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LES CROISADES.

INTRODUCTION

Lors de la rédaction de ce travail j'ai pu remarquer que dans plusieurs cas, les dates où eurent lieu les grandes
croisades variaient selon d'un auteur à un autre et dans certains cas elles variaient tellement que les événements
n'étaient plus les mêmes. Pour se faire j'ai ajusté les dates selon le récit qui en était fait.

Replaçons nous d’abord dans le contexte de l’époque pour mieux comprendre ce qui a pu motiver ces élans
incroyables.

Les grandes terreurs de l’an mil ne sont pas si lointaines. Même si la fin du monde n’a pas eu lieu, on n’en
demeure pas loin dans une époque inspirée par la terreur quotidienne. A la violence des seigneurs et la misère d’une
existence courte, on ne trouvait qu’un salut : le divin. Toute une existence à entendre que l’on est dans le pêché, toute une
existence à rechercher le pardon.

Dans ce contexte, on comprend pourquoi des milliers d’hommes sont prêts à quitter femmes et enfants pour
aller se battre et mourir pour le pardon, donc pour le paradis. Objectivement, ces faits ont perduré jusqu’à la seconde
guerre mondiale. La déchristianisation a crée des générations d’Hommes qui ne recherchent plus l’accès aux royaumes
divins par une vie exemplaire mais qui veulent profiter de leur existence avant tout. On ne reverra donc probablement
dans nos pays une telle insouciance, que les arabes prenaient pour de la bravoure extrême, un tel abandon des retenues
dans les batailles « perdues d’avance ».

L'origine des croisades


Il est possible que les circonstances économiques (on a parlé de la surpopulation de l'Occident), politiques ou
psychologiques aient contribué au déclenchement des croisades. Mais, depuis le IXe siècle, la défense des chrétiens
menacés par les infidèles était considérée comme une œuvre salutaire : le pape Jean VIII avait accordé l'absolution aux
guerriers qui mouraient en défendant les chrétiens contre les Sarrasins en Italie. En 1063, Alexandre II renouvela cette
disposition en faveur de ceux qui combattaient en Espagne. Et le mouvement de paix du XIe siècle érigea en devoir pour
les membres de la chevalerie la défense du peuple chrétien contre ses oppresseurs. Or, à la suite de la défaite de
Manzikert, infligée par les Turcs seldjoukides aux Byzantins en 1071, l'Asie Mineure avait été envahie par les musulmans;
le pape Grégoire VII reçut des appels à l'aide de la part des Grecs et des Arméniens. En 1074, il tenta d'organiser une
expédition de secours en convoquant les vassaux du Saint-Siège; il envisageait de se joindre à l'expédition qui devait
s'achever par un pèlerinage au Saint-Sépulcre. Le projet échoua.

Urbain II le reprit en 1095. Sans doute (la question reste controversée) avait-il reçu des appels à l'aide de l'empereur
Alexis Comnène, qui souhaitait recevoir des renforts d'Occident et négociait avec le pape la fin du schisme qui séparait
Rome de Constantinople. En tout cas, au concile de Clermont, le pape invita la chrétienté occidentale à se porter au
secours des chrétiens d'Orient persécutés par les envahisseurs turcs. Il fit certainement aussi allusion à l'occupation
des lieux saints par les musulmans, en demandant aux Occidentaux de libérer ceux-ci. Et il accorda aux participants une
indulgence plénière: le voyage de Jérusalem tiendrait lieu de pénitence à ceux qui l'effectueraient après avoir confessé
leurs péchés et reçu l'absolution.

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LES CROISADES DU XIe ET XIIe SIECLE

En fait, seules les trois premières croisades, qui se déroulent aux XIe et XIIe siècle, sont vraiment des
expéditions rassemblant toute la chrétienté occidentale pour conquérir, défendre ou délivrer la Terre sainte selon la
volonté pontificale.

La première croisade (1096-1099)


Les croisades débutèrent officiellement le 28 novembre 1095, dans un champ juste au pied des remparts de Clermont-
Ferrand. Ce jour-là, le pape Urbain II prêcha un sermon aux foules de laïques et d'ecclésiastiques présents à un concile
de l'église à Clermont. Elle fut organisée par lui au cours d'un voyage dans le midi de la France. Son appel fut repris par
de nombreux prédicateurs, parmi lesquels le célèbre Pierre l'Ermite, auquel la tradition postérieure attribua une part
décisive dans la naissance de la croisade; c'est lui qui aurait révélé au pape les souffrances des chrétiens d'Orient. On
composa une encyclique attribuée au pape Sergius IV, pour rappeler les profanations commises au début du siècle à
Jérusalem par le calife Al-Hâkim bi amr illâh. Le pape écrivit lui-même aux Bolonais et aux Flamands pour les inviter à se
joindre à l'expédition, dont le départ fut fixé au 15 août 1096. Dans son sermon, le pape esquissa un plan pour une
croisade et appela ses auditeurs à joindre ses rangs, ce qu'ils firent en masse. Le pape Urbain ordonna alors aux évêques
présents au concile de retourner chez eux et d'enrôler d'autres hommes pour la croisade. Il esquissa également une
stratégie dans laquelle des groupes de croisés commenceraient leur voyage dès août 1096. Chaque groupe serait
autofinancé et responsable envers son propre chef. Les groupes suivraient chacun leur voie jusqu'à la capitale byzantine
Constantinople (aujourd'hui Istanbul, en Turquie), où ils se rassembleraient. Partant de là, ils lanceraient une attaque
contre les conquérants seldjoukides d'Anatolie en même temps que l'empereur byzantin et son armée. Une fois la région
sous contrôle chrétien, les croisés affronteraient les musulmans en Syrie et en Palestine, avec pour but ultime Jérusalem.

Les armées des croisés.

Dans ses grandes lignes, la première croisade se conforma au schéma prévu par le pape. Le recrutement s'effectua
tambour battant durant le reste de l'année 1095 et les premiers mois de 1096. Cinq armées principales composées de
chevaliers se rassemblèrent à la fin de l'été 1096, pour partir en croisade. En majorité, ils venaient de France, mais
également du sud de l'Italie, de Lorraine, de Bourgogne et de Flandre. Les quatre principales armées partirent, l'une de
la France du Nord et de la Basse Lorraine, sous les ordres du duc Godefroy De Bouillon; la deuxième, de la France du
Midi, sous la direction du comte de Toulouse Raymond de Saint-Gilles, et du légat du pape, Adhémar de Monteil; la
troisième, d'Italie méridionale, sous le commandement du prince normand Bohémond; la quatrième, de la France centrale,
avec Étienne de Blois et Robert de Normandie. La première descendit le Danube (1) ; la deuxième traversa la Lombardie
(2), la Dalmatie (3) et le nord de la Grèce; la troisième gagna directement Durazzo (4) par mer, comme la quatrième, qui
était passée par Rome.

Le pape n'avait pas prévu l'enthousiasme que sa croisade suscita parmi les simples citadins et les paysans. À côté de la
croisade de la noblesse s'en forma une autre pour le peuple. La croisade des pauvres eut pour principal initiateur et
prédicateur Pierre l'Hermite, originaire d'Amiens. Très peu réussirent à atteindre le Moyen-Orient, et moins encore
purent voir la prise de Jérusalem en 1099.

Deus lo volt! Deus lo volt!


Le concile de Clermont se termina par le fameux appel aux armes d'Urbain II qui connut un succès retentissant et donna
naissance à la première croisade. L'origine du mouvement fut attribuée au pape Urbain, mais il exista pendant longtemps
une légende qui imputait l'initiative à Pierre l'ermite. Ce dernier aurait convaincu le pape de prêcher la croisade. Cette
histoire fut propagée par les écrits d'Anne Comnène et de Guillaume de Tyr. Ce ne fut qu'au XIXe siècle que cette
légende fut discréditée par l'ouvrage d'Hagenmeyer, Peter der Eremite.
Pierre n'aurait été qu'un diffuseur du
message pontifical. Par contre, quelques critiques se firent entendre récemment et le débat est
loin d'être clos. Le pape prit ses contemporains par surprise, mais la croisade fut rapidement
acceptée, démontrant que la population était prête. D'abord, il serait important d'examiner le
contexte avant le concile de Clermont.

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Carte basée sur celle dans Kenneth Setton, A History of the Crusades, Madison, The University of Wisconsin Press, 1969, vol. 1, p. 2.

La conquête de l'Anatolie.

Les armées des croisés arrivèrent à Constantinople entre novembre 1096 et mai 1097. L'empereur byzantin Alexis Ier
Comnène pressa les croisés de lui restituer tous les anciens territoires de Byzance qu'ils pourraient reconquérir. Leurs
chefs prirent ces demandes en mauvaise part et, tout en acceptant, devinrent méfiants, à l'égard des Byzantins (le
séjour de Godefroy fut marqué par des incidents avec les Grecs). Un traité passé avec Alexis Ier Comnène stipulait la
restitution à l'Empire byzantin des villes que les Turcs lui avaient enlevées: les croisés s'emparèrent de Nicée et la
remirent aux Byzantins, ainsi que quelques autres places d'Asie Mineure.
En mai 1097, les croisés attaquèrent Nicée, la capitale de l'Anatolie turque (aujourd'hui Iznik, en Turquie). En juin, la cité
se rendit aux Byzantins plutôt qu'aux croisés. Ceci confirma qu'Alexis les utilisait comme gage afin d'atteindre ses
propres objectifs.
Peu après la chute de Nicée, les croisés affrontèrent la principale armée seldjoukide d'Anatolie à Dorylée (aujourd'hui,
Eskisehir, en Turquie). Le 1er juillet 1097, les croisés y remportèrent une grande victoire et anéantirent pratiquement
l'armée turque. Par conséquent, les croisés rencontrèrent peu de résistance lors du reste de leur campagne en Asie
Mineure. L'objectif important suivant était la cité d'Antioche en Syrie septentrionale (aujourd'hui Antakya, en Turquie).
Les croisés mirent le siège devant la ville le 21 octobre 1097, mais elle ne tomba que le 3 juin 1098. Les croisés avaient à
peine pris Antioche qu'ils furent attaqués par une armée turque venant d'Al-Mawsil (en Irak), qui arriva trop tard pour
aider les assiégés. Ils étaient bloqués dans Antioche, mais, au cours d'une sortie, parvinrent à écraser l'armée Turque
(1098). Les croisés repoussèrent les troupes restantes le 28 juin.
L'empereur n'était pas venu au secours des croisées; Bohémond 1er en tira argument pour s'établir lui-même à Antioche
et ne pas remettre la ville aux Grecs.

La prise de Jérusalem.

Restant à Antioche le reste de l'été et au début du printemps, les croisés se mirent en marche pour la dernière partie de
leur périple à la fin du mois de novembre 1098. Ils évitèrent d'attaquer d'autres des forteresses afin de préserver leurs
forces. En mai 1099, ils atteignirent les frontières nord de la Palestine et, au soir du 7 juin, ils campaient en vue des murs
de Jérusalem.
La cité était alors sous le contrôle des Égyptiens ; ses défenseurs étaient nombreux et bien préparés pour supporter un
siège. Les croisés attaquèrent, aidés par des renforts en provenance de Gênes et des machines de siège nouvellement
construites, prenant d'assaut Jérusalem le 15 juillet 1099 ; ils en massacrèrent alors pratiquement tous les habitants.
Aux yeux des croisés, la cité était purifiée par le sang des infidèles vaincus.
Une semaine plus tard, l'armée élut un de ses chefs, Godefroi de Bouillon, duc de Basse Lorraine, souverain de la cité.
Sous sa direction, l'armée mena sa dernière campagne, battant une armée égyptienne à Ascalon (aujourd'hui Ashqelon, en
Israël) le 12 août 1099. Peu après la majeure partie des Croisés rentrera en Europe, laissant Godefroy et une petite
partie de l'armée pour organiser un gouvernement et établir un contrôle latin sur les territoires conquis.

L'apogée de la puissance latine en Orient.

Dans le sillage de la première croisade, quatre États latins s'étaient créés au Levant. Le plus important et le plus puissant
d'entre eux était le royaume latin de Jérusalem. Au nord de ce royaume se trouvait le petit comté de Tripoli sur le

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littoral syrien. Au-delà de Tripoli se trouvait la principauté d'Antioche, centrée sur la vallée de l'Oronte. Tout à fait à
l'est se trouvait le comté d'Édesse (aujourd'hui Urfa, en Turquie), en grande partie peuplée de chrétiens arméniens.
Les victoires de la première croisade étaient dues en grande partie à l'isolement et à la relative faiblesse des forces
musulmanes. La génération suivante vit cependant le début de la réunification musulmane au Moyen-Orient sous l'autorité
de Imad al-Din Zanki, souverain de Mossoul et de Halab (aujourd'hui en Syrie septentrionale). Sous Zanki, les forces
musulmanes remportèrent leur première grande victoire sur les croisés en prenant la cité d'Édesse en 1144 et en
dépeçant systématiquement l'État croisé.

Chronologie de la première croisade.

1088 - Un moine bénédictin français est élu sous le nom d'Urbain II et succède au Bienheureux Victor III.
1095 - Urbain II en personne accorde, lors du concile de Clermont, une indulgence plénière à tous les croisés qui iront
libérer le tombeau de Jésus. Pierre l'Ermite la prêche et se fait assister par des volontaires qui parcourent les villages
d'Europe. En Allemagne près du Mont Donnersberg, la plus haute montagne du Palatinat un chevalier-brigand " Emich de
Leiningen " entend parler de cette croisade et y voit un moyen de piller ses concitoyens, en particulier les riches juifs. Il
prétend qu'il reçoit les stigmates du Christ et qu'il possède une croix miraculeusement imprimée dans sa chair !
Les juifs de Rhénanie sont les premières victimes. A Mayence treize cent juifs sont massacrés, malgré la résistance des
évêques, seigneurs des grandes villes, des milliers de juifs sont massacrés, volés et brûlés dans les grandes villes comme :
Speyer, Cologne, Trèves et Worms. Pour les juifs une nouvelle ère de persécution commence et déjà dans les quartiers
autour des synagogues naissent " les premiers Ghettos-juifs d'Europe", où des dizaines de milliers de familles juives
complètement ruinées furent emprisonnées. D'ailleurs lorsque les hordes sauvages ne trouvèrent pas assez de juifs à
piller, elles attaquèrent et rançonnèrent les villages chrétiens...
D'un sang froid et d'une audace inouïe, le fils du comte De Leisingen, véritable chevalier pillard, n'hésite pas à livrer
bataille avec ses huit mille partisans, au roi Coloman de Hongrie. Son armée de brigands sera taillée en pièces avec une
terrible violence et lui-même ne devra son salut car l'excellente rapidité de son cheval, pendant ce temps une autre
troupe de brigands commandée par un certain Volkmar s'attaque à la communauté des juifs de Prague (Bohême) et y
cause des ravages.
En France Pierre l'Ermite arrive à rassembler environ 20 000 personnes recrutées dans toutes les souches de la société :
paysans sans armes, femmes, enfants, aventuriers ou condamnés de droit commun attirés par les effets de l'indulgence
plénière, qui promet la réhabilitation et le pardon civil en cas de retour. Après bien des misères c'est une troupe amaigrie
comparable aux vagabonds qui arrivent en 1096 à Byzance où l'empereur les fait immédiatement traverser en Turquie. Là,
les attendent en embuscade toute la cavalerie turque du sultan " Kilij Arslan " les massacrera presque tous devant Nicée.

1096 - Quelques mois après ce massacre la rumeur rebondit en Europe, puisqu'on ne peut pas punir les musulmans, on
intensifiera la lutte contre les juifs de l'Est et du Nord.
1096 - (Fin de l'année) départ de la grande croisade des barons qui se donnent rendez-vous à Byzance.
1096 - Le roi d'Allemagne et le roi de France étant tous les deux frappés d'excommunication (PHILIPPE 1er pour avoir
divorcé et remarié en 1092 Bertrade de Montfort). La croisade des barons et chevaliers européens est commandée par
Godefroi de Bouillon, Robert de Normandie, les deux comtes Baudouin des Flandres et Raymond IV comte de Toulouse,
dont les petits-fils subiront dans un siècle la croisade des gens du Nord sur leurs propres terres. C'est ce qu'on appela la
croisade des barons.

1097 - Nicée tombe le 29 juin en se rendant à l'empereur de Byzance les drapeaux sont immédiatement hissés sur les
remparts et les croisés sont très déçus de ne pas pouvoir piller la ville.
1097 - Bataille de Dorylée le 5 juillet, Kilij Arslan et Ghazi sont écrasés, le sultan lui même abandonna son camp avec
toutes les richesses et son trésor personnel qui le suivait partout. Du côté turc les pertes sont énormes (certains
historiens mentionneront 80 000 morts abandonnés sur le champ de bataille) Puis l'armée franque entame une marche
forcée de quatre mois vers Antioche, assoiffée et accablée par un soleil de plomb.
Arrivés le 20 Octobre devant Antioche, ville immense dont le mur d'enceinte fait plus de dix Km de longs, entrecoupés
d'environ 400 tours fortifiées et une citadelle surplombant de 200m les bas quartiers de la ville. La ville aurait pu être
prise d'assaut, mais dans ce cas, elle aurait été remise entre les mains des alliés grecs. Raymond IV de Toulouse,
Adhémar de Monteil (évêque du Puy et représentant du pape), de Godefroi de Bouillon et de Bohémond de Tarente,
préférèrent d'un commun accord entamer un siège devant les remparts qui allait durer jusqu'au 3 juin 1098. Siège
pénible au cours duquel les croisés affrontèrent la famine la soif, suivies de pluies torrentielles, le froid hivernal et bien
entendu le cortège de maladies et d'enterrements. Ce n'est que grâce à la complicité d'un officier arménien (Firûz) qui
permit à un groupe d'escalader une tour durant la nuit, que les portes de la ville furent ouvertes au gros de l'armée
franque qui s'engouffra dans la cité pour surprendre l'ennemi dans son sommeil. Heureusement pour les croisés, car le
lendemain matin l'armée syrienne de Kurbuqa était également arrivée devant les remparts. D'assiégeants les francs
étaient devenus assiégés. L'atabek Kurbuqa ne regrettera jamais assez d'avoir perdu trois semaines au siège d'Edesse,
alors qu'une demi-journée aurait suffit pour sauver Antioche entièrement livrée au pillage des francs.

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Cette ville aurait pu être rapidement délivrée du siège turc, si Etienne comte de Blois n'avait affirmé à l'empereur de
Byzance que la ville était déjà tombée et que tous les croisés étaient morts. La situation semblait désespérée lorsqu'un
moine Pierre Barthélemy fit une découverte douteuse mais qui redonna un moral d'acier aux troupes : la découverte de la
sainte lance qui perça le flanc de Jésus-Christ (malgré que la soi-disant vraie lance se trouvait déjà à Byzance !) le moine
sorti de terre un morceau de fer rouillé qui galvanisa les troupes. Les chefs qui souriaient entre eux s'emparèrent de la
relique et grâce à l'objet doué d'une force surnaturelle, l'armée des francs sortit de la ville pour affronter l'ennemi.
Les turcs furent si surpris qu'ils firent preuve d'un manque total de cohésion entre ses positions. Elles furent écrasées
par l'armée des croisés. Dévalisé, abandonné et désespéré l'infortuné atabek de Mossoul se replia dans sa ville au grand
galop.
Au fur et à mesure que l'armée chrétienne avançait les chrétiens (en majorité grecs) des villes d' Artah, Maresse,
Chaysar... se débarrassèrent des turcs et ouvrir grandes les portes aux croisés.

1098 - le 11 décembre après quinze jours de résistance, les notables de la ville de Maara (Ma'arat) voisine d'Antioche
obtiennent de Bohémond la vie sauve pour tous les habitants s'ils se rendent.
A l'aube environ quinze mille habitants furent tous égorgés ou passés par le fil de l'épée, malgré la promesse du nouveau
Maître d'Antioche. Le chroniqueur franc Raoul de Caen affirma : "les nôtres faisaient bouillir des païens adultes dans des
marmites et fixaient des enfants sur des broches et les dévoraient grillés. Ces faits furent confirmés dans une lettre
officielle des chefs adressée au pape depuis la Palestine : - " une terrible famine a mis l'armée dans la cruelle nécessité
de se nourrir des cadavres de sarrasins et de chiens !..."

1099 - le 13 janvier pendant que les chefs croisés se disputent pour le partage des terres nouvelles, un vent de fronde
circule dans le bas de l'armée : les soldats affamés ne sont pas venus pour conquérir la Syrie, mais pour délivrer la
Palestine. Alors ils détruisirent toutes les fortifications de Maara, ville martyre des syriens et mirent le feu à la plupart
des maisons.
Lorsque les esprits furent calmés Godefroi de Bouillon et Robert de Flandres décidèrent de rester près d'Antioche pour
agrandir leur royaume, tandis que le comte de Toulouse, Robert de Normandie et Tancrède de Flandres continuèrent leur
longue marche vers Jérusalem en emmenant avec eux Barthélemy et sa sainte lance.
Sur leur passage les émirs encore très impressionnés par l'écrasante victoire de Dorylée et les abominations commises
dans Maara, proposèrent de payer un tribut en or comme un droit de passage et offrir des guides pour faire avancer les
croisés en les poussant loin de leurs terres ! Arrivé devant Arqua, la ville située au nord de Beyrouth et à côté de Tripoli,
Raymond fut ébloui par les richesses de la cité et dédaignant les cadeaux que lui offrait le gouverneur, il mit le siège à la
ville.
Des espions lui ayant assuré que le calife de Bagdad était en route avec une grande armée, Raymond paniqué fit venir
d'urgence Godefroi qui était entrain de mettre le siège à une autre ville appartenant également aux émirs de Tripoli.
Godefroi étant accouru pour rien, se fâcha contre Raymond et accusa Pierre Barthélemy d'être un imposteur. Comme
Barthélemy se défendait de toute son ardeur le chapelain du comte de Normandie exigea l'épreuve du feu qui devait
prouver si sa lance était vraie.
Le malheureux moine s'élança avec sa lance au travers des fagots allumés et rendit l'âme deux jours plus tard couverts
d'atroces brûlures.
Godefroi avait gagné la partie et le comte de Toulouse après avoir accepté de l'or, des chevaux et des vivres du cadi de
Tripoli, leva le siège et marcha en direction de Jérusalem.
Or en août 1198 pendant que les croisés maintenaient le siège d'Antioche, les fatimides du vizir égyptien al-Afdal avaient
reprit Jérusalem à l'émir Soqman, lieutenant du sultan perse. Le vizir du Caire fit même une proposition qui laisserait aux
croisés tous les territoires conquis dans le nord, mais laissait la Palestine à l'Egypte. Les barons s'offusquèrent et
rejetèrent hargneusement l'offre du vizir qui vexé les considéra dès lors comme ses ennemis.
1099 - Le 28 janvier l'armée de Raymond arrive devant Hosn-el-Akrad, où se trouve en haut d'un piton une vieille
citadelle désaffectée occupée par quelques paysans arabes qui y ont trouvé refuge. Les paysans se sentant perdus devant
l'assaut des croisés imaginèrent un stratagème : ils ouvrirent grandes la porte d'entrée en chassant leur bétail devant
eux. Dans le camp des croisés affamés ce fut la panique, tout le monde abandonna l'assaut et se rua sur les animaux en
fuite. Même les gardes du comte de St Gilles délaissèrent sa tente pour avoir leur part du butin.
Le lendemain lorsque l'armée rassasiée se représenta devant les remparts, ils constatèrent que la forteresse était vide
et que les paysans avaient fuit pendant la nuit. Raymond en profita pour occuper la place et en faire son quartier de
commandement. Après de lourds travaux, cette forteresse deviendra quarante ans plus tard " la fameuse citadelle KRAC
des templiers."
1099 - le 7 juin les croisés arrivent sous les remparts de Jérusalem où par crainte de trahison les arabes égyptiens
avaient déjà expulsé tous les chrétiens de la ville. Pendant ce temps des navires génois avaient réussi à s'emparer du port
de Jaffa.
Dès lors les prêtres et moines lavèrent les soldats dans le Jourdain pour les purifier et organisèrent maintes processions
avec palmes, croix et chants liturgiques sous les quolibets et les rires amusés des arabes. Mais leur joie ne durera guère...
1099 - le 15 Juillet vers midi Godefroi et son frère aîné le comte Eustache furent parmi les premiers croisés à se hisser
en haut des remparts pendant que la muraille Nord était envahie à son tour. A toute vitesse les défenseurs se replièrent
vers le temple et Iftikhar al-Dawla gouverneur de Jérusalem, cerné par les provençaux se rendit avec son entourage au

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comte de Toulouse qui en toute loyauté respecta sa promesse de vie sauve, formulée avant la prise des remparts. Toutes
les autres promesses données par les autres commandants ne furent pas respectées.
La ville sombra dans un sinistre carnage et ruissela de sang.

Pendant deux jours les croisés se livrèrent à un des plus abominables massacre de l'Histoire. Les portes furent
enfoncées, les civils, hommes, femmes, enfants, vieillards furent exécutés sans distinction, ni pitié. Toute la communauté
juive fut enfermée dans une synagogue où l'on mit le feu, il n'y eu aucun survivant. En deux jours environ 60.000
personnes furent exterminées, or il n'y avait dans la ville sainte que dix pour cent de juifs!...

Rapport de Raimondo d'Aquilérec concernant la prise de Jérusalem


Des musulmans étaient décapités, d'autres tombaient des remparts criblés de flèches, d'autres enfin brûlaient dans les
flammes ! A travers les rues et les places publiques de la ville sainte on voyait des amoncellements de pieds, de mains et
de têtes coupées imprégnées de sang coagulé... Dans l'ancien temple de Salomon où les musulmans avaient l'habitude de
célébrer leurs fêtes religieuses on avançait avec du sang jusqu'à la hauteur des genoux... Après la prise de la ville, il était
beau de voir devant le Saint Sépulcre, la dévotion des pèlerins qui manifestaient leur joie en chantant au Dieu vainqueur
et triomphant par des chants inexprimables en paroles !
Le 12 août 1099, l'armée égyptienne arriva enfin à Ascalon, le vizir qui croyait toujours en possible collaboration avec les
francs envoya un ambassadeur pour discuter avec les nouveaux chefs de Jérusalem. Mais ceux-ci sachant que l'armée
égyptienne était à leur portée, les croisés foncèrent sabre au clair sur le campement égyptien installé devant Ascalon.
Encore une fois la surprise fut totale puisque même les éclaireurs n'eurent pas le temps d'annoncer l'arrivée des
cavaliers. L'armée du grand Vizir sera décimée avec ses 10 000 hommes et comme des soldats égyptiens s'étaient
réfugiés dans la cité d'Ascalon, de nombreux civils furent également massacrés avec les fuyards. En quelques mois toutes
les places fortifiées de Galilée se rendirent aux croisés avec les ports du littoral méditerranéen.

1100 - Godefroi de Bouillon, qui a été élu roi aux 1ères Assises de Jérusalem (tenues en 1099) a préféré prendre le titre
d' Avoué du Saint Sépulcre. Son règne sera court, selon le chroniqueur ibn al-Qualanissi, il est mort le 18 Juillet d'une
flèche empoisonnée, pendant qu'il dirigeait les opérations du siège d'Acre. Les francs diront de la peste. Il avait 41 ans.
En Août 1100 c'est le prince d'Antioche "Bohémond de Tarente" qui est fait prisonnier par les syriens, alors qu'il était
venu délivrer la ville assiégée de Malatya. Lorsque Bohémond et ses 500 cavaliers s'engagent dans un étroit défilé, il se
rend compte que les syriens de Damas lui ont tendu une véritable souricière et qu'il ne peut même pas se mettre à l'abri
de la pluie de flèches. Un grand nombre de francs furent tués et quelques uns furent emmenés enchaînés avec leur prince
Bohémond, (le grand blond) jusqu'à Niksar, au nord de l'Anatolie.
Septembre 1100 : Baudouin de Boulogne, frère du défunt Godefroi est nommé ROI de Jérusalem sous le nom de Baudouin
1er. Le 24 Octobre Baudouin se dirige sur Jérusalem avec 500 cavaliers mais Doukak l'attend à Nahr el Kalb, mais comme
le nouveau cadi de Tripoli Fakhr el-Moulk a un compte à régler avec Doukak, il averti Baudouin du piège qui l'attend ! Le
nouveau roi peut ainsi facilement échapper avec ses hommes : au guet-apens.
1101 - Juin le grand vizir égyptien Al-Afdal envoie son général-émir "al Sawla al Qavasi" qui campe plusieurs mois dans
Ascalon (principal port de guerre égyptien en Palestine). Baudouin avec son infanterie et ses 260 chevaliers partagea son
armée en deux et prit les égyptiens à revers. Ce qui entraîna à Ramla une déroute totale des égyptiens.
1101 - Mai /Juillet 100 000 nouveaux croisés dont de nombreux colons arrivent à Byzance et sont partagés en trois
groupes :
Le premier groupe est celui des lombards rejoint par les hommes du comte de St Gilles qui les conduisit fin Juin sous sa
bannière à Ankara au centre de l'Anatolie. Puis de cette ville juste conquise par les croisés, ils iront vers Niksar, la
capitale turque où Bohémond est prisonnier. Kilidj Arslan (sultan de Roùm en Anatolie) qui suit de près les déplacements
de l'armée franque a conclut une alliance avec l'émir dachnimindite Ghazi Gümüshetin, ensemble ils vont tendre une
embuscade mi-août à Merzifun. Les francs avancent sous un soleil brûlant (+50°) encastrés dans leurs épaisses cuirasses,
suivis de leurs femmes et leurs enfants. La plupart viennent de Lombardie et n'ont aucune expérience de la guerre contre
les turcs. La boucherie durera une journée entière. A la nuit tombée le comte de saint Gilles s'enfuit avec ses proches
sans même avertir le gros de l'armée. Le lendemain les derniers survivants furent massacrés par milliers, les enfants
vendus en esclavage, les jeunes femmes survivantes expédiées à moitié nues dans les harems d'Orient. A peine le
massacre sera-t-il achevé que fin août un deuxième groupe de colons encadré par une armée de croisés ayant à leur tête
le comte de Nevers avec ses quinze mille combattants fait route sur Iconium, la capitale de Kilidj Arslan. Mais encore une
fois les hommes manquent d'eau. Kilidj et Ghazi leur tendent un nouveau piège à EREGLI (Héraclée) L'armée franque sera
encerclée et presque entièrement massacrée ! Seuls le comte de Nevers et quelques chevaliers arriveront jusqu'à
Antioche dans un état déguenillé.
1101 - Début septembre le duc Guillaume IX d'Aquitaine, Welf IV duc de Bavière et la margravine d'Autriche (une femme
énergique et très belle) emmènent un troisième groupe de croisés et énormément de colons sans expérience de l'Orient,

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ils traversent un terrain étranger où les rares puits ont été remplis de sable ou empoisonnés par les soldats de Kilij
Arslan et de Ghazi réunis ! Dans un piteux état de déshydratation, ils arrivent enfin à une rivière où les archers
musulmans les attendent. Devant la tournure tragique de la situation, les deux ducs sortirent de leur cuirasse et
abandonnant le gros de l'armée, ils s'enfuirent au grand galop. On ne saura jamais ce qu'il advint de la belle margrave
abandonnée en plein combat sur le champ de bataille !...
Ce troisième massacre en un mois enterrait définitivement dans les sables et les rochers d'Orient les rêves de dizaine de
milliers de colons venus pour échanger leur pauvreté occidentale contre une place au soleil de la Terre Promise qu'ils ne
verront jamais de leurs yeux...
Et pourtant tous étaient si heureux d'être arrivés enfin si prêts du but en franchissant des terres hostiles ou une mer
infestée de pirates qui n'hésitaient pas à couler les navires après les avoir pillés. Un contemporain de l'époque (Albert
d'Aix) affirme qu'en 1102 trois cent navires de pèlerins ont été coulé avec 140 000 personnes qui ont disparu corps et
biens ! Même si les chiffres sont invérifiables, il est regrettable que les livres d'Histoire passent rapidement sous silence
ce qui s'est réellement passé pour la conquête du Moyen Orient et de la Palestine par l'Occident et qui s'est achevée par
trois grands génocides vengeurs en particulier sur d'inoffensifs colons...
A l'époque, lorsque ces récits parvinrent enfin en Europe, ils causèrent dans toutes les cours un très grand émoi !... Il
faudra bien attendre 45 ans avant de voir se mobiliser une nouvelle croisade, qui prendra le nom officiel de deuxième
grande Croisade !
1102 - Mars, Tancrède neveu de Bohémond est nommé prince d'Antioche, il ravage les environs d'Alep. Redwan fait
savoir à Tancrède qu'il est prêt à se soumettre s'il consent à s'éloigner. Gonflé d'arrogance, Tancrède lui impose de
placer une immense croix sur la grande mosquée d'Alep. Le lâche seigneur arabe Redwan obéira....
1102 - Avril, le comte Raymond de St Gilles avec seulement ses 300 derniers chevaliers vient devant Tripoli narguer Kilij
Harslan qui a obtenu l'aide des guerriers de Homs et de Damas. Raymond partagea ses troupes en trois escadrons qui
attaquèrent chacun l'armée d'une des trois villes musulmanes.
Mais les guerriers turcs des villes de Homs et de Damas s'étant enfuis dès le début du combat, les 300 chevaliers
foncèrent sur les guerriers de Tripoli et tuèrent 7 000 hommes (!) En réalité Doubaq voulait faire payer au cadi de
Tripoli sa lâche attitude qui aurait permit l'élimination de Godefroi de Bouillon à Nahr el Kalb. Les voies de la Providence
sont vraiment impénétrables !
1102 - En mai, sous le commandement de Charaf, fils du Vizir al-Afdal 20 000 guerriers arrivent d'Egypte et débarquent
à Ramleh (Près de Jaffa) Ils réussirent à surprendre les soldats de Baudouin, qui lui même échappa par miracle au
carnage en fuyant dans les roseaux. A ce moment l'armée égyptienne aurait pu reprendre Jérusalem, sans roi et sans
défenseurs, mais à force d'attendre, des croisés vinrent d'Occident et Charaf dû rentrer en Egypte.
1103 - Prise de Haïfa, Jaffa et d'Acre par le roi de Baudouin de Jérusalem
1103 - Raymond de St Gilles entame le siège de Tripoli, il durera jusqu'en 1108 - soit près de 2000 jours !
1103 - Tughtekin succède à Dubaq comme atabek (Gouverneur) de Damas, il libère contre 100 000 dinars le prince
BOHEMOND qui avant de s'embarquer pour l'Europe ira récupérer sa rançon dans les villages musulmans. En France le roi
Philippe 1er le reçut triomphalement en lui accordant la main d'une de ses filles (Constance de France) mais il fut plus
réservé en ce qui concerne un envoi de croisés, le désastre de la croisade de 1101 lui étant encore trop vivant... Sur ce
Bohémond alla à Rome où le pape Pascal II le reçut. Il s'efforça de dénigrer l'attitude de l'empereur de Byzance et en
fit un si noir tableau qu'il obtint de lui l'argent pour lever une armée contre l'empereur de Byzance ! Avec ses normands
et ses lombards il mit le siège en 1108 devant la ville albanaise de DURAZZO, où les troupes impériales d'Alexis Comnène
lui infligèrent une sévère défaite et une entière soumission. Un an après il mourait en Italie, laissant juste un héritier du
même nom.
1104 - Bataille de Harrân, défaite des francs et captivité du comte d'Edesse Baudouin du Bourg et de son cousin Jocelin
de Courtenay. Sokman ex-gouverneur de Jérusalem vole des uniformes de croisés et en revêt ses hommes. Chaque fois
que les francs voient revenir leurs compagnons victorieux, ils sortent pleins de joies à leur rencontre et se font
massacrer par les turcs, on assure que ce stratagème fut utilisé plusieurs fois pour prendre quelques forteresses aux
francs, heureusement sans importance stratégiques.
1105 - 28 février mort du comte Raymond de St Gilles dans une forteresse qu'il avait érigé à l'entrée de Tripoli pour
mieux contrôler la magnifique ville côtière. Mais sa femme Elvire de Castille lui ayant donné un héritier Alphonse Jourdain
reçut le comté de Toulouse et fut invité par les toulousains à en prendre possession.
Lorsqu'on sait que le comte de Toulouse possédait dans le sud de la France des territoires qui s'étendaient de l'Aquitaine
à la Provence, un véritable paradis de fertilité, on peut se demander qu'est-ce qui a poussé ce sexagénaire (né en 1042)
au caractère impulsif et autoritaire à passer quinze années de combats acharnés pour essayer de conquérir ce lopin de
Tripoli peuplé de gens hostiles et ruinés par son long siège ? Cent ans après son arrière petit-fils Raymond VI devra à son
tour faire face à une croisade des gens du Nord qui le déposséderont de son patrimoine... Pour lors, le manoir de Tripoli
au Liban fut gérée par Guillaume Jourdain (fils du comte de Cerdagne et petit-fils d'une tante maternelle du comte
Raymond IV) qui entreprit également de poursuivre le blocus terrestre de Tripoli entamé en 1103 par le comte Raymond.
La ville martyre de Tripoli allait encore subir trois années de siège héroïque en particulier depuis que les navires de Pise
chassaient systématiquement les navires égyptiens venant chargés de victuailles... Aucun émir ne s'intéressa plus à son
agonie et à sa délivrance.
1105 - Le sultan Barkyaruk meurt de la tuberculose, désormais l'Irak, la Syrie et la perse occidentale n'ont plus qu'un
seul maître : le sultan Mohammed IBN Malikshah - qui règne à Bagdad.

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1108 - Arrivée en Palestine de Bertrand de Toulouse et d'escadres génoises. Malgré l'intervention du Cadi Fahr el-Moulk
qui est allé à Bagdad demander de l'aide auprès du grand sultan, les nobles de Tripoli ont décidé de donner leur ville aux
égyptiens. Mais en mars, c'est l'assaut final : Tripoli tombe le 12 juillet, assaillie et conquise par terre et par mer. Dans le
partage, un tiers de la ville est donné aux génois qui ne se sentirent pas concernés par la promesse faite par le roi de
Jérusalem de respecter les biens et personnes après la reddition de la ville. Les héritiers saint Gilles reçurent le reste
de la ville. Les civils musulmans de Tripoli furent vendus comme esclaves d'autres furent expulsés en abandonnant leur
biens. Le 4 décembre de la même année Beyrouth se rendit, sur la parole de Baudouin il n'y eut pas de massacre mais un
exode massif des habitants... Nouvel incident, quelque mois après Guillaume Jourdain mourrait d'une flèche tirée par
accident au cours d'une rixe entre deux sergents qu'il voulait séparer ! Toutes les possessions franques allèrent à
BERTRAND - fils du comte de saint Gilles.
1108 - Pendant que le comte Baudouin du Bourg était prisonnier à Mossoul, Roger Tancrède s'était emparé du comté
d'Edesse et profitait de la détention du comte rival. A MOSSOUL, le nouvel émir JAWALI venait de renverser l'ancien
émir Jekermich pour s'emparer de son trône. Qilidj Arslan intervint avec son armée et fut lui - même battu et tué par
une coalition des guerriers de M0SS0UL & ALEP.
L'épouse de Jawali, régente de Mossoul, montra un caractère si exécrable qu'à son retour Jawali fut expulsé de sa
ville !... L'émir conclut alors avec son prisonnier, le comte Baudouin, un drôle de marché : il s'engageait à libérer Baudouin
avec tous les honneurs, " si le comte lui promettait de devenir son allié !"
A peine libéré, Baudouin rencontra Tancrède et lui demanda de lui rendre le comté d'Edesse. Il faudra l'intervention
d'une commission d'évêques et de prêtres pour faire plier Tancrède et rendre Edesse à Baudouin. A peine rétabli dans
ses droits Baudouin fit aussitôt libérer tous les prisonniers musulmans et fit même exécuter un fonctionnaire chrétien
qui avait injurié l'Islam ! Du coup REDWAN l'atabeq d'Alep mit Baudouin du Bourg en garde par écrit sur une éventuelle
expulsion des francs au cas où l'émir Jalawi arriverait à prendre également le pouvoir à Mossoul. Mais Baudouin ne voulut
rien entendre, tandis que Tancrède profitant de la situation se considéra désormais comme l'allié de Redwan.
1108 - Octobre deux armées s'affrontent sous les remparts de Tel Bacher :
L’une comporte Roger de Tancrède avec 1500 chevaliers francs, équipés de masses, de haches et de boucliers, avec à leur
côté 600 cavaliers d'élite du roi Redwan d'Alep, son allié.
L’autre armée (en face) est commandée par l'émir JAWALI de Mossoul, elle se compose de deux mille guerriers partagés
en trois bataillons : à gauche des arabes, au centre les francs de Baudouin du Bourg et à droite les turcs ...
A l'issu de la bataille lorsque les guerriers d'Alep eurent le dessus, Jalawi s'enfuit avec ses guerriers pour chercher asile
dans la forteresse de Tell Bacher où Baudouin et son cousin Jocelin les soignèrent. Mais le véritable combat eut lieu
entre les deux chevaleries : Baudouin contre Tancrède. Les chevaliers fidèles à Baudouin furent écrasés ! Baudouin et
Jocelin s'enfuirent dans la forteresse de Dulùk et ne durent leur salut qu'à un retour surprise des restes de l'armée de
Jawali. Pendant ce temps les arméniens d'Edesse croyant que Baudouin était mort projetèrent d'élire un de leurs chefs.
Baudouin les chassa de la ville et fit crever les yeux aux notables et à plusieurs prêtres.
Peu de temps après les deux comtes durent se soumettre sous l'autorité du roi Baudouin 1er et (apparemment) se
réconcilier.
1110 - Le sultan Mohamed de Bagdad prêche la guerre sainte et ordonne l'union de ses armées pour assiéger la ville
franque d'Edesse
Mai, début du siège d'Edesse et appel à l'armée de Tancrède. Celui-ci ne bouge pas. Enfin il se décide d'intervenir à
l'arrivée du roi Baudouin de Jérusalem, puis disparaît avec le tiers des effectifs. Baudouin qui était également harcelé
dans le sud par les égyptiens se retira pour défendre la Judée. Les conséquences de ces deux défections furent énormes,
car personne n'était plus là pour défendre les dizaine de milliers de colons qu'on avait eut l'imprudence de faire voyager
alors que d'énormes mouvements de troupes musulmanes étaient entrain d'approcher. Les colons étaient à peine arrivés
sur la rive droite de l'Euphrate (dans la campagne d'Edesse) que les cavaliers turcs les assaillirent et massacrèrent tous
ces paysans et civils, incapables de ses défendre, pendant que sur l'autre rive l'armée assistait impuissante à ce
génocide. L'Euphrate était devenue toute rouge du sang des malheureux colons dont les flots tumultueux emportèrent les
corps de ceux qui s'étaient noyés en voulant regagner l'autre rive à la nage.
Même si les francs n'ont pas participés à ce massacre, ils sont responsables d'avoir livré sans assistance toutes ces
victimes au massacre, qui fut aussi affreux à voir que celui qu'ont fait les croisés à leur entrée dans Jérusalem. Seconde
faute impardonnable du commandement franc, ils savaient que l'armée turque était très proche et ils se sont enfuis
lâchement les premiers, abandonnant un peuple entier sans défense devant ces hordes sauvages.
1111 - Chams al-Kilafa gouverneur d'Ascalon propose à Baudouin un tribut de 7000 dinars versés par les palestiniens de
la ville contre l'éviction des fonctionnaires égyptiens et la protection des francs par 300 hommes qui prennent en main la
citadelle. Mais en juillet al-Kilafa est poignardé avec les 300 francs qui ont cherché en vain à se réfugier dans les
tourelles.
1112 - Début janvier Baudouin se venge en assiégeant la ville de Tyr au Liban. Mais face à leur résistance il abandonne le
10 avril 1112
1112 - 10 décembre mort de Tancrède, son neveu Roger fils de Richard de Salerne lui succède. Décès également de
Bertrand de St Gilles.
1113 - Mawdoud atabek de Mossoul et principal responsable du génocide des colons d'Edesse, avec l'appui de Tughtekin
de Damas attaque des bourgs francs en Galilée. Baudouin s'élance seul avec son armée et subit une défaite à Sinn

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al'Nabra. Sans l'arrivée de Roger de Salerne nouveau prince d'Antioche et de Pons, fils de Bertrand et nouveau comte de
Tripoli tout le monde aurait été massacré. Les syriens refusèrent la deuxième bataille et se retirèrent.
1113 - Assassinat du sultan Mawdoud de Mossoul dans une mosquée de Damas en présence de l'atabek Tughtekin. Le 10
décembre Redwan le roi d'Alep se meurt. Aussitôt le cadi Al- Khachab ordonne l'exécution de nombreux chefs membres
de la secte des assassins. Mais le fils de Redwan : ALP ARSLAN qui vient d'avoir seize ans fait décapiter ses deux frères
et plonge la ville dans un bain de sang. On aura vite fait de s'apercevoir que le jeune roi qu'on surnommait le muet est
également fou...
1113 - Après avoir répudié ARDA fille du prince Taphnuz, soupçonnée d'infidélité, Baudouin épouse Adelaïde de Sicile qui
arrive en Palestine avec 7 navires chargés d'or et d'objets précieux. La dot étant dépensée, en 1117, le roi craignant que
Roger de Sicile, (fils de la souveraine) n'hérite des biens du Royaume, renvoya Adelaïde en prétextant qu'il ne voulait pas
mourir bigame !
Septembre 1114 - Loulou, l'eunuque d'Alp Arslan poignarde son maître et se nomme régent en installant sur le trône un
autre fils d'Arslan qui vient tout juste d'avoir 6 ans.
Septembre 1115 - Roger de Salerne - prince d'Antioche bat l'armée de Bursuki, atabek de Mossoul et conquiert Azaz,
Biza et Marqab.
1115 - Tughtekin atabek de Damas s'allie à Baudouin 1er (mais sera plus tard l'ennemi de Baudouin II) pour contrer
l'armée du sultan Mohammed de Bagdad, venu venger la mort de Mawdoud en 1115
1118 - Avec 216 chevaliers et 400 fantassins, Baudouin 1er rêve de conquérir l'Egypte ! Parti en mars, il traverse le Sinaï
et se baigne dans le Nil avant de tomber subitement malade. Il meurt à El-Arich sur le chemin du retour, le 2 avril. Il est
remplacé par Baudouin II - comte d'Edesse.
1118 à BAGDAD meurt le calife Al Moustarchid (al Mukharrim) son fils Al Moustarchid Billah devint Calife à sa place. A
l'âge de 25 ans, il devenait le Prince des croyants musulmans.

1119 - Fin de la trêve entre Antioche et Alep. Roger de Salerne avec 700 chevaliers et 3 000 fantassins veut prendre
Alep et doit faire face à une coalition de plus de 30 000 musulmans.

Débordée par le nombre toute l'armée de Roger est encerclée et détruite le 28 JUIN avec son prince et avec ses
chevaliers morts au pied de la grande croix. Les rares survivants furent traînés à Alep où la plupart d'entre eux furent
lynchés par une foule qui leur fit payer le massacre de Jérusalem. L'endroit où se déroula le carnage, fut désormais
appelé : le champ du sang.
Heureusement qu'Il Gahzi perdit énormément de temps à s'enivrer pour fêter sa victoire car il aurait pu prendre
facilement Antioche qui à cet instant était pratiquement sans défenseurs !
Baudouin arrivé le lendemain à Antioche ne put que constater l'élimination complète de la chevalerie normande. Il lui
restait 700 chevaliers avec lesquels il livra une seconde bataille à Tell-Danith où chaque camp se déclara vainqueur ! Mais
Il Ghazi fut si contrarié d'avoir dû battre en retraite, malgré son écrasante supériorité de guerriers nomades demi-
sauvages, qu'il fit massacrer en rentrant chez lui tous les prisonniers survivants de la première et seconde bataille. Il
refusa une offre de rachat des croisés de 40 000 besants d'or, alors qu'il avait du mal à payer ses mercenaires ! Il Ghazi
se déclara lui-même : atabek d'Alep
1222 - Mort d'Il Ghazi lors d'un coma éthylique, son neveu BALAK est nommé comme successeur. En septembre il
réussira à s'emparer de JOCELIN de Courtenay, nouveau comte d'Edesse qui avait remplacé son cousin Baudouin II lors
de sa consécration au trône de Jérusalem.
Le roi Baudouin qui est à la fois Roi de Jérusalem, régent d'Antioche et en 1122 régent du comté d'Edesse, vient au Nord
de l'Euphrate pour voir l'endroit où a été capturé son cousin. Mais déjà Balak et ses hommes ont cerné le camp, le roi
Baudouin II est à son tour prisonnier et n'a plus qu'une issue : se rendre.
1123 - Mars, Eustache Garnier venant de mourir, c'est GUILLAUME DE BURES nommé nouveau régent du Royaume, qui
met le siège terrestre devant TYR, tandis que parallèlement une importante escadre vénitienne de 120 navires coule la
flotte égyptienne près d'Ascalon et met le blocus devant le port de Tyr. Les tyriens sollicitent alors l'aide du syrien
Balak - atabek (roi) d'Alep, mais celui-ci meurt le 6 mai 1124 atteint par une flèche tirée du haut des remparts de Manbij
(ville franque de sa région qu'il avait assiégée)
1124 - Après seize mois de siège, Tyr se rendra le 7 juillet, non sans avoir longtemps négocié une reddition honorable
autorisant tous les habitants à sortir librement, sans violences, ni pillages. La promesse de Guillaume de Bures fut
respectée.
En Novembre, le nouvel atabek d'Alep : TIMURSTAH ibn il Ghazi, un jeune homme de 19 ans, fils d'il-Ghazi, préfère
s'amuser et résider dans Mardin, sa ville d'origine, où il estime qu'il y a moins de guerre. Il nomme donc le cadi Ibn al
Khachab gouverneur d'Alep et le charge de défendre la ville.

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Puis Timurstah fait libérer BAUDOUIN II contre une rançon de 60 000 dinars (dont 20 000 payables immédiatement), à
cela s'ajoutent deux autres conditions : la restitution d'une partie des terres d'Antioche aux musulmans, ainsi que l'appui
militaire de Baudouin II aux côtés d'Alep contre le bédouin Dubéis.
A peine libéré le roi Baudouin qui avait remis en otage sa fille Yvette de cinq ans et plusieurs nobles dont le fils de Jocelin
de Courtenay s'empressa de renier ses promesses surtout celles qui concernaient les terres à rendre au gouverneur
syrien d'Alep.
1124 - Décembre, devant le refus de respecter sa parole les pires rumeurs circulèrent concernant les enfants, alors
Baudouin s'allia avec l'émir nomade Dubéis et revint en sa compagnie mettre le siège devant Alep.
1125 - A l'arrivée du nouvel atabeq de Mossoul " al Sonquor Borsoki " (Bursuqi) le camp des assiégeants franco-nomades
est abandonné avec une telle rapidité que tout le matériel est laissé sur place. Sans le vouloir Baudouin est arrivé à
concrétiser l'union des deux villes Alep et Mossoul, qui ont maintenant le même maître.
1124 - Décès de Hassan, fondateur de la secte des Assassins qui s'estime maintenant assez forte pour recommencer ses
meurtres :
Dans la grande mosquée de Hamadhan, splendeur de l'Islam à Bagdad le cadi des cadis ABOU-SAAD al-Harawi est
assassiné par deux bâtinis qui réussirent à s'enfuir sans que personne ne les arrête.
Le 26 novembre 1126, AL BORSOKI le puissant maître d'Alep et Mossoul est assassiné dans la grande mosquée de
Mossoul malgré qu'il priait revêtu d'une cotte de mailles. Les meurtriers furent immédiatement mis à mort.
Quelques mois après son fils : Ma 'Sud est lui même assassiné.
A Damas la situation n'est guère plus brillante, les Assassins ont créé leur propre milice et avec la protection de
l'éminent VIZIR al Mazdaghani, tiennent l'administration entre leurs mains pendant que Toghtekin, le vieil atabek se
meurt de maladie.
Dans la principauté voisine : Antioche, Bohémond II qui a succédé à Roger de Salerne en 1126, a épousé Alix la fille de
Baudouin II. Bohémond et son beau-père Baudouin II entretiennent de fréquentes relations avec des membres influents
de la secte des assassins, (venus se réfugier chez les francs dès 1113, pour échapper à leur extermination). Sur offre des
assassins il a même été décidé que l'armée franque pourrait prendre possession de Damas, dès la mort de Tughtekin
puisque les bâtinis leur ouvriront les portes. Dans cette série d'assassinats les francs profitèrent au moins de la situation
en remportant deux petites victoires : Azaz le 23 Juin 1125 et Tell al-Shaqab le 25 janvier 1126 sur la coalition de
Tughtekin et de Bursuqi, avant qu'il ne soit lui-même assassiné.

1128 - Le 12 février TUGHTEKIN décède. Son fils BOURI (BURI) reçoit le titre d'Atabek sur DAMAS, selon la
tradition le vizir vient lui présenter les affaires en cours et lui témoigner son respect. A la fin de cette cérémonie B0URI
fait un signe à un de ses familiers qui poignarde le vizir Al Mazdaghani en plein coeur.
A peine la mort du protecteur des Assassins est-elle connue qu'une immense chasse à l'homme commence contre les
bâtinis et leurs familles. On jettera leurs cadavres mutilés aux chiens errants sur les places publiques (selon la Chronique
d'Ibn al-Athir ).
Les rares bâtinis qui survivent au massacre vont se mettre sous la protection de Baudouin II et vont lui permettre de
prendre facilement la forteresse Banias située près du Mont Hermon sur la route reliant Damas à Jérusalem. Deux
semaines après, une puissante armée franque composée de dix mille cavaliers, dont de nombreux templiers, installe son
siège devant Damas.
Mais Bouri réussit une superbe sortie qui surprend les croisés tandis que de violentes pluies torrentielles tombent du ciel
et enlisent tout le matériel de guerre et les chevaux. Résignés et très amers, Baudouin et Bohémond décident de rentrer
chez eux.
1131 - Un matin du mois de mai, pendant que l'émir rentre dans son palais deux hommes bondissent et le poignardent au
ventre. Vite immobilisés, les deux membres de la secte des assassins venus venger leurs frères, seront exécutés. Mais
après treize mois de souffrances, Bouri décédera en juin 1132 de sa plaie mal cicatrisée. Son jeune fils Ismaël lui
succédera comme atabek de Damas.
1131 c'est au mois d'août de cette année que s'éteignit le roi Baudouin II. - FOULQUE V comte d'Anjou lui succède, mais
rencontre l'opposition de PONS comte de Tripoli qui refuse de se soumettre. Or peu de temps après le comte de Tripoli
se trouva encerclé dans Montferrand et sans la prière de son épouse auprès du roi Foulque (qui est également la demi-
soeur du roi) le comte, son époux aurait dû se rendre sans conditions. Après avoir été libéré du siège, le comte lui porta
enfin son témoignage d'allégeance.

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1128. Durant ce temps à Alep et Mossoul de 1123 à 1127 trois atabeks se succédèrent et moururent rapidement :
Timurtash, Bursuqi et Ma'Sud. Le nouveau roi d'Alep et Mossoul s'appelle ZINKI ou Zenkî- son père s'appelait Aq-
Sonqor (le faucon blanc), c'était un brillant officier turc qui fut gouverneur d'Alep jusqu'à ce qu'un jour, le débile roi
Tutush ordonne sa mise à mort.
Exilé à Mossoul le jeune Zenkî s'était fait remarquer par son courage en 1113 dans une guerre contre les croisés au Lac
de Tibériade, ce qui lui valut d'être nommé gouverneur de Bassora (Iraq). En 1127 Zenkî s'était couvert de gloire en
combattant le calife de Bagdad qui s'était révolté contre ses protecteurs. A la mort du sultan Mahmoud de Perse,
(l'ancien allié de Zenkî) le roi de Mossoul veut renouveler sa victoire et empêcher le nouveau prince des croyants de
Bagdad de prendre trop d'importance !
Mais le calife qui s'est ressaisit entre temps, vient à sa rencontre pour lui livrer bataille au Nord du Tigre avec plusieurs
milliers d'hommes. Zenkî sera battu et ne devra son salut qu'au gouverneur de Tikrit qui l'aide à traverser le grand
fleuve pour échapper à ses ennemis. Ce jeune officier kurde s'appelle : AYYOUB, et il a un fils qui s'appelle SALADIN ...
Jamais Zenkî n'oubliera le geste de cet homme qui lui a sauvé la vie.
A Bagdad, MASSOUD, le frère de Mahmoud est intronisé sultan de Perse par le calife Al Moustarchid. Ce même Calife
vient en 1133 avec son armée pour assiéger Mossoul où Zenkî s'est réfugié. Hélas après 3 mois de vaine attente le calife
abandonne et retourne à Bagdad où la plupart de ses émirs l'abandonnent. En juin 1135 le grand calife sera capturé et
assassiné par son protégé : le sultan Massoud.
Zenkî rêve de devenir le roi de toute la Syrie lorsque soudain le jeune Ismaël lui propose sur un plateau d'accepter le
trône de Damas. En effet Ismaël vit dans l'anxiété permanente depuis qu'AIBA un de ses esclaves a essayé sans succès,
de l'assassiner. Avant de mourir l'esclave soumis à la question avait déclaré :
" C’est pour gagner les faveurs de Dieu en débarrassant ton peuple de ton existence malfaisante que j'ai agi ainsi. Tu
opprimes les faibles, les pauvres, les artisans et les paysans."
Et le vieil homme de citer les noms de tous ceux qui selon lui désirent voir disparaître Ismaël. Son maître les fera tous
arrêter sans vérifier si oui ou non ils sont coupables ! Un véritable climat de terreur envahira Damas, où un climat de
haine et de suspicion se développera proportionnellement aux exécutions. Ismaël fera même mourir Sawinj, un de ses
frères d'inanition dans sa cellule.
Bientôt Ismaël voit des meurtriers partout et conscient de ne pas pouvoir toujours vivre dans la crainte, il décide de
livrer la ville à Zengî et de se retirer dans une de ses forteresses.
Mais six années se sont seulement écoulées depuis le rapt et la séquestration des 500 soldats de Damas et la rancune est
encore très vive contre le maître d'Alep et Mossoul. Mis au courant des intentions de son fils, la reine Zomorrod décidera
de faire exécuter son enfant Ismaël le 30 janvier 1135 pour éviter le déshonneur.
Zenkî qui a reçu entre-temps le message d'Ismaël accourt vers Damas en ignorant que Zomorrod (l'émeraude) a donné
l'ordre de faire abattre son fils Ismaël. Déjà elle a installé Mahmoud, un autre de ses fils sur le trône et confié au
général " Moinud din 0UNAR " surnommé le vieux rusé la défense de Damas. Celui-ci n'aura pas de peine à convaincre les
défenseurs qu'ils doivent se battre pour éviter que le parjure Zenkî, ne prenne la ville.
1135 - Après 45 jours de siège inutile, Zenkî s'en retourne enragé vers sa capitale non sans enlever au passage quatre
places fortifiées appartenant aux francs dont la tristement célèbre ville de Maara, reconstruite par les colons. Zenkî
désire ainsi se refaire une gloire et redonner du moral à ses troupes exaspérées par un siège aussi long et absurde.
1136 - Mélisende fille de Baudouin II obtint de son époux Foulques la réhabilitation de sa soeur ALIX, qui devenue veuve
de Bohémond II, voulait remettre Antioche aux musulmans (1130). Malgré sa destitution et son exil, la jeune veuve Alix
(30 ans) se retrouvait régente de sa principauté, sa fille Constance n'ayant que huit ans. Pour éviter une mésalliance
Foulque envoya chercher Raymond de Poitiers - fils cadet de Guillaume IX- Duc d'Aquitaine. Comme Raymond avait déjà
36 ans on le présenta à Alix comme prétendant au mariage. Mais en secret le patriarche Raoul maria Raymond à la petite
Constance qui devint ainsi Prince d'Antioche.
1137 - Juin, Zenkî assiège HOMS une ville que se disputent Alep et Damas. Or le gouverneur d'Homs est justement
OUNAR. Il envoie un message aux francs dans lequel il écrit qu'il doit capituler. Ne voulant pas voir tomber Homs aux
mains de Zenkî (Cette ville étant trop proche de leurs garnisons) les chevaliers de Tripoli accourent.
Voyant qu'il risque de se retrouver coincé entre deux armées, Zenkî conclut alors rapidement une trêve avec 0unar et se
retourne contre les francs en allant assiéger la forteresse de BAARIN, qui aussitôt demandent l'aide du roi Foulque.
Celui-ci accourt de Jérusalem, mais trop épuisés par la très longue marche forcée (environ 140 km) les cavaliers francs ne
pourront soutenir les assauts des cavaliers musulmans et se feront massacrer par eux.
Le roi Foulque et son entourage ont à peine le temps de se mettre à l'abri derrière les murs de Baarin. Après d'âpres
négociations un compromis est trouvé. Le roi Foulque accepte de payer 50 000 dinars pour livrer la forteresse de Baarin
au roi Zenkî ! Tout heureux de s'en tirer, le roi Foulque et les chevaliers s'enfuient à bride abattue, lorsqu'ils croisent en
chemin d'importants renforts venus pour leur assurer la victoire ...
1138 - En mars, l'Empereur de Byzance Jean C0MNENE vient mettre le siège devant Antioche avec des dizaines de
milliers de soldats. Mais rapidement byzantins et francs se réconcilient et trouvent un arrangement : les francs rendront
Antioche à Byzance et l'empereur s'engage à prendre quelques villes de Syrie aux turcs et à les remettre aux francs.
C'est donc pour cette raison qu'un mois après, que Jean Comnène entreprend de mettre le siège devant Chaysar, une cité
dirigée par le vieil émir Soultan ibn-Mounqidh.

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Malgré que la ville ne lui appartient pas, Zenkî ameute tout l'0rient et mobilise tous les émirs en leur demandant
d'envoyer des troupes pour délivrer Chaysar. Sur de fausses nouvelles faisant état d'importantes arrivées de troupes
appartenant au sultan de Perse, le siège byzantin est levé le 21 mai.
Mais Zenkî n'a toujours pas renoncé à conquérir Damas, il propose le mariage à la princesse Zomorod qui en guise de dot,
lui offrira la ville de Homs, dont Ounar est le gouverneur. Le mariage a lieu, mais Zenkî n'a toujours pas pu prendre
possession de Damas.
1139 - en juillet Zomorode qui hésite encore à livrer Damas à son nouvel époux très courroucé par une aussi longue
attente, lui fait parvenir un jour un message urgent où elle lui annonce que son fils le roi Mahmoud vient d'être poignardé
par trois de ses esclaves.
Persuadé que la voie royale est enfin ouverte, Zenkî accourt pour conquérir la ville. Rempli d'optimisme et pour que ses
hommes se fassent la main, il assiège au passage la vieille ville de Baalbek, qui malgré sa vétusté lui résiste deux longs
mois avant de se rendre.
Dans un état d'excitation impossible à décrire, il fait crucifier " 37 défenseurs et écorcher vif le commandant de la place
! " Zenkî croit que cet acte de barbarie va pousser les citadins de Damas à se rendre sans conditions, c'est le contraire
qui va se produire : les habitants décident de se battre jusqu'au dernier.
Il faut préciser que le vieil OUNAR, qui vient d'être déposé de son poste de gouverneur d'Homs pour cause de dot, s'est
justement installé une maison dans Damas pour y écouler ses vieux jours, or dès qu'on lui a révélé l'assassinat de
Mahmoud il s'est empressé de prendre en mains les intérêts de la ville. Grâce à lui le siège de Zengî va durer de
l'automne jusqu'au printemps...
C'est justement à cause de ce climat d'insécurité, qu'il y a deux ans, Ounar avait envoyé en mission diplomatique son ami
Oussama chez les francs afin d'étudier avec eux un pacte d'assistance en cas d'agression par Zenkî. En contrepartie
Ounar s'engageait à verser aux francs 20 000 dinars pour couvrir les frais de campagne et s'engageait en plus à leur
prêter main forte pour s'emparer de la cité fortifiée de Banias défendue par un vassal de Zenkî.
Tout se passa comme prévu, Damas fut libéré grâce aux francs ! Ounar rentra dans Banias pour la redonner aux francs et
ceux-ci invitèrent OUNAR en visite officielle à Jérusalem. Fou de rage, Zenkî nomma Ayyoub le père de Saladin au poste
de gouverneur de Baalbeck dans l'espoir de jours meilleurs !
1143 - 8 avril, Mort de Jean Comnène, Manuel Comnène devient empereur de Byzance. En novembre, mort de Foulque
d'un accident de cheval et régence de son épouse Mélisende avant l'avènement de son fils : BAUD0UIN III né en 1129.
(futur roi de Jérusalem)
1144 - le 30 novembre en l'absence du comte Jocelin II (habituellement dans son domaine de Turbessel) Zengî met le
siège devant les remparts d'Edesse (la ville la plus exposée à l'intérieur de Syrie) Le comte n'avait même pas songé à la
protéger d'une garnison suffisante, ni de lui faire amasser suffisamment de vivres pour tenir un siège. Edesse tomba la
veille de Noël sans aucun secours extérieur. Les musulmans commencèrent par massacrer 5000 habitants, Ne pouvant
pénétrer dans le coeur de la citadelle, à cause des ordres de l'évêque, beaucoup de femmes et d'enfants se suicidèrent
plutôt que de devenir esclaves.
Tout à coup Zenkî arrêta les massacres dans la population. Il permit aux syriens et arméniens de rentrer chez eux, mais
on rassembla les prêtres et les notables qu'on dépouilla avant de les emmener enchaînés à Alep. Zengî remit les artisans
au travail et ordonna l'exécution d'une centaine de soldats. Puis il s'attaqua à plusieurs petites places fortifiées du
comté qui ne lui offrirent que peu de résistances. (chroniques d'Ibn al-Qalanissi).
1146 - Janvier, Jocelin organise avec les arméniens une révolte dans Edesse. Elle est rapidement matée par Zengî qui fait
exécuter les instigateurs du complot et installe à leur place 300 familles juives qui lui offrent plus de garanties de
soumission.
Alors qu'il assiège depuis trois mois le bourg de Jaabar, le 15 Septembre Zenkî est assassiné par son eunuque
(Yarusqtash) qu'il a surpris à boire du vin dans sa coupe. Pour éviter d'être puni, l'eunuque a poignardé son maître en plein
sommeil et s'enfuit dans Jaabar en emportant des bijoux de son maître. Dès le matin c'est l'anarchie qui règne, les
soldats s'emparent de tout ce qu'ils trouvent et se dispersent. Lorsqu' Ounar apprend la nouvelle il s'empare de
Baalbeck, tandis que Jocelin essaye de récupérer son comté.
Dès lors, le royaume est partagé entre ses deux fils :
- l'aîné : le SAIF el Din GHAZI reçoit ... Mossoul
- le cadet : NUR al-DIN (Noureddin) hérite d'Alep
1146 - Fin septembre 1146 Nur al-Din s'installe à Alep avec l'émir kurde Chirkouh son nouveau bras droit qui est aussi
l'oncle de Saladin.
1146 - Fin octobre, lors d'une révolte Jocelin reprend Edesse et attends le renfort d'autres croisés. Mais ni la régente
Mélisende, ni Raymond de Poitiers ne bougèrent. Jocelin affolé devant le peu de moyen dont il dispose imagine de faire
protéger sa fuite en envoyant devant lui des milliers de civils destinés à occuper l'ennemi.
C'est un nouveau massacre où TOUS les civils d'Edesse furent exterminés, pillés ou réduits en esclavage, pendant que
l'égoïste comte Jocelin allait se réfugier au château de Samosate.
Le syrien Michel estime que les deux sièges d'Edesse coûtèrent la vie à 30 000 vies humaines et que plus de seize mille
femmes et enfants furent vendus comme esclaves ! Il s'avérait que Nur al Din était encore plus fanatique et plus
intégriste orthodoxe que son père.

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Documents relatifs à la première croisade

L'Europe avant Clermont


Pour commencer, l'idée de porter la guerre sainte aux Musulmans n'était pas une nouveauté. Le pape Grégoire VII avait
déjà proposé une force expéditionnaire pour aider les Byzantins, après leur défaite à Manzikert en 1071, contre les Turcs
seldjoukides. Le basileus Michel VII avait demandé de l'aide au pape, car l'empire était au prise avec les Turcs
seldjoukides à l'est, les Petchenègues dans les Balkans et les Normands en Italie du sud. À la fin de 1074, le pape pensait
lui-même diriger cette expédition. Par contre, la lutte qui s'engagea avec l'empereur Henri IV (La Querelle des
Investitures) l'en empêcha et il dut se mettre à dos les Byzantins en s'alliant avec les Normands et Robert Guiscard. Ce
dernier entreprenait au moment même une invasion de la péninsule balkanique. Aussi, Grégoire excommunia Nicéphore
III, le nouvel empereur byzantin. De cette façon, les Byzantins virent Grégoire comme un pape "normand", donc un
ennemi et donnèrent des subsides à Henri IV dans sa lutte contre la papauté. L'espoir du pape de terminer le Schisme de
1054 s'effondrait. Grégoire mourut en 1085, ainsi que Guiscard. Suite à Victor III, l'Église eut avec Urbain II, en 1088,
un dirigeant capable de sauver la papauté dans la crise où elle se retrouvait. En 1089, Urbain commença un rapprochement
avec Constantinople, levant l'excommunication imposée par Grégoire VII. Il assura l'empereur Alexis Comnène que les
Normands n'étaient plus un danger pour l'empire. Ainsi, il obtint sa faveur et remporta une victoire diplomatique
(Byzance appuyait Henri IV). Pour sa part, Alexis espérait recevoir de l'aide militaire, mais le pape n'avait pas encore
assez de prestige en Occident. Le basileus avait demandé de l'aide fréquemment avant même le concile de Plaisance; il
voulait des mercenaires, non des armées pour une guerre sainte. Par exemple, il reçut 500 cavaliers flamands du comte
Robert I de Flandres, vers 1090. Après avoir renforcé sa position en Italie, Urbain entra à Rome en 1094 et convoqua le
concile de Plaisance en mars 1095. Ensuite, il commença son voyage en France méridionale. Pourquoi la France?
La France féodale comprenait un surplus considérable de guerriers. De nombreux jeunes hommes, cadets de familles
nobles, sans héritage et entraînés au métier des armes, se tournaient vers le brigandage et l'aventure à l'étranger. La
Paix de Dieu et la Trêve de Dieu ne suffisaient pas pour arrêter les guerres privées et les rapines. La société française
fut chanceuse, car de nombreux jeunes guerriers turbulents allèrent combattre à l'étranger pour des terres ou du butin:
en Angleterre, en Espagne, en Italie méridionale ou en Sicile. Le pape savait bien que la France était un excellent terrain
de recrutement. De plus, selon certains chroniqueurs qui reproduisirent son discours plus tard, le pape était intéressé à
ramener la paix à l'intérieur de la chrétienté. Comment? En envoyant les " fauteurs de troubles " dans des guerres
étrangères, tout en espérant qu'ils n'en reviennent pas. D'autant plus, de nombreux Français avaient participé à la
reconquête de l'Espagne et la puissante Cluny avait beaucoup fait pour donner à cette lutte les caractéristiques d'une
guerre sainte. La France méridionale comprenait bien la guerre sainte. D'ailleurs, il serait important de faire la
distinction entre croisade et guerre sainte. La croisade est avant tout un pèlerinage armé, donc si nous parlons de la "
reconquête " espagnole, nous ne pouvons parler de " croisades ", mais plutôt de guerres sacralisées par la papauté.
Aussi, les pèlerins qui visitaient Saint-Jacques-de-Compostelle entendaient des légendes remplies de propagande pour la
guerre sainte. D'ailleurs, la Chanson de Roland était écrite vers la fin de ce siècle. Les mentalités étaient prêtes.
Donc, l'idée de proclamer la croisade n'est pas née d'un seul coup dans la tête du pape le 27 novembre 1095 à Clermont.
Celui-ci avait planifié tout. D'ailleurs, il s'était assuré le concours de plusieurs grands seigneurs laïcs avant même de
prêcher son discours. Baudri de Dol affirmait que suite au discours d'Urbain II, des envoyés de Raimond de Saint-Gilles,
comte de Toulouse, arrivèrent et annoncèrent la participation de leur maître.

Concile de Clermont
La délégation pontificale arriva à Clermont le 14 novembre 1095 et le concile commença le 18 du même mois. Le nombre de
participants ecclésiastiques était grand, mais varie selon les sources. Selon Foucher de Chartres et Guibert de Nogent,
400 évêques et abbés y étaient. La France méridionale était la mieux représentée.
Le concile s'attarda surtout sur des affaires ecclésiastiques et seulement deux canons peuvent être vus comme touchant
la croisade. Un proclamait la Trêve de Dieu;
l'autre promettait l'indulgence plénière (une rémission des
peines dues pour des péchés commis) pour ceux qui, par dévotion seulement, iraient libérer
l'église de Dieu à Jérusalem.
Ainsi, une fois les affaires de l'Église terminées, le 27 novembre, le pape se dirigea hors de la ville pour s'adresser à une
foule considérable. Le discours qu'il fit nous est connu grâce à plusieurs chroniqueurs qui nous laissèrent des versions
divergentes quant aux paroles prononcées par le pape. D'abord, qui était présent à Clermont? Selon l'historien Frédéric
Duncalf, quatre chroniqueurs étaient présents: Foucher de Chartres, Baudri de Dol, Robert le Moine et Guibert de
Nogent (1). Pour sa part, Jonathan Riley-Smith et Jean Flori écrivaient que Guibert était probablement absent (2). Par
contre, Flori ajoutait un quatrième témoin oculaire, Geoffroy de Vendôme (3) . Il serait important de mentionner la
version rapportée par Ordéric Vital qui a pu consulter des documents relatifs au concile. Donc, nous avons décidé de
reproduire les quatre versions les plus connues du discours:

Les divergences des versions peuvent s'expliquer, en partie, par le fait que les chroniqueurs écrivirent après plusieurs
années. Il est plus probable qu'ils écrivaient les idées principales du discours d'Urbain II que son contenu exact.

13
D'ailleurs, Jean Flori remarquait, avec justesse, que l'interprétation globale de la croisade chez chaque médiéviste
dépend de son approche personnelle face au discours hypothétique de Clermont. Il existe donc différentes
interprétations lorsque vient le temps de définir ce qu'est la croisade (4) et le débat est loin d'être clos parmi les
historiens.
Ce qui ressort des quatre versions, c'est l'appel pour aider les chrétiens orientaux, que Foucher, Robert et Baudri
mentionnent. Un autre point important est celui de la croisade comme instrument de pacification. Le pape, en envoyant
des chevaliers turbulents se battre (et se faire tuer) dans une guerre étrangère, assurait ainsi la paix au sein de la
chrétienté, ce que Foucher, Robert et Baudri racontent. De plus, Ubain II ne négligea pas de mentionner les gains
matériels, Robert et Baudri l'affirment. Un point litigieux pour certains, Jérusalem était-il le but principal? Selon
quelques historiens, ce sont les chroniqueurs qui en firent le but principal après le fait accompli, tel M. Villey dans La
croisade: Essai sur la formation d'une théorie juridique , pp. 83 et 95 et C. Erdmann dans Die Entstehung des
Kreuzzugsgedankens(1935). Ce dernier pensait même que le pape n'avait pas fait allusion à
Jérusalem dans son discours. Il est à remarquer que Foucher ne parle pas de Jérusalem comme
étant l'objectif de la croisade (son absence au siège peut expliquer cela, car il se trouvait à
Édesse). Il pourrait sembler qu'Urbain II vit le pèlerinage comme le moyen le plus efficace
pour envoyer des armées vers l'est. Si le pape envoya les croisés à Jérusalem seulement dans
le but d'aider les Byzantins, il était coupable d'avoir délibérément trompé tous ceux qui se
croisèrent ou il fut mal compris. Par contre, il n'y a aucune raison pour supposer que le pape
n'avait pas un puissant désir de récupérer Jérusalem. Toutefois, selon une source byzantine du
XIIIe siècle, écrite par Theodore Skutariotes, le basileus aurait utilisé la croisade comme
prétexte pour se trouver des alliés pour combattre les Turcs. Il aurait tout manigancé et,
connaissant l'importance de Jérusalem pour les Francs, aurait manipulé les croisés pour
entreprendre ce qu'il voulait, soit la reconquête de l'Asie Mineure. Par la croisade, la papauté
offrait l'opportunité d'un nouveau genre de service religieux où les combats et le pillage
avaient encore leur place. Dans ce service, les chevaliers du Christ pourraient obtenir des
récompenses morales et spirituelles. Il serait important de souligner qu'il n'existe aucun
document attestant l'existence de ces privilèges promis par Urbain II. Par contre, la bulle
pontificale proclamant la deuxième croisade mentionnait qu'elle reprenait les privilèges
donnés à la première.
Toutefois, un privilège important se retrouvait dans un des canons adoptés pendant le concile, celui où l'indul- gence
plénière était accordée pour ceux qui iraient libérer Jérusalem par dévotion. Ce type d'indulgence est une rémission des
peines pour les péchés commis, non une rémission des péchés eux-mêmes.
Cependant, Robert et Foucher affirment clairement que le pape accorda la rémission des péchés à ceux qui prirent la
route. En plus, le pape ajouta à cette indulgence le voeu de compléter le pèlerinage. Une violation de ce voeu était punie
par des sanctions sévères, telles que l'excommunication.
Aussi, les chroniqueurs nous mentionnent des récompenses célestes, la palme du martyre, pour ceux qui persévéraient
dans l'armée du Seigneur. D'ailleurs, la mention de récompenses éternelles pour ceux qui périrent pendant la croisade
suscite un débat parmi certains historiens. Selon Jonathan Riley-Smith, la conception du martyre serait apparue en cours
de route, non dans le discours d'Urbain II. Cette notion aurait été popularisée par les chroniqueurs (5). De plus, des
privilèges temporels furent offerts à ceux qui se croisaient. L'Église leur donnait la protection ecclésiastique, ainsi qu'à
leurs familles et leurs propriétés.
Finalement, selon la version de Baudri de Dol, le pape choisit l'évêque Adhemar du Puy pour être son légat et chef de la
croisade. Était-il vraiment vu comme le chef? Il semblerait que oui. Après sa mort à Antioche, les autres dirigeants
écrivirent au pape et lui demandèrent de venir et de terminer sa guerre ( qui ab Urbano suscepit curam Christiani
exercitus).
Pour conclure, il semble bien que la prédication du pape inclût des rétributions spirituelles aux guerriers qui partaient
pour la croisade. Ces derniers reçurent la rémission des péchés, l'indulgence de toute autre pénitence et la promesse
d'une vie éternelle pour ceux qui mourront. Suite à Clermont, le pape voyagea pendant plusieurs mois en France où il
prêcha la croisade à plusieurs endroits avant de retourner en Italie en août 1096. Sa croisade était devenue une réalité
(6). Par contre, nous pouvons parler de deux "premières" croisades, peut-être même plus...

Références:
(1) Frederic Duncalf, " The Councils of Piacenza and Clermont " dans Kenneth M. Setton, dir., A History of the Crusades,
Madison, The University of Wisconsin Press, 1969 (1955), vol.1, p. 239.
(2) Louise and Jonathan Riley-Smith, The Crusades. Idea and Reality, 1095-1274, London, Edward Arnold, 1981, p. 45.
(3) Jean Flori, " Guerre sainte et rétributions spirituelles dans la 2e moitié du XIe siècle ", Revue d'Histoire
ecclésiastique, vol. 85, no. 3-4 (juil.-déc. 1990), p. 617.
(4). J. Flori, " Guerre sainte et... », p. 618.

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(5) Voir articles de Jonathan Riley-Smith, " The motives of the Earliest Crusaders and the Settlements of Latin
Palestine, 1095-1100 ", EHR, CXVIII (1983), pp. 721-736 et " Crusading as an Act of Love ", History, LXV (1980), pp. 177-
192.Jean Flori n'est pas d'accord avec cette interprétation, " Guerre sainte et ... ", pp. 617-649 et " Mort et martyre des
guerriers vers 1100. L'exemple de la première croisade ", Cahiers de Civilisation Médiévale, XXXIV (1991), pp. 121-139.
(6) Le texte fut basé surtout sur F. Duncalf, " The Councils of ... ", pp. 220-252 et J. Flori, " Guerre sainte et ... ",
pp.617-649 et " L'Église et la guerre sainte de la 'Paix de Dieu' à la 'croisade' ", Annales ESC, mars-avril 1992, no. 2, pp.
453-466.

L' appel d'Urbain II du 27 novembre 1095 s'adressait surtout aux hommes de guerre. L'indulgence plénière et les autres
incitatifs semblaient être destinés à ceux qui combattraient pour libérer Jérusalem ou mourraient dans la tentative. Par
contre, une foule de non combattants et de pèlerins furent galvanisés par ce projet. Le pape réalisa rapidement que ces
gens seraient plus un handicap qu'un apport aux guerriers et s'efforça de les empêcher de partir. Ainsi, sa lettre adressée
au peuple de Bologne déconseillait le voyage aux personnes âgées, à ceux inaptes au combat, aux femmes seules, aux clercs
sans le consentement de leurs supérieurs ou aux laïcs sans la bénédiction cléricale.
Mais, il y avait Pierre l'Ermite. Ce prédicateur populaire exerca une grande influence sur les populations qu'il rencontrait
lors de ses prédications. Il partit du centre de la France, du Berri, passa par Étampes (au sud de Paris), Poissy (à l'ouest de
Paris) où plusieurs chevaliers se joignirent à lui, dont Gautier sans Avoir. Il arriva en Lorraine, à Trêves en avril 1096, avec
une suite considérable. Quelques jours plus tard, il prêcha à Cologne.
Gautier s'impatienta et se sépara de Pierre pour se diriger immédiatement vers Constantinople avec les Français. Selon
Albert d'Aix, une des sources principales sur la croisade " populaire ", Gautier était un chef compétent, son groupe était
bien préparé et ses hommes se comportèrent bien pendant le trajet. Le roi hongrois Coloman accorda le libre passage de
son royaume aux croisés et leur donna la permission d'acheter des vivres en cours de route. Après une traversée sans
problème, Gautier arriva en Bulgarie, en territoire byzantin. Le gouverneur de la région, Nicétas, n'ayant reçu aucune
directive de la capitale quant au traitement de ces pèlerins ou n'ayant pas averti le gouverneur de Belgrade, fit en sorte
que Gautier se vit refuser l'accès aux marchés locaux. (Réaction d'Alexis Comnène face aux croisés). De plus, la situation
se compliqua lorsque seize traînards furent volés en Hongrie et que soixante pèlerins, pris en train de fourrager dans la
campagne de Belgrade, furent brûlés dans une église. Gautier se dépêcha de se rendre à Nish, siège du gouverneur
byzantin, où il arriva le 18 juin. Finalement, Nicétas lui accorda le privilège d'acheter sur les marchés locaux. Les croisés
arrivèrent à Constantinople, accompagnés d'une escorte byzantine, vers la mi-juillet. Ceux-ci établirent leur camp à
l'extérieur de la capitale, se conduisant bien et attendirent l'arrivée de Pierre l'Ermite.

Carte d'Europe orientale, basée sur celle dans Kenneth Setton, A History of the Crusades, vol. 1, p. 30.

Pierre n'était pas un chef aussi capable que Gautier. Aussi, l'Ermite ne semble pas avoir été
responsable des persécutions contre les Juifs. Il possédait même une lettre des Juifs français
qui conseillait à leurs coreligionnaires d'aider Pierre financièrement. Aussi, sa bande
comprenait probablement des Allemands de la région du Rhin, Gautier ayant quitté avec les
Français. Ordéric Vital ajoute même que deux comtes allemands et un évêque le suivaient.
Albert d'Aix mentionne que des Français, des Lorrains, des Bavarois et des gens de la Souabe
suivaient Pierre.
Donc, l'Ermite quitta la Rhénanie pour se diriger vers Constantinople. Il reçut la permission du roi Coloman de traverser son
territoire, ainsi que l'accès aux marchés locaux. Sa bande fut ordonnée et disciplinée jusqu'à la ville de Semlin, près de la
frontière hongro-byzantine. Albert d'Aix affirme que les croisés prirent la ville lorsqu'ils virent les armes et les vêtements
des seize traînards de la bande de Gautier suspendus aux remparts. Pierre avait perdu le contrôle de certains éléments de
sa bande et, craignant des représailles, se dépêcha de quitter la Hongrie.

Il traversa la Save, prit part à une escarmouche avec des troupes byzantines et arriva à Belgrade, desertée par ses
habitants. Le 2 juillet, il atteignit Nish où Nicétas lui accorda l'accès aux marchés à condition de bien se conduire et de
lui laisser deux otages importants en garantie. Ceux-ci furent libérés le matin suivant. Par la suite, la situation se
détériora lorsque plusieurs croisés allemands incendièrent quelques moulins hors de la ville. Des troupes impériales
effectuèrent des représailles, capturant un certain nombre de femmes et d'enfants. Pierre ordonna à ses hommes de se

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tenir tranquille afin qu'il puisse négocier avec Nicétas. Il ne fut pas obéi et des jeunes hommes tentèrent de prendre la
ville. Ceux-ci furent repoussés avec des lourdes pertes. Alors, le gouverneur byzantin accepta de cesser les combats pour
discuter, mais une partie des croisés commença à quitter les lieux. Ces départs furent interprétés comme une tentative
de fuite afin d'éviter les négociations et les impériaux attaquèrent de nouveau. Les croisés furent dispersés.
Finalement, Pierre réunifia sa bande, ayant perdu environ le quart de ses hommes et s'arrêta
pour trois jours. Après cette halte, il arriva à Sofia le 12 juillet. Il reçut l'accès aux marchés
byzantins et fut pardonné par le basileus pour les incidents de Nish. Le 1er août, Pierre
atteignit Constantinople. Par ailleurs, suite au départ de Pierre de la région du Rhin, d'autres
bandes de croisés se formèrent. Celles-ci furent responsables des nombreux pogroms contre
les communautés juives rhénanes. D'abord, un certain Folkmar passa par la Saxonie et la
Bohême, massacrant des Juifs à Ratisbonne et à Prague. Sa bande se dispersa en Hongrie. Une
autre bande, celle du prêtre allemand Gottschalk, se rendit en Hongrie. Coloman leur accorda
l'accès aux marchés, mais pendant les négociations, des membres de son groupe commirent
différents méfaits et la plupart finirent par être massacrés ou capturés par les Hongrois. Par
contre, les pogroms les plus horribles furent commis par les différentes bandes rassemblées
sous la coupe du comte Emich de Leiningen, un grand seigneur entre Mayence et Worms. Il
fut rejoint par plusieurs seigneurs français: Guillaume Charpentier, vicomte de Melun et
Gâtinais, Clarembaud de Vendeuil, Thomas de Marle et Drogon de Nesle. De plus, des
contingents de guerriers anglais, lorrains, autrichiens et français arrivèrent.
Ainsi, au début de mai 1096, plusieurs Juifs furent tués à Metz. À Spire, un massacre fut évité par l'évêque Jean qui
donna asile aux Juifs dans son palais. À Worms, l'évêque ne fut pas aussi efficace, car le 18 mai les croisés et la populace
forcèrent leur entrée dans le palais épiscopal et tuèrent tous les Juifs. À Mayence, les Juifs payèrent l'archevêque
Ruthard pour les protéger, mais le 27 mai, les croisés furent admis dans la ville et les massacrèrent. Emich passa par
Cologne le 29 mai où plusieurs Juifs furent tués, selon Albert d'Aix. Les sources hébraïques affirment que la plupart se
sauvèrent en se cachant chez des amis chrétiens ou en fuyant la ville dans les villages voisins. Ils furent cependant
massacrés le mois suivant. D'ailleurs, d'autres pogroms furent perpétrés à Rouen, Xanten, Trêves et Wessili.
Pendant longtemps, l'accent fut mis sur le caractère populaire des croisés suivant Pierre, leur pauvreté et leur ignorance.
Leur périple fut souvent qualifié de croisade des " gueux " et des " pouilleux ". On attribuait les pogroms à un manque de
contrôle et de discipline au sein de ces groupes. Ces interprétations ne sont plus tenables aujourd'hui. Il est certain qu'il
y avait une forte proportion de non combattants dans ces groupes, mais il y avait aussi des cavaliers et des fantassins.
Parmi ces troupes, on pouvait y trouver de nombreux chevaliers illustres et nobles. Pierre était accompagné de Renaud de
Broyes, Gautier de Breteuil et Geoffroy de Burel. Ordéric Vital mentionnait la présence de deux comtes et un évêque. La
chronique de Zimmern précisait que le comte palatin Hugues de Tübingen et le duc Gautier de Tesk accompagnaient
l'Ermite avec des contingents de guerriers souabes. Le comte Emich de Leiningen était un noble de haut rang. Il fut
secondé par des capitaines éprouvés: Clarembaud de Vendeuil, Thomas de Marle, Drogon de Nesle et Guillaume le
Charpentier. Les historiens Jean Flori et Jonathan Riley-Smith soulignent avec raison que ces pogroms n'étaient pas
spontanés ou incontrôlés, mais bien dirigés par des chefs expérimentés, et non perpétrés par des bandes de paysans.
Nous pouvons nous questionner sur l'origine de ces pogroms. La cupidité des croisés ne semble pas être le premier motif.
Ceux-ci cherchaient bien plus que la simple spoliation des biens et le pillage. L'extermination systématique des Juifs
pourrait être le but recherché. Les sources hébraïques affirment que les croisés voulaient se venger sur ceux qui avaient
tué le Christ. Par contre, le véritable motif semble être la conversion des Juifs, par la force si nécessaire. Les massacres
semblent des constats d'échec lorsque la conversion ne réussissait pas. Les croisés laissaient un choix : croire ou mourir!
D'où venait cette idée de conversion? Dans le discours de Clermont? Nous avons souligné dans la section traitant du
discours d'Urbain les incertitudes qui se trouvaient dans les principales versions. Jean Flori croit que Pierre l'Ermite et
ses émules auraient diffusé un message différent et indépendant de celui du pape. Ceux-ci, par des prédications
populaires, rejoignaient plus les mentalités des gens ordinaires. Ils durent faire appel aux notions de vengeance du Christ
et, peut-être aussi, à une certaine forme d'antisémitisme déjà présent dans la population. De plus, nous pouvons
remarquer que Pierre semble avoir été porté davantage sur l'exploitation financière des Juifs, non sur leur conversion ou
leur extermination.
Ainsi, Emich conduisit sa bande en Hongrie où il fut rejoint par le comte Hartmann de
Dillingen-Kyburg avec un contingent de nobles souabes. Coloman leur refusa l'accès de son
royaume et les croisés attaquèrent la ville de Wieselburg. Ils furent écrasés par les Hongrois et
les chefs, ayant de bons chevaux, réussirent à s'enfuir. Thomas, Clarembaud et Guillaume le
Charpentier se dirigèrent vers le sud et se joignirent à Hugues de Vermandois.
À Constantinople, Pierre rejoint finalement Gautier, ainsi que des pèlerins venus d'Italie. Le basileus Alexis le reçut
cordialement et lui suggéra fortement d'attendre les armées des barons. Par contre, ses partisans s'aliénèrent la population
par toutes sortes d'actes de violence. Face au grand nombre de croisés et à leur indiscipline, le basileus décida de leur faire
traverser le Bosphore immédiatement, soit le 6 août 1096. Les croisés se dirigèrent vers Nicomédie, désertée, commettant

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des atrocités sur la population grecque en cours de route.
Une fois cette ville atteinte, une dispute éclata entre les Français d'un côté, les Allemands et les Italiens de l'autre. Ces
derniers s'élirent un chef, un noble italien du nom de Renaud. Par la suite, les croisés se rendirent au camp fortifié
byzantin de Civitot. De cet endroit, las d'attendre les barons, ils commencèrent par razzier les villages voisins, habités
par des Grecs orthodoxes, puis en territoire turc. Pierre tenta de les contrôler, mais il n'exerçait plus aucune autorité
sur eux. À la mi-septembre, un groupe de Français parvint jusqu'aux portes de Nicée, pillant et massacrant les villageois
des environs (des chrétiens orthodoxes). Ils revinrent à Civitot chargés de butin. Les Allemands, jaloux de ce succès,
quittèrent sous le commandement de Renaud et se rendirent jusqu'au château de Xerigordon dont ils s'emparèrent. Le
sultan Kilij Arslan envoya un puissant contingent qui investit la place forte le 29 septembre. Après un siège éprouvant de
huit jours, Renaud et ses hommes se rendirent aux Turcs. Ceux qui refusèrent d'apostasier furent massacrés, les autres
menés en captivité.
À la nouvelle de ce massacre, Pierre retourna à Constantinople pour demander de l'aide au basileus. Pendant son absence,
les croisés décidèrent d'attaquer les Turcs. Ils quittèrent le camp le 21 octobre et tombèrent dans une embuscade par
les troupes musulmanes. Ce fut un carnage. Les quelques survivants furent sauvés par une escadre de navires byzantins
envoyée à leurs secours. La croisade " populaire " avait échoué.

Références:
Le texte fut basé sur Frederic Duncalf, " The First Crusade: Clermont to Constantinople " et Steven Runciman " The
First Crusade: Constantinople to Antioch " dans Kenneth M. Setton, dir., A History of the Crusades, Madison, The
University of Wisconsin Press, 1969 (1955), vol.1, pp. 253-266 et pp. 281-284; ainsi que l'article de Jean Flori, " Une ou
plusieurs ' première croisade '? Le message d'Urbain II et les plus anciens pogroms d'Occident ", Revue Historique, no.
577 (1991), pp. 3-27.

La croisade "populaire" vue par Anne Comnène


La venue de tant de peuples fut précédée de sauterelles qui épargnaient les moissons, mais qui saccageaient les vignes en
les dévorant.[...] Cependant, Pierre, après avoir prêché comme on l'a dit, franchit le détroit de Longobardie avec quatre-
vingt mille hommes de pied et cent mille cavaliers, et arriva dans la ville impériale en débouchant par la Hongrie. La nation
des Celtes, comme on peut le deviner, est d'ailleurs très ardente et fougueuse; une fois qu'elle a pris son élan on ne peut
plus l'arrêter.
[...] le basileus lui conseilla d'attendre l'arrivée des autres comtes; mais lui, sans l'écouter, fort de la multitude qui
l'accompagnait, traversa [le détroit] et dressa son camp près d'une petite ville appelée Hélénopolis (1). Des Normands le
suivaient au nombre d'environ dix mille; ils se séparèrent du reste de l'armée et se mirent à piller les environs de Nicée
en se conduisant à l'égard de tous avec la dernière cruauté. Les enfants à la mamelle par exemple, ou bien ils les
mutilaient, ou bien ils les empalaient sur des pieux et les faisaient rôtir au feu; quant aux gens avancés en âge, ils leur
infligeaient toute espèce de tortures. Lorsque les habitants de la ville eurent connaissance de ces faits, ils ouvrirent les
portes et firent une sortie contre les [Normands]. Un violent combat s'engagea; mais devant l'ardeur belliqueuse des
Normands, les habitants battirent en retraite et rentrèrent dans la place. Les assaillants avec tout leur butin revinrent à
Hélénopolis. Mais une contestation surgit entre eux et ceux qui ne les avaient pas accompagnés, comme il arrive souvent
en pareil cas; l'envie enflamma le coeur de ceux qui étaient restés en arrière, et il s'ensuivit entre les deux partis une
querelle, à la suite de laquelle les audacieux Normands firent de nouveau bande à part et gagnèrent Xérigordon qu'ils
prirent au premier assaut. À la nouvelle de ces événements, le sultan envoya contre eux Elchanès avec des forces
importantes. Ce dernier dès son arrivée reprit Xérigordon; quant aux Normands, il passa les uns par les armes et emmena
prisonniers les autres, tandis qu'il méditait une surprise contre ceux qui étaient restés en arrière avec Pierre à la Coule.
Dans des lieux propices, il dressa des embuscades où devaient tomber à l'improviste et être massacrés ceux qui s'en
iraient dans la direction de Nicée; connaissant d'autre part la cupidité des Celtes, il fit venir deux hommes décidés et
leur ordonna de se rendre au camp de Pierre à la Coule pour y publier que les Normands, maître de Nicée, étaient en train
de se partager les richesses de la ville. Cette nouvelle se répandit parmi ceux qui étaient avec Pierre et les jeta dans une
terrible confusion. Car aussitôt qu'ils entendirent parler de partage et de richesse, ils s'élancèrent en désordre sur la
route de Nicée, oublieux, ou peu s'en faut, de l'expérience militaire et de la discipline qui conviennent à ceux qui vont
combattre. Car la race des Latins étant très cupide, comme on l'a dit plus haut, quand en outre elle s'est résolue à
attaquer un pays, il n'y a plus pour elle de frein ou raison qui tienne. Comme ils ne cheminaient ni en rang ni en troupe, ils
tombèrent au milieu des Turcs embusqués près du Drakon et furent misérablement massacrés. Il y eut une telle quantité
de Celtes et de Normands victimes du glaive ismaélite que, lorsqu'on rassembla les cadavres des guerriers égorgés qui
gisaient de tous côtés, on en fit, je ne dis pas une immense tas, ni même un tertre, ni même une colline, mais comme une
haute montagne d'une superficie considérable, tant était grand l'amoncellement des ossements. Plus tard des hommes de
la même race que les barbares massacrés, en construisant des murs à l'instar de ceux d'une cité, placèrent en guise de
mortier dans les interstices les ossements des morts et firent de cette ville en quelque sorte leur tombeau. Cette place
fortifiée existe encore de nos jours entourée d'une enceinte faite à la fois de pierres et d'ossements. Quand tous
eurent été la proie du glaive, seul Pierre avec quelques autres retourna à Hélénopolis et y rentra. Les Turcs qui voulaient
s'en saisir dressèrent de nouvelles embuscades. Mais quand l'autocrator apprit tout cela et eut acquis la certitude de cet
épouvantable massacre, il sentit le tragique de la situation si jamais Pierre était également fait prisonnier. Aussitôt il fit
chercher Constantin Euphorbènos Katakalon, dont on a déjà souvent fait mention et, après avoir embarqué sur des

17
navires de guerre des forces importantes, il les envoya lui porter secours de l'autre côté du détroit. Dès que les Turcs
virent arriver ce guerrier, ils prirent la fuite. Lui, sans perdre une minute, recueillit Pierre et ses compagnons, qui
n'étaient que bien peu, et les conduisit sains et saufs au basileus. Quand ce dernier lui rappela son imprévoyance du début
et lui dit que c'était pour n'avoir pas suivi ses conseils qu'il était tombé en de tels malheurs, l'orgueilleux Latin, bien loin
de s'avouer responsable de ce désastre, accusa les autres qui ne lui obéissaient pas et qui suivaient leurs propres
caprices, les traitant de voleurs et de brigands; c'est pourquoi le Sauveur n'avait pas agréé qu'ils vénérassent le Saint-
Sépulcre.
(1) Les sources latines nomment Civetot. Hélénopolis est une ville de Bithynie, à l'embouchure du Drakon, près de
Nicomédie; ainsi appelée en mémoire de sainte Hélène, mère de Constantin.
Traduction prise dans Duc de Castries, La conquête de la Terre sainte par les croisés , Paris, Albin Michel, 1973, pp. 212-
215.

La croisade " populaire " selon l'Anonyme


Pierre, déjà mentionné, vint le premier à Constantinople, le trois des calendes d'août (1) et avec lui la plus grande partie
des Allemands. Il y trouva réunis des "longobards " et beaucoup d'autres (2) . L'empereur (3) avait ordonné de les
ravitailler autant que la ville le pourrait et il leur dit: " Ne traversez pas le Bras (4) avant l'arrivée du gros de l'armée
chrétienne, car vous n'êtes pas assez nombreux pour pouvoir combattre les Turcs. " Et les chrétiens se conduisaient bien
mal, car ils détruisaient et incendiaient les palais de la ville, enlevaient le plomb dont les églises étaient couvertes et le
vendaient aux Grecs, si bien que l'empereur irrité donna l'ordre de leur faire traverser le Bras. Après qu'ils eurent
passé, ils ne cessaient de commettre toute espèce de méfaits, brûlant et dévastant les maisons et les églises. Enfin ils
parvinrent à Nicomédie où les Longobards et les Allemands se séparèrent des Francs, parce que les Francs étaient
gonflés d'orgueil. Les Longobards élurent pour les commander un seigneur nommé Rainald. Les Allemands firent de même
et ils entrèrent en Romanie (5) et pendant quatre jours ils marchèrent au delà de Nicée (6) et trouvèrent un château
appelé Exerogorgo, vide de toute garnison. Ils s'en emparèrent et y trouvèrent des provisions de froment, de vin, de
viande et toute sorte de biens en abondance. Les Turcs, apprenant que les chrétiens occupaient ce château, vinrent
l'assiéger. Devant la porte du château était un puits et, au pied du château, une source d'eau vive, près de laquelle Rainald
se posta pour tendre une embuscade aux Turcs. Ceux-ci arrivèrent le jour de la fête de saint Michel (7) , trouvèrent
Rainald ainsi que ses compagn/ns et en massacrèrent un grand nombre, tandis que les autres se réfugiaient au château.
Les Turcs l'assiégèrent aussitôt et le privèrent d'eau. Et les nôtres souffrirent tellement de la soif qu'ils ouvraient les
veines de leurs chevaux et de leurs ânes pour en boire le sang; d'autres lançaient des ceintures et des chiffons dans les
latrines et en exprimaient le liquide dans leurs bouches; quelques-uns urinaient dans la main d'un compagnon et buvaient
ensuite; d'autres creusaient le sol humide, se couchaient et répandaient de la terre sur leur poitrine, tant était grande
l'ardeur de leur soif. Les évêques et les prêtres réconfortaient les nôtres et les exhortaient à tenir ferme. Cette
tribulation dura huit jours, puis le chef des Allemands conclut un accord avec les Turcs pour leur livrer ses compagnons:
feignant de sortir pour combattre, il s'enfuit auprès d'eux et beaucoup le suivirent. Tous ceux qui refusèrent de renier
le Seigneur furent condamnés à mort; d'autres pris vivants furent partagés comme des brebis; d'autres servirent de
cible aux Turcs qui lançaient des flèches sur eux; d'autres étaient vendus ou donnés comme des animaux. Les uns
conduisaient leur prise dans leur demeure, d'autres dans le Khorassan (8), à Antioche, à Alep, partout où ils habitaient.
Tels furent ceux qui reçurent les premiers un heureux martyre au nom du Seigneur Jésus. Les Turcs, apprenant ensuite
que Pierre l'Ermite et Gautier sans Avoir (9) se trouvaient à Civitot (10), située au delà de Nicée, s'y dirigèrent, pleins
d'allégresse, afin de les massacrer ainsi que leurs compagnons. Pendant leur marche ils se heurtèrent à Gautier avec les
siens, qu'ils eurent bientôt massacrés. Quant à Pierre l'Ermite, il venait de retourner à Constantinople, incapable de
discipliner cette troupe disparate, qui ne voulait entendre ni lui ni ses paroles. Les Turcs, se précipitant sur eux, en
tuèrent un grand nombre. Ils trouvèrent les uns en train de dormir, les autres tout nus et les massacrèrent tous. Un
prêtre qui célébrait la messe reçut d'eux le martyre sur l'autel. Ceux qui purent s'échapper s'enfuirent à Civitot.
Quelques-uns se précipitaient dans la mer, d'autres se cachaient dans les forêts et dans les montagnes. Mais les Turcs
les poursuivirent dans la place et entassèrent du bois pour les brûler avec la ville. Mais les chrétiens qui occupaient la ville
mirent le feu au tas de bois; la flamme se dirigea vers les Turcs et en brûla un certain nombre, tandis que Dieu préserva
les nôtres de cet incendie. À la fin les Turcs les prirent vivants, les partagèrent, comme ils avaient fait des premiers, et
les dispersèrent dans toutes les régions, les uns en Khorassan, les autres en Perse. Tous ces événements eurent lieu au
mois d'octobre. À la nouvelle que les Turcs avaient ainsi dispersé les nôtres, l'empereur témoigna une grande joie et
donna des ordres pour leur faire traverser le Bras. Le passage terminé, il rassembla toutes leurs armes.

(1) Le 30 juillet 1096.


(2) L'auteur se contredit. En fait, Gautier sans Avoir était arrivé à Constantinople avant Pierre l'Ermite (Albert d'Aix, I,
7, p. 275). " Les Longobards " sont les habitants de l'Italie méridionale (ancien thème byzantin de Longobardie). Par "
Longobards ", l'Anonyme désigne les Normands d'Italie.
(3) Alexis Comnène, couronné empereur le 2 avril 1081.
(4) Le " Bras ", dit le " Bras de saint Georges ", désigne ici le Bosphore.
(5) La " Romanie " était le nom que les Turcs donnaient à l'Asie Mineure (sultanat de Roum); les Grecs désignaient ainsi la
totalité de l'empire.
(6) Nicée est la résidence du sultan turc depuis 1081.

18
(7) 29 septembre 1096.
(8) Le Khorassan, situé au nord-est de la Perse, était le centre de la puissance des Turcs, qui l'avaient enlevé aux sultans
Gaznévides vers 1037-1040, mais les chroniqueurs latins ou arméniens appliquent ce nom à tous les pays orientaux qui
dépendaient des Seldjoucides, Azerbaidjan, Arménie, Mésopotamie.
(9) Gautier sans Avoir, chef d'une bande populaire, avait quitté Pierre l'Ermite à Cologne et était arrivé avant lui à
Constantinople.
(10) Civitot, port sur le golfe de Nicomédie, avec une forteresse créée par Alexis Comnène pour tenir en respect l'émir
turc de Nicomédie. Le gros de l'armée y était resté avec Pierre l'Ermite.
Traduction prise dans Anonyme, éd. et trad. par Louis Bréhier, Histoire anonyme de la première croisade , Paris, Éditions "
Les Belles Lettres ", 1964 (1924), pp. 7-13.

Au moment même où les bandes de Pierre l'Ermite campaient devant Constantinople, les premières troupes de soldats
croisés se lançaient sur les routes menant vers la capitale byzantine. Le premier à partir fut Hugues, comte de
Vermandois et frère cadet du roi Philippe Ier de France. Il quitta vers le milieu du mois d'août 1096 avec une suite
respectable et envoya une lettre au basileus, dont Anne Comnène nous rapporte le contenu. Il se dirigea en Italie où il fut
rejoint par Clarembaud, Guillaume le Charpentier et Drogon de Nesle, tous des rescapés de l'armée d'Emich de Leiningen
défaite par les Hongrois. Une fois arrivé à Rome, il y reçut l'étendard de saint Pierre et envoya un autre message à la
cour byzantine (Voir les deux lettres d'Hugues au basileus, selon Anne Comnène ).
Appareillant à Bari, il traversa
l'Adriatique, mais il fut pris dans une tempête et atteignit avec peine la côte byzantine dans les
environs de Durazzo. Le gouverneur byzantin de la ville, Jean Comnène (neveu du basileus ),
l'accueillit courtoisement et l'envoya à Constantinople escorté d'un haut dignitaire byzantin.
Pour sa part, Godefroi de Bouillon quitta aussi au mois d'août 1096. Il était seigneur de Bouillon et duc de Basse-Lorraine.
Son expédition fut financée partiellement par la vente ou en hypothéquant certaines de ses possessions. Ainsi, son château
de Bouillon lui rapporta environ 1300-1500 marcs d'argent de l'évêque de Liège. Godefroi décida de se croiser lorsque la
vague d'enthousiasme pour la croisade déferla en Wallonie et, étant le duc, il fut désigné pour être le chef de l'armée. Il
fut accompagné de son jeune frère Baudouin de Boulogne avec son épouse, ainsi que Baudouin du Bourg, son cousin. Par
contre, son frère aîné Eustache, comte de Boulogne, partit lui aussi pour la croisade, mais il demeure hypothétique s'il se
joignit à son frère ou à Robert de Normandie.
La taille exacte de l'armée du duc est inconnue. Anne Comnène nous parle de 10 000 chevaliers et 70 000 fantassins,
chiffres bien entendus exagérés; Raimond d'Aguilers affirmait, en 1099, qu'elle était de la même taille que celle de
Robert de Normandie.
Godefroi atteignit la frontière hongroise en septembre et dut camper devant celle-ci pendant trois semaines, le temps de
recevoir du roi Coloman la permission de traverser la Hongrie. Ce dernier, ayant connu des difficultés avec les croisés "
populaires ", se montra réticent d'accorder le libre passage à cette armée. Finalement, le roi accepta et exigea en
contrepartie la livraison d'otages, soit Baudouin de Boulogne et sa famille, comme gage de bonne conduite. Godefroi fit
proclamer dans toute l'armée que toute personne prise entrain de fourrager serait mise à mort. Ainsi, son armée
traversa la Hongrie sans aucun incident et atteignit Semin en novembre. Une fois la Save traversée, les otages furent
libérés. Rendus en territoire byzantin, les croisés reçurent le droit d'acheter sur les marchés locaux et traversèrent
Nish, Sofia et Philippopolis pacifiquement. Par contre, avant de quitter cette dernière ville, Godefroi fut alarmé par une
rumeur affirmant que le comte Hugues et ses compagnons étaient prisonniers d'Alexis. Il envoya immédiatement un
message demandant la libération des captifs. De plus, il accorda huit jours de pillage de la région de Selymbria, sur le
bord de la mer de Marmara, à ses troupes. Rapidement, le basileus lui envoya deux émissaires francs pour lui dire que le
comte et ses compagnons étaient libres. Par la suite, le duc se dirigea vers la capitale qu'il atteignit le 23 décembre 1096.
La tension baissa lorsque Hugues alla au camp des croisés, mais Godefroi refusa de rencontrer Alexis.

19
Carte d'Europe Orientale, basée sur celle dans Kenneth Setton, A History of the Crusades, vol. 1, p. 30.

La ligne jaune représente le trajet de l'armée de Godefroi; la rouge celui de Raimond de Saint-Gilles, l'orange celui des
deux Robert et la noire celui de Bohémond de Tarente. La ligne bleue représente la route commune suivie par Raymond,
les deux Robert et Bohémond.
D'autre part, une armée normande s'était assemblée en Italie méridionale sous la férule de Bohémond de Tarente. Le
chroniqueur Anonyme nous rapporte que Bohémond décida de se croiser lorsque les premières troupes françaises
descendirent en Italie pour se diriger vers Constantinople, soit sept ou huit mois après Clermont. Il abandonna le siège
d'Amalfi qu'il était entrain d'entreprendre avec son frère et son oncle, le comte Roger de Sicile, et leva une armée. Il
était accompagné de son jeune neveu de vingt ans et commandant en second, Tancrède, et deux de ses cousins, Richard
du Principat (neveu de Robert Guiscard et comte du Principat) et son frère Renoul avec son fils Richard. Selon Anne
Comnène, son armée était petite faute d'argent.
Bohémond traversa l'Adriatique vers la fin octobre 1096 et débarqua entre Avlona et Durazzo. Pénétrant en territoire
byzantin, l'armée normande atteignit Castoria et y célébra Noël. Toutefois, à cause de son occupation antérieure de la
région lors de l'expédition de son père entre 1081-1085, les populations grecques refusèrent de lui vendre des vivres.
Bien qu'il eût ordonné à ses hommes de ne pas fourrager, Bohémond dut leur permettre de se procurer des vivres par le
pillage. De plus, les Normands se sentirent justifiés de détruire une ville entre le fleuve Vardar (Axios) parce qu'elle
était habitée par des hérétiques, des Pauliciens. Lors de la traversée du Vardar, des troupes impériales attaquèrent
l'arrière de l'armée; Tancrède retraversa et les mit en déroute. Bohémond passa devant Thessalonique et arriva à
Roussa, où il accepta l'invitation d'Alexis de quitter son armée et de se dépêcher vers la capitale. Il arriva à
Constantinople le 10 avril 1097. Ainsi, Tancrède prit le commandement des troupes et laissa l'armée vivre sur le pays, à la
grande joie des soldats.
Pour sa part, Raimond, comte de Toulouse, et le légat pontifical Adhémar de Monteil assemblèrent la plus grande armée
des croisés. L'armée de Raimond, qui avait une suite considérable de non combattants, de pèlerins et des membres du
clergé, était composée de gens de la Bourgogne, de l'Auvergne, de Gascogne et surtout de Provence. Le comte, âgé de 53
ans à l'époque, emmena sa femme et son jeune fils et laissa Bertram, son fils de sa première épouse, en charge de ses
possessions dans le Languedoc. Son expédition nous est bien connue grâce à son chapelain, Raimond d'Aguilers, qui nous a
laissé une chronique de l'expédition. D'abord, le comte traversa péniblement la Dalmatie vers la fin décembre 1096 et le
mois de janvier 1097. Les routes étaient difficiles et les indigènes refusaient de lui vendre des vivres et de fournir des
guides. Même que ceux-ci attaquèrent l'arrière de l'armée, volant et tuant les traînards, les pauvres et les gens âgés.
Puis, une fois en territoire byzantin, quelques accrochages eurent lieu avec des troupes impériales. Adhémar de Monteil
fut même volé et blessé par des mercenaires byzantins, mais Raimond tenait à coopérer avec le basileus. L'armée arriva à
Thessalonique au début d'avril 1097. À Roussa, les Provençaux pillèrent la ville et une autre escarmouche eut lieu à
Rodosto. Malgré cela, le comte accepta l'invitation d'Alexis et se rendit à la capitale le 21 avril, six jours avant son
armée. D'ailleurs, la chronique de Raimond d'Aguilers nous démontre que l'escorte byzantine eut de nombreux problèmes
avec l'armée provençale. Il est fort possible que les fonctionnaires byzantins ne purent ravitailler suffisamment une
troupe aussi nombreuse, poussant un grand nombre de pèlerins à fourrager au détriment des populations grecques.
Finalement, une autre armée normande se constitua dans le nord-ouest de la France. Robert de Flandres arriva à
Constantinople avant Raymond, mais nous n'avons pas de détails précis sur sa marche dans les Balkans. Il traversa
l'Adriatique pendant l'hiver, laissant ses compagnons Robert de Normandie et Étienne de Blois hiverner en Italie du Sud.
Robert II de Flandre était à la tête d'un état féodal prospère. Donc, il lui fut relativement aisé de lever les fonds
nécessaires à son expédition et d'assembler une armée. Pour le nombre, Raimond d'Aguilers disait, en 1099, que ses
forces représentaient un sixième de celles de Godefroi et de celles de Robert de Normandie. Pour sa part, Robert de
Normandie perdait rapidement contrôle de son duché au détriment de son frère Guillaume II, roi d'Angleterre. Son

20
frère lui consentit un prêt de 10 000 marcs d'argent avec la Normandie comme garantie et Robert put ainsi rassembler
les fonds indispensables à son expédition. Une armée fut levée, composée de nombreux seigneurs normands, ainsi que des
contingents de Bretagne, du Perche et du Maine. Il fut accompagné d'Étienne, comte de Blois et de Chartres, qui avait
dans sa suite le chroniqueur Foucher de Chartres (Un croisé quittant sa femme, selon Foucher de Chartres). Les trois
quittèrent en octobre 1096, s'arrêtèrent à Lucques pour y être bénis par le pape, passèrent par Rome, puis se rendirent
au port de Bari. Seulement Robert de Flandres traversa la mer immédiatement, les deux autres attendirent au printemps
suivant, soit le 5 avril 1097, pour appareiller à Brindisi et débarquer dans les environs de Durazzo. Ils atteignirent sans
incident la capitale byzantine le 14 mai 1097.
Nous pouvons voir que les différents chefs réussirent à contrôler assez bien leurs foules indisciplinées pendant la
traversée du territoire byzantin. Alexis Comnène savait que les Francs étaient des gens difficiles à diriger, les
négociations allaient être ardues...

Références:
Le texte est basé sur Frederic Duncalf, " The First Crusade: Clermont to Constantinople " dans Kenneth M. Setton, dir.,
A History of the Crusades, Madison, The University of Wisconsin Press, 1969 (1955), vol.1, pp. 266-279.

De Constantinople à la prise de Nicée

Les négociations
Avec l'arrivée imminente des premiers contingents occidentaux à Constantinople, Alexis Comnène s'était décidé sur la
politique à adopter face aux différents seigneurs francs. Il leur exigera une promesse de restituer les terres qui avaient
appartenu à l'empire à la veille des invasions turques et un serment d'allégeance pour tout autre territoire conquis en
Orient.

Le premier qui arriva à Constantinople fut Hugues de Vermandois, accompagné d'une suite
peu nombreuse. Alexis le chargea de somptueux cadeaux, cependant, il le limita dans sa
liberté de mouvement. Hugues n'éprouva aucun ressentiment à l'égard du basileus et fut même
prêt à aider celui-ci dans sa politique en servant d'intermédiaire auprès des autres barons
francs.
Par la suite, Godefroi de Bouillon fut le deuxième à atteindre la capitale byzantine. Cependant, lorsqu'il avait appris la
"captivité" de Hugues, il avait ravagé la campagne environnante de Selymbria (actuelle Silivri, à l'ouest d'Istanbul), avant
d'être calmé par deux émissaires francs au service du basileus. Il se rendit alors à Constantinople et y établit son camp.
Hugues le rencontra et lui demanda de se rendre au palais pour y prêter le serment d'allégeance, mais Godefroi hésita.
Pourquoi? Peut-être parce qu'il avait déjà prêté un serment à l'empereur Henri IV. Peu importe, il décida d'attendre les
autres seigneurs pour voir leur intention.
Toutefois, Alexis prit la décision de couper le ravitaillement aux troupes lorraines, question d'inciter Godefroi à prêter le
serment plus rapidement. Le frère de ce dernier, Baudouin de Boulogne, effectua alors une razzia dans les banlieues de la
capitale pour forcer la levée du blocus imposé par le basileus. Celui-ci fut levé et le duc accepta de déplacer son camp à
Pera, de l'autre côté de la Corne d'or. Cet emplacement était mieux protégé des vents d'hiver, mais aussi la surveillance
par les troupes byzantines y était plus aisée. Les semaines s'écoulèrent, sans toutefois altérer la décision de Godefroi
face au serment. Alors, Alexis coupa de nouveau le ravitaillement à la fin du mois de mars 1097. Baudouin effectua une
autre razzia et connut un certain succès, ce qui incita le duc à s'attaquer directement aux remparts de la ville. Nous
étions le 2 avril, en pleine semaine sainte, et les Byzantins en furent extrêmement indignés. Le lendemain, le duc refusait
toujours de rencontrer Alexis. Celui-ci, exaspéré, envoya des troupes aguerries qui mirent en déroute les Lorrains.
Godefroi accepta finalement de prêter le serment. Le dimanche de Pâques, Godefroi, Baudouin et leurs principaux
vassaux promirent solennellement de restituer à l'empire les terres récemment perdues et de reconnaître le basileus
comme suzerain pour leurs conquêtes futures. Ils furent récompensés par des sommes d'argent et l'armée fut
transportée de l'autre côté du Bosphore. Celle-ci s'installa au camp de Pélécan (Pelecanum), sur la route de Nicomédie
(actuelle Izmit).
La semaine suivante, soit le 9 avril, Bohémond de Tarente arriva à Constantinople. Le basileus rencontra son ancien ennemi
et dut être surpris de la rapidité avec laquelle le chef normand accepta de prêter le serment d'allégeance.

Puis, ce dernier demanda la charge de Grand domestique d'Orient, c'est-à-dire commandant en chef de toutes les forces
impériales en Asie, ce qui lui donnerait le contrôle sur toute l'expédition et sur les territoires conquis. Face à cette
requête embarrassante, Alexis temporisa (Elle lui sera refusée plus tard). Le basileus ne faisait pas confiance, avec
raison, à Bohémond.
L'armée normande fut appelée à Constantinople et transportée de l'autre côté du Bosphore pour rejoindre celle de
Godefroi. Tancrède et son cousin, Richard de Salerne, refusèrent de prêter le serment et traversèrent le bras de mer
pendant la nuit.

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Pour sa part, le comte Raimond de Saint-Gilles atteignit la capitale le 21 avril 1097. Le lendemain, il rencontra le basileus
et refusa de prêter le serment. Les raisons étaient multiples. Selon l'historien Sir Steven Runciman, Raimond nourrissait
l'espoir de devenir le commandant laïc suprême des croisés et vit dans Bohémond son principal rival. De plus, si Bohémond
devenait Grand domestique d'Orient, Raimond, en acceptant de prêter le serment d'allégeance au basileus, se
retrouverait sous les ordres de celui-ci. Aussi, il affirma qu'il était venu en Orient pour accomplir l'oeuvre de Dieu. Lui
seul pouvait être son suzerain. Par contre, il ajouta que si le basileus lui-même conduisait ses forces, il le servirait.
Éventuellement, Raimond prêta un serment modifié: il accepta de respecter la vie et l'honneur du basileus et de voir à ce
que rien ne soit entrepris contre lui par ses hommes ou par lui-même.

Le 27 avril, l'armée provençale arriva devant la ville et traversa le Bosphore. Le comte revint à Constantinople et
demeura quelque temps à la cour impériale. Pendant son séjour, une relation d'amitié et de confiance se développa entre
Raimond et Alexis.
Finalement, la quatrième grande armée atteignit la capitale au début du mois de mai. Robert, duc de Normandie et
Étienne, comte de Blois, comme l'avait fait auparavant Robert de Flandres, acceptèrent rapidement de prêter le serment
au basileus et séjournèrent pendant deux semaines dans la capitale. Une fois que cette dernière armée de croisés eut été
envoyée de l'autre côté du Bosphore, le basileus put respirer de nouveau. Les croisés étaient maintenant en Asie, prêts à
en découdre avec les Turcs et à reconquérir les terres perdues de l'empire. Par contre, il restait à savoir si le serment
prêté par les différents seigneurs francs serait respecté. Pour sa part, le basileus promit de ravitailler les croisés et de
fournir un corps de soldats byzantins pour aider les Occidentaux dans leur expédition. Le Byzantin Tatikios fut désigné
pour commander ces troupes et pour représenter Alexis.

Siège de Nicée

Le premier objectif des croisés fut la ville de Nicée (actuelle Iznik), capitale du sultanat seldjoukide de Roum. La ville se
trouvait sur la principale route militaire d'Anatolie et sa prise était nécessaire afin d'assurer le succès de toute avance
en territoire turc. La ville était très bien fortifiée avec ses 240 tours et les remparts formaient un pentagone avec le
côté ouest touchant aux berges du lac Ascanius.
La population de Nicée était composée surtout de chrétiens, mais une importante garnison turque s'y trouvait, ainsi que
des fonctionnaires de la cour du sultan Kilidj Arslan.Ce dernier, ayant écrasé facilement les troupes de Pierre l'Ermite,
ne réalisa pas l'ampleur du danger auquel il faisait face.
Il avait quitté sa capitale avec son armée pour disputer la suzeraineté de Mélitène (actuelle Malatya) aux
Danichmendites. Lorsqu'il apprit l'arrivée des croisés en Asie Mineure, il était déjà trop tard pour ramener toutes ses
forces afin de défendre sa capitale où se trouvait sa famille et la plus grande partie de son trésor. Le moment du siège
était bien choisi.
Pendant ce temps, les différentes armées de croisés se rassemblaient en Asie Mineure. Godefroi de Bouillon se dirigea
vers Nicomédie où Tancrède vint le rejoindre avec l'armée de Bohémond. Ce dernier se trouvait à Constantinople pour
négocier le ravitaillement des troupes. Pendant ce bref séjour, entre le 1 et le 3 mai 1097, Pierre l'Ermite et les
survivants de son expédition se joignirent aux croisés, ainsi qu'un petit détachement d'ingénieurs byzantins sous le
commandement de Manuel Boutoumitès. Des éclaireurs et des ingénieurs furent détachés du corps principal afin de
frayer une route vers Nicée, puis le 4 mai, Godefroi, Tancrède, Robert de Flandres et Hugues de Vermandois quittèrent
Nicomédie. Ils passèrent par Civitot et atteignirent Nicée le 6 mai. Godefroi campa au nord, Tancrède à l'est et le sud
fut réservé à l'armée provençale (à l'ouest se trouvait le lac). Bohémond revint de la capitale peu de temps avant les
premiers combats.
Le siège commença le 14 mai 1097 par une première attaque des croisés. Deux jours plus
tard, l'armée de Raimond arriva, complétant le blocus terrestre de la ville juste à temps pour
repousser les premières troupes de Kilidj Arslan venues renforcer la garnison. Le 21 mai, le
sultan lui-même parvenait devant Nicée et les négociations entreprises par les citadins avec
les Byzantins furent rompues. Il attaqua les soldats de Raimond, qui furent en difficulté un
moment, car Godefroi et Bohémond n'osaient pas quitter leur section du mur sans défense.
Finalement, le contingent flamand vint à leur aide. La bataille dura toute la journée, mais les
troupes turques se replièrent finalement devant la lourdeur de leurs pertes. Les croisés eux-
mêmes eurent de nombreux tués, incluant de nombreux chevaliers de marque, tel le comte de
Gand. Face à de telles forces, le sultan abandonna la ville à son sort.
Suite à ce combat, les croisés s'amusèrent à catapulter les têtes des morts à l'intérieur de la ville pour semer l'effroi
parmi les Turcs. Le siège continua et la garnison se défendit courageusement. Raimond tenta de miner une tour, mais ce fut
sans succès. Le 3 juin, Robert de Normandie et Étienne de Blois arrivèrent devant Nicée avec leurs contingents. Les
différentes armées étaient finalement rassemblées en une seule, par contre la cohésion de l'ensemble était loin d'être
parfaite. Les divers chroniqueurs tentèrent d'évaluer le nombre des croisés, mais les chiffres donnés peuvent nous paraître
complètement exagérés et fantaisistes (1).

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Il ne faut pas oublier que les nombres évoqués représentent la réalité vue par eux, il ne faut pas prendre aveuglement ces
données, non plus les rejeter, mais plutôt les considérer comme un ordre de grandeur. L'Anonyme écrit ceci: "Qui pouvait
dénombrer cette formidable armée du Christ? Nul, je ne pense, n'a jamais vu et ne pourra jamais voir un pareil nombre
(de cuirasses, des
de chevaliers aussi accomplis."(2) Pour sa part, Foucher de Chartres estime à 100 000 Loricati
chevaliers?) et à 600 000 le nombre de combattants potentiels. Albert d'Aix donne 400 000,
tandis que Daimbert de Pise et la Chronique de Zimmern évaluent les combattants à 300 000
hommes (3). Les évaluations modernes, comme celle donnée par l'historien Joshua Prawer,
donnent environ 4 500 chevaliers et 30 000 fantassins, plus la foule de non-combattants,
supposant un grand total entre 60 et 100 000 âmes (4).
Après ce premier affrontement avec les Turcs, les croisés s'aperçurent rapidement que la ville était ravitaillée du côté du
lac Ascanius. Alors, les chefs demandèrent au basileus de leur fournir des navires pour effectuer un blocus naval, ce qu'il
fît. Une petite flottille fut transportée sur le lac et Manuel Boutoumitès en reçut le commandement. Les navires furent mis
à flot pendant la nuit du 17-18 juin. Comme le sultan Kilidj Arslan avait dit à la garnison de faire ce qu'elle croyait le mieux,
lorsque celle-ci vit les vaisseaux byzantins chargés de troupes, elle rétablit rapidement les négociations avec le commandant
grec. Un assaut général fut planifié pour le 19 juin, toutefois la ville ouvrit sa porte donnant sur le lac à Boutoumitès et à
ses troupes durant la nuit du 18-19 juin.
Ainsi, dès l'aube, les croisés virent les étendards byzantins flotter au-dessus de la cité. Les chefs étaient probablement
au courant des négociations, mais ils n'avaient sûrement pas été informés sur la conclusion de celles-ci. Ainsi, ils furent
blessés de ne pas avoir été consultés, tandis que les hommes des rangs, qui espéraient piller la ville, se sentirent lésés de
leur proie. Les croisés ne furent acceptés dans la ville que par petits groupes, au moment même où les nobles et la famille
du sultan étaient emmenés à Constantinople. Les nobles payèrent leur propre libération et la famille d'Arslan fut relâchée
sans rançon quelques mois plus tard.
D'ailleurs, cette générosité à l'égard des " Infidèles " stupéfia plus d'un croisé. Par contre, Alexis se montra aussi
généreux envers les croisés. Il fit distribuer à chaque soldat des vivres, tandis que les chefs furent convoqués à Pélécan,
où ils reçurent de l'or et des bijoux. En retour de ces largesses, le basileus insista que les principaux chevaliers qui
n'avaient pas encore prêté serment le fassent maintenant. Tancrède, après avoir exprimé certaines réticences, accepta.
Les pertes subies par les croisés pendant le siège sont difficiles à évaluer. Étienne de Blois écrit "très peu de morts" et
qu'aucun chevalier de marque, sauf le comte Baudouin de Gand, ne fut tué. Même chose chez Anselme de Ribemont qui
signale les décès de Baudouin de Mons et de Baudouin Cauderons. Albert d'Aix y ajoute les noms du comte de Forez, de
Gui de Porsenne, de deux autres illustres chevaliers et d'une vingtaine de chevaliers de rang plus modeste. Foucher de
Chartes affirme que "de nombreux croisés furent tués" tandis que l'Anonyme et ses plagiaires y ajoutent des pauvres
pèlerins, mort de faim pendant le siège. Nous pouvons voir que les chroniqueurs ne mentionnent que les morts au combat
parmi leur entourage ou celui de leurs proches ou alliés, sans se soucier des chevaliers ordinaires et, moins encore, des
fantassins. Ils ignorent totalement le sort des pauvres (5).

Les croisés, quoique désappointés face au comportement du basileus, furent ravis par la libération de Nicée et
s'imaginèrent pouvoir arriver à Jérusalem en quelques semaines. Étienne de Blois écrivait à sa femme que l'armée
atteindrait la Ville Sainte en cinq semaines, si Antioche ne posait pas de problème. Il était loin de s'imaginer que le
voyage allait durer encore deux années, au prix d'incroyables souffrances...

Références:

Le texte est basé sur Steven Runciman, " The First Crusade: Constantinople to Antioch " dans Kenneth M. Setton, dir., A
History of the Crusades, Madison, The University of Wisconsin Press, 1969 (1955), vol.1, pp. 284-291; H. Hagemmeyer, "
Chronologie de la première croisade ", Revue de l'Orient Latin, VI-VIII (1898-1901); Jean Flori, " Un problème de
méthodologie. La valeur des nombres chez les chroniqueurs du Moyen Age à propos des effectifs de la première croisade
", Moyen Age, 1993, pp. 399-422 et Anonyme, traduit par Louis Bréhier, Histoire anonyme de la première croisade , Paris,
Les Belles Lettres, 1964 (1924), p. 41.
(1) L'historien Jean Flori a écrit un article récent sur le sujet: " Un problème de méthodologie. La valeur des nombres
chez les chroniqueurs du Moyen Age à propos des effectifs de la première croisade ", Moyen Age, 1993, pp. 399-422. Il
affirme que les chroniqueurs n'emploient pas les nombres pour leur valeur symbolique, non plus pour leur valeur d'exacte
comptabilité mathématique. Les nombres ne transcrivent pas la réalité, mais traduisent celle-ci. Ils servent à évoquer un
ordre de grandeur plutôt qu'une précision mathématique. Ces nombres traduisent des réalités vécues par eux. Il ne faut
pas accepter aveuglement les évaluations des chroniqueurs, non plus de les rejeter, mais essayer de comprendre une
réalité que ceux-ci nous traduisent, à leur façon, par des nombres. Une autre critique que nous pouvons faire sur les
nombres, les chroniqueurs peuvent parfois grossir les effectifs de leurs ennemis et, du même coup, diminuer celui de
leurs côtés lors de combats importants, question de rendre une victoire encore plus brillante ou une défaite explicable.
D'ailleurs, il serait bon de mentionner qu'encore aujourd'hui, malgré toutes les techniques contemporaines, nous
éprouvons autant de difficultés à évaluer exactement une très grande foule. Par exemple, le 3 février 1991, une
importante manifestation pro-irakienne et anti-occidentale avait eu lieu au Maroc. Selon certains journalistes, il s'y

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trouvait plus de 100 000 participants, 300 000 selon plusieurs quotidiens occidentaux, 700 000 selon la plupart des
journaux marocains d'opposition et près d'un million selon les organisateurs. Même chose le 28 mars 1991 à propos d'une
foule de manifestants favorables à Boris Eltsine à Moscou, les évaluations donnaient entre 50 000 et 500 000 personnes!
(2) Anonyme, traduction de Louis Bréhier, Histoire anonyme de la première croisade , Paris, Les Belles Lettres, 1964
(1924), p. 41.
(3) J. Flori, " Un problème de méthodologie... ", p. 409.
(4) Joshua Prawer, traduit de l'hébreu par G. Nahon, Histoire du royaume latin de Jérusalem, Paris, C.N.R.S. , 1975
(1969), p. 204. Ferdinand Lot estimait à 2 900 chevaliers; Steven Runciman à 4 200-4 500 chevaliers, 30 000 piétons et
environ 8-9 000 non-combattants; Jonathan Riley-Smith à 91 000 hommes, dont 7 000 chevaliers, dans J. Flori, " Un
problème de méthodologie... ", p. 419.
(5) J. Flori, " Un problème de méthodologie... ", pp. 413-414.

De Nicée à Antioche

Départ de Nicée
La ville de Nicée prise, les croisés se préparèrent à lever le camp et à entreprendre la longue route vers Jérusalem. Le 26
juin 1097, l'avant-garde quitta la ville et le reste de l'armée suivit pendant les deux jours suivants. Au village de Lefke,
les différents barons se réunirent et planifièrent l'ordre de marche. Ils décidèrent de diviser l'armée en deux
détachements: l'un fut commandé par Bohémond de Tarente, regroupant les Normands d'Italie méridionale et ceux de la
France septentrionale, les troupes de Robert de Flandres, celles de Robert de Normandie, celles d'Étienne de Blois et les
Byzantins de Tatikios; l'autre fut placé sous le commandement du comte Raimond de Saint-Gilles, comprenant les Lorrains
de Godefroi de Bouillon, les Français de Hugues de Vermandois et les Provençaux.

Bataille de Dorylée
Ainsi, le détachement commandé par Bohémond quitta Lefke le 29 juin, l'autre le suivit tout
en conservant une certaine distance. Le sultan Kilidj Arslan, accompagné de troupes envoyées
par les émirs Danichmendites et Hasan de Cappadoce, guettait l'arrivée des croisés dans les
collines avoisinantes de Dorylée (Eskisehir). Le lendemain, les troupes franques arrivèrent
dans la plaine en face de cette ville et y établirent leur camp. Pendant la nuit, les Turcs se
rapprochèrent de celui-ci, mais ces mouvements ne passèrent pas inaperçus des Francs.
Bohémond se prépara pour la bataille et l'assaut fut donné au levée du jour, le 1er juillet 1097.
Les non-combattants furent placés au centre de la formation et les femmes reçurent la tâche de
transporter de l'eau aux combattants pendant le combat. Bohémond ordonna aux piétons de
monter les tentes et aux chevaliers de mettre pied à terre et de rester sur la défensive. Un
cavalier fut envoyé auprès du deuxième détachement pour l'exhorter à venir à leur aide.
Les Turcs attaquèrent de tous côtés et déchargèrent, par vagues successives, flèche après flèche sur les Francs habitués
aux combats rapprochés. La tactique des Turcs peut se résumer à ceci: ils se servaient de leur mobilité (chevaux plus
rapides et équipement moins lourd) pour harceler l'ennemi de tous côtés par des flèches (ils étaient passés maîtres dans
l'archerie montée), et une fois l'ennemi suffisamment affaibli (notamment en tuant les montures des cavaliers), le corps à
corps était engagé (1). Bohémond exhorta ses hommes à tenir bon et après plusieurs heures de combat, vers midi, l'avant
garde du détachement de Raimond apparut.
Godefroi se fraya un chemin jusqu'au camp, puis le comte lui-même arriva. Par la suite, l'armée réunifiée forma un front
étendu pour préparer son arme offensive la plus puissante: la charge de chevaliers. Les troupes de Bohémond, de Robert
de Normandie et d'Étienne de Blois formèrent la gauche, le centre fut assumé par Robert de Flandres et Raimond de
Saint-Gilles et la droite par Godefroi de Bouillon et Hugues de Vermandois. Voyant les croisés s'avancés vers eux, les
Turcs hésitèrent. Puis, l'évêque Adhémar du Puy surgit derrière eux à la tête de troupes provençales. Désemparées, les
troupes turques prirent la fuite et furent massacrées. La poursuite dura jusqu'au soir et le butin pris fut immense.

Cette victoire permit aux croisés de traverser l'Anatolie et leur apprit à respecter les Turcs pour leurs capacités
guerrières. Les pertes subies par les croisés semblent avoir été assez lourdes. Les différents chroniqueurs nous
informent davantage sur le nombre de tués au sein de leur entourage immédiat que le nombre total au sein de l'armée.
Ainsi, Raimond d'Aguilers évoque " quelques morts parmi les attardés de l'armée de Bohémond ", l'Anonyme précise la
mort de deux chevaliers nobles, Geoffroy de Monte-Scabioso et Guillaume, frère de Tancrède, ainsi que d'autres
chevaliers et piétons dont il ignore les noms. Pour sa part, Anselme de Ribemont reconnaît de nombreuses victimes et
donne les noms de six personnages tués. Finalement, Albert d'Aix estime les pertes totales à 4 000 tués, en plus d'un
grand nombre de non-combattants (2).

Traversée de l'Asie Mineure

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Carte d'Asie Mineure. La ligne principale représente le trajet suivi par l'armée principale; celle en pointillée montre la
route prise par Baudouin de Boulogne. Carte éditée par M. Griffe, 8 av. de la Station, Cagnes-sur-mer, 06800.
Après la bataille, les croisés se reposèrent pendant deux jours, puis quittèrent Dorylée le 4 juillet. Fort de leur
expérience, les Francs ne séparèrent pas leur armée cette fois-ci. La marche en Anatolie fut pénible: le sultan pratiqua
une politique de terres brûlées, dévastant les campagnes et bloquant les puits. De plus, nous étions en plein mois de
juillet. Les guides fournis par les Byzantins eurent de la difficulté à reconnaître la route et à recueillir de l'information,
augmentant d'un même coup l'animosité et la méfiance des Latins à l'égard des Grecs. L'armée atteignit Antioche-en-
Pisidie (Yalvach) vers le 31 juillet, puis Philomelium (Akshehir). Pendant le trajet, Godefroi fut grièvement blessé par un
ours lors d'une expédition de chasse et Raimond tomba dangereusement malade. Les croisés souffrirent beaucoup sur la
route après Philomelium, car celle-ci traversait une zone aride entre des montagnes et un désert; ils y perdirent de
nombreux chevaux et soldats.

Traversée de l'Asie Mineure par l'Anonyme

Finalement, les croisés arrivèrent à Iconium (Konya) vers le 15 août. La ville était déserte, mais ils purent se reposer
pendant près d'une semaine. Les deux chefs furent rétablis et, suivant les conseils d'indigènes locaux, les croisés
transportèrent suffisamment d'eau avec eux jusqu'à la prochaine étape, Héraclée (Eregli). Près de cette ville, une armée
turque, composée de troupes danichmendites et de Hasan de Cappadoce, les attendait. Aussitôt, les Francs chargèrent,
Bohémond en tête. Les Turcs se replièrent rapidement. Les Francs séjournèrent quelques jours à Héraclée, où ils
décidèrent de la route à suivre. Au nord de la ville, la route se séparait en deux. Le chemin le plus court vers Antioche
traversait le Taurus grâce aux Portes ciliciennes, mais cette route se prêtait fort peu à une grande armée et, de plus, la
Cilicie était aux mains des Turcs. L'autre route, plus longue, se dirigeait vers le nord où, à Césarée Mazaca (Kayseri), elle
rejoignait la principale route militaire byzantine. De Césarée, on pouvait alors traverser l'Antitaurus jusqu'à Marash
(Maras), puis atteindre Antioche. L'avantage de cette dernière route s'expliquait par le fait qu'elle traversait une zone
tenue par des Arméniens, des chrétiens qui étaient, en principe, des vassaux du basileus. Tatikios conseilla ce chemin, ce
qui permettrait de rétablir un contact avec ces lointains vassaux de l'Empire, mais certains chefs francs, dont Tancrède,
s'opposèrent à cette idée. Toutefois, les barons votèrent en faveur de la deuxième route. Mécontent, Tancrède se
sépara de l'armée principale et décida de mener sa propre expédition en Cilicie. Ainsi, vers le 14 septembre, il quitta
Héraclée, accompagné de 100 chevaliers et 200 piétons, et traversa les Portes ciliciennes. Baudouin de Boulogne le
talonna de près avec des forces bien plus importantes, 500 chevaliers et 2 000 fantassins, ainsi que son cousin Baudouin
du Bourg, Renaud comte de Toul et Pierre de Stenay. Ces deux cadets de famille menèrent une opération strictement de
conquête et ne s'embarrassèrent pas de non-combattants; la femme de Baudouin resta avec l'armée principale.
Pendant ce temps, le gros de l'armée continua vers le nord, rattrapa Hasan de Cappadoce à Augustopolis (Nigde) et le
défit de nouveau. À la fin de septembre, les croisés atteignirent Césarée Mazaca, désertée, et se dépêchèrent vers le
sud-est pour atteindre Comana, une ville arménienne prospère que les Turcs danichmendites assiégeaient. Ces derniers
levèrent le siège à l'approche des croisés et Bohémond, accompagné d'un certain nombre de ses chevaliers, se lança à
leur poursuite. Les Arméniens de la ville, reconnaissant envers leurs bienfaiteurs, demandèrent à Tatikios de nommer un
gouverneur. Celui-ci choisit Pierre d'Aulps, un chevalier provençal qui avait servi Robert Guiscard avant d'entrer au
service du basileus. Ce choix diplomatique démontrait que la coopération entre Francs et Byzantins était toujours
possible.
Ensuite, l'armée arriva à Coxon (Göksun), vers le 5-6 octobre, où les habitants arméniens se montrèrent aussi amicaux
que ceux de Comana. Les croisés y restèrent trois jours. Pendant ce séjour, une rumeur leur parvint qu'Antioche avait été
abandonnée par les Turcs. Bohémond n'était toujours pas revenu de sa poursuite et Raimond, sans consulter les autres,
envoya 500 chevaliers sous le commandement de Pierre de Castillon afin de s'emparer de la ville. Parvenu sur le bord de
l'Oronte, Pierre apprit la fausseté de la rumeur lorsqu'il entra en contact avec des Pauliciens de l'endroit. Il revint

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avertir le comte. Par la suite, les croisés quittèrent Coxon vers le 8 octobre et traversèrent péniblement l'Antitaurus.
Craignant une embuscade des Turcs, les Francs décidèrent d'emprunter une route alternative et ce fut un véritable
cauchemar. C'était la saison des pluies, les sentiers étaient devenus de véritables bourbiers et de nombreux chevaux
glissèrent dans les précipices (Voir Anonyme). Finalement, les croisés atteignirent Marash vers le 13 octobre et s'y
arrêtèrent pendant trois jours. Durant ce bref séjour, Bohémond revint de sa chevauchée bredouille et fut furieux
contre le comte lorsqu'il apprit la petite manoeuvre tentée par ce dernier pour s'accaparer d'Antioche. Aussi, Baudouin
de Boulogne revint à temps pour assister au décès de sa femme, vers le 15 octobre. Le gouverneur de Marash, un ancien
fonctionnaire byzantin du nom de Tatoul, fut confirmé dans sa position par Tatikios. L'armée repartit le 16 octobre et
arriva devant le Pont de fer (il était fortifié de deux tours), sur l'Oronte, quatre jours plus tard.

L'expédition cilicienne et la fondation du comté d'Édesse

Lorsque Tancrède et Baudouin quittèrent l'armée principale en septembre, leur objectif était simple: se tailler une
principauté. La Cilicie se divisait entre les Turcs et les Arméniens. Les premiers occupaient la plaine côtière, les autres
les montagnes. De plus, les Arméniens étaient fractionnés en plusieurs petites principautés et devaient leur existence au
paiement d'un tribut aux seigneurs turcs. Vers le 21 septembre, Tancrède atteignit Tarse (Tarsus), la principale ville sur
la plaine côtière cilicienne.
Il repoussa une sortie de la petite garnison turque qui tint bon pendant trois jours. Puis, Baudouin arriva avec son puissant
contingent et les Turcs profitèrent de la nuit pour fuir. Le lendemain matin, les habitants grecs et arméniens ouvrirent
les portes de la ville à Tancrède, mais celui-ci dut la rendre à Baudouin. Il n'eut pas le choix, ce dernier commandait à un
plus grand nombre de troupes que Tancrède. Alors, le Normand se dirigea vers Adana pour y tenter sa chance.
Peu de temps après son départ, un contingent de trois cents Normands arriva devant la ville et se vit refuser l'entrée de
celle-ci. Ils furent tous massacrés pendant la nuit par une troupe turque. Environ au même moment, une flotte de Danois,
de Frisons et de Flamands, dirigée par Guynemer de Boulogne, mouilla au port de Longiniada (Mersin). Celle-ci remonta le
Cydnus jusqu'à Tarse et Guynemer en profita pour rendre hommage à Baudouin. D'ailleurs, il fut nommé gouverneur de la
ville . Par la suite, Baudouin se dirigea vers l'est.
Pendant ce temps, Tancrède avait reçu la soumission d'Adana, puis s'était dirigé vers Mamistra (Misis) au début
d'octobre. La garnison turque prit la fuite à son approche et la population arménienne l'accueillit. Pour sa part, Baudouin
décida de rejoindre l'armée principale, probablement à la nouvelle de l'agonie de sa femme, et passa par Mamistra.
Tancrède lui refusa l'entrée et Baudouin dut camper près la rivière Jeyhan. Richard du Principat, cousin de Bohémond,
voulut se venger du massacre des trois cents Normands devant Tarse et persuada Tancrède de se joindre à lui afin de
mener une attaque surprise sur le camp des Lorrains. Étant donné leur infériorité numérique, ils furent repoussés
facilement. Ensuite, les deux chefs se réconcilièrent officiellement et tombèrent d'accord pour quitter la Cilicie.
Baudouin rejoignit l'armée principale à Marash, tandis que Tancrède, laissant une petite garnison à Mamistra, se dirigea
vers le sud-est. Avec l'aide de Guynemer de Boulogne, il s'empara d'Alexandrette (Iskenderun), puis effectua une
jonction avec l'armée principale au moment même où celle-ci atteignait Antioche.
Pour sa part, Baudouin séjourna quelques jours avec son frère et, une fois sa femme décédée, se dirigea vers l'est en
compagnie de 100 chevaliers et de son chapelain, Foucher de Chartres. Partout où il chevaucha, il fut reçu comme un
libérateur et des seigneurs arméniens se joignirent à lui, comme Fer et Nicusus. Aidé de ses alliés, Baudouin s'empara des
deux forteresses principales de la région, Tell Bashir (Tilbesar) et Rawandan (Ravanda), qu'il accorda comme fief à Fer et
à un autre Arménien nommé Pakrad. Pendant son séjour à Tell Bashir, il accueillit une ambassade du prince d'Édesse
(Urfa), Thoros. Celui-ci contrôlait la ville depuis 1094, mais sa position s'était avérée précaire: il était âgé, sans enfant et
de confession orthodoxe (non arménienne comme la population d'Édesse). Il offrit d'adopter Baudouin et de partager
avec lui la direction de la ville. D'ailleurs, les Arméniens comprirent assez rapidement que le Franc n'était pas venu pour
les libérer, mais pour se construire une principauté à leur dépend. Le Lorrain accepta l'offre de Thoros et quitta Tell
Bashir au début de février 1098. En cours de route, il évita une embuscade tendue par l'émir Baldouk de Samosate
(Samsat) et atteignit Édesse le 6 février, accompagné de 80 cavaliers. Thoros l'adopta immédiatement, ce qui donna lieu
à une cérémonie particulière dans laquelle les deux hommes devaient se frotter la poitrine nue entre eux, puis la même
chose entre Baudouin et la princesse arménienne. Sa première action comme co-régent fut de mener une expédition
contre l'émir turc de Samosate, ce qui se solda par un échec. Quelques jours plus tard, le 7 mars 1098, des conspirateurs
arméniens déposèrent Thoros en faveur de Baudouin. Le prince déchu se vit interdire de quitter le palais et tenta de
s'échapper par une fenêtre, mais il fut tué par une populace enragée. Ainsi, à la demande de la population, Baudouin prit
officiellement la tête du gouvernement d'Édesse le 10 mars. Le premier État latin d'Orient était fondé. La ville, une
ancienne possession byzantine, aurait dû être remise à Byzance selon la convention du basileus avec les Francs, mais aucun
représentant d'Alexis ne s'y trouvait, Constantinople était très loin et Baudouin pouvait affirmer qu'il avait pris le
pouvoir à la demande de la population, non en combattant les Infidèles. D'ailleurs, Byzance sera confrontée à un problème
beaucoup plus sérieux avec Antioche...

Références:
Le texte est basé sur Steven Runciman, "The First Crusade: Constantinople to Antioch" dans Kenneth M. Setton, dir., A
History of the Crusades, Madison, The University of Wisconsin Press, 1969 (1955), vol.1, pp. 292-304; H. Hagemmeyer,
"Chronologie de la première croisade", Revue de l'Orient Latin, VI-VIII (1898-1901) et Jean Flori, " Un problème de

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méthodologie. La valeur des nombres chez les chroniqueurs du Moyen Age à propos des effectifs de la première croisade
", Moyen Age, 1993, pp. 399-422.
(1) Pour en connaître plus sur les tactiques turques et franques, nous recommandons la lecture du excellent ouvrage de
R.C. Smail, Crusading Warfare (1097-1193), Cambridge, Cambridge University Press, 1956.
(2) Jean Flori, " Un problème de méthodologie. La valeur des nombres chez les chroniqueurs du Moyen Age à propos des
effectifs de la première croisade ", Moyen Age, 1993, pp. 414-415.

Le siège d'Antioche

Antioche (Antakya), ville byzantine jusqu'au moment où elle fut prise par les Seldjoukides en
1085. Deux années plus tard, le Turcoman Yaghi-Siyan fut nommé gouverneur de la cité.
Celui-ci devint vassal de l'émir d'Alep, Redwan en février 1095, mais se montra déloyal
envers son suzerain. Yaghi intriguait avec le frère de Redwan, Doukak, émir de Damas et
l'atabeg de Mossoul, Kerbogha, tous deux des ennemis de l'émir alépin. C'est pourquoi
Redwan refusa toute aide à son vassal lors de l'approche des Francs. Yaghi Siyan envoya son
fils, Shams ad-Daulah, à Damas; Doukak lui promit des secours, ainsi que l'émir de Homs,
Janah ad-Daulah, le régent de Doukak, l'atabeg Toughtigin et Kerbogha de Mossoul. Yaghi
débarrassa la ville de tous éléments déloyaux: il expulsa plusieurs notables arméniens et
grecs, fit emprisonner le patriarche orthodoxe Jean et ne fit confiance qu'aux Syriens
jacobites. Des persécutions eurent lieu contre les Grecs et les Arméniens dans les villages
environnants. D'ailleurs, à l'arrivée des croisés, plusieurs villages chrétiens se révoltèrent et
les habitants massacrèrent les garnisons turques qui s'y trouvaient.

L'armée franque atteignit les territoires d'Antioche le 20 octobre


1097. Robert de Flandres dirigea un détachement vers Artah
(Reyhanli), au sud-est d'Antioche, où la population chrétienne avait
massacré la garnison turque. Pendant ce temps, le gros de l'armée
arriva devant le Pont de fer sur l'Oronte, à l'est de la ville. Le pont
était défendu par deux tours et fut rapidement pris lors d'un
assaut mené par Adhémar du Puy. De plus, les Francs capturèrent
du bétail, des moutons et une grande quantité de blé destinés à
Antioche. Le lendemain matin, Bohémond de Tarente conduisit
l'avant-garde devant la ville et le reste de l'armée arriva peu de
temps après.

Carte de la région d'Antioche, basée sur celle dans


Kenneth Setton, A History of the
Crusades, vol. 1, p. 305.
La garnison turque n'était pas très nombreuse, Yaghi Siyan évita tout engagement et laissa les croisés prendre leur
position. Bohémond s'installa devant la porte Saint-Paul, Raimond de Saint-Gilles à sa droite devant la porte du Chien et
Godefroi de Bouillon face à la porte du Duc. Un pont de bateaux fut immédiatement construit du camp de Godefroi afin
de traverser l'Oronte. Yaghi Siyan s'attendit à un assaut immédiat contre les remparts, mais Raimond était le seul en
faveur d'une telle action. Les autres barons ne pouvaient se permettre des pertes et décidèrent d'attendre des
renforts. Tancrède approchait et des rumeurs parcouraient le camp à propos de l'arrivée imminente d'une flotte.
D'ailleurs, Bohémond, qui possédait une influence considérable sur l'armée, conseilla d'attendre. Peut-être qu'il était
déjà décidé à acquérir Antioche pour lui-même.
Concernant les effectifs francs présents au début du siège, le chroniqueur Raimond d'Aguilers
mentionne 300 000 milites et pedites (chevaliers et piétons), tandis qu'Albert d'Aix donne 600
000 hommes, sans compter les femmes et les enfants (1).

27
Par la suite, des contacts furent établis facilement dans la ville
par les croisés, car de nombreux chrétiens indigènes ayant des
familles à l'intérieur d'Antioche se trouvaient dans le camp
franc. Aussi, parmi ces mêmes chrétiens, certains espionnaient
pour le compte de Yaghi Siyan. Alors, celui-ci commença à
organiser des sorties contre les croisés et garda contact avec
sa garnison de Harim, à l'est du Pont de fer. L'armée franque
n'était pas assez nombreuse pour entourer la ville au complet,
ce qui permettait aux Turcs de sortir n'importe quand. Ainsi,
de concert avec les troupes de Harim, le gouverneur put
repousser les groupes partis fourrager.

Carte de la ville d'Antioche, prise dans René Grousset,


Histoire des croisades et du royaume
franc de Jérusalem, Paris, Perrin,1991
(1934), p. 69.
Finalement, Tancrède arriva avec ses troupes et les Francs purent contrôler la route face au pont fortifié, au nord-est
des remparts. De plus, vers la mi-novembre, une flotte génoise composée de treize navires mouilla au port de Saint-
Siméon (Samandagi). Environ au même moment, Bohémond réussit à détruire la garnison turque d'Harim et à occuper la
place forte. Vers le 23 novembre, les chefs croisés décidèrent de construire une tour sur les pentes orientale du mont
Silpius, Malregard, afin de protéger le camp des sorties effectuées par la porte de fer, au sud-est de la ville. Aussi, les
troupes provençales de Raimond prirent une nouvelle position en face du pont fortifié, au nord-est.
Avec l'arrivée de l'hiver, les vivres commencèrent à manquer dans le camp des croisés. Le 23 décembre, les barons
prirent la décision que Bohémond et Robert de Flandres dirigeraient une expédition de pillage de l'autre côté de l'Oronte
pour rassembler de la nourriture. Raimond et Adhémar s'occuperaient du camp, tandis que Godefroi était gravement
malade et Robert de Normandie était absent. Ce dernier se trouvait à Laodicée (Latakia) où une flotte anglaise était
arrivée depuis le milieu de décembre. Le 28 décembre, Bohémond et Robert quittèrent avec près de la moitié des forces
combattantes. Yaghi Siyan en profita pendant la nuit suivante pour effectuer une sortie par le pont fortifié. Les troupes
de Raimond n'étaient pas préparées pour un tel assaut, mais le comte contre-attaqua par une charge de chevaliers. Les
Turcs furent repoussés jusque dans la ville et plusieurs chevaliers pénétrèrent dans celle-ci. Toutefois, un des chevaliers
fut désarçonné de son cheval et l'animal se cabra sur les autres chevaux derrière. Il faisait noir et dans la confusion, les
croisés paniquèrent. Ils retraversèrent le pont, poursuivis de près par les Turcs, mais une fois ralliés au camp, les
musulmans se replièrent de nouveau. Les pertes furent lourdes de chaque côté.
Pendant ce temps, les troupes de Bohémond et de Robert se dirigeaient vers le sud tout en ignorant qu'une armée
damascène s'avançait vers eux. Le 31 décembre, près d'Albara, les troupes turques surprirent l'armée de Robert qui se
trouvait un peu en avant de celle de Bohémond. Celle-ci fut encerclée, mais Bohémond arriva et chargea les troupes
ennemies. Les Turcs furent battus. Toutefois, les pertes importantes subies par les croisés ne permirent pas une
poursuite. Les croisés saccagèrent un ou deux villages, puis revinrent à Antioche vers le 1-2 janvier 1098, ayant trouvé
moins de vivres que prévus.
Les semaines suivantes furent éprouvantes pour les Francs. La saison des pluies battait son
plein et la température se refroidissait. La disette régna dans le camp et on estime qu'un croisé
sur sept mourut de faim. D'ailleurs, des groupes fourrageaient jusque dans les montagnes du
Taurus.
Les chrétiens indigènes apportèrent des vivres, mais les vendaient chèrement. Le patriarche orthodoxe de Jérusalem, se
trouvant en exil à Chypre, envoya ce qu'il pût à Antioche. De plus, il ne restait que sept cents chevaux dans le camp. Face
à de tels obstacles, plusieurs croisés désertèrent et retournèrent en Europe. Ainsi, vers le 20 janvier 1098, Tancrède
arrêta en pleine fuite et ramena Pierre l'Ermite et Guillaume le Charpentier, vicomte de Melun, au camp. Pierre fut
pardonné, tandis que Guillaume passa la nuit debout dans la tente de Bohémond. Il dut promettre de rester avec l'armée
jusqu'à Jérusalem, mais il brisa plus tard ce serment et déserta. (Voir Anonyme)

28
Au début du mois de février 1098, ce fut au tour du commandant byzantin Tatikios de quitter précipitamment Antioche.
Les chroniqueurs nous donnent des raisons divergentes: Anne Comnène affirme que Bohémond avait dit à Tatikios que les
autres barons tramaient un complot contre lui; Raimond d'Aguilers mentionne qu'il quitta lorsque sa suggestion de
resserrer le siège fut rejetée et l'Anonyme donne la lâcheté comme raison. D'ailleurs, les amis de Bohémond ne prirent
pas de temps à répandre la nouvelle dans le camp que Tatikios s'était enfui à l'annonce d'une attaque imminente par les
Turcs. De plus, on se demanda si l'obligation de remettre Antioche à Byzance devenait nulle étant donné que le
représentant du basileus avait agi de façon aussi déshonorante.

Bataille du lac d'Antioche


En effet, une armée de secours alépine se dirigeait vers Antioche. L'émir Redwan s'était réconcilié avec son vassal et
menait ses troupes, en plus de celles de son cousin Sokman d'Amida (Diyarbakir) et de son beau-père, l'émir d'Hama. En
chemin, il reprit Harim aux croisés. Sur le conseil de Bohémond, les Francs envoyèrent toute leur cavalerie pour attirer
l'armée turque sur un terrain étroit où le lac d'Antioche se rapproche le plus de l'Oronte, tandis que l'infanterie restait
devant la ville. Les Francs attaquèrent les Turcs près du Pont de fer et réussirent à les attirer à l'endroit voulu. Redwan
ne put se servir de sa supériorité numérique et de sa mobilité afin de déborder les croisés et après plusieurs charges, les
Turcs furent écrasés et mis en déroute. La garnison d'Harim se joignit à la débâcle et les Francs réoccupèrent la place
forte. Pendant ce temps, le gouverneur d'Antioche en profita pour effectuer une sortie contre les piétons, mais se replia
à la nouvelle de la défaite de l'émir d'Alep.

Poursuite du siège
La victoire augmenta le moral des croisés, toutefois, le problème d'approvisionnement était loin d'être réglé. Il fut
décidé de resserrer le siège par la construction de tours devant les portes, mais les matériaux manquaient. Le 4 mars, une
flotte anglaise avec des pèlerins italiens mouilla au port de Saint-Siméon; Bohémond et Raimond se rendirent au port afin
d'escorter les hommes et les matériaux vers Antioche.
Ainsi, lors de leur retour deux jours plus tard, les croisés lourdement chargés tombèrent dans une embuscade. Les
Francs furent dispersés et abandonnèrent l'équipement aux ennemis. Une fois informé, Godefroi s'apprêta à se rendre à
leur secours, mais la garnison turque effectua une sortie. Godefroi réussit à contenir l'assaut et l'arrivée de Bohémond
et de Raimond lui permit de repousser les Turcs dans la ville.
Par la suite, les croisés attaquèrent les troupes musulmanes responsables de l'embuscade, les mirent en déroute et
reprirent tout l'équipement perdu. Les pertes turques furent très lourdes dans ces combats. Pour ce qui est des pertes
franques, Raimond d'Aguilers nous donne 300 morts, Albert d'Aix mentionne 500 tués, Étienne de Blois rapporte la mort
de deux milites et 500 pedites, Anselme de Ribemont évalue les pertes à 1 000 tués, tandis que l'Anonyme estime le
nombre à 1 000 milites et pedites. Les nombres varient, mais les différents chroniqueurs s'accordent sur un ordre de
grandeur variant entre 500 et 1 000 tués (2).

Lettre d'Étienne de Blois à sa femme, Adèle de Normandie, sur le siège d'Antioche

Les matériaux ramenés de Saint-Siméon permirent la construction d'une forteresse. Celle-ci fut construite près d'une
mosquée adjacente à un cimetière en face du pont fortifié, et les croisés la surnommèrent mahomerie. Raimond se
chargea de la défense. Ensuite, une autre tour fut construite près de la porte de Saint-George et assignée à Tancrède.
Ainsi, l'étau se resserra sur la ville et l'approvisionnement s'y rendit plus difficilement. Le seul accès qui n'était pas
gardé fut la porte de fer, donnant sur les pentes abruptes du mont Silpius.
Avec l'arrivée du printemps, les croisés eurent plus de facilité à obtenir des provisions tandis que la famine commençait à
sévir à l'intérieur d'Antioche. Par contre, la rumeur arriva sur le rassemblement d'une armée musulmane par l'atabeg de
Mossoul, Kerbogha, afin de délivrer la cité assiégée. De plus, le califat fatimide d'Égypte envoya une ambassade au camp
des croisés en mars 1098. Alexis Comnène avait suggéré aux Francs d'entrer en contact avec les Égyptiens, car ceux-ci
étaient des ennemis des Turcs. Les Fatimides suggérèrent la partition de la Syrie, le nord aux croisés, le sud pour eux-
mêmes. Les Égyptiens ne comprenaient pas le but ultime de la croisade, Jérusalem, et les croisés refusèrent
catégoriquement. L'ambassade retourna au Caire accompagnée de délégués francs, mais aucune entente fut atteinte.
Ainsi, le vizir fatimide al-Afdal envoya une armée en Palestine qui reprit Jérusalem en août 1098 et réoccupa la région
jusqu'au nord de Beyrouth.
L'atabeg Kerbogha quitta Mossoul au début du mois de mai, son armée renforcée par des détachements des sultans
persan et irakien, ainsi que de plusieurs princes mésopotamiens. Toutefois, il fit l'erreur de mettre le siège devant
Édesse, occupée par Baudouin de Boulogne, où il s'attarda vainement pendant trois semaines. Ce délai permit aux croisés
de s'emparer d'Antioche avant son arrivée, car Bohémond n'avait pas perdu son temps. Il était entré en négociation avec
un certain Firouz, probablement un Arménien. Ce dernier accepta de lui donner accès aux tours qu'il contrôlait, soit la
tour des Deux Soeurs et les deux tours adjacentes, devant la tour de Tancrède. Bohémond, sans mentionner ses
tractations secrètes, exigea aux autres barons la ville pour lui-même. Les autres seigneurs étaient prêts à lui laisser,
mais Raimond refusa. Celui-ci évoqua le serment prêté au basileus, toutefois, nous pouvons supposer que le comte voulait
la cité autant que Bohémond. Finalement, les barons décidèrent que si les troupes de Bohémond étaient les premières à
entrer dans la ville et que si Alexis Comnène ne venait pas personnellement recevoir la cité, celle-ci lui serait accordée.

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Prise d'Antioche et siège par Kerbogha
Par la suite, lorsque la nouvelle de l'arrivée imminente de l'armée de Kerbogha parvint aux Francs, un certain climat de
panique s'installa dans le camp. Les déserteurs se firent nombreux. Le 2 juin, un corps important de Français du nord
dirigé par Étienne de Blois prit la route vers Alexandrette (Voir Anonyme).
Le jour même, Firouz annonça à
Bohémond qu'il était prêt à lui délivrer la ville. Il proposa au Normand d'assembler toute
l'armée et de se diriger vers l'est, feignant d'aller à la rencontre de Kerbogha. Par la suite, une
fois la nuit tombée, il lui dit de revenir à Antioche devant la section du rempart sous sa garde.
De cette façon, Firouz assurait Bohémond que la surveillance de la garnison serait plus
relâchée et permettrait d'accéder dans la ville plus facilement.
Bohémond révéla ses machinations à ses collègues. Les conseils de l'Arménien furent suivis et, juste avant l'aube, le
contingent de Bohémond se rendit devant la tour des Deux Soeurs tandis que le gros de l'armée attendait en face du pont
fortifié. Une échelle fut dressée contre la tour et Firouz accueillit soixante chevaliers et, suite à sa propre demande,
Bohémond lui-même. Toutefois, l'échelle se rompit, empêchant à un plus grand nombre de Francs d'accéder dans la ville.
Les Normands prirent contrôle de la section commandée par Firouz, puis quelques chevaliers ouvrirent la porte de Saint-
George. Par la suite, avec l'aide des citoyens chrétiens d'Antioche, la porte du pont fortifié fut ouverte et l'armée
franque entra. Celle-ci, aidée des Grecs et des Arméniens, massacra tous les Turcs et les Musulmans qu'elle pût trouver;
plusieurs chrétiens orientaux furent tués dans la confusion.
Yaghi Siyan prit la fuite accompagné de ses gardes du corps, mais il tomba de son cheval et fut abandonné à son sort. Un
paysan arménien passant par là le reconnut et lui coupa la tête qu'il ramena à Bohémond. Le fils du gouverneur turc,
Shams ad-Daulah, s'enferma à l'intérieur de la citadelle avec tous les soldats qu'il pût rassembler. Bohémond tenta de
prendre la citadelle d'assaut, mais fut blessé et se contenta de l'entourer de soldats.

Ainsi, Antioche redevint chrétienne le 3 juin 1098. À peine la ville nettoyée des cadavres, la défense des remparts
assurée et le patriarche orthodoxe remis sur son siège que l'armée de Kerbogha arrivait, soit le 7 juin. L'atabeg prit
aussitôt le contrôle de la citadelle en envoyant Ahmad ibn-Marwân prendre la place de Shams ad-Daulah.
Le nouveau commandant dirigea une attaque contre les croisés le 9 juin, mais ses forces furent arrêtées par un mur que
les Francs avaient construit autour de la citadelle. Alors, l'atabeg décida d'entourer la ville et de l'affamer. Les croisés
tentèrent une sortie le 10 juin, mais furent repoussés en subissant de lourdes pertes. Le même soir, un groupe de Francs,
dirigé par le beau-frère de Bohémond, Guillaume de Grant-Mesnil, déserta. Les déserteurs traversèrent les lignes
ennemies et atteignirent le port de Saint-Siméon. Ils persuadèrent les marins génois que la croisade était perdue et se
firent transporter à Tarse.
Ils furent rejoints par Étienne de Blois. Celui-ci avait voulu retourner à Antioche, mais à la vue de l'armée musulmane, il
avait rebroussé chemin. De Tarse, les déserteurs francs naviguèrent jusqu'à Adalia, puis marchèrent en Anatolie en juin.
Au même moment, le basileus Alexis Comnène se trouvait à Philomelium et se dirigeait vers Antioche. Il rencontra les
déserteurs qui, afin de justifier leur propre fuite, lui dirent qu'il était trop tard pour sauver la croisade et qu'Antioche
était tombée de nouveau aux mains des Turcs. Aussi, le basileus reçut la nouvelle qu'une armée turque se préparait à
l'attaquer avant son arrivée en Syrie. Alors, Alexis décida de rebrousser chemin car c'était de la folie, selon les
informations qu'il détenait, de continuer sa route. Pour les Francs à Antioche, sa décision fut perçue comme une trahison
et les prétentions de Bohémond sur la ville s'en trouvèrent renforcées.

Découverte de la Sainte Lance


Pendant ce temps, Kerbogha continuait le siège. Les croisés avaient trouvé peu de vivres lors de la prise de la ville et la
famine revint parmi les Francs. Le moral était à son plus bas niveau et ce fut à ce moment que leur foi dans le surnaturel
les sauva. Vers le 10 juin, un pauvre pèlerin de l'armée provençale, Pierre Barthélemy, annonça au comte Raimond que
l'apôtre Saint-André lui était apparu à cinq reprises depuis les six derniers mois. Le saint lui avait annoncé que la lance
ayant percé le côté du Christ se trouvait dans la cathédrale de Saint-Pierre. L'évêque Adhémar du Puy ne fut pas
convaincu, mais Raimond le fut et on décida d'effectuer des recherches dans cinq jours. La nouvelle de la vision de Pierre
se répandit parmi les croisés affamés et désespérés. Le même soir, un prêtre provençal, Étienne de Valence, annonça aux
barons réunis qu'il avait eu une vision du Christ et de la Vierge. Le Christ lui aurait dit que si les croisés se repentaient de
leurs péchés, ils recevraient un signe de sa faveur dans cinq jours. Étienne, ayant une meilleure réputation que Pierre
Barthélemy et ayant juré sur les Saintes Écritures, fut cru par Adhémar. L'atmosphère fut à son comble lors de
l'apparition d'un météore pendant la nuit du 13-14 juin.
Ainsi, le 15 juin, des fouilles furent entreprises dans la cathédrale, mais on ne trouva rien. Ce fut à ce moment que Pierre
Barthélemy se jeta dans le trou et trouva rapidement (par hasard) une pièce de fer; c'était la Sainte Lance! La nouvelle
de la découverte se répandit rapidement parmi les croisés et la relique fut conduite dans les quartiers de Raimond.
L'évêque Adhémar et plusieurs autres ne virent qu'une supercherie. Par contre, le gros de l'armée ne douta pas de
l'authenticité de la relique et personne ne voulut gâcher les effets positifs sur le moral des croisés en dénonçant
ouvertement la supercherie.
Par la suite, Bohémond fut informé des difficultés qui régnaient dans le camp de Kerbogha. La grande armée musulmane
était loin d'être homogène et les différents émirs se disputaient entre eux. Les barons, espérant persuader l'atabeg de

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lever le siège, envoyèrent une ambassade le 27 juin. Celle-ci était composée de Pierre l'Ermite et d'un certain Herluin qui
parlait l'arabe et le perse. Kerbogha exigea une reddition inconditionnelle et les Francs se préparèrent pour la bataille.

Bataille contre Kerbogha


Tôt le lendemain matin, l'armée se divisa en six " batailles " ou divisions: les Français et les Flamands sous Hugues de
Vermandois et Robert de Flandres; les Lorrains sous Godefroi; les Normands de Normandie sous Robert Courte-Heuse;
les Provençaux dirigés par Adhémar du Puy (Raimond étant malade demeura à l'intérieur de la ville et se chargea de
surveiller la garnison de la citadelle avec 200 hommes.); les Italiens et les Normands d'Italie formèrent les deux
dernières batailles sous Tancrède et Bohémond.
Les troupes sortirent de la ville par le pont fortifié et prirent position dans la plaine en face de la ville. Le moral était
haut et la " Sainte Lance ", transportée par le chroniqueur Raimond d'Aguilers, accompagnait l'armée.
Kerbogha, croyant pouvoir anéantir l'armée franque d'un seul coup, laissa les Francs sortir de la ville et prendre position
au lieu de les attaquer. Une fois les croisés assemblés, l'atabeg hésita. Il tenta de discuter d'une trêve, mais les Francs
ignorèrent le messager et avancèrent. Kerbogha envoya un détachement attaquer l'aile gauche franque (la droite était
protégée par l'Oronte). Bohémond avait anticipé le mouvement et avait formé une septième bataille sous le
commandement de Renaud de Toul. Malgré une pluie de flèches, les croisés chargèrent le centre de l'armée turque. Celle-
ci vacilla et de nombreux émirs, mécontents de Kerbogha, commencèrent à déserter. Kerbogha fit mettre le feu dans le
champ devant sa position pour ralentir les Francs et tenter de mettre de l'ordre dans son armée, mais la cavalerie lourde
franque piétina les flammes et engagea les troupes musulmanes. Les pertes furent lourdes des deux côtés, puis l'armée
turque se débanda. Les croisés résistèrent la tentation de piller le camp de Kerbogha et poursuivirent les fuyards
jusqu'au Pont de fer. Un grand nombre fut tué et les paysans chrétiens des environs achevèrent les traînards. Kerbogha
retourna à Mossoul. La garnison turque de la citadelle se rendit, non à Raimond, mais à Bohémond après la bataille. La
totalité d'Antioche était maintenant chrétienne.

Références:
Le texte est basé sur Steven Runciman, " The First Crusade: Constantinople to Antioch " dans Kenneth M. Setton, dir., A
History of the Crusades, Madison, The University of Wisconsin Press, 1969 (1955), vol.1, pp. 308-324; H. Hagemmeyer, "
Chronologie de la première croisade ", Revue de l'Orient Latin, VI-VIII (1898-1901) et Jean Flori, " Un problème de
méthodologie. La valeur des nombres chez les chroniqueurs du Moyen Age à propos des effectifs de la première croisade
", Moyen Age, 1993, pp. 399-422.
(1) Jean Flori, " Un problème de méthodologie. La valeur des nombres chez les chroniqueurs du Moyen Age à propos des
effectifs de la première croisade ", Moyen Age, 1993, p. 409. Les chiffres sont bien entendu trop élevés.
(2) J. Flori, " Un problème de méthodologie... ", p. 415.

D'Antioche à Ascalon

Suite de la victoire sur Kerbogha

La victoire spectaculaire remportée sur Kerbogha, l'atabeg de Mossoul, assura aux croisés la possession d'Antioche
(Antakya) (Voir lettre d'Anselme de Ribemont et lettre aux chrétiens d'Europe). Toutefois, selon la convention établie
entre les Byzantins et les Francs, ces derniers devaient remettre la ville au basileus Alexis Comnène. Aucun représentant
byzantin ne se trouvait pourtant au sein de l'armée et le basileus n'était pas venu lui-même pour réclamer son dû. Alors,
Bohémond de Tarente réclama ouvertement la possession de la ville et tous les barons, excepté Raimond de Saint-Gilles,
le supportèrent. Hugues de Vermandois, qui voulait retourner en France, fut délégué à Constantinople au début du mois de
juillet 1098. Après un périple difficile, celui-ci arriva à la capitale byzantine et fut reçu par Alexis. Il n'était pas question
pour le basileus de diriger une expédition en Syrie avant la fin de l'année et l'empire perdait ainsi l'unique véritable
chance de regagner ces territoires perdus.
Pendant ce temps, les croisés décidèrent d'attendre à Antioche jusqu'au premier novembre afin que les soldats puissent
se reposer. Plusieurs Francs en profitèrent pour visiter Baudouin de Boulogne à Édesse (Urfa). Bohémond occupa la
citadelle et une grande partie d'Antioche tandis que Raimond s'installa dans le palais et le pont fortifié. Cependant, une
épidémie (choléra, peste ou typhoïde?) éclata dans la ville. L'évêque Adhémar de Monteil fut parmi les premières
victimes. Sa mort fut un désastre. En tant que légat et ami du pape, il était le seul croisé dont l'autorité ne fut pas mise
en question et il était respecté de tous. Il avait travaillé fort à maintenir les nombreux seigneurs croisés unis malgré
leurs différends et, maintenant, tout risquait de s'effondrer. Afin d'éviter l'épidémie, les barons quittèrent la ville, puis
revinrent une fois celle-ci terminée. Toutefois, l'armée fut décimée par ce fléau. Raimond d'Aguilers affirme que les
croisés perdirent 200 000 hommes pendant le siège d'Antioche par maladie, famine, combats, puis par l'épidémie. Pour sa
part, Albert d'Aix attribue 100 000 morts à l'épidémie seulement (1).
Les barons écrivirent une lettre au pape lui annonçant la mort de son légat Adhémar et lui enjoignant de venir les
rejoindre pour mener à terme la guerre qu'il avait lui-même provoquée. (Voir lettre au pape).
En attendant la
réponse, les Francs ravagèrent la campagne environnante afin de se procurer des vivres pour

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l'hiver et montèrent des petites expéditions de conquête contre les Musulmans. Ainsi, en
octobre, Raimond occupa Chastel Rouge sur l'Oronte, au sud d'Antioche, puis Albara, un peu
plus à l'est. Dans cette ville musulmane, la mosquée fut transformée en cathédrale et le
premier évêché latin d'Orient fut fondé.

Par la suite, les barons se réunirent le 5 novembre afin de


planifier le reste de l'expédition. Toutefois, la question de la
possession d'Antioche n'était pas encore résolue. Finalement,
Raimond accepta de reconnaître la prétention de Bohémond à
condition que ce dernier promit de marcher avec l'armée
jusqu'à Jérusalem. Celui-ci jura de ne pas retarder ou nuire à
la croisade. Par contre, les troupes du comte de Saint-Gilles
continuèrent d'occuper le pont et le palais. La date du départ
pour Jérusalem ne fut pas fixée et afin de distraire les
troupes, on décida d'attaquer la ville de Maarrat an Numan.
La ville fut assiégée le 27 novembre par Raimond et Bohémond
et prise le 11 décembre. Les habitants furent massacrés ou
vendus comme esclaves.

Carte d'Antioche à Tripoli, basée sur celle dans Kenneth


Setton, History of the Crusades, vol. 1, p. 305.
La ligne jaune représente la route suivie par
l'armée principale des croisés; la bleue celle
entreprise par Godefroi et Robert de Flandres.
Ce fut pendant cette période que des croisés, mourant de faim, mangèrent des cadavres de Musulmans. Ce sombre
épisode est rapporté par plusieurs chroniqueurs latins, mais la plupart des sources musulmanes, comme Ibn al-Qalânisi ou
Ibn al-Athir n'en font pas mention (2).

Vers Noël 1098, des représentants de l'armée firent savoir au comte que les troupes étaient prêtes à le reconnaître
comme chef de la croisade s'il les conduisait à Jérusalem. Il accepta et quitta Maarrat pour Chastel Rouge afin
d'organiser le périple. Raimond tenta d'imposer son autorité auprès des autres barons en les soudoyant, mais ce fut peine
perdue, tous refusèrent. Ce ne fut que plus tard que Tancrède acceptera les 5 000 solidi du comte. Exaspérée par ces
querelles entre les chefs, l'armée rasa les fortifications de Maarrat. Raimond comprit le message et marcha, les pieds
nus, hors de la ville ruinée en janvier 1099 pour diriger la croisade à Jérusalem. Il était accompagné de tous ses hommes,
incluant la garnison d'Antioche, et tous ceux qui voulaient le suivre. Robert de Normandie et Tancrède l'accompagnèrent,
tandis que Godefroi et Robert de Flandres refusèrent d'admettre son autorité et restèrent à Antioche. Pour sa part,
Bohémond oubliait sa promesse faite en novembre et demeurait à Antioche où il était devenu le maître incontesté.

La marche vers Jérusalem

L'armée des croisés rencontra peu d'opposition pendant sa marche vers Jérusalem. Les différents émirs musulmans se
disputaient entre eux et ne pensaient qu'à leurs intérêts personnels. Ainsi, la dynastie arabe des Banû Mounqidh de
Shaizar fournit des guides aux Francs pour traverser leur territoire. Les Francs purent même acheter sur les marchés
de Shaizar et de Hama. Les croisés passèrent par Masyaf, où l'émir conclut un traité avec eux, par Rafaniyah désertée
par ses habitants, puis ils pénétrèrent dans la vallée du Buqai'ah, entre les montagnes du Liban et le Jabal Ansâriyah. Ils
s'emparèrent de la forteresse d'Hisn al-Akrâd (le futur Crac des chevaliers) où ils reçurent une ambassade de Tripoli. À
la demande de celle-ci, des émissaires francs furent envoyés et ceux-ci revinrent émerveillés par les richesses qu'ils
avaient vues. Ces derniers suggérèrent au comte, en soulignant le caractère peu guerrier des habitants de Tripoli,
d'attaquer une de leurs villes afin de leur soutirer une forte somme d'argent pour payer la bonne conduite de l'armée.
Raimond, à court d'argent, accepta et assiégea Arqa, à 25 km. de Tripoli, le 14 février 1099. Le comte envoya aussi deux

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de ses vassaux, Raimond de Pilet et Raimond de Turenne, s'emparer de Tortose (Tartus). De plus, la ville de Maraclée, au
nord de Tortose, reconnut la suzeraineté de Raimond.
Les nouvelles de ces succès atteignirent Antioche et incitèrent les autres barons à se joindre à l'armée. Ainsi, Godefroi
et Robert de Flandres descendirent la côte et s'arrêtèrent pour assiéger la ville portuaire de Jabala (Jablah). Bohémond,
craignant une attaque d'Alexis Comnène pendant son absence, préféra rester à Antioche. Pendant ce temps, le siège
d'Arqa piétinait. La ville était défendue avec une vigueur inattendue et les Francs manquaient d'engins de siège. En mars,
une rumeur parvint au camp annonçant l'arrivée imminent du calife de Bagdad. La nouvelle s'avéra fausse, mais Raimond
envoya un message à Godefroi et Robert les suppliant de venir le rejoindre. Ceux-ci abandonnèrent, à contre coeur, le
siège de Jabala et se dirigèrent vers Arqa avant la fin de mars.
Par la suite, les différents chefs continuèrent à se disputer; les barons refusant de reconnaître Raimond comme leur
supérieur. Les troupes, prenant exemple chez leurs commandants, refusèrent de coopérer entre elles pendant le siège.
De plus, une lettre d'Alexis Comnène arriva au camp au début d'avril. Le basileus annonçait son départ prochain pour la
Syrie et, si les barons voulaient l'attendre, il serait parmi eux à la fin de juin afin de les mener en Palestine. Raimond
était en faveur de l'offre, mais les autres seigneurs ne désiraient pas la présence du basileus et le gros de l'armée se
montrait impatient de poursuivre la route. La proposition d'Alexis fut rejetée. De plus, les ambassadeurs francs, qui
avaient été envoyés au Caire en mars 1098, revinrent avec l'offre finale des Fatimides. Ceux-ci étaient prêts à former
une alliance avec les croisés si ces derniers n'avançaient pas en Palestine et offraient le libre accès aux pèlerins voulant
effectuer leur pèlerinage à Jérusalem. L'offre fut immédiatement rejetée.
Raimond continua à s'entêter devant Arqa et certains croisés commencèrent à exprimer leur mécontentement. Ainsi, le 5
avril, Pierre Barthélemy, celui qui avait découvert la " Sainte lance " à Antioche, annonça que Saint-André et Saint-Pierre
lui étaient apparus et lui avaient dit que la ville devait être prise d'assaut sur-le-champ. Les adversaires de Raimond
défièrent la vision et qualifièrent Pierre d'imposteur et que la " Sainte lance " était une supercherie. Furieux, Pierre
demanda de subir le jugement de Dieu, l'ordalie, par l'épreuve du feu. Ainsi, le 8 avril 1099, un immense brasier fut
allumé et Pierre, brandissant la lance, s'avança dans le feu. Il en sortit affreusement brûlé et mourut dans l'agonie douze
jours plus tard... Les Provençaux, loyaux au comte, déclarèrent que Pierre avait été repoussé dans les flammes, mais il
était trop tard. Une grande partie de l'armée ne croyaient plus en l'authenticité de la relique et le prestige de Raimond
en souffrit. Toutefois, il conserva la lance dans sa chapelle.

Le siège continua et de nombreux croisés perdirent la vie, dont Anselme de Ribemont. Raimond dut se rendre à l'évidence et
l'opération fut abandonnée le 13 mai. L'armée se dirigea vers la côte et, à l'approche de Tripoli, l'émir délivra trois cents
prisonniers francs et donna quinze milles besants et quinze superbes chevaux. De plus, il ravitailla l'armée et fournit des
guides. Il acccordait ces largesses afin d'éviter tout pillage sur son territoire. Le 19 mai, les croisés traversèrent la rivière
du Chien, au nord de Beirouth et pénétrèrent en territoire fatimide. Les Francs passèrent par Beirouth, où ils reçurent des
vivres en échange de leur bonne conduite, par Sidon (Saïda), où ils repoussèrent une sortie de la garnison et ravagèrent les
banlieus en représailles, puis s'arrêtèrent deux jours devant Tyr (Sour).
Pendant cette brève halte, Baudouin du Bourg et un groupe de chevaliers d'Édesse se joignirent à eux. Les Francs
continuèrent leur marche le 23 mai, atteignirent Acre (Akko) le lendemain et y reçurent des provisions. Les croisés
traversèrent Haifa, puis Césarée (Qaisariyah) le 26 mai où ils séjournèrent quatre jours. Ils poursuivirent par Arsouf et, au
nord de Jaffa, pénétrèrent vers l'intérieur des terres. Ils arrivèrent à Ramla, abandonnée par sa population musulmane, le 3
juin. Ils y restèrent deux jours, puis atteignirent Emmaüs où une déléguation de Bethléem leur demanda de les délivrer des
Musulmans. Tancrède et Baudouin du Bourg, accompagnés de quelques chevaliers s'y rendirent et y furent accueillis
chaleureusement par la population entièrement chrétienne. Finalement, le 7 juin 1099, du haut de la colline de Montjoie, les
croisés aperçurent Jérusalem. Avant la tombée de la nuit, l'armée chrétienne campait devant les remparts.

Hierusalem !
Après tant d'épreuves, de privations et plus de deux ans et demi après leur départ d'Europe, les croisés atteignaient
finalement leur but ultime, Jérusalem! Toutefois, leurs peines n'étaient pas terminées. La ville était une forteresse de
renom et ses remparts étaient bien entretenus. De plus, l'approche vers les murs n'était possible que par le nord et par
le mont Sion, car des ravins protégeaient les autres côtés. Le gouverneur fatimide commandait une garnison nombreuse
de troupes arabes et soudanaises, les citernes de la ville étaient remplies et les troupeaux avaient été acheminés à
l'intérieur des murs. Aussi, le gouverneur avait expulsé tous les chrétiens de la ville, diminuant du même coup le risque de
trahison et plus de la moitié des bouches à nourrir. Les Juifs reçurent l'autorisation de demeurer. Les puits des environs
avaient été empoisonnés, sauf la piscine de Siloé, et la garnison attendait une armée de secours d'Égypte. Les croisés
n'étaient pas au bout de leurs peines. Ils opéraient en plein coeur de l'été dans un pays qu'ils ne connaissaient pas, leurs
communications avec l'extérieur étaient incertaines, tout comme leur ravitaillement. De plus, ils n'étaient pas assez
nombreux pour investir la ville complètement ou empêcher des sorties de la garnison. Selon Raimond d'Aguilers, les
combattants francs se chiffraient à 1200-1500 chevaliers et 12 000 piétons. Toutefois, ils étaient aguerris après plus de
deux années de campagne et de privations, ils possédaient une foi intense et s'attendaient à une intervention divine.
Le siège débuta et l'approvi sionnement en eau devint rapidement un problème important. Des groupes devaient parcourir
jusqu'à dix kilomètres et plus pour trouver des sources d'eau potable. Aussi, la nourriture vint à manquer. Le seul espoir
pour la croisade résidait dans la prise de la ville le plus rapidement possible. Les croisés se concentrèrent au nord: Robert

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de Normandie à l'est, devant la porte Saint-Étienne; Robert de Flandres à sa droite; Godefroi et Tancrède au coin nord-
ouest; puis Raimond à l'ouest, mais le terrain était trop accidenté et le comte déplaça son camp sur la montagne de Sion,
au sud.

Carte de Jérusalem prise dans Joshua Prawer, Histoire du Royaume Latin de Jérusalem, Paris, C.N.R.S., 1969, vol. 1, p.
224.
Le 12 juin, les barons effectuèrent un pèlerinage sur le mont des Oliviers où ils rencontrèrent
un vieil ermite qui leur ordonna d'attaquer le lendemain. Dieu leur donnera la victoire s'ils ont
la foi, leur avait-il dit.
Le lendemain matin, un assaut général fut donné. Les défenses avancées du mur septentrional furent remportées, mais
ils échouèrent devant le rempart principal faute d'échelles. Après plusieurs heures de combat, les croisés se
replièrent, ayant subis de lourdes pertes.
Ainsi, les barons décidèrent le 15 juin que des échelles et des engins de siège devraient être construits avant qu'un
autre assaut pût être donné. Cependant, les matériaux nécessaires à la construction des machines manquaient et
l'arrivée de six navires chrétiens à Jaffa, transportant le matériel nécessaire, fut un véritable soulagement. Des
troupes furent envoyées vers le port afin d'en ramener l'équipement, mais elles tombèrent dans une embuscade et
furent sauvées par l'intervention rapide de Raimond de Pilet. Sur ces entrefaites, une flotte égyptienne arriva devant
Jaffa qu'elle bloqua. Un des navires chrétiens parvint à s'enfuir, tandis que les autres, une fois le matériel débarqué,
furent abandonnés par leurs équipages. Les matelots, escortés par Raimond de Pilet, se rendirent à Jérusalem. Il ne
manquait plus que le bois qui fut transporté des forêts lointaines de Samarie. Donc, Godefroi et Raimond purent
commencer la construction de tours roulantes.
Par ailleurs, les conditions se détérioraient dans le camp des Francs. L'eau manquait, la
nourriture se faisait rare, la chaleur était écrasante et les barons se disputaient déjà sur l'avenir
de Jérusalem. Au début de juillet, la nouvelle parvint au camp du départ de l'armée fatimide
d'Égypte. Les seigneurs cessèrent de se disputer et s'unirent afin de prendre d'assaut la ville le
plus rapidement possible. Le moral de l'armée était bas et une autre vision d'un prêtre
provençal, Pierre Desiderius, vint à la rescousse . Celui-ci affirmait avoir vu l'évêque
Adhémar de Monteil qui ordonnait à l'armée de jeûner, puis d'effectuer une procession, pieds
nus, autour de la ville. Alors, la ville tombera avant neuf jours. Les instructions furent suivies
et le vendredi, 8 juillet, les croisés effectuèrent la procession, puis gravirent le mont des
Oliviers afin d'entendre les prêches de Pierre l'ermite, Raimond d'Aguilers et Arnulf de
Malecorne, chapelain de Robert de Normandie.
Finalement, les deux tours furent achevées le 10 juillet. Godefroi fit transporter la sienne du côté le plus faible,
complètement à l'est du mur nord, devant le quartier juif. Pour sa part, Raimond installa sa tour sur le mont Sion. Une
troisième tour, plus petite, fut amenée en face du coin nord-ouest. L'assaut fut donné pendant la nuit du 13-14 juillet. La
journée entière du 14 fut passée à remplir le fossé afin de permettre aux tours d'accéder aux remparts. Tôt le matin du 15
juillet, la tour de Godefroi était en place, tandis que Raimond rencontrait une résistance farouche au sud.

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Vers midi, deux chevaliers flamands, Letold et Gilbert de Tournai parvinrent les premiers dans la ville, suivis de près par
Godefroi et son frère Eustache. Une fois une section du mur prise, de nombreuses échelles furent appliquées sur le
rempart et un nombre croissant de Lorrains pénétrèrent dans la ville. Tancrède et ses hommes suivirent de près. Pendant
que les Lorrains combattaient pour ouvrir la porte à l'armée principale, Tancrède pénétra dans les rues et se dirigea vers
le secteur du Temple. Le gouverneur, qui se battait au sud de la ville en face de Raimond, se replia dans la citadelle, la
tour de David, lorsqu'il apprit le succès des croisés au nord. Il entra en négociation avec le comte et lui proposa la
citadelle et son trésor en échange d'un libre passage vers Ascalon pour son escorte et lui. Raimond accepta et lui fournit
une escorte jusqu'à Ascalon. Les autres habitants ne furent pas aussi chanceux. Les croisés massacrèrent complètement
la population musulmane et juive de Jérusalem.

La croisade avait atteint son but, Jérusalem était redevenue chrétienne. Dès le 17 juillet, les
barons rétablirent l'ordre dans la ville, firent nettoyer les rues des cadavres et planifièrent le
retour des chrétiens orientaux expulsés. Aussi, on devait se préparer à l'arrivée de l'armée
égyptienne et un roi devait être choisi. Le clergé protesta immédiatement, le besoin spirituel
devait passer en premier, mais on ne trouvait pas de candidats convenables au patriarcat.
D'ailleurs, plusieurs voulaient faire de la Terre sainte un patrimoine ecclésiastique. Toutefois,
un gouverneur séculier devait être nommé.
Quatre candidats étaient possibles: Robert de Normandie, Robert de Flandres, Godefroi et Raimond. D'abord, les deux
Robert désiraient retourner en Europe. Raimond était vieux, expérimenté et riche, mais ses collègues ressentaient ses
prétentions et sa politique de coopération avec les Byzantins le rendait impopulaire auprès de plusieurs. Pour sa part,
Godefroi était populaire, respecté et renommé pour sa piété et son courage. Les électeurs offrirent la couronne à Godefroi,
mais celui refusa de ceindre une couronne d'or où le Christ avait ceint une couronne d'épines et prit le titre de Advocatus
Sancti Sepulchri (Avocat du Saint-Sépulchre).Se sentant lésé, Raimond quitta pour Jéricho, où Robert de Normandie vint le
rejoindre plus tard. On profita de l'absence des Provençaux pour élire le prêtre normand Arnulf de Malecorne au
patriarcat.

En août, Godefroi dépêcha Tancrède et Eustache à Ascalon afin de reconnaître les forces fatimides et leurs mouvements.
Le 9 août, il quitta lui-même Jérusalem en compagnie de Robert de Flandres pour aller à la rencontre de l'armée
égyptienne devant Ascalon. Le 11 août, Raimond et Robert de Normandie les rejoignirent à Ibelin. L'armée franque arriva
à l'aube du 12 devant la plaine d'Ascalon. L'armée fatimide ignorait que l'ennemi était si près et les batailles furent
formées: Raimond à droite, à côté de la mer; les deux Robert et Tancrède au centre; Godefroi sur la gauche. Les Francs
chargèrent les Égyptiens et les mirent en déroute complète. Le carnage et le butin pris furent énormes. Le vizir al-Afdal
s'enfuit dans Ascalon d'où il prit un navire jusqu'en Égypte.

Le lendemain, l'armée revint triomphante à Jérusalem. La victoire d'Ascalon fut un complément à la prise de la Ville
sainte. Elle assura la possession de la Palestine aux croisés. La Terre sainte était redevenue chrétienne, maintenant le
problème résidait dans les façons de la conserver et de la gouverner, mais ceci est une autre histoire...

Références:
Le texte est basé sur Steven Runciman, " The First Crusade: Constantinople to Antioch " dans Kenneth M. Setton, dir., A
History of the Crusades, Madison, The University of Wisconsin Press, 1969 (1955), vol.1, pp. 324-341; H. Hagemmeyer, "
Chronologie de la première croisade ", Revue de l'Orient Latin, VI-VIII (1898-1901) et Jean Flori, " Un problème de
méthodologie. La valeur des nombres chez les chroniqueurs du Moyen Age à propos des effectifs de la première croisade
", Moyen Age, 1993, pp. 399-422.
(1) Ce sont des chiffres exagérés, mais il faut les mettre en rapport avec les évaluations que ces mêmes chroniqueurs
avaient données à Nicée. Raimond avait estimé l'armée à 300 000 hommes, tandis qu'Albert donnait 600 000, des
nombres inexacts aussi. Toutefois, ces nombres peuvent nous indiquer un ordre de grandeur sur les pertes subies par les
croisés entre Nicée et Antioche, soit le 2/3 chez Raimond, soit le 1/6 par l'épidémie seulement chez Albert. Voir Jean
Flori, " Un problème de méthodologie. La valeur des nombres chez les chroniqueurs du Moyen Age à propos des effectifs
de la première croisade ", Moyen Age, 1993, pp. 416-417. (retour)
(2) Cette épisode gêne encore plusieurs historiens des croisades qui omettent souvent de mentionner ces actes de
nécrophagie.

Index onomastique
Adhémar de Monteil, évêque du Puy: Mort à Antioche le 1er août 1098. Issu d'une famille noble de la région de Valence, il
devint évêque du Puy en 1077. Il fut un des artisans de la réforme grégorienne et fut désigné par Urbain II comme légat
de la première croisade.

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Albert d'Aix: Chancelier et gardien de l'église d'Aix-la-Chapelle, il ne participa pas à la croisade, mais il écrivit un
ouvrage intitulé Liber Christianae expeditionis pro ereptione, emundatione, restitutione sanctae Hierosolymitanae
ecclesiae entre 1119 et le milieu du XIIe siècle. Il rassembla ses informations auprès des pèlerins et des croisés revenant
de l'expédition.
Alexis Comnène: (1057 - Constantinople 15 août 1118), basileus de 1081 à 1118. Il commença sa carrière comme général
sous Michel VII et Nicéphore III. Aidé de son frère Isaac, il se révolta contre Nicéphore III le 14 février 1081. Il prit
la capitale le 1er avril et accéda au trône grâce au soutien de l'aristocratie militaire. Lors de sa prise au pouvoir, l'empire
était en désordre et attaqué de tous les côtés. De 1081 à 1093, il battit les Normands, les Petchenègues et l'émir turc de
Smyrne, Tzachas. Il consolida l'empire par diverses réformes et mesures.
Anne Comnène: (Constantinople 2 décembre 1083 -vers 1153/4), fille aînée d'Alexis Comnène, empereur de
Constantinople de 1081 à 1118. Elle fut chassée de la cour en 1118, suite à une conspiration visant à mettre son époux,
Nicéphore Bryenne, sur le trône. Son oeuvre compte 14 livres, les livres X à XIV sont consacrés à la première croisade.
Anne est très bien informée, mais elle écrivait quarante ans plus tard, soit après 1148, et son ouvrage souffre des
défauts qui caractérisent les mémoires, car elle n'hésite pas à faire un panégyrique de son père. Par contre, l'impression
qu'elle ressentit jeune fille face à l'arrivée des croisés (elle était âgée de 13 ans) demeura vivace et démontre
clairement l'attitude grecque envers la croisade et les croisés.
Anonyme: La Gesta Francorum et aliorum Hierosolimitanorum est une des sources fondamentales de la première croisade.
Son auteur est un témoin oculaire dont le nom demeure inconnu. Originaire d'Italie méridionale, il représentait la classe
moyenne des chevaliers croisés. De plus, un clerc semble l'avoir aidé dans sa rédaction. Son récit est marqué par sa
sincérité, ses préjugés et ses préoccupations. La rédaction date du lendemain même de la croisade, Ekkehard le lisait à
Jérusalem en 1101. Il y a quelques erreurs et oublis, mais son témoignage concorde presque continuellement avec les
autres sources originales et indépendantes de son oeuvre, soit Raimond d'Aguiler, Foucher de Chartres, Albert d'Aix et
les lettres d'Étienne de Blois, d'Anselme de Ribemont... Sa Gesta fut très utilisée par les chroniqueurs contemporains:
Tudebode la copia, Guibert de Nogent, Baudri de Dol et Robert le Moine se basèrent sur celle-ci ou la mirent en plus beau
langage, selon eux.
Anselme de Ribemont: Anselme, comte de Ribemont, se croisa en 1095 et mourut pendant le siège d'Archas (près de
Tripoli) en février/mars 1099. Il nous a laissé deux lettres, adressées à Manassé, archevêque de Reims, qui racontent les
événements de la première croisade jusqu'en juillet 1098, soit après la défaite de Kerbogha.
Atabeg: Officier supérieur turc nommé tuteur d'un prince seldjoukide.
Basileus: Titre officiel de l'empereur byzantin après 630.
Baudouin de Boulogne: (Mort le 2 avril 1118), fils d'Eustache II, comte de Boulogne, et frère de Godefroi de Bouillon. Il
participa à la première croisade dans l'armée de son frère, de laquelle il se sépara pour fonder le comté d'Édesse. Il
devint roi de Jérusalem à la mort de son frère en 1100 et fut couronné le 25 décembre 1100.
Baudouin de Bourg: (Mort le 21 août 1131), fils du comte Hugues de Rethel et cousin de Baudouin et de Godefroi. Il
participa à la première croisade dans l'armée de son cousin. Il succéda à Baudouin comme comte d'Édesse en 1100, puis
comme roi de Jérusalem en 1118.
Baudri de Bourgueil (ou de Dol): (Vers 1047 - 7 janvier 1130), moine bénédictin, il fut prieur et abbé de Saint-Pierre de
Bourgueil de 1089 à 1107, puis élu archevêque de Dol, en Bretagne. Il était présent à Clermont et il écrivit un compte
rendu très théologique de la croisade, vers 1108. Il se basa beaucoup sur la Gesta de l'Anonyme et se vantait dans sa
préface d'avoir remis en beau langage l'oeuvre " rustique " de ce " compilateur anonyme ".
Bohémond de Tarente: (Vers 1057 - mars 1111 à Canossa, en Italie), fils de Robert Guiscard, fondateur de la principauté
normande italienne. Il participa avec son père à la lutte contre Byzance et à l'éphémère conquête de la Macédoine (1081-
1085). Il prit part à la croisade et se tailla la principauté d'Antioche. Il fut fait prisonnier par les Musulmans en 1100,
puis libéré en 1103 après avoir conclu une alliance avec son geolier, l'émir Danichmend, contre les Byzantins et les
Seldjoukides de Roum. Il retourna en Occident pour y chercher des renforts et combattit les Byzantins en Épire (1107),
mais fut vaincu.
Cluny: (Saône-et-Loire) Abbaye fondée en 910 par le duc d'Aquitaine et le comte d'Auvergne, qui la placèrent sous
l'autorité immédiate du pape. D'abord, elle adhéra à la règle de saint Benoît, puis l'abbé Odon (928-942) adopta la règle
dite clunisienne. Directement soumise au Saint Siège, Cluny fut au XIe siècle l'instrument efficace du succès des
institutions de paix et de la réforme grégorienne. Plusieurs papes et légats pontificaux sortirent de Cluny. Le réseau
clunisien devint immense et puissant pendant ce siècle. Par contre, à la fin du XIe et au début du XIIe siècle, elle perdit
de son influence spirituelle avec l'apparition de nouveaux ordres inspirés par un idéal de pauvreté.
Coloman: Roi de la Hongrie, de 1095 à sa mort en février 1114.
Daimbert de Pise: Évêque de Pise avant 1088 et archevêque en 1092, il dirigea une flotte pisane pendant la première
croisade et devint partiarche de Jérusalem en décembre 1099. Il nous a laissé une lettre résumant les événements de la
première croisade. Il mourut à Messine le 14 mai 1107.
Danichmendites: Deux dynasties nées de la première invasion turque de l'Anatolie, qui dut laisser ensuite leur place aux
Seldjoukides de Roum. Son fondateur fut un certain émir Danichmend qui s'installa, après la victoire de Mantzikert en
1071, dans le nord-est du plateau central, près des villes de Sivas, Tokat et Amasya. Danichmend combattit les troupes
croisées dès 1097 en s'alliant avec son ennemi Kilidj Arslan contre un adversaire commun. Il captura même Bohémond de
Tarente en 1100, le libérant en 1103 après avoir conclu une alliance contre les Byzantins et les Seldjoukides de Roum.
Cette dernière sera sans lendemain, car l'émir mourut en 1104. La principauté engloba, à son extension maximale, toute la

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Cappadoce dont les villes d'Ankara, Kayseri et Malatya. Les dynasties furent définitivement soumises aux Seldjoukides
de Roum en 1178.
Église arménienne: Église indépendante, fondée au IVe siècle, considérée comme monophysite bien qu'elle ne se ralliat
pas entièrement à cette doctrine. Le monophysisme est une doctrine qui ne reconnaît au Christ qu'une nature divine,
contrairement au dogme catholique ou orthodoxe qui lui attribue deux natures, humaine et divine. À la fin des annéees
1190, une minorité d'Arméniens acceptèrent de se rallier à Rome.
Église jacobite: Église monophysite syrienne, nommée d'après Jacob Baradée qui réunit les monophysites syriens en une
Église indépendante au VIe siècle. Le monophysisme est une doctrine qui ne reconnaît au Christ qu'une nature divine,
contrairement au dogme catholique ou orthodoxe qui lui attribue deux natures, humaine et divine
Étienne de Blois: ( Mort à Ramla en mai 1102), fils de Thibaud III, comte de Champagne, de Blois, de Brie et de Chartres.
Il participa à la première croisade, mais s'enfuit pendant le siège d'Antioche. Il revint en Orient, participa à une
première expédition en 1101, mais celle-ci fut anéantie en août en Anatolie. Il réussit à s'échapper et revint à
Constantinople. Finalement, en février 1102, il s'embarqua pour la Palestine. Il participa à la bataille de Ramla le 17 mai
1102. Face à des forces bien supérieures en nombre, le roi Baudouin chargea avec ses chevaliers, mais ils furent écrasés.
Étienne parvint à trouver refuge dans la tour de Ramla avec d'autres chevaliers, mais après un court siège, les Francs
effectuèrent une sortie et Étienne fut tué, ainsi que la plupart des chevaliers. Il écrivit plusieurs lettres à son épouse,
Adèle de Normandie, fille de Guillaume le Conquérant, dont deux nous sont connues.
Eustache de Boulogne: Eustache III, fils aîné de Eustache II. Il devint comte de Boulogne vers 1093 et se croisa en
1096 avec ses frères. Il revint en Occident après la prise de Jérusalem et se fit moine à Rumilly (quand?) où il mourut en
1125.
Fatimides: Dynastie de califes chiites en Afrique du Nord, Égypte et Syrie, 909-1171, qui s'affirment les descendants de
Fatima, fille du prophète Mahomet et épouse du quatrième calife, Ali.
Foucher de Chartres: (Vers 1058-1128), clerc originaire de Chartres. Homme intelligent et observateur, il participa à la
croisade en tant que chapelain d'Étienne de Blois, puis de Baudouin de Boulogne. Il accompagna ce dernier à Édesse et ne
participa pas au siège de Jérusalem. Il se trouvait au Concile de Clermont et c'est peut-être pourquoi il est le seul à
omettre l'occupation musulmane de Jérusalem comme une cause de la croisade (il était absent au siège). Il fut suggéré
qu'il possédât une copie des décrets de Clermont. Son histoire de Jérusalem est une chronique très vivante de la
croisade et des premiers temps du royaume latin de Jérusalem (jusqu'en 1124).
Geoffroy de Vendôme: (Vers 1070-1132), moine bénédictin, abbé de la Trinité de Vendôme (1093), cardinal de Sainte-
Prisque (1094), ardent défenseur de la réforme grégorienne et adversaire déclaré des investitures laïques.
Godefroi de Bouillon: (Vers 1060- Mort à Jérusalem le 18 juillet 1100), deuxième fils d'Eustache II, comte de Boulogne
et d'Ide, fille de Godefroi le Barbu, duc de Basse-Lorraine et comte de Verdun. Il succéda à son oncle Godefroi à l'âge
de 15 ans, lors de l'assassinat de ce dernier, comme comte de Verdun. L'empereur Henri IV donna le duché à son fils
Conrad et donna en compensation Anvers à Godefroi.. Il aida l'empereur dans sa lutte contre la papauté et devint duc de
Basse-Lorraine en 1087. Il dirigea une des armées de croisés et fut élu " avoué " (protecteur) du Saint-Sépulcre après la
prise de Jérusalem en juillet 1099
Grégoire VII (Hildebrand): (Saint) (vers 1020-30 -25 mai 1085), pape de 1073 à 1085. Le Toscan Hildebrand se trouvait
dès 1050 dans l'entourage des papes réformateurs. Il succéda à Alexandre II (1061-1073) en juin 1073. Son pontificat
se caractérisa par la fameuse réforme " grégorienne " (d'où le nom); une lutte contre le trafic des bénéfices (notamment
des évêchés), et une volonté de mettre fin au scandale dû à la situation des prêtres ou évêques mariés et en mal de
pourvoir leurs enfants. Voir Investitures.
Guibert de Nogent: (1053-1125), issu d'une famille noble de Picardie, il prit l'habit au monastère de Flay et fut élu abbé
de Nogent-sous-Coucy en 1104. Il reprit l'Anonyme et y ajouta des renseignements nombreux. Il écrivit avant 1108. De
plus, il était probablement absent du concile de Clermont.
Guillaume de Tyr: (Vers 1130 à Jérusalem- Mort le 29 septembre 1186), issu d'une famille de la bourgeoisie française
établie en Orient latin. Il étudia à Paris, puis à Bologne. Revenu en Orient, il devint archidiacre de Tyr et précepteur du
futur roi Baudouin IV (1164). Il fut chancelier du royaume de Jérusalem (1174) et archevêque de Tyr (1175). Il est
l'auteur d'une " Histoire des choses faites Outre-Mer", histoire remarquablement documentée et remplie d'analyses
très fines du royaume latin de Jérusalem depuis la première croisade jusqu'en 1183. Son histoire est achevée en 1184.
Henri IV: Empereur du Saint-Empire Romain Germanique, (Goslar? 1050- Mort à Liège en 1106), empereur de 1084-1105,
roi de Germanie depuis 1056, il s'engagea contre Grégoire VII dans la querelle des investitures et dut venir s'humilier à
Canossa (1077); par la suite il s'empara de Rome (1084), mais son fils le contraignit à abdiquer en 1106.
Hugues de Vermandois (ou le Grand ou le Mainsné): (Vers 1057-1101), frère du roi Philippe I, donc le deuxième fils
d'Henri I et de sa deuxième femme, Anna, une princesse de Kiev. Il obtint ses possessions féodales en épousant la fille
du comte de Vermandois et devint lui-même comte en 1080 Il se croisa en 1096 et fut envoyé comme délégué auprès du
basileus byzantin après la prise d'Antioche. Il retourna en Europe, mais revint en 1101 et participa à une expédition de
renfort. Celle-ci fut anéantie à Héraclée en septembre et Hugues, blessé au genou, parvint à se sauver à Tarse où il
mourut le 18 octobre 1101.
Ibn al-Athîr: Izz ad-Din Ibn al-Athîr, (555/1160- Mort à Mossoul en 630/1233), issu d'une famille de lettrés irakiens.
Son oeuvre principale est le Kâmil at-Tawârîkh (Histoire parfaite ou Somme des histoires ). C'est une vaste histoire de
tout le monde islamique, depuis la période préislamique jusqu'à l'année 1231. Son oeuvre se démarque par sa largeur et
son équilibre de la conception, la variété de matériaux historiques et de la personnalité de sa vision historique qui font

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d'Ibn al-Athîr, selon F. Gabrieli, le seul véritable historien arabe de cette période. Par contre, l'auteur se montre
favorable face à la dynastie zenghide (Zinkî et Nûr ad-Din), inexact dans sa chronologie et d'une liberté excessive dans
le maniement de ses sources. Pour l'histoire de la première croisade, il utilisa Ibn al-Qalânisî.
Ibn al-Qalânisî: Abû Ya'la Hamza ibn Asad at-Tamini, dit Ibn al-Qalânisî, (Damas vers 465/1073- Mort en 555/1160).
C'est le plus ancien historien arabe des croisades par sa chronique connue sous le nom de Dhail tâ'rikh Dimashq (Suite de
l'histoire de Damas). Son histoire, du moins celle qui nous est parvenue, couvre la période de 974 à 1160 et est une
chronique événementielle de l'histoire de la Mésopotamie, surtout de la Syrie et de Damas. L'auteur remplissait des
fonctions administratives et municipales à Damas. La valeur de son histoire tient au fait que l'auteur est un témoin
oculaire des première et deuxième croisades. La narration est circonstanciée et fidèle, avec quelque partialité en faveur
des émirs damascènes.
Investitures (Querelle des): Lutte entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. Elle débuta sous le pontificat de
Grégoire VII lors de son projet de réforme. Ce dernier voulait dégager l'Église de toute emprise laïque et féodale et
s'opposaient à ce que les clercs reçoivent leur temporel d'une autorité séculière. Ceci mena le pape en conflit direct avec
l'empereur du Saint-Empire qui tenait à ces investitures (le droit de conférer aux évêques et abbés les insignes
d'autorité). Cette lutte inclut aussi celle contre la simonie (l'achat ou la vente des bénéfices ecclésiastiques) et le
nicolaïsme (refus du célibat ecclésiastique). La papauté l'emporta en 1122 par le concordat de Worms.
Kilidj Arslan Ier: Connu des croisés sous le nom de Soliman (Sulaymân), fils de Sulaymân b. Kutlumush, second prince
seldjoukide d'Asie Mineure. Son père fut tué dans une bataille contre Tutush et Kilidj fut livré en otage à Malikshâh. À la
mort de ce dernier, en 1092, Kilidj s'échappa et revint à Nicée, ancienne résidence de son père et se fit reconnaître
comme suzerain. Il favorisait une politique d'entente avec le basileus Alexis Comnène. Il dut se battre contre les
premiers croisés, perdit sa capitale et s'installa à Konya (Iconium).
Manuel Boutoumitès: Duc de la flotte byzantine en 1090, duc de Nicée après sa reprise en 1097, il fut commandant en
Cilicie en 1105 et ambassadeur à Jérusalem en 1111/1112. Il a peut-être été gouverneur de Chypre.
Michel VII Doukas: (1050-1090), basileus de 1071-1078. Fils de Constantin X, il gouverna comme co-empereur avec
Romain IV Diogène. Après la défaite et la capture du basileus Diogène à Mantzikert, le césar Jean Doukas le mit sur le
trône. Michel VII fut un empereur inactif. Pendant son règne, une alliance fut tentée avec Robert Guiscard en 1074 et
des négociations entreprises avec le pape Grégoire VII pour la réunion des deux églises n'aboutirent à rien. Aux prises
avec plusieurs révoltes, Michel abdiqua le 31 mars 1078 lorsque la victoire de Nicéphore Botanéiatès était certaine et il
entra dans un monastère.
Nicéphore Botanéiatès: (1001/02-1081), basileus de 1078 à 1081. Général sous le basileus Constantin IX, il aida la
rébellion d'Isaac Comnène, puis se révolta lui-même en Anatolie en octobre 1077. Avec l'aide des Turcs seldjoukides, il
battit les troupes de Michel VII et entra à Constantinople le 3 avril 1078. Il fut couronné le 2 juillet. Déjà d'un âge
avancé, il se fia beaucoup sur Isaac et Alexis Comnène. Ce dernier se rebella et prit la capitale. Nicéphore abdiqua le 4
avril 1081 et se retira dans un monastère.
Ordéric Vital: (1075-vers 1141), d'origine anglaise, il fut moine à l'abbaye normande de Saint-Évroult-en-Ouche (1085). Il
écrivit une Histoire ecclésiastique, qu'il débuta avant 1115 et acheva en 1141.
Ousâma Ibn Mounqidh: (Shaizar 1095- Damas 1188), il vécut presque un siècle et fut un témoin de la montée en puissance
du monde islamique face aux États latins d'Orient. Homme d'action et de plume, chevalier et chasseur, littérateur et
courtisan, politique intriguant, il résida à Shaizar, Damas et au Caire. Il séjourna même à Jérusalem en mission
diplomatique. Donc, il eut la chance de nouer des relations avec les émirs de Syrie, les Francs et les califes fatimides
d'Égypte. Ousâma nous a laissé une autobiographie et nous permet ainsi de voir l'histoire des croisades d'une vision
différente. Au travers de ses yeux, de ses préjugés et de sa pensée, nous pouvons voir de quelle façon il percevait ces
étrangers venus d'Occident.
Paix de Dieu et Trêve de Dieu: Celles-ci furent de véritables institutions mises en place par l'Église aux Xe et XIe
siècles. Elles étaient la mise hors guerre des populations non combattantes et l'interdiction des combats à certaines
périodes et certains jours. Elles se firent avec le consentement des princes laïcs, pour limiter les guerres et en réduire
les effets aux seuls protagonistes. La première ébauche de la paix de Dieu est procurée aux conciles de Charroux (989)
et de Narbonne (990). Il s'agissait de protéger les clercs, les laboureurs, les pèlerins et les marchands, ainsi que leurs
biens. La trêve de Dieu fut inventée lors du concile de Perpignan (1027): elle interdisait le combat pendant l'avent, le
carême et le jour de Pâques, puis tous les dimanches, et parfois du jeudi au dimanche, voire pendant tout le temps pascal.
Pauliciens: Une secte dualisme originaire d'Asie Mineure pendant la deuxième moitié du VIIIe siècle. La première
communauté fut fondée en Arménie sous l'empereur byzantin Constantin IV (641-668). Ils furent appelés pauliciens à
cause de leur grand amour pour les écritures de saint Paul ou à une certaine similitude de leur doctrine avec celle de Paul
de Samosate. Les pauliciens prônaient un dualisme absolu, centré sur les deux principes suprêmes du bien et du mal et en
conflit éternel pour le monde. De plus, ils ne voyaient pas de victoire finale du bien sur le mal dans cette lutte. Pour leur
croyance religieuse, ils furent amenés en conflit avec l'Empire byzantin et furent persécutés et exilés. Le basileus
byzantin Jean Tzimiscès (969-976) réinstalla une colonie de Pauliciens en territoire bulgare où celle-ci se mêla avec les
Bogomiles. La secte disparut finalement, probablement durant le XIIe siècle.
Petchenègues: Peuple nomade d'origine disputée qui quitta l'Asie Centrale pour le bassin de la Volga où il fit son
apparition au IXe siècle. Après des combats contre les Khazars et les Hongrois, les Petchenègues s'installèrent dans la
steppe entre le Don et le Danube. Les Byzantins les employèrent comme alliés et mercenaires, mais ceux-ci se

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retournèrent contre leurs employeurs. Le basileus Alexis les écrasa à la bataille du mont Lebounion en 1091 et Jean II
Comnène donna le coup de grâce en 1122. Au XIIIe siècle, ils disparurent en tant qu'entité indépendante.
Philippe Ier: Roi de France, (1052- Melun 3 août 1108), fils d'Henri Ier et d'Anne de Kiev. Il fut sacré en 1059 et
succéda à son père en 1060. Il se maria avec Berthe de Hollande, puis à Bertrade de Montfort, qu'il avait enlevé à son
mari, Foulque le Réchin, comte d'Anjou. Cela le mena en conflit avec l'Église, en plus de son opposition à la réforme
grégorienne et il fut excommunié, expliquant son absence de la croisade.
Pierre l'Ermite: (Mort en 1115), originaire de la Picardie, il était un ermite et un prédicateur errant échappant au
contrôle de la hiérarchie ecclésiastique. Après l'échec de la croisade " populaire ", il se rallia à la croisade des barons. Il
aurait, à son retour en Europe, fondé le monastère de Neufmoutier, près de Huy.
Raimond d'Aguilers: Raimond fut le chapelain du comte Raimond de Saint-Gilles et l'accompagna pendant la croisade.
L'auteur développa rapidement des préjugés contre les Byzantins, il était crédule et naïf, mais se montra plus intéressé
que les autres chroniqueurs par les pauvres pèlerins. Il commença à écrire en 1098 et termina probablement en 1099.
Raimond de Saint-Gilles, comte de ou Raymond IV: (Toulouse 1042- Mont Pèlerin 28 février 1105). Dès 1087, Raimond
combattait les Maures en Espagne. L'année suivante, il succéda à son frère Guillaume qui lui vendit le comté de Toulouse.
Il participa à la première croisade où il commandait une des quatre armées. Après la croisade, il commença à se tailler le
comté de Tripoli, mais il mourut pendant le siège de la ville de Tripoli.
Robert I de Flandres: ou Robert le Frison. Devint comte de Flandres après la mort de Baudouin VI en 1070 jusqu'à sa
mort en 1093. Il effectua un pèlerinage à Jérusalem (entre 1087 et 1090) et lors de son retour, rencontra le basileus
Alexis Comnène à qui il promit et envoya 500 cavaliers flamands.
Robert II de Flandres: Fils de Robert I le Frison. Il devint comte de Flandres en 1093, se croisa et dirigea un des
contingents de la première croisade. De retour en Occident, il mourut dans la Marne le 4 décembre 1111.
Robert de Normandie ou Courte-Heuse (Courte-Cuisse): (vers 1054-1134), fils aîné de Guillaume le Conquérant, il reçut
le duché de Normandie en 1087 tandis que son cadet, Guillaume le Roux, eut le royaume insulaire. Il se croisa et dirigea un
des contingents de croisés pendant l'expédition. Il revint en Occident après la prise de Jérusalem. Son troisième frère,
Henri Beauclerc, occupa le trône d'Angleterre lorsque Guillaume mourut pendant l'expédition de renfort en Asie Mineure
(2 août 1100). Henri s'empara de la Normandie en écrasant son frère Robert à la bataille de Tinchebray (28 septembre
1106) et l'emprisonna à Cardiff (Glamorgan). Robert mourut en prison en 1134.
Robert Guiscard: (vers 1015- 17 juillet 1085 à Céphalonie), fils de Tancrède de Hauteville, il rejoignit ses frères
Guillaume, Dreux et Onfroi en Calabre vers 1046. Ceux-ci étaient occupés à conquérir des terres pour leur propre
compte. Il se bâtit une principauté aux dépens des Byzantins et de la papauté, capturant même le pape Léon IX. Plus tard,
le pape Nicolas II l'appuya, lui concéda la Pouille, la Calabre et la Sicile qu'il devait conquérir des Byzantins et des
Sarrasins. Maître de sa conquête en 1072, Robert organisa le nouvel État normand et son frère Roger reçut le comté de
Sicile. Il porta même la guerre en Grèce et dans les Balkans en 1081, accompagné de son fils Bohémond. Il dut revenir en
Italie pour secourir le pape Grégoire VII au prise avec Henri IV (1084) et il mourut lors d'une nouvelle expédition en
Dalmatie.
Robert le Moine (ou de Reims): Robert était moine de Marmoutier, puis abbé de Saint-Rémi de Reims et, après une
dispute, se retira au prieuré de Serruc. Dans sa préface, il dit que ce fut à la requête de l'abbé de Marmoutier, Bernard
(mort en 1107), qu'il transcrivit, en comblant les lacunes et en la mettant sous une forme plus correcte, une histoire qui
omettait le Concile de Clermont. Ainsi, il dépendit étroitement du texte de l'Anonyme. Son ouvrage fut composé avant
1107. De plus, Robert était présent à Clermont.
Saint-Jacques-de-Compostelle: L'un des pèlerinages les plus fréquentés de la chrétienté occidentale était celui de
Compostelle auprès de la dépouille de saint Jacques le Majeur, qui aurait été déposée là miraculeusement. Ce pèlerinage
fut fréquenté dès le Xe siècle, et prit la première place parmi les pèlerinages autres que locaux à partir du XIe et
surtout au XIIe siècles.
Schisme de 1054: dit schisme d'Orient. C'était un conflit qui se solda par la séparation entre l'Église orientale et
l'Église romaine. Une première rupture eut lieu de 863 à 867 sous le patriarche Photios. La scission définitive se fit en
1054, lorsque le patriarche Keroularios excommunia le pape Léon IX après avoir été excommunié par lui. Ces mesures ont
été levées de part et d'autre en 1965, mais l'union n'a toujours pas été rétablie.
Seldjoukides ou Saldjuqides: Une dynastie turque nommée d'après un ancêtre appelé Seljuk. Lors de la grande migration
des Oghuz au XIe siècle, Seljuk quitta la région de la mer Aral vers l'ouest. Ses successeurs s'établir au Khorassan et
conquirent la Perse. Le petit-fils de Seljuk, Tughrul Beg, devint sultan de Baghdad, devenue la capitale de l'État seljuk.
Son successeur Alp Arslan battit l'armée byzantine à Mantzikert en 1071 et établit le sultanat de Roum à Nicée.
Tancrède: Neveu de Bohémond de Tarente, (1075- Antioche 12 décembre 1112), il fut le commandant adjoint de l'armée
de son oncle lors de la croisade. Il tenta de fonder un comté en Cilicie pendant la marche anatolienne et participa aux
prises d'Antioche et de Jérusalem. Il devint prince de Galilée en 1099 et assura la régence d'Antioche lors de la
captivité, chez les Turcs, de son oncle. Lors du départ de ce dernier pour l'Occident en 1104, il redevint régent de la
principauté jusqu'à sa mort.
Tatikios: (1057- 1099), fils d'un Sarrasin, probablement d'un Turc. En 1078, il combattit aux côtés d'Alexis Comnène
contre Nicéphore Basilakès. Il commanda des forces byzantines contre les Normands en 1081 et dirigea des expéditions
contre les Turcs et les Petchénègues entre 1086 et 1094. Il accompagna les croisés lors de la première croisade,
participa aux sièges de Nicée et d'Antioche, et ce fut au courant de ce dernier qu'il fut forcé de se retirer en février

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1098. Il fut mentionné pour la dernière fois comme commandant naval contre des maraudeurs pisans en 1099. Il était
entièrement dévoué au basileus Alexis.
Theodore Skutariotes: Né en 1230, il était un fonctionnaire ecclésiastique et métropolitain de Kyzikos (Balkiz actuel
près d'Erdek, sur la côte sud de la mer de Marmara) de 1277 à 1282. Il fut ambassadeur à Rome en 1277 et déposé de
son siège en 1282. Il est l'auteur d'une chronique anonyme préservée à Venise et copiée par Jean Argyropoulos. Cette
chronique est une histoire de la Création à 1261.
Thoros: Il commença sa carrière comme fonctionnaire byzantin, puis devint un des principaux lieutenants de l'Arménien
Philarète, qui avait dirigé la région englobant la Cilicie jusqu'à Édesse entre 1078 et 1085. Thoros avait repris Édesse des
Turcs en 1094 et la tenait comme fief du sultan seldjoukide.
Urbain II: (Bienheureux), Eudes de Châtillon (vers 1042- 29 juillet 1099). Élève à Reims, archidiacre d'Auxerre, puis
moine à Cluny (1070). Grégoire VII le fit venir à Rome. Cardinal évêque d'Ostie (1078), légat en France et en Allemagne, il
y poussa la réforme grégorienne et présida plusieurs conciles. Élu pape en mars 1088, il affronta le schisme impérial, dont
il triompha avec l'aide de Conrad, fils d'Henri IV. Il poursuivit la réforme de GrégoireVII, multiplia les condamnations
contre les investitures laïques et la simonie. Présida le concile de Clermont où il y prêcha la croisade, vue comme un moyen
d'unifier la chrétienté occidentale sous l'autorité pontificale.
Victor III: (Bienheureux), Desiderio da Montecassino, (Bénévent v. 1027- Mont Cassin 1087), élu pape en 1086 et sacré
en 1087. Il poursuivit l'oeuvre réformatrice de Grégoire VII.

Références:

ANONYME, traduit par Louis Bréhier. Histoire anonyme de la première Croisade . Paris, Les Belles Lettres, 1964 (1924).
Encyclopédie de l'Islam. S.l., E. J. Brill, Leiden, 1986. (Nouvelle édition).
FAVIER, Jean. Dictionnaire de la France médiévale. Paris, Fayard, 1993. 982p. .
GABRIELI, Francesco. Chroniques arabes des Croisades. Paris, Sindbad, 1977.
KAZHDAN, Alexander, sous la dir. . The Oxford Dictionary of Byzantium. Oxford, Oxford University Press, 1991. 3 vol.,
2232p. .
KEVIN, Paul, éd. par. Encyclopedic Dictionary of Religion . Washington, Corpus Publications, 1979. 3 vol., 3815 p. .
OUSÂMA, ibn Mounquidh, traduit par André Miquel. Ousâma. Un prince syrien face aux croisés . Paris, Fayard, 1986. 196
p.
RILEY-SMITH, Jonathan and Louise. The Crusades. Idea and Reality, 1095-1274. London, Edward Arnold Publishers Ltd,
coll. &laqno; Documents of Medieval History », 1981.
RILEY-SMITH, Jonathan, traduit par Camille Cantoni. Atlas des croisades. Paris, Éditions Autrement, 1996. 192p. .
ULYSSE Chevalier. Répertoire des sources historiques du Moyen Age. New York, Krauss Reprint, 1960. 2 vol., 4831 p.

La deuxième croisade (1147-1149)

La deuxième croisade fut provoquée par la chute d'Edesse en 1144, qui décida le pape Eugène III à proclamer la croisade
à la fin 1145, début 1146, Saint Bernard de Clairvaux prit une part prédominante à la prédication de cette croisade. Ce
n'est qu'en 1147 que le roi de France Louis VII prit la croix à Vézelay, l'empereur germanique Conrad III à Spire.
L'armée de Conrad partit pour Jérusalem de Nuremberg, en Allemagne, en mai 1147. Les forces françaises suivirent un
mois plus tard. Leurs deux armées descendirent le Danube, atteignirent Constantinople où l'empereur grec, Manuel
Comnène, les accueillit bien, main en leur demandant de prendre les mêmes engagements que les croisés de 1096. Il avait
lui-même conclu la paix avec les Turcs d'Asie Mineure, Ceux-ci refoulèrent l'armée de Conrad III après lui avoir fait
subir de grosses pertes : près de Dorylée, en Anatolie, les Allemands furent mis en déroute dans une embuscade turque
et, démoralisés et apeurés, la plupart des soldats et des pèlerins firent demi-tour; L’armée de Louis VII, qui suivait la
côte, parvint à se frayer un chemin jusqu’à Adalia, où le roi pût embarquer son corps de bataille pour Antioche (Turquie),
mais où les pèlerins restés en arrière eurent beaucoup à souffrir. Au lieu de lutter, comme le demandait le prince
d’Antioche, contre l’atabeg d’Alep qui avait pris Edesse, les deux souverains gagnèrent Jérusalem et mirent le siège
devant Damas (1148). De concert avec le roi Baudouin III de Jérusalem et ses chevaliers, les croisés décidèrent
d'attaquer la ville en juillet. L'expédition ne réussit toutefois pas à prendre la cité et, peu après cet échec, le roi de
France et le reste de son armée rentrèrent chez eux où l’échec de la croisade suscita de profonds remous. Toutefois, les
croisés qui avaient suivi la route maritime, avaient aidé les portugais à s’emparer de Lisbonne.

À partir de 1165, il devient évident que, sans l’arrivée de nouveaux secours, l’Orient latin ne pourrait supporter la
pression de l’État musulman qui s’était constitué en Syrie et s’étendit bientôt à l’Égypte. Le pape Alexandre III lança
alors des appels à la croisade, qui devaient être renouvelés par ses successeurs, mais avec un résultat très limité. ce sont

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seulement la destruction de l’armée du roi de Jérusalem par Salah al-Din Yusuf et la chute de la ville sainte en 1187 qui,
provoquant une émotion considérable en Occident, rendirent possible une nouvelle croisade.

Chronologie de la deuxième croisade

1146 - Cette même année on raconte en Europe, les malheurs d'Edesse et la cruauté des sanguinaires islamistes. Bernard
de Clairvaux qui a décidé de passer Noël avec l'empereur Conrad III dans la cathédrale de SPIRE (Speyer) lance des
appels pressants à la croisade.
Devant la diète de Spire il fait comprendre à l'empereur allemand de ne pas laisser tous les honneurs aux français et
l'engage à se joindre à Louis VII pour punir ceux qui égorgent les chrétiens.
1147 - Dès le printemps 1147 l'allemand Conrad et Louis, roi de France décident chacun séparément de traverser le
Bosphore. Tandis que la reine Aliénor est toute éblouie de découvrir Byzance, les charmes de l'Orient et de retrouver
son oncle : Roger de Poitiers, prince d'Antioche, qui l'accueille à sa cour.
C'est donc une très belle assemblée de princes et de nobles qui ont répondu aux appels de leur rois :
(Côté français) : Henri comte de Champagne, Alphonse Jourdain comte de Toulouse, Thierry comte de Flandre, Robert
comte de Perche et frère du roi...
(Côté allemand) : l'évêque de Freisingen le demi-frère de l'empereur, Frédéric de Souabe, le neveu de Conrad et futur
Barberousse, Henri Duc d'Autriche, Welf duc de Souabe, Hermann margrave de Bade, les évêques de Toul et Metz,
Guillaume marquis de Montferrat...
On aurait pu croire que tous ces rutilants et nobles chevaliers étaient venus pour venger l'affront d'Edesse et reprendre
la ville martyr, non, après bien des palabres l'armée allemande se mit d'accord pour attaquer Damas. Or Damas était
justement la ville gouvernée par Moinud din OUNAR le vieux renard qui avait tant exaspéré le valeureux Zengî ! Déjà tous
les puits de la région avaient été comblés de pierres, les fortifications renforcées jusque dans leurs fondements, les
fossés nettoyés pour augmenter le sommet des murs ... Les turcs furent d'ailleurs très satisfaits du choix des francs qui
punissait le traître OUNAR, ancien collaborateur des francs !

Même si l'on a jamais pu vérifier le nombre exact de croisés enrôlés dans la seconde croisade, certains historiens
avancèrent le chiffre de 100 000 croisés ! Même si nous en admettons la moitié, le désastre est encore énorme !... Car le
résultat ne se fit pas attendre. Le 26 Octobre les hommes et les chevaux de Conrad III complètement épuisés,
assoiffés, harcelés par les musulmans ont déjà perdus les neuf dixièmes de leurs effectifs. Conrad se replie sur
Jérusalem, tandis que de rares rescapés du désastre se réfugient vers Nicée sous la protection de l'armée française.
Quant aux hommes de Louis VII après être arrivés au port d'Adalia les hommes furent transportés par petits groupes
vers Antioche. Mais devant le manque de vaisseaux beaucoup d'hommes furent attaqués par des navires musulmans et les
plus pauvres furent exterminés.
Restait l'armée des chevaliers et barons qui aurait pu facilement prendre Alep, mais le manque de décision de Louis VII,
les allusions douteuses des barons entre l'oncle et la nièce finirent par saper le moral de Louis qui devint aigre, jaloux et
agressif vis à vis d'Eléonore. Une nuit, Louis enleva de force la reine d'Antioche et fit route sur Jérusalem pour
rejoindre Conrad.

1148 - A cela s'ajoute un autre incident, la mort (trop) subite du comte Alphonse Jourdain de Toulouse, fils du comte
Raymond de St Gilles à Césarée. Les soupçons se portèrent immédiatement sur le comte Raymond II de Tripoli. Personne
ne put apporter de preuves, mais la noblesse provençale refusa de se rendre à Jérusalem.

Louis VII était venu pour libérer Jérusalem et les lieux saints, or il se rendit compte très rapidement que tout le monde
en réalité n'aspirait qu'à agrandir les conquêtes de la noblesse locale !...
1148 - Toutefois après bien des réunions, un deuxième siège de Damas fut décidé. L'expédition commencée le 24 juillet
se termina après un siège de quatre jours ! Ounar avait encore fait des siennes en menaçant les soldats de Jérusalem de
donner sa ville à Nouraldin et en versant des pots de vins aux francs de la région.
Des bruits circulant sur des mouvements des armées des deux fils de Zenkî, finirent par convaincre les protecteurs
permanents de la Terre Sainte de lâcher d'urgence Damas, et c'est complètement écoeurés que les deux grands rois
d'Europe rentrèrent à Jérusalem complètement déçus et vexés afin de s'embarquer pour l'Europe.
1149 - Après le départ des survivants de la deuxième croisade, Raymond de Poitiers, prince d'Antioche décida avec
seulement 400 chevaliers et mille fantassins d'attaquer Nur al Din. Il fut rapidement encerclé près de Fons Murez et
ordonna la bataille jusqu'au dernier homme ! Ce qui se réalisa, puisqu'il en perdit même la tête, qu'on décapita le 29 juin
1149 pour l'envoyer momifiée dans un coffret d'argent au calife de Bagdad, selon la coutume.

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C'est dans cette même bataille que périt également Renaud de Marash, seigneur de Kaïsun, vassal et gendre de Jocelin
II.
1149 - Mort de Saïf al Din Ghazi - (frère de Nur al Din) et Qutb al din MAWDOUD le remplace comme atabek de
Mossoul.
1150 - Le vieux Moinud din OUNAR meurt de dysenterie, le jeune ABAQ descendant de Tughtekin le remplace à DAMAS,
il a 16 ans .
1150 - Mai, Jocelin II qui s'est tant réjoui de la défaite de son Rival d'Antioche tombe à son tour dans une embuscade.
Prisonnier on l'enchaîne pour l'emmener à Alep et comme il refuse d'abjurer le christianisme : on lui crève les yeux. Puis
on le jettera en prison où il mourra au bout de neuf années ! Béatrix, son épouse finit par vendre ses terres aux grecs
contre de l'or et une riche pension. Heureusement pour elle, car un an plus tard Nur al Din annexa le comté d'Edesse qui
désormais appartenait au passé !
- cette même année Nur al Din est à nouveau devant Damas. ABAQ demande à nouveau l'aide des francs qui accourent
sous la conduite de Baudouin III et chassent l'armée de Nur al-Din.
1152 - Le jeune roi Baudouin III de 22 ans décide de gouverner seul et demande à Mélisande sa mère de se retirer. Elle
refuse et une véritable bataille entre chevaliers a lieu à Jérusalem entre deux camps chrétiens. Côté de la reine-mère :
le Patriarche et le clergé qui se veulent reconnaissants pour les grands dons et financements d'Eglises ; du côté de
Baudouin : la majorité des barons et de la population qui a ouvert au roi les portes de Jérusalem. La reine Mélisande finit
par abdiquer et se retira à Naplouse avec AMAURY, son second fils alors âgé de 17 ans qui avait pris son parti. Amaury
épousa ensuite Agnès (fille de Jocelin II) et veuve du regretté Renaud de Marash mort aux côtés de Raymond de
Poitiers.
BAUDOUIN III se retrouva donc tout à la fois Roi de Jérusalem et Régent d'Antioche et de Tripoli :
Antioche étant alors administré par la princesse Constance et le patriarche Aimery de Limoges)
Quelques mois plus tard un membre de la secte des assassins poignardait Raymond II (fils de Pons) comte de Tripoli. Son
fils Raymond III n'ayant que 12 ans, Baudouin devint co-régent avec la veuve Hodierne (soeur de Mélisende), ainsi que
protecteur du comté et tuteur du petit Raymond.
1153 - La princesse veuve Constance (mère de quatre enfants) se remarie avec un chevalier de modeste conditions :
RENAUD de Châtillon qu'elle s'est choisie. Stupeur dans la noblesse et consternation du conseiller patriarche Aimery qui
ne se gène pas de mépriser hautement le nouveau prince d'Antioche. Renaud le fit fouetter jusqu'au sang et exposer au
soleil et aux insectes tout enduit de miel, avant de le jeter en prison. Il fallut l'intervention du roi Baudouin pour le faire
libérer et replacer dans ses fonctions. A peine libéré le patriarche préféra s'enfuir à Jérusalem.
1153 - Malgré l'appui des égyptiens, Ascalon se rend aux francs en Août.
1153 - Nur al Din change de tactique et décide de se montrer bienveillant vis à vis des chrétiens soumis à L'Islam et des
souches modestes de la population. Dans ces perspectives il envoie à Damas YOUSSEF, le père de Saladin, pour qu'il
arrive à créer un courant de sympathie favorable à Nur al Din, en s'infiltrant dans les couches populaires.
1154 - Après de fausses rumeurs : de complots, détournement des approvisionnements de céréales avant leurs entrées
en ville, les prix alimentaires commencent à flamber dans Damas. Le 18 avril Nur al Din arrive devant Damas et le 25 Avril
la prend lors de l'assaut final. Magnanime, Nur al Din laisse Abaq et ses compagnons s'enfuir avec leurs biens pour se
réfugier dans la forteresse d'Homs.
1156 - L'irréductible et arrogant RENAUD de Châtillon prétextant le refus de paiement d'une somme due par Manuel
Comnène envahit l'île de Chypre (appartenant à Byzance) et massacre la population, laisse violer les femmes, puis il fait
couper le nez aux prêtres chypriotes et les renvoie devant l'empereur byzantin. Pour éviter la riposte de l'armée de
Manuel, Renaud désorienté viendra en 1158 implorer son pardon public, à genoux.
1157 - En juin importante défaite de l'armée de Jérusalem devant Panéas, Même si Baudouin a pu échapper par miracle,
la plupart des chevaliers sont faits prisonniers et nombreux sont ceux qui furent décapités. Deux mois plus tard un
terrible tremblement de terre fera des milliers de victimes en particulier à Hama et Chaysar.
1157 - En octobre Nur al-din Mahmoud tombe subitement malade, il restera pendant plus d'un an entre la vie et la mort.
Il passera sa convalescence à étudier le Coran pour se rapprocher d'Allah.
1158 - Baudouin III et le comte de flandre Thierry d'Alsace remportent à Buthaba (Nord-Est du lac de Tibériade) une
victoire sur l'armée de Nur al-Din toujours alité.
- en septembre Baudouin III épouse Théodora Comnène, une belle enfant de treize ans qui est la nièce de l'empereur de
Byzance : Manuel Comnène.
1159 - Après avoir marié sa nièce avec Baudouin III, fait la paix avec son ex-rival Thoros II d'Arménie, l'empereur
Manuel Comnène de Byzance vient en Syrie pour assiéger la ville d'Alep.
Nur al-Din encore assez faible physiquement lui envoie ses ambassadeurs pour trouver un compromis. Alors que Manuel
Comnène aurait facilement pu prendre ALEP avec ses trois armées, il préféra négocier la levée du siège uniquement
contre la libération des 6 000 prisonniers francs détenus depuis des années dans les prisons d'Alep, dont faisaient partie
Bertrand de Blancafort (Grand Maître des templiers), Bertrand (le fils d'Alphonse Jourdain) et de nombreux croisés
allemands venus avec Conrad III qui n'attendaient qu'une chose : pouvoir enfin retourner chez eux..
1160 - Pendant une opération de pillage le brutal Renaud de Châtillon est capturé par les soldats de Nur al-Din et passera
16 années de sa vie en prison avant de retrouver sa liberté. Aimery de Limoges est très heureux de retrouver son
patriarcat d'Antioche. Baudouin est à nouveau nommé régent pendant la minorité de Bohémond III.

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1161 - L'empereur Manuel décide soudainement de rompre les fiançailles avec Mélisende, soeur de Raymond III, comte
de Tripoli. En vue de la dot de Mélisende le comte avait fait construire 12 navires/galères. Mais puisque Manuel préféra
MARIE soeur du prince d'Antioche, Raymond III utilisera alors ses navires pour mettre à nouveau à sac, la malheureuse
île de Chypre. Le mariage sera célébré en grandes fastes, le 25 décembre à Constantinople tandis que la pauvre Mélisende
qui est entrée au couvent se laissera lentement dépérir par désespoir.
Pendant ce temps l'empereur Manuel Comnène étendait ses droits sur Antioche qui pour un siècle seulement, allait encore
échapper à la tutelle musulmane.

1162 - Le 10 février mort du roi Baudouin III à l'âge de trente deux ans. La reine THEDORA, sans enfant et veuve à 18
ans se retire à St Jean d'Acre.
Le meilleur prétendant au trône étant AMAURY le frère de Baudouin les barons lui ordonnèrent de répudier Agnès de
Courtenay qu'ils ne désiraient pas voir régner. Comme d'habitude on invoqua le motif de consanguinité et le divorce fut
légitimé. En réalité beaucoup de gens étaient persuadés qu'au travers d'Agnès c'était plutôt Jocelin III que l'on voulait
écarter du pouvoir.
Ce qui n'empêcha pas Amaury de légitimer ses deux enfants qu'Agnès lui avait donné : Baudouin et Sybille. Baudouin reçut
un précepteur et Sybille fut confiée à sa grande tante Yvette - abbesse du couvent de Béthanie. Quant à Agnès elle se
remaria avec le baron Hugues d'Ibelin. Amaury 1er fut donc sacré Roi de Jérusalem le 18 février 1162.
1163 - Sanglante révolution de palais au Caire - le vizir CHAWAR s'empare du pouvoir pour neuf mois seulement.
Renversé par son lieutenant DIRGHAM, il s'empresse d'aller demander le secours de Nur al Din en Syrie. Pendant ce
temps Amaury vient assiéger la ville de Bilbéis en Egypte. Mais oubliant qu'en juillet et août se produisent les annuelles
inondations du Nil, les égyptiens en profitèrent pour faire sauter quelques digues sur les canaux du Nil qui embourbèrent
complètement l'armée franque, laquelle se retira très humiliée.
1164 - Avec l'accord de Nur al-Din, SHIRKOUH, (oncle de Saladin) monte une expédition sur l'Egypte. Le 24 avril il
s'empare de Bilbeis et arrive au Caire le 1er mai où il liquide définitivement Dirgham. Chawâr à peine réinstallé par le
calife al-Adid de treize ans, oublie toutes ses promesses de tribut et de soumission faites à Nur al Din et essaie en vain
d'obtenir le retour de Chirkouh en Syrie. N'y parvenant pas, Chawâr demande l'aide d'Amaury.
Devant l'avancée des francs, Chirkouh (Shirkùh) s'enferme dans la ville de Bilbeis. Le siège semble désespéré lorsque
soudain Nur al Din avec l'aide de plusieurs émirs attaque la puissante forteresse franque d' HARIM près d'Antioche.
1164 - Le 11 août : grave défaite de l'armée franque à HARIM, malgré la mobilisation générale de tous les seigneurs
restés en Palestine. Selon Ibn al- Athir dix mille francs restèrent sur le champ de bataille, parmi les prisonniers figurent
Raymond III, Jocelin III et le jeune Bohémond III qui a succédé au prince Renaud prisonnier.
Un compromis est trouvé à Bilbéis entre Amaury et Chirkouh : chaque armée rentrera séparément dans son pays. Le
perfide Chawâr installé pour deux années va même jusqu'à conclure un traité de secours avec l'armée d'Amaury. Nur al
Din s'inquiète de ce traité et autorise (enfin) Chirkouh à monter une nouvelle expédition.
1167 - Début janvier, Chirkouh arrive en Egypte avec ses hommes d'élites dont Saladin son neveu fait partie. Il traverse
le Nil et va se poster derrière ses adversaires, près des pyramides de Guizèh. Chawâr avec l'appui de l'armée franque
accepte la bataille près d'El Babein le 18 mars. Malgré une première défaite des francs, Amaury arrive à rejoindre le
gros de ses troupes au Caire.
C'est là qu'une nouvelle incroyable lui parvient Chirkouh s'est emparé d'Alexandrie où il a fait une entrée triomphale.
Amaury entame alors le siège qui durera jusqu'en Août. Un jour il recevra une lettre du général kurde qui lui démontre
l'absurdité de la situation qui ne peut profiter qu'à Chawâr. Comme il y a trois ans les deux armées rentrent chacune chez
elle.
1168 - Chawâr avait promis de payer aux francs l'énorme somme de 100 000 dinars tous les ans. A cause du poids
insupportable de cet impôt les paysans égyptiens se révoltent. En octobre encouragé par l'arrivée de nouveaux croisés,
Amaury s'empare de Bilbeis et sans motif massacre tous les habitants, femmes et enfants musulmans, mais aussi les
chrétiens coptes, pendant que l'immonde Chawâr ordonne de brûler les vieux quartiers du Caire en les arrosant de
naphte.
L'incendie durera 54 jours ! Cette fois c'est le Calife du Caire qui écrit personnellement à Nur al Din pour lui demander
son aide contre son infâme vizir..
1169 - Alors que les francs sont rentrés en Palestine le 2 janvier, six jours plus tard l'armée syrienne entre au Caire. Le
18 janvier Saladin exécute lui-même le traître Chawâr sur ordre du calife. Hélas le 23 mars le valeureux Chirkouh meurt
après un repas (!) Le calife nomme alors SALADIN comme grand Vizir de l'Egypte.
En 0ctobre Saladin repousse la cinquième et dernière tentative d'Amaury qui malgré le soutien de la flotte byzantine
n'arrivera pas à prendre la ville de Damiette. Salah el-Din (Saladin) s'affirme comme le nouveau maître absolu de
l'Egypte. Ce qui commence par inquiéter Nur al Din qui se demande si Saladin est encore son fidèle vassal ?

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1170 - Un nouveau grand tremblement de terre secoue la Syrie du Nord, Nur al Din prend le contrôle de Mossoul.
1171 - En septembre le jeune calife du Caire tombe malade et meurt. C'est la fin du califat fatimide. L'Egypte est
officiellement intégrée dans l'orthodoxie sunnite.
1173 - rupture entre Saladin et Nur al-Din. Les templiers tendent une embuscade à une délégation d'assassins qui
voulaient rencontrer le roi Amaury. Le roi de Jérusalem se fâche contre cet Ordre (les templiers) qui ne lui obéit pas et
songe à livrer ces chevaliers rebelles aux musulmans lors d'une bataille. Mais sa mort prochaine l'en empêchera !
1173 - Mort de Youssef le père de Saladin.
1174 - Alors qu'il projetait d'envahir l'Egypte, NUR al Din Mahmoud décède le 15 mai à l'âge de 60 ans, il laisse en
principe ses Etats à son fils " Malik al Salih Ismaël " âgé d'onze ans !
Mort le 11 juillet d’Amaury 1er d'une dysenterie à l'âge de 39 ans. Son fils BAUDOUIN IV le jeune roi lépreux de 13 ans
lui succéda. Phénomène unique : un enfant en bas âge soumet sous son autorité les vieux comtes et barons alors que dès
qu'il prend le pouvoir il est déjà atteint d'une maladie considérée comme contagieuse, incurable et impure pour l'époque !
A noter le courage et la foi extrême du jeune roi qui ne se laissant pas attendrir par la pitié qu'il provoque, donnera ses
dernières forces pour défendre son royaume.

Nur al-Din était arrivé à imposer par la force à ses guerriers l'application de lois islamiques (comme la suppression de
l'alcool) ne toléra les autres religions (juives, chrétienne, orthodoxe, ou même musulmane schiite) qu'à la condition que
ceux qui résident dans ses Etats, respectent son autorité sans troubler l'ordre, la paix et la pratique de la religion
musulmane sunnite.
Lorsque Saladin prit le pouvoir c'est tout un ESPRIT NOUVEAU qui surgit dans l'armée et va se refléter même dans les
actes de ses conseillers obéissants. Saladin considère tout homme ou toute femme et enfants comme des créatures du
Dieu Souverain qui méritent aide, logement et droit de vivre. Par contre il hait la lâcheté, les brutalités, le parjure et la
violence gratuite.
Saladin a indiscutablement lu et relu le Coran qui apparaît pour lui, non comme un livre de justice terrestre, (mais comme
l'esprit et la pensée du prophète Muhammad) c'est à dire : la voie royale qui mène à Dieu et au paradis par l'abnégation
de soit, l'esprit d'humilité et de pauvreté. Enfin surtout par l'esprit de TOLERANCE vis à vis de ceux qui n'ont pas la
même couleur de peau, le même niveau de vie ou la même religion; et qui également recherchent la PAIX et le respect de
la vie.
N'écartant pas les règles de l'honneur et de la parole donnée, sa sensibilité trouve ses racines dans l'émerveillement de
la nature et le besoin de protéger tout ce qui lui parait faible et fragile. Grand, il reste humble, riche il vit comme si rien
ne lui appartenait. Miséricordieux, il essaie de résoudre les problèmes des petites gens (mêmes étrangers) qui viennent
solliciter son aide.
Saladin aurait pu vivre dans le plaisir et la richesse, il refusa les somptueux palais comme celui du grand calife du Caire,
et se contenta de vivre dans un entourage où disait' il rien ne lui appartenait, pas même le linceul de sa mort qu'un ami lui
procura.
Lorsqu'il reprit Jérusalem le 2 octobre 1187 il demanda à ses conseillers s'il pouvait être délié de son serment de
prendre la ville par l'épée et surtout de sa promesse de tuer tous les prisonniers francs restés dans Jérusalem au
moment de sa reddition, en représailles des 3000 musulmans assassinés à Acre par Richard Coeur de Lion ?
Ils nuancèrent leur réponse affirmative en insistant pour obtenir au moins une petite rançon par tête libérée. Elle fut
fixée à dix dinars pour les hommes, cinq pour les femmes et un dinar par enfant. Le gouverneur Ballian de la ville insista
pour négocier et ramener à 30 000 dinars la rançon de 7 000 hommes de modeste conditions ! Malgré la fureur des
trésoriers, Saladin accepta. (nous verrons plus tard comment Saladin a libéré la ville des francs sans violences et sans
meurtre...)
Et Saladin laissa sortir 1 000, puis 700, puis tous les pauvres gratuitement et leur rendit la liberté. Quant aux veuves,
malades et orphelins c'est lui qui leur donna à manger et leur fit des cadeaux au grand désespoir des trésoriers dont les
caisses de l'Etat avec de telles méthodes étaient le plus souvent vides.
Même le Patriarche sortira avec un chariot plein d'or et d'objets du culte, avec sa grande richesse personnelle en payant
10 dinars
Saladin expliqua à ses hommes : On ne pourra pas nous accuser d'avoir trahi nos promesses, bien au contraire les
chrétiens raconteront en tous lieux les bienfaits dont ils ont profités. Il se trompa, car ce Patriarche sera son pire
diffamateur en Europe.
Saladin est un peu comme l'étaient les vrais chevaliers du Moyen-Age qui ont promis d'utiliser leur épée pour défendre la
justice, les pauvres, la veuve et l'orphelin partout où ils sont exploités et maltraités. Certes la plupart des chevaliers
plaideront qu'ils n'ont fait qu'obéir aux ordres de leurs supérieurs, ce qui apparemment les dispense de leur serment et
les oblige à faire des guerres où ils ont risqué leur vie sans y trouver d'intérêts personnels.
Certains diront : oui mais Louis IX (canonisé ultérieurement) a également mené une vie de sainteté et de prières. Certes
sans vouloir rien enlever à son mérite personnel, c'est plutôt son attitude de chef d'Etat qui laisse à désirer :

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* Acharnement contre de prétendus hérétiques (vaudois et cathares) qui furent exterminés, le comté de Toulouse annexé
à la couronne de France dans des conditions dignes de l'inquisition.
* Manque de coordination dans ses croisades, Louis n'accepta ni l'aide du pape, ni celles d'autres pays
* Malheureuse campagne d'Egypte imposée par les barons, sac de Damiette, massacre de Mansourah...
* Manque d'autorité et de diplomatie, lorsqu'on lui a proposé de régner sur l'Egypte, et ses pays vassaux comme la
Palestine, le Liban et la Syrie !
* Énorme rançon payée par le petit contribuable de France,
* Cession spontanée de territoires français aux anglais
* Et confiance abusive en son frère Charles d'Anjou qui en faisant valoir ses intérêts personnels en Sicile, entraîna son
frère Louis IX dans une croisade contre les musulmans en Tunisie où l'armée fut décimée par la peste !
Au fond peu de chrétiens ont réellement lu le CORAN, qui relate d'abord toute l'Histoire de la BIBLE : la Genèse, la vie
des Patriarches, l'histoire de Joseph, Moïse, David, Jonas, Elie, ainsi que la vie de Marie, de Jésus et des apôtres... De
même peu de musulmans examinent objectivement la Bible et l'Evangile qui sont des livres complémentaires l'un de
l'autre parce qu'ils nous montrent le seul chemin qui mène à Dieu quelque soit le nom de la religion.
C'est bien ce même esprit que confirmera le rabbin Hillel Grand Maître religieux de Jérusalem (qui vécut sous le règne
d'Hérode le Grand) Ce maître enseignait à ses jeunes élèves " les futurs docteurs de la LOI sacrée" que toute la Bible se
résume en deux phrases
" Observe les dix commandements de Dieu et ne fait pas aux autres ce que tu ne veux pas qu'on te fasse à TOI "

Ce à quoi Jésus de Nazareth cinquante ans plus tard ajoutait : ces deux commandements résument la loi et
l'enseignement des prophètes, mais il y ajouta cette promesse : " FAIS CELA et TU vivras " (éternellement)
Autrement dit : peu importe l'étiquette que tu portes (juif, bouddhiste, musulman ou chrétiens de toutes appellations) "
Observe ces deux commandements et Dieu te donnera la vie éternelle. "

1174 - Pendant la minorité du jeune roi lépreux BAUDOUIN IV, l'ignoble régent de Jérusalem Millon de Plancy se fait
poignarder en pleine rue. Raymond III, comte de Tripoli, libéré il y a deux ans des prisons d'Alep, devient alors le régent
de Jérusalem.
1174 - En décembre Saladin qui a mis le siège devant Alep, fait marche arrière et le lève pour éviter de faire mourir des
concitoyens. Le jeune As-Salih entre pacifiquement dans Damas, Homs et Hama.
1175 - Les conseillers de l'enfant As-Salih Ismaël (roi d'Alep) font appel aux services des " assassins " commandés par
Rachide din-Sinan qui est heureux d'envoyer deux émissaires dans le camp de Saladin, mais ils sont vite reconnus et
massacrés. Un an plus tard trois autres bâtinis arrivent à pénétrer avec leurs poignards jusqu'à la tente du sultan qui
heureusement s'est " protégé de toiles de mailles. " Youssef est lui-même étonné d'être encore en vie, après ce triple
assaut.
- Le cousin du petit As-Salih Ismaël attaque Saladin avec l'aide des troupes d'Alep et se fait battre par lui à Qurun
Hama le 23 Avril,
- mi-mai le régent de Jérusalem (Raymond III) conclu une trêve avec Saladin et obtient de lui la libération de nombreux
prisonniers francs.
1176 - Libération de Renaud de Châtillon, qui épousera en 1177 Stéphanie de Milly châtelaine du Krak de Moab,
forteresse des templiers.. Manuel Comnène subit une importante défaite à Myrioképhalon. Recul de l'hégémonie
byzantine.
1177 - Mars, le jeune roi lépreux Baudouin IV favorise l'union de sa soeur Sibylle avec le fils du marquis de Montferrat
"Guillaume III" qui hélas mourut trois mois après le mariage, atteint du paludisme, laissant sur Terre sa jeune épouse
enceinte d'un futur garçon.
- 25 novembre, victoire des francs à Montgisard près d'Ascalon sur l'armée de Saladin qui se sauve de justesse au
travers des sables du désert.
1179 - Première défaite des francs de l'année et mort du connétable ONFROI de Toron qui fut général en chef de trois
rois de Jérusalem.
- le 10 juin deuxième défaite des francs dans la plaine de Marij'Ayûn où le grand maître des templiers EUDES de saint-
Amand, responsable du désastre est capturé par les musulmans.
Baudouin déjà fortement défiguré par la lèpre demanda une trêve à Saladin qui l'a lui accorda.
- mariage de Sibylle (soeur du roi lépreux) avec Guy de Lusignan qui reçut Jaffa, Ascalon et un titre de comte. Tandis que
l'autre demi-soeur Isabelle épousa Onfroi IV de Toron âgé de 14 ans.
1180 - Mort de l'empereur byzantin Manuel Comnène dont l'armée fut décimée en 1176 dans un défilé, par les soldats de
Kilidj-Arslân II.
1181 - Mort subite du jeune roi syrien As-Salih Ismaël, probablement empoisonné. Saladin est désormais le seul chef
musulman de Syrie et d'Egypte.

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1180 - La belle mais impopulaire Marie d'Antioche assure la régence à Byzance dès la mort de son époux Manuel Comnène.
En 1182 Andronic s'empare du pouvoir en écrasant une révolte italienne où 50 000 colons italiens (!) seront massacrés par
l'armée. La foule qui ne lui a jamais pardonné son geste, le lynchera en 1185 sur la place publique.
1181 - Au mépris de la trêve de 1179 conclue avec les francs, le prince pillard d'Antioche Renaud de Châtillon s'engage sur
la route de Médine pour piller et assassiner des caravanes de pèlerins et de marchands. Il projette même d'aller jusqu'à
la Mecque pour détruire le lieu sacré de l'Islam, où selon le Coran chaque musulman a l'obligation de se rendre au moins
une fois dans sa vie, en pèlerinage.
- Saladin se fâche et rompt la trêve en attaquant le Krak des chevaliers de Moab. Le pauvre Baudouin couché sur une
litière veut absolument mener lui-même ses troupes contre Saladin et de son neveu Farruk Shah.
1183 - Le 18 Juin Saladin fait son entrée solennelle dans Alep
1183 - Le 20 novembre Baudouin IV abdique et fait nommer comme Roi de Jérusalem son neveu le petit Baudouin V, fils du
défunt Guillaume III de Montferrat et de Sibylle (remariée Lusignan). L'enfant a juste 5 ans ! Quant au pauvre Baudouin
IV il est pratiquement aveugle et paralysé, il mourra en mars 1185. Le régent restera Raymond de Tripoli.
1185 - Révolte à Constantinople - Isaac Ange succède à Andronic Comnène comme empereur d'Orient.
Saladin tente de s'emparer de Mossoul
1185 - Nouvelle trêve de quatre années conclue entre Saladin et Raymond III
1186 - Décès à Acre du roi-enfant : Baudouin V - Destitution du Régent
- en septembre à Jérusalem, couronnement discret de Sybille et du nouveau Roi Guy de Lusignan par le Patriarche
Héraclius.
- Déçu et outré l'ex-régent Raymond III fait alliance avec Saladin.
- fin 1186, Renaud de Chatillon enlève la caravane de Damas qui se rendait au Caire. Il fait main basse sur un énorme butin
et jette les voyageurs en prison. Saladin exigea la restitution des biens à Guy, roi de Jérusalem, qui implora en vain le
brigand à l'obéissance.
1187 - La trêve étant rompue, mobilisation de toutes les armées de Syrie du Nord, de Damas, d'Alep et de l'Egypte par
Saladin. Pendant que les barons empêchaient Guy de Lusignan d'aller attaquer le comte de Tripoli qui refusait de se
battre à ses côtés.
1187 en mai, défaite de 150 templiers qui voulaient battre plusieurs milliers de musulmans à Séphoris (près de Nazareth).
Seuls trois hommes purent s'enfuir, dont Gérard de Ridefort leur Grand Maître. Suite à ce désastre Guy de Lusignan et
Raymond III se réconcilièrent pour se battre côte à côte, contre les musulmans.
1187 - 4 juillet: " La célèbre bataille du plateau de HATTIN " au nord-ouest du grand lac de Génésareth.
Contre l'union de toutes les armées musulmanes, les francs opposèrent : environ 1 000 chevaliers, 25 000 fantassins, 40
000 mercenaires d'origines musulmane et plus de 2 500 cavaliers, auxquels s'ajoutèrent 7 000 fantassins armés par les
templiers, même Bohémond III envoya son fils aîné Raymond avec 50 chevaliers.
Après avoir mis le siège à la ville de Tibériade, Saladin attendit les francs, qui partis de Séphoris, vinrent camper sur la
colline de Hattin. Durant la nuit Saladin fit d'abord encercler l'armée franque par ses soldats, puis il fit mettre le feu
aux broussailles en exploitant le vent qui porta les flammes jusqu'au coeur du camp ennemi. Etouffés de chaleur sous leur
imposantes cuirasses, la plupart des hommes ne tardèrent pas à se rendre.
Les chevaliers foncèrent sur les assiégeants avec l'énergie du désespoir. Le comte Raymond III de Tripoli réussit à se
créer une sortie vers Séphoris en emmenant avec lui Raymond fils du prince d'Antioche, ses chevaliers et quelques barons
syriens.
Selon les récits des chroniqueurs d'époque la bataille fut terrible, il y eut beaucoup de morts parmi les croisés mais il y
eut heureusement plus de prisonniers et de blessés ! Tous les autres chefs furent capturés avec les chevaliers de haut
rang et 300 templiers Hospitaliers. Il y eut également beaucoup de morts du côté musulman ce qui fait que la verdoyante
colline ressemblait plutôt à un immense champ de bataille où çà et là agonisaient des milliers de blessés enchevêtrés dans
les cadavres de chevaux.
En ce soir du 4 juillet la puissance franque était écrasée, Saladin remportait la plus grande victoire de sa vie, alors que
les chefs francs auraient pu sans leur imprudence (surtout celle de camper loin de tout point d'eau) " inverser le résultat
" de la bataille à leur avantage...
Le 5 juillet Saladin laissait sortir librement les prisonniers de la ville de Tibériade. Parmi les prisonniers de marque
présentés à Saladin figuraient : Le Roi de Jérusalem et ses deux frères, Amaury le connétable et Geoffroy, le terrible
Renaud de Châtillon, responsable de la rupture de la trêve, Ridefort le Grand Maître du temple, Onfroy IV de Toron (mari
de la princesse Isabelle), le marquis Guillaume de Montferrat (grand-père du roi défunt) et tant d'autres...
Saladin avait fait le voeu d'exécuter lui-même Renaud de Châtillon avec le comte Raymond III (également accusé de
n'avoir pas respecté sa trêve). Il fit venir Renaud avec le roi Guy sous sa tente. Mais au lieu d'implorer le pardon, Renaud
gardait encore son attitude de mépris et d'arrogance. Après avoir donné à boire au roi Guy déshydraté, Guy s'empara de
l'écuelle pour boire à son tour.
Saladin lui fit alors remarquer qu'il venait de perdre sa chance d'être épargné, puisqu'une coutume de l'hospitalité
orientale interdisait de tuer l'homme à qui on vient de donner à boire.
Saladin saisit alors son épée et l'assena sur l'épaule de Renaud que ses lieutenants achevèrent. Puis il rassura le roi et le
fit conduire avec les nobles captifs vers Damas pour servir de rançon.

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Parmi les milliers de prisonniers, seuls furent exécutés réellement : 300 templiers et chevaliers hospitaliers complices
des larcins de Renaud et irréductibles partisans de l'extermination des sarrasins, ainsi que les turcopoles que Saladin
assimilait à des traîtres et des renégats.
1187 - Après la prise de Tibériade le 5 juillet, Saladin poursuivit son avance en prenant dans ce même mois St Jean
d'Acre, Jaffa, Césarée et Sidon. Beyrouth tomba le 6 août et Ascalon et Gaza tombèrent le 5 Septembre, ces deux villes
appartenaient aux templiers, c'est pourquoi Saladin les préféra à Tyr. Seuls les habitants de Jaffa qui avait longuement
résisté au frère de Saladin, furent vendus comme esclaves.
Cette avancée triomphante de l'Islam fit beaucoup de bruit en Europe puisque dès septembre on commença par prêcher
la libération des lieux saints par une nouvelle et troisième grande croisade.
1187 - Le 20 septembre Saladin installe le siège autour de JERUSALEM. Mais à cause de la grande bataille de Hattin, la
ville ne compte plus que 6 000 soldats ! C'est pourquoi la ville sainte tombera dès le 2 Octobre 1187. Malgré sa promesse
de vouloir traiter les croisés de la même manière que ceux qui l'ont conquise en 1099, Saladin demandera à ses hommes
s'il peut être relevé de son serment ? Avec leur accord la ville ne sera pas pillée, les habitants ne seront pas massacrés,
mais libérés contre des sommes modiques. Même les templiers négocièrent leur sortie et ne payèrent pas ce que pourtant
la richesse de l'Ordre leur aurait permis de verser.
Saladin permit même aux chevaliers d'Acre, d'Ascalon et de Jérusalem de s'exiler à Tyr, si bien que cette cité est
devenue grâce aux renforts inespérés libérés par Saladin une ville imprenable.
Quel contraste avec l'attitude des premiers croisés venus pour défendre les intérêts de Dieu ! Saladin tenait à
démontrer au monde la supériorité de sa religion sur celle des chrétiens.
Rarement on vit un tel concert de louanges vis à vis du vainqueur, non seulement Saladin se montra courtois envers les
dames mais fit son possible pour libérer les pères de famille et les maris prisonniers alors que les chrétiens qui
retournèrent sur les terres du comte de Tripoli furent dépouillés de leurs biens. Les soldats de Saladin allèrent même
jusqu'à fournir des escortes pour permettre aux malheureux civils d'aller jusqu'à Alexandrie, prêtant leurs chevaux aux
vieillards et prodiguant des soins aux malades.
Mais à Alexandrie les navires gênois refusèrent d'embarquer les gens qui n'avaient pas assez d'argent pour payer leur
traversée, il fallut l'intervention musclée du Cadi d'Alexandrie pour persuader les capitaines gênois à faire descendre les
prix !...
1187 - Mort de Raymond III comte de Tripoli emporté par une pleurésie à l'âge de 48 ans. Son successeur au comté est
le jeune Bohémond second fils du prince d'Antioche qui recevra également à la mort de son père et de son frère aîné la
principauté d'Antioche.
1187 - En novembre Saladin commence le siège de Tyr défendue par le baron Conrad de Montferrat, frère du premier
époux (défunt de Sibylle). Sur dix vaisseaux turcs, cinq furent rapidement brûlés. Sur l'avis de ses conseillers Saladin
abandonne le siège et puisque l'hiver est proche, il renvoie la moitié de son armée dans ses foyers. En rentrant vers le
Nord il s'empare des villes de Lattaquié, Tartous, Safed.
Les seules possessions franques qui restent sont : : Tyr, Antioche, Tripoli et trois forteresses isolées.
1188 - Sur la promesse solennelle de ne plus attaquer les musulmans, Guy de Lusignan, roi de Jérusalem, est libéré par
Saladin. Hélas dès Août 1189 le roi Guy ignorant sa parole, viendra assiéger le port d'Acre, où déjà de nombreux navires
arrivent de l'Occident, remplis chacun de centaines de croisés.

1196 - En juillet le frère de Saladin Al-Adel arrache au fils de Saladin Al-Afdal âgé de 26 ans le gouvernement qu'il
s'était montré incapable de diriger.
1197 - Mort d'Henri de Champagne, Isabelle épouse Amaury de Lusignan, roi de Chypre et unit sa couronne à celle de
Jérusalem.
1197 - L'empereur d'Allemagne Henri VI prépare une nouvelle croisade, ses hommes reprennent Beyrouth, mais Henri VI
meurt peu après.
1198 - A peine élu le pape Innocent III fait prêcher une nouvelle croisade (la 4ème) qui aboutira en 1204 au sac de
Constantinople.(Byzance)
1198 - En novembre un autre fils de Saladin se tue en tombant de cheval lors d'une chasse au loups près des pyramides.
- Henri de Champagne conclut une alliance avec le nouveau maître des assassins, qui pour lui démontrer son autorité
ordonne devant ses yeux à deux adeptes de se jeter du haut des remparts, ce qu'ils font sans une hésitation. C'est même
Henri qui doit supplier le maître de la secte d'arrêter la démonstration.
- le 1er juillet une nouvelle trêve de cinq ans est signée entre les francs et Al-Adel nouveau sultan après Saladin. Malgré
un pacte de non agression signé entre al-Kamel fils du sultan et les vénitiens, il est conclut que contre une coquette
somme en dinars-or (tenue secrète) les vénitiens feront tout ce qu'il peuvent pour éloigner cette nouvelle croisade de 35
000 hommes que le pape Innocent III a mobilisé. Le doge Dandolo de Venise qui ne veut pas se mettre le pape à dos,
oblige les croisés d'attaquer d'abord le port de Zara qui appartient au très chrétien roi de Hongrie !

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La troisième croisade (1189-1192)

La troisième croisade fut décidée, dès 1187, 29 octobre, par le pape Grégoire VII, et divers contingents se mirent en
route pour rejoindre les Latins d’Orient qui résistaient à Salah al-Din Yusuf. L'enthousiasme occidental pour cette
expédition était universel, et trois grands monarques européens y participèrent. Les dirigeants de cette croisade sont:
l’empereur germanique Frédéric 1er Barberousse, le roi de France Philippe II Auguste et le roi d’Angleterre Richard 1er
Cœur de Lion, qui rassemblèrent des armées importantes. Les rois et leurs nombreux vassaux formèrent la plus grande
armée croisée depuis 1095, mais les bénéfices de tous ces efforts furent maigres . Le premier suivit la route du Danube,
traversa l’Empire byzantin malgré l’opposition de l’Empereur Isaac II l’Ange, puis la Turquie, mais il se noya dans les eaux
de Sélef et son armée se disloqua peu après (6). Les deux autres prirent la route de mer, par la Sicile. Richard 1er Cœur
de Lion conquit Chypre au passage, puis vint s’associer au siège d’Acre (7) établi par les autres croisés. Après la prise
d’Acre et le départ de Philippe II Auguste, il dirigea les opérations militaires s’emparant de plusieurs places (Jaffa, (8),
Ascalon), mais sans oser marcher sur Jérusalem. Il imposa cependant à Salah al-Din Yusuf un traité par lequel le sultan
renonçait à éliminer les colonies franques de Syrie (1192). C’est au retour de cette croisade que le roi d’Angleterre fut
fait prisonnier par le duc d’Autriche.

L'échec de la deuxième croisade laissa les musulmans libres de se regrouper. Zanki était mort en 1146, mais son
successeur, Nur al-Din, transforma son royaume en une grande puissance du Moyen-Orient. En 1169, ses armées, sous le
commandement de Saladin, prirent le contrôle de l'Égypte. Lorsque Nur al-Din mourut cinq années plus tard, Saladin lui
succéda à la tête d'un État musulman qui s'étendait du désert de Libye à la vallée du Tigre et entourait ce qui restait des
États croisés. Après une série de crises dans les années 1180, Saladin envahit finalement le royaume de Jérusalem à la
tête d'une immense armée en mai 1187. Le 4 juillet, il battit l'armée latine à Hattin, en Galilée. Bien que le roi Gui de
Jérusalem, avec quelques-uns de ses chevaliers, se rendît et survécût, tous les templiers et les hospitaliers de Saint-
Jean-de Jérusalem furent décapités à proximité du champ de bataille. Dans le sillage de cette victoire, Saladin s'empara
de la plupart des forteresses croisées du royaume de Jérusalem, y compris Jérusalem qui se rendit le 2 octobre. À ce
moment, la seule ville importante encore aux mains des croisés était Tyr, au Liban.

En octobre 1192, lorsque Richard quitta finalement la Palestine, le royaume latin avait été reconstitué. Plus petit que le
royaume originel et considérablement moins fort militairement et économiquement, le second royaume survécut tant bien
que mal durant un siècle.

1 Danube : Fleuve de l’Europe centrale.


2. Lombardie : Région du nord de l’Italie, situé au pied des Alpes.
3. Dalmatie : Région de la Yougoslavie (Croatie) sur la côte de l’Adriatique.
4. Durazzo : Port d’Albanie, sur l’Adriatique.
5. Ascalon : Port de l’ancienne Palestine.
6. À ce propos, Grousset (1936, 17) raconte que “cette catastrophe imprévisible sauva certainement l’Islam syrien de la
ruine, car, comme les historiens arabes l’avaient dit eux-mêmes, il n’eût pas manqué d’être broyé entre les armées franco-
anglaises débarquant à Saint-Jean-d’Acre et la grande armée allemande débouchant du nord, Si Allâh, note Ibn al-Athur,
n’avait daigné montrer sa bonté aux Musulmans en faisant périr le roi des Allemands au moment même où il allait pénétrer
en Syrie, on écrivait aujourd’hui : la Syrie et l’Égypte ont jadis appartenu à l’Islam...”.
7. Acre : Port d’Israël, sur la Méditerranée.
8. Jaffa ou Yafo : Partie de Tel-Aviv-Jaffa (Israël).

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LA BATAILLE DE HATTIN :

Le destin avait fait en sorte que Salâh Ad-Dîn (Saladin) brillât de mille feux sur le ciel du sixième siècle hégirien. Ses
capacités et ses potentialités allaient surgir d’une manière époustouflante, si bien que par son œuvre, il allait devenir l’un
des plus grands chefs d’État que le monde eût connus, l’un de ces chefs qui parviennent à modifier le cours de l’Histoire.
La mort de Nûr Ad-Dîn Mahmûd en 1174 constitua un tournant dans la vie de Salâh Ad-Dîn, car l’unité islamique - qu’était
parvenu à construire le sublime héros Nûr Ad-Dîn Mahmûd - était dans une mauvaise passe et vivait au seuil de sa perte.
Il n’y avait personne pour combler le vide laissé par Nûr Ad-Dîn et ce fut Salâh Ad-Dîn qui s’engagea à poursuivre le
chemin initié par son prédécesseur et à renforcer les assises de l’unité islamique. La voie empruntée était difficile et
l’espoir encore lointain.

La construction de l’unité islamique


Nûr Ad-Dîn mourut et laissa derrière lui un jeune fils d’à peine onze ans. Un conflit éclata alors entre les princes qui se
disputaient la régence de l’État nûride. La situation en Syrie se détériorait inexorablement, bien que Salâh Ad-Dîn, en
Égypte, suivait assidûment les événements. Il attendait en réalité que se présentât à lui l’occasion d’unifier le front
islamique. Son attente ne dura pas longtemps puisqu’il fut promptement invité par un prince damascène à venir prendre la
ville de Damas. Il se mit aussitôt en route pour être accueilli en grande pompe par les habitants. Il put ainsi mettre la
main sur la ville et sa citadelle en 1174, après quoi il se dirigea vers Homs puis vers Hamâh pour les annexer également à
son État. Il était à présent aux abords d’Alep qu’il tenta en vain de conquérir, après que les gouverneurs de la ville eurent
fait appel à l’aide des Croisés. Salâh Ad-Dîn abandonna alors la ville, se promettant néanmoins d’y revenir plus tard. Huit
années passèrent avant qu’il ne pût concrétiser sa promesse. Ce ne fut que le 12 juin 1183 qu’il put annexer Alep à son
État. C’était une étape décisive dans la construction d’un front islamique uni face à la menace croisée.
Pour achever l’unification des Musulmans, il ne restait plus devant Salâh Ad-Dîn que la ville de Mossoul, qu’il assiégea
d’ailleurs à plusieurs reprises jusqu’à la signature du traité de paix, en 1186, avec le gouverneur de la ville `Izz Ad-Dîn
Mas`ûd.

Le front croisé
Durant la période au cours de laquelle Salâh Ad-Dîn œuvrait pour redonner vie à l’État islamique unifié et pour se
préparer à lancer le jihâd contre l’ennemi croisé, il avait signé une trêve de quatre ans avec ce dernier. Il voulait ainsi se
consacrer entièrement à la gestion de son pays et à la remise en ordre de sa situation auparavant délabrée.
Cependant, par sa stupidité, Renaud de Châtillon, le Seigneur de Kérak, empêcha les Croisés de profiter de cette trêve
qu’ils avaient signée. Il commit une erreur monumentale, en dénonçant la trêve, en reprenant les armes et en s’attaquant
ouvertement à une caravane commerciale qui se rendait d’Égypte à Damas. Il captura les commerçants et les caravaniers
et les emprisonna dans la citadelle de Kérak.
Salâh Ad-Dîn essaya de se montrer patient : il envoya un message d’indignation à Renaud de Châtillon dans lequel il le
menaçait si les biens de la caravane n’étaient pas restitués et les prisonniers libérés. Mais au lieu de répondre à l’appel,

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Renaud, enorgueilli par sa force, répondit avec mépris aux émissaires de Salâh Ad-Dîn : « Demandez à votre Muhammad
(le Prophète) de venir vous sauver ! »
Le Roi de Jérusalem, Guy de Lusignan, tenta en vain de contenir la grave crise dans laquelle Renaud de Châtillon avait
placé les Croisés. Mais ce dernier persista dans son refus de rendre les biens de la caravane et de libérer les prisonniers.
Tout allait pour le mal chez les Croisés, d’autant plus que Salâh Ad-Dîn ne voyait plus d’autre issue que la guerre et la
vengeance.

Les préparatifs de Hattin


Salâh Ad-Dîn mobilisa ses troupes et se prépara à la confrontation avec les Croisés, à qui il allait livrer l’une des plus
grandes batailles de l’Histoire de l’Islam. Cela faisait dix ans que le Sultan attendait cette occasion, et la politique
insensée de Renaud de Châtillon n’était qu’un prétexte pour l’éclatement de la fougue de Salâh Ad-Dîn et pour la
déclaration de cette guerre si longtemps espérée.
Les troupes de Salâh Ad-Dîn, au nombre de 12000 combattants rassemblés d’Égypte, d’Alep, de Péninsule arabique et du
Diyâr Bakr, quittèrent Damas en mars 1187 et prirent la route de la citadelle de Kérak. Celle-ci fut assiégée et ses
champs détruits. Salâh Ad-Dîn se rendit ensuite à la citadelle de Shaubak pour lui faire subir le même sort que celle de
Kérak. Il se dirigea enfin vers Banias, près de Tibériade, pour observer la situation.
Pendant ce temps, les troupes croisées, sous le commandement de Guy de Lusignan, Roi de Jérusalem, se rassemblaient
dans la ville de Séphorie. Se joignirent à elles les troupes de Raymond III, Comte de Tripoli, qui dénonçait ainsi à son tour
la trêve qu’il avait signée avec Salâh Ad-Dîn, préférant plutôt soutenir les siens, malgré les profondes dissensions qu’il
avait avec Guy de Lusignan. Les Croisés se retrouvèrent au final au nombre de 63000 soldats.
Salâh Ad-Dîn voulait pousser les Croisés à venir jusqu’à lui, afin qu’il pût les rencontrer alors qu’ils étaient exténués par la
distance qu’ils avaient parcourue tandis que lui et son armée étaient encore tout frais. Pour réaliser cet objectif
stratégique, il attaqua Tibériade, dans le château de laquelle était réfugiée l’épouse de Raymond III. Les Croisés crièrent
vengeance et convoquèrent un conseil de guerre. Deux opinions s’élevèrent : les uns estimaient qu’il était nécessaire de
marcher sur Tibériade le plus tôt possible afin de frapper Salâh Ad-Dîn, tandis que les autres, à la tête desquels
Raymond III, considéraient comme périlleuse une telle entreprise, dans la mesure où la route était difficile et l’eau peu
abondante. Mais Renaud de Châtillon accusa Raymond de lâcheté : « Je ne doute pas un seul instant, lui dit-il, que tu aimes
les Musulmans et que tu cherches à nous effrayer par leur nombre. » Renaud parvint ainsi à convaincre le Roi de
Jérusalem de la nécessité de marcher sur Tibériade.
La bataille de Hattin
Les troupes croisées prirent la route dans des conditions extrêmement difficiles, le 1er juillet 1187. Leurs visages
étaient brûlés par la chaleur du Soleil, et ils souffraient du manque d’eau et de la difficulté du parcours qui s’étendait sur
27 kilomètres. Au même moment, Salâh Ad-Dîn et ses soldats profitaient de l’abondance de l’eau et de la fraîcheur de
l’ombre : ils préservaient ainsi leurs forces pour le rendez-vous décisif. Lorsque le Sultan apprit que les Croisés avaient
pris la route, il s’avança avec ses troupes sur une distance de quelques 9 kilomètres et campa à l’Ouest de Tibériade, près
du village de Hattin.
Les Croisés atteignirent la cime du Mont Tibériade, qui surplombait la plaine de Hattin, le 3 juillet 1187. Cette région
avait la forme d’un monticule dont l’altitude dépassait les 300 mètres au-dessus du niveau de la mer, et était constituée
de deux pics dont la forme ressemblait étrangement à celle de deux cornes. C’est pour cette raison que les Arabes
désignaient cette région par « les Cornes de Hattin ».
Salâh Ad-Dîn fit tout son possible pour empêcher les Croisés de parvenir jusqu’à l’eau du lac Tibériade, au moment où la
soif de ces derniers atteignait son paroxysme. Les Musulmans allumèrent de plus un grand feu dans les broussailles qui
recouvraient la colline, de sorte que le vent emmenait le feu, sa chaleur et sa fumée, en direction des Croisés. Une
terrible nuit les attendait : assoiffés et exténués, ils ne purent même pas fermer l’œil de la nuit, car les Musulmans ne
cessaient de glorifier et de rendre louanges à Dieu, ce qui avait pour effet de terroriser les Croisés.

Le matin de la bataille
Le matin du samedi 4 juillet 1187, les Croisés découvrirent avec stupeur que Salâh Ad-Dîn avait profité de l’obscurité de
la nuit pour les cerner de toutes parts. Ce fut alors que l’attaque générale fut déclenchée. Les sabres musulmans
s’activaient à terrasser les Croisés, si bien que ceux-ci finirent par desserrer leurs rangs, tandis que d’autres tentèrent
de se rassembler sur le monticule de Hattin. Ils furent à nouveau encerclés par les Musulmans. A chaque fois qu’ils
essayaient de reculer vers le sommet du mont, les Musulmans augmentaient leur pression. Au final, il ne restait plus que
Guy de Lusignan, le Roi de Jérusalem, et 150 de ses chevaliers. Tous furent faits prisonniers et conduits à la tente de
Salâh Ad-Dîn. Parmi les captifs, on trouvait justement Renaud de Châtillon, le Seigneur de Kérak, ainsi que d’autres
grands princes croisés. Salâh Ad-Dîn les accueillit avec la plus grande hospitalité et ordonna qu’on leur servît de l’eau
glacée. Néanmoins, il refusa d’accorder cet honneur à Renaud. Lorsque Guy de Lusignan étancha sa soif et qu’il donna l’eau
qui restait à Renaud, Salâh Ad-Dîn se mit en colère : « Ce maudit n’a pas ma permission pour boire de l’eau. Car s’il le fait,
je lui devrai la protection. » Il était en effet de coutume chez les Arabes que si l’on servait de l’eau et de la nourriture à
un prisonnier, ce dernier aurait la vie sauve. Salâh Ad-Dîn rentra ensuite dans sa tente et fit venir Renaud de Châtillon
pour lui proposer de se convertir à l’Islam. Ce dernier refusa. Le Sultan lui rappela alors ses crimes et le sermonna sur ses
méfaits, après quoi, il se leva et lui trancha la tête. « J’avais juré par deux fois, commenta-t-il, de le tuer si je me
saisissais de lui. La première, c’était lorsqu’il avait entrepris de marcher sur la Mecque et Médine, et la seconde, c’était

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lorsqu’il avait attaqué la caravane et qu’il s’en était traîtreusement emparé. » Salâh Ad-Dîn fit ensuite tuer les
prisonniers appartenant à l’Ordre du Temple ainsi que ceux appartenant à l’Ordre de l’Hôpital, car ils avaient été les plus
redoutables ennemis des Musulmans.

Les conséquences de Hattin


La défaite croisée de Hattin n’était pas une simple défaite anecdotique. C’était une catastrophe qui s’était abattue sur les
royaumes chrétiens d’Orient. Ils y avaient perdu la fleur de leur chevalerie, 30000 soldats y avaient laissé la vie et un
nombre équivalent avait été capturé. On se disait alors : « Qui voit les tués pense qu’il n’y a aucun prisonnier. Et qui voit
les prisonniers pense qu’il n’y a aucun tué. » Par ailleurs, les Musulmans réussirent au cours de cette bataille à infliger une
dure défaite psychologique aux Croisés, car ils purent mettre la main sur la relique de la Sainte Croix, l’emblème de la
chrétienté.
Après Hattin, la Palestine était devenue sous l’emprise de Salâh Ad-Dîn. Il se mit alors à abattre les villes et les
citadelles croisées les unes après les autres, jusqu’à être parvenu à couronner ses succès et ses efforts par la libération
de Jérusalem le 12 octobre 1187.
Certaines personnes croient cependant que la bataille de Hattin signe la fin de la présence franque dans la région. En
réalité, elle signe le début de la fin. Car les guerres entre Musulmans et Croisés se sont poursuivies encore pendant près
d’un siècle après cette bataille, avant le démantèlement des derniers États latins d’Orient. Hattin n’a donc pas détruit
définitivement les Croisés. Elle a plutôt posé les bases d’un nouvel équilibre des forces et a démontré de la manière la
plus flagrante que les Francs n’étaient plus invincibles. Hattin marque la fin d’une ère caractérisée par des déroutes et
des défaites successives et l’avènement d’une nouvelle ère de victoires et de progrès.

LES CROISADES DU XIIIe SIECLE

Malgré des résultats très positifs, la troisième croisade n'a pas réussi à délivrer les Lieux saints. Aussi ne faut-il pas
s'étonner si la chrétienté occidentale multiplie au XIIIe siècle les expéditions militaires de ce type. L'expérience ayant
prouvé que la réussite ne peut être le fruit de l'improvisation soutenue par la foi, ces dernières prennent un aspect
national, leur organisation dépendant désormais des souverains, qui disposent des moyens de les faire aboutir et qui ont
tendance à en subordonner la finalité spirituelle à la réalisation de leurs ambitions politiques ou économiques, ainsi que le
démontrent amplement les déviations qu'ils leur font désormais subir au cours du XIIIe siècle en les détournant vers
Constantinople, l'Égypte ou la Tunisie.

La quatrième croisade (1202-1204)

Décidée, dès 1198, par le pape Innocent III, la quatrième croisade fut dirigée par Boniface De Montferrat. Ils
traitèrent avec Venise pour équipier une flotte beaucoup trop importante au regard de l'argent dont ils disposaient. De
ce fait, malgré l'interdiction du pape en 1202, les croisés, qui obtinrent leur participation au siège de la ville dalmate de
Zara, alors occupée par le roi de Hongrie. Puis le prétendant byzantin Alexis IV Ange gagna leur appui en échange de la
promesse de subsides et de troupes dont ils avaient besoin pour leur expédition (celle-ci était en principe dirigée contre
l'Égypte, pour obliger le sultan à évacuer la Terre sainte). Aussi, toujours en dépit des instructions pontificales, les
croisés se portèrent sur Constantinople, où ils remirent sur le trône Isaac II Ange (1203).

Mais Alexis ne put tenir ses promesses et, lorqu'il fut détrôné par Alexis V Doukas dit Murzuphle, les croisés, placés par
cette révolution dans une situation très difficile, se décidèrent à attaquer Constantinople de concert avec les Vénitiens
et un prétendant au trône byzantin.. Après un siège assez bref, la ville fut d'assaut et pillée (12-13 avril 1204) et un
Empire latin remplaça l'Empire byzantin. Mais le résultat de cette entreprise fut de détourner une partie des efforts de
l'Occident vers Constantinople, et d'aggraver les difficultés entre Grecs et Latins, sans profit pour la terre sainte,
contrairement aux espoirs des premiers empereurs latins.

En 1208, le pape Innocent III proclama une croisade contre les albigeois, un mouvement hérétique du sud de la France.
Cette croisade fut la première à se dérouler en Europe occidentale. Elle dura de 1209 à 1229, provoquant un bain de sang
sans parvenir à éradiquer l'hérésie cathare.

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Chronologie de la quatrième croisade de 1204
1201 : En Palestine après la mort de Bohémond III, Bohémond IV lui succède et règne sur la principauté d'Antioche et le
comté de Tripoli.
1202 - En novembre ZARA (ou Zadar en Dalmatie) est attaquée et mise à sac par les hommes de la quatrième croisade.
Puis le doge convainc les croisés de faire un petit détour pour remplacer au passage l'empereur de Byzance par un jeune
roi plus soumis au pape et aux occidentaux. En réalité le doge de Venise espère qu'en chassant les byzantins, les vénitiens
deviendront les maîtres de la Méditerranée.
1203 - La flotte vénitienne arrive devant Constantinople en juin, Alexis Ange s'enfuit laissant la place au jeune roi des
croisés. Les impôts et le tribut furent tellement lourds que les grecs ne purent plus payer.
1204 - Les croisés dépouillèrent les églises et volèrent tous les bijoux et richesses qu'ils trouvèrent. Les grecs se
révoltèrent et chassèrent les croisés de la cité. Après une semaine de combats sans espoirs, la cité fut envahie, tout le
patrimoine de la culture chrétienne orthodoxe disparut et pendant trois jours les croisés tuèrent et volèrent tous ceux
qu'ils trouvèrent. Des chrétiens qui s'étaient réfugiés dans l'église Sophia furent massacrés lorsqu'ils sortirent avec les
croix, le Saint Sacrement et les évangiles. L'église fut pillée, profanée et souillée. Baudouin de Flandre fut élu empereur
du nouvel empire saccagé. Bel exemple de la foi chrétienne !
1204 - La ville de Sidon au Liban est reprise par les francs.

Documents relatifs à la quatrième croisade

Chacun prît hôtel ainsi Selon Innocent III:


Nous, confiants dans la miséricorde de Dieu et dans l'autorité des saints apôtres Pierre et Paul, grâce à ce pouvoir de
faire et de défaire que Dieu nous a conféré malgré notre indignité, nous accordons, à tous ceux qui se soumettent à
l'épreuve de ce voyage, personnellement et à leurs frais, le pardon complet des péchés dont ils se repentent à haute voix
et dans leur cœur; aux justes, nous promettons en récompense une plus grande part de l'éternel salut.
Innocent III, Registre, Éd. O Hageneder et A. Haidacher, vol. 1, 1964, p. 503, dans Jonathan Riley-Smith, Les Croisades,
Paris, Éditions Pygmalion, 1990, p. 143.

IMPRESSIONS DE CONSTANTINOPLE

Selon Geoffroi de Villehardouin:


Or, vous pouvez savoir qu'ils regardèrent beaucoup Constantinople ceux qui jamais ne l'avaient vue; car ils ne pouvaient
penser qu'il pût être en tout le monde une si riche, quand ils virent ces hauts murs et ces riches tours dont elle était close
tout entour à la ronde, et ces riches palais et ces hautes églises, dont il y avait tant que nul ne le pût croire que s'il ne l'eût
vu de ses yeux, et la longueur et la largeur de la ville qui entre toutes les autres était souveraine. Et sachez qu'il n'y eut
homme si hardi à qui la chair ne frémît; et ce ne fut pas merveille; car jamais si grande affaire ne fut entreprise par nulles
gens, depuis que le monde fut créé.

Geoffroi de Villehardouin, Histoire de la conquête de Constantinople, Paris, Librairie Hachette et cie, 1870, p. 44.
Traduction par Natalis de Wailly.

Selon Robert de Clari:


Quand toute la flotte, tous les vaisseaux furent rassemblés, alors ils décorèrent et ornèrent leurs vaisseaux si bellement
que c'était la plus belle chose du monde à regarder. Quand ceux de Constantinople virent cette flotte, qui était ainsi
bellement équipée, ils la regardèrent comme une merveille, et ils étaient montés sur les murs et sur les maisons pour
regarder cette merveille; et puis ceux de la flotte regardèrent la grandeur de la ville, qui était si longue et si large, et ils
s'en émerveillèrent fort vivement.
Geoffroy de Villehardouin et Robert de Clari, Ceux qui conquirent Constantinople, Paris, Union générale d'éditions, 1966,
p. 78. Traduction inspirée de Pierre Charlot, Poèmes et récits de la vieille France, Paris, De Boccard, 1939.
ULTIMATUM DES CROISÉS ET TRAHISON D'ALEXIS IV

Selon Geoffroi de Villehardouin:


Pour ce message fut élu Conon de Béthume et Geoffroi de Ville-Hardouin le maréchal de Champagne, et Milon le Brebant,
de Provins; et le doge de Venise envoya trois hauts hommes de son conseil. Ainsi montèrent les messagers sur leurs
chevaux, les épées ceintes; et ils chevauchèrent ensemble jusqu'au palais de Blaquerne [Blachernes]. Et sachez qu'ils
allèrent en grand péril et en grande aventure, vu la perfidie des Grecs.
Ils descendirent ainsi à la porte et entrèrent au palais, et trouvèrent l'empereur Alexis et l'empereur Isaac son père
siégeant sur deux trônes, côte à côte. Et près d'eux était assise l'impératrice, qui était femme du père et marâtre du

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fils, et était soeur du roi de Hongrie; belle dame et bonne. Et ils étaient en grande quantité de hauts personnages; et cela
semblait bien la cour d'un riche prince.
Par le conseil des autres messagers, Conon de Béthune, qui était très-sage et bien parlant, prit la parole: «Sire, nous
sommes venus à toi de par les barons de l'armée et de par le doge de Venise; et sache qu'ils te reprochent le grand
service qu'ils t'ont rendu, comme chacun le sait et comme il appert à tous. Vous leur avez juré, vous et votre père, de
tenir la convention que vous leur avez promise, et ils en ont vos chartes. Vous ne leur avez pas si bien tenue que vous
eussiez dû.
«Ils vous en ont sommés maintes fois, et nous vous en sommons de par eux, à la vue de tous vos barons, que vous leur
teniez la convention qui est entre vous et eux. Si vous le faites, cela leur ira bien; et si vous ne le faites pas, sachez que
dorénavant ils ne vous tiennent ni pour seigneur ni pour ami, mais qu'ils s'efforceront d'avoir ce qui leur appartient de
toutes les manières qu'ils pourront. Et ils vous signifient qu'ils ne feraient mal ni à vous ni à autrui avant de l'avoir défié;
car ils ne firent jamais de trahison, et dans leur pays ce n'est pas la coutume qu'on en fasse. Vous avez bien ouï ce que
nous avons dit, et vous prendrez conseil ainsi qu'il vous plaira.»
Les Grecs tinrent ce défi à bien grande merveille et à grand outrage; et ils dirent que jamais nul n'avait été si hardi qu'il
osât défier l'empereur de Constantinople en sa chambre même. L'empereur Alexis fit aux messagers bien mauvais visage,
et tous les Grecs aussi, qui maintes fois l'avaient fait bien bon.
Geoffroi de Villehardouin, Histoire de la conquête de Constantinople, Paris, Librairie Hachette et cie, 1870, pp. 77-79.
Traduction par Natalis de Wailly.

Selon Robert de Clari:


Puis après, les comtes, les hauts barons, le duc de Venise et l'empereur s'assemblèrent. Et les Français demandèrent leur
paiement à l'empereur, et l'empereur répondit qu'il avait dû racheter sa cité et ses gens si cher qu'il n'avait plus de quoi
les payer, mais qu'ils lui donnassent un délai, et que, durant ce délai, il chercherait les moyens de les payer. Ils le lui
accordèrent, et, quand le délai fut passé, il ne leur paya rien, et les barons demandèrent derechef leur paiement. Et
l'empereur redemanda un répit, et on le lui donna.
Et, pendant ce répit, ses hommes et ses gens, et ce Morchofle (1) qu'il avait tiré de prison, vinrent à lui, et lui dirent
alors: «Ah, sire, vous les avez trop payés, ne les payez pas plus! Vous vous êtes largement acquitté, tant vous leur avez
payé. Faites-les plutôt partir, et puis congédiez-les de votre terre.» Et alors Alexis crut leurs conseils, et il ne voulut
rien payer.
Quand le répit fut passé, et que les Français virent que l'empereur ne leur payait rien, alors tous les comtes et les hauts
hommes de l'armée s'assemblèrent, et puis s'en allèrent au palais de l'empereur, et demandèrent derechef leur
paiement. Et l'empereur leur répondit qu'il ne pouvait les payer pour quelque raison qu'on lui donnât, et les barons lui
répondirent que, s'il ne les payait pas, ils arriveraient bien à ses payer sur ses biens.
Sur ces paroles, les barons s'en allèrent du palais et s'en revinrent à leur campement, et, quand ils furent revenus, alors
ils délibérèrent pour savoir ce qu'ils feraient, si bien qu'ils envoyèrent de nouveau à l'empereur deux chevaliers et ils lui
firent dire derechef de leur envoyer leur paiement. Il répondit aux messagers qu'il ne les paierait nullement, qu'il ne leur
en avait que trop donné et qu'il ne les redoutait pas le moins du monde; au contraire, il leur fit dire de s'en aller et de
vider sa terre, et de bien savoir que, s'ils ne la vidaient pas et un peu vite, il leur en cuirait.
Là-dessus les messagers s'en revinrent, et firent savoir aux barons ce que l'empereur avait répondu. Les barons, quand
ils entendirent cela, tinrent alors conseil pour savoir ce qu'ils feraient, si bien que le duc de Venise dit qu'il voulaient aller
lui parler. Alors il prit un messager, et lui fit dire de venir lui parler sur le port.
Et l'empereur y vint à cheval; et le duc fit armer quatre galères, puis il entra dans l'une, et fit aller trois autres avec lui
pour le garder; et quand il arriva près de la rive du port, alors il vit l'empereur qui y était venu à cheval, et alors il lui
parla, et alors il lui dit: «Alexis, que penses-tu faire? - fit le duc - souviens-toi que nous t'avons tiré d'un état bien
misérable, et puis nous t'avons fait seigneur et couronné empereur; ne nous tiendras-tu pas tes engagements, et n'en
feras-tu pas plus?» - «Non, fit l'empereur, je n'en ferais pas plus que je n'ai fait!» - «Non? fit le duc, mauvais garçon;
nous t'avons, fit le duc, tiré de la merde et nous te remettrons dans la merde; et je te défie et sache bien que de tout
mon pouvoir je poursuivrai ta perte désormais.»
Geoffroy de Villehardouin et Robert de Clari, Ceux qui conquirent Constantinople, Paris, Union générale d'éditions, 1966,
pp. 173-174. Traduction inspirée de Pierre Charlot, Poèmes et récits de la vieille France, Paris, De Boccard, 1939.

Selon la Chronique de Morée:


À peine deux ou trois mois s'étaient passés que plusieurs des grands de la capitale reprirent, conformément à l'ancien
caractère grec, le cours de leurs ruses et de leurs perfidies. Ils s'adressèrent à l'empereur Alexis Vataces et lui tinrent
ce discours:
«Maître et empereur, puisque Dieu vous a donné un trône, qui vous oblige d'aller vous exposer en Syrie? La distance d'ici
à ces contrées est grande. Les approvisionnements et les bâtiments nécessaires au transport coûteront
considérablement. Une autre raison encore plus forte! voulez-vous donc que nous périssions sur la haute mer en allant en
Syrie? Ces Francs que vous voyez ici sont des hommes téméraires, légers et prêts à faire tout ce qui leur vient à l'idée.
Laissons-les aller à la malédiction de Dieu, et nous, restons ici dans nos foyers.»
L'empereur, qui était encore un enfant et n'avait aucune expérience du monde, consentit trop facilement à ces conseils.
Ils prirent donc leur résolution sur la manière de se débarrasser des Francs.

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«Laissons-les, se dirent-ils, encore quelque temps, un mois au plus, jusqu'à ce qu'ils aient consommé les provisions qui leur
restent, afin qu'ils tombent dans la disette et la famine. Alors nous pourrons commencer à les exterminer.»
Ainsi ils délibérèrent, ainsi ils exécutèrent. Après environ un ou deux mois, ils voulurent réaliser cette résolution
inconsidérée dont ils se promettaient un grand succès. Ils fermèrent les portes de la ville, placèrent des gardes partout,
et passèrent au fil de l'épée tous ceux qui se trouvaient dans l'intérieur de la ville. Les Grecs tinrent alors une conduite
vraiment condamnable à l'égard des chrétiens orthodoxes et d'hommes sincères qui avaient souffert beaucoup de
fatigues pour leur empereur et l'avaient rétabli dans un empire qu'il avait perdu. Mais Dieu, toujours clément et toujours
juste, veilla à ce qu'aucun des nobles et des riches parmi les Francs ne pérît dans le massacre de l'intérieur de la ville. Il
n'y mourut que de pauvres gens, des hommes de métier et des valets.
J.-A.-C. Buchon, Chroniques étrangères relatives aux expéditions françaises pendant le XIIIe siècle, Paris, Paul Daffis
(libraire-éditeur), 1875, pp. 16-17.

Référence:
(1) Par Morchofle, Clari fait référence à Murzuphle, qui est en fait l'arrière arrière-petit-fils d'Alexis I Comnène, et qui
prit également le nom d'Alexis. Il s'agit donc d'Alexis V, Murzuphle étant le surnom qu'on lui accorda en raison de ces
épais sourcils qui se rejoignaient. Dans sa chronique, Clari mentionne qu'Alexis IV aurait tiré Murzuphle de prison au
moment de son couronnement et il en aurait fait son maître bailli.

LE SAC DE CONSTANTINOPLE

Selon Nicetas Choniate:


Les ennemis ne trouvant plus de résistance, firent tout passer au fil de l'épée, sans distinction d'âge, ni de sexe. Ne
gardant plus de rang, et courant de tous côtés en désordre, ils remplirent la ville de terreur, et de désespoir.
[...]
Lorsque les ennemis virent que personne ne se présentait pour les combattre, que les chemins s'aplanissaient sous leurs
pieds, que les rues s'élargissaient pour leur donner passage, que la guerre était sans danger, et les Romains [Byzantins]
sans résistance, que par un bonheur extraordinaire, on venait au-devant d'eux, avec la croix et les images du Sauveur,
pour les recevoir comme en triomphe, la vue de cette troupe suppliante n'amollit point leur dureté, ni n'apaisa point leur
fureur. Au contraire, tenant leurs chevaux qui étaient accoutumés au tumulte de la guerre, et au son de la trompette, et
ayant leurs épées nues, ils se mirent à piller les maisons et les églises. Je ne sais quel ordre je dois tenir dans mon
discours, ni par où je dois commencer, continuer et achever le récit de impiétés que ces scélérats commirent. Ils
brisèrent les saintes images, qui méritent les adorations des fidèles. Ils jetèrent les sacrées reliques des martyrs en des
lieux que j'ai honte de nommer. Ils répandirent le Corps et le Sang du Sauveur. Ces précurseurs de l'Antéchrist, ces
auteurs des profanations, qui doivent précéder son arrivée, prirent les calices et les ciboires, et après en avoir arraché
les pierreries et les autres ornements, ils en firent des coupes à boire. Ils dépouillèrent Jésus-Christ, et jetèrent ses
vêtements au fort comme les Juifs les y avaient jetés autrefois. Il ne manqua rien à leur cruauté, que de lui percer le
côté pour en tirer du Sang. On ne saurait songer sans horreur à la profanation qu'ils firent de la grande Église Sainte-
Sophie. Ils rompirent l'autel, qui était composé de diverses matières très précieuses, et qui était le sujet de l'admiration
de toutes les nations, et en partagèrent entre eux les pièces, comme le reste des ornements dont mon discours ne peut
égaler la beauté ni le prix. Ils firent entrer dans l'Église des mulets et des chevaux, pour emporter les vases sacrés,
l'argent ciselé et doré qu'ils avaient arraché de la chaire, du pupitre, et des portes, et une infinité d'autres meubles, et
quelques-unes de ces bêtes étant tombées sur le pavé qui était fort glissant, ils les percèrent à coups d'épée, et
souillèrent l'église de leur sang et de leurs ordures.
[...]
Une femme chargée de péchés, une servante des démons, une prêtresse des furies, un repaire d'enchantement et de
sortilèges, s'assit dans la chaire patriarcale, pour insulter insolemment à Jésus-Christ; elle y entonna une chanson
impudique, et dansa dans l'église. On commettait toutes ces impiétés avec le dernier emportement, sans que personne fît
paraître la moindre modération.

Après avoir exercé une rage si détestable contre Dieu, ils n'avaient garde d'épargner les dames vertueuses, les filles
innocentes, et les vierges qui lui étaient consacrées. Il n'y avait rien de si difficile que d'adoucir l'humeur farouche de
ces barbares, que d'apaiser leur colère, que de gagner leur affection. Leur bile était si échauffée, qu'il ne fallait qu'un
mot pour la mettre en feu. C'était une entreprise ridicule, que de vouloir les rendre traitables, et une folie que de leur
parler avec raison. Ils tiraient quelquefois le poignard contre ceux qui résistaient à leurs volontés. On n'entendait que
cris, que pleurs, que gémissements, dans les rues, dans les maisons, et dans les églises. Les personnes illustres par leur
naissance, paraissaient dans l'infamie; les vieillards vénérables par leur âge, dans le mépris; les riches dans la pauvreté. Il
n'y avait point de lieu qui ne fût sujet à une rigoureuse recherche, qui ne pût servir d'asile.
O Dieu! que d'affliction, que de misère! Nous avons vu l'abomination de la désolation dans le lieu saint, nous y avons
entendu des paroles artificieuses de la prostituée, et nous y avons été témoins des autres profanations si contraires à la
sainteté de notre religion. Voilà une partie des crimes que les nations d'Occident ont commis contre peuple de Jésus-
Christ. Ces barbares n'ont usé d'humanité envers personne. Ils n'ont rien épargné. Ils ont tout pris, et tout enlevé. Voilà

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donc ce que nous promettaient ce hausse-cou doré, cette humeur fière, ces sourcils élevés, cette barbe rasée, cette main
prête à répandre le sang, ces narines qui ne respirent que la colère, cet œil superbe, cet esprit cruel, cette prononciation
prompte et précipitée. Ou plutôt, c'est ce que vous nous promettiez, vous qui voulez passer pour savants, pour sages, pour
fidèles, pour véritables, pour sincères, pour justes, pour vertueux, et pour plus pieux, et plus religieux observateurs des
commandements de Dieu, que nous autres Grecs. Je parle sérieusement, et sans railler; car quel commerce y a-t-il entre
la lumière et les ténèbres? Ce que j'ai à ajouter est encore plus important. Vous vous étiez chargés de la Croix, et vous
nous aviez juré et sur elle, et sur les Saints Évangiles, que vous passeriez sur les terres des chrétiens sans y répandre de
sang, et sans vous détourner ni à droite, ni à gauche. Vous nous aviez dit que vous n'aviez pris les armes que contre les
Sarrasins, et que vous ne les vouliez tremper que dans leur sang. Vous aviez promis de vous abstenir de la fréquentation
de vos femmes, dans le temps que vous porteriez la Croix comme des soldats enrôlés sous les enseignes du Sauveur. Il est
évident, cependant, que bien loin de défendre son tombeau, vous outragez les fidèles qui sont ses membres. Bien loin de
porter la Croix, vous la profanez, et vous la foulez aux pieds. Pendant que vous faites profession d'aller chercher une
perle précieuse, vous jetez dans la boue la perle précieuse du corps adorable de notre Dieu. Les Sarrasins en ont usé avec
moins d'impiété. Quand ils étaient maîtres de Jérusalem, ils traitaient les Latins avec quelque sorte de douceur. Ils ne
violaient point la pudicité de leurs femmes. Ils n'emplissaient point de corps morts le sépulcre du Sauveur.
Le jour de la prise de la ville, ces brigands ayant pillé les maisons où ils étaient logés, demandèrent aux maîtres où ils
avaient caché leur argent, usant de violences envers les uns, de caresses envers les autres, et de menaces envers tous,
pour les obliger à le découvrir. Ceux qui étaient si simples que d'apporter ce qu'ils avaient caché, n'en étaient pas traités
avec plus de douceur que les autres. Ils ressentaient les mêmes effets de l'orgueil et de la cruauté de leurs hôtes. Ceux
qui commandaient parmi nous ayant laissé la liberté de sortir à ceux qui le désiraient, on voyait des troupes d'habitants
qui s'en allaient enveloppés de méchants manteaux, avec des visages pâles et défigurés, avec des yeux rouges, et qui
répandaient plutôt du sang que des larmes. Les uns regrettaient leur argent, les autres ne croyant pas que leur argent
méritât d'être regretté, pleuraient l'enlèvement de leurs filles, la mort de leurs femmes, ou quelque autre perte
semblable.
Pour dire quelque chose de ce qui m'arriva en cette triste journée, plusieurs de mes amis se retirèrent en ma maison,
parce qu'elle était bâtie sous une galerie qui la rendait fort sombre. Elle avait une entrée secrète dans la grande église;
mais il n'y avait point de secret qui pût échapper à la curiosité de nos ennemis, et la sainteté du lieu ne nous servit de rien
pour nous garantir de leur fureur. En quelque endroit qu'on se pût cacher, on était pris, et emmené. J'avais retiré un
Vénitien avec sa femme et ses enfants, qui me servit fort utilement. Bien qu'il ne fût que marchand, il prit les armes
comme un soldat, et feignant d'être des ennemis, et parlant avec eux en leur langue, il défendit longtemps ma porte.
Mais, enfin, ne pouvant plus résister à la multitude, qui entrait en foule, et principalement aux Français, qui se vantaient
de ne rien craindre que la chute du ciel sur leurs têtes, il nous conseilla de nous sauver, de peur d'être chargés de
chaînes, et d'avoir le déplaisir de voir nos filles violées en notre présence. Marchant donc sous la conduite de ce fidèle
défenseur, comme si nous eussions été ses prisonniers, nous allâmes vers les maisons des Vénitiens qui étaient de nos
amis. Lorsque nous fûmes arrivés au quartier qui était échu aux Français, nous fûmes abandonnés par nos valets, qui
s'écartèrent lâchement de côté et d'autre, et obligés de porter nous-mêmes nos enfants qui ne pouvaient encore
marcher. Nous partîmes un samedi, cinquième jour de la prise. L'hiver approchait et ma femme était grosse, de sorte qu'il
me semblait que c'était un accomplissement de la parole par laquelle le Sauveur nous avertit de prier Dieu que notre fuite
n'arrive point en hiver, ni au jour du sabbat, et de la prédiction par laquelle il prononce malheur sur les femmes qui seront
ou enceintes ou nourrices. Plusieurs de nos parents et de nos amis, s'étant joints à nous aussitôt qu'ils nous eurent
aperçus, nous marchâmes tous ensemble, et nous rencontrâmes des gens de guerre assez mal armés. Les uns avaient de
longues épées pendues à leurs chevaux. Les autres des poignards attachés à leur ceinture. Les uns étaient chargés de
butin. Les autres fouillaient leurs prisonniers, pour voir s'ils ne cachaient point un bon habit sous un méchant, où s'ils
n'avaient point d'argent. D'autres regardaient de belles femmes avec les mêmes yeux que s'ils eussent dû en jouir à
l'heure même. Nous mîmes celles que nous avions au milieu de nous, comme au milieu d'une bergerie, et nous les avertîmes
de salir avec de la boue, ces visages qu'elles embellissaient autrefois avec du fard, de peur que l'éclat de leur teint
n'attirât les yeux des spectateurs curieux, n'allumât les désirs, et n'excitât la fureur des ravisseurs cruels, qui crussent
avoir droit de faire tout ce que permet la licence de la guerre. Ayant le cœur serré de douleur, nous levions les mains au
ciel, nous frappions nos poitrines, et nous priions Dieux qu'il lui plût de nous préserver de la violence de ces bêtes
cruelles. Comme nous étions près de passer par la Porte dorée, un barbare impie et violent, enleva près de l'église de
saint Mocius martyr, la fille d'un magistrat, comme un loup enlève une brebis. Le père accablé de vieillesse et de maladie,
fit en même temps un faux pas, et tomba dans la boue, d'où se tournant vers moi, qui ne lui pouvais servir que d'un appui
aussi faible que celui du figuier, et m'appelant par mon nom, il me conjura de l'assister. Je suivis donc le ravisseur,
m'écriant contre sa violence, et joignant à mes cris des gémissements lamentables, et des gestes propres à exciter la
pitié. J'implorai le secours des soldats qui passaient, et qui pouvaient entendre quelques mots de notre langue. Je leur
pris les mains, et leur fis des caresses. Enfin, j'en ai touché si fort quelques-uns, qu'ils me promirent de venger ce rapt.
Je les menai donc à la maison où le ravisseur avait enfermé la fille, et où il se tenait à la porte, pour repousser ceux qui
auraient envie d'y entrer. Je leur dis en le leur montrant du doigt: «Voilà le coupable qui a violé en plein jour l'ordonnance
par laquelle vous avez défendu de toucher aux femmes mariées, aux jeunes filles, aux vierges consacrées à Dieu, et
laquelle vous avez fait serment d'observer. Défendez-nous contre cette violence, par l'autorité de vos lois, et par la
force de vos armes. Soyez sensibles aux larmes qui coulent de mes yeux, puisque Dieu même s'y laisse toucher et que la
nature nous les a données pour exciter de la compassion, et pour obtenir de l'assistance. Que si vous avez des enfants, je

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vous conjure, par ces précieux gages de vos mariages, par le tombeau du Sauveur, et par le respect que vous avez pour
ses commandements, qui défendent aux chrétiens de faire aux autres ce qu'ils ne voudraient pas qu'on leur fît, de ne pas
mépriser ma prière.» J'animai de telle sorte ces gens de guerre par ces paroles, qui m'étaient venues sur-le-champ à la
bouche, qu'ils me promirent de me rendre la fille qui avait été enlevée. Le ravisseur transporté d'amour, et de colère, se
moquait d'abord de leurs demandes; mais quand il vit qu'ils agissaient sérieusement, et qu'ils le menaçaient de le faire
pendre, il rendit la fille, que le père fut ravi de revoir. S'étant donc levé, il continua, avec nous le voyage. Dès que nous
fûmes hors de la ville, chacun commença à remercier Dieu de sa protection, ou à déplorer son malheur, comme il le trouva
à propos. Pour moi, je me prosternai à terre, et je me plaignis aux murailles de qu'elles demeuraient seules insensibles aux
calamités publiques, et de ce qu'elles se tenaient debout, au lieu de se fondre en larmes.
Nicetas Choniate dans Duc de Castries, La conquête de la Terre Sainte par les croisés, Paris, Éditions Albin Michel, 1973,
p. 344-350.

Selon Geoffroi de Villehardouin:


Le marquis Boniface de Montferrat chevaucha tout le long du rivage vers Bouchelion [le
palais de Boucoléon]; et quand il fut là, le palais lui fut rendu, la vie sauve pour ceux qui
étaient dedans. Là furent trouvées la plupart des hautes dames qui s'étaient enfuies au château;
là fut en effet trouvée la soeur du roi de France qui avait été impératrice, et la soeur du roi de
Hongrie, qui avait aussi été impératrice, et beaucoup d'autres dames. Du trésor qui était en ce
palais il n'en faut pas parler; car il y en avait tant que c'était sans fin ni mesure.
Tout comme ce palais fut rendu au marquis Boniface de Montferrat, fut rendu celui de Blaquerne à Henri, frère du comte
Baudouin de Flandre, la vie sauve à ceux qui étaient dedans. Là aussi fut trouvé un si grand trésor qu'il n'y en avait pas
moins qu'en celui de Bouchelion. Chacun garnit de ses gens le château qui lui fut rendu, et fit garder le trésor. Les autres
gens qui étaient répandus par la ville gagnèrent aussi beaucoup; et le butin fait fut si grand que nul ne vous en saurait dire le
compte, d'or et d'argent, de vaisselles et de pierres précieuses, et de satins et de draps de soie, et d'habillements de vair,
de gris et d'hermines, et de tous les riches biens qui jamais furent trouvés sur terre. Et bien témoigne Geoffroi de Ville-
Hardouin le maréchal de Champagne, à son escient et en vérité, que jamais, depuis que le monde fut créé, il n'en fut autant
gagné en une ville.
qu'il lui plut, et il y en avait assez. Ainsi se logea l'armée des pèlerins et des Vénitiens, et grande fut la joie de l'honneur
et de la victoire que Dieu leur avait donnés; car ceux qui avaient été en pauvreté, étaient dans la richesse et les délices.
Ils firent ainsi la Pâque fleurie [18 avril 1204] et la grande Pâque [25 avril] après, dans cet honneur et dans cette joie que
Dieu leur avait donnés. Et ils en durent bien louer Notre-Seigneur; car ils n'avaient pas plus de vingt mille hommes
d'armes entre eux tous; et par l'aide de Dieu ils avaient pris quatre cent mille hommes ou plus, et dans la plus forte ville
qui fût en tout le monde (et c'était une grande ville), et la mieux fortifiée.
Geoffroi de Villehardouin, Histoire de la conquête de Constantinople, Paris, Librairie Hachette et cie, 1870, pp. 92-93.
Traduction par Natalis de Wailly.

Selon Gunther de Pairis:


Une fois la ville prise, et devenue nôtre par droit de conquête, les vainqueurs s'employèrent
avec ardeur à la piller. Alors l'abbé Martin se mit, lui aussi, à songer à la part qu'il pourrait
retirer du butin, afin de ne pas rester seul les mains vides au milieu de toute une armée
enrichie. Il se proposa donc de diriger vers quelque proie ses mains consacrées. Mais, parce
qu'il n'estimait pas convenable de porter la main sur le butin séculier, l'idée lui vint de se
tailler une part de ces reliques dont il savait qu'il y avait grande abondance en ces lieux.
Présageant je ne sais quelle grande aventure, il prit avec lui un compagnon, et gagna une église que l'on tenait là-bas en
grande vénération, parce qu'elle abritait la noble sépulture de la mère du très illustre empereur Manuel, ce qui était quelque
chose pour les Grecs, mais dont les nôtres n'avaient cure. On conservait là un important trésor d'argent provenant de toute
la région d'alentour, ainsi que de précieuses reliques, apportées des églises et des monastères voisins, dans le vain espoir de
les mettre en sécurité en ces lieux; mais les nôtres l'avaient su, dès avant la prise de la ville, par ceux que les Grecs avaient
expulsés. Une foule de pèlerins fit irruption en même temps dans l'église; mais tandis que les autres s'employaient avec
ardeur à mettre à sac l'argent, l'or et tout ce genre d'objets de prix, Martin, lui, estimant que seuls des objets sacrés
valaient la peine de commettre un sacrilège, gagna un lieu plus secret: la sainteté des lieux lui semblait promettre ce qu'il
souhaitait par-dessus tout découvrir. Il se trouva là en présence d'un vieillard, avec une belle tête, une chevelure et une
barbe abondante. C'était un prêtre, mais son allure était bien différente des prêtes de chez nous; aussi Martin, persuadé
d'avoir affaire à un laïque, sans perdre son calme, mais prenant une voix redoutable, l'apostropha violemment disant: «Allez,
perfide vieillard, montre-moi les plus riches des reliques que tu gardes, ou la mort immédiate châtiera ton refus!»
Le vieillard, effrayé, plus par le bruit que par les paroles, car s'il entendait le bruit il ne pouvait comprendre les paroles,
sachant qu'il ne pourrait se faire comprendre de Martin en grec, entreprit dans le peu de latin qu'il savait, d'apaiser
notre homme et de fléchir une colère qui n'était que feinte. En réponse alors, l'abbé, dans le peu de mots de sa langue
qu'il put à grand-peine rassembler, fit comprendre au vieillard ce qu'il exigeait de lui. Alors ce dernier, considérant son

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visage et son habit, préférant laisser un religieux s'emparer avec crainte et révérence de saintes reliques, plutôt que de
risquer de voir des séculiers les souiller de leurs mains ensanglantées, ouvrit devant lui un coffre de fer. Et il lui
découvrit ce trésor désirable que Martin préférait et désirait plus que toutes les autres richesses de la Grèce. Quand il
le vit, l'abbé se hâta d'y plonger avidement, y allant des deux mains, puis, retroussant son vêtement le plus vivement qu'il
put, il en remplit le creux avec son saint sacrilège. Le clerc qui l'accompagnait en fit de même. Ils dissimulèrent ainsi ce
qui leur paraissait le plus précieux, puis, sans marquer de temps d'arrêt, ils sortirent...
Ainsi chargé, il allait, pressant le pas, vers les navires. Ceux qui le voyaient, qui le connaissaient et l'aimaient, et qui, de
leur côté, pressaient le pas vers le butin, lui demandaient en riant: «Avez-vous fait quelque rapine?» ou «De quels objets
allez-vous ainsi chargé?» Et lui, souriant, comme toujours, et affable: «Tout a bien marché pour nous», disait-il - et eux
de répondre: «Grâce en soient rendues à Dieu!» et il passait, en hâte, supportant avec peine tout ce qui pouvait le
retarder.
Gunther de Pairis dans Geoffroy de Villehardouin et Robert de Clari, Ceux qui conquirent Constantinople, Paris, Union
générale d'éditions, 1966, pp. 211-213. Traduction du comte Riant, Exuviae Sacrae Constantinopolitanae, tome I, Genève,
1877.

Selon Robert de Clari:


Quand les Français entendirent cela [que Murzuphle avait abandonné la ville], alors ils en furent tout joyeux; et puis on fit
crier alors par tout le camp que nul ne prît hôtel avant qu'on eût réglé comment on les prendrait. Puis alors s'assemblèrent
les hauts hommes et les riches, et ils décidèrent entre eux de telle façon que la menue gent n'en sut rien, pas plus que les
chevaliers pauvres de l'armée, qu'ils prendraient les meilleurs hôtels de la ville; et c'est depuis lors qu'ils commencèrent à
trahir la menue gent, et à user de leur mauvaise foi et à être mauvais compagnons, ce qu'ils ont payé depuis bien cher,
comme nous vous le dirons après. Ils envoyèrent donc saisir tous les meilleurs et le plus riches hôtels de la ville, de telle
façon qu'ils les eurent tous saisis avant que les pauvres chevaliers ou la menue gent de l'armée s'en aperçussent. Et, quand
les pauvres gens s'en aperçurent, alors ils s'en allèrent donc à qui mieux mieux, et ils prirent ce qu'ils purent saisir; ils en
trouvèrent pas mal, car la cité était fort grande et fort peuplée.

Et le marquis fit prendre le palais Bouke de Lion [Boucoléon], et le monastère Sainte-Sophie et les maisons du patriarche;
et les autres hauts hommes ainsi que les comtes firent prendre les plus riches abbayes et les plus riches palais qu'on put
y trouver, car, à partir du moment où la ville fut prise, on ne fit de mal ni aux pauvres ni aux riches. Au contraire, s'en alla
qui voulut s'en aller, et qui le voulut resta; et ce furent les plus riches de la ville qui s'en allèrent.
Puis après on commanda que tout le butin fût apporté à une abbaye qui était dans la ville. C'est là que l'on apporta le
butin, et l'on choisit dix chevaliers hauts hommes parmi les pèlerins et dix Vénitiens, que l'on considérait comme loyaux,
et on les commit à la garde de ce butin. Et, lorsque le butin eut été apporté là, qui était si riche et comportait tant de
riche vaisselle d'or et d'argent et d'étoffes brodées d'or et tant de riches joyaux que c'était une vraie merveille que le
butin qui fut apporté là, alors jamais, depuis que le monde fut créé, on ne vit ni ne conquit un butin aussi grand, aussi
noble, aussi riche, ni au temps d'Alexandre, ni au temps de Charlemagne, ni avant, ni après. Et je ne crois pas, quant à moi,
que dans les quarante plus riches cités du monde il y aurait autant de richesse qu'on en trouva à l'intérieur de
Constantinople. Et d'ailleurs, les Grecs attestaient que les deux tiers de la richesse du monde se trouvaient à
Constantinople, et le troisième tiers épars dans le monde. Et ceux-là mêmes, qui devaient garder le butin, ceux-là
prenaient les joyaux d'or ou des étoffes de soie brodées d'or, ou ce qu'il aimait le mieux, et puis il l'emportait. C'est de
cette façon qu'ils commencèrent à voler, si bien qu'on ne fit jamais de partage pour le commun de l'armée, ou les pauvres
chevaliers ou les sergents qui avaient aidé à gagner le butin, sauf pour le gros argent, comme les bassines d'argent que les
dames de la cité emportaient aux bains. Et le reste du bien qui était encore à partager fut dilapidé vilainement, comme je
vous l'ai dit, mais les Vénitiens en eurent néanmoins leur moitié; quant aux pierres précieuses et au grand trésor qui
restait à partager, tout cela s'en alla vilainement comme nous vous le dirons après.
Geoffroy de Villehardouin et Robert de Clari, Ceux qui conquirent Constantinople, Paris, Union générale d'éditions, 1966,
pp. 191-193. Traduction inspirée de Pierre Charlot, Poèmes et récits de la vieille France, Paris, De Boccard, 1939.

Les croisés assiègent Constantinople (1204)


Grandes Chroniques de France, Paris, XIVe siècle
(65 X 65 mm, BNF, FR 2813, fol. 245 v.)

INTRODUCTION

De ceux qui se croisèrent et qui conquirent Constantinople

Dans toute l'histoire des Croisades, peu d'événements ont soulevé autant de controverses que la prise de Constantinople
en 1204. Calomniée par certains et défendue par d'autres, cette quatrième croisade démontre non seulement la
surprenante déviation prise par les Francs qui devaient délivrer la Terre Sainte et non pas verser le sang de Chrétiens,

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mais également la dynamique économique et internationale du XIIIe siècle. Aujourd'hui, notre historiographie tente
d'éviter de trouver un coupable ou encore même de prendre position quant aux événements qui menèrent à la prise de
Constantinople. La plupart des historiens semblent d'ailleurs avoir perdu l'intérêt - ou peut-être l'énergie - de faire ce
genre d'histoire. De ce fait, bien qu'il était autrefois coutume de jeter le blâme sur les chefs francs de la croisade, ou
encore sur la manipulation des Vénitiens, la tendance actuelle semble être de trouver une cohérence entre les
différentes circonstances qui portèrent les croisés à ne plus voir Jérusalem comme le but ultime de leur entreprise, mais
plutôt Constantinople.
Nous tenterons, tout au long de ce récit, de nous pencher sur cet aspect précis. Il ne s'agira donc pas de justifier les
actes des Francs et encore moins de déterminer si Constantinople méritait le sort qui lui fut réservé. Plutôt, l'intérêt
sera de comprendre les fondements de la croisade, de même que les raisons de sa déviation. Cet objectif sera atteint par
l'étude chronologique des sources primaires de la quatrième croisade, des sources qui nous permettront d'entendre les
différents points de vue sur les événements qui s'y déroulèrent. Nous verrons donc les arguments des Francs, qui furent
conservés pour la postérité sous les plumes de Geoffroi de Villehardouin et de Robert de Clari. Nous verrons également
les propos de sources moins connues, mais non pas moins importantes, tels que les écrits de Nicetas Choniate, qui nous
présentent l'aspect byzantin de la prise de Constantinople. Sans oublier, par la suite, les arguments d'un moine de
l'abbaye de Pairis et les écrits d'un auteur anonyme qui rédigea un récit que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de
Chronique de Morée. Ainsi, nous serons en mesure d'apprécier l'histoire de la quatrième croisade dans son ensemble et
dans son intégrité, car nous écarterons les propos subjectifs de nos historiens contemporains pour regarder de façon
directe et sans équivoque les récits de ceux qui la vécurent.

Avant d'entreprendre la laborieuse tâche d'examiner les sources sur la quatrième croisade, un moment doit être
consacré à l'étude de leurs auteurs; les origines de ceux-ci, de même que leur appartenance religieuse et leurs
convictions politiques, peuvent grandement influer sur la valeur historique de leur oeuvre. En ce qui a trait à l'histoire de
la prise de Constantinople, les médiévistes n'ont certainement pas à se plaindre. Après tout, nous avons le récit d'un haut
dignitaire de l'armée franque, Geoffroi de Villehardouin, qui participa lui-même à l'entreprise et qui nous offre la
perspective des dirigeants de la croisade. Ensuite, nous avons le point de vue de ceux qui constituaient la plus grande
partie de l'armée, c'est-à-dire les soldats, sous la plume de Robert de Clari, qui était lui-même un chevalier de bas rang
ayant accompagné les croisés dans leur périple. Sans oublier, par la suite, Gunther de Pairis, qui nous présente l'attitude
du clergé face à l'assaut qui fut effectué sur la capitale byzantine. Ensuite, Nicetas Choniate, un "haut homme" qui était
membre de l'administration impériale, nous présente un témoignage fort bouleversant du point de vue grec sur l'ensemble
des événements. Finalement, l'auteur anonyme de la Chronique de Morée, bien qu'ayant écrit plusieurs années après la
croisade, met en lumière le mépris qui existait toujours entre Grecs et Latins au XIVe siècle. Mais encore la question se
pose: qui étaient vraiment ces auteurs et quelle est la valeur de leurs écrits?
Tout d'abord, la chronique de Geoffroi de Villehardouin est de loin la plus précieuse que nous possédons sur la quatrième
croisade. Son récit est sans aucun doute "le plus sûr, le plus cohérent, le plus construit."(1) Sans oublier qu'il participa à
plusieurs événements décisifs de la croisade, que ce soit par son rôle dans les négociations avec les Vénitiens ou encore
par ses efforts à réconcilier les différends entre l'Empereur Baudouin et son vassal, Boniface de Montferrat, à un
moment où l'emprise des Francs sur l'Empire byzantin était encore précaire. De par son rôle de premier plan dans la
croisade, Villehardouin était parfaitement en mesure de nous décrire des grands événements auxquels il prit part. Il
connaissait après tout les secrets et les discussions des chefs de l'expédition, ce qui lui permettait de nous transmettre
une histoire "véridique"(2), ou comme il l'aurait dit: "l'une des plus grandes merveilles et une des plus grandes aventures
qu'on eût jamais ouïes."(3)
Le récit de ce grand seigneur champenois est également d'un grand intérêt pour l'historiographie européenne, car celui-ci
était à l'avant-garde de tout ce que l'Europe avait connu jusqu'alors. En effet, son histoire en est une qui est destinée au
peuple, car elle est écrite en vieux français et non en latin (malgré la forme vulgarisée que cette langue avait acquise au
XIIIe siècle). Villehardouin n'avait donc aucun modèle sur lequel se pencher au moment de sa rédaction, aucun style à
copier.(4) De plus, son texte est d'une exactitude et d'un ordre remarquable. Pour un chevalier qui était certainement
plus habile à manier l'épée que la plume, Villehardouin nous présente un discours qui ne retient que l'essentiel, donc qui
rejette le superflu et qui évite de brouiller la chronologie des événements comme c'est souvent le cas chez d'autres
chroniqueurs.(5) Il se classe, comme Robert de Clari, parmi ceux qui rendirent officielle la laïcisation de l'histoire afin de
répondre aux voeux de la collectivité qui voulait entendre l'histoire des Croisades.
Malheureusement, nous savons peu de ses origines, à part qu'il hérita du titre de maréchal de Champagne. Le reste n'est
que de la conjecture. De plus, certaines limites sont présentes dans sa narration et son texte. Le plus flagrant est sans
doute le manque "d'humanité" qui marque son récit; il juge en effet plus opportun de décrire les stratégies militaires et
les rencontres diplomatiques, plutôt que les angoisses morales des hommes qui s'étaient vus excommuniés par le pape et
obligés de dévier de l'objectif de leur expédition vers une ville qui était nullement musulmane. Bien entendu, Villehardouin
était avant tout un homme de guerre, mais il reste que son texte ne contient pas les explications et les sentiments qui
menèrent à la prise de Constantinople et qui seraient d'un grand intérêt aux historiens aujourd'hui. L'étude de la
quatrième croisade ne peut donc se faire uniquement avec le texte de Villehardouin; bien qu'il offre une solide
chronologie des événements, il est pratiquement dénué des sentiments humains qui expliqueraient certains motifs
psychologiques des croisés.(6) Certains historiens ont même questionné sa sincérité, prétendant que Villehardouin aurait
altéré certains faits pour justifier les gestes des croisés face à ses contemporains.

58
Robert de Clari, en tant que pauvre chevalier picard, a connu "les incidents et les anecdotes de la guerre, il a combattu
dans les rangs des pauvres chevaliers, il a été le témoin de leurs exploits et l'écho fidèle de leurs plaintes."(7) De ce fait,
il complète l'oeuvre de Villehardouin. En effet, sa narration plutôt simpliste nous a permis de voir ce que négligent
plusieurs chroniqueurs de cette croisade, tels que les détails de la vie de l'armée. Contrairement à Villehardouin, Clari
n'omet pas ses sentiments et ses réflexions personnelles; son oeuvre est donc un atout important pour l'histoire qui nous
intéresse. Mais bien que Robert de Clari ait été un témoin oculaire des faits qu'il nous rapporte, son récit comporte de
nombreuses lacunes. Comme Villehardouin, sa vie nous est peu connue. Nous savons qu'il tire son nom de son fief de Cléry-
les-Pernois, dans la Somme. Après la croisade, il serait rentré en France avec sa part de butin et des reliques et aurait
décidé de mettre ses mémoires sur papier aux environs de 1216.(8) Il serait mort quelque temps après cette date.(9)
Ensuite, contrairement à Villehardouin, il est mal placé pour décrire les secrets des chefs de l'expédition et se contente
trop souvent de nous répéter les propos des racontars. Sa chronologie est de plus fort imprécise et remplie d'erreurs;
ceci est probablement dû à son manque de vision globale des événements étant donné sa situation modeste dans l'armée.
Enfin, une autre absence fort importante peut être trouvée chez Robert de Clari: son manque d'instruction. Ses
descriptions des endroits et des événements le prouvent, de même que son manque d'esprit critique quant aux
témoignages qu'il nous rend.(10) Mais quoi qu'il en soit, son témoignage en demeure un de premier plan en ce qui à trait à
l'histoire de la quatrième croisade, d'où l'importance que lui accordent plusieurs historiens.
Gunther de Pairis, Nicetas Choniate et l'auteur anonyme de la Chronique de Morée sont également d'un intérêt pour
notre recherche. Dans le cas de Gunther de Pairis, c'est moins une histoire de la quatrième croisade qu'il nous rapporte
qu'un inventaire des reliques recueillies à Constantinople par l'abbé Martin. Étant lui-même un moine de l'abbaye de Pairis
en Alsace, il écrit les mémoires de son abbé vers 1207 ou 1208. Dans son récit, il tente de justifier le pillage des reliques
de Constantinople en prétendant que les Grecs étaient devenus indignes de posséder de tels trésors.(11)
Quant à Nicetas Choniate, il nous est de la plus grande utilité en ce qui a trait à l'opinion byzantine de la conquête de
Constantinople. Si nous considérons que l'histoire est trop souvent écrite par les vainqueurs et très peu par les vaincus,
l'Histoire des Comnènes de Choniate demeure d'une importance capitale. Bien que brefs, ses propos sont chargés
d'émotion et décrivent avec détails l'angoisse ressentie par les Byzantins au moment où les Francs dévastaient leur ville.
Sans oublier que Choniate était un haut dignitaire de l'administration byzantine et que l'exactitude de ce qu'il nous
avance fait de lui un excellent historien.(12)
Finalement, la Chronique de Morée, bien que fortement critiquée pour l'inexactitude et le caractère souvent légendaire
de ses faits, nous offre une toute nouvelle perspective sur l'histoire de la quatrième croisade. En effet, ayant été
produite à une date tardive, soit au début du XIVe siècle (1324 ou 1328) (13), elle avance parfois des hypothèses fort
contestables, dont celle que le Pape Innocent III aurait été l'auteur de la déviation des croisés vers Constantinople dans
le but de "liquider" le schisme. (14) Toutefois, cette accusation nous permet de voir l'animosité qui existait toujours
entre Grecs et Latins au XIVe siècle sur la question du schisme et de la prise de Constantinople en 1204. (15) En fait, ce
que cette chronique nous offre est la vision du XIVe siècle de la quatrième croisade, de même qu'une description fort
détaillée de l'installation des Francs dans le Péloponnèse. Son auteur, quant à lui, nous est inconnu. Certaines hypothèses
prétendent qu'il serait né en Grèce, tout en étant de descendance franque, étant donné le mélange étonnant de grec et
de français qu'il nous offre, de même que les accusations qu'il lance envers les Grecs "perfides". (16) De ce fait, étant
issu de deux cultures, cet auteur nous dresse un portrait intéressant des relations entre Grecs et Latins suivant le XIIIe
siècle.
Sans plus tarder, examinons cette curieuse et controversée expédition que fut la quatrième croisade.

Références:
Noël Coulet dans G. de Villehardouin et R. de Clari, Ceux qui conquirent Constantinople, Paris, Union générale d'éditions,
1966, p. 14.
(2) Plusieurs ont critiqué la sincérité de Villehardouin. À ce sujet, voir l'étude de Edmond Faral, "Geoffroy de
Villehardouin: la question de sa sincérité", Revue historique, 1936, p. 530-582.
(3) Natalis de Wailly dans G. de Villehardouin, Histoire de la conquête de Constantinople, Paris, Librairie Hachette et cie,
1870, p. X.
(4) N. de Wailly dans G. de Villehardouin, Histoire de la conquête de Constantinople, p. V.
(5) N. Coulet dans G. de Villehardouin et R. de Clari, Ceux qui conquirent Constantinople, p. 14.
(6) N. Coulet dans G. de Villehardouin et R. de Clari, Ceux qui conquirent Constantinople, p. 15.
(7) N. de Wailly dans G. de Villehardouin, Histoire de la conquête de Constantinople, p. X.
(8) N. Coulet dans G. de Villehardouin et R. de Clari, Ceux qui conquirent Constantinople, p. 16.
(9) Philippe Lauer dans R. de Clari, La conquête de Constantinople, Paris, Librairie ancienne Honoré Champion, 1956, p.
VIII.
(10) P. Lauer dans R. de Clari, La conquête de Constantinople, p. VIII-IX.
(11) N. Coulet dans G. de Villehardouin et R. de Clari, Ceux qui conquirent Constantinople, p. 17.
(12) Gérard Walter, La conquête de la Terre Sainte par les Croisés , Paris, Albin Michel, 1973, p.342.
(13) J.A.C Buchon, Chroniques étrangères relatives aux expéditions françaises pendant le XIIIe siècle , Paris, Paul Daffis
(libraire-éditeur), 1875, p. XII.
(14) J.A.C Buchon, Chroniques étrangères relatives..., p. 13.

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(15) N. Coulet dans G. de Villehardouin et R. de Clari, Ceux qui conquirent Constantinople, p. 18.
((16) J.A.C Buchon, Chroniques étrangères relatives..., p. XII - XV.

LES PRÉPARATIFS ET LES NÉGOCIATIONS À VENISE


(1198 - avril 1201)

Le 8 janvier 1198, Innocent III fut élu pontife et signala rapidement son intention de relancer la croisade afin de
reprendre Jérusalem, qui avait été conquise par Saladin quelques années plus tôt. Comme Urbain II l'avait fait cent ans
auparavant à Clermont, Innocent lança un appel à toute la chrétienté le 15 août de cette même année, mais avec une
nuance bien importante: il obligea chaque ville, de même que chaque comte et baron, de fournir des hommes pour
l'expédition à leurs frais et pour une durée de deux ans. Toutefois, il n'adressa pas son appel directement aux rois; ainsi,
bien qu'ils furent invités à se croiser, ceux-ci n'eurent aucun contrôle direct sur l'entreprise. Contrairement aux
croisades antérieures, Innocent III s'assura que la croisade serait sous l'autorité papale. (1)
Dans sa première encyclique, Innocent pria donc les croisés de se préparer pour le mois de mars suivant, c'est-à-dire
pour l'année 1199, afin d'organiser le départ pour la Terre Sainte dans les plus brefs délais. De plus, pour encourager
l'enrôlement à sa grande entreprise, le pape reformula l'idée d'indulgence selon les enseignements de saint Bernard et
Eugène III. En effet, il annonça que quiconque se croiserait aurait "la promesse, faite au nom de Dieu, de la rémission
des châtiments encourus à cause du péché, qu'ils fussent appliqués par l'Église elle-même ou par Dieu, dans ce monde ou
dans l'autre." (2) La correspondance d'Innocent reflète effectivement cette innovation dans l'idée d'indulgence:

Geoffroi de Villehardouin appui également ceci lorsqu'il nous relate, au tout début de sa chronique, la prédication faite
par Foulque de Neuilli et Pierre de Capoue:

Comme Villehardouin nous le rapporte, l'enthousiasme des Chrétiens fut énorme, même si l'objectif d'Innocent
d'assembler une armée pour le mois de mars ne fut pas atteint; des difficultés financières retardèrent le rassemblement
des pèlerins. Or, la croisade prit vraiment forme, si l'on s'en tient aux propos de Villehardouin, le 28 novembre 1199 lors
d'un tournoi à Écry. C'est à ce moment que deux jeunes comtes qui étaient dans la vingtaine et qui étaient neveux du roi
de France, et dont les noms étaient Thibaud de Champagne et Louis de Blois, se croisèrent avec deux seigneurs de l'Île-
de-France, Simon de Montfort et Renaud de Montmirail. Villehardouin, qui était maréchal de Champagne, fut également
parmi ceux qui se croisèrent lors de cet événement. Le 23 février de l'année suivante, le comte Baudouin de Flandres et
de Hainault prit également la Croix, suivi de ses frères Henri et Eustache. (3) Vers la fin de 1200, certains estiment
qu'entre huit et dix mille soldats s'étaient enrôlés dans l'expédition. (4) Par la suite, deux réunions, l'une à Soissons et
l'autre à Compiègne, servirent à planifier l'expédition. Baudouin de Flandres, dont les ancêtres avaient une longue
tradition de croisés, usa largement de son influence lors de ces rencontres. (5) La décision fut alors prise d'utiliser la
mer pour se rendre en Orient (6) et de faire appel à Venise pour les détails du transport.

Des six émissaires envoyés pour faire le marchandage à Venise, nous trouvons Geoffroi de Villehardouin. Suite à un long
voyage à travers les Alpes, les émissaires arrivèrent à Venise au mois de février. Là, ils rencontrèrent le doge Enrico
Dandolo, qui était alors âgé d'environ quatre-vingt-dix ans, mais qui représentait toujours fidèlement les intérêts
commerciaux de la ville maritime. (7) Les envoyés des Francs présentèrent alors leurs demandes, qui nous sont fidèlement
rapportées par Villehardouin dans sa chronique:

Robert de Clari, bien qu'il n'était pas un témoin oculaire des événements, nous offre un témoignage sensiblement
identique à celui du maréchal de Champagne:

Quant à la Chronique de Morée, son auteur anonyme nous présente un tableau semblable, mais qui reflète les tendances
mentionnées dans l'introduction: la glorification des Francs au détriment des Byzantins. Il est d'ailleurs intéressant de
remarquer l'éloge qu'Enrico Dandolo fait de Villehardouin et de ses compagnons, chose qui n'est aucunement rapportée ni
par ce dernier ni par Clari. Or, la chronique ayant été écrite environ cent ans après la croisade, nous sommes ici témoins
des légendes qui s'étaient formées autour de la fameuse rencontre à Venise.

Références:
(1) Donald E. Queller, The Fourth Crusade, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1977, p. 1.
(2) Jonathan Riley-Smith, Les Croisades, Paris, Éditions Pygmalion, 1990, p. 143.
(3) Kenneth M. Setton, A History of the Crusades, volume II. Madison / Londres, The University of Winconsin Press,
1969, p. 158-159.
(4) K. M. Setton, A History of the Crusades, volume II, p. 160.
(5) J. Riley-Smith, Les Croisades, p. 145.

60
(6) À ce stade de l'histoire des Croisades, les voies maritimes étaient reconnues comme plus sûres et moins difficiles que
les voies terrestres, telles qu'empruntées par les soldats de la première croisade.
(7) Si ce nombre est exact, Dandolo aurait donc eu environ quatre-vingt-quinze ans lors de la prise de Constantinople Or,
il semble peu probable que Dandolo ait été aussi âgé, étant donné la part active qu'il prit plus tard dans la croisade.
Pourtant, la plupart des sources de l'époque s'entendent pour dire qu'il était d'un âge très avancé. À ce sujet, voir K. M.
Setton, A History of the Crusades, volume II, p. 162.

DÉVIATIONS

(mai 1201 - janvier 1203)

Lorsque les six délégués retournèrent en France, satisfaits de leur accord avec les Vénitiens, ils apprirent que Thibaut de
Champagne était mourant. Puisque celui-ci avait été le premier à se croiser, plusieurs le voyaient comme le commandant de
l'expédition, de sorte que l'on tenta rapidement de le remplacer au moment de sa mort au mois de mai. (1) Lors d'une
assemblée à Soissons en juin 1201, Villehardouin proposa la nomination du comte Boniface de Montferrat comme
commandant des forces armées.(2) Après maintes discussions, les barons décidèrent que Boniface serait effectivement
le meilleur chef pour l'armée.
Au milieu de l'été de 1202, plusieurs croisés commencèrent à se diriger vers Venise. C'est à ce moment que les dirigeants
de la croisade réalisèrent dans quel danger leur entreprise était, et ceci avant même le départ. En effet, parmi ceux qui
s'étaient croisés, il y eut de nombreuses défections et déviations; certains revinrent sur leur parole de se croiser, alors
que d'autres décidèrent de gagner la Terre Sainte par un chemin autre que Venise. À l'automne, seulement un tiers des
33 500 hommes prévus étaient arrivés dans la ville maritime, de sorte que les croisés furent incapables de remplir leurs
engagements financiers envers les Vénitiens. Même après une importante collecte auprès de chaque croisé, l'armée
devait toujours 34 000 marcs d'argent pour une flotte que les Vénitiens avaient mis toutes leurs ressources à construire.
Plusieurs, dont Villehardouin, jetèrent le blâme de ce malheur sur de ceux qui ne remplirent pas leurs voeux ou qui se
dirigèrent vers d'autres ports. Toutefois, nous devons également considérer l'hypothèse que les six délégués envoyés à
Venise auraient surévalué le nombre de croisés. Après tout, même si tous les contingents de croisés déserteurs s'étaient
rendus à Venise, le nombre n'aurait pas atteint la moitié du 33 500 prévu.
Pour régler ce malheureux contretemps, les Vénitiens, qui s'attendaient toujours à être dédommagés pour leur
investissement, proposèrent une issue qui leur serait avantageuse. En effet, depuis quelques années, Venise éprouvait des
difficultés à maintenir son contrôle sur certains ports qui lui étaient affiliés. C'était le cas de Zara, un port de la côte
dalmate, qui avait pris le parti du roi de Hongrie et tourné son dos à Venise. Enrico Dandolo, le doge, proposa alors aux
croisés de retarder le paiement de leur dette, mais à la condition que ceux-ci aident les Vénitiens à ramener Zara sous leur
tutelle.
La discorde s'établit donc dans l'armée; certains étaient favorables à la proposition du doge, alors que d'autres
refusaient de lever l'épée contre des Chrétiens, le but de la croisade étant après tout de mettre à sang les Musulmans
seulement. Les dirigeants, quant à eux, se montrèrent pragmatiques: s'ils refusaient la proposition, ils perdraient l'argent
qu'ils avaient investi dans l'entreprise et celle-ci serait sans aucun doute annulée avant même qu'elle n'ait commencée; en
contrepartie, s'ils prenaient Zara, ce ne serait qu'un léger contretemps dans la croisade et ils pourraient rapidement
remettre le cap sur Jérusalem. (6)
La décision fut donc prise d'accepter les conditions de Dandolo. Lorsque la déviation fut
annoncée, un grand nombre de pèlerins se détacha de l'armée, surtout les membres du clergé.
Boniface de Montferrat, le chef même de la croisade, décida de ne pas participer à cet
événement par peur de représailles et se rendit à Rome; ce n'est qu'après la chute de Zara qu'il
rejoignit l'armée. (7)
Cependant, d'autres restèrent, dont l'abbé Martin de Pairis, pour assurer une "direction spirituelle" à l'expédition. (8)
Quant aux Vénitiens, le doge et plusieurs de ses sujets se croisèrent. À ce point dans sa chronique, Villehardouin nous
relate l'histoire du jeune prince byzantin Alexis (qui devint plus tard Alexis IV), qui envoya un message aux croisés
concernant le déposition de son père, l'empereur Isaac II Ange, et l'usurpation de son oncle, Alexis III:

Suite à cette conversation avec les messagers d'Alexis, l'armée quitta Venise en octobre 1202. La flotte, qui était
impressionnante, se contenta de faire des démonstrations de force le long de la côte dalmate avant de débarquer à Zara
le 10 novembre.(9) Pendant ce temps, Pierre de Capoue, qui avait été un des premiers prédicateurs de la croisade avec
Foulque de Neuilli, se disputa avec les chefs croisés. En effet, lorsqu'on l'informa qu'il était libre de suivre l'armée, mais
comme simple pèlerin plutôt que comme légat du pape, il se rendit tout indigné à Rome pour dénoncer les intentions des
croisés au pontife. Innocent III s'empressa alors d'envoyer une lettre à l'armée qui campait devant Zara, leur
interdisant d'attaquer une ville qui appartenait au roi de Hongrie (l'une des raisons étant que ce roi s'était lui-même
croisé).(10) Plusieurs barons qui étaient dans le camp s'opposèrent alors ouvertement à une attaque sur Zara. Toutefois,

61
lorsque la décision fut prise de désobéir au pape et de prendre la ville, ceux-ci ne s'interposèrent pas et s'éloignèrent
simplement de l'armée afin de ne pas prendre part à cette attaque déplorable. Après deux semaines de siège et
d'assauts, la ville capitula le 24 novembre 1202; les habitants furent épargnés et le butin fut divisé tel que convenu entre
Francs et Vénitiens.(11) Puisque l'hiver s'était déjà installée, les croisés décidèrent de séjourner à Zara jusqu'au
printemps. Quant à Boniface, il revint dans l'armée à la mi-décembre.
C'est alors que des messagers de Philippe de Souabe, l'empereur d'Allemagne, se présentèrent à Zara. Ceux-ci avait été
envoyés par Philippe, mais au nom du jeune Alexis, dont le père était toujours en prison et dont l'oncle gouvernait
toujours Constantinople, pour encore une fois faire des propositions aux croisés. Ces propositions, de même que la
conversation les entourant, nous sont rapportées par Villehardouin, Clari et la Chronique de Morée. Tout d'abord,
Villehardouin nous offre un témoignage précis, du fait qu'il était lui-même présent à cette rencontre:

Robert de Clari, de son côté, nous présente une perspective bien différente de celle de Villehardouin: les croisés auraient
proposé leur aide au jeune Alexis et non le contraire. Bien qu'il contredit le récit de Villehardouin et que ce dernier était
un témoin occulaire des événements, le témoignage de Clari reflète bien celui de Villehardouin en ce qui a trait aux détails
de la convention entre Alexis et les chefs croisés. De plus, Clari nous souligne bien les problèmes financiers qui existaient
au sein de l'armée, des problèmes qui préoccupaient certainement plus les "petits" chevaliers que les "grands".

En comparant les extraits de Villehardouin et de Clari, il est intéressant de noter les quelques différences au sujet des
promesses faites par le jeune Alexis. Bien entendu, les deux chroniqueurs s'entendent pour dire que l'héritier de
l'Empire byzantin avait promis deux cent mille marcs à l'armée, de même que des vivres aux croisés et l'entretien de dix
mille hommes outre-mer à ses frais pour une durée de un an. Toutefois, Clari néglige deux clauses importantes du contrat:
que l'Église grecque serait ramenée sous la tutelle de Rome et que cinq cents chevaliers seraient maintenus en Terre
Sainte jusqu'à la mort d'Alexis. L'explication pour ces omissions est bien simple: les inquiétudes de Clari se fixaient
davantage sur les besoins immédiats de l'armée (tels que la promesse de vivres pour un an) plutôt que sur les promesses à
long terme et à caractère politique (tels que la fin du schisme entre les Églises d'Orient et d'Occident). Encore une fois,
nous sommes témoins de l'importance de la chronique de Robert de Clari, qui nous montre des détails que Villehardouin
néglige, même si celle-ci est parfois inexacte au niveau de sa chronologie.
Enfin, la Chronique de Morée nous offre encore une fois une rétrospective de la croisade à travers les yeux d'un
chroniqueur du XIVe siècle, même si légendaire sur certains aspects et fausse au niveau de sa chronologie. Toutefois,
l'extrait présenté ici met en lumière l'idée que le pape aurait participé à la déviation de la croisade vers Constantinople.
Cette idée, qui a d'ailleurs provoqué plusieurs disputes entre historiens, est fausse à première vue, si nous considérons
que la pape condamna ouvertement l'action des croisés. Ce ne serait que lorsque la ville impériale fut prise qu'il réalisa les
avantages pour l'Église de Rome et retira son excommunication. Cependant, certains historiens ont soulevé l'hypothèse
qu'Innocent III aurait souhaité la prise de Constantinople. Pourquoi? Probablement en raison de son mépris pour les
Grecs qui rejetaient l'Église catholique. Toutefois, il aurait dissuadé la déviation dans ses politiques par peur d'un échec
de l'expédition et parce que Jérusalem constituait toujours le but officiel de la croisade.(12) Innocent aurait donc été
favorable à une attaque sur Constantinople, mais de façon non-officielle, de sorte qu'il aurait les mains propres si jamais
une telle entreprise échouait. Ceci rejoint d'ailleurs l'hypothèse de A. Frolow, qui étudia la question et qui proposa que
"l'idée de la croisade, issue des guerres saintes au service de l'Église, avait suivi, dès les origines, un développement
parallèle à l'idée de la liquidation du schisme." (13) Ce que la Chronique de Morée nous révèle sont donc les dessous
possibles de la politique d'Innocent III, chose que ni Villehardouin ni Clari ne présentent.

En somme, comme Robert de Clari et la Chronique de Morée nous l'ont exposé précédemment, les propositions d'Alexis
provoquèrent de grandes discordes au sein de l'armée. Certains jugèrent mieux de ne plus désobéir au pape et quittèrent
l'armée; d'autres refusèrent d'accepter que l'armée soit dissoute, donc décidèrent de faire l'accord avec Alexis et de
mettre le cap vers Constantinople. Ceux-ci furent naturellement excommuniés par Innocent, de sorte que des délégations
lui furent envoyées afin d'absoudre les croisés de leurs péchés. Le pape accepta de les pardonner (sauf les Vénitiens, à
qui il tint rancune), à condition qu'ils rendent le butin pillé à Zara et n'attaquent plus de villes chrétiennes.(14) Toutefois,
ces exigences ne furent aucunement respectées, car en juin 1203, la flotte apparaissait déjà devant les hautes murailles
de la capitale byzantine.

Références:
(1) Ellen E. Kittel a écrit un article fort intéressant sur la question du commandement de Thibaud de Champagne au tout
début de la croisade. Or, étant donné qu'il fut le premier grand baron à prendre la Croix, il est normal qu'il ait eu un rôle
de première ligne dans les décisions de l'expédition. Toutefois, Kittel avance l'idée que Thibaud aurait tenu le titre de
commandant informellement, de sorte que Boniface de Montferrat aurait été le premier dirigeant officiel de la croisade.
Voir Ellen E. Kittel, "Was Thibault of Champagne the Leader of the Fourth Crusade?", Byzantion, tome LI, 1981, p. 557-
565.
(2) Donald E. Queller, The Fourth Crusade, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1977, p. 22-23.
(3) Jonathan Riley-Smith, Les Croisades, Paris, Éditions Pygmalion, 1990, p. 147.
(4) Kenneth M. Setton, A History of the Crusades, volume II. Madison / Londres, The University of Winconsin Press,
1969, p. 167.

62
(5) K. M. Setton, A History of the Crusades, volume II, p. 167.
(6) K. M. Setton, A History of the Crusades, volume II, p. 168.
(7) Jonathan Riley-Smith, Les Croisades, p. 147.
(8) Jonathan Riley-Smith, Les Croisades, p. 147.
(9) Jonathan Riley-Smith, Les Croisades, p. 148.
(10) K. M. Setton, A History of the Crusades, volume II, p. 173.
(11) Il s'agit de mentionner que ce partage ne se fit pas sans encombre; trois jours après que la ville fut pillée, un conflit
surgit entre Francs et Vénitiens, provoquant la mort de plusieurs. K. M. Setton, A History of the Crusades, volume II, p.
174.
(12) D. E. Queller, The Fourth Crusade, p. 85-86.
(13) A. Frolow, "La déviation de la Quatrième Croisade", Revue de l'Histoire des Religions , CXLVI, #1, p.80.
(14) Jonathan Riley-Smith, Les Croisades, p. 149.

ARRIVÉE À CONSTANTINOPLE
(janvier - juin 1203)

Arrivée des navires occidentaux devant Constantinople, accompagnés


du jeune Alexis, en 1203 (Bibliothèque Nationale, Paris, XVe siècle).

Lorsque le printemps s'installa à Zara, la flotte croisée se remit encore une fois en route, cette fois-ci pour Corfou, où
elle devait faire escale. Pendant ce temps, Boniface de Montferrat et le doge de Venise, Enrico Dandolo, restèrent à
Zara pour attendre en personne l'arrivée d'Alexis. Plus tard, ceux-ci rejoignirent l'armée à Corfou. Toutefois, les
habitants de l'île s'opposèrent à l'arrivée du prince grec et attaquèrent la flotte.(1) L'île fut donc dévastée par les
croisés et la flotte regagna le large le 24 mai 1203, cette fois-ci pour se rendre directement à Constantinople. Il y
arrivèrent le 24 juin, le jour de Saint-Jean, et s'installèrent sur la rive opposée du Bosphore. Naturellement,
l'émerveillement des croisés à la vue de Constantinople fut grand. La ville impériale était après tout l'une des plus riches
et mieux fortifiées de l'époque. Villehardouin nous décrit brièvement les premières impressions de l'armée dans sa
chronique:

Quant à Clari, il nous explique non seulement l'émerveillement de l'armée, mais également l'étonnement réciproque des
Grecs qui étaient dans la ville:

"Les croisés arrivent à Constantinople", miniature dans la "Conquête de


Constantinople, copie de Geoffroi de Villehardouin, XIVe siècle, Bodleian
Library, Oxford.

Plus déterminés que jamais, les croisés installèrent leur camp et évaluèrent la situation. Ils commencèrent par piller les
régions environnantes, de sorte qu'ils confrontèrent les quelques contingents grecs qu'Alexis III avait placé pour
surveiller les mouvements des Francs. Les Grecs, bien qu'ils étaient en plus grand nombre, furent mis en déroute.
L'empereur, lorsqu'on lui annonça cette nouvelle, envoya un ambassadeur aux chefs de l'armée.(2) Encore une fois, cette
rencontre nous est relatée par Villehardouin:

Après avoir répondu de la sorte au messager de l'empereur, les chefs croisés décidèrent de faire directement appel au
jugement du peuple grec. Pour ce faire, Boniface de Montferrat, Enrico Dandolo et le jeune Alexis montèrent à bord
d'une galère, qui navigua le plus près possible des murailles maritimes de la ville. Ils présentèrent alors Alexis à ceux qui
y étaient présents et demandèrent à voix haute s'ils reconnaissaient cet homme comme leur empereur. Voici ce que
Robert de Clari nous en dit:

Quant à Villehardouin, qui fut probablement parmi ceux qui montèrent à bord des galères, voici son récit, qui est
d'ailleurs très semblable à celui de Clari:

Références:
(1) Kenneth M. Setton, A History of the Crusades, volume II. Madison / Londres, The University of Wisconsin Press,
1969, p. 176-177.
(2) Donald E. Queller, The Fourth Crusade, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1977, p. 92.

LA PRISE DE CONSTANTINOPLE
(juin - juillet 1203)

63
Constantinople en 1204 (RILEY-SMITH, Jonathan. Atlas des
croisades. Paris, Éditions Autrement, 1996, p. 85)

Lorsque les Grecs refusèrent de reconnaître le jeune Alexis comme leur empereur, les croisés commencèrent
immédiatement à se préparer au combat. Tout d'abord, les chefs déterminèrent que les Francs attaqueraient par les
remparts terrestres et que les Vénitiens, qui commandaient la flotte, attaqueraient par les remparts maritimes. Du côté
terrestre, les Francs assemblèrent donc toutes leurs forces, qui devaient atteindre environ dix mille hommes après
toutes les défections qu'elles avaient subies, et les divisèrent en sept branches, chacunes commandées par un haut baron.
Le 5 juillet, les croisés traversèrent le Bosphore et prirent la Tour de Galata, s'assurant ainsi le contrôle de cette rive
de la Corne d'Or. Quant aux Vénitiens, ils rompirent la fameuse chaîne qui empêchait la flotte d'entrer dans la Corne
d'Or et soumirent les quelques galères byzantines qui étaient supposées défendre la ville. (1)
Lorsque ceci fut accompli, les Francs durent mettre dix jours de travail et d'effort pour
assiéger la ville. En effet, pour contourner la ville et amener l'armée devant les murailles
terrestres, un pont dut être construit pour passer sur une rivière qui lui bloquait la route.
Ensuite, une fois installés devant la section des murs près du palais de Blachernes, les Francs
se virent dans l'obligation de construire des palissades pour contrer les nombreux raids que les
Grecs effectuèrent sur leur camp. Les Vénitiens, de leur côté, s'attardèrent à maintenir leur
position dans la Corne d'Or et à construire des plates-formes et des estrades sur leurs galères
qui serviraient à escalader les remparts maritimes de la ville. (2) Ainsi, après ce grand labeur,
les croisés étaient en mesure de donner l'important assaut sur Constantinople qui viendrait le
17 juillet 1203.
En ce jour, les Francs choisirent une section du rempart à attaquer et s'y lancèrent de toutes leurs forces. Toutefois, la
Garde varègue, composée essentiellement d'Anglais et de Danois, défendirent avec succès la ville contre l'assaut. Du côté
maritime, l'attaque des Vénitiens fut plus fructueuse; à l'aide des plate-formes sur leurs navires, ils réussirent à prendre
vingt-cinq tours de la muraille. Alexis III, voyant ceci, décida d'envoyer une grande armée hors de la ville pour attaquer les
Francs sur la plaine.
Mais ce ne fut qu'une ruse, car les Vénitiens, apprenant que les Francs étaient attaqués, abandonnèrent les tours pour
leur venir en aide. L'empereur fit ensuite entrer son armée dans la ville, sans même qu'elle n'ait engagée l'armée franque,
et reprit les tours de la muraille maritime. (3)
Robert de Clari, qui était sans aucun doute parmi les chevaliers qui menèrent l'assaut sur les murailles terrestres, nous
relate la confusion qu'il y eut entre Vénitiens et Francs à ce moment crucial du combat. Il nous explique également

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comment, malgré cette ruse et cette victoire temporaire, l'empereur Alexis III décida de s'enfuir secrètement de
Constantinople le soir même.

La ville ainsi abandonnée, les Byzantins s'empressèrent de libérer Isaac et de le remettre sur le trône. Ils avertirent
ensuite les croisés de leur action. Les Francs, méfiants, envoyèrent quatre représentants pour vérifier si ceci était vrai
et si Isaac serait prêt à respecter les engagements de son fils. Parmi ces délégués, nous trouvons encore une fois
Geoffroi de Villehardouin, qui nous décrit la rencontre avec Isaac et l'entrée triomphante des croisés dans
Constantinople:

Références:
(1) La grande et puissante flotte byzantine de l'époque de Manuel Comnène avait été laissée à l'abandon par ses
successeurs, encore plus par Alexis III, de sorte qu'elle ne représentait qu'une infime partie de son ancienne gloire
lorsque les Vénitiens pénétrèrent dans la Corne d'Or. Voir Donald E. Queller, The Fourth Crusade, Philadelphia,
University of Pennsylvania Press, 1977, p. 88.
(2) Kenneth M. Setton, A History of the Crusades, volume II. Madison / Londres, The University of Winconsin Press,
1969, p. 178-179.
(3) K. M. Setton, A History of the Crusades, p. 179.

MALENTENDUS ENTRE LES CROISÉS ET LES GRECS


(août 1203 - mai 1204)

Isaac II est replacé sur le trône impérial par son fils, Alexis IV

Durant les mois suivants août 1203, les relations entre les croisés et les Grecs, dont les nouveaux empereurs étaient
maintenant Isaac II et Alexis IV Ange, commencèrent à se détériorer. Au départ, Alexis semble avoir respecté ses
engagements envers les croisés en leur versant une partie des deux cent mille marcs qu'il leur devait. Les Francs
utilisèrent alors la somme pour rembourser une très grande partie de leur dette envers les Vénitiens, se libérant enfin de
leurs obligations envers eux. Ensuite, Alexis pria les croisés de retarder leur voyage à Jérusalem jusqu'au printemps afin
de lui laisser le temps d'amasser la balance des marcs qui leur devait. Les pèlerins acceptèrent tout naturellement,
épuisés par les événements des derniers mois. Toutefois, cet arrangement provoqua certaines tensions avec les Grecs de
la ville et le clergé orthodoxe, qui méprisaient la présence des Latins dans leur pays.(1) Pendant une expédition qu'Alexis
fit à la poursuite de son oncle et pour soumettre les régions qui résistaient à sa succession, une émeute éclata dans
Constantinople, où le quartier latin fut pillé et ses habitants furent massacrés ou chassés. De plus, dès le retour d'Alexis,
celui-ci se montra plus distant envers ses protecteurs et commença même à manquer à ses devoirs envers eux.
Au mois de novembre, les croisés décidèrent d'envoyer six délégués auprès d'Alexis avec un ultimatum: qu'il respecte ses
promesses envers eux, ou qu'il se prépare à la guerre. Geoffroi de Villehardouin, comme à l'habitude, participa à la
rencontre avec Alexis et son père Isaac.

Les remparts terrestres Constantinople. Depuis leur construction par l'Empereur Théodose II au Ve siècle, ces murs
avaient résisté aux assauts consécutifs de plusieurs ennemis de Byzance, dont les Huns, les Arabes et les Bulgares. Ils
représentaient donc, pour l'armée de croisés, un obstacle considérable. Même aujourd'hui, plus de cinq cents ans après la
chute de Constantinople en 1453, les fortifications demeurent toujours aussi impressionates.
Robert de Clari nous présente un récit fort semblable, mais y ajoute l'idée que l'empereur Alexis aurait été influencé par
ses conseillers à ne plus tenir ses engagements envers les croisés. Bien entendu, ce que Clari nous avance n'est que de la
conjecture, car il ne pouvait savoir quels événements dans l'entourage d'Alexis l'aurait porté à ne pas payer ses dettes. À
moins qu'il n'ait entendu cette hypothèse des Grecs eux-mêmes, Clari nous offre dans le prochain extrait
l'interprétation de l'armée sur la trahison d'Alexis: Murzuphle, celui qui renverserait plus tard Alexis, en aurait été
l'auteur avec l'aide de quelques conspirateurs. Ceci enlèvait donc une partie du blâme d'Alexis, en qui les croisés avaient
mis leur entière confiance, tout en calomniant Murzuphle, qui deviendrait rapidement un de leur grand ennemi.

La Chronique de Morée soulève également cette idée qu'Alexis aurait été influencé par ses conseillers. Toutefois, son
auteur fait l'erreur de supposer qu'Alexis aurait été l'auteur de l'émeute dans la ville, alors qu'il était parti en
expédition. Il est à noter également son aversion pour les Grecs, ce qui a porté plusieurs historiens à supposer qu'il serait
né en Grèce, mais serait de descendance franque.

Références:
(1) Jonathan Riley-Smith, Les Croisades, Paris, Éditions Pygmalion, 1990, p. 149.

LE SAC DE CONSTANTINOPLE
(avril 1204)

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En janvier 1204, un coup d'état vint mettre fin aux prétentions et à l'arrogance d'Alexis IV; en effet, un des hommes
qu'il avait libéré de prison au moment de son couronnement, un dénommé Murzuphle, étrangla le jeune Alexis et assassina
probablement son père. (1) Et comme le jeune Alexis, qui avait tenté d'incendier la flotte vénitienne après avoir rejeté
l'ultimatum des croisés, Murzuphle représenta un danger pour l'armée; celui-ci fit reconstruire les remparts maritimes
et déclara ouvertement, afin de gagner la faveur populaire, qu'il débarrasserait la ville des Latins.
Les croisés se trouvaient alors en une bien mauvaise situation. Murzuphle était maintenant empereur, de sorte qu'ils
n'avaient aucun espoir de récupérer l'argent promis par Alexis et Isaac. De plus, ils n'avaient plus suffisamment d'argent
ni de vivres pour revenir en Occident et encore moins poursuivre leur route en Orient.(2) Leur seule solution était,
semble-t-il, de prendre Constantinople et d'y accaparer les richesses. Étant donné l'envergure de cette nouvelle
entreprise et l'importance du butin impliqué, les Francs et les Vénitiens firent un nouvel accord sur la façon de diviser les
richesses. Tout d'abord, les Vénitiens recevraient trois quart du total du butin; les Francs auraient un quart. Quant aux
vivres, ils seraient divisés de façon égale entre les Vénitiens et les Francs. Enfin, Venise conserverait tous les privilèges
commerciaux et religieux, de même que les propriétés dont elle avait joui dans l'Empire byzantin. Les croisés allèrent
même jusqu'à déterminer la façon dont se ferait l'élection du nouvel empereur: douze électeurs, six Vénitiens et six non-
Vénitiens, choisiraient l'homme le plus digne de devenir empereur. Cet homme aurait également droit à un quart de
l'empire et à deux palais impériaux, celui de Blachernes et de Boucoléon ; l'autre trois quart serait divisé également
entre Vénitiens et Francs.(3) De nombreuses autres clauses furent de même ajoutées au traité, celles-ci plus
pointilleuses et démontrant l'intention à long terme des croisés de diviser l'Empire byzantin en fiefs.
Une fois l'accord conclu, un premier assaut fut tenté le 9 avril 1204 à l'aube sur les remparts
maritimes, où les Vénitiens avaient eu le plus de succès l'année précédente. Après plusieurs
heures de combat désespéré, l'attaque des croisés échoua. Un autre assaut fut alors donné le
12 avril, mais cette fois-ci avec des ponts volants sur les galères. À la fin de cette journée, les
croisés avaient pris une grande partie des remparts et commençaient à pénétrer dans
Constantinople. Certains Allemands de la division du marquis Boniface de Montferrat mirent
alors le feu à une section de la ville afin d'éloigner les Grecs le plus loin possible et de les
empêcher de faire une contre-attaque. (4)
Murzuphle, voyant l'avance des ennemis, s'enfuit de Constantinople pendant la nuit. Lorsque les croisés apprirent ceci le
lendemain, ils se livrèrent à un pillage sans merci dans la ville, qui n'était désormais plus défendue. Pendant trois jours,
Constantinople fut mise à sac; trésors et reliques, dont la ville avait la réputation en Occident de contenir le plus grand
dépôt, furent pillés. Sans oublier la terreur et le malheur des Grecs, qui virent leurs maisons incendiées, leurs femmes et
filles violées, parfois même tuées. Nicetas Choniate, un des Grecs présent lors du saccage, nous accorde un témoignage fort
bouleversant des atrocités subies par ses proches et par lui-même, alors qu'il tentait désespérément de fuir la ville.
L'extrait suivant est l'un des rares qui nous fait part de l'interprétation grecque des événements. Après tout, afin
d'avoir une vision globale et détaillée du pillage de la ville, nous devons écouter non pas les paroles vainqueurs, mais des
vaincus, qui y furent les réelles victimes:

Plusieurs occidentaux nous ont également fait part de la prise de Constantinople en 1204,
mais nous relatent les richesses trouvées dans la ville plutôt que le malheur de ceux qui s'y
trouvèrent. Geoffroi de Villehardouin, par exemple, nous décrit les gains de Boniface de
Montferrat pendant la prise de la ville:
Gunther de Pairis, qui était un moine de l'abbaye de Pairis, nous décrit également le pillage de la ville, mais se concentre
davantage sur les saintes reliques que sur les autres richesses séculaires. Comme la plupart des ecclésiastiques qui
participèrent aux "vols" sacrés, l'auteur tente de justifier les actions de son abbé, Martin de Pairis; en effet, il innocente
l'abbé en prétendant que les Grecs "schismatiques" n'étaient pas dignes de conserver de tels trésors. Dans l'extrait
suivant, nous sommes témoins de la frénésie qui s'empara du clergé pour les reliques au moment où les autres soldats se
contentaient de commettre des meurtres et de voler leurs victimes:

Enfin, Robert de Clari nous raconte comment les chevaliers plus pauvres dans l'armée furent trahis par les riches lors de
la prise du butin. En effet, l'entente avait été d'attendre que toutes les richesses soient réunies avant de les diviser
entre Francs et Vénitiens. Toutefois, certains hauts barons et comtes commencèrent à s'accaparer du butin et parfois
même à le cacher - comme il fut d'ailleurs le cas pour Martin de Pairis -, au détriment des plus pauvres qui avaient mis
autant d'efforts à prendre la ville.

Références:
(1) Kenneth M. Setton, A History of the Crusades, volume II. Madison / Londres, The University of Winconsin Press,
1969, p. 182.
(2) Jonathan Riley-Smith, Les Croisades, Paris, Éditions Pygmalion, 1990, p. 150.

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(3) K. M. Setton, A History of the Crusades, p. 182-183.
(4) J. Riley-Smith, Les Croisades, p. 151.

INDEX ONOMASTIQUE
Alexis III Ange (1153 - 1211/1212): Empereur byzantin de 1195 à 1203. Il parvint au pouvoir en aveuglant son frère,
l'empereur Isaac II. Toutefois, son neveu Alexis IV, le fils d'Isaac, vengea son père en 1203 en s'emparant de
Constantinople avec l'aide des croisés. S'étant enfui de Constantinople, il fut plus tard capturé et enfermé dans un
monastère pour y passer le reste de sa vie.
Alexis IV Ange (1182/1183 - 1204): Empereur conjoint de l'Empire byzantin avec Isaac II de 1203 à 1204. Bien qu'il soit
parvenu au pouvoir en déposant son oncle l'usurpateur, Alexis III, avec la collaboration des chefs de l'armée croisée, les
relations avec ces derniers s'envenimèrent rapidement au cours de l'hiver 1203-1204. Ensuite, en raison de son
impossibilité à satisfaire ses engagements envers les croisés et de sa perte de popularité auprès de son entourage, il fut
sujet à un coup d'État organisé par la famille Doukas, notamment par Alexis V, et étranglé en prison le 28/29 janvier
1204.
Alexis V Doukas (Murzuphle): Empereur byzantin en 1204. Son surnom, Murzuphle (Mourtzouphlos), proviendrait de ses
épais sourcils qui se rejoignaient au centre. Il devint empereur en exploitant les relations tendues entre les croisés et
Alexis IV, et ensuite en faisant étrangler ce dernier. Cependant, son règne fut court car il offrit aux croisés, en
usurpant le pouvoir, le prétexte de prendre Constantinople. Il s'enfuit alors en Thrace, où il fut plus tard capturé et
condamné à mort.
Baudouin de Flandres (1172 - 1205/1206): Comte de Flandres et de Hainault, et ensuite empereur de l'Empire latin de
Constantinople de 1204 - 1205/1206. Il joua, aux côtés de Boniface de Montferrat et d'Enrico Dandolo, un rôle décisif
dans la quatrième croisade. Son élection à la tête du nouvel État latin provoqua d'ailleurs quelques rixes entre lui et
Boniface de Montferrat, qui était maintenant vassal de Baudouin. Toutefois, le règne de Baudouin fut de courte durée,
car il fut capturé lors d'une expédition près d'Andrinople et enfermé dans une prison, où il mourut de façon mystérieuse.
Blachernes (Palais de): Le terme Blachernes désigne une petite étendue d'eau située au nord-ouest de Constantinople,
dans la Corne d'or. Au Ve siècle, un palais y fut construit sur une hauteur surplombant la ville. Cependant, ce n'est
qu'après le XIIe siècle que le palais devint la résidence officielle de l'empereur. Au moment de la prise de Constantinople
par les Croisés, le palais renfermait des richesses et des splendeurs incroyables et ses fortifications étaient dites être
comparables à celles d'un château.
Boniface de Montferrat (v. 1150 - 1207): Marquis de Montferrat et roi de Thessalonique de 1204 - 1207. Il dirigea
l'armée croisée jusqu'à Constantinople. Toutefois, après la prise de la ville, Baudouin de Flandres fut élu empereur à sa
place et Boniface dut se contenter du royaume de Thessalonique. Il mourut lors d'une embuscade bulgare, alors qu'il
tentait de maintenir son emprise sur son royaume toujours fragile.
Bosphore: Détroit reliant la Mer Noire à la Mer de Marmara et sur lequel se trouve la cité de Constantinople. Le
Bosphore contribuait à la position stratégique unique de la capitale byzantine: étant étroit, soit 660 mètres de large à
son plus petit. La ville possédait un grand contrôle sur les navires qui y circulaient et était protégée davantage contre les
attaques des flottes ennemies. De plus, le Bosphore constituait un pont idéal entre les continents de l'Europe et de
l'Asie, plaçant Constantinople au carrefour des grandes routes commerciales.
Boucoléon (Palais de): Palais dominant le bassin réservé à la flottille impériale, composé d'un labyrinthe complexe
d'édifices et de jardins. Le palais maintint son importance jusqu'à ce que la Cour impériale se transporte au Palais de
Blachernes au XIIe siècle. Le terme Boucoléon est dérivé de l'expression "Bouche de lion", attribué par les voyageurs
français impressionnés par les énormes statues de lions qui ornaient le palais.
Choniate, Nicetas (1155/1157 - 1217): Historien, théologien et administrateur byzantin. Auteur d'une Histoire des
Comnènes, il nous offre une version du sac de Constantinople par les Croisés en 1204, mais du point de vue des vaincus.
Ses écrits sont donc d'une importance capitale pour la compréhension de la quatrième croisade, car elles complètent les
sources occidentales sur l'événement et soulignent l'angoisse ressentie par les Byzantins au moment où les Francs
pillaient leur ville.
Clari, Robert de (v. 1170 - v. 1216): Chevalier originaire de Picardie. Il participa, comme simple soldat, à la quatrième
croisade et rédigea dès son retour un récit sur l'expédition intitulé De ceux qui conquirent Constantinople . Son récit
demeure aujourd'hui d'une grande importance, car il présente, contrairement à Villehardouin, l'attaque sur
Constantinople à travers les yeux des "petits" de l'armée, c'est-à-dire les soldats.
Constantinople: Capitale de l'Empire byzantin. Autrefois une colonie grecque nommée Byzance, la ville gagna
véritablement de l'importance lorsqu'elle fut nommée capitale de l'Empire romain d'Orient par l'Empereur Constantin en
330. Située sur le Bosphore à un endroit fort stratégique pour le commerce, Constantinople bénéficia pendant la majeur
partie du Moyen Âge d'une grande prospérité. De plus, son emplacement lui assura une protection contre les nombreuses
attaques des ennemis de l'Empire, qu'ils soient Huns, Bulgares ou Musulmans. Sauf pour la prise de 1204, les énormes
murs de Constantinople demeurèrent inviolés jusqu'en 1453, date où les Turcs s'emparèrent de la ville et du même coup
de l'Empire byzantin.

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Corfou (Kerkyra): Île de la mer Ionienne, offrant un point d'arrêt important pour les voyageurs entre Constantinople et
l'Occident. De ce fait, il fut primordial aux Croisés et aux Vénitiens de saisir l'île byzantine lors de leur long périple vers
Constantinople.
Corne d'or: Bras de mer pénétrant dans les terres du côté européen du Bosphore. Constantinople fut fondée sur une
masse terrestre triangulaire formée par la Corne d'or et celle-ci favorisa la ville de plusieurs façons. En plus de servir de
port naturel aux navires, les Byzantins l'utilisèrent pour défendre leur ville, notamment en la barrant à l'aide d'une
énorme chaîne soutenue par des bouées. Ainsi, il était impossible pour une flotte ennemie d'y pénétrer et d'attaquer le
flanc maritime nord de la ville.
Dandolo, Enrico (v. 1107 - 1205): Doge de Venise de 1192 à 1205. Il participa à la quatrième croisade en organisant la
flotte vénitienne qui transporta l'armée croisée et en accompagnant cette dernière jusqu'à Constantinople. Bien qu'à un
âge très avancé, il figura dans plusieurs des grands événements de l'expédition, enflammé par une haine des Grecs qui,
selon certaines légendes, serait due à son aveuglement par un empereur byzantin quelques années plus tôt. Il mourut de
causes naturelles peu de temps après la prise de 1204 et fut enterré dans l'Église Sainte-Sophie.
Galata (Tour de): Établissement sur la rive nord de la Corne d'or, surplombé par une imposante tour. Celle-ci servait
d'encrage pour l'énorme chaîne qui rejoignait Constantinople et qui refermait la Corne d'or contre les attaques ennemies.
La Tour de Galata possédait donc une valeur stratégique: qui contrôlait la tour contrôlait nécessairement la Corne d'or.
Gunther de Pairis (v. 1150 - 1208/1210): Poète, historien et théologien latin, originaire de Pairis en Alsace. Dans son
Historia Constantinopolitana, Gunther nous décrit le pillage de la Constantinople en 1204 et nous offre une liste des
innombrables merveilles et reliques qui y furent découvertes par Martin, son abbé.
Innocent III (1160/1161 - 1216): Pape de 1198 à 1216. Il ordonna, dès sa nomination, l'organisation d'une quatrième
croisade afin de délivrer la sainte ville de Jérusalem des mains des Infidèles. Toutefois, l'expédition échappa rapidement
à son contrôle, ce qui eut pour résultat la déviation de l'armée vers Constantinople. Les historiens aujourd'hui demeurent
incertains des véritables motifs d'Innocent: aurait-il pu empêcher l'attaque sur Constantinople ou la souhaitait-il? Quoi
qu'il en soit, l'Église de Rome en bénéficia grandement.
Isaac II Ange (v. 1156 - 1204): Empereur de Byzance de 1185 à 1195, et partagea ensuite l'Empire avec son fils Alexis
IV de 1203 à 1204. Il atteignit le pouvoir d'Adronic I par usurpation et le perdit de la même façon lorsque son frère,
Alexis III, le fit aveugler et emprisonner. Les Croisés utilisèrent le prétexte de la trahison d'Alexis III pour reprendre
Constantinople au nom d'Alexis IV en 1203. Ce n'est qu'à ce moment qu'Isaac redevint co-empereur avec son fils, mais de
façon figurative car c'est ce dernier qui prit en main l'administration de l'empire. Ce sont d'ailleurs les erreurs d'Alexis
IV qui permirent à Alexis V, surnommé Murzuphle, d'usurper de nouveau le pouvoir. Isaac mourut peu de temps après.
Jérusalem: Ville de la Terre Sainte, également nommée Saint-Sépulcre, puisqu'elle referme le "tombeau" de Jésus
Christ. Le but premier de la quatrième croisade était de délivrer cette ville des mains des Musulmans, car celle-ci
possédait une grande valeur spirituelle aux yeux des Chrétiens. Des centaines de pèlerinages y étaient en effet
effectués à chaque année par des Chrétiens. Toutefois, Jérusalem ne fut jamais reprise par les chevaliers de la
quatrième croisade; pour cela, il fallut attendre la sixième croisade.
Morée (Auteur anonyme de la Chronique de) : Nom attribué au Péloponnèse, la péninsule principale de la Grèce, après la
quatrième croisade. La Chronique de Morée, dont l'auteur demeure anonyme, aurait été rédigée entre 1324 et 1328. Bien
que fortement critiquée pour ses inexactitudes et son caractère souvent légendaire, la chronique nous offre tout de
même une nouvelle perspective sur l'histoire de la quatrième croisade, la vision du XIVe siècle, de même qu'une
description fort détaillée de l'installation des Francs dans le Péloponnèse.
Philippe de Souabe (1178-1208): Roi d'Allemagne de 1198 à 1208. Son rôle dans la quatrième croisade est minime, si ce
n'est qu'il hébergea son neveu, Alexis IV (Philippe avait épousé Irène, la soeur de l'Empereur Isaac II), suite à
l'usurpation d'Alexis III. Il négocia très probablement avec Boniface de Montferrat, le dirigeant de la quatrième
croisade, pour que l'expédition soit dirigée contre Constantinople et à l'avantage de son neveu.
Sainte-Sophie de Constantinople: Église principale de Constantinople, construite par Justinien entre 532 et 537.
Merveille du Moyen Âge, caractérisée par des voûtes, coupoles et une clarté typique de l'architecture byzantine. Ses
richesses furent la proie des croisés, qui pillèrent l'église en 1204. Jusqu'à la construction de la Basilique Saint-Pierre de
Rome, Sainte-Sophie possédait la plus vaste coupole suspendue dans le monde médiéval.
Saladin ou Salah al-Dîn Yusuf ibn Aiyub (1138 - 1193): Premier sultan ayyubide, contrôlant notamment l'Égypte, Damas
et Alep. Redouté par les Croisés en raison de son obstination à reprendre les terres conquises par les Chrétiens, Saladin
parvint à reconquérir la ville de Jérusalem en 1187. Bien qu'une paix de compromis ait été signée entre Saladin et les
États latins en 1192, la perte de Jérusalem porta Innocent III à déclarer la quatrième croisade, six années plus tard.
Thibaut de Champagne: Comte de Champagne et dirigeant initial de la quatrième croisade, bien qu'il demeure incertain si
celui-ci détenait cette charge de façon officielle ou non. Toutefois, Thibaut décéda en 1201 avant même le départ de
l'expédition. Boniface de Montferrat fut par la suite élu dirigeant à sa place.
Varègue (Garde): Garde personnelle de l'Empereur byzantin. Le terme varègue était attribué aux Peuples nordiques
(entre autre les Vikings, mais également des Anglais et des Danois) qui composaient cette garde d'élite. Dès le XIe siècle
et pendant près de deux siècles, la Garde varègue joua un rôle décisif dans l'histoire byzantine et était reconnue pour sa
valeur au combat et sa loyauté face à l'empereur.
Venise: Port italien situé dans le nord de la mer Adriatique, contrôlant une partie importante du commerce
méditerranéen. Suite à plusieurs disputes avec l'Empire byzantin pour des raisons commerciales, dont l'expulsion des

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marchands vénitiens de Constantinople en 1171, les relations se dégradèrent au point où le doge Enrico Dandolo détourna
la quatrième croisade vers Constantinople. Après 1204, Venise atteignit son apogée.
Villehardouin, Geoffroi de (v. 1150 - 1212/1218): Maréchal de Champagne et historien français de la quatrième croisade.
En raison de son rôle auprès des dirigeants de l'expédition et dans la conquête de Constantinople en 1204, Villehardouin
nous offre un témoignage important des événements clés de la croisade. Bien que son récit présente un point de vue
uniquement français et que certains aient accusé l'auteur de trop souvent chercher à justifier les actions des croisés, il
demeure le plus sûr et le plus cohérent quant à la chronologie des faits et à l'exactitude de ses descriptions.
Zara (ou Zadar): Port de la Dalmatie, sur la mer Adriatique. Dès 1186, Zara échappa au contrôle de Venise et tomba sous
la domination du roi de Hongrie, Béla III. Lorsque les habitants de la ville refusèrent de reconnaître la suprématie du
commerce vénitien, Enrico Dandolo persuada les dirigeants de la quatrième croisade de soumettre la ville en 1202.

BIBLIOGRAPHIE

Sources et documents utilisés:

BRÉHIER, Louis. Vie et mort de Byzance. Paris, Éditions Albin Michel, 1992, 632 p.
BUCHON, J.-A.-C. Chroniques étrangères relatives aux expéditions françaises pendant le XIIIe siècle . Paris, Paul Daffis
(libraire-éditeur), 1875, 802 p.
CLARI, Robert de. La conquête de Constantinople. Paris, Librairie ancienne Honoré Champion, 1956, 130 p.
DELORT, Robert. Les Croisades. S.l.d, Éditions du Seuil, 1988, 282 p.
DUBY, Georges. Atlas historique. Paris, Larousse, 1994, 331 p.
OSTROGORSKY, Georges. History of the Byzantine State. New Brunswick, Rutgers University Press, 1957, 548 p.
QUELLER, Donald E. The Fourth Crusade. Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1977, 248 p.
RILEY-SMITH, Jonathan. Atlas des croisades. Paris, Autrement, 1996, 192 p.
RILEY-SMITH, Jonathan. Les Croisades. Paris, Éditions Pygmalion, 1990, 327 p.
RILEY-SMITH, Jonathan et Louise. The Crusades: Idea and Reality, 1095-1274. London, Edward Arnold Ltd., 1981, 191 p.
SETTON, Kenneth M. A History of the Crusades, volume II. Madison / Londres, The University of Winconsin Press,
1969, 871 p.
VILLEHARDOUIN, Geoffroi de. Histoire de la conquête de Constantinople. Paris, Librairie Hachette et cie, 1870, 287 p.
VILLEHARDOUIN, G. de. et CLARI, R. de. Ceux qui conquirent Constantinople. Paris, Union générale d'éditions, 1966, 316
p.
VILLEHARDOUIN, G. de. et CLARI, R. de. Histoire de la conquête de Constantinople . Paris, Librairie Jules Tallandier,
1981, 270 p.
WALTER, Gérard. La conquête de la Terre Sainte par les Croisés . Paris, Éditions Albin Michel, 1973, 496 p.

Documents supplémentaires à consulter afin d'approfondir le sujet de la quatrième croisade:


BRAND, Charles M. "A Byzantine Plan for the Fourth Crusade", Speculum, vol. XLIII, #3, juillet 1968, p. 462-475.
BROWN, Elizabeth A. R., "The Cistercians in the Latin Empire of Constantinople and Greece, 1204-1276", Traditio, vol.
XIV, 1958, p. 63-120.
DAWKINS, R. M. "The Later History of the Varangian Guard: Some Notes", Journal of Roman Studies, vol. XXXVII,
1947, p. 39-46.
FARAL, Edmond, "Geoffroy de Villehardouin: la question de sa sincérité", Revue historique, 1936, p. 530-582.
FROLOW, A. "La déviation de la quatrième croisade vers Constantinople: problème d'histoire et de doctrine", Revue de
l'Histoire des Religions, CXLV, 1954, p. 168-187.
FROLOW, A. "La déviation de la quatrième croisade vers Constantinople: problème d'histoire et de doctrine (suite)",
Revue de l'Histoire des Religions , CXLVI, 1954, p. 87-89.
FROLOW, A. "La déviation de la quatrième croisade vers Constantinople: problème d'histoire et de doctrine (suite)",
Revue de l'Histoire des Religions , CXLVI, 1954, p. 194-219.
FROLOW, A. "La déviation de la quatrième croisade vers Constantinople. Note additionnelle: la Croisade et les guerres
persanes d'Héraclius", Revue de l'Histoire des Religions , CXLVII, 1954, p. 50-61.
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La cinquième croisade (1217-1221)

Une cinquième croisade n'allait pas tarder à être organisée, toujours par les soins d'Innocent III. Celui-ci chercha à
convaincre le sultan d'Égypte de restituer Jérusalem aux chrétiens, de façon à établir la paix entre musulmans et
chrétiens; mais la construction d'une forteresse musulmane sur le mont Thabor, qui bloquait Acre, le décida à prêcher la
croisade, qui fut organisée par le quatrième concile du Latran en 1215. Les rois de Chypre et de Hongrie (André II)
firent, en 1217, une expédition infructueuse contre le Thabor, et regagnèrent leurs royaumes. Le roi de Jérusalem, Jean
de Brienne, en 1218, mena les croisés En Égypte et assiégea le port de Damiette, qui tomba en 1219. Le cardinal Pélage et
de nombreux croisés s'établirent dans la ville, qui paraissait fournir une base d'opération en vue de la conquête de
l'Égypte et ensuite une campagne pour prendre le contrôle de la péninsule du Sinaï. La mise en œuvre de cette stratégie
manqua son but. L'attaque du Caire fut abandonnée en raison de l'absence des renforts promis par l'empereur du Saint
Empire Frédéric II.; le roi Jean, pour sa part, considérait Damiette comme une monnaie d'échange contre l'ancien
royaume de Jérusalem, et le sultan d'Égypte offrait de rétrocéder celui-ci aux croisés. Le point de vue de Pélage ayant
triomphé, l'armée se mit en marche vers Al-Qahira, mais fut encerclée et n'obtint sa liberté qu'en renonçant à Damiette
aux Égyptiens et, en septembre, l'armée chrétienne se dispersa (1221).

Chronologie de la cinquième croisade d'Orient


1210 - A la faveur d'un mariage le royaume d'Acre échoit à Jean de Brienne un vieux chevalier de 60 ans arrivé
d'Occident ! Bien qu'ayant accepté en 1212 la nouvelle trêve de cinq ans conclue avec le frère de Saladin, le roitelet ne
cesse d'envoyer des ambassadeurs à Rome pour activer la reprise d'une grande croisade dès la fin de la trêve. Ce sera la
cinquième en Orient.
1218 - De fait, dès le mois de septembre 1217 les arrivages de croisés affluent dans le port d'Acre, suivis de centaines
de navires au printemps 1218 qui débarquent à Acre et devant Damiette, des milliers de pèlerins-combattants. Al-Kamel
le neveu de Saladin est vite envoyé par son père le sultan, pour essayer de les arrêter.
Le 25 août, les croisés prennent d'abord la citadelle à côté des remparts de la cité de Damiette et l'annonce de cette
perte cause une crise cardiaque au vieux sultan qui succombe en quelques heures. La traditionnelle lutte de succession
peut commencer.
De son vivant le frère de Saladin avait partagé ses Etats :
Après la prise de Damiette, al-Kamel propose aux croisés contre la signature d'un traité de paix, une offre qui ne manque
pas d'intérêt : la restitution de Jérusalem, de la vraie croix et de tous les territoires à l'ouest du Jourdain.
Mais le cardinal-légat espagnol du nom de Pélage préfère maintenant : l'Egypte entière et compte déjà sur l'arrivée
imminente de l'empereur Frédéric II qui vient d'être sacré à Rome mais qui mettra tout de même " huit années " pour
arriver en Palestine !
1220 - au cours de l'été Al-Kamel envoie sa flotte surprendre les navires occidentaux et leur inflige une sévère défaite.
1221 - l'armée franque quitte Damiette pour s'engager sur la route du Caire, pendant que Al-Charaf et al-Moazzam sont
venus prêter main forte à leur frère avec leurs armées. Mais mi-août le dieu NIL qui depuis les temps antiques effectue
dès le mois de juillet son inondation annuelle, tant souhaitée pour fertiliser les cultures, a brusquement grossi. Il
embourbe l'armée franque qui doit battre en retraite. Le 26 août après la rupture volontaire des digues du Nil, l'armée
franque est complètement enlisée. Le cardinal se décide enfin à négocier et à signer une paix de huit ans, mais sans la

70
restitution de la vraie Croix et la cession de Jérusalem et des territoires à l'ouest de Jourdain comme proposé
auparavant...

La sixième croisade (1228-1229)

Le pape Grégoire IX, après cet échec, ne compte plus désormais que sur Frédéric II Hohenstaufen qui avait pris la croix
dès 1215. Couronné empereur à Rome en 1220, il épouse en 1225 Isabelle, fille de la princesse Morie et de Jean de
Brienne et devient roi de Jérusalem à la place de celui-ci en vertu du droit féodal appliqué strictement, mais
contrairement à ses promesses antérieures. L’empereur et son armée quittèrent l'Italie par mer en août 1227, mais
revinrent au port quelques jours plus tard lorsque Frédéric tomba malade Son départ pour la Syrie, fixé à 1227, fut donc
remis pour cause de maladie: prenant prétexte de ce nouveau délai, le pape Grégoire IX excommunie l'empereur et le
frappe d'interdit. Frédéric II Hohenstaufen, à sa guérison, s'embarqua pour la Terre Sainte en juin 1228, comme un
croisé anonyme, sans la protection de l'Église. Frédéric arriva à Acre pour y trouver la majeure partie de son armée. Il
n'avait toutefois aucune intention de combattre si Jérusalem pouvait être récupérée par des négociations avec le sultan
égyptien Al-Kamil qui se trouvait alors menacé par les Ayyubides (2), coalisés et appuyés par les Khwarizmiens.
Ces négociations débouchèrent sur un traité de paix par lequel les Égyptiens rendaient Jérusalem aux croisés et
garantissaient une trêve de dix ans. Malgré ce succès, Frédéric fut bouté en raison de son excommunication, tant par le
clergé que par les chefs laïques des États latins. Au même moment, le pape avait proclamé une croisade contre Frédéric,
levé une armée et lancé une attaque contre les possessions italiennes de l'empereur. Frédéric retourna en Occident pour
faire face à cette menace en 1229.

A son arrivée, la situation est renversée: le sultan de Damas étant mort, Al-Mâlik pouvait se partager ses possessions
avec son frère, venu de la Djazira, qui gardait Damas et lui laissait la Palestine. Cependant, après cinq mois de
négociations, Frédéric II Hohenstaufen réussit à conclure avec Al-Kâmil le traité de Jaffa (1229): Jérusalem était
rendue au royaume latin ainsi que Nazareth, Bethléem, le territoire de Lydda et Ramla, et au nord les seigneuries de
Toron et de Sidon. Dans la Ville sainte qui reste ville ouverte, les musulmans conservaient l'emplacement du temple avec
les mosquées d'Omar (dôme du Rocher) et Al-Aqsâ, tandis que les chrétiens reprenaient le Saint-Sépulcre. Le 17 mars,
Frédéric II Hohenstaufen y prenait lui-même la couronne que patriarche ne voulait pas lui imposer. Le royaume de
Jérusalem était rétabli, mais dans des conditions telles que les difficultés intérieures devaient bientôt le ruiner à
nouveau (1244).

1 Ville de l'Égypte, près de la Méditerranée.


2 Dynastie musulmane fondé par Salah al-Din Yusuf, qui régna aux XIIe-XIIIe siècle sur l'Égypte, la Syrie et une grande
partie de la Mésopotamie et du Yémen.

Chronologie de la sixième croisade de l'empereur Frédéric II


1225 - L'empereur Frédéric II vient d'épouser Yolande, la fille de Jean de Brienne et devient ainsi roi de Jérusalem ! El
Kamel envoie à la cour de l'empereur en Sicile son diplomate l'émir Ibn ach-Cheikh qui devient rapidement l'ami et le
conseiller de Frédéric.
1227 - en novembre mort d'Al-Moazzam le maître de Damas. Son fils: an-Nasser lui succède.
1228 - En septembre l'Empereur excommunié Frédéric II débarque à Acre avec seulement 3 000 soldats. Il est venu
pour dialoguer. Le traité de paix signé le 18 février 1229 avec le sultan d'Egypte prévoit un passage reliant Jérusalem à la
côte, ainsi qu'un libre accès aux villes de Bethléem, Nazareth et Saïda... Les musulmans conservent une présence dans
Jérusalem à l'endroit où se trouvent leurs principaux sanctuaires.
Toute l'Europe est ahurie devant l'obtention rapide de l'accord, sans une seule goutte de sang !! Mais à Bagdad, Mossoul
et Alep les musulmans sont en colère d'avoir perdu Jérusalem. Une guerre éclate même entre an-Nasser et al-Kamel qui
perdra sa ville de Damas et ne se réconciliera avec son oncle qu'en 1238 (peu de temps avant sa mort).

71
La septième croisade (1248-1254)

Le pape Innocent IV lança un appel pour une septième croisade, suite à la chute de Jérusalem et la destruction de
l'armée franque par le sultan d'Égypte, contre lequel les francs s'étaient alliés à celui de Damas. Les dirigeants sont: le
roi de France, le roi de Norvège (qui ne partit pas), des barons anglais et le prince de Morée. Débarquant à Chypre en
1248, l'armée s'empara de Damiette en 1249 et entreprit la conquête de l'Égypte. L'échec de Mansourah fut suivi d'une
retraite désastreuse au cours de laquelle Saint Louis fut capturé avec ses hommes (1250). Libéré moyennant une lourde
rançon et l'abandon de Damiette, le roi séjourna plusieurs années en Terre sainte pour mettre en état de défense les
territoires conservés par les Francs. Il négocia des trêves avec les princes musulmans avant de repartir pour la France
(1254).

Les deux croisades de Louis IX : 7ème et 8ème Croisade


1244 - Les turcs Khawarezmiens qui ont succédé aux seljoukides en Irak et en Inde, arrivent en Syrie. Ne pouvant
prendre Damas ils s'élançent sur Jérusalem qu'ils prennent facilement le 11 juillet.
Si la population franque est en grande partie épargnée, la ville sainte est pillée et brûlée. Heureusement les envahisseurs
seront écrasés quelques mois plus tard par les princes ayyoubides.
1248 - Le roi de France Louis IX a décidé en exécution d'un voeu de faire sa croisade sur l'Egypte, malgré que Frédéric
II a essayé de l'en dissuader. L'empereur étant (re)excommunié depuis 1237 il a répondu à Rome en 1241 en séquestrant
les cardinaux chargés de le condamner. Cette fois Frédéric se désintéresse de la Palestine, mais il a quand même pris la
précaution de prévenir son ami AYYOUB le fils d'Al-Kamel du danger qui le menace.

1250 - Touranshah fils du précédent sultan (Ayyoub) mort de tuberculose est à son tour assassiné par Baibars un
officier-esclave au cours d'un banquet qu'il avait organisé après sa victoire sur les croisés et la capture du roi de France
LOUIS IX à Mansourah.
1251 - Malgré les lois islamiques une ancienne épouse du sultan: Chajarat-ad-dorr devient reine sultane d'Egypte et
épouse dès son intronisation un des chefs mamelouks (Abeik). Elle lui confère le titre de sultan. Quant à la sultane elle
signe ses décrets par le nom de " Oum Khalil " un de ses enfants mort en bas âge.
1259 - La reine sultane d'Egypte surprend un regard trop admiratif de son époux sur une jeune servante. Lorsqu'elle lui
demande pourquoi il ne la regarde pas ainsi, il lui répond "tu es trop vieille ! La reine prend un couteau à sa portée et après
avoir assassiné son époux se donne elle-même la mort... Un nouveau sultan du nom de Qoutouz remplace la défunte reine
sultane.
1260 - L'homme qui a déjà tué Touranshah : Baibars assassine froidement Qoutouz le vainqueur d'Ain Jalout et
s'installe comme sultan.
1271 - Baibars s'empare de la redoutable forteresse des templiers: Hosn-al-Akra que Saladin n'avait pas pu prendre.
1277 - Mort de Baibars (empoisonné) qui avait institué une sorte de trève avec Henry II (roi de Chypre et Jérusalem).
"Qalawùun" devient le nouveau sultan d'Egypte.
1283 - L'ancienne trêve convenue avec Baibars concernant la Palestine est reconduite pour dix ans par Qalawùun.
1285 - Les moines-soldats Hospitaliers s'étant alliés aux mongols lors d'une invasion contre les musulmans au Liban,
Qalawùun s'empare de la forteresse de Marqab pour les punir. Tombée le 25 mai, les défenseurs ont même le droit de
rejoindre Tripoli sains et saufs.
1289 - Les hommes de Qalawùun ayant intercepté des lettres faisant état d'une alliance secrète entre Philippe-le-Bel et
les mongols. Pour éviter d'être pris entre deux armées, Qalawùun met le siège devant Tripoli (ville non incluse dans la
trêve). Après un mois de combats la ville tombera, les hommes seront massacrés, les femmes et les enfants emmenés en
esclavage.

5. La huitième croisade (1270)

De nouveaux désastres (notamment la chute d'Antioche, 1268), provoquèrent la huitième croisade: le roi de France, Saint
Louis reprit la croix, mais se laissa convaincre par son frère, le roi de Sicile, de faire une démonstration sur Tunis. Saint
Louis passa quatre ans à préparer soigneusement ses plans pour son ambitieux projet. À la fin du mois d'août 1248, il
s'embarqua avec son armée pour l'île de Chypre où ils passèrent l'hiver en nouveaux préparatifs. Suivant la même

72
stratégie que lors de la cinquième croisade, saint Louis et ses hommes débarquèrent en Égypte le 5 juin 1249, et
s'emparèrent de Damiette le lendemain. La phase suivante de leur campagne, une attaque du Caire au printemps de 1250,
tourna à la catastrophe. Les croisés ne protégèrent pas leurs flancs, ce qui permit aux Égyptiens de reprendre le contrôle
des réservoirs d'eau le long du Nil.
Comme l'explique Grousset (1936, 477): "...grâce à la vaillance et aux qualités de commandement de Saint Louis,
l'avantage restait aux Francs. Mais les vainqueurs du 8 et du 11 février n'allaient pas tarder à succomber sans nouvelle
bataille, devant les difficultés de ravitaillement et les épidémies". "Jusque-là, les bateaux francs, restés maîtres du Nil,
faisaient la navette entre Damiette et le Bahr al-Saghîr pour ravitailler le corps expéditionnaire. Mais le sultan Tûrân-
shâh fit construire une escadrille de bateaux démontables qu'on transporta à dos de chameaux sur le cours inférieur du
Nil, en aval de la bifurcation du Bahr al-Saghîr. Cette flottille intercepta entièrement le ravitaillement envoyé de
Damiette à l'armée franque. Le 16 mars, d'après le Colliers de perles, eut lieu près de Masjidal-Nasr un combat naval au
cours duquel les Égyptiens enlevèrent un convoi de 32 navires francs remplis de blé et provisions de toute sorte. Plus de
80 galères chrétiennes (chiffre donné à la fois par Joinville et par Maqrîzî) chargées de vivres et qui tentaient de
remonter le fleuve furent ainsi, les unes après les autres, capturées. Ce fut lu (plus peut-être que la malheureuse
chevauchée du comte d'Artois) le véritable désastre de la croisade française. Ne recevant plus de ravitaillement par eau
et depuis longtemps encerclés du côté de la terre par l'armée égyptienne, les Francs se virent bientôt réduits à la plus
cruelle famine. Cette famine, joignant ses effets à ceux de l'épidémie meurtrière qui les décimait, acheva d'abattre leur
moral".
En ouvrant les écluses, ils créèrent des inondations qui prirent au piège toute l'armée croisée, et Saint Louis fut forcé de
se rendre en avril 1250. Après avoir payé une énorme rançon et rendu Damiette, Saint Louis vogua vers la Palestine, où il
passa quatre années à édifier des fortifications et à renforcer les défenses du royaume latin. Au printemps de 1254, il
regagna la France avec son armée.
Saint Louis organisa également la dernière grande croisade en 1270. Cette fois, la réponse de la noblesse française ne fut
pas enthousiaste, et l'expédition fut dirigée contre la Tunisie plutôt que contre l'Égypte. Il mourut en assiégeant Tunis
(1270), et son armée revint en France.
Entre temps, les postes latins subsistant en Syrie et en Palestine subissaient une pression croissante des forces
égyptiennes. L'un après l'autre, les villes et châteaux des États croisés tombèrent aux mains des puissantes armées des
mamelouks. La dernière grande forteresse, la ville d'Acre, fut prise de 18 mai 1291, et les colons croisés ainsi que les
ordres militaires des templiers et des Hospitaliers se réfugièrent à Chypre. Vers 1306, les Hospitaliers s'établirent à
Rhodes, qu'ils administrèrent comme un État virtuellement indépendant et comme le dernier avant-poste croisé en
Méditerranée jusqu'en 1522, lorsqu'ils se rendirent aux Turcs. En 1570, Chypre, alors sous la souveraineté de Venise, fut
également prise par les Turcs. D'autres États latins établis en Grèce à la suite de la quatrième croisade survécurent
jusqu'au milieu du XVe siècle.

6. La neuvième croisade

Le pape Grégoire X envisagea une nouvelle campagne, à laquelle il entendait associer les Mongols de Perse et l'empereur
byzantin Michel Paléologue: cette croisade fut décidée par le second concile de Lyon, en 1274. Mais les intrigues de
Charles d'Anjou, les atermoiements des princes et les lenteurs de la préparation firent qu'elle ne partit jamais.

L'échec de la 9ème et dernière croisade d'Orient


1289 - Henry roi de Chypre et de Jérusalem appelle l'occident à la croisade. Par leur comportement les croisés mettront
fin à la trêve.
1291 - Mort de Qalawùun, son fils Khalil continue le combat à sa place.
1291 - La ville et la forteresse de St Jean d'Acre est reprise par les musulmans, exactement cent ans après sa prise par
l'anglais Richard Coeur de Lion, puis tomberont également les derniers bastions francs : les grandes villes de Tyr, Sidon
et Beyrouth...

CONCLUSION
Les croisades ne réalisèrent pas le but qu'elles s'étaient proposé: Jérusalem, libérée pendant un peu plus de quatre-
vingts ans, retomba au pouvoir des infidèles. A première vue, elles semblent donc avoir été une faillite. Toutefois, ces
expéditions produisirent d'autres résultats qui ne sont pas négligeables. Dans l'ordre politique, les croisades, en occupant
les musulmans en Terre Sainte, retardèrent la chute de Constantinople de l'Europe. Les nations d'Europe furent animées

73
d'un idéal commun, qui évita bien des guerres. Elles apprirent à mieux se connaître. Dans l'ordre social, les croisades ont
donné le signal du déclin de la féodalité: les seigneurs s'épuisèrent dans ces expéditions lointaines; l'autorité des rois
s'affermit; le sort du peuple s'améliora en l'absence des maîtres.

Dans l'ordre économique, les voyages lointains amenèrent un grand développement de la marine et une augmentation des
échanges commerciaux. Ils firent connaître en Europe plusieurs produits nouveaux: plantes, légumes, fruits, produits
industriels, comme la soir et le ver à soie, les parfums, les aromates, et surtout les épices qui devinrent des condiments
indispensables dans l'alimentation européenne. L'Orient a, en outre, révélé des techniques de travail, comme le moulin à
vent. Les transports ont été tout à fait transformés par l'introduction de la brouette, de la ferrure des chevaux et
surtout du collier rigide d'épaules, qui permit d'utiliser le cheval comme bête de trait au lieu de s'en servir uniquement
comme bête de selle. Ce mode d'attelage eut pour conséquence de remplacer le travail humain par le travail animal et de
permettre l'affranchissement des serfs. Dans l'ordre intellectuel, l'Occident reprit contact avec la culture grecque qui
avait été grandement éclipsée par la suite des invasions. La littérature, les sciences, les arts, montrèrent une nouvelle
vigueur. Les croisades apportèrent ainsi de précieux stimulants dans tous les domaines et furent cause de
transformations profondes.

Résultats des croisades.

L'expulsion des Latins de Terre Sainte ne mit pas un terme aux efforts des croisés, mais la réponse des rois et des
nobles européens aux appels répétés pour de nouvelles croisades était réservée et les expéditions ultérieures eurent peu
d'effet. Deux siècles de croisades laissèrent peu de traces en Syrie et en Palestine, sinon de nombreuses églises
croisées, des fortifications et un chapelet de châteaux impressionnants comme Marqab, sur la côte de Syrie, Montréal en
Transjordanie, le krak des Chevaliers, près de Tripoli, et Montfort près d'Haïfa, en Israël. Les effets des croisades se
firent principalement sentir en Europe, pas au Proche-Orient. Les croisades avaient soutenu le commerce des cités
italiennes, avaient suscité un intérêt pour l'Orient et avaient établi des marchés commerciaux de première importance.
Les tentatives de la papauté et des monarques européens de lever des fonds pour financer les croisades conduisirent au
développement de systèmes de taxation générale directe qui eurent des conséquences à long terme sur la structure
fiscale des gouvernements européens. Bien que les États latins d'Orient aient eu une existence assez brève, l'expérience
des croisades établit des mécanismes que les générations futures d'Européens utilisèrent et améliorèrent lorsqu'ils
colonisèrent les territoires découverts par les explorateurs aux XVe et XVIe siècles.

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Les croisades du XIe - XIIe et XIIIe siècle

Papes Croisades Principaux chefs Principaux événements Résultats


Godefroy De Bouillon, Duc de la Basse-
Lorraine
Raymond IV de Saint-Gilles, comte de
Prise de Nicée (1097)
Toulouse
Victoire de Dorylée (1097)
1ère croisade Adhémar de Monteil, Evêque du Puy
Urbain II Prise d'Antioche (1098) Succès
1096-1099 Bohémond, Prince normand
Prise de Jérusalem (1099)
Etienne,
Victoire d'Ascalon (1099)
Comte de blois
Robert Courte-Heuse, Comte de
Normandie
2e croisade Louis VII, Roi de France
Eugène III Siège manqué de Damas (1148) Echec
1147-1149 Conrad III, Empereur germanique
Victoire d'Iconium (1190)
Richard 1er, Roi d'Angleterre
Grégoire 3e croisade Prise de Saint Jean-d'Acre (1191)
Philippe II, Roi de France Succès
VIII 1189-1192 Victoire d'Arsur (1191)
Frédéric 1er Empereur germanique
Traité avec Salah al-Din Yusuf (1192)
Prise de Zara (1202)
Innocent 4e croisade
Marquis Boniface De Montferrat 1er prise de Constantinople (1203) Succès
III 1202-1204
2e prise de Constantinople (1204)
André II, roi de Hongrie Défaite contre Thabor (1217)
Innocent 5e croisade
Roi de Chypre Prise de Damiette (1219) Echec
III 1217-1221
Cardinal Pélange Damiette rétrocédée (1221)
6e croisade Frédéric II De Hohenstaufen,
Grégoire IX Traité de Jaffa (1229) Succès
1228-1229 Empereur germanique
Prise de Damiette (1249)
Retraite désastreuse, Louis IX et son
7e croisade
Innocent IV Louis IX (Saint Louis), roi de France armée sont fait prisonniers (1250) Echec
1248-1254
Ils sont libérés, moyennant une lourde
rançon et l'abandon de Damiette (1250)
Clément IV 8e croisade Assiège Tunis, où le roi meurt et son
Louis IX (Saint-Louis), roi de France Echec
(?) 1270 armée revient en France (1270)

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LES CROISADES VUES PAR LE MONDE ARABE.
Division du monde arabe : les troupes occidentales progressent
Dans le cadre de la 1ère croisade, le morcellement voire même une nette division au sein du monde arabe profitent à la
progression des troupes occidentales dès leur entrée en Asie Mineur (actuelle Turquie), et rend inefficace toute
tentative de résistance.

Un schisme datant d'un conflit du VIIe


divise en effet les sunnites qui dépendent
du califat abbasside de Bagdad des chiites
qui se réclament du califat égyptien du
Caire. Cette division provoque :
des luttes acharnées entre les
troupes arabes, qui s'affaiblissent
mutuellement plutôt que de faire front
contre les occidentaux,
des alliances entre clans arabes
et occidentaux pour battre d'autres clans
arabes, unions qui frôlent souvent la
trahison du monde musulman.
Ces divisions et cette absence de
solidarité du monde arabe favorisent
largement la progression des troupes
occidentales fortes de 4500 chevaliers
et 30000 fantassins : après la prise par
les croisés de la ville de Nicée en 1097,
d'Antioche en 1098 puis la chute de
Jérusalem en 1099, Tripoli et Beyrouth
tombent également sous le contrôle
occidental.

Début de la riposte arabe "unifiée"


Ce n'est qu'en 1111 que le calife d'Alep alerte de sultan de Bagdad pour lui faire prendre conscience de la gravité de la
situation :
 une 1ère victoire des musulmans d'Alep à Sarmada contre les occidentaux a lieu en 1119,
 les occidentaux échouent dans leur stratégie de conquête de Damas en 1128.
Le maître d'Alep et de Mossoul (Zinki puis son fils Noureddin) sera à partir de 1130 l'artisan de la riposte victorieuse du
monde arabe à l'occupation occidentale : un leader musulman fait enfin preuve de rigueur, de persévérance et de
sens de l'Etat :
 la discorde chez les occidentaux va être initialisée suite à la mort du roi de Jérusalem Baudouin II,
 en 1138, les occidentaux entreprennent le siège de la ville de Chayzar avec une impressionnante batterie de 18
catapultes ou mangonneaux : Zinki parvient à faire lever le siège en propageant la fausse rumeur d'une gigantesque armée
musulmane qui approche !
 les troupes de Zinki reprennent contrôle en 1144 de la ville d'Edesse, plus ancienne capitale occidentale en
Orient (depuis 50 ans !).
Le monde arabe est enfin saisi d'enthousiasme pour le jihad (guerre sainte) avec pour objectif commun de libérer
les territoires occupés et surtout la symbolique Jérusalem : Zinki puis son fils tirent de leurs victoires un immense
prestige et apparaissent progressivement comme les sauveurs de la cause arabe.

76
L'Europe organise une 2ème croisade en 1147 pour reprendre
Edesse, mais leur objectif se porte en fait vers Damas (dont les
richesses attirent les occidentaux ... alors qu'Edesse était leur
objectif initial !). Le siège de la ville est une catastrophe malgré
l'aide précieuse des chevaliers templiers à cause du manque de
coopération entre les français (avec Louis VII) et les allemands
(avec leur empereur Conrad III), qui lèvent le siège au bout ... de
4 jours, mettant fin à cette 2ème croisade.

Les reconquêtes de Saladin


En 1169, l'Egypte tombe sous le contrôle d'un général Kurde à la solde de Noureddin : il lui aura fallu 3 campagnes pour y
parvenir, et il est nommé vizir.
Après sa mort, son neveu Saladin le remplace dans ses fonctions et il se positionne rapidement comme le maître
incontesté de l'Egypte, en proclamant contre son gré la déchéance des Fatimides chiites.

Après une cohabitation tendue entre Saladin et son maître


Noureddin, ce dernier meurt en 1174 : il prend alors
progressivement le contrôle de la Syrie de Noureddin et
continue l'oeuvre d'unification du monde arabe : il devient
ainsi en 1183 le maître de l'Egypte et de Syrie.

La fameuse bataille de Hattin (ou Hittin)


Le 3 juillet 1187, 12000 musulmans (ou 60000, selon les sources) affrontent à Hattin (ou Hittin) 15000 soldats occidentaux
dont 1200 chevaliers templiers suite à un ordre irresponsable du Grand Maître Gérard de Ridefort et du roi de Jérusalem
Guy de Lusignan : après une journée de marche sur des terres arides en se faisant harceler par les musulmans, l'armée de
Saladin empêche les occidentaux d'accéder aux rives du lac de Tibériade, seul point d'eau de la région, et bloque habilement
leur retraite. Les troupes occidentales, assoiffées et épuisées, tentent vaillamment de forcer le barrage musulman sans y
parvenir.
Tous les chevaliers templiers et hospitaliers sont décapités (sauf leur Grand Maître) tandis que les autres prisonniers sont
épargnés. Saladin en profite d'ailleurs pour tuer de sa main son plus vil ennemi : Renaud de Châtillon, aussi néfaste pour les
musulmans que pour les occidentaux.

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Cette défaite occidentale permet à Saladin de reconquérir
rapidement de nouvelles villes : Saint Jean d'Acre,
Naplouse, Jaffa, Nazareth et Gaza. Jérusalem ouvre ses
portes le 2 octobre 1187 et contrairement aux
occidentaux qui ont massacré sa population en 1099, les
musulmans ne se prêtent à aucune exaction (ils laissent
même s'échapper les fortunes des riches chrétiens !).

Les occidentaux ne contrôlent plus que le port de Tyr, Tripoli et


Antioche, ainsi que des forteresses isolées : les légendaires kraks.
Mais ces places sont bien protégées car Saladin a toujours permis aux
occidentaux situés dans les villes conquises de s'y retrancher. La
répugnance de Saladin à verser le sang inutilement a d'ailleurs autant
de valeur aux yeux de l'Histoire que ses prouesses militaires !

La reprise en main par les Occidentaux


Suite aux défaites et à la reprise de la Ville Sainte, les troupes franques sont alors complétées par des renforts
considérables venus d'Occident : commence en 1189 la 3ème croisade : les 3 grands souverains d'Occident, les rois
Philippe Auguste, Richard Coeur de Lion et l'empereur d'Allemagne Frédéric Barberousse rassemblent leurs contingents
et font le "votum crusis" (voeu de croisade).
Bien que la mésentente entre les souverains français et anglais soit préjudiciable à l'efficacité de l'expédition, les
occidentaux assiègent et prennent la ville de Saint-Jean-d'Acre en 1191 au terme d'un long siège ... de 2 ans ! Les 2700
soldats musulmans et les 300 femmes et enfants sont massacrés. Après de nombreux affrontements sans résultat
décisif, Richard Coeur de Lion négocie en 1192 avec Saladin le traité de paix de Jaffa :

78
reconnaissance des conquêtes des croisés :
une mince bande côtière entre Tyr et Jaffa,
liberté de pèlerinage sur les Lieux Saints
pour les chrétiens : la Ville Sainte de Jérusalem
reste donc toujours sous contrôle arabe.

Les croisades suivantes


La mort de Saladin en 1193 plonge le monde arabe dans la guerre civile : l'empire est dépecé entre 3 de ses fils (qui
contrôlent soit l'Egypte, soit Damas, soit Alep). Mais c'est un des frères de Saladin (al-Adel) qui parviendra après 9
années de combats, d'alliances et de trahisons à réunifier le monde arabe, qui connaît alors une période de paix et de
prospérité : le nouveau sultan instaure avec les occidentaux une politique de coexistence pacifique, de tolérance et même
d'échanges commerciaux (des marchands italiens sont encouragés à s'installer en Egypte).
 Les 4 et 5èmes croisades :
Par leur propre intérêt, les occidentaux vivant en Syrie ou en Egypte n'ont pas l'intention de reprendre les hostilités,
mais ce n'est pas le cas de ceux vivant en Europe. Si la 4ème croisade est détournée de sa cible initiale par les vénitiens
(4ème croisade), une nouvelle invasion occidentale visant l'Egypte est tentée en 1218 (la 5ème croisade) : des dizaines de
milliers d'occidentaux assiègent puis prennent la ville égyptienne de Damiette. L'annonce de cette agression affecte le
sultan à tel point qu'il succombe à une crise cardiaque ! 3 années plus tard, l'armée occidentale sur le chemin du Caire est
surprise par une crue du Nil et doit capituler : les musulmans leur imposent de libérer Damiette en échange de la
possibilité de reprendre la mer sans être inquiété.

 La 6ème croisade :
La 6ème croisade : au titre d'un accord du nouveau sultan al-Kamel, Jérusalem et une fine bande de terre (Nazareth et
Bethléem) sont concédés en 1229 à l'empereur d'Allemagne Frédéric II Hohenstaufen qui devient roi de Jérusalem. Les
musulmans conservent l'emplacement du temple avec les mosquées d'Omar et Al-Aqsâ. Cet accord diplomatique sans une
goutte de sang entre l'empereur et le sultan étonne tout le monde :
 il sauve provisoirement la face des chrétiens,
 mais les musulmans ne sont pas satisfaits d'avoir perdu Jérusalem et vont ruiner ce traité dès 1244. Les termes
du traité scandalisent l'opinion arabe : la trahison de la politique exagérément conciliatrice du sultan al-Kamel est
dénoncée dans de nombreuses mosquées.
Le neveu du sultan an-Nasser s'empare à nouveau de Jérusalem à l'occasion d'un raid surprise en 1239 : c'est une
explosion de joie dans le monde arabe. Mais il préfère se retirer car ne se juge pas capable d'en assurer la défense.
 La 7ème croisade :
Le roi de France Louis IX (futur Saint-Louis) organise et mène en 1248 la 7ème croisade : ses troupes débarquent à
Damiette en 1249 et la ville est rapidement abandonnée aux conquérants. La ville de Mansourah est également prise en
1250 par les croisés avant d'être libérée par les cavaliers mamelouks turcs. La position française devient indéfendable et
Louis IX est contraint à la négociation (il avait refusé après la prise de Damiette la proposition du sultan d'échanger la

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ville occupée contre Jérusalem) : il capitule et est fait prisonnier : il sera libéré après le retrait complet des troupes
françaises d'Egypte ... et le versement de 1M de dinars.

Les mamelouks prennent le pouvoir


Mais la situation se complique ! Le sultan est renversé par les mamelouks turcs qui mettent au point un plan unique dans
l'histoire arabe pour se conférer de la légitimité : ils désignent comme sultane et reine la femme du sultan qu'ils viennent
d'assassiner puis lui font épouser un chef mamelouk qui devient ainsi sultan !
La politique mamelouk marquera un net durcissement de l'attitude du monde arabe face aux occidentaux.
 La 8ème et dernière croisade :
Le monde musulman subi ensuite une autre menace : les mongols détruisent Bagdad et massacrent sa population en 1257,
avant de s'en prendre en Syrie à Alep, Damas, Naplouse et Gaza en 1260. Ce sont les mamelouks d'Egypte qui chasseront
des derniers de Syrie la même année : ils réunissent ainsi sous leur autorité l'ancien territoire contrôlé par Saladin. En
1266, le sultan mamelouk Baibars prend aux occidentaux la ville d'Antioche et réduisent en esclavage ses habitants (ce
qui n'était pas l'habitude des sultans précédents).
La réaction des occidentaux ne se fait pas attendre : le roi de France Louis IX organise la 8ème croisade et débarque
avec 6000 hommes près de Tunis. Mais meurt peu après victime d'une épidémie de peste et de dysenterie ce qui incite le
reste de son armée, éprouvée également par la maladie, à rentrer en France.
 La progression des mamelouks :

Le fameux Crac des Chevaliers tombe à son tour sous les


attaques mamelouks en 1271, puis Tripoli en 1289 : les
possessions occidentales en Orient ne représentent alors
que quelques cités côtières entourées par le puissant émir
mamelouk.

La ville d'Acre est épargnée grâce à une trêve : elle devient un comptoir commercial bénéfique tant aux vénitiens qu'aux
mamelouks, véritable liaison entre les 2 mondes. Mais les chevaliers venus d'Occident vont mettre à mal cette quiétude
en tuant des commerçants musulmans : l'armée musulmane, qui jouit d'une nette supériorité numérique envahit alors
toute la ville en 1291. Les dernières possessions occidentales (Beyrouth et Tyr) sont abandonnées définitivement par
leurs occupants mettant fin au rêve occidentale à 2 siècles de présence franque en Orient.

Livre des sources médiévales:


(Sources musulmanes et arméniennes)

Les extraits qui suivent apportent une vision neuve sur l'histoire des Croisades : ils sont tirés de sources "étrangères" qui
enrichissent aujourd'hui le corpus des actes et témoignages d'auteurs européens (inspirés par "l'Eglise Romaine"):
I Extrait d'un traité de djihâd composé vers 1105 par Al-Sulamî à Damas (éd. Sivan, journal asiatique, 1966) .
...Une partie des infidèles assaillit à l'improviste l'île de la Sicile, mettant à profit des différends et des rivalités qui y
régnaient; de cette manière les infidèles s'emparèrent aussi d'une ville après l'autre en Espagne. Lorsque des
informations se confirmant l'une l'autre leur parvinrent sur la situation perturbée de ce pays (la Syrie), dont les
souverains se détestaient et se combattaient, ils résolurent de l'envahir. Et Jérusalem était le comble de leur voeux.
Examinant le pays de Syrie, les Francs constataient que les Etats étaient aux prises l'un avec l'autre, leurs vues
divergeaient, leur rapports reposaient sur des désirs latents de vengeance. Leur avidité s'en trouvait renforcée, les
encourageant à s'appliquer (à l'attaque). En fait, ils mènent encore avec zèle le djihâd contre les musulmans; ceux-ci, en
revanche, font preuve de manque d'énergie et d'union dans la guerre, chacun essayant de laisser cette tache aux autres.
Ainsi les Francs parvinrent-ils à conquérir des territoires beaucoup plus grands qu'ils n'en avaient l'intention,
exterminant et avilissant leurs habitants. Jusqu'à ce moment, ils poursuivent leur effort afin d'agrandir leur entreprise;
leur avidité s'accroît sans cesse dans la mesure ou ils constatent la lâcheté de leurs ennemis, qui se contentent de vivre à
l'abri du danger. Aussi espèrent-ils avec certitude se rendre maîtres de tout le pays et en faire prisonniers les habitants;
Plaise à Dieu que, dans sa bonté, ils les frustrent dans leurs espérances en rétablissant l'unité de la communauté. Il est
proche et exauce les voeux.
(...)
Vos doutes s'étant dissipés, vous devez maintenant être sûr quant à votre obligation personnelle de guerroyer pour la foi.
Cette tâche incombe plus spécialement aux souverains, puisque Allâh leur a confié les destinées de leurs sujets, et
prescrit de veiller à leurs intérêts et de défendre le territoire musulman. Il faut absolument que le souverain s'emploie
chaque année à attaquer les territoires des infidèles et à les en chasser, ainsi qu'il est enjoint à tous les chefs
(musulmans), pour exalter dorénavant la parole de la foi et abaisser celle des mécréants, enfin pour dissuader les ennemis
de la religion d'Allâh de désirer entreprendre de nouveau une telle expédition. On est saisit d'un étonnement profond à la

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vue de ces souverains qui continuent à mener une vie aisée et tranquille lorsque survient une telle catastrophe, à savoir la
conquête du pays par les infidèles, l'expatriation forcée (des uns) et la vie d'humiliation (des autres) sous le joug des
infidèles, avec tout ce que cela comporte : carnage, captivité et supplices qui continuent jours et nuits

Les origines de la première croisade vue par l'historien musulman Ibn al-Athîr (XIIIe)
(Kâmil. Tornberg, X, an 497)

La première manifestation des Francs, de leur puissance et de leur expansion aux dépens des pays musulmans, fut en 478
(1085) la prise de Tolède et d'autres villes Espagnoles. Ce dont nous avons déjà parlé. En 484 (1091), ils achevèrent la
conquête de la Sicile, que nous avons aussi déjà racontée; ils attaquèrent même les côtes d'Afrique, en occupèrent
quelques points, mais on les leur reprit; plus tard, on le verra, ils devaient en occuper d'autres. En 490 (1097), ils
envahirent la Syrie, et en voici la raison :
Leur roi Baudoin avait rassemblé une grande armée franque. Il était parent de Roger le Franc, qui avait conquis la Sicile,
et il lui fit dire qu'ayant réuni une grande armée, il allait venir dans son pays, passer de là en Afrique (la Tunisie), la
conquérir, et ainsi devenir son voisin. Roger convoqua ses compagnons et leur demanda conseil à ce sujet. "Par l'Evangile,
dirent-ils, voilà qui est excellent pour nous comme pour eux : demain l'Afrique sera terre chrétienne". Alors Roger leva le
pied, fit un grand pet et dit : "Par ma foi, vous en avez de bonnes, avec vos paroles! Comment ? S'ils viennent de mon côté,
je vais avoir à faire de gros frais, à équiper des navires pour les transporter en Afrique, à les renforcer de mes armées
aussi; et s'ils conquièrent le pays, il sera à eux; à eux ira le ravitaillement produit par la Sicile, et je cesserai de percevoir
le bénéfice de la vente annuelle des récoltes; et s'ils ne conquièrent pas le pays, ils reviendront dans mes Etats, j'en
subirai de grands dommages. Tamîm (le prince musulman de Tunisie) dira que j'ai violé le traité et que je l'ai trompé et
c'en sera fait des bons rapports et des relations marchandes qui durent entre nous depuis que nous avons eu la force de
conquérir la Sicile". Et Roger fit venir l'ambassadeur de Baudouin, et lui dit: "Si vous avez l'intention de faire la guerre
sainte contre les musulmans, il vaut mieux conquérir Jérusalem; vous la libérerez de leurs mains, et vous en retirerez la
gloire. Pour ce qui est de l'Afrique, il y a entre moi et ses habitants foi et traités". Alors ils firent leurs préparatifs et se
mirent en marche vers la Syrie.
On dit aussi que les seigneurs alides d'Egypte, lorsqu'ils eurent vu grandir la puissance des Seldjouqides et assisté à la
conquête par ceux-ci de la Syrie jusqu'à Gaza, si bien qu'il ne restait plus entre l'Egypte et eux d'autre Etat pour les
protéger et qu'Atsîz avait envahi l'Egypte, prirent peur et firent demander aux Francs d'envahir la Syrie, afin d'en
prendre possession, et de s'interposer entre les musulmans et ses ennemis.
Les Francs se mirent en route ... (suit le récit de la croisade).

Récit du moine arménien Hovannés (Jean) à la fin d'un manuscrit copié par lui au monastère
de saint-Barlaam, dans la ville haute d'Antioche, pendant les opérations militaires de 1098
(traduit du latin de la traduction faite sur le texte arménien par le père Peeters, «
Miscellanea Historica Alberti de Meyer », Louvin, 1946, p. 376)

...Cette année le seigneur visita son peuple, comme il est écrit : "Je ne vous abandonnerai ni ne vous quitterai". Le bras
tout puissant de Dieu devint le guide. Ils apportèrent le signe de croix du Christ, et l'ayant élevé en mer, massacrèrent
une multitude d'infidèles, et mirent les autres en fuite sur terre. Ils prirent la ville de Nicée, qu'il avaient assiégée cinq
mois. Puis ils vinrent dans notre pays, dans la région de Cilicie et de Syrie, et investirent en se répandant autour d'elle la
métropole d'Antioche. Pendant neuf mois ils infligèrent à eux même et aux régions voisines de considérables épreuves.
Enfin, comme la capture d'un lieu aussi fortifié n'était pas au pouvoir des hommes, Dieu puissant par ses conseils procura
le salut et ouvrit la porte de la miséricorde. Ils prirent la ville et avec le tranchant du glaive tuèrent l'arrogant dragon
avec ses troupes. Et après un ou deux jours, une immense multitude fut rassemblée qui apporta secours à ses congénères;
par la suite de leur grand nombre, méprisant le petit nombre des autres, ils étaient insolents à l'instar du pharaon,
lançant cette phrase: "Je les tuerai par mon glaive, ma main les dominera". Pendant quinze jours, réduits à la plus grande
angoisse, ils étaient écrasés d'affliction, parce que manquaient les aliments nécessaires à la vie des hommes et des
juments. Et gravement affaiblis et effrayés par la multitude des infidèles, ils se rassemblèrent dans la grande basilique
de l'apôtre saint Pierre, et avec une puissante clameur et une pluie d'abondante larmes se produisait une même
flagitation de voix. Ils demandaient à peu près ceci: "Notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, en qui nous espérons et
par le nom duquel en cette ville nous sommes appelés chrétiens, tu nous as amenés en ce lieu. Si nous avons péché contre
toi, tu as beaucoup de moyens de nous punir; veuille ne pas nous livrer aux infidèles, afin qu'élevés d'orgueil ils ne disent
pas: Où est leur Dieu ?". Et, frappés par la grâce de la prière, ils s'encourageaient les uns les autres, disant: "Le Seigneur
donnera la force à son peuple; le Seigneur bénira son peuple dans la paix". Et chacun d'eux s'élançant sur son cheval, ils
coururent sus aux menaçants ennemis; ils les dispersèrent, les mirent en fuite et les massacrèrent jusqu'au coucher du
soleil. Cela fut une grande joie pour les Chrétiens, et il y eut abondance de blé et d'orge, comme au temps d'Elysée aux
portes de Samarie. C'est pourquoi ils s'appliquèrent à eux-mêmes le cantique prophétique: "Je Te glorifie, Seigneur,
parce que Tu t'es chargé de moi, et Tu n'as pas à cause de moi donné la joie à mon ennemi".

L'occupation de Tripoli par les Francs (Ibn abi Tayyî, dans Ibn al-Furât).

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Il y avait à Tripoli un palais de la Science qui n'avait en aucun pays son pareil en richesse, beauté ou valeur. Mon père m'a
raconté qu'un shaykh de Tripoli lui avait dit avoir été avec Frakhr al-Mulk b. 'Ammar lorsque celui- ci se trouvait à
Shayzar, et que venait de lui parvenir la nouvelle de la prise de Tripoli. Il s'évanouit, puis revint à lui en pleurant à
chaudes larmes. "Rien ne m'afflige, dit-il, comme la perte du palais de la science. Il y avait là trois millions (?) de livres,
tous de théologie, de science coranique, de hadîth, d'adab et, entre autre, cinquante mille Corans et vingt mille
commentaires du Livre de Dieu Tout-Puissant". Mon père ajoutait que ce palais de la Science était une des merveilles du
monde. Les Banu 'Ammâr y avaient consacré d'énormes richesses; il s'y trouvaient cent quatre-vingts copistes appointés
dont trente y demeuraient nuit et jour. Les Banu 'Ammâr avaient dans tous les pays des agents qui leur achetaient des
livres de choix. A vrai dire, de leur temps, Tripoli entière était palais de la Science, les grands esprits de tous pays s'y
rendaient, toutes les sciences étaient cultivées auprès de ces princes, et c'est pourquoi l'on y venait, en particulier les
adeptes de la science immamienne, qu'ils aimaient et dont ils étaient les adhérents. Lorsque les Francs entrèrent à Tripoli
et conquièrent la ville, ils brûlèrent le palais de la Science, parce qu'un de leurs prêtres maudits, ayant vu ces livres, en
avait été terrifié. Il s'était trouvé tomber sur le Trésor des Corans, il étendit la main vers un volume, c'était un Coran,
vers un autre, encore un Coran, vers un troisième, encore de même, et il en vit vingt à la suite. " Il n'y a que des Corans
des musulmans dans cette maison". dit-il, et ils la brûlèrent. On arracha cependant quelques livres, qui passèrent en pays
des musulmans.
Ils détruisirent aussi toutes les mosquées, et furent sur le point de massacrer tous les habitants musulmans. Mais un
chrétien leur dit : "Ce n'est pas sage, c'est une grande ville: où prendrez-vous les gens pour l'habiter ? Ce qu'il faut,
c'est leur imposer une capitation, après avoir confisqué leurs biens, et les obliger a habiter à la ville, sans leur permettre
d'en sortir, de façon qu'ils soient comme prisonniers et que leur séjour vous soit profitable". Ils (...) après en avoir
massacré vingt mille.
Quant au gouverneur et à quelques troupes, ils se réfugièrent au palais de l'émirat, et s'y défendirent quelques jours;
puis ils demandèrent l'aman et l'obtinrent; ils furent expulsés de la ville, et allèrent à Damas. Puis les Francs prirent les
notables et les chrétiens qui avaient avoué être riches, et les frappèrent et les torturèrent jusqu'à ce qu'ils livrassent
leur fortune; beaucoup moururent sous la torture. La ville fut partagée entre les Francs en trois parts, l'une pour les
Génois, les deux autres pour Baudouin, roi des Francs à Jérusalem, et pour Saint-Gilles le maudit.
La prise de Tripoli, et les épreuves de sa population consternèrent tout le monde. On s'assembla dans les mosquées pour
le deuil des morts; tout le monde prit peur et se persuada de l'avantage d'une émigration; et un grand nombre de
musulmans partirent pour l'Iraq et la Djéziré. Dieu sait mieux (...). L'on apprit que la flotte égyptienne était arrivée à Tyr
huit jours après la chute de Tripoli, par l'arrêt du sort. Jamais une flotte semblable n'était sortie d'Egypte, et elle
contenait des renforts, des vivres, de l'argent, de quoi ravitailler Tripoli pour un an. Lorsque le commandant de la flotte
eut apprit la chute de Tripoli, il répartit les provisions et l'argent apporté entre Tyr, Saïda, Beyrouth et les autres places
fortes musulmanes, et ramena la flotte en Egypte.
Fakir al-Mulk b.'Ammâr, le seigneur de Tripoli, lors de la prise de la ville, se trouvait chez l'émir Ibn Munqidh, qui lui
offrait l'hospitalité. Il se rendit à Djabala et s'y fixa après y avoir fait apporter des provisions et des armes. Tancrède
vint l'attaquer et lui livra de durs combats. Le cadi Fakhr al-Mulk appela au secours les princes des environs, leur faisant
craindre la perfidie des Francs, et que , s'ils occupaient cette place, ils en gagnassent une autre, et que leur puissance
s'accrût peut-être assez pour leur permettre de s'emparer de toute la Syrie et en expulser les musulmans. La lettre
était longue, elle fit saigner les coeurs et pleurer les yeux, mais nul ne lui répondit (...).
Source: "Orient et Occident au temps des Croisades" de Claude Gahen, "Collection historique" dirigée par Maurice
Agulhon et Paul Lemerle, éditions Aubier Montaigne, Paris, 1992, rubrique Documents, pages 219 à 223

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Généalogie des protagonistes des croisades

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GODEFROI DE BOUILLON
Chef des armées de Meuse et du Rhin - Fils d'Eustache comte de Boulogne
Premier Roi élu de Jérusalem, mais préféra plutôt le titre d'Avoué du St sépulcre
mais resta le chef durant son court règne de 1099/1100

BAUDOUIN 1er DE BOULOGNE


D'abord comte d'Edesse en 1098 il devint Roi de Jérusalem. Régna de 1100 - 1118
Frère de Godefroi, il épousa Godvère de Tosny puis Adelaïde de Sicile.

BAUDOIN DU BOURG
Ancien Comte d'Edesse (1100 à 1118) prit le nom de Baudouin II
Roi de Jérusalem de 1118 à 1131 - Prisonnier des turcs de 1122 à 1124
Guillaume de Bures fut nommé régent durant sa captivité

FOULQUES V
Comte d'Anjou et Roi Jérusalem de 1131 à 1143
Il épousa Mélisende (fille de Baudouin II)
Elle assurera la régence pour son fils né en 1129

BAUDOIN III
(fils de Foulques V) Roi de Jérusalem de 1143 à 1163 - Suscita la 2è Croisade
Epousa Théodora la nièce de Manuel Comnène, empereur de Byzance

AMAURY 1er
(frère du précédent) Roi de Jérusalem de 1163 à 1173
Epousa Marie Comnène, puis Agnès de Courtenay

BAUDOUIN IV
Fils d'Amaury 1er dit le roi lépreux Roi Jérusalem de 1174 à 1185
Désigna Baudouin V comme successeur

BAUDOUIN V
Roi de Jérusalem de 1185 à 1186 (L'enfant roi )- tutelle par Jocelin III comte d'Edesse
Fils de Guillaume de Montferrat et de Sybille, soeur de Baudouin IV

GUY DE LUSIGNAN et SYBILLE


Roi de Jérusalem de 1186 à 1192 Prisonnier à Hattin, libéré en 1188.

CONRAD DE MONTFERRAT
Avr. 1192 assassiné en quinze jours

HENRI II

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comte de Champagne et roi de Jérusalem de 1192 à 1197
par son mariage avec Isabelle d'Anjou Reine de Jérusalem : 1192 - 1205

AMAURY II de Lusignan
Roi de Chypre de 1194 à 1205 et Jérusalem de 1198 à 1205
par son mariage avec la veuve d'Henri II de Champagne mais ne put en prendre possession

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BOHEMOND DE TARENTE
Fils de Robert Guiscard (1098 - 1111) Prisonnier de 1100 à 1103
Retourna en Occident et épousa Marie De Constance du Roi de Philippe 1er

TANCREDE DE HAUTEVILLE
Neveu de Bohémond 1er - Prince normand de Sicile
Prince d'Antioche de 1101 à 1103 et de 1104 à 1111
Epousa Cécile de France fille de Philippe 1er et de Bertrade Montfort

ROGER DE SALERNE
Prince d'Antioche de 1112 à 1119 Fils de Richard de Salerne

BOHEMOND II
Prince d'Antioche de 1126 à1131 -
Maria Alix de Jérusalem (fille de Baudouin II) - Mort au combat avec les syriens

RAYMOND DE POITIERS
Fils de Guillaume IX d'Aquitaine
et Prince d'Antioche de 1136 à 1149

RENAUD DE CHATILLON
Prince d'Antioche 1153 - 1160 - (Prisonnier de 1164 à 1176)
(Seigneur du Krak de Moab)

AIMERY DE LIMOGES
Patriarche d'Antioche -
assura la régence sous la minorité de Bohémond III

BOHEMOND III
Prince d'Antioche de 1163 à 1201
Nur al-Din le fit prisonnier en 1164

BOHEMOND IV
Prince d'Antioche et comte de Tripoli 1201 - 1233

1. LES COMTES DE TRIPOLI

BERTRAND DE TOULOUSE
1er comte de Tripoli Fils de RAYMOND de St Gilles et de Elvire de Castille

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PONS DE TRIPOLI
mort en 1138 Fils du précédent

RAYMOND II DE TRIPOLI
mort en 1152 maria Hodierne de Jérusalem, fut assassiné par un ismaélien

RAYMOND III DE TRIPOLI


mort en 1187 épousa ECHIVE (comtesse de Tibériade)

BOHEMOND IV
deviendra également prince d'Antioche après la capture
de son père et de son frère aîné.

2. LES COMTES D' EDESSE

BAUDOUIN DU BOURG DE BOULOGNE


épousa Morfia la fille du prince Gabriel d'Arménie. Etant prisonnier des syriens
Son neveu Tancrède Hauteville administra le comté de 1104 à 1108

JOCELIN DE COURTENAY
cousin de Baudouin du Bourg . Comte d'Edesse : 1118 à 1131
Jocelin fut capturé par Balak

BEAUDOUIN II - Régent du Comté


Etant à son tour également capturé par les syriens c'est Eugène Garnier
qui fut nommé Régent à la place des 2 princes prisonniers de Jérusalem et Antioche

JOCELIN II DE COURTENAY
Comte d'Edesse 1131 - 1143 , il épousa Béatrix

JOCELIN III DE COURTENAY


prince déchu de l'héritage d'Edesse

3. LES EMPEREURS DE BYZANCE / CONSTANTINOPLE

ROMAIN DIOGENE
Empereur de 1067 - 1071

ALEXIS COMNENE
Empereur de 1082 à 1118, il épousa Irène Doukas

JEAN COMNENE
Empereur de 1118 à 1143

MANUEL COMNENE
Empereur de 1143 à 1180

ANDRONIC COMNENE
Empereur de 1183 à 1185

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ISAAC ANGE
Empereur de 1185 à 1195

ALEXIS ANGE
Empereur de 1195 à 1204 dernier empereur
avant la mise à sac de Constantinople par les
soldats de la 4è croisade de 1204.

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