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« LE PLUS GRAND PLAISIR QUI SOIT APRES AMOUR , C’EST D’EN PARLER.

» (ELEGIES)

Louise Labé, la belle cordière


→ Courtisane, vie agitée (prostitution, affaires d’empoisonnement…),
lyonnaise, femme vite libérée de son mari (veuve). Vie rapidement
fantasmée, jalousée, calomniée.

On a même retrouvé la trace de son testament signé en 1565. Elle est enterrée un an
plus tard, dans la force de l'âge. Lyon sombre alors dans le chaos des guerres de
religion, de la peste.

→ Plus tard, les récits de sa vie romanesque se diffusent. Les Lumières la


redécouvrent. La modernité féministe la revendique. Mais en 2006, avec la parution de l'ouvrage de
Mireille Huchon, des indices fissurent la légende dorée, jusqu’à faire douter de son identité 1 : "L’ouvrage
qu’elle fournit suppose qu’elle savait le latin, qu’elle avait une bibliothèque absolument extraordinaire,
mais son père ne sait pas signer, il est illettré. Il y a beaucoup de poètes femmes au XVIe siècle, mais qui
s’occupent plutôt de morale, de religion. Là nous sommes dans un cas très particulier."
→ En poésie, siècle d’importation des formes et des thèmes pétrarquistes. Le mètre pratiqué est le
décasyllabe2 (césuré 4-6 selon Peletier) encore conseillé (Cf. Th. Sebillet) dominant avant que les Pléiade
(J Peletier) ne diffusent l’alexandrin, et pratiqué par Louise Labé de façon tout à fait conventionnelle.

Corpus de poèmes

4 Mais ce n’est pas qu’en rien nous favorise,


Cil qui les Dieux et les hommes méprise,
Depuis qu’Amour cruel empoisonna Mais pour plus fort contre les forts paraître.
Premièrement de son feu ma
poitrine,
Toujours brûlai de sa fureur divine, 11
Qui un seul jour mon cœur
n’abandonna. Ô doux regards, ô yeux pleins de beauté
Attribué à François Verdier. Un
Amour ôte les flèches de son
Petits jardins pleins de fleurs amoureuses
Quelque travail, dont assez me carquois pour le remplir de Où sont d’Amour les flèches dangereuses,
donna, pièces d'or. 17e s., musée du Tant à vous voir mon œil s’est arrêté !
Louvre-Lens
Quelque menace et prochaine ruine,
Quelque penser de mort qui tout Ô cœur félon, ô rude cruauté,
termine, Tant tu me tiens de façons rigoureuses,
De rien mon cœur ardent ne s’étonna. Tant j’ai coulé de larmes langoureuses,
Sentant l’ardeur de mon cœur tourmenté !
Tant plus qu’Amour nous vient fort assaillir,
Plus il nous fait nos forces recueillir, Doncques, mes yeux, tant de plaisir avez,
Et toujours frais en ses combats fait être ; Tant de bons tours par ces yeux recevez ;
Mais toi, mon cœur, plus les vois s’y complaire,

1
Voir Mireille HUCHON, Louise Labé, une créature de papier (Droz, 2006) et Le Labérynthe (Droz, 2019).
2
Avec le -e- post tonique encore prononcé le plus souvent même si le décompte se fait à 10 en laissant une
syllabe surnuméraire.
Plus tu languis, plus en as de souci.
Or devinez si je suis aise aussi, Diane étant en l’épaisseur d’un bois,
Sentant mon œil être à mon cœur contraire. Après avoir mainte bête assénée,
Prenait le frais, de Nymphe couronnée.
J’allais rêvant, comme fais mainte fois,
13
Sans y penser, quand j’ouïs une voix
Oh, si j’étais en ce beau sein ravie
Qui m’appela, disant : Nymphe étonnée,
De celui-là pour lequel vais mourant :
Que ne t’es-tu vers diane tournée ?
Si avec lui vivre le demeurant
Et, me voyant sans arc et sans carquois :
De mes courts jours ne m’empêchait envie :
Qu’as-tu trouvé, Ô compagne en ta voie,
Si m’accolant me disait : chère Amie,
Qui de ton arc et flèches ait fait proie ?
Contentons-nous l’un l’autre ! s’assurant
– Je m’animai, réponds-je, à un passant,
Que jà tempête, Euripe3, ni Courant
Ne nous pourra disjoindre en notre vie :
Et lui jetai en vain toute mes flèches
Et l’arc après ; mais lui les ramassant
Si de mes bras le tenant accolé,
Et les tirant, me fit cent et cent brèches.
Comme du lierre est l’arbre encercelé,
La mort venait, de mon aise envieuse,
22
Lors que, soif, plus il me baiserait,
Et mon esprit sur ses lèvres fuirait, Luisant Soleil, que tu es bienheureux
Bien je mourrais, plus que vivante, heureuse. De voir toujours t’Amie la face !
Et toi, sa sœur, qu’Endymion4 embrasse,
Tant te repais de miel amoureux !
19
Mars voit Vénus ; Mercure aventureux
De Ciel en Ciel, de lieu en lieu se glace ;
Et Jupiter remarque en mainte place
Ses premiers ans plus gais et chaleureux.

Voilà du Ciel la puissante harmonie,


Qui les esprits divins ensemble lie ;
Mais s’ils avaient ce qu’ils aiment lointain,

Leur harmonie et ordre irrévocable


Se tournerait en erreur variable,
Et comme moi travaillerait en vain.

Pierre-Paul RUBENS et Jan I BRUEGHEL - Diane et ses nymphes


s’apprêtant à partir pour la chasse et Le Repos de Diane et de ses
nymphes - vers 1623-1624

3 4
Euripe » : bras de mer célèbre pour ses violents courants. Le berger Endymion fut plongé dans un sommeil éternel par
Jupiter. Sa beauté le fit contempler successivement par
Morphée, Séléné et Diane.
24

Ne reprenez, Dames, si j’ai aimé,


Si j’ai senti mille torches ardentes,
Mille travaux, mille douleurs mordantes.
Si, en pleurant, j’ai mon temps consumé,

Las ! que mon nom n’en soit par vous blâmé.


Si j’ai failli, les peines sont présentes,
N’aigrissez point leurs pointes violentes :
Mais estimez qu’Amour, à point nommé,

Sans votre ardeur d’un Vulcain5 excuser,


Sans la beauté d’Adonis6 accuser,
Pourra, s’il veut, plus vous rendre amoureuses,
Fragonard, Séléné, déesse grecque de la lune, contemplant le berger
Endymion endormi, dit Le songe d’amour du guerrier, v. 1750-1800 En ayant moins que moi d’occasion,
(Musée du Louvre-Lens) Et plus d’étrange et forte passion.
Et gardez-vous d’être plus malheureuses !

Le Titien, Vénus et Adonis, v. 1553 (musée du


Prado, Madrid)

Sujet de réflexion de fin de séquence.


Dans son essai Louise Labé lyonnaise, François Rigolot écrit7 que Louise Labé « a ainsi réussi à nous faire croire, par la
magie de son langage… » etc.

En quoi les sonnets amoureux de Louise Labé relèvent-ils en effet d’un tour de passe-passe ?

5 7
Repoussant mari de la belle Vénus. François RIGOLOT, Louise Labé ou la Renaissance au
6
Jeune amant, de pure beauté, de Vénus. féminin, Garnier, 2022 (p.279)

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