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Un fantôme dans l'histoire

Quand on parcourt la presse et les tout en ne se rendant pas compte de


revues publiées en France et qu'on ce que ce terme a de conventionnel
essaye d'y trouver certaines indica- et d'illusoire, tout comme son «âme»
tions sur ce qui se passe actuelle- et son « charme ». Si ce terme est
ment à l'Est de l'Europe, on constate appliqué dans les atlas géographi-
une ignorance presque totale de tout ques et dans les manuels scolaires, il
ce qui a trait à ces questions. n'en garde pas moins son caractère
Pour les uns c'est une « Russie imprécis et confus.
mystérieuse » (Roger Labonne) qui La Russie, que ce soit avant la ré-
se trouve par delà la Pologne et la volution de 1917 ou après, qu'elle ait
Roumanie, une Russie incompréhen- fait des guerres, signé des traités,
sible, où plane, comme un nuage, promulgué des lois, gouverné un ter-
l'âme russe » avec son « charme ritoire immense, qu'elle ait existé
«
»
slave ; pour les autres, c'est l'U.R. comme sujet de droit international,
S.S., les Soviets, voire même «la n'a jamais cessé d'être un organisme
Nation soviétique » au caviar déli- artificiellement créé, un organisme
cieux et aux fourrures adorables. qui ne pouvait exister qu'à deux con-
-
Parfois on y trouve des noms, tels ditions : avoir un régime autoritaire,
que l'Ukraine, le Caucase, le Turkes- spécifique pour elle (tsarisme stali-
tan, mais ce ne sont que des déno- nisme), et tenir tout son territoire
minations géographiques. L'Ukraine, sous un régime militaire, surtout
par exemple, n'a mérité d'autre ap- dans les pays conquis par la force
pellation géographique que celui de (Pologne, Ukraine, Pays Baltes, Cau-
province de la « Russie Soviétique» case, pays turko-mongols).
(« comme la Beauce en France »). Le Ainsi, régime autoritaire et force
Caucase c'est une contrée quelque armée, sont les deux piliers sur les-
part dans les montagnes, et quant au quels reposait au cours de l'histoire
Turkestan
ne sait où
-- c'est déjà un pays, on et repose encore aujourd'hui l'idée
c'est un plat pour les de Russie.
connaisseurs, les spécialistes dans les Jusqu'à Pierre le Grand, la Russie
questions, peut-être pas chinoises, était inexistante. Il y avait la Mos-
mais tout au moins orientales. covie dont la civilisation, les mœurs,
Mais si on connait mal, ou pas du la religion et le caractère national
tout des pays comme l'Ukraine, la étaient appréciés avec justesse par
Géorgie, le Caucase du Nord, l'Azer- les contemporains européens.
baïdjan qui ont jadis (pas plus tard Voici notamment une citation re-
qu'en 1918) proclamé leur indépen- marquable de Voltaire à ce sujet
dance, qui ont lutté pour elle pen-
:
« Les Moscovites étaient moins ci-
dant des années, et qui luttent encore vilisés que les Mexicains quand ils
aujourd'hui, il faut constater que furent découverts par Cortès ; nés
dans le même temps on emploie ma- tous esclaves de maîtres aussi bar-
chinalement le terme «Russie » bares qu'eux, ils croupissaient dans
l'ignorance, dans l'absence de besoin
de tous les arts et dans l'insensibi- les militaires, les écrivains, les poè-
lité de ces besoins qui étouffait toute tes, les musiciens, les philosophes,
l'industrie. Une ancienne loi, sacrée les penseurs, en un mot, par tous ces
pour eux, défendait, sous peine de milieux désignés plus tard sous le
mort, de sortir de leur pays sans la nom d'« intelliguenzia », devenus ser.,
permission de leur patriarche. Cette viteurs du régime et défenseurs de
loi, faite pour leur ôter les occasions l'idée de Russie. Pour donner plus
de connaître leur joug (*) plaisait à d'ancienneté à l'histoire de « la Rus-
une nation qui, dans l'abîme de son sie», créée au début du XVIIIe siècle,
ignorance et de sa misère, dédaignait on la fit fusionner avec l'histoire mil-
tout commerce avec les nations étran- lénaire de l'Ukraine conquise et on
gères. » (Histoire de Charles XII
de Voltaire
- la présenta comme un processus lo-
livre I, page 19, Pa- giquement historique.
ris 1895). Ces cadres de 1' « intelliguenzia »

XVIIIe siècle. Mais avec Pierrele dans les pays non -


Telle était la Moscovie au début du remplirent leur rôle de russificateurs
moscovites.
Grand, la Moscovie se transforma. L'Ukraine, avec son histoire glorieu-
Profitant de la faiblesse de la Polo- se et sa civilisation ancienne, ses tra-
gne et de l'Ukraine entraînées dans ditions d'Etat libre et développé
une série de guerres, la Moscovie, devient « une marche » -
de l'empire
ayant à sa tête un homme dont la russe. Le Caucase ce pont entre
chance guerrière avait déterminé la l'Europe et l'Asie, tout à fait étran-
défaite de Jean Mazeppa et de Char- ger à la Moscovie et qui garde jalou-
les XII à Poltava, déborda de ses sement jusqu'à présent ses traditions
cadres primitifs pour devenir avec d'antan devient un champ pour
l'annexion des territoires conquis, le l'application de la < Pax Rossica ».
grand Empire Russe. La Lituanie et la Pologne pays
L'idée de la Russie était née. universellement connus comme uni-
Les successeurs de Pierre le Grand tés politiques et démographiques,
ne firent que continuer l'œuvre du distincts de la Moscovie, sont incor-
fondateur. Aux efforts des empereurs porées à la Russie nouvellement cré-
et des impérialistes de ce nouvel em- ée, comme parties nécessaires pour
pire en vue d'élargir ses frontières la composition d'un peuple russe. Et
par de nouvelles acquisitions, tant en il en fut ainsi jusqu'aux confins du
:
Europe qu'en Asie, s'ajoute un fait Pacifique.
nouveau la naissance du régime im- Ainsi qu'une avalanche, cette caste
périal dont les cadres de soutien et d"« intelliguenzia » russe (gouver-
l'armature sont constitués par les neurs, militaires, serviteurs éclésias-
éclésiastiques, les administrateurs, tiques, administrateurs, instituteurs,
marchands, écrivains, simples arti-
;
1

(*) A comparer avec le régime ac- sans) couvre les vastes étendues de
tuel, sous lequel les sujets soviétiques l'empire elle s'emploie a y répandre
sont privés complètement du droit la langue russe, et une civilisation
de se déplacer librement, même à encore non formée. Ce procédé d'im-
l'intérieur du pays. M. K. plantation s'accomplit contre le gré
des populations, étrangères à la Mos- dont le contraste sur le terrain idéo-
covie dont les traditions de gouver- logique frappe chaque européen.
nement, de langue et de civilisation C'est pourquoi, à côté des doctrines
sont plus anciennes et plus dévelop- d'une orthodoxie rigoureuse se dé-
pées que celles de la Moscovie. Et veloppaient des idées de nihilisme,

: et
dès lors se produit un phénomène et que les réformes sociales ou cultu-
bien curieux c'est que cette « intel- relles ne pouvaient s'y réaliser sans
liguenzia » russe sa civilisation hé. craindre d'ébranler ce régime autori-
téroclite, pendant près de deux cents taire et toute idée de domination sur
ans, se développe et grandit en lar- les territoires non-russes. C'est aussi
geur, mais non en profondeur. C'est la raison pour laquelle toute idée,
sification ne réussit qu'en partie ;
ce qui explique que sa tâche de rus- importée de l'étranger ou issue de cet
amalgame, se trouvait déracinée,
elle bâtit des citadelles de russifica- abstraite et stérile. C'est la raison
tion, mais elle ne pénètre pas dans pour laquelle, pendant toute son exis-
les couches profondes des peuples tence, la Russie n'a cessé de se cher-
englobés dans l'Empire, mais hostiles cher elle-même, de chercher un idéal
à cette civilisation. Elle tâche de ni- introuvable, son rôle et sa raison
veler le tout pour en faire ce qu'on d'être. C'est enfin la raison pour la-
nomme aujourd'hui, non sans hu- quelle les idées s'enchevêtraient au
mour, « une salade russe >. point qu'elles perdaient leur carac-
La composition de ces cadres tère européen si elles venaient d'Oc-
d'«inteliiguenzia » russe était du cident, et leur caractère oriental si
reste des plus hétéroclites. Il suffit elles franchissaient l'Oural. Dans ce
pour s'en convaincre de prendre, au contact d'idées, souvent si opposées,

sang
;
hasard, les noms de quelques célé- tout s'annihilait, se perdait sans pro-
brités russes Pouchkine (avait du fit pour personne. Efforts, énergie,
éthopien), Lermontov (avait du initiative,
perte,
tout
ainsi
se dépensait
les
en
milliards
sang écossais), Derjaviné, Karamzine, pure que
Aksakov (Tartares), Borodine (Géor- français avancés à la Russie d'Ale-
gien), Gogol, Dostoïevsky et Koro- xandre III.
lenko (Ukrainiens), Rermenkampf, Les Russes eux-mêmes ne peuvent
comte Frederichs, baron Steinhel et s'expliquer ce phénomène. Il suffit
Keller (Allemands), Plévé et Strouvè de citer quelques vers du poète russe
(Baltes), Miloradovitch (Serbe), Gau- Tutchev qui s'écrie
thié (Français), si à ces noms on
:
« On ne peut comprendre la Rus-
ajoute quelques noms moscovites tels sie par la raison. »
que Tutchev, Tolstoï, etc. on aura et il finissait son poème ainsi
bien cette admirable « salade russe»
:
« On peut seulement croire en la
à laquelle, il vient d'être fait allu- Russie. »
sion. C'était là un avertissement d'une
Il est tout naturel qu'à cet amal- voix autorisée aux détenteurs de
game d'éléments différents corres- fonds russes-
ponde un amalgame d'idées et de :
Une seule idée était réelle le sou-
conceptions. C'est ce qui explique le tien du régime, d'une Russie « une
mystère qui enveloppe la Russie et et indivisible », capables d'assurer
l'existence de cette même « intelli- de Nietsche, de Pascal ou de Marx, la
guenzia ». masse «russe » reste toujours,
La formation historique de la Rus. comme à l'époque prémoscovite, tout
sie est encore plus concluante. à fait indifférente. Ces idées lui étant
La Moscovie, toute imprégnée de étrangères, elle ne saurait les digé-
la vieille civilisation de Kiev, à l'é- rer ; cependant que du cerveau de
:
poque où les principautés Moscovites l' «intelliguenzia » s'échappent des
(nous parlons au sens géographique) idées contradictoires idée de « sla-
n'étaient que des dépendances poli- vianophilie, chère à Léontiev, idée de
tiques de l'Ukraine, subit, à partir l'Eurasie (Savitsky), idée du mes-
du XIIIe siècle un changement capi- sianisme russe (mysticisme de la
tal avec l'apparition des Mongols. Sainte Alliance d'Alexandre Ier, « ex
L'influence Mongole organise de fait oriente lux » des slavianophiles),
et centralise la Moscovie, en lui don- idée de l'asiatisme incohérent (Bloch
nant de nouveaux principes d'autori- «oui, nous sommes des Scy-
té, une nouvelle organisation de l'ar- thes(?) ») ; l'idée du nihilisme mor-
»
;
mée, de l'administration, du fisc, des bide, l'idée de la « divinité du peu-
finances, des communications. Mal- ple russe de la révolution mondia-
gré cette influence, la Moscovie du le. mais devant toutes ces idées hé-
début du XVIIIe siècle ne présente téroclites la population « russe qui »
encore qu'un bien triste tableau. Ce- sert de matériel d'expérience, reste
lui-là même que nous décrit Voltaire. sourde et continue à ruminer dans
Le grand réformateur de la Mos- son ignorance préhistorique.
covie, Pierre I", animé du désir de Coîmbien Tchaadaiev, ce penseur
pousser son pays vers le progrès, ou- russe, avait raison, lorsqu'il disait :
»
vre « une fenêtre sur l'Europe et il « Nous avons, je ne sais quoi, dans
répand sur ses Moscovites mongoli- le sang, qui repousse tout véritable
sés un jet tout frais d'européanisme. progrès. » (« Lettres sur la philoso-
L'histoire de ses réformes nous mon- phie de l'histoire»).
tre que cette européanisation, qui On nous reprochera peut-être

;
n'en était qu'une caricature, a per. qu'une telle attestation doit-être
sisté jusqu'à ce jour. Nous avons, en prouvée eh bien, que le lecteur se
effet, vu des conceptions ultra maté- donne la peine de lire quelques ci-
rialistes faisant croûler ainsi la der- tatiohs d'autrs auteurs. En voici une
nière branche peut-être, sur laquelle de Voltaire encore, sur la Moscovie
»
était assise F« âme russe la re- du XVIIIe siècle:
ligion
!

Mais quels résultats ont eu ces ré- un esclavage inouï ;


« Chez le peuple moscovite existe
les Moscovites
volutions et ces importantes réfor- ne possèdent rien, à part ce qui ap-
mes sur la mentalité, les conceptions, partient à Dieu ou au tsar, et ils ne
les idées? » Un fait est certain. Si peuvent posséder, car les hommes,
1' «intelliguenzia russe (le terme d'après leur conception, ne viennent
»
« moscovite étant rejeté) absorbe au monde que pour n'y rien avoir,
ainsi qu'une éponge toutes les idées, mais d'être des esclaves. » (« L'His-
»
si elle s'enflamme en présence des toire des Russes Moscou 1846, page
doctrines de Jean-Jacques Rousseau, 98).
Voilà bien une caractéristique de pu atteindre son but en Russie tsa-
la Moscovie, base de la Russie fu- riste ou bolcheviste.
ture. Avec les siècles, et bien qu'a- Une femme de lettres Z. Guippius
yant absorbé une forte dose de civi- démontre que les Russes connais-
lisation européenne, F<âme russe» saient et appliquaient les théories de
n'a pas progressé, ne s'est point cul- la relativité de Painlevé et d'Ein-
tivée, enrichie. stein bien avant l'apparition de ces
D'après Glèbe Ouspenski, le Russe théories. Elle écrit :
« n'a aucune notion de ce qui est in- « Nous, les Russes, nous n'avons
telligent ou stupide, de ce qui est aucune conception sur le temps, sur
»
bien et de ce qui est mal (« Le Pou- « il est temps ». Nous ne connaissons
voir de la Terre»). pas même ce mot. Nous ne le sentons
Il considère que le Russe point. Il est tôt pour la révolution
« n'a ni conviction, ni moralité. (naturellement) et il est trop tard
C'est une cruche tout à fait vide pour les réformes (bien sûr). Il était
qu'on peut remplir avec n'importe tôt pour lutter contre le gouverne-
quoi» (ibidem). ment, même de la façon dont le font
D'après S. Lourié : aujourd'hui Milioukov et V. Choul-
« L'intelliguenzia n'est pas travail- guine. et il est déjà tard à présent.
leuse, elle n'a pas de sens pratique, Aucune issue. Et il ne peut y en avoir
elle n'est pas civilisée. Elle ne pos- chez un peuple qui ne comprend pas
sède aucun sentiment de la réalité le mot « il est temps » et qui ne sait
vivante. Toute activité sociale lui pas à temps prononcer ce mot»
tombe des mains. Elle s'occupe des (« Les jours de Petersbourg » Notes
-
discussions et des querelles des par- sur 1914 - 1919 Vozrojdenié N 01192
tis, déteste la richesse et ne com- du 6-9-1928, Paris).
prend pas la valeur culturelle de la Pour terminer nous ajouterons une
richesse. Elle désire tout distribuer une attestation de l'écrivain russe
d'une façon juste, mais ne s'occupe contemporain, Sourgoutchev qui,
pas du tout de ce qu'il y ait quelque dans une Nouvelle, intitulée « Lie-
».
chose à distribuer
contemporaines» '« Les annales chy » (Dieu de la Forêt) s'écrie
(Sovremionnye Za-
:
« Je regrette d'être Russe. Le sang
piski) T. XVIII, Paris 1924. « La So- russe à l'état pur ne vaut rien. »
ciété et l'Idéologie» page 271). Le manque de place et le désir de
Ce même auteur découvre le se-
ne pas abuser de la patience du lec-
cret de la philosophie russe en décla- teur nous forcent d'abréger ces ci-
:
rant que pour l'intelliguenzia russe tations qui, à notre avis, peuvent
« L'existence des principes élevés remplir plusieurs tomes d'un ouvra-
pour la défense des humiliés et des ge bien documenté.
offensés (héros de Dostoïevsky. M.K.) L'apparition des bolcheviks sur la
n'était pas si nécessaire que ces hu- scène de la Russie ne change en rien
miliés et ces offensés le furent pour le système de gouvernement, pas
le triomphe de leurs principes» plus que les conceptions, ni la men-
(ibid. p. 272). talité russe. Les cadres de l'ancien-
Cette citation, expliquera peut-être ne « intelliguenzia » russe furent
pourquoi aucune réforme sociale n'a transformés par les bolcheviks en
membres du parti communiste qui, à régime-l"intelliguenzia n'a chan-
son tour, est composé, comme sous gé que de nom. L'ancien slogan
le précédent gouvernement d'élé- « pour la foi, le Tsar, la patrie est »
ments hétéroclites. Cette nouvelle remplacé par < pour la patrie com-
« intelliguenzia » est remplie « com. muniste » ; l'ancien patriotisme rus-
me une cruche vide » d'idées de la se (sentiment envers une patrie ab-
révolution mondiale agrémentée par straite et incompréhensible) est rem-
une sauce de messianisme du com- placé par le même sentiment stérile
munisme russe (ancien « ex oriente et abstrait. Rien de changé. L'idée
lux»). Leur idéologie léninienne- de la Russie « une et indivisible »
stalinienne avec ses méthodes de gou- n'a pas changé chez les bolcheviks et,
vernement et la langue russe de- tout comme avant, cett idée est abs-
viennent obligatoires sur toute l'éten- traite, sans racine, sans raison d'être.
due du nouvel empire, tout comme Leur doctrine, leur soi-disant civili-
l'exigeait avant 1917 l' «intellliguen- sation matérialiste n'est autre chose
»
zia tsariste. Le régime bolchevik, qu'une caricature lamentable, à la
en 1938, descend des nuages de la manière russe, des conceptions euro-
phraséologie et de la démagogie (élé- péennes du XIXe siècle revêtues d'un
ments toujours à la mode chez les caractère spécifique de mystère et
Russes) pour ne se baser que sur le d'abstraction de l'ancienne Russie.
parti communiste, tandis que la po- Les bolcheviks ne sont que les dignes
pulation elle-même n'est qu'un amas enfants de leurs parents russes.
d'automates, (« cruches vides») qui Et maintenant, quelques brèves ré-
n'ont pas le droit ni de se déplacer flexions sur la civilisation russe, la
(comme à l'époque de la Moscovie), race et la langue.
ni de penser, ni de se sentir des D'habitude, on conçoit la civilisa-
hommes. Ayant gaspillé l'héritage tion comme un ensemble d'efforts,
des tsars, les bolcheviks ne réussirent comme le résultat d'une activité ten-
pas à créer leurs propres valeurs, et dant vers le progrès des idées et des
c'est pourquoi ils reviennent fouiller conditions matérielles déterminant
dans le passé de la Russie et ressusci- des traditions pour les générations
tent les ombres de ceux qu'ils lapi- futures, liées entre elles par les affi-
daient jadis tels que Pouchkine et nités réelles et logiques, dominées
Pierre le Grand. Bien plus, ils repren- par le sentiment conducteur qui a de
nent les airs de l'Opéra « La vie pour profondes racines dans le passé.
le Tsar », Mais nest-ce point là quel- Toute civilisation, moderne ou an-
que anecdote, une histoire humoris- cienne, démontre une liaison ferme,
?
tique Du tout C'est tout à fait vitale et logique dans les idées direc-
logique. Les bolcheviks continuent à trices et génératrices qui créent ce
tirer la charrette russe. En effet qu'on appelle aujourd'hui le climat,
ayant abattu l'autorité du Tsar l'ambiance, le milieu idéologique.
point culminant de l'ancienne pyra- Par contre on ne peut employer
mide russe ils la remplacèrent par le terme de civilisation russe sans
l'autorité d'un dictateur dont le ré- éprouver le besoin de faire quelques
gime est plus barbare et plus stérile réserves. Comment imaginer une vi-
que le précédent. L'ancien soutien du talité, une réalité vivante, faite avec
des éléments aussi disparates, aussi terminer le Russe. Ne pouvant trou-
opposés, aussi peu unis et aussi mal ver une solution nette, les Russes
digérés que cette « Cuisine idéologi- s'emparèrent de l'ancienne dénomi-
que» ?
russe nation ukrainienne c Rouss », et l'ap-

:
ses
Prenons au hasard les opéras rus- pliquèrent à la Russie.
»
« Dame de Pique
»
«Eugène Onéguine et la En l'état actuel, la Russie ne re-
(Occident), « La présente en réalité, aucune concep-
nuit de Mai » (Ukraine), «Kniaz tion d'unité d'Etat, de civilisation,
Igor » (ancienne Ukraine et Orient- de race, de pensée philosophique.
Polovtzi), le « Coq d'Or » et « Sad- C'est un conglomérat artificiel, de
ko » (Moscovie mongolisée), « Dé- peuples, de races, de croyances, de
mon » (Caucase). Chacun de ces opé- langues disparates, un « colosse aux
»
ras comporte des idées, des ambian- pieds d'argile qui menace de crou-
ces différentes qui ne sont liées que ler au premier choc de l'extérieur.
par la même langue (le russe). Le Cest en prévision de cet effondre-
même phénomène se retrouve dans ment que les peuples non-russes de
les arts, dans la littérature, dans la l'Ukraine, du Caucase, du Turkes-

:
philosophie, la critique, etc. Il est tan, de l'Idel-Oural etc., doivent res-
tout à fait naturel que ces éléments ter unis contre l'oppression mosco-
étrangers se bousculent, s'entrecho- vite.
quent, se contre-balancent pour Ensemble, ils doivent poursuivre
aboutir à une confusion logique, ba- la lutte contre l'oppression moscovite
se de la civilisation russe. et montrer au monde que ce vaste
En ce qui concerne l'élément es- empire avec les 170 millions d'habi-
sentiel qui crée la civilisation l'é- tants dont certains admirateurs zélés
lément racial (nous entendons par là, se plaisent à proclamer la puissance,
la race spirituelle, le sentiment d'at- n'est en réalité qu'un fantôme d'E-
tachement à la communauté -- corn- tat aux nationalités multiples, sans
monwealth), les savants russes se idéal commun, sans ordre, ni cohé-
sont heurtés à des obstacles insur- sion..
montables lorsqu'il s'est agi de dé- M. KOVALSKY

La leçon de la guerre de 1920


A la fin de l'année dernière pa- naise qui joua, sous les ordres du gé-
raissait à Varsovie le premier livre néral Smigly-Ridz, un si grand rôle
sur la guerre de 1920 entre la Po- dans la campagne, ce livre
logne et l'Ukraine, alors alliées, con- « Wyprawa Kijowska » (La marche
tre la Russie. Dû à la plume d'une sur Kiev en 1920), est digne non
personnalité éminente M. le géné- seulement d'être lu, mais encore d'ê-
ral T. Kutrzeba, ancien chef d'Etat- tre étudié partout où l'on s'intéresse
Major de la troisième armée polo- à la question de l'Europe Orientale.

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