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Dimanche 14 mai

2017
Chère Peggy,

Ces pages tour à tour splendidement solaires et


souterraines de Respigui, j'ai souvent caressé le projet de
les redécouvrir sur ton divan écarlate installé dans le
temps compté mais inépuisable de la musique, contre celui
de l'horloge qui dit une année exactement.
Alors on se souvient que dans le double fond des valises
parfois dorment les témoins des scènes qui ne se sont pas
jouées et dont l'histoire des voyageurs ne sait plus que faire
désormais. Cependant, au nom de celles si pleinement
vécues que leur joie persiste à ne vouloir rien céder aux
désillusions, le paradoxe de cette journée particulière
choisie sforzando pour conjurer le silence affligeant, les
pauses désolantes, les demi-soupirs assassins, le tacet
frustrant, n'est pas pour me déplaire !
Si tu m'autorises à filer la métaphore orchestrale, j'avoue
être rompu au patient comptage des mesures, l'attente
avant l'appel cuivré ! L'age venant, le goût de la métrique
juste et implacable l'emporte sur le rubato
romantique...Vive l'allant du 2/4, puisque notre République
est en marche!
Voyager dans ce poème symphonique , c'est aussi
naïvement conjurer cet antique rendez- vous manqué dans
l' Urbe , notre promenade imaginaire et cantabile au chant
des oiseaux Borghesiens, notre descente parodique aux
Catacombes, nos propres fantômes Janiculaires un soir de
pleine lune sur la colline! Enfin vivre sans peur pour voir
un matin de promesses Phoebus triompher sur la Via
Appia.
Dans un registre plus militaire, je peux te confier non sans
une pointe d'ironie salutaire que si j'ai conquis quelques
galons officiels au sein de la légion loin de Rome, j'ai
semble t-il laissé ma jeunesse sur les champs de batailles,
et suis devenu soldat valétudinaire depuis quelques mois,
les carabins me préconisent un climat plus clément pour la
décade à venir.

Je ne sais dans quelle humeur cette lecture te saisira, ni


même si lecture sera faite, et pourtant quel plaisir j'éprouve
à t'imaginer par exemple propriétaire de cette jolie petite
maison au pied du giardino delle rose.Très aimée, c'est une
certitude. Je n'ai le regret du moindre signe de vie que je
t'ai donné depuis ta main lâchée sur le tarmac.
Ce matin j'ai cinquante ans, j'aurais aimé t'attendre une
heure encore aux Gubbie Rosse. Ne te méprends pas
sur ces lignes, elles te signifient simplement le deuil
impossible pour moi de nos affinités électives et en dépit de
mes fantasmes , Highlander et Orlando réunis , la légère
inquiétude existentielle qui s'empare de mes pensées
lorsque le temps n'est pas Proustien.
Elles te signifient l'impossible parfum de Never More
auquel ton éclipse m'accoutume .Ce matin j'ai cinquante
ans, pas de jeu dans mes cartes mais foi en l'imprévisible
fortune, quelques magnifiques souvenirs, le souffle
éprouvé, mais le coeur vaillant.
Je t'embrasse. Une dernière fois.

Stéphane

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