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Nous sommes nés pour Vivre

Bien trop souvent au regard de nos contemporains, l’image


des villes de banlieue parisienne est celle de cités-dortoirs
où chacun mène sa vie sans tenir compte de l’autre.
Or, au-delà de l’urbanisation, au-delà des grands ensembles,
des quartiers pavillonnaires, l’âme d’une ville se forge en tout
premier lieu avec ses habitants.
Dans cette société que l’on taxe d’individualiste, prendre le
temps d’écouter l’autre, d’écouter nos anciens, est une pratique
qui s’est perdue. Et pourtant, les différences loin de nous séparer
sont, au contraire, vecteurs de richesses, de découvertes et de
valeurs communes qui nous rassemblent. Et ce sont ces mêmes
différences qui rendent notre ville, Viry-Chatillon, unique.
À travers ce recueil d’histoires individuelles, de collégiens
d’Olivier-de-Serres et de résidents de la RPA La Forêt située
dans le quartier du Plateau, ce sont autant de destins, de tranches
de vie qui sont décrits, autant d’expériences qui s’entrechoquent
et se mêlent pour donner sens et corps au recueil que vous avez
entre les mains.
3.
Ce sont ces témoignages, devenus des contes, qui vont éclairer
ce qu’était, ce qu’est et ce que deviendront le quartier du Plateau
et notre commune.
Comme l’écrivait Victor Hugo « Un livre est quelqu’un.
Ne vous y fiez pas. Un livre est un engrenage ».
Aurélie Troubat, mon adjointe à la culture, et moi-même,
avons l’intime conviction que ce livre porte en lui une des
pierres angulaires de notre ville, celle de la mémoire des ceux
qui y habitent.

Aurélie Troubat
adjointe au Maire déléguée au mécénat et aux affaires culturelles
Jean-Marie Vilain
Maire de Viry-Chatillon
La Vie

Elles et ils ont donné leurs paroles pour


“ Nous sommes nés qu’elles puissent être partagées avec d’autres,
pour vivre ” pour qu’elles puissent être utiles à d’autres.
À partir de ces rencontres, j’ai retranscrit leurs
Cette parole est née d’une rencontre avec paroles enregistrées, puis j’ai écrit des récits qui
un vieux monsieur qui réside dans l’une sont devenus des courriers Graines de mémoire
des Résidences pour personnes âgées qui ont été semés par centaines depuis quatre
(RPA) de Viry-Chatillon. Il était né au ans sur plusieurs lieux culturels de la ville et
Cabinda voilà 86 ans. C’est la première au collège Olivier-de-Serres. Sur chaque graine
fois que j’entendais parler de ce pays. il y avait une citation de Hannah Arendt :
« Aucune philosophie, aucune analyse, aucun
En chemin de vie d’homme et d’artiste conteur aphorisme, aussi profonds qu’ils soient ne
et facteur de mémoire, j’ai eu la chance de peuvent se comparer en intensité, en plénitude

Chapitre 1
rencontrer sur la ville de Viry-Chatillon des de sens, avec une histoire bien racontée. »
femmes, des hommes et des enfants dans le
cadre du projet culturel Ce qui nous rassemble. Dans l’histoire de l’une ou de l’un, il

4.
y a l’histoire de tous, il y a toute notre
Des élèves de sixième, à partir de symboles humanité, notre passé, nos espoirs, nos
de peuples d’Afrique de l’Ouest ont parlé de épreuves, nos rêves, nos réalités futures.
la vie, de l’amour, de l’humain, du pardon, C’est une partie de ces récits de vie que
du futur, c’est une partie de leurs dessins et vous allez découvrir dans ce recueil où
de leurs paroles qui vous sont présentés ici. l’on se promène à travers les âges, les
temps, les continents, les cultures, en
Toutes et tous des gens d’ici. somme, tout ce qui nous rassemble.
Il y a une femme d’une RPA qui m’a dit :
« c’est aux gens d’ici de parler. » Bienvenue dans ce chemin de paroles
Elle a raison. C’est aux gens d’ici de parler de vie, de vies en paroles.
d’ici. J’ai rencontré des gens d’ici et en chemin
de mémoire, chacune, chacun, à accepter de se Ludovic Souliman La Vie
raconter, de partager des souvenirs. Certains décembre 2016
sont nés en Chine, d’autres au Congo, en Inde
J’ai choisi ce symbole car la vie est importante à mes yeux. Il ne faut pas
ou en Algérie, beaucoup sont nés en France. la gâcher et si on ne fait pas attention à notre vie ce sera trop tard. C’est
Toutes et tous vivent ici, à Viry-Chatillon. pour ça qu’il ne faut pas la laisser s’enfuir et la garder précieusement
dans notre cœur.
Sirine
La Vie La Vie

Beaucoup de choses ont changé On a vu l’autoroute naître.


Ici, le paysage a beaucoup Geneviève-des-Bois. En 1958, l’autoroute a dans les cantines. On était cinq
changé. Je ne reconnais J’ai connu, ici, là où il y a le commencé à être construite. enfants à la maison. On n’avait
plus le Grigny et le Viry stade et Aimé-Césaire, c’était J’avais sept ans et nous, les pas beaucoup de cadeaux
de mon enfance. une carrière avec une grande enfants, on se demandait mais on jouait beaucoup avec
Tous les jours, je pars promener mare. On venait jouer là- ce qu’ils faisaient là. Ils rien. On n’était pas riche
mon chien. Je passe par dedans, on pêchait des têtards, ont éventré la terre. mais on a eu une vie riche.
les lieux de mon enfance et on jouait à cache-cache. C’était Au début, j’ai cru qu’ils La seule façon de revenir en
parfois, je me revois avant. interdit de venir, on nous faisaient un tunnel. On a arrière, c’est le souvenir.
J’imagine les champs, les bois. disait que c’était dangereux, vu l’autoroute naître. J’ai envie de leur transmettre
il y avait des morceaux de Quand je raconte à mes enfants ces souvenirs et vivre des choses
Je me souviens ici, à Viry, béton et de ferraille partout. que le dimanche on venait bien avec mes petits enfants
mon père avait des amis qui Mais on avait dix, douze ans pique niquer sur le talus au pour qu’ils aient des bons
avaient une ferme, c’était et les garçons et les filles, dessus de l’autoroute pour souvenirs avec leur grand-
entre l’autoroute et les on se retrouvait là. C’était voir les voitures passer, et que mère. C’est très important
eaux de la Vanne, derrière notre terrain d’aventures. je leur dis qu’à l’époque on de leur transmettre tout ça.

6. 7.
Léon de Bruxelles. Il reste Après, ils ont construit voyait cinq voitures à l’heure Ghislaine, 66 ans.
encore la maison et l’écurie là dessus, il y a eu les qui passaient, ils ont du mal
de la ferme qui tombent en premiers bâtiments des 3F. à me croire. Aujourd’hui,
ruines. Je suis prise en photo, Il y a eu ce qu’on a appelé les c’est devenu l’enfer, on ne
gamine devant la ferme, il y cités d’urgence pour loger ceux pourrait pas compter les
avait encore des chevaux. qui vivaient dans des cabanes voitures tellement il y en a.
Ici, ils faisaient encore les en bois. Beaucoup de gens qui Quand j’ai entendu parler de
moissons dans les années travaillaient dans les carrières ce projet sur la parole et sur
cinquante. Ils chargeaient de Viry, à extraire la pierre les origines, j’ai eu envie d’y
les ballots de paille à la et le sable, vivaient dans des participer. Je me suis dis que
main. Il y avait deux, trois baraques. Mon grand-père à j’aimerais avoir un condensé
vaches et ils vendaient le lait son arrivée d’Italie a logé là- que je pourrais transmettre
directement à la ferme et bas dans une cabane en bois. à mes enfants et à mes petits
on buvait le lait qui sortait Beaucoup de choses ont changé. enfants pour leur montrer
presque du pis de la vache. que la vie qu’on a vécue, Le Changement
Ici, c’était la campagne. c’était une bonne vie. Chaque jour est le début
Avant qu’il y ait l’autoroute, Mes parents n’avaient pas du changement.
ce n’était que des champs beaucoup d’argent ; papa était Grâce
et que bois jusqu’à Sainte- infirmier, maman travaillait
La Vie La Vie

Tout ça, on l’a vu


Je suis née en Italie et je suis Il y avait beaucoup de sables à à la maison. Il a été déporté en Je me rappelle avoir glané le comprennent ce que les autres
arrivée en France à l’âge Viry. Tout le bas, c’était que du 1942 et il est mort au camp de blé pour faire de la farine. On ont vécu et qu’ils puissent se
de sept mois en 1931. sable et ça partait par péniches concentration de Mauthausen. glanait les pommes de terre. dire, on a de la chance d’avoir
Quand Mussolini est arrivé et par camions sur tous les On a attendu mon père. On Avec douze enfants, il fallait se une vie comme ça. La mémoire,
avec les chemises noires, chantiers de construction. a su qu’il était mort par débrouiller pour faire à manger. c’est la leçon de la vie.
beaucoup d’Italiens ont Là, où était le Leclerc, c’était quelqu’un qui est revenu de Tout le monde faisait pareil. Marie-Anne, 86 ans.
souffert et ont fui leur pays. des champs qui appartenaient là-bas. L’homme qui a parlé à Ma mère, même seule avec
Mon père n’aimait pas du à la comtesse de Choiseul. ma mère lui a dit que quand douze enfants, même dans
tout les fascistes. Il n’y avait À la guerre, les “boches” sont mon père était décédé, il la misère, n’a jamais rien
plus de travail et c’est pour arrivés comme on les appelait et pesait 25 kilos. Il lui a dit qu’il demandé. Elle était fière et
ça qu’il est parti en France. ils ont pris le château pour eux. était déjà mort avant de le elle faisait face à la vie.
Il a travaillé aux Sablières À la guerre, Viry s’est vidé, tout mettre dans le four. On a su Mon père s’appelait Giuseppe
à Viry où il y avait le monde a fui. Les gens avaient comme ça qu’il était mort. et ma maman, Lucia. J’ai une
beaucoup d’Italiens. peur et beaucoup sont partis photo où on nous voit tous
Quand on est arrivé, il n’y pendant l’exode. La nationale 7 J’étais qu’une enfant, j’avais avec mon père et ma mère.

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avait rien comme aujourd’hui était pleine de voitures vides, de treize ans et la dernière, ma J’ai toujours mon petit carnet
à Viry ; c’était que des petites chariots, de poussettes. Tout ça petite sœur était toute petite. de photos avec moi, avec mes
maisons en haut et en bas. était abandonné tout au long de Maman s’est retrouvée seule enfants et mes petits enfants
Mais il y avait beaucoup de la Nationale. Tout ça, on l’a vu. avec douze enfants. Elle et de temps en temps, je le
bois, de forêts. Aujourd’hui, Mais maman est restée, avec nous a élevés toute seule. regarde, je repense à ma vie.
toutes les rues portent des douze gosses. Où voulez-vous Elle travaillait chez elle à la Voilà ma vie, je suis arrivée
noms comme rue de la forêt, aller comme ça sur les routes ? maison comme couturière. à Viry et après j’ai vécu à
rue des bouleaux qui racontent A coté de ça, il fallait Juvisy, et aussi un peu en
comment c’était avant. Mon père a été déporté en qu’elle s’occupe de nous. Italie, et aussi à Perpignan et
Quand j’allais à l’école, on Allemagne pendant la Seconde Maman à la maison avait des aujourd’hui, je suis revenue
passait par des petits chemins Guerre mondiale et il est poules, des lapins. On allait à Viry depuis 1982.
de terre à travers champs. Là décédé là-bas. Quelqu’un chercher de l’herbe pour les Il y a des femmes qui sont La Vie
où est la CILOF (aujourd’hui a dit que mon papa faisait lapins dans les champs et sur ici, à la RPA et j’ai été à J’ai choisi ce symbole car la vie est importante à
Les Coteaux de l’Orge), c’était de la politique, qu’il était les fossés. Elle a eu même des l’école avec elles dans les mes yeux. Il ne faut pas la gâcher et si on ne fait
des bois. Il n’y avait pas le lac. communiste. Papa avec douze cochons. On avait un jardin et années trente à Viry. Je suis pas attention à notre vie ce sera trop tard.
On appelait ça le petit désert enfants n’avait pas le temps elle faisait pousser ses légumes. C’est pour ça qu’il ne faut pas la laisser s’enfuir
revenue à mon point de
et il n’y avait que du sable. de faire de la politique. Il avait Il y avait plusieurs fermes et la garder précieusement dans notre cœur.
départ ou plutôt d’arrivée.
Sirine
Ce n’est que bien après la ses idées comme tout le monde aussi. Après l’école, on allait Avec ce projet sur la mémoire,
guerre, qu’ils ont fait le lac. mais il travaillait et il revenait glaner dans les champs. il faudrait que les jeunes
La Vie La Vie

Le premier jour qu’on a eu la télévision Il ne parlait pas du tout français


Le premier jour qu’on a eu la télévision, on n’avait Mon nom est Italien, c’est mon grand-
qu’une chaîne et ils ont passé Les Misérables de Victor père qui est arrivé en France à l’âge
Hugo. C’était triste. J’ai pleuré, j’ai pleuré. La pauvre de 14 ans dans les années 20. Il ne
petite Cosette ! C’était en deux épisodes et la deuxième parlait pas du tout français. Il travaillait
fois, j’ai pleuré aussi. On pleurait mais c’était bien. comme briqueteur dans le bâtiment.
Pleurer et rire c’est de l’émotion. Et pleurer aussi, Après, mon père est né en France et
ça fait du bien. Il n’y a pas de mal à pleurer. moi aussi. Mon père était peintre et
Mais moi, je préfère chanter. J’ai toujours chanté. moi aussi, dès que j’ai pu travailler,
Je suis né homme
Quand je travaillais, je chantonnais pour moi. Je travaillais je suis devenu apprenti à 14 ans avec Chez moi, au Congo,
à la Supérette libre service qui s’appelait Inno et après, mon père, puis, ouvrier, puis, artisan. dans mon village, chaque
c’est devenu Super M et maintenant, c’est Leclerc. Mon père était quelqu’un de joyeux et homme se frappe sur la
J’ai travaillé 17 ans comme caissière et à l’accueil il chantait beaucoup sur les chantiers, poitrine en se disant :
du magasin. C’était bien. Je connaissais tout le il chantait des airs d’opérette italiens. Je suis né homme. Je suis
monde. On rencontre toutes sortes de gens ; des gens Mon père m’a appris tout son savoir né pour souffrir. Quoi qu’il
La vie a deux sens, la vie et la
aimables, des gens mauvais, des gens gentils. J’adorais faire. C’est un métier où on apprend à arrive, il faudrait que j’arrive à
mort, mais dans toute sa vie, on
épouser une femme. Si le bon
10. 11.
faire des annonces dans le magasin. J’annonçais les vit avec de l’eau et de la sagesse. bien préparer, à bien faire les choses.
promotions où quelqu’un qui avait égaré son caddie. On nous apprenait le travail et les Dieu l’a voulu, je vais avoir des
Je sais ce que je voudrais faire de
J’ai toujours été heureuse dans ce magasin. choses de la vie. On nous apprenait à enfants avec cette femme. En
ma vie. Je veux faire beaucoup
souffrant, on parvient à gagner
Au début, c’était encore les machines où il fallait d’étude pour faire mon métier. aimer ce qu’on fait. Aimer ce qu’on fait,
un peu de nourriture pour se
taper tous les articles un à un sur le clavier. On Moi, je voudrais être 1er Ministre, c’est important. On se rendait plus de
nourrir soi-même et nourrir
tapait les yeux fermés. Comme j’avais fait du piano, me marier et avoir des enfants. services entres les uns et les autres. sa famille et continuer la vie.
ça m’a beaucoup aidé et des fois même, je tapais Ayoub J’ai l’impression qu’aujourd’hui, on Puis, je vais aider à faire
les articles et je me voyais comme si je faisais de la fait moins attention aux autres. La grandir mes enfants jusqu’à
musique. J’ai travaillé là-bas jusqu’à ma retraite. vie n’est plus pareil et chacun pense ce que la mort m’arrive.
Mais j’ai toujours chanté, j’étais déjà dans une beaucoup plus à soi qu’aux autres. On Jean Pierre, 63 ans
chorale et quand je travaillais, je pensais à mes ne s’en est pas rendu compte et ça s’est
chansons. Tout le temps, je chantais. fait sans qu’on s’en rende compte.
Aujourd’hui encore, quand je vais faire mes Il y avait plus d’espoir à mon
courses, sur le chemin, je fais mes vocalises. époque parce qu’il y avait du
Il y a parfois des petits moments dépressifs car ce n’est travail pour tout le monde.
pas toujours facile quand on vit toute seule mais bon, Philippe, 66 ans.
il faut faire avec et quand je chante ça m’aide.
Je chante pour moi et pour les autres. C’est un
plaisir que l’on donne aux autres et à soi.
Jacqueline, 85 ans.
La Vie La Vie

Mes plus beaux souvenirs C’était ma destinée


Ici, c’est mes racines, j’ai habitaient sur Grigny. Tous les s’éclater dans ses champs Mon enfance, mon origine Moi, j’ai eu mon diplôme une licence française. J’ai
toujours voulu revenir ici, à dimanches, on allait chez eux. et dans ses forêts. est en Algérie, on était dans d’électricien en mai 1962. travaillé dans des compagnies
Viry, car c’est là où j’ai vécu Mon arrière grand-père avait C’est des souvenirs d’une la misère. C’était dans les L’indépendance de l’Algérie charters. J’ai volé dans presque
mes meilleurs souvenirs. une mini-ferme, il y élevait, enfance merveilleuse années cinquante. On était a eu lieu trois mois après, en tous les pays du monde.
Je me souviens très bien de une chèvre, un mouton, un de 1955 à 1962. huit enfants, dix avec nos juillet. J’ai eu l’opportunité Dans mon carnet de vol, j’ai
l’époque où j’avais cinq, six cochon, des poules, des oies, Après, on a vu la Grande borne parents. On vivait sur les hauts de rentrer à l’École de l’air fait 14 700 heures de vol.
ans. Mes plus beaux souvenirs des canards. Il avait un potager. se construire. Là, où il n’y avait plateaux à l’est de l’Algérie. française. C’était en Algérie Je suis arrivé vivre en France
sont chez mes grands-parents et Il faisait tout lui même. Au bout que des champs et des bois, L’hiver, il faisait froid. On vivait toujours mais sous la coupe en janvier 1989. J’ai demandé
mes arrières grands-parents qui de ce potager, il y avait un très on a vu des bâtiments et des tous dans une seule pièce qui des Français. J’y ai passé ensuite ma réintégration dans
grand noyer où on s’installait bâtiments se construire. On a faisait tout ; cuisine, chambre. trois ans. Il fallait avoir des la nationalité française.
tous ensemble aux beaux jours. vu Grigny 2 se construire. Ça On dormait tous ensemble, bonnes notes pour rester. Mes enfants ont fini de grandir
Mon arrière grand-père avait a été un arrachement. C’était frères et sœurs, dans cette J’ai eu mon diplôme de ici, ils se sont mariés, ici.
L’Esprit créateur
neuf enfants qui avaient toute notre enfance qui s’en chambre avec le poêle à bois technicien aéronautique et Ma vie est longue et je résume
Pour moi, l’esprit créateur
est le plus important car tous des enfants et tous les allait, tous nos terrains de jeux au milieu. On avait une vache après, j’ai passé mon BTS un peu tout ça. De l’enfant des
sans lui l’humain, la vie, le dimanches, tous les petits d’enfance qui disparaissaient. à la maison pour avoir du lait. aéronautique. À l’époque, hauts plateaux qui rêvaient

12. monde n’existeraient pas.


J’ai choisi ce symbole de
l’esprit créateur car c’est
enfants, tous les cousins-
cousines se retrouvaient là.
Quand il tuait le cochon ou
La maison de nos arrières
grands-parents a été détruite.
Imaginez des gens qui avaient
Mon père était cantonnier. Il
ne gagnait pas grand chose.
On n’avait aucun jouet. On
on était devenu Algérien.
Après, j’ai travaillé cinq ans, au
sol, comme électromécanicien
en regardant passer les avions
dans le ciel, j’ai eu la chance
de réaliser mon rêve. C’était
13.
lui qui nous a créés. une chèvre, on se réunissait et construit une maison de jouait avec des toupies où en Algérie. Puis après, j’ai eu ma destinée. Il faut avoir le
Adel on mangeait tous ensemble. leurs mains, qui avaient on se faisait un ballon avec l’opportunité de faire des stages courage et la volonté pour
Entre cousins et cousines, construit un petit coin à eux des vieilles chaussettes. d’ingénieur aéronautique et réussir quand on est dans une
on jouait dans les champs à à partir de rien. Il n’y avait On était Français à l’époque. pilote. Ça m’a pris trois ans famille pauvre. Mes parents
Saunier. Saunier, c’était le pas l’eau, on allait chercher J’avais ma carte d’identité encore pour avoir ma licence étaient illettrés mais on avait
plus grand fermier de Grigny. l’eau au puits que l’arrière française. On allait à l’école d’ingénieur naviguant et de la volonté d’apprendre pour
C’était des champs de blé qui grand-père avait creusé. On française à pied dans le froid. pilote. Ensuite, j’ai travaillé en sortir. Mes parents nous
partaient de la maison de mon s’éclairait à la lampe à pétrole. Tous les matins, à l’école, on dix années comme personnel encourageaient dans notre
arrière grand-père. C’est là Il n’y avait pas l’électricité chantait la Marseillaise. naviguant technique. Puis, instruction mais c’était dur, dur.
où est Grigny 2 aujourd’hui. au milieu des champs où La première fois que je suis je suis devenu instructeur. C’est bien de pouvoir raconter
C’était que des champs jusqu’à ils étaient mais c’était leur venu en France, c’est par une Après l’Algérie, j’ai travaillé les histoires de nos vies pour
Ris-Orangis et après, c’était maison à eux, avec tous leurs colonie avec la mairie. On a pris quatre ans en Libye avec la montrer aux plus jeunes
que des bois jusqu’à Fleury. souvenirs et toute leur vie. le bateau et on est venu un mois compagnie nationale Libyenne, comment on a souffert pour
La maison de mon arrière Ghislaine, 66 ans. en France vers Angoulême. Arabia Airlines. Après, j’ai arriver à ce stade où on est,
grand-père était là. On a fait nos études comme eu la possibilité de venir en qu’il a fallu beaucoup de
On attendait les dimanches ça un peu. On a fait tous France car il cherchait du volonté pour arriver là.
avec impatience pour aller des formations de métier. personnel naviguant et j’ai Arres, 73 ans.
La Vie La Vie

C’est vrai que la vie est belle !


J’ai 85 ans. Ça s’est passé il y a 2 ans, j’ai soignée et je continue à vivre. Je suis dans la
été à l’hôpital pour me faire opérer. Ils vieillesse. La vieillesse, c’est vivre un petit peu
devaient essayer de me déboucher les artères dans l’insouciance. Il faut éviter de penser à ces
La lumière de la fête et ils m’ont endormie mais ça c’est très mal problèmes et il faut se distraire l’esprit. Ce n’est
Dans notre rue, rue des passé. J’étais sous le masque à oxygène mais pas facile quand on est tout seul mais j’y arrive,
Érables, il y avait tous je n’arrivais pas à respirer, je disais : je cultive une nouvelle passion que j’avais dans
les ans, la fête foraine - Je ne peux pas respirer ! Je ne peux pas l’enfance qui est de collectionner les timbres. J’en
qui venait s’installer. respirer, ne me laissez pas mourir ! ai 2 500, alors, quand je les classe, je cherche sur
Les forains venaient On me disait : internet d’où ils viennent et leurs histoires. Ça
avec leurs roulottes. Il - Respirez madame ! Respirez ! occupe ma pensée et j’oublie tous mes soucis. Je
y avait les manèges, Mais je ne respirais plus. Puis, plus rien, je voyage avec mes timbres. Puis, je voyage avec
les tirs au fusil. Tout n’entendais plus rien. Je suis partie. J’ai vu mes souvenirs aussi, les souvenirs reviennent et ça
le monde venait et le grand tunnel, un grand tunnel plein de occupe mes pensées. Je vois mes enfants chaque
nous, on rêvait. Nous lumière avec des ombres vaporeuses comme semaine, ils travaillent mais j’ai la chance qu’ils
on n’avait pas d’argent des silhouettes de personnes qui s’en allaient viennent me voir toutes les semaines pour faire
et on venait pour à une vitesse extrêmement rapide. Tout mes courses et passer un petit moment ensemble.

14. regarder la lumière


de la fête et pour
s’accélérait, les ombres défilaient, défilaient
dans ce tunnel tout lumineux. Il n’y avait pas
La vieillesse, c’est l’expérience et c’est une autre
façon de penser à la vie. On se dit, aujourd’hui, 15.
discuter avec les gens. de bruit. Je ne sentais rien, pas de douleur et on est là et demain, on verra bien. On ne fait plus
Marie-France, 66 ans. en même temps, une part de moi disait : de projets. Mais la tombée de la nuit est pour
- C’est la fin. moi quelque chose de toujours très angoissant.
Et il y a eu un moment après, où il y a Parfois, on se dit est-ce que je vais me réveiller
quelque chose qui a claqué dans ma tête. demain. Finalement, ce serait une belle mort
Tout s’est arrêté, les ombres se sont mises mais je n’ai pas envie de mourir. Cette angoisse
à défiler en sens inverse. Je suis revenue, de la nuit fait que j’ai du mal à m’endormir. Puis,
L’Âme qui s’en va je me suis remise à respirer. J’ai entendu le matin, j’ouvre les yeux sur un nouveau jour et
Je l’ai choisie car je me demande : les gens dans la pièce qui m’ont dit : je me lève et je fais ce que je peux faire, puis, je
quand nous mourons, est-ce que
- Bravo madame, vous avez gagné ! m’occupe de mes timbres et j’oublie mes soucis.
notre âme restera en nous ?
Les gens me parlaient, me caressaient les Malgré la vieillesse, je me dis parfois :
Maguy
mains, je les sentais de nouveau autour de moi. - C’est vrai que la vie est belle !
J’étais encore accrochée à la vie et ça avait été Jacqueline, 85 ans.
comme un match contre la mort et j’ai gagné.
Ce n’était pas mon heure.
Aujourd’hui, je vais beaucoup mieux, je suis
La Vie La Vie

On apprend par la vie La vie, c’est ça


Mon passé, c’est simple, pays qui m’ont fait voyager On peut avoir une vie heureuse et tout
j’ai travaillé et j’ai élevé rien qu’en me parlant de bascule du jour au lendemain.
mes enfants du mieux que leurs pays. Il y a un monsieur Moi, j’ai eu une vie de femme à peu près valable
j’ai pu. C’est ma vie. Turc qui m’a marquée car jusqu’à la retraite. J’arrive à la retraite et
On apprend par la vie. il m’a appris beaucoup poum ! Du jour au lendemain, j’ai tout perdu.
Chaque jour, vous découvrez de choses, il me disait : En deux ans de temps, j’ai tout perdu.
de nouvelles choses, de - Tu ne regardes pas l’habit Je me suis retrouvée veuve et j’ai eu un AVC.
nouvelles personnes, de de la personne, tu regardes Je ne pouvais plus rester dans notre grande
La vie est un cadeau, le plus
nouvelles cultures. Je pense ce qu’elle a dans son cœur. maison. Prendre une vie entière et tout gros cadeau du monde.
qu’on peut très, très, bien C’est un monsieur qui bascule comme ça, c’est dur. La vie, c’est Que nous soyons homme ou
vivre ensemble même avec savait partager quand il ça, on sait pas ce qui peut nous arriver. femme nous avons une vie.
plusieurs nationalités. Il suffit avait une clémentine, son Je suis depuis un an à la RPA. Avant, Liberté, égalité, fraternité.
Iannis
de partager des moments de geste, c’était de partager je ne connaissais pas Viry.
parole avec les gens. Ils nous la clémentine en deux et Au début, ici, c’était dur, j’avais du mal à m’y
racontent leurs souvenirs, ils de t’en donner la moitié. faire. J’étais complètement paumée. J’étais

16. La Vie
Je choisis comme signe la vie car la vie
nous racontent la vie dans
leurs pays, on partage leurs
traditions, leurs cuisines.
Quand je vois des gens qui
n’ont plus de rêves, qui ne
réagissent pas, ça m’énerve.
renfermée et je ne parlais à personne. Je me
demandais ce que je faisais là à 66 ans. Je
voyais autour de moi des personnes âgées.
17.
est importante pour nous. Si on n’avait
pas de vie nous ne serions pas sur Terre. On a vécu comme ça Pour moi, même si on ne peut Puis, après, j’ai fait la connaissance de femmes plus
Et aussi, nous pourrons faire ce que autrefois, il n’y avait pas pas faire grand chose, on peut jeunes. Je me suis fait des copines et ça va mieux.
l’on veut de notre vie. Comme moi,
toutes ces choses qui nous toujours essayer d’améliorer On discute entre nous, on parle
plus tard, je voudrais être pâtissière,
je ferais tout pour être pâtissière. Tout séparent et qu’on entend un peu. Il y a tant de choses à de la vie et c’est agréable.
le monde peut tout faire dans la vie. aujourd’hui. Avant, nos faire, il y a tant de misères et Nadine, 69 ans.
C’est pour ça que j’ai choisi la vie. enfants allaient ensemble à tous ces réfugiés qui fuient.
Hatouenody
l’école, jouaient ensemble et Mon rêve dans mon enfance
entre mamans, on se parlait était de beaucoup voyager
sans problème. On vivait comme mon père qui avait
très bien tous ensemble. fait deux fois le tour du
J’ai beaucoup voyagé, j’ai été monde. Ce rêve, je l’ai
en Tunisie, en Turquie, au réalisé et partout où j’ai
Portugal et j’ai rencontré des été, je me suis fait des amis.
gens partout. J’ai trouvé de J’irais même dans la jungle,
la richesse dans leurs pensées je me ferais des amis.
et leur façon de vivre. J’ai Brigitte, 70 ans.
rencontré des gens d’autres
La Vie La Source des origines

Un film n’est pas la vie


On dit qu’on n’a rien sans rien mais pour
avoir quelque chose, il faut savoir donner.
Celui qui ne donne rien, ne reçoit rien.
Il faut avoir un cœur qui puisse écouter et
puis prendre aussi. Si on ne fait que donner,
on s’en lasse. Je parle comme ça parce que j’ai
vécu. C’est la vie qui parle et il faut vivre.
Quand on voit des jeunes qui passent des heures devant
un ordinateur ou devant la télé, ils n’apprennent
pas la vie ; ils pensent que ce qu’ils voient à la télé,
ils peuvent le faire. Un film n’est pas la vie.
Selon ses moyens, selon ses capacités,

Chapitre 2
la vie, il faut la vivre.
Avec ce projet sur la mémoire, il faudrait que les jeunes
comprennent ce que les autres ont vécu et qu’ils puissent
se dire, on a de la chance d’avoir une vie comme ça.
18. Avant, il n’y avait pas de machines à laver, il n’y
avait pas de frigidaires, pas de télés. Il fallait
19.
La Vie travailler beaucoup plus pour beaucoup moins.
J’ai pris ce symbole car c’est une La mémoire, c’est la leçon de la vie.
chose merveilleuse, sans elle, je Le temps, je le prends comme il
ne pourrais pas être sur Terre. vient, j’ai appris ça de la vie.
La vie est très importante.
J’ai eu pas mal de soucis, j’ai eu beaucoup d’opérations,
Ne la regarde pas comme un jouet
près de trente, j’ai traversé beaucoup d’épreuves
car on a beaucoup de choses à faire.
Quand vous êtes à la fin de votre et il a fallu apprendre à vivre avec tout ça. L’Arbre
Peut être que les épreuves, ça nous apprend la vie et à être
vie, ne pleurez pas car ça ne sert
plus généreux et plus compréhensifs vis à vis des autres.
J’ai pris ce symbole car l’arbre me donne la vie.
à rien. La vie est précieuse.
Nivéthiga J’essaie d’être bien dans ma vie même si c’est Fiona
pas toujours facile. Il y a eu le chagrin mais
j’essaie d’être bien avec tout le monde.
Des fois, quand je suis seule, je peux avoir
le cafard mais quand je suis avec les autres,
j’essaie d’être assez gaie et jeune.
Vous savez, on peut être vieux et jeune et on peut être
jeune et vieux, ça dépend de sa vie et de son esprit.
Marie-Anne, 83 ans.
La Source des origines La Source des origines

Chaque personne est comme un arbre Femme du dragon On est plus dans la vie
Qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille Je viens du Gauloise d’origine. À la retraite, j’ai eu
pas, on a tous des origines à respecter. Cambodge. Fon, envie de faire des choses intelligentes
Tu as tes origines, j’ai mes origines. mon prénom et utiles et je suis bénévole à la maison
Pour moi, les origines, c’est les en chinois, veut de quartier. Je travaille avec l’atelier
racines de la personne. dire « femme socio-linguistique depuis longtemps.
Chaque personne est comme un arbre et il y a de dragon », J’aime le contact avec les gens qui
certainement un lieu du fleurissement de cet arbre. « dragonne ». viennent d’ailleurs. J’ai beaucoup
Quand je dis, je suis d’origine marocaine, Ça fait 35 ans que bougé dans ma vie, j’ai beaucoup
ça veut dire, c’est là où je suis née, je suis en France. voyagé et j’aime retrouver ce contact
c’est là où j’ai reçu une culture. J’ai quatre enfants, qui m’enrichit énormément.
Après, j’ai voyagé dans le monde pour quatre garçons. Il y J’attache beaucoup d’importance
avoir autre chose. J’ai des racines du en a trois qui sont à aider ceux qui ont besoin d’un
Maroc et des racines qui sont d’ici. nés ici, en France. appui pour apprendre à mieux
Une partie de mes racines Ils ont très bien parler, pour ne pas perdre pied.
est dans ma mémoire. travaillé à l’école Ici, ce n’est pas que l’enseignement La Curiosité

20. Ce qui est dans la mémoire, une fois que je


disparais, ça disparaît avec moi. Si je n’en
et ils ont tous du
travail en France
de la langue mais l’enseignement de
la vie. Pour un immigré qui arrive
Je l’ai choisie car je suis curieuse,
je pose beaucoup de questions, j’ai
envie de connaître plein de choses.
21.
parle pas, ça disparaît complètement. dans l’informatique. en France, qu’est-ce qu’il lui faut
Maguy
La parole disparaît avec le temps mais l’écrit Ça fait 4 ans pour vivre ? Comment apprendre la
va rester. Et ces histoires, nos histoires, que je viens ici langue ? Quels sont les problèmes qu’il
si on les écrit, on va pouvoir les donner pour apprendre rencontre ? Quelles sont les choses qu’il
à d’autres personnes pour valoriser la le français. a envie de dire ? On fait un travail
culture de l’autre ou l’origine de l’autre. Fon sur le français de base mais ce n’est
Fatiha pas que ça. On est plus dans la vie.
Yvette
La Source des origines La Source des origines

La vie ici, c’est bien Là-bas, tout le monde la connaît


Je m’appelle monsieur Do Mien l’argent pour la famille. J’ai cinq Je m’appelle Usha et je viens de C’est lui qui a eu la mangue. Le petit
San. Mien San mon prénom veut enfants et il y a ma femme et ma mère, l’Inde. Je viens ici pour mieux frère est fâché et il demande :
dire « né au Cambodge ». huit personnes à nourrir. J’ai travaillé apprendre le français. - J’ai fait le tour du monde en
Je viens du Cambodge mais en cuisine pour un lycée à Paris. J’ai Chez moi, j’ai une lampe à huile, c’est premier sur le dos de l’oiseau paon et
mes parents étaient chinois. toujours travaillé là, en cuisine et ancien. On l’allume tous les jours le pourquoi je n’ai pas eu la mangue ?
Au Cambodge, j’étais commerçant. pour le travail, on me montrait et je matin, c’est pour chasser les mauvaises Les dieux parents ont répondu :
J’avais un magasin de porcelaines. J’ai savais ce qu’il fallait faire pas besoin choses, les mauvais esprits. On le fait - Ganesh a fait le tour du père et
travaillé 8 ans. Après, en 1975, il y de parler français. Il y avait mille cinq tous les jours. C’est une tradition. de la mère, c’est le monde premier.
a eu Pol Poht, les Khmers rouges, la cent élèves et il y avait beaucoup de Chez nous, il y a beaucoup de dieux C’est une histoire de mon pays.
guerre. On est sorti du Cambodge. On travail tous les jours. J’étais fatigué tous différents, c’est pas comme ici. On fait C’est raconté par tout le monde
s’est sauvé pour nos vies avec toute les jours mais j’ai aimé mon travail. des offrandes aux dieux pour qu’ils dans les familles pour apprendre à
ma famille. On est parti à Taiwan au On n’avait pas le temps de discuter. nous aident et nous protègent. respecter les parents en premier. Là-
début. C’était dur pour bien vivre. Comme j’ai travaillé sans avoir besoin C’est une histoire avec les dieux de bas, tout le monde la connaît.
En 1979, j’ai demandé à venir en de parler, je n’avais pas le temps chez nous, c’est un dieu papa et un Usha
France. J’ai fait un nouveau métier en d’apprendre à bien parler. À soixante dieu maman ; Shiva et Parvati et il
cuisine. Je ne gagnais pas beaucoup ans, je suis parti à la retraite. y a Murugan un dieu enfant et son
22. d’argent mais c’était bon pour la vie.
J’avais plus de temps avec mes enfants.
Aujourd’hui, ça fait quinze ans.
Au début de ma retraite, j’ai
grand-frère, un dieu que tout le monde
connaît et qui est Ganesh, il a une
23.
La vie ici, c’est bien, c’est bon ! demandé pour apprendre à parler tête d’éléphant. Un autre dieu Narda
Quand j’étais patron, j’avais toujours français mais j’ai attendu cinq ans qui peut être bon ou qui peut être
mal à la tête. En cuisine, une fois le avant de commencer les cours. mauvais leur a donné un fruit pour
travail fini, je rentrais à la maison Pour moi, c’est très dur d’apprendre leurs enfants, une mangue. Mais cette
et je n’avais pas mal à la tête. à parler le français, je peux lire mangue, il ne fallait pas la couper, il
Ça fait 34 ans que je suis arrivé. plus facilement que parler. C’est fallait la manger en entier. Ils ne savaient
Trois ans après mon arrivée en difficile d’apprendre quand on pas à qui la donner. Le père a dit :
France, j’ai pris la nationalité n’est plus enfant. Quand je parle, - Celui qui fait le tour du monde
française. Aujourd’hui, toute comme je parle mal, j’ai appris à en premier va avoir la mangue.
ma famille est française. baisser la tête comme on dit. Ganesh ne bouge pas mais Murugan, le
Mes enfants parlent bien le français Mien San, 73 ans. petit frère monte sur le dos de l’oiseau
et ils parlent le chinois parce qu’à la paon et il vole. Il fait le tour du monde
La Terre
maison, on parlait chinois. J’ai besoin en premier pour avoir la mangue. C’est créé par le big bang, le big bang a
de parler mais c’est difficile pour moi Ganesh est resté là mais créé la Terre … Un jour, une bactérie crée
le français. Je parle mal le français qu’est-ce qu’il a fait ? la vie et c’est de là que tout commence..
parce que quand je suis arrivé, j’ai Il a marché autour de son Martin
tout de suite travaillé. Il fallait trouver père et de sa mère.
La Source des origines La Source des origines

Le crocodile Une enfance dorée


Je suis né au Congo. À treize vous une gueule énorme ! Je suis né Français en 1954 aider son prochain, être là tous
ans quand je suis parti pour Avec ma machette, j’ai cogné, à Orléansville, en Algérie. les jours, sans contrepartie. C’est
retrouver ma mère, je suis cogné sur la tête du crocodile. C’était le département 91 à parce qu’on le veut bien, qu’on
arrivé dans une région du Le crocodile se débattait et moi, cette époque là. Je suis arrivé à veut le bien, et que ça nous plaît.
Congo où les gens pêchaient. je frappais encore plus fort. J’ai deux ans en France. On était à Ce projet sur la parole, ça
Un jour, j’ai pris le filet de mon vu le sang qui giclait dans l’eau. Villeneuve-le-Roi. Ça fait 44 ans peut aider les gens qui ne
beau-père pour aller pêcher. J’ai Petit à petit, j’ai vu le crocodile se que je suis à Viry-Chatillon. connaissent pas ici.
marché des kilomètres jusqu’à la débattre moins fort. Finalement, J’ai eu une enfance dorée en Au lieu de faire des ghettos ;
rivière. J’ai pris une pirogue et je l’ai vaincu. Il est mort. France. J’ai fait ma maternelle de mettre les arabes ensemble,
je suis allé jusqu’à l’autre rive à Mais il était toujours pris dans le ici et mes écoles ici. J’ai eu les blacks ensemble, les chinois
un endroit où la rivière fait une filet. Impossible d’avoir la force un diplôme d’état d’ajusteur ensemble, il faudrait mélanger
espèce de courbe. J’ai lancé mon de le mettre dans la pirogue. et de dessinateur industriel. comme on était mélangés
filet là. Le lendemain matin, je J’ai eu l’idée d’attacher le filet à J’ai commencé à travailler dans les années soixante. Les
suis revenu pour remonter le la pirogue. J’ai ramé jusqu’à la à 17 ans chez Air France années soixante, c’était joli,
filet. J’ai soulevé le filet petit à rive. J’ai tiré le crocodile à terre L’Espace comme personnel naviguant. c’était le beau temps…
petit. Il y avait quelques petits avec le filet. Il était énorme. L’espace, les planètes, les Je donnerais n’importe quoi C’est à cela que j’aspire, vivre
24. poissons. À un moment, le filet
était vraiment alourdi et la
Mais comment le ramener au
village ? C’était impossible mais
étoiles, tout ça c’est l’espace ;
ma passion est de partir,
voir, explorer l’espace.
pour retourner à cette enfance.
On avait tout en abondance. On
ensemble les bonnes choses, et
ce qui n’est pas bien, le mettre
25.
pirogue penchait. Je me suis dit : je ne pouvais pas le laisser là. avait le travail en abondance, le de côté. Sortir, dire bonjour,
Je suis venu en France
- Là, il y a probablement Comment aurais-je pu raconter logement en abondance. On avait c’est déjà un grand pas.
pour étudier, en Algérie les
un gros poisson. l’histoire sans rapporter la preuve. écoles ne sont pas agréables. tout. Comparé à maintenant, Taleb, 60 ans.
J’ai continué à soulever. À un Alors, j’ai enroulé le filet autour Même si je travaille sans c’est le jour et la nuit.
moment donné, j’ai vu, pris dans du corps de la bête et j’ai tiré à relâche, je veux réaliser mon On n’avait que des copains,
le filet, un grand crocodile de près bout de bras. Tellement il était rêve d’être cosmonaute. il n’y avait pas de différence
de trois mètres. Il a donné un lourd, je l’ai tiré seulement sur Mohamed entre arabes et kabyles, français
coup de queue contre la pirogue. une cinquantaine de centimètres. et arabes, juifs et arabes, on
J’ai lâché le filet. La pirogue Je me repose un peu puis je n’était que des copains. C’était
s’est balancée. J’avais la peur ; recommence et je tire encore un Et jusqu’à présent, en France une époque formidable et j’en
la peur du crocodile et la peur petit mètre. Et comme ça, des où mes enfants et mes rêve parfois. On avait tout
de laisser le filet de mon beau- centaines de fois. J’ai commencé petits enfants ont entendu pour être heureux. Maintenant,
père. Je me suis dit qu’il fallait le matin et je suis arrivé au l’histoire du crocodile. ce n’est plus le cas.
continuer à avoir le courage. J’ai village à la nuit tombée avec le C’est un moment très Ici, aujourd’hui, j’essaye d’aider
soulevé encore une fois jusqu’au crocodile. Tout le monde en a important qui m’a donné une mon voisin. Je lui donne ma veste
moment où j’ai vu la gueule du parlé. La nouvelle s’est propagée force terrible dans ma vie. s’il en a besoin. Je suis bénévole
crocodile sous l’eau. Imaginez- avec ardeur jusqu’à mon village. Jean-Pierre, 63 ans. sur le quartier. Bénévole, c’est
La Source des origines La Source des origines

C’est à moi que tu parles là ? Ça, c’est gravé dans ma mémoire


Je ne suis pas d’ici, je suis de l’autre côté Nous, les pieds-noirs, on a été très mal Quand j’étais à l’île de la Comme mes parents n’avaient au dos. On trouvait ça normal.
de la Méditerranée, de l’Algérie. accueillis en France. Pour les gens Réunion, je n’étais pas heureuse pas les moyens, ils nous Le peu d’argent qu’on gagnait,
Notre famille était là-bas depuis sept d’ici, on venait prendre les boulots, les du tout. On était pauvres. On donnaient à des gens pour on donnait à nos parents.
générations. Les premiers sont arrivés en appartements. On était très mal vus. était dix frères et sœurs et travailler, comme ça, nous, Ça nous empêchait pas d’aller
1880 je crois à Alger. Ils sont venus au temps Le premier jour de classe, quand j’ai voulu maman et papa en plus. On on en profitait pour manger. danser. Pour nous, c’était la
du début de la colonisation française. m’asseoir, j’ai entendu un gars derrière me dire : dormait au moins à quatre dans Il fallait travailler sans arrêt. belle vie ! On se plaignait pas de
Mes grands-parents qui avaient connu - Va t’en de là ! Sale pied-noir ! un lit. Quand quelqu’un avait J’avais que dix ans et on notre misère. On riait toujours.
leurs grands-parents racontaient comment Je me retourne et je lui dis : besoin de sortir pour aller aux nous disait, il faut faire ça et On avait le goût de vivre
c’était aux premiers temps. Il y avait - C’est à moi que tu parles là ? toilettes, il faisait descendre les ça pour dans une heure. même si on avait faim.
encore des lions et c’était sauvage. - Oui. Qu’est-ce que tu viens foutre ici ? autres pour pouvoir se lever. Même qu’on était malheureux,
Mon grand-père travaillait dans - Viens dans la cour avec moi et tu Tellement qu’on était pauvres, Je ne savais pas lire car on n’a on riait quand même. On
une usine de ferblanterie*. vas voir ce que je fous là. qu’on n’avait rien, juste une jamais été à l’école. Il n’y avait ne s’empêchait pas de vivre
On s’est bagarré et on s’est donné une volée tous bouchée de manger avant l’école que pour les riches. dans la joie. C’était la belle
Alger, c’est toute mon enfance. C’est la mer, les deux. Il me touchait trop fort. Je lui ai dis : le coucher et c’était tout. Le seul truc qu’on avait c’était vie même dans la misère.
c’est la plage, le soleil et la vie. On est parti - Pauvre con ! Moi, je ne voulais pas venir ici. Aujourd’hui, on a toutes le catéchisme à l’église. Je Aujourd’hui, ici, par rapport
en 1962, à la fin. J’avais quinze ans. Là-bas, Après, on est devenu les meilleurs amis du monde les aides mais avant, ça m’en rappelle bien parce qu’on à là-bas, je suis riche même
26. comme on dit, on marchait dans le sang. Il y avait
des attentats. Les bombes, les strungas qu’on
tous les deux. Il s’appelait Alain et il me disait :
- Toi au moins, tu es une vraie gonzesse.
n’existait pas pour les pauvres.
Aujourd’hui, en France, si tu es
n’avait qu’une robe pour deux.
On avait une robe pour moi
si j’ai pas grand chose.
27.
appelait ça, c’était des bombes qu’ils mettaient Mais c’est vrai que « sale pied-noir », pauvre, tu ne crèves pas de faim. et ma cousine, le jeudi, c’est J’ai rencontré mon mari qui
dans les cinémas ou dans la rue. Aujourd’hui pour l’entendre, on l’a entendu. Alors À l’époque, à la Réunion, on moi qui mettais la robe et elle faisait son service militaire
encore, quand je vais au cinéma, j’ai le réflexe qu’on était Français et qu’on avait était pauvre dans la misère sans restait chez elle et le dimanche, là-bas pour la France.
de regarder sous le siège s’il n’y a rien. dû fuir pour sauver nos vies. rien. On vivait dans une petite elle mettait la robe et je restais J’avais presque trente ans
Pour mes parents et grands-parents, l’Algérie, Joëlle, 66 ans. case en paille et par terre, c’était chez moi. Ça, c’est gravé dans mais je n’avais jamais voulu
c’était tout pour eux. On est parti. de la terre. Je me rappelle quand ma mémoire. Quand tu vois de personne. Comment
Au début, on est arrivé à Nîmes et il a j’avais dix ans, je cirais le sol en qu’aujourd’hui, les gens jettent faire pour trouver un mari
fallu tout recommencer pour eux ici. Le Futur terre et ça brillait ! On prenait des habits ! Nous on n’avait pas quand tu vis dans une petite
Le futur est lié à
On est arrivé en 1963 à Viry dans les une petite gamelle d’eau pour d’habits et on allait pieds nus. case en tôle, avec une seule
notre passé et si
immeubles tout neufs des Emmaüs. se laver. Pour les besoins, c’était pièce et le sol en terre ?
il y a une erreur
dans le passé, obligé d’aller dans les champs. À 18 ans, j’ai commencé à La France, on ne connaissait
Pour nous, les enfants, on était jeunes, on elle reviendra La viande, tout ça, même le riz, aller faire le travail comme pas les plaisirs de la France.
est reparti dans la vie mais mon grand- dans le futur. on ne savait pas ce que c’était. les hommes dans les champs Alors, quand j’ai accepté de
père s’est laissé mourir de chagrin. Bintou On mangeait que des patates et avec la pioche. De 6 heures du venir pour me marier, c’était
des conflans, c’est un légume matin jusqu’au soir, toute la dans l’idée d’être plus heureuse.
qu’on donnait aux cochons et journée, courbée, comme ça. Tu
nous, on mangeait que ça. comprends pourquoi tu as mal Annie, 73 ans.

*Manufacture d’objets en fer blanc.


La Source des origines La Source des origines

Vous avez une peau sale On se racontait ça entre nous


Je suis arrivée ici par la mission à l’école où je travaillais à Grigny. que c’était une erreur, une Je m’appelle Aïcha et je viens Le boulanger lui prête son âne. oiseaux dans les branches. Tous
culturelle en 1991. J’étais prof Un jour, j’arrive à 16h30 et je vois inattention de la maîtresse mais d’Alger en Algérie. C’est difficile Djeha revient et crie : les enfants font leurs dessins.
de langue au Maroc et il y a une un papa vraiment très en colère. que je comprenais sa colère. Mais de parler bien le français. Mes - Mon dieu ! Mon dieu ! ton âne a À la fin, le maître a tapé avec
convention entre la France et Et là, il me raconte ce qui était comment expliquer une telle trois enfants, eux, parlent déployé ses ailes et il s’est envolé. sa règle sur la table et il dit :
le Maroc pour que les enfants arrivé. Il y avait une maîtresse de inattention ? Ça ne se dit pas ! français bien et ils ont adopté - Comment ça se fait ? Un - C’est fini, je ramasse les dessins.
d’ici n’oublient pas leur culture CE2 qui parlait des couleurs en C’est une parole qui fait mal. la langue du pays d’accueil. âne ne peut pas s’envoler ! Tous les enfants ont dessiné les
d’origine et qu’ils respectent classe. Elle était arrivée à dire : Un enfant qui reçoit cette Ils ont deux langues. Mon but Djeha lui a répondu : arbres avec les oiseaux, sauf Djeha,
la culture de l’autre. Quand - Blanc comme…Noir comme… parole y croit. Cette petite fille à l’atelier linguistique c’est de - Pourquoi pas ? Si une il n’a dessiné que l’arbre mais il n’y
je connais bien ma culture, je Il arrive un moment où la fille a failli s’arracher la peau. mieux apprendre à parler pour dinde égorgée a pu voler, a pas d’oiseaux. Le maître lui dit :
respecte l’autre. On ne voulait de ce monsieur demande : pouvoir mieux communiquer pourquoi pas ton âne ? - Djeha, tu as oublié de
pas que les enfants nés ici - Nous, les arabes, on n’est Jusqu’à présent, je n’arrive avec les autres. Je veux prendre Il lui a rendu la monnaie faire les oiseaux.
soient déracinés complètement pas blanc mais on n’est pas à comprendre comment le temps d’apprendre. de sa pièce. Djeha répond :
sans qu’ils s’enferment dans pas noir non plus. et pourquoi ça a pu arriver. - Maître quand vous avez
une tradition, sans s’ouvrir à la La maîtresse lui a répondu Fatiha Chez nous, il y a les histoires C’est une autre histoire qui se tapé sur la table, tous les
richesse de la culture d’ici. devant toute la classe : de Djeha avec son âne. raconte sur ceux qui parlent oiseaux se sont envolés.
Ma mission était d’accompagner - Vous les arabes, vous C’est le titre de l’histoire : mal le français. C’est Djeha qui

28. les familles d’origine marocaine


pour apprendre l’arabe en plus
avez une peau sale.
La fille rentre chez elle et elle
Elle est où la dinde ?
Un jour, Djeha a amené sa dinde
arrive en France et on lui a dit :
- Comme tu ne sais pas
Une autre fois, le maître leur
dit de dessiner la mer avec un 29.
du français. J’étais entre l’école ne dit rien à ses parents. Mais à la boulangerie pour la mettre parler, quand on te pose une bateau. Ils ont tous dessiné la
et les familles. On a essayé que elle commençait à se savonner dans le four. La dinde a bien question tu dis : je sais pas. mer avec un bateau sauf Djeha,
la langue soit un outil de relation et à se frotter, sans arrêt, à se cuit, elle était appétissante. Le Il est avec un autre monsieur et il n’a pas dessiné la mer, il n’y a
entre le pays d’origine et la France frotter jusqu’au sang. Ses parents boulanger avait très faim. Il a il y a un mariage le matin. Le que le bateau. Le maître lui dit :
pour que ces jeunes ne se sentent s’en aperçoivent et lui disent : pris la dinde et il a goûté un petit monsieur demande à Djeha : - Pourquoi tu n’as pas
pas complètement étrangers - Qu’est-ce que tu fais à te peu. Puis il l’a mangée toute. - C’est qui celui qui se marie ? dessiné la mer ?
lorsqu’ils vont au Maroc. frotter comme ça ? Arrête, Djeha après son travail - Je sais pas. - J’ai eu peur que mon
Ça existe comme ça existe pour les tu commences à saigner ! vient chercher sa dinde. Le Le soir, il voit un enterrement et cahier soit mouillé.
enfants des Français qui vivent au - La maîtresse nous a dit que nous, boulanger lui répond : le monsieur demande à Djeha.
Maroc avec les écoles françaises. les arabes, on a une peau sale. - Ta dinde a déployé ses - C’est qui celui qu’on enterre ? C’était des blagues à l’école
On est intégré dans les écoles ici Ça tu ne peux pas l’oublier quand ailes et elle s’est envolée. - Je sais pas. entre copains à Alger. On se
et on travaille après l’école et tu entends ça ! Comment un - Comment une dinde égorgée - Le pauvre Jesaipas, il est marié racontait ça entre nous.
aussi le mercredi et le samedi. enseignant peut parler comme ça ? L’Esprit créateur et morte peut s’envoler ? ce matin et il est enterré ce soir. Aïcha
L’esprit créateur est celui qui nous
La directrice m’a demandé Le boulanger lui dit que
a crée et qui nous a dispersé dans
Il y a une anecdote qui m’a de parler à ce papa en colère c’est comme ça. C’est Djeha à l’école. Le maître
le ventre d’une mère. On a tous
vraiment marquée quand je suis qui a failli casser l’école. Je un esprit, une âme. C’est pour ça Après, plus tard, Djeha demande a dit aux enfants qu’ils doivent
arrivée du Maroc en 1991. C’était suis allée le voir pour lui dire que j’ai choisi l’esprit créateur. au boulanger de lui prêter son âne. dessiner un arbre avec des
Darolle
La Source des origines La Source des origines

Là-bas C’est par là


Je m’appelle Rahel et je Je suis vieux, je suis né C’était un ancien protectorat chassé les Portugais mais
viens d’Egypte. le 14 juillet 1927. portugais mais nous maintenant, il y a la
J’ai une photo ici, au dessus de Cela fait trois ans que je étions plus francophone colonisation des Angolais
la télé où on voit ma famille de suis à la RPA. Je ne peux que lusophone. contre le Cabinda.
là-bas, mon père, ma mère à plus beaucoup me déplacer Moi, je parle français car Je suis arrivé en France le 3
côté de l’église. Là-bas, il y a la seul. Ce sont les infirmières j’ai grandi au Congo belge mars 1991. Je suis venu en
mosquée mais il y a aussi l’église. qui viennent me voir tous puis j’ai fait mes études France car j’étais gravement
Rahel les jours pour me soigner et dans la partie française malade. J’avais des amis ici
on m’apporte à manger. du Congo. Il y avait une et on m’a aidé pour venir ici
Je ne sais si je peux vous forte influence française pour me faire soigner. J’avais
apporter quelque chose car avec les colonies d’Afrique un cancer. On m’a conseillé
je ne vois personne et je ne équatoriale française. de rester ici pour les soins
connais personne dans le Avant les colonies, c’était un car ce n’était pas possible
quartier. Je ne suis pas en grand royaume, le royaume chez moi. C’est la maladie
contact avec la population du Congo avec un roi qui qui m’a mis en France.
locale. D’ailleurs, la directrice commandait à des provinces. Il y a des moments où je ne

30. a même demandé à une


dame de venir me voir pour
Après, la France et la
Belgique ont donné
peux plus marcher. Ici, j’ai
des infirmières qui viennent 31.
me parler, sinon, je ne parle l’indépendance et les me voir trois fois par jour.
à personne et personne ne Portugais ont préféré créer Je suis enfermé par ma
me parle. Je suis seul. C’est un protectorat. Cela a été maladie. Je ne suis pas en
parce que je suis malade une énorme bêtise et ça a prison mais je ne sais pas ce
que je ne peux plus sortir. provoqué des luttes et des qui se passe dehors ou en bas
Avant, j’étais à Paris et problèmes entre les peuples. et je ne peux pas en parler.
encore avant, j’étais chez Le Cabinda est petit mais Nous échangeons ici, il y a un
moi, en Afrique, à Kinshasa. on y trouve énormément de courant de vie entre nous.
Là-bas, ce sont mes racines. richesses ; il y a du pétrole Nous sommes là et
La Parole Je suis originaire du Cabinda, sans compter l’or, le bois. nous parlons vraiment
J’ai choisi le symbole de la parole c’est un petit territoire entre On dit que c’est le Koweït de à cœur ouvert.
car si on est accusé à tort, si on ne le Congo Brazzaville et le l’Afrique. Il y a la richesse Tiago, 86 ans.
parle pas on peut aller en prison. Congo Kinshasa. Vous voyez et cela provoque des envies
Adel l’océan atlantique, vous voyez et des jalousies. Le Cabinda
Pointe Noire, vous voyez demande son indépendance
Banana à l’embouchure du mais les Angolais veulent
fleuve Congo, c’est par là. nos richesses. Nous avons
La Source des origines L’humain & la femme

Là-bas
Je connais des gens qui comme des étrangers, plus
sont là depuis plus de personne ne les connaît.
soixante ans. Ils sont venus Leurs enfants, ils ne les
d’Algérie pour travailler. ont jamais vus grandir, ils
Ils ont travaillé ici toute sont comme des étrangers
leur vie et avec l’argent, même pour leurs enfants.
ils ont fait construire une Puis, ils sont imprégnés
maison là-bas et ils ont de la vie d’ici. Ici, quand
laissé leurs femmes et leurs vous parlez, vous dites ce
enfants. Ils ont 80 ans et que vous pensez, là-bas, ce

Chapitre 3
plus, ce sont des Chibanis n’est pas le cas. Ici, on parle
comme on les appelle chez librement, là-bas, non.
nous. Aujourd’hui, ils sont Je connais des gars qui
toujours au foyer. Ils ne pourraient partir là-
32. savent toujours pas bien
parler français. Ils vivent
bas pour leur retraite.
Là-bas, avec ce qu’ils
dans neuf mètres carrés ; gagnent, ils seraient aisés
ils font leur cuisine, ils mais ils ne partent pas
font leur lessive. Ils font parce que la mentalité
La Source des Origines
J’ai choisi la source des origines car si on tout eux même alors qu’ils n’est pas la même.
ne sait pas où on va, on n’ira nul part. arrivent à peine à marcher. Taleb, 60 ans.
Sirine Ils restent ici pour les soins.
Ils vivent au foyer entre
eux et l’autre fois, l’un
d’eux qui est là depuis plus
de 70 ans m’a demandé
de venir pour traduire
pour l’assistante sociale. L’humain c’est nous. Nous ne devons pas faire la guerre nous
Là-bas, en Algérie, ils sont
sommes de la même espèce, il faut faire la paix.
Iannis
L’humain & la femme L’humain & la femme

C’est humain ! Je suis plutôt rebelle


Je suis catholique par mes parents et Quand on m’a dit que vous veniez Plein de choses que j’ai vécues m’ont appris
par moi-même. Quand je lis la bible, me voir, j’ai dit d’accord. J’ai pris beaucoup sur la vie et sur tout. Ce sont des
je cherche pourquoi on a tué Jésus. la patience de vous attendre et de aventures qui vous arrivent sans que vous vous
On disait qu’il était le fils de Dieu, vous observer. Si je n’avais pas pris y attendiez et c’est beau. C’est l’imprévu qui
on disait qu’il faisait des miracles ; il cette patience et si vous n’aviez est le mieux dans la vie. Comme partir sans
faisait des guérisons, il transformait pas cette patience, je n’aurais pas savoir où je vais aller, je l’ai fait plusieurs fois.
l’eau en vin et tout ça. Les gens ont pu savoir qui vous êtes et vous Il faut savoir faire face aux choses et ne pas se
été jaloux de son pouvoir, de l’amour n’auriez pas su qui je suis. dire qu’est-ce que je vais faire ? En attendant que
qu’on lui donnait. Il n’était pas riche Ce qui fait que dans le monde, quelqu’un vous aide. Il faut savoir se débrouiller
d’argent, il n’avait rien. Mais certains il y a tout le temps des troubles, et ne pas se laisser faire comme je l’ai fait quand
ont dit de lui qu’il était mauvais et on c’est ce manque de patience, j’ai quitté mon premier mari qui me maltraitait
l’a tué. Aujourd’hui, plus personne cette incompréhension qui naît avec mes 3 enfants. J’ai élevé seule mes enfants.
ne dit qu’il était mauvais. Il était en de notre impatience et qui nous Je me suis mariée avec un autre homme et je
avance sur son temps. C’est la jalousie fait dire une chose sans vraiment suis restée 6 ans avec lui mais ça n’a pas marché
qui l’a tué. C’est comme Lumumba au écouter, sans vraiment réfléchir. non plus et j’ai divorcé. A un moment, j’en ai

34. Congo, il était en avance sur son temps.


Il voulait l’indépendance de son pays
Chacun veut faire mieux que
l’autre, chacun veut avoir plus
eu marre de devoir faire à manger, de repasser,
de faire les courses avec lui quand il en avait
35.
et on l’a tué pour ça. Mais ceux qui que l’autre. Chacun se dispute et envie. Je ne suis pas une femme d’intérieure à
l’ont tué, ont-ils compris Lumumba ? dit du mal de l’autre mais aucun ne penser qu’à son mari. Je suis plutôt rebelle.
Non, car ils ne l’ont pas écouté n’écoute la parole de Dieu. L’Humain Je suis seule mais je suis libre. Je peux faire ce que
dans la compréhension. Quelle est la parole que Dieu J’ai pris ce symbole car il ne j’ai envie de faire. Si j’ai envie de partir quelque
nous a indiquée par Jésus, faut pas différencier les noirs part, je pars, je peux manger ce que j’ai envie.
Les hommes ne sont pas patients, qu’il nous a envoyée ? et les blancs car on est tous Je peux vivre comme je veux. Vivre ! Je vois des
ils veulent tout, tout de suite. C’est la vie qu’il faut servir, c’est le pareil. Les personnes qui gens avec leurs femmes ou leurs hommes qui sont
différencient ces deux couleurs
Ils n’écoutent pas la parole de travail pour la vie. Chacun travaille soumis à l’un ou à l’autre. Ils se retrouvent d’un
n’ont pas de cœur pur. Ce sont
Dieu, ils ne font pas l’effort de la pour l’argent, mais le bénéfice de votre coup à la retraite, nez à nez, ensemble alors qu’ils
des racistes et des idiots.
patience. La patience d’écouter et travail pour la vie, ce n’est pas l’argent, Nivéthiga ne l’ont jamais été. Quand vous vivez 24 heures sur
de comprendre, de travailler pour mais à votre mort que vous l’aurez. 24 avec quelqu’un, c’est rare que ça se passe bien.
pouvoir suivre le bon chemin, pour Tiago, 86 ans. Brigitte, 70 ans.
comprendre pourquoi on vit.
Plutôt que de parler tout de
suite, il faut d’abord observer,
toujours observer pour pouvoir
comprendre qui est l’autre.
L’humain & la femme L’humain & la femme

Avant, les femmes Oui ! Oui ! C’est possible. En tant que femme
ne votaient pas. Je me rappelle bien la période du Il n’y avait plus de viande, plus J’ai connu l’époque où il y a eu le droit de
Je me rappelle Front populaire. Mon beau-père rien. Heureusement, mon frère qui vote pour les femmes. Avant, ça n’existait
quand les femmes était un socialiste et il collait des était forgeron travaillait pour les pas. Il n’y avait pas de sécu, il n’y avait pas
ont pu voter la affiches pour le Front populaire. paysans. Il ferrait leurs chevaux la pilule, il n’y avait pas l’avortement, il n’y
première fois en Moi, j’étais encore jeune, j’avais et il réparait les outils. Comme avait pas de machines à laver, il n’y avait rien.
France après la 14 ans, mais je travaillais, j’étais ça, il arrivait à avoir des œufs, On était livré à nous mêmes et sans droit.
guerre. Avant, apprentie charcutière. Je ne rentrais du sucre, de la farine et du grain Les femmes étaient beaucoup plus restreintes
les femmes ne qu’une fois par semaine chez moi qu’on donnait à nos poules et à que les hommes depuis toujours.
votaient pas. et je gagnais 90 francs par mois. nos lapins. Mais sinon, il n’y avait Le droit de vote, c’est arrivé après
Huguette L, À la déclaration de guerre, j’avais rien. On n’a pas manqué beaucoup la guerre avec De Gaulle.
86 ans. 18 ans. À l’arrivée des Allemands, parce qu’on avait notre jardin. On On a eu cette liberté en tant que femme
je n’avais plus de travail. a manqué de choses comme le café, et depuis, j’ai toujours voté.
Je peux vous raconter un truc qui est le beurre, le fromage, la viande. Marie-Anne, 83 ans.
drôle. Il y avait les soldats allemands On a eu de la chance par rapport

36. qui occupaient des maisons qui


étaient vides dans le quartier. Un
jour, ils demandent à une amie à
aux Parisiens qui n’avaient rien.
Après la Libération, il y a eu la
joie de vivre et de repartir pour
37.
moi pour acheter de la lingerie pour faire un monde meilleur. Une mère est la meilleure chose au monde
leurs femmes. Ma copine leur a dit : J’ai vu tous ces changements Les enfants qui ont une mère sont
- Oui ! Oui ! C’est possible. de la vie. aimés comme des trésors La Femme qui protège l’enfant
À l’abri dans les bras de maman, Pour moi, j’ai toujours voulu être
Elle vient me trouver et elle me Après la guerre, les femmes ont eu
quelle abondance de bonheur enceinte car je trouve qu’avoir
raconte tout et elle me dit : le droit de vote. Avant, ça n’existait
Un enfant sans maman est comme un enfant dans le ventre c’est
- On va aller à la Samaritaine. pas pour les femmes. Maman n’avait magnifique. C’est magnifique
Pendant que je vais acheter jamais voté avant. Depuis, j’ai un brin d’herbe sauvage
de porter la vie en soi.
de la lingerie pas chère, toi, tu toujours voté mes idées. Ce qui m’a Loin des bras de maman, où
Shelly
vas prendre des étiquettes. le plus touchée en tant que femme, trouverais-je le bonheur
On a refait les étiquettes et on a c’est le moment où j’ai pu voter. Mais Une mère est la meilleure chose au monde
bien gagné notre vie sur ce coup là. pour moi, c’était un problème parce Les enfants qui ont leur mère ne
Eux qui nous prenaient tout, cette que je n’y connaissais pas grand s’en rendent pas compte
fois, c’est nous qui les avons eus. chose à la politique. Aujourd’hui, S’ils le réalisaient, ils souriraient même en dormant
On a subi et sur Paris, on a la télévision pour savoir mais En 1958, en Chine, tout le monde
on manquait de tout. Les avant, il n’y avait pas grand chose. chantait cette chanson.
Allemands prenaient tout. Les femmes ne savaient rien. Fon
On n’avait rien pendant la guerre. Irène, 92 ans.
L’humain & la femme L’humain & la femme

Je n’ai pas connu ma mère C’était un trésor pour moi


Les paroles de cette chanson me À treize ans, je suis parti avec mon vélo à Ma mère pendant la guerre est déportée et il nous a raconté
touchent beaucoup parce que moi, je la recherche de ma mère. On m’a indiqué partie en camp de concentration. qu’un jour, il a cru voir ma mère
suis un enfant qui n’a pas connu son où elle vivait. Je l’ai trouvée avec son Elle était déportée politique parce quand elle a débarqué du train
père et qui n’a pas connu sa mère. Mes mari et une petite fille qui était ma sœur. qu’elle était communiste. Elle en Allemagne pour être déportée.
origines sont africaines. Je suis né le jour Je suis resté deux semaines, le temps de était avec le colonel Fabien. Elle Mon père savait que ma mère
de Noël à Lékama, un village au centre faire connaissance et puis, je suis reparti. a été dénoncée. Quand elle a été était enceinte et il lui écrivait des
de la République Démocratique du Mais moi, je n’ai pas vécu mon enfance raflée, elle était enceinte de mon lettres et elle, elle lui répondait.
Congo. A 18 mois, mon père est mort. avec elle et je n’ai pas eu l’occasion de la frère. Elle a accouché à Fresnes. Tout ça, je l’ai su parce que j’ai
Et comme c’est la coutume dans certains connaître profondément et cette chanson L’enfant a été confié à quelqu’un lu les lettres. J’ai appris par une
pays d’Afrique, le petit frère de mon père dit bien qu’une mère, c’est quelqu’un par le médecin qui a accouché ma lettre que ma mère avait écrit
peut éventuellement prendre la place de de très précieux et d’irremplaçable. mère. Après, elle a été déportée à à mon père que toute petite, je
son défunt frère. Ma mère ne souhaitait Après, j’ai poursuivi ma vie, j’ai quitté Ravensbrück. Elle avait 24 ans. commençais à parler Allemand.
pas ça et elle est rentrée chez elle, dans mon territoire pour aller continuer mes Quand elle est revenue, elle était Ma mère est revenue en France
son village natal. Elle m’a laissé avec études au chef lieu puis à la capitale et Le Chemin toute amochée. Il paraît qu’on en 1950, j’avais 3 ans.
La vie est un chemin long ou aurait dit un lapin écorché. Mes parents ont cherché l’enfant
les familles des frères de mon papa. de là, en 1974, en Belgique. Puis, j’ai

38. 39.
court, on se marie, on a des Elle a retrouvé mon père et qu’elle avait eu quand elle
C’est une tante qui m’a élevé dans son travaillé de 1979 à 1984 en Belgique.
enfants. On apprend où on je suis née en 1947. Mais, ma était à Fresnes. Ils ont retrouvé
village à 70 kilomètres. Je n’ai pas revu Mais en 1984, la Belgique ne souhaitait vit, avoir des connaissances
ma maman avant l’âge de treize ans. Je plus prolonger mon titre de séjour disant mère était si faible que, quand mon frère cinq ans après.
par exemple. La terre, le je suis née, j’étais si maigre que Je vous jure que c’est vrai tout ça.
suis resté jusqu’en 1963 là-bas. Cette qu’il fallait que je retourne au Congo feu, l’eau, notre prénom. On
année là, il y a eu un déclenchement pour le développement de mon pays. les médecins pensaient que je Toutes ces lettres étaient dans
devient sage, on vieillit.
d’une guerre tribale. Des gens qui Nous sommes beaucoup dans ma n’allais pas survivre. Ma mère une petite valise en carton qui
Dès qu’on est jeune on a deux
parlaient la même langue que nous nous situation et nous disons, il vaut chemins ; le bon et le mauvais. était encore plus faible, elle était chez moi. Il y avait dedans
ont dit de rentrer chez nous. J’ai dit : mieux être pauvre, ici, que pauvre Le mauvais : on peut voler, avoir n’arrivait pas à se remettre. Elle les lettres de mon père et de
- Chez nous, c’est où ? chez nous. Le peu que l’on gagnerait de mauvaises fréquentations était très faible alors, elle est ma mère, et aussi les photos
J’avais douze ans passés dans ce chez nous n’équivaut pas au peu et faire de mauvais trucs. partie en convalescence chez sa de mon père et de ma mère
village et je n’avais d’autre chez nous. que l’on gagnerait en France. Mais si on prend le bon chemin, sœur qui était mariée avec un et de mon frère et de moi.
on peut dire la vérité. Se marier, Allemand qui n’était pas un nazi. Cette valise quand mes filles ont
Pour moi, j’étais comme eux. Nous J’ai pu obtenir un visa pour la
avoir des enfants, avoir un bon Le comble, c’est que sa sœur était vidé la maison a été jetée. C’est
avons été chassés. Avec nos petits France. Je suis arrivé en France en
métier et vivre mieux. Alors en Allemagne à Baden Baden. au moment où j’étais à l’hôpital
bagages, nous sommes partis sur 1985 et je suis resté. En France, je que d’autres meurent avant
un autre territoire à 250 kilomètres suis devenu papa de cinq enfants. Elle écrivait des lettres à mon avant de venir à la RPA.
de savoir marcher, d’autres père qui était resté en France. Cette valise, c’était un
de là. Nous sommes arrivés chez Aujourd’hui, je suis grand- tuent des personnes, pour
nous que je ne connaissais pas. père de deux petits enfants. Mon père, lui pendant la guerre, trésor pour moi et j’ai du
répandre aux autres leur rage.
Ma mère de son côté après Jean Pierre, 63 ans. était en Allemagne au STO. Il mal à m’en remettre.
Ayoub
quelques années s’était remariée ne savait pas que ma mère était Nadine, 69 ans.
à un autre homme.
L’humain & la femme L’humain & la femme

Après, j’ai rencontré ça. C’était le bonheur, on avait marier, qu’ils étudient bien venu à côté de ma tête. Ce chat
quelqu’un à la poste où je tous les légumes à la maison, la question. Parce que je vois quand je l’ai eu, il avait 2 mois.
travaillais et j’ai quitté mon les salades, les carottes, les comment je me suis fait avoir. Ma fille l’avait trouvé près d’un
mari. poireaux. Mon mari a travaillé bois abandonné et mon mari
Avec mon nouveau mari, à comme ça jusqu’à la retraite. Mais il y a 5 ans, mon mari s’en occupait beaucoup. Et le
partir de lui, j’ai connu le Mon mari est mort l’année avait fait un AVC et on a été chat depuis la mort de mon
bonheur, j’ai commencé ma dernière, il avait 91 ans. On a obligé de le mettre dans une mari, il vient dormir tout près
vraie vie. J’ai eu une fille avec été le voir hier avec ma fille. maison spécialisée à Morsang. de ma tête.
lui en 1969 et je lui ai donné On a demandé pour faire une Pour aller le voir, deux fois Des fois, je pleure mais après
le prénom de Manuela. C’était nouvelle plaque avec son nom. par semaine, je prenais le taxi. les pleurs, je ris. Même quand
le prénom de ma première Mais vous savez combien ils Ce n’est pas loin mais le taxi j’étais malheureuse comme une
fille qui était morte avant demandent ? Ils demandent 9 demande 30 euros et je n’avais pierre, j’ai toujours réussi à La Vérité
l’accouchement mais c’était euros pour une lettre. Il y en a pas assez avec les deux carnets rigoler. Danser, chanter, rigoler, On a besoin de la vérité
pour mon mari qui s’appelait 13 avec son nom et son prénom, de chèques taxi que nous donne c’est ça qui fait vivre. pour vivre et pour se
Manuel. Il était maçon. Il avait plus sa date de naissance 1924 la mairie. Heureusement, Mireille, 86 ans. sentir bien car des fois
acheté une mobylette et tous - 2015, ça fait 8 x 9. Il y en a certains m’en donnaient un peu ça mène à la séparation.

40. 41.
les matins, il partait sur les pour plus de 200 euros. Vous des leurs. J’ai une petite retraite Lisa
chantiers. Le soir, il revenait vous rendez compte ! Mais de 790 euros par mois. Quand
sur sa mobylette par tous les on va le faire quand même et vous avez payé le loyer de 414
temps et parfois très tard. Il en plus, je voudrais mettre sa euros, il ne reste plus grand
en avait un peu marre. Il avait photo sur la plaque. À 91 ans, chose. Depuis que mon mari est
déjà 45 ans. Puis après, on il n’avait pas un cheveu blanc. décédé, j’ai un peu plus, mais
lui a proposé de travailler à Il mesurait 1m72, ce n’est pas pas beaucoup.
la Grande Borne pour sortir bien grand mais par rapport à
les poubelles et faire ce qu’il moi qui fais 1m44, c’était un C’est ma vie. Quand je vois
y avait à faire. Il a accepté. géant. J’ai connu le bonheur des vedettes qui écrivent des
Tous les jours, il se levait à 4 avec lui. Je l’aimais. bouquins pour pas grand chose.
heures et demi pour sortir les Des fois, je repense à tout ça,
poubelles et nettoyé les cages J’ai eu une vie pas très facile un peu trop. Alors, je préfère
Le Pardon
d’escaliers. Il avait une pause mais j’ai toujours eu un descendre et parler un petit
Le pardon est une chance
de 10 heures jusqu’à 14 heures tempérament gai et ça m’a aidé peu avec les autres et quand je car il y a des gens qui se
alors il en profitait pour aller à supporter tous les moments remonte, heureusement que j’ai reparlent grâce à lui. Le
jardiner sur un terrain qu’on de malheur. Ce que je peux mon chat. pardon est une chance.
nous avait prêté. Il faisait dire aux jeunes, c’est qu’ils Quand mon mari est décédé, Hatouenody
pousser ses légumes comme réfléchissent bien avant de se l’année dernière, mon chat est
Vous savez ce qu’il vous reste à faire ?
Ma vie est un livre. J’ai la mémoire de tout ce que faut croire que pour moi, ça n’a pas marché, je ne
j’ai vécu. mesure qu’un mère quarante quatre.
Je suis née à Paris en 1930. Ma maman avait 18 À l’époque, les filles étaient élevées pour se marier
ans et elle a été au bal. Là, elle a été séduite par mais elles ne savaient rien des hommes. Moi, j’étais
un garçon. Il est arrivé ce qui devait arrivé et ma toujours avec ma grand-mère, je n‘avais pas le droit
maman s’est retrouvée enceinte. Ma grand-mère du tout de sortir même à 20 ans. J’étais ignorante
a dit à l’homme qui l’avait séduite : de beaucoup de choses de la vie.
- Vous savez ce qu’il vous reste à faire ? Mon grand-père était malade et j’allais le voir le
En ce temps là, c’était comme ça, quand un homme lundi, le jour où je ne travaillais pas à l’hôpital
mettait une femme enceinte, il devait l’épouser d’Orsay, où j’ai rencontré mon premier mari qui
mais celui là, non, il est parti. Quand je suis née, était d’origine Polonaise. Il était très gentil. Il me
on a proposé à ma mère d’abandonner l’enfant à disait :
l’assistance publique mais elle a dit : - Je me marierai avec toi.
- Non ! Non ! Je me suis mariée à 22 ans. J’étais encore pure.
Elle m’a gardée avec elle. Mais ma maman est Je n’avais jamais connu d’homme. Ça a été la
42. tombée gravement malade et elle est morte à 21 ans.
On ne peut pas dire que je l’ai connue. Je n’avais
première grande déception de ma vie. Je n’ai pas
eu de chance moi.
43.
plus ni père, ni mère. Mon grand-père n’a jamais Il voulait tout le temps même si moi je ne voulais
voulu pardonner à ma mère cette honte mais il pas. Si je disais non, c’était des coups sur la figure.
est mort 3 mois après. Il a quand même accepté Je me suis dis :
que je prenne son nom. Et ma grand-mère à 39 - C’est ça le mariage !
ans, s’est retrouvée seule avec moi et ses autres J’ai eu 7 enfants en 12 ans. Si je ne voulais pas, il
enfants. C’est elle qui a eu le courage de m’élever me tapait, il me forçait. Il faut le dire, il faut être
toute seule en plus de ses enfants. Mes oncles et honnête. En plus en ce temps là, on n’avait pas
mes tantes, c’était mes frères et sœurs pour moi. la pilule. En plus, il ne travaillait pas et j’étais
Ma grand-mère, je l’appelais maman. obligée de ramener de l’argent à la maison. C’est La vie
La Vie est une âme qui naît jusqu’à la mort
Ma grand-mère nous a élevés avec le peu qu’elle la vérité de ce que j’ai vécu.
et qui peut renaître par un autre dans le
gagnait. On n’avait pas d’aide à l’époque et on Mireille, 86 ans.
ventre d’une mère. Tu peux dire la vie est un
ne mangeait pas de la viande tous le jours. Bien phénomène.
souvent, on ne mangeait que de la soupe ; soupe de Darolle
poireaux, soupe de pommes de terre, de la soupe
tous les jours. Il paraît que la soupe ça fait grandir,
L’humain & la femme L’humain & la femme

La Parole
Nous, on croyait à ça
J’ai choisi la
J’ai toujours travaillé trop parler avec les garçons.
parole car la
dans l’espoir de vivre. À la Réunion, avant, si parole nous
Moi, je viens de l’île de la une fille couchait avec un sert à dire aux
Réunion. Je suis arrivée ici homme sans être mariée et personnes qu’on
en 1969 pour me marier. Là- que ça se savait, c’était le aime qu’on les
bas, je vivais dans la misère déshonneur, elle trompait aime et que
Tu veux me tuer ?
et je suis venue en France ses parents. On lui rasait sans elles on ne
Mon grand-père m’avait raconté qu’en
dans le but d’être plus la tête et on l’enfermait peut rien faire
Sirine 1914, une nuit, il montait la garde et
heureuse avec mon mari. dans le noir. C’était la
il s’était retrouvé dans un bois face à
honte pour la famille.
un Allemand. Mon père avait son fusil
À la Réunion, quand on La fille devait être vierge au
et il l’a pointé sur le soldat Allemand.
était jeune, on nous faisait mariage et les parents, ils
L’Allemand lui avait demandé :
croire que les garçons venaient voir le lit lendemain
- Tu veux me tuer ?
arrivaient par avion ou dans de la nuit de noces.
Mon père lui a répondu :
les choux et que les petites Nos parents ne disaient
44. filles par les roses. Nous,
on croyait à ça. Moi, à 18
rien devant nous et on
ne connaissait rien des
- Non, tu m’as rien fait.
Alors, il a baissé son fusil et ils
se sont serrés la main et chacun
45.
ans, je croyais encore que choses de la vie.
est reparti de son côté. Il n’en
ça marchait comme ça. À tel point, c’est que quand
a jamais parlé à personne.
C’était vraiment une je me suis mariée, je ne
Mon grand-père nous a souvent raconté
catastrophe. Quand on allait savais pas par où l’enfant
cette histoire. Puis, il a été gravement
danser, c’était avec nos venait, si c’est par devant ou
blessé sur le champ de bataille. Il a eu
mères et elles nous disaient : par derrière. J’avais presque
L’homme était roi le genou arraché par un obus. Ce sont
- Si un garçon vient te voir, trente ans et je ne savais pas.
La femme autrefois dans les Allemands qui l’ont trouvé dans
dis-lui de venir voir ta mère. On savait rien parce que
les pays de la Méditerranée la boue, agonisant et ce sont eux qui
Ta mère était partout il n’y avait personne
n’avait pas le choix, elle lui ont sauvé la vie et qui l’ont soigné.
derrière toi à te surveiller. pour nous expliquer. La Maîtrise
devait accepter l’homme En ce temps là, on ne remettait pas
Comment veux tu savoir Nous, on était trop serrés J’ai choisi le symbole de la maîtrise
que sa famille choisissait les genoux comme aujourd’hui. Alors,
quelque chose avec ça ? mais maintenant, c’est peut car c’est un grand avantage de
pour elle. Il n’y avait pas mon grand-père Georges avait une
Même à la messe, t’avais pas être un peu trop ouvert. savoir se maîtriser, c’est ce qui peut
de liberté pour la femme jambe raide et il boitait tout le temps.
le droit d’y aller toute seule, Aujourd’hui, c’est fini, m’emmener dans la bonne voie
avant. L’homme était roi. Ce sont des choses qu’on
et accomplir de grand succès.
une mère y était derrière toi. là-bas, c’est comme ici. Fatiha
Rayan ne peut pas oublier.
Tu n’avais pas le droit de Annie, 73 ans.
Mireille, 86 ans.
L’humain & la femme L’humain & la femme
On était des oies blanches
Autrefois, les parents avaient elle voulait toujours me faire croire n’importe quoi aux enfants et c’est
beaucoup plus de pouvoir sur les que les enfants naissaient dans les tant mieux. Avec mes enfants,
On est venu pour le travail enfants. Les parents décidaient de roses et dans le choux. On était je leur ai laissé faire les choses
Je suis arrivée en 1958. Mon père était venu J’ai travaillé 42 ans sur les chantiers dans le tout pour nous. On n’avait pas de des oies blanches avant. Pourtant, par eux même et je ne les ai pas
avant pour faire la demande des papiers. bâtiment et les travaux publics. On travaillait choix comme aujourd’hui. On ne je voyais comment faisaient les maintenus dans l’ignorance.
Après, on est tous venus d’Italie avec mes un peu partout en région parisienne et choisissait pas, c’est nos parents animaux, à la campagne, on voit On n’empêche jamais rien et
frères, mes sœurs et ma mère. On vivait en en France. On allait jusqu’en Alsace. Il y qui décidaient de tout. On n’avait tout, puis les autres en parlaient il arrive ce qui doit arriver.
Sicile à Catagna. On est venu pour le travail. avait beaucoup d’Italiens et d’Espagnols pas le droit de sortir. On n’avait parfois et on sait autrement. On Pour moi, c’est ça la
Au départ, on a fait les papiers sur les chantiers. On a vécu tout de suite très peu de liberté et surtout les n’avait pas le droit de fauter avant libération de la femme avant
pour la carte de séjour. à Viry-Chatillon dans un petit pavillon. femmes. Puis, autrefois, les parents le mariage. Quand mon futur tout, de ne plus faire croire
J’avais 14 ans et j’ai tout de suite On a travaillé dur pour gagner sa vie. avaient la main dure, on se prenait mari venait à la maison pour n’importe quoi sur la vie.
commencé à travailler sur les chantiers. Aujourd’hui, on continue à vivre ici. des raclées à la moindre faute. sortir avec moi, on n’était pas Tout ça, c’est comme un petit
J’avais été un peu à l’école en Sicile mais Michel, 72 ans. À l’école, pas le droit d’écrire de la libre de sortir tous les deux seuls, livre sur l’histoire de ma vie.
pas en France. Pour apprendre à parler le main gauche, c’était complètement ma mère nous accompagnait. On Jacqueline, 85 ans.
français, j’enregistrais avec les oreilles ce que défendu, on disait que c’était ne connaissait rien de la vie. On
disaient les Français sur les chantiers et comme la main du diable. Alors, on ne savait rien sur ce qui se passe
m’attachait la main gauche dans entre l’homme et la femme.
46. 47.
ça, j’ai appris un peu. J’apprenais aussi en
faisant les courses et en lisant les produits. le dos à table, à l’école pour Je me suis mariée à 21 ans.
Je vivais ici et pour me marier, j’ai été là-bas en que j’écrive de la main droite. Ce n’est qu’après que j’ai pu
Sicile. C’est quand je suis descendu avec mes Et si je me servais de la main avoir ma liberté et faire ce que
parents que j’ai demandé à ma grand-mère si droite à la maison, je recevais j’avais envie de faire dans ma vie
elle connaissait quelqu’un de sérieux pour moi un coup de badine sur les comme le chant et le théâtre.
dans la famille. Elle connaissait une famille où mollets et mon père disait : Aujourd’hui, les enfants
il y avait quatre filles et j’en ai demandé une en - Ça fait circuler le sang ! connaissent tout et vous ne leur
mariage. J’ai été dans la maison de la famille J’avais des traces rouges sur les apprenez rien, ce sont même eux
de ma femme. J’étais assis d’un coté de la table mollets. À l’école, le maître avait qui vous apprennent des choses
et de l’autre, il y avait ses parents. C’était pour une règle et c’était des coups sur la vie. Il y a la liberté de savoir
demander la main de leur fille. Cette fille, je de trique sur les doigts. Mais et c’est quand même mieux de ne
ne la connaissais pas avant. C’était comme ça l’école, c’était quand même pour plus être innocent jusqu’au jour
avant, en Italie, ça passait par la famille qui moi comme une évasion. Ça me de son mariage, c’est mieux de
décidait avec qui la fille pouvait se marier. permettait de sortir de ma maison connaître les choses de la vie.
On s’est marié en Sicile. Je l’ai ramené et d’échapper à ma mère qui Cette liberté qu’ont les jeunes
Le Pardon
en France avec moi. On a eu deux Le Couple contrôlait tout ce que je faisais. aujourd’hui, c’est quand même
Il faut pardonner ou
enfants ; un garçon et une fille. J’ai pris ce symbole car un couple est fort. À la maison, ma mère me traitait mieux, même si trop de libertés,
sinon on reste seul.
Fiona toujours comme une petite fille ce n’est pas trop bon non plus. Sylvestre
même quand j’avais 17 ou 18 ans, Aujourd’hui, on ne fait plus croire
L’humain & la femme Le Chemin, le futur, le pardon
Maintenant, c’est ton tour
Mes parents ont eu une vie avec des épreuves fortes.
Mon père est un ancien guerriero Républicain de la
Guerre d’Espagne. Il est arrivé à ce moment là en
France pour fuir la dictature et Franco. Là-bas, il
était condamné à mort. Il n’y est jamais retourné.
Ma mère a été déportée en tant que communiste
à Ravensbrück pendant la guerre et mon père
avait fui la dictature en Espagne. Mais ils nous
ont toujours appris à voir la vie légère.
Ma mère nous a toujours dit que c’était
leur passé et qu’il ne fallait pas que nous,
on l’endosse. Il fallait qu’on avance.

Chapitre 4
Ce sont des gens qui ont toujours voulu un
monde meilleur pour leurs enfants et qui
se sont battus pour. Mes parents nous ont L’Humain
toujours appris à ne jamais vivre à genoux, à J’ai choisi l’humain car si il n’y
48. ne pas avoir peur, à ne pas vivre fermés. avait pas d’humain, qui nous
enseignerait, qui fabriquerait
49.
En 1968, c’était ma première grève, je sortais de nouvelles choses ?
juste de l’école. J’avais juste vingt ans. J’ai l’image En plus si il n’y a pas d’humain,
il n’y a pas de gens, et si il n’y
de ma mère, dans une manifestation sur la
a pas de gens, il n’y a pas de
Nationale 7 avec sa blouse blanche d’infirmière.
parents, et si il n’y a pas de
Elle descendait et moi, je montais. On s’est parents, il n’y a pas d’enfants,
croisées. Elle m’a fait un signe et elle m’a dit : et si il n’y a pas d’enfants, il
Maintenant, c’est ton tour. n’y a pas d’amis. Je serais seul.
C’est pour ça que j’ai choisi
Cette image, je l’ai gardée à l’intérieur de moi, l’humain, c’est pour avoir
et quand ma mère est décédée, je l’ai revue. des amis. Si je n’avais pas
Maman était infirmière et dès qu’il y avait d’amis, je me sentirais seul.
des soins à faire pour les gens, maman allait Jack Le Chemin
rendre service et elle soignait tous ceux qui
en avaient besoin dans le quartier. Je l’ai choisi car on a besoin d’un chemin, du bon chemin.
Elle a continué à rendre service aux
gens jusqu’au bout de sa vie.
Maguy
Marie France, 66 ans.
Le Chemin, le futur, le pardon Le Chemin, le futur, le pardon

C’était un chemin joyeux, un chemin de liberté


La Vérité
J’ai fait toute ma scolarité à de l’autre. C’était un chemin à nous mais on ne se parlait
J’ai pris ce symbole car il m’est très
Viry. J’ai été à l’école maternelle joyeux, un chemin de liberté. pas beaucoup entre garçons
important dans la vie. Il est dur à
avenue du Plateau. C’était une Je me souviens aussi du froid, et filles. Il y avait une amitié
attraper alors quand on l’a, il ne
toute petite école. Après, j’ai de la pluie, de la neige. fraternelle entre nous tous.
faut pas le lâcher. Avant, j’étais une
été à l’école en bas. On partait Après, la ville a grandi et on a
menteuse et j’ai perdu la confiance
à pied du Plateau par la route À l’époque, nous, les filles, nous eu des cars de la mairie pour
de personnes que j’aime. Et depuis,
de Fleury là où il y a la Grande n’avions pas le droit de mettre des nous conduire à l’école.
je me suis faite une promesse :
Borne aujourd’hui. Ce n’était pantalons alors, pour se protéger,
j’essaierai d’être sincère à chaque
que des champs. Il n’y avait pas on avait le droit de passer une Tout ça, toute cette vie, on n’en
fois que j’en aurai l’occasion.
de bus et il fallait bien marcher sorte de survêtement très laid sur a jamais parlé. De toute cette
La vérité est très importante, ne
deux ou trois kilomètres. nos affaires. Arrivées en bas, il mosaïque de gens qui vivaient là,
l’oubliez jamais, n’ayez pas peur de

50. la faire ressortir et après tout ça ne


coûte rien d’oser être sincère. Une
Tous les enfants du Plateau,
on partait tous ensemble et on
descendait en bande. On était
fallait l’enlever et se remettre en
jupes. Je me souviens aussi quand
il y avait la neige, des cartables en
on a parlé des lieux mais on n’a
jamais parlé de la vie des gens.
Aujourd’hui, on ne se parle
51.
faute avouée est une faute à moitié
bien une vingtaine de gamins, cuir sous les fesses pour descendre plus et il faut pouvoir parler
pardonnée.
garçons et filles. On était tous la côte et faire des glissades. de tout ça, il faut pouvoir
Grâce
d’origine étrangère et on était tous échanger, partager tout ça.
mélangés ; les enfants d’Italiens, Quand on sortait de l’école, Il faut que les nouveaux
d’Espagnols, d’Algériens, de les garçons nous attendaient et arrivés apprennent tout ça.
Polonais, les petits des manouches. on repartait tous ensemble. Marie-France, 66 ans.
Les garçons faisaient attention Il n’y avait pas de mamans.
aux filles. On arrivait tous Les grands surveillaient les
ensemble et après, on se séparait petits. Les garçons étaient nos
; les garçons d’un côté et les filles protecteurs. Ils faisaient attention
Le Chemin, le futur, le pardon Le Chemin, le futur, le pardon
C’est important le passé
Ça fait 6 ans que je suis à la On se parle mais pas trop. C’est Heureusement, j’ai mes chats. Je
RPA. Ici, on s’ennuie beaucoup. la télé qui parle pour nous. C’est n’en ai plus que 2. J’en ai eu 20
On est entre vieilles dames, on la télé qui parle, c’est pas nous, en tout et jusqu’à 8 en même
ne peut plus travailler, ni faire et on l’écoute. Avant, chacun temps. Les chats, ça s’habitue
grand chose. On reste dans notre racontait sa petite vie, ses petites bien à vous, c’est pas comme
chambre, on regarde la télé, histoires mais c’est fini tout ça. les chiens ; les chiens c’est
on sort un peu mais, après, on Il y en a qui bavarde mais ça plus fou, c’est plus embêtant.
retourne dans notre chambre. n’est pas pareil. On est plus avec Depuis toute petite, j’ai eu des
Même si on lit, même si on écrit, la télé. Ça prend au moins la chats. C’est une compagnie
on s’ennuie. Il y a la télé, il y moitié du temps, la télé et même d’avoir des chats. Je leur parle
a la lecture, il y a les photos. plus que moins. Je fais comme et ils me comprennent. Ils
J’aime beaucoup les photos. tout le monde, je regarde la télé nous connaissent bien. C’est
Je regarde des photos qu’on et je me balade dans la télé. important. Ils ne nous quittent
avait faites à l’île de la Réunion pas. Ils restent là avec nous. Ils
et je voyage, je repense aux On est toutes un peu isolées, n’ont pas le droit d’aller dehors,
souvenirs. Je repense beaucoup chacune chez soi. On n’a plus je les empêche d’aller dehors.

52. au passé. C’est important le


passé. Ça reste dans un petit
coin de notre tête, comme un
nos enfants comme quand ils
étaient petits, on ne va plus
les chercher à l’école. Ils ont
Ils ne sortent pas d’ici et ils sont
habitués. Je suis prisonnière de
mes chats. Ils sont vieux et ils
53.
film qu’on revoit. L’avenir, on leurs vies, ils ont leur travail, dorment beaucoup. Je suis un
ne sait pas s’il y en aura tandis leurs soucis, ils n’ont plus le peu solitaire comme eux, on
que le passé, il est toujours là. temps de trop s’occuper des a un peu le même caractère,
Ici, on est toutes enfermées vieux, les jeunes. Ils n’ont pas un petit peu sauvage. Je suis
avec notre passé. le temps de trop venir nous comme mes chats et on s’entend
voir. On ne les intéresse pas. bien. Une bête sent quand on
Sinon, on est toutes là et l’aime. On est bien, attaché à ses
on attend. On attend. Je En même temps, ici, on est bêtes, mais elles vivent moins
ne sais pas ce qu’on attend indépendantes et on peut faire longtemps que nous et quand
d’ailleurs. On vieillit. ce qu’on veut quand on veut. on les perd, on a beaucoup
Puis, beaucoup de personnes On n’est pas obligé de manger de chagrin. C’est un peu un
changent, soit par maladie, soit toutes ensembles, on peut morceau de notre vie qui s’en va. La sagesse :
par autre chose, les gens ne sortir, faire ses courses, se faire Janine, 78 ans. La sagesse une intelligence des plus
restent pas et on ne se connaît à manger, ça occupe le temps vieux.
pas très longtemps. On se et c’est bien. On change, tout Ayoub
connaît un peu mais pas trop. doucement, mais on change.
Le Chemin, le futur, le pardon Le Chemin, le futur, le pardon

Dans ce monde là Il faut tout faire pour l’éviter


Je me demande ce que Je ne suis pas jeune. Je suis née en 1930. pris deux frères et un mari, et je ne
les jeunes pensent de leur Ça fait deux ans que je suis à la RPA. Je souhaite pas en voir une troisième.
avenir dans ce monde là. ne suis pas d’ici, je suis de Troyes mais Il faut tout faire pour l’éviter, on peut
Brigitte, 70 ans. ce sont mes enfants qui m’ont fait venir tout perdre dans la guerre. Mon souhait
pour que je sois proche de chez eux. c’est que toutes les religions se réunissent
C’est dur de tout laisser, son chez soi et qu’il y ait une entente entre tous.
Ce que nous mais, c’est la vie. On n’y peut rien. Je Il faut réussir à se réconcilier. Il faut
cherchons à faire n’ai plus le droit de conduire et ça c’est pouvoir être libre par rapport aux
Ce que nous cherchons à dur alors, on attend. Mon fils me dit : religions. Je le dis à mes petits enfants :
faire actuellement, c’est vivre maman, travaille ta mémoire. Faites attention ! Faites attention !
ensemble sans distinction Alors, on repense à ses souvenirs. Aujourd’hui, on a besoin de paroles de
de races, vivre ensemble La mémoire, ça conserve l’esprit, calme, des paroles de silence, de paix !
pour les bonnes choses les choses qu’on a vécues. Huguette L, 86 ans.
socialement pour que cet La vie nous donne des leçons. C’est
avenir que nous souhaitons une vie qui n’est pas rose à cause de ça

54. 55.
bon pour tout le monde et ce moment très dur, mes enfants ne
puisse l’être réellement. veulent surtout pas en parler. Pourtant
Ces rencontres autour des c’est leur histoire, il faut que ce soit
Le futur
Le Chemin : origines nous permettent transmis à leurs petits enfants.
Le futur est une chose qui
Le chemin c’est l’avenir de notre future vie, dans de nous épanouir
vient après moi. Avant, je
la vie il y a le bon chemin et le mauvais chemin. personnellement, de nous Aujourd’hui, quand je vois les guerres
pensais que j’allais avoir un
Exaucée enrichir mutuellement à la télé, je n’aime pas trop regarder, ça
bon avenir mais je ne faisais
pour évoluer ensemble le me rappelle trop de mauvais souvenirs.
rien pour et, un jour, je me
plus loin possible. Dès que je vois, je change de chaîne,
suis dit que, si je travaillais
Jean-Pierre, 66 ans. ou j’éteins. Je ne veux pas, je ne peux
j’aurais un meilleur avenir.
pas. C’est triste et ça me fait mal.
Voilà pourquoi c’est
Des fois je me dis que si ça continue,
important pour moi.
je vais connaître une troisième guerre
Iannis
parce que j’ai connu la Seconde
Guerre mondiale, la Guerre d’Algérie
et celle-là qui se prépare. Il n’y a
pas de bonne guerre et j’espère ne
jamais revoir tout ça. La guerre m’a
Le Chemin, le futur, le pardon Le Chemin, le futur, le pardon

Tu viens prendre un café ?


Je suis née en 1948 et nous Tout le monde se connaissait ma scolarité même ailleurs.
sommes arrivés à Viry en 1951. et quand tu passais dans J’ai attrapé mes affaires Le Pardon
On habitait 60, avenue des la rue, les portes étaient et je suis partie, ce qui ne J’ai pris ce symbole
Érables. Toute notre famille ouvertes et il y avait toujours se faisait surtout pas. pour qu’on me
habitait tout près mais sur quelqu’un pour te dire : Je ne suis jamais revenue pardonne.
Morsang. C’était tous des Tu viens prendre un café ? dans ce collège. Fiona
réfugiés espagnols qui s’étaient Nous, les enfants du Plateau, Je suis partie en lycée
retrouvés en France. on était tous mélangés ; les professionnel. C’était l’ouverture
C’était des petites maisons enfants d’Italiens, d’Espagnols, du CET de Savigny. Là, j’ai
que les gens s’étaient d’Algériens, de Polonais, pu continuer mes études. La
construites eux-mêmes. Il y les petits des manouches. meilleure revanche que j’ai
avait encore des cabanes en Quand on arrivait en bas, eue, c’est qu’une fois adulte,
bois avec le toit en tôle. pour aller à l’école, c’était je suis retournée dans ce
C’est mon père qui avait fait une autre vie. On était un collège pour témoigner de
notre maison de ses mains. peu mis à l’écart. On nous mon parcours professionnel.
On avait un petit jardin potager a sabrés scolairement. C’est un message que je veux
56. et on avait aussi des bêtes
comme les poules et les lapins.
Ce sont des choses qui nous
ont blessés quand on était
transmettre aux jeunes :
Il ne faut jamais baisser les
57.
Il y avait aussi des manouches enfant quand on nous disait : bras, ni la tête surtout. Il ne
qui vivaient sur le Plateau dans Vous les Ritals ! les faut pas perdre espoir, on
des caravanes sur des terrains. Espingouins ! Les Polacks ! peut toujours s’en sortir.
Le mercredi soir, une fois Ça nous blessait. En chacun de nous, il y
par mois, tous les Espagnols Un professeur, au collège, a quelque chose et il faut
se retrouvaient au cinéma un jour m’a dit : avancer avec ce qu’on a et
du Parc. Nous, les enfants, Je ne te présenterai pas il faut le faire fructifier.
on y allait avec nos parents. au brevet. En tant que Nous, on n’avait pas la richesse
Ce cinéma c’était un lieu de fille d’étranger, tu ne d’argent mais on avait cette
vie très important pour tous bougeras pas plus. foi en l’autre et en nous.
les réfugiés Espagnols. Le Je me suis levée, ce qui ne Marie-France, 66 ans.
bâtiment existe toujours mais se faisait pas à l’époque, où
c’est devenu autre chose. la discipline était beaucoup
Dans le quartier, c’était plus forte. J’ai répondu :
presque que des communautés Mes parents sont peut-être
étrangères : Italiens, Espagnols, des étrangers mais je suis
Algériens, Polonais. fière d’eux et je continuerai
Le Chemin, le futur, le pardon Le Chemin, le futur, le pardon

J’ai la passion des rimes


La poésie, ça m’a pris à huit ans d’artiste, il était courtier en lait. Sur ce qu’on appelle Viry Plateau Dans cette cité d’urgence, on a vécu
après la mort de mon père. Il est Je n’avais pas l’idée d’en écrire La colline aux oiseaux de belles années de bonheur. Je m’y
mort en 1972 suite à un coup mais en 1980, j’ai eu envie d’écrire Petit site nommé cité d’urgence trouvais bien avec ma fille et mon mari.
de froid qu’il avait pris en plein des poèmes à mon tour. C’est peut- Où beaucoup y passèrent leur enfance J’ai écrit des poésies pour chacun de mes
Bientôt elle sera métamorphosée chats. J’ai des poèmes sur les oiseaux. J’ai
hiver en février. Il est mort d’une être mon père qui m’a transmis
Comme un matin d’été avec la rosée des poèmes sur les gens de ma famille.
congestion après trois journées ça. Je me suis mise à écrire toute
C’est un lieu de campagne J’ai tellement pleuré au moment de
passées à l’hôpital. À l’époque, seule. Ça m’est venu comme un Qui me rappelle un coin d’Espagne
j’étais enceinte de ma fille, il ne besoin d’écrire plus fort que moi. la maladie de ma mère et de sa mort
De vastes champs de verdure
l’a pas connue mais il le savait. J’ai écrit un premier recueil qu’après, je n’avais plus de larmes
Qui donnent un charme à cette nature
J’ai été le voir à l’hôpital avant puis un deuxième. Mes premiers en moi. Aujourd’hui, je n’ai plus
Petites maisons avec jardin
qu’il meurt et il m’avait écrit une poèmes, c’était beaucoup sur les Où y logent des citadins de larmes. Quand j’ai du chagrin je
lettre avec ses recommandations : artistes, sur les chanteurs, il y en a Desservies par de grandes allées n’arrive plus du tout à pleurer. Mes
Fais bien tout ce qu’il faut afin de un sur Maurice Chevalier, un sur Comme ils sont bien installés larmes sont remplacées par des mots,
mettre un bon sujet au monde. Edith Piaf, Luis Mariano, Fernand Il y a calme et la joie de vivre en écrivant, je peux verser les larmes
Et il m’a dit au revoir pour Raynaud, Tino Rossi, un sur Pour les malades besoin de survivre que je ne pleure plus, je m’extériorise

58. la dernière fois sur son lit


d’hôpital et il m’a dit :
Brassens, un sur Claude François.
Ça me fait du bien d’écrire,
Il y a le confort depuis la pharmacie
Jusqu’aux grands magasins cela suffit
C’est un très grand village
et c’est un bien pour moi.
La poésie, c’est une passion qui m’est
venue comme ça et qui ne m’a plus
59.
Tu sais, j’aimais la vie. j’ai la passion des rimes.
Où y vivent personnes de tous âges quitté depuis 1980. J’écris aussi des
Je lui ai dis : J’ai même fait une poésie sur Sur la place, entourée de maisons
La Sagesse
Au revoir papa. la cité d’urgence de Viry- poèmes philosophiques pour avoir bon J’ai pris ce symbole car on dit
On joue aux boules à la belle saison
Je savais que je ne le reverrais Chatillon où on habitait en moral et être bien avec tout le monde. que les vieux ou les vieilles sont
À deux pas, le groupe scolaire
pas. Puis, à la fin, il m’a dit : 1972 quand on est arrivé. Je ne me fâche avec personne et je suis sages mais on peut l’être bien
Pour les enfants, c’est le bon air
Va, vers mon inconnu. Parfois, le calme est troublé toujours contente et j’aime la vie. Mon avant d’être vieux ou vieilles.
Va, vers mon inconnu. Et Par les aboiements de père m’avait dit, j’aimais la vie, moi, Nivéthiga
il est mort tranquille. chiens dans les allées j’aime la vie. Ça s’appelle être philosophe
J’ai mis un bon sujet au monde Mais douce compensation pour moi. La poésie, ça permet de
et j’ai continué ma vie. par les oiseaux mettre des mots sur la vie et de soulager
Mon père écrivait des poésies un Leurs chants variés sont si beaux nos peines quand la vie est dure.
Les arbres au gré du vent J’écris des poésies sur ma vie, sur
peu. Il avait écrit une poésie sur
Se balancent très lentement les choses que j’aime, sur des choses
Chinon, puis une sur mon petit
Cette cité bientôt se renouvellera qui me sont arrivées autrefois. J’ai
frère quand il est décédé. Il nous Et par de multiples fleurs s’embellira.
les lisait à table quand il y avait réécrit ma vie en poésie en somme.
une réunion de famille et après, il Huguette, 89 ans.
jouait du violon. Sinon, mon père
n’était pas du tout dans un milieu
Le Chemin, le futur, le pardon l’Amour

C’était un signe
Il y a eu quelque chose d’étrange aussi Mon arrière petit fils, il y
et de très triste. Un jour, nous étions a cinq ans, m’a dit :
en Charente maritime et nous avions Mamy, c’est vrai que tu as 80 ans ?
un miroir dans la salle à manger qui Oui, c’est vrai.
est tombé à terre et qui s’est brisé. Il me regarde et il me dit :
On dit que ça porte malheur quand Alors, tu es presque morte.
un miroir se brise dans une maison. J’ai ri parce que c’était un enfant et
Cette année là, peu de temps que dans sa logique, il avait raison.
après, mon grand-père est mort. Mais malgré la vieillesse, je me dis :
Ma grand-mère et ma mère ont C’est vrai que la vie est belle !
toujours pensé que le miroir avait Jacqueline, 85 ans.

Chapitre 5
porté malheur. C’était un signe.

Une autre chose qui m’a marquée dans


ma vie et qui me marque encore, c’est
60. quand mon grand-père est mort. Je ne
voulais pas le voir mais on m’a forcée
61.
à le faire, à aller le voir sur son lit de
mort et on m’a forcée à l’embrasser.
Jamais, j’obligerai un enfant à faire ça.
Ça m’avait tellement troublée, que
je n’arrivais plus à m’endormir dans
le noir, je voyais mon grand-père qui
me regardait sur son lit de mort.
Aujourd’hui, ça ne me fait plus
rien mais il m’arrive quelques
fois où je vois encore mon grand-
père sur son lit de mort.
L’amour est très important pour moi.
J’ai envie de connaître l’amour, pour savoir comment c’est de
connaître le véritable AMOUR.
Shelly
l’Amour l’Amour

Ça aide à être moins seul Elle attendait un sourire de moi Rêve d’Amour
Je suis à la retraite depuis 2008 Des fois, le regard des gens La maison de quartier, c’est ma Pour moi, la vie, que ce soit un l’Italienne, très serrée. On j’ai eu un mari qui était pire
et j’essaye de continuer à faire vous tue. Des fois, il y a des deuxième famille. Je l’ai toujours homme ou une femme, c’est n’avait pas le droit de sortir. Moi, encore. Il ne savait pas donner
des choses utiles. Je vais à Aimé- gens tu leur dis bonjour, ils ne dit et je le dirai toujours. Quand la même chose, on a le même j’étais un peu rebelle. Plus on de l’amour. C’était l’éducation
Césaire comme bénévole deux répondent pas. Alors, on sait j’ai perdu mon mari, c’est là droit de vivre. Il n’y aurait pas me défendait de faire quelque des hommes en Italie qui était
fois par semaine pour aider des plus s’il faut leur dire bonjour. où j’ai été accueillie. Je n’avais de femmes, il n’y aurait pas chose, plus je le faisais. Maman comme ça. Lui non plus n’avait
gens à apprendre le français. Ici, à la maison de quartier, plus personne, j’étais dans la d’hommes. C’est quand même me tapait dessus mais ça ne pas eu d’affection mais il le
Les valeurs les plus importantes c’était encore Jean-Mermoz en misère et là, j’ai trouvé une la femme qui porte les enfants me faisait rien. Au contraire, faisait subir aux autres. Je me
pour moi sont le courage et ce temps là, je venais tous les maison pour trouver du monde. neuf mois, c’est elle qui les je rigolais. C’était la rage de suis séparée de lui en 72. Je n’ai
l’honnêteté et aussi d’aider les matins et tous les matins, je Annie, 73 ans. met au monde, c’est souvent ma mère de ne pas me voir pas à me plaindre côté argent car
autres personnes. Aider les autres, rencontrais une dame qui me elle, qui la plupart du temps, pleurer. J’avais du caractère quand il rentrait, il me donnait
ça aide à être moins seul. regardait. Tous les matins, je élève les enfants. L’homme et je ne me laissais pas faire. sa paye. Mais il n’a pas su ce que
Je suis arrivé à la RPA en 2014 lui disais bonjour et elle me qu’est-ce qu’il fait ? Il met Jusqu’à mon mariage, je n’avais c’était qu’aimer. Et ça, c’est vrai
après le décès brutal de ma regardait des pieds à la tête. Je la graine et puis c’est tout. pas le droit de sortir. Même à que ça manque dans ma vie. On
femme suite à une hémorragie me disais Bon Dieu ! Qu’est-ce Je ne vois pas pourquoi, la 20 ans, je n’avais pas le droit a besoin d’amour pour vivre. Je
mal soignée. Puis deux mois plus que j’ai sur moi pour me regarder femme serait inférieure à d’aller au cinéma. On n’avait n’ai pas eu mon rêve d’amour.

62. tard, j’ai perdu ma mère. Ça a


été un gros coup dur. J’étais tout
seul chez moi et ce n’était pas
comme ça ? Tous les jours,
tous les jours, elle me regardait
comme ça. Un jour, j’ai décidé
l’homme. On n’est pas les
esclaves des hommes. Je trouve
ça normal qu’il y ait eut ces
pas le droit de se maquiller, on
n’avait pas le droit d’aller au
bal. On n’avait le droit de rien.
J’aime donner mais j’aurais
aimé recevoir. Je n’ai pas
eu ce que je demandais de
63.
bon. On m’a conseillé de venir de changer de façon de faire, nouveaux droits. Mais même En voulant nous protéger, ma la vie et j’en ai souffert.
ici pour ne pas rester seul dans j’ai décidé de lui faire un sourire encore aujourd’hui, une femme maman nous empêchait de vivre. Aujourd’hui, mes petits-enfants
mon appartement avec trop de pour voir si elle me répond. Je L’amour qui travaille touche moins qu’un Les hommes avaient le droit me donnent de l’amour mais
souvenirs. Ici, j’y pense toujours lui fais un sourire et elle me dit : L’amour est très homme pour un même métier. de faire tout ce qu’ils voulaient ce n’est pas le même.
mais c’est moins dur que là-bas. Ça fait longtemps que important pour moi. Pourquoi ? Ce n’est pas normal. mais pas les femmes. C’est Marie-Anne, 83 ans.
Une fois par semaine, je vais au j’attendais ce jour là ! J’ai envie de connaître La femme a autant de droits pourquoi, quand j’ai eu des
cimetière, je mets des fleurs sur Elle m’a prise dans ses bras. l’amour, pour savoir que l’homme et même, elle enfants, je ne les ai jamais
la tombe où il y a ma femme, ma Cette femme que je croyais qui comment c’est de connaître devrait en avoir plus puisque privés de quoi que ce soit.
mère et mon père, j’allume une me méprisait, en vérité, elle le véritable AMOUR. c’est elle qui donne la vie. J’ai été malheureuse de ce
bougie que je mets sous verre. attendait un sourire de moi. Shelly Mais il ne faut pas oublier d’où côté là et je ne voulais pas
Philippe, 66 ans. viennent ces libertés et il ne faut que mes enfants le soient.
pas en faire n’importe quoi. Moi, j’ai besoin d’amour et je
n’en ai pas eu. Ma mère a eu
J’avais une mère très sévère. trop d’enfants et elle n’a pas pu
C’était une éducation à me donner de l’amour. Après,
l’Amour l’Amour

La fille de la femme de mon mari La valise


Moi, j’ai divorcé comme plein de gens Il m’est arrivé une chose que j’avais trouvé que je lui ai dis : on voyait des poilus.
aujourd’hui mais avant, ça ne se faisait pas je vais vous raconter. J’adorais Non, laisse-moi ! Laisse-moi ! Toutes ces lettres dans une valise
trop. Aujourd’hui, il y a plus de gens qui ont faire les encombrants ou aller Je me suis plongée dans jetée à la décharge. Voilà, la
divorcé que l’inverse. C’est comme ça. sur les décharges pour récupérer la lecture de ces lettres. mémoire jetée à la poubelle, peut
Il y a une femme ici qui s’appelle Simone des trucs. Une fois, on était à J’en ai encore des frissons. être par leurs enfants, qui n’ont
et qui est divorcée aussi, et il se trouve notre maison de campagne dans C’était écrit à la plume comme même pas vu ce qu’il y avait
que son mari s’est remarié avec une autre l’Yonne, je dis à mon mari : avant avec de belles lettres bien dans cette valise. Comment on
femme qui est aussi ici. Alors, la première Tiens je vais aller faire un tracées. Comment c’était beau ! peut jeter la mémoire ? C’est
femme quand elle la voit, elle dit : tour à la décharge. Comment il parlait à sa femme ! toute leur histoire qui était là.
Tiens, c’est la femme de mon mari ! Là-bas, j’ai vu une grosse valise On sentait le désespoir de cet
Simone a eu un fils de son mari et l’autre en cuir qui était fermée. Cette homme et en même temps, c’est Mais les enfants d’aujourd’hui
femme a eu une fille avec lui. L’autre valise c’est comme si elle lui qui rassurait sa femme et qui qui n’écrivent plus de lettres
jour, au lieu de dire qu’il était parti m’appelait. Sans chercher à lui disait de tenir. Alors qu’il était n’auront plus rien.
manger avec sa sœur, elle nous a dit : l’ouvrir, je l’ai prise et je l’ai dans les tranchées, il écrivait Mon
Tiens, il y a mon fils qui est parti manger chargée dans le coffre. Mon amour... Ma petite femme chérie… Moi, j’ai gardé les lettres de mon

64. avec la fille de la femme de mon mari.


On a rit, qu’est ce qu’on en a rit ! Ça
fait du bien, après les pleurs, le rire.
mari me revoit arriver avec
cette valise énorme. Je lui dis :
T’inquiètes pas ! je ne sais
Ne t’inquiètes pas… Tout va bien.
C’était beau et j’imaginais ce
mec dans les tranchées en train
mari qu’il m’envoyait quand on
était fiancés et je les ai attachées
avec un joli ruban bleu. C’est un
65.
Mireille, 86 ans. pas ce qu’il y a dedans mais d’écrire à sa femme. Il parlait de souvenir. Ma fille, un jour m’a dit :
la valise m’a attirée. la boue, du froid, des poux. Il Tu ne crois pas que je
Le Chemin Je me suis installée dans un petit parlait de la guerre. Il disait : vais garder tout ça ?
Le chemin de la vie est rempli de appentis qui me servait d’atelier. On a chargé aujourd’hui… Je lui ai dis :
joie, de tristesse et d’amour. J’ouvre la valise et je découvre baïonnette au canon… Tu en feras ce que tu voudras
Bintou dedans toute une correspondance. Mais ne t’inquiètes pas. mais pour l’instant, je
Il y avait toutes les lettres d’un J’étais là à voir la souffrance de les garde avec moi.
mari à sa femme pendant la cet homme et lui qui souffrait qui Joëlle, 66 ans.
Première Guerre mondiale. rassurait sa femme qui l’appelait
Je suis restée des heures à lire les Ma petite femme chérie…
lettres et à regarder les photos. Je m’imaginais cette petite femme
Mon mari ne me voyait pas qui avait lu toutes ces lettres
arriver. Il vient et il me demande et qui attendait cet homme.
ce que je fais. Il me dit : Il y avait aussi des photos et
Tu ne viens même pas manger ! des cartes postales anciennes
J’étais tellement émue parce que jaunies par le temps où
l’Amour l’Amour

très fortes et des règles très fortes, qu’il Voilà la parole d’un homme, il vit ici mais il n’est pas d’ici, il vit ici et pourtant personne ne le connaît et
faut faire attention à ne pas franchir. il ne connaît personne c’est par Là.
Mon mari par exemple ne voulait pas que je travaille. C’est ça l’amour
Pour lui, une femme de gitan ne devait pas travailler. On a besoin d’une parole nous savons que nous sommes réfléchi, j’ai pris le temps
Pour lui, une femme ne devait nouvelle, une parole vous et moi des êtres humains. de penser et je peux dire,
pas rentrer dans un café. qui nous unisse dans la aujourd’hui que l’amour,
Pour lui, la famille est sacrée. Je l’aurais écouté, compréhension de l’autre. Je suis beaucoup plus âgé que c’est la base de tout.
on aurait eu quinze gosses, une grande tablée. Il y a un écrivain africain qui vous et je vais être ouvert avec Nous devons nous entendre
Pour lui, dès qu’une personne de la famille avait a écrit que le grand problème vous, vous ne verrez jamais un entre nous. C’est ça l’amour.
un problème, il donnait tout. C’était les frères, de l’humanité, c’est que les chimpanzé faire des enfants Il faut avoir l’amour envers
les hommes entre eux et les femmes à part. hommes ne se connaissent avec une femme, vous ne verrez son prochain. Il faut avoir la
Je n’ai pas aimé la culture, j’ai aimé mon mari. pas et que le jour où ils jamais un chien faire des enfants patience même si on n’a pas
Je me suis battue pour ma liberté. Je me suis apprendront à se connaître dans avec une chèvre. Là dedans, ce que l’autre a. Pour avoir,
battue pour défendre ma façon de voir. la compréhension mutuelle, il y a cette compréhension de certains sont prêts à tout, à
Quand mes enfants ont grandi, j’ai on pourra construire la grande base entre nous, les hommes. dire du mal de l’autre, à tuer.
Le Couple repris un travail. Mais il n’aimait pas maison de notre humanité. Mais il y a quelque chose qui Il faut savoir attendre sinon,
Le couple, c’est l’amour partagé.
66. 67.
que je parte le matin. Il était très jaloux. Dans la forêt équatoriale du manque, il y a des hommes qui c’est le mal qui vient.
Grâce Au bout d’un moment, il m’a dit : Cabinda d’où je viens, on trouve ne veulent pas croire cela, qui ne Je préfère bien voir les choses
J’ai trouvé un travail de gardiennage dans des chimpanzés, des gorilles. veulent pas croire que moi je suis sans mentir, sans dire que c’est
Je n’ai pas aimé la culture, une propriété comme ça on sera ensemble. Dans la langue de mon pays, le un être humain comme vous. la faute des blancs ou des noirs.
j’ai aimé mon mari J’en ai souffert de sa jalousie. chimpanzé se nomme Sokomoto Le fait de ne pas se croire Il y a du bien partout, il y a
Mon mari était Français mais d’origine Mais on avait une vie heureuse. ; ça veut dire, Si c’était un comme l’autre, un être humain, du mal partout. Je le vois.
Gitane. On s’est rencontré au travail. Il Nadine, 66 ans. homme, car un chimpanzé de se croire au dessus de
travaillait comme chef de quai à Rungis. emploie ses quatre membres l’autre, de vouloir prendre ce Je vais vous dire une chose
Sa famille venait des pays de l’Est. J’ai comme les humains, il marche qu’il a, vient d’un manque importante. Je suis un homme.
appris à comprendre la langue des gitans. comme nous, il peut se mettre de compréhension. C’est la Vous êtes un homme. En tant
C’est une culture avec des traditions debout, il prend avec ses mains base de tout le malheur du qu’homme, j’ai beaucoup vécu,
comme nous, comme nous, il monde et c’est la jalousie. j’ai connu des joies, j’ai connu
a des yeux, des oreilles, une C’est un feu qui dévore des malheurs, j’ai souffert,
bouche. Mais il ne parle pas. tout et il faut de l’eau pour j’ai connu l’exil et la maladie.
Ce qui fait l’humain, éteindre ce feu. Cette eau, Aujourd’hui, je vis loin de mon
Le Feu
c’est la parole. Moi, je suis c’est la compréhension pays natal, seul, malade. Mais
Le feu est une lumière pour la
beaucoup plus proche de vous dans l’amour de l’autre. je vis. Quelle que soit notre
vie, sans le feu il n’y a pas de
que d’un chimpanzé dans vie, nous les Hommes, nous
savoir, on serait dans le noir.
cette compréhension là. La Je suis un vieil homme, j’ai sommes nés pour vivre.
Mohamed
compréhension vient de ce que bientôt 86 ans, j’ai beaucoup Tiago, 86 ans.
La vie est un cadeau,
le plus gros cadeau du
monde.
Que nous soyons homme
ou femme, nous avons
une vie.
Iannis,12 ans

Mes sincères et fraternels remerciements à l’équipe de la RPA La Forêt, à tous les élèves de la classe
de 6e du collège Olivier-de-Serres, à leur professeur Véronique Theillac et Marc Labadille, à toute
l’équipe de la bibliothèque Montesquieu et plus particulièrement à Sylvie Larigauderie qui a œuvré
pour que naisse ce recueil, à toute l’équipe de la MJC Les Passerelles - Aimé-Césaire et à la direction
des Affaires culturelles de la ville de Viry-Chatillon.

Mes remerciements à Fatiha, Jean-Pierre, Taleb, Mireille, Brigitte, Hugette et Hugette L, Aïcha,
Usha, Fon, Philippe, Annie, Joëlle, Janine, Ghislaine, Marie-Anne, Marie-France, Tiago, Irène,
Jacqueline, Arres, Rahel, Michel qui ont accepté de raconter une partie de leur vie.

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