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Histoire des rois d'Alger / par

fray Diego de Haedo,... ;


traduite et annotée par H.-D.
de Grammont

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Haëdo, Diego de (15..-16.. ; abbé). Auteur du texte. Histoire des
rois d'Alger / par fray Diego de Haedo,... ; traduite et annotée par
H.-D. de Grammont. 1881.

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HISTOIRE
nus

ROIS D'ALGER
PAR

Fray !)iego de Maëde, abbé de Fromesta

(T~tYome < ~0.5 7?e~<?s ~e ~r.~e~. – VaIIadolid, 1612)


TRADUITE ET ANNOTEE

PAS

H.-D. DE GRAMMONT

AL&EË
ADOLPHE JOURDAN, LIBRAIRE-EDITEUR
4, PLACE DU GOUVERNEMENT, 4

1881
HISTOIRE

DES

ROIS D'ALG ER
OUVRAGES DU MEME AUTEUR

IjE R'AXAOUAT EST-IL L'OEUVRE DE KHEÏR.-ED-DIN (BARBËROUSSE)? 1 hl'O-


churein-8", Villeneuve-sur-Lot, 1873.'

RELATION DE L'EXPÈDITtOK DE CHARLES V CONTRE ALGER, t volume in-8°,


Paris et Alger, 1874.

HlSTO)RE DU MASSACRE DES TURCS A MARSEILLE EN 1620. 1 brochure


m-tG, Paris et Bordeaux, 1879.

RELATIONS ENTRE LA FRANCE ET LA RÉGENCE D'ALGER. AU XVII" SIÈCLE

1~ partie: Les deux canons de Simon Dansa. t brochure in-8",


Alger,1879.

2" partie La ~MM'oH 5'SM.soM JVapoM'jM. 1 brochure in-8",


Alger, 1880.

La mission de .Ss?MOM Le Page. 1 brochure in-8", Alger, 1880.


PRÉFACE t f

Dans le savant article biographique qu'il consacré à


Haëdo (1), M. Ferdinand Denis apprend alecteur
au que
la Topographia e Historia ~e~
demeurée à peu près inconnue, malgré grande
~L?~~ (2) est
sa impor-
tance historique. Cela n'a rien de très étonnant, lorsqu'on
considère d'un côté l'extrême rareté du livre lui-même
et, de l'autre, le peu de personnes qui Veulent donner
la peine se
d'apprendre une langue ~our lire
un seul
ouvrage. Depuis le jour où l'érudit ~ographe écrivait la
Topographia a été traduite (3) et mise ainsi à la
portée
de tous. C'est cette œuvre que je viens compléter
aujour-
d'hui l'Epitome dé Reyes de Argel est la partie
capitale du travail d'Haëdo, et sa connaissance est indis-
pensable à tous ceux qui s'occupent de l'histoire d'Alger
car c'est le seul livre qui fasse le récit des événements
qui y sont survenus pendant le XVIe siècle. Sans lui, la
nuit la plus noire régnerait sur toute cette période,
obscurité à peine interrompue par de
indigènes, souvent menteuses, et rares chroniques
par le récit de quelques-
uns des faits les plus saillants, qu'il faut aller chercher
a grand'peme dans vingt ouvrages divers, espagnols
italiens (4). Ayant été forcé par mes recherches de ou
le
traduire pour mon propre usage, je n'ai
pas voulu que
(t) Biographie générale (Firmin Didot).
(2) Valladolid, 1612, petit in-folio à deux
colonnes.
(3) Revue africaine, tomes
x.v et xv. Traduction de MM Mon-
nereauetBerbrugger.
(4) Je n'oublie pas De Thou, ni le président Hénauit
mais ceux-là
ont pris dans les auteurs espagnols et italiens tout qu'ils ont- dit
dAi~r; parfois la traduction est littérale:. j'ai eu ce
l'occasion d~e
constater.
ce labeur ne profitât qu'à moi seul, et telle est la seule
raison qui me porte à entreprendre aujourd'hui cette
publication. Le récit d'Haëdo est très clair, et générale-
ment très exact; on sent que le savant Bénédictin y a
mis toute sa conscience; il relate rarement un fait de
quelque importance sans invoquer l'autorité de témoins
oculaires. Quelquefois il est lui-même ce témoin; car,
malgré des affirmations hasardées, auxquelles on a
ajouté trop de foi, Haëdo avait séjourné à Alger pendant
plusieurs années (1), de 1578 à 1581.
Je me suis attaché à rendre le texte le plus fidèlement
possible; néanmoins, sous peine de fatiguer le lecteur,
j'ai été quelquefois obligé d'élaguer le style par trop
touffu de l'auteur Espagnol (2). J'ai ajouté à la traduction
quelques notes qui ont le plus souvent pour objet de
comparer les allégations de r~~ome à celles des his-
toriens du temps, cherchant en cela beaucoup plus à
faire une chose utile qu'une œuvre littéraire, et c'est par
ces mots que je terminerai une préface déjà trop longue.

(i) M. Ferdinand Denis, avec sa sagacité habituelle, avait déjà


soupçonné la vérité, et avait conclu de la lecture de certains passagess
d'Haëdo que l'auteur avait dû parler de visu mais le fait est aujour-
d'hui mis hors de doute par la découverte d'un manuscrit du Père Dan
1919.
Les illustres captifs, manuscrit de la Bibliothèque Mazarine, n"
Dans le livre n, qui traite Des chrétiens pris en mer par les infidèles
mu!M:'H< le chapitre xn est consacré à l'histoire de la captivité à
Alger de Fray Diego de Haëdo, abbé de Fromesta.
(2) Le style d'Haëdo a deux grands défauts, qui seraient insuppor-
tables en français il abuse des épithètes, et n'en met jamais moins
de deux à la fois il ne dit pas un tel était brave, mais brave et plein
de courage et ainsi de suite. Ue plus, il semble se méfier
toujours
de l'intelligence et de la mémoire de son lecteur par exemple, dix
lignes après avoir dit Charles V venait de quitter les f~M<<re~ et de
rentrer en Espagne, s'il a de nouveau à parler de ce souverain, il
ainsi qu'il
ouvre une parenthèse et renouvelle son renseignement venait de
suit Charles F, qui, comme nous l'avons dit ~c~MMMM<,
~KKM- Flandres, etc., etc. On concevra sans peine qu'il a été né-
cessaire de supprimer tout cela; mais je tenais à exposer les raisons
que j'ai eues de le faire.
HISTOIRE
DES ROIS D'ALGER

CHAPITRE I<

Aroudj Barberousse, premier roi d'Alger

g1.
Le premier qui porta le nom de Barberousse fut aussi
le premier des Turcs qui régnèrent
sur le pays et la ville
d'Alger, dont il s'était emparé par violence et
trahison,
ainsi que de plusieurs autres royaumes etpar seigneuries
en Barbarie; il se nommait de son vrai nom Aroudj, et
non Arox, ni Omicho, comme quelques-uns l'ont appelé
Il était Grec, natif de l'île de Mételin, la Lesbos
de l'anti-
quité, et d'un petit hameau nommé Mola, situé à la
pointe
septentrionale de cette île. Son père, qui était chrétien,
se nommait Jacob (1), nom fort répandu encore aujour-

(1) D'après le R'azaouat, lacoub était musulman


et capitaine d'un
d'hui parmi les Grecs; il exerçait la professionde potier.Je
n'ai pu savoir jusqu'iciquel étaitle nom chrétien d'Aroudj
mais les récits de Turcs et de renégats très vieux
qui furent élevés dans le palais du second Barberousse,
son frère, m'ont appris que son existence fut très cer-
tainement la suivante. Enfant, il aida d'abord son père
dans sa professi&H. de potier celui-ci était pauvre et la
famille nombreuse;-le tribut qu'il payait au Sultan était
lourd pour lui comme pour ses compatriotes, et il se
voyait, comme eux, perpétuellement opprimé par les
Turcs; le pauvre homme, accablé de travail, se plaignait,
et,. selon la coutume, endurait ses maux comme il le
pouvait. Le jeune homme, voyant son père si pauvre et
si malheureux, tant d'enfants., dans la maison (trois
garçons et quatre filles, tous plus jeunes que lui),
sachant que son départ allégerait les charges de la fa-
mille, et que son absence ne nuirait en rien, puisque les
autres enfants étaient déjà grands, se décida à tenter la
fortune, et à chercher aventure à la première occasion.
Comme il était dans ces dispositions, une galiote de
corsaires. turcs vint mouiller dans un petit port de l'île,
à environ une lieue de Mola. Lorsqu'il apprit cette nou-
velle (1), il jugea que le moment était venu sans rien
dire à ses parents, il fut trouver le Reïs et le pria très
instamment de le recevoir dans son équipage, ajoutant
qu'il d'ésimit se faire mahbmétan. Le Reïs, 'voyant en lui

novice de commerce Mais il y a lieu de se méfier de la batterie orien-


ta)e. Rappelons,, en passant, que Fauteur, Sinan-Gbaouch, écrivait
postérieurement à.)a mort de Kbeïr-ed-D.in, et que son livre est bien.

ne.nve-sur-~ot, 1873, in-8").


~r~?
Mn 'd'être une autobiographie de ce dernier. Pour les détails, voir
notre brochure: ~\R'~3otM< M< ~M~
`
(Ville-

(1) Les débuts d'Aroudj sont racontés tout autrement par Sinan
Chaouch. ~R'azaouât). Arrivé à l'âge d'homme, il arme un navire,
combat !es chrétiens, se fait prendre par les chevaliers de Rhodes
après deux campagnes heureuses KheÏr-ed-Din offre dix mtMe
~M&TM~'o~p.o.ur sa. rançon. Nous voili't loin de la boutique du
potier Mais le récit d'Haëdo nous inspire beaucoup plus de confiance.
un garçon de belle allure, intelligent et de ~ôim~ volonté;
le reçut-très volontiers à son bord; quelques jours après
il le fit circoncire et le nomma Aroudj; il avait alors
environ vingt ans. Pendant quelques années, il pirata
sur toutes les mers en compagnie de ce 'Rei's et de
plusieurs autres. Comme il était naturellement ner,
courageux et intrépide, il se signala en maintes occa-
sions de guerre et ne tarda pas à se faire un nom parmi
les corsaires; cette réputation fut cause que des mar-
chands Turcs, qui armaient à frais communs une galiote
destinée à la course (tel étai't alors, et tel est encore
aujourd'hui l'usage), lui offrirent le commandement de
ce navire, en lui promettant sa part des prises et du
butin. Aroudj accepta avec joie; mais il avait d'autres
projets que ceux des armateurs, comme l'avenir le'
prouva. Peu de jours après son départ de Constantinople,
il entra en pourparlers avec quelques-uns des Levantins
et soldats d'équipage, qu'il avait embauchés après 'les
avoir reconnus pour d'anciens compagnons de piraterie;
il leur persuada qu'il y avait avantage pour eux tous à
passer en Barbarie avec la galiote, et qu'ils feraient ainsi
de grosses prises sur les terres des Chrétiens~vôisins;
les ayant ainsi séduits par l'espoir d'un grand profit, il
se dirigea sans opposition sur Tunis.'En passant à Më-
telin, il apprit la mort de son père, et emmena avec lui
ses 'deux frères cadets, lesquels, très misérables, ne
demandèrent pas mieux que de partager le sort de leur
altië; ils se firent musulmans quelques jours après'; TuiT
d'eux reçut le nom de Kheïr-ed-Din et fut plus tard ?
célèbre Barberousse; l'autre fut nommé Isaac-be'n-Iacoë,
ce qui vent dire Isaac fils de Jacob.

y. '§2.2.
Fën'c~
Peu de temps après qu'Arau~j eut quitté Mëte.tm/en
epimenant.-seg. fipèrea~~
montée par des corsaires de ses amis, et leur dit qu'il
avait l'intention de passer en Barbarie et l'espoir de s'y
enrichir rapidement; il fit si bien, qu'il les décida à le
suivre, à le reconnaître comme leur chef, et à marcher
sous sa bannière. Ce fut ainsi, et à la tête de deux
galiotes, qu'Aroudj débarqua à La Goulette de Tunis ce
n'était alors qu'une petite tour, qui servait de poste de
douane, et où les marchands qui négociaient par mer
avec le pays déchargeaient leurs cargaisons. Aussitôt
après son arrivée, qui eut lieu au printemps de l'année
1504, il alla trouver le roi de Tunis qui lui accorda,
moyennant le payement déjà dîme, l'entrée des ports du
royaume et l'autorisation d'y acheter ce qui lui serait
nécessaire pour la course. Peu de jours après, il sortit
avec une seule des galiotes, munie d'une forte chiourme
et d'un bon nombre de soldats; il laissaitl'autre bâti-
ment, qui n'était pas en très bon état, à la Goulette, où
quelques-uns de leurs compagnons s'occupaient à le
réparer. A sa première sortie, Aroudj eut le bonheur de
s'emparer de deux des galères du Pape Jules II, de la
manière suivante elles venaient de Gênes, ne se mé-
fiant de rien, mal armées (comme de coutume), chargées
de marchandises pour Civita-Vecchia; Barberousse se
tenait dans les eaux de l'île d'Elbe, en face de Piom-
bino, pays toscan; il aperçut une des galères qui se
trouvait isolée, s'étant écartée de l'autre de plus de trente
milles, et ordonna aussitôt de s'apprêter à l'attaque. Les
Turcs, considérant la force de l'ennemi, et la faiblesse de
leur galiote qui n'était que de dix-huit bancs, et crai-
gnant en outre que l'autre bâtiment ne vint à la rescousse
pendant le combat, étaient d'un avis contraire et disaient
que non-seulement il ne fallait pas attaquer, mais qu'on
devait se hâter de s'enfuir. Mais Aroudj leur déclara très
vigoureusement qu'il ne commettrait jamais une pareille
lâcheté; bouillant de fureur, il ordonna à la chiourme de
jeter immédiatement à la mer toutes les rames, les pri-
vant ainsi du moyen de fuir, pour les forcer à combattre;
les rameurs, qui étaient presque ton tous Turcs et braves,
lui obéirent. Cependant la galère du Pape approchait
tranquillement, ne se doutant guère qu'elle était guettée
par les corsaires, parce que, à cette époque, les mers
n'étaient pas infestées comme elles l'ont été depuis et le
sont encore l'équipage ne pouvait donc pas penser que
ce petit bateau était un ennemi qui allait l'attaquer;
mais, quand ils furent arrivés tout près de la galiote, et
que du tillac ils reconnurent les Turcs à leurs vêtements,
ils prirent les armes en grand désordre, ce qui excita le
courage de l'ennemi au moment même ils furent
accostés. et assaillis très vivement par une décharge
d'arquebuses et de flèches qui tua plusieurs Chrétiens et
épouvanta le reste; et la galère envahie se rendit après
une courte résistance, en sorte que la prise ne coûta que
des pertes légères. Aroudj fit enfermer soigneusement
ses captifs et se décida à attaquer aussi l'autre galère; il
fit un bref discours à ses soldats, leur remontrant com-
bien les conquêtes coûtaient peu à des hommes de cou-
rage et d'audace; il leur représenta que ce bâtiment
arrivait sans défiance, et qu'ils n'avaient qu'à se montrer
hardis et audacieux pour s'en emparer presque sans
coup férir. Quelques-uns s'enrayèrent de cette témérité
mais la plupart promirent à leur chef de le suivre partout
où il irait; celui-ci leur commanda alors de se revêtir
des habits des captifs; en même temps il fit arborer le'
pavillon du Pape sur sa.galiote pour tromper les chré-
tiens de la deuxième galère et leur faire croire que leur
conserve avait été victorieuse; ce stratagème lui réussit.
Lorsqu'il vit le vaisseau assez rapproché de lui, il vira
de bord, l'aborda très impétueusement avec une
décharge d'arquebuses et de Sèches qui fit quelques
victimes, et le prit en peu d'instants. Sans perdre un
moment, il s'assura de la personne des Chrétiens,.et en
fit mettre la plus grande partie à la rame, où ils rempla-
cèrent un bon nombre de Mores et quelques Turcs qui w
composaient la' chit)urmé des =dëùx prises~~ iÏ~'ciTtgla''
ensuite vers Tunis, où il arriva quelques
quelqu jours après. Il
est impossible de décrire re l'étonnement
Pëtonnfimer que causa cet
exploit dans Tunis et dans la chrétienté, et quelle célé-
brité commença, dès lors, à s'attacher au nom d'Aroudj,
dont tout le monde parla comme d'un heureux et vaillant
chef d'aventures. Comme sa barbe était très rousse (1),
on commença dès ce moment a le nommer Barberousse,
surnom qui passa plus tard à son frère. Avec le butin
qu'il acquit dans cette expédition, la faveur et l'aide du
Roi et d'autres personnes désireuses de participer aux
prises, il put armer l'automne suivant ses deux galiotes
et une des galères. Il se mit alors à écumer les côtes de
Sicile et de Calabre, prit un grand nombre de vaisseaux
et de barques, fit beaucoup de captifs, et rentra à La
Goulette chargé de prisonniers et de butin.

§3.
Au commencement du printemps de l'année suivante,
1505, Barberousse sortit de La Goulette avec sa galère et
ses deux galiotes et rencontra près de Lipari, île voisine
de la Sicile et de la Calabre, un grand vaisseau chargé
d'infanterie espagnole que le Roi catholique envoyait
d'Espagneau Grand Capitaine GonzalveFernand, qui étaitt
alors à Naples. Il fut assez heureux pour capturer ce
bâtiment sans mettre la main à l'épée et sans verser une
goutte de sang; il le reçut à merci et y trouva cinq cents
soldats Espagnols,parmi lesquels il y avait beaucoup de
gens de noblesse et de condition, qui lui payèrent plus

(t) On voit qu'Haëdo n'est pas partisan de l'étymologie (toute mo-


derne, du reste) de Baba-Aroudj. Nous croyons qu'il est dans le vrai,
et qu'on s'est laissé séduire par le rapprochement de ce vocable avec
le surnom espagnol Barbaroja. Mais, au même moment, les Italiens
disaient Barbarosqa et les Français Barberousse, ce qui ne ressemble
plus du tout à Bs~OM~ D'ailleurs, il faut remarquer qu'Aroudj
avait à peine tre~e ans, et que l'appellation de Baba n'est donnée
qu'aux vieillards, comme marque de respect affectueux.
tard une grosse rançon. Les uns disent que le patron du
navire qui était Esclavon, saborda lui-même son vaisseau,
et le laissa se remplir d'eau pour le livrer aux corsaires
par trahison; les vieux Turcs et renégats content autre-
ment la chose et disent que le navire avait beaucoup
souffert de la tempête, qu'il était ouvert et crevé en
plusieurs endroits, que la chiourme et les soldats étaient
inondés, ne pouvant quitter la pompe un seul instant
sous peine de périr; ils ajoutent qu'il y avait en ce mo-
ment calme plat, et que ce fut cette impossibilité de
combattre qui mit l'équipage dans la cruelle nécessité
de se rendre plutôt que de couler à fond. Aroudj gagna
là un énorme butin, en marchandises, en vêtements et
en argent que le Roi catholique envoyait au Grand Capi-
taine pour les dépenses de la guerre et pour celles du
royaume de Naples les passagers et les soldats lui
rapportèrent aussi un bon profit. De retour à Tunis, il se
servit de cet argent pour faire transformer les deux
galères du Pape et quelques autres prises en deux ga-
liotes légères, parce qu'il lui parut plus avantageux
d'avoir des bâtiments très maniables, que de pesantes
galères il en composa la chiourme, ainsi que celle des
deux galiotes qu'il possédait déjà, avec les captifs qu'il
venait de faire. Pendant cinq ans, à la tète de ces quatre
vaisseaux, il parcourut les mers d'Italie, dont il ravagea
et pilla les côtes, et se procura ainsi huit galiotesarmées
entièrement à lui; il en mit deux sous le commande-
ment de ses deux frères Kheïr-ed-Din et Isaac. En 1510,
à la suite du célèbre désastre de Don Garcia de Tolède,
fils du Duc d'Albe, qui fut vaincu et tué aux îles Gelves
avec beaucoup de gentilshommes et de soldats espagnols,
le Roi de Tunis, auquel appartenaient alors ces îles, en
offrit le gouvernement à Barberousse, dans la crainte
que les Chrétiens ne voulussent tirer vengeance de leur
défaite et de leurs pertes ce souverain pensait qu'Aroudj
avait suffisamment accru sa puissance pour se défendre
facilementcontre les forces qui pourraient être envoyées
par l'ennemi. Celui-ci accepta d'autant
d'autant plus volontiers
cette charge que La Goulette n'offrait plus qu'un asile
insuffisant à la grande quantité de monde et de galiotes
qu'il possédait, et il s'installa immédiatement à son
nouveau poste. Étant donc devenu caïd (ou gouverneur)
des Gelves, il continua à pirater et à ravager de'tous
côtés, infestant tellement les mers d'Italie, qu'aucun
vaisseau ne naviguait sans de grandes appréhensions.
Au commencementde 1512, il opérait avec douze galiotes,
dont huit lui appartenaient; les quatre autres étaient la
propriété de corsaires, ses amis et compagnons; toutes
étaient construites avec les matériaux des navires qu'ils
prenaient chaque jour; car les Gelves ne produisent pas
d'arbres propres à la construction navale on n'y voit
que des palmiers et des oliviers.
En 1510, le comte Pedro Navarro avait pris aux Mores
la ville de Bougie, dont le Roi s'était enfui dans les mon-
tagnes voisines. Se voyant ainsi privé de ses biens et de
sa puissance, et ayant appris les exploits d'Aroudj, il lui
envoya des ambassadeurs en 1512 il le priait très ins-
tamment de l'aider à reprendre Bougie, sa capitale, et
lui promettait non-seulement de rémunérer ses services,
mais encore de le faire seigneur de Bougie, dont le port,
qui est très grand et commode, lui assurait la sécurité
toute l'année (1), et lui permettrait d'hiverner sa flotte
tout près de l'Espagne et des Baléares, et de sortir à
volonté pour prendre beaucoup de navires et de riches-
ses.

§<4.
Barberousse, qui était décidé depuis longtemps à faire

(t) JI s'agit, comme la phrase suivante le prouve, de la sécurité des


galères pendant la mauvaise saison encore l'éloge accordé
au port
de Bougie est-il exagéré la flotte de Charles V put te constater à
dépens en t54t. La prise de la ville avait eu lieu à la fin de [509. ses
ce que le Roi venait de lui demander, avait alors sous
ses ordres plus de mille Turcs, qui, au bruit des grandes
richesses et de la gloire qu'Aroudj avait acquises en
Barbarie, y étaient accourus avec le même empresse-
ment que mettent les Espagnols à aller aux mines des
Indes; il espérait, ce qui arriva en effet peu à peu,
qu'une fois affriandés par les pillages du Ponent, il en
viendrait chaquejour davantage. Ces forces lui parurent
suffisantes, non-seulement pour reprendre Bougie, mais
encore pour se conquérir un royaume en Barbarie; et,
nourrissant déjà des ambitions plus grandes que celles
d'un simple corsaire, il répondit au Roi qu'il allait partir
à l'instant même. Il arriva au mois d'août avec douze
galiotes, chargées d'artillerie, de munitions, de mille
Turcs et de quelques Mores. Il ouvrit d'abord le "feu
contre la principale défense de la place c'était une
grande et forte tour, que le comte Pedro Navarro avait
refaite à neuf; elle s'élevait près de la mer, à la pointe de
l'arsenal, qui était la principale défense de la place; en
même temps le Roi de Bougie descendit des montagnes
pour venir à son aide avec plus de trois mille Mores.
Au bout de huit jours de feu, la tour était déjà presque
détruite et l'assaut était ordonné, lorsqu'un des projec-
tiles chrétiens vint frapper Aroudj au bras gauche et le
lui emporta presque entièrement. L'arméeperdit courage
à la vue du malheur arrivé à son chef, qui fut lui même
contraint de se retirer pour se faire soigner, et d'aban-
donner momentanément son entreprise. Le Roi de
Bougie s'en retourna aux montagnes d'où il était venu,
et Barberousse, bien souffrant de sa blessure, revint à
Tunis avec sa flotte. En passant devant Tabarque, où les
Génois avaient l'habitude de pêcher le corail depuis
longtemps (comme ils le font encore aujourd'hui), il ren-
contra par hasard une de leurs galiotes qui se rendit
sans résistance. De là, il vint débarquer à La Goulette et
se rendit à Tunis pour y guérir sa blessure. Ne voulant
pas être éloigné de sa flotte et. de son monde, il ordonna
à son frère Kheir-ed-Din, qui commandaità sa place, de
désarmer les vaisseaux et de les conduire dans le canal
en n'y laissant que la chiourme enchaînée; une partie
des Turcs se logea dans la tour, avec la permission du
Roi de Tunis, et le reste s'établit dans la ville avec lui.
Peu de jours après on apprit à Gênes la prise de la ga-
liote à cette nouvelle, André Doria partit en course
avec douze galères bien armées; en passant à Tabarque,
il y apprit que Barberousse se faisait soigner à Tunis et
que son frère était à La Goulette, chargé de la garde des
navires. Il s'y rendit immédiatement, débarqua son
monde à portée de canon, et marcha sur les vaisseaux,
pendant que ses galères le suivaient en côtoyant la plage.
Khèïr-ed-Din, voyant la marche audacieuse d'André
Doria, donna l'ordre immédiat de saborder et de couler
les galiotes, pour que les chrétiens ne pussent ni les
brûler ni les prendre. En même temps, il se jeta rapide-
ment en avant avec quatre cents Turcs pour arrêter
l'ennemi,; mais sa troupe ne put soutenir l'élan des chré-
tiens, ni le terrible feu de leurs galères; elle se débanda
tellement qu'elle ne put même pas rentrer dans la tour
et se précipita en désordre vers Tunis. Doria put donc
entrer dans le fort, qu'il saccagea et brûla il reprit la ga-
lère génoise et s'empara de six des vaisseaux de Barbe-
rousse, que les Turcs n'avaient pas enèore eu le temps
ou l'audace de couler à fond; il se rembarqua victorieux,
et prit joyeusement la route de Gênes (1).

§5.
Quoique Kheïr-ed-Din eût eu le temps d'emmener sa
chiourme et qu'il n'eût perdu par le fait que quelques
carcasses de navires et un peu de butin, il n'osait pas
(1)Il est presque inutile de dire qu'il n'est pas fait mention de cet
échec dans le R'azaouât, dont l'auteur supprime systématiquement
presque toutes les défaites qu'ont essuyées les Barberousaès.;
rentrer à Tunis ni paraître devant son irere, surtout
depuis qu'on lui avait dit qu'il était très indigné contre
lui à cause de cette défaite, qu'il attribuait à sa couardise
et à son manque d'énergie, Kheïr-ed-Din n'avait pourtant
rien à se reprocher, ayant fait tout ce qu'un homme peut
faire. Donc, excité par son dépit et par la crainte qu'il
avait de son frère, il partit pour les Gelves avec la galiote
dont il était le reïs; là, pour apaiser la colère de son
aîné, il fit construire en grande hâte trois galiotes
avec des matériaux, ferrures et agrès de toute sorte,
qu'Aroudj lui avait donné jadis la colère de celui-ci se
calma, et il fit savoir qu'il ne conservait plus aucun res-
sentiment. Pendant qu'il était retenu à Tunis par sa
blessure, il avait permis a quelques-uns de ses reïs
d'aller rejoindre Kheïr-ed-Din aux Gelves, et ils s'y occu-
pèrent activement de la construction des navires. En
1513, les nouvelles galiotes et les six anciennes qui
avaient échappé à l'attaque d'André Doria partirent en
course sous le commandement de Kheïr-ed-Din; Isaac-
ben-Jacob resta aux Gelves en qualité de Caïd pour faire
achever à la hâte d'autres bâtiments, suivant les ordres
envoyés par Aroudj, qui était encore convalescent à
Tunis, et disait que, tout estropié qu'il était, il voulait
avoir encore quelque éclatant succès car son esprit ne
se reposait jamais, et son inaction forcée le faisait souf-
frir de ne pouvoir rien entreprendre de remarquable. A
peine guéri, il partit pour les Gelves où il arriva au mois
de mai 1513; il y passa le reste de l'année et la moitié de
la suivante à achever la construction de ses vaisseaux,
et à amasser de la poudre et des munitions. Enfin, au
mois d'août 1514, il partit avec ses douze galiotes, mon-
tées de plus de onze cents Turcs et vint de nouveau
assiéger Bougie, sans attendre l'invitation du Roi, qui
s'était enfui dans les montagnes, comme nous l'avons
dit. Quand celui-ci apprit l'arrivée de Barberousse, il le
rejoignit avec beaucoup de Mores alliés, et le ravitailla
en provisions de toute espèce. A l'aide de ce secours,
Aroudj commença à battre
)&ttre la tour devant
dev laquelle il avait
perdu le bras, la rasa presque entièrement et força la
garnison de rentrer dans la ville; il ouvrit ensuite le feu
contre une autre tour que le comte Pedro Navarro (1)
avait nouvellementbâtie toutprès de la mer, à l'endroit où
il y a une belle plage. Après quelques jours de feu, les
Turcs donnèrent plusieurs assauts, et rencontrèrent plus
de résistance qu'ils n'en attendaient; dans la première
attaque seulement, ils perdirent cent Turcs et cent
Mores des principaux et des plus vaillants. Le temps
s'écoulait; la mi-septembre était passée; les
grosses
pluies commencèrent. De plus, cinq navires arrivèrent
du Pénon de Vêlez sous les ordres de Martin de Renteria,
brave capitaine Espagnol, qui avait été invité
par le Roi
Catholique à se porter immédiatement au
secours de
Bougie. Il y arriva avec bon vent, et força Barberousse à
se retirer sans coup férir et à lever le siège. Cependant
quelques vieux Turcs m'ont raconté que la véritable
cause de l'abandon de l'opération avait été le départ du
Roi de Bougie et des Mores ses alliés. D'après leur récit,
Aroudj aurait demandé à ceux-ci s'ils voulaient tenir
jusqu'au bout; eux, qui désiraient
ensemencer leurs
champs (car il venait de pleuvoir beaucoup et les semail-
les doivent se faire en Barbarie après les premières
pluies) répondirent qu'ils ne pouvaient rester plus long-
temps en campagne et s'en retournèrent chez eux les uns
après les autres. Barberousse s'embarqua donc avec
ses
Turcs, fort mécontent d'avoir échoué deux fois devant la
même place après avoir fait beaucoup de pertes. Sa
colère fut telle, qu'il se détermina à ne plus retourner à
Tunis ni aux Gelves il se dirigea avec tout son monde
vers une petite ville nommée Gigelli, qui se trouve sur
la côte, à 70 milles à l'est de Bougie;
comme c'est une
forte position, qui possède un port suffisant, quoique

(1)Voir, dans les Documents espagnols,le pouvoir donnépar le Roi


Ferdinand à Antonio de Ravaneda (~Mf africaine, tome XIX, p. 75).
petit, il jugea qu'il pourrait s'en accommoder pour
quelque temps les habitants, au nombre de mille envi-
ron, qui le connaissaient de réputation, l'accueillirent
fort bien.

§ 6.

Barberousse passa à Gigelli tout l'automne et tout


l'hiver. Dans ce temps-là, les habitants du pays suppor-
taient une grande famine, n'ayant récolté que très peu
de blé et d'orge ies Turcs n'étaient guère mieux appro-
visionnés. A l'été de la saint Martin, les premiers jours
de novembre amenèrent un très beau temps Aroudj en
profita pour partir en course avec ses douze galiotes, se
dirigeant vers la Sicile et vers la Sardaigne, dans l'espoir
d'y rencontrer quelques vaisseaux remplis de céréales.
Le succès couronna son entreprise il s'empara en quel-
ques jours de trois vaisseaux chargés de blé qui allaient
de Sicile en Espagne, retourna immédiatement à Gigelli,
et y distribua libéralement sa capture aux habitants, et
aux montagnards voisins, qui souffraient aussi cruelle-
ment de la famine cette action lui valut une popularité
immense et universelle, et accrut d'autant sa réputation
et son autorité. Lui, qui aspirait sans cesse à de grandes
choses, ne voyait pas encore bien comment il arriverait à
trouver une bonne occasion car, à cette époque, tous
ces Mores étaient libres, ne reconnaissaient pas de roi,
et s'étaient toujours servis des fortifications naturelles
de leurs montagnes pour défendre leur indépendance
(comme l'écrit Jean Léon) contre les Rois de Tunis, au
moment même de leur plus grande puissance, et contre
des Rois voisins très puissants. Ils se soumirent pour-
tant à Aroudj, et de leur pleine volonté le choisirent pour
Roi et Seigneur. Cela fait, comme ces mêmes Mores
étaient depuis longtems ennemis du Roi de Kouko, leur
voisin, il lui fit une rude guerre au commencement de
l'année 1515, voulantl'empêcher de s'agrandir, et de l'en-
traver lui-même dans l'accroissement de son pouvoir,
qu'il trouvait déjà trop petit pour son ambition. Il marcha
à sa rencontre avec des fantassins et des cavaliers Mores
et quelques arquebusiers; le choc eut lieu sur une
grande montagne, située à douze lieues de Gigelli, qu'on
nomme Montagne de Benichiar on l'appelle aussi Mon-
tagne du Concombre. Le combat fut très rude, jusqu'au
moment où le Roi de Kouko ayant été tué d'une arque-
busade dans la poitrine, tous les siens prirent la fuite,
poursuivis pendant plusieurs lieues par les Turcs et les
Mores de Gigelli qui en firent un grand massacre. Bar-
berousse fit couper et porter à la pointe d'une lance la
tète du Roi et, s'avançant ainsi toujours victorieux, il
soumit en peu de jours la plus grande partie du royaume
de Kouko (1).

§7.
En l'année suivante 1516, le 22 janvier, le Roi Catho-
lique Don Ferdinand mourut, âgé de soixante-deux ans.
La nouvelle de cette mort ranima le courage des ha-
bitants d'Alger qui se trouvaient opprimés par un fort
que le Roi avait fait construire quelques années aupa-
ravant (2) sur l'île qui est en face et à peu de distance de
la ville; cet établissement les maintenait sous la domi-
nation Espagnole, et les empêchaient de pirater comme
ils en avaient l'habitude, ainsi que nous l'avons dit ail-
leurs (3).Quelque temps auparavant, ils s'étaient soumis

(1) D'après le R'azaouât, Aroudj aurait conquis Gigelli sur les chré-
tiens, à l'aide des habitants du pays, et il n'est pas fait mention de la
guerre contre le Roi de Kouko.
(2) Après la prise de Bougie, les Algériens eSrayes avaient fait
leur soumission à l'Espagne; c'est à la suite de cela que le Penon
avait été construit et armé.
(3) Dans la Topographieet Histoiregénét'ale d'Alger, chap. nr.
volontairement à un Cheïk, prince
S e~" Arabe nommé Sélim.
qu'il les protégeât. Avec son consentement,
ils -envoyèrent supplier Barberousse,
saient les exploits, de venir les délivrer dont ils connais-
de l'oppresion
des Chrétiens en détruisant
cette forteresse. Celui-ci
écouta ces propositions
avec un vif plaisir,
cause des grandes récompenses offertes par moins la ville
à
d'Alger et par le prince,
que
rien ne pouvait lui arriver plusparce qu'il lui parut que
à propos pour se rendre
le maitre de la Barbarie (c'était depuis
longtemps l'objet
de ses désirs) et pour s'emparer
d'Alger,
tante, si riche, si populeuse et si commodeville si impor-
Toutefois, cachant ses desseins/ilcongédialesam~'pour pirater.
sadeurs avec maintes offres de service
qu'il allait se rendre immédiatement à et leur assura
leur secours avec
ses Turcs et le plus de monde possible.
l'avait dit, il le fit; Et, comme il
homme, fruit naturel de
car la qualité principale de cet
titude et la diligence qu'il sa grande âme, était la promp-
apportait dans toutes ses
actions. Il envoya d'abord
par mer seize galiotes, les
unes à lui, les autres à des corsaires de
étaient venus le rejoindre à Gigelli, ses amis, qui
où ils avaient trouvé
son aide, ses bons offices et son
prodigue pour tous. Sur ces galiotes argent, dont il était
cents Turcs, avec son artillerie,
il embarqua cinq
tions et son matériel de sa poudre, ses muni-
guerre. Quant à lui, il prit la
route de terre avec huit cents Turcs
quets, trois mille Mores des armés de mous-
montagnes de Gigelli, ses
vassaux, et plus de deux mille autres,
nouvelle de l'entreprise, s'étaient jointsqui, à la première
à lui pour mar-

1''E"
cher sur Alger, dans l'espoir
d'un butin assuré. En
apprenant qu'il s'approchait, le prince,
~v.nrent les notables et les
au-devant de lui à une grande journée
la ville, le remerciant de
avec effusion de l'aide qu'il venait
~1~
quAroudj allait entrer immédiatement
aM"d~~
ee).c. leur dit qu'il était nécessaire qu'il à Alger; mais
situé à vingt lieues à l'ouest d'Al-
Cherchel, port mer
de
cents habi-
ger et qui avait en ce temps-là environ cinq
ts il leur promit de revenir rapidement et,de
~dé~ra~ncore
faire ce
plus qu'eux-mêmes. La cause de
détermination était la suivante au temps où il
cette voisin
s'étaitemparé si facilement de Gigelli et du pays
anciens compagnons, corsaire Turc, nommé
un de ses
des années avait
Cara-Hassan, qui pendant bien était le proprié-
bonne galiote, dont il
avec lui sur une biens et de ses succès
taire, était devenu envieux de ses
semblable à il
désirant faire une fortune
de Turcs de ses

c~
l'avait quitté avec sa galiote et beaucoup
été bien reçu
et s'était rendu â Cherchel. Il y avait
les habitants, qui étaient (comme ils le sont encore
par Grenade, de
aujourd'hui) des Morisques fuyards de
Valence et d'Aragon, grands corsaires,
faisant beaucoup
de mal aux côtes d'Espagne,
qu'ils
être nés. Ces pirates acceptèrent volontaire-
ment pour y il devint seigneur de
ment Cara-Hassan pour leur chef et
il trouvait ainsi assuré de se constituer
tout ce pays; se avait là aucun Roi
une bonne principauté, car il n'y
lutter contre lui. De plus, Cher-
More ou
chel a un
Cheïk
~ort~
qui put
était facile de rendre grand sur
de travail; la campagne y est fertile, et les
avec un peu matériaux de construction
montagnes sont riches en
aller aux Baléares et en Espagne, la
navale; enfin, pour
guère que vingt
traversée est très courte et ne demande
éléments de succès faisaient donc espérer
heures. Ces bientôt aussi célèbre
à Cara-Hassan de se rendre
De son
qu'Aroudj par ses exploits sur terre et sur mer.
celui-ci, auquel toutes ces choses étaient connues,
côté, qu'un autre voulut
extrême déplaisir
voyait avec un
l'égaler (tel est le naturel des tyrans ambi icux ') il lui
de la terre ou du
semblait qu'en cherchant à. conquérir
dans .ces parages, on lui volait son propre bien,
pouvoir cette région.«
était son désir de dominer toute
si ardent
ugan~donc qu'il pourrait toujours aller à Alger quand
il le voudrait, il se résolut à attaquer son rival à l'impro-
viste et à le chasser avant qu'il ne fût devenu plus fort.
Dans cette intention, il marcha rapidement sur Cherchel
sans perdre une heure, et ordonna à ses galiotes qui
étaient à Alger de prendre la même route. En arrivant, il
lui eût été facile de' prendre sans résistance la ville qui
n'était pas fortifiée (aujourd'hui, elle l'est un peu), et qui
n'avait pas de défenseurs; toutefois, il ne fit pas mine
d'être venu pour combattre, mais seulement pour arran-
ger cette affaire entre amis. Il fit savoir à Cara-Hassan,
surpris de son arrivée, qu'il avait été mécontent de le
voir s'emparer de cette ville, de laquelle il avait lui-même
l'intention de faire le séjour de sa flotte; le, corsaire
effrayé prit le parti de se soumettre entièrement; se fiant
à l'ancienne amitié qui les liait ensemble, il vint souhaiter
la bienvenue à Barberousse, s'excusa le mieux qu'il put,
et lui livra la ville, sa galiote, ses Turcs et sa propre
personne. Aroudj se montra très cruel; il lui fit couper
immédiatement la tête, s'empara de tous ses biens, in-
corpora les Turcs dans son armée et se fit reconnaître
pour Roi par tous les habitants (1).

§ 8.

Cela fait, laissant dans la ville une garnison d'une cen-


taine de Turcs, il se dirigea sans retard vers Alger. Il y
fut reçu avec une grande joie par les habitants, qui ne se
doutaient guère qu'ils introduisaientle feu dans la mai-
son. Selim Eutemi logea Barberousse dans son palais et
s'ingénia à le traiter le mieux possible les notables en

(1) Sinan-Chaouchraconte autrement la prise de Cherchel d'après


lui, les chrétiens s'en étaient emparés et y avaient mis garnison.
Aroudj survint à Fimprovisteet la leur enleva de vive force. Quelques
détails du récit nous donnent à penser que Sinan fait ici confusion
avec l'attaque de Cherchel par Andrc Doria, qui eut lieu en 1531 seu-
lement.
firent autant à l'égard des Turcs tous les soldats de
l'armée furent de même bien accueillis. Dès le lende-
main de son arrivée, Aroudj, voulant leur faire voir qu'il
n'était venu que pour les délivrer des Chrétiens, ouvrit
la tranchée à grand bruit, et éleva une batterie contre la
forteresse de l'îlot, menaçant les Chrétiens de la garni-
son de leur faire couper la tête à tous, et faisant les bra-
vades familières aux Turcs. Cependant, avant d'ouvrir le
feu, pour se conformer aux usages de la guerre, il
envoya un parlementaire au Commandant du fort, et le
somma de se rendre et de s'embarquer pour l'Espagne;
il s'offrait à le laisser partir librement avec tout san
monde et ses bagages et s'engageait à fournir les vais-
seaux nécessaires au rapatriement. Le Commandant
répondit en l'invitant à mettre un terme à ses forfante-
ries et àses offres, qui ne pouvaient effrayer ou corrompre
.que des lâches; il l'engagea en même temps à prendre
garde qu'il ne lui arrivât encore pis qu'à Bougie. Là-
dessus, et sans attendre d'autre réponse, Barberousse
ouvrit le feu contre le fort qui n'était qu'à trois cents pas
de la ville (comme on peut le voir encore aujourd'hui)
mais la faiblesse de son artillerie l'empêcha d'obtenir
des résultats sérieux. Au bout de vingt jours, les Algé-
riens, voyant que Barberousse n'avait obtenu aucun
avantage, que son arrivée n'avait servi à rien, que les
Turcs se montraient insupportables par leurs violences,
leurs pillages et leur arrogance accoutumée, craignirent
que cela n'allât de mal en pis; ils étaient déjà bien mé-
contents et manifestaient hautement leur regret de
l'avoir appelé et introduit à Alger. Selim-Eutemi, en
particulier, ne pouvait supporter le dédain d'Aroudj, ni
l'arrogance avec laquelle celui-ci le traitait publiquement
dans son propre palais il se méfiait déjà de ce qui lui
arriva quelques jours après; car Barberousse, qui pen-
sait nuit et jour à s'emparer de la ville, s'était enfin
résolu, au mépris des lois de l'hospitalité, à tuer traî-
treusement le Cheik de ses propres mains et à se faire
reconnaître Roi par force et à main armée. Afin d'ac-
complir son dessein sans bruit et à l'insudetous, il
choisit l'heure de midi, où Selim-Eutemi était entré dans
son bain pour y faire ses ablutions en récitant la
prière de cette heure telle est la coutume des Mores et
la loi de leur Coran; il entra dans le bain sans être vu;
car il logeait, comme nous l'avons dit, dans le palais
même; il y trouva le prince seul et nu, et à l'aide d'un
Turc qu'il avait amené avec lui, il l'étrangla et le laissa
étendu sur le sol. Environ un quart d'heure après, il
entra de nouveau dans le bain et se mit à appeler les
Mores du palais avec de grands cris, disant que le cheik
était mort, asphixié par la chaleur du bain (1). Quand cet
événement fut connu dans la ville, chacun fut saisi de
peur et s'enferma chez soi, soupçonnant le crime et la
trahison d'Aroudj. Celui-ci avait averti d'avance. ses
Turcs qui se tenaient sous les armes, ainsi que les Mores
de Gigelli ils lui firent cortège avec de grands cris de
joie, pendant qu'il chevauchait à travers la ville, et le
proclamèrent Roi, sans qu'aucun Algérien osât ouvrir
'la bouche. Le Cheik laissait un fils encore tout jeune,
qui, voyant son père mort, et craignant que Barberousse
ne le fit périr, se sauva à Oran avec l'aide de quelques
anciens serviteurs de la famille. Le marquis de Comarés,
Capitaine Général de la province d'Oran, accueillit très
bien le jeune prince; plus tard, il l'envoya en Espagne
au cardinal Don Francisco Ximenes, archevêque de To-
lède, qui gouvernait alors le royaume, par suite de la
mort du Roi Catholique et de l'absence de Charles-Quint,
qui se trouvait alors en Flandre. Aroudj, devenu de cette
façon Roi d'Alger, fit appeler les habitants les plus

(1) H est presque inutile de dire qu'il n'est pas parlé dans le R'a-
zaouât du meurtre de Selim. S'il fallait en croire Sinan, Aroudj aurait
été reconnu dès le premier jour comme souverain maître et d'un
consentement générât. liais tous les récits contemporains démentent
cette assertion, et confirment la version d'Haëdo.
notables, et se fit reconnaître par eux, grâce à ses pro-
messes et à ses offres il obtint d'autant mieux leur
assentiment qu'ils n'étaient pas de force à le lui refuser.
Aussitôt il se mit à battre monnaie et à fortifier la Cas-
bah, qui était alors le seul fort d'Alger; il la munit d'un
peu d'artillerie et d'une garnison de Turcs. Peu de temps
après ces événements, ceux-ci, se voyant les maîtres
absolus d'Alger, se mirent à traiter les habitants comme
s'ils eussent été leurs esclaves, les pillant, les insultant.
et les maltraitant avec leur arrogance accoutumée, si
bien que ceux-ci eussent mieux aimé être soumis aux
Chrétiens, d'autant plus qu'ils savaient que le fils de
Selim-Eutemi avait été en Espagne, et qu'ils craignaient
de le voir venir avec une armée pour reconquérir le
royaume paternel ils pensaient que, dans ce cas, ils
seraient traités comme étant complices du meurtre, que
le poids de la guerre porterait sur eux comme sur les
Turcs, et qu'ils devaient s'attendre à une destruction
complète, châtiment dont les menaçait chaque jour la
garnison Espagnole du fort de l'île. En conséquence, les
Algériens et les principaux d'entre les Mores s'enten-
dirent entre eux et ouvrirent des pourparlers avec le
Commandant de la forteresse, auquel ils demandèrent de
les aider, le moment venu, à chasser les Turcs; Barbe-
rousse n'avait conservé que ceux-ci et avait renvoyé
chez eux les Mores de Gigelli. Les habitants ajoutaient
qu'ils aimaient mieux obéir aux Chrétiens, qui étaient
justes et raisonnables, qu'à une race méchante et inso-
lente comme les Turcs. En même temps, ils s'enten-
dirent très secrètement avec les Arabes de la Mitidja,
grande plaine voisine d'Alger. Ceux-ci gardaient un
extrême ressentiment du meurtre de Selim-Eutemi, qui
était de leur race et de leur sang, et leur seigneur légi-
time ils avaient le plus vif désir de le venger, aussitôt
que cela leur serait possible; d'autant plus que Barbe-
rousse, non content de la soumission d'Alger et de ses
habitants, les pressait vivement de se soumettre à lui et
de, lui payer le tribut; de plus, les Turcs sortaient sou-
vent en armes dans la campagne, par troupe de trois ou
quatre cents, armés de mousquets, et les forçaient de
payer l'impôt, leur prenant encore leurs vivres, leurs
biens, et jusqu'à leurs filles et leurs fils.

§ 9.'
Pour toutes ces raisons, l'accord fut bientôt conclu
entre les Algériens, les Arabes et les Chrétiens de la for-
teresse il fut convenu qu'à un jour donné un bon
nombre d'Arabes entreraient dans la ville avec des armes
cachées, sous prétexte d'y vendre quelques denrées,
comme ils en ont l'habitude, et mettraient le feu aux
vingt-deux galiotes de Barberousse. Quelques-uns de
ces navires appartenaient à des corsaires qui venaient
de jour en jour se joindre aux Turcs; ils étaient tous sur
la plage, à deux places différentes, les uns en dehors
du rempart, à l'endroit où il rejoint la mer, près de la
porte Bab-el-Oued (c'est là qu'est maintenant le bastion
de Rabadan Pacha) et les autres un peu plus loin, sur la
plage du Ruisseau qui descend des montagnes (i). Il était
convenu qu'au moment où Barberousse et ses Turcs sor-
tiraient par la porte Bab-el-Oued pour éteindre le feu, les
Algériens fermeraient la porte et les empêcheraient de
rentrer; au même moment, le Gouverneur de la forte-
resse et les Chrétiens devaient passer en barque dans la
ville, s'y réunir aux Mores, massacrer les Turcs qu'on y
trouverait et attaquer ceux qui seraient avec Barbe-
rousse occupés à éteindre l'incendie. Ce plan était très
bien combiné et rien de mieux ne pouvait être imaginé;
mais il advint, sans qu'on sache comment, qu'Aroudj
apprit ce qui se passait; il fit semblant de ne rien savoir
et se contenta de si bien faire garder ses vaisseaux que

(1) L'Oued M'racel (Ruisseau des blanchisseuses).


les Arabes n'osèrent pas en approcher. Un vendredi,jour
de ~)/e~<x (c'est le dimanche des musulmans) il se rendit
à midi à la grande mosquée pour y dire la Salah, en
compagnie d'un bon nombre de Turcs qu'il avait mis
dans sa confidence; il y trouva les principaux d'entre
les Algériens qui avaient l'habitude d'aller ce jour-là et à
la même heure à la mosquée et ne pouvaient pas se dou-
ter que le Roi sut rien de leurs intrigues. Quand tout le
monde fut entré dans la mosquée, les Turcs coururent
fermer les portes, qu'ils gardèrent les armes à la main,
et s~assurèrent de la personne des conspirateurs Aroudj
en fit immédiatement décapiter vingt des plus coupa-
bles leurs têtes et leurs corps furent exposés dans la
rue plus tard, pour les outrager davantage, il les fit jeter
à la voirie, dans l'intérieur de la ville, au même lieu où
se trouvent aujourd'hui les écuries royales. Les Algé-
riens furent épouvantés par cette rapide et rigoureuse
répression, tellement que, depuis lors, si maltraités
qu'ils fussent par les Turcs, ils n'osèrent plus se plain-
dre ni s'en aller, ce à quoi Barberousse ne voulut jamais
consentir; ainsi, de gré ou de force, ils devinrent très
soumis et très obéissants (1). Cela se passait au prin-
temps de l'année 1517; en ce même temps, le fils de
Selim Eutemi qui avait su gagner la faveur du marquis
de Comarés, avait, par son intercession, obtenu du car-
dinal Francisco Ximenes et du Conseil Royal d'Espagne
le secours qu'il demandait pour reconquérir le royaume
paternel et chasser les Turcs car le gouvernement Es-
pagnol trouvait mauvais que Barberousse, déjà maître
d'une flotte aussi nombreuse, accrut autant son pouvoir
et ses richesses, et se rendit si voisin de l'Espagne (plût
à Dieu qu'on y eût porté remède en ce temps !). On fit

(t) Dans le R'azaouât, la révolte et sa répression sont narrées à


peu près de la même manière; mais d'après l'historien turc, ces évé-
nements se seraient passes plus tard, sous le commandement de
Kheïr-ed-Din.
donc partir une armée de plus de dix mille hommes,
commandée par un vaillant chevalier nommé Francisco
de Vera (1) il devait remettre sur le trône le fils de
Selim Eutemi, qui accompagnait l'expédition (2). Quand
l'armée fut arrivée à Alger, elle fut en butte à la même
mauvaisefortune qui frappa plus tard l'empereur Charles-
Quint, de glorieuse mémoire; une tempête subite jeta
presque toute la flotte à la côte,, fit périr la plupart des
vaisseaux et des équipages, dont le reste gagna la rive à
la nage. Ceux-ci furent pris ou tués par Aroudj, qui était
sorti de la ville à la tête de ses Turcs (3); son'pouvoir et
sa réputation s'en accrurent d'autant, et il fut de plus en
plus considéré comme un homme illustre et heureux
dans ses entreprises. Cependant, les Arabes voisins
d'Alger se voyaient de jour en jour plus opprimés par les
Turcs qui leur gardaient rancune de leur tentative de
sédition; ils ne pouvaient, pas supporter cette tyrannie
si nouvelle pour eux, qui avaient jusque-là vécu libres
sous l'autorité de leurs Cheiks. Dans cette occurence, ils
s'adressèrent au Roi de Ténès, ville située à 30 lieues à
l'ouest d'Alger, à 15 à l'est de Mostaganem, à 30 d'Oran
et à 52 de Tlemcen (4) en ce temps-là ce. Roi était assez
puissant et tenu en grand crédit parmi les Arabes, qui le
supplièrent très instamment de les aider à se délivrer

(1) Le véritable nom est Diego de Vera, ainsi qu'on peut s'en
assurer par la lecture des pièces officielles publiées en appendice à la
Cronica de tes Barbarojas, de Gomara.
(2) D'après les pièces citées à la note précédente, cela n'est pas
bien certain, et le contraire paraît même plus probable. De plus,
l'expédition eut lieu à la fin de 1516 et non en 15t7.
(3) Ici, Haëdo, moins exact de coutume, n'est plus du tout d'accord
avec les documents officiels. La vérité est que l'Armada se composait
d'une trentaine de bâtiments, montés par trois mille hommes, et que
l'insuccès fut dû, non pas à la tempête, mais aux mauvaises disposi-
tions du général. Sinan-Chaouch, avec son exagération habituelle,
parle de trois cent vingt navires et de quinze milie hommes.
(4) Faisons remarquer, une fois pour toutes, que la lieue d'Haëdo
est le plus souvent de 8 à 10 kilomètres.
des Turcs, des maux et des vexations insupportables
qu'ils enduraient. Ce prince se nommait Amid-el-
Abdi (1), c'est-à-dire Amid le Nègre, parce qu'il était
très noir, étant fils d'un blanc et d'une négresse; il eut
pitié des Arabes qui l'imploraient et qui étaient du
même sang que lui; de plus, il craignit que le mauvais
voisinage de Barberousse ne lui valut à lui-même un
sort semblable à celui de Selim, et ces raisons le déter-
minèrent à entreprendre la guerre et à chercher à chas-
ser les Turcs d'Alger. Il réunit donc dix mille cavaliers
de ses vassaux ou alliés et partit avec eux de Ténès au
mois de juin 1517, peu de temps après la défaite de l'ar-
mée Chrétienne. Comme tous les Arabes de ces régions
détestaient les Turcs, et craignaient de tomber sous leur
joug, l'armée se renforça à chaque étape de cavaliers et
de fantassins qui accouraient pour défendre une cause
commune à tous. Aroudj se résolut à ne pas attendre
l'ennemi et à marcher sur lui en prenant l'offensive, se
fiant au courage de ses Turcs, qui étaient tous pourvus
de mousquets, armes que les Mores ne possédaient pas
encore. Il laissa Kheïr-ed-Din avec quelques soldats à la
garde d'Alger, et pour plus de sûreté, il emmena en
otage une vingtaine des principaux habitants, et se mit
en marche avec un millier de Turcs armés de mousquets
et cinq cents Morisques Andaleuces (2) de Grenade, d'A-
ragon et de Valence, qui amuaient de tous les points de
la Barbarie à Alger, où ils étaient bien reçus des Turcs,
qui les admettaient dans leurs rangs; ces Morisques
étaient presque tous armés d'arquebuses. Au bout de
deux jours de route, Aroudj rencontra l'ennemi à 12
lieues à l'ouest d'Alger, près du Chélif. La bataille s'en-
gagea les Turcs et les Morisques tuèrent tant de monde

(t) D'après les documents déjà ciMs, il se nommaitMouley-bou-


Abd-Allah, et se trouvait compromis dans une sorte d'alliance déjà
ancienne avec les Espagnols.
(2) Les Maures venus d'Espagne se divisaient en Andaleuces et
Tagarins, suivant les provincesdont ils étaient originaires.
avec leurs arquebuses, que le Roi de Tënes fut forcé de
s'enfuir en grande hâte, poursuivi l'épée dans les reins
jusqu'à sa capitale. N'osant pas y tenir ferme et s'y lais-
ser assiéger, il se retira dans les montagnes de l'Atlas
puis, ne s'y trouvant pas encore en sûreté, il les tra-
vtrsa, et gagna les plaines du Sahara (c'est le nom actuel
de l'ancienne Numidie), pays très voisin de celui des
nègres, et Barberousse entra ainsi sans difficulté à
Ténès. Il pilla à fond le palais du Roi, s'emparant de tout
ce que celui-ci n'avait pas emporté dans sa fuite les
Turcs en firent autant à l'égard des habitants du pays,
qui furent forcés de reconnaître leur conquérant comme
Roi et Seigneur. Celui-ci donna quelques jours de repos
à son armée, tant à cause des fatigues qu'elle venait
d'essuyer que pour laisser passer la chaleur, qui est ter-
rible en cette saison dans ce pays-là. A ce moment,
quelques-uns des principaux habitants de Tlemcen lui
firent savoir que, s'il voulait venir avec son armée, ils
lui livreraient la ville et tout le royaume. Car ils étaient
très désaffectionnés de leur Roi, qui avait usurpé le trône
quelques années auparavant, en fomentant une révolte
contre son neveu qui était le Roi légitime et qui s'était
enfui à Oran. Ce Roi se nommait Abuzeyen, et son neveu
Abuche Men (1).

§ 10.

Barberousse ne crut pas devoir laisser échapper une


aussi belle occasion d'accroître sa puissance il écrivit
à Alger à son frère Kheïr-ed-Din de lui envoyer immédia-
tement par mer, à la plage de Ténès (la ville est à peine
à une lieue de la côte) dix petits canons avec leurs
affûts, assez légers pour qu'il pût leur faire suivre la
route de terre. Il lui fallait cette artillerie, tant à cause
de la crainte qu'il avait d'être attaqué par le mar-
quis de Comarés en traversant la frontière d'Oran, que
(1) Bou-Zian et Bou-Hammou.
pour s'en servir à Tlemcen, s'il en avait besoin. Son
frère lui obéit et envoya les canons avec beaucoup de
poudre, de projectiles et de munitions, dans cinq ga-
liotes qui débarquèrentleur chargement au cap de Ténès.
Après avoir reçu ce matériel et rassemblé une grande
quantité de vivres de toute espèce qu'il fit charger sur
des chevaux, dont abonde le pays, il partit à grandes
journées pour Tlemcen. Quand il arriva à Alcala de Bena-
riax (1), lieu situé à dix lieues d'Oran et à quatre de Mos-
taganem, il y fut bien reçu par toute la population, qui lui
obéit de bonne volonté. La renommée de ses exploits lui
amena beaucoup de Mores en quête d'aventures et de
butin, qui vinrent en volontaires se joindre à lui pour
cette entreprise; il leur fit un très bon accueil et aug-
menta ainsi ses forces de quinze cents cavaliers; il
n'avait encore perdu que soixante hommes de la troupe
avec laquelle il était parti d'Alger. Cependant, craignant
que, si le Roi de Ténès ne revenait, les Mores, aidés
du Capitaine Général d'Oran, qui était si près de là,
ne lui tombassent sur les flancs ou ne lui coupassent
la retraite (ce à quoi aurait pu servir la forteresse d'Al-
cala de Benariax), il ordonna à son troisième frère
Isaac-ben-Jacob de garder cette position avec deux
cents mousquetaires Turcs et quelques-uns des Mores
dans lesquels il avait le plus de confiance; il les
prit parmi ceux qu'il avait emmenés d'Alger avec lui.
Pressant ensuite sa marche avec le reste de l'armée,
il rencontra le roi Abuzeyen à quatre lieues au delà d'O-
ran et à dix-huit en avant de Tlemcen. Ce prince, sachant
qu'Aroudj avait l'intention de le chasser de sa capitale,
marchait à sa rencontre, ignorant encore la trahison de
ses sujets, qui avaient provoqué l'arrivée des Turcs; il
avait jugé plus sûr d'attaquer l'ennemi en plaine que de
s'enfermer dans Tlemcen et de combattre aux portes de
son palais; car il ne se fiait pas aux habitants, et savait

(1 ) La Kalaa des Beni-Rachid.


que plusieurs d'entre eux ne lui étaient pas affectionnés.
Il était sorti avec une armée de six mille cavaliers et
trois mille fantassins, emmenant avec lui l'ancien Roi
de Ténès, Amid-el-Abdi, qui avait repassé l'Atlas et
était venu du Sahara à Tlemcen. Quand les deux armées
furent en présence, la bataille s'engagearapidementdans
une grande et spacieuse plaine nommée Aguabel; le
combat fut long et acharné; enfin les Turcs et les
Morisques d'Espagne ayant tué une grande quantité
d'hommes et de chevaux avec leur puissante mousque-
terie et leur artillerie, le Roi de Tlemcen fut complète-
ment battu et forcé de s'enfuir vers sa capitale avec ce
qui lui restait de monde; les habitants, sans attendre
l'arrivée d'Aroudj, lui coupèrent la tête (1). L'ancien Roi
de Ténès s'échappa par un autre chemin, et, traversant
de nouveau les montagnes, regagna le Sahara. Ces évé-
nements arrivèrent au commencement de septembre
1517. Après une pareille victoire et une aussi grande
destruction d'ennemis, Barberousse avait compris que
rien ne pouvait plus s'opposer à l'exécution de ses
désirs, et avait continué en grande hâte sa marche
en avant. Arrivé à moitié chemin de la ville, ceux des
habitants qui l'avaient appelé lui firent dire qu'ils l'at-
tendaient, en lui envoyant comme preuve la tête du Roi
Abuzeyen. Aroudj ne put cacher l'extrême joie que cette
nouvelle lui causa il fit tirer par.réjouissance des salves
d'artillerie et de mousqueterie, et, complètement délivré
des appréhensions qui pouvaient lui rester, arriva deux
jours après aux portes de Tlemcen. Les notables et pres-
que tous les habitants, curieux de voir les Turcs qu'ils
ne connaissaient pas encore, et surtout le célèbre Bar-

(t) Il n'est pas question dans Marmol de cette bataille d'Agbal, ni


du meurtre du Roi en tout cas, nous sommes assurés par les do-
cuments Espagnols, traduits par M. de la Primaudaye, que ce n'est
pas d'Abou-Hammou qu'il peut être question, puisque nous le voyous
p..149).
l'année suivante assiégeant Isaac dans Kalaa ~pue ~/Wc<M'M, 1875,
berousse, sortirent de la ville pour leur faire fête et les
recevoir. A peine entré, le vainqueur fit de grandes pro-
messes aux habitants, tout en s'emparant des immenses
richesses de l'ancien Roi, et en forçant à la restitution
tous ceux qui avaient pillé le palais après la mort d'Abu-
zeyen.Iltira aussi tout l'argent possible des Mores de
Tlemcen et du territoire une partie de cet impôt lui
servit à payer son armée et à faire des présents à ses
partisans; l'autre partie fut employée à fortifier la ville,
et surtout la Casbah; car il comprenait bien que les
Chrétiens ne seraient pas satisfaits de le voir établi aussi
près d'Oran, et que le Marquis ne manquerait pas d'aider
Buchen Men, qui était alors à Oran, a recouvrer son
royaume. C'est pourquoi, pour affermir sa puissance, il
envoya des Ambassadeurs au Roi de Fez, Muley Hamet
el Meridin, pour lui demander son alliance, lui promet-
tant son aide contre le Roi de Maroc et d'autres Mores,
avec lesquels il était continuellement en guerre; il le
priait de conclure une alliance offensive et défensive
contre les Chrétiens, leurs ennemis communs, et ajou-
tait qu'il n'avait aucun souci des Mores le Roi de Fez
accepta très volontiers. Barberousse resta donc à Tlem-
cen pendant toute l'année 1517, jouissant de sa victoire;
Kheïr-ed-Din gouvernait Alger, et Isaac-ben-Jacob le
Royaume de Ténès, avec résidence à AlcaladeBenariax.
Ce dernier fut, quelques mois après, victime d'un acci-
dent qui chagrinâ beaucoup son frère. Les Turcs de la
garnison d'Alcala s'adonnaient à toute sorte de violences,
pillant et maltraitant les habitants de la ville et des envi-
rons irrités par ces sévices, ils assaillirent à l'impro-
viste le château, et une grosse troupe d'entre eux mas-
sacra à coup de coutelas et de lances Isaac et tous ses
Turcs; une quarantaine des vaincus avaient fait une
trouée et se dirigeaient sur Tlemcen; ils furent poursui-
vis par les Mores qui les atteignirent bientôt, et les
tuèrent jusqu'au dernier (1). Lorsque Aroudj apprit cette
(1) Ce passage n'est pas complètement exact le fait est qu'Isaac
nouvelle à Tlemcen, il en conçut une extrême douleur;
car il aimait beaucoup ses frères, et celui-là tout particu-
lièrement mais comme il lui était impossible de se
venger en ce moment, il dissimula sa colère, réservant
le châtiment pour plus tard. On voit encore aujourd'hui
le tombeau d'Isaac dans cette même ville d'Alcala de
Beniarax, où les habitants le montrent.

§11.
Dans ce même mois de septembre où Barberousse s'é-
tait emparé du royaume de Tlemcen, Charles-Quint était
arrivé de Flandre en Espagne pour prendre la couronne
par suite de la mort de son aïeul le Roi Catholique Don
Fernando, décédé l'année précédente il avait débarqué
en Biscaye avec une nombreuse et puissante armée. En
recevant cette nouvelle, le marquis de Comarès, gouver-
neur général d'Oran, s'embarqua pour l'Espagne. Il avait
pour cela deux raisons il voulait rendre ses devoirs au
nouveau Roi, et surtout l'informer des succès d'Aroudj,
et lui remontrercombien il était important de ne pas lais-
ser s'accroître davantage la puissance de cet usurpateur.
Ce jugement était celui d'une personne bien avisée, qui
voyait bien que si l'on n'étouffait pas tout de suite ce feu,
il consumerait plus tard une partie de la Chrétienté, ce
dont nous faisons aujourd'hui la dure expérience. Pour
mieux réussir, le marquis emmenait avec lui Abuchen
Men, qui devait se jeter aux pieds du Roi Charles-Quint,
émouvoir sa compassion, et obtenir de lui un secours
pour le remettre sur le trône. Ces sollicitations enle-
vèrent le consentement de Sa Majesté, qui accorda une

fut assiégé dès le mois de janvier 1518 par Bou-Hammou, et don


Martin d'Argote, qui lui avait amène un renfort de 300 Espagnols.
Après une longue et vigoureuse défense, Isaac capitula ce fut au
moment de sa sortie du fort qu'il fut massacré traitreusementpar les
goums insurgés, en présence des Espagnols, qui ne purent ou ne vou-
lurent pas s'opposer à cette violation du droit des gens.,
armée de dix mille soldats destinés à combattre Barbe-
rousse et à rétablir le Roi de Tlemcen. Le Marquis re-
tourna à Oran avec cette armée au commencementde
1518; au mois de mai (au temps des cerises, selon le
dire d'un très vieux renégat de Cordoue qui se trouvait
là), il marcha sur Tlemcen, pour en chasser les Turcs,
emmenant avec lui Abuchen-Men. Aroudj, qui ne s'en-
dormait pas, avait appris tout cela, et, se doutant de ce
qui arriverait, avait fait ses préparatifs et avisé le Roi de
Fez. Il redoublait d'activité en apprenant que le marquis
était revenu à Oran avec une grosse armée, et pressa son
allié de hâter son arrivée. Cependant, ne le voyant pas
venir au moment où les Espagnols marchaient déjà sur
lui, il eut d'abord envie de se porter à leur rencontre
avec ses quinze cents Turcs et Andalous armés de
mousquets, et plus de cinq mille cavaliers Mores, com-
posés en partie de ceux qu'il avait amenés, et en partie
de Tlemceniensqui lui avaient juré fidélité; mais comme
il ne se fiait pas~ ces derniers, et que le reste était trop
inférieur en nombre aux Espagnols, il finit par se déci-
der à s'enfermer dans la ville, espérant pouvoir y arrêter
l'ennemi jusqu'à l'arrivée du Roi de Fez, qui avait promis
de venir bientôt. Il changea encore une fois d'avis, au
moment où le Marquis arrivait aux portes de Tlemcen,
et n'osa plus se fier aux habitants, qu'il voyait être mé-
contents de la guerre qui pesait sur eux (1). Il profita
donc d'une nuit obscure pour se sauver à l'insu des
habitants avec ses Turcs et ses Andalous à cheval, en
emportant le plus de butin possible, et prit à grande
vitesse la route d'Alger, espérant mettre la vigilance
de l'ennemi en défaut. Mais il était à peine parti que le
Marquis, campé tout près de la ville, fut avisé de sa

(1) Haëdo ne nous dit pas qu'Aroudj défendit la ville pendant près
de six mois, et qu'il ne s'enferma dans le Mechouar qu'après que les
Espagnols se fûssent rendu maîtres des portes, en même temps que
les Tiemceniens se retournaient contre lui. (Voir la Revue africaine,
i878,p.390).
fuite. S'étant fait indiquer
uer le chemin
che que suivaient les
Turcs, il le prit lui-même avec une troupe de mousque-
taires bien montés, en se gardant bien à cause de la
nuit; il gagna Aroudj de vitesse et l'atteignit à huit lieues
de Tlemcen, au moment où il allait passer une grande
rivière (1) nommée Huexda. Il cherchait à la franchir
pour s'abriter, voyant que le Marquis le serrait de près
et que les Chrétiens étaient déjà si rapprochés qu'ils lui
tuaient du monde et lui coupaient des têtes. Pour arrêter
l'ennemi, il usa d'un stratagème de guerre (qui eût sans
doute réussi avec de moins bonnes troupes) et fit jeter
une grande quantité de vases d'or et d'argent, de bijoux,
de monnaies et de choses très précieuses dont ses Turcs
avaient une bonne charge, espérant avoir le temps de se
mettre à l'abri derrière la rivière, pendant que la cupi-
dité inciterait les Chrétiens à ramasser les trésors qu'il
faisait semer. Mais le courageux Marquis anima telle-
ment ses gens, qu'ils méprisèrent toutes ces riches-
ses (2), et n'en virent pas de plus grande que la gloire de
s'emparer d'Aroudj avant qu'il eût passé la rivière. Donc,
foulant aux pieds les trésors, ils coururent impétueuse-
ment sur les Turcs ceux-ci, se voyant serrés de près,
firent face et se conduisirent en hommes décidés à mou-
rir Aroudj, avec son seul bras, combattait comme
un
lion.
En peu de temps, la plupart des Turcs furent tués et
décapités les uns après les autres un bien petit nombre
d'entre eux put passer la rivière et se sauver. Telle fut la
mi de la vie et des grands projets du premier Barbe-

(1) Nous estimons qu'il faut bien se garder, quoiqu'on ait dit
M. Berbrugger, de confondre cette rivière
avec l'Oued Isly. (Voir
l'article cité à la note précédente).
(2) Cet éloge paraît immérité, puisqu'il résulte des lettres
de no-
blesse données à l'alferez Garcia de Tineo, qui tua Aroudj, qu'au
moment de l'attaque, l'enseigne Espagnol n'avait avec lui que
rante-cinq hommes. Les autres étaient donc restés qua-
arrière et s'at-
tardaient au pillage. (Gomara, ~pp~t'ce, p. 159.) en
3
rousse, qui avait amené les Turcs en -Barbarie, leuravait
appris la valeur des richesses du Ponent, et dont l'habi-
leté et le grand courage (1) avaient fondé le puissant em-
pire qui existe encore aujourd'hui à Alger. Le Marquis,
très-heureux d'une telle yictoire, ce qui était bien natu-
rel, fit distribuer à ses soldats, sans en réserver rien
pour lui, l'énorme butin qui fut fait; il.retourna à Tlem-
cen, faisant porter la tête d'Aroudj au bout d'une lance,
et remit sans difficulté Abuchen Men sur son trône.
Moins de quinze jours après cet événement, le Roi de
Fez arriva à quatre lieues de Mélilla, en un pays nommé
Abdedu, avec vingt mille fantassins et cavaliers mores.
Il venait au secours de Barberousse; mais, ayant appris
sa défaite et sa mort, il s'en retourna immédiatement,et
le marquis rentra a Oran avec son armée, laissant le Roi
de Tlemcen en paix parfaite. Suivant le dire de ceux qui
l'ont connu, Aroudj était âgé de quarante-quatre ans au
moment de sa mort; il n'était pas de grande taille, mais
très fort et très robuste, il avait la barbe rouge, les yeux
vifs et lançant des flammes, le nez aquilin et le teint ba-
sané il était énergique, très courageux et très intré-
pide, magnanime et d'une grande générosité; il ne se
montra jamais cruel, sinon à la guerre ou quand on lui
désobéissait; il fut à la fois très aimé, très craint et très
respecté de ses soldats, qui pleurèrent amèrement sa
mort. Il ne laissa pas de postérité. Il passa quatorze ans
en Barbarie, où il fit bien du mal aux Chrétiens il fut
quatre ans Roi de Gigelli et des pays voisins, deux ans
Roi d'Alger, et un an usurpateur de Tlemcen.

(t) Faisons remarquer que celui qui s'exprime ainsi est un ennemi,
un Espagnol, un prêtre ce sont là trois titres suffisants pour ne pas
flatter ceux qui avaient fait tant de mal à l'Espagne et à la chrétienté
aussi, en le voyant rendre justice aux grandes qualités des Barbe-
rousses, il nous est impossible de ne pas nous étonner, en voyant
des écrivains modernes traiter ces derniers de vulgaires ms~~eM?'~
et de bandits.
CHAPITRE II

Kheïr-ed DiB Barberousse, second Roi

§1-

La nouvelle de la mort d'Aroudj arriva peu de jours


après à Alger, que gouvernait Kheïr-ed-Din son frère.
Celui-ci, en outre du chagrin que lui causa cette perte,
craignait que le Marquis ne vint l'attaquer et fut même
un moment sur le point de s'embarquer avec les Turcs
dans les vingt-deux galiotes qui se trouvaient là.
Quelques-uns des corsaires présents le détournèrent de
ce dessein, et lui persuadèrent d'attendre tout au moins
jusqu'à ce que les Chrétiens se fussent décidés à entre-
prendre quelque chose. Bientôt on apprit que le Marquis
avait rapatrié ses troupes aussitôt après leur retour à
Oran, et Kheïr-ed-Diii se tranquillisa. Les soldats et les
corsaires se rallièrent à lui de toutes parts, ainsi que
ceux qui avaient pu échapper à la déroute d'Aroudj, et
tous le reconnurent volontairement pour Roi. A vrai
dire, son génie pour les affaires intérieures, aussi bien
que pour la guerre, le rendait digne de succéder à son
frère, comme plus tard il le montra bien. Son premier
acte fut d'envoyer une galiote au Sultan pour l'aviser de
la mort d'Aroudj, et de la crainte qu'il avait de voir les
Chrétiens le chasser d'Alger et de tout le pays. Il lui
demandait sa protection, promettait de payer le tribut,
et même d'augmenter la puissance Turque en Barbarie,
de façon à ce que' ce pays fut en peu de temps entière-
ment vassal de la Porte. A l'appui de sa demande, il
envoya un très riche présent, porté par un renégat, son
kahia ou majordome. Le Grand Seigneur reçut favora-
blement cette demande, et ne se contentant pas de le
recevoir sous sa protection, il lui envoya deux mille
soldats, donna la permission de passer en Barbarie à
tous ceux qui voudraient le faire, et accorda aux janis-
saires d'Alger les droits et les priviléges dont jouissent
ceuxdeConstantinople. LekahiadeKheïr-cd-Din revint
au commencement de l'année suivante, très satisfait de
cette réponse, qui fit éprouver une vive satisfaction aux
Turcs d'Alger. Barberousse, craignant que la discipline
ne souffrît de cette agglomération, et qu'il n'y eût des
tentatives de mutinerie, dispersa ses troupes dans les
villes frontières de la province d'Oran, comme Mostaga-
nem, Ténès, Milianah, et quelques autres. Pour éviter
des révoltes et s'attirer l'affection des Arabes, il remit
sur le trône de Ténès, à condition du paiement d'un tri-
but annuel, le Roi Hamid-el-Abdi, jadis dépossédé par
Aroudj. Pensant ainsi être affermi contre les Chrétiens,
il permit aux Reïs de recommencerla course suivant les
anciennes habitudes, et resta de sa personne à Alger,
avec des forces solides, approvisionnées pour un an
d'avance. Au printemps de cette année, il advint un évé-
nement mémorable qui devait consolider son pouvoir.
Don Hugo de Moncade, chevalier de Malte, capitaine
connu par la valeur qu'il avait montrée en Italie dès le
temps du Grand Capitaine, partit de Naples et de Sicile
avec trente vaisseaux, huit galères et quelques brigan-
tins. Cette flotte portait plus de cinq mille hommes, et
beaucoup de vieux soldats Espagnols, parmi lesquels on
remarquait les braves compagnies qui avaient jadis
défendu les états de Francisco Maria de Montefeltrio,
duc d'Urbin. Charles-Quint, qui venait de monter sur le
trône d'Espagne et de Naples, avait donné l'ordre à ce
capitaine de chasser d'Alger Kheïr-ed-Din, que l'on pen-
sait être découragé par la mort de son. frère. Arrivée à
Alger, la flotte fut assaillie par une tempête soudaine qui
fit échouer la plupart des bâtiments; les Arabes et les
Mores de la campagne accoururent, Barberousse sortit
d'Alger avec ses Turcs, et tous firent un grand massacre
de chrétiens, beaucoup de captifs et de butin ce fut a
grand peine que Don Hugo s'échappa avec quelques
hommes et quelques vaisseaux. Toutefois Paul Jove
raconte (1) que Don Hugo débarqua son armée, la forma
en bataille, et qu'elle fut battue par Barberousse qui en
fit un grand carnage et la força à se rembarquer, il ajoute
que ce fut après ce rembarquement que survint la tem-
pèteetla perte des navires,après laquelle les Arabes de la
campagne et les Turcs d'Alger tuèrent ou prirent beau-
coup de naufragés.
En 1520, Barberousse soumit par ses menaces les
Mores de Collo (port de mer, échelle de Constantine,
situé à environ trente (2) milles à l'est d'Alger). L'année
suivante, il soumit également Constantine, qui avait,
pendant de longues années, défendu sa liberté contre le
Roi de Ténès (3), auquel elle avait été jadis soumise. Les
habitants de cette ville se virent forcés de reconnaître
Barberousse pour souverain, aussitôt qu'il fut maître de
Collo, parce que ce n'est que, par ce port que les mar-
chands Chrétiens peuvent leur acheter les laines, cou-
vertures, cires et cuirs, dont ils tirent un grand profit.
Dans l'année suivante, 1522, il s'empara de l'antique et
très forte ville de Bône, qui était, jusque-là, restée com-
plètement libre (comme le dit Juan Léon). Il pénétra,
avec ses vingt-deux galiotes armées en guerre, dans leur
port et dans la rivière même, et ils furent ainsi forcés de
se soumettre, pour éviter une destruction totale. Tout en
faisant ces diverses conquêtes, il ne négligeait pas la
course et la conduisait en personne une ou deux fois par
an, en sorte qu'il acquit autant de célébrité que son frère

(t) Le R'azaouât fait le même récit, à quelques variantes près. Le


combat fut livré le M août 15t8 la tempête règna le 21 et le 22 du
même mois, et vint compliquer le désastre.
(2) Il y a bien trente dans le texte c'est un lapsus-calami, et Haëdo.

Tunis.
a certainement voulu dire trois cents; it y a, en effet, trente myria-
mètres à vol d'oiseau entre Alger et Cotto.
(3) Faute d'impression, pour
Aroudj, tant par ses exploits que par le dommage qu'il
causa aux Chrétiens.
Il continuaainsi jusqu'à l'année 1529, accroissant cha-
que jour ses richesses, le nombre de ses captifs et celui
de ses bâtiments, de sorte qu'il avait à lui seul dix-huit
vaisseaux bien pourvus d'artillerie et de tout le matériel
nécessaire. Au mois de septembre 1529, il conclut un
traité avec les Rois de Kouko et de Labez (1), voisins du
territoire d'Alger; tous deux étaient dès souverains puis-
sants, que l'Espagne avait empêchés, jusque-là, par l'in-
termédiaire du commandant général de Bougie (qui rele-
vait alors de la couronne de Castille), de s'allier aux
Turcs, auxquels ils faisaient tout le mal possible. Plus
tard, il envoya en course quatorze de ses galiotes dans
les eaux des Baléares et de l'Espagne; il en donna le
commandement à un audacieux corsaire turc nommé
Cacciadiabolo; les principaux reïs de la flotte étaient:
Salah-Reïs, qui devint plus tard Roi d'Alger; Chaban-
Reïs Tabaka-Reïs; Haradin-Reïs; Jusuf-Reïs; après
avoir enlevé quelques vaisseaux et quelques personnes
près des îles et sur les côtés, ils se virent implorer par
certains Morisques du royaume de Valence, vassaux du
comte d'Oliva, qui désiraient, passer en Barbarie avec
leurs familles; pour y vivre sous la loi de Mahomet, et
qui offraient de bien payer leur passage. Cette proposi-
tion fut agréée par les corsaires; qui se rendirent près
d'Oliva, embarquèrent pendant la nuit plus de deux cents
de ces Morisques et mirent ensuite le cap sur l'île de
Formentera.

(t) Les Européens dénommaientainsi les deux chefs qui se parta-


geaient l'influence en Kabylie, l'un résidant à Kouko, l'autre à Kalaa
des Beni-Abbès. Pendant toute la durée de la Régence, la politique
turque consista à favoriser tantôt l'un, tantôt l'autre, et à les mainte-
nir dans un état permanent d'hostilité plus ou moins ouverte.
§ 2.

Au même moment, le Général des galères d'Espagne,


chevalier Biscayen, nommé Portundo, revenait d'Italie,
où il avait été escorter avec huit galère-s l'empereur
Gharles-Quint, dansle voyage qu'il venaitdefaire àBologne
pour y être couronné par le pape Clément VII; il se trou-
vait, avec sa flotte; sur la route de Barcelone Valence.
Le comte d'Oliva apprit son retour au moment même où
il était informé de la fuite de ses vassaux Morisques, qui
emportaient avec eux de grandes richesses. H envoya
immédiatement un courrier à l'amiral Portundo, le sup-
pliant de poursuivre les corsaires, et lui promettant dix
mille écus, s'il le remettait en possession de ses vas-
saux. Portundo, séduit par cette offre, et voyant là une
occasion de se distinguer, pressa sa route vers Valence,
il jugea que les Reïs avaient dû choisir la route des
Baléares et prit le même chemin. Il n'était pas encore
arrivé à Fermentera que les Algériens le découvrirent
de.loin en comptant un aussi grand nombre de galères,
ils virent qu'ils allaient être forcés de combattre ou tout
au moins de prendre chasse~et s~apereevant que, dans
l'un ou l'autre cas, leurs passagers leur seraient d'un
grand embarras, ils les débarquèrent immédiatement à
Formentera. De son côté, Portundo, soit qu'il ne con-
nût pas les forces des Turcs, soit qu'il crût remporter
facilement la victoire, avait défendu à ses galères de se
servir de leurs canons et de chercher à couler les bâti-
ments ennemis car il voulait recouvrer les Morisques
en bon état pour les rendre au comte d'Oliva, leur sei-
gneur, et gagner ainsi la récompense offerte. Par suite
de ces ordres, son fils, Juan Portundo, qui était très en
avant de son père, avec quatre galères, n'osa pas canon-
ner les Turcs qu'il rencontra s'éloignant de l'île, et
auxquels il eût pu faire beaucoup de mal; il fit, au
contraire, lever les rames et donna l'ordre d'attendre
l'arrivée des autres galères. Les Turcs, voyant ce mou-
vement d'arrêt, crurent que l'ennemi avait peur d'eux, et
se résolurent à ne plus fuir, mais à combattre, d'autant
plus qu'ils avaient quatorzevaisseaux contre huit; ils at-
tendirent donc pour voir ce que les Chrétiens feraient
après leur jonction.Quand ils s'aperçurent que Portundo
ne faisait mine ni de les aborder, ni de commencerle feu,
ils en conçurent une telle audace qu'ils se décidèrent à
attaquer eux-mêmes. Tournant donc le front vers les
Chrétiens, ils leur coururent sus à force de rames, et les
assaillirent avec une grande décharge de mousquets et
de flèches. Les Espagnols n'étaient pas aussi nombreux
que le cas le comportait, parce que les galères avaient
laissé en Italie plus de la moitié de leurs soldats, pour
assister aux grandes fêtes du couronnement de l'Empe-
reur. Cependant, ils combattirent bravement, et la mêlée
fut longue et sanglante le malheur voulut que l'amiral
Portundo, dont la galère était assaillie par deux galiotes,
fût tué d'une arquebusade en pleine poitrine sa mort
jeta le trouble à son bord, et les Turcs, s'acharnant à
l'attaque, s'en emparèrent. La prise de cette galère, qui
était la plus forte de toutes et leur Capitane, redoubla le
courage des corsaires, qui, poussant vigoureusement
leur succès, se rendirent maîtres des autres; une seule
se sauva comme par miracle, étant parvenue à se débar-
rasser de l'ennemi, et n'arrêta sa fuite que quand elle fut
arrivée derrière les salines d'Iviça. Après leur victoire,
les Turcs revinrent à Formentera embarquer les Moris-
ques qu'ils y avaient laissés, et cinglèrent vers Alger avec
les sept galères prises et une grande quantité de captifs.
Kheïr-ed-Din les reçut avec un grand contentement; il
prit pour lui les principaux d'entre les prisonniers, et
parmi eux le fils de Portundo et tous les capitaines des
galères il les fit mettre dans son bagne. Dans l'année
suivante, 1530, ayant appris qu'ils complotaient de s'em-
parer d'Alger et qu'il y avait connivence, à cet effet, avec
tous les captifs Chrétiens, il les fit cruellement mettre à
mort et tailler en pièces à coups de coutelas, comme
nous le racontons plus longuement ailleurs (1).

3.
En 1530 (2), Barberousse se résolut à détruire et à raser
le Penon, que son frère Aroudj avait essayé de prendre en
1516; il avait l'intention, qu'il exécuta depuis, d'y substi-
tuer un mole en réunissant l'îlot à la ville par une chaus-
sée, afin de donner de la sécurité aux navires car, dans
ce temps-là, les corsaires étaient forcés de tirer leurs
bâtiments sur le sable de la plage d'un petit ruisseau,
situé à environ un mille à l'ouest d'Alger il fallait exé-
cuter les manœuvres de halage à force de bras, avec un
immense travail des pauvres captifs. Les navires des
marchands Chrétiens, dont le commerce est pour les
Algériens d'un grand profit (sans compter les droits
qu'ils leur font payer) n'avaient pas d'autre abri que la
petite anse qui se trouve en dehors de la porte Bab-
Azoun, à l'endroit qu'on appelle aujourd'hui ~.Pa~M;
ils y étaient sans cesse en grand péril, manquant d'abri
et battus par tous les vents. Ces divers motifs avaient
donc déterminé Kheïr-ed-Dinà attaquer la forteresse; un
événement imprévu vint le décider à hâter l'exécution
de son projet. Il arriva que deux jeunes Mores s'en-
fuirent au Penon, et déclarèrent au gouverneur qu'ils
voulaient se faire chrétiens. Celui-ci se nommait Martin
de Vargas, brave chevalier Espagnol; il reçut très hu-
mainementles fugitifs et les logea chez lui pendant qu'on
les instruisait et qu'on les catéchisait avant de leur don-
ner le baptême. Peu de jours après, le dimanche même
(1) Dans le .Dt'o~Me des martyrs.
(2) Il y a erreur de date la prise du Pcnon eut lieu en 1529,
comme le prouvent les lettres de Charles V citées par M. Berbrugger,
(Le Pégnon d'Alger, Alger, 1860, brochure in-8", p. 99, etc.) et quel-
ques pièces des documents Espagnols, traduits par M. de La
Primaudaye (Revue africaine, année 1875), p. 163-166.
de Pâques, à l'heure oùù le capitaine et la garnison enten-
daient la messe, les jeunes Mores montèrent sur le
rempart, qui se trouvait désert; là, soit par légèreté, soit.
par méchanceté et trahison, ils élevèrent une bannière,
et firent des signaux à la ville du haut d'une grosse tour.
Une servante du capitaine, qui se trouvait dans le châ-
teau, vit ce manège, et se mit à appeler la garnison à
grands cris, en avertissant de ce qui se passait. Le Gou-
verneur quitta la messe avec ses soldats, accourut en
grande hâte, et, sans plus d'informations, fit pendre les
deux coupables à un créneau en vue de la ville. A ce
spectacle, les Algériens furent immédiatement trouver
Barberousse et se plaignirent de l'outrage qui leur éta~
fait, sans s'occuper autrement des causes du supplice.
Celui-ci, voyant là l'occasion de hâter l'exécution de ce
qui était décidé depuis longtemps dans son esprit, cher-
cha d'abord à parvenir à ses fins sans effusion de sang.
Il envoya en parlementaire un de ses renégats, l'alcade
Huali, avec ordre de faire savoir au Gouverneur que, s'il
lui rendait la place sans combat, il lui ferait un parti
honorable, et de nature à satisfaire toute la garnison,
sinon, il jurait de faire passer tout le monde au ni de
l'épée. Don Martin ne fit que rire de ses menaces et ré-.
pondit à Kheïr-ed-Din, qu'il s'étonnait qu'un brave capi-
taine comme lui conseillât à un autre de se déshonorer
il le pria de se souvenir qu'il avait affaire à des Espa-
gnols que ses vaines menaces ne pouvaient effrayer. Le
Roi s'attendait à une réponse semblable, et n'espérant
rien de la démarche de son parlementaire, il avait fait
élever et armer en hâte une batterie, en face du Penon.
Lorsque le renégat revint avec la réponse du gouverneur,
Barberousse furieux fit prendre un très grand et très
fort canon de bronze à bord d'un galion français qui se
trouvait dans le port d'Alger et qui appartenait à un che-
valier français de l'ordre de Malte, nommé Frajuanas (1);

ft) Voilà qui nous paraît bien difficile à accepte)': unchcvajierde


avec ce canon et d'autres grosses pièces dont il s'était
muni depuis longtemps dans la prévision de cette
attaque, il se mit à battre le fort, y dirigeantjour et nuit
un feu terrible, qui commença le 6 mai 1530. Il continua
quinze jours de suite sans discontinuer, rasa les deux
tours et le rempart qui faisait face à la cité; en même
temps il faisait tirer un grand nombre de coups de mous-
quets, qui, en raison de la faible distance qui séparait les
combattants (300 pas environ) tuèrent une grande partie
des deux cents défenseurs du fort. Enfin, le vendredi 21
mai (1), seizième jour depuis l'ouverture du feu, avant le
lever du soleil, Barberousse attaqua avec quatorze ga-
liotes montées par des troupes choisies, parmi lesquelles
se trouvaient douze cents Turcs armés de mousquets et
beaucoup d'archers. Les Chrétiens qui étaient en petit
nombre, blessés et accablés de fatigue, ne purent pas
empêcher les Turcs de débarquer au pied de la brèche.
Ceux-ci ne trouvèrent en vie que le capitaine Martin de
Vargas, très grièvement blessé, et cinquante-trois sol-
dats (2) gravement atteints et presque hors de combat
ils y trouvèrent aussi trois femmes, desquelles deux
étaient Espagnoles (une d'elles vit encore aujourd'hui,
et est la belle-mère du caïd Rabadan) l'autre était une
Mayorquine, qui est encore vivante elle est la belle-mère
de Hadji Morat, et l'aïeule de la mère de Muley Meluk
qui fut Roi de Fez et de Maroc. Nous racontons longue-

Malte tranquillement ancré dans le port d'Alger, au moment même


où le Sultan traquait l'ordre de tous côtes et ce chevalier prêtant du
canon à Barberousse pour combattre les soldats de celui qui, à ce
même instant, offrait Malte comme refuge à ses frères C'est peu
croyable
(1) La lettre de l'<~o~~Mt/ des Documents espagnols (déjà cités) dit
le vendredi 23 mai.
(~) Sinan-Chaoucb,toujours préoccupe de magnifier son héros, dit
cinq cents hommes. En réalité, il n'y avait, avant le commencement
des attaques, pas beaucoup plus de cent cinquante hommes de gar-
nison. La lettre citée à la note précédente parle dé quatre-vingt-dix
prisonniers et de soixante-cinq morts.
ment ailleurs (1) comment Barberousse fit cruellement
périr Martin de Vargas sous le bâton, au bout de trois
mois de captivité, sans avoir eu pour cela aucun motif.
Après sa victoire Kheïr-ed-Din fit raser la forteresse et se
servit des matériaux pour achever le port tel qu'il est en-
core aujourd'hui; il employa plusieurs milliers de captifs
Chrétiens à cet immense travail, et fit relier par un soli-
de terre-plein tout l'espace compris entre l'îlot et la ville.
Cette construction fut terminée au bout de deux ans (2).

§4.
En 1531, Kheïr-ed-Din, tout en construisant un môle
à Alger, en faisait édifier un autre à Cherchel; cette ville
possède un port naturel, qu'il voulait rendre vaste et
très sûr. Le Prince André Doria jugea bon de chercher à
l'en empêcher, sachant bien que Cherchel est le point de
Barbarie le plus rapproché des Baléares, et se trouve à
peu d'heures de l'Espagne. Il s'y dirigea donc avec ses
galères, espérant tout au moins délivrer plus de sept
cents captifs employés aux travaux. On a dit, et des pri-
sonniers de ce temps-là m'ont amrmé à moi-même, que
quelques-uns d'entre eux avaient écrit au Prince pour
lui apprendre combien il serait facile de leur rendre la
liberté, de prendre la ville et de détruire le môle com-
menèé. Le Prince partit donc de Gênes au mois de juillet
1531 avec ses vingt galères bien armées, sa marche fut
rapide et, arrivant avant le lever du soleil, il débarqua
quinze cents hommes tout près de Cherchel; il avait
donné l'ordre de se précipiter dans la ville, qui n'était

(1) Dans le Dialogue des~a~


(2) Quatre jours après l'assaut, les Turcs prirent
un brigantin qui
apportait de la poudre, des munitions et 600 ducats aux défenseurs
du Penon. Dans le R'azaouât, cette prise se transforme
en un combat
naval dans lequel les Espagnol perdent neuf grands vaisseaux et
deux mille sept cents hommes.
pas fortifiée, de recueillir avant tout les Chrétiens captifs,
de ne se débander sous aucun prétexte po,ur piller les
maisons, et enfin de se rembarquer à la hâte au signal
qui devait être donné par un coup de canon. Les soldats,
avant qu'on ne se fût aperçu de leur présence, arrivèrent à
la ville et au château qu'ils prirent de haute-main, brisant
les portes et délivrant les captifs qui y étaient enfermés,
aux cris de liberté liberté 1 Ceux-ci, voyant la grâce
que Dieu leur faisait, gagnèrent rapidement le rivage
et s'embarquèrent; les soldats n'imitèrent point leur
exemple; plus altérés de butin que soigneux d'obéir
aux ordres reçus, ils se dispersèrent dans les rues et
dans les maisons et s'enivrèrent tellement de pillage
que, lorsque le Prince fit tirer le canon de rappel, ils
n'entendirent pas le signal, ou du moins ne lui obéirent
point. Cependant le jour était arrivé, et les Turcs, que le
premier choc avaient dispersés, s'étaient ralliés, réunis
aux habitants, Morisques d'Espagne assez bons com-
battants ils fondirent tous ensemble sur les soldats
chrétiens, dispersés et chargés de butin, en blessèrent
et en tuèrent beaucoup, et finalement les mirent en
pleine déroute. D'autresTurcs se jetèrent dans le château
et commencèrent immédiatement à tirer sur les galères,
avec quelques canons qui se trouvaient là; si bien que
Doria, craignant de voir tous ses vaisseaux coulés à
fond, comprenant que ses soldats étaient perdus sans
espoir, prit le large, laissant à terre plus de six cents
hommes vivants, dont les Turcs et les Morisques s'em-
parèrent en échange des captifs délivrés. Le Prince mit
à la voile et fit route directe sur Mayorque; quant à
Barberousse, s'il fut fâché d'un côté d'avoir perdu une
partie de sa vieille chiourme, il se consola en pensant à
l'échec que Doria avait subi (1).

(t) Marmol raconte l'expédition de Doria absolument de la même


manière, quoiqu'ayec moins de détails, (Liv. V, chap, XXXH1.).
§5.
En 1532, les Tunisiens, et surtout les habitants de la
ville même de Tunis, étaient très mécontents de leur Roi
Mouley-Hassan, homme fort cruel, qui avait mécham-
ment fait tuer plusieurs de ses frères et beaucoup d'ha-
bitants notables. Désireux de se venger, ils écrivirent
très secrètement à Barberousse, qui se trouvait alors à
Alger, et le supplièrent de venir avec une bonne armée,
promettant de le rendre maître de la ville et de tout le
royaume. Au temps de sa jeunesse, Kheïr-ed-Din était
resté longtemps en Tunisie avec son frère Aroudj, et s'y
était lié d'une étroite amitié avec la plupart des Mères
qui faisaient cette démarche auprès de lui. Il se garda
bien de refuser l'offre d'un aussi riche royaume et d'une
semblable ville, dont la possession devait faire de lui un
très puissant souverain, maître de toute la Barbarie. Ce-
pendant, il ne voulut pas commencer immédiatement
cette entreprise, et répondit qu'il s'occupait de ses pré-
paratifs et qu'il viendrait lorsqu'il serait assez fort pour
le faire. On a dit (Jove entre autres) qu'il se rendit à Cons-
tantinople pour demander au Sultan de lui venir en aide;
mais les Turcs et les Renégats, ses contemporains,disent
qu'il se contenta d'écrire au Grand Seigneur ce qui se
passait, en le priant de lui envoyer du monde pour laisser
bonne garde à Alger, pendantqu'il irait à Tunis avec des
forces sumsantes pour terminer rapidement l'affaire; il
ajoutait qu'il se rendrait bien vite maître de toute la Bar-
barie et que c'était pour la Porte, et non pour lui, qu'il
faisait cette conquête. A l'appui de sa demande, il en-
voya un Renégat, son majordome, avec deux galiotes
chargées de riches présents destinés au Sultan et aux
membres du grand Divan. Soliman, qui régnait en ce
moment à Constantinople, prince magnanimeet avide de
conquêtes, entra avec ardeur dans ce projet et fit armer
immédiatement quarante galères. Il les mit en route au
commencement du printemps de l'année suivante, 1533,
avec une armée de huit mille Turcs, beaucoup d'artille-
rie et de munitions, et leur donna l'ordre de ne débar-
quer ni à Tunis, ni en aucun lieu de la Barbarie, jusqu'à
ce que Barberousse leur eût fait savoir où ils devaient se
rendre. Cette flotte, guidée par le majordome de Kheïr-
ed-Din, arriva au cap des Colonnes, en Calabre, dépassa
le phare de Messine et relâcha à l'île de Ponce, après
avoir ravagé la côte de Calabre. De cette façon, Mouley-
Hassan ne se méfia ni de cette, flotte, ni du Roi d'Alger.
Celui-ci, qui avait été prévenu depuis longtemps, partit
comme pour aller en course, emmenant environ trois
mille Turcs, huit galères, dix grandes galiotes (ou galères
légères), car il avait beaucoup accru sa marine. Il se mit
en route au commencement du mois de mai, laissant
bonne garde à Alger et dans le pays; il délégua son au-
torité à un de ses renégats, dans lequel il avait mis tou-
te sa confiance; c'était un eunuque Sarde, nommé Has-
san-Aga. Sachant que la flotte turque venait de ravager
la côte de Calabre, il la fit aviser par une galiote de venir
le joindre en Barbarie; elle reçut cet ordre à l'île de
Ponce, mit tout de suite à la voile et opéra sa jonction
au cap Bon, non loin de Tunis. Au mois de juin, Kheïr-
ed-Din investit la Goulette sans perdre de temps, y dé-
barqua rapidement ses hommes et son canon, laissant
un peu de monde pour garder les vaisseaux. Il marcha
vivement sur Tunis, avec dix mille arquebusiers et quel-
ques pièces de campagne (1), ne voulant pas laisser le
temps à Mouley-Hassan d'organiser la défense. Celui-ci
avait été averti du débarquement de cette grosse armée;
il se savait haï par ses sujets et ne doutait pas qu'ils ne
fussent d'accord avec l'ennemi; en conséquence, il ne
jugea pas prudent de demeurer à Tunis, et s'enfuit chez

(1)Ses troupes se composaient de 1,800 janissaires, 6,500 Grecs,


Albanais et Turcs, et 600 renégats, la plupart Espagnols. 'Documents
espagnols, Revue africaine 1875, p. 348).
des Arabes, ses parents et amis, avec ses femmes, ses
enfants, quelques serviteurs fidèles et autant de riches-
ses qu'il put en emporter. Barberousse entra donc à Tu-
nis sans nulle résistance, y fut reçu de tous avec une
grande allégresse et reconnu pour Roi (1). Ainsi firent
les habitants de Bedja, ville située dans l'intérieur des
terres, à quinze milles de Tunis; ceux de Bizerte, ville
maritime, à trente-cinq milles à l'Ouest; ceux de Mah-
média, à cinquantemilles à l'Est; de Suze, à cent milles
de Monastier, à cent douze milles; de Caliba, à cent
milles; d'Africa, à quatre milles; des Alfaques; et enfin
des Gelves et de tout le reste du royaume, sauf la ville de
Kairouan. Beaucoup d'Arabes des campagnes se soumi-
rent de même par crainte et firent de riches présents.
Kheïr-ed-Din, se voyant ainsi devenu maître d'un grand
royaume, en aussi peu de temps et sans coup férir, sa-
chant que presque toute la population, qui détestait
Mouley-Hassan à cause de sa férocité, était heureuse de
l'avoir pour Roi, jugea qu'il n'avait plus rien à craindre
et renvoya les galères du Sultan avec une partie des Turcs
qu'elles lui avaient amenés, tous bien récompensés et
satisfaits. Avec ceux qu'il garda et ses Turcs d'Alger, il
eut une armée de huit mille hommes. Tout d'abord, il
s'occupa de munir la Goulette de bastions et de terre-
pleins très forts; il transforma la mauvaise petite tour
qui s'y trouvait en une belle et bonne forteresse bien ar-
mée et bien approvisionnée de munitions, et y mit une
garnison de quinze cents Turcs; il termina ce travail
pendant l'hiver, y ayant employé sans relâche un grand
nombre de paysans Mores et Arabes; il désarma ensuite

(t) Barberousse débarqua à la Goulette le 16 août 1234; le 18,


Mouley-Hassan, qui s'était enfui, revint avec 1,000 cavaliers, et le
combat s'engagea devant Bab-eI-Djezira. Une partie des Tunisiens,
restée fidèle au Roi, se défendit pendant toute cette journée et la
moitié de la suivante; il en fut fait un grand massacre et les Turcs
entrèrent en vainqueurs. (Documentsespagnols, Revue a/Wcst'Me 1875,
p. 345).
ses galioteset les mit à l'abri dans le canal de la Goulette.
En se fortifiant ainsi, il voulait non-seulement augmen-
ter les dimcuttés du débarquement, si quelques puissan-
ces chrétiennes cherchaient à le chasser de Tunis, mais
encore accroître ses moyens de défense, de façon à faire
subir à l'ennemi de grosses pertes. Car il avait appris
que Mouley-Hassan négociait avec l'empereur Charles-
Quint et s'on'rait a lui comme vassal, en lui représentant
les grands dommages que le voisinage des Turcs allait
causer à ses possessions d'Italie, telles que la Sardaigne,
la Sicile, la Calabre et Naples. Comme l'argent est le nerf
de la guerre, que Barberousse était forcé de solder le
grand nombre de Turcs qui le servaient (1), et de se pro-
curer une foule de choses nécessaires à la défense et à
la conservation du royaume, il s'ingénia à ramasser de
tous côtés le plus de richesses possible. Suivant l'usage
des tyrans, il s'y prit tantôt par persuasion, tantôt par
violence, à la mode turque. Non content de cela, il en-
voya en course ses galiotes et celles des autres corsai-
res, ses anciens amis et compagnons; il leur fit piller les
côtes et les ports d'Italie, pendant l'hiver de 1533, toute
l'année 1534 et une partie de 1535; il fit ainsi d'immenses
ravages sans jamais éprouver aucune résistance.

§6.

Au moment où Barberousse faisait ainsi la conquête


du royaume de Tunis, l'Empereur Charles-Quint, de
glorieuse mémoire, se trouvait à Barcelone, capitale de

(1) Les janissaires se révoltèrent deux fois à Tunis, à cause du


retard de la sotde la première émeute eut lieu le 23 octobre i534,
et Khe'fr-ed Din faillit y perdre la vie on apaisa les rebelles avec de
l'argent. Ils recommencèrent le mois suivant, le 28 novembre cette
fois, Barberousse les fit charger par ses renégats, qui en tuèrent
180; les prisonaiers furent pendus aux créneaux. (Documents Espa-
gnols déjà cités).
la Catalogue, et y était informé de tout ce qui se passait.
Il voyait clairement le grand danger que le voisinage dés
Turcs faisait courir à ses États et se proposait de les
chasser de Tunis. Ce projet prit encore plus de consis-
tance, quand il se vit implorer par les Ambassadeurs de
Muley-Hassan. Ce prince lui demandait très instamment
de l'aider à remonter sur le trône, s'offrait à lui comme
fidèle vassal, consentant à payer le tribut qui lui serait
demandé. En outre, la nouvelle des pillages et des dégâts
que faisaient les corsaires sur les provinces Italiennes,
vint le décider à ne plus attendre et à précipiter les
événements. Il assembla donc une très puissante armée
de tous les points de l'Espagne et de l'Italie, s'embarqua
à Barcelone le 20 juillet 1535, chassa Barberousse du
royaume de Tunis et le força à s'enfuir à Bône. Enfin
il remit Muley-Hassan sur le trône, ce qui est connu de
tous, et a été écrit très au long et en détail par maints
auteurs, ce qui fait qu'il est inutile que nous perdions
notre temps à le raconter et à l'écrire. Nous dirons seu-
lement que, lorsque Klieir-ed-Din apprit que l'Empereur
s'avançait sur lui avec des forces aussi considérables, il
envoya ses quatorze meilleurs vaisseaux à Bône, ville
située à trois cents milles à l'ouest de Tunis, et à la
même distance à l'est d'Alger; l'eloignement de cette
place lui fit penser qu'elle serait moins exposée aux
attaques des Chrétiens, et, que par cela même, ses vais-
seaux seraient plus en sûreté; enfin que, si l'Empereur
le chassait de Tunis (ce qu'il considérait comme certain),
il trouverait un refuge à Bône. Ce fut en effet ce qu'il fit;
et il s'y dirigea par terre, à son départ de Tunis, emme-
nant avec lui une grande partie de ses corsaires, de ses
alliés et une grosse troupe de Turcs; car il avait perdu
peu de monde dans la bataille. En arrivant, il fit immé-
diatement espalmer ses galiotes, surveillant et pressant
lui-même l'opération. Quelques corsaires lui dirent qu'ils
voyaient bien qu'il s'apprêtait à aller à Constantinople,
demander du secours au Sultan pour prendre sa revan-
che, et qu'il faisait bien, parce que les mers de l'Ouest
n'étaient plus sûres pour eux et que l'Empereur les y
poursuivrait jusqu'à ce qu'il les eût tous pris. Kheïr-ed-
Din, indigné de ces propos, se tourna vers eux avec une
grande fureur et leur dit « Comment, à'Constantinople?'t
Quel besoin avons-nous de fuir? Quelle est cette lâche-
té? C'est en Flandre que je vais vous mener, en Flan-
dre, vous dis-je, et non à Constantinople. II espalma
ses vaisseaux en trois jours, les chargea le quatrième et
appareilla le cinquième sans dire où il allait, mais en
donnant l'ordre de le suivre.Trois jours après, il touchait
à l'ile de Minorque, dont les habitants, qui savaient que
l'Empereur guerroyait à Tunis contre Barberousse et ses
corsaires, étaient loin de penser qu'ils allaient avoir
affaire à eux. Les Turcs avaient reçu l'ordre de se
déguiser en chrétiens et d'arborer le pavillon espagnol;
ils entrèrent ainsi dans le port de Mahon, trompant un
vaisseau portugais, qui les crut Chrétiens, et les salua
comme des amis. Barberousse commença par s'emparer
de ce vaisseau, a la suite d'un combat sanglant, dans
lequel les Portugais, pris a l'improviste, se défendirent
vigoureusement, et à la fin furent tous capturés. Puis,
débarquant son monde et son canon, il tomba sur les
Minorquins pris au dépourvu. Il força l'entrée de la ville
avec quelques coups de canon; il la saccagea, la pilla, la
brûla et la détruisit, faisant plus de six mille captifs
qu'il embarqua, et mit immédiatement le cap sur Alger,
s'étant ainsi vengé en partie, disait-il, de sa défaite (1).
Son arrivée causa une grande joie dans la ville; car on
y savait déjà qu'il avait été forcé d'abandonner Tunis, et

(1) Le /!a.MfM< raconte la prise de Port-Mahon en grand détail et


de la manière la plus pittoresque. D'après lui, on venait de brûler vif
un malheureux prisonnier, âpres l'avoir ~rime et degu:se de façon à
ce que tous Irs habitants crussent que c'était Eheïr-ed-Din iut-
même, et c'estau moment même où ils se réjouissaient d'être débar-
rasses de ce terrible ennemi, qu'ils le virent apparaitre à la tête de
ses Turcs.
son lieutenant Hassan Aga, homme courageux, tout
eunuque qu'il était, avait appelé près de lui une bonne
troupe de Turcs, craignant d'abord que l'armée chré-
tienne ne poursuivit sa victoire et ne cherchât à s'em-
parer d'Alger; les habitants savaient encore que Kheïr-
ed-Din avait touché à Bône et en était parti avec quatorze
vaisseaux, sans qu'on connut quelle direction il avait
prise. Donc chacun était, plein de peur et dé méfiance, et
croyait que le Roi, n'osant plus revenir à Alger ni se
montrer nulle part, s'était enfui comme un désespéré.
Peu de jours après son arrivée, il apprit avec certitude
que l'Empereur, après avoir remis Muley-Hassansur son
trône, s'était embarqué pour la Sicile, et avait licencié
son armée. Alors, laissant le gouvernement d'Alger à
Hassan Aga, il partit pour Constantinople le 15 octobre
avec douze grosses galiotes, chargées d'une quantité de
captifs et de trésors, destinés à faire des présents au
Sultan et à ses Pachas, afin d'obtenir une armée pour
reconquérir Tunis car il était fort triste d'avoir perdu
un aussi riche royaume. Soliman fut très satisfait de
faire connaissance d'un homme aussi célèbre que l'était
Kheir-ed-Din; il ne l'avait jamais vu, celui-ci n'étant pas
venu en Turquie depuis l'année 1504, époque où il était
passé en Barbarie avec son frère Aroudj. Le Sultan était
fort mécontent de son Grand-Amiral Zaibe (que d'autres
nomment Himeral), qui avait montré une grande lâcheté
devant le Prince André Doria, à l'époque où celui-ci fut
envoyé en Grèce avec cent galères par l'Empereur Char-
les-Quint, afin de détourner Soliman* de ses entreprises
contre l'Autriche et contre Vienne l'Amiral turc n'avait
pas osé combattre Doria, et lui avait laissé prendre en
Morée les deux villes de Coron et de Patras. Donc, lors-
que le Grand Seigneur eut vu Barberousse, qu'il savait
être très brave et bon marin, il se décida à lui donner le
commandement général de sa flotte, en remplacement
de Zaibe. Toutefois, ce ne fut pas seulement le besoin
qu'avait le Sultan d'un bon marin qui valut à Barberousse
ce poste élevé: il advint (tellement la fortune le favori-
sait) qu'il s'empara pendant son voyage d'un vaisseau
vénitien, en disant que les Algériens n'étaient pas com-
pris dans le traité fait entre le Grand Seigneur et Venise.
Sur ce bâtiment, il trouva une lettre que le premier
Ministre de la Porte, Ibrahim Pacha, écrivait très secrè-
tement au Duc (1) de Venise; il l'ouvrit par curiosité, ne
se doutant pas qu'elle provint d'Ibrahim, et reconnut
qu'elle renfermait des instructions préjudiciables au
Sultan et favorables à la Chrétienté. (Il est très certain
que ledit Ibrahim avait l'habitude d'envoyer des lettres
de ce genre, particulièrement à l'Empereur Charles-
Quint, par la voie de Venise). Barberousse montra ces
lettres au Sultan, qui donna immédiatement l'ordre de
tuer Ibrahim et de le jeter secrètement à la mer (2); il
reconnut le service que venait de lui rendre Kheïr-ed-
Din en le nommant Grand-Amiral quelques jours après.

S 7.

Barberousse, ce fils d'un pauvre potier, étant parvenu


à une position aussi élevée, voulut montrer toute sa
valeur, son intelligence et son zèle pour le service du
Sultan. Sans perdre un seul-instant, il consacra toute
l'année 1536 à organiser la flotte, fit radouber et remettre
à neuf les vieux navires, envoya chercher beaucoup de
bois de charpente sur les côtes de la Mer Noire, fit cons-
truire une grande quantité de galères neuves, et amassa
une forte provision d'agrès de toute espèce, il apporta

(1) Sic.
(2) La plupart des historiens donnent pour cause de la fin tragique
du Grand- Vizir, la haine de la Sultane mère et de Roxelane, qui
persuadèrent au Sultan qu'Ibrahiml'avait trahi dans la guerre contre
la Perse. (Voti- De la Croix, Hammer, etc.]. Ajoutons que, s'il faut en
croire Sandoval, Ibrahim Pacha aurait été te protecteur de Eheir-pd-
Din, et l'aurait puissamment aide à devenir Capitan-Pacha.
tous ses soins à ces diverses opérations, auxquelles il
employait les Reïs qu'il avait amenés d'Alger. Tous ceux
qui les voyaient à l'oeuvre admiraient leur industrie et
leur activité, et reconnaissaient clairement la grande
différence qu'il y avait entre eux et les anciens capitaines
de galères.
Kheïr-ed-Din sortit pour la première fois à la tête de
la flotte Turque en 1537; le Sultan voulait rompre avec
Venise eflui faire la guerre, et désirait s'emparer aussi
du royaume de Naples, où l'appelaient quelques habi-
tants, qui avaient été dépossédés dé leurs terres; un des
principaux, méchant homme, Gouverneur de l'antique
cité de Brindes, avait promis au Sultan de lui livrer cette
ville aussitôt que sa flotte arriverait; c'était une position
très importante, qui ouvrait le chemin pour s'emparer
(le la Pouille et du royaume de Naples. Cette conquête
avait été jadis bien ambitionnée par Mahomet 11, le vain-
queur de Constantinople, qui avait pris Otrante, et avait
conservé cette ville jusqu'à sa mort, espérant s'en ser-
vir pour conquérir le reste de l'Italie, et Rome même.
Pour exécuter ses projets, Soliman quitta Constantino-
ple à la tête de deux cent mille hommes, vint à la
Velonne, port de mer rapproché de l'Italie, et ordonna en
même temps à Barberousse de le suivre avec la flotte et
de commencerpar s'emparer de Brindes. L'Amiral, arrivé
à la Velonne, y attendit un second avis du Gouverneur
de Brindes; ne voyant rien venir et ne voulant pas per-
dre son temps, il se dirigea vers Castia, ville de la pro-
vince d'Otrante, dans l'intention de ravager le pays, pour
jeter l'épouvante dans tout le royaume; cette ville,
canonnée vigoureusement, se rendit au bout de quelques
jours. Cependant, à la nouvelle de l'arrivée de la flotte
turque, le Prince André Doria était sorti de Gênes et de
Messine avec trente et une galères, seuls navires qu'il
eût eu le temps d'armer en entrant dans le golfe de
Venise, il captura près de Corfou, une galiote ennemie;
voulant connaître les desseins de Kheïr-ed-Din, il fit
mettre le Reïs à la torture, et celui-ci révéla que la trahi-
son du Gouverneur de Brindes était une des principales
causes de l'expédition. Le Prince fit aussitôt parvenir
cet avis au Vice-Roi de Naples, Don Pedro de Tolède,
Marquis de Villafranca. Celui-ci fit saisir et pendre le
traître, avant qu'il n'eût pu accomplir son dessein, et il
assura la garde de la ville en y envoyant le Seigneur
Alarçon(l) avec une bonnetroupe d'infanterie espagnole.
Barberousse, ayant reçu ces nouvelles, et n'espérant pas
s'emparer de Brindes, vint rejoindre le Sultan à la
Vélonne. Celui-ci, dévoilant alors sa haine contre les
Vénitiens, donna l'ordre de ravager à fond leurs posses-
sions, et principalement l'île de Gorfou. Cela fait, il
retourna à Constantinople par terre, et l'Amiral le suivit
avec la flotte.

§8.
En 1538, la guerre entre les Turcs et les Vénitiens
continua; Barberousse sortit de nouveau à la t~te de sa
flotte, très renforcée en hommes et. en vaisseaux, et
investit les provinces ennemies. Venise, ne pouvant
résister seule au Grand Seigneur, fit alliance avec le
Pape Paul III et avec l'Empereur-Charles-Quint. Les trois
alliés réunirent à frais communs une grosse flotte dont
le commandement fut donné au Prince Doria qui sortit
pour attaquer Barberousse. La rencontre eut~ieu à La
Prévéza; lorsque les deux armées navales furent en pré-
sence, le Prince, pour des raisons inconnues, refusa la
bataille et se retira; la gloire et la réputation de Barbe-
rousse s'accrurent beaucoup de l'honneur qui lui revint
d'avoir fait reculer un aussi vaillant lutteur.

(1) Jorge Ruys de Alarcon, corregidor de Murcie et Carthagene,


frère de Alonso de Alarcon, qui avait ute employé aux négociations
secrètes avecEheïr-ed-Din.
§ 9.

En 1539, Kheïr-ed-Din sortit une troisième fois et s'em-


para de Castelnovo, en Dalmatie, après avoir pendant
longtemps écrasé cette ville sous un feu terrible de son
artillerie, et en avoir ruiné toutes les défenses il passa
au fil de l'épée 4,000 vieux et braves soldats espagnols,
que l'Empereur y avait mis en garnison, sous le com-
mandement de Francisco Sarmiento, brave Maître de
camp, qui fut tué en combattant valeureusement à la
tête de ses troupes. Quelques jours après, il prit Cattaro
et Malvoisie, possessions Vénitiennes, et força à se ren-
dre Napoles de Remania, toutes villes fort importantes.
On remarqua, dans cette campagne, deux Reïs formés
parles soins de Kheïr-ed-Din le Corseto, et Dragut, qui
devint depuis si célèbre et si heureux dans ses entre-
prises. Cette expédition força les Vénitiens à demander
la paix, et l'Amiral eut le temps de se reposer à Constan-
tinople, où il fixa sa résidence.
En 1543, le Roi de France, François 1=' demanda très
instamment au Grand Seigneur d'envoyer sa flotte con-
tre l'Empereur Charles-Quint, auquel il venait de décla-
rer la guerw, en prenant pour prétexte le meurtre dé
Frégose et~e Rinçon ces deux personnages avaient été
députés au Sultan par le Roi de France et avaient été tués
1\·
en Lombardi~au. w
passage d'une rivière, sur la route de
Venise, où ils~allaient s'embarquer. Barberousse sortit
pour la quatrième fois, avec cent galères, et se dirigea
vers la France.'en saccageant, brûlant et détruisantbeau-
coup de villes de la Calabre. A son passage devant
Gaëte, ville du~royaume de Naples (d'autres disent à tort
que ce fait arriva à Reggio, ville de Calabre, située en
face de Messine), le gouverneur, Don Diego Gaëtan, lui
fit tirer quelques.coups de canon; Kheïr-ed-Din, furieux,
arrêta sa marche, débarqua avec 12,000 Turcs, cahonna.a
rudement la ville et la prit. Parmi les captifs, se trouvait
une fllle de Don Diego, âgée de dix-huit ans et merveil-
leusement belle lorsque Barberousse la vit, elle lui plut
tellement qu'il la prit pour femme par amour pour elle,
il donna la liberté à son père et à sa mère et l'emmena
avec lui en France. Peu de mois après son arrivée à Mar-
I'
seille, il reçut l'ordre du Roi François d'aller assiéger
Nice, qui appartenait au Duc de Savoie, Prince de Pié-
mont, allié de l'Empereur. Il fit entrer sa flotte dans le
port de Villafranca, qui, par mer, n'est qu'à une distance
de deux portées d'arquebuse de Nice, tandis que, par
terre, il est à deux milles à l'est de cette ville; quoique
ce port soit très grand et très bon, il n'était pas fortifié,
et la ville de Villafranca l'était si peu que Barberousse y
entra sans résistance, la détruisit et la brûla; la popula-
tion avait pu se sauver et emporter tous ses biens. De là,
les, Turcs, traversant, pendant plus de deux milles, des
montagnes escarpées et sauvages, arrivèrent en plaine et
mirent le siège devant Nice. Ils ouvrirent sur la place
un feu terrible, avec une très forte artillerie, que Barbe-
rousse avait fait transporter à bras à travers les monta-
gnes car la raideur des pentes n'avait pas permis d'au-
tres moyens de locomotion. Le canon avait déjà détruit
tous les environs de Nice, ces lieux si doux, si beaux et
si gracieux; une bonne partie de la ville était en ruines,
et beaucoup d'habitants avaient déjà trouvé la mort, lors-
que le reste se rendit, sur l'invitation des Français (1).
Il ne restait plus d'autre défense que le château; Kheïr-
ed-Din l'attaqua sans succès, à cause de la grande force
du lieu (2); au moment où il redoublait ses efforts, il apprit
que le Marquis de Guast, qui gouvernait alors le Milanais

(1) Les habitants, réduits à l'extrémité, et craignant de tomber


entre les mains des Turcs, demandèrent aux Français de se rendre à
merci; Kheïr-ed-Dm se considéra comme frustré de sa victoire, et
montra, depuis ce moment, la plus grande mauvaise volonté.
(2) Et de l'énergie du brave gouverneur Paul Simeon.
pour l'Empereur Charles-Quint, marchait sur lui avec
il
une forte infanterie Espagnole; à cette nouvelle, jugea
à propos de se retirer rapidement, voyant que le château
était trop fort et dans une position trop élevée pour pou-
voir être pris d'assaut ou ruiné par l'artillerie. Il fit de
nouveau repasser la montagne à ses canons, et revint à
Villafranca. De là, il conduisit sa flotte à Toulon, port
Français très important, et y séjourna longtemps malgré
lui, se plaignant de perdre son temps à ne rien faire. A
la fin de l'été, il envoya un de ses anciens compagnons,
vaillant corsaire, nommé Sala-Reïs, pour ravager les
côtes d'Espagne, avec vingt-deux galères bien armées.
Celui-ci se dirigea vers la Catalogne, pilla et détruisit
les ports importants de Palamos et de Rosas cette der-
nière ville n'était pas fortifiée à cette époque; elle le fut
depuis, précisément à cause des dommages qu'elle subit
en cette occasion. Cela fait, Sala-Reïs, obéissant aux or-
dres reçus, s'en alla hiverner à Alger.

§10.
En 1544, l'Empereur et le Roi de France firent la paix,
et Barberousse fut invité à retourner en Turquie avec sa
flotte. Il partit de Toulon au commencement du prin-
temps, après avoir été rejoint par Sala-Reïs, qui lui ame-
ordres. Arrivé
na les vingt-deux galères placées sous ses
à l'île d'Elbe, il envoya une frégate prier Appiano, sei-
gneur de Piombino, de lui rendre un jeune captif, fils
d'un de ses vieux amis, corsaire nommé Sinan-Reïs le
Juif, qui se trouvait en ce moment à Suez, par ordre du
Grand Seigneur, et y organisait une grosse flotte destinée
à chasser les Portugais de l'Inde. Appiano s'excusa en
disant que le jeune homme avait été baptisé mais Bar-
berousse ne se contenta pas de cette réponse, menaça
de mettre tout le pays à feu et à sang, et commença le
ravage par l'île d'Elbe, où il fit un grand nombre de cap-
tifs. Appiano, effrayé, rendit le jeune homme, que Barbe-
rousse renvoya à son père presque aussitôt après qu'il
fut de retour à Constantinople. Sinan-Reïs se trouvait
alors dans la Mer Rouge, et l'on dit qu'il mourut subite-
ment de joie en revoyant son fils. Kheïr-ed-Din délivra
aussi Dragut-Reïs, qu'il avait élevé, et qui-était alors pri-
sonnier à Gênes. Juanetin Doria l'avait capturé en Corse
avec deux galères et sept galiotes, l'ayant surpris sans
défense _au moment où il espalmait ses navires; il le
laissa libre moyennant une grosse rançon (1), qui coûta
depuis bien cher à la Chrétienté, à laquelle Dragut fit
tant de mal pendant de si longues années. La flotte Tur-
que s'empara ensuite des villes de Talamon et de Porto-
Hercule, dans l'État de Sienne, les saccagea et les brûla,
ainsi qu'une foule d'autres localités voisines, et y fit un
grand nombre de captifs de tout âge et de toute condi-
tion. Elle côtoya ensuite le Royaume de Naples et fit su-
bir le même traitement aux îles d'Ischia, de Procida et
deLipari.

§11.
Barberousse se reposa à Constantinople pendant les
années 1546,1547 et une partie de 1548 il y fit bâtir une
grande et superbe mosquée qu'il dota d'une grosse rente,
et éleva à côté d'elle une kouba ronde, très haute, riche-
ment ciselée, dans laquelle il plaça le tombeau où il de-
vait être enseveli plus tard. Ces édifices sont situés à
cinq milles plus loin que Galata, sur la rive du Bos-
phore (2), au milieu d'une foule de palais, de mosquées
et de beaux jardins qui ornent ce rivage sur une étendue

(1) Dragut était tombé entre les mains d'un LomeMini, qui ne con-
sentit à l'échanger que contre la principauté de Tabarque, où il éta-
blit des pécheries de corail et des comptoirs assez importants cet
établissement appartint à la famille Lomellinijusqu'en 1741.
(2) ABuyu):dere;Ct's constructions existent encore.
de plusieurs milles et le rendent semblableaux délicieux
environs de Gênes. Il fit aussi construire, dans Constan-
tinople même, un bain magnifique qui rapportait beau-
coup d'argent, et qui fut plus tard l'objet de la convoitise
de bien des Pachas, comme nous le raconterons plus
loin. Au mois de mai 1548,(1), il fut attaqué par une fièvre
très violente, et mourut au bout de quatorze jours, très
regretté des Turcs, qui le tenaient en haute estime pour
ses exploits. On raconte comme une chose certaine,
qu'après qu'il eût été enterré dans la kouba dont nous
avons parlé, on le retrouva, à cinq ou six reprises diffé-
rentes, sorti de son sépulcre et étendu à terre, à la stu-
péfaction générale; enfin, un magicien Grec dit que le
seul moyen de l'empêcher de quitter sa sépulture, était
d'enterrer avec lui un chien noir; cela fut fait, et le corps
ne sortit plus de sa tombe (2).
Aujourd'hui encore, la vénération des Turcs, et surtout
des corsaires et des marins pour le tombeau de Barbe-
rousse, est si grande, qu'il n'y en a pas un seul qui n'aille
y faire un pieux pèlerinage avant de s'embarquer, et qui
ne le salue, à son départ, par de nombreuses salves d'ar-
tillerie et de mousqueterie, pour lui rendre les honneurs
dus à un aussi grand saint. Kheïr-ed-Din mourut à soi-
xante-trois ans (3), âge généralement très dangereux il
était de grande taille, robuste; il avait une forte barbe,
châtaine et non rousse, comme celle d'Aroudj; il avait de
gros sourcils et de longs cils il fut très cruel pour les
(1) C'est une erreur de date. Ehcïr-ed-Din mourut en ~546, ainsi
que cela est prouvé par une lettre de l'ëvêque de Cambrai, ambassa-
deur à Constantinople, adressée à François I" à la date du 4 juillet
i546. (Ribier, Lettres et m<~M!rMd'etc. 1666, iu-fo. T. I. p. 584).
(2) C'est une superstition commune en Orient; on y raconte volon-
tiers quêtes morts ont quitté leur tombe; nous avons vu, en Algérie
même, plus d'un marabout sur le compte duquet s'est créée une sem-
blable légende.
(3) D'autres historiens ont dit soixante-dixet même soixante seize
mais on sait combien il est difficile de déterminer l'âge exact d'un
Oriental.
Chrétiens et très bon pour les Turcs, qui le craignaient
cependant beaucoup, parce que, une fois qu'il était en
colère, il n'y avait plus moyen de l'apaiser. Il ne laissa
qu'un fils, qu'il eut d'une Moresque d'Alger, et qui,
après avoir hérité de tous ses biens (1), fut plus tard Roi
d'Alger à trois reprises différentes, comme nous le ra-
conterons plus loin.

(i) La Ifttre de l'ambassadeur de France dit formellement le con-


traire « Le dit. Barberousse ne lui laisse rien des biens qu'il avoit
pardeç~ mais le donne, partie au Grand Seigneur et partie à un
sien nepveu. » (Négociation., de la France dans le Levant, T. I, p. 624).
CHAPITRE 111

Hassan Aga, troisième Roi

§1-

Le troisième Roi d'Alger fut Hassan Aga qui était,


comme nous l'avons dit, Sarde, renégat et eunuque.
Kheïr-ed-Din l'avait fait captif au pillage d'un bourg de la
Sardaigne, alors qu'il était encore enfant; comme il était
beau et bien fait, il l'avait fait eunuque (ce qui, en turc, se
dit aga) et l'avait élevé dans sa maison comme son propre
fils. Hassan montra tellement d'intelligence dans toutes
les affaires dont il fut chargé par son maître, que celui-ci,
quand il fut devenu Gouverneur d'Alger, le nomma son
Kahia ou majordome et lui donna la direction de tous ses
biens. Plus tard, il le fit Beglierbey ou Général en chef;
lors des sorties accoutumées qu'il fit avec les Mahalas
dans l'intérieur du pays, pour forcer les Arabes à payer
l'impôt, il eut l'occasion de montrer son courage et ses
qualités de commandement; en sorte que, lorsque Barbe-
rousse se rendit en 1533 (1) a l'appel des Tunisiens, il le
choisit pour gouverner pendant son absence; Hassan
s'acquitia parfaitement de ses fonctions, et sut rassurer
la ville, qui était toute effrayée à la pensée que Charles-
Quint allait fondre sur elle, au moment où Barberousse
chassé de Tunis, avait été s'embarquera Bone. En 1535,
Kheïr-ed-Dinlui laissa de nouveau le gouvernementlors-
qu'il partit pour la Turquie. Pendant les six années sui-
vantes, Hassan gouverna Alger sans incidents, en paix

(i) 1534 est la vraie date.


parfaite, et y rendant bonne justice; aujourd'hui encore
beaucoup de ceux qui l'ont connu, disent que jamais
Pacha ne fut plus équitable.

§2.
Ce fut en 1541 qu'arriva le désastre de l'Empereur
Charles-Quint, de glorieuse mémoire, auquel une tem-
/pête d'une violence inouie, fit perdre une flotte de cinq
cents voiles (1) sur la plage d'Alger, dans la journée du
28 octobre (2); c'est un événement si connu et qui a été
si souvent raconté que nous ne nous occuperons que de
ce qui concerne Hassan Aga. Jamais dans aucun cas, un
Roi-né montra plus de courage, d'expérience ni de pru-
dence qu'il ne le fit en cette occasion, se voyant assiégé
par un Prince aussi puissant et aussi heureux dans ses
entreprises que l'était l'Empereur Charles-Quint, avec
une flotte si redoutable, une armée si nombreuse et si
bravp, composée de soldats de toutes les nations Chrë-
tiennes, tandis qu'il n'avait sous ses ordres que trois
mille Turcs à peine, et encore très mélangés d'Andaleu-
ces et de Mores. Cependant non-seulement il ne s'effraya
pas, mais ce fut lui seul qui encouragea et rassura la
.foule, parcourant à cheval la ville démoralisée. Lorsque
l'Empereur lui envoya en parlementaire un des princi-
paux Chevaliers Espagnols, Don Lorenzo Manuel, qui
était chargé de lui offrir en échange de la ville de grandes
récompenses pour lui et pour ses Turcs, il répondit en
raillant que 'c'était une grande sottise que de prendre
conseil de son ennemi, et qu'il espérait, avec la protec-
tion de Dieu, que cette affaire lui vaudrait une grande

()) Cinq cent seize bâtiments, dont soixante-quinze grandes ga-


lères.
(2) Le mauvais temps commença dans la nuit du lundi 24 octobre
au mardi 25; pendant la journée du mardi, la tempête éclata dans
toute soo intensité, et on battit en retraite le mercredi 26.
réputation et une renommée éternelle. Plus tard, dans
les divers combats qui eurent lieu, et surtout dans celui
(dont les Turcs parlent encore aujourd'hui) où les Cheva-
liers de Malte tuèrent tant de monde aux Algériens, et
vinrent planter leur poignard jusque dans la porte Bab-
Azoun, Hassan monta à cheval, accourut à la hâte l'épée
à la main, força les Chevaliers à reculer, les poursuivit
jusqu'à un demi-mille du rempart, en tua plus de cent
cinquante, et mit l'ennemi en un tel désordre que les
Ducs d'Albe et de Sessa furent contraints de se porter en
personne au secours des 'Chevaliers, ainsi que l'Empe-
reur lui-même, qui dut descendre bien vite de la mon-
tagne sur laquelle il était campé, si grand était le désas-
tre causé par la bravoure d'Hassan. Les Turcs montrent
encore aujourd'hui l'endroit où tombèrent ces braves en
combattant valeureusement; ils appellent ce lieu le Tom-
beau des Chevaliers, et font le plus grand éloge de leur
courage (1). Le jour suivant (2), alors qu'une horrible
tempête jointe à un effroyable déluge de pluie jeta les
navires à la côte en les brisant sans que rien ne put s'y
opposer, L'Empereur, voyant ce misérable spectacle, fut
contraint, bien à contre cœur, d'ordonner la retraite.
Hassan le poursuivit alors jusqu'au cap Matifou, harce-
lant l'armée, lui tuant du monde et coupant des tètes, se
conduisant enfin, non en eunuque, mais en homme entier
et vaillant. Il conquit ce jour-là une grande quantité de
captifs, de butin, de chevaux, et mille autres choses de
grand prix, et donna la preuve de sa générosité, en ne
(1) C'était au pont des Fours (Cantarat-el-Afran).-Il y a quelques
années cm voyait encore des ruines des Fours aujourd'hui les nou-
velles constructions ont effacé ces dernières traces, et tellement mo-
difié la forme du terrain qu'il est impossible de reconnaitre ce noSIe
où les Chevaliers de Malte, presque tous Français, accomplirent un
si beau fait d'armes. Les Turcs, dit Haëdo. honoraient ce lieu pas
un de nos gouvernants n'a eu la pensée d'y mettre seulement une
pierre commémorative
(2) C'était le même jour, mardi 25 octobre. (Voir la relation de
Villegaignon,celle de l'envoyé du Pape Magnalotti, etc., etc.)
conservant pas seulement une épingle, et en faisant dis-
tribuer toutes ses prises, disant que l'honneur et la gloi-
re de cet exploit lui suffisaient.

§3.

Le Roi More de Kouko, lieu situé à trois journées d'Al-


ger sur la route de Bougie, était sorti de son territoire
pour prêter main-forte à l'Empereur Charles-Quint dans
l'attaque d'Alger; il avait amené avec lui beaucoup de
cavalerie et deux mille de ses vassaux armés de mous-
quets. Mais en apprenant la défaite des Espagnols et leur
rembarquement, il s'arrêta et se hâta de rentrer chez lui.
Ayant su plus tard que l'armée avait été de Matifou à
Bougie, où elle attendait que le temps lui permit de con-
tinuer sa route, il y envoya des vivres dont on avait le
plus grand besoin (1). Hassan qui avait été informé de
tout cela, se décida à châtier ce Roi et à lui faire une
guerre cruelle. Il laissa passer l'hiver qui fut très plu-
vieux, et, le printemps venu, partit d'Alger à la fin d'avril
1542, avec trois mille Turcs armés de mousquets, deux
mille cavaliers Mores et Arabes, mille fantassins Mores
et douze canons montés sur affût, la plupart de petit
calibre. Le Roi de Kouko, se voyant inférieur en force,
n'osa pas accepter le combat et fit sa soumission; il
donna une grosse somme d'argent et une grande quan-
tité de bœufs, de chameaux et de moutons; il s'engagea
à payer un tribut annuel, ce que ni lui ni ses prédéces-
seurs n'avaient jamais voulu faire, et donna en otage
son fils et héritier, âgé de quinze ans, nommé Sidi
Ahmedben el-Cadi; en sorte que Hassan revint à Alger
sans avoir combattu.
(t) En tous cas, il n'en envoya guère car les relations des témoins
oculaire: nous apprennent qu'on y subit une terrible famine et qu'on
n'y trouvait rien. à manger « sinon chiens, chats et herbes. » Voir
!<M~Ho?t, et le Rapport d'MK a~K< à F/'c~oM/< Négociations de
la France dans le Levant, T. 1, p. 522.).
§4.
En 1543, le Roi de Tlemcen était Muley Ahmed, fils de
Muley Abdallah, frère de Muley Abuchen Men, que le
Marquis de Comarès avait remis sur le trône en 1518,
comme nous l'avons raconté dans la vie d'Aroudj (1).
Barberousse s'était lié avec ce Muley Ahmed, ou, pour
mieux dire, avec son père qui, en succédant à son frère
mort sans postérité, avait refusé le tribut que celui-ci
payait au Roi d'Espagne. Cette alliance avait duré jus-
qu'en 1543, et Muley Ahmed se soumettait à Hassan Aga,
.en sa qualité .de Roi d'Alger. Mais, soit qu'il fût fatigué
de la tyrannie des Turcs, soit qu'il obéît au naturel in-
quiet et versatile des Mores, il se tourna de nouveau vers
l'Espagne (2). Hassan, indigné de cette trahison, marcha
sur Tlemcen, au commencement du printemps, à la tête
de quatre mille Turcs armés de mousquets, six mille ca-
valiers et quatre mille fantassins Mores, et dix canons
de campagne. A ces nouvelles, Ahmed ne vit d'autre re-
mède que de prévenir l'arrivée d'Hassan en lui envoyant
des ambassadeurs avec un riche présent; il lui faisait

(H En 1530, Abdallah, fatigué par les exigences des Espagnols,


encouragea la. révolte par la nouvelle de la prise du Penon, avait
refusé de fournir plus longtemps des vivres et de payer le tribut. Ce
fut alors que le Gouverneur d'Oran suscita contre lui soa fils Ah-
med la guerre dura jusqu'à la mort d'Abdailah; mais le nouveau
Roi, qui avait été assez mal soutenu par ceux qui l'avaient mis en
avant, ne tarda pas à nouer des intelligences avec les Turcs. AX
Tlemcen, la politique de l'Espagne consista toujours à exciter l'héri-
tier présomptifcontre lesouverain régnant. (Voir Documents espagnols
(déjà cités), Revue <)'MMMM 1875).
(2) It eût été plus exact de dire qu'il louvoyait entre tes Espagnols
et les Turcs; tés Tfemceniens détestaient également les deux puis-
sances l'une, comme chrétienne; l'autre, parce qu'ds se rappelaient
l'insolence et la brutalité des soldats d'Aroudj. De plus, le Comte
d'Atcaudcte, suivant la politique accoutumée, favorisait la révolte du
jeune Abdaitab, frère d'Ahmed. (Voir jPocMMeH(.s'espagnols(déjà cit<?s),
~fMe<?'tcat?Mt876eti877).
demander pardon du passé, disant que c'était à tort
qu'on l'accusait de vouloir se soustraire à l'obéissance
.due au Sultan, et que, s'il avait déféré aux volontés du
Roi d'Espagne, c'était à cause de la crainte que lui ins-
pirait le Comte d'Alcaudete, Don Martin de Cordova, Gé-
néral d'Oran, son proche voisin; mais, qu'au fond du
cœur, il était toujours l'ami des Turcs, et qu'il ne voyait
pas d'inconvénients à feindre d'être celui de l'Espagne,
pour éviter à ses États les malheurs de la guerre. Il ajou-
tait que, malgré tout, il était absolument à la dévotion
d'Hassan qu'il ferait tout ce qui lui serait commandé, et
romprait la paix au premier ordre; enfin, que, si le Roi
d'Alger venait à Tlemcen, il se présenterait à lui sans ar-
mes, et montrerait combien il était honoré de recevoir
dans son palais un hôte semblable. Cette ambassade
apaisa un peu Hassan, qui resta cependant décidé à con-
tinuer son chemin, et à mettre une garnison Turque dans
Tlemcen. A son arrivée, il fut très bien reçu du Roi et
de tout le pays, comblé de présents et de bons traite-
ments, ainsi que tous les Turcs; le Roi fit pleine soumis-
sion, jurant non-seulement une perpétuelle fidélité au
Sultan, mais promettant, en outre, de ne faire aucun
traité avec les Chrétiens et de rompre ceux qu'il avait pu
conclure. Ils se séparèrent très contents l'un de l'autre,
et Hassan retourna à Alger sans laisser à Tlemcen la
garnison Turque qu'il avait eu l'intention d'y mettre. Don
Martin apprit immédiatement le résultat de cette entre-
vue, et son irritation fut d'autant plus grande, que c'était
lui-même qui avait jadis prié l'Empereur d'accepter la
soumission du Roi More, dont la përndie et Te manque
de foi le jetèrent dans un grand courroux. En consé-
quence, avec la permission de l'Empereur et l'aide de ses
parents et de ses amis, il leva à ses frais un corps de
quatorze mille Espagnols (1), disant que cette trahison

(i) Marmol dit neuf KM<~ /<M<aM!?M e< quatre ceM<~c/MM:M!B mais
il no
~1 ne parle pas précédents il
pas des faits précédents se contente.de
il se fa,ir.e:sayoir
nous,
contente de noua fair,e-sa.voir
étaitun affront personnel pour lui, qui se trouvait ainsi
mis en faute devant son souverain, auquel il avait en-
gagé sa parole pour Àhmed, et que, par conséquent,
c'était à ses frais et non à ceux de l'Empereur qu'il vou-
lait châtier cette déloyauté et en tirer vengeance, Il
marcha donc sur lui, le rencontra à quatre journées
d'Oran, près de Tlemcen, le battit en lui tuant beaucoup
de monde, le poursuivit l'épée dans les reins et entra
dans la ville, où il mit sur le trône un des frères du Roi
vaincu; celui-ci n'osa s'arrêter nulle part et s'enfuit à
Fez. Hassan Aga était tombé malade en revenant de Tlem-
cen à Alger son mal s'accrut de jour en jour; il fut
consumé peu à peu par la fièvre et par l'étisie, et mourut
à la fin de septembre 1543 (1), à minuit, regretté de tous
ceux qui l'avaient connu. Il était âgé de cinquante-six
ans, petit de taille et bien proportionné, il avait de beaux
yeux, une figure agréable et la peau très blanche; ce fut
un grand justicier; il fit quelquefois appliquer des
peines cruelles; aussi fut-il respecté de tout le monde.
Il était très généreux et aimait à faire l'aumône. Il fut
enterré à Alger, en dehors de la porte Bab-el-Oued, dans
une grande kouba que son majordome, qui était un de
ses Renégats, lui fit bâtir après sa mort.

que Muley Ahmed avait pris le parti des Turcs, tandis que son frère
Abdallah demandait des secours aux Espagnols pour le détrôner, ce
qui arriva, en effet, en 1544.
(1) M. Devoulx a déjà fait remarquer que cette date est erronée.
11 r<!$ulte de l'inscription de la tombe d'Hassan qu'il ne mourut qu'au
mois de novembre 1545. (Revue africaine 1864, p. 290). II est cepen-
dant très probable qu'Hassan quitta le pouvoir vers la fin de 1543.
soif pour cause de maladie, soit pour toute autre raison restée in-
comue.(Loc.cit.)
CHAPITRE IV

v Ha~jiP~ch8,,q:tta.trième~oi

~1-

Le jour même de la mort d'Hassan Aga, les Turcs et


les Janissaires d'A'ger, sans attendre que le Sultan leur
eût envoyé un Roi, élurent d'un commun accord un des
principaux d'entr'eux, qu'on appelait El-Hadji, c'est-à-
dire le pèlerin, parce qu'il avait été par dévotion à la
Mecque et à Tabal Médine (1), où est enterré et honoré
Mahomet. Ce pèlerinage procure à ceux qui le font la
vénération des Mores et des Turcs, et le titre de Hadji
équivaut à celui de grand saint. Celui dont nous parlons
était très respecté et très populaire à Alger, où il s'était
signalé souvent et pendant longtemps dans la paix et
dans la guerre. Il s'était surtout fait connaître par son
habileté et son courage au moment où l'Empereur Char-
les-Quint avait assiégé Alger il était alors Capitaine
général de la milice, et les Turcs avaient été en grande
partie redevables de leur succès à ses soins et à ses
conseils (2).

(t) (Sic). Le mot Tabal, qui précède Médine dans le texte, a fait
commettre à M. Devouix une singulière méprise. Uner légère incor-
rection typographique lui a fait tire: ya~~(it eut pu s'épargner. cette
erreur en observant un peu plus loin le caractère des veritabtes Y) et
ii a conclu de cette lecture erronée que Tat~ signifiait Yatreb, parce
que, dit-il, tel est le ~t~Me/to~~e ? ville. (~uMca/~tMÎHe 1864,
p. 290.)
(2) Le récit du Mekhemé confirmetei celui de Haëdo. Hadj' Bêcher
(te! est le vrai nom d'Hadj'Pacha), y est cité comme a~ant fait des
prodiges de valeur le jour de l'envahissement de la ville. On trouve
les mêmes ailegatMnsdans le ~b&<'<:<F<yo~
§2.

Au moment où la nouvelle de la mort de Hassan Aga


parvint aux tribus dePihtérieur qui le redoutaient extrê-
mement, il existait un Cheik nommé Sidi Butereque (1),
Prince de nombreux Arabes, voisins de Milianah, ville
située à un peu plus de douze lieues à l'ouest d'Alger;
les douars et les tentes de cette tribu se trouvent aux
bains d'Hammam-R'ira. Ce Cheik crut que l'occasion
était bonne pour accomplir ce que beaucoup d'Arabes
désiraient depuis longtemps, c'est-à-dire pour se révolter
contre les Turcs, qui les opprimaient et les maltrai-
taient continuellement. En conséquence, il réunit vingt
mille Mores, cavaliers ou fantassins, tant parmi les siens
que dans d'autres tribus, qu'il avait excitées à se join-
dre à lui, et marcha sur Alger à la tête de cette armée à
la fin de mars 1544 il s'avança en pillant, en détruisant
tout, en coupant les chemins, et inspira une si grande
terreur aux Algériens, que personne n'osait plus sortir
de la ville. Le Caïd désigné pour commander à Milianah
était un Turc nommé Hassan, qui, se fiant trop à son
courage et à celui des quarante Janissaires armés de
mousquets qu'il commandait, pria très instamment
Hadji Pacha, de le laisser aller rejoindre son poste,
disant que, non-seulement il se défendrait contre les
Mores le long de la route, mais encore, qu'une fois arrivé
à Milianah, il saurait empêcher l'ennemi de s'en empa-
rer. Le Roi voulut le retenir, son expérience lui faisant
comprendre dans quel péril allait se mettre le Caïd et sa
troupe mais à la fin il céda à ses instances et le laissa
partir. Il n'avait pas fait un jour de chemin, que Butere-
que, prévenu de sa marche, se porta sur lui et le massa-

(t) C'est un surnom :,BouTrek, le maître de la route.


era avec tout son monde. Cet événement hâta le départ
de Hadji Pacha, qui avait déjà
rassemblé une armée
pour aller châtier les Arabes, qui, depuis deux mois à
peu près, tenaient les Turcs bloqués dans Alger. Il sortit
à la fin du mois de mai
avec quatre mille Turcs ou
Renégats armés de mousquets, cinq cents Andaleuces
ou spahis Algériens il donna le commandement Caïd
Rabadan et nomma Capitaine général de l'infanterie au
brave renégat sicilien nommé Catania, natif de Catane un
il
emmenait avec lui d'autres Caïds Turcs et Renégats,
vieux soldats de Barberousse; on remarquait
y le Caïd
Saffa, Turc, qui plus tard
gouverna Alger, et fut long-
temps Caïd de Tunis le Caïd Amiça, Turc, qui
avait été
nommé Caïd de Milianah -en remplacement d'Hassan
tué par les Arabes; et Mustapha, Turc, Caïd de
Médéah'
Le Pacha s'avança avec tout
son monde, bien décidé à
mettre Butereque à la raison. La rencontre advint
huit lieues d'Alger et à quatre de Milianah, à
au pied d'une
montagne qu'on appelle Mata (1); la bataille
et les Turcs firent un grand carnage de Mores, commença
beaucoup de mousquets contre ayant
un ennemi qui
battait qu'avec la lance et le bouclier. L'armée ne com-
de Bute-
reque fut battue et mise en fuite, et les Turcs poussè-
rent l'ennemi si vivement, que leur chef fut forcé
s'enfuir à Fez, ayant tout perdu le Roi de de
reçut bien, et l'amena avec lui dix ans plus tard, ce pays le
il s'empara de Tlemcen, comme
quand
nous le raconterons.
Hadji Pacha, victorieux, rentra très content à
Alger,
n'ayant perdu que deux cents hommes, et
y fut reçu
avec une grande allégresse. Moins de quinze jours après,
le Roi nouvellement nommé
par le Sultan arriva de
Constantinople. Le règne d'Hadji Pacha
ne dura donc
que huit mois et demi environ il vécut encore quatre
ans et mourut de la fièvre à l'âge de quatre-vingts
était de grande taille, gros et brun de ans. Il
peau, il avait pour
(1) Très probablement ~OMjMB~, un peu au
delà d'E[-A&-oun.
femme une Morisque de Valence, de
la femme du
laquelle n~
Caïd Daut (1). Il Mt
qu'une fille, qui devint
de la
enterré près des tombeaux des Rois, en dehors les
petite que
porte Bab-el-Oued, dans une kouba plus
autres (2).

cnSansdottteD&oud.
Ilits. par M. Devculx.quU
d'actes retrouvés et traduits
I)evoulx,
~11 r<;sul~
s'appetaii:EI-HadjBecher benAtaMja..
CHAPITRE V

Hassan, Pacha et Roi

§1~.

Le Grand Seigneur, à la nouvelle de la mort de Hassan


Aga, se vit assiéger parles demandesd'un grand nombre
de Turcs, qui désiraient le gouvernement d'Alger, tant
pour l'honneur de cette charge, que pour le profit qu'elle
rapportait (1). Kheïr-ed-Din, qui se trouvait alors à Cons-
tantinople, appuya la candidature de son fils, en repré-
sentant au Sultan qu'il était homme fait, digne de cet
honneur, et qu'il ne serait pas juste de lui en préférer
d'autres, puisque c'était la famille des Barberousses qui
avait donné le Royaume d'Alger à l'Empire Ottoman;
qu'il était donc juste que les descendants de cette race
pussent jouir du fruit des travaux de leurs aïeux. Le Sul-
tan lui accorda ce qu'il demandait, et le nouveau Roi se
mit en route quelques jours après. Son père lui avait
donné, pour l'escorter, douze galères bien armées, mon-
tées d'une nombreuse infanterie Turque, que l'espoir de
s'enrichir attirait, de la même façon que les Espagnols
vont aux Indes. Le nouveau Roi se nommait Hassan il
était fils d'une Moresque d'Alger (comme nous l'avons
déjà dit). Il arriva le 20 juin, peu de jours après le retour

(1) Cela ne peut pas être vrai car Hassan Aga n'était pas Pacha
d'Alger, mais seulement Khalifat de Khcïr-ed-Din, qui conserva le
titre jusqu'à sa mort, ainsi qu'il est facii~ de le voir dans les Négo-
ciations de la France avec le Levant ~Documents inédits). Faisons
remarquerici que Haëdo ne tient aucun compte de ces différences, et
rimait'ement et pour quelques jours, sont des Rois..
que, pour lui, tous ceux qui ont exercé le pouvoir, ne fù.t-ce qu.'inte-
c
d'Hadji Pacha, qui venait de vaincre le CheikhButereque.
A cette époque, le Roi de Tlemcen était celui que le
Comte d'Alcaudete avait mis sur le trône, en contrai-
gnant son frère, MuleyAhmed, às'enfuiràFez(1).Comme
ce royaume était sans cesse livré aux dissensions,
un autre frère cadet de ces deux Rois (2), désireux de
régner, se rendit à Alger à la nouvelle de l'arrivée d'Has-
san, auquel il sut persuader de déclarer la guerre à son
frère. En conséquence, un an après son installation, au
commencement de juin 1545, Hassan Pacha partit d'Al-
ger et marcha sur Tlemcen avec trois mille Turcs et Re-
négats armés de mousquets, mille spahis à cheval et dix
canons. A son passage à Tenez, Hamid-el-Abdi, qui y ré-
gnait encore, lui donna deux mille cavaliers Arabes.
L'armée arriva rapidement à Tlemcen sans avoir rencon-
tré aucune résistance; car le Roi, averti de ce qui se pas-
sait, avait emporté à la hâte ses effets les plus précieux
et s'était enfui à Oran, accompagné de quelques amis.
Hassan mit son protégé sur le trône, et reçut de lui une
grosse somme, qui provenait en partie des dons de ses
partisans et en partie de contributions frappées sur les
autres; après un court séjour, l'armée s'en retourna à
Alger (3). Le nouveau Roi ne goûta pas longtemps les
délices du pouvoir; avant qu'un an ne se fût écoulé, le
Comte d'Alcaudete, à la tète de troupes qu'il fit venir d'Es-

(1) II senommait Abdallah, fils de Muley Abdallah et d'une fille


de Ben Redouan, Cheikh des Beni-Amer.
(2) D'après Marmol, ce ne serait pas un autre frère cadet, mais bien
Ahmed lui-même. Nous n'avons rien trouvé qui pût faire pencher la
balance d'un côté ou de l'autre.
(3) Marmol dit. au contraire, qu'Ahmed avait été rappelé volontai-
rement par les Tlemcénicns, et que Hassan, qui était sorti d'Alger
pour lui porter secours, n'alla pas plus loin qu'Agobel, lorsqu'il eut
appris que le Comte d'Alcaudete marchait contre lui. Mais il y évi-
demment confusion,puisque le même historien dit, un peu plus loin,
qu'~Ame~ demeura Roi de Tlemcen et y régna paisiblementjusqu'à sa
mort, ce qui ne serait pas arrivé si les Espagnols eussent été vain-
queurs.
pagne, rétablit dans Tlemcen celui qui s'était réfugié à
Oran, et força l'autre à s'enfuir à Fez,
comme l'avait fait
naguère son frère aîné.

§2.
En 1548 (1), les habitants de Tlemcen, qui
continuaient
à être toujours en discorde entre
eux et avec leur sou-
verain, s'adressèrentde nouveau à Hassan, lui offrant
de
le reconnaître pour Roi s'il voulait
accepter le trône,
s'il n'en voulait pas pour lui-même, de recevoir et,
celui
qu'il leur désignerait. Ces offres déterminèrent
à partir pour Tlemcen avec trois mille Turcs
Hassan
et Renégats
armés de mousquets, mille spahis à cheval et deux
mille
Mores que le Roi de Tenez lui fournit,
comme il l'avait
fait en 1545; il envova par mer à Ténez huit
bonne canons, avec
une provision de poudre et de munitions. Comme
il arrivait à la rivière de Siga, qui est à
quatre lieues
d'Oran, sur la route même de Tlemcen, il
rencontra le
Comte d'Alcaudete qui l'attendait là
avec six mille mous-
quetaires, accompagné du Roi de Tlemcen,
qui avait amené avec lui six mille cavaliers. Le son allié,
Pacha,
prévenu de la proximité de l'ennemi, qui lui barrait
la
route. fit faire halte pour laisser reposer
son monde; il
avait l'intention de livrer bataille le lendemain matin,
à en juger par la bravoure des deux armées et,
et par l'ani-
mation qui y régnait, l'affaire eût été rude et sanglante.
Mais, au milieu de la nuit, arriva grande hâte
en un gen-
tilhomme français, nommé Monsieur de Lanis (2),
que
(1) Tout ce qui est rapporté dans ce chapitre être
mis à la date
1547 c'est 1 expiation du récit de Marmoi qui
fait l'objet de la note
prudente. Nous n'insisterons pas sur la puérilité des raisons
guées pour justifier la retraite d'Hassan c'était allé-
dition restée chez les janissaires, sans doute une tra-
que Haëdo aura recueillie et trans-
crite telle quelle, qu'il
ce fait assez souvent.
(2) H esttrès certain
que, même avant cette époque, les Pachas
le Roi de France avait envoyé avec deuxgalèrespour ap-
prendre à Hassan la mort de son père et lui en faire des
compliments de condoléance. En recevant cet ambassa-
apportait, le
deur et les lettres du Roi de France qu'il
Pacha d'Alger fut saisi d'une extrême douleur, comme le
comportait la mort d'un tel père sa tristesse fut parta-
gée par toute l'armée, dont la plus grande partie,
et prin-
cipalement les officiers, avaient servi sous les ordres de
Barberousse. Le lendemain matin, Hassan entra en pour-
parlers avec le général Espagnol, et il fut convenu que le
Roi installé à Tlemcen par l'Espagne y
resterait; qu'il
pourrait se déclarer vassal de l'Empereur sans qu'il lui
fût fait de querelles à ce sujet, et ils se
quittèrent en
amis. Deux jours après la conclusion de ce
traité, Has-
amèrement la mort
san reprit la route d'Alger, pleurant cheval de
de Barberousse, vêtu de noir et monté sur un
même couleur. En passant à Tenez, il y laissa son ar-
à
tillerie et ses munitions, qui furent ramenées par mer
Alger.

§ 3.

En 1550, les habitants de Tlemcen,


toujours turbulents
révolte, écrivirent au Chérif, Roi de Fez et de Ma-
et en
nommé Abd-el-Kader, pour le prier de leur envoyer
roc, avait jadis installé à
ce frère de leur Roi, qu'Hassan
et qui avait été expulsé par le Comte d A1-.
Tlemcen, en
Souverain,
caudete. Ils disaient qu'ils le voulaient pour
régnait actuellement,
et qu'ils allaient chasser celui qui

E-t'
~~Y~~
avait vu

."r~
venir, à diverses reprises
rlu Roi de France Kheïr-ed-Din
auprès de lui le célèbre Paulin de
etc. En tous cas. il y a ici erreur
date car, Klie*ir-c,1-1)ia était mort en
t~n. nous croyons qu'il faut y
de
1~46. Le nom de Latiis uous est
substituer d'Albisse. Le cueva-
épolue, ph~eursnussions
Négociations de la
-royales auprès des Pachas d'Alger. (Voirles
dans le Levant, T. 11, p. 204, 261, etc.)
parce qu'il était ami des Chrétiens et oppresseur des
Musulmans, qu'il surchargeait d'impôts pour payer le
tribut au Roi d'Espagne. Le Chérif, moins désireux de
leur complaire que d'ajouter un Royaume à ceux de Fez,
Maroc et Tarudant qu'il possédait déjà, rassembla immé-
diatement une armée de douze mille cavaliers et de dix
mille fantassins; parmi ces derniers on remarquait un
corps de cinq mille Renégats armés de mousquets, de
ceux qu'on appelle A luches à Fez, et qu'on nomme par
corruption Elches en Espagne. Il donna le commande-
ment de ces troupes à son fils aîné, son héritier, lui
adjoignit un fils plus jeune nommé Muley-Abdallah, et
ce frère du Roi de Tlemcen que les habitants deman-
daient. Cette armée se mit en marche et s'empara de
Tlemcen, dont le Souverain, n'étant pas assez fort pour se
défendre, s'enfuit à Oran. Le Général Marocain donna le
commandementde la ville conquise à son frère Muley-
Abdallah, ne se souciant pas de remettre sur le trône le
frère de l'ancien Roi, auquel il persuada traîtreusement
de l'accompagner, en lui disant que son intention était
de conquérir le Royaume d'Alger, et, qu'au retour, il lui
rendrait son trône. Il laissa donc quelques troupes à son
frère et pénétra dans le pays des Beni-Amor, montagnes
voisines d'Oran ces tribus peuvent mettre douze mille
cavaliers sous les armes. Elles n'osèrent pas attendre
l'armée Marocaine, et se retirèrent avec leurs troupeaux,
leurs chameaux, et leurs biens jusque sous le canon de
Mostaganem, à douze lieues à l'est d'Oran. Le fils du Roi
de Fez (1), trouvant le pays abandonné, hésitait à pour-

(1) Il y avait eu entente préalable entre le Cherif et Hassan-Pacha.


Après avoir instar le nouveau Roi à Tlemcen, l'armée marocaine
devait marcher sur Oran, où elle eût fait sa jonction avec les Algé-
riens. De là, après la prise d'Ot-an et de Mers-El-Kebir, on devait
tenter un débarquement en Espagne. (Voir la lettre de Marillac à
Henri II, du 29 juillet 155D.) (Ribier, t. n, p. 282,) L'ambition du
Chérif, qui voulaitgarder pour lui le Royaume de Tlemcen, fit avorter
cette combinaison, et ce fut alors qu'Hassan, furieux de cette trahi-
son, marcha contre lui, et anéantit son armée.
suivre ces tribus, sur lesquelles il espérait faire un grand
butin, ou à se porter sur Oran, dont la prise lui eût fait
un grand honneur. Cette dernière tentative lui ayant paru
trop périlleuse, il se décida à poursuivre les Mores, et il
était presque en vue de Mostaganem, lorsqu'il apprit que
les Turcs d'Alger marchaient contre lui. En effet, Hassan-
Pacha, qui avait été informé que le Général Marocain
gagnait chaque jour du terrain, avait rassemblé une
armée de cinq mille mousquetaires, mille spahis et dix
canons et, restant lui-même à Alger pour défendre le
pays si les choses tournaient mal, il avait confié le
commandementà trois principaux Caïds le Turc Saffa,
Hassan Corso, renégat corse, et Ali Sardo, renégat
sarde. Il leur avait donné l'ordre de se réunir sous Mos-
taganem aux tribus des Beni-Amor, avant de livrer
bataille au Prince de Fez; après leur jonction, ils devaient
attaquer l'ennemi; ils se conformèrent aux ordres reçus.
Donc, au moment où le Prince de Fez arrivait en vue de
Mostaganem, il aperçut les Algériens, qui en étaient
aussi rapprochés que lui. Il reconnut alors qu'il allait
être forcé de combattre à la fois les Turcs et les Mores,
dont la réunion serait opérée dans quelques heures,
et il se décida à battre en retraite. Il commença tout de
suite son mouvement, chassant devant lui un nombre
infini de bétail et de chameaux, qu'il avait pillé de tous
côtés. Mais les Turcs et les Beni-Amor se mirent à sa
poursuite et le menèrent si vivement qu'ils l'atteignirent
à huit lieues en avant de Tlemcen, sur la rivière Huexda,
à l'endroit même où en 1518 le Marquis de Comarès avait
battu et tué Aroudj (1). Le combat s'engagea furieuse-

(1) Nous engageons tous ceux qui, sur la foi de M, Berbrugger,


croient encore qu'Aroudj fut tué près d'Ouchd'a, à fixer leur attention
sur ce passage, qui démontre clairement que le premier des Barbe-
rousses trouva la mort entre Mostaganem et Tlemcen. H faut comp-
ter, comme nous l'avons déjà fait observer, les lieues d'Haëdo comme
égales à 8 ou 10 kilomètres, ce qui nous amène au gué du Rio-
Salado
ment, et dura de longues heures avec une grande effu-
sion de sang et des pertes cruelles. Car, si les Turcs et
les Renégats d'Alger sont braves, les Elches de Fez ne le
sont pas moins, et les deux troupes étaient armées de
mousquets; enfin, la cavalerie Marocaine ayant été rom-
pue et mise en fuite par les Beni-Amor, les Elches furent
forcés de plier à leur tour. Ils furent poursuivis l'épée
dans les reins, et perdirent'beaucoup de monde; le
Prince de Fez et le prétendant de Tlemcen furent au
nombre des morts. Quoique cette victoire eût décimé les
Turcs et les Renégats, ils marchèrent en avant avec les
Beni-Amor, et entrèrent sans résistance à Tlemcen, por-
tant au bout d'une lance la tête du Prince de Fez. Son
frère cadet Muley-Abdallah s'était enfui aux premières
nouvelles, et avait été raconter ce triste dénouement à
son père, auquel il succéda plus tard. La cité souffrit
tout ce que peut souffrir une ville mise à sac, elle fut
pillée à fond par toute l'armée, mais principalement par
les Janissaires; la vie de la population fut épargnée;
mais tout ce qui avait une valeur quelconque fut enlevé
de force aux habitants. Les trois Caïds, ayant tenu con-
seil avec les principaux de l'armée, résolurent de ne pas
abandonner la ville et d'y installer une garnison. Le Caïd
Saffa fut désigné par le sort et devint le premier Gouver-
neur Turc de Tlemcen. Les deux autres lui laissèrent
une troupe de quinze cents loldachs, ainsi que les dix
canons, avec beaucoup de projectiles et de munitions;
peu de jours après, ils reprirent le chemin d'Alger, vic-
torieux et chargés de butin, emportant la tête du fils du
Roi de Fez les Beni-Amor retournèrent à leurs monta-
gnes. L'armée fut bien reçue et festoyée par Hassan, qui,
en souvenir d'une si mémorable victoire, fit mettre la
tête du Prince dans une cage de fer, au-dessus de la
porte Bab-Azoun (1). Elle y resta jusqu'en 1573, époque à

(1) Marmol, qui n'a connu tous ces faits que très inexactement,
les reporte à une date plus éloignée, sous le pachalik de Sata-Reïs
laquelle le Roi d'Alger Arab-Ahmed fit 'reconstruire la
porte et le rempart, et disparaître ce trophée.

§ 4.

En cette même année, Hassan construisit une tour au


lieu même où l'Empereur Charles-.Quint avait dressé sa
tente, lors de son entreprise contre Alger (1) c'est une
petite montagne distante d'un millier de pas de la Cas-
bah. Cette fortification ne fut pas d'abordtrès importante
mais, plus tard, le Renégat Vénitien Hassan, étant de-
venu Roi d'Alger, l'augmenta beaucoup pendant les an-
nées construire autour de l'ancien
1579 et 1580; il fit
fort de nouveaux boulevards et bastions, comme nous
l'avons raconté ailleurs (2). Hassan-Pacha commença,
cette même année, un autre édifice; ce fut un hôpital
destiné à recevoir les janissaires pauvres ou infirmes
ce bâtiment n'est pas très important. Il en fit encore
un troisième, d'une très grande beauté, qu'il acheva en
1550 c'est un bain somptueux, orné de marbres, qu'on
appelle encore aujourd'hui le Bain d'Hassan, et où un
grand nombre de gens prennent, à toute heure, des
bains chauds, suivant l'usage des Mores et des Turcs.
Hassan imita en cela son père Kheïr-ed-Din, qui avait

mais la lettre de Marillac (dcjà cit.), donne raison à Haëdo, aussi


bien que celle adressée au Roi par M. d'Aramon, le 13 décembre 1550.
(Négociations de &: France dans le Levant, t. il, p. 130.) Cette lettre
engage le Roi à rompre toute relation avec le Chérif, afin de calmer
les soupçons de la Porte et du Roi d'Alger, dont le Chérif est devenu
l'ennemi. (Voir encore la lettre du 18 décembre 1550, de M. de Selve
à Henri II, loc. cit.).
(I; C'est l'ouvrage qui prit depuis le nom de Fort l'Empereur, par
suite d'une tradition erronée répandue parmi les esclaves Chrétiens,
qui croyaient que le fort avait ct~ construit par Chartes-Quint. Le
fait est matériellementimpossible, puisque ce souverain ne séjourna
pas même vingt-quatre heures sur cet emplacement, et dut battre en
retraite le lendemaindu jour où il y avait dressé sa tente.
(2) Dans la T'opo~fo~a, chap. IX.
bâti un bain semblable à Constantinople; en quittant le
gouvernement d'Alger, il le légua à ses successeurs, qui
jouissent du revenu qu'il rapporte.

§5.
En l'année suivante, 1551, Hassan quitta le Royaume
d'Alger pour les raisons suivantes depuis la mort de
Kheïr-ed-Din, un des trois Pachas suprêmes du Grand
Divan, nommé Rostan, qui avait épousé une des filles
préférées du Sultan, désirait s'emparer du bain magni-
fique que Barberousse avait fait construire à Constanti-
nople, et dont le gros revenu excitait sa cupidité. Il avait
parlé de son dessein au majordome d'Hassan, nommé
Djafer, qui avait été envoyé d'Alger à Constantinople par
son maître, aussitôt que celui-ci avait eu connaissance
de la mort de son père. Djafer avait averti Hassan de ce
qui se passait, et celui-ci était peu satisfait de se voir
frustré à la fois d'une grosse rente et d'un édifice que
son père avait construit pour éterniser sa mémoire. Sur
ces entrefaites, le majordome lui écrivit de nouveau
pour le prévenir que Rostan-Pacha se montrait fort irrité
de ce qu'on ne lui eût pas encore offert l'objet de ses dé-
sir s que sa puissance et la faveur de son beau-père le
rendaient très dangereux, et qu'il le menaçait, non-seu-
lement de s'emparer du bain, mais encore de lui enlever
le gouvernement d'Alger. Cette nouvelle donna des in-
quiétudes à Hassan, qui partit tout de suite pour Cons-
tantinople(1) avec six galères, afin de chercher à apaiser

(1) H est bien possible que la cupidité de Rostan ait été pour quel-
que chose dans la disgrâce d'Hassan mais sa chute fut due en très
grande partie aux sollicitations de notre ambassadeur, qui s'était
aperçu de l'hostilité du Pacha d'Alger pour la France. Dans la lettre
que M. d'Aramon adresse au Roi, à la date du 20 janvier 155~, on
remarque le passage suivant « Suyvant le pronostic que j'ay faict
» par cy-devant du Roy d'Alger, ce
Grand Seigneur le congnoissant
la colère de Rostan. Son départ eut lieu le 22 septembre
1551; il avait gouverné le Royaume d'Alger pendant sept
ans de suite, en toute paix et toute justice. Il avait vingt-
huit ans à son arrivée et trente-cinq quand il partit. Je
raconterai en son temps et lieu ce qui advint pendant
deux autres règnes à Alger.

» tel que je l'ay autrefois deppainot, l'a demis dudit estât et remis à
» deux escus par jour pour son vivre, etc. » ~Vi~ocMMfMM <<:
France ~M ZMM!K<, t. II, p. i8i .)
CHAPITRE VI

Caïd Saffa, sixième Roi (1)

S 1.

Hassan espérait revenir bientôt, ce en quoi il se trom-


pait car, malgré le don de son bain, il ne put calmer
la haine que Rostan-Pacha lui portait. Voulant lais-
ser à sa place un homme qui, par sa prudence et sa jus-
tice, pût administrer convenablement le Royaume, il
avait fait choix du Caïd Saffa, qui était de retour de
Tlemcen, dont il avait été nommé Gouverneur (comme
nous l'avons dit) au moment où les Turcs s'en étaient
emparés. Ce Caïd avait donné des preuves de son expé-
rience, de sa prudence et de son courage dans cette
guerre et dans d'autres occasions, et s'était fait aimer de
tout le monde; aussi, ce choix fut-il généralement ap-
prouvé. Il était Turc, d'une famille de pauvres paysans,
laboureurs en Anatolie; il était venu à Alger, plusieurs
années auparavant, avec d'autres Chacals de Turquie,(2),
pour chercher aventure, et avait si bien réussi qu'il était
parvenu à la position qu'il occupait aujourd'hui. On ne
lui donna pas le titre de Roi, ni de Pacha, mais celui de
Khalifa, ce qui signifie Lieutenant du Roi. Il gouverna
tranquillement et sagement, et de son temps, il n'arriva
rien qui le contraignît à ordonner des châtiments et des
exécutions, comme cela arrive si souvent. Il exerça sa
charge pendant sept mois, depuis la fin de septembre

(t) H n'y a-pas le mot Roi dans le texte il y a simplement


sixième
(2) Sic.
1551 jusqu'au mois d'avril 1552, époque où un nouveau
Roi arriva à Alger. Pendant ce temps, il fit élever, pour
la défense du port, un grand et beau bastion, qu'on voit
aujourd'hui sur la porte Babazira (1), qui va à la Marine;
c'est l'ouvrage le meilleur et le plus fort d'Alger. Il y eut
dans son temps une terrible famine mais il mit tant de
soin à approvisionner la ville, qu'au moment même où
on mourait de faim dans tout le pays, les Algériens vé-
curent dans l'abondance. Il mourutplus de dix ans après,
étant devenu Caïd de Ténez, après la mort du vieil Ha-
mid-el-Abdi les Turcs avaient toujours vécu en bonne
amitié avec ce Prince, conformément au traité consenti
par Kheïr-ed-Din, qui l'avait remis sur le trône; mais,
après sa mort, ils s'emparèrent de son Royaume. Saffa
mourut en 1561, à l'âge de cinquante et un ans; il était
très robuste, de petite taille, gras, brun et très barbu;
il ne laissa pas d'enfant, mais un frère cadet, nommé
Caïd-Daut (2), qu'il avait emmené tout enfant de Turquie,
et qui fut le plus riche et le plus renommé des Caïds de
son temps. Il fut enterré en dehors de la porte Bab-el-
Oued, près de la mer, dans une petite kouba carrée et
basse, portée par quatre piliers de briques.

(1) Bab-el-Djezira.
(2) C'est le Caïd Daoud, dont il est parlé plus haut.
CHAPITRE VII

Sala-Pacha, septième Roi

S 1.

Rostan-Pacha, voulant empêcher Hassan, fils de Bar-


berousse, de se faire rendre le gouvernement d'Alger, fit
nommer à sa place le célèbre corsaire Sala-Reïs, qui
avait été longtemps le compagnon de Kheïr-ed-Din, et
dont nous avons parlé en racontant la vie de celui-ci (1).
Il était More, natif d'Alexandrie, et avait été élevé tout
jeune parmi les Turcs, au temps où le Sultan Sélim con-
quit l'Égypte, en battant les Mameluks et en détruisant
leur puissance. Il passa plus tard en Turquie et de là en
Barbarie, où il se mit, avec beaucoup d'autres corsaires,
sous les ordres de Barberousse, duquel il se fit aimer et
estimer par le courage qu'il montra en toute occasion.
Aussi, en 1535, lorsque Kheïr-ed-Din partit pour Constan-
tinople, il désigna Sala-Reïs pour être du nombre de
ceux qui l'accompagnèrent lorsque le Sultan lui eut
donné le commandement de sa flotte, il l'employa dans
toutes les occasions importantes des guerres maritimes,
ayant reconnu en lui un homme pratique et intelligent.
Enfin, lorsque, en 1543, Barberousse voulut envoyer
quelques-unes de ses galères ravager les provinces Im-
périales, il le fit partir de Toulon pour l'Espagne à la
tête de vingt-deux bâtiments, avec lesquels il détruisit

(1) Sa)a Reïs avait succédé à Barberousse comme Capitan-Pacha.


(Voir Négociations <~ ~'<HM6 dans le Levant, t. 1, p. 624.) D'après
la lettre de M.. d'Aramon, que nous citons un peu plus haut, il avait
toujours manifesté uue grande sympathie pour la France, et s'était
rendu utile à notre ambassadeur en plusieurs occasions.
Rosas et Palamos. A son retour en Turquie, il reçut la
charge de Timonier du Sultan, c'est-à-dire qu'il -eut le
commandement de la galiote que monte ce Souverain
quand il va se promener en mer, cette charge ne se donne
qu'à des personnages principaux, de ceux qui sont le
plus aimés, et dans lesquels on a le plus de confiance.
Aussi, lorsque Rostan-Pachale proposa pour le gouver-
nement d'Alger, afin d'empêcher Hassan d'y retourner,
le Sultan accorda volontiers cette charge à un homme
qui l'avait si bien servi et qu'il savait en être digne. Sala-
Reïs arriva à Alger à la fin d'avril 1552, à la tête de dix
galères. Dans cette même année, le Roi de Tuggurt, More
dont les États se trouvent à vingt-une journées de mar-
che d'Alger et à cinq de Biskara, aux confins du Sahara
et de la terre des Nègres, à cent cinquante petites lieues
d'Alger, se révolta et refusa de payer le tribut habituel.
Sala-Reïs marcha contre lui au commencement d'oc-
tobre, avec trois mille Turcs et Renégats armés de
mousquets, mille cavaliers et deux canons seulement,
sans dire où il se dirigeait, afin de prendre l'ennemi à
l'improviste. Il arriva ainsi avec son armée tout près de
Tuggurt, avant que le Roi eût été avisé de sa marche.
Celui-ci n'osa pas sortir en rase campagne, ni livrer ba-
taille il suivit le conseil de son tuteur (1) (ce Prince
était encore un tout jeune homme) et s'enferma dans sa
capitale, qui était fprtinée, dans l'espoir que ses sujets
et les Arabes ses voisins et alliés, tous grands enne-
mis des Turcs, viendraient le délivrer. Sala-Reïs ouvrit
le feu sur la place avec ses deux canons; il le continua
trois jours de suite; le quatrième, il donna l'assaut et
s'empara de la ville, après avoir fait un grand massacre
de Mores. Le Roi lui-même fut pris et conduit devant le
vainqueur, qui lui demanda comment il avait été assez

(1) Le mot espagnol est ayo, qui signifie précepteur ou gouverneur;


mais j'ai pensé que le mot tuteur rendait bien mieux le sens de la
phrase.
hardi pour se révolter et combattre contre la bannière
duSultan. Le jeune homme rejeta la faute sur son tu-
teur~ qui le dominait et le forçait d'accomplir sa volonté,
parce que c'était lui qui avait la puissance effective. Sala-
Reïs fit amener ce More devant lui, reconnut que ce
qu'on venait de lui dire était vrai que c'était bien lui qui
avait excité la rébellion, et apprit qu'il avait même osé
dire qu'il était aussi méritoire devant Dieu de tuer un
Turc qu'un Chrétien. Il lui fit aussitôt lier les pieds
et les mains, et donna l'ordre de l'attacher à la bouche
d'un canon dont la décharge le mit en pièces. Il fit ven-
dre à l'encan douze mille habitants de tout âge et de tout
état, saccagea le pays, rasa les fortifications, et emmena
captif le Roi, âgé de quatorze ans. Il s'avança ensuite à
quatre journées plus loin, pour prendre ou tuer le Roi
de Ouargla (pays où les dattiers abondent) qui avait
aussi refusé l'impôt. Mais ce Roi s'était enfui avec quatre
mille cavaliers, et les Turcs ne trouvèrent que quarante
Nègres, qui étaient venus (suivant leur habitude) pour
vendre des esclaves; ils n'avaient pas pu, bien malgré
eux, s'enfuir avant l'arrivée des Turcs; ils étaient fort
riches et se rachetèrent pour deux cent mille écus d'or,
moyennant quoi le Pachales laissa aller en paix. Il donna
dix jours de repos à son armée, et pendant ce temps il
apprit que le Roi de Ouargla se trouvait à sept jours de
marche (c'est-à-dire à cinquante lieues), dans une ville
nommée Alcala, très voisine de la terre des Nègres. Il
lui fit dire de revenir et s'engagea à ne lui faire aucun
mal, à la condition toutefois qu'il payerait dorénavant le
tribut. Cela fait, il reprit la route d'Alger; le Roi de
Ouargla rentra dans ses États et, craignant de voir reve-
nir les Turcs (malgré la distance qui les sépare), il paya
dorénavant le tribut, et ses successeurs l'ont imité jus-
qu'aujourd'hui et envoient à Alger trente Nègres tous
les ans. En s'en retournant, Sala-Reïs remit sur le trône
le jeune Roi de Tuggurt, en lui faisant jurer, ainsi qu'aux
principaux des Mores auxquels il rendit la liberté, d'être
fidèles aux Turcs et de payer un tribut annuel de quinze
Négresses, ce qu'ils font encore aujourd'hui (1).

§2.
Pendant tout l'hiver, Sala-Reïs s'occupa à armer le
plus de navires qu'il put; au commencement de juin
1553, il sortit d'Alger avec quarante galères, galiotes ou
brigantins, arriva à Mayorque en trois jours et y débar-
qua une partie de son monde pour piller l'ile et faire des
captifs dans la campagne mais des cavaliers et des ar-
quebusiers sortis de la ville de Mayorque, fondirent bra-
vement sur les Turcs, et, sans éprouver eux-mêmes de
grosses pertes, leur tuèrent cinq cents hommes parmi
les morts, se trouva Yusuf-Reïs, Renégat très chéri du
Grand-Amiral, qui était alors Acha-Auli (2); les Turcs
vaincus furent obligés de se rembarquer. Sala, voyant
qu'il était découvert et qu'il devenait inutile de chercher
à ravager Mayorque, navigua à l'Ouest et longea les côtes
d'Espagne sans pouvoir y faire grand mal, parce que
tous les riverains connaissaient sa sortie et la force de
sa flotte. A la fin de juillet, il rencontra dans sa croisière
cinq caravelles et un brigantin portugais; sur ces bâti-
ments, se trouvait Muley-Buazon le Borgne (3), Roi de Ve-
lez, qui, voulants'emparer de Fez, avait été demander du
secours à l'Espagne, et revenait avec cette flottille et trois
cents hommes que le Roi Jean III de Portugal lui avait
donnés pour l'escorter à Velez. Sala, ayant reconnu les
navires Chrétiens, les fit entourer par sa flotte, et,

(1) M. Devoulx a trouvé aux Archives diverses pièces prouvant


que cet impôt ~tait encore payé dans les dernières années de l'exis-
tence de la Régence d'Alger.
C2) C'était Piali qui était alors Grand-Amiral nous ne nous expli-
quons pas~cAa-MK.
(3) Le mot espagnol est tuerio, qui a la double acception de borgné
et de &)McAe.
comme il faisait calme plat, on commença à se canonner
furieusement de part et d'autre, avec une continuelle
fusillade. Les Turcs abordèrent plusieurs fois les Portu-
gais, qui se défendirent très bravement pendant plus de
trois heures enfin, ayant perdu beaucoup de monde, et
tous les survivants étant blessés, ils furent écrasés par
la multitude de Turcs qui formaient les équipages des
quarante vaisseaux du Pacha, et furent faits prisonniers,
ainsi que le Roi de Velez et quinze ou vingt Mores de sa
suite. Sala se dirigea avec sa prise vers le Penon de Ve-
lez le Caïd qui y commandait pour le Roi de Fez se
nommait Moussa; apprenant que le Roi d'Alger en per-
sonne commandait la flotte, soit par crainte du combat,
soit qu'il voulût lui être agréable et changer de maître,
il lui offrit de lui livrer cette forteresse inexpugnable et
la ville dont il était gouverneur. Le Roi d'Alger le remer-
cia de sa bonne volonté, mais n'accepta pas ses offres,
et répondit qu'il était en paix avec le Chérif Roi de Fez,
qu'il ne venait pas avec des desseins de guerre ni de
conquêtes, et qu'au contraire, il offrait au Chérif les na-
vires Chrétiens qu'il avait pris, avec toute leur artillerie
et tous leurs agrès; et que, de plus, pour lui rendre
service, il emmenait prisonnier à Alger son ennemi
Muley-Buazon, qui avait été jusqu'en Chrétienté cher-
cher un appui pour le déposséder de son trône. En
échange de ces bons procédés, il ne demanda que la
continuation de l'amitié du Roi de Fez, le priant de s'en-
gager à ne jamais traverser les montagnes de Malohia,
qui sont en face de Mélilla et séparent le Royaume de
Tlemcen de celui de Fez (ce sont celles que les Espagnols
appellent les Galans Chevaliers de Matohia) (1) et d'em-
pêcher les Mores, ses sujets, de commettre des dégâts

(i) Voir Marmol, liv. V, cap. XVI Il est intéressant de remarquer


que l'ancien fleuve Malvia était, d'un communaccord, reconnu comme
limite entre le Maroc et la Régence d'Alger, comme il l'avait utë,
sous l'empire romain, entre la Tingitane et la Mauritanie Césarienne.
dans la province de Tlemcen, soumise aux Turcs. Sala
chargea le Caïd Moussa d'informer immédiatement le
Chérit' de tout cela il laissa les caravelles avec l'artille-
rie, qui était de bronze, très bonne et en grande quantité;
il cingla ensuite vers Alger. Trois mois ne s'étaient pas
encore écoulés, qu'un bon nombre de pillards passa les
montagnes et envahit la province de Tlemcen, soit avec
le consentement du Chérif, soit malgré ses ordres. D'au-
tres ont dit que cette invasion n'avait jamais eu lieu,
mais que Buazon était parvenu à obtenir de Sala-Reïs
qu'il l'aidâtà s'emparer du Royaume de Fez, en lui of-
frant une grosse somme d'argent en échange de son
appui; celui-ci accepta ces propositions et déclara la
guerre au Chérif. Il s'y prépara pendant l'hiver de 1553
et partit d'Alger au commencementde janvier 1554, avec
six mille mousquetaires et mille spahis; il fut rejoint en
chemin par quatre mille cavaliers Mores, envoyés en
partie par le Roi de Kouko, et en partie par d'autres chefs
Arabes; il marcha sur Fez avec cette armée et douze ca-
nons, emmenant avec lui Muley-Buazon le Borgne. De
*plus, il avait incorporé dans son armée quatre-vingts
Chrétiens choisis parmi ses captifs, vaillants soldats,
auxquels il avait conné le service de son artillerie, en
leur promettant la liberté, s'ils la lui amenaient en bon
état jusqu'à Fez; plus tard, il leur tint parole. En outre,
il envoya par mer vingt-deux galères ou galiotes, en leur
donnant l'ordre de se rendre à un nouveau port situé à
deux lieues de Mélilla et à trente de Fez (1) c'était une
précaution qu il prenait pour s'assurer une retraite, s'il
venait à être battu. En arrivant à la ville de Tessa (2),
qui se trouve à vingt lieues en avant de Fez, il y trouva
le Chérif, qui l'attendait avec quarante mille cavaliers et
autant de fantassins. Malgré la force de cette armée,
Sala-Reïs engagea la bataille, parce qu'un grand nombre

(J) Cette désignation ne convient qu'à K'çaça (ta Caçaça de Marmol).


(2) Teza.
de ceux des Caïds qui accompagnaient le Roi de Fez
avaient fait prévenir Buazon que, le moment venu, ils se
déclareraient pour lui. Ils tinrent parole et, dès le com-
mencement de la bataille, quittèrent les rangs et passè-
rent aux Turcs, qu'ils aidèrent à attaquer le Roi l'armée
du Chérif fut forcée de s'enfuir après avoir subi de
grosses pertes. A la suite de cette victoire, Sala entra
sans résistance à Tessa, où il mit une garnison de deux
cents Turcs, commandée par le Caïd Hassan. Il poursui-
vit sa route et arriva à Fez la Neuve, où le Roi l'attendait
avec son armée, qu'il avait ralliée et renforcée, voulant
livrer une deuxième bataille. Le combat commença dans
un cimetière qui se trouve contre les murs mêmes de
Fez; l'armée Marocaine fut encore battue et repoussée
dans la ville, et au, moment où le Chérif s'enfuyait par
celle des portes qui s'ouvre sur la route de Maroc, les
Turcs entraient par l'autre dans Fez la Neuve, qu'ils sac-
cagèrent en y faisant un énorme butin. Les Juifs, qui de-
meuraient dans un quartier séparé de la ville, se rache-
tèrent du pillage moyennanttrois cent mille ducats qu'ils
donnèrent au Roi d'Alger; celui-ci fit pendre, à la porte
même de la Juiverie, deux Turcs qui y étaient entrés
pour
piller, malgré cet arrangement. Cette prise eut lieu au
mois de mars 1554; Sala-Reïs fit immédiatement recon-
naître pour Roi Muley-Buazon, qui, en reconnaissance
des services reçus, lui offrit trois cent mille metkals (1)
d'or, à raison de trois mille metkals par jour depuis le
départ d'Alger. Les Turcs et les soldats reçurent, non-
seulement une paie libérale, mais encore de fortes gra-
tifications les officiers eurent de riches présents et
une
grande quantité de chevaux, de chameaux et de mulets,
qui leur servirent à regagner Alger et à y transporter le
riche butin qu'ils avaient tous fait dans cette campagne.
Sala-Reïs se conduisit avec une royale courtoisie la fa-
vorite du Chérif était tombée entre ses mains avec deux

(!) Le metkal d'or valait 5 fr. 20 de notre monnaie.


petites filles il les fit traiter avec les plus grands hon-
neurs et les renvoya sous bonne escorte 'à l'ancien Roi,
qm- s'était réfugié à Maroc. Il resta encore un mois à
Fez, où il s'occupa à régler les affaires du Royaume et à
consolider la puissance de Buazon, en réconciliant avec
lui beaucoup des principaux Iiabitants et Caïds. Lors-
qu'il pensa que la sécurité était assurée, il s'en retourna
à Alger lentement et à petites journées; il y arriva au
commencement du mois d'août, après avoir séjourné
quelque temps à Tlemcen, à Mostaganem, à Tenez et
dans quelques autres villes, où il fit réparer les fortifica-
tions et régla toutes les affaires du gouvernement.

§3.
La nouvelle de la défaite du Cliérif avait été connue
peu de jours après au Penon de Velez, dont le Caïd
redoutait la colère du nouveau Roi, auquel il avait tou-
jours été hostile; en conséquence, il s'enfuit, abandon-
nant cette position inexpugnable, qu'il eût pu facilement
défendre contre Muley-Buazon, et même contre d'autres
bien plus puissants que lui. Lorsque son départ eut été
connu de la flotte que Sala-Reïs avait envoyée au Port-
Neuf près de Mélilla, les Reïs ne perdirent pas une aussi
bonne occasion ils partirent pour le Penon avec la
flotte, le trouvèrent abandonné, et s'y installèrent. Sala
était encore à Fez quand il reçut d'eux cette nouvelle;
il fit partir en toute hâte un Caïd Turc nommé Khader
avec deux cents hommes, et lui donna l'ordre de se for-
tifier le mieux possible. Ces instructions furent exécu-
tées, et le Penon resta au pouvoir des Turcs jusqu'à
l'année 1564, où le Roi d'Espagne Philippe II s'en empara.

§4.
En 1555, Sala-Reîs s'empara de Bougie de la manière
suivante il partit d'Alger au mois de juin, par la route
de terre, emmenant avec lui trois mille Turcs ou René-
gats armés de mousquets, et envoya par mer deux galè-
res, une barque et une caravelle ou saëtie (1) française,
qui se trouvait alors à Alger ces bâtiments transpor-
taient douze canons de gros calibre, deux très gros pier-
riers, et beaucoup de munitions et de vivres. Il ne put
pas réunir une armée plus forte, parce que, à ce même
moment, le Prieur de Capoue, frère de Pierre Strozzi
venait d'arriver à Alger avec vingt-quatre galères fran-
çaises, et des lettres du Sultan (2) ce Souverain invitait
Sala-Reïs a fournir le plus de galiotes et de soldats qu'il
pourrait, pour venir en aide au Roi de France Henri, qui
soutenait à cette époque de grandes guerres contre lee
Roi Philippe II d'Espagne. En vertu de ces ordres, Sala-
Reïs avait donné au Prieur vingt-deux galères ou galiotes
bien munies d'hommes et d'artillerie. Dans sa marche
sur Bougie, il réunit plus de trente mille Mores, cava-
liers ou gens à pied, que lui envoyèrent le Roi de Kouko
et d'autres Cheiks.
A la tête de cette armée, il vint mettre le siège devant
Bougie. Un vendredi matin, il éleva deux batteries, l'une

(1) On appelait à cette époque saëtie, de petits bâtiments de transport,


à faible tirant d'eau le mot est resté en usage dans la Méditerranée
jusqu'au milieu du XVIIe siècle. Quant à l'einliloi que fait le Pacha
d'Alger d'un navire français, cela n'a rien qui doive étonner: au
même moment, Dragut avait joint sa flotte à celle de Paulin de la
Garde, et ils attaquaient ensemble la Corse, pour le compte du Roi
de France.
(2) Dans les Négociations (~ France dans le Z.eof!M<. il n'est pas
question de cette mission du Prieur de Capoue on y voit que le
Chevalier d'Albisse fut envoyé à Alger, en )553, pour y réclamer le
concours de .Dragut, qui se joignit à la flotte française, comme nous
l'avons dit à la note précédente. (Voir !e t. n des ;V~ocM<;o~, p. 261,
270,2'?4, etc.) Strozzi était à la vérité venu en 1552 avec une
vingtaine de bâtiments croiser sur les côtes barbaresques, mais en
belligérant, et il avait subi en Tunisie un échec assez grave, s'étant
laissé surprendre par Morat-Agha, qui lui tua beaucoup de monde.
(Loc. cit. p. 234.)
en haut de la côte qui domine la ville; elle était armée de
six canons et battait le Château Impérial, que Charles-
Quint avait fait élever naguère en avant des remparts;
elle était commandée par un Renégat Grec nommé Caïd
Yusuf. Il prit lui-même le commandement de la seconde
batterie qui tirait sur le Vergelette, château-fort situé
à l'entrée du port; elle était armée de six gros ca-
nons et des deux pierriers dont* nous avons parlé;
son feu se dirigeait contre un gros galion qui venait
d'arriver d'Espagne avec des munitions et de l'argent
pour la solde des troupes. En peu de temps ce galion
fut coulé à fond; le huitièmejour les défenses du Ver-
gelette étaient ruinées, la plus grande partie des cent
hommes de la garnison étaient tués, et le reste fut forcé
de rentrer dans la ville. Le quatorzièmejour, les rem-
parts du Château Impérial s'écroulaient sous le terrible
feu des Turcs (1), qui avait fait périr la plupart des assié-
gés ceux qui restaient vivants, se trouvant entièrement
à découvert, furent forcés d'abandonner la position et de
rentrer dans la ville. Sala-Reïs, se voyant maître de ces
forts, considéra la place comme prise et envoya un par-
lementaire au Capitaine-Général, Don Alonzo de Péralta,
illustre Chevalier Espagnol, pour lui dire qu'il devait voir
combien la défense était devenue impossible après la
perte des deux forteresses, et avec des remparts vieux
et ruinés, comme l'étaient ceux qui entouraient la place;
que, cependant, s'il voulait le laisser entrer sans com-
bat, il lui accorderait une capitulation honorable. Après
de nombreux pourparlers, Don Alonzo, ne voyant pas
autre chose à faire, traita sur les bases suivantes il se

(1)D'après la lettre adressée par Peralta lui-même à la Princesse


Jeanne de Portugal, régente d'Espagne, le Château Impérial fut rasé
en un jour et demi par l'artillerie épouvantable de ce chien de Roi ~t~.
ger Le CuâU'au de la Mer ne tint guère plus, et la Casbah s'écroula
au bout de six jours de feu semblait qu'elle n'avait jamais eu de
murailles; les cavaliers eux-mêmes auraient pu monter par la brèche.
(Documents espagnols, Revue s/nc<tMM 1877, p. 279 et suiv.).
réservait de choisir quarante personnes dans la garni-
son, et de s'embarquer avec elles pour l'Espagne dans la
caravelle française, à laquelle le vainqueur devait fournir
tout le nécessaire pour le voyage. L'accord se fit sur ces
bases (1) et coûta bien cher à Don Alonzo, auquel le Roi
d'Espagne fit couper la tête pour s'être rendu. Sala-Reïs
entra dans la ville; il y avait quarante ans (2) que le
Comte Pedro Navarro 'l'avait prise aux Mores, en 1510.
Pour que les Turcs ne se débandassent pas, il fit défen-
dre sous peine de mort d'entrer dans Bougie sans son
ordre exprès. Il put ainsi recueillir tout le butin qui s'y
trouvait, et ce fut une riche prise; on fit captifs quatre
cents hommes, cent vingt femmes, et une centaine d'en-
fants. On retira douze mille écus en réaux qui étaient
embarillés dans le galion qui avait été coulé à fond. Le
Pacha distribua une grande partie du butin et des cap-
tifs à ses Turcs et à quelques-uns des Mores; il laissa
comme Caïd un Renégat Sarde nommé Ali-Sardo avec
quatre cents hommes de garnison, s'en retourna par
terre à Alger, et y envoya par mer les deux galères et le
galion qu'il avait fait renflouer; ces bâtiments transpor-
tèrent les captifs et les prises. Toute cette expédition fut
accomplie en deux mois.

§5.

Au commencement du mois de septembre de la même

(i) Ce n'est pas exact Peralta avait stipulé que la garnison serait
rapatriée avec armes et bagages, et que les habitants pou! raient
emporter avec eux leurs biens mobiliers Sala-Reïs viola le
traité. En fin de compte, le Gouverneur de Bougie fut victime de
l'incurie de son Gouvernement il n'avait ni vivres, ni munitions, et
depuis longtemps, il appelait en vain l'attention du Conseil Royal sur
le délabrement des remparts de la ville. Ajoutons qu'il ne se rendit
qu'à bout de munitions, et après avoir soutenu trois assauts sur brè-
che ouverte. (Loc. cit. p. 282.)
(2) Quarante-cinq ans, d'après les chiffres mêmes de l'auteur;
année, il envoya un riche présent au Sultan, avec le récit
de la prise de Bougie. Il lui demanda de lui accorder
pour l'année suivante une armée qu'il joindrait à ses
propres forces il promettait de s'emparer d'Oran et de
Mers-el-Kébir et de chasser les Chrétiens de cette partie
de la Barbarie. Il chargea de cette mission, pour être sûr
qu'elle serait accomplie avec zèle, son fils Mohammed,
qui devint plus tard Roi d'Alger. Les présenta et le projet
plurent beaucoup au Sultan, qui donna l'ordre d'armer
quarante galères montées de six mille, Turcs, et de se
tenir prêts à se rendre à Alger au commencement du
printemps prochain. Dans l'intervalle, Sala-Reïs s'occupa
activementet fort en secret d'amasser des munitions de
guerre et de mettre en état tous les vaisseaux qu'il pos-
sédait. Au mois de mai 1556, les quarante galères Tur-
ques partirent de Constantinople et arrivèrent à Bougie
au mois de juin (1). Sala-Reïs, qui était déjà averti de
leur départ, avait tellement bien fait ses préparatifs,
qu'au moment même où il fut avisé de leur arrivée, il
s'embarqua et partit d'Alger avec trente galères ou galio-
tes. Il avait pour cela deux raisons premièrement, il
régnait en ce moment dans la ville une peste très vio-
lente, qui aurait pu se communiquer à l'armée du Sul-
tan, si elle y était venue; deuxièmement, il désirait mar-
cher sur Oran, avant qu'on y eût appris l'arrivée de la
flotte Turque. En conséquence, après avoir fait embar-
quer à la hâte quatre mille Turcs sur ses trente vais-
seaux, il se dirigea sur Matifou, cap situé à douze milles
à l'est d'Alger; il s'y trouve un port, qui, quoique petit,
peut servir d'abri aux vaisseaux c'est là qu'il voulait
attendre la flotte Turque, et se rendre ensuite directe-
ment à Oran, sans s'arrêter à Alger. Il y était à peine
arrivé qu'il fut violemment attaqué de la peste, grâce à
il) Une lettre de M. deCo!igr)ac,dat~e de Constantinople, te3t
mai tu56, con6"me cette partie du récit, ctpM'te de l'envoi de la flotte
Turque à Sala-Reïs. (Négociations de la France dans le levant, t. n,
p. 378.).
la bonté divine, qui délivra ainsi la ville d'Oran de l'atta-
que d'un tyran aussi cruel il mourut au bout de vingt-
quatre heures, sans qu'aucun remède eût pu le sauver.
Cet événementjeta une grande tristesse dans toute son
armée, qui revint immédiatement à Alger. Sala-Reïs fut
enterré dans un tombeau situé en dehors de la porte
Bab-el-Oued, à l'emplacement des sépultures royales; ce
monument est celui quj est le plus rapproché de la mer;
il fut construit par son successeur, Hassan-Corso, qui
était son Renégat (1), plus tard, son fils Mohammed-
Pacha, devenu Roi d'Alger, constitua une rente pour y
entretenir une lampe, et attacha à son service un More
et un Chrétien, chargés de le tenir en bon état, et de l'or-
ner de fleurs et de plantes ce sépulcre fut entouré d'un
mur de trois tapias (2) de hauteur, qui se voit encore
aujourd'hui. Mohammed-Pacha y fit élever plus tard une
kouba très -ornementée. Sala-Reïs avait soixante-dix ans
au moment de sa mort, et avait la barbe entièrement
blanche. Il était de taille moyenne, gros et brun; il se
montra toujours courageux, diligent et aventureux dans
la guerre; il ne laissa qu'un seul fils, qui fut le Moham-
med dont nous avons parlé.

(1) On retrouvera souvent cette qualification, qui peut, au premier


abord, paraître singulière, et demande une expiication. Tous les
Turcs riches avaient un favori, dans lequel ils mettaient toute leur
confiance, à l'exclusion même d.e leur famille. C'était la plupart du
temps un ancien esclave, qu'ils avaient acheté tout enfant, et qu'ils
avaient élevé auprès d'eux après l'avoir fait circoncire. Cet affranchi
prenait une place importante dans la maison, qu'il était généralement
chargé d'administrer. Pour bien se rendre compte du rôle qu'il
jouait, il est nécessaire de se rappeler les aNt-anchis de l'ancienney
Rome Impériale.
(2) Le bloc de yajM'a; avait 1"5U de hauteur.
CHAPITRE VIII

Hassan Corso

§1~.

Après là mort de Sala Reïs et le retour de l'armée


Algérienne qui revint de Matifou en rapportant son
corps, les Turcs et les Janissaires choisirent d'un com-
mun accord pour Roi et Gouverneur, en attendant les
ordres ultérieurs du Sultan, un Renégat Corse, familier
et majordome du Pacha qui venait de mourir; il était
très aimé de tous à cause de sa généreuse affabilité et se
nommait Caïd Hassan. Sous le gouvernement de son
prédécesseur, il avait exercé les fonctions de Beglierbey,
ou Capitaine Général de l'armée, et avait donné bien des
preuves de son courage et de sa prudence. Il se refusa
d'abord obstinément à accepterla dignité qu'on lui offrait,
et ne s'y décida, enfin, malgré lui, que sur les instances
unanimes. Cependant, l'armée de Constantinople, ne
sachant pas encore la mort de Sala Reïs, arriva à Alger,
où elle apprit ce qui s'était passé elle fut bien reçue par
le nouveau roi Hassan on discuta pour savoir si on
s'en retournerait à Constantinople ou si on irait assiéger
Oran. On se résolut à ce dernier parti, et on fit prévenir
immédiatement le Sultan de la mort de Sala Reïs. Il lui
fut dépêché une galiote, qui .se donna tant de hâte, et
qui eut un temps si favorable, qu'en un peu moins de
vingt jours, elle fut de retour de Constantinople; trois
jours après, toute l'armée partit pour Oran, avec une
grande quantité d'artillerie, de munitions et de matériel,
que Sala Reïs avait fait préparer naguère. Hassan fit
route par terre avec six mille mousquetaires Turcs, et
pendant sa marche, vit accroître ses forces d'environ
mille cavaliers Mores et de trente mille fantassins que
Sala Reïs avait fait prévenir de se tenir prêts. Il arriva
avec cette troupe à Mostaganem, à douze lieues en avant
d'Oran, et fit sa jonction avec les troupes et l'artillerie
débarquées des navires; il y resta quelques jours pour
mettre son armée en ordre, et marcha sur Oran avec
douze mille Turcs, tant d'Alger que de Constantinople,
les Mores dont nous avons parlé, et plus de trente piè-
ces de canons de toutes sortes, parmi lesquels il y en
avait de fort grands, très propres à battre en brèche.
Arrivé à Oran, il campa devant la place, ouvrit des tran-
chées et commença à escarmoucher chaque jour avec la
garnison (1). Il y avait à peine quelques jours que les
Turcs avaient construit la batterie de brèche, qu'une
galère arriva à Alger, avec la même hâte qu'avait mise
celle qui avàit apporté la nouvelle de la mort de Sala
Reïs. Le Sultan faisait dire à Hassan Corso et à son
armée que s'ils n'étaient pas encore en route pour Oran,
ils ne partissent pas, et que s'ils y étaient, ils se retiras-
sent il lui semblait que l'issue d'une semblable campa-
gne devait être très incertaine. Celui qui apportait cet
ordre était un Renégat Grec nommé Aluch Ali (qu'on
nomme par corruption Ochali Scanderia) son arrivée
fit peu de plaisir aux Turcs, qui espéraient prendre faci-
lement la place où il n'y avait qu'une petite garnison
néanmoi'ns, n'osant désobéir au Sultan, ils levèrent le
siège et retournèrent à Alger par mer et par terre.

§2.
Hassan Corso gouverna en paix jusqu'au commence-
(1) D'après Marmot (livre V, chap. XIX), les Turcs avaient déjà
pris la Tour des Saints, et serraient la garnison de très près, lorsque
le Sultan ordonna la levée du siège. Il avait besoin de ses galères
pour les opposer à André Doria, qui ravageait l'Archipel et menaçait
le Bosphore.
ment de septembre, au contentement et à la satisfaction
de tout le monde; car tous ceux qui l'ont connu, soit
Turcs, soit Renégats,soit Chrétiens, affirment que c'était
un homme très bon, doux, affable et libéral, nullement
ennemi des Chrétiens il avait au contraire de l'attache-
ment pour eux, tellement qu'il ne pouvait et ne savait le
dissimuler. Au bout de quelques jours, on apprit qu'il
était arrivé à Tripoli huit vaisseaux avec lesquels venait
un Turc nommé Thecheoli (1), que le Sultan envoyait
régner à Alger. Cette nouvelle mécontenta beaucoup toute
la population qui était très satisfaite du gouvernement
d'Hassan et de sa conduite. Les Janissaires et les princi-
paux des Turcs convinrent (ce qui s'est vu bien rare-
ment) de ne pas accepter le Roi nommé par le Sultan, de
conserver le pouvoir à Hassan, et de prévenir la Porte
de leur détermination. Cette résolution ayant obtenu
l'assentiment général, les Janissaires firent prévenir les
Caïds de Bougie et de Bône, que si le nouveau Roi entrait
dans leurs ports avec ses vaisseaux, ils l'engageassent à
s'en retourner en Turquie, attendu qu'ils ne voulaient
pas d'autre Roi qu'Hassan Corso, et qu'ils en avaient
avisé le Sultan et, que s'il ne voulait pas obéir, on
canonnât ses navires. A la réception de cet ordre des
Janissaires, au moment où le nouveau Roi arriva à Bône,
le Caïd de cette ville, qui était un Renégat Grec nommé
Mustapha, lui communiqua les instructions qu'il avait
reçues; et, comme Techeoli insistait, il lui fit tirer quel-
ques coups de canon; en sorte que celui-ci fut forcé de
partir. Continuant son chemin, il arriva à Bougie où un
autre Renégat Sarde, nommé Caïd Ali Sardo (c'est celui
que nous avons dit avoir été nommé par Sala Reïs, quand
il prit Bougie l'année d'auparavant), lui fit savoir qu'il ne
pouvait le recevoir ni dans la cité, ni dans le port, lui
intima l'ordre de se retirer, et l'y força en lui tirant quel-

(1) La leçon generatement adoptée est Tekelerli. On trouve encore


dans les actes indigènes ce nom écrit Tekali, 7'e~'H, etc.
ques coups de canon. Malgré tout cela, Techeoli conti-
nua à marcher en avant, espérant toujours être reçu à
Alger. Il arriva à la fin de septembre, jeta l'ancré à Mati-
fou, suivant l'habitude des vaisseaux qui viennent de
Turquie avec des lettres ou des ordres du Sultan, et fit
tirer le canon pour prévenir de son arrivée. La garnison
de Matifou ne lui répondit pas, quoique l'habiltude dans
ce cas soit de répondre par un autre coup de canon.
Thécheoli et sa suite furent très mécontents et confus
de cette réception. Cependant, les corsaires d'Alger, qui
étaient très nombreux, étaient fort mécontents de la dé-
termination de la milice, parce que, comme ils ne rece-
vaient des Rois d'Alger ni paie ni vivres, et qu'au cop-
traire ce sont eux qui les enrichissent par les parts de
prise qu'ils leur donnent, il leur est indifférent d'être
gouvernés par un Roi ou par un autre. De plus, jusqu'à
cette époque, la milice et les corsaires n'avaient jamais
pu s'accorder, parce que les janissaires demandaient
qu'on les laissât aller en course comme soldats sur les
vaisseaux, et que les corsaires supportassentune partie
de la corvée qu'ils faisaient en allant toute l'année perce-
voir le tribut dans l'intérieur du pays. Les Reïs s'y refu-
saient et ne voulaient pas que les janissaires partici-
passent avec eux aux fructueux profits de la mer; ils ne
voulaient pas non plus s'.occuper des devoirs et des la-
beurs de la guerre, encore qu'on leur offrît la paye et les
privilèges des janissaires. Il en résultait que les cor-
saires faisaient alors un corps à part qui vivait fort en
désaccord et en haine de la milice (i), et qu'ils n'étaient
(1) Haëdo, qui, pendant son séjour à Alger, avait pu voir de près
les choses, nous décrit ici d'une façon tout à fait exacte les origines
de la discorde qui sépara, pendant toute la durée de la Régence, les
marins de la milice. Cette haine jalouse fut la véritable cause des
troubles qui ensanglantèrent Alger pendant près de trois siècles et
des changementsde gouvernement qui y survinrent. En 6n de compte,
comme la ville n'eût pas pu vivre sans la course, ce fut le parti des
Reis qui l'emporta et l'avènement des Deys ne fut autre chose que la
consécration donnée à cette victoire.
pas du même avis que les janissaires pu ce qui concer-
nait le renvoi du Roi envoyé par le Sultan, et l'appui
qu'on demandait à tous pour soutenir Hassan dans son
gouvernement. Considérant avant tout que cette con-
duite déplairait beaucoup au Sultan, ils convinrent en-
tre eux d'appuyer Thécheoli et de tromper la milice, et,
pour y arriver, ils procédèrent de la manière suivante:
ils persuadèrent aux janissaires qu'ils approuvaient leur
dessein, affirmant qu'ils étaient prêts à les aider et à se
réunir à eux. Cela fait, ils leur dirent que leurs galiotes
et vaisseaux étant désarmés dans le port, ils craignaient
que Thécheoli, furieux de n'être pas reçu, ne vînt pen-
dant la nuit les brûler avec ses huit galères; ils les priè-
rent, en conséquence, de leur confier la défense du port,
du môle et de la porte de la Marine, qu'ils garderaient
avec leurs escopettes, tandis que la milice se chargerait
de la sûreté du reste de la ville. Les janissaires, ne
soupçonnant pas la trahison, se montrèrent satis-
faits de cet arrangement. En outre, ils engagèrent
les Reïs à requérir Thécheoli de s'éloigner et de cesser
de mettre la discorde dans un pays qui était tran-
quille et content sous le gouvernement d'Hassan-
Corso. Celui d'entre eux qui s'offrit pour cette mission
fut le corsaire Xaloque (1), qui était alors capitaine de la
mer et chef de tous les corsaires d'Alger. Loin d'être
mécontents de cette offre, les Turcs ne. virent dans ces
conseils que ce qu'ils avaient eux-mêmes l'intention de
faire, et dirent à Xaloque de se rendre à Matifou, où se
trouvait alors Thécheoli. Le Reïs, dissimulant et ne se
pressant pas d'armer la galiote et de s'embarquer, gagna
du temps jusqu'à ce qu'il fut très tard et presque nuit;
il partit, feignant d'accomplir ce qui avait été convenu,
et laissant ses ordres à cinq capitaines, qui étaient les
chefs de la conspiration; on les nommait: Mami-Reïs,
Renégat Napolitain; Mami-Reïs, RenégatCorse; Chouali-

(1) Chelouk.
Reis, Turc Mostafa-Reïs, Renégat Arnaute (i), et Yaya-
Reïs, Turc, qui fut depuis Caïd du Penon de Velez. Il
était déj.à nuit quand Xaloque arriva à Matifou; il entra
dans la galère de Thécheoli, qu'il prit à part, lui disant
le plus grand mal des janissaires, et lui faisant connaître
le grand désir qu'avaienttous les corsaires de le mettre,
en possession du Royaume d'Alger malgré la milice; il
lui raconta par le menu les moyens qu'il voulait em-
ployer et lui développa amplementtoutes les facilités qui
seraient données. Thécheoli, enchanté de ces nouvelles,
en fît part a quelques-uns des principaux Turcs qu'il
avait amenés avec lui, et se résolut à tenter l'aventure;
sans plus attendre, il s'embarqua dans la galiote de Xa-
loque avec environ vingt Turcs de ses amis bien armés.
Sur l'avis du capitaine, il ordonna à ses huit galères de
le suivre à un mille en arrière, d'entrer dans le port
derrière lui, et de, débarquer tous les équipages avec
leurs arquebuses et leurs autres armes. Cet ordre fut
exécuté la nuit était un peu obscure; en arrivant près
d'Alger, comme les janissaires avaient donné ordre à
Xaloque de les prévenir immédiatement de ce qui se se-
rait passé, et de tirer le canon dans le cas ou Thécheoli
persisterait à vouloir entrer à Alger, quand ils virent
qu'il revenait sans avoir fait feu, ils pensèrent que la né-
gociation avait réussi.

§3.
Ace moment Xaloque arriva au port, et, en y débar-
quant avec Thécheoli, il trouva le môle et la marine
occupés par les Levantins et les Corsaires armés, comme
(i) Ce Mostafa-Arnaut faillit devenir Pacha d'Alger. Il en remplit
l'office pendant quelques jours, après la mort de TMcheoli, ainsi que
le prouve une lettre que lui adressa Philippe Il qui. lui offrait son
appui dans le cas où la Porte se refuserait à le reconnaître. (Docu-
ments espagnols, Revue africaine 1877, p. 287). M. de la Frimaudaye
s'est trompé en disant ~oe. cit.) qu'il n'était pas question de ce Mos-
tafa-Arnaut dans la relation d'TIaëdo.
cela avait été convenu; s'avançant sans être inquiétés,
ils entrèrent dans la ville; car la porte de la Marine était
de même occupée par les Reïs de là, avec une troupe de
plus de trois cents hommes armés d'escopettes, ils se
dirigèrent vers une grande maison, située dans la rue
qui va directement de la ville à la porte de la Marine;
c'est celle où les Rois qui arrivent nouvellement de Tur-
quie ont l'habitude de loger au commencement de leur
séjour, en attendant que leur prédécesseur quitte le
palais destiné à l'habitation des Rois. Thécheoli, arrivé
là, y installa une bonne garde d'arquebusiers; à ce
moment, les huit galères Turques entrèrent dans le port
et commencèrent à débarquer les troupes ainsi qu'elles
en avaient reçu l'ordre en même temps, les Corsaires
qui étaient avec Thécheoli commencèrentleurs clameurs,
criant Vive le Sultan Vive Thécheoli A ces cris, les
Janissaires, voyant la rue de la Marine occupée par une
troupe armée, arquebuses mèches allumées, tombèrent
en une confusion qui fut encore augmentée quand ils
apprirent de source certaine que Thécheoli était entré
dans le palais dont nous avons parlé, que les galères
étaient dans le port et les troupes débarquées compre-
nant alors combien les Reïs les avaient trompés et sur-
pris, ils n'osèrent engager le combat avec eux, et chacun
se réfugia comme il put dans sa maison. Cela fait, Thé-
cheoli, assuré que la Milice ne bougeait pas, sur le con-
seil des mêmes Corsaires, se rendit nuitammentau palais,
accompagné de plus de deux mille Arquebusiers; Has-
san Corso vint le recevoir à la porte. Il se disculpa d'avoir
pris part à toute cette révolte, disant que c'était contre
sa volonté qu'il avait accepté le pouvoir,et qu'il ne l'avait
gardé que contraint et forcé. Thécheoli n'accepta pas ces
explications il les reçut de mauvaise grâce et fit empri-
sonner son rival. A ce moment le gouvernement d'Has-
san Corso n'avait encore que quatre mois de durée (1);

(1) Cette indication ferait remonter la mortd'Hassan Corso au mois


peu de jours après, Thécheoli ordonna sa mort et il dut
subir publiquement le cruel supplice des gauches. Nous
enraconteronsplus loinles détails, airisi que la vengeance
qui en fut tirée. Hassan Corso avait alors trente-huit
ans il était de taille moyenne, basané, avec de grands
yeux, le nez aquilin et la barbe noire. Il ne laissa pas de
fils. Il est enterré dans une kouba voisine de celle de
Sala Reïs, son patron, hors de la porte Bab-el-Oued.
Cette sépulture lui fut élevée plus tard par son Renégat
Yusuf, qui, pour venger sa mort, tua Thécheoli.

d'octobre ~556. Voir les articles relatifs à cet événement (Revue afri-
MMM i87i, p. 1, 81 et 335.)
CHAPITRE IX

Thécheoli Pacha, neuvième Roi.

§1~.
Après que Thécheoli eut été mis en possession de la
ville et du Royaume d'Alger par les Corsaires, comme
nous venons de le dire, et qu'il eut mis aux fers son pré-
décesseur Hassan Corso, la première chose qu'il fit fut
d'envoyer deux de ses galères à Bougie et à Bône pour
y arrêter les Caïds de ces deux villes, qui avaient été si
désobéissants. Pendant les premiers jours, il ne s'oc-
cupa qu'à prendre des informations sur les principaux
meneurs de la conjuration. Et, comme il était avare et
cupide, il dissimula avec tous ceux qui rachetèrent leur
faute à prix d'argent, excepté avec Hassan Corso et les
Caïds de Bougie et de Bône; quant à Hassan, dix jours
ne se passèrent pas avant qu'il ne le fit cruellement tuer,
en le faisant jeter sur une ganche (supplice excessive-
ment barbare, comme nous l'avons écrit ailleurs) (1), en
dehors de la porte Bab-Azoun, à l'extrémité du pont.
Hassan vécut trois jours entiers, suspendu aux ganches
par le côté droit (2), en proie à des souffrances cruelles;
et comme on était alors au commencement d'octobre,
et qu'il faisait froid, il dit à un Chrétien qui passait (ainsi
que me l'a raconté un témoin oculaire) « Chrétien,

(1) Dans le DM~o Martyres (passim).


(2) Le 24 juin 1557, Henri II écrivait à M. de la Vigne a Au
» roy d'Argier, lequel a puis naguères couru si
malheureuse fortune
» que estant tombé es mains et à la discrétion de ses conspirateurs
»et ennemys, a cruellement esté pendu avec un crochet de fer do-
it dans l'œit, et ainsi misérablement Ën6 ses jours. » (Négociations de
la France dans le Levant, t. 11, p. 399.)
» donne-moi, pour l'amour de Dieu, un manteau pour
') me couvrir; » mais comme il y avait là des Turcs qui
le gardaient par ordre du Roi, le captif n'osa rien lui
donner, et, au contraire, comme il se voyait guetté par
ces Turcs, il tourna le visage d'un autre côté comme s'il
n'eût pas voulu le regarder et qu'il en eut horreur. Au
bout de trois jours, Hassan mourut, donnant un remar-
quable exemple de l'inconstance de la fortune. Quant à
Ali Sardo, Caïd de Bougie, une des deux galères le ra-
mena moins de huit jours après, et Thécheoli assouvit
sa rage sur lui plus encore que sur les autres après lui
avoir fait planter des roseaux aiguisés dans les doigts
des mains et des pieds, ce qui est un très douloureux
supplice, il lui fit mettre sur la tête un casque de fer
rougi au feu, le torturant ainsi, mais vainement, pour se
faire livrer les grands trésors que le bruit public disait
lui appartenir. Enfin, il le fit empaler vif, c'est-à-dire tra-
verser avec un pieu aigu, du fondement jusqu'à la tête~
Ali Sardo expira ainsi à la vue de tous, embroché comme
une grive (1) son supplice dura plus d'une demi-journée,
avec des angoisses terribles, jusqu'au moment où la
mort le délivra de ses souffrances. Il fut empalé hors d~
la porte Bab-Azoun, le même jour qu'Hassan fut mis aux
ganches. Huit jours après, on amena au Roi le Caïd de
Bône, Mustapha, Renégat Grec, qui s'était enfui avec
deux de ses Renégats et une mule chargée d'argent, se
dirigeant vers la Goulette, après avoir été avisé d'Alger
que Thécheoli l'envoyait prendre. Il fut condamné à être
empalé vivant avec un Turc des principaux et des plus
riches d'Alger, qui se nommait Chorchapari; ce dernier
obtint son pardon, moyennant une grosse somme d'ar-
gent. A cette époque, on apprit à Tlemcen le supplice
que le Pacha avait fait subir à Hassan Corso le Caïd
de cette ville était un Renégat d'Hassan, Calabrais, qui
se nommait Caïd Yusuf. Il eut un vif ressentiment de la
(1) Sic.
mort de son patron, et considéra son 1honneur comme
engagé à mépriser tous les périls pour le venger par la
mort de Thécheoli les Janissaires qui étaient avec lui à
Tlemcen ne l'abandonnèrent pas en cette circonstance,
indignés qu'ils étaient du honteux supplice infligé à un
homme qui avait eu toute leur affection. Ajoutons que
beaucoup de Janissaires d'Alger firent savoir par écrit à
leurs amis et camarades de Tlemcen, le grand mécon-
tentement que leur avait causé l'arrivée et les agisse-
ments de Thécheoli, qui ne les traitait pas suivant la
coutume des autres Rois, étant offensé de leur refus de
le recevoir, et qui avait violé les anciens usages en ne
leur accordant pas la gratification de bienvenue; ils
montraient donc un grand désir de les voir se réunir à
eux pour le chasser d'Alger. Yusuf, auquel ces lettres
furent apportées, fit savoir à la milice, par l'inter-
médiaire de gens de Tlemcen, que, si elle voulait se
déclarer en sa faveur, et ne pas l'abandonner dans l'ac-
tion, il irait en personne à Alger y tuer Thécheoli et
venger la mort de son patron Hassan. Les Janissaires
et leur Agha furent très satisfaits de cette nouvelle,
tellement ils abhorraient le Pacha. En ce moment, il y
régnait une peste très cruelle qui enlevait tous les jours
beaucoup de monde pour échapper à la contagion, Thé-
cheoli sortit de la ville et s'installa aux Caxines (1)
c'est un lieu dépeuplé, près de la mer, à cinq milles à
l'Ouest d'Alger; il fit dresser là son camp et ses tentes,
et s'y logea avec toute sa maison et ses ministres, jusque
vers la Noël de cette année 1556.

(t) Le cap Caxine. D'après la lettre citée dans les Documents Es-
pagnols (Revue A fricaine, 1877, p. 284), Tekelerli avait été aux eaux
d'Hammam-R'hira, et Yusuf profita de son absence pour organiser
la conspiration. M. Devoulx a consacré un long article à la chute et
au meurtre de ce Pacha (Revue Africaine, ~871, p. 1, etc.).
§2.
Yusuf, Caïd de Tlemcen, ayant été avisé de ce change-
ment de résidence, pensa que c'était une bonne occasion
pour tuer Thécheoli, et partit de Tlemcen pour Alger avec
environ trois cents Turcs (d'autres disent six cents, et
ajoutent qu'ils ne partirent pas de Tlemcen, mais bien de
régions plus voisines d'Alger, où ils avaient été lever
l'impôt sur les tribus Arabes pour le Roi Hassan). Yusuf,
sachant donc que Thécheoli était campé aux Caxines, s'y
dirigea rapidement, et pour que celui-ci ne fut pas pré-
venu de son arrivée, il fit attacher à des arbres tous les
Mores qu'il rencontrait le long de son chemin. Enfin, il
arriva près des Caxines. Quand le Pacha apprit cette
nouvelle, il se douta de quelque embuche, monta rapi-
dement à cheval, et, accompagnéde trois ou quatre de ses
amis, commença à courir à toute vitesse vers Alger. Yu-
suf était déjà si près de lui qu'il le reconnut et le vit fuir;
il le poursuivit immédiatement l'épée dans les reins.
Thécheoli avait d'abord cherché à gagner les portes de
la ville et lés trouva fermées par les soins des Janissaires'
qui avaient veillé à ce qu'il ne put pas y rentrer. Arrivé à
la porte Bab-Azoun, il se sentit perdu et ne vit plus
d'autre parti à prendre que de gagner les hauteurs avec
son cheval; voyant que Yusuf se rapprochait de lui, il
précipita sa fuite à travers les coteaux, et arriva à une
montagne très élevée qui est à un mille et demi à l'Ouest
d'Alger; il descendit de cheval à la porte d'un Ermitage
où avait longtemps vécu et où était enterré un Renégat
de Cordoue, nommé Sidi-Yacoub (1) c'est là qu'il cher-
cha un asile. Il était à peine entré que Yusuf, qui l'avait
toujours suivi de près, y arriva, et sautant à bas de che-
val, entra la lance à la main dans la chapelle, se précipi-

(1) D'après M. Devoulx, cette Kouba aurait été située sur l'empla-
cement actuel du Fort-l'Empereur, ou tout au moins dans son voisi-
nage immédiat. (Loc. cit.)
tant sur Thécheoli à cette vue, celui-ci lui cria Yusuf,
ne me tue pas 1 considère que tu es dans la maison de
Mahomet 1 Yusuf répondit Oh traître, chien, et pour-
quoi as-tu tué mon patron innocent, qui n'avait commis
aucune faute 1 En disant ces mots il lui donna trois ou
quatre coups de lance et le laissa étendu sur le sol. Le
Pacha était déjà mort à l'arrivée des Janissaires et des
Turcs du parti de Yusuf; ils approuvèrent et louèrent
son action et se dirigèrent avec lui vers Alger. Le récit
de cet événement fut accueilli par tout le monde avec un
grand contentement. Telle fut la fin de Thécheoli-Pacha,
dont la conduite eût été excusable, s'il n'eût pas été tel-
lement avare, qu'il mécontenta la milice et qu'il ne se
trouva personne pour se mettre de son parti. Il régna
trois mois, depuis le commencement d'octobre 1556 jus-
qu'à la fin de décembre (1). Il était Turc, âgé de cinquante
ans, robuste et gros, de taille moyenne et de teint brun.
Il est enterré en dehors de la porte Bab-el-Oued, dans
une Kouba, qu'un Turc de ses amis lui éleva quelques
mois après, elle est à vingt pas en avant de la Kouba
d'Hassan-Gorso et de Yusuf-Pacha.

(1) C'est une erreur de date, Thécheoli ne fut tué que vers la fin
d'avril 1557, comme le démontre la lettre des Documents Espagnols,
déjà cités (Revue africaine 1877, p. 284). Une lettre de Philippe II
d'Espagne semble prouver qu'il eut pour successeur, pendant quel-
ques jours au moins, Mostafa-Arnaut, duquel nous avons déjà parlé.
(Même Revue, p. 287).
CHAPITRE X

Yusuf, dixième Roi.

§1-.
Après que Yusuf eut ainsi tué Thécheoli-Pacha, il en-
tra dans la ville accompagné des soldats qu'il avait ame-
nés et reçut la visite de l'Agha des Janissaires et des
principaux d'entre les Turcs et Renégats, qui, tant pour
l'amour qu'ils conservaient a .la mémoire de son maître
Hassan Corso dont il avait vaillamment vengé la mort,
.que pour l'affection qu'ils lui portèrent à cause de cette
action, le choisirent sans plus de délai et le proclamèrent
Roi d'Alger. Yusuf, qui était un homme très intelligent,
fit preuve, en cette occasion, de la plus grande libéralité
possible, il fit distribuer le jour même dix mille écus aux
troupes, et recommença les deuxième, troisième, qua-
trième, cinquième et sixième jours, de manière qu'en six
jours il leur donna soixante mille écus d'or, ce qui aug-
menta d'autant leur affection. Les Turcs étaient donc en-
chantés d'avoir un Roi aussi libéral, et Yusufne l'était pas
moins d'avoir changé l'état d'un pauvre Calabrais en une
position aussi brillante, lorsque la mort, qui abat et
brise tout, nos existences et notre bonheur, vint les plon-
ger tous dans la tristesse et dans les larmes. Il sévissait
alors une grande peste dans la ville elle frappa Yusuf
le sixième jour de son règne, avec une telle violence
qu'en moins de vingt-quatre heures, il perdit le trône et
la vie, au grand chagrin de tout le monde. Il était
âgé de vingt-six ans, mince, de stature moyenne, la
barbe châtaine, la peau blanche, se montrait gracieux et
affable pour tout le monde. Il est enterré à côté de son
patron Hassan Corso, dans la même Kouba que lui, en
dehors de la porte Bab-el-Oued; c'est celle qui est située
en avant de la Kouba de Sala-Reïs et au-delà de celle de
Thécheoli.

CHAPITRE XI

Yahya Pacha, onzième Roi.

§1~.
Après la mort de Yusuf, les Janissaires fort tristes
choisirent pour Roi un Turc, nommé Yahya. Il avait été
longtemps Caïd de Miliana, ville située à douze lieues
d'Alger; et, comme c'était un homme brave et prudent,
Sala-Reïs, devenu Roi d'Alger, s'était servi de lui en di-
verses occasions. Il gouverna six mois, depuis le com-
mencement de janvier de l'année 1557, jusqu'au mois de
juin. Il n'arriva pendant son règne rien qui mérite d'être
raconté, sinon qu'il mourut en ce temps là beaucoup de
monde de la peste, tant à Alger que dans le reste du pays.
Au bout de six mois arriva un nouveau Roi, nommé par
le Sultan; c'était le fils de Barberousse, Hassan Pacha,
qui avait déjà régné, comme nous l'avons dit. Yahya
rentra dans la vie privée, vécut longtemps encore en
grand honneur et bonne réputation en 1562, après la
mort d'Ahmed Pacha, il fut choisi pour Khalifa, et gou-
verna Alger en cette qualité,jusqu'au moment où Hassan
Pacha, fils de Barberousse, revint encoreune fois comme
Roi d'Alger. Il mourut en 1570, âgé de soixante ans, de
la manière suivante ayant été avec Ochali au siège de
Tunis, en 1569, pendant que celui-ci était dans la.ville,
quelques navires de la Goulette vinrent pour canonner
les murailles; Yahya fit une sortie à la tête des Turcs
un projectile de l'un des navires lui passa tout près du
mollet de la jambe droite sans toucher la chair, ni la
botte; cependant sa jambe devint toute noire, et il ne
pouvait plus s'appuyer dessus. Il retourna par terre à
Alger avec Ochali, dans une litière qu'on lui avait fait
faire à Tunis, et mourut chez lui de cette blessure quel-
ques mois après. C'était un homme de haute taille,
charnu, brun, avec de grands yeux et une forte barbe
noire. Il ne laissa qu'une fille pour héritière de ses
grandes richesses; il l'avait eue d'Axa, fille d'Hadj Pa-
cha, avec laquelle il était marié; on l'avait surnommée
gorda, parce qu'elle était très grosse. Cette fille est en-
core vivante aujourd'hui, s'appelle Leila Axa et est ma-
riée au Caïd Daut, un des principaux d'Alger. Yahya est
enterré parmi les Rois, hors de la porte Bab-el-Oued,
dans une grande Kouba que sa fille lui fit bâtir depuis,
tout près de celle d'Ahmed Pacha, du côté de la ville.
CHAPITRE XII-

Hassan Pacha, Roi pour la deuxième fols et douzième.

R~er~

En l'année du Seigneur 1557, avait eu lieu la mort du


Grand Vizir Rostan (1), qui haïssait le fils de Barbe-
rousse, auquel il avait ôté son gouvernement d'Alger,
comme nous l'avons déjà dit. Peu de temps après, le
Sultan, ayant appris les dissensions et les révoltes d'Al-
ger, la mort d'Hassan Corso, de Thécheoli et de Yusuf,
autorisa Hassan Pacha à retourner à Alger, et à gou-
verner ce Royaume, où il était fort respecté et obéi de
tous, en mémoire de son père et de son oncle, qui en
étaient les premiers conquérants. Il arriva, comme nous
l'avons dit, au mois de juin 1557, avec vingt galères bien
armées. Peu de jours après, il apprit que le Chérif, Roi
de Maroc et de Fez, avait recouvré ses États et tué dans
une bataille Muley Buazon le Borgne, que Sala Reïs
avait fait Roi de Fez désireux de se venger des Turcs,
(qui, comme nous l'avons dit, l'avaient vaincu en deux
batailles et lui avaient enlevé son Royaume), et d'ac-
croître ses États autant qu'il le pourrait, ce prince mar-
cha, avec une grosse armée de cavalerie et d'infanterie,
contre la province et la ville de Tlemcen, que les Algé-
riens possédaient. Il y arriva au mois de juin, peu de
jours après le débarquement d'Hassan Pacha le Caïd et
Gouverneur de la ville était alors le Turc Saffa, qui y
commandait pour la deuxième fois. Il n'avait qu'une

(1)C'est une erreur Rostan Pacha ne mourut que le 8 juillet


1561. (Voir la lettre de M. de Boistaillé à Catherine de Médicis, du
5 août )561. Négociationsde la France dans le Levant, t. II, p. 662,)
garnison d'environ cinq cents hommes, avec lesquels il
n'essaya pas de défendre la place, à cause de son éten-
due et du mauvais état de ses remparts; il se retira à la
Casbah. Le Roi de Fez entra dans la ville, investit la gar-
nison, et, comme il n'avait pas d'artillerie pour ce siège,
et qu'il ne lui était, par conséquent, pas possible de
prendre la citadelle, il envoya à la hâte un ambassadeur
à Oran, pour prier Don Martin, comte d'Alcaudete, de
lui prêter une ou deux pièces seulement, avec quelques
munitions. Le Comte ne jugea pas à propos de prêter
ses canons à des Mores. Le Roi de Fez dut donc s'at-
tarder à Tlemcen, espérant s'emparer de la citadelle par
force ou par trahison; ce retard fit qu'Hassan Pacha fut
avisé de tout ce qui se passait, et put marcher au se-
cours des assiégés. Il sortit d'Alger avec six mille Turcs
et Renégats mousquetaires, réunit le long du chemin
seize mille fantassins ou cavaliers Mores qui lui ame-
nèrent quelques chefs Arabes il envoya par mer qua-
rante galères, galiotes ou brigantins, avec beaucoup de
canons et de poudre, et trois mille Turcs, auxquels il
donna l'ordre de l'attendre à Mostaganem et d'y débar-
quer l'artillerie et les munitions. Il n'y était pas encore
arrivé, que le Roi de Fez fut averti à Tlemcen de sa ve-
nue voyant qu'il avait peu de chances de prendre la
Casbah aux Turcs, qui la défendaient très bien, et qu'il
n'était pas prudent pour lui d'attendre que le Roi d'Al-
ger l'attaquât avec sa puissante armée, il quitta Tlemcen
et rentra dans son Royaume. Hassan Pacha était à
quatre journées de cette ville quand il sut que le roi de
Fez était parti déterminé à le suivre jusque chez lui,
il continua son chemin sans entrer dans la place. Il en-
voya l'ordre à la portion de son armée qui était à Mosta-
ganem, de se rendre de suite au port neuf qui est à côté
de Mélilla (1). Au commencement d'août, il arriva de-
vant Fez, où le Chérif l'attendait avec son armée. Elle

(1) K'çaça.
se composait de trente mille cavaliers, de dix mille fan-
tassins Mores et de quatre mille Elches (c'est-à-dire Re-
négats ou Andalous et Mores d'Espagne), tous mous-
quetaires. La première partie de la journée fut employée
à laisser reposer l'armée; l'après-midi,la bataille s'enga-
gea de part et d'autre avec une égale fureur. Au bout de
quelques heures, il y avait déjà un grand nombre de
morts de chaque côté, les Turcs commençaient à plier,
parce que, d'une part, les contingents Arabes n'étaient
pas de force à résister à la cavalerie de Fez, qui était
nombreuse et bonne, et que, du reste, les Elches se
battaient si bien, qu'ils avaient fait subir de grosses
pertes aux Janissaires et les avaient acculés à une mon-
tagne voisine. La nuit fit cesser le combat, et les Turcs
profitèrent de l'obscurité pour se retrancher sur les hau-
teurs par des fossés et des parapets. Hassan Pacha tint
conseil avec les principaux chefs pour savoir si l'on re-
commencerait la bataille le lendemain matin il fut dé-
cidé qu'en raison des grosses pertes subies, il ne conve-
nait pas de combattre, mais de se retirer sur Tlemcen
dans le meilleur ordre possible. A minuit, Hassan donna
l'ordre de s'apprêter à partir, et pour que l'ennemi, qui
était tout près de lui, ne s'aperçut pas de sa marche, il
fit entretenir toute la nuit de grands feux au moyen de
gros bûchers qui purent brûler jusqu'au jour. Cet
ordre fut exécuté; l'armée Turque s'éloigna avec le
moins de bruit possible, au milieu de la nuit, et l'opéra-
tion fut faite si prudemment, que le Roi de Fez n'en eut
connaissance qu'au matin, quand il vit toute la monta-
gne abandonnée.Et comme il avait lui-mêmeperdubeau-
coup de monde, et qu'il avait de nombreux blessés,
principalement parmi les Elches, qui composaient sa
meilleure troupe, il ne chercha pas à atteindre les Turcs,
auxquels il aurait sans doute fait subir de grosses
pertes, s'il les avait poursuivis pendant quelques jours
l'épée aux reins. Hassan Pacha partit donc avec son
armée.. et arriva vers le milieu d'août au Port Neuf,
où se trouvait sa flotte; là, il licencia toute sa cavalerie,
les contingents Mores, une partie des Turcs, et s'embar-
qua avec le reste de l'armée et son artillerie. Et, comme
il lui vint l'idée de pousser une reconnaissance à Me-
lilla, il le fit avec la galiote de Mostafa-Arnaut, et de là
s'en retourna à Alger.

§ 2.
Ce fut l'année suivante, 1558, qu'arriva la triste défaite
de Mostaganem, dans laquelle périt le Comte d'Alcau-
dete Don Martin, général d'Oran, avec plusieurs milliers
de soldats Espagnols, tués ou pris. Le Comte s'était fait
donner par Sa Majesté le Roi d'Espagne, douze mille sol-
dats pour prendre la ville de Mostaganem, qui est à
douze lieues à l'est d'Oran, sur la route d'Alger. Cette
troupe, ayant été levée en Espagne, ne put se rendre en
une seule fois à Oran; la plus grosse partie traversa la
mer au milieu du mois de juillet, et le reste, qui se com-
posait de cinq mille hommes, qu'on appelait le régiment
de Malaga, sous les ordres de Don Martin, fils du Comte
du même nom (qui aujourd'hui est Marquis de Cortès et
Général d'Oran, comme le fut son père), ne put s'embar-
quer aussi vite que le Comte le désirait. Celui-ci, pour
exercer les hommes nouvellement venus d'Espagne, en
attendant l'arrivée du régiment de Malaga, fit quelques
sorties d'Oran, et quelques incursions sur les terres des
Mores ennemis. Ensuite, au commencement d'août, le
régiment de Malaga étant débarqué, le Comte sortit avec
toute l'armée (1) marchant à petites journées. Comme
Mostaganem n'est (ainsi que nous l'avons dit) qu'à
douze lieues d'Oran, s'il eût précipité le mouvement, les

(1) Marmol (liv. V, chap. XIX), dit: ~M'MM~CMM~ceM~AoMMKM.


Il ajoute que les vivres et les munitions avaient été envoyés par
mer, et que les Turcs s'emparèrent des bâtiments qui les portaient,
ce qui aurait été la principale cause du désastre.
Turcs eussent été pris au dépourvu, et, comme. ils
étaient en petit nombre dans une place très faible, on
eût obtenu le succès avec bien peu de pertes. Mais le
Comte s'avança lentement, et laissa ainsi le temps aux
Mores et aux Arabes voisins, sujets des Turcs, de ras-
sembler plus de six mille cavaliers Hassan Pacha, qui
avait été averti de l'arrivée des troupes Espagnoles et
de la sortie du Comte, eut ainsi le temps de quitter Al-
ger et de marcher sur Mostaganem, à sa rencontre. Il
menait avec lui cinq mille Turcs et Renégats mousque-
taires, mille Spahis à cheval et dix canons. Arrivé près
de Mostaganem, il fut rejoint par les Arabes qui, comme
nous l'avons dit, étaient au nombre de six mille cava-
liers et dix mille fantassins (1). Le Comte fut averti de
l'arrivée de Hassan par un Renégat qui s'était enfui du
camp des Turcs il eût encore pu, s'il l'eût voulu (et
plusieurs le lui conseillèrent), s'emparer de Mostaga-
nem, qui était très faible, s'y fortifier et y attendre l'at-
taque de l'ennemi (2) mais son courage trop impétueux
ne lui laissa pas prendre ce parti. Il en résulta qu'à l'ar-
rivée des Turcs, il fut forcé de livrer bataille dans des
conditions désavantageuses. Il fut tué en combattant

(1) A la nouvelle de la marche du Comte d'Alcaudete, Euldj-Ali


était sorti de Tlemcen, dont il était alors gouverneur, et avait coupé
les vivres à l'armée Espagnole, en escarmouchant sur ses derrières.
Cette troupe était complètement démoralisée par la faim, la soif et la
fatigue, si bien que, lorsque les Turcs ('attaquèrent sous les murs de
Mazagran, son chef ne put, malgré de nobles efforts, arrêter la dé-
bandade, et fut renversé et foulé aux pieds par les fuyards. (Marmol
loe,. cit.).
(2) TI résulterait du récit de Marmol, que le .jour m~m.e de l'arri-
vée de l'armée Espagnole sous les murs de Mostaganem, elle faillit
prendre la ville de vive force: une compagnie d'avant-garde avait
pénétre dans l'intérieur à la suite des fuyards, et l'Enseigne avait
déjà planté son drapeau sur les remparts. Le Comte fit sonner en re-
traite, et cM/Mf l'Enseigne, qui avait. donné sans son ordre. Le len-
demain, on attaqua le faubourg, et on le prit, non sans éprouver de
grandes pertes. Le surlendemain, l'armée Algérienne arrivait, et il
fallait battre en retraite. (Marmol, loc. cit.).
très courageusement,; son armée fut vaincue et mise en
désordre plus de douze mille Espagnols furent faits
prisonniers. Cette célèbre défaite arriva le 26 août 1558,
etHassan Pacha retourna à Alger, content et triomphant,
avec cette grande quantité de captifs, parmi lesquels se
trouvait Don Martin, aujourd'hui Marquis de Certes, fils
dudit Comte.

§?.
En l'année suivante, 1559, il eut une autre guerre avec
le Roi de Labes, dont les états se trouvent dans les
montagnes du Sud de Bougie. Cela arriva parce que ni
lui, ni ses prédécesseurs n'avaient jamais voulu obéir
aux Rois d'Alger, ni leur payer aucun tribut, ainsi que
l'avaient fait le Roi de Kouko, son voisin, et quelques
autres chefs. Il se fiait à l'élévation et à l'apreté des mon-
tagnes dans lesquelles il vivait avec ses sujets. De plus,
il faisait souvent la guerre aux Arabes soumis aux Turcs,
descendant de ses montagnes, et leur enlevant tout ce
qu'ils possédaient. Comme il était généreux, quelques
Renégats d'Alger s'étaient mis à son service, parce qu'il
leur donnait bonne paye, étant très désireux d'avoir des
mousquetaires. En outre, beaucoup de Chrétiens captifs
s'enfuyaient d'Alger et se réfugiaient chez lui il les re-
cevait bien quand-ils consentaient à se faire Mahomé-
tans, il les mariait et les enrichissait et, quand ils vou-
laientrester Chrétiens, illeur &n laissait la liberté, pourvu
qu'ils le servissent à la guerre. De cette façon, ce Roi
êtaitparvenuà~fvoirtme bonne troupe de mousquetaires,
en partie Renégats et en partie Chrétiens. Avec cette
troupe réunie à ses sujets, il faisait beaucoup de mai
aux Mores soumis ainsi qu'aux Turcs eux-mêmes. On
avait envoyé deux armées d'Alger contre lui. Il les avait
défaites et massacrées, ne laissant en vie -qu'un Turc,
auquel il avait ensuite fait couper le membre par le
milieu; puis il l'avait renvoyé, les mains attachées der-
rière le dos, perdant son sang de telle façon, qu'il expira
le long du chemin. Hassan Pacha, se voyant victorieux
dans la mémorable bataillequ'il venait de gagner sur les
Chrétiens, se résolut donc à faire la guerre à ce Roi et à
venger toutes les offenses passées; puis, considérant
qu'il y avait dans Alger un grand nombre de captifs pris
à Mostaganem, il ordonna d'élever une bannière dans
son bagne, et de proclamer que tout Chrétien qui se fe-
rait Musulman aurait sa liberté à condition de le servir
dans cette campagne contre le Roi de Labès. Beaucoup
d'Espagnols se firent Mahométans à cette occasion, et
donnaient pour excuse d'un aussi grand péché qu'ils ne
l'avaient fait que pour combattre contre les Mores, et que,
lorsqu'ils avaient été d'Espagne en Barbarie, cela n'avait
pas été pour autre chose. Hassan forma une armée de
six mille arquebusiers, et de six cents spahis, avec ces
nouveaux convertis, d'autres Renégats et des Turcs; il
fut rejoint le long du chemin par quatre mille cavaliers
Arabes, et, avec tout ce monde et huit pièces de canon,
il partit pour Bougie et le pays de Labes. Au mois de
septembre de l'année suivante 1559, le Roi de Labes,
averti de son arrivée, descendit de la montagne avec
plus de six mille cavaliers, dix mille fantassins et plus
de mille arquebusiers, moitié Renégats, moitié Chrétiens,
de ceux qu'il avait recrutés et de quelques-uns de ses
sujets qu'il avait dressés à l'usage du mousquet dans les
escarmouches qu'il avait eues avec les Turcs. Son attaque
fut si vigoureuse qu'elle jeta un grand désordre dans
l'armée Algérienne (car c'était réellement un homme va-
leureux). Enfin il fut tué d'une arquebusade dans la poi-
trine, et les siens regagnèrent la montagne, où ils choi-
sirent pour Roi un de ses frères, et firent avec Hassan
Pacha un traité d'alliance offensive et défensive, sans
aucune-obligation de tribut. Cependant l'habitude fut
prise qu'à l'arrivée d'un nouveau Roi à Alger, le Roi de
Labès offrit un présent, en retour duquel le Roi d'Alger
lui donnait un riche sabre et un vêtement à la Turque
cet usage et cette alliance durent encore aujourd'hui. En
1580,1& 16 septembre, un fils du Roi de Labes vint rendre
visite et donner la bienvenue à Djafer Pacha arrivant de
Turquie, et lui apporta un présent qui valait plus de six
mille doubles (qui font deux mille quatre cents écus d'or),
quatre cents chameaux et mille moutons.

§4.
Après cet arrangement, Hassan Pacha revint à Alger,
et s'y reposa tout l'hiver et l'année suivante 1560. Il se
maria ensuite avec une fille du Roi de Kouko, qui était
très belle, et, comme il chérissait un des neveux du Caïd
Ochali (qu'on devrait prononcer Aluch Ali Scanderiza)
qui était son grand ami et son Beglierbey, il maria ce
jeune homme, qui s'appelait Caïd Hassan Griego, avec
une sœur aînée de sa femme, nièce de ce même Roi de
Kouko (1). Hassan envoya chercher ces princesses par
une nombreuse escorte de cavaliers Mores et Turcs et
les reçut à Alger avec pompe, célébrant les noces par de
grandes fêtes. Cette alliance avec le Roi de Kouko amena
Hassan à permettre aux Kabyles de se montrer à Alger
avec des armes offensives et défensives, ce qui n'avait
jamais été toléré jusque là. Et, comme ces Mores de
Kouko, qu'on appelle généralement Azuagues (comme
nous .l'avons dit ailleurs) (2) étaient très nombreux,
qu'ils ne faisaient qu'aller et venir, achetant des armes,
se promenant librement dans Alger, comme si la ville
eût été à eux, cela fit venir de grands soupçons aux
Turcs et Renégats, qui craignaient que le Roi de Kouko
et Ha.ssa.n Pacha ne se fussent entendus pour rendre

(i) Il semble résutter de là que le Roi de Kouko avait épouse la


veuve (t'un de ~e~frerea.
(2) Dans la Topogra.Ëa., chap. ~1.
celui-ci maître d'Alger, et le soustraire à l'obéissance due
au Sultan. Ces inquiétudes augmentèrent encore, lors-
que, au mois de septembre 1561, plus de six cents Mores
Azuagues de Kouko entrèrent à Alger en troupe et for-
més par compagnies (1). L'Agha des Janissaires, auquel
sa charge et son devoir commandaient plus qu'à un
autre de porter remède à tout cela, réunit le Divan (c'est
ainsi que se nomme le Conseil des Janissaires), où il fut
décidé qu'on inviterait Hassan Pacha à faire proclamer
qu'il serait interdit, sous peine de mort, aux Azuagues
et aux Mores de Kouko d'acheter des armes, et aux Al-
gériens de leur en vendre et enfin, que tous les Kabyles
qui étaient dans Alger eussent à en sortir au bout de
deux heures. Cela fait, et les Azuagues sortis d'Alger,
les Janissaires vinrent au palais, y prirent Hassan Pacha,
et, lui ayant mis les fers aux pieds, le placèrent sous
bonne garde. Ils envahirent immédiatementla maison d'O-
chali et celle de son neveu Caïd Hassan, beau-frère du
Pacha, s'en emparèrent, les mirent en prison chargés de
fers, et firent armer tout de suite six galères, dans les-
quelles ils les envoyèrenttous trois enchaînés au Sultan
des
avec un mémoire des fautes commises par eux, et
soupçons auxquels elles avaient donné lieu. Cela eut lieu
au commencement d'octobre 1561 (2), en sorte que,
cette

est très certain que Hassan voulait se soustraire au joug


de
(1) I[
la milice, et que c'est pour atteindre ce but qu'il se constituait une ar-
mée de Renégats et de Kabyles cette politique fut celle de tous
les
grands Pachas, jusqu'à la mort d'EuIdj-Ali sa réussite eût
assuré
l'ordre et la Ëxitc du pouvoir; elle fut malheureusement toujours en-
travée par les denancesjalouses de la Porte. Ce ne fut que bien long-
il était impossible
temps après qu'elle s'aperçut elle-même combien des Janissaires.
à un gouvernement régulier de supporter l'existence
(2) Cette date n'est pas tout-à-fait exacte. En effet,
dans une lettre
savoir
datée de Constantinople, le 15 juillet 1561, M. de Petremol fait
de recommander
à Catherine de Médicis qu'il a prié le Grand Vizir d'Algier,
l'alliance Française à « Achmat-Bassa, nouveau Beglerbey
» en la
place du fils de Barberousse, qui a esté amené lié ceste
» Porte par
les siens mesmes, accuse de trahison, etc. » (Négocia-
tions de la France dans le ~MMt, t. II, p. 664.)
fois là, Hassan Pacha régna à Alger quatre ans et quatre
mois, à savoir d.u mois de juin 1557 à la fin de septembre
1561.

CHAPITRE XIII

Hassan Agha et Couça Mohammed, quatorzièmes.

Les principaux auteurs de cet emprisonnement et de


l'affront qui fut fait à Hassan Pacha étaient au nombre de
deux; l'Agha des Janissaires, qui se nommait Hassan,
et le Beglierbey, ou Capitaine général de la Milice qui se
nommait GouçaMohammed; tous deux étaient Turcs,
et leurs charges leur donnaient à Alger une autorité pré-
pondérante. Aussi, après l'emprisonnement d'Hassan,
furent-ils élus tous deux par la milice et les Turcs Gou-
verneurs d'Alger, non avec le titre de Pacha ou Roi,
mais avec celui de Khalifa, c'est-à-dire Vice-Roi. Il n'ar-
riva sous leur gouvernement rien de digne d'être raconté.
Cet état de choses dura cinq mois, de la fin de septembre
1561, au milieu de février 1562 (1) époque où Ahmed
Pacha arriva, nommé par le Grand Seigneur. Le fils de
Barberousse, soit qu'il ne fût pas coupable de la faute
qu'on lui imputait (comme c'est l'opinion générale), soit
qu'il eût su, par son habileté, convaincre le Sultan de
son innocence, avait fait ordonner au nouveau Pacha
d'envoyer à Constantinople ses ennemis Hassan Agha et
Couça Mohammed, afin qu'il pût obtenir justice contre
eux. En vertu de ces ordres, Ahmed Pacha, arrivé à Al-

(1) Voir, pour ces dates, la note précédente.


ger, les fit saisir, et vingt jours après, les envoya au Sul-
tan, avec les six galères dans lesquelles il était venu.
Arrivés à Constantinople, ils défendirent si mal leur
causè, et Hassan Pacha s'arrangea si bien que le Sultan
le déclara innocentet donna l'ordre de couper la tête aux
autres. Hassan Agha était Bosnien, âgé d'environ qua-
rante-deux ans, grand, brun et mince. CouçaMohammed
était Turc, de ceux qu'on nomme Chacals ou Vilains,
comme il en passe chaque année dé Turquie en Algérie;
il était âgé de cinquante ans, de taille moyenne et fort
gros; il avait les yeux très grands, le nez camus et son
teint était olivâtre.
CHAPITRE XIV

Ahmed Pacha, quinzième Roi.

Ahmed Pacha fut très bien reçu à Alger; les Janis-


saires et les habitants lui firent le meilleur accueil pos-
sible et s'efforcèrent d'accomplir tous ses désirs parce
qu'il était grand favori du Sultan. Et comme la coutume
veut qu'à l'arrivée d'un nouveau Roi, les Caïds, les prin-
cipaùx et les riches lui fassent de nombreux présents,
ils en offrirent encore davantage à Ahmed, qui les reçut
très volontiers et avec une grande joie, montrant à tous
qu'il était très cupide, ce qui était vrai on raconte qu'à
l'époque où il était au service du Sultan, comme chef des
jardins de son sérail de Constantinople (telle avait été la
première cause de sa faveur), il avait trouvé moyen de
faire fortune, rien qu'avec la vente des herbes, des fleurs
et des fruits du jardin, et qu'il en avait offert une bonne
partie à la Sultane favorite Rose (1), pour qu'elle lui fît
avoir le Gouvernement d'Alger. Pour rentrer dans ses
avances, il s'empressa de récolter de part et d'autre le
plus d'argent possible; car il se doutait qu'il n'occupe-
rait pas longtemps sa charge, ce qui arriva. En effet, au
bout de quatre mois de règne, au mois de mai de cette
même année 1562 (2) il mourut de la dyssenterie et on

(1) La Sultane favorite était alors Roxëlane.


(2) Dans une lettre de M. de Petremol, datée de Constantinople,le
8-16 juin 1562, on lit: « Ce matin, au Divan, le fils de Barberousse
» a baisé la main au G. S. pour s'en retourner
Beglerbey en la place
» de Hassan Aga, qui y est mort. Quand il sera pour partir, je l'iray
» visiter pour luy recommander toujours les navires et subjects du
» Roy, etc. » (Négociationsde la France dans le Levant, t. II, p. 697.)
l'enterra au cimetière des Rois, dans une Kouba qui est
à côté de celle de Yahia il ne resta donc à Alger
que
depuis le milieu de février jusqu'à la moitié du mois de
mai de la même année. C'était un homme d'environ
soixante ans, les cheveux tout blancs, robuste, grand,
gros et brun.

CHAPITRE XV

Yahia, seizième Roi.

§1~.
Ahmed Pacha étant mort, Yahia son Khalifa gouverna
jusqu'à l'arrivée d'Hassan Pacha, fils de Barberousse,
pendant plus de quatre mois, en grande paix et sans
qu'il arriva rien de remarquable pendant tout ce temps.
Il mourut, comme nous l'avons dit précédemment,
en.
1570, en revenant avec Ochali de la prise de Tunis.
CHAPITRE XVI

Hassan Pacha, Roi pour la troisième fois et dix-


septième.

§1-.
Les services et mérites de Barberousse furent tou-
jours, même après sa mort, la grande raison qui fit fa-
voriser son fils Hassan Pacha par le Sultan, malgré le
nombre et la puissance de ses ennemis et de ses rivaux;
on en a une preuve éclatante par cette troisième nomi-
nation au gouvernement d'Alger. Car, non-seulement, il
reçut satisfaction par le supplice de ses accusateurs
dans une occasion où il y avait eu de graves soupçons
élevés contre lui, mais encore il se vit rendre la Royauté
que le Sultan avait donné quelques mois auparavant à
son favori. Quand il partit de Constantinople,Piali Pacha,
Général de la mer, lui donna pour l'accompagner à Alger
dix galères, de celles qu'il avait prises à la bataille des
Gelves en 1560, étant Amiral de la flotte Turque (1). En
arrivant à Alger, au commencement de septembre 1562,
sa venue inespérée causa un tel contentement à tout le
monde que les femmes elles-mêmes, qui, dans ce pays,
sont enfermées, montèrent sur les terrasses pour lui
souhaiter la bienvenuepar leurs cris joyeux. Et, quoique
la coutume veuille que le Roi nouveau venu loge quel-
ques jours dans un palais situé près de la Marine, d'où
on y va par un grand escalier de pierre (2), Yahya quitta

(1) Au sujet du désastre des Gelves, voir Marmol, Lib. VI,


chap. XLI.
(2)En 1830 ces escaliers existaient encore. Le palais était situé sur
l'emplacement actuel de la caserne Lemercier. M. Devoulx (Mosquées
au contraire tout de suite le palais destiné aux Rois pour
lui laisser la place libre. Hassan Pacha, en débarquant,
se rendit à ce même palais, comme pour donner a en-
tendre qu'Ahmed n'avait pas été un Roi véritable et que
lui-même n'avait pas cessé de l'être; il fit cet affront à
son prédécesseur, qui avait cependant été réellement en-
voyé par le Sultan. Tout d'abord, il commanda de prépa-
rer rapidement de grosses provisions de biscuit, de pro-
jectiles, munitions, et autre matériel de guerre, sans
laisser soupçonner à' personne l'intention qu'il avait de
marcher sur Oran et Mers-el-Kébir; il cherchait non-seu-
lement la gloire de prendre ces villes, mais encore
(comme on le sut plus tard) à se venger des Janissaires
et soldats qui l'avaient jadis maltraité et insulté; il savait
bien que, dans une entreprise aussi importante et péril-
leuse que celle-là, il y en aurait beaucoup de tués et que
sa haine serait satisfaite. Il partit le 5 février de l'année
suivante 1563, avec la plus grosse armée qu'ait jamais
levée Roi d'Alger; tant en Janissaires, Turcs, Renégats,
Andalous (ou Mores d'Espagne), il avait, réuni jusqu'à
quinze mille mousquetaires et mille spahis à cheval. Son
beau-père, le Roi de, Kouko, lui envoya mille, cavaliers,
ce qui, avec ceux des autres chefs Mores, porta sa cava-
lerie à dix mille hommes. Il envoya par mer trente-deux
galères ou galiotes chargées d'artillerie, de mumtton.s et
d'approvisionnements,et trois saëties ou caravellesFran-
çaises, portant quantité de biscuit, farine, beurre, figues,
huile et autres comestible.s, et beaucoup de barils de
poudre. Arrivé à Oran, il jugea bon d'attaquer d'abord
Mers-el-Kébir pour devenir maître de ce. grand port,
parçe~ que c'était le point le plus importantet le mieux
fortifié. Il l'investit le 3 avril 1563, et l'assiégea pap une.
vigoureuse canonnade longtemps prolongée et plusieurs

et Établissements reKyMMfc d'~t ~e~, parle de cet ediSce et de ces es-


caliers mais il n'en a pas connu la véritable destination. Plus tard,
au temps des Deys, ce bâtiment devint une caserne de Janissaires.
cruels assauts la place fut défendue par Don Martin de
Cordova, Marquis de Cortès, Général d'Oran et de là Pro-
vince enfin, après une grande tuerie des Turcs ainsi que
des Chrétiens assiégés dans la place, le 7 du mois de
juin, au bout de deux mois et quatre jours de tranchée
ouverte, il vit arriver par mer le seigneur André Doria,
qui, pendant qu'on se hâtait en Espagne d'assembler une
grosse armée pour se porter au secours d'Oran, était
venu avec ses galères, celles de Naples, et beaucoup
d'infanterie pour secourir cette ville par ordre du Vice-
Roi de Naples Don Perafan de Ribera, Duc de Alcala (1).
Quand les Turcs virent cette armée, ils n'osèrent pas
l'attendre; les galiotes et les galères Turques s'enfuirent
vers Alger, et Hassan Pacha leva le camp en emmenant
ses canons, et reprit sans tarder le chemin par où il
était venu. Il arriva à Alger le 24 juin et, pendant long-
temps, la ville ne retentit que des plaintes et des cris,des
femmes qui pleuraient leurs maris, et des pères qui
pleuraient leurs enfants; quant à Hassan Pacha, il ne
pouvait dissimuler le plaisir qu'il éprouvait d'avoir fait
tuer dans cette guerre une grande quantité de ceux qui
lui étaient hostiles (2).

§2.
Dans cette année et dans l'année suivante 1564, Has-
san Pacha se reposa et il n'arriva rien de remarquable à

(1) Il avait été gouverneur de Bougie en 1533, 1534 et 1535. (Voir


les DocMHMH.<~ Espagnols, traduits par M. de La Primaudaye (déjà
cites.)
(2) II est presque inutile de faire remarquer combien le rôle at-
tribue à Hassan est improbable. Quant à ['insuccès des Turcs, il est
conSrmë par une lettre de M. de Boistaillé, datée du mois de juillet
1563 ~Ve$'o<'M<M)?Mde. la France dans le Levant, t. II, p. 736), et par
Marmol (Lib. V. Chap. XIX)..D'aprèsce dernier, Hassan se conduisit
très courageusement, et la place était CD grand danger d'être prise
lorsque Doria arriva à son secours.
Alger. En septembre 1564, il reçut très secrètement des
lettres du Sultan qui lui faisait savoir qu'au printemps
suivant, il était décidé à diriger un gros armement contre
Malte, et lui ordonnait de s'apprêtera à s'y joindre avec
tous ses Reïs et le plus de forces possible. En vertu de
ces instructions, l'hiver arrivé, il ordonna aux Corsaires
de se préparer et de mettre leurs vaisseaux en état, sans
leur dire pourquoi, leur faisant seulement entendre que
le Grand Seigneur enverrait ses commandements quand
il en serait temps. Au mois de mars 1565, il reçut de
nouvelles lettres du Sultan qui l'invitaient à se mettre en
route pour Malte au mois de mai. En conséquence, il
partit au milieu de ce mois avec vingt-huit galères et ga-
liotes très bien pourvues de monde, d'artillerie et de
munitions il laissa le reste de ses navires à la garde
d'Alger. La flotte portait trois mille hommes, troupe
choisie de vieux soldats expérimentés. Tout le monde
sait le désastre qui arriva aux Turcs dans cette guerre
Alger fut particulièrementéprouvé; car il ne revint pas la
moitié des trois mille Janissaires qui étaient partis les
autres restèrent presque tous à l'assaut du fort Saint-
Elme, parce que, les Turcs et Renégats d'Alger étant
considérés comme la troupe la plus brave et la mieux
dressée que le Sultan ait dans tout son Empire, Musta-
pha Pacha, Général de l'armée de terre dans cette guerre,
en fit grand usage dans les occasions les plus péril-
leuses. Hassan rendit les plus grands services pendant
toute la durée de cette campagne; il fut particulièrement
chargé par l'Amiral Piali Pacha de la sûreté de l'Armada,
et celui-ci lui commanda continuellement des sorties
pour le protéger et lui faire escorte. A la fin, les Turcs
furent battus par les Chrétiens, que Don Garcia de To-
lède, Général de la flotte du Roi d'Espagne et Vice-Roi
de Sicile, avait envoyés au secours de Malte et de ses
Chevaliers, sous le commandement de Don Alvaro de
Sande, Ascanio de la Cornea et Chapin Vitello l'armée
Turque fut forcée de se retirer et Hassan retourna fort
mécontent à Alger avec ses vingt-huit navires il y ar-
riva au commencementd'octobre 1565 (1).

.§ S.
Après ces événements, Hassan Pacha se reposa jus-
qu'en 1567; au commencement de cette année, vers le
8 janvier (ce mois et celui de février sont habituellement
les plus froids à Alger), il arriva huit galères qui tirèrent
un coup de canon, comme nous avons déjà dit que le
font d'habitude les vaisseaux qui viennent de Constanti-
nople avec un nouvel ordre du Sultan; Hassan Pacha
envoya une frégate et apprit qu'il lui venait un succes-
seur. Il quitta le palais royal et s'en fut au logement où
les Rois font leur premier séjour, emportant avec lui
tous ses biens. A l'arrivée du nouveau Pacha, il lui remit
le gouvernement de la ville et du Royaume, et
se disposa
immédiatement à partir pour Constantinople. Et, cette
fois, n'espérant plus revenir à Alger, il légua le grand
bain qu'il y avait fait bâtir à tous les Rois ses succes-
seurs, qui en touchent encore aujourd'hui le revenu
(comme nous l'avons dit plus haut). Il donna au Beylik
une grande quantité d'officiers captifs et de maîtres-
ouvriers, pour les constructions maritimes; il en existe
encore aujourd'hui beaucoup qui ne sont employés
qu'au service de l'État et par les ordres de la milice (qui
gouverne l'intérieur, comme nous l'avons écrit ailleurs
plus au long) (2). Il n'emmena pas avec lui la fille du Roi
de Kouko, sa femme, avec laquelle il vivait depuis long-
temps, quoi qu'il en eut un fils, alors tout enfant. Il
partit d'Alger à la fin de ce même mois de janvier, et
vécut ensuite plusieurs années en Turquie et à Constan-
(1) VoirVertot, FM<oM'gdM C~uaKe~ St-Jean <~J<~MM~M(Pa-
ris, 1726, 4 vol. in-4"), T. III, p. 144 et suiv.
(2) Dans la Topo~-a/Mt, chap. XLI. Nous ferons remarquer que,
torsqu'Haëdo emploie le mot ~OM~'AM, il faut lire <~ 1578 <H58)
époque laquelle il se trouvait captif à Alger. i
tinople en grand honneur et réputation. Il mourut en
1570, et fut enterré dans la Kouba qui sert de sépulture
à son père Kheïr-ed-Din Barberousse, à cinq milles de
Constantinople. En outre du jeune fils qu'il avait eu de
la fille du Roi de Kouko, il en laissa un autre plus âgé,
nommé Mohammed Bey, qu'il avait eu jadis d'une femme
Turque à Constantinople; quelques-uns disent que cette
femme était une Renégate Corse, très belle. Ce Moham-
med, après la mort de Dragut Reïs, qui fut tué au siège
de Malte, se maria avec la fille unique et héritière de ce
même Dragut. En l'année du Seigneur 1571, lorsque le
seigneur Don Juan d'Autrichelivra la bataille de Navarin,
il se trouvait dans la flotte Turque avec une galère à lui
bien armée; le Marquis de Santa-Crux, Général des
galères de Naples, vint lui barrer le passage, et avant
qu'il n'eût pu s'échapper, l'aborda et l'attaqua; les
rameurs Chrétiens de la galère de Mohammed, qu'il avait
exaspérés par ses cruautés, se précipitèrent sur lui à la
poupe, avant que les troupes du Marquis
n'eussent pris
le bâtiment, le tuèrent et le mirent en morceaux avec les
étais (1). Quand Hassan Pacha termina son règne, qui
dura cinq an~.il avait cinquante-un ans; il mourut à
l'âge de cinquante-cinq. Il était petit, très gras, et resta
tel en dépit de beaucoup de remèdes et de soins; son
teint était très blanc; il avait de grands yeux et des
sourcils très épais, comme son père; il avait une forte
barbe noire, et zézayait très gracieusement; il parlait
plusieurs langues comme si chacune d'elles eût été sa
langue natale; particulièrement, lorsqu'il parlait espa-
gnol, tout le monde eût dit qu'il était né en Espagne. Il
fut très libéral et populaire, s'acquit une grande répu-
tation et était très aimé de ceux qui l'entouraient; la
majeure partie des Caïds et des Renégats qui sont
aujourd'hui à Alger ont fait partie de sa maison.
(1) Cervantesiqui fait le même récit, raconte que les rameurs le
déchirèrent avec leurs dents, enchaînas qu'ils étaient à leurs bancs et
n'ayant pas d'autres armes.
CHAPITRE XVII

Mohammed Pacha, dix-huitième Roi.

§'
Le successeur d'Hassan fut Mohammed Pacha, fils de
Sala Reïs, jadis Roi d'Alger, comme nous l'avons dit. Il
arriva à Alger au commencement de janvier 1567, ac-
compagné de huit galères; il ne régna qu'un an et deux
mois, pendant lesquels il y eut à Alger une grande
famine; mais il y remédia par ses soins. Il fut très bon
justicier, et, comme avant lui, beaucoup de voleurs
Mores infestaient les routes, il les poursuivit si active-
ment, qu'en peu de temps il les eut tous pris et pendus.
Et comme peu de jours se passaient sans qu'il fût fait
justice de quelqu'un d'entre eux, un jour, regardant
de chez lui la muraille, aux créneaux de laquelle se
faisaient les exécutions, et voyant qu'elle était inoc-
cupée, il se tourna vers ses gens et leur dit « Comment,
la muraille n'a pas déjeuné aujourd'hui? » Et aussitôt,
sachant qu'il y avait un condamné à mort à la prison, il
ordonna qu'on le pendît à l'instant même. Il fut très
amateur de la chasse aux faucons, vautours et milans,
dont se soucient habituellement peu les Turcs; pour cet
exercice, il entretenait en sa maison beaucoup d'oiseaux
et de chiens, et allait chaque jour avec eux dans la cam-
pagne d'Alger et dans les montagnes, chassant et tuant
beaucoup de lièvres, perdrix, palombes, tourterelles,
cailles et sangliers qui abondaient dans le pays, n'étant
ni tracassés ni chassés. Il fut le premier Roi qui récon-
cilia la milice avec les Levantins et les marins, en
ordonnant que les Janissaires pussent,, comme ils le
désiraient tant, aller dans les navires de course comme
soldats; et que les Levantins, soit Turcs, soit Renégats,
pussent être Janissaires sur leur demande; de cette
façon, il mit un terme à la grande discorde qui régnait
depuis longtemps à Alger entre ces deux corps (1). Il
fut le premier des Rois qui apporta un esprit de suite à
fortifier la ville d'Alger, dont la position naturelle est
faible; à cet effet, dès les premiers mois de son règne,
il se servit d'un Renégat Sicilien, nommé Mustapha, qui
avait fortifié La Goulette; il lui fit faire les fondations
d'un ouvrage qui s'appelle aujourd'hui de son nom Bordj
Mohammed Pacha. Il est situé en dehors de la ville, à
l'entrée de la montagne, à cinq cents pas de la Casbah,
dans une situation très importante; nous en avons
donné une description très détaillée dans la Topographie
ou description de c:He <~4.~er_, à laquelle nous ren-
voyons le lecteur (2). Pendant toute l'année de son règne,
il n'y eut pas de guerre mais, au mois de mai 1567,
les habitants de la ville de Constantine se révoltèrent
contre la garnison et le Caïd Turc, et tuèrent quatre ou
cinq hommes; le bruit courut que les Mores avaient
justementagi en cette occasion, parce que le Caïd avait
voulu violer une très belle fille de leur nation. Mohammed
Pacha fut en personne à Constantine, et pour punir les
habitants de leur révolte et d'avoir chassé le Caïd, il les
fit tous vendre à l'encan, hommes, femmes et enfants,
et confisqua tous leurs biens. Mais quelques-uns des
Mores qui s'échappèrent gagnèrent Tripoli par terre et

(t) Il eût été plus exact de dire qu'il apaisa momentanément la


discorde mais elle ne devait pas tarder à se réveiller pour ne jamais
cesser depuis.
(2) yopo~s/!S) chap. IX. Le fort des Vingt-quatre heures a été
également construit par lui, ainsi que l'atteste une Inscription Turque,
conservée au Musée d'Alger sous le n" 29. MM. Berbrugger et De-
voulx ont cherché à faire croire, par des arguments plus ou moins
spécieux, que ce fort avait été élevé par Euldj Ali ces allégations
ont été émises ppur les besoins d'une cause que nous n'avons ici ni
à attaquer ni à défendre mais, jusqu'à preuve contraire, qui n'a pas
été fournie, l'Inscription fait foi pour l'Histoire.
de là passèrent en Turquie et à Constantinople, où ils se
plaignirent au Sultan. Celui-ci ordonna qu'on leur rendît
la liberté, leurs habitations et leurs biens, et pour punir
Mohammed Pacha, il le remplaça au commencement de
l'année suivante par Ochali, qui fut plus tard son Grand
Amiral. Ochali arriva à Alger au commencement de mars
1568. Mohammed avait régné un an et deux mois; il avait
à cette époque trente-cinq ans, était de taille ordinaire,
de grosseur moyenne, d'un teint blanc avec la barbe
noire; il louchait. Plus tard, en 1571, quand le seigneur
Don Juan d'Autriche vainquit la flotte turque, Moham-
med Pacha fut fait prisonnier avec beaucoup d'autres
Turcs de distinction, fut ensuite envoyé par Don Juan au
Pape Pie V, à Rome, avec les fils du Pacha et d'autres
prisonniers, et, quelques années après, fut délivré avec
eux en échange du Seigneur Gabriel Cerbelloni, et
d'autres Chevaliers qui avaient été pris dans le fort de
Tunis en 1574.
CHAPITRE XVIII

Ochali Pacha, dix-neuvième Roi.

§1-.
Un des hommes de notre temps sur lesquels le Destin
sembla, suivant l'expression du poète, prendre plaisir à
montrer la puissance de ses fantaisies, fut Aluch Ali,
que nous appelons par corruption Ochali Aluch signifie,
en langue Moresque, nouveau More, ou nouveau con-
verti, ou Renégat, et ce n'est donc pas un nom, mais un
surnom. Le nom propre est Ali; Aluch Ali se traduit
donc par le Renégat Ali. Aujourd'hui on l'appelle Ali
Pacha, en supprimant le mot Aluch; mais, imitant le
vulgaire, suivant le conseil d'Aristote, nous l'appellerons
Ochali (1). Il était né dans le Royaume de Naples, à Li-
casteli, petit bourg de la province de Calabre, près du
cap des Colonnes, de parents très pauvres et misérables.
Dès son enfance, il se fit pêcheur et batelier jusqu'au
moment où il fut pris par un célèbre corsaire, nommé
Ali Ahmed, Renégat Grec, qui fut longtemps amiral d'Al-
ger. Comme il était adulte et propre au service de la
mer, Ali Ahmed le mit à la chiourme de sa galiote, où il
rama plusieurs années il était teigneux et entièrement
chauve, et. cela lui valut mille affronts des autres Chré-
tiens, qui ne le laissaient ni manger avec eux, ni s'as-
seoir sur le même banc, et l'avaient surnommé ~œr~s~
mot qui signifie, en Turc, teigneux. A la fin, un soldat
(1) C'est le nom qui a été le plus défiguré de toute l'histoire de ce
temps. On le trouve écrit Ochali, Occiali, Luccioli, Luciali, Loucioly,
Luccioni, etc. L'usage a prévalu de se servir de la transcription
Euldj-Ali. Après la bataille de Lépante, il reçut le glorieux surnom
de Kilidj (l'Épée).
corsaire Levantin lui ayant donné un grand soufflet, il
se fit Turc et Renégat pour avoir la faculté de se venger,
ce qu'il ne pouvait faire en restant Chrétien. Le Turc, son
patron, ayant appris cela et sachant qu'il était bon ma-
rin, le nommapeu de temps après Comité dans ce poste,
il gagna rapidement une bonne somme, avec laquelle, et
en compagnie de quelques autres Corsaires, il arma à
Alger une frégate, sur laquelle il continua à pirater, et
parvint à posséder une galiote et à devenir un des prin-
cipaux Reïs d'Alger. Plus tard, il se joignit avec son na-
vire à Dragut Reïs, qui résidait aux Gelves, s'était fait
grand seigneur en Barbarie, et lui avait offert un bon
parti. Lorsque le Duc de Médina-Cœli, Vice-Roi de Si-
cile, entreprit, en 1560, d'enleverles Gelves à Dragut, ce-
lui-ci, averti de l'arrivée de la flotte Chrétienne, qui resta
tout un hiver et une partie du printemps à Syracuse et
à Malte, envoya en grande hâte Ochali à Constantinople,
pour demander le secours d'une flotte Turque. Il négocia
si bien, que le Sultan consentit à faire partir son Grand
-Amiral, Piali Pacha, avec cent galères et une grosse ar-
mée. En arrivant à vingt mille des Gelves, Piali craignait
d'attaquer la flotte Chrétienne ce fut Ochali qui le dé-
cida à le faire, et lui procura cette victoire, dans laquelle
la plus grande partie des galères Chrétiennes fut prise;
c'est à peine si le Duc de Médina et Jean-André Doria
parvinrent à s'échapper avec quelques galères, les Turcs
prirent ensuite le fort que les Chrétiens avaient bâti sur
les Gelves, et firent captifs le Général Don Alvaro de
Sande, Don Gaston, fils du Duc de la Cerda, Don Béran-
ger, Général des Galères de Sicile, et Don Sanche de
Leïva, Général de celles de Naples, avec plus de dix mille
Espagnols et autres vieux soldats de valeur, parmi les-
quels il y avait beaucoup de Capitaines, d'Alferez et d'Of-
ficiers, tous gens considérables (1). Depuis ce moment,

(1) Au sujet de la reprise des Gelves, voir les Négociations de la


France dans le Levant (t. II, p. 610, 616, etc.). Don Alvaro de. Sande
la renommée et la réputation d'Ochali s'accrurent beau-
coup, et Piali l'eut particulièrement en grande affection.
Plus tard, il alla à la guerre de Malte de 1565, en compa-
gnie de Dragut, qui y fut tué à l'attaque de Saint-Elme,
d'un éclat de pierre à la tête (1) Piali, en sa qualité de
Capitan-Pacha de la mer et des places maritimes,
nomma Ochali, qu'il aimait beaucoup, Roi et Gouver-
neur de Tripoli, en remplacement de Dragut, duquel il
lui ordonna de faire les funérailles. Ochali partit de
Malte avec trois galiotes, et, arrivé à Tripoli, s'empara
des bâtiments, munitions, marchandises, trésors, es-
claves et biens de son prédécesseur. Il gouverna à Tri-
poli deux ans et demi, pendant lesquels il devint fort
riche, tant de cet héritage, que de ce qu'il amassa par
des courses continuelles dans les mers de Sicile, de Ca-
labre et de Naples. Il envoyait perpétuellement de riches
présents à Piali Pacha, de l'amitié duquel il faisait grand
cas celui-ci, reconnaissant de ces procédés, fit tant
qu'il décida le Sultan, mécontent de la conduite qu'avait
tenue Mohammed Pacha à l'égard des Mores de Cons-
tantine, à envoyer Ochali a. sa place pour gouverner Al-
ger il y arriva, comme nous l'avons dit, au commence-
ment de mars 1568. A ce moment, la guerre de Grenade

et Don Sanche de Leïva furent menés à Constantinople, et recou-


vrèrent leur liberté en 1562 ils étaient logés chez l'Ambassadeur de
France, qui donne sur eux des détails assez curieux « Alvaro de
Sande et Sanche de Leïva avoient une haine plus que fraternelle
» entre eux, et
il fallut les traiter à des tables différentes. (Loc.
cit., p. 705.) D'après de Thou (Histoire universelle, t. III, p. 591
et suiv.), Doria perdit à cette affaire ses plus beaux navires et jus-
qu'à sa propre galère.
(1) De Thou raconte que cette attaque sur Malte avait été con-
seillée au Sultan par Dragut et par Hassan ben Kheïr-ed-Din, qui y
firent des prodiges de valeur Euldj-Ali s'y fit remarquer par son
courage. D'âpres le même historien, Hassan s'opposa à la levée du
siège, demandant l'assaut, et s'offrant à y monter le premier avec ses
janissaires. L'amiral Piali Pacha s'y opposa, disant qu'on avait déjà
perdu assez de monde inutilement. (Histoire universelle, t. V, p. 50,
71, 87, etc.).
était très violente (1), les Mores de cette Province s'étant
soulevés ils demandèrent à Ochali du' secours par
lettres et messagers. Celui-ci se contenta de permettre à
quelques Corsaires et Turcs de s'y rendre à leurs risques
et périls, mais n'y envoya ni des secours réguliers, ni
des troupes, disant qu'il était plus sage de veiller à la
conservation d'Alger et de son Royaume. Avant lui, on
embarquait à Alger beaucoup d'épées, d'escopettes et
d'autres armes pour les porter au Royaume de Grenade
et les vendre aux Mores les principaux intermédiaires

(1) Ici l'historien a été insuffisamment renseigné la révolte des


Mores d'Espagne. ne devait éclater que pendant la semaine sainte.
Elle fut découverte quelques jours avant, par l'imprudence d'un des
principaux chefs qui laissa saisir un dépôt d'armes depuis longtemps
préparé. Mais, là où Haëdo commet la plus grande erreur, c'est dans
le rôle qu'il fait jouer à Euldj-Ali, qu'il nous représente comme peu
sympathique à la cause de ses coreligionnaires. 11 avait, tout au con-
traire, rassemblé quatorze mille arquebusiers, soixante mille Mores,
et envoyé quatre cents chameaux chargés de poudre a Mazagran,
pour tenter à la fois une attaque de diversion sur Oran et un débar-
quement sur la côte d'Espagne (lettre de M. deFourquevaux, fin
mars 1568; Corr. d'Espagne, Harlay). Le Mercredi-Saint, il en-
voyait quarante galiotes devant Almeria pour y attendre le signal de
la réussite de la révolte de Grenade mais le complot était décou-
vert, et l'entreprise avait échoué. Cet insuccès ne le découragea pas,
et, au mois de janvier 1569, six galiotes d'Alger débarquèrent près
d'Almeria des canons, des munitions, des armes et des renforts.
Trente-deux galères chargées de troupes furent dispersées par la
tempête au moment où elles apportaient un appoint précieux à l'in-
surrection, qui éclatait eh ce moment dans toute sa force. Au mois
d'octobre de la même année, Alger faisait parvenir aux révoltés
quatre mille arquebuses, des munitions, et leur envoyait quelques
centaines d'anciens Janissaires pour leur servir de Capitaines. Au
commencement de 157U, il y eut un nouvel envoi d'armes et de
troupes, et Euldj-Ali se disposait à s'y rendre en personne, lorsque
Don Juan d'Autriche l'en empêcha, en commençant la campagne qui
devait se terminer par la bataille de Lépante. (Voir les Négociations de
la France dans le Levant, t. 111, p. 26, 28, 32, 42, 46, 94', 129, etc.).
Ajoutons que l'ambassadeur des Morisques se nommait Partal, -de la
ville de Narilla; il fit deux voyages a Alger, où il se retira plus tard
avec sa famille, quand tout espoir fut perdu. (DE Tnou, Histoire <MM-
verselle, t. VI, p. 80).
de ce commerce étaient les Mores originaires d'Espagne
qui s'étaient réfugiés jadis à Alger et en Barbarie; Ochali
leur défendit ce négoce, ne voulant pas qu'on dépourvût
Alger des armes nécessaires. Il accorda seulement à
leurs importunités, que celui qui aurait deux armes
d'une même sorte pourrait en envoyer une aux Mores
de Grenade, mais seulement pour l'amour de Dieu et le
service de Mahomet, et jamais à prix d'argent; il fut or-
donné que toutes ces armes seraient réunies dans une
petite mosquée, qui est au Souk de la Verdure, où cha-
cun devait les apporter; il y en eut une telle quantité,
que l'étonnemënt fut extrême, tant se montrèrent géné-
reux, pour cette cause pieuse et sainte (1), les Mores ori-
ginaires d'Espagne Ochali en fit conserver quelques-
unes pour le Beylik dans l'arsenal de la Ville, et laissa
parvenir le reste à destination. Dans cette même année
1568, il commença à bâtir un Bordj hors de la porte Bab-
El-Oued, comme défense de l'Ouest, pour que, si une
flotte Chrétienne venait attaquer Alger, elle ne pût
opérer un débarquement sur une petite plage très sûre
qui est tout près de là. Nous avons décrit minutieuse-
ment la fortification et la forme de ce château, dans la
Topographie ou description d'Alger (2).

§2.
L'année suivante 1569, Ochali conquit pour le Sultan
la ville et le Royaume de Tunis de la manière suivante
Muley-Hassan, auquel l'Empereur Charles-Quint avait
rendu ce Royaume en 1535, après en avoir chassé Bar-
berousse, avait un fils nommé Hamida, qui se souleva

(1) H est bien évident qu'en se servant de ces épithètes, Haëdo se


place au point de vue des Algériens.
(2) ropo~ra~a, chap. IX. Nous avons déjà fait observer que
l'inscription Turque placée sur la porte de ce fort en attribue la
construction à Mohammed ben Salah-Reïs.
depuis contre son père alors absent à l'aide d'une grande
partie de la population. Le père, qui était allé à Naples
pour traiter avec l'Empereur, en partit à cette nouvelle
avec plus de seize cents Chrétiens, dont la moitié avaient
été levés à ses frais, et l'autre moitié fournie par Don
Pedro de Tolède, Vice-Roi de Naples, pour recouvrer son
Royaume sur ce fils rebelle il ne put y arriver, fut battu
avec perte de toute son armée, et tomba entre les mains
de son fils qui lui fit crever les yeux. Pendant plusieurs
années, Hamida persécuta les partisans de son père, qui,
ne pouvant souffrir ni sa tyrannie, ni celle de ses minis-
tres, hommes de basse naissance, que Hamida (pour
abattre la noblesse) avait élevés en dignités et auxquels
il avait donné les charges et offices principaux, écri-
virent plusieurs fois à Ochali, aussitôt qu'il fut Roi d'Al-
ger, lui demandant de venir à Tunis et lui promettant de
lui livrer le Royaume et la ville. Les trois principaux de
ceux qui faisaient ces propositions étaient Ben-Djibara,
Caïd de la Cavalerie, secrètement révolté contre le Roi,
leCaïdBou-Taïb et le Caïd Alkader. Ochali tardant à venir,
ils se 'résolurent, au commencement de 1569, à renou-
veler leur demande'et à le supplier très instamment de
se rendre à leurs désirs, ce qui le détermina enfin à -faire
ce dont il était tant prié. Il partit en octobre 1569, lais-
sant comme lieutenant un Renégat Corse, son major-
dome, qui s'appelait Mami-Corso. Il n'envoya pas de flotte
et partit par terre avec cinq mille Turcs et Renégats
Mousquetaires.En passant par Bône et Constantine, i;l en
réunit trois cents autres, et le long du chemin, il s'était
adjoint six mille cavaliers Mores, vassaux du Roi de
Kouko, de celui de Labes, et de quelques autres -chefs.
Avec cette troupe et dix pièces de canon montés sur
affûts, il arriva à la ville de Beja, qui est à deux petites
journées en avant de Tunis. Le Roi Hamida se porta à
cet endroit à -sa rencontre avec environ trente mille
Mores fantassins ou cavaliers. Quand la bataille fut
commencée, les trois Caïds -dont nous avons parlé et
leurs complices, qui s'étaient entendus d'avance, pas-
sèrent du côte d'Ochali, comme ils l'avaient promis, en
sorte qu'Hamida et ses partisans se retirèrent, voyant la
trahison des leurs, et rentrèrent à Tunis sans avoir fait
de pertes; car le Roi espérait que la garnison de la ville
l'aiderait à se défendre. Ochali arriva en le poursuivant
à deux mille de Tunis, au Bardo, ou jardin du Roi. Il s'y
arrêta avec tout son monde, pour voir ce que feraient les
Tunisiens; ceux-ci, qui étaient déjà presque tous subor-
nés, mécontents du gouvernement de leur Roi, et qui, du
reste, sont d'une race sans foi, inconstante et amoureuse
du changement,passèrentpeu àpeu du côté du vainqueur.
Hamida, voyant cela et ne sachant à qui se fier, prit ses
deux femmes, ses deux fils, le plus d'argent qu'il put,
avec beaucoup de bijoux et d'effets, et se dirigea vers la
Goulette avec vingt-cinq serviteurs ou amis. A cette nou-
velle, quelques Mores se jetèrent à sa poursuite, et pil-
lèrent la plus grande partie de ce qu'il emportait; il s'en-
ferma dans la Goulette avec ses femmes, ses fils, ses
amis et ce qu'il put sauver de ses trésors. Ochali, ayant
appris la fuite de Hamida, marcha sur Tunis, avec son ar-
mée et y entra à la fin de décembre 1569; il y fut obéi de
tous, fit beaucoup de faveurs, et nomma aux charges
principales les notables et les Caïds qui l'avaient appelé
et s'étaient joints àlui. Les Arabes de la campagne vinrent
le trouver et lui offrirent leur soumission. Ochali les reçut
d'abord de bonne grâce et leur fit bon visage; mais, peu
de jours après, il leur déclara qu'ils devraient lui payer
tribut, parce que c'était la seule manière d'entretenir le'
Royaume, la ville et la garnison de Turcs qu'il avait l'in-
tention d'y laisser. Les Arabes répondirent fort libre-
ment que, s'il voulait un tribut, il sortit en plaine avec la
lance et qu'alors ils le paieraient, mais non autrement
et la chose en resta là. Ochali passa tout l'hiver à Tunis,
pacifiant le Royaume et soumettant à son obéissance la
plupart des villes et des provinces. Au mois de février de
l'année suivante 1570, il délégua le gouvernement à un
Renégat Sarde de très bon jugement qui se nommait
Caïd Rabadan et nomma Beglierbey un Renégat Napoli-
tain du même Rabadan nommé Caïd Mohamed il laissa
une garnison de trois mille Turcs Mousquetaires, se mit
en chemin à la fin du mois, et arriva à Alger au milieu
d'avril 1570.

§3.
Un bon nombre de jours avant qu'Ochali ne retournât
à Alger, il avait envoyé en avant un More qui avait un
esclave Nègre, grand coureur,qui allait aussi vite que la
poste (1), nommé Peyq, pour prévenir tous les Reïs
de mettre en ordre leurs galères et leurs galiotes,
de façon à ce qu'elles fussent prêtes et toutes espalmées
à son arrivée; il avait fait dire à son majordome, Mami-
Corso, qu'il avait laissé à Alger en qualité de Khalifa
(ainsi que nous l'avons dit), d'armer une galère bâtarde
qu'il avait fait construire jadis. En sorte que, arrivé à
Alger, il fut prêt.en un mois et demi à peine, s'embar-
qua au mois de juin dans une galère bâtarde de vingt-six
bancs, et mit le cap à l'Est, avec vingt-trois autres gros
bâtiments bien approvisionnés et bien pourvus de monde.
Son intention était d'aller avec son escadre à Constan-
tinople, afin de demander au Sultan une flotté et une ar-
mée pour prendre la Goulette; car il jugeait que ni lui ni
les Turcs ne seraient vraiment maîtres de Tunis tant
qu'il y aurait des Chuétiens dans ce fort. Il était arrivé
devant le cap Passaro, en Sicile, quand il apprit d'un
jeune garçon capturé par ses galiotes que quatre galères
Maltaises se trouvaient à Licata, ville maritime de Si-
cile, pour passer de là à Malte. A cette nouvelle, Ochali
ordonna que tous ses vaisseaux prissent la mer, de ma-
nière qu'on ne pût pas les découvrir, pour attendre ces

(t) Sic.
galères dans le canal qui est entre Malte et la Sicile. Cela
fut fait, et les vingt-quatre vaisseaux, démontant leurs
mâts, naviguèrent à la rame en guettant les galères, et,
quand ils les aperçurent et furent aperçus d'elles, ils se
lancèrent dessus à toute vitesse. Les Chevaliers, qui se
virent attaqués par tant de vaisseaux, furent d'avis dine'
rents les uns voulaient en venir aux mains, disant que
Dieu les aiderait; les autres, au contraire, opinaient pour
qu'on cherchât à s'échapper. Le Général des galères fut
de ce dernier avis, et trois des navires s'enfuirent vers
la Sicile. Un seul d'entre eux, nommé .S'a~i~~ tint
tête aux Turcs et fut attaqué par huit de'leurs vaisseaux,
contre lesquels il combattit très rudement pendant plus
de deux heures, après lesquelles Û fut pris, tous les Che-
valiers ou soldats étant morts ou blessés. Des trois au-
tres, l'un s'échappa et, en retournant au cap Passaro,
prit sur sa route un brigantin Turc. Et, comme vint à
passer par hasard une galiote Chrétienne qui allait en
Corse, il s'y réunit et ces deux navires donnèrent en-
semble la chasse à deux autres brigantins Turcs, qu'ils
prirent. Des deux autres galères, l'une 's'échoua à terre
près de la Licata, et l'autre un peu plus loin, près d'une
tour qui était sur le rivage les Chevaliers, pour empê-
cher les Turcs de s'emparer des vaisseaux, convinrent
de les saborder, de les couler à fond et de débarquer la
chiourme. On aurait bien pu le faire; mais le Général (1)
s'y opposa, pensant qu'une fois à terre, il pourrait em-
pêcher les Turcs de s'emparer des bâtiments. Cependant
le contraire arriva, et ils prirent ces deux galères
avec une grosse et bonne chiourme de Turcs et Mores
qu'ils délivrèrent,beaucoup de matériel, .et un gros butin
dont elles étaient chargées. Beaucoup disent que cette
prise leur coûta cher; car Ochali changea de dessein à la
suite de cet événement, et, ne poussant pas plus avant,

(1) C'était le Commandeurde St-Clément, qui fut tué dans le com-


bat. (Vertot, Hist. des Chev. de St-Jean de Jérusalem, t. IV, p. 108).
il retourna à Alger, où il rentra le 20 juillet 1570, avec ses
galères toutes pavoisées remorquant celles de Malte. Et,
en mémoire de cet exploit, il fit accrocher, devant la porte
de la Marine, beaucoup de boucliers et de targes qu'il
avait trouvés sur les trois galères, et les croix blanches
de Malte dont elles étaient ornées, suivant l'habitude des
Chevaliers en temps de guerre ces trophées sont encore
aujourd'hui (1) à la même place. Il fit mettre au milieu la
statue de saint Jean-Baptiste qui décorait la galère Capi-
tane mais, en 1578, Hassan-Pacha, Renégat Vénitien,
Roi d'Alger, sur les instances des Marabouts, qui sont
les lettrés parmi les Mores, donna l'ordre de l'ôter et de
la brûler à la porte de son palais, avec d'autres emblèmes
qui avaient été pris plus tard par les Corsaires dans
d'autres galères, et qui étaient accrochés au même en-
droit.

4.
Ochali, revenu à Alger, fut en très mauvais accord
avec les Janissaires, toute cette année la et tout le temps
qu'il resta ensuite à Alger (2) la véritable cause fut son
inexactitude à leur délivrer leur paye, si bien qu'ils le
menacèrent plusieurs fois de le tuer, et qu'ils furent,
d'autres fois, sur le point de le faire. Au commencement
de l'année 1571, il fit apprêter en grande diligence autant
de navires que possible, et, le mois d'avril arrivé, il
quitta Alger presque comme un fuyard avec vingt galères

(1)En 1578-1581.
(2)Le mauvais accord datait de bien plus loin, et M. de Fourque-
vaux écrivait au Roi à la date du 7 avril 1569: « Il tient à l'ancre
» quatorze bons vaisseaux chargez de tout son bien et de ce qu'il a
»peu desrober et armez d'hommes à lui fidelles. Et, afin de ne pou-
»voir estre empesché de faire voille à sa vollonté, il a donné com-
» missionà toutz les coursaires de ladite ville d'aller en course à leur
x adventure, de sorte que seulement sesdits quatorze vaisseaux y
» sont demourez. o (Cor~. d'Espagne, Harlay).
11
et galiotes quoique la mer fut très mauvaise, il n'en
sortit pas moins du port, pour se délivrer de la milice
qui cherchait à l'empêcher de s'en aller, et se dirigea
vers Matifou; il avait mis sur sa galère des rameurs
Chrétiens en nombre suffisant. Les Janissaires, pensant
qu'il s'arrêterait à Matifou, y envoyèrent par terre vingt
de leurs principaux Boulouks-Bachis pour qu'ils le
fassent revenir, ou, en cas de refus, pour qu'ils fissent
mutiner les soldats et Janissaires qui étaient dans les
navires. Mais Ochali était parti malgré le temps contraire,
et, quand les Boulouks-Bachis arrivèrent, ils ne le
trouvèrent plus. Il avait délégué ses pouvoirs au Caïd
Mami Corso, le même qu'il avait eu pour Khalifa les an-
nées précédentes, et, malgré ce qui s'était passé, tout-le
monde lui obéissait. Ochali rencontra en route une ga-
liote qui lui apportait un commandement du Sultan
(d'autres disent qu'il l'avait déjà reçu depuis longtemps)
le prévenant qu'on assemblait à Constantinople un grand
armement contre la chrétienté et lui ordonnant de venir
s'y joindre avec le plus de navires possible; car les Vé-
nitiens, qui guerroyaient contre les Turcs à l'île de
Chypre, s'étaient alliés avec le Pape Pie V et avec Phi-
lippe, Roi d'Espagne, et avaient levé, à frais communs,
une puissante armada pour se défendre contre les agres-
sions du Grand Seigneur. En vertu de ces ordres, Ochali
se rendit immédiatement avec ses vingt navires (1) au
port de Coron, en Morée, qu'il quitta ensuite pour se
joindre à la flotte turque, dont l'Amiral fut fort content
de le voir arriver, étant très heureux de renforcer son
armée d'un aussi bon marin qu'Ochali, et des Reïs et
Turcs qu'il amenait avec lui. Pendant tout le printemps,
il fit, joint à la flotte Turque, de grands dégâts dans les
îles de Candie et de Cerigo qui sont aux Vénitiens; le

(1) La lettre du Chevalier de Romegas, qui assistait à la bataille,


De donne que sept galères à Euldj-Ali elle ajoute qu'il prit le com-
mandement de la retraite et parvint à sauver trente navires.
jour où se donna la bataille navale entre les deux
commandait l'aile gauche, et s'y flottes,
montra
qu'il ne se laissa jamais investir ni aborder si bon marin
par les galères

Ch'e~
Chrétiennes,étant toujours prêt à
était nécessaire. Plus tard, se dérober quand cela
quand il vit que les galères de
Malte, qui étaient devant lui, avaient
beaucoup souffert, il
Chevaliers, et les chargea de telle un grand nombre de
s'emparèrent de la capitane de Maltesorte que ses soldats
(1). Mais ensuite, ne
pouvant plus douter que la victoire
faveur des Chrétiens, il retira, ne se déclarât en
se traînant à la remorque
la capitane de Malte et emportant
l'étendard de la reli-
gion. Il n'osa pas ?~ Lépante
dé la défaite complète de la flotte certain
Turque, et fit route
vers Constantinople. Grâce à la faveur de son am ~al
qui vivait encore, et à la prise de l'étendard
qu'il présenta au Sultan, il put si bien de Malte
défendre sa cause
que, non-seulement le Grand Seigneur
contre lui, mais que, peu de mois après ne s'irrita pas
(il avait offert
très audacieusement, si
on lui donnait une flotte, non
seulement de défendre les côtes de
l'Empire, mais encore e
de combattre les armées Chrétiennes
1 année suivante),
si elles sortaient
il fut fait Grand Amiral (2)
sur l'avis de

S~ f et suiv. et 243) et

~R~t~~
de Lépante, et du rôle glorieux
joua Euldj-Ali, voir les Négociations de

p. 233, 244, etc.). Ali ne voulait


la rade, et avait conseillé
un
guèrent tout particulièrement dans le

datée du 23 mars
~son
informe
b~v:rd~r"r°"'
annonce qu'Eutdj-AIi est venu lui
La France dans le Levant

combat.
de De Thou. t
qu'y
(t. III,
pas que la flotte Turque restât dans
d(~ploiement qui eût évité le désastre;
de l'Amiral; les Algériens se

le Roi de cette nomination.


as~r. de son bon vouloir èt du désir qu'ilune
assuré
com~nation.Eile
distill-
ambassadeur à Constantinople;
Elle

la France. (Négociations de la Ifra~zce avait de rendre service à

Amiral arme ~~tte'


Une autre lettre, du 18 juin, parle

d'arquebuses tous les équipages. (Loc.


l'Espagne cherchait à se concilier
dans le Levant, t. III. 251).
de l'activité avec laquelIe p.

cit n n. De
le GJ'and
et armer
la faveur du nouveau Capitan-
juin de Constantinople,
Piali. En 1572, il sortit au mois de
flotte de deux cent trente galères (tel fut l'em-
avec une travailler tout l'hiver
pressement qu'on eut en Turquie de
r~alnerdefit face aux Chrétiens comme pour
nouveaux bâtiments)); il vint avec
elles en Morée et suivie
engager le combat; cette démonstration ne fut pas
qui eussent pu
d'effet, par la faute des chefs de l'armada,
entendu dire par
vaincre s'ils eussent osé attaquer. J'ai Chrétiens
des Turcs qui étaient alors avec Ochali, que les
mettre en fuite la
étaient assez forts pour détruire ou jugements de Dieu
flotte Ottomane; mais ce sont là des
ordonnées par sa Divine Providence et
et des choses avoir été ne pas
Sagesse infinie Cette fois, rien que pour
Ochali gagna l'honneur que lui aurait rapporté
vaincu, renommée s'en accrurent
unevictoire, et son crédit et sa
auprès du Sultan.

§5.
Juan d'Autriche vint à
1573, Don
En l'année suivante la couronne
Tunis et conquit la ville et le Royaume pour
cette victoire causa un
d'Espagne (1). La nouvelle de

bataille de Lepante, le Pape Pie V par l'intermédiaire


Pacha. Après la
avait fait conseiller à Philippe II de
cher-
du Cardinal Alexandrini,
Euldj-Ali par l'offre d'un bon gouvernement en Espagne

-d:
cher à séduire réussirait pas, dit-il, cela n'en-
cherasedureEu~~ soupçons de
» serait pas moins utile: car on exciterait ainsi lescapable,
par sa
serait et Euldj-Ali est le seul homme qui soit (Histoire
»
valeur et son habileté, de soutenir les affaires de
la Porte. »

1~
MHM6?'MHe,t.'VI,P.~4).p,,i~,Ali-

Il se passa ce qui
u~n'ch~ les
il n'avait
les

~r~
cessé, depuis la reprise offrait à l'attaque un point
fort de La Goulette, qui
Chrétiens du Juan, au moment où la
d'appui naturel, doct profita habilement Don
désemparée par deux tempêtes successives, avait
flotte Ottomane, Sultan fut
dû rentrer pour se refaire. Quoiqu'il en soit, la fureur du
l'Amiral faillit y laisser sa tête, qu'il ne sauva qu'àà
grande, et centaines de milliers de duCats
grand chagrin à Ochali, qui demanda instamment au
Sultan de l'envoyer avec une flotte à Tunis, promettant
non-seulement de reprendre cette ville et le fort que les
Chrétiens avaient construit, mais encore La Goulette,
quoiqu'elle passe pour inexpugnable. Le Grand Seigneur
lui accorda sa demande et lui adjoignit, pour les opéra-
tions de terre ferme (afin qu'il ne se séparât pas de la
flotte), un Renégat Bosnien, nommé Hassan Pacha.
Ochali arriva à Tunis, au mois de juillet 1574 (1), avec
deux cent cinquante galères, dix mahonnaises et trente
caramuçaux transportant ses troupes, artillerie, muni-
tions et victuailles. Il fit sa jonction avec le Roi d'Alger,
Arab Ahmed, qui l'avait remplacé par ordre du Sul-
tan, quelques années auparavant, et avec le Roi de
Tripoli et le Caïd de Kairouan (2), chef des Turcs qui
s'étaient retirés de Tunis avec lui, à l'arrivée de Don
Juan et de son armée. Il réunit encore une grande quan-
tité de Mores et d'Arabes de l'intérieur du pays, qui
vinrent se mettre sous ses ordres, mus par leur amour
du changement. Avec tout ce monde, il éleva quatre
batteries, deux contre le nouveau fort que Gabriel Cer-
belloni avait construit par ordre du Roi d'Espagne le
Roi de Tripoli en commandait une, le Caïd de Kairouan
une autre, et tous deux obéissaient à Hassan Pacha; il
employa à battre La Goulette deux autres batteries très
fortes l'une, du côté de Arreïs, et l'autre, du côté de Car-
thage celle de Arreïs était sous les ordres d'Arab

qu'il donne au maistre, et si, je crois que le vin du vallet n'y est pas
oublié, » Lettre de M, de Noailles à Catherine de Médicis. (Négocia-
tions de la France dans le Levant, t. III, p. 452.)
(1) Le 13 juillet 1574, les Espagnols n'avaient pas terminé les tra-
vaux de défense le 23 août, La Goulette fut prise et presque toute
la garnison massacrée; le 13 septembre, le fort de Tunis succomba,
à la suite d'un terrible siège et d'une défense héroïque.
(2) Le Cheik Kaïder. Il parait prouvé que Don Juan n'avait pas
rencontré à Tunis de résistance sérieuse, Rabadan Pacha ayant
pris la fuite dès la nouvelle du débarquement des Espagnols. (De
Thou, Histoire universelle, t. VI, p. 561, etc.).
Ahmed; il prit lui-même le commandement de l'autre
en moins de quarante jours, par ses efforts et ses soins,
les deux forteresses furent prises, et il s'en retourna à
Constantinople, victorieux et très content, avec beaucoup
de gloire et nombre de captifs (1). En l'année suivante,
1575, il se reposa à Constantinople. En 1576, il en sortit
au mois de juillet, avec soixante galères, et, malgré un
temps très mauvais qui le rejeta deux fois de Calabre
en Morée, il atteignit le but fixé, et, débarquant du monde
près de Squillace, saccageant, ravageant plusieurs villa-
ges, s'avança jusqu'au Cap des Colonnes, lieu de sa
naissance, et, de là, s'en revint à Constantinople. Il y
passa toute l'année 1577; en 1578, la Milice qu'entretenait
le Sultan à l'île de Chypre, massacra Arab Ahmed, Roi
et Gouverneur de cette province, parce qu'il ne leur
payait pas régulièrement la solde (2) le Sultan, à cette
nouvelle, envoya Ochali avec cinquante galères pour
châtier les auteurs de la sédition et lui donna l'ordre de
couper la tête à une grande partie d'entre eux, d'en em-
paler quelques-uns et d'en jeter d'autres aux ganches;
enfin, de tirer de tous une justice terrible et éclatante, ce
qui fut exécuté.

§6.
En 1579, pendant les grandes guerres qui survinrent

(1) Voir les relations du siège, par le comte Gabrio Serbelloni,


qui commandait à Tunis, et Don Juan de Zamoguerra, chargé de la
défense du fort de l'He Chekli. (Revue africaine, 1877, p. 294-298 et
361-379, etc.).
'Voir encore Diego de Torres, Cronica de guerra (Sarragosse, 1579).
Cet écrivain avait combattu à La Goulette, dont il était un des rares
survivants.
(2) Et aussi parce qu'il les avait exaspérés par sa cruauté ils le
firent périr dans d'horribles supplices et le coupèrent en petits
morceaux, qu'ils se partagèrent entre eux. (Hammer, Histoire de
t'~tK~t~ Ottoman, t. III, p. 57, traduction de Hellert)..
entre le Grand Seigneur, le Sophi, Roi de Perse, et d'au-
tres grands Royaumes d'Orient, le Sultan fut forcé (ayant
perdu beaucoup de monde dans trois défaites que le
Sophi lui avait infligées) de demander secours au Grand
Tartare, qu'on nomme le Grand Kan; celui-ci lui envoya
un de ses frères avec cent cinquante* mille cavaliers. Le
Sultan, ayant appris la levée de cette armée et voulant
empêcher les Géorgiens alliés du Sophi (qui sont les an-
ciens Hibères et Aulnes, tous chrétiens aujourd'hui) de
fermer le passage aux Tartares, qui étaient forcés de tra-
verser leur territoire, ordonna à Ochali de traverser la
mer Noire, et de bâtir un fort sur une rivière voisine de
Trébizonde, qui traverse le pays des Géorgiens. Ochali
partit à cet effet de Constantinople à la fin de mai 1579,
avec quarante galères il construisit le château au lieu
désigné (1); mais, peu de temps après, les Géorgiens sur-
vinrent, le forcèrent à se retirer, coupèrent la tête à tous
les Turcs qui étaient dans le château, qu'ils rasèrent en-
tièrement. Ochali, fort mécontent, revint à Constanti-
nople peu de jours après, ces mêmes Géorgiens, unis à
d'autres troupes que le Sophi leur avaient envoyées, fer-
mèrent le chemin aux Tartares qui descendaient des
Monts-Carpios (2), coupèrent la tête à plus de la moitié
d'entre eux et forcèrent les autres à la fuite. Ochali vé-
cut en granderéputation parmi les Turcs et il fut le maître
absolu de tout ce qui concernait la marine et les côtes de
l'Empire Ottoman, avec plus de pouvoir que n'en avait
jamais eu aucun Grand Amiral avant lui (3). Il tenait con-
(1) C'est la forteresse de Kars mais Haëdo est dans l'erreur en
disant que les Géorgiens la reprirent à Euldj-Ali, qui n'en termina
même pas la construction, dont l'achèvement fut dû au Seraskier
Mustafa-Pacha. (Voir Négociations de la France dans le Levant, t. III,
p. 808.) Il ne paraît pas avoir connu davantage le projet du perce-
ment de l'Isthme de Suez, qu'Ali commença à exécuter, et dont l'a-
chèvement ne fut entravé que par l'avarice de Sélim. (Loc. cit. t. IV,
p. 536, etc.)
(~) Sic,
(3) Ce n'est pas peu dire: car les pouvoirs d'un Capitan Pacha
seil indépendamment des autres Pachas, et il y donnait
seul les ordres, ce que jamais Amiral n'avait fait. Il avait
une habitude singulière les jours où il se trouvait mé-
lancolique, et où il ne voulait pas qu'on lui parlât d'af-
faires, il s'habillait de noir; quand il était vêtu de couleurs
claires, c'était un signe que chacun pouvait l'aborder et
lui parler. Il se fit construire pour l'habiter un grand et
somptueux palais à cinq milles de Constantinople, sur la
rive du détroit qui va de cette ville à la mer Noire
peu de temps après il éleva, sur le bord même de la mer,
une mosquée très grande, riche et somptueuse, et à côté
d'elle, une kouba ou sépulture très belle et très ornée à
la mode Turque c'est là qu'il fut enterré après sa mort.
Il n'avait ni fils, ni fille, mais gardait dans sa maison
plus de cinq cents Renégats, qu'il appelait ses fils et trai-
tait comme tels. En 1580, il avait 72 ans (1) sa barbe n'a-

étaient immenses. Tout ce qui se rattachait à la marine était sous ses


ordres absolus personnel, arsenaux, îles, côtes et ports, garnisons
et milices. Il avait le droit de lever des troupes et de frapper des
contributions. Hors des Dardanelles, il tenait Divan et jugeait en
dernier ressort, sans appel. Il donnait les charges et places dans la
marine, traitait directement pour les constructions et les réparations.
D'énormes revenus lui étaient assignés sur l'Archipel et l'Anatolie.
Trois compagnies de Janissaires lui servaient de gardes de corps, in-
dépendamment de ses officiers et de sa maison militaire.Enfin, il avait
le cinquième de toutes les prises maritimes. (Abrégé chronologique de
!M~o~ Ottomane, De La Croix, Paris, 1768, 2 vol. in-12, t. I,
p. 402.)
(1) Il mourutle 27 juin 1587, comble d'honneurs et de richesses,
mais n'ayant jamais pu parvenir à son desideratum, celui de tous les
grands Pachas d'Alger depuis Barberousse, c'est-à-dire la fondation
d'un État unique comprenant tous les royaumes de l'Afrique septen-
trionale. La réalisation de ce grand rêve, qui eût peut-être donné la
Méditerranée à l'Islam, fut toujours entravée par les défiances du
Grand Divan. Il est utile de faire remarquer que, jusqu'à sa mort, il
est qualifié de Roi d'Alger dans les lettres et mémoires des Ambas
sadeurs Européens, pour lesquels ses successeurs ne sont que des
gouverneurs intérimaires. (Voir (passim) les ~ocMtt'o~dejàcitees).
Après les fondateurs de la Régence, Euldj-Ali fut le plus illustre des
Pachas d'Alger. Il fut aussi le dernier de ceux qui méritèrent ce titre
plus de chefs
par leur valeur personnelle. Après lui, nous ne verrons
vait aucunement blanchi; il était de haute taille, robuste,
brun, avait la voix voilée à tel point, qu'on ne pouvait
l'entendre que de près sa tête (comme elle l'avait tou-
jours été) était pelée par la teigne. Il régna et gouverna à
Alger trois ans et un mois en personne, depuis le mois
de mars 1568 jusqu'au mois d'avril 1571, où il se rendit en
Turquie pour se joindre à la flotte Turque; il resta Roi
pendant une absence de plus d'un an, jusqu'au moment
où fut nommé Arab-Ahmed, en 1572 (1); pendant ce temps
il avait laissé comme lieutenant à Alger, son Kahia ou
majordome, le Caïd Renégat Mami-Corso.

de guerre, ni de grands politiques ce ne seront plus que des envoyés


triennaux, qui ne chercheront même pas à gouverner, et ne songe-
ront qu'à s'enrichir, tout en sauvant leur tête, se résignant à subir le
mépris et les caprices des Janissaires et de la TaïNe. La mort d'Euldj-
Ali marque donc une des époques de l'Histoire de la Régence elle est
suivie de l'abandon de la protection effective de la Porte pour Alger,
et, réciproquement, de la rupture des liens d'obéissance qui ratta-
chaient cette ville au chef de l'Islam. On verra plus tard, malgré les
ordres du Grand Divan, la milice et les Reïs déclarer la guerre à des
nations amies de leur Suzerain, s'érigeant ainsi de fait en état indé-
pendant. La France notamment, vit changer du tout au tout des re-
lations jusqu'alors excessivement cordiales, et que Euldj-Ali, pour
sa part, avait entretenues avec la plus grande affection. (Loc. cit., t. III,
p. 251,799, 848,854, 876, etc. )
(1) La vérité est qu'Arab-Ahmed, Rabadan et Hassan-Vénitien ne
furent, à proprement parler, que des Khalifats d'Euldj-Ali, qui con-
tinua à gouverner l'Afrique, et y fit nommer les Pachas à sa volonté,
jusqu'au moment où une intrigue de sérail amena le gouvernement
intérimaire de Djafer, qui est lui-même qualifié de Lieutenant d'Ali
dans les lettres de nos Ambassadeurs.
CHAPITRE XIX

Arab Ahmed Pacha, vingtième Roi.

§ 1-.
Au moment de la nomination d'Ochali au commande-
ment des flottes Turques, Arab Ahmed fut pourvu du
gouvernement d'Alger. Il était More ou Arabe, né à
Alexandrie, en Égypte; son nom propre était Ahmed, et
comme il était More ou Arabe, on le nomma Arab Ahmed,
pour le distinguer des autres Ahmed. Il fut élevé,
dans sa jeunesse avec les Turcs; étant ensuite passé
à Constantinople, il devint gardien des esclaves du
Sultan, charge très prééminente et de grand profit, parce
que celui qui l'occupe prend une grande partie de ce qui
est donné pour la subsistance des pauvres esclaves
Chrétiens. Comme il était intelligent et subtil, il sut se
faire de si bons amis que, lorsque Ochali, nommé Pacha
de la Mer, quitta le gouvernement d'Alger, il en fut
pourvu à sa place. Il y arriva au mois de mars 1572, avec
six galères qu'il renvoya tout de suite, à cause du besoin
qu'en avait son prédécesseur; car, cette année là, qui fut
celle de la bataille de Navarin, il combattait contre la
flotte Chrétienne (1). Et, comme à cette époque, on eut
bien peur que cette flotte ne vint attaquer Alger, Ahmed
s'occupa activement à rendre la ville aussi forte que
possible (2). Tout d'abord, il fit raser un grand et riche

(1) Il résulte d'une lettre de M. du Ferrier au Roi, qu'au mois de


juillet 1572, les Mores de l'intérieur étaient révoltes contre les Turcs.
(Négociations de la France dans le Levant, t. III, p. 282).
(2) Charles IX, instruit des projets de l'Espagne contre Alger, en
avait fait instruire Ahmed par le Gouverneur de Marseille. (Voir sa
lettre, citée dans les Négociations, t. III, p. 388). En revanche, le
faubourg composé de beaucoup de maisons, en dehors
de la porte Bab-Azoun; on en voit encore aujourd'hui les
ruines et les murs. Il détruisit cette porte elle-même, et
la refit entièrement à neuf, avec un ravelln en avant, et
agrandit partout le fossé, à la largeur qu'il a encore
aujourd'hui, comme nous l'avons dit dans la Topogra-
phie d'Alger (1). De ce même côté de la ville, qui est
celui où une attaque de l'ennemi est le plus à craindre, il
éleva un fort bastion ou cavalier à l'extrémité de la mu-
raille qui touche à la mer. Il édifia aussi, en dehors de
cette porte, une fontaine qui donne continuellement de
l'eau. Il tourna ensuite ses soins sur l'île qui est réunie
à la ville par le môle et le terce-plein qui forment le port,
et (comme nous l'avons dit ailleurs) (2) il l'entoura d'une
petite muraille formant comme un parapet fortifié, pour
que l'ennemi ne put y débarquer et, de là, battre la ville. Il
y construisit la tour du Fanal et l'autre tour qui est à la
pointe de l'île, pour garder le port pendant la nuit.
Depuis, il fit une autre fontaine considérable en dehors
de la porte Bab-el-Oued, en réunissant beaucoup de sour-
ces qui prennent naissance dans les petites montagnes
voisines d'Alger; les eaux en sont très claires, très
fraîches et salubres. Il s'occupa à ces divers travaux
pendant tout le temps de son règne qui dura deux ans
et deux mois, toujours présent au milieu des ouvriers et
les dirigeant, un bâton à la main. Il n'arriva rien de re-
marquable de son temps (3), hors une grande peste qui
dura près de deux ans et enleva plus d'un tiers de la

Roi d'Alger avait envoyé à son allié des présents de chevaux, lions,
tigres et bubales (que M. de Menillon appelle vache fort estrange).
(Loc. cit., p. 552).
(1) Chap. IX.
(2) Id.
(3) Haëdo ne semble pas avoir eu connaissance des démarches qui
furent faites en 1572 pour mettre un prince Français sur le trône
d'Alger. 0<i peut lire toutes les lettres relatives à cette singulière
tentative dans le tome 111 des ~ocMMo?M (p. 233 et 291-348).
population. Il rendit une justice rigoureuse et fit pendre
une grande quantité de Mores pour des fautes très
légères. Il était naturellement cruel, et comme il avait
été longtemps gardien de captifs, il avait toujours le
bâton à la main, en frappait les esclaves, et si quelque
Chrétien cherchait à s'enfuir (comme cela arrivait chaque
jour) il remplissait lui-même l'office de bourreau, tout
Roi qu'il était, et les bâtonnait sans pitié de sa propre
main. Il eut un soin particulier de satisfaire la milice,
que son prédécesseur Ochali avait mécontentée et avec
laquelle il avait toujours vécu en dissention; cette con-
duite lui concilia l'affection des Turcs (1) qu'il put gou-
verner quoiqu'il fut More ou Arabe, chose qui se voit
rarement,- parce que les Turcs considèrent tous les
Mores comme de la vile canaille ou à peu de chose près.

s"'
en
En 1574, quand Ochali attaqua La Goulette et le fort de
Tunis, Arab Ahmed, aussitôt qu'il eut appris son arrivée,
partit d'Alger à la fin de mai, laissant à Alger son suc-
cesseur Rabadan Pacha. Il emmenait trois galères à lui,
et quatre autres appartenant à des Reïs ses amis; ils
s'arrêtèrent quelque temps à Bougie, jusqu'à ce qu'ils
surent l'arrivée d'Ochali à La Goulette et ils vinrent alors
se joindre à lui. L'Amiral lui donna le commandement
d'une des batteries dressées contre La Goulette, du côté
de Arraez; Arab Ahmed se montra diligent et valeureux,

(1) Tout cela n'est pas très exact. Les Turcs ne laissèrent pas
Ahmed gouverner aussi tranquillement que le dit Haëdo. Le parti
des Reïs, commandépar Mami Arnaute, se mit en révolte ouverte et
gagna sa cause. En même temps, Charles IX se plaignait à la Porte
des infractions non réprimées par Abmed, qui fut disgracié et destitué
sur les réctamations de l'évêque d'Acqs « Il y a plus de deux mois
o qu'il a esté faict ??tSH~
(c'est-à-dire prive de solde et de grade), et
» en sa place a esté destiné un autre
Turc appelé Caïd Ramdan, etc. »
(Lettre de M. t'evêque d'Acqs au Roi, Négociations,t. III, p. 553,554).
non-seulement comme chef, mais encore dans le combat
où il se portait en personne comme un simple soldat.
Après la prise de La Goulette et du fort, il revint à Cons-
tantinople avec Ochali. En 1577, le Sultan lui donna le
gouvernement de l'île de Chypre, qu'il exerça toute cette
année; en 1578, les Janissaires s'insurgèrent contre lui,
à Famagouste, parce qu'il ne-leur donnait pas leur paye
au temps voulu; ils envahirent son palais et lui cou-
pèrent la tête (1); il fut donc Roi à Alger deux ans et
deux mois, et dans l'île de Chypre un peu plus d'un an.
A son départ d'Alger, il commençait à grisonner et avait
cinquante ans; à sa mort, il en avait cinquante-quatre;
c'était un homme robuste, très charnu, très brun, très
velu et barbu; son poil était noir, sa stature moyenne,
son caractère très colère et cruel. Il y avait eu dans son
temps une grande peste à Alger; les Rois, comme nous
l'avons dit ailleurs, héritent de ceux qui meurent sans
enfants, et des Mores mêmes s'ils en ont, à moins qu'ils
ne soient majeurs; encore, dans ce cas là, prennent-ils
une part; cette épidémie lui procura ainsi de grandes
richesses, dont hérita son fils, qui fut capitaine à Fanal,
et possédait deux galères bien armées; ce fils s'appelait
Mohammed, et vécut à Constantinople.

(1) Voir p. 150, note 2.


CHAPITRE XX

Rabadan Pacha,, vingt-unième Roi

§1~.
A la fin du mois de mai 1574, Rabadan Pacha, Renégat
Sarde (1), prit possession du Pachalik. Il avait été cap-
turé tout jeune en Sardaigne, un jour où il gardait un
petit troupeau de chèvres appartenant à son père son
patron, marchand Turc d'Alger, qui l'avait acheté,vit que
c'était un enfant bien doué et intelligent, et l'envoya à
l'école, où il apprit les langues Turque et Arabe, ainsi que
la lecture et l'écriture (2) de ces deux idiomes. Il vécut
longtemps avec son patron et, devenu grand, se maria
avec une Renégate Corse, s'occupant de commerce; plus
tard, il fut nommé Caïd dans divers pays. Pendant les
nombreuses années qu'il occupa ces charges, il acquit
de grandes richesses, du crédit et de la réputation, et se
fit connaître de tout le monde comme un homme juste,
droit, doux, bénin, ce qu'il était réellement; il avait un
jugement et une prudence remarquables pour un Turc.
Ce fut pour ces raisons qu'Ochali l'emmena avec lui, en
1569, quand il entreprit la conquête du Royaume de Tu-
nis. En 1570, en retournant à Alger, il le laissa comme
Gouverneur de la Tunisie, se disant qu'avec la prudence,
la justice, la douceur et le bon jugement qu'il avait plus
que tous autres, Rabadan contenterait et pacifierait les
Mores de ce Royaume nouvellement conquis. Les prévi-
sions d'Ochali furent justifiées, et Rabadan gouverna en
grande paix jusqu'au moment où Don Juan d'Autriche,

(1) D'après notre ambassadeur à Constantinople (lettre de M. de


NoaHles à Charles IX), Rababan était de nation Turque, et non René-
gat Sarde, comme le dit Haëdo. (Négociations, t. III, p. 554).
(2) Sic.
qui prit Tunis en 1573, le força de se retirer à Kaïrouan
avec tous ses Turcs (1). Pendant le temps de son gouver-
nement, il ne fit rien de remarquable, sinon quelques es-
carmouches contre les Chrétiens qui occupaient alors la
Goulette. Après sa retraite à Kaïrouan, il battit une ar-
mée de Mores qui, aidée de cinq cents soldats Chrétiens
que le Général de la Goulette leur avait envoyés, était
venue l'attaquer à Mahamete, ville située entre Tunis et
Kaïrouan; il en fit un grand massacre et captura quelques
Chrétiens. En 1573, les Mores et les habitants d'Alger de-
mandèrent au Sultan de faire remplacer Arab Ahmed (2)
et de leur envoyer pour roi Rabadan, qui leur était con-
nu depuis son enfance et était très aimé et chéri à cause
de sa bonté. Pour mieux réussir, ils envoyèrent à Cons-
tantinople un de leurs principaux marabouts, nommé
Sidi Bou Taïb, sur la galiote de Mami-Arnaute, Capitaine
de la mer, qui y allait pour se plaindre d'Arab Ahmed, qui
lui avait enlevé sa charge et l'avait donnée à un autre
Renégat Albanais, nommé Morat Reïs le Grand; sur
cette même galiote, se trouvait Muley Maluch, frère du
Roi de Fez Muley Abdallah et oncle de Muley Moham-
med (plus tard, il fit la guerre à ce dernier et fut tué à la
même bataille que le Roi de Portugal Don Sébastien, au
mois d'août 1578). Muley Maluch allait en Turquie pour
demander au Sultan de l'aider à recouvrer le Royaume de
Fez, dont il avait été chassé depuis plusieurs années,
pendantlesquelles il avait vécu à Alger, en grande crainte
de son frère Muley Abdallah. Le Sultan leur accorda à
tous leur demande, c'est-à-dire, aux habitants d'Alger
Rabadan pour Roi, et à Muley Maluch l'investiture du
Royaume de Fez à cet effet, il écrivit à Rabadan de ré-

(1) Voir page 149, note 3.


(2) Voir page 156. D'après une lettre adressée par M. de Menit-
lon à Charles IX, Arab Ahmed avait voulu faire délivrer des esclaves
Français pris par quelques corsaires Mami Arnaute excita une
émeute de la Taïffe, et le Pacha, abandonné de tous, se vit réduit à
l'impuissance. (Négociations, t. III, p. 553).
tablir Muley Maluch sur son trône. Il chargea le Capi-
taine Mami-Arnaute de porter ses dépêches (en lui resti-
tuant la charge de Capitan qu'Arab Ahmed lui avait
enlevée), et celui-ci partit de Constantinople le 20 mars,
y laissant Ochali qui faisait ses apprêts pour se rendre à
la Goulette (1). A ce moment, Rabadan était retiré à
Kaïrouan (comme je l'ai dit), s'étant enfui de Tunis d'où
Don Juan l'avait chassé. En conséquence, le Capitaine
Mami Arnaute vint à Sus, port du Royaume de Tunis, et
de là fit savoir à Rabadan sa nomination au gouverne-
ment d'Alger, l'invitant à venir s'embarquer. Celui-ci ne
retarda pas son départ, et laissa à sa place un de ses Re-
négats, qui était Beglierbey de son armée, lui donnant le
commandementdes Turcs jusqu'à l'arrivée d'Ochali. Il
se trouvait en mer, à la hauteur du cap Bon (qu'ils ap-
pellent Cimbulo), quand sa flotille fut aperçue par Don
Juan de Cardona, Général des galères de Sicile, qui lui
donna la chasse pendant six ou sept milles seulement
ils parvinrent à lui échapper en faisant quelques signaux
qui donnèrent à croire à Don Juan de Cardona que, der-
rière une pointe voisine où les Turcs avaient mis le cap
pour prendre terre, il devait y avoir plusieurs vaisseaux
amis qu'ils appelaient par ces signaux à leur secours;
comme il était seul et très en avant des galères de Sicile,
il n'osa ni pousser plus loin, ni continuer la chasse s'il
eût fait deux milles de plus, il les eût pris, car Rabadan,
Muley Maluch, son beau-frère Hadj Morat, le Capitan
Mami-Arnaute et tous les autres, s'étaient déjà désha-
billés et mis à la légère, pour se jeter à la mer et s'échap-
per en gagnant la côte (2). Le nouveau Pacha arriva à la
fin de mai et fut reçu avec un contentement général. Il

(1) Voir la lettre de M. de Noailles, d'avril 1574 (Négociations, t.


III, p. 488, etc.).
(2) Cette anecdote,jointe à l'abandon précipité de Tunis lors de
l'attaque de Don Juan d'Autriche, ne nous montre pas Rabadan sous
un aspect très belliqueux.
s'occupa tout d'abord de grands préparatifs de guerre
pour se rendre à Fez, avec Muley Maluch, conformément
aux ordres du Sultan, et d'envoyer du monde à la Gou-
lette, afin d'aider Ochali à son arrivée, ce que le Grand
Seigneur lui avait encore ordonné. A la fin de juillet, ayant
appris qu'il y était arrivé, il lui envoya ce même Gapitan
de la mer, Mami Arnaute, avec neuf grosses galères et
galiotes chargées de troupes, artillerie et munitions, qui
furent très utiles à Ochali. Au mois de décembre 1575,.
il partit d'Alger pour Fez, dans l'intention de mettre Mu-
ley Maluch en possession de ce Royaume. Il avait avec
lui six mille mousquetaires Turcs, mille Mores Azua-
gues, vassaux du Roi de Kouko, armés de mousquets et
bons soldats (les Rois d'Alger se servaient d'eux depuis
plusieurs années dans leurs guerres et dans les détache-
ments qu'ils envoyaient à travers le pays pour recueillir
l'impôt), huit cents Spahis à cheval et douze canons,
avec beaucoup de projectiles, poudre et munitions. En
chemin, il augmenta son armée d'environ six mille cava-
liers provenant de ses vassaux Mores ou des Arabes
amis. Il arriva avec son armée, au milieu de janvier
1576, à deux milles de Fez, où Muley Mohammed le Nè-
gre, neveu de Muley Maluch, l'attendait avec environ
trente mille cavaliers Mores et autant de fantassins, par-
mi lesquels il y avait près de trois mille mousquetaires
Elches et Andalous, ou Mores d'Espagne. Pendant tout
le temps que Muley Maluch était resté à Alger, à l'époque
de sa fuite et de son absence de Fez, il n'avait pas cessé
d'entretenir des intelligences avec les principaux Caïds
de Fez et du Maroc,qui lui avaient assuré qu'ilsdésiraient
beaucoup le voir remonter sur le trône. Depuis son re-
tour de Constantinople, il avait continué ses démarches
avec encore plus d'activité, et avait prévenu ses parti-
sans que le Roi d'Alger et tous ses Turcs allaient arri-
ver, en les priant de se tenir prêts et de se déclarer en sa
faveur, aussitôt qu'il serait entré dans le Royaume. En
résumé, Muley Maluch, homme prudent, et (comme je
12
l'ai entendu dire de beaucoup de personnes qui l'appro-
chaient de près) très perspicaceet très éloquent, sut si
bien négocier, que lorsque le Roi d'Alger arriva à Fez,
les principaux Caïds et tous les Elches et Andalous mous-
quetaires étaient subornés et rangés à son parti. Aussi,
dès le commencementde la bataille, ils passèrent de son
côté; Muley Mohammed fut obligé de s'enfuir vers Maroc,
avec quelque peu de Caïds qui le suivirent et furent fi-
dèles de sorte que Rabadan Pacha, Roi d'Alger, et son
armée n'eurent personne à combattre. Aussi entrèrent-
ils tous à Fez sans opposition, furent-ils bien reçus, et
Muley Maluch se vit obéi de tous sans contradiction;
presque tous les Caïds et les vassaux de son neveu vin-
rent lui baiser la main. Cela fait, Rabadan se décida à re-
gagner Alger, et Muley Maluch, en récompense de son
aide, lui donna trois cent mille metikals d'or, beaucoup
de richesses et cent Chrétiens esclaves de son neveu,
qui se trouvaient à Fez; quant aux Turcs, il ajouta à la
paye qui leur était due beaucoup de joyaux, et leur ré-
partit une grosse somme qu'il emprunta aux Mores et
aux Juifs de Fez, en sorte qu'ils s'en allèrent tous très
contents et satisfaits. Et, pour s'affermir davantage sur ce
trône nouvellementconquis, il obtint de Rabadan Pacha
qu'il lui laisserait les mille Azuagues qu'il avait amenés
et environ trois cents Turcs; de plus, quelques-uns des
principaux de ceux-ci, auxquels il offrit de riches récom-
penses, restèrent avec lui de bonne volonté sur sa de-
mande c'est avec leur aide que, plus tard, il conquit le
Royaume de Maroc et d'autres Provinces, chassa Muley
Mohammed dans les montagnes, et le força ensuite de
s'enfuir à Tanger y demander en désespéré la protection
du Roi Don Sébastien de Portugal; ce fut encore grâce à
ces auxiliaires, qu'il put battre ce Roi et son rival, dans
la bataille qui se livra, le 5 août 1578, près de la ville de
Alcacer, où il fut tué lui-même d'un coup de mousquet
qu'un Portugais lui tira dans la poitrine, au commence-
ment de l'action. Rabadan rentra à Alger au milieu de
mars 1576; le 29 juin 1577, jour de Saint-Pierre et Saint-
Paul, arriva à Alger Hassan Pacha, Vénitien, Renégat
d'Ochali, que le Sultan lui envoyait pour successeur.
Rabadan régna donc à Alger trois ans et un mois;
pen-
dant ce temps, Alger fut plus tranquille qu'il ne l'avait
jamais été (1), parce que Rabadan gouverna avec une telle
justice et équité, qu'il n'y avait pas un seul homme qui
se plaignît de lui, et on ne peut dire desquels il fut le
plus aimé, des Mores ou des Turcs. Aussi, quand ils vi-
rent qu'il les quittait, tout le monde en éprouva un im-
mense chagrin. Pendant son règne, il fit élever un bas-
tion très beau et très fort, au-dessous de la porte Bab-el-
Oued, à l'extrémité des murailles qui touchent à la
mer
nous en avons donné ailleurs (2) la forme et les dimen-
sions.

§2.
Au mois d'août suivant, et le 19 de ce mois, il partit
d'Alger pour Constantinople dans la galère Saint-Paul
de Malte, que les Corsaires d'Alger avaient prise, le 1<
avril de cette même année, à l'île Saint-Pierre, près de la
Sardaigne; elle lui appartenait, parce que les Rois d'Al-
ger retenaient pour leur part de prise toutes les coques
et les agrès des navires qui se capturaient; il partit
avec
cinq autres galères Turques qui avaient servi d'escorte
à son successeur, Hassan Pacha. Arrivé à Constantino-
ple, il fit si bien, que le Sultan, informé de ses services
et de sa très bonne manière de gouverner, lui confia tout
de suite le Pachalik de la ville et du Royaume de Tunis.
Il y arriva au milieu d'octobre, et tous les habitants, qui
connaissaient sa justice et sa bonté, l'y reçurent très
()) Au printemps de l'année 1576, Don Alvarez de Bazan,
debanta-Cruz.Ët une descente dans l'île de Kerkennah et lamarquis
à fond. (De Thou, Histoire universelle, t. VII, ravagea
p. 350).
(2) reposa, chap. IX.
joyeusement; il gouverna ce Royaume pendant deux
ans, en grande paix et tranquillité, très bien vu de tous
les Mores, Turcs et Arabes. En octobre 1579, le Sultan lui
jamais
envoya un successeur, et, pour qu'il conservât à
le gouvernement de Tlemcen, qui lui fut donné à cette
époque, il n'y fut pas simplement nommé Caïd, comme
l'avaient été tous les autres, ni soumis aux Pachas, mais
il reçut lui-même le titre de Pacha et fut exceptionnel-
lement soustrait à la juridiction d'Alger, En ce temps-là,
le Sultan fut informé que le Roi de Fez, frère et succes-
seur de Muley Maluch, cherchait à faire alliance et ami-
tié avec le Roi d'Espagne Philippe II, et ne voulait pas
reconnaître le Grand Seigneur comme suzerain, ainsi que
l'avait fait son frère depuis la bataille où moururent les
trois Rois Don Sébastien, Muley Maluch et Muley Mo-
hammed, et où il avait gagné de si grandes richesses, il
quoiqu'il
ne lui avait envoyé ni présent, ni ambassade,
eût reçu lui-même un envoyé de Constantinople, qui était
venu le féliciter de ses victoires et de son avènement, et
lui offrir un très riche sabre informé aussi qu'il avait
fait décapiter la plupart des Turcs qui étaient dans son
Royaume, il soupçonnait (comme ce fut en ce temps-là
le bruit public) que le Roi de Fez se disposait à déclarer
la guerre à Alger, allié pour cela au Roi d'Espagne (1). Il
envoya donc l'ordre à Rabadan de pénétrer les
desseins
du Roi de Fez, de lui déclarer la guerre et de le chasser
de son Royaume, si les informationsprises confirmaient
d'Alger
ses soupçons il ordonna en même temps au Roi
et à ceux de Tripoli et de Tunis, de fournir à cet effet toutes
les troupes, l'artillerie et les munitions nécessaires, et de
faire, chacun de leur côté, tout ce dont ils seraient re-

(1) I[ est certain qu'à cette époque, les souverains du Maroc cher-
chèrent à s'allier à l'Espagne Euldj-Ali surveillait avec soin leurs
menées, sur lesquelles il était renseigné par les ambassadeurs fran-
ré-
cais, et ne cessait d'exciter le Sultan à en finir avec ces vassaux
voltas et à faire de l'Afrique du Nord un Empire unique, dont Alger
241,266, 5t7, etc.)
eût été la capitale. (Négociations, dej. cit., t. IV, p.
quis par Rabadan. Celui-ci partit de Tunis dans l'inten-
tion d'exécuter ces ordres, et se rendit à Bizerte pour
s'embarquer dans sa galère, le ~Po'M~ qui s'y trou-
vait alors, et se diriger de là vers Alger et Tlemcen. A la
fin de novembre, comme il était encore à Bizerte, logé
sous la tente avec tout son monde, attendant que sa ga-
lère et les autres qui devaient l'accompagner fussent
prêtes, arriva une galère d'Alger, que la milice envoyait
au Sultan pour lui porter des plaintes et des accusations
contre Hassan Pacha, Renégat Vénitien, qui gouvernait
Alger; dans ce navire, se trouvaient les principaux Ja-
nissaires, les Boulouks Bachis, et des Mores des Pro-
vinces d'Alger, que la milice avait envoyés en personne
à Constantinople pour informer le Sultan des violences
et des vexations commises contre eux par Hassan Pacha.
Parmi eux, pour le même objet, et de la part de la ville
d'Alger, se trouvait le marabout Sidi Bou Taïb, Caciz (1)
de la principale mosquée d'Alger; tous avaient commis-
sion, de la part de tout le Royaume, de demander au
Sultan qu'il leur donnât pour roi Rabadan Pacha. En ap-
prenant ces nouvelles, celui-ci empêcha la galère de pas-
ser outre, et écrivit à la milice que, pour l'amour de lui,
elle calmât sa haine contre Hassan Pacha; il se condui-
sait ainsi pour deux raisons la première était l'obliga-
tion que lui aurait de cette démarche Ochali, maître et
patron d'Hassan, qui lui avait fait donner le Royaume
d'Alger, et la seconde la crainte qu'Ochali ne crût que
c'était lui qui avait excité la milice à le demander pour
Roi. Tel était le respect que tout le monde avait pour
Ochali, à cause de sa grande puissance et de son auto-
rité Mais la milice d'Alger ne voulut pas se rendre.aux
prières de Rabadan et envoya, au contraire, en grande
hâte et par la même route de terre, d'autres Boulouks Ba-
chis à Bizerte; ils devaient arrêter les premiers, qui n'a-

(t ) Ce mot est transcrit parHaëdo, tantôt sous cette forme, tantôt


sous celle de C/MCM.
vaientpascontinuéleurroute, les envoyer enchaînësàAl-
ger, et alleràConstantinople àleurplace; ceux-ci, effrayés
de la colère de la milice, n'osèrent ni désobéir ni attendre.
un nouvel ordre. Il s'en suivit que Rabadan Pacha, espé-
rant être nommé Roi d'Alger, séjourna à Bizerte, d'où il
ne partit que le 15 mars 1580 il se dirigea vers Alger, où
il arriva le 4 avril. Il y avait en ce moment une grande sé-
cheresse (1) qui mettait en dangerles récoltes, parce qu'il
y avait longtemps qu'il n'avait plu il arriva que la nuit
même de l'arrivée de Rabadan, et avant qu'il ne débar-
quât, il tomba une grosse pluie. Cela fut cause que toute
la ville commença à proclamer, qu'à cause du mérite
de Rabadan, qui était un saint homme et un marabout,
Dieu avait envoyé cette pluie pour fêter son arrivée. A
son débarquement, il ne demeura en ville que trois jours,
quoiqu'il y possédât de très beaux palais, et se rendit
à la hâte dans une de ses fermes, située à quatre milles
d'Alger, où il se logea avec les nombreux Renégats
et domestiques de sa suite dans de petites maisons
ou sous la tente, répandant le bruit qu'il s'apprêtait à
aller immédiatement à Tlemcen, afin de ne pas exciter
les soupçons d'Hassan Pacha, qui était dénant et sour-
nois. Ensuite, ne voyant pas arriver la galiote de son
gendre, le Caïd Khader de Constantine, dont il avaitbesoin
pour prendre la mer, attendant son kahia ou major-
dome qu'il avait envoyé au Sultan avec quelques com-
missions particulières, dans la galère des Janissaires
dont nous avons parlé, il continua à rester où il était,
s'attendant toujours à être nommé roi d'Alger. II y
séjourna jusqu'au 29 août, jour où arriva l'eunuque
Djafer Pacha qui venait prendre le gouvernement (2).

(1) Pendant l'hiver de 1579-1580, il y avait eu à Alger une famine


terrible les Janissaires s'étaient révoltés et avaient pillé les maga-
sins publics et privés.
(2) Dans les lettres de nos ambassadeurs, Djafer est qualifié de
Lieutenant d'~M~' Ali. (Lettres de M. de Germigny au Roi, A~ocM-
tions déjà cit., t. IV, p. 85, 86, etc.)
Cela décida Rabadan à aller en personne à Constanti-
nople, en compagnie d'Hassan qui cessait d'être Roi.
.S'embarquant donc dans sa galère, le .S~ffM~ de
Malte, il partit avec Hassan le 19 septembre 1580. C'était
un homme de cinquante-cinq ans, de taille moyenne,
d'un teint brun, avec une forte barbe noire, de l'embon-
point et les yeux un peu bigles; c'était, comme nous
l'avons dit, un bon gouverneur, très juste, sans cupidité,
très amateur de la lecture des livres religieux arabes et
turcs, occupation qui lui prenait tout le temps que les
affaires lui laissaient (1). Il n'eut qu'une seule femme,
Renégate Corse, qui lui donna un fils alors âgé de vingt-
un ans, et deux filles, dont l'aînée épousa un riche
Renégat Espagnol, nommé Caïd Mami, et la seconde le
Caïd Khader, fils d'un Renégat Napolitain.

(1) Ramadan revint à Alger comme Pacha en avril ~582 mais la


milice se refusa à le reconnaître, et redemanda Hassan Vénitien, ce
qui cadre assez mal avec les appréciations d'Haëdo. II quitta Alger
en août 1583, et fut nomme Pacha à Tripoli; il y mourut en 1584
De Thou dit qu'il fut massacré par la milice, étant en guerre avec le
Roi de Kairouan. (Histoire MMrenM~, t. IX, p. 2~6). D'après une
lettre de M. de Maisse au Roi, il aurait été empoisonne.(Négociations,
t IV, p. 315). Ce fut sa veuve qui fut la victime de la cruauté du
patricien Emo, et dont la fin dramatique faillit rallumer la guerre
entre laPorte et Venise. (Négociations,t, IV, p. 313-~7, 358, 551, etc).
CHAPITRE XXI

Hassan Pacha, Vénitien, vingt-deuxième Roi.

S~er
Hassan Pacha, Renégat Vénitien, succéda à Rabadan
Pacha. Étant tout jeune garçon, il naviguait sur un vais-
seau Esclavon ou Ragusain, où il servait de commis à
l'écrivain, ce vaisseau fut pris, dans un combat, par Dra-
gut-Reïs, Roi de Tripoli Hassan devint esclave des Turcs
et fut amené dans cette ville. Son nom chrétien était An-
dretta il tomba en partage à un Turc Levantin, qui le fit
renier et le garda longtemps avec lui puis, étant mort
sans enfants, tous ses biens et ce même Andretta ou
Hassan échurent à Dragut. Quand ce dernier eut été tué
à Malte, en 1556, et qu'Ochali lui eut succédé, en s'empa-
rant de tout son héritage, Hassan devint l'esclave du
nouveau Pacha, et, comme il fut toujours astucieux,
plein de savoir-faire, d'audace et de désinvolture, il ga-
gna, tant par ces qualités que par des fe~~Me~'es (1)
familières aux Turcs, la faveur d'Ochali quand celui-
ci fut nommé Roi et Gouverneur d'Alger, il le fit
son
Elami, c'est-à-dire Trésorier ou Intendant général. Il
continua à remplir les mêmes fonctions auprès de lui,
quand il fut Grand Amiral en Turquie, et, comme il était
d'une nature très ambitieuse et très active, il occupa
tous les offices chez son maître, même le commande-
ment des esclaves captifs, qui le craignaient comme un
diable, à cause de sa cruauté et des supplices qu'il leur

(1) Vellaquerias. Le mot ne peut pas se traduire exactement en


français. C'est un terme méprisant qui laisse entendre de basses com-
plaisances et des actes infamants.
infligeait. Plus tard, Ochali lui donna le commandement
d'une galère quand il prit la mer avec son patron, il
eut toujours soin de composer sa chiourme des meil-
leurs rameurs qui se trouvaient dans le bagne; ils étaient
aussi les plus battus et les mieux rossés de toute la
flotte, en sorte que sa galère était toujours en avant des
autres. Il se trouvait avec Ochali à la prise de la Gou-
lette, et, en 1577, il en obtint, à force d'importunités, le
Gouvernementd'Alger, quoique celui-ci, comme il le dit
souvent, craignît, connaissant bien le caractère d'Has-
san, qu'il n'eût avec la Milice d'Alger, race indomptable,
les mêmes désagréments qu'il avait eus lui-même autre-
fois. Il fut cependant nommé, et Ochali lui donna une de
ses galères et cinq autres galères Turques bien armées,
avec lesquelles il partit de Constantinople, à la fin de mai
1577, emmenant avec lui Mustapha de Xilo, Renégat de
cette île, pour commander la flotille pendant le voyage.

§2.
Il était à peine nommé, que quelques-uns des Renégats
d'Ochali, qui partaient avec lui et qui le détestaient à
cause de sa cruauté et de sa basse condition, firent le
complot de le tuer en route et de se sauver en terre
Chrétienne avec la galère. Mais, comme on était près
d'arriver à Malvasia, ville de Morée, trois de ces René-
gats s'étant disputés avec un jeune garçon Vénitien nom-
mé Xavan,qui était un des auteurs et un des chefs de la
conspiration, celui-ci découvrit le complot à Hassan en
lui nommant ses complices. Hassan, arrivé à Malvasia,
fit attacher par le bras gauche un de ces Renégats, nom-
mé Jusuf, de nation Grecque, à la pointe de l'antenne de
sa galère, et le fit percer cruellement de flèches; il fit
mettre un autre Renégat Grec, nommé Amuça, dans une
barque où on l'étendit, tout nu, sur une planche, atta-
ché, par les pieds et les mains, à quatre cordes sur cha-
cune desquelles tira une galère lancée à toutes rames,
et il le fit mettre ainsi en quatre quartiers plus tard, en
arrivant à Coron, ville de Morée située à cent milles plus
loin, il fit attacher, par le bras droit, à la pointe de l'an-
tenne de sa galère, un autre Renégat Calabrais, nommé
Reyeb, et lefit tuer à coups de nèches. Il fit mettre le reste
des conjurés à la chaîne, après s'être longtemps laissé
supplier de leur faire grâce de la vie pour cette fois.

§3.
Il arriva à Alger le 29 juin 1577, le jour même des
Apôtres saint Pierre et saint Paul, et commença d'abord
(contre toute justice) par s'emparer de tous les esclaves
aptes à payer une bonne rançon, qui appartenaient aux
Reïs, aux Turcs, aux Mores et à Rabadan Pacha lui-même,
ce qui était la meilleure manière possible de se procurer
de l'argent. Personne n'osa s'opposer à sa volonté, ex-
cepté le Caïd Mohammed le Juif, qui ne voulut jamais
consentir à se laisser prendre un Chevalier de Malte et
deux prêtres qui étaient ses esclaves, ce qui leur coûta
quatre ans et demi de la plus terrible captivité qu'on ait
jamais subie à Alger et dans la Barbarie. En outre, il força
les Reïs et lés Corsaires, qui ne payaient auparavant aux
Rois que le septième de leurs prises, à en donner le cin-
quième, et il ne laissa aucun d'eux armer un bâtiment
sans se faire comprendrepour une part personnelle dans
les chances de l'entreprise. De plus, il fit acheter beau-
coup de blé, duquel il y avait alors disette à Alger et dans
le Royaume, en fit faire du pain et le fit vendre il agit
de même pour le beurre, l'huile, le miel et les légumes, si
bien que les Janissaires lui disaient plus tard en face que
tout ce qui se vendait au marché était à lui, excepté les
choux et le cresson. Il augmenta beaucoup le tribut des
Mores et des Arabes, et, comme pendant les trois ans que
dura son gouvernement, il y eut une grande famine à
Alger, il les força de payer en blé et en orge, qu'il fit
vendre ensuite, dans toutes les villes et bourgades du
Royaume, à ces mêmes Mores et Arabes, en retirant le
double du prix pour lequel on le lui avait donné. Il fit
aussi le commerce de la viande, se procurant une grande
quantité de moutons qu'il vendit aux boucheries, par
l'intermédiaire de quelques Mores, ses affidés. Il ramassa
aussi presque toute la monnaie d'argent, c'est-à-dire les
aspres, qu'il y avait à Alger, et fit faire chez lui de la nou-
velle monnaie par des orfèvres Chrétiens, ses esclaves,
transformant l'ancienne en aspres de Turquie, qu'il en-
voyait à Constantinople, où l'argent était très recherché;
avec le reste, qu'il mélangea avec beaucoup d'alliage, il
fit faire des aspres d'Alger. De plus, il ne permit de ven-
dre des captifs, soit en public, soit de gré à gré, ni à au-
cun d'eux de se racheter, sans qu'auparavanton ne l'eût
amené devant lui et s'il lui semblait qu'on pût y gagner
seulement trente écus, il le payait à son patron et s'en
emparait (1); et ensuite le malheureux captif avait des
milliers d'écus à débourser pour se racheter. D'après
l'ancien usage, les Rois accordaient le courtage des cuirs
et des cires que les marchands Chrétiens achètent à Al-
ger à un Turc ou à un More, qui peut seul les acheter aux
Indigènes et les vendre aux Chrétiens désirant garder
ce gain pour lui, il s'empara de cette charge et fit faire
l'achat et la vente par ses Renégats ou ses serviteurs
Mores. L'usage était encore que les. marchands Chrétiens
pussent vendre librement après avoir payé les droits, et
que le Roi, s'il achetait quelque chose, le payât comme
les autres; mais il voulut qu'on lui présentât les mar-
chandises avant le payement des droits, et il choisissait
ce qu'il voulait et pour le prix qui lui plaisait; encore ne

(t) Le droit de préemption et de retrait des captifs avait toujours


appartenu aux Pachas c'était un de leurs droits régaliens, et Haëdo
le constate lui-même dans plusieurs passages du Dialogo de los ~f<M'-
tyres.
payait-il que très tardivement,après mille importunités,
offrant en payement des cuirs pourris que personne ne
voulait plus prendre, et si le marchand n'en voulait pas,
il devait se résigner à perdre le tout. Avec la même ava-
rice, il exigea que les Turcs payassent, comme le font
les Mores, les droits de succession, dont ils avaient tou-
jours été exemptés jusque-là, ou qu'ils abandonnassent
l'héritage, et, sinon, qu'ils renonçassent aux paies-mortes
qu'ils touchaient presque tous; mais il ne put pas obte-
nir cela, parce qu'ils se révoltèrent tous contre lui. Quant
à la justice, il la rendit comme une bête féroce, principa-
lement contre les pauvres Chrétiens car, lorsqu'un
Chrétien était pris cherchant à fuir, il le faisait saisir par
ses esclaves et brûler vif en leur présence; il faisait bâ-
tonner les autres jusqu'à la mort, et leur coupait lui-
même les narines et les oreilles, ou faisait exécuter ce
supplice devant lui (1).
Mû par le désir de s'emparer d'un vaisseau Catalan et
de rendre captifs les neufmarins Chrétiens de l'équipage,
il suborna (cela fut su de tout le monde) des Turcs qui
firent cacher deux Chrétiens Catalans dans ce vaisseau,
qui était une jolie saëtie puis il envoya visiter le bâti-
ment, et quand on y eut trouvé les captifs, s'en empara,
ainsi que de l'équipage, qu'il mit à la chiourme de sa ga-
lère. Il pendit de ses propres mains, dans son palais et
dans sa chambre même, un de ses esclaves nègres qui
avait commis un vol domestique. De son temps, la Li-
mosna de Portugal arriva à Alger avec des Pères Théa-
tins qui venaient faire des rachats d'esclaves; comme ils
avaient apporté quatorze mille écus de quatre et de huit
réaux, il s'en empara sans raison, les paya aux Pères
comme il le voulut, et bien moins que ce qu'ils valaient
dans le pays. Enfin, il fit tant d'injustices, d'extorsions,
de violences et de vols, que les Turcs et les Mores invo-

(1~ Cervantes, dont ce terrible homme fut le patron, nous en a


laissé un portrait tout à fait semblable à celui d'H.a.ë(}o.
quaient Dieu contre lui, et un des principaux Marabouts,
ou Chaciz, dans une procession que faisaient les Mores
pour demander de la pluie, parce qu'il n'en était pas tom-
bé depuis dix mois (d'avril 1578 jusqu'en février 1579),
lui dit en face que c'était à cause de ses péchés que Dieu
ne donnait pas d'eau.
En ce moment, se trouvait à Alger le Renégat Morat-
Reïs, de nation Arnaute (que nous nommons Albanais),
fils de parents Chrétiens, tombé à douze ans au pouvoir
du corsaire Carax Ali, un des Capitaines les plus fameux
d'Alger (1); ce Morat étant un garçon bien doué, son pa-
tron lui avait donné une galère de dix-neuf bancs, pour
qu'il l'accompagnât en course, comme il l'avait fait plu-
sieurs fois, donnant de nombreuses preuves de son ha-
bileté, de sa valeur et de son intrépidité, qualités qu'il
montra bien clairement en 1565, lorsque la flotte Turque
attaqua Malte car, s'étant séparé de son maître pour
aller en Corse avec le vaisseau qu'il lui avait donné, ar-
rivé à Pianosa, qui est près de l'île d'Elbe, non loin de
Piombino, son vaisseau s'étant brisé contre un rocher,
il trouva moyen de ne perdre que la coque, sauvant toute
sa chiourme et tout ce que contenait la galiote, présage
certain de la grande fortune qui lui était réservée. Il ca-
cha dans une caverne ses captifs, ses voiles, ses rames
et agrès, et passa quarante jours dans l'île, jusqu'à l'ar-
rivée fortuite de quatre galiotes Turques qui allaient en
Corse, sur lesquelles il embarqua ce qu'il avait caché et
revint à Alger, où se trouvait son patron Carax Ali, qui,
pour le punir de l'avoir quitté et de n'avoir pas été à l'at-
taque de Malte, lui enleva tous les Chrétiens qu'il avait

(1) De Thou le nomme Cs~cetoH et Caragiali. Le jour de la bataille


de Lépante, il alla, seul, reconnaître la flotte Chrétienne, en compter
les bâtiments et en évaluer les forces; cet acte d'audace le mit en re-
lief. Enl5G8, lorsque le prince de Piombino avait tenté de prendre
Bônepar surprise, Carax Ali, à la tète de la flotille algérienne, l'atta-
qua et le força de se retirer après un rude combat. (De Thou, //M-
toire universelle, t. V, p. &OH,et t. VI, p. 233.)
ramenés; cela fut cause que Morat-Reïs, fort mécontent
de son maître, le quitta, très désireux de faire la
course pour son compte, afin de se relever et de réparer
son échec. Il arma une galiote de quinze bancs, bien
pourvue de tout le nécessaire, et s'en fut avec elle sur
les côtes d'Espagne, où il prit trois brigantins qui al-
laient à Oran, avec cent quarante Chrétiens; cette victoire
fut si rapide qu'il arriva à Alger, à sa grande joie, sept
jours seulement après son départ. Depuis ce moment, il
eut l'affection des Corsaires et des habitants, et son pa-
tron lui arma un vaisseau de dix-neufbancs pour conti-
nuer la course qu'il faisait avec tant de succès. Le pre-
mier voyage que Morat fit avec cette galiote fut en com-
pagnie d'Ochali, Roi d'Alger, qui, sorti en course avec
quatorze vaisseaux, prit quatre galères de Malte, près de
Licata, en Sicile (comme nous l'avons raconté); il s'en
fallut de peu qu'Ochali ne fît tuer Morat, à cette occasion;
celui-ci tenait la tête de la flotte avec un autre corsaire
nommé Kara Oja, qui commandait une galère de vingt-
quatre bancs, et ils attaquèrent ensemble la galère de
Malte la Sainte-Anne, qui était restée seule à attendre le
choc des Turcs. Ochali, voyant qu'on lui avait manqué
de respect au point de chercher à le précéder et à lui en-
lever l'honneur de cette prise, qu'il pouvait faire avec sa
galère sans l'intervention de Morat, faillit le punir sévè-
rement toutefois, il dissimula sa colère, par égard pour
Carax Ali. Après le départ de ce dernier pour Constanti-
nople, Morat-Reïs résida à Alger, partant souvent en
course, faisant de grosses prises et bien du mal à la Chré-
tienté. Ces captures le rendirent si riche qu'il devint un
des plus grands Corsaires d'Alger et un de ceux qui nous
châtièrent le plus durement de nos péchés. Nous n'en
fîmes que trop la triste expérience en 1578 (1), lorsque,
(1) Ce fut dans cette course qu'Haëdo fut pris. Nous sommes tout
au moins certain que c'est à la même date, et le ton personnel que
prend ici l'auteur nous est une preuve surcrogatoire qui ne manque
pas de valeur.
sortant d'Alger, au mois de janvier, avec huit galiotes,
partie à lui, partie à cinq autres Reïs de ses amis, il sui-
vit la côte de Barbarie jusqu'à Porto-Farina, lieu situé à
quarante milles de Tunis, où il resta plus de deux mois
à cause du mauvais temps, ravitaillé par le Roi de cette
ville jusqu'au moment où le temps lui permit de conti-
nuer son expédition il passa alors en Calabre avec ses
vaisseaux, resta en relâche pendant assez longtemps
(suivant la coutume des Corsaires) dans les petites baies
qui sont sur la côte, jusqu'à ce que, un matin qu'il se
trouvait près de Policastro, il découvrit deux galères de
Sicile, dans lesquelles se rendait en Espagne le Duc de
Terranova, Président et Capitaine général, qui gouver-
nait la Calabre. Morat donna si vivement la chasse à ces
galères, avec ses huit vaisseaux, que six d'entre eux en
atteignirent une, nommée le Saint-Ange, qui, ayant ga-
gné le large, fut prise très aisément sans que personne
pût s'en échapper. Morat-Reïs, avec sa galiote et une
autre qui le suivit, attaqua la capitane de Sicile, en la-
quelle se trouvait Terranova, qui, se voyant moins fort
que l'ennemi, prit le parti d'aborder à l'île de Capri, qui
est à trente milles de Naples. Et, y étant arrivé, il se jeta
à terre et se sauva avec la plupart des passagers et de
l'équipage, laissant la galère et la chiourme au pou-
voir des Turcs, qui attaquèrent à l'Ave-Maria du soir.
Cette entreprise aventureuse augmenta le crédit et la ré-
putation du Renégat, qui s'en retourna très content et
triomphant, sans entreprendre autre chose pour le mo-
ment (1). Lorsqu'il fut arrivé à Alger, au mois de juin, le

(t) Ce Morat-Reïs fut un des premiers qui, au mépris des traités


et des ordres du Grand Seigneur, attaquèrent des navires Français.
Sa tête fut demandée par nos ambassadeurs, et il ne parvint à la sau-
ver qu'en changeant de résidence. On lit dans une lettre de M. de
Germigny à Henri III < Commandement exprès a été donne pour
» faire appréhender et conduire lié aux fers en ceste Porte ung nom-
D nié Morat-Rc'is, grand Corsaire de la coste de Barbarie, qui est le
» principal auteur des susdites prinses et volcries, avec saisissement
Roi Hassan Vénitien lui prit la Capitane du Duc, dont il
venait de s'emparer, la fit tirer à terre et arranger pour
son usage, et s'en servit depuis ce temps-là.
Revenons au récit de ce que fit Hassan pendant son
gouvernement. Tout d'abord, désireux de se faire crain-
dre par la Chrétienté comme grand corsaire, il sortit
d'Alger, le 20 juillet 1578, avec quinze galères et galiotes,
et se rendit à Matifou, d'où il partit le 30 du même mois,
emmenant avec lui tous les navires qui étaient venus se
joindre à lui, c'est-à-dire vingt-deux galères et galiotes
et quatre brigantins, que les Turcs appellent frégates;
ce jour-là, il s'en fut jusqu'à Mayorque, où il débarqua
du monde, le 1er août, pour s'emparer d'un petit bourg
voisin comme les Turcs commençaient le pillage, arri-
vèrent des cavaliers et des arquebusiers de Mayorque
et d'autres endroits, qui les forcèrent à se rembarquer,
emmenant toutefois avec eux trente personnes, la plu-
part femmes et enfants. De là, il se rendit à Iviça, où il
débarqua encore; les Turcs vinrent jusqu'aux fortifica-
tions de la ville, y perdirent soixante hommes et furent
obligés de se retirer. Il se dirigea ensuite vers Alicante
et rencontra, près de cette ville, un navire de six mille
salmas, qui venait de Gênes il le prit rapidement, y fit
quatre-vingt-dix captifs, tant des passagers que de l'équi-
page, s'empara des riches marchandises qui s'y trou-
vaient, et, sans poursuivre davantage sa course, retourna
vers Alger, où il arriva le 11 août, en sorte que, en comp-
tant le jour où il partit de Matifou, qui fut le 30 juillet,
il ne resta que douze jours pour l'aller et le retour de ce
voyage, qui fut le premier et le dernier qu'il fit pendant
son règne. °

§
L'hiver suivant (le Roi Don Sébastien de Portugal étant

» des biens, facultez, marchandises et esclaves qui se retrouveront


» en ses mains. » (Négociations, t. IV, p. 124.)
mort), le Roi Philippe II[Id'Espagneavait
d'Espagne avait la prétention de
s'emparer du Portugal à la suite de la mort du Cardinal
Don Henri, successeur de Don Sébastien. Connaissant
les divisions qui existaient dans ce royaume, au sujet
de la succession au trône, Philippe faisait de grands pré-
paratifs de guerre pour donner la prépondérance à son
parti. Au printemps de 1579, il avait fait rassembler
beaucoup de troupes et de vaisseaux dans toute l'Anda-
lousie, le port de Cadix et autres lieux. Quand on apprit
cette concentration à Alger, ainsi que les perpétuelles
arrivées de troupes en Espagne qui se faisaient par une
foule de vaisseaux et de galères chargés d'infanterieet
de munitions, que les corsaires rencontraient chaque
jour et de tous côtés, les Algériens furent pris d'une
frayeur très grande et générale (1); ils. crurent que tous
ces préparatifs étaient faits contre eux; aussi Hassan
Pacha s'empressa-t-il de faire fortifier en grande hâte le
château et la tour qu'Hassan Pacha, fils de Barberousse,
avait fait bâtir autrefois à un mille d'Alger, sur la colline
où l'Empereur Charles-Quint, de glorieuse mémoire, avait
(comme nous l'avons dit précédemment)planté son pa-
villon quand il était venu attaquer Alger, en l'an du
Seigneur 1541. Nous avons décrit en détail dans la Topo-
graphie e~4.~er (2), à laquelle nous renvoyons le lecteur,
cette forteresse avec son château rond, ses quatre tours
en carré, ses terre-pleins et ses bastions qui en faisaient
un ouvrage très respectable. On ne peut nier que dans
cette œuvre, qui dura toute l'année 1579, et une partie de
1580, Hassan Pacha n'ait montré beaucoup de soin et
d'activité; il était souvent là, depuis le matin jusqu'à la
nuit, faisant travailler les Chrétiens, les Mores et Juifs
de la cité qu'il forçait à la besogne, les taxant à tant de
travail par jour. En même temps, en 1579 et 1580, où une
terrible famine fit mourir comme des mouches une

(1) Voir les Négociations déjà cit., t. III, p. 756, 764, etc.
(2) Caput IX.
quantité infinie de Mores et d'Arabes pauvres d'Alger,
Hassan Pacha eut la charité de faire donner à tous les
morts un suaire d'étoupe ou de linge grossier pour les
enterrer. On compte que, depuis le 17 janvier 1580 (jour
de la Pâque des Mores, nommé par eux la fête du mouton)
jusqu'au 17 février, il mourut de faim, dans les rues
d'Alger, cinq mille six cent cinquante-six Mores ou
Arabes pauvres. Pendant cette année et la moitié de
l'autre, on reçut de plus en plus de nouvelles des grandes
forces que le Roi d'Espagne amassait à Cadix et à d'au-
tres endroits; malgré tous les avis que recevaient le Roi,
les Turcs et la Milice, ils ne pouvaient savoir contre qui
ces forces allaient être dirigées, et cela continuait à tenir
Alger dans une grande terreur; Hassan Pacha ne cessait
d'envoyer un grand nombre de galiotes et de frégates
prendre langue à la côte d'Espagne. Et quand on lui ame-
nait quelque Chrétien qui lui paraissaitde bon jugement,
il s'enfermait avec lui dans sa chambre et le fatiguait de
demandes, n'épargnant rien pour obtenir une certitude;
il ne put pourtant jamais l'avoir, jusqu'au moment où
l'armée Espagnole pénétra en Portugal. Pendant que
régna cette terreur, il fit plusieurs fois prévenir le Sultan
et son patron Ochali des craintes que lui inspirait l'Es-
pagne et demanda du secours (1). Et comme on disait
que le Roi de Fez s'alliait contre lui avec les Chrétiens,
il envoya un des principaux Marabouts d'Alger pour lui
persuader de ne pas le faire. Comme, d'autre part, son
avarice ne diminuait pas, que les vexations qu'il faisait
subir aux villages de l'intérieur étalent graves et con-

(1) Il demanda aussi du secours à la France. M. de Juyé écrivait de


Constantinople,le 19 mai 1579, à M. de Villeroy, pour lui faire savoir
qu'Euldj-Ali t'avait prie, de la part d'Hassan, de demander au Roi la
permission de se procurer a, Marseille des munitions de guerre et
des agrès. L'ambassadeur avait répondu qu'il était inutile que le
Grand Seigneur en fit une demande spéciale, et que, si Hassan se
con-
duisait bien à l'égard des Français, on lui procurerait tout ce dont il
avait besoin (Négociations, t. Ht; p. 800;.
tinuelles, les Janissaires ne pouvant dissimuler les
grandes plaintes qu'ils avaient à faire de lui, rédigèrent
un long mémoire sur ses fautes et sur son mauvais gou-
vernement, et envoyèrent cetle plainte au Sultan par une
galère, dans laquelle ils firent embarquer quelques-uns
des principaux Mores de l'intérieur, et, Sidi Bou Taïb,
Marabout et C/Kxc: de la principale Mosquée, leur
délégué, avec trois Boulouks Bachis les plus anciens
d'entre eux, tous chargés d'informer le Sultan de ce qui
se passait, de lui demander justice d'Hassan Pacha, et de
le prier d'envoyer un nouveau Roi à Alger.

§ 5.
Cette galère partit, avec les députés et les plaintes
dirigées contre Hassan, le 16 novembre 1579, et resta
quelque temps à Bizerte, pour y attendre le départ de
Rabadan Pacha, qui cessait d'être Roi de Tunis. Elle
arriva à Constantinople à la fin de janvier 1580. Ochali
apprenant cette nouvelle, et connaissant les griefs qu'on
venait faire valoir contre son Renégat qu'il avait fait
nommer Roi d'Alger, chercha à dissuader les envoyés
Turcs ou Mores, de se plaindre au Sultan, mais ce fut en
vain, tellement ils étaient offensés des tyrannies d'Has-
san. L'ambassade parvint donc au Grand Seigneur, qui,
lorsqu'il eut connaissance des exactions du Pacha, leur
promit de le châtier exemplairement. Pour leur donner
un homme capable de punir Hassan, et de gouverner
Alger, il fit appeler Djafer Pacha, renégat Hongrois, eu-
nuque qui l'avait servi et porté sur ses bras dans son
enfance, et qui gouvernait une province en Hongrie avec
une renommée méritée de justice. Pendant ce temps là,
Hassan, ayant suborné à Alger quelques Caïds et d'autres
notables Turcs et Mores, fit un faux mémoire en riposte à
celui de la Milice et l'envoya à Ochali, avant que Djafer
Pacha ne fut arrivé à Constantinople. Le Capitan Pacha
alla avec ce mémoire trouver la mère du Sultan, le lui
montra, lui fit en même temps un présent de trente mille
écus, et obtint d'elle qu'elle parlât à son fils pour apaiser
sa colère. Cependant Djafer était arrivé et fut chargé par
le Sultan de faire une enquête à Alger sur les deux affir-
mations contradictoires dans le cas où Hassan serait
reconnu coupable, il devait lui faire couper la tête. Mais
Ochali s'arrangea si bien que la mère du Sultan ordonna
à Djafer d'être indulgent en tous cas pour Hassan, et en
même temps, Ochali donna à Djafer vingt mille écus
pour les frais de son voyage, afin de l'engager à la
douceur.
Au mois d'avril de cette année, Morat Reïs sortit d'Al-
ger avec un autre Corsaire, et, ayant mis le cap sur les
côtes Romaines, ils arrivèrent à un lieu nommé Januti
(port de Toscane); là, ils aperçurent deux galères du
Pape qui faisaient le long de cette côte un voyage de
plaisance avec leur Général, nouvellement promu par
Grégoire XIII; Morat, qui n'avait que deux galiotes,
n'osait pas attaquer les galères chrétiennes et était per-
plexe, lorsqu'il eut la chance de: voir arriver Amosa Reïs
et Ferru Reïs, corsaires qui pirataient avec deux autres
vaisseaux; il leur fit part de leur projet et tous quatre se
résolurent à attaquer les galères du Pape qui venaient
d'arriver et de s'arrêter au port de Saint-Étienne, se dou-
tant si peu de ce qui les attendait, que le Général et la plus
grande partie des soldats étaient descendus à terre pour
se livrer à la chasse et à d'autres amusements. Morat et
ses compagnons, ayant trouvé les galères abandonnées,
les prirent sans dimculté ni résistance, et les emme-
nèrent immédiatement avec la chiourme, parmi laquelle
il y avait beaucoup de clercs et de religieux condamnés
en punition de leurs délits; à la vérité, les Turcs firent
peu d'autres captifs; car presque tout le reste de l'équi-
page présent s'était sauvé à terre dans les barques pen-
dant les quelques instants où cela leur fut possible.
Morat Reïs revint à Alger avec cette prise; il y arriva au
mois de juin, partagea~lebut.inavp.
le butin avec ses compagnons
donnant sa part à chacun, et fut
reçu
joie par toute la ville; Hassan Pacha pritavec une grande
pitane du Pape et fit un ponton de l'autre pour lui la ca-
fermer une brèche du môle. Djafer Pacha navire pour
arriva à Alger
le 29 août 1580, ne s'occupa pas des affaires
d'Hassan et
le laissa en liberté. Celui-ci partit d'Alger le
suivant avec onze vaisseaux, quatre à lui et à septembre
19

tous armés de ses esclaves et de son Kahia,


ses Renégats, et sept
de Constantinople qui avaient servi d'escorte
à Djafer.
A son départ, c'était un homme de trente-cinq
haute taille, maigre, les yeux brillants et ans, de
sanglants, avec
un nez effilé aux larges narines, la bouche fine, la barbe
rare, châtaine tirant sur le rouge; tout son visage déce-
lait son mauvais caractère. Il eut à Alger, d'une
esclave, un fils qui mourut au bout d'un
Renégate
enterrer (avec un de ses neveux qui était an;de il le fit
le retrouver, s'était fait Turc à venu Venise
sa sollicitation, était
mort un an après) dans une Kouba très bien et
qui est la première qu'on rencontre
sculptée
en sortant de la porte
Bab-el-Oued. Il avait encore une fille de
trois
naquit aussi à Alger. Arrivé à Constantinople,ans, qui
il put,
grâce à l'influence de son patron Ochali,
et surtout à la
protection de la mère du Sultan, faire oublier
toutes
mauvaises actions qu'il avait commises pendant les
qu'il
gouvernait Alger.
CHAPITRE XXII

Djafer Pacha, vingt-troisième Roi.

§
moment,
Djafer Pacha, qui gouverne Alger en ce fut
Hongrois (1), et
(1581) est, comme nous l'avons dit, frère
pris, étant enfant, en même temps que sa mère, un les
incursion que
déjà grand et une sœur, dans une
étaient tous de belle
Turcs firent en Hongrie. Comme ils
ils furent offerts à la mère du Sultan qui
apparence, serviteurs dans son
règne aujourd'hui, et devinrent Djafer, qui
palais; pendant l'enfance du Grand Seigneur,
continuellement
était Renégat et eunuque, le portaitl'affection du Sou-
entre ses bras. Cela lui valut plus tard
verain de laquelle il ne démérita pas par ses actions;
ayant été chargé de plusieurs gouvernements, et,
car important en Hongrie, il
entre autres, d'un Pachalik très
montra toujours juste, droit, doux, affable et, en
s'y les brigands.
même temps grand justicier et terrible pour
Sultan reçut (comme
Il en résulta, qu'au moment où le
l'avons dit) les réclamations d'Alger, il l'y envoya
nous Vénitien, qui y exerçait
pour châtier Hassan Pacha,
très apte à faire
mille tyrannies; il le choisit comme
qui était presque
justice et à restaurer un Royaume
l'avons dit, le
perdu. Il arriva à Alger, comme nous fut immense.
24 août 1580, et le
contentement de tous en
les raisons que nous
Il ne fit pas justice d'Hassan pour
1586 L'on
'~Mde~aisse~rivaità Henri III, au mois de mars du «
lequel est s.bject roy, natif
doubte de la mort du Jaffer Bassa, ~o-
et est estimé entre eux très vaillantil homme.
»
» de Dieppe, nommé pacha
ciations, t. IV,
p. 373). Après son départ d'Alger, fut
la Perse.
à Tauris, pour commander l'armée contre
avons données plus haut;
tt il est vrai qu'il
qt fit emprison-
ner quelques Caïds Turcs, tels que le Caïd Daüt et le Caïd
Bendali, auxquels on reprochait d'être complices de
quelques-unes des fautes d'Hassan mais, peu de jours
après, il les fit relâcher, n'ayant rien découvert sur leur
compte. Il tranquillisa et ramena à l'obéissance tous les
Turcs et Mores d'Alger et du Royaume, promettant à
tous paix, équité et justice, disant à tous et tout haut
qu'il n'était pas venu à Alger pour s'enrichir, attendu
que ce qu'il possédait lui suffisait jusqu'à la fin de ses
jours et qu'il n'avait pas d'enfants-à qui laisser son héri-
tage. Il amena avec lui sa mère, qui, comme l'assurent
des gens de la maison du Roi, et comme c'est un fait
notoire à Alger, y vit plutôt en Chrétienne qu'en Turque
ou Renégate. Il amena aussi avec lui son frère cadet,
Renégat et eunuque comme lui. Jusqu'aujourd'hui, 8
mars 1581, qui font huit mois qu'il règne et gouverne, au
moment où j'écris ces lignes (1), on n'a remarqué en lui
ni vice ni méchanceté, et l'on n'a jamais appris qu'il ait
fait de mal à personne. Il est très compatissant pour les
Chrétiens; si on lui en amène un qui ait voulu s'enfuir
(c'est la coutume de les amener dans ce cas au Roi) ou
qui ait cherché à s'emparer d'une barque pour s'échap-
per, il en est quitte pour des réprimandes et pour dix,
douze ou quinze coups de bâton. Quant à ses esclaves,
il a ordonné depuis son arrivée qu'on ne leur mit pas la
chaîne et qu'on ne les bâtonnât pas sans son ordre ex-
près il leur fait donner de bons vêtements et une bonne
nourriture. Tout le vin qui lui vient des droits perçus
sur les navires Chrétiens qui viennent en vendre à Alger,

(1) II est bon de noter cette phrase, qui nous apprend clairement
qu'Haëdo écrivit son Epitome pendant sa captivité, bien que l'ouvrage
n'ait paru qu'en 1612. A partir de ce moment, il ne parlera plus que
par ouï-dire, et on devra beaucoup moins se fier à ses asser-
tions, souvent émises sur la foi de gens mal renseignés eux-mêmes.
C'est ce qui explique les erreurs fréquentes que nous rencontrerons
à dater de 1582.
il le fait distribuer à ses esclaves, au lieu d'exiger qu'on
le lui paie en argent, comme le faisaient ses prédéces-
seurs. Il a fait savoir à tous les marchands Chrétiens et
aux Pères de la Limosne qui se trouvaient à Alger,
d'écrire en Espagne et à toute la Chrétienté, qu'o.n pou-
vait librement venir pour le commerce ou pour effectuer
des rachats, et qu'il promettait de montrer par ses
actions qu'on n'avait plus affaire à Hassan Pacha, vu
qu'il n'était pas venu à Alger pour s'enrichir, mais pour
y faire bonne justice à tout le monde. Le Khalifa qu'il
avait amené de Constantinople ayant excité les plaintes
de sa maison par sa brutalité et ses intrigues, fut ren-
voyé et remplacé. Quelques Janissaires s'étant plaints de
ce que leur Agha (qui était cependant venu avec Djafer
de Constantinople) avait commis de mauvaises actions,
qu'il les privait arbitrairement de leur paie, et qu'il avait
extorqué à d'autres de l'argent et des présents, il le
cassa de son grade, après avoir obtenu le consentement
de la milice, sans lequel aucun Roi ne pourrait prendre
une pareille décision. Cela se passa au commencement
d'avril de cette année 1581:

§ 2.
Il résulta de ces mesures que les Agha et Khalifa, que
le Roi avait chassés, se concertèrent avec le Caïd Turc
Bendali, qui, comme nous l'avons dit, avait été empri-
sonné par le Roi, lors de son arrivée de Constantinople,
en même temps que le Caïd Daüt, pour avoir trempé
dans les fautes d'Hassan Pacha. Bendali était alors au
moment de quitter Alger, avec une mahalla de quatre
cents Turcs, à la tête de laquelle le Roi l'avait mis pour
aller châtier quelques Arabes révoltés. Les conjurés
obtinrent de lui (qui avait conservé un grand ressenti-
ment de son arrestation), qu'il subornât à prix d'or les
Janissaires et les soldats placés sous ses ordres. On dit
qu'un More d'Alger, très riche, nommé Gaxès, avait
donné cet argent; ils devaient se rendre à Alger et tuer
le Roi il était convenu entre eux que l'Agha prendrait
sa place; que le Khalifa recouvrerait son emploi, c'est-
à-dire la lieutenance de la Royauté, et que Bendali serait
Beglierbey, ou Capitaine Général de la milice ils avaient
promis à Caxès des Caïdats et une grosse récompense.
Pour faire réussir ce projet, l'Agha et le Khalifa, qui
avaient été longtemps Janissaires, et avaient conserve
dans la milice des amis nombreux et. très affectionnés,
surtout dans la mahalla que commandait alors Bendali,
communiquèrent leurs desseins à leurs partisans, les
séduisirent par leurs offres et leurs promesses, en sorte
que beaucoup d'entre eux s'associèrent au complot et
promirent d'y amener les autres pendant l'expédition.
Bendali se chargea de les décider il se trouvait alors à
six journées d'Alger, et, désireux d'en finir, il fit des
ouvertures à la plupart de ses soldats qui, alléchés par
ses promesses et par l'espoir de s'enrichir (c'est ce que
ces barbares désirent le plus), se rangèrent à son parti.
Mais comme il s'était ouvert de son dessein à quatre
vieux soldats, Boulouks Bachis, ceux-ci répondirent
que, même au péril de leur vie, ils ne consentiraient pas
à une telle méchanceté et trahison envers le Sultan. Cette
fidélité eut le pouvoir de ramener dans l'ordre ceux qui
étaient déjà pervertis; ils mirent le Caïd Bendali aux
fers, et informèrent le Roi de ce qui se passait. Cet avis
arriva à Alger le 30 avril, et le Roi l'ayant reçu fit arrêter
très vite et très secrètement l'Agha et le Khalifa, qu'il
enferma dans une prison bien sûre de son palais, les
faisant charger de lourdes chaînes aux bras et au cou,
séparés l'un de l'autre; il divulgua la cause de leur em-
prisonnement et rendit publiques les lettres que les
Janissaires lui avaient écrites à ce sujet; il dépêcha un
chaouch à ceux-ci avec une lettre qui leur donnait
l'ordre de tuer Bendali et de lui couper latête. La nuit
suivante, qui fut le l~mal, à minuit, le Roi fit sortir de
la prison le Khalifa et l'Agha,
'Agha, leur fit
fi1 couper la tête dans
PT1+P»non rln.r
un souterrain et les fit enterrer dans le jardin (1) qui est
contigu à son palais. Le' matin arrivé, il laissa courir le
bruit qu'ils s'étaient enfuis, et fit publier qu'il donnerait
cent doubles de paie mensuelle et mille doubles de
récompense à celui qui les lui amènerait ou qui lui dirait
où ils se trouvaient. Le 8 mai, arrivèrent quelques Janis-
saires envoyés par leurs camarades de la mahalla avec la
tête de Bendali, duquel le Roi fit confisquer tous les biens,
ce qu'il avait fait trois jours auparavant pour les trésors
et les esclaves de l'Agha et du Khalifa. Caxès se cacha
pendant quelque temps et trouva plus tard de si bons
médiateurs, qu'il obtint le pardon de son crime,
en don-
nant au Roi Djafer une grosse somme, qui, selon ce qu'on
m'a affirmé, se montait à trente mille ducats.

§3.
A la fin de mai, Ochali arriva à Alger avec soixante ga-
lères à fanal; il allait à la conquête du Royaume de Fez,
et voulait en chasser le Chérif pour le punir de la mau-
vaise volonté qu'il manifestait envers la Porte (comme
nous l'avons dit dans le chapitre XX). Ochali, qui haïs-
sait Djafer Pacha, parce qu'il n'avait pas traité aussi bien
qu'il le lui avait demandé son Renégat Hassan Vénitien,
prit occasion de la nécessité où il se trouvait de se pour-
voir des choses nécessaires à son entreprise, pour le dé-
posséder de beaucoup d'esclaves et d'agent; cela causa
un grand mécontentement au Roi, qui fut cependant for-
cé de se soumettre, Ochali étant supérieur à tous ceux
qui gouvernaient les Provinces de l'Empire, et maître ab-
solu pour tout ce qui concernait la guerre. Il voulut em-
mener avec lui la Milice d'Alger, tant à cause du besoin
qu'il en avait pour son expédition que pour se venger de

(l~Jemna.
l'injure qu'il en avait reçue du temps ou il gouvernait a
Alger, d'où il avait été forcé de s'enfuir devant leurs me-
naces de mort (comme nous l'avons raconté). Quand il
leur ordonna de s'embarquer, ceux-ci, craignant sa haine,
ordre
s'y refusèrent, déclarant qu'ils n'obéiraient qu'à un
exprès du Sultan ils ajoutaient qu'il n'était pas juste de
faire la guerre à un aussi bon Roi que le Chérif de Fez,
qui ne leur avait jamais fait de mal et ne leur inspirait
demandaient à Ochali
aucun soupçon pour l'avenir; ils
d'envoyer immédiatement cinq galiotes pour aviser le
Sultan de tout ce qui se passait, et celui-ci le fit, mettant
Renégat Mo-
ces navires sous le commandement de son envoyèrent
rat Agha. Dans ces galiotes, les Janissaires
nommé Sid Bou Tika,
un Marabout renommé parmi eux, lesquelles ils lui
avec des lettres pour le Sultan, dans
soumettaient les motifs de leur conduite et le suppliaient
de ne pas permettre à Ochali, si fin et si astucieux,
de
s'emparer de Fez, parce que s'il conquérait ce Royaume,
ayant une si puissante armée et déjà maître de Tripoli,
où commandait un de ses Renégats, il pourrait facile-
ment se soulever et se rendre Seigneur de toute la Bar-
barie (1). Les galiotes partirent d'Alger à la fin de mai et
arrivèrent rapidement à Constantinople, ne s'étant arrê-
tées qu'à Modon et Galipia.
Au commencement de ce même mois, Morat-Reïs
partit
d'Alger avec huit galères, et suivit toute la côte de Barba-
rie, du Ponentjusqu'au détroit; de là, ilgagnaLagos.oùil
rencontra deux vaisseaux Bretons qui retournaient chez
d'un million de
eux chargés de sel et ayant à bord plus

(1) Haëdo nous montre bien clairement ici l'opposition que fit tou-
de
jours la Milice au projet de la réunion de tous les royaumes
l'Afrique septentrionale. C'est en partageant ces défiances jalouses
prépondérance dans la Mé-
que la Porte perdit l'occasion d'assurer sa
diterranée, et laissa les Pachaliks des côtes Barbaresques en proie
aux discordes et à l'indiscipline des
Janissaires. Plus tard, lorsqu'elle
vit ces États se soustraire un à un à son obéissance, elle put regret-
ter le passe.
piecHb ae quatre et de nuit réaux; il entoura ces vais-
s.eaux avec ses galiotes, faisant un grand feu d'artillerie
et d'arquebuses, et malgré la valeureuse défense des
Bretons, qui répondirent aux Turcs par un tir bien nour-
ri (car ils étaient très bien armés), après un rude com-
bat des deux côtés, les Turcs coulèrent un des navires,
duquel il ne se sauva que quatorze personnes qui furent
prises; l'autre continua seul la lutte, mais finit par être
forcé de se rendre et tomba au pouvoir de Morat-Reïs,
qui, avec cette riche capture d'argent et de captifs. s'en re-
tourna à Alger, où il arriva le 24 août il y trouva Ochali et
fut forcé de lui donner la plus grande partie de l'argent
de la prise, pour subvenir aux frais de son armement.
En ce temps-là, Arnaute Mami, Capitan d'Alger, partit
en course avec quatorze galères, pendant les deux mois
que dura son expédition, il ne fit pas d'autre prise que
celle d'un Chrétien aveugle, dans l'île de Turçia, et revint
à Alger à la fin de juillet; il y trouva les cinq galiotes qui
avaient été à Constantinople avec le Marabout Sid Bou
Tika, envoyé de la Milice, ce voyage n'avait pas duré
plus d'un mois, et le Sultan Amurat avait envoyé l'ordre
à Ochali de renoncer à son entreprise, qu'ildéclarait con-
traire à sa volonté il le menaçait de lui faire couper la
tête, s'il contrevenait à ses ordres., Ochali partit donc
d'Alger, où il avait attendu les commandements du Grand
Seigneur. Il revint à Constantinople avec sa flotte, au
mois d'octobre (1), et s'occupa avec activité et par tous
les moyens possibles de faire nommer de nouveau au
gouvernement d'Alger son Renégat Hassan Vénitien (2)

(1).Les Indigènes s'étaient soulevés, et le pays était en proie à l'a-


narchie la plus complète. (Voir les TV~ocMMo~M, T. IV, p. 85.)
(2) D'après,une lettre de M. de Germigny à Catherine de Médicis,
ce fut Ramadan qui fut nommé à Alger « Commandement a été
bâUIë et recommandé à Ramadan~Bassa, nouvellementparty et dé-
» pesché pour vice-roi en Alger, et duquel j'ay souveut escrit à
» V. M.; mesme pour faire appréhender et conduire lié aux fers en
il obtint ce résultat eni quelques jours Djafer
Dja Pacha avait
régné vingt mois environ, du mois d'août 1580 à mai
1582; il s'en alla en juin, avec six vaisseaux, deux à lui,
et quatre de ceux qui avaient escorté Hassan Pacha, son
successeur. Quand Djafer Pacha partit d'Alger, il était
âgé de soixante ans, de haute taille, robuste, eunuque,
très juste et plus compatissant pour les captifs Chrétiens
que ne l'avaient été tous ses prédécesseurs.

» ceste Porte ung nomme Morat-Rpis, grand Corsaire,etc.o (Loc. cit.,


t. IV, p. 124.)
CHAPITRE XXin

Hassan Pacha Vénitien, vingt-quatrième Roi.

§1~.
Hassan Pacha Vénitien fut nommé une deuxième fois
Roi d'Alger, sur les grandes instances qu'en fit au Sul-
tan son patron Ochali il partit de Constantinople avec
onze galiotes, dont sept à lui et quatre à son maître, au
mois d'avril 1582, et arriva à Alger au mois de mai (1).
Avant sa venue, en mars, Morat Reïs était sorti avec
neuf galères, côtoyant les côtes d'Espagne, sans avoir
fait de prises; après avoir doublé le cap Saint-Vincent,
il rencontra une galère Espagnole, nommée la ~e~on~-
mée, qui avait été séparée de ses neuf conserves par
une bourrasque qui l'avait surprise la veille, la galère
Chrétienne, en voyant les neuf Turques, les prit pour ses
compagnons, et tomba ainsi déplorablement entre les
mains de l'ennemi. Morat mit sur sa prise quelques Ja-
nissaires, et se rendit avec elle à Tenez, ville située à
cent vingt milles à l'ouest d'Alger il l'envoya de là à
destination, et se dirigea sur Alicante avec ses vais-
seaux. Pendant le voyage, un captif Chrétien lui offrit, en
échange de sa liberté, de lui procurer la prise d'un
bourg, situé entre Alicante et l'ile de Bendorni, à trente

(1) Voir la note précédente. Les choses ne se passèrent point


comme Haëdo les décrit Ramadan fut nommé et vint à Alger, où
les habitants se soulevèrent contre lui, ainsi que le prouve une lettre
de M. de Maisse au Roi, du 30 août 1584. « Assan-Aga s'est retiré
» en Argier, et les habitants du païs ont faict entendre au &. S.
» qu'ilz luy obéiront très volontiers, mais qu'ilz ne vouloient souf-
» frir autre gouverneur que luy; qui est une espèce grande de sou-
» lèvement parmy telles gens. »
(Loc. cit., t. IV, p. 2t3.)
milles à l'est d'Alicante. Morat accepta le marché et dé-
barqua nuitamment avec six cents mousquetaires, qui
s'avancèrent à plusieurs milles dans l'intérieur des
terres, saccagèrent et pillèrent ce bourg, y prenant plus
de cinq cents personnes, tant grandes que petites
exemple des grands malheurs qu'entraîne la captivité,
puisque ceux qui sont au pouvoir de ces brigands infi-
dèles leur servent de lumière pour nous nuire Il re-
tourna à Alger avec ses captifs et son butin, et y arriva
avec un temps favorable, le 1er juin. Hassan Pacha re-
procha très rudement à tous les Reïs d'être devenus
bien timides et négligents de leurs devoirs, puisqu'ils
avaient cessé de faire la course (à l'exception de Morat-
Reïs) il leur déclara que, dorénavant, il faudrait faire
comme par le passé, leur ordonna de mettre leurs na-
vires en bon état, et les réunit au port d'Alger, où ils se
trouvèrent au nombre de vingt-deux galères ou galiotes,
avec lesquelles il partit sans plus attendre, et se dirigea
vers les îles de Saint-Pierre, en Sardaigne, dans les pe-
tites baies où ils se cachèrent, avec l'intention de
saccager un bourg nommé Iglesia mais les insu-
laires les ayant découverts, et s'étant mis en armes, ils
changèrent de dessein et vinrent à la plage d'Oristan,
dans le même Royaume; là, ils débarquèrent quinze
cents Mousquetaires, et, ayant pris pour guide un captif
Chrétien, ils entrèrent à quarante milles dans l'intérieur,
et y saccagèrent un bourg nommé Polidonia, où ils
prirent sept cents personnes et quoiqu'ils eussent été
chargés par quinze cents cavaliers et beaucoup de fan-
tassins, ils en furent quitte pour la perte d'une tren-
taine de Turcs, qui furent tués dans un défilé. Hassan,
ayant embarqué ses prises, passa à l'île de Mal-de-
Ventre, en face d'Oristan, et y arbora la bannière de ra-
chat, ce qui fit accourir les habitants du Royaume pour
traiter de la rédemption des captifs qui venaient d'être
faits; il en demandait trente mille ducats; les Sardes
n'en offrant que vingt-cinq mille, il rompit les négocia-
tions et partit, fort en colère, pour l'île de La Asinara, où
il répartit les sept cents captifs entre ceux qui les
avaient pris, et fit espalmer ses navires il y tint conseil
avec ses Reïs sur ce qu'il y avait à entreprendre. Avant
la clôture de la discussion, un captif Corse lui offrit, en
échange de sa liberté, de lui procurer facilement la prise
d'un bourg Corse fort riche, nommé Monticello. Cet avis
lui sembla bon, et il promit la liberté au Chrétien, si sa
proposition.était suivie d'effet. Il se mit immédiatement
en route, et, débarquant la nuit mille mousquetaires, il
saccagea et pilla le bourg, en y prenant quatre cents per-
sonnes, se rembarqua sans résistance, prit avec ses
vaisseaux la route de Gênes, et un dimanche, au point
du jour, ravagea un autre bourg nommé Sori, situé à
sept milles à l'est de Gênes, y prenant cent trente per-
sonnes, sans autre perte que celle de quatre Turcs qui
furent tués à coups de pierres du haut des fenêtres. La
nuit précédente, le Prince Jean-André Doria était arrivé
d'Espagne à Gênes avec dix-sept galères aussitôt qu'il
apprit l'incursion de la flotte Turque, il sortit du port dès
le matin pour aller l'attaquer mais le Roi d'Alger fit si
bien, que les galères de Doria ne purent le découvrir; il
continua sa course du côté de la Provence, et le Prince
jugea bon de rentrer au port.

§~-
Peu de jours avant ces événements, le Vice-Roi de Si-
cile Marc-Antoine Colonna était parti pour l'Espagne
avec douze galères, mandé par le Roi Philippe II en
passant au cap de Noli, il rencontra lesdites galères de
Gênes qui venaient d'Espagne, et ne voulut pas abaisser
le pavillon de la Capitane qu'il montait devant la Réale
de l'Amiral Jean-André, ainsi qu'il eût dû le faire, sui-
vant l'usage, bien qu'il fût un des plus grands et des
plus anciens Princes d'Italie mais son orgueil ne vou-
lut pas se soumettre à cette obligatioi
obligation; cela excita le
courroux de Doria, qui le poursuivit avec ses galères.
pendant plusieurs milles, et qui, ne pouvant atteindre la
Capitane, fit tirer un coup de canon. Immédiatement,Don
Pedro de Leïva,. Général de ces galères, monta dans sa
frégate, vint trouver le Prince avec les onze galères qu'il
commandait, et lui affirma qu'il avait été empêché de
donner le salut par la défense formelle du Vice-Roi;
cette explication ne satisfit pas beaucoup Jean André,
qui cependant laissa les onze galères suivre la Capitane
qu'elles rejoignirent à Villafranca de Nice, et s'en retour-
na directement à Gênes. Les vingt-deux galiotes d'Alger,
étant sur la côte de France (1), reçurent des informations
sur ces douze galères, qu'elles suivirent depuis Caborojo
jusqu'à Marseille sans pouvoir les découvrir; poursui-
vant leur route vers la côte de Barcelone, elles arrivèrent,
un matin, avant la pointe du jour, à Cadaques, et mi-
rent à terre un peu de monde et une pièce d'artillerie,
pour assiéger cette ville et la piller; les Turcs entrèrent
dans quelques fermes, où ils prirent cinq Chrétiens qui
donnèrent des nouvelles des douze galères et assurèrent
qu'elles étaient à Palamos, sans ménance, et qu'ils pour-
raient ainsi les prendre facilement; voyant, en outre, que
Cadaques résistait plus qu'ils ne l'auraient pensé, et
qu'ils couraient grand risque d'y être battus, ils se diri-
gèrent vers Palamos pour attaquer les galères Sicilien-
nes leur dessein ne réussit pas, parce qu'ils manquè-
rent leur atterrissage, à cause de l'obscurité de la nuit,
et qu'au lieu d'entrer à Palamos, ils allèrent plus loin à
l'Ouest, à une ville nommée Saint-Félix de Rijoles, située

(1) Une lettre de Henri III à M. de Maisse, du 4 août 1584, nous


.donne quelques détails sur cette campagne « Assan Aga, roy d'Al-
ger, a séjourné huict jours aux isles de Marseille, après avoir pour-
» suivy le Doria jusques à trois milles de Gênes, et failly à rencon-
n trer Marc Antonio Colonna, cestuy-ci ayant receu en son passage
» toute faveur et assistance de mes ministres, ce qui luy a donné
moyen d'eschapper ledit rencontrer » (Négociations, t. IV, p. 300.)
à quatorze lieues de Barcelone; et,
trouvant quelques
y
saëties, ils crurent voir les galères qu'ils cherchaient et
les attaquèrent; ils furent ensuite très courroucés de
leur insuccès, et, ne pouvant plus espérer faire du mal à
nos galères, ils poussèrent en avant et saccagèrent un
bourg nommé Pinéda, situé à huit lieues de Barcelone,
où ils prirent cinquante personnes ensuite, voyant que
sur toute cette côte on connaissait leur arrivée et que
tous les habitants y étaient en armes, ils ne cherchèrent
plus à entreprendre quelque chose d'importance,et cin-
glèrent vers l'embouchure de la rivière d'Althea, près
d'Alicante, où ils débarquèrent. Hassan Pacha fit dire à
des Morisques (qui lui avaient écrit, quatre mois aupara-
vant, de venir les chercher avec ses galiotes pour les
transporter à Alger) de s'embarquer avec leurs famines;
pour faciliter cette opération, il envoya deux mille mous-
quetaires Turcs pour assurer leur route; c'est ainsi
que s'embarquèrent environ deux mille Morisques,
tant hommes que femmes; Hassan reprit avec eux la
route d'Alger, et rencontra chemin faisant un navire
Ragusain de cinq mille s<x~<xs, qui venait de Pulla et
allait à Cadix avec une cargaison de blé; il prit sans dim-
culté ce bâtiment, qui fut depuis racheté par son pro-
priétaire, nommé le Capitaine Gaspard de Vicencio,
Ragusain, pour neuf mille écus, en comprenant dans le
rachat le pilote écrivain et la cargaison le capitaine eut
un délai de trois mois pour payer la rançon. Cette course
dura environ trois mois, du mois de juin au milieu
d'août 1582 (1). Hassan retourna à Alger triomphant et
enrichi de butin et de captifs là il s'occupa de ses fermes
et métairies (comme c'était sa coutume), pendant tout
le temps que lui laissaient les soins du gouvernement,
jusqu'à l'arrivée de son successeur Mami-Arnaute, qui
eut lieu au mois de mars de l'année suivante 1583 (2).

(i) Cette date est fausse: voir la note précédente.


(2) Même observation qu'à la 'note précédente.
Hassan Vénitien partit d'Alger au mois de mai, ayant
gouverné environ un an il s'embarqua avec douze vais-
seaux, huit à lui, et quatre de ceux qui avaient escorté
Mami; il fut ensuite Pacha de Tripoli, en Barbarie, où il
resta deux ans (1). Depuis, le Sultan le nt-grand Amiral
il montra dans cette charge autant d'habileté et de valeur
que son maître Ochali, et on peut dire qu'il fit encore
plus de mal que lui à la Chrétienté; il quitta Alger très
mécontent d'être privé si rapidement du profit que lui
rapportait ce gouvernement, ce qu'il donna bien à en-
tendre à son départ, disant avec beaucoup de doléances
que jusque là il n'avait pas su ce que valait Alger. Il
mourut depuis à Constantinople, empoisonné, comme
son maître Ochali, .par Cigala (2) qui était envieux de lui,
et désirait lui succéder dans sa charge d'Amiral, comme
cela arriva, en effet, après sa mort.

(1) En juillet 1588, un an après la mort d'Euldj-Ali. En réalité,


Hassan ne fut que le Khalifa de ce Pacha, qui conserva jusque sa
mort, le titre de Begtierbey d'Afrique. (Voir les Négociations, passim).
Quant à Hassan lui-même, il gouvernait encore Alger au mois de
novembre 1587. (Négociations, déjà cit., t. IV, p. 619).
(2) Ce Cigala était fils du vicomte Scipion Cigata, Génois. Il avait
été pris tout jeune par les Turcs en même temps que son père, à la
bataille des Gelves, et s'était fait musulman. Il fut Pacha et généra-
lissime sous le nom de Sinan-Pacha, épousa une des filles du Sultan
Achmet, et parvint aux plus hautes dignités de l'empire.
CHAPITRE XXIV

Mami Pacha Arnaute, vingt-cinquième Roi.

§1-.
Mami Pacha était Albanais ou Arnaute, ce qui est la
même chose étant enfant, il fit partie de ceux qu'on
donne ordinairement en tribut au Sultan dans les pro-
vinces d'Epire, d'Albanie et de Grèce; il appartint en-
suite à Carax Ali, Corsaire et Capitan d'Alger, duquel il
fut Renégat avec Morat Reïs, dont nous avons raconté
les pirateries; avec le temps, il se distingua par ses bon-
nes qualités, ce qui,avec l'appui d'Ochali, engagea le Sul-
tan à lui donner le gouvernement d'Alger (1). Ce souve-
rain fit là un bon choix; car Mami (2) s'occupa toujours
du bien commun, gouvernant en paix et à la satisfaction
universelle de tout le Royaume, où chacun faisait l'éloge
de sa bonne administration et de sa justice.
Au mois de mai 1582, Morat Reïs sortit d'Alger avec
trois galiotes, vint à un port de la côte de Barbarie ap-
partenant au Roi de Fez, nommé Salé; il y fit mettre en
état trois brigantins de quatorze bancs, et, s'étant pro-
curé un pilote pratique de l'Océan, il partit, chaque ga-
liote remorquant son brigantin, et prit la-route des Cana-
ries comme il arrivait dans leur voisinage, le pilote lui
ditqu'ilcraignaitqu'on ne se fût trompé de route et qu'on
n'eût été trop avant Morat répondit que ce n'était pas

(1) C'est une erreur. Mami Arnaute ne fut jamais nommé Pacha
d'Alger; il n'y exerça qu'un pou voir usurpé et de peu de durée, à la
suite du refus que firent les Algériens de recevoir Ramadan.
(2) Voir chap. XIX. II était le chef de la TaïOe des Reïs,
et s'était déja mis à la tête de la révolte du temps d'Arab-Ahméd.
possible, et, continuant son chemin, découvrit l'Ile de
Lancelot; il fit amener les voiles et mettre en paiine jus-
qu'à la nuit, pour qu'on ne pût pas l'apercevoir du riva-
ge. Ce brigand profita si bien de la nuit qu'ildébarquatout
au matin avec deux cent cinquante Turcs mousquetai-
res qui saccagèrent l'Ile, y prenant plus de trois cents
personnes, parmi lesquelles se trouvaient la mère, la fem-
me et la fille du gouverneur, et un gros butin; il ne ren-
contra aucune résistance, se rembarqua avec ses prises
et se retira à une petite distance en arborant la bannière
de rachat. Le Comte, échappé aux mains des Turcs par
aventure, accourut pour racheter sa famille chérie et
d'autres personnes auxquelles il portait affection cela
fait, le Corsaire s'en retourna par où il était venu. Ayant
appris que Don Martin de Padilla, Grand Adelantado
de Castille et Général des Galères d'Espagne, l'attendait
avec dix-huit vaisseaux dans le détroit, décidé à ne pas
le laisser passer sans lui montrer en quel danger il s'était
mis, en allant jusqu'où jamais Corsaire d'Alger n'avait
osé aller, il se retira à Larache, où cette crainte le fit
rester un mois environ. Une nuit très obscure et tempé-
tueuse, il se résolut à pousser de l'avant, jugeant (et, c'é-
tait vrai) que, cette nuit là, l'Adelantado était rentré au
port pour ne pas s'exposer à la tempête; il franchit le dé-
troit, et fit ensuite tirer le canon pour annoncer 'qu'il
était passé, et que la croisière devenait inutile. De là, il
fut au cap de Gate et y rencontra Arnaute Mami avec
trois galiotes; celui-ci lui apprit qu'un de ses fils était
mort, ce qui fit qu'il ne continua pas sa campagne et qu'il
s'en retourna à Alger bien désolé de cette mort; il y ren-
tra au mois de septembre.
Pendant le reste du règne du Roi Mami, il n'arriva à
Alger rien de digne de l'histoire; il exerça le pouvoir
sans aucun trouble pendant un peu plus de trois ans, de-
puis le mois de mai 1583 jusqu'en juillet 1586 (1), oùil lui.

(1) Au mois d'août 1585, Doria fit subir un terrible désastre aux At-
fut envoyé un successeur, nommé Amat Pacha (1), qui,
mû par son envie et son mauvais naturel, exigea que
Mami lui donnât trente mille écus avant départir, celui-
ci, n'ayant pas cette somme à sa disposition, fut forcé de
se sauver avec une de ses galères au Cap Matifou où un
Reïs lui amena ses enfants; en voyant qu'on les avait
laissés aller librement, il se montra généreux et envoya
à son successeur une cédule de vingt-cinq mille écus., don-
nant pour caution que cette somme serait payée prochai-
nement Arnaute Mami (2) et Morat Reïs avec deux de
ses vaisseaux; il occupa ensuite le Pachalik de Tunis, où
il resta trois ans, et plus tard à deux reprises différentes
celui de Tripoli, donnant par sa bonté et son bon gou-
vernement la paix et la tranquillité à tous. Au moment où
impartit d'Alger, c'était un homme de quarante ans,'de
grande taille, avec la barbe noire, très affable pour tout
le monde et nullement cruel pour les chrétiens.

gérions il battit leur flotte, et leur prit dix-huit galères, dans le voi-
sinage de la Corse. (Négociations, t. IV, p. 395.)
(1) Une preuve convaincante de la fausseté de ces dates se trouve
dans le discours prononce par M. de Lancosme à l'audience de récep-
tion d'Amurat III (15 avril 1586); il s'y plaint des indignités et em-
prisonnements qui ont élé /NM<~ au VÏCe-Co?MM~BtOKKM!M par
~.Mtm-~M/M!. Hassan était donc Pacha d'Alger en 1586. (Négociations,
t. IV, p. 498.)
(2) Sic. S'il faut prendre ce récit au pied de la lettre, il y aurait en.un
autre Mami Arnaute cela est possible; mais j'ajoute peu de foi à
-tout ce chapitre, qui n'est confirme par rien de connu. La Chro-
nologie de Rousseau cite un Mami en 1585, et, la même année,
un ~o/MM'y~M, auquel succéda en 1585 .CaH.~AMMd!,Iemême qu'Haëdo
appelle Amat mais cette Chronologie est loin d'être exacte.
CHAPITRE XXV

Amat Pacha, vingt-sixième Roi.

§1-.
Amat Pacha était Turc de grande famille; il eut assez
d'influenceauprès du Divan du Sultan pour se faire don-
ner le gouvernement d'Alger, qu'il désirait beaucoup il
il y arriva au mois de juillet 1586, et défendit immédiate-
ment à tous les Corsaires de sortir du port (1), parce
qu'il désirait se mettre en personne à leur tête pour pil-
ler et faire du mal à la Chrétienté, comme l'avait fait
Hassan Vénitien; disant qu'il n'était pas moins que lui,
mais bien son supérieur et qu'il pouvait être son maître,
comme en effet il l'avait été. Il réunit onze galères et
galiotes bien armées avec lesquelles il partit d'Alger au
mois de juin de l'année suivante 1587, et s'en fut droit à
l'Ile de la Galite, située à trente milles de Tabarque, et
de là àBizerte; en mer, il prit un vaisseau de quinze cents
s<~nMs chargé de bois de construction il se dirigea en-
suite vers l'ile de Lustrica, en Sicile, où il fit espalmer
ses galères, les pourvut de tout le nécessaire et partit
un matin pour le golfe de Naples; il arriva sur la côte de
Melfi, à une ville nommé Praya, y saccagea et pilla quel-
ques magasins de marchandises, et s'empara des per-
sonnes qui les gardaient. De là il sén fut le plus secrète-

(1) Le motif de cette défense, qui fut faite, non par Ahmed, mais
par Euldj Ali, nous est révélé par une lettre de M. de Lancosme
L'on tient que ce subject luy a faict tenter ung desseing, qu'il avoit
) de longue main, qui est d'estre faict bassa
général de toute la
t Barbarie, charge qu'aucun aultre n'a eu et qui
sèroit de très grand
» poix
L'on ne scait encores si cela réussira, etc. o (Négocia-
tions,t. IV, p. 5t7.)
ment et le plus rapidement qu'il put sur les côtes Ro-
maines, où il débarqua quelques-uns de ses Mousque-
taires Turcs pour piller et faire tout le mal possible
mais il fut forcé de ,se rembarquer sans résultat, ayant
été découvert par l'Amiral Jean-André Doria qui condtii-
sait sa femme à Naples avec sept galères, et qui, ayant
aperçu les galiotes Turques,leur appuya la chasse depuis
midi jusqu'àla nuit. L'obscurité fut bien propice aux Al-
gériens car si leurs navires eussent été rejoints par les
galères du Prince (comme cela fût arrivé si le jour eût
duré plus longtemps) ils eussent couru grand danger
d'être pris par lui; il avait déjà mis la main sur une, ga-
liote de vingt bancs; elle fut sauvée par Arnaute Mami,
qui la remorqua avec sa galère dont la chiourme était
très forte; mais la nuit étant arrivée, Doria cessa la
chasse, et chacun poursuivitson voyage.

§2.
Après avoir couru cette aventure, le Pacha Amat prit le
chemin de Monte-Cristo sans s'arrêter nulle part; de là
il se rendit en Corse, au golfe de Saint-Florent, où il sac-
cagea un bourg nommé Faringola; il y prit deux cent
quarantepersonnes, avec lesquelles il'gagna l'île de Rosa,
et delà le pays de Gênes, où il débarqua pendant la nuit
quelques Mousquetaires Turcs qui brûlèrent un petit
nombre de maisons d'un bourg nommé Pra, situé à six
milles de Gênes; ils prirent un homme et une femme. Sans
faire plus de mal sur cette côte, il alla jusqu'aux îles
d'Hyères, en France, et s'y empara d'une frégate qui ve-
nait d'Espagne avec quatre mille écus; cette somme fut
répartie entre tous les Janissaires présents; de là, il se di-
rigea vers les côtes d'Espagne sans pouvoir faire aucun
mal, parceque les habitants étaient avertis de son ar-
rivée voyant cela, Amatse résolut à rentrer à Alger avec
sa flotte, et y. débarqua à la nn d'août, étant resté envi-
ron deux mois et demi en course. Ce fut le premier et
dernier voyage qu'il fit pendant son règne, qui dura un
peu, plus de trois ans, du mois de juin 1586 au mois d'août
1589 (1); il ne cessa pendant ce temps d'envoyer ses ga-
liotes en course, et elles revenaient toujours chargées
de butin et de captifs. Après trois ans de règne, il lui fut
envoyé un successeur, et il partit avec neuf vaisseaux
pour aller gouverner Tripoli, où il fut tué dans une es-
carmouche qu'eurent les Turcs avec les Mores de ce
Royaume, comme nous le raconterons en son lieu. Quand
il partit d'Alger, il avait soixante ans, était grand justi-
cier, et~ tout orgueilleux qu'il fût, il gouverna d'une ma-
nière satisfaisante.

(t) Voir chap. XX.


CHAPITRE XXVI

Heder Pacha, vingt-septième Roi.


§1-.
IIeder Pacha était Turc; il obtint le gouvernement d'Al-
ger par les moyens usités parmi les Mores et les Turcs
pour acquérir les charges, c'est-à-dire l'argent et les ca-
deaux il arriva au mois d'août 1589 (1), avec quatre ga-
lères données par l'Amiral.
Au même moment rentrait à Alger Morat Reïs, qui
était parti en course au mois d'avril en compagnie d'Ar-
naute Mami et d'Ali Mami, avec quatre vaisseaux bien
armés ayant suivi la côte de Barbarie, ils étaient venus
à l'Ile de la Galite, située à trente milles de Tabarque, et
de là s'étaient dirigés tous ensemble, après avoir fait
leurs sortilèges accoutumés,vers la Sardaigne qu'ils dé-
passèrent et d'où ils arrivèrent près de Monte-Cristo; là,
ils aperçurent quatre galères du Pape Sixte-Quint (2)
Morat voulait attaquer, mais Arnaute Mami était d'un
avis contraire, considérant que les galères étaient plus
fortes que les galiotes et mieux pourvues de combat-
tants. Il n'est pas étonnant que les deux Corsaires fus-

(t) Il se passa à cette époque un fait assez peu connu; le Grand


Seigneur autorisa les Corsaires d'Alger à courir sus aux navires de
Marseille, pour punir cette ville d'avoir pris le parti de la Ligue con-
tre le Roi de France, son allié et ami. Malheureusement l'habitude
fut plus facile à prendre qu'à perdre, et Kheder lui-même devait un
jour payer de sa tête la continuation d'errements auxquels on l'en-
courageait lors de son début.
(2) Ce Pape avait fondé un armement permanent de dix galères à
Civita-Vecehia, pour protéger les eûtes des États Pontificaux contre
les Corsaires. (De Thou, llistoire Mw'rc~eMe, t. XI, p. 265.)
sent d'avis différent, parce que, autant Morat était témé-
raire et disposé à affronter les dimcultës,amta~t Arnàute
était prudent et avisé; cela fut cause que Morat partit
tout seul avec ses galiotes, furieux et dégoûté de ses
compagnons; il alla au Phare de Messine et de là à là
côte de Pulla, où il prit un vaisseau de quinze cents sal-
~<xs avec trente canons; il l'attaqua seul avec un tel élan
et un,courage si désespéré, qu'il montra bien par là lé
mépris qu'il avait pour ses compagnons; il abandonna
sa prise, qui était vide demarchandises, s'empara del'é-
quipage composé de quarante personnes, et de l'artillerie
qui était bonne. De là, il vint croiser dans le canal de
Malte, où, ayant rencontré une saëtie française qui ve-
nait de cette ile, il en reçut avis qu'il était parti pour la
Barbarie une galère de vingt-trois bancs, nommé la Se-
rena, que le Grand Maître envoyait pour s'informer de
quelques bruits de révolte contre les Turcs, qui cou-
raient à Tripoli. Ayant reçu cet avis, Mami se dirigea
vers la Lampadouse avec l'intention d'attaquer cette ga-
lère s'il la rencontrait à cet effet, il resta quelques jours
entre Lampadouse et Linosa, îles situées à quarante
milles de Malte, ayant pendant ce temps-là fait des sorti-
lèges dans son livre, comme c'est leur coutume (illusion
véritablement diabolique!); il resta là jusqu'à ce
qu'un matin, sortant de Linosa pour aller à la décou-
verte, selon la coutume des Corsaires, il vit que la galère
de Malte qu'il attendait était à environ dix milles de lui,
remorquant un vaisseau qu'elle avait pris en Barbarie
avec du butin et quelques captifs. Aussitôt qu'il l'eut
aperçu, Morat, se tournant vers ses Janissaires et ses
Levantins, leur dit avec beaucoup d'animation les pa-
roles suivantes « Frères, voici le jour où nous devons
a tous montrer notre courage et notre valeur et nous
» signaler comme de bons et braves soldats, sans crain-
w dre de mourir dans une si belle occasion ainsi le veut
a la profession des armes; soyez donc prêts'à conquérir
l'honneur et le butin au service de notre Prophète Ma-
homet. » ces paroles tous s'offrirent à affronter im-
A
médiatement n'importe quel péril, et lui dirent de ne pas
douter de leur bon vouloir, d'attaquer le vaisseau de ces.
chiens porteurs de croix, et qu'il serait à même de juger
de leur courage; ils prirent tout de suite les armes, et
Morat dit aux rameurs chrétiens, qui étaient restés im-
mobiles que, si Dieu était décidé à leur donner la liberté
ce jour-là, il ne s'y opposerait pas (1) il mit immédiate-
ment le cap sur la Serena, qui avait pris chasse, croyant
être en face de plusieurs navires ennemis à. environ
quinze.milles de l'Ile, le Capitaine de la galère Maltaise
ordonna à la vigie de la hune de lui dire combien elle
voyait de vaisseaux Turcs, celle-ci ayant répondu qu'elle
n'en voyait qu'un, le Capitaine lui promit deux cents écus
si cela se trouvait vrai; quand ils en furent assurés, les
nôtres, tenant la victoire pour certaine, tournèrent la
proue contre la galiote, qui faisait feu de son canon de
coursive, aumoment de l'abordage,notregalèreeutune si
mauvaise chance que les premiers combattants tués fu-
rent les canonniers, ce qui causa sa perte par le défaut
de cette défense si importante; il y eut encore une gran-
de tuerie des autres soldats, qui se défendaient vigou-
reusement, et enfin la victoire resta à ce chien de Morat,
qui fit captifs le peu de Chrétiens qui restaient vivants et
donna la liberté aux Mores et aux Turcs de la chiourme.
Il retourna en Barbarie avec cette prise, ayant la plus
grande partie de ses Janissaires tués ou blessés à un
cap voisin de Collo, il prit encore unbrigantm de qua-
torze bancs qui venait de,Mayorque avec un équipage
de quarante-cinq hommes de là il alla en deux jours à
Alger, emmenant avec lui la malheureuse galère ~ere~
et la frégate Mayorquine, traînant derrière lui leurs éten-
dards et leurs drapeaux, comme c'est la coutume des

dans te cas où le combat lui eût été défavorable, la


(1) En effet,
chiourmeGbrcttenpe eût été délivrée, et les Turcs eussent pris sa
place, selon l'usage.
Corsaires, quand ils font quelque prise comme celle-là.
Le Roi Heder/.qui était arrive depuis huit jours à Alger,
lui envoya son cheval et une escorte de Janissaires pour
l'amener à son palais en grande pompe.

En ce temps-là, un More du Royaume de Tripoli, nom-


mé le Marabout Sidi Yabya, se souleva contre la tyran-
nie des Turcs, pour délivrer le Royaume de leur joug
et de leur cruelle domination. Il réunit une armée de
trente mille cavaliers Mores, et.cinq cents captifs Chré-
tiens armés de mousquets, qui, pour conquérir leur li-
berté, s'engagèrent à bien le servir dans cette guerre;
il se laissa diriger par eux, leur demandant conseil en
toute occasion, et ils eussent sans doute réussi a chas-
ser les Turcs de Tripoli, si le More eût reçu des nôtres
l'aide qu'il en attendait pour avoir du secours par mer,
il avait prié le Vice-Roi de Sicile, qui était alors Don
Diégo Enriquez de Guzman, Comte d'Albe. de Lista, de
lui envoyer les galères du Royaume avec celles de Mal-
te, promettant de remettre Tripoli à la discrétion du Roi
d'Espagne; il ne fut pas très heureux dans sa demande;
on ne lui envoya aucun secours de Sicile, et il ne reçut
de Malte qu'une frégate chargée de poudre, de plomb' et
d'autres munitions, qui lui servirent un peu dans cette
guerre; le Sultan, sans perdre de temps et pour couper
court à ce danger,envoya immédiatementson grand ami-
ral Ilassan Pacha pour apporter un remède opportun à
cette révolte celui-ci partit de Constantinople en juillet
1589 (1) avec soixante galères, et, avant son départ, dé-

(t) Ce fait est confirme par une lettre de M. de Maisse à Henri III,
du 8 juillet 1589 .< Le G.S. a faict sortir Assan-Aga, avec LX gal-
laires, et prenant les gardes de l'Archipelago, enfera cent ousix.
vingt. M va en Tripoly de Barbarie, où il doit estre maintenant, et
pécha deux galiotes bien armées, pour aviser MoratReïs
et les principauxCorsaires d'Algeret de Bizerte de venir se
joindre sous Tripoli à la flotte Turque, qui' arriva à la fin
de juillet. Peu de temps après, Morat Reïs la rejoignit
avec quatre galiotes sur lesquelles se trouvait une bonne
troupe de Janissaires, et tous les Corsaires de Bizerte se
conformèrent également à l'ordre de l'Amiral. Après
avoir réuni ces forces, Hassan jugea bon d'envoyer quel-
ques vaisseaux vers les côtes Chrétiennes pour s'infor-
mer de ce qui s'y passait, afin de pouvoir ensuite avec
plus de sécurité exécuter les ordres du Sultan à cet ef-
fet, il délégua quatre Corsaires très habiles Hàdji Bali,
auquel il donna le commandement, Amat Reïs, Suff Re-
molar et le Castellano d'Ali (1) avec cinq galiotes; ils ga-
gnèrent la Sicile, près de laquelle ils prirent un navire de
quinze cents salinas chargé de blé, qui venait de Pulla et
un caramuchal chargé de vins de Calabre, captu-
rant quatre-vingtspersonnes environ qui étaientdans les
deux vaisseaux. Après le départ des corsaires, l'Amiral
débarqua ses troupes,au nombre de douze mille hommes
à pied et à cheval, et livra plusieurs combats aux troupes
du Marabout; l'habileté militaire des Turcs l'emporta
toujours sur la mobilité de la cavalerie ennemie, quoi-
qu'elle fut supérieure en nombre, comme nous l'avons
dit. Ensuite, l'Amiral, voyant que le temps favorable
pour là navigation des galères se passait, parce que
l'hiver arrivait, se montrant très dur et dangereux, se
décida à se retirer avec ses vaisseaux, se fiant sur l'in-
constance des révoltés, et pensant qu'avec le temps, et
en laissant là un bon nombre de mousquetaires, la re-
bellion se calmerait, comme cela arriva en effet. Il partit
à la fin d'octobre, licenciant les galiotes d'Alger et de Bi-
zerte.etlaissantàTripolil'armée deTunis,qui était forte de

mettra <~n despense le roy d'Espagne du costc de deçà. (Négociations,


t. IV., p. 734).
(~ Sic.
deux mille mousquetaires, avec d'autres Mores à pied et
à cheval, qui, dans cette guerre, s'étaient mis du côte
des Turcs il y eut, quelques jours ~prës, entre eux et les
révoltés, une bataille générale dans laquelle la victoire
resta aux Turcs. Et comme les Mores sont naturelle-
ment de peu de foi et très changeants (comme toutes les
races viles), se voyant vaincus, ils commirent, pour
obtenir leur grâce, une grande'trahison ce fut le meur-
tre du Marabout Sidi Yahya, qui fut exécuté par ses pro-
pres amis, ceux auxquels il se fiait le plus etqui l'avaient
choisi pour chef. Lui ayant coupé la tète, ils la portèrent
aux Turcs, et le Royaume se trouva pacifié, et soumis de
nouveau au pouvoir des Ottomans, dont là domination
y fut plus solide que jamais. Amat Pacha fut tué dans
cette guerre, d'un coup de lance; il avait été, comme
nous l'avons dit, pourvu de ce gouvernement en quittant
Alger, et cette nomination fut la cause de sa mort.

g 3:

En l'année suivante, 1590, le Roi de Labès se souleva


contre les Turcs, et, leur refusant l'obéissance, contrai-
gnit Heder Pacha à réunir une armée pour apaiser cette
révolte; à cet effet, il mit sur pied douze mille mousque-
taires et mille spahis à cheval. Il partit pour Labès au
mois de décembre de ladite année,réunissant le long
de.la route quatre mille cavaliers Mores, ses amis, qui
l'avertirent que le Roi de Labès l'attendait avec trente
mille cavaliers, que sa grande richesse et sa puissance
lui avait permis de mettre en campagne; cette grosse
armée ne le rendait pas aussi fort que la position,même
de la ville de Labès, qui est élevée'et très difficile à gravir;
c'est là qu'il avait concentré ses troupes; Heder Pacha
se résolut à aller l'y attaquer; tout d'abord il ordonna que
lorsqu'on serait arrivé au pied de la montagne sur la-
quelle est située la ville, et que les Turcs ne pouvaient
gravir qu'un à"un, à cause de l'altitude et des difficultés
du terrain, on construisît, pour faciliter l'assaut, un bas-
tion de terre et de troncs d'arbres, qui tiendrait bloqué
le Roi révolté, et empêcherait son armée de recevoir des
approvisionnements et autres secours; il y eut plusieurs
escarmouches, mais peu importantes; car les assiégés
n'osaient pas tenir en rase campagne contre les Turcs,
qui faisaient de notables dégâts sur leurs terres, brûlant
et détruisant leurs villages et leurs arbres sans aucune
pitié ni miséricorde. Le succès final était douteux, lors-
qu'un More très influent, qu'on appelait le Marabout, se
posa en médiateur entre les deux Rois, représentant
que c'était une grande honte et un énorme péché
envers Dieu de se faire la guerre entre Princes
Musulmans, ce qui les affaiblissait d'autant au profit des
Chrétiens, leurs ennemis naturels il les convainquit si
bien par ses discours que la paix fut conclue, moyen-
nant trente mille écus, que paya le Roi de Labès à celui
d'Alger. Les deux armées se retirèrent et cela mit fin à
cette guerre, qui avait duré deux mois.
Avant son départ, le Pacha avait armé quatre galiotes
pour la course, et les Reïs n'ayant pas de Janissaires
pour les équiper (parce qu'il avait été défendu à tous
d'aller en course en ce moment-là, où leurs services
étaient nécessaires pour la guerre contre le Roi de La-
bès), s'étaient vus forcés d'embarquer comme soldats
des Mores de la campagne, des garçons de boutiques et
des marins de commerce, qui, partis d'Alger et arrivés
en Sicile, furent surpris par une grosse tempête; deux
bâtiments se perdirent; l'un s'échoua à l'île des Mangue-
ses, près d'Agusta, et l'autre se brisa sur un écueil près
du Goze de Malte les deux autres se sauvèrent au cap
Passaro et retournèrent à Alger bien chargés de Chré-
tiens pris en Calabre et en Fouille.
Au mois de mai 1591, Arnaute Mami, Morat Reïs et
Dely Mami partirent d'Alger avec neuf galiotes et se diri-
gèrent sur Lustrica, île située à spixante milles de la Si-
cile là ils rencontrèrent huit galères de ce Royaume;
ni les uns ni les autres n'eurent le courage d'attaquer,
et ce ne fut pas un petit bonheur pour les galiotes, qui
étaient très dépourvues de monde pour se défendre, en
sorte qu'il n'y a pas à douter que toutes, ou au moins la
plus grande partie, n'eussent été prises par nos galères,
si elles eussent osé combattre. Ayant échappé à ce dan-
ger, ils retournèrent à Alger., où ils arrivèrent au mois
d'août sans s'être arrêtés nulle part, en grande peur de
rencontrer de nouveau des galères Chrétiennes; tel fut
le bonheur de nos ennemis.
Au mois d'octobre suivant, il y avait dans les prisons
de Castel Novo, quatorze Reïs de galiotes et de brigan-
tins Algériens, qui avaient été pris à différentes époques
et par diverses personnes. Parmi eux se trouvait un
Turc nommé Amosa, Capitan de Bizerte, où il occupait
ainsi un certain rang; il était allé en course au mois
d'avril 1590, avec une galiote à lui, de vingt-quatrebancs;
ayant fait quelques bonnes prises sur les côtes d'Espa-
gne, et désireux d'en faire d'autres, il était venu aux
côtes Romaines,et y avait été pris avec son vaisseau par
le fils du Prince Doria, qui revenait de Naples avec
onze galères. Il y,en avait un autre, qui était captif de-
puis vingt-six ans, nommé Mostafa Arnaute, célèbre
Corsaire Algérien, homme puissant, marié avec une pa-
rente du Capitan Arnaute Mami, qui cherchait à le ra-
cheter un autre se nommait Jafer, et avait été pris à For-
mentera, près d'Iviça, en 1586, ayant fait rencontre de
dix-neuf galères Génoises qui portaient de l'argent en
Italie (comme c'est l'habitude). Sept de ces galères, très
fortes, attaquèrent les cinq galiotesTurques qui venaient
d'arriver à Fermentera quoique les mariniers expéri-
mentés conseillassent de se tenir tranquilles, et de ne
pas quitter l'ancrage à cause du mauvais temps, leur Gé-
néral les força de marcher. Ils arrivèrent sur les galiotes,
et,à ce moment, survint une si grande tempête que trois de
nos galères donnèrent à travers et se brisèrent en pièces
une autre fut clouée sur un écueil, qu'on retira depuis
avec un énorme travail; des galiotes Turques, deux fu-
rent perdues; les trois qui restaient sortirent de la baie,
et voyant la confusion qui régnait parmi les équipages
des navires échoués, et que chacun ne pensait qu'a se
sauver à terre, quelques Janissaires débarquèrent en ar-
mes près du lieu du -naufrage ets'emparèrent d'une gran-
de quantité de ceux qui s'étaient sauvés, en les assail-
lant à l'improviste à coups de mousquets ils y gagnè-
rent encore une grosse somme que portaient les trois
galères échouées; en sorte que le général n'eut pas l'em-
barras de frapper monnaie avec l'argent des Turcs, et
put se décharger de son fer (1).
Cette perte fut grande, malgré la capture que firent les
Génois des deux galiotes échouées, et du Reïs Jafer, Re-
négat Français (2), qui était Capitaine d'une d'elles. Avec
ces trois Reïs, il y avait dans le château onze autres Ca-
pitaines de moindre~ualité,dont neuf avaient été pris aux
Alfaques par le fils du Prince Doria, et les deux autres
par les galères de Naples; tous ces captifs désiraient re-~
couvrer leur liberté, et cherchaient les moyens de la
conquérir;, les trois Reïs qui étaient mieux gardés que
les autres, comme étant de plus grand prix, prièrent le
Commandant du fort, Don Àlvaro de Mendoce, de les lais-
ser se réunir aux-autres pour faire leur Pâque, ajoutant'
qu'il y avait longtemps qu'ils ne s'étaient vus; le Com-
mandant leur accorda leur demande, ne croyant pas à
là possibilité de ce qui arriva. Cependant les Turcs qui,
n'étant pas enfermés, vaguaient librement par le châ-

([} C'est une raillerie d'Haëdo à l'adresse de l'Amiral vaincu te


mot hierro, qui veut dire fer; prend encore l'expression decotMe/p-
per monnaie; l'auteur joue donc sur les mots, en insinuant que fin-
succès des Chrétiens leur renditces derniers instruments superflus.
(2) Rappelons à ce sujet que, d'après une lettre de M. de Màisse
à Henri III, Djafer Pacha était Français et natif de Dieppe. Peut-
être s'agit-il du même personnage, ou de son ft'ëre. (Négociations, t. IV,
p. 473)..
teau, avaientporté dans la prison où étaient détenus les
plus qualifiés d'entre eux, quelques cordes, pics et limes
qu'ils avaient pris très secrètement aux ateliers de tra-
vail, et qu'ils cachèrent soigneusement, ils limèrent, du
côté de la plage, une partie de la grille de fer de la pri-
son danslaquelle ils étaient détenus, et y faisant un trou
assez grand pour laisser sortir-un homme, y attachèrent
une corde par laquelle ils se laissèrent glisser; ensuite
ils crevèrent avec le pic un pan de mur qui les séparait
de la mer, et gagnèrent une frégate de huit bancs qui
servait habituellement au Vice-Roi de Naples pour se
promener en mer; ils s'y embarquèrent tous les qua-
torze, et se rendirent à l'Ile de Lustica où ils séjour-
nèrent quelque temps; ils y prirent sept pêcheurs
Chrétiens. A ce moment, arriva à l'Ile un brigantin Turc
qui allait en Corse; ils voulurent s'y embarquer mais le
capitaine ayant exigé d'eux qu'ils lui donnassent les
sept Chrétiens, ils ne voulurent pas y consentir, et le
brigantin partit sans les prendre, leur laissant de très
mauvaise grâce quelques provisions de bouche avec
lesquelles ils partirent de Lustica sur la frégate dans la-
quelle ils s'étaient enfuis après avoir affronté de
nombreux périls sur mer, ils arrivèrent à Bizerte où ils
furent reçus à la grande joie des Turcs, qui célébrèrent
par des salves de canon, des fêtes et des festins un
succès aussi merveilleux.
Le Comte de Miranda, Vice-Roi de Naples, chercha ac-
tivement à découvrir si leur fuite avait été due à quelque
intelligence ou à quelque aide du dehors ou de l'inté-
rieur du fort il fit mettre à la torture les sentinelles et
les gardiens auxquels incombait la surveillance pen-
dant la nuit de l'évasion, et il ne put rien découvrir, si-
non que l'habileté et'ie bonheur des Turcs leur avait fait
recouvrer la liberté qu'ils désiraient tant.
Au mois de juin 1592, Arnaute Mami partit en
course
avec un de ses neveux et trois galiotes; arrivé au cap
Corse,il rencontra les galères de Florence qui étaient par-
ties en course en même temps que lui; celles-ci lui don-
nèrent une chasse si vive qu'elles prirent une galiote de
vingt bancs, sur laquelle était le neveu d'Arnaute Mami;
les deux autres et le Capitaine eurent le bonheur de
s'échapper, mais il s'en fallut de bien peu qu'elles ne
fussent prises; enfin, elles rentrèrent à Alger au mois
d'août. En ce moment, y arrivait Chaban Pacha, qui ve-
nait de Constantinople pour gouvernerAlger, ce qui cau-
sa une grande satisfaction à tous les habitants qui étaient
très mécontents du gouvernementdeHederPacha. C'était,
à cette époque, un homme âgé~ goutteux, peu charitable,
orgueilleux, détestant les Chrétiens, maltraitant et tyran-
nisant tout le monde, comme nous le raconterons dans
l'histoire de son second gouvernement à Alger.
CHAPITRE XXVII

Chaban Pacha, vingt-huitième Roi.

§1-.
Chaban Pacha partit de Constantinoplepour aller gou-
verner Alger au mois de juin 1592 il y arriva dans les
premiers jours d'août, et, aussitôt installé, jugea assez
durement les agissements de son prédécesseur, à cau-
se des nombreuses plaintes que lui en fit la Milice, qui,
voyant venir un nouveau Roi, voulait se venger de l'an-
cien pour ce motif, elle fit assembler le Divan (c'est
ainsi qu'on appelle chez eux le Conseil) et on y décida
l'envoi de quelques Boulouks Bachis à Constantinople,
avec un beau présent pour le Sultan, et ordre de l'infor-
mer des grandes cruautés et tyrannies de Heder ils
choisirent comme Chef des Ambassadeurs Arnaute Ma-
mi, qui reritrait de la course celui-ci, auquel la fortune
était contraire depuis quelque temps, acceptavolontiers
cette mission qui l'éloignait d'Alger, désespéré qu'il était
de ses malheurs qui ne faisaient qu'augmenter; en effet,
après la perte de ses galiotes et de son neveu, 'il avait
vu mourir un Renégat Français qu'il aimait beaucoup,
et avait du emprisonner sa femme, qui se suicida quel-
ques jours plus tard. Arnaute Mami partit d'Alger à la
fin d'août 1592, avec quatre vaisseaux un à lui, deux
qui emmenaient Heder avec sa maison, et un autre ap-
partenant à MamiNapolitano,danslequel s'embarquèrent
les Boulouks Bachis; en arrivant au Cap Passaro, en
Sicile, il faillit être pris par les galères de Malte,
dont la Capitane avait déjà investi la poupe de sa ga-
liote il eut cependant l'habilité de s'échapper avec ses
vaisseaux, et arriva rapidement à Constantinople. Il n'y
fut pas tenu-compte des accusations de la milice contre
Heder Pacha, à cause de la mauvaise opinion qu'avait
l'entourage du Sultan des Janissaires et du Divan d'Al-
ger l'ambassade s'en retourna dans deux frégates, cour-
roucée et très mécontente du peu d'effet qu'avait eue sa
démarche; Heder resta en paix, attendant l'occasion qui
s'offrirait à lui de se venger. Chaban gouverna si bien
qu'il satisfit tout le monde et se fit aimer et chérir. Il y
eut de son temps une grande famine dans la ville et
dans le Royaume (1), qu'il soulagea avec beaucoup de
soin; dans l'hiver de l'année de son arrivée, il survint
une si grande tempête, .avec un vent si furieux, que le
môle d'Alger fut presque entièrement détruit; la galère
patronne de Morat Reïs, qui était la ~e/'M~ prise jadis
aux Chevaliers de Malte, se trouvait alors dans le .port
elle fut brisée ainsi que deux autres galères, chacune de
vingt-deux bancs, et deux autres navires, l'un de douze
cents sa~~s que les Corsaires avaient pris sur la côte
d'Espagne, chargé de sucre, et un autre de six cents .s<
mas d'huile, furent mis également en pièces une saëtie
française, qui se trouvait là, s'étant mise à l'ancre dans
la rade pour se garantir de la tourmente, il'survint une
vague qui la coula à pic et on ne la revit plus jamais.
En l'année suivante 1593, Chaban Pacha envoya en-
course une galère de dix-sept bancs, qui fut prise
la veille de la Noel à l'Ile de Lustica par Don Pedro de
Leïva, Général des galères de Sicile.
En 1594, Morat Reïs sortit d'Alger au mois de mars,
avec quatre galiotes, en compagnie de Jafer, Renégat
Génois, et de Mohammed Reïs y Fochali; il suivit la côte
de Barbarie, arriva aux Iles Gelves, et ensuite à la Lam-
padouse, où il espérait rencontrer des vaisseaux Chré-
tiens, et, ayant fait là ses sortilèges diaboliques, il vint
croiser devant les Sables de Barbarie, et découvrit un

(1) Il y eut aussi une grande peste, dite de 2'M~M. Elle dura trois
ans, et désola tout le pays.
matin deux bâtiments qu'il reconnut tout de suite pour
être des galères Chrétiennes il donna aussitôt l'ordre
que deux des quatre galiotes abattissent leurs mâts, et
que chacune de celles qui étaient démâtées se cachât
derrière une de celles qui étaientrestéesgrées,anndene
pas montrer ainsi plus de deux des galiotes et d'amener les
Chrétiens à venir attaquer les Turcs le plus tôt possible;
sa ruse réussit, et la vigie de nos galères, croyant qu'il
n'y avait que deux galiotes, ne voyant pas les deux au-
tres qui étaient dématées, donna ce faux avis à
son Capitaine, qui arriva avec la plus grande con-
fiance pour attaquer; quand il fut tout près, Morat
nt relever les mâts et s'élança sur l'ennemi ces navi-
res, la Gapitane du Due de Florence et le .S~<?~ qui
étaient partis en course vers la Barbarie, se voyant at-
taqués par quatre bâtiments, ne savaient plus s'il fallait
fuir ou coTYlbattre.etpassèrent quelque temps à discuter
sur ce qu'on devait faire cela donna le temps aux Turcs
d'attaquer la Capitane où s'était réuni le Conseil de guer-
re elle fut d'abord assaillie par une galiote de vingt
bancs, qui étant trop basse, ne put l'aborder Morat, ve-
nant ensuite attaqua à tribord avec son vaisseau, et
après avoir envoyé sa bordée, sauta dedans avec ses
Turcs, et y tua quelques Commandeurs de Saint-Ëtienne
et d'autres combattants; Jafer, Renégat Génois, et le frè-
re de Moratattaquèrent la galère Saint-Jean avec les deux
autres galiotes; elle se défendit le mieux qu'elle put,
tuant et blessant quelques Turcs; mais enfin, voyant sa
Capitane prise, elle perdit courage et se rendit. Morat re-
tourna'à Alger avec cette capture si glorieuse et ses pri-
sonniers, ayant de plus délivré beaucoup de Turcs et de
Mores de la chiourme de ces galères; il arriva triom-
phant au mois de juillet, et repartit immédiatement avec
autant de vaisseaux qu'il put en armer pour se réunir à
l'Amiral Cigala, qui venait de partir de 'Constantinople
avec cent vaisseaux Turcs, emmenant avec lui Arnaute
Mami, comme pilote général de la flotte, à cause de son
habileté. Cigala arriva dans les mers de Calabre au mois
de septembre,saccagea et brûla une ville nommée Rijo-
les~ profanant les temples, détruisant les jardins, et fai-
sant tous les dommagesqu'ont coutume de faire cesbar-
bares inndèles. Ils trouvèrent la ville inhabitée car tout
le monde s'était enfui dans les montagnes à leur arrivée,
en sorte qu'ils ne firent pas de prisonniers.
Notre flotte, c'est-à-dire les galères de Naples, Sicile et
Gênes,qui avait été prévenue de l'arrivée de la flotte Tur-
que, aurait pu arriver à temps pour éviter ces maux et
ceux qui suivirent; elle n'apparut qu'au moment où les
Turcs, voyant que le temps devenaitmauvais, et ne vou-
lant pas mettre leurs vaisseaux en péril, rentraient à
Constantinople. Au mois de mai de l'année suivante 1595,
Morat Reïs sortit d'Alger avec trois galiotes, côtoya la
Barbarie jusqu'à Monastir, ville située à douze milles de
Sus; il y prit trois brigantins de Trapani, ville de Sicile,
avec tout l'équipage, composé de quatre-vingt-dix ma-
rins, qui étaient partis en course. Continuant sa route
vers le cap Passaro, il y eut nouvelle dé cinq galères de
Malte qui étaient à Zaragoça, ville de ce Royaume; ces
galèresenvoyèrent une frégate reconnaître les vaisseaux
Turcs, qui étaient au nombre de trois, comme nous
l'avons dit; elle expédia immédiatement un cavalier à
l
toute vitesse donner avis à nos galères que les galiotes
étaient arrêtées au cap Passaro; sur cet avis. elles parti-
rent à la hâte pour y aller; arrivées à Vindicar, elles vi-
rent revenir leur frégate qui leur faisait signal de ferler
les voiles, parce que les galiofës étaient à sa poursuite,
et ne se doutaient pas de la présence des galères de la
Religion; il faisait déjà presque nuit noire quand ils se
découvrirent les uns les autres; les navires de Malte
tournèrent de suite la proue contre les Turcs, qui, se
voyant attaqués par cinq bâtiments, commencèrent à
fuir, poursuivis par la Capitane de ~~M~-J~~M~ qui ayant
une grosse avance sur ses compagnes, atteignit la ga-
liote de Morat Reïs qu'elle couvrit -de feu et qu'elle
mit en grand péril; celui-ci se tira du danger en plaçant
tous ses mousquetaires à la poupe, où ceux-ci se défen-
dirent vigoureusement (encore qu'il en coûta la vie à
beaucoup d'eux); ils tuèrent quelques-uns des Che-
valiers de la galère et les canonniers qui constituaient
sa principale force; il se retira le plus vite qu'il put, et
fut cependant encore attaqué par la Patrone de la Reli-
gion, à laquelle les Turcs résistèrent comme ils l'avaient
fait à la Capitane ils la forcèrent de se retirer, ainsi que
les autres, car elles vinrent chacune à leur tour attaquer
le vaisseau de Morat, qui courut ce jour là une rude
aventure. De cette manière, il s'échappa après avoir per-
du beaucoup de monde, et avoir été blessé cinq fois
(mais légèrement) par ces lions de l'Ordre de Saint-Jean,
qui ont une si bonne griffe que je ne doute pas qu'un de
ces jours ils ne s'emparent de lui, comme ils cherchent
à le faire. Delà, Morat se rendit avec sonfrèreàVelone;
l'autre Reïs, son compagnon, fut séparé de lui par une
bourrasque; enfin, ils rentrèrent tous à Alger au mois
de septembre, chargés de captifs et de butin Cependant,
Chaban était parti en juillet pour Constantinople, ayant
gouverné Alger un peu moins de trois ans. A son dé-
part, il était âgé de quarante-deux'ans, petit, d'une faible
constitution, affable et bienveillant pour tout le monde.
~CHÂPlTRË_X~n~:

.§~
3~stàfa, Pàchà, ving~neu~iëmè~~R~

Môstafa Pacha succéda à Ghabàîi dans le gouverne-


ment d'Alger (1); iln'yre&ta que quatre mois, dé JùiHet
à ôcto~bre 1&95 pendant ce temps, il n'apriva rien qui
"sait :dignë d'être racoatë. A son départ, il eut quelques
'~s~éments a~vecsôn sùccesseiir Hedër Pacha~ m
il s'~en~eKgea; bien quand il revint plus tard gouv~rruer
Alger, ëomThe nous~è~co~hterôns.'Mosfafâ ~PaGha était
un Kommë d'environ t~ënté~ïtq~~a~1to'iiné';fafnUlè,
parent d~ son prëdëcesseur CItaBan, 'c~qûi fut cause
des iRauvàis traitements q~ë lut at~Hedëp en ? rëmpla-
çant.'commë on le verra au chapitr&âuîvant.

(t) C'est à lui qu'on attribue la fondation du Sour-er-Roz]an, sur


l'emplacementde l'ancienneAuzia, pour assurer tes eommumcations
entre Alger et Constantine.
CHAPITRE XXIX

Heder Pacha, Roi d'Alger pour la 2e fois, trentième.

§1~.
On peut dire qu'en tout temps, les dons et les présents
ont été préférés à la vertu, à la raison et au mérite, pour
la nomination au Gouvernement d'Alger et à tous les
Royaumes soumis à l'Empire Turc; maisjamaisce mau-
vais état de choses n'a été tel qu'aujourd'hui parmi les
Turcs et les Mores; c'en est un exemple bien frappant
que Heder Pacha ait été envoyé ici une deuxième fois,
quoiqu'il eut donné une si mauvaise opinion de lui et
tellement mécontenté tout le monde, et que son prédé-
cesseur Mostafa ne gouvernât que depuis si peu de
temps. De ce mal, il en résulta un autre (comme c'est
habituel) ce fut que Heder, aveuglé par sa haine con-
tre Chaban, qui lui avait succédé à Alger la première fois
qu'il y avait régné, à cause de sa mauvaise conduite et
des plaintes que .les Algériens avaient fait de sa tyran-
nie, chercha à se venger de son prédécesseur Mostafa,
parce qu'il était parent de son ennemi Chaban. La pre-
mière chose qu'il fit, en arrivant, fut de taxer Mostafa
à une somme de soixante mille doubles, qui font quinze
mille écus de notre monnaie; il ne lui épargna pas d'au-
tres mauvais traitements, ce qui est l'habitude'des gens
vils, haineux et rancuniers; il donna à entendre que cet
argent était destiné à reconstruire le môle, et à réparer
le dommage causé par la tempêtedont nous avons parlé,
disant que Mostafa était obligé de faire ces réparations.
La vérité est que telle n'était pas son intention, mais
qu'il voulait garder cette somme pour lui, ce qu'il ~t.
Mostafa fut forcé d'en passer par là, et ~partit immédiate-
ment pour Constantinople avec l'intention de chercher
à reprendre le gouvernement d'Alger, et de faire repentir
son ennemi du mal qu'il lui avait fait. Heder resta cette
dernière fois à Alger de septembre 1595 à septembre
1596 et il n'arriva pendant cette période rien de-
remar-
quable (1).

(i) Kheder paraît avoir été remplace sur la demande de notre


am-
bassadeur à Constantinople,et sur les plaintes de la Milice; pendant
son gouvernement, l'anarchie fut complète à Alger; les Corsaires et
les habitants s'étaient insurgés contre les Janissaires, qui avaient été
forcés de venir à composition.
CHAPITRE XXX

Mustapha Pacha., Roi d'Alger pour la 8" fois,


trente-unième.

§1~.
Nous avons raconté avec quel chagrin et quelle haine,
contre son successeur Heder Mostafa Pacha était parti
d'Alger pour Constantinople; ainsi que les causes qui
l'excitaient à s'efforcer d'y retourner; il finitpar réussir,
grâce aux nombreuses sollicitations de ses amis et de
ses parents, qui supplièrent très activement le Sultan
Mohammet de lui rendre le Pachalik d'Alger, représen-
tant le peu de temps qu'il y avait passé, pendant lequel
il n'avait pas démérité d'y retourner; ils ajoutaient que
Heder Pacha s'y faisait détester de tous par sa cruelle
tyrannie et son mauvais gouvernement. Tout cela, avec
l'assaisonnement habituel d'une grande quantité de ca-
deaux et d'argent, qu'il donna à Cigala et aux Pachas du
Grand Divan, fut cause que le Sultan le nomma de nou-
veau Roi d'Alger; il y arriva au mois de septembre 1596,
au contentement général des habitants. Il commença
immédiatement à exécuter son dessein, qui était de se
venger de son ennemi et prédécesseur; pour cela, il
exigea de lui trente milleécus, somme double de celle
que celui-ci lui avait fait donner, annonçant que cette
somme serait affectée à la reconstruction du môle
d'Alger, que Heder n'avait pas fait réparer avec les quinze
mille éçus exigés sous ce prétexte; pour le vexer en-
core davantage, il fit publier, avec menace de peines
très graves, que personne ne s'avisât d'acheter ni es-
claves ni autres choses appartenant audit Heder; il fit
cela pour le priver de l'argent comptant qu'il avait, ce
qui fut excessivement sensible à celui-ci, qui partit d'Al-
ger pour Constantinople, furieux et désespéré, et Mos-
tafa resta très satisfait de la vengeance qu'il avait tiré de
son ennemi telle est l'habitude parmi ces infidèles (1).

(1) Enterminant cette traduction, nous croyons devoir faire re-


marquer qu'a partir de 1581, époque à laquelle l'auteur quitta A]ger,
l'HjSTORE fait presque entièrement Défaut/et se trouve remplacée par
des anecdotes concernant là Course et l'Esclavage. La raison en est,
qu'A cette période, Haëdo est revenu, à Messine, chez son; oncle,
archevêque de cette,.ville, et n'ëcrit plus que d'âpres ies récits des
captifs rachetés. M'ais cela n'enlevé que peu de chose à là haute va-
leur historique de ce livre, dont les allégations sont presque toujours
en concordance exacte avec-les dpcumeats oBicieIs.

ALGER. –TYPOan.AP:HE ADOLPHE JjOURDAN.

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