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Le Concept de Culturalisme Dans Les Sciences Anthropologiques
Le Concept de Culturalisme Dans Les Sciences Anthropologiques
Philippe Rozin
© Association Le Lisible et l'illisible | Téléchargé le 08/02/2022 sur www.cairn.info via Université de Lorraine (IP: 193.50.135.4)
ISSN 1283-7091
ISBN 9782353380299
DOI 10.3917/phoir.027.0151
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2006-2-page-151.htm
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Philippe Rozin
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ont amené une scission objective entre les partisans de l’évolutionnisme et du
culturalisme. Premier élément assez trivial : la culture, comme d’autres
éléments, pourvoit à certains besoins. Elle correspond en effet à une
inscription, dans l’espace et le temps, de références et d’outils, qui permettront
de répondre à des sollicitations imprévisibles. On parle de ‘sollicitations
imprévisibles’ pour des évènements qui pourraient mettre en crise la vie
sociale de certains groupes, ou encore qui débordent des ressources cognitives
et ne permettent plus d’expliquer certains contextes spécifiques (ce que mettait
particulièrement en évidence Serge Gruzinski1 dans ses travaux sur la conquête
espagnole du Mexique). À ce titre, la culture se conçoit comme une structure
objective de représentation et de rapport à la nature ; par extension, la culture
mobilise des ressources et ordonne des capacités d’action collectives et
individuelles. Pratiquement, c’est la culture qui permet de répondre, par
différents moyens (la symbolisation, l’organisation d’un système de
transmission héréditaire, l’utilisation des stocks de ressources et des biens
accumulés dans la nature…) à des contraintes physiques fortement récurrentes.
Par surcroît, la culture institue des usages communs qu’elle adjoint à des
références pertinentes dans un système (des rituels de table par exemple).
Ces usages sont suivis d’effets plus ou moins immédiats, selon les
circonstances, et ordonnent des réactions et des interactions qui mettent en
rapport entre elles l’ensemble des composantes sociales qui structurent les
1
Gruzinski, S. (1999), La pensée métisse, Fayard
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des ressources et l’économie du travail sont les conditions primitives de la
praxis humaine ; ce sont même ces conditions qui permettent de déterminer un
contexte culturel.
Sahlins insiste sur la force des inégalités accentuées dans la culture. Ces
rapports sont inégaux. La monopolisation ou la sur-utilisation de certains
stocks par des fractions de groupes sociaux spécifiques accroît le poids de
dysfonctionnements, d’inégalités ou d’injustice dans les groupes sociaux.
C’est en effet parce qu’il existe des rapports de productions inégaux, et que
certaines classes sociales se les sont appropriées indûment, qu’une notion
instituée de culture générale entre manifestement en contradiction avec les
besoins de biens et de production de la part la plus importante des dépossédés4.
2
Le travail des historiens Peter Brown et Robert Markus sur la genèse du christianisme
primitif est très instructif à cet égard.
3
Marschall Sahlins, Âge de pierre, âge d’abondance, Gallimard ; Marschall Sahlins
(1972), Stone Age Transaction, Aldin Translation
4
« Cette "aliénation", — pour que notre exposé reste intelligible aux philosophes —, ne
peut naturellement être abolie qu' à deux conditions pratiques. Pour qu'elle devienne une
puissance "insupportable", c' est-à-dire une puissance contre laquelle on fait la révolution,
il est nécessaire qu' elle ait fait de la masse de l'
humanité une masse totalement "privée de
propriété", qui se trouve en même temps en contradiction avec un monde de richesse et
de culture existant réellement, choses qui supposent toutes deux un grand accroissement
de la force productive, c' est-à-dire un stade élevé de son développement. », Marx,
Engels, L’idéologie allemande, Introduction, Editions sociales, p. 11.
Le concept de culturalisme 153
décrire une autre culture, n’est pas inspirée par la même détermination
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conceptuelle de la finalité que sa cible6. Si n’importe quelle définition de
culture repose, plus ou moins rapidement, sur un concept de finalité, les
concepts de finalités en cause ne sont pas substituables les uns aux autres. La
finalité est un concept par essence endogène, qui explique rationnellement la
structure d’une identité sociale et d’une groupe culturel. Par culturalisme, on
entend la théorie selon laquelle l’être humain est à la naissance une « page
blanche », sur laquelle il écrira son histoire, dans le cadre d’un environnement,
d’un milieu, qu’il tente de modeler par un effet de sa volonté, et qui exerce, en
retour, une influence déterminante sur l’organisation de sa vie.
Contrairement à l’évolutionnisme, le culturalisme ne présuppose a priori
aucune suite de développements entre des périodes historiques, mais des
rapports variables, complexes et instables de cultures spécifiques avec des
systèmes de projection historiques à chaque fois relatifs.
Très tôt, les premiers anthropologues avaient été frappés par les
ressemblances qui existaient entre des coutumes et des institutions de cultures
distinctes et éloignées géographiquement. Au XIXe siècle, l’évolutionnisme
permettait d’expliquer ces similarités par la thèse de la convergence. Toutes les
sociétés se seraient transformées en passant par les mêmes étapes et en
évoluant dans la même direction. Il s’agissait donc de rendre compte de la
5
Max Weber, Politik als Beruf (1992), Reclam, Ditzingen, pp. 71-76
6
Marschall Sahlins, (1981), Historical Metaphors and Mythical Realities: Structure in
the Early History of the Sandwich Islands Kingdom, University of Michigan Press
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d’une culture individuelle – c’est-à-dire, dans un sens faible, comme un
système de production de valeurs à partir de la conception de certaines
interactions sociales entre les clans qui composent un tissu social conflictuel,
mais homogène7 – et d’un processus historique qui marquerait, en quelque
sorte, la fin projetable (et à des degrés divers, consciente), de la société
considérée. Le culturalisme est un mouvement totalement polymorphe, qui a
pris corps dans une structure de réflexion orientée sur la relation d’une praxis
humaine avec l’unité d’un concept de nature. Historiquement, dans les sciences
anthropologiques, et avec les travaux exploratoires de Morgan et Tylor, la
possibilité philosophique de centrer l’analyse anthropologique sur une science
autonome de l’agir humain, sans systématiquement recourir au postulat
moniste d’une science purement évolutionniste, pousse donc irrésistiblement à
déterminer un critère de connaissance culturaliste.
Le débat se focalise donc sur l’alternative suivante : soit on admet la forme
d’un déterminisme fixé dans un rapport pratique d’action entre une
communauté et son milieu (en admettant que cette relation produit des
conditions spécifiques qui permettront de fonder la spécificité d’une culture) ;
soit on intègre, au contraire, l’idée d’un déterminisme absolu du concept
d’unité humaine pour toutes les communautés. La visée fondamentale tend à
valoriser la communauté d’un patrimoine génétique commun, qui emprunterait
différentes formes pour se développer historiquement, mais s’engouffrerait
7
Goffman, E. (1981), Interaction Ritual - Essays on Face-to-Face Behavior, Pantheon
Le concept de culturalisme 155
toujours dans la même finalité de lutte pour la vie des espèces. Partant alors
d’une hypothèse d’unité biologique, la science anthropologique suppose la
détermination d’un ordre de mutation culturel ou social actualisé sur un même
processus finalisé de développement biologique.
L’objet de cet article et d’éclairer la nature du clivage qui distingue les
deux perspectives. Nous voulons insister ici sur la question de la finalité dans
le processus de développement culturel d’une groupe social, et la place qu’elle
occupe singulièrement dans les deux paradigmes. Pour la plupart des
anthropologues, il est inévitable d’introduire la question historique, en insistant
à la fois 1. sur les structures cognitives de l’histoire et 2. sur la nature de la
téléologique d’un fin assignable au développement de la société produisant un
contexte et des normes culturelles distinctes absolument des autres groupes8.
La double question de la finalité réfléchissante et de l’accomplissement d’un
processus de développement historique d’une culture induit donc un
questionnement différent sur le clivage habituel de l’évolutionnisme et du
culturalisme. Nous proposons dans cet article de revenir à la source du
problème structural en examinant les positions de différents anthropologues,
qui, tous à leur manière, ont soulevé un débat philosophique important. Le
culturalisme recoupe en effet des schémas de pratiques sociales qui,
insensiblement, conduiraient à une téléologie finaliste des groupes sociaux. Le
culturalisme recoupe pourtant plusieurs formes de discussion sur la réalité des
espèces humaines, le fondement des formes d’expression esthétiques et la
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improprement appelés ‘primitifs’.
Il s’agit en réalité de savoir si la culture constitue un point de
développement marginal dans le développement du capital biologique d’une
espèce (ce qui justifierait donc l’idée d’une réduction de la détermination
culturaliste, qui fonde l’identité intrinsèque du groupe social sur le devenir
historique d’un groupe conçu à partir de conditions micro-historiques liées,
justement, aux aléas de son développement biologique dans le milieu naturel).
Est-ce qu’en somme la culture apparaît comme une donnée première sur les
étapes de croissance endogène du groupe, à savoir de l’accroissement de son
patrimoine biologique et du développement de son unité dans un
environnement, dans des conditions d’exploitation économique strictement
spécifiques, ou faut-il, au contraire, partir absolument de la culture, pour
expliquer rationnellement les conditions du développement social ? La vieille
dichotomie dans les sciences sociales et anthropologiques entre
l’évolutionnisme et le culturalisme tend actuellement à se reconstituer d’une
manière assez surprenante.
8
Momigliano, A., (1992), The Classical Foundations of Modern Historiography,
University of California Press
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directement issue des techniques d’adaptation à ces contraintes physiques. Le
modèle de la culture est en quelque sorte la synthèse ultime de tous les
éléments qui interagissent dans les groupes sociaux. La culture, dans cet esprit,
s’assimile donc à une structure d’élucidation du réel. La persistance d’un trait
culturel pourrait apparaître comme irréductible à tous les développements
physiques. L’idée de fusionner la culture et l’adaptation du capital biologique
dans une optique de survie génétique peut être mise en danger par cette notion
de persistance culturelle. Si la culture d’une société est irréductible à une
structure sociale qui n’a rien à faire avec l’extinction ou la pérénisation d’un
groupe social, l’hypothèse strictement darwinienne prend du plomb dans l’aile.
L’alternative contribue en tout cas à réfuter l’idée d’un assemblage d’une
totalité synthétique de la culture. La culture n’est pas l’addition des traits
culturels propres aux groupe sociaux, mais un concept producteur de
différences intrinsèques et de lois, qui s’affirme essentiellement dans
9
Wittgenstein, Critique du rameau d’or de Frazer, TER ; Wittgenstein (1987), Remarks
on Frazer' s "Golden Bough", Brinhmill
10
L’hypothèse de Frazer, dans la fameuse introduction du Rameau d’or, est tout de
même plus complexe. La spécification des idéal-type ne touche pas uniquement
l’évolution génétique d’une structure humaine unique ; l’idéal-type met surtout en
évidence des relations individualisées avec des cultures humaines, et la dérivée
évolutionniste constitue un moyen puissant de considérer un ordre politique, social, et
des relations de pouvoir, dans des groupes dit primitifs considérés pour eux-mêmes. La
structure évolutionniste met en œuvre une réflexivité structurale et applique un modèle
qui relève, comme un exemplum, d’une science en phase de constitution
Le concept de culturalisme 157
d’un mode de raisonnement directement centré sur l’unité d’un concept d’agir
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humain. Les rituels de renaissance, certains systèmes religieux intégrant tour à
tour valeurs, concepts techniques, représentation usuelle du monde et
coutumes, qui répondent finalement à des déterminants pragmatiques, sont
directement reportés sur une conception spécifique de la culture. C’est en
particulier ce que peut sous-entendre Jack Goody13, lorsqu’il soutient que la
religion n’est pas suffisante pour donner une explication rationnelle à la praxis
d’un groupe ou d’une société, (qui s’inscrit pourtant par destination dans son
cadre d’expression) mais qu’il faut trouver un autre type d’élucidation pour
rendre compte des usages sociaux en vigueur derrière ce que l’on appelle
« phénomène religieux ».
11
Lowie, R. (2005), Primitive Society, Motilal UK Books of India
12
Marshall Sahlins, Culture and Practical Reason, The University of Chicago Press,
1976
13
Goody, J., Famille et mariage en Eurasie, presses universitaires de france.
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des transformations de tous les ressources culturelles dans une histoire des
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transformations sociales.
Il s’agit, dans cette idée, d’atteindre, pour Lévi-Strauss, la structure sous-
jacente de toutes les institutions. Cette structure s’explique par le concours de
types de structures : des structures premières et inconscientes, qui se
modélisent sous forme de systèmes de signes (des mythes, des narrations
eschatologiques remplissant les fonctions de mythes fondateurs…) et de
structures conscientes, juxtaposées aux premières. L’idéologie intrinsèquement
culturaliste est critiquée : la définition absolument totalisante de la culture sur
toutes les autres formes d’explication est donc directement attaquée. Tout ne
s’échange pas, et si tout ne s’échange pas dans des contextes aussi forts, la
valeur d’un paradigme qui intègre aussi fortement la nature des interactions
sociales entre les individus et argumente systématiquement, qui plus est, en
faveur d’échanges constituants entre des individus et des composantes sociales
douées de ce pouvoir intrinsèque, perd un certain crédit. Sur la base d’un
constat différent, le développement de ces échanges part nécessairement d’une
idéalisation du capital biologique des individus et des groupes ; à telle
enseigne, finalement, que la totalité culturelle et la valeur intrinsèquement
culturelle des échanges sociaux perdent leur caractère d’autonomie dans
l’explication.
Ce n’est plus seulement la culture qui produit une différenciation
intrinsèque et suffisante ; les alliances, par exemple, ne sont pas
14
Lévi-Strauss, C, (1967), Les structures élémentaires de la parenté, Mouton
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chaque culture, qui se justifierait par un type social circonscrit. Le concept
d’adhérence universelle à une typologie formelle ou structurelle est le centre
d’une critique fonctionnaliste (Radcliffe-Brown, Evans-Pritchard).
Culturalisme et structuralisme
15
Godelier, M., (2005), Métamorphoses de la Parenté,p. 494
16
Claude Meillasoux a critiqué la représentation typologique de typologies et de classes
formelles en attaquant la consanguinité in Meillassoux, C. (2001), Mythes et limites de
l’Anthropologie, Pages Deux
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mariages, les contes ou les structures mythiques pertinentes dans la vie des
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différents groupes qui composent le corps social. L’objet de cet article est de
mettre en évidence la portée philosophique des débats sur le culturalisme. Ces
débats se sont continués naturellement dans une appréhension des schémas
structuralistes. À partir du grand tournant structuraliste, qui s’est imposé dans
le champ culturaliste, plusieurs questions se sont posées avec acuité : Est-il
possible de définir des modèles de culture ? Est-ce que la culture garde son
intégrité ou est-ce au contraire la structure qui détermine les modèles de
cultures ? Comment concevoir la relation objective d’une culture sociale avec
l’histoire ? Sur quel fondement le schéma structuraliste se distingue-t-il du
paradigme évolutionniste, avec en particulier la question d’une permanence de
structures élémentaires qui se traduisent dans une eschatologie mythique voire
dans des structures de parenté ?
Le point d’ancrage de ces questionnements s’est concentré sur une
exposition de rapports comportementaux, psychologiques – l’hypothèse
oubliée de Seligman – ou essentiellement sociaux, – qui a donné lieu à une
17
Levi-Strauss, Claude, Les structures élémentaires de la parenté, p. IX.
18
« Partout où celle-ci s' insinue, nous pouvons affirmer que nous sommes dans le
domaine de la culture car la règle est spécifique, elle institue un ordre. Symétriquement,
la nature relève de l'
universel. (...) Il est une institution, cependant, qui relève à la fois de
l'
un et l'
autre domaine, c' est la prohibition de l' inceste. En effet, elle constitue une règle,
« mais une règle qui, seule d' entre toutes les règles sociales, possède en même temps un
caractère d' universalité. Car jamais le mariage n' est autorisé entre tous les proches
parents. » (Introduction à l'anthropologie structurale, p. 72)
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redoutables : il s’agit en effet d’un type de connaissance à travers lequel la
réalité d’une société, de ses usages, et finalement de sa vision interne de
l’évolution, est considérée comme directement appréhendable sous un type
rationnel d’explication. Quelle que soit l’extension et la forme du débat, la
question suivante se pose avec insistance : que signifie donc un modèle de
culture reproductible (Benedict) et générateur de signification prédicable d’un
fonctionnement organique significatif (Mead) ?
La genèse du culturalisme
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Lévi-Strauss, poursuit l’anthropologue qui développe avant tout un sens de
l’observation et qui analyse une société pour elle-même.
L’origine du culturalisme
19
Ortigues E, "Culturalisme", pp 188-90 in Bonte P, Izard M, Dictionnaire de
l'
ethnologie, Paris, PUF, 1991
Le concept de culturalisme 163
l’apparition du lien culturel entre les groupes. Ce lien, qui associe tous ces
ensembles, reste pour le moins sous interrogé. On en reste très souvent sur des
observations portée a posterori de la cohésion des groupes. Par ailleurs, l’idée
holiste d’appréhender une totalité culturelle est très critiquée. C’est surtout
Herskovits qui introduira la notion centrale de reconnaissance, avec l’idée que
la culture suscite des contextes favorables pour instaurer des mécanismes
conscients dans les institutions et le pouvoir traditionnel. La reconnaissance ne
s’établit dans le vide. La notion de changement culturel, chère a Herskovits20,
qui inclut une dissection des aires géographiques21 et une division des modes
intégrateurs de culture dans les corps sociaux de structures familiales dites
‘primitives’, amène donc un discours radicalement nouveau, qui tranche
nettement avec l’idéal-type, avec les canons habituels de l’évolutionnisme de
Frazer.
L’identité d’une société s’exprime par des rites, des comportements et des
attitudes purement endogènes. Cette « endogénéisation » de la vie collective
bouleverse l’équilibre intuitif du chercheur. Au lieu, en effet, de considérer
l’effet de dissémination des pratiques sociales, c’est l’ordre du discours, la
fabrication d’une identité collective et la structure normative des règles
appliquées spécifiquement aux groupes familiarisés avec un milieu culturel
déterminé qui entrent en enjeu. Ces moyens de la culture sont tout à fait dignes
d’intérêt. En clair, il s’agit de comprendre qu’une culture se construit
également sur une vision défaitiste ; qu’elle génère des crises et des systèmes
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l’entropie et à la perte de substance des individus qui interagissent avec elle.
Les rapports structuraux ne peuvent pas régir l’ensemble de ces déviances
constitutives. Un processus d’identification, même liminaire, avec des relations
d’échanges internes limitées à quelques obligations périphériques, ou à des
termes contractuels très limités, suffit à constituer le paradigme normatif d’une
culture. Des concepts comme ceux de « fautes sociales », avec des déphasages
violents par rapport au modèles culturels traditionnels de reproduction et de
prohibition (Clifford Geertz) apparaissent insensiblement dans ce sillage. Le
principe de la reconnaissance devient, en l’espèce, absolument primordial.
La question de structures premières de la culture est néanmoins restée
prédominante dans les travaux fondamentaux sur la culture, et persistante dans
le modèle de développement social des sociétés traditionnelles. Le travail de
Boas a été nourri des intuitions d’un anthropologue anglais, Edward Tylor. La
question, pour Tylor, était la suivante : Le fait d’appréhender la culture dans
une ‘conception-intégration’ qui permette d’isoler le degré spécifique de
persistance ontologique du trait culturel d’un peuple est-il pertinent ? Cette
valeur synthétique est rationnellement déduite d’une capacité intrinsèque à la
culture de se transmettre. Cette transmissibilité, d’une manière pragmatique,
explique rationnellement la persistance d’une forme culturelle, et justifie, dans
cet esprit, l’adoption d’une théorie générative de la culture.
20
Herskovits, M., (1936), Dahomey: An Ancient West African kingdom, J. J. Augustin
21
Herskovits, M., (2000), reed., Cultural Dynamics, Random House
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tout. À travers ces relations, ce sont des usages, des codifications et des
niveaux de relations plus ou moins élaborés entre des agents sociaux qui
conditionneront certaines attitudes.
Il n’est pas nécessaire d’attendre que ces attitudes soient figées dans le
temps ou dans une mémoire historique pour accéder a la culture. Il suffit
simplement, pour Tylor, de comprendre la manière dont ces événements ont eu
lieu, et comment ils marquent, très significativement, les individus et les
groupes qui y ont pris part : il est alors approprié de parler de culture quand cet
effet de contamination mutuel s’est réellement produit. Les deux critères de
transmissibilité et d’élaboration organique de différents sous-groupes suffisent
à produire la définition d’une culture.
Finalement, donc, le corps social, pour Tylor, reproduit une dimension de
vie dans les groupes ; à travers cette définition partitive de la culture, le projet
philosophique de l’anthropologie change radicalement. La culture est
l’expression de la totalité de la vie sociale de l’homme. Cette totalité est
flexible. Elle ne correspond pas forcément à un ensemble préétabli de
structures et d’interactions ; ce sont plutôt les interactions élémentaires qui
définissent les contextes et les modèles culturels. À ce titre, Tylor, avec sa
méthode d’adhérence, qui impulse l’idée d’un climat culturel que suivent, à des
degrés divers, différents agents sociaux, voit la culture comme un ‘système
22
« Culture... is that complex whole which includes knowledge, belief, art, law, morals,
custom, and any other capabilities and habits acquired by man as a member of society. »
Tylor, E., Primitive Culture, II, p. 112
Le concept de culturalisme 165
L’évolution du culturalisme
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Culture consists of patterns, explicit and implicit, of and for behavior acquired
and transmitted by symbols, constituting the distinctive achievement of human
groups, including their embodiment in artifacts ; the essential core of culture
consists of traditional (i.e. historically derived and selected) ideas and especially
their attached values ; culture systems may, on the one hand, be considered as
products of action, on the other as conditioning elements of further action24.
Pour Kroeber et Kluckhon, le rapport à l’action est premier. Il détermine
une certaine intelligibilité des cultures communautaires, et fonde, dans un
ordre de raison, un discours sur l’expérience de l’action, et le fonctionnement
de corps sociaux qui libèrent des processus d’action. À partir de cette
définition très pragmatique du spatters of actions, la culture se développe alors
comme une expression synthétisant l’ensemble de ce qui peut-être dit et
compris de l’homme en rapport avec son corps social.
L’importance fondamentale de cette définition est de s’abstraire du facteur
biologique. Ce n’est pas le caractère biologique de la nature humaine, en
opposition, par exemple, avec l’essence biologique de l’animal, qui met en
lumière le trait distinctif essentiel de la culture ; c’est plutôt la nature
totalisante de tous les attributs humains en jeu, dans un processus d’action, qui
singularise finalement une série d’activité démultipliées sur des interactions et
des règles sociales que l’on appelle rigoureusement culture. La prise en compte
holiste de Tylor est réfutée sur le fondement d’une activité instantanée, via la
23
Tylor, E., Primitive Culture, t. 1, p. 87
24
Kroeber, Kluckhon, 1952
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Franz Boas (1858-1942) a été le premier anthropologue à mener les
enquêtes in situ par observation directe et prolongée sur les cultures primitives.
Il est à l’origine de l’ethnographie. Pour Boas, la différence fondamentale entre
les groupes humains est d’ordre culturel ; elle n’implique pas de détermination
raciale.
Culture may be defined as the totality of the mental and physical reactions and
activities that characterize the behavior of individuals composing a social group
collectively and individually in relations to their natural environment, to other
groups, to members of the group itself and of each individual to himself. It also
includes the products of these activities and their role in the life of the groups.
The mere enumerations of these various aspects of life, however, does not
constitute culture. It is more, for its elements are not independent, they have a
structure26 .
Toutes les tentatives visant à déduire les formes culturelles d’une seule
cause sont vouées à l’échec. La diversité des expressions de la culture est
étroitement imbriquée avec des causes réductibles à des comportements
individuels, ou à des associations du milieu, de la géographie, et de la
dimension des conditions et des termes de transmission d’un bien social, et
l’une ne peut être négligée sans que cela ait un effet sur toutes les autres. En ce
sens, pour Boas, la culture est un tout intégrateur. Elle produit des périphéries,
mais elle les intègre aussi dans un noyau de structures, noyau qui produit des
25
Tylor, Primitive Culture, I, p.311
26
Boas, F., (1911), The Mind of Primitive Man, p. 149
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phénomènes de nature identique affectant la conduite de la même personne.
Les phénomènes culturels sont d’une telle complexité qu’il semble peu
probable que des lois portant sur la culture puissent être trouvées.
Les causalités des faits culturels reposent sur les interactions entre individu
et société ; aucune catégorisation des sociétés ne pourra résoudre ce problème.
La morphologie classificatrice des sociétés peut attirer l’attention sur de
nombreux problèmes. Elle ne les résoudra pas. Dans chaque cas, la source
commune est la corrélation entre individu et société. Cette corrélation, comme
on l’a vu, rend consistante la définition d’une culture. Ce sont ces relations qui
permettent de poser une référence possible à un type culturel.
On en vient ici à la problématique du comparatisme, et à la valeur des
comparaisons établies d’un point de vue culturaliste sur les groupes humains :
L’explication peut revêtir deux formes. Historiquement, l’analogie s’éclaire
pleinement si les tribus que nous comparons ne formaient à l’origine qu’un seul
peuple, ou si elles ont dérivé leurs éléments culturels d’une source unique.
Fonctionnellement, la ressemblance peut être attribuée au fait qu’un de ces
éléments serait apparenté organiquement à un autre, si bien que la présence du
premier rendrait celle du second plus probable que ne le voudraient les lois du
hasard. Je suis fermement convaincu que les deux interprétations sont a priori
27
Boas, F, (1972), Primitive Art, intro ; trad francaise : L’art primitif, Makula
168 La Culture
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les sociétés, dans l’espace géographique.
Les régimes d’application des règles de prohibition (prohibition d’union du
même sexe par exemple) ne peuvent se concevoir que dans des
environnements beaucoup plus complexes. Ces régimes ne portent pas
directement sur toute la structure ; ce sont plutôt les sous-groupes de structures
qui sont affectés par ces mécanismes de répression légaux. D’où la
multiplication, dans la culture, d’environnements saturés de normes qui vont
coexister. Ces environnements, comprenant autant d’éléments formellement
reproductibles d’un système à l’autre (des régimes de parenté dans des
structures matrilinéaires par exemple), mobilisent des logiques d’assemblage et
de regroupement irréductibles à des caractères individuels. De tels caractères
ne sont donc pas des éléments de comparaison viables, et ne peuvent pas
expliquer l’ensemble des échanges sociaux par une seule structure.
Ils obéissent à des logiques de comportements, qui vont expliquer, à partir
de motifs prétendument contingents de foyers multiples, des diffusions
géographiques ou spatiales de groupes humains clivés dans une même
organisation sociale. Néanmoins beaucoup réagissent de la même façon et il y
a de nombreux cas où l’on peut trouver une influence effective de la culture sur
le comportement d’un grand nombre d’individus issus d’un même milieu
cognitif.
28
Lowie, R., Traité de sociologie primitive, trad, francaise Paris, Payot, 1936 ; intro, p.
7.
Le concept de culturalisme 169
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La culture produit des appareils. Ces appareils offrent, chacun à leur manière,
des réponses précises aux contraintes de l’environnement et du milieu naturel
où s’établit la culture et ses codes sociaux. En partant d’une conception plutôt
holiste de la culture – avec une constante sur l’intégration dans un patrimoine
social de normes et de comportements qui, mis ensemble, feront logiquement
sens – Lowie revient à la notion d’une concentration d’appareils rituels et
religieux dans les structures sociales, et valorise ainsi la relation spécifique
d’une partie à son tout. L’idée d’un continuum de toutes les cultures avec un
concept de lien social fondamental pour le développement d’une civilisation
culturelle est pour lui parfaitement marginal. Le hasard des circonstances et la
confrontation de ces appareils culturels intégrés aux évènements imprévisibles
qui surviennent et mettent en danger les états de sécurité précaires où arrivent
les communautés humaines, permettent de définir la culture comme un système
réellement ouvert. La culture donne donc une réponse spécifique à
l’environnement et aux contraintes que font peser les circonstances de la vie
collective dans la nature aux structures sociales. Lowie arrive au constat d’une
impossibilité de définir la culture comme fondement d’un concept unilatéral
d’évolution.
Si l’on retire à la culture la réponse sociale à la nature, et le concept de
production dans le travail humain qui y est directement associée, il ne reste
plus rien de très significatif. Autant la culture est intrinsèquement dépendante
de la nature et des interactions avec les besoins organiques de l’homme, autant
29
Malinovski, B., Une theorie scientifique de la culture, Payot, p. 25
170 La Culture
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jacentes entre les générations d’individus évoluant dans des regroupements
identiques à l’intérieur des corps sociaux, suffit à expliquer la culture. Une
définition très faible en somme du lien culturel. La culture est un ensemble de
données a posteriori qui désignent d’une manière relative l’ensemble des
échanges humains dans la nature. L’acte de rattachement d’un événement dans
la nature à la culture devient, dès lors, un événement complexe. On entend
indirectement le fait que ce processus est soutenu par un mécanisme de
reconnaissance, et que le trait culturel devient, en quelque sorte, un acte de
sensation, accompagné d’une opération consciente sur son état et sur sa
nécessité.
Pour autant, la notion de culture sort de cette représentation
évènementielle. La définition de la culture est liée directement, dans cette
tradition, à la position de la structure. Sans une structure, c’est-à-dire sans une
forme spécifique de rattachement des évènements sociaux à un ordre de
référence – un ordre qui permettra de leur donner à la fois une explication
causale et en même temps une cohérence dans la suite des événements qui se
mettent bout à bout –, il n’y aurait pas réellement de culture. De là ressort le
principe de permanence relatif du trait culturel dans la société, ce trait qui
indique que la raison causale, qui associe les événements entre eux, rentre dans
la définition d’une identité sociale totalement spécifique d’une population ou
d’un groupe d’individus.
30
Radcliffe-Brown, Structure et fonction dans les societes primitives, p. 45
Le concept de culturalisme 171
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dominants. Le fondement individualiste de chaque forme culturelle dépend
étroitement de cette relation d’objectivation de la nature dans une relation
structurale permanente. Ce trait est aboutissement absolument fondamental du
culturalisme. Le concept lui-même de culture doit formellement aider à
comprendre une intelligence des relations sociales. La structure définit en effet
le centre des opérations sociales. La relation de la structure avec les
évènements qui nourrissent la vie d’une société est forte. Pour Radcliffe-
Brown, l’identité du groupe social dépend étroitement d’une lecture de la
réalité structurale. Cette réalité assemble et fait vivre, dans une même forme,
les différentes interactions.
Dans la tradition boasienne, la structure inconsciente du groupe est
comprise comme une génération de règles sociales et de comportements
intègrés à une même identité sociale. Ce centre d’intégration met en évidence
une racine philosophique très opposée à une certaine forme de rousseauisme33 :
la culture est intégratrice parce que la culture constitue un centre d’attraction.
Elle intègre pourtant, via une modalité de reproduction naturelle, c’est-à-dire
dans l’isolement de comportements et d’attitudes fondamentalement inscrites
dans une causalité naturelle. Pour Rousseau, il faut séparer fonctionnellement
31
Evans-Pritchard, Theories of Primitive Religion, Oxford University Press, 1968
32
Fortes, Evans-Pritchard, African Political Systems, Trubner' s African Series, reed,
2005, intro
33
Boas, Central Eskimo, p. 119 ; Boas, Race, Langage and Culture, p. 250.
172 La Culture
ce qui est constitutif de l’homme, ce qui est isolé en son propre fond, en son
intimité (« ce que je sens être bon est bon »), i.e. ce que l’homme éprouve et
ressent en lui-même et qui constitue sa nature, de ce qu’il devient sous le poids
des circonstances.
Lorsque Rousseau parle d’un état de nature qui aurait existé avant l’état
social, donc avant le début de l’histoire, il ne pose, en réalité, qu’une hypothèse
purement théorique34 ; cette hypothèse est simplement utile pour montrer les
causes du malheur de l’homme. Dans une Lettre à Christophe de Beaumont,
Rousseau écrit : « Cet homme n’existe pas, direz-vous, soit ! Mais il peut
exister par supposition » ; et dans le Second Discours sur l’inégalité parmi les
hommes, il ajoute : « Il ne faut pas prendre les recherches dans lesquelles on
peut entrer sur ce sujet pour des vérités historiques mais seulement pour des
raisonnements hypothétiques et conditionnels. » L’état de nature n’a pas existé.
Les primitifs eux-mêmes sont historiques et sociaux. Boas maintient
l’existence profonde et antérieure d’un fait humain. Cette humanité
fondamentale est continuée par le concept rationnel d’identité structurale.
Elle va amener, par effet, par contamination, une structure normative qui
intègre les comportements effectifs dans la nature. D’où, alors, la priorité très
forte accordée par l’anthropologue fonctionnaliste à cette identité structurale.
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La structure n’est pas univoque. Elle recoupe des modes d’application
inconscients, qui s’imposent comme les signes subsumables sous une typologie
structurelle. Cette structure inconsciente est donc la source de l’intelligibilité
signifiante du groupe ; elle est néanmoins conditionnée à un processus
d’explication rationnelle, qui exploite, d’une certaine manière, ce qu’elle
recoupe virtuellement. La structure dite consciente est le processus
d’élucidation de cette structure inconsciente et prééminente.
Fidèle à la définition culturaliste, Radcliffe-Brown soutient que la structure
ne s’observe qu’en état de fonctionnement. La distinction, sur ce plan, est très
claire : la structure inconsciente stigmatise un état de fonctionnement corrélé à
une possibilité structurale tenue par un principe d’unité de parties en état
d’interactions ; à partir de ces états d’interaction, la structure se détache par
une ligne directrice qui met en évidence une polarité naturelle. A ce titre, avec
un pouvoir génératif très important, le fondement de la structure s’actualise
dans un système de schémas classificateurs qui autonomisent le rationalité du
processus de production de normes via l’expression d’un découpage culturel
du monde indépendant. La structure jouit d’une autonomie normative absolue.
Le sens de la structure est défini dans son unité paradigmatique. C’est en effet
l’unité des composants d’un groupe ou de plusieurs groupes sociaux qui
s’expriment philosophiquement dans la définition d’une structure d’explication
autonome.
34
Goldschmidt, V., (2000), Rousseau, Anthropologie et politique, Vrin
Le concept de culturalisme 173
Conclusion
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normes. En reconnaissant ces normes comme suffisantes pour une vie
culturelle effective, le référent culturel s’impose alors comme un point
d’analyse indépassable. A partir de ce qui est explicitement normatif (la
codification rituelle, les échanges avec l’autorité, la transmission et la
reconnaissance…), une trame symbolique se constitue. La culture, partant d’un
plan purement pratique, se complexifie alors dans une ramification plus
religieuse.
La vie culturelle des indiens pueblos introduit par exemple des héros
culturels. Ces héros, en fonction du découpage de sociétés secrètes qui gardent
des usages fragmentaires des pratiques rituelles, sont patronnés par ces groupes
sociaux, et constituent alors des symboles d’appartenance rituelles pour ces
communautés. Les figures culturelles qui se juxtaposent dans les sociétés
rituelles favorisent l’émergence de petites structures sociales qui vont coexister
et échanger dans la grande totalité des tribus. A leur façon, ces héros
accentuent la forme du lien social, mais font vivre également des figures
rituelles hors de la dimension différente de la vie collective. Des sociétés
culturelles de ce type existent chez les Inuit de Numavik.
Ainsi, la culture est intelligible, parce qu’elle comprend des logiques
d’échanges, la permanence de certaines structures primitives, des relations
d’un individu à une totalité qui a ordonné des normes sociales qu’il suivra pour
se confronter aux autres, à un ordre religieux, et finalement à lui-même.
En clair, la culture assure une certaine place à l’individu tout en figeant un
ordre incontournable. Elle forme donc un paradigme, une forme de vie, comme
dirait Wittgenstein, mais elle ouvre aussi une confrontation entre d’un côté les
sous-ordres qui la ramifient, et de l’autre, la puissance de son modèle
réglementaire et religieux qui ordonne ces répartitions sociales et
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L’évolution d’une culture au regard de ses contraintes internes est en
question. On ne sait pas universellement ce qui permet d’historialiser une
culture. Vico parle de structures cognitives. Il évoque en particulier une
tendance de la culture à mobiliser des institutions, à se déstabiliser et à
imprimer, dans l’environnement qu’elle occupe et qu’elle sature, une certaine
ouverture sur des traits qui survivront à ses transformations. La question reste,
pour autant, de savoir comment la culture se suffit intrinsèquement à elle-
même. Qu’est-ce qui permet, en particulier, de parler de subsistance pour soi
d’une culture dans l’histoire ? Qu’est-ce qui même empêcherait de lui
substituer un élément moins ambitieux (une société), ou plus pragmatique (un
modèle social) ? L’homomorphisme entre la culture et la civilisation, avec un
concept téléologique de finalité réflexive induit par un axe de reconnaissance
modelé sur une structure marxo-hégélienne (le modèle de la société
occidentale et son achèvement technico-légal), est l’un des fondements de
l’évolutionnisme. Il a fait l’objet de la critique la plus intense par
l’anthropologie du vingtième siècle. Mais cette critique ne remet pas en cause
la force d’un questionnement sur le devenir de la culture dans le temps, et par
là même, de l’inscription de l’achèvement du principe de culture dans un
processus historique. Une question à laquelle le culturalisme structural donne
finalement une réponse très ambiguë.
Le concept de culturalisme 175
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