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LE CONCEPT DE CULTURALISME DANS LES SCIENCES

ANTHROPOLOGIQUES : DE TYLOR À LOWIE

Philippe Rozin

Association Le Lisible et l'illisible | « Le Philosophoire »

2006/2 n° 27 | pages 151 à 176


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ISSN 1283-7091
ISBN 9782353380299
DOI 10.3917/phoir.027.0151
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2006-2-page-151.htm
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Le concept de culturalisme dans les
sciences anthropologiques :
de Tylor à Lowie

Philippe Rozin

anthropologie s’est intéressée depuis son institutionnalisation au XIXe


L’ siècle à la relation entre l’homme et la culture. L’utilisation de la
notion de culture a d’ailleurs été à l’origine de nombreux débats qui
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ont amené une scission objective entre les partisans de l’évolutionnisme et du
culturalisme. Premier élément assez trivial : la culture, comme d’autres
éléments, pourvoit à certains besoins. Elle correspond en effet à une
inscription, dans l’espace et le temps, de références et d’outils, qui permettront
de répondre à des sollicitations imprévisibles. On parle de ‘sollicitations
imprévisibles’ pour des évènements qui pourraient mettre en crise la vie
sociale de certains groupes, ou encore qui débordent des ressources cognitives
et ne permettent plus d’expliquer certains contextes spécifiques (ce que mettait
particulièrement en évidence Serge Gruzinski1 dans ses travaux sur la conquête
espagnole du Mexique). À ce titre, la culture se conçoit comme une structure
objective de représentation et de rapport à la nature ; par extension, la culture
mobilise des ressources et ordonne des capacités d’action collectives et
individuelles. Pratiquement, c’est la culture qui permet de répondre, par
différents moyens (la symbolisation, l’organisation d’un système de
transmission héréditaire, l’utilisation des stocks de ressources et des biens
accumulés dans la nature…) à des contraintes physiques fortement récurrentes.
Par surcroît, la culture institue des usages communs qu’elle adjoint à des
références pertinentes dans un système (des rituels de table par exemple).
Ces usages sont suivis d’effets plus ou moins immédiats, selon les
circonstances, et ordonnent des réactions et des interactions qui mettent en
rapport entre elles l’ensemble des composantes sociales qui structurent les

1
Gruzinski, S. (1999), La pensée métisse, Fayard

Le Philosophoire, n°27, 2006, p.151-176


152 La Culture

groupes humains constitués. Deuxième élément : la culture instrumente


également un souci de connaissance. Elle donne un repère normatif et
conditionne la possibilité d’une codification (un mode de comportement inscrit
dans le légalisme d’une coutume, d’un droit rituel ou d’un comportement
habituel) ; en même temps, elle ordonne la finalité d’un vécu collectif sur des
valeurs sociales ou des règles d’arbitrage collectives. Le système religieux
apparaît, de ce fait, comme la continuation ordonnée d’un ensemble de valeurs
culturelles suffisamment condensées pour être indexé dans un système de
référence religieux2.
Sortant directement de cette théorie de la culture, une double question se
pose : la production de différences et le point de départ, dans la nature, du fait
culturel. La culture n’est pas fondée sur un système d’homogénéisation de
pratiques. Quel que soit le système envisagé, la culture est axée sur un
problème de production. Dans un premier sens, la culture, via l’acquisition de
techniques, donne donc positivement des outils et des moyens sur la nature.
Comme le souligne Marx dans l’Idéologie allemande, la culture se conçoit
essentiellement en rapport avec une notion de production de biens et
d’exploitation de ressources. Reprenant cette formulation, l’anthropologue
américain Marshall Sahlins3 souligne, avec un zeste de provocation, que la
superstructure intervient dans la nature pour ordonner non seulement une
technique de production, mais formule encore une représentation centrale des
stocks de nourriture et des niveaux production en rapport avec des termes de
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classification dans la structure sociale. L’utilisation de la nourriture, le partage

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des ressources et l’économie du travail sont les conditions primitives de la
praxis humaine ; ce sont même ces conditions qui permettent de déterminer un
contexte culturel.
Sahlins insiste sur la force des inégalités accentuées dans la culture. Ces
rapports sont inégaux. La monopolisation ou la sur-utilisation de certains
stocks par des fractions de groupes sociaux spécifiques accroît le poids de
dysfonctionnements, d’inégalités ou d’injustice dans les groupes sociaux.
C’est en effet parce qu’il existe des rapports de productions inégaux, et que
certaines classes sociales se les sont appropriées indûment, qu’une notion
instituée de culture générale entre manifestement en contradiction avec les
besoins de biens et de production de la part la plus importante des dépossédés4.

2
Le travail des historiens Peter Brown et Robert Markus sur la genèse du christianisme
primitif est très instructif à cet égard.
3
Marschall Sahlins, Âge de pierre, âge d’abondance, Gallimard ; Marschall Sahlins
(1972), Stone Age Transaction, Aldin Translation
4
« Cette "aliénation", — pour que notre exposé reste intelligible aux philosophes —, ne
peut naturellement être abolie qu' à deux conditions pratiques. Pour qu'elle devienne une
puissance "insupportable", c' est-à-dire une puissance contre laquelle on fait la révolution,
il est nécessaire qu' elle ait fait de la masse de l'
humanité une masse totalement "privée de
propriété", qui se trouve en même temps en contradiction avec un monde de richesse et
de culture existant réellement, choses qui supposent toutes deux un grand accroissement
de la force productive, c' est-à-dire un stade élevé de son développement. », Marx,
Engels, L’idéologie allemande, Introduction, Editions sociales, p. 11.
Le concept de culturalisme 153

On ne peut plus définir la culture comme un simple rapport d’exploitation ; des


groupes sociaux ont des usages et des niveaux institutionnels d’utilisation de
ces ressources, et ce sont eux qui établissent, à partir du découpage
économique des ressources disponibles, le contexte culturel qui permettra
d’expliquer matériellement la formation d’une structure politique. C’est le
second sens du mot ‘culture’. Il est en effet fondamentalement double : à la
fois une distribution de pouvoir légitimée par des rapports de force, d’autorité
ou d’organisation, entre certains agents, et en même temps la recherche
frénétique d’une intronisation de ces niveaux de détention, à travers une
inscription sociale qui dépasse le cadre objectif des échanges immédiats entre
les individus5.
Le grand clivage des théories anthropologiques apparaît ici. Il s’agit au
fond de la question du milieu ou des conditions préjudicielles minimales qui
président à l’apparition de d’une culture. Dans le contexte de cette question, et
en prenant en compte l’idée d’une permanence de certaines structures
premières (des schémas sociaux comme les pratiques d’échanges sociaux, la
symbolisation, dans l’institution, de la continuité du lien social) on supposerait
en effet que la culture nécessite certaines dispositions pour s’assurer un
fondement de développement. Immédiatement se pose la question d’un
achèvement de la culture dans un processus finalisé.
C’est sur ce point, plus précisément, que prend appui le culturalisme. La
finalité d’une culture qui observe et qui, dans le même mouvement, prétend
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décrire une autre culture, n’est pas inspirée par la même détermination

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conceptuelle de la finalité que sa cible6. Si n’importe quelle définition de
culture repose, plus ou moins rapidement, sur un concept de finalité, les
concepts de finalités en cause ne sont pas substituables les uns aux autres. La
finalité est un concept par essence endogène, qui explique rationnellement la
structure d’une identité sociale et d’une groupe culturel. Par culturalisme, on
entend la théorie selon laquelle l’être humain est à la naissance une « page
blanche », sur laquelle il écrira son histoire, dans le cadre d’un environnement,
d’un milieu, qu’il tente de modeler par un effet de sa volonté, et qui exerce, en
retour, une influence déterminante sur l’organisation de sa vie.
Contrairement à l’évolutionnisme, le culturalisme ne présuppose a priori
aucune suite de développements entre des périodes historiques, mais des
rapports variables, complexes et instables de cultures spécifiques avec des
systèmes de projection historiques à chaque fois relatifs.
Très tôt, les premiers anthropologues avaient été frappés par les
ressemblances qui existaient entre des coutumes et des institutions de cultures
distinctes et éloignées géographiquement. Au XIXe siècle, l’évolutionnisme
permettait d’expliquer ces similarités par la thèse de la convergence. Toutes les
sociétés se seraient transformées en passant par les mêmes étapes et en
évoluant dans la même direction. Il s’agissait donc de rendre compte de la

5
Max Weber, Politik als Beruf (1992), Reclam, Ditzingen, pp. 71-76
6
Marschall Sahlins, (1981), Historical Metaphors and Mythical Realities: Structure in
the Early History of the Sandwich Islands Kingdom, University of Michigan Press
154 La Culture

trajectoire unique de l’humanité, l’objectif étant d’isoler les stades successifs


parcourus et leurs lois d’enchaînement ; le postulat sous-jacent étant
l’universalité de l’esprit humain.
Dans cette idée, et a contrario, on perçoit désormais l’évolutionnisme
classique de Morgan comme une explication impliquant naturellement un
principe d’unité de l’espèce humaine ; à partir d’une conception moniste de
l’espèce humaine, un principe homogène de développement définirait
l’ensemble de ses composantes dans la visée expresse d’un développement
uniforme de l’homme, ceci sans référence objective à l’existence de
singularités culturelles indépendantes. Par-delà les singularités et les formes de
cultures, l’actualisation d’une fin assignable pour tous les groupes sociaux (qui
participeraient ainsi au mouvement d’un même développement biologique de
l’espèce humaine), apparaîtrait comme un trait dominant, une certaine
persistance des singularités culturelles dans l’univers. C’est le sens du concept
d’évolution ; il s’appuie sur l’exploitation de ressources en surabondance ou au
contraire en état de déficit, et insiste sur une polarisation des regroupements
sociaux explicités par des règles culturelles communes.
Ce principe marche avec la considération d’un développement commun,
tendu sur une fin intrinsèquement historique de l’homme, via la culture. Il n’est
pas réellement question d’un état d’achèvement, mais plutôt d’une structure
darwinienne de concurrence biologique, qui précipite l’acquisition de moyens
et excite la lutte pour la vie.
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Revenons sur la question centrale du débat : la relation d’un groupe social,

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d’une culture individuelle – c’est-à-dire, dans un sens faible, comme un
système de production de valeurs à partir de la conception de certaines
interactions sociales entre les clans qui composent un tissu social conflictuel,
mais homogène7 – et d’un processus historique qui marquerait, en quelque
sorte, la fin projetable (et à des degrés divers, consciente), de la société
considérée. Le culturalisme est un mouvement totalement polymorphe, qui a
pris corps dans une structure de réflexion orientée sur la relation d’une praxis
humaine avec l’unité d’un concept de nature. Historiquement, dans les sciences
anthropologiques, et avec les travaux exploratoires de Morgan et Tylor, la
possibilité philosophique de centrer l’analyse anthropologique sur une science
autonome de l’agir humain, sans systématiquement recourir au postulat
moniste d’une science purement évolutionniste, pousse donc irrésistiblement à
déterminer un critère de connaissance culturaliste.
Le débat se focalise donc sur l’alternative suivante : soit on admet la forme
d’un déterminisme fixé dans un rapport pratique d’action entre une
communauté et son milieu (en admettant que cette relation produit des
conditions spécifiques qui permettront de fonder la spécificité d’une culture) ;
soit on intègre, au contraire, l’idée d’un déterminisme absolu du concept
d’unité humaine pour toutes les communautés. La visée fondamentale tend à
valoriser la communauté d’un patrimoine génétique commun, qui emprunterait
différentes formes pour se développer historiquement, mais s’engouffrerait

7
Goffman, E. (1981), Interaction Ritual - Essays on Face-to-Face Behavior, Pantheon
Le concept de culturalisme 155

toujours dans la même finalité de lutte pour la vie des espèces. Partant alors
d’une hypothèse d’unité biologique, la science anthropologique suppose la
détermination d’un ordre de mutation culturel ou social actualisé sur un même
processus finalisé de développement biologique.
L’objet de cet article et d’éclairer la nature du clivage qui distingue les
deux perspectives. Nous voulons insister ici sur la question de la finalité dans
le processus de développement culturel d’une groupe social, et la place qu’elle
occupe singulièrement dans les deux paradigmes. Pour la plupart des
anthropologues, il est inévitable d’introduire la question historique, en insistant
à la fois 1. sur les structures cognitives de l’histoire et 2. sur la nature de la
téléologique d’un fin assignable au développement de la société produisant un
contexte et des normes culturelles distinctes absolument des autres groupes8.
La double question de la finalité réfléchissante et de l’accomplissement d’un
processus de développement historique d’une culture induit donc un
questionnement différent sur le clivage habituel de l’évolutionnisme et du
culturalisme. Nous proposons dans cet article de revenir à la source du
problème structural en examinant les positions de différents anthropologues,
qui, tous à leur manière, ont soulevé un débat philosophique important. Le
culturalisme recoupe en effet des schémas de pratiques sociales qui,
insensiblement, conduiraient à une téléologie finaliste des groupes sociaux. Le
culturalisme recoupe pourtant plusieurs formes de discussion sur la réalité des
espèces humaines, le fondement des formes d’expression esthétiques et la
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continuité de pratiques sociales organisées dans des groupes ou des peuples

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improprement appelés ‘primitifs’.
Il s’agit en réalité de savoir si la culture constitue un point de
développement marginal dans le développement du capital biologique d’une
espèce (ce qui justifierait donc l’idée d’une réduction de la détermination
culturaliste, qui fonde l’identité intrinsèque du groupe social sur le devenir
historique d’un groupe conçu à partir de conditions micro-historiques liées,
justement, aux aléas de son développement biologique dans le milieu naturel).
Est-ce qu’en somme la culture apparaît comme une donnée première sur les
étapes de croissance endogène du groupe, à savoir de l’accroissement de son
patrimoine biologique et du développement de son unité dans un
environnement, dans des conditions d’exploitation économique strictement
spécifiques, ou faut-il, au contraire, partir absolument de la culture, pour
expliquer rationnellement les conditions du développement social ? La vieille
dichotomie dans les sciences sociales et anthropologiques entre
l’évolutionnisme et le culturalisme tend actuellement à se reconstituer d’une
manière assez surprenante.

8
Momigliano, A., (1992), The Classical Foundations of Modern Historiography,
University of California Press
156 La Culture

Une lecture de la vie culturelle

L’hypothèse évolutionniste, qui remplit le programme des études sur les


mutations d’une espèce humaine unique, initie donc une réflexion sur un
fondement purement biologique du fait humain dans la nature. Les prétentions
de cette science anthropologique ont été philosophiquement critiquées par
Wittgenstein9, pour qui l’inclination à défendre une signification unique de
l’homme relève d’une supposition arbitraire, d’un abus de langage, et d’une
fonction intrinsèquement travestie de l’explication par raison suffisante des
processus sociaux. Avec l’hypothèse de Frazer sur la continuité des rituels
sociaux de destruction des rois par une consumation de leurs pouvoirs
d’élection, Wittgenstein vise la permanence d’un principe d’unité ; en clair,
l’idée d’un fondement unique, via le fait biologique, permettant de justifier
l’existence de schémas d’explication déterministes sur l’origine et le
développement génétiques d’une structure humaine10.
Le culturalisme part d’une hypothèse inverse : les formes de vies et les
contextes spatiaux et géographiques qui président au déploiement de sociétés
traditionnelles dans un milieu déterminé entrent dans la définition d’une
culture. Le trait culturel d’un groupe, qui couvre autant les structures
cognitives déployées dans la mémoire des ancêtres, que les critères d’une
reconnaissance de la légitimité du pouvoir, est un phénomène produit par les
conditions matérielles du temps et de la géographie. Le système social serait
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directement issue des techniques d’adaptation à ces contraintes physiques. Le
modèle de la culture est en quelque sorte la synthèse ultime de tous les
éléments qui interagissent dans les groupes sociaux. La culture, dans cet esprit,
s’assimile donc à une structure d’élucidation du réel. La persistance d’un trait
culturel pourrait apparaître comme irréductible à tous les développements
physiques. L’idée de fusionner la culture et l’adaptation du capital biologique
dans une optique de survie génétique peut être mise en danger par cette notion
de persistance culturelle. Si la culture d’une société est irréductible à une
structure sociale qui n’a rien à faire avec l’extinction ou la pérénisation d’un
groupe social, l’hypothèse strictement darwinienne prend du plomb dans l’aile.
L’alternative contribue en tout cas à réfuter l’idée d’un assemblage d’une
totalité synthétique de la culture. La culture n’est pas l’addition des traits
culturels propres aux groupe sociaux, mais un concept producteur de
différences intrinsèques et de lois, qui s’affirme essentiellement dans

9
Wittgenstein, Critique du rameau d’or de Frazer, TER ; Wittgenstein (1987), Remarks
on Frazer' s "Golden Bough", Brinhmill
10
L’hypothèse de Frazer, dans la fameuse introduction du Rameau d’or, est tout de
même plus complexe. La spécification des idéal-type ne touche pas uniquement
l’évolution génétique d’une structure humaine unique ; l’idéal-type met surtout en
évidence des relations individualisées avec des cultures humaines, et la dérivée
évolutionniste constitue un moyen puissant de considérer un ordre politique, social, et
des relations de pouvoir, dans des groupes dit primitifs considérés pour eux-mêmes. La
structure évolutionniste met en œuvre une réflexivité structurale et applique un modèle
qui relève, comme un exemplum, d’une science en phase de constitution
Le concept de culturalisme 157

l’appréhension d’objets sociaux organiques (des rituels, des processus de sous-


clanification, des groupes endogènes dans le groupe, des figures totémiques
patronnant des sociétés secrètes dans les groupes comme chez les zuni). Ce
modèle, intègre et différencié par groupe humain – c’est le cœur de la
sociologie d’un Lowie11 –, met en exergue l’identité d’une forme de vie
révélée par un processus typiquement social.
Partant de cette instanciation individuelle, le culturalisme pose
méthodologiquement le principe d’identité dans un rapport de différenciation
entre les multiplicités de formes culturelles ; il avance, de ce point de vue, une
théorie de la superstructure12. La thèse fondamentale du culturalisme est dans
son point de départ : le refus d’une forme de développement initiale ou
générique qui se déploierait dans les conditions internes d’un genre culturel
universel. En ce sens, Lowie et Boas récusent en effet l’identité générique d’un
type biologique suffisant à la détermination d’un critère anthropologique au
profit d’une appréhension des structures culturelles intègres, différenciées qui,
avec leurs insuffisances et les hypothèses narratives qu’elles soulèvent par
exemple, développent une confrontation originale à la nature.
Beaucoup de réticences visant spécialement l’aspect contrefait d’une
totalité indépassable, et le rapport nécessaire entre un objet de connaissance
social élémentaire et la totalité culturelle constituée par soi, jouent
manifestement contre le culturalisme. Au niveau de ses principes
fondamentaux, le culturalisme fonde le point de départ de la culture à partir
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d’un mode de raisonnement directement centré sur l’unité d’un concept d’agir

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humain. Les rituels de renaissance, certains systèmes religieux intégrant tour à
tour valeurs, concepts techniques, représentation usuelle du monde et
coutumes, qui répondent finalement à des déterminants pragmatiques, sont
directement reportés sur une conception spécifique de la culture. C’est en
particulier ce que peut sous-entendre Jack Goody13, lorsqu’il soutient que la
religion n’est pas suffisante pour donner une explication rationnelle à la praxis
d’un groupe ou d’une société, (qui s’inscrit pourtant par destination dans son
cadre d’expression) mais qu’il faut trouver un autre type d’élucidation pour
rendre compte des usages sociaux en vigueur derrière ce que l’on appelle
« phénomène religieux ».

Les limites du culturalisme

C’est la concentration d’un pouvoir d’action humain, couplé d’habitus, de


dispositions morales et de codifications légales, à l’intérieur d’une structure
sociale organisée, qui permet d’identifier un trait culturel significatif. Sans
partir radicalement d’une posture réductionniste, les positions centrales du
culturalisme visent à identifier la culture comme la raison suffisante d’une

11
Lowie, R. (2005), Primitive Society, Motilal UK Books of India
12
Marshall Sahlins, Culture and Practical Reason, The University of Chicago Press,
1976
13
Goody, J., Famille et mariage en Eurasie, presses universitaires de france.
158 La Culture

différenciation significative de l’homme vis-à-vis de la nature. C’est en effet


parce que la culture apporte une raison significative pour isoler une pratique
humaine, que toute tentative visant à la caractériser à travers l’un système de
normes - et pour trouver finalement en elle un élément irréductible dans le
développement d’un type humain - est vouée à l’échec.. On retrouve, encore
une fois, la forme de cette extension de la critique contre l’idée d’un système
de pratiques qui permettrait idéalement d’isoler certains déterminants qui se
répéteraient, d’un type de société à un autre.
C’est le cas par exemple du débat sur la généralisation de l’échange
(Qu’est-ce qui s’échange dans un modèle de culture distinct ? – Qu’est-ce qui,
à rebours, ne s’échange jamais ?). Dans cette question, l’occasion est donnée à
nouveau de retourner aux structures analytiques des groupes sociaux,
structures premières à travers lesquels un critère de culture est rationnellement
déduit. On exclurait, pour Lévi-Strauss14, des termes incorruptibles qui ne
s’échangent pas, et des termes plus circulants, qui se transmettent et entrent,
précisément, dans des rapports d’échange. La culture consiste alors à établir
des distinctions objectives entre ces deux catégories d’éléments. À partir de là,
le schéma des interactions entre les éléments purement spécifiques à la culture
et le mouvement commun à tous les structures sociales, – des structures
symboliques du langage (qui, en tant que tels, ne s’échangent pas)–, ouvrent la
voie à une définition beaucoup plus large du culturalisme, et donc à un schéma
intégrant une vision de l’évolution d’un capital biologique, et en même temps,
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des transformations de tous les ressources culturelles dans une histoire des

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transformations sociales.
Il s’agit, dans cette idée, d’atteindre, pour Lévi-Strauss, la structure sous-
jacente de toutes les institutions. Cette structure s’explique par le concours de
types de structures : des structures premières et inconscientes, qui se
modélisent sous forme de systèmes de signes (des mythes, des narrations
eschatologiques remplissant les fonctions de mythes fondateurs…) et de
structures conscientes, juxtaposées aux premières. L’idéologie intrinsèquement
culturaliste est critiquée : la définition absolument totalisante de la culture sur
toutes les autres formes d’explication est donc directement attaquée. Tout ne
s’échange pas, et si tout ne s’échange pas dans des contextes aussi forts, la
valeur d’un paradigme qui intègre aussi fortement la nature des interactions
sociales entre les individus et argumente systématiquement, qui plus est, en
faveur d’échanges constituants entre des individus et des composantes sociales
douées de ce pouvoir intrinsèque, perd un certain crédit. Sur la base d’un
constat différent, le développement de ces échanges part nécessairement d’une
idéalisation du capital biologique des individus et des groupes ; à telle
enseigne, finalement, que la totalité culturelle et la valeur intrinsèquement
culturelle des échanges sociaux perdent leur caractère d’autonomie dans
l’explication.
Ce n’est plus seulement la culture qui produit une différenciation
intrinsèque et suffisante ; les alliances, par exemple, ne sont pas

14
Lévi-Strauss, C, (1967), Les structures élémentaires de la parenté, Mouton
Le concept de culturalisme 159

nécessairement des stratégies d’échanges, et les échanges, de la même façon,


ne tendent pas à fabriquer des modèles d’alliances reproductibles sur toutes les
cultures15. En bref, le schéma social de reproduction culturelle sur plusieurs
types de culture ne produit jamais de modèles spécifiques de culture. Ces
modèles, comme le montrait encore une fois Wittgenstein, sont des aberrations.
Le concept de modèle culturel n’a aucune consistance.
Avec les dérives de cette application portant aux nues un système social
idéal qui servirait de fondement à la production de culture, la description d’une
structure sociale comme un modèle de culture, ôte paradoxalement de
l’intégrité et la force à la culture. Elle retourne à un modèle d’évolution
interne, et redevient, en quelque sorte, une étape sur la production d’une
évolution vers un modèle social plus ou moins abouti (c’est en tout cas à l’aune
de cela qu’on est incliné à la juger). Le culturalisme est actuellement très
décrié. La critique principale vise en effet la persistance d’un relativisme
culturel, qui constituerait la porte ouverte à une appréhension superficielle de
la culture des groupes sociaux.
Paradoxalement, la typologie structuraliste fonde une critique virulente
d’un certain déterminisme social, qui ignorerait des faits différents, et tout
particulièrement, une catégorie de phénomènes sociaux irréductibles à une
classe de structure prédéfinie16. De fait, le culturalisme, malgré son ancrage
historique figé dans les sciences sociales, n’est pas réellement unifié, et l’idée
de culturalisme désigne des réalités sociales très hétérogènes. En cause,
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principalement, la conception d’une spécificité autonome et inhérente de

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chaque culture, qui se justifierait par un type social circonscrit. Le concept
d’adhérence universelle à une typologie formelle ou structurelle est le centre
d’une critique fonctionnaliste (Radcliffe-Brown, Evans-Pritchard).

Culturalisme et structuralisme

Le grand tournant des doctrines interprétatives vient pourtant avec une


théorie générative de la structure. Cette théorie, définie dans un rapport des
sociétés et des systèmes de normes considérés comme primitifs avec l’histoire,
va imposer un mode de différentiation original avec l’évolutionnisme. Cette
critique porte pourtant très nettement contre le structuralisme.
Elle se met en porte-à-faux avec la tradition d’explication morphologique
des usages sociaux. De cette tradition formelle d’analyse morphologique des
configurations sociales, le concept dérive de structure élémentaire, et
transforme radicalement le langage structuraliste. L’idée, en effet, défendue
par Lévi-Strauss, que la définition de structures élémentaires explique et régit
des dynamiques sociales et des groupements permanents de symboles dans les

15
Godelier, M., (2005), Métamorphoses de la Parenté,p. 494
16
Claude Meillasoux a critiqué la représentation typologique de typologies et de classes
formelles en attaquant la consanguinité in Meillassoux, C. (2001), Mythes et limites de
l’Anthropologie, Pages Deux
160 La Culture

racines de cette fameuse structure inconsciente que définissait Boas17, permet


d’isoler des structures absolument simples – des mariages entre des cousins
croisés –, avec des structures plus complexes – des échanges de richesse
effectués sur le fondement d’une démonstration d’abondance – qui
composeront des formats de relations structurelles densifiées et élaborées par
couches successives entre les groupes.
En outre, la culture s’impose directement parce qu’elle introduit un rapport
de singularité18. Cette singularité est intégralement mise en parallèle avec la
dynamique structurale. Si le structuralisme est une combinatoire qui opère sans
égard à l' histoire, la permanence d’un rapport à la structure dans les
organisations sociales produit néanmoins une problématique de mutation du
langage symbolique.
Il n’y a pas de niveau de permanence qui se reproduit indéfiniment dans les
structures, mais une forme de matrices permanente de structures sociales qui
génèrent des interactions avec la nature et surtout qui changent cette nature.
Lévi-Strauss admet au fond des systèmes sociaux une infrastructure formelle,
une pensée inconsciente, une anticipation de l' esprit humain comme si notre
science était déjà faite dans les choses et comme si l'ordre humain de la culture
était un second ordre naturel.
Ce modèle a abouti a une théorie générative des signes et des normes de
codification des rites, ou des pratiques sociales. La prétention de cette
explication s’est insensiblement étendue à des objets comme les alliances, les
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mariages, les contes ou les structures mythiques pertinentes dans la vie des

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différents groupes qui composent le corps social. L’objet de cet article est de
mettre en évidence la portée philosophique des débats sur le culturalisme. Ces
débats se sont continués naturellement dans une appréhension des schémas
structuralistes. À partir du grand tournant structuraliste, qui s’est imposé dans
le champ culturaliste, plusieurs questions se sont posées avec acuité : Est-il
possible de définir des modèles de culture ? Est-ce que la culture garde son
intégrité ou est-ce au contraire la structure qui détermine les modèles de
cultures ? Comment concevoir la relation objective d’une culture sociale avec
l’histoire ? Sur quel fondement le schéma structuraliste se distingue-t-il du
paradigme évolutionniste, avec en particulier la question d’une permanence de
structures élémentaires qui se traduisent dans une eschatologie mythique voire
dans des structures de parenté ?
Le point d’ancrage de ces questionnements s’est concentré sur une
exposition de rapports comportementaux, psychologiques – l’hypothèse
oubliée de Seligman – ou essentiellement sociaux, – qui a donné lieu à une

17
Levi-Strauss, Claude, Les structures élémentaires de la parenté, p. IX.
18
« Partout où celle-ci s' insinue, nous pouvons affirmer que nous sommes dans le
domaine de la culture car la règle est spécifique, elle institue un ordre. Symétriquement,
la nature relève de l'
universel. (...) Il est une institution, cependant, qui relève à la fois de
l'
un et l'
autre domaine, c' est la prohibition de l' inceste. En effet, elle constitue une règle,
« mais une règle qui, seule d' entre toutes les règles sociales, possède en même temps un
caractère d' universalité. Car jamais le mariage n' est autorisé entre tous les proches
parents. » (Introduction à l'anthropologie structurale, p. 72)
Le concept de culturalisme 161

hypothèse fonctionnaliste et à une lecture plus atténuée des schémas


structuraux, avec, en particulier, la présomption d’une structure sociale qui
interviendrait comme la colonne vertébrale changeante dans le gouvernement
des pratiques inhérentes aux organisations sociales.
Au-delà des limites techniques inhérentes à un certain paradigme
d’explication dans les sciences anthropologiques (Sperber), ce débat a une
portée philosophique considérable. Soit on suppose en effet qu’une société
humaine est rationnellement intelligible à travers une vision intégralement
culturaliste – i.e. une vision qui tient compte de la singularité des
comportements et des processus d’action observables dans son milieu – ; soit
au contraire c’est la vision de la culture sociale qui prévaut. Elle s’appuie
essentiellement sur une typification structurale des enchaînements sociaux. Il
n’y a donc plus une seule structure univoque, mais un schéma d’explication
structuraliste, avec une objectivation des normes sociales inscrites dans l’unité
de la société et des groupes humains considérés. La conséquence de cette
attitude entraîne la démultiplication des structures sociales. Cette forme
d’appréhension produit alors un schéma de référence (l’idée d’une persistance
de structures élémentaires dans les groupes sociaux, des modèles de références
exprimables en modèles de termes de parenté, des structures de significations
mythiques…) qui pourrait, d’une certaine manière, « traduire » l’intelligence
de la vie sociale.
L’idée du modèle rationnel d’explication est donc placée au centre du
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processus critique. Son application soulève des difficultés conceptuelles

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redoutables : il s’agit en effet d’un type de connaissance à travers lequel la
réalité d’une société, de ses usages, et finalement de sa vision interne de
l’évolution, est considérée comme directement appréhendable sous un type
rationnel d’explication. Quelle que soit l’extension et la forme du débat, la
question suivante se pose avec insistance : que signifie donc un modèle de
culture reproductible (Benedict) et générateur de signification prédicable d’un
fonctionnement organique significatif (Mead) ?

La genèse du culturalisme

Le père fondateur de ce courant est l’anthropologue américain Franz Boas


qui, avec ses deux étudiantes les plus douées – Ruth Benedict et Margaret
Mead – a poursuivi une quête d’investigation beaucoup plus scientifique sur
les pratiques sociales, le langage, la structure sociale et les structures
linguistiques de différentiels groupes humains. L’idée du culturalisme s’inscrit
dans un programme pragmatiste très poussé ; parmi ses extensions les plus
récentes, le socle analytique d’une forme d`hygiène de la raison (Bateson), qui
permettra de déterminer les critères d’une lecture attentive de tout ce qui tombe
dans l’expression d’une forme de vie (l’aménagement imaginaire de
l’environnement, les rites sociaux considérées comme marginaux, les formes
d’oppositions internes tournées contre les mécanismes classificateurs de la
structure sociale…).
Les principaux représentants de cette tendance sont R. Linton (1936), A.
Kardiner, R. Benedict (1934), M. Mead. L’originalité de Linton réside 1. dans
162 La Culture

le contenu psychologique qu’il donne à la culture, par l’insistance qu’il


accorde à la transmission et la structuration des conduites grâce à l’éducation ;
2. dans l’importance qu’il attribue aux modèles ou « formes » culturelles, i.e.
aux manières typiques de penser et d’agir propres à une culture et différentes
des purs idéaux de conduite ; 3. dans la distinction qu’il établit entre ‘culture
réelle’, avec ses modèles intériorisés par les individus, et ‘culture construite’, à
partir de fréquences maximales d’apparition de certains comportements ; 4.
dans sa théorie de l’acculturation, propulsée par le changement culturel et par
les contacts et influences, dont le paradigme s’est construit avec Herskovits
(1948).
Dans ce courant, l’identité de la culture est inséparable de sa structure
profondément holiste. La culture est irréductible à l’anthropologie, parce
qu’elle n’est pas réductible au concept nu d’un bien spécifique19. Le
culturalisme détermine donc une attitude fondamentale d’observation critique
du réel ; elle ne postule ni une connaissance par stades des groupes sociaux, ni
même une pratique idéale vers laquelle tendraient des formes de vies sociales
supposément imparfaites ; par l’effet d’un comparatisme trompeur, comme une
expression négative de refoulement dans les âges obscurs d’une culture
authentiquement mature.
Cette attitude fondamentale a irrigué des courants aussi hétérogènes que le
fonctionnalisme britannique, le structuralisme et les néostructuralistes français,
l’anthropologie culturelle américaine. Une forme d’essence méthodologique de
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la pratique rationnelle, comme le soulignait Leach dans un hommage appuyé a

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Lévi-Strauss, poursuit l’anthropologue qui développe avant tout un sens de
l’observation et qui analyse une société pour elle-même.

L’origine du culturalisme

Historiquement le culturalisme s’est donc tout naturellement ouvert à


l’inspection psychologique et à l’appréhension clinique des phénomènes de
classification.
D’un point de vue plus rigoureux, l’objet « culture » pose un problème
philosophique. Tous les anthropologues considèrent la force des interactions
dans la culture. Le concept de totalité, qui est un héritage direct de la
conception marxiste d’une totalité organique – une totalité constituée par des
agents mû actifs autour d’intérêts sociaux spécifiques -, renforce la conception
organique de la culture. A ce titre, la culture représente des stocks ou des
avantages sociaux utilisés par des groupes pour définir des sphères de pouvoir ;
la culture intervient a posteriori, quand certains rapports politiques (que
Bateson appelait des rapports de domestication) se sont plus durablement
installés sur le territoire. L’accaparement de ces ressources par des acteurs plus
forts ou plus légitimes réintroduit la valeur d’un un monopole patrimonial sur
ces ressources. Ce sont ces rapports politiques antérieurs qui permettent

19
Ortigues E, "Culturalisme", pp 188-90 in Bonte P, Izard M, Dictionnaire de
l'
ethnologie, Paris, PUF, 1991
Le concept de culturalisme 163

l’apparition du lien culturel entre les groupes. Ce lien, qui associe tous ces
ensembles, reste pour le moins sous interrogé. On en reste très souvent sur des
observations portée a posterori de la cohésion des groupes. Par ailleurs, l’idée
holiste d’appréhender une totalité culturelle est très critiquée. C’est surtout
Herskovits qui introduira la notion centrale de reconnaissance, avec l’idée que
la culture suscite des contextes favorables pour instaurer des mécanismes
conscients dans les institutions et le pouvoir traditionnel. La reconnaissance ne
s’établit dans le vide. La notion de changement culturel, chère a Herskovits20,
qui inclut une dissection des aires géographiques21 et une division des modes
intégrateurs de culture dans les corps sociaux de structures familiales dites
‘primitives’, amène donc un discours radicalement nouveau, qui tranche
nettement avec l’idéal-type, avec les canons habituels de l’évolutionnisme de
Frazer.
L’identité d’une société s’exprime par des rites, des comportements et des
attitudes purement endogènes. Cette « endogénéisation » de la vie collective
bouleverse l’équilibre intuitif du chercheur. Au lieu, en effet, de considérer
l’effet de dissémination des pratiques sociales, c’est l’ordre du discours, la
fabrication d’une identité collective et la structure normative des règles
appliquées spécifiquement aux groupes familiarisés avec un milieu culturel
déterminé qui entrent en enjeu. Ces moyens de la culture sont tout à fait dignes
d’intérêt. En clair, il s’agit de comprendre qu’une culture se construit
également sur une vision défaitiste ; qu’elle génère des crises et des systèmes
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intelligents. La culture est vouée, pour Bateson, par exemple, à se confronter à

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l’entropie et à la perte de substance des individus qui interagissent avec elle.
Les rapports structuraux ne peuvent pas régir l’ensemble de ces déviances
constitutives. Un processus d’identification, même liminaire, avec des relations
d’échanges internes limitées à quelques obligations périphériques, ou à des
termes contractuels très limités, suffit à constituer le paradigme normatif d’une
culture. Des concepts comme ceux de « fautes sociales », avec des déphasages
violents par rapport au modèles culturels traditionnels de reproduction et de
prohibition (Clifford Geertz) apparaissent insensiblement dans ce sillage. Le
principe de la reconnaissance devient, en l’espèce, absolument primordial.
La question de structures premières de la culture est néanmoins restée
prédominante dans les travaux fondamentaux sur la culture, et persistante dans
le modèle de développement social des sociétés traditionnelles. Le travail de
Boas a été nourri des intuitions d’un anthropologue anglais, Edward Tylor. La
question, pour Tylor, était la suivante : Le fait d’appréhender la culture dans
une ‘conception-intégration’ qui permette d’isoler le degré spécifique de
persistance ontologique du trait culturel d’un peuple est-il pertinent ? Cette
valeur synthétique est rationnellement déduite d’une capacité intrinsèque à la
culture de se transmettre. Cette transmissibilité, d’une manière pragmatique,
explique rationnellement la persistance d’une forme culturelle, et justifie, dans
cet esprit, l’adoption d’une théorie générative de la culture.

20
Herskovits, M., (1936), Dahomey: An Ancient West African kingdom, J. J. Augustin
21
Herskovits, M., (2000), reed., Cultural Dynamics, Random House
164 La Culture

La définition que donne Tylor, à cet égard, est très importante :


Culture et civilisation est ce tout complexe qui comprend la connaissance, les
croyances, l’art, la morale, le droit, les coutumes et les autres capacités ou
habitudes acquises par l’homme en tant que membre de la société 22.
Tylor met au centre de son argumentation la persistance d’une relation de
l’individu au corps social. Le corps social n’est pas uniforme.Il se constitue par
des liens organiques qui mettent en évidence des clivages et des divisions dans
une même totalité. L’idée de groupements organique dans les structures permet
à Tylor d’insister sur la question des interactions. C’est parce que le corps
social est une structure de partition et d’association que des interactions entre
des sous-groupes comme des confréries, des patronages totémiques ou des
fonctions de représentation religieuses peuvent intervenir dans ce champ. Par-
dessus le marché, un processus d’intégration par les conditions internes à la
structure sociale d’objectivation produit un effet immédiat : la parcellisation de
la culture. Il ouvre la porte au développement ‘osmotique’ de la société des
individus et des individus sociaux. Le terme est donc lié à un processus qui les
dépasse les uns et les autres. La notion de totalité complexe implique deux
choses qui seront à l’origine du fonctionnalisme anglais : les interactions
sociales et l’organisation de composantes partitives. Cette division sera à
l’origine du fondement d’un lien social entre les groupes qui composent la
structure de la société. La formation d’un concept d’appartenance organique à
la culture permet donc d’avancer l’idée d’une relation entre l’individu et le
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tout. À travers ces relations, ce sont des usages, des codifications et des
niveaux de relations plus ou moins élaborés entre des agents sociaux qui
conditionneront certaines attitudes.
Il n’est pas nécessaire d’attendre que ces attitudes soient figées dans le
temps ou dans une mémoire historique pour accéder a la culture. Il suffit
simplement, pour Tylor, de comprendre la manière dont ces événements ont eu
lieu, et comment ils marquent, très significativement, les individus et les
groupes qui y ont pris part : il est alors approprié de parler de culture quand cet
effet de contamination mutuel s’est réellement produit. Les deux critères de
transmissibilité et d’élaboration organique de différents sous-groupes suffisent
à produire la définition d’une culture.
Finalement, donc, le corps social, pour Tylor, reproduit une dimension de
vie dans les groupes ; à travers cette définition partitive de la culture, le projet
philosophique de l’anthropologie change radicalement. La culture est
l’expression de la totalité de la vie sociale de l’homme. Cette totalité est
flexible. Elle ne correspond pas forcément à un ensemble préétabli de
structures et d’interactions ; ce sont plutôt les interactions élémentaires qui
définissent les contextes et les modèles culturels. À ce titre, Tylor, avec sa
méthode d’adhérence, qui impulse l’idée d’un climat culturel que suivent, à des
degrés divers, différents agents sociaux, voit la culture comme un ‘système

22
« Culture... is that complex whole which includes knowledge, belief, art, law, morals,
custom, and any other capabilities and habits acquired by man as a member of society. »
Tylor, E., Primitive Culture, II, p. 112
Le concept de culturalisme 165

d’acquisition social’ – en clair : des mécanismes mis en œuvre, via différents


processus d’action, comme des stratégies individuelles d’alliance, de
consommation ou de lutte, qui sont appliqués pour conserver et transformer un
avantage en capital social, et qui constituent, communément, les niveaux
d’interaction d’une culture.

L’évolution du culturalisme

Même s’il est clairement associé dans l’historiographie à une position


évolutionniste, Tylor refuse le paradigme d’un strict évolutionnisme. Les
interactions centrales dans les corps sociaux sont permanentes ; au surplus, le
terme de cette permanence dépasse les termes de ces relations ; il n’empêche
pourtant pas que l’individualisation des relations sociales des individus avec
leur structure d’appartenance soit en elle-même parfaitement suffisante. Tylor
entreprend d’associer, à la composition efficace d’une culture, l’idée d’un
foyer social spécifique à chaque groupe humain. Ce foyer est nourri par une
expérience collective qui ouvre, en quelque sorte, la structure sociale à
l’incertitude et aux déséquilibres de la vie quotidienne23. Cette tradition se
poursuit très loin dans l’anthropologie culturelle américaine.
Elle est inséparable d’une praxis individuelle et correspond à l’application
d’une raison qui recouvre l’ensemble des modes qui déterminent l’ordre d’une
action humaine dans la nature :
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Culture consists of patterns, explicit and implicit, of and for behavior acquired
and transmitted by symbols, constituting the distinctive achievement of human
groups, including their embodiment in artifacts ; the essential core of culture
consists of traditional (i.e. historically derived and selected) ideas and especially
their attached values ; culture systems may, on the one hand, be considered as
products of action, on the other as conditioning elements of further action24.
Pour Kroeber et Kluckhon, le rapport à l’action est premier. Il détermine
une certaine intelligibilité des cultures communautaires, et fonde, dans un
ordre de raison, un discours sur l’expérience de l’action, et le fonctionnement
de corps sociaux qui libèrent des processus d’action. À partir de cette
définition très pragmatique du spatters of actions, la culture se développe alors
comme une expression synthétisant l’ensemble de ce qui peut-être dit et
compris de l’homme en rapport avec son corps social.
L’importance fondamentale de cette définition est de s’abstraire du facteur
biologique. Ce n’est pas le caractère biologique de la nature humaine, en
opposition, par exemple, avec l’essence biologique de l’animal, qui met en
lumière le trait distinctif essentiel de la culture ; c’est plutôt la nature
totalisante de tous les attributs humains en jeu, dans un processus d’action, qui
singularise finalement une série d’activité démultipliées sur des interactions et
des règles sociales que l’on appelle rigoureusement culture. La prise en compte
holiste de Tylor est réfutée sur le fondement d’une activité instantanée, via la

23
Tylor, E., Primitive Culture, t. 1, p. 87
24
Kroeber, Kluckhon, 1952
166 La Culture

démultiplication de symboles sociaux qui établissent des niveaux d’articulation


du vécu social collectif. Pourtant, avec cette définition totalement
révolutionnaire, Tylor ouvrait une perspective importante sur le concept de
finalité dans le développement culturel. L’unité psychique de l’humanité
explique les similitudes observées dans des sociétés très différentes. Le
problème que Tylor essaye de résoudre : concilier dans une même explication
l’évolution de la culture et son universalité.
Il est le premier à aborder les faits culturels avec une visée générale et
systématique, à s’attacher à étudier la culture dans tous les types de sociétés et
sous tous ses aspects, matériels, symboliques et même corporels. Le principe
vise à valoriser une étude des «survivances » sociales de normes constitutives
d’une vie sociale primitive : l’idée est donc de remonter à l’ensemble culturel
originel et le reconstituer. Tylor entendait prouver la continuité entre la culture
primitive et la culture dite plus avancée (en fait entre primitifs et civilisés)25. Il
n’y a pas de différence de nature mais de degré d’avancement dans la voie de
la culture. Cette élaboration s’accompagne d’un constat très novateur : Tylor
combat en effet la théorie de la dégénérescence des primitifs ; pour lui, tous les
humains sont des êtres de culture à part entière et la contribution de chaque
peuple au progrès de la culture est digne d’estime.

Boas et la conception particulariste de la culture.


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Franz Boas (1858-1942) a été le premier anthropologue à mener les
enquêtes in situ par observation directe et prolongée sur les cultures primitives.
Il est à l’origine de l’ethnographie. Pour Boas, la différence fondamentale entre
les groupes humains est d’ordre culturel ; elle n’implique pas de détermination
raciale.
Culture may be defined as the totality of the mental and physical reactions and
activities that characterize the behavior of individuals composing a social group
collectively and individually in relations to their natural environment, to other
groups, to members of the group itself and of each individual to himself. It also
includes the products of these activities and their role in the life of the groups.
The mere enumerations of these various aspects of life, however, does not
constitute culture. It is more, for its elements are not independent, they have a
structure26 .
Toutes les tentatives visant à déduire les formes culturelles d’une seule
cause sont vouées à l’échec. La diversité des expressions de la culture est
étroitement imbriquée avec des causes réductibles à des comportements
individuels, ou à des associations du milieu, de la géographie, et de la
dimension des conditions et des termes de transmission d’un bien social, et
l’une ne peut être négligée sans que cela ait un effet sur toutes les autres. En ce
sens, pour Boas, la culture est un tout intégrateur. Elle produit des périphéries,
mais elle les intègre aussi dans un noyau de structures, noyau qui produit des

25
Tylor, Primitive Culture, I, p.311
26
Boas, F., (1911), The Mind of Primitive Man, p. 149
Le concept de culturalisme 167

échanges. La dénomination d’une typologie de structure induit simplement


l’existence d’un schéma ; ce schéma comprend un paradigme d’interprétation
qui permet, selon Boas, de classifier une culture, et de faire ressortir sa
singularité intrinsèque.
La notion d’irréductibilité défendue par Boas met rapidement en évidence,
non seulement l’identité d’un groupe ou d’une collectivité humaine assemblée
autour d’une structure sociale, mais encore une notion d’exemple qui
l’apparente à une forme de vie individuelle. Cela se perçoit dans l’art primitif :
l’art primitif contient, sans toujours les développer, tous les thèmes fondateurs
de l’anthropologie de l’art et de l’image, comme la notion d’identité visuelle,
les relations entre style et culture, le rapport entre expression géométrique et
figurative, la création individuelle et la tradition27…
Expliciter pourtant une détermination culturelle sans la refermer sur un
type et sans recourir, de la même façon, à un paradigme structurel, revient à
ôter un crédit très fort à l’explication anthropologique. Pour Boas, la définition
d’une typologie de cultures possibles induit forcément la possibilité de se
représenter des objets sociaux indépendamment des définitions normatives
formées pour les circonscrire. La relation entre ces modèles culturels et les
différences culturelles intrinsèques est une difficulté dans la pensée de Boas.
L’intégration n’est jamais si totale qu’elle puisse éliminer tout élément
contradictoire.
Nous trouvons dans une même culture de curieux hiatus dans les attitudes
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des différents individus. Il en est de même pour diverses situations : des

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phénomènes de nature identique affectant la conduite de la même personne.
Les phénomènes culturels sont d’une telle complexité qu’il semble peu
probable que des lois portant sur la culture puissent être trouvées.

Les faits culturels et la culture

Les causalités des faits culturels reposent sur les interactions entre individu
et société ; aucune catégorisation des sociétés ne pourra résoudre ce problème.
La morphologie classificatrice des sociétés peut attirer l’attention sur de
nombreux problèmes. Elle ne les résoudra pas. Dans chaque cas, la source
commune est la corrélation entre individu et société. Cette corrélation, comme
on l’a vu, rend consistante la définition d’une culture. Ce sont ces relations qui
permettent de poser une référence possible à un type culturel.
On en vient ici à la problématique du comparatisme, et à la valeur des
comparaisons établies d’un point de vue culturaliste sur les groupes humains :
L’explication peut revêtir deux formes. Historiquement, l’analogie s’éclaire
pleinement si les tribus que nous comparons ne formaient à l’origine qu’un seul
peuple, ou si elles ont dérivé leurs éléments culturels d’une source unique.
Fonctionnellement, la ressemblance peut être attribuée au fait qu’un de ces
éléments serait apparenté organiquement à un autre, si bien que la présence du
premier rendrait celle du second plus probable que ne le voudraient les lois du
hasard. Je suis fermement convaincu que les deux interprétations sont a priori

27
Boas, F, (1972), Primitive Art, intro ; trad francaise : L’art primitif, Makula
168 La Culture

également valables et que chacune doit trouver sa justification dans les


conditions particulières du cas à considérer. S’il est prouvé que les tribus ont été
en contact à un moment donné, on peut à bon droit invoquer l’argument
historique. Lorsqu’il ne semble pas qu’il y ait eu contact, l’analogie s’explique
par le principe de corrélation, selon la loi bien connue qui veut que les mêmes
causes produisent les mêmes effets.28
Implicitement, Lowie, sur le chemin du culturalisme, récuse totalement
l’analogie d’une culture globale et des cultures individuelles. Une telle
analogie s’appliquerait à déterminer des types ou des patterns de culture
justifiant des démarches de comparaison unilatérales et expliquant, dans le
même temps, une forme de continuité spatiale des perspectives de
développements propres à des systèmes culturels formellement hétérogènes. La
société regroupe de nombreux individus différents qui se segmentent en
rapport avec leurs intérêts. Ces intérêts interagissent, encore une fois, avec les
logiques internes de concentration sociale entre les groupes, les sous-groupes
ou les clans. Chaque groupe social possède un patrimoine spécifique. Ce
patrimoine s’insère directement dans un milieu. Pour Tylor, l’intérêt de
l’anthropologie commence ici : l’expérience de la totalité sociale sur le milieu
produit des modèles d’équilibre sociaux et économiques provisoires. La
culture, qui regroupe les ressources intellectuelles et techniques collectives,
habille, en quelque sorte, cette considération. En arguant d’un certain
comparatisme, qui met en évidence ces spécificités culturelles, Tylor insiste
sur la propension de ces schémas culturels à évoluer et à se transformer, entre
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les sociétés, dans l’espace géographique.
Les régimes d’application des règles de prohibition (prohibition d’union du
même sexe par exemple) ne peuvent se concevoir que dans des
environnements beaucoup plus complexes. Ces régimes ne portent pas
directement sur toute la structure ; ce sont plutôt les sous-groupes de structures
qui sont affectés par ces mécanismes de répression légaux. D’où la
multiplication, dans la culture, d’environnements saturés de normes qui vont
coexister. Ces environnements, comprenant autant d’éléments formellement
reproductibles d’un système à l’autre (des régimes de parenté dans des
structures matrilinéaires par exemple), mobilisent des logiques d’assemblage et
de regroupement irréductibles à des caractères individuels. De tels caractères
ne sont donc pas des éléments de comparaison viables, et ne peuvent pas
expliquer l’ensemble des échanges sociaux par une seule structure.
Ils obéissent à des logiques de comportements, qui vont expliquer, à partir
de motifs prétendument contingents de foyers multiples, des diffusions
géographiques ou spatiales de groupes humains clivés dans une même
organisation sociale. Néanmoins beaucoup réagissent de la même façon et il y
a de nombreux cas où l’on peut trouver une influence effective de la culture sur
le comportement d’un grand nombre d’individus issus d’un même milieu
cognitif.

28
Lowie, R., Traité de sociologie primitive, trad, francaise Paris, Payot, 1936 ; intro, p.
7.
Le concept de culturalisme 169

Les écarts résultent d’une conduite sociale anormale. Tout en mettant en


lumière l’importance de l’influence de la culture sur l’individu ordinaire, ils
sont plutôt l’objet de la psychologie individuelle que de la psychologie sociale.
Lowie est méthodologiquement réticent à l’égard des grandes synthèses
spéculatives, comme par exemple la théorie évolutionniste unilinéaire. Il y a
peu d’espoir de découvrir des lois universelles de fonctionnement des sociétés
et des cultures humaines et encore moins les lois générales de l’évolution des
cultures... Boas aboutit à un relativisme culturel : un principe méthodologique
qui consiste à échapper à toute forme d’ethnocentrisme dans l’étude d’une
culture particulière. Pour Boas, chaque culture représente une totalité
singulière et il recherche ce qui en fait l’unité :
Il s’agit évidemment de cette totalité où entrent les ustensiles et les biens de
consommation, les chartes organiques réglant les divers groupements sociaux,
les idées et les arts, les croyances et les coutumes. Que l’on envisage une culture
très simple ou très primitive, ou bien au contraire une culture complexe très
évoluée, on a affaire à un vaste appareil, pour une part matérielle, pour une part
humaine, et pour une autre encore spirituel, qui permet à l’homme d’affronter
les problèmes concrets et précis qui se posent à lui. Les problèmes sont dus au
fait que le corps humain est l’esclave de divers besoins organiques et qu’il vit
dans un milieu qui est à la fois son meilleur allié, puisqu’il fournit les matières
premières de son travail manuel, et son pire ennemi, puisqu’il fourmille de
forces hostiles.29
Lowie insiste une nouvelle fois sur la structure instrumentale de la culture.
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La culture produit des appareils. Ces appareils offrent, chacun à leur manière,
des réponses précises aux contraintes de l’environnement et du milieu naturel
où s’établit la culture et ses codes sociaux. En partant d’une conception plutôt
holiste de la culture – avec une constante sur l’intégration dans un patrimoine
social de normes et de comportements qui, mis ensemble, feront logiquement
sens – Lowie revient à la notion d’une concentration d’appareils rituels et
religieux dans les structures sociales, et valorise ainsi la relation spécifique
d’une partie à son tout. L’idée d’un continuum de toutes les cultures avec un
concept de lien social fondamental pour le développement d’une civilisation
culturelle est pour lui parfaitement marginal. Le hasard des circonstances et la
confrontation de ces appareils culturels intégrés aux évènements imprévisibles
qui surviennent et mettent en danger les états de sécurité précaires où arrivent
les communautés humaines, permettent de définir la culture comme un système
réellement ouvert. La culture donne donc une réponse spécifique à
l’environnement et aux contraintes que font peser les circonstances de la vie
collective dans la nature aux structures sociales. Lowie arrive au constat d’une
impossibilité de définir la culture comme fondement d’un concept unilatéral
d’évolution.
Si l’on retire à la culture la réponse sociale à la nature, et le concept de
production dans le travail humain qui y est directement associée, il ne reste
plus rien de très significatif. Autant la culture est intrinsèquement dépendante
de la nature et des interactions avec les besoins organiques de l’homme, autant

29
Malinovski, B., Une theorie scientifique de la culture, Payot, p. 25
170 La Culture

la force de l’expression culturelle ne peut s’appuyer sur un seul type de


traduction sociale de ces usages commun pour qualifier un principe culturel
unique. L’identité de la culture répond alors à une dimension

Les fondements critiques de la typologie culturaliste


et la théorie de la structure sociale

Dans un ouvrage très célèbre, Radcliffe-Brown revient sur la définition


lévi-straussienne de la structure. Il pose un pivot central dans l’analyse : la
relation du sens et de la structure comme source de connaissance de l’objet :
Si on considère la réalité sociale non comme une entité, mais comme un proces-
sus, culture et tradition culturelle en désignent certains aspects repérables, non
sa totalité. C’est par l’existence de la culture et de traditions culturelles que la
vie sociale humaine diffère fondamentalement de la vie sociale des autres
espèces animales. La transmission de manières acquises de penser, de sentir et
d’agir qui constitue le processus culturel, trait spécifique de la vie sociale de
l’homme, n’est sans doute qu’une partie de ce processus total d’interaction entre
les personnes, ou processus social qui constitue la réalité sociale elle-même. La
permanence et le changement des formes de vie sociale définissant l’objet de
recherche de la sociologie comparative, la permanence et le changement des
traditions culturelles sont parmi les faits qui doivent être pris en compte.30
Radcliffe-Brown propose finalement une définition très prudente de la
culture. La transmission de l’acquis, en particulier, avec des catégories sous-
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jacentes entre les générations d’individus évoluant dans des regroupements
identiques à l’intérieur des corps sociaux, suffit à expliquer la culture. Une
définition très faible en somme du lien culturel. La culture est un ensemble de
données a posteriori qui désignent d’une manière relative l’ensemble des
échanges humains dans la nature. L’acte de rattachement d’un événement dans
la nature à la culture devient, dès lors, un événement complexe. On entend
indirectement le fait que ce processus est soutenu par un mécanisme de
reconnaissance, et que le trait culturel devient, en quelque sorte, un acte de
sensation, accompagné d’une opération consciente sur son état et sur sa
nécessité.
Pour autant, la notion de culture sort de cette représentation
évènementielle. La définition de la culture est liée directement, dans cette
tradition, à la position de la structure. Sans une structure, c’est-à-dire sans une
forme spécifique de rattachement des évènements sociaux à un ordre de
référence – un ordre qui permettra de leur donner à la fois une explication
causale et en même temps une cohérence dans la suite des événements qui se
mettent bout à bout –, il n’y aurait pas réellement de culture. De là ressort le
principe de permanence relatif du trait culturel dans la société, ce trait qui
indique que la raison causale, qui associe les événements entre eux, rentre dans
la définition d’une identité sociale totalement spécifique d’une population ou
d’un groupe d’individus.

30
Radcliffe-Brown, Structure et fonction dans les societes primitives, p. 45
Le concept de culturalisme 171

Sans référence précise à une structure, les liens internes de l’organisation


primitive d’une culture ne sont pas élucidés. Le fonctionnalisme d’Evans-
Pritchard31, par exemple, ne conteste pas directement ce postulat. Dans une
organisation sociale, une continuité constitutive est nécessairement comprise
non comme un processus historique, mais comme un assemblage de formes
inhérentes qui permettent de fonder l’idée d’un ordre institutionnel avec des
références à soi-même et un processus d’extériorisation – la nature32. Une
culture ne se comprend pas dans le vide ; le culturalisme impose au contraire
une référence normative à un concept, et ce concept rejoint une logique sociale
qui n’arrive pas toute armée à sa naissance.
En ce sens, la relation avec la nature, avec l’hétérogénéité, induit une
extériorité de la culture, et un examen introspectif de ses liens sociaux. Par ce
fait, la relation à la nature, et la puissance intégratrice du lien social, qui
associe les différents groupes entre eux, découvrent un modèle social propre à
la structure culturelle. Le problème est de rattacher cette individualité
singulière de la culture à une référence potentiellement extérieure à cette
culture elle-même. Ces processus de rattachement sont efficients pour
déterminer une intelligence du projet spécifique de chaque culture. Le constat
est simple : au lieu d’une dépendance culturelle entre la structure et un principe
d’évolution commun, beaucoup de fonctionnalistes, sans se l’avouer,
privilégient l’option d’une relation de la structure sociale au faits sociaux
fondamentaux. Ces faits restent dans un schéma dominant, et la reproduction
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d’une structure architectonique qui enveloppe des ensembles de faits sociaux

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dominants. Le fondement individualiste de chaque forme culturelle dépend
étroitement de cette relation d’objectivation de la nature dans une relation
structurale permanente. Ce trait est aboutissement absolument fondamental du
culturalisme. Le concept lui-même de culture doit formellement aider à
comprendre une intelligence des relations sociales. La structure définit en effet
le centre des opérations sociales. La relation de la structure avec les
évènements qui nourrissent la vie d’une société est forte. Pour Radcliffe-
Brown, l’identité du groupe social dépend étroitement d’une lecture de la
réalité structurale. Cette réalité assemble et fait vivre, dans une même forme,
les différentes interactions.
Dans la tradition boasienne, la structure inconsciente du groupe est
comprise comme une génération de règles sociales et de comportements
intègrés à une même identité sociale. Ce centre d’intégration met en évidence
une racine philosophique très opposée à une certaine forme de rousseauisme33 :
la culture est intégratrice parce que la culture constitue un centre d’attraction.
Elle intègre pourtant, via une modalité de reproduction naturelle, c’est-à-dire
dans l’isolement de comportements et d’attitudes fondamentalement inscrites
dans une causalité naturelle. Pour Rousseau, il faut séparer fonctionnellement

31
Evans-Pritchard, Theories of Primitive Religion, Oxford University Press, 1968
32
Fortes, Evans-Pritchard, African Political Systems, Trubner' s African Series, reed,
2005, intro
33
Boas, Central Eskimo, p. 119 ; Boas, Race, Langage and Culture, p. 250.
172 La Culture

ce qui est constitutif de l’homme, ce qui est isolé en son propre fond, en son
intimité (« ce que je sens être bon est bon »), i.e. ce que l’homme éprouve et
ressent en lui-même et qui constitue sa nature, de ce qu’il devient sous le poids
des circonstances.

L’idéalité de la nature humaine et l’hypothèse de la culture

Lorsque Rousseau parle d’un état de nature qui aurait existé avant l’état
social, donc avant le début de l’histoire, il ne pose, en réalité, qu’une hypothèse
purement théorique34 ; cette hypothèse est simplement utile pour montrer les
causes du malheur de l’homme. Dans une Lettre à Christophe de Beaumont,
Rousseau écrit : « Cet homme n’existe pas, direz-vous, soit ! Mais il peut
exister par supposition » ; et dans le Second Discours sur l’inégalité parmi les
hommes, il ajoute : « Il ne faut pas prendre les recherches dans lesquelles on
peut entrer sur ce sujet pour des vérités historiques mais seulement pour des
raisonnements hypothétiques et conditionnels. » L’état de nature n’a pas existé.
Les primitifs eux-mêmes sont historiques et sociaux. Boas maintient
l’existence profonde et antérieure d’un fait humain. Cette humanité
fondamentale est continuée par le concept rationnel d’identité structurale.
Elle va amener, par effet, par contamination, une structure normative qui
intègre les comportements effectifs dans la nature. D’où, alors, la priorité très
forte accordée par l’anthropologue fonctionnaliste à cette identité structurale.
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La structure n’est pas univoque. Elle recoupe des modes d’application
inconscients, qui s’imposent comme les signes subsumables sous une typologie
structurelle. Cette structure inconsciente est donc la source de l’intelligibilité
signifiante du groupe ; elle est néanmoins conditionnée à un processus
d’explication rationnelle, qui exploite, d’une certaine manière, ce qu’elle
recoupe virtuellement. La structure dite consciente est le processus
d’élucidation de cette structure inconsciente et prééminente.
Fidèle à la définition culturaliste, Radcliffe-Brown soutient que la structure
ne s’observe qu’en état de fonctionnement. La distinction, sur ce plan, est très
claire : la structure inconsciente stigmatise un état de fonctionnement corrélé à
une possibilité structurale tenue par un principe d’unité de parties en état
d’interactions ; à partir de ces états d’interaction, la structure se détache par
une ligne directrice qui met en évidence une polarité naturelle. A ce titre, avec
un pouvoir génératif très important, le fondement de la structure s’actualise
dans un système de schémas classificateurs qui autonomisent le rationalité du
processus de production de normes via l’expression d’un découpage culturel
du monde indépendant. La structure jouit d’une autonomie normative absolue.
Le sens de la structure est défini dans son unité paradigmatique. C’est en effet
l’unité des composants d’un groupe ou de plusieurs groupes sociaux qui
s’expriment philosophiquement dans la définition d’une structure d’explication
autonome.

34
Goldschmidt, V., (2000), Rousseau, Anthropologie et politique, Vrin
Le concept de culturalisme 173

Conclusion

Philosophiquement, la perception anthropologique de la culture pose


plusieurs questions majeures. La culture constitue-t-elle un environnement en
soi ? A-t-elle systématiquement le dernier mot ? Tout est-il culturel dès lors
que les éléments d’une mémoire collective et d’intelligence sociale circulant
entre des sous-groupes d’un même corps social organique se détachent ?
La culture est un concept extrêmement discuté dans les sciences
anthropologiques. On comprend tout d’abord que la culture implique
l’existence d’une communauté. C’est en effet la communauté sociale qui
produit des usages et des divisions internes à l’origine de certaines interactions
spécifiques entre les individus qui la composent. L’un des objets de l’enquête
anthropologique, pour laquelle des éléments peuvent être obtenus par l’étude
des sociétés existantes, est l’inter-dépendance des phénomènes culturels. Par
‘culture’, on entend donc initialement un regroupement significatif sur
différents groupes sociaux. Ces groupes s’assemblent pour remplir des besoins
particuliers ; à leur tour, ces besoins sont rendus intelligibles par des usages
sociaux (des techniques d’alimentation, un sélection spatiale et géographique
des aires où sont prélevées les ressources alimentaires…). Pour un
anthropologue, ces regroupements sont le point de départ unique d’une
investigation sur les sociétés. Le modèle culturaliste est fondé, en ce sens, sur
une représentation de forces qui stabilisent la vie collective sur certaines
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normes. En reconnaissant ces normes comme suffisantes pour une vie
culturelle effective, le référent culturel s’impose alors comme un point
d’analyse indépassable. A partir de ce qui est explicitement normatif (la
codification rituelle, les échanges avec l’autorité, la transmission et la
reconnaissance…), une trame symbolique se constitue. La culture, partant d’un
plan purement pratique, se complexifie alors dans une ramification plus
religieuse.
La vie culturelle des indiens pueblos introduit par exemple des héros
culturels. Ces héros, en fonction du découpage de sociétés secrètes qui gardent
des usages fragmentaires des pratiques rituelles, sont patronnés par ces groupes
sociaux, et constituent alors des symboles d’appartenance rituelles pour ces
communautés. Les figures culturelles qui se juxtaposent dans les sociétés
rituelles favorisent l’émergence de petites structures sociales qui vont coexister
et échanger dans la grande totalité des tribus. A leur façon, ces héros
accentuent la forme du lien social, mais font vivre également des figures
rituelles hors de la dimension différente de la vie collective. Des sociétés
culturelles de ce type existent chez les Inuit de Numavik.
Ainsi, la culture est intelligible, parce qu’elle comprend des logiques
d’échanges, la permanence de certaines structures primitives, des relations
d’un individu à une totalité qui a ordonné des normes sociales qu’il suivra pour
se confronter aux autres, à un ordre religieux, et finalement à lui-même.
En clair, la culture assure une certaine place à l’individu tout en figeant un
ordre incontournable. Elle forme donc un paradigme, une forme de vie, comme
dirait Wittgenstein, mais elle ouvre aussi une confrontation entre d’un côté les
sous-ordres qui la ramifient, et de l’autre, la puissance de son modèle
réglementaire et religieux qui ordonne ces répartitions sociales et
174 La Culture

groupusculaires. La question d’une intégrité des formes culturelles initie une


discussion sur la question du caractère suffisant en soi de la relation de la
culture à l’histoire. La culture participe-t-elle à l’histoire globale des sociétés ?
Contribue-t-elle, d’une manière significative, dans une grammaire de types
culturels, à se reproduire et à installer un paradigme nécessairement historique
dans les sociétés ? La culture est signifiante quand elle révèle des forces en
action dans une même totalité. Ces forces fonctionnent ensemble à partir de
normes. Elles se découvrent par ailleurs dans une multiplicité de structures
cognitives. Est-elle pour autant suffisante par rapport à un contexte historique ?
Insensiblement, la lecture de la structure sociale et la critique virulente contre
la doctrine évolutionnisme découvrent certains détails troublants.
Alors que, dans l’étude des processus de diffusion et de développement
parallèles, les caractères et la distribution de traits singuliers sont
communément les objets de l’analyse, l’image d’une totalité culturelle est
importante pour comprendre (1) son développement dans le temps et (2)
l’utilisation de techniques pour assurer la continuation d’un modèle social dans
la nature. Comme le souligne Boas, « les inventions, la vie économique, la
structure sociale, l’art, la religion, la morale sont, tous, en corrélation. (...) Les
processus dynamiques des sociétés contemporaines sont un des champs les
plus sujets à débat en théorie anthropologique. On doit aborder ceux-ci à partir
de deux points de vue ; l’un, celui des corrélations entre les différents aspects
des formes culturelles et entre la culture et l’environnement naturel ; l’autre,
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celui des corrélations entre individu et société. »

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L’évolution d’une culture au regard de ses contraintes internes est en
question. On ne sait pas universellement ce qui permet d’historialiser une
culture. Vico parle de structures cognitives. Il évoque en particulier une
tendance de la culture à mobiliser des institutions, à se déstabiliser et à
imprimer, dans l’environnement qu’elle occupe et qu’elle sature, une certaine
ouverture sur des traits qui survivront à ses transformations. La question reste,
pour autant, de savoir comment la culture se suffit intrinsèquement à elle-
même. Qu’est-ce qui permet, en particulier, de parler de subsistance pour soi
d’une culture dans l’histoire ? Qu’est-ce qui même empêcherait de lui
substituer un élément moins ambitieux (une société), ou plus pragmatique (un
modèle social) ? L’homomorphisme entre la culture et la civilisation, avec un
concept téléologique de finalité réflexive induit par un axe de reconnaissance
modelé sur une structure marxo-hégélienne (le modèle de la société
occidentale et son achèvement technico-légal), est l’un des fondements de
l’évolutionnisme. Il a fait l’objet de la critique la plus intense par
l’anthropologie du vingtième siècle. Mais cette critique ne remet pas en cause
la force d’un questionnement sur le devenir de la culture dans le temps, et par
là même, de l’inscription de l’achèvement du principe de culture dans un
processus historique. Une question à laquelle le culturalisme structural donne
finalement une réponse très ambiguë.
Le concept de culturalisme 175

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