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VITA MIA

MA VIE

Ghjuvanni-franciscu ROGHI
Jean-françois ROGHI

Pour Antoine
Pauline
Nina
Anna Livia
et leurs descendants
Cette œuvre dépeint les deux robustes bœufs de mon grand-père, majestueusement
dressés au cœur d'un air de battage de blé sur le domaine ancestral de Chapouniéde.
L'artiste, un peintre itinérant doué, a immortalisé cette scène en guise de souvenir de
son séjour parmi nous. Sur la toile, trois dates clés sont inscrites, chacune marquant
un jalon important dans l'histoire de la demeure d'Argiusta : 1946, l'année où mon
aïeul Missia érigea cette bâtisse ; 1956, qui vit l'extension de la maison avec l'ajout
d'un étage sous la direction de mon oncle Antoine ; et enfin 1997, année de
rénovation et de division de la propriété après le décès de mon grand-père. Ce tableau
est plus qu'une simple représentation ; il incarne l'esprit et l'héritage de notre famille.

EN INTRODUCTION
« Il y en a d'autres dont le souvenir s'est perdu; ils sont morts et c'est comme s'ils
n'avaient jamais existé, c'est comme s'ils n'étaient jamais nés et de même leurs
enfants après eux » Livre de Ben Sira le Sage

Je m'appelle Jean-François ROGHI, je porte à la mode corse les prénoms de mes deux grands-
pères, , Jean-Baptiste d'Argiusta, le père de ma mère, et François, le prénom de mon grand-père
paternel d'Olivese
Le berceau de ma famille se trouve dans la vallée du Taravo en corse du sud et plus
particulièrement dans le pievre d’Istria ,devenu le canton de Petreto et Bicchisano.. Cette micro
région est situé en moyenne montagne sur la rive droite du fleuve .
J'ai cherché l'origine du nom "ROGHI". En italien, il signifie "les feux" et est synonyme de
"sorcière". Cependant, j'ai également lu que "ROGHI" pourrait être le pluriel de "Rogue", qui
signifie arrogant avec une nuance de raideur et de rudesse, ce qui me convient également. Grâce à
Internet, on trouve de nombreux noms "ROGHI" en Italie et dans le monde musulman, tels que le
sultan de Taza au Maroc, Bou Hamara el-Roghi (l'homme à l'ânesse), ainsi que des villages portant
ce nom en Moldavie, au Pakistan et dans l'Himalaya indien.

Nous sommes peu nombreux en France, seulement 34 en 1915, dont 28 en Corse-du-Sud. Entre
1966 et 1990, 26 personnes portant le nom de Roghi sont nées dans 10 départements différents :

Paris (9), Bouches-du-Rhône (8), Var (2), Pyrénées-Orientales (2), Moselle (1), Eure-et-Loir (2),
Hérault (1), Corrèze (1), Haut-Rhin (1) et Corse (7). Mon fils Antoine fait partie de ces Roghi.
J'ai évidemment plusieurs raisons d'écrire ce livre. La première est une pensée éternelle pour mes
enfants : Antoine, Pauline, Nina et Anna-Livia. Je pense qu'ils savent déjà que je les respecte et que
je les aime profondément. Cependant, je veux qu'ils sachent pourquoi et comment leur père est
devenu l'homme qu'il est aujourd'hui. J'espère également que leurs enfants le liront un jour et peut-
être même qu'ils écriront leur propre chapitre dans ce livre.

je comprends aussi que l'écriture d'un livre sur soi-même peut être risquée, car il est
facile de trop en dire et de dévoiler involontairement la façon dont on souhaite être
perçu. Comme l'a si bien écrit Daniel Bensaïd, philosophe et dirigeant révolutionnaire de ma
génération que j'ai croisé 2 ou 3 fois lors de meetings, "il y a toujours quelque impudeur à se dire,
ou quelque ruse. Personnellement, je n'ai guère de goût pour les aveux et les confessions. Il y a
également le risque, en racontant ses souvenirs, de voler ceux des autres et de s'approprier indûment
une expérience partagée”.
Mais il y a aussi en moi un puissant orgueil archaïque qui me pousse à écrire ces lignes. Je pense
que ma vie vaut autant que celle des puissants et qu'elle ne doit pas se perdre dans l'immensité du
temps. C'est l'orgueil éternel du berger corse qui, du haut de sa montagne, se croit égal à quiconque.
De plus, je suis triste de ne rien savoir de mes ancêtres lointains, de leurs milliers de destins, de
leurs luttes, de leur travail, de leurs joies et de leurs peines. Mais qu'ont-ils bien pu faire dans cette
vallée ? Ont-ils participé à la terrible révolte de la Saint-Laurent en 1615 ? Où étaient-ils ?
Sortie de la liste des passagers débarqués à Ellis Island : encore une île où les émigrants étaient
regroupés avant de pouvoir rejoindre New York et le rêve américain. En 1918, un certain Jacques
Roghi est arrivé en provenance de Bordeaux. Qu'est-il devenu ? Mon père m'a montré la fosse
commune de l'épidémie de grippe de l'automne 1919, dans le vieux cimetière derrière l'église
d'Olivese, ainsi que les tombes de parents désormais inconnus, marquées d'une simple pierre.
Mais je me réjouis à l'idée qu'un jour, dans un futur lointain, un membre de ma famille lira ce livre
et, même s'il a du mal à me comprendre, il saura que j'ai eu une pensée pour eux. Bien sûr, il est
difficile de raconter sa vie, de dénombrer les périodes qui la composent, qu'elles soient longues ou
courtes, les épreuves, les mots, les rencontres qui nous transforment en permanence.
Comment raconter aussi des histoires d'amour sans blesser l'être aimé ? Et le plus difficile,
comment expliquer sa vie intérieure qui est parfois aussi riche que sa vie réelle ? Mais ce n'est pas
impossible, car un homme, c'est une famille, des territoires, des époques et des actions, un métier,
des ami(e)s et des camarades, des amours, un caractère, des livres, de la musique et des films.

1: ROGHI François ( Mudirino) , 2 : Poli François (Barbinu), 3 : Giacometti Jean


‘(Pichiutu )4 : Natalli Pierre Paul, 5 : Paoletti Antoine ( Frijonu), 6 : ROGHI François (Chierra)
mon grand père , 7: leonetti Toussaint ( Di Mineri), 8:Guiderdoni Paul (Bu), 9 : Guiderdoni Paul (
Dong

2
MA FAMILLE
« la Corse et notre famille n’échappe pas aux contrastes : quoi de commun entre les
personnes qui dans les étroites communautés villageoises vivent les unes en face des
autres, et ces personnes souvent les mêmes qui savent s’adapter à toutes les
situations du monde les plus difficiles,les plus embarrassantes , les plus risquées , et
qui y font face brillamment . »
Robert Colonna D’Istria : Une famille Corse

Devant la maison d'Argiusta en 1958, ma tante Josephine assise sur le banc, ma mère, mon grand-père
derrière se trouve l l'oncle Jean, au millieu ma cousine Nénette avec moi dans les bras, mon oncle Antoine,
Yvette , derrière eux, ma grand-mère et en chemise blanche mon cousin Jule.

ll est très délicat d'écrire sur sa famille, y compris ses oncles, ses tantes mais aussi ses parents . Les
connaissions-nous vraiment ?
Nous avons une connaissance très limitée de l'histoire familiale qui les a précédées, nous n'avons
vécu qu'une partie de leur vie et nous n'avons jamais été dans leurs têtes. En outre, il ne m'est jamais
venu à l'esprit de les juger. Mon objectif est simplement de me souvenir d'eux, de leur donner un
peu de vie et de décrire l'époque dans laquelle ils ont vécu.
Ce que je peux dire, c'est que j'ai été élevé dans le giron de ma famille maternelle, ce qui m'a permis
de développer des liens affectifs très forts avec leur vie, leur village et la maison d'Argiusta.
Mon grand-père maternel, Jean-Baptiste Lupini, a été le patriarche de cette famille.D'abord, par la
longueur de sa vie - 101 ans - mais surtout par la manière dont il l'a menée, de bout en bout. Il a
connu les débuts de l'aviation et de l'automobile, a participé à deux guerres mondiales, a assisté à
l'arrivée des premiers hommes sur la lune, mais est toujours resté dans son village où il a reçu la
Légion d'honneur en tant que dernier poilu. La grande histoire et les horreurs de notre République
l'ont rattrapé.

Maisonnette de Chapouniede

Il s'agissait du fils d'un émigré italien qui avait choisi de s'installer dans un petit village du Taravo.
Malgré les propositions de travail de ses frères sur le continent, il avait décidé de rester au village.
Dès son plus jeune âge, il avait également refusé de servir les nobles du village, ce qui avait
grandement peiné son père. Toutefois, il avait gagné le respect des habitants pour sa vie austère, son
caractère fort et son habileté dans divers domaines tels que l'agriculture, la chasse, la pêche, la
maçonnerie et la cordonnerie. Il était capable de tout faire et préférait vivre en autarcie.
Au départ, il a acquis une petite propriété à Chapouniede grâce à un héritage de sa femme, où se
trouvait une belle maisonnette et où une partie de ses enfants sont nés. Lorsqu'il a obtenu un bout de
terrain au village, il a commencé par tailler la pierre et la charrier avec des bœufs pour construire sa
maison. Il y est mort 60 ans plus tard, dans son lit. On peut dire qu'il a vécu en homme libre dans sa
vallée, se nourrissant, vivant et mourant selon ses propres choix. Peu d'hommes peuvent en dire
autant

J'aurai une tendre pensée pour mes tantes, Isabelle qui a tenu une petite épicerie et un bar à Mocca,
ainsi que sa sœur Joséphine, mariée également à Mocca, qui tenait un célèbre bar à Ajaccio, le
Wagram. Elle m'a souvent gardé et m'a ainsi fait découvrir cette ville. Je penserai également à mon
oncle Antoine, un homme de caractère qui a choisi de s'engager dans l'armée pour échapper à la
misère. Il a été marqué par les guerres coloniales d'Indochine et d'Algérie. Il est possible de lire son
autobiographie où il raconte mieux que moi la vie en Corse à cette époque.

Ma Mère et mon père sont nées dans cette vallée du Taravo en Corse du sud. Dans deux villages
que sépare 7 kilométrés , Argiusta-Moriccio et Olivese .

A me Mamma

Elle est née le 27 mai 1921 dans une maisonnette sur les bords du Taravo , Elle est née entre 2
sœurs, Isabelle (1915..), Joséphine (.1917.) Et 2 Frères Antoine (1926..) et Paul.(1928) Elle est née à
l'intersection de deux périodes : le début de la fin d'un monde paysan et pastoral aux usages
antiques, où les femmes étaient toutes habillées de noir et portaient un deuil éternel, où la religion
catholique se mélangeait à la superstition et à la sorcellerie, et le début de nouvelles mœurs au
contact des parents émigrés en France et au début d'une prospérité croissante au fil du siècle.
Il me semble que son enfance a été difficile, une vie modeste où l'on vivait sur la terre battue dans
une petite maison de pierre, et où elle devait aller chercher de l'eau à une petite source. Mais elle a
suivi des études primaires et savait bien écrire. Cette vie autarcique a créé des liens très forts dans
cette fratrie, que seule la mort séparera.
U mo Babbu

Mon père est né dans le quartier des Courte à Olivese, dans une petite maison familiale. Il est le
dernier d'une fratrie de cinq frères et une sœur : Antoine(1905), Jules(1909), Paul (1907), Joséphine
(1917) et mon père, Bonaventure (1925) et Ange Marie (1920) mort dans un accident de la route.

Je ne sais que peu de choses sur son enfance, mais il me racontait surtout qu'il avait quitté l'école à
13 ans pour s'occuper des chèvres dans la montagne et du travail des champs. Il a vécu une vie de
village faite d'amitié, de moqueries, de nombreuses bagarres, de courses de bicyclette et de
baignades dans le Taravo (jamais à la plage, bien sûr).
Il a quitté le village pour la première fois à l'âge de 18 ans, lors de la libération de la Corse en 1943,
où il s'est engagé comme volontaire dans la nouvelle armée et a participé à la libération de la
France. Cela l'a conduit de l'Algérie à Trèves, dans les forces d'occupation en Allemagne.
Démobilisé, il est retourné travailler à Olivese. Cependant, le faible rendement de ses chèvres - « je
ne gagnais jamais rien » - l'a poussé à chercher une nouvelle vie.

Il a envisagé l'Argentine, mais a finalement choisi le Maroc en 1947. Les débuts ont été difficiles,
car il est parti sans un sou en poche et sans parents pour l'aider. Il a raconté qu'il a dormi sous un
escalier et s'est nourri uniquement d'oranges. Finalement, il a trouvé un emploi à la compagnie de
chemin de fer marocaine, ce qui lui a permis de se stabiliser et de rester 12 ans au Maroc. Il a
ensuite retrouvé un emploi à la SNCF après l'indépendance.

Je connais peu de choses de sa vie au Maroc, mais je suis sûr qu'il a travaillé dur et qu'il a noué de
belles amitiés. J'ai été touché par les lettres de ses compagnons lors de sa mort, en particulier celles
de son ami toulousain, M. Beguet, avec qui il est resté en contact toute sa vie. Ce dernier est venu
l'accompagner dans ses derniers moments.
Il ne revenait en Corse que tous les deux ans, et c'est lors de l'un de ces voyages qu'il a rencontré
ma mère chez une cousine habitant au-dessus de la maison de mon grand-père. Par un miracle que
j'ignore, ma mère a décidé de l'épouser, et ils se sont mariés le 19 juin 1954. Le soir même, ils sont
partis s'installer à Casablanca, où ma mère a commencé une nouvelle vie.
C'était une vie entre la Corse , avec des amis comme la famille Beguet, qui a duré un peu plus de
huit ans et qui s'est terminée en 1959, avec l'indépendance du Maroc. Pendant cette période, Moi, je
suis née pendant cette période au Roche noir à Casablanca en 58 .
Au début des années 60, mes parents ont emménagé au 12 rue Doudeauville, dans le 18ème
arrondissement de Paris, où ils ont résidé pendant plus de 20 ans. Mon père a commencé à travailler
comme manœuvre à la porte de la Chapelle, où une gare de triage était située, avant de devenir chef
de manœuvre à la gare du Nord. Son travail consistait à accrocher et décrocher les wagons entre eux
pour former des convois. C'était un métier extérieur, effectué en trois 8 , et très dangereux. Mon
père a même été heurté par des trains qui reculaient sans le voir, ce qui a entraîné une petite pension
et des douleurs au dos pour le reste de sa vie.
Mon pere a droite
Pendant son temps libre, il en a profité pour réaliser des travaux d'intérieur tels que la peinture, la
pose de papier peint et l'électricité. Les deux tableaux représentant le Maghreb et l'Indochine ont été
récupérés sur un chantier qu'il effectuait à l'ex-ministère des colonies et que personne ne voulait.

Enfin, je voudrais citer deux de ses amis à Paris : Segondi, qui travaillait comme lui à la gare du
Nord et qui était originaire d'Olmeto. Mon père était proche de lui et de sa famille. Et un autre
collègue, un trotskiste pour qui il avait distribué clandestinement des bulletins de lutte ouvrière dans
les vestiaires. Cela m'a amusé car mon père était quelqu'un qui avait des valeurs de droite et ne
s'intéressait que vaguement à la politique et encore moins au syndicalisme. Mais par amitié, il était
prêt à donner un coup de main.

Ma mère a toujours dit qu'elle s'etais plus à Paris. Elle avait la nostalgie des boutiques parisiennes
du marché Saint Pierre, où l'on pouvait trouver sur plusieurs étages tous les tissus du monde. Elle
s'occupait beaucoup de moi et apportait un petit salaire en effectuant des ménages. Madame
Romanie, une Corse divorcée qui habitait avec sa fille Contesse à l'étage en dessous, était son amie
et nous les fréquentions souvent, ainsi que des petits cousins, des gens du village ou de Casablanca.
Les seules autres connaissances que nous avions étaient les gens de l'immeuble ou les parents d'un
ami d'enfance. Nous avons logé dans notre petit appartement pendant de courtes périodes des nièces
de mon père qui venaient s'installer à Paris (Rose et Gilberte), et nous avons également reçu des
neveux en visite, venus faire carrière dans la police, la RATP ou qui ont fini en prison (Adrien,
Jean-Paul et François). Nous recevions également une fois par an mon oncle Antoine en visite au
ministère de la guerre.

En 1980, à l'âge de 55 ans, mon père a pris sa retraite et est retourné vivre dans son village natal, me
laissant à Paris. Cette décision a marqué le début d'une nouvelle vie pour lui, où il a enfin pu
réaliser son rêve de devenir paysan et éleveur. Il a acheté cinq chèvres, fabriqué du fromage et du
brocciu , élevage des lapins et cultivé son propre jardin. Il a également récolté des olives pour
produire de l'huile et a développé sa petite propriété. Pendant ce temps, il a pris soin de mon grand-
père et, après sa mort, a travaillé avec mon oncle Antoine pour restructure complètement la maison.
Malgré sa cécité qui l'a rendue presque aveugle à la fin de sa vie, ma mère a continué à s'occuper de
la maison jusqu'à sa mort. Malheureusement, cette période heureuse a pris fin en 2013, lorsque ma
mère est décédée d'un cancer des os. Mon pauvre père n'a pas supporté sa disparition et la solitude
qui a suivi, et en 2015, il s'est laissé mourir. .
Je pense que mes parents ont finalement été heureux. D'ailleurs, ils ne se posaient pas la question en
ces termes. Pour eux, il suffisait de ne pas être malade, d'échapper aux catastrophes de la vie,
d'avoir un métier et de pouvoir aider leur fils pour être satisfaits. Qu’ensemble pour toujours qu'ils
reposent en paix tous les deux.

poilu: Surnon des soldats francais lors de la premiere guerre mondiale


le brocciu :
trois /huit :
3

MA PRIME JEUNESSE
Chacun de nous,en sa prime jeunesse
sait quelle est sa legende personnelle
Paulo Coelho
Avril 1958 à Septembre 1968

De ma prime jeunesse, il ne me reste que quelques souvenirs fragmentaires, des impressions et


quelques images et sensations. La vie d'un petit homme se déroule toujours dans un territoire
restreint, du moins jusqu'au collège. Pour moi, ce territoire commençait au 12 rue Doudeauville à
Paris 18e. C'était un immeuble de six étages, le dernier avant un pont où je voyais passer les
dernières locomotives à charbon. Notre petit appartement se composait d'une cuisine, d'un salon,
d'une chambre et d'un cagibi qui faisait office de chambre pour moi. Il n'y avait pas de salle de bain
et les toilettes étaient collectives sur le palier. Je me souviens que nous nous chauffions au charbon
et que mon père m'envoyait le chercher à la cave.
Le dimanche, ma mère avait pour habitude de m'emmener me promener au Sacré-Cœur, vêtu
comme un as de pique. Nous allions également au marché de Château Rouge qui, plus tard, est
devenu un marché africain, ou bien celui de Marx Dormoi. Le square de la Madone et la piscine
Hébert, construite en 1892, étaient mes deux lieux de prédilection où j'ai appris à nager. En outre,
ma mère m'envoyait à l'église Jeanne d'Arc pour la messe du dimanche.
Pendant cette période, j'accompagnais également ma mère lorsqu'elle faisait le ménage chez une
vieille dame, qui m'a emmené pour la première fois de ma vie voir un film « La Belle et le Clochard
» de Walt Disney.

De ma petite enfance, je ne garde que quelques souvenirs fugaces. Je me rappelle avoir été pris de
terreur lors d'une expédition à quatre pattes où je me suis retrouvé coincé sous un tabouret. J'ai
également en mémoire le souvenir de dorloter un poupon dans ma petite chambre, ainsi que la
panique de ma mère lorsqu'elle m'a vu enjamber le parapet de la fenêtre pour regarder les
échafaudages. Je me souviens également avoir ressenti une peur terrible lors des tirs de pistolets lors
de l'arrivée des cow-boys sur la piste du cirque d'hiver, où mon père m'avait emmené à la fête de
Noël des cheminots. Ou je recu en cadeau une locomotive rouge et jaune.

J'aimais également m'endormir en faisant le compte de mes panoplies imaginaires. Cependant, j'ai
été confronté à un terrible problème dentaire et j'ai refusé d'aller voir un dentiste. Je pense que
j'étais terrorisé, mais mon père a essayé de m'amadouer en m'achetant un camion de police que
j'enviais depuis longtemps dans la vitrine d'un buraliste. Finalement, mes parents m'ont emmené à
l'hôpital dentaire où j'ai été endormi pour pouvoir être soigné.

Plus tard, à l'école primaire, je me souviens d'une maquette de village africain qui me fascinait. ji ai
vécu plusieurs expériences marquantes : une maîtresse qui nous tapait sur les doigts avec une règle
pour chaque faute ou erreur, un maître antillais dont j'avais du mal à comprendre l'accent, la
découverte de la lecture et des livres de la bibliothèque de la classe, rangés dans une vieille armoire.
Nous remplissions aussi nos encriers avec de l'encre en bouteille sur nos petits bureaux et
apprenions à écrire avec des porte-plumes. Je me souviens également d'une maîtresse qui m'a exclu
de la chorale car je chantais faux la Marseillaise. Dans la cour de récréation, il y avait des
marronniers et un jour, j'ai eu un petit accident en jouant à se tamponner : je me suis mordu la
langue et tout le monde a pensé que je l'avais coupée. C'est également à l'école que j'ai découvert
ma myopie lors d'une visite médicale scolaire.
A la maison Je me souviens qu'on m'avait offert une mitraillette en plastique qui produisait un bruit
assourdissant. Je l'adorais tellement mais un jour, j'ai commencé à tirer , sans me soucier que mon
père, qui avait travaillé toute la nuit et dormait. Il s'est réveillé et a immédiatement cassé mon jouet
en deux. À ce moment-là, j'ai compris que je n'avais rien à dire.
Je pense que j'ai été un enfant profondement solitaire . D'abord parce que j'étais fils unique, que ma
mère me surprotégeait et que vivre dans une grande ville comme Paris ne favorise pas les contacts.
Je n'ai aucun souvenir d'une amitié forte et complice. J'avais bien sûr un ami de classe, Patrick
Briant, qui était aussi solitaire que moi et habitait dans un immeuble à côté du mien. Cependant, il
semblait vivre dans un monde différent du mien. Nous n'avions pas les mêmes centres d'intérêt, et à
ma grande surprise, lui et son père aimaient le sport. Ils m'ont initié sans succes au football et au
tennis
Pendant très longtemps, je passais mes journées à jouer aux petits soldats et à créer des univers de
batailles où je faisais évoluer mes armées. Je me souviens encore de mon château fort et de mes
soldats. Au fil du temps, ces jeux sont devenus de plus en plus complexes. Ils ont suscité en moi un
intérêt pour l'histoire militaire, la stratégie et les armes, qui perdure encore aujourd'hui.
Et bien sûr, la lecture occupait une place importante dans ma vie. Je lisais tout ce qui me tombait
sous la main. De plus, mon père ramenait à la maison toutes sortes de revues abandonnées dans les
trains de voyageurs. C'était toute une littérature de gare, avec des magazines tels que Historia ou
Match, des hebdomadaires d'information et toutes sortes de bandes dessinées qui existaient à
l'époque. Personnellement, je préférais PIF le chien, qui publiait les premières BD qui sortaient du
lot, comme Rahan et X13, ainsi que le magazine Mickey. Je me rappelle même m'être fait faire un
abonnement publicitaire de quelques mois au Journal de Mickey, auquel ma mère avait consenti car
cela était gratuit.

J'ai conservé près de la moitié des ouvrages que j'ai eu le plaisir de lire, et il en aurait probablement
été de même pour mes bandes dessinées. Toutefois, mon père avait aménagé un havre de paix dans
un recoin reculé de la gare de triage où il exerçait. Là, il avait érigé une cabane et cultivé un petit
potager. Il m'y emmenait pour y passer des après-midis entières, et bien que l'accès à cet endroit
nécessitait de traverser les voies ferrées, une aventure qui ne manquait pas d'impressionner un
enfant de mon âge. Dans cette cabane j'avais décidé d'y abriter ma précieuse collection de bandes
dessinées, au grand bonheur de ma mère. Malheureusement, les vols répétés ont fini par décourager
mon père de maintenir son jardin, et c'est ainsi que mes trésors illustrés se sont perdus à jamais.
Pendant la Grève Générale de 1968, alors que plus aucun train ne passait sous le pont de la rue
Doudeauville et que les informations de notre télévision en noir et blanc montraient des images
d'émeutes au Quartier latin, je revois mon père et son collègue trotskiste discuter de la situation
politique. Je ne retiens qu'une phrase prononcée par mon père : "On risque de perdre des plumes". À
cet instant, je vois un duvet de pigeons parisiens descendre doucement devant moi. C'est étonnant
ce qu'un petit garçon de 10 ans peut vivre et retenir.

Enfin, je voudrais partager un dernier souvenir parisien, qui s'est réellement produite. Je ne sais pas
si il est significative, mais il reste gravée dans ma mémoire.
À l'âge de 7 ou 8 ans, j'ai organisé avec mon ami Patrick un vol dans un supermarché pour voler une
boîte de petits soldats de marque AIRFIX 1:72, car il me manquait de l'artillerie. J'ai chargé Patrick
de distraire la vendeuse pendant que je cachais la boîte. Une fois que nous avons eu notre butin en
notre possession, nous l'avons partagé. Cependant, j'ai rapidement compris que le partage n'avait
pas été en ma faveur, car j'avais pris tous les risques. J'ai ressenti un tract extrême, ce qui m'a fait
réaliser que je ne serais jamais un bon joueur de poker ni un bon voyou, comme j'ai pu le remarquer
tout au long de ma vie.
En Corse

Par contre, j'ai énormément de souvenirs de la période de la vacance scolaires que l’on passait
entièrement pendant deux mois en Corse.

Tout d'abord, parlons du voyage qui était alors une véritable expédition, nécessitant deux jours pour
atteindre le village. Nous devions passé une nuit dans un train couchette pour rejoindre le port de
Marseille. Je me souviens encore précisément du compartiment où nous dormions à six, des
soufflais qui reliait les wagons et du bruit des roues sur les rails qui berçait mon sommeil. Puis
l’arrivée à Marseille ou une cousine de ma mère surnommé Zizi venait nous cherchez et nous
amenaient au port pour prendre le bateau .
Une traversée interminable de jour qui durait bien 12 Heures sur le bon vieux Fred Scamaroni ou le
1Er Napoléon et l’arrivée à Ajaccio où mon oncle jean nous attendait avec sa traction avant et nous
remontaient au village.
Par la suite, j'ai traversé à bord du Danielle Casanova et du deuxième Napoléon, qui étaient de gros
paquebots, puis plus tard à bord de la flopée de cargos de la Méridionale. Ces traversées sont sans
doute l'une des constantes de ma vie, car jusqu'à ce jour, à l'âge de 65 ans, j'ai effectué au moins une
traversée par an.

Je passai d’une famille nucléaire intégrale à une famille large. Dans cette maison, mes parents et
moi-même dormions au rédechaussé , à côté de la chambre de mes grand-parents, dans une chambre
qui nous était réservée.
Lorsque venait le mois d'août, mon père profitait de ses congés annuels, tandis que mon oncle
Antoine, sa femme Yvette et leur fille Marie-José, qui avaient aménagé l'étage supérieur, se
joignaient à nous. Nous vivions et mangions toutes et tous ensemble pendant plus de deux mois. De
plus, chaque jour, nous recevions la visite d’oncle et de tante et de cousins qui a un sens large en
Corse.

Comme vous pouvez l'imaginer, les arrivées et les départs en vacances ont entraîné d'interminables
visites à la famille, tant dans le village que dans celui de mon père. De plus, j'ai quitté un
environnement urbain et un appartement étroit pour une maison à flan de colline, dotée d'une
grande cour, d'une étable, d'un garage, d'une forge, d'une cave et d'un grenier aux mille recoins. En
bas de la maison, se trouvaient une fontaine, un lavoir et un petit cours d'eau. À côté, une petite
colline avec des sapins qui ont grandi avec moi, et dans cette sapinière, une sorte de dolmen qui est
devenu mon château fort. Bref, j'avais tout un petit royaume à moi.

Je me souviens également d'avoir été un petit monstre. On me rappelle souvent que j'ai poursuivi un
petit chat et essayé de le pousser dans le feu de la cheminée. J'aimais aussi jeter des pierres au chien
de mon grand-père et courir me réfugier dans la maison où il n'avait pas le droit d'entrer. Un jour, il
m'a rattrapé et mordu, mais personne ne m'a plaint !

Mio Minnane
Ma grand-mère, ma Minnane, était née en octobre 1897 à Olivese et s'appelait Catherine
Giacometti. Elle s'est mariée à mon grand-père à l'âge de 17 ans en août 1914. Elle avait une
préférence pour la cuisson de la soupe au feu de bois, qu'elle préparait à l'extérieur sous une terrasse
plutôt que d'utiliser la gazinière dans sa cuisine.
Cette femme, habillée de noir comme toutes les femmes de sa génération, m'emmenait sous cette
terrasse et faisait griller du lard dans la cheminée et le mettait ensuite sur du pain ou elle mélangeait
du jaune d'œuf et du sucre pour me confectionner un savoureux dessert. C'est ainsi que les femmes
de son époque transmettaient des souvenirs impérissables et beaucoup d'amour à leurs petits
enfants.

Elle pratiquait également l'Ochju (l'œil) en faisant tomber des gouttes d'huile et d'eau dans une
assiette creuse blanche, un savoir ancestral des femmes pour des rites qui tirent leur origine de
temps immémoriaux. Il doit toujours y avoir un crâne de chèvre au grenier pour protéger la maison,
mon oncle n'a pas osé le jeter et moi non plus. Malheureusement, elle est morte trop tôt en 1974 et
j'ai toujours pensé qu'elle me protégeait où qu'elle soit.

Mio Missia
Pendant une bonne partie de mes vacances jusqu'à mon adolescence, je passais du temps avec mon
grand-père et le suivais dans ses multiples activités. J'ai de nombreux souvenirs de le regarder
travailler à la forge, taper le fer rouge sur une enclume, ferrer un cheval, faire des briques avec du
ciment, s'occuper de ses ruches avec un soufflet et un équipement de protection artisanal, et refaire
le manche en cuir d'un ''pinnatu''. Selon la légende familiale, j'ai même donné un coup de marteau
sur ses doigts sur l'enclume.

scumente
Il m'emmenait les après-midi à dos d'âne sur l'une des trois parcelles de terrain qu'il cultivait à
Argiusta. Il travaillait un beau jardin au "scumente", qui m'appartient maintenant. Je me souviens
d'un bassin de pierre où il recueillait l'eau d'un petit ruisseau pour arroser. J'ai contemplé
longuement un serpent qui faisait la sieste au soleil et ces la que j'ai goûté mes premières figues de
barbarie.
Fondale
Nous allions également à « Fondale », où mon grand-père cultivait de la luzerne pour ses vaches. Je
me souviens très bien l'avoir vu faucher manuellement le pré et confectionner une meule. Il me
faisait aussi boire le lait tout chaud qu'il venait de traire.
Chapouniede
Le convoi de vaches qu'on emmenait sur un étroit sentier jusqu'à Chapouniede était pour moi une
grande aventure. Cette propriété avait une grande importance pour mon grand-père, qui la
considérait comme sa Californie, comme le disait en plaisantant mon cousin germain.
Elle abritait une belle vigne ainsi qu'une petite maisonnette désormais écroulée où mon grand-père
cachait un vieux fusil de chasse qu'il me prêtait pour jouer au soldat. Sur une autre parcelle, se
trouvait une grande maisonnette où ma mère et ses frères et sœurs étaient nés et avaient longtemps
vécu. Plus bas, il y avait une petite source aujourd'hui tarie ainsi qu'un jardin, et encore plus bas, le
Taravo.
Chapouniede est un écrin de nature où trône un chêne majestueux. C'est sous ses branches que mon
arrière-grand-père, marqué par les gaz de la Première Guerre mondiale, veillait sur ma mère alors
enfant. Les alentours recèlent une meule de pierre servant à aiguiser les lames, ainsi que des ruches
soigneusement dissimulées
dans l'entrelacs de blocs de granit imposants.
Ce lieu est empreint de récits familiaux, transmis au fil des chaudes soirées estivales, nous
partagions des souvenirs de labeur et de loisirs : les travaux des champs, les bœufs à la peine, les
parties de chasse et de pêche animées. Nous évoquions aussi les fusils cachés dans une grotte durant
la Seconde Guerre mondiale, que les soldats allemands, venus dans l'urgence d'un incendie, n'ont
jamais découverts.
Le mystère de Chapouniede s'épaissit avec la légende d'un trésor, mentionné, selon un cousin
facétieux, dans un ouvrage perdu. C'est un lieu chargé de notre histoire, de notre mémoire et de
contes, qui reste gravé dans le cœur de notre famille.

contesse et maie jose , la mer et charlot, lpartie de peche, mon velo

+ L’’ochju ’Pratique magique qui consiste à enlever le mauvais œil pour chasser le mal, soulage
et fait advenir le bien. Cette cérémonie peut aussi avoir lieu sans la personne physique, ma mère le
faisait pratiquer pendant longtemps par une tante d’olivese avec un t-hirt qui m'appartenant et bien
sûr mon fils y a eu droit.

+ pinnatu : serpe pour des travaux forestier


4

transition
Les fils ressemblent plus à leurs temps qu’à leur père
Marc Bloch Apologie pour l’histoire

Le passage de l'enfance à l'adolescence est une longue transition qui dure arbitrairement en
moyenne 5 ans, soit la période du collège. Cette phase de la vie est caractérisée par des recherches,
des frustrations, des tâtonnements, des expérimentations et des découvertes. C'est le moment aussi
où l'époque nous façonne. On commence en tant qu'enfant, jouant encore aux petits soldats, et on
finit en tant qu'adolescent anarchiste.

1970

C'est en 1970 que j'ai entamé ma première année d'études secondaires dans une annexe d'un collège
dont j'ai malheureusement oublié le nom. Cette annexe, qui était constituée de classes en
préfabriqué, était surnommée "collège bis". Mes souvenirs de cours sont peu nombreux, mais je me
rappelle des parties de foot acharnées avec des boules de papier scotchées à la cantine, de mon
inscription au club de handball où notre équipe n'a remporté aucun match durant l'année, de la
bibliothèque où j'ai découvert Homère et Jules Verne pour la première fois, ainsi que de ma
collection de cartes sur la guerre de Sécession américaine, vendue dans les magasins de journaux et
composée d'une pochette de cinq cartes illustrées de scènes de bataille, de faux dollars confédérés
et d'un chewing-gum immonde. Cette belle collection qui m'avait bien occupé a disparu en Corse où
je l'avais entreposée

Pour finir, je voudrais partager deux petits souvenirs qui ont marqué mon enfance. Le premier est la
découverte des premiers Marvel de Stan Lee, avec leurs personnages de super-héros tels que
l'homme araignée, Daredevil - mon préféré -, les X-Men et les 5 Fantastiques. L'Amérique arrivait
jusqu'à nous avec sa Pop culture et allait tous balayer .
Et enfin, il y a eu cette attirance pour une fille de ma classe, une séfarade qui venait du Maroc. Nous
avons eu quelques conversations et c'est la première fois que j'ai ressenti ce qu'on peut appeler de
l'amour.

Année 71

Je fus affecté au Collège Maurice Utrillo porte de Clignancourt , Notre collège était situé juste à
côté des puces de Clignancour et des puces de Saint-Ouen , on y trouvait de tout, des disques , de la
brocante, des surplus militaire, des fripes et mon préféré étais le marcher Malike où le se trouvait
importé d'Inde toute sorte de vêtement de bijou et objet merveilleux. je passais beaucoups de temps
a explorer les étals colorés et animés du marché pendant mon temps de libre.
Pour cette deuxième année ,la direction avait décidé de prendre les choses en main pour son
nouveau collège. Elle nous avait imposé le port de blouses grises et avait même désigné certains
élèves pour aller chez le coiffeur, d'on Patrick, qui était furieux. Le résultat fut que la blouse ne fut
plus obligatoire l'année suivante, car elle était couverte de graffitis, et je ne suis retourné chez un
coiffeur que six ans plus tard. Enfin, notre directrice a aussi perdu les élections municipales sur une
liste de droite, ce qui est bien fait pour elle.

1972

je n'ai aucun souvenir de l'école, à part d'avoir participé à un jeu d'épervier géant avec les élèves de
ma classe. Le mercredi, nous nous retrouvions dans une amicale chrétienne pour préparer un
spectacle sur la musique de Isaac Hayes ~ Theme From "Shaft" . C'est à cette époque que j'ai
commencé a evoluer, par le biais d'une amitié avec un garçon dont les parents avaient divorcé et
dont le père avait obtenu la garde. Il m'a demandé si je pouvais recevoir les lettres de sa mère chez
moi, et en guise de remerciement, elle m'a proposé un abonnement à un magazine. J'ai choisi Salut
les copains la première année et Rock 'and folk la deuxième.
Un jour, le père de mon ami a cherché à avoir une conversation politique avec moi. Je lui ai exprimé
mon opinion selon laquelle il n'est pas nécessaire d'avoir un État pour diriger tout le monde (une
idée qui n'est pas absurde pour un Corse). En réponse, il m'a qualifié d'anarchiste. J'ai alors décidé
de creuser la question et j'ai d'acheter l'anthologie de l'anarchisme, "Ni Dieu ni maître", publiée par
les Éditions Maspero et écrite par Daniel Guérin, que j'ai finalement rencontré bien plus tard.
La télévision a été une source d'inspiration pour moi, et je me rappelle très bien des films qui m'ont
marquée à cette époque. Parmi eux, Les sept samouraïs de Kurosawa, Viva Zapata de Kazan,
Psychose d'Alfred Hitchcock et Docteur Folamour de Stanley Kubrick, je regardais seul le soir, au
cinéma de minuit, pendant que mes parents dormaient. Je me souviens également d'un film sur Che
Guevara. Quand une époque vous captive, elle vous emporte avec elle.

1973
En voyage scolaire a Londre

En 1973, mon père avait ajouté un appartement voisin au nôtre, celui où j'avais grandi, en
construisant une porte sur le palier. La SNCF, qui possédait l'immeuble, avait accepté cela, car elle
allait détruire cette maison pour agrandir les voies de chemin de fer. Cette situation a duré environ
trois ans, pendant lesquels je suis passé d'une chambre minuscule à un appartement pour moi , qui
allait devenir mon univers.

Pendant cette période, j'ai beaucoup lu et constitué une petite bibliothèque. J'ai commencé par des
livres de science-fiction que j'achetais dans la collection "J'ai Lu". Cette dernière traduisait les
meilleurs textes des écrivains américains des années 1950 à 1970. Parmi tous ces livres, certains
m'ont particulièrement marqué, notamment les univers d'A. E. van Vogt et sont cycles de Lim, ainsi
que tous les livres d'Isaac Asimov, dont Le Cycle de Fondation et des robots. J'ai également
apprécié tous les livres de Philip K. Dick, en particulier Le Maître du Haut Château, qui est devenu
très populaire bien plus tard.

J'ai également beaucoup apprécié les livres de la collection "L'Aventure mystérieuse" publiés par
"J'ai Lu" dans les années 1970. Cette collection faisait partie de la nouvelle vague d'intérêt pour le
réalisme fantastique initiée par Louis Pauwels et Jacques Bergier dans "Le Matin des magiciens",
qui avait suscité mon intérêt. En particulier, j'ai été captivé par les livres traitant des civilisations
disparues, tels que l'Atlantide, Mu et Le Troisième Œil, qui raconte la vie de T. Lobsang Rampa. Ce
dernier se présentait comme un moine tibétain qui recyclait tout l'esotérisme bouddhiste.

Deux livres de Michel Lancelot, m'ont profondément influencé : "Je veux regarder Dieu en face" et
"Campus". Michel Lancelot était un animateur radio qui avait une émission en fin de soirée , Ce
livre abordais le mouvement hippie sous tous ses aspects : sociaux, politiques, sexuels, artistiques,
mais surtout ceux fondés sur la mystique de la drogue. Il explorait le mouvement pacifiste de
Martin Luther King et Lanza del Vasto en France, ainsi que le mouvement Weathermen.

Cette année-là, mes parents m'ont offert un tourne-disque et le premier disque que j'ai acheté au
Prisunic du coin était "There's A Riot Goin'On", que j'ai appris à apprécier bien plus tard. Par
chance, mon père a également trouvé "Disraeli Gears" de CREAM dans un train en provenance de
Londres et me l'a ramené (merci papa!). Plus tard, j'ai acheté deux disques de la collection "Face
and Place" des Yardbirds et de Soft Machine pour seulement 5 francs chacun. À l'époque, j'avais
peu d'argent, mais la musique jouait un rôle important dans ma vie. Il est important de noter que la
radio diffusait très peu de musique rock et que celle-ci était surtout présente dans l'écrit à travers le
mensuel de musique Rock&Folk, qui m'a permis de découvrir de nombreuses histoires et actualités
du rock, ainsi que par la télévision avec l'émission Pop 2, qui diffusait des concerts en direct tard le
soir. Grace a eux, en décembre, j'ai assisté pour 5 francs à un concert des "New York Dolls" au
Bataclan organisé par pop 2.

Au printemps de 1973, les lycéens se sont mobilisés contre la suppression des sursis militaires
décidée par la loi Debré. Malheureusement, notre directrice nous a empêchés de participer en se
plaçant devant la porte. Je me souviens encore des drapeaux rouges des étudiants de la fac de
Clignancourt qui passaient au loin et j'étais frustré de ne pas pouvoir me joindre à eux. Cependant,
quelques jours plus tard, j'ai décidé de sécher les cours et j'ai enfin assisté à ma première
manifestation. Je me rappelle encore de l'atmosphère joyeuse, des filles et du service d'ordre de la
Ligue communiste qui jetait leurs casques en l'air.

1974

"J'allais me réveiller, essayant désespérément de remonter le courant de ma conscience


renaissante pour retrouver la douceur du sommeil. Je n'avais aucune envie de quitter mon lit
chaud pour affronter le froid de ma chambre. Ma mère, me connaissant bien après 16 ans de
pratique, est entrée et a enlevé la double couche de couverture qui me recouvrait, tout en se
demandant pourquoi le Seigneur lui avait donné un fils comme moi. Elle est repartie aussitôt
dans la cuisine. J'ai été contraint à la vie et me suis précipité sur mes vêtements éparpillés
dans ma chambre. Bien que je sois lent à me réveiller, je suis rapide à me préparer. J'ai
enfilé un t-shirt, un slip, une chemise à carreaux, un pull, un jean, des chaussettes et mes
increvables bottes camarguaises, absorbant ma chaleur pour mieux me la rendre. “
Écrit Hiver 1974
L'année 1974 marque pour moi la fin de mes années collège et le début d'un CAP de comptabilité.
C'est également le début de trois années difficiles pour mes parents. En effet, ils se sont retrouvés
avec un enfant qu'ils ne maîtrisaient plus et ne comprenaient plus, qui utilisait un langage avec des
expressions inconnues telles que "c'est cool" ou "c'est le pied", et qui professait des valeurs
étranges. Je pense même que ma mère a fait une petite dépression à cette époque.
Moi, comme une grande partie de ma génération, je n'aspirais qu'à bouleverser le vieux monde et à
sortir de ses morales et de ses carcans. Nous étions une génération en quête de sens, cherchant dans
nos lectures à transformer nos vies. Nous fouillions la littérature avec des livres oubliés tels que "Le
fil du rasoir" de William Somerset Maugham, "Le loup des steppes" d'Hermann Hesse , des livres
plus moderne comme le célèbre livre de Kerouac "Sur la route" ou "Ringolevio" d'Emmett Grogan
et bien sûr le "Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations" de Raoul Vaneigem.
J'ai également fréquenté une permanence de la Coordination Anarchiste, où un militant m'accueillait
et nous discutions de divers sujets. J'ai souvent visité des librairies alternatives où était exposée une
littérature militante, m'imprégnant de l'air du temps en étudiant la révolution russe, la
Makhnovtchina, l'épopée de kronstadt et la guerre civile espagnole.

Pour les vacances d'avril, j'ai décidé de partir en stop à Amsterdam. Non sans mal, mes parents
m'ont signé une autorisation de sortie du territoire car je suis encore mineur, mais mon père m'a
fourni des billets de train aller-retour. Nous voilà donc partis en stop avec un ami. J'ai le souvenir
d'un voyage de nuit assez pénible sur les autoroutes belges et nous avons atterri, après une nuit
blanche, à 5 heures du matin à Rotterdam. Là, nous avons jeté l'éponge et pris un train pour
Amsterdam
Je me souviens d'une ville magnifique où j'ai mangé dans une habitation dotée de poufs, comme on
pouvait en trouver à l'époque. On y servait du thé et des gâteaux au cannabis qui étaient légaux,
mais qui n'ont rien fait, contrairement à ce que l'on pouvait penser. Nous sommes rentrés en train
quelques jours plus tard. À la gare du Nord, un douanier zélé m'a retenu pendant une bonne heure.

Au printemps , j'ai participé à plusieurs grandes manifestations étudiantes et lycéennes contre le


projet de réforme de l'enseignement secondaire établi par M. Fontanet.
Dans les colonnes du tout nouveau journal "Libération", que j'ai régulièrement lu pendant plus de
30 ans, j'ai suivi les terribles suites du coup d'État au Chili ainsi que le début de la Révolution des
œillets au Portugal.
5

UNE JEUNESSE CORSE


de 1970 à 1976
Ghjuventù, ghjuventù, una volta è po' mai più
Jeunesse, jeunesse, une fois et jamais plus
Pendant six ans, j'ai eu la chance de passer deux mois par an en Corse, ce qui équivaut presque à
vivre plus d'une année entière. Durant cette période prolongée, je ne venais à la maison que pour
dormir et manger. J'étais en contact avec la jeunesse animée d'Agiusta. Nous nous retrouvions au
centre du village et menions une vie parallèle à celle des adultes. Cette expérience a été inoubliable,
remplie de souvenirs et de moments intenses. C'est là que j'ai découvert pour la première fois le
véritable sentiment de liberté et d'insouciance.

Ces années la on commencé pour moi par une partie de pêche mémorable avec mon grand-père.
Nous sommes descendus dans la partie du fleuve située sous la maisonnette de Chapouniede et
avons déposé une cinquantaine de lignes de fond, appâtées avec des morceaux de viande, dans
l'espoir d'attraper les voraces anguilles. Le lendemain, très tôt, nous avons relevé les appâts. Je me
souviens avoir sorti une dizai ne d'anguilles, les avoir nettoyées de leur mucus abondant, puis les
avons ramenées à la maison. Ensuite, ma mère et ma grand-mère les ont préparées et nous les avons
toutes mangées ensemble.
J'appréciai aussi beaucoup faire de longues balades à vélo sur mon vélo bleu. Ces escapades me
conduisaient souvent jusqu'à Foce, où je prenais plaisir à explorer les vestiges archéologiques d'un
monument torréen .
Par la suite, Bruno Buresi est devenu mon compagnon de jeu. Il était le fils d'un cousin éloigné. Son
père venait nous rendre visite régulièrement à Paris. Sa tante Mimi veuve de guerre était une amie
d'enfance de ma mère et travaillait comme gardienne dans une école du 18ème arrondissement. Son
fils, Jean-Pierre, a épousé Rose, l'une de mes cousines germaines. Une chose étrange est que la
famille Buresi et la nôtre partagent un cimetière privé où je serai sûrement enterré.
Nous jouions beaucoup ensemble. Je l'ai initié à la pêche à la main dans la petite rivière au-dessus
du lavoire, une technique que mon père m'avait appris. Je lui avais donné les trois truites que j'avais
pêchées et il est parti fier comme Artaban. Je soupçonne qu'il s'est approprié les mérites de cette
capture. Il me suivait dans toutes mes lubies pendant plusieurs années. Nous sommes allés camper
seuls à Chaponiede. Mon oncle Antoine nous avait prêté une tente de l'armée. Cela ne devait pas
durer longtemps car je n'ai aucun souvenir de la manière dont nous mangions, mais je me rappelle
des nuits passées sous la tente, des explorations des berges et des bains dans le Taravo. Le bruit et
les odeurs du fleuve sont ainsi gravés dans ma mémoir. Nous participions également à des parties de
football interminables et très animées sur la place de bal de la mairie, en jouant à être des
footballeurs argentins de la Coupe du Monde de football de 1974.
Je ne suis pas certain de l'âge auquel j'ai commencé à descendre au village, mais il est probable que
cela se passait d'abord les après-midis. J'ai rencontré une grande tante (Tiouge) qui me donnait des
pièces de 20 centimes pour jouer au flipper sur la terrasse du bar du village.
Dans le bar-tabac, il y avait également une petite épicerie. Cet établissement était situé au cœur du
village , qui porte le nom Caitucoli , nom d'une famille parmi les plus anciennes. D'ailleurs, le maire
actuel porte également ce nom ( Paul-Jo 2023).
Ce commerce était tenu par Monette et son mari, des Français qui avaient ouvert cette petite affaire
à Argiusta. Ils étaient respectés par tous en raison de leur travail acharné, de leur serviabilité, de leur
volonté d'accorder des crédits et de leur acceptation des particularités de certains clients. Je me
souviens qu'en face de leur magasin, il y avait une imposante maison à trois étages. Une famille y
vivait et utilisait un panier attaché à une corde pour que Monette puisse leur livrer leurs
commandes. La période estivale était indéniablement la plus rentable pour ce commerce, mais
également la plus exigeante. En effet, la population triplais ,le bar était le point de rencontre
habituel des anciens qui se retrouvaient chaque soir pour jouer à la belote. Cependant, sur la
terrasse, où des flippers et un baby-foot avaient été installés, c'était la jeunesse locale qui en avait
pris le contrôle et en avait fait son lieu de rassemblement.

Nous étions un groupe d'environ une vingtaine de garçons, mais parfois nous pouvions atteindre une
trentaine lorsque des jeunes de Mocca se joignaient à nous. Parmi nous, il y avait René, le fils du
maire Monsieur Pereti, qui habitait à l'année dans le village et qui était notre voisin. Il y avait aussi
George, que j'avais vu plus jeune casser les œufs donnés au curé le jour de Pâques, et qui est devenu
caméraman à FR3. Xavier, un Caitucoli, était partagé entre l'aide qu'il apportait à son père
agriculteur et son envie de se joindre à nous. Il y avait également un jeune d'Argiusta qui vivait à
Bastia, Jean-Marie, un garçon charmant plein d'humour, qui a travaillé à EDF et s'est beaucoup
occupé des prisonniers du FNLC.
Et bien sûr, il y en avait aussi des Marseillais, comme Jacques du Moriccio , qui était une sorte de
leader et qui m'a fait découvrir les Doors. Il était l'un des premiers nationalistes de l'époque et est
devenu professeur à Tours. Jean-Do était un “Mia” de la cité phocéenne, un mec bien qui a connu
une adolescence difficile et qui vit maintenant au village. Il y avait aussi des garçons venant de
Paris, comme Malo Sena, quelqu'un de brillant mais fasciné par son propre échec. Je ne sais pas ce
qu'il est devenu. Mondin était un mec bien qui est resté fidèle au village, son fils habite même à
Argiusta et est conseiller municipal. Et Bruno .Il y en avait bien sûr beaucoup d'autres avec qui j'ai
perdu contact, comme Jean qui habitait dans le Gard, et tous les autres que j'ai perdus de vue mais
qui certain ont fait de belle carriere dans l'armée .
Il y avait bien sûr des filles, principalement. Je me souviens de Marie-Pierre, avec ses lunettes
rondes, tenant un disque de Bob Dylan dans les bras. Il y avait également une cousine du village qui
s'est mariée avec Xavier, et Christiane, une autre cousine, qui s'est mariée à Moca. Enfin, il y avait
Fabienne Maestrachie, dont la mentalité reflétait celle des nobles du village. Elle a été emprisonnée
car elle était la compagne d'un leader nationaliste soupçonné d'être le meurtrier du préfet Erignac.
Elle a eu le mérite d'écrire un livre sur cette période de la vie du village.
Quant à moi, j'étais un garçon aux cheveux longs, portant un t-shirt du Che et on m'a attribué le
surnom de "Che".

Nous passions beaucoup de temps sur la terrasse du bar, où un baby-foot attirait les amateurs de
parties acharnées. Il y avait également un flipper que nous trafiquions en plaçant des cales pour
ralentire la descente de la boule, ce qui nous permettait d'obtenir une cinquantaine de parties
gratuites et de jouer pendant des heures sans payer. Nous jouions aussi beaucoup aux cartes,
utilisant les tapis et les jetons du bar pour des parties de belote contrée ou un jeu corse appelé
Scopa. C'était aussi l'endroit des rendez-vous où nous discutions de tout et de rien pendant la
journée.Bien sûr, nous ne consommions rien car nous n'avions pas d'argent. Pire encore, certains
d'entre nous se servaient de glaces et de paquets de cigarettes. En 1975, une nuit où j'étais déjà
rentré dormir, les jeunes ont barricadé la porte de l'épicerie avec les chaises du bar. Ce fut la seule
fois où Monette a craqué et porté plainte. Le lendemain matin, les gendarmes sont venus
m'interroger. Moi, je n'avais rien vu car je n'étais pas là. Mais mes parents étaient furieux de voir les
gendarmes dans notre cuisine. Pendant longtemps, j'en ai voulu à Monette car elle m'avait dénoncé.
Je lui est pardonner que bien plus tard lorsque elle etait une personne agé et casiment aveugle .

Le soir, nous avions l'habitude de nous retrouver sur le grand banc de pierre du quartier. C'était un
endroit spécial où nous avons partagé de nombreux moments de rire et de folie. Notre joyeuse
agitation finissait par agacer une vieille dame, qui a même osé nous jeter de l'urine pour nous
chasser. Malheureusement pour elle, ses efforts étaient vains, car nous revenions sans faillir. Parfois,
nous partions en promenade sur les routes, jusqu'à Mocca et même jusqu'à Petreto. Je me souviens
d'avoir vu une étoile filante dans la nuit qui tombait derrière la colline.

Le maire, en réponse aux plaintes des habitants de Caitougle qui avaient du mal à dormir, nous a
généreusement ouvert les portes de la salle des fêtes située au-dessus de la mairie. Pendant deux ou
trois ans, nous y avons passé une partie de nos soirées. Quelqu'un avait apporté un tourne-disque et
chacun contribuait avec ses propres disques. Jean-Marie avait apporté un 45 tours de Léo Ferré
intitulé "C'est extra", et j'avais moi-même amené deux 45 tours des Stones que j'avais achetés aux
puces de Clignancourt. Il y avait également un album des Stones, "Get Yer Ya-Ya's Out" et le
“disque blanc” des beatle avec notre morceau preferer” Back in the USA”. Nous nous amusions
beaucoup et faisions beaucoup de bruit, et je me souviens même de George faisant le tour de la
mairie sur la corniche, ce qui était un peu une bêtise.

Durant les torrides journées d'été, nous consacrions de longues heures à flâner au bord du fleuve,
dans un lieu nommé Trigiste, niché entre Mocca et Argiusta. Cet endroit était orné d'un petit lac
splendide, nommé "Lavu" en langue corse. Blotti dans un méandre de la rivière, ce lac était même
équipé d'un petit tremplin. Plonger dans ses eaux fraîches et nager était un pur bonheur. Je garde en
mémoire une anecdote où, voulant faire le fier, je décidai de remonter au village pieds nus.
Aujourd'hui, je peux l'admettre : les feuilles de chêne savent se montrer rudement piquantes.

Je me souviens également que pendant deux ans où nous avons campé au bord du Taravo . Nous
avons tous dormi ensemble dans une tente bleue, bercés par le doux bruit du fleuve. Ma mémoire
me fait défaut pour me rappeler des personnes qui étaient présentes, mais je me souviens d'une
blague faite à Jean-Marie et d'une histoire terrifiante racontée par Jacques. Il nous avait prévenus
que nous nous en souviendrions toute notre vie, et cela s'est avéré vrai.
Plus tard, j'ai demandé à Xavier comment nous mangions. Il a ri et m'a expliqué que chaque soir,
nous remontions dans nos maisons et redescendions dormir au bord du fleuve. En effet, j'ai un
vague souvenir d'être remonté et redescendu. Cependant, c'est encore un souvenir flou des détails
d'une aventure oubliée.

Un autre moment partiellement oublié est lorsque nous sommes descendus camper dans l'une des
criques du golfe du Valinco. Je me rappelle à peine des détails : avec qui j'étais, comment nous
sommes arrivés là-bas, comment nous nous sommes nourris... enfin, presque rien. Les seuls
souvenirs qui me restent sont les pêcheurs qui me réveillaient parmi les rochers, me rassurant et me
disant de ne pas avoir peur. Il y avait aussi Fabienne qui voulait jouer au strip-poker et qui
abandonnait en culotte. Elle s'est vengée en empruntant un album sur Woodstock et ne me l'a jamais
rendu. Et je me souviens aussi de la sensation irritante du sel sur ma peau.

Avec Jean, qui travaille maintenant à l'ONF, nous nous adonnions à des activités peu communes.
Nous descendions au bord du fleuve sur sa moto en empruntant des sentiers de muletier, et nous
passions la nuit dans une petite maison abandonnée à Forque. J'appréciais également me rendre
dans la maisonnette où un hippie vivait avec une Italienne. C'était la mode du retour à la campagne.
Il vendait des bracelets en cuir à tous les jeunes. Personnellement, je me méfiais de ce genre
d'achats et je n'ai jamais cédé à la tentation d'en acheter. Je me souviens encore de son regard déçu
et courroucé lorsque j'ai refusé.

Tout n'était pas cool quand même. Moi, qui vivais à l'époque dans un esprit "peace and love", je me
suis rendu compte qu'il ne suffisait pas d'avoir les cheveux longs pour être un mec bien. Malo avait
ramené de sa banlieue un mec assez minable, un grand échalas qui cherchait à provoquer. Il finit par
avoir des histoires avec René un été où je n'étais pas là. Je me souviens d'avoir vu arriver sur la
terrasse de Monette un petit gars de Mocca, haut comme trois pommes, armé d'un nunchaku gravé
d'une croix celtique. Il n'était pas agressif et nous l'avons gentiment taquiné et invité à prendre
place. Une autre histoire moins sympathique s'est déroulée lors d'une soirée à Mocca. Des rumeurs
circulaient selon lesquelles quelqu'un aurait aménagé une sorte de boîte de nuit dans une cave. À
notre arrivée, il n'y avait visiblement pas beaucoup de monde. C'est alors qu'un jeune homme,
curieusement portant le même prénom que moi, a tenté de me donner un coup de tête. Quelques
soirées plus tard, Jaque s'est battu avec cet individu et s'est blessé au doigt. Je n'ai jamais su qui était
cette personne, quel était son rôle et pourquoi elle était aussi agressive. Une autre histoire m'est
arrivée lors d'une de nos interminables promenades. Un Casanova que je ne connaissais pas bien
m'a interpellé et m'a donné une claque. Je lui ai demandé pourquoi il faisait ça. Apparemment, il
cherchait à prouver que j'étais un lâche, et ma question répondait à sa recherche. Et puisqu'il n'était
pas trop bête, cela lui suffisait.

Je suis quelqu'un d'assez timide et j'ai souvent le trac. Mais dans l'ensemble, je suis un homme
calme et je ne m'affole que rarement. J'arrive généralement à prendre du recul dans les moments
difficiles et je n'ai pas un ego démesuré. J'ai maintenant 65 ans et je n'ai jamais été impliqué dans
une bagarre. La seule fois où j'ai agressé quelqu'un, c'était une nuit au centre de tri de Marseille.
J'étais à moitié endormi et mon collègue qui travaillait à côté de moi n'arrêtait pas de me provoquer.
Je me suis levé et je l'ai étranglé, mais nos autres collègues nous ont immédiatement séparés. Je
regrette sincèrement d'avoir réagi ainsi, surtout que c'était un brave tipe.

Pour terminer l'été 1975, j'ai pris la décision de partir seul pour la première fois en "road trip" sur
l'île. De ce voyage, il ne me reste que des impressions : la gare de Ponte Leccia qui ressemble à une
gare ferroviaire de western, la plage de Calvi au milieu des pins. Ce petit tour de la Corse en train se
mélange à d'autres souvenirs de la Corse que j'ai visitée à de nombreuses reprises.
Je suis parti en stop du village, en portant des sabots hollandais à la mode de l'époque.
Malheureusement, ils m'ont rapidement fait mal aux pieds, alors je les ai donnés à quelqu'un
pendant mon voyage. Une fois arrivé à Ajaccio, j'ai pris le train pour finalement arriver à Calvi, où
j'ai visité la ville et dormi sur la plage. Ensuite, je suis allé à Corte et j'ai séjourné dans un
magnifique camping au bord d'une rivière, en face de la citadelle. C'est là que j'ai retrouvé une fille
que j'ai rencontrée plus tard à Paris. Surtout, j'ai eu la chance de vivre les prémices du mouvement
autonomiste et de la renaissance culturelle corse lors des journées de l'ARC à Corte.
De se passage a corter ji ai remenez une livre d'un auteur Corse.

Quelques semaines plus tard, de retour à Argiusta, j'ai vécu les événements d'Aleria où deux CRS
ont perdu la vie, ainsi que la nuit d'émeutes et de fusillades à Bastia. Ces journées ont marqué les 40
années qui ont suivi en Corse, avec le début de la lutte armée du FNLC et le "Riacquistu", la
réappropriation de la langue corse. Les dernières semaines de vacances ont été très tendues, à
l'écoute des informations, et le concert d'Antoine Ciosi à la fête d'Olivese a été un grand moment
d'émotion.

PS :Cette période de ma vie a laissé une empreinte profonde en moi. Mes compagnons sont gravés à
jamais dans ma mémoire et j'ai souvent pensé à eux tout au long de ma vie. Malheureusement, nous
avons été séparés par les circonstances à partir de l'été 1976, car j'ai commencé à travailler et je ne
pouvais pas prendre de vacances à cette période. Je ne revenais qu'au mois de juin, mais à ce
moment-là, seuls les anciens étaient encore présents dans le village. Cependant, la culture et la
musique ont joué un rôle essentiel pour maintenir des liens forts avec eux. Le groupe "Canta u
populu corsu" et leur chanson "Companero" seront certainement présents le jour de mes funérailles,
tout comme Les Muvrini, qui ont contribué à la création d'une musique corse moderne et ont
interprété de manière magnifique un "Diu vi salvi regina" lors de leurs concerts. Je suivais
également avec beaucoup d'intérêt les luttes en Corse et ma mère me tenait informé des nouvelles
du village par lettre. J'ai été profondément attristé par le suicide du frère de Xavier Antoine et du
frère de Marie José. Cette dernière s'est occupée de mon père par la suite. La mort du frère de
George m'a également beaucoup peiné. La dernière fois que je l'ai vu, c'était dans un couloir du
métro parisien. J'espérais le revoir, mais la terrible pandémie du SIDA en a décidé autremen.

insouciance

La scopa (en français : « le balai ») est un jeu de cartes italien. C'est l'un des jeux de cartes les plus
connus en Italie au même titre que la briscola. Il est joué également en Corse et est aussi très
populaire en Tunisie (communément appelé chkobba). En fonction des régions, des provinces, voire
des villages, les règles du jeu et le décompte des points varient.
6

Street fighting man


1975-1976-1977

« Partout j'entends le pas de charge , mon gars . Car l'été est là


et c'est une bonne époque pour les combats de rue , mon gars . »
chanson des Rolling Stones parue sur leur album Beggars Banquet

Durant la période allant de 1975 à 1977, de nombreuses choses se sont produites pour moi. C'était
une période marquée par mon engagement politique, ainsi que par ma sortie du cocon familial et le
début de ma vie professionnelle.
Je pense qu'a cette époque , j'ai enfin réussi à devenir la personne que je souhaitais être, ou du
moins celle que j'avais en tête. J'ai enfin pu me libérer de la réalité familiale ennuyeuse qui
consistait à passer des dimanches après-midi à regarder des émissions de télévision qui ne
m'intéressaient guère. De plus, j'étais en train de suivre une formation de comptable que mes parents
avaient choisie pour moi, mais je savais très bien que ce métier ne serait jamais le mien.

1975
Le premier souvenir que j'ai de ce début d'année 1975 est que j'ai réussi à faire changer d'avis le
seul garçon avec qui j'avais des relations dans cette école. Il voulait acheter le quotidien maoïste
"Le Quotidien du Peuple" et je l'ai convaincu d'acheter "Libération". Il me le refilait après l'avoir
lu. Liberation était un journal dans l'esprit de l'époque, fondé par une bande de gauchos pour la
plupart maoïstes, tels que Serge July qui deviendra à la tête du journal une figure du monde
journalistique. Pour vous donner une idée de cet esprit libertaire, les clavistes du journal qui
recopient les articles des journalistes se permettaient de faire et d'écrire des petits commentaires,
ce qu'on appelait la "note du claviste". Cela donne une idée du journal et de l'ambiance à
l'intérieur de la rédaction.

Je passais beaucoup de temps dans les cinémas. Je me souviens avoir vu les grands films musicaux
de la décennie, tels que "Woodstock" l'un des plus grands films sur la musique rock et le Summer of
Love, "Jimi Plays Berkeley" où l'on voit un Jimi Hendrix impressionnant de virtuosité, "Gimme
Shelter" sur la fameuse prestation des Rolling Stones au festival d'Altamont le 6 décembre 1969, au
cours de laquelle un spectateur a été assassiné, et "Feast of Friends" ,un film sur les Doors qui m'a
profondément marqué sur le plan scénique et musical.
En plus de ces films musicaux, je rechaichais des films de la contre-culture de l'époque, tels "Easy
Rider" de Dennis Hopper, "et "More" de Barbet Schroeder. J'ai même eu la chance de voir "Scorpio
Rising" de Kenneth Anger, qui a été projeté une ou deux fois en France.
Après avoir repris les cours et ma vie plutôt studieuse à ma manière, j'ai passé du temps à
emprunter quelques disques chez les disquaires du boulevard Saint-Michel et à lire des livres et des
magazines variés, tels qu'Actuel, qui nous plongeait au cœur de la contre-culture mondiale. C'est
lors de mon retour de Corse, où j'avais suivi les événements d'Aleria, que j'ai été profondément ému
par un événement.

Le 27 septembre 1975, cinq militants ont été exécutés en Espagne. Parmi eux se trouvaient Angel
Otaegi Etxeberria de l'organisation ETA, ainsi que les militants du FRAP, José Luis Sánchez Bravo,
Ramón García Sanz et Humberto Baena. Cet événement tragique marque la dernière atrocité du
dictateur espagnol Franco.
Pour notre génération, qui n'était pas si éloignée de l'épopée de la résistance en France , de la
guerre civile en Espagne et en tant qu'anarchiste imprégné du souffle révolutionnaire de la CNT et
du POUM, la vengeance était à l'ordre du jour.

Une semaine avant les assassinats, j'ai participé à plusieurs manifestations dans les rues de Paris
pour protester contre les exécutions et faire precions sur le gouvernement espagnol. Cette
mobilisation a créé une atmosphère électrique, avec la foule scandant des slogans tels que "Franco
assassin" et "El pueblo unido jamás será vencido". Nous avons modifié ce dernier en "El pueblo
unido armado jamás será vencido". Pendant ces événements, j'ai été impliqué dans des frictions
avec le service d'ordre du PCF, qui cherchait à nous empêcher de déborder la manifestation.
Cependant, leur tentative était vaine car nous étions trop nombreux et trop fluides

Le lendemain des exécutions en Espagne, une nouvelle manifestation unitaire des partis de gauche
se dirigeait vers l'ambassade espagnole, située avenue George-V. Malgré l'ordre de dispersion, des
organisations d'extrême gauche ont continué leur marche en s'engageant dans l'avenue George-V et
ont affronté la police.
Personnellement, je suis arrivé en retard et je me suis retrouvé sur les Champs-Élysées. J'ai vu
passer le flot de la manifestation et j'ai remarqué la présence de bandes de jeunes prêtes à en
découdre comme moi. Ce qui devait arriver arriva et le quartier le plus chic de Paris fut livré à la
casse et, dans une certaine mesure, au pillage. Tout cela finit à la tombée de la nuit.

1976
De St Michel à Kalkar du Mazet à l'Autonomie

Vivant une vie relativement solitaire, je rencontrai a chaque manifestations de nombreux jeunes ,
nous bavardions, courions ensemble et certains d'entre eux devinrent des amis que je fréquentai
également en dehors des événements.
Mes souvenirs de cette époque sont riches et variés.Je me souviens d'un bar qui se trouvait près de
mon école, à proximité du lycée Lamartine. C'était un endroit où j'aimais passer des heures à
discuter, à boire du café et des limonades à 50 centimes. J'appréciais également flirter gentiment
avec des filles. Je me rappelle même de leurs noms, comme Catherine, une fille d'origine espagnole,
et Stéphane, un personnage un peu excentrique, ainsi que Pascale, la fille au chapeau. Nous avions
l'habitude de nous rendre ensemble au square Boussuet et gravés des A vengeurs.
J'ai également rencontré une bande de jeunes dans le café en face du lycée Jacques-Decour,
notamment un garçon aux cheveux peroxydés. Je me souviens qu'une nuit, ils avaient pénétré dans
leur lycée et avaient bombé des slogans provocateurs tels que "Apprenez à faire l'amour à vos
professeurs".
Je me souviens avec émotion de nombreux concerts auxquels j'ai assisté sans débourser un sou, Il
nous arrivait souvent de nous faufiler clandestinement pour y accédé comme ceux de Chuck Berry,
Santana ou encore Bob Seger.
Pendant mes vacances scolaires, j'ai séjourné à Strasbourg avec un ami dont je ne me souviens plus.
Durant notre séjour, nous avons conçu un drapeau noir inspiré par le mouvement libertaire des
USA, sur lequel nous avons dessiné un A cerclé, une carabine M-16 et une fleur de cannabis.
Malheureusement, plus tard à Paris, le Service d'Ordre de la CGT me l'a confisqué.
À l'époque, j'ai fait partie d'un mouvement informel que les organisations d'extrême gauche
sérieuses qualifiaient de "ploum". Ce mouvement a progressivement évolué politiquement pour
devenir le mouvement des autonomes, et est maintenant nomé "black blocs" par les médias. Nous
étions surnommés "ploum" car pendant les manifestations, nous scandions des slogans tels que
"Ploum ploum tra la la, l'anarchie vaincra", "Tous bourrés dès neuf heures soutien au viticulteur" ou
encore le célèbre "À bas A bas A bas". Le seul slogan de cette époque qui ait survécu est le fameux
"À bas l'État, les flics et les patrons".
Un membre plus âgé de l'Organisation Révolutionnaire Anarchiste a essayé de structurer notre
groupe et nous a invités à plusieurs réunions au 33 rue des Vignoles. Cette adresse est située dans
une petite impasse du 20ème arrondissement de Paris, où se trouvent des bâtiments que la CNT
espagnole a achetés pour regrouper les réfugiés de la guerre d'Espagne. Ils se rassemblaient là-bas
et même une chorale y existait. Pendant longtemps, le 33 était le local de l'ORA, avec une petite
librairie, mais il est maintenant le local de la CNT française.

Avec les premier autonomes

Au printemps de l'année 1976, Paris a été le théâtre d'une nouvelle période d'agitation estudiantine,
suite à la mise en place d'une importante réforme universitaire appelée "Plan Saunier-Séité". De
nombreuses manifestations ont eu lieu dans la ville, rassemblant plusieurs milliers, voire dizaines de
milliers, de lycéens, étudiants et enseignants, ainsi que quelques milliers d'éléments incontrôlés.
toutes ces manifestations ont fini de la même manière.

Ce mois d'avril la , j'ai passé beaucoups de temps dans un bâtiment de la faculté de Jussieu qui avait
été occupé. Ce lieu était devenu un endroit convivial où les tables ont été démontées pour récupérer
les pieds, qui ont ensuite été transformés en barres de fer. Des cocktails Molotov y ont été fabriqués
et de nombreuses Assemblées Générales y ont eu lieu. À l'époque, nous étions influencés par les
violentes manifestations en Italie, où un mouvement dit autonome "Autonomia Operaia" émergeait
et tirait au P38 sur la police. Nous suivions l'actualité de ce mouvement à travers une revue intitulée
"Camarade". Les autonome ont connu son heure de gloire lors de la manifestation anti-nucléaire de
Crey Malville ainsi que lors de la grande manifestation des sidérurgistes en 1978. Apres, il a disparu
pendant 20 ans.

Un souvenirs me viennent à l'esprit. Lors de la dernière manifestation, un cortège de tête s'est


formé. Les éléments les plus radicaux ont pris la tête du cortège et ont affronté les CRS qui
bloquaient le boulevard Saint-Germain. Cela a duré une demi-heure sur le pont de Sully. Pendant
les échauffourées, un jeune homme qui se trouvait à deux mètres de moi a reçu une grenade de
lacrymogène en pleine figure (on peut le voir sur la photo). Cela aurait pu être moi.

Les Fetes de LO du PSU et de la Ligue


Avec impatience, j'attendais l'arrivée du printemps pour participer aux fêtes organisées par l'extrême
gauche. Comme chaque année, durant le week-end de la Pentecôte, je préparais mon sac de
couchage et me rendais à Mériel pour prendre part à la fête de la lutte ouvrière. Cette organisation
tire une partie de ses revenus de cet événement et avait créé un lieu ludique inspiré de l'imaginaire
soviétique, avec des drapeaux rouges flottant partout, des rues portant le nom de Lénine et des
stands centraux à la gloire de LO. À cette époque, il y avait également de nombreux stands pour les
petites organisations d'extrême gauche.
Personnellement, j'ai tenu le stand de la Coordination Anarchiste pendant deux jours. La
programmation musicale était très intéressante et j'ai pu y voir des artistes tels que François
Berander et Guy Bedos. La fête existe toujours aujourd'hui et demeure plus ou moins politique. Elle
propose désormais un village médiéval ainsi qu'une programmation musicale de qualité, tout en
conservant son caractère populaire, similaire à celui de la fête de l'Humanité.J'adorai également la
fête du PSU qui se déroulait à La Courneuve. C'était une fête politique mais très conviviale, rien à
voir avec la fête de LO. En plus des nombreux stands politiques, il y avait des stands féministes, des
membres du FARH (Front homosexuel d'action révolutionnaire) et des représentants de pays en
lutte. L'ambiance était très "Baba cool" de l'époque et certaines personnes se baignaient même nues
dans une petite piscine en plastique aménagée. Je me souviens avoir assisté aux débuts du groupe
Téléphone, qui n'était pas encore connu et qui allait devenir un groupe de rock français célèbre. Ils
nous ont joué "Johnny B. Goode" en accéléré, c'était mémorable
La nuit était plus compliquée car il y avait un certain nombre de lascar de la Courneuve qui
traînaient à la fête. Malheureusement, le service de sécurité du PSU était inexistant et je me
souviens d'avoir été encerclé avec trois de mes camarades dans une tente par une vingtaine de
jeunes âgés entre 14 et 16 ans. Ils nous ont montré leurs cutters , mais nous nous sommes mis dos à
dos en attendant qu'ils attaquent ou qu'ils partent. Finalement, au bout d'un quart d'heure, ils ont
décidé de partir.
La LCR a également organisé une tres belle fête au Pavillon Baltar où j'ai eu la chance de voir sur
scène Patti Smith et John Cale, deux artistes que j'adorai.

Enfin, après cinq ans d'interdiction, les Rolling Stones ont donné un concert de trois soirs au
Pavillon de Paris le 4 juin. À la suite de cet événement, un vinyle intitulé "Love You Live" a été
produit. J'ai encore ce vinyle, j'ai bien sur réussi à entrer sans payer grâce à l'affluence et la
désorganisation ambiante. Ils ont joué tous leurs grands tubes tels que "It's Only Rock 'n' Roll" et
"Brown Sugar", mais malheureusement pas "Street Fighting Man".

1977
J'ai passé beaucoup de temps cette année-là, lorsque je ne travaillais pas, avec deux amis que j'avais
rencontrées à Jussieu. Je me souviens seulement de leurs prénoms : Gérard, qui était coursier pour
une entreprise allemande. Il avait un talent pour le dessin et jouai des congas, il m'a fait découvrir
ZZtops. Il était fasciné par la violence et les groupes armés. C'est chez lui que nous avons réalisé
une série de photos avec des Rebane sur le nez et nos blousons de cuir. Ensuite, il y avait Reda, Un
jeune homme aux longs cheveux bouclés, nous écoutions chez lui le dernier disque de Jacques
Brel . Nous fréquentions régulièrement Saint Michel et la rue Saint-André des Arts, où se trouvait
un bar appelé Le Mazet.
Le fait d'avoir un salaire m'a permis d'aller régulièrement au cinéma, où je visionnais de nombreux
films . À l'époque, Paris et le quartier latin étaient le paradis des cinéphiles. L'époque était
également marquée par le développement de la bande dessinée, avec l'apparition de grands noms
tels que Moebius, Druillet et Hugo Pratt. J'ai eu l'occasion d'acheter leurs œuvres, ce qui m'a permis
de constituer une belle collection de bandes dessinées. J'allais aussi souvent seul dans un bar situé à
Châtelet le Dejazet où l'on pouvait trouver le soir, dans ses sous-sols, des orchestres de jazz.
J'appréciais énormément l'ambiance qui y régnait.

La Saga Finlandaise
29 juin au 26 juillet
En Juin juillet , j'ai eu l'occasion de partir en vacances dans les pays scandinaves en compagnie de
Gérard et Reda. Pour faciliter nos déplacements, nous avons opté pour l'achat de billets de train
InterRail, qui nous ont offert la possibilité de voyager de manière illimitée en Europe en deuxième
classe pendant toute la durée de notre séjour.
Notre première destination a été Copenhague, une ville magnifique où nous avons visité la célèbre
ville libre de Christiania, un quartier à l'ambiance hippie et alternative . Nous avons également
passé une soirée au parc d'attractions Tivoli, un lieu emblématique de Copenhague . Nous sommes
ensuite partis vers Stockholm, la capitale de la Suède. J'ai été agréablement surpris par la beauté de
la ville. Elle est magnifique et colorée. Nous avons également profité d'une baignade dans un lac
situé à proximité du centre-ville. Le soir. Nous dormions dans un immense camping. Je me souviens
d'avoir vu arriver un cycliste aux cheveux longs qui nous a demandé de cesser de faire du bruit. En
effet, il était tard, nous avions un peu bu et nous chantions des champs révolutionnaires.
Je conserve de nombreux souvenirs de mon voyage en Finlande, tant dans ma mémoire que dans les
photos que j'ai prises. Nous avons parcouru un long itinéraire, en visitant des villes telles que
Helsinki, Turku, Joensuu, Imatra, Barytala, Parikkala et Savonlinna. Grâce aux contacts de Gérard,
nous avons eu la chance de rencontrer des Finlandaises qui nous ont aimablement ouvert les portes
de leur maison. Ils arboraient fièrement un drapeau finlandais sur un socle et nous ont même
enseigné quelques jurons en finnois. La Finlande est un pays véritablement magnifique et sauvage,
avec ses vastes forêts et ses milliers de lacs. J'ai même été témoin d'une scène où un père a desoulé
son fils en le jetant dans les eaux du lac.

Pour finir nous avons voyagé en Norvège en faisant un trajet entre Stockholm, Oslo et Bergen.
Bergen est peut-être la plus belle ville de Norvège, avec son petit port de pêche verdoyant et ses
maisons peintes en rouge. C'était la première fois que j'ai mangé des crevettes que les pêcheurs
vendaient sur le port.
Nous étions logés dans une auberge de jeunesse, lorsque nous avons appris la triste nouvelle du
décès d'un manifestant à Creys-Malville lors des affrontements liés à la construction d'une centrale
nucléaire. Cette nouvelle a suscité une discussion théorique passionnée avec Gérard sur la lutte
armée. Tandis qu'il défendait le terrorisme, j'exprimais ma vision qui soutenais la violence que dans
le cadre de mouvements sociaux. Nous avons été surpris lorsqu'une personne, bien qu'ayant un fort
accent, nous a dit que notre conversation était très intéressante.

De retour à Paris, je ne devais plus jamais revoir mes deux compagnons de voyage Cependant,
deux événements vont avoir lieu en septembre et octobre : l'un à Kalkar en Allemagne, et l'autre à
Paris en hommage à Andreas Baader et Gudrun Ensslin, militants de la Fraction armée rouge, un
groupe terroriste allemand. Ces événements allaient marquer mes derniers moments dans la
mouvence autonome parisienne

En septembre 1977, une énorme manifestation anti-nucléaire a eu lieu à Kalkar en Allemagne de


l'Ouest. Je m'en souviens assez bien car plusieurs organisations écologistes et partis politiques
avaient affrété des cars depuis Paris. Je crois me rappeler avoir pris un bus de l'OCL. Je me suis
retrouvé en Allemagne en essayant de rejoindre les lieux de la manifestation.
La présence policière était impressionnante : tenue vert militaire, casque anti-émeute, barbelés,
hélicoptères dans le ciel déversant des consignes en allemand. Les manifestants allemands étaient
tout aussi impressionnants, vêtus de cirés jaunes pour se protéger des canons à eau. Ils étaient
organisés en blocs par ville. Avant de pouvoir défiler, nous avons été fouillés et j'ai remarqué que
quelqu'un
avait réussi à faire passer un lance-pierre.
Le retour a été beaucoup plus rocambolesque que prévu. J'ai perdu mon car initial et j'ai dû prendre
un autre car au hasard. Par chance, ce dernier m'a ramené à Paris.

En octobre, trois membres de la Fraction armée rouge se sont suicidés dans la prison de haute
sécurité de Stuttgart-Stammheim. Je pensais qu'ils avaient été assassinés ou plus vraisemblablement
poussés au suicide en raison des conditions de détention abominables. J'ai assisté à une Assemblée
Générale plutôt surréaliste des groupes autonomes qui se réunissaient au local de l'OCL. Pendant
cette réunion, nous avons décidé de coller une affiche et de participer à une manifestation qui était
interdite. J'ai fait le collage avec quelques amis dans mon quartier, et pour la manifestation, un
rassemblement avait été annoncé dans la presse à la gare de Saint Lazare. Malheureusement, cette
manifestation a conduit à l'interpellation de 300 personnes. Moi j'avais un autre rendez-vous, dans
une station de métro. Nous en sommes sortis et avons organisé une petite manifestation d'une
quinzaine de minutes. Quelques slogans et quelques vitrines par les plus excités. .

PS: Les événements que j'ai racontés peuvent être imprécis et meme reconstruis. Cela fait plus de
cinquantant ans que je les ai vécu. La période politique, la société, la technologie et même la
culture étaient différentes. J'ai essayé de décrire de manière simple l'expérience et les émotions d'un
adolescent de la fin des années 1970 . À cette époque, la société était fortement politisée. Je me
souviens avoir lu sur chemin de l'école de grands dazibaos écrits à la main par le PCR. À la fin de
l'hiver 1974, je passais souvent devant le piquet de grève et les braseros du centre de tri de la Gare
du Nord. Cela aurait pu être un signe du destin.

Pour bien comprendre , Il y avait une division assez marquée entre ceux qui étaient passionnés de
rock et imprégnés de contre-culture, qui voulaient changer le monde et expérimenter une nouvelle
morale, et ceux qui préféraient la variété française, les soirées en boîte de nuit et qui restaient
attachés aux valeurs traditionnelles.

Il est possible que certains trouvent difficile de saisir ou soient troublés par l'intensité des
événements de cette période. En guise de clarification, il convient de souligner que la violence
observée, tant du côté des manifestants que des forces de l'ordre, était mesurés , plus symbolique
que littérale. Nous n'avons pas été témoins de la brutalité extrême qui a marqué les conflits en
Irlande du Nord, ni de la répression des régimes dictatoriaux d'Espagne ou de Grèce, sans parler de
la violence policière contre les étudiants au Mexique ou des masacres comme à l'université de Kent
State (USA). C'était une époque où la guerre du Vietnam se déroulait en direct sur nos écrans de
télévision, où nous étions informés des atrocités en Argentine et des tortures dans les prisons
chiliennes. Nous aspirions à un monde différent et nous nous sommes inspirés de nos prédécesseurs
de Mai 68. Heureusement, nous avons évité la voie du terrorisme et l'État n'a pas versé dans l'excès,
contrairement aux événements en Italie. Si les circonstances avaient été différentes, l'histoire aurait
pu emprunter un autre chemin.

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