Vous êtes sur la page 1sur 16

Léon Galo d’Arsac

La ballade des pauvres gens

« En haut d'une masure, une pauvre soupente


Abritait pour un soir, en toute humilité,
Un dîner qu’avec joie on avait là dressé
En lui donnant les airs d'une fête galante… »

L 'homme se tut un moment, montrant d'un geste


auguste et pontifiant le banal décor dont il était
question. La pièce était sans vie, ses murs ternes et
sans attrait portaient encore les traces de mille misères
vécues ici, Dieu sait depuis quand. Une mauvaise peinture
verdâtre les recouvrait, vestige d'un siècle révolu et de ses
dures conditions de vie. De larges pans grisés par la
poussière et les années d'oubli offraient un aspect tirant sur
le gris triste des vêtements de peine, qu’arboraient autrefois
les veuves en leur deuil. Le mobilier était à l'avenant. Une
vétuste commode qui, jadis, avait dû avoir un certain style et
dont les vermoulures s'étaient copieusement repues,
occupait le milieu du mur sur la droite. Elle avait été
époussetée et il était visible que l'on avait rangé le bric-à-
brac qui l'encombrait habituellement. La table, toute simple,
trônait au milieu de la pièce, flanquée de deux chaises de
bois dont la paille éventrée assurait encore son office si l'on
ne la sollicitait pas exagérément. L'unique fenêtre était
plutôt une lucarne, dont même en plein jour la vitre sale
laissait à peine filtrer les maigres rais de lumière que le
morne crépi du mur d'en face daignait lui redistribuer. Mais
à cette heure de la soirée, de toute façon, l'obscurité régnait
en maîtresse des lieux depuis un bon moment. On l'éclairait,
en temps normal, par une ampoule pendante, sans lustre ni
abat-jour, reliée au plafond directement par les deux câbles
de cuivre gainé qui l'alimentaient et quelques fils d'araignée
chargés de poussière qui accusaient la négligence du
ménage. Mais ce soir-là, on l'avait laissée en repos, car…

« ... Pour lumière ils n'avaient qu'une simple bougie


À dessein mise là pour éclairer l'orgie
De regards langoureux, que passionnément
S'échangeraient ici la maîtresse et l'amant. »

C'est la dame qui, cette fois, fit signe à l'homme de


suspendre son inspiration. Un petit « chut » avec son index,
et puis elle s'approcha de son visage et sa bouche carmine
déposa un petit bécot sur les lèvres du poète. Elle se rassit
sur sa chaise bancale, sourit et le regarda avec tendresse. Sur
la table, d'habitude recouverte selon toute vraisemblance
d'une toile cirée premier prix, maculée de vin et de gras
comme il se doit, on avait étalé ce soir-là une nappe éclatant
2
de blancheur, qu'on devinait réservée aux grandes occasions.
C'était là le seul élément de luxe dans tout le décor. Le
couvert était correct, sans plus. Assiettes blanches et propres
mais ordinaires, fourchettes et couteaux qui, il y a
longtemps, avaient dû être argentés mais dont le placage
avait presque disparu laissant apparaître de larges tâches
grisâtres entre les éclats à peine brillants du précieux métal.
Pas de cristal pour les verres et la carafe, néanmoins ils
offraient au regard une certaine ligne racée, ils provenaient
sans aucun doute d'un service bon marché imitation luxe, à
destination des ménages désargentés voulant jouer aux
riches. Ils étaient remplis d'un vin qui, loin d’être un grand
cru mais n’allant pas pour autant jusqu’à la vinasse bas de
gamme, se démarquait honorablement de l'ordinaire des vins
de table. On avait fait un petit effort, l'occasion le méritait.
La lueur vacillante de la bougie, posée sur un chandelier du
même style que les verres, éclairait d'une vague ondulante
les visages de nos protagonistes et, sitôt passé ces deux
lunes posées sur un ciel noir, allait mourir bien vite dans
l'ombre de la pièce, laissant à peine deviner le réduit du coin
cuisine du côté de la petite fenêtre et dérobant totalement
aux regards le minuscule vestibule attenant à la porte
d'entrée de la pièce.

« ... Ils avaient désiré, pour leur anniversaire,


Faisant fi des efforts et du qu'en-dira-t-on,
S'offrir par un frugal tant qu'humble gueuleton
Un moment qui les eût sortis de l'ordinaire. »
3
L'homme était ce soir-là bien en verve. Son épouse
savait qu'il avait toujours aimé titiller la rime en amateur,
mais elle ne pouvait s'empêcher de tomber, à chaque fois,
sous le charme touchant de ses versifications naïves : on
était loin de Lamartine et Hugo, certes, mais c’était son
poète à elle, son charmeur privé. Il avait préparé son petit
discours rimé un peu plus tôt, tandis qu’elle-même, tablier
de cuisine sur le giron, s’affairait aux fourneaux, si l’on
peut qualifier ainsi la pâle gazinière où se préparait le
dîner d’amoureux. Elle s’était voulue, pour l’occasion,
poétesse culinaire et, bien que peu habituée aux
préparations fines et minutieuses, elle espérait s’en être
honorablement sortie. Le cœur, de toute façon, y était, et
son homme, elle en était certaine, saurait l’apprécier.

Tous deux étaient de sémillants quinquagénaires bien


faits de leur personne. Lui, avec un léger embonpoint et
des tempes argentées ornant une légère calvitie débutante,
montrait un visage rondelet avec des yeux rieurs abrités
derrière deux verres en demi-lune posés sur un nez fin et
aquilin, arborant toujours un sourire bonhomme ; elle,
jolie blonde un peu replète aussi, arborait un visage
radieux et plaisant.

Monsieur s’était attifé, dans un effort de style


inhabituel, d’une veste de velours gris fort élimée et râpée
par endroits, mais cela se devinait à peine dans la
4
pénombre. Un gilet du même tissu, de couleur légèrement
dépareillée, recouvrait une chemise blanche au col un peu
jauni, mais là encore la faible lumière lui sauvait la mise
— protection bien inutile face au regard énamouré de sa
belle. Il avait complété sa panoplie par un nœud papillon
un peu trop petit, mais ce contraste discordant lui
conférait un air naïf et touchant. La femme, pour sa part,
s’était habillée comme une grande dame, avec une longue
robe vert d’eau lui moulant hanches et poitrine, resserrée
à la taille d’une large bande tenue par une boucle dorée.
Comme la veste de son homme, elle arborait quelques
accrocs rapiécés avec plus ou moins de bonheur, mais
estompés par la relative obscurité. Les longs plis
bouffants retombaient jusqu’à ses chevilles un peu
épaisses mais finement sculptées par des escarpins vernis
d’occasion, et son décolleté à jabot ouvrait une vue d’une
délicieuse sensualité sur son sein rebondi. Elle portait au
cou un collier de dentelle noire, et avait jeté sur ses
épaules un châle de tulle rose où tombait négligemment
— à dessein ? — une mèche échappée de sa chevelure
relevée en chignon et tenue en place par deux longues
broches, en fait deux aiguilles à tricoter. Bagues et
bracelets de toc complétaient l’ensemble qui, désassorti à
souhait, répondait parfaitement à l’accoutrement
foutraque de son homme. Ils se souvenaient tous deux de
leur envie de fou-rire quand, l’après-midi même, ils
5
avaient dégoté et essayé sur place tout cet attirail
hétéroclite dans la friperie locale. Mais tout cela ne jurait
d’apparence que pour mieux servir d’écrin à nos deux
tourtereaux. L’homme avait les yeux brillants et rieurs,
dans son costume de faux bourgeois, quand il les posait
sur sa bien-aimée ; et elle, sous le fard doré à deux balles
qui soulignait l’or blanchissant de sa crinière, rayonnait de
joie sous les regards chaleureux de l’astre de sa vie. Ne lui
avait-il pas déclaré avec flamme, d'ailleurs, en plein milieu
de la boutique :

« Mes yeux te vêtiront de lin et de dentelle


Qu’avec fièvre mes mains te viendront arracher ;
Lors, ton corps à mon corps venant s’abandonner
À l’amour offrira sa rouge fleur nouvelle. »

La déclaration avait fait rosir la femme qui en avait


baissé les yeux comme la pucelle qu’elle n’était pourtant
plus depuis longtemps. Après leurs emplettes vestimen-
taires et dînatoires, ils étaient remontés avec une hâte
fébrile dans ce galetas miteux ; elle s’était mise à cuisiner à
la lueur blafarde de l’ampoule plus ou moins incan-
descente, et lui à rêver de ses rimes. Il passait de temps à
autre derrière elle, l’aidant à sa manière d’une grivoise
caresse remontant sous la robe froufroutante vers le haut
de la cuisse, geste auquel elle mettait fin par un fugace

6
baiser lui signifiant que le coup de main, pour agréable
qu’il fût, n’était pas indispensable.

« Au lieu de me lutiner, cher trésor, si tu me


déclamais, cependant que je trime, cette belle ballade que
tu m’as promise ? »

Bien sûr qu’il allait la lui offrir. Mais pas maintenant.


Ce serait l’apéritif qui ouvrirait le festin.

Ils avaient dressé la table avec force œillades


langoureuses, allumé la bougie après avoir congédié la
lumière électrique, et, seuls avec la pénombre alentour,
plongeant leurs yeux dans ceux de l’autre, s’étaient
contemplés longuement sans rien dire, juste en se
souriant doucement. Lui songeait que décidément, sa
femme comme le bon vin devenait chaque année plus
désirable et capiteuse. Et elle, regardant son homme,
mesurait son bonheur de voir chaque journée leur donner
une bénédiction nouvelle. Ils trinquèrent à toutes ces
années de bonheur, humèrent et goûtèrent du bout des
lèvres le nectar du pauvre qui déjà leur chatouillait
agréablement les narines, puis dans un clin d’œil complice
le vidèrent d’un trait. Avec un soupir d’aise ils s’en
versèrent une nouvelle rasade, et le flot du liquide
gouleyant emplit la triste pièce de son suave clapotis.

7
« Et bien ma chérie, pour ouvrir les réjouissances,
voici pour toi et moi, en ces précieux instants, la ballade
que je t’offre, et j’en demande pardon par avance à Villon
et Ronsard, qui, s’ils eussent sans aucun doute fait
beaucoup mieux en une occasion semblable, auraient du
moins assurément partagé avec moi cet élan du cœur ; et
également à M. de Banville, qui je l'espère me pardonnera
d'avoir usurpé le titre de son œuvre qui…
- Oui mon chéri, coupa la dame, j’ai déjà oublié le début
de ta phrase. Vas-y, je suis tout ouïe !
- Oui, tu as raison. Voici donc, pour nous deux, la Ballade
des pauvres gens. »

Prenant la pose solennelle et digne des récitants, un


brin pédant dans son costume étriqué, il se mit à déclamer
avec chaleur, la main sur le cœur, sous le regard étincelant
de sa belle :

« Lui, fier d'avoir en poche quatre sous


Qui flamberont en agape frugale,
Elle arborant un châle plein de trous
Sur une épaule à la peau blanche et pâle,
Voyez ces gueux dont le luxe s'étale
Avec fierté sous leurs atours usés !

8
La classe à l’âme au lieu qu’en leurs effets,
La majesté dans leurs plus humbles poses,
Ainsi vont-ils, sous nos yeux amusés :
À pauvres gens, trésor en toutes choses !

Avec humour quand les jours se font flous,


Sourire au cœur et d'une humeur égale,
Tout leur est bon pour aimer comme fous,
Et rire aussi ; toute histoire banale
Sera pour eux la farce magistrale
Qui comblera d'éclats décomplexés
Leurs cœurs légers bien que souvent brisés ;
Et de gaîté chargeant leurs jours moroses
Ils chanteront dans de blanches clartés :
À pauvres gens, trésor en toutes choses !

Jamais sevrés d’œillades, de mots doux,


Toujours plumant, pétale après pétale
La marguerite, et posant dans leurs cous
Force bécots chantants comme cigale,
Si « pas du tout » leur choit, c'est le sépale
Qui palliera leurs sentiments frustrés,
Prémisse encore à bien d'autres baisers ;
D'un seul regard feront parfums de roses
Qui ne seront jamais secs ni fanés :
À pauvres gens, trésor en toutes choses ! »

9
Étendant le bras en avant comme un chanteur de
charme, il énonça pompeusement :

« Envoi !
Prince, voyez dans ces deux cœurs ailés
L'amour qui vit et vivra mille étés
Tant que seront leurs paupières décloses ;
Et devant tous, haut et fort proclamez :
À pauvres gens, trésor en toutes choses ! »

Un tonnerre d’applaudissements jaillit des mains de


l’épouse ravie et conquise qui se jeta au cou de son poète.
On s’embrassa goulûment, puis on se posa sur les
rustiques sièges. On se servit le hors d’œuvre, simple
salade composée d’amour et de scarole ; puis le pot-au-
feu et ses patates toutes simples enrobées de doucereux
regards, le dessert de modeste confiture tentant de fuir
aux commissures des lèvres sensuelles où la rattrapait une
langue furtive… Elle fixa son homme dans les reflets de
la bougie, qui avait nettement baissé depuis le début des
frugales agapes.

« Comme tu avais raison mon aimé, on peut goûter


un si grand bonheur du simple fait d'être ensemble,
qu'importent le dénuement et la simplicité !
- Ne te l’avais-je pas promis, ma douce ? C’est un bel
anniversaire de mariage, n’est-ce pas ?
10
- Le plus beau de tous mon trésor. Trente ans, tu te rends
compte !
- Et trente encore devant nous ! fit-il avec un clin d’œil et
un éclat de rire, tout en levant son verre. Et pour nos
soixante ans, ajouta-t-il hilare, je te promets que nous
irons à Paris, à la Tour d’Argent !
- À la Tour d’Argent ! » reprit-elle en riant et en faisant
tinter son verre sur celui de son bien-aimé.

Ils burent et se sourirent, lui avec sa douce bonhomie,


elle avec de la flamme dans le regard. Il se sentit de
nouveau l’âme poétesse, et se risqua à improviser à la
volée, avec ce vouvoiement qui les amusait tant dans ces
moments de tendresse partagée.

« Voyez, ma tendre amie, en quelle humilité


Nous jouissons ici d’une douce lumière,
Quand la béatitude enfle, flambe, et libère
Aux gens simples l’amour, la joie et la gaîté.

Le bonheur est charnel et se rit des fortunes,


Les poètes l’ont dit, je m’en fais l’humble écho :
Il cingle aux vents lointains dans un doux crescendo,
Ne réclamant pour lui ni les ors ni les lunes.

11
Dépourvu de tout luxe aux riants apparats,
C’est l’allégresse au cœur qu’avec émoi le pauvre
Trouve sa plénitude et son… et ses… heu...»

Il s’arrêta, coupé court dans son élan, n’ayant pas pris


garde à la rime orpheline. Lèvres pincées il leva vers sa
femme, par dessus les demi-cercles de verre soudain
penauds, l’œil inquiet d’un gamin pris la main dans le pot
de miel, cherchant quelque secours, et fut heureux de
rencontrer plutôt un doux éclat indulgent et amusé. Elle
se risqua à son tour, cherchant un peu ses mots :

« Et bien, mon cher époux, mon poète sublime,


Me faites-vous le coup de la panne... de rime ? »

Un double éclat de rire ponctua l’affaire, et se


penchant sans plus attendre l’un vers l’autre, ils unirent
leurs lèvres en un long baiser. Des mains se cherchèrent
et se trouvèrent, caressèrent bras et épaules, se lancèrent
dans une exploration consciencieuse des plis et replis des
robes et chemises ; puis des paires de mirettes se fixèrent
l’une dans l’autre, qui suggérant d’un grivois mouvement
latéral de passer à la suite du programme dans la chambre
voisine, qui signifiant d’un clignement vertical son
approbation enthousiaste.

12
Sous la pale clarté de la bougie mourante, ils
marchèrent main dans la main vers la porte de la chambre
à coucher, que le mari poussa tout doucement. Sa femme
marqua un arrêt, soudain crispée.

« Tu as entendu ? demanda-t-elle en tendant l’oreille.


- Quoi donc ma douce ? répondit-il, attentif.
- Une sorte de petit cri, comme un couinement de
souris...
- Une souris ? Mais non, ce doit être la porte qui a grincé,
fit-il en faisant jouer le battant sur les gonds.
- Non tu vois bien, je suis sûre que c’en était une, allume !
- Tu veux ? Ça va tout gâcher ma chérie !
- Allume ! » insista-t-elle.

Il actionna l’interrupteur. L’ampoule, sensiblement


plus puissante que celle de la cuisine, éclaira d’un coup la
pièce. Éblouis, plissant les yeux sous le brutal éclat
douloureux et aveuglant, ils eurent tout juste le temps
d’apercevoir le furtif éclair grisâtre se faufilant dans une
anfractuosité de la plinthe.

Et d’un coup, le rêve s’achevait, le charme était


rompu.

13
« Là, je l’ai vue ! glapit la femme en se mettant en
retrait.
- Oui ma chérie, tu as raison, je l’ai vue aussi. Et regarde
ces trous, il y en a sûrement d’autres !
- Je hais les souris ! Je…
- Je sais mon cœur, je sais. Calme-toi. Nous allons sortir.
Et puis d’ailleurs, regarde cette chambre, c’est un peu
sordide non ?
- Le couvre-pieds, regarde, elles ont crotté dessus !
- Et pas seulement, poursuivit l’homme en humant une
tâche jaunâtre sur le drap. Là, ça dépasse les bornes.
- Ils se sont foutus de nous, ça gâche tout ! dit-elle avec
un hoquet dans la voix.
- Ah non, trois fois non mon cœur, cela il n’en est pas
question. On ne nous volera pas nos noces de perles, ça
je te le promets. Nous allons la faire chez nous notre nuit,
et avec plus d’ardeur encore, si tu veux bien.
- Oh oui mon chéri, faisons cela. D’ailleurs ça a assez
duré, c’est bien suffisant comme ça !
- Allons-y mon trésor. »

14
Revenant dans la cuisine, on ralluma l’ampoule qui,
aux yeux décillés, fit soudain apparaître, dans sa lueur
blafarde, le décor tel qu’il était : verdâtre et morose, avec
sa quincaillerie de pacotille, son pichet de piquette, ses
odeurs de bouffe froide écœurantes.

Oui, la citrouille était, bien tristement, redevenue


carrosse.

L’on se hâta vers le réduit qui faisait office de vesti-


bule, on quitta prestement les guenilles endimanchées, on
renfila plus vite encore le tailleur Chanel et la redingote
Saint-Laurent qui pendaient aux crochets de fortune, on
se précipita sur le palier avec une bonne humeur
promptement retrouvée et ponctuée de petits rires
sonores comme deux garnements fiers de leurs bêtises,
on descendit les marches quatre à quatre jusqu’au rez-de-
chaussée et l’on respira enfin l’air de la rue, avec ses
vitrines luxueuses et son animation nocturne. D’humeur à
nouveau jouasse on s’approcha d’un coupé Mercedes
flambant neuf à l’avant duquel somnolait un jeune
homme en livrée, que l’on éveilla bien prestement en
toquant à la vitre :

« Démarrez donc Nestor, nous rentrons au


manoir ! »

15
Et Nestor démarra, la puissante cylindrée vrom-
bissant à travers la ville noire, tous feux froncés dans une
allure de sprinter. Elle emportait avec fougue ses maîtres
vers le creux accueillant d’un lit avide de chaleurs
amoureuses, théâtre bientôt d’une torride nuit de bonheur
conjugal dont les brûlantes prémices, à l’abri des vitres
teintées sur le siège arrière, avaient déjà amplement
commencé.

16

Vous aimerez peut-être aussi