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Corpus correction beauté et souffrance

Baudelaire, Les fleurs du mal

La beauté

Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,


Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris ;


J'unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poètes, devant mes grandes attitudes,


Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d'austères études ;

Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,


De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !

Les souffrances du jeune Werther, Goethe, extrait.

22 novembre.
Je ne puis dire : « Mon Dieu, laisse-la-moi ! » et pourtant il me semble souvent qu’elle est mienne.
Je ne puis, dire non plus : « Mon Dieu, donne-la-moi ! » car elle appartient à un antre. Je subtilise
avec mes douleurs ; si je voulais me le permettre, je débiterais toute une litanie d’antithèses.
24 novembre.
Elle sent ce que je souffre : aujourd’hui son regard a pénétré jusqu’au fond de mon cœur. Je l’ai
trouvée seule ; je ne disais rien, et elle m’a regardé. Et je ne voyais plus en elle la beauté charmante,
je ne voyais plus la lumière de la noble intelligence ; tout cela s’était évanoui devant mes yeux : un
regard bien plus admirable encore agissait sur moi ; il était plein de l’intérêt le plus tendre, de la
plus douce pitié. Pourquoi n’osai-je pas tomber à ses pieds ? Pourquoi n’osai-je pas me jeter à son
cou et lui répondre par mille baisers ? Elle s’est réfugiée au clavecin, et, d’une voix douce et légère,
elle unissait à son jeu des notes harmonieuses. Jamais je n’avais vu ses lèvres aussi séduisantes ; on
eût dit qu’elles s’ouvraient avec ardeur pour boire les doux sons qui coulaient de l’instrument, et
auxquels sa bouche pure répondait seulement comme un écho • céleste…. Oui, si je pouvais te le
dire…. Je n’ai pas résisté plus longtemps, je me suis incliné et j’en ai fait le serment. Jamais je
n’oserai imprimer sur vous un baiser, ô lèvres, sur lesquelles voltigent les esprits du ciel. Et
pourtant…. je veux…. Ah ! vois-tu, c’est comme un mur de séparation devant mon âme…. Cette
félicité…. et puis mourir pour expier cette faute !… Une faute ?
26 novembre.
Quelquefois je me dis : « Ta destinée est unique : estime les autres heureux…. Personne encore ne
fut tourmenté comme toi. » Ensuite je lis un ancien poète, et il me semble voir dans mon propre
cœur. J’ai tant à souffrir ! Hélas ! il y eut donc avant moi des hommes aussi malheureux !

Recherche philosophique sur l'origine de nos idées du sublime et du beau, Burke


Je suis convaincu que les infortunes et les souffrances réelles d’autrui nous donnent dans un
très-haut degré ce délice dont nous avons déjà parlé : car, que la sensation soit ce qu’on voudra en
apparence, si elle ne nous porte pas à fuir certains objets, si elle nous sollicite au contraire à en
approcher, si elle nous y attache, dans ce cas je conçois que nous devons sentir un délice, ou un
plaisir d’une espèce ou d’autre, à contempler des objets de ce genre. Ne lisons-nous pas les récits
authentiques des scènes les plus désastreuses avec autant de plaisir que les romans et les poèmes
dont la fiction a créé tous les incidents. 

Ainsi il est certain que ma vie doit nécessairement être hors de tout péril imminent pour que
je puisse trouver un délice dans les souffrances réelles ou imaginaires de mes semblables, où
réellement dans toute autre chose, de quelque cause qu’elle procède. Mais conclure de-là que ma
sécurité est, dans toutes les occasions possibles, la cause de mon délice, c’est un très-grossier
sophisme. Je ne crois pas que personne puisse apercevoir dans son ame une telle cause de plaisir ;
au contraire, lorsque nous ne ressentons pas de douleurs très-aigues, que notre vie n’est pas
menacée d’un péril prochain, nous pouvons compatir aux maux d’autrui, quoique nous souffrions
nous-mêmes ; et souvent la sympathie nous émeut d’autant plus profondément que nous sommes
attendris par l’affliction : nous voyons même avec pitié des malheurs que nous accepterions en
échange des nôtres.

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