Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées
dans le domaine public provenant des collections de la BnF. Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-
753 du 17 juillet 1978 :
- La réutilisation non commerciale de ces contenus ou dans le cadre d’une publication académique ou scientifique
est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source
des contenus telle que précisée ci-après : « Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France » ou « Source
gallica.bnf.fr / BnF ».
- La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation
commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service ou toute autre
réutilisation des contenus générant directement des revenus : publication vendue (à l’exception des ouvrages
académiques ou scientifiques), une exposition, une production audiovisuelle, un service ou un produit payant, un
support à vocation promotionnelle etc.
2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété
des personnes publiques.
- des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent
être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits.
- des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont
signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est
invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation.
4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et
suivants du code de la propriété intellectuelle.
5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de
réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec
le droit de ce pays.
6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur,
notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment
passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978.
I. — Bords de la Loire.
Les peintres ont souvent peint les bords de l'Oise, les bords de la Marne, de
la Creuse, de la Seine, de bien d'autres fleuves et rivières : très peu ceux de la
Loire. D'où cela vient-il? Peut-être de la difficulté de rendre ces paysages trop
vastes, d'une lumière spéciale, fine, voilée, que ne relève aucune ombre forte,
aucun contraste. La Loire, moins frissonnante que le Rhône, moins troublée
que la Gironde, largement épandue entre ses rives, n'est en somme qu'un
miroir, bleu quand le ciel est bleu, blanc quand les nuages courent. Elle n'a
pas même, comme le plus pauvre étang, ses touffes de nénuphars jetf.nt leur
note verte ou brune sur la surface claire, ou sa pierre affleurant au milieu,
toute moussue de lichen, ou sa lisière de futaie prochaine, dont l'eau reflète,
12 CONTES ET PAYSAGES
en noir percé d'éclairs, la silhouette inégale. Non, ses rives plates ne sont
plantées que de saules ou de peupliers, feuillages trop légers pour assombrir
la terre autour d'eux, et le fleuve s'en va, indéfiniment, entre leurs verdures
pâles, coupé d'îles de la même même teinte, ou de longs bancs de sable d'un
jaune atténué et d'une extrême mollesse de lignes. Comment voulez-vous
peindre cela? A moins de' mettre, au premier plan, un canard qui s'ébat, le
rond d'un poisson qui bâille ou le sillage d'un ricochet, je ne vois rien qui
permette au regard de se poser et de prendre son élan. Et il nous faut toujours
une sauve, dans les tableaux, un coin d'ombre, si petit qu'il soit, où nos yeux
reviennent après avoir erré.
Mais cela n'importe guère aux poètes, ni aux promeneurs. La lumière, pour
eux, l'universelle clarté, n'est qu'une joie. Ils là chantent en vers et en prose*
ou ils la boivent sans y penser, mais tous émus, à leur façon. Voyez tant de
sonnets, tant de romans sur la Touraine, tant de pêcheurs à la ligne, le
dimanche, depuis Blois jusqu'à Nantes! A la fin d'avril surtout, les sentiers
au bord de l'eau sont exquis. J'en ai suivi un toute une journée, seul et son-
geant. Je ,veux vous dire ce que j'ai trouvé. D'abord, et c'est une nouvelle, les
chatons de saule ont éclaté 1 Du haut en bas des branches des luisettes, — un
nom qui dit bien la lueur argentée des feuilles, — des houppes d'étamines,
de petits bonnets à poil en soie fine se sont accrochés. Ils sont si légers qu'on
les dirait transparents, sauf à la pointe. Beaucoup même, la chaleur aidant,
ont, en quinze jours, donné leur graine, un flocon de ouate blanche, nacrée,
que les oiseaux pillent pour leurs nids. Chaque touffe de luisettes portera bien-
tôt un berceau de jonc, de laine, de crin. Plusieurs en ont déjà. J'ai entendu la
plainte d'amour de ces petits échassiers, invisibles, qui trottent à travers
l'herbe rase des prés, qu'on peut deviner à terre, au sillage d'un instant qu'ils
laissent après eux, mais qu'on ne découvre vraiment qu'au vol. J'ai vu des
fauvettes affairées, des martins-pêcheurs pleins de rêveries, sur des racines
basses. J'ai retrouvé d'anciennes impressions de bonheur vague et complet,
comme celles dont la jeunesse est faite, et qui veulent bien nous ressaisir
au passage, un peu plus tard, mais pour une heure.
En ces moments-là, autrefois, je ne pensais à rien, et c'était très doux.
A présent, il faut bien penser un peu, par habitude. Et je me disais, regardant
ces paysages aux lignes effacées, tremblantes de brume et de soleil, que les
nouvelles géographies ont bien raison de rattacher l'humeur des hommes, et
la couleur de leurs yeux, et celle surtout de leur esprit, non seulement aux
races dont ils sortent, mais au sol qu'ils habitent et à l'air qu'ils respirent. Le
vent, soufflant de la mer, s'engouffre dans cette immense vallée qui monte jus-
qu'au coeur de la France. Il s'attiédit sur les terres. Il va, tant qu'il a un reste
BORDS DE LA LOIRE 13
J'allais songeant ainsi, le long du fleuve, par les sentiers des prés, où les
tulipes lie de vin commencent à se faner. Mille choses qu'on ne peut dire, parce
qu'elles appartiennent au passé trop intime et lointain, revivaient en moi au frô-
lement des branches. Et cependant il y en avait une, une que j'avais bien aimée,
et que je ne retrouvais pas. Je cherchais vainement les voiles blanches dont
l'image était demeurée dans mon souvenir, les grandes voiles carrées, qui
remontaient ou descendaient la Loire. Où sont-elles? N'avions-nous pas fait
le rêve, aux jours d'enfance, mon frère et moi, de louer une de ces grosses
BORDS DE LA LOIRE 15
machines plates, à fleur d'eau, qui s'en allait paresseusement, entre les balises?
Quelle joie, de se coucher à l'arrière, près du gouvernail, les yeux levés, sans
rien faire, puisque, les bateaux, ça va tout seul! La seule chose qui nous
inquiétât, c'était l'entrée en mer, vers Nante«...
Où sont-eiles, les grandes barques qui devaient nous emmener!
transports. La Loire nourrissait son monde. Je vous citerais, par exemple, des
ports comme Saint -dément- des^Levées, dont les deux tiers des habitants
étaient toujours sur l'eau, montant ou descendant. La concurrence des terriens,
les « roulages accélérés » nous causaient bien un peu de tort. Mais, baste! Vive
le vent! monsieur : nous n'avions pas d'avoine à donner à nos chevaux.
— Et jusqu'où alliez-vous?
— Jusqu'à Paris; parfois plus loin; cela dépendait »
Et subitement, maître Houlyer, comme si tout le passé revivait, employa le
temps présent. Il ne s'en aperçut pas. Mais je vis bien à ce petit signe, et à son
regard errant au ras de l'eau, que la jeunesse s'était éveillée, dans cette âme
primitive, à l'appel de son nom.
« Il faut vous dire, monsieur, que nous emmenons avec nous plusieurs
bateaux, ce que nous appelons un équipage; d'abord, en tête, au moins deux
bateaux de mât. On les fait bien à Vierzon, et aussi à Juvardeil. Puis, nous
attelons deux ou trois sapines, des chalands sans voiles, larges, où la marchan-
dise est à l'aise. Les marchands de Paris sont venus; ils ont traité avec moi
pour cent mille d'ardoises à débarquer au port Notre-Dame. Et toute l'ardoise
est arrivée. Et nous embrassons nos femmes : « Adieu! la bourgeoise! » Et
nous partons.
« Ce que nous mettons de temps, dame, monsieur, c'est très variable. Les
bateaux, ça ressemble aux culottes : des jours, il faut les rapiécer. On a une
avarie. Ou bien la glace vous prend, et vous voilà obligé d'attendre la fonte,
ou bien c'est le calme plat. Pourtant, lorsque le vent est bon, — il s'agissait
toujours du vent de 1840, — nous mettons quinze jours pour atteindre, au
delà d'Orléans, l'embouchure du canal. Là, toute la vraie marine de Loire
s'arrête. De la charge de deux bateaux, on fait la charge d'un. Les sapines
en ont tout ce qu'elles peuvent porter. Et tandis que les bateaux de mât redes-
cendent, elles s'engagent dans le canal, tirées, sauf votre respect, à la corde,
par des paysans qui ont l'habitude de venir s'offrir. Il en suffit de deux, un
à droite, l'autre à gauche, qui tirent le chaland par le bout du nez. Pendant ce
temps-là, moi qui conduis l'équipage, je fume, je me promène, je reste à la
chambre, car on ne gouverne seulement pas. Ce n'est pas de la navigation.
Mais elle recommence à la Bosse, en rivière de Seine, au bout de huit jours.
« A la Bossé, je change encore d'équipage. Les nouveaux qui montent avec
moi, les gens de Seine, les Labossois, comme nous disons, n'ont pas notre
manière pour naviguer. Ici, on couple les bateaux : on a de la place. Eux n'en
ont pas autant, faut croire; ils ne couplent pas. Ils ne se servent guère d'ancres,
non plus, pour haler les bateaux, à cause du dur qui est au fond de leur
rivière, mais quand nous sommes à trois cents mètres d'un pont, il arrive des