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tome 2 du Trésor de Bredons

Chris Lef

Œuvre publiée sous licence Creative Commons by-nc-nd 3.0

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Chapitre 1

Versailles, soir du 17 avril 1683, la Cour.

Dans un grand déploiement de troupes, une suite de carrosses


dorés franchit la grille de l’Avant-Cour, passa entre les remparts
rouges et bleus de gardes-françaises et de gardes-suisses en exercice
et s’arrêta dans la Cour Royale. De son balcon, la Princesse
Palatine repéra celui de Louis XIV, attelé à huit* à la tête du cortège
et le suivit des yeux jusqu’à son immobilisation près des Grandes
Ecuries. Elle était comblée d’assister à l’entrée souveraine de son
« Grand Homme », la joie rayonnait sur son visage. Peu lui
importait la grisaille de ce samedi Saint, son Soleil était là et brillait
de mille éclats, jetant ses feux sur tout ce qui l’entourait.
« La vieille ordure* est avec Lui ! Elle voyage dans la même
voiture et la Reine ne dit mot… ».

— Madame, fit une voix d’homme dans son dos, l’arrachant à ses
critiques personnelles.
Le ton était aimable, le timbre familier. Elisabeth-Charlotte se
retourna pour voir si celui qui l’apostrophait avec autant de liberté
était bien le gentilhomme de ses pensées.
— Monsieur de Viau ! Approchez donc !
C’était bien Charles-Henri, l’unique à débouler chez elle sans se

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faire annoncer. Son joli chapeau empanaché de rouge zigzagua,
zébrant l’air. Dans un sourire franc et sincère, il se plaça à ses côtés
sans y être invité, lui baisa le dos de la main et prit ses aises en
s’accoudant à la balustrade. Il porta le regard sur les collines
lointaines se profilant à l’horizon, le ramena sur l’Avenue de Paris
où fourmillaient coches, hommes, chiens et chevaux et l’attarda dans
la Cour pour voir ce qui fascinait tant la Princesse qu’elle ne l’avait
pas entendu entrer.
« Peuh…le Roi… ».

— Le Roi est allé faire ses dévotions* et toucher les écrouelles*,


dit-elle réjouie de parler de celui qu’elle aimait, savez-vous qu’Il est
le seul souverain à les guérir rien qu’en posant les mains dessus ! Le
Roi d’Espagne Le jalouse !
— Sa Majesté semble bien las et la Reine fort éreintée, constata
Charles-Henri.
— Oui cette cérémonie est pénible et fatigante mais elle est
indissociable des devoirs de Sa Majesté en tant que Roi très chrétien
et Fils aîné de l’Eglise ! Elle prolonge, selon Lui, les sacrements du
sacre et l’impose aux esprits. Le Roi dit qu’elle est voulue par ses
sujets et demandée par Dieu ! Elle réconforte le peuple*…
— Là n’est point mon sentiment ! C’est époustouflant de voir que
tout est sacrement dans la religion catholique et c’est pourtant une
religion bien commode ! Le mariage est rangé au rang de sacrement
et voyez ce qu’en font les fidèles ! Les hommes mariés multiplient les
relations galantes, avec femmes ou hommes, tout leur convient une
fois qu’ils en tirent du plaisir. Le Roi leur donne l’exemple en menant
maîtresses et épouse dans le même carrosse ! Les épouses, quant à
elles, sauf notre pauvre et douce Reine Marie-Thérèse et vous très
chère et vertueuse Altesse, se comportent avec leur mari comme des
personnes qui ne croient point et maquillent leur légèreté en se
rendant aux prêches où elles s’y montrent ferventes. La semaine,
elles oublient qu’elles ont communié et ne regardent point à
s’accorder quelques divertissements hors de l’alcôve* nuptiale !
Elles se confessent bien sûr et toutes pardonnées, se font une joie de
recommencer ! Et tout ce monde s’agitent sous les yeux des curés

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qui n’ont guère une conduite à leur envier !
— Cher marquis, vous n’êtes point le Juste* pour vous permettre
de lapider ces gens et il me semble que vous profitez bien des oublis
de ces dames !
— Certes Madame…mais le jour où je prendrai femme et que
Dieu sera témoin de mon union avec elle, je ne trahirai point cette
alliance !
— Vraiment ? Vous le plus grand juponnier* que je connaisse !
Il opina d’un mouvement de la tête avec un sérieux qu’Elisabeth-
Charlotte ne lui avait jamais vu revêtir.
« Il dit peut-être vrai ce ruffian ! Il est bien sympathique en tout
cas !».
— Vous ne vous êtes point converti à la religion catholique n’est-
ce pas ? Conclu t-elle à l’écoute de ces âpres paroles.
— Non Madame ! Je mime les dévots et par amour pour mon
beau-frère, je me plie à la volonté du Roi très Chrétien en acceptant
de frayer avec ses évêques et toute sa meute de pantins vêtus de
robes ! J’écoute leurs sermons et mange à leur table. Ah ! Ils me
font bien rire parfois et j’avoue que je passe d’agréables moments
avec eux mais dans mon cœur je reste et resterai Huguenot à jamais!

La Princesse le comprenait et partageait secrètement ses


opinions. Protestante d’origine, elle avait dû se convertir à la
religion catholique pour épouser Monsieur frère du Roi. Dans son
cœur elle était toujours une Huguenote.
Elle remonta son fichu sur ses épaules et se couvrit la gorge, la
fraîcheur du soir l’avait saisie. Elle se serait mieux trouvée dans ses
appartements, au coin de la cheminée, à écrire des liasses de lettres
à sa tante Sophie de Hanovre mais elle ne voulait pas manquer
l’arrivée du Roi. Elle griffonnerait plus tard et lui raconterait.
Des grêles commençaient à pleuvoir et à rendre la vue plus
difficile. Elle plissa les paupières pour discerner le train des
nouveaux arrivants.

— Mais…Mais…n’est-ce point les carrosses blancs et or de la


Maison* Volzac ?

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Le marquis fit un bond.
— Où cela ?
— Là, devant les écuries Royales, près du piqueur* et sa meute !
Il me semble apercevoir ses armoiries !
Charles-Henri aiguisa également sa vue. A l’éventualité de revoir
enfin son cher ami, sa main vibra d’excitation sur la pierre de la
rambarde. Elisabeth-Charlotte put dans la seconde qui suivit, voir
ses yeux s’écarquiller de bonheur.
— Oui, mais oui, c’est bien Florimont !
— Mais qui l’accompagne, questionna t-elle intriguée, qui est ce
gentilhomme et cette jeune demoiselle ? Connaissez-vous le sceau de
leur équipage ?
— Ma foi non Votre Altesse…

Dans la Cour Royale, à quelques mètres du Roi et de la Reine,


Hélène avait timidement sorti le bout de son nez par la portière
entrouverte de sa cabine, assez pour que l’on remarque le
flamboiement de sa chevelure.
Ses prunelles se fixèrent d’abord sur les dalles irrégulières
constellées de grains de glace puis sur la structure gigantesque du
château flanquée d’échafaudages. Après une courte expertise de
l’environnement, elle se laissa enfin couler dans les bras de François
de Sieujac. Il amortit sa descente en souplesse. Son soulier de cuir
touchait le sol sacré du Roi Soleil pour la première fois. L’émotion
était à son comble malgré la déception d’Hélène qui s’était imaginé
autre chose que le vaste chantier que Versailles était encore.

Florimont glissa un œil tacite sur la complicité que dégageait


l’étreinte de la bergère et du grand Seigneur.
— Monsieur de Volzac, si vous me voyez ainsi avec mademoiselle
Polignac, vous devinez aisément ce que je lui suis…
— Pas vraiment non…Accordez-moi vos lumières je vous prie !
— C’est mon père, confia Hélène emplie de fierté, mon vrai
père…Et elle pressa doucement le biceps de François pour lui
témoigner son honneur et son enchantement d’être sa fille.
Soulagé par la nouvelle, Florimont l’aida à enfiler sa peluche* et

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lui claqua la capuche sur le crâne comme pour étouffer sa beauté
trop fulgurante.
— J’avais un doute, je vous l’avoue…les contours de la bouche,
la disposition des dents…le sourire aussi…identiques, vraiment !
Tous mes vœux de bonheur à tous les deux!

Florimont pouvait sourire, il préférait le mors d’un père


affectueux aux ires d’un amant jaloux. Aucun obstacle ne viendrait
contrecarrer ses visées ; honorer sa promesse et offrir la belle
auvergnate au Roi, ce trésor étincelant qu’il avait fondu puis tenté
de remodeler en moins d’un mois, à son retour à Bredons, au début
du printemps.

Un chien de courre, rentrant au chenil avec sa meute, échappa à


l’attention du piqueur et s’écarta de la route. Dans sa course, il se
faufila entre les jambes du trio et sa robe embourbée projeta une
éclaboussure de boue sur les bas de soie blanche de Florimont. Fou
de rage d’être souillé, il envoya un gros coup de pied dans le flanc
de l’animal qui se sauva en hurlant de souffrance.
— Sale bête! Maugréa t-il en s’époussetant de son gant, hors de
lui.
Les cris de l’épagneul arrachèrent Hélène à son observation du
monde qui l’entourait.
— Pourquoi maltraiter cette bête ? Est-ce permis dans c’ pays de
battre les animaux ? Est-ce vraiment si terrible d’avoir un peu d’
bourbe sur ses chausses ?
— La boue n’est faite que pour les cul-terreux ma chère, l’or me
sied mieux !
— Peuh !

Elle était révoltée et surtout consternée de découvrir un nouvel


aspect, plutôt négatif, de la personnalité de son très estimé marquis.
Bien que Florimont s’évertua à la faire taire en secouant les mains,
Hélène ne baissa pas le ton et son indignation porta jusqu’aux
oreilles du Roi et de son assemblée. Le pivotement de Louis vers la
gauche entraîna une réaction en chaîne. Tous les yeux des courtisans

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se tournèrent dans la direction d’Hélène. Toujours à l’affût du
moindre détail concernant leur idole, tous voulaient voir sur qui le
Roi axait son intérêt. Un spectacle les attendait.

Le valet de chien rattrapa son canin par la fourrure de son collet


et pour le punir de son indocilité, lui assena une avalanche de coups
de cravache. Hélène ne supporta pas cette violence et se rua sur lui
pour la lui arracher. Dans une rage irrépressible, elle le fouetta une
fois au visage. Il porta la main à sa joue en l’insultant de folle.
— Et vous vous êtes une brute ! N’avez-vous point honte d’
malmener cette bête !
Très peu de badauds se soucièrent de l’incident cependant il
n’échappa pas au Roi. Comme Il ne donna pas ordre d’intervenir,
personne n’osa s’impliquer. La grêle sévissait, on courbait la tête
pour ne pas gâcher les maquillages, Sa Majesté aspirait à regagner
ses pénates et déjà on L’appelait.
— Sire, fit un valet, le marquis de Vardes s’en est revenu de son
exil et mande à être reçu par Votre Majesté !
— Je verrai…

Pressé par le temps, contraint par l’étiquette, peu de liberté


d’action, le Roi disparu en regrettant peut-être n’être pas plus
important que le commun des hommes. Le joli minois d’Hélène était
gravé dans sa mémoire. Il se promit de savoir bientôt le nom de cette
merveilleuse furie.

— Nous ne pouvons rester céans, rugit Florimont comme un lion


enragé, vous avez éveillé l’attention du Roi !

Pour sûr, l’entrée de la bergère avait été remarquée, le vœu du


marquis était exaucé mais pas tout à fait comme il l’avait souhaité.
Son orgueil démesuré en faisait les frais.
— Le Roi ? Le Roi ? S’affola Hélène stupéfaite, furetant à droite,
à gauche, devant, derrière, triant des yeux chaque grain de noblesse
se fondant dans la foule du peuple, dense et bruyante.

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Soldats en service ou en repos, paysans, maquignons,
commerçants proposant leurs produits, pauvres hères sales et
malingres venus mendier les restes de la bouche du Roi*. Tous ce
monde se mêlait à la roture. Difficile alors d’y entrevoir un
souverain devenu quasiment inaccessible.
Elle n’avait aucune idée de comment Il pouvait être et cherchait
dans cette promiscuité un idéal de beauté et de magnificence.

— Le Roi ? Balbutia t-elle encore toute émotionnée.


— Oui le Roi ! Assura Florimont, les yeux hors de la tête,
presque prêt à l’avaler.
— Il est là ? Où ça ?
— Il y était et il nous a vu !
— C’est surtout ma fille que Sa Majesté a reluqué, rajouta
François de Sieujac, avez-vous vu son œil braqué sur elle ? Un oeil
concupiscent de loup affamé se pourléchant babines et crocs
acérés !
Florimont haussa les épaules et riboula des yeux.
— N’exagérons rien !

Le marquis avait lancé cette phrase comme pour se rassurer sur


la situation. Lui qui désirait à tout prix ménager sa surprise, en
voulait un peu à Hélène d’avoir sabordé son plan. Il ne dissimula
pas son mécontentement.
— C’est de sa faute, c’est une dinde! Une jolie proie facile et
alléchante que le loup a su pister sans trop d’effort puisqu’elle s’est
aveuglément jetée dans sa gueule!
— Cessez-donc de m’ comparer à un animal, répliqua t-elle rouge
de honte, depuis le début de not’ rencontre vous vous plaisez à
m’insulter, à m’humilier, à me baptiser de poule, d’oie, de dinde, de
pie et je ne sais encore quel volatile! C’est vous la bête!
— Vous avez la langue bien affilée* pour une paysanne!
— Fi* ! Point de querelle, intervint François, vous m’échauffer
la bile* et m’épuisez ! Il est moins aisé pour moi d’instaurer la paix
entre vous qu’au Roi de signer le traité de Ratisbonne* !
— Décillez donc monsieur! Votre fille n’est point prête pour une

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entrée en Cour !
— Mais, mais…mais j’ne vous demande rien , bégaya Hélène
furieuse, c’est vous qui avez la folie des grandeurs, non moi !
Buté, Florimont n’écouta même pas.
— Allons donc chez moi…Nous reviendrons plus tard…Ma
propriété est à une lieue* d’ici ! Gagnons la avant la nuit.

Il donna ses ordres aux laquais qui soufflèrent d’être obligés de


remettre sur le toit des voitures les malles qu’ils venaient de
descendre avec beaucoup de peine.
Hélène s’apprêtait à refuser l’invitation mais François, rompu
par le voyage et prisant très peu l’atmosphère du capharnaüm
qu’était devenue la Cour avec les travaux d’agrandissement du
château, insista pour la convaincre.
— J’approuve cette solution ! Ecoute Hélène, on ne se conduit
point à la Cour comme à Bredons ! Il va falloir te maîtriser…Et vous
marquis, maîtrisez votre langue ! Ma fille n’a point été jumelée avec
un volatile !Elle est juste ébranlée par le changement…Assez perdu
de temps maintenant, en route !

Chapitre 2

De son côté Charles-Henri prit congé de la Princesse Palatine.


— Je m’en vais de ce pas embrasser mon frère et voir de plus
près cette déesse de feu !
— Courez, courez donc mon ami…Dites à votre pair de me visiter

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bientôt, accompagné de ses amis. Nous goûterons aux saucisses et à
la bière que monsieur de Morangis m’a ramenées d’Allemagne !
— Merci Votre Altesse !

C’est quatre à quatre que Charles-Henri dévala degrés après


degrés. Hélas arrivé dans la Cour de Marbre, le majordome de
madame de Maintenon, l’interpella.
— Monsieur de Viau ! Madame de la marquise de Maintenon
vous attend dans ses appartements…
— C’est que mon beau-frère est de retour et…
— C’est urgent ! Trancha t-il, il vous serait préjudiciable de la
faire attendre…La veillée Pascale va bientôt commencer et il est
hors de question qu’elle arrive en retard à la Chapelle ! Si je me
permets de faire instance* auprès de vous c’est que ce droit m’a été
octroyé par la marquise en personne…
— Oui…bon, se soumit t-il en dodelinant de la tête, conservez
votre salive, dites que je viens !
Et le carrosse de Florimont lui fila sous le nez sans qu’il put le
rattraper.
« Ah je vois former de loin un nuage de coups de bâtons qui vont
crever sur mes épaules ! Cette convocation est des plus
inquiétante ! ».

Charles-Henri trouva Françoise de Maintenon se chauffant les


genoux aux flammes de la cheminée, le jupon légèrement retroussé,
la goutte au nez, la grosse laine sur le dos. Elle éternua trois fois, se
moucha et c’est d’une voix enrouée qu’elle l’invita à s’avancer.
— Madame de Maintenant…
Il la salua, chapeau bas.
— Gardez vos sarcasmes monsieur, l’heure n’est point à la
galéjade et je ne suis point d’humeur à les supporter…
— Quoi Madame ! Pourquoi cet entretien ? Qu’avez-vous à me
reprocher ? Je m’applique à faire mes Pâques comme vous me l’avez
ordonné, et fort assidûment je dois dire! J’ai brûlé les rameaux ce
matin, je me suis confessé et ce soir je vais assister à la veillée !
Demain je…

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— Ils n’est point question de vos Pâques monsieur de Viau mais
d’une toute autre chose…
— Une toute autre chose ?
— Eléonore de La Ferté !
— Eléonore de La Ferté ?
— Hou ! Cessez de répéter ce que je dis, c’est épuisant !
L’agacement lui provoqua une quinte de toux qui la jeta dans son
fauteuil. Pour retenir son envie de pouffer, Charles-Henri se
concentra sur les double-rideaux cramoisis bordés de lourdes
franges d’or qui ornaient les fenêtres de sa chambre et attendit la fin
de sa crise.
— Eléonore de La Ferté est enceinte monsieur et… elle m’a
confié que vous étiez le père de son enfant !
— Mais c’est faux madame !
— Vous niez !
— Mais oui ! Il est vrai que j’ai conquis cette forteresse mais un
autre conquérant l’avait forcée avant moi et, à ce que je sais de
source sûre, c’est qu’après moi, elle n’a point été rebelle aux
avancées d’un certain chevalier que je ne citerai point !
— Vous avez un de ces toupets ! Eléonore n’est point une
menteuse, je la connais depuis sa plus tendre enfance !
— Et bien vous la connaissais mal ! C’est une façonnière* !
— Baissez votre ton, vous êtes d’une insolence !
— Et vous d’une innocence ! Sachez madame, que je ne distille
point ma semence à tous vents ! Je la garde pour la femme que je
trouverai digne de me donner descendance !
Françoise se remit prestement debout, une main fébrile accrochée
au crucifix d’or qui pendait sur sa poitrine. Un masque de stupeur se
dessinait sur son visage.
— Seriez-vous choquée ? S’enquit-il dans un sourire sardonique.
— Non monsieur, j’en ai connu d’autre de votre espèce…
Il différa une réponse le temps de l’observer et savoir s’il pouvait
l’attaquer de front sans se faire occire. Pourquoi craindre ? Avec son
charme qu’ il avait coutume d’utiliser comme une arme, il pouvait
tout se permettre !
— Le marquis de Villarceaux* ?

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Par l’évocation de cet illustre et noble nom de cavaleur
richissime, il lui montrait qu’il était bien avisé de ses penchants pour
les libertins, de son ancienne vie dissolue et voulait lui faire entendre
que si elle le désirait il se ferait un plaisir de rivaliser avec lui.
— Suffit! Cria t-elle en claquant son poing sur le dossier de
velours d’Utrecht vert de son siège.
Ce mouvement d’irritation ne l’intimida pas, il conserva sa verve.
— Je n’ai que faire des accusations de mademoiselle de La Ferté
et de vos suspicions madame ! Mon beau-frère Florimont Irénée de
Volzac est de retour après de longs mois d’absence et je n’ai qu’un
désir, c’est d’ aller l’embrasser.
Elle se tut et puisa dans ce moment d’introspection, la force de
contrôler sa colère.
— Allez donc… Mais sachez que cette affaire ne s’arrêtera point
là ! Je vais mener mon enquête…
Il s’approcha d’elle, elle fit un pas en retrait. Tenace, il voulut lui
prendre en douceur, cette main encore crispée sur la croix. Elle ne
voulut pas la lui concéder mais sa réticence ne le découragea pas. Il
la lui vola, la porta à ses lèvres et y déposa une bise, mi-
respectueuse, mi-langoureuse. Lentement il redressa la tête et planta
son regard turquoise dans celui, sombre et troublé, de la dame. Le
libertin ne pouvait s’empêcher de dominer sur l’homme en voie de
conversion. Jouer au séducteur était le jeu favori de Charles-Henri
et puis marcher sur ce terrain là, propriété privée du Roi, était très
excitant.
— Je ne saurais contrarier des yeux comme les vôtres…Ils sont
d’un velours exquis…tout comme la chair blanche de votre main…
L’austérité de Françoise s’évanoui sous la douceur du pouce sur
son poignet.. L’espace d’un instant, elle oublia son rhume et même le
Roi. Elle se dit qu’il était temps de ne plus côtoyer ce débauché aux
charmes ensorcelants qu’il lui rappelait trop son ancien amant le
marquis de Villarceaux, autant par son caractère que par sa beauté
diabolique. Elle ne devait plus se voiler la face, elle désirait que cet
homme reste à la Cour car elle se sentait attirée par lui et non parce
qu’il était l’inséparable du marquis de Volzac.
Charles-Henri la sentit fondre et frissonner et comprit que la

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rigidité avec laquelle elle extirpa sa main de la sienne était le signe
d’un grand bouleversement. Ses joues rosies ne le trompèrent pas
non plus. Il lut dans son regard confus les sentiments qu’il suscitait
et se réjouit de cette victoire sur cette « Solidité » robuste à toute
épreuve. Par sagesse et surtout pour le frustrer, elle lui ferma la
porte de son âme en abaissant les paupières.
— Allez-vous en monsieur, le Roi m’attend…
— Madame…
Charles-Henri lui fit une révérence très prononcée pour lui
souligner qu’il était bien avisé de son appartenance au Roi et se
retira, tout heureux d’avoir ébranlé la « Solidité » de Sa Majesté.

A toutes volées, les cloches des églises se mirent à sonner la


gloire du Christ ressuscité, appelant les fidèles à la liturgie. Le
carrosse de Florimont s’engagea dans l’allée centrale de sa
propriété ; long tunnel d’arbres noyés dans l’obscurité du soir d’où
Hélène ne distingua que les torches et les lanternes accrochées les
unes à côtés des autres sur les corniches du château des Volzac. Le
bâtiment en pierres rouges paraissait en feu et tranchait avec les
ténèbres des bois.
— Nous allons être en r’tard à la messe père, geignait elle,
alarmée.
— Mais non, mais non…
François tapota le dessus de sa main pour la tranquilliser.
— Non mademoiselle, vous allez l’avaler votre petit Jésus, se
moqua Florimont, j’ai toujours une calèche disponible dans mes
écuries ! Un de mes laquais vous conduira, vous et votre père, à
l’église la plus proche !
— Ne viendrez-vous point ?
— Moi ! Vous plaisantez ! Rétorqua t-il en caressant son jabot,
ne vous a t-on point appris que j’étais de souche huguenote ? Jamais
un Volzac n’a mis un pied dans un temple d’idoles et ce n’est point
aujourd’hui que cela se fera !
— Chut ! Imposa Sieujac en voyant sa fille prête à mordre, il vaut
mieux se taire Hélène. Monsieur de Volzac fait ce qu’il veut…et nous
aussi. Respectons la liberté et les convictions de chacun et tout ira

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bien…
— Par ma foi j’ ne dis mot ! Se défendit-elle en toisant Florimont.
La sagesse de son père lui apporta la sérénité nécessaire à mettre
son âme tourmentée en repos.

Sur son fougueux destrier blanc, un cavalier les distança et


détourna l’attention de la jeune fille. Il fouettait l’air, passant au
travers des grêlons et labourait la boue du chemin. Florimont
reconnu

Charles-Henri sur son alezan. Son dévoué valet Gontran le


suivait de très près et forçait sa monture à maintenir le train infernal
de son maître.
Tout excité à l’idée de revoir son ami, Florimont ordonna au
cocher de presser les bêtes. Hélène pensa que c’était pour elle qu’il
accélérait la cadence. Elle lui envoya un joli sourire de
remerciement auquel il répondit d’une manière avenante, ce qui finit
de la calmer totalement.

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Chapitre 3.

Versailles, domaine des Volzac.

Charles-Henri chargea Marie de l’annoncer et entra dans le


salon pourpre où d’immenses bibliothèques croulantes d’ouvrages
tapissaient les murs. C’était son endroit favori, son sanctuaire de
paix. Sensible à la littérature et aux arts, Charles-Henri avait créé
cet endroit rien que pour son bon plaisir et y passait de longues
heures quand il séjournait chez son beau-frère. Il y admirait les
clair-obscurs de Georges de La Tour, les tapisseries bucoliques en
provenance de Bergame et d’Aubusson et y lisait le plus souvent, les
histoires romanesques de Gautier de La Calprenède.

Florimont se jeta dans ses bras, les larmes aux yeux. Il saisit son
visage entre ses mains et s’enlisa dans son regard clair. Il voulait y
retrouver celui de sa Cécile, la jumelle de Charles-Henri, feue son
épouse.
— Laissez-moi respirer votre odeur mon frère ! Comme vous
m’avez manqué !
Charles-Henri l’embrassa, le serra fort, une pogne ferme sur sa
nuque, le nez dans sa perruque. De nature plus sensible que
Florimont, il ne put retenir une larme tant la joie de leurs
retrouvailles lui enflait la poitrine.

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— Vous aussi vous me manquiez ! Ah, mon frère tant aimé,
comment vous portez vous? Mieux je suppose ! Vous voici en bel
équipage* ! Vous avez quitté le noir pour le bleu et j’en suis comblé
d’aise!
Il se recula de quelques pas pour avoir une meilleure perspective
de l’apparence métamorphosée de son ami.
— Tournez-vous que je vous vois mieux, l’invita t-il en essuyant
sa joue du revers de sa manchette.
Florimont s’exécuta et fit quelques tours sur lui-même en
souriant, la démarche exagérément élégante et maniérée.
— Vous voilà vêtu comme un prince ! Que dis-je ? Un Roi ! Des
broderies de fleurs, de la dentelle de Flandres, des rubans sertis de
pierreries, de la brocatelle* d’or! Je n’y crois point mes yeux !
— Et oui Charles ! L’heure se prête à la résurrection !
— Et à qui doit-on ce prodige ? A la superbe rouquine que vous
cachiez tantôt sous une fourrure ? Je vous ai aperçu à Versailles, de
la terrasse de Madame.
— Eh, fit Florimont en secouant son index espiègle.
— Je vois que je n’en saurais point davantage ce soir! Hélas je
ne peux rester, je m’en vais faire mes Pâques ! Françoise de
Maintenon me tient le collet serré et à cette heure je devrais déjà être
à la Chapelle !
— Cette vieille guenipe* a eu votre peau !

Pensif, Charles–Henri alla s’appuyer à la grande armoire en bois


de poirier noirci qu’il avait fait venir de chez lui pour meubler la
pièce à son goût. Il y rangeait ses lettres, son écritoire de maroquin
rouge, sa collection de stylets aux manches d’ivoire sculptée, ses
bonbonnières en argent de Florence et des petits objets de bronze
que sa sœur s’était plu à entasser avant d’épouser Florimont. Il joua
avec la clé, ouvrit et ferma plusieurs fois la porte comme s’il voulait
s ‘assurer du bon fonctionnement de la serrure. Oserait-il avoué à
son beau-frère qu’il se sentait vraiment attiré par Dieu ? Il préféra
lui faire croire que Françoise de Maintenon était l’unique motivation
de ses changements.
— Vieille mais encore belle ! Je goûterais fort l’avoir sous ma

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couette, confia t-il l’amertume dans l’âme, il se cache sous sa
froideur et ses airs condescendants un feu torride que le Roi Soleil a
su détecter ! J’aimerais m’y brûler…
— Y songez-vous ? Bientôt cette bigote exigera de vous vœux de
pauvreté et de chasteté !
— Trédame ! Jamais ! Hier encore je butinais deux sœurs, filles
de braves fermiers. Elles m’ont mises sur le flanc !
— Deux goules qui vous ont sans doute vampirisée
l’escarcelle contre un peu de jouissance! Racontez-moi quand même,
avant de vous sauver !
Ils allèrent s’asseoir sur la causeuse et Charles-Henri se délecta
en racontant :
— La cadette, blonde et fluette, était juteuse comme une prune et
si étroite que j’eus peur en l’embrochant de me rompre le filet !
— Ah Ah Ah !
— Quant à l’aînée, brune et ronde, elle me fit prendre des
postures qui firent trembler notre paillasse !
— Je plains les hirondelles qui ne baisent qu’au printemps* !
Ils éclatèrent de rire et s’étreignirent encore.
— Ah ! Comme il bon de vous voir rire ! Cela faisait si
longtemps ! Et comment se portent vos amours ?
— Ma marquise est morte cet hiver…Pour me consoler et
célébrer mon retour, Marie m’a promise une nuit pleine de faveurs.
J’ai hâte également de revoir Catherine de Sauvegarde. J’avoue que
ses appas ne me laissent point indifférent…Ah Charles, comme je
suis heureux de vous retrouver ! Partez donc puisqu’il le faut mais
revenez-moi vite ! J’ai à vous conter maintes péripéties qui ont
émaillé mon voyage à Saint-Flour et moult aventures galantes aussi,
avec quelques belles de ce pays sauvage!

Après la messe pascale, un grand brasier sur le parvis de l’église


convièrent les fidèles à se regrouper en silence pour prier. La grêle
avait cessé et permettait à la procession d’entamer les louanges et
les chants en l’honneur du Seigneur. Cette nuit ne serait pas comme
les autres, Christ était ressuscité.
Hélène s’agenouilla sur le sol, juste devant le feu crépitant, sous

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les regards ahuris de quelques bourgeoises trop richement
accoutrées pour l’imiter. Tandis le froid glacial de la pierre mordait
ses jambes à travers ses jupons, la chaleur des flammes incendiait
son visage. Elle ne sentait ni froidure, ni chaleur mais suppliait
secrètement le Seigneur de ne point l’oublier, de se rappeler sa
prière, de lui montrer le chemin à suivre. Elle joignit les mains et lui
pria encore et toujours de lui envoyer les confirmations qu’elle lui
avait demandé quelques mois auparavant à Bredons. Elle n’était
plus sûre de rien. Les sentiments amoureux qu’elle entretenait pour
Florimont s’étaient transformés peu à peu en une sorte de dégoût.
Cet homme était méchant, la traitait comme une moins que rien et
elle en souffrait.
« Pourquoi est-il revenu ? Pourquoi tient-il autant à me présenter
au Roi puisqu’il a honte de ma condition? Ce peut-il que ce soit lui
Seigneur, mon destiné ? Si c’est bien lui, change son cœur…Tu peux
tout, rien ne t’es impossible ! Tu es la lumière du monde, ma
lumière, guide moi… ».
Le visage et les paroles de Jean-Antoine Lastic lui revinrent en
mémoire. Elle s’y accrocha. Le prieur lui manquait. Plus encore
maintenant qu’elle le savait être son oncle.

— Hélène, relève toi, tu vas attraper la mort sur ces pavés


trempés et tu vas salir ta robe !
— Père, un grand trouble m’agite depuis que Florimont est venu
nous chercher à Bredons.
— Dis moi…
— J’ne ressens plus autant d’attirance pour lui qu’au début de
notre rencontre, c’est comme si le charme était rompu…Il est vrai
que la caresse d’un baiser furtif sur mes lèvres m’avait remplie
d’espérance mais aujourd’hui ceci n’est plus qu’un beau souvenir…
— Tu en viens tout naturellement à ce que je t’ai dis ! Cet homme
ne t’est point fait pour toi ! Le Seigneur t’en réserve un qui soit
digne de toi, de l’amour que tu as à donner et de ta vie que tu devras
partager avec lui pour le meilleur et pour le pire. Ni Batillou, ni
Florimont ne sont taillés dans cette mesure…L’un comme l’autre te
rendrait malheureuse ! Tu es trop…trop…trop pure !

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— Tu dis ceci parce que tu m’aimes…
— Non ! Parce que c’est vrai !
— Pourquoi insiste t-il pour que je vois le Roi ? Le sais-tu ?
— Il m’a dit qu’il désirait te faire octroyer un titre et une terre en
remerciement des soins que tu lui a prodigué et c’est par pur orgueil
qu’il exige ta bonne mise, pour n’être point éconduit par le Roi le
jour où tu devras paraître devant Lui.
— Le Roi ! J’ ne veux point le voir ! J’ veux rentrer à Bredons !

« Cher oncle Jean-Antoine,


à l’heure où je trempe ma plume de gros grêlons fouettent la
campagne versaillaise. Il fait froid. Pour vous écrire sans éprouver
la morsure de l’onglé, je me suis réfugiée dans un petit salon aux
tentures pourpres où un bon feu crépite dans la cheminée. L’endroit
est charmant et détonne avec le reste du domaine des Volzac plutôt
lugubre.
Notre voyage s’est bien déroulé bien que monsieur de Volzac se
montre perpétuellement sévère avec moi. Je ne vois, dans ses regards
et ses gestes, nulle ombre d’un sentiment quelconque pour moi. Il
m’assomme de discours sur le Roi et m’assassine de remontrances.
Rien de ce que je fais ou dis n’est convenable à ses yeux. Dés notre
arrivée à Versailles, il a donné ordre de pousser les calèches
jusqu’au palais Royal sans se soucier de ma lassitude, ni de la
grande fatigue de père, ni de la messe Pascale que nous avons failli
négliger par sa faute.
A peine posé le pied dans la cour Royale qu’il s’est emporté. Ses
caprices ont forcé les domestiques à recharger les bagages qu’ils
venaient de décharger avec beaucoup de peine tant ils étaient lourds
et encombrants et c’est en me poussant les fesses sans vergogne qu’il
m’a obligé à remonter dans la voiture. Le Roi, paraît-il, ce serait
offusqué de mon manque de tenue. Je n’avais rien fait d’autre que
tancer un valet chien brutal avec sa bête.
Pour résister, je puise ma force dans le Seigneur. Que serai-je
sans Lui ? Florimont est un homme impossible…J’ai eu tort de le
suivre. J’aimerai déjà être sur le chemin du retour… ».

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Chapitre 4

Le mois d’avril se conclut avec le retour de Charles-Henri chez


Florimont. Marie guetta ses allées et venues dans le château et
profita de ce qu’il n’était pas accompagné de Gontran son valet pour
le coincer dans le couloir débouchant dans le salon pourpre. La
gorge débordante et l’œil de biche, elle se frotta contre lui. Depuis
longtemps, les beaux yeux du marquis réduisaient en cendres son

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pauvre cœur de servante.

— Ote-toi de mon chemin coquine ! Grogna t-il, chassant loin de


lui la tentation de passer la main sous ses jupons et de la prendre
contre le mur.
— Je ne vous plais point je le vois ! Pourquoi ne voulez-vous
point de moi ? N’ai-je point les appas qui vous conviennent ?
En disant cela elle empoigna sa poitrine à deux mains et la
rehaussa pour lui prouver le généreux calibre de ses seins. Les
mamelons pointaient sous le voile blanc tendu de sa blouse.
— Ne suis-je donc point à votre goût ? Persévéra t-elle en
soulevant sa jupe jusqu’à sa hanche.

Sa jambe était belle, son genoux gracieux, la chair blanche de sa


cuisse alléchante. Un instant Charles-Henri s’imagina ce que
Florimont fricotait avec cette aguicheuse. Elle avait de quoi passer
de voluptueux moments.
« Il ne doit point s’ennuyer ! ».

— Du vent , parvint-il à lâcher dans un souffle, ni tes feulements


de chatte en chaleur ni tes lamentations pathétiques ne me feront
faillir ! Tu perds ton temps et rogne le mien ! Baste !

Au lieu de quoi, se haussant sur la pointe des pieds, elle s’arrima


à lui. Dans un soupir de désir elle enroula son bras gauche autour
de son cou et infiltra sa main droite dans l’échancrure de sa
camisole*. Ses doigts fouillèrent les poils de son torse velu, les
caressa. Mieux que cela elle voulut y appuyer les lèvres et respirer
son odeur.

— Ne crains-tu point que ton fiancé n’apprenne l’affaire ? Vas t-


en ! La repoussa t-il encore dans un état de déchirement. Elle l’avait
enflammé.

Il eut toutes les peines du monde à retirer ses doigts crochés à sa


chevelure châtain. Charles-Henri ne portait la perruque que

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lorsqu’il hantait la Cour et se targuait d’avoir encore de soyeuses
boucles alors que beaucoup d’autres hommes de son âge se rasaient
le crâne.

Des bruits montèrent de l’étage inférieur. Marie capitula. Son


maître rentrait peut-être. Dans un geste rageur elle lui arracha le
catogan* de satin noir qui nouait ses cheveux et en entraîna une
poignée. Elle s’en débarrassa sur la toile de son tablier mais
conserva le ruban qu’elle enfouit dans son corsage pour en faire une
relique.

— Peste soit de toutes vos maîtresses !


— Tais-toi donc maraude ou je te fais chasser ! Je n’ai qu’un mot
à dire à mon frère et il tu retournes à ta misérable vie! Crois-tu que
je trahirais la confiance qu’il me fait pour un moment de folie avec
toi ? Jamais je ne toucherai une fille qui lui appartient !
— Peuh ! Vous et votre maudit pacte ! Vous ne savez point ce que
vous perdez Monseigneur !
— Certes, mais je sais ce que je gagne !

Furieuse, elle s’en alla mais pour elle ce n’était que partie
remise.
Au bord d’avoir cédé aux appels de cette bacchante, le marquis
sortit sur la terrasse la plus proche et avala une grosse bouffée
d’oxygène. L’air était tiède, presque chaud et fleurait bon le muguet.
L’été s’annonçait précocement. L’ouverture regardait vers le nord,
en direction des jardins. A la vue de la désolation du paysage,
Charles-Henri oublia les assauts de la jeune femme et ne pensa plus
qu’à la végétation sauvage qui s’étendait devant lui à perte de vue.
Cela faisait des années que Florimont avait chassé ses jardiniers et
ses terres n’étaient plus qu’un vaste maquis de verdure indisciplinée.
La nature avait repris ses droits.

Le corps et les sens quasiment remis de leurs émotions, il rentra,


referma la fenêtre et s’attarda encore devant une tapisserie peuplée
d’animaux de la jungle. Dans la savane, un lion y dévorait quelques

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proies. Le sang leur giclait des entrailles.
« Cette suivante* est une lionne, si je me laissais conduire elle me
dévorerait ! ».
Au moment où il se retourna pour gagner sa thébaïde, Hélène
surgit, un livre à la main. Cette apparition le fit sursauter mais il
reconnut sans hésitation la déesse de feu qu’il avait aperçu dans la
cour de Versailles.
Elle aussi s’étonna de cette impromptue rencontre ; un
gentilhomme de fière allure ! Le premier parmi la masse de
domestiques en livrées bleues qui vaquaient au château.
— Pardon si j’ vous ai fais peur monsieur ! J’ lisais dans l’ grand
salon pourpre quand des voix ont interrompu ma lecture ! J’ pensais
que Florimont était revenu d’ la Cour !
Entres ses phalanges délicates, Charles–Henri reconnu son
ouvrage préféré, à la reliure de cuir brun, à la tranche dorée et au
titre gravé à l’or fin.
— Les histoires de Gautier de La Caleprenède sont
passionnantes, n’est-ce pas ?
— Oui…
Ce fut à son tour de découvrir la beauté d’Hélène tant vantée par
son ami dans ses lettres. Ce « trésor » comme il se plaisait à la
nommer. Son sourire tout d’abord, avenant et sincère, si naturel qu’il
livrait sans pudeur le nacre brillant de ses dents, bien alignées sous
le modelé parfait de ses lèvres roses. Le grain fin de sa peau
dépourvue d’imperfections. Le vert profond de ses yeux qui
s’appesantissaient sur lui sans la moindre gêne, ni même l’ombre
d’une malice. Le vénitien de sa chevelure, coiffée à la Fontanges*,
illuminée par les rayons d’un soleil de plus en plus présent. Il ne
pouvait détacher son regard d’elle et la contemplait comme un joli
portrait.

Le beau temps lui ayant fait abandonnée ses lourdes robes de


velours, Hélène portait une tenue de printemps, d’un léger brocart*
jaune paille brodé de bouquets de roses rouges. Un chemisier de soie
grège aux longues manches ballon nouées aux poignets qui laissait
deviner sa divine silhouette. Une toilette qui, dans son ensemble,

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formait un élégant méteil mi-aristocrate, mi-paysan. Séduit, Charles-
Henri ne sut pourquoi en cet instant son assurance inébranlable
vacilla. Il ne se sentit plus capable que de parler littérature.
Manquant de souffle et de salive, c’est d’une voix étranglée qu’il
l’interrogea :
— Connaissez-vous…les…Contes de Mélusine ?
— Non…Osa t-elle avouer.
C’est d’une candide franchise qu’elle lui répondit. Elle rougit
cependant, non par l’aveu de ses lacunes mais par l’effet que lui
faisait le sternum dénudé et viril de son bel interlocuteur. Cet
inconnu semblait tout droit sorti d’un conte de fées avec ses larges
épaules ornées de boucles lisses et propres, brillantes sous les rais
de soleil filtrant par la baie vitrée. Sa taille mince, sous un buste
triangulaire, était ceinte d’une large ceinture de satin noir
maintenant de fermes abdominaux.
— Les historiettes…de Mademoiselle…de Scudéry ?
— Pas plus !
« Où donc poser les yeux ! Cet homme est encore plus beau qu’
Florimont, plus jeune aussi, et plus aimable ! Lui au moins n’a point
les idées confites dans l’ vinaigre et parle d’autre sujet que le
Roi ! ».
— Je vois ! Vous ne lisez que La Caleprenède !
— Oui…Pour l’instant…Il y a tellement d’ livres dans cette pièce
que j’en perd mon latin. Plutarque, Virgile, de grands noms inconnus
pour moi ! Celui-ci, posé sur la sellette à la cime d’une pile de gros
ouvrages, s’est offert à moi…J’ l’ai emprunté…
Elle hochait la tête d’une façon irrésistible qui ne laissait pas
Charles-Henri indifférent. Une montée de désir lui noua la gorge, il
se tut pour l’écouter parler, s’ennivrant de son image et de sa
faconde.
— J’aime l’écriture de Gautier…Il s’exprime toujours d’une
manière passionnée avec les dames!
Au bout d’un silence de quelques secondes où la gravité peignait
les traits de sa physionomie, Charles-Henri se reprit.
— En prose ? Questionna t-il.
Il désirait tester ses connaissances pour savoir si elle avait bien

25
parcouru les lignes dont il aimait se gaver. Sûre d’elle, puisqu’elle
avait tout lu, elle pouvait disserter sans crainte sur le sujet.
— En vers parfois !
— Préférez-vous la prose ou les vers ?
— Peu importe une fois qu’ les paroles sont belles et pleines de
feu !
— Belles et pleines de feu ! Oui…oui…oui…Fit-il en se frottant le
menton, l’air méditatif.
Il repensait aux vers bibliques, le Cantique des Cantiques, poème
trois, qu’il avait appris et récité à Junon* rien que pour briller à ses
yeux.
— Permettez que je vous cite quelques vers…
— De vous?
— Non d’un autre…mais assurément très amoureux…Aussi ne
soyez point sévère avec moi si je n’y mets point le ton !
— Promis !
Il commença :
— Oui tu es…

François de Sieujac coupa court l ‘ébauche de cette poésie en


débouchant de nulle part. Ni le marquis, ni la bergère ne l’avaient vu
arriver. Il leur tombait dessus comme un boulet de canon.
— Hélène mon enfant, je te cherche partout depuis une heure !
Tu disparais sans rien dire et voilà que je te trouve en grande
conversation avec un jeune gentilhomme !
Hélène va se percher au bras de François et d’un ton très
enthousiaste, commence les présentations :
— Voici mon père, le Seigneur François de Sieujac…
Charles haussa les sourcils d’étonnement.
« Son père ? Mais combien en a t-elle donc ? ».
— Père, enchaîna Hélène, voici…voici…Oh ! J’ne sais même
point qui vous êtes !
Loin de d’être dupe de l’emballement de sa fille pour le bel
animal, il durcit le son de sa voix et lâcha un reproche.
— Comment monsieur vous ne vous êtes point présenté ? Où sont
passées vos bonnes manières ?

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— Monsieur je suis pardonnable, les grâces de votre fille m’ont
ôté tout jugement…Je suis Charles-Henri, le beau-frère de
Florimont…Marquis de Viau et de Morins, comte de Vézère,
Pelvoux, Cenon…
— Monsieur point n’est nécessaire d’étaler votre généalogie !
— Mademoiselle votre fille porte t-elle un nom ?
— Oui bien sûr, je m’appelle Hélène…

Chapitre 5

Château de Versailles, 5 mai 1683.

Le long du mur d’un vaste vestibule, alignés sur des bancs au


velours vert gonflé de bourre, les quémandeurs d’une audience au
Roi croisaient et décroisaient leurs jambes depuis plus d’une heure
dans l’attente d’être reçus. Deux hallebardiers gardaient la porte du
cabinet de Louis XIV, tandis qu’un groupe de mousquetaires
surveillait les allées et venues des passants.
Après avoir battu le pavé pendant trente minutes, un valet fit
entrer Florimont dans le cabinet du souverain. Des voix
s’insurgèrent. Ce gentilhomme était arrivé après eux et entrait
avant eux ! Mais le Roi était le seul à décider qui et quand Il
recevait et l’annonce de l’arrivée du marquis de Volzac effaça toutes
les autres. Les gardes qui avaient décroisé leurs hallebardes pour
laisser passer Florimont, les recroisèrent aussitôt dés que la porte se
fut refermée sur lui.

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— Mon ami !
— Sire…
— Nous* sommes heureux de vous revoir à la Cour…
— C’est un honneur Sire…
— Contez-moi votre épopée…Une rumeur prétend qu’un ange
vous a sauvé la vie et que cet ange ressemble étrangement à feue à la
duchesse Angélique de Fontanges…
Florimont lui raconta brièvement les points forts de son aventure
et de sa rencontre avec Hélène. Louis n’était point dupe. La flamme
qui animait son discours et ses yeux ne laissait aucun doute sur ses
sentiments pour elle.

— Un ange adorable Sire, il est vrai, et qui se cache sous les


traits d’une merveilleuse jeune fille de nos contrées d’Auvergne…Un
véritable trésor, un puit de science à qui la nature livre ses secrets !
Mais…Mais elle n’a de similitude avec mademoiselle de Fontanges
que sa beauté. C’est une roturière…
— Le Roi sent dans votre voix une certaine amertume…
— Certes Sire…Je dois avouer que j’aurais aimé qu’Hélène
Polignac soit d’un sang bleu…
— Le Roi peut, par amitié pour vous, changer cela…
— Oh Sire…C’est trop d’honneur…
— Nous, Louis, Roi, annonça Louis sur un ton condescendant,
faisons aujourd’hui Hélène Polignac, mademoiselle de Belvès. Sur
les hauteurs rocheuses de ce village, une baronnie vacante depuis
quelques ans domine la vallée de la Nauze. L’ange pourra y voler de
ses propres ailes sans trop être dépaysé…
— Sire…Les mots me manquent…
— Le Roi étend sa générosité en accordant sa bénédiction de
votre union avec mademoiselle Catherine de Sauvegarde…
Une manière habile et détournée de rappeler à Florimont ses
engagements. Cela revenait à dire « Peu importe le choix de votre
maîtresse une fois que vous épousez Catherine de Sauvegarde et que
vous vous convertissez à la religion catholique, comme cela a tété
préalablement convenu entre nous… ».

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— Le Roi prépare son départ pour Dijon, continua Louis, et Il
aimerait que vous vous joignez à ceux qui vont L’accompagner…
— C’est un grand privilège Sire…
— Catherine de Sauvegarde sera là et le Roi tient à ce que vous
soyez à ses côtés !
— Rien ne peut me faire plus plaisir Sire…Je suis votre plus fidèle
sujet et je ne saurais rien refuser à Votre Majesté…
Et puisqu’il ne peut rien lui refuser…
— Bien…avant son départ, le Roi souhaiterait rencontrer
mademoiselle de Belvès…
— J’attendais le consentement de Votre Majesté pour l’introduire
à la Cour…Hélène est une paysanne sans éducation et indigne d’être
présentée à Votre Majesté…
— On n’est toujours bien né quand on est remarqué par le Roi…
Je désire lui parler !
Quand Louis parlait à la première personne du singulier c’est que
sa nature humaine prévalait sur celle de Roi de droit divin.
Florimont compris, par cette volonté irrémédiable, qu’Hélène avait
touché son cœur d’homme.
— Bien Sire…
— Cependant j’aimerais que cette rencontre se fasse d’une
manière particulière…

En arpentant le chantier de la Galerie des Glaces, Florimont


souriait encore béatement en repensant à la proposition du Roi. Il
n’entendait même pas les coups de marteaux assourdissants des
ouvriers. Ses pas le portaient vers les appartements de Catherine de
Sauvegarde dont le corps de rêve et la fraîcheur l’attirait comme un
aimant. Il emprunta un corridor sombre, dépourvu de fenêtres, un
raccourci puant d’urine piquante et infesté de rats et de vermine.
L’abominable relent le sortit de ses pensées. Il envoya un coup de
bottes dans le la tête d’un rongeur qui déguerpit en criant. A
l’instant où il voulut sortir de cette ratière il reçut contre son flanc le
corps d’une femme affolée. L’inconnue s’agrippa à lui et faillit le
faire chavirer. Ils furent déportés jusqu’au mur.
— Monsieur sauvez-moi ! On veut m’assassiner !

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Florimont la serra contre lui d’un bras ferme et protecteur, sa
main droite se posa sur le pommeau de sa rapière. Il s’attendit à voir
débusquer des poursuivants mais un silence de mort les enrobait. La
frêle silhouette tremblait de frayeur. La pauvre femme retenait ses
cris dans le fond de sa gorge, ses halètements trahissaient une
course effrénée. Dans l’obscurité, le marquis ne distinguait d’elle
que son parfum entêtant et la soie drapée de sa robe qui crissait sous
ses phalanges.
Il se détacha d’elle, se fit bouclier de chair pour la protéger et
d’un coup sec de talon ouvrit brutalement la porte. Personne.
La lumière du soleil provenant des grandes baies vitrées du
couloir inonda le visage de l’inconnue. Florimont se retourna pour
la regarder et découvrit celle qu’il devait défendre. C’était une jolie
femme d’une trentaine d’années, à la chevelure d’ébène et au
profond regard d’un velours noir. Elle était encore plaquée contre le
mur et ignorait que Florimont la dévisageait. Toute accaparée par sa
peur elle furetait par de-là l’issue le danger qu’elle craignait voir
s’abattre sur elle.
— Ne craignez plus…
En éclaireur, Florimont passa la tête dans l’ouverture de la porte.
Trop de monde circulait pour discerner une éventuelle menace.
— Allons madame, ne restons point céans…Cet endroit est
malsain…
— De grâce monsieur ne m’abandonnez point ! Ils vont me tuer !
— Ils ? Acceptez mon bras…Je vais vous escorter jusque vos
appartements…
— Non…non…menez-moi jusque dehors afin que j’emprunte une
calèche…
— Non…J’ai une calèche personnelle…Je vais vous conduire là
où vous désirez vous rendre et vous me raconterez tout…
— Merci monsieur, soyez béni…

Durant le trajet Florimont se surprit à constater qu’avec cet


incident il avait tout oublié. Cette femme était belle et troublante. Il
ne l’avait jamais vue à la Cour. Qu’y faisait-elle et qui voulait la
tuer ?

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— Vous avez repris des couleurs…Vous étiez si pâle…Me diriez-
vous qui s’en prenait à une si jolie et si fragile personne que vous ?
— Les Dragons de Sa Majesté ! Je suis protestante monsieur et
au nom de Dieu et du Roi ces hommes ont voulu me violer pour me
faire adjurer ma religion ! Ils ont…ils ont…
La voix lui manqua. Des souvenirs horribles remontaient en elle.
Son visage se perdit dans les dentelles qui couvraient ses poignets.
— Ils ont abusé de ma suivante*, tous, les uns après les autres et
m’ont forcée à assister à leurs tortures…et…pour mieux me
convaincre, l’un d’eux, un jeune homme blond, l’a étranglé sous mes
yeux…Cet homme je le reconnaîtrais entre mille….

Un soir, Hélène s’égara dans un dédale de couloirs étroits et sans


fenêtre. Un air glacial lui cinglait le visage et faisait voltiger sa robe
de nuit de mousseline. Elle devina une issue, droit devant. La flamme
de sa bougie vacillait dangereusement. Son halo lumineux n’éclairait
qu’à peine les dalles vermoulues des murs et du sol. De sa main, elle
fit un barrage pour la protéger des courants d’air et avança,
fiévreuse de peur.
« Je suis certaine qu’il y a des oubliettes dans ce château ! Si ma
bougie s’éteint je risque de tomber dedans! C’est bien fait pour moi,
je n’avais qu’à rester dans ma chambre ! La curiosité est un vilain
défaut toujours puni !».

Au bout de ce long tunnel, un escalier circulaire, aux pierres


usées par endroit, offrait une montée et une descente. Venant d’en
bas, Hélène choisit de monter. C’est arrivée au faîte de l’escalier que
sa bougie s’éteignit sous le souffle puissant d’un vent qui déchira le
silence de son cri lugubre. La jeune fille se plaqua contre mur le
temps d’habituer ses yeux à l’obscurité, le cœur emballé, les mains
moites. A trois mètres environ, brillant comme un phare dans la nuit,
un rai de lumière se dessinait sous une porte à simple battant. Elle
s’en approcha à tâtons.

Rien ne filtrait de derrière la cloison, pas un bruit, pas un mot,


pas même un murmure ne permettait de dire si quelqu’un se tenait là.

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La seule façon de le savoir était de cogner le bois. Elle n’attendit pas
longtemps, aux trois coups quelqu’un réagit. Un bruissement
d’étoffe, un pas vif, un toussotement et la porte s’entrouvrit. C’était
Charles-Henri.
— Vous ! S’exclama t-il.
Hélène resta coite, une main posée sur sa poitrine, les yeux
arrondis de surprise.
— Il est presque minuit, lui fit-il constater en jetant un œil rapide
sur son horloge de bronze trônant sur sa cheminée, vous devriez
dormir à cette heure !
— J’attends Florimont…Je m’inquiète qu’il ne soit point encore
rentré ! Je me suis égarée en visitant l’aile Nord du château que je
ne connaissais pas encore…
— L’aile Nord m’appartient, ainsi que le cabinet pourpre de
l’aile sud! Le corps central du bâtiment est réservé au personnel.
— Je n’ savais point monsieur…
Dans une curiosité déplacée de paysanne, elle fouilla du regard le
peu d’espace que lui offrait l’ouverture de la porte et aperçut une
toile accrochée sur le mur du fond de la chambre. Un portrait d’une
ravissante jeune femme à la prolifique chevelure mordorée, tenant
une colombe dans le creux de sa main, une colombe prête à
s’envoler vers des cieux d’un azur enchanteur.
— Cette peinture est magnifique…
Charles-Henri agrandit l’entrée pour la l’inviter à pénétrer dans
son univers personnel.. Il n’avait en tête qu’une idée, la séduire pour
lui ravir sa virginité. Il s’agaçait de voir qu’avec cette fille rien ne se
déroulait comme avec les autres. Ses entreprises liées comme par des
mains invisibles, échouaient et cela le troublait.

Comme un funambule, Hélène porta ses pas jusqu’au chef-


d’œuvre. Il referma la porte.
« Dans ma tanière ma jolie tu n’as aucune chance de t’en
sortir… ».
— Cette femme est belle…et le peintre qui l’a immortalisé est
talentueux ! Quel don de Dieu !
Attirée, la jeune fille posa l’extrémité des ses doigts sur la toile et

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la caressa un instant. La chair de poule la parcourut.
— C’est votre fiancée ?
— Non…Regardez son visage…
— Mais c’est le votre ! C’est vous déguisé en fille ?
— Non, c’est Cécile…ma jumelle, feue l’épouse de Florimont….
Hélène venait de toucher son point sensible, sa sœur.
— Ooh, je ne savais point, je suis désolée…Comme je suis
idiote !
— Non, loin de là…la réussite de ce chef-d’œuvre ne vous a point
échappé…
Oppressé, il caressa le portrait, lentement, du bout des doigts. Un
sanglot remonta dans sa gorge, il se pinça les sinus pour empêcher
une larme de sortir et de trahir son chagrin. Ce geste n’échappa pas
à Hélène qui en sonda toute la souffrance.
— Vous avez de la peine…Pardon si j’ai réveillé en vous quelques
souffrances…Voulez-vous que l’on prie ?
— Que…Que l’on prie ?
— Oui…Pour que l’ Seigneur vous console et apaise vot’ peine…
Il est là pour se charger d’ nos fardeaux quand ils sont trop lourds à
porter…
— Je le sais…Son joug est doux et léger…
Et Charles-Henri se laissa entraîner dans la prière.
Chapitre 6

Mai s’étirait lentement sous un soleil aussi ardent que celui de


juillet. Les tommettes du château des Volzac chauffaient, obligeant
chacun à se procurer de la fraîcheur là où il pouvait. C’est en
dessous d’un saule pleureur monumental, près d’un muret recouvert
de lierre, que depuis une semaine Hélène puisait toute l’ombre dont
elle avait besoin pour se rafraîchir, et le corps et les idées.
Prisonnière d’une solitude forcée, elle ne trouvait de joie que dans la
découverte du domaine, aussi grand que celui des Sieujac, et des
gens sympathiques et dévouées qui y travaillaient pour les comptes

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des marquis de Volzac et de Viau.

Le portail, serti entre deux hautes tourelles de pierres grises


servant de pigeonniers, s’ouvrait sur la cour d’honneur et se
prolongeait en une allée interminable ; celle qu’Hélène avait
empruntée à son arrivée. Large à l’origine cette allée se voyait
rétrécie par une luxuriance de mauvaises herbes mêlées à la
floraison de tubéreuses cultivées jadis avec art et amour par la
maîtresse des lieux. Bourdons bruyants et papillons multicolores
dansaient au dessus de joyeuses et libres farandoles pour le plus
grand plaisir des yeux. Hélène passait des heures à rêvasser dans cet
endroit, dans l’attente du retour de Florimont qui tardait toujours.
Ce chemin de graviers roses l’attirait. Il lui rappelait un petit coin
de son pays natal. Comme un long ruban de satin baigné de soleil, il
s’étalait jusqu’à l’orée d’un bois sombre et s’enfonçait profondément
au cœur d’un tunnel d’arbres gigantesques aux feuillages très drus.
Par une peur absurde des loups, la jeune fille n’osait s’y aventurer.
Quelques points de broderie entre deux verres de liqueur et trois
bouchées d’oublis*, les après-midis défilaient et souvent elle se
demandait ce qu’elle faisait là, à attendre un homme qui visiblement
ne s’intéressait pas à elle puisqu’une autre femme le retenait à la
Cour.
« Comment retourner à Bredons ? Père ne le veut point
encore…».

Assoupie sur la table nappée de damas blanc, ses pensées se


transformèrent en rêves. Là au moins, Florimont était présent et lui
rendait le peu d’amitié amoureuse qu’elle éprouvait pour lui.
Un chatouillement parcourut son avant-bras. Hélène remua,
incapable de sortir du songe romantique qui la maintenait endormie.
Pourtant, inconsciemment, sa main chassait ce qui titillait son
épiderme et perturbait sa sieste. Sous ses gestes, la manche courte et
froncée qui habillait joliment son épaule glissa et dévoila la rondeur
de sa peau dorée. Aimanté par cette chair tendre et jeune, l’insecte
invisible poursuivit sa course et s’immobilisa dans son cou délicieux.
Hélène se réveilla brutalement et releva la tête. Ce n’était qu’une

34
branche de saule mue par Charles-Henri qui l’avait contemplée
dormir durant quelques instants et n’avait pu s’empêcher de la
taquiner de la pointe d’une feuille.
— Oooh, je croyais que c’était une araignée !
— Pardon, pardon si je vous ai affolée, ce n’était pas mon
intention…Je passais par ici quand je vous ai vue…Il faut que vous
soyez bien lasse pour vous être assoupie dans un endroit si peu
confortable…
— A vrai dire, je m’ennui…confia t-elle.
— Vous vous ennuyez !
— Le pays est fort beau, les gens accorts, je goûte volontiers au
plaisir de randonnées solitaires mais je ne me plais point céans, je
voudrais retourner chez moi…
Tout ouï, Charles-Henri s’assit sur un coin de la table et s’ouvrit
à ses confidences. Son amabilité fit frémir sa fine moustache
naissante et découvrir les deux longues incisives qui donnaient à ses
sourires un charme irrésistible.
— Dites-moi ce qui ne va pas…
— Tellement de choses ne vont plus dans mon existence que vous
seriez lassé de m’entendre avant même que j’eusse fini de raconter !
— Voyons !
— Vraiment ?
— Oui…Je suis votre obligé. Vous m’avez si bien réconforté
l’autre soir que je serai ingrat de ne point vous écouter !
— Et bien…et bien…je ne contrôle plus le cours de ma vie…je
suis ici alors que je voudrais être chez moi…Je passe mon temps à
attendre votre beau-frère qui ne rentre pas, retenu par quelque
demoiselle à Versailles…C’est Marie qui me l’a dit !
— Marie ! Peuh ! Marie est une catin jalouse ! Elle ne peut que
noircir Florimont pour vous détourner de lui ! Cela l’arrangerait
parbleu !
— Ah ?
Trop ingénue, elle ne comprit pas l’allusion. Un silence s’établit
durant lequel ils se détaillèrent des yeux.
— C’est tout ? Demanda t-il après son inquisition. Voyez, je ne
suis point encore lassé !

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— Mais…attendez, ce n’est point tout…
— Faut-il que je vous arrache les mots de la bouche ? Que je
vous soumette à la question* ?
Elle sourit, divertie par ses discours.
— Je…je veux reprendre ma vie d’antan, finit-elle par avouer tout
de go, retrouver mes amis, mes bêtes, Bella surtout…
— Bella ?
— Ma jument…elle me manque. Je suis triste aussi de constater
que mon père s’adonne au libertinage…Je ne l’avais jamais vu sous
ce jour…Les femmes se succèdent dans son lit, il me les impose et je
dois les tolérer, il me l’ordonne…Je commence à croire qu’il a séduit
ma mère et a abusé de son innocence…Il refuse de retourner à
Bredons…Tout comme Florimont, il s’est mis dans la tête de me
trouver un titre et des terres pour faire de moi une dame ! Il dit qu’il
m’aime et m’assure qu’il agit ainsi par amour pour moi et pourtant
il ne se soucie point de mon avis !
— Votre père…Justement, si ce n’est point trop indiscret de ma
part, il me semble qu’un autre occupait ce titre avant votre arrivée…
J’aimerais comprendre…
— Ah ? Vous n’êtes point dans la confiance* ? Le Seigneur de
Sieujac est mon géniteur…L’apothicaire de Bredons est l’homme qui
m’a élevée contre vents et marées parce qu’il aimait ma mère. Il
s’est sacrifié pour moi…Il est celui que je préfère et dont je pleure
encore la mort…Je ne suis qu’une bâtarde…
— Je n’aime guère ce mot et il sonne mal dans votre bouche !
C’est Dieu qui vous a donné la vie et c’est Lui qui vous la reprendra,
peu importe qui sont vos géniteurs, ils ne sont que des instruments…
et je dois dire que l’œuvre est réussie…non ?
Encore un long silence, aussi lourd que le plomb pendant lequel
chacun cherchait ses mots en se détaillant des yeux. Pour lui
arracher un sourire, Charles-Henri balaya une nouvelle fois la joue
attristée d’Hélène avec sa branche de saule, sans se douter que les
paroles qu’il venait de prononcer l’avait séduite.
— Le chef-d’œuvre désire t-il faire une promenade ? Proposa t-il.
Hélène s’anima. Un sorte d’euphorie remplit sa poitrine. Enfin
quelqu’un s’intéressait à elle.

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— Oui…
Elle se leva et vint timidement s’approprier de son bras tendu
avec courtoisie.
— Je suis votre sigisbée…plaisanta t-il, ordonnez et je
m’exécuterai !
Sa voix était douce, l’invitation très tentante.
— Allons dans cette forêt ! Je me souviens bien avoir emprunté
ce chemin le soir de mon arrivée mais il faisait si noir que je n’ai pu
distinguer qu’un cavalier empressé, en flexion sur son fougueux
étalon ! J’aimerais découvrir les secrets mystérieux que recèlent ces
bois !
— Alors ouvrez grands vos jolies mirettes, au bout de cette route
le palais du Roi Soleil !
Hélène ouvrit la bouche mais resta muette, interdite, puis ses
sourcils se froncèrent. Elle fit une moue d’enfant capricieuse en
serrant le bras du marquis.
— Je ne veux point voir le Roi…S’il vous plaît…Intercédez pour
moi auprès de Florimont pour qu’il ne m’emmène point à la Cour…
Il vous aime, il vous écoutera !
— Euh…je…
— S’il vous plaît, insista t-elle en secouant son bras, je vous en
prie…
— Je vous promets d’essayer…

Le grand chemin rejoignait donc l’allée du Roi et son château.


Trop loin pour s’y rendre à pieds par cette chaleur, tant mieux,
Hélène refusait d’en entendre parler. Elle se plaisait trop bien en
compagnie de Charles-Henri qui savait cultiver l’amitié et ne
désirait en aucun cas connaître l’engeance de Cour dont son oncle
Jean-Antoine Lastic l’avait entretenue.
Cette route comportait deux branches perpendiculaires, une à
droite et une à gauche, toutes deux échelonnées à un kilomètre de
distance.
C’est celle de droite qu’Hélène choisit de parcourir en premier.
C’était la plus proche du domaine. Elle eut la surprise d’y découvrir
un paddock et d’immenses écuries, celles de Florimont.

37
Après une visite approfondie des stalles, ils reprirent leur longue
marche côte à côte et firent une pause à l’ombre d’un chêne
tricentenaire. Charles-Henri s’allongea dans l’herbe.
Sur le dos, mains calées derrière sa nuque, une feuille entre les
dents, il regardait les tâches de soleil filtrer au travers des feuillages.
Hélène s’assit à ses côtés et l’observa un peu. Le coucou chantait.
— Comment pouvez-vous vous accordez avec Florimont, il est si
différent de vous !
Hélène avait brisé le silence la première. Charles-Henri releva la
tête, se tourna vers elle et se maintint sur un coude. Il avait envie de
la saisir, de la serrer contre lui, de la caresser. Pourtant il ne
broncha pas d’un poil.
— Nous nous aimons comme deux frères, je donnerais ma vie
pour lui…
— Et lui pour le Roi…C’n’est guère équitable…
— Eh…Je n’exige rien de lui.
— Comment arrivez-vous à supporter sa suffisance !
— Bon, il est vrai que Florimont est plus suffisant que le Roi lui-
même, mais je suis un libertin, c’est pis…Et puis…sa vie n’est que
mort et désolation…Depuis quelques années une vraie hécatombe
saccage son existence…Florimont est un homme déchiré…L’orgueil
est devenu un bouclier pour lui…
— Hum…C’est donc vrai, vous courrez le guilledou…questionna
t-elle pour dévier la conversation, et…et…vous collectionnez les
femmes…comme mon père…
— Hein ? euh, eh oui…
— Des duchesses ?
— Ah non, je n’ai jamais rendu de soins à une duchesse…
Dommage d’ailleurs!
— Une perle manquante au collier…désolant !
— Si l’on peut dire…
— Et comment faites-vous? Je veux dire, que dites-vous à une
marquise par exemple pour lui faire la cour ?…
— A une marquise ? Et bien…
Il réfléchit un peu.
— « D’amour mourir me font, belle marquise, vos beaux yeux !

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Ou bien : vos yeux beaux d’amour me font, belle marquise, mourir !
Ou bien : mourir, vos beaux yeux, belle marquise, d’amour me font !
Ou bien encore: me font vos yeux beaux mourir, belle marquise,
d’amour ! Ou plus certainement : belle marquise, vos beaux yeux me
font mourir d’amour* ! ».
Hélène éclata de rire. Dans un geste naturel et sans arrière-
pensée, elle appuya la tête sur son épaule. Il fut transporté par son
parfum de rose et l’image de la belle marquise de Maintenon
s’effaça aussitôt de son esprit.
— Ah, ah, ah ! Quel est ce galimatias ?
— C’est un morceau d’une pièce de monsieur Molière ! « Le
bourgeois gentilhomme ! ». Ne la connaissez-vous point ?
— Non…Je n’ai jamais assisté à une pièce de théâtre…
— Notre ami Molière nous a quitté en 1673, hélas, et nous ne
pouvons plus goûter de ses nouvelles pièces dont le Roi raffolait
tant !
Hélène se redressa, roula des épaules et le provoqua d’un regard
en biais.
— Et à moi, que diriez-vous ?
Charles-Henri sauta sur l’occasion pour se rapprocher d’elle et
retrouver cette note olfactive délicate qu’elle dégageait. Il lui grippa
le menton entre son pouce et son index, cracha le fétu qu’il
mâchonnait depuis dix minutes et se racla la gorge pour s’éclaircir
la voix.
- A vous princesse, je dirais :
« Oui tu es belle, mon amie, oui tu es belle…Tes yeux sont des
colombes derrière ton voile, tes cheveux sont comme un troupeau de
chèvres qui ondulent sur les pentes de Galaad…Tes dents sont
comme un troupeau de brebis tondues qui remontent du bain…
chacune a sa jumelle et nulle n’en est privée…Tes lèvres sont un fil
de pourpre et tes discours sont ravissants*…

Hélène pâlit. Charles-Henri vit ses lèvres devenir exsangues, ses


yeux se révulser, sa nuque mollir. Elle s’évanouie dans ses bras sans
qu’il eut le temps de lui prendre un baiser.
Il la secoua, lui tapota la joue pour qu’elle reprenne

39
connaissance. Doucement Hélène retrouva ses esprits et lorsqu’elle
s’aperçut qu’elle gisait dans ses bras elle se recula sauvagement, le
poussa même pour s’arracher à lui. Comment devait-il interpréter
cette prise de distance brutale? En analysant son regard désemparé,
il suggérait toutes les hypothèses possibles. Qu’il lui répugnait fut la
seule qui le fit vraiment souffrir. Il était loin de la vérité.
— C’est vous…murmura t-elle, c’est vous…
« C’est lui Seigneur, c’est lui celui que tu me destinais…
Florimont n’était donc qu’un instrument pour me conduire vers lui…
lui, Charles-Henri…si beau, si gentil…Merci Seigneur pour cette
magnifique confirmation…Soit béni mon Dieu… ».
— Moi ? Que voulez-vous dire ?
Il lui prit la main, lucide qu’elle était très perturbée, et la porta à
ses lèvres. Non il ne lui répugnait pas, elle se laissa couvrir le dos de
la main de petits baisers tendres.
— Je dois dire que mes histoires, en général, ne font pas cet effet
là sur les dames ! Vous m’avez surpris et inquiété…Vous sentez-vous
mieux ?
— Oh, oui…oui, maintenant oui…
Maintenant, elle savait…

— Hélène ! Je te cherchais pour t’annoncer une merveilleuse


nouvelle ! Voici la clé de ta future demeure, un vicomté dans le
Vexin, du côté de Gadancourt ! Le Roi m’a vendu, à très bon prix, un
domaine de plusieurs hectares!
— Peuh ! Que ne ferait-Il point pour renflouer sa trésorerie !
Sans doute a t-il abusé de vos bontés sans scrupule et vous vous êtes
laissé embobiné !
— Allons ma fille ! Je pensais te réjouir…Je ne te reconnais
plus ! Que t’arrive t-il ? Et où étais-tu donc ?
— Je me promenais avec monsieur de Viau…Quant à me
reconnaître vous ne le pouvez point car vous ne me connaissez
point ! Je n’ai que faire des richesses de Sa Majesté et vous devriez
le savoir…
— Quelle insolence ! Serait-ce le marquis de Viau qui te
détourne ? J’aimerais ne plus te voir frayer avec cet individu…Je

40
reviens de la Cour et ce qu’on dit de lui n’est point joli ! C’est un
homme lubrique qui passe le plus clair de son temps à défleurir les
jeunes filles…Il a frôlé la disgrâce à plusieurs reprises…C’est une
joueur et un ivrogne ! Un assassin même !
— Je refuse de vous écouter davantage ! Etes-vous assez saint
pour lui jeter la première pierre ? Et toutes ces femmes que vous
amenez ici ? Que dois-je en penser ? En dire ?
— Tu es le portrait craché de ta mère et si tu étais plus jeune je te
fermerais ton avaloir en te rossant ! Je vais m’empresser de terminer
mes paperasses et nous partirons, à vaux de route !
— Non, je ne veux plus partir !

Chapitre 7

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Charles-Henri accosta Florimont dés son retour de la Cour et le
poussa à l’intérieur de la salle d’armes.
— Ah cher Florimont ! Vous daignez enfin nous faire l’honneur
de votre présence ! Savez-vous que Son Altesse Royale Charlotte-
Elisabeth attend toujours votre visite ?
— Oooh celle-là ! Répondit Florimont en soufflant, une main
balancée derrière la tête en signe d’exaspération.
— Celle-là comme vous dites, je L’estime beaucoup !
Florimont voulut sortir mais Charles-Henri l’en empêcha en se
mettant en travers de son chemin.
— J’aimerais certains éclaircissements sur vos rapports avec
Hélène Polignac ! Vous est-elle ou ne vous est elle point ?
— Me laisserez-vous souffler ?
— Dites !
— Elle m’est, elle m’est !
Perplexe, il fronça les sourcils et analysa longuement les traits de
son ami. Son regard fuit.
— Me mentiriez-vous pour satisfaire les caprices du Roi ?
— Vous doutez de moi !
— Et bien oui ! On ne peut point dire que votre hymen pour
Hélène soit aveuglant ! Vous disparaissez et la laissez dans l’attente
de votre retour, esseulée, attristée, inconsolable même !
— Vraiment ? Vous avez donc tenté de la consoler à votre
manière ?
— Absolument ! Hélène ne m’a laissé entendre que vous la
courtisiez…
— Vous prêtez foi aux propos niais d’une donzelle provinciale !
— Hum, je vois bien que vous la délaissez pour Catherine de
Sauvegarde !
— Vous vous trompez…
— Je sais que vous ne vous intéressez point à Hélène car elle
n’est point d’un sang bleu*, c’est une fille adultérine !
— Ah ça mon frère je ne suis point comme vous qui baisez tout ce
qui porte jupon ! Nobles et roturières partagent vos draps et

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souillent votre sang ! J’ai toujours désapprouvé votre légèreté! Il
déshonore notre rang.
— Et Marie !
— Marie est fille d’un vieux baron ruiné ! Un sentiment de pitié
pour cette famille de vieille noblesse m’a poussé à prendre cette
jeune femme à mon service…
— La pitié ! Triste sentiment dans votre cœur…triste mot sur vos
lèvres ! Ah ! Florimont…vous me…
— Je vous déçois !
— Oui…Dites-moi au moins si Hélène est chasse gardée !
— Hélène est fille de grand Seigneur…et par grâce royale
propriétaire d’une baronnie en Périgord Noir ! Donc chasse gardée
du Roi !
Florimont se tut un instant pour observer les traits tendus de son
ami.
— Vous voulez cette fille n’est-ce pas ? Je m’en doutais ! Dés que
j’ai vu cette Jésabel je savais quelle furie elle déclencherait en vous
si je vous la présentais ! Je suis magnanime, je vous permets d’en
faire ce que vous voulez dés que Sa Majesté en aura joui !
— Si vous parlez ainsi c’est qu’elle ne vous est rien et que vous
n’avez aucun sentiment pour elle. Je peux donc en disposer comme
je le l’entends! Notre pacte devient caduc à partir de maintenant car
vous vous êtes joué de moi !
Florimont réalisa qu’il avait eu tort de partir un mois. Ce qui le
rassurait c’est que Charles-Henri tenait encore à savoir si Hélène
comptait pour lui, cela signifiait qu’il ne l’avait pas encore touché et
qu’il ne le ferait pas tant qu’il resterait dans le doute.
— Ce pacte n’a plus raison d’être ! Je vais épousé Catherine et
de ce fait me ranger. Je vous offre Marie ! Elle sera comblée, elle
vous veut depuis si longtemps ! Elle éteindra peut-être le feu qui
vous consume…Quant à notre cher trésor auvergnat, je ne crains
rien. Cette illuminée aime bien trop son Dieu pour se faire tendre à
la tentation de la chair !

Marie avait tout entendu de la conversation et voulait en tirer un


avantage. Elle s’arrangea pour croiser Charles-Henri à l’écart des

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autres et lui proposer de nouveau son corps plantureux. Charles-
Henri ne se priva pas de l’encourager.
— Passeras-tu par l’aile Nord ce soir délicieuse créature?
— Oui, si monsieur consent à me laisser entrer dans sa
chambre…
Vers minuit, elle s’annonça, le marquis la fit entrer. Il s’assit sur
son fauteuil et l’envisagea sous toutes les coutures. Sa taille mince
dont on pouvait faire le tour des deux mains et sa croupe large sous
ses jupes de coton.
— Es-tu prête à mourir cette nuit Marie ?
— Cela dépend de la façon ? Etranglée ? Rouée ? Brûlée ?
Ecartelée ?
Il dénoua ses aiguillettes. Son sexe brandit comme une hampe
aiguisée serait l’arme de l’exécution..
— Non, empalée ! Précisa t-il en souriant.
— Quel doux supplice monsieur !
Et elle ferma le loquet de la porte. En s’appropriant l’intimité la
plus profonde de cette demoiselle, Charles-Henri ne se doutait pas
qu’elle était sa dernière aventure légère.

Hélène dut attendre le lendemain matin pour enfin avoir le


privilège de voir Florimont. A peine s’il lui adressa la parole au
petit-déjeuner, il était d’une humeur massacrante. François se joignit
à eux, puis vint Charles-Henri. Sur sa demande, pour plaire à cette
jolie bergère qui savourait les repas copieux et bucoliques, la table
fut dressée dans le jardin. Bien que l’atmosphère était tendue à cause
du comportement froid et distant de Florimont, François et Charles-
Henri se montraient jovials et mettaient à eux seuls un peu
d’ambiance à la tablée. Rien ne préludait à la scène qui allait leur
couper l’appétit.
Marie arriva comme une furie, son baluchon à la main. Elle était
en larmes. Florimont laissa tomber sa cuillère en la voyant
s’approcher, les cheveux collés sur son visage boursouflé par les
pleurs. Elle ressemblait à une catin battue. Charles-Henri analysa le
regard mauvais de son beau-frère.
« Il le faut Charles, cette fille est un obstacle entre nous… »,

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semblait-il dire.
— Tu devrais être loin Marie ! Que fais-tu encore ici ?
L’interrogea Florimont, la colère à fleur de peau.
— Je viens vous dire vos quatre vérités avant de partir et du
même coup prévenir cette pauvre fille qu’en ces murs elle est en
danger ! Ecoutez bien, cracha t-elle à Hélène entre deux sanglots lui
remontant de la poitrine, ces deux hommes là vont vous pervertir !
Surtout celui-là !
Elle pointait un index accusateur sur Charles-Henri.
— Par sa haine des femmes il passe son temps à les détruire en
les déshonorant ! C’est le Diable en personne ! Et lui, ajouta t-elle
en fustigeant Florimont, c’est un poltron qui lui cire les bottes parce
qu’il en a peur !
— Tais-toi et vas t-en ! Gronda Florimont, prêt à se lever.
— Savez-vous pourquoi il me chasse mon bon maître ? Parce que
l’autre lui en a donné l’ordre ! Ils ont signé un pacte avec Satan ! Ce
sont des hérétiques ! Ils brûleront en enfer !
Charles-Henri conservait son calme et poursuivait son repas
comme si rien ne se passait. A l’inverse, Florimont mit un terme à la
diatribe en se levant d’un bond. Il attrapa Marie par le bras et la
traîna jusqu’au portail. Elle continua à hurler, se débattant comme
une possédée et ameutant tout le personnel. Hélène, retournée et
prise de nausée, se sauva et gagna sa chambre. Elle s’agenouilla
devant une statue de la Sainte Vierge de plâtre peint que son père
venait de lui offrir pour décorer son alcôve et lui permettre de prier
en toute discrétion. Elle s’y abîma en prières.
Florimont s’inquiéta vraiment de cette fuite que Charles-Henri ne
manqua pas de lui dire à son retour. Sans un mot, il s’élança sur ses
pas. Il la chercha, elle ne pouvait être que dans le salon pourpre ou
dans sa chambre. Charles-Henri pria François de les laisser. Peut-
être cet incident les rapprocheraient-ils ? Il fallait qu’il sache.

— Qu’est-ce que cette idole fait sous mon toit ?


Hélène n’eut pas le temps de prononcer une parole que Florimont
balayait d’un bras rageur la statue. Elle se fracassa sur le plancher
en plusieurs morceaux.

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A bout de nerfs, Hélène éclata. Il venait de dépasser toutes les
limites.
— Mais qu’est-ce que cela peut bien vous faire, cria t-elle en se
mettant à pleurer, vous ne croyez en rien ! Rien ! Rien !
Elle fendit l’air et voulut quitter la pièce mais il la rattrapa par le
poignet et lui fit faire un volte-face. Déséquilibrée, elle bascula en
arrière, son dos claqua contre le mur. Il l’emprisonna en coinçant
ses jambes entre les siennes et posa un bras de chaque côté de sa
tête.
— Hélène ! Hélène !
— Laissez-moi, supplia t-elle en le repoussant, c’est vous qui êtes
le Diable et non votre ami !
Bien qu’elle savait maintenant qu’il n’était pas son élu, le petit
faible qu’elle avait pour lui surpassa tout et elle se sentit faillir entre
ses bras.
— Chut ! Hélène, chut, roucoulait-il au creux de son oreille.
Sa voix était douce. Hélène en avait la chair de poule. Elle leva
les yeux vers lui et vit son regard remplit d‘une douceur nouvelle.
— Chut !
— Laissez-moi Florimont, laissez-moi…
— Non…Hélène je…je…j’ai une clé pour vous…la clé d’une
baronnie en Périgord Noir…Vous voici baronne de Belvès…
Trop orgueilleux pour lui déclarer son amour, il posa ses lèvres
sur les siennes en glissant discrètement la clé dans la profondeur de
son décolleté.
« Les actes valent mieux que des mots », pensait-il.
Il se trompait. Hélène aurait tant aimé l’entendre lui déclarer sa
flamme plutôt que de sentir le froid glacial du métal aux creux de ses
seins. Par son orgueil démesuré, Florimont perdait peu à peu le
cœur de la jeune fille.

Leurs corps restaient pourtant, dans ces instants de folie,


embrasés et inséparables. Florimont l’embrassa plusieurs fois,
jusqu’à ce qu’elle réagisse et se prête à l’échange. Elle se souvint du
baiser furtif qu’il lui avait dérobé, du goût de ses lèvres, de son
odeur. Tout ceci se renouvelait avec délice, en mieux. Elle ferma les

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yeux pour ne pas regarder ses propres mains se rejoindre derrière sa
nuque et l’attirer à elle. Elle se sentait coupable d’être consentante,
d’offrir sa bouche, de mélanger sa salive à la sienne, d’avancer son
ventre en avant pour sentir se transformer son anatomie masculine.
Le souvenir de la langue désinvolte de Jacquou lui revint en
mémoire, la raideur de son sexe aussi. Elle en avait eu peur quand il
s’était jeté sur elle un soir de décembre. Avec Florimont c’était
différent, c’était bon. Ses baisers et ses étreintes étaient enivrants et
gommaient cette première expérience négative qui lui avait tant fait
craindre les assauts d’un homme. C’était la première fois qu’Hélène
désirait vraiment un homme.

Florimont pressait ses hanches, empoignait ses fesses au travers


de sa robe, perdait son visage dans sa chevelure, respirait son
parfum de rose. Il fondait sous ses caresses, se saoulait de ses
soupirs. Elle était prête à se donner, il le devinait et il la voulait.
Légère comme une plume dans ses bras musclés, il la souleva de
terre. Elle enroula ses jambes autour de lui, ne pensant plus à rien
qu’à leurs corps qui s’épousaient en harmonie. Transportée par
l’effusion d’un désir violent mêlé de crainte, elle ne vit pas
s’approcher son père et le marquis de Viau. C’est au milieu de mille
murmures que les deux hommes les surpris.
François resta coi une seconde avant d’exploser de rage.
Charles-Henri croisa le regard de Florimont et tourna les talons
pour ne plus les voir et ne pas assister à la scène. Il partit sans
prononcer un mot. Son silence trahit ce qu’il ressentit en les voyant
enlacés. Il fit seller son alezan et en compagnie de son fidèle et
dévoué Gontran, regagna la Cour.

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Chapitre 8

Château de Versailles…

Dans les jardins, près du bassin d’Apollon, une pléiade de jeunes


femmes, toutes plus ravissantes les unes que les autres, stoppèrent
leur partie de colin-maillard à l’apparition de leur coqueluche.
Charles- Henri fut littéralement assailli par leurs gloussements,
leurs rires, leurs petites caresses et furtifs baisers de bienvenue.
— Charli…Mais où étais-tu ?
— Mon gros matou chéri, c’est vilain de m’avoir abandonné aux
mains de mon méchant mari…Viendrez-vous ronronner dans mon lit
ce soir ?
— Viendrez-vous bientôt me retrouver dans mon alcôve ?
— Mais vous vous laissez pousser la moustache ! C’est
adorable !
— Oui, cela vous sied à ravir !
Heureuses de le revoir et pressées de s’en accaparer, elles avaient
toutes un petit mot tendre à lui susurrer.
Le sollicité, d’humeur plutôt sombre, ne leur sourit même pas. Il
se laissa chahuter sans rien dire, les doigts agrippés sur le rebord de
son chapeau. Autour de lui elles se mirent à tourner, tourner en
couinant bruyamment, si vite qu’il en avait le vertige. Les yeux
d’Hélène le hantaient, ces femmes le soûlaient. Soudain il réalisait
que cette tribu d’excitées ne voyaient en lui que la bagatelle. Que ces
biches en chaleur ne s’intéressaient à lui que pour le jouet qu’il
portait sous la ceinture. Sa devise « Les femmes sont faites pour
pleurer et les hommes pour jouir » partait en fumée. C’est bien lui
qu’une énorme boule de jalousie étouffait et c’est bien ces
jouisseuses qui dansaient autour de lui en piaffant. Il eut envie de
repartir chez Florimont pour retrouver celle avec qui il avait

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partager tant de choses merveilleuses en un mois.
« Elle ne sera jamais à moi puisqu’elle est à Florimont… ».
— Allons mesdemoiselles…Vous allez arracher mes vêtements !
Je dois voir le Roi…
« Que pourrais-je inventer pour que ces femelles me laissent
tranquille ! Ah, voici venir la marquise de Montespan ! Celle-là
tombe à point ! ».
— Mesdemoiselles, veuillez excuser un gentilhomme très pressé
qui n’a hélas aucun temps à vous accorder…maintenant…Ce soir
peut-être…
Elles le regardèrent s’enfuir, consternées.
— Qu’est-ce qui lui prend ? C’est un comble !
— Il est peut-être malade…Supposa l’une.
— Malade, peuh , se moqua une autre en haussant les épaules, sa
maladie c’est la muflerie ! Maintenant qu’il nous a goûtées, il nous
jette comme un vulgaire noyau d’abricot qu’il a bien sucé !
— Paiera !
Charles-Henri happa Athénaïs de Montespan qui se dirigeait, le
pas lourd et lent, vers l’Orangerie.
— Madame…
— Tiens, marquis !
— Madame, comment vous portez-vous ?
— Lourdement…Je ne cesse de grossir et m’enivre d’un vinaigre
qui me ronge les boyaux ! Et vous ? Cela fait longtemps que vous ne
m’avez pas défiée au Lansquenet…
— Je vous croyais fâchée contre moi !
— Contre vous ? Mais pourquoi ?
— A cause des 20 000 pistoles que je vous avez raflé l’été
dernier…
— Oh ! Mon ami, cet argent appartient à la couronne et non à
moi ! Qu’importe que ce soit vous ou le Roi qui le dilapide! Mais
qu’avez-vous fait de cet somme dont vous n’avez que faire ?
— Vous n’êtes point obligé de me croire très chère marquise, mais
après en avoir dépensé un dixième avec une belle, j’en ai fait don à
une pouponnière dont je suis aujourd’hui le parrain !
— Tant mieux ! Je préfère que ce soient de pauvres petits

49
bambins qui profitent de cet or plutôt que la Maintenon ! Cette
teigne me répugne ! Elle cache son hypocrisie sous des airs de
prude ! Savez-vous qu’après avoir détourné de moi mes propres
enfants, elle a embobiné le Roi pour me le voler ?
— Vraiment ? Fit-il mine de ne rien savoir.
— Hélas oui…Le Roi ne passe plus devant ma chambre que pour
rejoindre la sienne…Bah, soupira t-elle, ainsi va la Cour ! Tout
aujourd’hui, plus rien demain !…Son tour viendra…Que diriez-vous
d’un Pharaon ce soir pour me faire oublier mes affres? Appartement
chez le Roi à partir de 9 heures, je vous y invite…
— J’en suis honoré…

(confidences à la Palatine)

Avant de partir, lui aussi, pour la Cour, Florimont cueillit une


rose pourpre et la déposa délicatement sur la table où Hélène faisait
un brin de lecture. Elle leva les yeux vers lui, il souriait.
— Merci…
— Je me demande jusqu’où nos caresses nous auraient conduits
si votre père n’avait point fait irruption dans votre chambre hier…au
lit ? Non ?
Hélène ne répondit pas, elle ne le savait même pas elle-même.
Elle détesta l’air moqueur qui déformait ses lèvres. Il la provoquait.
— C’est de votre faute, l’accusa t-il bourré d’orgueil, refusant
d’admettre qu’il avait failli succomber à ses charmes et qu’il se
sentait attiré par elle, vous vouliez que je vous touche, hein ?
Hélène demeurait muette et cherchait la signification de la rose
couleur de passion qui gisait devant son assiette. Elle ne coïncidait
pas avec la mesquinerie des mots qu’il débitait. De toute évidence il
voulait la guerre, elle ne lui offrirait pas ce plaisir.
— Oui tout est de ma faute Florimont…
— Bien ! Il faut que vous sachiez que cela ne se reproduira point
car je vais me marier…
— Vous marier ?
— Oui, avec mademoiselle de Sauvegarde…
Poussé par un besoin irrésistible de la blesser, il lui mentit.

50
Catherine ne faisait plus du tout partie de ses projets de mariage
depuis sa rencontre avec la belle inconnue de Versailles mais il se
gardait bien d’en parler à quiconque.
— Il ne faut plus penser à moi comme à un prétendant, je ne vous
aime pas…
« Alors pourquoi cette rose ? Ces caresses ? Ces mots passionnés
furtivement prononcés à mon oreille ? ».
— Et vous ne m’aimez point non plus…
— Cela va de soi…
— Nous sommes tous deux victimes d’une simple et passagère
attirance qui ne nous mènera à rien !
— A rien…il est vrai…
— Je ne vous citerez jamais ce stupide passage de la Bible que
vous brûlez d’entendre de la bouche de votre futur époux et je ne
peux donc être celui que vous attendez…Dieu vous le réserve !
— Assurément…
« Puisque c’est Charles-Henri. ».
— Alors, alors, que diriez-vous de rester mon amie et d’apaiser
ces conflits qui nous échauffent la bile…
— J’en dis que c’est une bonne résolution…
« Et que je suis stupéfaite de ce premier pas dénué orgueil…vous
faites des progrès monsieur de Volzac».
— Bien ! Je pars pour Versailles ! En attendant mon retour
faites-vous belle ! Reposez-vous ! Moins de bourrée le soir et plus
de sommeil! Continuez les exercices de bonnes conduites que je vous
ai enseigné à Bredons et tout ira bien. Profitez-donc de jouer à la
gueuse, dans deux jours vous ne le pourrez plus ! Le Roi prépare son
départ pour Dijon où Il doit faire ses dévotions mais avant de partir
Il désire vous voir. C’est tout ce que je puis vous dire pour le
moment. Sa Majesté vous apprendra le reste…

Eléonore de La Ferté apprit le retour de Charles-Henri et


trembla. Elle avait trop fait courir le bruit qu’il était le père de
l’enfant qu’elle portait et qui lui retournait les entrailles. Elle vomit
son repas et envoya sa bonne Sophie en éclaireur.
Sophie se fit une beauté avant d’aller cogner au huis de la

51
chambre de Charles-henri. Peut-être aurait-il besoin de ses services,
il ne fallait point le décevoir. La voix tonitruante du marquis la
refroidit mais elle s’enhardit tout de même à s’offrir à lui.
— Monsieur fut longtemps absent…Monsieur s’est-il ennuyé de
moi ?
— Que veux-tu Sophie ?
— Vous ! N’avez-vous point besoin de mes soins ?
— Non, ce que j’ai besoin c’est d’une peinte de vin pour
m’enivrer !
— Ah, je vois ! Monsieur ne veut plus de moi depuis qu’il a
engrossé ma maîtresse !
— Peste soit de ta langue la garce !
— Ma langue, ma langue ! Vous ne l’avez point toujours
dénigrée ! Au sens propre comme au sens figuré ! Elle vous a bien
été utile pour vos petits plaisirs lubriques et les petits messages dont
elle s’est fait porteuse !
— Va t-en ! Je ne veux plus te voir, ni t’entendre ! Retourne aux
fourneaux, ton mirliton s’y morfond sûrement en t’attendant !
Folle de rage mais pas pour autant découragée, Sophie fit un pas
vers lui et se pendit à son cou, la bouche en cœur. Il la repoussa.
— Dois-je appeler les gardes pour calmer ton appétit ?
Voyant que rien n’y faisait, la jeune femme exécuta un volte-face
de résignation et se rua sur la porte.
— Hélène ! Euh, je veux dire Sophie, fais-moi rapporter quelques
carafes de champagne !
— Hélène, s’écria t-elle en se retournant prestement, ah, voici
donc monsieur amoureux ! Je comprends tout ! On se garde pour
une nouvelle drôlesse ! Elle doit avoir un cul en or celle-là !
— Sors d’ici ou je te rosse !
La porte claqua sec.

52
Chapitre 9

Versailles, le 1 juin.
(promenade avec le Roi)

53
— Quelqu’un peut-il me dire où se trouve l’antichambre du
marquis de Viau ?
— De Viau, connais pas ! Ici ma belle, y’ a dix mille personnes
alors ton p’tit marquis t’es pas prête à l’artrouver !
— Mademoiselle, fit une voix féminine, moi je sais !

Catherine de Sauvegarde avait entendu la conversation, tout à


fait par hasard et cette nouvelle jolie tête l’avait intriguée.
— Vous connaissez le marquis de Viau ? Vous êtes l’une de ses
maîtresses je suppose !
— Vous supposez mal, je ne suis qu’une amie…Et vous ?
— Je suis une de ses amies aussi…Suivez-moi, je vais vous
conduire jusqu’à ses appartements…
— Merci…
Les deux femmes parcoururent la galerie des
Glaces…………………………..

54
— Voici la chambre de son valet, Gontran. Cette pièce est
attenante à celles de Charles-Henri. Frappez et il vous ouvrira, il est
très gentil…
— Je sais, je le connais…Merci.
Catherine s’empressa de disparaître dans la foule qui courait
dans tous les sens. Gontran ouvrit et la reconnu. Il sembla ravi et
soulagé de la revoir.
— Mon dieu, mon Dieu ! C’est bien que vous soyez là
mademoiselle Hélène ! Monsieur le marquis ne dessaoule pas depuis
deux jours ! Je ne sais point ce qui se passe dans sa tête! Il a perdu
beaucoup d’argent au jeu…enfin, il s’est laissé perdre et ce n’est
point dans ses habitudes ! C’est la marquise de Montespan qui l’a
plumé ! Et il réclame sa sœur Cécile, ne cesse de pleurer ! Je ne sais
plus quoi faire ! J’étais prêt à avertir monsieur de Volzac ! Mon
Dieu, mon Dieu ! Comme cela est bien triste !
— Conduisez-moi auprès de lui, vite !

C’est affalé sur sa table au milieu de bouteilles de champagne


vides qu’elle le trouva, cuvant son vin.
— Voyez dans quel état pitoyable il est !
Hélène courut ouvrir les fenêtres car une odeur éthylique
détestable embaumait la pièce. Elle entendit Charles-Henri gémir,
elle s’approcha. Le froissement d’étoffe de sa robe le fit émerger de
son semi-sommeil.
— Cécile ? Cécile ?
La jeune fille sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle était
émue et attendrie. Elle avait presque envie de répondre oui à cet
appel déchirant.
— Non, Charles, c’est moi, Hélène…
Elle pressa tendrement son épaule, il tressaillit, leva le regard
vers elle. Son visage était noyé de larmes, ses yeux et son nez bouffis,
ses cheveux collaient à ses joues mal rasées. Dans un élan qu’il ne
put refreiner, il lui saisit les hanches et plaqua sa tête contre son
ventre pour y déverser ses derniers pleurs.
— Oh Hélène, si vous saviez comme ma Cécile me manque !

55
C’est une partie de moi qui est morte à tout jamais…Elle était mon
double, ma chair, mon sang…Comme vous me comprenez, oui vous
vous comprenez, je le sais, je le sens tout au fond de moi…Je l’ai
ressenti le soir où nous avons prié…Hélène…Votre présence ici me
fait du bien…Ne partez point, je vous en supplie, ne me laissez plus
loin de vous…J’ai besoin de vous…Vous, vous ne me jugez point…
Vous ne me regardez point comme les autres me regardent…Vous
êtes différente…Florimont a de la chance…Il vous a…
Submergée d’émotion, Hélène laissa échapper quelques larmes
mais se reprit bien vite. Comment remonter quelqu’un si l’on est soi-
même au fond du trou ?
— Voyez, mademoiselle Hélène, se lamenta Gontran, mon maître
délire…
— Gontran, y a t-il un endroit où monsieur peut se tremper ?
— Euh…Oui, dans la pièce à côté il y a sa baignoire de faïence…
mais ?
— Alors remplissez-là d’eau tiède et appelez son barbier…Nous
allons redonnez vie au marquis Charles-Henri de Viau…Préparez-lui
son plus joli habit, le plus riche et le plus pimpant, sa plus belle
perruque, son talc , sa mouche, ses bijoux ! Et son plus beau
panache aussi! Je veux le voir tel que les autres femmes ont
coutumes de le voir ! En petit marquis poudré et parfumé à
outrance ! Vite, Vite !

Et tout ce qui fut ordonné fut exécuté. Quelques heures plus tard
Charles-Henri retrouvait fière allure et rejoignait Hélène qui l’avait
attendu dans son cabinet.
— J’ai une horrible migraine, confia t-il en se claquant dans son
fauteuil.
— Il ne fallait point vous enivrer !
— J’ai honte ! Mon valet n’aurait point dû vous laisser entrer…
Il enfouit son visage dans la paume de ses mains. Une grosse
émeraude ornait son majeur droit. Hélène vint s’agenouiller devant
lui et posa ses mains sur ses genoux. Gontran, dans ses petits
souliers, craignant la foudre de son maître, disparut aussi
subrepticement qu’une souris dans son trou mais soulagé de savoir

56
que tout était rentré dans l’ordre.
— C’est moi qui l’en ai prié l’informa t-elle pour éviter une
punition injuste au vieil homme, je voulais vous voir…
— Mais dans quel état misérable vous m’avez vu !
— Oui et je ne vous cacherai point que je préfère le Charles que
j’ai croisé un jour d’avril, dans le couloir du château des Volzac…
Plus simple, moins fardé, naturel…et sobre…
— Pardonnez-moi…
Il baissa les mains et croisa son regard pers.
— Ces deux jours sans vous m’ont paru une éternité Hélène…
Vous m’avez terriblement manqué…
Hélène saisit ses mains, leurs doigts s’entrelacèrent. Charles
fixait ses lèvres roses et brûlait d’y poser les siennes mais l’image de
la jeune fille dans les bras de Florimont assiégeait son esprit.
« Elle est à lui, à lui… ».
Hélène ressenti son trouble, Charles-Henri son désir d’un baiser.
C’est comme si l’union de leurs mains permettait à chacun de
ressentir les émotions de l’autre. Une osmose parfaite les unissaient.
Il sentait qu’elle était faite pour lui, elle savait qu’il était l’espéré.
« Elle est à Florimont, je ne peux la toucher… ».
Mais comment encore résister alors qu’une bouche sensuelle et
douce s’impose ?
Hélène lui vola un premier bécot, timoré, mais qui donna suite à
toute une série de baisers fougueux. Ils s’embrassèrent à perdre
haleine. Charles la tira, Hélène se retrouva assise sur lui, les bras
autour de son cou.
— Emmenez-moi loin d’ici Charles, emmenez-moi…

Chapitre 10

57
(lettre à Jean-Antoine Lastic)

Paris, début juin 1683, manoir des de Viau.

— Vous verrez, ma mère est charmante ! Je sais que vous lui


plairez…
— Qui est cette vieille dame courbée qui vient vers nous avec son
bâton ?

58
— C’est ma grand-mère, Alice…La doyenne de notre famille…
Elle va bientôt fêter ses 82 ans…Une antiquité ! Ne vous laissez
point intimider par elle…

A petits pas glissants mais plein de dignité, Alice s’approcha du


carrosse. Elle fronça les sourcils en regardant Charles-Henri aider
Hélène à descendre. Surtout qu’elle s’attarda un peu dans ses bras
en se laissant presser la taille.
— Qui est cette jeune personne ? Demanda la vieille d’une voix
aussi tremblotante que ses guiboles goutteuses, ta fiancé ?
— Non Mamilice…
— Pas une de tes maîtresses j’espère ! Tu sais que je ne veux
point de rouées sous mon toit!
— Non Mamilice, Hélène n’est point ma maîtresse…
— Je suis une amie de Charles-Henri…
— Une amie, peuh…
Alice resta sceptique et allait dire un mot désagréable lorsque la
mère de Charles-Henri fit son apparition, les bras tendus vers son
fils qu’elle n’avait pas vu depuis bientôt un an.
— Maman ! retournez au salon dit-elle à sa vieille mère, votre thé
est servi…Peu importe qui est cette jolie demoiselle, elle
accompagne mon enfant chéri…
Alice obéit en ronchonnant. Elle aurait tout le temps de s’occuper
de la nouvelle venue une autre fois.
— Henri, viens m’embrasser !
Charles serra sa mère dans ses bras et respira son odeur, elle lui
rappela celle de Cécile. Elles avaient toujours porté le même
parfum, senteur de lavande.
— Mère voici Hélène, baronne de ….
— Hélène, vous êtes la bienvenue…

59
Arrivée de Philippe Beaulieu-Plessis de Caumont La Tour.

60
Hélène s’engouffra comme une furie dans la chambre de Charles.
Terrorisée, les mains prises d’un tremblement incontrôlable, elle
tenta, sous le regard effaré du marquis, de fermer la porte à double-
tour.
— Hélène, que se passe t-il ?
Il quitta sa lecture et la rejoignit. La clé n’entrait pas dans la
serrure, les doigts affolés de la jeune fille n’arrivaient plus à
s’appliquer.
— Mon Dieu Hélène mais dans quel état êtes-vous ! Calmez-
vous…
— Charles, Charles…
La chemise d’Hélène était déchirée, ses cheveux emmêlés, son
visage inondé de larmes.
— Racontez-moi…
— C’est Philippe…Il a voulu abuser de moi…
Charles blêmit et la saisit dans ses bras où elle se blottit, transie
de frayeur.
— Vous a t-il touchée ?
— Non, je me suis débattue et je l’ai frappé à la tête avec un
bougeoir…J’ai cru qu’il allait tomber mais non, il s’est rué sur moi
comme un animal en rut et a déchiré ma robe de nuit…Je me suis
sauvée…
— Je vais tuer ce maroufle !
— Non Charles, c’est votre cousin et votre mère l’aime
beaucoup…Je ne veux point de scandale…Je vous en prie, Charles…
Hélène avait beaucoup de peine à le retenir tant la rage le
secouait. Pour y parvenir elle s’accrocha à lui, éperdue. Par deux
fois il ôta ses bras serrés autour de son cou, prêt à bondir, les yeux
axés sur son baudrier de cuir gisant sur le canapé. L’envie de se

61
servir de son épée le démangeait. Cela faisait bien longtemps qu’il
n’avait pas pourfendu un gêneur. Mais les doux baisers d’Hélène
eurent raison de son emportement. Le désir l’envahit. Il caressa sa
chevelure, la remit en place en la lissant, la coiffa en étirant les
boucles. Les mèches soyeuses passaient et repassaient entre ses
phalanges. Du revers de ses pouces il essuya ses joues humides de
larmes et fatalement les caresses descendirent pour atteindre les
épaules. Doucement il abaissa les bretelles de voile. La chair tendre
appelait aux baisers. Ils furent fougueux. Hélène se montra pourtant
réfractaire à de plus osés attouchements. Charles se reprit sous son
recul. Peut-être allait-il trop loin ? Précipitait-il les évènements ?
— Charles, non…je…
— Vous aimez Florimont c’est cela ?
— Non…loin de là…
— Alors dites-moi ! Vous me rendez fou, souffla t-il en plongeant
la tête dans son cou.
— Je ne veux ni ne peux…vous donner ce que vous voulez…je me
garde pour ma nuit de noces…c’est important pour moi…seul mon
époux devant Dieu aura cette faveur…comprenez-vous ?
— Oui…je comprends…Je pensais que cette vertu avait disparu
du milieu des femmes !
— M’en voulez-vous Charles ?
— Bien au contraire ma douce, bien au contraire…
Chapitre 11

Domaine des Volzac, 23 juillet 1683.

« Il ne reste plus que la grange. C’est sans doute là que je l’ai


perdu… ».
A la recherche de son pendent d’oreilles d’émeraude, Hélène
grimpa jusqu’au premier étage de la grange. A quatre pattes elle
envisagea la fouille des lieux, écartant chaque brin de foin, passant
chaque recoin au peigne fin. Rien.

62
— Vous avez une bien étrange façon de traverser une grange
Hélène, fit une voix derrière elle.
La jeune fille sursauta et de saisissement tomba sur les fesses.
Elle se croyait seule.
— Florimont ! Vous m’avez effrayée !
La boucle d’oreille se balançait au bout de la dextre du marquis,
un sourire espiègle se dessinait sur ses lèvres.
— Est-ce cela que vous cherchez ?
— Oui…mais que faites-vous là, caché entre deux ballots de
paille? Attendriez-vous une femme ?
— Ah que non ! Je puise le repos nécessaire à mon bien-être…La
tournée de Sa Majesté m’a épuisé. Bourgogne, Franche-Comté,
Alsace…Je comprends que la Reine se soit effondrée sous une fièvre
de cheval dés notre retour ! Le Roi nous a fait mener un train
d’enfer !
Il se tut un instant pour la détailler.
— Je vois que mademoiselle de Belvès et de Gadancourt a pris
quelques rondeurs, dit-il en faisant allusion à sa croupe emmitonnée
de serge bleu qui s’était faufilée sous son nez une minute plus tôt…et
qu’il avait eu envie de prendre à la hussarde.
— Ce sont les pâtisseries de Mamilice qui m’ont alourdie la
taille…
— Cela vous sied à ravir mademoiselle de Belvès et de
Gadancourt !
— Ne m’appelez point ainsi, vous m’agacez ! Je suis et resterait
toujours Hélène Polignac !
— Cracher sur ses titres ! Quel orgueil !
— Ces titres ne sont que des noms ajoutés à de minuscules
particules, rien de plus !
— Ah, ah, ah ! Et la baronnie ! Le vicomté ! Leurs terres et leurs
fruits ?
— Rien ! Rien à côté de ce que Dieu me donne…
« Allez c’est reparti…Cette fille est folle… ».
— Dieu ! Peuh…
Florimont s’affala sur la paille en soufflant d’exaspération et cala
ses mains sous sa tête.

63
— Que Dieu me rende donc ma femme et mon fils ! Pesta t-il en
jetant les yeux aux solives.
— C’est impossible, ils sont morts !
Percé en plein cœur, envahit par la rancoeur envers un Dieu
contre lequel il ne pouvait rien, Florimont se rebiffa :
— Tiens je croyais que tout Lui était possible à votre Dieu !
Même vous vous avancez le contraire !
— Vous comprenez très bien ce que j’ veux dire Florimont…Si
vous croyez en la toute puissance de Dieu et en sa gloire vous verrez
se produire des prodiges dans votre vie. Croyez, écoutez-le, laissez
tomber les écailles qui couvrent vos yeux, ayez confiance en Lui !
Tout concourt au bien de ceux qui écoutent Dieu ! Dieu peut vous
rendre ce que l’on vous a volé mais pas comme vous l’entendez ou
comme vous le voulez !
Il la regarda, sceptique. Et si ce qu’elle disait était vrai ? Sans
comprendre pourquoi, le visage de la belle inconnue de Versailles
traversa son esprit. Une image évanescente et troublante qui
disparut aussi subitement qu’elle était apparu.
— Approchez, dit-il en tapotant la paille près de lui, venez vous
asseoir ici…Allez, je ne vais point vous manger !
Après un court instant de réflexion Hélène rampa jusqu’à lui.
— C’est vous que j’aime écouter Hélène, vous avez conserver
votre cœur d’enfant. Vous ne vivez que d’espoir. Ce serait criminel de
briser l’espérance qui vous anime…Ah Hélène, cher trésor…que je
peux toucher…
Il lui prit la main et la porta à sa bouche. Son souffle chaud et la
douceur de son baiser raviva de doux souvenirs dans le cœur
d’Hélène. Elle détourna la tête pour dissimuler son trouble et ses
joues rougissantes.
— Vous êtes de chair et de sang…vous me parlez et cela m’est
bien agréable de vous entendre…vous êtes bien gentille mais ne me
demandez point d’écouter un Dieu injuste et incapable d’exaucer les
prières ! Je l’ai prié pour qu’Il sauve ma famille et Il la laissé
partir…
Il sourit finalement pour cacher son émotion et les larmes qui
mouillaient ses yeux. Sa carapace commençait-elle à fondre ?

64
Il se tut et attendit de voir ce qu’elle allait entreprendre. Il la
savait attirée par lui. En dépit de son amour pour Charles, Hélène
conservait un petit faible pour lui. Un petit faible dangereux qu’il
avait envie d’exploiter car l’occasion s’en présentait.
Florimont s’empara de son poignet et la tira à lui. Sous la peau
diaphane il tâta son pouls. Il était rapide et trahissait son excitation
mêlée d’appréhension.
— Hélène…Hélène regardez-moi !
Elle obéit et ses yeux tombèrent sur sa bouche qu’il rapprocha.
— Tenez, le voilà votre joyau… pourquoi ne portez-vous point
ceux que je vous ai offert à Bredons ?
Une pointe de jalousie comprimait sa voix. Qu’il le voulait ou
non, Charles-Henri était devenu un rival, même malgré l’amour
fraternel qui les unissait.
— Jamais !
— Vous êtes une orgueilleuse !
— Elle est bonne celle-là ! Et vous donc !
Il sourit et caressa sa joue du revers de la main.
— La jolie bergère a t-elle connu le loup durant sa retraite à
Paris ?
— Vous êtes bien impertinent ! Cette conversation n’est point
convenable !
— Non bien sûr… je lis dans vos yeux que le loup ne vous a point
encore croquée ! Je suis stupéfait ! De la part de Charles c’est un
prodige. Il faut qu’il soit amoureux pour être aussi patient…
— Assurément et moi aussi je l’aime !
— Oh, oh, oh, se moqua t-il, quel grand sujet que celui de
l’amour ! Vous l’aimez, certes mais… moi vous me désirez…Non ?
Et ce depuis longtemps ! Dites si je me trompe !
— Vous puez la suffisance ! Je préfère partir !
— Vous préférez fuir que d’avouer petite orgueilleuse !
Elle voulut se lever mais il la saisit par la taille. Elle n’alla pas
plus loin qu’à la frontière athlétique de ses bras.
Florimont pouvait la plier comme une feuille de papier mais il
n’eut guère besoin d’employer la force pour l’immobiliser. Les
jambes molles, Hélène s’affala sur le dos, offerte. Elle en avait assez

65
de livrer combat contre ses désirs. La paille confortable et odorante
était la couche idéale pour recevoir leur corps enlacés. Hélène
chavirait sous les formes de son anatomie gorgée de désir, la
douceur de ses mains sur sa poitrine, la tendresse de ses baisers sur
sa gorge. A son oreille tintait la sincérité de ses roucoulements et la
chaleur de ses halètements.
Dehors des voix d’hommes. Hélène sursauta, se rétracta.
— J’entends quelqu’un dehors…
— Ce sont sûrement des charretiers, lui murmura Florimont …je
n’entends personne…
Pourtant les voix étaient proches, trop proches. De nouveau
Hélène livrait un combat. Ecouter ces hommes discuter dans la
basse-cour ou s’enliser corps et âmes dans cette jouissance que les
doigts et la bouche de Florimont sur son sexe lui procuraient ? Elle
tenta d’accommoder les deux. Tantôt en tendant l’oreille et en
serrant les cuisses quand des paroles lui paraissaient importantes,
tantôt en les ignorant et en s’ouvrant à de nouvelles expériences.
« Si la courroie cède on perd tout le chargement ! » cria une voix
gutturale. Un cheval hennie. Une femme s’égosilla. Des chiens
aboyèrent.
— Non…non…Supplia Hélène, non Florimont…
Pourtant elle le voulait en elle et le tirait par les épaules pour
qu’il la prenne mais la phrase du paysan résonnait toujours et
encore dans sa tête comme un avertissement personnel.
« Si la courroie cède on perd tout le chargement ! Si la courroie
cède on perd tout le chargement ! Si tu cèdes Hélène tu perds
tout… ».
« Le Seigneur me parle, le Seigneur me prévient…Oh mon
Dieu ! ».
C’était clair pour elle, si elle cédait à Florimont elle perdait tout
et surtout l’amour de Charles. Elle le repoussa brutalement, d’une
force surhumaine. Florimont s’écarta d’elle, déboussolé. Une lueur
maléfique traversa ses yeux.
— Je ne peux pas…Florimont, pardon, pardon !
Hélène s’enfuit en pleurant, coupable. Florimont se pencha par
l’ouverture servant de fenêtre pour la regarder partir. Dehors, la

66
cour était déserte.

67
À suivre...
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