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Aurélie Troubat
adjointe au Maire déléguée au mécénat et aux affaires culturelles
Jean-Marie Vilain
Maire de Viry-Chatillon
La Vie
Chapitre 1
rencontrer sur la ville de Viry-Chatillon des de sens, avec une histoire bien racontée. »
femmes, des hommes et des enfants dans le
cadre du projet culturel Ce qui nous rassemble. Dans l’histoire de l’une ou de l’un, il
4.
y a l’histoire de tous, il y a toute notre
Des élèves de sixième, à partir de symboles humanité, notre passé, nos espoirs, nos
de peuples d’Afrique de l’Ouest ont parlé de épreuves, nos rêves, nos réalités futures.
la vie, de l’amour, de l’humain, du pardon, C’est une partie de ces récits de vie que
du futur, c’est une partie de leurs dessins et vous allez découvrir dans ce recueil où
de leurs paroles qui vous sont présentés ici. l’on se promène à travers les âges, les
temps, les continents, les cultures, en
Toutes et tous des gens d’ici. somme, tout ce qui nous rassemble.
Il y a une femme d’une RPA qui m’a dit :
« c’est aux gens d’ici de parler. » Bienvenue dans ce chemin de paroles
Elle a raison. C’est aux gens d’ici de parler de vie, de vies en paroles.
d’ici. J’ai rencontré des gens d’ici et en chemin
de mémoire, chacune, chacun, à accepter de se Ludovic Souliman La Vie
raconter, de partager des souvenirs. Certains décembre 2016
sont nés en Chine, d’autres au Congo, en Inde
J’ai choisi ce symbole car la vie est importante à mes yeux. Il ne faut pas
ou en Algérie, beaucoup sont nés en France. la gâcher et si on ne fait pas attention à notre vie ce sera trop tard. C’est
Toutes et tous vivent ici, à Viry-Chatillon. pour ça qu’il ne faut pas la laisser s’enfuir et la garder précieusement
dans notre cœur.
Sirine
La Vie La Vie
6. 7.
Léon de Bruxelles. Il reste Après, ils ont construit voyait cinq voitures à l’heure Ghislaine, 66 ans.
encore la maison et l’écurie là dessus, il y a eu les qui passaient, ils ont du mal
de la ferme qui tombent en premiers bâtiments des 3F. à me croire. Aujourd’hui,
ruines. Je suis prise en photo, Il y a eu ce qu’on a appelé les c’est devenu l’enfer, on ne
gamine devant la ferme, il y cités d’urgence pour loger ceux pourrait pas compter les
avait encore des chevaux. qui vivaient dans des cabanes voitures tellement il y en a.
Ici, ils faisaient encore les en bois. Beaucoup de gens qui Quand j’ai entendu parler de
moissons dans les années travaillaient dans les carrières ce projet sur la parole et sur
cinquante. Ils chargeaient de Viry, à extraire la pierre les origines, j’ai eu envie d’y
les ballots de paille à la et le sable, vivaient dans des participer. Je me suis dis que
main. Il y avait deux, trois baraques. Mon grand-père à j’aimerais avoir un condensé
vaches et ils vendaient le lait son arrivée d’Italie a logé là- que je pourrais transmettre
directement à la ferme et bas dans une cabane en bois. à mes enfants et à mes petits
on buvait le lait qui sortait Beaucoup de choses ont changé. enfants pour leur montrer
presque du pis de la vache. que la vie qu’on a vécue, Le Changement
Ici, c’était la campagne. c’était une bonne vie. Chaque jour est le début
Avant qu’il y ait l’autoroute, Mes parents n’avaient pas du changement.
ce n’était que des champs beaucoup d’argent ; papa était Grâce
et que bois jusqu’à Sainte- infirmier, maman travaillait
La Vie La Vie
8. 9.
avait rien comme aujourd’hui était pleine de voitures vides, de treize ans et la dernière, ma J’ai toujours mon petit carnet
à Viry ; c’était que des petites chariots, de poussettes. Tout ça petite sœur était toute petite. de photos avec moi, avec mes
maisons en haut et en bas. était abandonné tout au long de Maman s’est retrouvée seule enfants et mes petits enfants
Mais il y avait beaucoup de la Nationale. Tout ça, on l’a vu. avec douze enfants. Elle et de temps en temps, je le
bois, de forêts. Aujourd’hui, Mais maman est restée, avec nous a élevés toute seule. regarde, je repense à ma vie.
toutes les rues portent des douze gosses. Où voulez-vous Elle travaillait chez elle à la Voilà ma vie, je suis arrivée
noms comme rue de la forêt, aller comme ça sur les routes ? maison comme couturière. à Viry et après j’ai vécu à
rue des bouleaux qui racontent A coté de ça, il fallait Juvisy, et aussi un peu en
comment c’était avant. Mon père a été déporté en qu’elle s’occupe de nous. Italie, et aussi à Perpignan et
Quand j’allais à l’école, on Allemagne pendant la Seconde Maman à la maison avait des aujourd’hui, je suis revenue
passait par des petits chemins Guerre mondiale et il est poules, des lapins. On allait à Viry depuis 1982.
de terre à travers champs. Là décédé là-bas. Quelqu’un chercher de l’herbe pour les Il y a des femmes qui sont La Vie
où est la CILOF (aujourd’hui a dit que mon papa faisait lapins dans les champs et sur ici, à la RPA et j’ai été à J’ai choisi ce symbole car la vie est importante à
Les Coteaux de l’Orge), c’était de la politique, qu’il était les fossés. Elle a eu même des l’école avec elles dans les mes yeux. Il ne faut pas la gâcher et si on ne fait
des bois. Il n’y avait pas le lac. communiste. Papa avec douze cochons. On avait un jardin et années trente à Viry. Je suis pas attention à notre vie ce sera trop tard.
On appelait ça le petit désert enfants n’avait pas le temps elle faisait pousser ses légumes. C’est pour ça qu’il ne faut pas la laisser s’enfuir
revenue à mon point de
et il n’y avait que du sable. de faire de la politique. Il avait Il y avait plusieurs fermes et la garder précieusement dans notre cœur.
départ ou plutôt d’arrivée.
Sirine
Ce n’est que bien après la ses idées comme tout le monde aussi. Après l’école, on allait Avec ce projet sur la mémoire,
guerre, qu’ils ont fait le lac. mais il travaillait et il revenait glaner dans les champs. il faudrait que les jeunes
La Vie La Vie
16. La Vie
Je choisis comme signe la vie car la vie
nous racontent la vie dans
leurs pays, on partage leurs
traditions, leurs cuisines.
Quand je vois des gens qui
n’ont plus de rêves, qui ne
réagissent pas, ça m’énerve.
renfermée et je ne parlais à personne. Je me
demandais ce que je faisais là à 66 ans. Je
voyais autour de moi des personnes âgées.
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est importante pour nous. Si on n’avait
pas de vie nous ne serions pas sur Terre. On a vécu comme ça Pour moi, même si on ne peut Puis, après, j’ai fait la connaissance de femmes plus
Et aussi, nous pourrons faire ce que autrefois, il n’y avait pas pas faire grand chose, on peut jeunes. Je me suis fait des copines et ça va mieux.
l’on veut de notre vie. Comme moi,
toutes ces choses qui nous toujours essayer d’améliorer On discute entre nous, on parle
plus tard, je voudrais être pâtissière,
je ferais tout pour être pâtissière. Tout séparent et qu’on entend un peu. Il y a tant de choses à de la vie et c’est agréable.
le monde peut tout faire dans la vie. aujourd’hui. Avant, nos faire, il y a tant de misères et Nadine, 69 ans.
C’est pour ça que j’ai choisi la vie. enfants allaient ensemble à tous ces réfugiés qui fuient.
Hatouenody
l’école, jouaient ensemble et Mon rêve dans mon enfance
entre mamans, on se parlait était de beaucoup voyager
sans problème. On vivait comme mon père qui avait
très bien tous ensemble. fait deux fois le tour du
J’ai beaucoup voyagé, j’ai été monde. Ce rêve, je l’ai
en Tunisie, en Turquie, au réalisé et partout où j’ai
Portugal et j’ai rencontré des été, je me suis fait des amis.
gens partout. J’ai trouvé de J’irais même dans la jungle,
la richesse dans leurs pensées je me ferais des amis.
et leur façon de vivre. J’ai Brigitte, 70 ans.
rencontré des gens d’autres
La Vie La Source des origines
Chapitre 2
la vie, il faut la vivre.
Avec ce projet sur la mémoire, il faudrait que les jeunes
comprennent ce que les autres ont vécu et qu’ils puissent
se dire, on a de la chance d’avoir une vie comme ça.
18. Avant, il n’y avait pas de machines à laver, il n’y
avait pas de frigidaires, pas de télés. Il fallait
19.
La Vie travailler beaucoup plus pour beaucoup moins.
J’ai pris ce symbole car c’est une La mémoire, c’est la leçon de la vie.
chose merveilleuse, sans elle, je Le temps, je le prends comme il
ne pourrais pas être sur Terre. vient, j’ai appris ça de la vie.
La vie est très importante.
J’ai eu pas mal de soucis, j’ai eu beaucoup d’opérations,
Ne la regarde pas comme un jouet
près de trente, j’ai traversé beaucoup d’épreuves
car on a beaucoup de choses à faire.
Quand vous êtes à la fin de votre et il a fallu apprendre à vivre avec tout ça. L’Arbre
Peut être que les épreuves, ça nous apprend la vie et à être
vie, ne pleurez pas car ça ne sert
plus généreux et plus compréhensifs vis à vis des autres.
J’ai pris ce symbole car l’arbre me donne la vie.
à rien. La vie est précieuse.
Nivéthiga J’essaie d’être bien dans ma vie même si c’est Fiona
pas toujours facile. Il y a eu le chagrin mais
j’essaie d’être bien avec tout le monde.
Des fois, quand je suis seule, je peux avoir
le cafard mais quand je suis avec les autres,
j’essaie d’être assez gaie et jeune.
Vous savez, on peut être vieux et jeune et on peut être
jeune et vieux, ça dépend de sa vie et de son esprit.
Marie-Anne, 83 ans.
La Source des origines La Source des origines
Chaque personne est comme un arbre Femme du dragon On est plus dans la vie
Qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille Je viens du Gauloise d’origine. À la retraite, j’ai eu
pas, on a tous des origines à respecter. Cambodge. Fon, envie de faire des choses intelligentes
Tu as tes origines, j’ai mes origines. mon prénom et utiles et je suis bénévole à la maison
Pour moi, les origines, c’est les en chinois, veut de quartier. Je travaille avec l’atelier
racines de la personne. dire « femme socio-linguistique depuis longtemps.
Chaque personne est comme un arbre et il y a de dragon », J’aime le contact avec les gens qui
certainement un lieu du fleurissement de cet arbre. « dragonne ». viennent d’ailleurs. J’ai beaucoup
Quand je dis, je suis d’origine marocaine, Ça fait 35 ans que bougé dans ma vie, j’ai beaucoup
ça veut dire, c’est là où je suis née, je suis en France. voyagé et j’aime retrouver ce contact
c’est là où j’ai reçu une culture. J’ai quatre enfants, qui m’enrichit énormément.
Après, j’ai voyagé dans le monde pour quatre garçons. Il y J’attache beaucoup d’importance
avoir autre chose. J’ai des racines du en a trois qui sont à aider ceux qui ont besoin d’un
Maroc et des racines qui sont d’ici. nés ici, en France. appui pour apprendre à mieux
Une partie de mes racines Ils ont très bien parler, pour ne pas perdre pied.
est dans ma mémoire. travaillé à l’école Ici, ce n’est pas que l’enseignement La Curiosité
Là-bas
Je connais des gens qui comme des étrangers, plus
sont là depuis plus de personne ne les connaît.
soixante ans. Ils sont venus Leurs enfants, ils ne les
d’Algérie pour travailler. ont jamais vus grandir, ils
Ils ont travaillé ici toute sont comme des étrangers
leur vie et avec l’argent, même pour leurs enfants.
ils ont fait construire une Puis, ils sont imprégnés
maison là-bas et ils ont de la vie d’ici. Ici, quand
laissé leurs femmes et leurs vous parlez, vous dites ce
enfants. Ils ont 80 ans et que vous pensez, là-bas, ce
Chapitre 3
plus, ce sont des Chibanis n’est pas le cas. Ici, on parle
comme on les appelle chez librement, là-bas, non.
nous. Aujourd’hui, ils sont Je connais des gars qui
toujours au foyer. Ils ne pourraient partir là-
32. savent toujours pas bien
parler français. Ils vivent
bas pour leur retraite.
Là-bas, avec ce qu’ils
dans neuf mètres carrés ; gagnent, ils seraient aisés
ils font leur cuisine, ils mais ils ne partent pas
font leur lessive. Ils font parce que la mentalité
La Source des Origines
J’ai choisi la source des origines car si on tout eux même alors qu’ils n’est pas la même.
ne sait pas où on va, on n’ira nul part. arrivent à peine à marcher. Taleb, 60 ans.
Sirine Ils restent ici pour les soins.
Ils vivent au foyer entre
eux et l’autre fois, l’un
d’eux qui est là depuis plus
de 70 ans m’a demandé
de venir pour traduire
pour l’assistante sociale. L’humain c’est nous. Nous ne devons pas faire la guerre nous
Là-bas, en Algérie, ils sont
sommes de la même espèce, il faut faire la paix.
Iannis
L’humain & la femme L’humain & la femme
Avant, les femmes Oui ! Oui ! C’est possible. En tant que femme
ne votaient pas. Je me rappelle bien la période du Il n’y avait plus de viande, plus J’ai connu l’époque où il y a eu le droit de
Je me rappelle Front populaire. Mon beau-père rien. Heureusement, mon frère qui vote pour les femmes. Avant, ça n’existait
quand les femmes était un socialiste et il collait des était forgeron travaillait pour les pas. Il n’y avait pas de sécu, il n’y avait pas
ont pu voter la affiches pour le Front populaire. paysans. Il ferrait leurs chevaux la pilule, il n’y avait pas l’avortement, il n’y
première fois en Moi, j’étais encore jeune, j’avais et il réparait les outils. Comme avait pas de machines à laver, il n’y avait rien.
France après la 14 ans, mais je travaillais, j’étais ça, il arrivait à avoir des œufs, On était livré à nous mêmes et sans droit.
guerre. Avant, apprentie charcutière. Je ne rentrais du sucre, de la farine et du grain Les femmes étaient beaucoup plus restreintes
les femmes ne qu’une fois par semaine chez moi qu’on donnait à nos poules et à que les hommes depuis toujours.
votaient pas. et je gagnais 90 francs par mois. nos lapins. Mais sinon, il n’y avait Le droit de vote, c’est arrivé après
Huguette L, À la déclaration de guerre, j’avais rien. On n’a pas manqué beaucoup la guerre avec De Gaulle.
86 ans. 18 ans. À l’arrivée des Allemands, parce qu’on avait notre jardin. On On a eu cette liberté en tant que femme
je n’avais plus de travail. a manqué de choses comme le café, et depuis, j’ai toujours voté.
Je peux vous raconter un truc qui est le beurre, le fromage, la viande. Marie-Anne, 83 ans.
drôle. Il y avait les soldats allemands On a eu de la chance par rapport
38. 39.
court, on se marie, on a des Elle a retrouvé mon père et qu’elle avait eu quand elle
C’est une tante qui m’a élevé dans son travaillé de 1979 à 1984 en Belgique.
enfants. On apprend où on je suis née en 1947. Mais, ma était à Fresnes. Ils ont retrouvé
village à 70 kilomètres. Je n’ai pas revu Mais en 1984, la Belgique ne souhaitait vit, avoir des connaissances
ma maman avant l’âge de treize ans. Je plus prolonger mon titre de séjour disant mère était si faible que, quand mon frère cinq ans après.
par exemple. La terre, le je suis née, j’étais si maigre que Je vous jure que c’est vrai tout ça.
suis resté jusqu’en 1963 là-bas. Cette qu’il fallait que je retourne au Congo feu, l’eau, notre prénom. On
année là, il y a eu un déclenchement pour le développement de mon pays. les médecins pensaient que je Toutes ces lettres étaient dans
devient sage, on vieillit.
d’une guerre tribale. Des gens qui Nous sommes beaucoup dans ma n’allais pas survivre. Ma mère une petite valise en carton qui
Dès qu’on est jeune on a deux
parlaient la même langue que nous nous situation et nous disons, il vaut chemins ; le bon et le mauvais. était encore plus faible, elle était chez moi. Il y avait dedans
ont dit de rentrer chez nous. J’ai dit : mieux être pauvre, ici, que pauvre Le mauvais : on peut voler, avoir n’arrivait pas à se remettre. Elle les lettres de mon père et de
- Chez nous, c’est où ? chez nous. Le peu que l’on gagnerait de mauvaises fréquentations était très faible alors, elle est ma mère, et aussi les photos
J’avais douze ans passés dans ce chez nous n’équivaut pas au peu et faire de mauvais trucs. partie en convalescence chez sa de mon père et de ma mère
village et je n’avais d’autre chez nous. que l’on gagnerait en France. Mais si on prend le bon chemin, sœur qui était mariée avec un et de mon frère et de moi.
on peut dire la vérité. Se marier, Allemand qui n’était pas un nazi. Cette valise quand mes filles ont
Pour moi, j’étais comme eux. Nous J’ai pu obtenir un visa pour la
avoir des enfants, avoir un bon Le comble, c’est que sa sœur était vidé la maison a été jetée. C’est
avons été chassés. Avec nos petits France. Je suis arrivé en France en
métier et vivre mieux. Alors en Allemagne à Baden Baden. au moment où j’étais à l’hôpital
bagages, nous sommes partis sur 1985 et je suis resté. En France, je que d’autres meurent avant
un autre territoire à 250 kilomètres suis devenu papa de cinq enfants. Elle écrivait des lettres à mon avant de venir à la RPA.
de savoir marcher, d’autres père qui était resté en France. Cette valise, c’était un
de là. Nous sommes arrivés chez Aujourd’hui, je suis grand- tuent des personnes, pour
nous que je ne connaissais pas. père de deux petits enfants. Mon père, lui pendant la guerre, trésor pour moi et j’ai du
répandre aux autres leur rage.
Ma mère de son côté après Jean Pierre, 63 ans. était en Allemagne au STO. Il mal à m’en remettre.
Ayoub
quelques années s’était remariée ne savait pas que ma mère était Nadine, 69 ans.
à un autre homme.
L’humain & la femme L’humain & la femme
Après, j’ai rencontré ça. C’était le bonheur, on avait marier, qu’ils étudient bien venu à côté de ma tête. Ce chat
quelqu’un à la poste où je tous les légumes à la maison, la question. Parce que je vois quand je l’ai eu, il avait 2 mois.
travaillais et j’ai quitté mon les salades, les carottes, les comment je me suis fait avoir. Ma fille l’avait trouvé près d’un
mari. poireaux. Mon mari a travaillé bois abandonné et mon mari
Avec mon nouveau mari, à comme ça jusqu’à la retraite. Mais il y a 5 ans, mon mari s’en occupait beaucoup. Et le
partir de lui, j’ai connu le Mon mari est mort l’année avait fait un AVC et on a été chat depuis la mort de mon
bonheur, j’ai commencé ma dernière, il avait 91 ans. On a obligé de le mettre dans une mari, il vient dormir tout près
vraie vie. J’ai eu une fille avec été le voir hier avec ma fille. maison spécialisée à Morsang. de ma tête.
lui en 1969 et je lui ai donné On a demandé pour faire une Pour aller le voir, deux fois Des fois, je pleure mais après
le prénom de Manuela. C’était nouvelle plaque avec son nom. par semaine, je prenais le taxi. les pleurs, je ris. Même quand
le prénom de ma première Mais vous savez combien ils Ce n’est pas loin mais le taxi j’étais malheureuse comme une
fille qui était morte avant demandent ? Ils demandent 9 demande 30 euros et je n’avais pierre, j’ai toujours réussi à La Vérité
l’accouchement mais c’était euros pour une lettre. Il y en a pas assez avec les deux carnets rigoler. Danser, chanter, rigoler, On a besoin de la vérité
pour mon mari qui s’appelait 13 avec son nom et son prénom, de chèques taxi que nous donne c’est ça qui fait vivre. pour vivre et pour se
Manuel. Il était maçon. Il avait plus sa date de naissance 1924 la mairie. Heureusement, Mireille, 86 ans. sentir bien car des fois
acheté une mobylette et tous - 2015, ça fait 8 x 9. Il y en a certains m’en donnaient un peu ça mène à la séparation.
40. 41.
les matins, il partait sur les pour plus de 200 euros. Vous des leurs. J’ai une petite retraite Lisa
chantiers. Le soir, il revenait vous rendez compte ! Mais de 790 euros par mois. Quand
sur sa mobylette par tous les on va le faire quand même et vous avez payé le loyer de 414
temps et parfois très tard. Il en plus, je voudrais mettre sa euros, il ne reste plus grand
en avait un peu marre. Il avait photo sur la plaque. À 91 ans, chose. Depuis que mon mari est
déjà 45 ans. Puis après, on il n’avait pas un cheveu blanc. décédé, j’ai un peu plus, mais
lui a proposé de travailler à Il mesurait 1m72, ce n’est pas pas beaucoup.
la Grande Borne pour sortir bien grand mais par rapport à
les poubelles et faire ce qu’il moi qui fais 1m44, c’était un C’est ma vie. Quand je vois
y avait à faire. Il a accepté. géant. J’ai connu le bonheur des vedettes qui écrivent des
Tous les jours, il se levait à 4 avec lui. Je l’aimais. bouquins pour pas grand chose.
heures et demi pour sortir les Des fois, je repense à tout ça,
poubelles et nettoyé les cages J’ai eu une vie pas très facile un peu trop. Alors, je préfère
Le Pardon
d’escaliers. Il avait une pause mais j’ai toujours eu un descendre et parler un petit
Le pardon est une chance
de 10 heures jusqu’à 14 heures tempérament gai et ça m’a aidé peu avec les autres et quand je car il y a des gens qui se
alors il en profitait pour aller à supporter tous les moments remonte, heureusement que j’ai reparlent grâce à lui. Le
jardiner sur un terrain qu’on de malheur. Ce que je peux mon chat. pardon est une chance.
nous avait prêté. Il faisait dire aux jeunes, c’est qu’ils Quand mon mari est décédé, Hatouenody
pousser ses légumes comme réfléchissent bien avant de se l’année dernière, mon chat est
Vous savez ce qu’il vous reste à faire ?
Ma vie est un livre. J’ai la mémoire de tout ce que faut croire que pour moi, ça n’a pas marché, je ne
j’ai vécu. mesure qu’un mère quarante quatre.
Je suis née à Paris en 1930. Ma maman avait 18 À l’époque, les filles étaient élevées pour se marier
ans et elle a été au bal. Là, elle a été séduite par mais elles ne savaient rien des hommes. Moi, j’étais
un garçon. Il est arrivé ce qui devait arrivé et ma toujours avec ma grand-mère, je n‘avais pas le droit
maman s’est retrouvée enceinte. Ma grand-mère du tout de sortir même à 20 ans. J’étais ignorante
a dit à l’homme qui l’avait séduite : de beaucoup de choses de la vie.
- Vous savez ce qu’il vous reste à faire ? Mon grand-père était malade et j’allais le voir le
En ce temps là, c’était comme ça, quand un homme lundi, le jour où je ne travaillais pas à l’hôpital
mettait une femme enceinte, il devait l’épouser d’Orsay, où j’ai rencontré mon premier mari qui
mais celui là, non, il est parti. Quand je suis née, était d’origine Polonaise. Il était très gentil. Il me
on a proposé à ma mère d’abandonner l’enfant à disait :
l’assistance publique mais elle a dit : - Je me marierai avec toi.
- Non ! Non ! Je me suis mariée à 22 ans. J’étais encore pure.
Elle m’a gardée avec elle. Mais ma maman est Je n’avais jamais connu d’homme. Ça a été la
42. tombée gravement malade et elle est morte à 21 ans.
On ne peut pas dire que je l’ai connue. Je n’avais
première grande déception de ma vie. Je n’ai pas
eu de chance moi.
43.
plus ni père, ni mère. Mon grand-père n’a jamais Il voulait tout le temps même si moi je ne voulais
voulu pardonner à ma mère cette honte mais il pas. Si je disais non, c’était des coups sur la figure.
est mort 3 mois après. Il a quand même accepté Je me suis dis :
que je prenne son nom. Et ma grand-mère à 39 - C’est ça le mariage !
ans, s’est retrouvée seule avec moi et ses autres J’ai eu 7 enfants en 12 ans. Si je ne voulais pas, il
enfants. C’est elle qui a eu le courage de m’élever me tapait, il me forçait. Il faut le dire, il faut être
toute seule en plus de ses enfants. Mes oncles et honnête. En plus en ce temps là, on n’avait pas
mes tantes, c’était mes frères et sœurs pour moi. la pilule. En plus, il ne travaillait pas et j’étais
Ma grand-mère, je l’appelais maman. obligée de ramener de l’argent à la maison. C’est La vie
La Vie est une âme qui naît jusqu’à la mort
Ma grand-mère nous a élevés avec le peu qu’elle la vérité de ce que j’ai vécu.
et qui peut renaître par un autre dans le
gagnait. On n’avait pas d’aide à l’époque et on Mireille, 86 ans.
ventre d’une mère. Tu peux dire la vie est un
ne mangeait pas de la viande tous le jours. Bien phénomène.
souvent, on ne mangeait que de la soupe ; soupe de Darolle
poireaux, soupe de pommes de terre, de la soupe
tous les jours. Il paraît que la soupe ça fait grandir,
L’humain & la femme L’humain & la femme
La Parole
Nous, on croyait à ça
J’ai choisi la
J’ai toujours travaillé trop parler avec les garçons.
parole car la
dans l’espoir de vivre. À la Réunion, avant, si parole nous
Moi, je viens de l’île de la une fille couchait avec un sert à dire aux
Réunion. Je suis arrivée ici homme sans être mariée et personnes qu’on
en 1969 pour me marier. Là- que ça se savait, c’était le aime qu’on les
bas, je vivais dans la misère déshonneur, elle trompait aime et que
Tu veux me tuer ?
et je suis venue en France ses parents. On lui rasait sans elles on ne
Mon grand-père m’avait raconté qu’en
dans le but d’être plus la tête et on l’enfermait peut rien faire
Sirine 1914, une nuit, il montait la garde et
heureuse avec mon mari. dans le noir. C’était la
il s’était retrouvé dans un bois face à
honte pour la famille.
un Allemand. Mon père avait son fusil
À la Réunion, quand on La fille devait être vierge au
et il l’a pointé sur le soldat Allemand.
était jeune, on nous faisait mariage et les parents, ils
L’Allemand lui avait demandé :
croire que les garçons venaient voir le lit lendemain
- Tu veux me tuer ?
arrivaient par avion ou dans de la nuit de noces.
Mon père lui a répondu :
les choux et que les petites Nos parents ne disaient
44. filles par les roses. Nous,
on croyait à ça. Moi, à 18
rien devant nous et on
ne connaissait rien des
- Non, tu m’as rien fait.
Alors, il a baissé son fusil et ils
se sont serrés la main et chacun
45.
ans, je croyais encore que choses de la vie.
est reparti de son côté. Il n’en
ça marchait comme ça. À tel point, c’est que quand
a jamais parlé à personne.
C’était vraiment une je me suis mariée, je ne
Mon grand-père nous a souvent raconté
catastrophe. Quand on allait savais pas par où l’enfant
cette histoire. Puis, il a été gravement
danser, c’était avec nos venait, si c’est par devant ou
blessé sur le champ de bataille. Il a eu
mères et elles nous disaient : par derrière. J’avais presque
L’homme était roi le genou arraché par un obus. Ce sont
- Si un garçon vient te voir, trente ans et je ne savais pas.
La femme autrefois dans les Allemands qui l’ont trouvé dans
dis-lui de venir voir ta mère. On savait rien parce que
les pays de la Méditerranée la boue, agonisant et ce sont eux qui
Ta mère était partout il n’y avait personne
n’avait pas le choix, elle lui ont sauvé la vie et qui l’ont soigné.
derrière toi à te surveiller. pour nous expliquer. La Maîtrise
devait accepter l’homme En ce temps là, on ne remettait pas
Comment veux tu savoir Nous, on était trop serrés J’ai choisi le symbole de la maîtrise
que sa famille choisissait les genoux comme aujourd’hui. Alors,
quelque chose avec ça ? mais maintenant, c’est peut car c’est un grand avantage de
pour elle. Il n’y avait pas mon grand-père Georges avait une
Même à la messe, t’avais pas être un peu trop ouvert. savoir se maîtriser, c’est ce qui peut
de liberté pour la femme jambe raide et il boitait tout le temps.
le droit d’y aller toute seule, Aujourd’hui, c’est fini, m’emmener dans la bonne voie
avant. L’homme était roi. Ce sont des choses qu’on
et accomplir de grand succès.
une mère y était derrière toi. là-bas, c’est comme ici. Fatiha
Rayan ne peut pas oublier.
Tu n’avais pas le droit de Annie, 73 ans.
Mireille, 86 ans.
L’humain & la femme L’humain & la femme
On était des oies blanches
Autrefois, les parents avaient elle voulait toujours me faire croire n’importe quoi aux enfants et c’est
beaucoup plus de pouvoir sur les que les enfants naissaient dans les tant mieux. Avec mes enfants,
On est venu pour le travail enfants. Les parents décidaient de roses et dans le choux. On était je leur ai laissé faire les choses
Je suis arrivée en 1958. Mon père était venu J’ai travaillé 42 ans sur les chantiers dans le tout pour nous. On n’avait pas de des oies blanches avant. Pourtant, par eux même et je ne les ai pas
avant pour faire la demande des papiers. bâtiment et les travaux publics. On travaillait choix comme aujourd’hui. On ne je voyais comment faisaient les maintenus dans l’ignorance.
Après, on est tous venus d’Italie avec mes un peu partout en région parisienne et choisissait pas, c’est nos parents animaux, à la campagne, on voit On n’empêche jamais rien et
frères, mes sœurs et ma mère. On vivait en en France. On allait jusqu’en Alsace. Il y qui décidaient de tout. On n’avait tout, puis les autres en parlaient il arrive ce qui doit arriver.
Sicile à Catagna. On est venu pour le travail. avait beaucoup d’Italiens et d’Espagnols pas le droit de sortir. On n’avait parfois et on sait autrement. On Pour moi, c’est ça la
Au départ, on a fait les papiers sur les chantiers. On a vécu tout de suite très peu de liberté et surtout les n’avait pas le droit de fauter avant libération de la femme avant
pour la carte de séjour. à Viry-Chatillon dans un petit pavillon. femmes. Puis, autrefois, les parents le mariage. Quand mon futur tout, de ne plus faire croire
J’avais 14 ans et j’ai tout de suite On a travaillé dur pour gagner sa vie. avaient la main dure, on se prenait mari venait à la maison pour n’importe quoi sur la vie.
commencé à travailler sur les chantiers. Aujourd’hui, on continue à vivre ici. des raclées à la moindre faute. sortir avec moi, on n’était pas Tout ça, c’est comme un petit
J’avais été un peu à l’école en Sicile mais Michel, 72 ans. À l’école, pas le droit d’écrire de la libre de sortir tous les deux seuls, livre sur l’histoire de ma vie.
pas en France. Pour apprendre à parler le main gauche, c’était complètement ma mère nous accompagnait. On Jacqueline, 85 ans.
français, j’enregistrais avec les oreilles ce que défendu, on disait que c’était ne connaissait rien de la vie. On
disaient les Français sur les chantiers et comme la main du diable. Alors, on ne savait rien sur ce qui se passe
m’attachait la main gauche dans entre l’homme et la femme.
46. 47.
ça, j’ai appris un peu. J’apprenais aussi en
faisant les courses et en lisant les produits. le dos à table, à l’école pour Je me suis mariée à 21 ans.
Je vivais ici et pour me marier, j’ai été là-bas en que j’écrive de la main droite. Ce n’est qu’après que j’ai pu
Sicile. C’est quand je suis descendu avec mes Et si je me servais de la main avoir ma liberté et faire ce que
parents que j’ai demandé à ma grand-mère si droite à la maison, je recevais j’avais envie de faire dans ma vie
elle connaissait quelqu’un de sérieux pour moi un coup de badine sur les comme le chant et le théâtre.
dans la famille. Elle connaissait une famille où mollets et mon père disait : Aujourd’hui, les enfants
il y avait quatre filles et j’en ai demandé une en - Ça fait circuler le sang ! connaissent tout et vous ne leur
mariage. J’ai été dans la maison de la famille J’avais des traces rouges sur les apprenez rien, ce sont même eux
de ma femme. J’étais assis d’un coté de la table mollets. À l’école, le maître avait qui vous apprennent des choses
et de l’autre, il y avait ses parents. C’était pour une règle et c’était des coups sur la vie. Il y a la liberté de savoir
demander la main de leur fille. Cette fille, je de trique sur les doigts. Mais et c’est quand même mieux de ne
ne la connaissais pas avant. C’était comme ça l’école, c’était quand même pour plus être innocent jusqu’au jour
avant, en Italie, ça passait par la famille qui moi comme une évasion. Ça me de son mariage, c’est mieux de
décidait avec qui la fille pouvait se marier. permettait de sortir de ma maison connaître les choses de la vie.
On s’est marié en Sicile. Je l’ai ramené et d’échapper à ma mère qui Cette liberté qu’ont les jeunes
Le Pardon
en France avec moi. On a eu deux Le Couple contrôlait tout ce que je faisais. aujourd’hui, c’est quand même
Il faut pardonner ou
enfants ; un garçon et une fille. J’ai pris ce symbole car un couple est fort. À la maison, ma mère me traitait mieux, même si trop de libertés,
sinon on reste seul.
Fiona toujours comme une petite fille ce n’est pas trop bon non plus. Sylvestre
même quand j’avais 17 ou 18 ans, Aujourd’hui, on ne fait plus croire
L’humain & la femme Le Chemin, le futur, le pardon
Maintenant, c’est ton tour
Mes parents ont eu une vie avec des épreuves fortes.
Mon père est un ancien guerriero Républicain de la
Guerre d’Espagne. Il est arrivé à ce moment là en
France pour fuir la dictature et Franco. Là-bas, il
était condamné à mort. Il n’y est jamais retourné.
Ma mère a été déportée en tant que communiste
à Ravensbrück pendant la guerre et mon père
avait fui la dictature en Espagne. Mais ils nous
ont toujours appris à voir la vie légère.
Ma mère nous a toujours dit que c’était
leur passé et qu’il ne fallait pas que nous,
on l’endosse. Il fallait qu’on avance.
Chapitre 4
Ce sont des gens qui ont toujours voulu un
monde meilleur pour leurs enfants et qui
se sont battus pour. Mes parents nous ont L’Humain
toujours appris à ne jamais vivre à genoux, à J’ai choisi l’humain car si il n’y
48. ne pas avoir peur, à ne pas vivre fermés. avait pas d’humain, qui nous
enseignerait, qui fabriquerait
49.
En 1968, c’était ma première grève, je sortais de nouvelles choses ?
juste de l’école. J’avais juste vingt ans. J’ai l’image En plus si il n’y a pas d’humain,
il n’y a pas de gens, et si il n’y
de ma mère, dans une manifestation sur la
a pas de gens, il n’y a pas de
Nationale 7 avec sa blouse blanche d’infirmière.
parents, et si il n’y a pas de
Elle descendait et moi, je montais. On s’est parents, il n’y a pas d’enfants,
croisées. Elle m’a fait un signe et elle m’a dit : et si il n’y a pas d’enfants, il
Maintenant, c’est ton tour. n’y a pas d’amis. Je serais seul.
C’est pour ça que j’ai choisi
Cette image, je l’ai gardée à l’intérieur de moi, l’humain, c’est pour avoir
et quand ma mère est décédée, je l’ai revue. des amis. Si je n’avais pas
Maman était infirmière et dès qu’il y avait d’amis, je me sentirais seul.
des soins à faire pour les gens, maman allait Jack Le Chemin
rendre service et elle soignait tous ceux qui
en avaient besoin dans le quartier. Je l’ai choisi car on a besoin d’un chemin, du bon chemin.
Elle a continué à rendre service aux
gens jusqu’au bout de sa vie.
Maguy
Marie France, 66 ans.
Le Chemin, le futur, le pardon Le Chemin, le futur, le pardon
54. 55.
bon pour tout le monde et ce moment très dur, mes enfants ne
puisse l’être réellement. veulent surtout pas en parler. Pourtant
Ces rencontres autour des c’est leur histoire, il faut que ce soit
Le futur
Le Chemin : origines nous permettent transmis à leurs petits enfants.
Le futur est une chose qui
Le chemin c’est l’avenir de notre future vie, dans de nous épanouir
vient après moi. Avant, je
la vie il y a le bon chemin et le mauvais chemin. personnellement, de nous Aujourd’hui, quand je vois les guerres
pensais que j’allais avoir un
Exaucée enrichir mutuellement à la télé, je n’aime pas trop regarder, ça
bon avenir mais je ne faisais
pour évoluer ensemble le me rappelle trop de mauvais souvenirs.
rien pour et, un jour, je me
plus loin possible. Dès que je vois, je change de chaîne,
suis dit que, si je travaillais
Jean-Pierre, 66 ans. ou j’éteins. Je ne veux pas, je ne peux
j’aurais un meilleur avenir.
pas. C’est triste et ça me fait mal.
Voilà pourquoi c’est
Des fois je me dis que si ça continue,
important pour moi.
je vais connaître une troisième guerre
Iannis
parce que j’ai connu la Seconde
Guerre mondiale, la Guerre d’Algérie
et celle-là qui se prépare. Il n’y a
pas de bonne guerre et j’espère ne
jamais revoir tout ça. La guerre m’a
Le Chemin, le futur, le pardon Le Chemin, le futur, le pardon
C’était un signe
Il y a eu quelque chose d’étrange aussi Mon arrière petit fils, il y
et de très triste. Un jour, nous étions a cinq ans, m’a dit :
en Charente maritime et nous avions Mamy, c’est vrai que tu as 80 ans ?
un miroir dans la salle à manger qui Oui, c’est vrai.
est tombé à terre et qui s’est brisé. Il me regarde et il me dit :
On dit que ça porte malheur quand Alors, tu es presque morte.
un miroir se brise dans une maison. J’ai ri parce que c’était un enfant et
Cette année là, peu de temps que dans sa logique, il avait raison.
après, mon grand-père est mort. Mais malgré la vieillesse, je me dis :
Ma grand-mère et ma mère ont C’est vrai que la vie est belle !
toujours pensé que le miroir avait Jacqueline, 85 ans.
Chapitre 5
porté malheur. C’était un signe.
Ça aide à être moins seul Elle attendait un sourire de moi Rêve d’Amour
Je suis à la retraite depuis 2008 Des fois, le regard des gens La maison de quartier, c’est ma Pour moi, la vie, que ce soit un l’Italienne, très serrée. On j’ai eu un mari qui était pire
et j’essaye de continuer à faire vous tue. Des fois, il y a des deuxième famille. Je l’ai toujours homme ou une femme, c’est n’avait pas le droit de sortir. Moi, encore. Il ne savait pas donner
des choses utiles. Je vais à Aimé- gens tu leur dis bonjour, ils ne dit et je le dirai toujours. Quand la même chose, on a le même j’étais un peu rebelle. Plus on de l’amour. C’était l’éducation
Césaire comme bénévole deux répondent pas. Alors, on sait j’ai perdu mon mari, c’est là droit de vivre. Il n’y aurait pas me défendait de faire quelque des hommes en Italie qui était
fois par semaine pour aider des plus s’il faut leur dire bonjour. où j’ai été accueillie. Je n’avais de femmes, il n’y aurait pas chose, plus je le faisais. Maman comme ça. Lui non plus n’avait
gens à apprendre le français. Ici, à la maison de quartier, plus personne, j’étais dans la d’hommes. C’est quand même me tapait dessus mais ça ne pas eu d’affection mais il le
Les valeurs les plus importantes c’était encore Jean-Mermoz en misère et là, j’ai trouvé une la femme qui porte les enfants me faisait rien. Au contraire, faisait subir aux autres. Je me
pour moi sont le courage et ce temps là, je venais tous les maison pour trouver du monde. neuf mois, c’est elle qui les je rigolais. C’était la rage de suis séparée de lui en 72. Je n’ai
l’honnêteté et aussi d’aider les matins et tous les matins, je Annie, 73 ans. met au monde, c’est souvent ma mère de ne pas me voir pas à me plaindre côté argent car
autres personnes. Aider les autres, rencontrais une dame qui me elle, qui la plupart du temps, pleurer. J’avais du caractère quand il rentrait, il me donnait
ça aide à être moins seul. regardait. Tous les matins, je élève les enfants. L’homme et je ne me laissais pas faire. sa paye. Mais il n’a pas su ce que
Je suis arrivé à la RPA en 2014 lui disais bonjour et elle me qu’est-ce qu’il fait ? Il met Jusqu’à mon mariage, je n’avais c’était qu’aimer. Et ça, c’est vrai
après le décès brutal de ma regardait des pieds à la tête. Je la graine et puis c’est tout. pas le droit de sortir. Même à que ça manque dans ma vie. On
femme suite à une hémorragie me disais Bon Dieu ! Qu’est-ce Je ne vois pas pourquoi, la 20 ans, je n’avais pas le droit a besoin d’amour pour vivre. Je
mal soignée. Puis deux mois plus que j’ai sur moi pour me regarder femme serait inférieure à d’aller au cinéma. On n’avait n’ai pas eu mon rêve d’amour.
très fortes et des règles très fortes, qu’il Voilà la parole d’un homme, il vit ici mais il n’est pas d’ici, il vit ici et pourtant personne ne le connaît et
faut faire attention à ne pas franchir. il ne connaît personne c’est par Là.
Mon mari par exemple ne voulait pas que je travaille. C’est ça l’amour
Pour lui, une femme de gitan ne devait pas travailler. On a besoin d’une parole nous savons que nous sommes réfléchi, j’ai pris le temps
Pour lui, une femme ne devait nouvelle, une parole vous et moi des êtres humains. de penser et je peux dire,
pas rentrer dans un café. qui nous unisse dans la aujourd’hui que l’amour,
Pour lui, la famille est sacrée. Je l’aurais écouté, compréhension de l’autre. Je suis beaucoup plus âgé que c’est la base de tout.
on aurait eu quinze gosses, une grande tablée. Il y a un écrivain africain qui vous et je vais être ouvert avec Nous devons nous entendre
Pour lui, dès qu’une personne de la famille avait a écrit que le grand problème vous, vous ne verrez jamais un entre nous. C’est ça l’amour.
un problème, il donnait tout. C’était les frères, de l’humanité, c’est que les chimpanzé faire des enfants Il faut avoir l’amour envers
les hommes entre eux et les femmes à part. hommes ne se connaissent avec une femme, vous ne verrez son prochain. Il faut avoir la
Je n’ai pas aimé la culture, j’ai aimé mon mari. pas et que le jour où ils jamais un chien faire des enfants patience même si on n’a pas
Je me suis battue pour ma liberté. Je me suis apprendront à se connaître dans avec une chèvre. Là dedans, ce que l’autre a. Pour avoir,
battue pour défendre ma façon de voir. la compréhension mutuelle, il y a cette compréhension de certains sont prêts à tout, à
Quand mes enfants ont grandi, j’ai on pourra construire la grande base entre nous, les hommes. dire du mal de l’autre, à tuer.
Le Couple repris un travail. Mais il n’aimait pas maison de notre humanité. Mais il y a quelque chose qui Il faut savoir attendre sinon,
Le couple, c’est l’amour partagé.
66. 67.
que je parte le matin. Il était très jaloux. Dans la forêt équatoriale du manque, il y a des hommes qui c’est le mal qui vient.
Grâce Au bout d’un moment, il m’a dit : Cabinda d’où je viens, on trouve ne veulent pas croire cela, qui ne Je préfère bien voir les choses
J’ai trouvé un travail de gardiennage dans des chimpanzés, des gorilles. veulent pas croire que moi je suis sans mentir, sans dire que c’est
Je n’ai pas aimé la culture, une propriété comme ça on sera ensemble. Dans la langue de mon pays, le un être humain comme vous. la faute des blancs ou des noirs.
j’ai aimé mon mari J’en ai souffert de sa jalousie. chimpanzé se nomme Sokomoto Le fait de ne pas se croire Il y a du bien partout, il y a
Mon mari était Français mais d’origine Mais on avait une vie heureuse. ; ça veut dire, Si c’était un comme l’autre, un être humain, du mal partout. Je le vois.
Gitane. On s’est rencontré au travail. Il Nadine, 66 ans. homme, car un chimpanzé de se croire au dessus de
travaillait comme chef de quai à Rungis. emploie ses quatre membres l’autre, de vouloir prendre ce Je vais vous dire une chose
Sa famille venait des pays de l’Est. J’ai comme les humains, il marche qu’il a, vient d’un manque importante. Je suis un homme.
appris à comprendre la langue des gitans. comme nous, il peut se mettre de compréhension. C’est la Vous êtes un homme. En tant
C’est une culture avec des traditions debout, il prend avec ses mains base de tout le malheur du qu’homme, j’ai beaucoup vécu,
comme nous, comme nous, il monde et c’est la jalousie. j’ai connu des joies, j’ai connu
a des yeux, des oreilles, une C’est un feu qui dévore des malheurs, j’ai souffert,
bouche. Mais il ne parle pas. tout et il faut de l’eau pour j’ai connu l’exil et la maladie.
Ce qui fait l’humain, éteindre ce feu. Cette eau, Aujourd’hui, je vis loin de mon
Le Feu
c’est la parole. Moi, je suis c’est la compréhension pays natal, seul, malade. Mais
Le feu est une lumière pour la
beaucoup plus proche de vous dans l’amour de l’autre. je vis. Quelle que soit notre
vie, sans le feu il n’y a pas de
que d’un chimpanzé dans vie, nous les Hommes, nous
savoir, on serait dans le noir.
cette compréhension là. La Je suis un vieil homme, j’ai sommes nés pour vivre.
Mohamed
compréhension vient de ce que bientôt 86 ans, j’ai beaucoup Tiago, 86 ans.
La vie est un cadeau,
le plus gros cadeau du
monde.
Que nous soyons homme
ou femme, nous avons
une vie.
Iannis,12 ans
Mes sincères et fraternels remerciements à l’équipe de la RPA La Forêt, à tous les élèves de la classe
de 6e du collège Olivier-de-Serres, à leur professeur Véronique Theillac et Marc Labadille, à toute
l’équipe de la bibliothèque Montesquieu et plus particulièrement à Sylvie Larigauderie qui a œuvré
pour que naisse ce recueil, à toute l’équipe de la MJC Les Passerelles - Aimé-Césaire et à la direction
des Affaires culturelles de la ville de Viry-Chatillon.
Mes remerciements à Fatiha, Jean-Pierre, Taleb, Mireille, Brigitte, Hugette et Hugette L, Aïcha,
Usha, Fon, Philippe, Annie, Joëlle, Janine, Ghislaine, Marie-Anne, Marie-France, Tiago, Irène,
Jacqueline, Arres, Rahel, Michel qui ont accepté de raconter une partie de leur vie.