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Chris Lef
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Chapitre 1
— Madame, fit une voix d’homme dans son dos, l’arrachant à ses
critiques personnelles.
Le ton était aimable, le timbre familier. Elisabeth-Charlotte se
retourna pour voir si celui qui l’apostrophait avec autant de liberté
était bien le gentilhomme de ses pensées.
— Monsieur de Viau ! Approchez donc !
C’était bien Charles-Henri, l’unique à débouler chez elle sans se
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faire annoncer. Son joli chapeau empanaché de rouge zigzagua,
zébrant l’air. Dans un sourire franc et sincère, il se plaça à ses côtés
sans y être invité, lui baisa le dos de la main et prit ses aises en
s’accoudant à la balustrade. Il porta le regard sur les collines
lointaines se profilant à l’horizon, le ramena sur l’Avenue de Paris
où fourmillaient coches, hommes, chiens et chevaux et l’attarda dans
la Cour pour voir ce qui fascinait tant la Princesse qu’elle ne l’avait
pas entendu entrer.
« Peuh…le Roi… ».
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qui n’ont guère une conduite à leur envier !
— Cher marquis, vous n’êtes point le Juste* pour vous permettre
de lapider ces gens et il me semble que vous profitez bien des oublis
de ces dames !
— Certes Madame…mais le jour où je prendrai femme et que
Dieu sera témoin de mon union avec elle, je ne trahirai point cette
alliance !
— Vraiment ? Vous le plus grand juponnier* que je connaisse !
Il opina d’un mouvement de la tête avec un sérieux qu’Elisabeth-
Charlotte ne lui avait jamais vu revêtir.
« Il dit peut-être vrai ce ruffian ! Il est bien sympathique en tout
cas !».
— Vous ne vous êtes point converti à la religion catholique n’est-
ce pas ? Conclu t-elle à l’écoute de ces âpres paroles.
— Non Madame ! Je mime les dévots et par amour pour mon
beau-frère, je me plie à la volonté du Roi très Chrétien en acceptant
de frayer avec ses évêques et toute sa meute de pantins vêtus de
robes ! J’écoute leurs sermons et mange à leur table. Ah ! Ils me
font bien rire parfois et j’avoue que je passe d’agréables moments
avec eux mais dans mon cœur je reste et resterai Huguenot à jamais!
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Le marquis fit un bond.
— Où cela ?
— Là, devant les écuries Royales, près du piqueur* et sa meute !
Il me semble apercevoir ses armoiries !
Charles-Henri aiguisa également sa vue. A l’éventualité de revoir
enfin son cher ami, sa main vibra d’excitation sur la pierre de la
rambarde. Elisabeth-Charlotte put dans la seconde qui suivit, voir
ses yeux s’écarquiller de bonheur.
— Oui, mais oui, c’est bien Florimont !
— Mais qui l’accompagne, questionna t-elle intriguée, qui est ce
gentilhomme et cette jeune demoiselle ? Connaissez-vous le sceau de
leur équipage ?
— Ma foi non Votre Altesse…
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lui claqua la capuche sur le crâne comme pour étouffer sa beauté
trop fulgurante.
— J’avais un doute, je vous l’avoue…les contours de la bouche,
la disposition des dents…le sourire aussi…identiques, vraiment !
Tous mes vœux de bonheur à tous les deux!
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se tournèrent dans la direction d’Hélène. Toujours à l’affût du
moindre détail concernant leur idole, tous voulaient voir sur qui le
Roi axait son intérêt. Un spectacle les attendait.
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Soldats en service ou en repos, paysans, maquignons,
commerçants proposant leurs produits, pauvres hères sales et
malingres venus mendier les restes de la bouche du Roi*. Tous ce
monde se mêlait à la roture. Difficile alors d’y entrevoir un
souverain devenu quasiment inaccessible.
Elle n’avait aucune idée de comment Il pouvait être et cherchait
dans cette promiscuité un idéal de beauté et de magnificence.
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entrée en Cour !
— Mais, mais…mais j’ne vous demande rien , bégaya Hélène
furieuse, c’est vous qui avez la folie des grandeurs, non moi !
Buté, Florimont n’écouta même pas.
— Allons donc chez moi…Nous reviendrons plus tard…Ma
propriété est à une lieue* d’ici ! Gagnons la avant la nuit.
Chapitre 2
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bientôt, accompagné de ses amis. Nous goûterons aux saucisses et à
la bière que monsieur de Morangis m’a ramenées d’Allemagne !
— Merci Votre Altesse !
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— Ils n’est point question de vos Pâques monsieur de Viau mais
d’une toute autre chose…
— Une toute autre chose ?
— Eléonore de La Ferté !
— Eléonore de La Ferté ?
— Hou ! Cessez de répéter ce que je dis, c’est épuisant !
L’agacement lui provoqua une quinte de toux qui la jeta dans son
fauteuil. Pour retenir son envie de pouffer, Charles-Henri se
concentra sur les double-rideaux cramoisis bordés de lourdes
franges d’or qui ornaient les fenêtres de sa chambre et attendit la fin
de sa crise.
— Eléonore de La Ferté est enceinte monsieur et… elle m’a
confié que vous étiez le père de son enfant !
— Mais c’est faux madame !
— Vous niez !
— Mais oui ! Il est vrai que j’ai conquis cette forteresse mais un
autre conquérant l’avait forcée avant moi et, à ce que je sais de
source sûre, c’est qu’après moi, elle n’a point été rebelle aux
avancées d’un certain chevalier que je ne citerai point !
— Vous avez un de ces toupets ! Eléonore n’est point une
menteuse, je la connais depuis sa plus tendre enfance !
— Et bien vous la connaissais mal ! C’est une façonnière* !
— Baissez votre ton, vous êtes d’une insolence !
— Et vous d’une innocence ! Sachez madame, que je ne distille
point ma semence à tous vents ! Je la garde pour la femme que je
trouverai digne de me donner descendance !
Françoise se remit prestement debout, une main fébrile accrochée
au crucifix d’or qui pendait sur sa poitrine. Un masque de stupeur se
dessinait sur son visage.
— Seriez-vous choquée ? S’enquit-il dans un sourire sardonique.
— Non monsieur, j’en ai connu d’autre de votre espèce…
Il différa une réponse le temps de l’observer et savoir s’il pouvait
l’attaquer de front sans se faire occire. Pourquoi craindre ? Avec son
charme qu’ il avait coutume d’utiliser comme une arme, il pouvait
tout se permettre !
— Le marquis de Villarceaux* ?
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Par l’évocation de cet illustre et noble nom de cavaleur
richissime, il lui montrait qu’il était bien avisé de ses penchants pour
les libertins, de son ancienne vie dissolue et voulait lui faire entendre
que si elle le désirait il se ferait un plaisir de rivaliser avec lui.
— Suffit! Cria t-elle en claquant son poing sur le dossier de
velours d’Utrecht vert de son siège.
Ce mouvement d’irritation ne l’intimida pas, il conserva sa verve.
— Je n’ai que faire des accusations de mademoiselle de La Ferté
et de vos suspicions madame ! Mon beau-frère Florimont Irénée de
Volzac est de retour après de longs mois d’absence et je n’ai qu’un
désir, c’est d’ aller l’embrasser.
Elle se tut et puisa dans ce moment d’introspection, la force de
contrôler sa colère.
— Allez donc… Mais sachez que cette affaire ne s’arrêtera point
là ! Je vais mener mon enquête…
Il s’approcha d’elle, elle fit un pas en retrait. Tenace, il voulut lui
prendre en douceur, cette main encore crispée sur la croix. Elle ne
voulut pas la lui concéder mais sa réticence ne le découragea pas. Il
la lui vola, la porta à ses lèvres et y déposa une bise, mi-
respectueuse, mi-langoureuse. Lentement il redressa la tête et planta
son regard turquoise dans celui, sombre et troublé, de la dame. Le
libertin ne pouvait s’empêcher de dominer sur l’homme en voie de
conversion. Jouer au séducteur était le jeu favori de Charles-Henri
et puis marcher sur ce terrain là, propriété privée du Roi, était très
excitant.
— Je ne saurais contrarier des yeux comme les vôtres…Ils sont
d’un velours exquis…tout comme la chair blanche de votre main…
L’austérité de Françoise s’évanoui sous la douceur du pouce sur
son poignet.. L’espace d’un instant, elle oublia son rhume et même le
Roi. Elle se dit qu’il était temps de ne plus côtoyer ce débauché aux
charmes ensorcelants qu’il lui rappelait trop son ancien amant le
marquis de Villarceaux, autant par son caractère que par sa beauté
diabolique. Elle ne devait plus se voiler la face, elle désirait que cet
homme reste à la Cour car elle se sentait attirée par lui et non parce
qu’il était l’inséparable du marquis de Volzac.
Charles-Henri la sentit fondre et frissonner et comprit que la
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rigidité avec laquelle elle extirpa sa main de la sienne était le signe
d’un grand bouleversement. Ses joues rosies ne le trompèrent pas
non plus. Il lut dans son regard confus les sentiments qu’il suscitait
et se réjouit de cette victoire sur cette « Solidité » robuste à toute
épreuve. Par sagesse et surtout pour le frustrer, elle lui ferma la
porte de son âme en abaissant les paupières.
— Allez-vous en monsieur, le Roi m’attend…
— Madame…
Charles-Henri lui fit une révérence très prononcée pour lui
souligner qu’il était bien avisé de son appartenance au Roi et se
retira, tout heureux d’avoir ébranlé la « Solidité » de Sa Majesté.
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bien…
— Par ma foi j’ ne dis mot ! Se défendit-elle en toisant Florimont.
La sagesse de son père lui apporta la sérénité nécessaire à mettre
son âme tourmentée en repos.
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Chapitre 3.
Florimont se jeta dans ses bras, les larmes aux yeux. Il saisit son
visage entre ses mains et s’enlisa dans son regard clair. Il voulait y
retrouver celui de sa Cécile, la jumelle de Charles-Henri, feue son
épouse.
— Laissez-moi respirer votre odeur mon frère ! Comme vous
m’avez manqué !
Charles-Henri l’embrassa, le serra fort, une pogne ferme sur sa
nuque, le nez dans sa perruque. De nature plus sensible que
Florimont, il ne put retenir une larme tant la joie de leurs
retrouvailles lui enflait la poitrine.
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— Vous aussi vous me manquiez ! Ah, mon frère tant aimé,
comment vous portez vous? Mieux je suppose ! Vous voici en bel
équipage* ! Vous avez quitté le noir pour le bleu et j’en suis comblé
d’aise!
Il se recula de quelques pas pour avoir une meilleure perspective
de l’apparence métamorphosée de son ami.
— Tournez-vous que je vous vois mieux, l’invita t-il en essuyant
sa joue du revers de sa manchette.
Florimont s’exécuta et fit quelques tours sur lui-même en
souriant, la démarche exagérément élégante et maniérée.
— Vous voilà vêtu comme un prince ! Que dis-je ? Un Roi ! Des
broderies de fleurs, de la dentelle de Flandres, des rubans sertis de
pierreries, de la brocatelle* d’or! Je n’y crois point mes yeux !
— Et oui Charles ! L’heure se prête à la résurrection !
— Et à qui doit-on ce prodige ? A la superbe rouquine que vous
cachiez tantôt sous une fourrure ? Je vous ai aperçu à Versailles, de
la terrasse de Madame.
— Eh, fit Florimont en secouant son index espiègle.
— Je vois que je n’en saurais point davantage ce soir! Hélas je
ne peux rester, je m’en vais faire mes Pâques ! Françoise de
Maintenon me tient le collet serré et à cette heure je devrais déjà être
à la Chapelle !
— Cette vieille guenipe* a eu votre peau !
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couette, confia t-il l’amertume dans l’âme, il se cache sous sa
froideur et ses airs condescendants un feu torride que le Roi Soleil a
su détecter ! J’aimerais m’y brûler…
— Y songez-vous ? Bientôt cette bigote exigera de vous vœux de
pauvreté et de chasteté !
— Trédame ! Jamais ! Hier encore je butinais deux sœurs, filles
de braves fermiers. Elles m’ont mises sur le flanc !
— Deux goules qui vous ont sans doute vampirisée
l’escarcelle contre un peu de jouissance! Racontez-moi quand même,
avant de vous sauver !
Ils allèrent s’asseoir sur la causeuse et Charles-Henri se délecta
en racontant :
— La cadette, blonde et fluette, était juteuse comme une prune et
si étroite que j’eus peur en l’embrochant de me rompre le filet !
— Ah Ah Ah !
— Quant à l’aînée, brune et ronde, elle me fit prendre des
postures qui firent trembler notre paillasse !
— Je plains les hirondelles qui ne baisent qu’au printemps* !
Ils éclatèrent de rire et s’étreignirent encore.
— Ah ! Comme il bon de vous voir rire ! Cela faisait si
longtemps ! Et comment se portent vos amours ?
— Ma marquise est morte cet hiver…Pour me consoler et
célébrer mon retour, Marie m’a promise une nuit pleine de faveurs.
J’ai hâte également de revoir Catherine de Sauvegarde. J’avoue que
ses appas ne me laissent point indifférent…Ah Charles, comme je
suis heureux de vous retrouver ! Partez donc puisqu’il le faut mais
revenez-moi vite ! J’ai à vous conter maintes péripéties qui ont
émaillé mon voyage à Saint-Flour et moult aventures galantes aussi,
avec quelques belles de ce pays sauvage!
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les regards ahuris de quelques bourgeoises trop richement
accoutrées pour l’imiter. Tandis le froid glacial de la pierre mordait
ses jambes à travers ses jupons, la chaleur des flammes incendiait
son visage. Elle ne sentait ni froidure, ni chaleur mais suppliait
secrètement le Seigneur de ne point l’oublier, de se rappeler sa
prière, de lui montrer le chemin à suivre. Elle joignit les mains et lui
pria encore et toujours de lui envoyer les confirmations qu’elle lui
avait demandé quelques mois auparavant à Bredons. Elle n’était
plus sûre de rien. Les sentiments amoureux qu’elle entretenait pour
Florimont s’étaient transformés peu à peu en une sorte de dégoût.
Cet homme était méchant, la traitait comme une moins que rien et
elle en souffrait.
« Pourquoi est-il revenu ? Pourquoi tient-il autant à me présenter
au Roi puisqu’il a honte de ma condition? Ce peut-il que ce soit lui
Seigneur, mon destiné ? Si c’est bien lui, change son cœur…Tu peux
tout, rien ne t’es impossible ! Tu es la lumière du monde, ma
lumière, guide moi… ».
Le visage et les paroles de Jean-Antoine Lastic lui revinrent en
mémoire. Elle s’y accrocha. Le prieur lui manquait. Plus encore
maintenant qu’elle le savait être son oncle.
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— Tu dis ceci parce que tu m’aimes…
— Non ! Parce que c’est vrai !
— Pourquoi insiste t-il pour que je vois le Roi ? Le sais-tu ?
— Il m’a dit qu’il désirait te faire octroyer un titre et une terre en
remerciement des soins que tu lui a prodigué et c’est par pur orgueil
qu’il exige ta bonne mise, pour n’être point éconduit par le Roi le
jour où tu devras paraître devant Lui.
— Le Roi ! J’ ne veux point le voir ! J’ veux rentrer à Bredons !
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Chapitre 4
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pauvre cœur de servante.
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lorsqu’il hantait la Cour et se targuait d’avoir encore de soyeuses
boucles alors que beaucoup d’autres hommes de son âge se rasaient
le crâne.
Furieuse, elle s’en alla mais pour elle ce n’était que partie
remise.
Au bord d’avoir cédé aux appels de cette bacchante, le marquis
sortit sur la terrasse la plus proche et avala une grosse bouffée
d’oxygène. L’air était tiède, presque chaud et fleurait bon le muguet.
L’été s’annonçait précocement. L’ouverture regardait vers le nord,
en direction des jardins. A la vue de la désolation du paysage,
Charles-Henri oublia les assauts de la jeune femme et ne pensa plus
qu’à la végétation sauvage qui s’étendait devant lui à perte de vue.
Cela faisait des années que Florimont avait chassé ses jardiniers et
ses terres n’étaient plus qu’un vaste maquis de verdure indisciplinée.
La nature avait repris ses droits.
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proies. Le sang leur giclait des entrailles.
« Cette suivante* est une lionne, si je me laissais conduire elle me
dévorerait ! ».
Au moment où il se retourna pour gagner sa thébaïde, Hélène
surgit, un livre à la main. Cette apparition le fit sursauter mais il
reconnut sans hésitation la déesse de feu qu’il avait aperçu dans la
cour de Versailles.
Elle aussi s’étonna de cette impromptue rencontre ; un
gentilhomme de fière allure ! Le premier parmi la masse de
domestiques en livrées bleues qui vaquaient au château.
— Pardon si j’ vous ai fais peur monsieur ! J’ lisais dans l’ grand
salon pourpre quand des voix ont interrompu ma lecture ! J’ pensais
que Florimont était revenu d’ la Cour !
Entres ses phalanges délicates, Charles–Henri reconnu son
ouvrage préféré, à la reliure de cuir brun, à la tranche dorée et au
titre gravé à l’or fin.
— Les histoires de Gautier de La Caleprenède sont
passionnantes, n’est-ce pas ?
— Oui…
Ce fut à son tour de découvrir la beauté d’Hélène tant vantée par
son ami dans ses lettres. Ce « trésor » comme il se plaisait à la
nommer. Son sourire tout d’abord, avenant et sincère, si naturel qu’il
livrait sans pudeur le nacre brillant de ses dents, bien alignées sous
le modelé parfait de ses lèvres roses. Le grain fin de sa peau
dépourvue d’imperfections. Le vert profond de ses yeux qui
s’appesantissaient sur lui sans la moindre gêne, ni même l’ombre
d’une malice. Le vénitien de sa chevelure, coiffée à la Fontanges*,
illuminée par les rayons d’un soleil de plus en plus présent. Il ne
pouvait détacher son regard d’elle et la contemplait comme un joli
portrait.
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formait un élégant méteil mi-aristocrate, mi-paysan. Séduit, Charles-
Henri ne sut pourquoi en cet instant son assurance inébranlable
vacilla. Il ne se sentit plus capable que de parler littérature.
Manquant de souffle et de salive, c’est d’une voix étranglée qu’il
l’interrogea :
— Connaissez-vous…les…Contes de Mélusine ?
— Non…Osa t-elle avouer.
C’est d’une candide franchise qu’elle lui répondit. Elle rougit
cependant, non par l’aveu de ses lacunes mais par l’effet que lui
faisait le sternum dénudé et viril de son bel interlocuteur. Cet
inconnu semblait tout droit sorti d’un conte de fées avec ses larges
épaules ornées de boucles lisses et propres, brillantes sous les rais
de soleil filtrant par la baie vitrée. Sa taille mince, sous un buste
triangulaire, était ceinte d’une large ceinture de satin noir
maintenant de fermes abdominaux.
— Les historiettes…de Mademoiselle…de Scudéry ?
— Pas plus !
« Où donc poser les yeux ! Cet homme est encore plus beau qu’
Florimont, plus jeune aussi, et plus aimable ! Lui au moins n’a point
les idées confites dans l’ vinaigre et parle d’autre sujet que le
Roi ! ».
— Je vois ! Vous ne lisez que La Caleprenède !
— Oui…Pour l’instant…Il y a tellement d’ livres dans cette pièce
que j’en perd mon latin. Plutarque, Virgile, de grands noms inconnus
pour moi ! Celui-ci, posé sur la sellette à la cime d’une pile de gros
ouvrages, s’est offert à moi…J’ l’ai emprunté…
Elle hochait la tête d’une façon irrésistible qui ne laissait pas
Charles-Henri indifférent. Une montée de désir lui noua la gorge, il
se tut pour l’écouter parler, s’ennivrant de son image et de sa
faconde.
— J’aime l’écriture de Gautier…Il s’exprime toujours d’une
manière passionnée avec les dames!
Au bout d’un silence de quelques secondes où la gravité peignait
les traits de sa physionomie, Charles-Henri se reprit.
— En prose ? Questionna t-il.
Il désirait tester ses connaissances pour savoir si elle avait bien
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parcouru les lignes dont il aimait se gaver. Sûre d’elle, puisqu’elle
avait tout lu, elle pouvait disserter sans crainte sur le sujet.
— En vers parfois !
— Préférez-vous la prose ou les vers ?
— Peu importe une fois qu’ les paroles sont belles et pleines de
feu !
— Belles et pleines de feu ! Oui…oui…oui…Fit-il en se frottant le
menton, l’air méditatif.
Il repensait aux vers bibliques, le Cantique des Cantiques, poème
trois, qu’il avait appris et récité à Junon* rien que pour briller à ses
yeux.
— Permettez que je vous cite quelques vers…
— De vous?
— Non d’un autre…mais assurément très amoureux…Aussi ne
soyez point sévère avec moi si je n’y mets point le ton !
— Promis !
Il commença :
— Oui tu es…
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— Monsieur je suis pardonnable, les grâces de votre fille m’ont
ôté tout jugement…Je suis Charles-Henri, le beau-frère de
Florimont…Marquis de Viau et de Morins, comte de Vézère,
Pelvoux, Cenon…
— Monsieur point n’est nécessaire d’étaler votre généalogie !
— Mademoiselle votre fille porte t-elle un nom ?
— Oui bien sûr, je m’appelle Hélène…
Chapitre 5
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— Mon ami !
— Sire…
— Nous* sommes heureux de vous revoir à la Cour…
— C’est un honneur Sire…
— Contez-moi votre épopée…Une rumeur prétend qu’un ange
vous a sauvé la vie et que cet ange ressemble étrangement à feue à la
duchesse Angélique de Fontanges…
Florimont lui raconta brièvement les points forts de son aventure
et de sa rencontre avec Hélène. Louis n’était point dupe. La flamme
qui animait son discours et ses yeux ne laissait aucun doute sur ses
sentiments pour elle.
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— Le Roi prépare son départ pour Dijon, continua Louis, et Il
aimerait que vous vous joignez à ceux qui vont L’accompagner…
— C’est un grand privilège Sire…
— Catherine de Sauvegarde sera là et le Roi tient à ce que vous
soyez à ses côtés !
— Rien ne peut me faire plus plaisir Sire…Je suis votre plus fidèle
sujet et je ne saurais rien refuser à Votre Majesté…
Et puisqu’il ne peut rien lui refuser…
— Bien…avant son départ, le Roi souhaiterait rencontrer
mademoiselle de Belvès…
— J’attendais le consentement de Votre Majesté pour l’introduire
à la Cour…Hélène est une paysanne sans éducation et indigne d’être
présentée à Votre Majesté…
— On n’est toujours bien né quand on est remarqué par le Roi…
Je désire lui parler !
Quand Louis parlait à la première personne du singulier c’est que
sa nature humaine prévalait sur celle de Roi de droit divin.
Florimont compris, par cette volonté irrémédiable, qu’Hélène avait
touché son cœur d’homme.
— Bien Sire…
— Cependant j’aimerais que cette rencontre se fasse d’une
manière particulière…
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Florimont la serra contre lui d’un bras ferme et protecteur, sa
main droite se posa sur le pommeau de sa rapière. Il s’attendit à voir
débusquer des poursuivants mais un silence de mort les enrobait. La
frêle silhouette tremblait de frayeur. La pauvre femme retenait ses
cris dans le fond de sa gorge, ses halètements trahissaient une
course effrénée. Dans l’obscurité, le marquis ne distinguait d’elle
que son parfum entêtant et la soie drapée de sa robe qui crissait sous
ses phalanges.
Il se détacha d’elle, se fit bouclier de chair pour la protéger et
d’un coup sec de talon ouvrit brutalement la porte. Personne.
La lumière du soleil provenant des grandes baies vitrées du
couloir inonda le visage de l’inconnue. Florimont se retourna pour
la regarder et découvrit celle qu’il devait défendre. C’était une jolie
femme d’une trentaine d’années, à la chevelure d’ébène et au
profond regard d’un velours noir. Elle était encore plaquée contre le
mur et ignorait que Florimont la dévisageait. Toute accaparée par sa
peur elle furetait par de-là l’issue le danger qu’elle craignait voir
s’abattre sur elle.
— Ne craignez plus…
En éclaireur, Florimont passa la tête dans l’ouverture de la porte.
Trop de monde circulait pour discerner une éventuelle menace.
— Allons madame, ne restons point céans…Cet endroit est
malsain…
— De grâce monsieur ne m’abandonnez point ! Ils vont me tuer !
— Ils ? Acceptez mon bras…Je vais vous escorter jusque vos
appartements…
— Non…non…menez-moi jusque dehors afin que j’emprunte une
calèche…
— Non…J’ai une calèche personnelle…Je vais vous conduire là
où vous désirez vous rendre et vous me raconterez tout…
— Merci monsieur, soyez béni…
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— Vous avez repris des couleurs…Vous étiez si pâle…Me diriez-
vous qui s’en prenait à une si jolie et si fragile personne que vous ?
— Les Dragons de Sa Majesté ! Je suis protestante monsieur et
au nom de Dieu et du Roi ces hommes ont voulu me violer pour me
faire adjurer ma religion ! Ils ont…ils ont…
La voix lui manqua. Des souvenirs horribles remontaient en elle.
Son visage se perdit dans les dentelles qui couvraient ses poignets.
— Ils ont abusé de ma suivante*, tous, les uns après les autres et
m’ont forcée à assister à leurs tortures…et…pour mieux me
convaincre, l’un d’eux, un jeune homme blond, l’a étranglé sous mes
yeux…Cet homme je le reconnaîtrais entre mille….
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La seule façon de le savoir était de cogner le bois. Elle n’attendit pas
longtemps, aux trois coups quelqu’un réagit. Un bruissement
d’étoffe, un pas vif, un toussotement et la porte s’entrouvrit. C’était
Charles-Henri.
— Vous ! S’exclama t-il.
Hélène resta coite, une main posée sur sa poitrine, les yeux
arrondis de surprise.
— Il est presque minuit, lui fit-il constater en jetant un œil rapide
sur son horloge de bronze trônant sur sa cheminée, vous devriez
dormir à cette heure !
— J’attends Florimont…Je m’inquiète qu’il ne soit point encore
rentré ! Je me suis égarée en visitant l’aile Nord du château que je
ne connaissais pas encore…
— L’aile Nord m’appartient, ainsi que le cabinet pourpre de
l’aile sud! Le corps central du bâtiment est réservé au personnel.
— Je n’ savais point monsieur…
Dans une curiosité déplacée de paysanne, elle fouilla du regard le
peu d’espace que lui offrait l’ouverture de la porte et aperçut une
toile accrochée sur le mur du fond de la chambre. Un portrait d’une
ravissante jeune femme à la prolifique chevelure mordorée, tenant
une colombe dans le creux de sa main, une colombe prête à
s’envoler vers des cieux d’un azur enchanteur.
— Cette peinture est magnifique…
Charles-Henri agrandit l’entrée pour la l’inviter à pénétrer dans
son univers personnel.. Il n’avait en tête qu’une idée, la séduire pour
lui ravir sa virginité. Il s’agaçait de voir qu’avec cette fille rien ne se
déroulait comme avec les autres. Ses entreprises liées comme par des
mains invisibles, échouaient et cela le troublait.
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la caressa un instant. La chair de poule la parcourut.
— C’est votre fiancée ?
— Non…Regardez son visage…
— Mais c’est le votre ! C’est vous déguisé en fille ?
— Non, c’est Cécile…ma jumelle, feue l’épouse de Florimont….
Hélène venait de toucher son point sensible, sa sœur.
— Ooh, je ne savais point, je suis désolée…Comme je suis
idiote !
— Non, loin de là…la réussite de ce chef-d’œuvre ne vous a point
échappé…
Oppressé, il caressa le portrait, lentement, du bout des doigts. Un
sanglot remonta dans sa gorge, il se pinça les sinus pour empêcher
une larme de sortir et de trahir son chagrin. Ce geste n’échappa pas
à Hélène qui en sonda toute la souffrance.
— Vous avez de la peine…Pardon si j’ai réveillé en vous quelques
souffrances…Voulez-vous que l’on prie ?
— Que…Que l’on prie ?
— Oui…Pour que l’ Seigneur vous console et apaise vot’ peine…
Il est là pour se charger d’ nos fardeaux quand ils sont trop lourds à
porter…
— Je le sais…Son joug est doux et léger…
Et Charles-Henri se laissa entraîner dans la prière.
Chapitre 6
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des marquis de Volzac et de Viau.
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branche de saule mue par Charles-Henri qui l’avait contemplée
dormir durant quelques instants et n’avait pu s’empêcher de la
taquiner de la pointe d’une feuille.
— Oooh, je croyais que c’était une araignée !
— Pardon, pardon si je vous ai affolée, ce n’était pas mon
intention…Je passais par ici quand je vous ai vue…Il faut que vous
soyez bien lasse pour vous être assoupie dans un endroit si peu
confortable…
— A vrai dire, je m’ennui…confia t-elle.
— Vous vous ennuyez !
— Le pays est fort beau, les gens accorts, je goûte volontiers au
plaisir de randonnées solitaires mais je ne me plais point céans, je
voudrais retourner chez moi…
Tout ouï, Charles-Henri s’assit sur un coin de la table et s’ouvrit
à ses confidences. Son amabilité fit frémir sa fine moustache
naissante et découvrir les deux longues incisives qui donnaient à ses
sourires un charme irrésistible.
— Dites-moi ce qui ne va pas…
— Tellement de choses ne vont plus dans mon existence que vous
seriez lassé de m’entendre avant même que j’eusse fini de raconter !
— Voyons !
— Vraiment ?
— Oui…Je suis votre obligé. Vous m’avez si bien réconforté
l’autre soir que je serai ingrat de ne point vous écouter !
— Et bien…et bien…je ne contrôle plus le cours de ma vie…je
suis ici alors que je voudrais être chez moi…Je passe mon temps à
attendre votre beau-frère qui ne rentre pas, retenu par quelque
demoiselle à Versailles…C’est Marie qui me l’a dit !
— Marie ! Peuh ! Marie est une catin jalouse ! Elle ne peut que
noircir Florimont pour vous détourner de lui ! Cela l’arrangerait
parbleu !
— Ah ?
Trop ingénue, elle ne comprit pas l’allusion. Un silence s’établit
durant lequel ils se détaillèrent des yeux.
— C’est tout ? Demanda t-il après son inquisition. Voyez, je ne
suis point encore lassé !
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— Mais…attendez, ce n’est point tout…
— Faut-il que je vous arrache les mots de la bouche ? Que je
vous soumette à la question* ?
Elle sourit, divertie par ses discours.
— Je…je veux reprendre ma vie d’antan, finit-elle par avouer tout
de go, retrouver mes amis, mes bêtes, Bella surtout…
— Bella ?
— Ma jument…elle me manque. Je suis triste aussi de constater
que mon père s’adonne au libertinage…Je ne l’avais jamais vu sous
ce jour…Les femmes se succèdent dans son lit, il me les impose et je
dois les tolérer, il me l’ordonne…Je commence à croire qu’il a séduit
ma mère et a abusé de son innocence…Il refuse de retourner à
Bredons…Tout comme Florimont, il s’est mis dans la tête de me
trouver un titre et des terres pour faire de moi une dame ! Il dit qu’il
m’aime et m’assure qu’il agit ainsi par amour pour moi et pourtant
il ne se soucie point de mon avis !
— Votre père…Justement, si ce n’est point trop indiscret de ma
part, il me semble qu’un autre occupait ce titre avant votre arrivée…
J’aimerais comprendre…
— Ah ? Vous n’êtes point dans la confiance* ? Le Seigneur de
Sieujac est mon géniteur…L’apothicaire de Bredons est l’homme qui
m’a élevée contre vents et marées parce qu’il aimait ma mère. Il
s’est sacrifié pour moi…Il est celui que je préfère et dont je pleure
encore la mort…Je ne suis qu’une bâtarde…
— Je n’aime guère ce mot et il sonne mal dans votre bouche !
C’est Dieu qui vous a donné la vie et c’est Lui qui vous la reprendra,
peu importe qui sont vos géniteurs, ils ne sont que des instruments…
et je dois dire que l’œuvre est réussie…non ?
Encore un long silence, aussi lourd que le plomb pendant lequel
chacun cherchait ses mots en se détaillant des yeux. Pour lui
arracher un sourire, Charles-Henri balaya une nouvelle fois la joue
attristée d’Hélène avec sa branche de saule, sans se douter que les
paroles qu’il venait de prononcer l’avait séduite.
— Le chef-d’œuvre désire t-il faire une promenade ? Proposa t-il.
Hélène s’anima. Un sorte d’euphorie remplit sa poitrine. Enfin
quelqu’un s’intéressait à elle.
36
— Oui…
Elle se leva et vint timidement s’approprier de son bras tendu
avec courtoisie.
— Je suis votre sigisbée…plaisanta t-il, ordonnez et je
m’exécuterai !
Sa voix était douce, l’invitation très tentante.
— Allons dans cette forêt ! Je me souviens bien avoir emprunté
ce chemin le soir de mon arrivée mais il faisait si noir que je n’ai pu
distinguer qu’un cavalier empressé, en flexion sur son fougueux
étalon ! J’aimerais découvrir les secrets mystérieux que recèlent ces
bois !
— Alors ouvrez grands vos jolies mirettes, au bout de cette route
le palais du Roi Soleil !
Hélène ouvrit la bouche mais resta muette, interdite, puis ses
sourcils se froncèrent. Elle fit une moue d’enfant capricieuse en
serrant le bras du marquis.
— Je ne veux point voir le Roi…S’il vous plaît…Intercédez pour
moi auprès de Florimont pour qu’il ne m’emmène point à la Cour…
Il vous aime, il vous écoutera !
— Euh…je…
— S’il vous plaît, insista t-elle en secouant son bras, je vous en
prie…
— Je vous promets d’essayer…
37
Après une visite approfondie des stalles, ils reprirent leur longue
marche côte à côte et firent une pause à l’ombre d’un chêne
tricentenaire. Charles-Henri s’allongea dans l’herbe.
Sur le dos, mains calées derrière sa nuque, une feuille entre les
dents, il regardait les tâches de soleil filtrer au travers des feuillages.
Hélène s’assit à ses côtés et l’observa un peu. Le coucou chantait.
— Comment pouvez-vous vous accordez avec Florimont, il est si
différent de vous !
Hélène avait brisé le silence la première. Charles-Henri releva la
tête, se tourna vers elle et se maintint sur un coude. Il avait envie de
la saisir, de la serrer contre lui, de la caresser. Pourtant il ne
broncha pas d’un poil.
— Nous nous aimons comme deux frères, je donnerais ma vie
pour lui…
— Et lui pour le Roi…C’n’est guère équitable…
— Eh…Je n’exige rien de lui.
— Comment arrivez-vous à supporter sa suffisance !
— Bon, il est vrai que Florimont est plus suffisant que le Roi lui-
même, mais je suis un libertin, c’est pis…Et puis…sa vie n’est que
mort et désolation…Depuis quelques années une vraie hécatombe
saccage son existence…Florimont est un homme déchiré…L’orgueil
est devenu un bouclier pour lui…
— Hum…C’est donc vrai, vous courrez le guilledou…questionna
t-elle pour dévier la conversation, et…et…vous collectionnez les
femmes…comme mon père…
— Hein ? euh, eh oui…
— Des duchesses ?
— Ah non, je n’ai jamais rendu de soins à une duchesse…
Dommage d’ailleurs!
— Une perle manquante au collier…désolant !
— Si l’on peut dire…
— Et comment faites-vous? Je veux dire, que dites-vous à une
marquise par exemple pour lui faire la cour ?…
— A une marquise ? Et bien…
Il réfléchit un peu.
— « D’amour mourir me font, belle marquise, vos beaux yeux !
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Ou bien : vos yeux beaux d’amour me font, belle marquise, mourir !
Ou bien : mourir, vos beaux yeux, belle marquise, d’amour me font !
Ou bien encore: me font vos yeux beaux mourir, belle marquise,
d’amour ! Ou plus certainement : belle marquise, vos beaux yeux me
font mourir d’amour* ! ».
Hélène éclata de rire. Dans un geste naturel et sans arrière-
pensée, elle appuya la tête sur son épaule. Il fut transporté par son
parfum de rose et l’image de la belle marquise de Maintenon
s’effaça aussitôt de son esprit.
— Ah, ah, ah ! Quel est ce galimatias ?
— C’est un morceau d’une pièce de monsieur Molière ! « Le
bourgeois gentilhomme ! ». Ne la connaissez-vous point ?
— Non…Je n’ai jamais assisté à une pièce de théâtre…
— Notre ami Molière nous a quitté en 1673, hélas, et nous ne
pouvons plus goûter de ses nouvelles pièces dont le Roi raffolait
tant !
Hélène se redressa, roula des épaules et le provoqua d’un regard
en biais.
— Et à moi, que diriez-vous ?
Charles-Henri sauta sur l’occasion pour se rapprocher d’elle et
retrouver cette note olfactive délicate qu’elle dégageait. Il lui grippa
le menton entre son pouce et son index, cracha le fétu qu’il
mâchonnait depuis dix minutes et se racla la gorge pour s’éclaircir
la voix.
- A vous princesse, je dirais :
« Oui tu es belle, mon amie, oui tu es belle…Tes yeux sont des
colombes derrière ton voile, tes cheveux sont comme un troupeau de
chèvres qui ondulent sur les pentes de Galaad…Tes dents sont
comme un troupeau de brebis tondues qui remontent du bain…
chacune a sa jumelle et nulle n’en est privée…Tes lèvres sont un fil
de pourpre et tes discours sont ravissants*…
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connaissance. Doucement Hélène retrouva ses esprits et lorsqu’elle
s’aperçut qu’elle gisait dans ses bras elle se recula sauvagement, le
poussa même pour s’arracher à lui. Comment devait-il interpréter
cette prise de distance brutale? En analysant son regard désemparé,
il suggérait toutes les hypothèses possibles. Qu’il lui répugnait fut la
seule qui le fit vraiment souffrir. Il était loin de la vérité.
— C’est vous…murmura t-elle, c’est vous…
« C’est lui Seigneur, c’est lui celui que tu me destinais…
Florimont n’était donc qu’un instrument pour me conduire vers lui…
lui, Charles-Henri…si beau, si gentil…Merci Seigneur pour cette
magnifique confirmation…Soit béni mon Dieu… ».
— Moi ? Que voulez-vous dire ?
Il lui prit la main, lucide qu’elle était très perturbée, et la porta à
ses lèvres. Non il ne lui répugnait pas, elle se laissa couvrir le dos de
la main de petits baisers tendres.
— Je dois dire que mes histoires, en général, ne font pas cet effet
là sur les dames ! Vous m’avez surpris et inquiété…Vous sentez-vous
mieux ?
— Oh, oui…oui, maintenant oui…
Maintenant, elle savait…
40
reviens de la Cour et ce qu’on dit de lui n’est point joli ! C’est un
homme lubrique qui passe le plus clair de son temps à défleurir les
jeunes filles…Il a frôlé la disgrâce à plusieurs reprises…C’est une
joueur et un ivrogne ! Un assassin même !
— Je refuse de vous écouter davantage ! Etes-vous assez saint
pour lui jeter la première pierre ? Et toutes ces femmes que vous
amenez ici ? Que dois-je en penser ? En dire ?
— Tu es le portrait craché de ta mère et si tu étais plus jeune je te
fermerais ton avaloir en te rossant ! Je vais m’empresser de terminer
mes paperasses et nous partirons, à vaux de route !
— Non, je ne veux plus partir !
Chapitre 7
41
Charles-Henri accosta Florimont dés son retour de la Cour et le
poussa à l’intérieur de la salle d’armes.
— Ah cher Florimont ! Vous daignez enfin nous faire l’honneur
de votre présence ! Savez-vous que Son Altesse Royale Charlotte-
Elisabeth attend toujours votre visite ?
— Oooh celle-là ! Répondit Florimont en soufflant, une main
balancée derrière la tête en signe d’exaspération.
— Celle-là comme vous dites, je L’estime beaucoup !
Florimont voulut sortir mais Charles-Henri l’en empêcha en se
mettant en travers de son chemin.
— J’aimerais certains éclaircissements sur vos rapports avec
Hélène Polignac ! Vous est-elle ou ne vous est elle point ?
— Me laisserez-vous souffler ?
— Dites !
— Elle m’est, elle m’est !
Perplexe, il fronça les sourcils et analysa longuement les traits de
son ami. Son regard fuit.
— Me mentiriez-vous pour satisfaire les caprices du Roi ?
— Vous doutez de moi !
— Et bien oui ! On ne peut point dire que votre hymen pour
Hélène soit aveuglant ! Vous disparaissez et la laissez dans l’attente
de votre retour, esseulée, attristée, inconsolable même !
— Vraiment ? Vous avez donc tenté de la consoler à votre
manière ?
— Absolument ! Hélène ne m’a laissé entendre que vous la
courtisiez…
— Vous prêtez foi aux propos niais d’une donzelle provinciale !
— Hum, je vois bien que vous la délaissez pour Catherine de
Sauvegarde !
— Vous vous trompez…
— Je sais que vous ne vous intéressez point à Hélène car elle
n’est point d’un sang bleu*, c’est une fille adultérine !
— Ah ça mon frère je ne suis point comme vous qui baisez tout ce
qui porte jupon ! Nobles et roturières partagent vos draps et
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souillent votre sang ! J’ai toujours désapprouvé votre légèreté! Il
déshonore notre rang.
— Et Marie !
— Marie est fille d’un vieux baron ruiné ! Un sentiment de pitié
pour cette famille de vieille noblesse m’a poussé à prendre cette
jeune femme à mon service…
— La pitié ! Triste sentiment dans votre cœur…triste mot sur vos
lèvres ! Ah ! Florimont…vous me…
— Je vous déçois !
— Oui…Dites-moi au moins si Hélène est chasse gardée !
— Hélène est fille de grand Seigneur…et par grâce royale
propriétaire d’une baronnie en Périgord Noir ! Donc chasse gardée
du Roi !
Florimont se tut un instant pour observer les traits tendus de son
ami.
— Vous voulez cette fille n’est-ce pas ? Je m’en doutais ! Dés que
j’ai vu cette Jésabel je savais quelle furie elle déclencherait en vous
si je vous la présentais ! Je suis magnanime, je vous permets d’en
faire ce que vous voulez dés que Sa Majesté en aura joui !
— Si vous parlez ainsi c’est qu’elle ne vous est rien et que vous
n’avez aucun sentiment pour elle. Je peux donc en disposer comme
je le l’entends! Notre pacte devient caduc à partir de maintenant car
vous vous êtes joué de moi !
Florimont réalisa qu’il avait eu tort de partir un mois. Ce qui le
rassurait c’est que Charles-Henri tenait encore à savoir si Hélène
comptait pour lui, cela signifiait qu’il ne l’avait pas encore touché et
qu’il ne le ferait pas tant qu’il resterait dans le doute.
— Ce pacte n’a plus raison d’être ! Je vais épousé Catherine et
de ce fait me ranger. Je vous offre Marie ! Elle sera comblée, elle
vous veut depuis si longtemps ! Elle éteindra peut-être le feu qui
vous consume…Quant à notre cher trésor auvergnat, je ne crains
rien. Cette illuminée aime bien trop son Dieu pour se faire tendre à
la tentation de la chair !
43
autres et lui proposer de nouveau son corps plantureux. Charles-
Henri ne se priva pas de l’encourager.
— Passeras-tu par l’aile Nord ce soir délicieuse créature?
— Oui, si monsieur consent à me laisser entrer dans sa
chambre…
Vers minuit, elle s’annonça, le marquis la fit entrer. Il s’assit sur
son fauteuil et l’envisagea sous toutes les coutures. Sa taille mince
dont on pouvait faire le tour des deux mains et sa croupe large sous
ses jupes de coton.
— Es-tu prête à mourir cette nuit Marie ?
— Cela dépend de la façon ? Etranglée ? Rouée ? Brûlée ?
Ecartelée ?
Il dénoua ses aiguillettes. Son sexe brandit comme une hampe
aiguisée serait l’arme de l’exécution..
— Non, empalée ! Précisa t-il en souriant.
— Quel doux supplice monsieur !
Et elle ferma le loquet de la porte. En s’appropriant l’intimité la
plus profonde de cette demoiselle, Charles-Henri ne se doutait pas
qu’elle était sa dernière aventure légère.
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semblait-il dire.
— Tu devrais être loin Marie ! Que fais-tu encore ici ?
L’interrogea Florimont, la colère à fleur de peau.
— Je viens vous dire vos quatre vérités avant de partir et du
même coup prévenir cette pauvre fille qu’en ces murs elle est en
danger ! Ecoutez bien, cracha t-elle à Hélène entre deux sanglots lui
remontant de la poitrine, ces deux hommes là vont vous pervertir !
Surtout celui-là !
Elle pointait un index accusateur sur Charles-Henri.
— Par sa haine des femmes il passe son temps à les détruire en
les déshonorant ! C’est le Diable en personne ! Et lui, ajouta t-elle
en fustigeant Florimont, c’est un poltron qui lui cire les bottes parce
qu’il en a peur !
— Tais-toi et vas t-en ! Gronda Florimont, prêt à se lever.
— Savez-vous pourquoi il me chasse mon bon maître ? Parce que
l’autre lui en a donné l’ordre ! Ils ont signé un pacte avec Satan ! Ce
sont des hérétiques ! Ils brûleront en enfer !
Charles-Henri conservait son calme et poursuivait son repas
comme si rien ne se passait. A l’inverse, Florimont mit un terme à la
diatribe en se levant d’un bond. Il attrapa Marie par le bras et la
traîna jusqu’au portail. Elle continua à hurler, se débattant comme
une possédée et ameutant tout le personnel. Hélène, retournée et
prise de nausée, se sauva et gagna sa chambre. Elle s’agenouilla
devant une statue de la Sainte Vierge de plâtre peint que son père
venait de lui offrir pour décorer son alcôve et lui permettre de prier
en toute discrétion. Elle s’y abîma en prières.
Florimont s’inquiéta vraiment de cette fuite que Charles-Henri ne
manqua pas de lui dire à son retour. Sans un mot, il s’élança sur ses
pas. Il la chercha, elle ne pouvait être que dans le salon pourpre ou
dans sa chambre. Charles-Henri pria François de les laisser. Peut-
être cet incident les rapprocheraient-ils ? Il fallait qu’il sache.
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A bout de nerfs, Hélène éclata. Il venait de dépasser toutes les
limites.
— Mais qu’est-ce que cela peut bien vous faire, cria t-elle en se
mettant à pleurer, vous ne croyez en rien ! Rien ! Rien !
Elle fendit l’air et voulut quitter la pièce mais il la rattrapa par le
poignet et lui fit faire un volte-face. Déséquilibrée, elle bascula en
arrière, son dos claqua contre le mur. Il l’emprisonna en coinçant
ses jambes entre les siennes et posa un bras de chaque côté de sa
tête.
— Hélène ! Hélène !
— Laissez-moi, supplia t-elle en le repoussant, c’est vous qui êtes
le Diable et non votre ami !
Bien qu’elle savait maintenant qu’il n’était pas son élu, le petit
faible qu’elle avait pour lui surpassa tout et elle se sentit faillir entre
ses bras.
— Chut ! Hélène, chut, roucoulait-il au creux de son oreille.
Sa voix était douce. Hélène en avait la chair de poule. Elle leva
les yeux vers lui et vit son regard remplit d‘une douceur nouvelle.
— Chut !
— Laissez-moi Florimont, laissez-moi…
— Non…Hélène je…je…j’ai une clé pour vous…la clé d’une
baronnie en Périgord Noir…Vous voici baronne de Belvès…
Trop orgueilleux pour lui déclarer son amour, il posa ses lèvres
sur les siennes en glissant discrètement la clé dans la profondeur de
son décolleté.
« Les actes valent mieux que des mots », pensait-il.
Il se trompait. Hélène aurait tant aimé l’entendre lui déclarer sa
flamme plutôt que de sentir le froid glacial du métal aux creux de ses
seins. Par son orgueil démesuré, Florimont perdait peu à peu le
cœur de la jeune fille.
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yeux pour ne pas regarder ses propres mains se rejoindre derrière sa
nuque et l’attirer à elle. Elle se sentait coupable d’être consentante,
d’offrir sa bouche, de mélanger sa salive à la sienne, d’avancer son
ventre en avant pour sentir se transformer son anatomie masculine.
Le souvenir de la langue désinvolte de Jacquou lui revint en
mémoire, la raideur de son sexe aussi. Elle en avait eu peur quand il
s’était jeté sur elle un soir de décembre. Avec Florimont c’était
différent, c’était bon. Ses baisers et ses étreintes étaient enivrants et
gommaient cette première expérience négative qui lui avait tant fait
craindre les assauts d’un homme. C’était la première fois qu’Hélène
désirait vraiment un homme.
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Chapitre 8
Château de Versailles…
48
partager tant de choses merveilleuses en un mois.
« Elle ne sera jamais à moi puisqu’elle est à Florimont… ».
— Allons mesdemoiselles…Vous allez arracher mes vêtements !
Je dois voir le Roi…
« Que pourrais-je inventer pour que ces femelles me laissent
tranquille ! Ah, voici venir la marquise de Montespan ! Celle-là
tombe à point ! ».
— Mesdemoiselles, veuillez excuser un gentilhomme très pressé
qui n’a hélas aucun temps à vous accorder…maintenant…Ce soir
peut-être…
Elles le regardèrent s’enfuir, consternées.
— Qu’est-ce qui lui prend ? C’est un comble !
— Il est peut-être malade…Supposa l’une.
— Malade, peuh , se moqua une autre en haussant les épaules, sa
maladie c’est la muflerie ! Maintenant qu’il nous a goûtées, il nous
jette comme un vulgaire noyau d’abricot qu’il a bien sucé !
— Paiera !
Charles-Henri happa Athénaïs de Montespan qui se dirigeait, le
pas lourd et lent, vers l’Orangerie.
— Madame…
— Tiens, marquis !
— Madame, comment vous portez-vous ?
— Lourdement…Je ne cesse de grossir et m’enivre d’un vinaigre
qui me ronge les boyaux ! Et vous ? Cela fait longtemps que vous ne
m’avez pas défiée au Lansquenet…
— Je vous croyais fâchée contre moi !
— Contre vous ? Mais pourquoi ?
— A cause des 20 000 pistoles que je vous avez raflé l’été
dernier…
— Oh ! Mon ami, cet argent appartient à la couronne et non à
moi ! Qu’importe que ce soit vous ou le Roi qui le dilapide! Mais
qu’avez-vous fait de cet somme dont vous n’avez que faire ?
— Vous n’êtes point obligé de me croire très chère marquise, mais
après en avoir dépensé un dixième avec une belle, j’en ai fait don à
une pouponnière dont je suis aujourd’hui le parrain !
— Tant mieux ! Je préfère que ce soient de pauvres petits
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bambins qui profitent de cet or plutôt que la Maintenon ! Cette
teigne me répugne ! Elle cache son hypocrisie sous des airs de
prude ! Savez-vous qu’après avoir détourné de moi mes propres
enfants, elle a embobiné le Roi pour me le voler ?
— Vraiment ? Fit-il mine de ne rien savoir.
— Hélas oui…Le Roi ne passe plus devant ma chambre que pour
rejoindre la sienne…Bah, soupira t-elle, ainsi va la Cour ! Tout
aujourd’hui, plus rien demain !…Son tour viendra…Que diriez-vous
d’un Pharaon ce soir pour me faire oublier mes affres? Appartement
chez le Roi à partir de 9 heures, je vous y invite…
— J’en suis honoré…
(confidences à la Palatine)
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Catherine ne faisait plus du tout partie de ses projets de mariage
depuis sa rencontre avec la belle inconnue de Versailles mais il se
gardait bien d’en parler à quiconque.
— Il ne faut plus penser à moi comme à un prétendant, je ne vous
aime pas…
« Alors pourquoi cette rose ? Ces caresses ? Ces mots passionnés
furtivement prononcés à mon oreille ? ».
— Et vous ne m’aimez point non plus…
— Cela va de soi…
— Nous sommes tous deux victimes d’une simple et passagère
attirance qui ne nous mènera à rien !
— A rien…il est vrai…
— Je ne vous citerez jamais ce stupide passage de la Bible que
vous brûlez d’entendre de la bouche de votre futur époux et je ne
peux donc être celui que vous attendez…Dieu vous le réserve !
— Assurément…
« Puisque c’est Charles-Henri. ».
— Alors, alors, que diriez-vous de rester mon amie et d’apaiser
ces conflits qui nous échauffent la bile…
— J’en dis que c’est une bonne résolution…
« Et que je suis stupéfaite de ce premier pas dénué orgueil…vous
faites des progrès monsieur de Volzac».
— Bien ! Je pars pour Versailles ! En attendant mon retour
faites-vous belle ! Reposez-vous ! Moins de bourrée le soir et plus
de sommeil! Continuez les exercices de bonnes conduites que je vous
ai enseigné à Bredons et tout ira bien. Profitez-donc de jouer à la
gueuse, dans deux jours vous ne le pourrez plus ! Le Roi prépare son
départ pour Dijon où Il doit faire ses dévotions mais avant de partir
Il désire vous voir. C’est tout ce que je puis vous dire pour le
moment. Sa Majesté vous apprendra le reste…
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chambre de Charles-henri. Peut-être aurait-il besoin de ses services,
il ne fallait point le décevoir. La voix tonitruante du marquis la
refroidit mais elle s’enhardit tout de même à s’offrir à lui.
— Monsieur fut longtemps absent…Monsieur s’est-il ennuyé de
moi ?
— Que veux-tu Sophie ?
— Vous ! N’avez-vous point besoin de mes soins ?
— Non, ce que j’ai besoin c’est d’une peinte de vin pour
m’enivrer !
— Ah, je vois ! Monsieur ne veut plus de moi depuis qu’il a
engrossé ma maîtresse !
— Peste soit de ta langue la garce !
— Ma langue, ma langue ! Vous ne l’avez point toujours
dénigrée ! Au sens propre comme au sens figuré ! Elle vous a bien
été utile pour vos petits plaisirs lubriques et les petits messages dont
elle s’est fait porteuse !
— Va t-en ! Je ne veux plus te voir, ni t’entendre ! Retourne aux
fourneaux, ton mirliton s’y morfond sûrement en t’attendant !
Folle de rage mais pas pour autant découragée, Sophie fit un pas
vers lui et se pendit à son cou, la bouche en cœur. Il la repoussa.
— Dois-je appeler les gardes pour calmer ton appétit ?
Voyant que rien n’y faisait, la jeune femme exécuta un volte-face
de résignation et se rua sur la porte.
— Hélène ! Euh, je veux dire Sophie, fais-moi rapporter quelques
carafes de champagne !
— Hélène, s’écria t-elle en se retournant prestement, ah, voici
donc monsieur amoureux ! Je comprends tout ! On se garde pour
une nouvelle drôlesse ! Elle doit avoir un cul en or celle-là !
— Sors d’ici ou je te rosse !
La porte claqua sec.
52
Chapitre 9
Versailles, le 1 juin.
(promenade avec le Roi)
53
— Quelqu’un peut-il me dire où se trouve l’antichambre du
marquis de Viau ?
— De Viau, connais pas ! Ici ma belle, y’ a dix mille personnes
alors ton p’tit marquis t’es pas prête à l’artrouver !
— Mademoiselle, fit une voix féminine, moi je sais !
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— Voici la chambre de son valet, Gontran. Cette pièce est
attenante à celles de Charles-Henri. Frappez et il vous ouvrira, il est
très gentil…
— Je sais, je le connais…Merci.
Catherine s’empressa de disparaître dans la foule qui courait
dans tous les sens. Gontran ouvrit et la reconnu. Il sembla ravi et
soulagé de la revoir.
— Mon dieu, mon Dieu ! C’est bien que vous soyez là
mademoiselle Hélène ! Monsieur le marquis ne dessaoule pas depuis
deux jours ! Je ne sais point ce qui se passe dans sa tête! Il a perdu
beaucoup d’argent au jeu…enfin, il s’est laissé perdre et ce n’est
point dans ses habitudes ! C’est la marquise de Montespan qui l’a
plumé ! Et il réclame sa sœur Cécile, ne cesse de pleurer ! Je ne sais
plus quoi faire ! J’étais prêt à avertir monsieur de Volzac ! Mon
Dieu, mon Dieu ! Comme cela est bien triste !
— Conduisez-moi auprès de lui, vite !
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C’est une partie de moi qui est morte à tout jamais…Elle était mon
double, ma chair, mon sang…Comme vous me comprenez, oui vous
vous comprenez, je le sais, je le sens tout au fond de moi…Je l’ai
ressenti le soir où nous avons prié…Hélène…Votre présence ici me
fait du bien…Ne partez point, je vous en supplie, ne me laissez plus
loin de vous…J’ai besoin de vous…Vous, vous ne me jugez point…
Vous ne me regardez point comme les autres me regardent…Vous
êtes différente…Florimont a de la chance…Il vous a…
Submergée d’émotion, Hélène laissa échapper quelques larmes
mais se reprit bien vite. Comment remonter quelqu’un si l’on est soi-
même au fond du trou ?
— Voyez, mademoiselle Hélène, se lamenta Gontran, mon maître
délire…
— Gontran, y a t-il un endroit où monsieur peut se tremper ?
— Euh…Oui, dans la pièce à côté il y a sa baignoire de faïence…
mais ?
— Alors remplissez-là d’eau tiède et appelez son barbier…Nous
allons redonnez vie au marquis Charles-Henri de Viau…Préparez-lui
son plus joli habit, le plus riche et le plus pimpant, sa plus belle
perruque, son talc , sa mouche, ses bijoux ! Et son plus beau
panache aussi! Je veux le voir tel que les autres femmes ont
coutumes de le voir ! En petit marquis poudré et parfumé à
outrance ! Vite, Vite !
Et tout ce qui fut ordonné fut exécuté. Quelques heures plus tard
Charles-Henri retrouvait fière allure et rejoignait Hélène qui l’avait
attendu dans son cabinet.
— J’ai une horrible migraine, confia t-il en se claquant dans son
fauteuil.
— Il ne fallait point vous enivrer !
— J’ai honte ! Mon valet n’aurait point dû vous laisser entrer…
Il enfouit son visage dans la paume de ses mains. Une grosse
émeraude ornait son majeur droit. Hélène vint s’agenouiller devant
lui et posa ses mains sur ses genoux. Gontran, dans ses petits
souliers, craignant la foudre de son maître, disparut aussi
subrepticement qu’une souris dans son trou mais soulagé de savoir
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que tout était rentré dans l’ordre.
— C’est moi qui l’en ai prié l’informa t-elle pour éviter une
punition injuste au vieil homme, je voulais vous voir…
— Mais dans quel état misérable vous m’avez vu !
— Oui et je ne vous cacherai point que je préfère le Charles que
j’ai croisé un jour d’avril, dans le couloir du château des Volzac…
Plus simple, moins fardé, naturel…et sobre…
— Pardonnez-moi…
Il baissa les mains et croisa son regard pers.
— Ces deux jours sans vous m’ont paru une éternité Hélène…
Vous m’avez terriblement manqué…
Hélène saisit ses mains, leurs doigts s’entrelacèrent. Charles
fixait ses lèvres roses et brûlait d’y poser les siennes mais l’image de
la jeune fille dans les bras de Florimont assiégeait son esprit.
« Elle est à lui, à lui… ».
Hélène ressenti son trouble, Charles-Henri son désir d’un baiser.
C’est comme si l’union de leurs mains permettait à chacun de
ressentir les émotions de l’autre. Une osmose parfaite les unissaient.
Il sentait qu’elle était faite pour lui, elle savait qu’il était l’espéré.
« Elle est à Florimont, je ne peux la toucher… ».
Mais comment encore résister alors qu’une bouche sensuelle et
douce s’impose ?
Hélène lui vola un premier bécot, timoré, mais qui donna suite à
toute une série de baisers fougueux. Ils s’embrassèrent à perdre
haleine. Charles la tira, Hélène se retrouva assise sur lui, les bras
autour de son cou.
— Emmenez-moi loin d’ici Charles, emmenez-moi…
Chapitre 10
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(lettre à Jean-Antoine Lastic)
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— C’est ma grand-mère, Alice…La doyenne de notre famille…
Elle va bientôt fêter ses 82 ans…Une antiquité ! Ne vous laissez
point intimider par elle…
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Arrivée de Philippe Beaulieu-Plessis de Caumont La Tour.
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Hélène s’engouffra comme une furie dans la chambre de Charles.
Terrorisée, les mains prises d’un tremblement incontrôlable, elle
tenta, sous le regard effaré du marquis, de fermer la porte à double-
tour.
— Hélène, que se passe t-il ?
Il quitta sa lecture et la rejoignit. La clé n’entrait pas dans la
serrure, les doigts affolés de la jeune fille n’arrivaient plus à
s’appliquer.
— Mon Dieu Hélène mais dans quel état êtes-vous ! Calmez-
vous…
— Charles, Charles…
La chemise d’Hélène était déchirée, ses cheveux emmêlés, son
visage inondé de larmes.
— Racontez-moi…
— C’est Philippe…Il a voulu abuser de moi…
Charles blêmit et la saisit dans ses bras où elle se blottit, transie
de frayeur.
— Vous a t-il touchée ?
— Non, je me suis débattue et je l’ai frappé à la tête avec un
bougeoir…J’ai cru qu’il allait tomber mais non, il s’est rué sur moi
comme un animal en rut et a déchiré ma robe de nuit…Je me suis
sauvée…
— Je vais tuer ce maroufle !
— Non Charles, c’est votre cousin et votre mère l’aime
beaucoup…Je ne veux point de scandale…Je vous en prie, Charles…
Hélène avait beaucoup de peine à le retenir tant la rage le
secouait. Pour y parvenir elle s’accrocha à lui, éperdue. Par deux
fois il ôta ses bras serrés autour de son cou, prêt à bondir, les yeux
axés sur son baudrier de cuir gisant sur le canapé. L’envie de se
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servir de son épée le démangeait. Cela faisait bien longtemps qu’il
n’avait pas pourfendu un gêneur. Mais les doux baisers d’Hélène
eurent raison de son emportement. Le désir l’envahit. Il caressa sa
chevelure, la remit en place en la lissant, la coiffa en étirant les
boucles. Les mèches soyeuses passaient et repassaient entre ses
phalanges. Du revers de ses pouces il essuya ses joues humides de
larmes et fatalement les caresses descendirent pour atteindre les
épaules. Doucement il abaissa les bretelles de voile. La chair tendre
appelait aux baisers. Ils furent fougueux. Hélène se montra pourtant
réfractaire à de plus osés attouchements. Charles se reprit sous son
recul. Peut-être allait-il trop loin ? Précipitait-il les évènements ?
— Charles, non…je…
— Vous aimez Florimont c’est cela ?
— Non…loin de là…
— Alors dites-moi ! Vous me rendez fou, souffla t-il en plongeant
la tête dans son cou.
— Je ne veux ni ne peux…vous donner ce que vous voulez…je me
garde pour ma nuit de noces…c’est important pour moi…seul mon
époux devant Dieu aura cette faveur…comprenez-vous ?
— Oui…je comprends…Je pensais que cette vertu avait disparu
du milieu des femmes !
— M’en voulez-vous Charles ?
— Bien au contraire ma douce, bien au contraire…
Chapitre 11
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— Vous avez une bien étrange façon de traverser une grange
Hélène, fit une voix derrière elle.
La jeune fille sursauta et de saisissement tomba sur les fesses.
Elle se croyait seule.
— Florimont ! Vous m’avez effrayée !
La boucle d’oreille se balançait au bout de la dextre du marquis,
un sourire espiègle se dessinait sur ses lèvres.
— Est-ce cela que vous cherchez ?
— Oui…mais que faites-vous là, caché entre deux ballots de
paille? Attendriez-vous une femme ?
— Ah que non ! Je puise le repos nécessaire à mon bien-être…La
tournée de Sa Majesté m’a épuisé. Bourgogne, Franche-Comté,
Alsace…Je comprends que la Reine se soit effondrée sous une fièvre
de cheval dés notre retour ! Le Roi nous a fait mener un train
d’enfer !
Il se tut un instant pour la détailler.
— Je vois que mademoiselle de Belvès et de Gadancourt a pris
quelques rondeurs, dit-il en faisant allusion à sa croupe emmitonnée
de serge bleu qui s’était faufilée sous son nez une minute plus tôt…et
qu’il avait eu envie de prendre à la hussarde.
— Ce sont les pâtisseries de Mamilice qui m’ont alourdie la
taille…
— Cela vous sied à ravir mademoiselle de Belvès et de
Gadancourt !
— Ne m’appelez point ainsi, vous m’agacez ! Je suis et resterait
toujours Hélène Polignac !
— Cracher sur ses titres ! Quel orgueil !
— Ces titres ne sont que des noms ajoutés à de minuscules
particules, rien de plus !
— Ah, ah, ah ! Et la baronnie ! Le vicomté ! Leurs terres et leurs
fruits ?
— Rien ! Rien à côté de ce que Dieu me donne…
« Allez c’est reparti…Cette fille est folle… ».
— Dieu ! Peuh…
Florimont s’affala sur la paille en soufflant d’exaspération et cala
ses mains sous sa tête.
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— Que Dieu me rende donc ma femme et mon fils ! Pesta t-il en
jetant les yeux aux solives.
— C’est impossible, ils sont morts !
Percé en plein cœur, envahit par la rancoeur envers un Dieu
contre lequel il ne pouvait rien, Florimont se rebiffa :
— Tiens je croyais que tout Lui était possible à votre Dieu !
Même vous vous avancez le contraire !
— Vous comprenez très bien ce que j’ veux dire Florimont…Si
vous croyez en la toute puissance de Dieu et en sa gloire vous verrez
se produire des prodiges dans votre vie. Croyez, écoutez-le, laissez
tomber les écailles qui couvrent vos yeux, ayez confiance en Lui !
Tout concourt au bien de ceux qui écoutent Dieu ! Dieu peut vous
rendre ce que l’on vous a volé mais pas comme vous l’entendez ou
comme vous le voulez !
Il la regarda, sceptique. Et si ce qu’elle disait était vrai ? Sans
comprendre pourquoi, le visage de la belle inconnue de Versailles
traversa son esprit. Une image évanescente et troublante qui
disparut aussi subitement qu’elle était apparu.
— Approchez, dit-il en tapotant la paille près de lui, venez vous
asseoir ici…Allez, je ne vais point vous manger !
Après un court instant de réflexion Hélène rampa jusqu’à lui.
— C’est vous que j’aime écouter Hélène, vous avez conserver
votre cœur d’enfant. Vous ne vivez que d’espoir. Ce serait criminel de
briser l’espérance qui vous anime…Ah Hélène, cher trésor…que je
peux toucher…
Il lui prit la main et la porta à sa bouche. Son souffle chaud et la
douceur de son baiser raviva de doux souvenirs dans le cœur
d’Hélène. Elle détourna la tête pour dissimuler son trouble et ses
joues rougissantes.
— Vous êtes de chair et de sang…vous me parlez et cela m’est
bien agréable de vous entendre…vous êtes bien gentille mais ne me
demandez point d’écouter un Dieu injuste et incapable d’exaucer les
prières ! Je l’ai prié pour qu’Il sauve ma famille et Il la laissé
partir…
Il sourit finalement pour cacher son émotion et les larmes qui
mouillaient ses yeux. Sa carapace commençait-elle à fondre ?
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Il se tut et attendit de voir ce qu’elle allait entreprendre. Il la
savait attirée par lui. En dépit de son amour pour Charles, Hélène
conservait un petit faible pour lui. Un petit faible dangereux qu’il
avait envie d’exploiter car l’occasion s’en présentait.
Florimont s’empara de son poignet et la tira à lui. Sous la peau
diaphane il tâta son pouls. Il était rapide et trahissait son excitation
mêlée d’appréhension.
— Hélène…Hélène regardez-moi !
Elle obéit et ses yeux tombèrent sur sa bouche qu’il rapprocha.
— Tenez, le voilà votre joyau… pourquoi ne portez-vous point
ceux que je vous ai offert à Bredons ?
Une pointe de jalousie comprimait sa voix. Qu’il le voulait ou
non, Charles-Henri était devenu un rival, même malgré l’amour
fraternel qui les unissait.
— Jamais !
— Vous êtes une orgueilleuse !
— Elle est bonne celle-là ! Et vous donc !
Il sourit et caressa sa joue du revers de la main.
— La jolie bergère a t-elle connu le loup durant sa retraite à
Paris ?
— Vous êtes bien impertinent ! Cette conversation n’est point
convenable !
— Non bien sûr… je lis dans vos yeux que le loup ne vous a point
encore croquée ! Je suis stupéfait ! De la part de Charles c’est un
prodige. Il faut qu’il soit amoureux pour être aussi patient…
— Assurément et moi aussi je l’aime !
— Oh, oh, oh, se moqua t-il, quel grand sujet que celui de
l’amour ! Vous l’aimez, certes mais… moi vous me désirez…Non ?
Et ce depuis longtemps ! Dites si je me trompe !
— Vous puez la suffisance ! Je préfère partir !
— Vous préférez fuir que d’avouer petite orgueilleuse !
Elle voulut se lever mais il la saisit par la taille. Elle n’alla pas
plus loin qu’à la frontière athlétique de ses bras.
Florimont pouvait la plier comme une feuille de papier mais il
n’eut guère besoin d’employer la force pour l’immobiliser. Les
jambes molles, Hélène s’affala sur le dos, offerte. Elle en avait assez
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de livrer combat contre ses désirs. La paille confortable et odorante
était la couche idéale pour recevoir leur corps enlacés. Hélène
chavirait sous les formes de son anatomie gorgée de désir, la
douceur de ses mains sur sa poitrine, la tendresse de ses baisers sur
sa gorge. A son oreille tintait la sincérité de ses roucoulements et la
chaleur de ses halètements.
Dehors des voix d’hommes. Hélène sursauta, se rétracta.
— J’entends quelqu’un dehors…
— Ce sont sûrement des charretiers, lui murmura Florimont …je
n’entends personne…
Pourtant les voix étaient proches, trop proches. De nouveau
Hélène livrait un combat. Ecouter ces hommes discuter dans la
basse-cour ou s’enliser corps et âmes dans cette jouissance que les
doigts et la bouche de Florimont sur son sexe lui procuraient ? Elle
tenta d’accommoder les deux. Tantôt en tendant l’oreille et en
serrant les cuisses quand des paroles lui paraissaient importantes,
tantôt en les ignorant et en s’ouvrant à de nouvelles expériences.
« Si la courroie cède on perd tout le chargement ! » cria une voix
gutturale. Un cheval hennie. Une femme s’égosilla. Des chiens
aboyèrent.
— Non…non…Supplia Hélène, non Florimont…
Pourtant elle le voulait en elle et le tirait par les épaules pour
qu’il la prenne mais la phrase du paysan résonnait toujours et
encore dans sa tête comme un avertissement personnel.
« Si la courroie cède on perd tout le chargement ! Si la courroie
cède on perd tout le chargement ! Si tu cèdes Hélène tu perds
tout… ».
« Le Seigneur me parle, le Seigneur me prévient…Oh mon
Dieu ! ».
C’était clair pour elle, si elle cédait à Florimont elle perdait tout
et surtout l’amour de Charles. Elle le repoussa brutalement, d’une
force surhumaine. Florimont s’écarta d’elle, déboussolé. Une lueur
maléfique traversa ses yeux.
— Je ne peux pas…Florimont, pardon, pardon !
Hélène s’enfuit en pleurant, coupable. Florimont se pencha par
l’ouverture servant de fenêtre pour la regarder partir. Dehors, la
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cour était déserte.
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À suivre...
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