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Confidence autobiographique d'un jeune homme

de 20 ans
« J’arrivais au monde, le sourire sur les lèvres et l'amour dans le cœur.
Je tendais la main à la foule, ignorant le mal, me sentant digne d'aimer
et d'être aimé ; je cherchais partout des amis. Sans orgueil comme sans
humilité, je m'adressais à tous, ne voyant passer autour de moi ni
supérieur ni inférieur. Dérision ! on me jeta à la figure des sarcasmes,
des mépris : j'entendis autour de moi murmurer des surnoms odieux, je
vis la foule s'éloigner et me montrer au doigt (3). Je pliai la tête quelque
temps, me demandant quel crime j'avais pu commettre, moi si jeune,
moi dont l'âme était si aimante. Mais lorsque je connus mieux le
monde, lorsque j'eus jeté un regard plus posé sur mes calomniateurs,
lorsque j'eus vu à quelle lie j'avais affaire, vive Dieu! je relevai le front
et une immense fierté me vint au cœur. Je me reconnus grand à côté des
nains qui s'agitaient autour de moi : je vis combien mesquines étaient
leurs idées, combien sot était leur personnage : et, frémissant d'aise, je
pris pour dieux l'orgueil et le mépris. Moi qui aurais pu me disculper, je
ne voulus pas descendre jusque-là: je conçus un autre projet: les écraser
sous ma supériorité et les faire ronger par ce serpent qu'on nomme
l'envie. Je m'adressai à la poésie, cette divine consolation : et si Dieu
me garde un nom, c'est avec volupté que je leur jetterai à mon tour ce
nom à la face comme un sublime démenti de leurs sots mépris.»
Zola, Lettre à Paul Cézanne, 25 juin 1860.

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