Sa plus grande
priorité, ce qui lui plaît le plus et sa première réaction, c’est de se mon-
trer miséricordieux et compatissant. Il s’accommode avec douceur
de nos conditions plutôt que de nous déconcerter par les siennes.
Il est « lent à la colère ». L’expression hébraïque signifie litté-
ralement « au nez long ». Imaginez un taureau furieux, qui piaffe,
qui respire bruyamment et dont les narines sont dilatées. Il serait,
pour ainsi dire, « au nez court ». Or, l’Éternel a le nez long. Il n’a
pas le doigt sur la détente. Il faut le provoquer sur une longue
période pour susciter sa colère. Contrairement à nous, dont le
barrage émotionnel est souvent prêt à se rompre, Dieu est capable
d’en encaisser beaucoup. Voilà d’ailleurs pourquoi l’Ancien
Testament parle de Dieu en indiquant des dizaines de fois que
son peuple a « excité sa colère » (surtout dans Deutéronome ;
1 et 2 Rois ; Jérémie). Mais nulle part la Bible ne nous dit que
l’on a « excité son amour » ou « excité sa miséricorde ». Sa colère
requiert une provocation ; sa miséricorde est latente, prête à jail-
lir. Nous avons tendance à nous dire que la colère divine bondit
comme un ressort et que la miséricorde divine est lente à se
former. Or, c’est tout le contraire. La miséricorde divine est prête
à jaillir à la moindre incitation2. (Dans le cas des êtres humains
déchus que nous sommes, c’est l’inverse, comme nous l’indique
le Nouveau Testament. Nous devons nous exciter mutuellement à

2. Je suis reconnaissant envers Wade Urig de m’avoir aidé à voir cette réalité.

158
L’Éternel, l’Éternel

l’amour, selon Hébreux 10.24. Yahvé n’a pas besoin qu’on l’excite


à l’amour, seulement à la colère. Nous n’avons pas besoin que
l’on nous excite à la colère, seulement à l’amour. Je le répète,
la Bible est une seule longue tentative visant à déconstruire la
vision naturelle que nous avons de l’identité véritable de Dieu.)
Dieu est « riche en bonté et en fidélité ». Il s’agit ici du langage
de l’alliance. Le mot hébreu rendu par « bonté » est hesed, qui
désigne l’engagement particulier de Dieu envers le peuple avec
lequel il a pris plaisir à se lier selon une alliance irrévocable. Le
mot « fidélité » l’évoque aussi – Dieu ne reviendra pas sur son
alliance, malgré toutes les raisons que son peuple lui donne de
le faire. Il refuse même jusqu’à entretenir l’idée de nous aban-
donner, nous qui le mériterions pourtant, ou à nous retirer son
affection comme nous le faisons envers ceux qui nous blessent.
Par conséquent, il ne se contente pas de sceller une alliance géné-
reuse, mais encore il y abonde. Son engagement inébranlable
envers nous ne se dissout jamais.
Dieu « conserve son amour jusqu’à mille générations ». Or,
cette expression rappelle explicitement Deutéronome 7.9 : « Sache
donc que c’est l’Éternel, ton Dieu, qui est Dieu. Ce Dieu fidèle garde
son alliance et sa miséricorde jusqu’à la millième génération envers
ceux qui l’aiment et qui observent ses commandements. » Cela ne
signifie pas que sa bonté prend fin à la mille et unième génération.
C’est une façon pour Dieu de dire : mon engagement envers vous
n’a pas de date d’expiration. Vous ne pouvez vous débarrasser de
ma grâce envers vous. Vous ne pouvez fuir ma miséricorde. Vous
ne pouvez échapper à ma bonté. Mon cœur vous est acquis.
Dieu « punit l’iniquité des pères sur les enfants et sur les enfants
des enfants jusqu’à la troisième et à la quatrième génération ». Bien
qu’il soit difficile à entendre, cet élément de conclusion est vital –
et, à bien y réfléchir, il console. Sans lui, tout ce qui l’a précédé

159
Doux et humble de cœur

risque d’être mal compris, comme évoquant une simple clémence.


Il reste que Dieu n’est pas une mauviette. Il est la seule personne
parfaitement juste de l’univers. « [On] ne se moque pas de Dieu.
Ce qu’un homme aura semé, il le moissonnera aussi » (Ga 6.7).
Le péché et la culpabilité se transmettent de génération en géné-
ration. Nous l’observons partout autour de nous dans le monde.
Remarquez toutefois ce que Dieu affirme. Selon son alliance, son
amour se répand sur mille générations ; mais il « punit l’iniquité
des pères […] jusqu’à la troisième et à la quatrième génération ».
Voyez‑vous la différence ? Il est vrai que nos péchés seront transmis
à nos enfants et à nos petits‑enfants. Par contre, la bonté de Dieu
sera transmise de manière à engloutir inexorablement tous nos
péchés. Ses miséricordes se transmettent sur mille générations,
dépassant ainsi de très loin la troisième et la quatrième génération.


Voilà qui est Dieu. Voilà, selon son propre témoignage, l’es-
sence même de son cœur. L’asymétrie d’Exode 34.6,7 nous étonne.
La miséricorde et la bonté y occupent une place importante ;
le châtiment y est reconnu, mais presque comme une question
secondaire nécessaire. En commentant ce passage, John Owen
a affirmé ce qui suit :

Lorsque [Dieu] déclare solennellement et pleinement sa nature,


pour que nous le connaissions et le craignions, il en énumère
d’abord les particularités propres à nous convaincre de sa com-
passion et de sa patience. Il ne mentionne sa sévérité qu’à la fin, la
dépeignant comme un trait qu’il ne veut exprimer qu’à ceux qui
méprisent sa compassion3.

3. John Owen, « An Exposition of the Epistle to the Hebrews », dans The Works of
John Owen, W. H. Goold, éd., vol. 25, réimp., Édimbourg, Banner of Truth, 1965, p. 483.

160
L’Éternel, l’Éternel

Les puritains comprenaient que, dans cette révélation accor-


dée à Moïse, Dieu nous fait voir les profondeurs de son cœur. Selon
la suprême révélation de Dieu à l’échelle de l’Ancien Testament,
Dieu ne ressent pas le besoin de contrebalancer messages de
miséricorde et déclarations de colère. Il dit plutôt de lui‑même,
comme Richard Sibbes, en décrivant Dieu, qu’il est « revêtu en
entier de doux attributs ». Il ajoute à cela : « Si nous souhaitons
connaître le nom de Dieu, et voir à quel point il est ravi de se
dévoiler à nous, prenons connaissance des termes par lesquels il se
révèle, car ils démontrent que la gloire de l’Éternel dans l’Évangile
brille tout particulièrement de l’éclat de la miséricorde divine4. »
Ce que nous voyons dans Exode 34, ce qu’Owen et Sibbes
confirment, revient dans tout le reste de la Bible, comme dans
Ésaïe 54.7,8, où l’Éternel déclare :

Quelques instants je t’avais abandonnée, mais avec une grande


affection je t’accueillerai ; dans un instant de colère, je t’avais un
moment dérobé ma face, mais avec un amour éternel j’aurai com-
passion de toi.

La vie chrétienne, vue sous un certain angle, est un par-


cours durant lequel nous abandonnons, au fil de nombreuses
décennies, nos présomptions naturelles à l’égard de l’identité
de Dieu, et le laissons les remplacer par sa propre insistance
sur sa véritable identité. Or, cela exige de grands efforts. Il faut
beaucoup de sermons et de souffrance pour croire que Dieu est,
du plus profond de son cœur, « miséricordieux et compatissant,
lent à la colère ». La chute, relatée dans Genèse 3, a non seulement
causé notre condamnation et notre exil, mais elle a aussi gravé

4. Richard Sibbes, « The Excellency of the Gospel Above the Law », dans The Works of
Richard Sibbes, A. B. Grosart, éd., 7 vol., Édimbourg, Banner of Truth, 1983, vol. 4, p. 245.

161
Doux et humble de cœur

dans notre esprit de sombres pensées au sujet de Dieu, pensées


que seule une exposition répétée à l’Évangile au fil des ans peut
chasser. Il se peut que la plus grande victoire de Satan sur votre
vie actuelle ne soit pas le péché auquel vous cédez souvent, mais
les pensées sombres que vous entretenez au sujet du cœur de
Dieu qui vous y poussent en premier lieu et qui vous gardent
tiède à son égard.
Par contre, bien entendu, la preuve finale de l’identité de Dieu
ne se trouve pas dans le livre de l’Exode, mais dans les Évangiles
selon Matthieu, Marc, Luc et Jean. Dans Exode 33 à 34, Moïse ne
peut voir la face de Dieu et vivre, car elle le réduirait en cendres.
Et si un jour les êtres humains voyaient la face de Dieu d’une
manière qui ne les réduirait pas en cendres ? Lorsque Jean parle
de la Parole devenue chair, il dit : « Nous avons contemplé sa
gloire » – nous avons vu ce que Moïse a demandé à voir, mais
sans l’y être autorisé – « pleine de grâce et de vérité » (Jn 1.14,
indiquant que Christ possède pleinement les mêmes traits que
Dieu dans Ex 34.6).
Jean n’est pas le seul auteur d’un Évangile à faire le lien avec
Exode 33 et 34. Considérez ceci : la révélation d’Exode 34 suit
une alimentation miraculeuse (Ex 16.1‑36) et une discussion au
sujet du sabbat (31.12‑18) ; elle suit l’entretien entre un chef repré-
sentant Dieu et Dieu lui-même sur une montagne (32.1,15,19 ;
34.2,3,29) ; elle se termine par un entretien entre le peuple de
Dieu terrifié de son chef redescendu de la montagne, mais apaisé
par lui et attiré à lui (34.30,31) ; elle est immédiatement suivie du
récit de l’émerveillement du peuple devant le Dieu qu’il adore
(34.9,10) ; puis s’ensuit une autre rencontre entre le représentant
de Dieu et ce dernier, qui fait que le chef redescend avec le visage
rayonnant (34.29‑33).

162
L’Éternel, l’Éternel

Chacun de ces détails narratifs apparaît dans Marc 6.45‑52


et son contexte, alors que Jésus marche sur l’eau5.
Ainsi, nous commençons maintenant à voir pourquoi Jésus
avait l’intention de « dépasser » ses disciples, qui avaient du mal
à ramer contre le vent sur la mer de Galilée. Voici ce qu’on lit à
ce sujet : « Il vit qu’ils avaient beaucoup de peine à ramer ; car le
vent leur était contraire. Vers la quatrième veille de la nuit, il alla
vers eux, marchant sur la mer, et il voulait les dépasser » (Mc 6.48).
Pourquoi avait‑il l’intention de les dépasser ? Jésus ne voulait
pas simplement « dépasser » les disciples comme une voiture en
dépasserait une autre sur l’autoroute. Le fait qu’il les dépasse est
beaucoup plus important et ne peut se comprendre qu’à la lumière
de l’Ancien Testament. Quatre fois dans Exode 33 et 34 l’Éternel
dit qu’il « passera devant » Moïse, la Septante (l’Ancien Testament
en grec) emploie le même mot (parerchomai) que Marc utilise.
L’Éternel est passé devant Moïse et lui a révélé que sa plus
grande gloire se voit dans sa miséricorde et sa compassion. Jésus
est venu accomplir, en chair et en os, ce que Dieu avait fait uni-
quement par le vent et la voix dans l’Ancien Testament.
Lorsque l’Éternel révèle à Moïse les profondeurs de son cœur
dans Exode 34, nous voyons l’ombre des choses à venir qui cédera la
place à Jésus‑Christ dans les Évangiles. La Bible nous donne en 2D

5. À savoir : une alimentation miraculeuse (Mc 6.30‑44) ; une discussion au sujet du


sabbat (6.2) ; l’entretien entre un représentant de Dieu et Dieu lui-même sur la montagne
(6.46) ; un dernier entretien entre le peuple de Dieu terrifié par son chef redescendu de
la montagne, apaisé par lui et attiré à lui (6.49,50) ; immédiatement suivi du récit de
l’émerveillement du peuple devant le Dieu qu’il adore (6.53‑56) ; puis s’ensuit une autre
rencontre entre le représentant de Dieu et ce dernier, qui fait que le chef redescend
avec le visage rayonnant (9.2‑13). Le lecteur qui désire voir ces liens être bien détaillés
peut consulter Dane Ortlund, « The Old Testament Background and Eschatological
Significance of Jesus Walking on the Sea (Mark 6:45‑52) », Neotestamentica, no 46,
2012, p. 319‑337.

163
Doux et humble de cœur

ce qui éclatera dans notre propre continuum d’espace et de temps


en 3D des siècles plus tard, à l’apogée de l’histoire de l’humanité.
Exode 34 nous révèle le fin fond du cœur de Dieu. Ce cœur
se manifeste toutefois chez le charpentier galiléen, qui a attesté
toute sa vie qu’il s’agissait de son cœur et qui l’a prouvé en se
laissant clouer à une croix romaine et en descendant ainsi dans
l’enfer de l’abandon par Dieu, subi à notre place.

164
17

Ses voies ne sont pas


nos voies

Car mes pensées ne sont pas vos pensées.


Ésaïe 55.8

L e présent livre véhicule le message suivant : nous avons ten-


dance à projeter sur Dieu nos attentes naturelles concernant
son identité, au lieu de les contrer en laissant la Bible nous éton-
ner par ce que Dieu dit lui‑même. Aucun autre texte biblique
n’est sans doute plus éloquent à ce sujet qu’Ésaïe 55. Voici ce
que dit Jean Calvin sur ce passage : « Il n’y a rien qui trouble
plus nos consciences que lorsque nous pensons que Dieu est
comme nous1. »
Quand la vie tourne au drame, les chrétiens rappellent sou-
vent aux autres, en haussant les épaules, que les voies de Dieu ne
sont pas les nôtres. C’est ainsi qu’ils communiquent les mystères
de la divine providence par laquelle il orchestre les événements

1. Jean Calvin, Commentaire sur le prophète Ésaïe, < https://www.bibliaplus.org/


fr/commentaries/3/commentaire-biblique-de-jean-calvin/esaie/55/9 > (page consultée
le 17 mars 2021).

165
Doux et humble de cœur

de manières surprenantes. Les profondeurs mystérieuses de la


divine providence constituent, bien entendu, une vérité biblique
précieuse. Il reste que le passage dans lequel nous trouvons « ses
voies ne sont pas nos voies » est tiré d’Ésaïe 55. Et en contexte, il
revêt une signification bien différente. Il s’agit d’une affirmation
étonnante non pas de la mystérieuse providence divine, mais du
cœur compatissant de Dieu. Voici comment se lit tout le passage
qui nous intéresse :

Cherchez l’Éternel pendant qu’il se trouve ; invoquez‑le, tandis qu’il


est près. Que le méchant abandonne sa voie, et l’homme d’iniquité
ses pensées ; qu’il retourne à l’Éternel, qui aura pitié de lui, à notre
Dieu, qui ne se lasse pas de pardonner. Car mes pensées ne sont
pas vos pensées, et vos voies ne sont pas mes voies, dit l’Éternel.
Autant les cieux sont élevés au‑dessus de la terre, autant mes voies
sont élevées au‑dessus de vos voies, et mes pensées au‑dessus de
vos pensées (És 55.6‑9).

La première partie de ce passage nous indique quoi faire.


La seconde partie nous dit pourquoi le faire. La transition vient
vers la fin du verset 7 (qui se termine par : « [Dieu] ne se lasse
pas de pardonner »). Remarquez toutefois le raisonnement exact.
Dieu nous appelle à le chercher et à faire appel à lui, et il
invite même les méchants à se tourner vers lui. Que se produi-
ra‑t‑il lorsque nous le ferons ? Dieu « aura pitié de » nous (v. 7).
Le parallélisme dans la poésie hébraïque nous procure un autre
moyen de déclarer que Dieu usera de compassion envers nous :
« [Dieu] ne se lasse pas de pardonner » (v. 7). Il s’agit d’une source
de profonde consolation, pour nous qui nous éloignons souvent
du Père, recherchant la paix de l’âme partout sauf dans son
étreinte et ses instructions. Si nous revenons à lui, poussés par
une contrition renouvelée, malgré toute la honte et tout le dégoût

166
Ses voies ne sont pas nos voies

que nous nous inspirons à nous-mêmes, il ne nous pardonnera


pas avec tiédeur. Il ne se lassera pas de nous pardonner. Il ne se
contentera pas de nous accepter. Il nous étreindra de nouveau.
Remarquez cependant la direction que prend ce passage. Les
versets 8 et 9 nous conduisent plus en profondeur dans ce pardon
inlassable et empreint de compassion. Le verset 7 nous a indiqué
ce que Dieu fait ; les versets 8 et 9 nous communiquent qui il
est. Autrement dit, Dieu sait que même lorsque nous entendons
parler de son pardon empreint de compassion, c’est avec une vision
restreinte du cœur d’où émane ce pardon que nous nous attachons
à cette promesse. Voilà pourquoi l’Éternel poursuit ainsi :

Car mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos voies ne sont pas
mes voies, dit l’Éternel. Autant les cieux sont élevés au‑dessus de
la terre, autant mes voies sont élevées au‑dessus de vos voies, et
mes pensées au‑dessus de vos pensées.

Que dit Dieu ? Il nous indique qu’il est impossible, avec notre
ancien regard, de voir les expressions de sa miséricorde. Notre
perception même de Dieu doit changer. Que dirions‑nous à un
enfant de sept ans qui, venant de recevoir un cadeau d’anniver-
saire de la part de son père aimant, se met immédiatement à fouil-
ler dans sa tirelire à la recherche de quoi le rembourser ? Quelle
souffrance pour ce père ! Cet enfant devrait changer sa perception
concernant l’identité de son père et ce qu’il est ravi de faire.
La nature déchue du cœur humain nous incline à la récipro-
cité, au donnant‑donnant, à l’égalité, à l’équilibre de la balance.
Nous sommes beaucoup plus légalistes que nous en sommes
conscients. Quelque chose de sain et de glorieux est bien sûr
enfoui dans cette impulsion – ayant été créés à l’image de Dieu,
nous préférons l’ordre et l’équitabilité au chaos. En revanche,
notre chute désastreuse dans le péché a corrompu cette impulsion,

167
Doux et humble de cœur

comme toutes les dimensions de notre être. Notre capacité à com-


prendre le cœur de Dieu s’en trouve affectée. Elle nous laisse une
perception altérée de ce qu’il ressent à l’égard de son peuple, une
perception altérée (attribuable encore une fois au péché) qui nous
amène à penser qu’il s’agit en fait d’une perception exhaustive
et exacte de l’identité de Dieu. Comme un petit‑fils qui, voyant
un billet de cent dollars tout neuf, conclut que son grand‑père
doit être très riche, sans savoir que ce cadeau n’est qu’une part
infime des milliards de dollars en immobilier desquels il provient.
C’est ainsi que Dieu énonce explicitement à quel point notre
perception naturelle de son cœur est étriquée. Ses pensées ne sont
pas nos pensées. Ses voies ne sont pas nos voies. Or, il ne s’agit
pas d’une légère variation de quelques degrés. Non, « [autant] les
cieux sont élevés au‑dessus de la terre » – une façon en hébreu
d’exprimer l’infinitude spatiale –, « autant mes voies sont élevées
au‑dessus de vos voies, et mes pensées au‑dessus de vos pen-
sées » (v. 9). Au verset 8, Dieu dit que ses voies et les nôtres sont
différentes ; au verset 9, il précise que ses pensées sont élevées
au‑dessus des nôtres. C’est comme si Dieu disait au verset 8 que
lui et nous pensons très différemment, alors qu’au verset 9, il dit
précisément que ses « pensées » (le mot hébreu ne signifie pas
simplement « une réflexion passagère », mais des « plans », des
« moyens », des « intentions », des « desseins ») sont très élevées,
enveloppées d’une telle compassion que nous, pécheurs déchus,
ne pouvons la catégoriser.
Il n’y a qu’une seule autre occurrence de cette expression
exacte dans la Bible : « Autant les cieux sont élevés au‑dessus
de la terre. » Dans le Psaume  103, David prie ainsi  : « Mais
autant les cieux sont élevés au‑dessus de la terre, autant sa
bonté est grande pour ceux qui le craignent » (v. 11). Les deux

168
Ses voies ne sont pas nos voies

passages – Psaumes 103.11 et Ésaïe 55.9 – se mettent en lumière


l’un l’autre2 . Les voies et les pensées de Dieu ne sont pas nos
voies ni nos pensées en ce sens que les siennes sont des pensées
d’amour et des voies de compassion qui s’étendent au‑delà de
notre horizon mental.


Jean Calvin – le théologien que l’on connaît le mieux pour ses
enseignements sur la divine providence – comprenait qu’Ésaïe 55
ne concernait pas vraiment la divine providence. Il a fait remar-
quer que certains interprétaient l’expression « mes pensées ne
sont pas vos pensées » comme constituant une pure distanciation
entre Dieu et nous, illustrant l’énorme gouffre entre la divinité
sacrée et l’humanité profane. Or, Calvin considérait que le pas-
sage empruntait en fait une direction diamétralement opposée.
Il y a en effet une grande distance entre Dieu et nous ; nous
entretenons une vision étriquée au sujet du cœur de Dieu, mais
il sait que son cœur penche irrévocablement, ouvertement et
invinciblement vers nous.
Voici ce que Calvin dit à ce sujet : « Maintenant, parce qu’il
est difficile d’éliminer la terreur des esprits tremblants, Ésaïe tire
tout argument de la nature de Dieu, qu’il sera prêt à pardonner
et à se réconcilier3. » Puis Calvin se concentre sur l’essentiel de
ce que Dieu nous dit par ce passage. Après avoir déterminé la
fausse interprétation, il affirme ceci :

2. En hébreu, les deux versets sont presque identiques, ne comportant qu’une


seule différence dans la préposition, bien que leur signification demeure essentielle-
ment la même.
3. Calvin, Commentaire sur le prophète Ésaïe, < https://www.bibliaplus.org/fr/
commentaries/3/commentaire-biblique-de-jean-calvin/esaie/55/7 >, (page consultée
le 17 mars 2021).

169
Doux et humble de cœur

Mais le sens du Prophète, je pense, est différent, et est expliqué plus


correctement, selon mon jugement, par d’autres commentateurs,
qui pensent qu’il fait une distinction entre le tempérament de
Dieu et le tempérament de l’homme. Les hommes ont coutume
de juger et de mesurer Dieu d’eux-mêmes ; car leurs cœurs sont
émus par des passions coléreuses et sont très difficiles à apaiser ;
et c’est pourquoi ils pensent qu’ils ne peuvent pas être réconciliés
avec Dieu, lorsqu’ils l’ont une fois offensé. Mais le Seigneur montre
qu’il est loin de ressembler aux hommes4.

Le langage par lequel Calvin décrit ici la disposition de Dieu


correspond au langage du cœur. N’oubliez pas que, lorsque
nous parlons du cœur de Dieu, nous parlons de l’inclination
de ses affections, de son penchant naturel, de sa façon d’être
et de faire. Et comme l’enseigne Calvin, la disposition divine
est, selon Ésaïe 55, le négatif de la photo de notre disposition
naturelle déchue.
Notre compréhension étriquée de la joie intense que Dieu
éprouve à nous pardonner déforme notre perception de sa véri-
table nature, sans toutefois rien y changer. « En bref, Dieu est
infiniment compatissant et infiniment prêt à pardonner ; de sorte
qu’il doit être attribué exclusivement à notre incrédulité, si nous
n’obtenons pas son pardon5. »

4. Calvin, Commentaire sur le prophète Ésaïe, < https://www.bibliaplus.org/fr/


commentaries/3/commentaire-biblique-de-jean-calvin/esaie/55/8 > (page consultée le
17 mars 2021). Calvin affirme quelque chose de similaire en commentant le Psaume 89.2 :
« Jamais un homme n’ouvrira librement la bouche pour louer Dieu, à moins qu’il ne
soit pleinement convaincu que Dieu, même lorsqu’il est en colère contre son peuple,
ne laisse jamais de côté son affection paternelle à son égard », < https://www.bibliaplus.
org/fr/commentaries/3/commentaire-biblique-de-jean-calvin/psaume/89/2 > (page
consultée le 17 mars 2021).
5. Calvin, Commentaire sur le prophète Ésaïe, < https://www.bibliaplus.org/fr/
commentaries/3/commentaire-biblique-de-jean-calvin/esaie/55/9 > (page consultée
le 17 mars 2021).

170
Ses voies ne sont pas nos voies


Le cœur de Dieu empreint de compassion confond nos prédi-
lections intuitives quant au plaisir qu’il prendrait à répondre à ses
enfants s’ils déposaient à ses pieds les ruines et le chaos de leur vie.
Dieu n’est pas comme vous. Même l’amour humain le plus
intense n’est qu’un pâle reflet de l’abondance émanant des cieux.
Ses pensées sincères envers vous transcendent ce que vous pouvez
concevoir. Il a l’intention de vous redonner la splendeur éclatante
pour laquelle vous avez été créé. Et cela ne dépend pas du fait
que vous vous gardiez pur, mais de celui de lui remettre votre
gâchis. Il ne se limite pas à travailler les parties non souillées de
notre être qui subsistent au terme d’une vie de péché. Sa puis-
sance est telle qu’il est capable de racheter les pires dimensions
de notre passé afin d’en faire les dimensions les plus radieuses de
notre avenir. Pour ce faire, nous devons toutefois lui confier ces
sombres malheurs.
Nous savons qu’il sauvera ceux qui ne le méritent pas en raison
de ce que le passage précise par la suite :

Oui, vous sortirez avec joie, et vous serez conduits en paix ; les
montagnes et les collines éclateront d’allégresse devant vous, et tous
les arbres de la campagne battront des mains. Au lieu de l’épine
s’élèvera le cyprès, au lieu de la ronce croîtra le myrte ; et ce sera
pour l’Éternel une gloire, un monument perpétuel, impérissable
(És 55.12,13).

Les pensées de Dieu sont tellement élevées au‑dessus des


nôtres que non seulement il pardonne abondamment celui qui
se repent, mais qui plus est, il a résolu de donner à son peuple un
avenir si glorieux que nous pourrions difficilement oser l’espérer.
La poésie de ce passage communique merveilleusement bien le fait

171
Doux et humble de cœur

que les affections de Dieu envers son peuple croissent au fil des
générations, se préparant à émerger lors de la fin de toutes choses.
Notre joyeuse humanité restaurée jaillira avec une telle énergie
spirituelle que la création éclatera elle‑même en chants de célébra-
tion bruyante. Voilà la grande fête que l’ordre créé attend avec un
ardent désir (Ro 8.19), car sa gloire est inséparable de notre gloire
et en dépend tout à la fois (Ro 8.21). Tandis que les fils et les filles
de Dieu entreront dans un avenir aussi sûr qu’immérité, l’univers
sera purifié, et il retrouvera sa splendeur éclatante et sa dignité.
Comment pouvons‑nous en être certains ?
Si ses voies sont élevées au‑dessus de nos voies, elles le sont
en raison de notre incompréhension : nous ignorons à quel point
il lui plaît de s’abaisser jusqu’à nous. Voici d’ailleurs ce que nous
lisons quelques chapitres plus loin dans le livre d’Ésaïe :

Car ainsi parle le Très‑Haut, dont la demeure est éternelle et dont le


nom est saint : J’habite dans les lieux élevés et dans la sainteté ; mais
je suis avec l’homme contrit et humilié, afin de ranimer les esprits
humiliés, afin de ranimer les cœurs contrits (57.15).

Vers qui le cœur de Dieu, celui qui est exalté au plus haut
des cieux, est‑il naturellement attiré, selon Ésaïe 57.15 ? Vers les
humbles. Lorsque Jésus est entré en scène sept siècles après qu’Ésaïe
ait prophétisé que Dieu était « doux et humble », il a prouvé une
fois pour toutes que Dieu se plaît assurément à résider au sein de
la douceur et de l’humilité. Il est ainsi fait. Ses voies ne sont pas
nos voies.

172
18

Des entrailles émues

Mes entrailles sont émues en sa faveur.


Jérémie 31.20

L es chapitres 30 à 33 constituent le point culminant de la pro-


phétie de Jérémie. Les érudits les appellent « le Livre de la
consolation » du fait que Dieu révèle aux Israélites dans ces cha-
pitres sa réponse imméritée à leur impiété. Ils s’attendent à un
jugement, mais Dieu les étonne par sa consolation. Pourquoi ?
Parce qu’il les avait attirés à son cœur et qu’ils ne pouvaient s’en
éloigner en commettant quelque péché que ce soit, car il leur assure
ceci : « Je t’aime d’un amour éternel » (Jé 31.3).
Après quoi vient le Livre de la consolation ? Vingt‑neuf cha-
pitres consacrés au rappel de l’impiété sordide d’Israël. Voici
quelques versets représentatifs tirés des premiers chapitres :

• « Je prononcerai mes jugements contre eux, à cause de toute


leur méchanceté » (1.16).
• « Ils m’ont abandonné » (2.13).
• « Et tu as souillé le pays par tes prostitutions et par ta mé-
chanceté » (3.2).

173
Doux et humble de cœur

• « Jusqu’à quand [Jérusalem] garderas‑tu dans ton cœur tes


pensées iniques ? » (4.14.)
• « Ce peuple a un cœur indocile et rebelle » (5.23).
• « Comme un puits fait jaillir ses eaux, ainsi elle fait jaillir
sa méchanceté » (6.7).

Et il en est ainsi au fil de vingt‑neuf chapitres. Puis, après les


chapitres 30 à 33, Dieu porte un jugement contre les nations dans
le reste du livre.
Cependant, le Livre de la consolation, qui se trouve au cœur
de celui de Jérémie, constitue le sommet depuis lequel on peut
voir les cinquante‑deux chapitres dans leur ensemble. Et parmi
ces quatre chapitres, le verset 31.20 est sans doute celui qui les
résume le mieux :

Éphraïm est‑il donc pour moi un fils chéri, un enfant qui fait mes
délices ? Car plus je parle de lui, plus encore son souvenir est en
moi ; aussi mes entrailles sont émues en sa faveur : J’aurai pitié de
lui, dit l’Éternel.

« Éphraïm » est simplement un autre nom pour désigner Israël, le


peuple de Dieu, bien qu’il semble s’agir d’un terme divin d’affection
envers Israël partout dans l’Ancien Testament. Et Dieu demande :
« Éphraïm est‑il […] un enfant qui fait mes délices ? » Il ne s’agit pas
ici d’une question que Dieu se pose, mais plutôt d’une déclaration
enveloppée dans la douceur d’une question. Son peuple est son « fils
chéri », celui‑là même « qui fait [ses] délices ». Votre doctrine concer-
nant Dieu est‑elle assez large pour englober ce concept ?
« Car plus je parle de lui » – comme il l’a fait dans vingt‑neuf
chapitres, en réprimandant son peuple sans le ménager – « plus
encore son souvenir est en moi ». Ici, le souvenir n’évoque pas la
faculté de se rappeler. On parle du Dieu omniscient. Son esprit

174
Des entrailles émues

renferme toute vérité sur toutes choses en tout temps selon une
connaissance constante et parfaite. Le souvenir dont il est question
dans ce cas relève du langage de l’alliance. Il est relationnel. Ce
souvenir ne constitue pas l’alternative à l’oubli, mais à l’abandon.
Puis vient le point saillant du verset clé du cœur du livre de
Jérémie : « [Mes] entrailles sont émues en sa faveur » (« mon cœur
est en émoi », BDS).


Dieu parle ici de ses entrailles, bien que certaines traductions
de la Bible utilisent le mot « cœur ». Le mot hébreu lev est généra-
lement employé pour désigner le cœur dans l’Ancien Testament
(comme dans Lamentations 3.21 : « Voici ce que je veux repas-
ser en mon cœur, ce qui me donnera de l’espérance »). Or, dans
Jérémie 31, le mot hébreu employé est meah. Ce dernier désigne
littéralement les entrailles d’une personne, un équivalent français
qui apparaît dans certaines traductions bibliques. Par exemple
dans 2 Samuel 20.10, où il est écrit : « Joab l’en frappa au ventre et
répandit ses entrailles à terre. »
Il va de soi que Dieu n’a pas d’entrailles. C’est sa façon de parler
de son réflexe le plus profond, ses remous intérieurs, ses sentiments
les plus intimes desquels nos émotions sont une image – en un
mot, comme le texte l’indique : son cœur. Calvin nous rappelle que
le terme entrailles ou cœur de Dieu « n’appartient pas proprement
à Dieu », mais ceci n’altère en rien la vérité selon laquelle Dieu
communique réellement par ces expressions « la grandeur de son
amour envers nous1 ».

1. Jean Calvin, < https://www.bibliaplus.org/fr/commentaries/3/commentair
e-biblique-de-jean-calvin/jeremie/31/20 > (page consultée le 18 mars 2021).

175
Doux et humble de cœur

Vous remarquerez ce que fait son cœur selon ce passage :


« [Aussi] mes entrailles [mon cœur] sont émues en sa faveur. »
Qu’implique le fait d’être ému ? C’est différent de bénir, de sauver
ou même d’aimer. Ici, le mot hébreu (hamah) à sa racine dénote
le fait d’être agité, ou même de grogner ou de rugir, ou encore
d’être turbulent. Voyez‑vous ce que Dieu révèle à son sujet, ce
sur quoi il insiste ? Ses immenses affections ne sont en rien
menacées par l’inconstance de son peuple, car c’est le tumulte
de ses désirs divins qui jaillit de son cœur. Et ce que Dieu veut,
il l’obtient.
Il affirme donc ceci : « J’aurai pitié de lui. » Si vous deviez le
traduire littéralement, vous aboutiriez à une tournure maladroite
comme celle-ci : « Ayant de la pitié, j’aurai pitié de lui. » Il arrive
parfois en hébreu qu’on répète un verbe pour mettre l’accent
sur lui (la même construction lexicale se retrouve précédem-
ment dans le verset renfermant le mot « souvenir »). Les entrailles
émues de Dieu délivrent encore et toujours des pécheurs qui se
noient dans les égouts de leur vie, sur vingt‑neuf chapitres. Ils ont
besoin d’un secours qu’ils ne peuvent pas même aller chercher
par eux‑mêmes, encore moins mener à terme.
Quelle perception avez‑vous de lui, dans votre péché et votre
souffrance ? Qui est Dieu pour vous, pas juste sur papier ; qui est
celui qui vous entend lorsque vous priez ? Que ressent‑il envers
vous ? Le salut qu’il vous procure n’est ni tiède ni calculateur. Il
le porte à s’émouvoir à la vue du véritable « vous ». Dieu n’est pas
ému par l’image de vous-même que vous projetez à tout votre
entourage sur Facebook ou par la personne que vous aimeriez
être. Il est ému par la personne qui se cache derrière la façade
que vous présentez aux autres.
Nous devons comprendre que, peu importe depuis combien
de temps nous marchons avec le Seigneur, que nous n’ayons

176
Des entrailles émues

jamais lu toute la Bible ou que nous détenions un doctorat en


études bibliques, nous résistons avec perversité à la pitié de Dieu.
De son cœur découle de la pitié ; du nôtre découle la réticence
à la recevoir. C’est nous qui sommes tièdes et calculateurs, et
non lui. Il nous tend les bras. Nous lui fermons les nôtres. Il se
peut que notre perception naturellement édulcorée du cœur de
Dieu nous semble juste du fait que nous sommes sévères envers
nous‑mêmes et que nous avons du mal à nous disculper. Une
telle sévérité nous semble convenable sur le plan moral. Cette
façon d’éviter les entrailles émues de Dieu ne correspond pas au
témoignage que la Bible rend des sentiments que Dieu éprouve
à l’égard des siens. Il va de soi que Dieu est sérieux sur le plan
moral, bien plus que nous le sommes. Cependant, guidés par la
Bible, nous découvrons que son affection envers nous ne vacille
pas en fonction de notre affabilité. Les affections de Dieu contre-
disent nos intuitions à son égard.
Après avoir cité Jérémie 31.20, Thomas Goodwin en déduit
que, si cette vérité décrit Dieu, elle décrit Christ à plus forte
raison. Il explique qu’un tel verset « peut nous procurer les plus
grandes consolations et les plus grands encouragements » en
présence des nombreux péchés qui plombent notre vie :

Il y a de quoi vous consoler au sujet de telles faiblesses, en ce sens


que vos péchés mêmes le poussent davantage vers la pitié que
vers la colère. […] Christ se joint à vous, et est loin de s’emporter
contre vous, car il dirige toute sa colère contre vos péchés afin de
les anéantir. Oui, sa pitié s’en trouve d’autant plus accrue envers
vous, comme l’affection qu’un père a pour son enfant atteint d’une
maladie répugnante, ou comme celle qu’une personne ressent pour
un membre de son corps atteint de la lèpre. Il ne hait pas ce membre
puisque ce dernier est de sa propre chair, mais la maladie, et cela
l’excite à la pitié envers le membre malade. Que ne fera‑t‑il pas pour

177
Doux et humble de cœur

nous, lorsque nos péchés, que nous commettons tant contre Christ
que contre nous‑mêmes, deviendront pour lui le motif d’avoir
d’autant plus pitié de nous2 ?

Goodwin explique que notre pitié et notre compassion sont


aussi intenses que notre affection pour la personne concernée.
« Plus grande est la misère, plus grande est la pitié envers l’être
bien‑aimé. Or, comme de tous les malheurs, le péché est le plus
grand, c’est ainsi que Christ le voit. » Comment répond‑il donc à
une telle laideur dans notre vie ? « Et comme il aime votre personne
et ne hait que le péché, toute sa haine tombera uniquement sur le
péché afin de vous en délivrer en l’anéantissant, mais ses affections
le porteront d’autant plus vers vous ; et cela, autant lorsque vous
êtes sous le péché que sous quelque autre affliction. Par conséquent,
ne craignez rien3. »


Nous avons tendance à séparer nos péchés de nos souffrances.
Après tout, nous sommes coupables de nos péchés, alors que nos
souffrances (du moins en grande partie) sont imputables à ce
monde que la chute a détruit. Par conséquent, nous avons plus de
mal à nous attendre à ce que Dieu use de douceur et de compassion
envers nos péchés qu’envers nos souffrances. Ne fait‑il aucun doute
que ses affections s’expriment plus librement lorsque l’on pèche
contre moi que lorsque je pèche moi‑même ?
Observez toutefois la logique de Goodwin. Si l’intensité de
l’amour divin correspond à l’intensité du malheur chez l’être
aimé, et si notre impiété constitue notre pire malheur, c’est dire

2. Thomas Goodwin, The Heart of Christ, Édimbourg, Banner of Truth, 2011,


p. 155‑156.
3. Goodwin, The Heart of Christ, p. 156.

178
Des entrailles émues

que l’amour le plus ardent de Dieu se répand sur nous dans notre
impiété. Oui, Dieu éprouve de la haine, nous dit Goodwin – pour
le péché. Par ailleurs, la combinaison de l’amour pour nous et de
la haine pour le péché équivaut à la plus grande certitude possible
selon laquelle Dieu nous accordera un jour la libération finale du
péché et nous fera goûter pleinement ses affections empreintes de
joie envers nous.
Le monde a faim d’un amour ardent, un amour qui mène au
souvenir plutôt qu’à l’abandon. Un amour n’étant aucunement lié à
notre charme. Un amour qui s’abaisse jusque dans notre misère. Un
amour plus grand que les ténèbres qui nous enveloppent peut‑être
aujourd’hui même. Un amour duquel même la plus grande histoire
d’amour humaine n’est que le plus faible des murmures.
Et pourtant, bien que Jérémie nous parle du cœur de Dieu,
cela peut sembler si abstrait – subjectif, à l’eau de rose, éthéré.
N’oubliez toutefois pas pourquoi Goodwin passe si facilement
du cœur de Dieu dans le livre de Jérémie au cœur de Christ. Et si
l’abstrait devenait concret ? Et si les affections de Dieu ne descen-
daient pas seulement sur nous depuis le ciel, mais apparaissaient
aussi parmi nous ici‑bas ? Et si nous les voyions non pas chez un
prophète qui en parle, mais chez un prophète qui nous dit être la
Parole de Dieu – l’incarnation de tout ce que Dieu veut nous dire ?
« Mes entrailles sont émues en sa faveur » : si ces paroles de
Jérémie 31.20 devaient se revêtir de chair, à quoi pourraient‑elles
bien ressembler ?
Nous nous le demandons. Elles revêtiraient la forme d’un char-
pentier du Moyen‑Orient en train de restaurer la dignité, l’hu-
manité, la santé et la conscience chez des hommes et des femmes
par le truchement de guérisons, d’exorcismes, d’enseignements,
d’étreintes et du pardon.

179
Doux et humble de cœur

Et nous commençons maintenant à voir la solution à la tension


qui est intégrée dans Jérémie 31.20, une tension qui transparaît
dans tout l’Ancien Testament, qui poursuit sur son élan, qui s’ac-
croît : la tension entre la justice divine et la miséricorde divine.
Dieu dit ici : « Je parle de [contre] lui », mais il dit aussi : « [Son]
souvenir est en moi. » La condamnation et l’amour, la justice et la
miséricorde, qui s’expriment tour à tour, comme nous le voyons
partout dans l’Ancien Testament.
Cependant, à l’apogée de l’Histoire, la justice a pleinement
été satisfaite en même temps que la miséricorde a pleinement été
répandue, lorsque le Père a envoyé le Fils qu’il chérissait depuis
l’éternité, son « Fils chéri », son « enfant qui fait [ses] délices », mou-
rir sur une croix romaine. Dieu a véritablement parlé contre lui,
alors que Jésus‑Christ versait son sang, l’innocent donnant sa vie
pour des coupables, afin que Dieu puisse dire de nous : « [Leur]
souvenir est en moi », alors même qu’il abandonnait Jésus.
Sur la croix, nous voyons ce que Dieu a fait pour satisfaire son
désir de nous aimer ardemment. Il est allé jusque‑là. Il est allé
jusqu’au bout. Les élans des entrailles célestes se sont traduits par
la crucifixion de Christ.
Repentez‑vous des pensées bornées que vous entretenez au
sujet du cœur de Dieu. Repentez‑vous‑en et laissez‑le vous aimer.

180
19

Riche en miséricorde

Mais Dieu […] est riche en miséricorde.


Éphésiens 2.4

T he Works of Thomas Goodwin se présente en douze volumes


de cinq cents pages chacun, écrits en petits caractères et à
interligne simple. Or, le deuxième volume est entièrement consacré
à Éphésiens 2. Ce volume constitue une compilation de sermons,
et Goodwin s’est beaucoup attardé au verset 4, donnant plusieurs
sermons portant sur ce seul verset :

Mais Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause du grand amour


dont il nous a aimés…

Les versets 1 à 3 nous expliquent pourquoi nous avions besoin


que Dieu nous sauve : nous étions spirituellement morts. Les ver-
sets 5 et 6 nous disent quel est ce salut : Dieu nous a procuré la vie.
Cependant, c’est le verset 4, tout juste au milieu, qui indique pour-
quoi Dieu nous a sauvés. Les versets 1 à 3 exposent le problème ;
les versets 5 et 6 présentent la solution ; et le verset 4 explique la
raison pour laquelle Dieu a décidé de régler le problème plutôt
que de nous abandonner à notre sort.

181
Doux et humble de cœur

Et quelle est cette raison ? Dieu n’est pas pauvre, mais riche
en miséricorde.
Nulle part ailleurs dans la Bible ne décrit‑on Dieu comme
étant riche en quoi que ce soit. La seule chose dont on le dit riche,
c’est en miséricorde. Que signifie cette affirmation ? Elle veut dire
que Dieu est autrement que nous le croyons naturellement être.
Cela veut dire que la vie chrétienne consiste en un renoncement
continu à nos pensées étriquées au sujet de la bonté de Dieu.
Dans sa justice, Dieu est exigeant ; dans sa miséricorde, Dieu est
généreux. « Il est riche envers tous ; à savoir qu’il est d’une bonté
surabondante, qu’il est bon avec profusion, que sa bonté abonde
en richesse, qu’il est plus que bon1. » Comme l’Ancien Testament
répète le verbe « avoir de la pitié » dans Jérémie 31.20, le Nouveau
Testament dit de Dieu qu’il est « riche en miséricorde ».
Ayant sondé, dans les derniers chapitres, les précurseurs de
Matthieu 11.29 dans l’Ancien Testament, ainsi que ce qui éclate
à chaque tournant des quatre Évangiles, nous revenons mainte-
nant au Nouveau Testament pour les quelques chapitres finaux
du présent livre.


Éphésiens 2.4 nous parle du « Dieu, qui est riche en miséri-
corde ». Dieu l’est, il ne le devient pas. Une telle déclaration nous
conduit jusque dans les tréfonds du cœur du Créateur, dans les
lieux très saints, au‑delà du voile intérieur, nous révélant l’être et
la nature mêmes de Dieu. « Il est la source de toute miséricorde
[…] elle lui est naturelle. […] Il s’agit de sa nature et de sa dis-
position, car lorsqu’il manifeste sa miséricorde, il le fait de tout

1. Thomas Goodwin, The Works of Thomas Goodwin, 12 vol., réimpr., Grand Rapids,


Mich., Reformation Heritage, 2006, vol. 2, p. 182.

182
Riche en miséricorde

cœur2. » Voilà d’ailleurs pourquoi il « prend plaisir à la miséri-


corde » (Mi 7.18). Cela explique que David ait reconnu dans une
prière que la miséricorde que Dieu lui manifestait était « selon
[son] cœur » (1 Ch 17.19). Dieu est une fontaine de miséricorde.
Il est multimilliardaire en monnaie de miséricorde, et les retraits
que nous faisons en péchant au fil de notre vie amènent sa fortune
à croître plutôt qu’à diminuer.
Comment cela se peut‑il ? Parce qu’il est la miséricorde per-
sonnifiée. Si la miséricorde ne constituait que l’un de ses biens,
alors que sa nature la plus profonde était autre chose, la quantité
de miséricorde qu’il pourrait répandre sur nous serait limitée. Par
contre, s’il est essentiellement miséricordieux, alors pour lui, le
fait de manifester cette miséricorde revient à agir conformément
à son identité. Il s’agit simplement pour lui d’être Dieu. Lorsque
Dieu manifeste sa miséricorde, il est fidèle à lui‑même. Encore
une fois, cela ne veut pas dire qu’il n’est que miséricorde. Il est
aussi parfaitement juste et saint. Il se met légitimement en colère
contre le péché et les pécheurs. Cependant, selon les affirmations
bibliques au sujet de Dieu, il serait faux de dire que ces attributs
moraux reflètent les profondeurs du cœur de Dieu.
Le verset se poursuit en joignant son grand amour à sa nature
riche en miséricorde : « Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause
du grand amour dont il nous a aimés… » Considérons ce que
Goodwin dit à ce sujet :

Là où il y a ne serait‑ce qu’une supposition ou un questionnement


à savoir si Dieu pourrait se séparer de l’un de ses enfants ou le
rejeter, vous verrez qu’il s’y objecte avec la plus grande indignation,
tellement il aime les siens. […] Il déteste de tout son cœur une telle
pensée. […] Il voue un tel amour à son peuple qu’il ne laissera rien

2. Idem, p. 179.

183
Doux et humble de cœur

lui porter atteinte. […] En effet, son amour est si ardent que, dans
le cas d’une accusation – si à un quelconque moment le péché
survient ou le diable vient proférer des accusations –, elle poussera
Dieu à bénir. Son amour immuable est d’une telle ardeur qu’il saisit
l’occasion pour bénir encore plus3.

Lorsque la Bible parle « du grand amour dont il nous a aimés »,


nous devons voir ce que Goodwin nous aide à comprendre.
L’amour divin n’est pas tolérance ou patience. Bien que Dieu se
montre patient envers nous, son amour est quelque chose de plus
profond, de plus actif. Son amour est grand en ce sens qu’il se
manifeste encore plus intensément lorsque l’être cher est menacé,
même s’il s’est attiré cette menace par sa propre folie. Nous le
comprenons sur le plan humain ; l’amour d’un père terrestre s’en-
flamme lorsqu’il voit son enfant être accusé ou affligé, même si ce
dernier le mérite. Une affection renouvelée bout en lui.
Et c’est là où la miséricorde entre en scène. Il nous aime –
comme Goodwin le répète dans un de ses sermons portant sur
Éphésiens 2.4 – d’un amour « invincible4 ». Et à mesure que l’amour
s’enflamme, la miséricorde se répand. Un immense amour remplit
son cœur ; une riche miséricorde jaillit de son cœur.
Cela semble sans doute un peu abstrait. Après tout, la miséri-
corde et l’amour sont des concepts plutôt théoriques. Ils ont l’air
bien, mais que veulent‑ils dire, au fond, durant ma déprime du
lundi, mon découragement du mercredi, ma solitude du vendredi
soir, mon ennui du dimanche matin ?
Deux pensées peuvent s’avérer utiles, l’une d’elles concer-
nant le besoin de cette riche miséricorde et l’autre concernant
son incarnation.

3. Idem, p. 176.
4. Idem, p. 170‑180.

184
Riche en miséricorde


Parlons premièrement du besoin de la riche miséricorde.
Éphésiens 2.4 n’apparaît pas tout seul. Ce verset marque un tour-
nant dans un puissant fleuve traversant les six chapitres de l’épître
aux Éphésiens. Et voici le passage tout juste en amont de 2.4 :

Vous étiez morts par vos offenses et par vos péchés, dans lesquels
vous marchiez autrefois, selon le train de ce monde, selon le prince
de la puissance de l’air, de l’esprit qui agit maintenant dans les fils
de la rébellion. Nous tous aussi, nous étions de leur nombre, et nous
vivions autrefois selon les convoitises de notre chair, accomplissant
les volontés de la chair et de nos pensées, et nous étions par nature
des enfants de colère, comme les autres… (2.1‑3.)

Christ n’a pas été envoyé pour guérir des âmes brisées, réveil-
ler des endormis, conseiller des gens confus, inspirer ceux qui
s’ennuient, motiver des paresseux ou éduquer des ignorants, mais
pour ramener des morts à la vie.
Considérez l’incidence globale de ces trois versets. Paul ne
parle pas du péché comme nous le faisons souvent : « J’ai gaffé »,
« J’ai fait une erreur », « J’ai du mal à… » ; Paul fusionne le péché
au flot intégral, enveloppant et inexorable de notre vie. Nos péchés
ressemblent moins à un homme en bonne santé qui trébuche à
l’occasion qu’à un homme malade de la tête aux pieds – ou, si nous
prenons au sérieux le langage d’Éphésiens 2, à un mort.
Nous suivions Satan (« le prince de la puissance de l’air »),
même si nous l’ignorions. Non seulement nous cédions aux puis-
sances de l’enfer, mais encore elles nous habitaient – « l’esprit qui
agit maintenant dans les fils de la rébellion ». Nous étions « par
nature des enfants de colère ». Nous méritions la colère divine
du fait même que nous étions ses enfants. Nous ne faisions pas

185
Doux et humble de cœur

que nous abandonner à l’occasion aux convoitises de notre chair ;


nous « vivions » selon ces convoitises. Elles étaient l’air que nous
respirions. Une convoitise effrénée nous caractérisait comme l’eau
est au poisson. Nous inspirions le rejet de Dieu, et nous expirions
l’autodestruction et le jugement bien mérité. Derrière nos sourires
à l’épicerie et nos salutations joyeuses à l’endroit du facteur, nous
intronisions silencieusement notre Moi et vidions notre âme de
la beauté, de la dignité et de l’adoration pour lesquelles elle a été
créée. Nous ne tombions pas dans le péché ; il définissait notre
existence de chaque instant sur le plan des actions, des paroles, des
pensées et, oui, même des volontés – « accomplissant les volontés
de la chair et de nos pensées ». Non seulement nous vivions dans
le péché, mais encore nous nous plaisions à vivre dans le péché.
Nous voulions vivre dans le péché. C’était notre précieux trésor,
notre anneau de Gollum, notre délice ancré en nous. Bref, nous
étions morts. Absolument démunis. Et c’est d’ailleurs ce que la
miséricorde divine est venue neutraliser.
Peut‑être vous dites‑vous que cela ne vous décrit vraiment pas.
J’ai grandi dans un foyer où l’on obéissait à la loi. Nous allions à
l’église. Je ne m’attirais pas d’ennuis. Je n’ai jamais été arrêté. Je
me suis bien conduit envers mes voisins. Mais regardez ce que
Paul dit : « Nous tous aussi […] nous vivions autrefois selon les
convoitises de notre chair. »
Certainement pas. On parle ici de Paul, l’ancien pharisien, le
gardien par excellence de la loi, « Hébreu né d’Hébreux ; quant à la
loi, pharisien ; quant au zèle, persécuteur de l’Église ; irréprochable
à l’égard de la justice de la loi » (Ph 3.5,6). Comment pouvait‑il s’in-
clure parmi ceux qui se livraient aux convoitises de la chair ? Rien de
tout cela ne constitue d’ailleurs un autoportrait ponctuel. Maintes
fois dans le livre des Actes, comme dans Philippiens 3, Paul décrit
son ancienne vie comme étant conforme à « la connaissance exacte

186
Riche en miséricorde

de la loi de nos pères » (Ac 22.3) ou « selon la secte la plus rigide


de notre religion » (Ac 26.5), depuis un très jeune âge (Ac 26.4). Et
pourtant dans Tite 3, comme dans Éphésiens 2, il dit encore ceci
en évoquant son ancienne vie : « [Nous] étions autrefois insensés,
désobéissants, égarés, asservis à toute espèce de convoitises et de
voluptés » (Tit 3.3). Qu’en était‑il au juste ?
Le seul moyen de donner un sens à ces passages contradic-
toires consiste à comprendre que nous pouvons évacuer nos
convoitises de la chair en transgressant toutes les règles ou en
observant toutes les règles, mais ces deux façons de les manifes-
ter exigent malgré tout une résurrection. Nous pouvons être des
morts immoraux ou des morts moraux. D’une manière ou d’une
autre, nous sommes morts.
La miséricorde divine vient purifier non seulement les gens
manifestement mauvais, mais aussi les gens frauduleusement bons.
Or, tous les deux ont le même besoin d’être ressuscités.
Dieu est riche en miséricorde. Il ne la refuse pas à certains
types de personnes, alors qu’il l’accorde à d’autres. Comme il est
lui‑même miséricorde – « qui est riche en miséricorde » – cette
dernière rejaillit sur tous les pécheurs, quels qu’ils soient. Sa misé-
ricorde vainc même la mort de notre âme et l’existence vide et du
genre zombie dans laquelle nous sommes tous nés.
Si nous ressentons le poids de nos péchés, la miséricorde dont
il est question dans Éphésiens 2.4 ne semble pas inatteignable et
abstraite.


Parlons deuxièmement de l’incarnation de la riche miséricorde.
La richesse de la miséricorde divine devient réelle pour nous
non seulement lorsque nous voyons à quel point nous sommes par

187
Doux et humble de cœur

nature dépravés, mais aussi lorsque nous voyons que le fleuve de


miséricorde coule abondamment du cœur de Dieu qui a pris la
forme d’un homme. La notion de miséricorde céleste nous semble
peut-être abstraite ; mais si cette miséricorde devenait quelque
chose que nous pouvions voir, entendre et toucher ?
Or, c’est précisément ce qui s’est produit lors de l’Incarnation.
Quand Paul parle de l’apparition rédemptrice de Christ, il dit ceci :
« Car la grâce de Dieu […] a été manifestée » (Tit 2.11). La grâce
et la miséricorde de Dieu sont liées à Jésus même et manifestées
en lui à tel point que de parler de l’apparition de Christ revient
à parler de l’apparition de la grâce. « Christ n’est autre chose que
pure grâce revêtue de notre nature », écrit Sibbes5.
Par conséquent, lorsque nous considérons le ministère de
Christ dans les quatre Évangiles, nous voyons à quoi ressemble
le fait d’être « riche en miséricorde » – comment parle celui qui
est « riche en miséricorde », comment il se comporte envers les
pécheurs, et se porte vers les affligés. Jésus ne s’est pas contenté
de prouver que Dieu est riche en miséricorde en allant à la croix y
mourir à notre place afin de nous assurer cette miséricorde. Jésus
nous montre aussi à quoi ressemble et comment parle, en réalité,
la richesse en miséricorde de Dieu.
Autrement dit, l’amour de Dieu est « invincible » (pour
reprendre le mot de Goodwin) en raison de la venue de Christ.
Plus loin dans Éphésiens 2, au verset 6, Paul dit que nous sommes,
maintenant, assis avec Christ dans les lieux célestes. Cela signifie
que, si vous êtes en Christ, vous êtes aussi éternellement invin-
cible qu’il l’est. À ce sujet, Sibbes a dit : « Quelle que soit la chose
dont Christ est libéré, je le suis aussi. Cette chose ne peut pas

5. Richard Sibbes, « The Church’s Riches by Christ’s Poverty », dans The Works of


Richard Sibbes, A. B. Grosart, éd., 7 vol., Édimbourg, Banner of Truth, 1983, vol. 4, p. 518.

188
Riche en miséricorde

me faire plus de mal qu’elle peut lui en faire au ciel6. » Pour que
Dieu annule votre résurrection et mette fin à sa riche miséricorde,
il faudrait que Jésus‑Christ soit lui‑même aspiré hors du ciel et
remis dans le tombeau de Joseph d’Arimathée. Voilà la sécurité
dont vous êtes assuré.


Considérez la richesse en miséricorde de Dieu par rapport à
votre propre vie.
Il ne nous rencontre pas à mi‑chemin. Sa nature même le
conduit à affronter la mort et à susciter la vie, et c’est ce qu’il a
accompli résolument, une fois pour toutes, lors de votre conversion,
mais c’est ce qu’il continue d’accomplir encore et toujours en raison
de vos péchés et de votre folie. Goodwin a prêché ceci : « Après
notre appel, combien de fois provoquons‑nous la colère Dieu ?
Il en est ainsi de tous les chrétiens. […] Sauvés [nous le sommes]
néanmoins, car l’amour de Dieu est invincible, il surmonte toutes
les difficultés7. »
En considérant votre vie, vous vous demandez peut-être, per-
plexe, si la miséricorde divine en Christ n’est pas tout bonnement
passée à côté de vous. Peut‑être avez-vous été profondément mal-
traité. Incompris. Trahi par la seule personne en qui vous auriez dû
avoir confiance. Abandonné. Exploité. Il se peut que vous portiez
en vous une douleur qui ne se dissipera qu’à votre mort. Sans
doute vous dites‑vous : Si ma vie est une quelconque preuve de la
miséricorde de Dieu en Christ, je ne suis pas impressionné.
À vous, je dis que ce n’est pas votre vie qui établit la preuve de
la miséricorde de Christ envers vous. Cette preuve réside dans le

6. Idem, p. 504.
7. Goodwin, The Works of Thomas Goodwin, vol. 2, p. 175.

189
Doux et humble de cœur

fait qu’il a lui‑même été maltraité, incompris, trahi, abandonné.


À votre place.
Si Dieu a envoyé son propre Fils marcher dans la vallée de la
condamnation, du rejet et de l’enfer, vous pouvez marcher avec
confiance en lui dans vos propres vallées en chemin vers le ciel.
Il se peut que vous ayez du mal à recevoir la riche miséricorde
de Dieu en Christ non pas à cause de ce que d’autres vous ont fait,
mais de ce que vous avez vous-même fait pour miner votre vie,
peut‑être par une seule grande décision insensée ou par dix mille
petites. Vous avez gaspillé sa miséricorde, et vous le savez.
À vous, je dis : Savez‑vous ce que Jésus fait de ceux qui gas-
pillent sa miséricorde ? Il redouble de miséricorde. Dieu est riche
en miséricorde. C’est justement l’idée.
Que l’on ait péché contre nous ou que nous ayons causé notre
propre malheur en péchant, la Bible dit qu’en matière de miséri-
corde, Dieu n’a pas le poing fermé, mais la main ouverte ; il n’est
pas chiche, mais généreux ; il n’est pas pauvre, mais riche.
Le fait que Dieu soit riche en miséricorde signifie que les recoins
marqués par la plus grande honte et vos plus profonds regrets ne
sont pas des hôtels où la miséricorde divine ne fait que passer, mais
des maisons dans lesquelles réside la miséricorde divine.
Cela signifie que les choses en vous qui vous font le plus gri-
macer le poussent à vous étreindre plus fort.
Cela veut dire que cette miséricorde n’est ni calculée ni pru-
dente, comme l’est la nôtre. Elle est non restreinte, abondante,
enveloppante, magnanime.
Cela veut dire que notre honte obsédante ne constitue pas
un problème pour lui, mais la chose même avec laquelle il se
plaît à œuvrer.
Cela veut dire que nos péchés n’amènent pas son amour à
vaciller. Nos péchés amènent son amour à jaillir encore plus.

190
Riche en miséricorde

Cela veut dire que le jour où nous nous tiendrons devant lui,
en silence, sans presse, nous pleurerons de soulagement, boule-
versés de constater à quel point la perception que nous avions de
son cœur riche en miséricorde était lamentable.

191
20

Notre cœur légaliste,


son cœur généreux

[Le] Fils de Dieu, qui m’a aimé…


Galates 2.20

I l y a deux façons de vivre la vie chrétienne. On peut la vivre


pour le cœur de Christ ou selon le cœur de Christ. On peut vivre
pour le sourire de Dieu ou selon lui. Pour une nouvelle identité
comme fils ou fille de Dieu ou selon elle. Pour son union avec
Christ ou selon elle.
Le combat de la vie chrétienne consiste à aligner notre propre
cœur sur celui de Christ. Autrement dit, nous lever chaque matin
en remplaçant notre mentalité d’orphelin par celle d’une adoption
complète et gratuite dans la famille de Dieu grâce à l’œuvre de
Christ. Jésus, notre frère aîné, nous a aimés et s’est donné pour
nous selon la plénitude débordante de son cœur gracieux.
Imaginez un jeune de douze ans grandissant dans une famille
saine et aimante. En vieillissant, il cherche toutefois à découvrir,
sans que ses parents soient fautifs, comment garantir sa place au
sein de sa famille. Une semaine, il tente de se créer un nouvel acte

193
Doux et humble de cœur

de naissance. La semaine suivante, il détermine de passer tout son


temps libre à récurer la cuisine. La semaine d’ensuite, il résout de
faire tout son possible pour imiter son père. Un jour, ses parents
l’interrogent sur son comportement étrange. « Je fais juste mon
possible pour assurer ma place dans la famille ! » Que lui répon-
drait son père ? « Calme‑toi, fiston ! Il n’y a absolument rien que
tu doives faire pour gagner ta place parmi nous. Tu es notre fils.
Un point, c’est tout. Tu n’as rien fait au départ pour entrer dans la
famille, et tu ne peux rien faire maintenant pour en sortir. Vis ta
vie en sachant que ton identité de fils est établie et irréversible. »
Basé sur l’épître aux Galates, le présent chapitre vise à contrer
notre tendance chronique à adhérer à une croyance subtile selon
laquelle nous gagnons l’amour de Dieu par notre obéissance. De
ce fait, nous agissons comme cet adolescent. Et notre Père nous
répond en nous corrigeant avec amour.


L’épître aux Galates nous enseigne que nous sommes justifiés
aux yeux de Dieu conformément à ce que Christ a accompli pour
nous plutôt qu’à ce que nous faisons. Ajouter à l’Évangile revient
donc à perdre l’Évangile. Il reste que l’épître n’insiste pas essentielle-
ment sur le fait que nous le découvrons pour la première fois lors de
notre conversion, mais plutôt sur le fait que nous nous en éloignons
facilement par la suite. Perplexe, Paul pose cette question : « Après
avoir commencé par l’Esprit, voulez‑vous maintenant finir par la
chair ? » (Ga 3.3.) Voici le message central de l’épître aux Galates : le
libre accès à la grâce et à l’amour de Dieu constitue non seulement la
porte d’entrée de la vie chrétienne, mais aussi le chemin à parcourir1.

1. Luther est particulièrement clair à ce sujet dans son commentaire sur l’épître
aux Galates, célèbre à juste titre. Martin Luther, < https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/

194
Notre cœur légaliste, son cœur généreux

Au fil de l’épître, Paul explique la doctrine de la justification


par la foi afin d’aider les croyants de Galatie à mener une vie chré-
tienne saine. La justification constitue la dimension objective de
notre salut. Paul parle toutefois aussi de la dimension subjective
du salut, l’amour de Christ, comme lorsqu’il parle du « Fils de
Dieu, qui m’a aimé et qui s’est livré lui‑même pour moi » (2.20).
La vie chrétienne saine se bâtit tant sur la dimension objective que
subjective de l’Évangile – la justification qui découle de l’œuvre
de Christ et l’amour qui jaillit de son cœur.
Néanmoins, les deux sont interreliées. En mars 1767, le pasteur
et auteur de cantiques John Newton a écrit une lettre à un ami
dans laquelle il disait ceci :

Ne vous étonnez‑vous pas parfois d’avoir ne serait‑ce qu’un espoir


que, pauvre et démuni comme vous l’êtes, le Seigneur pense à vous ?
Mais ne laissez pas tout ce que vous ressentez vous décourager.
Car, si notre Médecin est tout‑puissant, notre maladie ne peut pas
être désespérée et s’il ne met dehors aucun de ceux qui viennent
à lui, qu’auriez‑vous à craindre ? Nos péchés sont nombreux, mais
ses miséricordes le sont plus encore ; nos péchés sont grands, mais
sa justice est plus grande encore ; nous sommes faibles, mais il est
puissant. La plupart de nos regrets sont causés par notre incrédulité
et par les vestiges d’un esprit légaliste2.

Vous remarquerez la façon dont Newton parle du fait « que,


pauvre et démuni comme vous l’êtes, le Seigneur pense à vous »
et que (faisant allusion à Jean 6.37, que nous avons examiné au
chapitre 6) « il ne met dehors aucun de ceux qui viennent à lui ».
Ici, Newton dépeint le cœur de Christ. Et notez ce qu’il reconnaît

bpt6k3762j/f11.item.texteImage > (page consultée le 19 mars 2021).


2. John Newton, « Cardiphonia », dans The Works of John Newton, 2 vol., New York,
Robert Carter, 1847, vol. 1, p. 343.

195
Doux et humble de cœur

comme étant au fond la source de notre résistance à ces assurances :


« un esprit légaliste ». Il s’agit d’une façon dont on désignait au
xviiie siècle les œuvres de justice ou de légalisme, à savoir la pro-
pension invétérée, mais subtile, à chercher à obtenir la faveur de
Christ par notre conduite.
Newton nous aide à voir que l’une des raisons pour lesquelles
nous sommes moins sensibles au cœur de Christ, c’est que notre
esprit légaliste nous aveugle. Nous ne voyons pas à quel point
il nous est naturel de fonctionner selon la justification par les
œuvres. Ce faisant, nous anéantissons notre conception de l’affec-
tion que Christ nous porte, puisque cet esprit légaliste l’amène à
dépendre de nos réalisations spirituelles. Pensez à un évent dans
votre chambre à coucher relié à votre chaudière. Si vous le gardez
fermé par une journée froide d’hiver, la chaleur circulera dans
tous les conduits de votre maison, mais vous ne ressentirez pas
cette chaleur, car vous aurez fermé l’évent. En l’ouvrant, vous
permettez à la chaleur d’envahir votre chambre. La chaleur est
déjà là, à attendre que vous y accédiez. Cependant, vous n’en
bénéficiez pas.
L’épître aux Galates existe pour ouvrir l’évent de notre cœur
de sorte que nous ressentions la grâce divine.


Mais cet amour et cette grâce ne sont‑ils pas des plus élémen-
taires ? Les chrétiens ne le savent‑ils pas déjà ?
Oui et non. Dans Galates 3.10, Paul dit quelque chose de frap-
pant qu’il est facile de manquer. Ce verset dit : « Car tous ceux
qui s’attachent aux œuvres de la loi sont sous la malédiction. » Le
passage se poursuit en expliquant que cela tient au fait que, si nous
cherchons à obtenir notre justification selon notre conduite, nous

196
Notre cœur légaliste, son cœur généreux

devrons nous conduire à la perfection. Dès lors que nous adoptons


l’approche légaliste du salut, la moindre erreur torpille tout le projet.
Considérons ce que Paul veut dire par ceci : « Car tous ceux
qui s’attachent aux œuvres de la loi sont sous la malédiction »
(3.10). Ce verset signifie littéralement : « Tous ceux qui dépendent
des œuvres de la loi sont sous la malédiction. » Le verbe « atta-
cher » à nos œuvres rend bien l’idée, mais considérons ce que veut
dire dépendre des œuvres (Paul emploie la même expression dans
Romains 9.32 en disant qu’Israël observe la loi « comme dépen-
dant des œuvres »). Paul ne dit pas que ceux qui font des œuvres
sont sous la malédiction. Il dit plutôt que ceux qui dépendent des
œuvres sont sous la malédiction. Il ne fait aucun doute que les
deux idées se chevauchent, et celle de faire des œuvres est incluse
dans une certaine mesure. Paul parle néanmoins de dépendre
des œuvres.
L’apôtre expose qui nous sommes au plus profond de notre
être. Non pas ce à quoi nous accordons notre aval doctrinal, mais
ce dont nous dépendons. Dépendre des œuvres ne signifie pas
échouer, mais marcher dans la mauvaise direction. Il s’agit d’un
état d’âme, d’un esprit légaliste.
L’une des premières couches de notre ancienne vie à être percée
par l’Évangile, à mesure qu’il nous imprègne davantage et que nous
plongeons dans le cœur de Christ, est notre propension à faire
des œuvres pour mériter l’approbation de Dieu. Il y a cependant
une autre couche plus profonde, un genre d’instinct, qui doit être
également déconstruite et abandonnée. Nous pourrions passer
beaucoup de temps à dénoncer haut et fort la futilité des œuvres
accomplies pour plaire à Dieu, et dire ce qu’il faut tout en comp-
tant sur les œuvres. Par ailleurs, notre dépendance naturelle des
œuvres reflète non seulement une résistance à la doctrine de la

197
Doux et humble de cœur

justification par la foi, mais aussi, voire plus profondément, une


résistance au cœur même de Christ.


Il existe toute une structure psychologique sous-jacente qui,
à cause de la chute, nous pousse presque constamment vers la
manipulation dans nos relations, l’abandon à la peur, la nervosité,
la comparaison, et un non‑sens générateur d’angoisse qui nous fait
perdre le nord. Nous exhalons tous ces traits plutôt que nous les
verbalisons ou les pensons. On peut les sentir chez les gens, même si
certains parviennent bien à le dissimuler. Et si l’on remonte jusqu’à
la source de cet empressement maladif, dans ses diverses manifes-
tations, ce ne sont pas les difficultés de l’enfance, un diagnostic de
Myers‑Briggs ou des pulsions freudiennes qu’on y découvre. On
y trouve plutôt un déficit en matière d’Évangile. On y trouve une
connaissance lacunaire du cœur de Christ. Toute l’inquiétude,
toutes les dysfonctions et tout le ressentiment sont le fruit naturel
d’une vie vécue sous la loi, au sein d’un univers mental légaliste.
C’est vraiment l’amour ressenti de Christ qui procure le repos, la
plénitude, l’épanouissement, la shalom – ce calme existentiel qui
nous gagne de courts instants, lorsque l’Évangile nous envahit et
nous permet de sortir de la tourmente suscitée par notre dépen-
dance à l’égard des œuvres. Nous voyons pendant un moment que
nous sommes véritablement invincibles en Christ. Le verdict est
tombé : rien ne peut nous atteindre. Dieu nous a accueillis parmi
les siens et ne nous mettra jamais dehors.
La tendance à résister inconsciemment au cœur de Christ,
alimentée par la loi à laquelle nous croyons tous échapper (ces
Galates insensés !), est plus profonde, subtile et généralisée que
le laisseraient entendre nos moments de justification légaliste

198
Notre cœur légaliste, son cœur généreux

par les œuvres. Ces prises de conscience sont en fait des dons
de grâce qu’on ne doit pas négliger. Elles ne sont toutefois que la
pointe visible d’un iceberg. Ce sont des symptômes de surface.
Le légalisme, la dépendance à l’égard des œuvres, est par nature
indétectable du fait qu’il nous vient naturellement. Il nous semble
normal. La « dépendance des œuvres » est aux êtres déchus ce que
l’eau est aux poissons.
Et qu’en dit l’Évangile ? Il nous prête à tous cette parole : le
« Fils de Dieu […] m’a aimé et […] s’est livré lui‑même pour moi ».
En raison de son cœur rempli d’amour pour moi, il ne pouvait
rester inerte au ciel. Nos péchés assombrissent nos sentiments à
l’égard de son cœur gracieux, mais son amour pour les siens ne
peut s’altérer en raison de leurs péchés, pas plus que l’existence du
soleil ne peut être menacée par le passage de quelques nuages ni
même par un long orage. Le soleil brille. Il ne peut cesser de briller.
Nuages ou pas – péchés ou pas – le tendre cœur du Fils de Dieu
brille sur moi. Il s’agit d’une affection imperturbable.
Dans son intégralité, le Nouveau Testament enseigne que c’est
le soleil du cœur de Christ, et non les nuages de nos péchés, qui
nous définissent maintenant. Si nous sommes unis à Christ, le
châtiment qu’il a subi à la croix devient notre châtiment. Autrement
dit, le jugement à venir de toute l’humanité lors du Jour dernier
a déjà eu lieu dans le cas de ceux qui sont en Christ. Nous qui
sommes en Christ ne voyons pas ce jugement dans l’avenir, mais
dans le passé ; à la croix, nous voyons notre châtiment se concré-
tiser, car Jésus y a expié tous nos péchés. L’être aimé et restauré
que vous êtes éclipse, surpasse et engloutit votre ancienne nature
non restaurée. Et non l’inverse.
Par ailleurs, la vie chrétienne est simplement le processus
consistant à soustraire mon sentiment identitaire, mon ego et mon
univers intérieur en proie à la panique émanant de cet évangile

199
Doux et humble de cœur

lacunaire, et à les aligner sur cette vérité fondamentale. Le véritable


Évangile constitue une invitation à laisser le cœur de Christ nous
procurer la paix et la joie, du fait que nous avons déjà été décou-
verts, inclus et intégrés à sa famille. La stabilité que nous procure
l’amour de Jésus nous permet de lui remettre les hauts et les bas
inhérents à nos réalisations morales.
Nous sommes des pécheurs. Nous péchions et nous péchons –
non seulement par notre désobéissance, mais aussi par notre obéis-
sance « dépendant des œuvres ». Nous prenons un malin plaisir à
refuser l’amour de Christ. À ce sujet, Flavel dit ceci : « Pourquoi
feriez‑vous de vous‑même l’ennemi juré de votre propre paix ?
Pourquoi faire fi des preuves de l’amour de Dieu envers votre
âme… ? Pourquoi cherchez‑vous des voies de sortie et rejetez‑vous
ces consolations qui vous sont dues3 ? »
Dans l’Évangile, nous sommes libres de recevoir les conso-
lations qui nous sont dues. Ne les rejetez pas. Ouvrez l’évent de
votre cœur à l’amour de Christ, qui vous a aimé et qui s’est livré
lui‑même pour vous.
Notre cœur légaliste se détend lorsque Dieu répand son affec-
tion sur nous.

3. John Flavel, Keeping the Heart: How to Maintain Your Love for God, Fearn,
Écosse, Christian Focus, 2012, p. 94.

200
21

Il nous a aimés jadis ; il


nous aimera maintenant

Dieu prouve son amour envers nous…


Romains 5.8

C ’est une chose de croire que Dieu a pardonné et effacé toutes


nos fautes antérieures à notre nouvelle naissance. Il s’agit
d’une merveilleuse miséricorde, ineffablement riche ; toutefois,
nous avions commis ces péchés alors que nous étions encore dans
les ténèbres. Nous n’étions pas encore de nouvelles créatures,
venant de recevoir la puissance de marcher dans la lumière et
d’honorer le Seigneur par notre vie.
C’en est une autre de croire que Dieu continue, tout aussi
librement, d’effacer toutes nos fautes actuelles, commises après
notre nouvelle naissance.
En tant que croyants, nous savons probablement que Dieu nous
aime. Nous y croyons véritablement. Or, si nous examinions de plus
près l’état continuel de notre relation avec le Père – ce qui révèle
notre vraie théologie, tout ce que nous disons croire sur papier –
nous constaterions que beaucoup d’entre nous sont enclins à croire

201
Doux et humble de cœur

qu’il s’agit d’un amour déçu. Dieu nous aime, certes ; mais il s’agit
d’un amour perturbé. Nous l’imaginons en train de nous regarder
depuis les cieux avec une affection paternelle, mais en sourcillant
légèrement. Nous l’imaginons en train de se dire : « Comment se
fait‑il qu’ils pèchent si souvent après tout ce que j’ai accompli pour
eux ? » Nous péchons maintenant « contre la lumière », comme
affirmaient les puritains ; nous connaissons la vérité, notre cœur a
été fondamentalement transformé, et nous tombons encore malgré
tout. Notre âme reste accablée en présence de Dieu. De nouveau,
cela tient au fait que nous projetons sur Dieu notre propre capacité
d’aimer. Nous ne connaissons pas les profondeurs de son cœur.
C’est d’ailleurs ce qui explique que Romains 5.6‑11 se trouve
dans la Bible :

Car, lorsque nous étions encore sans force, Christ, au temps mar-
qué, est mort pour des impies. À peine mourrait‑on pour un juste ;
quelqu’un peut‑être mourrait pour un homme de bien. Mais Dieu
prouve son amour envers nous, en ce que, lorsque nous étions encore
des pécheurs, Christ est mort pour nous. À plus forte raison donc,
maintenant que nous sommes justifiés par son sang, serons‑nous
sauvés par lui de la colère. Car si, lorsque nous étions ennemis, nous
avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son fils, à plus forte rai-
son, étant réconciliés, serons‑nous sauvés par sa vie. Et non seulement
cela, mais encore nous nous glorifions en Dieu par notre Seigneur
Jésus‑Christ, par qui maintenant nous avons obtenu la réconciliation.


La conscience du chrétien est une conscience sensibilisée.
Maintenant que nous connaissons Dieu comme notre Père, main-
tenant que nos yeux se sont ouverts et que nous voyons notre
rébellion mêlée de traîtrise contre notre Créateur, nous ressentons

202
Il nous a aimés jadis ; il nous aimera maintenant

plus profondément que jamais la laideur du péché. Nos fautes


nous déchirent l’âme comme jamais auparavant. Ainsi, à la suite
d’un paragraphe où Paul se réjouit des bénédictions qui découlent
de la gracieuse rédemption accomplie par Dieu au bénéfice des
pécheurs (Ro 5.1‑5), l’apôtre s’interrompt pour nous convaincre
de la présence et de la faveur de Dieu pour l’avenir (5.6‑11).
Dans ce deuxième paragraphe de Romains 5, Paul redit à peu
près la même chose pas moins de trois fois :

Lorsque nous étions encore sans force, Christ, au temps marqué, est
mort pour des impies (5.6).

Lorsque nous étions encore des pécheurs, Christ est mort pour
nous (5.8).

Car si, lorsque nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec
Dieu par la mort de son fils… (5.10.)

En exprimant la même vérité, mais en sens inverse, nous obtien-


drions ceci : Jésus n’est pas mort pour nous une fois que nous sommes
devenus forts (5.6) ; il n’est pas mort pour nous une fois que nous
avons commencé à vaincre notre impiété (5.8) ; il ne nous a pas récon-
ciliés avec lui une fois que nous sommes devenus ses amis (5.10).
Dieu ne nous a pas rencontrés à mi‑chemin. Il a refusé de
se tenir en retrait et de jauger prudemment notre valeur. Il n’est
pas ainsi. Lui et son Fils ont pris l’initiative. Par la grâce et par
la seule grâce. Contrairement à ce que nous méritions. En dépit
de nos sourires et de notre civilité nous fuyions Dieu aussi vite
que possible, nous bâtissions nos propres royaumes, nous nous
attachions à notre propre gloire, nous nous livrions aux plaisirs
trompeurs de ce monde, la beauté de Dieu nous répugnait et nous
nous fermions à ses appels. C’est alors, précisément, que le Prince
des cieux a quitté les anges qui l’adoraient pour descendre dans

203
Doux et humble de cœur

l’horreur de cette existence révoltante. Alors, selon une stratégie


que Dieu avait planifiée de toute éternité passée pour purifier les
pécheurs souillés et les serrer sur son cœur, alors même qu’ils
tentaient de s’extirper de son étreinte et de se purifier eux-mêmes,
il s’est remis entre leurs mains meurtrières. Christ s’est abaissé
jusque dans la mort – « endurant volontairement une angoisse
inexprimable1 », comme l’écrit Warfield – sous nos applaudisse-
ments. Nous n’aurions pas pu nous en moquer plus éperdument.
Nous étions sans force. Des pécheurs. Des ennemis.
Ce n’est qu’après coup, une fois que le Saint‑Esprit a envahi
notre cœur, que nous avons pris la pleine mesure de cette réalité :
il a traversé ma mort. Et il n’est pas simplement mort ; il a subi la
condamnation. Il n’a pas simplement quitté les cieux pour moi ; il a
subi l’enfer pour moi. Lui qui ne méritait pas cette condamnation
l’a assumée à ma place – moi, le seul à la mériter. Il est ainsi. Et
Dieu déverse son Saint‑Esprit dans notre âme vide, comme un
verre d’eau fraîche porté à une bouche sèche, de telle sorte que
nous nous abreuvions à son amour (v. 5).
Quel était le but de cette céleste mission de sauvetage ? « Dieu
prouve son amour envers nous… » (v. 8.) Ici, le mot grec rendu par
« prouve » signifie recommander sans conteste, présenter, mani-
fester explicitement, établir au‑delà de tout doute. Par la mort de
Christ, Dieu affronte les sombres pensées que nous entretenons à
son sujet et notre croyance chronique selon laquelle l’amour divin
doit avoir une fin, une limite, un point auquel il finit par s’épuiser.
Christ est mort pour faire taire nos présomptions intuitives qui
nous poussent à croire que l’amour divin a une date d’expiration.
Il est mort afin de prouver que l’amour de Dieu est, comme l’a

1. B. B. Warfield, The Person and Work of Christ, Oxford, Royaume‑Uni, Benediction


Classics, 2015, p. 134.

204
Il nous a aimés jadis ; il nous aimera maintenant

affirmé Jonathan Edwards, « un océan sans rivages ni fond 2 ».


L’amour de Dieu est aussi infini que lui‑même. Voilà pourquoi
l’apôtre Paul parle de l’amour divin comme d’une réalité dont « la
largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur » (Ép 3.18) sont
incommensurables – dans tout l’univers, il n’y a d’égal à l’amour
divin que Dieu lui‑même.
Pour que Dieu cesse d’aimer les siens, il faudrait qu’il cesse
d’exister, car il ne se contente pas d’aimer ; il est lui‑même amour
(1 Jn 4.16). Par la mort de Christ pour des pécheurs, Dieu veut
prouver son amour pour nous au‑delà de tout doute.


Il s’agit là de la plus grande nouvelle de l’histoire du monde.
Néanmoins, elle ne constitue pas le principal message de Paul
dans les versets 6 à 11. L’apôtre s’intéresse à autre chose.
Quelle est la leçon, dans Romains 5.6‑11, que Paul tient à
nous faire comprendre ? Ce n’est pas surtout l’œuvre antérieure
de Dieu. Paul souhaite plus que tout nous faire comprendre que
nous sommes en sécurité en raison de cette œuvre ultérieure. Il
soulève cette œuvre de Christ pour nous en convaincre : si Dieu l’a
accomplie jadis, lorsque nous étions complètement tordus et que
nous ne nous intéressions aucunement à lui, qu’avons‑nous donc à
craindre à présent ? Le mot « maintenant » du verset 9 (remarquez
que tout le paragraphe pivote à ce point‑ci) renferme l’énoncé
central des versets 6 à 11 : « maintenant que nous sommes justifiés
par son sang » – et nous lisons ensuite la principale préoccupation
de Paul – « À plus forte raison […] serons‑nous sauvés par lui de

2. Jonathan Edwards, « That God Is the Father of Lights », dans The Blessing of


God: Previously Unpublished Sermons of Jonathan Edwards, Michael McMullen, éd.,
Nashville, Tenn., Broadman, 2003, p. 350.

205
Doux et humble de cœur

la colère. » Le verset 10 pousse la vérité encore plus loin : « Car


si, lorsque nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec
Dieu par la mort de son fils » – et nous revenons ici sur le même
point – « à plus forte raison, étant réconciliés, serons‑nous sauvés
par sa vie. »
Le mot « sauvés » dans les versets 9 et 10 nous amène à nous
tourner vers le salut ultime, n’évoquant pas le moment de la
conversion dans la vie ici‑bas, mais l’entrée en présence de Dieu
dans celle d’en haut. Paul dit que Dieu veillera sur nous jusqu’à ce
que nous arrivions au ciel aussi sûrement qu’il nous justifie lors
de notre conversion. La conversion ne constitue pas un nouveau
départ. La régénération authentique concerne l’irréversibilité de
notre avenir. Nous étions les ennemis de Dieu au moment où il
est venu jusqu’à nous et nous a justifiés ; à combien plus forte
raison veillera‑t‑il sur nous maintenant que nous sommes ses
amis – voire ses enfants ! Voici ce qu’en dit John Flavel : « Comme
Dieu ne vous a pas choisi de prime abord parce que vous étiez
honorable, il ne vous abandonnera pas maintenant parce que
vous êtes au plus bas3. »
Comme il nous est facile, à nous qui avons été réconciliés
avec Christ, de nous demander ce que Dieu pense de nous main-
tenant à cause de nos fautes ! Le raisonnement de Romains 5 est
celui‑ci : Par son Fils, il s’est approché de nous alors même que
nous le haïssions. Se tiendra‑t‑il à distance maintenant que nous
espérons lui être agréables ?
Il a souffert volontiers pour nous lorsque nous étions sans
force, des orphelins. Retiendra‑t‑il nos fautes contre nous main-
tenant que nous sommes ses enfants adoptifs ?

3. John Flavel, Keeping the Heart: How to Maintain Your Love for God, Fern, Écosse,
Christian Focus, 2012, p. 43.

206
Il nous a aimés jadis ; il nous aimera maintenant

Son cœur était doux et humble envers nous lorsque nous


étions perdus. Sera‑t‑il différent envers nous maintenant que nous
sommes retrouvés ?
Lorsque nous étions encore… il nous aimait malgré le gâchis
que nous avions fait de notre vie. Il nous aimera maintenant
malgré le gâchis de notre vie. Notre agonie même lorsque nous
péchons constitue le fruit de notre adoption. Un cœur froid n’en
aurait cure. Nous ne sommes plus qui nous étions.
Lorsque vous péchez, faites de la repentance une affaire
sérieuse. Remettez‑vous à haïr le péché. Consacrez‑vous de nou-
veau au Saint‑Esprit et à ses voies pures. Et fermez‑vous au diable,
qui vous murmure à l’oreille que le tendre amour de Dieu envers
vous s’est un peu refroidi et endurci. Votre impiété ne le trouble
pas. Ce qui le déçoit le plus profondément, ce sont les pensées
tièdes que vous entretenez au sujet de son cœur. Christ est mort,
déployant l’amour de Dieu sous vos yeux.
Si vous êtes en Christ – et seule une âme en Christ pourrait
se troubler à l’idée de l’avoir offensé –, votre égarement ne met
pas plus en danger votre place au sein de l’amour de Dieu qu’il
est possible de changer l’Histoire. Le plus dur est fait. Dieu a déjà
fait tout le nécessaire pour garantir votre bonheur éternel, et cela
alors que vous étiez orphelin. Rien ne saurait aujourd’hui vous
retirer votre identité d’enfant de Dieu. Pas même vous. Ceux qui
sont en Christ sont éternellement captifs du tendre cœur de Dieu.
Nous ne pécherons plus dans la vie à venir, mais nous n’y serons
pas plus en sécurité que nous le sommes maintenant. Si vous êtes
uni à Christ, c’est tout comme si vous étiez déjà au ciel. Voici ce
que Spurgeon a prêché :

Christ vous a aimé avant que tous les mondes soient. Bien avant
que l’astre du jour ait percé les ténèbres de ses rayons, que les anges

207
Doux et humble de cœur

aient volé dans un ciel vierge, qu’une chose créée ait été tirée du
néant, Dieu, notre Dieu, a eu à cœur d’aimer tous ses enfants.
Depuis lors, a‑t‑il une seule fois fait volte‑face, s’est‑il détourné
de nous, a‑t‑il changé ? Non ; ceux qui ont goûté son amour et qui
connaissent sa grâce attesteront qu’il est un ami sûr au sein de
l’incertitude. […]
Vous l’avez souvent abandonné ; vous a‑t‑il déjà abandonné ?
Vous avez vécu beaucoup d’épreuves et d’ennuis ; vous a‑t‑il déjà
laissé tomber ? Vous a‑t‑il déjà fermé son cœur et ses entrailles de
compassion ? Non, enfant de Dieu, il est de votre devoir solennel
de répondre « non » à ces questions et de rendre témoignage de
sa fidélité4.

4. Charles Spurgeon, « A Faithful Friend », dans Sermons of C. H. Spurgeon,


New York, Sheldon, Blakeman & Co., 1857, p. 13‑14.

208
22

Il a mis le comble
à son amour

Jésus […] ayant aimé les siens qui étaient dans le


monde, mit le comble à son amour pour eux.
Jean 13.1

B unyan a écrit : « L’amour en Christ ne dégénère pas, et rien


de ce qui se produit, ou de ce qui se produira dans la suite,
ne saurait altérer son amour pour les siens1. » Dans les derniers
chapitres, nous avons vu que les tendres affections de Christ pour
les pécheurs et les affligés ne se manifestent pas par à‑coups au fil
du temps. Christ demeure – constamment et éternellement – doux
et humble de cœur, même lorsque toute notre affabilité a disparu.
Comment le savons‑nous ?
Nous le savons en raison de ce que dit Jean 13.1 et de ce que
les derniers chapitres des quatre Évangiles relatent : Jésus s’est
rendu à la falaise de la croix. Et sans changer d’idée, il a sauté de
cette falaise.

1. John Bunyan, « The Saints’ Knowledge of the Love of Christ », dans The Works of
John Bunyan, G. Offor, éd., 3 vol., réimpr., Édimbourg, Banner of Truth, 1991, vol. 2, p. 17.

209
Doux et humble de cœur

Toutes proportions gardées, l’Évangile selon Jean parle plus de


la dernière semaine de la vie de Jésus que tout autre Évangile. Et
c’est le premier verset du chapitre 13 qui amorce le long segment
final de cet Évangile. L’affirmation de Jean selon laquelle Jésus a mis
le comble à son amour pour les siens amorce le récit de la Passion,
et Jean 13.1 résume ce dont l’accusation et la crucifixion de Christ
ont témoigné. Dans ce verset, Jean indique que Jésus a aimé sans
réserve, contrairement à nous, lorsque nous cherchons à aimer les
autres de manière sacrificielle. Il n’aime pas comme nous aimons.
Nous aimons jusqu’à ce qu’on nous trahisse. Jésus s’est rendu
jusqu’à la croix malgré la trahison. Nous aimons jusqu’à ce qu’on
nous abandonne. Jésus a aimé même si on l’a abandonné.
Nous aimons dans une certaine mesure. Jésus met le comble
à son amour.


Que dit Jean 13.1 aux pécheurs et aux affligés par cette simple
expression : « mit le comble » (« aima jusqu’au bout », COL) ? Il s’agit
d’un point semblable à la première moitié de Romains 5, sur lequel
nous nous sommes attardés dans le chapitre précédent. Là, la pensée
est plus objective, alors que Paul développe sa doctrine de la justi-
fication de Romains 3 jusqu’à la fin de Romains 5. Dans l’Évangile
selon Jean, nous trouvons une assurance semblable, mais elle est
plus subjective et axée sur l’amour de Jésus. Romains 5 affirme que
s’il nous abandonnait, Dieu transgresserait sa propre justice. Jean 13
affirme que s’il nous abandonnait, Christ trahirait son propre cœur.
Nous lisons :

Avant la fête de Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de
passer de ce monde au Père, et ayant aimé les siens qui étaient dans
le monde, mit le comble à son amour pour eux (Jn 13.1).

210
Il a mis le comble à son amour

Jésus sait que c’est le début de la fin pour lui. Il entre dans le
chapitre final et la vallée la plus profonde de son ministère terrestre.
Il « [sait] que son heure [est] venue de passer de ce monde au Père ».
Jean fait maintenant une pause pour se prêter à une réflexion émou-
vante en jetant un regard sur le ministère de Jésus et en pensant à
sa dernière semaine. En réfléchissant au passé, Jean dit que Jésus
« [a] aimé les siens qui étaient dans le monde ». En réfléchissant à
l’avenir, il ajoute que Jésus « mit le comble à son amour pour eux ».
Jusqu’ici, son ministère s’est avéré des plus exigeants – sur le
plan physique, il a connu la fatigue et la faim ; sur le plan rela-
tionnel, ses amis et ses proches l’ont mal compris et maltraité ;
dans sa vie publique, l’élite religieuse l’a acculé au pied du mur.
Mais qu’est‑ce que tout cela comparé à ce qui l’attend maintenant ?
Qu’est‑ce qu’une bruine froide comparée à la noyade ? Qu’est‑ce
qu’une insulte que l’on vous crie en chemin vers la guillotine ?
Considérez ce qui l’attend exactement. Jésus avait accompli
la volonté de son Père à la lettre. Il a toujours su qu’il faisait les
délices de son Père et qu’il avait sa faveur. Son Père l’avait déclaré
(Mt 3.17 ; 17.5). Maintenant, son pire cauchemar devait se matéria-
liser. L’enfer même – non pas métaphorique, mais concret, l’hor-
reur de la condamnation, des ténèbres et de la mort – lui ouvrait
sa gueule.
Que s’est‑il produit à la croix, pour ceux d’entre nous qui disent
en être les bénéficiaires ?
Bien entendu, cela est incommensurable. Un enfant de trois
ans ne peut comprendre la douleur d’une personne dont le mari
ou la femme l’a trompée. À combien plus forte raison nous est‑il
difficile de comprendre ce que cela a signifié pour Dieu de déver-
ser sur Jésus tout le jugement que son peuple s’était attiré par son
impiété. Toutefois, si nous réfléchissons à ce que nous ressentons,
par exemple, envers l’auteur d’horribles sévices perpétrés contre une

211
Doux et humble de cœur

victime innocente, nous avons une idée de ce que Dieu a ressenti à


l’égard de Christ alors que lui, le dernier Adam, portait les péchés
de son peuple. La juste colère humaine que nous éprouvons – la
colère que nous aurions tort de ne pas éprouver – n’est qu’une goutte
d’eau dans l’océan de la juste colère divine que le Père a déchaînée.
Après tout, Dieu a puni Jésus non pas pour les péchés d’une
seule personne, mais d’un grand nombre. Que doit signifier le fait
qu’Ésaïe dit du serviteur que « l’Éternel a fait retomber sur lui l’ini-
quité de nous tous » (És 53.6) ? Qu’impliquait pour Christ le fait de
supporter l’accumulation des idées tordues, de l’auto‑intronisation
et de la haine naturelle envers Dieu de la part des élus ? Que repré-
sentait le fait que toute la colère divine, engendrée non pas par les
péchés d’une seule personne, mais par « l’iniquité de nous tous »,
s’abatte sur une seule et même âme ?
Je me livre à des considérations théoriques, mais je ne peux pas
croire que ce sont des épreuves extrêmes d’ordre physique qui ont
tué Christ. Qu’est‑ce que la torture physique comparée au fait de
porter de tout le poids de la colère accumulée au cours des siècles ?
Cette montagne d’horreurs ? Comment Jésus a‑t‑il pu même res-
ter sain d’esprit alors qu’il subissait la totalité du châtiment divin
s’abattant sur les convoitises des élus de Dieu – pour ne nommer
que ce péché ? C’est peut‑être le pur désespoir qui a entraîné sa
mort. S’il suait des grumeaux de sang à la pensée d’être abandonné
de Dieu (Lu 22.44), qu’a dû être le fait de vivre cet abandon ? Ne
serait‑ce pas le fait que Dieu lui a retiré son amour, et non le manque
d’oxygène dans ses poumons, qui l’a tué ? Qui pourrait rester men-
talement équilibré en prenant sur lui le châtiment que le peuple de
Dieu méritait ? Voici ce que Warfield a écrit à ce sujet : « Devant
une telle angoisse, les tortures physiques de la crucifixion passent
à l’arrière‑plan, et nous pourrions bien croire que notre Seigneur,
même s’il est mort sur la croix, ne soit pas mort de sa crucifixion,

212
Il a mis le comble à son amour

mais, comme on le dit couramment, d’un cœur brisé2. » C’est la


souffrance du cœur de Christ qui a eu raison de son corps.
L’érudit du Nouveau Testament Richard Bauckham fait remar-
quer que, même si le Psaume 22.2 (« Mon Dieu ! mon Dieu ! pour-
quoi m’as‑tu abandonné ? ») a été écrit à l’origine en hébreu, Jésus
se l’est approprié en le prononçant en araméen3. Jésus ne faisait
pas que répéter, en parallèle, l’expérience que David avait vécue
mille ans plus tôt. Tout cri d’angoisse apparenté au Psaume 22.2
à travers les millénaires a plutôt été résumé, réalisé et approfondi
en Jésus. Son cri constituait le véritable Psaume 22.2, duquel les
nôtres ne sont que l’ombre. En tant que peuple de Dieu, tous nos
sentiments d’abandon ont convergé vers un véritable cœur humain
en un seul instant d’une horrible angoisse au Calvaire, un moment
d’abandon réel.
Qui pourrait le supporter ? Qui ne s’écrierait pas et ne s’étein-
drait pas ? Quand la communion avec Dieu a été l’oxygène d’un être,
son manger et son boire, tout au long de sa vie, sans que le péché ne
vienne le perturber un seul moment – qui aurait survécu au poids
inimaginable de tous nos péchés ? Perdre cette profondeur de com-
munion revenait à mourir. L’immense Amour au cœur de l’univers
s’est alors déchiré en deux. La Lumière du monde s’éteignait4.

2. B. B. Warfield, The Person and Work of Christ, Oxford, Royaume‑Uni, Benediction


Classics, 2015, p. 133.
3. Richard Bauckham, Jesus and the God of Israel: God Crucified and Other Studies
on the New Testament’s Christology of Divine Identity, Grand Rapids, Mich., Eerdmans,
2008, p. 255‑256.
4. Ce n’est pas à dire que le Fils ait absolument perdu l’amour du Père ; il est
impossible de briser la Trinité en ce sens. Et bien qu’en trois personnes, il demeure un
seul et même Dieu, alors nous devons user de prudence lorsque nous parlons des rela-
tions entre le Père et le Fils. Cela signifie plutôt que le vécu du Fils en tant que véritable
humain, se substituant à tous les élus, revenait à perdre le sentiment de l’amour de Dieu
et la communion ouverte dont il jouissait avec le Père. À ce sujet, consultez surtout
le livre de Francis Turretin intitulé Institutes of Elenctic Theology, 3 vol., traduit par

213
Doux et humble de cœur

Et en manifestant sa juste colère, Dieu ne frappait pas un arbre


moralement neutre. Il brisait en éclats son Fils bien‑aimé. Il a
enlaidi et avili la beauté et la bonté mêmes. Christ a été « frappé
de Dieu, et humilié » (És 53.4).
Afin que nous qui sommes laids puissions être gracieusement
embellis, pardonnés et apaisés. Notre ciel acquis par l’enfer de
Christ. Notre entrée dans l’Amour par sa perte de l’amour.
Voilà ce que signifie mettre le comble à son amour pour nous.
Traverser l’horreur de la croix et accepter de subir les souillures, les
siècles de péché, tout ce qui est révoltant même à nos propres yeux.


Mais pourquoi s’y soumettrait‑il ? Pourquoi descendrait‑il dans
l’horreur de la condamnation infernale alors qu’il était la seule
personne qui ne la méritait pas ?
Le passage nous le dit : « Jésus […] ayant aimé les siens […]
mit le comble à son amour pour eux. » Bunyan lève le voile sur les
rouages de cet amour :

Il est courant que les égaux aiment, et que les supérieurs soient
bien‑aimés. Mais que le Roi des princes, le Fils de Dieu, Jésus‑Christ
aime l’homme ainsi, c’est extraordinaire, d’autant plus que l’homme
qui fait l’objet de cet amour dans un état aussi lamentable, qu’il
est aussi méchant, vil, coupable et insignifiant que l’Écriture le
décrit partout.

G. M. Giger, J. T. Dennison, éd., Phillipsburg, N. J., P&R, 1997, dont le quatorzième sujet
du volume 2 est « The Mediatorial Office of Christ » (Le rôle de médiation de Christ).
Dans cet ouvrage, Turretin explique la croix comme étant la perte de l’expérience de
l’amour du Père, mais pas la perte absolue de l’amour du Père. En suivant étroitement
le langage des récits de la Passion, il faudrait comprendre que Dieu a abandonné Jésus à
la croix comme représentant de l’humanité impie, plutôt que comme Fils divin du Père.

214
Il a mis le comble à son amour

On l’appelle Dieu, le Roi de gloire. En revanche, les hommes


aimés de lui sont appelés transgresseurs, pécheurs, ennemis, poudre
et cendre, puce, vers, ombres, vapeur, vils, souillés, impies, impurs,
insensés. Et maintenant, ne devriez‑vous pas vous émerveiller, et
votre cœur ne devrait‑il pas être remué de ce qu’il a jeté le regard
sur de telles créatures ? À plus forte raison lorsqu’il nous aime d’un
tel amour ?
L’amour est essentiel à son être. Dieu est amour ; Christ est
Dieu ; Christ est donc naturellement amour. Christ ne peut cesser
d’aimer pas plus qu’il ne peut cesser d’exister. […]
L’amour de Christ ne requiert aucune beauté chez l’être à aimer.
L’amour peut agir de lui‑même, sans dépendre de rien. Le Seigneur
Jésus a à cœur de les aimer5.

Vous remarquerez que Bunyan parle de l’amour de Christ


comme de sa décision de nous aimer. En nous disant que Jésus a
aimé les siens en mettant le comble à son amour pour eux, l’apôtre
Jean tire le voile pour nous permettre de jeter un coup d’œil dans les
profondeurs de l’identité de Jésus. Son cœur débordant d’amour pour
les siens ne saurait être comparé à une flèche qui, sitôt décochée, ne
tarde pas à tomber au sol ; ni à un coureur qui bien qu’ayant rapide-
ment franchi la barrière de départ, ne tarde pas à ralentir le pas et
à défaillir. Son cœur est comme une avalanche, qui prend de l’élan
avec le temps ; un feu de brousse qui s’intensifie en se propageant.
Toutefois, ce n’est pas de manière généralisée que Christ offre
son amour. Le passage biblique mentionne que c’est pour « les
siens » qu’il a mis le comble à son amour. Jean emploie partout
l’expression « les siens » pour désigner les vrais disciples de Christ,
à savoir les enfants de Dieu. Dans Jean 10, par exemple, Jésus parle
de ses disciples comme étant ses brebis et il dit qu’il « appelle par

5. Bunyan, The Works of John Bunyan, vol. 2, p. 16‑17, italiques dans l’original.

215
Doux et humble de cœur

leur nom les brebis qui lui appartiennent » (v. 3). Pour ceux qui ne
sont pas des siens, Jésus est un juge redoutable dont on ne peut
atténuer la colère. La Bible enseigne qu’un jour, Jésus « apparaîtra
du ciel avec les anges de sa puissance, au milieu d’une flamme
de feu, pour punir ceux qui ne connaissent pas Dieu et ceux qui
n’obéissent pas à l’Évangile de notre Seigneur Jésus » (2 Th 1.7,8). Ce
passage ajoute que ceux qui n’appartiennent pas à Christ « auront
pour châtiment une ruine éternelle » (1.9).
Cependant, pour les siens, Jésus a pris sur lui ce châtiment.
Il leur a manifesté son affection. Ils lui appartiennent. Owen a
écrit en ce sens : « Christ accorde plus de prix au croyant le plus
méchant, le plus faible et le plus misérable qu’au monde entier6. »
Christ a aimé les siens en allant jusqu’à mourir pour eux.
Qu’est-ce que cela signifie pour vous ? En premier lieu, que votre
avenir est assuré. Si vous êtes des siens, le ciel et le secours vous
viendront, car il est impossible que vous cessiez de lui appartenir. Il
vous a lui‑même fait sien, et vous ne pouvez vous arracher à sa main.
Cela signifie, en deuxième lieu, qu’il vous aimera jusqu’au bout.
Non seulement votre avenir est assuré, grâce à sa mort, mais votre
présent l’est aussi, car il l’ancre dans son amour. Il vous aimera
jusqu’au bout parce qu’il ne peut faire autrement. Il n’existe aucune
stratégie de retrait. Aucun contrat prénuptial. Il aimera les siens
jusqu’au bout – « jusqu’à la fin de leur vie, à la fin de leurs péchés,
à la fin de leurs tentations, à la fin de leurs craintes7 ».

6. John Owen, Communion with God, Fearn, Écosse, Christian Heritage, 2012, p. 218.
7. John Bunyan, « The Work of Jesus Christ as an Advocate », dans The Works of
John Bunyan, vol. 1, p. 201.

216
23

Enfouis dans son cœur


pour toujours

… afin de montrer dans les siècles à venir l’infinie


richesse de sa grâce par sa bonté envers nous.
Éphésiens 2.7

Q uelle est la signification de toutes choses ? Quel est le telos,


le but, la grande raison d’être de notre petite vie ordinaire ?
Si nous répondons : « Pour glorifier Dieu », c’est dire que nos
bases bibliques et historiques sont solides.
Après tout, qu’y aurait‑il d’autre ? Nous sommes des œuvres
d’art, créées pour être belles et ainsi attirer l’attention sur notre
artiste. Nous sommes tout simplement faits pour cette raison et
aucune autre. Si nous vivons pour glorifier Dieu, nous adoptons le
seul mode de vie véritablement humanisant. Nous fonctionnons
bien, tout comme une voiture qui consomme de l’essence plutôt
que du jus d’orange. Et qui plus est, quel mode de vie pourrait être
plus agréable ? Comme il est épuisant de vivre selon nos misé-
rables voies ! À quel point la joie de vivre pour quelqu’un d’autre
est énergisante !

217
Doux et humble de cœur

Toutefois, si notre raison de vivre consiste à glorifier Dieu,


par quel moyen y parvenir ? Autrement dit, si nous pouvons nous
entendre sur le « pourquoi » de notre vie, pouvons‑nous aussi
tous nous entendre sur le « comment » ? De quelles manières
glorifions‑nous Dieu ? Et dans l’éternité, comment Dieu sera‑t‑il
glorifié pour toujours ?
Un des moyens de glorifier Dieu consiste à lui obéir et à croire
que ses voies conduisent à la vie en refusant de penser que nous
avons la science infuse. La Bible nous appelle à avoir « une bonne
conduite » parmi les non‑croyants, afin qu’ils « remarquent [nos]
bonnes œuvres, et glorifient Dieu » (1 Pi 2.12).
Dans ce dernier chapitre de notre étude portant sur le cœur
de Christ, j’aimerais considérer un autre moyen de glorifier Dieu,
et cela, à tout jamais. Pour ce faire, Jonathan Edwards nous
servira de mentor.


Dans un sermon qu’il a prêché vers la fin de sa vie, Jonathan
Edwards a dit ceci : « La création du monde semble avoir préci-
sément servi à cette fin… » – comment termineriez‑vous cette
phrase ? Voici la suite qu’Edwards lui a donnée :

La création du monde semble avoir précisément servi à cette fin, à


savoir que le Fils éternel de Dieu obtienne une épouse, envers qui
il pourrait exercer son infinie bienveillance, et à qui il pourrait,
pour ainsi dire, ouvrir son cœur en déversant sur elle l’immensité
de sa compassion, de son amour et de sa grâce, de sorte que Dieu
en soit glorifié1.

1. Jonathan Edwards, « The Church’s Marriage to Her Sons, and to Her God »,


dans The Works of Jonathan Edwards, vol. 25, Sermons and Discourses, 1743‑1758,
Wilson H. Kimnach, éd., New Haven, Conn., Yale University Press, 2006, p. 187. Edwards

218
Enfouis dans son cœur pour toujours

Si vous connaissez le moindrement Edwards, vous savez


sans doute que son ministère et ses écrits portaient en grande
partie sur la gloire de Dieu. Sa pensée était profondément et
distinctement centrée sur Dieu. Il a écrit un traité intitulé The
End for Which God Created the World (Le but pour lequel Dieu a
créé le monde), dans lequel il a soutenu ce seul point : le monde
existe pour la gloire de Dieu.
Or, nous connaissons souvent moins bien ce qu’Edwards a
dit quant à la façon dont cela se produit. La précédente citation
constitue une affirmation représentative. Dieu a créé le monde
pour que son Fils puisse épancher son cœur. Nous n’utilisons
plus beaucoup de mots comme bienveillance de nos jours ; il
s’agit d’une disposition à la gentillesse et à la bonté, une compas-
sion prête à jaillir. Imaginez une rivière retenue par un barrage,
refoulée, engorgée, prête à se déverser avec force – voilà la bonté
qui habite le cœur de Christ. Il est infiniment bienveillant, et
l’Histoire lui offre l’occasion d’« ouvrir son cœur en déversant
sur [l’humanité] l’immensité de sa compassion, de son amour
et de sa grâce ». La création du monde, et la chute dévastatrice
dans le péché qui a exigé une œuvre recréatrice, a fait sauter
le barrage du cœur de Christ. Et c’est par ce déversement que
jaillit la gloire de Dieu avec plus de force et de lumière qu’elle
ne le pourrait autrement.
Cette béatitude conjugale entre Christ et sa fiancée s’est
amorcée, dans une mesure relativement petite selon notre vécu
ici‑bas. L’union ultime de Christ avec sa fiancée prend place
toutefois à la fin de la Bible, alors que la ville sainte descend
sur la terre, « préparée comme une épouse qui s’est parée pour

dit quelque chose de très semblable dans son livre intitulé Notes on Scripture, après avoir
cité Ésaïe 62.5. The Works of Jonathan Edwards, vol. 15, Notes on Scripture, Steven J. Stein,
éd., New Haven, Conn., Yale University Press, 1998, p. 187.

219
Doux et humble de cœur

son époux » (Ap 21.2). Nous jouirons de la gloire de Dieu jusque


dans l’éternité – mais (une fois de plus) comment ? En voici la
réponse : la gloire de Christ se voit et se goûte principalement
dans son amour pour les pécheurs.
David Brainerd, un missionnaire infatigable et célèbre à juste
titre auprès des Autochtones américains, est mort chez Edwards,
dans l’ouest du Massachusetts, en octobre 1747. Jonathan Edwards
a prêché à ses obsèques. En parlant de voir Christ dans l’au‑delà,
Edwards a dit : « La nature de la gloire de Christ qu’ils verront
sera telle qu’elle les attirera et les encouragera, car ils ne verront
pas qu’une majesté et une grandeur infinies, mais aussi une grâce,
une bienveillance et une douceur égales à sa majesté. » Résultat :
« La vue de la sublime majesté royale de Christ ne les terrorisera
pas ; elle servira simplement à accroître encore davantage leur
plaisir et leur surprise. » Plus précisément :

Les âmes des saints enlevés dans les cieux avec Christ le ver-
ront tel qu’il se révélera à eux, témoignant de l’infinie richesse
de son amour pour eux, qu’il leur a manifesté depuis l’éternité.
[…] Ils s’abreuveront à la source de l’amour, nageront dans un
océan d’amour et seront éternellement enfouis dans une lumière
infiniment éclatante et dans les rayons infiniment doux de
l’amour divin 2 .

La création du monde visait à permettre au cœur gracieux


de Christ de donner libre cours à son amour. Et la joie céleste
est telle que nous jouirons pour toujours de son cœur immuable
et débordant d’amour.

2. Jonathan Edwards, « True Saints, When Absent from the Body, Are Present
With the Lord », dans The Works of Jonathan Edwards, vol. 25, p. 233.

220
Enfouis dans son cœur pour toujours


Mais cette pensée est‑elle biblique ?
Plus tôt dans notre étude, nous nous sommes penchés sur l’ex-
pression « riche en miséricorde », d’Éphésiens 2.4. Avez‑vous déjà
remarqué qu’à la fin de cette longue phrase (v. 7), Paul explique la
raison ultime de notre salut ? Voici le passage en question, qui suit la
description de la situation désespérée dans laquelle nous nous trou-
verions si nous ne pouvions compter que sur nos propres moyens :

Mais Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause du grand amour


dont il nous a aimés, nous qui étions morts par nos offenses, nous a
rendus vivants avec Christ (c’est par grâce que vous êtes sauvés) ; il
nous a ressuscités ensemble, et nous a fait asseoir ensemble dans les
lieux célestes en Jésus‑Christ, afin de montrer dans les siècles à venir
l’infinie richesse de sa grâce par sa bonté envers nous en Jésus‑Christ.

Dieu nous donne une infinité de la vie dans les nouveaux cieux
et sur la nouvelle terre afin de « montrer dans les siècles à venir l’in-
finie richesse de sa grâce par sa bonté envers nous en Jésus‑Christ ».
Voilà où nous en sommes. Des gens ordinaires qui traversent la
vie avec anxiété, qui pèchent et souffrent, s’égarent et reviennent,
regrettent et désespèrent, qui s’éloignent de la pensée bien sentie
de ce dont ils jouiront pour toujours s’ils sont en Christ.
Un verset comme Éphésiens 2.7 correspond‑il véritablement à
notre vie en temps réel ? Ou ne sert‑il qu’aux écrits des théologiens ?
En conclusion de notre étude portant sur le cœur de Christ,
j’aimerais m’attarder à Éphésiens 2.7 et considérer ce pour quoi
nous sommes libérés, selon ce verset qui reflète ce que la Bible
enseigne au sujet de notre avenir et ce dont il sera constitué.
« [Afin] de montrer dans les siècles à venir l’infinie richesse
de sa grâce par sa bonté envers nous en Jésus‑Christ » – qu’est-ce

221
Doux et humble de cœur

que cela signifie pour ceux qui sont en Christ ? Cela signifie qu’un
jour, Dieu nous fera sortir de l’armoire de Narnia, et nous nous
tiendrons de l’autre côté, saisis de joie, d’émerveillement, d’éton-
nement et de soulagement.
Cela veut dire qu’alors, Dieu ne nous réprimandera jamais pour
les péchés que nous aurons commis ici‑bas, il ne nous regardera
jamais d’un œil désapprobateur et il ne nous dira jamais : « Jouis
de tout cela, mais sans oublier que tu ne le mérites pas. » L’intérêt
même du paradis et de l’éternité est que nous puissions jouir de
sa « grâce par sa bonté ». Et si la raison d’être du paradis consiste
pour Dieu à montrer l’infinie richesse de sa grâce par sa bonté,
nous n’avons rien à craindre, car la chose même que nous redoutons
qu’elle nous en ferme l’accès – notre péché – ne peut qu’amplifier
la splendeur de la grâce et de la bonté de Dieu.
Cela signifie que notre nature déchue actuelle ne nous empêchera
pas de jouir du paradis. Elle est en réalité l’ingrédient clé qui nous
permet d’en jouir. Quel que soit le gâchis que nous avons fait de notre
vie, il s’inscrit dans notre gloire, notre paix et notre splendeur finales.
Dieu, en Christ, devient plus réel que jamais ici‑bas, et il nous sera
toujours plus précieux dans l’au‑delà, en raison de ce qui a causé la
débâcle de notre vie. (Et ceux d’entre nous qui se seront gardés blancs
comme neige iront au paradis un jour et comprendront alors mieux
que jamais auparavant à quel point le péché, le légalisme, l’orgueil et
toutes sortes de rébellions inconscientes étaient ancrés en eux. Tout
cela intensifiera sa grâce par sa bonté, et ils s’étonneront eux aussi
de constater l’immensité de son amour pour eux.)
Si sa grâce par sa bonté est « infinie », c’est dire que nos fautes ne
pourront jamais la surpasser. Le cœur de Dieu habite les moments
où la vie nous accable. C’est lors de nos pires instants d’échecs et
de regrets que son cœur est attiré le plus résolument vers nous.

222
Enfouis dans son cœur pour toujours

Si sa grâce par sa bonté est d’une « infinie richesse » – par oppo-


sition à une grâce mesurable et moyenne – alors nos péchés ne
pourront jamais tarir son cœur. Au contraire, plus notre faiblesse
et nos fautes sont grandes, plus son cœur l’incline vers nous qui
lui appartenons.
Éphésiens 2.7 ne parle pas simplement de « l’infinie richesse
de sa grâce », mais encore de « l’infinie richesse de sa grâce par sa
bonté ». Le mot grec rendu par « bonté » désigne le désir de faire ce
qui est en son pouvoir pour éviter de créer un malaise chez l’autre.
Il s’agit du même mot grec qui est employé dans Matthieu 11.30,
où Jésus dit : « mon joug est doux ». Son joug est bon. En parlant
de la « bonté » dans Éphésiens 2.7, Goodwin fait remarquer que
« ce mot implique toute douceur, toute sincérité, toute gentillesse,
toute jovialité et toute bonté qui vient des tréfonds de son cœur3 ».
Dieu manifeste sa grâce par sa bonté « envers nous ». On pour-
rait traduire ce syntagme par « pour nous » ou même « sur nous ».
Il s’agit d’une réalité n’étant pas abstraite. Son cœur, ses pensées,
maintenant et pour l’éternité, l’inclinent vers nous. Sa grâce n’est
pas une forme floue quelque part dans laquelle nous devons trouver
le moyen d’entrer. Il nous envoie sa grâce de manière personnelle,
individuelle et éternelle. Dieu s’envoie effectivement lui‑même – la
grâce n’est pas une chose (rappelez‑vous que c’est ce qu’enseigne le
catholicisme romain). Il n’envoie pas la grâce de manière abstraite,
mais en la personne de Christ. Voilà d’ailleurs pourquoi Paul ajoute
immédiatement « en Jésus‑Christ ».
En parlant de l’expression « en Jésus‑Christ », vous rendez‑vous
compte de ce qui se produit dans votre cas si vous êtes en Christ ?
Dieu promet à ceux qui sont unis à lui que toute la déchéance

3. Thomas Goodwin, The Works of Thomas Goodwin, 12 vol., réimpr., Grand Rapids,


Mich., Reformation Heritage, 2006, vol. 2, p. 277.

223
Doux et humble de cœur

qui souille tout – chaque relation, chaque conversation, chaque


famille, chaque courriel, chaque éveil de la conscience le matin,
chaque emploi, toutes les vacances – tout – sera un jour rembobiné
et inversé. Plus grandes auront été nos ténèbres et nos souffrances
ici‑bas, plus grands seront notre soulagement et notre splendeur
dans l’au‑delà. Voici ce que dit l’un des personnages du livre de
C. S. Lewis intitulé Le grand divorce entre le ciel et la terre, en réflé-
chissant à un certain enseignement biblique : « Si les mortels disent,
de certaines souffrances temporelles : “Aucun bonheur futur ne
peut les compenser”, c’est parce qu’ils ne savent pas que les cieux,
une fois que nous y serons parvenus, opéreront rétrospectivement
et changeront ces tourments en gloire4. » Si vous êtes en Christ, il
vous a rendu éternellement invincible. Ce passage fait comprendre
que Dieu redonne vie aux morts, et non qu’il porte assistance aux
blessés. Et comment nous rend‑il vivants ? Selon John Owen, « il
nous aime d’un amour qui procure la vie5 ». Sa puissance résur-
rectionnelle qui pénètre les cadavres est l’amour même.
Éphésiens 2.7 indique que votre mort n’est pas une fin, mais
un commencement. Non pas un mur, mais une porte. Non pas
une sortie, mais une entrée.
Toute l’Histoire et l’éternité visent à montrer ce que l’on ne peut
montrer pleinement à l’heure actuelle. À démontrer ce que l’on ne
peut démontrer adéquatement. Dans le siècle à venir, nous pénétre-
rons encore plus profondément dans la grâce de Dieu par sa bonté,
dans son cœur même ; et mieux nous la comprendrons, plus nous
verrons qu’elle dépasse notre entendement. Cette grâce est infinie.

4. C. S. Lewis, Le grand divorce entre le ciel et la terre, Neuchâtel, Suisse, Delachaux


et Niestlé, 1947, traduction libre.
5. John Owen, « On Communion with God », dans The Works of John Owen,
W. H. Goold, éd., réimpr., Édimbourg, Banner of Truth, 1965, vol. 2, p. 63.

224
Enfouis dans son cœur pour toujours

Dans le cas de ceux qui ne sont pas en Christ, la vie actuelle


est la meilleure qu’ils ne connaîtront jamais. Dans le cas de ceux
qui sont en Christ, pour qui Éphésiens 2.7 constitue le panorama
qui les attend au prochain tournant, cette vie est la pire qu’ils ne
connaîtront jamais.

Le matin de la résurrection, lorsque le soleil de la justice paraîtra


dans les cieux, brillant de tout son éclat et de toute sa gloire, il
s’avancera comme un époux ; il viendra dans la gloire de son Père,
avec tous ses saints anges.
Ce sera effectivement une joyeuse rencontre entre ce glorieux
époux et son épouse. Puis l’époux paraîtra dans toute sa gloire
sans aucun voile : alors les justes resplendiront comme le soleil
dans le royaume de leur Père, quand ils se tiendront à la droite de
leur Rédempteur.
Ensuite viendra l’heure où Christ invitera doucement son
épouse à entrer avec lui dans le palais de sa gloire, qu’il a préparé à
la recevoir depuis la fondation du monde, il la prendra par la main,
pour ainsi dire, et l’y conduira à ses côtés : et ces glorieux époux et
épouse monteront ensemble, avec toute leur parure, dans les cieux
des cieux ; toute la multitude des anges glorieux les servira : et ce
Fils et cette fille de Dieu se présenteront ensemble, dans leur gloire
et leur joie réunies, devant le Père ; et Christ déclarera : « Me voici,
moi et les enfants que Dieu m’a donnés. » : Ils recevront ensemble,
au sein de cette relation et de cette union, la bénédiction du Père ;
et ils se réjouiront dès lors ensemble, dans une gloire parfaite, inin-
terrompue, immuable et éternelle, dans l’amour et l’étreinte l’un de
l’autre, et ils jouiront ensemble de l’amour du Père6.

6. Jonathan Edwards, « The Church’s Marriage to Her Sons, and to Her God »,


dans The Works of Jonathan Edwards, vol. 25, Sermons and Discourses, 1743‑1758,
Wilson H. Kimnach, éd., New Haven, Conn., Yale University Press, 2006, p. 183‑184.

225
Épilogue

E t maintenant ?
Le présent livre porte sur le cœur de Christ et de Dieu.
Mais que devons‑nous en faire ?
La principale réponse à cette question est : rien. Le fait de se
demander : « Comment l’appliquer maintenant à ma vie ? » revien-
drait à banaliser la raison d’être de cette étude. Si un Inuit gagne
des vacances dans un pays chaud, il ne se demande pas comment
les vivre après être arrivé dans sa chambre d’hôtel et être sorti sur
le balcon. Il en profite tout simplement. Il en jouit.
Il y a cependant une chose que nous devons faire. Jésus nous
la révèle dans Matthieu 11.28 : « Venez à moi. »
Pourquoi ne le faisons‑nous pas ? Goodwin nous en donne la
raison. C’est là tout le but de notre étude sur Jésus :

Ce qui empêche les hommes de s’approcher de lui, c’est qu’ils ne


connaissent ni la pensée ni le cœur de Christ. […] À dire vrai, il se
réjouit davantage de nous que nous le faisons de lui. Dans l’histoire
du fils prodigue, c’est le père qui a pris l’initiative de leur heureuse
rencontre. Vous imaginez ? Celui qui est descendu du ciel, comme il
le dit lui‑même dans le passage, afin de mourir pour vous, viendra
plus qu’à mi‑chemin à votre rencontre, comme cela a été le cas pour

227
Doux et humble de cœur

le père du fils prodigue. […] Venez donc à lui. Si vous connaissiez


son cœur, vous le feriez1.

Allez à lui. Tout ce que cela implique, c’est de vous ouvrir à lui.
Laissez‑le vous aimer. La vie chrétienne se résume à deux étapes :

1. Aller à Jésus.
2. Voir la première étape.

Peu importe ce qui s’effondre tout autour de vous, où que vous


vous soyez enlisé, une vérité demeure, incontournable : l’amour que
Jésus éprouve pour vous, le véritable « vous », émane de son cœur
doux et humble. Allez donc à lui. Il est présent au sein même de
ce qui vous décourage le plus ; il y vit, et son cœur rempli d’amour
pour vous, qu’il manifeste non seulement lorsque vos ténèbres sont
dissipées, mais au milieu de celles‑ci, est doux et humble.
Votre angoisse est sa demeure. Allez à lui.
« Si vous connaissiez son cœur, vous le feriez2. »

1. Thomas  Goodwin, «  Encouragements to Faith  », dans The Works of


Thomas Goodwin, 12 vol., réimpr., Grand Rapids, Mich., Reformation Heritage, 2006,
vol. 4, p. 223‑224.
2. Idem, p. 223.

228
Remerciements

L e présent livre n’existerait pas sans l’apport des personnes


suivantes.
Ma femme, Stacey. Toi seule le sais. Toi qui as « la parure inté-
rieure et cachée dans le cœur, la pureté incorruptible d’un esprit
doux et paisible » (1 Pi 3.4).
Mes frères, Eric et Gavin, qui sont particulièrement au fait de
mes péchés et de mes combats, mais qui m’aiment malgré tout.
« Aaron et Hur soutenaient ses mains, l’un d’un côté, l’autre de
l’autre » (Ex 17.12).
Mon père, Ray, dont la vie et la prédication m’ont convaincu
de la nature du cœur de Jésus. « Écoute ton père, lui qui t’a engen-
dré » (Pr 23.22).
Drew Hunter, avec qui j’ai lu les écrits de Goodwin au fil de
la dernière décennie. Nous nous sommes envoyé par SMS nos
découvertes relatives au cœur de Christ, dont nous nous sommes
émerveillés. « Il n’y a personne ici, en dehors de lui [comme lui],
pour partager mes sentiments » (Ph 2.20, BDS).
Mike Reeves, qui m’a fait connaître Thomas Goodwin, dont le
ministère se fait l’écho des battements du cœur même de Goodwin,
et qui nous révèle aujourd’hui les richesses de l’histoire de l’Église.

229
Doux et humble de cœur

« Tout scribe instruit de ce qui regarde le royaume des cieux est


semblable à un maître de maison qui tire de son trésor des choses
nouvelles et des choses anciennes » (Mt 13.52).
Art Wittmann, lui qui, ayant trente‑cinq années d’avance sur
moi dans la vie, m’aide par ses prières et son amour à trouver mon
chemin. « Les conseils affectueux d’un ami sont doux » (Pr 27.9).
Lane Dennis, mon patron, qui m’a accordé du temps de congé
pour réfléchir et écrire, et qui vit et dirige Crossway comme pour
Dieu. « Désormais, la couronne de justice [vous] est réservée »
(2 Ti 4.8).
Mes collègues, Justin Taylor, Dave DeWit, Lydia Brownback
et Don Jones, qui m’ont encouragé tout au long de l’écriture du
livre, et qui en ont supervisé la révision et la production. « Ils ont
tranquillisé mon esprit » (1 Co 16.18).
Le Seigneur Jésus, celui au cœur immense. Qui aurait pu ima-
giner que toi, le Très‑Haut, tu es le plus tendre de tous ? Au fil de
ma rédaction, ta douceur m’a fait monter les larmes aux yeux plus
d’une fois. Des larmes d’émerveillement, de soulagement. « Quel
est donc celui‑ci ? » (Lu 8.25.)

230
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publie et diffuse des livres pour aider l’Église dans sa mission parmi
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