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Visiblement absent depuis bien plus de temps que je ne pensais, je rentre au Havre pour y découvrir

les autres déjà rassemblés autour du dîner. Je fronce un peu les sourcils devant les rires de mes
compagnons de voyage, puis le mot Sishir me mets sur la voie d'une plaisanterie grivoise à laquelle je
souris de bon cœur, autant pour saluer la répartie que pour masquer le trouble de ce que je suis bien
contraint de nommer "vision".

J'évite le regard d'Isham que je vois observer mes mains, et à sa demande et sa question, je me force
à affiche à toute l'assemblée une contenance tout en m'asseyant avec eux autour du petit feu,
prenant une datte je lève des yeux et un sourire grivois :

[color=#990099]- Eh bien chers amis, cette visite m'a fait réaliser à quel point ces terres étaient
exotiques, accueillantes...Mais aussi épuisantes... [/color]

Je n'en dis pas plus pour ne pas vexer l'auditoire en leur laissant penser que je cherche à insulter la
vertu des femmes de leur pays, et surtout pour m'éviter d'avoir à mentir, activité dont je préférerais
m'abstenir avec ces hommes dont je commence à apprécier l'honnêteté, qui reste malgré mes
origines une qualité que j'ai toujours encensé.

Je mange un morceau d'agneau tout en écoutant les autres se moquer gentiment de moi, tout en
observant du coin de l'oeil Lucrétia et Dounia prendre leurs repas un peu à l'écart.

Puis Isham prend la parole pour nous annoncer notre prochaine destination et le temps de voyage. Je
hoche la tête silencieusement, autant parce que cette information n'appelle pas de réponse que le
fait que j'ai encore l'impression d'avoir la tête dans un coton chaud. Je transpire, et cela ne vient pas
de la chaleur ambiante.

Je profite encore quelques dizaines de minutes de ces petites réunions franches et amusantes que
j'ai appris à affectionner, avant de décliner poliment un dernier verre :

[color=#990099]- Cette journée m'a totalement épuisée,[/color] dis-je avec un sourire complice à
l'auditoire, [color=#990099]et si nous devons nous enfoncer plus profondément dans le cœur du
désert, je dois me reposer. Merci d'avoir partager ce repas avec moi. Que la nuit vous apporte la
paix...[/color]

Puis je me dirige vers ma couche dans un coin après avoir gratifié Lucrétia d'un sourire spontané.
Mais celui-ci s'efface lorsque je me retrouve seul dans la pénombre relativement abritée des autres.
Ce périple en terres étrangères avait pris un tournant auquel je ne m'attendais pas. Et je ne savais
que penser de tout cela.

Couché tôt mais après avoir consommé bien trop de liquides, je me lève et cours presque à la fosse.
Sur mon retour, je ne peux m'empêcher d'essayer d'épier une conversation entre Isham et une voix
féminine que je ne reconnais visiblement pas. Isham a le dernier mot de ce qui semble être une
dispute, puis me fais discret le temps qu'ils regagnent tous deux le Khoubib, avant de regagner moi-
même ma couche en réfléchissant quelques minutes à cette scène avant que la Déesse de la Lune ne
m'hypnotise de ses rais claires.

[center]***[/center]

Le lendemain lors de notre départ, je tente de distinguer le visage de la petite fille qui m'avait guidé
vers ce lieu qui ne semble plus qu'un vague souvenir n'ayant maintenant pas plus de consistance
qu'un trait d'aquarelle dans la rude chaleur du désert. Mais en vain. L'enfant se cache, ou elle n'a
tout bonnement jamais été ici, me laissant seul à ruminer mes pensées autant que mon chameau sa
salive.

Notre périple jusqu'à l'oasis d'Orzalem se poursuit, et je m'aperçois qu'Isham ne plaisantait pas
lorsqu'il parlait du coeur du désert. La chaleur devient presque insoutenable pendant la journée, et je
dois avouer avoir quelques tremblements pendant ces nuits devenues de plus en plus froide dans ces
étendues désertique. Mais malgré les rigueurs de ce climat, un sentiment finit par m'envahir en
seulement quelques jours : le sentiment étrange d'être ici plus en harmonie avec moi-même que ce
que je ne l'ai jamais été dans mes contrées natales.

Peut-être était-ce ce songe éveillé que j'y avais vécu.

A moins que ce ne soit le caractère franc, courageux et finalement amical de ces fiers nomades qui
ne semblaient supporter ni le mensonge ni la couardise, bien loin des qualités requises pour vivre à la
cour du Vodacce.

Peut-être était-ce les éclats de rire francs d'Isham, le franc parler rude mais honnête du taciturne
Amir, les bras de fer insurmontables du grand Fayçal, les piques cinglantes mais spontanées de Djillali
ainsi que sa naïveté qui faisait écho en moi, ou la bonhommie de notre cuisinier Farouk. Peut-être
était-ce encore la voix presque hypnotique du mystique conteur Mahmoud dont je buvais
littéralement les histoires dans sa langue natale maintenant que j'en comprenais l'essentiel grâce aux
cours du patient Khoubeb dont j'appréciais particulièrement l'ouverture d'esprit.

Toute cette troupe d'hommes était certes composée de soldats. Mais ils étaient avant tout des
hommes à la fois simples, dévoués, courageux et prêts à tout les uns pour les autres. Et je
commençais à la fois à les envier et à réellement les apprécier, même Amir et Fayçal qui continuaient
à me traiter un peu comme un pestiféré.

Peut-être enfin ce sentiment était-il dû à cette nature sauvage et brûlante, à la fois si rude et si
clémente, me permettant de poser les yeux sur un véritable Paradis d'océan de Soleil, de sable, de
pourpre et de bronze, comme une toile aux couleurs si belles qu'elles déchiraient mon âme d'artiste
jusqu'au tréfonds, me laissant le soir vidé à me repaître avant d'aller me coucher, toujours habité par
sentiment étrange de langueur et de familiarité.

Etait-ce donc cela, la paix ?


J'avais tenté tant bien que mal d'adopter toutes leurs coutumes avec une certaine aisance. J'avais
maintenant une barbe de quelques dizaines de jours, et mon teint commençait peu à peu à foncer à
cause des morsures de l'astre solaire, à la grande joie de mes compagnons qui pouvaient se moquer
de moi et de mes autres bévues à loisir avec mon consentement. En effet, il est une chose de se faire
railler en public dans une Cour. Il en est une autre de savoir rire de ses propres maladresses avec des
compagnons de voyages sympathiques. Je pensais avoir finalement réussi à m'intégrer à leur groupe
peu à peu, leur posant de (trop ?) nombreuses questions sur leurs coutumes, leurs mœurs, leurs
religions, leurs Dieux, restant toujours poli et ouvert, ne cherchant jamais à gratter trop loin les
susceptibilités mais me montrant toujours curieux. Je discute en particulier beaucoup avec Isham sur
l'Ahurayasna, la religion du Désert. J'en apprenais un peu plus chaque jour sur cette lutte Cosmique,
sur Zenea (symbole du bien, voire de Dieu, même si tous ne sont pas d'accord, évidemment) et
Namirha, son opposé. J'apprenais aussi qu'ils avaient ce que j'assimile vite à des serviteurs, des
"Anges" et des "Démons" (ou Jinn), qui semblent leur servir d'intermédiaires avec les mortels. Il
m'apprend même le nom et l'histoire des douze "anges", et semble montrer de l'intérêt à ma
curiosité. Il ne peut sûrement pas comprendre que je tente de trouver une explication raisonnable à
mes propres tourments. A cette vision prophétique. Et pourtant mon intuition et le discours de cette
créature (en était-ce une ?) me rappelle le discours d'Isham et les contes de Mahmoud.

Nous pénétrons ensuite dans le territoire de Gōčihr, le grand Ver. Une noble créature mythique de ce
qui semble faire partie de leurs superstitions. Ou peut-être pas, à moins que certaines dunes ne se
déplacent d'elle-même par un phénomène que je n'arrive pas encore à comprendre. Je comprends à
cette occassion qu'Amir estime que je suis pour lui la cause d'une éventuelle colère du Ver géant, ou
quoi que soit ce que je venais de voir dans le ciel nocturne.

Deux jours plus tard, lorsqu'Isham me demande mon aval pour jouer les éclaireurs avec Amir et
Djillali, j'acquiesce volontiers, voulant à la fois prouver ma valeur dans cette caravane et me
permettre d'épancher ma soif d'action.

Je prends donc mes deux épées de duel que j'accroche à ma ceinture à ses nouveaux vêtements, les
fixant dans mon dos pour me permettre de marcher plus silencieusement et me laisser plus
d'amplitude à mes mouvements. Je prends aussi une petite bourse noire contenant le résultat d'un
de mes passe-temps favori, une expérience réalisé avec le peu de matériel qu'il me restait et une
poudre de roche rouge qu'ils appelaient le "souffle de feu" dont Mahmoud se servait pour donner
des effets pyrotechniques pour accompagner ses narrations. Le mélange que j'avais produit semblait
capable -lorsqu'un choc ou une flamme y était ajouté- de se transformé en une flamme chaude qui
pouvait faire fondre même les métaux, et produisait une fumée blanche âcre et épaisse. J'avais
plusieurs utilisations de ce procédé en tête, même si il ne restait pour l'instant qu'au stade de
l'expérimentation.

Puis avant de partir, je m'adresse discrètement à Isham, laissant les deux autres partir devant :

[color=#990099]- La décision vous reviendra, Ambassadeur, mais si il s'avérait que nous ne revenions
pas de cette reconnaissance, je vous conseille de contourner ces entrailles de roches, et de ne pas
traîner ici. Et quoi qu'il puisse m'arriver, j'ose espère que vous tiendrez parole et que vous ferez en
sorte qu'il n'arrive rien à Dame Lucrétia...[/color], annoncé-je avant d'afficher mon sourire le plus sûr
de moi : [color=#990099]...Mais ne vous inquiétez pas, je saurais vous ramener vos guerriers en vie...
[/color]

[center]***[/center]

Tandis que nous nous enfonçons dans les entrailles du monstre rocheux, je me demande si nous
n'aurions pas mieux fait de trouver un point de vue plus en altitude pour ne pas tomber directement
dans la gueule d'un éventuel loup. Malheureusement avec ces prédictions, la suite des événements
me donne raison. Avant même que Djillali feule un attention mes deux lames forgées sur mesure et
assez courtes (mais plus longues que des épées courtes) sont au clair.

Je réalise toutefois à cet instant deux faits importants alors qu'un véritable colosse descend avec le
reste de son groupe de brigands nomades et ordonne que l'on soit capturé.

Primo, malgré ma prestance de duelliste chevronnée, ses vêtements et ce terrain ne me sont pas
favorables pour combattre en toute liberté comme j'en ai pris l'habitude. Secundo, je suis un
duelliste, pas un guerrier. Et même si ce genre de rixes à trois contre un ne m'est pas étranger, ce ne
sont pas non plus les meilleures circonstances pour exprimer tout mon art.

Il allait falloir improviser. Heureusement cet art là ne m'était lui non plus pas étranger. C'est alors
que les coups se mettent à pleuvoir dans l'écho de cette grotte désertique, heureusement
relativement fraîche.

Amir, d'une vivacité que je lui avais déjà deviné depuis notre première rencontre, porte une estocade
mortelle de son Cimeterre à un de nos adversaires, tandis que deux autres me prennent en tenaille,
l'un portant une attaque de Cimeterre dans mes jambes que mon expérience me fait tout de suite
deviner être une distraction, alors que son comparse derrière moi fait tournoyer sa lance dans un arc
de cercle mortel au niveau de ma tête.

Des réflexes de chats animent mon corps alors qu'avec grâce je saute sur le Cimeterre du premier
pour ensuite m'accroupir en abattant une de mes lames sur celui qui me faisait face, faisant d'une
pierre deux coups : j'évite in extremis l'attaque de la Lance, tandis qu'une de mes lames s'enfonce
entre les protections légères qui s'opposaient à elle.

Le combat est rapide. Violent. Les coups s'enchaînent, et je dois garder toute ma concentration pour
ne pas être acculé. Djillali se trouve coincé par quatre des loups du désert tandis qu'Amir en a déjà
tué trois et s'avance vers le colosse qui se dirigeait vers notre éclaireur.
Les deux hommes s'affrontent du regard et s'ensuit une lutte acharnée, la souplesse et la précision
affrontant la force brute d'un Cimeterre à deux mains aux proportions monstrueuses.

Djilalli, toujours encerclé, hurle alors que j'achève un autre brigand d'une technique en rotation de
mes deux lames :

[color=#990099]- Djillali ![/color] Hurlé-je au milieu du vacarme métallique et des cris. Je me déplace
vivement, me laissant glisser sur les genoux au-dessous d'une lance menaçante sur le sol sableux
pour me relever quelques mètres plus tard et trancher la gorge d'un autre qui me barrait la route
pour arriver juste à temps d'une roulade dans l'encerclement de l'éclaireur blessé au côté, mes lames
arrêtant un coup potentiellement mortel vers la gorge de Djillali.

Celui-ci me sourit, mais nous sommes loin d'en avoir fini. Les quatre adversaires sont d'excellents
bretteurs, largement meilleurs que ceux qui jonchent maintenant le sol. A côté de nous, Amir saigne
d'une mauvaise plaie sur le haut de l'épaule, touché par un coup du battoir de son adversaire. Mais
en soldat expérimenté il manœuvre habilement pour amener le colosse et son sabre gigantesque
dans un espace plus restreint.

Je décoche un sourire à nos adversaires au travers de mon Tagelmust noir qui s'est détaché dans le
combat :

[color=#990099]- Alors, déjà fatigué ?[/color] Leur dis-je dans la même langue que la leur en
reprenant une phrase de Khoubeb, observant de mon regard bleu-gris les nomades parfaitement
coordonnés qui nous obsevent comme des prédateurs observent leurs proies. Mais plus ils nous
évaluent, plus ils réalisent leur erreur. Aucun de nous n'était une proie facile, et aucun de nous ne
comptait se laisser prendre vivant...

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