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Le Droit À La Déconnexion
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L’hyperconnectivité professionnelle
et le droit à la déconnexion et
au repos : quel encadrement juridique ?
153
154 TROISIÈME PARTIE – SUBJECTIVITÉ ET RÉGIMES D’ACTION
répondent aux défis posés par les innovations technologiques qui accen-
tuent le brouillage des frontières entre le temps de travail et le temps de
repos. Dans un premier temps, nous détaillerons de quelle façon se présente
le brouillage des frontières entre le temps de travail et le temps hors travail
dans un contexte d’hyperconnectivité professionnelle, et les conséquences
qu’entraîne un tel brouillage. Dans un deuxième temps, nous explorerons
de quelle façon, au Québec, la législation en vigueur encadre ce phéno-
mène, le cas échéant. Finalement, nous présenterons les tenants et abou-
tissants de l’introduction d’un certain droit à la déconnexion dans la
législation du travail en procédant à une analyse des récentes modifications
apportées au Code du travail français en cette matière.
3. C’est la thèse qui fut rigoureusement défendue par Edward P. Thompson, « Time, Work-
Discipline and Industrial Capitalism », Past & Present, vol. 38, 1967, p. 56-97.
4. Ci-après OIT.
5. Voir la section I de la partie XIII du Traité de paix de Versailles : Bureau international
du travail, Clauses des traités de paix relatives au travail, Genève, Bureau international
du travail, 1920. Voir aussi, à ce sujet, la première constitution de l’OIT : Constitution
de l’Organisation internationale du travail, 1919.
6. Organisation internationale du travail, Le temps de travail au xxie siècle, op. cit.,
paragr. 11.
CHAPITRE 6 – L’HYPERCONNECTIVITÉ PROFESSIONNELLE ET LE DROIT À LA DÉCONNEXION ET AU REPOS 155
14. Sur cette question, voir notamment : Alain Supiot, Au-delà de l’emploi : transformations
du travail et devenir du droit de l’emploi en Europe, Paris, Flammarion, 1999, p. 107-120 ;
J.-E. Ray, « Temps professionnel et temps personnels », Droit social, vol. 1, 2004,
p. 58-69 ; S. Lee, D. McCann et J. C. Messenger, Working Time Around the World :
Trends in Workings Hours, Laws, and Policies in a Global Comparative Perspective, coll.
« Routledge Studies in the Modern World Economy », Genève, International Labour
Office, 2007 ; G. Vallée, « Les nouvelles formes d’emploi et le “brouillage” de la frontière
entre la vie de travail et la vie privée : jusqu’où va l’obligation de disponibilité des sala-
riés ? », Lex electronica, vol. 15, no 2, 2010, p. 1 ; G. Vallée et D. Gesualdi-Fecteau, « Le
travail à la demande et l’obligation de disponibilité des personnes salariées : portée des
balises fixées par la Loi sur les normes du travail », dans Service de la formation continue
du Barreau du Québec, Développements récents en droit du travail (2017), Cowansville,
Éditions Yvon Blais, 2017, p. 257-297.
15. Ci-après les TIC. En 2017, les réseaux mobiles couvraient environ le quart du territoire
canadien et étaient accessibles par 99 % des Canadiens ; le taux de pénétration (soit
le nombre d’abonnements aux services mobiles, divisé par la population) des services
mobiles atteignait 85,7 % : Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications
canadiennes (CRTC), Rapport de surveillance des communications 2018 – Secteur des
services mobiles de détail, Ottawa, CRTC, 2018, [En ligne], <https://crtc.gc.ca/fra/
publications/reports/policymonitoring/2018/cmr3d.htm> (consulté le 28 mai 2020).
16. International Labour Office et Eurofound, Working anytime, anywhere : The effects on the
world of work, Luxembourg, Publications Office of the European Union, 2017, p. 28.
17. Depuis 2017, un travailleur dont les conditions de travail sont régies par le Code
canadien du travail (L.R.C. 1985, c. L-2) peut, après six mois de service continu,
demander à son employeur de modifier son horaire de travail (l’employeur peut refuser
ou faire droit entièrement ou partiellement à la demande). Cet article (177.1) vise entre
autres à assurer notamment un meilleur équilibre travail-vie personnelle.
CHAPITRE 6 – L’HYPERCONNECTIVITÉ PROFESSIONNELLE ET LE DROIT À LA DÉCONNEXION ET AU REPOS 157
18. International Labour Office et Eurofound, Working anytime, anywhere, op. cit.
19. G. Vallée et D. Gesualdi-Fecteau, « Le travail à la demande et l’obligation de disponibilité
des personnes salariées », op. cit.
20. V. Carayol, « Introduction » dans V. Carayol et collab. (dir.), La laisse électronique : les
cadres débordés par les TIC, Pessac, Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine, 2016,
p. 9, à la p. 10. L’auteur Jean-Emmanuel Ray utilise aussi ce terme, parlant même
de « pathologie de l’hyperconnexion » : J.-E. Ray, « Grande accélération et droit à la
déconnexion », Droit social, vol. 11, 2016, p. 912-920.
21. Par exemple, garder son téléphone cellulaire en fonction, suffisamment chargé et à portée
de main : J. Mattern, R. Haines et S. Schellhammer, Predicting Constant Connectivity via
one’s Smartphone – the Role of Work Ethic, Expectations and Emotional Reward, Antecedents
of Constant Connectivity, Munich, Fortieth International Conference on Information
Systems, 2019, p. 1-9, à la p. 3.
22. M. J. Grawitch et collab., « Self-imposed pressure or organizational norms ? Further
examination of the construct of workplace telepressure », Stress and Health, vol. 34,
2018, p. 306-319 ; L. K. Barber et A. M. Santuzzi, « Please respond ASAP : Workplace
telepressure and employee recovery », Journal of Occupational Health Psychology, vol. 20,
no 2, 2015, p. 172-189.
23. L. K. Barber et A. M. Santuzzi, « Please respond ASAP », op. cit., p. 172.
24. G. H. Fenner et R. W. Renn, « Technology-assisted supplemental work and work-to-
family conflict : The role of instrumentality beliefs, organizational expectations and time
158 TROISIÈME PARTIE – SUBJECTIVITÉ ET RÉGIMES D’ACTION
une pluralité de mesures dont la finalité très générale est de permettre aux
personnes salariées de bénéficier de différents temps de « repos35 ».
Ainsi, la LNT prévoit que, sauf disposition contraire d’une convention
collective ou d’un décret, l’employeur doit fournir à la personne salariée,
au-delà d’une période de travail de cinq heures consécutives, une pause
de 30 minutes pour le repas : cette pause est non rémunérée36. Cette
pause-repas doit toutefois être rémunérée si la personne salariée n’est pas
autorisée à quitter son poste de travail37.
La LNT prévoit que la personne salariée doit pouvoir bénéficier d’un
repos hebdomadaire d’une durée minimale de 32 heures consécutives38.
Cependant, rien ne prohibe formellement celles-ci d’accepter de travailler
de façon continue.
La LNT stipule également l’obligation de rémunérer la personne
salariée qui doit travailler au-delà de ses heures normales de travail39,
lorsqu’elle attend du travail sur les lieux du travail40, lorsqu’elle se déplace
pour le compte de l’employeur41 ou lorsqu’elle est en période de formation
ou d’essai42.
La mise en disponibilité de la personne salariée « branchée » peut-elle
être assimilée à une période de travail devant être rémunérée, si cette
obligation de disponibilité se déploie à l’extérieur des heures de travail et
hors du lieu de travail ? La LNT impose que la personne salariée en attente
de travail soit rémunérée uniquement si elle se trouve sur les lieux du
travail43. Ainsi, les périodes où une personne salariée doit être disponible
35. Il s’agit du droit au congé hebdomadaire et à la pause repas : art. 78 et 79 LNT. Les
congés sociaux sont de différentes natures : congé de maladie, pour raisons familiales ou
parentales, etc. : art. 79.1 et suiv. LNT.
36. Art. 79(1) LNT.
37. Art. 79(2) LNT. Voir Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) et CISSS
Bas St-Laurent (CSSS Rimouski-Neigette), 2016 QCTA 920, paragr. 72 et 73.
38. Art. 78 LNT. Le second alinéa de cette disposition prévoit que les travailleurs agricoles
peuvent, s’ils y consentent, reporter leur congé hebdomadaire à la semaine suivante.
39. La personne salariée doit être rémunérée pour toutes les heures travaillées et, si elle
travaille au-delà de la semaine normale de travail de 40 heures prévue à la LNT, elle doit
recevoir une majoration salariale de 50 % : art. 55 LNT.
40. Art. 57(1) LNT.
41. Art. 57(3) LNT.
42. Art. 57(4) LN.
43. Art. 57(1) LNT.
162 TROISIÈME PARTIE – SUBJECTIVITÉ ET RÉGIMES D’ACTION
par cette disposition49, laquelle ne permet donc pas aux personnes salariées
de refuser d’être mises en disponibilité.
Finalement, la personne salariée pourra également refuser de travail-
leur au-delà de ses heures normales de travail si sa présence est nécessaire
pour remplir des obligations reliées à la garde, à la santé ou à l’éducation
de son enfant ou de l’enfant de son conjoint, ou en raison de l’état de
santé de son conjoint, de son père, de sa mère, d’un frère, d’une sœur ou
de l’un de ses grands-parents, dans la mesure où la personne salariée a pris
les moyens raisonnables à sa disposition pour assumer autrement ces
obligations50. Une fois de plus, ce droit de refus ne peut être invoqué par
les personnes mises en disponibilité.
Qu’en est-il toutefois des personnes salariées qui effectuent, au moyen
des TIC, des tâches à l’extérieur des heures de travail et hors des lieux où
elles exercent usuellement leur prestation de travail ? Les règles afférentes
au contrat de travail exigent que les personnes salariées soient rétribuées
pour le travail effectué51. De plus, tout travail exécuté en plus des heures
de la semaine normale de travail de 40 heures entraîne une majoration de
50 % du salaire horaire habituel que touche la personne salariée52. Dans
les deux cas, les personnes salariées pourront réclamer le salaire impayé,
le cas échéant53. Une analyse de la jurisprudence ne révèle toutefois aucun
cas mettant en cause une réclamation salariale par des personnes salariées
effectuant des tâches supplémentaires au moyen des TIC.
55. Art. 1 LSST. Sont toutefois exclus les gérants, les surintendants, les contremaîtres et les
représentants de l’employeur. Pour plus de précisions, voir : F. A. Tremblay et G. Vallée,
« Fascicule 2 – Champ d’application personnel et portée territoriale », dans JurisClasseur
Québec, Santé et sécurité du travail, coll. « Droit du travail », Montréal, LexisNexis
Canada, paragr. 96-121.
56. Art. 12-31 LSST.
57. Forget-Chagnon et Marché Bel-Air inc., [2000] CLP 388, paragr. 301-308 et 326.
58. Pour en savoir plus sur la notion de danger, voir : C. Giguère et A. Gagnon, « Fasci-
cule 5 – Droit de refus en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail », dans
JurisClasseur Québec, Santé et sécurité du travail, coll. « Droit du travail », Montréal,
LexisNexis Canada, paragr. 11-13.
59. Casino du Lac Leamy et Villeneuve, CLPE 2004LP-64, paragr. 64-68.
60. Art. 13 LSST. Les travailleurs et travailleuses ne pourront pas non plus refuser d’exercer
un travail si ce refus va à l’encontre de leur code de déontologie, le cas échéant. Voir, par
exemple, art. 2 et 3 du Code de déontologie des médecins, RLRQ, c. M-9, r. 17.
61. Art. 15 LSST.
62. Le cas échéant, le représentant déterminera aussi les correctifs à apporter : art. 16-18
LSST.
63. Art. 18-19 LSST.
64. Ci-après le TAT, Art. 20 LSST.
CHAPITRE 6 – L’HYPERCONNECTIVITÉ PROFESSIONNELLE ET LE DROIT À LA DÉCONNEXION ET AU REPOS 165
65. Une recherche menée en juin 2020 sur la base de données SOQUIJ n’a relevé que
5 résultats pertinents.
66. Charest et Services ambulanciers Porlier ltée, 2018 QCTAT 2891. Cette décision paraît
surprenante en regard d’une décision du TAT deux ans auparavant, portant aussi sur
la santé et la sécurité des travailleurs. Après avoir pris connaissance d’une preuve volu-
mineuse portant sur le sommeil, la fatigue et les risques y associés, le TAT exigeait que
l’employeur, une coopérative de paramédics et d’ambulanciers, s’assure que les quarts
de travail ne dépassent pas 17 heures consécutives en raison des risques associés à la
fatigue et à la somnolence : Coopérative des paramédics du Grand-Portage et Commission
des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, 2016 QCTAT 3849.
67. Art. 13 LSST.
68. En effet, la CSST a déjà jugé que cela démontrait qu’une telle situation « s’inscri[vai]
t dans un contexte habituel » : Clément et Québec (Ministère de la Sécurité publique)
(Détention de Sorel), 2009 QCCSST 28, paragr. 25.
69. Charest et Services ambulanciers Porlier ltée, op. cit., paragr. 228.
166 TROISIÈME PARTIE – SUBJECTIVITÉ ET RÉGIMES D’ACTION
78. Et « Quand elles négocient, les trois quarts des entreprises se contentent de mesures
standards et peu contraignantes portant principalement sur l’usage des messageries » :
L. Besnier et collab., Négocier la déconnexion : analyse des accords déconnexion dans la
région Grand Est, Strasbourg, Institut du travail, Université de Strasbourg (Unistra),
2019, p. 67, [En ligne], <http://grand-est.direccte.gouv.fr/sites/grand-est.direccte.gouv.
fr/IMG/pdf/idt_rapport_deconnexion__juillet2019_.pdf> (consulté le 11 juin 2020).
79. Ibid., p. 68.
80. Ley Orgánica de Protección de Datos Personales y garantía de los derechos digitales,
5 décembre 2018, art. 88.
81. Ministero dello Sviluppo Economico, Legge n. 81 del 22 maggio 2017 : Misure per la
tutela del lavoro autonomo non imprenditoriale e misure volte a favorire l’articolazione
flessibile nei tempi e nei luoghi del lavoro subordinato, CIRCOLARE N 3707 /C, 22 mai
2017, art. 19(1).
82. D. Figueroa, « Italy : Provisions on Self-Employed Workers and Flexible Work Schedules
| Global Legal Monitor », The Law Library of Congress, 7 juillet 2017, [En ligne], <//
www.loc.gov/law/foreign-news/article/italy-provisions-on-self-employed-workers-and-
flexible-work-schedules/> (consulté le 27 février 2020).
83. M. Llorente, « El derecho a desconectarse ya tiene su ley en España », Heraldo, 18 février
2019, [En ligne], <https://www.heraldo.es/noticias/economia/2019/02/18/el-derecho-
desconectarse-tiene-ley-espana-1293317-309.html#> (consulté le 12 décembre 2019).
CHAPITRE 6 – L’HYPERCONNECTIVITÉ PROFESSIONNELLE ET LE DROIT À LA DÉCONNEXION ET AU REPOS 169
84. Federal ministry of Labour and Social affairs, Re-imagining work. White paper – Work
4.0 (Arbeiten 4.0), Berlin, 2017.
85. B. Durkan, « Governement to examine if “right to disconnect” from emails out of
hours would work in Ireland », thejournal.ie, 15 août 2019, [En ligne], <https://www.
thejournal.ie/right-to-disconnect-ireland-4765985-Aug2019/> (consulté le 12 décembre
2019).
86. S. Borkar et P. Rane, « India : Everything You Want To Know About Right To
Disconnect », Mondaq, 29 janvier 2019, [En ligne], <http://www.mondaq.com/
india/x/775698/employee+rights+labour+relations/Everything+You+Want+To+Know
+About+Right+To+Disconnect> (consulté le 11 décembre 2019).
87. B. Kesslen, « A “right to disconnect” ? New York City Council explores protecting off
hours », NBC, 26 janvier 2019, [En ligne], <https://www.nbcnews.com/news/us-news/
right-disconnect-new-york-city-council-explores-protecting-hours-n963071> (consulté
le 12 décembre 2019).
88. Projet de loi 1097, Loi sur le droit à la déconnexion (2018), 1re sess., 41e légis., Assem-
blée nationale, 2018, [En ligne], <http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/
projets-loi/projet-loi-1097-41-1.html> (consulté le 2 mars 2020).
89. Projet de loi 492, Loi sur le droit à la déconnexion, 1re sess., 42e légis., Assemblée natio-
nale, 2020, [En ligne], <http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/
projet-loi-492-42-1.html> (consulté le 3 juin 2020).
90. C. Plante, « Droit à la déconnexion : le ministre du Travail mène des réflexions », La Presse,
23 février 2020, [En ligne], <https://www.lapresse.ca/affaires/techno/202002/23/01-
5262089-droit-a-la-deconnexion-le-ministre-du-travail-mene-des-reflexions.php>
(consulté le 28 février 2020).
91. Code canadien du travail, op. cit.
92. Emploi et Développement social Canada, « Rapport du Comité d’experts sur les normes
du travail fédérales modernes », op. cit., p. 103-122.
170 TROISIÈME PARTIE – SUBJECTIVITÉ ET RÉGIMES D’ACTION
98. M. Gibson, « Here’s a Radical Way to End Vacation Email Overload », op. cit.
99. C. Woodrow Von Bergen et M. S. Bressler, « Work, Non-Work Boundaries and the
Right to Disconnect », Journal of Applied Business and Economics, vol. 21, no 2, 2019,
p. 51-69, aux p. 61-62. Dans bien des cas aussi, ce type de mesure n’empêche pas les
travailleurs d’effectuer du temps supplémentaire hors du lieu et des heures usuelles de
travail : J.-E. Ray, « Grande accélération et droit à la déconnexion », op. cit. ; S. Schlachter
et collab., « Voluntary Work-related Technology Use during Non-work Time », op. cit.,
p. 839.
100. En général sur le sujet, voir : M. Véricel, « Astreintes : caractère substantiel des conditions
légales de leur institution », Revue du droit de travail, no 12, 2017, p. 804-806 ; P. M.
Secunda, « The Employee Right to Disconnect », op. cit.
101. Art. L3121-9 C. trav.
102. En 2016, le Code du travail a été modifié pour préciser que la personne salariée, sans
être sur son lieu de travail, doit être en mesure d’accomplir du travail pour l’employeur
(auparavant, pour être considérée comme en astreinte, elle devait nécessairement se
trouver « à son domicile ou à proximité ») : art. L3121-9(1) C. trav.
172 TROISIÈME PARTIE – SUBJECTIVITÉ ET RÉGIMES D’ACTION
travail. Une personne salariée qui doit être joignable par téléphone et prête
à répondre en tout temps peut être considérée comme étant en période
d’astreinte103. Celle-ci fait l’objet d’une contrepartie, soit sous forme
financière, soit sous forme de repos104. Il semble par ailleurs qu’en France
les entreprises dans lesquelles les mesures en matière de déconnexion ont
connu du succès sont celles où l’employeur balisait également la mise en
place de l’astreinte ; ce faisant, la mise en disponibilité des personnes
salariées était prévue et compensée105.
D’autre part, le temps de travail effectif doit être compensé, peu
importe le mode de rémunération préconisé. Au Québec, le salaire pourra
être déterminé sur une base horaire, en fonction de la durée de la prestation
de travail, mais aussi sur une base quotidienne, hebdomadaire, mensuelle
ou annuelle. La rémunération fixe permet de contourner la référence au
cadre temporel et spatial pour mesurer l’exécution de la prestation de
travail des personnes salariées106.
Finalement, l’introduction de normes fixant une durée maximale de
la journée et de la semaine de travail permettrait aux normes d’ordre public
portant sur la durée du travail d’assurer leur fonction originelle de protéger
la santé et la sécurité des travailleurs et des travailleuses. De telles normes
favoriseraient également un réexamen de l’organisation du travail107.
103. Par exemple, la Cour de cassation (l’un des tribunaux de dernier recours de France) a
statué qu’un employé qui devait garder son téléphone cellulaire allumé et être dispo-
nible en tout temps pour son employeur était assujetti à l’astreinte. L’employé a reçu
une indemnisation de 60 000 € pour une période d’un an et demi : Cour de cassation,
chambre sociale, 12 juillet 2018, [En ligne], <https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuri-
Judi.do ?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000037384264&fastReqId=12
44248928&fastPos=1> (consulté le 28 mars 2019).
104. Art. L3121-9(3) C. trav.
105. L. Besnier et collab., « Négocier la déconnexion », op. cit., p. 51 et 52.
106. Sur cette question, voir G. Vallée et D. Gesualdi-Fecteau, « Le travail à la demande et
l’obligation de disponibilité des personnes salariées », op. cit.
107. P. Fleming, « Why you shouldn’t let your smartphone be the boss of you », The Guardian,
13 janvier 2016, [En ligne], <https://www.theguardian.com/commentisfree/2016/
jan/13/smartphone-boss-of-you-burn-out-societal-malaise> (consulté le 14 décembre
2019) ; S. Schlachter et collab., « Voluntary Work-related Technology Use during Non-
work Time : A Narrative Synthesis of Empirical Research and Research Agenda », Inter-
national Journal of Management Reviews, vol. 20, 2018, p. 825-846, aux p. 828 et 840.
Dans un ordre d’idées similaire, une expérience menée par une professeure américaine
auprès de dizaines de travailleurs effectuant fréquemment plus de 60 heures par semaine
à un rythme effréné et dans un environnement demandant l’instauration d’une soirée
(et, dans certains cas, d’une journée complète) « sans travail » par semaine, par employé,
déterminée d’avance, a démontré que l’efficacité, le bien-être et l’équilibre travail-famille
des travailleurs, de même que leurs relations avec leurs clients, avait augmenté : L.A.
CHAPITRE 6 – L’HYPERCONNECTIVITÉ PROFESSIONNELLE ET LE DROIT À LA DÉCONNEXION ET AU REPOS 173
CONCLUSION
Perlow, Sleeping With Your Smartphone, op. cit. La prévisibilité des périodes de décon-
nexion aurait contribué fortement au succès de l’étude, puisque les collègues et les supé-
rieurs pouvaient s’adapter en conséquence : ibid., p. 39 et suiv.
108. International Labour Office et Eurofound, Working anytime, anywhere, op. cit. p. 28 ;
C. Woodrow Von Bergen et M. Bressler, « Work, Non-Work Boundaries and the Right
to Disconnect », op. cit., p. 61 et 62.
109. Ce qui serait d’ailleurs le cas pour certaines personnes salariées, selon une étude : E. Russell
et S. A. Woods, « Personality differences as predictors of action-goal relationships in
work-email activity », Computers in Humans Behavior, vol. 103, 2020, p. 67-79.
110. Ce nombre aurait triplé au Canada entre février et avril 2020 : Centre for Future Work
et J. Stanford, 10 ways the COVID-19 pandemic must change work for good, Vancouver,
Centre for Future Work, 2020, p. 22 et suiv.
111. Comité consultatif du travail et de la main-d’œuvre, Avis sur le télétravail, Québec,
Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, 2020, en ligne : <https://
www.travail.gouv.qc.ca/fileadmin/fichiers/Documents/cctm/Avis/Avis_CCTM_tele-
travail.pdf> (consulté le 30 novembre 2020).
174 TROISIÈME PARTIE – SUBJECTIVITÉ ET RÉGIMES D’ACTION
et a émis le souhait que les entreprises dont les salariés et salariées effectuent
du télétravail se dotent d’une politique ou d’une entente-cadre écrite et
claire. Le CCTM a aussi joint à cet avis une liste des modalités qu’une
telle politique ou entente-cadre pourrait couvrir : durée prévue de cet
aménagement de travail, horaires de télétravail, santé, sécurité et vie privée
de la personne en télétravail et droit à la déconnexion, notamment. Le
ministre québécois du Travail a promis qu’il ferait une « recommandation
forte » afin que de telles politiques ou ententes-cadres soient adoptées112.
De plus, pour mieux outiller les employeurs qui voudraient suivre sa
recommandation, il a ajouté que la CNESST préparerait « un guide pour
accompagner les entreprises qui souhaitent développer une politique de
télétravail »113. Le ministre a toutefois répété qu’il n’envisageait pas adopter
de politique générale ni légiférer à ce sujet114.
Si le télétravail comporte certains avantages115, il importe toutefois
que le cadre dans lequel il s’exerce soit clairement établi, à défaut de quoi
cette pratique pourrait accroître le brouillage entre les temps sociaux116
et accentuer les effets néfastes de l’hyperconnectivité117. Bien qu’encourager
le dialogue social portant sur cette question soit opportun, il semble plus
que jamais nécessaire de procéder à un examen des normes juridiques
québécoises présentement en vigueur et portant sur la durée du travail
afin d’assurer que celles-ci soient adéquates face aux mutations contem-
poraines du travail.