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Augustin AYMOZ

CROLLES
ET
LE GRAISIVAUDAN

A u t r e f o i s et A u j o u r d ' h u i

DLE-20050712-34734
2005-172325
N o t e de l ' é d i t e u r

Cette édition a été réalisée d'après l'ouvrage original auto édité par
l'auteur en 1980.

Il n'a été procédé à aucune actualisation des textes, à l'exception


de la chronologie des maires. Certaines illustrations ont été
déplacées, voire remplacées.

ISBN 2-914108-09-5
Dépôt légal Juillet 2005
Tous droits réservés - Ail rights reserved
(C) - 2005 Autrefois Pour Tous
PRÉFACE

Notre vallée a une histoire


Crolles a vu naître Monsieur Augustin Aymoz, lequel a voulu
savoir comment Crolles était né.
Cet écrivain local fait partie de ces anciens crollois qui ont
connu notre ville au temps où elle n' était encore qu' un village de
campagne. Monsieur Aymoz habite ce vieux quartier du Fragnès
adossé à la Chartreuse. Sa passion pour l'histoire, et particulière-
ment celle du Grésivaudan, lui a comblé sa vie d'auteur.
A cet érudit local, je souhaite dire toute ma reconnaissance :
son ouvrage qui retrace l'histoire de Crolles et du Graisivaudan
imprime avec justesse la mémoire de notre commune.
Pour qui veut connaître ses origines ancestrales crolloises, ce
témoignage est d'une intense sensibilité et d'une grande richesse
en matière de connaissances historiques. On y apprend par
exemple, comment a été fondée en 1160 l'abbaye des Ayes mais
aussi l'histoire de l'église actuelle de Crolles depuis la pose de sa
première pierre en 1648, le choix des premières habitations, la
lutte contre les eaux, la fabrication du chanvre dès le 11 ème siècle...
Augustin Aymoz nous conte sa vie de fils d'agriculteurs
crollois né un certain jour de 1921 à Crolles. De la vie d'autrefois,
il retranscrit pour nous ses souvenirs qui confèrent toute l'authen-
ticité de ce livre : des plantes médicinales de sa grand'mère Aymoz
aux chemins du Fragnès qu'il arpentait écolier, l'hiver, avec ses
galoches son cartable en bandoulière et sa pèlerine...
Parce que le passé explique le présent, parce que ce sont nos
racines qui font ce que nous sommes, ce livre est un outil précieux
de notre patrimoine local. Nous sommes le résultat d'une histoire
et celle qui nous est donnée ici à travers les lignes de ce livre
nous montre le formidable héritage de l'évolution des temps.
Les événements historiques, le devenir de notre civilisation, et
surtout la vie quotidienne au fil des temps ont construit et
enrichit notre terre crolloise d'aujourd'hui.
Les " anciens " apprécieront cette mine d'informations sur le
village qui est le leur ; les habitants plus récemment installés
découvriront le passé de leur village d'accueil et peut-être
pourront-ils ainsi mieux percevoir ce qu'il est désormais. Car ce
voyage à travers les siècles est avant tout une invitation à com-
prendre comment notre village de Crolles est devenu notre ville
d'aujourd'hui.

Jean-Claude PATUREL
Maire de Crolles
Je r e m e r c i e

- M o n s i e u r Paul J A R G O T , S é n a t e u r Maire de Crolles.

- Monsieur P E R R O U D et le p e r s o n n e l de la Mairie de
Crolles qui o n t mis g r a c i e u s e m e n t à m a d i s p o s i t i o n les archives
de la c o m m u n e .

- Les a u t e u r s de la m o n o g r a p h i e collective : R e c h e r c h e s sur


l'histoire de Crolles.

- Les a n c i e n s d u village qui m ' o n t d o n n é de p r é c i e u x r e n -


seignements.

L'AUTEUR
PROLOGUE

A la mémoire de mon f i l s P a s c a l

- Papa, raconte-moi des histoires d'autrefois !


Je lui décrivais l'époque de ma jeunesse qui faisait pour lui
figure de légende, les dernières veillées, les " mondées ", les battages,
les vieilles coutumes, la vie des anciens artisans du village. Je lui
contais l'histoire du loup qui suivait l'un de ses ancêtres de Grenoble
à Bernin. Il m'écoutait, silencieux, attentif... La joie qui se lisait sur
son visage radieux comblait de bonheur mon amour de père.
Il montrait, dès sa plus jeune enfance, son attachement à la vie
de son village, de son hameau. L'étable de Marc, notre jeune voisin,
l'attirait ; il connaissait le nom de toutes les vaches, de toutes les
génisses ainsi que les recettes de leur alimentation. Il aimait
accompagner dans les champs, son cousin Léon qui conduisait le
dernier attelage de vaches du pays. Il admirait le berger des
" Sigaudes " qui vivait loin du monde et du bruit, auprès de ses
moutons.
Le quartier l'avait adopté : il en était l'enfant !
Ses études le conduisirent de l'école communale de Crolles au
C.E.S. du Touvet et au Lycée de Pontcharra.
L'enfance avait fait place à l'adolescence et à l'affirmation de
sa personnalité ; celle-ci était marquée par la passion de la nature,
de la vie simple de ses ancêtres : paysans et artisans du village. Son
amour du passé le poussait à fouiller dans les greniers pour
découvrir les outils et les formes d'un arrière-grand-père cordonnier,
la " mécanique " d'une arrière-grand-mère couturière en gants. A
Bernin, il allait faire revivre, après plus de vingt ans de sommeil,
le four de ses grands-parents. Lycéens et lycéennes de la patrie de
Bayard se trouvaient réunis pour la fabrication du pain, des pognes,
des meringues. La grand-mère, ébahie, leur donnait de précieux
conseils ; une communion de pensée unissait deux générations séparées
par un demi-siècle d'histoire.
Pascal aimait, avec ses camarades, parcourir les sentiers de
nos montagnes et dévaler en ski les pentes neigeuses. Il revenait de
ses randonnées alpestres, heureux, enthousiaste et nous confiait :
" Là-haut, je me sens libre, délivré de cette vie de dingue qu nous
menons aujourd'hui Le gamin du quartier était devenu UI1 adulte
qui réfléchissait profondément. Nous partagions nos goûts communs
pour l'histoire. Mais lorsque je lui parlais des deux conflits mondiaux
qui avaient ensanglanté notre demi-siècle, des souffrances des
combattants, des prisonniers, des déportés, il ne pouvait pas
admettre cette haine entre les peuples. Il exécrait le racisme : Agui,
l'étudiant Ivoirien était pour lui un ami, un frère. Passionné de
football, capitaine de l'équipe juniors du F.C.C.B., il était révolté
par la violence qui régnait parfois au cours des matches. Malgré son
amour de la nature, il ne dédaignait pas, cependant, parcourir
les rues piétonnières de Grenoble et chercher dans les librairies des
ouvrages évoquant la montagne ou la vie d'autrefois. C'est ainsi
qu'il m'offrit, un jour de janvier 1978, un livre dont le titre avait
attiré son attention : Le Pain d'autrefois. L'auteur, Claude Thouvenot,
nous parlait de la vie quotidienne d'autrefois dans sa province
Lorraine. En lisant ces pages, je revivais l'époque de mon enfance,
du pain de " Tante Marine ", de la fabrication du beurre et des
tommes, de l'abattage du porc. Je retrouvais, dans ces lignes, une
certaine similitude entre la vie du paysan lorrain et celle du paysan
dauphinois. Nous eûmes, Pascal et moi, une longue discussion à ce
sujet.
- Papa, tu devrais écrire un livre sur la vie d'autrefois, me dit-il.
- Je n'en suis pas capable.
- Je t'aiderai de mon mieux.
Les jours passèrent... Le samedi 22 avril 1978, enfin dejournée,
Pascal partit avec Sylvain et Pierre faire une petite randonnée dans
le Manival. Histoire de se détendre me dirent en chœur ces trois
fervents de la montagne ! Au retour, le lendemain, Pascal se rendit
sur le stade de Crolles où son équipe rencontrait celle de Rumilly.
Au bout de vingt minutes de jeu, sur ce terrain qu'il avait foulé
pendant neuf ans, il s'effondrait brutalement quelques instants
après avoir encouragé ses coéquipiers en s'écriant " Aile% Crolles,
on va gagner ! ".
Il avait dix-neuf ans. Il souriait à la vie...
Comment dépeindre notre douleur, notre désespoir, notre senti-
ment de révolte contre la cruauté du destin.
En écrivant ce livre, j'ai voulu répondre au vœu de notre cher
disparu : retracer la vie de sa vallée, de son village qu'il aimait tant.
PREMIÈRE PARTIE

HISTOIRE
L ' a c t i o n des eaux et des glaciers q u a t e r n a i r e s a tracé cette
s u p e r b e vallée q u e le roi L o u i s X I I a p p e l a i t " le t a n t b e a u jardin
d u t a n t b e a u pays de F r a n c e
C ' e s t grâce à cette riche vallée que la p r o v i n c e du D a u p h i n é , en
g r a n d e p a r t i e m o n t a g n e u s e , a p u suffire, p e n d a n t des siècles, à ses
besoins. D o m i n é e d ' u n côté p a r la chaîne cristalline de B e l l e d o n n e ,
de l'autre p a r le m a s s i f p r é a l p i n de C h a r t r e u s e , la vallée du
G r a i s i v a u d a n a u n e s i t u a t i o n g é o g r a p h i q u e privilégiée. Elle s'est
révélée, au cours de l'histoire, c o m m e u n lieu de p a s s a g e essentiel.
Crolles, au pied d u plateau des Petites-Roches et de la magnifique
D e n t qui p o r t e son n o m , est situé d a n s la p a r t i e la plus large de la
vallée. L ' h i s t o i r e n o u s d é m o n t r e r a qu'elle a été u n e des plus
importantes communautés du Graisivaudan.
Q u e l l e est l'origine du t o p o n y m e " Crolles " ? P r o v i e n t - i l d ' u n
gaulois n o m m é Crollus ? Il se r a t t a c h e plus v r a i s e m b l a b l e m e n t au
latin " c o r r o t u l a r e " : p i e r r e d é t a c h é e de la m o n t a g n e qui, après
avoir roulé reste " écroulée ". Ce qui t o p o g r a p h i q u e m e n t c o r r e s p o n d
à une zone d'éboulement.
F o r m e s a n c i e n n e s du n o m : de Crolle, XIe siècle - Crollus,
XIIe siècle - v e r s u s c r o l l a r u m , 1346.
D o n n o n s é g a l e m e n t l ' o r i g i n e du t o p o n y m e : B e r n i n d o n t
l ' h i s t o i r e est s o u v e n t liée à celle de Crolles : B e r n i n serait le n o m
d ' u n e t e r r e a p p a r t e n a n t au g a u l o i s : B r e n n o s " Jacques Bruno :
Le Graisivaudan ".

PÉRIODE PRÉ-CELTIQUE

Cette p é r i o d e très a n c i e n n e ne p e u t être d é t e r m i n é e avec certi-


tude. Les ligures sont-ils les p r e m i e r s h a b i t a n t s de n o t r e r é g i o n ?
N o u s p o u v o n s le s u p p o s e r d ' a p r è s les d o n n é e s t o p o n y m i q u e s : à
B e r n i n , la z o n e p r é c e l t i q u e se situerait (d'après la racine P.I.E. :
P r é i n d o E u r o p é e n n e ) a u t o u r des l i e u x - d i t s : Balloi d u P.I.E. :
bal = hauteur. M a g a r o n n e : s u p p o s i t i o n M a g : colline - H a m e a u
de C r a p o n o z : P r é c e l t i q u e " K r a p p = p i e r r e (Jacques Bruno : Le
Graisivaudan).
Le choix de ces lieux s'explique par la bonne exposition, la
proximité des sources et ruisseaux et la protection que leur assurait
la hauteur. La chasse est l'occupation principale de ces îlots
humains qui se mêleront, par la suite, aux premiers envahisseurs
d'origine celtique. C'est à ce moment que débutera la première
exploitation de la nature.

PASSAGE DES ALPES PAR HANNIBAL


Le célèbre général Carthaginois, en l'an - 218 de notre ère,
part du confluent de l'Isère et du Rhône pour franchir les Alpes.
Son itinéraire est très controversé. L'historien grec Polybe nous
dit qu'Hannibal a remonté la rivière (Isère) en 10 jours, en parcou-
rant 800 stades. Cette distance correspond à celle qui sépare le
confluent de l'Isère et du Rhône, du confluent de l'Arc et de
l'Isère. Si nous admettons cette hypothèse, Hannibal est bien passé
par le Graisivaudan, en longeant l'Isère jusqu'à la vallée de la
Maurienne.
Continuons le récit de Polybe : " Tant que l'on fut dans la plaine
" vallée de lIsère " les chefs inférieurs des Allobroges s'abstinrent
de toute attaque, par crainte de la cavalerie et des barbares
auxiliaires qui faisaient cortège à Hannibal. Mais dès que ceux-ci
furent rentrés chez eux, et que les troupes d'Hannibal eurent
commencé à s'engager sur un terrain difficile, alors les chefs
Allobroges, réunis en nombre suffisant, s'emparèrent des positions
avantageuses par lesquelles il fallait, de toute nécessité, que
l'ennemi passât ". Les Allobroges se seraient concentrés sur les
hauteurs qui dominent le cours de l'Arc, pour attaquer les troupes
Carthaginoises.
A cette époque, on dénombre dans le Graisivaudan de petites
Exploitations gauloises et galates.
A Crolles : Cotinière, Mayard.
A Bernin : Champ Juillet.
A St-Nazaire : les Eymes, Chalandrier.
LES FERMES GALLO-ROMAINES

A l'époque de l'occupation romaine, des fermes plus importantes


que les petits domaines gaulois, se constituent dans le
Graisivaudan. La plus grande est celle de Meylan qui s'étend sur
plusieurs communes. Une ferme de moindre importance, s'installe
dans la plaine entre Lumbin et Crolles : aux Meylons.
Les forêts se retrouvent au Fragnès : lieu planté de frênes ; à
Brocey : ancien français broce : broussailles ; aux Charmanches
" Carpinus " : charme : lieu planté de charmes.

LES INVASIONS : B U R G O N D E S - SARj\fATES

L'affaiblissement de l'empire Romain est la cause des invasions


de la Gaule par les peuplades germaniques.
Les Burgondes et leurs compagnons de voyage : les Sarmates,
peuples nomades de l'Asie centrale, prirent pied dans le Sud-Est
de la Gaule vers le milieu du 5e siècle. On retrouve, d'après les
Toponymes, des Etablissements ou plutôt des camps Burgondes et
Sarmates, dans notre région : par exemple, à Bernin, La Rousse
pour les Burgondes et la Michelière pour les Sarmates.

FIN DU ROYAUME B U R G O N D E

Le puissant peuple Germain, les Francs, va détruire le royaume


burgonde et définitivement s'imposer. Malgré la victoire burgonde
en 524 à Vézeronce, près de La Tour-du-Pin, les Francs gagnent la
bataille d'Autun, en 534. Cette victoire des Francs marque l'écrou-
lement du royaume burgonde.

LES D O M A I N E S M É R O V I N G I E N S

La période de troubles et d'anarchie de l'époque mérovingienne


ne laisse que très peu de précisions à l'histoire locale. Deux termes
servent cependant de points de repère :
" VILLA " qui représente la ferme mérovingienne et
" MANSE " qui évoque le Domaine.
On retrouve ces mots à l'époque Carolingienne et même
plus tard.
Citons pour Crolles : les Sigaudes, villa de Sigaud. (Les
Sigaudes se situent en-dessus du Hameau : le Fragnès).
Les Crollets : villa " éboulements
Les Manses, qualifiés par la végétation.
Exemple : La Fragne, maison des frênes, au Hameau du
Fragnès.
Le mot champ " campum " qui évoque probablement un
domaine.
Exemple : A Bernin " Champ Bertin " domaine de Bertin.
Signalons que Champ Bertin, situé en-dessous de la route qui
mène des Eymes (R.N. 90) à Saint-Pancrasse, possède la plus grosse
pierre de la région.

L'INVASION SARRAZINE
L'histoire de cette invasion, au IXe siècle, est très controversée.
L'installation des Sarrazins dans le diocèse de Grenoble aurait eu
de graves conséquences. A tel point que l'évèque de Grenoble,
Isarn, organisa le repeuplement avec des éléments étrangers. Les
funestes souvenirs de leurs pillages sont restés gravés dans la
mémoire populaire. Il semblerait, sans précision, que leur passage
fut surtout marqué dans les régions montagneuses : Revel, Uriage,
Hurtières, Pinsot, la Ferrière.
LE GRAISIVAUDAN SOUS LES D A U P H I N S

LES PREMIERS DAUPHINS

De la faiblesse des successeurs de Charlemagne et de la période


de confusion qui s'en suivit, allait naître une nouvelle force : la
Féodalité, qui se substituera p r o g r e s s i v e m e n t au système
monarchique. Deux puissants seigneurs, le comte d'Albon et le
comte de Maurienne, s'imposent et deviennent respectivement les
créateurs du Dauphiné et de la Savoie. Ces deux nouveaux états
sont nés le même jour, mais ces deux frères jumeaux vont avoir
des destins différents : le Dauphiné aura un avenir éphémère
puisqu'il sera rattaché au Royaume de France en 1349 alors que la
Savoie ne deviendra définitivement française qu'en 1860, avec
l'approbation de ses habitants.
Guigues 1er, qui fut le fondateur du Dauphiné, mourut à l'abbaye
de Cluny en Bourgogne en 1070.
Les Dauphins n'ont pu exercer, dès leur origine, un pouvoir
absolu. Ils se sont heurté à deux forces puissantes : La Féodalité
laïque et la Féodalité ecclésiastique. La Féodalité laïque est
composée de grands feudataires qui ne veulent pas se plier à
l'autorité d'un suzerain.
La politique des Dauphins s'est employée, par tous les moyens,
à mater ces turbulents vassaux et à les transformer en de fidèles
" officiers ". C'est grâce à la souplesse et à la fermeté de cette
politique que les Dauphins imposent leur volonté aux grands
seigneurs du Graisivaudan : Alleman - Eynard - Beaumont.
La lutte avec une féodalité ecclésiastique, puissante et bien
organisée, sera moins heureuse. L'évêque de Grenoble et le
Dauphin se partagent le gouvernement de la cité. Il y a de fréquents
désaccords entre eux. Ces rapports sont variables d'une époque à
l'autre selon les hommes. Par une politique tantôt tenace, tantôt
conciliante, les Dauphins cherchent à grignoter, petit à petit, le
pouvoir des évêques.
Cette époque voit fleurir de nombreux prieurés dans la vallée :
le Prieuré de Domène, de l'ordre de Cluny, fondé en 1057 ; le
Prieuré de Bernin ; le Prieuré de St-Nazaire occupé au XIIe siècle
par des moines Clunysiens ; le Prieuré de St-Martin-de-Miséré, à
Montbonnot, de l'ordre des Augustins, fondé à la fin du XIe siècle.
De celui-ci dépendent beaucoup de paroisses, parmi lesquelles celles
de St-Ismier, Biviers, Tencin, les Adrets, Hurtières.

MONASTÈRES ET ABBAYES
A la fin du XIe siècle, l'ordre de Cluny perd de sa primitive
grandeur. On lui reproche un certain relâchement dans la discipline
monastique. L'ordre des Chartreux, dont le fondateur est St-Bruno,
prend naissance en 1084, dans un lieu retiré, ignoré des hommes
et des animaux domestiques, repaire des bêtes sauvages. Par des
donations diverses, le domaine des Chartreux s'agrandit progressi-
vement. C'est ainsi que leur histoire est liée à celle du
Graisivaudan où ils possèdent, déjà au Moyen Age, plusieurs
exploitations agricoles.
Parmi les fondations religieuses du Graisivaudan, on retient
deux établissements qualifiés d'Abbayes. Ce sont :
L'Abbaye des Ayes, à Crolles, dont je parlerai plus loin ;
L'Abbaye de Montfleury, de l'Ordre de St-Dominique, fondée
en 1342 par le Dauphin Humbert II.

FONDATION DE L'ABBAYE DES AYES


Marguerite de Bourgogne, veuve de Guigues IV, fonda l'abbaye
des Ayes, de l'ordre de Citeaux, en 1160. La légende dit que la
Dauphine, après la mort de son mari, se réfugia dans sa demeure
du Baure à Saint-Pancrasse. Elle décida de consacrer sa vie à Dieu
et de fonder une abbaye. Un jour elle vit un flambeau allumé,
porté par une main mystérieuse, se poser dans la vallée. Elle fut
persuadée que c'était là une indication divine pour l'emplacement
de l'établissement religieux qu'elle avait projeté de construire.
Comme il y avait beaucoup de broussailles, elle donna à ce lieu le
nom de Ayes " De Haga " = la Haie.
Marguerite de Bourgogne, la première abbesse des Ayes, mourut
dans son château de La Mure en 1163. Selon ses dernières volontés,
son corps fut transporté à l'abbaye en procession. La légende nous
révèle que, pendant tout le parcours de La Mure aux Ayes, le vent
souffla en tempête. Par un véritable miracle, les éléments
déchaînés ne réussirent pas à atteindre les torches et les flam-
beaux que portait le cortège.
Je signale qu'il ne faut pas confondre la Dauphine avec sa
célèbre et sinistre homonyme, la Reine Marguerite de Bourgogne,
épouse de Louis X le Hutin.
D ès sa fondation, le domaine de l'abbaye des Ayes profita de
nombreuses donations qui lui permirent de s'étendre rapidement.
La forêt du Devey à Crolles appartenait à l'abbaye. Ce lieu-dit,
qu'on retrouve sur le territoire d'une ancienne ferme romaine,
signifiait : forêt où il est défendu de couper du bois.
Monseigneur Jean de Bernin, archevêque de Vienne, favorisa
l'abbaye des Ayes dans un acte de septembre 1262. De leur côté,
les seigneurs voisins, celui de Montfort en particulier, multipliè-
rent les dons et les faveurs au bénéfice de l'Abbaye. Celle-ci, bien
que n'ayant jamais atteint un grand développement, compta
jusqu'à 30 religieuses de chœur et une trentaine de sœurs.

LES ÉGLISES : L'ANCIENNE ÉGLISE DE CROLLES


C'est à cette époque que se construisent dans la vallée, de très
nombreuses églises. Parmi celles-ci, citons l'église de Goncelin et son
clocher-porte et l'église de Saint-Ismier avec son portail roman.
L'ancienne église, Saint-Pierre de Crolles, est mentionnée dans
le pouillé de Saint Hugues en 1115 environ. Elle fait partie de
l'archiprêtré de Viennois, l'un des quatre grands archiprêtrés qui
divisaient le diocèse de Grenoble. Elle est taxée à 12 deniers de
" parat ", c'est-à-dire de droits d'apprêt pour la visite épiscopale ;
taxe correspondant aux églises paroissiales " Cartulaires de Saint-
Hugues ".
Le plus ancien ecclésiastique, originaire de Crolles, dont le
nom nous est parvenu est Guigues de Crolles " Guigo de Crollis " :
chanoine de la cathédrale de Grenoble où il remplit les fonctions
de courrier ; il est mentionné le 24 décembre 1303, à l'occasion
d'une réunion où l'on discute de l'union du monastère de Chalais
à celui de la Grande Chartreuse (Cartulaire de Chalais, charte 53).
CROLLES SOUS LES DAUPHINS

Nous venons de parler de la féodalité ecclésiastique, Abbaye


des Ayes et ancienne église de Crolles, voyons maintenant la
féodalité laïque.
Nous avons vu dans les pages précédentes qu'il existait à
Crolles, à l'époque mérovingienne, une villa : les Crollets et un
manse à la Fragne. Cela prouve la présence d'unités d'exploitation,
dont on ignore exactement le nombre. Dans une charte, datant de
1058 environ, des donations sont faites au Prieuré de Domène. On
retrouve dans ces legs, des domaines situés à Crolles :
1° : Don du seigneur Eynard : de la moitié d'un manse près de
Crolles.
2° : La moitié d'un manse donné par Gotolens, noble dame.
3° : Dans un autre lieu, un petit champ donné par le chevalier
Ardenc de Bernin.
4° : Dans un autre lieu encore, un curtil que tient Durand
Cavarcost.
Dans un acte de 1200, le prieuré de Domène mentionne qu'il
possède à Crolles un " tènement " qui est aux mains d'un certain
Pierre (il doit s'agir du chevalier Pierre de Crolles). Celui-ci paie,
comme redevance annuelle, un chapon au Carême pendant la
moisson deux galettes, et enfin, 12 deniers pour la Saint-julien.

LE CHÂTEAU D E "MONTFORT

Ce château, connu sous le nom de Château-Robert, a été


construit vers 1261. Il en reste aujourd'hui d'imposantes ruines
dissimulées au milieu des arbres. Situé au sommet d'un coteau, son
emplacement avait été bien choisi pour la défense de la vallée. Le
château relevait de l'autorité des Dauphins. En 1343, le dernier
Dauphin Humbert II cède à Amblard de Beaumont le château de
Montfort avec son territoire et mandement, ainsi que quelques
revenus à Goncelin, à Sainte-Marie-d'Alloix et à la Terrasse, en
échange d'autres châteaux et domaines situés dans le Dauphiné.

LA V É H É R I E D E CROLLES

La véhérie était la maison forte au Moyen Age. Il y avait


plusieurs véhéries dans la vallée : à Gières, à Domène, à Bernin.
Celle de Crolles avait pour siège la maison forte de La Ranconnière,
à l'emplacement du château actuel. Elle était entourée de fossés d'où
son deuxième nom : La Maison à fossés. Les animaux qui occasion-
naient des dommages dans la propriété du seigneur étaient saisis et
mis en fourrière dans cette maison jusqu'au paiement final de
l'amende encourue.
Le véhier, officier du seigneur, remplissait en son nom des
fonctions d'ordre administratif et judiciaire. Il était chargé de la
perception des amendes dont il jouissait, selon leur valeur, en
totalité ou en partie. Il bénéficiait également du tiers des langues
de bœufs et de vaches abattus dans le mandement de Montfort, du
tiers des pâquerages des brebis étrangères et des menus bans de
3 ou 6 deniers. Il était chargé, en même temps, de la surveillance
des moissons et des vendanges.
Pendant un siècle, les véhéries de Crolles et de Bernin eurent
le même véhier. Le premier dont on fait mention en 1234 est le
chevalier Guigues Falastier ; ensuite, son fils Guillaume lui succède
en 1268. Celui-ci était propriétaire de la maison forte de
Craponoz. A la fin du XIIIe siècle, Catherine Falastier, fille de
Guillaume, apporta en dot la charge de véhier de Crolles à son
mari, Bertrand Lombard. La famille Lombard garda cet office avec
Etienne en 1355 et ensuite, avec Boniface, jusqu'en 1363.

SAINT SULPICE À MONTFORT


Le bas de Montfort, à droite de la R.N. 90 en direction de
Chambéry, a porté sur l'ancien plan cadastral de Crolles le nom de
Saint Sulpice. La tradition nous a toujours dit qu'il existait autrefois
un monastère, ou couvent, qui portait ce nom. Chaque fois qu'on
a creusé le sol, pour des terrassements ou des plantations d'arbres
et de vignes, on s'est heurté à des murs. On a découvert des
matériaux de construction, ainsi que des objets pieux : crucifix,
bénitiers, éteignoirs etc. (Mémoires de Mademoiselle Zoé
Tournoud).

LES INSTITUTIONS
SOUS LE GOUVERNEMENT DES DAUPHINS
LES MANDEMENTS
On appelle ainsi des circonscriptions territoriales qui
regroupent un nombre plus ou moins important de communautés.
Dans le Graisivaudan, sur la rive droite de l'Isère, nous retrouvons
de la Savoie à Grenoble, les mandements de :
Bellecombe - La Buissière - Le Touvet - La Terrasse -
Montfort (dont dépend la communauté de Crolles) - Montbonnot.
A la tête de chaque mandement est placé un vassal du Dauphin
qui a le titre de châtelain. Ce représentant du Dauphin est chargé
de régler en son nom tous les problèmes, financiers, judiciaires et
militaires. Il détient ainsi le rôle de commandant de place, de
magistrat et d'agent du fisc. Il est secondé pour remplir ses
fonctions par divers agents qui sont les mistraux, les bailes ou
viguiers, les chapelains, les notaires, les mayniers et les sergents.
C'est ainsi que Crolles a été le siège d'une mistralie ayant à sa tête
un mistral. Celui-ci, à titre de dédommagement, percevait le tiers
des revenus casuels, des amendes et des droits de mutation " Lods
Au XIIIe siècle, sont créés les baillages qui regroupent plusieurs
mandements. A la tête de chacune de ces nouvelles subdivisions
est placé un bailli qui a plusieurs châtelains sous ses ordres.
Au début du XIVe siècle apparaît le premier Gouverneur du
Dauphin pour toute la province.

LA LUTTE DES FRÈRES ENNEMIS


Le Graisivaudan a été le théâtre de nombreuses guerres entre
les Dauphins et les Comtes de Savoie. On a vu que ces deux Etats
frères étaient nés du partage du Comté de Viennois. Des mariages
scellèrent les relations de bon voisinage qui durèrent pendant un
siècle. Mais ces rapports pacifiques allaient faire place à un état de
guerre constant entre les deux Etats. Plusieurs causes expliquent
cette rivalité :
1° Tout d'abord, le partage bâtard qui n'avait pas établi de
limite précise entre les deux pays. Des enchevêtrements
territoriaux allaient être l'enjeu de revendications fréquentes.
2° Le Dauphiné et la Savoie étaient pris comme dans un étau
entre leurs deux puissants voisins : l'Empire et le Royaume
de France. Il fallait bien souvent, après des hésitations,
choisir entre ces deux implacables rivaux.
3° Les raisons d'ordre économique : la riche vallée du
Graisivaudan, ce grenier d'abondance, était pour les
Comtes de Savoie, un objet de convoitise, d'autre part, la
Savoie n'avait pas de débouché vers la mer et la vallée du
Graisivaudan était, pour elle, un lieu de passage idéal pour
rejoindre le Rhône et la Méditerranée.
C'est au combat de La Buissière en 1142 que succomba
Guigues IV, le premier qui porta le titre de Dauphin. Il était l'époux
de Marguerite de Bourgogne dont nous avons déjà lu l'histoire.
Montmélian, malgré la convoitise des Dauphins, resta savoyarde.
Cette citadelle, perchée sur son rocher, était la sentinelle de la
Savoie et le point de débouché sur le Mont-Cenis et le Piémont.
Des péages qui rapportaient des grosses sommes, y étaient établis
sur tous les produits circulant entre l'Italie et le Royaume de
France par la vallée de l'Isère.
Par contre, Guigues VII annexa la mandement d'Allevard en
1263 et ce n'est qu'après le cinquième conflit que fut signé, en
1334, le traité de Chapareillan.
Pour terminer, je vais citer le passage d'une lettre d'Henri de
Villars, Archevêque de Lyon, qui confirme le climat d'hostilité
continue qui régnait entre les deux voisins. Ce prélat, avait la
charge du gouvernement et de l'administration du Dauphiné
pendant l'absence d'Humbert II parti en croisade. Le lieutenant du
Dauphin tenait fidèlement son maître au courant de tout ce qui se
passait dans sa province pendant son absence.
Voici une partie de son " Journal " qui nous concerne : " Des
discordes nombreuses et des guérillas naissent continuellement
entre vos sujets et ceux du Comte de Savoie sur divers points ; et
en vérité, je crois que ce sont les Savoyards qui les suscitent par
leurs injustices, il y a déjà des morts des deux côtés. Je crois
cependant que tout s'apaisera rapidement, quand je serai de retour
en Dauphiné, surtout si nos adversaires veulent se rendre à la
raison.
Après délibération de votre conseil, j'ai donné l'ordre que vos
châteaux frontières soient remis en état et bien défendus ; d'autre
part, des agents chargés de maintenir la paix courent chaque jour
ici et là pour enrayer les entreprises, et toujours vos gens et moi
nous nous en remettons à la raison, si les autres veulent bien en
faire autant. Et s'ils veulent, contre toute raison, endommager
votre territoire, alors il faudra bien nous mettre en état de
défense ".
DU ROYAUME D E F R A N C E À LA R É V O L U T I O N

LE " TRANSPORT " DU D A U P H I N É

Le dernier des Dauphins, Humbert II, intelligent, amateur


d'art, était épris de justice et de générosité. Mais il menait une vie
opulente, aimait le luxe et dépensait énormément. Ne pouvant
plus faire face à toutes ces charges, il contracta d'importants
emprunts aux " capitalistes " de l'époque : banquiers juifs et
lombards etc... Il se trouva très vite dans l'impossibilité de rem-
bourser ses créances. D'autre part, son enfant unique, le Dauphin
André était mort en 1335, à l'âge de trois ans. A bout de ressources
et sans postérité, il prit la grave résolution de vendre ses Etats.
Dès que la nouvelle fut connue à Paris, la diplomatie française
entra en jeu.
Après beaucoup de tractations et la signature de deux accords
préliminaires, un troisième et dernier traité fut signé à Romans le
30 mars 1349. Le Dauphiné était " transporté " définitivement au
profit de Charles, le futur roi Charles V, moyennant la somme de
200 000 florins plus 4 000 florins de rente annuelle réservés par
Humbert II sur ses terres du Dauphiné.
En ce qui concerne le Graisivaudan, le Dauphin se réservait le
droit de percevoir certaines quantités de cens annuels avec leurs
valeurs représentées en espèces dans les châtelleries d'Allevard, de
la Buissière et de Montbonnot. Dans un premier projet, le
Dauphin s'assurait d'un revenu sur les châteaux de Montfort et de
Montfleury. Ce revenu fut supprimé sur les textes du projet définitif.

LA VALEUR DU GRAISIVAUDAN EN 1400

Dans " l'Etat " de la valeur du Dauphiné nous relevons en ce


qui concerne notre région :
La chastellerie de Montbonod 424 florins
La chastellerie de la Boxière
et de Bellecombe " la Buissière " néant
Mais l ' o n d o i t au chastellain p o u r cause des o u v r a g e s et de la
d e s p e n c e des " r e c o g n o i s s a n c e s "
La chastellerie de Biaumont " Beaumont "
en Graysivodan 221 florins
La chastellerie d'Alavart " Allevard " 147 florins
La chastellerie de Theis, Domeine et
La Pierre 300 florins
Gabelles et péages :
Le péage d'Alavart 120 florins
Le péage et bastiage de la Boissière
" La Buissière " 46 florins
La leyde et gabelle de Goncelin 22 florins

LA VIE DES HABITANTS DES CAMPAGNES

Le servage a disparu depuis le XIe siècle. La communauté,


représentée par un consul, est déjà une unité sociale qui essaie
d'obtenir du seigneur certaines franchises. Cependant, les habitants
des campagnes ne sont par pour cela maîtres des terres qu'ils
cultivent. Ils se livrent à l'exploitation de biens fonciers qui
appartiennent aux seigneurs laïques et ecclésiastiques.
Ils sont tenanciers de manses, de cabanneries et de borderies
qui sont elles-mêmes divisées en sétérées, fosserées et faucherées.
Mais ils doivent acquitter un grand nombre de redevances en
argent et en nature dont les principales sont : la taille et la dîme,
les péages, les gabelles, les corvées, le charnage, le pulvérage,
l'abreuvage, le charruage, le parcage, le pâquerage, et d'autres
encore. Grâce à la richesse de son sol, le Graisivaudan était
privilégié. Dans certaines régions du Dauphiné, une grande partie
des habitants, ne pouvant subvenir à leurs besoins, émigrent
pendant la saison d'hiver.

LES GUERRES
GUERRES D'IT ALlE: : 1494-1559
Les guerres d'Italie qui avaient pour objectif la conquête de
Naples et du Milanais furent pour le Dauphiné le lieu de concen-
trations et de passage des armées qui se rendaient en Italie.

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