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UNIVERSITÉ DE MARNE-LA-VALLÉE

LH 13

L'invention de la liberté dans l'Amérique espagnole (1780-1830).


Un essai d'histoire croisée.

Textes et documents de TD
Federica Morelli (2006-2007)

Lithographie. BNF : B 114789.


UNIVERSITÉ DE MARNE-LA-VALLÉE

L’invention de la liberté dans l’Amérique espagnole (1780-1830).


Un essai d’histoire croisée.

Textes et documents de TD
(Federica Morelli, 2006-2007)

1- Liberté et indépendance : problématique générale

Texte TD : L’argumentaire de la révolution d’indépendance selon Manuel Palacio Fajardo


Cf. Esquisse de la révolution de l’Amérique espagnole(1817)

2- L’Amérique espagnole à la fin du XVIIIe siècle

Texte TD : La société coloniale selon Alexandre de Humboldt


Cf. Essaie Politique sur le royaume de la Nouvelle-Espagne (1811)
Texte TD : Aux sources de l’antagonisme entre « Espagnols européens » et « Espagnols américains »
Cf. « Représentation adressée par la ville de Mexico au roi D. Charles III (1771) »

3- Aspirations de coleur : indiens, noirs, sang-mêlés et blanc créoles

Texte TD : Descriptions des castes hispano-américains par Humboldt


Cf. Essaie Politique sur le royaume de la Nouvelle-Espagne (1811)
Texte TD : Description des castes vénézuéliennes par un colon blanc de Saint-Domingue
Cf. François-Raymond-Josef de Pons, Voyage à la partie orientale de la terre ferme dans l’Amérique
méridionale, Paris, Conet, 1806.

4- Les prodromes d’une révolution ?

Texte TD : La révolte de Tupac Amaru selon Alexandre de Humboldt


Cf. Essaie Politique sur le royaume de la Nouvelle-Espagne (1811)
Exposé : La révolte des Comuneros de la Nouvelle Granade (1781)

5- Les échos de la Révolution française

Exposé : La presse et la naissance de l’opinion publique en Amérique hispanique


Texte TD : Les Lumières et les réformes nécessaires
Cf. “Primicias de la Cultura de Quito”

6- Les projets de Miranda

2
Texte TD : Lettre de Brissot à Miranda
Cf. Jacques-Pierre Brissot, Mémoires, Paris, A. Picard fils, 1912.
Texte TD : Proclamation de Miranda aux habitants du continent Américo-Colombien
Cf. Francisco de Miranda, Diario de viajes y escritos políticos, Madrid, Ed. Nacional, 1977.

7- La crise de 1808

Exposé : La crise et la guerre d’indépendance en Espagne (1808-1812)


Texte TD : La nouvelle Espagne face à la crise de la monarchie
Cf. Acte du cabildo de Mexico du 19 juillet 1808

8- 1809-1810 : le mouvement des juntes

Texte TD : La question de la représentation politique


Cf. Camilo Torres, « Mémorial de agravios » (1809)
Texte TD : La junte de mai à Buenos Aires
Cf. « Circulaire de la junte provisoire de gouvernement de Buenos Aires » (1810), en Biblioteca de Mayo

9- Le premier constitutionalisme hispano-américain

Texte TD : La constitution de Cadix


Cf. Extraits de la Constitution Politique de la Monarchie Espagnole, publiée à Cadix le 19 mars 1812
Texte TD : La constitution de Quito
Cf. Pensamiento político de la emancipación

10- Guerre d’indépendance ou guerre civile ?

Texte TD : La guerre au Méxique


Cf. « Appel de l’évêque d’Oaxaca à prendre les armes (1811) », en Historia documental de Mexico
Texte TD : « La guerre à mort »
Cf. « Décret de Simón Bolívar » (Trujillo, 15 juin 1813)

11- PARTIEL (durée : 2 heures)

12- L’utopie républicaine

Texte TD : Bolívar : le projet d’une Amérique unie


Cf. Simón Bolívar : Extrait de la « Lettre à un habitant de la Jamaïque » (1815)
Doc. : Extrait de la Constitution de la République de Colombie (30 août 1821)
Texte TD : Vicente Rocafuerte prône le « système colombien populaire »
Cf. Pensamiento político de la emancipación

3
Carte : "L'Amérique vers 1800".
Cf. Pierre Chaunu, L'Amérique et les Amériques. Armand Colin, Paris, 1964, p.167

Carte 10. L'Amérique vers 1800.

4
Carte : L'Amérique du sud espagnole vers 1810

5
Carte : "L'Amérique en 1830".
Cf. Pierre Chaunu, L'Amérique et les Amériques, Armand Colin, Paris, 1964, p.229.

6
L’argumentaire de la révolution d’indépendance selon Manuel Palacio Fajardo
Cf. Esquisse de la révolution de l’Amérique espagnole(1817)

7
8
La société coloniale selon Alexandre de Humboldt (1811).
Cf. Essai politique sur le Royaume de la Nouvelle-Espagne, (Paris, Schoell, 1811), rééd. Utz,
Dijon, 1997, 2 tomes, (906 p.), pp. 172-173.

Lorsqu'un Européen qui a joui de tout ce qu'offre d'attrayant la vie sociale des pays les
plus avancés dans la civilisation, se transporte dans ces régions lointaines du nouveau continent,
il gémit à chaque pas de l'influence que, depuis des siècles, le gouvernement colonial a exercée
sur le moral des habitants. L'homme instruit, qui rie s'intéresse qu'au développement intellectuel
de l'espèce y souffre peut-être moins que l'homme doué d'une grande sensibilité : le premier se
met en rapport avec la métropole; les communications maritimes lui procurent des livres, des
instruments; il voit avec ravissement les progrès que l'étude des sciences exactes a faits dans les
grandes villes de l'Amérique espagnole : la contemplation d'une nature grande, merveilleuse,
variée dans ses productions, dédommage son esprit des privations auxquelles sa position le
condamne; le second ne trouve la vie agréable dans les colonies espagnoles qu'en se repliant sur
lui-même. C'est là que l'isolement et la solitude lui paraissent surtout désirables, s'il veut
profiter paisiblement des avantages que présentent la beauté de ces climats, l'aspect d'une
verdure toujours fraîche, et le calme politique du Nouveau Monde. En énonçant ces idées avec
franchise, je n'accusé pas le caractère moral des habitants du Mexique ou du Pérou; je ne dis
pas que le peuple de Lima soit moins bon que celui de Cadix; j'inclinerais plutôt à croire ce que
beaucoup d'autres voyageurs ont observé avant moi, que les Américains sont doués par la
nature d'une aménité et d'une douceur de mœurs qui tendent à la mollesse, comme l'énergie de
quelques nations européennes dégénère facilement en dureté. Ce manque de sociabilité qui est
général dans les possessions espagnoles, ces haines qui divisent les castes les plus voisines et
dont les effets répandent de l'amertume dans la vie des colons, sont uniquement dus aux
principes de politique qui, depuis le XVIe siècle, ont gouverné ces régions. Un gouvernement
éclairé sur les vrais intérêts de l'humanité pourra propager les lumières et l'instruction; il
réussira à augmenter le bien-être physique des colons, en faisant peu à peu disparaître cette
inégalité monstrueuse des droits et des fortunes, mais il trouvera d'immenses difficultés à
vaincre lorsqu'il voudra rendre les habitants sociables et leur apprendre à se regarder
mutuellement comme concitoyens.
N'oublions pas qu'aux États-Unis, la société s'est formée d'une manière bien différente
qu'au Mexique et dans les autres régions continentales des colonies espagnoles. En pénétrant
dans les monts Alleghanys, les Européens ont trouvé des forêts immenses dans lesquelles
erraient quelques tribus de peuples chasseurs que rien n'attachait à un sol non défriché. À
l'approche des nouveaux colons, les indigènes se retirèrent peu à peu dans les savanes
occidentales qui avoisinent le Mississippi et le Missouri. Ainsi des hommes libres, d'une même
race, de la même origine; devinrent les premiers éléments d'un peuple naissant. « Dans
l'Amérique septentrionale, dit un homme d'État célèbre∗, un voyageur qui part d'une ville
principale où l'état social est perfectionné, traverse successivement tous les degrés de civilisa-
tion et d'industrie qui vont toujours en s'affaiblissant jusqu'à ce qu'il arrive, en très peu de jours,
à la cabane informe et grossière construite de troncs d'arbres nouvellement abattus. Un tel
voyage est une sorte d'analyse pratique de l'origine des peuples et des États. On part de
l'ensemble le plus composé pour arriver aux données les plus simples ; on voyage en arrière
dans l'histoire des progrès de l'esprit humain; on retrouve dans l'espace ce qui n'est dû qu'à la
succession du temps.»


M. de Talleyrand, dans son Essai sur les colonies nouvelles.

9
Aux sources de l’antagonisme entre « Espagnols européens » et « Espagnols américains »
Cf. « Représentation adressée par la ville de Mexico au roi D. Charles III en 1771 pour expliquer
que les créoles doivent être préférés aux Européens dans la distribution des emplois et charges
du royaume », in J. E. Hernandez y Davalos, Historia de la Guerra de Independencla de
Mexico, t. I, Mexico, Inehrm, éd. fac-similé, 1985, pp. 427-454.

V. M. a voulu que pour les affaires qui la concernent l'Amérique Septentrionale toute
entière n'ait point d'autre voix que celle de cette Très Noble Cité, qui en est la Tête et la Cour. Il
n'est point d'objet plus digne d'intérêt, que celui par lequel on essaie de ruiner, avec ses intérêts,
son honneur, en blessant l'idée sacrée qu'elle se fait de la loyauté et de l'amour avec lesquels
elle reconnaît et vénère V. M. C'est pourquoi l'Ayuntamiento [de Mexico] ne se croira jamais
plus obligé qu'aujourd'hui de prendre la parole au nom de tous ces territoires, pour faire
connaître à V. M. l'injustice avec laquelle on tente de les assombrir et de les déshonorer. On
s'attriste d'ordinaire de devoir plaider pour son honneur quand le bonheur le plus enviable
consiste à en jouir en paix. Mais parfois l'honneur lui-même doit se flatter de devoir se défendre,
lorsque ce doit être devant qui, comme V. M., entièrement libre de préjugé, saura apprécier à
leur juste valeur les vérités alléguées pour sa défense, surtout quand celles-ci sont telles qu'elles
suffiront à convaincre le Monde de l'injustice volontaire qui trouble notre tranquillité.
Le motif de ces protestations, c'est la diffusion parmi les Américains de la nouvelle selon
laquelle un Ministre ou un Prélat de ces régions a informé V. M. à peu près en ces termes:
"L'esprit des Américains est soumis et faible, il s'apparente à l'abattement; mais si on les élève
avec des pouvoirs ou des emplois, ils sont très exposés aux plus grands égarements; C'est
pourquoi il convient de les garder soumis, tout en leur confiant des emplois de médiocre
importance. Car ni mon sentiment d'humanité, ni mon coeur, ne proposent qu'ils soient
dépouillés de faveurs. Mais l'expérience m'a appris qu'il convient de placer devant eux les
Européens, dont l'esprit très noble désire le bien de la Patrie et la tranquillité de notre Monarque
bien-aimé." Depuis longtemps nous pensions, non sans tristesse, que les grâces et nominations
de V. M. se sont faites plus rares que jamais en faveur des Espagnols Américains, non seulement
dans le domaine séculier mais aussi dans l'Ecclésiastique, dans lequel jusqu'à présent nous
avions reçu de l'attention (...)
En nous fondant sur la confiance que nous avons dans l'inclination de V. M. au bien, nous
faisons appel à votre clémence par nos protestations, certains que V. M. voudra bien les entendre
avec bienveillance et leur donnera toute l'attention qu'elles méritent, en ordonnant que l'on
fasse entendre à la Personne qui aurait informé contre notre honneur dans les termes que nous
avons exprimés ou leur équivalent, qu'il ne peut plaire à V. M. que l'on porte ainsi atteinte à
l'honneur de toute une Nation comme l'Américaine. Et pour que nous, les Américains, ayons 1 a
gloire de servir V. M. en même temps que la consolation de connaître les effets de sa
bienveillance, et que ces Royaumes connaissent les progrès qu'ils promettent, que V. M.
veuille bien ordonner que les emplois honorables, tant ecclésiastiques que séculiers, qui sont à
pourvoir dans ces régions soient confiés à des Espagnols qui y sont nés, et que, même si pour la
bonne marche du gouvernement il doit venir un ou deux employés choisis parmi les naturels de
l'Europe, les emplois des Indes soient en général pourvus à l'exclusion de ces derniers, de même
que ceux de la vieille Espagne le sont avec ses naturels, à l'exclusion totale des Américains. Et
pour qu'il en soit ainsi (c'est en cela que consiste l'égalité avec laquelle l'amour de V. M. prend
soin de tous ses vassaux dans ses Domaines, même les plus lointains), qu'il soit rappelé aux
Vice-Rois, Archevêques, Evêques, et à qui de droit que la Loi du Royaume leur impose
d'informer, chaque fois qu'une Flotte, une Armada, des Galions et de nos jours les courriers
mensuels leur en donnent l'occasion, du mérite et des qualifications des naturels qui dans ces
régions se distinguent dans 1 a carrière qu'ils ont respectivement choisie, et que le Conseil de V.
M. (...) prenne soin de faire exécuter cette obligation aux Prélats ou Chefs Séculiers qui en
feraient l'omission (...).

10
Descriptions des castes hispano-américains par Humboldt
Cf. Essaie Politique sur le royaume de la Nouvelle-Espagne (1811)

Le fils d'un blanc (créole ou européen) et d'une indigène à teint cuivré est appelé métis ou mestizo. Sa
couleur est presque d'un blanc parfait; sa peau est d'une transparence particulière. Le peu de barbe, la
petitesse des mains et des pieds et une certaine obliquité des yeux, annoncent plus le mélange de sang
indien que la nature des cheveux. Si une métisse épouse un blanc, la seconde génération qui en résulte
ne diffère presque plus de la race européenne. Très peu de nègres ayant été introduits dans la Nouvelle-
Espagne, les métis composent vraisemblablement les 7/8 de la totalité des castes. Ils sont généralement
réputés d'un caractère beaucoup plus doux que les mulâtres (mulatos), fils de blancs et de négresses,
qui se distinguent par la violence de leurs passions et par une singulière volubilité de langue. Les des-
cendants de nègres et d'Indiennes portent à Mexico, à Lima et même à La Havane, le nom bizarre de
chino, chinois. Sur la côte de Caracas et, comme il paraît par les lois, à la Nouvelle-Espagne même, on
les appelle zambos ; aujourd'hui, cette dernière dénomination est principalement restreinte aux
descendants d'un nègre et d'une mulâtresse, ou d'un nègre et d'une china. On distingue de ces zambos
communs, les zambos prietos, qui naissent d'un nègre et d'une zarnba. Du mélange d'un blanc avec une
mulâtresse provient la caste des quarterons. Lorsqu'une quarteronne épouse un Européen ou un créole,
son fils porte le nom de quinteron. Une nouvelle alliance avec la race blanche fait tellement perdre le
reste de couleur, que l'enfant d'un blanc et d'une quinteronne est blanc aussi. Les castes de sang
indien ou africain conservent l'odeur qui est propre à la transpiration cutanée de ces deux races
primitives. Les Indiens péruviens qui, au milieu de la nuit, distinguent les différentes races par la
finesse de leur odorat, ont formé trois mots pour l'odeur de l'Européen, de l'indigène américain et du
nègre : ils appellent la première pezuna, la seconde posco [Mot ancien de la langue quechua], et la
troisième grajo. D'ailleurs, les mélanges dans lesquels la couleur des enfants devient plus foncée que
n'était celle de leur mère, s'appellent salta-atrâs, ou sauts en arrière.
Dans un pays gouverné par les blancs, les familles qui sont censées être mêlées avec le moins de sang
nègre ou mulâtre sont naturellement aussi les plus honorées. En Espagne, c'est pour ainsi dire un
titre de noblesse de ne descendre ni de Juifs, ni de Maures. En Amérique, la peau plus ou moins
blanche décide du rang qu'occupé l'homme dans la société. Un blanc qui monte pieds nus à cheval
s'imagine appartenir à la noblesse du pays. La couleur établit même une certaine égalité entre des
hommes qui, comme partout où la civilisation est ou peu avancée ou dans un mouvement rétrograde, se
plaisent à raffiner sur les prérogatives de race et d'origine. Lorsqu'un homme du peuple se dispute
avec un des seigneurs titrés du pays, on entend souvent dire au premier : « Serait-il possible que vous
crussiez être plus blanc que moi?» Ce mot caractérise très bien l'état et la source de l'aristocratie
actuelle. Il y a, par conséquent, un grand intérêt de vanité et de considération publique à évaluer au juste
les fractions de sang européen que l'on doit assigner aux différentes castes. D'après les principes
sanctionnés par l'usage, on a adopté les proportions suivantes :
Castes Mélange du sang
Quarteron..................................................... 1/4 nègre 3/4 blanc
Quinteron..................................................... 1/8 nègre 7/8 blanc
Zambo.......................................................... 3/4 nègre 1/4 blanc
Zambo prieto............................................... 7/8 nègre 1/8 blanc
II arrive souvent que des familles qui sont soupçonnées d'être de sang-mêlé, demandent à la haute
cour de justice (l'Audiencia) qu'on les déclare appartenir aux blancs. Ces déclarations ne sont pas
toujours conformes au jugement des sens. On voit des mulâtres très basanés qui ont eu l'adresse de se
faire blanchir (c'est l'expression banale du peuple). Quand la couleur de la peau est trop contraire au
jugement qui est sollicité, le pétitionnaire se contente d'une expression un peu problématique. La
sentence dit alors simplement, « que tel ou tels individus peuvent se considérer eux-mêmes comme
blancs (que se tengan por blancos)».
Il serait très intéressant de pouvoir discuter à fond l'influence de la diversité des castes sur le rapport des
sexes entre eux. J'ai vu, par le dénombrement fait en 1793, que dans la ville de la Puebla et à Valladolid,
il y a parmi les Indiens plus d'hommes que de femmes, tandis que parmi les Espagnols ou dans la race
des Blancs on y trouve plus de femmes que d'hommes. Les intendances de Guanajuato et d'Oaxaca

11
présentent, dans toutes les castes, le même excédent d'hommes. Je n'ai pu me procurer assez de
matériaux pour résoudre le problème de la diversité des sexes selon la différence des races, selon la
chaleur du climat ou la hauteur des régions que l'homme habite : nous nous bornerons, par
conséquent, à offrir des résultats généraux.

Description des castes vénézuéliennes par un colon blanc de Saint-Domingue


Cf. François-Raymond-Josef de Pons, Voyage à la partie orientale de la terre ferme dans
l’Amérique méridionale, Paris, Conet, 1806.

12
13
14
La révolte de Tupac Amaru (1780-82) selon Alexandre de Humboldt (1811).
Cf Essai politique sur le Royaume de la Nouvelle-Espagne, (Paris, Schoell, 1811), rééd., Utz,
Dijon, 1997, 2 tomes, (906 p.), T.I. pp. 141-143.

Des exemples récents nous apprennent combien il est dangereux de laisser les Indiens
former un status in statu, de perpétuer leur isolement, la barbarie de leurs mœurs, leur misère, et
par là les motifs de leur haine contre les autres castes. Ces mêmes Indiens, stupides, indolents,
et qui se laissent fustiger patiemment à la porte de l'église, se montrent rusés, actifs, impétueux
et cruels, chaque fois qu'ils agissent en masse dans une émeute populaire. Il sera utile de
rapporter une preuve de cette assertion. La grande révolte suscitée en 1781 manqua d'enlever au
roi d'Espagne toute la partie montagneuse du Pérou, à la même époque à laquelle la Grande-
Bretagne perdait presque toutes ses colonies sur le continent de l'Amérique. José Gabriel
Condorcanqui, connu sous le nom de l'inca Tùpac-Amaru, se montra, à la tête d'une armée
indienne, devant les murs du Cuzco. Il était petit-fils du cacique de Tongasuca, village de la
province de Tinta, ou plutôt fils de la femme du cacique ; car il paraît certain que le prétendu
inca était métis, et que son véritable père était un moine. La famille Condorcanqui fait remonter
son origine à l'inca Sayri-Tùpac qui disparut dans les forêts épaisses à l'est de Vilcabamba, et à
l'inca Tùpac-Amaru qui, contre les ordres de Philippe H, fût décapité en 1578 sous le vice-roi
don Francisco de Toledo.
José Gabriel avait reçu une éducation soignée à Lima; il revint dans les montagnes après
avoir sollicité inutilement de la cour d'Espagne le titre de marquis d'Oropesa, qui appartient à la
famille de l'inca Sayri-Tùpac. Son esprit de vengeance le porta à soulever les Indiens
montagnards, irrités contre le corregidor Arriaga. Le peuple le reconnut comme descendant de
ses vrais souverains et comme fils du Soleil. Le jeune homme profita de l'enthousiasme

15
populaire qu'il avait excité par les symboles de l'ancienne grandeur de l'empire du Cuzco ; il
ceignit souvent son front du bandeau impérial des incas; il mêla adroitement des idées
chrétiennes aux souvenirs du culte du Soleil.
Au commencement de ses campagnes, il protégea les ecclésiastiques et les Américains de
toutes les couleurs. Ne sévissant que contre les Européens, il se fit un parti même chez les métis
et les créoles ; mais les Indiens, se méfiant de la sincérité de leurs nouveaux alliés, firent bientôt
une guerre d'extermination de tout ce qui n'était pas de leur race. José Gabriel Tùpac-Amaru,
dont je possède des lettres dans lesquelles il se nomme inca du Pérou, fut moins cruel que son
frère Diego et surtout que son neveu Andrés Condorcanqui qui, à l'âge de 17 ans, déploya
beaucoup de talents mais un caractère sanguinaire. Ce soulèvement, qui me .paraît peu connu en
Europe, et sur lequel je donnerai des renseignements plus détaillés dans le récit historique de
mon voyage, dura près de deux ans. Tùpac-Amaru avait déjà conquis les provinces de
Quispicanchi, Tinta, Lampa, Azangara, Caravaja et Chumbivilcas, lorsque les Espagnols le
firent prisonnier lui et sa famille : tous furent écartelés dans la ville du Cuzco.
Le respect que le prétendu inca avait inspiré aux indigènes était si grand, que malgré leur
crainte des Espagnols et quoiqu'ils fussent entourés des soldats de l'armée victorieuse, ils se
prosternèrent à la vue du dernier fils du Soleil, lorsque celui-ci traversa les rues pour être mené
au supplice. Le frère de José Gabriel Condorcanqui, connu sous le nom de Diego Cristôbal
Tùpac-Amaru, ne fût exécuté que longtemps après la fin de ce mouvement révolutionnaire des
Indiens péruviens. Lorsque le chef tomba entre les mains des Espagnols, Diego se rendit
volontairement pour profiter du pardon et le général espagnol, le 26 janvier 1782, au village
indien de Siquani, situé dans la province de Tinta. D vécut tranquillement dans sa famille
jusqu'à ce que, par l'effet d'une politique insidieuse et méfiante, il fut arrêté sous le prétexte
d'une nouvelle conspiration.
Les horreurs que les natifs du Pérou ont exercées envers les blancs, en 1781 et 1782, dans
la cordillère des Andes, ont été répétées en partie dans les petits soulèvements qui ont eu lieu,
vingt ans plus tard, dans le plateau de Riobamba. Il est du plus grand intérêt, même pour le
repos des familles européennes établies depuis des siècles sur le continent du Nouveau Monde,
de s'occuper des Indiens et de les arracher à leur état actuel de barbarie, d'abjection et de misère.

16
Carte tirée de Scarlett O'Phelan, Un siglo de rebeliones anticoloniales. Perû y Bolivia, 1700-1783, Centro de Estudios Rurales
Andinos "Bartolomé de las Casas", Cuzco, 1988, p.269.

La révolte des Comuneros de la Nouvelle Granade (1781)

17
Source: John Leddy Phelan, El Pueblo y el Rey. La revolución comunera en Colombia, 1781, Bogotà, Carlos
Valencia Editores, 1980.

Les Lumières et les réformes nécessaires


Cf. Primicias de la Cultura de Quito, premier journal de l'audience de Quito, édtion fac-sim.,
Quito, Banco Central del Ecuador, 1981.

18
-I-

Nouvelles interessantes (n° 1, 1792)

Le 30 novembre de l'année dernière a eu lieu l'ouverture de la Société Patriotique d'Amis


du Pays de Quito. Etaient présents les Ministres de l'Audience Royale, en qualité de membres
titulaires; l'Illustrissime Evêque Docteur Don Josef Pérez Calama, en qualité de Directeur;
comme sous-Directeur Don Joaquín Estanislao de Andino, Régent du Tribunal et Surintendant
Délégué; la Noblesse des deux sexes, et tout le Peuple dans un esprit de Patriotisme et dans
l'attente de sa résurrection; les membres se sont inscrits à la Société sur la suggestion de Don
Luis Muñoz de Gúzman, Chef d'Escadre de la Flotte Royale, Gouverneur et Capitaine Général
de ce Royaume, Président de l'Audience Royale, et ont honoré de leur présence la cérémonie
d'inauguration. On ne peut louer ici la Société autant qu'il le faudrait, et tout un discours ne
suffirait pas pour saluer le zèle lumineux de son Protecteur, notre Illustre Chef, auteur d'actes
héroïques pour promouvoir la prospérité politique et littéraire de nos Provinces. Il l'obtiendra,
sans nul doute, grâce à son infatigable génie, et bien mieux, si le Roi daigne accorder sa royale
Protection à notre Société.
N'importe quel individu de cette Ville et de tout le Royaume sera admis comme membre
surnuméraire, du moment qu'il apporte les lumières de son talent et une contribution à la caisse
de recettes de la Société.
La souscription à ce journal et aux suivants peut s'effectuer dans la boutique de Don
Antonio de Andrade, habitant et commerçant de la Ville, et son prix est fixé pour les
Souscripteurs à quatre pesos par an, soit à peine un real et demi la feuille, comme le propose le
Prospectus. C'est pourquoi il faut ici souligner la générosité du T.I. Président, fruit de son zèle à
encourager celui du Rédacteur∗, à qui il daigne payer chaque journal au prix d'un peso de notre
monnaie. Les journaux seront vendus dans la même boutique à ceux qui ne sont pas
souscripteurs.
Le Vénérable Chapitre Ecclésiastique pense s'inscrire à la Société Patriotique;
action bien propre au zèle d'une si respectable Corporation, dont la nouvelle nous est
transmise par le Docteur Don Miguel de Unda, Chanoine de la Cathédrale et Membre titulaire.

-II-

Discours adressé à la très illustre et très loyale ville de Quito, représentée par son très
Illustre Conseil (cabildo), sa Justice et son Régiment, et à tous les membres acquis à la
fondation d'une Société Patriotique, sur la nécessité de rétablir sans tarder, sous le nom de
Ecole de la Concorde. (n° 4, 1792)
Vous allez. Messieurs, former une société littéraire et économique. Vous allez réunir en
un seul lieu les lumières et les talents. Vous allez contribuer au bien de la patrie avec les secours
de l'esprit et du coeur, en un mot, vous allez sacrifier à la grandeur de l’Etat, au service du Roi, à
l'utilité publique, ces facultés dont la Providence vous a dotés dans tous les domaines. Votre
société s'ouvre à plusieurs objets: je veux dire, Messieurs, que par des chemins divers vous êtes
capables de remplir les fonctions auxquelles vous inclinerait le goût ou vous entraînerait le
talent Les sciences et les arts, l'agriculture et le commerce, l'économie et la politique, ne doivent
pas s'éloigner de la sphère de vos connaissances; au contraire, dirai-je, chacune de nos provinces


Le rédacteur du journal est Francisco Eugenio de Santa Cruz y Espejo

19
doit servir de matériau à vos recherches, et chacune d'elles exige son amélioration du soin que
vous consacrerez à sa prospérité et à sa croissance.
Pour dire la vérité, Messieurs, nous sommes dépourvus d'éducation, il nous manque les
moyens de la prospérité, nous ne sommes pas mus par l'aiguillon de l'honneur et le bon goût n'a
pas cours chez nous. Dérangeantes et humiliantes vérités, assurément! Mais dignes qu'un
philosophe les découvre et les fasse entendre. Parce que son devoir est de dire avec simplicité et
générosité quels sont les maux qui conduisent la République au seuil de la mort. Si je devais
proférer des paroles d'une complaisance trompeuse, l'adulation, ce poison de l'univers, me les
fournirait d'abondance et m'inspirerait elle-même le langage séducteur par lequel je vous
appellerais, au nom d'une vile flatterie, éclairés, savants, riches et heureux. Vous ne l'êtes point.
Parlons le langage de l'écriture sainte: nous vivons dans la plus grossière ignorance et la misère
la plus déplorable. Je l'ai déjà dit à mon corps défendant. Mais, Messieurs, vous ne le savez que
trop et je n'ai pas besoin de répéter des propos aussi désagréables. Mais quelle ignominie sera la
vôtre si, connaissant la maladie, vous laissez votre malheureuse patrie perdre ses forces et
s'énerver jusqu'à périr sous ses coups! Qu'importe que vous soyez supérieurs en rationalité à une
multitude innombrable de gens et de peuples, si vous pouvez seulement jouer sur le grand
théâtre de l'univers le rôle de l'idiotie et de la pauvreté. Tant de siècles écoulés depuis que le
Dieu étemel a conçu la planète que nous habitons, qui sont allés s'anéantir dans un nouveau
chaos de confusion et d'obscurité! L'ère des Incas, que certains qualifient de policée, cultivée et
éclairée, sombra dans une mer de sang (...) mais quand même ils auraient toujours et à jamais
tenu en main la balance de la félicité, ils ne sont plus et leur fortune ne nous concerne plus. Les
lueurs de la raison, de la monarchie et de l'évangile sont venues poindre à cet horizon depuis
qu'un audacieux génois étendit sa curiosité, son ambition et ses désirs à la connaissance de terres
vierges et fermées à la profanation d'autres nations. Mais toute sa lumière fût et reste
crépusculaire: suffisante pour voir et adorer la haute Divinité de tous les temps, à laquelle on
rend un culte et des hommages dans les sancutaires; suffisante pour voir et vénérer l'auguste
souverain à qui l'on obéit et devant le trône de qui l'on s'agenouille; mais imparfaite, timide et
trop faible pour parvenir à jouir de la vue de la douée peine de l'agriculture, de l'effort vivifiant
de l'industrie, de l'aimable fatigue du commerce, de l'intéressant travail des mines et des fruits
délicieux des trésors inépuisables qui nous entourent et même nous étouffent de leur abondance,
à la possession desquels la terre elle-même nous exhorte sans trêve et à hauts cris, s'exclamant:
Quiténiens, soyez heureux; Quiténiens, c'est votre tour d'atteindre le bonheur; Quiténiens, soyez
les dispensateurs du bon goût, des arts et des sciences.
(...)Lord Chatham, le Démosthène de la Grande-Bretagne, l'ange tutélaire de la nation
anglaise, disait à propos des colons américains que ceux-ci rompraient les liens d'union avec la
métropole dès qu'ils sauraient fabriquer un clou. Axiome politique mille fois démenti, et dès les
premiers jours de la Conquête, dans le sens que voulait lui donner l'éloquent Anglais. Car vous.
Messieurs, savez fabriquer depuis le clou jusqu'à l'enseigne, depuis la grosse toile jusqu'au drap
fin, depuis la laine jusqu'à la soie, et plus encore. Avec tout cela, vos connaissances, votre
capacité, votre profonde pénétration, vous ont unis à vos chefs et vous ont fait aimer et respecter
vos rois. Aussi la Société n’implore-t-elle maintenant rien d'autre, pour sa ratification et ses
progrès, que la royale approbation et la protection de son auguste souverain. Elle va naître alors
au sein de la félicité; elle va être la première des Amériques; elle va servir de modèle aux
provinces qui l'entourent. Elle va se produire, en un mot, comme une émanation de la lumière,
de l'humanité, et du quiteñismo...

Texte TD : Lettre de Brissot à Miranda


Cf. Jacques-Pierre Brissot, Mémoires, Paris, A. Picard fils, 1912.

20
21
Texte TD : Proclamation de Miranda aux habitants du continent Américo-Colombien
Cf. Francisco de Miranda, Diario de viajes y escritos políticos, Madrid, Ed. Nacional, 1977.

CORO A 2 DE AGOSTO DE 1806

P R O C L A M A C I Ó N
DON FRANCISCO DE MIRANDA, COMANDANTE GENERAL DEL EJÉRCITO
COLOMBIANO, A LOS PUEBLOS HABITANTES DEL CONTINENTE AMÉRICO-
COLOMBIANO

Valerosos compatriotas y amigos:


Obedeciendo a vuestro llamamiento, y a las repetidas instancias y clamores de la
Patria, en cuyo servicio hemos gustosamente consagrado la mejor parte de la vida;
somos desembarcados en esta Provincia de Caracas, la coyuntura y el tiempo nos
parecen sumamente favorables para la consecución de vuestros designios; y
cuantas personas componen este Ejército son amigos o compatriotas vuestros;
todos resueltos a dar la vida si fuese necesario, por vuestra libertad e
independencia, bajo los auspicios y protección de la marina británica.
Con estos auxilios podemos seguramente decir, que llegó el día, por fin, en que,
recobrando nuestra América su soberana Independencia, podrán sus hijos li-
bremente manifestar al Universo sus ánimos generosos. El opresivo insensato
gobierno, que obscurecía estas bellas cualidades, denigrando con calumnias
nuestra modestia y carácter, consiguió también mantener su abominable sistema
de administración por tres siglos consecutivos; mas nunca pudo desarraigar de
nuestros corazones aquellas virtudes morales y civiles que una religión santa, y un
código regular inculcó en nuestras costumbres formando un honesto índole nacional.
Valgámonos, pues, de estas mismas estimables prendas, para que, expelidos los
pocos odiados agentes del gobierno de Madrid, podamos tranquilamente establecer
el orden civil necesario a la consecución de tan honrosa empresa.—La recuperación
de nuestros derechos como ciudadanos y de nuestra gloria nacional como
Americanos Colombianos, serán acaso los menores beneficios que recojamos de
ésta tan justa, como necesaria determinación.
Que los buenos e inocentes indios, así como los bizarros pardos, y morenos libres
crean firmemente, que somos todos conciudadanos, y que los premios pertenecen
exclusivamente al mérito y a la virtud, en cuya suposición obtendrán en adelante
infaliblemente, las recompensas militares y civiles, por su mérito solamente.
Y si los pueblos holandeses y portugueses pudieron en otro tiempo sacudir el yugo
de la opresora España; si los suizos y americanos nuestros vecinos, igualmente
consiguieron establecer su Libertad e Independencia, con aplauso general del
mundo, y en beneficio de sus habitantes, cuando cada uno de estos pueblos
separadamente apenas contaba de dos o tres millones de habitantes, ¿por qué,
pues, nosotros, que por lo menos somos 16 millones, no lo ejecutaríamos
fácilmente, poseyendo, además de ello, el Continente más fértil, más inexpugnable,
y más rico de la Tierra? El hecho es, que todo pende de nuestra voluntad solamente
y así como el querer constituirá indudablemente nuestra Independencia, la Unión
nos asegurará permanencia y felicidad perpetua: Quiéralo así la Divina Providencia
para alivio de nuestros infelices compatriotas: para amparo y beneficio del género
humano.
Las personas timoratas, o menos instruidas que quieran imponerse a fondo de las
razones de Justicia y de equidad, que necesiten estos procedimientos junto con los

22
hechos históricos que comprueban la inconcebible ingratitud, inauditas crueldades
y persecuciones atroces del gobierno español, desde el momento casi de su
descubrimiento, lean la Epístola adjunta de D. Juan Viscardo, de la Compañía de
Jesús, dirigida a sus compatriotas; y hallarán en ella irrefragables pruebas, y
sólidos argumentos en favor de nuestra causa, dictados por un varón santo, y a
tiempo de dejar el mundo, para aparecer ante el Creador del Universo.
Para llevar este Plan a su debido efecto, con seguridad y eficacia, serán obligados
los ciudadanos sin distinción de clases, estado, ni color (los Eclesiásticos
solamente exceptos, en la parte que no sean designados) de conformarse
estrictamente a los artículos siguientes:
I. Toda persona Militar, Judicial, Civil y Eclesiástica que ejerza autoridad
comunicada por la Corte de Madrid, suspenderá ipso facto sus funciones y el que
las continuase después de la presente publicación, así como el que las obedeciese,
será severamente castigado.
II. Los Cabildos y Ayuntamientos en todas las ciudades, villas y lugares ejercerán
en el ínterin todas las funciones de gobierno Civiles, Administrativas, y Judiciales
con responsabilidad, y con arreglo a las Leyes del País: y los curas párrocos, y de
misiones permanecerán en sus respectivas Iglesias y Parroquias, sin alterar el
ejercicio de sus Sagradas funciones.
III. Todos los Cabildos y Ayuntamientos enviarán uno, o dos Diputados, al cuartel
general del Ejército, a fin de reunirse en Asamblea general a nuestro arribo a la
Capital y formar allí un gobierno provisorio que conduzca en tiempo oportuno a
otro General y Permanente, con acuerdo de toda la Nación.
IV. Todo Ciudadano desde la edad de 16, hasta la de 55 años, se reunirá sin
dilación a este ejército, trayendo consigo las armas que pueda procurarse y si no
las tuviese, se le darán en los depósitos militares del ejército; con el grado
justamente que convenga a su celo, talento, edad y educación.
V. El ciudadano que tenga la bajeza de hacer causa común con los Agentes del
Gobierno Español, o que se hallase con armas en campamento, ciudadela, o fuerte
poseído por dicho gobierno, será tratado y castigado como un traidor a su Patria.
Si por el empleo que actualmente pueda poseer alguno de ellos, en servicio de la
España, creyese su pusilanimidad que el honor le compele a servir contra la
Independencia de su patria, serán éstos desterrados a perpetuidad del país.
VI. Por el contrario, todos aquellos que ejerciendo en la actualidad empleos
Militares, Civiles o de cualquiera especie, se reuniesen con prontitud bajo los
Estandartes de la Patria, recibirán honra y empleo proporcionado al celo y amor del
país que hubiesen manifestado en tan importante coyuntura: los soldados, y
marineros serán premiados igualmente conforme a su capacidad y celo.
VIL Los depositarios del tesoro público lo pondrán inmediatamente a disposición de
los Cabildos y Ayuntamientos, quienes nombrarán sujetos aptos para el manejo, y
para suplir al ejército Colombiano cuando sea necesario a su manutención, y
operaciones; no solamente en dinero, sino también en provisiones, vestuario,
frutos, carruajes, muías, caballos, etc.
VIII. Para precaver toda especie de insulto o agresión de parte de la gente de guerra,
y puestos avanzados del ejército, los Magistrados, y Curas Párrocos de las
Ciudades, villas, y poblados (bajo su personal responsabilidad) harán f i j a r la
Bandera o insignia de la Independencia Nacional en la parte superior más
conspicua de las Iglesias: y los ciudadanos llevarán también en el sombrero la
Escarapela que denota ser tales, pues sin ella no serían respetados y protegidos
como hermanos.
IX. Esta proclamación será fijada por los curas párrocos, y por los magistrados en
las puertas de las Iglesias Parroquiales, y de las Casas del Ayuntamiento para que

23
llegue con brevedad a noticia de todos los habitantes: y así mismo harán leer en las
Parroquias, y Casas de Ayuntamientos respectivas una vez al día por lo menos, la
carta anteriormente mencionada del C. Viscardo, que acompaña este edicto.
X. Cualquiera impedimento, retardo o negligencia que se oponga al cumplimiento de
estos nueve precedentes artículos, será considerada como un grave perjuicio nacional,
y castigada inmediatamente con severidad; la salud pública es la Ley Suprema.
Fecha en el Cuartel General de Coro a 2 del mes de Agosto de 1806.

FRANCISCO DE MIRANDA.

La Nouvelle-Espagne Face À La Crise De La Monarchie


Cf. « Acte du cabildo de Mexico du 19 juillet 1808 », en F.Tena Ramírez, Leyes
fundamentales de Mexico. 1808-1967, Mexico, 1967, pp. 7-14.

[...] On décida que le premier souci de cette Noble Cité, comme Métropole et Tête
du Royaume, devait être de le mettre à l'abri de toute surprise et assaut. Étant donné que
le seigneur Charles IV et le prince des Asturies sont en France et que le Royaume n'a pas
nommé jusqu'à maintenant personne de la branche espagnole de la famille royale des
Bourbons, [...] il convient que cette Noble cité présente à son Excellence le vice-roi cette
demande afin de lui faire connaître quelle est la volonté et résolution du royaume telles
qu'elles se manifestent par la voix de sa métropole, en attendant que les autres cités,
villes et états ecclésiastique et noble puissent être réunis dans la capitale.
[...] La très noble, très loyale et impériale cité de Mexico, métropole de l'Amérique
septentrionale, a lu avec le plus grand étonnement les tristes nouvelles apportées par les
gazettes de Madrid des 13, 16 et 20 mai. Elle voit la puissante Monarchie espagnole
portant le deuil, plongée dans la douleur et remplie d'angoisse, parce que le bras
exterminateur des Rois a arraché de son trône son souverain légitime, le seigneur Charles
IV et son très aimable fils, le très haut et royal prince des Asturies [...] et elle pleure,
comme tous les autres royaumes le malheureux sort de l'auguste et royale famille qui
faisait ses délices.
[...] Revenue de cette sombre extase [la Cité] fait part à votre excellence [le Vice-
roi] qu'elle soutiendra avec la plus grande énergie le serment de fidélité qu'elle a prêté sa
Majesté Charles IV en hissant sa bannière [...] L'obligation sacrée que cet hommage
comporte est gravée dans les coeurs de ses habitants et ni la puissance, ni la force, ni la
fureur ni la mort elle-même ne sont suffisantes pour l'effacer.
Cette funeste abdication est involontaire, forcée, et comme elle a été faite dans un
moment de conflit, elle est sans aucun effet par rapport aux très respectables droits de la
Nation. Elle la dépouille de la régale la plus sacrée qui lui correspond. Personne ne peut
lui nommer un Souverain sans son consentement et celui de tous ses peuples. Ce
consentement suffit pour acquérir le Royaume d'une façon digne lorsqu'il n'y a pas de
successeur légitime d'un Roi qui vient de mourir naturellement ou civilement.
Elle suppose une véritable aliénation de la Monarchie au profit d'une personne
dépourvue du droit pour l'obtenir. Elle est contraire au serment qu'a prêté sa Majesté
Charles IV lors de son couronnement de ne pas aliéner l'ensemble ou une partie de ses
domaines, ces domaines qui lui ont prêté obéissance. [...] L'abdication non volontaire et
violente de sa Majesté Charles IV et de son fils le prince des Asturies, faite en faveur de
l'Empereur des Français, pour que celui-ci désigne une autre dynastie pour gouverner le
royaume, est nulle et non avenue, parce qu'elle va contre la volonté de la Nation qui a
appelé la famille des Bourbons comme descendants par les femmes de ses anciens Rois
et Seigneurs.

24
[...] Par absence ou empêchement [des successeurs] la souveraineté réside dans la
représentation de tout le Royaume et des classes qui les composent, plus particulièrement
dans les Tribunaux supérieurs qui le gouvernent et qui administrent la justice, et dans les
corps qui portent la voix publique.

La question de la représentation politique


Cf. Camilo Torres, « Mémorial de agravios » (1809), édition facsimilé de la Representacion
del Cabildo de Santa Fe de Bogota a la Suprema Junta Central de España, el 20 de noviembre
de 1809. Bogotá, Libreria Voluntad, 1960, pp. 3-9.

(...) En conséquence de l'avis rendu par le Conseil des Indes, la Junte Centrale publia le
décret du 22 janvier 1809 dans lequel, considérant que les vastes et précieux domaines de
l'Amérique ne sont pas des colonies ou des comptoirs, comme ceux d'autres nations, mais une
partie essentielle et intégrante de la monarchie espagnole, désirant resserrer d'une
façon indissoluble les liens sacrés qui unissent ces domaines aux autres et, en outre, répondre à
l'héroïque loyauté et au patriotisme dont ils viennent de donner une preuve décisive dans la
conjoncture la plus critique qu'ait jamais connue aucune nation, dans lequel donc elle déclarait
que les royaumes, provinces et îles qui forment ces domaines devaient avoir une
représentation nationale immédiate en sa royale personne, et faire partie de la Junte Centrale de
Gouvernement du Royaume, au moyen de ses propres députés.
Il est impossible de rendre compte de la joie qu'a provoquée cette résolution souveraine
dans le coeur de tous les membres de l'Ayuntamiento et de tous ceux qui veulent la véritable
union et fraternité entre les Espagnols américains et européens, qui ne pourront subsister que sur
les bases de la justice et de l'égalité. L'Amérique et l'Espagne sont deux parties constitutives et
intégrantes de la monarchie espagnole, et sous ce principe et celui de leurs intérêts communs et
mutuels, il ne pourra y avoir un amour sincère et fraternel qu'avec la réciprocité et l'égalité
des droits. Quiconque pense autrement n'aime pas sa patrie ai ne désire sincèrement son bien.
De même, exclure les Amériques de la représentation serait, outre leur faire la plus haute
injustice, faire naître sa défiance et sa rancune et perdre à jamais ses esprits pour l'union.
Le Cabildo a donc reçu, avec cette royale détermination de V.M., un gage du véritable
esprit qui anime aujourd'hui les Espagnes et de leur désir sincère d'avancer en accord avec le
bien commun. Si le gouvernement d'Angleterre avait fait ce pas important, peut-être ne
pleurerait-il pas aujourd'hui la perte de ses colonies. Mais un ton orgueilleux et un esprit de
suffisance et de supériorité, lui ont fait perdre ces riches possessions qui ne comprenaient pas
que, alors qu'elles étaient vassales d'un même souverain, des parties intégrantes d'une même
monarchie, et alors que toutes les autres provinces d'Angleterre envoyaient leur représentation
au corps législatif de la nation, on voulût leur dicter des lois et leur imposer des contributions
qu'elles n'avaient pas sanctionnées par leur approbation.
Plus juste, plus équitable, la suprême Junte Centrale a appelé les Amériques et a connu
cette vérité: entre des égaux» le ton de supériorité et de domination ne peut servir qu'à irriter les
esprits, à les fâcher, et à provoquer une funeste séparation.
Mais au milieu du juste plaisir causé par ce décret, l'Ayuntamiento de la capitale du
nouveau Royaume de Nouvelle-Grenade n'a pu voir sans une profonde douleur que, quand les
provinces d'Espagne, même celles de moindre importance, ont envoyé deux députés à la
suprême Junte Centrale, pour les vastes, riches et peuplés domaines d'Amérique, on

25
demande seulement un député de chacun de ses Royaumes et Capitaineries générales, de sorte
qu'il en résulte une notable différence, comme celle qui sépare neuf de trente-six (...)
V.M. a elle-même convié tous les hommes instruits [de la nation] pour qu'ils lui
communiquent leurs lumières sur les points de réforme qui peuvent conduire à son bien, et sur
les moyens importants de parvenir à établir un gouvernement juste et équitable, fondé sur des
bases solides et permanentes, et que ne puisse troubler un pouvoir arbitraire. Mais dans cette
grande oeuvre, les Amériques ne devraient-elles pas tenir une place très importante? Ne s'agit-il
pas de leur bien, au même titre que celui de l'Espagne? Et les maux dont elles ont souffert, ne
sont-ils pas supérieurs du fait de l'éloignement du souverain, livrées comme elles l'étaient au
caprice d'un pouvoir sans limites? '
Si donc le Cabildo fait voir à V.M. la nécessité d'éviter, e n matière de représentation à
la Junte Centrale comme dans les Certes générales, toute différence entre l'Amérique et
l'Espagne, il respecte un devoir sacré, que lui impose sa qualité d'organe du public, ainsi que la
souveraine volonté de V.M.
Non, il ne peut plus être question de discuter s» les Amériques doivent avoir une part dans
la représentation nationale; et ce doute serait aussi injurieux pour elles qu'il le serait si on
l'appliquait aux provinces d'Espagne, même celles du rang le plus modeste. Quel pouvoir a
l'industrieuse Catalogue sur la Galice? et quel pouvoir ces deux provinces et d'autres bien
peuplées peuvent-elles invoquer sur la Navarre? Le centre même de la monarchie a-t-il le
droit, parce qu'il est la résidence de ses autorités supérieures, de donner des lois à
l'exclusion des autres? Toutes sont des parties constitutives d'un corps politique qui reçoit
d'elles la vigueur, la vie.
Mais quel a été le principe qui a guidé l'Espagne et qui doit gouverner l'Amérique à
propos de sa représentation? Ce n'est point la plus ou moins grande étendue de ses provinces:
parce qu'alors, la petite Murcie, Jaen, la Navarre, les Asturies et la Viscaya n'auraient pas
envoyé deux députés à la suprême Junte Centrale. Pas sa population: parce qu'alors, ces mêmes
Royaumes et d'autres du même nombre d'habitants, n'auraient pas aspiré à cet honneur dans
la même proportion que la Galice, l'Aragon et la Catalogue. Pas ses richesses ou ses lumières,
parce qu'alors les Castilles, centre de la grandeur, des autorités, des tribunaux supérieurs
et des établissements littéraires du Royaume, auraient eu, en la matière, une préférence
décidée. Pas non plus, pour finir, la réunion en un seul continent: parce que Majorque,
Ibiza et Minorque en sont séparées, et leur extension, leur richesse et leur population peuvent à
peine être comparées aux plus petits royaumes d'Espagne. Par conséquent la raison unique, et
décisive, de cette égalité, est leur qualité de provinces, aussi indépendantes les unes des autres,
et aussi importantes, quand il s'agit de représentation nationale, que n'importe laquelle des
plus étendues, des plus riches et des plus florissantes.
Donc, établir un& distinction, sur ce point, entre l'Amérique et l'Espagne, serait détruire
l'idée de provinces indépendantes et de parties essentielles et constitutives de la monarchie, ce
serait supposer un principe de dégradation.
Les Amériques, Seigneur, ne sont pas composées d'étrangers à la nation espagnole. Nous
sommes les fils, nous sommes les descendants de ceux qui ont répandu leur sang pour donner
ces nouveaux domaines à la couronne d'Espagne; de ceux qui ont repoussé ses limites et lui ont
donné, dans la balance politique de l'Europe, une représentation qu'elle ne pouvait avoir à elle
seule. Les naturels conquis, et soumis aujourd'hui au pouvoir espagnol, sont peu nombreux ou
ne sont rien en comparaison des fils des Européens qui peuplent aujourd'hui ces riches
possessions. La continuelle émigration d'Espagne durant les trois siècles écoulés depuis la
découverte de l'Amérique; l'attribution de tous ses offices et emplois à des Espagnols européens
qui sont venus s'y établir successivement et qui y ont laissé leurs fils et leurs descendants; les
avantages du commerce et les riches dons qu'offre ici la nature, ont été l'origine et la source
perpétuelle de notre population. Aussi ne faut-il pas nous tromper sur ce point. Nous sommes
aussi Espagnols que les descendants de Don Pelage, et c'est pourquoi nous sommes aussi dignes
des distinctions, privilèges et prérogatives du reste de la population que ceux qui, sortis des
montagnes, expulsèrent les maures et peuplèrent par la suite la Péninsule; avec cette différence,

26
s'il en est une, que nos pères, comme on l'a dit, au milieu d'indicibles peines et labeurs,
découvrirent, conquirent et peuplèrent ce Nouveau Monde pour l'Espagne.

La junte de mai à Buenos Aires


Cf. « Circulaire de la junte provisoire de gouvernement de Buenos Aires » (1810), en Biblioteca
de Mayo

Les malheureux événements de la Péninsule ont donné plus d'expansion à l'occupation


belliqueuse des Français sur son territoire, au point qu'ils se sont approchés des murailles de
Cadix, et ont déconcerté le Corps représentatif de la Souveraineté en l'absence du Roi; chassée
de Séville et accusée d'avoir manqué à ses devoirs par ce Pueblo, (la souveraineté] a au cours de
sa migration et de sa dispersion constitué, sans formalité ni autorité, une Régence dont personne
ne peut assurer qu'elle soit le centre de l'unité nationale et dépositaire sûre du pouvoir du
monarque, sans s'exposer à des convulsions plus graves que celles qui marquaient le moment
corrompu et hasardeux de son installation. Il n'est pas nécessaire de fixer le regard sur le point
auquel doivent être parvenus les malheurs des Pueblos de la Péninsule, tant par la fortune de
l'armée d'invasion, que par l'absence ou l'incertitude d'un gouvernement légitime et suprême
auquel doivent se référer et se subordonner les autres pouvoirs de la nation. Ces derniers, par la
dépendance forcée qui les lie à l'ordre et à la sécurité de l'association (...) redoutent les funestes
effets de la division des parties de l'Etat et craignent avec raison tout ce qui peut s'opposer au
meilleur sort des domaines d'Amérique.
Le Pueblo de -Buenos Aires, bien convaincu de l'état lamentable des domaines européens
de S.M.C. don Ferdinand Vn; pour le moins incertain du Gouvernement légitime Souverain,
dans la représentation de la Suprême Junte Centrale, maintenant dissoute, et plus encore dans la
Régence qui se dit constituée par celle-ci, sans pouvoirs, sans suffrages de l'Amérique (...); et
surtout prévoyant les mesures qui doivent influer sur la confiance et l'opinion publique des
domaines d'Amérique, cimentée sur le principe d'un gouvernement à l'origine indubitable, a
décidé de déployer l'énergie qu'il a toujours montrée pour consacrer sa loyauté, son zèle et son
amour à la cause du Roi Ferdinand, en écartant les obstacles que susciteraient la défiance,
l'incertitude et la désunion des opinions dans le moment plus critique qui menace (...)
n a manifesté les désirs les plus résolus pour que les Pueblos eux-mêmes recouvrent les
droits originaires de représenter le pouvoir, l'autorité et les facultés du monarque, quand celui-ci
est absent, quand celui-ci n'a pas désigné de régent, et quand les Pueblos mêmes de la Terre
Mère ont qualifié de malhonnête celui qu'ils ont formé (...) De tels efforts sont intimement unis
aux désirs honnêtes de sécurité et de félicité intérieure et extérieure; en éloignant l'anarchie et
toute dépendance d'un pouvoir illégitime et inefficace quant aux fins de l'institution sociale,
comme pouvait l'être tout pouvoir élevé au milieu du tumulte et des convulsions de la Péninsule,
après la dispersion et l'émigration des membres de la Junte Suprême Centrale (...)
Le Cabildo de la capitale, avec l'accord du vice-roi auquel il fit connaître l'agitation
générale, aggravée par le dessein de retenir le pouvoir du gouvernement alors qu'était connue la
perte totale de la Péninsule et de son gouvernement comme l'indique la proclamation du 18 mai,
convoqua la partie la plus saine du Pueblo, dans un cabildo général ouvert, où l'on discuta et
vota publiquement sur l'affaire la plus importante pour la tranquillité, la sécurité et la félicité
générale; le résultat du suffrage fut que la majorité et davantage se prononça pour la
transmission du commandement du vice-roi au cabildo pendant que l'on établissait une Junte
Provisoire de Gouvernement, jusqu'à la réunion d'une [Junte] Générale des Provinces: vote qui
fut accru et augmenté par l'acclamation des troupes et de la multitude du reste des habitants.

27
En s'installant hier la Junte a établi le fondement de l'oeuvre de conservation de ces
domaines à Ferdinand VII (...) La Junte ne doute pas que tous les chefs, les corporations, les
fonctionnaires publics et les habitants de tous les pueblos de la vice-royauté la regarderont
comme le centre de l'unité, pour former la barrière inexpugnable de la conservation intégrale des
domaines d'Amérique dans la dépendance de Ferdinand VH ou de son représentant légitime.
Elle n'espère pas moins qu'ils contribueront à ce que, le plus rapidement possible, soient
nommés et envoyés à la capitale les députés dont il est question dans le compte-rendu
d'installation [de la Junte] (...)
Ce sera pour tous les Pueblos de la Vice-royauté la plus grande satisfaction de savoir,
comme le leur assure la Junte, que tous les tribunaux, corporations, chefs et ministres de la
capitale sans exception ont reconnu la Junte et promis leur obéissance pour la défense des droits
augustes du roi dans ces domaines; que cet exemple engage vos désirs de contribuer en étroite
union à sauver la Patrie des convulsions qui la menacent si les Provinces ne se prêtent pas à
l'unité et à l'harmonie qui doivent régner entre des citoyens de même origine, dépendance et
intérêts (...)
Forteresse royale de Buenos Aires, 27 mai 1810. Comelio de Saavedra1 ; Dr. Juan
José Castelli; Manuel Belgrano; Miguel de Azcuénaga; Dr. Manuel Alberti2 ; Domingo
Mateu3 ; Juan Larrea4 ; Dr. Juan José Passo, secrétaire; Dr. Mariano Moreno, secrétaire.

1
Commandant de la milicie de « Patriciens »
2
Curé de la paroisse de Saint-Nicolas de Buenos Aires
3
Commerçant
4
Commerçant

28
La constitution de Cadix (1812)

29
30
31
La Constitution de Quito (1812)
Cf. “Le Pacte Solennel de Société et Union que forment les Provinces de l’État de Quito”,
Pensamiento Político de la Emancipación (1790-1825), Biblioteca Ayacucho, Caracas, I,
p. 181-182.

AU NOM DE DIEU TOUT PUISSANT TRINITAIRE ET UNIQUE

LE PEUPLE SOUVERAIN de l'Etat de Quito, légitimement représenté par les députés


des provinces libres qui le constituent, présents dans ce Congrès, usant des droits
imprescriptibles que Dieu lui-même, auteur de la nature, a concédés aux hommes pour S
conserver leur liberté et pourvoir à tout ce qui convient à la. sécurité et à la prospérité de
tous et de chacun en particulier, désirant resserrer plus fortement les liens politiques qui
ont réuni ces provinces jusqu'à aujourd'hui, et se donner une nouvelle forme de
gouvernement conforme à la nécessité et aux circonstances, dans la mesure où les peuples
sous domination espagnole ont, selon les dispositions de la Divine Providence et l'ordre
des événements humains, réassumé la souveraineté qui résidait originairement en eux;
persuadé que la fin de toute association politique est la conservation des droits sacrés de
l'homme au moyen de l'établissement d'une autorité politique oui le dirige et le gouverne,
d'un trésor commun qui le soutienne, et d'une force armée qui le défende; attentif à ces
objectifs pour la gloire de Dieu. la défense et la conservation de la religion catholique et le
bonheur de ces provinces assuré par .un pacte solennel et l'accord réciproque de tous leurs
députés: SANCTIONNE les articles suivants qui formeront désormais la Constitution de
l'Etat :

DE L'ÉTAT DE QUITO ET DE LA REPRESENTATION NATIONALE

Article 1 : Les huit provinces libres représentées dans ce Congrès et unies


indissolublement désormais et plus que jamais, formeront pour toujours l'Etat de Quito
comme ses parties intégrantes, sans que mus aucun prétexte et pour aucun motif elles ne
puissent se séparer de lui' ni s'unir à d'autres Etats, les provinces se portant mutuellement
garantes de cette union (...)
Art. 2 : L'Etat de Quito est et sera indépendant de tout autre Etat et Gouvernement
quant à son administration et son économie intérieure (...)
Art. 3: La forme de gouvernement de l'Etat de Quito sera toujours populaire et
représentative.
Art. 4: La religion catholique telle que l'ont professée nos pères (...) sera la seule
religion de l'Etat de Quito et de chacun de ses habitants, sans qu'en soit tolérée une autre ni
qu'on permette la résidence des non catholiques.
Art. 5: Comme preuve de son antique amour et de sa fidélité constante aux
personnes de ses Rois du passé, cet Etat proclame qu’il reconnaît et reconnaîtra comme
son monarque Don
Ferdinand VII dès lors que. libéré de la domination française et délivré de toute amitié ou
parenté avec le tyran de l'Europe, il pourra régner sans préjuger de cette Constitution.
Art.6 : Les.lois de la patrie qui se sont exercées jusqu'à présent et qui ne s'opposent
pas à la liberté et aux droits de ce peuple ni à sa Constitution, conserveront pour le
moment leur force et leur vigueur, jusqu'à ce que la législature réforme le Code Civil
comme le. Criminel et que soient établis les règlements nécessaires à toutes branches de
l'administration politique et civile.

32
La guerre au Mexique
Cf. « Appel de l’évêque d'Oaxaca à prendre les armes (1811)”, en Historia Documentai de
Mexico, Mexico, UNAM, Instituto de Investigaciones Históricas, 1964, p. 60-62.

(...) Mes chers diocésains, je ne veux pas vous cacher le péril qu'encoure notre bien-aimée
province d'Oaxaca si vous vous laissez aller à une sotte confiance et restez inactifs, sans vous
réunir pour [assurer] votre propre défense et celle de vos foyers bien aimés. Notre petite armée à
Chilapa a subi une considérable défaite, car nos péchés sont nombreux et Dieu, en justicier
miséricordieux, nous réveille et nous met pieusement en garde en nous infligeant ce châtiment
pour que nous nous amendions. Le rebelle Morelos et ses complices, enhardis par les minables
succès qu'ils viennent de remporter, vont diriger leurs vues vers l'objet le plus à même de
satisfaire leur convoitise, la mise à sac de cette cité et des principaux et riches villages de la
Mixteca. Oui, mes chers diocésains, ces bandits rebelles vont venir à l'affût de vos biens, de vos
objets de valeur, de vos grains, de vos récoltes et de tout ce qui se trouve dans vos maisons ; leur
hardiesse n'épargnera pas les vases sacrés et les trésors des temples et des couvents et leur
luxure brutale abusera, peut-être sous vos yeux, de vos femmes, de vos filles et de vos sœurs,
répandant par les rues et les places votre propre sang et celui de vos parents et amis, si Dieu ne
les arrête pas et si vous-même n'allez au-devant d'eux avec courage, car nous ne méritons pas de
n'être défendus que par des miracles. N'attendez pas qu'ils s'approchent de notre vallée, car le
danger et les maux seraient alors beaucoup plus grands. Notre défense devra s'organiser sur les
frontières de la province et dans les défilés de la Mixteca.
Aux armes, donc, mes chers diocésains, autant que vous êtes capables de les manier, sans
exception de classe ni d'état, car quand le danger est commun à tous, la défense doit l'être aussi.
Si, comme vous devez le faire, vous tentez de vous défendre avec énergie, j'offre ma présence à
vos côtés, pour autant que le permettront mes faibles forces et ma santé chancelante, afin de
vous aider et vous galvaniser par ma parole et mes conseils. Je lèverai au moins mes mains
tremblantes vers le ciel en implorant pardon pour mon peuple et en demandant au Dieu des
armées la force de son bras et son secours nécessaire pour repousser le plus injuste ennemi et
[remporter] une victoire totale, qui fasse éternellement honneur à nos armes. Pour ce faire,
rendez-vous sans tarder à l'endroit où vous appellent notre gouvernement et nos chefs militaires,
armés de la fidélité à Dieu, au Roi et à la patrie, confiant dans la justice de notre cause et dans la
protection du Dieu des batailles, tous unis dans la charité la plus pure, afin que notre force soit
irrésistible. Vous tous Espagnols, américains et européens, honorables Indiens et castes (castas),
écoutez et obéissez à votre prélat qui vous aime tous tendrement, croyez bien que l'intérêt de
tous n'en forme qu'un seul et que notre juste cause est une. Nos personnes, nos vies et nos
possessions courent toutes le même risque, car une armée de brigands comme celle de Morelos,
ce traître sacrilège, ne se contente pas seulement des Européens et les traîtres qui le suivent (...)
ne respectent ni ne font exception pour personne. [Au contraire], ils viennent tous nous sucer le
sang et nous vider de notre substance, saccager le temple de la Très Sainte Vierge de la Soledad,
notre si douée Mère, inonder de sang notre capitale, profaner notre sainte religion et mettre en
toute chose la confusion, le désordre et l'anarchie. Ne vous mettez pas en tête (...) que chacun se
défendra par lui-même, car de même que vous arrachez facilement les crins de la queue d'un
cheval [en les prenant] un par un, ce qui serait impossible [en les prenant] tous ensemble, de
même l'infâme Morelos et n'importe quel ennemi plus faible que lui vaincra, mettra à genoux et
pillera facilement vos villages un par un, si vous ne vous unissez pas pour la défense commune,
[alors] que si vous êtes unis il ne pourra jamais vous vaincre.
Aux armes, donc, mes bien-aimés diocésains, et ne vous étonnez pas de ce que votre
évêque vous en persuade, car dans une affaire touchant à la religion comme celle-ci, nous
devons tous être des soldats. A vous (...) mon vénérable Cabildo et ses distingués membres,
premiers dans la hiérarchie et dans l'estime du public, il revient d'être les premiers à employer la
parole et l'exemple sur un mode honorable et utile, que votre zèle et votre patriotisme bien
connus vous inspireront. A vous, mes curés bien-aimés, fidèles adjoints du ministère sacré, il

33
revient de guider vos fidèles, de veiller et d'empêcher que l'ennemi ne les trouble ni ne les
séduise. A vous, vénérable clergé séculier et régulier, il revient de prêter votre concours de
toutes vos forces et autant que possible à notre juste défense. Et à vous tous, mes chers
diocésains, il revient de vous armer de courage, de force et de valeur pour [assurer] la défense
de la religion catholique, du Roi et de la Patrie. Au sexe faible et dévot et aux autres personnes
qui, à cause de circonstances personnelles, ne pourraient être utiles aux armes, ainsi qu'à vous,
vierges innocentes, qui dans votre retraite sacrée souffrez doublement de la confusion et de
l'incertitude des nouvelles et des événements, il revient d'apaiser la colère divine et d'adresser
avec force vos prières et vos supplications au Dieu Tout-Puissant des miséricordes afin qu'il
protège, qu'il défende et protège cette cité et toute la province contre les insurgés.
Si nous agissons tous ainsi. Dieu protégera nos efforts et nos bonnes intentions et l'ange
tutélaire de la Nouvelle Espagne, qui pour notre protection et notre gouvernement nous a
apporté la Divine Providence en la personne du militaire valeureux et renommé, du politique
confirmé et généreux, du Vice-Roi bienveillant, bénéfique et infatigable, l'Excelentissime Sr.
Venegas, nous enverra en temps utile des secours en hommes et en armes grâce auxquels nous
remporterons un triomphe. Fidélité et courage, mes chers diocésains, car comme le dit Saint
Bernard, c'est dans les tourmentes et les difficultés que grandit l'âme de l'homme fort (varan
fuerte). Fidélité, valeur, confiance et obéissance aveugle en Dieu, union et charité mutuelle entre
vous, bien-aimés diocésains, et vous triompherez de nos cruels ennemis insurgés, vous serez
mes fidèles et véritables fils, et je vous couvrirai de bénédictions comme votre père qui vous
aime.

Palais épiscopal d'Oaxaca, le 26 août 1811. Signé : Antonio [Bergoza y Jordân], Evêque de
Antequera

"La Guerre à mort" (1813).


Cf. Décret de Simon Bolîvar. (Trujillo, 15 juin 1813), in Cahier de l'Herne, ?52, Bolîvar, Paris,
1983, pp. 189-190.

Simon Bolîvar, brigadier de l'Union, général en chef de l'Armée du Nord, Libérateur du


Venezuela, à ses concitoyens.

Vénézuéliens, une armée de soldats frères, envoyée par le souverain Congrès de la


Nouvelle-Grenade, est venue nous libérer, et la voici parmi vous, après qu'elle a chassé les
oppresseurs des provinces de Mérida et Trujillo.
Nous sommes envoyés pour anéantir les Espagnols, protéger les Américains et rétablir les
gouvernements républicains qui formaient la Confédération du Venezuela. Les États que nos
armes protègent sont à nouveau régis par leurs anciennes constitutions et gouvernés par leurs
magistrats, et ils jouissent pleinement de leur liberté et de leur indépendance, car nous avons
pour seule mission de rompre les chaînes de la servitude qui pèsent encore sur certains de nos
peuples et ne prétendons imposer nulle loi ni exercer une domination à laquelle le droit de la
guerre pourrait nous autoriser.
Touchés de vos infortunes, nous n'avons pu voir avec indifférence les épreuves que vous
faisaient subir les barbares espagnols, qui vous ont ruinés par la rapine et ont répandu la mort
parmi vous; qui ont violé les droits sacrés des peuples et enfreint les pactes et les traités les plus
solen-. nels; qui, enfin, ont commis tous les crimes, plongeant la République du Venezuela dans

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la plus effroyable' désolation. Ainsi, la justice appelle la vengeance et la nécessité nous oblige à
la brandir. Que disparaissent à jamais du sol colombien les monstres qui.l'infestent et l'ont
couvert de sang! Que leur châtiment soit égal à l'énormité de leur perfidie, afin que nous lavions
par lui la souillure de notre ignominie, et que nous montrions aux nations de l'univers qu'on
n'offense pas impunément les fils de l'Amérique!
En dépit de nos justes ressentiments contre ces Espagnols iniques, nous voulons, dans
notre magnanimité, leur montrer une dernière fois la voie de la conciliation et de l'amitié; nous
les invitons à vivre en paix parmi nous si toutefois, abominant leurs crimes et se convertissant de
bonne foi, ils concourent avec nous au renversement du gouvernement de l'envahisseur espagnol
et au rétablissement de la République du Venezuela.
Tout Espagnol qui ne conspirera pas contre la tyrannie afin de défendre la juste cause, par
les moyens les plus actifs et efficaces, sera tenu pour ennemi et, comme traître à la patrie,
condamné sans recours possible à être passé par les armes. Inversement, une grâce générale et
totale sera accordée à ceux qui rejoindront les rangs de notre armée, avec ou sans leurs armes, à
ceux qui apporteront leur secours aux bons citoyens qui s'emploient à secouer le joug de la
tyrannie. Nous maintiendrons dans leurs fonctions les militaires et les magistrats civils qui
proclameront le gouvernement du Venezuela et s'uniront à nous; en un mot, les Espagnols qui
rendront de signalés services à l'État seront considérés et traités comme des Américains.
Quant à vous. Américains, que l'erreur ou la perfidie a jetés hors des chemins de la justice,
sachez que vos frères vous pardonnent et déplorent sincèrement vos égarements, intimement
persuadés que vous ne pouvez pas être coupables et que seuls l'aveuglement et l'ignorance dans
laquelle vous ont tenu jusqu'alors les responsables de vos crimes ont pu vous y conduire. Ne
craignez pas l'épée qui vient vous venger et trancher les liens ignominieux par lesquels vos
bourreaux vous enchaînent à votre sort. Soyez assurés d'une immunité absolue pour votre
honneur, votre personne et vos biens : le seul titre d'Américain sera votre garantie, et votre
sauvegarde. Nous sommes venus pour vous protéger, et jamais nos armes ne se tourneront contre
un seul de nos frères.
Cette amnistie vaut pareillement pour les traîtres mêmes qui ont commis récemment des
actes de félonie; et elle sera appliquée si religieusement qu'aucun motif, cause ou prétexte, si
grand et extraordinaire qu'il soit, ne saura nous contraindre à revenir sur notre offre et à casser
notre décision.
Espagnols et Canariens, seriez-vous simplement indifférents, attendez-vous à la mort si
vous n'œuvrez pas activement pour la cause de la liberté de l'Amérique. Américains, soyez
assurés de la vie quand bien même vous seriez coupables.

Quartier général de Trujillo, 15 juin 1813, l’an 3 de l’indépendance.

Le projet d'une Amérique unie.


Cf. Simon Bolívar : Extrait de la "Lettre à un habitant de la Jamaïque", in Cahier de l'Heme,
n° 52, Bolívar, Paris, 1983, pp.204-206.

Certitude du triomphe de la cause

De tout cet exposé, nous tirerons les conclusions que voici. Les provinces américaines
luttent en ce moment pour leur émancipation, elles l'obtiendront à la fin. Quelques-unes
constitueront normalement des républiques fédérales et centrales. Des royaumes s'établiront
presque inévitablement dans les grands territoires, et certains d'entre eux seront si mal-

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heureux qu'ils tomberont d'eux-mêmes, soit au cours de la révolution . actuelle, soit dans les
troubles futurs. En effet, il ne sera pas facile de consolider un grand royaume, mais il sera
impossible d'établir une grande république.
C'est une idée grandiose que de prétendre faire de tout le Nouveau Monde une seule
nation dont toutes les parties seraient liées. Puisque ses populations ont une même origine,
une seule langue, une seule religion, les mêmes coutumes, elles devraient par suite n'avoir
qu'un gouvernement qui fédérât les divers Etats constitués. Mais la chose n'est pas possible,
car des cieux différents, des situations distinctes, des intérêts contraires, des caractères
dissemblables divisent l'Amérique. Certes, il serait heureux que l'isthme de Panama devînt
pour nous ce que fut celui de Corinthe pour les Grecs. Plaise à Dieu que quelque jour nous
ayons la fortune d'y tenir un auguste congrès des représentants de nos républiques, royaumes
et empires, pour traiter et discuter des hauts intérêts de la paix et de la guerre avec les nations
des trois autres parties du monde! Et pourquoi cet organisme ne tiendrait-il pas ses assises au
temps heureux de notre génération? Mais non : c'est encore là un espoir sans fondement,
semblable à celui de l'abbé de Saint-Pierre qui conçut la louable mais folle idée de réunir un
congrès général qui décidât du sort et des intérêts des nations européennes.

[…]
C'est assurément l'union qui nous fait le plus défaut pour achever l'oeuvre de notre
régénération. Cependant, nos divisions ne sont point étonnantes, elles résultent de la guerre
civile que se font d'ordinaire le parti des conservateurs et celui des progressistes. Le premier
l'emporte en général par le nombre, car l'empire de l'habitude fait que l'on obéit aux pouvoirs
établis. Mais les réformateurs, toujours moins nombreux, sont plus véhéments et plus
éduqués. De la sorte, la masse est contrebalancée par la force morale, la lutte se prolonge et
l'issue en demeure longtemps incertaine. Par bonheur, chez nous, les masses ont suivi
l'intelligence.
Je dis, moi aussi, que ce qui peut nous rendre capables de chasser les Espagnols et de
fonder un Etat libre, c'est l'union, sûrement l'union.
Mais cette union ne nous tombera pas du ciel par un prodige; elle ne peut être que le
fruit d'une action efficace et d'efforts bien dirigés. L'Amérique est divisée parce qu'elle est
isolée au milieu de l'univers, abandonnée par toutes les nations, sans relations diplomatiques,
sans soutien militaire, en lutte contre l'Espagne qui possède un matériel de guerre plus
important que celui que nous avons pu acquérir furtivement.
Tant que les succès ne sont pas définitifs, tant que l'Etat demeure faible, les buts
lointains, tous les hommes hésitent, leurs opinions sont divisées et l'ennemi excite les
passions qui les agitent pour vaincre plus aisément. Dès que nous serons forts, sous les
auspices d'une nation libérale qui nous offre sa protection, on nous verra cultiver d'un
commun accord les vertus et les talents qui mènent à la gloire. Nous entreprendrons alors
notre marche majestueuse vers les grandes prospérités qui attendent l'Amérique du Sud. Et
les sciences et les arts qui naquirent en Orient et illustrèrent l'Europe prendront alors leur
envol vers la libre Colombie qui leur offrira asile.
Telles sont. Monsieur, les pensées et les réflexions que j'ai l'honneur de vous
soumettre, pour que vous les rectifiiez ou que vous les rejetiez selon leur mérite. Je vous
supplie de croire que j'ai pris l'audace de vous les exposer pour ne pas être discourtois, plutôt
que par présomption de vous éclairer la matière.
Veuillez agréer……
Bolívar

36
Doc. : Extrait de la Constitution de la République de Colombie, 30 août 1821
Diego Uribe Vargas, Las Constituciones de Colombia, Madrid, 1977, p. 710-714.

Au nom de Dieu, Auteur et Législateur de l'Univers


Nous, les représentants des peuples (pueblos) de Colombie, réunis en Congrès Général,
conformément aux vœux de nos commettants destinés à fixer les règles fondamentales de leur
union et d'établir une forme de gouvernement qui garantisse les bienfaits de leur liberté,
sécurité, propriété et égalité, autant qu'il est donné à une nation qui commence sa carrière
politique et qui lutte toujours pour son indépendance, nous ordonnons et décidons ce qui suit
:

TITRE I : De la nation colombienne et des Colombiens

Section 1 : De la nation colombienne

Art. 1 : La nation colombienne est pour toujours, et de manière irrévocable, libre et


indépendante de la monarchie espagnole et de toute autre puissance ou domination étrangère,
et n'est, ni ne sera jamais, le patrimoine d'aucune famille ni d'aucune personne.
Art. 2 : La souveraineté réside essentiellement dans la nation. Les magistrats et les officiers
du gouvernement, investis d'une quelconque autorité, sont ses agents ou commissaires et sont
responsables devant elle de leur conduite publique.
Art. 3 : C'est un devoir de la nation que de protéger par des lois sages et équitables la liberté,
la sécurité, la propriété et l'égalité de tous les Colombiens

Section II : Des Colombiens

Art. 4 : Sont colombiens :


1. Tous les hommes libres nés sur le territoire de Colombie, ainsi que leurs enfants
2. Ceux qui étaient installés en Colombie à l'époque de sa transformation politique, pour peu
qu'ils demeurent fidèles à la cause de l'indépendance
3. Ceux qui, n' étant pas nés en Colombie, obtiendraient une lettre de naturalisation Art. 5 :
Vivre soumis à la Constitution et aux lois, respecter et obéir aux autorités, qui sont ses
organes, contribuer aux dépenses publiques et être toujours prêt à servir et à défendre la
patrie, en sacrifiant ses biens et sa vie, si nécessaire, sont des devoirs de chaque colombien

TITRE II : Du territoire de la Colombie et de son gouvernement

Section I : Du territoire de la Colombie

Art. 6 : Le territoire de la Colombie comprend celui de l'ancien Vice-Royaume de la


Nouvelle Grenade et de la Capitaineraie Générale du Venezuela .
Art. 7 : Les cités (pueblos) de la zone en question qui se trouvent encore sous le joug
espagnol,, feront partie de la République du moment où ils seront libérés, avec une
représentation et des droits égaux à ceux de toutes les autres.
Art. 8 : Le territoire de la République sera divisé en départements, les départements en
provinces, les provinces en cantons et les cantons en paroisses.

Section II : Du gouvernement de la Colombie

Art. 9 : Le gouvernement de la Colombie est populaire et représentatif

37
Art. 10 : Le peuple n'exercera par lui-même d'autres attributions de la souveraineté que
celle des élections primaires, ni ne déposera l'exercice de celles-ci dans les mains d'un seul.
(...)

TITRE III : Des assemblées paroissiales et électorales

Section I : Des assemblées paroissiales et de leur mode de scrutin

Art. 12 : Dans chaque paroisse, quelle que soit sa population, une assemblée paroissiale se
tiendra le dernier dimanche de juillet une fois tous les quatre ans.
Art. 13 : L'assemblée paroissiale se composera des électeurs (sufragantes) paroissiaux en
activité, vecinos de chaque paroisse, et sera présidée par le juge ou les juges de celle-ci, avec
l'assistance de quatre témoin de crédit reconnu, qui posséderont les qualités d'électeur
paroissial.
Art. 14 : Les juges, sans avoir besoin d'en recevoir l'ordre, la convoqueront de manière
indispensable dans les délais voulus pour le jour fixé par la Constitution.
Art. 15 : Pour être électeur paroissial il faut :
1. Etre colombien
2. Etre marié ou âgé de plus de 21 ans
3. Savoir lire et écrire, mais cette condition ne sera pas appliquée avant 1840
4. Etre propriétaire d'un bien foncier d'une valeur de 100 pesos, ou, à défaut, posséder un
office, une profession, un commerce ou une industrie utile, avec une maison ou un atelier en
activité, sans dépendre d'un autre en qualité de journalier ou de serviteur.
Art. 16 : La qualité d'électeur paroissial se perd :
1. Par le fait d'accepter un emploi de la part d'un autre gouvernement et d'en percevoir une
rente, sans la permission du Congrès (...)
2. Pour avoir subi une sentence ayant imposé une peine affligeante ou infamante, en l'absence
de réhabilitation
3. Pour avoir vendu son sufrrage ou acheté celui d'un autre pour soi-même ou un tiers, que ce
soit dans les assemblées primaires, dans les assemblées électorales ou dans les autres
4. Pour les débiteurs de fonds publics
Art. 18 : L'objet des assemblées paroissiales est de voter pour l'électeur ou les électeurs
correspondant au canton.
Art. 19 : La province qui a droit à un seul représentant nommera dix électeurs, en répartissant
les nominations entre les différents cantons en proportion de leur population respective.
Art. 20 : La province qui doit nommer deux représentants ou plus aura le nombre d'électeurs
correspondant aux cantons qui la composent, chaque canton devant élire un électeur pour
4000 âmes, et un de plus pour un reliquat de 3000. Tout canton, même s'il n'atteint pas ce
chiffre, aura un électeur. Art. 21 : Pour être électeur il faut :
1. Etre électeur paroissial en activité
2. Savoir lire et écrire
3. Etre âgé de plus de 25 ans et vecino de l'une des paroisses du canton où vont se dérouler les
élections
4. Etre propriétaire d'un bien foncier d'une valeur de 500 pesos, ou jouir d'un emploi de 300
pesos de rente annuelle, ou de l'usufruit de biens produisant une rente de 300 pesos annuels,
ou professer une science ou avoir un titre scientifique quelconque.
Art. 22 : Chaque électeur paroissial votera pour le ou les électeurs du canton, en exprimant
publiquement le ou les noms de citoyens vecinos dudit canton, lesquels seront obligatoirement
inscrits en sa présence sur un registre destiné à cette seule fin.
Art. 23 : Les doutes ou controverses qui surgiraient sur la qualité ou les formes des suffrages
paroissiaux, et les plaintes éventuelles pour pression ou subornation, seront résolues par les

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juges et les témoins associés, et leur résolution menée à bien, avec la possibilité d'adresser une
réclamation auprès du Cabildo du canton.
Art. 24 : Les élections seront publiques et nul ne pourra s'y présenter muni d'une arme.
Art. 25 : Les éjections seront ouvertes dans une limite de huit jours, au terme de laquelle
l'assemblée sera dissoute,et tout acte perpétré au-delà de ce que prévoit la Constitution ou la
loi sera considéré non seulement comme nul mais comme un attentat contre la sécurité
publique
Art. 26 : Dès la conclusion de l'acte électoral, le ou les juges qui auront présidé l'assemblée
remettront au Cabildo le registre des élections célébrées dans leur paroisse sous pli fermé et
scellé.
Art. 27 : Après qu'il aura reçu les plis des assemblées paroissiales, le Cabildo du canton,
présidé par l'un des alcaldes ordinaires, et, à défaut, par l'un des regidores1, se réunira en
session publique. En sa présence, on ouvrira les plis des assemblées paroissiales, et on
formera les listes et les recueils de toutes les voix, en les inscrivant sur un registre.
Art. 28 : Les citoyens qui auront obtenu le plus grand nombre de voix seront
constitutionnellement déclarés électeurs. En cas de doute provenant d'une égalité dans le
nombre des suffrages, on tirera au sort.
Art. 29 : Le Cabildo du canton remettra à celui de la capitale de la province le résultat du
scrutin et en informera rapidement les élus, afin qu'il se rendent dans la capitale de la province
au jour fixé par la Constitution.

Section H : Des assemblées électorales ou de province

(...) Art. 33 : La charge d'électeur durera quatre ans. Les postes vacants seront occupés, si
nécessaire, par ceux qui suivent quant au nombre de votes.
Art. 34 : Les fonctions des assemblées électorales sont de voter
1. Pour le président de la République
2. Pour le Vice-président
3. Pour les sénateurs du département
4. Pour le ou les représentants députés de la province

Vicente Rocafuerte prone Le "Systeme Colombien Populaire" (1823)


Cf. V. Rocafuerte, “Ensayo Político”, Pensamiento politico de la emancipacion (1790-
1825), Biblioteca Ayacucho, Caracas, 1977, II, pp. 262-263.

Persuadé, en vertu de mes modestes moyens, de ce que le plus grand malheur qui
puisse advenir à une nation est de tomber dans une erreur de législation et de se tromper sur
les fondements de sa Constitution, parce que ce sont des maux qui deviennent ensuite
incurables, j'ai lu avec attention Montesquieu, Rousseau, Mably, Filangieri, Adams, Madison
et Hamilton. Le résultat de mes réflexions et de ce que j'ai observé aux Etats-Unis, terre
classique de la liberté, m'a convaincu des vérités suivantes.
La Constitution fédérale américaine est très supérieure à l'anglaise. A ce nouveau
gouvernement américain doit correspondre un nouveau nom dans la nomenclature politique
moderne. Nous devons chercher l'esprit et l'essence des institutions et ne pas nous contenter
seulement des apparences.
La Constitution actuelle de Colombie, proclamée à Rosario del Cucuta, est une belle
imitation de la Constitution américaine modifiée selon notre contexte; elle me semble très
supérieure à l'espagnole et à la Charte française. Ses bases peuvent servir de modèle aux
autres gouvernements futurs d'Amérique.
Le système américain, ou de Colombie, non seulement est le plus rationnel dans la théorie et
le plus économique dans la pratique, mais il est peut-être le seul qui convienne à notre climat,

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à notre population peu nombreuse, à notre richesse, à notre nature et à notre état de
civilisation.
Le système colombien, populaire, électif et représentatif, est le seul qui peut fixer en
Amérique le véritable équilibre politique qui, contrariant les ridicules maximes du dogme
européen de la légitimité, assure à cette précieuse partie du globe le premier rang dans le
monde civilisé. Par ses principes libéraux, il fera d'elle l'asile de la vertu, la bienfaitrice de
l'espèce humaine, le moteur du bonheur universel et la véritable patrie de la philosophie, de la
tolérance religieuse et de la liberté politique.
(...) La révolution de Freyre au Chili, la chute du vil tyran du Mexique, et l'incertitude dans
laquelle se trouve le gouvernement vacillant de Lima, exigent que dans le plus bref délai
nous accordions nos idées, que nous nous persuadions des désavantages liés aux préjugés
des monarchies et de la très grande utilité du système populaire, électif et représentatif tel
qu'il existe dans la ville de Washington et à Santa Fé de Bogota. Comme ce système est
très différent de tous les autres gouvernements connus dans les temps anciens et modernes, et
comme il est mis en pratique seulement dans le nouveau monde, je lui donnerai le nouveau
nom de colombien, parce que Washington est située dans le district de Colombia aux Etats-
Unis et parce que la ville de Santa Fé de Bogota est la capitale de la République de Colombie.
C'est aussi un nouveau et juste tribut à la mémoire de (...) cet insigne génois qui a découvert
le nouvel hémisphère. J'appellerai donc désormais système colombien le gouvernement
populaire, électif et représentatif de Washington et de Santa Fé.

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