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LA DOCTRINE DU CŒUR

Extraits de lettres indiennes


Avant-propos d'Annie BESANT (1847-1933) — 1901
Traduit de l'anglais
Original : Publications Théosophiques — 1901

Droits : domaine public

Édition numérique finalisée par GIROLLE (www.girolle.org) — 2014
Remerciements à tous ceux qui ont contribué
aux différentes étapes de ce travail
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LIVRE

AVANT-PROPOS

Apprenez à discerner le vrai du faux, ce qui fuit toujours


de ce qui dure toujours. Apprenez, avant tout, à distinguer
la science de Tête de la sagesse de l'Âme, la Doctrine de
"l'œil" de la Doctrine du "Cœur".
LA VOIX DU SILENCE
Sous le titre de LA DOCTRINE DU CŒUR sont publiés ici une série
d'articles comprenant principalement des extraits de lettres reçues d'amis
indous. Ils ne sont pas donnés comme ayant aucune "autorité", mais
simplement comme contenant des pensées que quelques-uns d'entre nous
ont trouvées utiles et que nous désirons partager avec d'autres. Ils sont
destinés à ceux-là seuls qui cherchent résolument à vivre de la Vie
Supérieure, et s'adressent surtout à ceux qui savent que cette [6] vie mène à
l'entrée dans le sentier du Disciple, sous la direction des grands Êtres qui le
suivirent jadis et qui restent sur la terre pour aider les autres à suivre à leur
tour. Les pensées, dans ces lettres, sont des pensées communes à toutes les-
religions, mais le style et les sentiments sont indous. La dévotion 1 y est celle
qui, généreuse et intense, est connue en Orient sous le nom de Bhakti la
dévotion qui s'abandonne entièrement et sans réserve à Dieu et, à l'Homme-
Divin par lequel Dieu se manifeste, dans la chair, à Son adorateur. Cette
Bhakti n'a jamais trouvé d'expression plus parfaire que dans la religion
indoue. Or les auteurs de ces lettres sont des Indous. Habitués à la richesse
luxuriante du Sanscrit, ils cherchent à éveiller dans l'Anglais, au génie plus
rude, un faible écho de la suavité poétique qui caractérise leur propre langue.
La dignité froide et réservée de l'Anglo-Saxon et son manque [7]
d'expansion n'ont rien de commun avec la surabondance du sentiment
religieux jaillissant du cœur de l'Oriental aussi naturellement que le chant
du gosier de l'alouette. De temps à autre, en Occident, se rencontre un vrai
Bhakta (fervent), comme saint Thomas A-Kempis, sainte Thérèse, saint
Jean de la Croix, saint François d'Assise, sainte Elizabeth de Hongrie. Mais,
généralement, le sentiment religieux en Occident, même le plus profond et
le plus véritable, tend à rester silencieux et cherche à se cacher. À ceux qui

1
Dévotion signifie ici, non pas l'observation zélée et un peu étroite de pratiques religieuses
extérieures, mais la consécration absolue de l'idéal Spirituel le plus sublime.
craignent l'expression du sentiment religieux ces lettres ne seront d'aucun
secours ; elles ne leur sont point destinées.
Portons maintenant notre attention sur un des contrastes frappants de la
Vie Supérieure. Nous avons tous reconnu ce fait que l'Occultisme a des
exigences qui nécessitent un certain isolement et une discipline personnelle
rigide. Notre bienaimé et vénéré instructeur HPB, et aussi les traditions de
la Vie Occulte, nous ont enseigné que le renoncement et un réel empire sur
soi-même sont exigés de l'homme qui veut franchir le seuil du Temple. La
Bhagavad-Gîtâ exhorte sans cesse à envisager avec indifférence la
souffrance comme [8] le plaisir et à garder l'équilibre parfait, en toute
circonstance, sans quoi aucune véritable Yoga n'est possible. Cette face de
la Vie Occulte est théoriquement admise par tous, et quelques-uns
s'efforcent docilement de se conformer au modèle. L'autre face de la Vie
Occulte est exposée dans la Voix du Silence 2 ; elle se montre dans cette
sympathie pour tout ce qui est doué du sentiment, dans cette lutte de
subvenir à tout besoin humain, dont l'expression parfaite chez Ceux que
nous servons leur a valu le titre de "Maitres de Compassion". C'est sur ce
point, sous son aspect pratique et quotidien, que ces lettres ramènent nos
pensées, et c'est celui que nous négligeons le plus dans nos vies, malgré
toute l'impression que sa beauté parfaite peut produire sur nos cœurs. Le
véritable Occultiste, tout en étant pour lui-même le plus sévère des juges, le
plus inflexible des maitres, est pour tous ceux qui l'entourent l'ami le plus
sympathisant, le plus bienveillant des aides. [9] Acquérir cette bienveillance
et cette puissance de sympathie doit donc être le but de chacun de nous. Il
ne peut s'atteindre qu'en témoignant sans cesse une bienveillance et une
sympathie semblables à tous ceux qui nous entourent, sans exception. Tout
aspirant Occultiste devrait donc être, dans sa propre maison et dans son
propre milieu, la personne à qui tous ont le plus volontiers recours dans les
heures de tristesse, d'anxiété, de péché, certains de rencontrer de la
sympathie, certains de trouver du secours. L'être le plus ordinaire, le plus
épais, le plus stupide, le plus antipathique devrait sentir que dans celui-là du
moins il a un ami. Toute aspiration à mener une existence meilleure, tout
désir naissant d'abnégation et de service, tout vœu à demi formulé de vivre
plus noblement devrait toujours le trouver prêt à encourager et, à fortifier,
afin que tout germe de bien puisse commencer à croitre, réchauffé et stimulé
par la présence de sa nature aimante.

2
Fragments choisis du Livre des préceptes d'or à l'usage journalier des disciples, traduit et annoté par
H.-P. Blavatsky. (NDT).
Pour arriver à pouvoir servir ainsi, il faut s'imposer un entrainement de
chaque jour. D'abord nous devons regarder comme un fait que, dans tous, le
Soi est un. Dans chaque personne avec [10] laquelle nous entrerons en
rapport, nous ferons donc abstraction de tous les côtés antipathiques de son
enveloppe extérieure et reconnaitrons le Soi au fond de son cœur. Le point
à réaliser ensuite – par le sentiment et non pas seulement en théorie – c'est
que le Soi s'efforce de s'exprimer à travers les enveloppes qui l'emprisonnent
et que la nature intérieure, digne de tout amour, n'est défigurée à nos yeux
que par les voiles qui l'entourent. Puis il faut nous identifier avec ce Soi qui,
à vrai dire, est nous-même en son essence, et coopérer avec lui dans la guerre
contre les éléments inférieurs qui étouffent son expression. Et, puisque nous
sommes forcés d'atteindre la nature inférieure de notre frère par
l'intermédiaire de notre propre nature inférieure, le seul moyen de l'aider
vraiment est de voir les choses comme notre frère les voit, avec ses
limitations, ses préjugés et sa vue défectueuse, et, les considérant sous ce
jour-là, tandis que notre nature inférieure en reçoit l'impression, d'aider notre
frère à sa manière et non pas à la nôtre ; car ainsi seulement se donne le
véritable secours. Ici intervient l'entrainement Occulte. Nous apprenons à
nous isoler de notre [11] nature inférieure, à l'étudier, à partager ses
sensations sans en être affectés. Aussi, pendant que, émotionnellement, nous
éprouvons des impressions, intellectuellement nous sommes juges.
Il faut employer cette méthode pour aider notre frère. Tout en sentant
ce qu'il sent comme deux cordes à l'unisson donnent la même note. Il faut
employer notre "moi" devenu indépendant à juger, à conseiller, à relever,
mais toujours de telle façon que notre frère comprenne que c'est sa propre
nature supérieure qui lui parle par nos lèvres.
Il faut désirer partager ce que nous possédons de meilleur. Ce n'est, pas
garder, c'est, donner qui est la vie de l'Esprit. Souvent notre "meilleur" aurait
aussi peu d'attrait pour le frère que nous essayons d'aider que des vers
sublimes pour un petit enfant. Il faut alors lui donner ce qu'il peut assimiler
de meilleur et garder le reste, non parce que nous le lui refusons, mais parce
qu'il n'en a pas encore besoin. Ainsi nous aident les Maitres de Compassion,
nous qui sommes à leurs yeux comme des enfants, et il nous faut, aider de
même ceux qui sont plus jeunes que nous dans la vie de l'Esprit. [12]
N'oublions pas, non plus, que toute personne se trouvant avec nous à un
moment quelconque est celle que le Maitre nous donne à servir, à ce même
moment. Si, par insouciance, impatience ou indifférence, nous négligeons
de l'aider, nous négligeons le travail de notre Maitre. Notre absorption dans
une autre tâche nous fait, souvent oublier ce devoir immédiat. Nous ne
comprenons pas qu'aider une âme humaine qui nous est envoyée est notre
travail présent. Nous avons besoin de nous rappeler ce danger. Il est d'autant
plus subtil que le devoir sert à masquer le devoir. Or ne pas savoir discerner,
c'est ne pas savoir réussir. Il ne faut pas sacrifier notre indépendance, même
à aucun travail particulier. Travaillons sans cesse, certainement, mais notre
âme demeurant libre, l'attention tendue et prête à saisir l'injonction la plus
subtile de Celui qui peut avoir besoin de nos services pour un être en
détresse, s'il veut, par notre intermédiaire, le secourir.
La sévérité à l'égard du soi inférieur, dont j'ai parlé plus haut, est une
condition nécessaire pour servir ainsi en secourant autrui, car celui-là seul
qui n'a pas de soucis personnels, qui est pour [13] lui-même indifférent au
plaisir et à la douleur, est suffisamment libre pour accorder aux autres une
sympathie parfaite. N'ayant besoin de rien, il peut, tout donner. Sans amour
pour lui-même, il devient pour les autres l'amour incarné.
En Occultisme, le livre de la vie est celui qui nous retient le plus. Si
nous étudions d'autres livres, c'est seulement pour pouvoir vivre, car l'étude,
même d'ouvrages Occultes, n'est un moyen de développement spirituel que
si nous faisons des efforts pour vivre de la Vie Occulte. C'est la vie et non
le savoir, le cœur purifié et non la tête bien remplie, qui nous amènent aux
pieds de notre Maitre.
Le mot "dévotion" est la clef de tout progrès véritable dans la vie
spirituelle. Si, en travaillant, nous cherchons l'accroissement du mouvement
spirituel et non des succès agréables, le service des Maitres et non notre
agrément personnel, nous ne pourrons être découragés par des échecs
momentanés, ni par les nuages et la torpeur qui viendraient, assombrir notre
propre vie intérieure.
Servir pour l'amour du service, et non pour le plaisir éprouvé en servant,
est un pas en avant bien [14] marqué, car nous commençons alors à atteindre
cette pondération, cet équilibre, qui nous permettent de servir avec le même
contentement dans le succès comme dans l'insuccès, dans l'obscurité
intérieure comme dans la lumière intérieure. Quand nous sommes arrivés à
dominer la personnalité au point d'éprouver un vrai plaisir à faire, pour le
Maitre, un travail pénible à notre nature inférieure, le pas suivant consiste à
faire ce travail avec le même entrain et la même conscience quand le plaisir
disparait et que toute la joie et la lumière s'éteignent. Autrement, en servant
les Êtres Saints, nous pourrions servir le soi, servir pour ce que nous
recevons d'Eux au lieu de servir par amour pur.
Tant que subsiste cette forme subtile d'égoïsme, nous courons le danger
d'abandonner notre service si l'obscurité nous entoure longtemps et si, au
dedans, nous sentons la torpeur et le désespoir. C'est dans cette nuit de
l'esprit qu'on sert le plus noblement et que les derniers lacets du soi inférieur
sont rompus.
Nous insistons sur cette dévotion, car partout nous voyons les aspirants
mis en danger et le [15] progrès du travail des Maitres retardé par la
prédominance du soi personnel. Voilà notre ennemi ! Voilà notre champ de
bataille ! Une fois convaincu de ce fait, l'aspirant devrait accueillir avec joie
dans sa vie quotidienne tout ce qui vient écorner la personnalité ; il devrait
être reconnaissant envers tous les "gens désagréables" qui lui marchent sur
les pieds, agacent sa sensibilité et froissent son amour propre. Ce sont là ses
meilleurs amis, ses auxiliaires les plus utiles. Il ne devrait éprouver à leur
égard que de la gratitude pour les services qu'ils lui rendent en meurtrissant
notre plus dangereux ennemi. En envisageant ainsi la vie quotidienne, elle
devient une école d'Occultisme et nous commençons à apprendre cet
équilibre parfait nécessaire aux disciples d'un grade plus élevé, avant qu'un
savoir plus profond, c'est-à-dire le pouvoir, puisse leur être confié. Là où
font défaut un tranquille empire sur soi-même, l'indifférence pour les
questions personnelles, une dévotion sereine au travail pour autrui, là il n'y
a ni véritable Occultisme, ni vie vraiment spirituelle. Le psychisme inférieur
ne demande, pour s'acquérir, aucune de ces qualités ; aussi le pseudo-
occultiste [16] le recherche-t-il avec avidité. Mais la Loge Blanche les exige
de ses postulants et fait d'elles la condition de l'entrée dans l'Enceinte des
Néophytes. Que le but de tout aspirant soit donc de se former lui-même,
pour pouvoir servir, et de se soumettre à une discipline sévère afin que, "si
le Maitre regarde en son cœur, il puisse n'y point voir de tache". Alors Il le
prendra par la main et le conduira plus avant.
ANNIE BESANT.
LA DOCTRINE DU CŒUR

C'est aller au-devant d'un désastre que de baser sa foi sur la pompe des
cérémonies plutôt que sur la paix de la vie intérieure, indépendante du mode
de l'existence du dehors. En réalité, plus les circonstances sont fâcheuses,
plus, il coute d'en vivre entouré et plus on se rapproche du but final, aidé en
cela par la nature même des épreuves à surmonter. C'est donc manquer de
sagesse que de se laisser trop attirer par une manifestation extérieure de la
vie religieuse, car tout, sur le plan matériel, est éphémère et illusoire et doit
finir par désappointer. Chaque homme puissamment sollicité par un genre
d'existence extérieur est destiné à apprendre, tôt ou tard, l'insignifiance
relative de tous les objets du [18] dehors, et plus il traverse rapidement les
expériences rendues nécessaires par le Karma d'autrefois, mieux il s'en
trouve. À coup sûr il est désagréable de sentir subitement le terrain manquer
sous nos pieds, mais la coupe qui guérit la folie est toujours amère et il faut
y gouter si le mal doit être vaincu pour toujours. Quand la brise légère qui
nait sous Leurs Pieds, pareils aux Lotus, vient à passer sur l'âme, alors on
sait que les pires circonstances du dehors sont impuissantes à troubler le
charme de la musique intérieure.
Si un Européen attiré vers l'Occultisme se sent plus près des Grands
Êtres en débarquant aux Indes, un Indou éprouve le même sentiment en
montant vers les sommets de son Himâvât neigeux. Et pourtant c'est une
pure illusion, car on n'approche pas les Seigneurs de Pureté par la
locomotion physique, mais en trouvant plus de pureté et plus de forces dans
des souffrances constamment supportées pour le bien du monde. Quant à
l'ignorance de ce malheureux monde, aveuglé par l'erreur, concernant nos
Seigneurs vénérés, elle me rappelle ces mots : "Le [19] sifflement du serpent
fait plus de mal au sublime Himâvât que la calomnie et l'injure du monde à
aucun de nous."
*
* *
Du moment qu'on admet – et il le faut bien quand on sait ce qu'est
l'Occultisme – qu'il existe des légions d'agents invisibles prenant
constamment part aux affaires humaines, des Élémentals et des
Élémentaires de tout grade, causant tous les genres d'illusion et s'affublant
de tous les déguisements, sans parler de membres de la Loge Noire prenant
plaisir à mystifier et à tromper les fervents de la vraie sagesse, – il faut aussi
reconnaitre que la Nature, dans sa grande pitié et sa justice absolue, a dû
donner à l'homme une faculté lui permettant de distinguer la voix de ces
habitants de l'air de celle des Maitres. Et je crois qu'on sera d'accord pour
admettre que la raison, l'intuition et la conscience sont nos plus hautes
facultés, les seuls moyens nous permettant de distinguer le vrai du faux, le
bien du mal, le juste de l'injuste. Cela posé, il en résulte que rien [20]
d'impuissant à illuminer la raison et à satisfaire les exigences les plus
scrupuleuses de notre nature morale ne doit jamais être regardé comme une
communication des Maitres.
Il faut aussi se souvenir que les Maitres sont les Maitres de la Sagesse
et de la Compassion, que leurs paroles illuminent et épanouissent, ne
troublent et ne tourmentent jamais l'esprit : Elles élèvent, elles ne dégradent
pas. Jamais Ils n'emploient de moyens qui flétrissent et paralysent à la fois
la raison et l'intuition. Qu'arriverait-il inévitablement si ces Seigneurs
d'Amour et de lumière imposaient à leurs disciples des communications
aussi révoltantes pour la raison que pour le sens moral ? La crédulité aveugle
remplacerait la foi intelligente, la débilité morale viendrait ensuite, au lieu
de la croissance spirituelle, et le Néophyte irait à la dérive, sans rien pour le
guider, constamment à la merci de toute nymphe espiègle et, ce qui est plus
grave, de tout malfaisant Dugpa.
Est-ce là la destinée du disciple ? Le chemin de l'Amour et de la Sagesse
peut-il être tel ? Je ne pense pas qu'aucun homme raisonnable puisse le
croire très longtemps, bien qu'il soit possible, un instant, [21] de le mystifier
et de lui faire accepter jusqu'à de véritables absurdités.
*
* *
Parmi les doutes nombreux inspirés au disciple pour le tourmenter, il
peut se demander si la faiblesse physique est un obstacle au progrès spirituel.
Le mode d'assimilation de l'aliment spirituel n'implique aucune déperdition
d'énergie physique et le progrès spirituel peut continuer sa marche pendant
que le corps souffre. C'est une erreur complète, due à une instruction et à un
équilibre moral insuffisants, que d'attribuer à un corps affaibli par le manque
de nourriture le don d'être ainsi préparé à des expériences spirituelles. C'est
en accomplissant ce qui est, le plus conforme aux intentions des Êtres Saints
que se font les progrès suivis et véritables. Quand arrive le moment où les
expériences spirituelles peuvent être confiées à la conscience cérébrale, le
corps ne saurait être un obstacle. S'il constitue une légère difficulté, elle peut
être supprimée en une seconde. C'est une erreur de croire qu'aucun effort
physique [22] puisse faire faire un seul pas au progrès spirituel. Le moyen
de se rapprocher d'Eux est d'accomplir ce qui seconde le mieux Leurs idées.
Cela fait, il n'y a rien de plus à faire.
*
* *
Il me semble qu'il y a une douceur particulière dans la patience résignée,
dans le sacrifice joyeux de notre volonté propre à la volonté de Ceux qui
sont plus sages que nous et guident toujours surement. Il n'y a rien qui
ressemble à un désir personnel dans la vie de l'Esprit. Aussi le disciple peut-
il volontiers sacrifier son bonheur personnel, du moment qu'ils trouvent
l'occasion de travailler, par son intermédiaire, pour autrui. Il pourra quelque
fois éprouver un sentiment d'abandon dans ses moments de solitude, mais il
Les trouvera toujours auprès de lui quand un travail lui sera demandé. Les
heures de la nuit alternent nécessairement avec celles du jour et il est
certainement bon que l'obscurité survienne quand nous sommes seuls à la
subir, dût notre souffrance personnelle en devenir plus vive. Sentir Leur
présence et Leur influence [23] est bien le don le plus divin qui se puisse
imaginer, mais ce don lui-même, nous devons consentir à en faire le
sacrifice si, en renonçant à ce que nous regardons comme le suprême et le
parfait, nous rendons plus facile à réaliser le bien final du monde.
*
* *
Cherchez à comprendre la beauté de la souffrance, quand la souffrance
a pour effet de nous rendre plus aptes au travail. Non, nous ne pourrons
jamais aspirer à la paix, si c'est par la lutte que le monde doit être aidé.
Cherchez à sentir que, malgré l'obscurité qui semble vous envelopper, cette
impression ne répond pourtant pas à la réalité. S'Ils Se voilent parfois dans
une apparente Mâyâ d'indifférence, ce n'est que pour répandre Leurs
bénédictions avec plus de profusion quand la saison sera venue. Les mots
sont de peu de secours quand l'obscurité grandit, mais le disciple devrait
essayer de garder inébranlable sa foi dans la proximité des Grands Êtres et
de sentir que, si la lumière a été temporairement retirée à sa conscience
mentale, elle grandit cependant [24] journellement au dedans par Leur sage
et miséricordieuse dispensation. Quand le mental retrouve sa sensibilité, il
reconnait, avec surprise et joie, que le travail spirituel a suivi son cours, sans
qu'il ait, lui-même été conscient des étapes parcourues. Nous connaissons la
Loi. Dans le monde spirituel, des nuits d'une horreur plus ou moins grande
suivent invariablement les jours et, le sage, reconnaissant dans l'obscurité
l'effet d'une loi naturelle, cesse de s'affliger. Soyons bien assurés que
l'obscurité, à son tour, se dissipera. N'oubliez jamais que derrière la fumée
la plus épaisse rayonnent toujours les Pieds, semblables aux Lotus, des
Grands Seigneurs de la terre. Tenez ferme et ne perdez jamais votre foi en
Eux ; vous n'aurez alors rien à craindre. Vous pourrez avoir il le faut même
des épreuves à subir, mais vous les supporterez certainement. Quand se lève
l'obscurité qui couvrait l'Âme comme un voile funèbre, alors nous pouvons
voir combien, elle était, au fond, faite d'ombre et d'illusion. Pourtant cette
obscurité, tant qu'elle dure, est assez réelle pour ruiner bien de nobles âmes
qui n'ont pas encore acquis la force d'y résister. [25]
*
* *
La vie et l'Amour spirituels ne s'épuisent pas en se donnant. La dépense
ne fait ici qu'augmenter la réserve, l'enrichit et la renforce. Tachez d'être
aussi heureux et aussi satisfait de votre sort que possible, car dans la joie est
la véritable vie spirituelle. Le chagrin n'est que le fruit de notre manque de
perspicacité. Il faut donc combattre, autant que vous le pourrez, la tristesse
qui obscurcit l'atmosphère spirituelle. Et, si vous ne pouvez entièrement
empêcher sa venue, vous ne devez cependant pas vous livrer entièrement à
elle, car, souvenez-vous-en, le cœur même de l'univers est Béatitude.
*
* *
Le désespoir ne devrait pas trouver place, dans le cœur du disciple
fervent, car il affaiblit la foi et la dévotion et fournit ainsi aux Puissances
Ténébreuses un terrain de combat. Ce sentiment est un mirage évoqué par
elles pour torturer le disciple et tirer, si possible, de cette illusion, quelque
[26] avantage pour elles-mêmes. L'expérience la plus amère m'a enseigné
que la confiance en soi est tout à fait inutile et même, trompeuse dans les
épreuves de ce genre et que le seul moyen de sortir sain et sauf de ces
illusions est de se consacrer complètement à Eux. Et la raison en est bien
claire. La force à opposer, pour être efficace doit appartenir au plan même
où s'exerce le pouvoir à combattre. Or, comme ces souffrances et ces
illusions ne viennent pas du soi, le soi est impuissant contre elles. Procédant
des Êtres Ténébreux, elles ne peuvent être neutralisées que par les Frères
Blancs. Voilà pourquoi il est, nécessaire pour notre sureté d'abandonner à
Ceux-ci nos personnes – nos personnes séparées – et d'être délivrés de tout
Ahamkâra 3.
*
* *
Sachant que notre Société 4 – comme, à vrai dire, tout mouvement de
quelque importance – [27] est suivie et protégé par des Puissances mille fois
plus sages et plus hautes que nos petites personnalités, nous n'ayons guère à
nous préoccuper des destinées de la Société. Contentons-nous de faire notre
devoir à son égard, avec conscience et zèle, et de jouer le rôle qui nous est
assigné, employait au mieux nos lumières et nos aptitudes. Les soucis et les
préoccupations ont, sans doute, leur utilité dans l'économie naturelle. Chez
l'homme ordinaire, ils font travailler le cerveau, mettent même les muscles
en mouvement et, sans eux, le monde n'aurait pas accompli la moitié des
progrès réalisés sur les plans physique et intellectuel. Mais à un certain degré
de l'évolution humaine, ces mobiles sont remplacés par le sentiment du
devoir et l'amour de la Vérité. La perspicacité et l'ardeur au travail qui en
résultent ne pourraient jamais être données par aucune somme d'énergie
moléculaire et de vigueur nerveuse. Secouez donc tout découragement et,
tournant votre Âme vers la Source de Lumière, travaillez à la grande tâche
pour laquelle vous êtes ici, votre cœur s'ouvrant à l'humanité entière, mais
parfaitement résigné, quel que soit [28] le résultat de votre labeur. Tel fut
l'enseignement de nos Sages ; telle fut l'exhortation de Shri Krishna à Arjuna
sur le champ de bataille ; tel est le but que nous donnerons à nos énergies.
Mes propres idées concernant les souffrances du monde sont
précisément les vôtres. Rien ne me fait plus de peine que la frénésie aveugle
avec laquelle l'immense majorité de nos semblables recherchent les plaisirs
des sens, et l'idée absolument creuse et fausse qu'ils se font de la vie. Le
spectacle de cette ignorance et de cette folie touche mon cœur beaucoup plus
vivement que les épreuves physiques qu'on subit autour de nous. Bien que
la noble prière de Rantideva m'ait, il y a bien des années, profondément
touché, l'aperçu qui m'a été ouvert depuis sur la nature intérieure des choses
me fait regarder les sentiments du Bouddha comme plus sages et plus
transcendants. Je souffrirais volontiers le martyre pour soulager un disciple
de la torture à laquelle il est soumis, mais, si j'envisage les raisons et les
conséquences intimes des souffrances d'un disciple, celles-ci ne me causent

3
Illusion qui consiste à croire notre "Moi" distinct du "Soi" universel. (NDT)
4
La Société Théosophique.
pas, de beaucoup, un chagrin aussi profond que la misère de ces pauvres
[29] ignorants qui, sans savoir pourquoi, subissent simplement, la punition
de leurs méfaits passés.
*
* *
Les fonctions de l'intellect sont uniquement la comparaison et le
raisonnement ; la connaissance spirituelle est bien loin d'être à sa portée.
Vous êtes probablement excédé de subtilités intellectuelles dans votre vie
présente, mais le monde n'est, après tout, qu'une école, une académie
éducatrice, et aucune expérience, quelque douloureuse ou ridicule qu'elle
puisse être, n'est sans objet ni sans valeur pour l'homme qui réfléchit. Les
maux que nous rencontrons ne nous rendent que plus sages et les erreurs
mêmes que nous commettons nous seront utiles dans l'avenir. Il n'y a donc
lieu de se plaindre d'aucune destinée, même de la moins enviable en
apparence.
*
* *
Le Karma, suivant la Gîta et la Yoga Vâsishiha, signifie les actes et les
volitions procédant de Vâsanâ ou du désir. Il est nettement établi dans les
[30] codes éthiques que rien de ce qui est fait dans un pur sentiment du
devoir, rien de ce qui a pour mobile, pour ainsi dire, la pensée "Ceci est à
faire" ne peut affecter la nature morale de l'homme, même si sa manière de
comprendre le devoir et l'à-propos, dans la conduite, est défectueuse. La
faute, bien entendu, devra être expiée par une souffrance proportionnée aux
conséquences de l'erreur, mais elle ne peut certainement pas dégrader le
caractère ou ternir le Jivatmâ 5.
*
* *
Il est bon d'employer tous les évènements de l'existence comme des
leçons dont on doit profiter. La douleur que nous cause l'éloignement de
ceux que nous aimons peut nous servir ainsi. Que sont l'espace et le temps
sur le plan de l'Esprit ? Une illusion cérébrale, un néant ne devant un
semblant, de réalité qu'à notre impuissance intellectuelle, qu'aux voiles qui
emprisonnent le Jivatmâ. La souffrance incite simplement, d'une [31]

5
Le Soi individualisé.
manière nouvelle et plus vive, à vivre entièrement dans l'Esprit. Le Bien
résultera finalement, pour chacun de nous, de la douleur. Il ne faut donc pas
murmurer. Que dis-je ! Sachant qu'il ne peut rien arriver de sérieux à des
disciples sans la volonté de leurs Seigneurs, il faut envisager chaque incident
douloureux comme un pas vers le progrès spirituel, comme un moyen
d'atteindre le développement intérieur qui nous permettra de Les mieux
servir, Eux, et par suite l'Humanité.
*
* *
Pourvu que nous puissions Les servir, et, dans toutes les tourmentes et
les conflagrations de nos Ames, nous réfugier à Leurs Pieds semblables aux
Lotus, qu'importent la douleur et les souffrances qu'elle cause à nos
enveloppes transitoires ? Essayons de comprendre un peu le sens profond
de ces souffrances, de ces vicissitudes des circonstances extérieures, – de
comprendre que tant de douleur endurée signifie autant de Karma effacé,
autant de capacité de servir acquise autant de bonnes leçons apprises. Ces
pensées ne suffisent-elles [32] pas pour nous soutenir à travers n'importe
quelle accumulation de ces misères illusoires ? Qu'il est doux de souffrir
quand on sait et qu'on a la foi ! Quelle différence avec la souffrance de
l'ignorant, du sceptique, de l'incrédule ! On est tenté de souhaiter pour soi-
même toutes les souffrances et toute la détresse du monde, pour permettre
au reste du genre humain d'être délivré et heureux. La crucifixion de Jésus-
Christ symbolise cette phase de la vie du disciple. Ne le croyez-vous pas ?
Contentez-vous d'être toujours ferme dans la foi et dans la dévotion et ne
vous écartez pas du sentier sacré de l'Amour et de la Vérité. Voilà votre rôle.
Le reste, les Gracieux Seigneurs que vous servez le feront pour vous. Vous
savez tout cela et, si j'en parle, c'est seulement pour fortifier en vous cette
assurance. Car nous oublions souvent quelques-unes de nos meilleures
leçons et, dans les moments pénibles, le devoir d'un ami est plus de vous
rappeler vos propres paroles que de vous inculquer de nouvelles vérités.
C'est ainsi que Draupadi consolait souvent son sage mari Yudhisthira 6
quand un malheur cruel [33] venait, pour un instant, troubler sa sérénité
habituelle. C'est ainsi que Vasishtha lui-même avait besoin d'être calmé et
consolé quand la mort de ses enfants venait lui déchirer le cœur.
Incompréhensible, vraiment, est l'aspect mâyâvique de ce monde ! Si beau
et si poétique d'une part, et pourtant si horrible et, si misérable de l'autre.

6
Personnage du Mâhâbhârata. (NDT)
Oui, Mâyâ est le mystère des mystères et l'homme qui a compris Mâyâ est
arrivé à s'identifier avec BRAH-MAN la Suprême Félicité et la Suprême
Lumière.
*
* *
L'image saisissante représentant Kâli, debout, sur le corps de SHIVA,
montre l'utilité – l'emploi supérieur – de la Colère et de la Haine. Le teint
noir symbolise la Colère ; l'épée, s'il en a une, le courage physique, et
l'ensemble signifie que, tant qu'un homme trouve en lui-même la colère, la
haine et, la force physique, il doit les employer à la suppression des autres
passions, au massacre des désirs charnels. Cette image représente aussi ce
qui arrive réellement quand le mental se tourne pour la première fois vers la
vie supérieure. Manquant [34] encore de sagesse et d'équilibre moral, nous
écrasons nos désirs avec nos passions ; notre colère, nous la jetons contre
nos vices et les supprimons ainsi ; notre orgueil, nous l'employons pour
combattre les tendances méprisables du corps comme celles du mental.
Nous nous élevons ainsi sur le premier échelon. SHIVA étendu montre
qu'un homme engagé dans une guerre semblable ne tient pas compte de son
principe supérieur, – l'Atma – bien plus, qu'il va jusqu'à le fouler aux pieds
et qu'il n'arrive qu'après la mort du dernier ennemi du Soi à reconnaitre sa
relation véritable, dans le combat, vis-à-vis d'Atma. Ainsi Kâli ne découvre
SHIVA à ses pieds qu'après avoir, tué le dernier Daitya, la personnification
d'Ahamkâra. Alors elle rougit de sa fureur insensée. Tant que les passions
n'ont, pas toutes été maitrisées, nous devons nous en servir pour les
supprimer elles-mêmes, neutralisant la force de l'une avec celle de l'autre.
C'est, la seule manière de réussir, d'abord, à tuer en nous l'égoïsme et à
entrevoir pour la première fois notre véritable Atmâ – le SHIVA en nous –
que nous ignorons tant que les désirs font rage dans notre cœur. [35]
*
* *
Il est bon de toujours mettre de côté nos propres désirs, personnels et
peu prévoyants, pour Les servir fidèlement. J'en ai fait l'expérience : en Les
prenant ainsi pour nos seuls guides, on évite toujours quelque précipice
dangereux où l'on courait inconsciemment. Sur le moment il parait dur
d'avoir à rompre avec ses préférences, mais, finalement, il ne résulte que de
la joie d'un sacrifice semblable. Rien ne nous façonne mieux que les
quelques courtes années de l'existence, quand nous sommes contraints, à
force de désappointements, à chercher un refuge aux Pieds bénis des
Seigneurs, car là seulement est possible le repos. Puis grandit dans le
disciple la pensée habituelle que son unique refuge est en Eux et, chaque
fois qu'il ne pense pas à Eux, il se sent malheureux et abandonné. Ainsi, des
ténèbres mêmes du désespoir, nait pour lui une lumière qui jamais plus ne
s'affaiblit. Ceux dont le regard pénètre les profondeurs d'un avenir lointain,
voilé à nos yeux mortels, ont, agi et agiront pour le plus grand bien du
monde. Les résultats immédiats et [36] les satisfactions momentanées
doivent être sacrifiés si nous voulons atteindre infailliblement le but. Plus
nous voulons assurer les chances de succès final, moins il faut soupirer pour
la moisson du jour. C'est par la souffrance seule que nous pouvons arriver à
la perfection et à la pureté ; c'est par la souffrance seule que nous pouvons
nous rendre dignes de servir l'Orphelin qui, par ses cris, réclame sans cesse
la nourriture spirituelle. La vie ne vaut la peine d'être vécue que si nous la
sacrifions à Leurs pieds.
Réjouissons-nous d'avoir des occasions de servir la grande Cause par
des sacrifices personnels, car Ils peuvent employer ce genre de souffrance
pour faire faire à la pauvre Humanité errante un petit pas en avant. Toute
douleur éprouvée par un disciple est le gage d'un gain correspondant en
faveur du monde. Il doit donc souffrir volontiers et avec joie, puisqu'il voit
un peu plus clair que les mortels privés de lumière pour lesquels il souffre.
Dans tout, le cours de l'évolution, en vertu d'une loi qui n'est, que trop
douloureusement évidente, même aux yeux d'un simple commençant,
aucune possession digne d'être acquise [37] ne peut s'obtenir sans un
sacrifice correspondant.
*
* *
Celui qui renonce à tout sentiment personnel et fait de soi-même un
instrument de travail pour les Mains Divines n'a pas à redouter les épreuves
et les difficultés de ce monde si dur. "Selon Ta volonté – ainsi je travaille."
C'est là le moyen le plus facile d'échapper à la sphère du Karma individuel,
car un homme qui met toutes ses capacités aux Pieds des Seigneurs ne crée
pas de Karma pour lui-même. Puis, selon la promesse de SHRI KRISHNA :
"Je prends sur Moi son Doit et Avoir." Le disciple n'a pas à se préoccuper
du fruit de ses actions. Tel était l'enseignement du grand Maitre chrétien :
"N'ayez point souci du lendemain."
*
* *
Ne laissez pas les mouvements impulsifs guider votre conduite.
L'enthousiasme appartient aux émotions et non à la conduite.
L'enthousiasme [38] dans la conduite n'a pas sa place dans le véritable
Occultisme, car l'Occultiste doit toujours être maitre de soi. Une des grandes
difficultés, dans la vie de l'Occultiste, est de tenir la balance égale. Le don
d'y parvenir est un fruit, de la vraie connaissance spirituelle. L'Occultiste
doit vivre plus d'une vie intérieure que d'une vie extérieure. Il sent,
comprend, sait de plus en plus, mais le montre de moins en moins. Les
sacrifices qu'il doit faire appartiennent, eux-mêmes, plus au monde intérieur
qu'au monde extérieur. Dans la dévotion religieuse ordinaire, tout le
renoncement et toute la force dont on est capable sont mis en jeu pour
accomplir des actes extérieurs et à surmonter le ridicule et les tentations du
plan physique. Mais leur emploi a un but plus élevé dans la vie de
l'Occultiste. Il faut tenir compte des proportions et mettre ce qui est extérieur
en seconde ligne. En un mot, ne vous spécialisez jamais. Le Hamsa prend le
lait seul et laisse l'eau, dans un mélange des deux liquides. De même
l'Occultiste extrait et retient la vie et la quintessence de toutes les différentes
qualités, en rejetant les enveloppes qui les cachaient. [39]
*
* *
Comment peut-on croire que les Maitres devraient intervenir dans la vie
et les actions des hommes, et conclure qu'Ils n'existent pas ou qu'ils sont
moralement indifférents, du fait de Leur non-intervention ? On pourrait,
avec autant de raison, mettre en doute l'existence de toute Loi morale dans
cet Univers et argüer que l'existence d'iniquités et d'infamies, dans
l'humanité, s'oppose à ce qu'on admette celle d'une Loi semblable. Pourquoi
oublie-t-on que les Maitres sont des Jivanmuktas 7 et travaillent avec la Loi,
– sont, à vrai dire, l'esprit même de la Loi ? Mais il n'y a pas lieu de se
tourmenter de cela, car le tribunal auquel nous nous soumettons, dans les
affaires de conscience, n'est pas l'opinion publique, mais notre propre Soi
supérieur. Voilà la bataille qui purifie le cœur et élève l'Âme ; ce n'est pas
le combat furieux où nous poussent nos passions, ou même "une juste
indignation" et ce qu'on appelle "un noble ressentiment". [40]

7
Âmes ayant atteint la libération. (NDT)
*
* *
Que nous importent les soucis et les difficultés ! Ne sont-ils pas les
bienvenus comme les plaisirs et les heures faciles ? Car ne sont-ils pas nos
maitres et éducateurs les meilleurs, riches en leçons salutaires ? Dès lors ne
convient-il pas de traverser d'une manière plus égale tous les changements
d'existence et toutes les vicissitudes de la fortune ? Et ne serait-ce pas fort
peu honorable pour nous que de faillir à garder la tranquillité d'esprit et
l'équilibre moral qui devraient toujours caractériser l'attitude du disciple ?
Assurément il devrait conserver sa sérénité parmi tous les orages et les
tempêtes du dehors. C'est un monde absolument fou que le nôtre, si l'on
n'envisage que l'extérieur ; et pourtant, comme il est trompeur dans sa folie !
C'est la véritable démence de l'aliénation mentale où le malade est
inconscient de son propre état, – bien plus, se croit parfaitement raisonnable.
Oh ! si l'harmonie et la musique qui règnent dans l'Âme des choses n'étaient
pas perceptibles pour nous dont les yeux ont été ouverts à cette folie absolue
[41] qui affecte l'enveloppe extérieure, que la vie nous serait intolérable !
Ne pensez-vous pas que c'est manquer un peu de reconnaissance que
d'être tristes quand nous nous conformons aux désirs de nos Seigneurs et
accomplissons notre service ? Il faut éprouver, non seulement de la paix et
du contentement, mais aussi de la joie et de l'ardeur, en servant Ceux dont
le service est notre plus grand privilège et dont, le souvenir fait notre plus
profonde félicité.
*
* *
Ils ne nous abandonneront jamais : cela est aussi certain que la Mort.
Mais il faut, de notre côté, nous attacher étroitement, à Eux par une véritable
et profonde dévotion. Si notre dévotion est véritable et profonde, nous ne
courons pas l'ombre d'un risque d'avoir à nous éloigner de Leurs Pieds
sacrés. Mais vous savez ce que signifie la dévotion véritable et profonde.
Vous savez comme moi que rien, sinon la renonciation complète à la volonté
personnelle, l'annihilation absolue de l'élément personnel dans l'homme, ne
peut constituer le pur [42] et vrai Bhakti. C'est seulement quand toute la
nature humaine est en harmonie parfaite avec la Loi Divine, quand il n'y a
pas, une seule note discordante dans aucune partie de l'ensemble, quand
toutes les pensées, idées, fantaisies, tous les désirs et les émotions,
volontaires ou involontaires, vibrent en réponse au "Grand Souffle" et sont
parfaitement à l'unisson avec Lui – que le véritable idéal de la dévotion se
trouve atteint, et pas avant. Nous ne nous élevons au-dessus des chances
d'échec qu'en atteignant ce degré de Bhakti qui, seul, assure un progrès
constant et un succès infaillible. Le disciple n'échoue pas faute de sollicitude
ou d'amour de la part, des Grands Maitres, mais en dépit de ces sentiments,
mais à cause de sa propre perversité et, de sa faiblesse innée. Et nous ne
pouvons dire que la perversité soit impossible chez celui où s'attarde encore
l'idée qu'il est un être séparé des autres, idée rendue invétérée par des siècles
innombrables d'illusions et de corruption et qui n'est pas encore
complètement déracinée. [43]
*
* *
Ne nous abusons d'aucune façon. Il y a des vérités certainement amères,
mais le plus sage est de les connaitre et de les envisager. Habiter un paradis
imaginaire ne revient qu'à se fermer la porte du véritable Élysée. Il est vrai
que, si nous nous mettons de propos délibéré à chercher s'il reste en nous,
ou non, un vestige de séparativité ou de personnalité, un désir de contrarier
la marche naturelle des évènements, nous ne trouverons peut-être aucun
motif, aucune raison, pour une concentration sur nous-même ou pour un
désir de ce genre. Sachant et croyant, comme nous le faisons, que l'idée
d'isolement est un simple effet de Mâya, que l'ignorance et tous les désirs
personnels découlent uniquement de ce sentiment d'isolement et sont la
racine de toute notre misère, nous ne pouvons que répudier les notions
fausses et trompeuses dans les raisonnements dont elles sont l'objet ou
l'occasion. Mais si, regardant, les choses en face, nous nous surveillons toute
la journée et, observons les différents modes de notre être, changeant avec
les circonstances, une conclusion [44] très différente s'imposera à nous et,
nous trouverons que la mise en pratique, dans notre vie, de notre savoir et
de notre foi, ne se réalisera pas de sitôt. Elle n'est atteinte que pendant peu
de temps, de loin en loin, quand nous oublions entièrement notre corps ou
tout autre milieu matériel et que nous nous absorbons dans la contemplation
du Divin – que dis-je ? – quand nous nous fondons dans la Divinité Elle-
même.
*
* *
Pour nous, par la grâce suprême de nos Seigneurs, les choses de la terre
sont, un peu plus claires et, plus intelligibles que pour les gens du monde.
De là notre si ardent désir de consacrer toute l'énergie de notre vie à Leur
service. Toute activité – charité, bienfaisance, patriotisme, etc. – dira un
cynique, en ricanant avec suffisance, n'est qu'un échange, une simple
question de trafic. Mais l'aspect plus noble que cette honnêteté elle-même,
tournée en ridicule et intéressée, prend, vue de plus haut, quand on sait la
comprendre et l'appliquer dans les régions supérieures de l'existence, [45]
n'est pas à la portée du moqueur dédaigneux. Il rit donc de l'honnêteté et la
méprise, en l'appelant intéressée, et le monde, dans sa déraison et sa légèreté,
à l'affut d'un peu de gaieté, rit avec lui et le trouve plein de malice et d'esprit.
Si nous regardons à la surface cette merveilleuse sphère que nous habitons,
la tristesse et l'ombre envahiront seules nos Ames et le désespoir paralysera
tous les efforts pour en améliorer le sort. Mais, si le regard va plus avant,
comme toutes les contradictions s'évanouissent, comme tout parait, beau et
harmonieux, comme le cœur s'épanouit, dans sa joie et ouvre libéralement
ses trésors à l'univers qui l'entoure. Il ne faut donc pas perdre courage en
voyant tant de spectacles affreux, ni gémir sur la folie et l'aveuglement, des
hommes parmi lesquels nous sommes nés.
*
* *
Il y a des lois morales fixes comme il y a des lois physiques invariables.
Ces lois morales peuvent être violées par l'homme, doué, comme il est, de
l'individualité et de la liberté qu'elle comporte. Chacune de ces infractions
devient une force [46] morale agissant en sens inverse du courant de
l'évolution et persiste sur le plan mental.
En vertu de la loi de réaction, chacune a une tendance à provoquer la
sanction de la bonne loi. Or, quand ces forces d'opposition se sont
accumulées et ont pris des proportions gigantesques, la force réactionnaire
devient forcément violente. Il en résulte des révolutions morales et
spirituelles, des guerres de religion, des croisades et autres luttes semblables.
Poussez plus loin cette théorie et vous comprendrez la nécessité de
l'apparition, sur la terre, d'Avatâras. Comme tout devient facile quand les
yeux ont été ouverts, mais comme tout semble incompréhensible quand la
vue spirituelle est encore absente ou simplement trouble et sans acuité. La
Nature, dans sa générosité infinie, a pourvu l'homme, sur les plans
extérieurs, de facsimilés de ses fonctions intérieures. En vérité, ceux qui ont,
des yeux peuvent voir et ceux qui ont des oreilles peuvent entendre.
Qu'il est ardent notre désir de porter secours à l'Âme souffrante, dans
ses heures de cruelle épreuve et de morne obscurité ! Mais – l'expérience le
montre à ceux qui ont, traversé de semblables [47] tribulations – il est bon
qu'ils n'aient pas alors senti le secours, toujours donné pourtant, et qu'ils
aient été accablés par le triste sentiment de leur isolement, de leur abandon
complet. S'il en était autrement, l'épreuve perdrait la moitié de son
efficacité ; la force et la connaissance qui résultent de chacune de ces
tribulations ne pourraient s'acquérir qu'après des années de tâtonnements et
de pas chancelants. La loi d'Action et de Réaction est partout en vigueur…
Celui dont la dévotion est complète, c'est-à-dire qui, en acte comme en
pensée, consacre toute son énergie et tout ce qu'il possède à la Divinité
Suprême et, réalisant son propre néant, sait que sa séparation d'avec autrui
est une idée fausse – celui-là seul est garanti contre l'approche des
puissances ténébreuses et protégé contre tous les dangers qui menacent son
Âme. Le passage de la Gitâ auquel vous pensez doit être interprété comme
signifiant que personne, une fois le sentiment de la dévotion éveillé en lui,
ne peut retomber pour toujours. Mais il n'y a pas de garanties contre des
aberrations momentanées. À vrai dire, tout être vivant, depuis l'Ange le plus
exalté jusqu'au plus [48] humble protozoaire, est sous la protection du Logos
de son système et, passant par des degrés et des modes d'existence divers,
retourne dans Son sein, pour y gouter pendant une éternité la félicité du
Moksha 8.
*
* *
Le dehors révèle toujours le dedans à l'œil qui sait voir. Les lieux et les
hommes sont donc toujours intéressants. Et puis, le dehors n'est pas aussi
méprisable qu'on est tenté de le croire après l'intensité du premier Vairâgya
ou dégout pour les apparences. S'il l'était, toute la création serait une folie et
une dépense d'énergie sans objet. Mais, vous le savez, il n'en est pas en
réalité ainsi. Il y a, d'autre part, une profonde et saine philosophie, même
dans ces manifestations et ces vêtements extérieurs illusoires. Carlyle, dans
son Sartor resartus, a esquissé quelques traits de cette philosophie. Alors
pourquoi se détourner, avec écœurement et horreur, même du plus extérieur
de ces déchets ? Les robes mêmes qui masquent [49] la Suprême Divinité
ne sont-elles pas pour nous sacrées et pleines de grandes leçons ? Vous le
dites avec raison toutes choses, les belles comme les viles, ont leur place

8
Ou Nirvânâ. (NDT)
appropriée dans la Nature et constituent, par leurs différences mêmes et leur
variété, la perfection du Suprême Logos.
*
* *
Pourquoi faut-il que la communication avec le monde intérieur soit
interrompue, nous laissant à la tristesse et au découragement ? Parce que
l'extérieur a encore des leçons à donner. Une de ces leçons est que lui aussi
est divin dans son essence, divin dans sa substance et divin dans ses
méthodes et que, pour cette raison, vous devez l'envisager avec plus de
sympathie. D'autre part, la tristesse et la mélancolie ont leur utilité et leur
philosophie. Elles sont aussi nécessaires à l'évolution et à l'éclosion de
l'Âme humaine que la joie et la gaieté. Cependant elles ne sont nécessaires
que dans les premières périodes de notre croissance et, ne servent plus quand
le Soi s'est épanoui et a ouvert son cœur au Soleil Divin. [50]
*
* *
Vous savez comment l'évolution travaille. Nous commençons sans
sensation d'aucune sorte. Graduellement nous la développons et, à un certain
moment de notre pèlerinage, nous la possédons de la manière la plus intense.
Puis vient une période pendant laquelle la sensation est considérée comme
Maya. Elle commence ainsi à décroitre et la connaissance prend le dessus.
Enfin toute sensation est consumée par la connaissance et nous avons la paix
absolus non pas la paix dans l'ignorance comme au début de notre vie dans
le règne minéral, mais la paix dans l'omniscience – la paix, non pas dans une
apathie complète semblable à la mort, comme nous la voyons dans les
pierres, mais dans la vie absolue et l'amour absolu. C'est ici qu'est le repos,
car c'est la source de toute vivification et de bénédictions répandues sur
l'Univers entier. Mais les extrêmes se touchent et ainsi, à un certain point de
vue, le commencement et la fin se rencontrent. [51]
*
* *
Je voudrais rendre clairs deux points :
1. que des psychiques laissés à eux-mêmes courent toujours le risque
de prendre pour des ordres du Maitre ce qui, en réalité, a été dit par
l'ennemi ;
2. que le Maitre ne dit, rien que l'intelligence de ses auditeurs ne
puisse saisir ou qui révolte leur sens moral.
Les paroles du Maitre, quelque contraires qu'elles puissent être aux idées
précédentes, ne manquent jamais d'apporter la conviction la plus absolue à
l'intelligence comme au sens moral de celui qui les reçoit. Elles viennent
comme une révélation, rectifiant une erreur qui parait immédiatement
comme telle. Elles font irruption comme une colonne de lumière dispersant
les ombres. Elles ne font pas appel à la crédulité ni à la foi aveugle.
*
* *
Vous savez comment l'ennemi a travaillé contre nous et, si notre
dévotion envers les Maitres ou l'accomplissement des devoirs qu'il leur a plu
de nous confier sont insuffisants, il nous donnera un mal infini. Mais ceci
nous importe peu. Nous [52] pouvons l'endurer très patiemment et sans
perdre notre équilibre. Ce qui nous torture et détruit en nous la paix, c'est la
séparation violente d'avec nos Seigneurs dont nous sommes parfois
menacés. Rien d'autre ne peut nous tourmenter, – ni la douleur personnelle,
ni les pertes matérielles, malgré leur grandeur. Car nous savons, à n'en
pouvoir douter, que tout ce qui est personnel est transitoire et passager, que
tout ce qui est physique est illusoire et faux et que la folie et l'ignorance
seules pleurent ce qui appartient au monde des ombres.
*
* *
Le disciple a peu à gagner des enseignements donnés sur le plan
intellectuel. La connaissance qui, de l'Âme, descend en s'infiltrant dans
l'intelligence, est la seule connaissance digne d'être acquise, et certainement,
à mesure que les jours s'écoulent, la connaissance amassée par le disciple
augmente. À l'augmentation de cette connaissance correspond l'élimination
de tout, ce qui entrave sa marche dans le Sentier. [53]
*
* *
La souffrance est un sentiment auquel s'accoutume toute personne
vivant de la vie de l'Esprit. Nous savons que la souffrance ne peut durer
toujours et même s'il en était autrement, cela n'aurait pas une très grande
importance. Nous ne pouvons espérer rendre de services ni à Eux ni à
l'Humanité, sans prendre, notre large part de la souffrance causée par les
ennemis. La colère de ces Monarques des Ténèbres est quelquefois terrible
à affronter et la Mâyâ qu'ils créent cause une véritable épouvante. Mais un
cœur pur n'a rien à craindre. Il est certain de triompher. Le disciple ne doit
pas s'affliger de la souffrance et de l'illusion momentanées qu'ils cherchent
à faire naitre. Ils sembleront parfois tout détruire en lui. Le disciple s'assied
alors sur les ruines de lui-même et attend, avec calme le moment où la Mâyâ
asurique sera évanouie. Il doit toujours laisser fondre sur lui la vague du
doute et de l'inquiétude en se cramponnant à l'ancre qu'il a trouvée. L'ennemi
ne peut lui causer aucun dommage réel ou sérieux, tant qu'il Leur demeure
[54] dévoué de toute son Âme et de toute sa force. "Celui qui Me reste
attaché, traverse aisément l'océan de la mort et du monde, avec Mon aide."
*
* *
Rien ne peut arriver au disciple qui ne soit pour son plus grand bien. Du
moment qu'une personne se met, de propos délibéré, entre les Mains de nos
gracieux Maitres, Ils veillent à ce que tout arrive au bon moment – celui qui
assurera les plus grands avantages au disciple comme au monde. Il faut donc
prendre tout ce qui vient avec un esprit satisfait et serein et "ne pas prendre
souci du lendemain"… La barque ballotée sur une mer furieuse est plus
paisible que la vie du pèlerin en marche vers le sanctuaire de l'Esprit. Une
vie paisible signifierait la stagnation et la mort pour l'homme qui n'a pas
acquis le droit à la paix par la destruction complète de l'ennemie – la
personnalité.
*
* *
Il ne faut pas tomber dans les erreurs commises par les ignorants. Tout
Amour véritable est un [55] attribut de l'Esprit. Prânâ et Bhakti, ces deux
aspects de la Prakriti (Nature) Divine, rendent digne d'être vécue la vie de
celui qui aspire aux eaux de l'immortalité. Dans la nuit orageuse de la vie du
disciple, la seule lumière vient de l'Amour, car l'Amour et Ananda (le
Bonheur) sont, pris dans le sens le plus élevé, identiques. Plus l'Amour est
pur et spirituel, plus il partage la nature d'Ananda et, moins il est mélangé
d'éléments hétérogènes. Le saint amour témoigné par les Maitres est seul
d'une sérénité si majestueuse qu'il n'y a rien en lui qui ne tienne du Divin.
*
* *
Le bon sens et l'économie sont tout aussi nécessaires en Occultisme
qu'ailleurs. Par le fait, dans la vie de l'Occultiste, toutes les facultés de
l'esprit humain regardées comme des vertus, dans le sens ordinaire du terme,
sont mises en jeu et exercées au plus haut point, et leur présence est
nécessaire dans la véritable vie qui, seule, fait un disciple. Il est moins aisé
d'aider ce monde que beaucoup ne se l'imaginent, y est-il même pour cela
beaucoup plus de travailleurs disponibles. Le savoir [56] n'est pas seul
demandé au disciple. Ouvrez les yeux et réfléchissez avant de déclarer que
le savoir et la dévotion de quelques-uns peuvent hâter la marche des temps.
Pas une seule tentative ne peut être faite sans provoquer dans l'autre camp
une hostilité furieuse. Or, le monde serait-il dès maintenant, capable de
survivre à la réaction ? Vous comprendrez combien sont sages nos
Seigneurs de ne pas aller plus loin, si vous avez su profiter de tout ce que
vous avez vu.
*
* *
Quelle valeur aurait l'existence si nous ne devions souffrir – souffrir
pour rendre le monde qui gémit autour de nous un peu plus pur, souffrir pour
puiser un peu plus à la source de vie et apaiser la soif de quelques lèvres
altérées ? Cela est un fait sans la souffrance attachée au disciple qui marche,
les pieds saignants, dans le Sentier, il pourrait s'égarer et perdre de vue le
but sur lequel son regard doit toujours être fixé. La Mâyâ du monde
phénoménal est si trompeuse si ensorcelante, qu'à mon avis l'élimination de
la souffrance serait inévitablement suivie de l'oubli des [57] réalités de
l'existence et, avec la disparition de l'ombre de la vie spirituelle, sa lumière
s'évanouirait aussi. Tant que l'homme ne se sera pas transformé en Dieu, il
est vain de s'attendre à la Puissance ininterrompue du bonheur spirituel.
Dans les moments de son absence, la souffrance seule empêche le disciple
de broncher et le sauve de la mort qui l'atteindrait surement s'il oubliait les
vérités du monde spirituel.
*
* *
Le disciple ne devrait éprouver ni trouble, ni surprise, quand les forces
spirituelles dirigées contre lui par l'autre camp trouvent leur champ d'action
sur un plan plus élevé que celui de l'intellect physique. Des braises, mourant
dans quelque interstice invisible et inconnu de sa propre nature, peut, il est
vrai, dans cette lutte, jaillir de nouveau la flamme ; mais c'est une de ces
flammes qui éclairent la destruction finale de quelque faiblesse à consumer.
Tant que la souillure causée par la personnalité n'a pas été absolument lavée,
le vice, dans ses formes multiples, peut trouver un asile dans quelque
chambre inhabitée du cœur [58] bien qu'il puisse ne pas trouver son
expression dans la vie mentale. Et la seule manière de rendre immaculé le
sanctuaire du cœur est de laisser la lumière exploratrice pénétrer dans les
coins obscurs et d'assister, avec calme, l'œuvre de destruction. Le disciple
ne doit pas se laisser épouvanter par ce travail purificateur, quelles que
soient les monstruosités qu'il puisse être appelé à contempler. Il doit serrer
étroitement les Pieds de Celui qui habite le champ où se consuma tout ce
qui est matériel. Il n'a plus, alors, à éprouver de crainte ni d'inquiétude. Il a
foi en Ceux qui protègent et qui aident et peut bien laisser les luttes du plan
spirituel à Leur surveillance et, à Leur direction. Une fois sorti du cycle
obscur, il reconnaitra de nouveau combien l'or a d'éclat quand les impuretés
ont été brulées.
*
* *
Dans cette sphère terrestre où nous vivons, comme sur d'autres plans
d'existence, la nuit alterne avec le jour. Sous la lampe même il y a de
l'ombre. Chose étrange cependant ! Les hommes cultivés et savants
s'imaginent qu'avec les progrès [59] de la Science, de la Science grossière
et matérialiste, toutes les misères, celles de l'individu, des races, des nations,
cesseront pour toujours ; que la maladie, la sècheresse, la poste, la guerre,
l'inondation, – que dis-je ? – les cataclysmes eux-mêmes, appartiendront
tous un jour à un passé reculé !
*
* *
L'intérêt que nous portons à toutes les affaires de cette sphère trompeuse
est seulement du domaine des émotions et de l'intellect ; il ne peut toucher
l'Âme. Tant que nous nous identifions avec le corps et l'entendement, les
vicissitudes que subit la Société Théosophique, les dangers qui menacent sa
vie ou l'union de ses membres font forcément naitre dans nos esprits un
découragement qui touche même parfois à l'affolement. Mais, dès que nous
commençons à vivre dans l'Esprit, à réaliser la nature illusoire de toute
existence extérieure, le caractère changeant de toute organisation humaine
et l'immutabilité de la Vie en nous, nous arrivons nécessairement – que la
conscience cérébrale réfléchisse cette notion ou non – à éprouver un calme
intérieur [60] une sorte d'indifférence pour ce monde d'ombres, et à ne plus
être émus par les révolutions et les éruptions de cette terre. Quand l'Égo
Supérieur est atteint, l'assurance que les Lois et les Puissances qui
gouvernent l'univers sont infiniment sages devient instinctive et la paix au
milieu des convulsions extérieures est infaillible.
*
* *
Pour parler d'une manière très large, on peut, sur le plan où nous vivons,
envisager à trois points de vue différents la misère humaine en général. On
peut, par exemple, la regarder :
1. comme une épreuve du caractère ;
2. comme un agent de rétribution ; et
3. comme moyen d'éducation dans l'acception la plus ample du terme.
À ces différents points de vue, je dirais que la "torpeur" morale éprouvée,
de temps à autre, par tous les aspirants est à la souffrance aigüe ce que le
régime cellulaire est à l'emprisonnement avec travaux forcés. La
comparaison est sans doute fort triviale, mais elle me semble très suggestive
et j'ai trouvé l'analogie d'un grand secours pour comprendre les propositions
abstraites et subtiles. De là cette [61] manière d'expliquer ma pensée. D'autre
part, toutes les forces, ici-bas, travaillent à l'évolution d'une humanité plus
rapprochée de la perfection, et ce n'est, que par le développement
harmonieux de toutes nos facultés supérieures et de nos vertus les plus
nobles que nous pouvons atteindre la perfection. Ce développement
harmonieux n'est possible que par l'exercice de ces facultés et de ces vertus,
et leur exercice, à son tour, a besoin de conditions particulières pour chaque
attribut distinct. La souffrance intense positive n'est pas la même épreuve,
n'a pas la même utilité, ne met pas en jeu les mêmes capacités et les mêmes
mérites humains, que le vide intérieur, inerte et morne. La patience,
l'endurance passive, la foi, la dévotion, se développent bien mieux dans les
ténèbres mentales que dans une lutte vive et chaude. La loi d'action et de
réaction subsiste sur le plan moral, et les vertus éveillées par cet
"engourdissement" mental sont précisément les meilleures armes pour le
combattre et pour le vaincre. Or ce n'est assurément pas avec celles-ci que
vous affrontez la véritable douleur, même la plus cruelle. Encore un mot,
sur ce point et je [62] passe. Cet état d'esprit montre que le pèlerin est sur la
limite séparant, le connu de l'inconnu, avec une tendance bien nette à
pencher vers le second. Il indique un degré de croissance spirituelle défini
et caractérise la période où l'Âme, dans sa marche en avant, a vaguement, et
pourtant à ne pas s'y tromper, réalisé la nature illusoire du monde matériel,
est mécontente et dégoutée des objets grossiers qu'elle voit et connait, aspire
enfin à des objets plus réels et à un savoir plus solide.
L'explication qui précède, bien que trop brève et décousue, vous fera,
j'espère, comprendre clairement l'utilité, dans l'économie naturelle, de
Vairâgya – de ce sentiment qu'il n'y a aucune vie et aucune réalité ni en vous
ni dans le monde qui vous entoure – et vous montrera comment il sert de
pierre de touche à la fermeté morale et à la sincérité ; comment, sous l'aspect
d'une punition, il est l'antidote de l'égoïsme intellectuel – de l'erreur
philosophique qui identifie le Soi avec la personnalité – de la folie qui
cherche à nourrir l'Âme de grossiers aliments matériels ; comment, de plus,
elle développe ou, mieux, tend à développer la foi et la dévotion véritables
et [63] éveille la Raison supérieure et l'Amour du Divin.
Du plus haut au plus bas la vie est une alternative de repos et de
mouvement, de lumière et d'obscurité, de plaisir et de douleur. Aussi, ne
laissez jamais votre cœur s'affaisser dans le désespoir ou s'abandonner à un
courant de pensée adverse. Vous vous êtes prouvé à vous-même,
intellectuellement, et maintenant vous saisissez par l'expérience le caractère
spectral, irréel, des objets perçus par les sens et même par l'entendement, et
la nature éphémère de toutes les jouissances physiques et émotionnelles.
Suivez donc obstinément, le sentier qui vous amènera en vue de la vie
réelle, malgré toute la rudesse des régions à franchir, malgré toute la tristesse
des déserts à travers lesquels il se déroule de temps à autre. Avant tout, ayez
foi dans les Êtres Miséricordieux, dans nos Maitres pleins de Sagesse ;
consacrez-vous à Leur service de tout votre cœur et de toute votre âme et
tout finira bien.
*
* *
Tout ce qui est nécessaire pour extirper un vice quelconque, c'est : [64]
1. De savoir exactement, ce qu'est, le vice lui-même ;
2. De reconnaitre, de sentir vivement, que c'est bien un vice, que
l'entretenir est déraisonnable et que sa valeur est nulle ; et enfin
3. De vouloir le "tuer en l'arrachant".
Cette volonté pénètrera dans la région sous-consciente habitée par ce
vice et, lentement mais surement, le supprimera.
*
* *
La véritable tranquillité d'esprit n'est jamais le résultat de l'indifférence
et de la nonchalance, mais ne peut s'obtenir qu'en arrivant à la connaissance
d'une sagesse plus haute et plus profonde.
*
* *
Le disciple – même le plus humble – faisant partie de leur Haute Loge,
doit vivre dans l'Éternel et sa vie doit être une vie d'Amour Universel ;
autrement, il lui faut renoncer à ses aspirations les plus élevées. Le service
actif que tout disciple doit rendre au monde varie avec les catégories
d'étudiants. Il est déterminé par la nature particulière [65] et les capacités de
chacun. Vous savez, naturellement que tant que la perfection n'est pas
atteinte, la variété doit être maintenue, même dans le genre de service qu'un
chelâ est appelé à rendre.
*
* *
Il est tout simplement impossible d'exagérer l'efficacité de la Vérité,
dans toutes ses phases et dans toutes ses applications, pour hâter l'évolution
et le progrès de l'Âme humaine. Il faut aimer la Vérité, chercher la vérité et
vivre la Vérité. C'est, la seule manière dont, la Lumière Divine, qui est la
Vérité Sublime, puisse être vue par l'étudiant en Occultisme. Là où se
manifeste le moindre penchant à la fausseté, sous quelque forme que ce soit,
là sont l'obscurité et l'ignorance et leur enfant – la douleur. Et ce penchant à
la fausseté appartient, sans aucun doute, à la personnalité inférieure. C'est
ici que nos intérêts sont en conflit ; c'est ici que la lutte pour l'existence est
la plus acharnée ; c'est ici, par conséquent, que la lâcheté, l'absence
d'honneur et la fraude peuvent se manifester. [66]
Les "signes et les symptômes" du jeu de cette personnalité inférieur ne
peuvent jamais échapper à celui qui aime sincèrement la Vérité, qui cherche
la Vérité et dont la conduite a pour base la dévotion aux Grands Êtres. À
moins que le cœur ne soit pervers, les doutes concernant la légitimité d'une
action quelconque ne manqueront jamais d'élever la voix. Alors le véritable
disciple se demandera : "Mon Maitre me verra-t-il volontiers faire telle ou
telle chose ?" Ou bien : "Est-ce sur Son ordre que j'ai agi ainsi ?". La réponse
véritable viendra bien vite et, opprimant à s'amender et à mettre ses désirs
en harmonie avec la Volonté Divine, le disciple atteindra la sagesse et la
paix.
*
* *
La Théosophie n'est pas une chose qu'on puisse imposer et enfoncer à
coups de marteau, bon gré mal gré, dans la tête ou le cœur de personne. Il
faut l'assimiler, à loisir, au cours naturel de l'évolution, et la respirer dans
l'air ambiant. Autrement on se donnera – pour employer une expression
vulgaire – une indigestion. [67]
*
* *
En commençant, à sentir la croissance de l'Âme, on goute le calme que
nul évènement extérieur ne semble pouvoir troubler. Ceci, encore, est la
meilleure preuve de développement spirituel, et l'homme qui éprouve ce
sentiment, même de la façon la plus faible et, la plus vague, n'a plus besoin
d'être témoin d'aucun phénomène Occulte.
Dès le début de mon noviciat, j'ai été habitué à compter plus sur le calme
intérieur que sur n'importe quel phénomène des plans physique, astral ou
spirituel. D'ailleurs, étant données des conditions favorables et le sentiment
de sa propre force, moins on voit, de phénomènes, plus il est facile de faire
des progrès spirituels véritables et, sérieux. Mon humble conseil est donc de
vous appliquer sans cesse à développer le calme intérieur et à ne pas vouloir
connaitre le mécanisme de ce développement. Si vous êtes patient, pur et,
dévoué, vous saurez tout, en son temps ; mais souvenez-vous toujours que
le contentement parfait et résigné est l'âme de la vie spirituelle. [68]
*
* *
Progrès spirituel ne signifie pas toujours bonté et abnégation, bien
qu'avec le temps vos vertus doivent certainement l'avoir pour conséquence.
*
* *
Il est vrai qu'il y a, dans le désir de gagner l'affection de ceux qui nous
entourent, un vestige de personnalité. Si nous l'éliminions, nous serions des
Anges. Mais il faut nous rappeler que, pendant très, très longtemps, nos
actions présenteront encore une trace légère de sentiment personnel. Il faut
nous efforcer sans cesse de tuer ce sentiment aussi complètement que
possible ; mais, du moment que le "Soi" doit se manifester, il vaut bien
mieux le voir exister comme un facteur inappréciable pour rendre notre
conduite pleine de douceur et d'affection et la faire contribuer à l'intérêt
général, que de voir le cœur s'endurcir et le caractère, en général, devenir
anguleux ; le "Soi" se manifestant ainsi sous des couleurs beaucoup moins
séduisantes et moins belles. Je [69] ne veux pas, par là, suggérer un instant
que nous ne devions pas nous efforcer de laver ce soupçon de tache. Je veux
dire que le vêtement doux et charmant dont sa revêt le mental ne doit pas
être jeté au feu, simplement parce qu'il n'est pas d'une blancheur immaculée.
Il faut nous souvenir que toutes nos actions sont, plus, ou moins, le résultat
de deux facteurs ; le désir d'éprouver un plaisir, et le souhait d'être utile au
monde. Notre effort constant devrait être d'atténuer autant que possible le
premier élément, puisqu'il ne peut, jusqu'à l'extinction du germe de la
personnalité, être éliminé complètement. Ce germe peut être tué par des
moyens que le disciple apprend à connaitre, à mesure qu'il progresse, par la
dévotion et, par les bonnes actions.
*
* *
Les Maitres sont toujours près de ceux de Leurs serviteurs qui,
s'oubliant complètement eux-mêmes, se sont consacrés, corps, intelligence
et âme, à Leur service. Un seul mot affectueux adressé à ceux-ci ne reste pas
sans récompense. À des moments d'épreuve sévère, les Maitres, en [70]
vertu d'une loi bienfaisante, laissent le disciple – homme ou femme –
soutenir son combat sans recevoir de secours d'Eux ; mais quiconque
encourage Leur serviteur à tenir ferme reçoit, sans aucun doute, sa
récompense.
*
* *
En conservant la sérénité et le calme sans passions, il est certain que,
jour après jour, on se rapproche de plus de cette influence qui est l'essence
de la vie, et, un jour, le disciple constatera avec surprise qu'il s'est
merveilleusement développé, sans avoir connu ni suivi les étapes de ce
développement. Car, en vérité, l'Âme, dans son réel épanouissement,
"pousse comme la fleur, inconsciemment", mais gagne en suavité et en
beauté, en absorbant les rayons du Soleil Spirituel. Faire preuve de fidélité
belliqueuse envers une personne ou envers une cause n'est guère louable
chez un disciple et n'est certainement pas un signe de progrès spirituel.
*
* *
Au premier pas, dans presque tous les cas, il [71] semble qu'on dérange
un nid de frelons. Tous les items variés de votre mauvais Karma vous
entourent bien vite comme un nuage épais. Ils étourdiraient et feraient
trembler un homme de pied moins sûr. Mais, quand le seul objet est de
renoncer à la vie elle-même, s'il le faut, pour l'amour des autres, sans penser
à soi, il n'y a rien à craindre. Les secousses elles-mêmes, les hauts et les bas
de ce tourbillon de misères et d'épreuves, donnent la force et, la confiance
et activent la croissance de l'Âme.
*
* *
Souvenez-vous que la souffrance incombant au disciple l'ait partie
intégrante de son instruction et a pour cause première son désir d'étouffer en
lui la personnalité. Plus tard il verra que la fleur de son Âme s'épanouit d'une
manière d'autant plus exquise qu'elle a subi la tempête. L'amour et la grâce
du Maitre compensent, et au-delà, toutes ses souffrances et tous ses
sacrifices. Ce n'est une épreuve que sur le moment, car, à la fin, il trouvera
qu'il n'a rien sacrifié mais tout gagné. [72]
*
* *
L'Amour, sur le plan le plus élevé, ne repose que, sur les sommets
paisibles de la joie, et rien ne saurait jeter une ombre sur cette cime neigeuse.
*
* *
La pitié et la compassion sont les sentiments avec lesquels nous devons
regarder toutes les erreurs humaines. Il ne faut laisser place à aucune autre
émotion, comme la rancune, l'ennui ou la mauvaise humeur. Ces sentiments
peuvent être nuisibles, non seulement à nous-mêmes, mais encore aux
personnes qui se trouvent les avoir fait naitre en nous, mais que nous
voudrions en même temps voir meilleures et définitivement à l'abri de toute
erreur. En nous développant spirituellement, nos pensées deviennent
incroyablement plus fortes en puissance dynamique et ceux-là seuls qui en
ont fait l'expérience savent combien la pensée, même fugitive, d'un Initié
trouve une forme objective. [73]
*
* *
C'est une chose surprenante que la manière dont les Puissances des
Ténèbres semblent balayer, pour ainsi dire, d'un seul coup de vent, tous nos
trésors spirituels les plus précieux, amassés avec tant de peine et de soin,
après les années d'études et d'expériences incessantes. C'est surprenant, car,
en définitive, c'est une illusion et vous vous en apercevez dès que la paix
vous est rendue et, que la lumière renaissante vous éclaire de nouveau. Vous
voyez que vous n'avez rien perdu – que tous vos trésors sont là et que
tempête et pertes sont toutes chimériques.
*
* *
Quelque déchirantes que puissent être vos perspectives, quelque
sombres et, désolés les moments traversés, il ne faut pas un seul instant
laisser place au désespoir, car le désespoir affaiblit l'esprit et nous rend ainsi
moins aptes à servir nos Maitres.
*
* *
Tenez pour certain que les Seigneurs de Compassion [74] gardent leurs
vrais fervents et ne permettent jamais que des cœurs fidèles et des
chercheurs sincères de la lumière restent longtemps victimes d'une illusion.
Les Seigneurs, dans Leur Sagesse, donnent, même en se tenant
momentanément à l'écart, des leçons qui auront leur utilité pour le reste de
la vie.
*
* *
Notre ignorance et notre aveuglement font seuls paraitre notre travail
étrange et incompréhensible. Si nous parvenons à voir les choses sous leur
véritable aspect et, dans leur signification complète et profonde, tout paraitra
absolument juste et équitable et l'expression parfaite de la plus haute raison.
Il n'y a pas, dans l'ensemble de la vie manifestée, la plus petite somme
de souffrance et de peines en excès de ce qu'il faut strictement pour assurer
la plus sublime évolution. C'est le corolaire obligé de la loi de Justice et de
Compassion – la loi du Karma, – gouvernement moral de l'Univers. Chaque
acte d'abnégation accompli au cours de leur évolution par les monades
humaines rend plus [75] fortes les mains des Maitres et vient renforcer, pour
ainsi dire, les Puissances du Bien. Cela deviendra évident avant que nous
redisparaissions, – tout au moins à un grand nombre d'hommes de la race
actuelle.
*
* *
Il ne nous serait pas très utile de savoir exactement et en détail tout ce
qui va nous arriver, car les résultats ne nous regardent pas et nous ne
devrions nous préoccuper que de notre devoir. Du moment que le chemin
est clairement tracé à nos yeux, peu importent les conséquences de nos pas
sur ce plan extérieur. C'est la vie intérieure qui est, la véritable vie et, si notre
foi dans la direction de nos Seigneurs est ferme, il ne faut pas douter un
instant que, malgré toutes les apparences qui peuvent, régner dans cette
sphère illusoire, tout ira bien au dedans et que le monde progressera dans la
voie de son évolution. Il y a assez de réconfort dans cette idée, assez de
bénédictions dans cette pensée, et cela seul devrait suffire à nous faire
accomplir virilement le devoir [76] présent et nous encourager à déployer
plus d'activité et d'efforts.
*
* *
Il y a une grande différence entre celui connait la vie spirituelle comme
une réalité et celui qui en parle sans cesse, mais sans la percevoir, qui
cherche à la saisir et à l'atteindre mais sans pouvoir respirer son souffle
parfumé ni sentir son contact exquis.
*
* *
La sagesse de Ceux qui veillent sur nous surpasse, de beaucoup, tout ce
que nous pouvons imaginer. Si nous parvenons, sur ce point, à rendre notre
foi solide, nous ne nous fourvoierons pas et nous serons certains d'éviter
beaucoup de soucis superflus et pires qu'inutiles. Car la cause première de
beaucoup de nos erreurs pourrait bien être une anxiété et une crainte
exagérées, des nerfs trop tendus, et même un zèle excessif.
*
* *
Vous devez voir maintenant, que la dévotion [77] sans réserve est un
facteur puissant pour hâter la croissance de l'Âme, bien que ceci ne soit ni
observé, ni compris sur le moment, et vous ne me blâmerez pas si je vous
dit d'abandonner tout désir de phénomènes, de connaissances du domaine
spirituel, de puissance psychique et d'expériences anormales. Car, dans la
lumière sereine du soleil de paix, chacune des fleurs de l'Âme sourit et voit
s'enrichir les couleurs radieuses qui lui sont propres. Et puis, un jour vient,
où le disciple stupéfait découvre la beauté et, le parfum délicieux de chaque
fleur, se réjouit et, dans sa joie, sait que la beauté et l'éclat viennent du
Seigneur qu'il a servi. La manière dont, l'Âme croît n'est pas le banal et
détestable article que connaissent les amateurs de pseudo-Occultisme. C'est
une chose mystérieuse, si douce, si subtile que personne ne saurait en parler.
On ne peut que la connaitre – en servant.
*
* *
Vous avez savouré quelques gouttes des eaux délicieuses de la Paix et,
elles vous ont donné de la force. Sachez, maintenant et à jamais, que [78]
dans le calme de l'Âme se trouve la vraie connaissance et que, de la divine
tranquillité du cœur, découle la puissance. L'expérience de la paix et de la
joie célestes est donc la seule véritable vie spirituelle et croissance dans la
paix est, seule, synonyme de croissance de l'Âme. Être témoin, par les sens
physiques, de phénomènes anormaux ne peut qu'exciter la curiosité sans
contribuer notre développement. La dévotion et la paix constituent
l'atmosphère propre de l'Âme et plus elles sont grandes en vous, plus
abondante sera la vie de votre Âme. Prenez donc toujours avec confiance
les expériences du Soi Supérieur comme pierre de touche de vos propres
progrès et aussi des réalités du monde spirituel, et, n'attachez pas
d'importance à des phénomènes physiques qui ne sont, et ne pourront jamais
être, une source de force et de calme.
*
* *
Les humbles et dévoués serviteurs des Maitres forment, en réalité, une
chaine par laquelle chaque maillon se rattache aux Êtres Compatissants. La
solidité de l'attache entre un maillon et celui qui [79] lui succède représente
donc la force de la chaine qui nous élève sans cesse vers Eux. Aussi ne faut-
il jamais tomber dans l'erreur, si fréquente, de regarder comme une faiblesse
un amour qui tient de si près au divin. L'amour ordinaire lui-même, s'il est
réel, profond et désintéressé, est la manifestation la plus haute du Soi
Supérieur. Si l'on y persévère avec constance et désir de se sacrifier, il finit
par amener à une réalisation plus claire du monde spirituel, mieux qu'aucune
autre action ou émotion humaine. Que sera-ce donc d'un amour qui a pour
base une aspiration commune vers le Trône de Dieu, une même prière de
pouvoir souffrir pour l'humanité ignorante et plongée dans l'erreur, et un
engagement réciproque de sacrifier son bonheur et sa tranquillité personnels
pour mieux servir Ceux qui élèvent sans cesse le rempart de Leurs
bénédictions entre les terribles forces du mal et l'orpheline sans défense…
l'Humanité.
… Mais les idées du monde sont toutes dénaturées par l'égoïsme et la
bassesse de la nature humaine. Si dans l'amour il y a de la faiblesse, je ne
sais pas où est la force. La vraie force ne [80] consiste pas à lutter et à faire
opposition ; mais sa toute-puissance est dans l'amour et la paix intérieure. Il
faut donc que l'homme désireux de vivre et de croitre aime toujours et
souffre pour son amour.
*
* *
Quand ce monde, dans son ignorance et son infatuation aveugles, a-t-il
rendu pleinement justice à ses véritables sauveurs et à ses serviteurs les plus
dévoués ? Il nous suffit d'avoir les yeux ouverts et d'essayer ainsi de dissiper
autant que possible les illusions de ceux qui nous entourent. Notre désir que
chacun ait des yeux pour voir et reconnaitre la Puissance qui travaille à sa
régénération ne sera pas satisfait, tant que les ténèbres actuelles, couvrant
comme un noir rideau la vision spirituelle ne seront pas entièrement
dissipées.
PAIX À TOUS LES ÊTRES

FIN DU LIVRE

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