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POURQUOI LA VIERGE
APPARAÎT AUJOURD'HUI
Éditions du Félin
ISBN 2-86645-031-0
Ce livre est dédié aux Enfants
qui cherchent leur mère et
à la Mère qui les trouve.
Note du traducteur
1
Cf. Mircea Eliade, Le chamanisme et les techniques de l’extase, 2e éd. augmentée,
Paris, 1967.
Nazaréen, se manifestait dans la réalité physique sous
une apparence non moins physique. Le mystère des ap-
paritions est peut-être le mystère même de la vie de la
Vierge, et surtout celui de sa mort.
Une antique tradition évoque en effet la « dormition » de
la Vierge après que celle-ci se soit retirée du monde. En
réalité, on n’a jamais rien su de la mort de Marie, si ce
n’est que, Pie XII ayant proclamé en 1950 le dogme de
l’Assomption, l’Église vénère celle qui est montée au Ciel
dans un corps pur. Ce qui revient à dire que grâce à cette
pureté, la Vierge peut conserver, intact, un lien magique,
une sorte de cordon ombilical sacré, avec les hommes.
« À mes yeux, Marie est un être réel, historique, et elle est
en même temps le miroir de différents symboles qui se
présentent à la conscience », dit Jean Guitton dans son
étude sur les apparitions qu’a faites la Vierge à la novice
Catherine Labouré2.
Ayant recensé 213 cas d’apparitions de la Vierge sur un
demi-siècle (sur ces 48 dernières années pour être plus
précise, à savoir de 1939 à 1987), je partage entièrement
ce point de vue. En partant de l’année 1830 (à partir de
laquelle il est possible de commencer à retracer l’histoire
de ces phénomènes), on recense 272 cas, mais ce chiffre
est sujet à caution étant donné le peu de renseignements
disponibles sur les événements du siècle dernier, et a for-
tiori sur ceux qui ont précédé.
Comme le font les mariologues, j’ai assimilé aux appari-
tions proprement dites les larmes, exsudations et autres
2
Jean Guitton, La Vierge, rue du Bac.
phénomènes extraordinaires observés sur des statues,
des peintures, des mosaïques et diverses reproductions
de la Vierge.
J’ai constaté qu’il existait des époques plus propices aux
apparitions et des pays davantage concernés que d’autres
par ce phénomène tant dans l’absolu que pour des pé-
riodes précises. À partir des données qui lui sont fournies,
le lecteur pourra faire des déductions et tirer ses propres
conclusions. Les subdivisions que j’ai établies en appen-
dice après certains chapitres de mon livre sont le résultat
d’une réflexion sur la dynamique du phénomène et sur la
probable logique interne de celui-ci, sur l’évolution de la
courbe qui le caractérise et dont le tracé enregistre natu-
rellement des pics et des creux.
Je m'arrêterai pour le moment uniquement sur quelques
aspects du problème. Au siècle présent, la période la plus
riche en apparitions a été celle qui a suivi la deuxième
guerre mondiale. En trois ans, de 1946 à 1949, on n’en
compte en effet pas moins de 58 : c’est là un chiffre stu-
péfiant compte tenu du fait que la guerre était alors ter-
minée. On peut cependant faire deux remarques à ce pro-
pos. En premier lieu, de même que l’on observe un effet
de glissement au cours des expériences sur l’E.S.P.3 (cf.
recherches de J.-B. Rhine), les années 46-49 pourraient
bien être celles d’une prise de conscience a posteriori par
rapport aux années cruciales de la guerre et de la bombe
atomique (1939-1945 : 16 apparitions), au cours des-
quelles le phénomène avait davantage de raisons de se
produire, d’un point de vue tant objectif que subjectif. Par
3
Extrasensory Perception (perception extra-sensorielle).
ailleurs, cette prise de conscience à retardement des dan-
gers qui avaient menacé l’humanité à cette époque et de
ceux qu’elle encourait de tout temps, était également le
fait de la fatigue, de l’affaiblissement, après les dures
épreuves de la guerre. Et l’on sait que parmi les condi-
tions qui favorisent les états « autres » de la conscience,
ainsi que les phénomènes cognitifs et mystiques qui en
découlent, figurent entre autres la perte sensorielle, la
mortification, l’abstinence, toutes conditions qui font par-
tie de ce que l’on appelle les « techniques de l’extase ».
Au cours de ces sept dernières années (1980-1987), les
apparitions ont connu un développement inattendu. Elles
se sont succédées à un rythme accéléré et on peut se de-
mander pourquoi. Nous sommes là aussi libres, sur la
base des informations réunies, de tirer nos propres con-
clusions.
En analysant les faits, et surtout le contenu des messages
délivrés au cours de chaque apparition, il semble que l’on
soit en présence, non pas tant de perceptions génériques
portant sur des catastrophes possibles ou évitées de peu,
que de véritables présages, de terribles prophéties con-
cernant l’avenir de l’humanité.
De nos jours, toute apparition revêt un caractère prophé-
tique. C'est pourquoi elle est importante pour nous : elle
anticipe les faits, annonce parfois des changements.
Quand et comment ces changements s'installeront et en
quoi ils consisteront : il est possible de déduire tout ceci
du langage mystérieux de la Vierge, avec un peu d’astuce
et de patience. Ce langage est parfois simple, trop simple,
au point qu'il peut être sous-estimé ou dévalorisé, et par-
fois cabalistique, lorsqu'il n'est pas répétitif et stéréotypé.
Pour en déchiffrer le code, en dégager l'émotion et en ex-
traire l’énergie, il semble qu’il faille alors une maïeutique
digne d’un Hermès Trismégiste ou de quelqu’autre grand
penseur de l’Antiquité, ou même de notre temps. Jean
Guitton n’est pas si éloigné de cette idée lorsqu'il écrit,
toujours à propos des apparitions : « Je dis que le pro-
phète, vu sous cet angle, atteint pendant un laps de
temps passager ce que recherchent les sages, les philo-
sophes, les théologiens et tous ceux qui à nos yeux rai-
sonnent sur la perspective : une vision globale de l'his-
toire du salut. Le prophète la perçoit dans son déroule-
ment apocalyptique4. »
Les messages de la Vierge, véritables déluges d'images et
de créations lyriques, de formules lapidaires mais égale-
ment de simples conseils et avertissements, s’articulent
toujours autour du schéma suivant :
— dénonciation d'une situation ;
— remarques sur les actes des hommes ;
— instructions en vue de l'expiation ;
— promesse d'un signe ;
— annonce d’un châtiment en cas de transgression.
La terminologie des messages s'accorde avec leur con-
tenu.
4
Ibidem.
On y retrouve toujours les mots « avertissement, châti-
ment, conversion, prière, épreuve ».
Pour le reste, la totalité des communications de la Vierge
évoque la présence de l’Antéchrist dans notre monde con-
temporain. L’époque où nous vivons est qualifiée d’« ère
satanique ». Le châtiment divin nous guette, bien peu
pourront être sauvés. La purification semble donc néces-
saire.
Bon nombre des messages que nous allons reproduire in-
diquent le type de cataclysmes annoncés en précisant où
ceux-ci se produiront. Ils évoquent la responsabilité des
gouvernants mais aussi des gens ordinaires, celle des na-
tions athées mais aussi celle de l'Église.
Tout ceci peut se résumer en un seul avertissement : at-
tention, le moment est proche d'horribles ténèbres.
La seule chose qui nous aide au milieu de cet effroi est la
pensée de cette vision, décrite avec tant de sincérité par
les visionnaires de toutes les époques et de toute prove-
nance, une vision qui à la longue devient aussi la nôtre :
celle de la Vierge.
Cela ressemble à un conte de fées, à n'en point douter.
Un nuage lumineux descend du ciel et s’entrouvre comme
un fantastique vaisseau de l'espace. Quelqu’un apparaît.
Les visionnaires la voient : c'est la Reine du Ciel, dans
toute la splendeur de sa beauté surnaturelle.
Elle parle. Évanescente dans sa grâce de créature venue
d'un autre univers, et pourtant tangible, concrète, la
Vierge prodigue des conseils, des avertissements.
Et croire en Elle, s'en remettre à sa présence presque ma-
gique, à son énergie — véritable « force faible » de l'orbite
qui est la nôtre — peut, si nous en sommes vraiment au
« temps des temps », se révéler comme un choix décisif5.
5
J'emprunte l’expression de « force faible » à la physique moderne.
I
6
R. Laurentin : La Vierge Marie, Rome, 1984.
avait été coupée par l’émir de Damas.
Nombreuses sont par ailleurs les apparitions mention-
nées dans la vie des mystiques et des saints ; mais c’est
à partir du XIXe siècle que l’on parle avec plus d’insis-
tance, et avec une plus grande abondance de détails,
d’épiphanies de Marie. Pratiquement, jusqu’en 1830, an-
née au cours de laquelle la novice Catherine Labouré eut
à l’âge de 23 ans ses visions dans la chapelle du couvent
des Filles de la Charité de la rue du Bac, à Paris, il n’existe
pas de véritable histoire, au sens scientifique du terme,
d’apparitions ; il est en revanche possible d’en retracer
une pour les XIXe et XXe siècles7.
7
Au cours d’un récent colloque d’études mariales (septembre 1986) réuni à Sara-
gosse (Espagne), il a été présenté un rapport dans lequel étaient évoquées des mil-
liers d’apparitions de la Vierge qui se seraient produites en l’espace de dix siècles.
À Lourdes, la Vierge se manifesta 18 fois, du 11 février au
16 juillet 1858, à une jeune bergère, Bernadette Soubi-
rous et l’évêque du pays reconnut l’événement le 18 jan-
vier 1862.
Le phénomène de Pontmain fut également jugé comme
surnaturel : le 17 janvier 1871, la Vierge apparut une
seule fois, alors que l’armée prussienne occupait le pays,
et la phrase suivante s'inscrivit en même temps dans le
ciel : « Courage, mes enfants, priez. Mon fils se laisse api-
toyer. Dans peu de temps Dieu vous exaucera. »
Les apparitions survenues en 1877 à Gietrzwalde, en Po-
logne, furent aussi reconnues, de même que les événe-
ments, plus célèbres, de Fatima où, de 1916 à 1917, trois
jeunes bergers virent tout d'abord un ange puis, du 13
mai au 13 octobre 1917, une fois par mois sauf en août,
la Vierge, qui leur communiqua des messages. La der-
nière apparition, celle du 13 octobre, coïncida avec des
phénomènes solaires exceptionnels qui furent suivis par
une foule de 70 000 personnes.
Selon l’Église, cinq enfants virent réellement la Vierge à
Beauraing en Belgique, du 29 novembre 1932 au 3 jan-
vier 1933. Une fillette de condition modeste en eut la vi-
sion à Banneux, toujours en Belgique, du 15 janvier au 2
mars 1933. Tous ces témoignages d’apparitions recon-
nues par l’Église, ajoutés aux cas non reconnus ou seu-
lement tolérés, et des cas sur lesquels l'Église attend pour
se prononcer (sans parler de cas, nombreux, qui n’ont pas
été révélés) témoignent qu’à notre époque, où les événe-
ments historiques se succèdent à un rythme soutenu, ces
visions ont un sens manifeste : ils expriment une pré-
sence surnaturelle qui est aussi un avertissement.
L’image de la Mère de Dieu émerge avec une fréquence de
plus en plus rapprochée, toujours plus nette et plus pré-
cise. Une trentaine de pays au moins sont concernés par
les phénomènes d’apparition : Autriche, Brésil, Canada,
Tchécoslovaquie, Égypte, France, Japon, Italie, Yougosla-
vie, Lituanie, Pologne, Russie, Portugal, Roumanie, Es-
pagne, Suisse...
Le « nuage de Marie » régna sur la Belgique en 1933, se
déplaçant vers la France au cours de la décennie suivante
(1937-1947). L’Italie fut visitée par la mystérieuse appa-
rition à partir de 1944, et demeure en tête de tous les
classements, immédiatement avant la France et l'Alle-
magne, suivis de la Belgique, l'Espagne, les États-Unis et
le Canada.
Venons-en à aujourd'hui. De 1971 à 1986, c'est-à-dire au
cours de ces quinze dernières années, les événements
surnaturels liés au culte de la Vierge abondent encore,
surtout en Italie.
Faut-il rattacher ce phénomène à la présence dans la Pé-
ninsule du siège du catholicisme ? Je ne le pense pas. On
peut plutôt parler d’une plus grande disponibilité, et donc
d’une plus grande réceptivité, en raison d’une longue fa-
miliarité avec la matière religieuse et les pratiques du
culte qui sont au cœur de la tradition et de l’histoire ita-
liennes.
Giuseppe Besutti, professeur de mariologie à l’institut
d’Études mariales du Vatican, a effectué une étude ap-
profondie sur l’origine de 1.174 sanctuaires consacrés à
la Vierge et antérieurs ou postérieurs à l’année 1100, et il
a dressé le tableau suivant :
8
G.-M. Besutti, O.-S.-M. : Saggio di ricerca sull’origine dei sanctuari mariani in Italia,
in De cultu mariano saeculis, VI-XI (Romae, P. Academia Mariana Internationalis,
1972), vol. V, pp. 275-305.
d'adultes que d'enfants. »
C’est ce que déclare Giuseppe Besutti dans son étude sur
l’origine des sanctuaires mariais.
Le tableau de Besutti est le suivant :
Apparitions et Sanctuaires
Interview de Domenico Marcucci9
9
D. Marcucci est l’auteur de l’ouvrage « Santuari Mariani d’Italia », Ed. Paoline,
Rome, 1982.
pour le milieu urbain concerné.
— Avez-vous étudié les phénomènes d’apparition ?
— Oui, mais pas de manière approfondie, car s’il peut
sembler que les sanctuaires sont liés aux apparitions, il
n’en va pas toujours ainsi dans la réalité. Le phénomène
commun à l’Italie et aux pays étrangers est celui des
images mariales qui se manifestent d’une manière ou
d’une autre, étant découvertes ou retrouvées dans des
circonstances prodigieuses. 50 % des sanctuaires mariais
sont nés de cette manière. Très souvent l’apparition et la
découverte sont étroitement liées. Un cas typique est celui
de Pietralba, dans le Haut-Adige, où la Vierge est apparue
à un habitant du lieu qui était tombé dans un ravin et lui
a promis la guérison en lui disant d’aller creuser à un
certain endroit où se trouvaient des images. Un autre cas
est celui de la Vierge de Città di Castello, en Ombrie : là
la Vierge apparut à un enfant, Righetto Ciocchi, près du
vieux mur d’une église et le caressa comme une mère ; on
découvrit ensuite sur le mur une image de la Vierge, une
ancienne fresque en mauvais état. Il s'agissait d’une
église de la fin du Moyen Âge.
On compte davantage de sanctuaires dans le nord de l’Ita-
lie que dans le sud. Aussi loin que l’on remonte dans l’his-
toire, on s’aperçoit que les sanctuaires n’ont fait leur ap-
parition que vers l’an 1000 et se sont considérablement
développés à l’époque de Saint Bernard. C’est un phéno-
mène qui s’est étendu à toute l’Europe. Le sud a connu
sa période la plus florissante sous le règne des Souabes
et les sanctuaires s’y sont multipliés à cette époque-là.
C’est aussi à cette période que s’est fait le passage du rite
grec orthodoxe au rite latin. Un très grand nombre de mo-
nastères et d’ermitages firent leur apparition. Dans les
petites communautés, des images furent découvertes de
manière très troublante. Par ailleurs, à la fin du IXe siècle,
les images découvertes avaient été apportées en Italie
pour y être mises à l’abri et la zone la plus proche par la
côte était le sud. Les Pouilles et la Calabre sont en effet
très riches en sanctuaires mariais. Ce n’est en revanche
pas le cas de la Sicile, qui se trouvait sous l’influence
arabe. La Lucanie vit également naître un certain nombre
de sanctuaires, suite à cet afflux d'images ayant appar-
tenu à des moines orientaux, car l’Orient entretenait un
culte tout particulier pour la Vierge, très enraciné dans la
liturgie. Le phénomène le plus marquant dans le Sud est
donc la découverte de ces images dans les circonstances
les plus singulières : la Madonna delle Galline (« Vierge
des Poules ») avait ainsi été trouvée dans une basse-cour
où picoraient des poules, d’où son nom.
Les incursions arabes eurent également des répercus-
sions sur ce phénomène, dans la mesure où elles inci-
taient les gens à cacher les images qui, si la personne qui
les avait mises en sécurité mourait, n’étaient plus retrou-
vées ou étaient retrouvées beaucoup plus tard et ce, dans
des circonstances étranges ou fortuites. Il convient par
ailleurs de faire observer qu’il existe un étonnant phéno-
mène d’imitation, tant en ce qui concerne les apparitions
que les phénomènes extraordinaires. Lorsqu’un fait ex-
traordinaire se produit en effet, les gens aspirent à ce qu’il
se reproduise. Il commence alors à prendre de l’ampleur.
Ainsi, peu après les apparitions de Bernadette, plusieurs
fillettes affirmèrent voir la Vierge, parfois à l’intérieur
même de la grotte. Puis on constata que cette « vision »
dans la grotte était due à une stalactite. Ce fut là un cas
probant de phénomène d’imitation. À l’époque du siège de
Rome par les troupes de Napoléon en 1797, une image de
la Cathédrale d’Ancone remua les yeux lorsque l’Empe-
reur fit son entrée dans la ville. À partir de ce moment,
lorsque Napoléon traversa le territoire de l’État Pontifical,
les apparitions de la Vierge se manifestèrent partout. Rien
qu’à Rome, il y eut 18 cas d’apparitions et de visions cons-
tatés par les autorités ecclésiastiques. Le premier se pro-
duisit le 9 juillet dans une ruelle de Rome où se dresse
aujourd’hui un petit sanctuaire, celui de la « Madonna
dell’Archetto ». Sur les 26 cas — réels ceux-ci — des ar-
chives ont été constituées à l’initiative du Souverain pon-
tife lui-même. On peut penser que dans une période par-
ticulièrement sombre, la Vierge a voulu par ces prodiges
redonner confiance et espoir.
Lorsqu’à l’époque de la conquête russe, le clergé catholi-
que fut éloigné de la Ruthénie pour faire place au clergé
orthodoxe, toute une série d’images de la Vierge se mirent
à verser des larmes ou même du sang à travers ce pays
situé aux confins de la Russie et de la Pologne. Les auto-
rités catholiques se sont cependant empressées de dé-
truire les documents relatifs à ces faits, afin de les effacer
de la mémoire du peuple.
— Quelle est la nation européenne qui compte le plus
grand nombre d’apparitions reconnues ?
— Les phénomènes les plus importants se sont produits
en France. Ils dénotent sans aucun doute une interven-
tion surnaturelle sur l'Église de France. L’histoire du sa-
lut est une donnée biblique, un fait acquis, et ce salut
intervient au cours de l’histoire. Il n’est cependant pas
toujours en notre pouvoir d’analyser la signification de
ces phénomènes, mais nous savons avec certitude que
Dieu intervient dans l’histoire, et qu’il intervient en fonc-
tion de l’époque. Et je pense pour ma part que si les ap-
paritions sont reconnues comme un fait important et «
éclatant » à une période donnée, c’est parce que Dieu, qui
est pragmatique, se sert de ces phénomènes pour tenter
de faire comprendre aux hommes qu’il connaît des vic-
toires, mais aussi des défaites. Du moins des défaites
temporaires. Les phénomènes surnaturels peuvent aussi
bien ne pas être sus, ne pas être mis en valeur. Mais c’est
grâce à ceux-ci que Dieu s’introduit dans l’histoire des
hommes, provoquant même parfois des polémiques, des
résistances et des fanatismes qui peuvent avoir un effet
négatif et inciter les autorités ecclésiastiques à faire bar-
rage à ces phénomènes. L’histoire nous révèle que les
hommes font ainsi souvent barrage aux signes de Dieu. Il
n’en demeure pas moins que les apparitions survenues
en France par exemple ont été un signe de la Providence
divine, dans la mesure où elles ont redonné de la vigueur
au catholicisme français et partant, au catholicisme dans
le monde. Retenons le cas de Lourdes, qui est un peu le
cœur du catholicisme. Les apparitions qui se sont pro-
duites à partir du 19e siècle ont revêtu une grande impor-
tance dans l’histoire de l’Église.
Après la seconde guerre mondiale, c’est l’Italie qui a été le
lieu privilégié des apparitions. L’année 1947 a à cet égard
été une année exceptionnelle. Imposture ou signes de la
Providence ? Qui sait. Il ne faut cependant pas perdre de
vue le contexte historique bien particulier. Ces appari-
tions n’ont pas été reconnues et n’ont bien souvent pas
même donné lieu à la construction de sanctuaires dignes
de ce nom.
Toujours en ce qui concerne la Providence divine, il est
intéressant de savoir que l'évangélisation de l’Amérique
latine s’est faite essentiellement à la suite des apparitions
mariales qui s’étaient produites sur ce continent, celle de
Guadalupe par exemple. Face à la sauvagerie des Espa-
gnols, la Vierge se manifeste à un indien en parlant sa
langue. Au Venezuela, elle apparaît même à des païens,
en leur suggérant de se tourner vers les missionnaires.
C’est ce qui explique que l’Évangile ait été accueilli non
pas comme un fait extérieur mais comme quelque chose
de familier. Dieu était venu porter remède aux carences
et aux brutalités de l’occupant espagnol.
Un autre cas intéressant est celui de la Pologne où la
Vierge est devenue une présence bénéfique pour les gens
du peuple qui la considèrent comme une des leurs. Je
pense même que sans les apparitions la Pologne n’aurait
jamais existé en tant que nation. Lorsque le pays fut en-
vahi par les Russes et les Suédois, ce furent en effet ces
phénomènes qui galvanisèrent l’armée polonaise et lui
permirent de chasser l’envahisseur. C’est de cette ma-
nière qu’est née la nation polonaise. En étudiant l’histoire
de ces phénomènes, je me suis aperçu qu’ils se produi-
saient toujours à des périodes particulières de l’histoire,
essentiellement des périodes douloureuses : guerres, fa-
mines, peste, luttes intestines. Ils ont donc toujours une
signification ; ils représentent un tournant tant au niveau
des communautés locales qu’au niveau international.
10
L’Ukraine se situe en fait dans l’Europe du sud-est, aux frontières de l’Asie.
11
Pour une plus grande facilité de lecture, nous adopterons parfois indistinctement
le terme d’apparition, qu’il s’agisse des véritables ou des fausses manifestations
surnaturelles. La distinction se dégagera toutefois clairement de l’ensemble du
texte et elle sera de toute façon introduite là où la nécessité s'en fera sentir.
d’autres à un plan supérieur, divin. Ce plan, qui assigne
à toute la création des finalités que nous ne pouvons con-
naître, unit cependant clairement la mère de Dieu aux
hommes et ce, d’une manière unique, essentielle, indélé-
bile et insécable, pour l’éternité.
Les apparitions de la Vierge, a-t-on également dit, sont
autant de maillons d’une chaîne, dans lesquels on peut
reconnaître les signes des temps et dont on peut tirer des
enseignements utiles.
Mais l’Église, comme on sait, ne se manifeste qu’après de
longues et minutieuses enquêtes. Elle se montre extrême-
ment circonspecte lorsqu’il s'agit de porter un jugement
sur l’authenticité des phénomènes. Nombreuses sont par
conséquent les apparitions qui n’ont pas été reconnues.
Tout aussi nombreuses sont celles qui, bien que n’ayant
pas été reconnues, attirent les foules. Rien ne mobilise
autant les masses que les apparitions, vraies ou réputées
telles, de la Vierge. Sept millions de pèlerins par an à Gua-
dalupe, au Mexique ; cinq millions à Fatima, au Portugal ;
quatre millions et demi à Lourdes, en France ; presque
autant à Aparecida, au Brésil : ces chiffres records révè-
lent, sur le plan de la réalité historique l’intervention de
l’invisible. Qu’elles soient reconnues ou non, toutes les
apparitions présentent les mêmes caractéristiques : ex-
tases, visions, événements extraordinaires. Juger de ces
manifestations est souvent une entreprise difficile, même
lorsque l’on n’est pas soumis aux contraintes imposées
aux théologiens. Pour les foules religieuses qui se mobili-
sent à l’occasion des apparitions, le problème intellectuel
et scientifique concernant l’authenticité de ces appari-
tions n’a pratiquement aucune valeur. À des niveaux
émotionnels aussi profonds, Lourdes (officiellement re-
connue) peut se comparer à Garabandal, un village espa-
gnol où, à partir de 1961, quatre fillettes suscitèrent par
leurs extases mystiques et prophétiques toute une série
de « faits merveilleux ». Ces faits bouleversèrent des mil-
liers de pèlerins et s'ils convainquirent des observateurs
attentifs et autorisés, l'évêque de Santander, refusa quant
à lui d’apporter sa caution.
Dans un document daté de 1978, la Congrégation pour la
doctrine de la Foi, donne certaines indications sur les cri-
tères à retenir en matière d'évaluation des apparitions
contemporaines. Rédigé en latin, ce document dont le
titre est, traduit en français, « Normes de la Sacré Con-
grégation pour la doctrine de la Foi sur la procédure à
suivre pour évaluer les apparitions et révélations présu-
mées », est transmis aux évêques des diocèses où se pro-
duisent des apparitions.
Il y est surtout fait remarquer comment les mass media
diffusent rapidement les informations relatives aux appa-
ritions présumées. Par ailleurs, toujours selon ce docu-
ment, la facilité avec laquelle les gens se déplacent fait
que les pèlerins peuvent aujourd’hui se rendre relative-
ment fréquemment sur les lieux de ces apparitions. Il
n’est toutefois pas facile pour les autorités ecclésiastiques
d’intervenir à temps pour émettre un jugement sur les cas
qui se présentent : d’où la nécessité de respecter les cri-
tères prescrits par la Congrégation.
Il arrive également, à titre tout à fait exceptionnel, que
l’organe central de l’Église à savoir la Congrégation pour
la doctrine de la Foi, se saisisse de la cause et procède à
l’examen des faits. D’après la doctrine il n’est en aucun
cas fait obligation aux fidèles de croire aux apparitions,
même si elles sont reconnues.
En Italie, à Ghiaie di Bonate, dans la province de Ber-
game, les apparitions à une fillette de 7 ans, Adélaïde
Roncalli, firent grand bruit au cours de la dernière guerre.
Malgré la pénurie des moyens de transport et les risques
que présentaient les voyages en période de guerre, des
milliers de personnes affluèrent sur les lieux et c’est un
miracle que jamais aucune bombe n’ait été lâchée par les
pilotes des avions de reconnaissance ennemis qui de-
vaient pourtant s’être aperçus des mystérieux rassemble-
ments. Dans l’autre camp, les pilotes des bombardiers
américains rapportaient à leur Q.G. que, lorsqu'ils se
trouvaient au-dessus de la multitude, ils entendaient
dans leur casque une voix féminine qui les incitait à ne
pas frapper la foule et à lâcher leurs bombes le long des
fleuves.
Bien que le « cas Bonate » ait eu une portée considérable,
notamment du fait de l'existence d’un certain nombre de
faits mystérieux parmi lesquels de nombreuses guérisons
« miraculeuses », l’Église a émis à son sujet un jugement
défavorable12. Et ceci pose un grave problème, en même
temps que bien des interrogations.
Certains cultes nés sur les lieux où s’est produite une ap-
parition de la Vierge ne sont pas officiellement reconnus
par l'Église mais simplement autorisés. Ceci signifie que
12
Ce n'est que tout dernièrement que le cas a été réexaminé, et que l’enquête a eu
des conclusions favorables pour la visionnaire dont les déclarations faites à plu-
sieurs reprises ont été passées au crible.
l'Église ne les condamne pas et qu'elle permet aux fidèles
d'y prendre part.
Ainsi, par exemple, celui de Saint-Banzille-de-la-Sylvie,
où la Vierge apparut en 1873 ; l'évêque du diocèse prit
cette décision du fait de la persistance de divergences de
vues irréductibles au sein même de la Commission nom-
mée pour l'enquête. Des cas comme celui-ci créent natu-
rellement des déchirements, notamment dans la cons-
cience du croyant.
Dans l'île de Bouchard, où se produisirent des événe-
ments analogues, l'autorisation du culte ne fut accordée
qu'après plusieurs années, eu égard à l'esprit de dévotion
et à l'obédience tant des visionnaires que des pèlerins.
Mais l'ajournement de cette décision causa certainement
bien des peines et des souffrances à tous les protago-
nistes de l’histoire en question.
Le cas de Pellevoisin, où des apparitions se manifestèrent
pour la première fois en 1876, est plus tourmenté et en
cela plus significatif. Précisons tout de suite qu'elles fu-
rent dans un premier temps reconnues puis désavouées
ensuite par les autorités compétentes.
Le 15 février 1876 à Pellevoisin, en France, une fillette de
dix ans, Estèle Faguette, gravement malade par suite
d'une péritonite tuberculeuse, confia au curé que la
Vierge lui était apparue et lui avait dit que le samedi sui-
vant exactement, c’est-à-dire cinq jours plus tard, elle de-
vait sortir morte ou vive de sa maladie13. Et ce samedi-là
13
Troublé par cette révélation, le curé eut la présence d’esprit de communiquer à
sept autres personnes ce qu’Estèle lui avait déclaré.
précisément, aussitôt après avoir communié, Estèle gué-
rissait miraculeusement et soudainement tant de sa tu-
berculose péritonéale que d'une paralysie au bras, une
guérison qui fut attestée par le corps médical en l’occur-
rence les docteurs de Buzansais et Hubert qui la soi-
gnaient.
L’évêque tint à rencontrer Estèle, puis autorisa le culte du
scapulaire portant le Sacré-Cœur de Jésus recommandé
par la Vierge à la fillette.
Au cours d'autres apparitions la Vierge annonça à Estèle :
« Je ne serai pas crue et toi tu auras de nombreux tour-
ments ». Mais rien à ce moment ne semblait devoir con-
firmer la prophétie. L’archevêque Charles La Tour vint en
personne visiter les lieux. La Congrégation des Rites ap-
prouva par ailleurs en 1900 le culte du scapulaire.
Après la mort de l'archevêque La Tour, il se produisit un
renversement complet dans l’attitude de l’Église. Son suc-
cesseur annula en effet les décrets qu’il avait pris et fit
fermer la Chapelle, interdisant le culte du scapulaire et
de la Vierge de Pellevoisin. Le curé fut transféré dans une
autre paroisse.
L’abbé René Laurentin, spécialiste des questions ma-
riales, observe que les évêques devraient dans les cas
d’apparition, soutenir et orienter la foi des fidèles, au
moyen de lettres pastorales, et non l’étouffer, ou tenter de
le faire, comme c’est souvent le cas.
On ne s’est en effet pas encore vraiment soucié du drame
psychologique que vivent les visionnaires : ils doivent
avant tout se soumettre au jugement des autorités supé-
rieures.
Or celui qui croit, ne peut renoncer à sa foi, d’où une si-
tuation d’exaltation et de doutes contradictoire. L’affirma-
tion d'une fidélité inconditionnelle à l’Église et, d’autre
part, une transgression, voire une révolte contre les
ordres de l’évêque créent les conditions d’un drame pro-
fond.
Ainsi à Kérizinen, en Bretagne, par exemple, une jeune
femme de vingt-huit ans, gardienne de vaches, Jeanne-
Louise Ramonet, déclara, à la veille du second conflit
mondial, qu’elle avait vu la Vierge. À partir de ce jour, le
15 septembre 1938, l’apparition se manifesta 58 fois en-
core, jusqu’en 1965. Le Christ apparut également à
Jeanne-Louise à partir de 1957, à 24 reprises.
Les récits de la jeune femme suscitèrent immédiatement
chez les gens pitié et émotion. Tout ce que l’on voit se
produire sur les lieux où la nouvelle d’une apparition se
répand ne manqua pas de se produire à Kérizinen.
La note dominante des messages de Kérizinen est le regret
souvent exprimé en d’autres lieux par la Vierge : « Oh. Si
le monde voulait, je n’aurai cessé de l’avertir jusqu’au
bout. Mon cœur saigne de son indifférence... Blottissez-
vous dans mon cœur. »
L’une des prophéties est la suivante :
« Le dernier choc surtout sera épouvantable, moins gé-
néral que le Déluge mais plus cruel, car il sera de feu et
de sang... »
Lors de ses apparitions, la Vierge demande toujours la
construction d’une église, d’un oratoire ou d’une petite
chapelle. C’est ce qu'elle fit également à Kérizinen et,
grâce à la contribution des pèlerins, un oratoire y fut érigé
en 1956. La visionnaire reçut en ce lieu la communion
mystique « d’une main qui lui apparut dans la lumière
entre deux anges à genoux14 ».
On assista également à des phénomènes d’ordre physique
tels que les phénomènes solaires et autres signes lumi-
neux (le 8 décembre 1963), les pluies de pétales blancs et
les parfums dont l’origine demeure mystérieuse.
Ceux qui crurent aux apparitions de Kérizinen, vécurent,
nous l’avons vu, le drame de vouloir à la fois se soumettre
au jugement des autorités ecclésiastiques, aux « décrets
infaillibles de la Sainte Église » tout en refusant et en cri-
tiquant ces mêmes jugements négatifs ou dubitatifs des
autorités.
Ainsi, les interdictions proclamées les 14 octobre 1956 et
24 mars 1961 par l’évêque, Mgr Fauvel, furent bien vite
oubliées tandis que le nouvel évêque nommé en 1968
s'abstint de prononcer tout jugement officiel15.
Certaines manifestations de caractère surnaturel appa-
raissent avoir seulement été « tolérées » par l’Église. Les
apparitions officiellement reconnues dans l’histoire de
l’Église et des croyants sont en revanche très peu nom-
breuses — sept en tout — comme nous venons de le voir.
En ce qui concerne le jugement de l’Église, la doctrine qui
14
B. Billet cite Guy Le Rumeur : Les Apparitions de Kérizinen, Argenton l’Église, et
également, Les Messages du Ciel donnés à Kérizinen (1938-65), Rouen, chez M. Mme
P. Leroy, Rouen.
15
Tout ceci fait que les gens se rendent à Kérizinen avec la mauvaise conscience
d’une presque désobéissance », dit R. Billet.
s’est constituée à travers les siècles est en la matière tou-
jours essentiellement celle du Concile de Trente (1563) et
celle de Prospero Lambertini (futur Benoît XIV, 1740-
1758)16.
Pour une reconnaissance officielle, l'avis de l’évêque du
diocèse dans lequel se produit le phénomène surnaturel
présumé est déterminant, son rôle est primordial.
L’évêque peut, s’il le veut et après s'être informé sur le cas
signalé, nommer une commission en vue de l’examen plus
attentif de ce cas. Au terme des travaux de la Commis-
sion, ce sera à lui de prononcer le jugement qui reconnaî-
tra ou non la présence du divin dans l’apparition en cause
et, par sa reconnaissance, il autorisera le culte.
16
On lui doit entre autres la distinction entre les extases naturelles, préternatu-
relles et surnaturelles (« De servorum Di Beatificatione »).
un fait contrôlable. On peut discuter sur le pourquoi, et
même sur la possibilité d’un truc (il semble qu’il n’y en ait
pas). Quand en revanche quelqu’un me dit : « Dieu m’est
apparu, la Vierge m’est apparue, un Saint m’est apparu
», quelle preuve pouvons-nous avoir ? Cette preuve
échappe aux critères normalement retenus pour une re-
cherche de caractère historique et c’est pour cela que
l’Église est toujours si méfiante, car il est facile de con-
fondre autosuggestion, tromperie, désir du merveilleux.
Quand donc nous trouvons-nous véritablement face à
une apparition ? Quand les journaux et les livres en par-
lent ? Je répondrais par un non catégorique. Il faut nor-
malement l’intervention de l’évêque du lieu qui met en
place une commission formée non seulement de prêtres
mais également de psychologues et de psychanalystes.
Cette commission instruit un véritable procès avec un
procureur et un défenseur ; elle reçoit des dépositions,
procède à des enquêtes et formule ses conclusions, que
l’évêque est libre d’accepter ou non. Il peut demander un
supplément d’enquête comme il peut dire : « Je ne sou-
haite pas répondre ». Ces phénomènes sont donc envisa-
gés avec une très grande prudence et il faut des années
et des années d’enquêtes. Les apparitions de Fatima, par
exemple, se sont produites en 1917 et la commission
d’enquête a terminé ses travaux en 1926. La déclaration
de l’évêque est de 1930 : dans un exposé très bref, limi-
naire, celui-ci affirme que le caractère surnaturel desdites
apparitions est reconnu et que le culte est donc autorisé
sur les lieux où elles se sont produites. Un point c’est
tout. Pas même un mot sur le message, sur les secrets de
Fatima. Il y a en effet toute une série d’interrogations sur
ce qui a été dit après Fatima, mais nous n’avons pas ré-
ussi à reconstituer les faits de manière satisfaisante. Un
cas exemplaire, selon moi, est celui des apparitions sur-
venues en Pologne : en 1976 ou en 1977, l’évêque a re-
connu le caractère extraordinaire de certaines d’entre
elles, qui s’étaient produites un siècle auparavant.
Si l’évêque reconnaît un phénomène d’apparition, la Con-
grégation pour la Doctrine de la Foi n’intervient jamais. Il
est rare qu’un évêque intervienne en même temps que la
Congrégation, à titre de confirmation. Tout dépend de
l’évêque. J’ai eu connaissance de l’original d’une lettre
dans laquelle la Congrégation prenait une position très
dure : il ne s'agissait pas directement d’un cas d’appari-
tion, mais la Congrégation voulait sans doute mettre fin
à tout développement ultérieur, à tout afflux de pèlerins.
Parfois, les choses reviennent lentement dans l’ordre, il
n’y a pas de réponse et tout le ferment retombe petit à
petit.
Dans le cas des Trois Fontaines à Rome, le culte a en re-
vanche été interdit au début — il n’y avait même pas un
autel — aujourd’hui des messes sont célébrées régulière-
ment. C’est un pas en avant, bien que je n’aie jamais lu
aucune déclaration officielle de reconnaissance de l’appa-
rition.
Un cas qui m’a toujours laissé perplexe est celui des ap-
paritions d’Irlande. Je n’ai pas réussi à trouver de docu-
ments probants sur ces faits. J’ai envoyé des confrères
sur place mais ils n’ont rien trouvé. Je sais que deux com-
missions d’enquête ont été instituées au siècle dernier,
qu’elles auraient émis un jugement positif mais que
l’évêque ne s’est pas prononcé. J’ignore pour quel motif il
ne l’a pas fait, mais je sais de manière certaine que le
nombre des apparitions, des phénomènes extraordi-
naires, qui se sont produits au cours de ces cent cin-
quante dernières années et qui ont été reconnus à l’issue
d’un procès sont rares. Certains disent : « J’ai eu la grâce,
j’ai bénéficié du miracle » et demandent un procès.
L’Église n’impose de toutes façons jamais de croire à l’ap-
parition.
J’ai présenté une enquête lors d’un congrès. Sur la base
d'une liste de tous les sanctuaires existant en Italie,
j'avais envoyé un questionnaire à tous les recteurs de ces
sanctuaires en leur demandant de me répondre sur cer-
tains points. Sans entrer dans les détails, je dirai simple-
ment que les sanctuaires qui étaient présentés comme
tels ne l'étaient en général que dans l'esprit du recteur et
non dans la réalité. Je ne me souviens plus du pourcen-
tage de réponses, mais je sais que j'ai complété mon en-
quête à partir de livres que j'avais sur l'historique des
sanctuaires. Les réponses étaient nombreuses et je tra-
vaillais sur fiches perforées. J'ai ainsi pu réunir certains
éléments essentiels : nombre des apparitions, région, an-
née, bénéficiaire de l'apparition. Sans me livrer à une re-
cherche critique, mais en me fiant à ces réponses, j'ai éva-
lué que sur les 1 200 sanctuaires marials existant en Ita-
lie, 6,5 % seulement étaient liés à un phénomène d'appa-
rition. Les bénéficiaires de ces apparitions sont pour la
plupart des hommes et non des femmes, des adultes et
non des enfants.
— Vous savez quel est le pays où se produisent au-
jourd’hui le plus grand nombre d'apparitions ?
— Non, étant donné que mon étude ne concernait pas
seulement les apparitions mais tous les phénomènes ex-
traordinaires en général. Les apparitions de « Mamma
Rosa » de San Damiano ont suscité il y a plusieurs années
un grand intérêt en France, en Suisse et en Allemagne, et
donc davantage à l’étranger qu'en Italie. On peut se de-
mander pourquoi en Italie des apparitions comme celles
de Garabandal, qui ont bouleversé l'Espagne, ou de Pal-
mar de Troya, où on en est arrivé à avoir un pape et une
église schismatique, n'ont eu aucun retentissement ?
Medjugorje a au contraire suscité un énorme intérêt en
Italie, alors que des phénomènes survenus en Italie n’ont
rien provoqué à l’étranger. Généralement, ce sont les
Français et les Allemands qui sont les plus sensibles à ce
genre de phénomènes. J'ai moi-même entendu parler une
fois d'un cas d'apparition survenu près de Florence, où se
trouve l'un de nos couvents. Je me rendis à ce couvent,
et alors que je demandais des renseignements sur ce qui
s'était passé, je m’entendis répondre : « Ah oui, il y a
quelqu’un qui a vu la Vierge », sur un ton parfaitement
indifférent.
La foi face au miracle :
le témoignage du Père Bianchi
Le 29 novembre 1950
Monseigneur17
J’ai eu l’occasion de lire le rapport que Vous avez rédigé
sur les apparitions de la Sainte Vierge à Marta. J’ai ad-
miré les desseins de la Divine Providence, qui se sous-
trait aux savants de ce monde mais aime à se manifes-
ter auprès des cœurs simples. Mais j’ai aussi apprécié
la clarté de Votre rapport, prudent mais empreint d’un
courageux enthousiasme et de beaucoup de naturel
dans la description des faits.
J’ai pu approcher plusieurs fois les visionnaires de
Marta, qui se trouvent depuis presque un an à l’institu-
tion Santa Teresa in Genova, à Quarto. J’ai assisté à di-
verses extases des fillettes et je suis de temps en temps
informé par la très digne et excellente Supérieure, la
sœur Massa, des événements les plus saillants qui vien-
nent marquer la vie de ces fillettes.
Je n’ai certes aucune compétence pour juger de ce que
les fillettes rapportent sur les visions et sur les états
d’extase dont elles sont l’objet, étant donné que per-
sonne d’entre nous ne peut voir la protagoniste de ces
visions. J’ai cependant noté des faits extérieurs véri-
fiables qui m’ont profondément impressionné et m’ont
porté à croire que ces fillettes sont vraiment en relation
17
La lettre est adressée à Mgr Tommaso De Dominicis, de Marta, (Viterbe), Italie.
étroite avec le Surnaturel.
En janvier (25 janvier 1950), alors que je souhaitais vi-
vement les conseils du Padre Pio sur la façon dont je
devais me comporter face à ces événements, je sentis
bien distinctement (et un autre témoin avec moi) une
odeur de parfum très prononcée et non moins suave,
qui ne pouvait provenir, en cette saison et dans le lieu
où je me trouvais (l’institution où étaient hébergées les
fillettes), ni des fleurs ni des plantes.
Je fus à nouveau frappé par ce phénomène dans un
autre établissement tenu par ces mêmes religieuses, où
sont rassemblées d’autres petites visionnaires. C’était
en octobre dernier et, toujours en présence d’autres té-
moins, je vis certaines de ces fillettes qui avaient été
brûlées par le démon. Je pense que le Seigneur veut, au
travers de ces fillettes, donner au monde un signe par-
ticulier que nous ne connaissons pas encore.
Il est certain qu'en observant ces fillettes, on ne peut
qu’être édifié par les vertus qui semblent peupler leur
vie et que leur approche incite à plus de piété.
Ici, près de nous, dans les montagnes de Casanova Staf-
fora, entre Bobbio et Tortona, la petite Angela Volpini
continue d’affirmer qu'elle a rendez-vous avec la Sainte
Vierge le 4 de chaque mois. Elle a récemment déclaré
que lors de sa vision du 4 novembre dernier, la Vierge
lui avait révélé qu’elle ferait bientôt le miracle tant de
fois promis. Ces apparitions auraient commencé en juin
1947, se renouvelant presque tous les mois jusqu’en
juillet 1948 et elles auraient ensuite repris en février de
cette année. Le 4 novembre dernier, le phénomène so-
laire aurait de nouveau été observé (rotation de l’astre
solaire et changements de couleurs pendant presque
toute la durée de l’extase).
Il est à noter qu’Angela Volpini s’est depuis un an liée
d’amitié avec les petites visionnaires de Marta, pen-
sionnaires à Quarto, dans la province de Gênes, et
qu’elles ont eu ensemble plusieurs visions. Il faut re-
marquer également que tous les mois depuis février
dernier, ces mêmes fillettes entrent en extase à l’heure
précise où Angela Volpini a ses visions sur le Mont Staf-
fora. Il est par ailleurs touchant de voir la tendre amitié
qui lie les petites visionnaires à Angela Volpini.
J’ai eu également l’occasion d’assister plusieurs fois aux
visions présumées d’Angela Volpini. J’ai vu aussi le so-
leil entrer en rotation et changer de couleur à l’heure
fatidique de l’apparition. Il se peut qu’il se soit agi d’un
phénomène optique ; il est toutefois étonnant que ce-
lui-ci ne se reproduise pas systématiquement chaque
fois que l’on regarde le soleil vers quatorze heures,
comme ce devrait être le cas s'il s’agissait d’un banal
effet d’optique.
J’ai ressenti le besoin de me confier un peu à vous,
Monseigneur. Peut-être trouverez-vous mon propos
ennuyeux mais je désire tellement apporter ma contri-
bution, si c’est là la volonté du Tout-Puissant, et faire
savoir à tous ces gens égarés que la Sainte Vierge vient
parmi nous !
Je suis toujours en attente, il est vrai, d’une confirma-
tion de cette vérité, elle serait si réconfortante ! Ces
jours-ci nous sommes nombreux à prier pour que la
Sainte Vierge veuille bien éclairer les esprits, par le
signe qui lui plaira, sur l'authenticité de ses apparitions
à Staffora le quatre de chaque mois. La Sainte Vierge
voudra-t-elle nous écouter ? Ou sommes-nous encore
bien loin de la réalisation de la grave prophétie de la
Vierge à Fatima : « Je viendrai demander la dévotion à
mon Cœur sacré ». Ou encore tout ceci n’est-il qu'hal-
lucination d’esprits malades ? Tout, y compris les pro-
phéties de Fatima ?
Je vous serais très reconnaissant, Monseigneur, si vous
trouviez le temps de me donner quelques éléments de
réponse.
Dans cette attente, je vous prie d'agréer, Monseigneur,
les assurances de ma plus respectueuse considération.
In cordibus Jesu et Mariae.
Signé :
Votre très dévoué
Père Mario Bianchi.
II
Le signe ou symbole
18
Dans la Symbolique, le nuage est « instrument des apothéoses et des épiphanies
» (J. Chevalier. A. Gheerbrandt, Dictionnaire des symboles, R. Laffont-Jupiter, Paris,
1982 (Ed. revue et corrigée).
Les signes des temps
19
Joan P. Couliano : Esperienze dell’estasi dall’Ellenismo al Medioevo, Laterza,
Rome-Bari, 1986, p. 5.
règles célestes ; les mauvais qui sont sur la large voie
de la perdition ne tiennent aucun compte des châti-
ments annoncés. Croyez-moi, Père, le Seigneur notre
Dieu enverra bientôt son châtiment sur le monde. Ce
châtiment sera matériel. Songez, Père, à toutes ces
âmes qui tomberont en enfer si l’on ne prie pas et si
l’on ne fait pas pénitence. C’est la raison pour laquelle
la Sainte Vierge est triste.
Père, dites à tous ce que la Sainte Vierge m’a dit à
maintes reprises :
« Nombreuses seront les nations qui disparaîtront de la
surface de la terre. Des nations sans Dieu : c'est le fléau
que Dieu a lui-même choisi pour châtier les hommes
s’ils n’obtiennent pas, par la Prière et les Saints Sacre-
ments, la grâce de leur conversion. »
Dites-le, Père, que le démon est en train d'engager la
bataille décisive contre la Sainte Vierge (...)
La Vierge a dit expressément : « Nous approchons des
derniers jours », et elle me l’a répété trois fois. Elle a
d’abord affirmé que le démon avait entamé la lutte dé-
cisive de laquelle l’un des deux sortirait vainqueur ;
nous devons être ou avec Dieu ou avec le démon. La
seconde fois, elle m’a répété que les derniers remèdes
qui s'offrent au monde sont : le Saint Rosaire et la dé-
votion au Cœur Immaculé de Marie.20 »
20
Cf. « L'Araldo di S.Antonio», n° 15, 1975.
2. La Vierge de Sofferetti, Maria Valtorta et le
Padre Pio
21
L'opuscule a pour titre « Nican Mopohua » et l’église est celle de Notre-Dame de
Guadalupe, paroisse des Pères Légionnaires du Christ, une congrégation fondée au
Mexique en 1941 par le père Marcial Maciel.
22
La traduction de l'espagnol en italien est de Walter Puccini, auteur de « Le prodi-
giose rose del Tepeyrac », éd. De Rossi, Tivoli.
qui avaient débarqué dans le pays en 1524.
Le samedi 9 décembre au matin, de très bonne heure,
avant l’aube, un indien pauvre et fruste, humble et bon,
originaire du village de Cuautitlan — situé à seize kilo-
mètres seulement de Mexico — et venant de se convertir
à la foi du Christ (il avait choisi comme nom de baptême
Juan mais on le surnommait Diego), se dirigeait du village
de Polpetlac, où il demeurait avec son épouse Maria Lu-
cia, une indienne, vers le temple de Saint Jacques Majeur
— Saint patron de l’Espagne — où se tenait la paroisse
des Pères Franciscains, dans le quartier de Tlaltelolco. Il
venait y écouter la Sainte Messe célébrée en l’honneur de
la Vierge.
Arrivé à l’aube au pied de la petite colline de Tepeyac, qui
s’élève au-dessus de la plaine, près du lac de Texcoco,
l’indien entendit un doux chant mélodieux qui semblait
provenir d’un vol d’oiseaux dont le singulier concert était
répercuté par la haute crête.
Levant les yeux vers le lieu d’où provenait la douce mu-
sique, il vit un nuage blanc lumineux, entouré d’un arc-
en-ciel produit par la vive lumière qui émanait de son
centre.
Juan Diego resta ébahi, plongé dans un doux ravisse-
ment, n’éprouvant aucune crainte ni aucun trouble mais
sentant au fond de son cœur une joie profonde et inexpli-
cable qui le fit s’exclamer : « Qu’est-ce que j’entends et
que je vois ? Où est-ce qu’on m’emmène ? J’ai peut-être
été transporté au Paradis terrestre, au lieu originel du
genre humain ? ».
Alors qu’il était encore plongé dans l’extase, le chant
cessa et Juan Diego s’entendit appeler par son nom.
C’était une voix de femme, douce et délicate, qui venait
du cœur du nuage et l’invitait à s’approcher.
Humblement, l’indien monta la colline en courant — il
était alors quatre heures du matin — et il s'approcha du
nuage lumineux : il vit au centre de cette splendeur une
très belle Dame dont les vêtements étaient si lumineux
que, frappées par la lumière, les roches dépouillées alen-
tour chatoyaient de mille feux comme des pierres pré-
cieuses et les feuilles des quelques rares plantes d’aubé-
pine, qui avaient beaucoup de mal à pousser à cet en-
droit, ressemblaient à des émeraudes, tandis que leurs
troncs, leurs rameaux et leurs épines brillaient comme de
l’or.
La belle Dame au visage doux et aimable s'adressa à lui
dans la langue du Mexique : « Juan Diego, mon fils que
j'aime tendrement comme un enfant, où vas-tu ? »
L’indien répondit : « Je vais, Ô ma douce Patronne, à
Mexico, dans le quartier de Tlaltelolco, pour entendre la
Sainte Messe célébrée par les ministres de Dieu ».
Sur cette réponse, la douce Dame ajouta : « Sache, mon
fils bien-aimé, que je suis la Vierge Marie, Mère du Dieu
véritable, Auteur de la Vie, Créateur de l'Univers et Sei-
gneur du Ciel et de la Terre, omniprésent ; je souhaite que
tu fasses édifier un temple en ce lieu à partir duquel,
pleine de compassion à ton égard et à l'égard de tes sem-
blables, je montrerai, telle une Mère, ma douce clémence
aux indigènes et à ceux qui m’aiment et me cherchent. Là
j'écouterai les suppliques et les plaintes de tous ceux qui
demanderont ma protection et m’invoqueront dans leurs
tourments et dans leurs peines ; là je les consolerai et les
assisterai. Pour que s’accomplisse ma volonté, tu te ren-
dras à Mexico, au palais épiscopal, et tu diras à l’évêque
que c’est moi qui t’envoie et qui souhaite qu’il fasse ériger
un temple en ce lieu. Tu lui raconteras ce que tu as vu et
entendu et sois certain que je te serai reconnaissante
pour tout ce que tu feras pour moi à l’occasion de cette
mission que je t'ai confiée, et que je parlerai de toi. Main-
tenant que tu sais ce que je souhaite, va en paix, mon fils,
et souviens-toi que je récompenserai tes efforts et ta dili-
gence ; fais tout ce qu’il est en ton pouvoir de faire. »
Juan Diego se prosterna à terre et répondit : « Je vais faire
exécuter vos ordres, Ô très noble Dame, comme un
humble serviteur. Soyez tranquille. »
Il fallut cependant quatre visites supplémentaires de Ma-
rie et plusieurs miracles de sa part pour convaincre
l’évêque de l’authenticité de l’apparition. À six heures du
matin, le 12 décembre 1531, la Vierge descendit du mont
Tepeyac, toujours entourée d’un nuage blanc, et elle se
présenta à l’indien qui, troublé et affligé, était à la re-
cherche d’un prêtre pour son oncle gravement malade.
Elle le réconforta en lui disant que son parent était guéri.
Rassuré et content, l’indien répondit : « Alors, belle Dame,
envoyez-moi chez l’évêque et donnez-moi le signe dont
vous m’avez parlé, afin qu’il me croie ».
La Sainte Vierge lui dit : « Mon très cher fils, monte jus-
qu'au sommet de la colline sur laquelle tu m’as vue et où
tu m’as parlé, cueille les roses que tu y trouveras, mets-
les dans ton manteau, puis apporte-les-moi. Je te dirai
alors ce que tu dois faire et dire. »
L’indien obéit sans mot dire, bien que sachant avec certi-
tude qu’il n’y avait pas de fleurs en ce lieu : ce ne sont là
en effet que roches escarpées sur lesquelles aucune fleur
ne saurait pousser. Arrivé en haut de la colline, il trouva
un jardin de roses de Castille, fraîches et délicatement
parfumées, couvertes de rosée.
Il déposa son manteau à terre, cueillit autant de fleurs
qu’il pouvait en contenir et les apporta ensuite à la Vierge
Marie qui attendait au pied d’un arbre que les indiens ap-
pellent « cuauzahualt ».
Humblement, l’indien montra à la Vierge les roses qu’il
avait cueillies : celle-ci les prit et les mit dans le manteau
(poncho), puis elle dit :
« Voici le signe que tu dois apporter à l’évêque. Tu lui
diras qu’après avoir eu cette preuve il doit faire ce que
je lui ai demandé. Fais attention, mon fils, à ce que je te
dis et souviens-toi que je place ma confiance en toi. En
chemin, ne montre à personne ce que tu portes et
n’ouvre ton manteau qu’en présence de l’évêque. Ra-
conte-lui alors ce que je t’ai ordonné de faire ; ce sera
là la preuve qui lui donnera le courage de faire élever
mon temple. »
Sur ces mots, la Vierge disparut. L’indien fut très content
d’avoir reçu le signe, car il comprenait que le message al-
lait finalement être perçu.
Il portait les roses avec grand soin, les regardant de temps
en temps et en appréciant la beauté et le parfum.
Parvenu à l’évêché avec son message, Juan Diego de-
manda à plusieurs domestiques d’avertir l’évêque de sa
présence, mais il ne fut pas entendu tout de suite.
Les domestiques avaient remarqué qu’il portait quelque
chose dans son manteau et ils tentèrent de voir ce dont il
s’agissait. Malgré la résistance qu’il opposa, ils réussirent
à découvrir légèrement le précieux paquet et à voir les
roses qu’il contenait.
Elles étaient si belles qu’ils essayèrent d’en prendre
quelques-unes, sans y réussir. Elles semblaient peintes
ou tissées dans le manteau. Les serviteurs coururent ra-
conter ce qu’ils avaient vu à l’évêque.
Introduit auprès du prélat, Juan Diego rapporta le mes-
sage et dit qu’il apportait le signe demandé à la Vierge,
dont il était le messager. Il ouvrit le manteau et les roses
tombèrent sur le sol ; sur le tissu grossier du poncho, à
la place des fleurs, on vit alors se dessiner l’image de la
Très Sainte Vierge, que l’on peut encore admirer de nos
jours.
Il était onze heures, ce 12 décembre 1531.
23
Cf. page suivante.
à ses pieds et couronnée d'étoiles ». (Apocalypse, 12, 1).
En 1841, le révérend Aladel demanda à la religieuse de
faire un rapport écrit sur le récit qu’il avait lui-même pu-
blié dans une lettre du 17 mars 1834 et dans la Notice
historique sur l’origine et les effets de la Nouvelle Mé-
daille... généralement connue sous le nom de Médaille Mi-
raculeuse. Sœur Catherine rédigea donc la même année
trois rapports sur l’apparition qu’elle avait eue le 27 no-
vembre et qui concernait la Médaille. L’apparition de la
nuit du 19 au 20 juillet devait être décrite par la suite à
la demande des révérends Aladel (1856) et Chevalier, au-
quel on doit la dernière édition de la Notice sur la Médaille
et qui fut le confident de Sœur Catherine au cours des
derniers mois de sa vie et jusqu’à sa mort en 187624.
24
D’après J. Guitton, Rue du Bac ou la superstition dépassée. Éd. S.O.S.
1846, elle se trouve depuis neuf mois au service de Bap-
tiste Prat, propriétaire de l’une des dix fermes qui entou-
rent le village de La Salette, les Ablandes.
Né le 27 août 1835, Pierre-Maximin Giraud est issu d’une
famille moins défavorisée. Il n’est pas encore allé à l’école.
C’est uniquement pour rendre service à un ami de son
père, François Selme, qu’il conduit cette semaine-là ses
vaches malades pour les faire paître dans la montagne.
Mélanie et Maximin ne s’étaient jamais rencontrés aupa-
ravant.
Ce samedi 19 septembre 1846 au matin, Mélanie et Maxi-
min marchent pendant deux heures, accompagnant cha-
cun leurs quatre vaches. Arrivés sur le pré communal à
midi, ils mènent les bêtes au ruisseau Sezia qui coule au
fond du vallon. Après qu’elles se soient abreuvées, ils les
font remonter vers une prairie où elles peuvent brouter et
ruminer en paix. Les deux enfants retournent alors au
ruisseau et s'assoient sur les pierres pour faire collation.
Ils traversent ensuite le petit cours d’eau avec leur sac
pour chercher un peu plus d’ombre. Là ils s'endorment
sur l’herbe. À un certain moment, Mélanie s’éveille et ré-
veille Maximin, s'inquiétant de ce que deviennent les
vaches. Ils se précipitent alors tous deux vers le lieu où
ils les ont laissées, après avoir traversé de nouveau le
ruisseau. Une fois rassurés, ils reviennent sur leurs pas,
redescendant le long de la pente pour aller rechercher
leur sac.
Les deux voyants, interrogés par l'abbé Lagier en février
1847, racontent ainsi le déroulement de l'apparition, qui
fut officiellement reconnue par Mgr Bruillard le 19 dé-
cembre 1851.
— Comme je regardais en descendant (Mémin était der-
rière moi) j'ai commencé à voir une clarté.
— Où as-tu vu cette clarté ?
— Elle était là-bas sur des pierres, les unes sur les autres,
nos sacs y étaient dessus.
— De sorte que la clarté rayonnait sur vos sacs ?
— Oui : et puis j’ai dit à Mémin : « Mémin, regarde voir là-
bas une clarté ». Il était à deux ou trois pas derrière moi.
Puis il est descendu : « Où est-elle ? où est-elle ? » Et je
lui ai dit : « Là-bas ! » Il est venu à côté de moi et il l’a vue.
Et j’ai dit : « Ô mon Dieu ! » Et puis j’ai vu la clarté se lever
un peu. Je l’ai vue scintiller. Elle était comme ronde.
— Quand vous avez vu cette clarté, n’y avait-il personne ?
— Non.
— Ne voyiez-vous rien que cette clarté ?
— Oui. Quand elle a commencé à bouger, nous ne pou-
vions presque pas la voir, elle nous éblouissait et nous
nous frottions les yeux. Quand nous avons commencé à
la voir, elle virait, nous nous frottions les yeux pour bien
regarder ; et nous l’avons vue s'élever comme à la hauteur
d’une personne : elle était petite et ne nous laissait rien
voir. Et comme elle tournoyait en scintillant, nous avons
commencé à voir le dedans de la clarté, nous avons vu
blanchir les mains et la figure. C’était des mains comme
ça, comme une tête, un peu rond ».
Mélanie mime l’apparition en approchant ses deux mains
ouvertes pour couvrir son front et sa figure. En voyant
cela Mélanie a eu si peur qu’elle en a laissé tomber son
bâton.
Protecteur, Maximin lui dit : « Garde ton bâton ! S’il nous
fait quelque chose, je lui jette un coup de bâton ! »
Mélanie continua :
« Puis nous avons commencé à voir des perles bien bril-
lantes.
— Vous ne voyiez point d’habillement, point de robe ?
— Non, nous ne pouvions pas la voir, la clarté a com-
mencé comme par s’ouvrir, et nous avons vu aussitôt
blanchir ses mains, et presque aussitôt nous avons pu
comprendre que c'étaient des mains, et nous avons vu
autour de ces mains comme une couronne.
— L’avez-vous vue assise dans cette clarté ?
— Oh non ! Nous ne pouvions pas bien voir, nous ne
voyions que luire, nous ne pouvions pas bien voir ce que
c’était : nous voyions ses bras et ses coudes, mais nous
ne pouvions pas bien voir tout le reste. Mais c’était comme
si elle avait été assise et les mains dans la figure.
— Après, la clarté a-t-elle disparu ?
— Non, elle s'est levée et elle était toujours luisante.
— Mais en se levant avez-vous vu une femme tout en-
tière ?
— Oui, nous voyions toujours une clarté et nous avons
vu une femme quand elle s'est levée tout à coup. Elle s’est
mise les bras croisés, toujours comme ça (Mélanie croise
les bras). Nous ne savions que comprendre, et nous avons
vu ensuite que c'était comme une personne, comme une
femme, nous avons bien vu ses doigts et sa figure comme
une femme ; mais parce qu’elle était habillée comme ça,
nous ne savions pas ce que c’était.
— Et comment était-elle habillée ?
— Elle avait une robe blanche avec des perles quand elle
nous parlait et que nous la regardions.
— Vous étiez donc bien près ?
— Nous étions à quatre ou cinq pas loin d’elle. Nous nous
étions arrêtés, quand nous avons vu la clarté, et nous
avions un peu peur. Et quand elle s’est levée droite, et
qu’elle a mis les mains comme ça (Mélanie croise les bras),
elle nous a parlé et s’est approchée de nous autres, bien
après. Au lieu de filer droit, elle est descendue comme si
elle avait voulu suivre l’eau à la descente.
— Combien de pas ?
— Je ne sais pas.
— À peu près.
— Trois ou quatre.
— Et vous autres ?
— Et elle était comme si elle avait été assise quand elle a
commencé à nous dire : « Avancez, mes enfants, je suis
ici pour vous conter une grande nouvelle ». Elle finissait
de parler ainsi en marchant à la descente de l’eau.
— Et vous autres ?
— Aussitôt qu’elle nous a dit d’avancer, nous avons des-
cendu sur le coup, et nous avons traversé le ruisseau près
d’elle. C’est là où nous avions laissé nos petits sacs, celui
de Mémin sur la pierre, le mien à côté. Nous avons joint
la vision, et nous n’avions plus peur.
— Étiez-vous bien près ?
— Nous nous touchions presque : nous étions bien près.
— Avez-vous vu ses mains ?
— Quand elles étaient comme ça, nous ne les voyions pas
(Mélanie a croisé ses bras et mis ses mains sous ses ais-
selles).
— Avez-vous pu distinguer sa figure ?
— Nous ne l'avons pas bien regardée.
— Ne pouviez-vous pas bien la regarder ?
— Sa figure, nous ne pouvions pas bien la regarder long-
temps.
— Et pourquoi ?
— Elle éblouissait bien autour d’elle et nous ne pouvions
pas bien regarder. Nous nous frottions les yeux et puis
nous retournions regarder.
— N'était-elle pas bien belle ? N’as-tu pas vu une bien
belle figure ?
— Elle était bien blanche.
— Bien faite ?
— Oui, comme les autres. Nous n’avons pas bien pu re-
garder. Elle avait une figure blanche et un peu longue. Et
aussitôt que je voulais regarder, elle m'éblouissait et je ne
pouvais pas bien regarder.
— Et que pensais-tu dans le moment ?
— Nous ne pensions rien, nous étions...
— Tu ne croyais pas que c’était une femme ordinaire ?
— Je ne savais pas.
— Comme elle était habillée comme une femme, tu n’as
pas pensé que ce pouvait être une dame de Val-Jouffrey
(bourgade de l’autre côté de la montagne) ?
— Je ne savais pas que penser. Nous écoutions. Quand
nous sommes arrivés tous les deux, elle s’est tournée et
s’est mise devant nous autres. Alors, elle nous a parlé. »
« Puis cette Dame s’est levée droite et nous a dit : « Avan-
cez mes enfants, n’ayez pas peur ! Je suis ici pour vous
conter une grande nouvelle. »
Nous avons passé le ruisseau et elle s’est avancée jusqu’à
l’endroit où nous étions endormis. Puis, elle nous a dit en
pleurant tout le temps qu’elle nous a parlé (j’ai bien vu
couler ses larmes) ;
« Si mon peuple ne veut pas se soumettre, je suis forcée
de laisser aller la main de mon fils. Elle est si lourde, si
pesante que je ne puis plus la maintenir. Depuis le
temps que je souffre pour vous autres ! Si je veux que
mon fils ne vous abandonne pas, je suis chargée de le
prier sans cesse ! Et pour vous autres, vous n’en faites
pas cas. Vous aurez beau prier, beau faire, jamais vous
ne pourrez récompenser la peine que j'ai prise pour
vous autres.
Je vous ai donné six jours pour travailler, je me suis ré-
servé le septième, et on ne veut pas me l'accorder !
C’est ça qui appesantit tant la main de mon fils.
Aussi, ceux qui mènent les charrettes ne savent pas ju-
rer sans y ajouter le nom de mon fils. Ce sont les deux
choses qui appesantiront tant la main de mon fils.
Si la récolte se gâte, ce n'est rien que pour vous autres.
Je vous l'ai fait voir l'année passée par les pommes de
terre, vous n'en avez pas fait cas !
Au contraire, quand vous trouviez des pommes de terre
gâtées, vous juriez, vous mettiez le nom de mon fils,
elles vont continuer que cette année pour Noël, il n'y
en aura plus. »
Et puis moi (n'oublions pas que c’est Mélanie qui ra-
conte) je ne comprenais pas bien ce que cela voulait
dire, des pommes de terre. J’allais dire à Maximin : «
Qu'est-ce que cela voulait dire, des pommes de terre !
» Et la Dame nous a dit :
« Vous ne comprenez pas mes enfants, je m'en vais
vous le dire autrement. »
« Si la pomme de terre se gâte, ce n'est rien que par
vous autres. Je vous l'avais fait voir l'an passé, vous n'en
avez pas fait cas.
C'était au contraire, quand vous trouviez des pommes
de terre gâtées, vous juriez, vous mettiez le nom de
mon fils au milieu.
Elles vont continuer, et cette année pour Noël il n’y en
aura plus.
Si vous avez du blé, il ne faut pas le semer, tout ce que
vous sèmerez, les bêtes vous le mangeront, ce qui vien-
dra tombera en poussière.
Il viendra une grande famine.
Avant que la famine vienne, les tout-petits enfants au-
dessous de 7 ans auront des tremblements. Ils mour-
ront entre les mains des personnes qui les tiendront et
les autres feront leur pénitence par la faim.
Les noix deviendront gâtées, les raisins pourriront. » Ici
la Dame garda un moment le silence : il me sembla
qu'elle parlait à Maximin ; mais je n'entendais rien.
Puis, après, elle me dit un secret en patois et pendant
ce temps Maximin s’amusait avec des pierres. Puis elle
dit :
« S'ils se convertissent, les pierres, les rochers seront
des monts de blé, les pommes de terre seront ense-
mencées par la terre. »
— Faites-vous bien votre prière, mes petits ?
— Pas guère, Madame.
— Il faut bien la faire, mes petits, soir et matin. Quand
vous ne pourrez pas faire plus, dites seulement un Pa-
ter, un Ave Maria, et quand vous aurez le temps en dire
plus.
Il ne va que quelques femmes un peu d'âge à la messe,
et les autres travaillent tout l’été. Le dimanche, l’hiver,
quand ils ne savent que faire, ils vont à la messe pour
se moquer de la religion, et le carême, ils vont à la bou-
cherie comme les chiens.
N’avez-vous jamais vu du blé gâté, mes enfants ? »
Maximin répondit :
« Oh, non, Madame ! »
Moi, je ne savais pas à qui elle demandait cela et je ré-
pondis bien doucement :
« Non, Madame, je n’ai jamais vu. »
Elle dit alors à Maximin :
« Vous devez bien en avoir vu, vous mon enfant, une
fois vers le coin avec votre père. Le maître de la pièce
dit à votre père d’aller voir son blé gâté. Vous allâtes, il
prit deux trois épis de blé dans sa main, les frotta, tout
tomba en poussière. Vous vous en retournâtes, quand
vous étiez en deçà, loin d’une demi-heure de Corps,
votre père vous donna un morceau de pain et vous dit
— Mange ce pain, je ne sais pas qui en va manger l’an
qui vient si ce blé continue comme ça”. »
Et Maximin lui dit :
« Oh ! si, Madame, je m’en rappelle à présent, tout à
l’heure je ne m’en rappelais pas. »
Après cela, la Dame nous dit en français :
« Eh bien ! mes enfants, vous le ferez passer à tout mon
peuple. »
Puis elle a passé le ruisseau et nous a dit encore, en
s'arrêtant à deux pas du ruisseau : « Eh bien ! mes en-
fants, vous le ferez passer à tout mon peuple. »
Puis elle monta jusqu’à l’endroit où nous étions allés
pour regarder nos vaches, à peu près à vingt pas du
ruisseau. En marchant, elle ne remuait pas ses pieds ;
elle glissait sur l’herbe à cette hauteur (environ 20 cm).
Quand elle fut arrivée à l’endroit que j’ai dit, en faisant
un petit contour, comme nous la suivions avec Maxi-
min, je passais devant la Dame, et Maximin un peu à
côté, à deux pas. Et puis cette belle Dame s’est élevée
comme ça (1 m 60 environ), puis elle a regardé le ciel,
puis la terre, et nous avons vu disparaître sa tête, puis
ses bras, puis ses pieds, et il n'est resté qu’une grande
clarté, ensuite tout a disparu.
Et j'ai dit à Maximin : « C'est peut-être une grande
sainte ». Et Maximin m’a dit : « Si nous avions su que
c'était une grande sainte, nous lui aurions dit de nous
mener avec elle ». Je lui ai dit : « Oh ! si elle y était en-
core ! »
Alors Maximin lança la main pour attraper un peu de la
clarté ; mais il n’y eut plus rien, et nous regardâmes
bien pour voir si nous ne la voyions plus. Et je dis : « Elle
ne veut pas se faire voir pour que nous ne voyions pas
où elle va ». Ensuite nous fûmes garder nos vaches.
« Le soir je dis à mes maîtres tout ce que nous avions
vu : ils me dirent que cela pouvait être, et le lendemain,
qui était un dimanche, je le dis à M. le Curé de La
Salette, et ensuite à M. le Maire. »
L’abbé Lagier a traduit le patois de Mélanie qui, comme
Maximin, parlait très peu le français. Le témoignage que
nous reproduisons est celui de Mélanie car son petit com-
pagnon a toujours rapporté les faits en des termes abso-
lument identiques à ceux de la fillette, son aînée de
quelques années.
La prophétie de La Salette s'avéra. La famine qui devait
se déclarer peu après, allait culminer en 1848, une ter-
rible année pour l'Europe, qui restera dans les annales
comme « l’année de la faim ».
25
Lucia raconta Fatima, Éd. Queriniana, Breseiq, 1977.
oui, ils sont bien destinés à aller au Ciel.
Mais c'est la Vierge qui leur pose maintenant la question
fondamentale : veulent-ils s’offrir à Dieu, en acceptant les
souffrances imposées par Lui pour la réparation des pé-
chés et la conversion des pécheurs ?
— Oui, nous le voulons, répondirent les enfants.
La Vierge promit alors que s'il était vrai qu’ils allaient
beaucoup souffrir, la Grâce de Dieu les accompagnerait
toujours.
En prononçant ces mots, Elle ouvrit les mains. Les vision-
naires furent alors envahis par une lumière si intense
qu’ils se sentirent comme pénétrés par celle-ci au plus
profond de l’âme. Ils se virent eux-mêmes en Dieu, qui
était cette lumière, « plus clairement qu’on ne se voit dans
le meilleur des miroirs ».
Ils s’agenouillèrent d’instinct et récitèrent intérieurement
la prière : « Ô Très Sainte Trinité, je vous adore. Mon Dieu,
mon Dieu, je vous aime dans le très saint sacrement ».
Quelques instants s’étaient écoulés depuis la contempla-
tion de la lumière divine lorsque la Vierge leur recom-
manda : « Récitez le rosaire tous les jours pour obtenir la
paix dans le monde et la fin de la guerre ».
« Immédiatement après », se souvient Lucia, « elle
commença à s'élever tranquillement dans les airs, mon-
tant vers l’est pour disparaître ensuite dans l’immen-
sité. La lumière dont elle était entourée lui ouvrait en
quelque sorte la voie parmi la masse des astres, et c'est
la raison pour laquelle nous avons pu quelquefois dire
que nous avions vu le ciel s'ouvrir. »
Un secret qui doit être conservé
26
Ibid.
regard vers la Vierge qui leur dit :
« Vous avez vu l’enfer, où vont les âmes des pauvres
pécheurs. Pour les sauver, Dieu veut instaurer dans le
monde la dévotion à mon Cœur immaculé. Si elles font
ce que je vous dis, beaucoup d’âmes seront sauvées et
la paix régnera. La guerre prendra fin. Mais si l’on ne
cesse pas d’offenser Dieu, une autre, bien pire, se dé-
clenchera sous le règne de Pie XI. Lorsque vous verrez
une nuit éclairée d’une lumière inconnue, sachez que
c’est le signe suprême que Dieu vous donnera pour
vous faire savoir qu’il va punir le monde pour les crimes
qu'il a commis. Cette punition sera la guerre, la faim et
la persécution contre l'Église et le Saint-Père.
Pour l’empêcher, je viendrai demander la consécration
de la Russie à mon Cœur Immaculé et la communion
expiatrice tous les premiers samedis du mois. Si mes
demandes sont exaucées, la Russie se convertira et il y
aura la paix. Sinon, elle diffusera dans le monde ses er-
reurs, provoquant des guerres et entraînant la persécu-
tion de l’Église. Les bons seront martyrisés, le Saint Père
souffrira beaucoup et plusieurs nations seront anéan-
ties. À la fin, mon Cœur Immaculé triomphera. Le Saint-
Père me consacrera la Russie27 qui se convertira, et une
période de paix sera accordée au monde. Le Portugal
conservera toujours le dogme de la foi, etc... Vous ne
direz ceci à personne. Vous pouvez cependant le dire à
Francisco. »
Le « secret de Fatima » tient tout entier dans ces points de
27
Ce qui se produisit le 7 juillet 1952.
suspension. Que révéla la Vierge et que dut taire Sœur
Lucia ?
28
Le texte du message est tiré de 1'« Araldo di S. Antonio » du 15 mai 1975.
Il plaça ensuite lui-même le message secret dans une
autre enveloppe qu’il scella puis déposa le pli au fond de
ces archives qui sont comme un puits profond et tout noir
et dans lesquelles les documents sont tellement enfouis
que personne ne peut plus les voir. Il est par conséquent
difficile de dire où se trouve à l’heure actuelle le « secret
de Fatima ».
Le cardinal a rapporté ce fait en public, à l'Antonianum,
le 11 février 1967 lors de la cérémonie du cinquantième
anniversaire des apparitions.
Mgr Loris Capovilla, qui fut secrétaire du Pape Jean XXIII,
fit à son tour la déclaration suivante au Père Icilio Felici,
auteur du livre intitulé « Fatima », à l’occasion d’une con-
férence organisée à Alba, le 15 février 1978 autour du
thème : « Actualité du pape Jean XXIII ». « ... Le cardinal
Ottaviani affirme que le pli remis par Sœur Lucia était
adressé au Pape. Mais Pie XII, qui était à l’époque souve-
rain pontife, l’aurait transmis au Saint-Office (devenu au-
jourd'hui Congrégation pour la Doctrine de la Foi), sans
le lire. En fait le pli parvint au Saint-Office avant l’élection
de Jean XXIII. Celui-ci reçut le pli scellé de la main de R.-
P. Philippe O.-P.29, alors commissaire du Saint-Office, au-
jourd’hui cardinal, le 17 août 1959 à Castel Gandolfo. Le
texte étant incompréhensible en raison de l’abondance
des expressions dialectales, on fit appel à Mgr Paulo Ta-
vares, minuteur de langue portugaise à la Curie romaine,
devenu par la suite évêque de Macao ».
Après avoir pris connaissance du message, le Pape dicta
29
Ordre des Dominicains.
à son secrétaire, Loris Capovilla, une note personnelle qui
fut jointe à l’enveloppe renfermant le « secret » : « Pour
autant que je m’en souvienne, le pape ne se prononça pas
sur ce sujet. Il déclara vouloir laisser aux autres (à son
successeur ?) le soin d’émettre un jugement. Il emporta le
document au Vatican et le garda dans son secrétaire
jusqu’à sa mort (le 3 juin 1963). Paul VI s’enquit du pli
après son élection et il y a tout lieu de croire qu’il en a
pris connaissance. Le document a-t-il fini, comme l’af-
firme le cardinal Ottaviani, dans les archives secrètes du
Vatican, je ne saurais le dire. Il n’est certainement pas
perdu. Il est resté de 1959 à 1963 sur le bureau du pape.
Ensuite je ne sais pas où il a été mis. »
Le message de la Vierge ne devait pas être ouvert avant
l’année 1960. On demanda à Lucía : « Pourquoi cette
date ? ». Et elle répondit : — Parce qu’alors il apparaîtra
mais claro (plus clair).
En 1967, année du voyage de Paul VI à Fatiraa, le cardi-
nal Ottaviani affirma que le « secret » ne consistait pas en
quelque prophétie d’apocalypse ou de désastres quel-
conques pour le monde et l’humanité. À l’occasion de ce
voyage, Paul VI lui-même ne fit aucune allusion à la ques-
tion et, comble de discrétion, il ne voulut même pas avoir
une rencontre en privé avec Sœur Lucía qui en avait fait
la demande.
« Ce n’est pas le moment », répondit le Pape. « Et puis, si
vous souhaitez me communiquer quelque chose, faites-le
savoir à votre évêque. » L’évêque de Leiria, Mgr Venancio,
fournit en revanche des éléments concrets permettant de
reconstituer le contenu de la lettre : « Fatima ne peut être
dirigée contre une nation aussi chère que la Russie », dit-
il. « Fatima ne saurait être l’expression d’un esprit parti-
san qui permettrait d’agiter des valeurs purement poli-
tiques. Le contenu du message secret ne concerne pas la
conversion d’un État, qui d’athée devrait devenir catho-
lique, mais bien la décision de respecter la liberté de reli-
gion et de culte. Tous les États, et pas seulement l’Union
Soviétique, dans lesquels ces droits sont violés, doivent
absolument se convertir. »
Certaines allusions faites au secret de Fatima par le Pape
Wojtyla penchent en revanche pour le catastrophisme.
Élles furent faites à Fulda, à l’occasion d’un voyage que
fit le pape en Allemagne, en 1980, devant un petit groupe
restreint de catholiques. Le procès-verbal de ces déclara-
tions, publiées dans la revue allemande « Stimme des
Glaubens » et ayant également fait l’objet d’un enregistre-
ment, n’a jamais été confirmé ni démenti de source offi-
cielle au Vatican. Jean-Paul II avait déclaré : « Étant
donné la gravité du message, et pour ne pas encourager
la puissance mondiale du communisme à se livrer à cer-
taines ingérences, mes prédécesseurs ont préféré surseoir
à sa publication pour des raisons diplomatiques. Tout
chrétien devrait par ailleurs se contenter de savoir ceci :
s’il existe un message dans lequel il est écrit que les
océans inonderont des parties entières de la terre et que
d’heure en heure des millions d’hommes périront, est-il
vraiment souhaitable d’aspirer à ce qu’un tel message soit
divulgué ? Beaucoup veulent savoir par simple curiosité
et par goût du sensationnel, mais ils oublient que le fait
de savoir implique également une responsabilité. » Le
Pape se saisit alors de son chapelet et dit : « Voici le re-
mède contre ce mal, priez, priez, et ne posez plus de ques-
tions. Remettez-vous-en à la Mère de Dieu. » À la ques-
tion : « Qu’arrivera-t-il dans l'Église », il répondit (c’était
rappelons-le en 1980, six mois avant l’attentat dont il fut
victime) : « Nous devons nous préparer à de grandes
épreuves qui sont proches et qui pourront même exiger le
sacrifice de notre vie et le don total de notre personne au
Christ, pour le Christ. Ces épreuves pourront être atté-
nuées grâce à votre prière et à la nôtre, mais elles ne peu-
vent être évitées, car le véritable renouveau de l’Église ne
peut intervenir que de cette manière. On a par le passé
vu l’Église renaître tant de fois par le sang, et il en ira de
même cette fois encore. »
De par l’autorité qui lui est conférée par sa charge de res-
ponsable de la « Congrégation pour la Doctrine de la Foi
», qui a remplacé le Saint-Office, le cardinal Ratzinger a
de son côté confirmé récemment que le « secret de Fatima
» restera tel : justement pour éviter le sensationnel, a-t-il
expliqué.
Pendant toutes ces années, en effet, il s'est installé autour
du Sanctuaire, au grand préjudice de l'Église, une atmos-
phère qui tient à la fois de la magie et de l'épouvante,
lourde de sombres présages et de cauchemars annonçant
de terribles apocalypses.
Il a toutefois suffi d’une conversation que nous avons eue
en octobre 1986 avec l’abbé René Laurentin, ce théologien
qui a traité tout particulièrement des apparitions ma-
riales et des révélations prophétiques qui y sont atta-
chées, pour que l'atmosphère pesante qui règne à Fatima
nous semble tout à coup moins dense. Selon R. Laurentin
en effet, le « secret » ne concernerait en réalité que le Por-
tugal. Les révélations qui ont été faites sont fausses. Les
éléments manquants dans le texte connu se situent à un
endroit qui renvoie au reste du discours, et ce discours
porte justement sur ce pays.
Mais le désormais légendaire « troisième secret » de Fa-
tima est avant tout une profonde crainte de l’âme collec-
tive. C’est ce qui, plus que toute autre chose, est suscep-
tible de faire frémir et trembler de peur les hommes du
deuxième millénaire.
« Un grand châtiment s'abattra sur le genre humain,
non pas aujourd’hui, ni demain, mais dans la seconde
moitié du XXe siècle... Viendra le temps des temps et la
fin de toutes les fins... Le feu et la fumée tomberont du
Ciel, les eaux des océans se transformeront en va-
peur...»
Et ce n’est effectivement qu’aujourd’hui, comme le dit Lu-
cia, que le secret apparaît « mas claro » (plus clair).
Il ne fait aucun doute, ainsi qu’on l’a déjà fait observer,
que les paroles transmises par la Vierge à Lucia Dos San-
tos devaient avoir un caractère prophétique tant il est vrai
que les prophéties — et les Saintes Écritures sont là pour
le confirmer — sont précisément voilées de mystère et ne
sont révélées qu’avec prudence et méthode.
De nombreuses conjectures et même de nombreux textes
apocryphes ont tçutefois fleuri dans un silence presque
total de la part de l'Église.
Après Fatima, qui comporte désormais des zones d'ombre
et un grand nombre d’interrogations, d’autres messages
ont par ailleurs été délivrés à ceux qui ont déclaré avoir
été de nouveau visités par la Vierge. Les dernières pro-
phéties confirment-elles ou infirment-elles le présage dra-
matique des apparitions portugaises ? L’atténuent-elles
ou viennent-elles apporter d’autres détails ? C’est ce que
nous allons maintenant examiner.
Entre temps, l’accès au couvent de Coimbra, où Sœur Lu-
cia s’est retirée, a été interdit par la Congrégation pour la
Doctrine de la Foi. Et dans sa retraite, la « visionnaire du
siècle », devant laquelle tremble et vacille tout l’édifice de
l’histoire de l’homme sur la terre, « prie, se souvient et
médite, mais ne parle pas ».30
30
Icilio Felici, Fatima, Éd. Paoline, Rome, 1981.
prenant ensuite la direction de Bouillon.
Le village est dominé par les tours et les ruines d’un an-
cien château. Au moment des événements que nous al-
lons évoquer, le bourg comptait deux mille habitants, ou-
vriers et paysans pour la plupart.
Le 29 novembre 1932, en fin d’après-midi, à six heures et
demie, Fernande et Albert (dit Bébert) Voisin, âgés res-
pectivement de quinze et onze ans, dont le père était em-
ployé des chemins de fer et la mère marchande de cou-
leurs, et Andréine et Gilberte Degeimbre, quatorze et neuf
ans, orphelines de père, se dirigeaient vers l’école des
sœurs, le « Pensionnat » pour aller chercher la cadette de
la famille Voisin, Gilberte, âgée de sept ans. La nuit était
déjà tombée et il faisait froid mais le petit groupe était gai
et insouciant. Ils avaient pour plaisanter tiré en chemin
la sonnette d’un magasin, pour faire croire à sa proprié-
taire qu’un client entrait.
Au bout de la rue de l’église, là où se tient le Pensionnat,
s’élèvent les pylônes qui soutiennent un grand viaduc de
forme semi-circulaire. C’est en se tournant vers celui-ci
qu’arrivé en même temps que les fillettes à la porte de
l’école, Albert vit une forme blanche, pareille à la statue
de la Sainte Vierge qui se trouvait près d’une reproduction
de la Grotte de Lourdes dans le jardin de l’école.
Les autres enfants qui attendaient la petite Gilberte se
retournèrent pour regarder, pensant que le jeune garçon,
qui avait crié :
« Regardez la Sainte Vierge qui se promène sur le pont !
»31, avait été abusé par les phares d’une voiture qui
descendait de la colline de Feschaux. Et tous virent une
personne vêtue de blanc, flottant entre le pont et la
Grotte.
— Regardez ma Sœur, la statue de la Grotte a bougé !
s’exclamèrent-ils en s’adressant à la surveillante de la
loge. Mais celle-ci les réprimanda en leur disant qu’une
statue ne peut bouger et qu’il s’agissait d’une branche
que le vent agitait. Pendant ce temps, la petite Gilberte
s’était présentée à l’entrée du collège, prête à rentrer
à la maison. Et, bien que ne sachant pas de quoi on par-
lait, elle eut elle aussi la même vision en regardant vers
l’allée : une femme vêtue de blanc « qui avait les mains
jointes et qui la regardait».
Les enfants furent saisis d’un certain trouble et se mirent
en route pour rentrer chez eux. Ils racontèrent ce qui
s’était passé à leurs familles respectives mais sans que
leur récit ne soit réellement pris au sérieux.
Le soir suivant, les enfants se trouvaient de nouveau au
complet sur la route qui menait au Pensionnat. La Sainte
Vierge était à nouveau là elle aussi. « Elle avait les mains
jointes et elle se déplaçait dans l’espace », devaient-ils dire
plus tard.
Le 1er décembre, douze personnes se rendirent sur les
lieux. Les enfants précédaient les adultes, parmi lesquels
Madame Degeimbre, qui s’était munie d’un gros bâton.
La Vierge attendait les enfants dans l’allée qui mène de la
31
Chanoine Enrico Massari, La Madonna dal Cuore d’Oro ossia. Le Apparizioni di
Beauraing (Belgio 1932-33), Casale Monferrato, 1957.
grille à la grotte. Mais l’apparition ne dura que quelques
instants, le temps de remarquer la luminosité plus in-
tense qu’à l’habitude de la tête de la Vierge, entourée
d’une couronne faite de nombreuses épingles dorées qui
lui ceignaient le front. Tout aussi resplendissants étaient
les beaux yeux bleus de la Vierge qui se posaient sur les
enfants avec une douceur extrême.
Lorsque l’image se fut dissipée et que les enfants cessè-
rent d’être plongés dans la contemplation de la vision,
Madame Degeimbre décida d’inspecter avec son bâton
tous les buissons du jardin. Mais ceci ne servit à rien :
l’endroit ne recelait aucun plaisantin en veine de dégui-
sement et de bons tours. Ayant dans l’intervalle récupéré
la petite Gilberte, les enfants retournèrent sur leurs pas,
en direction de l’allée centrale. On entendit alors un cri :
face à eux, suspendue sur un nuage qui effleurait le sol,
la Vierge apparaissait de nouveau, les mains jointes et les
yeux au ciel. Les enfants s’immobilisèrent tout de suite,
en extase.
Lorsque l’image prit congé d’eux en ouvrant les mains et
en écartant les bras pour les saluer et les bénir en même
temps, toujours sans dire un mot, le petit groupe se se-
coua et sortit de son extase. Ils s'apprêtèrent alors à sortir
par la grille mais voici qu’une fois encore ils virent à
l’unisson la Vierge dans l’espace qui sépare la grotte du
pont. Ils se mirent à crier : « Elle est là ».
Et l’apparition n’avait pas encore pris définitivement
congé pour ce soir-là. Une fois de retour à la maison, les
mères des cinq petits visionnaires décidèrent de retourner
sur les lieux pour recommencer à inspecter les buissons.
Les enfants les accompagnèrent. Huit heures sonnèrent.
L’obscurité était complète. Mais voici qu’après avoir fran-
chi la grille, trois des enfants tombèrent à genoux : Albert,
Fernande et Andréine. La Vierge était revenue, sous un
arbre.
« Elle est là, sur la branche », s’exclama Andréine, en mon-
trant du doigt un arbuste qui se trouvait près de la grille.
Comme elle devait l’expliquer par la suite, la Vierge se
trouvait sur un petit rameau qui retombait sur le sol, et
en dessous d’une branche d’aubépine.
Madame Degeimbre se dirigea dans cette direction pour
effectuer son inspection mais un cri poussé par sa fille
l’arrêta net : « Arrête-toi, maman, tu vas te cogner à elle ».
Lorsque la vision disparut, les adultes auxquels s’était
joint le père de Fernande, fouillèrent le jardin en long et
en large, éclairant chaque angle avec une lampe de poche.
Mais ils ne trouvèrent rien ni personne.
C’est dans cette atmosphère de stupéfaction, de sus-
pense, d’incertitude, d’attente, que la Vierge apparut sous
l’arbuste d’aubépine aux cinq enfants de Beauraing, du
début du mois de décembre 1932 jusqu’au 3 février 1933.
Ces apparitions avaient lieu à six heures du soir. Les en-
fants arrivaient sur les lieux en ordre dispersé. Se ren-
contrant devant la grille, non loin de l'aubépine, ils se dis-
posaient de la manière suivante : les deux Gilberte, la
grande et la petite, se plaçaient devant, derrière se postait
Fernande et, à ses côtés, de part et d’autre, Andréine et
Albert.
Une fois qu’ils avaient pris place, ils commençaient à ré-
citer le rosaire. La Vierge n’apparaissait que lorsqu’ils
avaient dit les premières prières.
Un soir, Albert osa demander :
« Vous êtes la Vierge Immaculée ? »
Et, penchant la tête vers lui, Elle sourit à l’enfant et ouvrit
les bras.
— Qu'est-ce que vous nous voulez ? demanda encore Bé-
bert.
La Vierge répondit qu’elle leur demandait « d’être toujours
très bons »32. Ainsi débutèrent les conversations entre la
Vierge et les enfants.
Quelques jours avant Noël, la Vierge dit clairement : « Je
suis la Vierge Immaculée ». Et l’avant-veille, Fernande lui
ayant demandé : « Pourquoi vous apparaissez à Beau-
raing ? », elle répondit : « Pour que l’on vienne ici en pèle-
rinage. »
Après la reconnaissance des apparitions de Fatima,
l’Église s’est arrêtée sur celles de Beauraing (1932-33) et
de Banneux (1933) et plus de cinquante ans se sont main-
tenant écoulés.
Les prophéties de Fatima étaient dramatiques, terri-
32
« Les enfants n'étaient certes pas des modèles de dévotion. Loin de là ! Leurs
visions n’étaient pas dues à un excès de prières ou à des lectures édifiantes. Non,
les petits visionnaires de Beauraing ne se distinguaient en rien des autres enfants
de leur âge (...) Pendant toute la durée des apparitions, les cinq enfants furent sé-
parés après chaque apparition afin qu’ils ne puissent pas communiquer entre eux.
» (Chanoine Enrico Massart, La Madonna dal Cuore d’Oro, op. cit.).
fiantes et de portée mondiale. En les évoquant avec le re-
cul, Lucia, seule survivante des trois petits bergers por-
tugais, garde cependant un grand calme, comme si elle
n’avait pas été éprouvée par les traumatismes et les
troubles que lui avaient causé des émotions exhaustives.
Ceci tient beaucoup au fait que la Vierge se montre très
discrète lorsqu'elle visite les visionnaires. Elle use avec
eux de manières douces. C’est pourquoi ils deviennent
toujours ses imperturbables porte-parole.
Ce fut notamment le cas pour les petits visionnaires de
Beauraing qui virent à trente trois reprises la Vierge sur
un nuage blanc. Des manières douces et des discours me-
surés. Dès le 28 décembre, la Vierge avait dit : « Ce sera
bientôt ma dernière apparition ».
Mais le 29 décembre, Fernande eut une vision exception-
nelle. Lorsque la Vierge fut apparue, au moment où Elle
ouvrit les bras avant de parler, la fillette vit au milieu de
la poitrine un cœur entouré d’une multitude de rayons
resplendissants. La Vierge au Cœur d'Or lui dit : « Priez,
priez beaucoup ».
La Vierge et son Cœur d’Or apparurent de nouveau sous
l’aubépine le 2 janvier 1933. Le Cœur resplendissait avec
davantage d'éclat encore que la Vierge elle-même, de la-
quelle émanait déjà une luminosité plus intense que celle
du soleil. Quant à la lumière qui se dégageait de l’en-
semble de la vision, on pouvait selon Fernande « la fixer
sans avoir mal aux yeux ». La Vierge annonça à cette der-
nière :
— Demain je dirai quelque chose à chacun de vous en
particulier.
Le jour suivant, 3 janvier, de nouveau réunis devant la
grille du Pensionnat, les cinq enfants se mirent à prier. Ils
avaient à peine fini de réciter les premiers Ave Maria que
quatre d’entre eux, Fernande exceptée, tombèrent à ge-
noux : ils voyaient la Vierge.
La petite Gilberte qui, les yeux hagards, fixait la vision,
fut la première à entendre la Vierge lui parler en particu-
lier. Lorsque la révélation qui la concernait fut terminée,
la fillette inclina la tête et se mit à pleurer.
Puis ce fut le tour d’Albert. Lui seul pouvait maintenant
entendre ce que la Vierge avait à lui révéler et il était
plongé dans une extase encore plus profonde. Après avoir
entendu les paroles de la Vierge, il baissa lui aussi la tête.
Ce fut ensuite à Gilberte, la plus grande, puis à Andréine.
En confiant à chacun des enfants le message qu’elle leur
destinait, la Vierge avait chaque fois conclu sa révélation
en disant :
— Ceci est entre nous, et je te prie de ne le dire à per-
sonne.
Mais Gilberte, la grande, entendit également quelque
chose qui était destiné à tous et qu’elle s’empressa de ré-
péter :
« Je convertirai les pécheurs ! », lui dit la Vierge afin qu’elle
fasse connaître ses intentions.
Et à Andréine elle confirma son identité :
« Je suis la Mère de Dieu, la Reine des Cieux ».
La dernière recommandation de la Vierge avant de pren-
dre congé fut :
« Priez toujours ! »
Enfin la Vierge les salua :
« Adieu ! »
Dès qu’ils retrouvèrent un peu de forces après l’émotion
et l’épreuve que représentait l’extase, les enfants quittè-
rent les lieux pour prendre le chemin de la maison. Tous
sauf une, Fernande. Elle n’arrivait pas à croire qu’elle
avait été la seule à ne pas recevoir le message personnel
de la part de la Vierge. Un médecin qui avait assisté à la
scène la consola en lui murmurant :
— Tu verras, la Vierge reviendra peut-être pour toi...
Il tombait une pluie fine et glacée. La fillette commença à
réciter un autre rosaire. Les Ave Maria furent égrenés l’un
après l’autre mais la Vierge ne fit pas son apparition.
— Viens, Fernande. Allons à la Grotte. Nous y dirons en-
core une prière, lui dit le médecin qui s’inquiétait de voir
la fillette rester au froid. Mais elle ne bougea pas. Le mé-
decin s’impatienta :
— Allez, ne fais pas l’enfant. Viens à la grotte. Tu revien-
dras ici plus tard, quand il n’y aura plus personne.
Fernande semblait comme clouée au sol.
Alors que la pluie continuait à tomber, les gens s'apprê-
taient à la laisser là, toute mouillée et transie de froid.
Mais tout à coup une lumière intense frappa les yeux de
l'assistance.
— Qu’est-ce qui se passe ? C’est vous monsieur ? dit
quelqu’un en s’adressant à un photographe. Mais l’éclair
de magnésium ne produit pas une telle lumière. Les gens,
qui étaient sur le point de partir, se précipitèrent de nou-
veau vers l’aubépine : là ils eurent tout juste le temps de
voir briller une boule de feu qui, en éclatant, laissa échap-
per une myriade d’étincelles.
La petite visionnaire tomba de nouveau à genoux, les
yeux hagards et les mains jointes. Penchée en avant, elle
se mit à prier avec une ferveur qu’on ne lui avait jamais
vue auparavant : elle récita les Ave Maria, en les entre-
coupant de « oui », avec tant de passion qu’en l’entendant
les personnes présentes frémissaient d’émotion. Elle
s'écroula finalement à terre ; vaincue par les sanglots.
La Vierge lui avait demandé :
« Vous aimez mon Fils ? Vous M’aimez ? »
Et la réponse étant positive, elle avait ajouté :
« Alors, sacrifiez-vous pour moi ».
Fernande s’apprêtait à demander : « Mère, quel genre de
sacrifice attendez-vous de moi ? », mais la Vierge écarta
les bras et, en montrant son Cœur, elle dit :
— « Adieu ! »
C’est alors que Fernande éclata en sanglots.
33
P. Angelo Rainero, O.S.J., La Madonna dei Poveri, Milan, 1953.
pour la porter dans l’autre pièce. Mais, revenue à la fe-
nêtre, elle voit la Dame, toute pareille mais encore plus
resplendissante qu’avant.
Mariette appelle alors sa mère.
— Maman, dehors il y a une Dame habillée en blanc avec
une ceinture bleue à la taille, s’exclame-t-elle, visiblement
frappée.
La mère s'approche de la fenêtre et regarde, elle aussi :
elle voit effectivement une forme blanche, lumineuse,
mais elle prend peur et s’empresse de dire à sa fille qu’il
s’agit d’une sorcière.
La fillette ne quitte cependant pas l’image du regard et
remarque que la Dame lui fait signe de sortir de la maison
et de venir vers Elle, dans le jardin. Mariette demande à
sa mère la permission de sortir mais, pour toute réponse,
celle-ci va à la porte, la ferme à clé et met la clé dans sa
poche.
Déçue, le jour suivant la fillette voulut raconter à son père
ce qu'elle avait vu le soir précédent dans le jardin. Après
avoir entendu son récit, son père voulut pour la rassurer
lui démontrer au moyen d'une expérience qu'elle avait été
victime d'un effet d'optique.
Lorsque la nuit tomba et que le froid se fit plus vif, il prit
de l'eau et la jeta sur la terre, où elle avait vu la figure
lumineuse. En gelant, l'eau allait jouer le rôle d'un miroir
dans la lumière de la lampe, créant l'illusion d'une appa-
rition.
L'ouvrier souleva ensuite le rideau et posa la lampe à sa
place habituelle. Mais la lumière, qui donnait directement
sur la rue, laissait dans l'ombre l'endroit indiqué par Ma-
riette et par sa mère. Et même en déplaçant la lampe da-
vantage vers la droite ou vers la gauche, il ne réussissait
pas à éclairer la zone de l'apparition.
Quatre jours plus tard, le 19 janvier, Mariette sortit dans
le jardin à sept heures du soir, dans le noir et au froid. Le
thermomètre marquait 12 degrés en dessous de zéro. Une
impulsion soudaine l'avait poussée à affronter le froid dif-
ficilement supportable et les ténèbres effrayantes pour al-
ler s'agenouiller dans la neige.
Il ne fallut pas beaucoup de temps pour que son père, qui
l'observait médusé de la fenêtre, la voie soudain tendre
les bras vers le ciel.
Une fois sortie de son extase, elle racontera que la Vierge
est apparue sur la cime des sapins qui se dressent dans
le marécage situé auprès de la maison et dénommé La
Fagne. Elle semblait venir d’un point situé très loin dans
l’espace et elle était donc très petite, comme un avion qui
aurait débouché tout à coup de l’horizon. Mais au fur et
à mesure qu’elle se rapprochait, elle prenait des dimen-
sions plus importantes. Finalement, après être passée au
travers de deux sapins, elle vint se placer face à Mariette :
elle se trouvait à un mètre cinquante d’elle, suspendue
dans les airs à environ trente centimètres du sol, sur un
nuage gris. Sa taille était grandeur nature.
La Vierge portait une longue robe blanche de laquelle dé-
passait son pied droit orné d’une rose en or. Elle portait
également un grand voile, blanc lui aussi, et une ceinture
bleue qui lui marquait la taille. Sa tête était entourée de
rayons lumineux et un chapelet pendait de son bras droit.
Totalement absorbée par la vision, Mariette était entrée
en extase : elle s’était figée dans la position où elle était,
insensible à tout, même au froid intense, mais semblait
comblée par ce qu’elle voyait et entendait.
S’étant aperçu de l’état dans lequel elle se trouvait main-
tenue, son père devint nerveux. Il ouvrit et referma
bruyamment la porte de la maison et parcourut le jardin
en long et en large : mais la fillette restait immobile, ab-
sente, le regard dirigé légèrement vers le haut et ses lèvres
bougeaient à peine en murmurant les prières à voix
basse.
Alors Julien Beco, effrayé, enfourcha sa bicyclette pour
aller demander du secours à quelqu’un, et d’abord au
chapelain. Mais celui-ci était absent. Il alla alors frapper
à la porte de Michel Charlesèche, un brave homme qui
habitait tout près et auquel il expliqua ce qui arrivait à
leur Mariette. Celui-ci ne se fit pas prier et, accompagné
de son fils, un garçon de onze ans, il suivit le père de Ma-
riette.
Lorsqu’ils arrivèrent en vue de La Fagne et de la maison,
ils virent Mariette en train de se diriger comme un auto-
mate vers la route, sortant du jardin.
— Où vas-tu ? cria son père inquiet.
Mais, le regard toujours fixé sur quelque chose ou sur
quelqu’un qui semblait se trouver devant elle, elle répon-
dit :
— Elle m’appelle.
Alors qu’elle était en train de traverser la route, Mariette
tomba à genoux, au beau milieu de la chaussée. Elle resta
ainsi pendant un instant, puis se releva et se remit à mar-
cher.
Les trois autres, qui la suivaient à quelques mètres de
distance, l’appelèrent à plusieurs reprises, mais sans
succès tellement Mariette était absorbée dans sa vision
de la Vierge. Celle-ci allait à reculons, se déplaçant dans
les airs comme si elle volait sur une surface plane et les
pieds reposant toujours sur le petit nuage, qui semblait
la maintenir à une certaine distance du sol. Après avoir
fait quelques pas, Mariette tomba de nouveau à genoux
mais elle se releva quelques instants après. La fillette de-
vait raconter plus tard qu’elle s'agenouillait quand la
Vierge s'arrêtait et se relevait lorsque celle-ci repartait en
arrière.
Tout ceci se déroulait dans la nuit noire. Mariette se trou-
vait maintenant à environ vingt-cinq mètres du groupe
quand elle obliqua vers la gauche et alla s’agenouiller au
bord d’un fossé où coulait une petite source. On sut par
la suite que la Vierge s’était arrêtée au-dessus du talus
qui surplombe le ravin, de l’autre côté du fossé.
— Mets les mains dans l’eau, avait dit la Vierge à Mariette.
Elle obéit puis, alors qu’elle plongeait ses petites mains
nues dans l’eau glacée, elle répéta les paroles de la
Vierge :
— Cette source m’est réservée.
Et enfin :
— Bonsoir. Au revoir.
La fillette racontera que la Dame s’est élevée jusqu’à la
cime des sapins. Elle est ensuite devenue de plus en plus
petite, puis a disparu dans l’immensité du ciel.
Les apparitions suivantes de la Vierge à Mariette Beco se
déroulèrent de la même manière. Elles durèrent cepen-
dant moins longtemps que la première qui avait été d’en-
viron trente-cinq minutes.
Banneux n’attira jamais beaucoup de gens. Dans les pre-
miers temps, un groupe d’une douzaine de personnes
s’était formé mais beaucoup cessèrent bien vite de se
rendre chez les Beco. Mariette se retrouva ainsi parfois
complètement seule à attendre la venue de la Vierge dans
la nuit noire et dans un froid glacial. La fillette se mettait
sur la tête un vieux paletot. Son père la suivait. Après
avoir étendu un vieux sac sur la neige, elle s’agenouillait
et commençait à réciter son chapelet.
Elle était tournée vers la pinède et regardait dans la di-
rection de Louveigné, les yeux fixés sur un point situé
entre deux cimes de sapins.
Après avoir récité plusieurs dizaines d’Ave Maria, elle était
saisie de surprise à l’arrivée de la Vierge. Elle levait les
bras au ciel et s’écriait :
— Oh ! La voilà.
Le 19 janvier, jour de la troisième apparition, elle de-
manda à la Vierge :
— Qui êtes-vous, belle Dame ?
Et l’apparition de répondre :
— Je suis la Vierge des Pauvres.
Le samedi 11 février, jour de la cinquième apparition,
alors qu’elle se trouvait près de la source à laquelle l’avait
menée la Vierge, penchée au-dessus de l’eau, Mariette se
leva d’un bond puis éclata en sanglots, se cachant le vi-
sage dans le creux de son bras.
Il était surprenant de la voir ainsi se diriger vers sa mai-
son tout en conservant cette attitude bien que marchant
d’un bon pas. Une fois entrée chez elle, elle s’assit à la
table. Elle posa ensuite le bras sur la table et s’écroula
sur celle-ci, la tête toujours appuyée sur son bras et pleu-
rant à chaudes larmes.
Les personnes présentes tentèrent de la calmer mais elle
ne répondit pas, disant simplement entre deux sanglots :
— Attendez.
Ces pleurs semblèrent alors interminables. Le temps pas-
sait et, se sentant impuissantes autant qu’embarrassées,
les personnes en question firent le geste de s’en aller.
C’est alors que Mariette s'exclama :
— Non, restez encore un peu.
Puis elle se leva et dit à son père de venir avec elle dans
la chambre voisine. La porte qui séparait les deux pièces
demeura cependant entr'ouverte et, de la cuisine, les gens
purent voir Mariette qui, la tête posée sur l’épaule de son
père, parlait sans discontinuer. De la cuisine, on entendit
seulement : « La Sainte Vierge a dit : je viens soulager la
souffrance ». Les gens entendirent la fillette, qui s’expri-
mait comme toujours en dialecte wallon, ajouter qu’elle
n’avait pas compris le sens du mot « soulager ». Son père
lui traduisit alors ce terme en wallon34.
34
Ibid.
La Vierge revint rendre visite à Mariette Beco le mercredi
15 février, pour la sixième fois. Il se trouvait chez la fa-
mille Beco une dame de Liège avec sa femme de ménage
ainsi qu’une voisine du chapelain de Banneux. Les
femmes récitaient ensemble le rosaire tandis que Ma-
riette, « qui depuis un moment se tenait prête, son petit
châle sur les épaules et un bonnet blanc sur la tête, en
attendant le rendez-vous habituel », sortit de la maison
vers sept heures du soir, comme toujours dans l’obscurité
et le froid. La fillette s’agenouilla malgré tout dans l’allée.
Les autres vinrent se placer derrière elle.
Après deux rosaires, on vit Mariette lever la tête vers le
point habituel dans le ciel.
«... puis on entendit distinctement la voix de Mariette, qui
disait : « Sainte Vierge, notre chapelain m’a dit de deman-
der de vous un signe ». Puis elle demeura silencieuse pen-
dant un assez long moment, trois minutes environ.
Quelqu’un lui demanda : « Tu n’as pas froid ? ». Elle ne
répondit pas mais recommença à réciter le rosaire. Elle
ne suivait toutefois plus scrupuleusement les dizaines et
elle priait d’une voix mal assurée qui devint de plus en
plus faible pour finir étouffée dans un sanglot. On la vit
enfin se prosterner le visage contre terre et continuer à
pleurer sans dire un mot » 35.
Sa mère essaya alors de la faire se lever, cherchant en
même temps à savoir quelque chose d’elle. Mais elle ne
voulut ni se relever ni répondre. Alors une dame la sou-
leva de force et la remit debout.
35
Ibid.
— Pourquoi pleures-tu ? demanda-t-on à Mariette.
— Tu l’as donc vue ?
— Oui.
— Que t’a-t-elle dit ?
— Croyez en moi, je croirai en vous. Priez beaucoup. Au
revoir.
Ne pouvant plus tenir dans le froid, tout le monde rentra
en toute hâte dans la maison. Là, s’asseyant comme à
l’habitude à la table de la cuisine, Mariette s'affaissa sur
celle-ci, se cachant le visage dans le creux de son bras, et
elle continua à pleurer.
On lui demanda sans succès d’expliquer les raisons de
ces pleurs désespérés : Mariette restait muette et une
grande tristesse se peignait sur son visage.
Ce n’est qu’une fois que les gens furent partis et qu’elle
resta seule avec sa famille qu’elle se confia à son père. La
Vierge, dit-elle, lui avait fait part d’un secret. Et elle avait
ajouté : « Priez beaucoup ».
Quand elle avait demandé un signe à la Vierge, afin que
tous puissent croire en Elle, Elle avait répondu : « Croyez
en Moi : je croirai en vous ».
C’est en récitant pour la deuxième fois le rosaire qu’elle
avait entendu prononcer ces paroles mélancoliques :
— Au revoir. Et la Vierge s’était alors élevée au-dessus de
la cime des sapins, disparaissant ensuite dans l’immen-
sité du ciel.
La Vierge revint une septième fois, le soir du lundi 20 fé-
vrier. Elle vint uniquement pour répéter ses recomman-
dations :
— Ma chère enfant, priez beaucoup !
Mariette sortait toujours dans le jardin à sept heures du
soir. Elle portait un sac à la main et un châle sur la tête.
C’est ainsi que le 2 mars, s’étant comme à l’habitude age-
nouillée sur le sac, elle avait commencé à réciter ses
prières, en attendant l’apparition.
Il n’y avait pas beaucoup de monde autour d’elle. Il pleu-
vait mais ne neigeait pas cette fois-là. Les averses étaient
violentes et une dame eut pitié d’elle et couvrit la fillette
avec son parapluie.
Elle commença à réciter le rosaire. La mère de Mariette et
un de ses petits frères sortirent également de la maison.
Deux rosaires venaient à peine d’être égrenés que tout à
coup « la pluie cessa, le ciel se dégagea et les étoiles se
mirent à briller. Mariette se mit à réciter un troisième ro-
saire. Au bout de la troisième dizaine, on remarqua en elle
un changement soudain : sa voix s’éleva et les Ave Maria
sortirent de sa bouche avec un débit plus rapide.
À un moment donné, Mariette tendit les bras et se leva
d'un bond ; elle fit un pas en avant puis se remit à genoux,
continuant à réciter plusieurs Ave Maria, environ une di-
zaine, à toute vitesse. Elle priait seule, car les autres res-
taient à la regarder, en silence. Tout à coup, elle se tut,
puis prononça distinctement : « Oui... oui » et se proster-
nant le visage contre terre, elle se mit à pleurer, récitant
toujours des Ave Maria entre deux sanglots »36.
Ce nouveau comportement de la fillette, qui se prosternait
à terre, en larmes et désespérée, inquiéta les femmes. On
alla bien vite chercher le père de Mariette, tandis que sa
mère essayait d’arracher sa fille de cette position, mais
sans succès. Le père arriva. Il se pencha vers la fillette et
l’attrapa par les épaules. Il réussit finalement non sans
mal à la soulever du sol et, l’ayant prise dans ses bras, il
la porta jusqu’à la maison.
Mariette était encore toute troublée et pleurait toujours.
Son père alla la porter sur son lit, dans l’autre pièce. Là
elle versa encore bien des pleurs. Quand elle se fut un
peu calmée, elle quitta le lit et alla à la cuisine, où se
trouvaient les femmes. L'une d’entre elles voulut, pour la
réconforter, la prendre sur ses genoux.
— Qu’est-il arrivé, Mariette ? lui demanda-t-elle douce-
ment pour ne pas la troubler.
— La Sainte Vierge ne viendra plus. Elle m’a dit : « Adieu».
Le premier consterné par cette nouvelle fut le père de Ma-
riette. Son émotion fut même si forte qu’il devint tout pâle
et fut sur le point de s'évanouir. Les femmes vinrent alors
autour de lui : on lui donna un cordial et on lui mit des
vêtements chauds autour du corps. Il se remit.
Lorsque le calme fut revenu dans la petite pièce, on put
de nouveau poser des questions à Mariette. Elle répondit
que la Vierge avait également déclaré : « Je suis la Mère
du Sauveur, la Mère de Dieu. Priez beaucoup. Adieu. »
36
Ibid.
La vision était la même que les fois précédentes, mais le
visage n'était plus souriant mais triste. En lui disant «
Adieu », la Vierge l'avait ensuite bénie par imposition des
mains et en faisant le signe de la croix. Ce n’est qu’alors
qu’elle s’était éclipsée.
Alors que Mariette faisait ce récit, dehors la pluie avait
recommencé à tomber.
Banneux : neuf apparitions, du 15 janvier au 2 mars
1933. Les visions de Mariette Beco, une fillette de condi-
tion modeste à laquelle la Vierge s’était présentée comme
la « Vierge des Pauvres », furent pleinement reconnues
comme un phénomène surnaturel par l’évêque de Liège,
Mgr Kerkhofs, après avoir examiné les faits, celui-ci se
prononça en effet le 22 août 1949 de la manière suivante :
« Nous croyons, en toute conscience, pouvoir et devoir re-
connaître sans réserve (...) la réalité des huit apparitions
de la Sainte Vierge à Mariette Beco... »
IV
37
L’Ukraine se situe en fait dans l’Europe du sud-est, aux frontières de l’Asie.
vu » — Un message secret.
38
Alberto Ambrosini : La Madonna di Bonate nelle visioni della piccola Adelaide, in
« L'Italia » du 8 juin 1944. Certains témoins ont estimé l’affluence des pèlerins à
« Voilà l’enfant »
40
C'était en réalité une fillette de sept ans.
peu en dessous de la Maresana ; nous redescendîmes un
peu vers les Sacramentini, vers les vignes où les véhicules
allemands ne pouvaient pas faire de rondes, et là nous
commençâmes à retransmettre le texte qu’il avait pré-
paré. » Il entendait tout ce que l’officier transmettait, étant
capable de déchiffrer le code secret du message :
« ... Il parlait de ce phénomène... Il insista énormément
sur cette phrase : repousser tout projet éventuel de bom-
bardement sur Bergame. Ce à quoi le Commandement
Suprême répondit : c’est une question très délicate car,
comme tu nous en as toi-même informés, le siège du
quartier général De Kesselring se trouve à San Pellegrino
et nous devons l’en déloger, créer la confusion, ne serait-
ce que parce que Bergame abrite de nombreux dépôts...
Il fut fait allusion à l’Hôpital Central, au Campo di Orio
qu’il fallait rendre inutilisable, à Ponte San Pietro... Et fi-
nalement : un bombardement en règle est prévu par le
Commandement Suprême sur Bergame ; il faut voir... Ce
bombardement devait détruire la gare et tout particuliè-
rement le centre de la ville, isolant celui-ci en le rendant
totalement inopérationnel du point de vue militaire. »
Mais l’officier insista tellement que la décision fut suspen-
due.
Il paraît que quelques jours auparavant, en regardant un
soir Bergame de la colline de la Maresana, le Comman-
dant allié aurait déchiré toutes ses cartes en disant : « Je
ne veux pas mécontenter la Vierge ».
On arriva ainsi au 20 juillet, c'est-à-dire à la fin de la pé-
riode des deux mois mentionnée dans la prophétie de la
Vierge, date à laquelle un autre événement suscita un tel
bouleversement dans les affaires politico-militaires qu’il
aurait pu leur faire prendre une tournure totalement nou-
velle : l’attentat contre Hitler aurait en effet pu, s’il avait
réussi, entraîner la cessation immédiate de la guerre.
Adélaïde avait précisé que la Vierge lui avait dit qu’il fallait
« faire bien attention à ce qui allait se passer un jeudi,
dans deux mois ». C’est ce qui se produisit, deux mois
plus tard, un jeudi, lorsqu’explosa la bombe dans la salle
où se tenait la réunion entre Hitler et les chefs suprêmes
de ses armées41.
Parmi les faits survenus à Bonate on compta également
beaucoup de « guérisons peu ordinaires », toutes prou-
vées. Parmi celles-ci, figurent les quatre-vingts signalées
par la Commission d’enquête mise sur pied à cet effet, qui
s’inspira des critères et des méthodes du Bureau de Cons-
tatations Médicales de Lourdes. Jusqu’à trois cents gué-
risons miraculeuses furent signalées au curé et au vi-
caire. Un prêtre, le Père Casella, nous a confié comment,
en toute simplicité, le « miracle » se produisait : « Alors
que nous dressions les procès-verbaux précédents, ras-
semblés dans la petite pièce du chef de gare, nous enten-
dions crier dehors : “Miracle, miracle”. Une mère qui por-
tait dans ses bras une enfant de trois ans atteinte d’une
luxation congénitale, qui avait subi en vain une interven-
tion, s’aperçut justement là, à la gare, que l’enfant posait
à terre sa jambe malade, comme l’autre jambe. Elle ne
savait toutefois pas encore si elle pouvait marcher ou non.
Le Père Ughetti, un prêtre de Mantoue, tendit un bonbon
à l’enfant qui se tenait debout toute seule devant la foule,
41
Tiré du Giornale del Popolo di Bergamo, déjà cité.
et lui fit des signes pour qu’elle s'approche. L’enfant hé-
sita un instant, puis avança en marchant d’un pas très
assuré. Le train était annoncé pour quelques minutes
plus tard lorsqu’on entendit de nouveau crier au miracle.
Un enfant de huit ans, sourd-muet de naissance, tira sur
la jupe de sa mère en lui montrant du doigt, tout content,
la cloche du train qui tintait. La mère de l’enfant poussa
un cri de joie. La foule se resserra autour d’elle. Le jeune
garçon, devant ce phénomène jusqu’ici inconnu, regarda
autour de lui, effrayé, puis se cacha le visage en se blot-
tissant contre sa mère et éclata en sanglots. Il n’avait pas
encore acquis l’usage de la parole mais il entendait, et
celle-ci n’allait pas tarder à suivre... »
Domenico Argentieri rapporte avec force détails certaines
guérisons miraculeuses42, parmi lesquelles celle de la «
signora Anna Villa », épouse Biella, née à Casatenovo.
« Depuis plusieurs années, la signora Anna Villa était
obligée de porter un corset orthopédique car autrement
elle n’aurait pu marcher, et, pour faire quelques pas sans
ce corset, elle devait se baisser en appuyant les mains sur
ses genoux. » Les médecins avaient diagnostiqué un mal
terrible : le mal de Pott. Les radiographies montraient
comment l’ostéite avait rongé la douzième vertèbre dor-
sale et la première lombaire. Après un bref séjour en cli-
nique, elle revint comme elle l’avait souhaité dans la mai-
son paternelle de Casatenovo où elle fut contrainte de de-
meurer pratiquement tout le temps alitée.
42
Cf. « La Fonte Sigillata », Rome, 1955.
Une nouvelle radiographie pratiquée le 23 mars 1943 ré-
véla une aggravation de son état : une destruction
presque totale de la douzième vertèbre et de rares résidus
lenticulaires de la première lombaire.
La foi poussa alors la signora Anna Villa à aller trouver le
Padre Pio de Pietralcina, à San Giovanni Rotondo. Celui-
ci lui dit : « Guéris d’abord ton âme et tu verras que ton
corps guérira également ».
Le 16 décembre 1943 il fut procédé à une nouvelle radio-
graphie : la partie résiduelle de la douzième vertèbre
s’était encore détériorée. On lui fit alors un corset en alu-
minium recouvert de celluloïd et avec ce corset elle se ren-
dit à Bonate le 28 mai 1944, pour la fête de la Pentecôte
qui était aussi le jour de la Première Communion d'Adé-
laïde Roncalli et un jour d’apparition.
Elle arriva à l’enceinte où se produisaient les apparitions
de Ghiaie vers huit heures trente du matin. Elle attendit
pendant environ neuf heures l’arrivée de la visionnaire. «
Pendant l’apparition elle pria constamment. Une fois que
la petite Adélaïde fut partie, elle voulut s’asseoir sur la
même pierre que celle où la fillette se tenait peu de temps
avant, puis elle souhaita s’y étendre. Elle ressentit tout à
coup un bien-être extraordinaire et chercha immédiate-
ment du regard sa mère, qui était restée sur sa chaise
longue. Elle cria : "Maman, je suis guérie”.
Quelques temps après, je me rendis chez la signora Anna
Villa où deux médecins, le Dr Loglio et le Dr Maggi, la vi-
sitèrent et l’aidèrent à se débarrasser de son corset : elle
se tenait droite, sans aucune douleur. »
Le Père Bonaventura Raschi43 cite seize cas de guérisons
miraculeuses. Ceux qui reçurent la « grâce » de la Sainte
Vierge à Ghiaie di Bonate sont :
Invernizzi Alessandro ; Robustelli Testo Maria Domenica,
de Sondrio ; Calligari Adelio, de l’institut pour Aveugles
de Milan ; Defen Lirida, de Basiliano, province de Udine ;
Accuso Anna ; Longoni Maria, de Saronno ; Baldassare
Anna Maria, de Rovereto ; Anna Sala, de Molteno,
Mandello Lario ; Rossi Maria épouse Cereda, de
Crescenzago, province de Milan ; Anna Villa épouse
Biella, de Casatenovo ; Ada Ronconi, de Milan ; Negri
Attilia, de Valgreghentino, province de Come ; Brunato
Maria ; Crippa Rodolfa, de San Fermo délia Battaglia,
province de Come ; Pino Santucci ; Cassia Rosangela, de
Ghiaie di Bonate.
Achille Ballini44 rapporte le cas d’une religieuse qui fut
elle aussi miraculeusement soulagée de ses souffrances :
« Sœur Antida Gasparini, de la Congrégation de Maria
Bambina, qui souffrait depuis 1941 de spondylarthrite
cervicale avec radiculite cervico-brachiale, se sentit guérie
le 22 juin 1944, à neuf heures du soir, à Bergame, au
terme d'une neuvaine à la Madonna delle Ghiaie commen-
cée le 14 juin. Le professeur A. Poli, directeur de l’institut
d’Orthopédie Matteo Rota de Bergame, émet les conclu-
sions suivantes après l'avoir examinée : « Suite aux ob-
servations qui précèdent, le soussigné, qui a eu l’occasion
43
In « Questa è Bonate », Gênes, 1950.
44
In « Una fosca congiura contro la storia », Rome, 1954.
de suivre depuis un certain temps la maladie... soudaine-
ment résorbée le soir du 22 juin 1944 après d’intenses
pratiques religieuses à la Madonna di Bonate, s’estime
fondé à affirmer en toute conscience et au vu de ses con-
naissances que la guérison de l’affection qui s’avère totale
du point de vue clinique, s’est produite selon des modali-
tés qui n’ont rien à voir avec les lois naturelles (31 juillet
1944). »
Le Dr F. Golmozzi, Chef de clinique de l’Hôpital Central de
Bergame, écrit quant à lui à son collègue Borroni : « ...
Voici ce que je peux dire à propos de la maladie et de la
soudaine guérison que l’on peut juger surprenante et
inexplicable en l’état actuel des connaissances scienti-
fiques qui sont les nôtres (20 novembre 1944) ».
Les témoins de ces guérisons miraculeuses de Ghiaie di
Bonate purent également observer des phénomènes con-
comitants dans le ciel, tels que les « danses » du soleil. «
À six heures du soir ce jour-là, je me trouvais avec une
foule de gens en haut de la butte qui surplombe le lieu
des apparitions car il était impossible, étant donné le
nombre de personnes présentes, de descendre plus bas »,
raconte un témoin oculaire. « À un moment donné, j’en-
tendis les gens dire : "Regardez le soleil, regardez le so-
leil !”. Je me retournai moi aussi, la curiosité l’emportant
sur la méfiance, et je vis le soleil qui, sorti des nuages (le
ciel était menaçant), tournoyait sur lui-même et semblait
déraper avec la vitesse du mouvement. En même temps
je vis qu’il projetait des faisceaux de lumière... qui, pour
moi, étaient pratiquement en permanence jaune d’or.
Ceux qui étaient près de moi disaient tous qu’ils avaient
constaté le même mouvement mais également qu'ils
avaient vu d’autres couleurs ; d'autres disaient qu’ils
avaient vu dans le soleil les symboles de l’Hostie, d’autres
encore une Croix, la Sainte Famille ou la Sainte Vierge. »
C’était le 21 mai 1944 et celui qui recueillit ces impres-
sions était le Père Giuseppe Piccardi, de Bergame 45. Il
continuait ainsi : « Vers huit heures, ayant quitté la butte
où je me trouvais, je pris le chemin du retour et, sous une
pluie légère, je me dirigeais vers la cure, je trouvais là de
nombreuses personnes qui commentaient les divers évé-
nements de la soirée. Le Père Andréa Spada, directeur de
"l’Eco de Bergamo”, m’appela à la cure et me demanda ce
que j’avais moi-même vu dans le soleil. Je lui fis part de
ce qui précède et il évoqua la possibilité d’une illusion
d’optique et d’une suggestion collective. Nous étions en
train de discuter lorsque quelqu'un, je ne me souviens
plus qui, vint nous appeler en disant : "Sortez, sortez, le
soleil tourne encore”.
En un instant nous nous trouvâmes dans la cour et j’as-
sistai à un spectacle que je n’aurais jamais pu imaginer.
Le soleil couchant formait un disque d’une douce couleur
argentée et je le voyais tourner sur lui-même à une vitesse
vertigineuse, donnant parfois l’impression qu’il allait se
désintégrer dans le ciel. L’œil n’avait aucun mal à le fixer
du premier coup tant il était reposant. Mais le merveilleux
ne s'arrêta pas là. Dans sa rotation, le soleil lançait, tel
une girandole conçue par le meilleur artificier, des fais-
ceaux de lumière tantôt jaune, tantôt verte, tantôt vio-
lette, avec une telle vivacité que les nuages qui l'entou-
raient en étaient merveilleusement colorés et formaient
45
Cité par Domenico Argentieri dans son livre « La Fonte sigillata ».
autour de celui-ci une auréole fantastique. »
Un an et demi après ces événements, à l'automne de l’an-
née 1945, le bruit commença à courir qu’Adélaïde Ron-
calli était revenue sur tout ce qu’elle avait précédemment
révélé sur les apparitions dont elle avait été témoin.
Nombreux furent ceux qui ne prêtèrent aucune impor-
tance à ces rumeurs. Mais bientôt commencèrent à circu-
ler des photocopies d’une déclaration écrite et signée par
la fillette elle-même : « Ce n’est pas vrai que j’ai vu la
Sainte Vierge. J’ai menti car je n’ai rien vu. Je n’ai pas eu
le courage de dire la vérité, mais ensuite j’ai tout dit au
Père C. Maintenant je regrette d’avoir dit tant de men-
songes. »
Sur cette feuille figurait également la date du 15 septem-
bre 1945.
Devant ce fait nouveau, la mère d’Adélaïde se précipita
pour aller voir sa fille qui avait été placée au couvent. Elle
rapporta elle-même à la Commission d’enquête épisco-
pale ce qui se passa ensuite :
« En ce qui concerne la rétractation de l’enfant », témoigna
sa mère, « je l’ai apprise au Père C. qui m’a apporté le
papier ; et je suis venue au couvent. Il y avait Sœur M. et
une autre sœur et un homme se tenait à côté d’elles sur
la banquette. Puis elles se sont éloignées toutes les deux.
"Écoute, Adélaïde", lui ai-je dit, “tout le monde dit que ce
n’est pas vrai que tu as vu la Sainte Vierge". "Si, c’est vrai
que je l’ai vue !”. "Et alors, pourquoi les gens disent que
tu ne l’as pas vue ?” "Je ne peux pas dire ce que j’ai vu,
parce que je commets un péché de désobéissance”. »
Comme à Bernadette, la Vierge avait prédit à Adélaïde
Roncalli des souffrances dans ce monde en lui promettant
le bonheur dans l’autre : «... entre ta quatorzième et ta
quinzième année, tu te feras sœur de la Congrégation du
Saint-Sacrement. Ensuite tu endureras beaucoup de
souffrances ; mais ne pleure pas, car après tu viendras
avec moi au Paradis » (deuxième apparition, 14 mai 1944).
La prophétie touchant à son avenir s’avéra fondée,
puisqu’Adélaïde, entrée au couvent des religieuses du
Saint-Sacrement, en fut renvoyée un peu plus tard et en
éprouva évidemment une grande mortification.
D’autres messages, simples mais dont le contenu était ce-
pendant loin d’être à la portée d’une fillette de sept ans,
ainsi que d’autres prédictions, furent révélés par la
Vierge, comme pour souligner l’événement extraordinaire
que constituaient ses apparitions répétées et les fixer de
manière indélébile.
Au cours de sa cinquième apparition, le 17 mai 1944, elle
avait confié à l’enfant un message secret pour le Pape et
pour l’évêque : « Répète à l’évêque et au Pape le secret que
je te confie. Je te demande de faire ce que je te dis : mais
n’en parle à personne d’autre. »
Malgré son jeune âge, Adélaïde tint sa promesse : de
même, toujours à la demande de la Vierge, elle insista en
revanche auprès des fidèles sur l’importance du message
du 18 mai, délivré à l’occasion de la sixième apparition :
« Prière et pénitence ! Prière et pénitence ! Prière et péni-
tence ! Prie pour les pauvres pécheurs, plus malheureux
qui sont en ce moment en train de mourir et qui me trans-
percent le Cœur ! » Et, en réponse à une question posée
par les fidèles : « La prière qui me fait le plus plaisir est
l’Ave Maria ».
C’est au cours de sa septième apparition, le 19 mai, que
la Vierge évoqua le problème de la guérison réclamée par
tant de gens :
« Non, il n’est pas nécessaire que tout le monde vienne ici.
Que ceux qui le peuvent viennent et, suivant les sacrifices
qu'ils auront faits, ils seront guéris ou demeureront ma-
lades ; il faut cependant qu’ils ne commettent plus de pé-
chés graves ».
Le 22 mai 1947, Adélaïde Roncalli comparut devant le Tri-
bunal ecclésiastique réuni auprès de la Maison des
Sœurs de la Sagesse à Bergame. Elle avait dix ans et, sous
le sceau du serment, elle répéta le récit qu’elle avait déjà
fait en son temps de sa première rencontre avec la Vierge :
« J’ai vu une lumière s’avancer et j’ai eu peur et ensuite,
peu à peu, j’ai vu une personne. C’était une lumière de
forme ovale. Je me suis dit : “Qu'est-ce que c'est cette lu-
mière ?”. J'ai pris peur et je me suis sentie mal. Je n'arri-
vais plus à parler. Je ne me rappelle pas si je suis tombée
par terre. J'ai vu un visage et un corps dans cette lumière.
Je ne sais pas combien de temps ça a duré. C'était un peu
en hauteur, à deux ou trois mètres de distance mais un
peu plus bas que ce plafond. J'ai vu une Dame. Il me
semble qu’elle était vêtue de blanc, avec un manteau bleu
ciel, pas très long, et une ceinture bleu ciel. Elle avait
deux roses sur les pieds, une sur chaque pied ; je ne me
souviens plus de leur couleur. Des petites roses comme
ça, un peu plus grandes que les pompons qu’on met sur
les chaussures. Elle avait les mains jointes. Je ne me sou-
viens plus si elle regardait le ciel ou moi. Elle était un peu
plus grande que ma maman et plus maigre. »
La Vierge avait l'habitude de se présenter à Adélaïde dans
une gracieuse attitude. Elle serrait entre ses mains deux
colombes dont les petites têtes apparaissaient entre les
doigts joints dans la prière. Le peintre Terlizzi retint entre
autres cette description qui lui avait été faite par la fillette
et réalisa un tableau qui devint célèbre. Terlizzi ajoute : «
La vision de la Sainte Famille dans le temple, entourée
d'animaux en prière, avec l’épisode du cheval qui
s’échappe et de Saint Joseph qui le ramène à l’Église est
également un joyau absolument inédit dans la littérature
mystique, prenant toute sa valeur avec le commentaire de
la fillette qui, lorsqu’on lui fait valoir que les animaux sont
incapables de prier, répond du tac au tac : « Si, ils priaient
parce que la Madone a dit que les pécheurs aussi doivent
prier ! »
Mais, quelle qu’ait été la grâce de ses visions, la petite
Roncalli dut, entre la première et la deuxième série d’ap-
paritions, entrer au Collège des Ursulines de Bergame. Et
c’est toujours dans ce couvent qu’elle fut reconduite le 31
mai, lorsqu’elle déclara qu’elle ne devait plus voir la
Sainte Vierge.
« Prière et pénitence ! Prière et pénitence ! Prière et péni-
tence ! », c’était un message que la Mère de Dieu lui avait
communiqué et qu’elle avait fait connaître aux hommes ;
elle le faisait désormais sien. Et finalement, le 31 mai
1944, la Vierge se montra à elle pour la dernière fois :
« Chère enfant, je regrette de devoir te quitter, mais
mon heure est passée : ne t’inquiète pas si tu ne me
vois pas pendant un moment. Pense à ce que je t’ai dit,
à l’heure de ta mort je viendrai encore. Dans cette val-
lée de douleurs, tu seras une petite martyre. Ne te dé-
courage pas : je souhaite que mon triomphe soit
proche... ».
46
Louis Knuvelder, L’Histoire de la Dame de tous les peuples, Amsterdam, 1970.
une grande douleur et je dis : « C’est une autre période
d’oppression et de douleur qui s'abat sur le monde ». Je
vois alors les mots : « Sans espoir ».
4 janvier 1947. En montrant le globe terrestre qu’elle tient
dans sa main, la Vierge dit :
« Voici le monde tel qu’il est aujourd’hui ».
La visionnaire pose sa main sur le globe et sent une dou-
leur atroce. La Vierge dit :
« Voici le monde tel qu’il sera plus tard, il est très lourd.
Le monde se détruira tout seul. »
30 août 1947. J’entends cette voix et je regarde, dit la vi-
sionnaire, et un sentiment d’oppression m’envahit. J’en-
tends dire : « Il règne une grande oppression » et je vois
distinctement l’Italie devant moi. C’est comme si une très
grande tempête se déchaînait sur ce pays. Je dois écouter
et j’entends prononcer le mot de « proscription ». Je sur-
vole l’Italie et c’est comme si je devais asséner des coups.
Puis j’entends : « Là c’est comme une succession de coups
». Je continue à voir toujours très distinctement le Nord
de l’Italie et l’extrême pointe et entre ces deux pôles il
semble qu’il y ait la mort. Puis je vois se dresser une
grande coupole et au-dessus de cette église ou de cette
coupole il se met à pleuvoir, de très grosses gouttes. Ce
n’est pas une pluie ordinaire, ce sont des gouttes de sang.
Je vois de loin une croix qui se dresse dans la lumière et
j’entends :
« Ceci devient une grave lutte entre les forces poli-
tiques et les forces chrétiennes, entre les forces poli-
tiques et les forces ecclésiastiques. »
26 décembre 1947. Je vois tout à coup une forte lumière
et je ressens une douleur à la main, on dirait un faisceau
de rayons lumineux, dit la visionnaire. Puis je vois la
Dame qui dit :
« Il y aura des catastrophes, du Nord au Sud, du Sud à
l'Ouest et de l’Ouest à l’Est. »
Puis je vois une coupole ronde. Il me semble qu’il s'agit
d’une coupole de Jérusalem. J’entends :
« Tout autour de Jérusalem et à proximité de graves
combats se dérouleront. »
Je vois immédiatement Le Caire, bien distinctement.
J’éprouve un sentiment étrange. Puis je vois toutes sortes
de tribus orientales, perses, arabes, etc. La Vierge me dit
alors :
« Le monde sera pratiquement déchiré en deux. »
Maintenant je vois le monde devant moi et je vois s’avan-
cer une grande déchirure à travers le monde entier. Je
vois aussi au-dessus de lourds nuages et je ressens une
grande douleur et une grande détresse.
J’entends la Vierge dire :
« Il y aura beaucoup de douleur et beaucoup de dé-
tresse. »
Puis je vois les villes orientales aux toits blancs. Je sens
dans ma main quelque chose de lourd et en la regardant
je vois une croix s’y poser. Je dois la déposer par terre. La
croix est lourde et vacille de tous côtés. Elle oscille sans
arrêt de gauche à droite et d’avant en arrière. Il semble
un instant qu’elle soit sur le point de tomber en avant
mais elle se redresse et c’est comme si elle était plus lé-
gère et se trouvait fermement plantée dans le sol.
Maintenant je dois regarder à terre et j’y vois, sous la
croix, des os et des casques. Puis une grande clé vient se
poser dans ma main. Je la lâche immédiatement et elle
tombe parmi les os et les casques. Puis je vois des rangées
de jeunes garçons défiler devant moi, ce sont des soldats.
J’entends la voix dire : « Assister nos garçons par une aide
spirituelle ». Puis je vois surgir des tombes blanches,
toutes ornées de petites croix blanches.
7 mai 1949. Je vois la Vierge assise en vêtements de deuil,
elle porte un voile blanc autour de la tête. Les traits de
son visage ont beaucoup vieilli. Elle est toute voûtée et
garde la tête baissée.
Puis elle dit :
« Nous sommes ici dans l’obscurité, c’est la corruption
de l’humanité. »
Je vois ensuite devant moi une croix et le Corps du Christ
qui glisse à terre de sorte que la croix reste nue. La Vierge
dit :
« Le martyre recommence ».
Je vois de profondes rides et de grosses larmes sur le vi-
sage de la Vierge. Puis je pénètre avec elle plus profondé-
ment dans l’obscurité. Nous nous enfonçons et je vois
seulement plus loin dans l’obscurité... Puis la Vierge dit :
« Même la Nature change ».
***
Trois éléments fondamentaux se dégagent des communi-
cations faites à Ida Peederman par la Vierge « de tous les
peuples ». Le premier concerne la mission de Marie pour
la paix dans le monde, le deuxième la vénération de l’Eu-
charistie et le troisième la dévotion à l'Esprit Saint.
Le 31 mai 1967, la Vierge annonçait : « Je peux encore
sauver le monde ».
C’était, semble-t-il, le dernier avertissement. Mais le 5
mars et le 31 mai 1970, l’ordre fut donné de « divulguer
ce message dans le monde entier ».
47
Société des transports romains.
connaissait pour avoir habité étant petit dans la zone de
Porta Metronia d'où il avait fait quelques promenades
jusqu’aux Trois Fontaines. Les eucalyptus faisaient de
l'ombre au terrain sur lequel les enfants allaient pouvoir
gambader librement et jouer au ballon. Une grotte creu-
sée dans le tuf pourrait éventuellement constituer un abri
adéquat pour satisfaire les besoins naturels. Quant à lui,
il se tiendrait à l’écart pour se consacrer à la préparation
d’un discours qu'il devait prononcer devant une commu-
nauté de jeunes : le lendemain, en effet, il devait, au cours
d'une réunion à laquelle il participait en tant qu'orateur,
s’élever, pour le bien des jeunes générations, contre le
dogme de l’immaculée Conception, un dogme rejeté par la
religion adventiste.
Arrivés sur la petite colline, Bruno Comacchiola et ses
trois enfants, se livrèrent à leurs occupations respectives.
De caractère autoritaire, narcissique, passionné, mais
profondément bon et honnête, Bruno savourait déjà l’effet
que produiraient sur son auditoire sa voix tonitruante,
son ton énergique et son esprit combatif. Personnage tout
en rondeurs, qui ne se sentait nullement entravé par son
uniforme des agents de l’A.T.A.C., d’allure imposante, le
cheveu et l’œil noirs, parfois violent, tant à la maison
qu'au dehors, c’était un propagandiste né et un lecteur
passionné de la Bible et de l’Évangile.
Légionnaire en Espagne, c’était là que quelqu'un l’avait
amené au protestantisme, lui communiste athée qui
s’était rebellé contre le catholicisme. Mais, une fois em-
brassée la religion baptiste, il s’en était ensuite détaché
pour devenir adventiste. Il demeurait de toute façon fa-
rouchement opposé à tout culte ou à tout hommage par-
ticulier rendu à la Vierge.
Et ceci était devenu l’un des thèmes favoris de la propa-
gande grâce à laquelle il réussissait, en bon orateur, à
faire des prosélytes notamment au sein des agents de
1’A.T.A.C. et parmi les amis de son quartier de Tiburtino.
Les réunions des adventistes dans une salle de la via Ur-
bania étaient autant de succès personnels remportés par
Cornacchiola grâce aux infinies ressources de sa veine
polémique : la cible en était les prêtres et, naturellement,
le Pape.
En ce moment, assis sur une pierre, dans la tranquillité
des Trois Fontaines, Cornacchiola est justement en train
de feuilleter la Bible, à la recherche des expressions qui
pourraient démontrer la fausseté des attributs que les ca-
tholiques prêtent à Marie.
Les enfants jouent à l’écart. À un moment donné, Carlo
et Isola « viennent interrompre mon travail », racontera
Bruno : « Papa, on a perdu le ballon ». Je pense qu’il peut
avoir roulé en dehors du terre-plein, là où le terrain des-
cend en pente raide jusqu’à la route. Je leur indique où
le chercher mais ils reviennent découragés : « On n’arrive
pas à le retrouver ». Je dis alors : « Moi et Carlo nous al-
lons le chercher ». Isola grimpe sur le plat de la colline au-
dessus de la grotte qui s’ouvre au fond de la clairière où
nous nous trouvions tous les quatre, tandis que je recom-
mande à Gianfranco de ne pas bouger, en lui donnant un
petit illustré pour enfants pour lui faire passer le temps.
Nous fouillons les buissons un par un et nous éloignons
même un peu. Pour m’assurer que le petit ne s'écarte pas
et ne tombe pas dans un trou, je l’appelle de temps en
temps. À un moment donné, je lui parle et il ne me répond
pas ; je recommence, rien. Que peut-il être arrivé ? Je re-
pense aussitôt à ce jour où Gianfranco était tombé de huit
mètres de haut et où on avait dû lui mettre dix points de
suture : pourtant, aussi extraordinaire que cela puisse
paraître, quatre jours plus tard il était déjà guéri. J’arrête
de chercher le ballon et je vais voir. L’enfant se tenait à
gauche de l’entrée de la grotte, à genoux et ses petites
mains jointes. Comme s’il parlait à quelqu’un qui se trou-
vait devant lui et que je ne voyais pas, il répétait tout sou-
riant : « Belle dame, belle dame ». Personne à la maison
ne lui avait enseigné cette position pour prier, d’autant
plus que les protestants prient debout, sans joindre les
mains. J’appelle Isola qui est en train de composer un
bouquet : « Qu’est-ce que tu veux, papa ? » « Descends un
peu ». Nous nous approchons avec mon fils Carlo de Gian-
franco, toujours en extase : « Mais vous voyez quelque
chose ? » « Rien », répondent-ils, mais au même moment
voici qu’isola se met elle aussi à s’agenouiller, à joindre
les mains et à s’exclamer, le regard fixé sur un point de la
grotte : « Belle dame ». Je crois à une plaisanterie des en-
fants, puis je pense que la grotte est ensorcelée, qu’il
s'agit de quelque chose de magique.
Je dis alors à mon fils Carlo qui est à côté de moi : « Et
toi, tu ne t'agenouilles pas ? » Il répond sur un ton non-
chalant et amusé : « Allons donc ! » Il a à peine terminé sa
phrase qu'il tombe à genoux et, les mains jointes, a à son
tour la vision de son frère et de sa sœur. Je suis alors pris
de terreur : j’essaie de secouer mes enfants, qui ont tou-
jours les yeux fixés sur un endroit où je ne vois rien, si ce
n’est l’obscurité de la grotte. Les enfants semblent pétri-
fiés. Je les observe : ils sont devenus blêmes, presque
transparents, et ont les pupilles dilatées. Une prière
s’échappe spontanément de mes lèvres, me faisant croire
à une intervention diabolique : « Seigneur, sauve-nous ».
Je viens à peine de faire cette invocation qu’il me semble
sentir deux mains me pousser par l’arrière et enlever dé-
licatement de devant mes yeux comme un voile. À cet ins-
tant, la grotte disparaît de ma vue, je me sens tout léger,
comme si j’étais débarrassé de ma chair, et enveloppé
d'une lumière éternelle, dans laquelle je vois la figure
d’une femme « paradisiaque » qu’il m’est impossible de dé-
crire. Je peux seulement dire que son visage paraissait
d'une beauté majestueuse et qu’elle avait le teint olivâtre
des femmes orientales. Ses cheveux noirs étaient réunis
sur le dessus de sa tête, dépassant un peu de son man-
teau qui descendait de la tête au pied, tombant de chaque
côté. Son manteau était de la couleur de l’herbe des prés
au printemps. Sa robe était blanche, resserrée par une
ceinture de couleur rose dont les pans lui arrivaient aux
genoux. Ses pieds nus reposaient sur un bloc de tuf.
J’évaluai la taille de la « Belle dame » à un mètre soixante-
cinq environ. Elle avait un air triste et doux. Mon premier
réflexe fut de vouloir parler, de vouloir crier, mais je me
sentis comme paralysé. Je restai sans voix. Et moi aussi,
tout comme mes enfants, agenouillés l’un à côté de
l’autre, je me retrouvais à genoux, les mains jointes dans
la prière. La « Belle Dame » portait un petit livre de couleur
grise dans la main droite et indiquait de sa main gauche
un vêtement noir à terre ; auprès de celui-ci j’aperçus une
croix brisée.
Ensuite une voix très douce, ne ressemblant à aucune
autre, pas même vaguement, parvint à mon oreille :
« Je suis celle qui appartient à la triade divine. Je suis la
Vierge de la Révélation. Tu me persécutes : maintenant
c’en est assez ! Entre au bercail sacré, cour céleste sur
terre. Les neuf vendredis du sacré-cœur que tu as faits
avant de t’engager sur la voie du mensonge t’ont
sauvé.»48
Tandis qu’ils demeurent tous les quatre les genoux cloués
au sol, l’image continue de se montrer à Bruno Comac-
chiola et à ses enfants, vivante et saisissante, auréolée de
sa lumière, sur le fond de la grotte. La Sainte Vierge parle
encore à Bruno, qui se souviendra ensuite parfaitement
de tout jusqu’à ce qu’il recopie, plusieurs heures plus
tard, toutes ses paroles. Mais ses enfants eux n’entendent
rien : ils voient uniquement remuer les lèvres de l’appari-
tion alors que l’extase dans laquelle ils sont plongés con-
tinue de les maintenir dans un état de total abandon au
surnaturel et de complet détachement par rapport à la
réalité.
La Vierge parle longtemps à Bruno, lui disant des choses
dont une partie seulement devra être révélée.
Il y a aussi cependant un message dont tous les hommes
48
Giulio Locatelli, « La Madonna è apparsa ed ha parlato nella grotta delle Tre
Fontane », Edizione Unitas. Les neuf vendredis du Sacré-Cœur constituent un exer-
cice de dévotion très répandu, lié aux apparitions de la figure du Christ avec son
cœur, qu'eut Sœur Marguerite-Marie Alacoque à Paray-le-Monial, en Bourgogne,
en 1675.
doivent être informés en temps voulu. Il contient de vives
recommandations : la Sainte Vierge insiste beaucoup
pour que l’on prie et que l'on récite quotidiennement le
Rosaire : ceci pour la conversion de tous les mécréants et
de tous les pécheurs et également pour « l’unité des Chré-
tiens ».
En récompense, Marie promet :
« Avec cette terre de péché, j’opérerai de grands mi-
racles pour la conversion des incrédules. »
Pour moi, racontera Cornacchiola, elle n’a pas fait mys-
tère des jours de persécution et des épreuves doulou-
reuses qui m’attendaient. Mais la Vierge lui a aussi pro-
mis sa protection maternelle.
— La voix céleste m’avait dit, continuera de raconter le
visionnaire,
« Pour que tu ne doutes pas que cette vision est une
réalité divine et non une manifestation satanique,
comme beaucoup voudront te le faire croire, je te
donne ce signe. Tu devras aller par les églises et par les
routes. Tu diras au premier prêtre que tu rencontreras
dans une église et à tous ceux que tu croiseras sur les
chemins : “Père, je dois vous parler”. Quand celui que
tu auras abordé te dira : "Ave Maria, mon fils, que veux-
tu ?”, tu lui répondras par les paroles qui te viennent à
la bouche. Il t’indiquera alors un autre prêtre qui te fera
abjurer, en prononçant cette phrase : “C’est celui-là
qu’il vous faut”. La Sainte Vierge me recommanda la
“prudence”, elle me dit : la “science reniera Dieu” : puis
elle me dicta un message secret que je devais remettre
personnellement “à sa Sainteté le Pape”, en me faisant
cependant accompagner d’un autre prêtre "que tu con-
naîtras et auquel tu te sentiras lié”. »
Cornacchiola fera remarquer plus tard qu’il n’avait pas
perdu une seule syllabe de cet incroyable monologue
grâce à un phénomène très étrange : jusqu’à ce qu’il l’ait
transcrit fidèlement, celui-ci lui était en effet sans cesse
revenu à la mémoire, des premiers mots, « Je suis », au
dernier mot, « AMOUR », scandé comme un discours qui
aurait été gravé sur un disque et se serait répété sans
interruption. Ce phénomène, qui se manifesta également
pendant ses heures de service, cessa immédiatement dès
lors qu’il eut mis par écrit le dernier mot prononcé par la
Vierge.
Cette intervention prodigieuse qui s'était déroulée dans la
grotte des Trois Fontaines avait duré de 16 heures 10 à
17 heures 30 : un laps de temps extrêmement long, no-
tamment pour les enfants qui avaient montré une in-
croyable résistance, étant pendant tout ce temps demeu-
rés agenouillés sur les pierres et sur le gravier qui cou-
vraient le seuil de la grotte.
Dès que la Vierge eut terminé de parler, elle esquissa
quelques pas en souriant et en gardant les mains sur sa
poitrine, puis elle se tourna vers le fond de la grotte, tou-
jours invisible, et disparut lentement. Ce fut à ce moment
que Carlo, qui avait recouvré son état normal, se leva
pour courir derrière l’image lumineuse et la retenir par
son manteau, et tomba nez à nez avec la roche.
Tous les quatre se remirent de leur stupeur après ce qui
était arrivé. Bruno s'inquiéta de l'état de santé de ses en-
fants qu'il examina des pieds à la tête, en s'arrêtant en
particulier sur les genoux qui étaient restés en contact
avec les pierres coupantes et qu'il trouva « bien roses,
comme s’ils n’avaient jamais supporté pendant si long-
temps le poids de leur corps ». Alors, sans hésiter, il dit
aux trois enfants : « Vous avez vu ? C’était la Vierge Marie
» et aussitôt il s’assit sur une pierre et se mit à prendre
des notes sur un petit carnet ; il acheva ce travail une fois
rentré chez lui. « Nous avions remarqué, mes enfants et
moi, que la Vierge s’était en partant tournée en direction
de Rome. »
La vie de Bruno Cornacchiola s’était complètement trans-
formée. Son unique aspiration était désormais de trouver
le prêtre qui allait prononcer, en le voyant, la phrase qui
lui avait été indiquée par la Vierge. Il observait et arrêtait
en chemin les prêtres qu’il rencontrait, entamant même
la conversation avec ceux qui voyageaient à bord du tram-
way qu’il conduisait.
« ... Ce fut le 28, vers 8 heures 30, qu’étant entré dans
l’église de la Toussaint, sur la via Appia Nuova, je rencon-
trai un prêtre, la Père Mario Frosi, qui me salua : "Ave
Maria, mon fils” et m’indiqua tout de suite, lorsque j’eus
formulé ma demande, un de ses collègues, le Père Gil-
berto Carniel, qui quelque temps auparavant avait con-
verti un autre protestant. Dans la sacristie, je rapportai à
celui-ci les propos de la Vierge et ce qu’elle m’avait or-
donné de faire.
Le jour suivant, il vint chez moi, via Modica, et je lui fis le
récit détaillé de toute la vision que nous avions eue en lui
montrant ce que j’avais écrit et qui ne concernait que moi,
gardant naturellement le secret sur le message destiné au
Saint-Père.
Du 28 avril au 7 mai, le père Gilberto me fit un cours
d’instruction religieuse et à cette occasion il s’étonna de
me voir si préparé et si peu enclin aux préjugés. Le 7 mai,
dans l’après-midi, je lus dans ma propre maison le texte
par lequel j’abjurais ma foi adventiste. Le récit de l’appa-
rition, accompagné d’une lettre à l’attention du Saint-
Père, fut remis le jour-même au Saint-Office.
Le 18 mai, Gianfranco reçut le sacrement du baptême et
Isola celui de la confirmation et de la première commu-
nion ; je participais moi aussi à leur fête. Au cours de la
messe célébrée par le Père Gilberto, le Père jésuite Ro-
tondi, chapelain des cheminots catholiques, qui savait
bien le mal que j’avais fait dans sa communauté, avait fait
intervenir un certain nombre de mes collègues pour qu’ils
témoignent des grâces dont la Sainte Vierge est si pro-
digue et quelle dispense avec tant d’amour maternel. »
Après sa première vision du 12 avril, Bruno Cornacchiola
avait continué à se rendre tous les jours à la grotte des
Trois Fontaines. Il avait eu la joie de revoir à nouveau la
Mère de Dieu les 6, 23 et 30 mai, toujours entourée d’un
halo de lumière et d’un parfum de lys.
Ce n’est qu’à l’occasion de la dernière apparition qu’il put
encore entendre le son de son « indicible voix ». La Vierge
lui confiait un message pour les religieuses de l’ordre des
Maestre Pie Filippini, dont l’institution se trouve près de
la Trappe : « Qu’elles prient pour les incrédules et pour
l’incrédulité qui règne dans ce secteur ».
Le 23 mai 1947, au cours de la troisième apparition de la
Vierge aux Trois Fontaines, un jeune religieux, le père
Mario Sfoggia, accompagnait Bruno Cornacchiola. La stu-
peur qui avait saisi le jeune prêtre, lorsque, devant l’ex-
tase de Bruno, il avait pu se rendre compte de ce qui se
passait sur la colline de la voie Laurentina, le poussa à
parler de ce qu’il avait vu. La nouvelle se répandit. Les
journaux s’en emparèrent. Le « Messaggero » et le « Gio-
male d’Italia » du 31 mai 1947 titrèrent en gros caractères
sur les événements extraordinaires des Trois Fontaines.
Une foule de croyants et de curieux se déversa alors sur
les lieux. Et dès que se furent produits plusieurs cas de
guérison miraculeuse, une véritable marée humaine
s’abattit sur la colline jusqu’alors peu fréquentée et cou-
verte de pierres, toute en montées abruptes et en escar-
pements, pleine de trous et de grottes.
La nouvelle de certaines guérisons spectaculaires surve-
nues devant la Grotte étant à peine parue dans les jour-
naux, écrivit à l’époque le docteur Alberto Alliney, certains
médecins, parmi lesquels ceux qui les avaient constatées
personnellement, eurent l’idée de constituer un collège
sanitaire analogue à celui mis en place à Lourdes.
Entre temps, la colline aux eucalyptus et aux prodiges
s’était complètement transformée. Des sentiers y avaient
été tracés, les aspérités de la roche avaient été aplanies,
les anfractuosités nettoyées, les pierres enlevées. Des
plates-bandes avaient été aménagées et plantées d’arbres
nouveaux, l’eau et l’électricité avaient été installées. Ces
travaux de nettoiement et d’embellissement avaient béné-
ficié du soutien personnel du maire de Rome, l'ingénieur
Salvatore Rebecchini49.
49
Les moines franciscains dont le couvent est situé non loin de là ont la garde des
L’afflux des visiteurs à cet endroit a donné lieu petit à pe-
tit à un véritable pèlerinage dont les participants provien-
nent de tous les milieux sociaux et professionnels et de
toutes les institutions existantes. L’Église est toujours
présente en la personne de ses représentants, qui vont
des simples prêtres aux Pères Supérieurs des différents
ordres, aux évêques, aux dignitaires ecclésiastiques et
aux cardinaux. Politiciens, hommes de culture, de gou-
vernement, de lettres ou de sciences, ambassadeurs, se
mêlent à la foule des gens ordinaires à l’occasion tout par-
ticulièrement de la cérémonie commémorant l’anniver-
saire du 12 avril. Celle-ci s’ouvre dès les premières heures
de l’après-midi par la célébration d’une messe et par un
discours prononcé par Cornacchiola lui-même, et se pro-
longe jusqu’au soir.
Telle qu’elle se présente aujourd'hui, la Grotte est ornée
d'une statue en bois polychrome grandeur nature repré-
sentant la Vierge de la Révélation d’après la description
qu’en a faite Bruno Cornacchiola au sculpteur Domenico
Ponzi. La statue fut installée le 5 octobre 1947, à l’issue
d’une procession solennelle qui s’était formée sur la place
Saint Pierre au milieu des applaudissements du public.
Les témoins racontent : « Le cortège, parti de la place
Saint Pierre, se dirigeait aux environs de 15 heures 30
vers le Corso Vittorio dans un joyeux déploiement de ban-
nières et au milieu des applaudissements nourris de la
foule, précédé des motards en grand uniforme. La multi-
tude qui suivait en priant la statue de la Vierge de la Ré-
vélation parcourait lentement le centre de la capitale en
lieux.
suivant le Corso Vittorio Emmanuele, la Piazza Venezia,
la via dei Fori Imperiali, la via dei Trionfi, une partie de la
via Ostiense et de la Laurentina, grossissant ses rangs
aux points névralgiques où l'attendaient des rassemble-
ments imposants. Lorsqu’elle arriva aux Trois Fontaines,
après une brève halte au pied de la verte colline aux eu-
calyptus — dont les abords étaient déjà noirs de pèlerins
en prière — la grande statue de la Vierge de la Révélation
fut portée par plusieurs miraculés au milieu des émou-
vantes exclamations de la foule qui s'élevaient jusqu’au
ciel, et elle fut placée à l’intérieur de la Grotte, la Vierge
en ayant elle-même émis le souhait au cours de l’une de
ses apparitions.50 »
50
E. Teotino, Il Santuario délia Rivelazione, Rome, 1969. Il est rappelé dans ce petit
ouvrage que « L'Osservatore Romano » a fait mention de la grotte romaine des
Trois Fontaines dans un long article sur les lieux de pèlerinage marial, où sont énu-
mérés les sanctuaires les plus connus consacrés à la Vierge et définis comme des «
cathédrales de la prière, fiefs et capitales de Marie ». Ajoutons que ce témoignage
rendu par l’organe de presse officiel du Vatican sur les événements des Trois Fon-
taines ne tient pas compte du fait que l’Église n’a pas encore officiellement reconnu
les apparitions en cause.
l’occasion du 33e anniversaire de son apparition aux Trois
Fontaines Elle allait faire en ce lieu de « nombreuses ac-
tions de grâces internes et externes ». Bruno rapporta
également fidèlement dans son journal ce que la Vierge
avait ajouté : « À la grotte, je ferai un grand prodige dans
le soleil. Garde le silence, ne dis rien à personne. »
Ce 12 avril 1980 tombait un samedi, et plus exactement
la veille du dimanche de Quasimodo. Trois mille per-
sonnes avaient envahi la colline.
Le rassemblement semblait toutefois n’avoir pour objet
que la prière, son caractère solennel lui étant donné par
la messe concélébrée par huit prêtres dont le principal
était un frère mineur, le Père Gustavo Parisciani.
Arrive le point culminant de la messe : la consécration. Il
est 17 heures 50 et quelqu’un s'aperçoit alors, ayant levé
par hasard les yeux vers le ciel, que le soleil apparaît
comme une immense roue multicolore. Le soleil effectue
une danse, tourne rapidement sur lui-même, diffusant
tout autour dans le ciel sa lumière irisée. « Le soleil res-
semblait à un magma, à un globe liquéfié aux couleurs
changeantes. On pouvait le regarder à l’œil nu », dira un
témoin, Antonietta Tortorito, médecin. « A un moment
donné, je vis dans le soleil des petits points phosphores-
cents, comme de minuscules feux d’artifice. Mobiles, ils
s'alignèrent pour former un M. Ma fille de onze ans qui se
tenait derrière moi, à cinq ou six mètres de distance,
s’écria au même moment : « Maman, regarde, un M est
apparu dans le soleil ». Le M demeura visible pendant un
certain temps, puis il se transforma en un cœur. Puis une
grande hostie apparut dans le soleil avec en son centre,
bien dessinées, les lettres J H S » 51.
Des milliers d’yeux fixent maintenant le ciel sans craindre
ses effets néfastes. Les « signes » sont nombreux. Certains
voient une figure féminine portant une couronne ornée
des douze étoiles ; d’autres voient le Tout-Puissant, sou-
verain assis sur un trône. D’autres encore ont devant les
yeux trois figures humaines disposées en triangle ou bien
une colombe lumineuse.
De nombreux témoins déclareront que le soleil était coloré
en vert, en rose et en blanc, tout comme le manteau, la
ceinture et la robe de la Vierge de la Révélation.
Le phénomène de transformation du soleil dura trente mi-
nutes, de 17 heures 50 à 18 heures 20 (heure légale).
Mais pour Bruno Cornacchiola il avait commencé bien
avant, pendant qu'il récitait le Rosaire. Il confia par la
suite à un ami : « J’ai dû faire un très grand effort pour
me contenir, pour dominer l’émotion et la joie qui m’ont
envahi lorsque j’ai vu que la Sainte Vierge tenait la pro-
messe qu’elle m’avait faite un peu plus de cinq mois au-
paravant »52.
Deux ans plus tard, le 12 avril 1982, les « signes » se re-
produirent dans le soleil. « Pendant la Sainte Messe, au
moment de la communion des fidèles », raconte le père
Osvaldo Balducci, « des cris s’élevèrent de l’assistance :
"Le soleil, le soleil”. Aussitôt je me retournai pour regar-
der : on pouvait fixer le soleil sans difficulté, il formait un
51
Salvatore Nofri, I Segni nel sole, in Antologia di « Un’apparizione, La Vergine della
Rivelazione », Rome, 1983.
52
Salvatore Nofri, op. cit.
disque d’un vert éclatant, au milieu de deux anneaux,
l’un de couleur blanche et l’autre de couleur rose, qui
émettaient des rayons trépidants. L’ensemble ressemblait
à un bouquet de feu d’artifice. J’eus également l’impres-
sion qu’il tournoyait. Je regardai autour de moi : les cou-
leurs se reflétaient sur les personnes et sur les choses.
J’observais le soleil de différents points de l’esplanade,
pendant environ une heure. Je voyais parfaitement ce
merveilleux spectacle qu’offrait le soleil sans que mes
yeux soient incommodés. Sur le chemin du retour, viale
Marconi, j’essayais en même temps que trois autres per-
sonnes qui m’accompagnaient dans la voiture et qui
comme moi avaient pu fixer le soleil, de regarder à plu-
sieurs reprises dans sa direction, mais aucun de nous n’y
réussit. Le matin même, j’avais, en compagnie d’un petit
groupe restreint d’ecclesiastiques, assisté à la lecture
d’un message délivré par la Vierge à Bruno Cornacchiola
le 23 février 1982. Il était annoncé entre autres qu’il serait
attenté pour la deuxième fois à la vie du Pape, mais que
celui-ci en sortirait indemne, grâce à la protection de la
Vierge. La prophétie devait s'avérer : le 12 mai 1982, à
Fatima, on tenta d'assassiner Sa Sainteté le Pape. Ce ma-
tin-là, Bruno Comacchiola avait également précisé que
Jean-Paul II en avait été secrètement averti à temps. »
Le 12 avril 1986, une caméra pointée directement sur le
soleil par un cinéaste amateur put filmer les « pulsations
» de ce dernier au cours de la messe annuelle célébrée aux
Trois Fontaines à l’occasion de l’anniversaire de l'appari-
tion de 1947. Tandis que se produisait ce phénomène ex-
traordinaire, d'autres transformations inouïes étaient ob-
servées à. la surface du soleil et systématiquement fil-
mées par le cinéaste amateur qui se trouvait sur les lieux.
Comme dans une vision surréaliste, le soleil devenait tan-
tôt rouge vif, tantôt vert émeraude. Les couleurs en
étaient rutilantes et le rayonnement de plus en plus puis-
sant au point que de gigantesques raies de lumière des-
cendaient du ciel sur les milliers de têtes rassemblées sur
la colline.
« Quelques jours avant la commémoration de cette année
1986 », raconte Pompeo Santorelli, l’homme qui a relevé
l’objectif de sa caméra en direction du soleil, « des amis
m’avaient proposé d’aller avec eux aux Trois Fontaines
pour faire quelques prises de vue. Il ne m’était pas facile
de me libérer de mes engagements familiaux mais je ré-
ussis quand même à le faire. Je me rendis donc au Sanc-
tuaire en emportant ma caméra. J’avais déjà filmé plu-
sieurs images de la foule rassemblée lorsque, au cours de
la Messe, alors que l’on commençait à crier au prodige, je
décidai de pointer mon objectif vers le haut. En fait je
craignais ce faisant de brûler le tube cathodique de l’ap-
pareil, puis en y réfléchissant je me convainquis que si les
yeux pouvaient à ce moment fixer le soleil sans dommage,
il n’y avait rien à craindre pour le matériel. Je commençai
donc à filmer le soleil, tout d’abord à l’oblique, puis de
face et, tandis que je tournais, il se produisit le phéno-
mène le plus extraordinaire auquel il n’ait jamais été
donné à quelqu’un d’assister : celui de la “pulsation” de
la sphère lumineuse. »
Rome, quarante ans après
53
B. Billet, op. cit.
cette région lorsqu’ils ont recueilli une brebis blessée54.
4 janvier 1952 :
« Mon Fils veut que vous priiez et que vous fassiez pé-
nitence pour sauver de nombreuses âmes. Ceux qui
sauveront une âme auront une place assurée au Para-
dis. » (Extase de onze minutes de 13 h 56 à 14 h 07).
4 février 1952 : J’ai demandé à la Vierge de m’aider et Elle
m’a répondu :
« Ne crains rien, je suis toujours à tes côtés. Vous m’ai-
mez, je récompenserai bientôt votre foi. » La Vierge
était souriante (13 h 56-14 h 07).
4 mars 1952 :
« Je ne peux accomplir bientôt le miracle. Mon Fils veut
que vous priiez beaucoup. Je suis contente de vous,
mais vous devez prier afin que le monde entier soit con-
tent ! » La Vierge était souriante (13 h 55-14 h 10).
5 avril 1952 :
« Je vois que vous souffrez beaucoup. Réjouissez-vous :
vous serez bientôt heureux. Priez et je vous aiderai en
tout et pour tout. » La Vierge était souriante (13 h 55-
54
Pier Angelo Soldini, La Bernadette di Val Staffora ha visto ancora la Madonna («
Il Tempo », juin 1955).
14 h).
4 mai 1952 :
« Je suis contente du sacrifice et de la foi que vous
m’avez montrés. C’était une épreuve pour voir si vous
m’aimez vraiment. »
Le texte du message fait référence au fait que les fidèles
sont restés sous une pluie battante pendant près de huit
heures en attendant le moment de l’apparition (13 h 55-
14 h 07).
4 juin 1952 :
« Quand vous avez de la peine, venez à moi et je vous
consolerai. Plus vous m'honorez par le Saint Rosaire,
plus je vous comblerai de grâces et je serai contente. »
(14 h 15-14 h 25 : le retard est dû à l’orage).
4 juillet 1952 :
« Priez pour les âmes du Purgatoire et pour la conver-
sion des pécheurs. Si vous priez, je ne vous abandonne-
rai pas mais je vous assisterai toujours et vous serez
sauvés. » (13 h 55-14 h 10).
4 août 1952 :
« Mes Chers Enfants, priez pour que mon Fils Jésus
fasse preuve de miséricorde avec ceux qui le font souf-
frir. Si vous priez, vous serez contents et les châtiments
s'éloigneront. » (12 mn d’extase).
4 septembre 1952 :
« Ayez foi dans les promesses que Votre Mère vous a
faites. Priez et espérez. » Ce message fait référence au
fait que la visionnaire n’était pas présente à l'heure pré-
vue car elle avait dû se rendre au Diocèse. À 16 h 30,
une force irrésistible la poussait toutefois à se rendre
jusqu’au bois et de là jusqu’au lieu où elle eut la vision
habituelle (16 h 30-16 h 35).
4 octobre 1952 :
« Je vois que vous avez une grande foi. Vous êtes venus
de loin pour implorer mes grâces et elles vous seront
accordées en même temps que votre salut. » (Extase de
12 mn en présence de huit professeurs de Bologne et
trois de Modène).
4 novembre 1952 :
« Priez pour que Jésus fasse preuve de miséricorde en-
vers les pécheurs. Priez pour qu arrive bientôt ce que
Mon Cœur désire. » (Treize minutes d’extase en pré-
sence du Dr Rossi de Voghera).
4 décembre 1952 :
« Je suis contente que même le sacrifice n’ébranle pas
votre foi. Ne vous découragez pas si beaucoup vous
abandonnent car je vous le dis peu nombreux seront
ceux qui me suivront. »
Chère Madame,
Votre lettre du 18 novembre courant, à laquelle était joint
le compte rendu de la vision qu’aurait eue Anna Morelli le
1er novembre, appelle certaines précisions quant aux po-
sitions adoptées et certains éclaircissements sur les équi-
voques qui, me semble-t-il, continuent à être entretenues.
1° Je tiens avant tout à préciser que je vous ai reçues en
audience, vous et Mademoiselle Morelli le 14 novembre,
étant donné qu'au cours d'une visite précédente vous
m'aviez dit être troublée, craignant que la décision du
Saint-Office puisse laisser supposer l’existence à votre
propos de fautes morales, voire de péchés, et que vous
aviez par conséquent besoin, et Anna Morelli tout parti-
culièrement selon vous, d’une explication et d’éclaircisse-
ments.
Ceci étant, je vous ai reçue et je vous ai expliqué que la
décision du Saint-Office ne se voulait absolument pas une
condamnation des péchés que vous-même ou surtout A.
Morelli auriez pu commettre, mais qu’elle contenait cer-
taines directives et certaines précisions sur la nature des
apparitions.
Je vous faisais en effet valoir qu'en prononçant la ferme-
ture de l'institution fondée par A. Morelli, le Saint-Office
chargeait les Évêques de mettre les fidèles en garde pour
qu’ils ne « se laissent pas prendre par la propagande faite
autour de certaines apparitions dénuées d'un réel fonde-
ment et de tout caractère surnaturel, et qu'ils ne donnent
pas leur adhésion à la constitution de cette Institution qui
avait été interdite par le Saint-Office ».
2° Anna Morelli me mit ensuite au courant de sa situation
économique et juridique, étant donné qu'elle était non
seulement la fondatrice mais aussi la Présidente de l'ins-
titution qui s'était dotée de la personnalité morale. Elle
me faisait part de sa déception, tout le monde à Rome
l'ayant abandonnée à la suite de la décision du Saint-Of-
fice, ce qui l'avait mise dans une situation très difficile,
compte tenu des lourdes responsabilités qui pesaient sur
elle ; et elle ne trouvait plus personne pour l'écouter. Elle
me demanda ensuite ce qu'elle devait faire et je lui donnai
donc les directives suivantes : elle devait renvoyer chez
eux au plus vite les six ou sept enfants qu'elle gardait en-
core avec elle ; renvoyer chez elles également les jeunes
filles qui l'avaient assistée dans la fondation de l'institu-
tion ; ainsi en décidait la mesure prise par le Saint-Office.
Elle devait ensuite remettre l'ensemble de la gestion de
l'institution à l'Évêque de Saleme en lui laissant le soin
de prendre toutes les décisions qu'il jugerait opportunes
sur l'avenir de cet établissement. Une fois ceci accompli,
elle ne devait plus s’occuper de rien. Elle devait oublier
ses apparitions et ses visions, et laisser les choses aller
leur cours. C’est l’Autorité Ecclésiastique de Salerne qui
allait tout prendre en main.
3° Au cours de ces entretiens, je remarquai que, tout en
vous déclarant, vous-même et A. Morelli, disposées à
suivre les directives du Saint-Siège — quoiqu'émettant
parfois certains doutes quant à la valeur de sa décision et
quant au sérieux et au bien-fondé de l'enquête menée sur
les apparitions, vous souligniez également des distinc-
tions établies par le Saint-Office lui-même entre ce qu'il
condamnait et ce qu'il ne condamnait pas, entre ce qu'il
interdisait et ce qu'il n’avait pas l’intention d’interdire,
etc. vous interrogeant sur l’étendue de l'obéissance due,
etc. Dès lors je vous avertissais que tous ces doutes et
toutes ces distinctions subtiles n'avaient aucune raison
d'être et ne pouvaient en aucune façon s'accorder avec
l'obéissance due aux directives données par l’Église. Or,
la teneur de la vision du 1er novembre, dont vous me com-
muniquez le compte rendu, confirme l'impression que j’ai
eue au cours de nos entretiens, à savoir que l’on veut
trouver des prétextes pour continuer à agir comme avant :
ces subtilités et ces distinctions que l’on attribue à la
Vierge à l’occasion de cette vision ne sauraient en effet
être retenues.
C’est la raison pour laquelle j’insiste de nouveau et une
fois pour toutes : que l’on n’entende plus parler de ces
apparitions, ou visions, ni par vous, ni par A. Morelli, ni
par d’autres ; il vous est toujours interdit, à vous-même
ou à qui que ce soit, d’assister ou de participer d’une quel-
conque manière à d’autres phénomènes de ce type, de
prendre des notes ou des photographies, etc. Il demeure
interdit à Anna Morelli de faire de la propagande pour ces
visions ou ces prétendus entretiens et d’admettre qui-
conque à participer à des faits de ce type ; il demeure in-
terdit d’organiser des collectes ayant un rapport avec ces
faits. Il reste entendu que tout ceci a pour objet de définir
certaines responsabilités et d’éclaircir certains points,
comme je l’ai fait remarquer au début, et que l’on ne sau-
rait y voir un manque de respect à l’égard de vos per-
sonnes, pour lesquelles nous conservons toute notre con-
sidération.
Avec notre bénédiction.
Votre Très dévoué
Monseigneur Carlo Boiardi, Évêque.
P.S. : J’oubliais de vous dire que je vous charge de com-
muniquer à Anna Morelli le contenu et les dispositions de
la présente lettre en vous priant de me faire savoir éven-
tuellement si telle n’était pas votre intention ou votre vo-
lonté.
N.B. Je déclare que la présente lettre est conforme à l’ori-
ginal envoyé à ladite destinataire. Le curé de Gramolazzo,
le père Luigi Grandini, est chargé par Monseigneur
l’Évêque de faire connaître à Anna Morelli le contenu et
les dispositions de la lettre reproduite ci-dessus.
Suit le cachet avec la mention
Curie Episcopale d’Apuania.
Apuania Massa, le 15 février 1952
Chanoine Pietro Farinelli,
Chancelier de l’Évéché.
Compte rendu de la vision du 8 décembre 1953
Ave Maria !
Je suis chez moi, occupée comme d'habitude aux travaux
domestiques, lorsqu’à quatorze heures quinze la Sainte
Vierge arrive et me prend par la main pour m’emmener
en toute hâte à la petite Chapelle dans les champs. Arri-
vée là, je me signe, lui baise les pieds et lui rends hom-
mage en récitant la prière « Amores... ». Puis je lui de-
mande grâces et bénédictions. Jésus apparaît lui aussi et
se plaint des méchancetés des hommes et des offenses
qu’il subit continuellement, demandant la prière et la pé-
nitence. Puis, me prenant par la main tous les deux, ils
m’emmènent au dehors de la chapelle en me faisant ré-
péter le Je Vous Salue Marie à chaque station du chemin
de croix des Sept Joies et des Sept Douleurs de la Sainte
Vierge. Ils me demandent cet exercice de dévotion pour
racheter les méchancetés des hommes. Ils me mènent
ainsi petit à petit jusqu’à la source. Là Jésus et Marie bé-
nissent deux statues offertes par la ville de Bolzano, se
disant contents et bénissant les donateurs. Ils remercient
également en les bénissant ceux de Salerne qui ont offert
des céramiques représentant le Chemin de croix et les
stations des Sept Joies et des Sept Douleurs, puis ils me
font observer que les œuvres réalisées autour de la source
sont belles, qu’ils en remercient et bénissent les auteurs,
mais que quelques modifications devraient y être appor-
tées car elles ne correspondent pas tout à fait à leurs sou-
haits. Une des sources a par exemple été murée. Ils me
font ensuite réciter le Saint Rosaire, me répètent qu’ils
veulent que l’on fasse venir les malades à la source car
des trésors de grâce y sont prêts à être distribués. Jésus
me dit de demander que l’on ne m’abrite pas sous un pa-
rapluie car II fera en sorte que je ne sois pas mouillée,
ceci étant le signe qu’il veut donner aux personnes pré-
sentes. En effet, malgré une pluie torrentielle, je ne fus
pas mouillée. En revenant à la chapelle, ils me firent age-
nouiller à l’extérieur de celle-ci pour terminer le Saint Ro-
saire, puis Jésus me demanda de répéter ses paroles : «
Mes Enfants, priez, soyez recueillis, ne vous laissez pas
distraire par les choses fallacieuses, unissez-vous dans la
prière, pensez que je suis ici près de Vous, par mon
Corps, mon Sang, mon Ame et ma Divinité. Ayez donc
plus de respect et plus de dévotion pour ce lieu ; pensez
qu’il est bien rare de m’avoir ainsi, si près de Vous, soyez
plus dignes, aimez-moi. Aujourd’hui, Celui qui me repré-
sente sur la Terre, qui parle par ma voix, le Saint-Père, a
solennellement inauguré l'Année mariale, dédiée à ma
Mère. Profitez de cette année de Grâces et de faveurs pour
vous gagner mon Père, que vous avez tant offensé par vos
méchancetés. Il est encore temps pour vous d’essayer par
vos prières et votre mortification de conjurer les terribles
dangers qui vous menacent. Ma Mère implore pour Vous
la Paix en cette année glorieuse pour Elle. Profitez-en,
faites en sorte que vos suppliques unies aux Siennes
soient entendues ».
Puis Jésus et la Vierge m’ont raccompagnée à l'intérieur
de la chapelle et, après qu’ils m’aient dit que je devais les
revoir peu de temps après chez moi, afin de me permettre
d’offrir un peu de repos à Jésus en souffrant pour Lui, je
leur ai transmis les demandes que m’avaient confiées de
nombreux fidèles. J’ai ensuite offert à la Sainte Vierge une
petite chaîne en or qu’une dame américaine lui envoyait
en don. Ils m’ont saluée comme à l’habitude et ont dis-
paru.
En foi de quoi, je signe le présent compte rendu.
Anna Morelli, Gramolazzo.
16 h 30
55
Nous ne rapportons ici que des extraits des articles parus.
les résultats des examens pratiqués sur les hosties mys-
térieusement apparues dans les mains d’Anna Morelli, les
pèlerins continuent à affluer à la Grotte de Villa Santa.
Il était normal qu’après les événements survenus samedi,
la grotte connaisse dimanche une telle affluence. Il ne
s’agissait plus de la banale apparition quotidienne ; c’était
bien autre chose, rien moins que des hosties tombées
dans les mains d’une jeune fille. Dans ces circonstances,
dit-on parmi les témoins, on s'attend à quelque éclaircis-
sement sur ce phénomène, afin d’établir si les affirma-
tions faites jusqu’ici sont véridiques.
Peut-on croire à ce qui s’est passé ? C’est la question qui
est sur toutes les lèvres parmi les fidèles de la grotte. Les
autorités ecclésiastiques, qui ont actuellement entre les
mains l’une des trois hosties, se prononceront sur ce cas
et l’on espère qu’elles mettront finalement un terme à
cette incertitude qui règne en un lieu désormais très fré-
quenté et donnant lieu à des discussions plus ou moins
approfondies. Les commentaires qui font suite à chaque
“apparition” parlent tantôt de suggestion, tantôt de fic-
tion, tantôt de vérité : pour l’observateur objectif il est
néanmoins nécessaire que l’une de ces trois hypothèses
soit confirmée. Après l’amélioration aussi soudaine que
sensible de l’état de santé de Borghini Ilva, que nous
avons par erreur citée sous le nom d’Alice, l’affluence des
malades et des infirmes est grande et chacun vient avec
l’espoir d’être touché par le miracle. Parmi ceux qui affir-
mèrent dimanche avoir eu une "vision", certains venaient
de provinces voisines : Borsù Pietro, de Lido di Camaiore ;
Santucci Tosca, de Guamo (province de Lucques) ; Bitossi
Caria, de Montelupo (prov. de Florence) ; Gambini Norma,
de Ponteletto (prov. de Lucques). »
Les journaux insistaient sur les miracles de Villa Santa :
« Un autre fait tenant du prodige s'est produit quelques
heures après. Une certaine Alice Borghini de Rio Marina
(Ile d’Elbe), atteinte depuis plus de huit ans d’une forme
aiguë de paralysie aux jambes, s’est levée de son brancard
et tout de suite après, soutenue par plusieurs carabi-
niers, on l’a vue monter les marches de la petite maison
située dans le parc de la Villa Santa. Cet événement a
également suscité un profond émoi parmi les fidèles qui
ont manifesté leur joie et leur conviction. La place qui
s’étend devant la "Villa Carovigno”, sur le bord de mer, a
vu stationner une trentaine d’autocars. »
A. Borghini déclara : « Je suis atteinte de cette paralysie
aux jambes depuis une douzaine d’années à cause d’une
fracture à la colonne vertébrale. Mon état n’avait jamais
connu d’amélioration et je mettais tous mes espoirs dans
la foi qui m’anime. J’ai assisté à l’apparition des trois hos-
ties et, tout de suite après, la jeune fille qui les a reçues
m’en a remis des petits morceaux en me disant d’avoir
confiance en la Sainte Vierge qui allait me guérir. Je per-
dis conscience en entendant parler de guérison et lorsque
je revins à moi je me retrouvai en dehors de l’enceinte de
la grotte, toujours sur mon brancard. C’est alors que j’ai
entendu une voix venue de très loin qui m’appelait et me
disait de me lever. Je répondis que je ne pouvais pas, et
cette même voix me dit alors que même si je souffrais, il
ne tenait qu’à moi de me lever. Je devais le faire coûte que
coûte, en suppliant la Vierge de me guérir et de me par-
donner. Mon grave péché avait été ma tentative de sui-
cide. La voix mystérieuse me disait que mon péché avait
été effacé par la souffrance de ces douze dernières an-
nées. Lorsque je n’ai plus entendu la voix, j’ai soudain
ressenti un grand soulagement et j’ai trouvé la force de
me lever du brancard ; on m’a soutenue mais je ne voulais
pas. Je ne me souviens plus bien ce qui est arrivé
après»56.
Les extases et les visions de Giovanni Riccardi, dix-huit
ans, de Santa Maria del Giudice, furent particulièrement
remarquables.
Bruno Ferretti n’avait quant à lui que douze ans. Dans
son village, Ponsacco, il connut d’autres apparitions dans
une petite grotte protégée par une clôture. C’est ainsi qu’il
fut surnommé « l’enfant de Ponsacco ». Jésus et la Sainte
Vierge lui confièrent de nombreux secrets. À Marina di
Pisa, une veuve de Vecchiano, Elvira Polidori, femme du
peuple, eut des visions en juin, juillet et août 1948.
À Lucques, ce fut Duilio Gigli, qui cultivait en métayage
un grand champ de fleurs et de légumes sous les murs de
la ville. Il fut témoin du prodige du sang.
À Remola (Massa Apuania), vivait Baldino De Ambri qui
eut des visions et reçut des signes à Marina di Pisa.
Tosca Santucci était une visionnaire de la province de
Lucques et une jeune sourde-muette de Remola fut plu-
sieurs fois envoyée à Marina di Pisa où elle eut des visions
56
Les citations sont tirées des quotidiens « La Nazione » de Florence et « Il Mattino
dell'Italia Centrale ».
de la Vierge. Celle-ci avait beaucoup d'estime pour la vi-
sionnaire et elle le dit ouvertement à Villa Santa le 23 oc-
tobre 1949 au cours d’une apparition à Giovanni Ric-
cardi.
Marina di Pisa a connu à diverses reprises de remarqua-
bles phénomènes solaires à l’occasion d’apparitions dont
Anna Morelli et Gino Taddei firent l’objet. Au cours de ces
phénomènes, l’astre solaire était entraîné dans une rota-
tion vertigineuse, la lumière diminuait d’intensité et les
personnes, les plantes et le paysage tout entier se colo-
raient en jaune, en vert et en violet.
57
Les « Signori ».
plus variées de fleurs, de fruits, et de douceurs. Ces der-
nières sont plus élaborées et sont parfois enrichies de pe-
tites fontaines desquelles jaillit une eau limpide.
Pour la célébration du 14 mai 1949 les « Signori » de la
fête, Beniamino Lombi, Andréa Sborchia, Mario délia Bri-
seide et d’autres, se trouvaient de bon matin sur le lieu
du Sanctuaire pour disposer les nombreuses corbeilles
remplies de biscuits rituels. Ce fut alors qu’ils remarquè-
rent tout à coup, de l’autre côté de la route qui sépare le
devant du sanctuaire d’un champ de blé, la silhouette
d’une femme habillée en noir qui remontait la petite val-
lée. La religieuse, c’est ce qu’ils pensèrent en voyant l’ha-
bit noir, se détachait nettement sur la verdure. Un des
hommes s'exclama :
— Comment se fait-il que cette religieuse passe par là ?
Où veut-elle aller ?
C’est Beniamino Lombi qui eut l’idée de sauter par-des-
sus la haie pour aller à la rencontre de la « sœur ». Mais
dès qu’il fut au milieu du champ de blé, il observa un fait
étrange : la silhouette disparut dans le néant, à quelques
pas d’où il se trouvait. Il resta interdit mais chercha tout
de même dans l’herbe où il remarqua qu’aucune em-
preinte n’avait été laissée dans la terre humide et qu’au-
cun brin d’herbe n’avait été piétiné. Il dut toutefois se dé-
pêcher de retourner devant le Sanctuaire car le temps
pressait et l’on entendait déjà dans le lointain le roule-
ment des tambours de la procession qui approchait et le
tintement non moins joyeux des cloches du village. Le
cortège qui s’était formé sur la place s’apprêtait à se diri-
ger vers le Mont. Les régisseurs (« casenghi ») à cheval
étaient en tête, arborant la bannière bleu ciel sur laquelle
se détachait en toutes lettres le nom de Marie.
La scène qui devait s’ensuivre aurait pu évoquer un rite
païen mais la beauté de cette fête paysanne en fait un
vibrant hommage à la Mère du peuple chrétien.
Les paysans s’avancent avec leurs charrues tirées par des
bœufs et décorées de laurier, de roses et de genêts. Sui-
vent les buveurs avec leur gourde de vin en bandoulière.
Les maraîchers portent une bêche reluisante remplie de
légumes, notamment de splendides artichauts. Divers ou-
tils se succèdent, laissant pendre des grappes de raisin,
des rameaux d'olivier ou d’autres feuillages. Çà et là le
blond maïs fait son apparition. Puis viennent les prêtres
et les fanfares, et enfin toute la population qui chante des
hymnes à Marie.
Une fois arrivés au Sanctuaire, les charrettes et autres
trophées qui sont trop encombrants pour effectuer les «
passades » rituelles restent dehors à un endroit qui leur
est réservé. Mais les paysans et les pêcheurs qui les ont
artistiquement décorés recevront eux aussi, après la
messe, le biscuit béni qui, tel un grand bracelet, viendra
également orner leur bras.
En cette occasion, tout se déroulait comme à l’habitude,
parfaitement. Beniamino remplissait sa tâche avec dili-
gence. Mais il ne réussissait pas à effacer le souvenir de
la religieuse qui était apparue puis s’était évanouie dans
le néant. Que s’était-il réellement passé alors qu’il se trou-
vait au milieu du champ ? Qui était la personne qu’il avait
vue ? Il dut attendre quelques jours avant d’avoir la révé-
lation soudaine et inattendue : il s'agissait de la Vierge.
Beniamino, lui qui était si sceptique et si peu croyant
avait, en cet anniversaire du 14 mai, eu au Sanctuaire la
visite de la Belle Dame.
Pour savoir ce qui durant ces jours animait l'esprit du
modeste Beniamino, natif de Marta sur le lac de Bolsena,
il convient de remonter un peu dans le temps, un an exac-
tement en arrière. C'était le 19 mai 1948. Dans ce même
village, plusieurs fillettes avaient, à l'intérieur d'une
grotte creusée dans la colline de l'ancien château, vu ap-
paraître la Vierge au milieu des tonneaux de vin qui y
étaient alignés. L'entrée de la cave était joliment décorée
de sarments de vigne. Après avoir descendu quelques
marches, il fallait suivre un passage sous les arcs en ma-
çonnerie qui soulignaient l'intérieur de la galerie. Après
avoir dépassé les niches creusées dans la roche, on arri-
vait à une sorte de pièce rectangulaire, elle aussi taillée
dans le roc. Sur la paroi du fond se détachait une entaille
sans doute produite par les premiers coups de pic donnés
en vue de creuser un emplacement futur pour d’autres
tonneaux. C’est ici, sur cette paroi récemment entamée —
et qui devait rester en l’état après que le lieu ait été dé-
claré « lieu saint » — que quatre fillettes avaient été saisies
par l’apparition mystérieuse. Mais retraçons maintenant
les faits à travers les impressions recueillies auprès des
premiers témoins.
« Cet après-midi-là, du 19 mai 1948, en sortant de chez
moi, je vis beaucoup de monde dans les rues. » C’est Bar-
bara Pomponi De Dominicis, l’une des représentantes de
la bonne société de Marta, qui parle ainsi. Ayant recueilli
avec soin dans un manuscrit encore inédit tous les détails
concernant les apparitions survenues dans son village,
elle constituait une source précieuse à laquelle nous
avons le plus souvent fait appel pour établir le compte
rendu qui suit. « On me raconta que la Vierge était appa-
rue dans un cellier. Je ne pus m'empêcher de rire telle-
ment la chose me semblait absurde. C’était certes une
plaisanterie bien trouvée... Je m’approchai quand même
de l’endroit pour m’assurer de ce qui s’était produit mais
je ne pus pénétrer dans la grotte car je trouvai devant
celle-ci une population en grand émoi ; chacun avait
quelque chose à raconter. »
En interrogeant les uns et les autres, elle réussit cepen-
dant à reconstituer la vraie version des faits. Il s’était
trouvé que les fillettes, Ivana Conestà, Brunilde Pesci,
Maria Antonietta Chiatti et Concetta Cherubini, pensant
que la Fête-Dieu tombait le lendemain, étaient allées dans
la campagne cueillir des fleurs pour former dans les rues
des jonchées destinées à rendre hommage à la procession
qui devait se dérouler. Au retour, les fillettes furent ce-
pendant réprimandées par leurs mères qui leur reprochè-
rent d’avoir cueilli trop tôt ces belles fleurs qui allaient se
fâner puisque la Fête-Dieu ne devait être célébrée que
neuf jours plus tard. Déçues, vexées mais décidées à sau-
ver coûte que coûte les pauvres fleurs, elles eurent l’idée
de les emmener dans un endroit frais et choisirent pour
cela la grotte du marchand de vin située juste à l’arrière
de la maison de l’une d’entre elles.
Une fois à l’intérieur, les fillettes avaient à peine fini d’ins-
taller les fleurs dans la niche de la paroi du fond qu’elles
virent se former devant leurs yeux un nuage blanchâtre.
Elles prirent peur et firent demi-tour. Elles s’apprêtaient
à s’enfuir en courant quand, jetant un dernier coup d’œil
en arrière, Ivana aperçut la Vierge Immaculée. Celle-ci
s’avançait vers elle en souriant. La fillette poussa alors un
cri, appelant ses compagnes qui étaient arrivées près de
la sortie. Ces dernières se retournèrent et, ayant fait
quelques pas en arrière, virent également la Vierge. Le
premier moment d’émotion passé, elles se mirent à crier
et à se précipiter au dehors pour appeler les gens.
Les familles et les voisins pensèrent à une plaisanterie des
fillettes. Mais'au fur et à mesure qu’ils pénétraient dans
la grotte, ils étaient un à un saisis par la vision de la
Vierge. Il était deux heures de l’après-midi et c’était la ré-
volution dans le village. « Les gens accoururent de par-
tout, non seulement pendant la journée mais aussi la
nuit. Tous n’avaient pas le bonheur de voir l’apparition, il
semble même que cette faveur ait été réservée aux blas-
phémateurs, aux incrédules et à bon nombre d’enfants
innocents. »
La nouvelle s’étant répandue comme une traînée de
poudre, des milliers de gens accoururent des villages et
des villes de la région. « Une dizaine de carabiniers arrivait
difficilement à discipliner les visiteurs qui faisaient la
queue pendant des demi-journées entières sous un soleil
ardent ou sous la pluie, canalisés par une palissade de
fortune. Quand arrivait leur tour, ils descendaient dans
la grotte par groupes de dix personnes environ et effec-
tuaient une brève visite, dans la prière. Ceux qui avaient
la chance d’être touchés par la vision fondaient en pleurs
et communiquaient aux autres une grande émotion. »
L’image était encore silencieuse. Mais le quatrième jour,
c'est-à-dire le 22 mai dans l’après-midi, elle se mit à par-
ler à un certain Orlando Maurizio qui était entré dans la
grotte justement pour se moquer des visionnaires et des
fidèles en prière.
On avait entendu le cri d’une fillette qui voyait la Sainte
Vierge entourée d’un océan d’étoiles. Orlando s’exclama :
« Je t’en ferais voir moi des étoiles, mais avec un coup de
bâton sur la tête ! »
Il avait à peine terminé sa phrase qu’il tomba par terre,
inanimé. Il fut aussitôt emmené au poste de secours qui
avait été installé dans les parages, étant donné qu’un
grand nombre de personnes étaient frappées d’extases
plus ou moins profondes et durables. Le poste avait été
mis en place, grâce à l’intervention du curé de Marta, le
père Libérato Tatquini Ravezzi, chez Madame Italia Feleli
Cucchiani, à laquelle on avait demandé de bien vouloir
mettre à la disposition de l’équipe de secours une pièce
de sa demeure pour ceux qui dans la grotte étaient en
proie à d’étranges maux. « En fait, nous ne savions rien
sur les effets de l’extase », se souvient Madame Barbara
Pomponi. « On étendait là sur les lits ceux dont nous pen-
sions qu’ils étaient évanouis et on accueillait ceux qui
avaient besoin d'assistance. »
Orlando Maurizio fut donc transporté au poste de secours
mais tous les soins qui lui furent prodigués ne servirent
à rien. Il fut alors emmené à l'hôpital où il demeura là
aussi pendant plus de quatre heures comme mort, le
corps raide et froid, les yeux ouverts mais vitreux. Per-
sonne ne pouvait comprendre à ce moment-là qu’Orlando
était en communication avec la Vierge. Le médecin pensa
même à une simulation. C’est pourquoi il prit une aiguille
et piqua l’homme sur tout le corps, en frottant la pointe
sur toute la largeur de la poitrine. Mais, insensible, Or-
lando n'eut pas le moindre tressaillement et demeura
aussi raide qu’avant.
On sut par la suite qu’au cours de sa longue extase la
Vierge lui avait demandé de changer de vie. Et à partir de
ce moment, la Vierge parla à bon nombre d’autres vision-
naires, leur « imposant des pénitences et leur enseignant
des prières ».
À compter de ce jour, Orlando agit en fonction de ce que
lui disait la « Madone ». Ses visites à la grotte étaient
même décidées par Elle. Si à l’heure fixée il se trouvait
encore en chemin il était saisi par l’extase. Dans un état
semi-cataleptique qui le faisait se raidir et l’arrachait au
monde extérieur, il se rendait à la grotte où il se laissait
absorber entièrement par la vision céleste.
La chroniqueuse des événements de Marta, Barbara Pom-
poni De Dominicis, avoue que les premiers jours il lui fut
impossible de suivre de près la plupart des faits, étant
donné la grande confusion qui régnait à l’intérieur et sur
le devant de la grotte, mais qu’elle dut se contenter de les
observer de la petite loggia située dans l’escalier de la mai-
son des Castelli, en face de la grotte. Madame Mecuccia
Castelli, qui était une sainte femme, montra tout de suite
l’amour qu’elle portait à la Sainte Vierge en permettant à
tout un groupe de dames du village « d’envahir à tout mo-
ment sa maison ». Des chaises et des bancs étaient mis à
la disposition de ces dernières pour qu’elles puissent
prendre place sur la loggia et aux fenêtres. La grande
table de la cuisine était même amenée jusque-là pour per-
mettre aux plus jeunes de grimper et de s'installer. L’en-
trée de la grotte se trouvait exactement face à ce belvédère
improvisé. « Je me souviens de l’émotion que nous res-
sentions à voir sortir les créatures élues par la Sainte
Vierge. »
Elles les appelaient pour avoir des nouvelles et celles-ci
venaient sous la loggia en répondant : « Il y en a une autre
qui a vu... Elle pleure... C’est pas une du village, on ne la
connaît pas. Maintenant ils amènent un jeune... Comme
il est pâle et tourneboulé ! C'est Gabriello Paoletti. Voilà
une jeune fille : elle se cache le visage et elle pleure. »
Barbara Pomponi déclare qu'en moyenne sur vingt per-
sonnes deux au moins voyaient la Vierge. Une fois sorties
de la grotte, ces dernières étaient emmenées sous un
arbre où on les interrogeait sur leur vision.
« Il y en avait qui racontaient avoir vu la Vierge Immacu-
lée, d’autres l’avaient vue dans un champ de lys, d’autres
encore avec l'Enfant dans ses bras ou avec les symboles
de la Passion et la couronne d’épines sur les genoux... La
grande variété des visions apporta de l’eau au moulin des
malveillants qui ne voulaient pas les reconnaître, préfé-
rant attribuer les faits à des phénomènes de suggestion
hypnotique ou à certaines petites poudres répandues
dans l’air dans le but de faire croire à des choses qui
n’existaient pas. On en vint même à dire que ces phéno-
mènes pouvaient avoir été provoqués par quelque puis-
sante machine importée d’Amérique. Mais dans quel
but ?»
Revenons-en maintenant à Beniamino Lombi qui, igno-
rant volontairement tous ces faits, n’avait à aucun mo-
ment pendant toute l’année qui s’était écoulée mis les
pieds dans la grotte. À l’occasion du premier anniversaire
des apparitions qui tombait, nous l’avons vu au début de
ce chapitre, quelques jours avant la fête de la Vergine del
Monte, il se laissa cependant convaincre par sa femme : «
Viens au moins une fois », avait-elle insisté. Et il la suivit.
Dès qu’il eut pénétré dans la grotte, Beniamino Lombi vit
avec une très grande netteté ce dont il avait jusqu’alors
douté et qu’il n'avait par conséquent cessé de critiquer :
la Vierge des Douleurs, qu’il dit lui être apparue au milieu
du champ de blé pour le troubler. « On vit alors des larmes
couler des yeux de cet homme au caractère fort et réservé.
À partir de ce soir-là il fréquenta assidûment la grotte et
eut à chaque fois une vision. Il répondait lui aussi à des
billets clos, bénissait des mouchoirs pour les malades et
priait dans un grand recueillement. »
Les « apparitions de Marta » peuvent être considérées
comme un phénomène quasiment unique dans l’histoire
des manifestations mariales. Elles l’ont été en effet de par
le nombre des personnes touchées par les visions et de
par la nature de leurs réactions.
La Vierge se présentait ponctuellement dans la cavité
creusée dans la roche au fond de la grotte du marchand
de vin. Elle se présenta ensuite également sur le terre-
plein qui s'étend devant la grotte. Puis on la vit dans les
rues, dans les maisons et dans la campagne de Marta.
Comme le fit remarquer Don Tommaso De Dominicis, de
l’Académie pontificale du Latran, dans un « Rapport sur
les apparitions », entre la fin de l’année 1948 et le début
de l’année 1949 la Vierge se manifesta également dans les
villages de Capodimonte, à deux kilomètres de Marta, de
Montefiascone, à dix kilomètres, de Tuscania, à quinze
kilomètres, et de Bagnaia, à trente kilomètres.
En voyant la Vierge, dès que commence l’extase, les vi-
sionnaires se déchaussent. Si l’extase est si soudaine
qu’elle les abasourdit tout à fait, ils tombent tout de suite
violemment à terre, soit à la renverse, et dans ce cas ils
se cognent la nuque ou le dos, soit en avant en heurtant
le visage contre le sol. Mais ils ne se font jamais mal, vio-
lant les lois de la gravité, comme si leur corps était à ce
moment devenu trop léger pour ressentir l’impact de leur
contact brutal avec la terre. Par ailleurs, la rigidité cata-
leptique qui s’installe avec l’état extatique provoque des
phénomènes inexplicables. Deux enseignants venus, l’un
de Viterbe et l’autre de Rome, pour se rendre compte des
faits, ne réussirent pas à soulever de terre un visionnaire
de faible corpulence qui, à ce moment, était en train de
revivre la Passion du Christ et se sentait donc alourdi
sous le poids de la croix.
Don Tommaso De Dominicis témoigne également sur le
fameux ravissement extatique : « Une fois seulement j’ai
vu se produire le ravissement. Les jeunes Franco et Vit-
torio, qui étaient debout, sont restés comme pétrifiés
dans la position où ils se trouvaient. Vittorio était plié en
avant, appuyé sur un seul pied, en déséquilibre. Il avait
été surpris par l’extase alors qu’il allait avancer et avait
été arrêté dans cette position ; les témoins de la scène
pleuraient. »
La petite Domenica Sassara, si « menue et si douce » qu’on
lui avait donné le surnom de « Mecuccetta », se dirigea un
jour du fond de la grotte vers la sortie, toute courbée, la
tête vers le bas, avançant à grand peine avec des gémis-
sements déchirants. Quelqu’un pensa qu’elle était peinée
parce qu’elle avait perdu quelque chose. Cet étrange com-
portement se répéta pendant plusieurs jours. Finalement,
elle monta sur la plate-forme qui s’étend devant l’entrée
de la grotte et, les bras levés au ciel avec trois de ses petits
doigts tendus, elle s’écria : « Trois jours seulement ! Il est
ressuscité ! Il est ressuscité ! il est ressuscité ! »
Mecuccetta fut ainsi la première à revivre la Passion du
Christ.
« Lorsque la Vierge demande à un visionnaire de faire la
Passion, celui-ci se trouble et la prie instamment de l’en
dispenser. J’ai vu des visionnaires de tous les âges et des
deux sexes accomplir la Passion », raconte Don Tommaso.
« Le spectacle est émouvant : il est difficile de retenir ses
larmes... La douloureuse représentation commence à par-
tir de la Cène mais plus souvent à partir de la montée au
Calvaire, parfois même de la crucifixion. La prière au Jar-
din des Oliviers est faite à genoux ou étendu par terre les
bras allongés en avant. Suit la scène de l’arrestation de
Jésus et des multiples comparutions devant divers tribu-
naux, les mains liées à l’avant ; il est impossible de libérer
ces mains attachées ensemble par des cordes invisibles.
Arrive ensuite la scène des railleries et des gifles que le
visionnaire reçoit en criant de douleur. La scène de la fla-
gellation et de la couronne d’épines est terrible car elle
s’accompagne de plaintes déchirantes de la part de la per-
sonne qui se débat en subissant ce tourment extrême. La
montée au Calvaire au cours de laquelle est portée la croix
invisible et l’attitude qui traduit une indicible souffrance
inspirent une grande pitié. Le sujet a au pied une longue
chaîne qui traîne derrière lui : si un spectateur pose le
pied sur cette invisible chaîne par inadvertance ou déli-
bérément, le sujet, même s’il n’est pas en position de pou-
voir voir le geste, ne peut plus avancer et émet des gémis-
sements tandis qu’il essaie de se libérer de cette entrave.
Il tombe trois fois sur le chemin, heurtant violemment la
poitrine et le visage, et il est fouetté par d’invisibles ca-
nailles. Il fait de gros efforts pour se relever car le poids
de la croix est accablant. On m’a dit que la croix est for-
mée de deux troncs à l’état brut de vingt centimètres de
diamètre. S’il se trouve dans la foule des jeunes filles en
extase, elles jouent le rôle des saintes femmes ou de la
Vierge des Douleurs, donnant lieu à des scènes qui inspi-
rent une extrême compassion. Les extatiques n’acceptent
aucune aide pour se relever de leurs chutes et ils la re-
poussent d’un gémissement caractéristique.
Un jour j’ai essayé d’en aider un qui était tombé et celui-
ci m’a laissé faire, mais je n’ai pas réussi à déplacer d’un
millimètre le bras qui soutenait l’invisible croix : il était
lourd comme une pierre... »
Au terme du pénible chemin de croix a lieu la scène de la
crucifixion, soit sur le perron en haut de l’escalier, soit
sur l’emplacement situé devant la grotte. Ayant déposé la
croix à terre le visionnaire se laisse brusquement tomber
en arrière sur celle-ci : « Des sbires invisibles lui étirent
les bras et les clouent à la croix. Puis ils lui croisent les
pieds, qu’ils clouent également. Les fillettes sont parfois
crucifiées debout. Au moment de la pose des clous on voit
les muscles se contracter effroyablement, les doigts se rai-
dir de douleur, tandis que le sujet émet des cris de souf-
france. » Ils répètent sur la croix les paroles de Jésus, par-
fois en latin, et il est stupéfiant d’entendre de très jeunes
fillettes parler dans cette langue.
« Les affres de l’agonie sont déchirantes. La poitrine (des
extatiques) est haletante et se soulève de manière ef-
frayante, puis vient le râle : le visage est tiré et perd toute
couleur, les yeux se voilent. Ils fléchissent tout à coup la
tête sur l’épaule droite et expirent. À cet instant, les
membres se relâchent brusquement, la respiration cesse
complètement pendant quarante secondes. J’ai demandé
à une fillette ce qu’elle ressentait au moment de la « mort
» ; elle a répondu : « une confusion dans ma tête, puis
plus rien ». Peu après la mort, ils se remettent lentement :
la respiration reprend tout doucement, pour redevenir
progressivement normale. Lorsqu'il arrive au bout de
cette passion, le visionnaire montre les signes d'un grand
soulagement, comme s'il sortait d'une intense souffrance.
Il libère ses mains des clous en les dégourdissant et fait
de même pour les pieds. Certains enlèvent les clous et en
baisent la pointe : j'ai pu ainsi constater que le clou des
pieds fait trente centimètres de long. Puis ils ôtent la cou-
ronne d'épines, qu’ils posent à terre ou remettent à la
Vierge. Ils se lèvent alors et font baiser les plaies invisibles
de leurs mains par les spectateurs ; ils effacent ensuite
celles-ci en mettant les mains et les pieds sur la flamme
des cierges, sinon la Vierge les efface elle-même.
Lorsqu’ils ne parviennent pas à se relever, ils tendent la
main à la Vierge qui les aide à se mettre debout. »
Pendant l’extase, les visionnaires se montrent très affec-
tueux à l’égard des enfants, des malheureux, des aveugles
et de tous les infirmes en général qui viennent à la grotte
ou qui y sont menés pour demander grâce à la Sainte
Vierge. Ils soulèvent de terre les petits enfants pour qu'ils
soient bénis par la Vierge, ils embrassent les aveugles sur
les yeux, caressent les infirmes en faisant sur tous le
signe de la croix.
Ils sont également très solidaires entre eux. Pendant la
vision, ils s’encouragent mutuellement, ils s’aident à sup-
porter les pénitences, les prennent parfois sur eux afin de
soulager la douleur de leurs compagnons, soulevant
ceux-ci de terre quand ils voient qu’ils souffrent trop. Les
visionnaires communiquent entre eux à distance, ils sen-
tent lorsque l’un d’eux a besoin d’aide, ils accourent alors
et se reconnaissent même s’ils ne se sont jamais vus au-
paravant.
Et ils ont pour habitude de dessiner par terre, pendant
l’extase, des figures à l’aide des gouttes de cire qui tom-
bent des cierges qu’ils ont dans les mains ou de pétales
de fleurs. Le style des dessins, qui sont parfois d’une
beauté saisissante, rappelle celui des peintures des cata-
combes. Ceux qui les réalisent n’ont en général jamais
démontré auparavant qu’ils possédaient un don artis-
tique. Il s’agit d’ailleurs le plus souvent de paysans anal-
phabètes dont les mains rudes sont davantage accoutu-
mées au travail des champs ou aux activités manuelles.
À l’époque des « phénomènes merveilleux », Marta vécut
également avec intensité les phases d’affrontement entre
ceux qui croyaient en l’authenticité de ces phénomènes et
ceux qui n’y croyaient pas. Ce fut justement le fils de Bar-
bara Pomponi De Dominicis, le jeune Peppino, qui in-
carna cette opposition et éprouva dans sa chair le choc
de cet affrontement.
Peppino était élève du lycée classique de Viterbe. En ville,
il entendait les critiques contre les visionnaires et contre
ce qui se passait dans la grotte de Marta.
Au moment des vacances scolaires, revenu chez lui, Pep-
pino rencontra un soir un petit groupe d’incrédules de
son village à la tête duquel se trouvait un carabinier. Ce-
lui-ci lui demanda aussitôt s'il se sentait capable de se
glisser dans le groupe des visionnaires et de faire sem-
blant d’être des leurs pour arriver à découvrir qui était
celui qui les manœuvrait en les faisant agir de manière si
étrange.
« Comme ça on mettra fin à cette farce ! », dit le carabinier,
ne doutant pas un instant que les techniques de camou-
flage et d’infiltration des forces de l’ordre pourraient fina-
lement avoir raison de l’agitation populaire. Peppino ré-
fléchit, raconte sa mère, et le soir suivant, c’est-à-dire le
24 juillet 1948, alors que Sara était en train de remettre
de l’ordre dans la cuisine, il s'approcha d’elle et lui de-
manda : « Dis-moi la vérité, je ne le répéterai à personne.
Qui te fait faire ce que tu fais et comment fais-tu pour
qu’on y croie ? » Sara demeurait silencieuse, tête baissée,
honteuse, et il insistait : « Regarde, moi aussi je viendrai
avec vous, je sais aussi bien m’y prendre que toi ».
En disant cela, il écarta les bras et, regardant vers le haut,
il s’exclama : « Sainte Vierge, comme vous êtes belle ! »
Il avait à peine prononcé ces mots qu’il tomba brusque-
ment à la renverse et resta par terre, gémissant. La Sainte
Vierge lui était réellement apparue et lui reprochait en
pleurant d’avoir cédé aux viles suggestions de ses enne-
mis. Le voyant ainsi étendu de tout son long pendant si
longtemps, Sara crut qu’il continuait à feindre et elle
s’écria : « Ne vous attendez pas à ce que je vienne vous
aider, levez-vous et cessez de vous moquer. Ce sont des
choses très sérieuses. »
Mais Peppino resta là jusqu’à ce que la Vierge elle-même
lui tende la main et l’emmène en dehors de la maison, lui
faisant monter les marches pour le conduire à ses parents
qui étaient réunis dans l’appartement de Don Tommaso,
à l’étage au-dessus. En entendant des pas et des gémis-
sements, j’allai ouvrir la porte et je le trouvai là. Il se jeta
dans mes bras, tout en nage et pleurant ; il faisait le geste
de s’arracher les cheveux, en s’exclamant : « Pourquoi l’ai-
je fait... je l’ai fait pleurer, pourquoi, pourquoi ? Qui m’a
poussé à le faire ? »
Ensuite, dans la maison de son oncle, il revécut la Pas-
sion. Entre temps, Sara monta elle aussi, en extase, in-
carnant la Vierge des Douleurs au pied de la Croix. À la
fin, Peppino se détacha de la croix, baisant un par un les
clous et la couronne d’épines qu’il posa à terre. Ses Pa-
rents ne voyaient plus rien, n’était-ce la mimique et le vi-
sage déformé de douleur des deux visionnaires. Les vi-
sions du jeune Peppino De Dominicis se succédèrent à un
rythme soutenu au cours des jours suivants. Il sortait de
chez lui déjà plongé dans l’extase, descendant pieds nus
les escaliers ou plutôt effleurant les escaliers sans y poser
le pied : il les survolait comme s’il chaussait des skis. En
le voyant, les gens s’arrêtaient pour le regarder. Mais lui
ne voyait personne.
Barbara De Dominicis raconte bien d’autres choses. Un
soir, sa sœur Giovanna vit que la Sainte Vierge prenait à
pleines mains des étoiles extrêmement brillantes et
qu'elle les laissait tomber en pluie derrière son dos. La
vision symbolisait, selon la visionnaire, l’amour que porte
la Mère de Dieu aux créatures abandonnées. On a en effet
pu constater à Marta que les Croyants choisis par la
Vierge pour bénéficier de ses grâces et de ses dons étaient
surtout des personnes pauvres, humbles et même parfois
rejetées par la société, ou encore des malades ou des in-
firmes.
« Marietto Sassara, bien qu’entendant, n’avait pas l’usage
de la parole, il voyait très mal d’un œil et perdait conti-
nuellement sa salive qui lui coulait sur le menton et
mouillait le devant de sa chemise : c’est pourquoi sa mère,
qui avait une grande dévotion pour la Vierge, supplia
celle-ci avec ces mots : "Je sais qu’en ce monde il nous
faut souffrir et je ne demande pas qu’un miracle guérisse
complètement mon Marietto. Je vous demande seulement
de le soulager de cette vilaine salivation car on se moque
souvent de lui en l’appelant le " baveux ”. J’ai peur que si
l’un de mes frères (j’en ai cinq et tous l’aiment beaucoup)
se trouve là quand on le traite ainsi, il ne puisse se retenir
d’invectiver ou même de malmener celui qui l’insulte au
risque d’aller trop loin et de finir en prison.” La femme
pria avec tant de foi, tandis qu’à terre son fils représentait
en silence, pour la première et la dernière fois, la mort de
Jésus sur la croix, que sa prière fut tout de suite exaucée
et que le jeune garçon fut immédiatement libéré de ce gros
désagrément. »
Parmi les malheureux qui ont trouvé un réconfort en
voyant apparaître la Vierge il y eut Luciano di Bagnaia,
un arriéré mental dont l’état était dû à une mauvaise
chute faite dans l’enfance. Emilio Angelini, épileptique et
très pauvre, eut lui aussi de nombreuses visions de la
Vierge. Il se rendait à Marta en faisant trente kilomètres
à pied pour « se mettre à la disposition de la Sainte Vierge
de l’apparition ».
Maria Moretti, une orpheline, était surnommée «
Ceccopeppa ». Lorsqu’elle représentait la Passion, elle ré-
citait les prières que lui enseignait la Vierge.
La petite Ginetta Ricci transcrivit sur deux feuillets un
dialogue entre elle et la Vierge : « Immaculée, les gens di-
sent que vous êtes un esprit et que vous n’êtes pas la di-
vinité.
— Touche ma chair et vois si elle est chaude comme la
tienne. Sens mon cœur et vois s’il bat comme le tien. Re-
garde mes yeux s’ils battent comme les tiens. Observe
mes pieds et tu verras s’ils bougent comme les tiens !
« Elle a pris ma main et l’a mise sur son cœur », écrivit
encore Ginetta, “et j’ai senti qu’il battait. Puis elle s’est
avancée pour me faire voir que ses pieds bougeaient
comme les miens. Elle a ensuite pris de nouveau ma main
et l’a portée à ses joues. J’ai senti que sa chair était
chaude comme la mienne. »
Quelques jours plus tard, l’Église allait proclamer le
Dogme de l’Assomption de l’âme et du corps de Marie.
Annexes
Les messages de la Vierge à Marta
58
Wilson Pignagnoli, L’ultimo vescovo-principe di Reggio Emilia (Mons. Beniamino
Socche), Volpe Editore, Rome, 1975.
d’avoir une nouvelle vision de la Vierge dans la mansarde
où elle habitait. Celle-ci l’invitait à se rendre sur la place
de la Cathédrale où elle allait avoir une apparition en pu-
blic.
La place de la Cathédrale de Reggio Emilia porte le nom
de Camillo Prampolini, socialiste, anti-clérical et athée.
C’est là un détail très révélateur de la ferveur marxiste qui
anime cette province de l’Emilie dont le chef-lieu est l’un
des bastions du bolchevisme athée en Italie, même si par
le passé soixante-trois églises y ont été consacrées à Ma-
rie, la région comptant en tout quelque six cents autres
églises également dédiées à la Vierge, sans parler natu-
rellement des différents sanctuaires. À l’époque, le maire
de Reggio Emilia était un communiste, Cesare Campioli.
L’évêque du diocèse était Mgr Socche qui avait été sur-
nommé « l’Évêque de la Vierge ». « À Cesena », écrivit ce
dernier en évoquant les étapes de sa vie, « j’avais trouvé
sur mon chemin la Sainte Vierge qui m’avait communiqué
cette "euphorie” grâce à laquelle j’accueillais chaque con-
trariété ou chaque difficulté (en me disant) que la Sainte
Vierge allait la résoudre. Dès les premiers temps après ma
nomination à Reggio Emilia, j’essayais ainsi d’inoculer
aux autres cette confiance en la Sainte Vierge. Je priais
avec les prêtres, avec les laïques, avec les religieuses. » Il
ajoutait : « La véritable dévotion à la Vierge est une grande
grâce, la plus grande des grâces qui existe pour obtenir le
salut ».
Bien qu’étant un fervent défenseur du culte de la Vierge,
Mgr Socche demeura réservé et prudent dès sa première
rencontre avec Rosina Soncini. « Voilà qu’un beau jour on
me présente une femme d’une cinquantaine d’années »,
raconte-t-il, « une petite femme, qu’accompagnaient une
enseignante de mathématiques et sa mère. La femme me
dit que la Sainte Vierge voulait qu’elle se rende sur le par-
vis de la Cathédrale car Elle devait paraître devant elle à
cet endroit. Au premier regard, cette petite femme ne me
sembla pas avoir toutes ses facultés mentales et je lui dis
qu’il valait mieux qu’elle reste chez elle, qu’il y avait beau-
coup de gens, un peu partout, qui déclaraient voir la
Vierge. Mais, au jour dit, la femme se rendit sur la place
devant la Cathédrale en compagnie des deux autres et,
agenouillée sur les marches de l’église, sous mes fenêtres,
elle déclara avoir sa première apparition de la Vierge, la-
quelle lui fixa rendez-vous pour un autre jour. Le jour
venu, Rosina Soncini eut en effet une deuxième appari-
tion, en présence d'autres femmes et d’un prêtre du dio-
cèse, le Père Bruno Zecchetti. »
L’évêque appela alors le prêtre et le tança vertement. Mais
celui-ci l’informa que dans toute cette histoire il avait été
également question de Padre Pio de Pietralcina et que
pendant les apparitions les parfums de Padre Pio s’étaient
manifestés. Reggio Emilia la « rouge » était sur le point de
devenir un autre Lourdes.
« Je pris alors des renseignements pour savoir qui était
cette Rosina Soncini : c’était une honnête femme qui vi-
vait de son travail de brodeuse mais qui dès sa jeunesse
avait manifesté des signes importants d’hystérie. Je fis si-
gner à une religieuse, Sœur Ancella délia Carità, qui tra-
vaille actuellement à l’hôpital de Castelnuovo Sotto, une
déposition en ce sens. La religieuse en question était as-
sistante infirmière dans le service des femmes de l’hôpital
de Reggio Emilia à l’époque où la jeune Rosina Soncini
venait de temps en temps y faire des séjours. Lorsqu’elle
arrivait à l’hôpital on aurait dit qu’elle était sur le point
de mourir de toutes les douleurs qui lui traversaient le
corps. On la pansait et elle ne cessait de crier pendant
toute la durée des soins. Le matin suivant, elle sautillait
dans la salle avec ses bandages défaits : elle était complè-
tement guérie.
Le chef de service, le docteur Torreggiani, un chrétien pra-
tiquant convaincu, mort il y a quelques années seulement
mais dont le souvenir est toujours vénéré parmi les hon-
nêtes gens de Reggio Emilia, disait à la religieuse : « Ma
Sœur, laissez-la faire cette pauvre fille. Vous ne voyez pas
que c’est une hystérique ? » Et, s’adressant à Rosina Son-
cini : « Je n’ai jamais vu une forme d’hystérie aussi pro-
noncée que la tienne ». Etant donné ces symptômes
avant-coureurs, comment pouvait-on se fier à Rosina
Soncini ?
Et pourtant, poursuit l’évêque, je ne pus que constater
que sur cette place de Reggio Emilia où avaient été profé-
rés toutes sortes de blasphèmes au fil des manifestations
rassemblant des athées, une foule s’était réunie (compo-
sée en majorité de personnes n’appartenant pas au dio-
cèse) pour assister aux apparitions de la Vierge, alors que
je n’avais moi-même jamais été capable de me faire en-
tendre pour asseoir sur des bases solides la dévotion à
Marie. Tout ceci était pour moi source d’espoir. Et ce fut
justement moi qui dus désavouer le phénomène et décla-
rer qu’il n’y avait rien là de surnaturel ; c’était mon devoir.
C’était encore une fois une étrange preuve de ma con-
fiance en la Vierge que j'offrais à Reggio Emilia. C’est
ainsi. »
L’« Evêque de la Sainte Vierge » suivait cependant les «
rendez-vous » qu’avait Rosa Soncini avec la Vierge sur les
marches de la Cathédrale puisque, nous l’avons vu, ses
fenêtres donnaient sur le parvis : il observait les milliers
de pèlerins qui se pressaient autour de la « visionnaire »,
laquelle se tenait à genoux, un chapelet passé autour de
son bras ou entre ses mains, le regard fixé vers le ciel, le
visage immobile comme une statue de cire.
Le drame intérieur du responsable de ce diocèse qui sem-
blait être voué à l’athéisme et qui s’éveilla toutefois à la
religion au nom de la Vierge fut à son comble lorsque ledit
responsable estima qu’il était de son devoir de communi-
quer à ses fidèles le message suivant : « En ce qui con-
cerne les faits présumés, dont certains ont affirmé qu’ils
s’étaient produits sur la place de la Cathédrale de Reggio
Emilia, nous tenons à confirmer que rien ne permet de
supposer qu’ils soient réellement survenus et encore
moins de les qualifier de surnaturels. C’est pourquoi nous
interdisons de nouveau aux prêtres, aux religieux et reli-
gieuses de notre diocèse et de tout autre diocèse d’y as-
sister. Tout prêtre, qu’il appartienne à un ordre ou à une
congrégation religieuse d’un autre diocèse ou du mien,
qui viendrait à Reggio Emilia dans ce but le 30 juillet pro-
chain, se verrait retirer le droit de célébrer la Sainte Messe
sur tout le territoire de ce diocèse, tant dans la plaine que
dans la montagne. »
Quelques rares personnes, une quinzaine en tout, étaient
venues assister au premier rendez-vous du 2 juillet et
c’était plus par incrédulité que par réel intérêt qu'elles en-
touraient Rosina alors qu’elle était agenouillée sur la
place. Il fallut attendre les rencontres suivantes, et parti-
culièrement celles du 2 octobre et du 10 décembre de la
même année, jour de la fête de Notre-Dame de Lorette,
pour voir la Place de la Cathédrale se remplir d’une foule
de plus en plus nombreuse de fidèles attendant que la
Vierge apparaisse à la modeste brodeuse qui avait jusque
là vécu dans l’anonymat le plus total. Rosa Soncini se
présentait vêtue d’un tablier noir avec un voile sur la tête
et un chapelet à la main, un chapelet à gros grains.
Bien que l’opinion publique n’ait pas été des plus favo-
rables à l’expression de la foi dans cette région rouge de
l’Émilie et dans cette ville de Reggio encore plus irréduc-
tible, et en dépit de la prise de position officielle de
l’Église, toute rencontre annoncée avec la Vierge en public
attirait une foule croissante sur cette place définie comme
l’un des plus beaux salons d’Italie. On put dénombrer des
dizaines de milliers de personnes lors des huit principales
apparitions qui eurent lieu aux dates suivantes : 2 oc-
tobre 1954 ; 10 décembre 1954 ; 11 février 1955 ; 30 avril
1955 ; 30 juillet 1955 ; 5 novembre 1955 ; 11 février
1956 ; 11 mai 1956. Celles-ci se produisaient toujours à
15 heures et duraient de vingt à quarante minutes.
Un journaliste écrit59 : « Samedi dernier à six heures
trente la place de la Cathédrale était encore dans l’obscu-
rité. Le pavé était luisant et glissant à cause du brouillard
épais de la nuit, les réverbères étaient entourés d’un halo
blafard qui semblait avoir été dessiné à l’aide d’un com-
pas. Les fenêtres des maisons étaient hermétiquement
closes. La ville dormait sous ses pesantes couvertures.
59
Alfredo Panicucci, La Madonna le parla in italiano, in « Oggi », novembre 1955.
C’est à cette heure que sortit le premier pèlerin de l’hôtel
Posta. Il craignait de ne pas être en bonne place à côté
des marches de la Cathédrale, près de l’endroit précis où,
huit heures plus tard, Rosina Socini devait s’agenouiller
pour parler à la Sainte Vierge. Ce premier pèlerin était
arrivé la veille au soir dans un autocar autrichien rempli
d’autres fidèles mais il n’avait pu attendre plus long-
temps. Il s’approcha des marches, sortit de sa valise en
carton un siège pliant, l’ouvrit, chercha dans sa poche un
chapelet, s’assit et commença à prier. Il ne fut pas troublé
lorsque, deux heures plus tard, apparurent sur la place
les premières voitures, les premiers vendeurs de marrons
grillés, de sandwiches, de café chaud, de sièges pliants,
de "Chocolats de la Sainte Vierge à 100 lires le paquet” et
de jumelles de pacotille. Le visage enfoui dans le revers
de son manteau, le pèlerin continua de prier. »
Peu à peu la place s’animait. De véritables cortèges de
femmes débouchaient de rues adjacentes et allaient oc-
cuper en rangs serrés les premières places. Mais de nom-
breux autres fidèles arrivaient en rangs dispersés : « Les
plus téméraires se hissaient sur la statue de Crostolo, les
autres grimpaient sur des tas de pierres amassées en vue
de la réfection du parvis. Le chœur des prières s’interrom-
pit peu avant onze heures, lorsqu’un groupe de femmes
tziganes descendit d’une grosse voiture immatriculée en
France. Elles portaient de longues jupes aux couleurs vio-
lentes, de lourds colliers en or, et leurs cheveux luisaient
de brillantine. Elles arrivaient de Nogara, près de Vérone,
où elles avaient laissé leur tribu. Elles étalèrent un tapis
sur les cailloux, s’assirent, sortirent des sandwiches d’un
sac et se mirent à manger, lentement. Tandis qu’un agent
courait au Commissariat pour informer le Bureau des
Étrangers, la foule recommença à chanter. Les fidèles
priaient en regardant le ciel. Ils attendaient que les
nuages bas et sombres fassent place au rayon de soleil
que tout le monde attendait.60»
Au cours des précédents « entretiens » de Rosina Soncini
avec la Vierge, le 30 juillet, beaucoup avaient vu sur la
façade de la Cathédrale se profiler d’étranges formes
après avoir fixé longuement le soleil. D’autres avaient eu
l’impression que le soleil était devenu rouge, puis vert,
puis noir ; ou qu’une grande croix y était dessinée.
D’autres encore étaient sûrs d’avoir vu le soleil faire une
rotation dans le ciel. On nota également un intense par-
fum de violettes et d’œillets.
À trois heures moins cinq, Rosina arriva sur la place pré-
cédée des Carabiniers qui lui avaient frayé un passage à
travers la foule. Elle était suivie de ses accompagnateurs
habituels : une institutrice, sa propriétaire, une amie de
Lugano et une journaliste. Elle se mit à genoux et « tout
de suite on plaça devant elle plusieurs enfants, assis dans
la boue. Ils étaient aveugles, estropiés ou débiles. L’un
d’entre eux pleurait, il ne voulait pas rester en place. Son
père lui administra une taloche. La foule cria qu’elle ne
voyait rien. Les agents de police s’agenouillèrent, mais
seulement pour ne pas empêcher ceux qui étaient der-
rière de voir. Rosina commença à prier. Puis elle se re-
tourna tout à coup vers les photographes qui s'étaient re-
groupés devant elle et leur dit : « Éloignez-vous car la
Sainte Vierge n’a pas la place. Elle a tous ces nuages sous
60
Ibid.
ses pieds ». Puis elle ferma les yeux, sourit, écarta les bras
et murmura dans l’extase : « Le ché, Le ché. Siv propria
vu Maduneina ?61 »
Il était difficile à l’assistance d’entendre et de rapporter
les questions et les réponses : on voyait seulement les
yeux de Rosina fixer un point sur la façade de la Cathé-
drale, qui correspondait plus ou moins à l’endroit où est
située l’une des statues de Spaini, au-dessus du tympan
du portail central. Rosina implorait la Vierge pour qu’elle
donne un signe de sa présence afin de convaincre les in-
crédules et, à une question qui semblait avoir été posée
par la Vierge Rosina, répondit : « Mais qu’est-ce que j’y
peux si l’Église ne veut pas m’écouter ? » Puis : « Mais ce
sont les mêmes choses que celles que vous avez dites en
juillet ». Et encore : « Petite Sainte Vierge, bénis tous les
hommes qui sont sur cette place et en Italie et dans le
monde ». Et, tout de suite après : « Eloigne la guerre de
l’Italie », ou : « Pourquoi pleures-tu, petite Sainte Vierge ?
Je sais. Il y a trop de mal partout. »
Il était quinze heures trente lorsque Rosina dit à la foule :
« La Sainte Vierge nous donne sa bénédiction. Nous nous
reverrons le 11 février. » Elle se releva lourdement et de-
manda à une des femmes qui l’accompagnaient de lui prê-
ter un crayon rouge et bleu : elle se pencha de nouveau
sur les marches de la cathédrale et dessina d’une main
incertaine un cercle rouge : « C’est ici qu’étaient les
nuages », dit-elle. Puis elle traça deux signes en bleu à
cinquante centimètres l’un de l’autre : « Et ses pieds
61
Ibid. (« Qu'est-ce que c’est, qu’est-ce que c'est ? C’est bien vous, petite Sainte
Vierge ? »).
étaient ici ».
La maison où habitait la brodeuse, dans la via San Do-
menico, était extrêmement modeste. Elle logeait au troi-
sième étage, dans une mansarde attenante à un grenier
où la pluie et l’humidité s’infiltraient entre les tuiles dis-
jointes. La mansarde faisait à peu près trois mètres de
long.
Le lit se trouvait à gauche de la porte en entrant. Au fond,
à côté d’une petite lucarne qui donnait sur un mur gris,
il y avait un évier, un petit réchaud à gaz et un poêle à
bois. Face à l’entrée se trouvait une cheminée dont la
fonction était désormais de recevoir les fleurs pour la
Sainte Vierge et les images pieuses. Une vieille armoire
noire était nichée dans l’angle et sur le mur de droite était
appuyée une commode abîmée qui servait d’autel à Ro-
sina. Sur un napperon blanc brodé trônaient quatre pe-
tites lampes, deux bouquets d’œillets blancs, une niche
et, fixés à un tissu bleu ciel, une dizaine de cœurs en ar-
gent attestant les « grâces reçues ». Un tableau peint au
blaireau par un peintre amateur de Parme, Giovanni Gia-
cobelli, le premier « miraculé », était accroché à une
poutre basse du plafond. Le sujet en était la Vierge, en-
tourée d’un nuage rose. « C’est ainsi que je l’aie vue »,
disait le signor Giacobelli, « au moment de ma guérison ».
« C’est dans cette mansarde que Rosina vit, mange, dort,
travaille, prie et parle avec la Sainte Vierge. Elle ne sort
que lorsque quelqu’un la fait appeler pour broder un drap
ou une nappe. Mais elle ne le fait pas de gaieté de cœur.
C’est une femme de petite taille, grosse, à l’allure lourde.
Elle marche avec difficulté »62.
« La Sainte Vierge vient me trouver chez moi au moins une
fois par mois », racontait Rosina. « Elle me dit toujours
que pour obtenir le salut les hommes doivent tous les
jours réciter leur chapelet et dire cent requiem. »
La brodeuse parlait de la Vierge dans un langage simple.
Elle décrivait ses premières apparitions de manière en-
jouée, ses mains petites et potelées étant posées sur ses
jambes. « Une fois », dit-elle, « je jetai au visage de la
Sainte Vierge une petite casserole remplie d’eau bénite.
Mon confesseur m’avait dit que c’était peut-être le Diable
qui me tentait, déguisé en Sainte Vierge. Bien que j’eusse
jeté de l’eau sur Elle, Elle se mit à sourire et je la priai
alors de me pardonner de l’avoir aspergée. Mais ce petit
peu d’eau fut bénéfique car avant cela Elle apparaissait
de loin mais à compter de ce jour-là Elle s’est toujours
montrée de très près. »
La figure qui apparaissait à Rosina ne ressemblait pas à
l’image qui en est donnée dans les tableaux religieux. «
Elle est belle, grande — environ un mètre soixante dix —
elle a les cheveux longs et noirs. Elle est vêtue d’une robe
bleu ciel et d’un grand manteau couleur argent. Elle tient
l’Enfant sur son bras gauche et me donne la bénédiction
de sa main droite. Ses pieds reposent sur un beau nuage
bleu clair et rose. Elle ressemble à Notre-Dame de Lorette,
mais elle est différente. Elle est plus belle. Elle est ins-
truite, Elle me parle toujours en italien. »
Dès le mois d’août 1954, lors d'une apparition en public
62
Ibid.
sur le parvis de la Cathédrale, la Sainte Vierge « instruite
» avait exposé à une Rosa Soncini « prodigieusement ra-
jeunie et embellie comme une fillette en extase »63 l'objet
de ses visites sur terre :
« Je te donne un ordre et toi tu dois dire à tout le
monde, je dis bien à tout le monde, que je suis envoyée
spécialement du Ciel. »
Et à ce moment l'Enfant sourit comme pour approuver ce
qu'elle disait
« en tant que médiatrice pour éloigner à tout jamais du
monde le fléau de la guerre et faire que l'humanité tout
entière se voue au cœur de Notre-Dame de Lorette. Tu
dois rapporter à tout le monde, j'ai dit à tout le monde,
mes recommandations : il faut que tous deviennent
meilleurs, qu’ils combattent l’impureté et le blasphème
qui sont en train de se répandre partout, qu’ils commu-
nient tous les premiers samedis du mois, jour qui m’est
dédié, et qu’ils récitent avec dévotion le Saint Rosaire.
Alors le fléau de la guerre sera pour toujours écarté du
monde : si je ne suis pas obéie, la guerre aura lieu. »
Par ces mots, la Vierge de Lorette précisait finalement sa
mission, révélant que le terrible châtiment qu’Elle avait
déjà en d’autres lieux laissé entrevoir était la guerre. Elle
offrait encore à l’humanité une possibilité de se racheter.
Le dialogue entre Rosa et la Vierge se prolongea cette fois-
là pendant plus de vingt-cinq minutes. Selon une journa-
63
Anna Marisa Recupito, Ha parlato per mezz’ora con la Madonna di Loreto, in «
Oggi », août 1955.
liste qui se trouvait sur les lieux, « les photographes ram-
paient à terre et se hissaient sur les petites colonnes si-
tuées sur la façade de l’église, faisant crépiter sans inter-
ruption les flashes de leurs appareils braqués sur la bro-
deuse »64.
Cinq années plus tard, le vendredi 29 janvier 1960 à onze
heures, Rosa Soncini s’éteignait à l’Hôtel-Dieu de Reggio
Emilia. Elle était âgée de cinquante-sept ans. On lui ad-
ministra les sacrements de la confession, de la commu-
nion et de l'extrême-onction. Elle fut enterrée dans le ci-
metière de Villa San Maurizio, près de Reggio Emilia.
Wilson Pignagnoli note65 : « Sur la place de la Cathédrale
plus rien ne témoigne de ses rendez-vous avec la Vierge ;
les fidèles passent et repassent sur les marches (où elle
s'agenouillait en extase) pour entrer et sortir de la Cathé-
drale bâtie depuis bien des siècles sur la foi des habitants
de Reggio. »
64
Ibid.
65
Op cit.
Vierge.
66
« La fève symbolise le soleil minéral, l’embryon » (Dictionnaire des Symboles, J.
Chevalier, A. Gheerbrant). Les fèves font également partie des fruits sacrifiés au
cours des offrandes rituelles par de nombreuses populations, à l'occasion d’événe-
ments importants tels que les mariages ou le culte des morts.
se cache une personnalité que l’on qualifie habituelle-
ment de mystique complète. Portant les stigmates aux
mains et au côté, se livrant à des pratiques ascétiques à
l'intérieur d'une « cellule » dont on l’a vu plusieurs fois
sortir en lévitant, sujet à des bilocations, guérisseur, il a
également décrit ses expériences de « voyages dans le ciel
». Pendant toutes ces années marquées par ces phéno-
mènes complexes, la Vierge l’a visité régulièrement. La
première apparition, en date du 2 décembre 1959 à 16
heures, surprit Domenico Masselli chez lui, dans sa
chambre à coucher.
La Vierge lui dit alors :
« Je suis votre Mère céleste, l’immaculée Conception. Ne
crains rien, mon fils, je te dirai plus tard ce que je veux
de toi. »
À partir de ce moment, comme il l’écrivit lui-même dans
son livre sur les Messages de la Vierge, « les merveilleuses
apparitions se succédèrent de manière rapprochée et
chaque fois la Vierge (...) me donnait des instructions pré-
cises : je devais réciter le Rosaire pendant quarante jours
de suite avec toute la famille réunie, sans sortir de chez
moi ; je devais rendre visite à des personnes désignées par
Elle, dans le village ou en dehors, ces personnes étant
malades ou dans le besoin ; des pénitences et des absti-
nences m’étaient imposées et ainsi de suite ».
— Domenico, tu vois encore la Sainte Vierge ? Je lui pose
cette question à table.
— Je la vois les trois premiers vendredis du mois, à sept
heures du soir.
— Combien de temps dure la vision ?
— Ça dépend, vingt minutes, quelquefois quinze, dix mi-
nutes...
— Qui t’a aidé à écrire ce livre de messages ?
— La Sainte Vierge.
— Que fait encore la Sainte Vierge pour toi ?
— J’avais deux hectares de terrain plantés d’oliviers. Un
matin de bonne heure des ouvriers viennent pour m’aider
à tailler les arbres. À midi, chez moi, deux hommes dé-
barquent en voiture, de Bari. « C’est ici la maison de Do-
menico ? » « Oui, c’est ici ». « Et lui, où est-il ? »
Ma femme répond : « Il est dans les champs. »
Ceux de Bari disent qu’ils m’ont vu dans le village peu de
temps avant, que j’étais devant et qu’eux me suivaient en
voiture. Ils étaient ensuite arrivés à la maison en passant
par l’église.
Ma femme répond : « Comment est-ce possible ? Il est
parti pour la campagne ce matin de bonne heure et je l’at-
tends parce que nous devons déjeuner. »
Ils sont restés à m’attendre et quand je suis rentré ils
m’ont vu tout sale, plein de terre. « Mais tu n’étais pas au
village juste avant ? » « Moi ? J’étais dans les champs. »
On m’écrit d’Amérique que je suis allé là-bas. On m’écrit
aussi de France qu’on m’a vu là-bas. Moi je suis ici avec
ma femme et mes enfants. Il y en a qui sont venus il y a
plusieurs jours de Florence. « C’est lui, c’est bien lui ! » Et
à moi : « Tu es venu chez moi. » « Moi ? » « Oui, je t’ai vu,
je t’ai serré dans mes bras, je t’ai embrassé. » Sa femme :
— C’est une chose incroyable, vraiment incroyable. Main-
tenant je voudrais parler de la fin de l’histoire du tableau
de la Sainte Vierge. Moi je lui disais : « Domenico, cette
Sainte Vierge est belle, mais elle ressemble plus à Sainte
Lucie. » « Non, répondait-il, c’est celle-là la Sainte Vierge.»
Notre plus jeune fille, qui avait alors sept ou huit ans,
s’est mise une fois à côté de son père et a vu elle aussi
l’apparition. Elle m’a dit : « Maman, la Sainte Vierge qui
est apparue est exactement la même que celle du tableau.
» La main du peintre qui l’avait représentée avait dû être
guidée par les anges.
Nous allâmes à Cerignola, chez le menuisier, pour acheter
le petit autel pour la Sainte Vierge. Il était midi. Domenico
disait : « La Sainte Vierge apparaît sur le côté, nous met-
trons l’autel sur le côté. » Je lui disais : « Il faut mettre la
Sainte Vierge de face pour qu’on puisse mieux l’admirer
en entrant dans la pièce. » Nous appuyâmes l’autel contre
le mur du fond mais en revenant dans la chambre l’après-
midi nous vîmes à notre grande surprise qu’il s’était dé-
placé tout seul et était venu se placer sur le côté, là où
était apparue la Sainte Vierge.
Domenico : — Ce que tu vois là, c’est un coton imbibé de
sang. Il faut que tu saches en effet que j'ai été transpercé
par le Christ, aux mains et au côté, et que j'ai eu les stig-
mates pendant dix années de suite. Avec un tampon
d’ouate imprégné de mon sang, une personne de Castel-
lamare di Stabbia a eu une guérison miraculeuse. Il suf-
fisait de frotter le coton sur les yeux, sur le nez, sur le
menton du malade pour le guérir. Tout ceci se produisait
quand j’avais les stigmates et que je connaissais des ex-
tases67. Maintenant, quand je suis en pénitence et en
prière, face contre terre dans ma cellule, les portes s’ou-
vrent toutes seules, malgré des charnières à ressort si ré-
sistantes qu’il faut au moins trois hommes pour les for-
cer. Par ailleurs, je n’ai étudié que jusqu’au cours moyen
première année, puisque j’ai abandonné après être passé
au cours moyen deuxième année. Eh bien, le livre que je
te fais lire, j’ai commencé à l’écrire en faisant le signe de
la croix : « Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit,
faites-moi écrire ce livre. » Je l’ai présenté en trois cha-
pitres. En lisant ce livre, tu dois te dire : c’est un fou.
Comment a-t-il fait pour écrire ces choses ? Et moi je me
déclare fou. Mais ce n’est pas le même genre de folie. Celui
qui est fou en Dieu, Dieu plaisante avec lui. Celui qui est
fou en Dieu reçoit les instructions de Dieu. Celui qui est
fou en Dieu, Dieu joue avec lui. »
Je m'adresse à sa fille : — Est-il vrai que ton père s’élève
au-dessus du sol ?
La fille : — Oui, c’est vrai.
— Combien de fois est-ce arrivé ?
— De nombreuses fois.
— Quelqu’un l’a photographié ?
— Oui, on a même des photos68.
67
J'entrais en lévitation.
68
Comme on a pu l’établir d'après les déclarations de nombreux témoins et d’après
les documents photographiques réunis, Domenico Masselli est l'un des rares
exemples de sujets qui connaissent le phénomène paranormal de la lévitation.
Je demande à Masselli : — Combien de fois as-tu eu des
lévitations dans ta vie ?
— Je ne sais pas, je ne sais pas. Je ne me souviens plus
très bien. Eux, il montre les personnes de sa famille, ils
me disent quand cela m’arrive, mais moi je ne m’en aper-
çois pas. Quand c’est fini, ils me disent aussi que je suis
tout pâle. j
Sa femme : — Il ne se rappelle pas qu’il s’est élevé (en
lévitation) puis qu’il est redescendu.
— Je ne m’aperçois pas quand je m’élève, jamais.
— Et ce que tu as ressenti ou vu « au-dessus », tu t’en
souviens ?
— Je me souviens de ce que la Sainte Vierge m’a fait dire.
Sa femme : — Tout de suite après, il ne se souvient pas.
C’est après que certaines choses lui reviennent. Il parle
avec la Sainte Vierge, et nous on écrit. Le chemin qu’il
parcourait pour aller au Ciel il le décrivait et nous on écri-
vait. Quelque chose de merveilleux, vraiment merveilleux.
— Dans mes livres, il y a dix-neuf « serments » : je parlais
et eux indiquant toujours les membres de sa famille, ils
écrivaient. En 1962, La Sainte Vierge me dit que j’allais
être mis à l’épreuve par le Seigneur ; Elle me dit textuel-
lement : Mon Fils, tu devras prêter serment devant le Sei-
gneur pour lui prouver ta fidélité. Ce fut une longue
épreuve, douloureuse et douce à la fois. Je sentis de dou-
loureuses épines, mais j’eus également des visions su-
blimes, je vis des fleurs jamais vues auparavant, telles
que des roses et des lys bleus au parfum enivrant, un
parfum qui n’a pas son égal sur terre. En cette lointaine
année 1962, au mois de janvier ou de février, je ne me
souviens plus exactement, mon corps revécut pendant au
moins dix-neuf nuits, dès minuit sonné et à la seule lueur
des bougies, et en présence des membres de ma famille et
de quelques-uns de mes premiers fidèles, l’expérience qui
est décrite au début du récit de mon premier voyage au
Ciel. Les épreuves étaient au nombre de dix-neuf, tout
comme les serments. Mais malheureusement seuls seize
d’entre eux ont été transcrits car la personne qui se trou-
vait à côté de moi, ne sachant pas ce qui se passait, pa-
ralysée par l’émotion voire même par la peur en voyant
que mon corps, qui paraissait mort, parlait et ressentait
les choses qu’il disait, ne put faire usage du papier et du
crayon, et à cette personne, étant donné le caractère peu
commun de cette expérience et l’état d’âme particulier
qu’elle exigeait.
Sur ces mots, Domenico Masselli ouvre sur la table dres-
sée pour le repas le livre des serments, que je feuillette et
dont je lis quelques passages.
Le « serment » y apparaît comme la description que fait
l’extatique de ce qu’il est en train de voir et de ressentir.
C’est un récit en vers, simple, dicté par l’émotion et tout
empreint de cette dernière.
Le récit reproduit le ravissement des sens et fait notam-
ment allusion par métaphores au phénomène de la lévi-
tation dont Masselli a tant de fois été le protagoniste.
Dans le « serment » qui suit, l’aventure est encore plus
grande : un voyage dans le ciel comme seuls les sorciers
primitifs peuvent en accomplir et dont le but est la con-
naissance et le prix à payer, la lutte.
5e Serment
69
Extrait du Journal intime de Conchita Gonzales, cité par Francisco Sanchez-Ven-
tura y Pascual, Las appariciones en el Palmar de Trova, Rome-Athènes, 1967.
70
Ibid.
Le récit de cette aventure extraordinaire ne pouvait man-
quer de se répandre immédiatement parmi les habitants
du petit village de Garabandal. La perplexité avait suc-
cédé à la curiosité mais les fillettes adoptèrent face à cela
une attitude très réservée. Elles eurent en effet recours à
des subterfuges pour faire en sorte que l’expérience ex-
traordinaire se répète.
Le 20 juin, arrivées les unes par la route, les autres à
travers champs au lieu de la première apparition, elles
attendirent à genoux et en priant l'arrivée de l’Ange. Mais
l’attente semblait vaine. « Nous nous sommes levées pour
retourner au village », racontera Conchité, « et là nous
avons aperçu une lumière éclatante qui nous barrait la
route. Nous avons poussé des cris de frayeur ».
La lumière disparut, les laissant tout émerveillées, en ex-
tase, heureuses.
Il n’y avait plus lieu d’être réticent quant à l’aventure qui
arrivait aux fillettes, lesquelles, après les premières réac-
tions de scepticisme, se remirent à parler de leurs visions,
ce qui eut pour effet d’attirer les foules.
Le 23 juin devant un nombreux public de fidèles accourus
également des autres villages, l’Ange se présenta de nou-
veau à Conchita, à Maria Dolores, à Giacinta et à Maria
Cruz. Il était environ neuf heures et demie du soir. Lors-
que leur extase prit fin, les Gardes civils accompagnèrent
les visionnaires jusqu’à la sacristie où le curé les attendait
pour les soumettre à un long et minutieux interrogatoire.
Ce n’est qu’après examen des déclarations qu’elles
avaient faites que le curé, le Père Valentino, sortit la nuit
même de la sacristie et révéla, sur le parvis :
— Je les ai interrogées ensemble mais aussi séparément.
Les fillettes ne se contredisent pas. Il apparaît évident,
d’après leurs déclarations, qu’elles voient quelque chose
qui n’est pas de ce monde.
Samedi 24 juin : sur les lieux où l’Ange est apparu, la
foule est si nombreuse que l’on a jugé bon de construire
une enceinte de forme carrée pour protéger les vision-
naires en dressant des barrières tout le long du périmètre
afin qu’elles soient hors de portée des curieux et à l’abri
des chocs accidentels.
Soudain l’Ange apparut : la « lumière » foudroya les fil-
lettes dès qu’elles arrivèrent à l’endroit et avec elle appa-
rut le messager du Ciel. Une inscription se dessina égale-
ment dans le ciel mais les petites visionnaires ne réussi-
rent pas à la déchiffrer car elle était en caractère romain.
Elles demandèrent à l’Ange ce que voulait dire cette ins-
cription. Mais II ne répondit pas.
La stupeur, l'intérêt et l’effervescence allant croissants
dans la région, le sentiment se développait également de
l’attente de quelque chose d’encore plus important.
Le 1er juillet, au milieu de la population se trouvaient éga-
lement à Garabandal des représentants de différents
corps et en particulier de celui des médecins, venus de
différentes localités aux côtés des prêtres. Il faisait encore
jour ; il était dix-neuf heures trente lorsque l’Ange se ma-
nifesta. Les fillettes entrèrent tout de suite en extase. Le
temps passa très rapidement. Il leur sembla que l’appari-
tion avait duré quelques instants alors que de l’avis du
public elle se prolongea pendant deux heures. Dans ce
laps de temps évalué de manière différente, la figure cé-
leste dit aux petites visionnaires qu’il était l'Archange
Saint Michel et, ayant dit cela, il leur fit une révélation
encore plus importante : le lendemain, dimanche 2 juillet,
il accompagnerait lui-même la Vierge. Elle allait appa-
raître sous le nom de « Vierge du Carmel ».
Ce fut alors jusqu’au lendemain une attente fiévreuse
pour les visionnaires mais également pour tous les habi-
tants de la province montagneuse de Santander et des
villages entourant Garabandal.
Le dimanche matin, la messe célébrée avec une solennité
toute particulière se ressentit de cette tension de l’attente.
Aussitôt après le déjeuner, à trois heures de l’après-midi,
on commença, toujours dans l'église, à réciter le chapelet
avec une très vive émotion.
Lorsque la prière prit fin, les fillettes décidèrent de se
rendre à pied à la rencontre des frères de Conchita qui
revenaient de voyage. Elles se mirent donc en marche en
direction de Cosio, sans doute pour tromper une attente
insupportable. Mais après avoir parcouru un peu de che-
min, elles trouvèrent devant elles une multitude de per-
sonnes qui leur barraient le passage. Tous ces gens se
rendaient à Garabandal pour assister à l’apparition de ce
dimanche 2 juillet. Ayant reconnu les visionnaires dont
les photos étaient désormais connues de tous, ils s’élan-
cèrent vers elles, certains les assaillant de questions,
d'autres les photographiant, d’autres encore leur remet-
tant de force des chapelets afin qu’ils soient bénis par la
Sainte Vierge. On voulait également à tout prix leur offrir
des bonbons.
L’agitation était telle quelle vint à être sue au village.
Un garçon partit à cheval de Garabandal pour ramener
les fillettes. Heureusement, une jeep passa peu après et,
le sentier étant envahi par les gens, son conducteur fut
forcé de s'arrêter. Se rendant compte de la situation, il
invita les fillettes à se dépêcher de monter dans son véhi-
cule et il les reconduisit saines et sauves au village.
À six heures, quand arriva le moment de prendre la direc-
tion de la zone des « Pins », il y avait affluence à Garaban-
dal. Parmi ceux qui s'intéressaient à l’étude du phéno-
mène, les médecins figuraient en bonne place. L’Église
était représentée par onze prêtres venus là d’eux-mêmes
ou, comme on peut facilement l’imaginer, envoyés par
leurs supérieurs afin de fournir un rapport précis et cir-
constancié sur les faits.
Les fillettes se dirigeaient déjà vers 1’« enceinte », la zone
protégée par des barrières, quand, n’ayant pas encore pé-
nétré à l’intérieur, elles virent se présenter à elles la
Sainte Vierge accompagnée de deux Anges.
Elles entrèrent aussitôt en extase. On connaîtra les dé-
tails de leurs visions à travers les comptes rendus suc-
cessifs qu’elles en feront oralement et par écrit.
Les visionnaires reconnurent tout de suite dans l’un des
Anges l’Archange Saint Michel. Elles ne connaissaient pas
l’autre. Mais tous les deux avaient le même aspect et des
vêtements identiques, « comme des jumeaux ».
La vision était cependant encore plus riche. Elle compor-
tait également un tableau flamboyant qui se trouvait à la
droite de la Vierge et duquel se détachait une figure géo-
métrique, un triangle pour être précis. Au centre du
triangle était dessiné un œil.
Dans le triangle toujours figurait une inscription en ca-
ractères étranges, apparemment des caractères orien-
taux.
Les fillettes commencèrent à parler avec la Sainte Vierge.
Elles étaient visiblement en extase mais conservaient un
air naturel. L'assistance n’entendait pas les mots échan-
gés, ils furent rapportés par la suite. C’étaient des mots
simples : les fillettes parlèrent d’elles et de leur vie à la
Sainte Vierge ; « Nous lui disions que nous allions dans
les champs, que nous étions bronzées, que nous devions
entasser les foins... La Sainte Vierge riait des choses que
nous lui racontions »71.
En parlant de l’Archange Saint Michel, l’une des fillettes
fit une déclaration ingénue :
— J'ai un frère qui s’appelle Michel lui aussi, mais sans
le « saint ».
Ce fut au tour de ses compagnes de rire. Puis tout à coup,
si l’on en croit toujours le récit qui fut fait plus tard, l’at-
mosphère de la rencontre changea, tant par le ton du dia-
logue que par le genre de l’iconographie qui l’accompa-
gnait. La Vierge annonça en effet aux fillettes quelque
chose de grave :
— Le coupe est déjà presque pleine, dit-elle à voix basse.
Et les fillettes virent se dessiner dans l’air une grande
71
Extrait du Journal intime de Conchita Gonzales, op. cit.
coupe de laquelle débordaient des gouttes dont elles n’au-
raient su dire s’il s’agissait de larmes ou de sang.
Alors, tandis qu’une grande tristesse envahissait son vi-
sage, la Vierge commença à parler d’un grand châtiment
divin qui planait désormais sur l’humanité.
« Nous ne l’avions jamais vue aussi sérieuse », déclarera
Conchita. « Et en prononçant ces mots, “la coupe est déjà
presque pleine”, elle parlait d’une voix très basse. »
Après cette terrible annonce qui eut pour effet de commu-
niquer à celles qui l’entendirent la profonde tristesse affi-
chée par l’apparition, la Vierge commença à réciter les
prières du Rosaire en apprenant aux fillettes à prier len-
tement. Les ayant incitées à se joindre à Elle dans la
prière, Elle les laissa continuer seules, ne récitant plus
quant à elle que le Gloria Patri.
Le chœur des Ave Maria et des autres prières familières
cessa. Alors, devant le regard stupéfait et fasciné de Con-
chita, Maria Dolores, Giacinta et Maria Cruz, la Vierge
sembla s’apprêter à partir. Elle les quitta en effet « en se
volatilisant dans les airs ». Les fillettes la saluèrent en fai-
sant des signes de la main.
Au cours des jours qui suivirent, la vision fut amplement
commentée. C’est ainsi que lorsque se produisit l’appari-
tion du 29 juillet les consciences étaient en un certain
sens prêtes à accueillir le compte rendu d’une expérience
encore plus incroyable que les précédentes.
Le 29 juillet en effet, les quatre petites visionnaires de Ga-
rabandal entendirent de la Sainte Vierge les derniers dé-
tails du message qu’elles furent priées — toujours par la
Vierge — de ne pas divulguer avant le 18 octobre de cette
année-là, l’année 1961.
À un moment donné, les fillettes dirent à la foule qu’elle
devait s’éloigner, que c’est ce que souhaitait la Sainte
Vierge. La foule s’exécuta. Les rares personnes qui se
trouvaient encore à côté d’elles virent les fillettes, toujours
en extase, prendre un air triste et presque effrayé :
— Elles pleurent ! s’exclama la mère de l’une d’entre elles.
À ce moment précis — on le saura plus tard — la Vierge
était en train de leur révéler un secret qu’elles devaient
garder pour elles. Et tout laisse supposer qu’il s’agissait
de l’annonce de quelque chose de très grave, non pas tant
pour les fillettes elles-mêmes que pour l’humanité tout
entière.
Le 18 octobre 1961, les gens accoururent de toute l’Espa-
gne à Garabandal. La nouvelle s’était répandue partout :
les quatre fillettes allaient révéler le message que leur
avait confié la Vierge. Presque tous nourrissaient par ail-
leurs le secret espoir d’assister ce jour-là à un grand pro-
dige, comme à Fatima. Il pleuvait, mais bien que trempés,
les gens attendaient, les pieds dans la boue.
Il avait d’abord été décidé dans un premier temps que les
fillettes allaient révéler le message dans l’Église. Mais la
Commission chargée de contrôler de près les événements
de Garabandal imposa ses vues, à savoir que le message
devait être lu sur les lieux de l’apparition.
C’est par conséquent au lieu-dit Les Pins, à dix heures du
soir, sous une pluie battante et à la lumière d’une lan-
terne que l’une des quatre fillettes sortit de sa poche un
morceau de papier et lut, d’une voix toute tremblante, ce
qui y était écrit et qui avait précédemment était signé de
la main des quatre visionnaires avec mention de l’âge de
chacune.
On avait du mal à saisir les mots, aussi, au terme de la
lecture, l’une des personnes de l’assistance prit-elle la
feuille et relut-elle le contenu. « Il faut faire beaucoup de
sacrifices et de pénitence. Nous devons beaucoup fré-
quenter le Très Saint. Mais avant tout il nous faut être
très bon. Et si nous ne le sommes pas, un châtiment très
grand s’abattra. Déjà la coupe se remplit72 et si nous ne
changeons pas, le châtiment viendra. »
Par son extrême simplicité, le contenu du message sema
la perplexité parmi l’assistance. Par ailleurs le désir de
voir s'accomplir quelque prodige à l’appui des révélations
faites par les visionnaires ne fut cette fois pas satisfait. La
déception et le doute gagnèrent désormais les observa-
teurs des faits de Garabandal.
Conchita écrit dans son journal : « Étant donné que nous
avons beaucoup insisté auprès de la Vierge et de l’Ange
pour qu'ils fassent un miracle, le 22 juin, au moment où
j’allais recevoir la Sainte Communion, Elle me dit : « Je
ferai un miracle ; ce ne sera pas moi qui le ferai mais Dieu,
par mon intercession et la tienne. »
« Je lui demandai : “Quel sera ce miracle ?.”, et l’Ange me
répondit : "Quand je te donnerai l’hostie, tous la verront
sur ta langue". Je réfléchis un instant puis je lui dis : «
Mais quand tu me donnes la Communion, ils la voient
72
C'est nous qui soulignons.
bien l'hostie sur ma langue. » Mais l’Ange me dit que non,
que les gens ne la voyaient pas mais que ce jour-là où se
produirait le miracle ils la verraient. Je lui dis : « Mais ce
miracle est bien petit », et il se mit à rire. Après m’avoir
dit cela, il s’en alla. »
Le jour suivant, le 23 juin, Conchita s'approcha à nou-
veau de l'autel pour recevoir la Communion et elle la reçut
des mains de l’Ange. Elle lui demanda encore quand le
miracle allait se produire. L’Ange lui répondit que ce se-
rait la Vierge elle-même qui lui ferait savoir la date.
Conchita vit alors apparaître la Vierge et lui fit la même
demande. La Vierge lui répondit que le vendredi suivant
elle allait entendre une voix : cette voix devait lui révéler
la date.
« Le vendredi arriva et, comme me l’avait dit la Sainte
Vierge, alors que je me trouvais aux Pins j’entendis une
voix que me dit que le miracle allait avoir lieu le 18 juil-
let... La voix me dit aussi : “Le petit miracle, comme tu
l’appelles” »73.
Le « petit miracle » devait consister en une « Communion
visible ». C’est ce que soutenait Conchita Gonzales. Pour
annoncer à tous le miracle, elle se mit à écrire quantités
de lettres qu'elle envoya un peu partout. Le Père Valen-
tino lui suggéra de ne pas trop en faire, mais Conchita ne
voulut rien savoir, disant qu’elle écrivait parce que l’Ange
le lui avait demandé. Une lettre fut également adressée à
l’Évêque de Santander, par l’intermédiaire d’un prêtre, le
73
Extrait du journal de Conchita, op. cit.
Père Placido Ruiloba Arias, résidant lui aussi à Santan-
der.
Le 18 juillet 1962, alors que les pèlerins affluaient à Ga-
rabandal, deux groupes s’étaient formés près de la mai-
son de Conchita : l’un récitait le chapelet et l'autre dan-
sait au son des musettes et des tambourins. Un prêtre fit
alors observer que si l’on continuait à danser le miracle
n'allait pas avoir lieu. Mais Conchita répliqua : « Danse
ou pas danse, le miracle aura lieu. »
Lorque la nuit fut tombée », poursuit Conchita, « les gens
commencèrent à s’agiter car il était déjà tard. Mais moi je
ne doutais pas car l’Ange et la Vierge m’avaient dit que le
miracle aurait lieu et jamais auparavant ils ne m’avaient
dit que quelque chose devait arriver sans que cette chose
se produise réellement. À dix heures j’avais entendu un
appel, puis un autre encore à minuit. À deux heures du
matin, l’Ange m’apparut dans ma chambre. À la maison,
il y avait ma mère, Aniceta, mon frère Aniceto, mon oncle
Elias, ma cousine Lucia et Maria del Carmen Fontaneda,
d’Aguilar del Campo. L’Ange s’attarda un peu et me dit
comme les autres fois : « Récite le Confiteor et pense à
Celui que tu vas recevoir ». C'est ce que je fis, après quoi
il me donna la Sainte Communion. Puis il me dit de réci-
ter l’Anima Christi et de rendre grâce au Seigneur en gar-
dant la bouche ouverte jusqu'à ce qu'il disparaisse et
qu’arrive la Sainte Vierge. Ce que je fis. Lorsqu'apparut la
Vierge, Elle me dit que tous ne croyaient pas encore ».
Dans le récit de Conchita, certains passages essentiels
relatifs au déroulement des faits font défaut. Ces lacunes
sont cependant facilement explicables étant donné que la
fillette était en extase et qu’elle ne se rendait pas compte
de tout ce qu'elle faisait.
L’extase l’avait en effet surprise dans sa chambre d’où elle
était sortie la tête tournée vers l’arrière. C’est dans cette
attitude qu’elle avait descendu l'escalier et qu’elle était
apparue dans la rue. Les gens s'étaient alors pressés au-
tour d’elle, l’entourant de si près qu’ils l’empêchaient de
marcher. Elle parvint à grand peine à l’angle de la rue. Là,
elle tomba si violemment à genoux que l’on peut mesurer
dans toute son ampleur l’intensité de l’extase dans la-
quelle elle était plongée. Dans cette position elle sortit la
langue. Ceux qui se trouvaient à côté d’elle constatèrent
qu'il n’y avait rien sur sa langue. Mais tout à coup, en une
fraction de seconde, ils virent apparaître une hostie
blanche d’une certaine épaisseur qu’elle garda sur la
langue pendant un petit moment.
Ce « petit miracle » ne constitue cependant pas la preuve
ultime et définitive des apparitions de Garabandal, tou-
jours selon Conchita Gonzales qui continue à en être con-
vaincue.
Il y aura en effet un grand miracle, affirme-t-elle, un
énorme prodige qui obligera tout le monde à croire en la
présence effective de la Vierge au milieu des hommes, et
en particulier en sa venue au sein de la population du
petit village des monts Cantabriques.
Le mythe de Garabandal où, à l'heure où nous écrivons,
en 1986, l’événement annoncé ne s’est encore pas pro-
duit, continue à vivre dans la foi et l’espérance des gens,
en fonction précisément de ce grand miracle qui doit ar-
river.
Selon Conchita :
— Le châtiment que nous méritons est si grand que le
miracle sera à la mesure de ce dont le monde a besoin. Il
sera à la fois grand et spectaculaire.
Et la visionnaire a laissé entrevoir certains détails de ce
miracle. Il aura lieu un jeudi, à vingt heures trente, lors-
que l’Église célèbre un saint ayant un rapport avec le Sa-
crement de l'Eucharistie. Le prodige durera quinze mi-
nutes et pourra être vu de tous ceux qui se seront rendus
à Garabandal ou qui se trouveront dans les environs. Les
malades seront guéris. Les incroyants seront convertis.
« Ce sera le plus grand miracle que Jésus ait accompli
pour l’humanité. Il ne sera absolument pas possible de
douter qu’il vient de Dieu et qu’il est accompli pour le bien
de l’humanité. Il restera toujours trace du miracle dans
la zone des Pins. Il pourra être filmé et retransmis à la
télévision »74.
Pour quelle raison la Vierge est-elle apparue à Garaban-
dal ? La prophétie évoquée plus haut n'apporte aucun
éclaircissement sur ce point. L’humanité doit se conver-
tir : c’est ce que dit Conchita Gonzales à propos de la mis-
sion sur la terre de la Reine des Cieux. Le miracle qui est
censé convaincre ceux qui doutent sera précédé d'un
avertissement :
« La Vierge me l’a révélé le 1er janvier 1965, aux Pins. Je
74
Selon F. Sanchez-Ventura y Pascual : « Nous conservons les originaux de ces notes
écrites de la main de Conchita. En les retranscrivant, nous avons jugé bon d’en res-
pecter le style en corrigeant toutefois les erreurs d’orthographe et la ponctuation,
pour en faciliter la lecture.
ne peux dire en quoi il consistera, car Elle ne m’a pas
chargée de le faire savoir. Elle ne m'a pas dit quand il se
produira et je ne le sais donc pas. Je sais une chose, c’est
qu'il pourra être vu dans le monde entier ; il sera l’œuvre
directe de Dieu et interviendra avant le miracle. Je ne sais
si des gens mourront. Il se pourrait qu’à sa vue certains
meurent simplement d'émotion. »
Conchita ajoute :
« Cet avertissement sera comme une sorte de châtiment
pour les bons et les méchants, destiné à rapprocher da-
vantage les bons de Dieu et à avertir les méchants que la
fin des temps approche et que ce sont là les derniers aver-
tissements. C’est très long, je ne peux l’expliquer dans
une lettre. C’est une chose inévitable. Elle doit se pro-
duire, même si l’on n’en connaît ni la date ni l’heure. »
Il est probable que ni l’avertissement ni le miracle annon-
cés n’inciteront l’humanité à revoir sa manière de vivre.
Alors viendra le châtiment : « S’il se produit, je sais en
quoi il consistera, car la Vierge me l’a dit, mais je ne peux
le révéler. D’ailleurs, j’ai vu le châtiment. Oui, je peux af-
firmer que s’il se produit ce sera pire que si nous étions
encerclés par le feu, pire que si nous avions le feu en des-
sous et au-dessus de nous. Je ne sais combien de temps
il s’écoulera avant que Dieu ne nous l’envoie, une fois qu’il
aura accompli le miracle attendu. »
Le dernier message de la Vierge du Carmel dont nous
ayons connaissance remonte au 18 juin 1965. Il fut confié
par Conchita Gonzales au Père Serra dans l’église, à la fin
de la messe. Celui-ci se rendit ensuite devant la maison
de la visionnaire où une foule nombreuse était rassem-
blée. Il lut le message dans trois langues, en espagnol, en
français et en italien. Le Père Marcellino Andreu le lut en
anglais. En prenant connaissance de son contenu, les
gens se mirent à pleurer. Beaucoup le recopièrent.
« Message que la Très Sainte Vierge a délivré au monde
par l’intermédiaire de Saint Michel.
L’Ange a dit : étant donné que son message du 18 octobre
n’a pas été suivi d’effets et n’a pas été diffusé, je vous dirai
que celui-ci est le dernier. Auparavant, la coupe se rem-
plissait, maintenant elle est en train de déborder. De nom-
breux prêtres sont sur la voie de la perdition et entraînent
beaucoup d’âmes derrière eux. De jour en jour l’Eucha-
ristie perd de son importance. Il nous faut éviter la colère
du Bon Dieu qui se trouve au-dessus de nous, de toute
notre force. Si vous Lui demandez pardon, avec sincérité,
Il vous pardonnera. Moi, votre Mère, par l’intermédiaire
de l’Archange Saint Michel, je veux dire qu’il faut vous
corriger. Vous en êtes déjà aux derniers avertissements.
Je vous aime beaucoup et je ne veux pas votre condam-
nation. Implorez-nous d’un cœur sincère et nous vous don-
nerons. Vous devez davantage vous sacrifier. Pensez à la
Passion de Jésus.
Conchita Gonzales, 18 juin 1965 »
75
In : « Le Minifestazioni straordinarie mariane », de Giuseppe Besutti.
Garabandal consacrée à l’Archange, il devait lui aussi
mourir brutalement le 1er mai 1969, journée dédiée à la
Vierge.
76
Michel Nil, Les Apparitions de la Très Sainte Vierge Marie en Égypte en 1968-
1969, Paris, Tégui, 1980.
notamment d’Europe, étaient nombreux à affluer dans la
capitale égyptienne, se déroulait entre le jeune homme,
qui habitait avec sa famille dans une banlieue du Caire
dénommée Zeitoun, et un prêtre catholique venu de
France. La maison, située à l’angle de deux rues silen-
cieuses, se trouvait à côté d’une petite église consacrée à
Marie, dans le vieux Caire. C’est un quartier populaire.
Au milieu des maisons de couleur ocre, sur lesquelles est
passée la patine du temps, l’édifice couvert de chaux
blanche, qui est aussi le siège de la paroisse de cette zone,
se caractérise par son style et par la forme de ses cou-
poles.
À l’intérieur, une mosaïque explique la raison pour la-
quelle l’église a été dédiée à Marie. La surface concave de
la coupole centrale est d’ailleurs entièrement couverte
d’une mosaïque représentant la Vierge. Elle apparaît sur
un fond de ciel brillant de milliers d’étoiles, auréolée d’une
grande lumière.
Moshen répondait poliment aux questions de son interlo-
cuteur.
Il prenait en fait beaucoup de plaisir à se remémorer et à
raconter l’histoire extraordinaire dont il avait été par ha-
sard le témoin quelques années auparavant.
C’était donc un soir d’avril, entre huit heures et neuf
heures du soir. Un vacarme s’éleva tout à coup de la rue
qui longeait l’église. Quelque chose d’insolite était en train
de se produire tout près, lui rapportèrent les domes-
tiques. Certaines personnes voyaient une lumière, «
quelque chose » qui n’était pas normal, là-haut, au-des-
sus de l’église... L’agitation continua au fil des heures, si
bien qu’il resta éveillé toute la nuit. Le matin suivant,
Moshen inspecta les parages et pu voir les traces de l’af-
fluence du public sur les lieux : paquets de cigarettes jon-
chant le sol, boîtes de conserve... Le jardinier de l’église,
qui était également le jardinier de sa famille, lui fit savoir
ce qu’il en était. Il semblait que des faits extraordinaires
s’étaient produits à cet endroit ; et comme toujours dans
ce cas, les témoins étaient divisés entre ceux qui croyaient
à une intervention surnaturelle et ceux qui demeuraient
sceptiques.
C’est ainsi que la nuit suivante le jeune Moshen s’installa
en face de l’église, et plus précisément dans un garage
d’où il pouvait voir la coupole où se produisaient les ap-
paritions présumées. Il avait amené avec lui son appareil
photo et le matériel nécessaire pour enregistrer l’événe-
ment de manière objective, concrète et irréfutable.
Il était environ sept heures quand un grand nombre de
gens commença à se rassembler jusque sur les toits.
— Alors j’ai dit : « Bon. Je rentre. » et je suis revenu ici.
J’avais plutôt peur pour la maison, pour ma mère, pour
mes sœurs. J’ai donc quitté et je suis revenu, surtout qu’il
faisait de plus en plus obscur et puis qu’on ne voyait rien.
Jusqu’à ce que, vers dix heures, onze heures, les hurle-
ments commencent. C’était les débuts de l’apparition.
Alors là, je n’ai pas pu descendre parce que la foule était
jusqu’à la porte de la maison (il y a peut-être trois cents
mètres de chemin entre nous et l’église). C’était impos-
sible d’arriver. Alors, vers minuit, il y a des copains qui
sont venus, qui ont tapé à la porte : c’étaient des copains
de l’école, qui savaient que j’habitais là. Ils ont dit : « On
a soif ». « Ils ont bu »77.
Parmi les personnes qui avaient frappé à la porte, il y
avait un garçon du genre qui ne croit en rien. C’est juste-
ment lui qui prit Moshen par le bras et lui dit :
— Il faut que tu ailles voir. Moi je ne crois à rien. Eh bien,
c’est la première fois que je commence à croire à quelque
chose.
« Ils étaient cinq ou six copains », continua à raconter le
jeune Moshen. « Alors là, on y est allé. Ils se sont tous
tenus par la main et ils ont fait un petit cercle et puis ils
m’ont mis au milieu. Alors on a commencé à pousser pen-
dant une demi-heure, jusqu’à ce qu'on soit arrivé juste
devant la porte de l’église. C’est là où... c’est l’angle où on
pouvait voir l’apparition. À ce moment-là, bien sûr, dès
que vous voyez ça, vous tombez sous le choc : vous
voyez... La Vierge... ou bien un éclairage qui ressemble,
qui ne peut être que ça. Alors, c’est une personne qui est
là, en lumière, elle n’était qu’en lumière. Et puis là, c'est
tellement réel, c’est réellement beau, vous voyez... Je ne
peux pas vous expliquer, on ne peut pas voir quelque
chose de plus beau que ça. C’est une personne, vous
voyez, vous sentez, qui est là, sourit, qui veut parler, qui
veut dire quelque chose au monde, qui est en train de
donner quelque chose... une bénédiction... je ne sais pas
comment expliquer ça... »78
L’apparition de Zeitoun s’était produite le 2 avril. La revue
77
Ibid. (En français dans le texte).
78
Ibid. (En français dans le texte).
française « Le monde copte » 79 donna un compte rendu
fidèle des débuts du phénomène :
79
N° 1, pp. 28-32.
80
En français dans le texte.
C’est Adel Youssef Ibrahim, dix-huit ans, fils du Père
Youssef Ibrahim, l’un des prêtres de la paroisse, qui leur
ouvrit. Le père et le fils sortirent et constatèrent que ce
que les hommes leur avaient dit était vrai. Ils se précipi-
tèrent donc pour aller avertir leur supérieur. Entre temps,
une foule s’était rassemblée dans la rue et elle grossissait
de plus en plus. Les gens se regroupaient à l’endroit d’où
l’on pouvait apercevoir, en regardant vers le haut, la sil-
houette étrange. La circulation fut interrompue dans la
rue Touman-Bey. Sorti dans la rue, le goumous regarda
vers le haut, à l’endroit qu’on lui avait indiqué : et quel ne
fut pas son émerveillement lorsqu'il reconnut l'image de
la Sainte Vierge. Voici son rapport :
« Rapport du curé de la paroisse.
Le père Constantin Moussa, curé de la paroisse, établit
un rapport officiel dans lequel il écrit en particulier :
Après cette soirée mémorable, la Sainte Vierge apparut
plus d’une fois et fut aperçue par différentes autres per-
sonnes, parmi lesquelles M. Michel Soliman et sa famille
qui habitent en face de l’église.
La Sainte Vierge apparut de nouveau le 9 avril. La nuit
suivante, aussi bien les Sœurs d’une école voisine que
mon fils aîné, élève ingénieur, me dirent avoir de nouveau
aperçu la Sainte Vierge. Je me précipitai sur la place et je
vis l’apparition, cette fois sous la forme d’un buste dans
l’une des ouvertures du dôme du côté nord-est de l’église.
C’était un corps lumineux doré » 81.
81
Ibid, En français dans le texte.
L’apparition de la Vierge était souvent précédée de diffé-
rents signes précurseurs. De mystérieuses lumières éclai-
raient le ciel. Ou bien l’on voyait un globe lumineux, si
resplendissant que ce n’est qu’après quelques minutes
que le regard réussissait non sans mal à distinguer dans
celui-ci la forme de la Vierge.
« D’autres fois, des décharges d’éclairs silencieuses ou
bien encore ce qui semblait être une chute d'étoiles ou
une pluie de diamants. Assez fréquemment, la lumière
apparaissait à l’un des dômes puis éclairait toute la toi-
ture et le dessus des dômes. Il arriva même qu’on vit la
Sainte Vierge sortir graduellement d’un dôme alors que
toutes les vitres en sont fixées à demeure sans pouvoir
être ouvertes »82.
De nuit, on voyait parfois son corps sortir en entier du
nuage lumineux ; parfois, seul son buste apparaissait
mais toujours auréolé de lumière. La formation de lu-
mière allait se glisser dans l’espace entre les coupoles ou
se déplaçait d’une coupole à une autre. Tantôt elle s'incli-
nait devant la croix située au sommet de l’édifice, tantôt
elle se tournait vers la foule et la bénissait. On vit égale-
ment des cortèges de créatures surnaturelles sous la
forme de colombes au vol rapide. Tout ceci durait un cer-
tain temps. Le 30 avril de cette année-là, la vision se pro-
longea pendant deux heures et quart : de deux heures
quarante-cinq du matin à cinq heures, c’est-à-dire
jusqu’à l’aube.
On vit également la Vierge apparaître à Zeitoun avec un
82
Ibid, En français dans le texte.
petit rameau d’olivier à la main. Elle avait l’apparence
d’une adolescente. Entourée d’une lumière blanche, elle
était tout de blanc vêtue. Tous les éclairages de la rue
furent éteints pour confirmer la vision, qui apparut plus
clairement.
« Ah ! Quelque chose qui est encore plus étrange... à son
apparition, c’étaient là les pigeons blancs » — disaient en-
core quelques années plus tard les témoins de ces événe-
ments. « Tout le monde le sait, les pigeons ne volent ja-
mais la nuit. Il n’y a qu’une seule sorte de pigeons qui
vole la nuit : cette sorte-là est très rare en Égypte. Il n’y a
que quelques amateurs qui ont cela. Or la quantité de pi-
geons qui a été vue à l’époque des apparitions est très
grande... Tout d’abord, ils étaient d’une dimension
géante... blancs, blancs, blancs ; et ils volaient tous en
rayonnant depuis le point où apparaissait la Vierge » 83.
Même les rapports officiels et les comptes rendus des
journalistes mirent fortement l’accent sur ce phénomène
singulier :
« Un autre phénomène particulier à ces manifestations fut
la présence de créatures ressemblant à des oiseaux, plus
gros que des colombes, d’un blanc immaculé, lumineux.
Ils étaient vus avant, pendant et après les apparitions,
parfois même les nuits sans apparitions. Ils surgissaient
d'un coup et disparaissaient de même. Ces formes vo-
laient plus vite que des colombes, sans un battement de
leurs ailes déployées. Elles semblaient glisser dans l'air
plutôt que voler. Leur nombre : deux, trois, six ou plus.
83
Ibid, En français dans le texte.
Elles se disposaient en formations : en triangle, en croix
ou en lignes parallèles » 84.
Ce qui est tout aussi surprenant c’est que l’on réussit à
obtenir, en prenant des photographies, la preuve irréfu-
table des apparitions non seulement de la Vierge mais
également des mystérieux oiseaux, qui furent impression-
nés sur la pellicule. Cependant, malgré de nombreux pro-
diges, la Vierge ne fit jamais entendre sa voix. Mme Claire
Choukri, habitant rue Nassour, déclare en effet : « Samir
(mon mari) a vu la Vierge. Moi aussi je l’ai vue. Elle avait
comme une couronne et un chapelet à la main. Elle est
restée longtemps. Oui, elle avait le chapelet à la main. Elle
était comme une statue85.
La Vierge avait une façon particulière de se déplacer : elle
ne marchait pas mais glissait dans l’air, et son vêtement
gonflé par le vent flottait autour d’elle. Une auréole
blanche lui ceignait le front. Son visage était parfois sou-
riant, parfois grave et comme attristé. »
Il est facile d’imaginer la foule des curieux qui se rassem-
blait autour de l’église de Zeitoun : jour et nuit, les gens
se déversaient sur les terres environnantes. Les mar-
chands ambulants en profitaient pour spéculer sur cette
clientèle inespérée. En raison des perturbations qui en
résultaient pour la circulation, le gouvernement, et plus
précisément le Ministère de l’intérieur et celui du Tou-
risme, ordonnèrent la démolition de plusieurs taudis afin
84
« Le Monde Copte », op. cit. (En français dans le texte).
85
En français dans le texte.
de dégager un espace libre permettant aux gens de se ras-
sembler et d’aller et venir.
« La Sainte Vierge sembla favoriser de ses visites les nuits
de ses fêtes — les fêtes mariales sont nombreuses dans
l’Église orthodoxe : trente-deux dans l’année. C’est tou-
jours pendant la nuit, entre neuf heures du soir et six
heures du matin qu’eurent lieu les apparitions. Parfois
elles ne duraient que quelques minutes, parfois, jusqu’à
une, deux heures et plus. Elles pouvaient aussi s’inter-
rompre et reprendre plus d’une fois dans la même nuit
(...) Dans la nuit du 8 juin 1968, une apparition dura sans
interruption de neuf heures du soir à quatre heures et
demie du matin (...) Les pèlerins, surtout ceux qui ve-
naient de loin, s’assemblaient sur les lieux plusieurs
nuits de suite afin de bénéficier d’une ou même de plu-
sieurs apparitions »86.
Le rapport du Ministère du Tourisme, rédigé à l’occasion
de cet événement, dit textuellement qu’« une foule très
nombreuse de toutes nationalités, religions, conditions,
position sociale ou activité, des gens de tous les âges, ma-
lades ou en bonne santé, remplissent les quatre rues qui
entourent l’église et regardent en direction des coupoles
de cette église, attendant impatiemment de voir la Vierge».
Les journaux, la radio, la télévision diffusèrent partout la
nouvelle. Les autorités, tant civiles que religieuses, se
rendirent sur les lieux. Ambassadeurs et consuls des
pays étrangers vinrent également afin de fournir à leurs
86
M. Nil, op. cit. (En français dans le texte).
gouvernements respectifs des informations sur cet événe-
ment.
La Vierge apparut au-dessus de la coupole de l’église de
Zeitoun pendant quatorze mois. D’après les statistiques,
cinquante mille personnes en moyenne par nuit accouru-
rent pour la voir. On atteignait même parfois les cent mille
personnes voire davantage.
Cette foule immense acclamait « avec enthousiasme » —
disent les chroniques — chaque visite de Marie. Et toutes
les populations religieuses se mirent à l’invoquer dans
une grande ferveur : les musulmans en récitant les ver-
sets du Coran, les coptes, les orthodoxes et les catho-
liques en priant et en chantant des cantiques en arabe,
d’autres en priant en grec. Mais la véritable toile de fond
de cette polyphonie est un retour aux chants de l'Égypte
pharaonique : ce n’est pas un hasard si la Vierge est ap-
parue non loin d’Héliopolis, la ville que les anciens Égyp-
tiens avaient consacrée au Soleil.
À une époque plus récente Héliopolis a vu la construction
d’un temple dédié à Notre-Dame de Fatima et destiné tout
particulièrement à rappeler le prodige solaire survenu le
13 octobre 1917 à Fatima, au Portugal, où la Vierge avait
donné à la multitude rassemblée un signe de sa présence
réelle. C’est d’ailleurs sous l'apparence de l’astre solaire
que certains virent la Vierge à Zeitoun :
« C’était la veille du cham-el-nessim (fête du début de
l’été), vers le 13 avril. Nous sommes venus vers neuf
heures du soir. Nous avons veillé. Il y avait une cinquan-
taine ou une centaine de personnes. Nous avons chanté
des cantiques à la Vierge : "Ave Maria”, tout ça. Et puis,
de la chapelle (= de l’église), du côté de la petite ruelle,
nous avons vu (sortir) une lumière qui n’était pas nor-
male : quelque chose comme le soleil, orange, puis une
auréole comme dans une icône : c’était celle de la Vierge
et celle du petit Jésus, qui sortaient de la coupole. On a
crié, on a chanté, on a applaudi, on a tout fait !... On ap-
plaudissait, on applaudissait. Il y avait même l’actrice
Leila Mourad... »87
Les musulmans ne furent pas les derniers à vouloir té-
moigner sur ces faits : Mahmoud Abd-el-Rahman, jour-
naliste à « El Masaa », Hamdy Hiraz, député de Zeitoun à
l’Assemblée Nationale, Mahmoud Naguib, correspondant
de presse du journal « Al Gomhoreya », Mohamed Hassan,
de la Société de Lunetterie Nagi, Mustafa Mohamed El-
Kabbani, comptable à l’institut du Pétrole et Mohamed
Raafat Mahmoud, chef comptable, tinrent à apporter leur
témoignage.
Le 23 avril 1968, S.S. Kyrillos VI, pape d’Alexandrie et pa-
triarche de la Prédication de Saint-Marc, institua une
commission chargée d’étudier ces phénomènes. Cette «
délégation provisoire » était composée du Père Guirguis
Matta, directeur général de l'Office papal ; du Père Hanna
Abd-el-Messih, député, membre de la Commission des Af-
faires ecclésiastiques ; du Père Benjamin Kamel, secré-
taire privé de S.S. le Pape. Après une étude approfondie,
ils déposèrent un rapport officiel confirmant les faits... :
87
Ibid. (En français dans le texte).
Déclaration papale
Rapport du Gouvernement
88
En français dans le texte.
89
En français dans le texte
lement témoin des événements extraordinaires de Zei-
toun :
« Lors de notre visite, nous vîmes des infirmes sur des
brancards, à l’intérieur et tout autour de l’église, partout.
On lisait également régulièrement dans les journaux des
articles annonçant que la Vierge avait fait un miracle à
Zeitoun. Riad Nagib Aziz a écrit un livre après avoir mira-
culeusement recouvré la vue90 »
Le chef de l’église copte fit quant à lui la déclaration sui-
vante : « Les apparitions sont autant de signes de la bien-
veillance du ciel à l’égard de la terre sur laquelle elles se
produisent. Sur notre terre d’Égypte, la Vierge fut accueil-
lie de manière bienveillante. Il n’y a donc rien de surpre-
nant à ce que l’on constate aujourd’hui que le ciel a voulu
honorer le peuple égyptien, qui croit en Celle qui est bénie
entre toutes les femmes et La vénère... Ses apparitions (à
Zeitoun) sont bien réelles, elles ont été observées par
nombre de nos catholiques dignes de foi. »
On émit également l’hypothèse que, reconnaissante en-
vers le peuple égyptien qui lui avait généreusement offert
l’hospitalité au moment où elle avait dû fuir sa terre na-
tale, Marie venait lui porter la paix et lui redonner espoir
à un moment où régnaient la pénurie et le décourage-
ment. L’apparition se produisait en effet à la date anni-
versaire de la désastreuse « guerre des six jours » qui avait
opposé l’Égypte à Israël.
La rue Touman-Bey, où se dresse l'église de la Vierge, est
90
Riad Nagib Aziz, Promesse de la Lumière, le Caire, 1970.
en fait à mi-chemin entre Matariah et Le Caire. Or, à Ma-
tariah se trouve l’Arbre de la Vierge et au Caire la Maison
de Marie, toujours vénérés par les fidèles. Marie serait
donc revenue pour revoir le chemin qui, environ deux
mille ans auparavant, à l’époque de la fuite en Égypte,
l’avait conduite « de l'abri sous l’Arbre à l'abri dans la Mai-
son ».
C’est ce que pensèrent les gens.
En souvenir des apparitions de Zeitoun, il a été construit,
au centre d’une grande cour située dans les vieux quar-
tiers du Caire, un oratoire surmonté d’une coupole sem-
blable à celle au-dessus de laquelle restait suspendu le
nuage de la Vierge. L’oratoire, qui se trouve au sud-est de
l’ancienne église de la Vierge, est dédié à « Notre-Dame de
la Lumière. »
VI
Messages et prodiges
aux cœurs innocents
91
C’était le 11 février 1858. Bernadette allait avoir 18 apparitions au total jusqu’au
Bernadette (14 ans), sa sœur Toinette (11 ans) et leur
amie Jeanne Abadie, dite Baloume (13 ans) s'étaient
aventurées vers l’extrémité du champ où le gave confluait
avec un canal, au-delà duquel se découpait l’arête ro-
cheuse de Massabielle. Au pied de ces roches, on trouvait
du petit bois et des os en abondance. Les deux autres fil-
lettes s’étaient dépêchées de traverser le ruisseau à l’en-
droit où il pouvait être passé à gué avant de se jeter dans
le gave. Bernadette quant à elle hésitait, pensant à son
asthme, à la fièvre qu’elle avait, aux recommandations de
sa mère et ne voulant pas mouiller ses bas dans l’eau.
Mais devant les appels de ses deux compagnes, qui ne
pouvaient venir la chercher pour la porter de l’autre côté
de la rive, elle prit courage. Elle pensa tout d’abord à en-
lever ses bas, pour ne pas les mouiller. Elle se pencha et
en ôta un.
C’est alors qu’elle eut la sensation d’être effleurée par un
mystérieux courant d’air, « comme un coup de vent »...
Elle s’était penchée de nouveau pour enlever son second
bas lorsqu’elle entendit encore le bruissement du souffle
de vent... Elle s’arrêta dans son geste et leva la tête en
regardant instinctivement devant elle : en haut de la
grotte qui s’ouvrait sur le versant rocheux, à droite, il y
avait une niche sur laquelle un buisson agite encore son
feuillage et l’obscurité de cette niche s’éclaira tout à coup :
apparut une jeune femme vêtue de blanc qui sourit et fit
un geste l’invitant à s’approcher.
À ce moment, la fillette n’en croit pas ses yeux. Elle
16 juillet de cette même année. L’Église, qui les a reconnues, célèbre l’événement
le 11 février.
cherche le chapelet qui se trouve dans son tablier pour
faire le signe de la croix en portant le crucifix à son front.
Mais, comme elle le dira, elle ne peut lever le bras. Ce
n'est que lorsque l’apparition porte le chapelet qu'elle a
dans les mains à son front que Bernadette peut suivre
son exemple. L’apparition égrène ensuite son chapelet
entre ses doigts mais sans parler. Et à la fin tout dispa-
raît. La cavité rocheuse retrouve son obscurité. La réalité
ambiante revêt son aspect habituel : il y a la pluie, il y a
les deux autres fillettes qui s’agitent pour se réchauffer
après avoir ramassé leurs fagots.
Nous ne pouvons refaire pas à pas tout le chemin de l’ex-
périence mystique vécue par Bernadette. Nous nous limi-
terons par conséquent à quelques observations.
Elle comprit tout de suite que quelque chose d’extraordi-
naire lui était arrivé lorsque, s'adressant à sa sœur et à
leur amie elle demanda : « Vous n'avez rien vu ? » 92 Et
après leur réponse négative, elle avait hésité longtemps
avant de raconter ce qu'elle en revanche avait vu. Elle fit
remarquer également un autre fait étrange : « Quand j’ai
voulu faire le signe de la croix, quelque chose m’a empê-
chée de lever la main et quand « cette chose-là » (Aquerô
en patois) a fait le signe de la croix, quelque chose m’a fait
lever la main. »
La blanche image de la Vierge se présentera dix-sept fois
encore à Bernadette et elle sortira de son silence mais
avec retenue, ne disant que l’essentiel. Si les paroles —
que rapporta par la suite la visionnaire à quelqu’un qui
92
Bernadette s'exprime en réalité en patois : « Aouet bis a ré ? »
l’interrogeait à ce propos — étaient plutôt rares, la com-
munication intérieure, cette espèce de rapport intime et
indicible, non exprimé, que tout être, et surtout la pauvre
Bernadette, aurait été incapable de faire tenir dans un
langage, devait être plus nourrie.
Les « messages » de la Vierge, que l’on a pu reconstituer à
travers le modeste parler de Bernadette, paraissent eux
aussi d’une simplicité déconcertante. À cela s’ajoute le
fait que la Vierge s’exprimait en dialecte :
— « Comment t’a-t-elle parlé ? En français ou en patois ?
» lui avaient demandé les gens de son village, curieux. Et
elle de répondre :
— « Oh ! mais comment voulez-vous qu’elle me parle en
français ? Est-ce que je le connais moi, le français ? Elle
me parle en patois et elle me vouvoie. »
Il convient de préciser avant tout que plus que des « mes-
sages » véritables ce sont en fait des annonces ou des pro-
phéties :
« Je ne vous promets pas de vous rendre heureuse dans
ce monde, mais dans l'autre oui »93 dit en effet la Vierge à
Bernadette le 18 février 1858, à l’occasion de sa troisième
apparition.
Les « messages » sont également des exhortations plutôt
impératives, dans leur extrême concision : « Pénitence »
dit la Vierge le 24 février, lors de sa huitième apparition.
Et, ce même jour : « Priez pour la conversion des pé-
cheurs. »
93
« Nou proumeti pas deb hé urousa en este mounde, mes en aoute. »
Mais se mêlent également à ces injonctions la révélation
de choses cachées, la clairvoyance et les miracles.
Lors de sa neuvième apparition, le 25 février, la Vierge dit
en effet à Bernadette :
— « Allez boire à la fontaine et vous y laver » 94. Il n’y avait
pas de fontaine ni de source dans les environs, unique-
ment de la boue dans un endroit de la grotte. Mais c’est
cette boue, que Bernadette avait à peine remuée avec ses
mains pour exécuter l’ordre qui lui avait été donné, qui
devait faire jaillir une source si abondante qu’elle est en-
core de nos jours pratiquement intarissable. Et pour ce
qui est des effets purificateurs obtenus en se lavant dans
cette eau, la longue série de guérisons miraculeuses cons-
titue sans doute le chapitre le plus troublant de toute
l’histoire des temps modernes.
Au cours de sa treizième apparition, le mardi 2 mars, la
Vierge charge Bernadette d’aller dire aux prêtres d’orga-
niser une procession pour le jeudi suivant et de diriger
celle-ci vers la grotte. Elle manifeste également le souhait
de voir construire une chapelle en ce lieu :
« Monsieur le Curé », répétera en effet la fillette, «
Aquerô m’a dit :
« Allez dire aux prêtres de faire construire ici une cha-
pelle. »
Et après lui avoir posé un certain nombre d’autres ques-
tions, le curé lui avait demandé :
— Tu ne sais pas encore comment elle s’appelle ?
94
« Anat béue en’a hount è b’y laua. »
— Non, monsieur le curé », avait répondu Bernadette.
— Eh bien, il faut le lui demander.
C’est lors de sa seizième apparition, le 25 mars, que la
Vierge finira par révéler qui elle est, mais sous un qualifi-
catif inconnu de Bernadette.
— Mademoiselle, voulez-vous avoir la bonté de me dire
qui vous êtes, s’il vous plaît ?95
Bernadette dut bredouiller sa question à quatre reprises
avant qu’Aquero ne révèle :
— Je suis l'immaculée Conception96.
Cet après-midi-là, Bernadette demandera :
— Mais qu’est-ce que ça veut dire, Immaculée Concep-
tion ?
Comme dans un montage de séquences cinématographi-
ques qui aurait été rigoureusement expurgé de tout élé-
ment superflu, redondant ou non essentiel, le verbe de
Marie, filtrant au travers d’une fillette analphabète et gra-
vement malade, n’est rien d’autre que condensé de signes
de caractère essentiellement pragmatique mais ayant une
portée évangélique. C’est également si l'on veut un cane-
vas, un synopsis pour toutes les rencontres possibles
avec le surnaturel qui mobiliseront les sens, les facultés
extrasensorielles, l’esprit et l’âme des futurs visionnaires.
C’est sur ces bases que se développera la littérature —
plus ou moins abondante — sur les messages surnaturels
95
« Mademisello, boulet aoé la bountat de me dise que es s’il bou plait ? »
96
« Que soit l’Immaculada Councetsiou. »
rapportés par des adultes et des enfants. Des fondations
ont été jetées dans les profondeurs de la psyché collec-
tive : les visionnaires de toutes les races et de tous les
pays, incultes pour la plupart, d’origine et de condition
socioprofessionnelle modestes, semblent — sans s’en
rendre compte et ignorant le catéchisme de Lourdes —
suivre le scénario écrit par la petite bergère des Pyrénées.
Cette dernière fut certainement également dépositaire de
quelques grandes révélations prophétiques sur les desti-
nées de l’humanité, comme c’est également le cas pour
toute compilation de messages mariais, mais ne les trans-
mit pas, soit par ordre divin, soit par incapacité ou par
peur. Il faut songer dans le cas de Bernadette aux doutes
et à la suspicion, aux véritables tortures psychologiques
et morales qui l’avaient rendue victime du retentissement
qu’avaient eu les événements la concernant. Lors de la
treizième apparition de la Vierge, mille trois cents per-
sonnes étaient présentes sur les lieux. Il y en avait quatre
mille pour la quatorzième et presque huit mille pour la
quinzième. Dans ces circonstances, « l’enfant du cachot »
faillit être envoyée à l'hôpital psychiatrique.
Bien qu’elle soit considérée comme « visionnaire », le
monde s’empare du mythe de Bernadette pour s’en exal-
ter, avant même que l'Église ne se soit prononcée. Elle
s’affaiblit. À seize ans, elle est par chance confiée aux re-
ligieuses de l’Hospice du village, auprès desquelles elle
restera jusqu’à l’âge de vingt-deux ans.
Entre temps, l'Église reconnaît l’authenticité de ses vi-
sions (18 janvier 1872). Mais, atteinte de pneumonie, elle
est sur le point de mourir et reçoit l'Extrême-Onction.
Elle demeure cependant en vie. Elle s’efforce avec beau-
coup de mal de s’occuper des malades et des petits élèves
de la communauté qui peuple l'Hospice. Mais on la juge «
bonne à rien ». Elle est sur le point de devenir religieuse.
La première messe est célébrée à la Grotte. Bernadette,
qui doit commencer sa vie de recluse à Nevers, dit en ar-
rivant dans sa nouvelle retraite : « Je suis venue ici pour
me cacher. »
Toujours incapable de soutenir le moindre effort, tuber-
culeuse des pieds à la tête, elle passe son noviciat à l'infir-
merie. Elle prononce ses vœux lorsque, à nouveau sur le
point de mourir, elle reçoit pour la deuxième fois
l'Extrême-Onction, qui lui sera administrée une troisième
fois à l'occasion d'une énième crise d'asthme. Elle est re-
léguée au rang d'aide-sacristine.
Sa fin prématurée est désormais proche. De l'automne de
1875 au printemps de 1879 où elle reçoit finalement les
derniers sacrements, elle est presque toujours alitée.
« La Sainte est morte ! », s’écrie la foule en apprenant le
décès. Son enterrement est un triomphe.
97
Propos recueillis par Lucio Basco pour la station de radio WOV de New York.
— Ben naturellement. Je me suis levée du lit et je suis
sortie en courant de la pièce. Il y avait ma belle-sœur et
ma tante avec moi98.
— Dans la soirée du 28, ma belle-sœur était au lit avec
des convulsions et ses yeux ne voyaient plus, raconte
Grazia Iannuso. Elle m'a appelée vers huit heures et de-
mie du matin le 29. C'était un samedi. Elle était étendue
au pied du lit. Au cours d’une crise elle a retrouvé la vue.
Après cela, elle s’est aperçue que la Sainte Vierge trans-
pirait et elle m’a appelée car j’étais là pour la réconforter.
— Grazia, tu la vois ? La Sainte Vierge est en train de
transpirer... »
Mais qu’est-ce que tu dis, que je lui ai répondu. Ce n’est
pas vrai qu’elle est en train de transpirer la Sainte Vierge.
Alors j’ai laissé ma belle-sœur qui était étendue au pied
du lit et je me suis approchée de la tête du lit : et là j’ai
vu que la Sainte Vierge n’était pas en train de transpirer
mais qu’elle pleurait, elle pleurait vraiment, les larmes
coulaient de ses yeux. Je me suis tournée vers ma belle-
sœur et je lui ai dit : « Antonina, Antonina, elle ne trans-
pire pas la Sainte Vierge, elle est en train de pleurer. »
Alors, quand elle entendit que la Vierge pleurait vraiment,
elle fixa le tableau, les yeux grands ouverts. « Maria, m'a-
t-elle dit, maintenant j’ai peur. » Je lui ai répondu en lui
disant : « N’aie pas peur car la Sainte Vierge te protège.
Qui sait, peut-être qu’elle a vu toutes les souffrances que
tu as connues pendant ces cinq mois. » J’ai pris alors un
chiffon et j’ai essuyé les mains de la Vierge. Ma mère était
98
Ibid. Ce témoignage comme le précédent ont été recueillis par Lucio Basco en
dialecte sicilien.
avec moi et on essayait de rassurer ma belle-sœur. J’ai
pris le chiffon et j’ai essuyé complètement la Sainte
Vierge. Ma belle-sœur s’est levée du lit et elle est allée
dans la petite salle.
Au bout d’un quart d’heure, vingt minutes, ma belle-sœur
est revenue dans sa chambre et elle a vu que les gouttes
étaient tombées sur la tête du lit. Je me suis alors retour-
née et j’ai dit : « Mais alors c’est bien ça... je ne pensais
pas... c'était quelque chose de froid... Je ne pensais pas
que c’était... J’ai appelé une voisine, la femme de l’agent
de police Rubera. Et c’est comme ça que les gens sont
accourus. En voyant toute cette foule... »
La mère de Grazia intervient :
— La petite main de la Vierge se remplissait comme une
fontaine.
Grazia poursuit :
— Nous sommes allées appeler la police et ils ont vu que
la Sainte Vierge pleurait. »
Au cours de la matinée du 29, la statuette versa des
larmes à six ou sept reprises.
Les premières larmes de la Sainte Vierge de Syracuse fu-
rent essuyées avec un petit chiffon, un « quatratu ». Les
autres le furent par les personnes qui défilèrent dans la
pièce les jours suivants.
Ce matin-là, Giuseppe Iannuso, le frère d’Angelo, était
parti au travail. En revenant à midi, il était de mauvaise
humeur car il venait d’être licencié. En voyant la confu-
sion qui régnait chez lui, il demanda à sa femme : « Razia,
chi avi, Ninna ? » (Grazia, qu’est-ce qu’elle a Antonina ?).
En le voyant déjà si sombre, sa femme hésita à lui ré-
pondre. Ce furent les autres qui lui révélèrent que la
Sainte Vierge pleurait.
— La Sainte Vierge pleure ? répéta-t-il ébahi. Mais c’est
nous qui devrions pleurer.
Giuseppe entra dans la chambre de sa belle-sœur. Il prit
la statuette, la décrochant du mur. Il regarda ses mains
après les avoir posées sur l’objet : elles étaient mouillées.
Le liquide coulait des yeux de la petite Sainte Vierge.
Il était environ cinq heures et demie de l’après-midi lors-
que Angelo revint à son tour du travail. Du bout de la rue,
il remarqua tout de suite que les gens s’étaient rassem-
blés devant chez lui. Il eut un coup au cœur. Il pensa tout
de suite à Antonina : peut-être son état avait-il empiré,
peut-être était-elle morte. Mais à cet instant son frère
Giuseppe courut au-devant de lui en compagnie d’un ami.
— N’aie pas peur. Et ils lui expliquèrent que tous ces gens
étaient là parce que la Sainte Vierge pleurait dans sa mai-
son. Mais Angelo n’en crut rien. Arrivé devant la porte de
sa maison, encore tout bouleversé, il ne réussit même pas
à se frayer un passage au milieu des gens pour entrer.
L'angoisse de ces quelques instants fut terrible.
Finalement, Angelo Iannuso ne put pénétrer chez lui
qu’avec l’aide de la police qui délogea également tous ceux
qui avaient envahi la chambre à coucher.
Demeuré seul en compagnie de sa femme, Angelo cons-
tata que la statuette n’était pas en train de pleurer. Ce-
pendant, quelques minutes après, étant resté en tête à
tête avec la Sainte Vierge qu’il n’avait cessé de fixer dans
les yeux, il put voir que la statuette se mettait à verser
des larmes. Angelo en fut si troublé qu’il tomba instincti-
vement à genoux : « Je me suis agenouillé et j’ai prié —
Petite Sainte Vierge, pourquoi pleurez-vous ? — Je pen-
sais à elle (il montre sa femme), à elle qui allait si mal...
Qu’allait-il lui arriver ? »
Lorsqu’il se releva, il sortit sur le pas de la porte et appela
le Commissaire de Police qui se trouvait sur place :
— Commissaire, elle pleure.
Pendant trois journées entières, les curieux, qui avaient
envahi de nouveau la maison des Iannuso, ne voulurent
à aucun prix quitter le lit de la malade.
« Alors nous avons accroché la statuette sur la porte »,
raconte Angelo, « puis nous l’avons emportée jusqu’au pe-
tit jardin pour que tout le monde puisse la voir car ma
maison est petite et elle ne pouvait pas recevoir toutes ces
personnes. Et donc, pour que tout le monde soit content,
nous l’avons mise dehors.
— J’ai été l’un des premiers à apprendre que la Sainte
Vierge versait des pleurs, dira un témoin, quelques mi-
nutes après que le fait se soit produit. En passant dans
la via Pasubio, je me suis retourné vers la via degli Orti et
j’ai vu un petit groupe de personnes rassemblées devant
la maison d’Antonina Giusto. Lorsque j’ai appris ce qui
s’était passé, je me suis tout de suite éloigné, ne croyant
pas du tout à ce que l’on m’avait raconté. Le jour suivant,
une foule immense faisait déjà le siège de la maison. Vers
dix heures, je réussis à me glisser jusque sous la fenêtre
de la maison, que l’on ouvrait de temps en temps. Lorsque
la Sainte Vierge se mit à pleurer, la fenêtre s’ouvrit en effet
et un carabinier appuya le haut-relief sur le rebord. Et j’ai
vu alors les yeux de la Sainte Vierge devenir humides,
j’avais même l’impression que ses paupières étaient gon-
flées, puis les larmes grossirent au coin de l’œil et coulè-
rent légèrement le long des joues, se rejoignant sous la
cavité formée par le menton, et j’ai vu bien distinctement
une larme tomber de celui-ci »99.
« Il était presque midi le 29 août lorsque ma sœur me dit
qu’il y avait une statuette de la Sainte Vierge qui pleurait
chez la signora Giusto, raconte une femme, témoin elle
aussi. D’abord je n’ai pas voulu y croire, puis, par curio-
sité, j’ai voulu aller voir. J’y suis allée mais je n’ai pas vu
les larmes, car les gens qui étaient présents les avaient
déjà essuyées, certains avec des mouchoirs, d’autres avec
du coton. Je suis donc revenue chez moi, mais je suis
retournée dans l’après-midi car une voisine m’avait dit
que la Sainte Vierge s’était encore mise à pleurer. Il y avait
beaucoup de monde, mais je réussis à m’approcher près
du lit au-dessus duquel était accrochée la Sainte Vierge
et, à mon grand émerveillement, je pus voir des larmes
s'échapper des orbites et couler le long du visage de la
Sainte Vierge avant de tomber sur ses mains, qu’elle tient
sur son cœur. Devant ce phénomène prodigieux, je ne pus
retenir des pleurs et j’étais si émue que je n’osais même
pas baiser la statuette ou essuyer ses larmes, comme les
autres le faisaient. Il y avait des gens qui, bien qu’ayant
vu ces larmes, ne pouvaient y croire, il y eut même une
jeune fille qui voulut goûter des larmes de la Sainte Vierge
99
Valvo Bruno, habitant au 74 de la vie Caltanissetta, à Syracuse.
et qui constata toute étonnée qu’elles étaient salées,
comme nos propres larmes. Et la signora Giusto nous
ayant demandé à tous de sortir une fois que nous avions
vu la Sainte Vierge, je rentrais chez moi bouleversée et je
racontai à ma famille que la Sainte Vierge pleurait vrai-
ment. »
« On ne parlait que d’une seule chose à Syracuse : du
tableau de la Sainte Vierge de la via degli Orti qui versait
des pleurs. Je voulus donc aller voir moi aussi via degli
Orti pour assister à cet événement extraordinaire. Une
foule immense se pressait autour de la Sainte Vierge, le
tableau ayant été placé au dehors de la maison où s’était
produit le prodige. Celui-ci était éclairé au moyen d’un
petit projecteur et je pus ainsi constater moi aussi que de
l’œil gauche coulait une larme qui, descendant le long du
visage, avait mouillé la pommette et le cou de la Sainte
Vierge. Mais ce qui m’impressionna le plus ce fut l'expres-
sion de ses yeux : elle n’avait en effet rien de matériel, elle
était humaine, son expression était celle d'une véritable
mère qui souffre » 100.
— Moi, Tina Santuccio, je suis allée le 31 août 1953 avec
ma grand-mère voir le tableau de la Sainte Vierge. À dire
vrai, j’étais un peu sceptique sur ce qui s’était passé, car
je n’arrivais pas à me convaincre que la Sainte Vierge ait
pu pleurer. Beaucoup de gens doutaient comme moi et
nous restions presque tous là à attendre plus par curio-
sité que pour prier la Vierge. Il est difficile de trouver les
mots pour décrire la scène à laquelle j’assistai dans la via
100
Giuliano Gaetano, Via Garibaldi 30, Fioridia.
degli Orti. Une multitude de gens qui poussaient en hur-
lant, en gesticulant et qui demandaient à voir ce tableau
de la Sainte Vierge en pleurs.
Certains posaient des questions pour savoir ce qui se pas-
sait, d’autres, fatigués après une longue attente sous un
soleil écrasant, ne se décidaient pas à partir. Tout à coup,
alors que tout le monde attendait impatiemment l’événe-
ment, on entendit crier : "La petite Sainte Vierge est en
train de pleurer, La Sainte Vierge fait couler des larmes
du tableau”. Nous étions tous abasourdis, quand nous
vîmes la fenêtre s’ouvrir et le tableau apparaître, tenu par
son propriétaire. Je vis de mes yeux couler les larmes du
tableau ; la Vierge ressemblait à une pauvre femme qui,
attristée par les péchés commis par ses enfants, aurait
laissé paraître sa douleur. Elle était très belle et en la
voyant n’importe qui se serait converti, même un non-
croyant. Les hommes qui auparavant, en entendant par-
ler de ce fait, refusaient d’y croire en disant que ce n’était
pas possible étaient maintenant en train de pleurer et de
prier, voulant absolument la voir. Tout le monde rentra
bouleversé, se promettant bien de ne plus faire pleurer la
Sainte Vierge »101.
Les personnes qui commençaient à affluer dans la maison
de la via degli Orti arrivaient à Syracuse par tous les
moyens de transport disponibles : en train, notamment
en provenance de gares situées sur des lignes secon-
daires, en bateau, après avoir effectué la traversée entre
le continent et la Sicile, en avion et dans les voitures par-
101
Tina Santuccio, Via Malta 58, Syracuse.
ticulières. Certains venaient même en mobylette ou en bi-
cyclette. Ceux qui arrivaient des petits villages de cam-
pagne des environs utilisaient la typique charrette sici-
lienne ou leur tracteur. D’autres venaient à pied.
Selon un journaliste : « Si l’on ajoute enfin que de très
nombreux malades ont été transportés en ambulances
des provinces les plus éloignées de la Sicile, on peut esti-
mer sans trop se tromper que ceux-ci sont venus aug-
menter le nombre de visiteurs à raison d'un peu plus d’un
millier d'unités, ce qui représente une moyenne de 19.000
personnes par jour pour un chiffre total de fréquentation
de 1.159.000. »102
Ce chiffre ne prend cependant pas en compte les habi-
tants de Syracuse même. De l’aube au crépuscule, et
même durant la nuit, quelque 5.000 visiteurs syracu-
sains en moyenne par jour ont défilé devant la statue de
la Sainte Vierge et se sont arrêtés sur la place, particuliè-
rement le soir, pour réciter le Rosaire. Le nombre des pè-
lerins qui ont participé à ce spectacle émouvant au cours
des deux mois pendant lesquels se produisit le phéno-
mène s’élève à presque 1.500.000 personnes.
Certains soirs, alors que presque tous les pèlerins avaient
repris un train de nuit pour rentrer chez eux, on put voir
sur la place Euripide une foule de 10.000 à 15.000 per-
sonnes, de Syracuse pour la plupart, réunies pour réciter
le Rosaire. Mais on peut s'interroger sur le nombre de per-
sonnes qui étaient passées sur cette place durant la jour-
née.
102
Ottavio Musumeci, Ha pianto la Madonna a Siracusa, Syracuse, 1954.
Il conviendrait d'ajouter aux chiffres recueillis pour les
deux premiers mois trois cent mille autres personnes qui
défilèrent devant la Sainte Vierge pendant les seuls mois
de novembre et de décembre. Certains soirs le nombre des
Syracusains présents sur la place Euripide fut évalué à
trente mille voire à trente-cinq mille personnes. Le 6 dé-
cembre, jour de la clôture de la Mission Mariale en pré-
sence de l'Archevêque, Mgr Baranzini, et le soir du 13 dé-
cembre, jour de la Sainte Lucie, une foule immense rendit
hommage à la Vierge en promenant dans la ville la statue
en argent de la Sainte Patronne. L'Épiscopat de Sicile
avait fait une déclaration sur la Vierge des pleurs et celle-
ci avait été communiquée aux habitants de Syracuse par
l’Archevêque.
De fin août à fin décembre se sont donc succédées aux
pieds de la Sainte Vierge en pleurs quelques 1.800.000
personnes provenant de Syracuse même, d’autres régions
de l’Italie ou de l’étranger.
Dans l’intervalle, dès le 1er septembre de cette fatidique
année 1953, et essentiellement à la demande du curé de
paroisse, le Père Giuseppe Bruno, des analyses scienti-
fiques avaient été entreprises sur les larmes versées par
la Sainte Vierge de la via degli Orti. Une Commission
nommée par le Chancelier de la Curie épiscopale de Sy-
racuse, Mgr Giuseppe Cannarella, envoya donc ses repré-
sentants dès ce premier jour de septembre au 11 de la via
degli Orti. Ils pénétrèrent dans la maison avec l'aide des
agents de la Force Publique. Arrivés dans la chambre à
coucher, ils y trouvèrent Antonina qui ouvrit un tiroir
fermé à clé au fond duquel se trouvait, enveloppée dans
une serviette de table, l'image de la Sainte Vierge.
Dans le rapport scientifique qui fut rédigé par la suite, on
peut lire : « Ladite image était déjà à l’évidence mouillée
en plusieurs endroits du visage et du buste, que l’on es-
suya soigneusement avec un coton. Il ne resta ainsi
qu’une seule goutte, dans le coin interne de l’œil gauche
et celle-ci fut prélevée à l’aide d’une pipette contenant
1/10 de cm3. Quelques gouttes perlèrent ensuite au
même endroit et furent également recueillies. »
Alors que le contenu de la pipette était placé dans un tube
de verre, d’autres larmes ont coulé de l’œil et sont venues
se déverser dans le creux de la main qui tenait le Cœur
Immaculé. Elles ont également été prélevées à cet endroit.
Pendant l’opération de prélèvement, il ne fut pas possible
d’empêcher certaines personnes de l’assistance d’essuyer
une partie des larmes.
Un peu plus d’un cm3 de liquide en tout a pu être emmené
au laboratoire. Le phénomène, qui avait duré près de
quinze minutes à partir du moment où la statuette avait
été extraite du tiroir, ne s’est plus reproduit et il n’a donc
pas été possible de se procurer d’autre matériel pour
l’analyse.
Il convient de noter que l’examen à la loupe de l’angle in-
terne des yeux n’a révélé la présence d’aucun pore ni
d’aucune irrégularité sur la surface de l’émail.
La partie en faïence de la statue a été détachée de son
support en verre de couleur noire et l’on a pu noter que
l’image était constituée d’une épaisseur de plâtre variant
de un à deux centimètres environ, recouverte à l’extérieur
d’un émail polychrome et présentant à l’intérieur une sur-
face brute et irrégulière de couleur blanche qui s’est révé-
lée totalement sèche au moment de l’examen.
L’objet du prodige se présentait comme un petit tableau
de 28 centimètres sur 23, inséré à l’aide de vis dans un
cadre de 24 centimètres sur 28. Les détails techniques de
la fabrication du tableau furent fournis par le fabricant
lui-même qui témoigna sous serment en présence du Père
Giuseppe Bruno le 14 septembre 1953. Par ailleurs,
Ulisse Viviani, fondé de pouvoir de la Société, résidant au
n° 25 de la via Contessa Casalini à Bagni di Lucca ; Amil-
care Santini, sculpteur, habitant à Cecina (province de
Livourne) au 137 de la via Aurelia ; Domenico Condorelli,
représentant de la Société pour la Sicile, résidant à Ca-
tane, au 19 de la via Anfuso, vinrent à Syracuse et, après
avoir observé attentivement la Sainte Vierge qui pleurait,
déclarèrent avoir constaté que celle-ci était exactement
dans l’état où elle est sortie de l’usine. « Aucune modifi-
cation de quelque nature que ce soit n’a été apportée à
celle-ci. »
L’image de la Sainte Vierge en pleurs de Syracuse avait
été réalisée dans les ateliers de la Société I.L.P.A. (Indus-
trie Lucchesi plastiche artistiche) de Bagni di Lucca, dans
la province de Lucques. Le sculpteur qui l’avait modelée
était un certain Amilcare Santini, de Cecina et le matériau
qui avait été utilisé était le gypse pur de Brisighella (pro-
vince de Forli), c’est-à-dire le même matériau que celui
qui sert à la fabrication de tous les produits en plâtre pro-
venant des ateliers réputés de la Val di Lima dans la pro-
vince de Lucques. Le phénomène qui s’est produit à Sy-
racuse n’a jamais été constaté avec aucun produit reli-
gieux ou profane sorti de ces ateliers. La fabrication se
fait de la manière suivante :
Le plâtre est gâché avec l’eau puis il est coulé dans des
moules en caoutchouc ou en gélatine. Dès qu’il a pris, ce
qui ne demande que quelques minutes, l’objet est sorti du
moule et mis à sécher à l’air et au soleil. Lorsqu'il est bien
sec, il est débarrassé de ses éventuelles imperfections
puis coloré. La couleur est appliquée à l’aide d'un aéro-
graphe en utilisant des peintures à la nitrocellulose.
L’épaisseur de plâtre de la statuette en question et des
figurines de ce type est en général de deux à trois centi-
mètres. L’œil est obtenu dès le moulage, l’image se pré-
sentant en un seul bloc, sans application ni éléments de
rapport.
Lorsque les larmes cessèrent, au bout de trois jours et
demi, les guérisons commencèrent. Le 5 septembre, la
foule cria au miracle au moins à six reprises.
Il n’y eut pour ainsi dire aucun village de Sicile qui n’ait
eu ses « miraculés ».
Les guérisons se produisaient le plus souvent à proximité
de la petite statuette, mais elles furent également enregis-
trées en des endroits très éloignés : il suffisait d’une image
La reproduisant ou d’un coton imbibé de Ses larmes ou
tout simplement mis en contact avec le prodigieux haut-
relief pour déclencher le miracle tant espéré.
« Sur la place Euripide, la foule s’attardait jusque tard
dans la nuit. De temps en temps, au milieu des prières
murmurées, des bouquets de fleurs apportées en of-
frandes, des sanglots retenus et des invocations pres-
santes, un cri s'élevait soudain :
— Miracle ! Et la foule s’écartait pour laisser passer celui
ou celle qui avait été touché par la grâce. Alors, tandis
que les paralytiques qui se trouvaient devant la stèle de
la petite Sainte Vierge retrouvaient l’usage de leurs
jambes et de leurs bras et donnaient la preuve de leur
guérison en déposant aux pieds de l’Image Sainte leurs
béquilles ou leurs appareils orthopédiques comme autant
d’ex-voto, un frisson passait dans la foule et un cri jaillis-
sait :
— Vive Marie !
Quel fut le nombre des guérisons ? Les journaux débor-
dent de cas. Quelques cinq cents de ces cas furent signa-
lés à la Commission médicale, dont une soixantaine pré-
sentent un caractère vraiment extraordinaire »103.
Le rapport officiel des analyses chimiques effectuées fut
récapitulé par le Pr Leopoldo La Rosa dans une déclara-
tion qu’il fit parvenir à un prêtre espagnol, le Père De Cas-
tro, curé de Santiago de Ciudad Real.
« Comme vous l’avez souhaité, je vous donne un résumé
des informations dont j’ai eu l’occasion de vous faire part
lors de notre conversation.
Le 1er septembre dernier, Michele Cassola, membre d’une
Commission scientifique spécialement nommée à cette
occasion, procéda au prélèvement de ce qui furent les der-
nières larmes de la "petite Sainte Vierge” de la via degli
Orti à Syracuse.
La statuette fut également détachée du support en verre
103
« Época », 18 octobre 1953.
sur lequel elle était fixée à l’aide de deux vis et l’on put
constater que le plâtre dont elle est composée était par-
faitement sec.
Examiné au travers d’une lentille à fort grossissement,
l’œil est apparu — et apparaît toujours — parfaitement
uniforme, sans aucune rayure.
Le 2 septembre, une autre Commission scientifique —
nommée par l’Archevêché de Syracuse est composée de
M. Michele Cassola, faisant fonction de Directeur de la
Section Micrographie du Laboratoire d’Hygiène et de Pro-
phylaxie de Syracuse, de M. Francesco Cotzia, assistant
de ladite section, du Dr Mario Marietta, chirurgien et du
soussigné, Expert-chimiste auprès de la Section Chimie
dudit Laboratoire — procéda à l’analyse des larmes. Le
Père Giuseppe Bruno, curé de la paroisse du Panthéon,
assistait également à cette analyse qui se déroula dans
les locaux de la Section Micrographie.
L’observation microscopique effectuée sur un échantillon
d’un centimètre cube de larmes a permis de séparer les
composants chimiques du matériau utilisé pour la fabri-
cation de la statuette et de mettre en évidence tous les
composants physiologiques des larmes humaines, à sa-
voir une solution aqueuse de chlorure de sodium conte-
nant des traces apparentes de protéines et de substances
quaternaires de type excrétoire comme dans les sécré-
tions humaines.
Les analyses comparatives auxquelles il a été procédé à
partir de larmes recueillies sur un adulte et sur un enfant
d’environ trois ans ont donné des résultats analogues
quant à la composition, ce qui nous a autorisés à faire
savoir à la presse que "le liquide qui s’est écoulé des yeux
de la statuette de la Sainte Vierge présente une composi-
tion analogue à celle des larmes humaines”. En foi de
quoi, je signe le présent rapport. Syracuse, le 17 octobre
1953. Signé : Prof. Leopoldo La Rosa. »
Ce dernier a également délivré à M gr Giuseppe Cannarella
la déclaration suivante :
« Seule une infime quantité de liquide ayant pu être pré-
levée sur la statuette de la Sainte Vierge, un centimètre
cube, nous avons eu recours, pour l’analyse, aux rayons
chimiques par voie humide en utilisant des réactifs chi-
miques spécifiques sur plaquettes de verre avec observa-
tion directe au microscope.
Nous avons pu ainsi exclure par comparaison tous les
éléments du matériau utilisé pour la fabrication, ainsi
que les pigments colorés et les composants de l’émail.
Des essais furent également effectués par voie sèche au
chalumeau oxhydrique et confirmèrent ou exclurent la
présence des éléments examinés par voie humide.
On observa ensuite l’absence de cations de magnésium,
de calcium et de potassium et d’anions sulfuriques et car-
boniques.
L’analyse révéla, outre la présence du cation sodium, celle
de l'anion chlore, puis celle du chlorure de sodium ainsi
que des traces de protéines et d’autres composés quater-
naires, c’est-à-dire des composés formés des éléments
carbone, hydrogène, oxygène et azote que l'on rencontre
dans les sécrétions humaines.
En d’autres termes, l’analyse permit de découvrir la pré-
sence des éléments qui constituent le liquide lacrymal hu-
main.
Cette révélation nous amena à effectuer une comparaison
avec des larmes humaines.
À cet effet nous décidâmes de prélever les larmes d’un
adulte et celles d’un enfant. Le premier prélèvement fut
réalisé par M. Cotzia sur M. Cassola et le second par M.
Cassola sur un enfant d’environ trois ans, dans une
crèche.
Plusieurs essais permirent de conclure à l’analogie la plus
complète entre ces liquides après une réaction identique
du pH 6,9. Nous pûmes ainsi faire le communiqué sui-
vant à la presse : “Le liquide qui s’est écoulé des yeux de
la statuette de la Sainte Vierge présente une composition
analogue à celle des larmes humaines". Signé : Prof. Leo-
poldo La Rosa. »
Lorsque l’image avait été détachée de son support, Anto-
nina Giusto avait voulu la prendre dans ses mains. Elle
s’était ensuite mise à la fenêtre et l’avait montrée en
criant :
— Approchez, vous qui disiez qu’il y avait un truc et que
l’on avait placé derrière cette image un petit robinet pour
faire jaillir les larmes... Venez voir ce qu’est en train de
faire la Commission.
Les agents de police n’avaient pas voulu ouvrir la porte
d’entrée de peur que la foule ne s’y engouffre et M. Cas-
sola dut sauter par la fenêtre pour sortir de la maison.
Le Père Giuseppe Bruno ajouta une note au rapport et la
signa de sa main :
« Étaient présents M. Nicolo Samperisi, Commissaire de
police, le Pr Pasqualino Greco de Floridia, M. Roberto Ber-
tin, chimiste, le brigadier de police Umberto Ferrigno, le
Lieutenant-colonel Giovanni Grasso, commandant la gar-
nison de Syracuse, le Lieutenant-colonel Carmelo Ro-
mano, Officier supérieur de la garnison. Les quatre pre-
miers signataires ont juré sur les Saints Évangiles de dire
la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. »
Dans une déclaration rédigée le 3 septembre 1953, M.
Bertin confirme le rapport officiel de la Commission et
ajoute : « L’envers de l'image se présentait comme une
surface concave constituée, à mon avis, de plâtre dont j’ai
pu constater qu’il était parfaitement sec. Il était par con-
séquent exclu de continuer à penser à des substances hy-
groscopiques ou à des phénomènes de condensation, ne
serait-ce que parce que le liquide qui s’était écoulé pen-
dant les trois jours qui avaient précédé notre visite repré-
sentait un volume considérable. Ayant en outre voulu me
rendre compte par moi-même de la saveur de ce liquide,
j’ai ressenti la même impression que si j’avais goûté à mes
propres larmes. »
Le 12 décembre 1953, le Cardinal Ernesto Ruffini pro-
nonça le message des Évêques de Sicile : « En consé-
quence, les Evêques de Sicile rassemblés dans la villa San
Cataldo à Bagheria, ayant examiné attentivement les
nombreuses dépositions sous serment des témoins ocu-
laires, au-dessus de tout soupçon, et ayant pris acte des
résultats positifs des analyses chimiques conduites avec
diligence sur les larmes versées par l’image pieuse, ONT
JUGÉ UNANIMEMENT QUE L’ON NE PEUT METTRE EN
DOUTE LA RÉALITÉ DES FAITS.
Ils ont donc émis le vœu que cette manifestation miséri-
cordieuse de notre Mère des Cieux nous incite tous à une
pénitence salutaire et à une plus vive dévotion envers le
Cœur Immaculé de Marie, en souhaitant la construction
prochaine d'un Sanctuaire qui perpétue la mémoire du
prodige »104.
Nombreux furent alors à Syracuse les témoins qui purent
dire par exemple : «... j’ai eu la Grâce de pouvoir voir cou-
ler des yeux de cette petite Sainte Vierge en pleurs des
larmes humaines. Je ne trouve pas de mots pour expri-
mer ce que j’ai éprouvé à ce moment-là. Seuls ceux qui
n’ont pas le regard de la foi peuvent ne pas croire à un tel
miracle. D'abord les yeux de la petite Sainte Vierge ont
semblé se gonfler, puis les pupilles sont devenues bril-
lantes et tout de suite après de grosses larmes ont com-
mencé à couler peu à peu le long de ses joues et à se poser
sur sa main qui formait un creux » 105.
Ou encore : « J’ai vu les larmes le 31 août. J'avais appris
la veille que dans le quartier Santa Lucia, via degli Orti
précisément, une statuette représentant la Sainte Vierge
versait des pleurs. Cette nouvelle m'a laissé perplexe, je
104
L’archevêque de Syracuse, Mgr Ettore Baranzini, s’était rendu, à titre privé, chez
les Iannuso le 2 septembre. Il avait ensuite adressé un rapport sur les faits au Saint-
Office et, par décret du 22 septembre 1953 (?) avait constitué au sein de la Curie
un tribunal ecclésiastique spécial qui devait commencer ses travaux le 25 sep-
tembre.
105
Garpinieri Letteria, Via Isonzo 94, Syracuse.
ne voulais pas y croire, une chose pareille était matériel-
lement impossible.
Poussé par la curiosité, je me rendis toutefois en compa-
gnie de plusieurs amis, Aldo Selvo, Liistro Michele, et
d'autres via degli Orti. La rue était pleine de gens, la cha-
leur et les nombreux effluves qui se dégageaient de la co-
hue faisaient qu'il était difficilement supportable d'es-
sayer de se frayer un chemin. Je m’approchai cependant
et après avoir joué des coudes j'arrivai sur le seuil de la
porte. Là, protégé par un cordon d’agents de police, était
accroché le tableau de la Sainte Vierge. On voyait nette-
ment les larmes qui jaillissaient des yeux de la Vierge et
qui descendaient ensuite le long de son visage. Je trempai
un petit morceau de coton et je vis qu'il était humide. Il
ne pouvait donc pas s’agir d’une illusion. Je ne pus que
croire à une telle évidence et après avoir dit une prière je
retournai chez moi »106.
« Je me trouvais au milieu d’une foule immense, presque
aux premières loges, lorsque je me suis senti poussé vers
l’avant par les gens qui semblaient être devenus comme
fous, alors qu’un cri s'élevait vers le ciel : “Elle est en train
de pleurer” (“a Madunnuzza chianci.") J’ai regardé avec
encore plus d'attention et j'ai en effet vu deux ou trois
petites larmes qui, brillant dans le soleil, coulaient sur le
visage de la statuette de la petite Sainte Vierge.
J'étais un peu incrédule mais devant cette vision je suis
resté stupéfait et un frisson a parcouru tout mon corps
tandis que je sentais ma gorge nouée tant mon émotion
106
Tarascio Aldo, Via Croceffisso 38, Syracuse.
était grande. J'ai vu pleurer la petite Sainte Vierge à deux
reprises et j'ai également vu deux miracles se produire et
j'en ai presque pleuré d'émotion »107.
« Dans la via degli Orti, une Sainte Vierge en plâtre à
pleuré : elle a pleuré comme une maman qui voit ses en-
fants en danger, devant un péril imminent. La Sainte
Vierge a pleuré » 108.
107
Germano Aristide, Via Dione R.S. Cirstoforo n° 1, Syracuse.
108
Giacomo Cataudelle, Via Arsenale 36, Syracuse.
dans la nuit du 21 au 22 octobre 1971, un tableau repré-
sentant la déposition du Christ tomba à terre sans raison
apparente. La maison dans laquelle il se trouvait trembla,
ainsi que toutes les autres alentour. Le clou auquel il était
accroché n'avait cependant pas bougé du mur où il était
enfoncé.
Quelques jours plus tard, le 26 octobre, une image repré-
sentant le Cœur Immaculé et Douloureux de Marie,
simple reproduction sur papier, se mit à verser des larmes
toujours dans la même maison. Ce fait se répéta à de très
nombreuses reprises, en présence de milliers de per-
sonnes. Puis, le vendredi de la semaine sainte de l'année
1973 (ainsi que de l’année 1974), le sang coula de la plaie
ouverte dans le cœur reproduit sur la même image.
Ces larmes et ce sang furent recueillis et analysés et il
apparut qu'il s’agissait de larmes et de sang humains.
Bettina — diminutif d’Élisabetta — Jamundo, née à Cin-
quefrondi, une célibataire aujourd’hui âgée de plus de
quatre-vingt ans et seule au monde, a toujours habité
dans la maison où se produisirent les prodiges. Ayant
commencé à recevoir les stigmates en 1977, tout d’abord
à l’intérieur des poignets, puis au côté et aux pieds, elle
avait, dès le 23 janvier 1974, était visitée par la Vierge qui
lui avait dicté des messages de la teneur de ceux qui sont
reproduits ci-après.
« Mes enfants. C’est aujourd’hui le jour anniversaire de
mon apparition à Lourdes et mes enfants ne se sont pas
encore rendus compte que ce monde doit finir, que la co-
lère de l'Esprit-Saint est prête à se déclencher et que ceux
qui se vouent à Jésus et à la Vierge Marie sont peu nom-
breux. De mauvaises tempêtes approchent : la terre trem-
blera (11 février 1982, huit heures).
« Priez intensément car vous êtes à la fin du monde et le
message de Luca est en train de se réaliser : tous les évé-
nements que je t’ai annoncés sont les mêmes que ceux
que j’ai annoncés à Luca. Je vous bénis tous. » (31 mars
1982, une heure).
Le 12 mai 1981, Bettina Jamundo avait depuis peu ter-
miné sa sieste (il était dix-sept heures quinze), lorsqu'elle
entendit un fort vent qui fit tomber les images pieuses
posées sur la table de nuit et une voix qui disait : « La
terre tremble, la terre tremble. Deuil au Vatican, deuil au
Vatican. Attentat contre le souverain pontife, attentat
contre le souverain pontife. Répète, répète. »
Instinctivement, ne sachant que penser ni que faire, Bet-
tina courut dans la deuxième pièce de sa modeste maison
où elle avait l’habitude de se retirer et de prier. Peu de
temps après, la sage-femme de Cinquefrondi, Mme Virgi-
nia Creace, vint la trouver : et c’est à elle qu’elle raconta
tout ce qui s’était passé. Les deux femmes étaient trou-
blées et effrayées mais elles le furent encore davantage
lorsque, le jour suivant, elles apprirent la nouvelle de l’at-
tentat perpétré, sur la Place Saint-Pierre à Rome, contre
le pape Jean-Paul II.
C’est au cours de l’été 1986 que je fus accompagnée
jusqu’à l’une des ruelles de son village, Cinquefrondi, —
situé non loin de l’écueil de Scylla, en bordure du détroit
qui sépare la pointe de la botte de la Sicile — par l’un de
ces gentilshommes calabrais, l’avocat Giuseppe Guerrisi,
dont la noblesse ne tient pas uniquement aux biens qu’il
possède ni aux salons qu’il fréquente mais également et
surtout à cette disposition d’esprit et à ces manières qui
allient la grandeur à la douceur, la magnanimité à la sen-
sibilité humaine.
Dans la ruelle, il n'y avait qu’une seule maison, modeste,
mais dont la petite cour était d’une beauté sans pareille
grâce à la présence de deux citronniers « royaux » comme
je n’avais jamais pu en admirer auparavant, deux grands
arbres fournis, prospères et odorants.
C’était la fin de l’après-midi. Une fois entrée dans la mai-
son, je fus en revanche frappée par l’apparence de la vi-
sionnaire âgée, Bettina Jamundo. Assise au milieu de
quelques rares et modestes objets, elle avait un visage ex-
pressif mais son corps inerte était tout recroquevillé, sa
poitrine creusée, son ventre dilaté et malade et ses jambes
étaient monstrueusement enflées. Chez cette vieille
femme, tout exprimait la souffrance et même la torture
physique mais en même temps, la maladie semblait avoir
été surmontée en vertu d’une force intérieure. Au-delà de
ses chairs fanées et flasques, de ses plaies cicatrisées ou
non, et de l’odeur âcre qui émanait de sa personne, l’âme
de la visionnaire se manifestait violemment.
Avant de m’entretenir avec Bettina Jamundo, qui était
immobilisée dans son fauteuil, j’allai visiter la petite cha-
pelle, érigée là pour commémorer les prodiges survenus
dans la maison. C’était autrefois la chambre à coucher de
la maîtresse de ces lieux.
Le tableau de la Vierge qui avait versé des pleurs, accro-
ché sur le mur face à l’entrée, au-dessus d’un petit autel,
était à cette heure estivale et dans le recueillement des
jardins, éclairé par l’ultime et néanmoins intense rayon
de soleil couchant : il semblait touché par la Grâce. C’est
sur cette impression que je retournai vers la visionnaire.
— Je subis le martyre pour la Sainte Vierge, commença
par me dire Bettina Jamundo. Elle parlait dans sa langue,
un pur dialecte calabrais qu’il ne sera jamais possible de
rendre en italien, à défaut du pathos et des rythmes hé-
rités du grec ancien et de quelqu’autre idiome parlé en
des temps reculés, à l’extrême pointe du continent.
— Des opérations, des opérations... Quinze ans que je ne
sors pas de chez moi. J’ai une plaie qui n’est pas encore
cicatrisée, qui se rouvre toujours... Mais la Sainte Vierge
vient me trouver de temps en temps.
— Vous pouvez me raconter l’histoire de la Vierge qui
pleurait ?
— Il y avait un tableau, autrefois, dans l'église patronale.
Quand le prêtre mourut, tous les objets qui se trouvaient
dans cette église furent jetés. Alors, en voyant une car-
riole remplie de toutes ces choses, mon père adoptif, qui
était musicien, demanda : « Je peux prendre ce tableau ?
». « Oui, professeur — lui répondit-on — vous pouvez le
prendre. » Mon père apporta ce tableau à la maison.
Quand elle le vit, ma mère me dit : « Regarde, Élisabetta,
ton père a apporté un autre tableau. Cette maison est
pleine de tableaux maintenant. » Le visage de la Vierge
était couvert de moisissure mais mon père, qui était un
homme très expansif et très généreux dit en s’adressant
à ma mère : « Dis à Elisabetta qu’elle doit vénérer ce ta-
bleau plus que les autres qui se trouvent dans cette mai-
son. Celui-ci, il faut le mettre à l’endroit le meilleur que
nous puissions trouver. » « Où ? » « Où vous voulez, mais
cette Sainte Vierge doit avoir son chapelet tous les jours.
Elle doit tous les jours avoir sa lampe à huile. Nous nous
priverons, mais cette Sainte Vierge doit avoir sa lampe. »
Ma mère était très attachée à l'église et tout particulière-
ment à la Vierge des Douleurs. Mais elle s’attacha égale-
ment comme nous sans réserve à cette Sainte Vierge.
Nous ne la laissions jamais sans lumière. Si nous allions
chez une parente, dans un autre village, nous emportions
la Sainte Vierge avec nous. Elle venait avec nous, voya-
geait avec nous. C’était une créature comme nous. Nous
n'étions pas trois mais quatre. Mon père adoptif construi-
sit une grande boîte. Quand nous allions à Naples, où
nous avions de la famille, la Sainte Vierge voyageait avec
nous jusqu’à Naples. Une fois arrivés, nous la retirions de
sa boîte. Quand nous allions à la mer, à Brancaleone, la
Sainte Vierge était avec nous, ainsi que les fleurs et la
lampe. Bref, combien de voyages avons-nous faits et com-
bien de voyages a-t-elle faits cette Sainte Vierge. Ma mère
mourut et je restai seule avec mon père. Il voulut alors
l’avoir en face de son lit pour pouvoir toujours la voir.
Avant la mort de mes parents, j’avais obtenu mon diplôme
de professeur de couture à Naples. J’exerçai ensuite mon
métier de couturière pendant trente ans. Mon père et ma
mère étaient morts dans l’intervalle. Une parente me dit
alors : « Tu es seule, prends deux institutrices chez toi. »
Elles restèrent sept ans chez moi. Ces deux jeunes filles
de Messine ne me payaient pas : elles apportaient à man-
ger et nous mangions ensemble. Nous formions une fa-
mille.
Puis elle se marièrent et je restai de nouveau seule. Pen-
dant les dix années qui ont suivi, j’ai eu comme locataire
un directeur de banque et un secrétaire. Moi j'étais dans
cette pièce avec la Sainte Vierge. Je faisais la bonne dans
ma propre maison : je lavais la vaisselle, les draps. Puis
ils s’en allèrent l’un après l’autre. Il y avait un peintre qui
était communiste. Je fis appel à lui pour peindre ma pièce
et lui demandai de mettre le lit à cet endroit. Je me rendis
à Maropati parce que là il y avait une Sainte Vierge qui
versait du sang. Il y avait avec moi un garçon qui prit mon
mouchoir et lui fit toucher le verre qui recouvrait la Sainte
Vierge car je n'y arrivais pas moi-même. Mon mouchoir
était blanc. Nous avions fait cela par dévotion. Le mou-
choir était toujours blanc quand je le remis dans mon sac
où se trouvaient également un cordon de Saint Antoine,
des images saintes et d’autres choses encore. Je gardai ce
sac avec moi. Longtemps après, quand le peintre me dit
de ramasser toutes les images qui se trouvaient sur la
commode, mon sac tomba, s’ouvrit et le mouchoir en sor-
tit, portant tous les signes et les croix de sang. Ma Sainte
Vierge n’avait encore rien fait. Au bout d'une quinzaine de
jours, deux jeunes filles vinrent me trouver en me disant :
« Pouvez-vous me couper ce manteau. » Et je répondis : «
Vous m'accrocherez bien ce tableau, le tableau de la
Sainte Vierge, dans ma chambre, au-dessus de la table
de nuit. » Ma chambre se trouvait là où se tient mainte-
nant la petite chapelle. J’ai aussi chez moi un long ta-
bleau représentant la déposition. Il faisait nuit quand je
sentis un très fort tremblement de terre. Les maisons d'à
côté se mirent aussi à trembler. Au matin, les personnes
qui y habitent me dirent : « Mademoiselle, qu’est-ce qui se
passe ?» Je répondis : « Je ne sais pas. » Quand nous en-
trâmes dans la pièce où se trouvait le tableau de la dépo-
sition, nous le trouvâmes à terre. Mais ce tableau ne pou-
vait à lui seul faire un tel bruit. Trois jours plus tard, alors
que je me trouvais chez moi avec les jeunes filles qui
étaient venues pour se faire faire un manteau, je les en-
tendis m’appeler : « Mademoiselle, regardez ce qu’a la
Sainte Vierge. » Je leur dis : « Qu’est-ce qu’elle a ?» Et je
me retournai : le tableau versait des pleurs. « Maman. »
fis-je. Nous nous dîmes : « Tu les vois ? ». « Oui ». « Et toi,
tu les vois ? » « Oui. » Les jeunes filles allèrent appeler leur
mère pour qu’elle voie elle aussi.
Des larmes. Des larmes coulaient. La Sainte Vierge n’était
pas sous verre. Elle était ruisselante... Les larmes sor-
taient du cadre.
C’était le 26 octobre 1971, à neuf heures du matin.
En partant, les jeunes filles me dirent : « Nous ne disons
rien, sinon ce sera la fin de tout. » Le 1er novembre, je
portai des fleurs au cimetière sur la tombe de mes pa-
rents. De retour du cimetière, je m’entendis appeler : «
Mademoiselle, on vous cherche. » C’était le photographe
Tropepe, de Polistena, qui fit ensuite un petit film sur la
Vierge alors qu’elle était en train de verser des pleurs. Il y
eut également un grand nombre de photographies de
prises. Nous appelâmes l’archiprêtre. Le dimanche, le ma-
réchal des carabiniers vint me trouver : « Mademoiselle,
dit-il, vous devez mettre le tableau dehors. » Je mis le ta-
bleau sur une chaise, dehors. Le visage de la Sainte
Vierge qui était auparavant sec, devint tout mouillé. Le
maréchal prit alors le tableau et l’examina. Il vit qu’au dos
se trouvait un carton et qu’il y avait en dessous un papier
tout à fait ancien, puis un autre renfort et enfin la repro-
duction de l’image de la Vierge. Quand il prit celle-ci en
main, les larmes perlèrent des yeux de la Sainte Vierge. «
Ah ! » s’écria le maréchal « C’est un miracle ! » Et s’adres-
sant à moi : « Je vais t’envoyer un de mes hommes de la
caserne. Si les gens touchaient cette image, la maltrai-
taient ! »
C’est là après tant d’années le récit de ces événements
lointains et extraordinaires que j ai recueilli auprès de
celle qui les vécut dans sa personne, une Bettina
Jamundo maintenant vieille et fatiguée mais se dévouant
toujours avec autant de ferveur à la Sainte Vierge. Quant
au tableau qui versa des larmes en 1971, il ne s’agit pas
d’une toile peinte, comme nous l’avons dit, mais d’une re-
production de 40 x 60 cm environ, qui a été amputée
avant d’entrer chez les Jamundo : une main de la Vierge
est en effet coupée.
— Il y a maintenant quinze ans que j’ai commencé à me
consacrer à la Sainte Vierge en disant le rosaire ! dit Bet-
tina.
— La Vierge vous est déjà apparue ?
— Oui, cela a commencé deux ans après les larmes.
C’était en janvier 1974. Je vais vous raconter la première
apparition de la Sainte Vierge. Des gens étaient venus en
pèlerinage de la région de Cosenza. Le maréchal des ca-
rabiniers avait recommandé : « N’ouvrez à personne ! »
Mais les pèlerins voulurent entrer : « Nous dirons seule-
ment un "Salve Regina”. Avec les parapluies, il y eut une
vraie mare par terre. Je dis : « Sainte Vierge, il a fallu que
tu viennes ici, dans ce taudis, et pas dans un salon avec
des divans et tout ça ! »
Les gens s’en allèrent. Je demeurai seule et la maison
était trempée. Je me dis : « Je ne fais rien. Je suis fatiguée
et je vais me coucher. Je suis vieille et malade. »
Quand je me réveillai, le matin suivant, vers huit heures
et quart, c’était le 23, le ciel était vilain, quatre éclairs le
parcoururent et un coup de tonnerre retentit. Une boule
entra alors dans la maison et je me dis : « Elle va éclater
là et toute la maison avec. »
C’était une boule rouge qui alla se placer sous l’armoire.
— De quelle couleur avez-vous dit qu elle était ?
— Jaune et rouge.
— Grande comment ?
— Comme une orange. J’ai eu peur et j’ai pensé : « La
maison va sauter. »
Mais en me retournant j’ai vu une religieuse à côté de la
commode.
« Par où êtes-vous entrée ? » dis-je. Je croyais qu’elle fai-
sait partie du pèlerinage de la veille. « Où vous êtes-vous
cachée ? » (La porte de la maison était fermée. Je n’avais
ouvert que la fenêtre). Je dis encore : « Regardez un peu
ce qui m’arrive avec cette Sainte Vierge ! Les gens se ca-
chent chez moi et y dorment et je n’en sais rien ! Vous
avez dormi sous le lit ? » Elle ne disait rien.
— Elle était belle ?
— Oui elle était belle. Mais ses pieds nus ne reposaient
pas par terre. Elle avait une robe de couleur gris-bleu. «
Traça, elle me parla en dialecte, Sugnu la Mamma del
Nazzareno »109. En entendant ces mots, je me sentis
comme morte : je me jetai à terre à genoux. Je n’étais plus
de ce monde, je me trouvais dans un autre monde. Je ne
comprenais plus rien. « Lève-toi, ne tremble pas, dit-elle,
et écris. » Et je reçus son premier message. Je n’avais ja-
mais reçu de messages. Je n’avais pas de papier sous la
main mais je trouvai un faire-part de mariage. Elle le prit,
le retourna et me fit écrire le premier message :
« Moi, Mère de Jésus de Nazareth, je suis apparue à la
femme qui se consacre à mon Cœur douloureux. Je de-
mande aux âmes qui me sont dévouées de réciter quinze
fois le rosaire en entier, au moins une fois tous les huit
jours. Toi, ma fille, tu sais qui je suis, dis-leur que je prie
pour eux et que je retiens le bras du divin Nazaréen car
ton pays (l’Italie) connaîtra une triste fin. Dis au prêtre,
mon ministre, qu’il vienne plus souvent. Ma fille, nous
nous reverrons. Baise chaque jour l’arbre du premier mi-
racle de la nuit du 15 juillet. »
Elle fit un beau sourire. Elle n’est pas blonde la Sainte
Vierge : elle est brune, avec la raie au milieu. Et ses yeux
sont noisette.
Quand elle disparut...
— Comment disparut-elle ?
109
« Me voici. Je suis la Maman du Nazaréen. »
— Je ne saurais vous le dire. Comme si elle était entrée
dans le mur. Quand elle fut partie, ma maison était toute
sèche, dans un état parfait : la mare qu'avaient provoquée
les parapluies mouillés avait disparu.
— Et la deuxième apparition, quand s’est-elle produite ?
— La deuxième apparition et les suivantes eurent lieu à
une certaine distance l’une de l’autre.
11 février 1974, huit heures quarante :
« Moi, la mère du divin Nazaréen, je veux qu’avec vos
prières vous dissipiez tous ces péchés qui existent dans
le monde. Je t’ai déjà dit que le monde connaîtra une
triste fin, en particulier l’Italie. Ceux qui soulagent les
blessures du Nazaréen... seront placés sous la protection
de ma miséricorde. Priez et faites que l’on prie car ma der-
nière apparition sera triste, tout particulièrement pour
ceux qui ne croient pas à mes larmes. »
3 avril 1974, neuf heures trente cinq :
« Je suis apparue pour la troisième fois à la femme qui
souffre en pensant à ma douleur et à mon cœur qui
saigne... car je vais à la recherche de mon Nazaréen.
Rachetez les péchés par la communion, car vous êtes à la
fin et la charité et les prières, tu le sais ma fille, guérissent
les plaies de mon cher Fils. Vous me voyez affligée parce
que je voudrais tous vous sauver et que mon Fils souffre
beaucoup, ce qui me déchire le cœur à moi, sa Mère. »
13 mai 1974, neuf heures quinze :
« J'apparais devant toi pour la quatrième fois. Dis que
l’Italie a le 14 connu un grand fléau qui a contaminé toute
la nation. Rome, la ville sainte, le paiera ainsi que ses
prêtres. Jadis, le Nazaréen était cloué sur la croix et les
malfaiteurs lui dirent : "Si tu es Dieu, descends de la
croix". Son bras va se libérer, l'heure est venue.
Priez et faites que l’on prie pour cette nudité, mon man-
teau de miséricorde est grand pour ceux qui veulent se
sauver. O mon enfant bien-aimée, amie des apôtres qüi
t’entourent, fais-les prier. »
— La Vierge vient encore vous trouver ?
— Oui.
— Elle vous dicte d’autres messages ?
— Oui.
— Comment se présente-t-elle ?
— En pleurs : la Sainte Vierge pleure.
— En quel endroit de la maison vous apparaît-elle habi-
tuellement ?
— Dans cette petite pièce et dans ma chambre.
— Combien de fois ?
— Des centaines de fois. Quand elle pose la main sur moi
je sens un parfum extraordinaire.
— Comment s’annonce la Vierge ?
— Je la vois tout d’un coup.
— Avez-vous peur ?
— Je sens quelque chose en moi... Je ne comprends rien.
— Êtes-vous mal à l’aise à l’idée de rester seule et de sa-
voir que la Vierge peut apparaître ?
— Non. La Sainte Vierge apparaît également quand il y a
beaucoup de monde. On sent alors un parfum extraordi-
naire et elle apparaît. Elle dicte et j’écris le message. Par-
fois elle me dit : « Sur ce message tu dois tenir le secret.
Quand je te le dirai, tu pourras le faire connaître. »
Non loin de la maison avec son potager et sa petite cha-
pelle où vit la visionnaire Bettina Jamundo en compagnie
de la Vierge qui pleure, se dresse l’église du Carminé dans
laquelle se trouve une statue représentant la déposition
du Christ.
Le soir du 23 mai 1978, jeudi saint, une fillette de Cin-
quefrondi qui s’était approchée de la statue pour la baiser
eut les lèvres et les doigts tachés de sang. Le fait se répéta
le jour suivant dans une église pleine de fidèles célébrant
le Vendredi Saint et il en fut de même pour le Samedi
Saint, le lundi de Quasimodo et en maintes autres occa-
sions.
Le mardi de Quasimodo, alors que l’église avait été fermée
par ordre des autorités ecclésiastiques, un crucifix en
plâtre se mit à verser du sang au domicile de cette même
fillette, au n° 2 de la via Indipendenza. Le prodige se ré-
péta. Le sang recueilli chez la fillette ainsi que celui qui
avait perlé sur la statue de l’église furent prélevés et les
analyses révélèrent qu’il s’agissait de sang humain d’un
autre groupe que celui de la fillette.
Sur une photographie prise sur le vif, on voit clairement
la goutte de sang perler presque à l’extrémité de l’os
iliaque sur le côté droit de la statue de l’église du Carminé
de Cinquefrondi. La goutte de sang humain est apparue
à dix-sept heures trente le 15 janvier 1979, en présence
de témoins.
La fillette s’était cette fois-ci rendue à l’église pour porter
au Recteur, le Père Fortunato Sirrenti, un message que
lui avait confié Jésus le 8 janvier : « Et je vous avertis que
la paix ne viendra pas si vous ne priez pas... Ma mère
pleure du sang parce qu’il n’y a pas assez de prières. J’ai
choisi cette fillette pour qu’elle convertisse les gens et prie
pour le monde. »
Apparaissant une heure plus tard sous l’apparence de Jé-
sus Miséricordieux, le Seigneur ajouta : « Des choses af-
freuses surviendront si vous ne vous ressaisissez pas... et
des Anges du Paradis descendront sur terre et vous di-
ront : "Vous y croyez ?”
Presque deux années ont passé depuis les faits qui se
sont produits à l’église du Carminé. Cinquefrondi est,
nous l'avons dit, situé dans la province de Reggio de Ca-
labre d’où l’on peut voir la Sicile de l’autre côté du détroit
de Messine. Or, le 8 décembre 1980, dans la province
toute proche de Catane, les murs de la maison de la fa-
mille Orofino, située au n° 15 de la via Riganati dans le
village d’Adrano, se retrouvèrent tout à coup maculés de
traces de sang frais. Simultanément, des larmes com-
mencèrent à couler des yeux de l’image figurant sur une
carte postale souvenir en noir et blanc rapportée de Cin-
quefrondi et représentant le Sacré-Cœur de Marie. En
tombant sur la table, ces larmes se changeaient en sang.
Le phénomène dura pendant plusieurs jours. Les gens
pouvaient tremper le doigt dans le sang frais. Un pèlerin
de Catane eut alors l’idée d’apporter dans la maison des
Orofino une grande image de Jésus Miséricordieux. Une
autre fois il apporta une image de la Vierge de Fatima.
C’est alors que le prodige cessa de se produire sur la carte
représentant la Vierge de Cinquefrondi et que les larmes
de sang commencèrent à couler de l’image de Jésus Mi-
séricordieux et de la Vierge du Portugal.
Les gens ont attribué tous ces événements et ces signes,
survenus dans un rayon si étendu, aux « appels extraor-
dinaires de Cinquefrondi ».
Un autre personnage incarne l’expression de la piété po-
pulaire en Calabre : il s’agit de Natuzza Evolo, de Paravati,
une sainte femme également stigmatisée dont la maison
est devenue un lieu permanent de pèlerinage. Tout
comme Bettina et les autres stigmatisés et visionnaires,
Natuzza n’est cependant que la partie visible de cet ice-
berg qu’est la foi en la Sainte Vierge et en son Fils, lequel
atteint, sur cette terre de « Grâce » des proportions gigan-
tesques.
À Nicastro, la foi en Jésus dont les visionnaires Pietro et
Giovanni (leur nom de famille ne peut être divulgué) se
font les apôtres donne lieu à l’apparition de centaines de
croix de sang sur les rideaux, draps et nappes de gens qui
prient avec ferveur dans un lieu de culte privé. Au nombre
de phénomènes « merveilleux » qu’entraîne la dévotion,
j’entendis parler, toujours en Calabre, de deux femmes :
l'une, Maria Marino, dont la gorge laisse de temps en
temps échapper, « par une grâce surnaturelle », un chant
merveilleux, une mélodie sans paroles mais extraordi-
naire ; l’autre, Caterina, originaire de Settingiano, qui
s’entretient tous les jours avec la Vierge et est stigmatisée
pendant la Semaine Sainte. Toutes deux demeurent à Ca-
tanzaro. Maria a été reçue par le Pape Jean Paul II tandis
que Caterina nourrit sa foi en dehors de la protection de
l’église.
Le problème pour moi, qui cherchais à reconstituer la
trame de Cinquefrondi, était surtout de trouver la « voix
d’ange ». Maria avait en effet l’habitude de faire le tour des
églises de Catanzaro, sans programme précis d’après ce
que l’on m’avait dit. Mêlée à la foule, elle attendait sim-
plement que 1’« Esprit Saint » se manifeste à travers elle,
faisant merveilleusement vibrer ses cordes vocales.
Je n’insisterai pas sur le mal que j'eus à rassembler
quelques renseignements plus précis. On me donna fina-
lement le nom d’un frère franciscain que l’on pouvait
trouver dans une petite église de campagne, sur le do-
maine des princes Ruffo délia Scaletta. Celui-ci devait
pouvoir me permettre de rencontrer Maria. À la fin de la
messe, les paysans en habits du dimanche baisèrent la
main de l'officiant et me prirent pour la fille de la prin-
cesse du lieu, une fille qui serait revenue après une
longue absence : dans cette atmosphère de conte de fée,
j’appris du frère franciscain que pour trouver celle que je
cherchais, je devais me rendre, l’après-midi même, à cinq
heures, à l’église du Rosaire de Catanzaro.
J’arrivai à Catanzaro bien avant l’heure indiquée. Je m’at-
tardai tout d’abord dans la partie basse de cette ville
construite autour d’une théorie de quartiers et de fau-
bourgs répartis sur plusieurs niveaux en partant de la
côte et en allant vers les hauteurs. Je m’étais en effet sou-
venue de Caterina et je voulais aller à sa recherche. Je
réussis à trouver sa maison au milieu des ruelles du
quartier Santa Maria.
La jeune femme se terrait chez elle en compagnie de ses
deux enfants dont un nourrisson. Un charmant petit au-
tel était dressé dans l’une des pièces et quelques visiteurs
étaient déjà assis sur un divan. Le mari de Caterina allait
et venait, faisant en quelque sorte les honneurs de la mai-
son. Mais c’était un « compère », fidèle déclaré et « apôtre
» de la visionnaire, qui réglait les allées et venues des vi-
siteurs. Ladite visionnaire dont l’innocent visage avait les
traits tirés attendait, un enfant dans les bras et l’autre à
ses genoux, que sa « Petite Sainte Vierge » (« Madonnina »)
comme elle l’appelait, lui rende visite et la console, entre
cinq et sept heures.
Je souhaitais me trouver dans l’église du Rosaire à cinq
heures pour pouvoir assister à l’arrivée de Maria, mais je
ne réussissais pas à me détacher du divan sur lequel
j’étais assise à côté de la jeune mère qui attendait la
Vierge. Tout à coup elle se leva et courut vers l’autel. Son
visage était radieux, détendu, béat. Son regard était dirigé
vers le haut et tandis qu’elle était en contemplation, son
cou se mit à enfler considérablement, une grosseur de la
taille d’un melon apparaissant sous sa peau à la hauteur
de la glotte.
La Vierge est là et un bruit étrange et profond, un bruit
sec et répété tel un message en morse venu de l’intérieur,
rompt le silence de la pièce. On ne sait d’où il provient
mais, passé le premier moment de surprise, on le rap-
proche de l’enflure et on devine derrière cette crépitation
atone le dialogue muet qui se déroule entre la visionnaire
et son apparition.
Quelques minutes plus tard, la jeune femme est sortie de
son extase : la Vierge a disparu. Je dois maintenant m’en
aller si je veux retrouver l’autre visionnaire. Maria Ma-
rino. Mais en me voyant me diriger vers la porte, Caterina
m'adresse une prière en guise d’adieu :
— Vous voulez me faire plaisir ? Faites-moi rencontrer le
Pape.
Cette supplique empreinte d’une grande tristesse résonne
encore dans mes oreilles alors que je pénètre dans l’église
du Rosaire, perchée tout en haut de la ville de Catanzaro.
Je me fraye un passage parmi la foule et, espérant vive-
ment apercevoir Maria, je vais me placer dans les pre-
miers rangs. La messe touche à sa fin mais tout le monde
est encore là quand s’élève du banc situé juste derrière le
mien une voix profonde, vibrante, retentissante. Une
femme menue s’est levée et a commencé à parler d’une
voix qu’on dirait masculine. Elle lance un sévère avertis-
sement à la foule rassemblée et des invectives contre les
faux prophètes. Lorsque son interpellation est terminée,
la fragile silhouette se dirige d’un pas ferme vers la sacris-
tie, quelques rougeurs ayant malgré tout envahi son vi-
sage. Mon intuition me dit que ce jour-là à Catanzaro l’Es-
prit Saint a soufflé sur notre Maria.
Je lui cours après. Me trouvant face à elle, je m'aperçois
qu’en dépit de sa faible constitution, elle me dépasse. Ses
traits agréables s’accorderaient cependant davantage
avec une voix d’ange qu’avec celle d’un prophète biblique.
Mais tout à coup, avant même que j’ai le temps de pour-
suivre mes réflexions, je vois le cou de Maria enfler, tout
comme celui de Caterina peu de temps auparavant. Puis
j'entends de nouveau le bruit sourd et répété, venu on ne
sait d’où, qui m’avait déjà frappé dans les quartiers de la
ville basse. « Tu reconnais le coassement de la grenouille ?
», me dit-elle de sa voix de vieux prophète. Maria Marino
m’avait donc vue, telle une voyante, alors que je me trou-
vais chez « l’autre », dans les faubourgs de Catanzaro. Je
compris alors pourquoi cet après-midi là, dans l’église du
Rosaire, il n’y avait pas eu pour moi de chant merveilleux.
« Va-t-en. Il n’y a pas de place pour toi. Je ne veux pas de
ton temps, mais de ton cœur ! » dit justement, en des
termes plus ou moins approchants, une poésie de Maria,
de Catanzaro, publiée dans un journal bimensuel de la
paroisse.
Le 2 juillet 1981, jour de la fête de la Madone de la Grâce
et de la Visitation, une voiture parcourait la route qui, des
côtes tyrrhéniennes de la Calabre, mène en traversant la
chaîne des montagnes jusqu'aux côtes ioniennes, à Ca-
tanzaro.
Partie de Cinquefrondi, la voiture dans laquelle voya-
geaient Bettina Jamundo et certains de ses fidèles accom-
pagnateurs, se rendait à Casciolino (Catanzaro Lido).
C'est au cours de ce voyage que, vers onze heures, les
stigmates que la visionnaire avait aux poignets commen-
cèrent à saigner. C’était un jeudi et cela parut étrange,
dans la mesure où le phénomène se manifestait d’ordi-
naire le vendredi.
Il y avait cependant une raison à cela : la visionnaire se
rendait sur la colline où se dresse une Croix portant l’ins-
cription : « Le Christ règne », dans la localité de Casciolino
située sur le front de mer de Catanzaro, en direction de
Jérusalem. C’est un avocat calabrais, Giuseppe Guerrisi,
qui fit ériger la Croix à ses frais, la colline où sont célé-
brées des messes appartenant à son épouse. Il raconte :
« À dix-sept heures, alors que nous nous apprêtions à
nous rendre jusqu’à la Croix portant l’incription "Le
Christ règne”, les plaies se rouvrent, laissant échapper un
flot de sang.
À dix-sept heures dix, nous montons la colline où se
dresse la Croix et nous entamons l’heure d’adoration et
de prière en l’honneur de l'Esprit Saint.
Pendant le troisième quart d’heure de la méditation, nous
voyons Bettina, qui était restée dans la voiture, changer
de visage et tomber en extase tandis que des larmes cou-
lent le long de ses joues. Sont présents : Giuseppe Guer-
risi, Antonia Di Tocco, Silvia di Tocco, Margherita Guer-
rini, Maria Galluzzo veuve Pronesti, auxquels viennent se
joindre, presqu’à la fin du prodige qui dure environ dix
minutes, Giuseppina Messina épouse Prejanô, Mme Mar-
zano et huit autres personnes de Catanzaro, dont Maria
Marino elle-même. Arrive enfin le curé de la paroisse du
Sacré-Cœur, sur le territoire de laquelle se dresse la
Croix. »
Sortie de son extase, Bettina raconte ce qu elle a vu : la
Très Sainte Vierge est apparue dans sa robe blanche et
son manteau bleu, la tête couverte d'un voile blanc. Elle
reposait sur un petit nuage blanc qui la maintenait à
quelque vingt-cinq centimètres du sol. Sa main droite
était accrochée au grillage qui soutient la Croix et elle ras-
semblait de sa main gauche son manteau que le vent
avait dérangé. Une magnifique colombe blanche était po-
sée sur son épaule gauche et avait gardé les ailes dé-
ployées pendant tout le temps de l'apparition. Autour
d’elle se trouvait une multitude de personnes de tous les
âges, vêtues de blanc et de bleu ciel, adultes et enfants,
qui, les mains jointes regardaient vers le haut en direction
d'un disque lumineux qui se tenait au-dessus de la Croix.
Ce disque envoyait des rayons de lumière dans toutes les
directions.
La très Sainte Vierge me disait : « Béni soit ce lieu ! Béni
soit ce lieu ! Béni soit ce lieu ! Béni soit le symbole de mon
Cher Fils ! Béni soit le symbole de mon Cher Fils ! Bénie
soit la Croix ! » Elle s’était éloignée sur ces paroles en don-
nant sa bénédiction puis était réapparue à l’arrivée des
personnes venues de Catanzaro pour s’associer aux
prières. Et Bettina avait répété par deux fois : « La Sainte
Vierge est parmi nous — La Sainte Vierge est parmi nous.»
110
Les messages ont en fait été transcrits. Certains seront cités plus avant.
L'int. — Où la vois-tu exactement ?
Roberta — Où il y a toutes ces fleurs.
L’int. — L'as-tu jamais vue chez toi ?
Roberta — Quand j’étais petite, je l'ai vue près du rideau,
entourée de douze étoiles. Puis une autre fois, dans la
chambre, dans le miroir. J’ai vu un grand nuage, avec six
fleurs tout autour de la Madonna del Pozzo. Maintenant
ça suffit.
L’interview prend fin. La fillette demande à sa mère de
l’argent pour s’acheter une glace. Sa mère fouille dans son
corsage et en tire des pièces de monnaie.
« Voilà, j’ai trouvé quelque chose ! », s’exclame-t-elle.
Alors je fouille dans mon sac et je dis moi aussi que j’ai
trouvé quelque chose en montrant quelques billets de
mille lires. « Non ! », s'écrie Roberta, tandis que je lui tends
l'argent ; et, du divan sur lequel il est étendu, son père
proteste à son tour, faisant pour la première fois entendre
le son de sa voix.
Roberta est une belle petite fille. Sa mère, qui l’a eue à
quarante-et-un ans, dit qu’elle a toujours été une enfant
calme et qu’à six mois elle parlait déjà. Elle a été précoce
en tout. Au moment où nous écrivons, elle n'a toutefois
pas encore fait sa première communion.
Par lettre recommandée datée du 10 juin 1986, la petite
Roberta Dell'Olio me fit parvenir deux feuilles de cahier
sur lesquelles elle avait recopié plusieurs messages de la
Vierge. Nous en rapportons quelques-uns :
3 novembre 1985, La signification de cette histoire et
pourquoi cette histoire m'est arrivée à moi. La Sainte
Vierge me l’a dit mais elle m’a aussi dit que je ne devais
le dire à personne parce que c’est un secret.
Dell’Olio Roberta.
111
Il n’est pas difficile de reconnaître dans la prophétie la tragédie de la centrale
nucléaire de Tchernobyl, qui a semé la mort dans le village soviétique du même
nom et a eu des effets néfastes dans les autres pays.
Francesca Paier à Cavarzano, près de Belluno. La fillette
voit la Sainte Vierge sur la colline de Lanza et son com-
portement est le même que celui des autres enfants saisis
par une extase mystique.
La Vierge apparaît également aux écolières pendant les
heures de classe. Le fait que les enfants se trouvent ras-
semblés semble favoriser le phénomène, dont la surve-
nance est également liée sans aucun doute à bien
d’autres causes concomitantes.
Ce fut le cas à l'école secondaire « Nicola Romeo » de Ca-
savatore, un village de l'arrière-pays napolitain. Les élèves
de la classe de 6e D comme leur enseignante ont vu, au-
dessus des branches d’un arbre que l’on peut facilement
apercevoir de la fenêtre de la salle de classe, l’image ca-
ractéristique de la Vierge.
Tout avait commencé le 13 décembre 1985 lorsque Lore-
dana Tronconi, une élève de 11 ans, avait raconté en
classe qu’elle était allée à Oliveto Citra, un village de la
vallée du Sele, dans la province de Salerne, où l’on voyait
depuis le printemps apparaître la Vierge de l’autre côté de
la grille qui interdit l’accès à un vieux château abandonné
depuis des années.
La description de ce lieu si évocateur et de l’émotion sus-
citée par ces visions qui se répètent toutes les nuits sur
fond de prières, de cantiques et autres formes de dévo-
tions, avait touché tout particulièrement trois des
membres du petit auditoire, qui avaient éclaté en san-
glots.
La première qui s’était mise à pleurer était Maddalena
Orefici, 11 ans. Le plus étonnant était que la fillette pro-
fessait une foi évangélique, au point qu’elle s’abstenait de
prier en même temps que ses compagnes. Mais pourquoi
Maddalena s’était-elle mise à pleurer de la sorte ? La rai-
son était encore plus étrange : elle voyait à ce moment-là
une figure qui passait d’une fenêtre à l’autre, se déplaçant
dans l’air : une figure céleste, floue mais reconnaissable :
celle de la Vierge Marie.
Une autre fillette, Gilda Chiangiano, âgée elle aussi de 11
ans, avait également été bouleversée, ayant vu la Vierge
près d’un arbre. Celle-ci portait l’Enfant Jésus dans ses
bras et Elle lui avait fait un signe pour l’inviter à se mettre
à la fenêtre : Elle s’était alors présentée bien distincte-
ment à Gilda Chiangiano, mais aussi à Gilda Baione et à
Assunta Masiello, également du même âge, qui avaient
remarqué l’auréole lumineuse autour de la céleste appa-
rition.
Les cris de surprise et d'émotion que poussèrent les
quatre fillettes firent accourir les autres, qui se mirent
elles aussi à la fenêtre. Elles furent alors nombreuses à
écarquiller les yeux devant cette vision tandis que
d’autres voyaient se dessiner dans l’air diverses figures
telles que, par exemple, le manteau de la Vierge, si vaste
qu'il entrait dans la classe, l’inscription « Vive Marie, vive
Dieu », un arc-en-ciel sous lequel se tenait la Vierge, un
vol d’oiseaux, un soleil en rotation.
D’étranges odeurs, telles qu’en dégage une substance qui
brûle, mais également des effluves parfumés rappelant le
jasmin ou la clémentine, flattèrent l’odorat de l’écolière.
Tandis que ces impressions olfactives, et tout particuliè-
rement l’odeur de brûlé, provoquaient une sorte d’état
d’alerte dans l’école, au point que le directeur tint à se
rendre compte en personne de ce qui se passait (sans ré-
sultat toutefois), un garçon vit lui aussi, de la cour de
l’école où il se trouvait, la Vierge à l’Enfant qui était en
prière : la figure glissait le long du mur. À Maddalena Ore-
fici la Vierge révéla qu’elle ne franchissait pas les fenêtres
et n’entrait pas dans la classe parce qu’elle souhaitait que
sa venue demeure secrète.
Ce ne fut pas le cas puisque, durant les heures qui suivi-
rent, le phénomène prit des proportions de plus en plus
impressionnantes et devint extrêmement complexe.
Lorsque, à onze heures trente, l'enseignante Rita Rocco
prit la place de sa collègue dans une classe mise en émoi
par ces événements insolites, l’expérience collective de-
vint encore plus troublante.
Les fillettes s’exclamèrent, voyant à ce moment même la
Vierge Marie qui les invitait à se mettre toutes à la fenêtre.
Elles s’y précipitèrent. Leur professeur vit alors la Madone
des Grâces, comme dans un tableau, contre l’arbre au-
dessus duquel elle était apparue aux autres fillettes.
Dans l’intervalle, l’une des élèves, Omella di Gennaro,
avait couru avertir ses camarades de 5e D de ce qui se
passait dans leur classe : ces dernières se mirent égale-
ment à la fenêtre et virent la Vierge Marie dans la cour de
l’école. Par la suite, on apprendra également qu’une éco-
lière qui ignorait totalement ce qui se passait et qui se
trouvait dans la cour pour la leçon de gymnastique avait,
en levant les yeux, vu dans le ciel une chose étrange : une
carte d’Italie (la vision avait été la même pour plusieurs
élèves de la classe de 6e D).
L'après-midi, d’autres élèves eurent l'idée de dresser, près
du mur où était apparue la Sainte Vierge le matin même,
une petite table sur laquelle furent exposées des images
pieuses. Alors qu’ils se trouvaient à cet endroit, ils virent
tout à coup la Vierge près de la table. Leur expression de
stupeur et leurs appels firent accourir enfants et adultes :
alors « ceux qui voient ne se comptent plus », commenta
l’équipe médicale dont les études ont fait l’objet d’un rap-
port scientifique lors d’un Congrès International sur les
phénomènes mystiques qui s’est tenu en Espagne au
cours de l’été 86112.
« Plusieurs jours plus tard, si l’on en croit les visionnaires
de la "deuxième génération”, commencent à apparaître
sur les murs de l’école des images religieuses. Les figures
se dessinent sur les stores et, lorsque ceux-ci sont rele-
vés, les images glissent vers le bas, sur le mur. Il ne fau-
dra que quelques jours pour qu’elles fassent leur appari-
tion sur les murs des maisons entourant l’école, puis de
plus en plus loin, jusqu’à la paroisse de Casavatore. Ap-
paraissent le visage de Jésus, la Vierge Marie et même la
figure de Dieu. Tous verront les figures sacrées : le maire,
son adjoint, ses assesseurs, des médecins, des gens ins-
truits, de petites gens : même les carabiniers qui en bra-
quant des torches électriques tenteront d’effacer les
images sur les murs. »
112
L’équipe médicale était composée des docteurs Giorgio Gagliardi, Marco
Margnelli, Mauro Cardella et de l'association Regina della Pace — section Re-
cherches.
Vers le 20 janvier 1986, les visionnaires du début (de la «
première génération ») voient de nouveau des apparitions.
Non plus en classe, à l’école, mais sur le grand tableau
noir du ciel.
« Tout d’abord elles assistent à un duel apocalyptique : la
Sainte Vierge, armée d’une grande épée, se bat contre un
serpent géant et le terrasse. La bataille dure peu. Dans le
même temps, les petites visionnaires voient se dessiner
dans le ciel les mots : « Convertissez-vous, sinon vous
vous en repentirez », et une date : « février 1987 ».
Des exégètes de fortune en interprètent immédiatement
la signification : 32 c’est le serpent, le diable : 1 c’est l’Ita-
lie : 33 c’est l’âge du Christ et 8 c’est la Vierge. Cette in-
terprétation est celle de la cabale napolitaine qui consiste
à interpréter les signes pour jouer au « lotto ».
Un phénomène analogue s’est produit à partir du 24 dé-
cembre 1984 pour une classe de cours moyen de Crotone,
en Calabre. Les élèves se trouvaient dans l’église de l’Im-
macolata qu’ils étaient en train de visiter sous la conduite
de leur maîtresse, Antonietta Ferrigno. Ce fut alors qu’ap-
parut Jésus, exactement à l’endroit de l’ostensoir qui res-
semblait, avec la grande hostie exposée sur l’autel, à un
petit écran de télévision.
« Le 22 décembre 1984 je vins ici en compagnie d’une col-
lègue pour que nos élèves rendent visite au Saint-Sacre-
ment », raconte l’institutrice. « Dès que nous nous
sommes agenouillés, les enfants ont manifesté bruyam-
ment leur surprise : ils poussaient des cris en disant
qu’ils voyaient Jésus dans l’hostie exposée sur l’autel.
Certains disaient le voir couronné d’épines, d’autres re-
marquaient le sang qui coulait de ses cheveux et de sa
barbe. Ma collègue et moi nous nous sommes regardées,
tout étonnées : "mais comment est-ce possible ? Qu'est-
ce que vous dites ?” avons-nous dit aux enfants. Mais ils
semblaient être devenus fous. Nous retournâmes à
l’école. Là, ils commencèrent à dessiner Jésus au tableau
et sur leurs cahiers. Les jours suivants, ils voulurent ab-
solument que je les accompagne à l’église : je tins à ce
qu’ils s’y rendent seuls car je ne voulais pas que l’on dise
que c’était moi qui les influençait. Pendant ce temps, je
menais l’enquête sur l’hostie. J’allais trouver un prêtre
pour lui demander si par hasard le visage de Jésus n’était
pas imprimé sur cette hostie. Il me répondit qu’il y avait
bien une croix, mais pas du tout de visage. Je me rendis
chez le fabricant. J’appris qu’elles étaient faites unique-
ment avec de l’eau et de la farine et que la croix y était
imprimée par moulage. Le 22 janvier l’une de mes élèves,
Patrizia Manfredi, me supplia en classe : "Maîtresse,
pourquoi demain on ne se voit pas tous ensemble dans
l’église de l’Immacolata ?” Nous nous donnâmes rendez-
vous à dix heures et demie. Après avoir prié à genoux en
compagnie de mes élèves, je me levai pour m’en aller. Je
m’étais déjà engagée dans l’allée qui sépare les bancs
quand un élève, Eugenio Piro, m’appela : "Maîtresse, ve-
nez voir par ici” Pour lui faire plaisir, je m’approchai de
l’autel et vis tout d’abord uniquement l’hostie blanche,
puis un dessin gravé dans l’hostie et enfin un visage bien
net : il portait une couronne d’épines si grande que la tête
s’y enfonçait. Les jours suivants, je vis de nouveau Jésus.
Puis il y a eu les apparitions de Jésus "en chair et en os",
dans l’église cette fois et non plus dans l'hostie. »
« J’étais en train de réciter le Notre Père dans l’église de
l’Immacolata », raconte Alessandra Scerra, une fillette
fluette comme un roseau, « et tout d’un coup j’ai senti
quelque chose derrière moi. J’ai tourné la tête et j’ai vu
Jésus. C'était un homme vêtu d’une tunique pourpre. Jé-
sus s’est déplacé, il est allé vers le crucifix qui se trouve
sur l’autel, il l’a pris et l’a soulevé devant tout le monde.
Mes camarades m’ont vu pleurer. Ils ont aussi vu le cru-
cifix qui allait d’un côté à l’autre de l’autel. Le jour sui-
vant, j’ai encore vu Jésus, à un mètre cinquante de moi,
et il m’a parlé. La maîtresse a remarqué que je pleurais.
Elle a pensé que je ne me sentais pas bien. Elle voulait
que l’on m’accompagne dehors, mais je lui ai dit : "Maî-
tresse, je suis en train de voir Jésus”.
Il serait trop long de citer tous les enfants et tous les
adultes qui affirment encore aujourd’hui voir le visage du
Christ sur l’écran que constitue l’hostie et, par un autre
effet « magique », sur le grand écran formé par la conque
remplie de stucs, d’ors et de merveilles du dix-huitième
siècle de cette église consacrée à Marie. Le curé, le Père
Giuseppe Covelli, a recueilli des centaines de témoi-
gnages, sans jamais faire de commentaires, encoura-
geants ou décourageants.
Les témoignages émanaient — et émanent toujours — de
personnes dignes de foi. « Le mercredi d’avant le di-
manche des Rameaux, entré dans l’église pour une brève
visite, je m’agenouillai devant le banc du fond. Dès que je
relevai les yeux, je vis le Christ : non pas dans l’hostie,
comme tant d’autres, mais à côté. C’était une personne
en chair et en os, qui appuyée sur l’autel comme sur un
parapet, se penchait vers moi. Il était si naturel que je
suis resté là à le fixer pendant une vingtaine de minutes.»
La Vierge serait même apparue dans un garage, à une fil-
lette d’un village de la province de Naples :
« Angela, viens, je t’attends. Tu ne veux pas me connaî-
tre ? » La voix, faible et presque plaintive, provenait d’un
garage. Angela, qui avait dix ans, était en train de jouer
non loin de là, sur la route, avec trois petites amies. In-
triguée, elle ne put résister à cet appel et entra dans le
box. Une heure plus tard, elle n’en était toujours pas sor-
tie et l’une de ses amies, inquiète, décida de prévenir ses
parents. On retrouva Angela à genoux, en prière et en
pleurs.
Entre deux sanglots elle réussit à prononcer quelques
mots : « J’ai vu le visage de la Sainte Vierge. Elle était là,
en face de moi. Elle me regardait fixement dans les yeux...
» Puis, son père l’ayant prise dans ses bras, la fillette
s’évanouit.
Ceci s’est produit hier soir à Cardito, un village de 15.000
habitants aux portes de Naples113.
Un mois plus tard, l’image du Christ apparaît à Licata,
dans la province d’Agrigente, dans la cour d’une maison
à moitié en ruine. Les enfants surpris par cette vision sont
Francesco Combino (9 ans), Danilo Cona (10 ans), Filippo
Lopresti (11 ans). Ils étaient à ce moment là en train de
113
Antonello Perrillo, « La Madonna appare dentro un garage » (Il Tempo, 18 avrìl
1986).
jouer tout naturellement au ballon à cet endroit, qui sem-
blait mieux se prêter à la dépense de leur énergie phy-
sique qu’à une manifestation de leur imagination (la cour
abandonnée se trouve via Federico, dans le quartier Ma-
rina di Licata).
De nombreux villages ont eu et continuent d’avoir leur
Bernadette, comme le montre la liste figurant en annexe ;
une Bernadette qui est également une Cassandre capable
de prévoir et de prophétiser. Dans tous les cas, c’est un
petit oiseau qui, si on le maltraite, se sent blessé à mort
et cesse de chanter.
VIII
114
Gabriel Maindron, Apparizioni à Kibeho, Ed. Queriniana, Brescia, 1985.
Il est par ailleurs intéressant de noter que la langue na-
tionale, le kinyarwanda, est ressentie par le peuple
comme un fondement de l’unité nationale, au point que
le Jambo (le Verbe) revêt une importance primordiale
dans la vie sociale du pays. Extroverti, heureux de vivre
et hospitalier, aimant le chant et la danse, le Rwandais a
la veine poétique et une imagination fertile. C’est ainsi
qu’au cours des veillées les gens aiment à citer des pro-
verbes et à raconter des faits plus ou moins légendaires.
— Ndi Nyina wa Jambo (Je suis la Mère du Verbe), dit
justement la Vierge à Alphonsine Mumureke le jour où
elle lui apparut, à savoir le 28 novembre 1981. Née seize
ans plus tôt dans la région Est du pays, connue pour ses
croyances dans les esprits, la jeune fille était interne dans
la modeste école de Kibeho tenue par des religieuses
rwandaises.
« Il était 12 h 35 et je me trouvais dans le réfectoire des
élèves où je servais mes camarades à table. J’étais très
contente mais ma joie n’allait pas sans une certaine peur.
J’entendis soudain une voix m’appeler : « Ma Fille » 115.
Alphonsine eut l’impression que ses pas la dirigeaient
vers le couloir. C’est alors qu'elle vit la Sainte Vierge. Elle
avait l’apparence d’une femme dont la peau n’était pas
tout à fait blanche et avait les pieds nus. Elle portait une
robe et un voile blancs. Elle avait les mains jointes à la
hauteur de la poitrine mais ses doigts étaient levés vers
le ciel. Quatre de ses compagnes racontèrent par la suite
à Alphonsine qu’elle se trouvait encore dans le réfectoire
115
Ibid.
lorsqu’elle était entrée en extase et que, toujours sans
s’en rendre compte, elle avait parlé en plusieurs langues
— français, anglais et kinyarwanda — et en d’autres
langues que les fillettes ne connaissaient pas.
— Femme, qui es-tu ? avait demandé Alphonsine.
C’est alors que la Vierge avait répondu : « Ndi Nyina wa
Jambo » (Je suis la Mère du Verbe).
Mais ce soir-là comme durant les jours qui suivirent, les
élèves du collège ainsi que leurs enseignants considérè-
rent l’expérience d’Alphonsine comme une espèce de sor-
tilège qui aurait été l’œuvre des esprits.
« Alphonsine souffrit beaucoup à ce moment-là de la mo-
querie des gens. "Voilà la visionnaire !”, "Mettez-vous à
genoux ! Voici l’apparition !", “Demande ceci, ou cela, à la
Sainte Vierge !” Ils mimaient les scènes d’apparition »116.
Après la première apparition qui avait eu lieu de jour dans
le réfectoire, les suivantes se produisirent le soir, dans la
partie du dortoir où se trouvait le lit d’Alphonsine. Mais
l’agitation qui n’avait pas manqué de s’installer dans le
collège valut à la jeune visionnaire des mesures discipli-
naires et les apparitions se produisirent alors dans la
cour du collège. D’autres visionnaires vinrent bientôt
s’ajouter à Alphonsine mais celle-ci demeurait toutefois la
seule, en 1985, à recevoir encore la visite de la Vierge. La
jeune fille est également détentrice d’un secret qu’elle dit
ne pouvoir révéler que plus tard.
Anathalie Mufamazimpaka, née en 1965, était élève dans
116
Ibid.
le même collège. Les apparitions dont elle fit elle aussi
l’objet durèrent jusqu’en 1983. Marie-Claire Mukan-
gango, institutrice diplômée, est née en 1961 et Stéphanie
Mukamurenzi en 1968. Vistine Salima, couturière, et
Agnès Kanagajn, maîtresse de maison sont quant à elles
nées en 1960.
Toutes ces jeunes femmes ont vu la Sainte Vierge à
Kibeho.
Emmanuel Segatashya, païen, n’a été baptisé qu’en 1983.
Né en 1967 sur les rives du fleuve Akanyaru, à la frontière
qui sépare le Rwanda et le Burundi, il est l’aîné de cinq
enfants. Analphabète au moment des apparitions, c’est
un garçon qui a vécu dans la brousse et qui a abandonné
l’école pour se faire berger et aider les voyageurs à traver-
ser le fleuve Akanyaru à la saison des crues. « Vilain gar-
çon », lui avait un jour dit son père, « tu es encore petit.
Sais-tu que tu pourrais attraper froid et que le fleuve
pourrait t’emporter ? »
Emmanuel n’était pas connu à Kibeho. Aucun chrétien
du collège ni de la paroisse n’avait entendu parler de lui
et il n’y connaissait lui-même personne ayant déjà dé-
passé l’âge de l’admission au cours préparatoire et n’étant
pas non plus inscrit au catéchisme. Il connut pourtant le
2 juillet 1982 l’expérience suivante.
« J’étais en chemin sur la route qui mène à Kibeho, au
lieu-dit Muhora. J’étais allé voir mon champ de haricots
et je m’étais assis à l’ombre pour me reposer. Soudain
j’entendis une voix m’appeler : "Mon enfant, si on te confie
une mission, seras-tu capable de la mener à bien ?” Du
fond du cœur, je réponds oui sans hésitation. Et tout de
suite Jésus me confia un message : “Tu leur diras : Puri-
fiez vos cœurs car le temps est proche”. Puis il me fit voir
l’intérieur d’une cour remplie de gens auxquels je devais
porter le message. Je lui demandai à mon tour comment
s’appellait celui qui m’envoyait là et d’où il venait, car j’en-
tendais la voix mais j’avais beau me tourner de tous les
côtés, je ne voyais personne aux alentours, personne qui
soit susceptible de m’appeler. “Si je te disais mon nom,
les hommes ne te croieraient pas.” Je lui demandai alors :
“Comment est-il possible de prouver que ce que je leur
apporte est bien la vérité ? Je suis rwandais et ils le sont
aussi. Ils me demanderont qui m'envoie, quel nom leur
donnerai-je ?” Il me répondit alors en disant : "Va trans-
mettre mon message à ces personnes qui se trouvent là-
bas." Je le remerciai, me levai et me mis en route.
Arrivé là, dans la cour de Robert Ngenzi, je vis beaucoup
de personnes rassemblées, surtout des femmes et des
jeunes qui faisaient sécher les haricots. Alors, je ne sais
pas vraiment comment cela arriva mais je me retrouvai
nu et j’en eus honte. Les personnes présentes prirent
peur : certaines s’enfuirent, d’autres se mirent à rire...
Une femme me dit : "Mon garçon, pourquoi annonces-tu
la parole de Dieu tout nu ? Qui aura encore le courage de
t'écouter ?” C’est alors que j’entendis une voix qui me dit :
"Dis-leur que le Fils de l’homme est venu sur cette terre
et qu’on l’a dépouillé de ses vêtements. Il t’arrive la même
chose en souvenir de moi ; ce souvenir ne sera plus rap-
pelé mais il ne sera plus jamais oublié” (Urwibutso ruta-
zahoraho iteka kandi rutazibagirana). Puis il me dit :
"Ouvre les yeux et tu pourras me voir. Tu continueras à
annoncer mon message. Si tu mènes à bien ta mission,
nous nous reverrons.”
Je vis alors son visage à la peau noire dans une lumière
resplendissante. Il était de taille moyenne, vêtu à la rwan-
daise avec un pagne. Nous avons pu parler. Lorsqu’il dis-
parut, je vis mon père et mes frères qui venaient vers moi.
Je ne sais ce qui les avait fait venir. Je revins avec eux et
ils se moquèrent de moi en disant que j'étais devenu fou.
Ils me firent passer la nuit chez mon oncle.
Deux jours plus tard, le dimanche 4 juillet, Jésus revint.
Il me dit qu’il m’envoyait porter son message aux hommes
mais que ceux-ci diraient que ce message n'est pas com-
mun.
Un homme ne peut ainsi demander à un autre des choses
extraordinaires s'il ne réussit même pas à s’apercevoir de
ce qui est ordinaire » 117.
Au début les apparitions se produisaient dans l’enclos qui
entourait la maison familiale. Jésus lui enseignait com-
ment faire le signe de la croix et il lui faisait réciter le
Notre Père, le Je vous Salue Marie et tout le chapelet...
Les personnes présentes écoutaient les paroles et obser-
vaient les réactions de Segatashya. L’affluence fut telle
que l’enclos familial fut dévasté. Par chance Jésus donna
ensuite rendez-vous au jeune garçon à Kibeho même.
Emmanuel a eu de fréquentes apparitions de Jésus, qui
lui a confié des messages, mais également de la Vierge.
« D’après les recherches que nous avons effectuées — dé-
clare le Père Maindron — il ne pouvait avoir aucune con-
117
Ibid.
naissance de la religion ni par son milieu familial ou so-
cial, ni par ses voyages. Chez lui personne ne savait lire
ni écrire, il n’y avait pas la radio et sa famille vivait dans
un endroit isolé. »
Étant venu jusqu’à Kibeho et s’étant joint aux vision-
naires du collège catholique, Emmanuel commença lui
aussi à avoir des visions et à communiquer devant la
foule.
Le 31 mai 1982, on put mesurer l’intérêt que suscitaient
les apparitions de Kibeho dans la population rwandaise.
C’était la fête de la Visitation, le lundi de Pentecôte. Bien
que les routes aient été encore peu carrossables, on cal-
cula que 15.000 personnes étaient présentes ce jour-là à
Kibeho. Il n’y avait que huit policiers pour contenir la
foule et ils furent vite débordés.
Les autorités et la direction du collège eurent alors l’idée
de dresser une estrade dans la cour de l’école, de façon à
ce que les gens puissent observer les visionnaires en ex-
tase. Autour de l’estrade on installa une clôture métal-
lique afin que les membres des commissions médicale et
théologique ainsi que les journalistes puissent faire leur
travail sans être dérangés, un travail qui consistait géné-
ralement à observer, à effectuer des enregistrements et à
prendre des clichés etc.
L’extase des visionnaires dure généralement une heure
mais elle peut se prolonger pendant plus de deux heures.
La particularité des apparitions de Kibeho est qu'elles ne
se produisent pas simultanément mais bien séparément,
à des moments différents. La séquence des apparitions
peut donc commencer en début d'après-midi et se prolon-
ger jusque tard dans la nuit. Pendant tout ce laps de
temps, les milliers de Rwandais venus assister à ces ap-
paritions se tenaient, et se tiennent encore aujoud’hui, en
silence alors que hurlent au-dessus de leurs têtes les
haut-parleurs du Bureau rwandais de l’information
(Orinfor), qui amplifient énormément les messages de la
Vierge. Le 15 août 1982, en présence de 20.000 per-
sonnes, les apparitions se prolongèrent pendant des
heures et des heures mais la foule, qui pouvait suivre les
visionnaires se tenant sur l'estrade et entendre les mes-
sages retransmis, garda son calme et resta disciplinée.
Il n’en demeure pas moins qu’au début une bonne dose
de scepticisme régnait parmi les gens qui venaient à
Kibeho. Il y avait parmi ceux-ci de simples curieux et
d’autres qui venaient là uniquement en promenade. Et
pourtant, quels qu’aient été les motifs de chacun une
force d’attraction supérieure avait bien dû s’exercer pour
qu’une telle multitude affronte un voyage qui s’annonçait
plein de difficultés et de dangers. Il n’était en effet pas
facile de se rendre à Kibeho dans les années 1982-83 en
raison du très mauvais état des routes. Le Père Maindron,
« chroniqueur » des faits extraordinaires, rappelle que ce
n’est qu’à la fin de l’année 1982 que la route qui relie Ki-
gali à Gitarama et Butare a été asphaltée. Auparavant, la
route de Gitarama à Butare était complètement défoncée
par suite du passage des tracteurs et des gros camions.
Beaucoup venaient à pied, passant deux nuits à la belle
étoile, dans la forêt. Pour ceux qui prenaient l’autocar, le
taxi ou leur propre voiture, le voyage n’était pas moins
aventureux ni précaire.
Toujours selon le Père Maindron : « Pendant la saison des
pluies, les routes sont glissantes et on risque de tomber
dans un ravin. Pendant la saison sèche au contraire, la
poussière pénètre partout et, si les routes sont moins
dangereuses, le voyage n’en est pas plus agréable. Il con-
vient donc d’admirer ces foules qui restent debout pen-
dant des heures à observer. Certains prennent des notes,
d’autres enregistrent. On prie avec les visionnaires »118.
Les jeunes qui attendent de voir apparaître la Vierge vien-
nent juste de monter sur l'estrade. Ils se mettent à ge-
noux. Ils n’ont même pas jeté un regard sur la foule im-
mense et ne semblent pas non plus entendre le vacarme
que font les voitures avec leur klaxon. Certains sont en-
dimanchés, comme Anathalie qui porte une robe blanche,
d’autres sont habillés comme tous les jours. Les premiers
temps, Segatashia était habillé en berger, avec ses cu-
lottes rouges.
Les visionnaires se concentrent dans la prière. Mainte-
nant chacun d'entre eux attend l'apparition de la Vierge.
Il peut arriver que l’un d’eux monte sur l’estrade déjà en
état d’extase. Mais lorsqu’arrive la Vierge, tout change. Le
visionnaire sursaute tout à coup : « Il se lève immédiate-
ment, d’un bond, et ouvre grand les yeux. Il regarde vers
le ciel, généralement en direction de l’ouest. Tous les vi-
sionnaires se comportent pratiquement de la même ma-
nière. Le regard est fixe et plongé dans l’infini mais dirigé
vers un point bien précis et immobile. Le sujet est tantôt
debout, tantôt agenouillé mais son regard est toujours
118
Ibid.
fixé sur ce même point... »119. C’est en ce point qu’appa-
raît la Vierge. Anathalie dit qu’elle arrive comme un aigle
(« agasiga ») qui « plane dans la vallée sans battre des ailes
». Alphonsine rapporte qu’Elle vient « comme une statue
qui glisserait sur des rails ». Ils la voient entourée de
fleurs merveilleuses. On ne saurait la décrire par des
mots. Sa peau n’est ni blanche ni noire mais pas non plus
métisse. Elle porte une robe d’une blancheur éclatante.
Le voile qui lui descend de la tête jusqu’aux pieds est
blanc pour certains mais bleu comme le ciel pour
d’autres. Pour Alphonsine, Agnès, Marie-Claire, Vestine
et Stéphanie, la Vierge se présente les mains jointes sur
sa poitrine dans une attitude que décrit très bien l’expres-
sion rwandaise : « byose Ayibumbiye muli jye », c’est-à-
dire « toutes les grâces de Dieu sont en moi ». Pour Ana-
thalie et les autres visionnaires, parmi lesquelles parfois
Agnès, la Vierge a les bras ouverts et les mains tendues,
telle que la représente la « médaille miraculeuse ». En
rwandais, cette attitude est décrite par l’expression : «
Bikima Mariya ugaba inema » (Marie dispensatrice de
grâces).
La foule sait que la Vierge est présente lorsque le vision-
naire commence à parler ou à chanter. Celui-ci est visi-
blement en conversation avec quelqu’un qui se trouve de-
vant lui et avec lequel il s’entretient de manière très na-
turelle et en toute confiance : les paroles qu’il prononce
sont souvent presque toutes audibles et il est parfois pos-
sible de déduire d’après celles-ci le sens de ce qu’est en
train de dire l’apparition. Outre les chants et les prières,
119
Ibid.
on peut également observer les signes d’assentiment, les
sourires, les remerciements — ainsi que les silences plus
ou moins longs.
Le 2 avril 1982, Marie-Claire Mukankango reçut de la
Vierge des avertissements que l’on peut considérer
comme capitaux dans le contexte des révélations de
Kibeho.
Marie : Repens-toi ! Repens-toi ! Repens-toi !
Marie-Claire : C’est ce que je fais.
Marie : Quand je te parle ainsi, je ne m'adresse pas uni-
quement à toi, mais aussi aux autres. Les hommes d’au-
jourd’hui ont vidé toutes choses de leur véritable sens.
Le 31 mai 1982, la Vierge dit à Marie-Claire :
« Ce que je vous demande, c’est de vous repentir. Si vous
récitez ce petit chapelet en méditant, vous aurez alors la
force de vous repentir. Aujourd’hui rares sont ceux qui
savent demander pardon. Ils mettent de nouveau le Fils
de Dieu en croix. C’est pourquoi j’ai voulu venir vous le
rappeler, surtout ici au Rwanda car il y a encore ici des
personnes humbles qui ne sont pas attachées à la ri-
chesse, à l’argent. »
La « Mère du Verbe » enseigne à supporter la souffrance
intérieure (« kwibabaza »), celle qui résulte de la privation
des plaisirs (« kwigomwa ») et celle qui naît de la mortifi-
cation physique (« kwihana »).
En suivant ces règles de vie, les visionnaires bénissent
par l’eau non seulement les foules mais également les
crucifix, les chapelets et les images pieuses. Ils peuvent
guérir en accomplissant un rite qui fait appel à l’eau et à
la Bible, laquelle est posée sur la tête du malade.
Ce rite est né à la suite des épisodes de frayeur qu’ont
vécus les élèves du collège de Kibeho. Des figures ef-
frayantes étaient en effet apparues dans le dortoir, les ré-
veillant en sursaut ou les empêchant de s’endormir. Une
religieuse eut alors l’idée de procéder à des aspersions
avec de l’eau de Lourdes : les présences négatives sem-
blèrent alors avoir été vaincues... Lorsque l’eau de
Lourdes fut terminée, la religieuse demanda à Anathalie
de faire bénir de l'eau par la Sainte Vierge à l’occasion
d'une apparition. C’est ainsi qu’à partir du 2 mars 1982
l’habitude fut prise de remplir des bidons, des cuvettes et
des bouteilles d’eau : les visionnaires devaient ensuite in-
tercéder auprès de l’apparition pour en faire bénir le con-
tenu.
C’est vers la fin de l’apparition que la Vierge demande à
son tour au visionnaire de se faire le médiateur pour bénir
la foule. Toujours en extase, le visionnaire voit autour de
lui non plus des personnes ou des objets mais des
champs remplis de fleurs, fraîches ou fanées. Il peut voir
également des forêts aux arbres vigoureux ou vieux et bri-
sés. La Vierge lui demande alors d’arroser les plantes,
tout particulièrement celles qui sont défraîchies, avec
l’eau bénite : la foule fait ainsi l’objet des aspersions. On
a aussi vu souvent, pendant ou après la bénédiction ef-
fectuée par le visionnaire, une pluie fine tomber du ciel
sur l’assistance. Elle a été qualifiée de « pluie de la béné-
diction ».
Anathalie s’adresse ainsi à la Vierge avant de bénir la
foule :
— Purifie mes mains, mon cœur, purifie-moi tout entière.
C’est la raison pour laquelle, durant l’extase, les vision-
naires se lavent le visage, les mains, les bras, et boivent
des quantités extraordinaires d’eau, ressentant une
grande soif. Il est arrivé à Segatashya de boire d’un trait
une pleine bouteille d’eau. Il donne à l’eau le nom de «
amazi y’umugisha » (l’eau qui vous donne la bénédiction).
Anathalie boit elle aussi de grandes quantités d’eau pen-
dant les apparitions. De tous les visionnaires, c’est elle
qui a le plus fréquemment béni les foules, implorant le
secours de Marie à l’aide de prières telles que :
« À Toi qui veux que nous ayons la vraie vie, nous deman-
dons la bénédiction. Nous demandons ta grâce, pour pou-
voir demeurer toujours à tes côtés... Nous attendons
beaucoup de cette eau. Mère qui connais notre faiblesse,
tu sais que nous n’avons pas la force, que nous ne pou-
vons rien faire sans toi. Aie pitié de nous. Donne-nous ta
bénédiction.
Toi qui lis dans les cœurs, tu vois ce que nous voulons,
ce que nous désirons. Accueille tous ces objets et bénis-
les. Toi en qui nous mettons toute notre confiance. Toi
dont nous attendons beaucoup de bien, nous te deman-
dons de nous accueillir. Accueille nos cœurs. Que tous
ces objets dont nous nous servons soient sanctifiés par
Toi.
Bénis-nous si nous en sommes dignes. Nombreux sont
ceux qui veulent connaître ton chemin. Nous les hommes
nous sommes un grand nombre à vouloir aller vers Toi,
mais nous ne savons pas comment faire. Chaque jour
nous voulons être avec Toi et nous voulons te prier de
nous guider.
Il est des hommes qui ne croient pas, qui n’ont aucun
espoir, qui n’aiment pas, mais à l’aide de ta force et de ta
bénédiction, nous pouvons tout espérer. C’est pourquoi
nous te prions et demandons ta bénédiction.
Nous voudrions être avec Toi, chaque jour, mais nous
nous heurtons à ce qui nous éloigne de Toi. Nous vou-
drions te servir tous les jours mais nous rencontrons tant
de difficultés.
Ta bénédiction nous apporte beaucoup, c’est pourquoi
nous te prions et te demandons que cette bénédiction que
tu nous donnes nous soit utile et nous fortifie tous les
jours de notre vie.
Vierge Marie, Mère de Dieu, nous te prions, viens à notre
secours dans la douleur : nous te bénissons dans la joie.
Nous venons à tes pieds pour implorer toutes sortes de
biens et pour remettre tout entre tes mains (...) »120.
Le 5 août, la Vierge parla ainsi à son tour à Anathalie :
— Je vous parle mais vous ne comprenez pas. Je veux
vous faire mettre debout, mais vous vous restez à terre.
Je vous appelle mais vous restez sourds. Quand ferez-
vous ce que je vous demande ? Vous restez indifférents à
tous mes appels. Mais quand comprendrez-vous ? Quand
ferez-vous attention à ce que je veux vous dire ? Je vous
120
Ibid.
donne beaucoup de signes, mais vous demeurez incré-
dules. Combien de temps resterez-vous sourds à mes ap-
pels ? »
Anathalie a souvent répété ce message : « Mubyuke,
mukanguke, mwiyuhagire, mukanure » (Réveillez-vous, le-
vez-vous, lavez-vous et regardez attentivement). La Vierge
lui avait demandé de prononcer plusieurs fois ces mots,
tout particulièrement le 29 octobre 1983.
Anathalie dit souvent :
— Nous sommes aveugles, car nous passons à côté des
signes que le ciel nous envoie. Que n’avons-nous de véri-
tables yeux pour voir vraiment, au lieu de ces billes de
verre ! Nous sommes sourds, car nous n’entendons pas
les appels que nous adressent Jésus et Marie. Que
n’avons-nous de véritables oreilles pour entendre, au lieu
de feuilles mortes ! »
De retour dans leur village, les pèlerins qui se rendent à
Kibeho racontent ce qu’ils ont vu et entendu, répétant le
message de la Vierge. Ils rapportent tous les faits à ceux
qui n’ont pas pu partir de chez eux ou n’ont pu affronter
un tel voyage. Ceux qui ont en revanche osé se mettre en
route ont pu constater qu’ils avaient été particulièrement
protégés, même et surtout la nuit.
Les pèlerins qui, étant parvenus à Kibeho, ne peuvent re-
tourner le soir-même à cause de l’extrême fatigue s’éten-
dent par terre, dans une pièce où sont réunies une cen-
taine de personnes, ou dehors, dans le bois. Rares sont
ceux qui disposent d’un tapis ou d’une couverture. Pour
tout dîner ils avalent un morceau de pain et quelques ba-
nanes.
2. 1985 : La Vierge de Sofferetti apparaît dans une
boule de lumière
121
Une créature maléfique.
ont vu la silhouette d’une femme qui cueillait de l’origan,
elles sont venues me trouver. Alors j’ai couru moi aussi à
cet endroit, mais j’ai vu seulement un quartier de lune.
Une lune apparaissait en plein jour. Elle se formait juste
au-dessus du chêne. On n’a rien dit à personne : on a eu
peur. »
La Vierge était apparue pour la première fois à Sofferetti
le 24 juillet 1985. On l’aperçut un beau jour, nous l’avons
vue, sous l’apparence d’une femme penchée sur l’herbe.
Dans les jours qui suivirent, son apparition fut assimilée
à celle de la « lune » ou d’un « nuage », dont la présence
mystérieuse dans le ciel avait frappé : « J’ai vu en un ins-
tant une boule blanche qui était comme un nuage. Du
nuage est sortie la Vierge. Je me suis mise à courir, à crier
et j’ai senti un grand vide en moi. »
Puis, en août, on vit de nouveau la boule blanche : un
très beau phénomène. « Le nuage se formait à partir de
celle-ci. La Sainte Vierge en sortait, les bras ouverts. Les
femmes se mirent à crier : “Je La vois ! Je La vois !”.
C’est l’hiver. On est dimanche. Il tombe une pluie fine. La
route que je viens de parcourir pour me rendre à Sofferetti
et qui, avec ses montées et ses descentes, m’a fait faire le
compte de toutes les collines, s’est perdue dans la brume.
Comme dans un décor de théâtre, l’impressionnant mont
Pollino, qui s’évanouit dans le lointain, jette un rideau
entre le village et le reste du monde.
J’emprunte avec la voiture l’étroit passage par lequel, de
manière tout à fait étrange et particulière, on accède à la
vallée et au lieu des visions.
Il faut d’abord grimper par une petite route étroite qui
semble déboucher sur une cour entre deux maisons. En
fait, une fois dépassé le rétrécissemment on se retrouve
sur une sorte de terre-plein d’où l’on découvre toute la
vallée où se produisent les visions ainsi qu’un vaste pa-
norama de monts et de collines. De nombreux champs
d’oliviers et quelques étendues de chênes. De là, on peut
apercevoir le carré de terre couvert de buissons, d'oliviers
et de deux chênes où se produisent les phénomènes ex-
traordinaires, distants de deux à trois cents mètres à vol
d'oiseau.
Sur l'emplacement réservé au parking, où sont station-
nées un peu dans tous les sens les voitures de gens venus
des différents villages de la région, se forme un cortège de
personnes de tous les âges décidés à se laisser glisser le
long du talus malgré les aspérités du terrain rendues plus
dangereuses par le mauvais temps.
Les visionnaires « officiels », Giulia Arancino et Mario
Zenna, sont déjà prêts à rencontrer la Vierge. Venus cha-
cun de leur village, vêtus de blanc, tout comme le mari de
la jeune femme, ils attendent sur le belvédère, au milieu
de la foule, que la Vierge les « appelle ». Giulia a son cha-
pelet entre les mains et un voile sur la tête, comme le lui
a demandé la Vierge. Et tout à coup ils L'entendent à
l'unisson. Ils échangent un rapide regard et commencent
à marcher le long du sentier tracé dans la colline qui, à
travers buissons, arbres et cailloux, mène jusque sous le
grand chêne.
Moi aussi, mêlée à la foule, hypnotisée, le regard fixé à
mi-distance entre terre et ciel, je pense comme les autres
que je verrai bientôt la Vierge. Une dame s'approche de
moi pour m'aider à ne pas glisser sur la terre : j'appren-
drai plus tard qu'il s’agit de la nièce de l’évêque de Lungro,
Mgr Giovanni Stamad. La signora Mirella, si prévenante à
mon égard, moi qui suis étrangère à ces lieux, est une
fidèle de Sofferetti. Elle me parle sans arrêt à l’oreille de
ces apparitions, toute essoufflée, et ce n’est qu’au bout
du chemin que tout à coup elle se tait.
Il règne un silence absolu sur l’escarpement où se dresse
majestueux le grand chêne et auquel est accroché la
grappe humaine attendant la Vierge.
Ce terrain a dernièrement été acheté pour dix neuf mil-
lions de lires par le « Comité de la Vierge de Sofferetti ».
Sous le chêne, une clôture isole une portion de terrain
d’environ vingt mètres de côté à l’intérieur de laquelle a
été déposée une grande image de la Vierge. De nombreux
vases remplis de fleurs sont disposés tout autour.
Les deux visionnaires, qui ont pénétré dans l’enceinte
après avoir ôté leurs chaussures, commencent à prier, les
mains jointes. Et tout à coup, comme des oiseaux abattus
par une main invisible, ils tombent à terre. Et, tels des
feuilles rassemblées par le vent, les gens se pressent au-
tour d’eux. Ils raconteront qu’un nuage est descendu du
ciel, que ce nuage s'est entrouvert et que de celui-ci est
sortie la Vierge. Ensuite le nuage est venu se rassembler
aux pieds de la figure céleste.
Je réussis à me laisser glisser sur le terrain en pente
jusqu’au groupe qui entoure Giulia Arancino et je me fraie
un passage dans la foule pour pouvoir observer de près
la jeune femme qui a en ce moment une vision de la
Vierge. Giulia ressemble à une statue de plâtre, elle est
comme morte. Seules les lèvres ont un léger mouvement
et laissent passer, d’une voix faible, le message de Marie :
« Mon Cœur Immaculé est blessé et humilié par vos in-
justices. Je demande la conversion des cœurs pour le
salut du monde. »
Agenouillé à côté de la jeune femme, Franco son mari,
transcrit les paroles du message sur un petit bout de pa-
pier qu'il remet soigneusement dans sa poche avec
d’autres, identiques.
Quelques minutes ont passé : Giulia se reprend. Elle est
maintenant soulevée de terre, réchauffée et on lui masse
les bras.
Mais les gens attendent encore. Tout à coup une autre
femme devient pâle comme une morte. C’est une mère de
famille, dont les enfants et les parents se tiennent un peu
plus loin sur le terre-plein herbeux. Elle subit, sous mes
yeux, une impressionnante transformation : ses traits se
contractent en une expression de stupeur et des larmes
coulent de ses yeux aux iris dilatés, ruisselant sur ses
joues comme autant de sillons creusés par un soc. Alors
que son visage hésite entre la stupeur, le tremblement, le
rire et les pleurs, son corps se contracte et un étrange
raidissement l’envahit. Ses mains se déforment comme si
les muscles en étaient tout à coup paralysés. Des san-
glots, des cris étouffés, des bribes de phrases : la jeune
femme voit et entend la Vierge.
L’état de la visionnaire ne dure également que quelques
minutes. Lorsqu'elle revient à la réalité qui l'entoure, elle
est encore à moitié contractée, le visage terreux, lar-
moyant, heureuse et craintive à la fois. Elle a très froid.
On la masse. Peu à peu ses muscles se détendent et elle
retrouve sa physiononie. Après, c'est une autre personne,
celle d'avant l'extase. Une belle-sœur à elle est à ses côtés
et la serre dans ses bras. Elle dit : « C'est moi qui ai insisté
pour la faire venir ici. Nous sommes venues en car
d’Amantea. Le voyage était long. Elle ne croyait pas qu'à
Sofferetti la Vierge pouvait apparaître. Ma belle-sœur a
trois enfants.
Elle voulait rester à la maison. Elle disait qu'elle avait tant
de choses à faire. »
On a allumé des feux sur le bord du ravin. Il fait presque
nuit mais il y a des gens qui restent encore ici, au pied
des oliviers et des chênes. Moi je voudrais retourner au
village, pour m’asseoir avec les paysans autour du feu,
par exemple.
Quelques étoiles pointent à travers les nuages, des
torches sont portées à bout de bras au flanc des collines.
Après avoir regagné le chemin du retour, je m’arrête au-
près du feu pour me réchauffer. Ayant repris mon souffle
et retrouvé un peu de chaleur et de courage, je m’adresse
à un vieux paysan et lui demande sans préambule et sans
hésitation : « Pourquoi je n’ai pas vu la Vierge moi ? »
Il sourit. Puis il commence à parler : « Comme je pratique
les mystères de la prière, je me suis adressé la nuit à la
Sainte Vierge et je lui ai dit : “Si c’est vrai que tu es la
Sainte Vierge, fais-toi voir.” Sept ou huit jours après, il y
a eu la procession jusqu'aux chênes. On chantait les
prières et je me suis mis à chanter moi aussi. Je me suis
mis à genoux au beau milieu des champs. Et tout à coup,
je le jure, je vois une grande, grande lumière. Je me rap-
proche des arbres. Et c'est alors qu'apparaît la Vierge,
toute vêtue de la couleur du ciel. Je ne sais pas combien
de temps elle est restée devant moi. À la fin, quand toute
cette belle lumière s'est éteinte, je suis revenu en arrière
en marchant à quatre pattes dans l'obscurité. Voilà com-
ment ça s'est passé. Et je suis vraiment content d'avoir
vu la Sainte Vierge. »
Giulia s'était rendue vers la fin de l'automne 1985 à Lun-
gro, pour raconter à l'évêque comment elle avait eu ses
premières visions et lui rapporter les premiers messages.
Son Excellence Mgr Stamati l'avait écoutée attentivement
mais n'avait pris aucune décision.
C'est en septembre 1986 que l'évêque persuada la vision-
naire de se faire admettre à l'Hôpital Policlinico A. Gemelli
de Rome, afin d'y subir tous les examens cliniques néces-
saires pour écarter toute éventualité d'une pathologie
nerveuse ou mentale. Et voici ce qui fut écrit le 1er octobre
1986 sur la lettre de sortie de la patiente Giulia Arancino :
« La patiente a été admise pour effectuer certains exa-
mens par suite du constat de phénomènes psychosenso-
riels. L’étude clinique et électro-physiologique n’a révélé
aucun signe organique susceptible de justifier les faits ci-
tés. Elle sort de l’hôpital après avoir été en observation. »
Mgr Starnati s’était rendu à Sofferetti le 6 juillet 1986. Ce
jour-là, dans l'église, au cours de la messe, Giulia Aran-
cino eut une vision de la Vierge qui lui communiqua le
message suivant :
« Mes enfants, je voudrais que l’Église et ses prêtres
écoutent avec attention ce que je vous dis. Je suis ve-
nue reconstruire ce qui est en train de s’effondrer.
Ecoutez-moi et convertissez-vous. »
Au moment où nous écrivons, Mgr Starnati n’a toujours
pas jugé bon d’engager une procédure d’enquête sur les
faits de Sofferetti.
Giulia Arancino vit avec son mari Pasquale (qu’en famille
on appelle Franco) Capalbo, dans une maison de la cam-
pagne de Thurio. Autour s’étend l’horizon sans fin de la
plaine d’où avait surgi l’antique Sybaris : jardins et plan-
tations d’agrumes. À quelque distance de là, toujours
dans la campagne, entre une route asphaltée et un che-
min de terre, s’élève la fabrique de jus d’orange, d’écorces
d’orange confites et de conserves où travaille sous contrat
Pasquale Capalbo. Des oranges et des mandarines mer-
veilleuses, sans pépins, poussent dans le jardin de la vi-
sionnaire dont le nom de jeune fille est justement Aran-
cino122. Une grande cave permet de conserver les produits
de la campagne. Une belle cheminée orne le séjour. Des
cadeaux de mariage et des souvenirs d’Allemagne, où le
couple a travaillé, décorent le salon. La chambre à cou-
cher est remplie de poupées. Une seconde chambre est
meublée entre autre d’un petit autel sur lequel trônent
différentes images de la Vierge. C’est là l’univers tout
simple dans lequel se déroule la vie quotidienne de Giulia,
qui passe de longues heures seule à attendre que son
mari revienne du travail.
Giulia Arancino est née à Thurio (Corigliano Calabro) le
122
N.d.T. : Le terme « arancino », diminutif d’« arancio » désigne une petite orange
amère utilisée en confiserie.
29 septembre 1957. Elle n’a jamais été malade étant pe-
tite. Elle s’est mariée à dix huit ans. Elle a eu quatre gros-
sesses qu’elle n’a pu mener à terme mais les médecins
l’ont rassurée, tout va bien, elle pourra de nouveau être
enceinte.
Petite fille, elle aimait l’école même si elle ne retenait pas
ce que disait la maîtresse. Elle allait aussi à l’église. Au
mois de mai, mois de la Vierge, elle aidait sa mère à dres-
ser à la maison le petit autel avec l’image de la Vierge et
une profusion de fleurs. Elle aimait les images de la
Sainte Vierge mais elle n'en avait pas beaucoup. Elle visi-
tait avec sa famille les lieux de pèlerinage de la zone. Elle
éprouvait alors une grande joie. Elle aimait les statues de
saints qu’on pouvait y voir. Elle allait à la messe le di-
manche et priait matin et soir.
Bien que vivant dans un tel isolement, Giulia est tran-
quille. Elle a toujours quelque chose à faire dans la mai-
son mais il ne lui déplairait pas non plus d’être coutu-
rière, de faire des vêtements simples, vêtements féminins
ou masculins.
Giulia est maintenant ici, devant moi. Nous sommes
toutes les deux assises devant la grande cheminée de la
cuisine. Nous sommes comme deux amies dans cette con-
fiance et cette sérénité qu'inspire la plaine de Thurio, fer-
tile en agrumes comme en civilisations ensevelies. Je de-
mande à la visionnaire si elle veut me parler de la pre-
mière apparition de la Vierge. Elle me répond par l’affir-
mative, de sa voix basse, sourde, monocorde, une voix qui
semble dénoter un perpétuel tressaillement ou un état de
début d'hypnose.
« J'étais allée au bord de la mer, sur la place de Sibari, et
un parent me parla des apparitions de la Vierge à Soffe-
retti. Je demandai alors à mon mari de m'y emmener le
jour même. Il ne m'y accompagna que deux jours après,
le 5 août 1985. Ma mère et ma belle-mère étaient égale-
ment venues. Une fois arrivées là, auprès du chêne, nous
avons été agacées par ce que disaient certaines personnes
incrédules. Nous nous sommes éloignées de ce groupe et
peu après ma mère s'est tout à coup mise à pleurer : elle
se serrait contre moi en disant qu'elle voyait la Vierge avec
l'enfant. Moi, en dehors d'une petite lumière qui s'était
formée au-dessus de l'endroit, je ne voyais rien. Une autre
personne se mit à crier : "Je La vois !” mais moi je conti-
nuais à ne rien voir. À un moment donné, je me suis mise
à prier et j'ai dit : “Sainte Vierge, pourquoi ne te montres-
tu pas à moi ?” Un instant après, sur ces mots la Vierge
m'est apparue. J'ai eu à peine le temps de crier : "Je La
vois ! Je suis en train de La voir !” que tout de suite après
je suis tombée aux pieds de ma mère, sans connaissance.
Lorsque je suis revenue à moi, on m'a aidée à retourner à
la voiture, on m'a fait asseoir à l’intérieur et on m’a ap-
porté de l’eau. Après avoir repris presque totalement mes
sens, je L’ai vue de nouveau. Cette fois elle était habillée
en religieuse et elle était dans le chêne. Après le 5 août
j’ai continué à aller à Sofferetti, un jour sur deux, et je La
voyais toujours à cet endroit, même si elle ne me parlait
pas. Mais elle me souriait, me faisait des signes. Mon pre-
mier message je l’ai reçu le 4 octobre 1985 :
« Je suis ici pour apporter la foi et la paix, mais personne
ne croit en moi et personne ne te croira. Prends garde,
tu souffriras beaucoup. Ne crains rien, je serai toujours
en toi. Garde pour toi ce que je t’ai dit jusqu’à ce que
vienne le moment — je suis ici pour vous sauver. Je suis
la Reine de la Paix et des Miracles. »
***
Depuis qu’elle lui délivre des messages, la Vierge se pré-
sente à Giulia vêtue de blanc et non plus en habit de re-
ligieuse. Ses pieds reposent sur le nuage d’où elle est ap-
parue et qui s’est ramassé sur lui-même en formant un
coussin. Elle a entre les doigts un chapelet et, parfois,
une croix de couleur sombre. Elle pleure quelquefois car
elle est triste en communiquant certains messages.
La Vierge a révélé à Giulia Arancino qu’Elle se manifestait
en de nombreux endroits pour affirmer la nécessité de
prier pour le Salut. Elle a ajouté qu’Elle se manifestait
indifféremment à des adultes et à des enfants.
La Vierge parle de façon simple, compréhensible, même
pour les gens de culture modeste. Elle a une voix très
douce qui ne saurait être comparée à aucune autre et en-
core moins décrite.
Parfois son apparition s’accompagne d'une bouffée de
parfums de fleurs, de myrte et d’encens. Elle ne bouge
généralement pas de l’endroit où elle se trouve et fait seu-
lement des mouvements avec les mains. Elle descend,
puis remonte.
Giulia a reçu deux messages secrets qu’elle a confiés à
l’évêque. Elle devra communiquer d’autres messages con-
fidentiels aux personnes et aux dates qui lui seront indi-
quées le moment venu par la Vierge elle-même. Le nombre
déjà important de ces communications secrètes n’est pas
encore complet. Mais Giulia se souvient parfaitement de
leur teneur.
Avant de voir la Vierge, la visionnaire se sent nerveuse,
elle sent son cœur qui bat. Puis elle entend la Voix qui
l'appelle, alors elle se rend sur place à Sofferetti, et la voit
Elle, et rien d’autre.
La Vierge lui caresse l’épaule : Giulia ressent alors comme
une décharge électrique. C’est en fait une sensation plus
légère que celle que procure une décharge électrique :
c’est comme une vibration.
Giulia a aussi des visions de la Vierge chez elle, dans la
pièce où elle a dressé un petit autel. Avant l’apparition,
elle entend Sa voix qui provient de cette pièce. Elle cesse
alors de vaquer à ses occupations et se dirige vers la
pièce. Arrivée sur le seuil, elle voit la Vierge là, du côté
opposé à celui où se trouve l’autel. Son image est iden-
tique à celle qui apparaît à Sofferetti. Ici comme auprès
du chêne, elle semble avoir dix-sept ou dix-huit ans.
— Tu entends toujours une voix qui t’appelle, ou tu sens
toujours quelque chose qui te pousse vers le lieu des ap-
paritions ?
— J’entends la voix et je ressens un élan. Si mon mari,
qui m’accompagne en voiture jusque là-bas, le mardi, le
jeudi, le samedi et le dimanche est en retard pour un mo-
tif quelconque, je deviens agitée, parce que je sens qu’Elle
m’attend.
— Qu’arrive-t-il quand finalement tu arrives sous l’arbre ?
— Ce dont je me rappelle c’est que je m’agenouille, je ré-
cite l’Ave Maria et une autre prière qu’Elle m’a recom-
mandé de dire...
— Tu peux la répéter ?
— « Me voici, je suis là, fais de moi ce que tu veux. »
— Quand te l’a-t-elle apprise cette prière ?
— Quand Elle m’a confié le premier message, le 4 octobre.
Après avoir prononcé ces mots, je ne me rends plus
compte de rien.
Giulia a également eu des visions des anges et de l’Enfant
Jésus. Elle a par deux fois vu la figure tout entière du
Christ ressuscité qui lui a parlé d’événements qui doivent
se produire mais qui pour le moment doivent être tenus
secrets. Une chose est sûre : prière, jeûne et pénitence
peuvent permettre d’éviter le châtiment que représentent
ces événements.
Depuis que ces expériences extraordinaires ont com-
mencé, la Giulia d’avant est morte — c’est ce que dit la
visionnaire Arancino qui vit parmi les orangers et les fa-
briques de jus d’orange et d’écorces confites établies sur
les vestiges de l'antique Sybaris — et une nouvelle Giulia
est née.
Depuis le début de 1986 la Vierge de Sofferitti apparaît
aussi régulièrement à une autre personne Mario Zenna
de Vaccarizzo Albanese.
Né à Vaccarizzo Albanese, localité dépendant de San De-
metrio Carone, le 24 octobre 1950, Mario Zenna est car-
rossier de métier. Maigre, petite moustache, élégamment
vêtu, Mario, qui a cinq frères et trois sœurs, n'est pas allé
plus loin que le cours élémentaire deuxième année. Marié
avec trois enfants, il se déplaçait, étant enfant, de ferme
en ferme avec sa famille pour travailler dans les orange-
raies. Il n'a jamais été malade mais n'a pas effectué son
service militaire, ayant été reconnu comme chef de famille
à la mort de son père.
C'est le 7 août 1985 que la Vierge est pour la première
fois apparue à Mario sous le chêne de Sofferetti. Aupara-
vant, le 4 août, sa fille — une adolescente d'une douzaine
d'années
— lui avait dit qu'elle avait vu bouger une statuette qui
brodait sous ce même chêne. Mario demeura en ce lieu
pendant près d'une demi-heure puis il rentra chez lui.
Le 6 août, il prit ses vacances. Il apprit le 7 au bar du
village qu'une enfant de Vicence avait également vu la
Vierge à Sofferetti, ce qui avait provoqué une grande émo-
tion parmi la foule qui se rassemblait à cet endroit. Alors
il retourna le soir même à Sofferetti. Et voici ce qui arriva,
selon la version des faits que Mario lui-même m'a donnée
au cours d'une interview réalisée peu de temps après :
« — À sept mètres à peu près d'où je me tenais, juste sous
un olivier qui se trouve à côté du chêne, j'ai vu se former
une fumée à l'intérieur de laquelle est apparue la Sainte
Vierge habillée en religieuse. Son vêtement était de cou-
leur marron foncé. Elle venait vers moi. Alors qu’elle était
arrivée à environ deux mètres de moi, je fus effrayé par
ses bras. C'étaient en fait des bras normaux, comme les
nôtres. Elle venait vers moi, les bras tendus, et je tombai
à terre. Autour de moi se tenaient des centaines de per-
sonnes mais moi je me sentais tout seul. Le Vierge me fit
compter, et je comptai jusqu'à 9, puis de 9 je continuais
jusqu'à 21, sautant le numéro 19. Je prononçai égale-
ment trois lettres, sans savoir pourquoi : L S T. Ensuite,
étant revenu à moi, je restai pendant cinq heures sans
réussir à parler. Je suis retourné à Sofferetti le jour sui-
vant. Le soir j’ai vu de nouveau la Sainte Vierge. Cette fois
je ne voyais que son buste et il y avait de la fumée en
dessous d'elle. Autour il y avait une lumière incroyable,
comme s'il faisait jour. Puis, en un instant, l’image dispa-
rut. Le dimanche suivant, je vis avant tout sous le chêne
un phare. Puis je vis une clairière et ensuite un mur, et
auprès du mur une croix qui venait vers moi. La croix se
transforma ensuite en une chrétienne habillée en reli-
gieuse. J’ai été frappé par la capuche et par un gros cru-
cifix sur sa poitrine. Je me suis alors trouvé dans une
longue galerie pleine d’or, de vaisselle ancienne et de pe-
tites amphores. Je voyais aussi des briques carrées bril-
lantes comme l’or. Tout ceci a duré environ un quart
d’heure, puis la vision a disparu et la figure de la reli-
gieuse s’est évanouie. Quand je me trouvais dans la gale-
rie, je ne voyais ni le chêne ni les oliviers. Après, quand la
vision a disparu, j’ai revu l’herbe, les oliviers et le chêne.
Deux semaines plus tard, j’ai eu une vision plus nette de
ce qu’il y a sous terre. Je voyais une grotte ; je me trouvais
à l’intérieur de cette grotte. Je voyais cinq personnes et
parmi celles-ci Saint Michel et la Vierge. Je ne me sou-
viens pas qui étaient les autres. Dans cette grotte, il y
avait un lit haut comme une petite table, couvert d’un
voile bleu clair. Je demandai : "Mais qui êtes-vous ?”. "Je
suis la Vierge” dit l’une d’entre d’elles, “que faites vous
là ?.” "Nous habitons ici." Dans la galerie j’ai vu également
une statuette d’environ un mètre de haut tout en or.
"Nous sommes toujours ici”, a ajouté la Vierge qui m’a dit
d’autres choses que je ne dois pas révéler. D’autres pa-
roles qui doivent rester secrètes m’ont été dites par Saint
Michel. La grotte que j’ai vue et où je me suis trouvé est
comme une espèce de four. Elle est sous terre, sous le
chêne. »
Le récit des visions de Mario Zenna, visions qui pour-
raient avoir un contenu paranormal et être le fruit de psy-
chométries involontaires des lieux123, est particulière-
ment intéressant si l’on songe que les lieux de culte et
tout particulièrement les sanctuaires, ont pour origine
non seulement les apparitions mais aussi des formes de
perception extrasensorielle qui débouchent sur la décou-
verte d’une image relative à un culte préexistant, tombé
dans l’oubli pour des raisons historiques après que les
lieux aient été détruits et que les objets de vénération
aient été occultés.
En ce qui concerne l'ensemble des phénomènes de Soffe-
retti, il convient d’observer que le lieu où apparaît la
Vierge se trouve sur une colline dont le sommet domine
le plus vaste panorama de hauteurs et de vallées de toute
la zone. Et le Père Cassiano, curé de Sofferetti, cite le nom
de tous les sanctuaires existants, disséminés aux alen-
tours : ceux de la Madonna délia Catena, de la Madonna
delle Armi, de la Madonna Acheropita (qui n’a pas été
123
La psychométrie est une forme de perception extra-sensorielle qui permet de
reconstruire l’histoire d'un objet à la seule condition que le sujet sensible ou sujet
paranormal l’ait touché ou du moins approché.
peinte de la main de l'homme), de la Madonna del Pet-
toruto, de Cosme et Damien ; et le monastère de la Ma-
donna del Papire et celui, basilien, des saints Adrien et
Nathalie.
On peut donc penser que sur la Colline de Sofferetti s'éle-
vait aussi autrefois un temple dédié à la Vierge qui a dû
être détruit à la suite de quelques vicissitudes. Même la
mémoire en aurait été effacée si, pour des motifs extraor-
dinaires, quelques visionnaires ne l’avaient pas évoqué,
créant ainsi une occasion propice pour que le sanctuaire
puisse renaître de ses cendres. Il suffit de se rapporter au
message confié à Giulia Arancino le dimanche 19 janvier
1986 par la Vierge : « Je suis la Vierge de la Paix et des
Miracles. Je désire qu'en ce lieu on construise une Église
en mon honneur. »
124
Notre « homme de l’âge de la pierre » fut encore, deux semaines après, soumis
à une électro-encéphalographie, aux « spectres de puissance », et à ce que l’on
appelle des capteurs en vue de l'enregistrement de sa fréquence cardiaque, de sa
température et de sa conductance cutanées. Le rapport suivant fut établi : « L’en-
registrement E.E.G. met en évidence de brusques variations du tracé en raison
d’une désynchronisation manifeste et d’une diminution du voltage durant la phase
centrale de la « vision », avec un retour au tracé de base au terme de celle-ci ; on
observe simultanément une augmentation de la conductance cutanée et une très
légère élévation de la fréquence cardiaque. »
la Vierge pendant une trentaine de minutes. Il a à plu-
sieurs reprises décrit, quand on le lui demandait, l’aspect,
le comportement et les volontés de la Vierge, prenant par-
ticulièrement à témoin deux enfants présents et son in-
terlocuteur. L’environnement était particulièrement
éprouvant du fait de la présence d’environ cinq cents per-
sonnes qui se pressaient sur les lieux de l’apparition.
Entre les cris, un silence presque absolu s’installait tou-
tefois pendant les sept minutes que durait la “vision”. »
À Oliveto Citra, les messages de la Vierge — la « Reine du
Château » — abondent. Celui qui suit est l’un des plus
représentatifs :
125
René Laurentin, Ljudevit Rupcic, La Vergine appare a Medjugorje ? Queriniana,
Brescia, 1984.
expérience qui dépasse les dimensions spatio-temporelles
que nous avons coutume d'appeler réelles » 126 : c'est la
conclusion que tirent en commun les commissions médi-
cales française (celle du Pr Joyeux) et italienne (celle du Pr
Luigi Frigerio), qui ont soumis les visionnaires à des exa-
mens nombreux et complexes, réalisés à partir des ins-
truments les plus modernes et les plus perfectionnés.
Une église qui se mobilise, des théologiens en émoi, des
scientifiques pris à témoin et déconcertés, une conversion
inspirée et durable... Quels autres plans la Sainte Vierge
a-t-elle en réserve ? C'est la question que nous pourrions
nous poser.
Le Père Tomislav Vlasic, qui a été pendant trois ans le
directeur de conscience des visionnaires de Medjugorge,
a répondu à peu près dans ces termes : « La substance
est la conversion, l'objectif est la paix. Le monde occiden-
tal a le ventre plein tandis que l'Orient vit un athéisme
théorique. C'est le premier qui est le plus dangereux.
Tout est en tous cas, expliqué, dit-il dans les dix secrets
confiés aux visionnaires, qui se rapportent aux destinées
du monde. Les trois premiers secrets évoquent les aver-
tissements que le monde recevra prochainement et les
autres annoncent une série d'événements qui se succéde-
ront de près. Selon les visionnaires, il s’agit des dernières
apparitions de la Vierge à l’humanité, et ceci est lié à la
prophétie des dix secrets. »
126
Giorgio Gagliardi, Étude de la fréquence cardiaque au cours de quatre phéno-
mènes extatiques survenus à Medjugorje en septembre 1985 sur les personnes de
Yakov Colo, Ivan, Dragicevic, Marija Pavlocic, et Vicka Ivankovic.
Le 25 octobre 1985, la Vierge aurait montré à la vision-
naire Mirjana, comme dans un film, les événements qui
se produiront dans un premier temps et qui constitueront
le premier « avertissement » de Dieu : un cataclysme
s'abattra sur une région de la terre qui s'en trouvera com-
plètement ravagée.
À la suite de cela, si les hommes ne profitent pas de ce
signe qui leur est donné pour se convertir, et s’ils ne le
font pas non plus au cours d’une nouvelle période de «
purification », il y aura un « troisième épisode » au cours
duquel les hommes sauront que Dieu existe, mais il sera
trop tard pour changer de conduite.
Les autres événements, nous l’avons dit, s’enchaîneront
sans discontinuer.
La prophétie est donc précise et exorbitante. Elle suscite
par conséquent un profond effroi. On comprend ainsi que
quelqu’un puisse souhaiter s’introduire dans ce circuit
particulier qui s’est instauré entre le visionnaire et le sur-
naturel, un circuit privilégié dans lequel le visionnaire a
semble-t-il, subi une sorte de transmutation.
« Un chrétien ne doit pas se préoccuper de certaines
choses qui pourraient se produire ; il doit bien plutôt sa-
voir que quoi qu’il arrive, même s’il devait essuyer les ef-
fets d'une catastrophe atomique, s'il est dans l'Esprit de
Dieu pas un de ses cheveux ne sera touché. » C’est ce que
déclarait Marija en octobre 1984.
Cet élan qui pousse tant de gens, plus de huit millions en
quelques années, vers Medjugorje et vers les autres lieux
d'apparitions mariales n'est donc pas sans motivation.
Les gens cherchent le salut à travers la transmutation, la
conversion, sachant que cette dernière peut être obtenue
par la prière et par les autres formes de discipline, tant
psychologiques que plus proprement spirituelles.
Medjugorje
127
N.d.T. : dans la traduction d’André Pératé.
sympathique grand-mère Iva. Je remarquai alors qu’il
émanait de ta personne un éclat surprenant qui, derrière
la cordialité de tes expressions et de tes gestes, celait un
message secret, à la fois ancien et nouveau : le message
biblique qui, à commencer par les grandes figures fémi-
nines de l’Ancien Testament — Sarah, Rachel, Esther et
Judith attribue à la femme une dimension à la fois fami-
liale et sociale. La vie cachée de Marie de Nazareth en est
l’illustration et ce chant de libération de toutes les oppres-
sions qu’est le « Magnificat », qu’elle improvisa dans la
joie, les mains levées vers le ciel, Aïn-Karim au milieu des
collines ondulées de Judée, en réponse au salut inspiré
de sa cousine Elizabeth, annonce l’avènement historique
de la libération de la femme et, avec elle, de l’humanité ;
lorsque, suivant une heureuse formule du Patriarche or-
thodoxe de Constantinople, Démétrios 1er, successeur
d’Athénagoras, « on laissera à l’Esprit Saint (!) la possibi-
lité de s’exprimer à travers la voix de tous les peuples, ét
surtout à travers la voix de ceux qui sont sans voix ! » Ces
paroles prophétiques, que j’entendis prononcer au Fanar
en 1977128 à l’occasion du bimillénaire de la naissance de
la Vierge, trouvent pour moi une résonnance dans les évé-
nements de Medjugorje, qui annoncent dans la joie la li-
bération prochaine de tous proclamée dans le Magnificat.
Même si l’image que tu vois lors de tes apparitions, à sa-
voir celle d’une jeune fille croate vêtue entre le gris et le
bleu pâle, portant un voile blanc-ivoire et levant les mains
vers le ciel comme la Vierge orante des Catacombes ro-
maines (c’est ainsi que me l’a un jour décrite Vicka), n’est
pas à proprement parler celle de la Vierge, cette image est
128
Anciennement résidence du Patriarche Orthodoxe de Byzance.
toutefois le signe visible de la présence de Celle-ci parmi
nous. En effet, si la présence physique de Jésus parmi
nous est déterminée par l’Eucharistie, celle de Marie est
si mystique, si intense et diffuse en même temps, qu’il
n’est pas possible de la déterminer ni de la cerner avec
précision. C’est pourquoi seules les personnes qui sont
les protagonistes de ces phénomènes deviennent ses
images vivantes, ce qui justifie, Ivanka, les références que
j’ai pu faire à ta personne, au sourire constamment affi-
ché par Vicka ou à l’intensité du regard très clair de Ma-
rija et de Mirjana.
C’est donc cette présence viscérale de Marie lors de ses
manifestations qui leur donne ce contenu prophétique
qui renvoie à la Réalité Supérieure de Marie ; une Réalité
qui se révèle à nous de la même manière qu’elle s’est ré-
vélée à Elle, c'est-à-dire avec la croix en arrière-plan.
Depuis le début des apparitions, ta vie comme celle de tes
amis ne vous appartient plus, pas plus que celle de vos
familles, tant elles sont envahies par une succession im-
pressionnante d'événements. Après les premières appari-
tions sur la colline, au milieu des gens venus des villages
voisins au fur et à mesure que se produisaient les guéri-
sons et les autres prodiges, les suivantes eurent lieu dans
la vieille sacristie de l'église pour des raisons touchant au
maintien de l'ordre public. Vous êtes également passés
par les visites psychiatriques et par les interrogatoires de
police, avec des épisodes parfois drôles comme ces
étranges phénomènes de verrous qui s’ouvraient automa-
tiquement dans les cellules ou de moteurs de voitures qui
refusaient bizarrement de démarrer pour vous emmener
aux interrogatoires. Les rapports avec l'évêque Pavao Zca-
nic avaient en revanche été plus difficiles, surtout pour
un caractère comme le tien, que la télévision de Belgrade
avait en plaisantant qualifié de « furieux » lors d’un repor-
tage sur les faits. Mais il est certain que la censure ecclé-
siastique doit être plus sévère que la censure policière
qui, au fond, se borne à sauvegarder l’ordre public alors
que la première doit défendre une tradition bien enracinée
de prudence. Je crois pouvoir comprendre la position de
l’Église compte tenu du fait — rappelé à plusieurs re-
prises par le Père Tomislav Vlasic — qu’avant les appari-
tions aucun d’entre vous n’aurait pu faire partie norma-
lement d’un groupe paroissial étant donné le caractère
bien particulier de chacun.
Toutes ces croix, tu les avais portées avec beaucoup de
simplicité, beaucoup de naturel. Et tu en avais été large-
ment récompensée par les dialogues que tu avais eus avec
la Mère de Dieu. Vicka me le confirma également en sou-
riant, quelques minutes après une apparition qu'elle avait
eue chez elle le soir du 6 juillet 1986, tandis que ses yeux
d’un vert intense brillaient de joie et d'émotion. Elle
ajouta que la beauté de Marie la dédommageait, elle,
Vicka, de toutes les douleurs endurées à l'occasion des
nombreuses opérations qu'elle avait dû subir au cours de
ces dernières années.
Dans l'histoire de Medjugorje, on ne saurait oublier la
construction, entre 1937 et 1969, de l'église St-Jacques
dont l'emplacement fut choisi, avec semble-t-il une intui-
tion prévoyante, de façon à ce qu'elle soit facilement ac-
cessible et à égale distance des trois hameaux qui com-
posent le village de Medjugorje : Bjakovici, Miletina et Vio-
nica. Elle fut surtout prévue pour contenir un nombre de
fidèles nettement supérieur à celui que peut normalement
accueillir l'église d'un petit village comme tant d'autres.
Si l'on songe que le différend qui avait opposé les gens du
village à propos de l'endroit où devait se dresser l'église
avait fait trois morts, on peut conclure des faits qui se
sont produits par la suite que ce sacrifice ne fut pas tota-
lement vain ; ne serait-ce que parce que la naissance d'un
esprit fraternel et d'une compréhension mutuelle à la
suite des apparitions a totalement effacé, à Medjugorje et
alentour, cet esprit de clocher prononcé et ce besoin mé-
diterranéen de vengeance qui avaient provoqué cette tra-
gédie et combien d’autres auparavant.
La disparition de ces tourments en a fait naître bien
d’autres et tu en as souffert plus que tout autre, Ivanak.
Il est en particulier une croix que tu dois supporter depuis
que les apparitions quotidiennes ont pris fin pour toi, une
croix qui est passée inaperçue pour beaucoup de gens
mais que j’ai eu le privilège de découvrir.
Dans la nuit du 24 au 25 juin 1985, à l’occasion du qua-
trième anniversaire des apparitions, l’Esprit Saint nous
convoqua, moi y compris, sur le mont Krizevac sur lequel
s’élève la lourde croix en ciment (érigée en 1933 pour le
Jubilé décrété par le pape Pie XI) et d’où le regard dé-
couvre en plein jour un panorama d’une rare étendue, du
profond couloir de la rivière Neretva aux plaines très ver-
doyantes des hauts-plateaux enserrés au nord par une
couronne de montagnes au profil ondulé, si léger et si fan-
tasque qu’il semble avoir été tracé par l’un des peintres
naïfs de ton pays ! De même que l’on va à Lourdes pour
boire aux fontaines et se baigner dans les piscines, on va
à Medjugorje prier sur la lande de Podbrdo en y laissant
un ex-voto accroché à l’une des croix rudimentaires plan-
tée chacune par un groupe de fidèles et en emportant avec
soi un petit caillou ou une pierre, non pas comme souve-
nir ou par superstition, mais à titre de symbole du désert
intérieur et extérieur qui est nécessaire pour être à
l’écoute de l’Esprit de Dieu : c’est la raison pour laquelle
le Podbrdo, qui présentait lors des premières apparitions
une surface convexe, est maintenant un terrain en creux.
Il brûle toujours là-haut des cierges devant des croix et
des icônes ; on y prie en silence et à voix basse ou on y
chante en chœur ; le va-et-vient continu des fidèles — les
malades y sont amenés sur des brancards transportés à
dos d’homme — a élargi le sentier que l’on peut mainte-
nant apercevoir d’en bas comme une fissure jaunâtre au
flan de la montagne. Et de même qu’à Lourdes on par-
court le Chemin de Croix qui se déroule entre les sapins
séculaires de la colline du Calvaire, on monte à
Medjugorje — spécialement dans les grandes occasions
— jusqu’au mont Krizeva pour y suivre le Chemin de la
Croix tracé le long d’un sentier tortueux passant presque
tout du long sur des roches saillantes et menant en cin-
quante minutes du hameau de Miletina au sommet. J’y
accompagnai cette nuit-là une jeune fille handicapée que
je confiai ensuite à quelqu’un d’autre pour aider une
femme âgée atteinte d’arthrite. Arrivé au sommet et de-
meuré seul parmi des milliers de personnes qui conti-
nuaient à monter à la lumière des flambeaux, décrivant
un lumineux serpent fantasmagorique, je louai le Sei-
gneur en lui demandant de me guider. Je t’aperçus alors,
souriante, avec ton chemisier blanc, ton jeans et tes ten-
nis, tu priais à genoux à côté de Jakov, de tes amies et
d’autres jeunes, formant un cercle sur les cailloux, à l'abri
d’un buisson. Je me joignis à vous pour réciter le Rosaire,
tandis que la foule entourait Marija, Vicka et Ivan qui à
minuit, au pied de la Croix, avaient eu une apparition.
J'eus l'intuition que Jakov en avait également eu une à
nos côtés car il s'était raidi pendant quelques dizaines de
secondes. Puis il fut décidé de redescendre, Jakov se trou-
vant à la tête du petit groupe et montrant le chemin avec
un petit fanion phosphorescent, et nous deux à l'arrière.
Tu t’attardas un instant pour admirer le vaste horizon
sous le ciel étoilé en murmurant émerveillée : «
Medjugorje ! Medjugorje ! » Puis nous nous prîmes tous
fraternellement la main, formant une chaîne, et commen-
çâmes à descendre de plus en plus vite le long du sentier
que la forte pluie de l’après-midi et le défilé incessant des
personnes qui montaient en priant et en chantant rendait
moins praticable qu’à l'accoutumée. Au début nous sor-
tîmes sans dommage de deux glissades provoquées par
une rupture de rythme soudaine de ceux qui nous précé-
daient et, après nous être aidés mutuellement à nous re-
lever, nous récupérâmes immédiatement le terrain
perdu ; Jakov nous imposa ensuite une allure constante
mais un peu trop rapide pour moi, qui n'en suis cepen-
dant pas à mes premières expériences. Dans l'obscurité
qu’éclairait faiblement la lumière des torches de ceux qui
montaient, nous sautions sur la pointe des pieds, d'un
bloc de pierre à l’autre ou d’un rebord à l’autre. Nous ef-
fleurions les saillies de la roche et les buissons épineux
qui bordaient le sentier. Pendant ce temps, toujours à
l’instigation de l’infatigable Jakov, nous poussions à tour
de rôle des cris de joie, des cris sauvages qui exprimaient,
en cette nuit de printemps marquée par l’odeur de la terre
mouillée, toute la joie et toute l’émotion que nous avait
inspirés l’expérience intense que nous avions vécue peu
auparavant sur la montagne, faite d’invocation, de silence
et d’écoute en commun. Comme si nous voulions exorci-
ser, à la manière des gitans slaves avec leur rite « Sinti »,
tout esprit du mensonge qui voudrait se mettre en travers
de notre chemin. Cette spontanéité était le symbole d'une
profonde communion de nos cœurs avec le Christ et avec
sa Mère, avec ce peuple en prière et avec toute l'humanité,
avec la nature et le cosmos lui-même, qui semblait exul-
ter, dans l’harmonie du scintillement des étoiles et des
torches électriques, du fait de cette vibrante manifesta-
tion de vitalité. Je me souviens que dans un passage par-
ticulièrement escarpé, fait de grosses pierres superpo-
sées, nous nous arrêtâmes quelques secondes sur le côté
pour aider ceux qui se hissaient avec peine, nous passant
les personnes comme s'il s'était agi de paquets qui de-
vaient être déposés délicatement en haut des marches na-
turelles. Puis nous repartîmes dans notre course folle, ef-
frayant ceux qui, effleurés par cette véritable avalanche
humaine, n'avaient pas le temps de reconnaître Jakov ou
toi. Et nous nous envolions — comme si nous étions
transportés par les anges, toujours très actifs eux aussi à
Medjugorje — vers le bas du sentier, lançant à l'attention
de ces spectateurs stupéfaits un joyaux « ciao ! » et un «
Priez ! Priez ! » impératif. Nous nous retrouvâmes enfin —
en un peu moins d'un quart d'heure — au village, nous
dirigeant au pas de marche vers l'église. C'est alors que
ton aimable fermeté me rappela à l'ordre et me fit com-
prendre qu'il fallait mettre un terme à cette euphorie qui
nous avait saisis sur la montagne, où la présence invisible
et intense de Marie nous avait bénis et escortés, tout
comme Jésus avec ses Apôtres préférés sur le mont Tha-
bor. La relativité de l'espace que nous venions d'expéri-
menter ensemble me rappelait celle des premières appa-
ritions, lorsque le va-et-vient continu de vos maisons
jusqu’au Podbrdo et vice versa ne se heurtait ni à la dis-
tance ni aux obstacles du terrain. Mais maintenant que
pour toi les apparitions étaient terminées depuis plus
d’un mois, c’était le désert ; et il te fallait regarder devant
toi pour ne pas perdre l’espoir qui éclaire toujours la
croix, lorsqu’à côté d’elle se trouve la Mère qui souffre,
prie et espère. Nous nous désaltérâmes tous les deux
sans un mot au vieux puits situé près du presbytère, bu-
vant dans un même verre en plastique qui, dans mes sou-
venirs émus, prend valeur de Graal que nous nous se-
rions offert mutuellement à la fin d'un véritable rite para-
liturgique de caractère spontané. Étant entré dans l'église
pour échapper au froid de la nuit, j'avançai d'un pas hé-
sitant entre les rangs des pèlerins étendus sur le sol, ces
mêmes pèlerins que j’avais vus arriver dans la journée
dans leurs costumes traditionnels bariolés, en files inin-
terrompues le long des bas-côtés de la route. Il y avait
beaucoup d’hommes et de jeunes, mais surtout des
femmes de tous les âges, des mères et des grands-mères
de la Bosnie, de l’Herzégovine et du Monténégro à la forte
constitution, au visage serein même lorsqu’il exprime la
souffrance humaine, enveloppées dans leurs costumes
aux couleurs très vives et la tête couverte d'un grand fi-
chu noir. Certains dormaient béatement sous la chaleur
des couvertures étendues sur le sol à côté de leurs sacs à
dos remplis d'objets de peu de valeur, d’autres méditaient
en silence, d’autres encore psalmodiaient leurs prières en
égrenant leur chapelet au rythme des battements de leur
cœur et de leur respiration. Il régnait somme toute cette
nuit-là un grand ordre et une grande dignité et je décidai
moi aussi de me blottir au pied de l'autel, en présence de
Jésus vivant dans le Tabernacle et de cette foule de
pauvres des Béatitudes, pour apprendre cette leçon que
me donnait Medjugorje et qui évoquait l'exode biblique. »
Annexes
129
Discrete State of Consciousness.
décrit ainsi : « diminution des stimulations extéroceptives
et des activités motrices, par suite d'une diminution ab-
solue de l'apport sensoriel ; modification des patterns de
données sensorielles ; exposition constante à des stimuli
répétés et monotones. Ces phénomènes incluent la transe
hypnotique, les états mystiques et ascétiques, la léthargie
de la période d'initiation ».
Un autre facteur à prendre en compte, notamment en ce
qui concerne les études réalisées au mois de septembre
1985, est que les jeunes visionnaires ne se sont générale-
ment pas prêtés volontiers aux expériences cliniques, en
privilégiant certaines par rapport à d'autres. Cette inter-
férence subjective s'est traduite dans la pratique par une
durée réduite des extases: 75, 49 et 60 mn.
Le lendemain du jour où prirent officiellement fin les ex-
périmentations, on enregistrera une extase de 60 mn au
cours de laquelle les valeurs de la fréquence cardiaque
furent nettement inférieures à celles des jours précé-
dents. On constata également à cette occasion un retour
aux valeurs basales. Ceci confirme que de nouveaux fac-
teurs environnants (« entraining agents ») peuvent provo-
quer des modifications dans les rythmes biologiques et
moduler l'activité périphérique et l'activité centrale du
passage à l'État Altéré de Conscience ; on a ainsi la dé-
monstration du caractère hypothétique mais également
très subjectif de la recherche menée par de nombreux
neurophysiologistes parmi lesquels A. J. Deikman, sur la
volontarisation du système neurovégétatif dans les États
Altérés de Conscience.
Cette étude de la fréquence cardiaque sur Yakov Colo,
Ivan Dragicevi, Marija Pavlovi et Vicka Ivankovic ne sau-
rait être dissociée des études menées parallèlement à par-
tir d’autres paramètres pris en considération tels que la
thermoanalgésie, l’analgésie à la douleur, les potentiels
évoqués, la pléthysmographie, l’activité électro-dermique,
la pneumographie, les mesures d'impédance, ou l’esthé-
siométrie cornéenne, car c'est l’ensemble de ces investi-
gations qui a permis d’établir sans aucune réserve que
l'on se trouvait en présence d'un A.S.C. prenant la forme
d’un état extatique mystique. L’étude de la fréquence car-
diaque est venue confirmer le phénomène, une confirma-
tion par ailleurs étayée tant par les extases actuellement
vécues à Medjugorje que par une longue expérience mys-
tique, et tout particulièrement catholique.
On a toujours parlé d’« extase » dans le compte rendu,
dans la mesure où le phénomène apparaissait déjà clai-
rement au stade de l’évaluation clinique et de l’évaluation
phénoménologique proprement dite, sous un angle à la
fois physique, culturel, religieux, paranormal, anthropo-
logique et transculturel.
Les principales constatations sont les suivantes :
— Medjugorje II s’est déroulé dans un contexte religieux
ritualisé au sein duquel l’extase est davantage mise en
évidence, d’un point de vue tant qualitatif que quantitatif.
— L’apparition de nouvelles conditions extérieures peut
influencer le déroulement et la durée de l’extase.
— L’enregistrement de la fréquence cardiaque, paramètre
doté d’une biorythmicité circadienne, montre l’apparition
chez les sujets étudiés d'un facteur nouveau qui a déter-
miné une modification de la périodicité dudit paramètre
avec une expression maximale au moment de la manifes-
tation de l’état extatique : on note en effet un continuum
ergotrophique en croissance de l’état basai de la journée
au moment de la préextase, le déclenchement de l’extase
correspondant à la phase aiguë, période appelée protoex-
tase étant donné que dans l’extase il se produit déjà une
« retombée » des valeurs, parfois suivie (Joyeux, 1984)
d’une nouvelle pointe dans la phase postérieure à l’ex-
tase. Cette phase postérieure se caractérise essentielle-
ment par une diminution sensible des valeurs qui, après
20 à 30 minutes tomberont, en deçà des valeurs basales
constatées.
— L’organisme ne s’est par ailleurs pas habitué à cet
A.S.C. qui dure depuis maintenant plusieurs années, le
système neurovégétatif dénonçant toujours une réaction
anormale lors de son apparition et également lors de la
phase préparatoire, le « trigger » de l’extase doit donc être
considéré comme extérieur à l’organisme au sein duquel
il se manifeste.
— Ce « trigger » qui depuis quatre ans déclenche un État
Altéré de Conscience n’a pas déterminé d’altérations pa-
thologiques chez les sujets concernés mais déclenche tou-
jours des extases mystiques et prophétiques. Il ne peut
relever du monde physique qui nous entoure ni des para-
mètres « borderline » de la parapsychologie, qu’il trans-
cende.
— La réaction neurovégétative aux phases préextatiques
et à l’extase elle-même est un continuum ergotrophique :
c’est-à-dire que l’on passe d’un tonus adrénergique à une
hypertonie sympathique adrénergique, indice d’un état
d'alerte très prononcé. Cette alerte n’est, nous l’avons vu,
pas dirigée vers l’extérieur mais est vécue dans l’espace
psychique du sujet.
— Ces jeunes visionnaires de Medjugorje vivent pendant
l'extase une expérience qui dépasse les dimensions spa-
tio-temporelles que nous avons coutume d'appeler ré-
elles.
130
Sous la responsabilité du « Centro Studi e Ricerche sulla psicofisiologia degli stati
di conscienza », directeur : Marco Margnelli, Milan.
extase, la comparaison entre le comportement extatique
et celui des sujets sous hypnose a tout de suite été éta-
blie.
Outre le fait que l’extase est rare et qu'il est encore plus
rare qu’un observateur autorisé en soit le témoin, des
complications de nature et méthodologique sont venues
s'ajouter au siècle dernier et ont fait que l’étude de l’ex-
tase n’a été entreprise que dans le but d’en démontrer le
caractère pathologique et réalisée essentiellement sur des
sujets se trouvant en milieu psychiatrique, d'où les
doutes qui peuvent surgir quant à l’authenticité de ces
extases.
On peut dire aujourd'hui que ces études et ces témoigna-
ges ont perdu beaucoup de leur valeur scientifique et que
la seule observation du comportement ne suffit pas pour
rétablir une distinction valable entre extase et transe hyp-
notique.
La recherche contemporaine a démontré qu’un état de
conscience peut et doit être simultanément à quatre ni-
veaux au moins, qui sont les niveaux : 1) du comporte-
ment ; 2) neurophysiologique ; 3) psychique et 4) psycho-
physiologique. Toutefois, tant en ce qui concerne l'extase
que l'hypnose, les études fondamentales n’ont pas encore
été menées, de sorte que l’on manque d’éléments de réfé-
rence permettant de procéder à un travail de vérification
systématique.
S’agissant de l’extase, il existe aujourd'hui un modèle
théorique qui veut que cet état de conscience s’accom-
pagne : 1) d'une différenciation sensorielle totale (réver-
sible) du cerveau ; 2) du maintien d'une conscience par-
fois définie comme « transcendante », mais qui n’en est
pas moins critique et capable de mémoriser les événe-
ments intérieurs (bien que le cerveau soit isolé du milieu
ambiant) et 3) d’un état d’hyperactivité neuro-végétative.
Quant à la sémiologie de l’hypnose, de nombreuses
études ont déjà démontré la différence nette et substan-
tielle qui existe entre celle-ci et l’extase.
Les difficultés qui se font jour lorsque l'on veut décrire
une neurophysiologie précise et une psychophysiologie
détaillée de l'hypnose sont dues au fait qu'il s’agit d'un
état de conscience indifférencié et fluctuant, alors que
l'extase est un état défini et stable.
Il existe bien évidemment une neurophysiologie de l’hyp-
nose, en ce sens que le mode de fonctionnement du sys-
tème nerveux central est différent de celui de l'état de
veille, mais on n'a pas sur ce mode de fonctionnement du
système nerveux supérieur les certitudes que l’on pour-
rait avoir si l’hypnose était un état bien défini.
En parlant d’un état indifférencié et fluctuant, on se ré-
fère à la caractéristique la plus marquante de l’hypnose :
la suggestibilité. Cette caractéristique fait que le sujet
hypnotisé peut être amené à vivre en esprit (par halluci-
nation) toutes sortes d’expériences et qu’il est possible
d’observer sur son corps les effets psychophysiologiques
de la représentation qui se déroule au niveau psychique.
En conséquence, que l’hallucination provoque une situa-
tion de joie ou de terreur, de détente ou d’activité, le sys-
tème neuro-végétatif du sujet sous hypnose reproduit, au
niveau somatique, les activités correspondantes.
Partant de ces considérations, nous avons entrepris une
étude systématique des différences existant entre extase
et hypnose par observation directe de sujets qui, faisant
l'objet d'apparitions, étaient susceptibles d'expérimenter
des états altérés de conscience analogues à ceux provo-
qués par l'extase ou proches de ceux-ci.
Hypnotiser un sujet qui a eu une vision signifie en prin-
cipe être en mesure de lui faire revivre son expérience vi-
sionnaire et, par-là, de provoquer chez lui une extase s’il
en a connu une auparavant.
Il est de même théoriquement possible de reproduire l'état
de conscience dans lequel se trouvait le sujet au moment
de son apparition.
Quelle que soit cette possibilité, l’expérience visionnaire
sera par ailleurs revécue sans l’intervention critique de la
conscience ordinaire et donc de manière immédiate et au-
thentique, sans les corrections et les ajustements que
l’activité critique et interprétative de la conscience ordi-
naire peut avoir interpolés.
On sait en outre que l’état d’hypnose provoque la libéra-
tion de certaines composantes de la mémoire qui ne sont
plus « inhibées » ou « contrôlées » par les mécanismes de
l’attention à la vie relationnelle. Ceci permettrait de mieux
cerner le type d’expérience vécu par le visionnaire.
À Oliveto Citra, les auteurs ont soumis trois visionnaires
à une expérience d’évocation hallucinatoire. Il s'agissait
de : Anita Rio, 20 ans (l'expérience a duré vingt minutes),
Anna De Bellis, 37 ans, (trente minutes) et Mafalda Mat-
tia, 47 ans (trente minutes). La technique adoptée était
une technique directe et rapide : par stimulation tactile et
verbale, on a provoqué chez ces sujets un état de transe
suffisamment profond pour qu’elles puissent retourner en
esprit au moment de leurs apparitions, revivre celui-ci et
le décrire.
Au cours de l'expérience, les jeunes femmes ont été inter-
rogées sur leurs hallucinations et on leur a suggéré les
mêmes images que celles qu'elles avaient elles-mêmes dé-
crites lors d'interviews, alors qu'elles se trouvaient dans
un état de conscience normal.
Bien qu'il soit connu qu’au cours de l’hypnose les sujets
ne parlent pas où parlent avec difficulté et que s’ils le font
ils ont tendance à se réveiller, on a tout de même interrogé
les jeunes femmes pendant ces expériences car il était es-
sentiel de savoir quelles étaient les images qui se présen-
taient à elles, au fur et à mesure qu'étaient évoquées les
visions connues au cours des mois précédents.
Elles étaient reliées au même polygraphe psychophysio-
logique que celui qui avait servi à recueillir les données
sémiologiques relatives à leur état de conscience durant
les visions.
Anita Rio
— Myocardite aiguë
— Arthrose de la colonne vertébrale
— Ulcères variqueux
— Asthme bronchique
— Sectionnement d'un tendon
— Goitre exophtalmique
— Tumeur au cerveau
— Abcès profonds
— Ulcération de la cornée avec infection
— Seins fistuleux
— Tuberculose pulmonaire
— Tumeur maligne du sein
— Épilepsie
— Ulcère duodénal
d) L’apparition du point
de vue de la science
L’apparition religieuse
131
Alberto Alliney, « La Grotta delle Tre Fontane », Città di Castello, 1952.
demi-veille). L’hallucination se manifeste uniquement
chez des sujets atteints de formes de démence, de psy-
choses graves et de délires.
Jamais chez des sujets sains, à l’état éveillé. »
Pour la psychologie ordinaire et pour la psychiatrie, les
fantasmes sont des créations purement subjectives : des
suggestions ou des hallucinations dues à des états patho-
logiques ; ou encore des « vécus » particuliers du sujet
normal, ce que l’on appelle « images ideiques », qui se pré-
sentent à l’esprit avec une telle rapidité et une telle préci-
sion qu’on peut les confondre avec des réalités tangibles.
Quant à l’hallucination, elle peut se produire de différen-
tes manières, notamment par suggestion, une démarche
qui consiste à susciter chez le sujet un état de mo-
noidéisme en vertu duquel il devient obsédé par une idée,
toutes les autres étant inhibées. Chez le sujet ainsi sug-
gestionné, les facultés supérieures sont temporairement
suspendues : il n’exerce plus son jugement, sa réflexion
ni son esprit critique mais accepte avec passivité les
ordres de celui qui suscite chez lui une image donnée.
La parapsychologie prend en revanche en considération
la réalité des apparitions. Le phénomène aurait, dans cer-
tains cas, une objectivité propre, à savoir une correspon-
dance dans les événements du monde physique, des
forces inconnues venant modifier le milieu ambiant. L’ap-
parition est en fait liée essentiellement à des situations
dans lesquelles l’être humain vit des moments de grande
tension émotionnelle : c’est le cas par exemple lorsqu'il
court un grave danger et que son « double » le fait savoir
à un proche ou à un ami, qui apprend ainsi sa situation
par des voies mystérieuses avant d’en entendre parler par
les canaux d’information habituels. De même les fan-
tômes qui hantent certaines maisons et certains lieux se
manifestent dans un milieu qui a auparavant été le
théâtre de crimes, de tragédies ou d’événements qui ont
en général exercé, et continuent d’exercer d’une certaine
manière, une forte emprise sur l’émotivité humaine.
Il y a enfin les interventions évoquées par la littérature
médiumnique et spirite, qui sont considérées comme la
manifestation dans le monde sensible d’une réalité ultra-
sensible, celle de l’âme des défunts. Et nous touchons là
un terrain de croyance qui n’est plus à proprement parler
scientifique.
Les récits populaires abondent d’apparitions de défunts,
et même de personnes vivantes. Notons que, comme l’a
révélé la parapsychologie, l’apparition n’est généralement
pas perçue par la totalité des sens. Dans sa forme la plus
courante, elle est même éminemment silencieuse (« appa-
rition silencieuse »).
Il ne fait aucun doute que le phénomène paranormal est
dû à des opérations mentales inconscientes, intervenant
sous l’action de stimuli particuliers qui déterminent des
tracés ne relevant pas des canaux sensoriels connus mais
d’une faculté de perception extrasensorielle demeurée
mystérieuse.
Mais venons-en à ce qui nous intéresse.
Le Dr Alliney estime pouvoir reconnaître et décrire l’appa-
rition religieuse chez les personnes saines, non sujettes à
des processus relevant de la psychologie projective. C’est
le cas de Bruno Cornacchiola qui eut, en 1947, une ap-
parition de la Vierge aux Trois Fontaines à Rome :
« À partir du récit fait par Cornacchiola, nous savons que
la “Belle Dame" est immédiatement apparue en entier,
avec des contours nets et précis, inondée de lumière, le
visage d'un rose légèrement olivâtre ; qu’elle portait un
manteau vert, une ceinture rose, une robe blanche et un
livre gris à la main ; qu’elle était d’une beauté qu’aucune
parole humaine ne peut décrire : quelle s’est présentée
dans la lumière du soleil, à l’entrée d’une grotte, à l’im-
proviste, sans aucune cérémonie, sans aucun suspense
ni aucun intermédiaire ; qu’elle a été vue la première fois
par les trois enfants et leur père et les deux autres fois
uniquement par Bruno Cornacchiola ; que son apparition
s’est accompagnée d’une osmogénèse (émission de par-
fum), même à distance, de conversions et de guérisons
miraculeuses dont l’étendue dépassait de loin toutes les
capacités thérapeutiques connues des scientifiques ;
qu'elle est réapparue à deux autres reprises, quand elle
l'a voulu ; et qu'après plus d'une heure de conversation
la Belle Dame a salué d'un signe de tête, fait deux ou trois
pas en arrière, puis s'est retournée et, après quelques pas
encore a disparu, semblant se fondre dans la masse ro-
cheuse au fond de la grotte.
Tout ceci m'amène à conclure que l’apparition en ques-
tion est réelle et de type religieux. »132
S'agissant des apparitions religieuses, il est probable
132
Ibid.
qu’elles sont surtout attribuables à des causes ne rele-
vant pas du domaine des événements ordinaires ni de la
réalité terrestre.
Il convient également de préciser que certains théologiens
tendent désormais à faire tomber la traditionnelle distinc-
tion qui était établie entre le concept d'apparition, dési-
gnant une expérience ayant des implications objectives,
et celui de vision, se rapportant à une expérience pure-
ment subjective, n'ayant aucun lien avec la réalité exté-
rieure.
Enfin, toujours pour le Dr Alliney, les apparitions religieu-
ses peuvent être d'origine surnaturelle ou préternaturelle
et elles sont dans ce dernier cas le résultat de l’interven-
tion de bons esprits (les Anges) ou d’esprits malins.
Ce n’est certes pas une entreprise aisée que de réussir à
cerner avec précision la genèse de ces manifestations :
même les esprits angéliques peuvent, par la volonté de
Dieu, prendre l’apparence de la Vierge. Toujours selon le
Dr Alliney : « Nous savons bien que les esprits malins ont,
toujours avec la permission du Seigneur mais aussi de
par le pouvoir qu’ils exercent normalement sur la matière,
la faculté de nous apparaître (par condensation de cette
même matière ou en agissant sur nos sens), sous des
formes humaines ou religieuses et que dans ce dernier
cas ils le font pour nous tromper et nous induire en er-
reur. Leurs manifestations sont cependant toujours
vaines, stériles, fantaisistes, et ne s’accompagnent jamais
de phénomènes spirituels au sens le plus noble du
mot»133.
133
Ibid.
2. Chronologie et dates des apparitions de 1830 à
nos jours
La prière de la Vierge
La prophétie de Pontmain
Notre-Dame du Dimanche
46001 CAHORS
Imprimé en France
Anna-Maria Turi
L’écrivain et journaliste italienne, Anna Maria Turi, nous fait vivre en direct ces ap-
paritions. Elle s’est rendue sur les lieux, a rencontré les voyants, les autorités reli-
gieuses, et aussi les personnalités scientifiques venues, comme à Medjugorje, ana-
lyser les phénomènes de voyance avec tout l’appareillage de la science. Et les ob-
servations les plus rigoureuses ne peuvent déceler aucune supercherie.
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