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Séance 4 : Analyse de texte

Pétrarque , Canzoniere (1374) : Que bénis soient le jour et le mois…

Comment Pétrarque célèbre-t-il ici à la fois sa muse, l'amour et la poésie ?

1. PREMIÈRE LECTURE Ce sonnet est un poème d’amour. En effet, le poète y


célèbre le sentiment amoureux, de la naissance de celui-ci, au plaisir de chanter « le
nom de [s]a dame » (v.10).

Un amour ambivalent

2. Une anaphore structure le poème, reposant sur le participe passé du verbe « bénir
» : « Que bénis soient » / « Et bénis soient » / « Bénis soient » / « Et bénis à jamais ».
Elle vient rappeler qu’il s’agit ici pour le poète de célébrer, de rendre hommage, de
remercier. Le poète célèbre dans la première et la deuxième strophe le moment
particulier de la naissance de l’amour, que l’on appelle, en italien, l’innamoramento.
Par une énumération de termes redondants, il souligne dans le premier quatrain
l’instant du premier regard, qui l’a tant marqué : « Que bénis soient le jour et le mois
et l’année, / La saison et le temps et l’heure et le moment » (v.1-2). Dans le second
quatrain, il se remémore comment le sentiment amoureux s’est alors déployé en lui («
le premier doux tourment, / Que je sentis à être avec Amour lié », v.5-6). Il s’agit d’un
véritable coup de foudre, comme le montre l’image traditionnelle de la flèche pour
désigner « l’Amour », magnifié par la majuscule : « Et son arc et ses traits, dont je fus
transpercé » (v.8).

3. Pétrarque exprime ici l’ambivalence du sentiment amoureux en faisant cohabiter le


champ lexical de la joie et celui de la douleur : « je fus atteint » (v.3), « tourment »
(v.5), « je fus transpercé » (v.7), « la plaie qui pénètre au-dedans de mon cœur » (v.8),
« Et mes soupirs et mes larmes » (v.11). Cette contradiction est mise en valeur par un
oxymore : « le premier doux tourment » (v.5), qui exprime à la fois la douceur du
sentiment amoureux naissant, mais aussi sa violence (un « tourment » est une grande
souffrance).

Un sonnet pour célébrer la muse et la poésie

4. Les deux derniers tercets fonctionnent ensemble, suivant le mouvement traditionnel


du sonnet, composé de deux moments : les deux quatrains, suivis des deux tercets.
Ces deux dernières strophes louent en fait moins l’amour ou la femme aimée, que leur
célébration, grâce aux « mots » (v.9) : « Bénis soient à jamais les mots que j’ai sans
nombre / Répandus pour clamer le cher nom de ma dame » (v.9-10). Le poète se
réjouit du fait de chanter son amour et sa dame.

5. Le poète rend hommage à sa muse par « les mots que j’ai sans nombre » (v.9) et «
toutes les écritures » (v.12), c’est- à-dire, par extension, par la poésie ou le chant. Il
s’agit en effet d’honorer le nom de la femme aimée (« clamer le cher nom de ma dame
», v.10) et de faire l’éloge de celle-ci (« je lui donne un grand renom » v.13), afin de
participer à sa renommée, sa gloire. Celle-ci joue pour le poète le rôle d’une muse,
puisqu’elle occupe toute « [s]a pensée » (v.13) et inspire sa poésie.

6. Ce poème est donc marqué par le champ lexical de la poésie, qu’il s’agisse de
l’écriture ou du chant : « les mots que j’ai sans nombre / Répandus pour clamer le nom
de ma dame » (v.9-10), et « toutes les écritures / Où je lui donne un grand renom »
(v.12-13). L’anaphore du verbe « bénir » (v.1, 5, 9, 12), étymologiquement « dire du
bien » (bene et dicere), confirme que l’enjeu du poème est bien la célébration. Si dans
les deux quatrains, le poète met en valeur la naissance du sentiment amoureux, dans
les deux tercets il célèbre davantage la poésie que l’amour, comme le montre la pré-
sence du champ lexical de la poésie. Le poète se réjouit de pouvoir chanter l’amour et
magnifier celle qu’il aime.

7. SYNTHÈSE En conclusion, il s’agit d’un sonnet qui met finalement à l’honneur le


poète lui-même et sa poésie. En effet, en rendant hommage aux « mots », aux «
écritures » et au chant lui permettant de louer sa dame, Pétrarque célèbre en fait sa
propre poésie et désigne indirectement le poème qu’il est en train d’écrire et que le
lecteur est en train de lire. En effet, dans ce sonnet, il fait entendre précisément « [s]
es soupirs et [s]es larmes et [s]on désir » (v.11). Il s’agit donc d’un poème «
métapoétique », sur la poésie elle-même.

ÉTUDE DE LA LANGUE – « Que bénis soient... »

1. Étymologiquement, le terme « bénir » signifie, littéralement, « dire du bien » (bene


et dicere). Le sens le plus répandu du mot est religieux. Il renvoie au fait de louer,
glorifier ou remercier Dieu : il s’agit soit de l’action de Dieu bénissant les hommes,
c’est-à-dire répandant sa bénédiction afin de les protéger, soit du fait de consacrer une
église ou un objet par une cérémonie rituelle. Au sens plus courant, « bénir » reprend
son sens étymologique en désignant le fait de souhaiter du bien (bonheur et
prospérité) à quelqu’un qu’on aime, avec une certaine solennité, voire en invoquant
Dieu. Dans ce poème, le verbe « bénir » a le sens de « remercier », « glori- fier », «
louer ». Vu le contexte, le sens peut avoir une connotation religieuse et conférer à ce
que le poète célèbre (l’amour, la dame et la poésie) un caractère sacré.
2. « Que bénis soient [...] » (v.1-v.5) : Le verbe est ici au subjonctif car ce mode permet
d’exprimer un souhait dans une proposition indépendante commençant par « que ».
Le sujet du verbe « bénir » est inversé (à ne pas confondre avec un complément
d’objet, car il n’y en a pas ici). Il s’agit de l’énumération suivante : « le jour et le mois
et l’année, / Et la saison et le temps et l’heure et le moment » (v.1-2). On peut
reformuler ainsi : « Que le jour et le mois et l’année [...] soient bénis ». Le verbe est en
effet à la voie passive.

3. La répétition de la formule « Bénis [soient] ... » peut faire penser à un chant religieux
ou à une prière, notamment à l’ Ave Maria, prière catholique adressée à la Vierge
Marie (« Vous êtes bénie entre toutes les femmes / Et Jésus, le fruit de vos entrailles,
est béni ».

En classe : révision sur la voix passive à partir de l’exemple des vers 3-4 « je fus atteint
/Par deux beaux yeux », le verbe « atteindre » est conjugué au passé simple passif, le
poète en employant la voix passive montre qu’il est victime de ce regard perçant et
qu’il ne peut rien faire pour lutter.

En complément :
• Le mot « Amour » est magnifié par la majuscule (v.6), par laquelle on peut
reconnaître qu’il s’agit d’une allégorie.
• Pétrarque reprend ici la représentation traditionnelle du dieu Amour en poésie et en
peinture, à travers la mention de l’arc et des flèches (« Et son arc et ses traits », v.8).
Il s’inscrit en héritier de l’imaginaire antique et médiéval, tout en se réappropriant
cette représentation pour donner de l’amour l’image d’une blessure (« je fus
transpercé », v.8).
• Cette représentation est héritée de l’Antiquité. En effet, le dieu de l’amour dans la
mythologie romaine, Cupidon (Eros dans la mythologie grecque), est représenté
sous l’aspect d’un enfant, pourvu ou non d’ailes, armé d’un arc et d’un carquois
rempli de flèches, comme c’est le cas sur la miniature illustrant le Canzoniere.
• Le titre de la miniature du xvie siècle illustrant le Canzoniere de Pétrarque est «
Laure de Noves couronnant le poète Pétrarque ». Le cadre est bucolique, vert et
boisé : il s’agit d’un pré, traversé par une rivière ; la couleur dominante est le vert.
Comme l’indique le titre, la jeune femme représentée, qui est vêtue d’une robe et
dont les cheveux sont tressés, est Laure, la femme aimée par Pétraque, devenue la
muse de toute son œuvre. Derrière elle, vole le dieu Amour, représenté sous les
traits de Cupidon, avec des ailes, un arc et des flèches. Il tend son arc vers les deux
amants, soulignant ainsi qu’ils vont être touchés par la flèche du désir et tomber
amoureux. Enfin, Laure offre à Pétrarque une couronne dorée qui symbolise la gloire
du poète (comme la couronne de laurier).

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