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LE CRISTAL DES DIEUX

Tome 1

LES SURVIVANTS D’HULLIA

ANTONIO MENDOZA
Copyright © 2012 Antonio Mendoza

Tous droits réservés.


ISBN : 9781690620297
TABLE DES MATIÈRES

1 Le module mémoriel 7

2 Le Cristal des Dieux 29

3 Traqué 47

4 Sombres évènements 61

5 Les anciens 97

6 Andalucía 155

7 Révélations 183

8 Purullena 223

9 Vanessa 265

10 Le bal du village 283

11 Un monde nouveau 309

12 Extrait du tome 2 341


« J’espérais que ce que je sais, ou crois savoir de
l’homme me permettrait de mieux le situer dans cet
univers tout nouveau et qui nous laisse pantelants
d’admiration. —... — Pendant que l’on cherche à
comprendre, le temps passe et la vie avec lui. »

Henri Laborit
LE MODULE MÉMORIEL

Des silhouettes sombres marchaient d’un pas


pressé sous une pluie torrentielle. J’attendais
impatiemment que le feu pour piétons devienne
vert. Sur le trottoir, près de moi, un homme au
visage à moitié dissimulé sous son énorme
parapluie blasphémait contre le mauvais temps. Je
le regardais discrètement en me disant qu’il avait de
la chance de rester au sec, je n’avais pas pris le mien
et le parking se trouvait à plus de cinq cents mètres.
Un couple arriva, resta quelques secondes près de
nous, puis partit se réfugier avec hâte dans un bar
juste à côté. Je jetais un coup d’œil à ma montre, il
était presque vingt et une heures. Le changement du
feu tricolore me sembla étonnamment long.
Laissant le gars râleur derrière moi, je décidais de
suivre l’exemple du couple et rentrais dans le bar.
Je m’installais à une table et commandais un café.
Je me réchauffais les mains avec la tasse de café
fumante en observant à travers la baie vitrée, la rue
balayée par le déluge.
Je me surpris à penser au boulot, alors que je
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Les survivants d’Hullia

venais de passer toute l’après-midi et une bonne


partie de la soirée devant l’écran de l’ordinateur.
J’avais vraiment besoin de congés, j’étais fatigué, et
mes horaires de travail empiétaient trop souvent sur
mon temps libre. Je travaillais à Perpignan, dans un
cabinet d’architecte. Mon travail consistait à
réaliser des plans informatiques avec des vues en
3D, afin que les clients puissent visiter
virtuellement le projet de leur future demeure. Je
tentais de me changer les idées en pensant aux
vacances. J’aimerais tant m’échapper vers un autre
pays, comme la Grèce ou l’Italie, et visiter leurs
temples et leurs musées. J’étais particulièrement
attiré et intrigué par tout ce qui touche la mythologie
et les mystères des anciennes civilisations. Ou alors,
dans le sud de l’Espagne... j’avais souvent rêvé de
découvrir ses fabuleuses tavernes à tapas et son
folklore andalou. Mais j’aurais aimé être
accompagné afin de partager ces moments.
Malheureusement, j’étais célibataire et le fait de
partir seul m’ennuyait un peu.
Il faut dire que depuis quelques années, je ne
sortais quasiment plus, étant donné que mes amis
étaient à présent tous mariés. Ils me présentaient
parfois des connaissances, mais aucune d’entre elles
ne m’attirait particulièrement... Je demandais peut-
être trop, car je cherchais autre chose... l’amour, le
vrai... celui qui fait perdre la tête... oui... à vrai dire,
celui que l’on espère tous.
Je repris mes esprits et observais la rue par la
vitrine, la grosse averse avait laissé la place à une
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fine bruine. Je payais mon café et sortais de


l’établissement avant que la pluie retombe.
Finalement, c’est ce qui se passa à quelques minutes
du parking souterrain. Je rentrais dans ma voiture,
trempé comme une soupe. C’était une sensation
vraiment désagréable de sentir les vêtements
humides sur soi. Et cette pluie diluvienne qui
s’abattait sur le parebrise en réduisant fortement
l’efficacité des essuie-glaces n’arrangeait pas la
situation... surtout avec la buée qui s’accumulait à
l’intérieur. Je conduisais prudemment, impatient de
parcourir les seize kilomètres qui me séparaient de
la maison.

Je sortais de la salle de bain et passais une robe


de chambre à mailles polaires. J’avais faim, mais il
était tard pour cuisiner... je réchauffais un plat
surgelé au micro-ondes, me servis une bière, et
m’installais devant la télé. Le film avait l’air
intéressant, mais las des publicités interminables, le
sommeil me gagna et je finis par m’assoupir
quelques instants.
J’ouvris les yeux pour découvrir que j’avais
perdu le fil de l’histoire. J’éteignais le téléviseur,
l’appartement se retrouva dans la pénombre. La
clarté de l’astre lunaire pénétrant par la baie vitrée
teignait les murs et les meubles d’une couleur
blafarde et orangée, prodiguant aux objets un relief
étrange, presque surnaturel. Je me rendis sur la
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Les survivants d’Hullia

terrasse pour fumer une cigarette. L’orage était


passé, les nuages se dissipaient doucement tandis
qu’un vent frais se levait. Un frisson me parcourut
les bras.
J’habitais au troisième et dernier étage d’un petit
immeuble au bord de la plage. J’avais acheté cet
appartement et avais fait des travaux quelques
années auparavant. J’avais abattu toutes les
cloisons, pour ne laisser qu’une vaste pièce à vivre.
Les deux étages inférieurs appartenaient à d’autres
propriétaires, ils les destinaient à la location
saisonnière. Le rez-de-chaussée était un grand
garage collectif.
Accoudé à la rambarde de métal, je contemplais
la lune, immense et basse sur l’horizon aquatique.
Son reflet se scindait sur les vagues sombres et
mouvantes.
Sous la lumière des réverbères éclairant l’allée
qui longeait la plage, un couple se promenait main
dans la main. J’allumais une cigarette, puis
recherchais du regard les deux amoureux. Ils
s’embrassaient langoureusement près d’une barque
de pêcheur échouée sur le rivage.
Un sourire aux lèvres, je passais la baie vitrée
avec l’intention d’aller me coucher. Quand soudain,
un crissement de pneus retentit dans la nuit.
« Encore des jeunes fous du volant ! » me dis-je.
Cela arrivait fréquemment ces derniers temps, la
nouvelle route longeant la Côte Radieuse était large
et rectiligne, cela incitait quelques jeunes
conducteurs intrépides à venir se divertir dans le
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Le Cristal des Dieux 1

coin.
J’étais sur le point de refermer la porte
coulissante lorsque j’entendis un choc sourd suivi
de grincements de tôles froissées et de fracas de
verres brisés. Cette fois, la curiosité me piqua et je
me rendis sur le côté de la terrasse. L’accrochage
s’était déroulé à une cinquantaine de mètres de la
maison. La clarté des lampadaires m’aida à
distinguer la scène.
Une berline grise de marque japonaise s’était
encastrée dans le parechoc arrière d’un gros SUV
noir. Un homme aux cheveux blancs, sans doute un
vieil homme, vêtu d’une chemise claire, tentait de
s’extirper avec peine de la voiture. Entre-temps, la
porte latérale du véhicule s’ouvrit brusquement et
un type, genre armoire à glace, sauta à terre et
l’interpella en pointant son arme. L’homme aux
cheveux blanc avait réussi à se dégager de la voiture
cabossée. Il s’arrêta et serra une mallette contre lui
comme s’il voulait la protéger. La portière côté
passager du SUV s’ouvrit et un homme grand en
sortit. Il s’avança lentement vers le vieil homme, en
le menaçant lui aussi de son arme. Le vieux
monsieur posa sa mallette sur le sol avant de lever
ses bras en signe de reddition. Le gars costaud
s’approcha et ramassa la mallette pour la remettre à
son acolyte. Ce dernier lui fit un geste de la tête puis
fit demi-tour et remonta avec la mallette dans son
véhicule. L’homme de main pointa de nouveau son
arme et tira sans hésiter, la victime s’effondra
aussitôt.
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Un cri aigu retentit soudain. « Le couple de la


plage..., » me dis-je.
L’assassin regarda autour de lui, mais ne voyant
personne, il tira à nouveau sur la victime puis
remonta avec hâte dans le SUV. Le véhicule
s’éloigna rapidement.
La cruauté de la scène me donna froid dans le
dos. Je pris aussitôt le téléphone et composais le 17
pour signaler l’homicide.
La personne au bout du fil, me posa des tas de
questions sur mon identité et mon domicile. De quoi
perdre patience.
— Je vous redis mon nom encore une fois... je
m’appelle Marcos Tony... Je suis à Canet Plage, sur
la route vermeille, près de la statue du levant !
Mais... mais qu’importe comment je m’appelle...
Envoyez vite une ambulance... un crime a été
commis et la victime se vide de son sang !

J’arrivais sur les lieux quelques minutes plus


tard. La voiture était emboutie de tous les côtés. Des
morceaux de verre gisaient sur le sol, et du liquide
de refroidissement moteur s’écoulait du véhicule. Je
vis le couple s’approcher de la scène avec prudence.
En m’apercevant, la jeune fille affolée me lança.
— Il faut alerter la police !
— C’est fait, ils arrivent, enfin j’espère...
— Nous avons tout vu... Le type balaise l’a
abattu de sang-froid..., marmonna le jeune homme
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d’une voix tremblante.


— Vous êtes des témoins, mieux vaut rester et
attendre la police.
— Nous ne voulons pas être impliqués dans cette
histoire... ces hommes sont dangereux... Nous
allons partir !
— Je ne peux pas vous retenir.
Le garçon regarda la victime en esquissant une
grimace, puis ils s’enfuirent hâtivement.
Mon attention se porta sur le vieil homme. Il était
encore vivant, mais il respirait avec peine. Ses
cheveux blancs étaient en bataille. Du sang
imprégnait sa chemise et suintait sur le ciment gris
du caniveau. Je me baissais et tentais de le
réconforter.
— Courage, monsieur, les secours arrivent.
— Tony ? Es-tu Tony ? demanda-t-il d’une voix
très faible en ouvrant ses yeux.
— Heu… Oui, mais…
Il regarda le ciel en soupirant. Jamais je n’avais
vu un tel regard. Ses yeux d’un vert très vif
semblaient presque fluorescents. Il tenta de parler,
mais sa voix n’était qu’un murmure. Je devinais
plus que je ne compris.
— « Je suppose que je contemple les étoiles pour
la dernière fois… ce ne peut donc être que toi. »
Je me rapprochais en tendant l’oreille afin de
mieux comprendre. Il s’agrippa à mon épaule et me
tira lentement vers lui. Tandis qu’il se redressait, sa
main glissa vers mon cou.
— Fac sis quod es, Maeltar ! prononça-t-il de sa
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Les survivants d’Hullia

voix très affaiblie.


J’allais lui dire que je ne comprenais pas ses
mots, quand soudain je sentis une douleur aiguë sur
ma nuque.
— Qu’avez-vous fait ? lui demandais-je affolé.
Je tentais de me relever, lorsqu’une sorte de
décharge électrique se répandit dans ma tête, et se
propagea dans ma colonne vertébrale. Je
m’écroulais, incapable de réagir ou de parler. Ma
vue se troubla avant de perdre connaissance.

Lorsque j’ouvris les yeux, j’étais allongé sur le


sol. Le vieil homme était appuyé contre la roue de
la voiture. Il respirait difficilement, mais il me
souriait malgré ses blessures.
— Dieu merci, tu reviens à toi !
— Que m’avez-vous fait ? Comment connaissez-
vous mon nom ?
Il me tendit un mouchoir plié et ensanglanté.
— Je m’appelle Nicolas Kowalski, mais mon
nom ne te dira peut-être rien. Prends ceci, c’est un
module mnésique. Surtout, ne l’égare pas, tu dois le
protéger, quoiqu’il advienne.
— Je ne comprends rien... Pourquoi ai-je l’intime
conviction de vous faire confiance ?
D’un geste hésitant, je saisis le mouchoir. Celui-
ci renfermait quelque chose de solide.
— Tu le dois, Tony... Mais attention, en aucun
cas tu ne dois tenter d’ôter celui que je t’ai implanté.
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Le Cristal des Dieux 1

Je touchais ma nuque endolorie, et sentis un objet


étrange sous mes doigts.
— Implanté ? Mais que m’avez-vous fait ?
— Lorsque tu as perdu connaissance, les
ramifications neuronales du module se sont
connectées à ton hypothalamus et se sont répandues
dans ton encéphale. Active-le, et les réponses
viendront.
— Je ne comprends rien... Quelle est cette chose
qui va s’étendre dans mon crâne ?
— N’ai aucune crainte, ta vie n’est pas en
danger, bien au contraire le module va t’aider à
penser et à réagir beaucoup plus rapidement... mais
je ne t’en dis pas plus, tu découvriras par toi-même
tes nouvelles facultés. Mais avant tout, éloigne-toi,
ne reste pas là. Pars vers le sud !
— Mes facultés ? Mais de quoi parlez-vous ? Et
pourquoi devrais-je partir ? Je vis ici... J’ai ma
maison, mon travail...
— Mon ami, lorsque tout sera clair dans ton
esprit, ces choses-là n’auront plus la même
importance à tes yeux...
— Comment ça... ma vie n’a aucune
importance ?
— Ce n’est pas ce que j’ai dit, Tony... Tu dois te
montrer fort. Pars et retrouve-la. Elle t’attend !
— Elle ? Qui m’attend ?
Le vieil homme s’effondra, sa respiration devint
difficile et saccadée. Je voulais en savoir plus, et je
paniquais à l’idée de voir mourir ce personnage
énigmatique.
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Les survivants d’Hullia

— Restez éveillé, s’il vous plaît... Les secours


arrivent !
Il sembla revenir à lui. Une lueur d’espoir éclaira
ses yeux meurtris par la douleur. Il ajouta dans un
souffle ;
— Méfie-toi de l’homme aux cheveux en brosse
et de ses gorilles... Évite-les... fuis-les... Ces
hommes sont dangereux !
— J’ai vu ça... Mais qui sont-ils ? Ils vous ont
volé une mallette...
— Cette mallette n’était qu’un leurre. Cependant,
ces personnes seront un obstacle pour toi si tu ne
pars pas. Éloigne-toi d’ici au plus vite, mets-toi à
l’abri, active ton module le temps de comprendre
ses fonctions, puis ne traîne pas, rejoins-la !
— D’accord, je ferais ce que vous dites, mais qui
dois-je rejoindre ?
— Ton étoile... ta destinée... notre avenir... Tony,
je dois admettre que j’appréhendais cet instant
depuis bien longtemps, je suis heureux de t’avoir
enfin rencontré. « Fac sis quod es Maeltar ! »
Le vieil homme émit un râle, sa respiration
s’arrêta. Ses yeux se voilèrent tandis que son regard
se perdait dans le ciel étoilé. Je le regardais partir,
sans concevoir l’étrangeté de la situation.
C’était fini. Je ne pouvais plus rien faire pour lui.
Mais je ne pouvais pas rester comme ça, l’esprit
vacant et indécis. Je devais réagir rapidement.

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Le Cristal des Dieux 1

Quelques minutes plus tard, je remontais chez


moi, avec des questions plein la tête.
Je plaçais le mouchoir imprégné de sang sur une
serviette et posais le tout sur la table, en
réfléchissant sur ce qui venait de se passer.
C’est en massant mon cou endolori que mes
doigts tremblants effleurèrent une petite plaque
étroite et dure. Je tentais de l’enlever en
l’accrochant avec un ongle, mais une douleur
lancinante irradia dans mon crâne. J’arrêtais mon
geste et la douleur disparut aussi vite qu’elle était
apparue.
Mon regard tomba sur le mouchoir ensanglanté.
Je le dépliais avec précaution. L’objet légèrement
cintré avait l’apparence d’une barrette à cheveux. Je
le pris entre mes doigts pour essuyer le sang qui le
recouvrait, puis l’examinais de près.
La matière bleue qui le composait était proche du
verre teinté, au centre il y avait une petite
protubérance, mais la similitude avec cet accessoire
à cheveux s’arrêtait là. À l’endroit où aurait dû se
trouver le mécanisme à pinces, je voyais deux
vrilles spiralées dorées, très fines et longues de trois
centimètres chacune.
Un frisson me parcourut le dos en considérant la
longueur des vrilles.
— Mon Dieu, ces choses sont vissées dans ma
tête...
Il n’y avait aucune inscription, seulement un petit
cercle légèrement surélevé. « Quelle étrange
chose..., » me dis-je, en le posant dans le creux de
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Les survivants d’Hullia

ma main.
J’exerçais une légère pression sur la
protubérance. Il se créa une série de petits arcs
électriques entre les vrilles. Celles-ci tournèrent sur
elles même, à la façon d’une foreuse... Les
minuscules décharges électriques se propagèrent
jusqu’au bout de mes doigts.
Quand soudain, l’objet vibra. Surpris, je le
reposais rapidement sur la table en esquissant un
mouvement de recul. Je m’attendais à je ne sais
quelle réaction de cette chose... mais rien ne se
passa.
Je me rendis dans la salle de bain avec l’intention
de voir si la chose que j’avais sur la nuque était
semblable.
L’armoire à pharmacie avait trois portes-miroirs.
En ouvrant les deux extérieurs en parallèle et en
approchant ma tête, je constatais que l’objet que
j’avais sur moi était différent. Il était transparent,
beaucoup plus fin, et ne se distinguait quasiment
pas. Sa transparence mate le rendait presque
invisible. J’avais dû saigner au moment de
l’implantation, car du sang avait imprégné le col de
mon pull.
Quelques mèches de cheveux étaient restées
prises sous le module. Je tirai doucement dessus,
elles glissèrent, en opposant une légère résistance.
Je sentis un picotement accompagné d’une
vibration. L’objet se rapprocha davantage, donnant
l’impression de vouloir s’introduire dans ma nuque.
Mais, je ne ressentis aucune douleur.
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Le Cristal des Dieux 1

Je pris une douche en pensant à la conversation


avec le vieil homme. Puis, je me dis que je pourrais
le montrer à mon médecin et lui expliquer ce qui
m’était arrivé. Mais ce n’était peut-être pas la
meilleure solution. J’enfilais un short et retournai au
salon afin d’examiner de plus près l’autre module.
La matière bleutée était translucide. En le
dirigeant vers la lumière, je pouvais apercevoir la
clarté du lustre au travers de sa masse. À simple vue,
il n’y avait ni circuit électronique ni batterie,
pourtant, ses tiges étaient électrifiées, et il a vibré. Il
m’a demandé d’activer mon module. Que se
passera-t-il si j’appuie sur le mien ? Je n’aurais la
réponse qu’en m’exécutant.
En tâtonnant, je sentis l’excroissance légèrement
bombée du module. J’appuyais doucement dessus,
mais il ne se passa rien. Je regardais l’appareil posé
sur la table basse, quand celui-ci s’illumina
violemment. Instinctivement, je fermais les yeux et
tournais la tête, mais rien n’y fit, la lumière était
encore là. Elle prit de l’ampleur et inonda mon
champ de vision. J’avais l’impression de me trouver
au centre d’un brouillard éblouissant. Des couleurs
très lumineuses apparurent dans cette clarté, je
devinais des formes ressemblant à des arbres dans
la brume.
J’ôtai rapidement le doigt de l’objet et tout
redevint normal. C’était effroyable et prodigieux à
la fois, mais la curiosité me gagna. Je me donnais
quelques minutes de répit, puis j’appuyais de
nouveau sur le module. L’étrange brume lumineuse
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Les survivants d’Hullia

s’éleva à nouveau, puis quelques secondes plus tard


je revis des silhouettes d’arbres. Le brouillard se
leva d’un coup, dévoilant un paysage éclatant de
réalité. J’étais fasciné, hypnotisé par la beauté
criante de réalisme du décor qui prenait vie autour
de moi.
Le soleil brillait dans un ciel bleu pur où flottaient
quelques petits nuages filandreux. Je ressentais la
chaleur de l’astre solaire sur ma peau. J’étais assis
sur l’herbe. Devant moi se dressait un grand et vieil
olivier au tronc large extraordinairement rugueux
et tourmenté. Sur ma droite, au loin, j’apercevais le
relief tremblotant d’une montagne au sommet
arrondi et aride. Non loin de moi, je distinguais un
petit pont de bois enjambant un cours d’eau. Le
chemin après le petit pont zigzaguant entre les
buissons fleurit et menait jusqu’à une hacienda
ceinturée d’innombrables arcades extérieures. Des
dizaines de récipients en céramique bleue
débordants de plantes à feuilles rouge vif,
accrochées sur les murs, contrastaient dans le blanc
éclatant des façades.
— Mon cœur, ta fille voudrait que tu la prennes
dans tes bras..., annonça une douce voix sur ma
gauche.
Une jeune femme était assise près de moi. Elle
était adorable, quelques longues mèches blondes
tombaient sous un large chapeau blanc. Elle me
regardait en souriant. Son visage était séduisant, et
ses yeux étaient d’un bleu aussi profond que le ciel.
Sa bouche était sensuelle et bien dessinée. Elle
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Le Cristal des Dieux 1

tenait, par la main, un petit bout de choux. La fillette


aux cheveux blonds et bouclés devait avoir entre 15
et 18 mois. Aidée par sa jolie maman, elle effectua
deux ou trois pas vacillants en tendant vers moi ses
petits bras potelés. J’allais avancer mes mains vers
cette bouille d’ange toute souriante. Mais en lâchant
ma nuque, les murs sombres de mon appartement
s’élevèrent autour de moi comme des falaises
sombres et sépulcrales.
— Woaoo... C’était dément ! m’écriai-je en me
levant d’un bon.
J’avais la tête embrumée, les sons aigus d’une
sirène retentissante me blessaient mes tympans.
« La police... » me dis-je en reprenant mes esprits.
En jetant un coup d’œil par la fenêtre, je vis les
feux tournoyants d’une ambulance et de plusieurs
véhicules de police, inonder la rue de leurs lumières
multicolores.
Deux policiers se tenaient devant le portail de la
cour de l’immeuble. Je décrochais le combiné de
l’interphone, l’un d’eux parla dans le récepteur
encastré dans le mur de l’enceinte.
— Monsieur Tony Marcos ? Le centre de secours
nous a donné votre nom. Veuillez descendre s’il
vous plaît, nous aurions quelques questions à vous
poser...
— J’arrive... Deux minutes !
Je raccrochai l’interphone, filai jusqu’au placard
de la chambre et enfilai un pull. Quelques minutes
plus tard, je me trouvais dans l’ascenseur et
descendais au rez-de-chaussée. Il y avait deux
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Les survivants d’Hullia

policiers en uniforme. Tandis que j’ouvrais le


portail, le plus âgé se présenta.
— Bonsoir, monsieur Marcos... Commandant de
police Gérald.
À leur demande, je relatais les faits. Le deuxième
policier prit des notes sur un calepin, me regarda et
m’interrogea à son tour.
— Bonsoir monsieur. Lieutenant Leconte. Je
résume... Vous avez assisté au meurtre depuis la
terrasse de votre appartement, et vous êtes descendu
tout de suite après. La victime était-elle encore
vivante à ce moment-là ?
— Pas du tout, lieutenant... Je n’ai jamais
mentionné avoir assisté au meurtre. Je suis sorti sur
la terrasse et j’ai entendu des coups de feu. J’ai vu
un 4x4 noir s’éloigner rapidement. Le vieil homme
était étendu sur le sol près de sa voiture. J’ai aussitôt
appelé le centre de secours. Ensuite, je suis
descendu afin de l’assister, mais quand je suis
arrivé, il ne respirait plus. Par sécurité, je suis rentré
chez moi, au cas où les criminels auraient décidé de
revenir.
— Vous avez raison... C’était le mieux à faire...
J’ai rectifié votre déclaration, merci, monsieur
Marcos ! répondit-il.

Une grosse berline noire s’arrêta devant la scène


de crime. Un homme en descendit. Je ressentis un
froid dans le dos en remarquant que ce nouveau
personnage avait les cheveux blonds coupés en
brosse. Il était affublé d’une longue gabardine noire.
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Le Cristal des Dieux 1

Il jeta un coup d’œil autour de lui et s’approcha des


ambulanciers qui installaient le corps dans une
housse mortuaire. D’un geste vif et rapide, il fit
glisser la fermeture éclair, regarda le visage de la
victime, puis referma la housse. Ensuite, il ajusta
ses gants et regarda dans ma direction. C’était un
homme grand, assez imposant, la quarantaine
passée. Il exécuta un salut militaire aux officiers, ils
lui rendirent le salut. L’arrivant les dépassait d’une
bonne tête. Il s’approcha.
— Bonsoir, messieurs ! leur dit-il d’une voix
rauque avec un léger accent étranger. Je suis le
Colonel Ryder, de l’armée de l’air française. La
victime faisait partie du personnel de notre
laboratoire scientifique. Je prends cette affaire en
main. Puis-je examiner le témoignage de ce civil ?
Il jeta un coup d’œil le carnet du policier, puis me
dévisagea amèrement. Son visage n’avait aucune
expression visible et son regard froid commençait à
me mettre mal à l’aise. Ce type ne m’inspirait pas
confiance. Je repensais à ce que m’avait dit le vieil
homme avant de mourir...
Le commandant se tourna vers moi.
— Très bien, Monsieur Marcos, nous allons vous
laisser. Je vous prie de bien vouloir passer dès que
possible au commissariat de police de Perpignan
afin de signer votre déposition. Merci de votre
coopération, nous vous souhaitons une bonne
soirée.
Les deux policiers me saluèrent, puis
s’éloignèrent. Seul le colonel Ryder resta là, me
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Les survivants d’Hullia

regardant étrangement. Ce type commençait


vraiment à m’inquiéter. Il ne me plaisait pas du tout.
Il s’approcha du portail que je m’empressai de
refermer. Sans le voir, je ressentis son regard froid
et pesant. C’est alors qu’il posa sa main gantée sur
le portail et me parla.
— N’avez-vous pas omis de signaler quelque
chose, monsieur Marcos ?
Je sentais de l’ironie dans sa question. J’étais
persuadé qu’il ne me croyait pas.
— Désolé Colonel. Je n’ai plus rien à ajouter.
— Très bien... À bientôt, Monsieur Marcos ! dit-
il avec un visage impassible.
Il exécuta un rapide salut militaire, puis s’éloigna
et entra dans la berline noire. Je restais quelques
minutes derrière le portail à regarder les lumières
multicolores des véhicules de services.

Il se faisait tard. Je rentrais chez moi et me


couchais en pensant aux paroles du vieil homme.
« Tu dois rejoindre ton étoile, ta destinée, notre
avenir... » Il y avait aussi ces mots étranges ; « Fac
sis quod es, Maeltar. » Que signifiaient ces
phrases ? Et qui devais-je retrouver ? Était-ce la
femme que j’avais entrevue dans cette vision ? Qui
était-elle ? Où était-elle, comment pourrais-je la
retrouver ? Après maintes questions sans réponses,
la fatigue me gagna et je réussis à m’endormir.

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Le Cristal des Dieux 1

Un bruit sourd me réveilla dans la nuit. Je jetais


un coup d’œil au radio-réveil, il était cinq heures du
matin. Curieux, je me levais pour faire le tour de
l’appartement et regarder par les fenêtres, mais ne
vis rien d’anormal. Je pris un verre d’eau, puis
comme j’avais encore sommeil, je m’allongeais à
nouveau.
Je me calais confortablement dans le lit, tirais les
draps sur moi et fermais les yeux. Étrangement, je
ne ressentis aucune appréhension. Mais ce fut quand
même d’un geste hésitant que j’activais le module.
Cette fois, une vibration résonna dans ma tête, cela
m’intrigua. Je retirais rapidement la main, mais il
était trop tard, un sifflement aigu me fit fermer les
yeux. Je les rouvris avec peine. C’est alors que je
vis le plafond devenir transparent, humide,
ruisselant. Bizarrement, j’éprouvais une sensation
de froideur dans ma main droite. Puis, brusquement,
je me sentis éjecté, propulsé hors du lit pour me
retrouver à genoux au bord d’un ruisseau. Je voyais
des galets sous les reflets miroitants. J’avais une
main dans l’eau claire et fraîche, je la levais,
emportant un peu d’eau limpide dans le creux de la
main.
— Nicolas..., dit une voix féminine derrière moi.
— Oui, mon cœur, répondis-je en me retournant.
Je redécouvris alors la ravissante jeune femme
qui tenait l’enfant aux boucles d’or dans ses bras.
« Voilà que je parlais malgré mes pensées
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Les survivants d’Hullia

différentes des mots que je prononçais. C’était


d’ailleurs une sensation troublante et assez
désagréable ! »
Le ronflement d’un véhicule me fit lever la tête.
Je me redressais pour entrevoir une fourgonnette
blanche s’engageant dans l’allée du domaine.
— Joaquín ! Joaquín ! répétèrent des voix
enfantines en espagnol.
— Apparemment, ton frère vient d’arriver,
remarqua Nicolas.
— J’entends ça..., dit-elle d’un air amusé. Les
filles du proprio ont vu la fourgonnette.
— Juste à l’heure.
— Rentrons, il commence à faire trop chaud pour
la petite, et c’est bientôt l’heure de sa sieste.
— Oui, il fait meilleur à l’hacienda. C’est
nettement plus agréable que nos habituelles tentes.
— Oh oui... et ne parlons pas de ce paysage de
rêve... Embrasse-moi, et enlève-moi ces lunettes
noires que je puisse voir tes yeux... C’est mieux, ils
sont aussi beaux que le bleu du ciel d’Andalousie.
— Je t’aime mon cœur, lui répondis-je, en me
redressant pour embrasser la belle femme.
« Je sentis la douceur de ses lèvres sur les
miennes. Mais était-ce les miennes ? J’en doutais.
Pourtant, ce que je vivais était tellement réel.
J’avais remarqué les mains du personnage que
j’incarnais... ce n’étaient pas celles d’un vieux
bonhomme. J’en déduisais que c’était le professeur
dans sa jeunesse. Cependant, un détail me
chiffonnait, elle venait de dire que ses yeux étaient
26
Le Cristal des Dieux 1

bleus... alors que ceux de la victime étaient d’un


vert lumineux... Était-ce bien le même
personnage ? »
— Vous partez bientôt ? demanda-t-elle d’une
voix triste.
— Dans une demi-heure... Mais nous serons
revenus du site avant la tombée de la nuit. À tout à
l’heure mon petit cœur..., lui dis-je, en me baissant
pour embrasser l’enfant sur le front.
Entre-temps, la fourgonnette s’était garée près de
la grande maison blanche. Un grand jeune homme
au corps d’athlète, vêtu d’un short et d’une chemise
claire, sauta du véhicule, salua de la main les deux
fillettes qui le contemplaient et s’approcha de nous.
— Salut, Isa, salut, Nico ! Tu veux bien me
donner un coup de main pour décharger les caisses,
s’il te plait ? me demanda-t-il en ôtant ses lunettes
de soleil.
— J’arrive ! répondis-je, en lançant un sourire à
la jeune femme et au bébé.

« C’était une sensation invraisemblable... Mais je


compris que je devais me laisser aller, vider mon
esprit et suivre exactement ce que faisait ce corps
que je sentais comme le mien. C’est ce que je fis...
et c’est à partir de cet instant qu’il me sembla que
c’était bien moi qui me trouvais sur cette terre
inconnue. »

27
Les survivants d’Hullia

28
Le Cristal des Dieux 1

LE CRISTAL DES DIEUX

Malgré la chaleur harassante de ce mois d’août,


Joaquín et Nicolas travaillaient énergiquement au
sommet de la colline. La stèle était estampillée sur
la totalité de la surface par des dizaines de cercles et
de spirales étranges et par endroit on distinguait une
sorte d’écriture cunéiforme. Nicolas dégageait et
dépoussiérait la dalle avec attention. Sous son
chapeau Panama blanc, ses yeux bleu très clair
étaient dissimulés derrière des petites lunettes
rondes obscures. Il était vêtu d’un pantalon de toile
beige et d’une chemise à carreaux aux manches
retroussées.
Après un déblayage complet, ils découvrirent que
la dalle était en réalité composée de deux énormes
blocs de granit parfaitement juxtaposés. Chacun
d’eux avait une surface de vingt-cinq mètres carrés,
sur environ un mètre d’épaisseur. Les dalles
semblaient reposer sur un soubassement de granit
s’enfonçant profondément dans le sol.
Joaquín était coiffé d’un chapeau de paille. La
sueur ruisselait sur son torse. Il était vêtu d’un
29
Les survivants d’Hullia

pantalon de toile et d’une vieille chemise à carreaux


qu’il avait ôtée et nouée autour de sa taille. Éreinté,
il ôta son chapeau, s’essuya le front avec son avant-
bras et s’empara d’une bouteille recouverte de
cordelettes tressées qu’il avait laissée à l’ombre
d’un petit arbre. Il se redressa, avala goulûment une
gorgée d’eau, puis s’approcha du gigantesque
élévateur aux allures de monstre afin de guider les
pieux de métal jusqu’au bord de la dalle. Sous la
puissante traction des vérins hydrauliques, les
grosses roues arrière décollèrent du sol. Le premier
des deux immenses blocs de granit se souleva de
quelques centimètres. Les hommes s’empressèrent
d’insérer des cales de sécurités, puis glissèrent des
sangles autour de la dalle. Ils les relièrent aux griffes
d’une énorme pelle mécanique. Son moteur gronda,
laissant échapper un nuage de fumée noire. En
reculant, les bruyantes et épaisses chenilles de métal
accrochaient le sol tandis que la dalle s’écartait
lentement de son emplacement.
Joaquín leva les bras afin de tout stopper. Il fit
reposer la dalle et jeta un coup d’œil dans la brèche.
Il découvrit une cavité assez profonde et obscure. À
l’aide d’une torche, il repéra une sorte d’escalier
composé de longues pierres plates scellées dans une
des parois de la fosse.
Les archéologues se concertèrent et décidèrent de
redéplacer la dalle afin d’avoir un accès direct sur
l’escalier. Nicolas, Joaquín et quatre collègues se
faufilèrent avec précaution dans la fosse. Celle-ci
semblait vide. Sur un des côtés apparaissait l’entrée
30
Le Cristal des Dieux 1

d’un passage souterrain de forme triangulaire,


formé par des plaques de granit posées obliquement
et jointes par leur partie supérieure. Le groupe
d’experts s’aventura dans l’étrange couloir. Ils
parcoururent plus de cinquante mètres en ligne
droite, puis le corridor amorça un virage à angle
droit. À partir de là, le couloir descendait, il y avait
des marches. Une cinquantaine de mètres plus bas,
la galerie vira à nouveau, et ainsi de suite. Le groupe
d’archéologues avançait prudemment, sidéré par
cette insolite cage d’escalier qui s’enfonçait dans la
montagne.
Quelques membres de l’équipe commençaient à
fatiguer et à exprimer leur désir de rebrousser
chemin. Mais peu de temps après, ils débouchèrent
dans une grande salle. La conception de celle-ci
était intrigante et inhabituelle. La salle avait une
base d’environ cinq cents mètres carrés. Mais le
plus curieux était ses quatre murs obliques de style
pyramidal, dont le sommet se perdait au-delà d’une
forêt de stalactites. Au sol, des dizaines de
stalagmites empilées en assiettes poussaient autour
d’eux.
Au fond de la salle s’élevaient quatre colonnes de
marbre blanc encadrant un immense socle de granit
de plus de trois mètres de côtés, surmonté d’un
grand trône de marbre rose.
Dans le mur incliné derrière le trône, on
apercevait une ouverture triangulaire, signalant
l’entrée d’un autre corridor. Au-dessus de l’entrée,
il y avait une gravure en relief représentant un
31
Les survivants d’Hullia

curieux symbole composé de deux cercles


entrelacés traversés de deux lignes horizontales.
Une partie de l’équipe resta sur place afin
d’étudier la salle. Les flashs et les longs bavardages
fusaient, lorsque les deux beaux-frères s’engagèrent
dans le couloir. Le corridor avait le même aspect
que le premier. Ils atteignaient le deuxième virage
quand l’imprévu arriva... un grondement sourd se fit
entendre. Soudain, le sol se creusa sous les pieds de
Joaquín. Déstabilisé, il allait tomber en arrière.
Nicolas qui le précédait réagit aussitôt, il se
retourna, l’attrapa par un bras et le tira vivement
vers lui. Les deux hommes coururent sur plusieurs
mètres tandis qu’une partie du sol s’affaissait
derrière eux.
Ils s’approchèrent avec précaution et jetèrent un
coup d’œil dans la crevasse. Elle paraissait
profonde.
Ils entendirent les voix de leurs collègues les
appeler dans le lointain. Heureusement, la brèche
n’était pas très large, les deux hommes, forts de
leurs émotions, prirent du recul et sautèrent par-
dessus le trou. Ils purent remonter le couloir. En
chemin, ils rencontrèrent deux hommes intrépides
qui s’étaient lancés à leur rescousse. Ils se sentirent
rassurés de les retrouver sains et saufs. Ils leur
racontèrent leur mésaventure, puis remontèrent
jusqu’à la salle. Il s’engagea une belle discussion
sur les consignes de sécurités et les éventuels
dangers à éviter. Le moment de frayeur passé, les
deux beaux-frères plaisantèrent de la situation.
32
Le Cristal des Dieux 1

Nicolas s’intéressa au trône. L’énorme masse de


granit qui le supportait était posée sur le sol
poussiéreux. Il regarda attentivement l’ensemble,
puis appela ses collègues.
— Venez voir ça ! dit-il. Les jointures de la partie
antérieure et supérieure du bloc me font penser à
une sorte de couvercle. Regardez, elles s’arrêtent au
pied du trône !
— Tu as raison ! Ça a tout l’air d’une pièce
rapportée, remarqua Joaquín en s’approchant.
— Tentons de la faire glisser ! proposa un autre.
Ils poussèrent tous en cœur et le couvercle se
déplaça. Joaquín alluma sa lampe frontale.
— Bon sang ! Regardez ça ! annonça-t-il avec
exaltation.
À l’intérieur gisait un corps humain desséché au
crâne curieusement allongé. La dépouille était
recouverte d’ornements d’or et de pierres
précieuses.
Avec maintes précautions, ils dégagèrent la
momie de son sépulcre. Une équipe partit chercher
un brancard, puis avec beaucoup d’attention ils la
remontèrent jusqu’à la surface. Joaquín passa un
coup de fil. Une heure plus tard, le chef des autorités
locales les rejoignit afin d’escorter une partie de
l’équipe et leur découverte vers le musée national
de Granada.
Nicolas Kowalski resta sur place afin de
poursuivre les fouilles. Il entreprit d’analyser
consciencieusement les moindres recoins de la
mystérieuse tombe dans l’espoir de lui arracher un
33
Les survivants d’Hullia

quelconque secret. Le trône était érodé par endroits.


À l’aide d’une grosse loupe, il examina les
gravures encore indemnes du dossier. Le trône était
composé de plusieurs blocs de marbre, dont les
jonctions semblaient avoir été ajustées au
millimètre près. Il remarqua des joints légèrement
saillants dans la partie basse arrière du dossier. Il
gratta minutieusement les jointures. Il était persuadé
que c’était une sorte de trappe. Il glissa une lame
crochue de chaque côté et tira vers lui. Elle se
détacha et bascula vers lui sans la moindre
résistance. Il y avait une cavité. Nicolas posa la
trappe sur le sol avec précaution. Il ajusta ses
lunettes rondes, puis régla sa lampe frontale. Il
regarda à l’intérieur et y découvrit un petit coffret
de bois noirci. Il tenta de le tirer vers lui, mais
lorsqu’il posa la main sur le couvercle, celui-ci
s’effrita sous ses doigts.
Les infiltrations avaient dégradé le bois. Avec
beaucoup de précautions, il extirpa le coffret et ôta
les charnières corrodées et les débris de bois
putréfiés. Il y avait une sorte de tissus sombre,
semblant envelopper quelque chose. Le tissu et le
cordage de lin se désagrégèrent au contact de sa
brosse. Il épousseta les fragments noirâtres, et
s’enthousiasma en découvrant l’éclat du métal.
L’objet avait l’apparence d’un brassard doré. Après
un rapide examen, il rangea l’objet dans un sac,
puis, excité par sa découverte, il prit le chemin du
corridor qui menait à la surface.
Lorsqu’il émergea à l’air libre, la lumière du jour
34
Le Cristal des Dieux 1

l’aveugla quelques instants. Il sortit de la fosse et se


dirigea tranquillement vers les tentes récemment
érigées aux abords du site. L’équipe qui avait
accompagné la momie était de retour. Son beau-
frère n’était pas avec eux. Il se renseigna, mais
personne ne sut lui répondre.
Nicolas posa sa trouvaille sur un bureau
recouvert de paperasses. Près de l’objet doré, il y
avait un agenda ouvert à la date du mardi 2 août
1983. Il se servit un grand verre d’eau fraîche et
avala quelques gorgées en contemplant le brassard.
Celui-ci était entièrement sculpté, et sur la supposée
partie supérieure, s’élevait une pique de forme
pyramidale. Il retourna l’objet, il était fendu sur la
face inférieure, de façon à s’emboiter sur l’avant-
bras.
Les gravures qui ornaient la parure
l’interpellaient. Il l’examina dans tous les sens, et le
dessina à plusieurs reprises sur son carnet. En
regroupant les différentes formes gravées sur la
totalité de sa surface, il aboutit à une étonnante
conclusion, mais ce qu’il voyait sur la feuille lui
semblait irrationnel. Il écarta ce qu’il venait de
représenter sur le papier et reprit ses croquis à zéro.
Il recommença plusieurs fois, joua avec les ombres
et dessina encore et encore sous plusieurs angles.
Mais il revenait toujours au même résultat.
Il resta là, assis sur sa chaise pliante, les deux
coudes sur la table, en pleine réflexion. Ses lunettes
rondes sur le bout du nez étaient prêtes à tomber. Il
mordillait sans relâche un semblant de crayon gris.
35
Les survivants d’Hullia

La nuit était tombée quand le rideau de l’entrée


s’écarta. Joaquín pénétra sous la tente avec une
petite glacière à la main.
— Salut, tu ne viens pas manger ? L’épouse de
Manolo a préparé une grande paella pour toute
l’équipe.
— Désolé, je n’avais pas remarqué l’heure... As-
tu des nouvelles du corps au crâne déformé ?
— Non, il a été placé sous scellé. Les
scientifiques commenceront les analyses dès lundi
matin.
— Très bien ! De la paella, dis-tu ? J’aurais
préféré des beignets de morue...
— Je sais bien, mais je suis certain qu’elle sera
beaucoup plus appétissante que ton bout de
crayon ! plaisanta Joaquín en s’approchant de son
ami. Voyant qu’il ne levait pas la tête, il posa sa
glacière sur une chaise, ouvrit le couvercle et sortit
deux canettes de bière. Il en tendit une à Nicolas en
lui donnant une petite tape amicale sur l’épaule.
Celui-ci le regarda et sourit en acceptant la boisson.
— Aurais-tu découvert quelque chose de plus
intéressant que la momie dans ce site perdu et…
dangereux ?
— Toi, tu ne t’es pas encore remis de tes
émotions... Tiens, regarde ceci, et donne-moi tes
impressions.
— Qu’est-ce ?
— Examine-le ! dit-il en se levant pour laisser la
place à son beau-frère.
Joaquín scruta l’objet avec attention.
36
Le Cristal des Dieux 1

— C’est de l’or massif ! s’exclama-t-il.


— Tout à fait !
— Je ne me souviens pas l’avoir remarqué parmi
les ornements de la momie...
— Non, j’ai découvert une trappe derrière le
trône... et il y avait ça à l’intérieur... D’ailleurs, je
t’ai attendu cet après-midi, où étais-tu donc passé ?
— À vrai dire… Je me remettais de mes émotions
avec une belle Andalouse.
— Ah, tu as rencontré quelqu’un ? Comment
s’appelle-t-elle ?
— Carmen.
— Tu parles de la petite brune qui nous livre les
provisions ? demanda Nicolas en esquissant un
sourire mesquin. Toi tu ne changeras jamais. Mais
elle est mariée, j’ai parlé avec son mari au magasin.
— Je sais bien..., répondit Joaquín en haussant les
épaules. De toute façon, ils sont séparés.
— C’est elle qui t’a dit ça dit ? Il y a deux jours,
je les ai vus ensemble au marché, ils marchaient
main dans la main.
— Ah bon ? Enfin, parlons d’autre chose. Il y a
une écriture cunéiforme, mais ensuite c’est
différent, je pencherais pour des idéogrammes.
— Oui, j’ai réussi à traduire une petite partie.
— Tu lis le cunéiforme ?
— Un peu..., répondit Nicolas en dégageant un
livre caché sous un tas de papiers et de croquis.
— OK... Et ça dit quoi ?
— C’est un texte mythique, il raconte comment
une gemme aux pouvoirs surnaturels, provenant du
37
Les survivants d’Hullia

royaume des Dieux, fut confiée à une gardienne afin


qu’elle la dissimule au regard du monde, pour qu’un
jour elle soit décernée au protecteur céleste.
— Au protecteur céleste ? Y a-t-il des
informations sur ce protecteur ?
— Non, le texte finit par ce symbole en forme de
pyramide avec une triple spirale à l’intérieur,
ensuite il y a une sorte d’étrange écriture, un
mélange entre cunéiforme et idéogrammes
incompréhensibles...
— Je vois ça... Je ne connais pas ce style.
— Et puis, il y a ça... As-tu une idée de ce que
pourraient représenter les contours de cette gravure
sur la partie plus étroite ?
— Je ne sais pas trop..., répondit-il après avoir
retourné le brassard dans tous les sens. J’ai bien une
idée derrière la tête, mais tu vas certainement la
trouver ridicule.
— Dis toujours....
— Eh bien... ça me fait penser à une carte du
monde.
— Exactement ! confirma Nicolas exalté.
Il ôta son chapeau, sortit un mouchoir de sa
poche, s’essuya le front, puis passa ses doigts dans
ses cheveux aux tempes grisonnantes. Il ajusta ses
lunettes et ajouta.
— Observe ces reliefs sur le métal, ils semblent
représenter les continents.
— À première vue, oui... Mais ce sont peut-être
des défauts de moulage.
— Peut-être bien..., acquiesça Joaquín. Mais si ce
38
Le Cristal des Dieux 1

n’était pas une hasardeuse coïncidence, et que ça


représente une mappemonde, d’où l’aurait-il copié ?
Le géologue qui examinait les stalactites de la salle
m’a confié qu’il estimait le site à plus de 15 000
mille et 25 000 ans.
— Mais, les hommes du paléolithique, que ce
soient les Solutréens ou les Magdaléniens, ne
construisaient pas des salles comme celle-ci. À cette
époque, nos ancêtres courraient tous nus !
— J’avoue ! approuva Joaquín en jetant un coup
d’œil au bureau envahi par des dizaines de croquis
du brassard vu sous des angles différents.
— Regarde à l’intérieur... on y retrouve le même
symbole qu’à l’entrée du deuxième tunnel, les deux
cercles entrelacés barrés de deux lignes parallèles.
— C’est exact... Tu as remarqué cette petite
encoche ? s’étonna Joaquín en fronçant les sourcils.
Ça ressemble à une sorte de trappe. As-tu tenté de
l’ouvrir ?
— Je m’apprêtais à le faire lorsque tu es
arrivé, répondit Nicolas, en saisissant un coupe-
papier.
Joaquín posa le brassard sous la lampe du bureau,
et le maintint fermement, tandis que Nicolas
enfonçait l’extrémité de la lame dans l’encoche. Il y
eut un petit claquement. La pointe avait dû
déclencher un mécanisme, car un des deux cercles
se souleva de quelques millimètres. Nicolas se
retourna et fouilla dans une trousse de toile posée
sur une chaise. Il en sortit une longue pincette
métallique qu’il inséra sous l’opercule.
39
Les survivants d’Hullia

Lorsqu’il souleva la lamelle circulaire, un


scintillement bleuté s’échappa.
— Un diamant bleu ! s’exclama Joaquín avec
exaltation.
— Ça y ressemble, mais ses facettes sont
iridescentes, les diamants ne font pas ça..., répondit
Nicolas en introduisant la pincette dans le trou.
C’est avec beaucoup de précautions qu’il extirpa
une éblouissante gemme bleue de son écrin doré.
— C’est magnifique... s’exclama Joaquín.
— Oui, c’est assez surprenant... Je pense que
nous sommes en présence de la gemme dont parle
le texte, confirma Nicolas.
Il remit la gemme à son beau-frère, puis saisit sa
canette et avala une gorgée de bière fraîche.
— Quelle étonnante impression de profondeur !
dit Joaquín en observant la gemme avec la loupe.
— Oui... C’est éblouissant ! confirma Nicolas en
posant sa canette sur le bureau.
Il retourna le brassard pour examiner le symbole
qui se trouvait à l’intérieur.
— Ce symbole m’intrigue aussi..., continua-t-il.
— Mais nous ne saurons pas où menait le
couloir... les collègues ont posé une rampe d’accès
par-dessus le trou afin de sécuriser le passage. Mais
il ne conduit nulle part, des éboulis ont obstrué le
corridor quelques mètres plus loin... À moins de
descendre dans ce fameux trou, nous aurons peu de
chance d’en savoir davantage.
— Et que penses-tu trouver là-dedans ?
— Je n’en ai pas la moindre idée, peut-être
40
Le Cristal des Dieux 1

tomberons-nous sur des couloirs inférieurs. Le plus


simple serait d’y aller voir... c’est le seul endroit que
l’équipe n’a pas fouillé. Personne n’a voulu y
descendre...
— Tu m’étonnes..., répondit Joaquín d’un air
pensif.
L’idée de se balancer au bout d’une corde dans
un gouffre sans fond ne semblait guère lui plaire.
D’autant plus, qu’il avait bien failli y laisser sa peau.

Dès le petit matin, les deux beaux-frères


retournèrent sur le site et se rendirent directement
vers le lieu de l’incident. Ils déplacèrent la rampe
pour dégager le trou. Celui-ci semblait profond. Ils
y jetèrent une pierre, mais aucun bruit d’impact ne
leur revint.
Ils préparèrent le matériel, puis après avoir
solidement ancré plusieurs crochets dans les
jointures du mur, ils y attachèrent les cordes et les
balancèrent dans le vide.
C’est avec prudence qu’ils entamèrent la
descente.
Ils devaient avoir parcouru plus de cent mètres en
rappel dans le boyau vertical et étroit. Les parois
commençaient à s’élargir au fur et à mesure de leur
descente pour atteindre cent cinquante mètres plus
bas, les dimensions d’une gigantesque salle
naturelle.
41
Les survivants d’Hullia

Nicolas fut le premier à toucher le sol. Il


s’assurait que le terrain était stable, lorsque Joaquín
arriva à son tour.
— Il semble que nous nous trouvons au sommet
d’un gigantesque tas d’éboulis.
— Oui... Et je réalise que sans toi, je serais peut-
être là, disloqué et sans vie. Ou agonisant quelque
part dans un recoin de cette grotte...
— Voyons, Joaquín... Ne ressasse plus ça.
Descendons en prenant soin de ne pas glisser.
— Tu as raison...

La pente était raide et le terrain friable. Les deux


hommes redoublèrent de prudence malgré les
harnais et les cordes qui les sécurisaient.
Ils atteignirent une surface plane, et exempte de
toute trace d’éboulement. Les faisceaux des
puissantes torches balayèrent la grotte, révélant de
majestueuses colonnes et stalagmites gigantesques.
Ils avancèrent avec précaution dans cette forêt de
calcaire. Ils parcoururent ainsi une bonne centaine
de mètres, dimension approximative de la salle. Les
deux explorateurs en firent rapidement le tour et
décidèrent de rebrousser chemin. Joaquín s’arrêta et
tendit l’oreille.
— Tu entends ?
— Oui, c’est une chute d’eau. Il se peut qu’il y
ait une autre galerie dans les environs. Il doit
certainement y avoir un passage.
— Il est difficile de la situer à cause de l’écho. Le
mieux serait de chercher derrière ces stalagmites.
42
Le Cristal des Dieux 1

— D’après le son, l’eau doit tomber dans un


bassin ou un lac souterrain.
C’est un quart d’heure plus tard que Joaquín
repéra une brèche dans une paroi. C’était une fissure
verticale dissimulée derrière une magnifique
draperie de calcite cristallisée.
— Ça semble provenir de ce coin-là. Il y a peut-
être un passage vers une salle communicante...
— J’en ai bien l’impression. Je pense que l’on
peut s’y glisser.
Ils s’y introduisirent difficilement, la petite
torche frontale éclairait l’étroit passage. Le bruit
s’intensifia et la fissure semblait s’élargir. Ils purent
marcher le dos courbé sur quelques mètres, et ils se
redressèrent enfin pour déboucher dans une galerie
vaste, sombre, interminable et oblique. Elle
semblait s’enfoncer dans les profondeurs de la
Terre.
Nicolas s’arrêta et contempla deux larges et
impressionnantes stalagmites.
— Cette cathédrale est impressionnante ! dit-il.
J’en ai rarement vu d’aussi complexes et
harmonieuses. Ces deux compositions sont
parfaitement symétriques..., dit-il en brandissant sa
torche sur les étonnantes accumulations de calcaire.
— Il a fallu des milliers, voire des millions
d’années pour créer une telle splendeur.
— Oh putain ! lança Joaquín. J’ai failli tomber là-
dedans...
Nicolas se retourna rapidement. La voix de son
beau-frère se répercutait en écho dans la grotte. Il
43
Les survivants d’Hullia

distingua Joaquín dans l’obscurité, il se tenait au


bord d’un précipice.
— Décidément... Ça ne t’a pas suffi là-haut ? Tu
as vu l’état du terrain sur lequel tu te trouves ?
— Je sais bien, mais ne t’en fais pas... Cette zone
semble solide, rétorqua Joaquín. Regarde... il y a un
lac souterrain. Il faudrait chercher un moyen d’y
descendre.
Les deux hommes se trouvaient au bord d’une
falaise abrupte surplombant un petit lac miroitant.
À leurs pieds, un filet d’eau jaillissait d’une fissure
dans le sol et se jetait dans le vide en une longue
cascade blanche.
— J’aperçois une sorte de terre-plein de l’autre
côté..., remarqua Nicolas. Et la paroi sur la droite
semble étonnamment artificielle...
— Personne n’a pu construire ça ici, voyons !
répondit Joaquín en scrutant à son tour la berge.
— Je sais, mais quand tu viens de voir une salle
pyramidale et des cages d’escaliers de forme
triangulaire s’enfonçant aussi loin dans les entrailles
de la Terre, on peut s’attendre à tout !
— Tu as raison ! confirma Joaquín. Les angles
sont étrangement rectilignes. J’étais pourtant
persuadé que la nature avait horreur des lignes
droites, surtout dans les cavernes...
— J’ai bien envie de voir ça de plus près, mais je
n’aperçois aucun passage qui y accède. Le niveau
de l’eau doit se trouver à une dizaine de mètres plus
bas, mais je ne vois aucune anfractuosité saillante
pour entreprendre la descente...
44
Le Cristal des Dieux 1

— Il faudrait revenir avec plus de cordes et le


petit canot gonflable pour traverser ce plan d’eau...,
proposa Joaquín en scrutant les alentours avec sa
torche.
— Bon sang, regarde ça ! s’écria Nicolas.
L’écho de sa voix se répercuta sans fin dans les
profondeurs de la caverne.
— Qu’y a-t-il ? Tu m’as foutu la trouille !
— Là... Au pied de ces grandes stalagmites ! lui
dit Nicolas en dirigeant le faisceau de sa torche vers
le sol à quelques mètres d’eux.
Il éclairait une surface plane et brillante. Curieux,
les deux hommes s’approchèrent. Ça ressemblait à
une dalle rectangulaire de deux mètres carrés. Peut-
être plus, car les sédiments agglomérés sur le reste
de la dalle formaient un grand mur de stalagmites.
— Qui a bien pu poser ça ici ? demanda Joaquín
d’un air étonné.
— Ce n’est pas posé... La roche a été taillée et
polie, commenta Nicolas en passant la paume de sa
main sur le sol.
Joaquín eut la curiosité de contourner les
stalagmites et se faufila tant bien que mal derrière
elles. Nicolas se releva et s’apprêtait à rejoindre son
ami, lorsqu’il entendit jurer.
— Bon sang !
— Hey... Que se passe-t-il ?
— Cette surface plane, elle continue là derrière.
En fait, c’est un chemin... Mais il n’y a pas que ça...
tu ferais bien de venir.
Kowalski se faufila à son tour entre les
45
Les survivants d’Hullia

stalagmites et resta sans voix devant l’incroyable


vision. Le chemin s’enfonçait dans une sorte de
galerie toujours de forme triangulaire. Les murs
étaient totalement lisses.
— Le symbole ! s’exclama Joaquín en éclairant
les parois du tunnel.
— La galerie devait descendre jusqu’ici, mais un
effondrement a creusé ces cavernes.
— Cet endroit est plein de surprises ! lâcha
Joaquín.
Il s’engagea sans hésiter dans le tunnel, marcha
hâtivement sur une trentaine de mètres, puis se
retourna.
— Nico... je crois que nous ne sommes pas au
bout de nos surprises.
— Qu’y a-t-il, encore ?
— Oh, rien de bien étrange, c’est juste un
escalier...
— Juste un escalier ? J’espère que tu plaisantes ?
— Pas du tout... et je parie qu’il mène jusqu’à
cette espèce de berge.
L’escalier était composé de marches planes.
Certaines d’entre elles étaient lisses et polies,
d’autres plus ou moins érodées par le ruissellement
de l’eau et les formations de calcaire.
Un son strident et désagréable retentit dans la
caverne, se répercutant encore et encore. C’était
comme une sonnerie répétitive, insistante. Les
torches faiblirent rapidement, obscurcissant le
décor, tandis qu’une chaleur m’envahissait...

46
Le Cristal des Dieux 1

TRAQUÉ

La sonnerie insistante du radio-réveil me força à


entrouvrir les yeux.
« Où suis-je ? » me demandais-je.
Je me sentais embrouillé, comateux, mais ma
lucidité remonta à la surface en quelques secondes,
tout en réalisant avec surprise que j’étais étendu sur
mon lit.
Je venais de faire un rêve, ou de vivre quelque
chose de semblable engendré par cette chose
accrochée à ma nuque. Mais, cela n’avait rien à voir
avec les rêves qui s’estompent rapidement de notre
mémoire lorsque l’on tente de se rappeler certains
détails. C’était tellement clair dans mes souvenirs,
que j’avais la sensation d’avoir moi-même exploré
les profondeurs de cette grotte étrange. Et surtout,
j’avais le sentiment d’y être resté une éternité.
J’en étais arrivé à douter de l’instant présent.
Pourtant, d’après le radio-réveil posé sur la table de
chevet, il ne s’était écoulé qu’une petite heure. Je
me rappelais clairement avoir réglé la sonnerie du
47
Les survivants d’Hullia

réveil pour ce laps de temps.


Je me posais des tas de questions, mais elles
restaient pour l’instant sans réponses. Je décidais de
me lever et marcher un peu dans la maison afin de
me remettre les idées dans l’ordre.
Je m’habillais pour aller faire les courses, tout en
me disant que je pourrais aller déjeuner chez mon
ami Raphaël, gérant d’un petit restaurant situé à
l’entrée de la ville. Il n’était pas très loin de
l’hypermarché et c’était sur le trajet du boulot.
J’avais l’habitude de m’y arrêter quotidiennement
pour prendre un café, et j’y allais souvent dîner le
weekend. Mais dépassé par les évènements, je
revins sur ma décision et mis la cafetière en marche.
« Zut ! » J’avais complètement oublié que je
devais me rendre au commissariat pour y rédiger ma
déposition…
Je pris soudain conscience d’un fait inquiétant...
je me demandais si le meurtre s’était déroulé la nuit
dernière, ou l’avant-dernière.... Je ne savais plus. La
notion du temps semblait me jouer des tours. Je
tentais de me remémorer les mystérieuses scènes,
mais tout se mélangeait dans ma tête, le meurtre du
vieil homme, Nicolas, Joaquín, le site, la salle
étrange, les colonnes, le trône, les couloirs, la grotte,
le lac, la dalle, les escaliers.
Et puis, il y a ce type à la gabardine... C’est qu’il
me fait flipper.
« Ne serait-il pas impliqué dans cette histoire ?
me dis-je. Serait-ce lui le meurtrier ? Et que
chercherait-il... le module ? Et qui est cette femme
48
Le Cristal des Dieux 1

aux cheveux blonds et au visage d’ange... »


Je réalisais soudain que je marchais dans
l’appartement tout en réfléchissant à haute voix.
« Eh merde... ça craint ! Est-ce le début de la
folie ? »
Je me laissais tomber sur le canapé et allumais
une cigarette pour me calmer. Je tirais une ou deux
bouffées, puis l’écrasais nerveusement dans le
cendrier.
Je me mis à zapper sur les multiples chaînes du
téléviseur, mais il n’y avait rien d’intéressant.
J’allais me lever pour éteindre le poste lorsque
j’entendis l’annonce du journal télévisé. Je me
rasseyais aussitôt pour écouter les informations.
Ce n’est qu’après deux ou trois faits divers que le
journaliste annonça le meurtre du professeur
Kowalski Nicolas. C’est là que j’appris que cet
homme qui avait débuté comme archéologue était
devenu professeur d’anthropologie moléculaire,
puis quelques années plus tard un mathématicien
spécialisé dans la biomécanique et la physique
quantique. Étrangement, personne n’avait eu de ses
nouvelles depuis plus d’un an.
Mais le plus aberrant arriva lorsque le journaliste
annonça que le corps du défunt avait
mystérieusement disparu la nuit dernière. Les
employés de la morgue ne comprenaient pas, car il
n’y avait aucune trace d’effraction. Le journaliste
déclara aussi qu’un habitant du quartier sud de la
ville, témoin du meurtre, aurait prévenu la police.
Je me levais d’un bon à l’annonce de cette
49
Les survivants d’Hullia

dernière phrase.
« Mais ils sont malades ! Je n’ai jamais dit que
j’avais assisté au meurtre ! » m’écriais-je irrité.
Je jetais un coup d’œil par la fenêtre qui donnait
sur la rue... Il n’y avait personne, mais les
journalistes n’allaient certainement pas tarder à
rappliquer et ratisser les lieux avec leurs caméras et
leurs micros.
J’introduisais le module dans un sachet de
plastique, puis le glissais dans la poche intérieure de
ma veste.
La fraîcheur matinale et le petit air marin me
firent frissonner, il était presque huit heures quand
j’ouvris le garage. La porte coulissante grinça sur
ses axes, sûrement par manque de graisse dans les
mécanismes. Je me promis encore une fois de m’en
occuper. C’était bien le bord de mer, mais il y avait
certains inconvénients, comme l’oxydation précoce
des pièces métalliques par exemple. La carrosserie
étincela sous les néons. Je mis les mains sur le
volant et réfléchis quelques instants à l’aventure de
la nuit dernière. J’allumais une cigarette, et décidais
d’aller prendre un café chez mon ami. Si je ne me
faisais pas coincer par les éventuels journalistes.
Après avoir fait le plein dans une station-service,
je repris la route et traversais le village. Dès la sortie
de l’agglomération, je me garais sur le parking du
restaurant Le Wagon Catalan.

Raphaël essuyait quelques verres derrière son


bar. Il se tourna vers l’entrée et hocha la tête en me
50
Le Cristal des Dieux 1

reconnaissant.

— Salut, Tony, comment vas-tu ?


— Pas trop mal ! Quel temps, hein ? Il fait
frisquet ce matin..., lui répondis-je en m’approchant
du comptoir.
— C’est la saison qui veut ça..., ajouta-t-il en me
serrant la main. Raphaël était un adorable type au
visage agréable.
— Je prendrais un chocolat chaud et un croissant,
s’il te plait.
— OK, installe-toi... je t’envoie Carine, répondit-
il en posant sa serviette pour préparer ma
commande.
La salle était calme, deux hommes accoudés au
bar savouraient tranquillement leur café. Trois
autres étaient attablés devant leur petit déjeuner.
Jetant un coup d’œil discret autour de moi, j’aperçus
un journal sur le comptoir. Je pris le quotidien et
m’installais à une table près du comptoir. Je me
demandais si le crime figurait déjà dans les pages de
l’Indépendant. Mais je n’y trouvais aucune
information y faisant allusion.
L’arrivée de la jeune serveuse me fit lever les
yeux. Elle me présenta un plateau et le posa sur la
table.
— Bonjour, Tony. En forme pour aller bosser ?
demanda-t-elle en esquissant un sourire charmeur.
— Bonjour, Carine, merci... Eh oui, en forme
comme tous les jours, répondis-je en lui retournant
son sourire.
51
Les survivants d’Hullia

En fait, d’après Raphaël, la ravissante jeune fille


en pinçait pour moi. Elle lui aurait confié qu’elle
rêvait de sortir avec moi. Cependant, malgré la
beauté de ses vingt-deux ans, je la trouvais un peu
jeune pour moi.
Elle était devant moi et me regardait d’un air
préoccupé.
— Tu en es sur ? demanda-t-elle. Je te sens triste
et inquiet...
— Oui, j’ai simplement un peu froid.
Elle cligna des yeux et me sourit à nouveau.
— Ça, je te crois... il faut dire que ta veste me
paraît un peu légère, mais je reste persuadée que tu
ne te reposes pas assez.
— Ne t’inquiète pas, petite maman... tout va
bien...
— Justement, je sais que tu aimes ton boulot,
mais je sais aussi que tu n’es pas obligé d’aller
bosser le samedi... reste donc un peu au chaud. Au
fait, ce soir il n’y a pas de réservation, je voudrais
t’inviter à dîner, c’est moi qui cuisine.
— Pourquoi pas... j’adore tes talents de
cuisinière. Raphaël devrait te laisser la cuisine un
peu plus souvent.
— C’est gentil, et j’aimerais bien, mais il dit que
ce serait trop pénible pour moi.
— Oui, là il a raison...
— Et puis ici, je vois du monde, tandis que dans
les cuisines, je serais enfermée...
— Il a absolument raison... Et vu que je n’ai rien
prévu pour ce soir, ce sera avec grand plaisir que je
52
Le Cristal des Dieux 1

viendrais dîner.
— C’est vrai ? J’y tiens ! précisa-t-elle toute
souriante.
Elle se retourna et s’éloigna. Son chemisier blanc
et sa jupe bleue mettaient en valeur ses adorables
rondeurs.
Elle s’accouda au comptoir. Puis certainement
consciente que sa position lui faisait cambrer les
reins, elle me dévisagea en esquissant un petit
sourire.
« Jolie fille..., » me dis-je.

De ma table, je pouvais voir le parking à travers


l’immense baie vitrée. L’arrivée d’une berline noire
attira mon attention. Elle se gara au loin. Ce qui
m’intrigua, car que le parc était pratiquement vide.
Je sentis un léger malaise et ma vue se troubla. Je
fermais les yeux pendant quelques secondes, puis
les ouvrais. C’est à ce moment-là que je la vis pour
la première fois...
Une jeune femme aux longs cheveux blonds et
bouclés se trouvait à quelques mètres de moi.
Je ne l’avais pas vu entrer, et encore moins
remarqué dans la salle. Son visage était fascinant.
Elle me fixait attentivement en fronçant les sourcils.
Ses yeux d’un vert émeraude puissant semblaient
irréels.
— Tony, peux-tu me voir ? demanda-t-elle en
faisant quelques pas vers moi.
— Pardon ? répondis-je, surpris par sa question.
— Me vois-tu ?
53
Les survivants d’Hullia

— Évidemment... Oui, je vous vois...


Son visage s’éclaira lorsqu’elle sourit. Puis
soudain, elle tourna la tête vers la baie vitrée et leva
une main en désignant le parking.
— Fais attention !
— Qu’y a-t-il ? demandai-je d’un air étonné.
Elle me regarda d’un air grave.
— Tu dois partir, tu es en danger !
— Comment ça ? Mais qui êtes-vous ?
Elle allait ajouter autre chose, quand
brusquement, elle s’évanouit dans les airs.
— Merde ! C’est quoi ce bordel ? dis-je en
avalant ma salive.
Je réalisais que je venais de parler tout haut. Je
réagis aussitôt en posant ma main sur l’oreille et en
sortant le portable de la poche afin de faire croire
que je parlais au téléphone avec une oreillette.
Heureusement, personne n’avait fait cas. Mais je ne
comprenais pas ce qui s’était passé... Voilà que
j’avais des visions sans toucher le module.

L’arrivée de Raphaël me fit sortir de mes


pensées. Il posa deux tasses de café sur ma table,
déplaça une chaise et s’installa en face de moi.
— Alors Tony, que se passe-t-il ? Tu as une
mauvaise mine !
— Carine vient de me dire la même chose...
— Elle m’en a parlé, et je l’ai aussi remarqué... je
te connais bien...
— C’est qu’il m’arrive quelque chose
d’incroyable..., lui dis-je à voix basse.
54
Le Cristal des Dieux 1

— Je suis là pour ça aussi. Dis-moi tout.


— Je ne sais trop comment te dire ça...
— Me dire quoi ?
— Bon, j’y vais direct… cette nuit, j’ai assisté à
un meurtre...
— Oh putain, c’est toi ? demanda-t-il à voix
haute.
— Chut... Je ne veux pas que tout le monde
l’apprenne. Tu as écouté les informations ?
Raphaël hocha la tête et fronça les sourcils.
— Ils ne parlent que de ça... ils ont commenté
l’assassinat d’un scientifique de grande renommée.
Ils disent aussi avoir trouvé du sang appartenant à
une autre personne... Il y a une enquête en cours.
Mais ne me dis pas que tu es le témoin en fuite ?
murmura-t-il en remuant sa tasse de café.
— Je ne suis pas en fuite... Les flics sont venus
me voir hier soir et tout s’est très bien passé. Je dois
justement me rendre au commissariat pour signer
ma déposition. Pour ce qui est du sang... il doit
certainement m’appartenir... je me suis blessé au
coude en relevant le bonhomme..., lui mentis-je, en
me touchant le bras.
Je n’osais pas lui raconter pour le module. Il
m’aurait pris pour un demeuré. Je lui narrais donc
le récit du meurtre...
Raphaël m’écouta avec attention, son visage
devint interrogateur.
— Merde... Tu l’as donc vu mourir ?
— Oui... Mais pas tout de suite. Il suffoquait,
alors j’ai voulu le relever, et il m’a parlé...
55
Les survivants d’Hullia

Raphaël dégustait son café. Il n’en revenait pas.


— Que t’a-t-il dit ? me demanda-t-il en soufflant
sur son café.
— Il m’a prié de me rendre vers le sud afin de
retrouver quelqu’un.
— C’est fou... Mais, pourquoi diable disent-ils
que tu es recherché ?
— Je n’en sais rien... mais je reste persuadé que
ce colonel est impliqué et il veut me faire porter le
chapeau.
Raphaël se leva, et retourna derrière le comptoir.
Il attrapa une bouteille d’armagnac, versa une bonne
mesure dans deux verres tulipes, puis revint
s’asseoir.
— À la tienne ! dit-il en joignant le geste à la
parole. Il en dégusta une petite gorgée, puis ajouta
en esquissant une grimace.
— Que vas-tu faire maintenant ?
— Me présenter au commissariat..., lui répondis-
je en regardant ma montre.
— Je pense que ce n’est pas bonne idée... À mon
avis, ils vont t’arrêter et te mettre en garde à vue. À
partir de là, ce type t’aura sous la main.
— Effectivement, vu comme ça, tu as raison...
mais que faire ?
— Sincèrement... je ne sais pas... Je vais sans
doute, suivre les recommandations du bonhomme...
— Tu as sans doute raison... Bon, je vais y aller.
Combien je te dois ?
— Laisse... On se voit tout de même ce soir ?
Carine m’a fait savoir qu’elle t’a invité à dîner.
56
Le Cristal des Dieux 1

— C’est vrai, et c’est gentil, mais je ne sais pas


quoi faire.
— Si tu es dans les parages, essaie de venir...
— OK, si entre-temps on ne m’a pas balancé
derrière les barreaux..., lui répondis-je en lui serrant
la main.

Je sortis du restaurant en me demandant si je


devais me présenter au commissariat en leur
expliquant que je suis victime de je ne sais quel
complot... Mais ce serait long et fastidieux. « Alors,
que faire ? M’enfuir comme le vieil homme me
l’avait si vivement conseillé ? D’accord... mais pour
aller où ? Vers le sud en tentant de retrouver une
personne inconnue sur une terre inconnue ? »
C’est dément comme idée. Mais toute cette
histoire est démente. Je me mis à penser à la jeune
fille de ma vision.
« Une femme qui s’évanouit dans les airs ne peut
pas être réelle. Si cet appareil sur ma nuque me fait
voir des choses qui n’existent pas… et bien, je suis
dans la merde... »
Je m’arrêtais quelques instants entre les tables de
la terrasse, le temps de chercher les clés dans ma
veste tout en jetant un coup d’œil sur le parking. La
berline noire n’était plus là. Bizarre, personne
n’était entré ou sorti du restaurant entre temps. Je
marchais sur le parking, lorsque j’entendis des
crissements de pneus et le grondement d’un moteur
poussé à plein régime. Je tournais la tête et vis la
berline entrer en trombe sur le parking. Elle me
57
Les survivants d’Hullia

fonçait dessus. Je retournais sur la terrasse et me


précipitais entre deux tables. L’engin me frôla et
heurta quelques chaises, celles-ci volèrent dans les
airs. L’une d’elles s’abattit sur le parebrise d’une
voiture stationnée.
J’entendis la voix de Carine crier mon nom. Je
me retournais juste le temps de l’entrevoir par la
fenêtre de la cuisine, tandis que Raphaël et plusieurs
clients sortaient hâtivement du restaurant. L’un
d’eux leva les bras en criant et jurant pour sa
voiture.
La berline continua sa course, puis exécuta un
bruyant tête-à-queue. Le moteur rugit sous le capot
tandis que les roues griffaient le goudron dans un
nuage de fumée.
Je me lançais rapidement vers ma voiture. Jetant
un coup d’œil furtif derrière moi, je vis le bolide
arriver. Je sautais sur le capot d’un véhicule pour
l’éviter. La berline continua dans sa lancée, puis
malgré un coup de frein brutal, elle s’engouffra dans
la haie de lauriers qui ceinturait le restaurant. Le
conducteur tenta une marche arrière, mais les roues
avant patinèrent dans la terre humide. Profitant de
cet incident, j’ouvrais ma voiture, me jetais sur le
siège et démarrais rapidement.

58
Le Cristal des Dieux 1

Je roulais sur la nationale en écrasant


l’accélérateur. J’avais les yeux rivés sur les
rétroviseurs.
— Bordel ! me dis-je en colère. Dans quel pétrin
me suis-je fourré ? Qui sont ces gens ?
Quelques minutes plus tard, je débouchais avec
prudence dans ma rue. Il y avait des travaux non loin
de ma résidence. Je profitais pour me garer derrière
une roulotte de chantiers, puis, attentif, je me mis à
scruter les alentours. Mon portable sonna à
plusieurs reprises. C’était Raphaël qui essayait de
me joindre. Je le mis en mode vibreur, j’étais trop
préoccupé pour lui répondre.
Je remarquais un fourgon noir au coin de la rue.
Deux hommes étaient assis à l’intérieur. Était-ce le
même fourgon de la nuit dernière ? Il lui
ressemblait. Qui étaient-ils ? Des flics, ou des
collègues aux enfoirés qui ont tenté de m’écraser sur
le parking ? Qu’importe, pour le moment, il n’était
plus question de rentrer chez moi. Mais où aller, et
que faire pour éviter qu’ils ne me retrouvent ? Je
décidais d’emprunter des chemins de traverse afin
de quitter la région. Tandis que je roulais, je reçus
un texto de Carine qui disait : « Réponds-moi Stp. »
Mes amis devaient se faire un sang d’encre. Je
devrais leur donner de mes nouvelles. Mon histoire
devrait lui paraître évidente à présent. Je l’appelais.
— Tony ? fit la voix affolée à l’autre bout du fil.
Où es-tu ? Es-tu blessé ? Nous avons eu très peur !
— Je vais bien... Écoute, je ne peux pas rester
59
Les survivants d’Hullia

longtemps en ligne. Ce type bosse pour l’armée, je


pense qu’il est capable de localiser l’appel. Après
ça, j’éteindrais le portable et ôterais la batterie.
Mais, dis-moi, ils ne vous ont pas ennuyés ?
— Non, non... Je te passe Raphaël.
— Tony ? Qui sont ces gens ? Ils nous ont posé
des tas de questions. Nous avons répondu que tu
étais un client parmi tant d’autres. J’ai fait le type
qui se fout du sort des autres, et j’ai tapé un scandale
pour ma terrasse et mes lauriers. Du coup, ils ont
dégagé la voiture et sont partis.
— Bien joué ! Sincèrement, je ne sais pas qui ils
sont, je doute qu’ils fassent partie de l’armée... Je
dirais plutôt qu’ils font partie d’une sorte
d’organisation secrète... enfin, je suppose. Mais ne
t’en fais pas pour moi. Embrasse Carine pour moi.
Dis-lui de ne pas s’inquiéter. Je vous donne des
nouvelles dès que possible.

60
Le Cristal des Dieux 1

SOMBRES ÉVÈNEMENTS

Je roulais depuis des heures. La route était


fréquentée, la fatigue se faisant sentir, je me mis en
quête d’un endroit où me reposer quelques instants.
C’est en arrivant à un croisement près d’une station-
service que je décidais d’emprunter une route
départementale. Je roulais en direction d’un petit
village. Je ralentis à la vue d’un cinéma en plein air
désaffecté et m’engageais sur un chemin de terre
semblant mener jusqu’au sommet d’une colline.
Non loin de là se trouvait un vieux mas abandonné.
Je m’en approchais. Il était en ruine. De cet endroit,
je pouvais surveiller la route nationale sans être vue.
Je laissais la voiture en contrebas et montais près
des ruines. J’avais une vue d’ensemble. Je restais là,
quasiment une heure, assis entre deux arbres à
surveiller la route, mais la fatigue me gagna. Je
redescendis jusqu’à la voiture pour m’assoupir
quelques instants.
La fraîcheur de la nuit me réveilla et je repris la
route.
61
Les survivants d’Hullia

Mes visions décrivaient le sud de l’Espagne,


l’Andalousie précisément. C’est loin, très loin, mais
avant ça je devais passer la frontière, ou du moins
tenter de la passer. J’appréhendais la police et la
douane. Je me demandais s’ils avaient mon
signalement. Heureusement, les postes étaient
déserts, personne ne m’interpella.
Il commençait à pleuvoir. Je m’arrêtais un peu
plus tard dans une station-service à la sortie d’un
village afin d’y faire le plein. Il y avait un petit resto
routier, ça tombait bien, mon estomac criait famine.
Le serveur me fit un signe de bienvenue en
hochant la tête. Devant lui se trouvait un long
comptoir sur lequel s’étalait une vitrine protégeant
une multitude de plats cuisinés. Je commandais un
sandwich à emporter et une bière. Je payais la note
et sortis du restaurant. Je pensais me trouver un coin
tranquille pour manger et me reposer dans une heure
ou deux.
Il pleuvait à torrents. Le temps d’arriver à la
voiture, j’étais déjà trempé. « Décidément... Il faut
que je pense à prendre un parapluie... »
Par prudence, je laissais passer deux camions, et
m’engageais sur la route derrière eux. La visibilité
était mauvaise sous cette pluie battante, les essuie-
glaces ne suffisaient pas et pour couronner le tout,
les phares du véhicule qui me suivait
m’éblouissaient, je déréglais le rétroviseur intérieur.
Je trouvais que le véhicule roulait vraiment trop
près. Je donnais quelques petits coups de frein pour
qu’il ralentisse. Il perdit de la distance durant
62
Le Cristal des Dieux 1

quelques minutes, puis il remit ça, mais cette fois-ci


il se rapprocha dangereusement et tenta de me
doubler, quand soudain il se rabattit brusquement
contre mon aile arrière. L’impact me fit dévier. Il
ralentit, laissa quelques mètres entre nous, puis
accéléra à nouveau. Il tentait de remettre ça. Ses
phares étaient haut et très écartés, ce devait être une
sorte de camionnette ou un tout terrain. J’accélérais
à mon tour et réussis à mettre une certaine distance
entre nous. Mais le poids lourd qui roulait devant
moi m’empêchait de filer. Le véhicule fou se
rapprochait.
La panique commença à monter en moi. Je tentais
de me calmer en décidant de doubler le camion.
J’allais déboiter et contrôler si la voie était libre,
quand un impact brutal me secoua latéralement. De
toute évidence, le conducteur tentait de me faire
quitter la route. Les rétroviseurs extérieurs
m’éblouissaient aussi. Je déportais ma voiture sur la
gauche. Il n’y avait rien en face. J’en profitais pour
déboiter en écrasant la pédale d’accélérateur. La
Rover s’élança comme une fusée et doubla
l’énorme camion. Jetant un coup d’œil furtif dans le
rétroviseur, je remarquais que l’autre véhicule me
suivait toujours.
Il y avait un deuxième poids lourd devant moi. Je
le dépassais aussi. Mais un virage serré s’amorçait
au loin juste avant un pont. Les phares aveuglants
du véhicule qui me traquait s’approchaient à
nouveau. Je braquais pour prendre le virage quand
je vis les phares arriver sur moi. Je m’accrochais au
63
Les survivants d’Hullia

volant en maudissant l’ignoble individu qui m’en


voulait ainsi.
Le choc fut terrible et malgré mes
contrebraquages, je perdis le contrôle. L’arrière de
la Rover partit de travers en patinant sur la chaussée
mouillée. Les roues du côté gauche quittèrent le sol.
La voiture faillit se retourner. Je tentais de redresser,
mais ce fut en vain. Elle dérapa dans un horrible
crissement de pneus, fit un brusque tête-à-queue et
heurta les barrières de protection du pont. Celles-ci
cédèrent sous l’impact, mais me freinèrent
suffisamment.
D’après le choc que j’avais ressenti sous la
caisse, j’en déduisais que les roues arrière se
trouvaient dans le vide.
J’étais encore sur mon siège grâce à la ceinture
de sécurité. J’évitais de bouger, de peur de perturber
la stabilité précaire du véhicule, quand une lumière
vive me fit tourner la tête. Je ne pus m’empêcher de
crier de haine, en voyant les phares se jeter à
nouveau sur moi. L’impact fut d’une violence
inouïe et le vacarme horrible. La voiture bascula
dans le vide et après quelques longues secondes de
silence, la carcasse frappa brutalement les eaux
sombres de la rivière. Sous le choc, ma tête heurta
le montant du parebrise, je ressentis une douleur
intense et une sorte de lumière dans ma tête... puis
ce fut le noir total.

***

64
Le Cristal des Dieux 1

J’ouvris les yeux dans l’obscurité... et vis la


lumière verdâtre des instruments du tableau de bord.
Je sentais mon corps meurtri, et une douleur
lancinante tambourinait dans mes tempes et mon
crâne...
Que s’était-il passé ? L’eau glacée montant sur
mes jambes me fit reprendre mes esprits et me fit
remémorer la scène de l’accident. Ce qui me força
à analyser la situation.
Ma voiture s’enfonçait dans l’eau de la rivière...
Je devais réagir vite et me sortir de ce piège à tout
prix. Je tâtonnais… J’avais du mal à déboucler la
ceinture de sécurité. J’y parvins enfin, mais la
portière ne s’ouvrait pas. Celle-ci résistait malgré
les actions répétées sur la poignée et les coups
d’épaules et de pieds, elle s’était bloquée dans le
choc. L’eau montait de plus en plus rapidement
dans l’habitacle.
J’insistais sur la portière droite, elle finit par
s’ouvrir et l’air s’échappa brutalement tandis que
des trombes d’eau glacée déferlaient sur moi. La
puissance de l’eau me catapulta violemment contre
le volant... ma tête heurta et arracha le rétroviseur
intérieur. Puis malgré la douleur, une incroyable
vigueur monta en moi. Et c’est à force de tâtonner
que je réussis à me dégager de cette prison de métal.
Je commençais à manquer d’air... Je tentais
désespérément de remonter vers la surface. Mais

65
Les survivants d’Hullia

j’ignorais où se trouvait la surface. Dessus…


Dessous… Sur le côté… Je ne savais plus. Je ne
voyais rien. C’était le noir complet. J’étais perdu
dans cette froideur aquatique et ténébreuse. Je
suffoquais, je sentais que la fin n’était pas loin. Des
scènes étranges défilèrent devant mes yeux, des
souvenirs mêlés de centaines d’images
incompréhensibles et mystérieuses. Je ressentis une
douleur dans la poitrine.
C’est alors qu’une voix résonna dans ma tête. Je
sentis une sorte de chaleur envahir mon corps
malgré la morsure froide des eaux sombres.
Une silhouette lumineuse apparut devant moi, et
commença à prendre une forme humaine, mais
avant que je n’aperçoive ses traits, la silhouette se
divisa et se mua en une traînée de lumière fuyante
s’éloignant au-dessus de moi.
— « Regarde la lumière des phares ! » dit une
voix raisonnant dans ma tête.
Oui... les lumières fuyantes étaient les faisceaux
des phares de la voiture qui éclairait le fond boueux
de la rivière.
« Le fond ? » Je réalisais soudain que je n’étais
pas dans le bon sens, et que c’était moi qui
m’éloignais entraîné par le courant. Sans cette
vision, je n’aurais pas eu le temps de réaliser la
situation. À présent, je savais vers où me diriger.
Malgré le froid glacial, la douleur et
l’insoutenable brûlure que je ressentais dans ma
cage thoracique, je nageais vers cette
supposée surface, vers la délivrance...
66
Le Cristal des Dieux 1

J’avais l’impression que les minutes duraient des


heures... Quand, enfin, ma tête émergea hors de
l’eau, un long sifflement retentit autour de moi,
mais je réalisais que ce n’était que l’air qui
s’engouffrait avec violence dans mes poumons. Je
respirais enfin...
Je nageais sous une pluie battante,
assourdissante. Je distinguais les phares d’une
multitude de véhicules arrêtés au loin sur le pont. Le
courant m’avait entraîné sur des centaines de
mètres. Je tentais à grand-peine de me rapprocher
de la berge que j’avais entrevue l’espace d’un éclair.
C’est avec difficulté que je parvins à m’agripper à
des tiges souples et flexibles. « Des joncs... » Je
devais être près de la berge. Je sentis avec
soulagement le fond vaseux sous mes pieds. Je
réussis à me traîner hors de l’eau et ramper sur la
rive boueuse pour m’affaler parmi les hautes herbes
trempées, mais tellement appréciées.
J’étais à bout de force, mais je ne devais pas me
laisser aller, je devais m’éloigner.
Après un énorme effort, je réussis à me relever.
Je ne voyais rien, et la pluie était glacée. Il n’y avait
pas la moindre lumière aux alentours.
Je me mis à prier le ciel pour qu’un éclair me
révèle le paysage. Je n’attendis pas longtemps, car
une lueur fulgurante déchira les ténèbres, me
laissant furtivement entrevoir un chemin de terre
semblant longer les berges de la rivière.
Je ne savais plus depuis combien de temps je
marchais sur ce chemin envahi de flaques. La pluie
67
Les survivants d’Hullia

me fouettait le visage. J’avais mal partout... aux


côtes, à épaules, aux bras. Je devais aussi avoir une
plaie à la tempe, car je sentais un liquide tiède couler
sur ma joue.
J’avançais d’un pas hésitant dans la noirceur de
la nuit, en tentant de ne pas m’égarer du chemin
bourbeux et cahoteux, lorsqu’une étrange vapeur
fluorescente apparut et commença à s’élever à
quelques mètres devant moi. Je m’arrêtais soudain,
car un long frisson me parcourut le corps au moment
où cette sorte de brume s’approcha en prenant une
forme humaine.
Elle était si près de moi que je fis un pas en
arrière. Malgré mon esprit troublé, je réalisais que
la silhouette avait l’apparence de la jeune femme
qui m’était apparue dans le bar... En dépit de la pluie
torrentielle, sa chevelure blonde semblait sèche et
resplendissante. Une sorte d’aura émanait d’elle et
éclairait son visage. Ses yeux s’agrandirent.
— Tony, regarde sur ta droite ! dit-elle.
Je tournais la tête, mais ne vis rien. Quand
soudain, un formidable éclair illumina les nuages
bas et le paysage alentour. Pendant quelques
secondes, je vis comme en plein jour, ce qui me
permit d’entrevoir un cabanon dans un potager
voisin.
J’allais lui répondre, lui demander qui elle était,
quand un violent coup de tonnerre ébranla le sol et
mes tympans. La jeune femme s’évapora
subitement. Je me retrouvais à nouveau seul sous le
déluge infernal et incessant.
68
Le Cristal des Dieux 1

Des dizaines de questions se bousculèrent


soudain dans ma tête. Qui était-ce ? Un fantôme, un
ange, un être d’un autre monde ? Peut-être bien
aussi que j’étais devenu schizophrène ?
L’apparition avait désigné un jardin clôturé. Je
m’approchais et cherchais une entrée à tâtons. Mes
mains engourdies rencontrèrent le cadre métallique
d’une porte grillagée. Par chance, celle-ci s’ouvrit
dès que j’actionnais la poignée. Je souris malgré la
douleur qui envahissait mon corps.
Je devinais une petite allée cimentée, en
l’empruntant, je parvins jusqu’au cabanon de tôle...
La porte était verrouillée.
Je devais chercher un autre abri, mais à présent,
mes jambes ne me soutenaient presque plus. À bout
de souffle, je me laissais tomber au pied du cabanon,
et restais dans cette position durant quelques
minutes.
Un vent fort se leva, accentuant le froid et
redoublant la vigueur de la pluie. J’allais me relever
en m’appuyant contre le mur, lorsque ma main se
referma sur le manche d’une bêche. Je l’empoignais
et m’en servit comme un levier en la glissant dans
l’encadrement de la porte. La tôle légère s’écarta
facilement. Je me précipitais à l’intérieur et
refermais aussitôt la porte.
Tâtonnant à l’aveugle, je devinais divers objets.
Je découvris aussi avec extase quelques étoffes. Je
m’installais dans un coin et m’y blottis en me
recouvrant des tissus. Je tremblais comme une
feuille. Je claquais des dents. Les étoffes sentaient
69
Les survivants d’Hullia

la poussière, la moisissure et d’autres odeurs


particulières que je ne pouvais identifier sur le
moment.

Malgré la fatigue et le sommeil, je me mis à


ressasser tout ce qui s’était passé depuis cette
rencontre avec le vieil homme. Tout s’était déroulé
tellement vite... Je maudissais encore le conducteur
fou, et me demandais si les flics s’étaient mis à ma
recherche sous ce déluge. Je tentais de me calmer
afin d’essayer de m’endormir, mais je n’y parvenais
pas... j’étais trop angoissé. J’avais envie de crier, de
hurler. J’avais l’impression que quelqu’un jouait au
tambour dans mon crâne. Je me trouvais dans le noir
avec une infernale sarabande de souvenirs et de
visions étranges qui tourbillonnaient sans cesse
dans mon esprit.
Passant machinalement la main sur mes cheveux
afin d’ôter l’excédent d’eau, je sentis le petit objet
rectangulaire sous mes doigts engourdis. Il était la
source de tous mes ennuis. L’idée de m’en
débarrasser en l’arrachant, malgré la souffrance que
cela pourrait entraîner, s’imposa à mon esprit...
Mais j’y renonçais rapidement. Au point où j’en
étais, autant en savoir un peu plus sur cette étrange
histoire. Et surtout sur cette jeune femme qui
m’apparaissait de temps à autre.
C’est d’un geste hésitant que j’appuyais sur le
module. Une lente lassitude m’envahit et
m’enveloppa dans une douce tiédeur.
Il me sembla entendre de lointains murmures,
70
Le Cristal des Dieux 1

sous le vacarme assourdissant de la pluie s’abattait


sur le toit en tôle du cabanon. Quand, jaillissant de
nulle part, des dizaines de petits points lumineux
apparurent dans l’obscurité et se multiplièrent en
tourbillonnant...
Des voix distinctes parvenaient à dominer le bruit
du déluge qui s’amenuisait rapidement.
À présent, je n’entendais plus que quelques
clapotis faisant écho dans le lointain. J’étais comme
hypnotisé par les va-et-vient incessants des petites
lumières, quand brusquement leur éclat devint
aveuglant. Je me sentis submergé par cette clarté
blanche et brillante. Puis la lueur diminua pour se
réduire en deux longs faisceaux de lumière. L’un
d’eux partait de la torche que je tenais dans ma
main. Son rayon se propulsait dans la profondeur de
la nuit, faisant surgir les majestueuses colonnes de
calcite semblant soutenir la vaste voûte aux reflets
scintillants d’où pendaient des milliers d’aiguilles
de calcaire translucide.
J’entendais aussi le mince filet d’eau qui tombait
en cascade dans le plan d’eau. Mon bras droit se
leva comme par enchantement et la torche éclaira
les étranges marches que les deux hommes avaient
découvertes dans cette étrange et vaste caverne.

71
Les survivants d’Hullia

Joaquín et Nicolas descendaient les marches avec


précaution, examinant avec minutie les moindres
recoins, dans l’espoir de découvrir un quelconque
objet.
Des buissons de gypse pendaient du plafond
parallèle à l’étrange escalier. Les innombrables
marches étaient érodées pour la plupart érodées et
rendaient la descente difficile, lorsqu’elles n’étaient
pas ensevelies sous des éboulis. Un peu plus bas,
une gigantesque draperie de calcite de couleur
laiteuse leur faisant obstacle, ils durent redoubler de
prudence pour ne pas glisser dans le vide en tentant
de la contourner.
Quelques minutes plus tard, ils arrivèrent au bas
de cet étrange escalier. Mais ils n’étaient pas encore
au bout de leurs surprises, car ils marchaient à
présent sur une surface parfaitement plane,
parsemée çà et là de quelques fragments de
stalactites. La dimension de cette énorme dalle
devait avoisiner les trois cents mètres carrés.
Joaquín, émerveillé, se promena en balayant le
sol avec sa torche, quand il s’arrêta et lança une
exclamation. Nicolas le regarda et resta sans voix en
découvrant ce qu’il éclairait.
— Tout, sauf cette énorme butte arrondie au bout
de la dalle, semble artificiel... Qui a bien pu
construire ça ici ?
— Je suppose que cette question restera sans
72
Le Cristal des Dieux 1

réponse... À quelques milliers d’années près, nous


aurions pu le savoir..., se lamenta Joaquín.
— D’après les sédiments qui ont formé la butte,
j’opterais pour quelques centaines de milliers
d’années. Mais ces marches polies prêtent à
confusion... Woaoo ! Regarde ça !
— Qui y a-t-il ? demanda Nicolas.
— Là ! dit Joaquín en éclairant la paroi sur leur
droite.
C’était de toute apparence l’étrange perfection
d’un miroir de faille. Ce qu’ils avaient tout d’abord
pris pour des fissures et des aspérités de la paroi
étaient des peintures rupestres. Les traits et les
esquisses au charbon de bois semblaient, pour la
plupart, partiellement effacés, ou à moitié noyés
sous une sorte de vernis laiteux. Joaquín commença
à énumérer les dessins. Il y distingua des bisons, des
ours, des chevaux, des rhinocéros, des lions et
d’innombrables autres animaux aux formes
fabuleuses, ainsi que des dizaines de mains
humaines négatives.
— Et là, il y a quelques ossements et des traces
d’anciens foyers..., remarqua Nicolas. D’après les
animaux représentés, le climat devait être différent
d’aujourd’hui.
Il s’abaissa pour ramasser un reste de charbon de
bois gisant parmi quelques bouts d’os
méconnaissables.
— Crois-tu que les auteurs de ces peintures aient
emprunté les escaliers pour descendre aussi
profondément ?
73
Les survivants d’Hullia

— Je ne sais pas... à moins qu’il y ait un autre


accès quelque part.
Joaquín s’arrêta et regarda attentivement les
peintures.
— Ce tracé-là est différent et bien étrange..., dit-
il en désignant une esquisse particulière. As-tu déjà
vu quelque chose semblable ?
— Son auteur a sans doute voulu reproduire le
soleil, proposa Nicolas. On retrouve des tracés
similaires sur certaines décorations égyptiennes ou
mésopotamiennes.
Il s’approcha et scruta le dessin avec curiosité.
Les traits représentaient un cercle d’une trentaine de
centimètres de diamètre, avec un deuxième cercle
plus petit à l’intérieur. Deux bandes courtes et
verticales partaient vers le bas. Comparé aux
dessins avoisinants, ce tracé circulaire était presque
parfait.
— Effectivement, ces deux traits là-dessous sont
sécants.
— Si j’avais l’esprit farfelu, je dirais que c’est
une tête dessinée à l’envers avec un œil unique et
deux antennes. J’ai vu une esquisse comparable
dans une grotte en Australie...
— Attends... Ces deux lignes me font penser à
quelque chose, dit Joaquín en s’écartant du mur.
Il éclaira le sol et se dirigea d’un pas rapide vers
le bord de la dalle.
— Regarde... je pense que ces lignes sous les
cercles représentent les deux angles que forment le
bord de la berge et l’angle de la paroi sur le sol. Et
74
Le Cristal des Dieux 1

si je mets cette énorme butte au sommet arrondi, à


la place du cercle, ça correspond tout à fait...
Imagine que les sédiments qui suintent du plafond
et de la paroi depuis des temps immémoriaux, ont
fini par ensevelir quelque chose qui d’après ce
dessin devrait avoir une forme sphérique.
Nicolas fit quelques allers-retours du dessin au
monticule avec le faisceau de sa torche. De l’angle
où se situaient les deux hommes, la vision
concordait avec le dessin.
— Nico... je ne voudrais pas te paraître niais,
mais il me semble qu’il doit y avoir là-dessous
quelque chose en rapport avec ce dessin...
Les deux hommes s’échangèrent un étrange
regard. Apparemment, Nicolas était du même avis
que son ami, car il ne dit pas un mot. Ils se dirigèrent
vers le monticule et le scrutèrent attentivement.
Joaquín frappait doucement avec son piolet sur la
butte composée de calcaire blanc.
Nicolas faisait danser sa lampe en faisant de
petits mouvements concentriques. Son compagnon
le remarqua.
— C’est étonnant, selon l’éclairage, la roche
paraît translucide. J’ai l’impression que c’est creux.
— J’ai envie d’y planter le piolet. Je sais que
nous n’avons pas le droit de détériorer un endroit tel
que celui-ci, mais ce qu’il pourrait y avoir là-
dessous me préoccupe.
— Je suis de ton avis, mais si nous décidons de
percer là-dedans, nous devons le faire avec
prudence.
75
Les survivants d’Hullia

— Oui, il y a des risques... Mais il se fait tard, je


propose de remonter et de revenir demain matin en
prenant nos précautions. Nous rechargerons les
batteries, et nous nous équiperons adéquatement.
Le visage de Joaquín s’attrista, mais il reconnut
que cette solution était des plus raisonnables.
Ils rebroussèrent chemin. Et pour mieux
s’orienter lors de leur prochaine visite, ils laissèrent
quelques repères composés de petits
amoncellements de pierres disposés à des endroits
stratégiques de la caverne.

— ¡ Dios mío... Estéban !1 cria une voix.

Ils escaladaient avec précaution le gigantesque


tas d’éboulis. Tout en haut, au-dessus d’eux, la
clarté lointaine de la lampe dans le couloir brillait
au bout de l’étroit goulot sombre de l’entrée de la
caverne.
Nicolas sentit une main se poser sur son épaule et
le secouer doucement.
Gravir le sol friable s’avéra beaucoup plus
difficile que la descente. Ils trouvèrent les cordes de
rappel. Nicolas en agrippa une, et y fixa les anneaux
de son harnais.
— ¡ Señor !2 redit la voix.
Tandis qu’il accrochait la torche à sa ceinture,
Nicolas sentit qu’on le secouait à nouveau. Il leva

1
Mon Dieu... Estéban !
2
Monsieur !

76
Le Cristal des Dieux 1

les yeux et fixa ce petit point lumineux dans


l’obscurité de la caverne.
Quand soudain, la clarté s’intensifia, l’entrée de
la grotte se déchira, s’élargit et s’illumina de façon
hallucinante, atteignant une proportion colossale.
Une ombre gigantesque apparut dans cette lumière
aveuglante.
Je tentais de m’agripper aux cordes, mais elles
s’évanouirent entre mes mains. Je me voyais déjà
tomber dans le vide. Mais rien ne se passa. L’ombre
se modifia. Les dimensions visuelles atteignirent
une autre ampleur. Les contours de l’ombre
s’affinèrent et prirent une forme humaine. C’était
une femme, elle était penchée vers moi, mais je ne
pouvais distinguer son visage. Sa silhouette sombre
se découpait dans l’encadrement de la porte du
cabanon.

Mon esprit émergeait douloureusement à la triste


réalité, tandis que je reprenais conscience de mon
corps en ressentant la désagréable et malodorante
humidité de mes vêtements.
— Por fin... señor, como se encuentra ?3
demanda-t-elle d’une voix étranglée.
— Excusez-moi, madame... Je voulais
simplement me mettre à l’abri, lui répondis-je en
grelottant.
— Vous êtes français... Mais que vous est-il

3
Enfin... Monsieur, comment vous sentez-vous ?

77
Les survivants d’Hullia

arrivé pour être dans cet état ?


— Je vais vous dédommager pour la porte...
— Ce n’est rien... ne vous inquiétez pas pour ça,
mon époux va venir vous aider. Il débarrasse la
fourgonnette. Pouvez-vous vous lever ? Nous allons
vous accompagner à l’hôpital.
— Non... Je me lève et je pars…
— Ts. Ts... Ne bougez pas ! gronda-t-elle. Vous
saignez de partout... Et cette blessure à la tempe,
vous ne pouvez pas rester comme ça, il faut vous
soigner.
— S’il vous plaît, non, pas d’hôpital.
— Ce n’est pas sérieux, voyons.
— S’il vous plaît...
— Bon, très bien..., dit une voix grave derrière
elle. Nous allons vous emmener chez nous, mais il
faut qu’un médecin vous examine.
La femme s’écarta, et un grand homme apparut
dans l’embrasure de la porte. Il me surprit par son
imposante carrure. Ses bras massifs me relevèrent
avec une aisance hallucinante. Cet homme était bâti
comme une montagne. Il devait avoir la soixantaine
passée. Son visage semblait taillé dans le roc, mais
son regard reflétait la bonté.
— C’est à croire que tu es tombé d’un avion...
Accroche-toi à mon bras, me dit-il en m’aidant à
marcher jusqu’à une fourgonnette blanche garée à
l’entrée du potager.
Sa femme ouvrit la porte arrière. Je découvrais
son regard bleu ciel, semblant refléter une peine
immense. Son âge n’avait rien ôté à sa beauté. La
78
Le Cristal des Dieux 1

gentillesse et l’honnêteté se lisaient sur son visage.


Sa voix était douce et maternelle. Elle ouvrit la
portière avant de la fourgonnette, attrapa un étui à
mouchoirs de papier et ramassa une épaisse veste
qu’elle vint placer sur mes épaules, tandis que son
mari m’aidait à m’installer à l’arrière du véhicule.
— Nous devons soigner ces blessures, dit-elle en
posant plusieurs mouchoirs sur ma tempe et mon
bras.
L’orage s’était apaisé et quelques rayons du
soleil matinal perçaient timidement le ciel sombre
et bas. C’était apparemment une accalmie, car
d’épais nuages noirs s’accumulaient et venaient
dans notre direction. Un long roulement de tonnerre
arriva jusqu’à nos oreilles annonçant le retour de
l’orage. Quelques gouttes de pluie commençaient à
tomber lorsque le véhicule traversa le village. La
fourgonnette se faufila dans une rue étroite
débouchant sur une place, puis s’arrêta près d’une
ancienne mercerie au panneau publicitaire déteint et
à moitié effacé.
La femme sortit la première et ouvrit la porte
d’un garage. Esteban y engagea le véhicule, puis
arrêta le moteur.
— Venez, jeune homme... Rosa va nous préparer
un bon déjeuner.
Je ne comprenais pas l’amabilité que me
portaient ces gens... je n’étais pas habitué à
rencontrer des personnes capables d’accueillir un
inconnu dans leur demeure. Je ne cessais de me
demander pourquoi ils faisaient ça, et je compris
79
Les survivants d’Hullia

cette raison à l’intérieur de la maison. C’était une


pièce de dimensions modestes. Un vieux buffet en
chêne, une table ronde de même nature, quatre
chaises, ainsi qu’un canapé aux motifs fleuris,
ornaient la salle à manger. Les murs étaient tapissés
de photographies encadrées. L’une d’entre elles
attira particulièrement mon attention, c’était le
portrait d’un adolescent, son visage me semblait
étrangement familier. J’observais la photo quand
Rosa me tendit des serviettes.
— C’est Alexandre, notre fils..., dit-elle.
Elle me regarda dans les yeux, puis son regard se
porta sur le portrait. Je vis une larme apparaitre et
rouler sur sa joue. Elle l’essuya et se ressaisit en me
regardant de bas en haut.
— Ôtez donc ces vêtements souillés et prenez
une douche en évitant de toucher la plaie... La salle
de bain est sur la droite à l’étage. Je m’occuperais
ensuite de ces blessures, dit-elle sur un ton grave
souligné d’un léger sourire.

C’est en découvrant mon reflet dans le miroir que


je pris conscience de mon état. J’étais sale, mon
visage et mes cheveux étaient recouverts de boue et
de sang. J’avais des hématomes sur presque tout le
corps. Rosa avait raison, lorsqu’elle disait que je
n’étais pas beau à voir. Heureusement, mes
blessures ne saignaient plus, néanmoins la dame
avait raison, il me fallait des points, je risquais de
garder une vilaine balafre en souvenir. J’avais un
80
Le Cristal des Dieux 1

énorme bleu qui partait de l’épaule et descendait


jusqu’au coude.
Quelques minutes plus tard, je nouais une
serviette autour de la taille et ouvris la porte pour
découvrir du linge plié, posé sur une chaise dans le
couloir. J’y trouvais un caleçon, un jeans, une
chemise et un gilet.

Esteban et Rosa étaient attablés devant une tasse


de café. Ils me regardèrent avec surprise.
— Eh bien... Vous avez meilleure mine ! me dit
Rosa se levant.
Elle ouvrit un tiroir du buffet et en sortit une boite
à pharmacie.
— J’ai du mal à reconnaître la personne que nous
avons trouvée dans le potager... Comment te sens-
tu ?
— Beaucoup mieux. Je ne sais comment vous
remercier.
— Je t’en prie, ce n’est rien..., répondit Esteban
avec un sourire. Ça n’aurait pas été humain de te
laisser partir dans cet état...
— Tenez, cela va soulager la douleur et faire
baisser la fièvre, me dit-elle, en me tendant deux
comprimés et un verre d’eau. Vous avez de la
chance, j’étais infirmière à domicile. Asseyez-vous,
je vais examiner ces blessures.
J’avalais les cachets, ôtais la chemise et
m’installais sur la chaise qu’elle venait de déplacer.
Elle posa des lunettes de vue sur son nez.
81
Les survivants d’Hullia

— Humm... Je vous conseille de voir un


médecin, cette plaie à la tempe n’est vraiment pas
belle du tout, et celle de l’avant-bras est assez
profonde ! dit-elle sans cesser de me dévisager.
Elle jugea que je n’écouterais certainement pas
ses conseils, alors elle désinfecta délicatement les
plaies et me posa des bandes adhésives spéciales
pour substituer les points de suture, puis les
recouvrit de pansements.
Esteban se leva et me regarda du haut de ses
1 m 90. Il devait être un robuste gaillard dans sa
jeunesse. Je m’asseyais à table sous son invitation.
Entre temps, Rosa partit dans la cuisine, lorsqu’elle
revint, elle posa devant moi un plateau garni d’un
bol de café, d’une petite jarre de lait chaud et
quelques madeleines.
— Il ne fallait pas vous déranger, Madame. Un
café aurait suffi...
— Tu dois prendre des forces. Mange quelque
chose. Ensuite, tu iras t’allonger un peu. Tu dois
aussi avoir besoin de repos.
— C’est vraiment aimable de votre part, mais je
ne veux pas vous déranger davantage.
— Tu ne déranges personne, mon garçon...
Attends au moins que l’orage soit passé.
— Il tombe des cordes ! Et vu la façon dont c’est
parti, il y en a pour toute la journée et certainement
pour toute la nuit, reprit Esteban en désignant la
fenêtre. Mieux vaut ne pas s’aventurer dehors avec
un temps pareil.
— Vous avez raison !
82
Le Cristal des Dieux 1

— Je sais... Eh bien moi, j’ai faim, je vais manger


un morceau.
Il se leva, se dirigea vers la cuisine. Je le vis
aiguiser un long couteau avant de découper
quelques petites tranches dans un superbe jambon
ibérique enchâssé sur un support de bois. Rosa
ouvrit la porte du placard et posa sur la table deux
assiettes avec deux verres, un pain de campagne à
demi entamé, deux tomates et un petit flacon d’huile
d’olive.
— Ne préférerais-tu pas ? Il est très
bon ! proposa-t-il en me présentant l’assiette de
charcuterie.
— Merci, ça a l’air très appétissant, mais je n’ai
pas faim.
— Je m’appelle Estéban Solleda. Comment
t’appelles-tu ?
— Tony Marcos... et je tiens à m’excuser pour
avoir forcé la porte de votre abri de jardin.
— N’y pense plus, la serrure déconnait... C’est un
cabanon en tôle de premier prix.
Esteban avait de l’appétit. Il ingurgita deux belles
tranches de pain, et vida un petit pichet de vin rouge.
— Rien de tel qu’un bon « almuerzo » pour
entretenir la santé et le moral. C’est une coutume
qui nous vient de notre province andalouse. Pour
nous, le casse-croûte du matin est sacré...
Il essuya ses mains sur une serviette, puis
débarrassa la table.
— Je m’en vais jeter un coup d’œil aux bêtes...
C’est ce que nous étions venus faire quand nous
83
Les survivants d’Hullia

t’avons trouvé. Rosa restera ici avec toi. Je n’en ai


pas pour longtemps. Tu ferais aussi bien de monter
t’allonger. On se voit tout à l’heure.
Rosa, qui ne cessait d’aller et venir dans la
maison, s’approcha de moi et me tendit une boite en
métal. Je regardais à l’intérieur et y découvris mon
portefeuille, mon téléphone démonté et un petit
sachet de plastique contenant le module. C’était tout
ce qui restait de l’ancien Tony Marcos. À présent,
j’étais devenu un fugitif.
— Je me suis permis de vider vos poches, j’ai mis
vos vêtements dans la machine à laver, ensuite je les
passerais au sèche-linge. Maintenant, il faut vous
reposer. Venez, je vous accompagne à votre
chambre.
Je ne savais quoi lui dire. Alors je la suivis
jusqu’à l’étage. Elle ouvrit une porte et me souhaita
un bon repos.

La pièce était propre et bien rangée. Un crucifix


était accroché au mur au-dessus de la tête du lit. Je
m’approchais de la fenêtre et écartais le voilage
brodé. Il pleuvait encore. Mon regard plongea sur la
petite place du village entouré de platanes.
Quelques passants marchaient d’un pas pressé sous
leurs parapluies ruisselants. Je restais là, assis sur le
bord du lit, à regarder le spectacle hypnotique de la
pluie torrentielle. Après quelques longues minutes,
je décidais de me déshabiller et me coucher.
Le mur opposé à la fenêtre se tapissait d’ombres
mouvantes et changeantes. L’ambiance de la
84
Le Cristal des Dieux 1

chambre me sembla douce et accueillante. Je me


vautrais sous les couvertures, mais je ne
m’endormis pas tout de suite. Je sentais pourtant le
sommeil m’envahir, mais je me demandais si les
personnes qui avaient commandité l’accident me
cherchaient encore. Je pensais aussi aux deux
explorateurs, je pressentais que de leur découverte
découlaient tous mes problèmes. J’aurais bien
enclenché le module, mais la douceur des draps finit
par me vaincre.

La pluie avait cessé, mais le temps restait grisâtre


et menaçant. Je ressentais toujours une légère
nausée. Je réussis à me lever malgré l’envie de
rester dans ce lit douillet. La maison était calme, pas
un bruit ne troublait ce lieu. Je descendis l’escalier
et me retrouvais dans la salle à manger. Mon regard
accrocha à nouveau le portrait du jeune homme.
Cette fois, je pris le temps de l’observer. Il émanait
de son image, une étonnante prestance. Ses cheveux
bruns et ses surprenants yeux verts lui donnaient un
regard profond et énigmatique. C’était étonnant,
j’avais l’impression de regarder une photo de moi à
vingt ans. À part le menton et ce regard
remarquable, la ressemblance était frappante.
Rosa s’approcha de moi.
— C’est assez surprenant ! dit-elle en me
85
Les survivants d’Hullia

regardant.
— Oui, très...
— Vous lui ressemblez tellement... à part les
yeux. Les vôtres sont gris-bleu... ceux d’Alex
étaient d’un vert incroyable...
— Je vois ça... J’admets que cette couleur n’est
pas courante.
— Il avait vingt ans sur cette photo. À l’époque,
nous habitions à Montesquieu Lauragais, en France,
un village près de Toulouse. Alex faisait ses études
à Lyon et descendait nous voir un weekend sur
deux. Peu après son vingt-troisième anniversaire, il
décida de passer quelques jours à Rome, il prit
l’avion et nous ne l’avons plus jamais revu...
— Il a disparu dans Rome ?
— Non, disons plutôt qu’il est monté dans
l’avion, mais il n’en est jamais descendu...
— À bord d’un avion ? C’est surprenant !
— Oui, plus que surprenant... surtout que deux
autres passagers ont aussi disparu.

Rosa m’invita à m’asseoir à table et partit dans la


cuisine. Elle revint avec un café et le posa devant
moi. Ensuite elle ouvrit un placard et en sortit un
album photo. Elle l’ouvrit à la dernière page et
désigna une photo.
— Celle-ci est la plus récente. La jeune fille
blonde s’appelle Laura, c’est la fille de nos amis,
Elle et notre fils étaient très proches... une grande
amitié les unissait. C’est elle qui nous a donné cette
photo. C’était la dernière fois qu’ils se sont vus. La
86
Le Cristal des Dieux 1

jeune fille à droite d’Alex s’appelait Alicia, elle est


l’une des deux autres personnes disparues à bord de
l’avion.
— C’était une très belle fille.
— Oui, sa mère est vénézuélienne, Alicia était
une très jolie métisse. J’ai gardé l’article du journal
mentionnant l’incident. Tenez, il est là..., dit-elle en
tournant la page de l’album.

Je le lis rapidement. Il précisait que les noms des


trois personnes étaient bien inscrits sur la liste des
passagers à bord. Mais que lorsque l’avion s’est
posé à Rome, ils n’ont jamais débarqué et malgré
des recherches policières très poussées, les équipes
n’ont découvert aucun indice. Cependant, certains
passagers ont confirmé qu’il y avait bien trois
jeunes gens à leurs places respectives, mais qu’ils
ne se rappelaient pas très bien leur visage.
— Ça, c’est étrange...
— Comme tu dis... Personne n’a pu les identifier
sur les photos présentées, comme si le souvenir de
leur présence avait été effacé...
— Là c’est vraiment inquiétant...
— Enfin... Voilà... Sinon, les enquêteurs ont
conclu qu’ils sont descendus avant les douanes de
l’aéroport !
— Les passerelles entre l’avion et l’aéroport sont
hermétiques..., lui dis-je.
— C’est ce que je pense aussi, répondit-elle.
— C’est vraiment insolite comme histoire. Vous
savez ? Lorsque je regarde cette photo, j’éprouve le
87
Les survivants d’Hullia

sentiment qu’ils sont toujours vivants... Je ne


saurais dire où ils se trouvent, mais je suis persuadé
qu’ils sont sains et saufs.
Rosa me regarda fixement. Elle paraissait
surprise et triste à la fois. Elle baissa les yeux pour
essuyer une larme.
— Je suis désolé... Si j’avais su, je n’aurais pas...
— Ce n’est rien, au contraire, ça me fait du bien
d’en parler. Et vos paroles me réconfortent un peu.
Vous savez, c’était un garçon gentil et attentionné.

Sa voix était emplie de tendresse. De toute


évidence, cette dame ne s’était pas confiée à
quelqu’un depuis longtemps.
— Je pense que ma ressemblance vous a frappé,
n’est-ce pas ? lui dis-je en examinant attentivement
la photo.
— À vrai dire, lorsque je vous ai vu là-bas dans
le cabanon, j’ai eu un pincement au cœur. Pendant
un instant, j’ai cru que notre enfant était revenu. Il
aurait eu vingt-trois ans cette année. Mais votre
regard et quelques détails vous différencient. Et
puis, même si vous ne lui ressembliez pas, nous ne
vous aurions pas laissé dans cet état.
La porte d’entrée s’ouvrit. Estéban apparu sur le
seuil. Il sourit en nous voyant. Le gaillard avait les
manches retroussées et tenait dans ses bras un grand
panier rempli de légumes du potager. Il déposa son
fardeau sur le plan de cuisine, se lava les mains et
vint s’asseoir à table.
— Après avoir nourri les animaux et ramassé
88
Le Cristal des Dieux 1

quelques légumes, je suis allé en ville... Ça circulait


mal à cause d’un attroupement près du pont. La
Guardia civil était sur place. Une partie de la
barrière de sécurité du pont était arrachée. J’ai vu
une embarcation et des hommes grenouilles draguer
la rivière, ainsi qu’une dépanneuse sur une des
berges elle a tracté un véhicule hors de l’eau. Je
suppose que c’est ta voiture, n’est-ce pas ?
Je lui répondis avec un hochement de tête
affirmatif.
— Il faut que je parte... Ils vont finir par me
retrouver. S’ils découvrent des traces de mon
passage près du potager, vous risquez d’avoir de la
visite.
— Ne t’en fais pas pour ça... je n’ai vu aucune
trace de pas ou de sang près du jardin. J’ai réparé la
serrure, et j’ai sorti les poules et les canards devant
le cabanon. Crois-moi, à l’heure actuelle, il ne reste
plus une seule trace de tes pas... Mais dis-moi, tu as
émergé près du jardin ou près du pont ?
— Je ne sais pas exactement où... d’après les
lumières, le pont me semblait déjà loin, j’ai dû
marcher longtemps.
— Il y a près d’un kilomètre du jardin au pont, et
énormément de jardins avec des cabanons de
chaque côté des rives.
— Estéban... Je pense que je vous dois une
explication.
— Effectivement, il me semble que cela est
nécessaire, Tony. Pourquoi ne voulais-tu pas que
l’on te conduise à l’hôpital ? Tu es recherché par la
89
Les survivants d’Hullia

police ?

Ainsi, je lui narrais l’histoire du meurtre en


omettant le module et les visions. Je lui racontais
aussi les courses poursuites, mais il ne semblait pas
tout à fait satisfait.
— C’est étonnant, d’après ton récit, il me semble
qu’il doit y avoir autre chose de plus important que
tu ne m’as pas dit, ou que tu n’as peut-être pas vu,
ou remarqué... Cependant, ce gars semble persuadé
que tu en sais d’avantages. Il ne te laissera pas
tomber de sitôt. Je pense que tu devrais rester ici un
certain temps. Du moins, jusqu’à ce qu’ils cessent
les recherches.
Je posais mes coudes sur la table et me mis à
toucher le module. Il faisait à présent partie de moi,
je ne le sentais plus. Le souvenir de Nicolas me
revint à l’esprit. Je me demandais de quelle façon
réagirait Esteban, si je lui disais la vérité.
— Estéban, si je vous raconte ce qui s’est
réellement passé, promettez-vous de ne pas me
prendre pour un demeuré ?
— Bien entendu, j’ai confiance en toi. Mais, si tu
ne veux pas en parler...
— Si... J’y tiens. Je vais vous montrer quelque
chose.
Je me levais pour prendre la boite que Rosa
m’avait remise. Je saisis le petit sachet de plastique
et le posais sur la table.
— Voilà, avant de mourir, le professeur m’a
90
Le Cristal des Dieux 1

confié cet objet.


— Une barrette à cheveux ? demanda-t-il en
observant le module.
— À première vue, ça y ressemble. Mais
regardez ces tiges métalliques !
Il saisit le sachet. Le regarda, puis le dirigea vers
la lumière du néon pour vérifier sa transparence.
— À quoi peut bien servir ce machin ?
— C’est un module mémoriel !
— Un quoi ? demanda-t-il d’un air intrigué.
— Une unité de stockage pour la mémoire
humaine. C’est comme un disque dur d’ordinateur,
à la différence que celui-ci se connecte au cerveau.
— Là, tu me fais marcher !
— Je savais que vous diriez ça... Mais ce n’est
pas tout... le professeur m’a implanté un objet
similaire dans la nuque, lui dis-je en me retournant
et soulevant les cheveux. Regardez !
— Mince ! lâcha-t-il en se levant. Il posa le
sachet et examina ma nuque avec attention. Tu as
dû avoir mal !
— Plus maintenant... mais j’avoue que c’était
douloureux.
— Le simple fait d’imaginer ces vrilles vissées
dans ton crâne me donne la chair de poule
— Le plus surprenant c’est que, lorsque j’appuie
dessus, je fais des rêves étranges... À vrai dire, ce
sont des visions, des souvenirs hyperréalistes d’une
partie de la vie du professeur. Mais le plus fort c’est
que tout est reproduit, la vue, l’ouïe, l’odorat et le
toucher. Par exemple, lorsqu’il saisit un objet, je
91
Les survivants d’Hullia

sens son poids, sa forme, sa température, son


odeur... Je pense qu’une partie de sa mémoire a été
transférée dans ce petit appareil et lorsque je le
déclenche ses souvenirs surgissent dans mon esprit
par je ne sais quel moyen hyper sophistiqué... Dans
mes visons, le professeur a découvert une gemme
de couleur bleue aux reflets incroyables.
Esteban me regarda attentivement, puis fronça les
sourcils.
— Ton histoire est extravagante, mais surtout
troublante... Cependant je veux bien te croire, car
aussi étrange que cela puisse te paraître, j’ai vu
quelque chose de similaire... Notre enfant était âgé
d’environ dix ans lorsque nous l’avons adopté.
Quelques jours après son arrivée à la maison nous
avons reçu un colis anonyme avec à l’intérieur un
petit coffret contenant un pendentif et un petit mot.
Le médaillon était une sorte de pierre précieuse de
couleur bleue. Son aspect était irréel, lorsqu’on la
regardait de près, elle possédait une...
— Une profondeur extrême ?
— Oui... C’est exactement ça !
— Vous m’inquiétez... Que disait le mot ?
— Rosa l’a glissé derrière son portrait. Il y est
écrit ; « Alexandre, ce Cristal t’appartient. Jamais tu
ne devras t’en séparer. Nous t’attendrons jusqu’à la
fin des temps s’il le faut... Tendrement. V.T. »
— Woaoo... Avez-vous tenté de retrouver ses
parents ?
— Nous avons essayé plusieurs fois, mais sans
succès. Il n’existe aucune trace d’eux. C’est notre
92
Le Cristal des Dieux 1

amie Françoise qui l’a découvert dans une chambre


de l’orphelinat ou elle travaillait.
— Découvert ?
— C’est ça... À l’époque elle était infirmière tout
comme Rosa. Elle venait de préparer la chambre
d’un nouveau pensionnaire dont l’arrivée était
prévue dans la soirée. Lorsqu’elle termina, elle y
retourna à cause de la lumière qu’elle voyait sous la
porte, pensant avoir oublié d’éteindre l’interrupteur.
C’est alors qu’elle découvrit un petit enfant dormant
profondément.
Tous les documents étaient en règle. Même le
document de transport de l’ambulance qui était
censé l’emmener était signé et tamponné. Dans le
dossier reçu quelques jours avant... se trouvait une
acceptation d’adoption validée par les autorités
judiciaires. Mais le plus étonnant c’est que ce
document était rédigé à notre nom... Surtout que
nous n’avons jamais fait de démarche de ce genre.
J’étais prêt à contester et nier toute action
quelconque de notre part, mais Rosa considéra cela
comme un cadeau du ciel.
— J’ai des frissons dans le dos... Y aurait-il un
rapport avec la découverte du professeur ? J’espère
en savoir davantage, mais pour cela il faut que je
retrouve quelqu’un... avant de mourir, le professeur
m’a demandé de remettre le module à quelqu’un,
mais je ne possède aucune info sur la personne à
retrouver.
— A-t-il au moins donné des directives pour la
trouver ?
93
Les survivants d’Hullia

— Non... aucune... mais je ressens l’étonnant


besoin de me rendre vers le sud. De plus, mes
visions se situent non loin d’un village près de
Granada.
— En Andalousie... Eh bien... tout ça paraît
invraisemblable, mais la réalité est bien là... Et ce
qui me préoccupe le plus dans cette histoire, c’est
de penser qu’il y ait un lien entre notre fils et tes
visions.
— Je ne saurais dire, mais tout est bien curieux,
tout comme ma présence parmi vous.... Estéban, me
croyez-vous si je vous disais qu’un ange m’a dirigé
vers votre jardin ?
— Un ange ? répéta-t-il en caressant, ses bras. Là
tu me donnes des frissons !
— Je ne saurais dire si c’est un ange, mais elle en
a l’apparence... Une jeune femme d’apparence
immatérielle m’est apparue à plusieurs reprises pour
me prévenir d’un danger imminent, ou pour me
montrer mon chemin.
— C’est peut-être un souvenir du module...
— Je ne pense pas, car elle s’adresse directement
à moi... En tout cas si ce n’est pas un ange, sa beauté
est irréelle...
— Tu as sans doute un ange qui éclaire ton
chemin.
— Et il m’a mené jusqu’ici...
Rosa entra à cet instant et nous sourit.
— Messieurs, si vous voulez bien me donner un
coup de main, vous pouvez dresser la table, le dîner
est prêt.
94
Le Cristal des Dieux 1

Rosa nous servit un copieux repas. Pendant que


nous étions à table, Esteban me posa des tas de
questions. En particulier sur ma vie privée et mon
emploi du temps. La conversation dura jusqu’à une
heure du matin.
Je me couchais ce soir-là avec l’esprit tranquille.
Mais comme je ne trouvais pas le sommeil, je
décidais de rendre visite à Nicolas et Joaquín.

95
Les survivants d’Hullia

96
Le Cristal des Dieux 1

LES ANCIENS

Nicolas et Joaquín s’étaient levés de bonne


heure. Profitant de la fraîcheur matinale, et du fait
que tout le monde dormait encore, ils se rendirent
au sommet de la colline, pénétrèrent dans la fosse et
empruntèrent le corridor qui les menait jusqu’à la
salle pyramidale. Ils préparèrent le matériel près de
l’immense trône de granit. Leurs collègues avaient
condamné le fameux couloir afin d’éviter tout autre
accident. Ils écartèrent quelques planches et s’y
faufilèrent. Quelques minutes plus tard, ils
entamèrent leur longue descente dans le boyau
vertical, et retrouvèrent sans mal le chemin de la
dalle.
— Si ce tunnel et cette dalle sont antérieurs aux
peintures rupestres, de quelle époque daterait tout
ceci ? demanda Joaquín.
— Je n’en ai pas la moindre idée. Mais, je ne
pense pas que des homo sapiens d’il y a dix mille
ans soient à l’origine des marches et des surfaces
97
Les survivants d’Hullia

polies. Il resterait aussi l’éventualité d’une


intelligence non terrienne.
— Cette idée me donne des frissons !
— À moi aussi...

Joaquín lui sourit, puis se retourna et se dirigea


vers l’énorme butte. Il ôta ses gants et caressa le
calcaire translucide.
— Il y a une brèche..., dit-il. Et ça semble creux
à l’intérieur.
Nicolas détourna les yeux de l’étrange dessin
préhistorique. Il s’approcha et éclaira la brèche avec
sa lampe frontale.
— Tu as raison, cette couche de calcaire ne fait
qu’une dizaine de centimètres d’épaisseur.
J’aperçois une continuité de la dalle là-dessous...
C’est bizarre... C’est comme si quelqu’un avait
voulu cacher quelque chose en édifiant une fine
paroi de dolomite.
— Je prends le piolet, je veux voir ça de plus près.
— Attend ! Joaquín, ne détruisons pas le site.
— C’est vide là-dessous... Parce que tu crois que
les collègues se seraient gênés devant une intrigue
pareille ? rouspéta-t-il en allant poser sa lampe à
quelques mètres pour qu’elle éclaire le monticule
dans sa totalité.
— Sans doute... Tu as raison...
Joaquín saisit son piolet, planta la pointe dans la
fissure et força sur le manche. Un morceau de la
surface se craquela comme une coquille d’œuf, puis
une plaque de calcaire se détacha et se fracassa près
98
Le Cristal des Dieux 1

des pieds du jeune gaillard.


— Oups ! Désolé, je ne pensais pas faire un si
grand trou ! s’excusa-t-il en s’essuyant le cou avec
un mouchoir.
En effet, la plaque de calcaire en tombant avait
laissé une ouverture de presque un mètre de
diamètre. Nicolas, qui avait assisté à la scène,
l’interpella.
— Attends... As-tu senti un déplacement d’air ?
— Pas du tout !
— En es-tu certain ? Parce que j’ai vu des éclats
tomber à l’intérieur, mais ils sont aussitôt ressortis,
comme si un courant d’air les avait repoussés vers
l’extérieur !
— Je n’ai rien ressenti, mais tu as raison... Il n’y
a aucun débris là-dedans..., dit-il en éclairant
l’orifice avec sa lampe frontale.
— Restons prudents..., conseilla Nicolas en
s’écartant.
Joaquín partit ramasser sa torche. Entre-temps,
Nicolas avança sa lampe dans le trou, mais il arrêta
son geste net.
— Merde alors !
— Qu’y a-t-il ? demanda Joaquín, en revenant
sur ses pas.
— Il se passe quelque chose de curieux lorsque
j’essaie d’introduire la lampe ! s’exclama Nicolas
en passant sa main dans la brèche.
Il sentait quelque chose de solide et froid comme
du verre, mais il n’y avait aucun reflet. Il retourna
la torche, puis avec le manche de celle-ci, fit mine
99
Les survivants d’Hullia

de taper dans le vide, quelque chose arrêtait son


geste, mais aucun son ne se produisait. Il se baissa
et dirigea à nouveau la torche vers le trou. La lampe
illumina l’intérieur du monticule, c’est alors qu’une
lueur jaune vif vint lui éclairer le visage.
L’intérieur de la butte était parfaitement lisse,
avait l’apparence d’un dôme. Au centre de cet
espace clos et semi-sphérique se trouvait une
gigantesque sphère dorée, avoisinant les cinq ou six
mètres de diamètre.
— Nicolas, que vois-tu ? J’aperçois un reflet
jaune sur ton visage ! lui demanda Joaquín inquiet.
— Je n’en ai pas la moindre idée, mais c’est
grandiose ! Regarde par toi-même...
Joaquín s’approcha et regarda à son tour.
— C’est fantastique... C’est une grosse sphère
dorée ! s’exclama-t-il en passant sa main dans
l’ouverture. Je sens une forte résistance, comme si
quelque chose d’invisible englobait l’énorme boule
de métal doré. Je dirais que ça ressemble à un champ
de force, comme ceux que l’on voie dans les
films de science-fiction.
— J’ai peut-être compris quelque chose... Suis-
moi, je vais te montrer ! lui dit Nicolas en désignant
les peintures rupestres. Tout à l’heure, tandis que tu
éclairais la butte, j’ai vérifié quelque chose sur les
fresques.
— Regarde, les deux cercles représentent
certainement la sphère et son champ de force.
— Tu as raison... Si ce dessin a été fait par les
mêmes êtres qui ont peint les mains sur la paroi, cela
100
Le Cristal des Dieux 1

signifie que ce qui se trouve là-dessous était présent


bien avant que les hominidés s’installent, conclut
Joaquín complètement abasourdi.
— C’est ce que je pensais... J’ai peut-être une
idée sur ce que nous avons devant nous. Si cette
sphère a été construite par une civilisation
supérieure, il est fort probable que cette chose qui
l’entoure soit une sorte de protection lorsqu’elle se
déplace dans le temps.
— Le temps ? Mais les voyages dans le temps
sont impossibles d’après quelques scientifiques.
— Les avis sont mitigés... Selon certaines
théories, le passé ne peut pas être modifié. Mais
souviens-toi des essais de 1971 avec les horloges
atomiques et les avions à réaction. Lorsque l’avion
suivait le mouvement de la Terre, les horloges
embarquées avaient retardé de quelques
milliardièmes de seconde sur les horloges restées au
sol, un écart qui confirme la théorie de la relativité
de Einstein. Et le décalage s’inverse si l’avion part
dans le sens opposé. Ce qui prouve que le temps est
malléable et peut régresser. Sinon comment
expliquer tout ceci... le chemin, la sphère, les
peintures. Comment faire pour concorder le tout
dans un ensemble compréhensible, sans y ajouter le
facteur voyage dans le temps ? À moins que tu aies
autre chose à me proposer ?
— Non... Effectivement, je ne vois pas... lui dit
Joaquín en regardant les peintures. Penses-tu que ce
soient des extraterrestres ?
— Ou une civilisation technologiquement
101
Les survivants d’Hullia

avancée antérieure à la nôtre... Si seulement on


pouvait…
Nicolas ne finit pas sa phrase, car une légère
vibration retentit autour d’eux.
— Tu as ressenti ça ? demanda Joaquín.
— Oui..., répondit Nicolas en s’approchant. Il
tendit la main vers l’intérieur de la butte.
— Les vibrations ont cessé.
— C’était un tremblement de terre... ils sont
fréquents dans cette région...
Nicolas passa la paume de sa main sur le mur
invisible, puis ses doigts glissèrent derrière
l’épaisseur de calcaire.
— Eh ! Ça s’est réduit ! s’écria-t-il.
— Quoi donc ?
— Le champ de force à l’intérieur, il a rétréci !
J’arrive à insérer la main derrière la croûte de
calcaire... Je suis persuadé que quelque chose a
provoqué ça !
— En tout cas, je n’ai rien touché... J’étais tout
simplement appuyé à cet endroit-là, répondit
Joaquín en touchant la roche.
— C’est étonnant ! ajouta Nicolas en s’abaissant
à nouveau. J’ai regardé la sphère et...
— Et quoi ? demanda Joaquín.
— Heu... J’ai comme une étrange appréhension...
Éloignons-nous !
Une autre secousse s’empara soudain du
monticule. Il y eut un craquement et une partie du
dôme se fissura.
— Ne me demande pas pourquoi ni comment,
102
Le Cristal des Dieux 1

mais je crois que j’ai provoqué ça !


— Mais tu n’as rien fait !
— Non... Enfin si... j’y ai pensé !
— Et à quoi as-tu pensé ?
— Je me demandais s’il y existait un moyen de
réduire ce champ de force en utilisant un appareil ou
une sorte de télécommande, et cela s’est aussitôt
produit ! expliqua Nicolas.
Joaquín le regarda d’un air perplexe, puis son
regard perçut une lueur dans l’obscurité.
— Tu as laissé une lanterne allumée dans ton
sac ?
— Je ne pense pas..., répondit-il en se retournant.
— Bon sang ! C’est la gemme !
— La gemme ? Ne me dis pas que tu l’as gardé ?
— Je n’ai pas osé la laisser dans la tente...
— Nico, ce n’est pas prudent de ta part. Tu sais
qu’à tout instant, nous pouvons subir des contrôles.
Les croquis que tu as faits la mentionnent ?
— Non, je pensais l’étudier tranquillement au
microscope avant de le noter dans mon rapport...

À cet instant, un grondement se répercuta en écho


dans les profondeurs de la caverne. Une partie de la
voûte de calcaire se creusa puis s’affaissa dans un
nuage de poussière. Lorsque celle-ci se déposa, ils
découvrirent la splendeur irréelle de la grande
sphère étincelante. Elle n’avait subi aucun
dommage et pas un grain de poussière ne s’était
déposé sur sa surface.
Avec prudence, ils s’engagèrent entre les
103
Les survivants d’Hullia

quartiers de parois encore debout. Ils marchèrent


parmi les épaisses plaques de calcaire amoncelées
sur le sol.
Nicolas fouilla dans une des poches du sac et en
sortit la pierre précieuse. Il remarqua avec
étonnement qu’à présent la gemme était
transparente et émettait une lueur rougeâtre en son
cœur.
— Je suis persuadé que cette gemme est la clé de
ce qui se passe ici, dit-il. Oh... regarde ça !
Une mince auréole de brume enveloppait la
sphère et s’écoulait lentement sur le sol.
— Le champ de force n’est plus là ! s’exclama
Joaquín en approchant sa main.
Les deux hommes en firent le tour, mais ne
remarquèrent aucune entrée apparente, ils
découvrirent seulement trois petites encoches
ovales à hauteur de leurs yeux.
— C’est peut-être une serrure sensitive...,
suggéra Joaquín en posant ses doigts dans les
encoches respectives. Non, ça ne marche pas quand
j’appuie dessus. Tu devrais sortir la gemme et
l’approcher, il se peut qu’elle fonctionne par
proximité, comme pour le champ de force...
Nicolas fronça les sourcils en regardant son ami.
Il se décida et dirigea la gemme vers les encoches.
— Ça ne marche pas, elle ne s’allume pas.
— Pourquoi n’essaierais-tu pas d’y... ?
— D’y penser ? continua-t-il. Je sais... mais ce
que j’ai dit tout à l’heure n’est peut-être pas fondé...
— Moi, je tenterais, même si cela paraît insensé.
104
Le Cristal des Dieux 1

— J’avoue que j’y ai pensé... Mais ça me semble


absurde !
— Mais non, Nico. Tu as souvent expliqué que
notre cerveau émettait des ondes alpha, bêta, thêta
et gamma... alors, pourquoi ne pas imaginer que
cette pierre puisse fonctionner elle aussi de cette
façon ?
— Oui, mais ces ondes sont de très faibles
amplitudes... elles sont de l’ordre du microvolt !
— Peut-être bien, mais imagine que cette
étonnante gemme soit en réalité une sorte d’appareil
capable d’amplifier les ondes cérébrales... Oui, je
sais, tu vas dire que je regarde un peu trop la télé,
mais alors que quelqu’un m’explique comment une
gemme découverte dans un caveau millénaire peut
s’illuminer de la sorte...
— C’est bon... je vais essayer. Mais je ne pense
pas que ça marche, répond-il en levant la gemme à
hauteur des yeux. Il regarda la sphère et la gemme
s’illumina progressivement en émettant une clarté
rosée.
— Woaoo ! s’écria Nicolas.
Quelques secondes plus tard, la sphère vibra, puis
la brume qui flottait autour d’elle se déposa sur sa
surface dorée en une multitude de gouttelettes
ruisselantes.
— Tu disais ? ajouta Joaquín en reculant de
quelques pas.
— Oui, et... Oooh... Regarde ! lâcha Nicolas.
Des ondulations, semblables à celles qui se
créaient sur une surface liquide, apparurent sur une
105
Les survivants d’Hullia

partie de la sphère. Quand brusquement, la matière


se déchira et se détracta en dévoilant une entrée
d’environ deux mètres de hauteur. Une sorte de
passerelle métallique émergea dans la partie basse
de l’ouverture. Les deux hommes s’écartèrent. La
rampe s’arrêta au contact d’un tas de calcaire et se
rétracta légèrement. La sphère pivota sur elle-même
pour que la passerelle puisse continuer sa course
jusqu’au sol.
— Alors là... Je n’ose encore y croire ! s’exclama
Nicolas effaré. J’ai pensé à un moyen d’entrer dans
cet engin et ça a déclenché l’ouverture de cette
chose.
— Tu voies, j’avais raison ! lui dit Joaquín en
tentant de regarder l’intérieur.

Les deux hommes se rapprochèrent. La rampe se


prolongeait à l’intérieur et menait jusqu’à un
plancher surélevé.
— Crois-tu que ce soit une invitation ? Que fait-
on ? demanda Nicolas.
— Pour ma part, je voudrais en savoir
davantage !

L’intérieur de la sphère était stupéfiant. Une


douce clarté émanait des milliers de cristaux
multicolores qui tapissaient les parois.
Ils eurent l’impression de se trouver dans un
cocon tapissé de pierres précieuses. Il y en avait
partout sauf sur la partie supérieure en forme de
coupole. Vue de l’intérieur, cette dernière était
106
Le Cristal des Dieux 1

transparente, ils apercevaient la surface de la grotte


éclairée par la lumière s’échappant de l’entrée.
— Des fauteuils ! s’écria Nicolas. De toute
apparence, cette machine sert à transporter des
gens !
Il y avait une longue banquette de forme
circulaire pouvant recevoir au moins six personnes
assises. Au centre, une large colonne translucide
reliait le sol au plafond.
— Cette machine doit se déplacer, mais la
question est de savoir de quelle façon elle se
déplace..., remarqua Joaquín.
— Pour ça, il faudrait déjà savoir la mettre en
marche. Tu as vu toutes ces pierres ?
— Je suis persuadé que tout ici fonctionne par la
pensée !
— S’il suffit d’y penser, alors allons-y !

La colonne centrale s’illumina soudain et une


sorte d’écran holographique de forme parabolique
se matérialisa devant lui. Une multitude de
symboles lumineux adoptant diverses formes
géométriques apparurent dessus.
— Ce symbole est ovale comme l’entrée,
remarqua Nicolas.
D’un geste hésitant, il effleura du doigt. Le
symbole devint vert.
— Tu as raison, la porte a disparu, dit Joaquín.
— Nous pourrions la mettre en marche, mais va
savoir laquelle de ces gemmes possède la fonction
démarreur... Mais où nous emmènera-t-elle ?
107
Les survivants d’Hullia

— Essai de penser à quelque chose, comme par


exemple, un lieu, une date. Pour ma part, je voudrais
bien savoir qui a construit tout ça !
La gemme émit à nouveau une lueur rouge, puis
sur l’écran un symbole de forme triangulaire devint
vert. Une légère vibration s’empara de la sphère.
— Que se passe-t-il ? À quoi as-tu pensé ?
— Je me demandais quelle était la destination de
cette machine... répondit Nicolas d’une voix
tremblante.
Il glissa la gemme encore rougeoyante dans la
poche de sa chemise. L’éclairage intérieur baissa,
des crépitements s’entendirent sous le plancher, et
ils eurent l’impression que la sphère tournait sur
elle-même.
Les deux hommes se laissèrent tomber sur les
fauteuils.
Une secousse agita la sphère et les crépitements
reprirent. Une brume fluorescente mouvante,
envahie de décharges électriques tourbillonnait de
plus en plus vite autour de la coupole.
Quelques minutes plus tard, les vibrations
s’atténuèrent et la lumière revint à nouveau dans la
cabine. Les deux hommes se levèrent et observèrent
l’extérieur.
La brume se dissipait, laissant sur le dôme une
fine couche de givre. Celle-ci commença à fondre
rapidement.
— Nous nous trouvons au même endroit que tout
à l’heure ! annonça Kowalski. Mais c’est différent !
Les murs et le sol étaient blancs et lumineux. Un
108
Le Cristal des Dieux 1

frémissement s’empara de la cabine, puis la sphère


se déplaça et s’enfonça dans une grande galerie de
forme triangulaire s’enfonçant dans la roche.
— Cette galerie n’était pas là, ou alors elle était
dissimulée par le monticule ! remarqua Joaquín en
s’appuyant sur le dossier d’un fauteuil.
— Je pense que nous avons fait un bond dans le
temps et je ne crois pas que ce soit vers le futur...
La sphère poursuivit son chemin. Le tunnel
débouchait dans une immense salle de forme ovoïde
où étaient entreposées une trentaine de sphères.
Celle qui les transportait tourna sur elle-même et se
rangea près des autres.
Nicolas effleura le symbole ovale, en manipulant
l’écran translucide. Des dizaines de symboles
lumineux apparurent à nouveau. Ils sentirent une
différence de pression dans la cabine.
— Woaoo, mes oreilles ! lâcha soudain Nicolas.
La pression atmosphérique vient de changer.
Lorsque l’ouverture se forma, les deux hommes
empruntèrent la rampe et firent quelques pas sur un
sol blanc fluorescent. Une flopée de senteurs
indéfinissables leur parvint aussitôt.
— L’air a une étrange odeur ! remarqua Joaquín.
Sa voix résonna dans la grande salle.
— Tu as raison..., répondit Nicolas en
s’approchant du mur. Hey ! Tu devrais voir ça de
près, la paroi est recouverte d’une multitude de
petits points luminescents. Ça ressemble à des
cristaux.
— C’est exact, et par-dessus il y a comme une
109
Les survivants d’Hullia

fine pellicule transparente.


— La lumière vient de partout... J’ai du mal à
distinguer où finit le sol et où commence le mur. Il
n’y a aucune ombre, c’est impressionnant !
Après avoir fait le tour des autres sphères, les
deux spéléologues suivirent le gigantesque corridor
et arrivèrent sur la fameuse dalle. Celle-ci était aussi
recouverte de la même couche lumineuse.
— L’escalier par lequel nous sommes arrivés
n’est plus là ! s’exclama Joaquín en agitant les bras
et regardant le sol.
— Les peintures non plus..., remarqua Joaquín.
— C’est ce que je vois. Mais, elles n’y sont plus,
ou elles n’y sont pas encore ? C’est ce que je
voudrais bien savoir. Il est évident que nous avons
voyagé dans le temps. Mais à quelle époque
sommes-nous ? J’ai des frissons dans le dos quand
je pense à la date de ces peintures… Te rends-tu
compte de ce que cela signifierait ?
— Je n’ose y penser... Les fresques représentaient
des animaux ayant vécu dans cette région il y a vingt
ou trente mille ans.
— Là, il y a un couloir. Essayons de voir ou il
mène.
Celui-ci était illuminé sur une cinquantaine de
mètres. Au-delà, c’était l’obscurité. Joaquín se
tourna vers son beau-frère.
— C’est étonnant, cette galerie n’était pas là.
— Je ne l’ai pas remarquée non plus. La grotte a
dû se former plus tard, certainement à cause d’un
effondrement, donc ce couloir devait être obstrué ou
110
Le Cristal des Dieux 1

détruit à notre époque. Mais nous n’avons pas le


choix à présent. Continuons.
Au fur et à mesure qu’ils avançaient, ils
apercevaient des petits points lumineux dans une
légère clarté bleutée.
— Penses-tu que soit une autre salle ? demanda
Joaquín.
— J’ai l’impression que c’est le ciel, répondit
Nicolas en regardant sa montre. C’est bien ce que je
pensais, il n’est que dix heures trente du matin, mais
nous sommes en pleine nuit. L’odeur est plus forte
ici.
— Oui, et je crois savoir ce que c’est... La
dernière fois que j’ai senti ça, c’était lors de mon
voyage en Amazonie, c’est l’odeur de la jungle !
précisa Joaquín en humant l’air frais et humide
circulant dans le couloir.
— La jungle ? Mais cette région est presque
aride !
— Je sais... Mais ça y ressemble beaucoup.
Les deux hommes émergèrent du corridor et
s’arrêtèrent au bord d’une corniche, sidérés par
l’étonnant spectacle qui se dévoilait devant eux. Des
myriades d’étoiles scintillaient dans un ciel
turquoise. Une lune immense plongeait le paysage
dans une clarté étrange. Le ciel était de temps à autre
traversé de fulgurantes traînées de lumière bleue.
Devant eux s’étendait une large vallée dotée d’une
végétation luxuriante, d’où leur parvenaient des cris
d’oiseaux et autres bruissements dans les cimes des
arbres.
111
Les survivants d’Hullia

— Tu avais raison pour la jungle et... oh, mon


Dieu ! Regarde le diamètre de cette lune ! s’écria
Joaquín.
— Elle est gigantesque..., répondit Nicolas. Et
cette clarté au fond de la vallée qui illumine
l’horizon. Je pensais que c’était un crépuscule
naissant, mais j’ai l’impression d’apercevoir des
gratte-ciels lumineux.
— Oui, tu as raison, ça ressemble à une cité
utopique...
— En tout cas, leur technologie semble
nettement plus avancée que la nôtre !
— C’est certain... mais comment fait-on pour
descendre d’ici ?
La galerie émergeait au ras d’une falaise tombant
à la verticale. Ils s’approchèrent du bord de la
corniche et jetèrent un coup d’œil en contrebas. La
lueur de la lune leur dévoila une rivière miroitante
serpentant entre la dense végétation.
— Je dirais, à vue d’œil, que nous nous trouvons
à plus de deux cents mètres de hauteur... nous
sommes pourtant censés nous trouver sous le niveau
du sol..., remarqua Nicolas.
— Je pense que l’érosion des montagnes voisines
a comblé toute cette zone dans le futur... Si nous
venons bien du futur...
— Sans doute... mais le plus inquiétant c’est qu’il
faudrait des millions d’années pour combler tout
ça !
— Un glissement de terrain pourrait aussi en être
la cause...
112
Le Cristal des Dieux 1

Ne trouvant pas d’autre issue, ils décidèrent de


rebrousser chemin et revenir vers la salle des
sphères.

Les deux hommes venaient de tourner leurs


talons lorsqu’une lumière intense les éclaira dans le
dos.
— Nicolas Kowalski... Joaquín Mendez ?
demanda une voix résonnant derrière eux.
Ils s’arrêtèrent net, surpris et incapables de réagir.
— Qui a parlé ? Il n’y avait personne sur la
corniche..., bredouilla Joaquín.
— C’est bien nous ! répondit Nicolas en se
retournant.
Joaquín l’imita. Ils se protégèrent les yeux et
entrevirent les contours d’un homme au milieu
d’une lumière aveuglante.
— N’ayez pas peur ! ajouta la voix.
— Pour ça, c’est raté..., murmura Joaquín.
— Rassurez-vous messieurs, je vous attendais.
— Vous nous attendiez ? demanda Joaquín
inquiet.
— Oui... Et vous êtes les bienvenus !
— Ah... ? lâcha Joaquín en regardant Nicolas du
coin de l’œil.
Intrigués, ils s’approchèrent lentement vers la
silhouette.
En réalité, l’homme n’était pas sur la corniche
comme ils l’avaient tout d’abord pensé, mais à
113
Les survivants d’Hullia

l’extérieur, debout sur une sorte de grand plateau


luminescent.
Tandis que leurs yeux s’habituaient à la forte
lumière, ils distinguèrent l’apparence de l’homme
qui les saluait. C’était un homme chauve et grand,
pas loin des deux mètres. Il était vêtu d’une tunique
blanche ressemblant aux tenues de certaines
sculptures gréco-romaines, mais ajusté à la taille par
une large ceinture blanche. Ses grands yeux verts,
deux fois plus grands que la normale et en forme
d’amande, étaient vifs et perçants, mais son regard
amical rassura les deux hommes. Sa tête, aux
oreilles légèrement pointues, était plus volumineuse
et plus allongée que celle d’un humain. Il avait un
nez grec et une bouche aux lèvres bien dessinées.
Dans l’ensemble, son visage était agréable.
— Vous... vous êtes un extraterrestre ? demanda
Joaquín.
— Nos ascendants l’étaient... Je me nomme
Haltar. J’ai été chargé de vous accueillir et de vous
mener jusqu’à notre cité.
L’homme étrange s’écarta en désignant d’un
geste de la main la plate-forme sur laquelle il se
tenait.
— Venez ! ajouta-t-il, en remarquant l’hésitation
des deux hommes. Ne craignez rien... vous n’allez
pas tomber, croyez-moi, c’est solide, leur dit-il en
tapant du pied sur le disque de matière translucide
et lumineuse, mais aucun son ne leur parvint.
Joaquín s’avança. Le disque épousait
parfaitement le rebord de la corniche. Il hésita
114
Le Cristal des Dieux 1

quelques secondes, puis posa prudemment un pied


pour s’assurer de la consistance de la chose.
— C’est solide ! remarqua-t-il.
Nicolas l’imita et se retrouva près de leur hôte.
— Bonjour, ou plutôt bonne nuit, messieurs...
C’est bien comme ça que vous vous saluez n’est-ce
pas ? L’être leur tendait une main aux doigts longs
et légèrement palmés.
— C’est bien ça..., répondit Nicolas, en lui
serrant la main.
— Chez nous nous saluons en faisant ceci, dit-il
en fermant les yeux et en inclinant légèrement sa
tête en avant.
Les deux hommes répétèrent le geste.
— Nous allons partir... mais n’ayez aucune
crainte... vous ne sentirez pas le déplacement, leur
dit-il.

La plate-forme fluorescente crépita sous leurs


pieds, puis se détacha du bord de la falaise en
adoptant une forme circulaire d’environ quatre
mètres de diamètre.
Comme il leur avait dit, ils ne ressentirent aucune
sensation de mouvement lorsque dans un silence
total ils s’éloignèrent de la paroi rocheuse.
La montagne rapetissa à vue d’œil.
— Je suppose que vos esprits doivent se sentir
confus... Sachez que je répondrais à toutes vos
questions. N’hésitez pas à m’en poser...
— Très bien..., fit Nicolas. Nous sommes
persuadés d’avoir fait un bon dans le temps.
115
Les survivants d’Hullia

Pouvez-vous nous éclairer là-dessus ?


— Évidemment... Nous sommes en l’an 15038,
mais notre datation ne vous apprendrait pas grand-
chose... L’an zéro correspond à l’arrivée de nos
ancêtres sur Néo-Hillia...
— Néo-Hullia ? répéta Nicolas.
— C’est ainsi que nous avons nommé la Terre, il
y a des milliers d’années, répondit l’homme
étrange. Si je me sers de votre calendrier, nous
sommes actuellement à moins 354 785 ans de votre
temporalité.
— Nous sommes si loin dans le passé ?
— Tout à fait !
— C’est ahurissant ! s’exclama Nicolas. J’espère
que nous pourrons revenir à notre époque. Ma
femme et ma fille se trouvent à quelques kilomètres
du site archéologique.
— Soyez rassuré. Il suffira de vous ramener à la
même date de départ. Pour elles, vous ne serez pas
partis. Voyez-vous, le temps n’est qu’une notion
que chaque être vivant perçoit selon son rythme de
vie. Sur le monde de nos ancêtres, le temps
s’écoulait différemment. Le métabolisme des
organismes vivants de cette planète menait un
biorythme plus rapide que le nôtre. Bien entendu,
depuis 15 000 ans nous nous sommes adaptés. À
l’heure actuelle, nos horloges internes sont à peu
près synchronisées avec le système circadien de ce
monde... Messieurs, nous arrivons !
À présent, l’impressionnante mégapole occupait
presque toute la vallée. Elle était suspendue dans les
116
Le Cristal des Dieux 1

airs à plus de deux cents mètres au-dessus de la


végétation.
— Votre ville est gigantesque... Je suppose que
l’on peut compter son diamètre en dizaines de
kilomètres ? demanda Nicolas.
— Cinquante-huit kilomètres exactement.
— C’est démentiel !
— Existe-t-il des êtres humains à cette époque ?
demanda Joaquín, en regardant la jungle en
contrebas.
— Il existe plusieurs espèces
d’hominidés primitifs... Mais nous poursuivrons
cette conversation plus tard, si vous le désirez. Nous
sommes attendus !
Le disque transportant les trois hommes
s’immobilisa près de l’immense dôme transparent
qui englobait la ville entière.
— C’est beau... Ça ressemble à une énorme bulle
de savon ! s’exclama Joaquín, fasciné par toutes ces
couleurs mouvantes et changeantes.
— La coupole énergétique nous protège des
éventuels prédateurs qui pourraient s’introduire
dans la cité. À l’origine, elle protégeait le vaisseau
mère des radiations cosmiques et des objets célestes
de petite taille.
— Comme une sorte de champ magnétique ?
— En quelque sorte... mais c’est beaucoup plus
complexe que ça. Des milliers de faisceaux
d’énergie, disséminés sur la bordure du plateau,
convergent vers cette grande sphère dorée
surmontant la haute tour de cristal que vous
117
Les survivants d’Hullia

apercevez au loin, elle se trouve au centre de la ville.


La concentration d’énergie engendrée provoque
une différence de température, de densité et modifie
les particules d’air et les transforme en une sorte de
plasma électromagnétique. Elle sert aussi en partie
à maintenir la cité suspendue. À présent, nous allons
traverser le dôme. Nous allons ressentir des
fourmillements dans tout le corps, mais ne vous
inquiétez pas. Pour notre passage, l’énergie a été
considérablement réduite à cet endroit.
Un léger crépitement se fit entendre lorsque le
disque entra en contact avec le dôme. Engendrant
un incroyable remous de couleurs chatoyantes qui
s’éloignaient en ondulant. Ils ne ressentirent
finalement qu’un genre de frissonnement.

La formidable mégapole qui s’étalait sous leurs


pieds se hérissait de milliers de gratte-ciels
cylindriques aux teintes différentes. Le disque
descendit à une vitesse vertigineuse et se précipita
vers une tour orangée. Malgré le manque de gravité
ressenti, l’effet visuel leur provoqua un haut-le-
cœur.
Le disque se stabilisa à la verticale du gratte-ciel
et se dirigea vers une immense terrasse percée d’un
puits central. La plate-forme de lumière transportant
les trois hommes s’engouffra dans l’ouverture
circulaire et poursuivit sa descente à la manière d’un
ascenseur.
Toute la tour, y compris l’intérieur, était
composée d’une matière translucide émettant une
118
Le Cristal des Dieux 1

lueur orangée.
Enfin, le disque décéléra, s’arrêta, et se
désagrégea sur le sol d’une grande salle.
Ils marchèrent durant quelques minutes dans un
long couloir de forme triangulaire. C’est ainsi qu’ils
remarquèrent qu’il n’y avait aucune porte,
seulement des ouvertures plus ou moins larges
s’ouvrant sur des salles ou des pièces de différentes
dimensions. Ils croisèrent d’autres hulliens. Mais
aussi des hulliennes, absolument magnifiques.
Leurs traits étaient fins et merveilleusement
féminins. Leur crâne, généralement orné de
diadèmes ou de longues parures scintillantes, était
légèrement plus ovoïdal que celui des hommes.
Elles étaient très séduisantes malgré l’absence totale
de cheveux. Elles avaient de grands yeux de
couleurs très variées. L’une d’elles les regarda avec
attention. Ses yeux couleur pourpres lui conféraient
un air de belle diablesse au regard vif et coquin.
Elles étaient toutes vêtues d’une tunique adaptée à
la couleur de leurs yeux. La coupe était la même que
celles des hommes, mais s’arrêtait à mi-cuisse.
Joaquín, qui ne s’était pas encore remis de cette
dernière apparition, resta sans voix devant une autre
éblouissante créature aux allures de déesse. Ses
traits étaient d’une beauté presque indescriptible.
Ses yeux étaient jaunes avec des reflets dorés
scintillants. Sa démarche était quasi féline. Ses
pieds chaussés de mocassins transparents
semblaient frôler le sol. La superbe jeune femme les
croisa sans quitter Joaquín du regard.
119
Les survivants d’Hullia

Ce dernier subjugué, se retourna au passage de


l’exquise créature. Sa tunique jaune aux bordures
dorées moulait parfaitement son incroyable chute de
reins.
La jeune femme s’arrêta, se retourna et attacha
son regard sur Joaquín. Elle pencha sa tête sur sa
gauche. Son large sourire dévoila des dents d’une
blancheur parfaite. Elle se retourna et continua son
chemin.
— Je constate que vous êtes particulièrement
apprécié par notre gent féminine, remarqua Haltar,
en relevant l’attention que cette fille portait sur le
jeune homme.
— Cette fille est d’une beauté céleste ! approuva
Joaquín d’une voix étranglée.
— Jamais je n’aurais imaginé que la beauté
puisse atteindre cette perfection... Je suis... troublé !
dit Nicolas.
— Oui, Kaïla est très jolie !
— Mais, elle n’est pas jolie, elle est sublime !
rétorqua Joaquín en fronçant un sourcil.
— Nous allons rencontrer Dunïa. Elle est notre
consultante en psychothérapie. Vous avez à votre
disposition tout ce dont vous désirez. Elle vous
expliquera comment fonctionne la salle de
purification, ainsi que le reste des installations.
— Purification ? demanda Nicolas,
vraisemblablement étonné.
— Oui... pour vous assainir, vous nettoyer...
Vous laver et vous changer, si vous préférez...
Nicolas répondit par un simple hochement de
120
Le Cristal des Dieux 1

tête.
Les trois hommes pénétrèrent dans la pièce. Une
femme leur tournait le dos. Elle était assise sur un
siège translucide et tapotait rapidement sur un
clavier multicolore en suspension. En face d’elle,
derrière une large ouverture dans la cloison, se
tenait une femme ressemblant trait pour trait à la
dénommée Kaïla qu’ils venaient de croiser quelques
minutes auparavant.
Dunïa se retourna. Sa beauté était hallucinante.
Sa peau légèrement bleutée faisait ressortir ses
grands yeux bleu cobalt. Son visage était
merveilleux, ses traits d’une symétrie parfaite et
d’une finesse extrême. Elle leur adressa un sourire,
puis se tourna à nouveau vers l’autre femme. Elle
lui adressa quelques mots dans un langage
incompréhensible. La femme aux yeux dorés lui
sourit et jeta un regard vers les trois hommes.
Joaquín, qui la regardait avec attention, se sentit
gêné, car elle ferma les yeux, pencha sa tête sur sa
gauche et le dévora littéralement des yeux. Joaquín
et Nicolas lâchèrent une exclamation lorsque la fille
qui ressemblait à Kaïla s’évanouit dans les airs.
L’ouverture se referma juste après, laissant le mur
plein et lisse.
— Woaoo... Elle a disparu ! Vous pouvez vous
téléporter ? demanda Joaquín.
— Non..., répondit Haltar en souriant. La
téléportation existe, et nous l’utilisons
quotidiennement... Mais jamais sur un être vivant,
l’original est détruit et ce qui est reconstruit, bien
121
Les survivants d’Hullia

que parfait, n’est qu’une reproduction non viable.


Ce que vous avez vu est une reconstitution virtuelle.
— Virtuelle, comme un hologramme ?
— Exactement. Kaïla se trouve ailleurs.
Dunïa se leva et s’approcha d’eux.
— Bonsoir messieurs, leur dit-elle en utilisant le
salut hullien. Vous m’excuserez, je conversais avec
une amie. Le sujet était lié à notre programme de la
journée. Vous devez être Nicolas... Enchantée de
faire votre connaissance.
— Oui, je suis ravi..., lui dit Nicolas avec une
profonde admiration.
Son regard perçant se fixa ensuite dans les yeux
du jeune espagnol.
— Et vous êtes Joaquín... Vous êtes tous deux
vraiment séduisants.
— Merci, c’est gentil... Je dois vous avouer que
je suis émerveillé par tant de charme et de beauté...
La jeune femme visiblement émue le regarda
dans les yeux et pencha sa tête légèrement sur sa
gauche. Elle se ressaisit et esquissa.
— Vous me mettez mal à l’aise, Joaquín... Mais,
je dois avouer que cela me ravit, Kaïla n’a rien
exagéré à votre sujet...
— Kaïla ?
— Tout à fait.
— Prenez votre temps... Je vous retrouve tout à
l’heure, leur dit Haltar avant de s’éclipser.

La salle de purification était composée de vastes


pièces, dont l’aspect et la configuration faisaient
122
Le Cristal des Dieux 1

penser à de gigantesques thermes romains. Leurs


pas résonnaient entre les multiples colonnes
lumineuses encerclant les grands bassins.
De l’autre côté d’une longue et étroite piscine se
trouvait une femme apparemment nue. Elle s’élança
et effectua un plongeon parfait. Nos deux amis
comprirent le pourquoi de leurs mains légèrement
palmées, car elle traversa le bassin à une vitesse
prodigieuse. Elle émergea de l’eau devant eux,
totalement nue, et nullement gênée. Elle était
grande, mince, totalement imberbe. Ses seins
étaient ronds et fermes et ses hanches parfaitement
harmonieuses. Son dos possédait une cambrure
exceptionnelle. Ses jambes étaient longues et
fuselées.
Nos amis la regardèrent se diriger vers une cabine
transparente. Elle y pénétra et aussitôt une légère
vapeur se répandit autour d’elle. Quelques secondes
plus tard, elle ressortit parfaitement sèche.
Elle saisit une tunique beige dans un casier et
l’accommoda sur son corps. Puis avec une
étonnante grâce, elle ajusta sur sa tête un compliqué
diadème de petites perles aux couleurs changeantes.
Lorsqu’elle s’approcha d’eux, les deux hommes
laissèrent échapper un petit « bonjour » étranglé.
Elle leur sourit en plissant ses admirables yeux
couleur caramel.
Elle se présenta sous le nom de Thàna, puis
demanda à Joaquín de la suivre jusqu’à une série de
portes triangulaires. Nicolas suivit Thàna jusque
dans une salle de dimension plus modeste. Il y avait
123
Les survivants d’Hullia

une cabine transparente et un bassin circulaire,


rempli d’eau bouillonnante. Avant de partir, la belle
hullienne lui proposa de prendre un bain dans le
genre de jacuzzi.
Nicolas se dévêtit, et s’y prélassa pendant un bon
moment.
Thàna revint un peu plus tard avec des vêtements
propres qu’elle déposa sur une murette.
Sous ses conseils, il sortit de l’eau et entra dans
une cabine. Il sentit des milliers de microjets sur
tout son corps, mais ce liquide avait la particularité
de s’évaporer au contact de la peau, laissant sur la
peau une étonnante sensation de fraîcheur. Même
ses cheveux étaient secs. Il enfila une sorte de
caleçon dont la matière s’apparentait à de la soie,
puis se para d’une tunique d’un blanc immaculé. La
jeune fille apparut à cet instant et s’empressa de lui
ajuster convenablement.

Haltar les attendait à l’entrée de la salle de


purification.
— Je constate avec orgueil que nos tenues
vestimentaires vous siéent à merveille, dit-il avec un
regard admiratif. Vous semblez différents, vos
visages sont radieux.
— Un bon bain et un bon coup de peigne vous
changent un homme, répondit Nicolas.
— Il est vrai que nous sommes dépourvus de
pilosités. Pourtant certaines hulliennes en seraient
ravies, précisa Haltar en souriant à ses collègues
féminines.
124
Le Cristal des Dieux 1

— C’est exact... Beaucoup d’entre nous


affectionnent les extraordinaires coiffures de votre
époque, précisa Thàna.
— Personnellement, je trouve que cela vous
apporte une prodigieuse beauté, lui dit Joaquín.
— Merci, c’est très élogieux..., répondit-elle en
penchant sa tête à gauche.
Haltar s’adressa à Joaquín.
— J’ai un message personnel de la part de Kaïla...
Elle serait particulièrement ravie de vous faire
visiter nos jardins. Elle espère et souhaite que vous
accepterez son invitation.
— Vous êtes certain que cette invitation est pour
moi ?
— Évidemment, répondit-il en s’approchant du
jeune homme. Il lui souffla dans le creux de
l’oreille. Cher ami, je pense que Kaïla désire se
pencher pour vous.
— Se pencher ? Je ne comprends pas...
— Ne dit-on pas cela, lorsqu’on s’intéresse
intimement à une personne ? s’étonna Haltar.
— Vous voulez certainement dire, « Elle a un
penchant pour vous » !
Haltar sembla réfléchir deux secondes.
— Oui, désolé, c’est tout à fait ça... Mon pseudo-
traducteur m’a appris quelques expressions de votre
époque. Mais, il est évident que dans ce cas,
l’interprétation n’était pas correctement énoncée.
— Oui, je n’osais imaginer la gestuelle
corporelle qu’indiquait cette phrase..., répondit
Joaquín avec un regard rêveur.
125
Les survivants d’Hullia

Haltar s’excusa à nouveau, puis s’écarta afin de


s’entretenir avec les deux femmes. Joaquín profita
de l’occasion pour s’approcher de Nicolas et lui
parler à voix basse.
— Je suis conscient de l’attrait que j’occasionne
à certaines filles, mais de là à faire craquer une
extraterrestre...
— Tu devrais te sentir orgueilleux.
— Je le suis... Nico, je le suis... Surtout, que la
fille en question est d’une beauté à couper le
souffle !
— J’avoue que ce serait une belle expérience au
niveau de la descendance génétique… si nous
sommes compatibles évidemment..., répondit
Nicolas en se grattant le menton.
— Je ne parle pas de génétique, Nico... Mais
plutôt de comment une créature possédant une
intelligence avancée, pourrait-elle ressentir une
attirance envers ma personne ? Peut-être est-ce de la
curiosité ? En ce moment, je me sens très bas sur
l’échelle de l’évolution, un peu comme un homo
erectus devant un homo sapiens sapiens... Et sans
aucun jeu de mots pour erectus.
— Voyons Joaquín..., répondit Nicolas en faisant
une petite grimace. Je suis persuadé que ce qui te
fait réflexionner de la sorte est justifié par les
questions que tu te poses sur le déroulement des
pratiques amoureuses chez ces extraterrestres.
— Tu as raison, j’avoue que cette question m’a
très fortement frôlé l’esprit.
— Je me la suis aussi posée, répondit Nicolas en
126
Le Cristal des Dieux 1

souriant.
— En fait, je me pose certainement trop de
questions, car elle reste une femme... Extraterrestre,
certes… mais, quelle femme ! Dès que l’on sera
seul, je demanderais à Haltar quelques conseils sur
les coutumes et mœurs de leur peuple..., ajouta
Joaquín en contemplant les jolies hulliennes.

Haltar se joint à eux.


— Messieurs, Dunïa vous a attribué une chambre
individuelle dans la tour bleue. Nous la visiterons
tout à l’heure... Mais tout d’abord, que diriez-vous
d’aller prendre une petite collation ?
— Excellente idée... approuva Joaquín. Je meurs
de faim.
— Haltar, j’ai une question à vous poser. Lui
demanda Nicolas.
— Dites-moi ?
— J’ai remarqué que certaines femmes
penchaient la tête sur le côté gauche, est-ce une
autre forme de salut ?
— Oh non... sourit-il. C’est une manifestation
gestuelle instinctive de notre espèce, elle se traduit
par une forte attention... Ce geste incontrôlé, reflète
l’attirance, la sympathie et la sensibilité de celui qui
le reproduit...
— Woaoo... Merci, c’est... c’est stupéfiant..., dit-
il d’un air pensif.

Quelques minutes plus tard... le temps de monter


une cinquantaine d’étages... nos amis se
127
Les survivants d’Hullia

retrouvèrent devant l’entrée d’une immense salle


bondée de centaines de tables ovales. Beaucoup
d’entre elles étaient occupées par des hulliens.
C’était une sorte de grand réfectoire. Les gens
discutaient entre eux tout en dégustant divers mets
et boissons de couleurs pastel. L’ambiance
paraissait douce, feutrée.
— Je vais vous demander de rester quelques
secondes sous le portique nutrigénomique..., leur dit
Haltar en désignant la large porte triangulaire. Les
senseurs vont cartographier puis répertorier votre
patrimoine génétique. Par la suite, dès l’instant que
vous vous attablerez, que ce soit ici, où dans vos
logements, la mémoire centrale déduira la
composition de vos repas afin que ceux-ci soient
spécifiquement adaptés à vos besoins nutritionnels.
Ils seront aussitôt conçus et servis. C’est de cette
façon que nous prévenons notre corps de tout risque
maladif et restons ainsi en bonne santé. À présent,
allons, nous asseoir. Nous sommes servis.
Le temps d’arriver à leurs tables, les plats et les
couverts étaient déjà posés devant eux.
— C’est étonnant, il me semblait que cette table
était vide il y a deux minutes, remarqua Joaquín
d’un air étonné.
— Émergence instantanée, précisa Haltar en
souriant.
Nos amis s’installèrent. Devant eux se trouvait
une assiette rectangulaire dans laquelle reposait une
sorte de génoise orangée nappée d’un coulis jaune
citron. Près du plat étaient posés une cuillère à
128
Le Cristal des Dieux 1

l’extrémité légèrement dentelée et un gobelet empli


d’un liquide transparent.
— Eh bien, faisons honneur à nos hôtes, annonça
Joaquín en prenant la cuillère entre ses doigts.
— Bon appétit ! répondit Haltar.
Nicolas et Joaquín plongèrent simultanément leur
cuillère dans leurs mets respectifs, puis en goûtèrent
une petite portion. Tandis qu’ils mastiquaient
nonchalamment leur aliment, aucune expression ne
se dégagea de leur visage.
— Comment trouvez-vous notre nourriture ? leur
demanda Haltar avec un visage impassible.
Nos amis se regardèrent tous deux d’un air
légèrement embarrassé.
— Ce n’est pas mauvais, juste un peu... neutre...,
répondit Joaquín en plissant les yeux.
— Effectivement, et je m’en doutais... C’est tout
à fait normal, précisa-t-il en souriant. Tous nos plats
sont réalisés sans saveur ajoutée. Il suffit que vous
pensiez à quelque chose que vous avez déjà
savouré, ainsi une sorte de stimulation gustative se
conjuguera avec vos sensations olfactives.
— Comment ce plat pourrait-il manipuler nos
sens ? demanda Nicolas.
— La conception de la pâte est principalement
nutritionnelle, mais elle est aussi composée de
molécules néo-gustatives qui vont susciter une sorte
d’image sensorielle dans l’hypothalamus.
L’information sera ensuite dirigée vers
l’hippocampe. C’est lui qui ira fouiner dans vos
souvenirs afin de générer les informations que vous
129
Les survivants d’Hullia

désirez ressentir et les transmettra par retour à vos


papilles gustatives.
— C’est prodigieux !
— Certes, mais le résultat est beaucoup plus
impressionnant que l’explication... tentez donc !
— Donc je dois penser au plat de mon choix ?
— J’essaie, réagit Joaquín. Mais ça ne ressemble
pas aux belles entrecôtes que je grille sur mon
barbecue... Quoique... attendez... la consistance de
la pâte vient de changer... Mon Dieu, c’est
délicieux ! J’ai l’impression de déguster une
grillade de premier choix, avec une saveur de très
bonnes frites ! Il manque l’apparence visuelle, mais
lorsque je ferme les yeux, c’est ahurissant !
— Humm, vous avez raison, c’est hallucinant ! Je
suis en train de savourer la merveilleuse morue en
beignet de chez Manolo... Il ne me manque plus
qu’un verre de vin Fino-Andalou.
— Vous avez un gobelet devant vous. Dégustez
donc votre Fino-Andalou ! répondit Haltar en
souriant.
— Non ! s’exclama Nicolas en saisissant son
gobelet.

Le jour s’était levé. Ils venaient d’emprunter une


porte différente pour déboucher sur une large rue
suspendue entre les hautes tours multicolores.
130
Le Cristal des Dieux 1

Le sol était d’un blanc lumineux. Les passants,


vêtus de tuniques aux différentes couleurs,
cheminaient paisiblement au milieu de la rue,
souvent en couple ou en groupe. Ils se croisaient, se
souriaient, discutaient entre eux.
Nos trois amis marchaient tranquillement,
lorsque cinq enfants curieux s’approchèrent d’eux
et les suivirent silencieusement.
Joaquín s’accouda sur une balustrade et jeta un
coup d’œil dans le vide.
— Woaoo..., lâcha-t-il avec un léger mouvement
de recul.
— Oui, sourit Haltar. Nous sommes très haut.
— Personne n’est jamais tombé de ces ponts
suspendus ? demanda Joaquín inquiet.
Nicolas s’approcha à son tour et fut émerveillé
par la vue.
— Non..., répondit Haltar. Il y a des barrières
énergétiques, rien ne peut tomber.
— Une cité futuriste dans le passé de notre
monde..., dit Nicolas. Les voyages dans le temps,
pour nos scientifiques, ne sont qu’hypothèses et
théories. Pouvez-vous nous expliquer le
fonctionnement de vos sphères temporelles et par
quel genre d’énergie sont-elles alimentées ?
— Oui, bien sûr... La réponse se trouve là-haut
sur la tour centrale. À l’intérieur de cette grande
sphère dorée se trouve le dépôt des cristaux étranges
originels. Ce sont leurs découvertes qui
engendrèrent le voyage dans le temps.
— Que sont ces cristaux étranges ? demanda
131
Les survivants d’Hullia

Nicolas en sortant la gemme de la poche de sa


tunique. Nous avons trouvé celui-ci à l’intérieur
d’une sorte de brassard.
— Nous les nommons « Cristal des Dieux » en
raison d’une ancienne légende. Ces cristaux sont
des répliques modifiées de ceux que nous
conservons dans la sphère mère. Leur découverte
remonte à des milliers d’années, lorsque nos
ancêtres vivaient sur Hullia, notre monde originel,
un planétoïde traversa leur système solaire. En
retraçant sa trajectoire, les astronomes découvrirent
qu’il semblait provenir du cœur la
singularité cosmique qui se trouve au centre de
notre galaxie.
— Il y a bien un trou noir au centre de la galaxie ?
demanda Nicolas.
— Oui... ses dimensions inimaginables... Toutes
les masses célestes convergent vers ce lieu
improbable. Mais au lieu d’être happé par la
monumentale force gravitationnelle, on ne sait par
quel effet étrange ce planétoïde fut expulsé dans
l’espace extérieur. Cherchant des réponses, les
scientifiques y envoyèrent une expédition robotisée.
Ils y prélevèrent des minerais et des cristaux d’une
extrême solidité. Les métallurgistes découvrirent
que le minerai porté à une certaine température se
transformait en un métal doré très résistant
possédant une étonnante mémoire de forme. En
revanche, la structuration atomique des cristaux
était curieuse, car composée d’éléments inconnus.
Ils étaient plus durs que les diamants. Nos savants
132
Le Cristal des Dieux 1

tentèrent de les tailler par tous les moyens existants,


mais rien n’en venait à bout. Ils modifièrent alors un
canon laser en y ajoutant un cristal au poli
particulièrement parfait. Le contact du faisceau sur
l’autre cristal engendra un phénomène inattendu. Il
y eut un déplacement d’air colossal, la base entière
fut anéantie. Tout avait disparu. Les hommes qui y
travaillaient furent déchiquetés et aspirés par une
sorte de déchirure spatiotemporelle. Ça ne dura que
quelques secondes, car la brèche s’évapora
rapidement... Il ne resta plus rien sur des kilomètres
à la ronde.
Quelques heures plus tard, les radars
extraplanétaires perçurent un flux d’énergie
spontané sur la surface d’une lune voisine. Ils y
envoyèrent une équipe et y découvrirent un sol
jonché de débris, de machines éventrées et d’autres
parties plus ou moins méconnaissables des victimes
provenant du site d’essai. À l’épicentre parmi les
décombres, ils découvrirent le cristal qui avait servi
à l’expérience, simplement posé à même le sol.
À la suite d’une enquête minutieuse, ils
découvrirent que l’impact du laser sur le cristal avait
produit un brusque changement de sa structure
moléculaire. La matière inconnue qui le composait
s’était modifiée, ou plus exactement, l’agencement
de ses atomes avait permuté en une inversion
brutale des électrons et neutrons qui la composaient.
Provoquant un retournement évasif de sa structure
atomique. En gros, le cristal s’était dilaté, puis
replié sur lui-même en créant une cavité, une sorte
133
Les survivants d’Hullia

d’effondrement de l’espace-temps qui généra un


couloir avec accès direct sur la surface d’une lune
sans atmosphère. Il se créa un puissant appel d’air
aspiré par le vide spatial. La base, et tout ce qui se
trouvait à proximité, fut propulsée en quelques
secondes, à des milliers de kilomètres dans l’espace.
D’autres savants renouvelèrent l’expérience, en
prenant cette fois-ci le maximum de précautions.
Malgré le confinement du nouvel essai, lorsque la
fissure se créa, il en émergea un puissant jet de
matière en fusion, consécutive à l’ouverture d’un
couloir vertical débouchant sous le manteau de
notre planète.
Les savants tentèrent d’autres épreuves en
régulant le flux des lasers, leur angle d’impact et les
degrés d’exposition. Par exemple, un tir de quelques
microsecondes à l’horizontale créait une fissure qui
débouchait à quelques mètres de distance. Un tir
vertical de quelques secondes sous le cristal menait
directement dans l’espace proche. Et lorsque le tir
était saccadé, il se produisait un décalage temporel.
Toutes ces expériences furent, bien entendues,
menées par des machines télécommandées, car ces
brèches étaient infranchissables pour tout être
vivant. La vitesse de projection dans le passage les
aurait comprimées et déchiquetées.
Les deux hommes lâchèrent une grimace.
— Pour protéger les appareils de l’incroyable
pression perçue lors de la traversée des brèches, les
savants réussirent à mettre au point un champ
magnétique capable de refréner les machines afin de
134
Le Cristal des Dieux 1

pouvoir les récupérer intactes à la sortie.


Évidemment, pour un contrôle total embarqué il
fallait pouvoir transporter le cristal et le laser à bord
de la machine. Pour cela, il fallut des années de
recherches, le résultat fut la création d’une cabine
de forme sphérique fabriquée à partir du minerai
découvert sur le planétoïde. Le résultat fut très
approximatif de nos sphères actuelles.
— _ Vous avez réussi à confiner les cristaux dans
les sphères ? demanda Nicolas.
— Exactement, les sphères sont dotées d’une
double paroi externe. Entre ces deux cloisons
circule un système rotatif, modulable et rétractable
sur lequel est ajustée une série de microlaser,
convergeant vers un support central empli d’un gel
semi-expansif dans lequel baignent plusieurs
cristaux. Il y a trois champs de force, deux à
l’intérieur pour protéger la cabine, un troisième
autour de la paroi extérieure afin de contenir
l’expansion d’une brèche. Lorsque les lasers sont
activés, une fissure spatiotemporelle se forme entre
ces deux premiers champs, se repend et englobe la
sphère. La cabine reste inerte, car confinée à
l’intérieur d’un troisième champ. Lorsque l’on
désactive la protection extérieure, la singularité se
dilate en englobant la sphère, qui en quelques
secondes semble disparaître à la vue. En réalité vue
de l’intérieur, l’appareil ne bouge pratiquement pas,
c’est l’espace et le temps qui se déplacent autour de
lui. C’est ainsi que nos anciens découvrirent que ces
couloirs pouvaient mener à n’importe quel endroit
135
Les survivants d’Hullia

de la planète ou de l’espace, mais également vers le


passé ou le futur. Les dangers à éviter étaient les
ouvertures dans l’espace, d’autant qu’elles étaient
sans grands intérêts, car l’air aspiré par le vide
spatial catapulte la sphère à une vitesse
vertigineuse, et là-bas rien ne peut la freiner. Un
brusque changement de pression atmosphérique
pouvait aussi causer l’instabilité de la sphère.
Par la suite, ils adaptèrent ce procédé de voyage
aux vaisseaux mères. C’est en réalisant des bonds à
travers les trous de vers dans l’espace intersidéral
que nos anciens sont arrivés dans ce système
solaire. Ce qui aurait pu prendre des millions
d’années s’échelonna sur quelques milliers
d’années.
— C’est extraordinaire, je suis vraiment
impressionné ! s’exclama Nicolas.
— Pouvez-vous remonter très loin dans le
temps ? demanda Joaquín. Peut-on, par exemple,
visiter l’ère jurassique ?
— Évidemment, car rien de ce que vous ferez là-
bas ne pourrait perturber notre présent, ou le vôtre.
Il vous faudrait cependant prendre toutes les
précautions nécessaires pour une telle
expédition, car ces périodes sont potentiellement
dangereuses.
— C’est fantastique ! s’enthousiasma Nicolas en
contemplant sa gemme. Ce cristal possède une
puissance phénoménale.
— Absolument... Cependant, celui que je
possède est artificiel.
136
Le Cristal des Dieux 1

— Vous avez réussi à les reproduire ?


— Non seulement les scientifiques sont parvenus
à dupliquer les cristaux originels. Mais ils les ont
programmés afin qu’ils interagissent avec la
matière, on les contrôle grâce aux ondes cérébrales.
— C’est bien ce que je pensais... dit Joaquín
enthousiasmé.
— Mais, comment peut-on programmer un
cristal ? Je l’ai regardé à la loupe, il n’y a rien à
l’intérieur ! s’étonna Nicolas.
— Il est vrai que vous n’êtes pas encore au stade
des ordinateurs à mémoire quantique retranscrite
dans les atomes cristallins. Vous seriez surpris par
la capacité de stockage de données qu’un simple
cristal de quartz peut emmagasiner, alors imaginez
ce que ces cristaux peuvent accumuler.
— Je n’ose pas y penser ! lâcha Nicolas.
— Nous sommes arrivés ! dit Haltar en s’arrêtant
devant une titanesque façade cristalline dont le
sommet se perdait dans le ciel. Sur sa façade
apparaissait un gigantesque symbole, deux énormes
cercles entrelacés l’un sur l’autre traversés de deux
lignes verticales.
— Que signifie ce symbole ? demanda Nicolas.
Nous l’avons découvert sur un brassard et sur les
couloirs de la salle pyramidale.
— Il représente l’Ancien et le Nouveau Monde
relié par les couloirs du temps.
À leur approche, une partie du mur cristallin
devant eux se gondola, puis forma des vagues
concentriques. La surface se creusa et se fissura sur
137
Les survivants d’Hullia

environ deux mètres de hauteur et s’écarta


brusquement pour former une ouverture
triangulaire.
— Une porte ! s’exclama Nicolas. C’est le cristal
qui a fait ça ?
— J’ai demandé au cristal de modifier la
structure de l’édifice à cet endroit précis. Savez-
vous qu’à votre époque il existe des légendes sur ces
cristaux ? La plupart font allusion à une gemme
possédant des pouvoirs extraordinaires. Certains la
dénomment Pierre philosophale.
— La pierre philosophale... répéta Joaquín
enthousiasmé. Elle a donc vraiment existé... C’est
fantastique.
— Cela signifie-t-il que vous avez remis ce
pouvoir entre les mains de quelques humains ?
demanda Nicolas intéressé.
— Celui que vous avez est de l’un d’eux. C’est
grâce à lui que vous avez pu contrôler la sphère.
— Nous avons remarqué ça. D’ailleurs, je dois
vous le remettre, il vous appartient.
— Non, il vous revient... Nous pouvons dire que
vous êtes compatible. Peu d’humains ont cette
particularité. Je dois d’ailleurs vous offrir ceci, c’est
une chaînette. Le cristal s’emboite dans ce support,
vous pourrez le porter sur vous. Votre cristal est très
ancien, il est constitué d’un condensé de
technologie quantique que nous avons fusionné
avec un véritable éclat cristallin provenant du
planétoïde étrange. Il possède la capacité de
modifier la structure moléculaire de toute matière.
138
Le Cristal des Dieux 1

— Comme... changer l’or en plomb ? suggéra


Joaquín.
— Entre autres, oui...

Les trois hommes franchirent le passage


triangulaire. Les enfants restèrent à l’extérieur.
Nicolas se retourna et vit la porte se refermer.
Quelques minutes et quelques couloirs plus tard, ils
débouchèrent dans une immense salle.
Il y avait deux interminables comptoirs de forme
semi-circulaire. Une dizaine de hulliens allaient et
venaient en touchant ou effleurant une multitude
d’écrans lumineux multicolores disséminés tout au
long des pupitres de contrôle.
En face d’eux, de l’autre côté de la salle, se
trouvait une gigantesque ouverture de forme ovale
occupant la totalité du mur. C’était en réalité un
écran holographique géant, car les images
hautement réalistes changeaient de temps en temps,
découvrant des paysages et des contrées sauvages
d’une beauté fascinante.
Ils s’avancèrent vers le centre de la pièce. Haltar
s’arrêta et leva la tête. Les deux spéléologues
regardèrent instinctivement vers le plafond et ce
qu’ils virent les impressionna. Au-dessus d’eux
s’ouvrait une longue et interminable cheminée
cylindrique d’environ cinq mètres de diamètre. La
vue directe du conduit tubulaire était saisissante. Il
devait mener jusqu’au toit de l’immense tour. Mais
ce qui fit serrer les dents de nos deux compères,
c’était cet objet lumineux qui descendait à une
139
Les survivants d’Hullia

vitesse vertigineuse. Les deux hommes eurent un


mouvement de recul. Haltar les regarda avec ses
grands yeux verts pétillants. Son visage trahissait
son amusement.
— N’ayez pas peur, leur dit-il en souriant. C’est
notre ascenseur.
— Un ascenseur ? Mais, il nous tombe dessus !
lâcha Joaquín avec appréhension.
Haltar semblait éprouver un certain plaisir à
contempler leurs réactions devant l’avancée
technologique de son peuple.
Tandis que le disque lumineux se rapprochait,
Haltar leva ses mains en signe de confiance.
— L’ascenseur est en dispersion moléculaire...
Sa densité est nulle dans cet état.

Un halo éblouissant les traversa de la tête au pied.


Ils ressentirent un léger fourmillement dans tout le
corps. Le cercle de lumière eut quelques
soubresauts incandescents puis se solidifia sous
leurs pieds en prenant l’aspect d’une matière
transparente semblable à du verre. Ils se sentirent
soulevés dans les airs. La sensation disparut dès que
l’étrange ascenseur accéléra pour se diriger vers le
dernier étage de l’immense gratte-ciel.
— Pourquoi ne reste-t-il, à notre époque, aucune
trace de votre civilisation ? demanda Joaquín.
— Nous sommes et serons présents parmi vous
pendant plusieurs ères. Mais de notre présence seule
ont subsisté quelques bases temporelles comme
celle que vous avez découverte. Notre civilisation
140
Le Cristal des Dieux 1

matérielle se limite à cette cité énergétique. Il ne


reste de nous que quelques légendes se propageant
à travers les âges, ainsi que des peintures rupestres
et quelques sculptures nous représentant... il y en a
un peu partout dans le monde, vous trouverez ces
fresques en Jordanie, des statues dans le temple
d’Abydos. Vous trouverez aussi des peintures dans
les grottes Cougnac, de Pech-Merle, de
Combarelles. Mais aussi à Altamira en Espagne, en
Égypte, en Italie, au Pakistan, en Australie et dans
bien d’autres régions du monde...
— Mais qu’en est-il du tombeau que nous avons
découvert ?
Haltar se tue, tandis que ses grands yeux clairs se
perdaient dans le vague.
— Ce tombeau fut bâti... disons plutôt... sera bâti
par les ouvriers d’une reine hill héritière d’un
cristal.
— Hill ? demanda Nicolas.
— Les hills sont des hybrides hulliens et
humains...
— Nos deux espèces sont donc compatibles ?
demanda Joaquín.
— Parfaitement... Cette reine sera la gardienne
du passage donnant accès à notre base temporelle
creusée à l’intérieur d’un mont d’où s’élèvera la
tour centrale relayant les sept tours cristallines
démarquant une grande cité fluviale qui prendra
toute son ampleur 15 000 ans avant votre ère.
— Une cité avec des tours en cristal ? Ici en
Andalousie ?
141
Les survivants d’Hullia

— Tout à fait, après le départ de notre vaisseau


mère pour le futur, un collectif de vingt personnes
élu par le grand conseil resta sur place. Leur rôle,
guider les humains et les instruire.

— Vous allez partir vers le futur, demanda


Nicolas curieux.
— Oui, nous vous expliquerons les raisons tout à
l’heure...
— OK. Donc cette équipe s’employa à instruire
les humains...
— C’est ça... ils leur apprirent la science et les
connaissances de l’agriculture, l’élevage, l’écriture,
les mathématiques, l’astronomie, la poésie et la
passion de l’art. Ils leur enseignèrent aussi le respect
de soi et de son prochain. Puis ensemble, ils bâtirent
la cité de Vandahills.
— J’ai eu l’occasion de contempler des images
de cette période..., expliqua Haltar. Imaginez une
très grande île avec sept grandes tours transparentes
reliées entre elles par de longues passerelles
cristallines enjambant une grande cité aux murs de
pierres blanches. Au milieu s’étend un lac avec en
son centre une petite île de forme pyramidale au
sommet de laquelle s’élève un immense édifice
ceinturé de milliers d’arcades descendant par
paliers. C’est dans ce lieu que se regroupent les
villageois lors des festivités. Autour de l’île centrale
bordée de douves portuaires. Des dizaines de ponts
relient entre eux trois larges terre-pleins
concentriques composés de jardins et de potagers,
142
Le Cristal des Dieux 1

disséminés entre les innombrables habitations.


— J’ai l’impression que vous décrivez
l’Atlantide, la légendaire cité décrite par Platon...,
remarqua Nicolas en fronçant les sourcils.
— Effectivement, la prononciation de son nom
varie selon les langues.
— Woaoo... C’est juste démentiel ! s’exclama
Nicolas. Dire que la plupart de nos chercheurs
croient cette cité engloutie quelque part dans
l’océan atlantique.
— Certains sont persuadés qu’elle se situait dans
la mer Égée près de l’île de Crête, ajouta Joaquín.
— À vrai dire, nous la situons un peu partout
dans le monde..., précisa Nicolas.
— Et en réalité elle s’étendra ici même, à
l’emplacement exact de nos jardins, c’est-à-dire sur
le sol qui se trouve à 300 mètres sous nos pieds.
— Je n’en reviens pas, les hulliens et les
hommes se côtoyaient sur l’Atlantide ! s’exclama
Joaquín.
— Il est dommage qu’il ne reste aucune trace de
cette cité de nos jours..., ajouta Nicolas.
— En êtes-vous certain de ce que vous avancez ?
s’étonna Haltar en plissant son grand front. D’après
les archives rédigées par nos voyageurs, les vestiges
de ses digues circulaires et les ruines de la tour de
Vandahills sont à votre époque aussi célèbre que la
cathédrale de Notre Dame à Paris ou le temple
d’Angor au Cambodge.
— Certain... confirma Joaquín. J’ai grandi et
vécu dans cette région durant de nombreuses
143
Les survivants d’Hullia

années, je vous assure qu’il n’y a aucune trace d’un


tel site.
— Ça, c’est inquiétant ! dit Haltar d’un air pensif.
Y aurait-il un bouleversement temporel ? J’envoie
immédiatement une demande de vérification...
Nous aurons une réponse assez rapidement.
Messieurs, nous sommes arrivés, nous poursuivrons
cette discussion plus tard. Nos conseillers
hiérarchiques nous attendent.
— Vous possédez une constitution hiérarchique ?
demanda Nicolas intrigué.
— On pourrait l’appeler ainsi... Ils sont choisis
pour leur grand savoir et leur grande sagesse. Leur
préoccupation majeure est de contrôler et de faire
maintenir le bon équilibre énergétique et sanitaire
de la cité, ainsi que la gestion de la nourriture et de
l’habillement. J’en fais moi-même partie, mon
aptitude est basée sur le maintien et la stabilité du
relationnel entre les habitants de la cité.
— Une sorte de flic psychothérapeute ?
Haltar sembla réfléchir quelques secondes.
— Oui... En quelque sorte...
Le disque s’arrêta au centre d’une immense salle
occupée par une vingtaine de personnages parés de
tuniques de différentes couleurs.

Soudain, sans trop comprendre ce qui se passait,


tout s’assombrit autour de moi...

144
Le Cristal des Dieux 1

J’ouvris les yeux, pour réaliser que j’étais dans la


chambre des gens qui m’avaient accueilli. Je me
sentais reposé, mais encore sidéré par les
révélations de la nuit.
Je me levais, me rendis dans la salle de bain, puis
descendis.
Malgré l’heure matinale, mes hôtes étaient déjà
debout. Je restais silencieux tout le long du petit
déjeuner. Je ne voulais pas parler devant Rosa, pour
ne pas la heurter avec mes histoires, j’en parlerais à
Estéban sur le chemin de la gare.
L’heure du départ arriva très vite. Rosa s’avança
vers moi, le visage grave. Elle me fixa droit dans les
yeux et me tendit une enveloppe.
— Ce n’est pas grand-chose, mais tu en auras
certainement besoin.
— Qu’est-ce ?
— C’est pour tes dépenses.
— Désolé, mais je ne peux pas accepter... Vous
en avez suffisamment fait en m’offrant votre
hospitalité et le billet de train.
— Accepte, sinon je considérerais ce refus
comme une offense ! Fais surtout attention à toi. Je
ne peux pas t’accompagner, donc si tout réussit à
rentrer dans l’ordre, reviens nous voir. Ça nous fera
plaisir.
Je m’avançais vers elle afin de lui faire la bise,
mais celle-ci m’enlaça maternellement. Je me sentis
gêné devant la familiarité de ce couple et me vis
redevable d’en faire autant.
— Je promets que je penserais à vous souvent,
145
Les survivants d’Hullia

soyez-en certain. J’accepte ceci, mais je m’engage


à vous le rendre dès que je le pourrais.
— Il faudrait y aller, sinon je risque de devenir
jaloux. Le train ne va pas nous attendre..., plaisanta
Esteban.
Je m’assis dans la voiture. Esteban s’installa au
volant et attendit que Rosa fasse coulisser la porte
du garage pour démarrer le moteur.

Sur la route, Esteban m’expliqua pourquoi Rosa


n’avait pas voulu nous accompagner.
— Ça remonte à quelques années... Alexandre
avait obtenu ses bourses quelques mois auparavant
et le jour de son départ, Rosa ressentit un étrange
pressentiment. C’est son amie d’enfance Laura qui
l’emmena jusqu’à l’aéroport.
Il me sembla détecter une profonde mélancolie
dans la voix du vieil homme. Ce n’est qu’après
quelques secondes de silence qu’il reprit son récit.
Mais cette fois-ci, il changea de ton.
— Depuis ce jour, nous ne l’avons plus jamais
revu. Des années de tendresse et de bonheur ont
basculé dans la douleur... Rosa tomba malade. Elle
en voulait au monde entier !
Il laissa échapper un soupir qui en disait long sur
ses pensées. Il se ressaisit puis reprit ;
— Les années s’écoulant, la douleur s’atténua,
mais son joli sourire s’était estompé remplacé par
une éternelle tristesse. Rosa s’est prise d’affection
pour toi, mon garçon, il faut dire que tu ressembles
tellement à notre enfant... C’est pour cette raison
146
Le Cristal des Dieux 1

qu’elle n’a pas voulu nous accompagner. Ton départ


la bouleverse. Elle m’a dit qu’elle ressentait à
nouveau ce pressentiment, cette angoisse. Et je la
comprends, c’est comme un nœud dans la gorge, un
poids dans la poitrine qui vous oppresse. C’est un
sentiment d’impuissance que l’on éprouve devant
l’impossibilité de retenir le départ d’une personne
chère à son cœur.
— Ça doit être horrible !
— Vois-tu, Tony, je dois te confier quelque
chose. Je n’ai jamais parlé de ça, mais je suis certain
que tu vas me comprendre. Ne me demande pas
pourquoi, mais depuis la disparition d’Alexandre,
j’ai l’étrange impression qu’il reviendra un jour.
J’en ai la certitude, car je sens qu’il est vivant, qu’il
se trouve quelque part Dieu sait où, en train
d’accomplir sa destinée !
« Pourquoi pas ? » me dis-je. « Qui sait, peut-être
a-t-il été aspiré dans une brèche
spatiotemporelle ? » Voilà que je me mettais à
extrapoler en ajoutant la technologie hullienne dans
mon raisonnement. Peut-être à cause du pendentif
de leur fils. D’après sa description, il ressemble au
cristal de Nicolas.
Des idées étonnantes naissaient sans cesse dans
ma tête et semblaient plus insensées les unes que les
autres. Et Esteban, il sait pourtant qu’il risque sa vie
en tentant de m’aider. Je priais le ciel pour que Rosa
se trompe sur ses pressentiments. C’est qu’il venait
de me foutre la trouille avec son histoire de
disparition étrange. Disparaîtrais-je moi aussi
147
Les survivants d’Hullia

subitement, évaporé sans laisser la moindre trace,


tout comme Alexandre et cette jeune fille dans
l’avion ?
Il y avait aussi cette étrange sensation envers ces
jeunes personnes, je ne saurais expliquer pourquoi
je me sentais aussi proche d’eux. Je ressentis
soudain comme une oppression, je me retournais
afin de regarder les véhicules qui nous suivaient.
Esteban remarqua mon geste.
— Ne t’inquiète pas Tony, comme tu as
certainement remarqué, depuis que nous sommes
arrivés en ville, nous avons fait un grand détour en
bifurquant plusieurs fois dans les petites rues.
Apparemment, nous ne sommes pas suivis. Mais
lorsque nous serons à la gare, il faudra rester
vigilant. Au moindre indice suspect, on se
prévient... On ne va pas se laisser surprendre, tu
verras...
— Merci, Estéban, lui répondis-je, un peu
rassuré.
— Dis-moi Tony, il y a un quelque chose qui me
chiffonne depuis un petit moment. Que penses-tu
trouver en Andalousie ?
— Je ne sais pas... j’espère surtout trouver des
réponses à mon implication dans cette drôle
d’histoire.
— Je l’espère aussi de tout cœur. Il y a beaucoup
de villages autour de Granada, essai de te souvenir
des noms et des détails visuels de la région.
— Je vais essayer de fouiller dans ma mémoire.
— D’accord, et surtout, promets-moi de rester
148
Le Cristal des Dieux 1

vigilant... méfie-toi des personnes que tu vas croiser


sur ton chemin, ne fais confiance à personne.
— Je vous le promets. J’espère que mes visions
me guideront. De toute façon, je ne peux plus faire
marche arrière. La seule solution est de prendre ce
train et de partir je ne sais où...
— Vers ta destinée, mon grand..., murmura
Esteban.
— Qu’avez-vous dit ?
— Que ce train va certainement te mener vers ta
destinée..., précisa-t-il. Tony, je reste persuadé que
tout ça fait partie de quelque chose de plus grand...
J’ai comme l’impression que ce qu’on vit... ou
plutôt que ce que tu vis est déjà écrit.

La gare était relativement petite, je pris un billet


de train au guichet et jetais un coup d’œil à l’horloge
du quai. L’express serait là dans une vingtaine de
minutes, s’il n’avait pas de retard bien entendu.
Esteban me proposa d’aller prendre un café au
bistrot de la station afin de nous dire au revoir.

L’endroit grouillait de gens et me semblait un peu


inhospitalier. Ce n’était peut-être qu’une
impression, mais je trouvais que la plupart des
clients avaient le visage aigri... peut-être à cause des
départs, me dis-je en leur cherchant une excuse.

149
Les survivants d’Hullia

Il y avait du monde partout dans le minuscule


établissement, aussi bien à l’extérieur qu’à
l’intérieur. Et le pire, c’est qu’ils parlaient tous à
voix haute, générant ainsi un brouhaha infernal d’où
s’élevaient d’innombrables voix aiguës et
nasillardes.
Un petit ballon tricolore vint me percuter la
cuisse, je le rattrapais au rebond. Un petit blondinet
de six ou sept ans s’approcha de moi en se faufilant
à travers la foule. Je lui rendais son jouet en
souriant... Ce fut le seul visage agréable que je vis
dans cet endroit moite, enfumé et quelque peu
malodorant. Par chance, un couple se leva de table
devant nous. Nous en profitâmes pour nous y
installer.
Quelques minutes plus tard, le serveur, un petit
bonhomme ventripotent, approchant la
cinquantaine, nous toisa d’un air désenchanté. Il
était affublé d’une énorme moustache qui lui
traversait le visage d’une oreille à l’autre.
— Què desitgen ? vociféra-t-il en catalan.
Sa grosse voix porta par-dessus le brouhaha qui
régnait dans le bar. Son regard sombre ne me
plaisait guère et son accueil n’avait pas l’ombre de
la moindre politesse.
— Dos cafés... por favor ! répondit sèchement
Estéban, afin de se faire comprendre dans le
tumulte.

Nous ne pouvions pas discuter tranquillement.


Nous nous dépêchâmes d’avaler notre café, afin de
150
Le Cristal des Dieux 1

sortir de cet endroit malsain et nous aérer sur le quai.


— Quel soulagement ! lâcha Esteban en
soufflant. C’était à la limite du supportable... Au
fait, as-tu des nouvelles des explorateurs ?
— Oui..., lui répondis-je en jetant un coup d’œil
autour de nous. Je pense savoir ce que recherche ce
colonel. Cette nuit, je me suis retrouvé dans la grotte
et j’ai assisté à une étonnante trouvaille... C’est une
sorte de grande sphère dorée. Ils en ont déduit que
ce serait une machine intemporelle vieille de
plusieurs milliers d’années.
Esteban resta bouche bée devant cette révélation.
J’omettais bien sûr de lui parler des extraterrestres.
— C’est phénoménal...
— Oui, ça commence à devenir intéressant. J’ai
bien l’impression que ces scientifiques ont fait une
découverte qui pourrait, si elle était dévoilée au
grand jour, bouleverser notre regard sur le monde.
Vous rendez-vous compte de ce que cela
signifierait ?
— Qu’il y aurait eu sur terre une civilisation avec
une avance technologique égale ou supérieure à la
nôtre !
— Estéban, il y a aussi autre chose que je trouve
curieux, et dont je dois vous faire part… le
professeur possède lui un objet étrange qu’il a
découvert dans une sorte de grotte. D’après ce que
j’ai appris, celui qui le détient aurait la particularité
de contrôler la matière.
— J’ai l’impression que tu parles d’une certaine
pierre mythique...
151
Les survivants d’Hullia

— J’y ai pensé aussi. Elle ressemble à une sorte


de cristal bleuté... En fait, d’après eux, ce serait un
cristal artificiel, et il correspond étonnamment à la
description que vous m’avez faite du pendentif...
Mais le plus étrange c’est qu’ils nomment la
gemme, Cristal, comme dans le mot qui
accompagnait le pendentif...
La respiration d’Estéban devint rapide et
saccadée. Il posa sa main sur sa poitrine et ferma les
yeux.
— C’est vraiment déstabilisant comme
coïncidence... Des souvenirs me reviennent à
l’instant... mon fils Alex me faisait parfois part
d’évènements invraisemblables qui lui étaient
arrivés à plusieurs reprises. Il me disait qu’il avait
vu des pièces de monnaie changer de couleur, que
des machines à boissons défaillantes se vidaient de
leur contenu en sa présence, et des bornes
électroniques qui sonnaient intempestivement à son
passage.

Une voix grinçante et nasillarde s’échappa


soudain des haut-parleurs de la station. Elle
annonçait l’arrivée du train qui m’emporterait
bientôt vers ma mystérieuse destinée. Esteban
m’accompagna jusqu’à la porte du wagon.
— Écoute, cette histoire me bouleverse vraiment.
Je sens de tout mon cœur qu’il y a une corrélation
entre ces deux cristaux. Mais nous n’avons plus le
temps de parler... Prends ceci, dit-il en me tendant
une petite feuille provenant d’un bloc-notes. J’y ai
152
Le Cristal des Dieux 1

inscrit une adresse... Tu t’y présenteras de ma part.


Le gérant est mon cousin, il s’appelle Alberto.
Remets-lui cette note, tu seras très bien accueilli. Je
vais lui passer un coup de fil en rentrant. Son hôtel
se situe en dehors de la ville de Granada, c’est une
hacienda très calme, ça te laissera le temps de voir
venir les choses. Il y a aussi mon numéro, donc dès
que tu en apprends un peu plus, appelle-moi...

« J’étais de son avis, il y avait bien corrélation,


mais à quel degré ? »

153
Les survivants d’Hullia

154
Le Cristal des Dieux 1

ANDALUCÍA

Après un changement de train à Barcelone,


l’express roulait à présent à vive allure. Nous
entrions à présent dans la région de Valencia. Le
soleil dardait ses rayons matinaux en teintant les
nuages et la mer d’un magnifique rouge orangé.
C’est en contemplant ce décor que je m’assoupis.

J’entendis d’abord une voix féminine, douce et


apaisante.
— « ¿Cómo se encuentra, Tío? Dime que no
sufre...4
— Está en el tren, se ha dormido5, répondit une
voix masculine et familière.
— ¿ Crees que nos encontrará fácilmente ?6
— Eso espero..., »7 répondit la voix d’homme.
Intento enviarle nuestra posición, pero no creo que
me recibe, aparentemente hay un problema de
conexión.»
4
Comment va-t-il, mon oncle ? Dis-moi qu’il ne souffre pas...
5
Non... Il est dans un train, il s’est endormi,
6
Crois-tu qu’il nous trouvera facilement ?
7
Je l’espère... J’essaie de lui envoyer notre position, mais je pense
qu’il ne me reçoit pas, apparemment il y a un problème de connexion.

155
Les survivants d’Hullia

Et c’est là que je revis mon ange aux cheveux


blonds. Elle était éblouissante, d’une beauté à
couper le souffle. Sa peau était fine et claire, et ses
lèvres parfaitement dessinées. Elle était assise en
bout d’une table, une tasse entre ses mains.
Une grande tristesse se devinait dans son regard.
L’image s’effaça, tandis que des pensées bizarres
surgissaient dans mon esprit. Je me créais des liens
étranges entre des regards, des yeux, des couleurs,
des visages, des pendentifs, des modules
mémoriels, des sphères dorées... des mots sur un
papier... le cristal... jusqu’à la fin des temps... des
initiales V. et T.…

Un grincement me réveilla en sursaut... Le train


entrait dans une gare. Je tentais de reprendre mes
esprits en pensant ma vision.
J’aurais aimé qu’elle persiste un peu plus. Je me
souvins que la jeune femme avait dit quelques mots,
dont je ne saisis le sens qu’un instant plus tard, tant
je me sentais ébloui par sa beauté. Mais mon esprit
travaillait à présent avec une étonnante rapidité. Les
mots qu’elle avait prononcés d’une voix imprégnée
d’inquiétude résonnaient encore dans ma tête. C’est
alors qu’un frisson me parcourut le dos. J’avais
aussi entendu une voix d’homme lui répondre et
c’était la voix de Joaquín. Elle l’avait appelé Tío,
« tonton en espagnol ». Je fis aussitôt le
rapprochement avec la femme de Nicolas, elle était
la sœur de Joaquín. Mon apparition serait-elle ce
bébé aux bouclettes blondes ? La fille de Nicolas ?
156
Le Cristal des Dieux 1

J’en étais persuadé, car dans le présent Nicolas était


un vieux monsieur. Serait-ce un message récent
perçu par le module ? À moins, que cet objet serve
aussi de communicateur. Ça signifiait que Joaquín
était vivant et qu’il protégeait l’enfant... qui avait
drôlement grandi d’ailleurs. Mais c’était peut-être
ma mémoire qui me jouait des tours, et me façonnait
ces inquiétantes hallucinations.
J’avais parfois du mal à dissocier mes propres
souvenirs de ceux du professeur Kowalski. Tant de
questions se bousculaient dans ma tête. J’espérais
de tout recevoir un nouveau message du bel ange en
m’indiquant l’endroit exact où je devais me rendre.

Je me levais pour aller prendre un café, afin de


me changer les idées.
La déco de la voiture-restaurant était moderne et
agréable. Je m’asseyais sur un des tabourets du bar
et commandais un café noir. Une dizaine de minutes
s’étaient écoulées lorsque je ressentis comme une
étrange oppression. Elle monta en moi tel un
malaise. Je n’étais pas tranquille, mais je ne saurais
dire les raisons.
Je balayais le wagon d’un regard discret, mais
rien n’accrocha mon attention. Pourtant le
sentiment de méfiance qui s’était installé ne me
quittait toujours pas. À ma grande surprise, je
découvrais qu’un simple regard dans le wagon avait
suffi pour enregistrer toutes les activités des
passagers. C’était un fait que je qualifiais
d’extraordinaire. Je me divertis en remarquant les
157
Les survivants d’Hullia

merveilleux détails que ma mémoire me rendait.


Derrière moi, sur ma gauche, se trouvait un couple
de jeunes gens, ils semblaient très amoureux, leurs
gestes, leurs façons de se regarder dénonçaient leurs
sentiments. Près d’eux se trouvaient une femme et
ses trois enfants devant leurs petits déjeunés. Mon
esprit avait capturé toute une foule de détails,
comme la forme du visage, des yeux, la texture de
leur peau, des cheveux, de leurs mains.
Un homme d’une quarantaine d’années pénétra
dans le wagon restaurant, j’en déduisais aussitôt
qu’il était le père des enfants, ce qui s’avéra exact
lorsqu’il s’approcha d’eux.
Il y avait aussi cinq adolescents en train de
bavarder sagement entre eux. À une autre table, je
vis deux hommes d’affaires, du moins c’est ce
qu’ils laissaient paraître. L’un d’eux contemplait la
mer à travers la fenêtre du wagon, l’autre était
plongé dans la lecture d’un journal catalan.
Deux personnes au comptoir buvaient de la bière.
Je fis une petite grimace, car je trouvais qu’il était
bien tôt pour ça. Je payais mon café et regagnais ma
place.
L’étrange oppression disparut à l’instant où je
m’installais sur mon fauteuil. Le reste du voyage se
déroula sans encombre.

158
Le Cristal des Dieux 1

Je posais enfin le pied sur le quai de la gare.


C’est avec l’esprit attentif que je sortais de la
station. La chaleur me surprit. Il devait faire dans
les trente-cinq degrés. J’avais déjà envisagé de
passer mes vacances dans cette région de l’Espagne.
Des amis me l’avaient souvent conseillé, mais je
n’aurais jamais cru m’y rendre dans de pareilles
circonstances.
Je ne m’attardais pas trop sur le trottoir et me mis
en quête d’un moyen de transport. Ma recherche fut
brève, sur ma gauche à une dizaine de mètres, une
file de taxis noirs aux portes jaunes, attendait les
éventuels clients. Je m’empressais d’en interpeller
l’un d’eux. Le chauffeur m’accueillit aimablement,
je m’installais et lui donnait l’adresse de l’hôtel.
La traversée de la ville de Granada se passa sans
encombre. Le trajet se fit en musique, le poste de
radio retransmettait des chansons andalouses.
Près d’une demi-heure plus tard, le taxi me
déposa à l’adresse indiquée.
Il était difficile de manquer l’hôtel. L’entrée de
l’hacienda se trouvait entre deux grands palmiers.
Ma première impression fut celle de pénétrer dans
une oasis emplie d’odeurs de vacances. Une allée de
gravier blanc compacté, bordé de magnifiques
oliviers centenaires, menait jusqu’à une cour
intérieure cerclée de multiples arcades de pierres.
Au milieu de la cour trônait une prestigieuse
carriole aux grandes roues peintes en blanc et vert,
couleurs de la région.
159
Les survivants d’Hullia

Le réceptionniste m’accueillit agréablement. Je


lui tendis la note d’Estéban. Alberto fut heureux de
la lire et me précisa qu’il n’y aurait aucun souci
envers sa discrétion, car la requête avait été
sollicitée par son cousin Estéban au téléphone. Il me
demanda de ses nouvelles et se montra très aimable
en me racontant quelques anecdotes sympathiques
sur son cousin.
Comme je le complimentais pour la beauté de son
hacienda, celui-ci m’expliqua que le bâtiment était
autrefois un monastère. Il fut restauré et transformé
en logis vers la fin du dix-huitième siècle.
L’intérieur n’avait rien à envier à un palais,
d’énormes lustres de cristal pendaient au plafond
bordé de magnifiques frises en relief. De grands
miroirs aux moulures dorées recouvraient les murs
entre les immenses tableaux représentant des
paysages hauts en couleur.
Alberto m’expliqua que j’étais le seul client, car
l’hôtel était en phase terminale de rénovation. Il
rouvrait ce prochain weekend. C’était pour cette
raison qu’il n’y avait qu’une seule employée pour la
maintenance de la propreté. La cuisinière était
également absente, mais il m’assura qu’un buffet
froid me serait servi.
Il me présenta Anita, une hôtesse au teint basané.
Son large sourire et ses dents d’une blancheur
incroyable me fascinèrent. Elle me demanda de la
suivre jusqu’à la chambre.
Nous traversâmes le salon. Celui-ci était éclairé
par de grandes baies vitrées. Le mobilier
160
Le Cristal des Dieux 1

rustique s’intégrait parfaitement au style de


l’hacienda et au décor extérieur. Derrière les vitres,
j’apercevais un vaste patio où fleurissaient de
magnifiques rosiers. Entre deux palmiers s’élançant
admirablement vers le ciel se trouvaient deux bancs
de pierre, situés au bord d’une petite allée de gravier
blanc. Deux tourterelles grises flirtaient allègrement
sur la haute margelle rouge d’un puits surmonté
d’une incroyable ferronnerie.
L’hôtesse m’accompagna vers une grande porte
cerclée de pierres taillées. À l’étage, au-dessus
d’une grande cage d’escalier, une petite fenêtre
ronde, un œil-de-bœuf pour être exact, diffusait une
agréable clarté au long corridor. La jeune fille ouvrit
l’une des innombrables portes et me fit visiter ma
chambre. Elle était spacieuse et confortable, les
meubles étaient dans le style de l’hôtel. Il y avait un
grand lit recouvert d’une couette bleue, assorti à la
couleur du soubassement des murs. Un fauteuil
d’apparence confortable, une grosse armoire stylée
et une table en chêne avec deux chaises. Après
m’avoir souhaité un agréable séjour, l’hôtesse
s’éclipsa.
Je posais ma veste sur un portemanteau en bois
massif.
C’est en sortant de la douche que je remarquais
quelque chose de fascinant, je n’avais plus
l’hématome sur les côtes.
Je me regardais dans le miroir pour constater que
mon bleu de l’épaule avait aussi disparu. J’ôtais le
pansement de la tempe pour désinfecter la plaie et
161
Les survivants d’Hullia

découvris avec stupéfaction que je n’avais plus


aucune trace de la coupure... seul un petit trait clair
accusait son emplacement.
« Eh bien... Le produit de Rosa est miraculeux,
j’aurais dû retenir la marque. »
C’est alors qu’une chose étonnante se produisit,
je revis le produit antiseptique ainsi que la boite à
pharmacie comme si elle était devant moi.
« Apósito de silicona para cicatrices8 » y avait-il
écrit sur l’emballage.
« Impressionnant... me dis-je. Je n’ai jamais eu de
souvenirs d’une telle clarté. »
C’était tellement clair dans ma mémoire que je
pouvais même lire les instructions...

8
Pansement au silicone pour cicatrices.

162
Le Cristal des Dieux 1

L’absence de la cuisinière ne se fit pas ressentir.


Le repas était copieux. Surtout avec ce délicieux
jambon « serrano » qu’Anita m’avait servi sur des
tranches de pain légèrement grillées, frottées avec
de l’ail et enduites d’une sauce froide à base de
tomates arrosées d’un mince filet d’huile d’olive. Le
plat était accompagné d’un excellent « Rioja, Vieja
Réserva » à la robe et au bouquet inoubliable.

Je me levais de table et me rendis au bord de la


terrasse. J’apercevais, en contrebas, une grande
piscine bleue aux plages bordées de lauriers-roses.
Plus loin, un vaste verger d’orangers s’étendant à
perte de vue sur les collines avoisinantes.
Je décidais de me prélasser quelques instants sur
la terrasse. Bien installé dans un fauteuil en osier, je
dégustais un petit verre de liqueur 43, un délicieux
digestif que le gérant m’offrit aimablement.
En fermant les yeux, je sentis la chaleur du soleil
sur mon visage. C’était une belle journée. Je me
serais bien laissé tenter par une petite sieste à
l’ombre de l’olivier. Mais il fallait que je me décide
à bouger. Je ne pouvais pas rester sans rien faire,
même si le décor s’y prêtait ardemment. Je me
rendais à la réception afin de faire appeler un taxi et
me rendre en ville pour y faire quelques emplettes.

163
Les survivants d’Hullia

Au retour, je déballais les paquets sur le lit. Ne


sachant prédire la distance à parcourir. Il m’était
venu à l’idée de me tenir prêt à toutes circonstances.
Je m’étais acheté une veste confortable, avec un
duvet détachable à l’intérieur, un pantalon en jeans,
une paire de chaussures de marche et une casquette.
Je pris aussi un sac à dos, des petites bouteilles
d’eau, ainsi que quelques plats cuisinés et des barres
de céréales. Je rangeais le tout dans le placard, et
décidais de mettre le sachet contenant le module de
Nicolas dans une serviette repliée, que je glissais
dans une des poches de la veste.
Je m’allongeais ensuite sur le lit, et le sommeil
me gagna rapidement.

164
Le Cristal des Dieux 1

Je m’étais levé de bonne heure, après une bonne


et paisible nuit de sommeil. Je sortis de la salle de
bain et commençais à m’habiller.
Je ne compris pas sur le coup pourquoi j’avais
comme une sorte de migraine. Je pensais demander
un cachet de paracétamol à la réception. Ils devaient
bien avoir une armoire à pharmacie. Une forte
oppression m’envahit lorsque je finissais de me
lacer les chaussures.
On frappa à la porte.
— Service de chambre ! annonça la voix d’Anita.
« Déjà ? Il est tôt ! » me dis-je intrigué.
Je restais méfiant, car mon mal de crâne avait
empiré.
J’ouvris avec précaution. La jeune femme se
tenait devant moi, mais ne disait rien. Il y avait
quelque chose d’étrange dans son regard. Je
compris trop tard que quelque chose n’allait pas, car
la porte s’ouvrit violemment en me percutant et me
projetant sur le sol. Un type costaud aux épaules très
larges et au regard sombre pénétra dans la chambre
en poussant la jeune hôtesse devant lui.
Un autre homme entra à son tour, c’était le
colonel Ryder. Il referma la porte derrière lui. Je
tentais de me relever en m’accrochant au matelas.
L’homme costaud saisit l’hôtesse par l’épaule, puis
d’un geste brusque, la jeta sur le lit. Elle me tomba
dessus. Son visage se retrouva près du mien, son joli
165
Les survivants d’Hullia

minois était métamorphosé par la peur. Je l’écartais


doucement et tentais de me lever, mais la vue d’un
révolver pointé sur moi m’en empêcha.
Étrangement, mon mal de tête venait de
disparaître.
Il me fit signe de m’asseoir sur lit, avec le canon
de son arme à feu collé sur le front.
— Bonjour, Monsieur Marcos... Jolie surprise
n’est-ce pas ? ricana sadiquement le colonel Ryder.
Alors, comme ça, on tente de nous fausser
compagnie en nous faisant croire à une noyade dans
une rivière, alors que tu prenais des vacances en
Andalousie ?
— Mais que me voulez-vous à la fin ? Comment
avez-vous fait pour me retrouver ?
— Tu le sais très bien, répondit-il avec un sourire
narquois. Ton étonnante ressemblance avec ce
jeune homme disparu t’a trahi... Une passante a
reconnu le fils de leur voisin sur une photo. Il a suffi
de leur rendre une petite visite.
— Que leur avez-vous fait ? Ce sont des gens
bien, ils n’y sont pour rien. Ils m’ont juste
recueilli…
— Tu n’as pas à t’inquiéter pour eux, la guardia
civile était aussi sur les lieux. Tu vois, je ne suis pas
aussi abject que tu le penses. Ils m’ont simplement
dit que tu fuyais quelqu’un et que tu es reparti
aussitôt.
— Ce qui est vrai... Mais je ne vous crois pas, je
reste persuadé que vous leur avez fait du mal. Vous
êtes des criminels..., répondis-je en me levant.
166
Le Cristal des Dieux 1

— Ferme-là ! brailla le gorille en m’envoyant un


coup de poing sur le menton.
L’impact me fit tomber à la renverse sur la jeune
hôtesse. Mon visage endolori se retrouva sur ses
cuisses. Celle-ci lâcha un cri de surprise.
— Eh bien, eh bien... Que sont ces grands mots ?
demanda Ryder en prenant place sur une chaise.
— Cette femme est innocente. Laissez-là partir !
lui dis-je.
— Pourquoi pas ? De cette façon, elle pourra
partir prévenir la Guardia ! dit-il. Mais ne t’inquiète
pas pour elle, mon ami aura tout le temps de
s’occuper de cette jolie poupée, tout à l’heure. Je
pense qu’il la trouve à son gout...
Son énorme sbire dévisagea la jeune femme avec
un regard vicieux tout en laissant échapper un
étrange ricanement sans la lâcher du regard. Il
m’écœura tellement que je m’attendais à voir un
filet de bave s’écouler de sa bouche d’un instant à
l’autre.
— Pourquoi me poursuivez-vous ? J’ai été
innocenté par des témoins..., lui dis-je en me
redressant.
J’avais du mal à parler à cause de ma mâchoire
souffrante.
— Allons, allons, ne fait pas l’innocent. Tu sais
très bien ce que je cherche. Et j’espère que cette
fois, tu vas gentiment collaborer, sinon toi et ta
charmante hôtesse irez rejoindre le professeur...
— Cette jeune fille n’y est pour rien. Pourquoi
ôtez-vous des vies innocentes ?
167
Les survivants d’Hullia

— Toute vie sur cette terre est futile et


insignifiante comparée au pouvoir de ce qu’il t’a
confié !
— Mais, de quoi parlez-vous ?
— Ne joue pas au plus malin, je veux ce que
Kowalski t’a remis !
« Étrange... » me dis-je. Savait-il exactement ce
qu’il cherchait ? À en croire ses mots, je jurerais que
non. Sans doute est-il au courant pour cristal... et
qu’il est la pierre philosophale... Dans ce cas, il doit
certainement penser que Nicolas me l’a remis…
Je devais me sortir de là, coûte que coûte. Un
revirement de situation s’imposait. Je tentais
d’imaginer une petite scène. Il fallait que j’assure.
Ryder était peut-être un militaire pourri, mais
certainement pas un imbécile.
— Me laisseriez-vous tranquille, ainsi qu’à la
fille, si je vous donne ce que vous cherchez ?
— Eh bien, voilà, tu as tout compris... Le petit
architecte devient enfin raisonnable.
— D’accord, laissez-la partir.
— Pas question ! Remets-moi d’abord ce que je
veux !
— D’accord, mais je dois vous le remettre en
main propre... C’est très fragile, qui me dit que vous
n’allez pas le détruire ?
Son visage changea subitement.
Apparemment, j’avais vu juste... il ne savait
vraiment pas à quoi ressemblait ce qu’il cherchait.
Je devinais aussi une lueur de satisfaction dans ses
yeux. Il pensait bien toucher au but. Je fis mine de
168
Le Cristal des Dieux 1

me relever, mais il arrêta mon acte en enfonçant son


révolver contre ma joue endolorie.
— Pas si vite ! Vas-y, mais tout en douceur..., me
dit-il en détournant l’arme vers la fille. Au moindre
geste suspect, je l’abats de sang-froid ! Et crois-moi,
je n’hésiterais pas une seconde !
— OK. OK ! lui dis-je en levant les bras. Je vous
le remets tout de suite...
— Je surveille tes gestes ! dit-il en se levant et
s’écartant.
Je me levais et me dirigeais vers ma veste sur le
portemanteau, en espérant que mon petit plan
fonctionne. Je comptais surtout sur son désir et sa
curiosité. Je glissais la main dans une poche. Je
sentais qu’ils devenaient impatients. Et cela
m’arrangeait bien.
— Je veux voir tes mains ! vociféra-t-il d’un ton
sec.
— C’est bon, je l’ai... Mais il faut être prudent, le
module est très fragile. Le moindre choc peut le
détériorer... J’ai failli le briser à plusieurs reprises.
Avec une précaution exagérée, je sortais la petite
serviette repliée. Je vis son regard anxieux rivé sur
mes mains, tandis que la curiosité et l’impatience se
lisaient sur son visage. Je posais la serviette sur la
table.
— Qu’y a-t-il là-dedans ?
— Et que croyez-vous y trouver ?
— Montre-moi !
Je dépliais la serviette afin de dévoiler le sachet
de plastique contenant le module.
169
Les survivants d’Hullia

— Une barrette à cheveux ? Tu te fous de moi...


où est la pierre ?
— La pierre ? Quelle pierre ?
— La pierre philosophale !
— Vous plaisantez ? Ceci est l’objet qu’il m’a
remis... et cet objet n’est pas une barrette à cheveux,
mais ce n’est certainement pas une pierre
philosophale !
— Qu’est-ce donc ?
— C’est un module extraterrestre !
— Extraterrestre ? répéta-t-il en ouvrant de
grands yeux.
— Oui... Et je me rends compte que vous ne
savez pas ce que vous pourchassez...
— Ferme-la, et montre-moi !
Ryder demanda à son molosse de surveiller la
fille.
Ryder s’approcha de la table tout en continuant à
me menacer de son arme. Il prit le module entre ses
doigts et l’examina.
Jusque-là, mon plan semblait fonctionner. Je fis
un pas de côté. J’avais le portemanteau en chêne
massif à ma portée.
— Effectivement, ce n’est pas une barrette à
cheveux... Quelle est sa fonction ?
— Cet appareil projette des images
tridimensionnelles provenant d’un autre monde...
Vous devez appuyer sur l’excroissance.
Ses yeux brillaient de curiosité. Le moment
d’agir était arrivé. C’est à ce moment-là que
quelque chose d’incroyable se produisit. Je ne sais
170
Le Cristal des Dieux 1

pour quelle raison ma vision changea, je pris


conscience de tout ce qui se trouvait autour de moi,
dans la chambre et bien au-delà. Les objets, les
murs, les personnes. Tout détenait une place bien
définie dans ma perception spatiale. Le temps
sembla ralentir.
Je profitais de cette étrange situation pour réagir,
j’attrapais le portemanteau et le projetais vers la tête
du colonel. Celui-ci réagit et se baissa pour éviter
l’impact tout en levant son révolver vers moi, mais
avec une étrange lenteur... Emporté par mon élan, je
saisis une chaise, la soulevais et la rabattais avec
force sur son dos encore courbé. Il s’étala sur le sol
en hurlant de douleur. Il appuya sur la détente, le
bruit de la détonation résonna dans la chambre. Je
m’étais baissé tellement en évitant l’impact que
j’entrevis la trajectoire de la balle.
Pris par une sorte de furie, je me précipitais pour
le désarmer. Je sentis ses doigts craquer au moment
où je lui dérobais son arme. Le sbire, surpris par ma
rapidité, eut quelques longues secondes
d’hésitations. Lorsqu’il tenta de lever son calibre,
j’étais déjà sur lui, mon arme plantée sur sa joue
tandis que ma main lui serrait le poignet avec force.
Son regard reflétait la consternation.
— Lâche ton arme... Je n’hésiterais pas une
seconde ! lui dis-je en appuyant davantage sur le
canon, je sentais ses dents à travers sa joue.
À contrecœur, il laissa tomber son calibre, je
poussais l’arme d’un coup de pied, reculais et me
baissais pour la ramasser sans le lâcher du regard.
171
Les survivants d’Hullia

À ce moment, le colonel râla et tenta de relever


la tête. Je reculais tout en gardant le gorille en joue
et assénais un coup de crosse sur la nuque de Ryder.
Son corps se détendit et s’affala mollement sur le
sol.
Le molosse grinça des dents en assistant à la
scène. Il jeta un coup d’œil vers la fille. Devinant
son intention, l’hôtesse poussa un cri, roula sur le
matelas et se laissa tomber entre le lit et le mur.
Le gorille allait se jeter sur elle, j’appuyais sur la
détente et lui logeais une balle dans l’épaule. La
blessure lui fit monter la colère. Il se retourna et se
rua sur moi tel un mastodonte. Je m’écartais, mais
pas assez vite, car il m’envoya un coup de poing sur
le bras. La douleur me fit lâcher une des armes. Je
tentais de lui faire face en le visant avec son propre
calibre.
— Imbécile, tu as oublié d’enlever la sécurité !
ricana-t-il en s’élançant vers moi tête baissée. Cette
fois, le temps ralenti à nouveau, je fis un pas de côté
tellement rapide qu’il me manqua. Emporté par son
élan, son crâne heurta l’armoire de chêne massif. Il
se redressa en grimaçant de douleur et de haine. Il
était devant la fenêtre. J’entrevis un espoir... ma vie
et celle de la fille en dépendaient, surtout que je ne
pensais pas pouvoir résister longtemps à la colère
d’un tel mastodonte. Je jetais un coup d’œil rapide
au cran de sureté, mais pas le temps de chercher à
comprendre, je n’avais pas le choix, je devais réagir
au plus vite... c’était lui ou moi. Je laissais choir
l’arme et me lançais vers lui les deux bras en avant.
172
Le Cristal des Dieux 1

Mes mains s’écrasèrent à plat sur sa large poitrine.


L’impact fut impressionnant, il perdit l’équilibre
et tomba à la renverse sur la fenêtre, les vitres se
brisèrent sous son poids... il agrippa ma manche,
mais celle-ci se déchira et il tomba dans le vide.
Sa chute se termina dans un bruit sourd, mêlé au
son cristallin des vitres qui se brisaient sur le sol.
Je jetais un coup d’œil par la fenêtre et vis le
gorille gisant sur le gravier du patio. Il était
immobile, mais je restais persuadé qu’il était encore
vivant. La chute lui avait sans doute brisé une
jambe, car du sang coulait d’une plaie ouverte.
Ça me laissait un peu de temps. Je me retournais
et regardais Ryder. Il était toujours allongé sur le
sol, inconscient. Sa main tenait encore le sachet
avec le module.
M’assurant qu’il ne feintait pas, je le lui repris. Je
découvris une paire de menottes accrochées à sa
ceinture. J’en profitais pour lui attacher les poignets
dans le dos.
Je cherchais la jeune fille du regard, elle n’avait
pas bougé. Complètement bouleversée, elle s’était
recroquevillée sur elle-même. Elle se blottit
davantage au moment où je tentais de m’approcher
d’elle.
— N’ayez pas peur, señorita... C’est terminé.
Venez..., lui dis-je en lui tendant une main.
Elle tremblait comme une feuille.
— Ils ont bâillonné mon patron dans son bureau
et m’ont obligée à les mener jusqu’à vous... me dit-
elle d’une voix tremblante. Qui sont-ils ? Pourquoi
173
Les survivants d’Hullia

vous voulaient-ils du mal ?


— Ce sont des criminels... Donnez-moi un coup
de main s’il vous plaît, attachons-lui les pieds et les
mains.
La jeune femme ôta le drap du lit et me le tendit.
Elle semblait aller beaucoup mieux, car elle m’aida
à serrer les nœuds. Je lui souris en remarquant que
son visage commençait à reprendre ses couleurs.
— Désolé pour ma violence, Anita.
— Il le méritait, señor, vous avez eu raison.
— Il ne devrait pas se détacher de sitôt ! Vous
ont-ils fait mal ?
— No señor..., répondit-elle en se relevant. Mais
vous, comment pouvez-vous bouger aussi
rapidement ?
— J’ai remarqué ça, mais je ne saurais vous
répondre.
— En tout cas, c’était prodigieux, vous bougiez
très vite.
— J’en suis le premier surpris... Allons libérer
Alberto..., lui dis-je en enroulant les armes dans une
serviette.
Je jetais un coup d’œil à travers la baie vitrée du
rez-de-chaussée, le gorille était toujours étendu sur
le sol du patio, il ne bougeait plus.
— Est-il mort ? demanda la jeune hôtesse d’une
voix tremblante.
Aussi étrange que cela puisse paraître,
j’entendais sa respiration à travers la vitre.
— Non... Cependant, il a une commotion
cérébrale, deux côtes brisées et un fémur cassé.
174
Le Cristal des Dieux 1

Je m’étonnais moi-même de ma réponse. Mais je


dois avouer que j’en étais convaincu, c’est ce que je
ressentais en le regardant.
— Comment pouvez-vous savoir ça ?
— Simple déduction... Il faudra appeler la police
en leur disant qu’il y a un blessé grave, ils enverront
une ambulance.
— Et pour mon chef ?
— Je sens qu’il est en vie, ne vous inquiétez pas.
Allons-y.
— Vous êtes quelqu’un de très surprenant, señor,
dit-elle en me regardant. Et je ne sais pas pourquoi,
je ressens ce besoin de vous faire confiance.

Nous courûmes jusqu’au bureau. Alberto était


ligoté sur une chaise et blessé au front.
— Dieu du ciel, Anita, tu n’as rien ? demanda-t-
il en nous voyant arriver.
— Non, ça va... lui dit la jeune femme.
Elle s’empressa de lui défaire les liens avec ses
mains tremblantes.
— Qui sont ces hommes ? demanda-t-il. Et où
sont-ils ?
— Ce sont des assassins. Le militaire véreux est
ligoté dans ma chambre et son garde du corps est à
moitié mort dans le patio.
— Et vous, qui êtes-vous ?
— Vous pouvez me faire confiance.
— C’est un homme bon, Alberto, il m’a protégé !
lança la jeune Anita.
— Pourquoi vous recherchent-ils ?
175
Les survivants d’Hullia

— J’ai assisté à un meurtre et ils veulent


m’éliminer... Alertez la police. Cela dit, je suis
désolé, je dois partir d’ici au plus vite.
— Attendez ! lança Alberto. Comment comptez-
vous partir ?
— Je vais me débrouiller, je prendrais un taxi.
Alberto regarda la jeune femme.
— Anita, tu as vraiment confiance en cet
homme ?
— Si, Alberto !
— D’accord, prenons ma voiture et
accompagnons-le à la station de taxis la plus
proche, puis nous irons directement chez la
« Guardia » en disant que l’on s’est enfui grâce à un
inconnu.
— Merci, c’est vraiment sympa..., lui répondis-
je.
Je nettoyais les armes après avoir vidé les
chargeurs, puis les donnais à Alberto, en le
sollicitant de les remettre aux flics.

176
Le Cristal des Dieux 1

Le taxi avait quitté Granada depuis près d’une


heure.
La traversée du parc naturel de la Sierra de
Huétor fut assez difficile. Nous étions pris dans un
ralentissement. La crue d’une rivière avait causé
l’affaissement d’une partie de la chaussée.
La région était montagneuse, et les dénivellations
de cette partie de la route nationale étaient rudes.
Pendant ce temps, le chauffeur me raconta
pratiquement toute sa vie. Il s’appelait Juan Peralta
Porcel. Il avait quarante-trois ans et était marié à une
femme qu’il avait rencontrée pendant un séjour en
Allemagne. Ils avaient trois enfants et en attendaient
un quatrième. L’année prochaine, s’il le pouvait, il
ferait construire une maison dans un quartier de
malaga. Il me conseilla de visiter cette ville. Il y
avait, semblait-il, de très belles plages et de très
jolies filles, surtout en été grâce au tourisme. Il me
parla aussi de Granada et de ses pittoresques
quartiers aux habitations troglodytes. Les gens
nommaient leurs maisons, cuevas. Ce seraient, soi-
disant, des sortes de grottes artificielles creusées
dans les collines et aménagées en habitations. Juan
me parla aussi de l’Alhambra. Un palais fortifié
situé sur les hauteurs de la ville de Granada que l’on
venait de quitter.
Mais déjà, je ne l’écoutais plus, car je ressentais
177
Les survivants d’Hullia

une sorte de malaise depuis une dizaine de minutes.


Je me demandais si ce n’était pas à cause de la
différence d’altitude. À présent, la route descendait.
La pente était forte et les virages serrés. Mais je
sentais que cela n’en était pas la cause. Les minutes
passèrent, mais je ne me sentais toujours pas mieux.
Quelque chose n’allait pas, car un pressentiment
étrange commençait à m’envahir.
C’est alors qu’une sorte de murmure résonna
dans ma tête. Je ne comprenais pas, mais je devinais
quelques mots qui se répétèrent dans mes pensées.
« Là-bas… je… pas… non... horizon… gauche…
loin… trop... » Je scrutais le paysage autour de moi,
puis remarquais au loin une montagne au sommet
arrondi. Quand soudain, sa forme m’interpella... les
murmures cessèrent aussitôt.
J’en déduisais que je n’étais pas dans la bonne
direction.
— Juan, qu’y a-t-il derrière ces montagnes ?
— D’autres montagnes, d’autres vallées...
— Et ensuite ?
— Ensuite ? Pas grand-chose..., dit-il en haussant
les épaules. C’est une région désolée avec quelques
villages troglodytes.
— Je dois aller dans cette direction. Arrêtez-moi
là ! lui dis-je, sans la moindre hésitation.
— Mais, je ne peux pas vous laisser ici, señor !
Vous êtes loin de tout. Il n’y a que la montagne et la
forêt.
— Je sais bien. Je vous remercie beaucoup, señor
Juan.
178
Le Cristal des Dieux 1

Le chauffeur, étonné, n’insista plus et arrêta sa


voiture sur la bande d’arrêt d’urgence. Je descendis
après lui avoir payé le tarif indiqué. Je restais seul,
sous un soleil de plomb. Les véhicules passaient
sans cesse. De l’autre côté de la route, la zone
forestière s’étendait sur des kilomètres et montait
vers les hautes crêtes rocheuses.

J’attendais que la circulation se calme, puis me


précipitais sur la chaussée.
Atteignant le côté opposé de la voie rapide, je
sautais par-dessus le rail de sécurité pour me
retrouver en contrebas, sur un chemin d’asphalte
lézardé. Je décidais de le suivre un moment, puis
m’engageais dans la forêt.
Le soleil était haut dans le ciel et réchauffait l’air
au-dessus des frondaisons. Je transpirais, malgré les
zones ombragées des grands arbres. Je marchais
d’un pas pressé sur une piste caillouteuse. Mon
regard accrocha un vieux mur à moitié écroulé, seul
vestige d’une ancienne habitation. Je l’escaladais
pour abandonner le sentier et pénétrer dans une
végétation serrée aux senteurs sauvages.
Plus loin, je traversais un petit cours d’eau
serpentant entre de grosses pierres moussues. Je
découvrais aussi les ruines d’une vieille bâtisse aux
fenêtres béantes. Des plantes grimpantes
envahissaient les murs lézardés et l’ossature
calcinée d’une ancienne charpente.

*
179
Les survivants d’Hullia

Après quelques heures de marche, j’arrivais enfin


à la lisière de la forêt. En face de moi, une prairie
jaunissante s’étendait à perte de vue. Le disque
solaire commençait à entamer les crêtes escarpées
d’une haute chaîne de montagnes. Quelques petits
nuages badigeonnés de pourpres se promenaient
dans un ciel turquoise. Sur ma droite, la prairie
s’élevait jusqu’au pied d’une colline rocheuse.
J’accélérais le pas... je voulais arriver au sommet de
la colline avant la nuit.

La prairie laissa la place à un sol rocailleux


parsemé de buissons épineux. Quand enfin
j’atteignis le sommet, la colline s’arrêta
brusquement. Je me trouvais au bord d’un précipice
surplombant un petit lac en contrebas.
Le soleil couchant donnait une étonnante
perspective au paysage qui s’étendait au loin devant
moi. Je pouvais admirer le panorama sur des
centaines de kilomètres à la ronde.
Juan avait raison, après le lac, le décor changeait
radicalement... La région était parcourue par un
vaste réseau de canyons. De longs plateaux arides
aux couleurs rougeâtres, entaillés par des
millénaires d’érosion, s’étiraient à perte de vue.
L’air était très clair, je pouvais distinguer, dans le
lointain, avec une étonnante précision, des
habitations aux murs blancs près d’une rivière
serpentant parmi les quelques bosquets qui
parsemaient le paysage.
180
Le Cristal des Dieux 1

La nuit allait tomber, les étoiles commençaient à


scintiller dans le firmament.
Profitant du crépuscule, je me mis à chercher un
coin pour passer la nuit. Je repérais un endroit à peu
près convenable, à l’abri dans le repli d’un rocher
légèrement incurvé.
La nuit s’apprêtait à être fraîche. J’avais besoin
de repos. Mais j’espérais surtout trouver des
réponses aux raisons de mon aventure à l’aide du
module.
Après un rapide repas, je dégageais le sol des
quelques cailloux incommodants afin d’étendre
mon duvet.
Bien installé au chaud, je contemplais le ciel
étoilé. Loin de toute agglomération, la Voie lactée
semblait lumineuse et magnifique. J’appuyais sur la
commande du module mémoriel. Je remarquais
soudain une étoile scintillante, palpitante. Il me
sembla qu’elle grossissait, grandissait, enflait.
Quand tout à coup, elle éclata et déchira la nuit dans
une lumière aveuglante.

181
Les survivants d’Hullia

182
Le Cristal des Dieux 1

RÉVÉLATIONS

Haltar accompagna nos amis vers le groupe de


hulliens. Ces derniers semblaient manifester une
apparente curiosité à l’égard des deux explorateurs.
L’un d’eux, le plus âgé, du moins en apparence,
se détacha de l’attroupement. Il était vêtu d’une
tunique bleue aux reflets verts. Son visage et ses
mains étaient ridés. Sa peau était très claire, presque
blanche, ce qui lui concédait un air plutôt maladif...
mais son regard perçant laissait deviner son haut
degré d’intelligence.
Haltar prit la parole.
— Messieurs, je vous présente Vétül, notre
doyen hiérarchique.
Le vieux hullien s’approcha des deux hommes.
— Bienvenue dans notre cité, nous vous
attendions..., annonça-t-il d’une voix rauque
légèrement tremblante. C’est la première fois que
des hommes viennent jusqu’à nous... Je souhaite
que votre séjour soit agréable et instructif.
— Merci, monsieur Vétül, nous sommes honorés
de nous trouver parmi vous, lui répondit Nicolas.
— Je vous en prie. À présent, messieurs, prenez
183
Les survivants d’Hullia

place !
Les hulliens se disposèrent autour d’une
immense table ovale cristalline. Nicolas et Joaquín
furent invités à faire de même en les situant entre
Haltar et Vétül. Ce dernier avança sa main droite et
la posa sur la table. Ce geste fut imité dans une
parfaite harmonie par tous les membres de la salle.
— Faites comme nous... leur souffla Haltar.
Les deux hommes sentirent un mouvement
derrière eux, ils se retournèrent et virent surgir du
sol une colonne transparente. Celle-ci s’arrêta à
hauteur de leurs cuisses, puis s’élargit jusqu’à
prendre l’apparence d’un siège enveloppant.
— C’est pratique... murmura Nicolas.
Vétül leur lança un coup d’œil amusé. Il se
ressaisit et regarda l’assemblée. Tout le monde prit
place. Nicolas et Joaquín firent de même et
s’aperçurent que l’assise était très souple. Le vieux
hullien se tourna vers leurs hôtes.
— Nous allons vous révéler notre histoire, cela
vous aidera à mieux nous connaître. Vous pouvez
nous qualifier d’extraterrestres, puisque nos
lointains ascendants l’étaient... Haltar a dû vous en
toucher deux mots. Je laisse la parole à notre
scientifique Héléhia, elle va commenter les
images...
En disant ces mots, la scientifique ferma ses
grands yeux bleus.
— Observez, chuchota Haltar.
La lumière ambiante diminua progressivement.
Ils se retrouvèrent dans une obscurité totale, puis
184
Le Cristal des Dieux 1

des petits points lumineux apparurent partout autour


d’eux. Des étoiles naquirent et se multiplièrent à
profusion. Bientôt, des constellations entières se
dévoilèrent, ainsi que d’immenses nébuleuses aux
couleurs indescriptibles. Le tout baigné dans un
incroyable relief tridimensionnel.
Les deux hommes se sentirent immergés dans cet
espace intersidéral. En tournant la tête, ils
s’aperçurent qu’il y avait des étoiles tout autour
d’eux. Ils pouvaient discerner des galaxies
lointaines, ainsi que quelques comètes errantes aux
longues traînées lumineuses.
Soudain, l’univers se déplaça. Nicolas se sentit
propulsé en avant. Il s’accrocha à son siège
instinctivement. Les effets visuels de cette
accélération tridimensionnelle lui firent ressentir de
la nausée. L’espace intersidéral défilait à une vitesse
vertigineuse. Enfin, tout se stabilisa à nouveau. Le
décor semblait inchangé. À l’exception d’une
immense étoile blanche et aveuglante.
La voix d’Héléhia brisa le silence.
— « Notre système planétaire se situe un des
quatre bras majeurs de notre galaxie. Vue de la
Terre, il se trouve au-delà de la constellation
d’Orion. »
Le décor se déplaça vers la droite, un soleil
orange se dévoila derrière le monstrueux astre bleu.
Il poursuivait son orbite autour de la géante. Tout
bascula à nouveau, les deux astres s’éloignèrent et
une autre étoile bleue se détacha de l’immense
panorama. Elle grandit encore et encore, puis se
185
Les survivants d’Hullia

stabilisa. Quatre planètes tournaient doucement


autour de l’astre bleu.
— « Voici Hill... notre soleil originel, il se situait
à sept mille cinq cents années-lumière d’ici. Vous
apercevez notre planète mère, Hullia. C’est cette
sphère rouge recouverte de cratères d’impact.
Hullia était pourtant un magnifique globe bleu
similaire à Néo-Hillia. Ou plutôt votre Terre. Nos
ancêtres, les survivants d’Hullia, l’ont baptisé ainsi
en souvenir de notre soleil et de notre monde. Ce
que vous voyez ici, date de 25 835 ans, mais vous
devrez rajouter à cette date les 354 785 années qui
vous séparent de nous, disons 380 620 ans
exactement.
Notre astre, à l’aube de son déclin, était parcouru
d’immenses éruptions solaires. Ces rayonnements
massifs balayèrent la couche d’ozone de la planète,
causant d’indescriptibles pertes parmi les êtres
vivants. En quelques mois seulement, les effets
néfastes provoqués par les rayonnements solaires
anéantirent la faune et la flore non protégée.
Quelques centaines d’années plus tard, malgré les
coupoles de protection, il ne restait plus qu’une
poignée d’individus. Il ne restait plus qu’à utiliser la
dernière option, quitter la planète.
Nos ancêtres construisirent une immense sphère
contenant notre principale source d’énergie et
l’envoyèrent dans l’espace. Comme la majorité de
nos stations orbitales existantes étaient modulables,
ils les assemblèrent et y amarrèrent tous les
vaisseaux spatiaux anciens et nouveaux pour former
186
Le Cristal des Dieux 1

un gigantesque complexe habitable. D’immenses


compartiments furent spécialement conçus pour les
cultures hydroponiques et les machineries de
recyclage de l’eau et de fabrications alimentaires.
Nos ancêtres partirent dans l’espace avec une
capacité de survie pouvant atteindre des milliers
d’années sans aucun réapprovisionnement.
Malheureusement, au fil des millénaires la
constitution de nos anciens se dégrada. Ainsi,
malgré leurs hautes connaissances médicales, les
descendants étaient de plus en plus chétifs. Comme
vous pouvez le constater sur ces images d’archives,
nos ascendants étaient frêles. »

En effet, les êtres, qui s’affairaient à l’intérieur


d’un immense vaisseau cosmique, avaient une
apparence humanoïde. Ils étaient filiformes, et leur
visage paraissait émacié. Ils possédaient un crâne
allongé. Leurs grands yeux obliques n’étaient pas
très différents de leurs descendants actuels.

« Nos ancêtres ont frôlé l’extinction à plusieurs


reprises. La première fut une étrange maladie qui
s’empara de la population masculine. Ils devinrent
stériles. Les généticiens recueillirent le maximum
de semences et les préservèrent en cryogénie en vue
de futures fécondations. Mais les femmes étaient
trop faibles pour supporter les grossesses. Ils y
remédièrent en mettant au point des incubateurs.
Malgré les nombreux systèmes solaires
possédant des planètes telluriques dans la zone
187
Les survivants d’Hullia

d’habitabilité, ils ne parvenaient pas à trouver de


monde aux caractéristiques requises. Quand enfin,
les contrôles signalèrent la présence d’une planète
similaire à leur Ancien Monde et potentiellement
stable.
Ils tentèrent plusieurs approches. Cependant,
après plusieurs générations dans l’espace leur
organisme s’était affaibli et avait entraîné une trop
grande faiblesse osseuse et musculaire. Ils n’étaient
plus en mesure de supporter la gravité de la planète,
pourtant très proche de celle de Hullia.
Ce monde hébergeait une flore et une faune
luxuriante, néanmoins la composition de l’air ne
leur convenait pas non plus. Certains éléments de
l’atmosphère, beaucoup plus dense, étaient
dangereux, voire mortels. Ils demeurèrent en orbite
géostationnaire pendant un certain temps, puis ils
édifièrent des dômes énergétiques sur le satellite
naturel que vous appelez lune et s’y établirent.
Les excursions et les missions d’exploration se
succédèrent. À chaque expédition, ils ramenaient
des éléments à étudier, comme des animaux, des
plantes, des graminées et des minéraux.
Afin de pallier le problème des scaphandres, les
scientifiques équipèrent les astronautes de filtres
artificiels. Cependant, à cause de la gravité, seuls
quelques spationautes robustes et pourvus
d’exosquelette artificiel pouvaient s’aventurer sur le
sol.
Lors d’une assemblée, les généticiens
annoncèrent une mauvaise nouvelle... une sorte de
188
Le Cristal des Dieux 1

maladie dégénérescence s’emparait de la


population... Leur prédiction, une extinction proche
et irrémédiable.
Quelques scientifiques proposèrent une solution
afin de préserver leurs descendances.
Il existait sur cette planète une espèce que l’on
pouvait qualifier d’hominidé avancé. Il fallait tenter
une fusion génétique avec ces êtres et créer un
hybride capable de conserver l’hérédité majoritaire
de nos ancêtres.
L’accord fut approuvé à l’unanimité.
Les savants firent une minutieuse sélection parmi
certaines créatures humanoïdes existantes. Mais la
plupart de celles qui auraient pu les intéresser,
pourtant douées d’un langage primaire, étaient
dotées d’une brutalité excessive. Un défaut ne
convenant nullement à notre ethnie.
Ce qui les intéressait par-dessus tout était un
ensemble de caractères passifs... et bien entendu
anatomiques, comme la peau dépourvue de pelage
et une posture bipède avec une colonne vertébrale
capable de soutenir un crâne volumineux. Or, ces
traits se retrouvaient en partie sur une espèce
d’hominidé évolué.
Si mes informations sont correctes, vous les
dénommez Homo habilis. Leur bipédie est favorisée
par des membres inférieurs plus robustes et des
membres supérieurs plus légers. Ils vivent en
groupe et s’abritent dans des sortes de huttes
circulaires. Ils possèdent aussi, comme chez nous,
d’importantes différences physiques entre les mâles
189
Les survivants d’Hullia

et les femelles.
Bien que moins nombreux, à cause des
affrontements avec les autres hominidés, ils sont
toujours présents sur la planète.
Les scientifiques observèrent méticuleusement
une famille composée d’un couple et de leurs trois
enfants, deux femelles et d’un mâle. Ils semblaient
différents, plus intelligents que la moyenne et
montraient beaucoup d’importance à la famille.
Après analyse de plusieurs prélèvements, leur
séquence ADN se montra génétiquement proche.
C’est avec beaucoup de précautions qu’ils les
transportèrent sur la base lunaire et furent introduits
dans un grand espace spécialement aménagé afin de
ne pas les choquer.
À leur grande surprise, l’une des filles était
enceinte de quelques mois. Les savants
découvrirent qu’à ce stade d’évolution, le fœtus
possédait des caractéristiques similaires à ceux des
hulliens.
La solution semblait proche, l’idée de stopper
l’évolution du fœtus au-delà de cette limite était une
solution. Ils se penchèrent sur cette idée et
choisirent de se servir de la technologie des
néonanites. Ce sont des robots microscopiques
capables de s’intégrer dans les fondements de
l’ADN afin d’activer ou désactiver certains gènes.
Nos chercheurs réussirent à identifier, effacer, et
remodeler les gènes responsables de l’évolution de
l’embryon. Cette modification moléculaire
influença l’élaboration du pelage, stoppa
190
Le Cristal des Dieux 1

l’évolution du squelette, sans altérer la croissance


du fœtus. Les informations génétiques injectées
dans le cordon ombilical forcèrent l’organisme à
conserver ces caractéristiques jusqu’à la naissance.
Ce fut une réussite impressionnante.
L’expérience fut acceptée par le conseil. Les
scientifiques reçurent l’autorisation de pousser les
recherches encore plus loin. Ainsi, après de longues
observations et expériences, ils parvinrent à
provoquer la mutation du génome terrien, afin de le
rendre compatible avec ceux des hulliens. Ils
pouvaient donc rendre leurs descendants plus
puissants et plus résistants tout en préservant la
mémoire génétique des hulliens... nous sommes le
résultat hybride de cette alliance.
Mais, il y a autre chose... Les équipes qui
s’occupaient du bien-être des hominidés étudièrent
le comportement des femelles envers leurs enfants
aux génomes modifiés. Elles se retrouvèrent devant
une épreuve à surmonter, car la modification
diminuait considérablement la prouesse
d’adaptation des progénitures, les rendant plus
faibles et nettement plus fragiles. C’est alors qu’à
notre grande surprise, l’instinct maternel intervint,
elles se montrèrent beaucoup plus vigilantes et
dévouèrent beaucoup plus d’attention à leurs
enfants.
Curieux, les scientifiques les ramenèrent dans
leur milieu naturel et suivirent de près l’évolution
des enfants aux capacités crâniennes développée. Ils
découvrirent, au fil des années, qu’en grandissant
191
Les survivants d’Hullia

leur esprit était nettement plus ouvert. Ils se


montraient doués d’une abondante curiosité et plus
aptes à apprendre et à retenir les leçons de la vie.
Leur intelligence les rendit beaucoup attentifs et
beaucoup plus habiles de leurs mains.
Lorsque ces enfants atteignirent l’âge de
procréer, ils engendrèrent des individus possédant
leur disparité morphologique et intellectuelle. Une
silhouette distincte, un crâne plus volumineux, des
membres inférieurs plus longs, et un squelette
adapté à la bipédie avec une colonne vertébrale
verticale.
Cependant, le manque de pelage se faisant sentir,
le besoin de se couvrir afin de se protéger des
intempéries les força à réfléchir, à améliorer la
confection des vêtements. Vint assez rapidement la
construction d’abris plus sophistiqués. Ces
semblants d’habitations les poussèrent à vivre en
communauté. Après seulement quelques
générations, ces êtres commencèrent à raisonner.
Puis, par la force des choses, ils apprirent à
communiquer et à former un langage. La
transformation de leur crâne et de leur squelette
engendra une mutation du larynx les rendant
propices à l’émission d’une grande palette de
vocalises. Grâce à la répétition de certains sons, des
mots se formèrent, articulés, composés et
cohérents. »

192
Le Cristal des Dieux 1

L’éclairage revint dans la grande pièce.

— Avez-vous des questions ? demanda le sage


Vétül.
— Des milliers ! répondit Kowalski. Et je ne sais
par où commencer... Il va me falloir une vie entière
pour me remettre de ces émotions !
— Je n’en crois pas mes oreilles..., ajouta
Joaquín, encore sous le choc. Pour résumer, nous
sommes donc les descendants de ces hominidés
génétiquement modifiés...
— Voilà donc où se situe le fameux chaînon
manquant... Si nous n’avions pas découvert cette
sphère, nous n’aurions jamais appris tout ça !
s’exclama Nicolas.
— Justement, leur dit l’experte Héléhia. J’ai une
information sur ce sujet, nos scientifiques viennent
de me transmettre les résultats. Ils ont découvert
quelque chose de surprenant dans les composants
des processeurs de la sphère ; certaines pièces ont
été remplacées et reliées à un étrange bloc de métal.
Les scanners n’ont pas encore réussi à identifier sa
composition à cause de sa densité élevée. Le plus
étrange est que cet objet semble avoir été réglé sur
une fréquence unique... celle du cristal en votre
possession... Nous vous demandons de nous le
confier afin d’effectuer quelques contrôles.
— Évidemment..., dit-il en ôtant son pendentif.

193
Les survivants d’Hullia

Un hullien habillé d’une tunique bleu sombre


arriva, salua les humains, récupéra le cristal et
repartit.
— Nous savons cependant que la sphère avait
une destination précise. Elle a été programmée pour
qu’elle fasse un bon de 300 000 ans dans le passé,
se positionne dans un coin de la base, pour se mettre
en mode stase. C’est-à-dire, qu’elle reprit le cours
du temps avec une différence d’un millionième de
seconde, ce qui active son champ de force
protecteur, empêche sa détérioration tout en restant
visible.
— Doit-on interpréter que sa présence sous la
couche de calcite n’était pas fortuite ? demanda
Nicolas.
— Exactement... cette sphère arrivera dans la
base souterraine dans environ 50 000 ans et attendra
gentiment votre arrivée.
— Là je ne comprends pas... Quelqu’un l’aurait
envoyé pour nous ?
— Tout à fait !
— Qui a bien pu nous envoyer ce... ce taxi ?
demanda Joaquín.
— Nous ne savons pas encore qui en est le
responsable. Cependant, sa base de données
principale n’a pas été affectée par les modifications,
elle contient des éléments assez intéressants sur sa
provenance. La dernière planification de son
voyage a été faite en 4354. Mais le plus troublant
194
Le Cristal des Dieux 1

c’est que nous avons découvert des informations


assez surprenantes sur cette époque. Nos experts ont
envoyé des sondes vers cette destination, mais elles
sont perturbées par un étrange phénomène qui
déforme le continuum espace-temps... Pour une
raison inexpliquée, le cours du temps est déstabilisé
sur une certaine période du futur, ce qui rend les
voyages temporels, chaotiques et incontrôlables.
Nous tentons de contourner cette zone temporelle,
les informations arriveront bientôt.

Il y eut quelques longues minutes de silence. Puis


curieusement, tout le monde se leva. Un
chuchotement intense s’installa dans la salle.
Haltar s’adressa aux deux hommes.
— Nous venons d’apprendre à l’instant pourquoi
Vandahills n’existe plus. Quelqu’un ou quelque
chose a bouleversé le cours du temps.
— Je confirme ce fait..., approuva Joaquín. Cette
région est aride et sillonnée de ravines.
— Pourtant, il n’en était rien..., expliqua Haltar.
À votre époque, une grande ville s’étend autour du
lac en préservant les ruines au centre de l’île.
— Malheureusement, il y a eu une altération de
cette voie temporelle, précisa Héléhia. Les sondes
nous rapportent une bien étonnante réalité. Nous en
connaissons les causes et leur déroulement.
Elle regarda le doyen, et sembla communiquer
avec lui. Ce dernier baissa les yeux, puis se tourna
vers les deux hommes.
— De nouvelles données sont actuellement
195
Les survivants d’Hullia

recueillies par les sondes, précisa Vétül. Avant tout,


vous devez savoir que des lois immuables régissent
notre société. Ces lois sont gravées dans notre
patrimoine génétique depuis l’hybridation, elles
éradiquent l’agressivité et nous interdisent de
promulguer la souffrance ou le supplice, à soi et à
autrui. En aucun cas, nous ne pouvons blesser ou
détruire une vie, aussi insignifiante soit-elle.
Veuillez continuer Héléhia.
— Merci, grand doyen... Je reçois les
informations relatives aux sondes temporelles à
l’instant, confirma Héléhia.
Elle reprit sa place et s’adressa aux deux
hommes.
— Les hills, nos descendants hybrides, ont eux
aussi ces lois inscrites dans leurs gènes, cependant
un hillien du cercle de Vandahills, un dénommé
Yzil, aurait découvert un subterfuge pour annihiler
ses marqueurs génétiques. Ensuite, il aurait détruit
les sphères temporelles de la cité, avant de semer la
peur et la terreur en instaurant son autorité à travers
la planète, et se proclamant Dieu Roi sous plusieurs
identités. Il écrivit ses propres lois, comprenant les
sacrifices humains et le droit de cuissage. Les
hilliens qui s’opposèrent à lui et à ses lois furent
sacrifiés en place publique. Les autres hilliens,
impuissants, se barricadèrent dans les cités, mais
finirent par se plier à ses exigences et devinrent ses
serviteurs.
— Nous supposons qu’Yzil est en possession
d’un cristal noir, précisa Vétül. Selon la description
196
Le Cristal des Dieux 1

de cet objet, il s’agirait d’une gemme à structure


atomique condensée provenant du noyau du
planétoïde étrange capturé par notre Ancien Monde.
D’après nos scientifiques, ces cristaux considérés
comme trop dangereux seraient restés sur Hullia,
car ils perturbent et modifient les ondes cérébrales.
Nous le soupçonnons d’avoir dérobé de la
technologie aux Rêveurs, d’avoir modifié un
vaisseau traceur afin qu’il soit capable d’effectuer
des bonds temporels.
Héléhia reprit sa narration.
— Les habitants, déconcertés par la cruauté de
cet être, abandonnèrent la cité. Durant les années
qui suivirent, Yzil décida de créer une armée,
composée d’humains aux esprits tourmentés,
certains s’y intégrèrent par peur de représailles
envers leurs familles et finirent par remplir les
rangs.
Andraya, l’épouse d’Yzil, écœuré d’assister aux
sacrifices qu’ils soient hilliens ou humains, se fit
retirer son module mémoriel afin de ne pas être
tracée, puis s’échappa et partit à la rencontre des
villageois. Elle retrouva ses adorateurs et leur
expliqua que s’ils tenaient à leur vie ainsi qu’à celle
de leurs enfants, il fallait s’enfuir plus loin. Devenue
indétectable parmi les humains, Andraya migra vers
l’Est. Puis pour éviter d’être reconnue, elle changea
d’apparence et de nom. Elle se fit appeler Inanna.
— Inanna ? L’épouse d’Yzil serait Inanna ?
sursauta Joaquín. Je me suis souvent intéressé à
cette déesse. Elle se faisait appeler ainsi chez les
197
Les survivants d’Hullia

Sumériens, et Ishtar chez les Akkadiens et les


Babyloniens.
— Exactement... Elle aida les hommes à bâtir
l’empire sumérien. Elle leur enseignera l’écriture,
l’instruction, l’art, la médecine et l’agriculture.
Grâce à ses connaissances astronomiques, elle leur
apprit à repérer les constellations afin de les associer
aux saisons et aux solstices. En quelques décennies,
des villages, puis des villes prolifèrent autour de la
méditerranée. Il la chercha durant des mois, sans
succès, mais un roi à ses empires à diriger, il finit
par lâcher ses recherches et passa des années à
régner et à faire ériger des temples lui étant
consacrés, ainsi que d’immenses structures de
pierres aux formes pyramidales.
— Parlez-vous des pyramides mayas et
égyptiennes ? demanda Joaquín.
— Oui, mais pas qu’elles ! Il en a érigé des
centaines à travers le monde. Ses sbires
enseignèrent aux humains les différentes méthodes
et le secret des composants et des dosages
nécessaires pour fabriquer des blocs qui en séchant
devenaient aussi durs que de la pierre. Yzil utilisa
sa technologie pour les empiler, puis il abrita en
leurs seins des coffres contenant des cristaux. Il
coiffa ensuite les structures de pyramidions dorés
fabriqués à partir du métal des sphères. Ce métal a
la propriété de capter l’énergie des cristaux et de la
diffuser dans l’atmosphère afin de créer une sorte de
bouclier mondial censé empêcher l’apparition des
sphères temporelles.
198
Le Cristal des Dieux 1

Lorsque le bouclier planétaire fut opérationnel, il


envoya ses armées à travers le monde. Il y eut des
affrontements, des massacres et des destructions
terribles. C’est lors de ces affrontements qu’un de
ses commandants lui rapporta des rumeurs vantant
les bienfaits d’une femme immortelle et surdouée.
Il la soupçonna d’être Andraya.
Yzil utilisa le vaisseau traceur et le plaça en
position stationnaire au-dessus de la région ou elle
était censée se cacher. La menace étant à visible aux
yeux de tous, il envoya ses troupes répandre une
mise en garde générale contre les risques d’une
annihilation massive si elle ne se livrait pas.
Voulant éviter le pire, elle se constitua prisonnière.
Quelques instants plus tard, le vaisseau prit de
l’altitude et envoya un faisceau d’énergie. Le
formidable rayon exterminateur s’abattit sur les
terres et les déstructura dans une monstrueuse
déflagration. Des roches provenant de
l’écorce terrestre, du substrat magmatique, des
cendres et des gaz chauds furent éjectés dans les airs
sur des milliers de kilomètres à la ronde. L’eau
combla aussitôt l’immense vide et provoqua un
phénoménal retrait des eaux, suivies d’un puissant
retour. Des vagues gigantesques, atteignant
plusieurs centaines de mètres de hauteur,
déferlèrent sur les côtes en détruisant, dévastant et
engloutissant les villes, les villages, et tous les êtres
vivants.
L’impact du rayon fut tellement puissant qu’il
perça le manteau terrestre, la lave et l’eau se
199
Les survivants d’Hullia

rencontrèrent, produisant de violentes


déflagrations, des panaches de fumée noire, de suie
et de cendres toxiques se dispersèrent dans
l’atmosphère. Le ciel s’obscurcit durant des mois et
des mois, il s’en suivit un bouleversement
climatique, un refroidissement mondial s’instaura,
entraînant une période glaciaire s’étalant sur plus de
deux cents ans. Les glaciers couvrirent la quasi-
totalité de la planète. Vint ensuite un long processus
de réchauffement qui dura plus de 1000 ans. Entre
temps, le froid, la famine et la maladie touchèrent la
majorité des espèces vivantes. Certains disparurent
totalement, comme les mammouths, les tigres aux
dents de sabre et les ours géants.
— Nos experts ont daté cette extinction de
masses entre 12 000 et 15 000 ans avant notre
époque.
— 13 535 exactement. C’est aussi lors de ce
bouleversement climatique que les humains qui
périrent emportèrent leur savoir avec eux. Toutes
les connaissances acquises tombèrent dans l’oubli.
Mais leur mémoire garda quelques traces. Ainsi des
mots, des phrases, des histoires et quelques
connaissances se transmirent de vive voix de
génération en génération. Et ce, jusqu’à l’apparition
des dessins, des sculptures. Ils édifièrent des
ébauches d’écritures sur des pierres ou tablettes
d’argiles ou se transcrivaient les belles époques ou
les dieux vivaient sur terre.
— Woaoo... J’en ai pris plein les oreilles... Ainsi
donc, les grandes guerres menées par les dieux
200
Le Cristal des Dieux 1

engendrant les cataclysmes, les brasiers, et les


déluges que l’on décrit dans presque toutes les
légendes sont réelles et ont été provoquées par un
hill. Tous ces textes anciens prennent un sens à
présent, remarqua Joaquín.
— Tout semble concorder, ajouta Nicolas. Ces
légendes décrivent des conflits entre les dieux du
royaume des cieux. Ainsi les humains aveuglés par
cette puissante technologie, qu’ils considéraient
comme divine, honoraient les hilliens comme des
dieux.
— Nous pensons que quelqu’un a retrouvé la
trace d’Yzil dans le futur. Une personne vivant dans
une époque plus éloignée que la vôtre demande
notre aide afin de protéger la Terre d’un planétoïde
errant qui devrait entrer en collision avec la terre en
2153.
— Cette personne vous demande une correction
temporelle ? s’exclama Joaquín. Possédez-vous la
puissance nécessaire pour le dévier ?
— Pas actuellement...
Il y eut un long silence. Puis Vétül prit la parole.
— Nous venons de délibérer. La cité va se
préparer au déplacement. Mais nous ne possédons
pas encore l’énergie indispensable pour stopper un
planétoïde de cette taille, cependant nous avons le
temps avec nous. Et justement, nous avons besoin
de beaucoup de temps pour fabriquer des
accumulateurs. Mais ne vous inquiétez pas, nous
avons envoyé une sonde dans un futur lointain, au-
delà de la turbulence temporelle, et nous savons que
201
Les survivants d’Hullia

la planète sera épargnée.


— En parlant de cette turbulence... Ne pensez-
vous pas qu’Yzil a retenté cette expérience dans le
futur d’où la perturbation temporelle que vous
décrivez ?
— Nous avons envisagé cette possibilité.
— Et cette personne qui a envoyé la sphère, qui
est-elle et comment a-t-elle pu l’envoyer à travers
ces barrières temporelles ?
« À cet instant, je ressentis quelque chose
d’étrange ; le regard du hullien était si perçant, que
je le sentais capable de regarder au-delà de l’esprit
de Nicolas, et d’atteindre ma propre conscience. »
— Je ne peux vous révéler qui elle est pour
l’instant, car nous devons analyser les données
recueillies afin de ne pas nous tromper, c’est pour
cette raison que le conseil consulte les archives
passées, présentes et futures en ce moment et me fait
parvenir instantanément tous les détails.
— C’est prodigieux... J’aimerais savoir qui elle
est. Et aussi connaître l’avenir.
— Êtes-vous certain de vouloir savoir ?
— Est-ce risqué ?
— Tout dépend de votre volonté à suivre ou non
le cours de votre histoire, Nicolas.
— Ma vie serait-elle en danger ?
— Vous avez encore du temps devant vous. Je
reçois à l’instant l’approbation du conseil et
exceptionnellement, vous pourrez consulter les
archives. Mais réfléchissez bien sur votre décision,
le fait de connaître votre avenir et de vouloir
202
Le Cristal des Dieux 1

modifier ce qui est écrit peut aussi compromettre la


destinée de votre famille.
— Ma famille ? Y a-t-il des risques ? Est-ce au
sujet de l’avenir de ma fille ?
— Ne vous faites pas de soucis... il ne lui arrivera
rien, bien au contraire, elle aura une vie pleine et
heureuse. D’ailleurs à ce sujet, nous venons de
décrypter le deuxième message et aussi étonnant
que cela puisse nous paraître, il s’adresse à vous,
Nicolas.
— À moi ? Comment est-ce possible ?
— Quel est son contenu ? demanda Joaquín
inquiet.
— Le voici, lorsque par une nuit d’automne de
l’an 2010, ton regard se tournera vers le firmament,
un homme te tendra la main. Sans hésitation,
remets-lui les deux objets. Cet instant sera crucial
pour que l’histoire puisse suivre son cours. La vie
de cet homme, celle de tes proches, l’avenir des hills
et mon existence sont à présent entre tes mains.
— Mon Dieu... Mais qui a envoyé ce message ?
— Nous ne pouvons le certifier pour l’instant.
— Très bien... Mais je suis tout de même curieux,
je dois lui remettre deux objets. Dois-je lui donner
le cristal ?
— Vous ne l’aurez plus, car vous devrez l’offrir
à votre fille le jour de ses vingt ans. Ses radiations
lui seront bénéfiques.
— Sera-t-elle malade ?
— Non, si vous le lui offrez ce jour-là. Souvenez-
vous-en.
203
Les survivants d’Hullia

— Je ne l’oublierais jamais.
— Donc vous remettrez à cet homme deux objets
que vous aurez sur vous ce jour-là. Vous devrez
vous montrer très convaincants, car votre rencontre
sera brève et il devra vous croire sur parole.
— J’ai du mal à suivre.
— Ne vous inquiétez pas, vous aurez le temps d’y
réfléchir, vous rencontrerez cette personne dans
trente ans. À ce moment-là, vous saurez quoi lui
remettre.
— Dans trente ans, je serais un vieillard... Mais,
si je suis au courant, puis-je éviter ce qui va se
passer ?
— C’est à vous de décider. Selon votre décision,
Haltar vous emmènera consulter quelques archives.
Réfléchissez bien, le fait de connaître son propre
avenir peut le chambouler...
Nicolas se tourna vers Joaquín avec un regard
interrogateur.
— C’est toi le prof. Je ne voudrais pas
t’influencer. Personnellement, je dirais oui, car je
voudrais tout savoir. Malheureusement, je ne suis
pas trop fonctionnel dans cette affaire...
Le silence s’installa dans la salle. Joaquín
observa l’assemblée et découvrit que tous les
regards étaient braqués sur lui. Il se sentit soudain
gêné, car toute l’assemblée se redressa. La voix de
Vétül résonna dans la salle.
— Joaquín Mendez..., dit-il. Détrompez-vous,
vous êtes très « fonctionnel » comme vous dites...
Vous devez savoir que notre principal intérêt réside
204
Le Cristal des Dieux 1

en vos deux présences parmi nous. Donc, en ce sens,


votre jugement est aussi indispensable que celui de
votre beau-frère.
Joaquín resta de pierre. Comment sa présence
pouvait-elle être vitale ? Il ne s’attendait pas à ce
genre de réponse.
— Comment pourrais-je prendre une décision sur
l’avenir de mon beau-frère ?
— Non, bien sûr que non... Mais votre opinion
n’est pas négligeable, car influençable.
— Vais-je, moi aussi, rencontrer cette personne ?
— Évidemment... Et vous serez aux premières
loges. À présent, si vous n’y voyez aucun
inconvénient, l’assemblée va se disperser.

Quelques instants plus tard, les trois hommes se


retrouvèrent dans la rue et se dirigèrent cette fois-ci
vers une tour bleue. Un disque-ascenseur les
emmena vers les étages supérieurs. Les deux
hommes comptaient bien sur Haltar pour les éclairer
sur les derniers mots de Vétül.

— Haltar, qu’a-t-il voulu dire par « Je serais aux


premières loges » ? demanda Joaquín.
— Je suis désolé, je n’ai pas encore reçu
l’autorisation de consulter les archives... Lorsque
cela viendra, je vous en informerais.
— D’accord... Cependant, j’ai une question qui
me traîne dans la tête depuis tout à l’heure. Où se
situait l’épicentre du rayon destructeur ? demanda
Joaquín.
205
Les survivants d’Hullia

— Vous nommez cet endroit la mer Égée. Il ne


reste de ces terres qu’une multitude d’îles.
— Entre la Grèce et la Turquie. Effectivement, le
relief s’apparente à un tel désastre.
— J’ai moi aussi une question... Qui sont les
Rêveurs ? demanda Nicolas.
— Ce sont les êtres qui peuplent le futur de la
Terre dans un futur très lointain.
— Intéressant... Je me suis souvent demandé à
quoi ressembleraient les humains dans plusieurs
milliers d’années.
— Le gouffre du temps qui nous sépare des
Rêveurs se compte en millions d’années. Ces êtres
ne nous ressemblent plus, et vous les décrire serait...
comment dire... assez fastidieux. Nous avons
envoyé quelques sondes temporelles afin de les
observer et étudier leur monde et leurs façons de
vivre. Nous savons ainsi que la planète n’est plus
qu’une immense jungle ou la vie animale et végétale
abonde à profusion, sauvage et magnifique. Les
images recueillies nous montrent que les rêveurs
nichent dans des sphères individuelles, amalgamées
en nombre incalculable dans de gigantesques
mégapoles entièrement automatisées. Leurs corps
méconnaissables sont plongés dans un état de semi-
inconscience continuelle... une sorte de sommeil
simulé qui perdure toute leur vie. Seuls leurs
immenses cerveaux fonctionnent continuellement,
branchés à des serveurs neurologiques. Ils sont
nourris et entretenus par des machines qu’ils
contrôlent eux-mêmes.
206
Le Cristal des Dieux 1

Il y a quelques décennies, une sonde nous est


revenue avec un contenu assez étrange dans ses
archives. Sa mémoire interne avait été interceptée
par un rêveur curieux et avait interagi avec elle.
Nous découvrîmes que le dialogue verbal n’existait
plus. Aucun échange mental n’est possible avec
eux... leur langage psychique est basé sur des
algorithmes quantiques bien supérieurs à nos
connaissances actuelles et vont bien au-delà de ce
que notre science pourrait concevoir... Leur intellect
dépasse notre entendement, néanmoins, nos
ordinateurs sont parvenus à décrypter quelques
milliers de diagrammes et de concepts
mathématiques globaux. Nous avons ainsi appris
qu’ils mènent une vie entièrement assimilée par des
macrocosmes virtuels. Leur existence omniprésente
s’étale dans des environnements cybernétiques sans
limites, dans lesquels ils se déplacent
instantanément et simultanément d’un lieu à une
autre et de monde en monde grâce aux colonisations
disséminées dans presque toute la galaxie.
— J’ai beaucoup de mal à concevoir ce monde !
annonça Nicolas en fronçant les sourcils.
— Je vous comprends... C’est vraiment effarant.

Ils empruntèrent ensuite un corridor et


s’arrêtèrent devant une des innombrables
ouvertures triangulaires.
— Voici votre logement, monsieur Mendez,
annonça-t-il, en les invitant à entrer.

207
Les survivants d’Hullia

C’était une grande pièce d’une centaine de


mètres carrés totalement vide.
— Il n’y a pas de fenêtres ? demanda Joaquín
légèrement inquiet.
— Ne vous inquiétez pas... Je vais tout vous
expliquer..., lui répondit-il en désignant six cristaux
translucides encastrés dans le mur près de l’entrée.
Pour fermer la porte, il suffit de passer votre main
devant le premier.
Haltar fit le geste et le passage triangulaire
s’effaça aussitôt comme par magie. Ils se
retrouvèrent tous les trois dans l’immense pièce
sans aucune ouverture. Joaquín regarda autour de
lui.
— Heu, oui... Je ne suis pas claustrophobe, mais
j’ai l’impression d’être enfermé dans une grande
boite hermétique.
Haltar se tourna vers Joaquín et lui demanda de
lever sa main devant l’avant-dernier cristal. Il
s’exécuta, et une sorte d’écran holographique se
matérialisa devant leurs yeux. Il y apparut une
image tridimensionnelle schématisant une petite
sphère et la pièce où ils se trouvaient.
— Nous l’avons programmé avec des symboles
que vous reconnaîtrez aisément. Vous n’avez qu’à
choisir ce que vous désirez pour que cela se
matérialise.
Joaquín regarda attentivement les symboles
lumineux placés sur les contours de l’écran. Il en
effleura un du doigt. Un petit rectangle en relief se
dessina sur la représentation spatiale de la pièce.
208
Le Cristal des Dieux 1

— Il vous suffit de le saisir avec les doigts et le


déplacer sur l’écran jusqu’à l’endroit que vous
souhaitez, dans le sens et dans la dimension que
vous désirez..., précisa Haltar en lui indiquant avec
ses doigts les mouvements à suivre. Pour les
ouvertures tridimensionnelles... ou les fenêtres, si
vous préférez, vous pouvez les installer à votre
convenance. Elles peuvent s’ouvrir sur n’importe
quelle vue de la cité ou de la jungle, vous pouvez
aussi régler la profondeur du décor à votre guise.
Joaquín choisit un symbole.
— C’est incroyable, je ressens la structure de cet
objet holographique sous mes doigts.
— Oui, gardez-les dessus et modelez-le.
Joaquín décida de créer une ouverture dans un
des murs. Puis sous les conseils du hullien, il régla
les dimensions jusqu’à lui donner l’apparence d’une
immense baie vitrée. Il choisit le décor d’une petite
rivière avec la jungle comme second plan. La scène
était criante de réalité... la chambre semblait
s’ouvrir directement sur la jungle.
Fier de lui, Joaquín saisit un petit objet sur l’écran
et le déposa dans la représentation de la pièce. Un
léger crépitement résonna derrière lui. Une forme
rectangulaire d’environ deux mètres sur trois se
matérialisa et se stabilisa à une cinquantaine de
centimètres de hauteur, ensuite il modifia
l’épaisseur.
— Un lit ! J’ai créé un lit ! Vous avez vu ça ?
— Intéressant ! s’exclama Nicolas. Peux-tu y
rajouter des oreillers ?
209
Les survivants d’Hullia

— On peut aussi faire ça ? demanda Joaquín d’un


air étonné.
— Évidemment..., leur confirma Haltar. Vous les
avez là ! confirma-t-il en lui indiquant du doigt la
petite sphère hors l’écran. Vous devez la faire
tourner vers le haut ou vers le bas, vous réglerez
ainsi la consistance à votre convenance.
— C’est tout simplement prodigieux..., approuva
Nicolas.
— Et pour les toilettes ? demanda Joaquín
intrigué par cette idée.
Y a-t-il un endroit spécifique quelque part à
l’étage ?
— Pour les commodités ? Évidemment. C’est le
dernier cristal, une porte s’ouvrira à cet endroit, dit-
il en désignant le mur près de cristaux.
— C’est tout à fait prodigieux..., lui dit Joaquín.

Une dizaine de minutes plus tard, il y avait dans


la pièce plusieurs canapés, une table, quatre chaises,
deux petits meubles de chevet près du lit.
— Avez-vous la télé ? Ou quelque chose de
similaire, comme des films ou des émissions
musicales ? demanda Joaquín.
— Oui, mais pas comme vous l’entendez, nous
avons des retransmissions de débats, d’exploration
du monde, des cours de médecine, d’informatique,
etc.
— Exploration du monde !
— Je pense pouvoir vous obtenir un accès à
certaines données recueillies par nos voyageurs
210
Le Cristal des Dieux 1

temporels, j’ai pu visionner quelques vidéos


traquées sur le web de votre époque. Des films,
comme vous dites...
— Excellent ! Si j’ai bien compris, je pourrais
voir des films qui ne sont pas encore tournés à notre
époque ? C’est génial... Voyons voir... où vais-je
bien pouvoir poser un écran géant ? Tien... pourquoi
pas là, en face des fauteuils ? Haltar, comment fait-
on pour choisir les programmes ?
— Je viens de contacter une personne passionnée
par votre siècle, elle s’occupera avec plaisir de vous
enseigner tout cela.
— Très bien, merci.
— Je sens bien que je vais devoir retourner seul
à mon époque..., lâcha soudain Nicolas en
contemplant son beau-frère heureux comme un
enfant qui s’exalte en devant ses nouveaux jouets.
— Mais non... J’en prends plein les yeux, je
profite des instants présents en ce monde, car je sais
que cela ne durera pas éternellement... Quand
devrons-nous rentrer Haltar ? demanda-t-il en
s’allongeant sur le lit pour tester l’élasticité du
matelas virtuel.
— Ça, c’est vous qui décidez, sachez que vous
êtes ici chez vous..., répondit Haltar. Au fait,
Joaquín. La personne dont je vous ai parlé me fait
savoir qu’elle serait heureuse de s’entretenir avec
vous... y voyez-vous un inconvénient ?
— Ah bon, déjà ? OK... Je vous prie de lui
annoncer qu’il est le bienvenu dans mon humble
demeure ! répondit-il en souriant et en étendant ses
211
Les survivants d’Hullia

bras.
— Ce ne sera pas nécessaire... Elle est là..., lui dit
Haltar en actionnant l’ouverture de la porte.
— Elle ? répéta le jeune homme d’une voix
étranglée à l’instant où la ravissante Kaïla faisait
son apparition dans l’encadrement triangulaire de
l’entrée.
Elle portait une tunique incrustée de paillettes
dorées et arborait sur son front un surprenant
diadème de pierres scintillantes. Elle salua Haltar et
Nicolas en fermant les yeux. Elle regarda Joaquín,
le salua de la même façon puis entra dans
l’habitation.
— Bonjour, je suis là pour vous expliquer le
fonctionnement de la « télé », lui dit la belle
hullienne aux yeux dorés.
— Woaoo, les réparateurs télé de chez nous ne
sont pas aussi séduisants ! s’exclama Joaquín.
— Merci... répondit-elle tandis que sa bouche
s’étirait en un sourire et que ses joues devenaient
légèrement écarlates. Par la même occasion, si vous
n’avez rien prévu, cet après-midi, je désirerais vous
proposer une promenade dans les jardins.
— J’accepte avec joie ! répondit Joaquín en se
levant du lit.
— Mais, nous avons tout notre temps..., dit-elle
en s’approchant de lui.

Haltar les regarda d’un air amusé.


— Nous vous laissons, en vous souhaitant une
bonne promenade. Venez, Nicolas, je vous
212
Le Cristal des Dieux 1

accompagne jusqu’à votre chambre.

Nicolas et Haltar sortirent de la pièce et la porte


se referma aussitôt. De toute évidence, vu la façon
dont les deux jeunes gens se regardaient, il était plus
adéquat de se retirer. Les deux hommes
s’engagèrent dans le couloir et se dirigèrent vers une
autre porte triangulaire, non loin de celle de
Joaquín. Ils pénétrèrent dans la pièce. Celle-ci était
aussi vide que la précédente. Il ne restait plus qu’à
l’aménager avec les meubles virtuels.
— Voilà, Nicolas... Vous êtes chez vous. Je vais
vous laisser, mais avant, il faut que je vous montre
quelque chose.
Haltar se rapprocha du mur et cligna des yeux.
La cloison entière sembla s’évaporer, découvrant
l’appartement de Joaquín.
— Ne craignez rien, ils ne nous voient pas et ne
nous entendent pas. Regardez, cela va certainement
vous intéresser. J’espère que vous ne serez pas
opposé à ce qui va se passer. Je dois vous apprendre
quelque chose de primordial, les hills du futur vous
ressemblent davantage... Je veux dire...
Physiquement. Et cela parce que leur Père originel
est humain.
— Humain ? répéta Nicolas qui commençait à
comprendre. Nos ethnies sont donc compatibles à
cent pour cent ?
— Tout à fait... Et ces deux jeunes personnes en
sont les concepteurs..., répondit-il en observant ce
213
Les survivants d’Hullia

qui se déroulait dans l’autre pièce.

Kaïla s’approcha de la table de chevet et y déposa


un petit cube doré à l’intérieur duquel apparaissait
son portrait holographique.
— Ceci est un présent à votre attention, Joaquín.
Si vous avez besoin de quoi que ce soit, vous
n’aurez qu’à m’appeler en effleurant le cube.
Voyons donc cet écran, nous allons le connecter au
réseau des archives. Haltar m’a dit que vous seriez
intéressé par les filmographies postérieures à votre
temporalité.
— Et il paraît que vous vous passionnez pour
notre époque...
— Oui... j’adore l’art, la musique, la mode...
surtout celle du XXI siècle... Mais, dites-moi, je
vois que vous avez choisi une couche très large, on
pourrait y dormir à plusieurs.
— J’aime avoir de l’espace quand je suis au lit...
— Moi aussi... dit-elle en souriant. Avez-vous
réglé la souplesse à votre convenance ?
— Heu... oui, mais pas aussi bien que je voulais...
c’est encore un peu dur.
— Dur ? Asseyez-vous, nous allons voir ça
ensemble !
Elle se dirigeant vers la porte.
— Regardez..., dit-elle en saisissant l’écran
lumineux avec deux doigts. Vous pouvez utiliser le
panneau de commande de n’importe quel endroit de
la pièce...
Elle esquissa un geste rapide du doigt sur l’écran
214
Le Cristal des Dieux 1

et celui-ci se déplaça dans les airs pour se stabiliser


près du lit.
— Puis-je vous proposer une boisson ? demanda
la jeune femme. J’aimerais que vous combliez un
désir personnel.
— Un désir ? Heu... Oui, pourquoi pas ? répondit
Joaquín sans la quitter des yeux.
La jeune femme effleura un cristal et un panneau
s’ouvrit près de l’entrée. C’était une sorte de
placard, ou de réfrigérateur, car plusieurs plats
contenants des mets y étaient entreposés. Elle saisit
deux gobelets blancs, effleura plusieurs cristaux et
se dirigea vers Joaquín, tandis que la porte d’entrée
et le placard se refermaient derrière elle.
— Il y a très longtemps que je rêve de goûter
cette boisson pétillante que vous nommez
champagne, dit-elle en s’asseyant près de lui sur le
lit. J’ai visionné plusieurs séries de documentaires
et la plupart des verres ressemblaient à ceci.
Consentez-vous à me faire découvrir ce breuvage ?
Les gobelets qu’elle tenait dans les mains
changèrent de forme. Ils s’allongèrent et devinrent
cristallins, comme des flûtes emplies d’un liquide
transparent. Elle lui en tendit une.
— Peut-on faire cela pour autrui ?
— Oui..., répondit-elle. Il suffit de déterminer les
ressentis de votre boisson et ensuite de me faire
goûter votre verre.
Joaquín goûta le liquide en se remémorant la
texture et le goût. Il ne put retenir sa surprise lorsque
le liquide commença à pétiller et se teinter en
215
Les survivants d’Hullia

prenant une couleur dorée cristalline. Il avala une


petite gorgée.
— Il est presque parfait, mais un peu tiède, dit-il.
Il aurait été meilleur frais...
— Pensez au cristal central et choisissez sa
température. Les molécules constituant le liquide
vont modérer leur mobilité et générer de la
fraîcheur.
C’est ce qu’il fit. Il goûta à nouveau et lui tendit
le verre en souriant.
— Tenez, je dois avouer que je suis assez
stupéfait du résultat !
La jeune femme saisit la flûte et regarda avec
attention les petites bulles qui remontaient
doucement le long du verre.
— Attendez, lui dit-il. Nous devons d’abord
trinquer !
— C’est exact ! sourit-elle. Les couples de votre
époque font souvent ça.
— Tout à fait, et nous faisons un souhait pour la
bonne santé d’autrui, ce geste renforce les liens.
Donc à votre santé et à vos amours, lui dit-il en
choquant délicatement les flûtes et en la regardant
droit dans ses grands yeux dorés comme le
champagne.
— Que ces liens se renforcent davantage... Je
vous souhaite aussi une bonne santé et un grand
amour, lui dit-elle avant de porter le verre à ses
lèvres.
Elle goûta le contenu en fermant les yeux.
Ensuite, elle tourna la tête et regarda Joaquín d’un
216
Le Cristal des Dieux 1

air amusé.
— Humm... Je trouve ce goût très plaisant ! Ces
petites bulles pétillantes me laissent une surprenante
sensation dans le palais et une drôle de sensation
dans la tête...
— Je suis désolé... j’ai voulu ressentir l’effet du
vrai champagne qui à faible dose stimule le cerveau
et produit un effet légèrement euphorisant.
— J’adore ! dit-elle en posant sa main devant sa
bouche.
Elle se tourna vers lui, le regarda fixement et
approcha encore une fois ses jolies lèvres du liquide
pétillant. Il se sentit soudain un peu désorienté par
la troublante beauté de la jeune hullienne.
— Oui, mais c’est à consommer avec
modération... lui dit-il en baissa les yeux sur l’écran
afin de se ressaisir.
— Avec modération ? Et quels sont les effets
sans modération ?
— Heu... avec modération, ce breuvage procure
une sensation de détente, d’euphorie, d’excitation et
désinhibe la timidité... mais à forte dose, il provoque
l’ivresse, modifie la conscience, la perception,
provoque des troubles du comportement et parfois
des pertes de mémoire...
— Woaoo... Je dégusterais donc cet excellent
breuvage avec retenue... Et quelle est la quantité à
respecter pour rester dans la catégorie, euphorie et
excitation ? demanda-t-elle en portant la flûte à ses
lèvres.
— Disons deux coupes, si nous désirons rester
217
Les survivants d’Hullia

sages... Trois, si on a des intentions un peu olé, olé !


— Olé, olé ? lui demanda-t-elle en le regardant
dans les yeux.
Le jeune homme se sentit mal à l’aise. Il réalisait
que le regard et la beauté de cette femme le
troublaient énormément. Il baissa les yeux et
examina le tableau de commande virtuel.
— Des pensées érotiques...
— Ah oui ? demanda-t-elle avec un regard empli
de curiosité.
— Oui... Sinon, pour en revenir à la fermeté du
lit..., dit-il pour changer de sujet. Vous disiez qu’on
peut régler la souplesse ?
— Humm... d’accord, voyons ça... Je vais vous
montrer... Approchez-vous, que je vous explique,
suggéra-t-elle.
D’un geste un peu hésitant, il s’approcha un peu
d’elle.
— Voilà qui est mieux... Donc, pour la souplesse
du matelas, vous devez manipuler le senseur de
consistance de cette façon. Regardez cette sphère
sur l’écran..., dit-elle en faisant tourner la petite
boule sous ses doigts. Qu’en pensez-vous ?
La consistance du lit changea, devint plus souple.
— C’est parfait ! Exactement la même
consistance qu’un vrai matelas.
Joaquín se déplaça un peu pour poser sa flûte sur
la table de nuit.
Voyant son geste, Kaïla avala une gorgée, puis se
releva et se pencha afin de poser sa flûte à son tour.
Joaquín admira son action en appréciant la courbure
218
Le Cristal des Dieux 1

de ses hanches et la finesse de son dos. Elle


s’installa à nouveau sur le lit et remarqua que le
jeune homme s’était légèrement éloigné.
— Mais, approchez-vous donc ! insista-t-elle.
Voyant son hésitation, ce fut elle qui dans un
séduisant mouvement de hanche se pressa contre
lui, et lui adressant un large sourire.
Elle effleura d’un doigt rapide la petite sphère. Le
lit sembla soudain se distendre, se gazéifier. Joaquín
lâcha un petit cri de surprise en se sentant partir en
arrière.
Le lit venait de prendre l’aspect d’un nuage blanc
et cotonneux. Il tenta de se redresser, mais rien n’y
fit. La jeune femme se laissa aussi tomber en arrière
en riant aux éclats. Joaquín sentit son corps
s’enfoncer lentement puis se stabiliser dans la
masse vaporeuse, mais encore consistante.
— Woaoo ! J’adore... je ressens comme une
étonnante sensation d’apesanteur.
Elle tourna la tête vers lui et le regarda dans les
yeux. Il réalisa soudain qu’il était allongé sur un
nuage avec une beauté céleste près de lui.
— Dans ce cas, laissez-moi vous montrer autre
chose.
Elle allongea le bras et d’un geste rapide, elle
envoya l’écran vers la cloison. Celui-ci se volatilisa
à mi-chemin. Elle se tourna vers lui, tandis que les
murs, le sol et le plafond de la pièce semblaient
s’effacer, laissant la place à un ciel bleu infini dans
lequel flottaient des petits nuages blancs. Il n’y avait
ni haut ni bas.
219
Les survivants d’Hullia

— C’est magnifique, Kaïla, vous venez de


réaliser un rêve d’enfant... J’ai l’impression d’être
en plein ciel, allongé sur un nuage. Quelle
douceur, je m’endormirais bien là-dessus.
— Vous endormir ? Ne voulez-vous plus que
l’on aille visiter les jardins ? demanda la
somptueuse créature en le regardant avec insistance.
— Ah oui, les jardins..., répondit-il en
remarquant que les pupilles de la jeune femme
s’étaient dilatées et fluctuaient. C’était comme si ses
pupilles retransmettaient les battements de son
cœur.
— Vous avez sommeil ? demanda-t-elle en se
redressant pour s’agenouilla près du jeune homme.
— Pas du tout, Kaïla... Je suis presque certain que
les jardins peuvent attendre !
À ces mots, les pupilles de la jeune femme
s’élargirent démesurément.
— Excellente réponse ! dit-elle en le dévorant
des yeux. Car j’ai envers toi des pensées un peu olé,
olé !
La belle hullienne étira son buste et dénoua son
large ceinturon. Sa tunique dorée glissa
délicatement sur sa peau nue, dévoilant son
admirable corps élancé.
— Mon Dieu ! Je ne trouve aucun mot pour
décrire à quel point tu es belle.
— Je ne sais si c’est ton breuvage qui me fait ça,
mais il n’existe aucun mot dans ta langue qui puisse
décrire ce que je ressens en ce moment, susurra-t-
elle en se penchant vers lui pour lui dénouer la
220
Le Cristal des Dieux 1

ceinture.
Elle lui écarta la tunique tandis que ses doigts fins
et agiles effleuraient le torse du jeune homme.
— Joaquín, sais-tu que de notre union découlera
la pérennité de la génération hullienne ? lui
demanda-t-elle en laissant échapper un long soupir.
— Comment ça ? demanda Joaquín fasciné par
l’incroyable beauté de cette fille
Mais il ne chercha pas à comprendre ce qu’elle
lui avait dit. De toute façon, il n’y pensait même
plus, car la jeune femme s’était jetée à son cou et
l’embrassait fougueusement.

Haltar matérialisa à nouveau la cloison en


remarquant que Nicolas venait de détourner le
regard.
— Woaoo ! Les paroles de votre sage prennent
tout leur sens à présent !

221
Les survivants d’Hullia

222
Le Cristal des Dieux 1

PURULLENA

Un bruissement me réveilla. J’étais allongé sous


le rocher incurvé. Je me levais doucement, attentif
au moindre mouvement. Quelque chose bougeait
derrière un buisson. Je ramassais un caillou et le
lançais en direction du bruit. Un lapin détala en
sautant et zigzaguant rapidement pour disparaître
derrière des rochers.
Je roulais le sac de couchage. Je m’approchais
ensuite du bord de la falaise. Je pris le temps de
boire une gorgée d’eau et de croquer une barre de
céréales en admirant le ciel qui se teintait de pourpre
dans l’aube naissante.
Je me mis en route sans tarder.
J’avais la tête pleine de visions et de sensations
étranges. Tant de révélations s’étaient dévoilées
cette fois-ci. Et la scène avec Joaquín et Kaïla
m’avait quelque peu perturbé.

Après avoir passé des heures à descendre, glisser,


sauter, escalader et enjamber les embûches et les
dénivellations sur les pentes escarpées de la

223
Les survivants d’Hullia

falaise... c’est sous une chaleur accablante que


j’arrivais près du lac. Sa surface immobile reflétait
le ciel bleu sans nuages. Il faisait chaud. Le soleil
était presque au zénith. Je me serais bien baigné
pour me débarrasser de ma sueur.
Je repérais un petit cours d’eau tombant en
cascade dans le lac. Je m’y approchais et m’asseyais
pour profiter du paysage en me reposant quelques
instants. Le temps de manger un morceau et me
laver dans l’eau froide.

Je venais d’emprunter un sentier bordé d’arbres


qui semblait mener jusqu’aux canyons que j’avais
aperçus depuis le haut de la falaise.
Je vis un vieux paysan venir dans ma direction. Il
était accompagné d’un âne chargé d’un énorme
fardeau composé de grosses branches sèches.
L’animal trottait en balançant sa tête. L’homme
marchait d’un pas pressé, faisant avancer l’âne à
petits coups de bâton sur le postérieur. Le vieil
homme laissait échapper de temps à autre quelques
sons aigus du coin de la bouche, ressemblant à des
petits claquements de langue. Il portait de larges
vêtements sombres. Ses cheveux blancs dépassaient
sous un béret noir. Il devait avoir dans les soixante-
dix ans. Une courte barbe grise mangeait en partie
un visage mat parcouru de profondes rides. Sous
d’énormes sourcils aux poils blancs démesurément
longs brillaient de tristes petits yeux bleu pâle.
Comme je lui demandais quel était le prochain
village, celui-ci s’arrêta et tira l’âne par la sangle du
224
Le Cristal des Dieux 1

harnais.
— ¿Hola, el próximo pueblo está lejos de aquí?9
— No, señor, ¡ está detrás de aquellos cerros !10
me répondit-il d’une voix saccadée et soulignée par
un fort accent andalou.
— Cerros ? lui demandais-je, étonné. Je parlais
couramment le castillan, mais je butais sur certains
mots qu’il prononçait.
— Un cerro, son bajos montes11, précisa-t-il, en
désignant les collines aux fortes pentes qui
parsemaient le paysage.
— D’où venez-vous comme ça ? demanda-t-il. Il
n’y a ni chemin ni route, dans le coin. Vous seriez-
vous perdu, señor ?
— Je suis venu par la forêt, là-haut.
— Belle trotte... Et vous venez de loin comme
ça ?
— De France.
— En marchant ? Joder ! C’est loin..., jura le
vieux paysan en haussant ses énormes sourcils
blancs.
— Non, lui dis-je en souriant. Je suis arrivé à
Granada par le train.
Il me regarda attentivement, puis se tourna en
désignant la colline de sa main noueuse et
tremblante.
— Bien... Continuer ce chemin, ensuite après le
pont, vous prendrez un sentier sur votre droite.
9
Bonjour, le prochain village se trouve-t-il loin d’ici ?
10
Non, monsieur, vous le trouverez derrière ces collines !
11
Ce sont des petits monts,

225
Les survivants d’Hullia

Celui-ci vous mènera jusqu’au sommet de la


colline. De l’autre côté, en bas, vous trouverez une
route. Si vous la suivez vers le nord, vous arriverez
à Purullena. C’est le village le plus proche !
Il ajusta son béret en ramassant sous celui-ci
quelques mèches rebelles qui lui tombaient sur le
visage. Il reprit ses petits cris aigus et donna deux
petits coups de bâton sur la cuisse de l’âne pour
qu’il se remette en marche.
— Hasta luego, caballero12 ! lança le vieux
paysan en me saluant de la main.

Je suivais le chemin indiqué par le vieil Andalou,


traversais un bosquet, puis empruntais un vieux
pont en pierres à moitié délabré qui enjambait le lit
asséché d’une petite rivière.
Il faisait chaud. Pas un brin de vent n’agitait la
cime des arbres. Pourtant quelques petits nuages
blancs passaient rapidement au-dessus de ma tête.
Je pensais aussitôt à Joaquín et Kaïla. « Faire
l’amour sur un nuage... Quel rêve... »
Au loin, sur les parois abruptes d’une haute
colline, je devinais quelques ouvertures plus ou
moins rectangulaires. De toute évidence, ces
anciennes grottes avaient été creusées par l’homme.
En m’approchant, je constatais que leur accès
était trop haut et impraticable. L’érosion et les crues
de la rivière avaient certainement emporté et raviné
le terrain qui donnait accès à ces étranges

12
À plus tard, gentilhomme !

226
Le Cristal des Dieux 1

habitations troglodytes.
Je gravis sans peine le sentier tortueux menant
jusqu’au fameux cerro. En marchant sur le sommet
de la colline, je découvris des dolmens à moitié
détruits. Je remarquais, sur les rebords largement
évasés, des petits cailloux blanchâtres éparpillés sur
le sol. Curieux, je me baissais pour découvrir que
ces cailloux étaient en fait, des ossements, des bouts
de phalanges. Lorsque j’entendis des cris. Je tendis
l’oreille et cherchais du regard une agitation dans
les parages.
C’est en m’approchant d’un escarpement que je
vis des enfants en contrebas. Ils couraient et
sautaient tels des bouquetins sauvages sur les pentes
sillonnées et abruptes avec une étonnante agilité. Ils
s’appelaient les uns les autres en criant et dévalant
les sentiers. L’un d’eux sauta sur un arbuste,
s’agrippa aux branches, se balança, fit un bond et
repartit de plus belle pour disparaître dans une
ravine. Je décidais de les suivre dans ce décor
accidenté, tout en gardant une certaine distance.
Je descendais avec beaucoup de précautions le
sentier, si aisément emprunté par les enfants. C’est
après une bonne heure de marche que je débouchais
enfin sur une route goudronnée. Si on pouvait
l’appeler ainsi. La chaussée était étroite, jonchée
d’ornières, et ses accotements pas très bien définis.
Je n’aperçus qu’un seul véhicule sur mon chemin, il
venait en sens contraire à ma marche. C’était une
vieille camionnette à ridelles. Les amortisseurs
devaient être très fatigués, car il roulait en sautillant
227
Les survivants d’Hullia

sur l’asphalte cahoteux.


« Dommage... J’aurais pu faire du stop, » me dis-
je, en espérant que le village n’était plus très loin.

Deux ou trois kilomètres plus loin, la route avait


été refaite. De chaque côté de la chaussée
s’étendaient de longs et interminables bosquets de
peupliers. Je marchais tranquillement à l’ombre des
arbres, quand une odeur nauséabonde monta
jusqu’à moi. Au fur et à mesure que j’avançais, la
puanteur s’accentuait... C’était infect. L’odeur
putride émanait d’un marécage en contrebas de la
route. L’eau stagnante dégageait une forte odeur de
cadavre. En me penchant par-dessus une barrière en
bois, je vis une multitude de petites grenouilles
vertes sautiller entre la vase verdâtre et les couches
de glaise brune et visqueuse.
Non loin de là, je découvris une vieille usine d’où
s’élevait vers le ciel une haute cheminée de
briquettes rouges. De longues volutes de fumée
blanche échappaient de son sommet.

Quand enfin, au détour d’un virage en fer à


cheval, je vis un panneau d’entrée d’agglomération,
mon cœur parut s’emballer. Je pouvais y lire,
Purullena.
Le soleil couchant allongeait les ombres et
donnait un étrange relief aux détails.
Laissant deux hameaux de constructions
traditionnelles sur ma gauche, j’entrais dans le
228
Le Cristal des Dieux 1

vieux village.

L’agglomération troglodyte aux façades d’un


blanc pur, s’étendait sur trois collines sillonnées de
sentiers et de chemins bétonnés. Des cheminées de
pierres blanches et rondes naissaient un peu partout
sur les coteaux de cet étrange village. Sur le flanc
des collines, les maisons, dont on n’apercevait que
les façades blanches, s’amoncelaient les unes sur les
autres. Il n’était pas rare de voir la cheminée d’une
habitation en contrebas, émerger non loin de la
porte du voisin au-dessus.
Je traversais le village par sa rue principale pour
déboucher sur une grande place. En son centre se
trouvait une fontaine en pierres de taille, encadrée
de deux réverbères de métal noir surmontés chacun
par une lanterne en fer forgé. Celles-ci éclairaient la
place d’une clarté orangée. Quatre jets d’eau
cristalline émergeaient de la fontaine. Je me
rafraîchis le visage, puis portais mon attention sur
l’église qui s’élevait non loin de là. Elle était
construite en pierres apparentes, de même
assemblage que la fontaine et l’enceinte basse qui
ceinturait la place.
Je remarquais une fourgonnette et des hommes en
train d’accrocher des guirlandes d’ampoules dans la
rue principale. Une fête prochaine sans doute.
En levant les yeux vers la crête de la colline
surplombant l’église, je remarquais une multitude
d’antennes de télévision plantées à même la terre.
Je contemplais cette étrange forêt métallique se
229
Les survivants d’Hullia

découpant sur un ciel couleur ardoise, quand je crus


que ma vue me jouait un tour. Il me semblait avoir
aperçu de la lumière sur le flanc de ce mont abrupt,
comme si elle provenait d’une fenêtre.
« Non, me dis-je. C’est beaucoup trop escarpé... »
Mais la lueur réapparut. C’était bien une fenêtre.
Elle se situait au beau milieu de la paroi abrupte,
creusée et sillonnée par l’érosion. Ces collines
devaient être de vraies termitières.
Je me mis à marcher, imaginant le travail
nécessaire à la réalisation de ces grottes.
Il y avait un bar au coin de la rue. Derrière sa
longue baie vitrée, je distinguais une multitude de
clients. Certains étaient affairés au comptoir,
d’autres étaient attablés et jouaient aux cartes ou
aux dominos devant leurs verres et leurs bouteilles
de bière.
L’envie de manger un sandwich accompagné
d’une bière fraîche me traversa l’esprit et me donna
faim.
Je poussais la porte vitrée. À part deux ou trois
regards discrets, personne ne broncha. Les clients
étaient plongés dans des discussions à hautes voix,
entrecoupées de ricanements.
Un grand écran, au niveau sonore relativement
élevé, retransmettait des clips vidéo musicaux. Le
tout formait un formidable brouhaha. Je tentais de
m’approcher du comptoir bondé afin de passer ma
commande. Un client se poussa poliment avec le
sourire. Un autre se déplaça pour me laisser sa
place. Cela me surprit.
230
Le Cristal des Dieux 1

Je réalisais qu’il y avait ici une autre mentalité,


une autre morale.

Le serveur devait avoir une cinquantaine


d’années. Il avait tout du bon vivant, souriant et
plaisantant sans cesse avec ses clients. Lorsqu’il me
remarqua, il ne me quitta pas des yeux. Il parut bien
pressé de me servir.
— ¿ Buenas tardes Caballero. Que desea
usted13 ?
— ¡ Una presión !
— ¡ Una caña ! rectifia-t-il, en souriant.
Il me servit un grand verre cylindrique empli
d’une délicieuse bière nommée Alhambra, du même
nom que la cité fortifiée de Granada. Le barman se
tourna vers un passe-plat derrière lui.
— ¡ Pepito... Una primera !
Un jeune homme coiffé d’un couvre-chef blanc
apparut quelques secondes plus tard et posa un petit
plat devant lui. Le barman le saisit et me le servit
aussitôt. La coupelle était garnie d’un morceau de
chorizo grillé piqué sur une tranche de pain et
accommodé de quelques frites.
« Mais, je n’ai pas commandé à manger..., » me
dis-je étonné.
C’est alors que je constatais que tous les clients
avaient une ou plusieurs soucoupes devant eux. Ces
fameuses « tapas », des petites portions de plats

13
Bonne soirée gentilhomme, que désirez-vous ?

231
Les survivants d’Hullia

cuisinés, étaient offertes avec les boissons, ou plutôt


comprises dans le prix. Le petit amuse-gueule était
savoureux et il m’ouvrit davantage l’appétit.

Je vidais mon verre et en recommandais un autre.


Cette fois, j’eus droit à une délicieuse portion de
viande en sauce. Mais je ne me sentais pas encore
rassasié. Je demandais un sandwich. Le serveur me
désigna une douzaine de préparations culinaires sur
une grande illustration affichée sur un long panneau
au-dessus de lui. Je choisis un sandwich qui me
parut particulièrement appétissant. Il s’empressa de
passer la commande au jeune Pepito qui apparut à
nouveau derrière le passe-plat à l’appel de son
prénom.
Comme je finissais de déguster ma deuxième
bière tout en savourant mon bocadillo de lomo,
j’interpellais José, comme l’appelaient ses clients,
et lui demandais la note en posant un billet sur le
comptoir. Celui-ci me rendit la monnaie avec le
sourire. J’en profitais pour lui demander s’il
connaissait un certain Joaquín et une jeune fille
blonde. Le barman me regarda droit dans les yeux
et me répondit d’un geste négatif de la tête. Il me
lança un sourire forcé.
— ¡ Lo siento, Caballero14 !

Sur ce, je le remerciais, tournais les talons et


quittais le bar. À peine avais-je fait quelques pas

14
Désolé, Gentilhomme !

232
Le Cristal des Dieux 1

dans la rue, que quelqu’un m’interpella au coin de


la rue adjacente. Je reconnus Pepito, le jeune
serveur. Il était sorti par une porte située sur le côté
du bâtiment.
— ¿ Señor Marcos ?
— Heu, oui ? Comment connaissez-vous mon
nom ? lui demandais-je, en revenant sur mes pas.
— Mon patron m’a demandé de venir vous
chercher... Il vous attend.
Curieux, je le suivais. Effectivement, José était
bien là. Il maintenait la porte avec son bras pour
qu’elle ne se referme pas. Il demanda à Pepito de
retourner au bar afin de le remplacer. Puis, tenant
toujours la porte, il me dit...
— Vous correspondez à la description que m’a
faite Joaquín.
En entendant ce prénom, je sentis mon cœur
s’emballer. J’étais fier de moi, cela signifiait que
j’approchais du but.
— C’est bien moi... Je dois le retrouver. Dites-
moi, y a-t-il une jeune fille avec lui ?
— Oui, sa nièce, une jeune fille blonde !
— Exact... Pouvez-vous m’indiquer où les
trouver ? Je dois les rejoindre.
— Je ne peux rien vous dire pour l’instant.
Cependant, vous devrez répondre correctement à
une question.
— Ah... ? Et à laquelle, s’il vous plaît ?
— Il a précisé qu’une seule personne en ce
monde serait en mesure de connaître la bonne
réponse. Donc, pour savoir si vous êtes bien cette
233
Les survivants d’Hullia

personne dites-moi le nom de leur soleil, de leur


Ancien Monde et de leur Nouveau Monde.
— Hill, Hullia et Néo-Hullia..., répondis-je
automatiquement.
— Très bien... Même si je ne comprends pas ce
que signifient ces mots... c’est d’accord Tony,
allons chez moi...
Il sortit et laissa la porte se refermer derrière lui.
Nous fîmes quelques pas dans la rue, puis il me
désigna sa maison. Celle-ci était adjacente au bar. Il
ouvrit la porte et m’invita à le suivre. Je me
retrouvais dans un salon de style rustique. L’endroit
était chaleureux et soigneusement décoré.
— D’après votre accent, je dirais que vous êtes
français.
— C’est ça...
— Vous connaissez donc Joaquín ?
— Oui... mais à vrai dire, nous ne nous sommes
jamais rencontrés.
— Pourtant, d’après ce que j’ai compris, lui
semble très bien vous connaître.
— Certainement... mais c’est compliqué.
Pourriez-vous me dire où ils se trouvent ?
— Bien sûr, ils habitent à l’extérieur du village.
Mais vous ne les trouverez pas sans mon aide. Il est
presque vingt et une heures. Si vous voulez bien
attendre que je ferme le bar. Je vous
accompagnerais, car le terrain qui y mène
habituellement est impraticable à cause des
dernières pluies, nous devrons faire un détour.
José me dévisagea de la tête aux pieds, puis
234
Le Cristal des Dieux 1

ajouta.
— Dites-moi, depuis combien de temps n’avez-
vous pas pris de bain ?
— Deux jours, lui répondis-je. J’étais
certainement dans un triste état, mon séjour en forêt
m’avait apparemment quelque peu souillé.
L’épouse de José, une femme aux yeux bleus et
aux longs cheveux noirs, arriva, nous salua et se
présenta. Elle s’appelait María. José en profita pour
retourner au bar.
— Vous êtes donc Tony..., dit-elle en me
dévisageant. Vanessa me parle de vous depuis
tellement longtemps...
— Vanessa ?
— Ah oui, désolé... Il est vrai que vous ne vous
êtes pas encore rencontrés. C’est la fille de Nicolas,
elle vous a tellement bien décrit que j’ai
l’impression de vous connaître.
— J’ai un peu de mal à réaliser ce que vous dites,
toutefois, je le conçois...
— Oui... c’est ce qui me surprend avec eux... j’ai
parfois l’impression qu’ils prédisent l’avenir...
— Si vous saviez comme je vous comprends...
— José ne va pas tarder, la salle de bain est par
là..., ajouta-t-elle après m’avoir remis un rasoir neuf
et des vêtements propres.

Mon ange blond était donc bien Vanessa, la fille


de Nicolas. Je trouvais que ce prénom lui allait
merveilleusement bien. Je pouvais enfin mettre un
nom sur ce joli visage qui m’avait maintes fois
235
Les survivants d’Hullia

guidé et rassuré dans mes péripéties.


Lorsque je descendis, José avait fermé le bar et se
reposait sur son divan devant le téléviseur. Il me
regarda en relevant un sourcil.
— Eh bien, voilà, vous êtes bien plus présentable
comme ça... Surtout, si vous devez rencontrer la
jolie Vanessa. Nous partirons dans dix minutes... Tu
permets que l’on se tutoie ?
— Bien entendu. Je dois te remercier pour ces
vêtements.
— Tu peux les garder. Mais je t’en prie, assied-
toi..., dit-il, tandis que la souriante María nous
servait le café.

José m’invita à monter dans son vieux Land


Rover. Il démarra, puis emprunta l’avenue
principale pour sortir du village. Il roula sur une
centaine de mètres, puis bifurqua sur sa droite pour
abandonner la route goudronnée et s’engager sur un
chemin de terre.
Il faisait nuit noire, les phares du véhicule
éclairaient tant bien que mal le chemin bordé
d’herbes sèches. Après avoir entamé avec
précaution un virage en épingle à cheveux, nous
nous retrouvâmes à nouveau en direction du village,
mais le chemin nous menait vers les hauteurs de
l’agglomération troglodyte.
Nous arrivions au sommet de la plus haute
colline. Je jetais un coup d’œil par la fenêtre du
véhicule. J’avais une vue d’ensemble sur le village.
Le décor était d’une beauté pittoresque. Les
236
Le Cristal des Dieux 1

lampadaires éclairaient le centre du village en


contrebas. Sur le versant opposé, quelques
réverbères disséminés çà et là soulignaient la
blancheur des façades.
Le chemin de terre battue laissa la place à un
chemin bétonné tout juste assez large pour le
véhicule. José gara son Land près d’une vieille
cueva abandonnée et nous descendîmes du
véhicule.
Il ouvrit la tempe arrière et en retira un sac à dos
assez imposant. Il fouilla à l’intérieur et en extirpa
deux lampes-torches électriques. Il m’en tendit une,
puis empoigna la deuxième.
Il y avait des dizaines d’anciennes cuevas dans
les environs. Comme j’éclairais le bas des façades
érodées par le ruissellement des pluies. José
m’expliqua que ces habitations faisant partie d’un
ancien quartier du village. Leurs occupants les
avaient abandonnés à cause de l’éloignement et leur
difficulté d’accès. Puis désertés et confiés à la
désinvolture du temps, les façades n’étant plus
entretenues, les intempéries finissaient par lézarder
les couches de chaux, creusant ainsi les murs
extérieurs, et entraînant parfois un effondrement
partiel de la cueva.
José marchait avec aisance sur le chemin raviné.
Je le suivais tant bien que mal en éclairant et
scrutant attentivement le sol. Au bout de quelques
minutes de marche dans la noirceur de cette nuit
sans lune, il s’écarta du sentier et s’approcha d’une
vieille cueva abandonnée. Il poussa une porte de
237
Les survivants d’Hullia

bois aux lames délabrées et me demanda de le suivre


à l’intérieur.
— Nous sommes presque arrivés.
— Ils sont là-dedans ? Ça craint !
— Non..., répondit-il en riant. Tes amis sont
derrière ce cerro, pour y parvenir nous devons
emprunter cette cueva. Mais ne t’inquiète pas, il y a
une sortie de l’autre côté, fais-moi confiance.
Faisant surtout confiance à mon instinct qui ne
me signalait aucun danger, je le suivais dans la
cueva abandonnée. Nous traversâmes plusieurs
pièces creusées dans la terre argileuse. Elles étaient
sombres, longues et lugubres. L’air avait une
étrange odeur de poussière et paraissait vicié. Le sol
était jonché de détritus divers. Il y avait des dizaines
de canettes vides, ainsi qu’un vieux matelas déchiré
duquel dépassaient quelques ressorts rouillés. Je
distinguais aussi avec un peu de dégoût, des feuilles
de papiers hygiéniques souillées et éparpillées
autour d’innombrables excréments.
— C’est sale... Je sais... Mais c’est le seul chemin
pour y accéder, précisa-t-il. La route qui mène
habituellement à la cueva emprunte le lit d’un
ruisseau et il débordait aujourd’hui. Je tenterais d’y
accéder demain dans la journée en faisant très
attention, car de nuit il n’est pas évident de bien voir
et l’on a vite fait de percer le radiateur avec des
branchages emportés par le courant !
Enfin, nous débouchâmes à l’air libre. Je pris une
bonne bouffée d’air frais... La vue du ciel étoilé me
rassura.
238
Le Cristal des Dieux 1

José me requit d’être prudent et de regarder où je


mettais les pieds. Nous descendîmes prudemment
un sentier zigzagant. José s’approcha au bord d’un
promontoire.
— Joaquín et Vanessa ne sont pas loin...,
annonça-t-il à voix basse en éclairant une petite
rivière tumultueuse à une trentaine de mètres en
contrebas. Je possède une cueva aménagée au pied
de cette colline. Bien sûr, en ce moment on ne voit
rien, mais c’est une grande vallée. J’ai des champs
d’oliviers, quelques hectares de potagers et des
animaux dans une grotte voisine.
« Tony..., » dit une voix étouffée.
— Oui ? répondis-je.
— Oui, répondit José. J’ai même essayé de
planter de la laitue, mais ça n’a pas très bien marché
à cause du gel, il faut dire que les nuits sont fraîches
par ici.
— Attendez... Vous n’avez rien entendu ?
— Quoi donc ?
« Tony..., » dit à nouveau la voix. « C’est moi,
Joaquín, vous m’entendez ? »
— Qu’y a-t-il ? demanda José, en brandissant le
faisceau de sa torche sur mon visage.
— Vous m’éblouissez !
— ¡ Perdona !
— Dites, vous n’entendez toujours rien ?
— Nada !
José me regarda avec étonnement. Il devait
certainement me prendre pour un fou.
« Vous m’entendez Tony ? Je communique avec
239
Les survivants d’Hullia

vous avec le module. La portée du vôtre n’est pas


très grande. Essayez de projeter votre pensée, faite
comme si vous vouliez me parler, mais dans votre
tête. Je vous entendrais... »
C’est ce que je fis... cela me parut extraordinaire,
et à la fois me fit presque peur.
« Joaquín ? Pouvez-vous m’entendre ? »
« Oui, très bien ! »
« Où êtes-vous ? »
« Pas loin, je vous attends. Faites confiance à
mon ami José. C’est un homme bon. J’allume la
lampe de la terrasse pour nous situer. »
— Tu parles avec Joaquín ? demanda José d’un
air étonné.
— Oui... Mais c’est compliqué à expliquer.
— Ne t’inquiète pas, je suis habitué. Joaquín
possède une intelligence et une perception
extraordinaire, ainsi qu’un impressionnant don
divinatoire. Si vous êtes son ami, rien ne peut
m’étonner...
— Il va allumer une lampe pour nous guider.
Une lanterne s’alluma non loin de nous. Elle
éclairait un terre-plein bétonné et une partie du
sentier qui y menait.
« Je la vois, nous arrivons. »

— C’est prodigieux..., constata José.


Je pensais qu’il allait me poser des tas de
questions, mais il ne dit rien d’autre.

240
Le Cristal des Dieux 1

En nous approchant du terre-plein, je distinguais


une petite construction en briques rouges accolée à
la façade blanche d’une cueva. J’appris plus tard
que c’était une salle de bain extérieure.
Je devinais l’entrée de la cueva sous un abri de
tôles ondulées. Ces dernières formaient un auvent
en prolongement du toit du petit bâtiment.

La porte de la cueva, qui semblait épaisse et


lourde, était légèrement entrouverte. Celle-ci finit
de s’ouvrir et dans l’embrasure apparut la silhouette
d’un grand homme. Il était vêtu d’un pantalon noir
et d’une veste couleur marron. Il paraissait encore
très fort, et malgré les années qui avaient marqué
son visage, je le reconnaissais bien. À présent, il
était chauve et arborait une courte barbe
grisonnante. Ce qui lui conférait une certaine
sagesse.
— Joaquín ?
— Oui, mon ami... Dis donc, tu en as mis du
temps pour nous trouver ! lâcha-t-il en souriant.
Je m’avançais vers lui en lui tendant la main.
Joaquín la regarda quelques secondes puis l’ignora.
Il me prit par les épaules et me serra contre lui. Il
me lâcha enfin pour serrer la main de José.
— Gracias José... Tu ne peux imaginer ce que cet
homme a enduré. C’est un gars coriace et résistant.
Un peu comme moi, quand j’étais jeune...
— Oui... Lorsqu’il est entré dans le bar... j’ai tout
241
Les survivants d’Hullia

de suite su que c’était lui. Mais je lui ai quand même


posé la question comme tu me l’as conseillé.
— Et tu ne t’es pas trompé... lui seul pouvait
répondre... Mais entrez donc ! dit-il d’air joyeux.
Il émanait de sa personne une force, une vivacité
incroyable. Son regard semblait différent, beaucoup
plus perçant que dans sa jeunesse. Mais ce qui
m’étonna par-dessus tout était la couleur de ses
yeux. Ils étaient verts.
Le couloir d’entrée devait faire près de deux
mètres de long. Ce qui correspondait à l’épaisseur
du mur de terre. La pièce principale devait faire une
vingtaine de mètres carrés. Les parois et le plafond
arrondi étaient peints en blanc de chaux. Sur le côté
droit, quelques bûches crépitaient dans l’âtre d’une
cheminée creusée à même le mur de terre... Elle
répandait une agréable chaleur dans la pièce. À côté
de celle-ci se trouvait un petit vaisselier blanc, ainsi
qu’un réfrigérateur. Quatre chaises à l’assise de
paille étaient disposées autour d’une table ronde sur
laquelle un épais napperon beige tombait jusqu’au
sol. Sur la gauche se trouvait un ancien divan en
velours doré, et aux accoudoirs de chêne sculpté. Il
semblait avoir été encastré dans le mur. En face, il
y avait deux grands rideaux, de même couleur que
la nappe, ils cachaient en partie l’entrée de deux
autres pièces.
José se tourna vers son ami Joaquín et le tapota
amicalement sur l’épaule.
— Je vous ai apporté quelques provisions. Ça, tu
vas aimer, c’est de la morue en sauce tomate, dit-il
242
Le Cristal des Dieux 1

en sortant de son sac une grande barquette qu’il


plaça directement dans le réfrigérateur.
— Ah, ça c’est une bonne idée, nous ferons
goûter ce plat à notre invité. Tu m’en diras des
nouvelles, dit-il en me regardant. Personne ne
cuisine le bacalao comme lui et son père !
— Merci, Amigo Joaquín !
— Nicolas adorait ça, surtout en beignets...
Manolo lui portait souvent ce repas sur le site ! lui
dis-je.
— C’est vrai... à l’époque, je travaillais avec mon
père Manolo. Mais, ça fait plus de trente ans,
comment peux-tu savoir ça ?
— Nicolas aimait raconter ses aventures aux
enfants, répondit Joaquín en remplissant les verres.
— Tu as connu Nicolas ? demanda José. C’était
un grand homme !
— En quelque sorte, oui... je le connaissais assez
bien, répondis-je en regardant Joaquín.
— Asseyez-vous, nous allons prendre un verre.
Joignant le geste à la parole, Joaquín sortit une
bouteille de liqueur d’anis du vaisselier. En
m’asseyant, je sentis une forte chaleur derrière la
nappe, sous la table. Qu’est-ce ? demandai-je avec
curiosité.
— Un brasero, répondit José d’un air amusé. Tu
ne connais pas ?
Je pris un côté de la nappe et la soulevais. Je
découvrais que les pieds de la table étaient reliés
entre eux par une plaque de bois trouée en son
centre, dans ce trou se trouvait un récipient
243
Les survivants d’Hullia

métallique dans lequel brillait une pelletée de


braises.
— C’est la première fois que je vois ça...,
répondis-je en laissant retomber l’épaisse nappe.

Joaquín eut un sourire en coin. Le vieil homme se


dirigea vers le placard et y saisit trois verres, qu’il
posa sur l’épaisse vitre qui protégeait un napperon
brodé. Puis il s’assit et tira la nappe sur ses jambes.
— Il fait bon, n’est-ce pas ? À l’époque, c’était
très convivial. La famille restait ainsi réunie autour
de la table. Et ça évitait de chauffer toute la pièce.
— C’est pratique et original, tout comme
l’emplacement du canapé.
— C’est pour gagner de la place, répondit José en
souriant. Mon grand-père voulait un canapé, et
comme la pièce était trop petite, il prit la pioche et
s’attaqua au mur... Vois-tu dans ces maisons
troglodytes si tu veux une étagère ou un placard, tu
creuses le mur. Puis lorsque la famille s’agrandit, on
agrandit la maison en creusant des pièces
supplémentaires.
— C’est vraiment pratique. Le réfrigérateur, lui
aussi, aurait pu être encastré...
— Oui, mais à l’époque, ils n’y en avaient pas. Il
n’y avait ni électricité ni eau courante. Les habitants
s’éclairaient avec un candil, une sorte de lampe à
huile en cuivre que l’on posait ou suspendait. On y
trempait un bout de tissus ou de cordelette pour la
mèche. Pour l’eau potable, les gens partaient
jusqu’à la fontaine du village avec des ânes chargés
244
Le Cristal des Dieux 1

de cántaros, des jarres en terre cuite à base conique,


que l’on stockait dans une étagère spécialement
conçue. J’étais très jeune, et à cette époque, il n’y
avait que quatre ou cinq voitures dans tout le
village. Des ânes trottaient dans les petits sentiers
qui serpentaient sur les collines. Dans les rues, il n’y
avait que des piétons et des charrettes tractées par
des mules. Je me souviens d’une scène quand j’étais
enfant, les femmes du village se réunissaient pour
aller faire leur lessive à la rivière. C’était un
spectacle haut en couleur avec ses dames frottant et
battant leur linge en riant et en chantant.
— C’était une autre vie, bien plus simple, mais
plus ardente qu’aujourd’hui, releva Joaquín.
— Tout à fait, répondit José. Au fait comment va
la petite ?
— Elle dort... Elle m’a demandé de la réveiller
avant que Tony arrive. Mais je n’ai pas osé...
d’habitude, le simple fait de voir la lumière entre les
rideaux la réveille. Je lui ai demandé de s’allonger
un peu en attendant, alors je lui ai fait une infusion
de valériane et de verveine pour qu’elle puisse se
détendre et dormir un peu. Elle était éreintée et
n’arrivait pas à fermer l’œil depuis quelques jours.
Il faut dire qu’elle était impatiente de te rencontrer.
— Laissons-la se reposer..., lui dis-je.
Malgré ma demande, Joaquín se leva, écarta un
des rideaux de toile et jeta un coup d’œil dans la
chambre.
— Je n’ose la réveiller, elle dort profondément.
Tampis, je me ferais encore gronder à son réveil,
245
Les survivants d’Hullia

dit-il à voix basse en revenant.


— Avez-vous besoin de quelque chose en
particulier ? demanda José en dégustant son verre de
liqueur.
— Nous n’avons presque plus de café, et comme
je ne sais combien de temps nous resterons ici...
— D’accord, María s’est proposé de nous
préparer une paella pour demain. Je tenterais de
passer par la rivière avec le Land en fin de matinée.
Si cela ne vous dérange pas, nous passerons la
journée ensemble, car le bar sera fermé à cause du
bal. Pepito tiendra une buvette sur la place.
— C’est une bonne idée. Elle cuisine comme un
chef..., déclara Joaquín en brandissant son verre.
— Nous lui ferons donc cet honneur, lui dis-je en
levant mon verre à mon tour.
— Excellent ! Cela lui fera plaisir... Bon, les
amis, il se fait tard, je dois vous laisser. On se voit
demain matin... À votre réussite.
Il avala d’un trait le contenu de son verre. Puis il
récupéra son sac à dos, déposa quelques provisions
sur le rebord du buffet, et prit congé de nous. Nous
l’accompagnâmes jusqu’au détour de la cueva.

De retour à la maison, Joaquín me montra sa


chambre et me demanda de m’y installer. Malgré
son insistance, je lui fis comprendre que je
dormirais sur le canapé.
Joaquín remplit les verres, puis m’expliqua
comment il avait suivi tous mes périples depuis la
France. Il m’apprit aussi comment utiliser le module
246
Le Cristal des Dieux 1

afin de communiquer en fonction de la distance, et


m’expliqua pourquoi je ne recevais que des bribes
de sons et d’images, tandis que lui voyait
pratiquement tout ce que je vivais. Mon module
était saturé, et je ne pourrais l’utiliser à sa puissance
maximale que si je le déchargeais de la mémoire du
défunt Nicolas Kowalski.
C’est avec surprise qu’il m’apprit que le module
renfermait environ trente ans de sa vie.
— J’avoue que sans les révélations du module,
jamais je n’aurais cru à cette
histoire d’extraterrestres. D’ailleurs, comment
pouvez-vous les contacter ?
— Pour cela, il faut poser un cristal sur le module
adéquat afin de l’enclencher. Celui-ci envoie un
signal de tempo localisation. Nous lancerons le
contact bientôt.
— Vous avez un cristal, ici ?
— Oui, j’en ai un sur moi, et Vanessa porte celui
de son père.
— Effectivement, je me souviens de ce conseil.
Mais si vous avez votre cristal, vous pouviez
partir n’importe quand ? Pourquoi êtes-vous resté
ici ?
— Nicolas a exigé que nous suivions ses
consignes à la lettre. En précisant qu’il ne pouvait
en être autrement. Il fallait que tu aies le temps
d’apprendre à nous connaître, avant de nous
rencontrer réellement.
— C’était en quelque sorte un genre d’épreuve ?
— On pourrait appeler cela ainsi... Tu devais
247
Les survivants d’Hullia

nous remettre le module originel, car il contient les


coordonnées temporelles qui serviront à ramener les
parents de Vanessa.
— Comment ça ? Mais le professeur est mort
dans mes bras.
— Je sais bien, mais les hulliens le ramèneront à
la vie. Pour ne pas bouleverser le cours de l’histoire,
ils le récupéreront juste après l’incident. Avec leur
technologie, rien ne leur résiste, ou presque.
— C’est donc ça qu’il s’est produit !
— Quoi donc ?
— Ils en ont parlé aux informations. Ils ont
annoncé que son corps avait mystérieusement
disparu de la morgue... Donc, si je comprends bien,
dans un futur proche, les hulliens vont arriver, vous
leur donnerez le module et ils iront chercher votre
sœur et son époux dans le passé.
— Tu as tout compris, ce qui nous apporte la
preuve que l’action qui a déclenché cette
intervention passée ne s’est pas encore produite
pour nous...
— L’effet s’est produit avant la cause... C’est
compliqué à expliquer, mais simple à comprendre.
Mais, dites-moi, Joaquín, que s’est-il passé après
votre retour de chez les hulliens ? demandais-je,
tandis que je sortais le sachet contenant le module.
Il le prit entre ses doigts et fit mine de le
soupeser.
— À vrai dire, je ne suis pas revenu, annonça-t-il
en me regardant.
— Vous êtes resté auprès de Kaïla !
248
Le Cristal des Dieux 1

— Oui... Nico est rentré seul..., répondit-il.


D’après ton expression, je devine que le module ne
t’a pas tout dévoilé.
— J’ai pris l’histoire en route juste au moment de
la découverte de la grotte.
— Nico a certainement choisi ce moment... En
réalité, cette histoire a commencé à quelques
kilomètres d’ici. À l’époque, je poursuivais mes
études à l’université de Granada. Ma sœur Isabelle
travaillait comme secrétaire de communications et
responsable des comptes dans le musée
archéologique et ethnologique de la même ville.
Elle réussit à me trouver un job à mi-temps dans le
musée afin de m’aider à payer mes études.
C’est lors d’une exposition que j’ai rencontré le
professeur Nicolas Kowalski. J’avais eu l’occasion
de lire quelques-uns de ses comptes rendus dont on
faisait référence à l’université. Cet homme
possédait une amabilité hors du commun, lorsqu’il
apprit que j’étais à l’université, il me donna de
nombreux conseils et me proposa son aide.
Lors de la journée portes ouvertes, je lui
présentais ma sœur Isabelle. Il fut agréablement
surpris de découvrir qu’elle était la jeune femme qui
l’avait séduit par sa beauté lors des formalités
administratives.
Nous nous liâmes tous trois d’amitié. Nous
passions nos soirées en ville, à nous promener dans
les petites ruelles blanches et fleuries de l’Albaycín
et de l’Alhambra. Nicolas adorait particulièrement
les tavernes andalouses ou l’on servait les tapas en
249
Les survivants d’Hullia

admirant les danses de flamenco. Deux semaines


plus tard, lorsque Nicolas clôtura son expo, il nous
fit savoir qu’il devait se rendre à Lyon afin de
préparer l’allocution qu’il devait prodiguer
quelques jours plus tard au premier Congrès
international de paléoécologie. Isabelle lui
démontra son chagrin, et c’est avec le cœur fendu
qu’il lui promit de l’appeler de revenir dès que
possible.
J’appris par ma sœur qu’ils se parlaient
régulièrement au téléphone. Puis le jour du congrès,
Nicolas eut l’agréable surprise de découvrir que
nous avions fait le voyage afin d’assister à la
conférence. C’est à cette occasion que Nicolas et
Isabelle s’avouèrent leur amour.
Les connaissances et l’amabilité de mon futur
beau-frère me donnèrent l’envie de poursuivre mes
études. Nicolas me prit sous son aile, puis grâce à
ses leçons et conseils, je m’installais en France afin
de poursuivre mes cours. Quatre années plus tard, je
décrochais mon Master d’archéologie et de
paléontologie. Nicolas et Isabelle se marièrent et un
an plus tard, ils eurent une petite fille qu’ils
appelèrent Vanessa.

Un soir de juillet de 1983, Manolo, un ami


d’enfance me contacta. Il travaillait avec son fils
José dans le bar-restaurant de Purullena.
Il me relata comment un homme et une jeune
femme aux étonnants yeux de couleur verte
entrèrent dans le bar.
250
Le Cristal des Dieux 1

— Aux yeux verts ? S’agissait-il d’hilliens ?


— Qui sait ? répondit-il avec un léger sourire aux
commissures des lèvres.
— Je n’ose imaginer les conséquences d’une telle
éventualité... Et si tout était relié ?
— J’y ai pensé, et s’il en était ainsi, ce serait
effarant n’est-ce pas ?
— Que voulaient ces personnes ?
— C’est là que vient le plus étrange... Ils le
prièrent de me joindre au plus vite afin de nous
révéler l’existence d’une dalle de pierre recouverte
de gravures exceptionnelles. Elle se situait au
sommet d’un mont non loin du village. La jeune
femme lui remit quelques photos en lui demandant
de leur envoyer les clichés par courrier. Il s’en
occupa dès le lendemain matin.
— Woaoo... Serions-nous dans une boucle
temporelle ?
— J’y ai pensé... Lorsque je reçus les photos, je
me rendis chez Nicolas et Isabelle. Ils approuvèrent
tous deux l’étrangeté des symboles gravés dans la
roche et acceptèrent de partir au plus vite. Deux
jours plus tard, nous prenions l’avion pour Granada.
Afin d’assurer la salubrité et le confort de la
petite Vanessa, Manolo nous trouva un gîte dans
une hacienda non loin du village. Dès notre arrivée,
nous nous rendîmes au centre de recherches
scientifiques de Granada. Intéressés par cette
découverte, ils envoyèrent une équipe
d’archéologues pour nous seconder. Nous
découvrîmes la sphère et les hulliens, mais ça, tu le
251
Les survivants d’Hullia

sais déjà !
— Oui, ce matin, je me suis réveillé au moment
où Haltar vous fait visiter votre chambre et votre
rencontre avec Kaïla...
— Je vois… Nous sommes restés quelques mois
chez nos hôtes. Puis un jour, Nico décida qu’il était
temps de rentrer. Lorsque Kaïla apprit notre
prochain départ, elle vint me retrouver et m’avoua
son immense amour pour moi. Elle me supplia de
rester. Je dois avouer que j’étais follement attiré par
elle, et je me sentais très triste de devoir la quitter,
car j’avais peur de ne plus jamais la revoir.
Juste avant notre retour, Haltar m’expliqua que
les hulliens avaient en général l’esprit libertin, mais
aussi étrange que cela puisse paraître, ils ne peuvent
tomber amoureux qu’une seule fois dans leur vie. Et
lorsque ce sentiment s’installe, il ne s’estompe
jamais. En apprenant cela, Nicolas me conseilla de
revenir auprès d’elle. Je raccompagnais donc mon
beau-frère à notre époque, afin de dire au revoir à
ma sœur, puis avec l’approbation d’Haltar, je
revenais avec lui. Il me laissa devant chez Kaïla.
Elle venait de rentrer et sa porte était encore
ouverte. Je rentrais et la découvrais allongée sur son
lit. Je n’imaginais pas une seconde à quel point elle
se sentait effondrée. Elle était en larmes.
Lorsqu’elle me vit, elle se leva et se précipita dans
mes bras en m’avouant tout l’amour qu’elle
ressentait pour moi. Depuis ce jour, nous vivons
ensemble... Malheureusement, elle ne peut pas venir
à cette époque, son apparence et ses yeux la
252
Le Cristal des Dieux 1

trahiraient. Mais, avec son accord, je fais en sorte de


venir ici chaque fois que j’en ai l’occasion. Comme
tu dois savoir, le voyage dans le temps implique que
l’on peut rester à une époque pendant des jours, des
semaines, puis revenir au jour et à l’heure du départ.
Pour moi, par exemple, Kaïla ne souffrira pas de
mon absence. Pour elle, je ne serais pas parti.
— À présent, je le conçois...
— Nous avions convenu avec ses parents de nous
retrouver ici chaque année pour l’anniversaire de
Vanessa, qui coïncide avec les fêtes de Noël. Nous
nous retrouvions ici, dans cette cueva, puis nous
allions réveillonner chez José et María.
— Vanessa est née en décembre ?
— Oui, le vingt-cinq décembre exactement.
— C’est d’ailleurs à l’occasion de ces fêtes, en
particulier pour ses vingt ans, que Nicolas lui offrit
son cristal.
— Je me souviens de ce conseil. Vétül lui a dit
que ses radiations lui seraient bénéfiques... Serait-
elle tombée malade ?
— Son état de santé est irréprochable... grâce au
cristal.
— C’est fabuleux !
— Tout à fait... Il émane de ce cristal une énergie
bienfaisante pour les organismes vivants. C’est une
sorte d’énergie que les hulliens nomment Jiiran. Son
exposition prolongée favorise la régénération
cellulaire et possède l’étrange particularité de
modifier la couleur des yeux de leurs possesseurs.
Sur les humains, les yeux prennent une couleur
253
Les survivants d’Hullia

émeraude, tandis que chez les hulliens adoptent une


diversité de couleurs aux variations extraordinaires.
— Voilà le pourquoi de vos yeux et ceux de
Nicolas.
— Tout à fait... Vanessa et Nicolas avaient les
yeux bleus.
— Les vôtres étaient marron ?
— Tout à fait..., confirma Joaquín en
déboutonnant le haut de sa chemise. Il tira sur une
chaînette dorée, il y eut un scintillement bleuté.
C’était un cristal des dieux. Il ôta le joyau de son
cou et me le remit. Je tenais entre mes doigts une
des fameuses gemmes aux pouvoirs étranges. Un
frisson me parcourut le dos. J’étais fasciné par son
éclat. Ses facettes aux reflets irisés avaient un effet
de profondeur vraiment surprenant. Je lui remis le
cristal.
— Sa beauté est ensorceleuse. Ça fait presque
mal aux yeux !
— Si je te disais mon âge, tu ne me croirais pas.
— Dites toujours.
— J’ai quatre-vingt-dix ans.
— Et vous paraissez avoir la soixantaine !
— Ça, mon garçon, c’est le résultat des bienfaits
du cristal, de la nourriture et de l’hygiène de vie
hullienne. Mon espérance de vie a quasiment triplé.
— C’est fantastique !
— Oui, et il me tarde de retrouver Kaïla. Sais-tu
que nous avons huit enfants ?
— Huit ? Eh bien, félicitations !
— Merci, Tony. Je suis aussi grand-père de dix-
254
Le Cristal des Dieux 1

sept petits-enfants. De plus ma compagne ne vieillit


pas, ou très peu, si tu la voyais, elle est aussi jeune
qu’au premier jour.
— Comme j’aimerais rencontrer Kaïla, Haltar,
vos enfants et tout ce fabuleux monde. Je veux dire,
les voir de mes propres yeux.
— Si tu viens avec nous, tu les rencontreras...
C’est un Nouveau Monde. Tout y est fait pour que
la vie s’y déroule en toute simplicité. La complexité
de leur technologie est tellement élevée qu’elle
s’apparente à la magie.
— J’aimerais tant vous accompagner...
— C’est le pourquoi de ta présence ici... Si tu es
prêt, bien entendu.
— Je pense en effet que je me laisserais tenter par
cette éventualité.
— Sage décision, mon garçon... Tu sais, parfois,
nous abordions le thème de ton avènement et nous
parlions souvent de cet inconnu nommé Tony.
Nicolas m’avait donné une description assez précise
de toi, mais sans jamais me donner la date de notre
rencontre. Il me fit aussi promettre de ne pas
chercher à connaître la chronologie exacte, afin de
ne pas intervenir et risquer un changement
temporel. Nicolas me dévoila aussi une chronique
future qu’il avait découverte dans les archives
hulliennes, ainsi que ses étonnantes conséquences.
Je restais abasourdi par les rebondissements
qu’engendreraient ses propres actes, et là je compris
qu’il devait en être ainsi et pas autrement.
— Vous connaissez donc l’avenir... De quels
255
Les survivants d’Hullia

bouleversements parlez-vous ?
— Pour nous, voyageur du temps, il nous est
interdit de dévoiler, d’influencer ou de changer le
cours de l’histoire.
— Je comprends et je respecte cette idée... Je ne
demanderais rien, même si l’envie me démange.
— « Ton choix est très responsable. Pour en
revenir à mon histoire, mon beau-frère m’expliquait
qu’il parcourrait le monde afin de rassembler et
comparer les traces des hulliens avec les légendes
qui sillonnent l’histoire et leurs impacts dans
l’évolution de l’humanité.
Dès son retour en France, c’était en 1995, il
rédigea un exposé archéologique sur les peintures
ancestrales. Puis se mit en tête d’étudier la
physique. Grâce à ses connaissances et son
immense capacité mémorielle, il obtint une licence
en sciences physiques et mathématiques. Il
décrocha plusieurs Masters et doctorats, réalisa une
thèse sur l’anthropologie moléculaire et une autre
sur les applications théoriques concernant
l’inversion quantique des électrons et des positrons.
Un jour, un scientifique particulièrement
intéressé par ses travaux lui proposa de
l’accompagner à Genève afin de procéder, sous ses
conseils, à quelques essais dans le grand
accélérateur de particules. Nicolas accepta et
déménagea à nouveau. Quelques années plus tard, il
mit au point un microprocesseur quantique à
mémoire évolutive. Il comptait le coupler à un
puissant ordinateur. En réalité, il venait de créer un
256
Le Cristal des Dieux 1

amas de cellules neuronales sensorielles


synthétiques capable d’interagir entre elles de façon
quantique. Il avait créé une intelligence artificielle
basée sur les composants cristallins des modules
hulliens.
C’est lors d’une conférence qu’un certain colonel
Ryder, responsable d’une équipe scientifique
militaire, demanda à le rencontrer. Celui-ci se
montra très intéressé par ses recherches, et lui
proposa de travailler dans ses services. Il lui
expliqua vaguement ses intentions en lui promettant
un revenu colossal et un solde illimité pour les
acquisitions matérielles. Pensant au bonheur de sa
famille, Nicolas accepta... Il déménagea encore une
fois et s’installa à Toulouse.
En 2002, lors de notre rendez-vous annuel,
Vanessa annonça qu’elle avait réussi ses concours
et avait été admise dans un institut de formation
spécialisée dans le grand hôpital de la ville de
Granada. Et après trois longues années d’études et
de stages, elle reçut son diplôme d’état, devint
infirmière et obtint une poste dans la section
maternité. Tout allait pour le mieux pour cette petite
famille.
Et puis, je ne sais pourquoi, il y a quelques mois,
j’ai ressenti le besoin de revenir ici avant la date
prévue. J’ai donc demandé à Haltar de me ramener
quelques mois à l’avance afin de passer un peu de
temps avec la famille et quelques amis. Dès mon
arrivée, j’ai contacté Nicolas et lui demandais de me
rejoindre comme d’habitude pour les fêtes de fin
257
Les survivants d’Hullia

d’années avec sa femme et Vanessa. Il me répondit


qu’il était enchanté de mon appel et qu’il lui tardait
de nous réunir.
Mais, il y a quinze jours, tout bascula... En
rentrant chez lui, Nicolas trouva son bureau et son
laboratoire personnel sens dessus dessous. Il
retourna sur son lieu de travail, et remarqua le
parking bondé de véhicules noirs aux plaques
militaires. Il entra incognito et s’approcha de la salle
de conférence... c’est en se connectant au réseau de
télésurveillance qu’il surprit une réunion entre le
colonel et une dizaine de membres de l’armée. Il
leur exposait les études de Nicolas et extrapolait sur
un étrange objet au pouvoir colossal capable de
modifier la composition de la matière... Et qui
d’après lui, serait la fabuleuse pierre philosophale.
Il étalait devant lui, des documents concernant ses
recherches archéologiques et des photos
représentants des gravures et divers objets amassés
par le professeur.
Nicolas bouleversé fut pris de terreur en
imaginant ce que l’armée ou un esprit malsain
pourrait faire s’ils venaient à découvrir quoi que ce
soit sur les hulliens, les modules, mais surtout le
cristal.
Il rentra immédiatement chez lui pour chercher
Isabelle, puis ils s’enfuirent de la maison et se
réfugièrent dans un hôtel hors du département. Mais
Ryder et son bras droit les retrouvèrent rapidement
et les ramenèrent à la base.
Devant leur réticence, ils le malmenèrent sans
258
Le Cristal des Dieux 1

retenue afin de le forcer à dévoiler ses secrets.


Jusqu’au moment où, contrariés, ils jetèrent leur
dévolu sur Isabelle. Ces salauds la maltraitèrent.
Nicolas assista, impuissant, aux châtiments que son
homme de main délestait sans pitié sur ma pauvre
sœur. Ne supportant plus de la voir souffrir, il les
supplia de la libérer en échange de sa complète
soumission. Ryder obtempéra et la relâcha.
Malheureusement, ma sœur sombra dans un
profond coma puis succomba d’une hémorragie
cérébrale.
C’est à ce moment-là qu’il me contacta et me
révéla ses malheurs. Je lui proposais de lancer un
signal temporel afin de contacter Haltar. Il me
répondit qu’il en était incapable, car il l’avait offert
le cristal à sa fille quelques années auparavant.
Il me demanda de rejoindre Vanessa au plus vite
afin de la protéger.
Je me rendis à Granada pour expliquer à ma nièce
ce qui s’était passé. Elle s’effondra. En réalité, ses
parents lui avaient toujours caché la vérité, afin de
ne pas la perturber. Je décidais qu’il était temps de
lui avouer toute l’histoire. Je la priais de s’installer
sur le divan afin de pouvoir lui parler du cristal, des
modules, des hulliens, et que grâce aux voyages à
travers le temps, nous étions encore en mesure de
sauver sa mère.
Bien entendu, comme tu peux t’en douter, elle me
prit pour un demeuré. Je décidais donc de lui
montrer ceci. »
Joaquín posa une sorte de stylo sur la table.
259
Les survivants d’Hullia

Aussitôt des images holographiques


tridimensionnelles et criantes de réalisme
apparurent entre nous deux. Kaïla y apparaissait
toute souriante au bord d’une rivière, des enfants se
tenaient près d’elle en saluant. Ensuite des images
de la cité et des jardins défilèrent les unes après les
autres.
« Dans le doute, je lui demandais de me tendre le
bras et lui transformait sa gourmette d’argent en or
massif.
Elle accepta de me suivre jusqu’ici. Une fois à
l’abri, je contactais à nouveau mon beau-frère en
insistant pour qu’il me donne son emplacement, afin
de lancer un appel temporel de secours... mais il me
supplia de ne rien faire.
Sentant que j’allais certainement me mettre en
colère, il décida de me faire part de son plan en me
précisant qu’il avait besoin de moi. Il m’expliqua
que la date tant attendue était très proche, que les
conditions étaient presque réunies, et que je ne
pouvais l’aider qu’en protégeant sa fille.
Il m’avoua soudain qu’il connaissait le jour,
l’heure et le lieu exact de votre rencontre. Il prit son
véhicule et s’enfuit en évitant les autoroutes.
Lorsqu’il arriva dans le sud de la France, il me
contacta à nouveau en précisant qu’il se trouvait sur
la côte, près de Canet plage. Il tenta de me rassurer
en me disant qu’il était prêt à revenir vers nous s’il
considérait que tout danger était écarté, mais je
savais qu’il mentait à ce sujet.
Quelques heures plus tard dans la nuit, il
260
Le Cristal des Dieux 1

m’envoya un dernier message empli de désespoir et


de terreur. Il me dit que Ryder l’avait retrouvé, que
sa voiture devait certainement dissimuler une balise
électronique. Il me supplia de dévoiler ton identité
à Vanessa, afin qu’elle puisse m’aider à
communiquer avec toi.
Il m’expliqua ton parcours et me transmit les
moments précis où je devais intervenir à travers ton
module. Puis la communication s’interrompit
brusquement.
Le reste fait partie de ton histoire… Tu tentes de
secourir un vieil homme agonisant sur le bord d’une
route, et c’est ainsi que tu fais irruption dans notre
vie. »
— Oui, cette soirée était horrible... tout était donc
écrit à l’avance… De ce fait, Nicolas savait que
j’allais tenter de le secourir... Le passé, le présent,
le futur… tout est relié... c’est fascinant. Je me
souviens d’un message provenant du futur lorsque
vous étiez dans la cité. D’après vous, qui lui aurait
envoyé ?
— Je n’en ai aucune idée, mais ne t’inquiète pas,
nous le saurons un jour. Le plus important est que
tu sois là !
— Vous avez raison, mais c’est intrigant... J’ai
l’impression que quelqu’un a manipulé les choses à
travers le temps. La gemme dans le tombeau, la
sphère temporelle figée dans le temps pendant des
milliers d’années avec ce message à votre attention.
Ça dépasse ma compréhension.
— C’est ce qu’a dit Vanessa devant toutes mes
261
Les survivants d’Hullia

révélations. Elle a eu énormément de mal à réaliser,


mais tout s’est éclairci dans son esprit au moment
où je lui ai parlé de toi.
— Comment ça ?
Il nous reversa une dose de liqueur.
— Je lui ai expliqué qu’on attendait quelqu’un
depuis des années et que le moment de la rencontre
était arrivé. D’ailleurs, sans que je lui dise quoi que
ce soit d’autre, elle te nomma.
— Elle était au courant de ma rencontre avec son
père ?
— Je dois avouer qu’elle a grandi en assistant à
certaines de nos conversations. Du coup, je lui ai
expliqué qui tu étais vraiment et comment malgré
toutes ces années durant lesquelles elle avait
entendu parler de toi, tu étais toi-même loin
d’imaginer ton aventure future.
— Je confirme vos dires, j’en étais vraiment
loin... Et de votre côté, pour renforcer les actes de
Nicolas, vous me faisiez parvenir des images d’une
jeune femme que je prenais pour un ange gardien.
Savez-vous que je doute encore de son existence ?
— Mon ami, cet ange est Vanessa. Et elle, ainsi
que tout le reste sont bien réels.
— Je la voyais parfois avec une légère
transparence, parfois entourée d’une aura.
— Les images mentales que l’on projette donnent
souvent cette impression de transparence, elles se
forment dans notre mental, se visualisent par notre
cortex visuel et se confondent avec la réalité
visuelle. Heureusement que ton module n’était pas
262
Le Cristal des Dieux 1

en mode sécurisé, je pouvais recevoir les images de


tes situations. Je voyais et savais où tu étais, mais
comme je voulais éviter de te perturber avec une
voix off masculine résonnant dans ta tête, je donnais
des instructions à Vanessa et la regardais afin que tu
puisses la voir. C’était une idée de Nicolas !
Cependant, je regrette de ne pas avoir pu te prévenir
lorsque tu étais à l’hôtel, j’ai pourtant essayé, mais
tu ne recevais plus mes signaux. Certainement à
cause de la saturation du module.
— Effectivement, j’avais une horrible migraine.
En revanche les autres fois, je ressentais des
intuitions, comme cette forte envie de venir vers le
sud. C’était comme si une voix intérieure parlait au
fond de moi. Je percevais des mots, des phrases et
tout cela se mélangeaient à mes propres pensées. Je
dois avouer qu’à plusieurs reprises, l’image de
Vanessa m’a sauvé la vie. La première fois, ce fut
dans un parking. Ensuite, au fond d’une rivière
sombre et tumultueuse. Plus tard, elle me désigna
un cabanon pour que je puisse me mettre à l’abri.
Tiens, en parlant de cet évènement-là, j’ai appris
quelque chose d’étrange chez le couple qui m’a
recueilli. Leur enfant a disparu il y a quelques
années. Il avait, semble-t-il, un pendentif étrange
dont la description fait penser aux cristaux. Mais il
n’y avait pas que ça, j’ai vu son portrait, son visage
me semblait étrangement familier...
— Effectivement, c’est très surprenant..., dit-il en
se levant. J’ai envie d’un café. En veux-tu un ?
Tandis qu’il servait les boissons chaudes, son
263
Les survivants d’Hullia

regard semblait se perdre dans ses pensées.


Me cacherait-il quelque chose ?

264
Le Cristal des Dieux 1

VANESSA

Joaquín se retourna, me regarda et me fit signe de


ne rien dire.
Quelques minutes plus tard, un des rideaux
s’écarta et l’ange m’apparut à nouveau.
— Holà, tío Joaquín, dit-elle en plissant ses yeux
et coiffant d’une main ses longs cheveux blonds.
— Buenos dîna, Vanessa... tu as bien dormi ?
demanda-t-il.
— Très bien.
— J’ai invité un ami à prendre le café, dit-il en
me désignant des yeux.
— Hola, me dit-elle sans trop me regarder.
Excusez-moi... Je ne suis pas très présentable !
— Buenos días señorita, lui répondis-je, intimidé
par sa beauté.
Son regard émeraude était incroyable. Elle se
reprit et regarda son oncle d’un air inquiet.
— Joaquín, as-tu réussi à communiquer avec lui ?
— Oui, je pense qu’il n’est pas loin, en ce
moment..., répondit-il en lui tendant deux cafés. Je
vis son visage s’attrister tandis qu’elle posait les
tasses sur la table.

265
Les survivants d’Hullia

— J’espère qu’il ne lui est rien arrivé entre


temps...
— Non Vanessa, ne t’inquiète pas... Il va très
bien.
— Je sais, tonton, mais je me fais du...
— Voyons, regarde-moi... Tu as encore rêvé de
lui, n’est-ce pas ?
Elle détourna et baissa son regard afin d’éviter le
sien. Je remarquais soudain ses yeux légèrement
rougis.
— Comment sais-tu ça ? demanda-t-elle d’un air
étonné.
— Tu es toujours un peu ailleurs lorsque c’est le
cas... Tu as donc encore rêvé de mon ami, lui
annonça Joaquín en me désignant des yeux.
— Que dis-tu ? Mais non, voyons ! répondit-elle
en esquissant un mouvement négatif de la tête.
La jeune femme me regarda en fronçant ses
sourcils. Je vis ses pupilles se dilater démesurément.
Elle se tourna vers son oncle avec un air interrogatif.
— Je t’ai dit qu’il n’était pas loin ! répondit-il en
souriant.
Elle se tourna à nouveau vers moi.
Il me sembla entrevoir une lueur dans ses
magnifiques yeux verts.
— Por Dios… Eres Tony ? Pardon, tu es Tony ?
Je me levais et lui tendis la main.
— C’est bien moi ! lui dis-je en souriant. Je suis
heureux de... de te revoir !
Je sentis son hésitation. Je ne savais pas si elle
allait s’avancer vers moi, ou retourner dans sa
266
Le Cristal des Dieux 1

chambre. Finalement, encore confuse, elle s’avança


et me serra la main.
— Depuis quand es-tu là ? Joaquín m’avait dit
que tu arriverais dans le courant de la journée... Et
toi, Joaquín, pourquoi ne m’as-tu pas réveillé ?
— Il est arrivé tard dans la nuit. Je voulais le
faire, mais tu avais besoin de repos.
— Tu aurais dû, voyons... Je suis encore à moitié
endormie !
— Désolé, c’est ma faute, lui dis-je. J’ai insisté
pour qu’il te laisse dormir !
— Mais non... je lui ai demandé de me prévenir
avant ton arrivée... D’accord, je le gronderais plus
tard, dit-elle en souriant. Elle se ressaisit, effleura
son visage d’une main. Excusez-moi... Je reviens...
Elle fit quelques pas vers le couloir de l’entrée,
s’arrêta, se retourna et me regarda à nouveau. Elle
me sourit, baissa les yeux, puis sortit de la maison.
Je la suivis du regard jusqu’à ce qu’elle ferme la
porte.
— Joaquín, puis-je avoir encore de cette
délicieuse liqueur ? J’en ai vraiment besoin...
— Je t’en prie, dit-il en me servant. C’est une
jolie fille, n’est-ce pas ? demanda Joaquín en
esquissant un sourire.
— Un ange... Elle a un visage d’ange...

Nous sortîmes de la cueva afin de laisser un peu


d’intimité à la jeune femme au moment où elle
sortirait de la salle de bain.

267
Les survivants d’Hullia

La fraîcheur matinale me fit frissonner. Le sol


était recouvert d’une gelée blanchâtre, translucide,
qui par endroits commençait à fondre sous les
rayons du soleil levant.
Nous étions au bord du terre-plein. J’entendais le
bruit de la petite rivière coulant en contrebas. La vue
était imprenable. Sur ma gauche et en amont, je
voyais un grand verger d’oliviers s’étendant
jusqu’au sommet d’une colline. Sur ma droite,
diverses plantations sillonnaient et quadrillaient les
terrains alentour.
— Il fait frais dehors ! lui dis-je. C’est incroyable
comme il peut faire bon dans cette cueva.
— La terre est un très bon isolant..., m’expliqua-
t-il. En été, il y fait environ 23°, et l’hiver ça ne
descend jamais en dessous de 17°. Je me suis
penché sur leur histoire dans ma jeunesse. Certaines
de ces habitations remontent jusqu’au néolithique,
et leur histoire est assez chaotique. D’abord
occupées par les Wisigoths, un peuple germanique
qui envahit une grande partie de l’Hispanie romaine
jusqu’à la conquête des berbères musulmans de 711
à 1492. Ce sont ces derniers qui nommèrent ces
terres al-Andalus.
— D’où cette culture dite arabo-andalouse...
Vous avez assisté à de bien étranges révélations
dans votre vie, Joaquín. Ce village fait vraiment
contraste avec la cité hullienne et son avance
technologique.
268
Le Cristal des Dieux 1

— À ce sujet... Vois-tu cette ruine là-haut ?


demanda-t-il en désignant du doigt un haut mont
pelé de l’autre côté de la vallée au sommet duquel
dominait une tour à moitié détruite.
— Elle fut construite par les Maures durant
l’occupation de l’Andalousie. Eh bien, c’est à cet
endroit précis que s’élevait une culminante tour de
cristal. De ses flans partaient d’immenses
passerelles reliant les six autres tours qui
encerclaient la cité de Vandahills.
— L’Atlantide !
— Exactement... Elle fut bâtie autour des jardins
hulliens après que le vaisseau mère quitte son
époque. Si nous étions à la fin de l’ère pléistocène,
nous percevrions la cité d’ici-bas comme un
immense halo lumineux dans le ciel. Évidemment,
le décor environnant n’était pas du tout le même. Il
y a 15 000 ans, un puissant raz de marée a dévasté
la région.
— Tout ça cause de cet ignoble Yzil... C’est
donc, c’est ici, dans ces contrées, que vivaient les
concepteurs de l’humanité... J’ai toujours du mal à
concevoir que les dieux de toutes les légendes et
croyances du monde étaient des êtres venus des
étoiles...
— Excuse-moi de te couper la parole, mais tu
viens de me faire penser à quelque chose. Suis-
moi...
Nous empruntâmes un chemin cimenté adjacent
au petit bâtiment qui servait de salle de bain. Une
vingtaine de mètres plus loin, je découvrais une
269
Les survivants d’Hullia

grande et profonde cavité rectangulaire creusée


dans la paroi de terre argileuse. À l’intérieur se
distinguait une vieille charrette poussiéreuse
affublée d’immenses roues en bois aux cerclages de
métal rouillés. Elle ne devait plus servir depuis des
lustres, comme le suggérait son état général. Ses
brancards reposaient sur deux tonneaux en chêne.
Nous arrivâmes à une bifurcation, un des chemins
descendait jusqu’à la petite rivière et continuait au-
delà. L’autre semblait monter jusqu’à un autre terre-
plein. Je pouvais y apercevoir une habitation
troglodyte. La cueva semblait abandonnée. La
peinture blanche de sa façade s’écaillait par endroit,
laissant apparaitre la terre argileuse.
— Le niveau de l’eau a baissé, je pense que José
pourra passer avec son véhicule, remarqua Joaquín
en désignant le cours d’eau.
— C’est ce qu’il m’a dit... il n’a pas osé y passer
cette nuit.
En nous approchant de la cueva, une odeur assez
particulière arriva jusqu’à nous.
— Ce sont les porcs, précisa Joaquín. José utilise
cette ancienne cueva comme porcherie. Il y a une
dizaine de porcs là-dedans. Attends-moi ici, tu
pourrais souiller tes habits.
Joaquín ouvrit la porte, entra et referma le battant
inférieur derrière lui.
— Pas de soucis, lui répondis-je en jetant un coup
d’œil par-dessus le battant.
Les animaux étaient en liberté dans la cueva. Un
porcelet s’approcha de l’entrée, me regarda avec
270
Le Cristal des Dieux 1

curiosité et renifla l’embrasure de la porte avec son


groin humide et bruyant. Joaquín revint en marchant
sur le chemin composé de planches de bois qui
traversait la porcherie.
Il tenait un petit paquet en carton dans ses mains.
— Ça a l’air immense, là-dedans.
— Effectivement, il y a encore cinq autres
grandes pièces comme celle-ci. Les montagnes dans
le coin sont de vraies termitières, dit-il en poussant
le jeune porcin afin de pouvoir refermer la porte.
— Si je devais chercher quelque chose, ce serait
bien le dernier endroit où je viendrais fouiller, c’est
certain.
— Justement... Viens. Je te montrerais ça à la
maison. Vanessa a certainement fini. Il ne va pas
tarder à pleuvoir, l’orage semble tout près.

Nous redescendîmes le sentier. C’est en arrivant


aux abords de la cueva que j’eus une agréable
surprise. Vanessa était dehors et nous attendait sous
le porche. Son visage était radieux, elle s’était
légèrement maquillée, ce qui accentuait la couleur
de ses yeux. Ses cheveux étaient coiffés et
harmonieusement ondulés. Elle était vêtue d’une
veste de randonnée et d’un blue-jeans.
Elle nous regardait en souriant.
— Où étiez-vous donc passés ? demanda-t-elle.
Je me suis inquiété.
— Joaquín m’a fait visiter la porcherie. Il y a une
pièce vide au fond. Il voudrait que j’y emménage
dans la journée, lui dis-je en plaisantant.
271
Les survivants d’Hullia

— Ce sera plus pratique, reprit Joaquín en


suivant la plaisanterie. Je lui ai dit que nous serions
un peu à l’étroit dans la maison, je lui ai donc
montré la chambre d’invité dans la porcherie.
— Ne t’inquiète pas Joaquín, l’odeur est un peu
incommodante, mais ce n’est qu’une question
d’habitude.
— Mais, arrêtez... Je trouve ça ignoble ! protesta
la jolie Vanessa en ébauchant une grimace.
Elle me regarda et sourit à nouveau.
« Quelle superbe créature ! » me dis-je.
— Je suis de ton avis, jeune homme..., me dit
soudain Joaquín.
— À quel sujet ?
Il s’approcha et me chuchota à l’oreille.
— Tu penses tout haut, mon garçon !
— Bon sang, je ne m’y ferais jamais ! J’avoue
que c’est un peu gênant...
— De quoi parlez-vous ? demanda la jeune fille
qui avait suivi la scène et remarqué les regards
pointés sur elle.
— Rien de spécial... Je t’en parlerais plus tard,
répondit-il en me lançant un clin d’œil.

Joaquín sourit à nouveau, puis entra dans la


cueva. Je restais là sans mot dire, et un peu
confondu. Je n’étais pas habitué au fait que l’on
puisse lire mes pensées. Cette faculté de
communication extrasensorielle me dépassait
complètement. À l’avenir, je devrai faire plus
attention... Il avait parlé de sécuriser mon module,
272
Le Cristal des Dieux 1

je devrais lui demander comment activer cette


fonction.
Vanessa était toujours là, elle me regardait
attentivement.
— Nous irons manger chez José et Maria tout à
l’heure..., me dit-elle. Tu verras, ce sont des gens
adorables.
— Je trouve aussi..., lui répondis-je en
acquiesçant.
— Tu les connais ? demanda-t-elle en fronçant
les sourcils.
Je sentis une goutte de pluie sur ma joue, ce qui
me décida à bouger.
— Oui, c’est José qui m’a accompagné chez
vous.
— Je vois... Il commence à pleuvoir. Rentrons !

Joaquín ouvrit le carton et en sortit une petite


boite ressemblant à une briquette de verre obscur. Il
la posa sur la table, puis plaça ses mains autour. La
partie supérieure ondula et se désagrégea en
dévoilant son contenu. À l’intérieur, soigneusement
rangé dans une sorte de mousse bleue, se trouvaient
trois modules.
— Le module que tu m’as remis était celui de
Nico..., expliqua-t-il. Cependant, il avait toujours
sur lui un second module non connecté dont il se
servait afin de libérer la mémoire du sien. C’est
celui que tu as sur toi... Je peux le vider de son
contenu, ça te permettra de l’utiliser à pleine
puissance. Qu’en penses-tu ?
273
Les survivants d’Hullia

— Ne pourrait-on pas l’ôter carrément ?


— Ce n’est pas si simple, Tony... Je te
recommande de le vider de son contenu.
— Nicolas a pourtant enlevé le sien...
— À voir l’état des connexions, je pense qu’il l’a
carrément arraché de sa nuque..., dit-il en regardant
Vanessa. Il a certainement dû souffrir pendant
l’extraction.
— J’ai aussi tenté d’arracher le mien... mais j’ai
aussitôt arrêté mon geste.
— Et tu as eu raison, car les risques névralgiques
auraient été irréversibles. Seuls les hulliens
sauraient te l’enlever sans crainte. Ils injectent une
substance répulsive qui déconnecte les
ramifications neuronales artificielles, sans danger,
bien entendu.
— Je préfère supposer que papa a utilisé cette
substance répulsive..., dit Vanessa tristement.
— Je l’espère aussi, ma puce... car il ne faut pas
oublier que la connexion est profonde. Les hulliens
ne les enlèvent jamais. Sauf pour remplacer les
anciens appareils et adopter les nouveaux modèles.
Les connexions de ces derniers génèrent des
nanites bio-organiques à fréquence quantique. Ils
les nomment néonanites. Je ne pourrais pas très bien
t’expliquer leur conception.... Je sais seulement
qu’elles sont organiques et qu’elles sont capables de
produire une énergie exponentielle.
— Je m’en souviens... les hulliens ont expliqué
les nouvelles fonctions. Vous en possédez un aussi ?
— Non, car ils sont en phase de test et n’ont
274
Le Cristal des Dieux 1

jamais été testés sur des humains.


— J’ai donc en moi des nanites... J’espère que ce
ne sont pas les quantiques...
— Logiquement non... Les modules sont-ils
identiques ?
— Non, la couleur et la forme diffèrent quelque
peu, le mien est plus fin et transparent.
— C’est vrai ? demanda-t-il en se levant d’un air
étonné.
Il observa ma nuque, puis revint s’asseoir. Il
sembla réfléchir.
— C’est un nouveau ! C’est ça ?
— Oui.
— J’ai donc servi de cobaye...
— Je ne dirais pas ça... mais je trouve ça
étonnant... Mais je pense que Nico avait
certainement des raisons de le faire...
— J’espère seulement qu’il s’est bien renseigné
sur la compatibilité humaine.
— Je l’espère aussi, dit Vanessa avec une
certaine inquiétude dans le regard.
— Lui seul a eu droit aux archives futures... Je
pense qu’il a dû se renseigner.
— C’est exact, mais ce qui m’inquiète, c’est que
j’ai en moi des trucs vivant artificiels...
— Je sais, mais dis-toi que nous avons tous des
centaines de milliards de bactéries vivantes dans
notre tube digestif, et nous ne pourrions vivre sans
elles.
— Ce n’est pas faux...
— D’après les scientifiques, les néonanites sont
275
Les survivants d’Hullia

bénéfiques parce qu’elles sont capables de soigner


et de réparer l’organisme qui les accueille.
— Je comprends à présent la rapidité de guérison
de ma blessure à la tempe, dès le lendemain je
n’avais plus aucune trace.
— Ce qui signifie qu’elles sont fonctionnelles.
Tu devras passer des examens, mais tout porte à
croire qu’il n’y a aucune incompatibilité.
— Pourraient-elles accélérer notre métabolisme
et faire en sorte que l’on puisse se mouvoir très
rapidement ?
— Heu... Je n’en sais rien. En aurais-tu fait
l’expérience ?
— C’est ce que j’ai ressenti...
— Étonnant... Je me renseignerais en rentrant.
Veux-tu que l’on tente de vider ce module ?
— Allons-y.
Joaquín saisit un module vierge et se plaça
derrière moi.
— Tu vas ressentir un léger malaise, mais ça
disparaîtra assez vite. Nous allons en quelque sorte
formater ton module de la même façon qu’un disque
dur ou une clé USB. Mais ne t’inquiète pas, tout ce
que tu as vu et vécu se trouve dans ta mémoire. Tu
pourras te souvenir de tout, avec ou sans l’appareil.
Naturellement, avec le module les souvenirs seront
un millier de fois plus précis. Sans compter sur ses
prodigieuses capacités sensorielles que tu
découvriras au fil du temps. Es-tu prêt ?
— Oui... Si ça ne me lobotomise pas...
Je sentis ses doigts tripoter l’appareil mémoriel
276
Le Cristal des Dieux 1

sur ma nuque. Une vibration, comme celles que


j’avais l’habitude de ressentir, résonna dans ma tête.
J’éprouvais soudain une étrange sensation
nauséeuse, mais elle ne dura que quelques secondes.
— C’est terminé ! Comment te sens-tu ?
— Bien... C’était rapide !
— Je te l’avais dit, précisa-t-il, en me présentant
le nouveau module. Tout est là-dedans à présent.
Nous donnerons les modules aux hulliens pour
analyse. Tu as désormais un immense stock de
mémoire vide en réserve, cela te permettra d’utiliser
le module au maximum de sa capacité. Tu
t’apercevras assez rapidement de sa phénoménale
puissance, tous tes sens vont être décuplés, ta vue,
ton ouïe seront plus sensibles, tes pensées plus
rapides et avec le temps elles deviendront multiples.
— Comment ça, multiples ?
— C’est à dire que tu pourras faire plusieurs
choses en même temps, par exemple calculer un
problème mathématique, tandis que tu lis un
bouquin, en suivant un programme télé, tout en
ayant une ou plusieurs conversations.
— Woaoo... Ça paraît invraisemblable !
— Sans compter la projection et la réception de
pensées et d’images mentales. Je parie que dans
quelques heures tu changeras d’avis au sujet de son
extraction.

Je me demandais si ça fonctionnait aussi bien


qu’il le prétendait. Je tentais de me rappeler
quelques passages de mon enfance en cherchant
277
Les survivants d’Hullia

quelque chose de très ancien. À ma grande surprise,


dès que je trouvais un repère, tout un flot de
souvenirs me vint à l’esprit.
C’était incroyable, je vis instantanément des
scènes lointaines et oubliées... je me voyais dans un
berceau, dans un landau, dans les bras de ma mère.
Je vis mon père qui me souriait et me faisait des
mouvements avec ses doigts. Des images, des sons,
des odeurs perdues et enfouies quelque part au plus
profond de ma mémoire. Le module était allé
farfouiller dans des neurones inactifs et les avait
activés, faisant surgir des tréfonds de ma
conscience, cette multitude de souvenirs égarés ou
mis à l’écart par le poids des années et des
évènements qui se succèdent et s’entassent. Je repris
mes esprits et revins à l’instant présent.
— C’est prodigieux, jamais je n’aurais pu me
remémorer de ces choses-là... Je suis allé très loin,
j’ai retrouvé des souvenirs et des sensations alors
j’étais tout juste un bébé.
— Je te l’avais dit !

Joaquín rangea le module dans la boite en


souriant. Vanessa le regarda faire. Elle avait assisté
à toute la scène sans dire un mot. Elle redressa son
buste, posa ses mains sur ses hanches et s’adressa
au vieil homme.
— Dis-moi, pourquoi m’as-tu caché ces
modules ? Tu avais peur que je t’en demande un ?
— Exactement, car recevoir cet appareil n’est pas
de tout plaisir. Seuls les hulliens peuvent les poser
278
Le Cristal des Dieux 1

et les ôter sans souffrance !


— Tu crois que je ne suis pas assez forte, c’est
ça ? répliqua-t-elle. Tony, et toi, qu’en penses-tu ?
— Je confirme ses dires. Au moment de
l’implant, la douleur m’a fait perdre connaissance.
J’avoue que je m’en serais bien passé.
— Je suis vraiment désolé, Tony... Nicolas
n’avait pas le choix, c’était une urgence, me dit
Joaquín chagriné.
— Je comprends Joaquín, ne vous en faites pas.
— Merci... Seuls les hulliens peuvent éradiquer
cette douleur. Ils injectent des analgésiques pour
annuler l’effet causé par l’implantation et la
décharge électrique engendrée par les connexions
neuronales...
— Ça, en revanche, je m’en souviens encore !
— Je m’en doute, dit-il en prenant la boite.
Il se leva et entra dans sa chambre.
Vanessa me regarda d’un air bizarre.
— Alors... tu te sens différent ?
— Sincèrement pas du tout. Bien au contraire,
jamais je ne me suis senti aussi bien.
— J’en veux un..., soupira-t-elle.
À cet instant, Joaquín sortit de la chambre.
— Vous êtes prêts ? José est là !
— Il vous a appelé ? lui demandais-je étonné.
— Ne ressens-tu pas sa présence ?
— Heu... non...
— Il est en train de traverser la rivière.... Disons
que je le perçois. Comme tu dois le savoir, tous les
êtres vivants dégagent une aura, une sorte d’énergie.
279
Les survivants d’Hullia

Il y a aussi le son et diverses odeurs, comme les


phéromones en particulier. Celles-ci sont une
signature consubstantielle à chaque individu. Notre
système limbique, souvent nommé cerveau primitif
les détecte, mais nous n’en sommes
malheureusement pas conscients. Le module
augmente ces sens que nous avons perdus au cours
de notre évolution. Tu n’as qu’à tenter de sentir la
personne qui va bientôt arriver. Si tu l’as déjà
côtoyé, tu la reconnaîtras, car sans t’en rendre
compte, tu as toutes ses données dans ta mémoire.
Dans le cas contraire, tu sauras que c’est un
inconnu.
Je regardais la porte en respirant profondément.
Et je ne sais par quel miracle, je savais que c’était
José.
— Je ne sais pas si c’est réel, mais j’ai l’intime
conviction qu’il se trouve juste devant la...
À cet instant, quelqu’un frappa à la porte. Je
sursautais. Joaquín laissa échapper un petit rire.
— Va donc lui ouvrir ! dit-il en endossant sa
veste.
— Et voilà, tu comprends à présent pourquoi j’en
veux un..., lâcha Vanessa en me regardant.
José entra tout souriant.
— Holà !
— Holà, José, tu as réussi à passer par le
ruisseau ? demanda Joaquín.
— Oui, j’ai laissé le Land un peu plus bas. Vous
êtes prêts ? Au fait, si ça vous dit, María serait
heureuse que vous nous accompagniez au bal du
280
Le Cristal des Dieux 1

village ce soir.
— Oui ! répondit Vanessa émue.
— Nous devons éviter la foule, par sécurité !
rétorqua Joaquín. Il y a trop de monde, et ça peut
être dangereux. Nous irons juste dîner chez José,
ensuite nous rentrerons.
— Il a raison, Vanessa, lui dis-je. Qui sait ce qui
peut arriver si l’on se trouve à découvert...
— Joaquín, c’est peut-être notre dernière soirée
ici. Le village est petit, nous connaissons tout le
monde. Et tu sais très bien que s’il y a des étrangers,
José ou Pepito, nous préviendrons assez
rapidement. Et d’après ce que tu as expliqué, le
module de Tony est pleinement fonctionnel, vous
sentirez le danger bien avant qu’il arrive.
Joaquín me regarda. Mais ce fut José qui
répondit.
— Je ne sais pas de quoi vous parlez, mais elle a
raison ! dit José
— Effectivement, vue de cette façon..., acquiesça
Joaquín. De toute façon, ma nièce a toujours raison !

281
Les survivants d’Hullia

282
Le Cristal des Dieux 1

LE BAL DU VILLAGE

La paella était un vrai délice. José nous avait sorti


deux bouteilles de Rioja, provenant de sa réserve
personnelle. Le dîner s’était prolongé dans la bonne
humeur tout au long de l’après-midi. Il était presque
dix-huit heures lorsque nous sortîmes de table. José
et Joaquín s’étaient installés sur le canapé, et
regardaient un match de football sur le grand écran
du salon. María resta à table avec nous.
— Quel magnifique couple vous faites ! lança-t-
elle en nous considérant.
Vanessa se sentit intimidée par cette remarque.
— Merci, mais nous ne sommes pas ensemble.
Souvenez-vous, nous nous sommes rencontrés ce
matin, lui répondis-je, un peu gêné.
— Je sais, Tony, mais c’était écrit.
— Que voulez-vous dire ?
— En fait… intervint Vanessa visiblement
confuse. María est un peu voyante… et aussi ma
confidente. Je lui ai expliqué que j’attendais…
pardon... que l’on attendait quelqu’un depuis

283
Les survivants d’Hullia

quelques jours.
— Ou depuis la nuit des temps..., continua María.
Elle regarda la jeune femme d’un œil coquin, puis
me regarda à mon tour en esquissant un petit
sourire.
— Vous entendez cette musique ? demanda
Vanessa, pour détourner la conversation.
La jeune femme se sentit visiblement
embarrassée par les mots de son amie.
— Oui, le bal a commencé... Dis-moi, ma jolie,
tu devrais aller te changer. Tu as la salle de bain du
haut pour toi. Tu trouveras ce qu’il te faut sur le lit
de ma chambre.
— C’est la robe bleue ? demanda-t-elle d’un air
enthousiasmé.
— Oui, ma belle. Et moi je vais m’occuper de ce
beau prince.
— María, s’il te plait ! lâcha-t-elle en rougissant.
— Désolé... Allez, file te changer, ma grande.
Nous allons bien trouver quelque chose de correct à
lui mettre dessus. Venez, Tony... Ce soir, il faut que
vous soyez élégants. C’est la coutume ici.
María fouilla dans une penderie et me trouva une
chemise blanche, ainsi qu’une veste courte de style
Campéro Andalou. Elle me proposa de passer un
fajin, une sorte long foulard rouge que l’on enroulait
autour de la taille. Lorsque je me découvris dans le
miroir de l’armoire, je me rendis compte que j’avais
vraiment fière allure.

284
Le Cristal des Dieux 1

Sous prétexte qu’elles n’étaient pas encore


prêtes, María nous conseilla de partir avant elles, en
précisant qu’elles nous rejoindraient au pub.

La nuit commençait à tomber. Les lampadaires de


l’avenue et les maisons proches de la place du
village étaient garnis de guirlandes et d’ampoules
multicolores. Les haut-parleurs diffusaient des
chansons populaires. Les rues bordant la place
étaient bondées de passants. Il y avait des dizaines
de stands et buvettes ambulantes, où les repas et les
boissons fraîches se distribuaient à profusions. José
s’accouda au comptoir d’une buvette et commanda
trois bières. Je regardais, d’un regard captivé, les
personnes qui dansaient sur la place. Je me sentais
vraiment dépaysé et charmé.
Les femmes, les jeunes filles et les fillettes étaient
pratiquement toutes vêtues de robes à multiples
volants aux couleurs vives, typiques du folklore
andalou. Les hommes portaient des costumes
d’apparat. Et comme dans presque tous les bals, des
enfants agités courraient entre les danseurs.
Plus tard, José nous demanda de le suivre
jusqu’au pub. La lumière était tamisée et la musique
n’était pas trop forte. La salle, spacieuse, avait un
magnifique thème végétal. Les plantes tropicales
disposées autour de la salle étaient mises en valeur
par un éclairage occulté. Nous nous étions installés
sur un des divans près de la piste de danse. Joaquín
285
Les survivants d’Hullia

commanda des boissons.


Je dégustais un délicieux Cuba libre de rhum
Cacique en contemplant un couple en train de
danser du flamenco au rythme ensorceleur d’une
guitare andalouse.
C’est à ce moment-là que je sentis sa présence.
Mon cœur se mit à battre très fort lorsque mes yeux
se rivèrent sur l’entrée du pub. José et Joaquín en
grande discussion remarquèrent ma réaction et
suivirent mon regard.
La porte s’ouvrit quelques minutes plus tard,
deux garçons de service se présentèrent devant les
deux femmes qui venaient d’entrer et
s’empressèrent de les débarrasser de leurs
manteaux. Je vis d’abord María, superbement vêtue
d’une robe de gitane aux motifs noirs et blancs. Une
rose pourpre ornait ses cheveux noirs relevés en
chignon. Un des garçons sembla se clouer sur place
lorsque la jeune femme qui accompagnait Maria ôta
son manteau. Ce n’est que lorsqu’il reprit ses
esprits, qu’il se décida à lui prendre le manteau des
mains. Il s’écarta pour le ranger au vestiaire. C’est
à cet instant que je redécouvris la beauté à couper le
souffle de cet ange aux cheveux d’or.
Vanessa portait une robe de soirée en satin bleu
roi cintrée à la taille. Les reflets satinés de sa robe
dévoilaient ses courbes avec sensualité. Je ne
saurais dire le nombre de regards masculins qui se
tournèrent vers elle, lorsqu’elle s’avança dans la
salle. Sa chevelure dorée encadrait son merveilleux
visage. Ses yeux magnétiques et joliment maquillés
286
Le Cristal des Dieux 1

semblaient chercher quelqu’un dans la salle.


Lorsqu’elle m’aperçut, elle soutint mon regard
quelques instants, puis baissa les yeux, tandis
qu’elle faisait glisser entre ses doigts une mèche de
cheveux pour la placer derrière son oreille.
Je compris dès cet instant que ma vie et mon âme
lui appartenaient.

Les deux femmes se joignirent à nous. Je me


levais pour les inviter à s’asseoir. Vanessa, un
sourire aux lèvres, s’installa près de moi.
J’appelais le barman, et lui demandais de nous
resservir la même chose, et ajoutais un gin-fizz pour
María et un Bailey avec glaçons pour Vanessa.
Cinq minutes plus tard, le garçon revint avec un
plateau et déposa les boissons sur la table basse. Je
pris le verre de Bailey et je le tendis à la jeune
femme.
— Comment trouves-tu ce petit pub ? me
demanda-t-elle en prenant le verre.
— Parfait... l’ambiance est agréable. Mais bien
plus à présent. Je dois avouer que ton entrée m’a
beaucoup ému.
— C’est vrai ? Merci, c’est gentil.
— Oh, oui... D’ailleurs, il n’y a pas que moi que
tu as impressionné.
Elle jeta un coup d’œil dans la salle et remarqua
quelques regards masculins tournés vers elle.
— C’est souvent comme ça, répondit-elle d’un
air ennuyé.
— Et je les comprends... Il faut dire que tu es
287
Les survivants d’Hullia

resplendissante.
— Merci Tony... Tu es très élégant aussi. J’ai eu
du mal à te reconnaître.
— Tu trouves ? Heureusement que José avait à
peu près la même corpulence que moi, quelques
années plus tôt.
À cet instant, le disque-jockey envoya un
pasodoble. María se leva toute joyeuse... elle saisit
Vanessa par la main et l’entraîna sur la piste.

Pendant que je regardais les deux femmes danser,


mes yeux ne cessaient d’admirer la belle Vanessa.
Elle évoluait avec une aisance inouïe. Tout en elle
me plaisait, son visage, son buste, sa taille, sa chute
de rein aux courbes somptueuses et harmonieuses,
ses mains suaves aux doigts fins et agiles.

Il y eut une autre chanson de même style, puis les


deux femmes revinrent s’asseoir toutes essoufflées.
Quand il arriva une ballade mélodieuse. Joaquín,
qui était assis à ma droite, me donna un léger coup
de coude.
Sa voix résonna dans ma tête.
« Invite-la à danser, mon garçon. »
« Elle doit être éreintée, après ces quelques
danses mouvementées ! » lui répondis-je,
mentalement.
« Tony... Ne cherche pas d’excuses... »
« Vous avez raison ! » répondis-je en me levant.
Je me tournais vers la jeune femme et la contemplais
quelques secondes avant de tendre la main vers elle.
288
Le Cristal des Dieux 1

— Je cherche une cavalière, m’accorderiez-vous


cette danse ?
— Avec plaisir, jeune homme, répondit-elle en
saisissant ma main.
Elle se leva et m’accompagna jusqu’à la piste de
danse. Je la pris par la taille et elle posa ses mains
sur mes épaules.
Sentir la chaleur et la finesse de sa taille entre mes
mains me fit éprouver une étonnante sensation.
J’avais l’impression que mes doigts sentaient la
délicatesse de sa peau à travers le tissu de sa robe.
Son regard émeraude plongea dans le mien. Elle
se rapprocha davantage, puis ferma les yeux et
appuya sa joue contre la mienne. L’odeur de son
parfum m’envahit tandis que je ressentais la
douceur de son corps contre le mien.

Les heures qui suivirent me semblèrent


malencontreusement trop courtes. Surtout, lorsque
Joaquín nous informa du besoin de rentrer, car José
devait nous ramener. Il devait ouvrir son bar de
bonne heure le lendemain.
Je m’installais à l’arrière près de Vanessa, les
lumières blafardes des lampadaires me firent
deviner son visage pensif. Elle ne dit pas un mot
durant le trajet quelque peu cahoteux qui
s’incorporait parfois au lit du ruisseau. José nous
laissa non loin de la cueva. À partir de là, le chemin
était cimenté. Il nous salua puis fit demi-tour et
repartit. Joaquín sortit une lampe de sa poche et
nous éclaira le chemin jusqu’à la maison.
289
Les survivants d’Hullia

Joaquín ferma la porte à clé, puis nous souhaita


bonne nuit. Vanessa entra dans sa chambre puis
revint avec un oreiller et une couverture.
— Je peux te laisser mon lit, tu y dormiras
beaucoup mieux, me proposa-t-elle en installant la
couverture sur le canapé. J’ai l’habitude du fauteuil,
je m’endors souvent dessus.
— Merci, mais ça ira. Il a l’air confortable,
répondis-je en m’y asseyant.
— Ça ne me dérange vraiment pas.
— Vraiment, ne t’inquiète pas.
— OK. Je vais me mettre à l’aise et je reviens te
souhaiter une bonne nuit.

Elle ressortit de la chambre quelques minutes


plus tard. Elle avait échangé sa robe de soirée contre
une robe de chambre.
— Tu ne te couches pas ? me demanda-t-elle.
Elle se pencha vers moi en glissant une mèche de
cheveux derrière l’oreille et m’embrassa sur la joue.
— Je vais le faire... mais je n’ai pas sommeil pour
l’instant...
— Dac... Je prends juste un verre d’eau... Je
pense que je n’arriverais pas à dormir moi non plus.
Veux-tu que je te serve quelque chose ?
— Pourquoi pas ? Sais-tu ce que j’aimerais ?
— Non, dis-moi ? demanda-t-elle en me
regardant de ses yeux pénétrants.
— J’aimerais bien un peu de liqueur d’anis, mais
290
Le Cristal des Dieux 1

seulement si tu m’accompagnes !
— Pourquoi pas ? répondit-elle.
Elle remplit deux petits verres, m’en tendit un,
puis s’installa près de moi. Je posais mon verre sur
la table basse et lui recouvrit délicatement les
jambes avec la couverture.
— Merci, c’est gentil, me dit-elle en souriant.
— Je t’en prie, cela me semblait approprié, lui
répondis-je en posant le restant de la couverture sur
mes cuisses.
— Dis-moi Tony, comment était ta vie avant
cette rencontre fortuite avec mon père ?

Je lui expliquais rapidement en quoi consistait


mon boulot, et lui décrivais aussi les quelques
sorties que je faisais avec mes amis. Elle m’écouta
avec attention, puis, quand je pensais lui avoir à peu
près tout dit, elle me demanda de lui parler de
Raphaël.
— C’est un très bon ami d’enfance. Nous avons
fait les quatre cents coups ensemble. C’est d’ailleurs
chez lui que je t’ai vue pour la première fois. J’ai
failli passer pour un fou quand je répondais à ton
image.
— J’imagine… Je suis vraiment désolé, dit-elle
en baissant les yeux.
Elle se ressaisit et me regarda, je vis de la
curiosité dans son regard.
— As-tu quelqu’un dans ta vie ?
— Joaquín ne te l’a pas dit ? Il semble être au
courant de beaucoup de choses me concernant.
291
Les survivants d’Hullia

— Je préfère t’écouter parler, dit-elle.


Elle replia ses jambes sur le fauteuil et s’adossa
contre l’oreiller pour mieux me regarder.
Elle était vraiment ravissante dans cette position.
Ses cheveux encadraient son visage serein et
délicieux et tombaient en ondulant sur ses épaules.
Sa bouche était extraordinairement bien dessinée.
Mais c’était surtout sa façon de me regarder qui me
troublait le plus.
Je lui répondis après quelques secondes de
silence.
— Personne ne partage ma vie.
— Humm… Tu as hésité, dit-elle en plissant les
yeux.
— Non... sérieusement.
— Et Carine ?
— Carine ? Décidément, avec Joaquín il serait
impossible de garder un secret.
— Pourquoi, c’en est un ?
Cette fois, ses yeux émeraude me fixèrent avec
une insolite intensité.
— Pas du tout... J’avoue qu’elle est mignonne et
très avenante envers moi... mais il n’y a jamais rien
eu entre nous.
— Je te crois.
— Et toi, as-tu quelqu’un ?
— J’ai eu quelques petits amis dans ma vie...
mais jamais rien de très sérieux.
— Je comprends.... Les gens sont parfois
compliqués.
— En effet... Mais c’est aussi ma faute, car je
292
Le Cristal des Dieux 1

pensais surtout à mon avenir professionnel. Mais


pour être sincère, c’est parce que je n’ai jamais
rencontré l’élu de mon cœur..., me confia-t-elle
pensivement.

Notre discussion se prolongea tard dans la nuit.


Vanessa me raconta le déroulement de ses études en
France, puis son parcours pour devenir infirmière en
Espagne. Elle me parla aussi de ses parents.

Elle semblait éreintée, elle ferma les yeux et


reposa sa tête contre l’oreiller.
— Tu devrais aller dormir, tu es fatiguée.
— Oui, Tony... dit-elle en se levant. J’espère que
tu seras là à mon réveil.
— Pourquoi dis-tu ça ?
— Parce que j’y tiens..., me dit-elle en
m’embrassant sur la joue.

293
Les survivants d’Hullia

294
Le Cristal des Dieux 1

J’avais très peu dormi cette nuit, Vanessa avait


envahi mes pensées.
Je sortis de la cueva et me rendis dans la salle de
bain extérieure. Il pleuvait à verse. Je pris une
douche, me rasais, puis m’habillais avec mes
vêtements que m’avait rendus María. Elle les avait
gentiment lavés et repassé.
Je sortis de la salle de bain, puis restais quelques
minutes sous le préau en contemplant le singulier
paysage aux singulières collines ravinées.
J’aimais écouter le bruit régulier et harmonieux
de la pluie qui résonnait sur les tôles du porche.
J’aimais aussi cette odeur particulière que prend la
terre sous une averse. Je trouvais tout cela presque
hypnotique.
Je rêvassais encore lorsque j’entendis la porte de
la cueva s’ouvrir. C’était Joaquín.
— Salut, Tony, tu es bien matinal.
— Bonjour, Joaquín... J’aime me lever de bonne
heure, les journées me paraissent plus longues.
— Je suis aussi de cet avis. Vanessa vient de se
réveiller, elle se demandait si tu serais encore là ce
matin...
— Elle a dit ça ?
— Non... Et je n’ai pas écouté aux portes... Je
ressentais sa tristesse.
— Hier soir, elle m’a demandé ce que je comptais
faire à présent, mais je n’ai su que lui répondre...
295
Les survivants d’Hullia

— D’accord... Excuse-moi, tu dois aller à la salle


de bain ?
— Non, allez-y, je rentre prendre un café, lui
répondis-je en poussant la porte d’entrée.

— Holà, Tony, dit Vanessa en me voyant. Je nous


ai préparé le petit déjeuner.
— Holà, Vanessa, merci, tu as bien dormi ?
— Pas beaucoup... J’ai eu du mal à trouver le
sommeil, du coup j’ai fait la guerre à mon oreiller.
— Moi aussi. Mes pensées étaient un peu
confuses et m’empêchaient de fermer les yeux.
— Avec toutes ces révélations et mésaventures,
je comprends que tu gardes l’esprit confus.
— En réalité, ce ne sont pas ces faits qui me
bouleversent le plus.
— J’espère que ce n’est pas à cause de mes
apparitions ? demanda-t-elle en me regardant
fixement.
— Je dois avouer que celle d’hier soir m’a
énormément perturbé !
— Hier soir, comment ça ? demanda-t-elle en me
servant une tasse de café.
— Lorsque tu es apparu dans le pub...
— Oooooh..., lâcha-t-elle en baissant les yeux.
Elle remuait son café nerveusement.
Je m’installais en face d’elle et la regardais souffler
sur sa tasse fumante. Puis elle me fouilla du regard

296
Le Cristal des Dieux 1

attendant certainement une réponse de ma part.


J’aurais tant aimé lui dire que je n’avais pas
fermé l’œil de la nuit, parce que je me repassais sans
cesse, et dans les moindres détails, toute la soirée.
Surtout le moment où je la serrais contre moi sur la
piste de dance. Je sentais encore la douceur
affolante de sa taille entre mes mains.
Joaquín entra à ce moment-là. Il nous sourit puis
entra dans sa chambre, sans doute pour préparer ses
affaires.
Vanessa s’excusa et partit se rafraîchir un peu.

Lorsqu’elle revint, je venais de faire la vaisselle


et m’essuyais les mains.
— Il pleut toujours ? lui demandais-je.
— Non, l’orage est passé.
— J’ai besoin de prendre l’air et aussi d’admirer
cet étonnant paysage autour de la cueva, ça te dit ?
— Avec plaisir, sourit-elle. C’est surprenant,
j’allais justement te le proposer. Prends une veste,
l’air est un peu frais.

L’odeur de l’herbe humide me parut délicieuse.


Une légère brise s’était levée et les quelques nuages

297
Les survivants d’Hullia

sombres encore chargés de pluie s’éloignaient


lentement au-dessus des collines. Les oiseaux dans
les cimes des arbres piaillaient allègrement,
annonçant l’arrivée du beau temps après l’orage.
Les cheveux de Vanessa ondulaient et
tournoyaient autour de son visage illuminé par le
soleil. La couleur de ses yeux était sublime.
Nous descendîmes ensemble sur le sentier qui
longeait la petite rivière dont le niveau avait
considérablement baissé. Nous décidâmes de
traverser le cours d’eau par un passage surélevé,
mais la dernière partie semblait avoir été emportée
lors d’un gros orage. Quelques grosses pierres
émergeaient jusqu’à la rive opposée.
Elle me prit la main pour se rassurer, puis me
demanda de l’aider à traverser. Je sautais sur les
pierres, me stabilisais, puis lui tendait les mains.
Elle se lança et s’accrocha à moi pour ne pas perdre
l’équilibre. Je la retins par la taille. Nous restâmes
quelques minutes serrées l’un contre l’autre, les
yeux dans les yeux, en équilibre précaire sur une
grosse pierre ronde. Je ne pourrais décrire ce que je
ressentais à ce moment précis. Ou simplement, dire
qu’une sorte de bien-être indescriptible s’empara de
moi. Nous décidâmes de sauter ensemble sur la
berge. Au moment de toucher terre, je la retins à
nouveau, mais mon pied glissa sur une pierre et se
retrouva dans l’eau.
— Pardon, Tony, ça va ? me demanda-t-elle en
plaçant sa main sur sa bouche afin d’étouffer un
petit rire. Je levais la tête et ce que je vis me rendit
298
Le Cristal des Dieux 1

encore plus accroc à sa beauté. L’éclat du soleil,


derrière elle, formait une éblouissante auréole
autour de sa silhouette. Elle était divine et
rayonnante comme dans ses apparitions.
— Ce n’est rien, répondis-je en souriant. Mes
chaussures sont étanches.
— Heureusement... l’eau doit être glacée, dit-elle
en se pinçant les lèvres.

Nous étions montés jusqu’au verger d’oliviers


centenaires.
— Ce paysage est grandiose, il me fait penser aux
canyons du Far West.
— J’adore aussi cet endroit, lorsque j’étais petite,
nous venions souvent y passer quelques jours de
vacances. J’aimais tellement cette région que plus
tard, lorsque j’ai dû choisir pour mes études, j’ai
préféré Grenade. Je ne pouvais suivre mes parents,
car ils voyageaient constamment à cause de leur
travail, mais ils venaient toujours me rendre visite
en fin d’années.
— Surtout pour ton anniversaire.
— C’est ça... Je préfère ne pas te demander
comment tu sais ça.
— Joaquín me l’a dit.
— Oui, il n’a jamais manqué un seul de mes
anniversaires. Dire que je pensais qu’il voyageait à
travers le monde comme mes parents, alors qu’en
réalité, il voyageait dans le temps. Je n’en reviens
toujours pas...
— Je te comprends, j’ai moi-même du mal à
299
Les survivants d’Hullia

admettre tout ce que j’ai vu.


— Tu as vu les hulliens et leur cité ? D’après les
images que mon oncle m’a montrées, c’est
prodigieux...
— Il n’y a pas de mots pour décrire ce que j’ai
vu... Tu sais que depuis quelques jours, j’ai
l’impression de me retrouver dans la quatrième
dimension ? J’ai vu des sortes de pierres
philosophales, des extraterrestres, une
indescriptible cité flottante au-dessus d’une jungle
du paléolithique... J’ai marché sur des chaussées
suspendues, avec des êtres que l’on pourrait
qualifier de dieux...
— Ça doit-être fabuleux !
— Oh oui !
— Me croirais-tu, si je te disais que lorsque je t’ai
vu hier... avant que j’apprenne qui tu étais, je
pensais t’avoir déjà rencontré ? Je venais aussi de
me réveiller et comme il m’a dit que tu étais un ami,
je n’ai pas réagi tout de suite. À présent, plus je te
regarde et plus j’en suis persuadée de t’avoir vu
quelque part... Il me semble que c’était dans un lieu
public, une gare, ou un aéroport...
— Qui sait, peut-être nous sommes-nous croisés
quelque part.
— Non... pas seulement croisé. C’est comme si
je t’avais parlé.
— Si c’était le cas, je ne t’aurais jamais oublié !
— Moi non plus, Tony ! Dans ce cas, je ne
comprends pas pourquoi tu m’es aussi familier.
— C’était peut-être dans un de tes rêves que tu
300
Le Cristal des Dieux 1

fais...
— Oui, c’est possible...
— D’après ce que j’ai compris, tu fais
fréquemment le même rêve ?
— Oui, et souvent de la même personne.
— Sais-tu qui elle est ?
— Oui..., répondit-elle en se plaçant face à moi.
C’est toi !
— Peut-être s’agit-il de quelqu’un d’autre...
— Certainement pas...
— Et comment en es-tu aussi persuadée ?
— Parce que lorsque j’étais enfant, et aussi loin
que je me souvienne, j’ai surpris des conversations
insolites entre mes parents et mon oncle, surtout
lorsqu’ils pensaient que je dormais. Ton prénom
revenait souvent... Tu ne peux imaginer ce qu’il se
passe dans l’esprit d’une petite fille, tandis que je
me demandais qui était ce fameux Tony. Puis en
grandissant, je me disais que cet homme devait être
beaucoup plus âgé à présent.
— Et pourtant, je n’étais encore qu’un enfant...
Les conjectures du voyage dans le temps sont
surprenantes !
— Je le conçois à présent, car il n’y a pas si
longtemps que j’ai réalisé, grâce à Joaquín, que
nous avions le même âge... Sais-tu qu’ils te
décrivaient comme une sorte de Dieu aux pouvoirs
invraisemblables ?
— Un Dieu ? Là, il est évident qu’ils ne parlaient
vraiment pas de moi..., lui répondis-je en fronçant
les sourcils. Ou alors ils plaisantaient, car comme tu
301
Les survivants d’Hullia

peux le constater, je ne suis qu’un homme comme


les autres...
— Ne te sous-estime pas, Tony... D’après ce que
je sais, tu connais Joaquín et mon père mieux que
quiconque. Donc, s’ils en parlaient, c’est qu’il
devait y avoir une raison.
— C’est fou... Peut-être parlaient-ils des hulliens
et des bionéonanites quantiques qui modifient la
perception et te rendent pratiquement invincible...
— C’est ce que je dis... D’après ce que j’ai
compris, ton module est expérimental et il a
disséminé en toi ses fameuses bionanites... Tu as dit
toi-même avoir ressenti ses effets, comme ta
rapidité et ta guérison...
— Tu as raison sur ce sujet... Mais je pense qu’ils
savaient que tu écoutais et qu’ils ont embelli
l’histoire... un peu comme un conte de fées.
— Justement en parlant de ça, je pourrais te
raconter quelque chose, mais je pense que tu ne vas
pas me croire..., dit-elle en prenant un air grave.
— Dit toujours..., répondis-je, intrigué. Au point
où j’en suis...
— Que dirais-tu si je te disais que lorsque j’étais
petite et que je n’arrivais pas à m’endormir, mon
père me racontait un conte de fées ?
— Je répondrais que c’est mignon, et que c’était
un bon papa.
— C’est gentil, dit-elle en souriant.
— Raconte-moi.
— Tu risques de trouver ça très enfantin...
— N’est-ce pas le but de tous les contes de fées ?
302
Le Cristal des Dieux 1

— C’est vrai...
Puis, tandis que nous reprenions notre promenade
sur le chemin bordé d’oliviers, elle glissa son bras
sous le mien et appuya sa tête contre mon épaule.
— Mon père commençait toujours son histoire
par « Il était une fois », mais je vais abréger. C’était
l’histoire d’un beau prince et d’une jolie princesse.
Un jour, le prince tenta de secourir un vieux mage
mortellement blessé. Ce dernier, avant de rendre
l’âme, le supplia de remettre un mystérieux
manuscrit à un magicien vivant dans un pays
lointain. Lorsque le prince feuilleta le manuscrit, il
y découvrit le portrait d’une princesse. Il la trouva
tellement belle qu’il décida de la retrouver. Il brava
d’innombrables contrées sauvages, et se battit
contre des brigands de chemins.
Tous les soirs durant son périple, il prit l’habitude
de s’endormir en contemplant le visage de la
princesse. Il l’admira si souvent qu’il en tomba
amoureux... À la fin de ses périples, il remit le
manuscrit au magicien, et ce dernier lui présenta la
princesse. Ce fut comme un coup de foudre. Ils
eurent tous les deux l’incroyable sentiment de
s’attendre l’un et l’autre depuis la nuit des temps...
Ils se marièrent devant ces magiciens venus des
étoiles et ils vécurent une extraordinaire histoire
d’amour dans un monde fantastique débordant de
bonté et de magie. De leur amour éternel naquit un
enfant céleste.
— C’est très beau ! lui dis-je en souriant.
— Merci... Il m’arrive encore d’y rêver et
303
Les survivants d’Hullia

d’imaginer le vécu de cette histoire.


— C’est vrai ? Je comprends à présent ta
réaction, lorsque María m’a appelé prince. Puis
lorsqu’elle t’a rectifié en disant ; depuis la nuit des
temps...
— Oui, sacrée María... je l’adore !
— J’admets que c’est un très beau conte... Un peu
intrigant tout de même, car le début me semble
étonnamment familier... D’ailleurs, hier matin,
lorsque tu t’es levée, tu as dit ; j’ai encore rêvé de
lui... était-ce le même rêve qui revenait ?
— Je savais que tu penserais à ça... La réponse
est oui, et pour la première fois, j’ai enfin pu voir
son visage. C’était le tien.
— Ce que tu dis emplit mon cœur, Vanessa... Et
je peux te confirmer qu’il y a un passage très
authentique dans ce conte.
— Lequel ?
— Lorsque le prince tombe amoureux du portrait
de la princesse avant même de la rencontrer !

À ces mots, elle s’arrêta et me lâcha le bras. Ses


yeux pétillaient. Plus je les regardais et plus je me
noyais dans ces insondables univers de couleur
émeraude. J’étais fasciné par sa personne, par sa
beauté. Je mourrais d’envie de la serrer contre moi,
mais ce fut elle qui s’avança la première.
Elle écarta mon manteau et glissa ses bras autour
de ma taille. La sentir contre moi à cet instant était
encore plus divin que la veille. La douceur et le
parfum de ses cheveux m’enivraient. Elle soupira en
304
Le Cristal des Dieux 1

posant sa joue contre mon épaule. Je la sentis frémir.


— Tu as froid, veux-tu que l’on entre ? lui
demandais-je.
— Non...
— Tu frissonnes...
— Ce n’est pas le froid qui me fait frissonner, car
je sens ta chaleur..., répondit-elle en se serrant
davantage contre moi.

Était-ce un rêve ? me dis-je. Tout cela me paraît


irréel. C’est alors qu’une horrible idée me traversa
l’esprit. Et si tout cela n’était pas réel, si ce n’était
pas vraiment moi qui étais là, et que je vivais faisait
partie des souvenirs de quelqu’un d’autre ?
— Vanessa ?
— Oui ?
— Je me demandais…
— Quoi donc ?
— Peux-tu dire mon nom, s’il te plait ?
— Pourquoi ça, Tony ? demanda-t-elle en
relevant la tête.
« Elle avait bien dit mon prénom... Et si c’était
bien réel ? » me dis-je en lui écartant une mèche de
cheveux pour la glisser derrière son oreille comme
elle le faisait souvent. Mes doigts effleurèrent sa
peau, la douceur de sa joue était pure comme de la
soie.
— Je viens de ressentir une étrange sensation, et
j’avais besoin que tu me rassures, car je demandais
si je n’étais pas en train de rêver.
Son visage rayonnait. Le soleil faisait scintiller
305
Les survivants d’Hullia

ses yeux.
— Non Tony... Je ne suis pas un rêve.
— Et si tu l’étais ? Parfois, j’ai l’étrange
impression que mon corps est quelque part ailleurs,
en train de dormir je ne sais où. Peut-être que je ne
me suis pas réveillé après avoir percuté le pont et
que je délire dans une chambre d’hôpital avec une
grosse aiguille dans le bras, tripant sous la morphine
que les infirmières font couler dans les veines...
— Mais, que dis-tu ?
— Ce n’est qu’une hypothèse... C’est peut-être à
cause de ce machin dans le crâne. Mais tout ce que
j’ai vécu jusqu’à présent est tellement inimaginable
et digne du plus fou des rêves... Et puis il y a toi, ta
douceur, ton charisme, ton esprit, ta beauté. Tu me
bouleverses, m’émerveilles et m’éblouis à tel point
que je me demande encore si tu n’es pas un ange, ou
un être céleste venu tout droit du monde des rêves...
Vanessa, je dois avouer que j’ai peur, très peur, de
me réveiller et découvrir que tout ceci a été créé par
mon imagination... J’ai tellement peur que tu
n’existes pas...
— Tony, je suis vraiment là... et je te comprends,
car je sais tout ce que tu as vu et vécu ces derniers
jours et aussi tout ce que tu as perdu... Ces visions,
ces mésaventures, ces poursuites, ces
confrontations, ces créatures célestes, ces
révélations sur l’humanité. Joaquín m’a tout raconté
et expliqué plusieurs fois. Malgré ça, je dois
t’avouer que j’ai aussi du mal à y croire. Mais je
peux t’assurer une chose, c’est que je suis bien
306
Le Cristal des Dieux 1

réelle et que je veux dès à présent faire partie de tous


tes rêves...
— Dois-je en déduire que ce pourrait être le
commencement d’un rêve ?
Ses yeux scintillèrent et son visage s’éclaira.
— Je le souhaite de tout mon cœur.
— Vraiment ?
— Et de toute mon âme, répondit-elle en me
dévorant littéralement des yeux.
Je tentais de ne pas m’échapper de son regard
troublant en m’interdisant de poser mes yeux sur ses
lèvres si attirantes et captivantes.
— Ton apparition dans ma vie en tant qu’ange
gardien a bouleversé mon existence, et le fait de te
sentir si près de moi, me tourmente. Je suis tombé
amoureux de toi..., lui dis-je avant d’effleurer de
mes lèvres sa bouche appétissante et sensuelle.
Nous restâmes ainsi tous les deux enlacés dans un
long et tendre baiser.
Elle écarta son visage, et me susurra à l’oreille.
— Je t’aime..., dit-elle dans un soupir. Je t’aime
depuis ma plus tendre enfance.
Un éclat de lumière écarlate scintilla soudain sur
son chemisier.
— Vanessa, ton cristal s’est illuminé.
— Nous allons bientôt partir..., dit-elle en
tournant la tête.
Elle contempla le paysage alentour, comme pour
enregistrer ces images dans sa mémoire, puis se
tourna vers moi.
— Viendras-tu avec moi ? demanda-t-elle.
307
Les survivants d’Hullia

Je contemplais l’éclat palpitant du cristal. La


présence sur elle de ce mythique objet d’un autre
monde et d’une autre époque la rendait encore plus
irréelle. Je la voyais comme une déesse devant mes
yeux de simple mortel.
— Tu ne me réponds pas ? demanda-t-elle d’une
voix presque inaudible.
— Vanessa, je t’accompagnerais jusqu’au bout
du monde. Et si Dieu m’en donne le temps, je
resterais près de toi jusqu’à la fin des temps ! lui
répondis-je en l’embrassant à nouveau.

Un frémissement dans les arbres nous fit tourner


la tête juste à temps pour apercevoir, de l’autre côté
de la rivière, comme un reflet de soleil dans un petit
miroir. Il y eut un brusque déplacement d’air, suivi
d’un bruit ressemblant à un tissu qui se déchire,
tandis que l’éclat de lumière se distendait jusqu’à
devenir une immense sphère de métal dorée
fumante et flamboyante.

308
Le Cristal des Dieux 1

UN MONDE NOUVEAU

Je descendais la rampe de la sphère en tenant la


main de Vanessa et nous fîmes quelques pas sur le
sol blanc et lumineux de la salle.
— Les enfants, voici Haltar, nous annonça
Joaquín.
Je me retournais pour voir arriver ce grand et
éblouissant personnage. Il n’avait pas pris une ride,
et paraissait heureux de nous accueillir.
— Mes amis, je vous souhaite la bienvenue ! dit-
il, en s’approchant de nous.
Il salua Joaquín avec une longue et chaleureuse
poignée de main. Puis il se tourna vers moi et me
regarda attentivement. Ses grands yeux verts étaient
troublants, je les savais capables de sonder mon
esprit. Il me serra la main avec insistance.
— Tony... Je suis bienheureux de faire votre
connaissance. Je vous attendais avec impatience,
309
Les survivants d’Hullia

ajouta-t-il, en penchant légèrement sa tête en avant.


— C’est tout un honneur pour moi d’être ici, lui
répondis-je en imitant son geste avec la tête.
Il me sourit, puis s’approcha de Vanessa.
— Et voici donc notre merveilleuse Vanessa...
Mademoiselle, je suis séduit par votre
incommensurable beauté.
— D’après les dires de Joaquín, les hulliennes
sont d’une beauté incomparable, par conséquent je
dois faire classique.
— Votre oncle se trompe, vous êtes une jeune
femme exceptionnelle.
— Vous allez me faites rougir, monsieur Haltar.
— Mon intention n’était pas inopportune,
veuillez m’en excuser. D’ailleurs, quelques-unes de
mes amies ont hâte de vous rencontrer. Je dois aussi
vous informer que vos parents sont en bonne voie
de rétablissement. En ce moment, ils sont en salle
de relaxation. Les visites ne sont pas autorisées dans
les tours stériles... cependant, vers la fin de l’après-
midi, les soignantes les accompagneront dans le
parc pour une petite promenade. Vous pourrez les
rencontrer à ce moment-là.
— Comment est-ce possible ? demanda la jeune
fille. Joaquín ne vous a pas encore remis le module
contenant les coordonnées.
— Non, mais il me le remettra tout à l’heure.
Après analyse des données temporelles, une équipe
partira à leur recherche et les ramènera ici, deux
semaines avant votre arrivée. C’est le temps
nécessaire pour un rétablissement moyen.
310
Le Cristal des Dieux 1

— Je voulais te faire cette surprise, mon ange...


Ici, l’effet précède souvent la cause, précisa
Joaquín.
— C’est la plus merveilleuse des nouvelles.
Merci pour tout ce que vous avez fait pour eux,
répondit-elle en posant sa main sur son cœur.

Alors que j’aidais Joaquín à descendre les


quelques bagages qu’il avait embarqués, un disque
de lumière éclatant se matérialisa sous nos pieds,
puis nous souleva du sol de quelques centimètres du
sol. Il nous transporta en glissant avec douceur à
travers les corridors triangulaires, pour ensuite
émerger d’un bond par-dessus la falaise. Vanessa
lâcha un petit cri de surprise et s’accrocha à moi en
fermant les yeux. Mais elle découvrit, rassurée, que
l’impression n’était que visuelle et que la vitesse
n’avait aucun effet sur nous.

La gigantesque métropole se rapprocha


rapidement. C’est avec des yeux d’enfant que nous
découvrîmes en plein jour la fabuleuse cité
suspendue dans les airs au-dessus d’une immense
jungle tropicale.
Le grand Haltar se tourna vers Vanessa et la
regarda avec surprise.
— Je constate avec ravissement que le
magnétisme du disque provoque un surprenant effet
sur votre chevelure !
Les longs cheveux blonds de Vanessa flottaient
en ondulant autour de son visage.
311
Les survivants d’Hullia

Avant toute chose, notre hôte nous conduisit


jusqu’aux piscines purificatrices. Joaquín précisa
que ce passage était obligatoire avant de s’aventurer
dans la cité. C’est là que nous fîmes la connaissance
de Thàna et Dunïa, toujours fidèles à leur poste. Ces
dernières tombèrent sous le charme de Vanessa et
de sa chevelure dorée.
Thàna tandis que Dunïa nous offrait des
vêtements. Vanessa reçut une sorte de nuisette aux
reflets nacrée. La matière s’apparentait au satin. Je
reçus un caleçon de même matière. Il était fin et
doux comme un nuage. Thàna nous accompagna
jusqu’aux surprenantes cabines aux douches sèches.
Dunïa nous porta les tuniques et nous montra
comment ajuster nos nouvelles tenues
vestimentaires. Elle ouvrit grands ses yeux lorsque
d’un geste machinal je nouais ma ceinture à la
perfection.
Haltar et Joaquín nous attendaient dans le hall.
Cette fois Joaquín n’émit aucune objection quand
Vanessa demanda la pose d’un module. Joaquín
nous accompagna jusqu’au centre de recherche,
puis nous laissa, en expliquant son empressement de
retrouver sa bien-aimée.
Vanessa se montra très forte, car en dépit des
antalgiques que lui avaient administrés les
généticiens, la douleur restait tout de même
présente. Malgré son insistance, les
neurochirurgiens refusèrent de lui implanter le
312
Le Cristal des Dieux 1

dernier modèle à fréquences quantiques, car ils ne


savaient pas encore s’il était compatible avec les
humains. Je leur promis de revenir le lendemain
pour une série de tests.
À partir de ce moment, nous n’avions même plus
besoin de parler normalement... Nous nous
amusions comme des enfants en nous échangeant
des mots et des images mentales.
Nous reprîmes le disque de lumière et nous nous
arrêtâmes au service de restauration pour passer
sous le portique nutrigénomique. Notre hôte nous
vit visiter le grand réfectoire, et nous suggéra
l’option des repas à domicile pour plus d’intimité.
Ensuite, il nous proposa de visiter les jardins.
Pendant le trajet, une idée me traversa l’esprit. Je
regardais Haltar et tentais de lui parler mentalement.
Celui-ci me répondit en employant le même moyen.
« Mon ami, puis-je vous demander un service
personnel ? lui dis-je. Je recherche un objet
particulier, pouvez-vous me dire si on peut le
trouver dans la cité ? »
« Montrez-moi une image et des informations
concernant cet objet. » « Je vois, je pense qu’il est
préférable de le réaliser spécialement. »
« Vous l’aurez tout à l’heure. »

313
Les survivants d’Hullia

Nous étions un peu en avance, Vanessa demanda


à notre ami de nous déposer près de la rivière afin
d’admirer le paysage. Haltar nous donna rendez-
vous au pied d’un grand arbre, puis repartit aussitôt.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, vue du


sol, la formidable métropole suspendue dans les airs
était presque invisible. Comme l’avait décrit
Joaquín, le soleil prenait l’apparence d’un immense
halo resplendissant. Le climat tempéré des jardins
était régi par la biosphère de la ville qui étirait son
action sur des kilomètres autour d’elle. Nous nous
trouvions dans un gigantesque parc aux allures de
jardin tropical. Celui-ci était parcouru
d’interminables allées aux bordures florissantes. Il
faisait bon de se promener parmi les fleurs et les
arbres aux parfums délicats, peuplés d’oiseaux
exotiques aux plumages colorés et éclatants.
L’endroit était paradisiaque. Ce qui concordait
parfaitement avec l’étonnante consonance du mot
jardin, qui en hullien, se prononce Deï-Dhèn.
Nous marchions tranquillement sur la rive
verdoyante de la rivière qui serpentait entre les
vallons de cet immense parc chatoyant. Plusieurs
couples se reposaient, assis ou étendus sur la
pelouse, tandis qu’un groupe d’adolescents se
promenaient nonchalamment près de l’eau limpide
et purifiée. L’un d’eux regarda avec attention dans
notre direction. Il se détacha du groupe et
s’approcha de nous d’un pas rapide. Il était humain,
314
Le Cristal des Dieux 1

du moins en apparence. Il semblait avoir une


quinzaine d’années. Ses cheveux étaient châtain
clair. Ses yeux verts étaient comme ceux des
humains. Seuls ses oreilles pointues et ses doigts
très légèrement palmés trahissaient la partie
hullienne de son génome.
— Bonjour, Vanessa, bonjour, Tony.... Vous êtes
exactement comme grand papi vous a décrit !
— Bonjour, lui répondit Vanessa. Grand papi ?
— Oui, je suis le petit-fils de Kaïla et de
Joaquín... je m’appelle Aldan.
— Bonjour, Aldan, lui dis-je. Tu es donc le petit
cousin de Vanessa... je suis heureux de te
rencontrer.
— Moi aussi... Venez... J’allais justement les
rejoindre, ils sont sous le grand arbre, dit-il en
prenant la main de Vanessa. Je souhaite de tout
cœur que vous vous plaisiez ici.
— Oui, cet endroit est merveilleux ! répondit-
elle.
L’enfant nous regarda attentivement, puis ajouta.
— Vous êtes très beaux, vous savez ?
— Merci à toi, Aldan, répondit Vanessa avec un
sourire charmeur. Tu es adorable.
— Tony... sais-tu que la phonétique de ton nom a
une signification dans notre langue ?
— Mon nom ?
— Oui, Marcos en deux mots... Mâh-Arkos.
— Ce qui signifie ?
— Mâh était un titre de haute distinction utilisé
dans l’antiquité de Hullia. L’équivalent dans votre
315
Les survivants d’Hullia

langue serait, prince, roi, souverain. Et Arkos,


signifie monde imaginaire ou pays des rêves.
— Ça donnerait... Prince imaginaire..., dis-je en
regardant Vanessa du coin de l’œil.
— Je dirais plutôt, Roi d’un monde de rêves,
constata Vanessa, en me lançant un sourire
ravageur.
— Aussi..., lui répondis-je en souriant... Et que
signifie le mot Eltar ?
— Eltar, vous connaissez Eltar ?
— Non, Nicolas, ton Grand-oncle Nicolas m’a
prononcé ce nom dans une phrase que je n’ai pas
comprise...
— Eltar est un être mythique. Il est la loi
première, le dieu absolu, celui qui régit toutes les
choses vivantes depuis la nuit des temps. Ainsi est-
il décrit dans le grand recueil millénaire des pensées
hulliennes.
— Quelle était cette phrase ? demanda Vanessa.
— Fac sis quod es, Mâh-Eltar…
— C’est du latin. Ça se traduit par « deviens qui
tu es... Mâh-Eltar. »
— Que je devienne, qui je suis ?
— Tout à fait... Que tu deviennes Mâh-Eltar. Qui
sait ? Marcos, Mâh-Arkos, Mâh-Eltâr…
— Qui sait, Tony... Peut-être bien qu’un jour on
t’appellera ainsi, me dit Vanessa en me prenant la
main.

316
Le Cristal des Dieux 1

Le chemin traversait en zigzaguant un


magnifique petit bosquet. C’est en sortant de celui-
ci que nous observâmes un attroupement. Des
dizaines de jeunes hulliens marchaient lentement en
direction d’un grand arbre.
Nous nous approchâmes pour découvrir l’étrange
personnage qui les précédait. C’était Joaquín, il était
vêtu d’une tunique jaune. Je remarquais quelques
petits détails étranges. Sa barbe n’était plus grise, et
son visage semblait avoir rajeuni. Kaïla,
l’éblouissante hullienne, marchait auprès de lui.
Elle vêtue d’une tunique courte de même couleur
que celle de Joaquín. Ce dernier parlait et faisait de
grands mouvements lents avec ses bras. Les hilliens
buvaient ses paroles comme des enfants devant un
spectacle de magie. Il nous aperçut et leva les bras.
— Ah, voici mon petit Aldan. Il me semble qu’il
a rencontré ma nièce et mon ami en chemin. Mes
enfants, je vous présente Tony et Vanessa.
Le gamin se jeta dans les bras de son grand-père.
Le groupe s’arrêta et se dispersa subtilement autour
de nous.
Kaïla s’approcha de nous. Un étincelant diadème
composé de pierres précieuses et de fils d’or
scintillait sur sa tête. Ses yeux dorés étaient
immenses et magnifiques. Elle me fixa en souriant,
puis ferma les yeux en penchant sa tête légèrement
sur sa gauche.
317
Les survivants d’Hullia

— Bonjour, Tony, dit-elle avec un large sourire.


Je suis ravie de vous rencontrer.
Elle s’approcha de Vanessa et lui effleura les
cheveux.
— Et toi, tu es ma jolie Vanessa... Tu es
magnifique, et la couleur de ta chevelure est
sublime... Tu vas faire beaucoup d’envieuses dans
la cité.

En contemplant Kaïla, je me souvins d’une scène


un peu particulière, aperçue durant les périples de
Nicolas. C’est alors qu’une voix douce et
mélodieuse résonna dans ma tête. C’était Kaïla qui
me parlait à travers le module. C’était incroyable,
elle était là devant moi, en pleine conversation avec
Vanessa et en même temps elle dialoguait avec moi
mentalement. Je me sentis soudain très loin d’une
telle prouesse d’esprit. Notre conversation dura
quelques minutes.
Joaquín leva les bras.
— Les enfants, si nous allions nous rafraîchir ?
Nos amis nous attendent..., dit-il en souriant.
Nous nous approchâmes d’un immense chêne.
Une vingtaine de hulliens étaient assis autour d’une
longue table transparente, à l’ombre du grand arbre.
Parmi les jeunes gens, il y avait deux vieux
messieurs. L’un d’eux était chauve, je reconnaissais
le grand maître Vétül. L’autre homme âgé avait des
cheveux blancs et examinait avec attention un écran
holographique en suspension devant lui. Il leva la
tête vers nous et nous sourit. Assise près de lui, une
318
Le Cristal des Dieux 1

dame d’un certain âge au visage agréablement


familier nous fixait en souriant. Ses cheveux blancs
étaient ramassés dans un chignon.
— Papa, maman ! lança Vanessa d’un air joyeux
en s’élançant vers eux.
Nicolas lui tendit les bras. Isabelle se leva, aidée
par une jeune hullienne.
Les hulliens faisaient des miracles dans le
domaine médical, mais la convalescence restait tout
de même particulièrement longue pour des humains
de leur âge. Vanessa se blottit dans leurs bras. Ils
avaient tous trois les larmes aux yeux. La jeune
femme releva la tête, me regarda, et me fit signe
d’approcher.
— Je dois vous présenter quelqu’un… Papa, je
pense que tu le connais…
Nicolas me regarda avec attention sans dire un
mot. Je m’avançais vers lui. Celui-ci me dévisagea
quelques instants, puis leva ses bras et m’attira vers
lui pour me serrer contre lui.
— Je suis désolé de t’avoir abordé de cette façon,
ce soir-là... J’espère que tu ne m’en tiens pas
rigueur.
— Ne vous inquiétez pas pour ça, l’important
c’est que vous soyez tous là.
Isabelle s’avança vers moi et posa ses mains sur
mon visage.
— Tu es exactement comme je t’imaginais.
Merci pour tout ce que tu as fait... pour notre enfant
et pour nous.
— Pour elle et pour vous, je vous en prie.
319
Les survivants d’Hullia

Vanessa s’était assise près de ses parents, je


sentais qu’elle leur parlait de moi, car je devinais les
petits coups d’œil furtifs qu’ils me lançaient avec
discrétion.
Je regardais la famille de Joaquín et de Kaïla avec
admiration. Ils étaient tous magnifiques... Ses
enfants étaient donc les premiers hills de l’histoire.
Haltar croisa mon regard et me fit signe de le suivre
hors du groupe. Je fis quelques pas avec lui, puis il
me remit une petite boite bleue. Je regardais
subtilement à l’intérieur.
— Je me suis renseigné sur son utilité, ou plutôt
sa notable signification... Je pense que c’est
exactement ce qu’il vous faut !
— Woaoo... Merci, Haltar ! Je ne m’attendais pas
à autant de… qualité !
— Je suis heureux que cela vous convienne.
— Vous me direz combien je vous dois.
— Je ne comprends pas ce que vous voulez dire,
mais ces mots n’ont aucune signification chez
nous...
— Je vois... alors, je vous dois mille Mercis.

Je rangeais la petite boite dans une des poches de


ma tunique, lorsque j’entendis une voix dans ma
tête.
« Tony, je pense que l’instant est propice, profite
de cette occasion. »
« De quoi parlez-vous, Joaquín ? »
320
Le Cristal des Dieux 1

« De ton intention. »
« Mon intention ? C’est Haltar, c’est ça ? »
« Oui, au vu de ton incertitude dans tes pensées,
il en a déduit que tu te demandais si l’instant était
bien choisi. »
« Ah oui ? Comment pensez-vous qu’elle
réagira ? »
« Tony, son conte de fées n’est plus un conte à
présent, mais la réalité... »
« Ce qui signifie que... »
« Que l’instant est très bien choisi ! »

321
Les survivants d’Hullia

Je revins vers Vanessa.


— Je voudrais dire quelque chose, lui dis-je, un
peu gêné par la présence de tout ce monde autour de
nous.
— Qu’y a-t-il, Tony ? demanda-t-elle en fronçant
les sourcils. Je ressens comme une hésitation dans
ta voix.
— C’est à l’égard de tes parents... Non pas que je
sois hésitant sur mon intention. Le souci est que je
n’ai pas l’habitude de parler en public.
— Je t’écoute Tony.
— Voilà… Il y a quelques jours, à cause de ces
deux messieurs ici présents… Et je dis cela sans
vous offenser…
Je regardais Nicolas et Joaquín en souriant, puis
m’adressais de nouveau à la jeune fille en prenant
un air grave.
— J’ai tout perdu... mon boulot, ma maison, ma
voiture. J’ai même, à plusieurs reprises, pensé
perdre la vie... mais, tel un ange tu m’es apparue...
tu m’as secouru, m’as soutenu, m’as éclairé... ton
regard m’a réconforté dans ces instants difficiles...
puis lorsque je t’ai rencontré, mon cœur s’est
embrasé. Vanessa, tu es extraordinaire. C’est pour
ces quelques raisons que je désire de poser cette
question…
Je sortis l’écrin de ma poche, l’ouvris et me
baissais pour poser un genou à terre devant elle. Je
pris sa main, lui présentais une bague dorée
322
Le Cristal des Dieux 1

surmontée d’un magnifique cristal scintillant.


— Vanessa... Veux-tu m’épouser ?
— Mon Dieu ! Oui, Tony ! répondit-elle avec
enthousiasme.
— Je t’aime ! lui dis-je en lui glissant la bague
sur son annulaire.

Elle regarda sa main, puis se leva d’un bond et


m’enlaça avec force.
— C’est merveilleux ! s’exclama Joaquín d’un
air rayonnant. Je pense que le grand Vétül nous fera
l’honneur de célébrer cette union.
— J’en serais ravi, répondit le vieil homme de sa
voix rauque.
Nicolas se leva en grimaçant puis s’approcha de
nous.
— Ma fille, te souviens-tu de l’histoire que je te
racontais quand tu n’étais encore qu’une enfant ?
— Oui papa, je ne l’ai jamais oublié. Mon conte
de fées est en train de se réaliser...
— Ce n’était pas un conte, mon enfant, c’était
seulement l’histoire de votre vie...
— Je l’ai compris à l’instant ou je l’ai vu, papa.
Nicolas saisit la main de sa fille et la posa dans la
mienne.
— Qu’il en soit ainsi. Je sais que ma fille sera
heureuse à tes côtés.

La conversation s’installa autour de quelques


verres, emplis de breuvages couleur pastel exhalant
de délicats parfums miellés.
323
Les survivants d’Hullia

Kaïla s’approcha de nous et nous tendit deux


flûtes de champagne. Je trinquais avec Vanessa,
puis levais mon verre à l’intention de la belle
hullienne. Elle me regarda du coin de l’œil en
souriant.

Plus tard dans la soirée, Joaquín et Kaïla


accompagnèrent les parents de Vanessa jusqu’à un
disque-ascenseur. Puis, tandis qu’ils s’éloignaient,
nous prîmes congé de nos sympathiques amis.
Haltar nous demanda de bien vouloir le suivre.

Notre disque monta silencieusement vers l’un des


innombrables passages prévus à cet effet sous la
base de l’immense métropole suspendue dans les
airs. Ensuite, il poursuivit sa course jusqu’au
sommet d’une haute tour lumineuse dont le sommet
se détachait dans un ciel bleu-turquoise où
commençaient à scintiller quelques étoiles.
Notre ami nous précéda dans le couloir, puis
s’arrêta au bout de quelques mètres. Le mur sur
notre droite se fissura puis s’écarta pour devenir une
entrée triangulaire. Il nous invita à entrer dans une
grande pièce vide.
— Voici votre nouveau foyer. Cette pièce est
prévue pour accepter la conception d’une terrasse-
jardin. Tony, je suppose que vous savez vous servir
des cristaux et de l’écran ?
— Je pense que oui, je me souviens de tout...
Sauf, peut-être pour les repas.
324
Le Cristal des Dieux 1

— C’est le cinquième cristal, expliqua Haltar en


exécutant un geste de la main.
Une trappe se creusa dans la cloison et une
dizaine de mets aux différentes formes et couleurs,
ainsi que des gobelets et des carafes apparurent à
l’intérieur.
— Ce sont des modèles holographiques, il suffit
de les effleurer pour qu’ils se matérialisent.
— C’est de la téléportation ? demanda Vanessa.
— Exactement... mais ceux que vous apercevez
ici sont les menus basiques. Il y a des années,
Joaquín et nos nutritionnistes se sont intéressés à
l’aspect visuel de notre nourriture. Ils nous ont
préparé une liste d’aliments basés sur l’esthétique
des plats de votre époque. Je suis très fier d’avoir
personnellement participé à leurs élaborations en
reproduisant les images recueillies sur des sites web
du XXIe siècle. À présent, ces mets sont affichés
dans nos menus, et je dois dire qu’ils font fureur.
Voyez vous-mêmes...

La trappe s’allongea sur toute la longueur du mur.


C’était presque spectaculaire... Il y avait toutes
sortes de plats et de couverts différents.
Ça partait du simple bol de soupe aux nouilles
avec sa petite touche de persil, au fabuleux steak-
frites, en passant par des œufs au bacon, du
cassoulet, du bœuf bourguignon et d’innombrables
autres préparations culinaires. Personnellement, je
succombais devant le succulent aspect d’un gigot
braisé à la cuisson dorée, accompagné de ses petits
325
Les survivants d’Hullia

légumes. Je remarquais aussi une belle paella bien


garnie, ainsi que les fameux beignets de morue que
Nicolas appréciait par-dessus tout. Il y avait aussi
une nuée de desserts multicolores et diverses
boissons comme des vins et du champagne en
bouteilles étiquetées. Je découvrais aussi la fameuse
liqueur dont j’appréciais tant le goût.
Haltar souriait, tandis que ses grands yeux verts
pétillaient de fierté.
— Je vous laisse vous installer tranquillement,
dit-il, en nous saluant. Je vous souhaite un bon
appétit et une excellente soirée.

Je l’accompagnais jusqu’à la porte et refermais la


cloison.

326
Le Cristal des Dieux 1

Nous nous retrouvâmes seuls au beau milieu


d’une immense pièce vide.
— Eh bien, voilà, nous sommes chez nous...,
annonça ma jolie Vanessa en s’approchant tout en
balançant langoureusement ses épaules.
— Tu imaginais ça ? lui dis-je en l’enlaçant.
Nous nous connaissons depuis seulement deux
jours... Je t’ai demandé en mariage et nous
emménageons dans notre appartement.
— Tu penses que nous sommes allés trop vite ?
— Oui, un peu !
— C’est vrai ? demanda-t-elle tristement.
— Oui, je vais donc te proposer de nous donner
un peu de temps… mais juste le temps qu’il faudra
pour... meubler notre maison par exemple !
— Tu m’as fait peur ! répondit-elle avec un large
sourire.
— Je sais, lui répondis-je, entre deux petits
baisers. Viens, je vais te montrer comment
procéder.

Après lui avoir expliqué le fonctionnement de


l’écran virtuel, Vanessa nous agença un joli petit
appartement. Des fauteuils, des chaises, une table et
un grand lit surgirent du sol pour se matérialiser et
meubler notre nouvelle résidence. Elle conçut des
fenêtres, ainsi qu’une immense baie s’ouvrant sur
une terrasse surplombant la ville et ses prodigieuses
tours lumineuses. Satisfaite de son travail, elle se
327
Les survivants d’Hullia

rendit sur la terrasse pour prendre l’air.


— Cette technologie est fascinante... dit-elle, en
s’appuyant sur le garde-corps. Joaquín me parlait de
ces gens et de cette cité, j’ai aussi vu des images,
mais je réalise que j’étais très loin de la réalité. Cette
ville est impressionnante !
— Je suis de ton avis..., lui dis-je, en lui offrant
une coupe de champagne. Mais tu es bien plus
impressionnante encore.
— Merci, mon prince, c’est gentil, répondit-elle,
en esquissant un sourire. Je dois avouer que le fait
de me retrouver ici avec toi me semble irréel. Tout
ceci dépasse mes rêves les plus fous. Mes parents
sont vivants et l’homme le plus merveilleux du
monde est près de moi. Je n’ai besoin de rien
d’autre... Tu sais, à présent, c’est moi qui ai
l’impression de rêver, et je t’avoue que j’ai peur de
me réveiller sans toi à mes côtés.
— Je comprends ce que tu ressens. Tu te
demandes si tu n’es pas étendue sur le lit de ta petite
cueva en rêvant encore une fois de ce prince
imaginaire.
— Je pense que si je me réveillais là-bas, je ne
m’en remettrais pas..., répondit-elle, en me
regardant tristement.
— Tiens, suis-moi... j’ai une idée.
Je la pris par la main et l’emmenais au centre de
la pièce. Je regardais un des cristaux pour
sauvegarder tout ce que Vanessa avait créé.
— À présent, ferme les yeux... Imagine que tu
viens de te réveiller, que tu es sortie faire quelques
328
Le Cristal des Dieux 1

pas sur le terre-plein devant la cueva et que tu


contemples les champs d’oliviers sous le soleil
levant...
— Non, Tony, je refuse, si tu n’y es pas...
— Fais-moi confiance, mon amour... Ferme les
yeux. Je suis là..., lui dis-je en plaçant derrière elle
et lui posant mes mains sur les yeux.
Je fouillais dans ma mémoire en essayant de me
souvenir des moindres détails. D’après les conseils
de Kaïla, je n’avais qu’à envoyer toutes les images,
les sons et les sensations perçues, en pensant au
troisième cristal sur le mur.
— Nous y sommes..., lui dis-je en écartant mes
mains.

Nous étions au bord d’un petit terre-plein. On


entendait les oiseaux piailler dans les arbres, ainsi
que le murmure de la petite rivière coulant en
contrebas.
En face de nous, dans la vallée, un grand verger
d’oliviers s’étendait jusqu’au pied d’un haut mont
pelé surmonté par une vieille tour délabrée. Le
soleil se couchait et baignait le paysage dans une
agréable lumière jaune-orangé. Vanessa se retourna
et aperçut sa cueva creusée sur le flanc d’une colline
escarpée. Sous l’abri de tôles ondulées, l’on
percevait la façade blanche et la petite salle de bain
en briques rouges.
— Comment fais-tu ça ? C’est
prodigieux..., s’exclama-t-elle tout émue.
— J’envoie mes pensées vers le cristal et les
329
Les survivants d’Hullia

projecteurs holographiques reproduisent les images


en figeant les molécules d’air pour donner de la
consistance à la plupart des détails... Mais peut-être
préfèrerais-tu qu’on se balade sur une plage
méditerranéenne ?
Le ciel s’assombrit et des milliers d’étoiles
scintillèrent dans le ciel. Une lune immense se
reflétait sur les vagues sombres et mouvantes.
Je pris la main de Vanessa et nous fîmes quelques
pas sur la plage de sable fin. Une légère brise
accompagnait l’agréable son des vagues qui
venaient mourir à nos pieds.
— C’est magnifique... Où sommes-nous ?
— Près de Canet plage, dans les Pyrénées
Orientales.
— Tu habitais ici ?
— Oui, au dernier étage de l’immeuble que l’on
aperçoit là-bas.
— C’est génial, tu dois avoir une jolie vue de là-
haut. Tu peux me faire visiter ?
Le décor changea à nouveau. Nous nous
trouvions à présent sur la terrasse surplombant la
plage. Vanessa s’approcha de la balustrade chromée
et regarda l’horizon.
— La vue est remarquable... Quel est cet endroit
là-bas ? demanda-t-elle en désignant les milliers de
lumières scintillantes qui se reflétaient sur la mer.
— Saint Cyprien Plage, et au loin, tu aperçois la
baie de Collioure, lui répondis-je, en la regardant
poser ses mains sur la rambarde.
— C’est magique !
330
Le Cristal des Dieux 1

Dans l’appartement, tout était là, les meubles, la


grande cuisine équipée, le canapé de cuir blanc,
l’écran plat, la petite table basse en verre, le grand
lit.
— C’est ici que je vis...
— Woaoo, tu vis dans un loft ! J’aime beaucoup,
ça me donne des idées pour chez nous !
— J’adore les grandes pièces à vivre. C’est
pratique, tout est à portée de main.
Bien entendu, tout était nickel... j’avais fait le
ménage dans mes souvenirs. Et moi qui pensais ne
plus revoir mon petit chez-moi. Je m’émerveillais
moi-même de retrouver ma maison.
Vanessa s’approcha du lit.
— Je suis certaine que beaucoup de filles ont
dormi là-dedans... Hmmm, ça y est... je commence
à être jalouse...
— Sur celui-ci ? Personne ! lui répondis-je en me
positionnant derrière elle.
Je lui effleurais sa chevelure dorée et lui dévoilais
une épaule afin d’y déposer un baiser. Son odeur
exquise m’envahit et m’enivra.
Elle resta ainsi, de dos, les yeux fermés, tandis
que mes lèvres remontaient vers son cou. Elle
poussa un soupir pendant que je lui dénouais sa
ceinture. Sa tunique glissa sur son corps, dévoilant
la nuisette nacrée qui laissait deviner ses formes
affolantes. La vue de son corps exquis me fit frémir.
Sans se retourner, sa main chercha la mienne, la
331
Les survivants d’Hullia

trouva et la posa sur son ventre. Je couvrais son dos


de baisers tandis que mes mains glissaient sous sa
nuisette en effleurant sa peau aussi douce que de la
soie.
— Tu vas me rendre folle..., dit-elle en soupirant.
Elle se retourna et s’accrocha à mon cou pour
m’embrasser passionnément.
Je l’attirais doucement vers le lit, puis
m’allongeais auprès d’elle. Son regard émeraude
plongea dans le mien tandis que ses doigts
dénouaient ma ceinture. Ses mains parcouraient
mon torse tandis que sa bouche voluptueuse
explorait ma peau.
Elle se redressa, plaça ses mains sur mon buste,
puis s’assit sur moi. Mes mains glissèrent sur sa
taille délicate, puis remontèrent avec douceur vers
ses seins fermes et sublimes. Ses reins se
cambrèrent majestueusement. Je la sentis
frissonner. Elle se courba alors vers moi et son
visage d’ange se perdit dans sa chevelure blonde qui
s’échouait sur moi comme une cascade dorée. Elle
s’inclina encore et pressa sa poitrine contre moi.
Elle était irrésistible et aussi désirable qu’il me
devenait presque impossible de contenir mon
excitation montante. Sans relâcher notre étreinte, je
la renversais doucement sur le dos. Mes mains
sculptèrent son corps, tandis que mes lèvres
effleuraient sa peau en savourant ses timides
gémissements.
— Je te veux..., me dit-elle dans un souffle.
Ma main se déroba entre ses jambes, que
332
Le Cristal des Dieux 1

j’écartais avec douceur pour m’inviter entre elles


délicatement. Elle ferma les yeux, et lâcha un long
soupir saccadé. Elle pressa ses lèvres contre les
miennes tandis que sa respiration s’accélérait sous
notre étreinte.
Nos souffles ne firent qu’un, tandis que nous
sombrions ensemble vers un bonheur intense et
merveilleux.

***

333
Les survivants d’Hullia

334
Le Cristal des Dieux 1

Les mois passèrent, pleins, longs et merveilleux.


Un soir, Vanessa voulut me faire une surprise. Elle
me prit par la main et m’emmena sur la terrasse d’un
grand restaurant situé au troisième étage de la tour
Eiffel. La lumière blafarde de la lune éclairait les
toits de Paris.
La vue était imprenable, grandiose... Elle
s’étendait sur les toits de la capitale illuminée. Au
loin, sur les hauteurs de la butte Montmartre
s’élevait la basilique du Sacré-Cœur vivement
éclairée.
Nous nous installâmes devant une table ronde
magnifiquement dressée. Des assiettes en
porcelaine blanche avec ses couverts, ainsi que des
verres en cristal trônaient sur une nappe blanche.
La lumière tamisée plongeait la pièce dans une
ambiance intime et feutrée tandis qu’une musique
douce s’élevait autour de nous.
Un serveur en chemise blanche et nœud papillon
s’approcha et déposa un seau à champagne sur la
table. Il déboucha une bouteille de grand cru, avec
beaucoup de grâce, puis avec une attention
distinguée, il versa le liquide doré et pétillant dans
les deux verres à champagne. Il posa la bouteille
dans le seau à glace et nous salua avant de
s’éloigner.
— Eh bien, je tiens à te féliciter mon amour, c’est
vraiment réussi.
335
Les survivants d’Hullia

— Je me suis entraîné, sourit-elle en levant sa


flûte. Mon père et Joaquín nous avaient fait cette
surprise lors de notre visite de la tour. Comment
trouves-tu le décor ?
— C’est magnifique ! Paris est vraiment très
belle la nuit. Je comprends son surnom de ville
d’amour et de romantisme.
— Tu n’es jamais venu à Paris ?
— Non, et je te remercie de me faire partager ce
cadre enchanteur. À notre amour, lui dis-je en
trinquant. Humm... Ce champagne est délicieux !
— Je l’ai spécialement choisi pour cette occasion,
car j’ai quelque chose à t’annoncer..., dit-elle en
souriant.
— Ah ? Dis-moi mon cœur.
— Je suis enceinte !
— Oooh, mon amour, c’est merveilleux... Cette
nouvelle emplit mon cœur de joie, lui dis-je en me
levant pour la serrer dans mes bras.
— Je suis tellement heureuse. Je
t’aime tellement, dit-elle en m’embrassant.
— Qu’en penses-tu ? demanda-t-elle. Si c’est un
garçon, j’aimerais qu’il s’appelle Alexandre.
— Alex ? lui demandais-je en fronçant les
sourcils, tandis que des flopées de souvenirs
remontaient dans mon esprit.
— Oui... On pourra aussi l’appeler par ce
diminutif. C’est un très beau prénom... mais je vois
à ton expression, que tu n’aimes pas trop. Nous
pouvons en trouver un autre.
— Non... oui... ce prénom est très bien. Dis-
336
Le Cristal des Dieux 1

moi... si c’est une fille, tu aimerais certainement


l’appeler Alicia.
— Toi, tu as lu dans mes pensées.
— Loin de moi, cette intention, mon amour... Je
t’ai promis de ne pas utiliser cette aptitude. Mais,
dis-moi, pourquoi ces prénoms ?
— C’était il y a quelques années, j’ai discuté avec
un jeune couple dans un aéroport, ils étaient
adorables... J’ai trouvé leurs prénoms très beaux.
D’ailleurs, c’est étrange, maintenant que j’y pense,
ce garçon te ressemblait étonnamment.
— Tu les as rencontrés dans un aéroport ? Ces
jeunes gens partaient-ils pour l’Italie ?
— Tout à fait... Mais là, tu m’intrigues
vraiment... Tony, si tu ne l’as pas lu dans les
pensées, peux-tu m’expliquer comment tu sais tout
ça ?
— Lorsque j’ai été accueilli par les Solleda, il y
avait un cadre accroché au mur, c’était la photo de
leur enfant... Alexandre. Ils m’expliquèrent
comment lui et son amie Alicia avaient
mystérieusement disparu le samedi 7 janvier 2006 à
bord d’un avion en partance pour l’Italie !
— Alicia ?
— Oui... J’ai vu une photo de lui et de son amie,
la fille était une jolie métisse...
— C’est bien elle ! Mon Dieu, Tony, j’ai
rencontré cette jeune fille ce jour-là à l’aéroport,
nous avons tout de suite sympathisé, elle était dotée
d’une gentillesse et d’un charisme phénoménal. Je
me souviens aussi d’Alex, il disait avoir été adopté.
337
Les survivants d’Hullia

Je leur ai donné mon numéro de téléphone en leur


demandant de m’appeler, mais ils ne l’ont jamais
fait. Je comprends pourquoi à présent... Je revois le
visage du jeune homme, il te ressemblait
énormément... mais ses yeux étaient verts... Te
rends-tu compte qu’Alicia s’est demandé si nous
avions un lien de parenté ?
— Oui, et ses yeux étaient comme les tiens et les
miens à présent... Vanessa, ce jour-là, tu as
rencontré notre futur enfant !
— Mon Dieu, Tony... que va-t-il donc se
passer pour que notre enfant soit adopté et se
retrouve dans le passé ? demanda-t-elle en plaçant
ses mains sur son ventre.
— Je ne sais pas mon ange... je ne sais pas..., lui
dis-je en la serrant dans mes bras pour apaiser ses
pleurs.

Fin

338
Le Cristal des Dieux 1

339
Les survivants d’Hullia

340
Le Cristal des Dieux 1

Extrait du Cristal des Dieux, tome 2

LES RESCAPÉS DE NEO-HULLIA

« Et zut... » se dit-il en regardant les multiples


panneaux d’affichage qui annonçaient un retard sur
son vol.
Malgré les innombrables bancs, il ne restait pas
une seule place de libre. Il s’accroupit et appuya son
dos contre un pilier, mais las de cette position
inconfortable, il se leva et déambula dans la galerie
marchande afin de faire passer le temps. Son regard
accrocha le panneau de la cafétéria. Peut-être y
trouverait-il une place un peu plus confortable que
le sol du hall.
La salle de restauration était grande et lumineuse.
Il s’approcha du présentoir bondé. Il choisit une part
de tarte aux amandes et une petite bouteille d’eau.
Son plateau dans les mains, il jeta un coup d’œil
dans la salle aux teintes chaleureuses avec vue
panoramique sur les pistes.
Alex cherchait une table lorsqu’il sentit un léger
malaise. Une sorte de bourdonnement résonna dans
sa tête durant quelques secondes.
« C’est certainement le stress de prendre
l’avion, » pensa-t-il.

341
Les survivants d’Hullia

Il croisa le regard vert et surprenant d’une jeune


femme blonde. Son visage lui sembla étrangement
familier. Il lui adressa un sourire, elle le lui rendit.
En face d’elle se trouvait une jeune femme aux
longs cheveux noirs aux reflets bleutés.
Elle lui tournait le dos, mais son apparence
physique lui rappela la belle Alicia...
Le simple fait d’y penser emballa son cœur... Il
revit son visage et sa façon de le regarder.
C’est à cet instant qu’il prit conscience que
depuis deux jours son esprit tentait de la voir un peu
partout. La beauté et l’intelligence de la jeune
femme l’avaient profondément troublé. « Comme il
me tarde lundi » se dit-il. « Et si je l’appelais en
arrivant, accepterait-elle qu’on se voie dimanche ? »
Il allait poser son plateau sur une table,
lorsqu’une voix féminine l’interpella.
— Alex ?
Son cœur fit un bond dans sa poitrine en
reconnaissant l’intonation de la voix. Il se retourna
aussitôt.
Alicia était la jeune femme aux cheveux longs
noirs. Elle s’était levée et le regardait d’air étonné
et radieux à la fois.
Elle était habillée d’un long pull noir descendant
sur un pantalon en blue-jeans. Une large ceinture
était ajustée à sa taille.
— Alicia ? Je suis étonné de te retrouver ici... Je
pensais que tu étais partie à Lyon...
— L’aéroport m’a contacté hier matin en
m’expliquant que par suite d’une anomalie
342
Le Cristal des Dieux 1

informatique, ma place pour Rome a été annulée. Je


leur ai dit que j’étais encore à Toulouse, alors ils
m’ont proposé ce vol. Du coup, j’ai annulé la soirée
avec mes amies et anticipé mon vol. Mais Woaoo,
ça me fait plaisir de te revoir.
— Moi aussi... Et je suis désolé pour ta soirée...
— Mais non, ce n’est pas grave, répondit-elle en
souriant. Elle se tourna vers la jeune femme blonde.
Pardon, Vanessa... Je te présente Alex, c’est la
personne dont je t’ai parlé... Alex, je te présente
Vanessa.
La jeune femme blonde était très belle. Elle était
habillée d’un blazer en jersey blanc, sur une
chemise noire. Un foulard de soie noir et blanc
pendait à son cou.
— Enchanté Vanessa. Puis-je me joindre à vous ?
— Mais, je t’en prie ! répondit-elle en souriant.
— Nous avons fait connaissance dans le hall,
expliqua Alicia. Il restait une seule place libre et
nous sommes retrouvées devant le même siège en
même temps. Après nous être plusieurs fois proposé
la place, sans nous décider, nous nous sommes
regardées en riant... alors nous avons décidé d’aller
papoter devant un café.
— C’est original comme rencontre..., dit-il en
posant son plateau. Donc, si j’ai bien compris, vous
parliez de moi ?
Il ôta sa veste et s’installa.
— Justement, je lui disais que tu avais les mêmes
yeux qu’elle, expliqua Alicia. Mais à présent que je
vous vois tous les deux... Ne seriez-vous pas parents
343
Les survivants d’Hullia

tous les deux ?


— Qui sait ? répondit le jeune homme. Je n’ai pas
connu mes vrais parents.
— Je suis désolé de l’apprendre, dit Vanessa d’un
air attristé.
— Ce n’est rien, ajouta-t-il en souriant. Mes
parents adoptifs sont formidables... Mais parlons
d’autre chose… Vous partez aussi pour l’Italie ?
— Non, je rentre à la maison. Je viens de passer
quelques jours chez mes parents pour mon
anniversaire...
— Ah ? Eh bien, joyeux anniversaire ! lui dirent-
ils en cœur.
— Merci, c’est gentil.
— C’est bien, ça tombe durant les fêtes de fin
d’année.
— Oui, j’ai fêté mes vingt ans, le vingt-cinq
décembre dernier.
— Ah oui... difficile de rater la date ! remarqua
Alex en souriant.
— Effectivement ! Donc là, je repars chez moi en
Espagne. Mon avion part bientôt, je reprends le
travail dimanche.
— Dimanche ? Mais c’est un jour de repos,
voyons !
— Vanessa est infirmière, précisa Alicia.
— Je travaille au service de maternité à l’hôpital
de Granada.
— L’Andalousie ! s’extasia le jeune homme. J’ai
un profond attrait pour cette région, son histoire, ses
villages, son folklore haut en couleur et surtout sa
344
Le Cristal des Dieux 1

musique.
— Bienvenue au club ! J’y vis définitivement
depuis l’âge de dix-sept ans. Mais j’y ai aussi vécu
par petites périodes dans ma petite enfance. Entre
temps, j’ai aussi vécu ici à Toulouse. Oh... je dois y
aller ! annonça-t-elle, en regardant le panneau
d’affichage mural. Le temps passe vite en votre
compagnie... Je suis vraiment heureuse de vous
avoir rencontré.
Vanessa se leva, fit la bise aux deux jeunes gens,
puis fouilla dans son sac à main et tendit une carte
de visite à Alicia.
— Restons en contact. Alicia, laisse-moi ton
numéro, le mien est sur la carte. Lorsque j’ai
plusieurs jours de repos, je viens les passer chez mes
parents ici à Toulouse. Donc, on pourrait se revoir
et faire une sortie ensemble... Et si vous décidez de
venir en Andalousie, prévenez-moi, je me
débrouillerai pour me libérer et vous accueillir avec
grand plaisir.
— Pourquoi pas ?
— J’y tiens ! On s’appelle, surtout n’hésitez pas
à me donner de vos nouvelles. Je vous trouve
mignons à croquer, vous formez un couple
merveilleux, leur dit-elle en les embrassant.
La jeune femme s’éloigna en traînant sa valise à
roulettes, puis se retourna en leur souriant avant de
passer la porte de la cafétéria.
— Cette fille est adorable, souffla Alex à l’oreille
d’Alicia.
— Elle est carrément géniale... J’ai l’impression
345
Les survivants d’Hullia

qu’elle pense que nous sommes ensemble...


— Et que nous formons un couple merveilleux,
lui répondit le jeune homme avec un immense
sourire.
— Ça, j’en suis persuadée..., lui dit-elle.
— Nous avons encore un peu de temps, lui dit
Alex en jetant un coup d’œil à la grande horloge
murale.
— Oui... Ça te dirait d’aller flâner devant les
boutiques du terminal en attendant
l’embarquement ?
— Avec plaisir ! répondit-il.
Il débarrassa son plateau et celui de la jeune
femme, puis les déposa sur le meuble prévu à cet
effet. Lorsqu’il revint, Alicia venait de mettre son
blouson de cuir. Elle ajusta son foulard et posa son
sac à main sur son épaule.
Alex tomba en extase devant l’élégance naturelle
de la jeune femme.

Déambulant côte à côte parmi les magasins,


Alicia s’arrêta devant la vitrine d’une joaillerie et
s’enthousiasma devant l’ensemble des bijoux
scintillants.
Un jeune homme aux cheveux blonds vêtu d’un
long manteau noir tirant une valise à roulettes les
regarda quelques instants puis s’approcha d’eux.
— Excusez-moi... Auriez-vous du feu, s’il vous
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Le Cristal des Dieux 1

plaît ? demanda-t-il en tâtant son manteau. J’ai


égaré mon briquet...
— Désolé, je ne fume pas, répondit Alex.
— Moi, non plus, lui dit Alicia. Mais, il est
interdit de fumer dans l’aéroport.
— Je sais ! répondit le jeune homme en désignant
une sorte de grande cabine vitrée. Il y a un fumoir,
juste là, mais il n’y a personne à l’intérieur pour en
demander. Merci et désolé du dérangement.
Ils regardèrent le jeune homme blond s’éloigner
et demander du feu aux personnes qui passaient près
de la cabine. Une dame fouilla dans son sac à main
et lui remit un briquet. Il alluma sa cigarette, la
remercia et entra dans la cabine-fumoir.

Alex se retourna et regarda à nouveau la vitrine.


Alicia remarqua qu’il s’attardait sur chaque bijou
contenant une pierre de couleur bleue. Il semblait
pensif et entortillait la chaînette de son médaillon
entre ses doigts.
— Tu sembles chercher quelque chose de
particulier ? lui demanda-t-elle.
— En fait... oui. Je recherche depuis longtemps
une pierre précieuse de couleur bleue assez
particulière...
— Quel genre de pierre ?
— Tu vas certainement trouver ça bizarre, mais
je ne saurais dire exactement. Ça ressemble à une
sorte de diamant bleu, mais rien n’y ressemble, c’est
différent, plus scintillant, plus lumineux que tout ce
que l’on peut voir ici.
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Les survivants d’Hullia

— Plus scintillant ?
— Oui, beaucoup plus... Ses reflets sont
iridescents et son cœur possède une surprenante
profondeur.
— C’est étonnant, j’ai l’impression que tu décris
le pendentif de Vanessa...
— Comment ça ? s’étonna le jeune homme en
ouvrant de grands yeux.
— Elle le portait sous son foulard, lorsqu’elle
s’est baissée pour poser son sac, j’ai aperçu son
scintillement, du coup elle me l’a montré... les
reflets de ses innombrables facettes étaient
fascinants. Sa beauté était indéfinissable !
— J’aurais aimé le voir... Dis-moi Alicia,
ressemblait-il à ça ? demanda-t-il en tirant
doucement sur sa chaînette.
La forte lumière de la vitrine éclaira son
médaillon et une multitude de petits reflets
multicolores inonda leurs visages.
— Mon Dieu, Alex... C’est un Cristal des Dieux !
s’exclama Alicia.

***

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Le Cristal des Dieux 1

La suite dans
Le Cristal des Dieux
Tome 2
Les rescapés de Néo-Hullia

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Les survivants d’Hullia

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