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Lycée Malick Sall / Louga

2011 / 2012

TL2b
M. Gaye

LES FONCTIONS DE LA POESIE

Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage

Tristesse Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage,


Et la mer est amère, et l'amour est amer,
J'ai perdu ma force et ma vie, L'on s'abîme en l'amour aussi bien qu'en la mer,
Et mes amis et ma gaieté; Car la mer et l'amour ne sont point sans orage.
J'ai perdu jusqu'à la fierté
Qui faisait croire à mon génie. Celui qui craint les eaux qu'il demeure au rivage,
Celui qui craint les maux qu'on souffre pour aimer,
Quand j'ai connu la Vérité, Qu'il ne se laisse pas à l'amour enflammer,
J'ai cru que c'était une amie ; Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.
Quand je l'ai comprise et sentie,
J'en étais déjà dégoûté. La mère de l'amour eut la mer pour berceau,
Le feu sort de l'amour, sa mère sort de l'eau,
Et pourtant elle est éternelle, Mais l'eau contre ce feu ne peut fournir des armes.
Et ceux qui se sont passés d'elle
Ici-bas ont tout ignoré. Si l'eau pouvait éteindre un brasier amoureux,
Ton amour qui me brûle est si fort douloureux,
Dieu parle, il faut qu'on lui réponde. Que j'eusse éteint son feu de la mer de mes larmes.
Le seul bien qui me reste au monde
Est d'avoir quelquefois pleuré. Pierre de MARBEUF (1596-1645)
………………………………………………………….
……………………………………………….. Trahison
Je me plains à mes vers, si j'ai quelque regret : Ce cœur obsédant, qui ne correspond
Je me ris avec eux, je leur dis mon secret, Pas à mon langage ou à mes costumes,
Comme étant de mon cœur les plus sûrs secrétaires. Et sur lequel mordent comme un crampon,

Des sentiments d’emprunts et des coutumes

D’Europe, sentez-vous cette souffrance

Et ce désespoir à nul autre égal

D’apprivoiser, avec des mots de France,

Ce cœur qui m’est venu du Sénégal ?

Léon LALEAU
In Anthologie de la Nouvelle poésie nègre et malgache

À Charles Morice N’offrez rien au lecteur que ce qui peut lui plaire.
Ayez pour la cadence une oreille sévère :
De la musique avant toute chose, Que toujours dans vos vers, le sens, coupant les mots,
Suspende l’hémistiche, en marque le repos.
Et pour cela préfère l'Impair
Gardez qu’une voyelle, à courir trop hâtée,
Plus vague et plus soluble dans l'air, Ne soit d’une voyelle en son chemin heurtée,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose. Il est un heureux choix de mots harmonieux.
Fuyez des mauvais sons le concours odieux :
Il faut aussi que tu n'ailles point Le vers le mieux rempli, la plus noble pensée
Choisir tes mots sans quelque méprise Ne peut plaire à l’esprit, quand l’oreille est blessée. (…)
Rien de plus cher que la chanson grise Il est certains esprits dont les sombres pensées
Où l'Indécis au Précis se joint. Sont d’un nuage épais toujours embarrassées ;
Le jour de la raison ne le saurait percer.
……………………………………………………… Avant donc que d’écrire, apprenez à penser.
…. Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
Dieu le veut, dans les temps contraires, L’expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Chacun travaille et chacun sert. Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Malheur à qui dit à ses frères : Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Je retourne dans le désert !
Malheur à qui prend ses sandales Surtout, qu’en vos écrits la langue révérée
Quand les haines et les scandales Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée.
Tourmentent le peuple agité ! En vain vous me frappez d’un son mélodieux,
Honte au penseur qui se mutile Si le terme est impropre ou le tour vicieux :
Et s'en va, chanteur inutile, Mon esprit n’admet point un pompeux barbarisme,
Par la porte de la cité ! Ni d’un vers ampoulé l’orgueilleux solécisme.
Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin
Le poète en des jours impies1 Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain.
Vient préparer des jours meilleurs.
II est l'homme des utopies, Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse,
Les pieds ici, les yeux ailleurs. Et ne vous piquez point d’une folle vitesse ;
C'est lui qui sur toutes les têtes, Un style si rapide, et qui court en rimant,
En tout temps, pareil aux prophètes, Marque moins trop d’esprit que peu de jugement.
Dans sa main, où tout peut tenir, J’aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arène,
Doit, qu'on l'insulte ou qu'on le loue, Dans un pré plein de fleurs lentement se promène,
Comme une torche qu'il secoue, Qu’un torrent débordé qui, d’un cours orageux,
Faire flamboyer l'avenir ! Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux.
Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage,
II voit, quand les peuples végètent ! Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
Ses rêves, toujours pleins d'amour, Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Sont faits des ombres que lui jettent Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
Les choses qui seront un jour.
On le raille. Qu'importe ! Il pense. ……………………………………………………….
Plus d'une âme inscrit en silence Je chante les Héros dont Esope est le Père,
Ce que la foule n'entend pas. Troupe de qui l'Histoire, encor que mensongère,
II plaint ses contempteurs2 frivoles; Contient des vérités qui servent de leçons.
Et maint faux sage à ses paroles Tout parle en mon Ouvrage, et même les Poissons :
Rit tout haut et songe tout bas ! Ce qu'ils disent s'adresse à tous tant que nous
sommes.
Je me sers d'Animaux pour instruire les Hommes.

Peuples ! écoutez le poète !


Ecoutez le rêveur sacré ! Je ne me suis pas fait écrivain politique,
Dans votre nuit, sans lui complète, N’étant pas amoureux de la place publique.
Lui seul a le front éclairé D’ailleurs, il n’entre pas dans mes prétentions
Des temps futurs perçant les ombres, D’être l’homme du siècle et de ses passions.
Lui seul distingue en leurs flancs sombres
(…)
Le germe qui n'est pas éclos.
Homme, il est doux comme une femme Je n’ai jamais chanté ni la paix ni la guerre ;
Dieu parle à voix basse à son âme Si mon siècle se trompe, il ne m’importe guère :
Comme aux forêts et comme aux flots. Tant mieux s’il a raison, et tant pis s’il a tort ;
Pourvu qu’on dorme encore au milieu du tapage,
C’est tout ce qu’il me faut, et je ne crains pas
l’âge
Où les opinions deviennent un remord.

Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent Melancholia


... Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ceux dont un dessein ferme emplit l'âme et le front. Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ceux qui d'un haut destin gravissent l'âpre cime. Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules !
Ceux qui marchent pensifs, épris d'un but sublime. Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Ayant devant les yeux sans cesse, nuit et jour, Dans la même prison le même mouvement.
Ou quelque saint labeur ou quelque grand amour. Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
C'est le prophète saint prosterné devant l'arche, Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
C'est le travailleur, pâtre, ouvrier, patriarche. Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ceux dont le cœur est bon, ceux dont les jours sont pleins. Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.
Ceux-là vivent, Seigneur ! les autres, je les plains. Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! La cendre est sur leur joue.
Car de son vague ennui le néant les enivre, Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Car le plus lourd fardeau, c'est d'exister sans vivre. Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Inutiles, épars, ils traînent ici-bas Ils semblent dire à Dieu : - Petits comme nous sommes,
Le sombre accablement d'être en ne pensant pas. Notre père, voyez ce que nous font les hommes !
Ils s'appellent vulgus, plebs, la tourbe, la foule. Ô servitude infâme imposée à l'enfant !
Ils sont ce qui murmure, applaudit, siffle, coule, Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant
Bat des mains, foule aux pieds, bâille, dit oui, dit non, Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée,
N'a jamais de figure et n'a jamais de nom ; La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée,
Troupeau qui va, revient, juge, absout, délibère, Et qui ferait - c'est là son fruit le plus certain ! -
Détruit, prêt à Marat comme prêt à Tibère, D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !
Foule triste, joyeuse, habits dorés, bras nus, Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre,
Pêle-mêle, et poussée aux gouffres inconnus. Qui produit la richesse en créant la misère,
Ils sont les passants froids sans but, sans noeud, sans âge ; Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil !
Le bas du genre humain qui s'écroule en nuage ; Progrès dont on demande : Où va-t-il ? Que veut-il ?
Ceux qu'on ne connaît pas, ceux qu'on ne compte pas, Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme,
Ceux qui perdent les mots, les volontés, les pas. Une âme à la machine et la retire à l'homme !
L'ombre obscure autour d'eux se prolonge et recule ; Que ce travail, haï des mères, soit maudit !
Ils n'ont du plein midi qu'un lointain crépuscule, Maudit comme le vice où l'on s'abâtardit,
Car, jetant au hasard les cris, les voix, le bruit, Maudit comme l'opprobre et comme le blasphème !
Ils errent près du bord sinistre de la nuit. Ô Dieu ! Qu’il soit maudit au nom du travail même,
Au nom du vrai travail, sain, fécond, généreux,
Qui fait le peuple libre et qui rend l'homme heureux !

Les Contemplations, Livre III , Les luttes et les Rêves

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