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« Sonnets » SONNET II
Ô beaux yeux bruns, ô regards détournés,
Ô chauds soupirs, ô larmes épandues,
Ô noires nuits vainement attendues,
Ô jours luisants vainement retournés !
Je t'en supplie, Amour, cesse de me tourmenter ! Qu'encor Amour sur moi son arc essaie,
Mais n'éteins pas en moi mon plus précieux désir, Que de nouveaux feux me jette et nouveaux dards,
Qu'il se dépite et pis qu'il pourra fasse :
Sinon il me faudra fatalement mourir.
Car je suis tant navrée en toute part
Que plus en moi une nouvelle plaie
Pour m'empirer, ne pourrait trouver place.
SONNET IV SONNET VI
Depuis qu'Amour cruel empoisonna Deux ou trois fois bienheureux le retour
Premièrement de son feu ma poitrine, De ce clair Astre, et plus heureux encore
Toujours brûlai de sa fureur divine, Ce que son oeil de regarder honore.
Qui un seul jour mon coeur n'abandonna. Que celle-là recevrait un bon jour
Quelque travail, dont assez me donna, Qu'elle pourrait se vanter d'un bon tour,
Quelque menace et prochaine ruine, Qui baiserait le plus beau don de Flore,
Quelque penser de mort qui tout termine, Le mieux sentant que jamais vis Aurore,
De rien mon cœur ardent ne s'étonna. Et y ferait sur ses lèvres séjour !
Tant plus qu'Amour nous vient fort assaillir, C'est à moi seule à qui ce bien est dû,
Plus il nous fait nos forces recueillir, Pour tant de pleurs et tant de temps perdu ;
Et toujours frais en ses combats fait être ; Mais, le voyant, tant lui ferai de fête,
Mais ce n'est pas qu'en rien nous favorise, Tant emploierai de mes yeux le pouvoir,
Cil qui des Dieux et des hommes méprise, Pour dessus lui plus de crédit avoir,
Mais pour plus fort contre les forts paraître. Qu'en peu de temps ferai grande conquête.
SONNET VII
SONNET V
On voit mourir toute chose animée,
Claire Vénus, qui erres par les Cieux,
Lors que du corps l'âme subtile part :
Entends ma voix qui en plaints chantera,
Je suis le corps, toi la meilleure part :
Tant que ta face au haut du Ciel luira,
Où es-tu donc, ô âme bien aimée ?
Son long travail et souci ennuyeux.
Ne me laissez pas si longtemps pâmée :
Mon oeil veillant s'attendrira bien mieux,
Pour me sauver après viendrais trop tard.
Et plus de pleurs te voyant jettera.
Las ! ne mets point ton corps en ce hasard :
Mieux mon lit mol de larmes baignera,
Rends-lui sa part et moitié estimée.
De ses travaux voyant témoins tes yeux.
Mais fais, Ami, que ne soit dangereuse
Donc des humains sont les lassés esprits
Cette rencontre et revue amoureuse,
De doux repos et de sommeil épris.
L'accompagnant, non de sévérité,
J'endure mal tant que le soleil luit ;
Non de rigueur, mais de grâce amiable,
Et quand je suis quasi toute cassée,
Qui doucement me rende ta beauté,
Et que me suis mise en mon lit lassée,
Jadis cruelle, à présent favorable.
Crier me faut mon mal toute la nuit.
SONNET VIII
Je vis, je meurs: je me brûle et me noie, Quand j'aperçois ton blond chef, couronné
J'ai chaud extrême en endurant froidure; D'un laurier vert, faire un luth si bien plaindre
La vie m'est et trop molle et trop dure, Que tu pourrais à te suivre contraindre
J'ai grands ennuis entremélés de joie. Arbres et rocs ; quand je te vois orné,
Ainsi Amour inconstamment me mène Tant de vertu qui te font être aimé,
Et, quand je pense avoir plus de douleur, Qui de chacun te font être estimé,
Sans y penser je me trouve hors de peine. Ne te pourraient aussi bien faire aimer ?
Puis, quand je crois ma joie être certaine, Et, ajoutant à ta vertu louable
Et être en haut de mon désiré heur, Ce nom encor de m'être pitoyable,
Il me remet en mon premier malheur. De mon amour doucement t'enflammer ?
SONNET IX SONNET XI
Tout aussitôt que je commence à prendre Ô doux regards, ô yeux pleins de beauté
Dans le mol lit le repos désiré, Petits jardins pleins de fleurs amoureuses
Mon triste esprit, hors de moi retiré, Où sont d'Amour les flèches dangereuses,
S'en va vers toi incontinent se rendre. Tant à vous voir mon oeil s'est arrêté !
Lors m'est avis que dedans mon sein tendre Ô coeur félon, ô rude cruauté,
Je tiens le bien où j'ai tant aspiré, Tant tu me tiens de façons rigoureuses,
Et pour lequel j'ai si haut soupiré Tant j'ai coulé de larmes langoureuses,
Que de sanglots ai souvent cuidé fendre. Sentant l'ardeur de mon coeur tourmenté !
Ô doux sommeil, ô nuit à moi heureuse ! Doncques, mes yeux, tant de plaisir avez,
Plaisant repos plein de tranquillité, Tant de bons tours par ces yeux recevez ;
Continuez toutes les nuits mon songe ; Mais toi, mon coeur, plus les vois s'y complaire,
Si m'accolant me disait : chère Amie, Tant que ma main pourra les cordes tendre
Contentons-nous l'un l'autre ! s'assurant Du mignard Luth, pour tes grâces chanter :
Que jà tempête, Euripe, ni Courant Tant que l'esprit se voudra contenter
Ne nous pourra disjoindre en notre vie : De ne vouloir rien fors que toi comprendre :
Lors que, souef*, plus il me baiserait, *souef: doucement Et mon esprit en ce mortel séjour
Et mon esprit sur ses lèvres fuirait, Ne pouvant plus montrer signe d'amante :
Bien je mourrais, plus que vivante, heureuse. Prierai la mort noircir mon plus clair jour.
Masques, tournois, jeux me sont ennuyeux, Sans y penser, quand j'ouïs une vois
Et rien sans toi de beau ne me puis peindre; Qui m'appela, disant : Nymphe étonnée,
Tant que, tâchant à ce désir étreindre, Que ne t'es-tu vers diane tournée ?
Et un nouvel objet faire à mes yeux, Et, me voyant sans arc et sans carquois :
Que si je veux de toi ëtre délivre, Et lui jetai en vain toute mes flêches
Il me convient hors de moi-mëme vivre; Et l'arc aprés ; mais lui les ramassant
Ou fais encor que loin sois en séjour. Et les tirant, me fit cent en cent brêches.
SONNET XX
SONNET XVIII Prédit me fut que devait fermement
Un jour aimer celui dont la figure Et toi, sa soeur, qu'Endymion embrasse,
Me fut décrite ; et sans autre peinture Tant te repais de miel amoureux !
Le reconnus quand vis premièrement.
Mars voit Vénus ; Mercure aventureux
Puis le voyant aimer fatalement De Ciel en Ciel, de lieu en lieu se glace ;
Pitié je pris de sa triste aventure, Er Jupiter remarque en mainte place
Et tellement je forçais ma nature, Ses premiers ans plus gais et chaleureux.
Qu'autant que lui aimai ardentement.
Voilà du Ciel la puissante harmonie,
Qui n'eût pensé qu'en faveur devait croître Qui les esprits divins ensemble lie ;
Ce que le ciel et destins firent naître ? Mais s'ils avaient ce qu'ils aiment lointain,
Mais quand je vois si nubileux apprêts,
Leur harmonie et ordre irrévocable
Vents si cruels et tant horrible orage, Se tournerait en erreur variable,
Je crois qu'étaient les infernaux arrêts Et comme moi travaillerait en vain.
Que de si loin m'ourdissaient ce naufrage.
SONNET XXIII
Las! que me sert que si parfaitement
SONNET XXI Loua jadis ma tresse dorée,
Quelle grandeur rend l'homme vénérable ? Et de mes yeux la beauté comparée
Quelle grosseur ? quel poil ? quelle couleur ? A deux Soleils, dont Amour finement
Qui est des yeux le plus emmielleur ?
Qui fait plus tôt une plaie incurable ? Tira les traits causes de son tourment ?
Où êtes-vous, pleurs de peu de durée ?
Quel chant est plus à l'homme convenable ?
Et mort par qui devait être honorée
Qui plus pénètre en chantant sa douleur ?
Qui un doux luth fait encore meilleur ?
Ta ferme amour et itéré serment ?
Quel naturel est le plus amiable ?
Doncques c'était le but de ta malice
Je ne voudrais le dire assûrément, De m'asservir sous ombre de service ?
Ayant Amour forcé mon jugement ; Pardonne-moi, Ami, à cette fois,
Mais je sais bien, et de tant je m'assure,
Etant outrée et de dépit et d'ire;
Que tout le beau que l'on pourrait choisir, Mais je m'assur', quelque part que tu sois,
Et que tout l'art qui aide la Nature, Qu'autant que moi tu souffres de martyre.
Ne sauraient accroître mon désir.
SONNET XXII
Luisant Soleil, que tu es bienheureux SONNET XXIV
De voir toujours t'Amie la face !
Ne reprenez, Dames, si j'ai aimé, IV.
Si j'ai senti mille torches ardentes, Travail : Souffrance.
Mille travaux, mille douleurs mordantes. Penser : Pensée.
Si, en pleurant, j'ai mon temps consumé, Cil : Celui
V.
Las ! que mon nom n'en soit par vous blamé. Travail : Souffrance.
Si j'ai failli, les peines sont présentes, Souci : Grande inquiétude.
N'aigrissez point leurs pointes violentes: Ennuyeux : Qui procure une très grande tristesse.
Mais estimez qu'Amour, à point nommé, Mol : Mou.
Travaux : Souffrances.
Sans votre ardeur d'un Vulcain excuser,
Sans la beauté d'Adonis accuser, VI.
Pourra, s'il veut, plus vous rendre amoureuses, Don de Flore : Sans doute la rose, à quoi l’amante compare la bouche de l’aimé.
XIV. XXIV.
Heur : Bonheur. Reprendre : Faire des reproches.
Travaux : Souffrances.
XV. Faillir : Manquer à son devoir.
Appareiller : Préparer.
Zéphir : Vent. « Sonnet de la belle cordière »
v. 3-6 : Le Zéphir réveille l’eau et la terre du sommeil qui les empêchait, l’une de Cettui : Ce
couler, l’autre de faire pousser des fleurs colorées. Ardre : Brûler.
Jà : Déjà. Heur : Bonheur.
Les oiseaux ès arbres : Les oiseaux qui sont dans les arbres. Poinctures : Blessure.
Ennui : Tourment. Bâme : Baume.
S’ébattre : S’amuser. Oisel : Oiseau.
Heur : Bonheur.
Devers : En direction de.
XVI.
Caucase : Montagne séparant l’Europe et l’Asie.
v. 4-6 : Quand le Soleil a fait le tour de la terre et qu’il rejoint l’Océan à toute
allure, la Nuit se montre avec la Lune.
Parthe : Un soldant de l’empire parthe, ennemi de l’empire romain.
Souloir : Avoir l’habitude de.
XVII.
Esquels : Dans lesquels.
Ouïr : Entendre.
XX.
Ardentement : Avec passion.
Ourdir : Préparer.
XII.
T’Amie : La Lune.
Endymion : Berger de la mythologie, amant de Séléné, déesse de la Lune.
Travailler : Souffrir.
XIII.