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2023.09.15.

Despre Lacan

Jacques Lacan – 2005. Învățătura mea


https://drive.google.com/drive/folders/10HfaLabeI2nDoGYr2hP
8zgVklSi6m_pc?usp=drive_link

„...substanța este deja subiect, înainte să devină subiect...”

1
Gerard Pommier – 2022. Aventura mea cu Lacan
https://drive.google.com/drive/folders/1eg58dg2cpCeIeHTBaMq
jWNXFxJEWxkZA?usp=drive_link

„...continui să navighez amintindu-mi de un stil, de o poezie, de


un gest mai degrabă decât de o gândire.”

2
Catherine Millot – 2016. Viața cu Lacan
https://drive.google.com/drive/folders/1zcZ7AHPms3OjGGH9O
t5oILPXjdsjaSfj?usp=drive_link

„...mă simțeam transparentă pentru Lacan, convinsă că avea


despre mine o știință absolută.”

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1967.06.10. Donc vous aurez entendu Lacan.
CONFÉRENCE À STRASBOURG
La « Conférence à la faculté de Médecine de Strasbourg » est un document
polycopié dont l’origine n’est pas précisée. Le texte, peu déchiffrable à certains
endroits, a été reproduit avec quelques hypothèses de lecture, chaque fois
mentionnée.
Je ne peux pas dire que ma situation soit bien difficile. Elle est extraordinairement
facile au
contraire. La façon même dont je viens d’être présenté indique que
de toute façon j’aurai parlé à titre de Lacan, donc vous aurez entendu
Lacan.
Le genre conférence n’est pas le mien. Ce n’est pas le mien parce
que ce que je fais tous les huit jours depuis quinze ans, quelque chose
qui n’est pas une conférence, qu’on a appelé un séminaire au temps
de l’enthousiasme, c’est un cours, un séminaire quand même, ça a
gardé le nom.
Je dois dire que ce n’est pas moi qui en témoignerait, je pense qu’il
y en a quelques uns qui sont là dès le début en se relayant parce que
quand même ils se sont relayés un peu (mais il y en a qui sont là dès
le début) : il n’y a pas un seul de ces cours qui se soit répété. Je veux
dire qu’à un moment au cours des circonstances je me suis cru en
devoir, pour le petit nombre de ceux qui étaient autour de moi, de
leur expliquer quelque chose, quelque chose qui est ce qui va être en
question maintenant. Et que ce quelque chose mon Dieu ait une
étendue suffisante pour que je n’ai pas encore fini de leur expliquer.
C’est étrange. C’est peut-être aussi que le développement même de
ce que j’avais à expliquer, m’a posé des problèmes et a ouvert de
nouvelles questions. C’est peut-être, ce n’est pas sûr. Quoiqu’il en
soit, aujourd’hui, je ne peux aucunement prétendre, fusse par
allusion pour ceux qui savent de quoi je parle, qui savent même un
peu plus ou moins de ce que j’en ai dit, fusse par allusion en évoquer
même les principaux détours.
Pour les autres qui sont ici, dont je suppose qu’ils forment une part
de cette assemblée, ils n’en savent rien ou peu de chose. Il n’est bien
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sûr pas question, si c’est vrai ce que je viens de dire que je ne me suis
jamais répété, que je leur en donne même une idée. À la vérité le
genre conférence suppose ce postulat qui est au principe même du
nom d’université : il y a un univers, un univers du discours s’entend.
C’est à dire que le discours aurait réussi, pour des siècles, à constituer
un ordre suffisamment établi pour que tout soit réparti en cases,
secteurs, secteurs qu’il n’y aurait qu’à bien étudier séparément et sur
lesquels chacun n’aurait à apporter que sa petite pierre dans une
mosaïque dont les cadres seraient déjà suffisamment établis : on
aurait déjà suffisamment travaillé pour ça.
L’idée que les acquis qui se sont constitués au cours de l’histoire
avec l’étagement des siècles, seraient des acquis qui s’additionnent et
qui du même coup peuvent se rassembler pour faire cette université,
université des Lettres, Universitas Litterarum, c’est au principe de
l’organisation de l’enseignement qui porte ce nom, cette idée est
contredite par le plus simple examen de l’histoire. Et puis mon Dieu,
par cette histoire je vous en prie, n’entendez pas ce qu’on vous
enseigne sous le nom d’histoire de la philosophie par exemple, ou
quoi que ce soit d’autre, qui est une sorte de replâtrage qui est fait
pour vous donner l’illusion que ces diverses couches, que ces
diverses étapes de la pensée s’engendrent l’une l’autre. Le moindre
examen prouve qu’il n’en est rien et qu’au contraire tout a procédé
par cassure, par une succession d’essais, d’ouvertures qui à chaque
fois a donné l’illusion qu’on pouvait embrayer sur une totalité. Le
résultat est qu’il suffit bien entendu d’aller dans n’importe quelle
boutique, je veux dire de libraire, de libraire d’antiquités, piquer
n’importe quel bouquin du temps de la Renaissance : ouvrez-le, lisez-
le vraiment, vous vous apercevrez que les trois-quarts des choses qui
les préoccupaient et qui paraissaient pour eux essentiel, vous n’en
trouvez même plus le fil conducteur et bien sûr, ce qui peut vous
paraître à vous évidence a été engendré à une certaine époque qui
n’est pas très exactement bien sûr il y a 20 ans, 50 ans ou 30 ans,
mais qui ne remonte pas plus haut que Descartes. C’est qu’à partir
de Monsieur Descartes il est arrivé certaines choses quand même
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notables en particulier l’inauguration de quelque chose qui s’appelle
notre science à nous, une science qui se distingue quand même au
moins apparemment très certainement pour nous par une efficace,
une efficace assez prenante pour intervenir jusqu’au plus quotidien
de la vie de chacun. Mais à la vérité c’est peut-être ce qui la distingue
des savoirs précédents, qui se sont toujours exercés d’une façon plus
ésotérique, je veux dire qui était le privilège, privilège qu’on dit,
privilège qu’on croit d’un petit nombre.
Pour nous, nous baignons dedans, dans les résultats de cette
science. Je veux dire que la moindre des choses qui sont ici et
jusqu’aux petits sièges bizarres sur lesquels vous êtes assis, en sont
vraiment la conséquence. Auparavant on faisait des sièges avec
quatre pattes comme de solides animaux, enfin il fallait que cela
ressemble à des animaux. Maintenant ça prend un petit aspect
mécanique. Vous vous n’y êtes pas encore faits bien sûr. Les sièges
anciens vous manquent.
Alors moi, je fais un enseignement pour quelque chose qui est né
dans ce moment de l’histoire et des siècles où on était déjà jusqu’au
cou avant même qu’on puisse le dire comme je viens de le dire, dans
le contexte de la science qui s’appelle la psychanalyse. C’est comme
ça que j’ai été entraîné à me mettre dans une position d’enseignement
bien particulière. Une position d’enseignement qui sur un certain
point, sur un certain terrain va repartir comme si rien n’avait été fait.
Car la psychanalyse ça veut dire ça. C’est que dans un certain champ
classique qui avait été appelé jusque là psychologie et qu’on peut
expliquer bien sûr par toutes ces conditions historiques qui avaient
précédé, rien n’avait été fait. Je veux dire si on avait fait une sorte de
construction très élégante et bien sûr qui peut servir étant admis à la
base un certain nombre de postulats qu’il faut d’ailleurs toujours
qu’elle reconstruise rétroactivement : somme toute si ces postulats
sont admis, tout va bien, mais si quelque chose est mis en question
d’une façon radicale, rien ne va plus. C’est à ça, non pas que mon
enseignement sert, c’est à ça qu’il est asservi, c’est à ça qu’il est au
service : c’est à faire valoir quelque chose qui est arrivé, et qui a un
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nom, qui s’appelle Freud. Ça arrive qu’il arrive des choses qui portent
un nom. À soi tout seul c’est un problème. C’est un problème qui
n’est aucunement résoluble à l’aide de simples notions de ce qu’on
appelle les influences, les emprunts, la matière. Bien sûr dans
beaucoup de cas çà peut servir, quelles sont les sources. Ça sert
justement sur le plan littéraire, sur le plan et dans la perspective dite
université de Lettres. Ça ne résout d’ailleurs absolument rien, dès que
quelque chose qui existe un peu, par exemple un grand poète : une
pure folie de vouloir aborder le problème au nom des sources. Dans
ce qui s’appelle l’enseignement courant, autrement dit ce que j’ai
appelé tout à l’heure le genre conférence, ça peut aussi servir le point
de vue source. Seulement il est clair avec ce que je vous ai dit d’abord
que de temps en temps il y a des cassures à savoir qu’il y a des gens
qui en effet ont su emprunter des petites choses par ci par là pour
nourrir leur discours, n’est que l’essence de ce discours qui part d’un
point de rupture. Si mon enseignement sert et déclare au service de
ceci faire valoir Freud, dans ce cas qu’est ce que ça veut dire ? Ça
veut dire précisément que ce qui m’intéresse ça n’est pas de réduire
Freud à ses sources. Au contraire je montrerai la fonction qu’il a eu
comme cassure ; parce que bien entendu pour le faire rentrer dans le
rang, le remettre à sa place dans la psychologie générale, il y en a
d’autres qui s’y emploient, moyennant quoi, ils négligent la seule
chose qui est intéressante ; c’est à savoir pourquoi Freud est un nom,
autour de quoi s’accroche cette chose si singulière qui fait la place de
ce nom dans la conscience de notre époque ; pourquoi après tout,
Freud, apparemment, n’a pas encore eu quelques unes des
conséquences cataclysmiques qu’a eu le nom de Marx ; pourquoi est-
ce qu’il a un prestige du même ordre, pourquoi diable ; pourquoi est-
ce qu’il y a tout un champ non seulement où on ne peut faire que de
l’évoquer, mais où, qu’on adhère ou pas à ce quelque chose qu’il a
dit et qui serait son message, je dirais même sans qu’on puisse dire à
proprement parler, à part une sorte de mythologie qui circule, ce que
ça veut dire, qu’il ait cette valeur, ce point nodal ; comment ça se fait
que ce nom soit là si présent à nos consciences. Que je m’attache
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ainsi à faire valoir Freud, ceci est une toute autre affaire que ce que
j’appellerai des victoires de penseurs. Bien sûr ce n’est pas sans
rapport avec la pensée, mais en quelque sorte c’est quelque chose qui
nous éclaire sur ce qu’il peut y avoir déjà de surprenant, dans cette
incidence sur notre histoire à tous, des effets de la pensée. On
pourrait croire que puisque ce sont des médecins qui pour l’instant
portent le faix du message de Freud, on puisse dire qu’après tout ce
n’est pas lui le principal ; quel est le principal, ce sont les choses
concrètes auxquelles ils ont affaire, je dis, concrètes au sens que ce
mot a comme résonance, choses comme ça est fait, un morceau, un
bloc, quelque chose qui tient, enfin quoi, chacun sait, des malades,
on dit qu’ils ont simplement des choses à traiter, quelque chose qui
résiste.
Freud nous a appris que parmi ces malades il y a des malades de la
pensée. Seulement il faut faire attention que c’est une fonction qui
est ainsi désignée, qu’on est malade de la pensée au sens où l’on dit
qu’on travaille du chapeau. À savoir que ça se passe au niveau de la
pensée, est-ce que c’est ça ce que ça veut dire ? C’est ce qu’on disait
jusqu’à lui, en somme. C’est bien là tout le problème :
psychopathologie mentale. Il y a des étages dans l’organisme, l’étage
supérieur là, au niveau des commandes. Il doit y avoir quelque part
un type ici, dans une petite salle d’où il peut éteindre tout ce qui est
là haut dans le plafond. C’est comme cela qu’on s’imagine la pensée
au niveau d’un certain point de vue, à la vérité sommaire, c’est qu’il
y a quelque part quelque chose de directeur. Et que si c’est à ce
niveau là que cela se détraque on aura des troubles de la pensée.
Évidemment si l’on éteint tout cela engendrerait une certaine
perturbation mais enfin nous n’en serons pas moins tous bien
vivants, nous nous dirigerons à tâtons vers une porte et on remettra
ça. C’était ça. C’est ça la conception classique du malade de la pensée.
Le mot malade de la pensée peut-être pris dans un autre registre.
Nous pourrions dire des animaux malades de la pensée, comme on
dit des animaux malades de la peste. C’est une autre acception. Je ne
vais pas jusqu’à dire que la pensée en soi est une maladie. Le bacille
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de la peste en lui-même n’est pas une maladie non plus. Il l’engendre.
Il l’engendre pour les animaux qui ne sont pas faits pour le supporter,
le bacille. C’est peut-être ça dont il s’agit. Penser n’est pas en soi une
maladie, mais il y en a qu’elle peut rendre malade. Quoiqu’il en soit,
c’est quelque chose qui est assez proche de ça que Freud découvre,
découvre d’abord. Au niveau de la maladie, il y a de la pensée qui
circule et même de la pensée de tout le monde : notre pain et notre
vin, la pensée que nous partageons peu, de celle dont on pourrait,
changeant une formule, dire : pensez-vous les uns les autres. C’est
de celle-là qu’il s’agit : c’est à s’introduire dans ceci que c’est à penser
les uns les autres que nous sommes, qu’il y a des phénomènes qui se
produisent, qui tiennent étroitement à ce pensez-vous les uns les
autres et qui constituent un certain champ de maladie.
Les névroses : voilà avec quoi Freud s’introduit ; c’est à savoir que
loin que le processus de la pensée soit une fonction autonome, ou
plus exactement qui ne se situe, se constitue que du dégagement de
son autonomie, de cette échelle, pyramide humaine, grimpage sur les
épaules les uns des autres qui ont permis au cours des siècles dans
une tradition qui s’est elle même appelée, mais pourquoi pas
philosophique, qui ont permis de dégager des conditions d’un pur
exercice de la pensée, quelque chose d’essentiel à isoler pour que de
là, elle reprenne une prise au sens inverse sur tout ce dont elle a dû
d’abord se préserver pour garantir son juste exercice. Bref, quelque
chose qui assurément n’est pas rien, puisqu’il se trouve en apparence
que c’est de là qu’à la fin s’est engendré ce qui est notre privilège,
une physique correcte, se trouve qu’il nous est représenté de ce
travail de culture, d’isolation, pointant vers une certaine efficace,
laisse complètement de côté ce qu’il en est des rapports de l’animal
humain à la pensée parce qu’il y est intéressé depuis l’origine et qu’à
la vérité, il n’est pas sûr, il semble même certain que ces activités, que
ces fonctions voire au niveau le plus élémentaires, le plus
physiologique au sens où ce mot désigne les fonctions les plus
familières sont déjà intéressés à titre de maintien, à titre de chose qui
est roulée, déplacée, qui sert déjà à des fonctions de pensée. Bref,
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que loin qu’il en soit comme tout ce que le travail des philosophes
nous a donné à le supposer, que c’est dans ce dernier critère un acte
transparent à lui-même, une pensée qui sait penser que soit l’essence
de la pensée ; que tout au contraire tout, tout ce dans quoi nous
avons cru devoir nous purifier, nous dégager pour isoler ce
processus de la pensée, à savoir nos passions, nos désirs, nos
angoisses, voire nos coliques, nos peurs, nos folies, tout cela nous
paraissait en nous témoin de la seule intrusion de ce qu’un Descartes
appelle le corps, car à la pointe de cette purification de la pensée il y
a que la pensée nous ne pouvons saisir par aucun point qu’elle soit
sécable : tout vient du trouble apporté par des passions… ?… des
organes : tel est le point où on en arrive au terme d’une tradition
philosophique. Au contraire Freud nous faisant retourner en arrière,
nous dit que c’est au niveau de nos rapports, rapports à la pensée
qu’il faut chercher le retord (sic) de toute une part, singulièrement
accrue semble-t-il dans notre contexte ; de civilisation de gouverner
par la prévalence, la croissance de la pensée en quelque sorte
incarnée dans des brain-trusts, comme on dit, de la pensée, est là
depuis toujours et pour nous sensible encore, dans ce qui nous paraît
le plus caduque, le plus déchet, le plus inassimilable au niveau de
certaines défaillances qui, en apparence, ne paraissent rien devoir
qu’à la fonction du déficit. En d’autre termes çà pense à un niveau
où ça ne se saisit pas du tout soi-même comme pensée. Bien plus
encore, ça pense et ça pensant à ce niveau ou ça ne se saisit pas soi-
même, ça va plus loin. Justement, c’est ainsi parce que ça ne veut à
aucun prix se saisir ; que ça préfère incontestablement se dessaisir de
soi-même encore que ce soit pensé. Et bien plus encore, ça ne reçoit
pas du tout volontiers les observations qui pourraient, du dehors,
l’inciter, ce qui pense, à se ressaisir comme pensée. C’est ça la
découverte de l’inconscient. Ça a été fait à une époque où rien n’était
moins contestable que cette supériorité de la pensée et en particulier,
il y avait quand même des gens qu’on appelait selon les registres,
nobles descendants des grecs et des romains, civilisés, hommes
arrivés au stade de leur pensée positive, enfin où on faisait un crédit
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que l’histoire nous a montré excessif, au progrès de l’esprit humain
et au fait que dans certaines zones pour peu qu’on y ait été un peu
aidé, qu’on vous ait tendu la main, on pouvait franchir une frontière
et entrer dans le cercle des hommes dans le monde, qui pouvaient se
dire éclairés. Évidemment le mérite de Freud est de s’apercevoir qu’il
faut en juger autrement, ceci bien avant que l’histoire nous ait en
effet rappelé à plus de modestie, en nous montrant ce que nous
pouvons depuis telle et telle date toucher du doigt tous les jours, c’est
qu’il n’y a en tout cas dans le champ humain défini comme celui des
gens qui sont pourvus de pouvoirs singuliers de manier le langage, il
n’y a à proprement parler aucune espèce d’aire privilégiée et que
civilisés ou pas sont capables des mêmes entraînements collectifs,
des mêmes fureurs, qu’ils sont toujours restés à un niveau qu’il n’y a
nullement lieu de qualifier comme plus haut ou plus bas, comme
affectif, passionnel ou prétendu intellectuel, ou développé comme
on dit, mais ont tous à leur portée exactement les mêmes choix et
susceptibles de se traduire dans le même succès et les mêmes
aberrations. C’est que Freud, par le message qu’il porte, si réduit qu’il
soit véhiculé grâce aux soins des gens plus ou moins infirmes qui en
sont les représentants officiels ; c’est qu’assurément Freud ne
discorde en rien avec tout ce qui nous est arrivé depuis son temps,
de nature à nous inspirer sur cette perspective de progrès de la
pensée de vues plus modestes.
Il ne discorde en rien, il reste là avec son message, peut-être
d’autant plus fort, dans son incidence, qu’il reste encore à l’état fermé
du plus énigmatique et que même si on réussit, grâce à un certain
niveau de vulgarisation, une certaine flottabilité, il se trouve qu’il y a
quelque chose justement à ce niveau où l’être humain est une pensée
qui heureusement a ce secret avertissement au sein d’elle même
qu’elle s’ignore que les gens sentent que dans ce message freudien
même sous la forme où pour l’instant il vogue, transformé en pilules
qu’il y a quelque chose de précieux, d’aliéné sans doute, mais dont
nous savons qu’à cette aliénation nous sommes liés parce que c’est
notre propre aliénation même, et que quiconque se donne la peine
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d’essayer de rejoindre le niveau où il porte, c’est sûr, la preuve est
faite, ne serait-ce que par ce recueil de scories que sont mes propres
Écrits, c’est sûr d’intéresser, d’intéresser singulièrement les gens les
plus divers, les plus dispersés, les plus étrangement situés et pour
tout dire, n’importe qui, ceci à l’étonnement de ceux qui veulent que
la littérature soit toujours faite pour répondre à de certains besoins.
Ils se demandent pourquoi mes Écrits se sont vendus. Moi je suis
gentil quand on vient me demander cela, je me mets à leur place, je
leur dis : je suis comme vous, je ne sais pas. Et puis, après tout, je
leur rappelle que ces Écrits sont quand même uniquement quelques
fils flotteurs, îlots, points de repère que j’ai mis de temps en temps
pour les gens à qui j’enseignais. J’ai mis en réserve le comprimé, dans
un certain coin pour qu’ils se souviennent que j’avais déjà dit ça à
telle date ; le lendemain du jour où j’ai quitté le journaliste qui venait
me demander pourquoi on lisait mes Ecrits, mais après tout, les Ecrits
ça intéresse le journaliste qui me l’apprend, c’est certain. Si ça
intéresse tellement de monde c’est peut-être à cause de ce que j’y dis,
tout simplement. Évidemment il y a une certaine conception, celle
que j’ai appelé la conception besoin, besoin concret bien sûr, c’est là
le principe de toute publicité, au niveau besoin on s’étonne.
Pourquoi est-ce qu’ils auraient besoin de ces Ecrits qui sont paraît-il
incompréhensibles ? Ils ont peut-être aussi besoin d’avoir un endroit
où ils s’aperçoivent qu’on parle de ce qu’ils ne comprennent pas.
Pourquoi pas. Enfin la question de mon enseignement, si elle est,
qu’il faille faire valoir Freud, ça n’est évidemment pas au niveau de
ce grand public comme on dit, puisque comme je viens de vous
l’expliquer, quoi qu’on fasse, et je dirai ça veut dire : n’importe quoi
qu’on fasse, à savoir même en laissant la charge des choses à cette
corporation qui s’appelle les psychanalystes et dont je suis un des
fleurons, ça va très bien avec ce que font les autres, les copains. Le
grand public n’a pas besoin de moi pour lui faire valoir Freud
puisque je viens de vous expliquer que quoiqu’on fasse, entendez-le
comme vous voudrez, et même entendez-le comme je l’entends,
Freud est bien là. Donc ce qui jusqu’ici constitue l’effort de mon
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enseignement n’est évidemment pas à mettre au registre de faire
valoir Freud au niveau de la grande presse, mais à un tout autre. Et
à la vérité cet enseignement bien sûr n’aurait pas lieu d’être, mais à la
vérité je ne vois pas pourquoi je m’en serais moi-même imposé le
souci ni l’effort s’il ne s’adressait pas aux psychanalystes. Car voilà,
si nous parlons de ce que je vous donne dans sa formule la plus vaste,
c’est à savoir que c’est au niveau d’une pensée qu’il me faut bien à
partir de maintenant considérer comme existante au niveau le plus
radical et conditionnant déjà au moins une part immense de ce que
nous connaissons comme animal-humain. Qu’il faille reposer la
question de ce que c’est que la pensée que ce n’est pas au niveau où
on considère que son essence est d’être transparente à elle-même et
de se savoir pensé que gîte la question, mais bien plutôt au niveau du
fait que, en naissant tout être humain baigne dans quelque chose que
nous appelons la pensée, mais dont un examen plus profond
démontre avec évidence, et ceci dès les premiers travaux de Freud,
c’est qu’il est tout à fait impossible de saisir ce dont il s’agit, sinon à
s’appuyer sur son matériel, constitué par le langage dans tout son
mystère. Je veux dire mystère au sens où rien n’est éclairci
concernant son origine mais où au contraire, quelque chose est
parfaitement discible concernant ses conditions, son appareil,
comment c’est fait, au minimum, un langage. Telle est ce qu’on
appelle à proprement parler sa structure. Nier que ce soit de là que
Freud est parti, c’est nier l’évidence, c’est nier le témoignage que
constitue pour nous ses grandes premières œuvres, celles qui
s’appellent nommément la Traumdeutung, la Psychopathologie de la vie
quotidienne et que nous ce que nous avons traduit par Le Mot d’Esprit,
le Witz c’est nier que c’est uniquement et d’abord au niveau du fait
que des phénomènes qui en apparence se présentent
fondamentalement comme irrationnels, comme capricieux, comme
bouchon, le rêve comme absurdité, le lapsus, son caractère dérisoire
du Witz qui nous fait rigoler on ne sait pas pourquoi, c’est là que
Freud d’abord désigne le champ de l’inconscient et que si à l’intérieur
de cela, forcé d’aller vite, évidemment il nous dirige vers le champ
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spécialement intéressé par tous ces phénomènes, c’est à dire le
champ de la sexualité, il n’en reste pas moins, que la structure, le
matériel qui est en cause désigne, puisque justement tout ce qui se
passe sans le moindre secours de ce que nous avons pris jusqu’alors
pour la pensée c’est à dire quelque chose de saisissable comme
conscient, comme capable de se saisir soi-même, c’est bien là d’où
part Freud. Ce qu’introduit comme radical, comme bascule,
qu’introduit comme champ qui pose des questions complètement
nouvelles en particulier celle-ci, la première de toutes, qui est de
savoir si la conscience elle-même est cette chose qui se prétend peut-
être la plus impondérable des choses, mais assurément la plus
autonome, l’inconscient n’est pas une simple conséquence, un détail
et en plus un détail frappé de mirage, par rapport à ce qu’il en est des
effets d’une certaine articulation radicale, celle que nous saisissons
dans le langage, en tant que ce serait peut-être bien elle après tout,
qui aurait engendré ce quelque chose qui est en question sous le nom
de pensée. Autrement dit la pensée n’est pas quelque chose que nous
concevons pointée comme une espèce de fleur, chose qui pointe au
sommet dont (sic) ne sait quelle évolution, dont on voit mal au reste
qui serait le facteur commun qui la destinerait cette évolution à
produire cette fleur ou au contraire de quelque chose dont il s’agit
pour nous, de réinterroger sérieusement quelle peut être l’origine et
de voir qu’en tout cas tel que ça se présente à nous pour l’instant, ça
n’est assurément pas sous la forme d’une fonction détachable,
qualifiable à aucun degré de supérieure, mais au contraire une
condition préalable, radicale à l’intérieur desquelles on fasse loger
comme elles peuvent toute une série de fonctions en effet animales
et ceci depuis les plus supérieures comme on dit, celles qui peuvent
se situer au niveau du névraxe jusqu’aussi bien à celles qui se passent,
on ne sait pas pourquoi on les appelle inférieures, au niveau des
tripes et des boyaux. Ce qui importe en d’autres termes c’est de
remettre en question tout cet étagement d’entités qui tentent à nous
faire saisir les mécanismes organiques comme quelque chose de
hiérarchisé, alors qu’en fait, c’est au contraire peut-être, au niveau
14
d’un certain discord radical cadre deux*, peut-être trois registres que
je désigne comme le symbolique, l’imaginaire et le réel. Même leurs
distances réciproques ne sont pas homogènes et les mettre sur une
même liste a déjà quelque chose d’arbitraire ; qu’importe si ces
registres au moins pour introduire la question, peuvent avoir quelque
chose d’efficace. Quoiqu’il en soit, dès lors qu’il s’agit au niveau
d’une certaine passion, souffrance, dès lors qu’il s’agit d’une pensée,
dont nous ne pouvons saisir nulle part qui la pense comme étant une
conscience, avoir une pensée qui nulle part ne se saisit elle-même,
une pensée dont toujours peut se poser la question du qui la pense,
ceci suffit, pour que quiconque s’introduit dans cette étrange
dialectique, doive au moins pour lui, avoir renoncé à cette prévalence
de la pensée en tant qu’elle se saisit elle-même. Je veux dire que le
psychanalyste ne doit pas seulement avoir plus ou moins bien lu
Freud en gardant par devers lui ces petites cases de l’univers
psychologique, grâce à quoi il est bien d’avance clair que toi c’est toi
et moi je suis moi, moi en tout cas bien entendu puisque je suis
psychanalyste, je suis le gros malin chargé de te conduire dans les
détours d’un sérail dont j’aurai depuis longtemps la familiarité ; que
si le psychanalyste, je veux dire au niveau de sa pratique, n’est pas
capable de se présentifier à tout instant comme étant, ce qui est en
principe parfaitement à sa portée, à savoir quelle est sa dépendance
à lui d’un certain nombre de choses qu’en principe, je répète, il a du
toucher du doigt dans son expérience inaugurale, la dépendance d’un
certain fantasme par exemple, et de considérer que ce n’est pas parce
qu’on vient le trouver comme étant ce que j’ai appelé le sujet supposé
savoir, il sait, puisque justement ce sur quoi on le consulte c’est non
pas sur ce qui est en marge d’un savoir quelconque, que ce soit celui
du sujet ou que ce soit le savoir commun, que c’est justement sur le
point qui se présente comme étant ce qui échappe au savoir, à savoir
radicalement sur ce qui pour chacun est ce qu’il ne veut pas savoir.

*
Nous reproduisons textuellement la transcription proposée, manifestement
peu compréhensible.
15
Pourquoi ne veut-il pas le savoir si ce n’est parce que c’est, parce que
c’est là quelque chose qui le met en question comme sujet du savoir,
ceci au niveau de l’être le plus simple et disons le moins informé.
Que l’analyste ne croie pas pouvoir s’introduire dans une pareille
question, à purement accepter ce qui lui a été déféré comme rôle
dans cette forme du sujet supposé savoir, puisqu’il sait bien qu’il ne
sait pas, que tout ce qu’il pourra forger comme savoir propre risque
de ne pas se constituer autrement qu’il ne ferait d’une défense contre
sa propre vérité. Tout ce qu’il construira comme psychologie de
l’obsessionnel, tout ce qu’il incarnera dans telle ou telle tendance dite
primitive, n’empêchera pas, qu’à mesure que plus loin se poussera
cette relation qu’on appelle le transfert, il sera mis en question sur le
mode fondamental qui est celui de la névrose en tant qu’il comporte
le jeu glissant de la demande et du désir. Il ne sait pas, il ne sent pas,
que rien ne saurait se déplacer quand il ne sent effectivement pas que
c’est son désir que la demande hystérique intéresse ; que c’est sa
demande que le désir de l’obsessionnel veut faire surgir à tout prix,
ce qui selon la loi pour chacun règle leurs rapports avec leur
partenaire, il ne suffit pas que cet appel il y réponde en démontrant
à chacun de ses questionnants qu’il y a là telles formes déjà qui sont
passées, reproduites, qu’il recule la question vers je ne sais quelle
réitération toujours bien sûr rétroactive, assurément dimension
essentielle à faire saisir au sujet, ce qu’il a laissé tomber de lui-même
sous la forme d’un irréductible noyau. Mais sans échafaudage, tant
de constructions compliquées destinées à rendre compte des
résistances, des défenses, des opérations du sujet, de tel et tel gain
plus ou moins désirable, peuvent ne représenter que superstructures
au sens de constructions fictives destinées pour l’analyse à le séparer
de ceci où en fin de compte il est traqué qui finit par représenter
pour le sujet ce à quoi le progrès analytique doit enfin le faire
renoncer : cet objet à la fois privilégié et objet-déchet à quoi il s’est
lui même accolé et qui finit par mettre l’analyste dans une position si
dramatique puisqu’il faut qu’il sache lui-même à la fin, éliminer de ce
dialogue comme quelque chose qui en tombe et qui en tombe pour
16
jamais. Cette discipline qui, contraire à celle qui compte sur je ne
dirai pas le savant, car le savant de la science moderne c’est quelqu’un
qui a un rapport singulier avec ce qu’on peut appeler socialement sa
surface avec sa propre dignité qui est tellement loin de cette forme
idéale, qui est au fond, qui constitue le statut de sa dignité, de celui
qui sait et qui touche, de celui qui par la présence de sa seule autorité
opère et guérit, que ce n’est pas au savant que je m’en remettrai mais
chacun sait que ce qui est tellement nouveau, qui spécifie les formes
les plus actuelles de la recherche scientifique ne sont pas, ne sont
nullement identifiables aux types traditionnels de l’autorité savante.
La voracité avec laquelle ceux qui entendent, ce je l’enseigne déjà
depuis tant d’années se suent**, c’en est dérisoire, sur mes formules
pour en faire <de petits articles>*** donc chacun en fin de compte
ne pense rien d’autre que ceci, qu’ils se pareront de mes plumes, tout
ceci bien sûr pour se donner les gants d’avoir fait un article qui tient
debout. Rien n’est plus contraire à ce qu’il s’agirait d’obtenir d’eux à
savoir justement à conquérir la juste situation de dépouillement, de
démunissement dirai-je qui doit constituer celle de l’analyste en tant
qu’il est un homme entre d’autres qui doit savoir qu’il n’est ni savoir
ni conscience, mais dépendant aussi bien du désir de l’Autre que de
sa parole. Tant qu’il n’y aura pas d’analyste qui m’aient assez bien
entendu pour arriver à ce point, bien sûr il n’y aura pas non plus c’est
que cela engendrerait aussitôt à savoir ces pas essentiels où nous en
sommes encore à attendre dans l’analyse et qui redoublant les pas de
Freud la ferait de nouveau avancer.

**
. Proposition de lecture : […] ce que j’enseigne depuis tant d’années et
suent […]
***
. mots difficilement lisibles : de petite artoulets.
17
1967.10.00. PLACE, ORIGINE ET FIN DE MON
ENSEIGNEMENT

Ce texte circule avec l’introduction suivante : « En 1967, Jacques Lacan tenait,


dans le cadre des « Mardis du Vinatier » une conférence où il développait, à
l’usage d’un public provincial, les grandes lignes de son enseignement. Il nous a
paru intéressant, en introduction à un débat sur sa pensée, de publier ici un texte
reconstitué à partir de l’enregistrement de cette conférence et de la discussion avec
H. Maldiney qui lui fit suite. Reproduction, avec quelques blancs aujourd’hui
inaudibles, de ce qui fut ce soir-là entendu ou que les auditeurs crurent saisir d’un
discours spontané et associatif, ce texte ne saurait représenter un écrit lacanien
inédit et n’engage donc ni Lacan ni Maldiney ».

Je ne pense pas vous livrer mon enseignement sous la forme d’un


(5)

comprimé, ça me parait difficile. On fera peut-être ça plus tard, c’est


toujours comme ça que ça finit. Quand vous êtes disparu depuis
suffisamment de temps, vous vous résumez en trois lignes dans les
manuels. On ne sait pas de quoi d’ailleurs ; pour l’occasion, je ne
peux pas prévoir dans quel manuel je serai inséré pour la raison que
je ne prévois rien de l’avenir de ce à quoi se rapporte mon
enseignement, c’est-à-dire la psychanalyse.

On ne sait pas ce qu’elle deviendra cette psychanalyse. Enfin, moi,


je souhaite qu’elle devienne quelque chose. Il n’est pas sûr qu’elle en
prenne le chemin. Alors, « PLACE, ORIGINE ET FIN DE MON
ENSEIGNEMENT », voyez ça peut commencer à prendre un sens, un
sens qui n’est pas seulement résumatif. Vous mettre dans le coup
d’une chose qui est engagée, qui est en train, quelque chose de pas
fini, qui ne finira probablement qu’avec moi si je ne suis atteint
d’aucun de ces incidents fâcheux qui vous font se survivre à vous-
même ; là encore, je vais vous dire que je n’en prends pas le chemin.

18
Alors, « PLACE », il faut bien commencer par le commencement,
c’est fait comme une dissertation bien faite, il y a un début, un
commencement, une fin. Au début, c’est justement pas l’origine,
c’est la place. La place, il y en a peut-être deux ou trois ici qui ont
une petite idée de mes ritournelles. La place, c’est un terme dont je
me sers souvent parce que justement dans ce champ à propos duquel
se tiennent mes discours ou (6)mon discours comme vous voudrez, il
y a souvent des références à la place. Autrement dit, pour s’y
retrouver dans ce champ, il convient d’avoir ce qu’on appelle dans
d’autres domaines plus assurés une topologie, avoir une idée du
comment c’est construit, le support sur quoi tout ça s’inscrit qui est
en cause.

Je n’irai sûrement pas ce soir si loin simplement parce que comme


je vous l’ai dit d’abord je ne peux absolument pas vous donner un
petit comprimé de mon enseignement. Alors place, ça aura ainsi une
toute autre portée. La place, ça peut avoir un tout autre sens que la
topologie au sens de la structure enfin de savoir si une surface est
une sphère ou bien si c’est un anneau. C’est pas du tout pareil ce
qu’on peut faire avec. Mais il ne s’agit pas de cela. Simplement, je
suis venu à cette place qui me met en posture d’enseigner puisqu’il
s’agit d’enseignement. Eh bien cette place, elle est à inscrire au
registre de ce qui est le sort commun : on occupe la place où un acte
pousse comme ça de droite ou de gauche, de bric ou de brac. Il s’est
trouvé des circonstances qui étaient telles que ce à quoi, à vrai dire,
je ne me croyais pas du tout destiné, eh bien, il a fallu que j’en prenne
la corde en main.

Tout s’est fait autour de ceci que la fonction du psychanalyste ça


ne va pas de soi.

Ça ne va pas tout seul pour ce qui est de lui donner son statut, ses
habitudes, ses références et justement à elle aussi sa place dans le
monde.
19
Il y a les places dont j’ai parlé tout d’abord, les places topologiques,
les places dans l’ordre de l’essence, il y a la place dans le monde. Ça
s’acquiert du fait de la bousculade en général. Ça laisse de l’espoir en
somme. Vous voyez que tous autant que vous êtes avec un peu de
chance vous devez toujours finir par occuper une certaine place. Ça
ne va pas plus loin.

On est en un moment de ce qu’on pourrait appeler un moment de


crise ; dans la psychanalyse, en France, le moment d’une mise en
place d’un certain dispositif qui devrait régler dans l’avenir le statut
des psychanalystes, tout ça accompagné de grandes promesses
électorales.

Le statut des psychanalystes devait rapidement, si on suivait


Monsieur untel, être accompagné de toutes sortes de sanctions,
bénédictions officielles, et tout spécialement médicales. Rien
d’ailleurs, comme il est ordinaire dans cette sorte de promesse, ne
s’est réalisé. Néanmoins, il y a eu une certaine mise en place qui s’est
réalisée, qui s’est trouvée à ce moment-là, pour des raisons
extrêmement contingentes, ne pas convenir à tout le monde. Il y en
a certains qui trouvaient que ce changement de coutume n’était pas
ce qui leur convenait ; enfin, tant qu’on n’a pas mis les choses en
place, il peut y avoir des tiraillements, ce qu’on appelle des conflits.
Dans ce tohu-bohu, je me suis trouvé avec un certain nombre sur un
radeau. Pendant dix années, ma foi, on a vécu avec les moyens du
bord, enfin on n’était pas absolument sans ressources, on n’était pas
quidam. Et là-dedans, il s’est trouvé que ce que j’avais à dire sur la
psychanalyse a pris une certaine portée. C’est pas des choses qui se
font toutes seules ; on peut parler de la psychanalyse comme il est
très facile de vérifier qu’on en parle comme ça. Il est un peu moins
facile d’en parler tous les huit jours en s’imposant comme discipline
de ne (7)vraiment jamais répéter la même chose et de ne pas dire ce
qui est déjà courant, quoique ce qui est déjà courant ne soit pas tout
20
à fait essentiel à connaître, mais quand ce qui est déjà courant vous
parait laisser un peu à désirer, pêcher par la base !

Il faut dire que la psychanalyse tout le monde croit avoir là-dessus


une certaine idée, une idée suffisante. Il n’y a plus de problème,
l’inconscient, eh bien, c’est l’inconscient, tout le monde sait
maintenant qu’il y a un inconscient. Il n’y a plus d’objections, il n’y a
plus d’obstacles. Mais qu’est-ce que c’est que cet inconscient ? On le
connaît depuis toujours, bien sûr qu’il y a un tas de choses qui sont
inconscientes et même que tout le monde en parle depuis beaucoup
de temps dans la philosophie. Mais attention, cet inconscient, c’est
un inconscient qui pense ferme enfin c’est fou ce que ça s’élucubre
dans cet inconscient. Alors là, attention minute, c’est « des pensées »,
mais si c’est des pensées, ça ne peut pas être inconscient du moment
que ça pense, ça pense que ça pense. La pensée c’est transparent à
soi-même, on peut pas penser sans savoir qu’on pense. Tout ça, bien
sûr maintenant n’a plus du tout de portée. Non pas, bien sûr, que
personne se soit fait vraiment une idée de ce que cette objection a
de réfutable. Elle apparaît futable, elle est irréfutable. C’est justement
ça l’inconscient ; c’est un fait, un fait nouveau. Il faudra commencer
à penser quelque chose qui rende compte de ceci qu’il peut y avoir
des pensées inconscientes. Ça ne va pas de soi. En fait, personne ne
s’est jamais vraiment attelé à ça qui est pourtant une question
hautement philosophique.

Je vais tout de suite vous dire que c’est pas par ce bout là que j’ai
pris les choses. Il se trouve que le bout par lequel j’ai pris les choses
résout aisément cette objection, mais c’était même plus une
objection parce que, je l’ai dit, tout le monde a déjà là-dessus sa
religion faite.

L’inconscient eh bien voilà, c’est admis et puis beaucoup de choses


encore qu’on croît avoir admis en paquet, en vrac, moyennant quoi
tout le monde croît savoir ce que c’est que la psychanalyse.
21
L’embêtant, c’est que c’est seulement les psychanalystes qui eux ne
le savent pas. Non seulement, ils ne le savent pas, mais jusqu’à un
certain point, c’est tout à fait justifié qu’ils ne le savent pas, car c’est
précisément de ça qu’il s’agit. S’ils croyaient le savoir, tout de suite
comme ça, ce serait grave et puis il n’y aurait plus de psychanalyse
du tout, puisqu’en fin de compte tout le monde est d’accord, c’est
une affaire classée. Pour les psychanalystes, ça ne peut pas l’être.

Alors il y a deux façons de procéder, ça commence à devenir


intéressant. Il y a deux façons de procéder dans ces cas-là.

Essayer d’aller au plus près dans le vent, et de mettre ça en


question. Une opération, une expérience, une technique à propos de
quoi les techniciens sont forcés de donner leur langue au chat sur ce
qui est de plus central, de plus essentiel. Ça serait pas mal de voir ça
hein ! Ça pourrait éveiller bien des sympathies parce qu’il y a quand
même des tas de choses de notre sort commun qui sont de cette
espèce là. C’est même précisément les choses dont s’occupe la
psychanalyse.

Seulement voilà, le sort a fait que les psychanalystes ont toujours


adopté une attitude opposée. Ils ne disent pas absolument qu’ils
(8)
savent, mais ils le laissent entendre, d’en savoir un bout, là-dessus
motus, ça se règle entre nous. On entre dans ce champ de savoir par
une expérience unique qui consiste tout simplement à se faire
psychanalyser, après quoi on peut parler. On peut parler, ça ne veut
pas dire qu’on parle. On pourrait. On pourrait si on voulait et on
voudrait bien si on parlait à des gens comme vous qui savent, mais
alors à quoi bon ? Donc on se tait aussi bien avec ceux qui savent
qu’avec ceux qui ne savent pas ; car ceux qui ne savent pas ne
peuvent pas savoir.

Néanmoins, cette attitude quoique après tout elle soit tenable, la


preuve c’est qu’on la tient, n’est pas du goût de tout le monde. Or le
22
psychanalyste a une faiblesse comme ça quelque part, c’est une très
grande faiblesse. Jusqu’ici il n’y en a pas. Ça peut vous paraître
comique tout ce que j’ai dit, mais ce n’est pas des faiblesses, c’est
cohérent.

Sa faiblesse, son penchant, c’est quelque chose dans quoi il sait


bien qu’il faudrait se garder de tomber. Bien sûr dans la pratique
quotidienne, on se tient à carreau mais il y a tout de même quelque
chose quelque part qui fait changer d’attitude et c’est en quoi il
commence à devenir incohérent.

Pris au collectif, enfin non pas le psychanalyste, mais des


psychanalystes quand il y en a une foule, une tripotée, là ils veulent
qu’on sache qu’ils sont là pour le bien de tous.

Ils font très attention quand même à ne pas avoir cette faiblesse
d’aller trop vite au bien du singulier, celui-à-qui ils ont affaire parce
qu’ils savent très bien et ça, c’est heureusement une des choses qui
sont acquises par leur expérience que c’est pas comme ça en voulant
le bien des gens qu’on y arrive, la plupart du temps, c’est même le
contraire. C’est une idée tout de même qui est pour eux acquise. Il
s’en faut qu’en dehors de la psychanalyse ils soient de véritables
propagandistes. Alors que ça serait salubre si plus de gens savaient
ça : que ce n’est pas en voulant trop de bien à son prochain qu’on lui
en fait. Ça pourrait servir.

Non les psychanalystes comme ça en tant que corps représenté


veulent absolument être du bon côté du manche et alors pour le faire
valoir il faut qu’ils montrent que ce qu’ils font, ce qu’ils disent, ça
s’est déjà trouvé quelque part, ça s’est déjà dit, ça se rencontre.

Dans d’autres sciences, on arrive au même carrefour et on dit


quelque chose d’analogue ; on a déjà pensé à ça.

23
Alors cet inconscient justement on le rapporte à de vieux échos,
on efface la frontière, la limite qui ferait qu’on verrait que
l’inconscient freudien ça n’a absolument rien à faire avec ce qu’on a
appelé inconscient. On s’est servi de ce mot là mais ce n’est pas ce
qui est caractéristique, l’inconscient qu’il soit inconscient. Ce n’est
pas une caractéristique négative. Il y a une foule de choses dont je ne
suis pas conscient dans mon corps. Ça ne fait absolument pas partie
de l’inconscient freudien. C’est pas parce que le corps est de temps
en temps intéressé que ça veut dire que c’est ce qui est le
fonctionnement inconscient du corps qui est en cause dans
l’inconscient freudien.

Enfin, je donne ça comme exemple parce que je ne veux pas trop


déborder n’est-ce pas. Je veux simplement dire aussi qu’ils iront
même (9)jusqu’à faire croire que quand ils parlent de sexualité, c’est
de la même chose que ce dont parlent les biologistes – absolument
pas. Enfin, c’est le boniment.

Depuis Freud, l’équipe psychanalytique fait sa propagande dans le


style que dit très bien le mot boniment. Il y a le bon, le bien dont je
vous parlais tout à l’heure et c’est devenu vraiment une seconde
nature. Les psychanalystes, quand ils sont entre eux, les problèmes
qui sont vraiment en jeu, qui s’agitent et qui peuvent provoquer
même entre eux de sérieux conflits, ce sont des problèmes pour ceux
qui savent justement. Mais à ceux qui ne savent pas, il est reçu, ça
fait partie du style psychanalytique, qu’on raconte des choses qui
sont destinées à faire pour eux chemin, accès, petite marche… ça
peut se soutenir. Ça n’est plus du tout dans le champ de ce qu’on
peut appeler le cohérent, mais après tout, nous connaissons
beaucoup de choses au monde qui vivent sur ces bases là. Ça fait
partie de ce qui s’est toujours fait dans un certain registre, ce que je
n’ai pas appelé pour rien tout à l’heure propagande. Le terme
propagande a une origine tout à fait précise dans l’histoire et dans la
structure sociologique. L’origine, c’est propaganda fide c’est le terme
24
même. C’est quelque part à Rome dans un bâtiment qu’on peut très
bien voir où tout le monde peut faire ses entrées et ses sorties. Donc,
ça se fait et ça s’est toujours fait. La question est de savoir si ça peut
se faire pour ce qui est de la psychanalyse ou si c’est tenable.

Au premier abord, la psychanalyse est-elle purement et simplement


une thérapeutique, un médicament, un emplâtre, une poudre de
perlimpinpin ? Tout ça qui guérit. Pourquoi pas ?

Seulement, la psychanalyse, ça n’est absolument pas ça. Il faut


d’ailleurs avouer que si c’était ça, on se demande vraiment pourquoi
ça serait ça qu’on s’imposerait car c’est vraiment de tous les
emplâtres un des plus fastidieux à supporter. Car, malgré tout, si les
gens s’engagent dans cette affaire infernale qui consiste à venir voir
un type trois fois par semaine pendant des années, c’est tout de
même que ça a en soi un certain intérêt.

Il ne suffit pas de manier des mots qu’on ne comprend pas, comme


transfert, pour expliquer que ça dure. Mais nous sommes seulement
à la porte des choses. Je suis bien forcé de commencer par le
commencement, de ne pas faire moi aussi un boniment qui
consisterait à faire comme si je croyais que vous saviez quelque chose
concernant la psychanalyse. J’étais bien forcé de mettre au début un
certain nombre d’évidences. Tout ce que je dis là, ce n’est pas
nouveau ; non seulement ce n’est pas nouveau, mais ça crève les
yeux. Tout le monde s’aperçoit très bien que tout ce qui se raconte
en fait d’explications ad usum du public concernant la psychanalyse,
c’est du boniment. Personne ne peut douter parce qu’après tout
enfin, au bout d’un certain temps, le boniment ça se reconnaît. Eh
bien, le curieux voyez-vous, c’est que nous sommes en 1967 et
qu’une chose qui a commencé au début du siècle en gros, mettons
même si vous voulez en poussant les choses un peu plus loin, quatre
ou cinq ans avant, si on veut vraiment appeler psychanalyse ce que
Freud faisait quand il était seul, eh bien, qu’elle est toujours là la
25
psychanalyse bon pied, bon œil à travers tous ses boniments et même
qu’elle jouit d’une espèce comme ça de respect, de prestige, d’effet
de prestance tout à fait singulier si l’on songe quand même à ce que
c’est que les exigences de l’esprit scientifique. De temps en temps,
ceux qui sont des scientifiques sont agacés, protestent, haussent
(10)
les épaules. Mais quand même il reste quelque chose au point que
les gens qui peuvent porter les appréciations les plus désagréables à
d’autres moments invoqueront tel ou tel fait, voire tel ou tel principe
au même précepte de la psychanalyse, citerons un psychanalyste,
invoqueront l’acquis d’une certaine expérience comme étant
l’expérience psychanalytique.

C’est quand même quelque chose qui donne à réfléchir. Il y en a


eu beaucoup de boniments à travers l’histoire, mais enfin, à regarder
de bien près, il n’y en a pas qui ont eu une telle survie si l’on peut
dire. Ça doit bien répondre quand même à quelque chose, à quelque
chose que la psychanalyse garde en soi, qui fait justement ce poids,
cette dignité, une chose qu’elle garde bien à elle dans une position
que j’ai appelée quelque fois même du nom qu’elle mérite « extra-
territoriale ».

Ça vaut la peine qu’on s’y arrête.

En tout cas, c’est une porte d’entrée à la question que je pose, que
j’essaye d’introduire ici.

En fait, il y a tout de même des gens qui ne savent pas du tout ce


que c’est que la psychanalyse, qui n’en sont pas, mais qui en ont
entendu parler, entendu parler si mal de temps en temps qu’ils s’en
servent eux aussi quand il s’agit d’une certaine façon d’opérer du
terme de psychanalyse. Il vous pondront un bouquin comme ça,
« Psychanalyse de l’Alsace-Lorraine » par exemple ou « du Marché
Commun », ça se rapporte à quelque chose.

26
Vraiment là, c’est le pas introductif, mais qui peut s’énoncer très
bien et très clairement et sans plus de référence au mystère qu’il ne
convient quand on emploie certains mots, des mots qui portent en
eux-mêmes leur effet choc, qui font sens. Il faut se secouer après les
avoir entendu et commencer à poser des questions. Qu’est-ce que
c’est un mot comme la vérité ? Eh bien, c’est un de ces mots là. Au
premier abord, ça ne fait absolument pas de doute, tout le monde
sent que ça veut dire quelque chose de bien à part surtout que dans
ce cas cette vérité est en quelque sorte armée, articulée, à un mode
de représentation qui donne son style et qui fait justement l’emploi
secondaire si je puis dire de ce mot psychanalyse.

La vérité dont il s’agit exactement comme dans l’image mythique


qui la représente, c’est que c’est quelque chose de caché dans la
nature et puis que ça sort naturellement. Vous voyez l’image
naturellement : ça sort du puits. « Ça sort » mais ce n’est pas assez :
« ça dit ». Ça dit des choses et des choses qu’on n’attendait pas
généralement ; ce qu’on entend quand on dit nous savons enfin la
vérité sur cette affaire : il y a quelqu’un qui a commencé à se mettre
à table. Quand on parle de psychanalyse, je veux dite quand on se
réfère à ce quelque chose qui fait son poids, c’est de ça qu’il s’agit et
bien entendu avec l’effet corrélatif, celui qui convient, qui est ce que
l’on appelle l’effet de surprise.

Il y a un élève, un jour quand il était saoul. Ça lui arrive tout le


temps depuis quelque temps – , à propos comme ça des faits de
chaque jour – parce que de temps en temps il y a des choses qui se
mettent en croix comme on dit – a commencé à me dire que j’étais
un type dans le genre de Jésus-Christ. Il se foutait de ma gueule,
n’est-ce pas bien sûr, ça va de soi. Je n’ai pas le moindre rapport, bien
sûr, avec cette incarnation, je (11)suis plutôt un type dans le genre de
Ponce Pilate. Ponce Pilate, il n’a pas eu de chance, moi non plus, il a
dit cette chose qui est vraiment courante et facile à dire : qu’est-ce
que la vérité ? Il n’a pas eu de chance. Il a posé la question à la vérité
27
elle-même. Ça lui a fait toutes sortes d’ennuis, il n’a pas bonne
réputation.

Il y a quelqu’un que j’aime beaucoup. C’est un faible, je suis pas du


tout thala, mais j’aime Claudel. Claudel a fait une petite rallonge de
vie à Ponce Pilate. Comme vraiment, il a toujours un incroyable
génie divinatoire, j’imagine que pour avoir posé la question de la
vérité justement là où il ne fallait pas, à la vérité elle-même quand
Ponce Pilate se baladait dans la suite, chaque fois qu’il passait devant
ce qu’on appelle, dans le langage claudelien, bien sûr, une idole –
comme si c’était une chose répugnante une idole – Pouah ! chaque
fois qu’il passait devant une idole Pouf ! le ventre de l’idole s’ouvrait
et l’on voyait qu’elle n’était qu’une tirelire.

Eh bien, c’est à peu près ce qui m’arrive. Vous ne pouvez pas


savoir l’effet que je fais aux idoles psychanalytiques.

Reprenons. C’est évident qu’il faut aller dans ces choses pas à pas
et prendre le premier temps comme ça, le temps de la vérité parce
que après ça ce qui est dit de la vérité ou ce qu’on croit qu’elle dit,
depuis le temps qu’elle parle la psychanalyse, naturellement, ça
n’épate plus personne.

Quand une chose a été dite et redite un certain nombre de fois, ça


passe dans la conscience commune. Comme disait Max Jacob et
comme je me suis plié à le reproduire à la fin d’un de mes Ecrits :
« Le vrai est toujours neuf » et pour être vrai, il faut qu’il soit neuf.

Alors évidemment, il faut croire que la vérité ne le dit pas tout à


fait de la même façon, que le discours commun le répète et puis il y
a des choses qui ont changé. La vérité psychanalytique, c’est qu’il y
avait quelque chose de bougrement important à la base dans tout ce
qui se tramait en fait d’interprétations de la vérité qui était la vie
sexuelle.
28
Enfin, c’est vrai ou c’est pas vrai ?

Si c’est vrai, il faut savoir si c’était seulement parce qu’on était


encore en pleine période victorienne, la sexualité serait le poids dans
la vie de chacun, le poids qu’elle a maintenant dans la vie de tous. Il
y a quand même quelque chose de changé et, à la vérité, je ne crois
pas que la psychanalyse y soit pour grand chose. Quand même, la
sexualité c’est quelque chose de beaucoup plus public ; enfin
maintenons que si la psychanalyse y est pour quelque chose, c’est
précisément ce que je suis en train de dire, à savoir que ce n’est pas
vraiment la psychanalyse.

Pour l’instant, la référence à la sexualité ce n’est pas du tout ça en


soi qui peut constituer cette révélation du caché. La sexualité, c’est
toutes sortes de choses, les journaux, les habillements, la façon dont
on se conduit, la façon dont les garçons et les filles font ça, un beau
jour en plein vent sur le marché enfin « sa vie sexuelle » il faudrait
écrire ça avec une orthographe particulière. Je vous conseille
beaucoup l’exercice qui consiste à essayer de transformer les façons
dont on écrit (12)les choses « ça visse exuelle ». Voilà où nous en
sommes. C’est un exercice qui est assez révélateur et puis c’est à
l’ordre du jour. Enfin là, pour allécher les gens tout à fait friands,
ceux qui sont pour l’instant en train d’entendre comme des échecs
qu’on aurait tout foutu en l’air dans la linguistique, Monsieur Derrida
a inventé la Grammatologie. Il faut lui donner des applications ; essayez
de jouer avec l’orthographe, vous verrez, c’est une certaine façon de
traiter l’équivoque, mais qui n’est pas du tout…

Vous verrez, ça peut aller loin si vous écrivez la formule « ça visse


exuelle » ça éclairera certaines choses, ça pourra en tout cas faire
venir une petite étincelle dans les esprits.

29
Le fait que « ça visse » si bien « exuelle » fait qu’évidemment il y a
un grand désarroi sur le sujet dans la vérité psychanalytique.

Ça les psychanalystes y ont été très sensibles, je dois dire, c’est pour
ça qu’ils s’occupent d’autres choses et que vous n’entendrez plus
jamais maintenant parler de sexualité dans les cercles
psychanalytiques. Et puis, quand vous ouvrez les revues de
psychanalyse, ce sont les plus chastes qui soient. On ne raconte plus
les histoires de baisages comme ça. C’est bon pour les journaux
quotidiens. On s’occupe de choses alors là qui vont loin dans le
domaine de la morale, d’instinct de vie. Ah, soyons fortement
instinctuels de vie, méfions-nous de l’instinct de mort.

Voyez, là nous entrons dans la grande représentation, dans la


mythologie supérieure.

Il y a des gens qui croient vraiment qu’ils tirent les leviers de tout
ça, qui nous parlent de ça comme si c’était des objets de
manipulation courante et puis alors il s’agit d’obtenir entre les uns et
les autres le bon équilibre : tangences, intersection juste… et puis
avec la grande économie de force… et puis, vous savez quel est le
but dernier ?

Obtenir au milieu de tout ça de ces savantes instances qui en


découlent ce qu’on appelle de ce grand nom du « moi », du fort
« moi ».

On y arrive, on fait de bons employés ; c’est ça le moi fort !


Évidemment, il faut avoir un moi résistant pour être un bon
employé. On fait ça à tous les niveaux, au niveau des patients et puis
au niveau des psychanalystes, des bons employés.

Tout de même, on peut se demander si c’est ça ! L’idéal d’une fin


de cure psychanalytique, c’est qu’un Monsieur gagne un peu plus
30
d’argent qu’avant et qu’il s’adjoigne dans l’ordre de sa vie sexuelle
précisément, à l’aide modérée qu’il demande à sa compagne
conjugale, celle de sa secrétaire. C’est en général ce qui est considéré
comme une très bonne issue. Quand un type avait un peu des
embêtements sur ce sujet jusque là soit que ce fut simplement une
vie d’enfer ou bien quelques unes de ces petites inhibitions qui
peuvent vous arriver à divers niveaux, bureau, travail et puis quoi
même au lit pourquoi pas ?

Quand tout ça est levé, que le moi est fort et tranquille et que
comme on dit la fesse a passé son petit traité de paix avec le surmoi
et que le ça ne gratouille plus à l’excès eh bien ça va. La (13)sexualité
là-dedans est tout à fait secondaire. Il y a même, mon cher ami
Alexander – car c’était un ami hein celui-là, Alexander il n’était pas
bête, mais comme il vivait aux Amériques, il répondait à la
commande – il a même dit qu’en somme la sexualité c’était à
considérer comme une activité de surplus, vous comprenez quand
on avait tout bien fait régulièrement payé ses impôts, alors ce qu’il y
avait en plus, c’était la part du sexuel. Il doit y avoir maldonne vous
comprenez pour que ça en arrive là. On ne s’expliquerait vraiment
pas cet énorme frayage théorique qui a été nécessaire pour que la
psychanalyse s’installe et même prenne décemment ses quartiers
dans le monde, inaugure cette extravagante mode thérapeutique.

Pourquoi tant de discours si c’est pour en arriver là. Il doit y avoir


tout de même quelque chose qui ne va pas. Peut-être qu’il faudrait
chercher autre chose. On pourrait d’abord se demander ceci qu’il
devrait y avoir une raison pour qu’une fois – si ce n’est qu’une fois,
mais justement ce n’est pas une fois – pour qu’une fois la sexualité
ait pris la fonction de la vérité. Après tout, ce n’est pas une chose si
irrecevable que ça la sexualité. Et puis, si elle l’a pris une fois, elle la
garde.

31
Et ce dont il s’agit est vraiment à la portée de la main en tout cas
du psychanalyste qui nous en témoigne quand il parle de quelque
chose de sérieux et non pas de ses résultats thérapeutiques. Ce qui
est à la portée de la main, c’est ceci que la sexualité fait trou dans la
vérité.

C’est que c’est justement le terrain si je puis dire où on ne sait pas


sur quel pied danser à propos de ce qui est vrai. Et dans ce qui est
rapport sexuel, la question de ce qu’on fait vraiment – je ne dirai pas
quant on dit à quelqu’un « je t’aime » parce que tout le monde sait
que c’est un propos de Jean foutre – mais quand on a avec ce
quelqu’un un lien sexuel quand ça a une suite, quand ça prend la
forme de ce qu’on appelle un acte ; un acte, ce n’est pas simplement
quelque chose qui vous sort comme ça, comme dit trop volontiers
et trop souvent la théorie analytique une décharge motrice, même si
on arrive à l’aide d’un certain nombre d’artifices, de frayages divers
ou même de l’établissement d’une certaine promiscuité, à faire de
l’acte sexuel quelque chose qui dit-on n’a pas plus d’importance que
de boire un verre d’eau.

Ce n’est pas vrai et on s’en aperçoit vite parce qu’il vous arrive
justement de boire un verre d’eau et puis après ça d’avoir la colique –
ça ne va pas tout seul pour des raisons qui tiennent à l’essence de la
chose c’est-à-dire pour ceci qu’on se demande si dans cette relation
soit pour un homme par exemple, on est vraiment un homme ou
l’autre là – pour moi – une femme si c’est vraiment une femme. Ce
n’est pas seulement la partenaire qui se le demande, c’est chacun, soi-
même, qui se le demande et puis ça compte, ça compte pour tout le
monde et puis ça compte tout de suite. Alors, quand je parle d’un
trou, dans la vérité naturellement ce n’est pas là une métaphore
grossière, un trou au veston, c’est cet aspect négatif qui apparaît dans
ce qui est du sexuel, justement de son inaptitude à s’avérer, c’est de
ça qu’il s’agit dans une psychanalyse.

32
Alors évidement, de deux choses l’une, on ne peut pas en (14)rester
là, ou bien, c’est à partir d’une question comme celle-là qui est
vraiment actuelle, présente pour tous qu’on peut faire sentir le
renouvellement du sens de ce que depuis l’origine Freud a appelé…

Par définition, on ne peut pas en rester là si on commence à


emmancher les choses comme ça, les termes de Freud se raniment,
y prennent une autre portée. On s’aperçoit même alors de leur portée
littéraire, c’est dire à quel point ils conviennent comme lettre à la
manipulation de ce dont il s’agit et l’idéal est justement de pousser
les choses si loin que mon Dieu, après tout, j’ai commencé de les
pousser. Je les ai poussés, les littéraires, jusqu’à leurs derniers termes,
à savoir à ce qu’on arrive à faire du langage quand on veut éviter les
équivoques, c’est-à-dire à le réduire au littéral, aux petites lettres de
l’algèbre.

Ceci nous mène tout de suite à mon second chapitre : l’origine de


mon enseignement.

Alors, voyez-vous ici, c’est le contraire de tout à l’heure. Je vous ai


dit que la place c’était l’accident, en fin de compte, j’étais poussé là
justement dans le trou dont on parle où personne ne veut basculer.

Si je me bagarre sérieusement, c’est bien qu’une fois que c’est


commencé on ne peut pas s’arrêter comme ça.

Maintenant sur le sujet de l’origine, eh bien, ça ne voudra sûrement


pas dire ce que ça peut comme ça vous suggérer à l’oreille.

D’abord savoir justement à quel moment et pourquoi ça a


commencé ; je ne suis pas en train de vous parler de ce qu’on appelle
noblement dans les thèses de Sorbonne ou d’autres facultés des
lettres les origines de ma pensée ni même de ma pratique. Quelqu’un
de bien intentionné voulait que je vous parle de Monsieur de
33
Clérambault, mais je ne vous en parlerai pas parce que vraiment ça
ne va pas.

Clérambault m’a apporté des choses, m’a appris simplement à voir


ce que j’avais devant moi : un fou. Il m’a appris comme il convient à
un psychiatre en interposant entre ça un fou – tout ce qu’il y a de
plus inquiétant au monde en fin de compte, parce qu’on interpose
toujours quand on est un psychiatre – une très jolie petite théorie
dans ce cas là : le mécanicisme. Alors on a en face de soi quelque
chose de tout ce qu’il y a de plus inquiétant : un type qui a ce qu’il
appelait automatisme mental, c’est-à-dire un type qui ne peut pas
faire un geste sans qu’il soit commandé, sans qu’on lui dise « il est en
train de faire ça le petit coquin ». Si vraiment vous n’êtes pas
psychiatre, un type qui vient vous raconter un truc pareil si vous avez
simplement une attitude que nous appellerons comme ça humaine,
inter-subjective, sympathique, ça doit vous foutre sacrément froid
quelque part ; quand même un type qui vit comme ça, qui ne peut
pas faire un geste sans qu’on dise : « tient, il tend le bras, quel con » :
c’est tout de même une chose fabuleuse, mais si vous avez décrété
que c’est par l’effet d’une espèce d’effet mécanique quelque part,
d’une chose que d’ailleurs personne n’a jamais vu, qui vous chatouille
la circonvolution, vous voyez comme vous redevenez tranquille.
Alors Clérambault m’a évidemment beaucoup instruit sur ce qu’il en
est du statut du psychiatre. Enfin, naturellement, j’en ai gardé la
leçon, mais beaucoup de gens s’en sont aperçus depuis et l’ont
exprimé à peu près dans les mêmes termes ; mais tout cela ne veut
pas dire que ça n’a pas (15)toujours son prix quand quelqu’un reçoit
ça de son chef. Ceci dit, il les voyait très bien car avec tout ça, il n’en
restait pas moins qu’avant Clérambault personne ne s’était aperçu de
la nature de cet automatisme mental comme il l’appelait ; pourquoi,
hein, si ce n’est parce qu’ils faisaient des voiles encore plus épais, ils
arrivaient à mettre tellement de facultés des lettres entre eux et leurs
fous qu’ils ne voyaient même pas les phénomènes.

34
Et encore actuellement on pourrait en voir plus, on pourrait
décrire d’une façon complètement différente l’hallucination, il
suffirait qu’on soit vraiment psychanalyste mais on ne l’est pas. On
ne l’est pas exactement dans la mesure où en étant psychanalyste on
reste à cette noble distance de ce qu’on appelle encore même quand
on est psychanalyste le malade mental. Enfin, laissons pour ce qui
est de l’origine de mon enseignement eh bien, on ne peut pas en
parler plus que d’aucune autre question des origines.

L’origine de mon enseignement, c’est bien simple, elle est là depuis


toujours, puisque le temps est né avec lui, avec ce dont il s’agit parce
que mon enseignement c’est tout simplement le langage, absolument
rien d’autre.

Comme probablement pour la plus grande part d’entre vous, c’est


la première fois qu’une idée pareille vous tombe dans l’oreille sous
cette incidence là, que je pense qu’il y en a quand même un bon
nombre ici qui ne sont pas encore entrés au siècle des Lumières. Il
est probable qu’un bon nombre ici croient que le langage c’est une
superstructure. Même Monsieur Staline ne le croyait pas. Il s’est
quand même bien rendu compte que ça pouvait aller mal si on
commençait comme ça, ça pouvait aller mal parce que, bien sûr, dans
un pays que j’oserais dire avancé – je n’aurai probablement pas le
temps de vous dire pourquoi – ça pouvait avoir des conséquences.
C’est très rare qu’une chose qui se fait à l’Université puisse avoir des
conséquences puisque l’Université est faite pour que la pensée n’ait
jamais de conséquences. Enfin, quand on a pris le mors aux dents
comme ça, comme c’était arrivé quelque part en 1917, ça aurait pu
avoir des conséquences que Monsieur… déclare que le langage était
une superstructure. On aurait pu se mettre par exemple à changer le
Russe. Minute papillon, là le père Staline a senti que ça allait barder
si on faisait ça. Vous voyez ça sous quelle forme de confusion on
allait entrer. « Ne dites pas un mot de plus là-dessus ; le langage n’est
pas une superstructure » ; en quoi il est d’accord avec Monsieur
35
Heidegger : « l’homme habite le langage ». Ce que Heidegger veut
dire en disant ça, ce n’est pas de ça dont je vais vous parler ce soir,
mais vous voyez je suis forcé de faire le balayage devant le
monument.

« L’homme habite le langage », même extrait du texte de


Heidegger, ça parle tout seul, ça veut dire que le langage est là avant
lui, ce qui est évident. Non seulement l’homme naît dans le langage,
exactement comme il naît au monde, mais il naît par le langage. Il
faut quand même désigner là l’origine de ce dont il s’agit à savoir que
personne n’a jamais semblé avant moi accorder la moindre
importance au fait que dans les premiers bouquins de Freud, les
bouquins fondamentaux, celui sur les rêves, celui sur ce qu’on
appelle la psychopathologie de la vie quotidienne, on trouve ce
facteur commun issu des trébuchements de parole, des trous dans le
discours, des jeux de mots et des calembours et des équivoques. C’est
tout cela qui vient à l’appui des premières interprétations et des
découvertes inaugurales de ce dont il s’agit dans l’expérience
(16)
psychanalytique, le champ qu’elle détermine. Et pour le rêve qui
est venu le premier, c’est exactement pareil, ouvrez-le à n’importe
quelle page, vous n’y verrez parler que d’affaires de mots ; vous en
verrez parler d’une façon telle que vous vous apercevrez que dans
Freud il y a écrit en toutes lettres exactement les lois de structures
que Monsieur Saussure a diffusé à travers le monde, n’en étant pas
d’ailleurs le premier inventeur mais dont il a été l’ardent transmetteur
pour constituer ce qui se fait actuellement de plus solide sous le
terme, sous la rubrique de linguistique. Un rêve dans Freud, ça n’est
pas une nature qui rêve, un archétype qui s’agite, une matrice du
monde, un rêve divin, le cœur de l’âme.

Quand Freud parle de ce point, il s’agit d’un certain nœud, d’un


réseau associatif de formes verbales analysées et se recoupant
comme telles non pas parce qu’elle signifient mais par une espèce
d’homonymie. C’est quand un même mot se rencontre à trois
36
croisements d’idées qui viennent au sujet que vous vous apercevrez
que ce qui est important c’est ce mot-là, ce n’est pas autre chose.
C’est quand vous avez trouvé le mot qui a le plus de fils de ce
mycélium qui se concentrent autour de lui que vous savez que c’est
là le centre de gravité caché du désir dont il s’agit. C’est l’endroit pour
tout dire, ce point dont je parlais tout à l’heure, ce point noyau, c’est
là ou le discours fait trou.

Si je me livre à cette prosopopée, c’est simplement pour rendre


sensible pour ceux qui ne l’auraient pas encore entendu ce que je dis.

Quand je m’exprime dans ces termes, c’est pour essayer de


redonner sa vraie fonction à tout ce qui se structure sous l’égide
freudienne, que l’inconscient est structuré comme un langage alors
ça commence déjà à nous permettre d’entrevoir un pas.

C’est parce qu’il y a du langage comme chacun peut s’en aviser qu’il
y a de la vérité.

Tout ce qui se manifeste comme pulsation vivante comme ça, au


nom de quoi, en quoi ce qui peut se passer à un niveau aussi végétatif
que vous voudrez ou au niveau le plus élaboré dans le gestuel,
pourquoi quoique ce soit serait-il plus vrai que le reste. La discussion
de la vérité, elle peut être nulle part tant qu’il s’agit de la bagarre
biologique – une parade même si nous y introduisons cette
dimension que c’est pour tromper l’adversaire, qu’est-ce que ça
ajoute ? Elle est aussi vraie que n’importe quoi d’autre puisque
justement ce qu’il s’agit d’obtenir c’est un résultat réel, à savoir que
l’autre soit coincé. La vérité, ça commence à s’installer uniquement
à partir du moment où il y a du langage. S’il n’y avait pas de langage
dans la conscience, si l’inconscient n’était pas langage, il n’y aurait
aucune espèce de privilège, d’intérêt à ce qu’on peut appeler au sens
freudien l’inconscient. D’abord, parce qu’il n’y aurait pas
d’inconscient au sens freudien. Il y aurait de l’inconscient eh bien
37
oui, l’inconscient, c’est très bien, parlons-en. Ça aussi, c’est de
l’inconscient cette table – oui, ce sont des choses qu’on a tout à fait
en somme oublié à partir d’une certaine perspective qui est la
perspective dite évolutionniste. C’est celle qui a trouvé tout naturel
de dire que l’échelle minérale ça aboutit tout naturellement à une
espèce de pointe supérieure où nous voyons vraiment (17)jouer la
conscience comme si la conscience tenait dans ce que je viens
d’évoquer – son relief. S’il ne s’agit de penser la conscience que sous
la forme de quelque chose qui donne à des êtres particulièrement
évolués la possibilité de refléter quelque chose du monde en quoi,
comme l’ont très bien fait remarquer tous ces gens qu’on a appelé
de divers termes péjoratifs des idéalistes, enfin en quoi est-ce qu’il y
a le moindre privilège à l’endroit de cette fonction de connaître parmi
toutes les autres qui sont attenantes à l’espèce biologique comme
telle. Ce que je voudrais vous faire remarquer, c’est que quand même
nous ne sommes pas dépourvus de termes sérieux pour faire la
comparaison. Nous avons une science qui est organisée sur des bases
qui ne sont pas du tout celles que vous croyez. C’est pas parce que
c’est une genèse, notre science, c’est pas dans la pulsation de la nature
que nous sommes rentrés, non, nous avons fait jouer des petites
lettres, des petits chiffres et puis avec ces petites lettres et ces petits
chiffres, c’est avec eux que nous construisons des machines qui
marchent, qui volent, qui se déplacent dans le monde, qui vont très
loin. Ça n’a plus, absolument plus rien à faire avec ce qu’on a pu
rêver sous le registre de la connaissance. C’est une chose qui a son
organisation propre et l’organisation de ce qui finit par en sortir
comme étant son essence même, à savoir nos fameux petits
ordinateurs de diverses espèces, électroniques ou pas. C’est ça
l’organisation de la science. Bien sûr, naturellement, ça ne marche
pas tout seul, mais c’est quand même ça ce que je peux vous faire
remarquer, c’est qu’il n’y a pour l’instant et jusqu’à nouvel ordre,
aucun moyen de faire un pont, précisément entre les formes les plus
évoluées des organes d’un organisme vivant et cette organisation de
la science. Pourtant, ce n’est pas tout à fait sans rapport. Là aussi, il
38
y a des lignes, des tubes, des connexions, mais c’est tellement plus
riche que tout ce que nous avons pu encore construire comme
machine, un cerveau humain. Pourquoi ne se poserait-on pas la
question de savoir pourquoi est-ce que ça ne fonctionne pas de la
même façon.

Pourquoi est-ce que nous aussi nous ne faisons pas en vingt


secondes trois milliards d’opérations, d’additions, de multiplications
et autres opérations usuelles comme le fait la machine. Nous avons
encore beaucoup plus de choses qui convoient dans notre cerveau.
Chose curieuse, ça fonctionne quelques fois comme ça un court
instant, sur l’ensemble de ce que nous pouvons constater, c’est chez
les débiles. Nous trouvons ce qui est bien connu les débiles
calculateurs. Ils calculent eux comme des machines. Ça suggère peut-
être autre chose, à savoir que peut-être tout ce qui est de l’ordre de
notre pensée est quelque chose qui est comme la prise d’un certain
nombre d’effets, des effets de langage que, comme tels, ce sont ceux
sur lesquels nous pouvons opérer ; je veux dire que nous pouvons
construire des machines qui en sont en quelque sorte l’équivalent,
mais dans un registre évidemment plus court que ce que nous
pourrions attendre d’un rendement comparable s’il s’agissait
vraiment d’un cerveau qui fonctionne de la même façon. Tout ça
simplement, non pas pour appuyer quoi que ce soit là-dessus de
ferme, mais pour vous suggérer une certaine prudence qui est
particulièrement valable là où justement la fonction pourrait paraître
se faire dans ce qu’on appelle « parallélisme ». Non pas, bien
entendu, pour réfuter le fameux parallélisme psycho-physique qui est
comme chacun sait bien une foutaise depuis bien longtemps
démontrée, mais pour suggérer que ce n’est pas entre le physique et
le psychique que la coupure serait à faire, mais entre « le psychique »
et « le logique ».

Quand on en est arrivé là, on voit quand même un petit peu ce


(18)

que je veux dire quand je dis que mettre en question ce qu’il en est
39
du langage est quelque chose qui parait indispensable à éclairer des
premiers abords de ce dont il s’agit quant à la fonction de
l’inconscient. Car, c’est peut-être bien vrai que l’inconscient ne
fonctionne pas selon la même logique que la pensée consciente. Il
s’agit, dans ce cas-là, de savoir laquelle, à savoir comment ça
fonctionne – non pas moins logiquement – ce n’est pas une
prélogique, non, c’est une logique plus souple, une logique plus faible
comme on dit chez les logiciens. Mais il ne faut pas se tromper « plus
faible » ça indique la présence ou l’absence de certaines corrélations
fondamentales sur lesquelles s’édifie la tolérance de cette logique ;
mais une logique plus faible, ce n’est pas du tout moins intéressant
qu’une logique plus forte, c’est même beaucoup plus intéressant
parce que c’est beaucoup plus difficile à faire tenir, mais ça tient
quand même. Cette logique, on peut s’y intéresser, ça peut même
être expressément notre objet de nous y intéresser à nous,
psychanalystes, enfin si tant est (tentès) qu’il y en ait.

Il faut que vous pensiez un petit peu à tout ça comme ça


grossièrement, l’appareil langagier qui est là quelque part sur le
cerveau comme une araignée – c’est lui qui a la prise ; ça peut vous
choquer, je veux dire vous pouvez vous demander, mais alors tout
de même, qu’est-ce que vous nous racontez, d’où vient-il ce langage ?
Je n’en sais rien. Je ne suis pas forcé de tout savoir moi. Vous n’en
savez rien non plus d’ailleurs. Vous n’allez pas imaginer que l’homme
a inventé le langage. Vous n’en êtes pas sûr, vous n’avez aucune
preuve. Vous n’avez vu aucun animal humain devenir devant vous
homosapiens comme ça – quand il est homosapiens, il l’a déjà le
langage. Quand on a voulu s’intéresser à ce qu’il en est de la
linguistique – un Monsieur Helmholtz en particulier – on s’est
interdit de poser la question des origines. C’était une décision sage ;
ça ne veut pas dire que c’est une interdiction qu’il faudra toujours
maintenir, mais il est sage de ne pas trop fabuler et on fabule toujours
au niveau des origines. Cela n’empêche pas qu’il se fait tout un tas
d’ouvrages méritoires dont nous pouvons tirer des aperçus tout à fait
40
amusants. Rousseau a écrit là-dessus. Il y a même certains de mes
chers nouveaux amis de la génération de l’École Normale qui veulent
bien me prêter l’oreille de temps en temps qui ont édité un certain
essai sur l’origine du langage chez Jean-Jacques Rousseau, c’est très
amusant, je vous le conseille.

Mais enfin, sur tout ce qui touche à la psychologie, il faut faire


attention. À partir du moment où vous avez cette idée là, cette espèce
de dissociation que j’ai essayé de vous faire sentir ce soir devant vous,
vous pouvez peut-être vous rendre compte ce qu’il y a de futile dans
la psychologie de l’enfant d’un Piaget. Parce que croire que si on
interroge un enfant à partir d’un appareil logique qui est celui de
l’interrogateur qui est lui-même logicien – et même un très bon
logicien Monsieur Piaget – alors on n’a pas à s’étonner qu’on le
retrouve dans l’être interrogé, c’est-à-dire qu’on s’aperçoive
simplement du moment où ça prend ou ça mord chez l’enfant. En
déduire que c’est le développement de l’enfant qui construit les
catégories logiques, c’est une pure et simple pétition de principe.
Vous l’interrogez dans le registre de la logique et il vous répond dans
le registre de la logique. Il est bien clair qu’il ne sera pas à tous les
niveaux entré de la même façon dans le champ du langage, il lui faut
du temps ça c’est certain. Il y a un Monsieur qui s’appelait Vigotski
qui opérait quelque part du (19)côté de Saint-Petersbourg, qui a même
survécu quelques années aux épreuves révolutionnaires mais enfin il
était un tout petit peu comme ça tubard alors il s’en est allé sans finir
ce qu’il avait à faire. Mais il avait très bien repris Monsieur Piaget là-
dessus et pas psychanalyste du tout, il s’était quand même aperçu de
ceci que – chose curieuse – l’entrée de l’enfant dans l’appareil de la
logique ne devait pas être conçu comme un fait de développement
intérieur psychique, mais qu’il fallait la considérer au contraire
comme quelque chose de semblable à sa manière d’apprendre à jouer
si l’on peut dire.

41
Il constate que la notion de concept, ce qui répond à un concept,
c’est quelque chose dans quoi l’enfant n’entre pas avant la puberté
par exemple, pourquoi ça hein ?

La puberté, ça paraît dire une autre catégorie que celle d’une idée
farfelue de la façon dont se mettent à fonctionner les circonvolutions
cérébrales. Il avait très bien aperçu ça dans l’expérience.

Tout ça pour vous dire qu’en fin de compte tout de même je ne


peux pas ne pas avancer ici quoiqu’on m’ait dit… ils exagèrent, moi,
je trouve que vous m’écoutez très bien, vous êtes gentils plus que
gentils parce que quand on est gentil, ça ne suffit pas pour faire qu’on
écoute si bien, alors je ne vois pas pourquoi je ne vous dirais pas des
choses un petit peu plus difficiles.

Pourquoi ai-je introduit comme quelque chose de distinct de ce qui


est du psychisme – la fonction du sujet ? Évidemment, je ne peux
pas vous faire vraiment une théorie. Je veux vous montrer comment
ça s’attache avec le « sujet » dans sa fonction dans le langage, à savoir
une fonction double.

Il y a le sujet qui est le sujet de l’énoncé. Il n’est pas toujours le


sujet de l’énoncé, tous les énoncés ne contiennent pas « je » ; je ne
veux pas toujours dire « celui qui parle » même quand il n’y a pas de
« je ». Il y a un sujet d’énonciation quand vous dites « il pleut », il y a
aussi un sujet même s’il n’est plus saisissable dans la phrase. Tout ça
permet de représenter bien des choses. Le sujet de l’énoncé
évidemment c’est assez facile de le repérer. Cette désignation « je »
ça veut dire celui qui est en train de parler actuellement au moment
où « je » dis « je ».

Le sujet qui nous intéresse, sujet non pas en tant qu’il fait le
discours, mais qu’il est fait par le discours et même fait comme un
rat, c’est le sujet de l’énonciation. Et c’est cela qui me permet
42
d’avancer une formule que je vous donne comme une des plus
primordiales – tout ce que je pense faire ce soir, c’est d’essayer de
vous intéresser un peu – une définition de ce qu’on appelle élément
dans le langage – on a toujours appelé ça l’élément, même en grec,
qui est ce que les stoïciens ont appelé « le signifiant ». J’énonce que
ce qui le distingue du signe c’est que « le signifiant c’est ce qui
représente le sujet pour un autre signifiant », pas pour un autre sujet.

Je ne pense pas faire plus que de vous taper ça dans la main et de


vous dire essayer de le faire fonctionner et puis d’ailleurs vous
pouvez quand même par ci, par là, avoir quelques indications. J’ai
des élèves qui de temps en temps montrent comment ça fonctionne.
L’important (20)n’est-ce pas, c’est que ça nécessite l’admission
formelle, peu importe de savoir où ça crèche, c’est une admission
formelle topologique d’un certain tableau, si vous voulez d’un
tableau que nous appellerons le tableau A. On l’appelle encore
l’Autre quelque fois, dans le voisinage, quand on sait ce que je
raconte, l’Autre avec un grand A lui aussi et qui est à définir pour
que ça fonctionne pour qu’on puisse se repérer quant au
fonctionnement de ce sujet comme le lieu de la parole. Je veux dire
non pas là où la parole s’émet, mais là où elle prend sa valeur de
parole, c’est-à-dire où elle inaugure la dimension de la vérité. C’est
absolument indispensable pour faire fonctionner ce dont il s’agit. On
s’aperçoit alors vite que ça ne peut pas aller tout seul pour toutes
sortes de raisons. La principale en est qu’il arrive que cet Autre dont
je vous parle, soit représenté par un vivant réel auquel vous avez par
exemple des choses à demander, mais ce n’est pas forcé. Il suffit que
ce soit celui à qui vous disiez quelque chose comme « plut au ciel que
n’importe quoi » et que vous employiez l’optatif ou même aussi le
subjonctif. Eh bien, ce lien de vérité prend une toute autre portée
parce que déjà le seul énoncé que je viens de vous dire vous le fait
sentir. Nous nous introduisons dans cette référence à la vérité tout à
fait spéciale qui est celle du désir. Cette logique du désir, celle qui
n’est pas à l’indicatif, elle n’a jamais été poussée très loin. On a
43
commencé des choses qui s’appelaient logiques modales, on n’a
jamais poussé les choses très loin, sans doute pour ne pas s’être
aperçu de la nécessité du tableau A, à savoir que le registre du désir
est à constituer au niveau de ce tableau, en d’autres termes, que la
référence du désir est toujours ce qui s’inscrit comme désir, en tant
que conséquence de l’articulation langagière au niveau de l’Autre. Au
désir de l’homme, comme j’ai dit un jour où il fallait que je me fasse
entendre, parce que pourquoi n’aurai-je pas dit « homme », mais
enfin, ce n’est pas vraiment le bon mot, que le désir si vous voulez
tout court est toujours le désir de l’Autre. Ceci veut dire qu’en
somme, nous en sommes toujours à demander à l’Autre son désir.
C’est tout à fait maniable, ce n’est pas incompréhensible, ce que je
suis en train de vous dire. Quand vous sortirez d’ici, vous vous
apercevrez tout de suite que c’est vrai, que simplement il suffit d’y
penser, de le formuler comme ça. Et puis, c’est des formules tout à
fait pratiques, vous savez, parce qu’on peut les renverser.

Un certain sujet, dont le désir est que l’Autre lui demande – c’est
simple ça, on renverse, on bascule – eh bien, vous avez la définition
du névrosé, voyez comme ça peut être pratique quand même pour
se diriger. Seulement évidemment il faut regarder ça de très près. Ça
ne se fait pas en un jour. Vous pouvez d’ailleurs aller plus loin et
vous apercevoir du même coup pourquoi le religieux a pu être
comparé au névrosé. Il n’est pas du tout névrosé le religieux, il est le
religieux, mais ça ressemble parce que lui aussi est en train de
combiner des trucs autour de ce qui est bien le désir de l’Autre,
seulement comme c’est un autre qui n’existe pas puisque c’est Dieu,
il faut se donner une preuve. Alors, on feint qu’il demande quelque
chose, par exemple des victimes. C’est pour ça que ça vient se
confondre tout doucement à l’attitude du névrosé en particulier pour
ce qui est de l’obsessionnel. Ça ressemble énormément à toutes les
techniques des cérémonies victimatoires. Enfin, c’est pour vous dire
que c’est des choses tout à fait maniables et qui non seulement ne

44
vont pas à l’encontre de ce qu’a dit Freud, mais même le rendent
tout à fait lisible.

Je veux dire que ça sort de la lecture même de Freud si


(21)
simplement on veut bien ne pas le lire à travers la coupe
parfaitement opaque dont se servent d’ordinaire les psychanalystes,
tout ça pour leur tranquillité personnelle parce que bien entendu
vous voyez qu’il suffit de pousser un tout petit peu le jeu pour
s’apercevoir qu’on entre dans des terrains très scabreux et puis qui
renouvellent un peu la matière.

Ce n’est pas parce qu’on s’aperçoit d’un lien entre le névrosé et le


religieux qu’il faut faire une collusion qui serait un peu rapide en les
accolant ensemble. Il faut tout de même voir qu’il y a une nuance :
savoir pourquoi c’est vrai, jusqu’où c’est vrai, pourquoi ça ne l’est
pas tout à fait. Ça ne veut pas dire qu’on va contre Freud, ça veut
dire justement qu’on s’en sert, qu’on s’aperçoit pourquoi ça avait une
portée ce qu’il racontait de si opaque. De si opaque parce que le
pauvre il était là comme il disait comme un archéologue, il faisait des
trous, des tranchées et puis il récoltait des objets. Peut-être même
qu’il ne savait pas très bien ce qu’il fallait faire à savoir laisser les
choses in situ ou emporter tout de suite ça sur son étagère. Ça permet
de voir ce qu’il y a effectivement de véridique dans cette recherche
de la vérité d’un nouveau style, celle qui a commencé avec Freud.
Alors par conséquent, cette référence au désir de l’Autre surtout si
vous avez obtenu – bien sûr il a fallu prendre le temps pour ça – une
construction tout à fait correcte du désir en fonction du langage,
vous l’avez rattachée à ce qui est sa base linguistique fondamentale
qui s’appelle la métonymie. Vous avancez alors de façon beaucoup
plus rigoureuse dans le champ à explorer qui est le champ de la
psychanalyse. Vous pouvez même très bien vous apercevoir du
véritable nerf de quelque chose qui reste si opaque, si obtus, si
obstrue dans la théorie psychanalytique, c’est que si évidemment
c’est dans le champ de l’Autre que se constitue le désir, que si « le
45
désir de l’homme c’est le désir de l’Autre », il arrive qu’il faille bien
que son désir à l’homme soit le sien propre. Eh bien, comme vous
vous êtes exercé à quelque chose auparavant, vous êtes en état de
voir les choses d’une façon moins précipitée comme on le fait
d’abord, moins acharnée à tout de suite en trouver des raisons
anecdotiques. Quand le désir de l’homme, il faut bien qu’il s’extraie
du champ de l’Autre et que ce soit le mien eh bien il arrive quelque
chose de très drôle, il s’aperçoit qu’en tant que c’est à lui maintenant
de désirer eh bien il est il châtré, le complexe de castration c’est ça.
Ça veut dire que quelque chose se produit nécessairement dans la
signifiance qui est cette sorte de perte qui nécessite que quand
l’homme entre dans le champ de son propre désir en tant que désir
sexuel il ne peut le faire que par le médium de cette sorte de symbole
qui représente la perte d’un organe en tant que dans l’occasion il
prend fonction signifiante, fonction de l’objet perdu.

Si vous voulez quand même que je dise quelque chose pour vous
calmer parce que bien sûr vous allez dire que là j’avance quelque
chose qui n’est pas plus transparent pour ça, mais moi je ne cherche
pas la transparence, je cherche d’abord à coller à ce que nous
trouvons dans notre expérience et quand ce n’est pas transparent et
bien tant pis.

Il faut bien l’admettre d’abord. Seulement évidemment, on n’est


pas habitué. Ça gêne alors pour la reconquérir de quelque façon,
pour la rattraper cette transparence on invente toutes sortes
d’histoires à dormir debout compris les menaces des parents qui
seraient les responsables en cette occasion comme s’il suffisait que
les parents disent quelque chose comme cela pour qu’une structure
aussi fondamentale, aussi générale que le complexe de castration en
résulte.

Cela va au point d’ailleurs que la femme s’en invente un de


(22)

phallus, qui s’appelle phallus revendiqué, phallus du pénis…


46
uniquement pour ça, pour se considérer comme châtrée, ce qu’elle
n’est justement pas la pauvrette au moins quant à ce qui est de cet
organe puisqu’elle ne l’a pas du tout. Qu’elle ne nous raconte pas
qu’elle en a un petit bout, ça ne sert à rien.

Alors je vais quand même vous dire quelque chose qui va vous
rendre ça un peu plus compréhensible. C’est peut être tout
simplement parce que ce désir quand c’est bien du sien qu’il s’agit, il
ne peut pas être eu, être quelque chose qu’on a comme après tout un
organe maniable. Il ne peut pas être à la fois l’être et l’avoir. Alors ce
quelque chose qui est en fonction au niveau du désir, c’est peut-être
ça justement à quoi sert l’organe, il est l’objet perdu parce qu’il vient
là à la place du sujet comme désir, enfin c’est une suggestion. Là-
dessus, ramenez la paix dans votre esprit et surtout tempérez ce qui
peut paraître là une sorte de hardiesse alors qu’il s’agit simplement
d’essayer de formaliser correctement ce qui est tout simplement
l’expérience que nous avons à contrôler tous les jours.

Nous avons des élèves qui viennent nous raconter des histoires de
leurs patients qui s’aperçoivent qu’après tout avec le langage de
Lacan on entend non seulement aussi bien les malades qu’avec le
langage qui est répandu et diffusé par les instituts autrement
constitués et même qu’on l’entend mieux. Quelquefois il arrive que
les patients disent des choses vraiment astucieuses, c’est le discours
de Lacan lui-même qu’ils disent seulement si on n’avait pas entendu
Lacan avant on n’aurait même pas écouté le malade et on aurait
entendu dire c’est encore de ces types de malades mentaux qui
débloquent ; bon, alors passons à la fin.

La fin de mon enseignement. Si j ai employé le mot de fin, ce n’est


pas que nous allons faire ici du drame. Il ne s’agit pas du jour où ça
fera « couic », non, la fin c’est le « télos », pourquoi c’est fait. La fin
de mon enseignement, eh bien ce serait de faire des psychanalystes à
la hauteur de cette fonction qui s’appelle le sujet parce qu’il s’avère
47
bien qu’il n’y a qu’à partir de là, de ce point de vue qu’on voit bien
ce dont il s’agit dans la psychanalyse. Ça peut vous paraître pas
tellement clair, ça des psychanalystes qui soient à la hauteur du
sujet – c’est vrai.

Je vais essayer de vous amorcer ce qu’on peut en déduire dans la


théorie de la psychanalyse didactique. Ce serait déjà une pas
mauvaise préparation qu’ils fassent déjà comme ça un peu de
mathématiques où le sujet est là fluide et pur accroché, coincé nulle
part, ça les aiderait, ils s’apercevraient justement qu’il y a certains cas
où ça ne circule plus parce que justement le sujet comme l’Autre
vous l’avez vu tout à l’heure, l’Autre là parait scindé du lieu de la
vérité d’une part et du désir de l’Autre d’autre part. Pour le sujet,
c’est pareil. Un sujet d’après le langage c’est celui que l’on arrive à
purifier si élégamment dans la logique mathématique seulement il
reste toujours quelque chose à citer qui est « d’avant ». Fabriqué par
un certain nombre d’articulations qui se sont produites et d’où il est
tombé comme un fruit mûr de la chaîne (23)signifiante, le sujet déjà
quand il vient au monde, il tombe d’une chaîne signifiante, peut être
compliquée, en tout cas élaborée, et c’est elle très précisément à
laquelle est sous-jacente ce que l’on appelle le désir des parents qu’on
peut difficilement ne pas faire rentrer en ligne de compte dans le fait
de sa naissance même quand ce désir était justement qu’il ne naisse
pas et surtout dans ce cas-là. Enfin il y aurait un minimum c’est que
les psychanalystes s’aperçoivent de ce qu’ils vont  ; ils sont
poètes, c’est ce qu’il y a de drôle, c’est même très drôle. Je vais
prendre le premier exemple venu.

Je me sers comme ça un petit peu des notes que j’ai prises dans le
train en pensant à vous, naturellement j’en rajoute, j’en retire. Il n’y
avait pas que mon papier dans le train, il y avait aussi un France-Soir
qui traînait alors je regarde ça. Claudine, vous savez la jolie française,
je ne sais pas si on l’a étranglée ou poignardée, en tout cas il y a un
américain qui a foutu le camp en vitesse et qui est actuellement dans
48
une maison de santé, grand bien lui fasse. Réfléchissons, il est dans
une maison de santé, il y a un psychanalyste qui va le voir, enfin ça
peut arriver parce qu’il est d’une très bonne société. Bon, alors
qu’est-ce qu’on va trouver ? On va trouver qu’il y avait le L.S.D.
parce qu’il paraît qu’il en était bourré-bourratif au moment où ça
s’est passé.

Il y a le L.S.D., mais enfin quand même, le L.S.D. ne doit pas


complètement chahuter les chaînes signifiantes, enfin, espérons le en
tout cas pour que nous trouvions quelque chose qui soit recevable.
On va trouver cette impulsion meurtrière comme on dira et que c’est
une chose qui s’articule parfaitement avec un certain nombre de
chaînes signifiantes qui ont été tout à fait décisives à tel ou tel
moment de son passé. Mais dites donc, c’est le psychanalyste qui dit
ça, parce qu’après tout pour quoi est-ce qu’on ne dirait pas tout
simplement, il a bousillé la fille et puis c’est tout quoi. C’est aussi vrai
que de s’apercevoir qu’il y a à cela des causes quelque part au niveau
de la chaîne signifiante. Le psychanalyste dit ça hein, mais le plus fort
c’est qu’on le croit. Je vous demande bien pardon, on le croit. Si on
ne le croit pas, on est mal vu, on n’est pas à la page. Il faudrait savoir
ce que ça signifie justement qu’on le croie. En tout cas, lui, ça devrait
l’inciter à une certaine critique par exemple dans ce qui est tout à fait
analogue. Car je n’anticipe pas bien entendu sur la bienveillance des
juges anglais. C’est que quand il s’agit du transfert par exemple, c’est
le psychanalyste qui dit que le transfert ça reflète quelque chose qui
était dans le passé, c’est lui qui le dit. La règle du jeu, c’est de le croire,
mais après tout pourquoi ?

Pourquoi aussi, ce qui se passe actuellement dans le transfert ça


n’aurait pas sa valeur propre ? Il faudrait peut-être trouver un autre
mode de référence pour justifier cette préférence donnée au point
de vue du psychanalyste sur le sujet des faits et de ce qui se passe.

49
Vous savez, ce n’est pas moi qui ait inventé ça. Il y a un
psychanalyste américain – ils ne sont pas tous idiots – qui vient
exactement de faire ces remarques dans un numéro relativement
récent du Journal Officiel de la Psychanalyse.

Un petit exemple parce que je veux terminer sur des choses comme
on dit comme ça vivantes. Un patient – je vous passe à la suite de
(24)
quoi il vient sortir un truc pareil – il dit « si j’avais su, j’aurais pissé
au lit plus de deux fois par semaine ». C’était à la suite de toute une
série de considérations sur des privations diverses et après qu’il fut
allégé comme ça d’un certain nombre de dettes dont il se sentait
chargé, il se trouvait bien à l’aise et il émettait assez étrangement ce
regret de ne pas avoir fait ça plus souvent alors voyez-vous là je suis
tout à fait frappé d’une chose, c’est que le psychanalyste ne se rende
pas compte de la position décisive qu’il a en articulant
« nachträglich » comme s’exprime Freud un « après coup » qui fonde
la vérité de ce qui a précédé. Comme il ne le sait pas vraiment ce qu’il
fait parce que inutile de vous dire que l’après-coup, hein, l’après-coup
que vous pouvez trouver dans les premières pages d’un certain
vocabulaire qui est sorti il n’y a pas très longtemps, l’après-coup,
personne ne l’aurait jamais mis dans un vocabulaire freudien encore
que ce « nachträglich » y soit à toutes les pages de Freud, personne
ne l’aurait jamais mis si moi je ne l’avais pas sorti dans mon
enseignement parce que personne avant moi n’avait jamais remarqué
la portée de « nachträglich » qui est pourtant très important à
détacher parce que dans ce cas-là aucun psychanalyste ne se fait la
réflexion, je veux dire que jamais n’a été même écrit ceci qui est
pourtant dans la droite ligne de ce qu’il fait comme psychanalyse à
savoir que du seul fait que vous savez écouter quand on vous dit :
« Dieu du ciel, pourquoi ne pisse-je pas au lit plus de deux fois par
semaine », ça veut dire que dans son énurésie le fait de ne pisser que
deux fois par semaine est aussi à considérer et que de ceci aussi il
faut rendre compte, à savoir de ce chiffre deux introduit en
corrélation avec le symptôme énurétique. Peut-être que si on savait
50
comme ça utiliser ce qui n’est que la simple conséquence de la
cohérence de la pensée avec elle-même…

Quand la pensée n’est pas trop empirique, elle ne consiste pas à


« bailler aux corneilles » et à attendre que les inspirations vous
viennent devant des faits dont d’ailleurs comment même dire que
nous serions en présence de purs et simples faits dans une situation
aussi articulée, aussi interventionniste, aussi artificielle qu’est la
psychanalyse. Ce n’est pas parce que le psychanalyste ne bouge pas
et les trois quarts du temps les quatre vingt dix neuf centièmes du
temps la boucle qu’il faut considérer que c’est une expérience
d’observation ; c’est une expérience où le psychanalyste est dans le
coup et d’ailleurs il n’y a aucun psychanalyste pour même oser tenter
de le nier seulement il faut savoir ce qui se fait et moins là que partout
ailleurs, méconnaître le vrai ressort d’une structure scientifique, c’est
sa logique et non pas sa face empirique.

À partir de ce moment-là, on pourra peut-être commencer à voir


quelque chose. Et, peut-être, que le psychanalyste sera d’autant plus
fortement appuyé dans son assiette qu’il pourra n’être pas
simplement un psychiatre parce que figurez-vous que ce fameux
petit « d » de « A », ce désir de l’Autre nous n’avons aucune raison
de le limiter uniquement au champ de la pratique psychanalytique.
On pourrait peut-être s’apercevoir que s’il n’y a pas de conscience
collective, la fonction du désir de l’Autre est tout a fait essentielle à
considérer et spécialement de notre temps quant à l’organisation des
sociétés. Conséquence qui résulte de l’institution que l’on appelle
communément le communisme, un désir de l’Autre fondé sur une
justice au sens distributif du terme. C’est quelque chose dont on
pourrait peut-être apercevoir plus d’une corrélation, celle avec le
sujet de la science d’un côté, celle avec d’un autre côté ce qu’il en
résulte au niveau du rapport à la vérité. Est-ce qu’il ne serait (25)peut-
être pas curieux enfin d’essayer de voir la corrélation qu’il y a entre
une certaine instauration du désir de l’Autre comme tel au sommet
51
d’un régime et le fait que pendant un temps considérable il est de
règle de tenir mordicus pour un certain nombre, un nombre
considérable, un nombre toujours plus étendu de purs et simples
mensonges. Ne croyez pas, hein, que je sois en train pour l’instant
de tenir des propos « anti-coco ». C’est pas de ça du tout dont il s’agit
parce que je vais vous poser une autre énigme à savoir l’autre côté
où le désir de l’Autre est fondé sur ce qu’on appelle la liberté, c’est-
à-dire l’injustice est-ce que vous croyez que ça vaut mieux le résultat
dans ce pays où l’on peut tout dire, même la vérité, mais où
quoiqu’on dise, ça n’a en aucun cas aucune espèce de conséquences ?

Je voulais simplement terminer là-dessus pour vous dire peut-être


qu’il viendra un temps où l’on s’apercevra qu’être psychanalyste ça
peut être une place dans la société qui sera tenue, je l’espère, j’en suis
sûr, si elle est jamais tenue au présent par les psychanalystes
embardés dans leur petite boutique à malice.

Parce que, évidemment, c’est peut-être une mode, une mode


d’abord scientifique concernant les choses qui se rapportent au sujet.
Elle va cependant devenir de plus en plus utile à préserver au milieu
de ce mouvement toujours accéléré dans lequel notre monde entre.

H. MALDINEY. – Comment discuter votre discours ? II faudrait


le faire pour une pluralité de points, s’insinuer aux articulations…
On ne peut pas le faire pour tout. Je vous poserai une simple
question sur la distinction de vos deux sujets. Il semble que vous
simplifiez abusivement le premier, celui justement qui n’a pas de
sens lexical, celui qui n’est déterminé que par l’acte de prendre la
parole, celui qui n’est pas simplement déterminé par l’ensemble
des possibles semantèmes du mot – qui du reste ne sont jamais
purs – ni par l’ensemble des morphèmes, mais par le possible
d’une situation.

52
Il me semble qu’à le négliger vous vous montrez ici en opposition
avec Heidegger que vous citiez tout à l’heure car l’→1 de
Heidegger est fondamentalement présence et articulation avant
d’être structure morphologique, avant d’être sens. Elle est
originairement souveraine dans le concret et hors du
comprendre, dans la situation elle même : aussi bien ce « je » qui
prend la parole et ce « tu », cette altérité dont il a besoin, qui lui
est nécessaire car si tout est clair il n’y a plus rien. Je veux dire
que s’il n’y a pas cette résistance de l’autre il ne peut pas s’y
retrouver lui-même. Or ce « je » qui est ainsi institué échappe à
la législation du langage sauf dans une logique de la prédication
et je trouve qu’avec la logique de votre exposé, en définissant le
sujet de l’énoncé, vous entrez dans un système de prédication.
Or ce n’est tout de même qu’une forme de logique, la logique de
la prédication, et c’est sûrement une logique de l’objet plus
qu’une logique du rapport sujet-objet.
Précisément cette objectivation qui est présente dans cette
logique me paraît tout à fait contraire à la notion même d’insight !
Car elle n’est que le deuxième temps d’une singularisation de
cette fonction beaucoup plus fondamentale qui est celle d’être au
monde. Or être au sein même de cette logique et être au monde
ce n’est pas tout à fait la même chose : vous risquez de rester à
l’intérieur du champ de « l’acquis » pour parler comme Husserl.
Et le rapport à la chose, l’articulation des choses elle-même,
perpétuellement présente chez Heidegger, je ne vois pas bien
quelle présence elle peut avoir si le langage devient véritablement
le signe, je dirai, la forme même de l’absolu, au-delà du principe
de réalité, ce qui est contraire à la « Verneinung2 » de Freud dont
vous avez fait…

1
. Dans question II, Martin Heidegger précise p. 191 : → peut être
traduit par « pouvoir originaire » (et non) « l’archaïque ».
2
. Verneinung : dénégation.
53
LACAN – Je n’ai pas parlé aujourd’hui le moindrement du monde
de la « Verneinung ».

MALDINEY – Non, et pourtant si, étant donné que le


refoulement n’est pas levé par le sens intellectuel de la
représentation et que c’est le sens qu’on obtient par le langage. Il
me semble que le langage lui-même n’est pas contemporain, ne
naît pas simplement avec le temps. En général le langage fait
l’économie du temps, le sens au fond est réversible, or c’est dans
le présent seul que vous pouvez récupérer ce quelque chose qui
n’est pas simplement dans le sens…

LACAN – Je vous en supplie n’en jetez plus. Je ne me suis pas


réclamé de Heidegger pour autant que je me suis permis de le citer
pour trouver une formule frappante. A supposer que certaines
personnes de mon auditoire aient même pensé à ce rapport, j’ai tout
de suite dit : je prends cette formule, ce qu’Heidegger en fait est une
autre question mais ce que j’en fais ici voilà. D’autre part je vois mal
pour répondre à ce qui me semble l’essentiel de ce que vous m’avez
dit, je vois mal pourquoi vous dites que je sacrifie ce sujet de
l’articulation, de l’ → de la situation, du sujet en tant qu’il parle,
qu’il entend, en tant qu’il entre dans la situation présente, en tant
qu’il est l’être au monde, comme vous dites, puisque c’est
précisément pour ça que je parle de division du sujet.
Je dis – c’est toute la portée même de ce que j’instaure – que le
sujet, tout en étant le sujet, il se trouve qu’il ne fonctionne que
comme divisé – je dois même vous dire que cette division du sujet
(27)
je lui consacre, je la dénonce, je la démontre par de toutes autres
voies bien sûr que celle dont – réduite – je me suis servi ici et qui
d’ailleurs ne répondait pas absolument de la division elle-même. Car
il aurait fallu que je fasse quelque chose dont je me suis
complètement interdit même d’apporter ce soir la référence, car il ne
faut pas penser que j’ai parlé de ce que, si vous me permettez,

54
j’appellerai pour aller vite non seulement mon enseignement mais
ma doctrine et de ce qui en résulte, ça je n’ai point pu le faire.
Dans cette division il y a un élément causal qui est ce que j’appelle
l’objet petit « a3 » – y a ceux qui ont déjà entendu ça et y a ceux qui
ne l’ont pas entendu – ceux qui ne l’ont pas entendu ça peut leur
paraître une bizarrerie surtout que je n’ai vraiment pas le temps
même d’évoquer de quel ordre4 ça peut être, que ça a un rapport le
plus étroit avec la structure du désir. En tout cas cet objet petit « a »
est à la même place où se révèle cette singulière absence phallique, à
la racine de ce que j’ai voulu ici mettre au centre, parce que c’est le
centre de l’expérience analytique, de ce que j’ai appelé comme tout
le monde la castration.
Alors pour dire que ce sujet était divisé j’ai simplement indiqué ses
deux positions par rapport à la fonction du langage. À savoir que
notre sujet tel qu’il est peut revendiquer la primauté, c’est le sujet qui
parle si vous voulez, mais qu’il ne sera jamais possible de le tenir
pour purement et simplement initiateur, libre de son discours pour
autant qu’en étant divisé il est lié à cet autre sujet qui est celui de
l’inconscient et qui se trouve être dépendant d’une structure
langagière. La découverte de l’inconscient c’est cela. Ou ceci est vrai
ou ceci n’est pas vrai mais si c’est vrai c’est ce qui interdit, même à
Monsieur Heidegger de parler toujours d’une certaine même façon
de ce qu’il en est du sujet. D’ailleurs laissez-moi vous dire que si nous
entrons dans une controverse heideggerienne je me permettrai
d’avancer ici que pour Heidegger l’emploi qu’il fait du terme de sujet
est loin d’être homogène.

MALDINEY – Il ne l’emploie presque jamais.


3
. « La fin de notre enseignement, pour autant qu’il poursuit ce qui se peut
dire et s’énoncer du discours analytique, est de dissocier le a et le A en
réduisant le premier à ce qui est de l’imaginaire, et l’autre à ce qui est du
symbolique » écrit J. Lacan dans le Livre XX Le Séminaire Encore, p. 77,
Éd. Le Seuil.
4
. Jacques Lacan fait ici allusion à ce qu’il appelle l’ordre du Symbolique.
55
LACAN – Exactement. Moi je l’emploie…

MALDINEY – Avec vos raisons.

LACAN – Avec mes raisons, celles que je suis en train d’essayer de


vous articuler. Vous m’avez fait dans la ligne de cela un certain
nombre d’objections en faisant intervenir quelques registres de la
doctrine freudienne, le refoulement, la Verneinung et bien d’autres
choses.
II est bien évident que tout ça a joué son rôle, est passé au crible
de ma réflexion, de ma réflexion, au cours des 17 ans, je m’excuse,
depuis que dure ce que je suis venu ici présenter – non pas présenter
mais évoquer – dans trois références que j’ai appelées
successivement place, origine et fin de mon enseignement. Ces
objections que vous pouvez élever sont des objections d’une certaine
perspective gardant bien sûr toute leur présence. Mais ça
nécessiterait sûrement un beaucoup plus long dialogue que nous ne
pouvons le faire ici pour que je puisse au moins vous démontrer que
je n’ignore rien de ce que vous entendez là préserver.

MALDINEY – Je ne nie pas ce que vous dites de l’inconscient. De


même que vous en faites un langage, Husserl en fait des
« inactualités ». Et par conséquent à ce moment-là on ne peut
avoir, non pas un dialogue, mais disons seulement un double
monologue entre l’articulé…

LACAN – Ça n’est pas spécifique de ce qui se passe entre


philosophes, entre mari et femme c’est pareil.

56
1968.04.20. Mon enseignement, sa nature et ses fins.
Bordeaux
My teaching, its nature and its ends
I agreed to visit a psychiatric clinic because I had good cause to
presume that it was not without reason that I had been asked to
take part in what we call in modern jargon a colloquium.
Not bad, that term. I quite like it. We talk together, in the same
place, I mean. That does not necessarily mean that we think. Each
of us talks because we are in the same place: we co-loquate.
'Colloquium' is an unpretentious term, unlike the term idialogue'.
Being in dialogue is one of the most enormous pretensions of our
times. Have you ever seen people in dialogue?
Occasions when we speak of dialogue are always a little bit like
domestic quarrels.
So I was hoping to co-loquate. But given that there are so many
of you, that will be much more difficult than I thought.
The fact is that I have prepared nothing that is especially intended
for you. If I had come here to say something in front of you and
found only silence in your presence, I would feel that I was
imitating the woman sowing seeds [la semeue]5. But just because
you are sitting in rows does not mean that they are furrows, and
nor does it mean that the seeds are sure to find soil where they can
grow. That is why I would like some of the people who are sitting
on the tiers in this room to be good enough to ask me a question.
It's highly unlikely, of course, but that is the request I am making,
as I do whenever, and it is not that often, I happen to speak in a

5
[la semeuse: the female figure of the sower that appeared on some (pre-Euro)
French banknotes.]
57
context that is, it has to be said, unfamiliar to me, because I do not
think many of you have been following what I teach.

1
What I teach has caused something of a stir.
That dates from the day — and thank God I put it off for as long
as I could — I collected together something I had to call Ecrits, in
the plural, because it seemed to me that that was the simplest term
to designate what I was going to do.
I brought together under that title the things I had wrritten just to
put down a few markers, a few milestones, like the posts they
drive into the water to moor boats to, in what I had been teaching
on a weekly basis for twenty years or so. 1 don't think I repeated
myself much. I'm quite sure I didn't, because I made it a rule, a
sort of imperative, never to say the same things more than once.
That, I think you will agree, is quite a feat.
In the course of those long years of teaching, from time to time I
composed an ecrit and it seemed to me important to put it there
like a pylon to mark a stage, the point we had reached in some
year, some period in some year. Then I put it all together. It
happened in a context in which things had gained ground since the
time when I started out in teaching.
I was speaking for the benefit of people it concerned directly, for
the specific people who call themselves psychoanalysts. It had to
do with their most direct, most day-to-day, and most urgent
experience. It was done expressly for them, and it's never been
done for anyone else. But it is true that it had occurred to me that
it might be of interest to people to whom it was not addressed and
whom it did not concern at all. Any production of this nature
58
always has an exemplary character to the extent that it faces up to
a difficulty you can sense, a real thing, a concrete thing, to use
another fashionable word. Even if you do not understand it very
well, reading what I have written has an effect, holds your interest,
is of interest. It is not that often that you read an ecrit that is
necessarily something urgent, and which is addressed to people
who really have something to do, something it is not easy to do.
It is primarily for that reason, I suppose, that, if we approach them
from a different angle, we can agree to consider these Ecrits
unreadable; people at least pretend to read them, or to have read
them. Not, naturally, the people who supposedly do that for a
living, or in other words the critics. Reading them would force
them to prove their worth by writing something that might at least
have something to do with what I am advancing, but at that point
they become suspicious. As you may have noticed, this book has
not had many reviews. Probably because it is very thick, difficult
to read, obscure. It is not designed for everyday consumption at
all. You might say to me that that remark might suggest I'm
making excuses. It might mean that I'm saying I should have
produced a book for everyday consumption, or even that I'm going
to. Yes, it is possible. I might try to. But I am not used to that. And
it is by no means certain that it would be a success. Perhaps it
would be better if I did not try to force my talent. And I do not find
it particularly desirable in itself, because what I teach will indeed
eventually become common currency. There will be people who
wall get down to it, who will put it about. That is obviously not
quite the same thing, and it will be a bit distorted. They'll try to
introduce it into the hubbub.

59
They will do all they can to reposition it in relation to a certain
number of those very solid convictions that suit everyone in this
society, as in any society.
I have no intention of making criticisms of the society in which
we live here. It is no better and no worse than any other. Human
society has always been a folly. It's none the worse for that. It has
always been like that, will always be like that. After all, it has to
be admitted that a fair number of ideas are increasingly spineless.
Everything is a continuation of everything else. It even ends up
making each and every one of us feel a bit sick. At lunch just now,
in the little circle of people who have given me such a kind
welcome, we were talking about what they call TV, the thing that
allows you to catch up with the world scene at any moment, to
keep up with everything cultural. Nothing cultural will escape you
any more.
While we're on the subject, I would like to draw your attention to
a major difference, which has perhaps not been emphasized
enough, between man and the animals. It is worth mentioning
precisely because wre forget about it. I am talking about a
difference in the context of nature because I really do not wrant to
dabble in cultural anthropology.
Unlike what happens at every level of the animal kingdom —
which starts with elephants and hippos and ends with jellyfish -
man is naturally characterized by the extraordinary
embarrassment he feels about — what should we call it? By the
simplest name we can find, by God — the evacuation of shit.
Man is the only animal for whom this is a problem, and it's a
prodigious one. You don't realize, because you have little devices
that evacuate it. You have no idea where it goes afterwards. It all
60
goes through pipes and is collected in fantastic places you have no
idea of, and then there are factories that take it in, transform it and
make all sorts of things that go back into circulation through the
intermediary of human industry, and human industry is a
completely circular industry. It is striking that there is not, to my
knowledge, any course on political economy that devotes a lesson
or two to it. This is a phenomenon of repression which, like all
phenomena of repression, is bound up with the need for decorum.
Trouble is, we don't really know which decorum.
There is a man of wit I met a very long time ago, and I'm sorry I
didn't know him better. He's quite well known. Aldous Huxley. He
was a charming man, of good family, and he wasn't entirely stupid,
not at all stupid in fact. I don't know if he is still alive. Get hold of
his Adonis and the Alphabet. There's a French translation,
published by Stock, if memory serves. The title obviously does
not announce the chapter it contains on what I've just been talking
about: waste disposal.
Talking about this is always shocking, even though it has always
been part of what we call civilization. A great civilization is first
and foremost a civilization that has a waste-disposal system. So
long as we do not take that as our starting point, we will not be
able to say anything serious.
Amongst those people we have for some time called primitive,
though I have no idea why we call them that because they have
none of the characteristics of primitiveness at all, or let's say the
societies that social anthropologists study — even though, now
that the theoreticians have put their oar in and go on about the
primitive, the archaic, the pre-logical and all that bullshit, no one
understands them any more — well, there are few problems with
waste disposal. I am not saying there aren't any. And perhaps it is
61
because they have fewer of these problems that we call them
savages, or even noble savages, and we regard them as people who
are closer to nature.
But when it comes to the equation great civilization = pipes and
sewers, there are no exceptions. There were sewers in Babylon,
and Rome was all sewers. That's how the City began, with the
Cloaca maxima. It was destined to rule the world. So we should
be proud of it. The reason why we are not is that, if we gave this
phenomenon what we might call its fundamental import, we
would find the prodigious analogy that exists between sewage and
culture.
Culture is no longer a privilege. The whole world is more than
covered in it. Culture clots on you. Because we are cooped up in
the great shell of waste that comes from the same place, we make
vague efforts to give it a form. What does that come down to? To
great ideas, as they say. History, for example.
It comes in handy, does history. It doesn't have just one meaning;
it has a thousand and one meanings. There are people who look to
it as a support. Not that they would bother to see what Hegel has
to say on the subject, of course. There were others before him,
Bossuet, for example. He put everything in the hands of
Providence.
That at least was clear. I have to say that I have a high opinion of
the Discourse on Universal History. First, because it was that that
inaugurated the genre, and it did so on the basis of clear principles.
It is God who pushes the pawns across the board. That really does
deserve to be called 'history* [histoire]. Everything revolves
around the story [histoire] of what happened to a certain
gentleman. Not bad, it gave other people an appetite for it and

62
made history much more profound. I'm not saying that all these
ideas are unacceptable, but some funny use has been made of
them.
Don't let that make you believe that culture is a goal of which I
disapprove. Far from it. It discharges. It completely discharges us
from the function of thinking. It discharges us from the only thing
that is of any minor interest in that function, which is quite
inferior. I fail to see why we should confer any kind of nobility
upon the phenomenon of thinking. What do we think about?
About things over which we have absolutely no control, things
that we have to turn over, over and over again, turn over seventy
times in the same direction before we manage to understand them.
That's what we call thinking.
As I cogitate, I agitate, rummage around. It only begins to get
interesting when it takes responsibility, when, in other words, it
comes up with a solution, as formalized a solution as possible. If
it does not come up with a formula, a formalization, as
mathematical a solution as possible, we cannot see the interest, or
the nobility. We don't see why it's worth dwelling on.
The point of history is to write the history of thought, I mean, to
get rid of the little efforts, timid efforts but, truth to tell, they're
often scrupulous — that's what survives best — that this one or
that one has made to solve certain problems. As a result, our
professors would be very embarrassed about having to draw a line
and say what they think of the logic of Descartes or a few of those
strays, to say whether it holds up — more to the point than whether
its bloody time is up - but it's much easier to do the history of
thought, which comes down to looking for what they have passed
on from one to another. It's fascinating, especially when it's

63
bullshit, and when you see the sort of thing that has survived. The
mechanism I am pointing out to you works in a very
contemporary way. It is not theory, and I am not here to make a
big thing of theory. You can see that with your own eyes, without
going to university, where that is in fact what they teach when they
say they're doing 'philosophy*.
You know the nonsense they've come up with now. There is
structure, and there is history. The people they've put in the
'structure' category, which includes me — it wasn't me who put
rx\e there, they put me there, just like that — supposedly spit on
history. That's absurd. There can obviously be no structure without
reference to history. But first, you have to know what you are
talking about when you talk about history. I will try to tell you
something about it.
It is always difficult to pin down what is going on in the field of
what we are really cogitating without any misunderstandings. The
words have often been surrounded by all sorts of confusion for a
little too long.
That is what now allows some people to use historical reduction,
which has nothing to do with historical rights, so to speak, with
the function of history. So they come out with questions that have
to do with, not structure, but what they call structuralism.
For example, in the course of a conversation that preceded my
appearance before you, someone, someone very respectable as it
happens, said to me: 'Couldn't you say how you, what you do,
what you advance, relates to structuralism?' I replied: 'Why not?'
So let's set things out properly and trace the process.

64
The function of what we call a cultural trend is to mix and
homogenize. Something emerges and has certain qualities, a
certain freshness, a certain tip. It's a bud.
The said cultural trend kneads it until it becomes completely
reduced, despicable, and communicates with everything.
It has to be said that this is not satisfactory, despite everything.
Not for reasons to do with any internal necessity, but for
commercial reasons. When it has been uprooted, it becomes
exhausted. Although I've been using bad language I think I can
take the liberty of repeating the formula that occurred to me in this
connection. Eating shit is all very well, but you can't always eat
the same shit. So, I try to get hold of some new shit.
The origins of this new fashion, of what you call 'structuralism',
lie in the attempts to lump together men who do not easily fit into
their categories, who've stayed in the smaDest room. You would
have to study all the processes, all the resistance functions that left
them isolated, and then associated, assimilated them, stuck them
together. I've had the insane good luck to be one of them, and I
feel fine about it. These are people who went about things a little
more seriously. Well done, Levi- Strauss. They won't be able to do
as well as that in the future, that's for sure. It's overwhelming. And
then there are others. They change them from time to time.
For the moment, they are making a serious effort to get all that
into general circulation, really trying. Oh yes, it's not a bad
solution. Until now I've held out against this operation, because
they don't quite know what to make of what I'm saying. They don't
know because, with good reason, they really have no idea of what
it concerns, even though it seems to them that it's something like
that.

65
They have to struggle to resorb it like they do with everything else,
but they don't know how to.
They'll find a way. Especially if I help them.

2
It is obvious that what 1 teach has to do with what we call the
psychoanalytic experience.
They want to transport all that into, I don't know, something that
doesn't put it in any position to know, what they call by a nice
name that sounds like a sneeze, a Weltanschauung. Far be it from
me to be so pretentious. That's what I hate most. I'll never indulge
in that, thank God. No Weltanschauung. And all the rest of those
Wehanschauungen, I loathe them.
What I teach has to do with something very different, with
technical procedures and formal details concerning an experience
that is either very serious, or an incredible errancy, something
mad, demented. And that is what it looks like from the outside.
The basic thing about analysis is that people finally realize that
they've been talking nonsense at full volume for years.
For my part, I try to show, by starting out from what clarifies its
raison d'etre^ why it lasts, why it goes on, why it ends up as
something that is very often not at all what they think they have to
announce to the outside world, what they claim to owe to the way
it operates. It's obvious that this is a discursive operation, a
discourse-operation. You'll say to mc that some people go through
their whole analysis without saying anything. If that's the case, it's
an eloquent silence.

66
We did not have to wait for analysis to take an interest in
discourse. Indeed, discourse is the starting point for anything
scientific. It's not enough to imagine philosophy in the register I
was just telling you about, namely how beautiful thoughts were
passed on down the ages. That is not what this is about. The
purpose of philosophy is to specify the extent wre can extract
things that are certain enough to be described as science from a
discourse-operation.
It's taken time for a science to emerge: our science, which has
certainly proved its worth — though what it proves remains to be
seen, though it has proved effective, It's all about perfecting the
correct use of discourse, and nothing more.
And what about experience, you say? The whole point is that
experience is constituted as such only if we start out by asking the
right question. We call that a hypothesis. Why a hypothesis? A
hypothesis is simply a question that has been asked in the right
way. Something, in other words, begins to take a de facto form,
and a fact [fait] always made up of [fait de] discourse. No one has
ever seen a received fact.
That is not a fact. It's a lump, something you bump into, all the
things that can be said about something that is not already
discursively articulated.
Psychoanalysis, which is an absolutely new example of discourse,
leads us to take another little look at how we pose the problem of,
for example, roots. It encourages us, for example, to investigate
the phenomenon constituted by the appearance of a logic, its
adventures and the strange things it ends up showing us.
There was a certain Aristotle, and his position – what you believe
after this declaration is of little importance — was not dissimilar
67
to mine. We don't really have much idea of what, of whom he had
to deal with. They were called, in a vague, confused way, sophists.
We naturally have to be suspicious of these terms, and we have to
be very careful. There is in fact a black-out on what people got
from the sophists' oracle. Probably something effective, because
we know that they paid them very well, in the same way they pay
psychoanalysts. Aristotle certainly got something out of it, but it
had absolutely no effect on the people he was talking to. That's
how it was for him, and how it is for me. It's the same. What I say
makes no difference to psychoanalysts who are already very
settled in their ways. But we can continue, continue, and hope.
All the wonderful things we find in the Prior Analytics, the
Posterior Analytics and the Categories are what we call logic.
It's been devalued now because we are the ones who do real,
serious logic, though we've not been doing it for long; since the
mid-nineteenth century, about 150 years.
Correct, strict, true logic is the logic that began with a certain
Boole. It gives us the opportunity to revise a few ideas. We always
believed that, when we had established a few good principles from
the outset, everything we could derive from them would run
smoothly and that we would always fall on our feet. The important
thing was that a system should not be contradictory. That was all
there was to logic. And then we notice that it is not like that at all.
We discover lots of things that escape us. If by some chance a few
people here and there have heard of a certain Godel, they may
know that even arithmetic turns out to be a basket; I'm not saying
it is double-bottomed, but there are lots and lots of holes in the
bottom.

68
Everything disappears through the hole in the bottom. That is
interesting, and it is not impossible that taking an interest in it
might not be without a formative value for someone like a
psychoanalyst. But for the moment it gets us nowhere, because we
have here a very particular problem that I call the age question. If
you want to do logic, or anything else to do with modern science,
you have to start before you have been completely cretinized, by
culture of course. Obviously, we are always a little cretinized
because there is no escaping secondary school. Of course,
secondary school may have its value too, because those who
survive it and still have a real scientific vivacity are cases apart,
as anyone will tell you. My good friend Leprince-Ringuet6, who
was cretinized at the same time as me at school, escaped
immediately, brilliantly and in lively fashion. It took
psychoanalysis to get me out. It has to be said that not many
people have taken advantage of it the way I have.
Logic is a fairly precise thing and requires some mental resilience
that has not been completely worn down by all the stupid things
they force down your throat. So I must have had it at a very early
age. The only problem is that being very young is not the best
condition to make a good psychoanalyst cither. And when
someone with some experience does happen to enter the
psychoanalyst's profession, it is too late to teach him the key
things that would train him for its particular practice.
I mentioned logic to give you a target. There's more to it than that,
but logic is exemplary if we take it at Stotie's level, because he
obviously did try to inaugurate something.

6
Louis Leprince-Ringuet, French physicist (1901 - 2000)
69
Of course those people, the sophists, were already using logic, and
in quite astonishing, very brilliant, very effective ways, at one
level of rationality. That they themselves did not give it its name
obviously does not mean that that isn't what it was, that's for
certain. They would not have been so good at enticing citizens,
and non-citizens, and at giving them tips on how to win debates
or on how to debate the eternal questions of being and non-being,
if it didn't have a formative effect. Stotle tried to perfect a
technique, what they call the Organon. He gave birth to a line, to
a line of philosophers, and now you can see where that got him:
his line has died out a little bit, now that philosophy has come
down to meaning the history of thought. Which means we're
having a bloody hard time of it. Fortunately there are still a few
counterfeiters around to try to put you back on top of things.
They're called phenomenologists.
Psychoanalysis gives us a chance, a chance to start again.

3
As I think I have got across to you, there is the closest relationship
between the emergence of psychoanalysis and the truly regal
extension of the functions of science. Although it may not be
immediately apparent, there is a certain relationship of
contemporaneity between the fact of what has been isolated and
condensed within the analytic field, and the fact that, everywhere
else, only science still has something to say.
That, you will tell me, is a scientistic declaration. Of course it is,
and why shouldn't it be? And yet, that is not quite what it is,
because I do not add what we always find on the fringes of what
is conventionally called scientism, namely a certain number of

70
articles of faith to which 1 by no means subscribe. There is, for
example, the idea that all this represents progress. Progress in the
name of what?
One objection was put forward to me just now, and it comes, it
seems to me, from certain corners where they label themselves
psychoanalysts. I have to say that it inspired me. It was passed on
to me by a lady who had, I'm told, given a lecture on what Lacan
is on about.
Thanks, basically, to her, I can let myself go a little. If I understand
rightly, the objection in question might be formulated thus: * Why
do you find it necessary to drag in the subject? Where is a trace of
the subject in Freud?'
That was a terrible blow, I can tell you. The terrible thing is that
after a time — time that I waste — there is a growing gulf between
you and the effect of culture, of journalism. Now that I am in the
public eye, I need an intermediary to tell me where some people
might be at. So they think that dragging in the subject in
connection with Freud is something new, an invention.
At this point, I am sincerely invoking anyone who is not a
psychoanalyst, not that there can be many psychoanalysts here.
Anybody who knows just a little about what we are talking about
knows that Freud talks about three things.
The first is that it (ça) dreams7. So it's a subject, isn't it? What are
we all doing here? 1 have no illusions about this: an audience,
even a qualified audience, is dreaming while I'm struggling away.
Everyone is thinking about his own business, the girlfriend you're

7
The play is on le ça: das Es, the id
71
going to meet later, the piston rod that's just gone on your car,
something that's gone wrong somewhere.
And there again, it gets things wrong. Think of the slips of the
tongue, the bungled actions, the very text of your existence. They
make a grotesque farce of what they've always trotted out to you
about the ideal functions of consciousness and all that implies
about the person who has to gain control. I don't know what it's
about. You can see in my Ecrits my stupor when I read the things
that my dear friend Henri Ey8, and I love him, has dreamed up. He
wanted- to civilize psychiatrists, so he invented organo-
dynamism, and it's a complete shambles that makes no sense at
all. I defy anyone to see any connection between what we are
dealing with, the text of the subject, and whatever it is that he has
dreamed up about this so-called synthesis, the construction of the
personality, and I don't know what else. Where are they, these
constructed personalities? 1 don't know, I'm looking for them with
a lighted lamp, like Diogenes. The beautiful thing about it is that,
despite all the appeals that are made to these constructs, they
actually fail. That means something. It's always the others who
succeed. There are even people in the room who have got to their
feet. For my part, I've succeeded in going to bed.
Third, it [fa] dreams, it fails, and it laughs. And are those three
things subjective, or are they not, 1 ask you? We have to know
what we are talking about. People who wonder why I needed to
drag in the subject when we are dealing with Freud have
absolutely no idea what they are saying. I have to conclude that
that's where they are at, though I thought the resistance was based
on something more sophisticated.

8
Henri Ey (1900-1972), French psychiatrist
72
The subject in question has nothing to do with what we call the
subjective in the vague sense, in a sense that muddles everything
up, and nor does it have anything to do with the individual. The
subject is what I define in the strict sense as an effect of the
signifier. That is what a subject is, before it can be situated in, for
example, one or another of the people who are there in an
individual state, even before they exist as living beings.
Of course we can say in conventional terms, 'It's a good or bad
subject, it's a moral subject, it's the subject of consciousness', or
whatever you like. This idea of a subject of knowledge really is a
load of nonsense, and one wonders how they can go on talking
about it in philosophy classes at school. It can mean only one
thing: that anything that is alive knows enough, just enough to
survive. But there's nothing more to be said about it. That can be
extended to the animal kingdom or — and why not? — the
vegetable kingdom.
As for the idea of relating what they call man to what they call the
world, that would mean regarding that world as an object and
turning the subject into a correlative function. If we think of the
world as an ob-jecty we assume the existence of a sub-ject. That
relationship can only become substance, essence, thanks to a great
image of contemplation whose completely mythical character is
obvious. We imagine that there were people who contemplated the
world. There arc obviously things like that in Aristotle, for
instance when he is talking about the spheres, but this simply
means that there is no theory of the celestial spheres that does not
involve a contemplative movement.
We know wThat a science is. None of us can master the whole of
science. It steams ahead at full speed under its own impetus, docs
science, so much so that there is nothing we can do about it. Those
73
who are most in the know are also those who are the most
embarrassed about it.
All possible enlightened experience indicates that the subject is
dependent on the articulated chain represented by science's
acquired knowledge. The subject has to take his place there,
situate himself as best he can in the implications of that chain. He
constantly has to revise all the little intuitive representations he
has come up with, and which becomes part of the world, and even
the socalled intuitive categories. He's always having to make some
improvements to the apparatus, just to find somewhere to live. It's
a wonder he hasn't been kicked out of the system by now.
And that is in fact the goal of the system. In other words, the
system fails. That is why the subject lasts. If something gives us
the feeling that there is a place where we can lay hands on it, where
it's the subject we are dealing with, then it's at the level known as
the unconscious. Because it all fails, laughs and dreams.
It only dreams, fails and laughs in a perfectly articulated way.
What is Freud constantly doing in his approach, his discovery, his
revelation of what the unconscious is all about? What does he
spend his time on? What is he dealing with? No matter whether it
is the text of the dream, the text of the joke or the form of the slip,
he is manipulating articulations of language, of discourse.
In the margins of a small etching by Goya, we find written: 'The
sleep of reason produces monsters.' It's beautiful and, as it's by
Goya, it is even more beautiful — we can see the monsters.
You see, when you are talking, you always have to know when to
stop. Adding 'produces monsters' sounds good, doesn't it? It's the
beginning of a biological dream. It took biology a long time to
give birth to science too.
74
They spent a long time dwelling on the calf with six hooves. Oh!
Monsters, all that, the imagination! We love it. Oh, it's so fine. You
know, the psychiatrists tell us that it's teeming, swarming with
psychopaths, that it invents and imagines things. It's fantastic.
They are the only ones to imagine that. I cannot tell you how it is
for the psychopath — I'm not enough of a psychopath — but it is
certainly not the way the psychiatrists imagine it to be, especially
when they talk about, I don't know, the physiology of sensation,
or of perception, and then move on to constructs and then
generalizations, all so they can think about what they will come
up against, poor things.
That has absolutely nothing to do with their constructs. That much
should be obvious.
So you have to know when to stop. The sleep of reason — that's
all. So what does that mean? It means that reason encourages us
to go on sleeping. Once again, I don't know if there is any danger
of you understanding a little declaration of irrationalism on my
part. No, no, quite the opposite. What we would like to get rid of,
to exclude, namely the reign of sleep, finds itself annexed by
reason, its empire, its function, by the hold of discourse, by the
fact that man dwells in language, as someone said. Is it
irrationalism to notice that, or to follow reason's line of thought in
the text of the dream itself? It's possible for a whole
psychoanalysis to go by before what might well happen does
happen: we've reached the point where we wake up.
Somewhere Freud writes Wo Es war, soil Ich werden, Even if we
remain at the level of his second topography, what is this, if not a
certain way of defining the subject? Where the reign of sleep was,
I must come, become, with the special accent the verb werden
takes in German, and we have to give it its import of becoming in
75
the future. What does that mean? That the subject is already at
home at the level of the Es.
There is no point in quibbling and saying that, in his second
topography, Freud calls a certain system the perception-
consciousness system, das Ich> with the article because there are
no words in German that function the way moi and je function in
French. Das Ich is something like the other two agencies, to use
that vague term, he associates it with: the Es and the Uberich.
What is it, if not, strictly speaking, the core of the subject?
It might even have to do with that grotesque, ridiculous function
all those who were for a while my fellowtravellers pounced upon,
and they came from God knows where, and full of psychology,
which is no preparation for psychoanalysis. I am talking about the
function of intersubjectivity. Ah! Lacan, the 'Rome Discourse',
'Function and Field of Speech and Language*, intersubjectivity!
There is you and there is me, and we say so to each other, send
each other things, and so we are intersubjective. All that is purely
confusional.
I think you know my position on this point but, if you don't, I am
in a position to get it across to you better. Confusing the subject
with the message is one of the great characteristics of all the stupid
things that are said about the so-called reduction of language to
communication.
The communication function has never been the most important
aspect of language. That was my starting point.
Von Frisch thinks that bees have a language because they
communicate things to one another. That is just the sort of thing
that people say from time to time wrhen the fancy takes them:
namely, that the fact that something comes to us from them proves
76
that we receive messages from starry bodies. In what sense is that
a 'message'? If we give the word 'message' a meaning, there must
be a difference between that and the transmission of whatever it
might be. If there wasn't, everything in the world would be a
message. And besides, there's a sense in which everything is a
message, given what makes the functions of the transmission and
conveying of information fashionable, as they say. It is not
difficult to see that this information can be so formalized as to
inscribe it as the very opposite of signification. That in itself is
enough to show that information, understood in that sense, is not
to be confused with the result of what is conveyed in the use of
language.
The articulation of language calls into question, first of all, the
issue of the subject of the enunciation. The subject of the
enunciation is definitely not to be confused with the one who takes
the opportunity to say of himself I, as subject of the utterance.
When he has to talk about himself, he calls himself I. It simply
means I who am speaking. The I, as it appears in any utterance, is
nothing more than what we call a shifter. Linguists claim that it is
also the subject of the enunciation. That is quite wrong, whatever
they may say.
It is so wrong that it has obviously been untrue ever since we have
known it. You can always try to find the subject of some
enunciations. It is not, in any case, there for anyone who can say
I.
This means, all the same, that we have to reconstruct the so-called
communications schema a little bit. If there is one thing that has
to be called into question, it is the simple function of
intersubjectivity, as though it were a simple dual relationship

77
between a sender and a receiver that worked all by itself. It's not
that at all.
The first thing involved in communication is knowing what it
means. Everybody knows that. You don't need much experience
to showr that what the other is saying obviously never coincides
with what he says.
That is also why you work yourself to death trying to construct a
logic for the same. So that there will be no doubts surrounding the
little signs you can put on the board. Precisely: you are trying to
eliminate the subject. And once you have put down some little
letters, the subject is indeed eliminated for a moment. You will
naturally find the subject once more when you get to the end, in
the shape of all sorts of paradoxes. That is the demonstrative and
fascinating thing about logic's attempts to study things closely.
Someone will object that, if we want to speak of something that is
absolutely not psychical, but that is a real metapsychology, or in
other words something very different from a psychology, we have
to talk about the id, the ego or the superego. Wc act as though all
that were obvious, self-evident, quite natural, something we could
see coming a mile off. Nothing of the kind. Not only is it different
from all the old waffle; if there is something that we can
legitimately call an intersubjectivity, an intersubjectivity that is
not just dramatic but tragic, then it has nothing to do with the order
of communication, with an intersubjectivity of people who push
and shove, get jammed up against each other and suffocate each
other — well, it takes the form of the id, the ego and the superego,
and it can easily do without what you would call a subject.
They ask me why I talk about the subject, why I supposedly add
that to Freud. That is all that gets talked about in Freud. But it gets

78
talked about in a brutal, imperative way. It is a sort of bulldozer
operation, and it brings back to life everything that they have been
trying to cover up about the subject for thousands of years of the
philosophical tradition.
As I was telling you just now, it is in just that order of things that
they are now up to something. What I have stressed, and I cannot
claim to be doing anything more than suggesting a dimension
here, has indeed a counterpart, and it is supplied by philosophers.
There is, for example, one to whom I make a brief allusion in the
first issue of my journal Scilicet, a very talented boy who still has
a few rehashes in store for us when it comes to great classical
themes, and I knew of their existence long before 1 first met him
at a congress. So, he said to me: 'All that's very well, I agree with
what you say' — and indeed it was obvious that he did agree, since
in his article on Freud he wrote nothing that I had not said already
— but what I've said, 'But why, why, do you insist on calling it the
subject?*
That's the way it is when you touch on certain topics, you find that
someone has already laid claim to them. One of the people who is
just learning that lesson dared to write a book on Racine one day.
The trouble was, he wasn't the only one, because there was
someone else who thought he was the expert on Racine. How dare
he? And so on. In this case, the philosopher was quite prepared to
say to me: 'Why do you keep calling the unconscious — an
unconscious you say is structured like a language — the subject?'
When analysts ask me questions like that, I'm shocked but I can't
say that I am surprised. But coming from philosophers, they are
so disconcerting I can't find any answer, except to say: 'I keep the
s u b j e c t . . . to get you talking.'

79
And yet, it would be quite insane not to retain the term. Some
happy accident in the philosophical tradition has perpetuated the
line that began with Aristotle's Organon, which I was talking about
just now. Read, or reread, the Categories, my little friends, or those
of you who from time to time get it into your heads to read
something other than textbooks, and you will see from the start
the difference between the subject and substance.
This is something that is so crucial that the two thousand years of
philosophical tradition I was talking about have been trying to do
just one thing, trying to resorb that. The man who is regarded as
the pinnacle of the philosophical tradition — Hegel — suggests
with, I have to say, dazzling brilliance, something that negates
what we touch upon in dreams, namely that substance is already
the subject, before it becomes the subject, as we saw just now with
Freud's formula.
It all starts with the initial trauma of. Aristotle's assertion, which
introduced the most rigorous divorce between subject and
substance. That has been completely forgotten.
That the subject has outlived the philosophical tradition
demonstrates, if we can put it that way, that we really are behaving
like intellectual failures.
Is that not a reason not to abandon the term 'subject', now that the
time has finally come to invert its usage?

80
1975-10-04 CONFÉRENCE À GENÈVE SUR LE
SYMPTÔME
La conférence annoncée sous le titre « Le symptôme » fut prononcée au Centre R.
de Saussure à Genève, le 4 Octobre 75, dans le cadre d’un week-end de travail
organisé par la Société suisse de psychanalyse. Elle fut introduite par M. Olivier
Flournoy. Elle parut dans Le Bloc-notes de la psychanalyse, 1985, n° 5,
pp. 5-23.
Écrire n’est pas du tout la même chose, pas du tout pareil, que de
dire, comme je l’illustrerai plus loin. Il se trouve que, durant le temps
que j’étais à Sainte-Anne, j’ai voulu que quelque chose reste de ce
que je disais. Il paraissait à ce moment-là une revue où, à proprement
parler, j’écrivais. J’ai fait le recueil d’un certain nombre des articles
parus dans cette revue. Comme j’avais aussi écrit pas mal de choses
avant, la moitié de ce recueil est fait de ces écrits antérieurs – qui sont
à proprement parler des écrits, d’où mon titre, Écrits tout
simplement. Ce titre a un peu scandalisé une personne de mes
relations qui était une charmante jeune femme, japonaise. Il est
probable que la résonance du mot Écrits n’est pas la même en
japonais et en français. Simplement, par Écrits, je voulais signaler que
c’était en quelque sorte le résidu de mon enseignement.
Je faisais donc dans cette revue, La Psychanalyse, à peu près une fois
par an, un écrit qui était destiné à conserver quelque chose du
remous qu’avait engendré ma parole, à en garder un appareil à quoi
on pourrait se reporter. Je le faisais dans l’esprit qu’après tout, cela
aurait pu me servir de référence auprès de l’Internationale. Bien
entendu, celle-ci se moque assez de tous les écrits – et après tout, elle
a raison, puisque la psychanalyse, c’est tout autre chose que des
écrits. Néanmoins, il ne serait (7)peut-être pas mal que l’analyste
donne un certain témoignage qu’il sait ce qu’il fait. S’il fait quelque
chose, dire, il ne serait peut-être pas excessif d’attendre que, de ce
qu’il fait, d’une certaine façon il témoigne.

81
C’est un nom qui ne m’est pas inconnu. Le Dr Bovet m’a posé une
question que je trouve très bonne, façon de parler. Jusqu’à quel point,
m’a-t-il dit, vous prenez-vous au sérieux ? Ce n’est pas mal, et j’espère
que cela va vous encourager. C’est le genre de question dont je me
fous. Continuer au point d’en être à la vingt deuxième année de mon
enseignement, implique que je me prends au sérieux. Si je n’ai pas
répondu, c’est qu’il avait un train à prendre. Mais j’ai tout de même
déjà répondu à cette question, implicitement, en identifiant le sérieux
avec la série. Une série mathématique, qu’elle soit convergente ou
divergente, cela veut dire quelque chose. Ce que j’énonce est tout à
fait de cet ordre. J’essaie de serrer de plus en plus près, de faire une
série convergente. Est-ce que j’y réussis ? Naturellement, quand on
est captivé… Mais même une série divergente a de l’intérêt, à sa
façon, elle converge aussi – ceci pour les personnes qui auraient
quelque idée des mathématiques. Puisqu’il s’agit du Dr Bovet, qu’on
lui transmette cette réponse.

1975-11-24 YALE UNIVERSITY. ENTRETIEN AVEC DES


ETUDIANTS
Ce texte fait partie des Conférences et Entretiens dans des universités nord-
américaines. Paru dans Scilicet n° 6/7, 1975, pp. 32-37.
S’il y a une loi cardinale de la psychanalyse, c’est de ne pas parler à
tort et à travers, même au nom des catégories analytiques. Pas
d’analyse sauvage ; ne pas plaquer de mots qui n’ont de sens que
pour l’analyste lui-même.
C’est de mes analysants que j’apprends tout, que j’apprends ce que
c’est que la psychanalyse. Je leur emprunte mes interventions, et non
à mon enseignement, sauf si je sais qu’ils savent parfaitement ce que
ça veut dire.
Au mot « mot », j’ai substitué le mot « signifiant » ; et ça signifie
qu’il prête à équivoque, c’est-à-dire a toujours plusieurs significations
possibles.

82
Et, dans la mesure où vous choisirez bien vos termes, qui vont
tirailler l’analysant, vous allez trouver le signifiant élu, celui qui agira.
(35)
En aucun cas une intervention psychanalytique ne doit être
théorique, suggestive, c’est-à-dire impérative ; elle doit être
équivoque.
L’interprétation analytique n’est pas faite pour être comprise ; elle
est faite pour produire des vagues.
Donc il ne faut pas y aller avec de gros sabots, et souvent il vaut
mieux se taire ; seulement il faut le choisir.
Il faut avoir été formé comme analyste. Ce n’est que lorsqu’il est
formé que, de temps en temps, ça lui échappe ; formé, c’est-à-dire
avoir vu comment le symptôme, ça se complète.
Dans l’analyse, il n’y a scène que lorsqu’il y a passage à l’acte. Il n’y
a passage à l’acte que comme un plongeon dans le trou du souffleur,
le souffleur étant bien sûr l’inconscient du sujet.
Ce n’est qu’à propos du passage à l’acte que j’ai parlé de scénique.

83
LACAN 1974-75. RSI
10 Décembre 1974
Enfin, c’était le témoignage de ceci que dans un certain contexte,
celui où je n’insiste pas, il pouvait me venir des questions, et des
questions pas bêtes, des questions, en tout cas, qui m’imposaient de
répondre.
De sorte que je me trouvais dans cette situation : sans avoir eu à
récuser le « phénomène lacanien », de l’avoir démontré.

Ça, naturellement, c’était même pas sûr qu’ils s’en aperçoivent eux-
mêmes, que c’était ça le phénomène lacanien.
À savoir que j’étais « effet » pour un public, qui n’a entendu comme
ça, par répercussion, que de très loin ce que je peux articuler dans
cet endroit qui est ici, et où je fais mon enseignement, mon
enseignement pour frayer pour l’analyste,
84
le discours même qui le supporte. Si tant est que ce soit bien du
discours, et du discours toujours :
que cette Chose, que nous essayons de manipuler dans l’analyse, pâtit
d’un discours.

Je dis donc que c’est ça le phénomène.


Il est en somme de la vague...
si vous me permettez d’employer un terme qui aurait pu me tenter
...d’écrire les lettres dans un autre ordre, au lieu de R S I : « RIS »,
ça aurait fait un « ris », le fameux « ris de l’eau »,
sur lequel justement, quelque part dans mes Écrits, j’équivoque.

J’ai recherché la page tout à l’heure - il y avait quelqu’un là, un


copain du premier rang, qui les avait ces Écrits - je l’ai trouvé : c’est
à la page 166 que je joue sur ce ris d’eau [rideau], voire à y impliquer
« mon cher ami Leiris dominant... » je ne sais pas quoi 9.

Il faut évidemment que je me réconforte en me disant que ce


phénomène n’est pas unique, il n’est que particulier.
Je veux dire qu’il se distingue de l’universel. L’ennuyeux c’est qu’il
soit jusqu’à ce jour unique au niveau de l’analyste.
Il est pourtant indispensable que l’analyste soit au moins deux :
l’analyste, pour avoir des effets,
et l’analyste qui, ces effets, les théorise.

9
Écrits pp. 166-67 : « Le mot n’est pas signe, mais nœud de signification.
Et que je dise le mot « rideau » par exemple, ce n’est pas seulement par
convention,
désigner l’usage d’un objet que peuvent diversifier de mille manières les
intentions sous lesquelles il est perçu par l’ouvrier, par le marchand, par le
peintre ou par le psychologue
gestaltiste, comme travail, valeur d’échange, physionomie colorée ou
structure spatiale. C’est par métaphore un rideau d’arbres; par calembour
les rides et les ris de l’eau,
et mon ami Leiris dominant mieux que moi ces jeux glossolaliques. »
85
1976-03-24 « INHIBITION ET ACTING OUT »
CLÔTURE DU CONGRÈS.

Neuvième congrès de l’École freudienne de Paris, Palais des congrès


de Strasbourg, Lettres de l’École freudienne, 1976, n°19, pp. 555-
559.
Bien sûr, comme tout le monde, ma réalité est faite de ceci qu’elle
est ponctuelle, par rapport à ce dont on fait mémoire monumentale
sous le nom d’histoire. Comme pour chacun, chacun de ceux qui
sont ici et chacun de ceux qui sont aussi dehors. Il n’y a pas de ce
que j’appellerai l’Histoire avec un grand H, la grande Histoire. Il n’y
a que des historioles. J’ai été pris dans une historiole qui n’est pas de
moi, l’historiole freudienne, et simplement parce que j’y ai glissé.
Mais il n’y a absolument rien de commun entre l’historiole
freudienne et toutes celles qui l’ont précédée. Ce n’est pas parce
qu’un certain nombre de gens, Herbart, Hartmann, Du Bois-
Reymond, n’importe qui, ce n’est pas parce que Freud a fait ses
choux gras d’un certain nombre d’épaves qui restaient des
précédentes historioles que son historiole, à lui, les continue. C’est
bien pour ça que la seule chose qui pourrait me faire abandonner
mon enseignement, c’est la logique que j’en ai engendrée, logique qui
ne vaut pas mieux que les précédentes, qui vaut en fait tout aussi peu.
C’est une façon de faire un aveu. Oui. L’aveu, c’est ceci : c’est
qu’une analyse fait avouer quiconque s’y risque, chacun dans
l’analyse s’avoue-rité, si je puis dire, pour faire équivoque avec sa
vérité ; mais chacune de ces vérités, il faut le dire. C’est très difficile
de savoir ce qu’elle a de commun avec les autres. Il n’y a que des
vérités particulières, et c’est bien ça qui m’a frappé dans ce congrès.

86
1977-00-00 C’EST À LA LECTURE DE FREUD
Préface à l’ouvrage de Robert Georgin, Cahiers Cistre, 1977, Lacan, 2me
édition, Paris, l’Age d’homme, coll. « Cistre-essai », 1984, pp. 9-17.
S’il ne s’agissait de l’association internationale qu’au sens où elle
grouperait aussi bien des gastro-entérologistes ou des psychologues,
la question ne se poserait même pas. La question de l’institution se
pose à une autre échelle, qui n’est pas celle de la foire, mais plutôt de
l’arbre généalogique. Et là, ça ne se joue, pas sur la scène du monde,
mais au sein de groupuscules faits des nœuds où s’entrecroisent les
branches de cet arbre. Il s’agit de la transmission de la psychanalyse
elle-même, d’un psychanalyste qui l’est, psychanalyste, à un autre, qui
le devient ou s’introduit à l’être. Ces groupes dits encore « sociétés »,
qui foisonnent dans le monde, ont ce caractère en commun de
prétendre assurer cette transmission et de montrer la carence la plus
patente à définir cette psychanalyse dite didactique quant aux
remaniements qu’on en attend pour le sujet. On sait que Freud a
posé cette psychanalyse comme nécessaire, mais pour en dire le
résultat, on piétine. Pour le psychanalyste didacticien, au sens
d’autorisé à faire des didactiques, il est inutile même d’espérer savoir
ce qui le qualifie. Je dis tout haut ces choses, maintenant que j’y ai
apporté des solutions à pied d’œuvre pour qu’elles changent. C’est
par respect pour cette misère cachée que j’ai mis tant d’obstination à
retarder la sortie de mes travaux, jusqu’à ce que le rassemblement en
fût suffisant. Peut-être est-ce encore trop présumer de ce qui de mon
enseignement est passé dans le domaine commun. Mais quoi, c’est à
ce qu’il ne s’y noie pas que j’ai voué toute ma patience. Il me faut
bien faire quelquefois un si long effort. Un groupe éprouvé – c’est le
mot – m’assiste maintenant. Le prix que j’ai payé pour cela m’est
léger, ce qui ne veut pas dire que je l’aie pris à la légère. Simplement,
j’ai payé les notes les plus extravagantes pour ne pas me laisser
distraire par les péripéties que l’on voulait bien intentionnellement
me faire vivre – disons du côté de l’anafreudisme. Ces péripéties, je
les ai laissées à ceux qu’elles distrayaient. Prenez ce mot au sens

87
lourd, où il veut dire qu’ils avaient besoin de s’y distraire, de s’y
distraire de ce qu’ils étaient appelés à faire par moi. J’apporterai peut-
être un jour (13)là-dessus mon témoignage, non tant pour l’histoire, à
qui je me fie pour son passé, que pour ce que l’historiole, comme dit
Spinoza, a d’instructif sur la trame où elle a pu se broder. Sur les
sortes de trous à quoi cette action entre toutes qui s’appelle la
psychanalyse prédestine ceux qui la pratiquent. Jeu de l’oie, si on peut
dire, où s’appuie une sorte d’exploitation qui, d’être ordinaire à tous
les groupes en prend ici une règle particulière. Je m’aperçois, c’est
curieux, à vous en parler, que je commencerais par une évocation
d’odeur, par ce qui échappe à l’analyse, vous voyez, car bien entendu,
ça existe, les jupes de l’anafreudisme. À moins que je n’écrive de
l’homme qui avait un rat à la place de tête – car j’ai vu ça, et pas moi
tout seul, à Stockholm.

88
LACAN 1976-77. L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à
mourre
11 Janvier 1977
Qu’est-ce qui règle la contagion de certaines formules ? Je ne pense
pas que ce soit la conviction avec laquelle
on les prononce, parce qu’on ne peut pas dire que ce soit là le
support dont j’ai propagé mon enseignement.

Quand les étoiles s’éteignent, ça donne ça : « Le désir des hommes est


de se secourir les uns les autres pour mieux-être ».

89
LACAN 1977-78. Le moment de conclure
11 Avril 1978
Ιl y a évidemment une question d’atmosphère, comme on dit, de
coordonnées qu’on appelle culturelles.
Je veux dire qu’on reste dans les pensées, et agir par l’intermediaire
de la pensée, c’est quelque chose qui confine à la débilité mentale.

Ιl faudrait qu’il existe un acte qui ne soit pas débile mental.


Cet acte, j’essaye de le produire par mon enseignement.
Mais c’est quand même du bafouillage.

Nous confinons ici à la magie.


L’analyse est une magie qui n’a de support que le fait que, certes, il
n’y a pas de rapport sexuel,
mais que les pensées s’orientent, se cristallisent sur ce que Freud
imprudemment a appelé « le complexe d’Œdipe ».
90
LACAN 1979-80. Dissolution
18 mars 1980
L’Église en a pris de la graine, c’est ce que je vous ai dit le 5 janvier.
Sachez que le sens religieux va faire un boom dont vous n’avez
aucune espèce d’idée.
Parce que la religion, c’est le gîte originel du sens.
C’est une évidence qui s’impose, à ceux qui sont responsables dans
la hiérarchie plus qu’aux autres.
91
J’essaye d’aller là contre, pour que la psychanalyse ne soit pas une
religion,
comme elle y tend irrésistiblement dès lors qu’on s’imagine que
l’interprétation n’opère que du sens.
J’enseigne que son ressort est ailleurs, nommément dans le
signifiant comme tel.

À quoi résistent ceux que la dissolution panique.


La hiérarchie ne se soutient que de gérer le sens.

C’est pourquoi je ne mets aucun responsable en selle sur la Cause


freudienne.
C’est sur le tourbillon que je compte.
Et, je dois le dire, sur les ressources de doctrine accumulées dans
mon enseignement.

15 avril 1980
Ce qui m’embête le plus, c’est que l’accent mis sur la parole créative
va dans mon sens.
Seulement, attribuer l’insupportable de la lumière à la parole est
une gageure.
Et ça, ne va pas du tout dans mon sens.

Ce que l’inconscient démontre est tout autre chose, à savoir que la


parole est obscurantiste.
J’impute assez de méfaits à la parole pour lui rendre ici grâce de cet
obscurantisme.
C’est son bienfait le plus évident.

J’ai déjà pointé, aux premiers temps de mon enseignement, la


fonction dans le frayage du symbolique

92
de ces lucioles qu’on appelle les étoiles. Les étoiles ne donnent pas
beaucoup de lumière. C’est pourtant d’elles
que les hommes se sont éclairés, ce qui leur a permis de percer le
bonheur qu’ils éprouvent de la nuit transparente.

L’obscurantisme propre à la parole se redouble de la croyance à la


Révélation qui impute à Dieu le « que la lumière soit ». Quand ça se
triple de philanthropie, et se quadruple de progressisme, c’est nuit
noire.
Quand les étoiles s’éteignent, ça donne ça : « Le désir des hommes est
de se secourir les uns les autres pour mieux-être ».

93
Trois Lettres de Jacques Lacan (1980-81)
Reste l’école que j’ai adoptée pour mienne.
Neuve et mouvante encore, c’est ici que s’éprouvera le noyau dont
il se peut que mon enseignement subsiste.

94

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