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Les références des ouvrages cités figurent

dans la bibliographie en fin de volume.

L’éditeur remercie Christian Séranot-Sauron


d’avoir contribué à la publication de cet ouvrage.

Couverture © John Foley/Opale

© 2010, Éditions Philippe Rey


7, rue Rougemont - 75009 Paris

www.philippe-rey.fr

ISBN : 978-2-84876-400-9

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.

Cet ouvrage a été numérisé en partenariat avec le Centre National du Livre.


ma premi re étoile ma m re arianna
mes s urs artine et Liliana
mes r res a tan et ntonio
mes ils arcus et ep ren
l a et arine
t tous les en ants du monde
able des mati res
Copyright

édicace

Introduction

Notre grand-m re africaine - Lucy 180 000 ans

Les pharaons noirs - ahar a R gne de 690 av. J.-C. à 664 av. J.-C.

n sage de la r ce ancienne - Ésope IIe- Ie si cle av. J.-C.

oute vie est une vie - Les chasseurs du anden 1222

Fierté et courage d’une reine - nne ingha ers 1582 - 17 décembre


1664

La combattante du renouveau - ona Béatrice ers 1682 - 1706

énéral en chefde l’armée impériale russe - braham Petrovitch


anibal 1696 - 14 mai 1781

n philosophe venu du hana - nton ilhelm mo ers 170 - vers


1759

Le musicien des Lumi res - Chevalier de Saint- eorges 24 décembre


1745 - 10 uin 1799

éracine avec moi l’arbre de l’esclavage - oussaint-Louverture


20 mai 174 - 7 avril 180

Le libérateur d’ a ti - Jean-Jac ues essalines 20 septembre 1758


- 17 octobre 1806
La poétesse du paradis perdu - Phillis heatley 175 - 5 décembre
1784

Le Serment des anc tres - uillaume uillon Lethi re 10 anvier 1760


- 22 avril 18 2

n poing surgit ui cassa le brouillard - Louis elgr s Solitude 2


ao t 1766 - 28 mai 1802 1772 - 19 novembre 1802

Ne suis- e pas une femme - So ourner ruth Novembre 1797


- 26 novembre 188

Le plus grand po te russe - le andre Pouch ine 6 uin 1799


- 10 février 18 7

Le premier Noir américain candidat à la présidentielle - Frederic


ouglass 1817/1818 - 20 février 1895

Passeuse vers la liberté - arriet ubman Février/mars 1821 - 10 mars


191

Contre l’invention des races - Joseph nténor Firmin 18 octobre 1850


- 19 septembre 1911

Le premier N gre noir de Polytechni ue - Camille ortenol 29


novembre 1859 - 22 décembre 19 0

Le premier homme au p le Nord - atthew enson 8 ao t 1866


- 8 mars 1955

n tourbillon sur deu roues - a or aylor 26 novembre 1878


- 21 uin 19 2

L’enfer des oos humains - Ota Benga 1881 1884 - 20 mars 1916

Bac -to- frica - arcus osiah arvey 17 ao t 1887 - 10 uin 1940

Jamais repos, tou ours faire la guerre,tou ours tuer Noirs -


hierno iop, Oui aran Ollian,Siri i one, yne Sylla, iemcoumba
- 1914 - 1915 - 1916 - 1917 - 1918

Champion du monde - Battling Si i 22 septembre 1897


- 16 décembre 1925

La libellule noire - Panama l Brown 5 uillet 1902 - 11 avril 1951

La plume de la col re - Richard Nathaniel right 4 septembre 1908


- 28 novembre 1960

Le résistant ui ne parla pas - ddi B 25 décembre 191


- 18 décembre 194

Le génie des découvreurs - Scientifi ues, inventeurs, chercheurs

es arbres du Sud portent un fruit étrange - Billie oliday7 avril


1915 - 17 uillet 1959

L’heure de nous-m mes a sonné - imé Césaire 26 uin 191


- 17 avril 2008

Rendre l’ fri ue à ses enfants - Patrice Émery Lumumba 2 uillet


1925 - 17 anvier 1961

Peau noire, mas ues blancs - Frant Fanon 20 uillet 1925


- 6 décembre 1961

L’étincelle - Rosa Louise cCauley Par s 4 février 191 - 24 octobre


2005

La liberté ou la mort - alcolm 19 mai 1925 - 21 février 1965

n r ve ui changea le monde - artin Luther ing 15 anvier 1929


- 4 avril 1968

Le militant du peuple africain - ongo Beti 0 uin 19 2 - 7 octobre


2001
Je suis hyper-rapide Je me bats avec mon cerveau - ohamed li
Né le 17 anvier 1942

Celui ui osa relever le gant - ommie Smith Né le 6 uin 1944

e di mille ours de prison à la Présidence - Rolihlahla Nelson


andela Né le 18 uillet 1918

oyageur interplanétaire - Cheic odibo iarra Né le 21 avril 1952

La voi des sans-voi - umia bu-Jamal Né le 24 avril 1954

Ce ue le rap nous crie - upac maru Sha ur 16 uin 1971


- 1 septembre 1996

L’étoile de l’espoir - Barac ussein Obama Né le 4 ao t 1961

Non, cette carte n’est pas à l’envers

es mots ui lib rent l’avenir - r illes- arie alet

Bibliographie

Remerciements de l’auteur

Inde des noms de personnes


Introduction
uand ave -vous entendu parler pour la premi re fois des Noirs dans
votre cursus scolaire Lors ue e pose cette uestion, la grande ma orité,
pour ne pas dire la totalité de mes interlocuteurs, répond : à propos de
l’esclavage.
Je me souviens de la premi re fois o l’on m’en a parlé à l’école.
J’étais le seul Noir dans ma classe. Cho ué, e me suis demandé ce u’avait
bien pu tre l’histoire de mes anc tres avant l’esclavage. Je n’ai pas eu le
courage de poser la uestion tant e me suis senti estampillé, mar ué au fer,
et bien seul dans cette classe ue e regardais désormais autrement et ui me
regardait aussi peut- tre d’une autre fa on. L’esclavage alors se résumait
pour moi à ces mots : Les Blancs ont réduit les Noirs en esclavage.
Pour comprendre cette réaction, il suffit de se mettre à ma place.
Imagine un eune Blanc ui, durant sa scolarité, n’aurait amais entendu
parler de scientifi ue blanc, ni de souverain, ni de révolutionnaire, ni de
philosophe, ni d’artiste, ni d’écrivain e de sa couleur n univers o tout
ce ui est beau, profond, délicat, sensible, original, pur, bon, subtil et
intelligent serait uniformément noir, et o ieu, l’ tre supr me, serait aussi
un Noir. Imagine la temp te ui se soul verait en lui. L’enfant se
demanderait si une fois, dans l’univers, un Blanc a fait uel ue chose de
bien. Jus u’à ce u’un our, programme scolaire oblige, on lui délivre enfin
une information sur lui-m me : es anc tres étaient esclaves. Cette seule
information, l’ istoire présentée ainsi, ne pourrait ue l’inférioriser. uel
mod le pour son avenir, uel regard sur lui-m me
Pour moi, les années pass rent, les uestionnements étaient de plus en
plus présents ’entendais les conversations d’adultes noirs ui affirmaient
ue les Blancs étaient racistes, u’ils ne changeraient amais.
ans ma vie, ’ai eu la chance de rencontrer des personnes ui,
chacune à leur mani re, m’ont donné des clés pour comprendre l’ istoire,
et m’ouvrir à d’autres grandes figures de l’humanité ue celles présentées
dans les manuels scolaires, en particulier des étoiles noires au noms,
travau , actions et uvres souvent totalement méconnus.
J’ai compris ue l’esclavage n’était pas une confrontation entre Noirs
et Blancs, mais un syst me économi ue, une activité ordonnée, organisée,
un commerce d’ tres humains soigneusement planifié. ’ailleurs, les
Blancs ont aussi connu la condition d’esclaves au cours de l’ istoire : la
preuve, le mot esclave est issu du nom d’une région de l’ urope de
l’ st, la Slavonie.
Je vais réguli rement dans les écoles pour parler du racisme. Je
demande au enfants combien il y a de races. uatre, me répondent-ils
malheureusement : la blanche, la noire, la aune, la rouge. Rien ue a,
c’est la base du racisme. Il est aberrant ue les enfants ne sachent tou ours
pas u’il n’y a u’une seule esp ce d’ omme, l’ omo sapiens. nsuite, e
leur demande uelles ualités ils attribuent à ces prétendues races
’entends alors : Les Noirs sont forts en sport, ils dansent et chantent
bien
Nous sommes en 2010, ue peut-on en déduire, sinon ue le travail
d’éducation n’a pas été fait ais comment en vouloir au enfants uand
on observe notre société ans l’inconscient général, ces représentations
sont tou ours inscrites. Le our o il y aura sur les affiches au murs des
écoles, et dans les livres, des scientifi ues, des inventeurs de toutes les
couleurs, le our o l’histoire des grandes civilisations africaines, asiati ues
ou amérindiennes, telles ue celles du ali, de l’Inde ou du e i ue, sera
enseignée, les mentalités évolueront.
Si nous voulons vraiment changer notre société, lutter contre le
racisme, ce n’est pas sur la discrimination positive ni sur le
communautarisme u’il faut compter. Seul le changement de nos
imaginaires peut nous rapprocher et faire tomber nos barri res culturelles
là seulement nous pourrons dépasser l’obstacle ma eur ui se cache derri re
des mots comme minorité visible , diversité les vous et
nous déterminés par la couleur de peau.
ant ue nous serons prisonniers de l’idéologie des scientifi ues du
I e si cle ui ont classifié les femmes et les hommes en supérieurs et
en inférieurs , nous ne pourrons pas comprendre ue l’ me noire, le
peuple noir, la pensée noire n’e istent pas plus ue l’ me blanche, le peuple
blanc ou la pensée blanche. out cela n’est ue eu de construction. Le noir
n’est pas plus ue le blanc, le blanc n’est pas plus ue le noir, il n’y a pas de
mission noire, il n’y a pas de fardeau blanc, pas d’éthi ue noire, pas
d’intelligence blanche. Il n’y a pas d’histoire noire ou d’histoire blanche.
C’est tout le passé du monde ue nous devons reprendre pour mieu nous
comprendre et préparer l’avenir de nos enfants. Par ce livre, ’esp re y
contribuer.
Notre « grand-mère » africaine

u c
180 000 ans

Nous possédons une origine


uniue. Nous sommes tous
des fricains d’origine, nés
il y a trois millions d’années, et cela
devrait nous inciter à la fraternité.

ves Coppens

Pour ouvrir le récit de cette longue marche de la femme et de l’homme


noirs, e ne pouvais ue commencer par le Premier omme, puis ue
l’homme est né en fri ue, tous les chercheurs s’accordent sur ce point. Les
uatre-vingts milliards d’ omo a ilis, erectus, sapiens ui ont suivi
us u’à au ourd’hui, ont la m me origine. insi, parler des Noirs, c’est
parler des femmes et des hommes de toutes les couleurs. Cela re oint le
pro et de mon livre.

L’ omo, u’il soit a ilis le premier , erectus le deu i me , ou


sapiens le moderne , me pla t bien, parce u’il symbolise l’esprit de
curiosité, d’ingéniosité, de découverte. ais il me faut remonter plus loin
encore, au pré-humains, à Lucy, née en fri ue orientale il y a 180 000
ans, parce u’elle représente à nos yeu tous les ges préhistori ues.
Lucy n’est certes pas un tre humain selon la classification
scientifi ue, mais elle fait partie du vivier des esp ces o l’humanité a puisé
son anc tre. lle est l’une des fleurs du bou uet des pré-humains. Lucy
est la mascotte de l’humanité, notre grand-m re symboli ue à tous, m me si
elle a depuis été dépassée par un enyan de 6 millions d’années, par un
Éthiopien gé de 5,7 millions d’années ou par ce chadien surnommé
ouma , ui vivait il y a environ 7 millions d’années.
Pour ue l’on me parle de Lucy e suis allé trouver ves Coppens,
professeur au Coll ge de France et découvreur de Lucy, en compagnie de
onald Johanson et aurice a eb. ves Coppens est non seulement un
chercheur, mais aussi un pédagogue et un conteur. Il définit l’histoire de
Lucy comme l’ histoire de l’histoire de l’héro ne de l’histoire de l’histoire
de l’ omme , un grand conte initiati ue ui nous apprend beaucoup sur
nous-m mes et nous met à notre uste place dans les temps immémoriau .
u centre d’un rectangle de di m tres sur deu , à ciel ouvert et
dégagé par des eau de ruissellement, des di aines de petits bouts d’os
affleuraient, préfigurant un s uelette pres ue complet. Pour les savants, le
spectacle de ce premier fossile, découvert le 24 novembre 1974 dans les
collines éthiopiennes de l’ far, reste inoubliable.
u soir de la découverte de ce merveilleu témoignage ui a
miraculeusement résisté à la prédation, au pressions, érosions et
dissolutions, ves Coppens et ses camarades effectuent sous la tente le
mar uage de leur trouvaille. La soirée est arrosée au champagne. L’un
d’eu met dans le magnétophone une cassette des Beatles, ui chantent
Luc in t e it iamonds. Lucy Ce petit nom tendre et familier fait
aussit t l’unanimité, c’est ainsi u’on baptise la découverte. Il est plus dou
et plus simple à prononcer ue son nom de catalogue, L 288, ou ue son
nom savant, ustralopit ecus a arensis. Les Éthiopiens de l’e pédition,
uant à eu , l’appellent ir ines : u es merveilleuse .
Comment décrire Lucy, la premi re étoile noire de ce livre
Cin uante-deu petits os déterminables. Cin uante-deu fragments ui
suffiront au déchiffrage et à la compréhension de son e istence. Les ayant
a ustés, les chercheurs vont dire son ge, sa taille, estimer son poids,
supputer sa démarche, ses gestes, sa voi décrire son régime alimentaire,
sa vie sociale et les circonstances de sa mort
Lucy mesure 1,20 m tre et p se entre 20 et 25 ilos. La courbure de sa
colonne vertébrale confirme u’elle se tient debout. lle est bip de, elle
marche La découverte d’une série d’empreintes de pas de deu individus
marchant c te à c te, dans le nord de la an anie, uel ues centaines de
milliers d’années avant Lucy, le confirme. Les traces rév lent m me u’elle
a le talon étroit et les orteils repliés
Plus précisément, Lucy trottine en roulant des hanches. Sa démarche
est rendue chaloupée par l’instabilité des articulations de ses hanches. n
fait, Lucy marche comme un humain et grimpe comme un singe dans les
arbres, o elle se suspend la moitié du temps.
Son laryn n’est pas suffisamment descendu pour lui permettre de
prononcer des discours, aussi préf re-t-elle s’e primer avec le langage des
signes et pousser des cris modulés uand il faut alerter ses congén res.
l’usure de ses dents, on a déterminé u’elle évoluait dans une savane
arborée o elle se nourrissait de fruits ou de eunes pousses, mais aussi de
racines et de tubercules, voire d’insectes ou de petites charognes.
Lucy vit dans un groupe d’une di aine d’individus ui contr le un
territoire de di à uatre-vingt-di ilom tres carrés, souvent hostile. ais,
rusée et inventive, elle sait échapper au dents recourbées du ac airodus
une esp ce de félin et au défenses des inot eriums sorte d’éléphant .
Lucy est donc une femme , comme l’a démontré l’anatomie des os
de son bassin, et une femme noire . Pour se protéger des forts
rayonnements du soleil d’ fri ue tropicale, sa peau, peut- tre démunie
de poils, a sécrété une forte densité de mélanine, un pigment dont la couleur
est marron foncé. insi, il n’y a pas de blanc, de aune ou de noir, mais une
couleur uni ue, le marron, ui va du plus clair uand la production de
mélanine est faible, au plus foncé uand elle est élevée. La peau est un
parasol biologi ue ui s’a uste en fonction des susceptibles de passer
dans notre corps.
u fond, rien de plus simple et naturel ue cette belle couleur ui a fait
couler tant d’encre et surtout tant de sang. Le seul désagrément serait
d’avoir une peau tr s claire dans un pays fortement ensoleillé, ou une peau
tr s foncée dans un pays sans luminosité, engendrant des carences en
vitamine pour la croissance des enfants.
uant au cheveu de Lucy, on peut imaginer u’ils étaient crépus et
denses. ans les pays chauds, les cheveu servent à retenir l’eau ui
transpire par la t te, et à limiter la déshydratation. ans les pays froids, les
cheveu sont plus raides et espacés pour ue l’eau circule.
Si l’on élimine l’enveloppe corporelle d’un tre humain et ue l’on
plonge à l’intérieur de son corps, on est incapable de déterminer son
origine. uelle ue soit sa couleur, il aura tou ours 6 9 muscles, 5 litres de
sang et sera généti uement semblable au autres à 99,9 .
On estime ue uatre-vingts milliards d’humains se sont succédé sur
terre depuis notre origine. l’e ception des vrais umeau , aucun d’entre
eu n’a amais eu le m me patrimoine généti ue : chacun est uni ue. n
appli uant le m me raisonnement à tous les caract res variables du
patrimoine généti ue humain, on montre facilement ue le nombre
d’individus différents possibles est beaucoup plus grand ue le nombre des
atomes de l’univers 1080 onc, celui ui s’obstinerait à parler de race
devrait dire au ourd’hui ue nous sommes sept milliards de races
humaines différentes .
ue nous soyons tous parents, ue toutes les populations humaines
aient les m mes anc tres lointains e pli ue ue nous ayons les m mes
variantes de g nes, uelle ue soit notre apparence physi ue. ous nos
g nes sont les copies des g nes des premiers humains.
Lucy, apr s avoir mis au monde une demi-dou aine, voire une
dou aine d’enfants, alle savoir, est décédée à l’ ge de vingt ans, au terme
d’une vie bien remplie. ingt ans est un ge avancé à une épo ue o l’on
est mature à di ans. st-ce par faiblesse, par inadvertance, par tra trise ou
par accident u’elle se noya dans une mare Car elle se noya, les
scientifi ues en ont la preuve. ucun charognard n’a dispersé ses
ossements, et des sédiments lacustres entourent sa sépulture naturelle.
Le temps a passé. epuis la mort de Lucy, des couches de sédiments
ont recouvert d’autres couches de sédiments. e génération en génération,
les parents ont transmis de nouvelles combinaisons de leurs variantes
généti ues à leurs enfants. C’est ainsi ue les enfants des enfants de Lucy
ont vu leur cr ne se développer et sont devenus sapiens. Ils ont uitté de
plus en plus souvent leur berceau africain pour se ris uer au-delà de la
savane, ont pénétré dans les for ts, traversé les mers, les déserts et les
montagnes. uand une colline se dressait devant eu , ils avaient envie d’y
monter et, une fois au sommet, ils voulaient voir plus loin. C’est ainsi ue
les enfants de Lucy ont enfanté toute la terre, us u’à l’homme moderne, cet
émigré africain .
e araon noir

r
Rg ne de 690 av. J.-C. à 664 av. J.-C.

t si la grande ma orité d’entre nous avait un autre imaginaire noir,


peuplé de grands personnages, des pharaons par e emple J’ai appelé l’un
de mes fils hephren, du nom d’un pharaon de l’ ncien mpire égyptien.
Je voulais lui donner une vision plus ample de l’ istoire. u’il sache, par
son prénom, ue l’histoire des peuples noirs ne se résume pas à l’esclavage.

n 200 , l’égyptologue Charles Bonnet découvre sur le site de ou i


el, en Nubie, une fosse contenant sept statues monumentales, dont celle du
plus glorieu des pharaons noirs de la e dynastie : ahar a.
ahar a, écrit l’égyptologue, a un corps de granit noir au grain tr s
fin. Sa chevelure est recouverte d’une calotte ornée de deu cobras. L’un
d’eu est coiffé d’une couronne blanche, l’autre d’une couronne rouge,
formant un double n ud sur le sommet de son cr ne, avant de laisser
pendre leur ueue us u’à sa nu ue
Son visage a les traits fins et réguliers, ses l vres lég rement
charnues laissent deviner un sourire. Ses yeu sont fardés, ses sourcils sont
épais et rapprochés, son cou est puissant, ses épaules larges et rondes. n
pagne plissé moule ses hanches. Ses pieds sont rev tus de sandales décorées
d’un scarabée ailé ui tient le dis ue solaire dans ses pattes avant. ne
ceinture entoure sa taille avec ces mots : Le dieu parfait, ahar a, vivant
éternellement .
Lors ue ahar a est couronné roi d’Égypte à emphis à uel ues
ilom tres du Caire actuel , en 690 av. J.-C., il a dé à derri re lui un passé
riche en anc tres prestigieu , car il est originaire du grand royaume noir de
Nubie.
La Nubie, pays situé au nord du Soudan actuel, était alors appelée le
pays de oush mentionné dans la Bible, livres d’Isa e II, 9 et
des Rois II, I , 9 , dont la capitale était Napata.
Bien u’elle soit peu connue du grand public, la civilisation nubienne a
tou ours rivalisé avec les plus grandes civilisations anti ues. Nubie et
Égypte, telles deu s urs umelles, n’ont amais cessé d’ tre en contact,
comme souvent dans les familles, parfois en pai , parfois dans la discorde.
Les Égyptiens ont besoin des métau de la Nubie, de ses gisements de
pierres précieuses, des produits de son bétail et de son génie militaire. Les
Nubiens, uant à eu , profitent des biens manufacturés égyptiens. Les deu
régions ont donc connu de longues périodes d’échanges, mais aussi de
conflits.
Bien avant l’e istence de ahar a, vers 1560 av. J.-C., les Égyptiens
colonisent la Nubie, us u’en l’an 1000 av. J.-C. Cette coe istence de plus
de cin cents ans engendre la formation d’une nouvelle civilisation, une
mise en commun, une mi ité de cultures o chacun s’enrichit de l’autre.
andis ue les notables nubiens envoient leurs enfants se former à la cour
des pharaons, les Égyptiens apprennent beaucoup des Nubiens : arts de la
guerre, religions, croyances s’interpén trent, d’autant ue les puissants
pr tres du temple de arna sont également d’origine nubienne.
Les Nubiens et les Égyptiens adorent ensemble mon, dieu de l’air et
de la fécondité. Sa statue se dresse dans le grand temple situé au pied de la
montagne sacrée du ebel Bar al, en Nubie, dont une aiguille rocheuse
s’élance à soi ante- uator e m tres de hauteur, pareille à un cobra dressé,
symbole de la royauté. Suivant l’heure à la uelle on la regarde, elle semble
coiffée d’une couronne blanche ou d’une couronne rouge outhm sis III,
si i me pharaon de la IIIe dynastie, fait inscrire sur une st le, en 1457
av. J.-C., u’ mon lui est apparu en songe et u’il habite le ebel Bar al.
insi la Nubie et l’Égypte sont-elles les deu moitiés d’un m me royaume,
le royaume d’ mon, uni dans un passé mythi ue.
urant des millénaires, l’Égypte traverse périodes fastes et temps de
déclin. ans ses périodes contraires, elle s’effrite en myriades de
principautés antagonistes, et sombre dans la décadence politi ue et
culturelle. Ce sont des circonstances propices au invasions de ses voisins.
n 747 av. J.-C., profitant d’un affaiblissement égyptien, le roi nubien Piyé
prend le pouvoir dans la vallée du Nil, inaugurant une dynastie de pharaons
noirs ui mar ua profondément la civilisation égyptienne.
Le roi Piyé con uiert h bes, s’empare du grand centre religieu de
emphis. Les récits dont nous disposons décrivent ce nouveau pharaon
comme un homme pieu et droit, évitant de verser inutilement le sang,
clément avec ses ennemis. Ces ualités lui vaudront des Romains et des
recs de l’ nti uité le ualificatif de sans tache . ne fois le Nord
pacifié, il retourne au pays de oush et s’installe à Napata, o il s’éteint en
716 av. J.-C.
Le fr re de Piyé, le pharaon Shaba a, prend sa succession. Il s’installe
à emphis, guerroie victorieusement contre les chefs assyriens et sa tes,
réunifie le Sud et le Nord. n m me temps, il couvre le pays de temples,
redonnant toute sa vitalité au culte des divinités égyptiennes. On peut
supposer ue les pharaons noirs nubiens se sentaient responsables du
maintien des traditions religieuses.
Cette volonté de renaissance propre au pharaons noirs montre bien
ue les Nubiens ne se sentent pas étrangers en Égypte. Leur con u te ne
répond pas u’à une simple volonté e pansionniste. Leurs motifs sont plus
profonds, plus religieu aussi. Les Nubiens se pensent et se sentent à la fois
héritiers et anc tres des pharaons d’Égypte. Leur domination est dans
l’ordre divin des choses, un nécessaire retour à l’ ge d’or du royaume unifié
d’ mon, ui pourrait appara tre comme le premier monothéisme de
l’histoire de l’humanité. Les pharaons noirs de la e dynastie sont,
comme l’écrit l’égyptologue imothy endall, les représentants terrestres
ue ieu a choisis pour unifier et protéger son ancien royaume . On
comprend leur souci de rendre à l’Égypte la splendeur de son passé en
s’appli uant à faire rena tre les traditions de l’ ncien et du oyen mpire.
Le successeur de Shaba a, Shabata a, neveu de Piyé, est couronné en
702 av. J.-C. à h bes. urant les vingt années de son r gne, il assure la
pai , consolide les croyances égyptiennes et développe considérablement
les arts, dans l’esprit de ses anc tres. Son fr re ahar a lui succ de.
ahar a, le pharaon noir dont les uvres sont universellement
reconnues, s’inscrit dans la grande lignée des b tisseurs du Nouvel mpire.
Plus encore ue ses prédécesseurs, il revient au anciennes traditions : les
pyramides comme monuments funéraires, le style archa ue
hiéroglyphi ue. Son programme de construction reste légendaire. Il
construit des temples sur tout le territoire, à asr Ibrim, Semna, Bouhen
Il rénove h bes, notamment arna o il fait agrandir le lac sacré et
ériger, dans la premi re cour du temple, un ios ue au colonnes hautes de
vingt et un m tres. Les édifices u’il fait construire sont stupéfiants de
beauté et d’originalité.
ans sa Nubie natale, il restaure le temple du ebel Bar al, sanctuaire
souterrain et temple d’ mon, dont les salles creusées à m me la roche de la
montagne sacrée sont en ruine depuis leur ach vement sous Rams s II. Il
décore les murs d’inscriptions, répare les pyl nes, les colonnes, fait venir de
tr s loin des statues géantes, des lions en granit rouge Il donne un
véritable élan à la sculpture ui, tout en affirmant la tradition égyptienne,
conserve un caract re nubien. éroé, capitale du royaume de oush au
Ie si cle, il subsiste une cin uantaine de pyramides. On en compte pr s de
trois cents au Soudan.
roit et uste, il m ne une politi ue d’é uilibre et d’harmonie, dans le
respect de la loi de a t . Le Livre des morts des anciens g ptiens, ue
l’on consid re comme la Bible de l’ancienne Égypte , en rappelle les
préceptes, premiers devoirs du pharaon :
Prati ue la ustice et tu dureras sur terre
paise celui ui pleure
N’opprime pas la veuve
Ne chasse point un homme de la propriété de son p re
Ne porte point atteinte au grands dans leurs possessions
arde-toi de punir in ustement.

n proie au menaces de princes du Nord et des envahisseurs


assyriens, ahar a lutte pied à pied et se montre d’abord asse puissant pour
repousser l’invasion, ce ui lui vaut de figurer dans la Bible. ais il est
finalement vaincu à emphis par le roi d’ ssyrie ssarhaddon, en 674 av.
J.-C.
Les annales de ce souverain racontent : uin e ours de marche de
emphis, sa résidence royale, ’ai combattu uotidiennement sans
interruption, au cours d’affrontements sanglants contre ahar a, roi
d’Égypte et de uch, ue les dieu maudissent. Cin fois, e l’ai atteint de
la pointe de mes fl ches, lui infligeant des blessures mortelles. Puis e fis le
si ge de emphis, sa résidence royale, et e la con uis en une demi- ournée
au moyen de mines, de br ches et d’échelles d’assaut. Je l’ai détruite, ’ai
abattu ses murailles et ’y ai mis le feu. J’ai saisi comme prise de guerre sa
reine, les femmes de son palais, shanu huru, son héritier présomptif, ses
autres enfants, ses biens, ses chevau , son bétail, grand et petit, en nombre
incalculable.
éfait, ayant perdu toute sa famille, son armée et sa capitale
égyptienne, ahar a se replie sur h bes d’o il organise la résistance
deu ans plus tard, il reprend le contr le de emphis et d’une partie de la
Basse-Égypte. ais le successeur d’ ssarhaddon, le mythi ue
ssurbanipal, décide d’en finir, en vertu d’un oracle , et écrase l’armée
de ahar a lors d’un grand affrontement en terrain découvert.
ahar a, contraint de se réfugier de nouveau à h bes, médite sur ses
terribles échecs. Ceu -ci, conclut-il, s’e pli uent par la répétition
d’événements mythi ues ui annoncent le resurgissement des forces du
chaos dans le double pays.
e ses derni res années on sait peu de choses, sauf u’il veille à ce ue
le plan des salles souterraines de sa sépulture pyramidale de soi ante m tres
de haut la plus haute amais érigée au Soudan soit une répli ue de la
sépulture symboli ue d’Osiris, dieu des morts. Foudroyé par les forces du
chaos, il s’identifie à ce dieu tué par son fr re Seth, puis ressuscité par Isis
et Nephthys. Comme lui, il revivra. Les forces du mal seront chassées, il
rétablira le a t et l’unité dans l’empire.
pr s sa mort, ses successeurs perpétuent la tradition de l’anti ue
Égypte, convaincus d’ tre les seuls gardiens légitimes de la ontagne
sacrée. Pour les hommes de l’ nti uité ui afflueront bient t en Égypte,
c’est la Nubie ui a engendré la culture égyptienne. aston aspero,
professeur au Coll ge de France, a résumé dans son ouvrage istoire des
peuples de l rient 1886 la pensée de l’ nti uité sur les Égyptiens : u
témoignage pres ue unanime des historiens anciens, ils appartenaient à une
race africaine, entende : n gre, ui d’abord établie en Éthiopie, sur le Nil
moyen, serait descendue graduellement vers la mer en suivant le cours du
fleuve

L’histoire de ahar a et de la e dynastie fait partie des récits sur


les pharaons noirs acceptables par tous. Je n’ai cité comme e emple de
négritude des pharaons ue celui-là, parce u’il est le seul unanimement
reconnu par les chercheurs. uant à la nature et au origines de l’héritage
de l’Égypte ancienne, elles constituent tou ours un su et de controverse.
Évo uer l’Égypte des pharaons noirs soul ve tou ours autant de passions et
une montagne de pré ugés.
Le pionnier de l’école africaine, celui par ui le scandale arrive, est
Chei h nta iop 192 -1986 , scientifi ue sénégalais dont les recherches
contribuent à réintégrer l’Égypte dans l’histoire générale africaine. Sa th se,
selon la uelle la civilisation égyptienne appartient au monde négro-africain
l’impérialisme occidental ayant blanchi la prestigieuse Égypte au
seules fins de maintenir la colonisation , déclenche en 1954 un tollé dans
le milieu universitaire fran ais. La position de Chei h nta iop sur
l’Égypte noire s’e pli ue par sa rigueur scientifi ue et ses engagements
politi ues : combat contre l’apartheid en fri ue du Sud, pour la
démocratie et la la cité au Sénégal. La parution de Nations n gres et culture,
en 1954, étendard d’une révolution culturelle ue les N gres agitaient
sous le regard d’une puissance coloniale se résignant mal à l cher ses
territoires d’outre-mer selon Lilyan esteloot, historienne de la littérature
africaine , déclencha l’enthousiasme des écrivains de la négritude. imé
Césaire ualifia ce livre du plus audacieu u’un N gre ait us u’ici écrit
et ui comptera, à n’en pas douter, dans le réveil de l’ fri ue .
Jus u’au années 1950-1960, les historiens européens, occidentau et
arabes n’ont pas cessé de traiter l’ancienne Égypte comme une partie des
racines de leur propre histoire et non comme une partie de l’ fri ue elle-
m me. Le résultat, c’est ue l’Égypte ancienne a été coupée de l’ fri ue
noire.
L’attribution des grandes uvres de la civilisation à une mythi ue
migration blanche n’est pas nouvelle. u I e si cle, la découverte de la
magnifi ue civilisation du imbabwe déclencha une vive réaction des
savants du monde entier. La cité n’a pas été construite par des fricains,
car le style de construction est trop élaboré : c’est l’ uvre de colons
phéniciens ou uifs , affirmait l’ llemand arl auch en 1871. uant à
l’archéologue anglais heodore Bent, il concluait vers 1890 ue la
civilisation du imbabwe était l’ uvre de descendants d’envahisseurs
blancs venus du Nord .
Il faudra attendre le e si cle pour ue des égyptologues comme
Jean Leclant, professeur au Coll ge de France, et Jean ercoutter, de
l’université de Lille, entament un remar uable travail sur l’ nti uité
nubienne et déclarent, lors de l’important collo ue international du Caire en
1974, ue l’Égypte est africaine dans son écriture, dans sa culture et dans
sa mani re de penser . Les th ses de Chei h nta iop sont enfin
acceptées, du moins en partie.
n effet, alors u’au États- nis ses travau sont cités et reconnus, un
certain nombre de chercheurs européens les ta ent encore d’ afro-
centristes . Ils lui reprochent une posture idéologi ue et non scientifi ue
ils l’accusent d’avoir noirci l’Égypte afin de réveiller la conscience des
Noirs africains en leur faisant miroiter un illusoire passé prestigieu .
N’étant pas e pert, il ne m’appartient pas d’établir la part du vrai mais il
n’emp che ue les te tes nous montrent ue le royaume de oush et le
royaume d’Égypte n’étaient pas étanches, leurs échanges pas seulement
marchands, leurs cultures et leurs populations traditionnellement mi ées.
uant à la possibilité de r gnes alternants, elle est démontrée par le r gne
de la e dynastie.
algré le profond changement de perspective u’a apporté le travail
de Chei h nta iop, l’éloignement dans le temps et la lecture occidentale
maintiennent encore l’histoire de l’Égypte dans une certaine obscurité. Les
r gnes des pharaons noirs n’ont pas livré tous leurs myst res.
olney, orientaliste et philosophe fran ais, au retour d’un voyage en
Égypte en 178 , avait écrit : uel su et de méditation de voir la barbarie
actuelle des Coptes, issus de l’alliance du génie profond des Égyptiens et de
l’esprit brillant des recs, de penser ue cette race d’hommes noirs
au ourd’hui notre esclave et l’ob et de nos mépris est celle-là m me à ui
nous devons nos arts, nos sciences, et us u’à l’usage de la parole
n age de a rèce ancienne

o
IIe- Ie si cle av. J.-C.

Il y a 2 500 ans, un homme dit le Boiteu aisopos en grec vit


entre Samos et elphes. Il laisse cent vingt-sept fables en prose ue reprend
en partie, au IIe si cle, Jean de La Fontaine, fables ue nous apprenons
tous à l’école et dont les morales en vers surgissent encore à la mémoire.
u temps de La Fontaine, les fables d’Ésope avaient une grande importance
dans l’enseignement : on étudiait Le Cor eau et le enard, Le Loup et
l gneau, La Cigale et la ourmi, Le C ne et le oseau, Le Li vre et la
ortue Le ot de er et le ot de terre, et bien d’autres. Les fables d’Ésope
étaient en prose et concises, La Fontaine les mit en vers. Le succ s fut
éclatant et suscita une foule d’ uvres s’en inspirant, en vers, en dessins, en
peintures, plus tard en bandes dessinées, en films.

Il e iste deu versions de l’histoire grec ue. L’une présente la culture


grec ue comme essentiellement européenne, emblémati ue de la beauté
blanche l’autre, reconnue par les recs au épo ues classi ues, décrit le
développement métissé de leur culture issue d’une colonisation réalisée
autour de 1500 av. J.-C. par les Égyptiens et les Phéniciens.
L’historien congolais héophile Obenga a montré, dans son ouvrage
L g pte la r ce et l école d le andrie u’aucun savant grec ne mettait
en doute la supériorité intellectuelle et scientifi ue des pr tres de la vallée
du Nil. om re, érodote, Socrate, Platon : tous reconnaissent leur dette à
la civilisation égyptienne, à l’origine de bon nombre de leurs propres
mythes et coutumes.
érodote, par e emple, insiste sur le fait ue le calendrier
astronomi ue, avec le découpage de l’année en dou e parties, est une
invention égyptienne. om re, vers 850 avant notre re, affirme ue les
médecins égyptiens sont les plus savants du monde . ristote écrit ue
l’Égypte a été le berceau des arts mathémati ues .
L’historien anglais artin Bernal, dans son ouvrage cél bre lac
t ena, établit de mani re convaincante les racines afro-asiati ues de
l’ nti uité grec ue.
La le on ue l’on nous a enseignée à l’école est héritée des pré ugés
des IIIe et I e si cles. Il n’était alors pas pensable au yeu de la
plupart des hommes des Lumi res, dont la société vivait des revenus de
l’esclavage, ue la r ce ait pu tre métissée d’ uropéens et de
colonisateurs africains.
Or Ésope, selon les études les plus récentes, aurait été un Nubien
emmené comme esclave en Phrygie et ses fables s’inspiraient sans doute
des contes de sa région. e tout temps, l’esclave a résisté, pas seulement par
des actions spectaculaires à la Spartacus, mais par une rébellion
uotidienne, culturelle. Il a développé une stratégie intellectuelle raffinée.
’abord par l’observation permanente du ma tre u’il ne uitte amais des
yeu et dont il apprend à conna tre les points faibles.
insi Ésope trouve-t-il dans ses courts récits un biais pour transposer
les travers de ses ma tres. Il subvertit ce u’on lui impose pour préserver
l’humanité u’on lui refuse. r ce à ses fables, il trouve sa dignité et se
redresse. lles contiennent des conseils de prudence, d’habileté,
d’ingéniosité. éritable livre du savoir-faire avec l’adversité , elles
présentent une morale implacable. ans Le Lion et la ouris, la souris est
apparemment la plus faible, mais le lion n’est finalement u’un lion de
papier puis u’il a besoin de la souris pour ronger les cordes ui
l’emprisonnent.
Si les témoignages de l’épo ue parlent peu du N gre Ésope, en
revanche ils insistent sur son épouvantable laideur : porc-singe ,
marmite à pieds , cruche atteinte d’une tumeur , amulette contre le
mauvais il , erreur du our . Il est décrit comme bedonnant, la t te en
pointe, le ne camus, vo té, le teint noir, courtaud, cagneu , les bras courts,
les ambes ar uées, les l vres épaisses. e surcro t, il a la parole confuse et
inarticulée.
Ne nous y trompons pas. S’il était monstrueu , c’était d’intelligence.
Le portrait horrible ue l’on faisait d’Ésope avait pour effet de le grandir, de
souligner le contraste entre son aspect e térieur et son esprit inventif et
astucieu . Sous le mas ue grotes ue se cachent des images
fascinantes .
u cours de sa vie d’esclave, Ésope livre un combat incessant contre
son ma tre anthos, dont le nom signifie Blond . C’est donc l’histoire
d’un ma tre blond constamment humilié par son esclave noir ue
raconte la vie d’Ésope celle d’un ma tre contraint à mendier l’aide de son
esclave, et m me de le laisser agir à sa place
Lors ue son ma tre meurt, Ésope est affranchi. peine libre, il
retrouve la parole. Il se rend aupr s de Crésus pour une mission
diplomati ue, u’il réussit en usant d’une fable. Il se met ensuite au service
du roi de Babylone , ui prend grand plaisir à ses énigmes et à ses
historiettes.
ais, possédé par le désir de voyager, il se rend à elphes. Là, il se
laisse griser par son propre talent et, comme la grenouille de ses fables, il
enfle. Pris d’un orgueil démesuré, il place sa statue aupr s de celles des
uses. Il renie ses origines au point de traiter les habitants de elphes de
fils d’esclaves parce u’ils n’ont pas suffisamment de terre à cultiver
pour en tirer leur subsistance.
Les elphiens irrités décident de se débarrasser d’Ésope. Ils glissent
secr tement une coupe sacrée dans ses bagages. lors ue l’ancien esclave
avance sur la route ui m ne en Phocide, il est rattrapé et accusé de vol
d’ob et sacré. Jugé coupable, il est condamné à tre précipité du haut d’une
roche, pr s du grand temple de elphes.
Comme on le conduisait au supplice, écrit Jean de La Fontaine, il
trouva moyen de s’échapper, et entra dans une petite chapelle dédiée à
pollon. Les elphiens l’en arrach rent. ous viole cet asile, leur dit-il,
parce ue ce n’est u’une petite chapelle, mais un our viendra o votre
méchanceté ne trouvera point de retraite s re, non pas m me dans les
temples. Il vous arrivera la m me chose u’à l’ igle, le uel, nonobstant les
pri res de l’ scargot, enleva un Li vre ui s’était réfugié che lui la
génération de l’ igle en fut punie us ue dans le giron de Jupiter.
Peu de temps apr s sa mort, une peste tr s violente ravagea la
population. Les elphiens demand rent à l’oracle par uels moyens ils
pourraient apaiser le courrou des dieu . L’oracle leur répondit u’il n’y en
avait point d’autre ue d’e pier leur forfait, et de satisfaire au m nes
d’Ésope

ous les enfants connaissent les fables de La Fontaine. Il serait bon


ue les professeurs e pli uent le lien entre Ésope et La Fontaine, le Noir et
le Blanc. ire au él ves ue l’intelligence n’a pas de couleur, c’est
édu uer contre le racisme avec sensibilité, intelligence et humour.
« o te ie e t ne ie »

c ur du nd n
1222

n 1222, soit cin cent soi ante-sept ans avant la éclaration des
droits de l’homme, le our de l’intronisation de Soundiata eita comme
empereur du ali, la Charte du anden ou andé est chantée au pays
andingue. L’empire du ali, alors à son apogée, s’étend de l’océan
tlanti ue au Niger. Il conna t une grande prospérité gr ce à
l’intensification des échanges marchands. La pai et la liberté
e ceptionnelles ui y r gnent sont dues, selon les historiens, à cette Charte,
mod le d’humanisme et de tolérance.

oute vie est une vie.


l est vrai qu une vie appara t l e istence avant une autre vie
ais une vie n est pas plus ancienne plus respecta le qu une
autre vie
e m me qu une vie n est pas supérieure une autre vie.
Les c asseurs déclarent
oute vie étant une vie
out tort causé une vie e ige réparation.
ar conséquent
ue nul ne s en prenne gratuitement son voisin
ue nul ne cause du tort son proc ain
ue nul ne mart rise son sem la le.
Les c asseurs déclarent
ue c acun veille sur son proc ain
ue c acun vén re ses géniteurs
ue c acun éduque comme il se doit ses en ants
ue c acun entretienne pourvoie au esoins des mem res de sa
amille.
Les c asseurs déclarent
ue c acun veille sur le pa s de ses p res.
ar pa s ou patrie faso
l aut entendre aussi et surtout les ommes
Car tout pa s toute terre qui verrait les ommes dispara tre de sa
sur ace deviendrait aussit t nostalgique .
Les c asseurs déclarent
La aim n est pas une onne c ose
L esclavage n est pas non plus une onne c ose
l n a pas pire calamité que ces c oses l dans ce as monde.
ant que nous détiendrons le carquois et l arc
La aim ne tuera plus personne au anden
i d aventure la amine venait sévir
La guerre ne détruira plus amais de village
our prélever des esclaves
C est dire que nul ne placera désormais le mors dans la ouc e de son
sem la le
our aller le vendre
ersonne ne sera non plus attu
ortiori mis mort
arce qu il est ils d esclave.
Les c asseurs déclarent
L essence de l esclavage est éteinte ce our
un mur l autre d une ronti re l autre du anden
La ra ia est annie compter de ce our au anden
Les tourments nés de ces orreurs sont inis partir de ce our au
anden.
uelle épreuve que le tourment
urtout lorsque l opprimé ne dispose d aucun recours.
L esclave ne ouit d aucune considération
Nulle part dans le monde.
Les gens d autre ois nous disent
L omme en tant qu individu
ait d os et de c air
e moelle et de ner s
e peau recouverte de poils et de c eveu
e nourrit d aliments et de oissons
ais son me son esprit vit de trois c oses
oir ce qu il a envie de voir
ire ce qu il a envie de dire
t aire ce qu il a envie de aire
i une seule de ces c oses venait manquer l me umaine
lle en sou rirait.
lle s étiolerait s rement.
n conséquence les c asseurs déclarent
C acun dispose désormais de sa personne
C acun est li re de ses actes
C acun dispose désormais des ruits de son travail.
el est le serment du anden
l adresse des oreilles du monde tout entier.

els sont les grands principes du respect de la vie humaine, de la


liberté individuelle, ainsi ue l’abolition de l’esclavage, u’une confrérie de
chasseurs proclame à la fin de l’année 1222. Beau su et d’étonnement pour
ceu ui consid rent l’ fri ue comme une contrée sauvage, sans véritable
histoire L’une des théories racistes les plus perverses est de donner à
penser ue l’histoire de l’ fri ue se réduirait à la colonisation et à
l’esclavage. utrement dit, l’histoire des peuples noirs commence le our o
l’ uropéen les a vus Ce travail réducteur occulte des millénaires de
civilisations africaines telles ue celles de la Nubie, du ongo, du
imbabwe, etc. et conforte cette idée de l’infériorité intellectuelle,
culturelle, morale et politi ue des peuples noirs.
C’est d’ailleurs ce u’un président fran ais a déclaré, un our de uillet
2007, à a ar, affirmant ue l’ fricain n’était pas encore asse entré dans
l’ istoire : Le paysan africain ne conna t ue l’éternel
recommencement du temps rythmé par la répétition des m mes gestes et
des m mes paroles. ans cet imaginaire o tout recommence tou ours, il
n’y a de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progr s.
Le fait ue le représentant d’un grand pays comme la France ait pu
répéter mot pour mot les écrits racistes des IIIe et I e si cles : Le
Noir africain est guidé par la fantaisie l’homme européen est guidé par les
coutumes , de Carl von Linné stema naturae 1758 , ou : L’ fri ue,
ce bloc de sable et de cendre, ce morceau inerte et passif ui depuis si
mille ans fait obstacle à la marche universelle , de ictor ugo 1879 ,
illustre la profondeur de ces théories. Je leur oppose ce trésor d’humanité
u’est le Serment des chasseurs du anden .
Ce Serment fut traduit par le chercheur malien oussouf ata Cissé à
partir du récit ue lui fit, en 1965, Fad imba anté, patriarche des forgerons
de égué- oro ali et chef de la Confrérie des chasseurs. J’imagine
uel ues sourires nar uois. Pour l’Occidental, la transmission ne passe plus
ue par l’écrit, et il consid re l’oralité avec suspicion.
Or cette transmission orale est en fri ue une tradition ma eure. Sa
crédibilité, sa force, son impact reposent sur sa précision. L’une des
premi res conditions de sa vérité est ue, dans les sociétés africaines, tout le
monde ne peut prétendre transmettre cette parole. Seule la caste des griots
en est dépositaire et veille à sa ualité. Ces griots, femmes ou hommes, ont
été formés à travers les si cles, au sein de leur groupe, à conserver la
mémoire des événements, des musi ues, des dits et des non-dits, des
mythes.
L’oralité africaine appartient à des professionnels ui se
transmettent le savoir, avec la science du langage nécessaire pour e primer
les faits, les données, les lieu et les personnages. Personne ne peut venir
demain dans un village africain et prétendre raconter telle histoire de son
passé. ’o vene -vous lui demandera-t-on. e uelle famille
Comment cet événement vous a-t-il été transmis Par ui

Lors ue mon ami sénégalais oudou i ne diplomate et rapporteur


spécial de l’Onu sur les formes contemporaines de racisme, de
discrimination raciale, de énophobie et d’intolérance et les chercheurs de
l’ nesco ont en u té, dans le cadre du programme La Route de
l’ sclave , dont oudou i ne était responsable, sur l’esclavage en
fri ue au Ie si cle, ils se sont d’abord intéressés au sources écrites.
ais il s’agissait de littérature d’ uropéens, ui ne faisait ue renforcer les
pré ugés. Les chercheurs de l’ nesco se sont dit u’il y avait une autre
mémoire, non écrite, celle des fricains, u’ils aient été ou non dans
l’esclavage, et ils ont organisé une réunion autour de cette transmission
orale. Le savoir ui avait été occulté, il fallait lui redonner sa légitimité.
L’ nesco Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science
et la culture, créée en 1945 a établi en 200 une Convention pour la
sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, et vient
d’inscrire, en 2009, la Charte du anden sur la liste représentative de ce
patrimoine.
andis u’en Occident, comme l’a dit l’anthropologue Claude Lévi-
Strauss, on devient vieu sans tre ancien , en fri ue, l’ancien est
vénéré pour son savoir de la tradition orale. Répétons les mots ue
pronon a l’écrivain madou amp té B à l’ nesco en 1966 : n
fri ue, uand un vieillard meurt, c’est une biblioth ue ui br le.
i ert et co rage d ne reine

nn i n
ers 1582 - 17 décembre 1664

Nous sommes en l’an 1622. La princesse ingha, de la province du


atamba, dernier bastion de l’ ngola résistant à l’envahisseur portugais,
est en marche vers Luanda, o l’attend le vice-roi du Portugal. Luanda fait
partie de ces royaumes portuaires tombés au fil des ans au mains des
Portugais, laissant l’ ngola sans fa ade maritime. Il s’agit, pour la
princesse, de négocier un traité dont l’issue se rév le tr s délicate, vu la
terrible défaite ue vient de subir son fr re, le roi ani Ngola.
peine est-elle entrée dans la salle du palais du gouverneur ue le
regard de la princesse ingha se glace. lle voit le vice-roi don Joao Correia
da Sou a confortablement installé dans un fauteuil. Face à lui, un simple
coussin posé sur le sol lui est réservé. Blessée dans sa fierté, elle refuse une
telle humiliation. lle appelle l’une de ses suivantes et, sur son ordre, celle-
ci lui présente son dos en guise de si ge. L’assistance est effarée et éblouie à
la fois. n artiste immortalise la sc ne et son dessin fait le tour du monde.
La princesse ingha garde cette posture tout au long de la négociation.
écontenancé, le vice-roi perd de son assurance. Il essaie de dissimuler son
trouble en se montrant de plus en plus brus ue et en multipliant les
e igences. Il tente un premier coup à l’emporte-pi ce : il faut ue ses
soldats, prisonniers du roi ani Ngola, soient libérés sur-le-champ. La
princesse, impassible, lui répond calmement u’elle n’y voit nul
inconvénient, mais ue dans ce cas les hommes et les femmes de son pays
ui ont été réduits en esclavage doivent également lui tre rendus is en
échec, le vice-consul pince les l vres, tergiverse, puis aborde le vif du
su et : il s’agit de dessiner le nouveau tracé des fronti res.
Contrairement à toutes ses prévisions, la princesse n’accepte aucune
réduction des fronti res et m ne la négociation d’égale à égal. u final, elle
obtient le recul des troupes portugaises hors des fronti res us ue-là
reconnues et le respect de la souveraineté de son royaume du atamba. lle
conc de néanmoins u’elle doit uel ue chose en échange. Pour satisfaire
les deu parties, elle accepte de libérer des prisonniers portugais et de
coopérer raisonnablement dans le commerce de prisonniers ue son peuple
met en esclavage.
Le vice-roi semble accepter ce traité, non sans chercher à obtenir un
profit supplémentaire : trei e mille esclaves par an, contre la protection
du roi du Portugal La réponse de la princesse est un camouflet. Sache ,
monsieur, lui dit-elle, ue si les Portugais ont l’avantage de posséder une
civilisation et des savoirs inconnus des fricains, les hommes du atamba,
eu , ont le privil ge d’ tre dans leur patrie, au milieu de richesses ue,
malgré tout son pouvoir, le roi du Portugal ne pourra amais donner à ses
su ets
oilà une le on ue le vice-roi a du mal à contester. n effet, lors ue,
au Ie si cle, leurs premi res caravelles sont arrivées sur les c tes de
l’ ngola, les hommes de troupe ont été accueillis comme des h tes, choyés,
nourris sur place par une population dont ils ont pu constater l’autonomie et
la parfaite organisation. n véritable ldorado de huit provinces
insolemment fertiles, arrosées de nombreu cours d’eau et dotées d’une
agriculture vivri re autosuffisante couplée à l’élevage de bovins, écrit
Sylvia Serbin dans eines d rique et éro nes de la diaspora noire. Les
bourgs, parcourus d’allées d’orangers, de grenadiers et de citronniers,
étaient reliés par des pistes bien entretenues. u temps de la princesse
ingha, un si cle plus tard, l’endroit vit tou ours son ge d’or. La nature
semble prendre plaisir à rassembler ici tous les avantages ue les mains
bienfaisantes n’accordent ue séparément dans les autres contrées, écrit un
voyageur européen. uoi ue noirs, les habitants du royaume d’ ngola sont
en général fort adroits et tr s ingénieu .
Les ngolais et les Portugais auraient pu continuer à vivre en bonne
entente, si les colons n’avaient rapidement découvert l’immense richesse du
pays Le fleuve Cuan a ui traverse le royaume est chargé de diamants. La
nouvelle n’a pas tardé à se répandre
Le grand drame histori ue de l’ fri ue a moins été sa mise en
contact trop tardive avec le reste du monde ue la mani re dont ce contact a
été opéré ue c’est au moment o l’ urope est tombée entre les mains des
financiers et des capitaines d’industrie les plus dénués de scrupules ue
l’ urope s’est propagée ue notre malchance a voulu ue ce soit cette
urope-là ue nous ayons rencontrée sur notre route et ue l’ urope est
comptable devant la communauté humaine du plus haut tas de cadavres de
l’histoire , écrit imé Césaire dans son iscours sur le colonialisme.
n effet, seule la convoitise a poussé en 1575 le roi du Portugal à
ordonner ue l’on s’approprie terres et biens aussi loin u’il se pourra .
Cependant, ce n’est pas une poignée de soldats affaiblis par l’éprouvante
traversée de l’Océan, épuisés par les privations, ui pourront réussir. ussi
con oit-on une stratégie d’affaiblissement du pays, avec pour fondement
principal la déportation de masse. ider le pays de ses forces vives,
introduire la guerre et la discorde entre les divers petits royaumes, tel est le
but du eu. Pour ce faire, les Portugais nouent des alliances avec certains
roitelets de la c te ui acceptent de les servir, et b tissent avec eu une
vicieuse complicité , appuyée sur l’arme de base de l’esclavage, de la
colonisation et de la néocolonisation : la corruption. Les féodau indig nes
capturent aisément leurs voisins u’ils livrent ensuite comme esclaves au
Portugais contre des armes, de la verroterie et de l’alcool.
Le syst me de la traite non seulement remplit les coffres des
uropéens, mais vide le continent africain de sa premi re richesse : ses
femmes et ses hommes les plus eunes, les plus vaillants. Ce
démembrement de l’ fri ue s’est poursuivi durant des si cles et continue
au ourd’hui encore avec le m me mécanisme : la corruption des élites
politi ues.
La résistance de la princesse ingha est aussi remar uable
u’emblémati ue. Son entrée mémorable en diplomatie n’est pas le fait du
hasard. lle a uarante ans lors u’elle m ne la fameuse négociation et une
longue e périence politi ue derri re elle. Son p re, huiti me roi du
atamba, l’a initiée tr s t t au arcanes du pouvoir et en a fait une
véritable femme d’État. La princesse n’a rien d’une fr le eune fille. lle a
eu aussi à subir la violence des siens.
Son fr re, ani Ngola, impulsif, veule et sans intelligence, déteste
tellement l’autorité naturelle de sa s ur u’à la naissance de son enfant,
redoutant u’il ne lui prenne le tr ne, il le fait eter dans un bain bouillant.
Plus tard, des hommes à sa solde s’emparent de ingha et lui enfoncent un
fer rouge dans le se e pour s’assurer u’elle n’aura amais d’héritier.
ani Ngola ne recule devant rien pour asseoir son pouvoir. é à, à la
mort de son p re en 1617, il a fait assassiner le successeur désigné du tr ne.
Puis, r vant d’un coup d’éclat contre l’envahisseur pour inaugurer son
r gne, il se lance dans une guerre absurde ui aboutit au massacre de la
moitié de son armée, soit uin e mille hommes.
C’est dans ce conte te ue la princesse ingha m ne sa mémorable
négociation avec le vice-roi du Portugal. Ce dernier est tellement fasciné
par son talent magistral u’il lui propose d’ tre son h te le temps de la
ratification du traité par Lisbonne.
Les uel ues mois ue la princesse passe à Luanda sont déterminants
pour son futur r gne. lle observe la mani re dont les soldats occidentau
sont armés, et surtout comment ils s’entra nent. lle place des espions ui la
renseignent sur les mouvements des troupes et la mettent en contact avec les
soldats des petits royaumes tombés sous la coupe portugaise. lle leur
promet des terres contre leur désertion et réussit ainsi à récupérer de
nombreu hommes formés au techni ues occidentales de guerre.
n m me temps, la princesse observe, assimile la culture et la langue
des envahisseurs. uand elle est conviée à l’église, elle ne fait pas
u’admirer les toilettes et écouter les chants elle évalue l’intér t ue
pourrait représenter, pour elle et les souverains de sa région, d’embrasser
leur religion. lle suppose ue la conversion les mettrait sur un pied
d’égalité et ue les Portugais seraient désormais contraints de les considérer
avec plus de respect.
ussit t pensé, aussit t fait. Son bapt me a lieu dans la cathédrale de
Luanda. lle choisit pour parrain et marraine le vice-roi don Correia da
Sou a et son épouse nna, ui lui donne son nom chrétien. La princesse
devient nne ingha.
ais le vice-roi retourne au Portugal. Son successeur, ui a soif d’or et
de con u tes, contraint le roi ani Ngola à de nouveau affrontements. n
1624, celui-ci engage son armée sur les rives du fleuve Cuan a. al
préparée, elle est furieusement balayée par le feu portugais au uel se sont
oints di mille mercenaires africains recrutés au ongo. ani Ngola
réussit à s’échapper en se etant dans le fleuve. C’est alors u’apr s avoir
nagé us u’à un banc de sable, raconte Sylvia Serbin, il est recueilli par
deu serviteurs de la cour ui, comme par hasard, se trouvent sur le m me
lot. Ils pansent ses blessures et lui donnent à boire Juste avant de mourir
foudroyé par le poison, l’imprudent tyran a le temps de comprendre ue
ingha vient de signer sa vengeance et, par la m me occasion, de
récupérer le royaume du atamba.
Couronnée, nne ingha temporise avec les Portugais, négociant
cha ue fois u’ils font mine de vouloir réduire les fronti res. lle leur
réaffirme ses intentions pacifi ues tout en préparant ses armes et ses
troupes. ans le m me temps, elle rallie discr tement d’autres États. La fin
ustifiant les moyens, elle ne s’embarrasse d’aucun scrupule. Pour
convaincre les guerriers agas réputés pour leur bravoure et plus encore
pour leur cruauté, elle les invite à un ban uet o elle démontre sa
détermination et sa puissance.
es années passent sans u’elle c de un pouce de terrain. Souvent elle
conduit elle-m me ses troupes.
n 1641, la flotte hollandaise s’atta ue à la colonie portugaise établie à
Luanda. Les Portugais sont défaits. La reine nne hinga saisit aussit t
l’occasion, offrant au ollandais le monopole du commerce avec l’ ngola
s’ils l’aident à rétablir les droits des souverains angolais sur leur territoire.
C’est ainsi ue se b tissent, durant uel ues années, la fortune de
Rotterdam, et la pai des ngolais ui retrouvent leurs villages et leurs
cultures gr ce à l’or et au diamants contenus dans leur sol.
Courte pai , hélas, de sept ans seulement car, en 1648, le traité de
estphalie garantit l’indépendance des Provinces- nies actuels Pays-Bas
en contrepartie de ses possessions en fri ue et en méri ue. Les r gles du
eu politi ue se ouent ailleurs u’en fri ue, loin des talents de la reine
ingha. Ironie : par ce traité européen, le Portugal reprend possession de
Luanda.
Les guerres redoublent et l’on voit la reine nne ingha, maintenant
septuagénaire, parcourir son royaume à la t te de ses troupes. Comme cette
guerre semble ne pouvoir s’achever ue par l’épuisement des deu camps,
un ultime traité est signé.
Le roi du Portugal déclare condescendre à accorder uel ues
provinces de son royaume d’ ngola à la reine. Refusant tou ours de se
considérer comme vassale ou tributaire du roi portugais, nne ingha
répond par une le on de grandeur :
uel droit a-t-il sur mes États n ai- e sur les siens st-ce parce
u’il est au ourd’hui le plus fort ais la loi du plus fort ne prouve ue la
puissance et ne légitime amais de telles usurpations. Le roi du Portugal ne
fera donc u’un acte de ustice et pas de générosité en me restituant non
uel ues provinces, mais tout mon royaume sur le uel ni sa naissance ni sa
force ne lui donnent aucun titre.
Le traité est ratifié le 24 novembre 1657, à Lisbonne, par le roi
lphonse I. Il sera respecté par tous.
nne ingha a maintenant soi ante-di -huit ans. Pendant les derni res
années de sa vie, elle conna t un royaume apaisé. lle r gle les affaires
courantes, préside la cour d’appel, parcourt à cheval ses terres, réorganise
l’administration et instaure la parité . cha ue poste de responsabilité
tenu par un homme est ad ointe une femme. Chacun doit rendre compte
séparément de son travail. lle e ige des femmes de la noblesse angolaise
u’elles sachent lire et écrire, et s’e ercent au armes.
ans la mémoire populaire, la reine nne ingha est restée
un personnage à part. Les valeurs de fierté et de courage sont universelles.
a com attante d reno ea

on tric
ers 1682 - 1706

ers la fin des années 1600, une eune fille née au ongo, ona
Béatrice, grelotte de fi vre au fond de son lit. out le monde la donne pour
morte. Soudain, elle voit appara tre en songe un homme habillé en moine.
C’est saint ntoine ui, de sa voi céleste, l’e horte à demeurer pieuse, à
pr cher et à entra ner le peuple à aller de l’avant . ussit t la fi vre tombe
et la eune fille revient à la vie. lle e pli ue à son p re et à sa m re sa
vision, et l’importance du commandement divin. evant le besoin
impérieu de le suivre, elle distribue toutes ses richesses et renonce au
biens de ce monde.
ans sa grande sagesse, saint ntoine l’engage à libérer le royaume du
ongo de l’envahisseur portugais ui, fort de la bénédiction papale, a donné
le coup d’envoi de la traite en 1455. Il lui commande également de remettre
le roi Pedro I en fuite sur son tr ne à Sao Salvador, et de soulager son
peuple de la mis re.
ona Béatrice se met en route pour accomplir son devoir

ona Béatrice est née au royaume du ongo, royaume prosp re ui


englobe des parties de l’actuelle républi ue démocrati ue du Congo, de
l’ ngola actuels, et d’une partie du abon, soit environ trois cent mille
ilom tres carrés. ongo signifie Cercle, univers, centre de l’univers .
Pour uoi la France lui a-t-elle imposé un C n mettant un C, on
dénature le sens du pays, on dénature ses femmes et ses hommes, on falsifie
l’histoire millénaire d’un peuple.
n 1482, lors ue iego Cao et les premiers navigateurs portugais
débar uent au royaume du ongo, ils découvrent une foule grouillante
habillée de soie et de velours, de grands États bien ordonnés et cela dans les
moindres détails, des souverains puissants, des industries opulentes.
Civilisés us u’à la moelle des os L’idée du N gre barbare est une
invention européenne , écrit l’anthropologue allemand Leo Frobenius en
1911.
Ce pays, adis l’un des plus puissants d’ fri ue centrale gr ce à sa
ma trise du fer, ses champs fertiles et ses terres contenant des monceau
d’or et de cuivre, vit actuellement dans la mis re. Jus ue-là, le ongo,
comme une bonne partie de la plan te, prati uait l’ esclavage à usage
interne pour ses travau agricoles, la valorisation et l’économie de son
propre pays à partir de 15 2, les raids entre ethnies voisines se multiplient
pour fournir au Portugais des esclaves en échange d’armes. rmes leur
évitant d’ tre mis en esclavage eu -m mes. Le cycle infernal de la traite.
Ne réduisons pas le mot esclavage à la seule couleur noire. Il vient
du latin sclavus, car la plupart des esclaves du haut oyen ge étaient des
Slaves des Bal ans. Rome, on disait servus et, à l’épo ue médiévale
fran aise, serf . Jus u’à la fin du oyen ge, des uropéens ont été
vendus par d’autres uropéens en direction des pays musulmans.
Jus u’à la fin du IIe si cle, les ani- ongo, souverains du ongo,
et le royaume du Portugal ont entretenu de bonnes relations. Les ongolais
ont accueilli avec une e tr me générosité ces étrangers venus par la mer, ils
ont poliment accepté leur religion et la présence de leurs missionnaires
capucins, ésuites, dominicains. Le ani- ongo lfonso Ier adhérait si
pleinement au critures saintes u’il en oubliait, dit-on, le manger
Son fils, envoyé faire ses études théologi ues à Lisbonne, devint en 1518 le
plus eune év ue africain ordonné.
élas n 1500, l’amiral portugais Pedro lvares Cabral découvre
le Brésil. Sur les uatre-vingt-di millions d’Indiens ui vivent en
méri ue, cin à si millions occupent le Brésil. Ils sont progressivement
e terminés par les armes, les maladies et les mauvais traitements 85
d’entre eu entre 1500 et 1900 . Or l’industrie de la canne à sucre e ige de
plus en plus de main-d’ uvre. Le Portugal regarde donc avec envie le
ongo ui représente un fabuleu réservoir d’esclaves
ue n’aurait pas fait lfonso Ier pour ses amis portugais si la religion
u’ils lui avaient incul uée n’avait pas été en contradiction avec l’esclavage
u’ils lui proposaient Comme il s’oppose à toute déportation de son
peuple, les Portugais se f chent et, en 1540, tentent de l’assassiner. e là
datent les premi res ra ias d’esclaves, organisées à partir de l’ ngola, par
des nobliau à la solde du Portugal. Corrompus par des armes, des
v tements à l’européenne, des alcools et de la verroterie, ces élites
princi res livrent des esclaves pris en territoires voisins, seule monnaie
acceptée par les Portugais.
Comme le remar ue l’historienne Sylvia Serbin ui m’a raconté
l’histoire de ona Béatrice : Ce n’est pas l’aspect immoral de l’esclavage
ui aurait pu les arr ter, puis ue m me les pr tres blancs ui leur servaient
de directeurs de conscience se laissaient compromettre dans le trafic
négrier Beaucoup de ces religieu ont, en effet, des actions dans la traite
négri re et tout intér t à ce u’elle prosp re. La collusion entre le pouvoir
esclavagiste et l’Église est flagrante en fri ue comme dans les les. Les
revenus ue poss dent les Jésuites à la artini ue sont trop considérables,
écrit un intendant en 1717. Ils ont une habitation o il y a au moins cent
trente Noirs
Il y a tou ours des religieu dans les premi res frégates ui abordent
les c tes africaines ou américaines. Les marchands arrivent plus tard, une
fois le pays pacifié par les armes et le goupillon. Incrustés dans les cours
royales, ils christianisent les mes des souverains et guident leur politi ue.
Pendant u’ils lisent la Bible, ils soutiennent implicitement et e plicitement
la mise en esclavage
Seules les populations reculées ont su garder leurs traditions animistes.
ers 1702, lors ue débute la tragi ue histoire de ona Béatrice, le
royaume est depuis longtemps christianisé. orcelé en plusieurs
principautés rivales ui font le commerce d’esclaves, il est affaibli. u
point ue Pedro I , à cette épo ue roi du ongo, est contraint d’abandonner
sa ville dévastée de Sao Salvador, le c ur du royaume. Il se retire au nord,
sur le mont ibangu, laissant derri re lui un peuple apeuré.
Née dans une famille aristocrati ue du u ongo sous le nom de
impa ita, ona Béatrice, de son nom de bapt me, a re u l’enseignement
catholi ue dispensé au nobles du ongo. lle croit fermement,
sinc rement. rop m me, car sa foi en la parole libératrice du Christ ne
tol re aucun mensonge et se retourne contre ses confesseurs ui ont oublié
ue cette m me parole libérait les esclaves chrétiens de Rome. Les Saintes
Écritures se métamorphoseront ainsi plus d’une fois, pendant l’esclavage et
la colonisation, en instruments de résistance et de révolte.
ona Béatrice a vingt ans uand elle se rend compte ue les Noirs ne
sont pas traités en fr res, comme le veulent les Écritures.
n 1704, elle crée le mouvement des ntoniens. Saint ntoine, dit-
elle à ses adeptes, m’a dit u’un nouveau royaume allait na tre. Nous
devons reconstruire la ville de Sao Salvador, et y ramener le roi Pedro I .
ieu veut ue cette ville redevienne la Bethléem bibli ue .
lle m le traditions africaines et enseignement catholi ue. Le discours
u’elle tient à ses adeptes, puis au populations, est simple : nous sommes
des enfants de ieu et notre religion vaut la leur. Prene les armes de la foi,
souleve -vous contre les missionnaires ui gangr nent votre pays, ui
vén rent l’argent du temple
ous récite le Salve Regina et vous ne save m me pas pour uoi
leur dit-elle. On vous demande de e ner pendant le car me alors ue vous
tes dé à épuisés par la disette Si vous voule tre lavés de vos péchés, il
suffit de vous e poser à la pluie. La confession ne sert à rien Les bonnes
uvres sont vaines Seule l’intention compte pour ieu Prene , mes
fr res, autant de femmes ue vous le désire si telles sont vos coutumes
lle entend créer une Église africaine, ui écartera les missionnaires
portugais de l’entourage du roi. lle revitalise les racines culturelles
traditionnelles de son pays. Rapidement, le rite des ntoniens, m lant
animisme et catholicisme, rallie de plus en plus de monde. ona Béatrice
répand la bonne nouvelle : bient t le Christ noir les délivrera du oug
colonial
lle e horte le peuple à re oindre Sao Salvador : ans Sao Salvador
repeuplé, les racines des arbres abattus se transformeront en or et en argent.
Sous les ruines relevées, nous découvrirons des mines de pierres précieuses
et des métau rares. Sao Salvador, toutes les richesses ue les Blancs
nous ont ravies iront à ceu ui adh rent à la foi véritable et contribuent à la
renaissance du royaume.
es milliers de fid les la suivent. On vient la voir de partout. es
mythes se créent autour de ses miracles : elle guérit les malades, elle fait
venir la pluie et reverdir les arbres desséchés. On dit aussi ue tous les
vendredis elle se rend au ciel pour plaider la cause de son peuple et le
lendemain retourne sur terre poursuivre sa mission.
ans la ferveur de la foi, tout un peuple se dirige vers la citadelle
royale, en priant et en chantant. Parmi les adeptes, il y a un certain Barro
ue ona Béatrice nomme saint Jean. rrivés devant la citadelle, ils
franchissent les barrages, et la eune fille demande à parler au roi.
Le p re capucin Bernardo s’interpose : il craint comme le diable ce
mouvement des ntoniens ui menace le pouvoir catholi ue en fri ue
et pourrait, si on le laissait faire, annoncer un nouveau schisme dans le
dogme. Il craint également l’effet du charisme de ona Béatrice aupr s du
roi. Cette femme prof re de dangereuses absurdités, dit-il au roi. Écoute -
la : La terre sainte est au ongo Les véritables fondateurs de la religion
catholi ue sont de la race noire Jésus-Christ est né à Sao Salvador Il a
été baptisé à Sundi, ue l’on appelle Na areth Jésus-Christ, la adone et
saint Fran ois sont originaires du ongo
Permette -moi une parenth se : un our, discutant avec mon fils, e lui
demande de me décrire ieu. Il me répond :
C’est un homme à la barbe blanche.
Il est de uelle couleur
Il est blanc.
C’est bi arre On dit ue ieu, l’ tre supr me, a fait l’homme à
son image. lors toi, ui es marron foncé, comment peu -tu l’imaginer
blanc
C’est vrai, e n’avais amais pensé à cela.
n tout cas, le culte de la ierge noire , au uel plusieurs centaines
d’églises seront consacrées entre 1170 et 1270, causera pas mal d’ennuis
au instances catholi ues, obligées d’e pli uer leur noirceur par la fumée
des cierges ou par les péchés des fid les Je me suis d’ailleurs tou ours
demandé pour uoi ieu était représenté dans des lieu de culte.
Refuse cette hérésie, faites ue votre royaume devienne chrétien et
votre puissance sera augmentée, admoneste le moine Bernardo. Réprime le
mouvement antonien. n dépit de ces avertissements, le roi Pedro re oit
cette étrange femme. Il l’écoute, séduit par sa foi et son message. lle lui
propose l’unité du royaume, le renouveau
Pourtant, il tergiverse. Prendre la t te du grand renouveau ue lui
propose Béatrice, retourner à Sao Salvador comporte de grands dangers. Le
roi est un pleutre. ntre ses conseillers tr s catholi ues et la vierge du
ongo , son c ur balance. Il hésite deu longues années, durant les uelles
ona Béatrice construit brillamment son Église. Les Petits ntoine
parcourent le pays et convertissent les nobliau à leur mouvement. Le
nombre de ses partisans atteint maintenant des milliers.
Pour les missionnaires, la situation est devenue intolérable. Le prestige
de ona Béatrice menace de plus en plus les intér ts marchands, sacril ge
pire encore ue d’offenser ieu Par uels moyens réussissent-ils enfin à
convaincre le faible Pedro I de la dangerosité de Béatrice Nul ne le sait.
ais la répression ui s’ensuit est féroce, sanglante, à la hauteur de la peur
infligée à ces petits moines.
t c’est à ce moment ue Béatrice dispara t brus uement. Certains
s’imaginent u’elle a fui, d’autres u’elle est partie au ciel re oindre saint
ntoine et u’elle va ressusciter sous peu. n fait, la vierge du ongo ,
la pucelle de Sao Salvador , n’en est pas moins femme, et cache son
ventre ui contient le fruit de son amour pour Barro dit saint Jean .
Les troupes portugaises finissent par la découvrir dans la brousse, avec
Barro, son compagnon, et leur enfant ui vient de na tre. Les missionnaires
ubilent. Cet enfant est la preuve de son imposture eu cents ans
auparavant, Jeanne d’ rc, en s’appelant la Pucelle , signifiait u’elle
était envoyée de ieu et non sorci re, sa virginité symbolisait sa pureté
physi ue et religieuse. ne aubaine pour les pr tres, cet enfant de ona
Béatrice. Ne prouve-t-il pas u’elle est impure, fille du serpent Ils la
traitent de menteuse, la brutalisent et lui en oignent d’ab urer publi uement
ses erreurs. ona Béatrice s’y refuse. lle a oute, au su et de son enfant :
Je ne peu nier ue ce soit le mien. ais comment e l’ai eu, e ne sais
pas. Je dis seulement u’il m’est venu du ciel et u’il sera le sauveur de
notre peuple.
On la conduit encha née, son enfant dans les bras, devant le p re
Bernardo, chef des capucins, ui la soumet à la uestion.
ui tes-vous lui demande-t-il.
Je suis saint ntoine, répond-elle. Je viens du ciel.
t uelles nouvelles apporte -vous de là-haut lui demande-t-il,
ironi ue. ites-moi si au ciel il y a des Noirs du ongo et s’ils sont là-bas
avec leur couleur noire
u ciel il y a des petits Noirs baptisés ainsi ue des adultes, mais ils
n’ont pas la couleur du Noir ni du Blanc, parce u’au ciel il n’y a nulle
couleur
Le p re Bernardo est scandalisé par cette réponse. Sa révolte, ses
prétentions au miracles, ses agissements ui s’opposent au prati ues de la
traite et une telle répli ue ont t t fait de convaincre ona Béatrice
d’hérésie. isant ue sous le fau nom de saint ntoine elle a trompé le
peuple par ses hérésies et ses faussetés. n consé uence, le roi son seigneur
et le Conseil royal la condamnent à mourir sur le b cher, elle et son
concubinaire ui se fait appeler saint Jean.
L’e écution est fi ée au 2 uillet 1706. pr s cet arr t, ils furent
emmenés vers le b cher, raconte le p re Laurent de Luc ues. lle portait
son enfant sur le bras. Il se produisit alors un si grand tumulte parmi la foule
en détresse u’il n’y eut pas moyen pour nous de pr ter uel ue assistance
au deu condamnés. On avait amassé là un grand tas de bois sur le uel ils
furent etés. On les recouvrit d’autres morceau de bois et ils furent br lés
vifs. Non contents de cela, le lendemain matin, des hommes vinrent encore
br ler uel ues os ui étaient restés et réduisirent le tout en cendres tr s
fines.
ona Béatrice, comme Jeanne d’ rc plus de deu si cles auparavant,
meurt avec le nom de Jésus en bouche . uant au nouveau-né, il est
sauvé au dernier instant des flammes par le p re Laurent de Luc ues ui
obtient sa gr ce aupr s du roi.
Élevée par la population au rang de martyre malgré un proc s en
hérésie conduit de mani re ini ue, elle est souvent ualifiée de Jeanne
d’ rc du ongo ou de Jeanne d’ rc noire . Évidemment, ce sont les
Occidentau ui l’ont ainsi surnommée. La premi re réfle ion ue l’on
peut, en tout cas, tirer de cette comparaison entre Jeanne et Béatrice est ue
l’Église missionnaire, de longue date et uel ue soit le continent, s’est
souvent rangée du c té des puissants
n ra en c ef de arm e im ria e r e

r tro itc ni
1696 - 14 mai 1781

Pour parler d’ anibal, e suis allé trouver mon ami ieudonné


namman ou. L’intér t u’il porte à ce grand homme remonte à ses années
de lycée, lors ue son p re lui offrit une histoire générale de l’ fri ue. ans
le volume I consacré à la traite négri re, il apprit ue certains des
fricains déportés s’étaient retrouvés dans des sociétés européennes o ils
avaient mené une carri re prestigieuse. Parmi eu figure un certain anibal,
dont l’arri re-petit-fils n’est autre ue l’un des plus cél bres po tes russes :
le andre Pouch ine.

uel personnage fascinant uelle vie e traordinaire


l’aube du IIIe si cle, au Cameroun, un enfant africain de sept ans
est pris dans une ra ia arabo-ottomane, puis conduit à Istanbul, à la cour
du sultan hmed III. Le sultan en fait un page, le convertit à l’islam, et lui
donne le prénom d’Ibrahim.
n an plus tard, en 1704, une nouvelle péripétie conduit
clandestinement l’enfant à la cour du tsar Pierre Ier le rand, empereur de
toutes les Russies. Pris en affection, il est adopté par le souverain ui
l’affranchit, en m me temps u’il lui donne une nouvelle religion et un
nouveau nom : baptisé en l’église Saint-Paras eva de ilnius, il s’appelle
désormais braham Petrovitch.
Il est édu ué à la cour avec les grands-ducs et grandes-duchesses ui le
consid rent comme leur propre fr re. N’est-il pas le protégé de l’empereur
L’enfant est d’une vive intelligence, e ceptionnellement doué en
mathémati ues. Pour lui, on fait venir au palais les meilleurs professeurs
d’ urope.
On pourrait s’étonner d’une telle sollicitude de la part d’un tsar envers
un enfant noir. ais la société russe n’est pas encore empreinte, à cette
épo ue, des pré ugés raciau ui appara tront au I e si cle. e plus,
Pierre le rand entend moderniser la Russie et y apporter ses Lumi res. u
diable les couleurs et les nationalités Pour b tir sa société, il ouvre le pays
au compétences, d’o u’elles viennent, et recrute les meilleurs
spécialistes, o u’ils se trouvent : des nglais pour sa flotte, des Fran ais
pour l’artillerie
l’ ge de uin e ans, le eune braham est devenu le confident et
l’ordonnance du tsar, u’il suit sur les champs de bataille. Puis il est chargé
de sa biblioth ue privée. Lors du voyage de Pierre Ier en France, c’est lui
ui ach te ses livres. Le tsar le confie au duc du aine, afin u’il apprenne
la géométrie, l’artillerie et l’art des fortifications. La relation entre le tsar et
braham est si forte ue les études u’il lui fait entreprendre en Prusse sont
celles au uelles il a destiné son propre fils, le tsarévitch le is le uel a
opté finalement pour la théologie braham sera donc le premier ingénieur
militaire russe moderne.
Il étudie les fortifications de auban, puis entre en 1717 dans les
armées de Louis . Il se montre si audacieu et si bon strat ge u’il est
promu capitaine de l’armée fran aise, o il gagne le surnom d’ anibal.
braham alias anibal revient en 1722 en Russie avec, en plus de son
grade de capitaine, un brevet d’ingénieur. Il y enseigne l’art des
fortifications et de l’artillerie dans les écoles d’ingénieurs. n 1725, il
rédige un traité de géométrie, le premier écrit en Russie l’année suivante,
un raité des orti ications. Il multiplie les grands travau , notamment la
construction de la cél bre forteresse Pierre-et-Paul à Saint-Pétersbourg et la
réalisation du canal de Cronstadt. la mort de Pierre le rand, le voilà
général en chef de l’armée impériale russe, directeur général des
fortifications, diplomate, gouverneur militaire de l’ stonie. Il est le
uatri me plus haut personnage de l’État russe.
On voit combien, indépendamment de la couleur, la classe sociale dans
la uelle on grandit et le droit à l’éducation sont déterminants. Resté esclave,
anibal n’aurait amais pu développer ses capacités.
Il lui reste à se marier. Il s’y prend à deu reprises. La premi re fois, il
tombe éperdument amoureu de la fille d’un officier grec, vdo ia ioper,
u’il épouse. Celle-ci l’aime d’autant moins u’elle s’est fiancée
secr tement à un autre homme. ’ailleurs elle accouche d’une petite fille
blonde au yeu bleus Puis vdo ia tente d’empoisonner son mari avec
la complicité de son amant. Le divorce est inévitable. Peu de temps apr s,
anibal rencontre une aristocrate suédoise, Christine-Régine de Scho berg.
Ils s’aiment d’un amour partagé, sont heureu et ont, comme tous les nobles
de cette épo ue, beaucoup d’enfants.
Pour autant anibal n’a rien oublié de ses origines. Il en a m me une
telle nostalgie u’en 1742, lors u’il est fait chevalier, il demande à
l’impératrice ue figurent à droite, sur le haut de son blason, un éléphant et
ce mot : F O , ui signifie patrie en oto o les oto os vivent
encore au ourd’hui au Cameroun, au chad et au Nigeria .
Lors u’il meurt, à l’ ge de uatre-vingt-cin ans, braham anibal a
fondé une dynastie noire en Russie. t son sang, m lé à celui de familles
étrang res, coule maintenant dans les veines des princes de r ce et
d’ ngleterre
Parmi les sept enfants ue lui donne son épouse, le troisi me, Joseph,
est non seulement un grand officier, mais surtout l’anc tre de la branche des
Pouch ine, ui restera pour tou ours dans l’ istoire. Joseph épouse une fille
de la famille des Pouch ine avec la uelle il a une fille, Nadine. Celle-ci,
ue l’on appelle la belle Créole , tombe amoureuse de l’un de ses
cousins, Sergue Pouch ine. Ils seront les heureu parents de l’immense
po te le andre Pouch ine
n io o e en d ana

nton i o
ers 170 - vers 1759

On peut dire
ue si l’intelligence des Ngres
n’est pas d’une autre espce
ue notre entendement, elle est trs
inférieure. Ils ne sont pas capables
d’une grande attention,
ils combinent peu et ne paraissent
faits ni pour les avantages, ni pour
les abus de notre philosophie.

oltaire,
ssai sur les murs 1755

Cette citation est stupéfiante de la part d’un des esprits les plus
brillants et les plus tolérants de son temps.

l’aube du IIIe si cle, mo, un petit enfant du hana, est offert en


cadeau à deu nobles vivant à msterdam : le duc nton lrich de
Brunswic - olfenb ttel et son fils ugust ilhelm. Le généreu donateur
est la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales, spécialisée dans le
commerce des esclaves.
Il est courant, à cette épo ue, d’ tre ainsi offert à la noblesse
européenne. Le fr re d’ mo était parti avant lui pour msterdam, mais il ne
plaisait pas à ses ma tres et fut déporté au Surinam o il fut mis en
esclavage.
Nous sommes en 1707. mo a uatre ans. Il est bien traité sur le
bateau car il doit arriver à bon port. n an plus tard, il re oit le bapt me
chrétien et s’appelle désormais nton ilhelm mo, chacun des ducs lui
ayant fait la gr ce de l’un de ses prénoms. ais surtout ses bienfaiteurs ,
éclairés et instruits par le début des Lumi res, le lib rent de l’esclavage.
Nous savons également u’ils lui donnent une éducation de tr s haut
niveau. Bient t mo sera versé dans l’astronomie, la logi ue, la théologie,
le droit, la physiologie, les sciences politi ues. Il parlera le latin, le grec,
l’hébreu, le fran ais, le néerlandais et l’allemand Culture ui lui permettra
d’atteindre rapidement des sommets académi ues.
n 1727, il s’inscrit en philosophie à l’université de alle, centre des
Lumi res de l’ llemagne . eu ans plus tard, il soutient sa th se e ure
aurorum in uropa La Loi et les ricains en urope . isiblement, ce
surdoué n’a rien oublié de son fri ue. u lieu de s’atteler à une th se
passe-partout, consensuelle, il développe l’idée ue, les rois africains ayant
été les subordonnés de l’ mpire romain, ils eurent par consé uent des droits
de liberté. onc, leur mise en esclavage par les chrétiens européens est
illégale Bien avant les Noirs américains . . B. u Bois, hurgood
arshall, Rosa Par s ou artin Luther ing, il s’appuie sur le droit pour
faire bouger les esprits.
Par ses te tes, mo montre également ue les Noirs n’ont amais douté
de leur humanité, malgré les pires contraintes.
Son travail ne man ue pas de provo uer une poussée de racisme, car il
s’oppose non seulement au sens commun, mais aussi au affaires . n
effet, la traite négri re occidentale n’est pas une confrontation entre Noirs et
Blancs, mais un syst me économi ue fondé sur l’e ploitation de l’homme
par l’homme.
n 17 0, il uitte l’université de alle et s’inscrit en médecine
à l’université sa onne de ittenberg ui a réputation d’ tre plus avant-
gardiste. Il s’y distingue au point ue le recteur et le conseil de
l’ niversité raconte le grand abolitionniste, l’abbé régoire croient
devoir, en 17 , lui rendre un hommage public par une ép tre de
félicitations, rappelant ue érence aussi était d’ fri ue ue beaucoup de
martyrs, de docteurs, de p res de l’Église sont nés dans ce m me pays o
les lettres étaient florissantes .
n 17 4, il soutient une seconde th se. Là encore, il développe des
idées novatrices. Contre la pensée dominante, et en particulier celle de
l’Église, il se rapproche des courants matérialistes apparus en ce début
du IIIe si cle. Il soutient ue l’ me n’est pas le principe moteur du
corps, et ue les forces vitales du corps humain se fondent sur des forces
mécani ues . ctuellement ces affirmations semblent banales, et on ne
mesure pas la portée révolutionnaire u’elles avaient au IIIe si cle,
se situant dans le courant anticlérical des années 1750. l’épo ue, on
ris ue pour le moins l’e communication. Julien Offray de La ettrie,
médecin et philosophe, perd sa place de médecin des gardes-fran aises en
1745 pour avoir défendu une th se soutenant des idées proches.
Les années ui suivent ne donnent ue des informations imprécises sur
mo. La cour de Berlin lui aurait conféré le titre de conseiller d’État, il
aurait écrit de la poésie et plusieurs romans pr s la mort du prince de
Brunswic , mo serait tombé dans une mélancolie profonde et aurait résolu
de uitter l’ urope u’il avait habitée pendant plus de uarante ans, pour
retourner dans sa terre natale ais on reste au stade des hypoth ses.
Ce dont on est s r, c’est u’il retourne dans son pays. mo, alors gé
d’environ cin uante ans, y m ne une vie solitaire. Son p re et sa s ur s’y
trouvent aussi, mais son fr re est tou ours esclave au Surinam. mo meurt à
une date inconnue, probablement vers 1759.
Ses idées et ses écrits seront repris us u’à notre épo ue. Les
abolitionnistes du I e si cle s’appuieront sur ses travau pour défendre la
th se selon la uelle les fricains ont les m mes capacités intellectuelles ue
les Blancs.
Les diplomates du e si cle se référeront à mo pour souligner
combien les rapports ont été, de longue date, étroits et amicau entre
l’ urope et l’ fri ue .
me l’ llemagne communiste préte tera du fait u’ mo avait été
accueilli deu cents ans auparavant dans une université, devenue socialiste
depuis, pour parler des traces histori ues de l’aide u’ont donnée de tout
temps les pays communistes au pays africains en voie de développement
socialiste
nfin, les intellectuels d’origine africaine ont rendu hommage à son
héritage. n indépendantiste et panafricaniste aussi important ue wame
N rumah 1909-1972 , ui dirigea le hana indépendant en tant ue
Premier ministre puis président de 1960 à 1966, disait s’ tre inspiré d’ mo.
mo le dépossédé, une intelligence ui appartient désormais à l’ fri ue,
voire tout simplement au monde.
uand les hommes auront-ils l’intelligence de puiser dans toutes les
philosophies du monde, dont celles des Bantous, des Chinois, des ogons,
des mérindiens, pour construire une nouvelle humanité
e m icien de mière

i rd int or
24 décembre 1745 - 10 uin 1799

u IIIe, les Noirs sont environ cin mille dans l’ e agone, pour
environ vingt millions de Blancs. L’apparition de l’un d’eu provo ue les
foules, attire les regards et cho ue tou ours un peu. ussi le héros de cette
aventure ne se contente-t-il pas de se passer cha ue matin plusieurs couches
de poudre blanche sur le visage pour éviter les remar ues insultantes, mais
il a également compris u’il faut monter tr s haut pour échapper au
criti ues, se singulariser et susciter l’admiration.
Il va donc nager avec un bras attaché dans le dos, patiner sur la Seine
gelée, monter à cheval, tirer l’épée au point d’ tre considéré comme le
meilleur escrimeur du royaume de France, et manier le pistolet comme un
dieu, dit-on . ieu encore, il oue en virtuose du violon u’il a appris du
plus fameu violoniste fran ais de son temps, Jean- arie Leclair il se
montre e pert en clavecin, en composition et en direction d’orchestre.

u début de cette histoire, vers 1744, il faut parler de . le comte


eorges de Bologne, propriétaire en uadeloupe d’une plantation de
cin uante hectares meublée de soi ante esclaves. C’est confortable et a
laisse de uoi vivre L’une de ses esclaves, nne Nanon, d’origine
sénégalaise, lui pla t particuli rement. e cette relation na t un fils, le our
de No l, ue . le comte prénomme Joseph.
Selon le Code noir promulgué en 1685, article 1 , cet enfant de m re
esclave ne peut tre affranchi. Néanmoins, il faut croire ue . le comte
éprouve une certaine affection pour son fils, puis ue le petit Joseph re oit
une bonne éducation. l’ ge de huit ans, il est envoyé à Paris poursuivre
ses études. Sa m re et son p re le re oignent deu ans plus tard. Joseph vit
désormais dans le riche uartier de Saint- ermain, libre , car toute
servitude est annulée dans la capitale.
l’ ge de on e ans, Joseph est admis dans l’académie de Nicolas
e ier de la Bo ssi re afin de se préparer au métier d’officier. u
programme : mathémati ues, histoire, philosophie, latin, langues étrang res,
musi ue, dessin, danse, escrime, é uitation Les humanités de tout eune
gar on de tr s bonne famille.
nfin, pour ses di -sept ans, son p re lui ach te un office d’écuyer
l’écuyer étant un gentilhomme ui porte l’écu de chevalier. Il est
également conseiller du Roy et contr leur ordinaire des guerres . Ce
cadeau paternel lui apporte un titre et un nouveau nom : il s’appelle
désormais chevalier de Saint- eorges. Pour uoi pas de Bologne C’est
ue le Code noir interdit au gens libres de couleur , métissés ou noirs,
de porter le nom de leur ma tre.
on propre nom, huram, serait l’anagramme incompl te de
athurin, numéro de registre 0 7, ui a fait hramin ou de athurine,
n 127 , ui aurait donné hurma puis huram. Lors de l’abolition de
1848, on prenait un ancien ma tre, me dit ichel Roger, généalogiste, on le
bombardait officier d’état civil, et il avait comme devoir de donner un nom
à cha ue ancien esclave.
L’idée sous- acente est d’emp cher ue des métis devenus finalement
plus blancs ue bien des spagnols à force de métissages, ayant pris des
noms ui ressemblent à des noms de Blancs, n’usurpent ainsi un titre ui
ouvre au carri res udiciaires, à la fonction publi ue, au grades supérieurs
dans l’armée. e plus, on craint ue par le mariage ces N gres n’apportent
à la société blanche la dégénérescence, la peste, le choléra. Pré ugés ancrés
dans les mentalités et ui perdurent encore. la fin du e si cle, n’a-t-on
pas prétendu ue le sida avait été transmis du singe vert au Noirs Puis de
l’ fri ue noire au territoires blancs
u IIIe si cle, le nom d’un esclave constitue une limite u’il lui est
interdit de dépasser. oreau de Saint- éry, théoricien de la hiérarchisation
des races, écrit en 1797 u’ une ligne prolongée us u’à l’infini séparera
tou ours la descendance blanche de l’autre . On trouve également dans sa
escription topograp ique p sique civile politique et istorique de la
partie ran aise de aint omingue les fameuses pages o il rend compte
de cent vingt-huit nuances de métissage t de se lancer dans une
arithméti ue compli uée : Si un Blanc est m lé à une ul tresse, de 70
parties blanches ui est le ma imum, le uarteron ui en proviendra aura 99
parties blanches, tandis ue le m me Blanc m lé à la ul tresse de 56
parties blanches, ui est le minimum, ne produira u’un uarteron de 92
parties blanches. t ainsi de suite. u ourd’hui, les propos de cet
homme des Lumi res sont ugés comme un délire parano a ue. Ils
étaient pourtant l’e pression de la pensée dominante, à une épo ue o les
lois de la généti ue n’étaient gu re connues.
Il ne s’agissait pas non plus de racisme à l’état brut. La plupart des
colons cultivés savent ue les libres de couleur sont leurs égau . La
preuve en est u’ils les envoient à Rome pour peindre Lethi re , à Paris
étudier la musi ue Saint- eorges ou la philosophie en llemagne mo ,
mais ils ont compris ue l’é uilibre et surtout l’économie des colonies ne
tiennent ue par la prétendue hiérarchie des races.
s 1769, Saint- eorges e celle dans ce ue nous appelons la
musi ue classi ue. Il devient premier violon du Concert des mateurs ,
dirigé par ossec ui a été son professeur de composition. n 177 , il prend
la direction de cet orchestre ui ne comporte pas moins de uatre-vingts
musiciens et ui est ualifié, deu ans plus tard, de meilleur orchestre
symphoni ue de Paris, voire de toute l’ urope .
e 177 à 1775, il dirige et oue ses propres concertos pour violon ui
re oivent les plus grands applaudissements tant pour le mérite de
l’e écution ue pour celui de la composition . Évidemment, il reste des
irréductibles comme le baron elchior ui, influencé par les idées
négrophobes de oltaire, met en doute son talent de créateur. Certes, il
reconna t ue le chevalier de Saint- eorges oue fort bien du violon, mais il
soutient u’un Noir ne fera amais mieu u’imiter, recopier habilement
l’art des Blancs. Si la nature a servi d’une mani re particuli re les
ul tres, dit le baron elchior, en leur donnant une aptitude merveilleuse à
e ercer tous les arts d’imitation, elle semble cependant leur avoir refusé cet
élan du sentiment et du génie ui produit seul des idées neuves et des
conceptions originales.
Cependant l’aura du chevalier Saint- eorges s’étend à tel point ue le
roi Louis I souhaite lui prouver son admiration et sa reconnaissance en
lui confiant la direction de l’ cadémie royale de musi ue, poste adis
occupé par Lully et Rameau. Cette fois, sa couleur est un obstacle. Les
chanteuses Sophie rnould et Rosalie Levasseur, et la premi re danseuse de
l’Opéra, arie- adeleine uimard, présentent une pétition à la reine : leur
honneur et la délicatesse de leur conscience ne leur permettent pas d’ tre
soumises au ordres d’un ul tre
n fantasme raciste récurrent attribue au fricains un dangereu
tempérament se uel. Saint- eorges est évidemment ualifié de don Juan
noir .
Louis I, faible et impuissant, n’ose imposer sa volonté pour clore
cette polémi ue.
u’à cela ne tienne, Saint- eorges s’obstine et poursuit sa carri re. n
1776, il publie ses mp onies concertantes n 1 en ut ma eur et n 2 en la
ma eur. n 1777, trois concertos pour violon et si uatuors à cordes. Il est
alors à son apogée, plus cél bre et plus apprécié encore, à Paris, ue le divin
o art lui-m me, dont le cél bre Concerto pour clarinette en la ma eur fut
inspiré du Concerto pour clarinette de Saint- eorges.
i ans plus tard, le 9 avril 1787, on le retrouve à Londres. n
présence du prince de alles et de toute sa cour, il combat en duel la
sulfureuse chevali re d’Éon, travesti, diplomate et capitaine de dragons. n
Blanc habillé en femme combattant un Noir en duel Le spectacle est
émoustillant, libertin mais pathéti ue, car la chevali re a dépassé la
soi antaine. Saint- eorges, par pure galanterie, se laisse battre.
ais Saint- eorges ne fait pas u’amuser la galerie. Il s’intéresse au
sort des esclaves et rencontre des abolitionnistes.
e retour à Paris, il dirige les si mp onies parisiennes, nos 82 à 87,
du grand Joseph aydn nfin, l’année suivante, en 1788, il re oint la
Société des amis des Noirs ui bataille de toutes ses forces pour l’abolition
de l’esclavage et l’égalité des droits entre les libres de couleur et les
Blancs.
Éclate la Révolution. Il en attend un miracle et s’y engage corps et
me. uand, le 2 septembre 1791, l’ ssemblée approuve la formation d’un
corps de troupe composé d’hommes noirs, Saint- eorges en devient le chef.
la t te de huit cents hommes d’infanterie et deu cents cavaliers, il est le
premier colonel noir de l’histoire de France Son 1 e régiment de
chasseurs, précurseur des futurs régiments de tirailleurs sénégalais, est
surnommé la légion noire ou légion Saint- eorges . L’un de ses
chefs d’escadron est homas le andre umas, d’origine ha tienne,
surnommé le iable noir , futur général de la Révolution et p re de
l’auteur des rois ousquetaires et du Comte de onte Cristo. Ce général
ui fut brutalement limogé par Napoléon pour avoir osé lui tenir t te.
uand les utrichiens royalistes assi gent Lille, la légion de Saint-
eorges est la premi re à combattre. Sa mission est simple : foncer et
traverser les lignes ennemies. Les utrichiens sont repoussés. Il sauve ainsi
la Républi ue en dé ouant la trahison du général umourie , ancien
vain ueur de almy, ui est passé du c té de l’ennemi.
Saint- eorges est acclamé en héros, mais pas pour longtemps. Les
cours de clavecin u’il a donnés à la reine arie- ntoinette et son amitié
pour le duc d’Orléans font de lui un suspect. Il est arr té le 4 novembre
179 à Ch teau- hierry. Fou uier- inville l’accuse d’ tre lié au tra tres
u’il a dé à fait arr ter. Il est incarcéré à Chantilly, puis au ch teau
d’ ondainville o il reste un an.
Finalement, ce seront ses accusateurs ui seront guillotinés
urant le printemps 1797, Saint- eorges dirige un nouvel orchestre, le
Cercle de l’ armonie, continue à composer, et meurt de sa belle mort le 10
uin 1799.
rois ans plus tard, par la loi du 0 floréal an 1802 , Napoléon
Bonaparte rétablit l’esclavage.
L’ uvre de Saint- eorges est bannie des répertoires.

la m me épo ue vit en ngleterre un homme d’origine africaine, fils


d’un Cara be et d’une Polonaise : eorge ugustus Polgreen Bridgetower
1780-1860 . Ce prodige du violon participe également au changement des
mentalités. Son association avec Ludwig van Beethoven est restée cél bre
et miraculeuse. n 180 , Beethoven compose pour et avec lui sa
célébrissime onate pour violon n 9 u’il lui dédicace : onata mulattica
composta per il mullato Sonate mul tre composée pour le ul tre .
la suite d’une uerelle, il se ravisera et dédicacera en 1805 la sonate au
violoniste reut er, ui n’a pourtant amais voulu la ouer t, lors de la
premi re, c’est Bridgetower ui l’interprétera, le 24 mai 180 , à
l’ uergarten all de ienne, avec Beethoven au piano
« racine a ec moi ar re de e c a age »

ou int o u rtur
20 mai 174 - 7 avril 180

n me renversant, on n’a abattu


à Saint-omingue ue le tronc
de l’arbre de la liberté des Noirs
il poussera par les racines, parce
u’elles sont profondes
et nombreuses.

oussaint-Louverture

oussaint-Louverture est devenu, au fil des si cles, la figure


emblémati ue de la lutte contre l’esclavage et pour l’indépendance
coloniale. fin de mieu conna tre sa vie, ’ai uestionné arcel origny,
historien, spécialiste des colonies sous l’ ncien Régime, de l’esclavage et
des abolitionnismes.
Pour comprendre la place de oussaint, dit plus tard Louverture
parce u’à la t te de ses troupes il faisait l’ ouverture des combats, il faut
se représenter la vie à Saint- omingue en ces temps-là. Repaire de
flibustiers dans les années 1620, partagée entre deu royaumes, la France et
l’ spagne, située dans les ntilles, au large des c tes des États- nis, l’ le
est progressivement occupée par de nombreu colons ui développent une
économie forte gr ce à l’e ploitation d’esclaves noirs, venus eu -m mes
remplacer les mérindiens et les engagés blancs. La partie fran aise de l’ le
est prosp re et, au moment de la Révolution, produit un tiers des
importations de la métropole. Cette partie deviendra, sous le nom d’ a ti,
en 1804, la premi re républi ue indépendante dirigée par des Noirs.

Fran ois- omini ue oussaint est né le 20 mai 174 au nord de Saint-


omingue, dans la partie de l’ le o s’est forgée la culture de la résistance
au colons. Il est encore enfant lors ue survient la grande révolte de
ac andal, à la fin des années 1750. ac andal, c’est ce fameu esclave
marron ui, pendant di -huit ans, tient t te au colons blancs. Il est
tellement craint ue les Blancs eu -m mes lui ont attribué des pouvoirs
magi ues, surtout celui d’ empoisonneur . Il faut bien trouver une
e plication au charisme u’il e erce sur les autres esclaves. L’avocat
esclavagiste oreau de Saint- éry rapporte : Il tenait école ouverte de
cet art e écrable, il avait des agents dans tous les points de la Colonie et la
mort volait au moindre signal u’il faisait . Il prédisait l’avenir, il avait
des révélations et une élo uence il y oignait le plus grand courage et la
plus grande fermeté d’ me, u’il a su conserver au milieu des plus cruels
tourments et des supplices.
ac andal dit ue ieu l’a envoyé à Saint- omingue pour tuer les
Blancs et libérer les Noirs. On raconte u’un our, devant un rassemblement
d’esclaves, il sort trois mouchoirs d’un vase : un aune, un blanc et un noir.
Il montre le aune et dit : Ce sont les premiers habitants de Saint-
omingue. Il montre le blanc : oici les colons. Puis le mouchoir
noir : oici les futurs ma tres de l’ le
Ses pouvoirs n’emp chent pas ac andal d’ tre capturé et
condamné au b cher, le 20 anvier 1758. Cependant, alors u’il est attaché
au poteau, entouré de flammes ui commencent à monter, il se lib re et
s’évade Repris, il n’échappera plus au feu. ais, dans l’esprit de la
population esclave de la plaine du Nord, ac andal est tou ours vivant,
héros ui repara t périodi uement. Cha ue fois u’une révolte éclate à
a ti, c’est ac andal cha ue fois u’un trouble se produit, c’est
ac andal. ncore au ourd’hui il nourrit l’espoir.
C’est dans ces lieu , dans cette le, entre mis re et r ve de liberté, ue
oussaint na t, d’un p re importé d’ fri ue, d’origine royale. Son
grand-p re aou- uinou était roi d’ llada, au Bénin. Né esclave sur une
plantation ui appartient au comte de Breda, oussaint bénéficie de la
protection de . Baillon de Libertat, le représentant légal du comte. Baillon
tient un r le tr s important dans sa vie, parce u’il lui apprend à lire et à
écrire, ainsi ue la médecine des plantes, ce ui lui vaut le surnom de
docteur feuille et participe à son prestige. n ces temps-là, médecine et
magie sont proches, souvent confondues par la population.
Jus ue-là, la vie de oussaint nous est à peu pr s inconnue. Comment
aurait-on pu deviner le destin de cet esclave Nous savons seulement u’il
occupe les fonctions de cocher, puis de contrema tre.
Il est affranchi à l’ ge de trente-trois ans, dit la tradition. L’ ge du
Christ Le chiffre est un peu suspect, d’autant ue l’affranchissement est
considéré par le Code noir comme une naissance. L’esclave n’e iste pas
civilement. L’acte d’affranchissement remplace son acte de naissance pour
en faire un su et du roi, comme s’il n’avait pas vécu auparavant.
oussaint suit l’itinéraire classi ue des Noirs libres dans la colonie. Il
se marie avec Su anne, une femme noire libre ui poss de de belles
propriétés. Ils ont deu enfants : Isaac et Placide. oussaint est maintenant
un homme aisé, un propriétaire terrien ui a possédé au moins un esclave.
On ne trouve pas trace de lui ou de ses propos lors de la Révolution
fran aise. Il est certainement à l’écoute et tr s bien informé, mais il
n’appara t pas. Il est vrai u’en ce début de la Révolution le probl me, à
Saint- omingue, est la uestion des libres de couleur, ceu ui ont réussi à
posséder des terres et parfois des esclaves, et veulent l’égalité avec les
Blancs. Lui n’est pas mul tre, il est noir. Rien en apparence ne le destine à
la révolte.
Cependant, en France, les affrontements sont violents sur la uestion
des droits des libres de couleur . eu de leurs représentants sont à Paris,
au début de la Révolution : incent Ogé et Julien Raimond, mul tres et
propriétaires d’esclaves. Ce u’ils revendi uent, c’est l’égalité des droits
avec les Blancs. Les révolutionnaires, dont les notions d’égalité sont à
géométrie variable, leur opposent un refus catégori ue. Le pré ugé de
couleur est la clef de vo te de l’édifice économi ue, particuli rement à
Saint- omingue ui représente un gigantes ue potentiel commercial C’est
ce ue Barnave appelle le principe moral : le Noir doit tre persuadé
u’il est inférieur au ul tre, et le ul tre inférieur au Blanc. uant à
abolir l’esclavage, c’est proprement impensable.
On a tou ours du mal à admettre ue dans la éclaration des droits de
l’homme de 1789 ne soit pas inscrite e plicitement l’abolition de
l’esclavage. Pourtant l’article 1 est sans ambigu té : Les hommes naissent
et demeurent libres et égau en droit. Légitimement, on pourrait en
déduire ue l’esclavage est aboli. ’ailleurs irabeau, membre le plus
important de la société abolitionniste des mis des Noirs, écrit le 20 ao t
1789 au députés de Saint- omingue ui ont voté cet article : essieurs
les députés de Saint- omingue, au ourd’hui m me vous vene d’abolir
l’esclavage sur vos plantations . moins ue vous osie nous dire ue
vos esclaves ne sont pas des hommes. u que cet article ne s applique
qu au ommes lancs ais irabeau n’ignore pas ue cette
éclaration est à usage interne. a bient t s’y a outer un article stipulant
ue les colonies fran aises , uoi ue faisant partie de l’ mpire
fran ais, ne sont pas comprises dans la présente constitution Bonaparte
s’appuiera sur cet article additionnel, en décembre 1799, pour déclarer ue
désormais les colonies sont régies par des lois spéciales , et rétablir
l’esclavage.
Scandalisés par cette e clusion des droits fondamentau , les
représentants des ul tres, incent Ogé et Julien Raimond, se souviennent
ue les Parisiens n’ont demandé l’autorisation de personne pour prendre la
Bastille. Si Raimond, trop gé, doit rester en France, Ogé revient à Saint-
omingue et prépare une révolte dans l’ le. élas ses troupes sont infimes.
Le 25 février 1791, trei e de ses compagnons sont condamnés au gal res
et vingt-deu à tre pendus uant à incent Ogé et son beau-fr re
Chavannes, accusés d’avoir prémédité une révolte de gens de couleur, ils
sont condamnés, le 9 mai 1791, à avoir les bras, ambes, cuisses et reins
rompus vifs sur un échafaud, la face tournée vers le ciel pour y rester
tant u’il plaira à ieu de leur conserver la vie L’assemblée provinciale
blanche tient à assister us u’au bout au supplice et, raconte ictor
Schoelcher, dit sa satisfaction de constater ue l’échafaud o e piraient
les deu martyrs n’occupait pas la place réservée au criminels de la race
privilégiée . Le choc, en France, est terrible uand on apprend les détails
de ce supplice de la roue, aboli d s le début de la Révolution. Beaucoup
d’enfants nés au printemps et à l’été 1791 porteront le prénom d’Ogé.
La révolte d’Ogé et Chavannes a divisé irréversiblement les Blancs et
les ul tres : plus de réconciliation possible. Les esclaves profitent de la
scission. Les Noirs et les ul tres se regroupent autour d’intér ts
communs. uel ues mois apr s, c’est la grande insurrection. lle
commence dans la nuit du 22 au 2 ao t 1791.
nviron trente mille esclaves se révoltent en m me temps Comment
une telle prouesse est-elle possible on ami oudou i ne, avec ui e
parlais de l’esclavage, me faisait remar uer u’à propos de l’homme noir
courait cette idée, au IIIe si cle, u’il était inférieur au point de ne
m me pas penser sa souffrance. t, ne pouvant pas penser sa souffrance, il
ne pouvait pas résister. onc, on a occulté les résistances. On a enfermé les
Noirs dans l’image de victimes, image d’infériorité, alors u’ils ont si
souvent été nombreu à résister, parfois bien isolés, tou ours réprimés.
L’insurrection de Saint- omingue montre comment l’aveuglement des
Blancs, la force de leurs pré ugés de couleur aideront l’esclave à se libérer.
La grande révolte ui a lieu dans la nuit du 22 au 2 ao t 1791 a été
organisée par les esclaves pendant des mois, tous les soirs ue ieu fit, à la
barbe des Blancs ui ne voient rien parce u’ils les consid rent comme des
meubles . ans leur esprit, ils ne peuvent pas tre porteurs d’idées
aussi, uand les Noirs se retrouvent la nuit, uand ils ouent du tam-tam et
dansent, les Blancs n’y voient ue l’e pression de leur nature sauvage et
pensent u’ils se défoulent . n fait, dans leurs rassemblements, les
esclaves imaginent la possibilité d’un nouvel ordre politi ue.
Les esclaves ont compris tr s vite ue les Blancs les consid rent
comme des ob ets, ne les voient m me pas. Ils se réfugient là o les Blancs
ne portent pas le regard : leurs dieu , leurs mythes, le vaudou. Ils organisent
la révolte sous leurs yeu vides, de telle mani re u’elle se diffuse en m me
temps dans toute l’ le. Il n’y a pas de téléphones portables, mais la musi ue
des tam-tams se charge de transmettre le signal.
L’insurrection des esclaves a été précédée d’un rassemblement
au milieu d’un terrain boisé, le Ca man. Cette cérémonie magico-religieuse
deviendra un mythe en a ti, futur nom de cette partie de Saint- omingue
ui est née, dit-on, de la nuit du Bois-Ca man.
Sous le regard de la pr tresse Cécile Fatiman, une ul tresse au
yeu verts et à la longue chevelure noire et soyeuse , tous s’asseyent en
formant un grand cercle. pr s un long silence de recueillement, l’un d’eu
retrace la conduite inhumaine de leurs ma tres envers eu , puis termine par
la relation du supplice du général Ogé.
Ils firent tous le serment de venger sa mort et de périr plut t ue de
retourner en esclavage, écrit Civi ue de astines. Ils ab ur rent ensuite la
religion de leurs ma tres et ils sacrifi rent à la mémoire d’Ogé un bélier
tout noir. Celui ui faisait les fonctions de sacrificateur, ayant e aminé les
intestins de la victime, déclara à l’assemblée ue les dieu leur seraient
constamment propices. Ils allaient se retirer, lors u’un oiseau de la
grosseur d’un pigeon tomba raide mort de la cime des arbres au milieu de
l’assemblée. Cet événement fut considéré par leur sacrificateur comme un
augure favorable, et leur pr tre l’ayant purifié, en remit une plume à
chacun, en leur assurant u’ils seraient invulnérables tant u’ils la
porteraient sur eu
u centre de cette cérémonie officie Bou man, le chef de la révolte.
Bou man signifie, en fri ue anglophone, l’ homme du Livre , le sage
ui conna t les Écritures. érard umesle, député à la Représentation
nationale, a rapporté une déclaration u’aurait faite Bou man au Bois-
Ca man :

on dié qui ait soleil qui clairé nous en aut


ui soulévé la mer qui ait grondé l orage
on dié la ot tendé cac é dans oun nuage
t la li gadé nous li vouai tout a lancs aits
on dié lancs mandé crime et part nous vlé ien te.
ais dié la qui si on ordonnin nous vengeance
Li va conduit ras nous la a nous assistance
etté potrait dié lancs qui soi dlo dans gié nous
Couté la li erté li palé c urs nous tous.

Ce ieu ui du soleil alluma le flambeau


ui soul ve les mers et fait gronder l’orage,
Ce ieu, n’en doute pas, caché dans un nuage,
Contemple ce pays, voit des Blancs les forfaits.
Leur culte engage au crime, et le n tre au bienfaits.
ais la bonté supr me ordonne la vengeance
t guidera nos bras, forts de son assistance.
Foulons au pieds l’idole avide de nos pleurs,
Puissante liberté viens parle à tous les c urs.

On ne sait pas grand-chose de ce personnage car il sera transpercé de


balles d s le début de l’insurrection, décapité, et sa t te promenée dans les
rues de la ville du Cap avec cet écriteau : te de Bou man, chef des
révoltés .
Contrairement à ce ue croiront les Blancs, ce n’est pas une révolte ui
commence, mais une guerre. es centaines d’habitations sont br lées d s la
premi re semaine. n uatre ours, le tiers de la plaine du Nord n’est plus
u’un tas de cendres. La réaction des Blancs est effroyable : décapitations et
fusillades se succ dent en permanence. ous les chemins du Nord sont
bordés de pi uets portant des t tes de N gres. Cette répression ne fait
u’augmenter le nombre des révoltés. n feu ue plus rien n’arr te
Bou man ayant disparu, les deu chefs de la révolte sont Jean-
Fran ois et Biassou, dont oussaint est l’aide de camp. C’est là u’appara t
donc officiellement oussaint-Louverture dans l’histoire de Saint-
omingue.
La révolte s’étend. Si, au départ, les rebelles avaient surtout des
pi ues, des b tons, des cercles en fer de tonneau , des couteau ,
les spagnols de l’autre partie de l’ le leur fournissent bient t fusils et
munitions. Il faut préciser ue l’ spagne oue la solidarité monarchi ue
contre la France devenue révolutionnaire cette révolte sert ses ob ectifs de
déstabilisation de la Républi ue.
n octobre 1791, uand la nouvelle de la rébellion arrive en France, il
est moins ue amais uestion d’abolir l’esclavage. Les insurgés eorges
Biassou, Jean-Fran ois et oussaint se battent victorieusement contre les
troupes fran aises amenées en renfort. On le surnomme désormais
oussaint-Louverture, et on l’él ve au grade de lieutenant général des
armées du roi d’ spagne.
partir du 20 avril 1792, la guerre des esclaves bénéficie des autres
guerres ue doit mener la France simultanément en urope utriche,
Prusse, spagne, ollande , et surtout lors ue l’ ngleterre, en février
179 , entre en lice. Les esclaves profitent de l’étranglement de la France.
Leur révolte s’étend encore.
n uel ues mois, toute la colonie est en état d’insurrection. lors le
pouvoir politi ue fran ais, ui vient de voter le décret d’égalité pour les
libres de couleur, espérant ainsi régner en divisant les forces, envoie des
commissaires civils pour le faire appli uer : Sonthona , Polverel et
ilhaud.
rrivés le 17 septembre 1792 avec si mille hommes, ils s’acharnent
pendant un an à faire appli uer cette loi d’égalité, seul moyen ui pourrait
renvoyer les esclaves à l’obéissance. C’est oublier la force des pré ugés
raciau des Blancs des colonies : pour eu , point d’égalité possible avec les
libres de couleur. uant au esclaves, ils n’ont rien à perdre et continuent
de se battre férocement. u mois de uin 179 , la colonie est ruinée par la
guerre civile. Le 20 uin, Sonthona fait une proposition radicale. Il offre la
liberté et la citoyenneté au esclaves ui acceptent de se battre pour la
Républi ue. es troupes campées au-dessus du Cap acceptent, et assurent la
victoire de Sonthona . i mille colons décampent avec femmes et enfants,
se réfugient à Cuba, à la Jama ue, puis au États- nis.
n mer, les nglais menacent les c tes à l’intérieur de l’ le, les
spagnols tiennent les fronti res. Il faut apaiser la situation et créer
d’urgence des troupes supplémentaires pour contenir les nglais.
Sonthona est dans une impasse. Pour sauver la colonie, il décide de
proclamer l’abolition générale de l’esclavage et demande le soutien de ces
nouveau citoyens républicains contre l’envahisseur royal anglais
Le 29 ao t 179 , Sonthona annonce la fin de l’esclavage dans la
colonie la plus importante de la France.
Le m me our, oussaint-Louverture, lieutenant général des armées du
roi d’ spagne, lance la proclamation o il se présente comme le leader
noir :
Fr res et amis, e suis oussaint-Louverture mon nom s’est peut-
tre fait conna tre us u’à vous. J’ai entrepris la vengeance de ma race. Je
veu ue la liberté et l’égalité r gnent à Saint- omingue. Je travaille à les
faire e ister. nisse -vous, fr res, et combatte avec moi pour la m me
cause. éracine avec moi l’arbre de l’esclavage.
Sonthona distribue des armes au e -esclaves émancipés. La
Républi ue vous a faits libres, leur dit-on, défende -la Si les nglais
gagnent, vous save ce ui vous attend C’est donc en hommes libres
u’ils vont s’acharner à défendre leur territoire durement con uis contre les
nglais et les spagnols ans la décision d’abolir l’esclavage, il y a
certainement une part de sincérité, mais aussi un choi politi ue et
stratégi ue. Sans le réservoir ue constituent les esclaves tout uste
affranchis, les nglais auraient pris le territoire.
Cette abolition, Sonthona n’a aucun droit, aucun mandat pour la
proclamer. ais, si elle est illégale, elle n’en est pas moins réelle. ifficile
maintenant de faire marche arri re.
Sonthona envoie à Paris trois députés pour représenter la nouvelle
population de Saint- omingue : un ul tre, ills un Noir né en fri ue,
Jean-Baptiste Belley et un Blanc, ufay. Ces trois députés sont
immédiatement etés en prison comme représentants d’une colonie rebelle.
Cependant, uatre ours plus tard, apr s un débat intense au sein de la
Convention, on les lib re.
Citoyens, votre comité des décrets a vérifié les pouvoirs des députés
de Saint- omingue à la représentation nationale, dit le rapporteur, le
février 1794, il les a trouvés en r gle. Je vous propose de les admettre au
sein de la Convention.
onc ils entrent à la Convention le 4 février 1794. Les trois députés
e pli uent ue les esclaves devenus citoyens et soldats ont sauvé Saint-
omingue, l’ont conservé à la France. La Convention abolit l’esclavage, le
vote se faisant sur le rapport de ufay et en présence de Belley, ui fait
grande impression.
La légalisation de l’abolition de l’esclavage persuade oussaint-
Louverture de rentrer dans la partie fran aise. Il veut transformer un droit
encore tr s formel en réalités. imé Césaire l’analyse dans son essai
oussaint Louverture la évolution ran aise et le pro l me colonial :
uand oussaint-Louverture apparut sur la sc ne histori ue, ce fut pour
prendre à la lettre la éclaration des droits de l’homme Il incarna et
particularisa les principes de la Révolution. Le droit était déclaré
abstraitement, il fallait le faire advenir au peuples histori ues, à tous les
peuples alors ue, de fait, les droits de l’homme se sont souvent rétrécis
à n’ tre ue ceu de l’homme européen . Chevauchant devant uatre
mille à cin mille hommes, il se rallie solennellement à la Républi ue
abolitionniste. Biassou et Jean-Fran ois sont restés du c té espagnol.
Le vieu oussaint, gé de cin uante ans, commence donc, sur le
tard, sa grande carri re militaire et politi ue. Il est promu par le irectoire
général de brigade, puis général d’armée, puis général en chef, enfin
gouverneur de l’ le.
Sonthona est envoyé pour une seconde mission à Saint- omingue,
cette fois pour réorganiser la colonie dans le cadre de la liberté générale. Il
assumera une codirection avec oussaint-Louverture. ais leurs ambitions
et leurs pro ets politi ues divergent. Sonthona con oit le territoire comme
une colonie fran aise alors ue oussaint-Louverture envisage une tr s
large autonomie et un pouvoir noir. Sonthona a beau représenter le pouvoir
politi ue, il se heurte en permanence au pouvoir réel, celui du général
oussaint-Louverture.
oussaint-Louverture, dans sa lutte contre les nglais et les spagnols,
fait preuve d’un génie stratégi ue incontestable assorti d’un sens politi ue
tr s aigu. insi a-t-il compris u’il fallait agir au plan intérieur.
Progressivement, il substitue à la caste dominante blanche une nouvelle
élite noire ui e ercera des pouvoirs et prendra les décisions politi ues. Il
distribue les plantations abandonnées par les colons à ses officiers, créant
ainsi une classe de propriétaires noirs ui prend en main l’économie de la
colonie. Il a une vision des richesses de l’ le et se place dans la perspective
de la prospérité économi ue de la plantation, moins l’esclavage. Cependant,
il sait ue la colonie est en ruine. Réaliste, il n’entend pas éliminer
radicalement l’ancienne élite blanche. ussi, dans la Constitution u’il
promulgue de sa propre autorité, en 1801, prévoit-il une amnistie pour les
colons blancs ui rentreront et leur garantit protection. Conscient u’il
incarne un nouveau pouvoir, le pouvoir noir, il en éprouve une immense
fierté, et en use de mani re modérée : travail restauré, bon ordre, colons
protégés, tran uillité, confiance en l’avenir
Sa Constitution s’appuie, ironie de l’histoire, sur l’article 91 de
Bonaparte ui prévoyait des lois spéciales pour enlever au colonies
leur égalité avec la métropole, se fondant sur la nature des choses, la
différence des climats, des m urs . ans la lettre u’il envoie à Bonaparte,
il lui dit en substance : Citoyen général, dans votre grande sagesse vous
ave prévu ue des lois spéciales pouvaient e ister pour les colonies, ui
sont tr s loin de la métropole nous avons fait des lois spéciales pour
Saint- omingue
partir de 1798, Sonthona étant rentré en France, oussaint
gouverne seul la colonie, débarrassé de tout pouvoir métropolitain en face
de lui. Il négocie un traité de commerce avec les États- nis et l’ ngleterre,
ce ui provo ue la fureur de Napoléon.
Il faut rappeler les rapports entretenus par oussaint avec la partie
espagnole, l’actuelle Républi ue dominicaine. Les colons blancs fran ais
avaient depuis longtemps des visées sur la partie espagnole. Ces deu
secteurs de la m me le avaient connu un développement totalement
différent. La partie fran aise comptait environ cin cent mille esclaves, la
plus forte concentration d’esclaves de toute l’ méri ue, et elle était le
premier producteur mondial de sucre. La partie espagnole comprenait
uarante mille esclaves, et pas de sucre. Les Fran ais se sentaient un peu à
l’étroit dans leur perle des ntilles, si bien ue uel ues idées
e pansionnistes avaient vu le our. Le c té espagnol, deu fois plus grand,
et ui ne produisait absolument rien, aurait bien fait leur affaire
Or l’ spagne, en guerre contre la Républi ue fran aise, est vaincue. Le
22 uillet 1795, elle signe le traité de B le, comportant parmi toutes sortes
de clauses la cession à la Républi ue fran aise de la partie espagnole de
Saint- omingue. nfin l’ le est totalement fran aise Sauf ue la France
n’appli ue pas le traité. Pour uoi Parce ue l’esclavage est aboli dans la
partie fran aise, mais pas dans la partie espagnole. nifier les deu parties
revient à appli uer l’abolition de l’esclavage dans toute l’ le
Le traité de B le comporte une autre clause par la uelle la France
s’engage à ne pas faire passer dans la one espagnole des troupes noires. Or
oussaint-Louverture n’a ue faire de cette restriction et franchit en 1801,
avec son armée, la fronti re espagnole, abolissant du m me coup
l’esclavage dans toute l’ le. Pour le Premier consul Bonaparte, c’est un coup
d’État Il estime ue oussaint-Louverture le trahit. Le 29 octobre, il prend
l’arr té suivant : La prise de possession de la partie espagnole faite par
oussaint est nulle et non avenue Puis il envoie son beau-fr re, le
capitaine en chef Leclerc, rétablir l’esclavage à Saint- omingue, briser la
Constitution de oussaint-Louverture et faire évacuer la partie espagnole.
cette occasion, il adresse à oussaint-Louverture une longue lettre,
le 18 novembre 1801, véritable trésor de sournoiserie : Nous nous
plaisons à reconna tre et à proclamer les grands services ue vous ave
rendus au peuple fran ais. Si son pavillon flotte sur Saint- omingue, c’est à
vous et au braves Noirs u’il le doit. Noirs u’il s’appr te à remettre en
esclavage
Leclerc part pour cette nouvelle guerre avec vingt-trois mille hommes
de troupe. ébar uée sur l’ le le 1er février, son e pédition entre au Cap le
5 février. La ville est de nouveau à feu et à sang. oussaint-Louverture
proclame : Si les Blancs d’ urope viennent en ennemis, mette le feu au
villes o vous ne pourre leur résister et ete -vous dans les mornes.
Suivant ses ordres, un de ses générau , Christophe, a incendié le Cap un
autre, essalines, la ville de Saint- arc. Il a m me donné l’e emple en
incendiant sa propre maison.
Leclerc se trouve rapidement ma tre des chefs-lieu et de leurs ruines,
du nord à l’ouest, mais n’en continue pas moins à se heurter à la guérilla des
troupes noires de oussaint-Louverture, des troupes mul tres et des N gres
marrons, tous unis contre cette nouvelle invasion ui veut les priver à
nouveau de leur liberté.
pr s deu mois de guerre, Leclerc a perdu dou e mille hommes
ussi accepte-t-il la proposition de pai . Les adversaires négocient et se
mettent d’accord : Liberté inviolable à tous les citoyens de Saint-
omingue, maintien dans leur grade et leur fonction de tous les officiers
civils et militaires indig nes. oussaint gardant son état-ma or et se retirant
o il voudra sur le territoire de la colonie.
rreur de Leclerc Par ure en tout cas. algré la promesse du
capitaine en chef, le 7 uin 1802, oussaint-Louverture est arr té par
tra trise et conduit immédiatement sur un bateau, Le éros. C’est là ue,
s’adressant au chef de division, il dit ces mots cél bres : n me
renversant, on n’a abattu à Saint- omingue ue le tronc de l’arbre de la
liberté des Noirs il poussera par les racines, parce u’elles sont profondes
et nombreuses.
rrivé en France, il est enfermé au fort de Jou , dans les montagnes du
Jura. s le lendemain, il est destitué de tous ses grades. Il n’est plus, pour
la France, ue le N gre oussaint.
Il passe tout l’hiver en prison, dans une cellule compl tement isolée
dont on a muré la seule ouverture au deu tiers. Reste uste une petite
bande de lumi re. Les seules personnes ui le visitent ont ordre de
Bonaparte de le traiter avec le plus grand mépris . Il voit un médecin, le
gouverneur de la prison, son gardien, et trois ou uatre fois le général
Cafarelli, envoyé par Bonaparte, non pour négocier, mais pour savoir o est
caché le supposé trésor de oussaint-Louverture u’il aurait enterré
sous son habitation d’ nnery pur mythe.
Il meurt, d’une atta ue d’apople ie, le 7 avril 180 .

On trouvera, dans les plis d’un mouchoir ui recouvrait sa t te, un


papier manuscrit en créole. n cri du c ur contre l’inacceptable in ustice
ui lui a été faite :
’arr ter arbitrairement, sans m’écouter, sans me dire pour uoi,
s’emparer de tous mes biens, piller toute ma famille, saisir mes papiers, les
garder, m’embar uer sur un navire, m’envoyer nu comme un ver de terre,
répandre les mensonges les plus calomnieu à mon égard, et apr s tout cela,
me précipiter dans les profondeurs d’un cachot : n’est-ce pas comme couper
la ambe de uel u’un et lui dire : arche , n’est-ce pas comme couper sa
langue et lui dire : Parle , n’est-ce pas enterrer un homme vivant
ais est-il vraiment mort es oussaint-Louverture, on en
retrouvera tout au long de l’histoire du monde, parce ue la ustice ne se
donne amais, elle se gagne.
e i rate r d a ti

n c u in
20 septembre 1758 - 17 octobre 1806

n uillet 1802, à peine un mois apr s la déportation de oussaint-


Louverture en France au fort de Jou , le général Richepanse, au pri d’une
tuerie de di mille personnes, rétablit l’esclavage à la uadeloupe.
Saint- omingue apprend vite la nouvelle. La uadeloupe n’est u’à
uel ues ournées de bateau. n coup de tonnerre éclate dans une colonie
pres ue pacifiée.
oussaint-Louverture étant mis hors combat, certains sont prompts à
penser u’on en a enfin terminé avec la révolution à Saint- omingue. Les
colons fran ais restés dans l’ le s’en donnent à c ur oie et m nent une
répression brutale, atroce, organisée con ointement avec les troupes du
général Leclerc. On confis ue au cultivateurs noirs les armes ue
oussaint-Louverture et Sonthona leur avaient distribuées. ous se
souviennent des mots prononcés par oussaint-Louverture à cette occasion :
oici votre liberté. Celui ui vous enl vera ce fusil voudra vous rendre
esclave. Personne n’a oublié comment, lors des revues, il se saisissait
d’un fusil et s’écriait : oilà notre liberté
Ceu ui s’y refusent prennent le ma uis dans les mornes, ces anciens
volcans. Les e écutions se multiplient.
Étrangement, si pour la population de Noirs l’annonce du
rétablissement de l’esclavage est une catastrophe, elle l’est aussi pour le
général Leclerc ui ressent cette mesure comme une gaffe monumentale. Le
plan avait été tenu secret, pour uoi l’avoir dévoilé La lettre du 6 ao t de
Leclerc au Premier consul est un document étonnant :
Je vous avais prié de ne rien faire ui p t les faire craindre pour leur
liberté us u’au moment o e serais en mesure, et e marchais à grands pas
vers le moment. Soudain est arrivée ici la loi ui autorise la traite des
colonies avec des lettres de commerce de Nantes et du avre ui
demandent si on peut placer ici des Noirs. Plus ue tout cela, le général
Richepanse vient de rétablir l’esclavage à la uadeloupe. présent ue nos
plans sur les colonies sont par aitement connus, si vous voule conserver
Saint- omingue, envoye -y une nouvelle armée. uel ue désagréable ue
soit ma position, e ais des e emples terri les, et puis u’il ne me reste plus
ue la terreur e l emploie. l’ le de la ortue, sur uatre cent cin uante
révoltés en ai ait pendre soi ante
ans les montagnes, des troupes composées en grande ma orité
d’esclaves récemment débar ués d’ fri ue, et dirigées par eu , résistent
sans rel che. ne bonne part de ces hommes avaient été guerriers en
fri ue et utilisaient des techni ues de guerre du continent.
ais, de plus en plus, tous ceu ui se sentent menacés par le
rétablissement de l’esclavage font bloc. Les cultivateurs noirs uittent leurs
champs pour les bois et les mornes, préparant une guerre d’embuscade.
L’esprit de résistance se généralise. Leclerc pense maintenant recourir à une
guerre d’e termination et détruire une grande partie des cultivateurs ,
mais cha ue our ses troupes, composées entre autres de recrues insulaires,
désertent et re oignent les insurgés. La guérilla est conduite par des petits
groupes de combattants désespérés, mais mobiles et fle ibles. Face à ces
échauffourées, à ces actions de harc lement, une armée réguli re n’a aucune
chance de gagner.
L’ignoble général Rochambeau, fils du cél bre vain ueur, avec
Lafayette, de la guerre d’ méri ue, aide Leclerc dans sa t che
d’e termination en lui envoyant de Cuba des chiens spécialement dressés à
bouffer du N gre .
Je vous envoie, mon cher commandant, lui écrit-il, un détachement
de cent cin uante hommes de la garde nationale du Cap, commandés par .
Bari, il est suivi de vingt-huit chiens bouledogues. Ces renforts vous
mettront à m me de terminer enti rement vos opérations. Je ne dois pas
vous laisser ignorer u’il ne vous sera passé en compte aucune ration, ni
dépense pour la nourriture de ces chiens.
ous deve leur donner des N gres à manger.
Je vous salue affectueusement.
ais le N gre tient bon. Leclerc s’affole. C’est maintenant di
mille hommes u’il réclame à Bonaparte. uand ses hommes ne
succombent pas dans une embuscade, ils désertent ou meurent de la fi vre
aune. Leclerc en est lui-m me victime, le 2 novembre 1802 u’importe,
Rochambeau lui succ de avec plus de vigueur encore.
La seconde partie de la guerre de Saint- omingue commence. Cette
fois, toutes les forces mul tres et noires ointes au N gres marrons se
rallient sous le commandement de Jean-Jac ues essalines, ui a succédé à
oussaint-Louverture.
essalines est un ancien esclave né à Saint- omingue, pas loin du
Cap. Il a connu une enfance rebelle, fuguant si souvent ue son corps est
couvert de cicatrices. ictor Schoelcher raconte u’il criait avec fureur :
ant ue ces mar ues para tront sur ma chair, e ferai la guerre à tous les
Blancs es Blancs, il refusera tout en bloc, affectant m me de ne parler
ue le créole.
Il suit le m me parcours ue le vieu oussaint-Louverture, avec
uin e ans de moins. n 1791, il se oint au insurgés au c tés de
Bou man, puis entre dans une des bandes d’esclaves révoltés ui gagnent le
c té espagnol de l’ le, o il obtient le grade d’officier supérieur. Il ne
revient en France retrouver oussaint-Louverture u’une fois l’esclavage
aboli en 1794. Il se rév le éblouissant de feu et d’intrépidité dans la
guerre contre les nglais, à tel point ue oussaint-Louverture doit plus
d’une fois le rappeler à l’ordre : J’ai dit d’émonder l’arbre, non de le
déraciner
n octobre 180 , avec vingt mille hommes, il met le si ge devant Port-
au-Prince. La ville tombe et son commandement se réfugie au Cap o il
re oint le reste de l’e pédition dirigée par le général Rochambeau.
Le Cap est hérissé de forts avancés. Rochambeau est persuadé ue les
troupes de essalines n’oseront amais s’y atta uer. ais c’est compter
sans le général Capoi , dont ictor Schoelcher nous donne une vision à la
fois lyri ue et terrible : Ce N gre, surnommé Capoi la ort, marche
avec une demi-brigade ui recule, horriblement mutilée par le feu du fort. Il
la ram ne la mitraille le renverse encore au pied de la colline. Bouillant de
col re, il va chercher de nouvelles troupes, monte à cheval, et pour la
troisi me fois s’élance mais tou ours les mille morts ue vomissait la
forteresse le repoussent, lui et ses brigades. Jamais soldats n’eurent, plus
ue les siens, le mépris du trépas, ils sont embrasés d’une ardeur
homéri ue. Il lui suffit de uel ues mots pour les entra ner une uatri me
fois. n avant n avant n boulet tue son cheval, il tombe mais bient t,
dégagé des cadavres abattus autour de lui, il court se replacer à la t te des
Noirs. n avant n avant Son chapeau garni de plumes est enlevé par la
mitraille. Il répond à l’insulte ui lui met chapeau bas en tendant son sabre
comme s’il montrait le poing, et se ette à l’assaut
pr s huit ours de si ge et une défense acharnée, Rochambeau, dont
les troupes sont minées par la fi vre aune et la famine, capitule. Laissé
libre, il s’embar ue pour la France. Parfois, il y a une ustice : en chemin il
est capturé par la marine anglaise ui le ette dans ses ge les o il croupit
pendant plus de huit années
Le 1er anvier 1804, essalines proclame l’indépendance et annonce
ue le nouvel État s’appellera yiti, le nom amérindien d’ a ti, restituant
l’ le à ses origines et rendant hommage à une population autochtone
indienne uasi e terminée d s l’arrivée des Blancs.
Le nouveau drapeau est bleu et rouge : l’histoire veut ue, un an avant,
le 18 mai 180 , essalines ait arraché d’un geste rageur la bande blanche
du drapeau fran ais, puis ait tendu les deu parties restantes à Catherine
Flon, ui les aurait cousues avec ses longs cheveu en guise de fil Il aurait
ensuite opté, en 1804, pour un bleu plus foncé. n tout cas, le 18 mai est,
d s lors, la f te du rapeau

Le pays sera reconnu par la France en 1825 à condition de payer une


indemnité de cent cin uante millions de francs-or plus de vingt et un
milliards de dollars actuels et de réduire de 50 ses frais de douane n
véritable acte de piraterie.
Cette dette a oute au difficultés d’un pays confronté à une impasse
économi ue et à des conflits internes ui perdurent. Le r ve politi ue de
essalines, d’une nation libre et autonome, reste inaccompli.
a o te e d aradi erd

i i t
175 - 5 décembre 1784

oute eune encore par un sort


cruel
e us arracée drique
er ceau ortuné.
uels tourments quelles
douleurs
Ne durent décir er le cur
de mes parents
uelle me de er avait celui
qui un pr e ta son éé ien
aimé
el ut mon maleur .
ussi ne puis e que prier
ue amais dautr es ne ressentent
cette t rannie.

Phillis heatley ,
oems on arious uects
eligious and oral

l’école, e me souviens d’avoir appris des po mes de ictor ugo,


de Lamartine, de Baudelaire, amais d’hommes noirs et encore moins de
femmes. Je n’imaginais m me pas u’il puisse e ister une poétesse noire
mes professeurs non plus, sans doute. t pourtant, dans l’ méri ue de la fin
du IIIe si cle, a vécu une grande poétesse nommée Phillis heatley.
lle est née en 175 , au Sénégal, cette fillette dont on ignore tou ours
le véritable nom, u’elle oublia sans doute elle-m me à force de l’avoir tu.
Son p re le lui avait murmuré tout bas à l’oreille, à sa naissance, car elle
devait tre la premi re à l’entendre. Puis, comme un personnage de acines
d’ le aley, ce p re a d lui montrer le ciel et lui dire : Regarde Cela
seul est plus grand ue toi
Je ne sais rien de ses premi res années, mais e l’imagine portée sur le
dos de sa m re ui travaille au champs, us u’à ce u’elle tienne sur ses
ambes. t puis e la vois marcher, ouer, apprendre la tradition comme
toutes les petites filles du village, us u’au our de ses sept ans o elle est
idnappée dans une ra ia.
Ra ia , idnappée , il faut comprendre ce ue cela signifie.
C’est, en pleine nuit, le village en flammes, les négriers blancs ou noirs
bardés d’armes, tuant ceu ui résistent ou les trop faibles ui ne
supporteront pas le voyage : vieillards, impotents, nouveau-nés. C’est un
cort ge de femmes, d’hommes et d’enfants terrifiés, reliés les uns au
autres par des lani res de cuir, conduits à coups de fouet us u’à un grand
bateau o , tremblants, ils attendent d’ tre dévorés car, disent les
anciens, on les emm ne dans un pays o on les vend à d’énormes
cannibales.
La petite fille est conduite en méri ue et débar uée à Boston,
capitale du assachusetts. Là, elle est mise au ench res. Le crieur fait son
annonce : Sept ans Pr te à tre dressée Fera une fameuse poulini re
énudée, elle est palpée par les mains des acheteurs. n riche négociant
l’ac uiert. Il la prénomme Phillis, du nom du bateau ui l’a transportée. t,
comme c’était l’usage au États- nis, il lui donne son nom : heatley.
. John heatley ne man ue pas d’esclaves, mais il a promis à sa
femme Susannah une eune domesti ue pour la servir et, il esp re, la
distraire. ne rien faire, les femmes de planteurs et de commer ants se
mouraient d’ennui.
Or, chose étrange, incroyable : la gamine, au lieu de se recro ueviller
dans son chagrin, s’anime, s’éveille et pétille. lle est si vive et si curieuse
de tout ue ary, la belle-s ur de . heatley, se pi ue au eu. lle lui
enseigne la Bible, des rudiments de latin et de grec. lle lui pr te des livres
d’histoire, de géographie, d’astronomie et les uvres des po tes anti ues :
orace, irgile, Ovide, om re.
Phillis, entre deu t ches domesti ues, s’impr gne de ces
connaissances et dépasse rapidement en culture les enfants des planteurs.
s l’ ge de trei e ans, elle compose de olis po mes. Flattés, ses
ma tres l’e hibent en société. Évidemment, ces po mes ne sont pas encore
d’une grande originalité, mais u’ils e istent tient dé à du miracle. Peut-on
imaginer ue ictor ugo, notre génie national, pris dans une ra ia à l’ ge
de sept ans puis réduit en esclavage dans un lointain pays, aurait composé,
dans une langue u’il ne ma trisait pas, de plus beau po mes au m me
ge
La eune esclave se passionne pour la littérature de son temps. Nous
savons u’elle apprécie particuli rement Le aradis perdu, de John ilton
titre pour elle combien symboli ue. Puis tout bascule. n 1772, Phillis
tente de publier un recueil de trente-neuf pi ces intitulé modestement :
o mes sur des su ets variés religieu et morau . u’une esclave prétende
à tre publiée est en soi inadmissible ais ue ses po mes soient en plus
d’une profondeur et d’une intelligence rares est proprement insupportable.
n Noir ne peut écrire uel ue chose d’aussi beau. Il y a supercherie. Nul
doute u’un mauvais plaisant lui a dicté ces vers.
Phillis est convo uée devant un tribunal d’e perts. Imagine -la toute
droite sur sa chaise, confrontée à di -huit e aminateurs emperru ués. On lui
demande des informations sur les dieu grecs, sur les personnages de la
Bible. On la soumet au supplice de la dictée, des con ugaisons grec ues et
latines. On lui demande de traduire des te tes de irgile, de réciter de t te
des passages du aradis perdu et m me ses propres po mes
La eune Phillis tient bon devant ses uges. C’est ainsi ue, apr s avoir
recueilli les témoignages de son ma tre, du gouverneur, du lieutenant
gouverneur et de uin e autres notables, les uges certifient ue la petite
esclave n gre est bien l’auteur de ses te tes .
Phillis heatley, au terme de cet incroyable proc s littéraire, devient
légalement la premi re poétesse noire de l’histoire de la littérature
pour les Occidentau Je le précise parce ue l’histoire des Noirs
commence, pour une grande ma orité de nos contemporains, à l’esclavage.
Nul doute u’il y eut des milliers de poétesses noires avant Phillis
heatley, depuis la plus lointaine nti uité, ui compos rent dans leur
patrie, sur leur propre terre, dans leur propre langue, de merveilleu
po mes.
Publiés à Londres, les te tes de Phillis heatley attirent l’attention des
lettrés et la cause abolitionniste s’en empare. L’abbé de Feller écrit, l’année
de leur parution, dans son ournal istorique et littéraire, ue ces poésies
sont remar uables par la ualité de leur auteur, et par l’argument u’elles
forment contre des philosophes e travagants, ui ont prétendu placer les
N gres dans la classe des brutes, et en faire une esp ce différente de la
n tre .
nvoyée en ngleterre, elle sub ugue par sa personnalité la ig
societ londonienne. Le roi eorge III en personne demande u’elle lui soit
présentée
J’aurais aimé achever là-dessus le récit de la vie de Phillis heatley.
C’e t été un peu comme un conte de fées, on y aurait vu un semblant de
ustice. ais il me faut continuer. u moment o Phillis va tre présentée
au roi eorge III, elle apprend ue sa ma tresse est gravement malade.
Sommée de revenir en toute h te, elle se rend au chevet de me heatley
ui meurt aussit t.
rois mois plus tard, apr s l’avoir affranchie, . heatley dispara t à
son tour. Il ne reste plus à Phillis u’à uitter cette maison o elle n’avait
été finalement u’un meuble parmi d’autres. Phillis est libre ais à uoi
bon La liberté lui arrive trop tard et, d’ailleurs, comment en profiterait-
elle, ne possédant aucun bien
u travail, elle va en trouver, mais le pire du pire, puis ue tel est le lot
réservé au Noirs.

On sait peu de chose sur ses derni res années, sinon u’en avril 1778
elle se marie avec un affranchi, John Peters, homme à tout faire. On sait
aussi u’elle en a trois enfants. Pauvreté, e clusion On sait enfin u’elle
continue à écrire, à tenir une correspondance.
J’aurais voulu citer uel ues-unes de ses lettres, et d’autres po mes,
mais à ce our son uvre n’a tou ours pas fait l’ob et d’une grande réédition
ni été traduite. uel dommage Ne pense -vous pas ue des enfants ui
apprendraient en classe de fran ais des po mes de Phillis heatley ou
d’autres po tes noirs sortiraient de l’école avec moins de pré ugés
e erment de anc tre

ui u ui on t i r
10 anvier 1760 - 22 avril 18 2

. Pierre uillon, procureur du roi à la uadeloupe, est un homme de


son temps. Il ne reconna t pas l’enfant u’il a con u avec une esclave du
nom de arie-Fran oise, car un tel geste contreviendrait au Code noir. Il ne
lui donne pas son nom, mais l’appelle Letiers , c’est-à-dire le
troisi me , parce ue c’est le troisi me enfant u’il a de cette esclave. On
pourrait dire d’un homme ui donne un numéro de série à son enfant u’il
est un monstre, mais le cas est plus compli ué u’il ne para t. n cette
f cheuse épo ue, . uillon est pres ue un saint. Il s’occupe de son
numéro comme d’un fils légitime. Il lui fait donner une e cellente
éducation et, puis ue l’enfant montre de réelles dispositions pour le dessin
et la peinture, il l’envoie en France, en 1774, poursuivre des études d’art.
ntré à l’école des beau -arts de Rouen, Letiers modifie
progressivement l’humiliante connotation de son nom en l’écrivant
Lethi re , et se consacre à sa passion. Bien u’en butte à la
discrimination raciale, il s’accroche et continue son apprentissage che
oyen, peintre du roi. Les pré ugés sont tellement puissants à l’épo ue
u’entre le IIe si cle et la fin du IIIe la couleur noire subit une
éclipse. ichel Pastoureau, historien des couleurs, raconte ue le noir
dispara t de l’habillement, de l’ameublement, de la peinture, des thé tres, o
il est réputé porter malheur, comme le vert les deuils se font en violet les
cochons, us ue-là ma oritairement noirs, deviennent roses par croisements
volontaires en héraldi ue, la couleur noire, ui occupait 27 des
armoiries au oyen ge, passe à 20 au IIe si cle pour chuter à 14
au IIIe si cle
Lethi re se montre si doué u’il gagne un sé our à l’ cadémie de
France de Rome, dans le fameu palais ancini. C’est un honneur rare et
n’y entre pas ui veut : pour preuve, Jac ues-Louis avid, futur premier
peintre de l’ mpereur, tente de se suicider apr s son deu i me échec.
Certains s’y reprennent à sept fois avant de réussir.
eu i me du rand Pri de Rome en 1784, Lethi re est donc accepté
comme pensionnaire officiel pendant uatre ans. Inspiré par les ruines du
forum et du Capitole, il trace les premi res es uisses de son rutus
sacri iant ses en ants sa patrie et autres su ets histori ues. Sa carri re
évolue, de plus en plus prestigieuse : il est directeur de l’ cadémie de
Rome pendant di ans, membre de l’ cadémie des beau -arts, professeur à
l’École des beau -arts en 1819.
Pourtant, Lethi re est insatisfait. Il tra ue le chef-d’ uvre de sa vie,
l’ uvre définitive. Jus u’au our o il se rend compte ue ce grand su et ui
l’obs de, il l’a tout simplement inscrit dans la peau. lors Lethi re ose le
noir
Prudemment, il n’avait amais dans son uvre évo ué ses origines,
avait fait oublier sa couleur . n 1822, dans les derni res années de sa
vie, il se met à peindre le tableau ui l’inscrira dans l’ istoire : Le erment
des anc tres. Cette grande toile centim tres 225 centim tres
représente de mani re allégori ue la réconciliation, en novembre 1802, du
chef des ul tres de Saint- omingue, le andre Pétion, et du général noir
Jean-Jac ues essalines, lieutenant de oussaint-Louverture et chef des
troupes noires, dont l’union rendit irréversible la défaite fran aise et affirma
l’indépendance d’ a ti.
n 1822, en France, les partisans de l’indépendance d’ a ti sont tr s
peu nombreu . Soit on ne dit rien, soit on est dans le camp de ceu ui
veulent recon uérir l’ le. L’abbé régoire, dans une lettre à l’un de ses
correspondants américains, dit à ce propos : a ti libre est un phare ui
éclaire la mer des Cara bes. L’effroi des oppresseurs, l’espoir des
opprimés.
Pour la premi re fois de sa vie, Lethi re a oute à sa signature cette
mention revendicatrice :
né à la uadeloupe. n 1760 .
Ce tableau, redécouvert tr s ab mé dans la cathédrale de Port-au-Prince
en a ti, a été restauré au Louvre pour retourner au peuple ha tien au uel le
peintre l’avait offert. On peut le voir au ourd’hui au Palais national.
« n oing rgit i ca a e ro i ard »

o ui r o itud
2 ao t 1766 - 28 mai 1802 1772 - 19 novembre 1802

La résistance à l’oppression
est un droit naturel.

Louis elgrs

Le 10 mai 1802, Louis elgr s fait afficher une proclamation sur les
arbres et les murs des bourgs de Basse- erre en uadeloupe. Plus u’un
tract ou un appel à la résistance contre les troupes consulaires du général
Richepanse envoyées par Bonaparte, c’est une déclaration des droits
universels et un appel à l’égalité des races.

L N N L N C L NN C NC
.
C est dans les plus eau ours d un si cle amais cél re par le
triomp e des Lumi res et de la p ilosop ie qu une classe d in ortunés
qu on veut anéantir se voit o ligée d élever sa voi vers la postérité pour
lui aire conna tre lorsqu elle aura disparu son innocence et ses
mal eurs
Ce cri de révolte fait suite à la tragédie du rétablissement de
l’esclavage sur l’ le de la uadeloupe. pr s l’abolition de 1794, la liberté
aura été de courte durée. uit ans plus tard, le 17 mai 1802, Bonaparte
décide de rétablir l’esclavage afin de restaurer l’économie sucri re. On
doit désarmer tous les N gres, de uel ue parti u’ils soient, et les remettre
à la culture , a-t-il déclaré si mois auparavant en octobre 1801. t toi,
féroce fricain, ui triomphes un instant sur les tombeau de tes ma tres
ue tu as égorgés en l che, s’e clame un certain Baudry eslo i res,
contemporain de Napoléon, rentre dans le néant politi ue au uel la nature
elle-m me t’a destiné. on orgueil atroce n’annonce ue trop ue la
servitude est ton lot. Rentre dans le devoir et compte sur la générosité de tes
ma tres. Ils sont blancs et fran ais.
ans le cadre d’une guerre contre l’ ngleterre, l’économie fran aise
ne peut se passer du commerce colonial, ui nécessite un contr le
stratégi ue et économi ue. Le Code noir doit tre rétabli. Bonaparte désigne
pour cette t che un homme de caract re, ou plut t un caractériel, le contre-
amiral Lacrosse. Celui-ci, à peine arrivé sur l’ le en mai 1801, non
seulement fait arr ter et déporter plusieurs officiers de couleur reconnus
pour leur valeur, mais l ve un lourd imp t sur le uel il se sert grassement.
la mort du général Béthencourt, le poste de commandant en chef de l’ le
doit revenir au colonel Pélage. Ce dernier est mul tre, aussi Lacrosse
s’oppose-t-il à sa nomination. t il continue à déporter. Frénéti uement. u
point de déclencher une révolte des soldats u’il réprime aussit t dans le
sang. ais, lors u’il tente de faire arr ter l’un des officiers les plus
populaires de l’ le, Joseph Ignace, c’en est trop. Cette fois, la population
tout enti re s’en m le, se révolte et le ette en prison.
Les citoyens guadeloupéens n’ont plus u’à attendre ue Bonaparte
leur envoie un nouveau gouverneur, en espérant u’il se rév le un meilleur
républicain. Ils créent un Conseil provisoire de gouvernement sous le
commandement de agloire Pélage, assisté de deu Blancs et d’un
ul tre. Pélage n’a rien d’un oussaint-Louverture. Légaliste dans l’ me, il
n’en finit pas de proclamer sa fidélité à la France et à Bonaparte, ce ui ne
l’aide pas à faire l’unanimité dans la population. Sans Pélage, le cours de
l’histoire des ntilles aurait été changé. ais Pélage est un l che, ui
louvoie en attendant d’ tre bient t un Judas et un bourreau
Cependant, il prend une heureuse initiative en nommant son camarade
Louis elgr s chef de la place de Basse- erre. On ne pouvait trouver
citoyen plus valeureu et aguerri.
Louis elgr s est le fils d’un planteur blanc de la artini ue et d’une
ul tresse. Né à Saint-Pierre en artini ue, il est un enfant des les sans
tre guadeloupéen. Il est libre de couleur . di -sept ans, il est nommé
sergent. n 1791, apr s la prise du pouvoir par les royalistes en artini ue,
il s’e ile en omini ue, à mi-chemin de la uadeloupe et de la artini ue.
n décembre 1792, il re oint les rangs des républicains. n 1794, il est
officier du bataillon des ntilles. n 1795, il participe à la bataille ui
reprend Sainte-Lucie au nglais. ri vement blessé lors de cette
campagne, il est nommé capitaine en récompense de son attitude
valeureuse. t Louis elgr s encha ne les combats au service de la
Républi ue
e son c té, Bonaparte, apprenant la situation de la uadeloupe et
l’e il forcé de Lacrosse, ignore les proclamations de fidélité du colonel
Pélage. Pour lui, cet épisode est une mutinerie pure et simple. Le 25 mars
1802, la France signe la pai d’ miens avec l’ ngleterre. La période
d’accalmie ui en résulte permet à Bonaparte de lancer contre l’ le une
e pédition punitive dont il confie le commandement au général ntoine
Richepanse, avec pour mission finale le rétablissement de l’esclavage.
Le général Richepanse s’embar ue avec uatre mille hommes voguant
sur di frégates. Le 4 mai 1802, il rentre à Pointe-à-Pitre, acclamé par une
partie de la population na vement persuadée des bonnes intentions de la
France. ais les troupes, indifférentes à cet accueil, prennent position au
endroits stratégi ues de l’ le. Puis, sans autre e plication, les fiers soldats
des troupes coloniales sont sommés de déposer les armes. Ceu ui
obtemp rent sont aussit t encha nés à fond de cale. Le colonel Pélage se
soumet à l’autorité sans coup férir. n échange, il est laissé en liberté.
e leur c té, Louis elgr s et Joseph Ignace désertent et tentent
d’organiser la résistance. n mai, elgr s publie cette tr s belle
proclamation, dite proclamation du 10 mai 1802 . L’officier onnereau,
ui collabore à sa rédaction, paiera de son sang cet acte de bravoure.

uels sont les coups d autorité dont on nous menace eut on diriger
contre nous les a onnettes de ces raves militaires dont nous aimions
calculer le moment de l arrivée et qui nagu re ne les dirigeaient que contre
les ennemis de la épu lique plut t si nous en cro ons les coups
d autorité dé rappés au ort de la Li erté le s st me d une mort lente
dans les cac ots continue tre suivi. ien nous c oisissons de mourir
plus promptement. sons le dire les ma imes de la t rannie la plus atroce
sont surpassées au ourd ui. Nos anciens t rans permettaient un ma tre
d a ranc ir son esclave et tout nous annonce que dans le si cle de la
p ilosop ie il e iste des ommes mal eureusement trop puissants par leur
éloignement de l autorité dont ils émanent qui ne veulent voir d ommes
noirs ou tirant leur origine de cette couleur que dans les ers de
l esclavage. t vous remier consul de la épu lique vous guerrier
p ilosop e de qui nous attendions la ustice qui nous était due pourquoi
aut il que nous a ons déplorer notre éloignement du o er d o partent
les conceptions su limes que vous nous ave si souvent ait admirer
sans doute un our vous conna tre notre innocence mais il ne sera plus
temps et des pervers auront dé pro ité des calomnies qu ils ont
prodiguées contre nous pour consommer notre ruine.
Cito ens de la uadeloupe vous dont la di érence de l épiderme est
un titre su isant pour ne point craindre les vengeances dont on nous
menace moins qu on ne veuille vous aire un crime de n avoir pas dirigé
vos armes contre nous vous ave entendu les moti s qui ont e cité notre
indignation. La résistance l oppression est un droit naturel. La divinité
m me ne peut tre o ensée que nous dé endions notre cause elle est celle
de la ustice et de l umanité nous ne la souillerons pas par l om re m me
du crime. ui nous sommes résolus nous tenir sur une uste dé ensive
mais nous ne deviendrons amais les agresseurs. our vous reste dans vos
o ers ne craigne rien de notre part. Nous vous urons solennellement de
respecter vos emmes vos en ants vos propriétés et d emplo er tous nos
mo ens les aire respecter par tous.
t toi postérité accorde une larme nos mal eurs et nous mourrons
satis aits.
Le colonel d in anterie commandant en c e de la orce rmée de
asse erre
Louis elgr s.

Les propos tenus dans cette proclamation se répandent comme une


tra née de poudre. ussit t des centaines d’hommes, de femmes,
d’adolescents accourent re oindre les troupes de elgr s. Car la vie a
changé pour eu depuis huit ans, depuis ue l’esclavage a été aboli. me
s’il reste bien des progr s à faire, ils se sont forgé une nouvelle vie. Certains
sont devenus instituteurs, artisans, commer ants. t voilà u’on veut les
encha ner de nouveau dans les plantations, au ordres de ma tres blancs
n refaire des b tes de somme
imé Césaire évo ue dans un po me émouvant, émorial de Louis
elgr s , les prémices de cette révolte :

n rouillard monta
Le m me qui depuis tou ours m o s de
issu de ruits de errements de c a nes sans cle s
éra lures de gri es
un clapotis de crac ats

n rouillard se durcit et un poing surgit


ui cassa le rouillard
Le poing qui tou ours m o s de

La tragédie dure di -huit longues ournées.


Le soir m me de la déclaration du 10 mai, si cents soldats de
Richepanse sont repoussés au site du morne Soldat, à rois-Rivi res. uatre
ours plus tard, le 14 mai 1802, Richepanse lance le si ge du fort Saint-
Charles o elgr s et ses troupes se sont retranchés.
Il ne reste plus ue uator e ours avant le dénouement. Les combats
font rage. Pélage, le chien colonialiste , comme l’écrit imé Césaire,
conduit les assauts contre elgr s, son ancien compagnon d’armes.
e nombreuses femmes participent à cette résistance : arthe-Rose, la
propre épouse de elgr s, et parmi tant d’autres la ul tresse Solitude. lle
est là, pistolet à la main. Son compagnon est à c té d’elle, un N gre marron
lui aussi, dont elle porte l’enfant dans son ventre depuis uatre mois.
Il faut mesurer le r le des femmes dans ces luttes contre le statut
d’esclave et leur rendre hommage. Les conditions de vie faites au esclaves
pla aient les femmes dans une position charni re. ue ce soit au ntilles
ou au États- nis, elles ont oué un r le tr s important dans les luttes.
insi, à a ti, la combattante éfilée la Folle m ne au cimeti re le
corps assassiné de essalines à la Jama ue, en 177 , Nanny conduit les
fugitifs contre les nglais au États- nis, arriet ubman et de
nombreuses autres femmes participent au combat. Il suffit de regarder
uel ues mois en arri re et de se souvenir des grandes gr ves de 2009, à la
uadeloupe. La parité y était respectée
Solitude fait partie de ces femmes ui ont mar ué l’ istoire. La
proclamation en 1794 de la liberté pour les Noirs, Solitude n’y croit pas.
lle en a trop vu, elle conna t trop bien les ma tres blancs pour faire
confiance à leur humanité et à leur sincérité. n our auparavant, les Noirs
étaient considérés comme des sous-hommes. n simple décret peut-il
transformer les esprits epuis sa naissance, en 1772, elle a été vendue et
revendue. iolée et battue. lle a assisté à des horreurs. lle choisit donc de
re oindre la clandestinité dans une communauté de oyave, constituée de
N gres marrons.
Outre l’e ploitation ordinaire u’elles subissent, les femmes sont
maltraitées, séparées de leur homme et de leurs enfants ue l’on vend. Oui,
Solitude a bien fait de s’enfuir, car la liberté était loin d’ tre gagnée. t le
choi offert au esclaves libérés est tr s restreint : soit ils s’enr lent
dans l’ armée des sans-culottes noirs pour mener une guerre ui n’est pas
la leur, autrement dit ils versent leur sang au profit des Fran ais contre les
nglais soit ils retournent au travail forcé dans leurs anciennes plantations.
Bref, un collier contre un autre.
’ailleurs, d s l’abolition de l’esclavage, les autorités consulaires
s’in ui tent de ces femmes et ces hommes ui, au nom de la liberté,
l’égalité et la fraternité , fuient les plantations. Ils les tra uent, détruisent
leurs campements.
Lors du si ge de 1802, voilà uatre ans ue Solitude oue au chat et à
la souris. lle est heureuse de sortir enfin de son ma uis et de se porter au
combat. Le si ge du fort Saint-Charles fait rage

t e c ante elgr s qui au remparts s ent te


rois ours rpentant la leue auteur du r ve
ro eté ors du sommeil du peuple
rois ours outenant soutenant de la gr le conte ture
e ses ras Notre ciel de pollen écrasé

Les troupes de elgr s sont à court de vivres et de munitions.


Richepanse n’est pas moins e sangue. Il demande des renforts à Pointe-à-
Pitre.
ans la nuit du 22 mai, Louis elgr s et Joseph Ignace, avec leurs
hommes, réussissent à abandonner la forteresse et à dispara tre dans
l’épaisse végétation de l’ le. Joseph Ignace prend la direction de Pointe-à-
Pitre avec mille hommes environ, afin d’y soulever la population. Il est pris
au pi ge à Baimbridge, dans les faubourgs de Pointe-à-Pitre. Pélage n’a pas
perdu son temps : il a rassemblé tout ce ue la ville compte d’hommes
vendus au colons et, le 25 mai à heures du matin, il fait donner du canon
contre les troupes des insurgés. On dénombre si cent soi ante- uin e
cadavres de femmes, d’hommes et d’adolescents, dont les deu fils
d’Ignace, et Ignace lui-m me dont on e pose la t te sur une pi ue. Les
survivants sont fusillés. Leur mémoire repose dans les po mes de Césaire.
ais uand à Baimbridge Ignace fut tué

ue l oiseau c arognard du urra colonialiste


ut plané son triomp e sur le risson des les
lors l istoire issa sur son plus aut c er
La goutte de sang que e dis
vint se re léter comme en pro ond parage
L insolite risure du destin

Louis elgr s trouve refuge, avec cin cents femmes et hommes à


bout de force, au pied de la Soufri re, dans le manoir d’ nglemont du
village de atouba, commune de Saint-Claude. out en s’ingéniant à
fortifier les lieu , il sait ue atouba sera leur tombeau. ue faire contre
mille huit cents hommes armés de fusils et de canons elgr s laisse fuir
tous ceu ui le souhaitent. rois cents résistants se regroupent autour de
lui, et ils se portent à la rencontre des troupes de Richepanse afin d’en
retarder la marche. La ul tresse Solitude, dont le p re de l’enfant vient de
mourir, est avec eu .
Nous sommes le 28 mai 1802. Le dernier our.

orne atou a
Lieu a rupt. Nom a rupt et de tén res n as
u passage Constantin l o les deu rivi res
corcent leurs oquets de couleuvres
ic epanse est l qui guette
ic epanse l ours colonialiste au violettes gencives
riand du miel solaire utiné au camp c es

elgr s est blessé, ses troupes sont en partie encerclées. Ils battent en
retraite et se réfugient dans le fort. Leur vie est maintenant réduite à
l’essentiel : le sentiment de l’honneur et de la dignité.
Sous la terrasse, des barils de poudre ont été installés. On les a
camouflés pour ue les troupes de Richepanse ne les aper oivent pas.
elgr s et son aide de camp ont chacun le feu pour allumer la m che.
On raconte ue les trois cents femmes, hommes et enfants retirés dans
le fort se tiennent la main en silence puis u’à trois heures et demie de
l’apr s-midi, tandis ue l’avant-garde fran aise franchit l’entrée de la
demeure, ba onnette au canon, ils lancent : ivre libres ou mourir Puis
c’est le silence. Puis une effroyable e plosion.

t ce ut au con ins l e ode du dialogue


out trem la sau elgr s

Richepanse et ses hommes cherchent dans les décombres les blessés à


achever ou à pendre. Parmi eu , on trouve Solitude. Comme elle est
enceinte, on préf re la mettre en prison : elle a un futur esclave dans le
ventre. Ce serait g cher de la marchandise
t on fusille, on pend, on ette vivants dans des b chers di mille
rebelles.
Le 11 uin, la femme de elgr s est conduite sur un brancard au lieu de
son e écution.
Le 16 uin, Richepanse publie un arr té rétablissant l’esclavage en
uadeloupe : Jus u’à ce u’il en soit autrement ordonné, le titre de
citoyen fran ais ne sera porté dans l’étendue de cette colonie et
dépendances ue par les Blancs. ucun autre individu ne pourra prendre ce
titre ni e ercer les fonctions ui y sont attachées.
Le 18 novembre, Solitude met au monde son enfant.
Le 19 novembre, elle monte au gibet.

uel ues ours plus tard, le bébé sera vendu au marché des esclaves.
ais s’il vit suffisamment, s’il résiste asse longtemps, s’il atteint le our de
ses uarante-si ans, il conna tra la liberté pour la uelle tous ces
uadeloupéens ont donné leur vie.
« Ne i -e a ne femme »

o ourn r rut
Novembre 1797 - 26 novembre 188

So ourner ruth a le visage taillé à la serpe, les mains larges comme


des battoirs, les bras noueu comme des cordes sa voi est grave et sa
démarche, gauche. Son corps a été fa onné par le labeur. u temps de
l’esclavage, il n’y a pas de division se uelle du travail. Sur la plantation,
hommes et femmes sont à égalité, comme du bétail. la charrue, on attelle
aussi bien un cheval u’une ument. Les femmes font les m mes travau
ue les hommes, re oivent les m mes rations de nourriture et autant de
coups de fouet. e fait, uand les esclaves arrivent sur le marché, les
acheteurs choisissent les corps les plus robustes, sans différenciation de
se e. La seule différence mar uée est fondée sur la couleur de peau. Les
femmes plus claires, notamment nées du viol de leur m re, ont la chance
d’ tre prises comme domesti ues, ou favorites . L’e ploitation se uelle
de ces femmes est l’une des prati ues sociales les plus répandues du
syst me esclavagiste : leur corps ne leur appartient pas.
Les femmes modelées par le travail forcé sont, dans l’idéologie
esclavagiste, considérées comme viriles et incapables d’empathie. lles
n’auraient pas l’ instinct maternel , encore moins de sens moral.
Regarde , disent les planteurs, la mortalité infantile sur nos plantations
n réalité, ces déc s d’enfants sont dus au man ue d’hygi ne et de soins,
mais aussi à la résistance des m res ui refusent ue leurs enfants vivent le
m me calvaire ue le leur. Selon la condition du ventre , en effet,
l’enfant d’une esclave sera esclave toute sa vie et appartiendra au ma tre. La
femme esclave assure la transmission filiale de la condition servile, et c’est
pour elle une immense souffrance.
La spécificité de leur lutte sur les plantations est l’infanticide
généralisé, me dit la philosophe lsa orlin. ne prati ue ui perdurera
us u’à l’abolition de l’esclavage en France, en 1848, et au États- nis en
1865.
ans la plupart des stéréotypes actuels, la femme noire est encore
caricaturée. lle est soit sur-érotisée , dotée d’un érotisme prédateur, le
contraire de l’image douce et passive de la féminité soit la mamma
dés-érotisée , effrayante et surpuissante.
L’enfant appartenant totalement au ma tre blanc, le r le du p re était
réduit à celui de simple géniteur. Cette image de la femme ui se suffit à
elle-m me perdure au ntilles. insi ma m re a-t-elle eu cin enfants de
cin hommes différents et nous a-t-elle élevés seule. L’absence d’un p re
n’était pour nous ni cho uante ni troublante. Les m res assumaient cette
solitude avec dignité. elle est la structure de beaucoup de familles au
ntilles au ourd’hui encore.

So ourner ruth, ayant refusé son nom d’esclave, s’en est choisi un
autre, le plus beau : o ourner, ui signifie celle ui sé ourne et rut , la
vérité . lle est née Isabella Baumfree, dans la colonie hollandaise du
comté d’ lster, dans l’État de New or . Lors u’elle est vendue, à l’ ge de
on e ans, elle ne parle ue le néerlandais.
ers vingt ans, elle est mariée contre son gré à un esclave du nom de
homas. n 1827, elle s’enfuit de la ferme de son ma tre pour trouver
refuge au Canada avec la plus eune de ses filles, ses autres enfants ayant
été vendus dans d’autres plantations. t puis survient l’abolition de
l’esclavage dans l’État de New or , en 1828. lle travaille une di aine
d’années au sein de communautés religieuses.
n 184 , une révélation change le cours de son e istence. ieu
l’appelle pour libérer son peuple de l’esclavage. Combien de grandes
résistantes, de ona Béatrice au IIIe si cle à lice Lenshina au e,
ont trouvé des forces incomparables dans la foi es voi célestes l’incitent
à pr cher sans rel che. Ce u’elle fait dans le Connecticut, le
assachusetts, l’Ohio, l’Indiana et le ansas.
lle est la premi re femme noire à prendre publi uement la parole
contre l’esclavage au tats- nis. Par son verbe et la force de sa foi, elle
touche des milliers de personnes. Je me sens si grande à l’intérieur, dit-
elle. Le pouvoir de la nation est avec moi. t elle porte, en travers de sa
poitrine, une banni re avec ces mots : Proclame la liberté à travers tout le
pays et à tous les habitants de celui-ci. Pour aider à la libération des mes
et conforter son travail de p lerin, elle publie en 1850 e Narrative o
o ourner rut Nort ern lave L’ istoire de So ourner ruth, une
esclave du Nord .
Si la personnalité de So ourner ruth mar ue encore nos générations,
c’est surtout gr ce à son action militante pour la cause des femmes noires.
Soi ante ans auparavant, sous la Révolution fran aise, la Blanche arie-
Olympe de ouges, révoltée par la misogynie de la éclaration des droits
de l’homme et du citoyen avait rédigé la éclaration des droits de la
femme et de la citoyenne , dont voici deu e traits :
rticle premier. La femme na t libre et demeure égale à l’homme en
droits. Les distinctions sociales ne peuvent tre fondées ue sur l’utilité
commune.
rticle 1 . Pour l’entretien de la force publi ue, et pour les dépenses
d’administration, les contributions de la femme et de l’homme sont égales
elle a part à toutes les corvées, à toutes les t ches pénibles elle doit donc
avoir de m me part à la distribution des places, des emplois, des charges,
des dignités et de l’industrie.
lle écrivit aussi une pi ce de thé tre : L sclavage des Noirs. Sa
finesse d’esprit lui avait montré à uel point la condition faite au femmes
pouvait se comparer à celle des esclaves. lle savait ce ue cela signifiait
d’ tre sans cesse considérée comme inférieure au hommes, de tou ours
devoir réclamer ses droits et se ustifier lle savait aussi combien il
co tait de résister. lle fut condamnée à mort. Le procureur de la Commune
de Paris, applaudissant à son e écution, évo ue cette femme-homme,
l’impudente Olympe de ouges ui, la premi re, institua des sociétés de
femmes, abandonna les soins de son ménage, voulut politi uer
Pourtant, limitée par la pensée de son épo ue, arie-Olympe de
ouges ne se posa amais la uestion des femmes esclaves. Pour elle, les
femmes étaient blanches et les esclaves, hommes. Il faut attendre So ourner
ruth pour entendre parler des femmes noires et au nom des femmes
noires.
n 1851, So ourner est déléguée à la premi re Convention nationale
sur les droits des femmes, à ron, dans l’Ohio. Comme elle entend un
homme dans la salle protester contre le propos d’une femme sur l’égalité,
So ourner se l ve, monte à la tribune et prononce un bref discours resté
cél bre, sous le titre nd ain t a oman t pourtant, ne suis- e pas une
femme :

Cet homme-là, il dit u’il faut aider les femmes à monter en voiture
et les aider à franchir un fossé, et u’il leur faut les meilleures places
partout
Personne ne m’aide amais à monter en voiture ou à traverser une
fla ue de boue, personne ne me donne les meilleures places
t pourtant, ne suis- e pas une femme
Regarde -moi Regarde mes bras J’ai labouré et planté et cueilli,
’ai rentré des récoltes et aucun homme n’a pu me commander
t pourtant, ne suis- e pas une femme
Je peu travailler autant u’un homme et manger autant u’un
homme uand ’en ai les moyens et supporter le fouet autant u’eu .
t pourtant, ne suis- e pas une femme
J’ai mis au monde cin enfants et ’ai vu la plupart d’entre eu
réduits en esclavage et uand e hurlais ma plainte de m re, personne,
hormis Jésus, ne m’a écoutée
t pourtant, ne suis- e pas une femme
Lors de la guerre de Sécession 1861-1865 , So ourner organise des
collectes de vivres pour les combattants des régiments noirs de l’ nion. n
1864, elle est re ue par le président braham Lincoln à la aison-Blanche.
pr s la promulgation de la Proclamation d’émancipation, elle aide les
réfugiés noirs à trouver du travail. n m me temps, elle poursuit un travail
politi ue de fond. Lors de nombreuses apparitions publi ues, elle défend
l’idée de la création d’un État noir dans l’ouest des États- nis.
Résolument en avance sur son temps, elle lutte pour l’abolition de la
peine de mort, pour les droits des pauvres, pour les réformes pénitentiaires,
pour le droit des anciens esclaves à posséder des terres.
lle meurt le 26 novembre 188 , à Battle Cree , dans le ichigan,
dans une communauté ua er, les mis du progr s humain , ui lui avait
réservé un accueil chaleureu .
epuis sa mort, l’influence de So ourner ruth n’a fait ue cro tre. n
voici deu témoignages.
Le robot ue nous envoyons sur ars s’appelle So ourner ruth, me
dit mon ami de la Nasa, Cheic odibo iarra, parce u’il voyage pour
dire la érité .
uant à ichelle Obama, elle déclare en avril 2009, dévoilant le buste
de So ourner ruth au Center isitor du Capitole à ashington : J’esp re
ue So ourner ruth serait fi re de moi, une descendante d’esclaves, servant
en tant ue premi re dame des États- nis. Il n’est pas anodin ue
ichelle Obama, femme libre et militante, témoigne combien cette autre
femme libre, courageuse, indépendante, luttant pour la ustice, a été
importante dans sa construction personnelle.
e grand oète r e

ndr ouc in
6 uin 1799 - 10 février 18 7

urai e un our ma lierté


l est temps grand temps
e limplor e
u or d de mer attends le vent
e ais signe au voiles marines.
ous le sur ot déiant les lots
uand prendrai e mon lir e
essor
u lir e carreour des mers
l aut uir les or ds ennu eu
un élément qui mest ostile
t sous le ciel de mon rique
ous les oules du idi
egr etter la somr e ussie
ai souert o ai aimé
ai enseveli mon cur .

leandre Pouchine, ugne


néguine

Pouch ine est une ic ne en Russie. ucun régime n’a amais osé
toucher à son image. Son buste a remplacé celui de Lénine à la fin du
communisme. Beaucoup de Russes peuvent réciter des pages de ses uvres.
ous les 6 uin, il y a des lectures publi ues de ses po mes pr s de la
cathédrale Ielo hovs i, à oscou, o il fut baptisé. Preuve u’on peut tre
le soleil de la conception intellectuelle russe du monde osto evs i , le
mod le originel de l’identité russe rigoriev , le premier po te-artiste
russe Bélins i et avoir, comme l’écrit ongo Beti, la peau bistre des
uarterons et des octavons .
Non, l’origine africaine de Pouch ine ne rel ve pas de l’anecdote. Il
sait d’o il vient, car son origine africaine l’a fa onné.
Certes, Pouch ine na t d’une m re russe à la peau plus blanche ue
noire, descendante du général braham Petrovitch anibal voir pages 5 -
56 , et d’un p re russe métissé d’Italien et d’ llemand. Les choses
pourraient en rester là. Il ne revendi uerait aucune négritude, oubliant peut-
tre m me cette lointaine filiation avec un anc tre africain u’il n’a pas
connu, s’il ne s’entendait traiter de négrillon et de singe .
C’est ue le monde a changé : nous sommes au I e si cle, le eune
Pouch ine subit des pré ugés au uels son bisa eul a échappé dans la
Russie du IIIe si cle. n ce début du I e, les stéréotypes de la science
moderne , ui classe les prétendues races suivant leur couleur et leurs
caract res morphologi ues, commencent à pénétrer en Russie.
Pouch ine lui-m me, pris au pi ge, se décrit ainsi à l’ ge de uin e
ans :

rai démon pour l espi glerie


rai singe pour la mine

Si son identité se construit mi-russe, mi-africaine, c’est ue le regard


des autres l’y oblige. Il grandit en se considérant comme russe et comme
africain. Il dira plus tard u’il a une double identité, il en parlera dans son
uvre. Il n’y a ue moi dans la littérature russe ui comptasse un N gre
parmi ses anc tres , écrit-il.
Lors u’en 1820, pour uel ues po mes séditieu , il est e ilé à Odessa,
il se lie d’amitié avec un autre fricain, un corsaire du nom de orali
aure li . Peut- tre u’ li et moi avons un anc tre commun , écrit-il.
Cette double culture revendi uée fait de Pouch ine un écrivain
moderne , ui soul ve des uestions sur la diversité culturelle ue les
écrivains russes de son épo ue ne peuvent pas se poser.
ans sa correspondance, il parle de ses fr res n gres , ualifie
d’ intolérable l’esclavage au États- nis, dénonce le cynisme
dégo tant, les cruels pré ugés et l’intolérable tyrannie de la société
américaine. escendant d’esclave comme des millions de Noirs des
méri ues, Pouch ine est tr s sensible à sa généalogie, comme les Noirs de
la diaspora. ans ug ne néguine, il informe ses lecteurs d’un pro et ui
lui tient à c ur : n Russie o faute de mémoires histori ues, on oublie
vite les hommes illustres, la singularité de la vie d’ anibal n’est connue
u’à travers les légendes familiales. vec le temps, nous espérons publier sa
biographie compl te. Il parle là de son arri re-grand-p re, braham
Petrovitch anibal.
Pour écrire ce te te ui deviendra la nouvelle Le N gre de Pierre le
rand , Pouch ine n’hésite pas à multiplier de fatigants voyages à la
campagne o il rencontre le seul fils encore vivant de cet arri re-grand-p re,
général à la retraite. Il le voit plus d’une fois, comme en témoigne cet
e trait d’une lettre écrite en ao t 1825 : Je compte voir encore mon vieu
N gre de rand’Oncle ui, e suppose, va mourir un de ces uatre matins et
il faut ue ’aie de lui des mémoires concernant mon a eul.
oderne, Pouch ine l’est aussi par son style, son langage o
s’unissent l’héritage des grands écrivains et les e pressions populaires. Il
rencontre les paysans, étudie le fol lore, les traditions, écoute les contes il
donne des noms de paysans à des héros. C’est une révolution littéraire en
Russie. Fini l’élitisme. La culture populaire russe entre dans la littérature.
Le peuple a en lui un narrateur ui lui donne la parole.
n tout Pouch ine est un rebelle. Parce u’il lutte contre le syst me
autocrati ue impérial et u’il n’hésite pas à l’écrire parce ue, au lieu de
mettre sa plume au service des vertus conventionnelles, il compose des vers
au vitriol, audacieu , sensuels, et montre une dangereuse liberté de pensée.
Il affole les autorités, crispe les religieu . lors on l’e ile, on le censure, on
lui fait de continuelles tracasseries et, finalement, on s’en débarrasse par un
duel
La raison officielle de ce duel est la banale alousie d’un tre réputé
sanguin. On rapproche Pouch ine du Noir Othello poignardant sa femme
On a dit ue son adversaire, officier de la garde du tsar, le baron ant s, un
Fran ais bell tre ue toutes les femmes veulent prendre pour amant, aurait
eu l’audace de courtiser l’épouse du po te, la tr s belle Natalia
ontcharova.
n réalité, il s’agit d’un complot préparé en haut lieu, dont ant s sera
la marionnette. L’origine africaine de Pouch ine permet la mise en sc ne
ui va entra ner sa mort. On sait ue Pouch ine ne plaisante pas avec son
honneur. Plusieurs fois, il a parlé de duel. ais on sait aussi u’il ne se bat
ue s’il se sent vraiment humilié, et non pour des broutilles : en 18 2, un
colonel u’il a accusé de tricher au eu le provo ue au pistolet, Pouch ine
se présente sur le terrain un cornet de cerises à la main
Pouch ine n’a aucune chance devant ant s, il le sait. lors pour uoi
ce combat contre un officier de la garde réputé invincible Parce ue la
semaine précédente, au bal de la cour, ce ant s est revenu courtiser
Natalia et ue, cette fois, il y avait un détail de trop : il portait
ostensiblement une tr s grosse bague représentant un singe.
Se battre à mort pour une bague Pouch ine si intelligent, si cultivé,
c de au discours raciste ambiant. Pour uoi n’a-t-il pas mo ué ant s en
désignant sa bague simies ue : Ce sont là les armes de votre famille Il
aurait aussi pu arriver sur le lieu du duel avec des fleurs, ou simplement
témoigner une méprisante compassion envers ce personnage.
Le matin du 27 anvier 18 7, Pouch ine se l ve t t, sans prévenir sa
femme. Il rédige une réponse à une eune écrivaine à propos d’une
traduction, puis il sort. Il rencontre son témoin an as u’il charge
d’acheter les pistolets, puis il se rend dans un parc de Saint-Pétersbourg, au
bord de la rivi re cherna a rivi re noire . Comme le terrain est
enneigé, les témoins sont obligés de damer le sol.
Le duel commence.

vec sang roid


une démarc e lente et s re
ans viser les deu adversaires
L un vers l autre ont ait quatre pas.
uatre pas quatre pas mortels.
ug ne néguine

ant s tire le premier. Pouch ine est touché au ventre. Il a le temps de


tirer à son tour, blesse son adversaire au bras, puis s’évanouit.
uand on annonce sa mort, deu ours plus tard, tout le peuple pleure.
La Russie est veuve. es milliers de Russes viennent s’incliner devant sa
dépouille, à tel point ue l’on est obligé de casser l’un des murs de sa
maison pour recevoir la foule
Le cas de Pouch ine est intéressant. oilà un homme avec un huiti me
de sang noir , ui devient enti rement noir dans le regard de l’autre, puis
ui finit lui-m me par se voir noir.
oi-m me, discutant un our avec mon fils hephren, e lui demande :
s-tu le seul Noir dans ta classe
ais Papa, e ne suis pas noir
h bon e uelle couleur es-tu
ais e suis marron.
t les autres
Ils sont roses.
ffectivement, il avait raison. n y réfléchissant bien, il n’y a ni Noir
ni Blanc. Comme le dit le peintre Cheri Samba : Pour uoi ne rectifierions-
nous pas cette appellation mensong re
e remier Noir am ricain candidat a r identie e

r d ric ou
1817/1818 - 20 février 1895

Frederic ouglass na t un our de 1817 ou de 1818 à uc ahoe, sur


une plantation de l’État du aryland. Son enfance est mar uée par la
violence et l’ignorance dans la uelle on le tient. Si tu apprends la lecture à
ce N gre, dit un our son ma tre à sa femme ui lui montrait un alphabet, tu
ne pourras plus le contr ler, il ne pourra plus amais tre un esclave. Ces
mots ne uitteront amais le eune Frederic . Il n’aura de cesse d’apprendre
à lire et à écrire afin de gagner sa liberté. Sa t te, comme une boussole, sera
désormais tournée vers les régions du Nord, États o réside la liberté. t il y
parviendra, en 18 8, au pri de mille difficultés et d’une dépense
prodigieuse d’ingéniosité. Il a vingt ans, trouve du travail, s’installe, se
marie, et devient un abolitionniste tr s écouté. n 1845, il publie ses
cél bres émoires d un esclave américain

Commen ons par le scandale ue suscitent ces émoires. Ils mettent


en rage les anti-abolitionnistes. C’est ue ouglass appelle un chien un
chien. La lubie vint un our à . ore de bastonner emby. Pour s’y
soustraire, le malheureu se précipita dans un proche ruisseau o il
s’enfon a us u’au épaules, sans plus vouloir en bouger. . ore
l’informa u’il lui ordonnerait trois fois d’en sortir et ue si à la suite de la
troisi me sommation il ne s’était pas e écuté, il le tuerait. Il procéda à la
premi re sommation. emby ne bougea pas. Les deu i me et troisi me
sommations ne chang rent rien à l’attitude de emby. ussi, . ore
épaula son fusil et tira à bout portant sur emby, ui passa en un instant de
vie à trépas. Son corps e plosé sombra pour bient t ne laisser flotter en ses
lieu et place ue sang et cervelle
ffolés par ces écrits, les planteurs orchestrent une campagne de
diffamation. n certain . C. C. hompson témoigne avoir bien connu
Frederic ouglass et ure ue cet homme est une brute incapable d’aligner
un mot apr s l’autre. ais Frederic ouglass est appuyé par la puissante
ligue abolitionniste du Nord, la assachusetts nti-Slavery Society.
illiam Lloyd arrison, chef de ce mouvement, l’avait remar ué uatre
ans auparavant alors u’il parlait devant un auditoire. Sub ugué par son
élo uence, l’élévation de sa pensée et la ustesse de ses réfle ions, il lui
avait aussit t demandé d’ tre l’ambassadeur de la cause des esclaves.
Noir, esclave en fuite et sachant défendre sa cause, Frederic ouglass
est donc l’homme à abattre. Les propriétaires incriminés dans son livre
mettent sa t te à pri . Il est contraint de s’enfuir uel ues mois en
ngleterre, o il donne des conférences, puis revient dans le assachusetts
pr cher de nouveau la parole abolitionniste.
L’une des ualités de ses discours est sa profonde connaissance de la
Bible et de la religion. out cela parce ue, à l’ ge de dou e ans, il a lu en
cachette, gr ce à uel ues sous économisés en cirant des chaussures, un
recueil d’essais, de po mes, de dialogues politi ues : e Colum ian
rator.
Il s’en est imprégné comme d’un bréviaire. Parmi la uantité de
révélations ui ont éclairé son triste hori on uotidien, il se trouve une
conversation entre un ma tre et son esclave. Le ma tre y fait étalage de
toutes les th ses propres à ustifier l’esclavage. h ses ue l’esclave réfute,
si bien ue le ma tre lui rend la liberté Cet ouvrage contient également un
discours du po te Richard Brinsley Sheriddan consacré à l’émancipation
catholi ue, ui sera à l’origine de sa conversion religieuse.
Je na uis à la lumi re par degrés , aime-t-il à répéter à son
auditoire. Il raconte comment il s’éveilla à la conscience de l’in ustice ui
s’abattait sur ses s urs et ses fr res noirs, pour uoi et comment lire et écrire
devint pour lui un art sacré. Il raconte les difficultés ui onchaient son
marronnage intellectuel . Il dit ue ce u’il découvrait n’était pas ue
source de oie, mais souvent un gouffre suscitant peur, angoisse, col re et
haine. Car la lecture m’offrait, dit-il, dans toute sa froide perspective, la
uste vision de ma pitoyable condition sans me livrer les moyens d’en
sortir.
Il raconte devant un auditoire ravi les ruses employées pour apprendre
à lire sans s’attirer les foudres de ses ma tres ui, s’ils l’avaient découvert,
l’auraient aussit t condamné au fouet. t à pire encore en cas de récidive.
oins mal nourri ue nombre d’enfants blancs pauvres du voisinage, il
tro uait du pain contre les fruits précieu de leurs connaissances .
Parfois, il volait les cahiers de l’un des fils de son ma tre. ais la stratégie
ui lui réussissait le mieu était de se lier d’amitié avec des gar ons blancs
de son ge et d’en faire ses professeurs.
C’est dans cette période décisive de la construction de sa personnalité
ue le eune ouglass fait une rencontre ui va changer le cours de son
e istence. cet endroit de son discours, on entend une mouche voler parmi
son auditoire
n our, alors ue e me trouvais sur aters’ harf, ’aper us deu
Irlandais occupés à décharger un chaland de pierres. J’entrepris de leur
pr ter main-forte. Lors ue nous parv nmes au terme de la t che, l’un d’eu
vint pr s de moi et me demanda si ’étais un esclave. Je lui répondis par
l’affirmative. Il voulut en savoir plus. s-tu un esclave pour toute ta vie
Je lui dis oui une fois encore. Ce gentil Irlandais sembla bouleversé par
ma réponse.
ous deu me donn rent le conseil de m’enfuir, si possible de passer
au Nord e m’y ferais des amis et ’y serais libre. Je fis semblant de ne pas
pr ter attention à leurs propos, de ne pas les comprendre car e craignais
u’ils ne fussent de fau amis. J’avais entendu parler d’hommes blancs ui
encourageaient les esclaves à s’enfuir, puis ensuite les capturaient pour les
ramener à leurs ma tres et toucher ainsi la récompense promise. mais le
souvenir de leur conseil ne me uitta plus et ’arr tai d s ces instants le
pro et de m’évader.
Frederic ouglass est bien décidé à s’échapper, mais il lui faut pour
cela savoir écrire sur son propre passeport, faire un fau . Les esclaves
ont un carnet o sont consignées par leur ma tre les étapes de leurs
déplacements. N’importe uel Blanc peut le leur demander à tout moment.
Seulement, l’écriture demande plus de moyens ue la lecture.
ouglass résout vite le probl me du cahier d’e ercices : gr ce au cl tures
en bois, au murs de bri ues rouges, au pavés noirs n guise de plume,
un morceau de craie. ais, pour arriver à ses fins, il reste à trouver les
mod les à recopier, des professeurs et la méthode.
ouglass agit alors avec lucidité : la méthode, il la trouve sur le
chantier de urgin Bailey. Il observe comment les charpentiers, apr s
avoir appr té un morceau de bois, écrivent la partie du bateau o il sera mis
en usage. Il apprend à organiser les lettres entre elles : b bord, la lettre B,
tribord, la lettre , la combinaison correspondant à tribord avant , etc.
Il apprend par c ur les noms au uels correspondent ces lettres et les copie
aussit t, et les recopie à l’infini. Par ailleurs, lors u’il croise un gar on
lettré, il prétend savoir écrire mieu ue lui. uand l’autre lui demande des
preuves, il reproduit les lettres u’il a apprises et met le gar on au défi de
faire mieu t c’est gr ce à ce subterfuge ue de nombreuses le ons
d’écriture me furent prodiguées à l’insu de mes professeurs d’un our ,
conclut ouglass.
Ces anecdotes, Frederic ouglass les rapporte à chacune de ses
conférences, semant dans la t te de son auditoire l’idée ue rien n’est limité
sur cette terre, ue tout est une fronti re ue l’on peut franchir. ouglass
insiste cha ue fois sur la nécessité de posséder la culture. C’est fondamental
pour comprendre une situation, pour comprendre son épo ue. Ces armes
culturelles permettent de progresser et de désarmer les forces négatives. Les
comprenant, vous tes au-dessus d’elles. Par le savoir, vous devene aussi
plus courageu . u ourd’hui encore, le combat est d’amener la culture dans
les endroits o elle n’est pas, che des personnes ui, gr ce à elle, prendront
confiance.
élas, plus les consciences s’éveillent dans le Nord, plus la situation
des esclaves empire dans le Sud. Si, au cours des premi res années de son
engagement à la assachusetts nti-Slavery Society, Frederic ouglass a
adopté une stratégie non violente, l’ istoire l’oblige à changer ses plans,
ses idées sont contraintes d’évoluer vers l’action directe. n 1850, le
Congr s américain adopte la Fugitive Slave ct, loi de répression contre les
esclaves fugitifs. n contrepartie de l’entrée de la Californie dans l’ nion
en tant u’État libre, les États du Nord s’engagent à restituer à ceu du Sud
tout esclave en fuite. L’insurrection lui para t désormais la seule voie
possible pour obtenir l’émancipation des Noirs.
n 1854-1856, il se prononce fermement pour le droit des esclaves et
de ceu ui les défendent à répondre par la violence au esclavagistes. Il
accorde ses paroles à ses actes, hébergeant en 1858 le cél bre abolitionniste
blanc John Brown u’il avait rencontré uel ues années auparavant et dont
il avait dit : Bien ue blanc, Brown est en sympathie avec l’homme noir,
et profondément intéressé à sa cause, comme si son me avait été percée par
le fer de l’esclavage. John Brown, accompagné de ses fils et de trois
hommes, était l’auteur du massacre à coups de sabre de cin colons
esclavagistes à Pottawatomie Cree , les 24-25 mai 1856, dans le ansas.
n 1859, ouglass est contraint de s’enfuir apr s une nouvelle
opération imaginée par John Brown, ui avait pour ob ectif l’invasion du
sud des ppalaches, en faisant main basse sur la fabri ue d’armes de
arper’s Ferry. L’opération se conclut par l’arrestation de Brown, sa
condamnation à mort par l’État de irginie et sa pendaison. ictor ugo
écrit à cette occasion une magnifi ue lettre au gouvernement des États-
nis, demandant sa gr ce : Oui, ue l’ méri ue le sache et y songe, il y a
uel ue chose de plus effrayant ue Ca n tuant bel, c’est ashington
tuant Spartacus.
Le m me ictor ugo, victime des idéau colonialistes de son épo ue,
s’écria vingt ans plus tard, le 18 mai 1879, à l’occasion d’un ban uet
commémorant l’abolition de l’esclavage, entouré de ictor Schoelcher
l’auteur du décret de 1848 et d’ mmanuel rago, fils du grand savant
républicain Fran ois rago ui l’avait signé comme ministre de la arine :
lle , Peuples mpare -vous de cette terre. Prene -la. ui
personne. Prene cette terre à ieu. ieu donne la terre au hommes. ieu
donne l’ fri ue à l’ urope. Prene -la au di -neuvi me si cle, le
Blanc a fait du Noir un homme au vingti me si cle, l’ urope fera de
l’ fri ue un monde.
Combien de gens, au Ie si cle encore, s’ignorent racistes tant leurs
pré ugés raciau sont profondément inscrits en eu Combien, parmi les
personnes se disant antiracistes, s’opposent au ourd’hui au pillage des
richesses de l’ fri ue
pr s si mois d’e il en ngleterre, ouglass reprend son poste.
L’année suivante est cruciale. La campagne présidentielle est lancée.
ouglass appelle à voter pour braham Lincoln, le candidat républicain.
Cette prise de position l’am ne tout naturellement, en 1862, un an apr s le
début de la guerre de Sécession, à mener campagne pour ue les Noirs
s’engagent dans les forces de l’ nion. fforts dont il est récompensé en
1865, puis ue l’émancipation des Noirs est proclamée.
n 186 , il recrute une centaine de soldats pour le régiment noir appelé
à combattre dans le Sud, parmi les uels ses deu fils Lewis et Charles. n
m me temps, il s’él ve avec véhémence contre les brimades dont les soldats
noirs sont victimes dans l’armée de l’ nion. n 1865, le président Lincoln
est assassiné.
Le 18 décembre 1865, l’abolition de l’esclavage est proclamée par le
IIIe amendement de la Constitution. ouglass ne baisse pas la garde pour
autant, et réclame le droit de vote pour les Noirs. Il soutient la candidature
du républicain lysse S. rant à la présidence. Son message est entendu :
non seulement rant est élu, mais le vote du e amendement accorde le
26 février 1869 les droits civi ues Civil Rights Cases au gens de
couleur .
C’est le temps des honneurs pour l’ancien esclave du aryland.
Pourtant, cette reconnaissance ne met pas fin à son engagement, car la
uestion des discriminations raciales ne s’est amais posée avec tant
d’acuité. L’absence d’ braham Lincoln se fait cruellement sentir. Il aurait
fallu son sens de l’État, son pragmatisme, pour reconstruire l’ nion. u
di tat nordiste interdisant au confédérés toute activité politi ue et
administrative, les Sudistes répondent par une e tr me violence envers les
Noirs en créant le u lu lan en 1865, organisation pr nant la
suprématie de la race blanche.
n 1872, ouglass, désigné par l’ ual Rights Party, devient le
premier Noir candidat à l’élection présidentielle, colistier de ictoria
oodhull ui anime le mouvement pour le droit de vote des femmes au
États- nis, et premi re femme blanche à tre candidate à la présidence.
Cette candidature n’a rien d’une anecdote. Si Barac Obama est Président
au ourd’hui, c’est gr ce à des hommes comme ouglass ui ont ouvert la
voie.
n 188 , la Cour supr me abroge la loi sur les droits civi ues. Ordre
est alors donné à sept millions de Noirs de devenir invisibles. Ils sont
libres à condition de ne pas e ister civi uement et de ne pas se mélanger
au Blancs
Cette contrainte n’emp che pas Frederic ouglass de prendre pour
seconde épouse, en 1884, son ancienne secrétaire blanche, elen Pitts. t,
au crépuscule de ses ours, le 9 anvier 1894, de prononcer à ashington un
dernier plaidoyer o il dénonce le lynchage, et discute des divers aspects
du prétendu probl me n gre : Les Le ons de l eure. Car, au fond, le
principal probl me de l’homme noir n’a-t-il pas été le fardeau des
pré ugés des Blancs
a e e er a i ert

rri t u n
Février/mars 1821 - 10 mars 191

Si ’avais convaincu plus


d’esclaves u’ils étaient bien
des esclaves, ’aurais pu en sauver
des milliers d’autres.

arriet ubman

arriet est née raminta Ross dans le aryland, un État esclavagiste


de l’est des États- nis. Son propriétaire, dward Brodess, la loue d s l’ ge
de si ans à d’autres ma tres : il fallait u’elle rapporte. n effet l’esclavage
et la traite étaient avant tout un syst me socio-économi ue ui ravalait ces
hommes et ces femmes au rang de b tes de somme ou d’ outils animés ,
pouvant tre vendus, achetés, loués
s ce moment, elle est mise au travail dans les champs, chargée de
ramasser les pierres ui ris uent d’émousser le soc des charrues. lle aide
aussi à semer le ma s ou le coton. Si nous savons peu de choses sur la vie
d’esclave de arriet, en revanche, nous connaissons celle des milliers
d’autres arriet ui travaill rent et moururent dans les plantations. es vies
faites de violence, d s le plus eune ge, d’in ustice et d’humiliation.
en uger par sa vie de femme libre, plus tard, on devine la révolte
u’elle accumula en elle durant toutes ces années. Cette violence, elle la
porte dans son esprit et dans son corps depuis le our o un contrema tre,
parce u’elle refuse de dénoncer un homme ui prépare un plan d’évasion,
lui lance une pierre ui l’atteint à la t te, lui causant pour tou ours de graves
crises d’épilepsie.
n 1844, arriet se marie à un certain John ubman, esclave affranchi.
Bon ou mauvais mariage, nul ne le sait. n tout cas, uridi uement, ce
mariage ne change rien à sa condition d’esclave.
Son ma tre, dward Brodess, meurt en 1849. Or la mort d’un
propriétaire conduit tou ours à une procédure de succession, et entra ne
souvent la vente des meubles ue sont les ouvriers forcés des
plantations. La veuve Brodess ne déroge pas à la r gle et, pour apurer
certaines dettes, elle décide de vendre une partie de son mobilier .
Craignant de se retrouver dans le Sud profond o les conditions faites
au siens sont encore pires ue celles u’elle conna t, arriet songe à la
fuite et s’y prépare. Par une nuit d’automne 1849, un samedi e actement
car les avis de recherche ne sont pas imprimés dans les ournau avant le
lundi matin , elle s’évade vers le nord, laissant derri re elle son mari ui,
homme libre ou se croyant tel , ne veut pas la suivre. lle traverse les
for ts, mangeant des baies, dormant dans les fourrés, us u’à sa rencontre
avec des ua ers. Les membres de cette société dite Société religieuse
des mis furent les premiers, d s 1640, à lutter pour l’égalité des droits
des femmes et à s’opposer à l’esclavage. n chemin, elle croise également
des abolitionnistes de toutes confessions et de toutes couleurs ui militent
au sein d’un réseau d’évasion d’esclaves nommé le Chemin de fer
clandestin ou souterrain nderground ailroad .
ous vont la soutenir. issimulée sous un sac, dans une carriole,
arriet fuit tou ours. ’autres l’aident à traverser la ligne ason- i on,
cette fronti re entre les États abolitionnistes du Nord et les États
esclavagistes du Sud. ’autres enfin la conduisent us u’à Philadelphie, o
elle trouve rapidement du travail comme bonne à tout faire.
ar uée par cet e traordinaire réseau de solidarité, elle fré uente
assid ment le milieu abolitionniste, décidée à participer à la lutte. C’est
illiam Still 1821-1902 , un des résistants du Chemin de fer clandestin,
ui l’initie au techni ues de la clandestinité. Il lui apprend à brouiller les
pistes, lui enseigne le vocabulaire codé composé de termes ferroviaires
lignes, chef de train, chef de gare, rails, terminau , gares , les mots de
passe, les messages cryptés le conducteur est le coordonnateur ui trace
l’itinéraire, les actionnaires sont les sympathisants du réseau, les
patates sont les esclaves cachés sous les produits agricoles, etc. , les
signau en tous genres, les lieu de contacts, les personnes-relais, les haltes
dans les granges, dans des meules de foin, grottes, cheminées, caves , les
techni ues de fuite, les déguisements, la psychologie du commandement
des troupes.
Parmi les préposés du Chemin de fer devenus légendaires, il y a
aussi le Canadien le ander Ross, ui voyage dans les plantations du Sud
en se faisant passer pour un ornithologue
e son c té, arriet, ayant amassé un petit pécule, consacre son
premier voyage à sauver les membres de sa famille. lle a uatre fr res et
une s ur en esclavage au aryland et voudrait leur apporter de l’aide.
S’appuyant sur la communauté noire, tr s soudée, elle leur envoie des
messages, o sont indi ués les points de rencontre. Pour son bapt me de
la clandestinité, elle réussit à ramener en s reté ses uatre fr res, mais
échoue à sauver sa s ur et les deu enfants de celle-ci.
Sans tarder, elle repart pour aider d’autres esclaves, cette fois déguisée
en fermi re. lle a emporté deu poules vivantes. peine arrivée au
aryland, elle tombe ne à ne avec l’un de ses anciens ma tres ui a mis
sa t te à pri l’État du aryland offrira us u’à dou e mille dollars de
récompense pour sa capture et, de saisissement, l che ses poulets.
ussit t elle se met à courir derri re eu pour les rattraper, s’éloignant ainsi
vivement. Pani ue involontaire, mais fort efficace puis u’elle lui sauve la
vie. ite ressaisie, elle n’oublie pas sa t che et retourne sur ses pas pour
ramener sains et saufs ses passagers à Philadelphie.
Le 18 septembre 1850, un honteu traité, le Fugitive Slave ct, est
signé entre les États sudistes esclavagistes et les États nordistes
abolitionnistes, statuant sur la capture des esclaves évadés. Politi ue et
économie obligent, le Nord industriel a besoin du Sud agraire et ne peut rien
lui refuser : les droits de l’homme passent au second plan vec ce traité,
tout agent de police du Nord est dans l’obligation d’arr ter les esclaves
soup onnés d’ tre en fuite et de les livrer au autorités pour assurer leur
retour che leur propriétaire. uicon ue apportera de l’aide à un fugitif est
passible de si mois de prison et d’une lourde amende. Les lois ui
interdisent et condamnent au ourd’hui l’aide au sans-papiers en France ne
sont donc pas une nouveauté
Cette loi engendre une nouvelle profession : chasseur d’esclaves .
Par lucre, on n’hésite pas à capturer des Noirs libres u’on revend au
Sudistes en les faisant passer pour des esclaves évadés.
Le nord des États- nis devient irrespirable. Le réseau du Chemin de
fer clandestin réagit aussit t et envoie désormais au Canada les esclaves
échappés. Car l’abolition de l’esclavage dans tout l’ mpire britanni ue, ui
date de 18 4, concerne également ses colonies de l’ méri ue du Nord. Il ne
faut voir là aucune humanité particuli re. Simplement, l’avance industrielle
britanni ue rendait l’esclave inutile. n mesure de faire pression sur les
autres puissances pour u’elles abolissent également l’esclavage, l’empire
conforta ainsi sa prédominance. Le Canada, depuis des si cles, vit en
harmonie avec les Noirs, déclarera artin Luther ing, dans un discours de
1967. u plus intime de notre interminable bataille pour la liberté, il fut
tou ours celui ui nous guida dans l’obscurité et les tén bres. Par ce
chemin, entre 1840 et 1860, plus de trente mille esclaves afro-américains
trouv rent leur liberté au Canada
Parmi bien d’autres, le chant negro-spiritual ollo t e rin ing
ourd Suive la gourde cachait une e plication destinée au esclaves
sur l’itinéraire à suivre. Ces songslines ou itinéraires chantés leur
offraient des cartes d’évasion tr s précises.

hen the sun comes bac


uand le soleil revient

and t e irst quail calls


et ue tu entends les premi res cailles oiseau migrateurs ui passent
l’hiver dans le Sud

ollo t e rin ing ourd.


Suit la ourde la rande Ourse .

or t e old man is aiting


Le vieil homme uel u’un t’attend

or to carr ou to reedom ou ollo t e rin ing ourd.


ui t’escortera vers la liberté si tu suis la ourde
e river an ill ma e a ver good road
Les berges de la rivi re ombigbee sont un tr s bon chemin,

e dead trees s o ou t e a
Les arbres morts t’indi ueront la voie,

Le t oot peg oot traveling on


Ils portent le dessin d’un pied gauche et d’un pilon

ollo t e rin ing ourd


Suis la ourde

Pendant une di aine d’années, arriet ubman accomplit di -neuf


voyages dans le Sud et escorte plus de trois cents esclaves vers les États
libres ou le Canada. t elle aimait à le répéter sans amais perdre un seul
passager
Ce succ s, elle ne le doit pas à la chance, mais à une r gle stricte
u’elle a tou ours suivie : uicon ue décide d’assumer le ris ue de passer
au Nord ne peut se raviser en chemin sous peine d’ tre abattu Ni abandons
ni demi-tours ne sont acceptés. Cette loi, elle sait la faire respecter.
Je n’ai amais eu à utiliser mon arme, raconte-t-elle dans cenes in
t e Li e o arriet u man Sc nes de la vie de arriet ubman , mais
une fois ’ai été pr s de le faire et e n’aurais pas hésité parce ue trop de
vies étaient en eu. ans un groupe ue e conduisais, au deu i me our de
marche, un homme se mit à se plaindre u’il était fatigué, ue ses pieds
étaient enflés, u’il n’était pas uestion u’il poursuive son chemin et u’il
préférait retourner mourir à la plantation s’il le fallait. Les autres ont tout
fait pour le convaincre, l’ont supplié de faire un effort, mais en vain. Ils ont
bassiné ses pieds, lui ont proposé de le soutenir. Rien à faire, il voulait
rebrousser chemin. lors ’ai dit au autres gar ons de sortir leurs revolvers
de leur poche et u’on le tuerait tous ensemble. Ils ont obéi aussit t. s
u’il a entendu a, le gars s’est relevé d’un coup et comme par
enchantement il s’est retrouvé en aussi bonne forme ue n’importe ui Je
n’aurais pas mis en péril une entreprise aussi dangereuse à cause d’un
trouillard.
lle conduit tant de monde vers la liberté ue les esclaves, ui
appellent le Sud erre d’Égypte , la surnomment o se .
n 1857, elle rencontre au Canada un abolitionniste devenu cél bre,
John Brown, ui pr ne l’insurrection armée. On dit ue Brown est tellement
émerveillé par l’intelligence et la force morale de arriet u’il rép te
inlassablement son admiration en l’appelant : eneral ubman, eneral
ubman, eneral ubman
Pour les financiers, la guerre de Sécession est l’affrontement de deu
doctrines économi ues, l’une protectionniste, l’autre libre-échangiste. Pour
arriet, elle est une guerre de libération. ngagée dans l’armée de l’ nion,
elle sert comme éclaireur gr ce à sa connaissance du terrain elle organise
également un réseau d’espions ui informe sur les esclaves ui souhaitent
re oindre l’ nion.
pr s la guerre, elle devient un membre tr s actif des droits des Noirs
et des femmes. Courageuse comme mille hommes, elle n’en est pas moins
femme. La m me année elle épouse Nelson avis, un eune homme de
vingt-deu ans son cadet, u’elle a connu pendant la guerre de Sécession.
Revenue s’établir à uburn, dans l’État de New or , elle y ach te un
lopin de terre en 187 . Plus tard, bien plus tard, trente ans apr s les faits, le
gouvernement américain lui verse une petite pension militaire.
lle en profite pour construire une aison pour les pauvres et les
personnes gées noires . lle meurt à l’ ge de uatre-vingt-trei e ans.
o ntre in ention de race

o nt nor ir in
18 octobre 1850 - 19 septembre 1911

Né au Cap, Joseph nténor Firmin fait partie de la troisi me


génération ui suit l’indépendance ha tienne. pr s ses études, il travaille
comme employé d’une maison de commerce, puis enseigne dans un
établissement privé. Progressiste et sensible au uestions de couleur , il
fonde un ournal, Le essager du Nord. n 1879, il échoue à la députation,
puis, apr s avoir refusé un emploi dans un minist re, s’e ile à Paris en
1884. C’est là ue, soutenu par son camarade ha tien Louis-Joseph Janvier,
médecin, homme politi ue et écrivain, il est re u comme membre de la
Société d’anthropologie de Paris, fondée par Paul Broca en 1859, o r gne
le racisme scientifi ue .

Sit t l’esclavage aboli par la France, en 1848, le syst me colonial se


met en place, car on ne peut pas renoncer à s’approvisionner dans les
territoires d’outre-mer. Idéologues, philosophes, scientifi ues appuient et
ustifient le travail civilisateur des Occidentau . Leurs discours
rassurent les e ploitants, le bon bourgeois et onsieur out-le-monde. Paul
Broca n’affirme-t-il pas du haut de sa chaire de professeur de chirurgie
clini ue à la faculté de médecine : Jamais un peuple à la peau noire, au
cheveu laineu et au visage prognathe, n’a pu s’élever spontanément
us u’à la civilisation n pur produit de la science du I e si cle, il
estime de son devoir de scientifi ue de dire la vérité sur les races : Il n’y a
pas d’intér t, aussi légitime soit-il, ui ne doive s’accommoder du progr s
de la connaissance humaine et se plier devant la vérité. Broca est d’une
rigueur ui force l’admiration de ses pairs. Il accumule les calculs, vérifie et
revérifie, sans se douter ue l’interprétation des résultats est fortement
soumise au pré ugés sociau de son temps. Il travaille au service d’une
conclusion dé à arr tée. Loin de toute argumentation scientifi ue, la
réponse est formulée avant la uestion : l’homme blanc est au sommet de la
hiérarchie.
C’est ue le besoin en travailleurs peu payés augmente, les nécessités
des débuts de l’industrialisation deviennent pressantes. Le discours
dominant a évolué largement depuis ontaigne ui disait, au Ie si cle, à
propos des Noirs : Ils sont plus raisonnables ue nous. partir de
escartes, au IIe si cle, on commence à nuancer : Ils sont aussi
raisonnables ue nous. ant, à la fin du IIIe si cle, renverse la
proposition : Nous sommes plus raisonnables u’eu . nfin, uand on
arrive à Broca et au savants du I e si cle, le doute n’est plus permis :
Nous seuls sommes raisonnables. u I e si cle, aucun dirigeant
occidental ne met en uestion le bien-fondé du classement racial.
Le débat encore d’actualité en 2010 porte tou ours sur
l’éducabilité et les progr s possibles des Noirs. ne savante instruction peut
les hisser au niveau des Blancs, pensent certains. Placé dans un meilleur
environnement, le Noir peut remonter la pente, disent les plus progressistes.
Pour les autres, il ne faut m me pas y penser, c’est sans espoir Cuvier,
naturaliste fran ais de grande renommée, estime ue la race africaine est
bien trop dégradée pour ue son intelligence puisse se développer. uant à
Charles arwin, bien u’abolitionniste convaincu, il classe les ottentots,
peuple du sud de la Namibie et du nord-ouest de l’ fri ue du Sud, entre
l’homme blanc et le gorille.
e fait, les anthropologues se partagent en deu clans. Les
monogénistes , chrétiens convaincus, ennemis de arwin et de sa théorie
de la sélection naturelle, main sur la Bible, estiment u’ dam et ve sont
l’uni ue origine de l’homme. lors pour uoi et comment ces deu anc tres
originels et leurs deu enfants ont-ils eu des descendants de plusieurs
couleurs r s simple, répli uent-ils. L’e pulsion du paradis a conduit
certains hommes les Noirs à une dramati ue dégénérescence, tandis ue
d’autres les Blancs n’ont subi ue des dég ts sans gravité. Le péché
originel aurait donc touché davantage les Noirs ue les Blancs.
L’autre courant est celui des polygénistes , libres-penseurs et
progressistes . Ce u’ils défendent, ce sont les vraies valeurs
républicaines. Pas uestion d’adhérer au idées bibli ues ni à celles,
réactionnaires et aristocrati ues, e posées par obineau dans les uatre
volumes de son ssai sur l inégalité des races umaines leur approche est
moderniste, républicaine, démocrati ue. Ils se posent à l’avant-garde des
recherches et des théories scientifi ues, et ils osent défier la Bible en
affirmant ue les Blancs et les Noirs sont de races différentes.
Leurs théories, en contradiction radicale avec les Écritures à une
épo ue o la messe du dimanche est une institution incontournable,
convain uent les élites, mais leur retirent les suffrages du grand public. Les
chrétiens ne peuvent concevoir la th se de races séparées. Les arguments
bibli ues l’ont suffisamment prouvé depuis l’ nti uité. La malédiction de
Cham, puni par son p re Noé pour l’avoir contemplé ivre et nu, p se asse
lourd sur son fils Canaan et sur sa descendance pour ustifier l’esclavage, et
donc la colonisation

Lorsque Noé se réveilla de son vin il apprit ce que lui avait ait son
ils cadet.
t il dit audit soit Canaan qu il soit l esclave des esclaves de ses
r res
l dit encore éni soit l ternel ieu de em et que Canaan soit leur
esclave
ue ieu étende les possessions de ap et qu il a ite dans les tentes
de em et que Canaan soit leur esclave
en se I , 24-27 traduction de Louis Segond

Cependant, à la Société anthropologi ue de Paris, tout le monde mange


à la m me table. On fr le m me parfois le consensus. On s’accorde à
reconna tre des différences entre le Noir et le Blanc, et on en arrive à la
conclusion, ui ne cho uera pas les colons d’outre-mer, u’il vaut mieu
encourager les dispositions respectives de chacun. n d’autres termes, dans
les colonies : au Noirs le travail manuel, au Blancs le travail intellectuel.
’aucuns, comme Louis gassi , naturaliste suisse émigré au États-
nis et grand promoteur du polygénisme, consid rent ue les Noirs doivent
tre protégés contre eu -m mes . La meilleure fa on de le faire,
lors u’on est humain , est donc d’encourager la séparation stricte entre
les races pourtant égales au plan des droits : dans ces conditions, une uste
place est réservée à chacun. me si gassi fut, à la fin de sa vie, criti ué
par certains de ses pairs, il contribua à légitimer la ségrégation raciale ui se
maintiendra au États- nis us u’à la fin des années 1960.
Si gassi n’apporte aucune preuve matérielle à sa théorie, à sa suite
vient eorge orton, le collectionneur de cr nes plus d’un millier à sa
mort, obtenus comment Il préconise de se fonder sur l’observation de leur
volume pour déterminer ui est plus humain ue l’autre. Il remplit donc les
bo tes cr niennes de graines de moutarde blanche tamisées, u’il verse
ensuite dans un cylindre gradué. Sa méthode fait l’admiration de tous. n
ramassis d’astuces et de tripotages de chiffres dont le seul but est de
confirmer des convictions préalables , constatera Stephen Jay ould dans
La almesure de l omme en 1981. ais, pour l’heure, orton manie les
chiffres et les chiffres, parce u’ils sont susceptibles de toutes les
interprétations, ont un pouvoir d’envo tement, de fascination. Le peuple et
les bourgeois applaudissent, surtout lors ue les résultats vont dans le sens
des affaires. Francis alton se taille une véritable célébrité lors u’il installe
son laboratoire de mesure des cr nes et autres gadgets à l’ position
internationale de 1884. Pour uel ues sous, le visiteur a droit à un certain
nombre de tests, puis on lui délivre une petite feuille portant les résultats
C’est donc dans cette ambiance scientifi ue tr s particuli re, obsédée
par les classifications, u’ nténor Firmin est admis sur les bancs de la
Société d’anthropologie de Paris. Il se mord les l vres, il a du mal à en
croire ses oreilles. a tien fier de sa Républi ue et de son héro ue histoire,
comment ne serait-il pas profondément cho ué, mortifié de voir affirmer
l’inégalité des races humaines et l’infériorité native de la race noire Plut t
ue d’interrompre les débats et de provo uer une violente discussion, dont
il se doute u’elle ne déboucherait sur rien, tant les personnalités présentes
sont imbues d’elles-m mes, il préf re publier, en 1885, un livre de si cent
soi ante-deu pages u’il intitule e l égalité des races umaines
nt ropologie positive .
Firmin poss de une culture encyclopédi ue. n homme éclairé,
positiviste, adepte d’une vision ob ective de la science telle ue décrite
par uguste Comte, fondée sur des faits et non sur des spéculations, il
soutient u’une étude empiri ue de l’humanité, menée d’apr s des faits
minutieusement récoltés, peut démontrer l’erreur des théories spéculatives
sur l’inégalité des races.
Il reprend donc les travau et mesures de l’anthropométrie, de la
craniologie, utilise les tables et chiffres de ses adversaires pour b tir sa
réfutation. Il agit de fa on tr s intelligente, sans agressivité, avec simplicité
et m me humour. Criti uant la mythologie raciale à la mode, il affirme ue
la notion de race pure se discute si l’on consid re combien les groupes
humains ont fusionné, et il souligne ue la notion de race sert surtout à
diviser l’humanité. Il évo ue et commente les facteurs climati ues et
géographi ues ui affectent la couleur de la peau et les traits physi ues, il
s’intéresse au substances biochimi ues du derme, domaines peu e plorés
us ue-là.
Il fait si bien u’il réussit à réduire le discours des anthropologues à un
ensemble d’affabulations. Non sans ironie, écrit l’historienne Carole
Reynaud Paligot, auteur de La épu lique raciale, il compare les savantes
mesures de Broca et de ses coll gues à des eu puérils , ironise sur ces
séries de chiffres o les races humaines bras dessus, bras dessous, dans une
belle promiscuité , semblent rire au ne des savants classificateurs , et il
prophétise le discrédit de leur science, uand viendra la criti ue du e
si cle .
Sa réfutation s’oriente non pas dans le bon sens , ui permet si
aisément toutes les dérives, mais dans le sens du bon , respectant une
éthi ue du vivre ensemble, à l’opposé de la haine ui divise. Il est
nécessaire en derni re analyse, écrit-il, d’e aminer les conclusions
au uelles ont été logi uement acculés les savants ui soutiennent la th se
de l’inégalité des races. Si ces conclusions sont évidemment contraires à
toutes les notions du progr s, de la ustice si on ne peut les tenir pour
possibles u’à condition de renverser toutes les idées généralement re ues
comme les plus conformes à la stabilité, à l’harmonie des hommes et des
choses, au aspirations ui sont le plus beau titre de l’humanité, ce sera une
raison de plus pour écarter comme fausse la théorie dont elles sont
déduites . Or les savants ui affirment ue les races ne sont pas égales,
en viendraient-ils donc à désirer un régime de distinction, l’établissement de
vraies castes, dans la nation m me à la uelle ils appartiennent
Cet ouvrage tr s avant-gardiste passe inaper u : Firmin est isolé, seul
contre un milieu d’anthropologues ui fait le eu du pouvoir politi ue et
colonialiste. uand on produit un discours trop différent du discours
ambiant, on est automati uement e clu. e plus, il est noir. Comment un
Noir prétendrait-il détenir la vérité
Pour autant, Firmin ne perd rien de son humour. lors m me u’il écrit
son livre, il le sait condamné au silence. uel u’un ui un our lui
déclare : L’inégalité morale des races est un fait ac uis , il répond
laconi uement : n effet. t il note dans le livre son espoir ue les
mentalités aient enfin changé au e si cle
oins dr les sont les consé uences des théories anthropologi ues du
I e si cle sur le monde. lles sont tr s lourdes et les dég ts, profonds,
nous le constatons encore au ourd’hui. Ce discours pseudo-scientifi ue
servira longtemps d’alibi pour maintenir dans les colonies une éducation au
rabais. On se contente de former des au iliaires de la colonisation et non
des hommes aptes à utiliser un savoir. Les cadres doivent rester blancs.
L’alliance de certains scientifi ues avec les milieu économi ues,
politi ues, littéraires et artisti ues favorise la diffusion de leurs th ses par la
presse, les ouvrages de vulgarisation scientifi ue, les dictionnaires. On
trouve dans le Larousse du I e si cle cette observation : ans l’esp ce
n gre, le cerveau est moins développé ue dans l’esp ce blanche, les
circonvolutions sont moins profondes Les oos humains attirent des
millions de spectateurs voir pages 16 -168 . Les manuels scolaires, les
romans pour la eunesse sont les réceptacles des th ses raciales. Jus u’à la
Seconde uerre mondiale, les écoliers apprennent non seulement u’il y a
des races, mais u’elles ne sont pas égales.
La radioactivité de cette pensée raciale permet à des eugénistes
américains, au début du e si cle, d’utiliser les tests d’intelligence, les
fameu I, pour prouver scientifi uement l’infériorité des populations
noires, mais aussi est-européennes et uives, sur les Blancs, et en déduire
u’il faut absolument en limiter l’immigration.
La b te est loin d’ tre morte : en 1994, deu auteurs américains
écrivent un ouvrage, e ell Curve La courbe en cloche , o ils
prétendent démontrer, chiffres à l’appui, ue l’intelligence est héréditaire et
les Blancs, supérieurs au Noirs. Les racines sont profondes et tou ours
vivaces.
Les scientifi ues, se fondant sur les progr s de la généti ue, sont
au ourd’hui unanimes à conclure u’il n’y a u’une seule race humaine. t
pourtant, la éclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre
1948 n’a tou ours pas été amendée et contient tou ours le mot race :
Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés
proclamés dans la présente éclaration, sans distinction aucune, notamment
de race, de couleur, de se e, de langue
e remier « Nègre » noir de o tec ni e

i ort no
29 novembre 1859 - 22 décembre 19 0

Selon la légende, le maréchal ac- ahon, passant en revue les él ves


officiers de l’ cole polytechni ue, se serait e clamé devant le eune
Camille ortenol, raidi dans sa tuni ue noire à deu rangées de boutons :
h C’est vous le N gre r s bien, mon ami Continue vant de
s’offus uer, il faut savoir ue, par tradition, on appelait N gre l’él ve le
plus brillant de sa promotion. ans le cas présent, le ualificatif se vérifiait
doublement.

Le 29 novembre 1859, Camille ortenol voit le our à Pointe-à-Pitre


en uadeloupe. Fils d’ ndré ortenol et de Julienne oussaint, tous deu
anciens esclaves, Camille se montre rapidement brillant à l’école. Il est
m me le meilleur et obtient une bourse d’études pour le lycée de Bordeau ,
ville ui a b ti une partie de sa richesse sur la traite négri re. rente-trois
ans auparavant, la ville était le deu i me port négrier fran ais. e 1672 à
1826, ses armateurs ont déporté des milliers d’ fricains vers les ntilles.
Étrangement, alors ue la traite est considérée comme crime contre
l’humanité depuis le 10 mai 2001, vingt-cin rues de la ville, dont la rue
Saige, patronyme d’un ancien maire de Bordeau , portent encore les noms
de ces négriers. u avre et à La Rochelle, il en e iste encore si à
Nantes, on e. La cité girondine a recouvré la mémoire en 2009, ouvrant au
musée d’ uitaine deu salles consacrées à la traite esclavagiste, mais elle
est encore bien loin de Liverpool, autre ancien port négrier, ui a inauguré,
en 2007, un usée international de l’esclavage afin d’ interpeller
l’ignorance et la non-compréhension par l’illustration de l’impact
permanent de l’esclavage et de la traite négri re sur l’ fri ue, l’ méri ue
du Sud, les États- nis d’ méri ue, les Cara bes et l’ urope de l’Ouest .
uel ues années de lycée plus tard, Camille ortenol ne craint pas de
préparer con ointement les concours d’admission à l’école militaire de
Saint-Cyr et à l’École polytechni ue, u’il réussit brillamment tous les deu
en 1880. Il choisit d’entrer à Polytechni ue dont il devient le premier
N gre noir de l’histoire.
Il n’oublie pas pour autant d’o il vient. L’esclavage a été aboli en
uadeloupe on e ans seulement avant sa naissance, ses parents l’ont subi
tr s durement. Il n’est pas étonnant u’il ait d’abord choisi Polytechni ue.
La Convention nationale, par son article 18 de la éclaration des droits de
la Constitution, n’avait-elle pas institué l’école en 1794, l’année m me de la
premi re abolition de l’esclavage
Lors ue ortenol int gre Polytechni ue, les uadeloupéens vivent
dans le culte des abolitionnistes et de ses figures héro ues : parmi tant
d’autres, elgr s, oussaint-Louverture, l’abbé régoire, ictor Schoelcher
u’il fré uentera et ui deviendra un ami. u obs ues de l’homme
illustre, en 189 , c’est ortenol ui conduit le cort ge au c tés des
membres de la famille.
Il termine ses études en si bonne place u’il peut choisir son corps de
destination : la marine. ne passion insufflée par son p re ui, en 1847,
ayant racheté sa liberté, était devenu ma tre-voilier. Le vent du large, le vent
de la liberté.
Fid le à son parcours, le eune homme entame une carri re e emplaire
de marin. ne carri re ui ne rend pas ustice au marin e ceptionnel u’il
fut. Commencée le 16 anvier 188 , lors u’il embar ue à bord de la frégate
l’ lceste en ualité d’aspirant de premi re classe, elle s’ach ve en 1902
sans u’il ait dépassé le grade de capitaine de vaisseau, victime d’un
pré ugé de couleur . Il est vrai u’il n’a pas choisi la facilité en optant
pour la Royale . La marine de guerre était un corps aristocrati ue au
codes bien établis. uels barrages de pré ugés le eune ntillais n’a-t-il
pas été confronté uand on imagine l’archa sme des mentalités à
l’épo ue écrit ongo Beti dans son ictionnaire de la négritude.
out a pourtant tr s bien commencé. Le président du ury chargé de
faire passer les e amens au uatre aspirants de la frégate l’ lceste note, le
10 octobre 188 : Je signale avec plaisir comme tr s remar uable .
ortenol, ui s’est montré tr s supérieur à ses camarades sous tous les
rapports.
Les notes confidentielles de son dossier, conservées au service
histori ue de la arine à incennes, rév lent les raisons des blocages
de sa carri re. n 1892, un vice-amiral remar ue : . ortenol est un
officier du plus beau noir, au cheveu laineu . Or uelle ue soit son
intelligence et uelles ue soient ses ualités apparentes, e considérerai
tou ours comme tr s f cheuse l’introduction d’officiers de cette race dans la
arine. Le service en souffre souvent et beaucoup . Cela dit, e déclare
n’avoir aucun pré ugé contre la race noire et ne parler ue le langage de la
raison.
uatre ans plus tard, le 15 ao t 1896, autre morceau de bravoure, par
un autre officier bien intentionné , le capitaine de frégate Forestier : La
seule chose ui lui soit pré udiciable est sa race et e crains u’elle soit
incompatible avec les positions élevées de la arine, ue son mérite et son
instruction pourraient peut- tre lui permettre d’atteindre sans cela. on
opinion est u’il y aurait intér t à le maintenir le plus longtemps possible
dans les grades inférieurs.
s 1894, apr s dou e ans de campagne maritime, il est envoyé à
adagascar o il participe à tous les combats. Il s’y forge une réputation de
brillant officier supérieur en raison non seulement de ses faits de guerre,
mais aussi parce u’il coop re, les années suivantes, avec é uité, à
l’organisation de la colonie malgache, pour le grand bénéfice de la
Républi ue fran aise.
e 1900 à 1902, on lui confie le commandement de la station locale du
Congo fran ais, puis celui d’un navire croisant au abon, avant de mettre
entre ses mains la flottille des torpilleurs fran ais des mers de Chine.
uel ues années plus tard, allieni, alors gouverneur militaire de
Paris, puis ministre de la uerre, se souvient de ortenol et, en 1914, le
charge de la défense aérienne de la capitale. Il améliore le syst me de
renseignement télégraphi ue, et utilise d’énormes et puissants pro ecteurs
de nuit, dont ceu du ont- alérien, ui surplombent la ville, pour aveugler
les avions allemands. Son syst me parvient à dé ouer toutes les atta ues
Finalement, c’est sur terre et non sur mer u’il récolte la gloire. Pour
avoir défendu le ciel de Paris, il obtient la cravate de commandeur de la
Légion d’honneur et le grade de colonel dans la réserve de l’artillerie de
terre.
is à la retraite apr s la guerre, il reste à Paris us u’à sa mort. n
souvenir, les ntillais lui ont érigé une statue sur les uais de Pointe-à-
Pitre les Parisiens ont donné son nom à une rue du e arrondissement.
t au ourd’hui, les choses ont-elles changé Combien de Noirs à
Polytechni ue ans la préfecture ans la haute administration On
parle au ourd’hui de discrimination positive . Si la discrimination
positive est moralement compréhensible, elle reste à mon sens une fausse
solution. ettre en avant deu ou trois personnes noires peut servir de
paravent, alors ue dans le m me temps les in ustices perdurent. Ce u’il
faut, c’est amener la culture et l’éducation partout, afin ue toutes les
populations aient ensuite la possibilité, la liberté de s’épanouir dans la
société. Il faut mettre en place des outils pédagogi ues et faire un travail de
fond. Changer l’imaginaire. ue certains Blancs perdent leur comple e de
supériorité et ne mettent plus en doute les capacités intellectuelles des
Noirs, et ue certains Noirs se débarrassent définitivement de leur comple e
d’infériorité.
e remier omme a e Nord

tt n on
8 ao t 1866 - 8 mars 1955

J’ouvre un dictionnaire des noms propres et e trouve au nom


Peary : plorateur américain. Il atteignit, le premier, le p le Nord, le
6 avril 1909.
ucune mention d’un certain atthew enson. Comme il n’y a amais
prescription lors u’il s’agit de corriger une erreur ou une imposture, e
reprends la boussole et garde le nord, direction le p le et l’océan
rcti ue

atthew enson est né le 8 ao t 1866, deu ans apr s la guerre civile,


à Charles County dans l’ tat du aryland, de parents fermiers. Pour
échapper au violences déclenchées par le u lu lan, fondé un an avant
sa naissance, sa famille se rend dans le district de ashington. Sa m re
meurt uand il a sept ans, son p re un an plus tard. Orphelin, atthew
enson est confié à un oncle. Il va uel ue temps à l’école, puis travaille à
la plonge dans un restaurant. Les années passent, il regarde le ciel, imagine
la mer et r ve d’aventure. Jus u’au our o , n’y tenant plus, il fait son
baluchon et part sur la route pour re oindre Baltimore : soi ante ilom tres.
Il n’a ue dou e ans. n vieu capitaine a pitié de lui et le prend sur son
atie ines, un trois-m ts de la marine marchande, comme gar on de
cabine et simple matelot.
Sous son commandement, atthew enson parcourt la Chine, le
Japon, anille, l’ fri ue du Nord, l’ spagne, la France Souffrant tant t
de la faim, tant t du froid, ou cuisant dans son us par les nuits étouffantes
des tropi ues, traversant des mers o les bateau couverts de glace
ressemblent à des icebergs, luttant contre les temp tes, le man ue de
sommeil, les maladies, les fi vres, le gamin fait l’apprentissage de la
brutalité du monde. ais il apprend également à lire, à compter. Il
s’intéresse à la cartographie et à l’astronomie maritime.
la mort de son capitaine, atthew, bien u’e périmenté, ne trouve
plus d’emploi de marin. Il se résigne à travailler dans un magasin de
v tements pr s de ashington. C’est là u’un our de 1887 sa vie bascule.
n client de la maison, Robert . Peary, officier de l’ nited States Navy,
vient acheter un chapeau de soleil. Il part, dit-il au patron, dresser une carte
de la ungle du Nicaragua dans l’espoir d’y construire un canal, et il cherche
un domesti ue. andis ue son client essaye son chapeau, enson se
propose. Il a vingt et un ans et s’ennuie à terre. Peary l’embar ue.
Lors de ce voyage d’e ploration, atthew enson montre tant de
ualités ue Robert . Peary décide de l’ad oindre à ses e plorations
futures. C’est ue Peary a un r ve, une obsession, un désir fou : tre le
premier à fouler le p le Nord. Évidemment, enson accepte de
l’accompagner. Ce u’il désire follement, lui, c’est sortir de sa mis re.
n 1891, ils font leur premi re traversée du roenland. Leur ob ectif
est d’apprendre la navigation en eau arcti ues dans cet océan de glaces
flottantes et d’icebergs ui e ige de solides connaissances pour survivre.
Parfois le groupe se scinde en deu . andis ue Peary part en
reconnaissance, enson reste au camp de base o il chasse, bricole et
ac uiert l’art de construire des igloos. Les Inuits lui enseignent leur langue
et leurs coutumes, et bien plus encore puis ue le eune atthew va convoler
avec une de leurs femmes, ratangua , et prendre uel ues années plus
tard le nom de attipalu .
e 189 à 1906, enson et Peary sillonnent le sud-ouest de l’océan
glacial, le nord du roenland, la terre d’ llesmere C’est de l’une de ces
e péditions ue Peary revient les pieds gelés. On doit l’amputer de sept
orteils. Ces différentes tentatives leur permettent de dresser une carte de ces
terres inconnues.
e retour à New or , de 1906 à 1908, enson travaille au musée
d’ istoire naturelle de New or , comme spécialiste des territoires polaires
et de leurs populations. e son c té, Peary, afin de financer ses e péditions,
donne des conférences et e hibe des Inuits habillés de peau de pho ue,
avec leurs harpons. C’est la grande épo ue des oos humains . Seattle,
on les fait sé ourner dans une chambre froide afin de les aider à s’acclimater
au conditions météorologi ues de la région uel ues mois plus tard,
deu d’entre eu meurent d’une tuberculose foudroyante.
Le 6 uillet 1908, le oosevelt, un trois-m ts vapeur spécialement
con u pour les eau arcti ues, largue les amarres : c’est leur neuvi me et
derni re e pédition. Le bateau compte à son bord Peary, enson et sept
méricains blancs peu performants mais payés deu fois plus ue
enson . Ils longent la c te ouest du roenland en ao t, puis hivernent en
attendant le début du printemps. tah, ils embar uent di -huit Inuits,
leurs familles et cent trente-trois chiens.
nfin, le 18 février 1909, enson et un petit groupe d’Inuits
commencent leur raid vers le p le. oyager à travers cette mer de glace est
plus difficile ue de traverser une terre gelée. Il faut prendre garde au
morceau de ban uise ui peuvent se détacher des c tes, ouvrant soudain
d’immenses crevasses impossibles à franchir.
Pendant uarante ours, le groupe de enson et celui de Peary
organisent un roulement : tandis ue l’un se repose, l’autre avance.
Le 6 avril 1909, les conditions météorologi ues sont favorables. Les
temp tes d’hiver sont terminées. Le ciel est p le, sans couleur, la glace,
d’un blanc spectral mais, d’une moyenne de 40 degrés, la température
s’est élevée à 15 degrés, ce ui facilite la navigation des tra neau .
Si hommes se lancent dans la course vers le p le. n t te : enson
avec Ootah et Oo ueah derri re, Seegloo et ghingwah entourant un Peary
handicapé par son amputation des orteils. La tension est à son comble. Les
Inuits s’in ui tent du retour car ils n’ont pres ue plus de nourriture. Il
faudra bient t manger les chiens.
enson, par savoir-faire et par chance, devance le groupe de Peary et
devient le premier homme au monde à atteindre le p le Nord C’est-à-dire
ce point géographi ue o tous les fuseau horaires se rencontrent . Ses
amis inuits regardent autour d’eu sans comprendre. Rien ne différencie ce
paysage du reste, glacial et immaculé. Ce n’est ue cela, le p le lui
demandent ses camarades es uimau . Les Blancs se battent pour a
oilà des uestions au uelles enson ne peut répondre. e toute mani re,
chacun tombe de sommeil.
uarante-cin minutes plus tard, uand enson se réveille, il aper oit
devant lui Peary harassé, malade, à demi aveugle, se tenant droit par un
supr me effort. Son visage est couvert de glace et de givre, sa peau est
br lée par le soleil. lors enson se souvient u’il est au p le et il le crie à
Peary ui tourne vers lui des yeu d’aveugle et lui répond d’une voi
mourante : Je prends ghingwah et Seegloo avec moi, pour faire des
observations Car tous les aventuriers de ce début du e ustifiaient
leurs e péditions par le désir de faire avancer la science et la
civilisation .
Le succ s est éclatant, mais le retour est sombre. Peary n’adresse plus
la parole à enson us u’à Cap Columbia o ils arrivent le 2 avril apr s
sei e ours de souffrance. Il s’estime gravement offensé d’avoir été privé de
la victoire par un domesti ue, un N gre ui plus est.
pr s une br ve controverse un concurrent de Peary, Frederic
Coo , prétend avoir atteint le p le le 21 avril 1908, mais n’a-t-il pas dé à
revendi ué mensong rement l’ascension du mont c in ey , le congr s
des États- nis déclare Peary gagnant, à uatre voi contre trois.
Plus tard, Peary e ige de relire les épreuves de l’autobiographie ue
enson fait para tre, Negro plorer at t e Nort ole, et lui confis ue
les cent photographies u’il a prises. uant à son propre livre relatant le
voyage, l assaut du p le Nord, il est un e emple de condescendance et de
pré ugés : Bien u’il me f t dévoué et u’en ma compagnie il se montr t
plus apte à couvrir une longue distance u’aucun autre, il ne possédait pas
l’héritage atavi ue d’audace et d’initiative de ses camarades blancs .
enson est ainsi relégué au r le de simple porteur des bagages de son
ma tre. N’ayant aucun dipl me, et étant trop éprouvé physi uement pour
continuer à naviguer, il trouve un modeste emploi de porteur à Broo lyn au
tarif de sei e dollars par semaine, puis de coursier à la douane de New
or . aucun moment Peary ne s’en soucie, pas plus ue de l’avenir des
Inuits dont il conna t l’e tr me dénuement.
Il faudra attendre 19 7 pour ue atthew enson soit re u membre du
tr s sélect plorer’s Club, et 1944 pour ue le Congr s lui accorde enfin la
reconnaissance officielle de découvreur du p le Nord.

Cela dit, nous pouvons relativiser tout ceci : il est fort possible ue des
Inuits, depuis des si cles, aient découvert en passant le p le Nord, bien
avant enson et Peary Rendons au natifs, perpétuellement volés de
leurs terres, leur patrie et leurs découvertes.
n to r i on r de ro e

or or
26 novembre 1878 - 21 uin 19 2

Parmi tous ceu ui ont combattu pour la ustice et contre le racisme,


les sportifs arrivent en bonne place. Ils ont préparé le terrain plus ue les
autres, parce ue les médias se sont associés à leur réussite. Ils ont lutté
pour changer les stéréotypes, dénoncé les ghettos sociau o les renvoyait
leur couleur, ils ont creusé des sillons

Contrairement à une idée re ue, le tout premier sportif noir à avoir


émergé dans le sport n’est ni un footballeur ni un bo eur, mais un cycliste :
le cél bre arshall alter aylor ouvre ainsi la liste
Son histoire a fait tomber uel ues-uns de mes pré ugés. Plus eune, si
on m’avait dit u’il y avait eu un champion du monde cycliste noir, e ne
l’aurais pas cru.
arshall aylor est né dans l’Indiana d’un p re cocher. Ce dernier a la
chance de trouver un travail dans une famille d’Indianapolis, peu touchée
par les pré ugés raciau de l’épo ue. C’est à partir du our o cette famille
va lui offrir une bicyclette ue sa vie commence
Sa passion pour le vélo est dévorante. Il passe tout son temps sur la
selle. Il se livre m me à toutes sortes d’acrobaties, u’on appellerait
au ourd’hui ree ride ou street i ing, au point u’un our de 1892 un
marchand de cycles lui propose de faire des e hibitions devant sa bouti ue
pour attirer les acheteurs.
Le eune adolescent est ravi : non seulement il peut montrer son
habileté, mais il va gagner uel ues sous. Il accepte d’enfiler pour
l’occasion un uniforme de soldat, uniforme ui lui collera à la peau puis ue
désormais on l’appelle le a or aylor . Il se lance également dans la
compétition et remporte de nombreuses petites courses sur piste.
n 1895, il s’installe à iddletown, dans le Connecticut, et se fait
embaucher comme mécanicien à la orcester Cycle anufacturing
Company, o son patron, Birdie unger, lui propose de courir dans son
é uipe. s ses premi res courses en amateur il s’impose. l’ ge de di -
huit ans, en 1896, il est dé à recordman du mile, dominant tous les
professionnels, et gagne uatre pri . evenu professionnel en 1897, il
remporte d s sa premi re saison huit grands pri et il est sacré vice-
champion des États- nis du mile. On l’appelle le tourbillon de
orcester.
n m me temps u’il remporte des victoires, il découvre le racisme ui
empoisonnera toute sa carri re. Lui ui bat des records de cyclisme conna t
les sommets de l’in ustice : interdiction de s’inscrire à certaines
compétitions, de courir dans certains États comme l’Indiana, refus de
coureurs blancs de se mesurer à un N gre es spectateurs lui lancent
de l’eau glacée au visage, ettent des clous sous ses roues u’il franchisse
l’arrivée dans un mouchoir , et c’est le deu i me ui sera déclaré
vain ueur J’ai m me lu u’on lui avait collé le chiffre 1 sur son maillot,
espérant lui porter malheur Sans compter les menaces de mort u’il re oit
avant un départ et les intimidations de toutes sortes.
ais la force de aylor tient à son mental. Les humiliations, les
agressions dont il est l’ob et le rendent plus fort au lieu de l’abattre. Face à
la haine de certains Blancs, il ne court pas pour l’argent, mais pour l’égalité,
pour montrer ce u’il est, pour affirmer sa fierté. Il a non seulement du
courage, mais une sacrée intelligence. Il ruse avec ses concurrents, il leur
fait croire u’il est fatigué, ou bien il lance de fausses atta ues. ais l’une
de ses tacti ues les plus remar uées, c’est de ouer le li vre et de s’y tenir.
Con uérir la t te d’emblée, d s le début de course, et y rester faute de
uoi, s’il se fait absorber par le peloton, il ris ue d’ tre lynché en route
Pour ue tout se passe bien, il doit tre devant. Sa position est
emblémati ue de celle des Noirs. Pour tre accepté, il faut tre e cellent. Il
faut tre plus ue les autres.
n 1898, il remporte encore un nombre impressionnant de courses,
dont le mile départ lancé, le mile départ arr té et le demi-mile. n 1899, il
obtient vingt-deu victoires, dont le championnat du monde de vitesse, le
championnat du monde du mile et le championnat des États- nis de
vitesse en 1900, il établit le nouveau record du monde du mile derri re une
moto t ue ne gagnerait-il encore s’il ne subissait pas la ségrégation et
son cort ge d’humiliations
bout, il décide en 1901 de s’e patrier en urope. La France est pour
lui un eldorado. Il y est vite considéré comme un tr s grand coureur. Il
s’illustre dans toutes les capitales du ieu Continent ainsi u’en
ustralie et en Nouvelle- élande o il est re u comme une vedette, et
pres ue comme un homme. Évidemment, on étudie scientifi uement
sa morphologie pour comprendre ses performances tou ours les fameu
oos humains.
t puis, vient la lassitude. n 1904, il dit adieu à la compétition et
rentre au pays, espérant se reposer sur ses lauriers us u’à la fin de ses
ours. ais c’est compter sans la ségrégation, dont l’ urope lui a
momentanément fait oublier la puissance lors il reprend son vélo et, en
1907, retourne vers le ieu Continent us u’à sa retraite en 1910, à l’ ge
de trente-deu ans o l’accueil, à l’épo ue, est apparemment plus cordial et
le racisme moins agressif.
enfer de oo main

t n
1881 1884 - 20 mars 1916

es promesses mensongres
et uelu es adroites pressions
du chef du service des f faires
indignes furent nécessaires pour
décider une centaine de Canaues
à se rendre, croyaient-ils,
à l’position coloniale de Paris
de 19 1 en vue d’y présenter leur
culture . Les Canaues ne furent
pas logés dans l’enceinte
de l’eposition de incennes,
comme ils l’imaginaient. Ils furent
dirigés à l’autre bout de Paris,
au Jardin oologiue
d’acclimatation du bois
de Boulogne ui, destiné à l’origine
à accueillir plantes et animau
eotiues, était devenu le lieu
de plusieurs ehibitions
d’indignes. uelue s cases furent
édifiées à la h te et le spectacle
put commencer.

lice Bullard et Jol auphiné,


oos umains
Parmi ces prétendus sauvages polygames et cannibales ui furent
par ués au Jardin oologi ue d’acclimatation en 19 1 il y a seulement
soi ante-di -neuf ans figurait . athio e Canala, le grand-p re de
mon ancien coé uipier de l’é uipe de France, Christian arembeu.
Lors u’il lui racontait cette histoire, son grand-p re était submergé par
la col re.

L’histoire d’Ota Benga, Pygmée originaire de l’ancien Congo belge,


aide à comprendre ce ue l’on a appelé les oos humains . isérable
survivant ayant perdu toute sa famille lors d’un massacre perpétré par les
troupes du roi Léopold II de Belgi ue, il est vendu en 1904 par des
trafi uants à un missionnaire, Samuel Phillips erner. Ce dernier l’emm ne
au États- nis afin de l’e hiber à l’e position mondiale de Saint-Louis, ui
se trouve umelée au roisi mes Jeu olympi ues. ieu sait uel argent il
va gagner gr ce à ce sauvage au dents taillées en pointe cette
occasion, ségrégation oblige, on organise des eu séparés pour les
personnes dites de couleur, des ournées anthropologi ues avec lancers
de avelots, de boomerangs et autres e otismes .
Ota Benga est ensuite conduit de foire en foire pour arriver, au début
de septembre 1906, au Bron oo de New or . Il est aussit t mis en cage
en compagnie d’un orang-outang et d’un perro uet, afin de donner un
aper u convaincant de son milieu de vie, la ungle. Pour parfaire le tableau
du cannibale, sa cage est parsemée d’ossements. On lui installe un hamac,
de m me u’une cible sur la uelle il doit tirer des fl ches uand passent des
visiteurs.
n panneau à c té de sa cage informe sur le spécimen :

ta enga
aille pieds . oids livres
ge ans
isite tous les apr s midi
durant le mois de septem re.

Ota Benga est certes de temps à autre autorisé à sortir se promener


dans les ardins, mais le comportement apeuré, agressif ou curieu des
visiteurs le contraint à se réfugier dans sa cage
Pour comprendre ces oos humains, il faut imaginer un monde o tr s
peu de personnes voyagent. Ces oos constituent donc pour eu le comble
de l’e citation et du dépaysement. n plus de servir d’album de voyage, ils
favorisent également l’instruction des eunes générations, et les enfants y
retrouvent l’e otisme ui a enflammé leur imagination dans Capitaine de
quin e ans ou Les o ages de Livingstone. n l’absence de télévision, c’est
la sortie du dimanche, on y va pi ue-ni uer en famille. C’est aussi le lieu de
tous les fantasmes, o l’on surprend le sauvage sur le vif, dans sa uasi-
nudité, à une épo ue o les Blancs sont habillés us u’au cou, m me pour
prendre un bain de mer.
uand il ressort du oo, onsieur out-le-monde croit intimement,
totalement à l’e istence du sauvage, de son paysage et de ses m urs.
Comment douterait-il de cette mise en sc ne Ces sauvages sont
d’autant plus réalistes u’ils sont payés pour grogner, manger de la viande
crue, monter au arbres et s’y suspendre par un bras On ne peut tenir grief
au organisateurs de cette supercherie. Le sauvage n’e istant pas, il faut
bien recourir à des comédiens.
l’épo ue d’Ota Benga, le directeur du oo croit fermement en la
pédagogie de son Prehistoric Par . Pour lui, ce Pygmée incarne à l’évidence
le cha non man uant entre le singe et l’homme, l’homme blanc bien s r.
La science applaudit. Le probl me de l’anthropologue, en 1860, c’est
le spécimen. r s peu d’anthropologues vont au colonies relever leurs
mesures. Ils n’ont donc pas de Pygmées, d’ ntillais, d’ borig nes sous la
main et se lamentent devant la pauvreté des moyens accordés à la
recherche. r ce au cir ues et au oos, puis au e positions universelles,
ils vont enfin pouvoir donner un véritable essor à leur discipline. Paris,
lors des grandes e positions, plus de cent uarante anthropologues
accourent faire leurs observations. Les matinées sont réservées à la science.
ne foule de traités raciologi ues paraissent entre 1860 et 1910, tous écrits
à partir de spécimens payés pour ouer au sauvages
Or ce succ s se retourne contre la petite entreprise du missionnaire
Samuel Phillips erner. Non seulement des hommes de bonne volonté
s’offus uent d’une telle e hibition, mais surtout d’influents hommes
d’Église demandent son interdiction parce u’elle soutient la théorie
darwinienne de l’évolution , le cha non man uant, absolument contraire à
la doctrine chrétienne.
On place donc Ota Benga à oward, un orphelinat pour Noirs de
Broo lyn, dirigé par le révérend ordon. Puis on le conduit en irginie. Là,
on couvre ses dents effilées et on l’habille à l’européenne. ouchée par sa
détresse, la poétesse nne Spencer l’incite à s’instruire dans l’école baptiste
de Lynchburg. ais il ne songe u’à rentrer che lui. Pour cela, il lui faut à
tout pri gagner de l’argent. Il travaille donc dans une fabri ue de tabac,
économisant sou par sou pendant di ans. u bout des di ans, la rande
uerre ruine ses espoirs de retrouver un our son pays.
Il tombe dans une profonde dépression et, le 20 mars 1916, apr s avoir
fait un feu traditionnel, il se tire un coup de revolver dans le c ur.
Pour uoi un tel geste s’interrogent certains. Samuel Phillips erner
prétend u’Ota Benga s’est suicidé parce u’il n’a pas réussi son
intégration

Pour mieu comprendre le mécanisme d’une telle abomination, e me


suis adressé à Pascal Blanchard, historien, auteur d’ouvrages sur l’ fri ue
contemporaine et codirecteur de l’e cellent ouvrage oos umains.
cette épo ue, m’a-t-il e pli ué, les États- nis comptent plus de di
millions de Noirs sur leur sol. Le spectre du mariage mi te apeure le monde
blanc. Les croisements entre races différentes abaissent le niveau
physi ue et mental , écrivent les traités eugénistes. Il faut protéger la race
blanche. Pour convaincre le peuple, on fait venir des Noirs d’ fri ue, on les
met en sc ne et on alerte le peuple américain : Regarde ce u’est un
N gre Imagine une seconde ue l’on autorise les mariages mi tes
Regarde à uoi vous alle ressembler
L’Office eugéniste américain réalise des films dans ces oos humains,
puis les diffuse partout en méri ue. r ce à uoi, de 1910 us u’au
années 1950, uarante-trois États interdisent les mariages interraciau .
L’Occident a tou ours e hibé l’ utre. Les Romains e hibaient les
aulois dans les ar nes. Il y a encore uel ues di aines d’années, on
trouvait dans les f tes foraines des femmes à barbe, des femmes ob ses, des
femmes panth res, des hommes troncs, des fr res ou s urs siamois, ce ue
l’on appelait au États- nis les t nics o s, ou rea s o s Parade
des monstres . Les peuples noirs étaient ainsi e hibés au m me titre ue
les hommes troncs ou les femmes à barbe
u début du I e si cle, on n’e pose ue uel ues individus dans des
thé tres ou sous d’immenses chapiteau Barnum au États- nis. ais le
grand tournant est pris lors ue agenbec , propriétaire d’un oo à
ambourg, s’aper oit ue le public applaudit beaucoup plus les chameliers
ue ses chameau Bon sang se dit-il. Le business est là
Cette révélation le fait passer à la phase industrielle. Il se met
à importer d’ fri ue, d’Orient et du roenland des groupes d’enfants et
d’adultes, ue des cir ues ambulants présentent dans toute l’ urope, en
méri ue, au Japon.
Lors de ces grands événements ue sont à l’épo ue les e positions
universelles, on reconstitue des villages de prétendus sauvages. La
mécani ue e oti ue roule à plein. La liste des villes o se produisent ces
e hibitions serait trop longue à citer. Pas une grande ville européenne de
plus de cin uante mille habitants n’est oubliée. Les États en redemandent,
les e positions favorisent le commerce des entreprises coloniales et
permettent d’éblouir le peuple : Regarde comment nous sommes en train
de les civiliser uit cent cin uante millions d’Occidentau ont visité ces
oos humains, dont le résultat est de transformer le racisme scientifi ue en
racisme de masse.
Il me semble parfois ue l’on regarde encore les Noirs comme des
tres différents. J’entends souvent : Les Noirs sont
Cela me rappelle une histoire. n our, un entra neur me dit : Je ne
sais pas comment communi uer avec les eunes Blac s de mon é uipe.
Je lui réponds : t si vous leur parlie normalement
Car, pour beaucoup, les Noirs e istent, on parle d’un peuple noir ,
d’une pensée noire , d’une me noire Les Noirs ne sont pas vus
comme des individus, mais comme un groupe indistinct. Les oos humains
n’e istent plus mais, pour certains, regarder les Noirs est encore source
d’interrogations, d’incompréhension. Ils se demandent tou ours comment
ils fonctionnent
a c -to-f rica

rcu oi r
17 ao t 1887 - 10 uin 1940

Si tu n’as aucune foi en toi-


mme, tu es doublement vaincu
dans la course de la vie. vec la foi,
tu as gagné avant mme d’avoir
commencé.

arcus arvey

eu ans avant la naissance de arcus arvey à la Jama ue,


l’ fri ue est découpée, partagée par les traités entre pays européens. ntre
le 15 novembre 1884 et le 26 février 1885, à l’initiative du chancelier de
l’ mpire allemand Bismarc , uator e puissances impérialistes1 se
réunissent, lors de la fameuse conférence de Berlin . out en
proclamant : u nom de ieu tout puissant , voulant régler, dans un
esprit de bonne entente mutuelle, les conditions les plus favorables au
développement du commerce et de la civilisation dans certaines régions de
l’ fri ue , et préoccupé e s en m me temps des moyens d’accro tre le
bien- tre moral et matériel des populations indig nes , elles décident u’il
ne sera pas tenu compte des territoires des peuples, et u’un pays colonisé
est un bien ue l’on peut échanger, uitter, revendre ou transformer à son
gré. C’est ainsi ue des fronti res artificielles et absurdes sont tracées en
fonction des seuls besoins de puissances occidentales, créant des
regroupements d’ethnies profondément différentes entre elles langue,
croyances, etc. et de grandes disparités de ressources agricoles ou mini res.
Les fronti res actuelles de l’ fri ue, héritées de la période coloniale, ne
peuvent ue provo uer de nombreu conflits de voisinage.
Son sol de naissance étant nié, sa famille dispersée par la traite,
la diaspora africaine est devenue une étrang re sur la terre. Ce ui e pli ue
le mouvement du retour au sources, le panafricanisme inspiré par arcus
arvey ou . . B. u Bois.

ernier-né d’une famille ama caine de on e enfants, arcus arvey


uitte l’école à uator e ans pour devenir ouvrier imprimeur. Étant Noir,
dira-t-il, ’ai fait mes classes, comme la plupart des gens de ma race, à
l’académie de la mis re r s vite, il milite au sein d’une organisation
politi ue, le National Club. Comme il est énergi ue, entreprenant et
e cellent orateur, il en devient vite le premier secrétaire. embre du
syndicat des imprimeurs, il m ne la gr ve pour obtenir de meilleurs salaires,
car à la Jama ue la population noire, libérée de l’esclavage en 188 ,
continue à subir un régime d’oppression de la part des planteurs blancs.
arvey est licencié, mais il retrouve rapidement du travail et fonde son
premier ournal : e atc man Le eilleur .
arcus arvey est toute sa vie un infatigable globe-trotter, un
incitateur de rébellions, un créateur de ournau ui donnent la parole au
opprimés. e 1909 à 1911, il voyage en méri ue du Sud : Panama,
É uateur, Nicaragua, onduras, Colombie, ene uela, Costa Rica. Partout
o il passe, il encourage les travailleurs à s’organiser en syndicats et crée
des ournau o il criti ue la discrimination, le racisme et les conditions de
vie.
Puis il se rend en ngleterre o il étudie l’histoire de l’Égypte, lit
beaucoup la Bible, Sha espeare. urant plusieurs années, son livre de
chevet est : p rom laver scension d un esclave émancipé , de Boo er
. ashington. Cet idéologue noir du sud des États- nis démontre la
nécessité de l’intégration des Noirs dans la société américaine. Soutenant un
modus vivendi avec les Blancs, il propose de redonner une place à la
communauté noire gr ce au travail et au vertus de l’hygi ne. n tel
discours subordonne le devenir des Noirs à l’approbation des Blancs, tout
en réservant au Noirs les travau essentiellement manuels.
Les Blancs diffusent d’autant plus volontiers p rom laver ue ce
livre permet de couvrir une voi , autrement dérangeante, celle de . . B.
u Bois ui e horte à la con u te de l’égalité civi ue, à la formation d’une
élite intellectuelle noire et à la lutte contre toutes les in ustices. Peu à peu,
arcus arvey prend ses distances avec Boo er . ashington.
Londres, arcus arvey étudie les institutions de l’ mpire
britanni ue et assiste au discussions de la Chambre des communes. O
sont les gouvernements noirs, l’ mpire noir, les présidents noirs, l’armée
noire, la marine noire, les grandes entreprises noires, la religion noire Ils
n’e istent pas, constate-t-il, et il décide de les créer. t c’est ainsi ue e
vis devant moi, dit-il, comme s’il l’avait vu en r ve, le nouveau monde de
l’ omme noir une nation d’hommes résolus à mar uer la civilisation
de leur empreinte et à faire briller sur la terre une nouvelle lueur.
Rentré à la Jama ue en uillet 1914, arcus arvey crée l’association
de masse à la uelle il consacrera désormais sa vie : l’ nia niversal Negro
Improvement ssociation : ssociation universelle pour le progr s n gre .
Suivant des voies parall les, u Bois et lui font désormais figure de p res
du panafricanisme : une pensée en action ui repose sur la revendication
de la fierté de son passé histori ue africain, sur la restauration de sa dignité,
sur un idéal de rassemblement et de solidarité de la diaspora africaine à
travers le monde l’ unité africaine des peuples , et le retour à la terre
africaine.
eu ans plus tard, en 1916, il transf re l’ nia à arlem. Ce uartier
de New or s’est compl tement transformé entre 1900 et 19 0. e one
résidentielle blanche, il est devenu au fil du temps l’un des ghettos les plus
noirs des États- nis. La population de arlem ue arvey découvre est
constituée de migrants noirs ayant fui le Sud, la mis re et le u lu lan
on y trouve aussi des soldats noirs revenus des tranchées de l’effroyable
guerre 1914-1918 et tentant d’échapper, eu aussi, à la discrimination et au
lynchages. Le entendait bien faire comprendre à ces N gres ue le
fait d’avoir versé son sang pour la patrie ne leur donnait aucun droit
nouveau.
Ce ue l’on appellera plus tard la arlem Renaissance ne concerne
u’une élite, car la tr s grande ma orité ne se nourrit ni de poésie, ni de a ,
ni d’art moderne. Pourtant, elle boit les paroles d’espoir de arcus arvey.
Si seulement ’avais un drapeau et un pays à moi r ve cha ue Noir
avec lui. ces femmes et à ces hommes, arcus arvey parle de leurs
racines, raconte d’o ils viennent. Évidemment, ce sont des descendants
d’esclaves, mais il les incite à s’élever. Il ne veut pas u’ils se sentent
inférieurs. Ils sont issus de grandes civilisations, parfois antérieures à la
civilisation européenne. ous n’ tes pas originaires des champs de coton et
des ghettos, leur dit-il, vous vene d’ fri ue. ue vous soye noir du
Brésil, des Cara bes ou d’ méri ue du Nord, vous ave tous des anc tres
africains. arcus arvey refuse la victimisation pour les Noirs. Leur point
de départ ne doit pas tre l’esclavage.
ous tes des fricains américains , leur rép te-t-il. Son insistance
n’est pas inutile car à cette épo ue beaucoup de Noirs américains re ettent
l’héritage africain. Ils se veulent méricains noirs . Par là m me, ils se
coupent de leurs origines et se trouvent pris dans une terrible contradiction.
Sans racines, comment se construire une identité u se sentent
américains puis ue enfants du pays, et n gres puis ue n’ayant pas les
m mes droits ue les citoyens blancs. Prisonniers de ce parado e, il ne leur
reste pour affirmer leur personnalité ue la peur ou la révolte.
arcus arvey est convaincu u’il faut décoloniser les esprits pour
forger une identité solide. Il faut ue les Noirs du monde entier prati uent
une foi, celle de la confiance en eu -m mes. Ils doivent tre fiers de leur
couleur, fiers des civilisations de leurs anc tres. arvey e alte la négritude
et, certain ue les fricains américains ne trouveront amais le respect et la
liberté hors d’ fri ue, il réclame le droit au rapatriement en fri ue des
Noirs du monde entier. Il faut croire u’il est entendu car son mouvement
atteint us u’à un million d’adhérents
n 1920, il organise sa premi re convention. es milliers de délégués
sont venus de vingt-cin pays d’ méri ue centrale, des ntilles, d’ fri ue
et des États- nis. Le succ s est considérable. Lors du meeting tenu au
adison S uare arden, il lance devant vingt-cin mille spectateurs
enthousiasmés : Nous allons mobiliser les uatre cents millions de Noirs
de la plan te et planter sur le sol de l’ fri ue la banni re de la liberté Si
l’ urope est au Blancs, alors l’ fri ue doit tre à tous les Noirs du
monde La conférence se termine par un gigantes ue défilé dans les rues
de arlem.
alvanisé par ce succ s, ce petit homme trapu, inlassable et un peu
brouillon déploie une activité hallucinante. Il ach te une salle de meeting de
si mille places à arlem, le Liberty all il crée une di aine de ournau ,
à commencer par e Negro orld Le onde n gre , publié en trois
langues et diffusé à deu cent cin uante mille e emplaires, ui donne des
nouvelles de l’ nia sur tous les continents, reproduit ses discours et diffuse
les informations censurées par les autres ournau .
Il fonde une Église orthodo e noire . n effet, pour lui, la
communauté noire, tr s croyante et christianisée, ne peut se débarrasser de
son sentiment d’infériorité sans modifier sa perception du ieu blanc
imposé depuis tou ours par la représentation raciale u’a répandue l’homme
occidental. Si ieu a créé l’homme à Son image, alors, pour un Noir, ieu
est noir
arcus arvey lance des entreprises destinées à des Noirs et dirigées
par eu dans les grands centres industriels des États- nis, d’ méri ue
centrale, des ntilles et d’ fri ue, pour y fabri uer tout produit
commercialisable . Il met sur pied la Negro Factories Corporation et lance
des h tels, des restaurants, des blanchisseries, des magasins de mode et
d’alimentation, une fabri ue de poupées noires pour enfants n gres , une
maison d’édition, des imprimeries, etc.
Le 26 uin 1919, la création de la Blac Star Line BSL représente le
couronnement de son utopie du retour . Cette compagnie maritime
autonome dépendant de l’ nia est enti rement financée par la
souscription et l’émission d’actions ac uises par des personnes noires
ordinaires, attirées par l’idée d’une émigration vers la nation n gre
indépendante . La Blac Star Line doit servir de lien entre les Noirs du
monde dans leurs rapports commerciau et industriels . lle a également
pour but de relier les divers uartiers générau de l’ nia dispersés sur la
plan te, de rapporter de l’argent à l’association, de réaliser le retour en
fri ue sur des bateau ignorant la ségrégation raciale.
Le premier, baptisé rederic ouglass, est lancé le 1 octobre 1919.
On raconte ue partout o il accoste il est accueilli par des sc nes de liesse,
couvert de fleurs et de fruits. On uitte son travail pour venir le regarder.
ais un naufrage le détruit. Le deu i me bateau n’a pas plus de chance : il
sombre dans l’ udson alors u’il mouille l’ancre. Le troisi me échoue pr s
de Cuba. Le uatri me, prévu pour acheminer des migrants vers le Liberia,
est acheté mais amais livré.
u’à cela ne tienne. arcus arvey crée une nouvelle compagnie et
ach te un cin ui me bateau, le oo er . as ington ui conduira la
premi re vague d’émigrants sur la terre de leurs anc tres
Ce retour en fri ue est son r ve le plus cher. Il a naturellement pensé
d’abord à l’État du Liberia, dé à fondé avec un gouvernement indépendant
noir en 1847. n émissaire de arcus arvey rencontre les hauts
responsables du gouvernement libérien, ui l’encouragent à venir s’installer
che eu . L’émissaire envoie alors deu missives à arcus arvey : l’une
officielle et enthousiaste, et l’autre, privée, o il parle de la corruption ui
r gne dans ce pays, de la mani re colonialiste dont les Noirs venus des
États- nis traitent les Noirs autochtones Comportement au uel, conclut-
il, il faudra remédier une fois sur place .
n 1921, arcus arvey envoie au Liberia une é uipe dont la t che
est de négocier les modalités de l’installation des garveyistes .
L’opération Bac -to- frica avance pour le mieu : ac uisition d’un
terrain de deu cents hectares au cap Palmas, réception de matériel. ais
voilà ue les choses se compli uent. arcus arvey dénonce les énormes
privil ges et les concessions offerts par le gouvernement du Liberia à la
firme américaine Firestone leader américain en fabrication de
pneumati ues . Les États- nis avertissent aussit t le président du Liberia
C. B. . ing u’ils ne toléreront pas la présence au Liberia d’une
organisation ui travaillerait à abattre la suprématie européenne en
fri ue . e leur c té, la rande-Bretagne et la France ne peuvent
accepter une intrusion sur leur chasse gardée. Convaincu par les arguments
de ses alliés, le président du Liberia déclare son opposition irrévocable à
la politi ue incendiaire menée par l’ nia sous la direction de arcus
arvey .
Ce revirement ainsi u’une gestion peu rigoureuse entra nent la
ban ueroute de la Blac Star Line et la vente de tous les biens de l’ nia. Le
oo er . as ington est saisi, arcus arvey, arr té, accusé d’avoir
organisé la vente des parts de la Blac Star Line alors u’il connaissait les
difficultés financi res dans les uelles se trouvait la compagnie. Il refuse de
prendre un avocat et, à l’audience, prononce une déclaration ui fait venir
les larmes au yeu de l’assistance :
Je ne regrette rien de ce ue ’ai fait pour l’ nia, pour la race noire
car e l’ai fait avec tout mon c ur Ce n’est pas l’argent ui nous motivait,
mais le bien de notre race, maintenant et pour les générations à venir Je
respecte toutes les races e pense ue les Irlandais doivent tre libres Je
pense ue les Juifs doivent tre libres et les Égyptiens et les Indiens, et
les Polonais Je crois aussi ue l’ omme noir doit tre libre Si vous
dites ue e suis coupable, ’irai devant mon ieu tel ue e suis au fond de
moi, la conscience tran uille et l’esprit serein, car e sais ue e n’ai fait de
tort à personne, pas m me à un enfant de ma race ou à un membre de ma
famille Je ne vous demande pas la pitié Je ne vous demande pas de la
sympathie. Je vous demande de la ustice
ans l’ istoire, il est arrivé ue ceu ui s’atta uent au intér ts des
puissants soient éliminés : par e emple oussaint-Louverture, Lumumba,
pour ne citer u’eu . u terme de son proc s, en 1925, arcus arvey est
condamné à cin ans de prison ferme au pénitencier fédéral d’ tlanta. On
ne prétendra certes pas ue sa gestion ait été rigoureuse il reste ue son
proc s est éminemment politi ue. La presse blanche elle-m me en
convient : n our, l’ fri ue n gre sera libre, elle ne sera plus partagée
entre la France et la rande-Bretagne. Les probl mes ont commencé pour
arvey lors u’il s’est mis à marcher sur les pieds des deu nations
vening ulletin, de New or . C’est une uestion d’une e tr me
gravité, de savoir si ustice a vraiment été rendue dans l’affaire arvey, ce
président de la républi ue d’ fri ue vening imes, de Buffalo .
Ces criti ues reprises dans la presse poussent le président du tribunal à
commuer sa sentence et, en 1928, arcus arvey est renvoyé en e il en
Jama ue.
Son retour est celui d’un héros. N’ayant renoncé à aucun de ses idéau ,
il continue à s’impli uer dans l’ nia mais aussi dans la vie politi ue locale.
Il y crée un ournal le septi me , e lac an, lutte inlassablement
contre la discrimination dans l’ le. Il organise une nouvelle convention la
si i me à la uelle participent dou e mille délégués.
éritablement, arcus arvey devient g nant pour l’ mpire
britanni ue et les États- nis. On pense à l’éliminer physi uement, et puis
on préf re l’accabler de proc s, d’amendes, de diffamations, de rumeurs. Il
réussit néanmoins à tre élu au conseil municipal de son agglomération
urbaine. Lors de la septi me convention, en 19 4, il est décidé ue le
uartier général de l’ nia sera transféré en ngleterre, o les chefs
nationalistes peuvent espérer profiter d’un semblant de démocratie.
n 19 5, il repart donc pour l’ ngleterre o il fonde l’École de
philosophie africaine et continue à appuyer, par le biais de son ournal lac
an, la lutte des travailleurs.
Il meurt en 1940, à peu pr s oublié.
Son idée-force la condition noire ne doit pas tre pensée dans le seul
espace national présente une grande actualité. Ses successeurs ne s’y
tromperont pas. es éléments de sa réfle ion se retrouvent che le pasteur
artin Luther ing, dans le Blac Power, de m me ue dans les propos de
alcolm , de Chei h nta iop, restaurateur de la conscience noire ,
us u’à Bob arley, Nelson andela et Barac Obama
Le Ie si cle était en germe che arcus arvey.
Il nous apprend ue si l’on veut réussir, il faut d’abord tre fier de soi.
oilà pour uoi ’ai appelé mon fils a né arcus.

1. L’llemagne, l’utriche- ongrie, la Belgiue, le anemar, l’spagne, la France, le Royaume-ni, l’Italie,


les Pays-Bas, le Portugal, la Russie, la Sude-Norvge, la uruie et les États-nis.
« amai re o to o r faire a g erre to o r t er
Noir »

i rno io ui r n i n
iri i on n i cou
- 1914 - 1915
- 1916 - 1917 - 1918

1914. ierno iop - irailleur de 2e classe au 1er B S bataillon de


tirailleurs sénégalais - ombé sous le feu de l’ennemi, à tr s courte
distance de sa tranchée, avait la force et les moyens de rallier nos lignes.
N’a pas voulu abandonner un camarade blessé gri vement ui, lui, ne
pouvait revenir. édaille militaire.
1915. ui aran llian - irailleur au 1 e B S - ssailli par un
groupe ennemi, a fait preuve d’une indomptable énergie en luttant, bien ue
frappé de trois balles et de deu coups de poignard, us u’à l’arrivée des
secours, se couchant sur son arme pour emp cher l’adversaire de la lui
enlever. ort des suites de ses blessures. Cité à l’ordre de l’armée.
1916. iri i one 1er bataillon somali - Caporal - radé d’une
e tr me bravoure. Remplissant les fonctions de clairon. u cours de
l’atta ue du 24 octobre 1916, a accompagné son commandant de
compagnie us u’au dernier ob ectif. ombé dans un trou d’obus occupé par
plusieurs llemands, est parvenu à désarmer un de ses adversaires, en a tué
deu et blessé deu autres. été atteint lui-m me de neuf coups de
ba onnette. édaille militaire - Cité à l’ordre de l’armée.
1917. ne lla - 24e B S - d udant - Blessé sérieusement par un
éclat d’obus, n’a pas voulu tre évacué, prétendant u’il avait asse d’une
seule main pour tuer plusieurs Boches . S’est fait panser et a repris sa place.
Blessé à nouveau, tr s gri vement, s’est fait porter aupr s de son
commandant de compagnie pour lui remettre ses armes et dire ue
maintenant il avait son compte. édaille militaire - Cité à l’ordre de
l’armée.
1918. iemcoum a - Caporal au 15e B S - gent de liaison tr s
brave et plein d’allant, a été tué en chargeant à la ba onnette sur une
position ennemie à la t te de son groupe. Cité à l’ordre de l’armée.

La liste de ces morts pour la France , pour la Liberté et pour la


Justice pourrait remplir des livres et des livres à elle toute seule. ais
u’allaient-ils faire dans cet enfer, ces deu cent mille natifs d’ fri ue-
uatoriale ou Occidentale, ui ne ouissaient m me pas de la nationalité
fran aise Comment ont-ils pu s’enterrer dans les tranchées infectes et
boueuses des régions froides de la France
lire la presse de l’épo ue, ils se précipitent en métropole, la fleur au
fusil, pour ouer au héros, parce ue c’est dans leur nature généreuse,
parce u’ils ont la vocation guerri re, le sens de l’obéissance, le courage,
la rusticité, l’endurance, la ténacité, l’instinct du combat, l’absence de
nervosité
ffiches et cartes postales les montrent pendant toute la guerre,
souriants et débonnaires, m me si en cin ans ils ne rentrent pas une seule
fois dans leur pays. Les chansons populaires racontent leurs e ploits
amoureu et surtout militaires : un brave tirailleur est heureu de mourir.

Car pour eu la plus elle tom e


st cell qu on creuse au c amp d onneur.

n an auparavant, ils ont fait un tabac. Lors du défilé du 14 uillet


191 sur les pelouses de Longchamp, on remet la Légion d’honneur au 1er
régiment de tirailleurs sénégalais. Les élégantes habillées en noir et blanc
crient : ivent les N gres
s 1857, des bataillons de tirailleurs sénégalais recrutés parmi les
anciens esclaves récemment libérés 1848 étaient immédiatement enr lés
par le général Faidherbe, alors gouverneur du Sénégal ue la France a
colonisé d s 1854 , pour un service de dou e à uin e ans Il est bon de
rappeler ue ces tirailleurs sénégalais ont été des acteurs ma eurs de
l’empire colonial fran ais. Ce sont eu ui aident à envahir les autres pays
pour le compte de la France, à avoir un r le si important sur l’échi uier
politi ue international, contribuant d s lors à sa richesse économi ue. Il faut
savoir ue l’ mpire colonial fran ais s’étendait à son apogée, au début des
années 19 0, sur 12 47 000 ilom tres carrés, soit vingt-deu fois la
superficie de la métropole fran aise. u total, la France aura colonisé une
soi ante de pays ou de territoires. Ceu ui, au ourd’hui, ne comprennent
pas comment un originaire d’ fri ue noire, d’ sie ou du aghreb peut tre
fran ais, ne connaissent pas leur histoire.
Le plus médiatisé de tous ces tirailleurs est Banania , ui appara t
dans les épiceries en 1914 La Force noire du chocolat Outre sauver
la France, la force noire va nourrir les canons. Combien d’hommes sont
envoyés mourir en premi re ligne pour un pays u’ils ne connaissent pas
Le général Charles angin, dit le boucher des Noirs , dans son
best-seller publié en 1910, La orce noire, e pli ue ue la race fran aise est
affaiblie par les idées démocrati ues, d’o une natalité inférieure à celle de
l’ llemagne. n attendant ue les forces retrouvées au sein de la famille
produisent leur effet il aura lui-m me huit enfants , il faut compenser la
faiblesse de nos effectifs en faisant appel au contingents africains. Il s’agit
de créer un réservoir colonial L’idée suscite les réticences des maisons
de commerce de l’ nion coloniale ui craignent une pénurie de main-
d’ uvre sur place Le minist re des Finances s’in ui te également, il ne
voudrait pas de dépenses inconsidérées. t puis, petit à petit, la stratégie de
angin convainc.
Certains générau , uant à eu , sont ravis. L’impétuosité sauvage des
atta ues à la ba onnette procurera le succ s mieu ue de longues tueries,
s’e alte le général Bonnal, les troupes noires n’ont pas de rivales uand il
s’agira de donner le choc final. ne division de di mille hommes noirs
pourra effectuer une br che de trois ou uatre ilom tres dans les lignes
ennemies. u’est-ce u’un tirailleur sénégalais n soldat d’élite ui sort
du rang, s’embus ue, tire sur l’ennemi, puis re oint ses camarades. n effet,
les bataillons de tirailleurs sénégalais seront de toutes les actions et, en
particulier, utilisés dans des offensives de rupture, les plus e posées, le
commandement leur reconnaissant une aptitude particuli re pour
s’accrocher au terrain. ne incomparable puissance de choc , conclut
angin, ui assurera la victoire en trois semaines
Reste maintenant à recruter Ce n’est pas si facile parce ue le soldat
africain est un volontaire, pas un conscrit. Le général angin, apr s
en u te, annonce au gouvernement u’il se fait fort de recruter uarante
mille soldats en fri ue-Occidentale fran aise
n fait, ses propos sont démentis par les réalités du terrain. On a beau
promettre au futurs engagés des primes et une solde relativement élevées,
des cours d’enseignement général lors de leur sé our en France, l’espérance
d’une naturalisation, le prestige de l’uniforme , une croisi re gratuite, la
découverte du ieu Continent, des f tes d’engagement , on a beau
garantir des allocations au familles nécessiteuses , on a beau se mettre
dans la poche des chefs de village, et surtout leurs femmes, voir la France et
mourir n’est pas un r ve partagé par tous
Contrairement à l’image ue l’on veut en donner et au présupposés,
les fricains n’ont ni désir ni raison de se battre. Pour eu , c’est une
guerre de Blancs .
L’annonce du passage des commissions de recrutement déclenche la
fuite des eunes en brousse des villages entiers marronnent vers des
régions impénétrables. n revanche, pour donner le change, un ma imum
de malades et de handicapés se présentent spontanément dans les bureau
de recrutement
pr s si mois de guerre, la fuite s’intensifie. Les seuls tirailleurs ue
les fricains voient revenir au pays sont affreusement mutilés uant au
autres, on ignore us u’au lieu de leur sépulture. On ne peut m me pas les
honorer. lors le gouvernement fran ais multiplie les pressions. C’est le
trafic de chair humaine rétabli avec le sergent recruteur , écrit un intime du
général angin ui, somme toute, pressions et rafles comprises, n’obtient
pas plus de sei e mille soldats.
n France, malgré des traitements d’ acclimatation , les tirailleurs ne
résistent pas au maladies. Jus u’à maintenant, la force noire n’a réussi
u’à augmenter l’occupation des lits des h pitau e plus, ces recrues
venues d’ailleurs co tent un peu cher : frais de transport, entretien,
allocations au familles alors ue leur patriotisme reste à démontrer.
Ces eunes soldats ne combattent pas pour eu et, au dire du
commandement, sont incapables de comprendre le sentiment patrioti ue
ui anime leurs fr res d’armes blancs écrit arc ichel dans Les
ricains et la rande uerre.
Culturellement, l’ acclimatation soul ve aussi des probl mes. n
dehors du racisme ordinaire, se pose un probl me de langue non prévu par
les générau . Les tirailleurs viennent, pour l’essentiel, des colonies de
l’ fri ue de l’Ouest actuels ali, Bur ina-Faso, uinée, C te-d’Ivoire,
Sénégal, Bénin, Niger et auritanie et ne se comprennent pas entre eu . Ils
comprennent encore moins les soldats fran ais Comment, dans ce cas, les
commander Les militaires ont réponse à tout. On rédige un anuel du
ran ais tirailleur avec traduction en petit n gre des mots et locutions
courantes. Partant de l’idée u’un Noir ne peut assimiler une langue aussi
raffinée ue la n tre, on leur incul ue un charabia de bac à sable, utilitaire
et rapide : emploi des verbes à l’infinitif, suppression des articles,
remplacement du verbe avoir par y a ou y en a , etc. La
prononciation s’inspire de l’école maternelle : missié pour monsieur,
am es enou oi pas f cher, missié oi pas crier Nous pas
savoir toi bon Blanc ergé, Les aventures de intin. Co e en stoc .
Cela me rappelle un voyage en fri ue du Sud sur la compagnie ir
France. L’h tesse annonce ue nous allons voir un film africain en langue
originale . Je lui fais remar uer ue l’ fri ue est un continent composé de
nombreu pays et de centaines de langues. Pourrie -vous annoncer un
film européen en langue originale
ais la guerre continue, au-delà des trois semaines prévues par
l’infaillible général angin, et il faut continuer à recruter tant et si bien
ue le 17 novembre 1915 éclate la grande révolte de l’Ouest- olta. n terre
africaine, les choses ne vont plus du tout comme le voudrait l’état-ma or.
out commence par le refus de eunes du village de Bouna de se présenter à
la commission de recrutement. Le village ne c de pas, malgré la venue de
forces armées. ne uin aine d’autres villages sont pr ts à faire face et à
refuser aussi les enr lements.
La révolte sanglante, désespérée, dure neuf mois et fait des milliers de
morts. Comme au temps de l’esclavage, les fricains se défendent contre
cette nouvelle forme de traite. Plus de cent villages sont détruits. Le rapport
idal du 1er novembre 1916 est terrifiant : es hommes en grand nombre,
des vieillards, des femmes, des enfants, en groupe ou isolés, préféraient se
faire tuer ou se laisser enfumer et griller dans les cases incendiées plut t
ue de se rendre, malgré la promesse de vie sauve ui leur était faite, ne
voulant m me pas profiter des facilités d’évasion ue leur offraient les
tén bres et le retrait momentané de nos tirailleurs pour échapper à la mort
certaine ui les attendait. J’ai vu des femmes, des enfants s’enterrant
vivants dans les caveau de famille, un vieillard se pendant au-dessus du
corps de son fils pour ne pas tomber entre nos mains.
n plein e si cle la lecture de ce passage, e ne peu
m’emp cher d’imaginer de uelle mani re, durant plusieurs si cles, mes
anc tres africains ont résisté à la traite. Je pense également à Louis elgr s
et ses trois cents compagnons voir pages 101-110 ui, à la uadeloupe en
mai 1802, pour emp cher le rétablissement de l’esclavage par Napoléon, se
suicident à l’e plosif dans leur refuge à atouba en criant : ivre libres
ou mourir
Il ne faut pas croire non plus ue les soldats recrutés restaient
sagement à se battre dans leurs tranchées. Pr s de cent ans plus tard, il est
tou ours impossible de conna tre leurs pensées. La plupart ne sachant pas
écrire, leurs lettres étaient rédigées par leurs chefs. ais en 1917, par
e emple, le 61e B S refusa de remonter en ligne, au cri de : Bataillon
alafosse, y a pas bon, amais repos, tou ours faire la guerre, tou ours tuer
Noirs arre aussi du racisme ordinaire des petits chefs, du mépris, des
coups. arre du froid, de la nourriture, du sang versé, de se faire hacher par
les canons ennemis en atta uant à l’arme blanche.
Cependant la guerre s’éternise Le général angin veut relancer le
recrutement en fri ue. Cette fois, Clemenceau, plus politi ue , préf re
confier la mission à Blaise iagne, député noir du Sénégal. Évidemment les
milieu coloniau fulminent contre une nomination ui est de nature à
affaiblir le prestige de la race dominante . uant à angin, il craint ue
cet homme providentiel ne se rév le une sorte de oussaint-Louverture ui
mettra la pagaille dans les colonies. Comment peut-on faire confiance à un
Noir, m me député de la Républi ue Nous trouvons là dé à la notion du
Noir suspecté d’ tre un ennemi intérieur .
Blaise iagne arrive à a ar le 18 février 1918 avec en poche une
panoplie de décrets laissant entrevoir au indig nes un avenir meilleur, des
privil ges pour ceu ui collaboreront, des primes d’incorporation, des
dégr vements fiscau pour les familles et des allocations mensuelles. Il se
lance également dans une politi ue des avantages , accordant au chefs,
pour le nombre d’hommes recrutés , des faveurs sous forme d’honneurs,
de médailles, de promesses de promotion dans l’administration.
Indéniablement, il réussit : soi ante-trois mille en fri ue-Occidentale
fran aise, uator e mille en fri ue- uatoriale fran aise, vrais et fau
volontaires.
La rande uerre cesse lors u’il n’y a plus asse de place pour
creuser les tombes, Blancs et Noirs confondus. La couleur du deuil efface
toute autre couleur. Le 11 novembre 1918, à Rethondes, à 5 heures du
matin, l’armistice est signé. La France a gagné par 1 8 000 soldats morts
contre 1 900 000 pour llemagne uant au tirailleurs sénégalais, on
estime leurs pertes à 21,6 de l’effectif général. Les Blancs, à 18,6 .
Si l’on consid re ue les troupes africaines ne combattaient pas l’hiver
à cause d’un pré ugé sur la résistance des Noirs au froid, on peut en
conclure ue leurs pertes furent deu fois plus lourdes. Le général angin,
d’ailleurs, avait accompagné l’envoi des contingents de troupes africaines
vers les champs de bataille avec ce commentaire : consommer avant
l’hiver, ne supportent pas le froid
Le po te Léon- ontran amas, voyant se profiler la Seconde uerre
mondiale, lan ait en 19 7 cet avertissement :

u nciens Com attants sénégalais


au uturs Com attants sénégalais
tout ce que le énégal peut accouc er
de com attants sénégalais uturs anciens
de quoi e me m le uturs anciens
de mercenaires uturs anciens
oi e leur demande
de commencer par enva ir le énégal.

n 1919, à la suite des accords de ersailles, les troupes fran aises


occupent la Rhénanie. Parmi elles, les tirailleurs sénégalais. Bient t
ualifiés de honte noire , ils font l’ob et d’une campagne haineuse dans
la presse allemande et internationale. On les accuse de viols, de meurtres,
de violences, on parle de femmes vidées de leur sang, d’épidémies
uatre années plus tard, dans ein amp , itler parlera du sang
n gre déversé sur l’ llemagne pour infecter et soumettre leur race. n
19 7, cette idéologie conduira à la stérilisation d’enfants métis par les na is
et à la déportation de Noirs dans des camps.
am ion d monde

tt in i i
22 septembre 1897 - 16 décembre 1925

Lors ue Jac Johnson, alors le plus grand champion du monde de bo e


de tous les temps, bat, le 4 uillet 1910, en méri ue, le Blanc Jim Jeffries,
des émeutes éclatent. es Noirs sont tués, d’autres lynchés : cette victoire
est vécue par les Blancs comme un inacceptable affront. ra ué par la
ustice sous préte te d’atteinte au bonnes m urs, uel ues années plus
tard Johnson fuit l’ méri ue pour la France. Paris, il déclare dans un
ournal : Je compte me fi er définitivement dans cette ville et ne plus
amais retourner au États- nis.
Le décor du monde de la bo e est planté. La France est à l’épo ue l’un
des rares pays à autoriser les combats entre Blancs et Noirs. Paris, on
recrute à tour de bras une grande soirée pugilisti ue se doit d’avoir au
moins son bo eur noir. Les intellectuels et les mondains sont fascinés.
pollinaire, Cendrars, Colette vont à la bo e comme on va au oulin-
Rouge. Ils ne seront pas dé us avec baric Fall, dit Battling Si i .

baric Fall est né en 1897 à Saint-Louis du Sénégal. l’ ge de huit


ans, il est enlevé par une danseuse hollandaise ui revient d’une tournée au
Indes. lle en aurait fait, disent certains, son ob et se uel, ou son boy selon
d’autres. n tout cas, le gamin débar ue à arseille avec sa ravisseuse,
pour y tre abandonné uel ues semaines plus tard, comme un ouet ui a
fini d’amuser Il se retrouve une serpilli re à la main, ou une éponge, des
pinceau , une truelle. Lors d’un combat de rue, il rencontre des forains ui
s’occupent d’une écurie de bo eurs. Comme ils lui demandent son nom, il
leur répond : Si i , ce ui signifie le rusé . Finalement, il enfile des
gants sur ses poings.
n 1914, Battling battant Si i est dans les tranchées, enr lé sur
un coup de t te. Il réappara t à Paris en 1919 décoré de la croi de guerre et
de la croi du mérite, et continue à bo er. ntre 1921 et 1922, il remporte
pas moins de vingt-si combats, effa ant tous ses challengers. Il vainc entre
autres, à Rotterdam, le champion de ollande et, pendant u’il y est, gagne
le c ur d’une olie blonde au yeu bleus, Lint e van ppelteere, u’il
ram ne à Paris. out à leur amour, ils se marient et ont un enfant.
u’importe le u’en-dira-t-on
Combien d’affronts sa femme doit subir pour avoir épousé un Noir
Lui aussi souffre de cette situation, au point d’écrire, un our de septembre
1922, au ournal L uto : a femme, ui est hollandaise, est blanche,
blonde, et ses yeu sont bleus. Je l’aime beaucoup, elle m’aime beaucoup et
nous nous aimons bien fort tous les deu .
La France enti re attend eorges Carpentier, le champion des
champions mi-lourds, dont le retour a été programmé en septembre au stade
Buffalo de ontrouge. Battling Si i, ui a gagné tous ses combats, est
logi uement son adversaire. ais, pour le champion du monde, défendre
son titre contre un Noir est peu valorisant. Il estime ue Battling Si i,
second couteau, challenger de seconde one, ne poss de aucune des
références ui lui permettent de mériter cette soudaine et trop flatteuse
promotion .
La presse, unanime derri re Carpentier, est néanmoins finalement
émoustillée par ce combat. ntre deu hommes blancs, il n’y aurait pas le
m me en eu biologi ue . Peu avant le match, un ournaliste de aris
idi écrit : Le probl me est de savoir si un Blanc vaut deu Noirs
comme pour les notes de musi ue n autre ournaliste, à propos de
Battling, interroge : gile comme le sont tous les gens de sa race, il évite
les coups en se reculant rapidement sur ses ambes . Cette tacti ue,
ou plut t cette méthode un peu primitive, peut-elle tre considérée comme
égale à la mani re classi ue du champion du monde Évidemment non
n fait, estiment certains, ce match est le combat de l’homme contre
l’animal. On ne devrait pas les mettre dans la m me catégorie. t voilà
Battling Si i surnommé le Champion é .
eorges Carpentier arrive au stade Buffalo en limousine. Ce coureur
du demi-monde, ce dandy ue l’on appelle l’ homme à l’orchidée , a dé à
retenu sa table dans un grand restaurant, o il soupera apr s le combat en
compagnie de vedettes du spectacle et de la politi ue. Il monte sur le ring,
regarde le ciel mena ant, et lance à son public enti rement ac uis à son
profil de cinéma, avec son sourire légendaire : ép chons-nous. Il va
pleuvoir
Le gong retentit
Pour bien comprendre ce match, il faut avoir tra né auparavant dans les
coulisses et entendu ce ui se trame : n te battant avec Carpentier, tu
gagneras beaucoup d’argent, mais il faudra te laisser faire , a dit son
entra neur à Si i.
ans son livre attling i i, Jean- arie Bretagne évo ue ces moments
mémorables. Le premier round est un simulacre d’affrontement. Si i se
retrouve sur le ring avec l’intention de tomber comme on le lui a demandé.
Carpentier, sachant u’il ne ris ue absolument rien, va us u’à baisser la
garde et provo uer Si i pour épater les spectateurs. ais, comme le public
siffle, il lance un vague crochet à Si i ui s’effondre, tordu de douleur.
L’arbitre est offus ué. onsieur Si i, lui dit-il, vous alle nous faire le
plaisir de tenir debout
Boudeur, Si i reprend le combat. Carpentier recommence à valser avec
élégance autour de lui. Il pourrait lui lancer une droite pour l’achever et
empocher titre et argent, mais il lui faut patienter car les caméras sont là
les reporters en veulent pour leur pellicule. Il s’agit de faire durer le
spectacle.
Fin de la premi re reprise. Carpentier, retiré dans son coin, observe son
adversaire avec haine. ’accord, le combat est tru ué, mais son adversaire
n’est pas obligé d’e agérer la comédie.
u deu i me round, Carpentier touche avec délicatesse le menton de
Si i. Surtout, u’il ne s’avise pas de tomber t puis il s’énerve et le frappe
un peu plus fort. Si i répli ue prudemment, par petites touches, sortes de
petites pi res à l’amour-propre du champion du monde.
u troisi me round, Carpentier estime cette fois u’il peut mettre fin à
la mascarade. Il en a asse de ménager ce N gre. Il décha ne ses coups. Si i
retourne droit au tapis, puis, étonnamment, se redresse et sautille autour de
Carpentier. On croirait voir un film de Charlie Chaplin. Cette fois, le
champion du monde décha ne ses coups. Si i s’effondre et se rel ve
aussit t
uatri me round Carpentier n’en peut plus et frappe comme il ne l’a
amais fait. Si i lui demande d’arr ter, ce n’est pas dans les conventions,
etc. ais Carpentier ouit de cette situation et cogne à toute force. Pour lui
échapper, Si i est contraint de tomber à genou . L’arbitre compte : n
deu et puis Si i se rel ve et encaisse sans murmurer. Il a décidé cette
fois u’il ne tomberait pas, u’aucune atta ue ne pourrait l’abattre. Il donne
un coup à Carpentier, un seul, terrible Carpentier est au tapis Il tente de
se relever, ses pieds glissent comme si le ring était une patinoire
u uatri me round, uand e me suis vu à genou devant cin uante
mille personnes, raconte Si i, e me suis dit : oyons, Si i, tu n’es amais
tombé devant aucun bo eur u n’as amais été à genou en public
comme tu t’y trouves en ce moment t mon sang n’a fait u’un tour. Je
me suis redressé et ’ai frappé . Pourtant, ellers me murmurait à
l’oreille : st-ce ue tu vas faire l’imbécile Oublies-tu ce ui est
convenu Ce ui était convenu, c’est ue e devais m’étendre les bras en
croi au uatri me round. Si e l’avais fait, ellers aurait gagné deu cent
mille francs. ais e n’ai pas voulu.
L’arbitre compte : rois, uatre, cin , si La caméra filme.
Finalement Carpentier se rel ve.
u cin ui me round, Carpentier oue les figurants.
u si i me round, épuisé, il se retient au corps de Si i et, finalement,
s’effondre. ais une fois au tapis il se souvient de ses cours de cinéma. Il se
tient la cheville et hurle de douleur, accusant son adversaire de lui avoir fait
un croc-en- ambe. L’arbitre n’est pas dupe, mais ue faire Il demande
conseil au autres uges, ui lui recommandent de donner la victoire à
Carpentier afin d’apaiser le public.
eorges Carpentier vain ueur lance l’arbitre. Il fait fausse route.
Les cin uante mille spectateurs du stade Buffalo hurlent : Si i vain ueur
Si i vain ueur On atermoie pendant une heure. Finalement l’arbitre
s’approche de Si i et lui l ve le bras en signe de victoire
ais un Noir champion du monde de France et d’ urope en m me
temps , c’est inacceptable. Rares sont les ournalistes à oser défendre Si i
apr s le match. l’e ception d’un eune étudiant en droit, Nguyen i
uoc, ui, dans une revue communiste, écrit : epuis ue le colonialisme
e iste, des Blancs ont été payés pour casser la g des Noirs. Pour une fois,
un Noir a été payé pour en faire autant à un Blanc rente ans plus tard,
sous le nom de Chi inh, ce eune homme libérera le ietnam du colon
fran ais
Ces années-là défient les pré ugés. Les Noirs commencent à faire
entendre leur voi . n 1921, René aran, un artini uais de Fort-de-
France, a obtenu le pri oncourt pour son roman atouala Les Noirs,
us u’à présent, travaillaient comme des N gres dans le sombre, s’insurge
un ournaliste, le 25 septembre 1922. e temps à autre, ils apparaissaient
sur l’estrade du a -band . Soudain, le nuage noir éclata et . René
aran signa atouala. pr s les palmes académi ues, c’est la palme
du gladiateur ue vient cueillir le Noir Battling Si i.
t les ournau de développer les th mes récurrents de déclin national,
de difficile intégration, etc.
J’ai remar ué la série d’e plications avancées au cours de l’ istoire
pour ustifier la réussite d’un Noir. ’abord, il est affirmé ue les athl tes
noirs sont incapables de ceci ou cela Puis, uand ils y arrivent, le
réfle e premier est d’invo uer la chance . insi, d s le lendemain de cet
homéri ue combat, on raconte ue Battling Si i a lancé, les yeu fermés, un
large swing ui a cueilli Carpentier par hasard
nfin, uand on s’aper oit ue les Noirs continuent à tre capables ,
et u’invo uer la chance n’est plus possible, on dit ue c’est naturel pour
eu , c’est physi ue, c’est généti ue, c’est morphologi ue, c’est
physiologi ue, bref, c’est tout ce u’on veut sauf le résultat de leur
intelligence et de leur travail. Le match Carpentier-Si i fait ressortir la
fragilité du s uelette du Blanc comparé à l’ossature graniti ue du Noir ,
pouvait-on lire dans un ournal.
La prétendue force physi ue du Noir est liée à son histoire ui le
renvoie invariablement à l’esclavage, à sa force e ploitable. sclavage
égale effort physi ue.
Par e emple, lors ue Jesse Owens gagne ses médailles au Jeu de
Berlin, en 19 6, on dit ue c’est naturel . oici comment un ournaliste
décrit son fameu saut : L’éclair noir de l’Ohio est la chose la plus
rapide au monde ui n’ait pas de roues. Sa course est fluide. Il semble se
couler le long de la piste. C’est sa vitesse naturelle ui lui assure sa
supériorité au saut en longueur. Il n’a pas à se préoccuper de se donner la
peine de produire un gigantes ue effort d’e tension comme les autres. out
ce u’il a à faire, c’est lever les ambes et retenir sa respiration un moment,
car uand il commence à atterrir il a dé à le record à sa portée.
ais personne ne parle de sa techni ue. n fait, si Jesse Owens a
atteint de tels sommets, c’est u’il a révolutionné la techni ue, en
introduisant, comme le dit Étienne oreau, la phase de poussée au
démarrage des courses et une nouvelle vélocité en vitesse de croisi re gr ce
à un cycle court des ambes et le maintien vertical du buste . e arie-
José Pérec, ui a aussi réalisé des courses fantasti ues, on souligne tou ours
sa facilité naturelle , gommant les heures d’entra nement, d’acharnement
et de souffrance.
uant à Battling Si i, victime de son temps, les sages de la
Fédération de bo e réussissent finalement à lui voler son titre, à lui retirer
sa licence et à lui reprendre son argent. Battling Si i a raconté la combine
imaginée par son entra neur. u lieu de stigmatiser la conduite insultante et
antisportive de Carpentier sur le ring, on accuse Si i d’avoir profité de la
décontraction de son adversaire pour l’envoyer au tapis
Paul aillant-Couturier, dans L umanité, en tire les consé uences :
Il y a uel ue chose de beaucoup plus grave ue le trucage d’une épreuve
sportive. Il y a là un sympt me caractéristi ue de la campagne organisée
contre les hommes de couleur, il y a là le symbole m me du colonialisme.
Carpentier, sorte de drapeau national , ne pouvait pas sans danger tre
battu par un N gre. S’il était battu, il fallait ch tier le N gre. On n’y a pas
man ué.
Éc uré, Battling Si i uitte la France pour les États- nis, apr s un
détour par la ollande avec sa femme et son fils, o il est re u avec les
honneurs par la reine de ollande.
ais il n’imagine pas ce u’est New or , et encore moins la
puissance de la ségrégation. Comme à son habitude, lui ui ne s’est pas
couché au combat ne se mettra pas à genou . es années avant Rosa Par s
voir pages 271-280 , il refuse de céder sa place dans le bus, d’aller dans les
toilettes pour Noirs, de prendre les ascenseurs pour Noirs. ous ave une
statue de la Liberté, leur dit-il, mais c’est un mensonge. Il multiplie les
provocations. ous dites ue le Noir est un singe, un bigame Fort bien.
lors il se remarie avec une Blanche américaine et se prom ne dans New
or avec un singe sur l’épaule
t ce ui doit arriver arrive. L’homme ui aime les femmes blanches,
les voitures blanches et les cravates blanches est refroidi de sept balles dans
le dos trois ans plus tard, par un hivernal matin de décembre 1925. Il n’a
m me pas atteint ses trente ans.
es décennies plus tard, il re oit un magnifi ue bou uet de fleurs
lors ue Fernande ell, lieutenant de Che uevara, prendra Si i pour
nom de guerre.
a i e e noire

n r o n
5 uillet 1902 - 11 avril 1951

u es un Ngr e leu qui o e


les équateurs les équino es.
oleil e supporte tes coups
tes gros coups de poing
sur mon cou.
Cest encor e toi que e prér e
soleil délicieu ener .

Jean Cocteau,
atterie

J’aimerais évo uer la libellule noire , la star du ring ue fut Panama


l Brown, dans les années 19 0, à cause de son génie de champion du
monde.

lfonso eofilo Brown est né à Col n, au Panama. Son p re est un


ancien esclave du ennessee ui, libéré, a re oint le Panama pour travailler
au canal de Lesseps.
Il commence la bo e à l’ ge de di -sept ans, multipliant les O et se
faisant remar uer par un homme d’affaires américain ui dirige le él’
d’ iv à Paris. Il a la morphologie idéale du bo eur : 1,75 m tre pour 52
ilos, suffisamment grand pour enrayer les assauts d’un direct du gauche,
les bras asse longs pour décocher des coups à distance, et les ambes
longues et fines
n 1927, il gagne plusieurs combats au él’ d’ iv devant vingt mille
spectateurs Puis il se rend au États- nis o il accumule les victoires. e
retour à Paris, il met O son premier adversaire en di -huit secondes t
tous les autres avant la limite. Il est fin pr t pour la con u te du titre de
champion du monde. itre u’il obtient en 1929, à la uin i me reprise,
face à regorio idal. uand ug ne uat, dit le Chat tigre , veut le lui
reprendre, l Brown le bat facilement. Il conservera son titre durant si
longues années. l Brown a une frappe ui pourrait lui permettre, dit-on, de
vaincre des poids lourds.
Le out-Paris l’adule. Il fascine par son élégance, son intelligence, son
don des langues il en parle couramment sept , il intrigue par sa vie de
noctambule e centri ue, dans des cabarets u’il uitte au matin, assommé
par l’alcool et l’opium. Il dérange à cause des bouteilles de champagne u’il
apporte us ue sur le ring, o il boit, grille des cigarettes en attendant le
gong. t il gagne, car sa techni ue consiste à n’ tre amais là o son
adversaire le croit, pour mieu le foudroyer.
Jus u’à ce 1er uin 19 5 à alence, en spagne, o il perd sa couronne
contre Balta ar Sangchilli Seulement, le combat est tru ué. Son propre
agent, soudoyé par l’adversaire, a versé un puissant narcoti ue dans son
verre. Ne comprenant pas ce ui lui arrive, l Brown combat us u’à la
syncope. L’arbitre voit tout, il sait tout et ne dit rien. Il est complice de
l’arrangement. Il n’y a u’un seigneur sur le ring : c’est l’arbitre, un
seigneur ui impose ses r gles Éc uré par les en eu tru ués, les
managers véreu et les salles complices, l Brown ette les gants.
Il se reconvertit dans la direction d’un orchestre ui se produit au
Caprice viennois, dans le uartier de Pigalle. Rongé par l’opium et l’alcool,
le champion est devenu pathéti ue. C’est là ue le po te Jean Cocteau,
devant ce triste spectacle, murmure : n diamant noir dans une
poubelle.
aintenant l Brown amuse les Parisiens. Ému, Cocteau se met en
t te de lui redonner sa place sur le ring. l Brown refuse. e plus, il souffre
terriblement de sa main droite. Je ne veu plus u’on me touche, lui
répond-il, ’ai les poignets en verre filé. Pourtant Cocteau réussit à le
convaincre.
Évidemment, u’un po te veuille ouer les managers de bo e fait rire
le out-Paris. On sait ue Cocteau aime les hommes, mais il a d’autres
motivations. Lui aussi a d se libérer de la drogue, lui aussi a d réussir
pour afficher sa couleur se uelle, et il ressent une véritable empathie
pour cet homme. J’aime la bo e, écrit-il, et c’est pour uoi ’ai un our
convaincu l Brown de plonger à nouveau dans cette poésie active, dans les
synta es mystérieuses ui firent la gloire de sa eunesse. Je m’étais attaché
au sort de ce bo eur, parce u’il me représentait une sorte de po te, de
mime, de sorcier, ui transportait entre les cordes la réussite parfaite d’une
des énigmes humaines : le prestige de la présence. l était un po me à
l’encre noire, un éloge de la force spirituelle ui l’emporta sur la force tout
court.
Leur relation amoureuse est peu connue. Pour beaucoup, un
homose uel ne peut pas faire de sport, encore moins de la bo e, il peut
encore moins tre un Noir. oi-m me, eune ntillais, e pensais u’il ne
pouvait pas e ister de Noirs homose uels. Nous vivons dans une société o
les pré ugés s’attachent encore à l’homose ualité. Ils me semblent
identi ues à ceu ui entourent la couleur de peau ou la religion. n député
du Nord ualifiait, il y a peu de temps encore, le comportement
homose uel de menace pour la survie de l’humanité .
Le Blac Panther Party ne s’y était pas trompé. Le 5 ao t 1970, . P.
Newton, son ministre de la éfense, faisait cette déclaration : Il faut nous
lier avec le mouvement des homose uels, car c’est un mouvement réel.
Ils sont peut- tre la couche la plus opprimée au sein de cette société t
ce sont sans doute les pré ugés ui me font dire : m me un homose uel peut
tre révolutionnaire. Bien au contraire, il y a de fortes chances pour u’un
homose uel soit parmi les plus révolutionnaires des révolutionnaires.
L’homophobie, comme le racisme, est un probl me d’imaginaire. Nos
sociétés sont nourries d’a priori et, bien s r, les plus homophobes sont ceu
ui n’ont amais fré uenté d’homose uels. Save -vous ue 25 des
suicides che les adolescents et les eunes adultes touchent des
homose uels Les agressions, les in ures, les propos méprisants sont
courants dans les cours d’école et dans la société tout enti re. Chacun doit
apprendre à respecter l’autre idons ces eunes à accepter leur se ualité,
à rester en vie.
e nos ours, les prati ues homose uelles sont encore passibles de la
peine de mort dans si pays : fghanistan, Iran, auritanie, Pa istan,
Soudan et émen. lles sont illégales et punies de prison dans uatre-vingt-
di pays n France l’inégalité perdure, le mariage et l’adoption ne sont
tou ours pas ouverts au couples du m me se e. ne société o certains ont
plus de droits ue d’autres est-elle une société uste
Ce ui sauve finalement l Brown, c’est une histoire d’amour. anagé
par Cocteau, il suit une cure de désinto ication à l’h pital Sainte- nne :
sans doute son plus dur combat. Il refait du sport, et il ressuscite.
Imagine maintenant, écrit le po te, uel ue chose il est impossible
d’écrire uel u’un ui circule, pareil à la foudre, à la chance, à la col re
, au épidémies.
nfin, le 4 mars 19 8, Panama l Brown pén tre dans la grande salle
du palais des Sports de Paris. Son adversaire est encore Sangchilli. l
Brown aborde le combat mal en point, grippé et le foie malmené par le
champagne u’il a bu pour se donner du courage. C’est un combat de
gosses effrayés.
l Brown domine pendant neuf rounds son adversaire, et puis il vieillit
à vue d’ il sur le ring, ses ambes sont en flanelle, il grimace, saigne,
continue à l’aveugle. Son adversaire semble glisser à cha ue coup vers le
tombeau. u bord de l’effondrement, l’arbitre les sépare. l Brown est
déclaré vain ueur.
Panama l Brown a fr lé la catastrophe. Cocteau lui écrit : L che la
bo e. u la détestes. u voulais un acte de ustice. La fameuse élite, à ui
uatre rounds de fatigue font oublier on e de miracle, ne mérite pas ue tu
t’épuises pour elle. La foule t’a prouvé u’elle t’aimait. ssaye du neuf.

l Brown aurait aimé suivre ses conseils, mais il ne savait pas vivre
sans combattre Ce fut l’alcool ui le mit finalement au tapis.
a me de a co ère

ic rd t ni ri t
4 septembre 1908 - 28 novembre 1960

n 2008, l’ méri ue pré-Obama f te le centenaire de la naissance de


l’écrivain noir américain Richard right. Pour une fois, le proverbe : Nul
n’est proph te en son pays s’inverse, ui plus est au profit d’un Noir.
Pourtant, cet homme a volontairement uitté sa patrie en 1947, déclarant
publi uement u’il re oignait la France pour y dénoncer librement la
ségrégation du pays o il était né. Car, us u’à son dernier souffle, Richard
right s’est évertué à combattre pour changer une civilisation ui ne
permettait ue trois choi de vie : se satisfaire d’ambitions futiles, se
morfondre dans les ranc urs stériles, se révolter. Les héros de right, faits
de rage et de peur, hantent encore l’ méri ue.

Richard right na t à Natche , dans le ississippi. Cette ville est, au


I e si cle, l’un des plus grands marchés d’esclaves du Sud américain.
ans cet État raciste et ségrégationniste, la condition des Noirs a peu
changé depuis l’abolition : es scieries, des manufactures cotonni res
, un marécage, une prison des routes, des coups de cafard, des
voyages, des accidents et bien entendu les formes les plus diverses de la
violence. Petit-fils d’esclaves, il endure une enfance pauvre, enserrée
entre la violence familiale, une étouffante religiosité et la terreur
blanche .
Il a si ans uand son p re re oint une autre femme. Sa m re est
cuisini re che des Blancs : elle part t t le matin, rapporte uand elle le peut
des restes pour le soir. Richard est livré à lui-m me toute la ournée. Il suit
les ch meurs et les ouvriers noirs ui vont noyer leur oppression au bar du
coin. Leur eu consiste à so ler ce petit bonhomme et à lui faire répéter un
chapelet d’obscénités. oilà pour l’éducation. on p re
était statisti uement promis à la délin uance , me dit sa fille Julia right
ue ’ai rencontrée pour l’écriture de ce chapitre.
L’attitude et la vie de Richard right tiennent en deu mots à la
sonorité proche : ungr , la faim, et angr , la col re. Sa premi re passion,
celle ui dominera toute sa vie et forgera sa vision du monde, est la
recherche de nourriture, physi ue autant u’intellectuelle. Satisfaire sa
faim, celle ui a provo ué sa premi re prise de conscience des divisions
raciales. regarder manger les Blancs, mon estomac vide se contractait et
une col re sourde montait en moi , dit-il. Col re et faim additionnées
transforment l’obsession physi ue en recherche e istentielle et bient t
intellectuelle. Car la culture est aussi une nourriture. Responsables
politi ues, plut t ue de construire des stades ou des salles de bo e pour les
eunes, apporte -leur des maisons de la culture et des livres de femmes et
d’hommes ui leur ressemblent L’éducation ne sert pas u’à dénicher un
boulot, elle sert à se sentir bien dans sa peau.
Or les livres sont inaccessibles, uasiment interdits au gamins noirs et
pauvres du Sud. Richard les recherche avec passion et ingéniosité pour
réussir à lire, il est capable de toutes les rapines. Il vole les mots comme on
vole le feu, avec vénération et crainte.
Je n’avais amais été malmené par des Blancs, mais mes rapports
avec eu étaient les m mes ue si ’eusse été lynché plus de mille fois ,
dit-il. Son oncle est assassiné dans l’ r ansas. nfant, il entend des adultes
parler à voi basse des lynchages. ans ces conditions d’e istence, certains
Noirs se tournent vers la religion, espérant ue leur vie sera plus douce dans
l’au-delà d’autres traduisent leur souffrance par le blues ou le a , ou
noient leur fi vre dans l’alcool d’autres enfin se révoltent, deviennent des
ad negros. es ad negros, right en a connu de toutes sortes dans son
enfance. Comme celui ui les terrorisait, lui et ses compagnons de eu. Je
soup onne ue sa fin fut violente , dit Richard right. Celui dont la
violence s’e er ait contre les Blancs. Il était en prison la derni re fois ue
’ai entendu parler de lui. Ou celui ui provo uait les Blancs. n flic
blanc lui tira dans le dos Celui aussi ui atta uait les lois de la
ségrégation et parlait de tous les su ets tabous : Les méricaines blanches,
le u lu lan, la France et la fa on dont les soldats n gres y vivent, les
Fran aises, Jac Johnson, tout le nord des États- nis, la guerre civile,
braham Lincoln , l’esclavage, l’égalité sociale, le communisme, le
socialisme Celui-là finit à l’asile.
La lecture et l’écriture éviteront à Richard right de devenir un
délin uant. lles lui donneront les mots, la distance, les matériau ui
permettent d’établir une passerelle entre soi et le monde. La biblioth ue
municipale étant interdite au Noirs, il faudra la bonne volonté d’un Blanc
ui lui pr te sa carte de lecteur pour u’il puisse emprunter des livres à son
nom. Il rapporte che lui ces trésors enveloppés dans du papier ournal,
comme des produits de contrebande.
Puis il re oint Chicago, attiré par le grand mythe de l’égalité des
chances. n vérité, les Noirs sont aussi mal traités ue dans le Sud.
éshérité au c ur de la plus grande abondance, il est livreur, plongeur,
postier et trompe son impatience, sa rage, son sentiment d’e clusion par la
littérature. eureusement, il e iste les clubs John Reed, liés au Parti
communiste, ui s’adressent au écrivains et au artistes. Ils éditent la
revue ront gauc e o right découvre or i, ide, s’initie à la
sociologie, à la psychologie, au mar isme. C’est là u’il publie ses premiers
te tes.
Il sera tou ours reconnaissant au Parti communiste de l’avoir sorti du
ghetto. Pourtant, il ne tarde pas à comprendre u’il y a un pri à payer : la
mise au pas, la pensée uni ue. Car la gratuité ree , dit-on maintenant
est factice, tout se paie. Simplement, le pri n’est pas affiché Lors u’il
uittera le Parti communiste, ce ne sera pas parce u’il renie le mar isme ou
le socialisme, mais parce u’il veut penser par lui-m me. imé Césaire
e prime la m me chose en 1956, dans sa Lettre aurice ore :

n fait à mes yeu capital est celui-ci : ue nous, hommes de


couleur, en ce moment précis de l’évolution histori ue, avons, dans notre
conscience, pris possession de tout le champ de notre singularité et ue
nous sommes pr ts à assumer sur tous les plans et dans tous les domaines
les responsabilités ui découlent de cette prise de conscience.
Singularité de notre situation dans le monde ui ne se confond
avec nulle autre.
Singularité de nos probl mes ui ne se ram nent à nul autre
probl me.
Singularité de notre histoire coupée de terribles avatars ui
n’appartiennent u’à elle.
Singularité de notre culture ue nous voulons vivre de mani re de
plus en plus réelle.
u’en résulte-t-il, sinon ue nos voies vers l’avenir, e dis toutes nos
voies, la voie politi ue comme la voie culturelle, ne sont pas toutes faites
u’elles sont à découvrir, et ue les soins de cette découverte ne regardent
ue nous

u Parti communiste comme dans sa vie, Richard right milite


passionnément. Il devient un pilier du club John Reed et bient t un écrivain
dont on commence à retenir le nom. n 19 8, il publie le recueil de
nouvelles Les n ants de l oncle om, en référence à la cél bre Case de
l oncle om, de l’abolitionniste blanche arriet Beecher Stowe. n livre
terrifiant en tant u’e pression de la haine raciale .
n 1940 para t Native on n en ant du pa s roman dur, provocant,
ui dénonce l’ méri ue raciste, l’aveuglement des communistes, la bonne
conscience de la gauche, les religieu ui montrent patte blanche, la ville
ui étrangle la personnalité humaine, la société américaine ui nie les droits
fondamentau des pauvres et des Noirs.
L’histoire illustre la mis re et le destin des Noirs dans ces années-là.
Bigger homas est un eune Noir du ghetto de Chicago, ui tue par pani ue
parce u’il n’arrive pas à e primer ses émotions, parce u’il n’a pas les
mots, parce u’il est illettré. Cha ue acte u’il commet s’e pli ue par une
in ustice. Il trouve un travail comme chauffeur che de riches Blancs. Or,
d s le premier our, leur fille, sympathisante communiste, lui commande de
la conduire en cachette à une réunion communiste, puis dans un uartier
noir du South Side. u retour, elle est ivre morte. Il est tr s tard. Si ses
parents les trouvent ensemble, il perd sa place. ’autre part, la porter us ue
dans sa chambre lui est interdit. Ce serait transgresser les r gles de la
ségrégation raciale et il ris uerait de se faire accuser de viol. Sans doute
devrait-il appeler ses parents pour l’aider, mais il ne veut pas la trahir. lors
Bigger se résout à agir lui-m me. ais à peine est-il arrivé dans la chambre
ue la m re entend des bruits et appelle sa fille errorisé, il appli ue un
coin d’oreiller sur la bouche de la eune fille pour la contraindre au silence
et l’étouffe sans l’avoir voulu. Il était un assassin. n N gre assassin, un
assassin noir Il pense à s’enfuir. ais ses empreintes le trahiront. Il la
dépose dans une malle. Plus tard, il la br le dans un calorif re. nfin, il
s’enfuit, tue sa petite amie par peur u’elle ne le trahisse et, au terme d’une
chasse à l’homme, il est capturé et finit sur la chaise électri ue.
Lors de sa parution, le livre provo ue un énorme engouement. On
ualifie Richard right de ic ens noir , de Steinbec sépia , on loue
ses ualités littéraires et son acuité sociale. La communauté noire pauvre est
fi re ue l’un des siens acc de à une telle notoriété. ais les Noirs des
classes moyennes et des professions libérales l’accusent d’e agération et de
pessimisme. Pour uoi avoir choisi comme héros un Noir aussi asocial Ne
ris ue-t-il pas ainsi de discréditer tous les Noirs ola subit le m me
reproche pour avoir montré dans L ssommoir un héros alcooli ue. n
effet, les classes moyennes noires, en pleine ascension sociale, craignent les
remous, car elles tentent de se persuader ue le probl me noir est en cours
de r glement yant eu -m mes échappé de ustesse au type de réaction
Bigger homas, dit Richard right en postface de son roman, ils trouvent
tr s désagréable u’on leur rappelle publi uement les ab mes de déchéance
au-dessus des uels ils ouissent de leur vie bourgeoise. Ils ne désirent pas
du tout ue les gens, surtout les Blancs, puissent penser ue leur mani re de
vivre est, ne f t-ce u’effleurée, par uel ue chose d’aussi sombre et brutal
ue Bigger.
oilà le fils tragi ue ue e vous laisse, dit-il à tous les méricains.
On verra ce ue vous en fere . Car le romancier refuse de dissocier
Blancs et Noirs. Bigger n’est pas noir tout le temps. Il est blanc aussi. n
fait, des millions de Bigger, produits made in produits d’une société
dislo uée par un capitalisme sauvage, portent en eu les potentialités du
crime.
uant au Parti communiste, il ne se ré ouit pas de ce roman o les
camarades ne sont pas peints sous les traits de chevaliers immaculés
chargeant l’ennemi avec héro sme . ais comme l’e pli ue ichel
Fabre dans un ouvrage consacré à l’écrivain , pour Richard right, décrire
les Noirs conformément au théories politi ues du Parti reviendrait à nier
les Bigger homas et à se renier lui-m me. u coup, il s’éloigne du Parti,
mais pas de ses convictions socialistes.
n 1947, il uitte les États- nis pour la France. epuis des années, sa
col re monte. eu ans auparavant, une goutte d’eau a fait déborder la
coupe. Sa fille, Julia right, se souvient : J’ai trois ans. Nous habitons
New or . Comme mon p re est en train d’écrire, il demande à Connie, une
amie blanche, de me sortir uel ues heures. Connie m’emm ne au Bergdof
oodman, un magasin tr s chic de la e venue. lle regarde les robes, e
la suis en la tenant par la upe. Finalement, e lui dis ue e veu faire pipi.
lle se rapproche d’un comptoir et demande à une vendeuse o sont les
toilettes. Celle-ci lui indi ue aimablement la direction. Or, en m’éloignant
du comptoir, e deviens visible La vendeuse s’écrie : adame, vous
pouve y aller, mais pas elle
n rentrant, elle raconte à mon p re ce ui s’est passé. Je m’en
souviens encore, e suis dans la salle à manger, Connie et mon p re sont
dans le bureau à c té. t ’entends le hurlement de mon p re. Comme un
hurlement de b te blessée
es humiliations personnelles, il en a subi bien d’autres, comme
l’obligation d’aller à arlem pour se faire couper les cheveu , ou
l’impossibilité de s’acheter une maison dans certains endroits réservés au
Blancs. t, tou ours, la vision de ces Noirs éternellement méprisés.
Les raisons de son émigration sont affectives il ne veut pas ue sa
fille soit élevée dans un tel climat , mais aussi intellectuelles et littéraires.
ller en urope, c’est se porter sur les pas de emingway, c’est fré uenter
les écrivains fran ais u’il admire, comme Camus ou ide.
son arrivée à la gare Saint-La are, il est accueilli par l’écrivaine
ertrude Stein. uel ues m tres plus loin, il remar ue une voiture de
l’ambassade américaine au vitres teintées La surveillance du FBI
commence lle ne se rel chera amais.
Rapidement, il rencontre des Fran ais de gauche de diverses
tendances : des trots istes comme aurice Nadeau, des communistes
comme Paul Éluard et des écrivains membres d’aucun parti comme ndré
Breton, Jac ues Prévert, ndré ide ou Jean-Paul Sartre. Sa femme, llen
right, américaine, blanche, uive et communiste, devient l’agent littéraire
de Simone de Beauvoir Comme right n’est d’aucun parti, on s’e prime
librement devant lui et peu à peu les contradictions émergent. Les fissures
aussi, car right a du mal à se contenir, il est tou ours pr t à réparer les
in ustices. Il n’est pas bonimenteur, il ne fait pas d’effets de manches. Ce
ui compte pour lui, c’est l’action. Pas uestion de s’embourgeoiser à Paris,
entouré de stars intellectuelles de la Rive gauche, ni de se vautrer dans un
fauteuil de romancier à succ s. Or il le pourrait : son roman, lac o , ui
raconte son enfance dans le ississippi, a atteint le million d’e emplaires.
n en ant du pa s, si cent mille e emplaires
n fait, Paris lui sert de tremplin pour ses voyages et ses actions
inlassables en faveur des luttes des opprimés. n 1952, il rencontre le grand
homme d’État ghanéen wame N rumah, ui réclame à cor et à cri
l’indépendance pour l’ fri ue noire colonisée. On retrouve right en avril
1955 en Indonésie, à Bandung, o se tient la premi re conférence des vingt-
neuf pays non alignés c’est-à-dire, pendant la guerre froide, des pays ne
dépendant d’aucune puissance mondiale . Il y rencontre l’Indien Nehru, le
Chinois hou nlai, l’Indonésien Su arno, l’Égyptien Nasser, et en tire un
reportage intitulé : andoeng d ommes.
Rentré à Paris entre deu voyages, il consacre l’essentiel de son temps
à la lutte contre le racisme. Il met sur pied un groupe dont le but est de
dénoncer toutes les in ustices au États- nis, les lynchages, la propagande
américaine dans le monde, et de défendre les Noirs face au racisme et à la
discrimination dans les entreprises américaines en France.
Richard right oue le r le de patriarche pour tous les écrivains et
artistes e patriés de l’épo ue, et ils sont nombreu car la capitale fran aise
fascine par sa réputation de liberté. Il féd re de grands auteurs noirs comme
James Baldwin, e ilé en France en novembre 1948, ui, lui aussi, m le
e pression littéraire et engagement politi ue, ou Chester imes, l’auteur de
La eine des pommes, e ilé en France en 195 , dont il dit ue sa prose est
si intensément aveuglante u’elle vous br le les yeu . t d’autres
méricains e ilés encore, comme illiam ardner Smith, ou le dessinateur
Ollie arrington, l’un des plus grands artistes du e si cle, ui a créé un
personnage dressé contre la ségrégation avec humour et dérision.
Le regroupement de tous ces intellectuels noirs g ne la propagande
américaine ui tente de faire croire ue le probl me noir est réglé, u’il n’y
a plus de discrimination. Le venin de right, débité sans cesse par les
e patriés au terrasses des cafés et par des années de gros titres sur les
lynchages, est parvenu à empoisonner la pensée européenne au su et des
probl mes raciau au États- nis , écrit un ournaliste en 1956. Le FBI
resserre la surveillance autour de lui. Il est fiché au National Security Inde
comme représentant une menace contre la s reté nationale américaine. On
est en pleine guerre froide entre l’ st et l’Ouest la chasse au sorci res
atteint son paro ysme.
Le camp conservateur, pr nant la suprématie blanche au États- nis,
ne peut tolérer u’en France une élite noire s’unisse. ussi se rabat-il sur la
meilleure des tacti ues : diviser pour mieu régner. C’est une lutte
meurtri re dans la uelle l’on dresse un fr re contre l’autre, dans la uelle
des menaces de violence physi ue sont brandies par un Noir contre un
autre, dans la uelle on fait v u de blesser ou de tuer , écrit Richard
right. La prétendue opposition entre Richard right et James Baldwin est
montée de toutes pi ces par le FBI. anipulé par les services culturels
américains, Baldwin, l’inoubliable auteur de La proc aine ois le eu fait
tout pour détruire la réputation de right. eu étoiles noires n’ont pas le
droit de coe ister.
Les intimidations ne s’arr tent pas là, car right est un incorruptible,
donc un danger potentiel u’il faut surveiller sans cesse. Bien s r, e ne
veu pas u’il m’arrive uoi ue ce soit, écrit Richard right à argrit de
Sabloni re, le 0 mars 1960, mais, si c’est le cas, mes amis sauront
e actement d’o cela vient. Si e te dis de telles choses, c’est pour ue tu
saches ce u’il se passe. u point de vue des méricains, e suis pire u’un
communiste, car mon travail a eté une ombre sur leur politi ue en sie et
en fri ue. oilà le probl me : ils m’ont demandé maintes et maintes fois
de travailler pour eu , mais e préférerais mourir.
Il préférait mourir. Il est mort huit mois plus tard.
Ses derni res interventions, écrit ichel Fabre, visaient à dévoiler
les man uvres des services secrets américains. Née dans la rébellion, sa
carri re va se terminer par la rébellion. Le 8 novembre 1960, il donne une
conférence o il montre comment le gouvernement américain réduit au
silence ses intellectuels et ses artistes noirs. Il décrit les tensions raciales sur
les bases navales américaines, en urope il dénonce l’espionnage au sein
de la communauté noire e patriée à Paris et il dévoile les méthodes
d’infiltration du FBI et de la CI dans les ones noires
L’étau se resserre autour de lui, les atta ues fusent. Il y répond par
l’écriture de huit cent di -sept courts po mes, dits ha us, ui allument des
petites lumi res dans cette obscurité o il vit, des évidences dans un monde
o l’on pr che le fau -semblant :

Le c at ermant les eu
ille comme s il voulait
valer le printemps
Les moineau eu m mes
ssa ent de réc au er
L épouvantail gelé

Le 28 novembre 1960, on annonce sa mort, due à une crise cardia ue.


Certains parlent d’empoisonnement. Plus probablement, comme bien
d’autres écrivains noirs américains, Richard right est mort victime de la
haine. Son c ur a l ché, usé d’avoir sans répit pris la plume pour dénoncer
les in ustices.
e r i tant i ne ar a a

ddi
25 décembre 191 - 18 décembre 194

ous irailleurs énégalais


mes rr es noirs la main caude
sous la glace et la mort
ui pourra vous canter
si ce nest votre rr e darmes votre
rr e de sang
e ne laisserai pas la parole
au ministres et pas au générau
e ne laisserai pas non
les louanges de mépris vous
enterrer urtivement.
ous ntes pas des pauvres
au poces vides sans onneur
ais e décir erai les rires
anania sur tous les murs
de rance.

Léopold Senghor,
Pome liminaire , in osties
noires 1948

Le colonel Rives me re oit dans son appartement pr s de


Fontainebleau, à uel ues pas des lieu o ’ai passé ma eunesse. Il me
parle de la guerre de 19 9-1945, avec ses cort ges de morts, de blessés, et
les combattants indig nes venus d’ fri ue et d’ailleurs.

uand la Seconde uerre mondiale celle ui ne devait amais arriver


est déclarée, aurice Rives a sei e ans. vingt ans, en 1944, il prend le
ma uis, puis il devient militaire de carri re. Il sert au ietnam, en lgérie,
au Laos, au Cameroun, en Républi ue centrafricaine, à la artini ue, à
ibouti Partout o la Républi ue a besoin de lui. Il est à la retraite
lors u’il apprend avec stupéfaction ue ses anciens compagnons d’armes
subissent une discrimination sur le montant de leur pension, en tant
u’originaires des anciennes colonies. Il en a la confirmation un our u’à
Sarcelles il retrouve un vieu camarade, commandeur de la Légion
d’honneur, ui n’a plus de dents parce ue trop pauvre pour avoir amais pu
les faire soigner.
On aurait pu croire ue la Républi ue honorerait sans différence tous
ses soldats dont beaucoup ont été blessés ou handicapés à vie , u’ils
soient ressortissants de l’ancien empire colonial fran ais ou e térieurs à cet
empire. Or les soldats d’ fri ue, y compris les ré uisitionnés pour
combattre sous la banni re fran aise, ont eu droit à une pension de guerre
misérable, calculée sur les moyens de leur pays, et sur sa monnaie, souvent
dévaluée.
écidé à dénoncer une in ustice ui déshonore son pays, le colonel
Rives prend les armes, du moins celles des temps de pai : les médias. Il
écrit une centaine d’articles, participe à une di aine d’émissions à la radio, à
la télévision. n vain. La discrimination ne dispara t pas, malgré le film de
Rachid Bouchareb, ndig nes, en 2006, ui montre des soldats de toutes
couleurs et religions unis dans la lutte pour la liberté de la France.
Convaincu ue c’est son devoir, ue son honneur le lui commande, le
colonel Rives me parle d’un homme dont l’histoire lui tient particuli rement
à c ur : ddi B , un parfait soldat inconnu Évidemment, le colonel
Rives aurait pu choisir une figure cél bre, comme celle de Féli Éboué
1884-1944 . Seul Noir à parvenir au sommet hiérarchi ue de
l’administration coloniale, Éboué re oint d s le 18 uin 1940 la Résistance
et, en tant ue gouverneur, proclame le ralliement officiel du chad, alors
colonie fran aise, au général de aulle. Il organise une armée de uarante
mille hommes. n fri ue résidait le seul espoir de la France libre,
tandis ue l’ e agone était occupé. Pour ue cet espoir se matérialise,
écrit le général de aulle dans ses émoires de guerre, il lui faut disposer
de véritables soutiens en fri ue. Le premier et tr s efficace soutien viendra
donc d’un administrateur colonial originaire de uyane, Féli Éboué.
ais Féli Éboué, lui, a vu sa résistance reconnue. Ses cendres ont été
transférées le 20 mai 1949 au Panthéon aupr s de grands résistants comme
Jean oulin, d’abolitionnistes comme l’abbé régoire ou ictor
Schoelcher et de grandes consciences comme mile ola et Jean Jaur s.
ddi B , lui, reste une étoile noire perdue dans le ciel de France. Pour tout
honneur, le colonel Rives, avec l’accord des Langevins, a donné son nom à
une rue de Langeais, en Indre-et-Loire, le 11 mai 1991

ddi B est né en 191 pr s de Cona ry, en uinée, colonie fran aise.


rrivé en France, il est engagé comme cuisinier che un notable de
Langeais. n 19 9, alors ue la guerre est imminente, l’état-ma or de
l’ rmée se souvient des forces indig nes ui combattirent si
courageusement en 14-18. ddi B s’engage. Pour un fricain ui conna t
la propagande na ie, la victoire de l’ llemagne signifierait une forme de
retour à l’esclavage. imé Césaire l’e prime, en 1948, dans son
introduction à une réédition d’ sclavage et Colonisation, de ictor
Schoelcher : On aurait peine à s’imaginer ce u’a pu tre pour les N gres
des ntilles la terrible épo ue ui va du début du IIe si cle à la moitié
du I e si cle, si depuis uel ue temps, l’histoire ne s’était chargée de
fournir uel ues bases de comparaison.
ue l’on se représente uschwit et achau, Ravensbr c et
athausen, mais le tout à l’échelle immense, celle des si cles, celle des
continents, l’ méri ue transformée en univers concentrationnaire , la
tenue rayée imposée à toute une race . u’on imagine tout cela et tous
les crachats de l’histoire et toutes les humiliations et tous les sadismes et
u’on les additionne et u’on les multiplie et on comprendra ue
l’ llemagne na ie n’a fait u’appli uer en petit à l’ urope ce ue l’ urope
occidentale a appli ué pendant des si cles au races ui eurent l’audace ou
la maladresse de se trouver sur son chemin.
n avril 1940, ddi B est affecté au 12e régiment de tirailleurs
sénégalais. Le 10 mai 1940, les hommes sont envoyés faire rempart de leur
corps contre l’avancée de l’armée allemande, subissant les pertes les plus
massives de l’armée : cin cent vingt mille tirailleurs seront mobilisés pour
occuper la premi re ligne. ue l’on compare : le tau de mortalité des
combattants fran ais de France , en 19 9-1940, sera de celui des
soldats d’ fri ue-Occidentale fran aise et d’ fri ue- uatoriale fran aise,
de 40
n mai et début uin 1940, mal é uipé, les pieds dans la boue, ddi B
lutte dans les rdennes et sur la euse, dans des combats terribles, parfois
au corps à corps. Le 18 uin 1940, à arréville-les-Chanteurs, en aute-
arne, son régiment est décimé. Certains combattants sont morts sur les
champs de bataille, d’autres massacrés une fois faits prisonniers. Cin ou
si cents tirailleurs sont froidement e écutés par les llemands. ne balle
dans la nu ue.
n dépit de toutes les r gles de la guerre, les na is organisent de
véritables chasses à l’homme dans la Sarthe, en C te-d’Or, ailleurs encore.
Les soldats sénégalais sont internés en France plut t u’en llemagne,
car les llemands redoutent les maladies tropicales et, plus encore, le ris ue
de relations se uelles avec des Blanches
C’est l’innommable comportement na i à l’égard des Noirs ui
détermine Jean oulin, futur président du Conseil national de la Résistance,
à entrer dans le combat. lors préfet de l’ ure-et-Loir, il est arr té le 18
uin 1940, contraint par les llemands à reconna tre ue les tirailleurs
sénégalais commettent des actes atroces, u’ils se comportent comme des
sauvages. Comme il refuse de signer le papier u’on lui tend, comme il se
révolte contre une telle indignité , on le frappe, on l’insulte. Il le raconte
lui-m me dans son livre remier Com at.
L’un des na is, reprenant son calme, revient à la charge : toutes les
preuves accusent les soldats noirs d’atrocités indescriptibles. Comme Jean
oulin demande à voir ces preuves, on lui produit un document ui
rapporte ue des effectifs de soldats noirs ont emprunté, dans leur retraite,
une voie de chemin de fer pr s de la uelle ont été trouvés, à dou e
ilom tres environ de Chartres, les corps mutilés et violés de plusieurs
femmes et enfants .
uelle certitude ave -vous ue les tirailleurs sénégalais sont passés
e actement à l’endroit o vous ave découvert les cadavres leur demande
Jean oulin.
On a retrouvé du matériel abandonné par eu , répond le na i.
outant ue les victimes ont été e aminées par des spécialistes et ue les
violences u’elles ont subies offrent toutes les caractéristi ues des crimes
commis par des N gres .
Les caractéristi ues des crimes commis par des N gres Jean
oulin sourirait pres ue devant de tels stéréotypes.
N’ayant pas réussi à obtenir sa signature par la violence ou la
persuasion, les na is conduisent le préfet sur les lieu du prétendu carnage
o ils lui montrent neuf cadavres horriblement défigurés, parmi les uels des
enfants. Jean oulin n’est pas dupe et reconna t aussit t u’il s’agit de
victimes d’un bombardement. Furieu , les na is le ettent dans un réduit,
pr s du tronc d’une femme amputée de tous ses membres.
la nuit tombante, Jean oulin n’a tou ours pas cédé malgré un état
de faiblesse tel ue les llemands le bouclent dans une chambre de l’h pital
de Chartres, avec promesse de continuer l’interrogatoire le lendemain. n
tirailleur sénégalais est dé à couché sur un matelas, à c té de lui. Comme
nous connaissons maintenant votre amour pour les N gres, nous avons
pensé vous faire plaisir en vous permettant de coucher avec l’un d’eu ,
ricanent les ge liers na is.
Pour uoi un tel acharnement à e iger la signature de Jean oulin au
point ue ce dernier se tranchera la gorge avec un débris de verre, sans,
heureusement, mettre fin à ses ours C’est ue les llemands avaient
besoin d’une garantie officielle d’un préfet fran ais pour dissimuler leurs
crimes de guerre contre les tirailleurs sénégalais. Je lis : Fin 1940, on
dénombre 165 Sénégalais enterrés dans la one des combats du 16 uin
dont 120 inconnus au uels les llemands ont retiré leur pla ue
d’identité pour les rendre anonymes. Ceu -là, entre autres, ont été abattus
comme des chiens, le 17, apr s leur capture
ais ue devient ddi B andis ue les luttes se poursuivent, ue
les bataillons noirs tombent les uns apr s les autres, il est capturé en 1940 et
conduit à Neufch teau, dans les osges. Bient t, profitant d’une soirée de
beuverie de leurs gardiens, ddi B réussit à s’enfuir avec une uarantaine
de camarades. Ils disparaissent dans la nuit, non sans se munir des armes
abandonnées.
Les hommes se réfugient dans les bois de Saint-Ouen-l s-Parey, o ils
subsistent misérablement. Ils ont des blessés. ddi B prend le ris ue
d’entrer en contact avec la population de la commune. Le maire de
ollaincourt et l’institutrice du village donnent des soins au blessés et
procurent de la nourriture au hommes. Certains sont hébergés, cachés par
les habitants du village. cette épo ue, il faut beaucoup de courage, de
témérité m me, pour camoufler un fricain au milieu de la France
aryanisée outre les difficultés techni ues ue cela suppose , car la
répression est terrible. Il y a des histoires formidables, comme celle du
tirailleur sénégalais ue des paysans vosgiens déguisent en femme et
emm nent, en pleine guerre, garder les vaches.
La présence d’ ddi B et de ses camarades dans cette one occupée
par l’ennemi représente donc un grand ris ue, et ddi B le sait. Il cherche
à fuir la région. Épinal, des gendarmes les mettent en contact avec des
passeurs. pr s avoir enterré leurs armes, les clandestins sont acheminés
vers la Suisse, o ils parviennent au début de 1941.
L’ad udant ddi B , lui, est resté à ollaincourt o , camouflé en
ouvrier agricole, il continue le combat. s le mois d’octobre, il entre en
relation avec deu futurs membres du réseau Ceu de la Résistance .
Beaucoup d’entre nous ignorent ue les Noirs furent nombreu à lutter
pour notre liberté. s 1940, on en compte dans les organisations de
résistance et, en 1944, ils viennent grossir les rangs des ma uisards. ans le
ercors, par e emple, en uillet 1944, se trouvent parmi les FFI cin uante-
deu tirailleurs sénégalais, anciens prisonniers de guerre évadés, considérés
par leur chef comme les meilleurs éléments du massif .
ddi B tient un r le important et m ne ses actions avec une grande
intelligence. plusieurs reprises il se rend sur la ligne de démarcation afin
de recevoir des instructions d’un haut responsable. t il commence à
envoyer des renseignements.
Il découvre un aviateur anglais dont le bombardier a été abattu, le
soigne et le conduit en Suisse. n mars 194 , il fonde avec un camarade le
premier ma uis des osges, au lieu-dit du Ch ne des Partisans. n uillet,
son organisation clandestine baptisée Camp de la délivrance compte
uatre-vingts réfractaires au S O, di -huit Russes et deu llemands ui se
disent déserteurs de la ehrmacht. ais, le 11 uillet, ces deu pseudo-
déserteurs s’enfuient et rév lent l’emplacement du camp à la
ommandantur. Le surlendemain, ce sont plus de mille soldats allemands
ui encerclent la petite colline. eureusement, des fermiers du cru, ui les
soutiennent, les ont prévenus à temps et tous peuvent s’échapper.
Pour ddi B , les choses sont plus difficiles, sa peau le trahit. Le 15
uillet, il est capturé à la ferme de La Fenessi re. peine enfermé, il saute
par une fen tre. n soldat décharge sur lui son pistolet-mitrailleur. Il est
atteint à la cuisse.
On le transporte à la prison d’Épinal, o il est atrocement torturé. Les
llemands veulent obtenir des noms. ddi B se tait obstinément. Il est
re oint par l’un de ses camarades, rburger, arr té deu ours auparavant
par la estapo tandis u’il essayait d’orienter ses compagnons d’armes du
Camp de la délivrance vers d’autres ma uis.
Le 18 décembre 194 , apr s d’interminables tortures, ddi B et son
ami rburger sont fusillés sur le plateau de la ierge, à Épinal. Ils n’ont pas
parlé.
Ce résistant de la premi re heure n’a re u la médaille de la Résistance
à titre posthume u’en 200 , soi ante ans apr s sa mort. uoi d’étonnant
s la veille de la Libération, notre pays a opéré un blanchiment de sa
résistance. Pas plus de trace ue celle d’un pas vite effacé par le vent dans
le sable du désert , dit le colonel Rives. Ce blanchiment s’est étendu à
toute l’armée, par démobilisation des troupes coloniales. insi, m me si la
moitié des hommes ui débar uent en Provence sont africains, on ne les
voit pas défiler le 14 uillet 1945 sur les Champs-Élysées La guerre
terminée, pas un de leurs noms ne figure sur les livres d’or. uant au
monuments au morts, il est bien rare u’ils mentionnent un soldat africain.

J’en reviens au cas de conscience du colonel Rives, indigné ue les


derniers combattants d’outre-mer n’aient tou ours pas les m mes pensions
ue les tirailleurs fran ais et ne soient tou ours pas reconnus comme les
soldats de la liberté u’ils ont été.
Couronnement de la reconnaissance nationale à leur égard, un
décret est signé en 1959 par aléry iscard d’ staing, alors secrétaire
d’État au Finances, gelant les retraites et pensions des vétérans de l’ancien
empire fran ais en fri ue. n pleine vague de décolonisation, ces
pensions, retraites et allocations ont été transformées en indemnités
annuelles, calculées sur la base des pri en vigueur à la date
de l’indépendance de cha ue pays
uelle trahison de la part de l’État fran ais Ce décret de 1959 fut
ratifié par le général de aulle, président de la Républi ue fran aise, le
m me ui, le 18 uin 1940, s’e clamait à la BBC, lors de son cél bre appel :
La France n’est pas seule lle n’est pas seule lle n’est pas seule lle
a un vaste empire derri re elle
C’est pour moi uel ue chose de terrible, me dit le colonel Rives à
propos de ces combattants africains, parce ue nous avions combattu
ensemble, certains sont morts dans mes bras, certains m’ont soigné uand
’étais blessé. Nous sommes liés par une profonde fraternité d’ me. ue
faut-il faire On entend de grands discours sur leur sacrifice, sur leur
bravoure, mais on ne parle pas de leur pension, et du minimum dont ils
auraient besoin pour vivre décemment
ue les politi ues soient rassurés : ils sont si vieu Ils seront bient t
morts
e g nie de d co re r

ci nti i u in nt ur
c rc ur

La liste non e haustive de scientifi ues, inventeurs et chercheurs noirs


ue e donne ici débute à la moitié du I e si cle, pour la simple raison
ue n’e istait aucune autorisation de dép ts de brevets d’invention avant
l’abolition de l’esclavage.
n fait, cette liste aurait pu commencer des centaines de milliers
d’années auparavant, dans la nuit des temps. L’ fri ue étant le berceau de
l’humanité, ’aurais pu citer la pierre taillée, la ma trise du feu, la poterie,
l’astronomie, la médecine, l’écriture, l’agriculture, les mathémati ues
uel ue soit le milieu, les hommes ont d résoudre toutes sortes de
probl mes : traverser une rivi re, b tir un abri, recueillir des aliments, se
soigner, etc.
epuis tou ours, l’homme est contraint à inventer, et son intelligence
s’est développée. La chose semble évidente, et la liste des inventions dues à
des Noirs serait superflue si, au ourd’hui encore, certains ne continuaient
pas à mettre en doute leurs capacités intellectuelles.
Les noms des scientifi ues ui suivent sont tirés des ouvrages d’Otha
Richard Sullivan et d’ ves ntoine cités en bibliographie.

n ention age dome ti e


vant de partir au travail, disait le pasteur artin Luther ing,
sache ue la moitié de toutes les choses et des appareils ue nous avons
utilisés che nous ont été inventés par des Noirs

Syst me d’ouverture et de fermeture des ascenseurs : le ander


iles, en 1867.
ssoreuse à v tements : llen F. glin, vers 1880.
Lampe électri ue premi re ampoule à incandescence avec filament
de carbone : Lewis oward Latimer 1848-1928 et Joseph .
Nichols, en 1881.
achine de cordonnerie permettant d’attacher les semelles de
mani re durable en une minute : Jan arnst at eliger, mars 188 .
Batteur à ufs : illis Johnson, en 1884.
ntenne paraboli ue : ranville . oods 1856-1910 .
Réfrigérateur : John Stenard, en 1891.
Capsules de bouteilles : illiam Painter, en 1892.
Planche à repasser : Sarah Boone, en 1892.
S che-linge : eorge . Sampson, en 1892.
adrouille balaie à franges : homas . Stewart, en 189 .
Panneau de protection des lits : Lewis . Russel, en 1895.
écanisme de sécurité pour ascenseur : James Cooper, en 1895.
ringle de rideau : . S. rant, en 1896.
Presse-agrumes : John . hite, en 1896.
ivan et lit convertibles : J. . vans, en 1897.
able de cuisson à vapeur : eorge . elley, en 1897.
Lit pliant : L. C. Bailey, en 1899.
Fer à défrisage : alter . Sammons, en 1920.

ardin oi ir crit re co e

Chaise balan oire : Payton Johnson, en 1881.


Lanterne ou lampe temp te : ichael C. amey, en 1884.
Lit pliant, bureau cylindre : Sara . oode, en 1885.
rroseur de pelouse : Joseph . Smith, en 1897.
an ges : ranville . oods, en 1899.
Piano mécani ue : Joseph . ic inson, en 1912.
Bain d’impression photographi ue : Clatonia Joa uin orticus, en
1895.
ee support pour balle de golf : eorge F. rant, en 1899.
Plume à réservoir : illiam Purvis, en 1890. Invente également le
tampon manuel.
aille-crayon : John L. Loove, en 1897.
ncre à partir de la pomme de terre : eorge ashington Carver
1864-194 .
ppareil à composter : illiam Barry, en 1897.

nd trie

Procédé de fabrication de peintures et de teintures : eorge


ashington Carver 1864-194 .
achine de cordonnerie : Jan . at elinger, en 1884.
Bouchon automati ue pour conduites de ga et de pétrole : illiam
F. Cosgrove, en 1885.

imentaire

Procédé prati ue de pollinisation de la vanille : dmond lbius


1829-1880 .
Farine, encre, tapioca, amidon, caoutchouc synthéti ue à partir de
la pomme de terre eorge ashington Carver 1864-194 .
achine à planter le ma s et le coton : enry Blair 1804-1860 .
Fabrication du sucre en morceau : Norbert Rillieu , en 1846.
mélioration pour l’appareil de réfrigération : homas l ins, en
1879.
oissonneuse : . L. Jones, en 1890.
Baratte : lbert C. Richardson, en 1891.
achine à pétrir : Joseph Lee, en 1894.
achine à ébarber le ma s : Robert P. Scott, en 1894.
rracheuse de pommes de terre : F. J. ood, en 1895.
Camions, wagons, bateau frigorifi ues permettant la conservation
des denrées alimentaires : Frederic c inley Jones 1892-1961 .
Procédé de conservation des aliments par séchage rapide : Lloyd .
all 1894-1971 .
Syst me de réfrigération pour les camions et chemins de fer :
Frederic c inley Jones, en 1949.

ran ort

élice permettant au bateau à vapeur de naviguer en eau peu


profonde : Ben amin ontgomery 1819-1877 .
Cheminée de locomotive : améliorée par Landron Bell, en 1871.
Électrification du chemin de fer construction de tunnels pour voies
ferrées électri ues : ranville . oods, en 1888.
Poussette : illiam . Richardson, en 1889.
Charpente métalli ue de voiture : Carter illiam, en 1892.
rolley pour trains électri ues : lbert R. Robinson, en 189 .
larme de train : R. . Butler, en 1897.
Cadre de vélo : Isaac R. Johnson, en 1899.
iguillage commutateur pour voie ferrée : illiam F. Burr, en
1899.
oteur à combustion : ndrew J. Beard 1850-1910 de m me ue
le dispositif de couplages des voitures de train, en 1899.
ispositif de transport de frets porte-bagages : John . Butts, en
1899.
Feu de circulation : arrett . organ, en 192 .
Bo te de vitesses automati ue pour voitures : Richard Spi es, en
19 2.
Fabrication de pi ces automobiles en plasti ue à base de so a
planches d’isolation, du papier, du cordage, blocs de pavage pour la
construction d’autoroutes à partir du coton : eorge ashington
Carver 1864-194 .
Syst me de signalisation : Lewis . Chubb, en 19 7.
c rit

Bouche de secours incendie et amélioration dans l’échelle de


sauvetage : Joseph R. inters, en 1878.
Lentilles de protection des yeu : Powell Johnson, en 1880.
Portes de sécurité pour ponts à bascule : umphrey Reynolds, en
1890.
Balayeuse motorisée : Charles Broo s, en 1890.
as ue à ga : arrett . organ 1877-196 .
éthode et appareil pour réglage des thermostats, conditionnement
d’air et thermostats : avid N. Crosthwait Jr., en 1928.
echni ues pour désenfumer les b timents et pour disperser le
brouillard sur les pistes d’aéroport : eredith Charles ourdine 1929-
1998 .

ant io ogie armaco ogie

Premi re opération à c ur ouvert : aniel ale illiams 1856-


19 1 .
Shampooing, savon, poudre de toilette, cr me à raser à partir de
l’arachide : eorge ashington Carver 1864-194 .
Produit pour traiter la calvitie et autres cosméti ues : C. J. al er
1867-1919 .
ravau sur la cellule et la fécondation : rnest verett Just 188 -
1941 .
est de dépistage de la syphilis : illiam . inton 188 -1959 .
Collier pour les fractures cervicales : Louis omp ins right 1891-
1952 .
éthode de vaccination intradermi ue contre la petite vérole : Louis
omp ins right 1891-1952 .
achine à friser : ar orie Stewart Joyner 1896-1994 .
Synth se chimi ue de médicaments à partir de plantes médicinales
pionnier dans la synth se industrielle des hormones humaines : Percy
Lavon Julian 1899-1975 .
ransfusion sanguine : Charles Richard rew 1904-1950 .
ppareils pour aider les amputés à s’alimenter et tre autonomes :
Bessie Blount riffin 191 .
tilisation de la chimiothérapie puis de la polythérapie comme
moyen de lutte contre le cancer : Jane Coo e right 1919 .
Pacema er filtre à air : Otis Boy in 1920 -1982 .
eu i me transplantation d’un rein : Samuel L. ount 19 0-
1981 .
achine permettant de mieu mesurer la pression artérielle :
ichael Croslin 19 .
éveloppement de l’imagerie à rayons : eorge dward lcorn
1940 .
tilisation du laser pour l’opération de la cataracte : Patricia . Bath
1949 .
Premi re greffe osseuse che un enfant : vette Bonny 19 8 , en
1980.
Séparation de deu fr res siamois oints par l’e trémité
encéphali ue : Ben amin S. Carson 1951 .

cani e

mélioration dans la lubrification des cylindres-vapeur : li ah


cCoy, en 1876.
Rhéostat fiable : ranville . oods, en 1896 relais électri ue en
1887.
arteau propulseur actionné à pied : innis eaden, en 1886.
oteur rotatif : ndrew J. Beard, en 1892.
odet graisseur : li ah cCoy, en 1898.
écanisme de levage et de chargement : ary Jane Reynolds, en
1899.
Syst me de surcompresseur pour moteur à combustion interne :
Joseph . amell, en 1976.
o mm nication

Rotative de presse : . . Lavalette, en 1878.


élégraphie en chemin de fer : ranville . oods, en 1888
appareil de transmission de messages par voie électri ue, en 1885.
Instrument pour le transfert de sacs postau : J. C. Jones, en 1917.
Instrument pour charger et décharger le courrier aérien : us Burton,
en 1945.
limentation d’antenne pour coordonner deu radars de dépistage :
James . Lewis, en 1968.
éléphone cellulaire : enry . Sampson, en 1971.
is uette informati ue : John P. oon 19 8 .

at mati e ectroni e rec erc e atomi e


a tronomie

esure du mouvement des étoiles et prévision de l’éclipse solaire de


1789 création d’un cél bre almanach astronomi ue permettant au
fermiers de mieu conna tre les phases de la Lune pour les
plantations : Ben amin Banne er 17 1-1806 .
ispositif électroni ue pour les missiles guidés et certains
ordinateurs IB : Otis Boy in 1920 -1982 .
Syst me permettant la réception de plusieurs cha nes sur un m me
poste de télévision introduction de l’électroni ue dans les appareils
de contr le nucléaire : Raoul- eorges Nicolo 192 .
Co-inventeur d’une nouvelle technologie du laser : arl Shaw
19 7 .
Caméra ayant fait le voyage vers la Lune à bord d’ pollo 16, en
avril 1972 : eorge R. Carruthers 19 9 .
Sondes agellan vers énus en 1989, alileo vers Jupiter en 1989,
lysse vers le Soleil en 1990, Observer et Pathfinder vers ars en
1996 : Cheic odibo iarra 1952 .
Ordinateur de calcul le plus rapide au monde : Philip meagwali, en
1989.
Rouleau d’enregistrement magnéti ue pour ordinateur : Larry .
Preston, en 1971.
irecteur de la Nasa : Charles Bolden nommé en 2009

Cha ue année, depuis 1976, les Noirs américains cél brent en février,
mois de naissance d’ braham Lincoln et de Frederic ouglass, le mois de
l’ istoire noire Blac istory onth . cette occasion est rappelé le r le
fondamental u’ont oué les Noirs américains dans l’histoire de leur pays,
u’ils soient scientifi ues, inventeurs, artistes, écrivains, artisans, sportifs
Les Blancs y sont associés dans les écoles, les églises et les entreprises des
villes de tout le pays. u fil des ans, les mentalités ont changé et ce
changement n’est pas étranger à l’élection d’Obama en 2008.
Le Canada, ui déplorait ue la contribution des Noirs à l’histoire du
Canada constitue l’un des secrets les mieu gardés de notre passé
collectif , a également son Blac istory onth depuis uin e ans, de
m me ue le Royaume- ni et l’ llemagne.
« e ar re d d ortent n fr it trange »

i i o id
7 avril 1915 - 17 uillet 1959

Le Café Society est un night-club uni ue dans le New or des années


19 0. Sa client le est composée de femmes et d’hommes de toutes les
couleurs, ses murs peints par des gauchistes . n itler à t te de singe
est pendu au plafond. On y rencontre des célébrités comme Charlie Chaplin,
rrol Flynn, Judy arland ou Nelson Roc efeller. Car si la crise a éclaté, et
la courbe du ch mage grimpé à des hauteurs effrayantes, les plus riches ont
vu leurs revenus augmenter. uant au plus modestes, ils s’endettent pour
continuer à consommer. Sur fond de crise planétaire, il r gne au Café
Society une ambiance ui permet d’oublier la ségrégation, au point u’un
our une eune chanteuse noire sur sc ne, ugeant le public désagréable,
tourne le dos, soul ve sa robe et lui montre son cul

Cette femme s’appelle Billie oliday.


Nous sommes en 19 9, elle a vingt- uatre ans. La chanson u’elle
s’appr te à interpréter est la plus émouvante, la plus terrible de son
répertoire : trange ruit Fruit étrange . Ces fruits, ce sont les
lynchages : pendaisons, goudron br lant versé sur la peau, b chers et tant
de tortures, encore si présentes dans le sud des États- nis. Ces crimes ont
dé à tué plus de 800 Noirs, et certains Blancs solidaires des Noirs entre
1889 et 1940. t cela continuera us u’au années 1960.
La chanson trange ruit a été écrite par bel eeropol, enseignant
uif d’origine russe, po te et compositeur, également professeur de lettres
dans le Bron et militant communiste. bel a vu un our une photographie
représentant deu Noirs pendus à un arbre, en 19 0. Cette image le hante.
ais ce ui le terrifie, c’est d’apprendre ue si Blancs sur di sont encore
favorables, en 19 9, au lynchage ans le Sud, ces lynchages ont remplacé
les sorties hebdomadaires, le man ge, le thé tre . Le spectacle est
oyeu . ommes, femmes et enfants y assistent, endimanchés. la fin du
lynchage, on coupe le pénis ue l’on met à mariner dans un bocal en guise
de trophée. ne mani re d’anéantir définitivement la prétendue puissance
se uelle du Noir, ui fait peur.
Billie oliday s’appr te à chanter. La client le et le personnel de
l’établissement se taisent. On écrase sa cigarette. La salle est plongée dans
le noir, puis un pro ecteur éclaire le visage de Billie, ses l vres rubis, le
gardénia u’elle porte au-dessus de l’oreille, ses mains ui tiennent le micro
comme une tasse de thé. lle ferme les yeu , renverse la t te en arri re, puis
commence d’une voi obsédante, sans forcer le trait :

es arbres du Sud portent un fruit étrange,


u sang sur les euilles et du sang au racines
n corps noir oscillant la rise du ud
ruit étrange suspendu dans les peupliers.

Je suis tétanisé. Cha ue mot p se sur ma poitrine. J’ai l’impression de


me trouver au pied de l’arbre .

c nes pastorales du valeureu ud


eu e or ités ouc e tordue
ar um de magnolia dou et rais
t une soudaine odeur de c air r lée

Je per ois l’odeur de la chair en train de br ler ’ai l’impression ue


la sc ne se passe devant moi.

Ce ruit sera cueilli par des cor eau


amassé par la pluie aspiré par le vent
ourri par le soleil l c é par un ar re.

Puis, au dernier vers, sa voi monte comme un cri :

C est l une étrange et am re récolte.

La note reste en suspens, et c’est le silence. La lumi re s’éteint.


Personne n’applaudit. nfin, dans le silence fun bre, uel u’un frappe dans
ses mains avec nervosité. t le public bouleversé éclate en acclamations.
Lors ue la sc ne se rallume, elle est vide. Billie ne revient amais
saluer apr s trange ruit. uels ue soient les applaudissements.

n 19 9, Billie oliday a suffisamment vécu de cauchemars pour


savoir ce u’interpréter cette chanson veut dire. epuis son enfance, le go t
de ce fruit, cette douleur, elle l’a dans la bouche. Personne ne sait comme
elle chanter le mot faim . Parce ue ’ai été brisée et meurtrie, dit-elle
dans ses émoires. outes les Cadillac et tous les visons du monde et ’en
ai eu ne peuvent effacer a ou me le faire oublier. Personne ne sait
chanter comme elle le mot amour . Le clarinettiste ony Scott disait :
uand Lady chante mon homme m’a uittée , vous voye les valises
bouclées, le mec ui descend dans la rue, et vous save qu il ne reviendra
amais. Che elle, les émotions ne tombent amais dans le
sentimentalisme, elles sont partage d’une douleur ui vient du ventre, et
elles se brisent sur votre c ur directement.
Billie est née à Baltimore en 1915. Ses parents étaient tr s eunes,
comme le sont encore bien des m res dans le ghetto. Son p re, Clarence
oliday, a trei e ans, et sa m re, Sadie Fagan, uator e. n fait, ses parents
se sont connus le temps de la concevoir, à l’occasion d’un bal. ussit t
rencontrés, aussit t uittés. Clarence, guitariste de a , passe ses nuits dans
les clubs. Sadie encha ne les petits boulots et se prostitue. lle n’a ni le
temps ni le go t de s’occuper de sa fille, et la confie à une tante
particuli rement brutale La seule personne ui lui donne de l’affection,
c’est son arri re-grand-m re, ui meurt une nuit dans son sommeil, le bras
noué autour du cou de l’enfant.
La eunesse de Billie oliday est une suite de cauchemars. di ans,
elle est violée par un voisin. L’homme écope de cin ans. uant à la
gamine, on l’enferme comme une délin uante dans une institution
religieuse o les maltraitances et les humiliations sont constantes.
uand elle a trei e ans, consciente de son potentiel , sa m re se
souvient d’elle et l’installe dans un bordel o elle devient une call-girl à
vingt dollars . l’épo ue, la ségrégation s’arr te au bordel n revanche,
personne n’admet u’une Noire fré uente publi uement un Blanc. La
seule fois o e me suis sentie libre à cet égard, raconte-t-elle, c’est uand
’étais toute eune, ue ’étais call-girl et ue ’avais des clients blancs. Là,
personne ne s’en in uiétait, parce ue si vous faites a pour du fric, alors a
devient admissible. Combien de fois suis- e passée devant un tribunal
dans ma vie J’ai commencé à di ans, recommencé à uator e et m me
entre-temps.
Puis Billie découvre arlem, les bo tes clandestines, le a ui coule à
flots et, un peu par hasard, elle décroche ses premiers engagements. lle a
uin e ans et croit de nouveau au lumi res. n 19 , un producteur de la
Columbia l’entend chanter dans un orchestre noir. uel ues semaines plus
tard, elle enregistre our ot er s on in La et i in t e cotc . lle
chante avec tous les génies du a ue les a ophiles vén rent
au ourd’hui : Lester oung, ui la surnomme Lady ay , u e
llington, Louis rmstrong, Count Basie Sa voi , ses intonations, son
phrasé, sa vérité attirent tous les grands et Billie se retrouve bient t à se
produire avec le grand orchestre blanc d’ rtie Shaw. ais une chanteuse
noire dans un orchestre blanc ne peut tre longtemps tolérée. La tournée
avorte. Billie retourne à New or , chante dans le seul lieu ui accepte la
mi ité : le Café Society
trange ruit donne un sens à sa vie. lle réduit au silence ces Blancs
racistes ue l’on appelle crac ers, du nom de ces g teau ui, lors u’on les
brise, cla uent comme un fouet elle hurle une vérité et attise l’envie de se
battre. Pour la libération des Noirs, cette chanson a un effet comparable au
refus de Rosa Par s de céder sa place, le 1er décembre 1955, à un Blanc
dans un bus. On dit ue cette chanson, si elle n’a pas allumé la m che, a
sans conteste entretenu la flamme . Pour ngela avis, la militante
mar iste et féministe, trange ruit a replacé la protestation et la
résistance au centre de la culture musicale contemporaine .
Lors ue, apr s les difficultés ue l’on imagine, Billie oliday réussit à
graver la chanson sur dis ue, il est vendu et distribué comme un tract.
Billie en paie le pri . n haut lieu, on surveille sa consommation de
drogue. On l’accuse de délits sur les uels, us ue-là, on fermait les yeu .
Les agents fédérau la soup onnent de sympathies communistes et elle est
prise dans la chasse au sorci res. uand on emprisonne une femme aussi
cél bre ue Billie oliday, ui vise-t- on La to icomane La femme
noire L’interpr te d’une chanson contre le lynchage Jus u’à sa
disparition précoce à uarante- uatre ans, la police la tra ue au point de
l’emp cher de chanter, les stups débar uent dans son h tel, la fouillent,
l’humilient. Pour les musiciens ui l’entourent, il ne fait aucun doute ue la
police s’acharne sur Billie, comme sur Charlie Par er, comme sur les be-
bopers en général, car ces artistes dénoncent leur épo ue, luttent contre la
ségrégation.
« e re de no -m me a onn »

i ir
26 uin 191 - 17 avril 2008

J’ai rencontré imé Césaire à plusieurs reprises en artini ue,


notamment lors d’un match de l’é uipe de France en 2005. Je lui avais
offert un maillot. Il l’avait mis dans son bureau, ’en étais fier. n retour, il
m’avait dédicacé un livre.
Si ’ai choisi de parler de ce grand po te et homme politi ue, c’est
u’il est, sur le front de la négritude , ui comprend aussi Léon- ontran
amas et Léopold Sédar Senghor, celui ui, par sa poésie, ses pi ces de
thé tre, ses pamphlets, ses lettres ouvertes et ses discours, a défendu avec le
plus de force, dans un combat sans limites, non seulement l’homme noir,
mais la dignité de l’homme.

imé Césaire voit le our à Basse-Pointe, en artini ue. Son p re est


instituteur, puis inspecteur des contributions sa m re e erce le métier de
couturi re. Le eune imé fait ses études secondaires au lycée Schoelcher, à
Fort-de-France, o il fré uente le uyanais Léon- ontran amas, ui sera
lui aussi un grand po te de la négritude . cellent él ve, Césaire obtient
une bourse d’études supérieures et s’embar ue pour Paris en septembre
19 1. Il a di -huit ans et entre au lycée Louis-le- rand, en hypo h gne,
classe littéraire préparatoire au grandes écoles. s le premier our, il fait
la connaissance du Sénégalais Senghor. Les ntilles rencontrent l’ fri ue
Le moment est histori ue, car l’ fricain est encore considéré comme un
sauvage. Le N gre habite l’ fri ue. L’ ntillais méprise l’ fricain. e la
rencontre entre ces deu hommes na t une prise de conscience ui
débouchera sur le concept de négritude.
ous les eunes Noirs des classes préparatoires, ces premiers de la
classe de la Républi ue, N gres costume-cravate-latin-grec , sont
formatés par la culture classi ue fran aise : ugo, oli re, Corneille
u ntilles, ils n’ont eu acc s u’au savoir blanc, à l’histoire racontée par
les Blancs. uant à l’e pression littéraire, artisti ue ou philosophi ue
antillaise, elle est forcément européenne ou elle n’est pas. Frant Fanon le
dit clairement dans eau noire masques lancs : Jus u’en 1940, aucun
ntillais n’était capable de se penser n gre. Opinion reprise par
l’intellectuel martini uais René énil dénon ant l’aliénation antillaise :
Nous avons lu la culture des autres. outes nos manifestations culturelles
n’ont été us u’à ce our ue pastiches reflets inutiles.
ne e ception : celle de l’écrivain martini uais René aran. Ce
fonctionnaire au minist re des Colonies est le premier Noir à obtenir, en
1921, le pri oncourt pour son roman atouala. t pas n’importe uel
roman : ni e oti ue ni à l’eau de rose, l’ouvrage dénonce les méfaits de
la colonisation à une épo ue o personne ne doute de son bien-fondé. uel
courage il a fallu à ce Noir pour s’atta uer à la mission civilisatrice des
colonisateurs Ces lignes contenues dans sa préface lui vaudront la mise à
la porte du minist re : Civilisation, civilisation, orgueil des uropéens, et
leur charnier d’innocents tu b tis ton royaume sur des cadavres. u
n’es pas un flambeau, mais un incendie Ou encore : La vie coloniale,
si l’on pouvait savoir de uelle uotidienne bassesse elle est faite, on en
parlerait moins, on n’en parlerait plus. lle avilit peu à peu
Ce roman, uasi interdit au colonies, est lu sous le manteau par
Césaire, amas et Senghor.
Il faut attendre di ans apr s cette parution pour ue les s urs Nardal
fondent la evue du monde noir. C’est une lecture ue Césaire dévore d s
son arrivée à Paris. Il y découvre, entre autres, les uvres des écrivains
noirs américains de la arlem Renaissance , ui lui rév lent les
problémati ues noires et ettent les bases de l’idée de la négritude. Nous
constituions une communauté d’un type bien particulier, dira-t-il uel ues
décennies plus tard. ’abord, une communauté d’oppression subie, une
communauté d’e clusion imposée, une communauté de discrimination
profonde. Bien entendu, et c’est à son honneur, une communauté aussi de
résistance continue, de lutte opini tre pour la liberté et d’indomptable
espérance. vrai dire, c’est tout cela, u’à nos yeu de eunes étudiants
recouvrait le mot Négritude.
n 19 2, un br lot, Légitime é ense, est lancé par de eunes étudiants
martini uais ui entendent assumer leur différence de culture, d’histoire,
d’e périence et de peau. r s engagés à gauche, ils se révoltent contre le
capitalisme colonial et appellent à la lutte des classes. Légitime é ense ne
publiera u’un seul numéro, mais il aura déclenché le mouvement néo-
n gre .
n 19 4, une nouvelle revue, L tudiant noir, se donne pour pro et
d’approfondir la u te d’identité. imé Césaire et les membres de la revue
se passionnent pour la poésie africaine traditionnelle, la littérature non
occidentale. Ils se démar uent de Légitime é ense ui, selon eu , adh re
trop à l’idée communiste selon la uelle la révolution politi ue passe avant
la révolution culturelle, et surtout à son idéologie de l’ assimilation . Ce
u’ils réclament, eu , c’est l’émancipation. La eunesse noire veut agir et
créer, elle veut avoir ses po tes, ses romanciers ui lui diront ses malheurs à
elle et ses grandeurs à elle , écrit Césaire.
Léon- ontran amas, dans igments 19 7 , publie un po me intitulé
Blanchi :

e peut il donc qu ils osent


me traiter de lanc i
alors que tout en moi
aspire n tre que n gre
autant que mon rique
qu ils ont cam riolée

lanc i
omina le in ure
qu ils me paieront ort c er
quand mon rique qu ils ont cam riolée
voudra la pai la pai rien que
la pai
Le mot et le concept de négritude apparaissent d s le premier grand
te te de Césaire : Ca ier d un retour au pa s natal. cette épo ue 19 5-
19 9 , le po te traverse une période difficile. Sa vue s’est affaiblie, il
souffre de fortes migraines. Surtout, il se cherche. C’est la négritude ui va
le mener à lui-m me

e dis urra La vieille négritude


progressivement se cadavérise
l ori on se dé ait recule et s élargit
et voici parmi des déc irements de nuages la ulgurance d un signe
le négrier craque de toute part

Ca ier d un retour au pa s natal devient l’embl me de la négritude.


bolie, l’image e oti ue traditionnelle des les enchantées . Il parle des
ntilles ui ont faim , des ntilles gr lées de petite vérole , des
ntilles dynamitées d’alcool . Il décrit ses populations ui, aliénées
par uatre cents ans d’esclavage, ne se révoltent m me plus : Cette foule
criarde si étonnamment passée à c té de son cri cette foule à c té de
son cri de faim, de mis re, de révolte, de haine
Ce te te magnifi ue se termine par un serment : tou ours affronter son
destin. Il se veut la bouche des malheurs ui n’ont point de bouche , et
incite ses fr res à sortir de leur soumission et à combattre avec des c urs
d’homme , et non des c urs de dattes . La révolte d’ imé Césaire n’est
pas solitaire, mais tou ours solidaire. ans négritude , il n’y a pas ue le
mot n gre . Il ne faut pas s’arr ter à la couleur de peau, dit Césaire. Le
cri de la négritude, c’est le cri de celui ui est maltraité, torturé, enfermé.
ans toute dictature e iste la négritude. Comment vivre, libérer sa parole,
combattre sa peur La négritude, c’est e ister malgré l’oppression, c’est
donner la parole à tous les opprimés, donner la parole à tous les humiliés,
ces femmes et ces hommes niés dans leur histoire. Le discours de Césaire
leur dit de prendre leur courage à deu mains, et de parler, m me si a
dérange, de ne pas se laisser enfermer dans la noirceur , dans un camp.
La négritude dépasse la couleur noire.
vant guerre, la artini ue compte deu mille Blancs bien intégrés
dans la vie sociale. ais bient t l’ le adopte le régime de ichy et, en 1941,
ce sont plus de di mille uropéens racistes ui débar uent. ne nouvelle
revue, ropiques, prend alors une importance particuli re pour les ntillais.
Césaire défend les couleurs du N gre, dit haut et fort u’il est beau et
bon d’ tre n gre , et rép te ue l’on a beau peindre en blanc le tronc de
l’arbre, les racines en dessous demeurent noires . Césaire et ses amis
dénoncent encore une fois dans cette revue la production intellectuelle
antillaise ui ne fait ue pasticher celle des Blancs. Ils dégagent les liens ui
e istent entre les ntilles et l’ fri ue : les ntillais sont les petits-fils et
petites-filles d’hommes africains mis en esclavage au ntilles.
La fin de la guerre, en 1945, mar ue l’heure de oindre le geste à la
parole. Le passage de l’acte poéti ue à l’engagement est une évolution
naturelle che Césaire, ui consid re le politi ue comme une
manifestation de la culture . Il se présente au élections municipales et
législatives en tant ue t te de liste communiste. Le succ s est immédiat et
fantasti ue. Le voilà élu maire de Fort-de-France et, dans la foulée, député à
l’ ssemblée nationale. Ses deu camarades d’études suivent sa trace :
Senghor est élu la m me année député du Sénégal à l’ ssemblée
constituante, amas, député de la uyane en 1948.
ussit t élu, Césaire se penche sur les multiples souffrances de son le.
Il réclame l’ouverture d’écoles. ans ces colonies, avant 1947,
l’instruction primaire n’est obligatoire ue là o les moyens e istent, c’est-
à-dire en milieu urbain et dans de rares hameau , écrit Sylv re Farraudi re
dans un ouvrage consacré à l’éducation au ntilles. Jus ue-là, l’école n’a
été ni publi ue, ni gratuite, ni obligatoire, pour la ma orité de la population
des campagnes et des mornes, ui constitue aussi la ma orité de la
population tout court. Il en résulte une sous-scolarisation du plus grand
nombre, formé de N gres en général, ui porte sur plusieurs générations,
puis ue la scolarisation universelle ne commence au ntilles u’avec la
décennie 1980, soit un si cle apr s les lois de Jules Ferry. Césaire réclame
des mesures budgétaires, et surtout un changement de statut des ntilles et
de la Réunion : la départementalisation . La loi sur la
départementalisation sera certes votée selon son souhait, mais appli uée du
bout des l vres. ’ailleurs, elle se rév le bient t impuissante à impulser le
moindre changement. Le 18 septembre 1946, imé Césaire prononce un
discours à l’ ssemblée, o il criti ue le gouvernement ui, dit-il, entend
édifier une républi ue démocrati ue, une républi ue sociale tout en
essayant de perpétuer le syst me colonialiste ui porte dans ses flancs le
racisme, l’oppression et la servitude .
n décembre 1947, le gouvernement fran ais promulgue un décret, ui
légalise l’inégalité de salaires entre les fonctionnaires d’origine indig ne et
les fonctionnaires d’origine métropolitaine. r ves, affrontements, morts
s’ensuivent.
n 1948 para t l’ nt ologie de la nouvelle poésie n gre et malgac e
de langue ran aise, publiée sous la direction de Senghor, ui rassemble les
po mes de sei e auteurs révoltés, parmi les uels amas et Césaire. Si l’on
veut comprendre le colonialisme, il faut entendre le colonisé. ais
attende -vous à entendre des choses ui dérangent. uand une personne
agressée, humiliée, terrorisée retrouve la parole, n’espére pas u’elle vous
dise ue tout est beau. lle dira la vérité.
u’est-ce ue vous espérie uand vous tie le b illon ui fermait
ces bouches noires écrit Jean-Paul Sartre dans sa préface à l’ nt ologie.
Ces t tes ue nos p res avaient courbées us u’à terre par la force, pensie -
vous, uand elles se rel veraient, lire l’adoration dans leurs yeu
t puis, en uin 1950, para t le iscours sur le colonialisme, un te te
ue e relis tr s souvent l’un de ses plus grands te tes, m ri lors des
répressions tragi ues de 1948, ui lui donne l’occasion d’e primer tout ce
u’il ne parvenait pas à dire à l’ ssemblée nationale. On a parfois reproché
à Césaire de ne pas tre un animal politi ue . C’est u’entre le poéti ue
et le politi ue il a choisi d’ tre une conscience.
Il faudrait d’abord étudier, écrit-il dans son iscours, comment la
colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre
du mot, à le dégrader, à le réveiller au instincts enfouis, à la convoitise, à
la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer ue, cha ue
fois u’il y a au ietnam une t te coupée et un il crevé et u’en France
on accepte , une fillette violée et u’en France on accepte , un
algache supplicié et u’en France on accepte , il y a un ac uis de la
civilisation ui p se de son poids mort, une régression universelle ui
s’op re, une gangr ne ui s’installe, un foyer d’infection ui s’étend. u
bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes
ces e péditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et
interrogés , de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial
encouragé, de cette actance étalée, il y a le poison instillé dans les veines
de l’ urope, et le progr s lent, mais s r, de l’ensauvagement du continent.
Inscrit au programme du bac littéraire fran ais en 1994, le iscours
sur le colonialisme est finalement ugé subversif et mis à l’inde par
l’Éducation nationale. rop de belles choses, comme le refus de
l’oppression, le combat contre le racisme, le sens de la fraternité et de la
ustice, ris uaient, semble-t-il, de se graver dans les cervelles de la eunesse.
Il ne figure pas au programme parce u’on a au ourd’hui encore une vision
restreinte de l’ istoire. uand il y sera, ce sera le signe ue notre société
aura gagné en intelligence.
Subversif, Césaire le reste toute sa vie. s 1956, lui, un N gre ,
ose donner sa démission du Parti communiste fran ais Pour la premi re
fois, un intellectuel de grand renom a l’audace de rompre avec le Parti.
L’heure de nous-m mes a sonné , écrit-il le 24 octobre 1956 au
premier secrétaire du Parti communiste, uel ues ours avant l’entrée des
chars soviéti ues à Budapest. Il dénonce le refus du PCF de condamner les
crimes du stalinisme, refuse son soutien à la répression des insurgés
algériens et reprend le concept de la négritude
Je crois ue les peuples noirs sont riches d’énergie, de passion, u’il
ne leur man ue ni vigueur ni imagination, mais ue ces forces ne peuvent
ue s’étioler dans des organisations ui ne leur sont pas propres, faites pour
eu , faites par eu et adaptées à des fins u’eu seuls peuvent déterminer.
Césaire ne confond pas alliance et subordination. Solidarité et
démission . Pour lui, le mot négritude désigne d’abord le re et de
l’assimilation culturelle le re et d’une certaine image du Noir paisible,
incapable de construire une civilisation. Le culturel prime sur le politi ue .
C’est ici une véritable révolution copernicienne u’il faut imposer,
continue Césaire, tant est enracinée en urope, et dans tous les partis, et
dans tous les domaines, de l’e tr me droite à l’e tr me gauche, l’habitude
de faire pour nous, l’habitude de disposer pour nous, l’habitude de penser
pour nous, bref, l’habitude de nous contester ce droit à l’initiative et ui est,
en définitive, le droit à la personnalité.
Jus u’à son dernier souffle, imé Césaire résiste : N gre, e suis,
N gre, e resterai.
C’est cette fidélité à la résistance ui fait de lui un phare pour le
présent. Il ne sera amais oublié, contrairement à son ami Senghor ui ne
man uait pas de talent, mais ui a fait du Claudel, du Saint-John Perse, et
ne s’est amais émancipé. Senghor ui, pour avoir trop bien servi les intér ts
fran ais et prononcé d’une voi blanche : L’émotion est n gre, comme
la raison est hell ne , a été récompensé par un bicorne et une épée de
l’ cadémie fran aise. Pour toute récompense, ses amis fran ais eu -m mes
ne l’ont pas suivi à son enterrement.
uel ues mois apr s le vote de la loi du 2 février 2005 consacrant les
aspects positifs de la colonisation en outre-mer , imé Césaire, gé de
uatre-vingt-dou e ans, refuse de recevoir le ministre de l’Intérieur de
l’épo ue. Parce ue auteur du iscours sur le colonialisme, e reste fid le
à ma doctrine et anticolonialiste résolu , écrit-il.
ne partie de cette loi étant finalement abrogée, il accepte de
rencontrer le ministre, sans oublier de lui remettre un e emplaire de son
iscours sur le colonialisme :
On me parle de progr s, de réalisations , de maladies guéries, de
niveau de vie élevés au-dessus d’eu -m mes.
oi, e parle de sociétés vidées d’elles-m mes, des cultures
piétinées, d’institutions minées, de terres confis uées, de religions
assassinées, de magnificences artisti ues anéanties, d’e traordinaires
possi ilités supprimées.
On me lance à la t te des faits, des statisti ues, des ilométrages de
routes, de canau , de chemins de fer.
oi, e parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je
parle de ceu ui, à l’heure o ’écris, sont en train de creuser à la main le
port d’ bid an. Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieu , à leur
terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la vie, à la danse, à la sagesse

Lors de son enterrement en avril 2008, e me suis approché de son


cercueil et e lui ai dit : ous pouve partir en pai car vous ave édu ué
toute une population. Nous sommes vos fils et vos filles, nous continuerons
à parler, à écrire, pour dénoncer les in ustices.
en dre f ri e e enfant

tric r u u
2 uillet 1925 - 17 anvier 1961

n 1960, la Belgi ue n’a plus la puissance nécessaire pour s’opposer à


la résistance grandissante au Congo. lle doit se résoudre à accepter
l’indépendance de ce pays u’elle tient sous sa coupe depuis 1885 et
assister à la cérémonie ui la consacre le 0 uin 1960. Celle-ci doit avoir
lieu au Parlement de Léopoldville en présence du roi des Belges Baudouin
Ier et des membres de son gouvernement. Seront également présents le
président du Congo Joseph asa- ubu, le premier Premier ministre du
gouvernement de coalition, Patrice Lumumba, et l’ensemble des politiciens
congolais issus de la premi re élection libre du Congo.

vant de se rendre à cette cérémonie, Patrice Lumumba montre son


discours à homas an a u’il vient de nommer ambassadeur du Congo
au États- nis. Ce dernier, en fin diplomate, lui e pli ue u’il s’agit là d’un
e cellent discours, mais ue la cérémonie du Parlement n’est ni le moment
ni l’endroit de tenir un propos aussi engagé.
s son arrivée au Parlement, homas an a s’adresse au Premier
ministre belge, aston ys ens, et au ministre belge des ffaires
étrang res, Pierre igny. Il leur conseille de reporter, ne serait-ce ue de
uel ues minutes, la séance de la proclamation de l’Indépendance, le temps
de négocier avec Patrice Lumumba. Parce u’il va parler les prévient-
il. ais ils ne l’écoutent pas et ne comprennent pas l’urgence de la
situation. ’ailleurs, aucun troisi me discours n’est prévu. oilà bien une
in uiétude de diplomates
Baudouin Ier ouvre la cérémonie par un discours ui, comme prévu,
magnifie le r le de la Belgi ue et glorifie l’ uvre de son grand-oncle, le
cyni ue et sanguinaire Léopold II, dont la statue tr ne devant le palais de la
Nation ui héberge le Parlement. Il prédit un avenir néocolonial prometteur
et e horte, en substance, les Congolais à se montrer désormais dignes de
la confiance ue Sa a esté leur accorde : N’aye crainte de vous
tourner vers nous. Nous sommes pr ts à rester à vos c tés pour vous aider
de nos conseils, pour former avec vous les techniciens et les fonctionnaires
dont vous aure besoin
homas an a imagine la révolte et la col re de Patrice Lumumba à
l’écoute de ce discours paternaliste, colonialiste et raciste. ffolé, il cherche
le regard des deu ministres belges, ui feignent de ne pas l’apercevoir et
d’ignorer ses appréhensions.
C’est alors ue le président asa- ubu monte à son tour à la tribune
pour répondre au roi. Le souverain est détendu, le discours de asa- ubu a
été préalablement soumis et approuvé par son gouvernement. Le Président
remercie le roi , cél bre les mérites et les réalisations du pouvoir colonial
et en appelle m me à ieu afin u’il prot ge notre peuple et u’il éclaire
tous ses dirigeants . Ce discours consensuel a tout pour plaire au
monar ue dont il flatte la politi ue et la fibre catholi ue. ais il scandalise
Patrice Lumumba et tous les compagnons ui ont conduit la résistance
contre le pire colonisateur ue l’ fri ue ait amais connu. ne occupation
néo-esclavagiste ue Joseph Conrad ualifiait, dans son roman u c ur des
tén res, de plus inf me ruée sur un butin ayant amais défiguré l’histoire
de la conscience humaine .
u comble de l’indignation, Patrice Lumumba modifie rapidement son
discours et se présente devant le bureau présidentiel. Contre toute attente, et
au grand étonnement de Baudouin et de son ministre ys ens, Joseph
asongho, président de la Chambre des représentants l’ ssemblée
nationale , lui donne la parole. ys ens cherche des yeu son complice
congolais, le président asa- ubu. ucun d’eu n’a lu le te te de Patrice
Lumumba et mon ieu la presse internationale est là, au grand
complet.
Congolaises et Congolais
Com attants de l indépendance au ourd ui victorieu e vous salue
au nom du gouvernement congolais

’emblée, Lumumba salue son peuple meurtri. u oubliettes, le roi,


le corps diplomati ue, les colons Baudouin Ier bl mit.

vous tous mes amis qui ave lutté sans rel c e nos c tés e vous
demande de aire de ce uin une date illustre que vous gardere
ine a a lement gravée dans vos c urs une date dont vous enseignere
avec ierté la signi ication vos en ants pour que ceu ci leur tour
assent conna tre leurs ils et leurs petits ils l istoire glorieuse de
notre lutte pour la li erté.
Car cette indépendance du Congo si elle est proclamée au ourd ui
dans l entente avec la elgique pa s ami avec qui nous traitons d égal
égal nul Congolais digne de ce nom ne pourra amais ou lier cependant
que c est par la lutte qu elle a été conquise une lutte de tous les ours une
lutte ardente et idéaliste une lutte dans laquelle nous n avons ménagé ni
nos orces ni nos privations ni nos sou rances ni notre sang.

La foule éclate en applaudissements. Pas dans la salle du Parlement,


évidemment, tétanisée, mais à l’e térieur o les discours sont retransmis par
des haut-parleurs. La population s’enflamme de oie. Le silence
assourdissant ui r gne dans la salle du Parlement, par contraste, renforce
les ovations du peuple. t voici ue Patrice Lumumba s’engage dans une
description du syst me colonial Le roi p lit de plus en plus
C est une lutte qui ut de larmes de eu et de sang nous en sommes
iers usqu au plus pro ond de nous m mes car ce ut une lutte no le et
uste une lutte indispensa le pour mettre in l umiliant esclavage qui
nous était imposé par la orce.
Ce que ut notre sort en quatre vingts ans de régime colonialiste nos
lessures sont trop ra c es et trop douloureuses encore pour que nous
puissions les c asser de notre mémoire. Nous avons connu le travail
arassant e igé en éc ange de salaires qui ne nous permettaient ni de
manger notre aim ni de nous v tir ou de nous loger décemment ni
d élever nos en ants comme des tres c ers.
Nous avons connu les ironies les insultes les coups que nous devions
su ir matin midi et soir parce que nous étions des N gres. ui ou liera
qu un Noir on disait tu non certes comme un ami mais parce que le
vous onora le était réservé au seuls lancs
Nous avons connu nos terres spoliées au nom de te tes prétendument
légau qui ne aisaient que reconna tre le droit du plus ort.
Nous avons connu que la loi n était amais la m me selon qu il
s agissait d un lanc ou d un Noir accommodante pour les uns cruelle et
in umaine pour les autres.
Nous avons connu les sou rances atroces des relégués pour opinions
politiques ou cro ances religieuses e ilés dans leur propre patrie leur
sort était vraiment pire que la mort elle m me.
Nous avons connu qu il avait dans les villes des maisons magni iques
pour les lancs et des paillotes croulantes pour les Noirs qu un Noir
n était admis ni dans les cinémas ni dans les restaurants ni dans les
magasins dits européens qu un Noir vo ageait m me la coque des
pénic es au pied du lanc dans sa ca ine de lu e.
ui ou liera en in les usillades o périrent tant de nos r res les
cac ots o urent rutalement etés ceu qui ne voulaient plus se soumettre
au régime d une ustice d oppression et d e ploitation

L’enthousiasme de la foule n’a d’égale ue la pétrification du


Parlement et des représentants officiels.
Patrice Lumumba reste pourtant tr s en de à de la réalité de
l’oppression coloniale. Il lui e t suffi, pour condamner à amais les
agissements du roi et de ses sbires, de rappeler les mots de l’une des
grandes figures de la croisade pour le Congo, dmund ene orel :
J’étais tombé sur une société secr te d’assassins chapeautée par un roi.
Car le Congo a été l’ob et d’atrocités ui soulev rent le premier scandale
international de l’ re moderne. Sans doute le roi Baudouin craignait-il, en
écoutant Lumumba, une répétition de ce m me scandale, à uel ues
semaines de son mariage avec Fabiola.
L’horreur de la colonisation belge a consisté à e ploiter us u’à
l’anéantir une main-d’ uvre gratuite, comme au temps de la traite. ans le
Congo du grand-oncle de Baudouin, on br lait un village ou une région ui
n’avait pas fait son uota de caoutchouc, on coupait les mains ou les pieds
des enfants ui rechignaient un tant soit peu au travail, on pendait, on
décapitait, on br lait, on enflammait, on fumait , on affamait, on faisait
sauter les puits, les maigres réserves de nourriture, au point de man uer de
main-d’ uvre.
epuis 1919, la population du territoire avait été réduite de moitié
Incroyable Non. la logi ue économi ue se substitue celle de la terreur.
ne fois ue l’assassinat de masse est en marche, il est difficile de
l’arr ter cela devient une sorte de sport, comme la chasse , écrit dam
ochschild dans Les ant mes du roi Léopold 1998 . uant à imé
Césaire, dans son iscours sur le colonialisme, paru en 1950, il estime ue
ces hideuses boucheries prouvent ue la colonisation, e le rép te,
déshumanise l’homme le plus civilisé ue l’action coloniale, l’entreprise
coloniale, la con u te coloniale, fondée sur le mépris de l’homme indig ne
et ustifiée par ce mépris, tend inévitablement à modifier celui ui
l’entreprend ue le colonisateur, ui, pour se donner bonne conscience,
s’habitue à voir dans l’autre la b te, s’entra ne à le traiter en b te, tend
ob ectivement à se transformer lui-m me en b te.
Rien d’étonnant non plus si, à la fin du e si cle, le réalisateur
d’ pocal pse No , Francis Coppola, s’inspira du roman u c ur des
tén res de Joseph Conrad pour décrire la folie sanguinaire des méricains
au ietnam.

out cela mes r res nous en avons pro ondément sou ert.
ais tout cela aussi nous que le vote de vos représentants élus a
agréés pour diriger notre c er pa s nous qui avons sou ert dans notre
corps et dans notre c ur de l oppression colonialiste nous vous le disons
tout aut tout cela est désormais ini.
La répu lique du Congo a été proclamée et notre c er pa s est
maintenant entre les mains de ses propres en ants.
nsem le mes r res mes s urs nous allons commencer une nouvelle
lutte une lutte su lime qui va mener notre pa s la pai la prospérité et
la grandeur.
Nous allons éta lir ensem le la ustice sociale et assurer que c acun
re oive la uste rémunération de son travail.

lors m me ue Lumumba prononce ce discours, le pays man ue


cruellement de cadres congolais. Contrairement au prétentions de
Baudouin proposant au Congolais libres de former avec vous les
techniciens et les fonctionnaires dont vous aure besoin , la politi ue
coloniale n’a tou ours réservé au Noirs u’une éducation rudimentaire. n
1960, apr s plus de cin uante ans de colonisation belge, seuls uel ues
di aines d’ fricains ont pu faire des études supérieures Ni médecins, ni
ingénieurs, ni officiers. ans la fonction publi ue, sur cin mille postes,
trois seulement sont occupés par des fricains

Nous allons montrer au monde ce que peut aire l omme noir


lorsqu il travaille dans la li erté et nous allons aire du Congo le centre de
ra onnement de l rique tout enti re.
Nous allons veiller ce que les terres de notre patrie pro itent
vérita lement ses en ants. Nous allons revoir toutes les lois d autre ois et
en aire de nouvelles qui seront ustes et no les.
Nous allons mettre in l oppression de la pensée li re et aire en
sorte que tous les cito ens ouissent pleinement des li ertés ondamentales
prévues dans la éclaration des droits de l omme.

uand on conna t l’horreur de la colonisation, uand on conna t la


mis re dans la uelle se trouve le pays e sangue au sortir de ces atrocités, on
comprend ue cha ue phrase de Lumumba ait déclenché un tonnerre
d’applaudissements à l’e térieur du Parlement.
La rel ve économi ue tenait de l’impossible. n prévision de
l’indépendance, les sociétés d’État s’étaient aussit t retirées du Congo,
obtenant des dédits fabuleu de la part de l’État. outes les compagnies
opt rent pour le droit belge, éludant ainsi l’obligation de régler leurs imp ts
che nous , e pli uera uel ues mois plus tard Lumumba en fuite, le 1er
décembre 1960 un mois et di -sept ours avant sa mort , à un chef de
chantier du asa oriental ui l’accueille uel ues heures La réserve
d’or de la Ban ue du Congo fut e pédiée en Belgi ue, colons et
commer ants transfér rent en urope une grosse partie des fortunes
ac uises par la spoliation des indig nes

Nous allons supprimer e icacement toute discrimination quelle qu elle


soit et donner c acun la uste place que lui vaudront sa dignité umaine
son travail et son dévouement au pa s.
Nous allons aire régner non pas la pai des usils et des a onnettes
mais la pai des c urs et des onnes volontés.

pplaudissements

t pour tout cela c ers compatriotes so e s rs que nous pourrons


compter non seulement sur nos orces énormes et nos ric esses immenses
mais sur l assistance de nom reu pa s étrangers dont nous accepterons la
colla oration c aque ois qu elle sera lo ale et qu elle ne c erc era pas
nous imposer une politique quelle qu elle soit.

pplaudissements

insi tant l intérieur qu l e térieur le Congo nouveau notre c re


épu lique que mon gouvernement va créer sera un pa s ric e li re et
prosp re. ais pour que nous arrivions sans retard ce ut vous tous
législateurs et cito ens congolais e vous demande de m aider de toutes vos
orces.
e vous demande tous d ou lier les querelles tri ales qui nous
épuisent et risquent de nous aire mépriser l étranger.
e demande la minorité parlementaire d aider mon gouvernement
par une opposition constructive et de rester strictement dans les voies
légales et démocratiques.
e vous demande tous de ne reculer devant aucun sacri ice pour
assurer la réussite de notre grandiose entreprise. L indépendance du Congo
marque un pas décisi vers la li ération de tout le continent a ricain. Notre
gouvernement ort national populaire sera le salut de ce pa s.
oil ire cellences esdames essieurs mes c ers
compatriotes mes r res de race mes r res de lutte ce que ai voulu vous
dire au nom du gouvernement en ce our magni ique de notre indépendance
compl te et souveraine.

pplaudissements
invite tous les cito ens congolais ommes emmes et en ants se
mettre résolument au travail en vue de créer une économie nationale
prosp re qui consacrera notre indépendance économique.
ommage au com attants de la li erté nationale
ive l indépendance et l unité a ricaine
ive le Congo indépendant et souverain

ne gigantes ue ovation accompagne les derniers mots du Premier


ministre.
On dit ue ce discours de Patrice Lumumba, l’un des plus cél bres de
toute l’histoire de l’ fri ue, aurait signé son arr t de mort. u’il lui aurait
attiré la haine du roi Baudouin et de ses ministres ui ne lui pardonn rent
pas de se voir rappeler les crimes u’ils avaient couverts. Certes, cette
allocution fut une gifle en pleine figure et, dit-on, le Premier ministre
ys ens eut le plus grand mal à emp cher le roi de rentrer immédiatement à
Bru elles. ais réduire une crise politi ue ma eure à un r glement de
comptes entre personnes serait singuli rement simpliste. Ce n’est pas pour
ménager son amour-propre depuis longtemps perdu ue le gouvernement
belge, aidé des méricains, fera assassiner Lumumba. C’est parce ue le
Premier ministre était en opposition avec les intér ts économi ues de ces
deu pays et u’il était incontr lable, impossible à manipuler. n réalité, ces
puissances entendaient ne renoncer u’en apparence au colonies, et les
garder en sous-main comme protectorats.
C’est l’en eu de son discours ui était e plosif. L’engagement aussi.
Pour Lumumba, l’indépendance politi ue ne suffisait pas à libérer l’ fri ue
de son passé colonial il fallait aussi ue le continent cesse d’ tre une
colonie économi ue de l’ urope. Ses discours alarm rent aussit t les
capitales occidentales, écrit dam ochschild. es entreprises belges,
britanni ues, américaines avaient d’importants investissements au Congo,
pays riche en cuivre, cobalt, or, étain, mangan se, inc et diamants. Les
gouvernements occidentau craignirent ue son message ne f t contagieu
de surcro t, ce n’était pas un homme ue l’on aurait pu acheter.
Supp t du communisme, Lumumba ccusé de se tourner vers
l’ nion soviéti ue, il répond ue c’est un moindre mal uand tous les
gouvernements vous l chent ou, pire encore, veulent vous asservir et vous
corrompre. t d’a outer ue le N gre a tou ours été communiste ,
reprenant en cela le iscours sur le colonialisme d’ imé Césaire :
C’étaient des sociétés communautaires, amais de tous pour uel ues-uns.
C’étaient des sociétés pas seulement anté-capitalistes, comme on l’a dit,
mais aussi anticapitalistes. C’étaient des sociétés démocrati ues, des
sociétés fraternelles. Je fais l’apologie systémati ue des sociétés détruites
par l’impérialisme.
Les ours de Lumumba, honni par le capital américain et européen,
sont comptés. s le mois de uillet 1960, il décr te des mesures
d’africanisation du gouvernement congolais. Les Belges entreprennent
aussit t un sabotage en r gle et la désinformation de l’opinion publi ue.
N’étant pas suffisamment puissante pour s’imposer par la force, la
Belgi ue décida d’employer la duperie. L’adage diviser pour régner étant
tou ours de mise, elle s’effor a de multiplier en sous-main la naissance de
partis à caract re ethni ue ou régional, facilement contr lables et réveillant
de vieilles ranc urs remontant à la nuit des temps.
Sous le préte te mensonger de protéger leurs intervenants menacés,
les Belges firent intervenir leurs troupes métropolitaines. Le calme
régnait à hysville uand parvinrent au camp les nouvelles du
bombardement absurde du camp de atadi par un bateau belge, causant la
mort de cent trei e soldats congolais. l’annonce de cette nouvelle,
a outée à celle du camp aérien de elcommune à lisabethville, l’émeute
devint générale et les mutins se répandirent dans toute la région
Lumumba, le 1er décembre 1960 .
émonstration est faite ue les Noirs sont incapables de gouverner
Les Cas ues bleus arrivent, Lumumba est cette fois pieds et poings liés,
soumis à l’ogre américain.
n septembre 1960, Joseph asa- ubu, président sans caract re,
révo ue Lumumba ainsi ue les ministres nationalistes. ais Lumumba
reste en fonction et, à sa demande, c’est le président asa- ubu ui est
révo ué par le Parlement.
Les méricains imaginent alors d’empoisonner cet homme dont on ne
peut se débarrasser. n certain r Sidney ottlieb doit s’occuper de la
partie pharmacologi ue de l’opération. ais il est impossible d’approcher
la future victime. Bru elles dép che un tueur à gages, sans plus de résultats.
C’est alors ue Belges et méricains soudoient un homme de main,
Joseph ésiré obutu, ui recrute des e écuteurs. idé par les fonds
américains, il monte une coalition o se retrouvent asa- ubu et shombe
président pro-occidental du atanga, dont il a impulsé la sécession en
uillet.
Le 1er décembre 1960, Lumumba assigné à résidence s’échappe de la
capitale et tente de re oindre Stanleyville, espérant reprendre les r nes du
pays. Il est arr té le lendemain, et transféré en m me temps ue aurice
polo concurrent de obutu et Joseph O ito candidat au remplacement
de asa- ubu au camp militaire de hysville, sur ordre de obutu. Le 17
anvier 1961, les trois hommes sont conduits par avion à lisabethville, au
atanga, et livrés au autorités locales. Le transfert est organisé par les
autorités belges. Ils sont conduits dans une petite maison sous escorte
militaire, sauvagement battus par les responsables atangais et belges, puis
assassinés dans la brousse par des soldats sous commandement d’un officier
belge.
Le lendemain, deu agents secrets belges sont chargés de découper les
corps, puis de les faire dispara tre en les plongeant dans de l’acide. e
m me ue ona Béatrice, Jeanne d’ rc du ongo dont les cendres sont
trois fois br lées et dispersées, de m me ue Ruben m Nyobé, héros de
l’indépendance camerounaise, tra né dans la boue sur des ilom tres afin
ue son visage soit méconnaissable Comme si l’acide, la boue ou les
cendres pouvaient effacer le souvenir des hommes libres Je me souviens
de ce s uare au Bois-Colombes de mon enfance o e lisais ces mots du
général de aulle gravés dans la pierre : La flamme de la Résistance ne
doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas.
La républi ue démocrati ue du Congo sera dirigée par le dictateur
obutu, soutenu par la Belgi ue, les États- nis et la France, us u’en
1997 cette date, et en raison des massacres de la guerre du Rwanda, il
est forcé de céder la place à Laurent- ésiré abila. Ce pays de 2 45 000
ilom tres carrés uatre fois la superficie de la France , le plus riche de
toute l’ fri ue, ualifié d’ anomalie géologi ue tant ses réserves sont
immenses or, diamants, cuivre, uranium, cobalt sans le uel nous ne
pourrions pas utiliser nos téléphones portables , for ts , vit dans la plus
grande mis re, dévalisé par ses dirigeants et les puissances étrang res. Je
me demande pour uoi le chef d’État congolais, s’adressant en 2004 au
Sénat belge, déclara : L’histoire de la républi ue démocrati ue du Congo,
c’est aussi celle des Belges, missionnaires, fonctionnaires et entrepreneurs
ui crurent au r ve du roi Léopold II de b tir, au centre de l’ fri ue, un
État. Nous voulons rendre hommage à la mémoire de tous ces
pionniers
La situation de la républi ue démocrati ue du Congo est au ourd’hui
catastrophi ue. Les instances internationales des droits de l’homme n’en
finissent pas de dénoncer le conflit et la crise humanitaire ui ont co té au
Congo la vie à 5,4 millions de personnes depuis 1998. On a le tableau
apocalypti ue du plus grand désastre humanitaire contemporain, ui s’est
déroulé dans l’indifférence du monde pour la raison principale ue les
intér ts des grandes puissances n’étaient pas en danger, écrit Odile obner
dans la revue urvie en février 2008. Pendant les massacres, les affaires
continuent. Le pillage traditionnel des métau rares et précieu dont le
Congo abonde, loin de cesser, a été amplifié par la guerre comme source de
revenus pour tous les belligérants.
Le pillage des ressources mini res continue. Selon les auteurs du
rapport d’en u te sénatorial rendu public à inshasa en octobre 2009 : Le
secteur minier, ui repose pourtant sur des ressources minérales immenses
et variées, n’a pas encore, du fait de la mauvaise gouvernance, contribué un
tant soit peu à trouver les réponses au cris des populations congolaises
vouées à vivre dans des conditions infrahumaines.
ea noire ma e anc

r nt non
20 uillet 1925 - 6 décembre 1961

Je parle de millions d’hommes


à u i on a inculué savamment
la peur, le complee d’infériorité,
le tremblement, l’agenouillement,
le désespoir, le larbinisme.

imé Césaire,
iscours sur le colonialisme

Frant Fanon est né à Fort-de-France, en artini ue, en 1925. urant


sa courte vie il est mort à trente-si ans , il a écrit de nombreu livres et
articles, parmi les uels Les amnés de la terre. ais, pour moi, il reste
l’auteur de eau noire masques lancs, ui décrit l’e périence vécue d’un
ntillais, confronté à lui-m me dans un monde de Blancs. J’ai lu et relu ce
livre, e l’ai m me offert, lors des championnats d’ urope au Portugal, au
oueurs noirs de l’é uipe de France.
Frant Fanon est le cin ui me d’une famille de huit enfants. Le p re
est inspecteur des douanes, la m re, bouti ui re. Cette famille antillaise
bourrée de comple es lui apprend les prétendues belles mani res , celles
de la classe dominante blanche, le mod le à suivre.
L’école prend le relais : on lui interdit de parler le créole. Cin uante
ans apr s Fanon, ’ai connu la m me chose. Lors u’on s’e primait en créole
à l’école, on était puni, alors ue nos parents le parlaient à la maison
u ourd’hui encore, le référent uni ue est le fran ais.
Il y a uel ues mois, une petite-cousine m’interpelle alors ue e parle
en créole à sa m re.
u parles le créole à ma maman, tu ne la respectes pas, me lance-t-
elle, il faut lui parler en fran ais
ue disait le po te guyanais Léon- ontran amas, dans igments

aise vous
ous ai e ou non dit qu il vous allait parler ran ais
le ran ais de rance
le ran ais du ran ais
le ran ais ran ais

cette épo ue, dans les livres pour la eunesse, on voit des héros
blancs vaincre à tous les coups des méchants noirs ou indiens. Par un
processus psychologi ue normal, l’enfant noir s’identifie au bons
héros blancs et commence alors inconsciemment à intégrer le discours
négatif sur le Noir, donc sur lui-m me.
Certains arrivent à s’en sortir, d’autres amais. Ils ont intériorisé le
discours de la hiérarchie des couleurs. Ceu -là auront un ressentiment tr s
fort, voire violent, envers les Blancs, ou développeront un comple e
d’infériorité, une mauvaise estime de soi.
Pendant la eunesse de ma m re, il était préférable de se marier avec
uel u’un à la peau claire pour diluer la couleur . ne e pression en
uadeloupe désigne les enfants plus clairs : on dit u’ils ont la peau
chapée , c’est-à-dire échappée du noir ireille Fanon- end s
France, fille de Frant Fanon, ue ’ai rencontrée pour préparer ce chapitre,
m’a raconté ue son fils avait à la naissance les cheveu blonds et les yeu
bleus. n homme de sa famille s’est alors e clamé : u as de la chance, il
est bien sorti
Si une personne noire s’e prime ainsi, c’est u’inconsciemment elle
s’estime elle-m me mal sortie . ’o , en artini ue, écrit Fanon,
l’habitude de dire d’un mauvais Blanc u’il a une me de N gre. Le
bourreau, c’est l’homme noir, Satan est noir n face se tient la
blanche colombe .
La société antillaise a intégré ce discours d’infériorisation, de
classification selon la couleur de peau, tout comme elle a intégré le discours
négatif sur le créole, sa propre langue ce ui ne l’emp che pas de dénoncer
le racisme à son égard.
Je prends comme e emple ma m re et mes s urs ui portent des
perru ues ou des tissages lles ont beau me dire ue c’est plus prati ue,
plus rapide pour se coiffer, le message u’elles transmettent à leurs filles et
petites-filles, c’est u’elles ne peuvent pas tre belles avec leurs cheveu
crépus. uant à leurs fils et petits-fils, ils intégreront l’idée u’une belle
femme a des cheveu longs et lisses. Le standard de beauté étant celui de la
société blanche, vous pouve imaginer facilement les comple es ue les
parents transmettent au enfants.
Les grands leaders noirs adressaient à la population des vérités crues.
alcolm , par e emple :
ui vous a appris à ha r la couleur de votre peau
tel point ue vous l’éclaircissie pour ressembler au Blanc
ui vous a appris à ha r la forme de votre ne et celle de vos l vres
ui vous a appris à vous ha r de la t te au pieds
a m re et les parents de Fanon font partie de ces générations ui ont
appris à l’école ue leurs anc tres étaient les aulois. La chose peut para tre
comi ue, elle est plut t tragi ue, car elle introduisait un mensonge dans la
filiation, une négation de toute une lignée de générations. Cela donne
au ourd’hui la désagréable impression d’une société antillaise née sous
. Ne faut-il pas conna tre toute son histoire pour comprendre son
identité
J’ai remar ué ue beaucoup d’ ntillais se plaignent parce ue les
postes à responsabilités sur les les seraient occupés par des Blancs. ais
n’est-il pas vrai aussi ue trop d’ ntillais acceptent mal l’autorité d’un
supérieur Noir l’épo ue de l’esclavage, seul l’avis du ma tre comptait,
ce propriétaire doté de toutes les ualités, de tous les pouvoirs, ce mod le
ui était ha mais en m me temps u’il fallait tenter d’imiter. Ce
conditionnement de l’ ntillais, les divisions de son peuple, on les doit au
esclavagistes. Les consignes au ma tres de plantations lancées en 1712 par
illie Lynch, propriétaire anglais d’esclaves des Cara bes, en donnent un
e emple : ous deve utiliser les esclaves à peau foncée contre les
esclaves à peau claire, et les esclaves à peau claire contre les esclaves à
peau foncée.
Là o l’esclave était prisonnier physi uement, ne le sommes-nous pas
encore au ourd’hui, mais psychologi uement Cette attitude de victime
n’est-elle pas restée profondément ancrée dans notre mentalité antillaise
Cherche-t-on encore le regard approbateur du Blanc
La moindre criti ue nous blesse et nous pouvons rapidement devenir
agressifs. Cette susceptibilité vient d’un man ue de confiance en soi.
Certains confondent encore ugement d’un acte et e ne t’aime pas .
N’est-il pas temps au ourd’hui de nous parler paisiblement, de discuter
comme des tres responsables
On a tout fait pour emp cher l’ ntillais de se rebeller. rr te de
tra ner comme un n g’marron , me répétait ma m re. ais le
n g’marron , c’est ustement celui ou celle ui a eu le courage de
résister, de s’enfuir de la plantation Lui ui devrait tre la fierté des Noirs,
on en a fait un vaurien dont on a honte.
Fort heureusement, certains, dans la société antillaise, retrouvent la
mémoire le n g’marron, le créole redeviennent sources de fierté.
ans la génération de nos parents, la plupart des femmes et
des hommes noirs, m me s’ils ont tou ours résisté en silence, avaient peur
de revendi uer. ais le phénom ne évolue, nous perdons petit à petit ce
comple e ui nous emp chait de dénoncer à haute voi le racisme anti-noir,
ou l’in ustice tout simplement.

Frant Fanon dira plus tard combien il fut bouleversé lors u’à l’ ge de
di ans, lors d’une cérémonie organisée par son lycée devant le monument
dédié à ictor Schoelcher, lui fut révélée l’histoire de l’esclavage. Car, dans
les familles antillaises, cette histoire pourtant fondamentale était taboue.
lle le reste encore. ans la mienne, on n’évo uait amais la traite. La
plupart des ntillais en avaient tellement honte u’ils refusaient d’envisager
le moindre lien avec l’ fri ue. C’est ue l’ ntillais ne se pense pas Noir
il se pense ntillais, écrit Frant Fanon. Le N gre vit en fri ue.
Sub ectivement, intellectuellement, l’ ntillais se comporte comme un
Blanc.
a m re ne faisait m me pas le lien avec son histoire africaine, elle
maintenait une coupure nette avec ses anc tres, alors ue le grand-p re de
son grand-p re était esclave. ne réfle ion s’impose au ntilles sur les
sé uelles de l’esclavage puis ue c’est l’esclavage ui a créé la société
antillaise. Nous devons en parler, en discuter. Pour comprendre ue le pi ge
à éviter est de vouloir montrer au Blancs ue nous sommes aussi capables
u’eu . Comme e le dis souvent, le Noir n’a rien à démontrer ni à prouver.
Son seul probl me est ue certains hommes blancs ont mis ou mettent
encore en doute ses capacités, et u’il a fini par douter de lui-m me. Ne
devons-nous pas enfin e ister, sortir de la victimisation, nous construire
sans attendre ue la société blanche nous cautionne t, le plus important,
n’est-il pas venu le moment d’avoir une criti ue impitoyable sur nous-
m mes
n our, à Paris, e demande à un lycéen : is-moi sinc rement,
u’est-ce ue a te fait d’ tre descendant d’esclave
J’ai honte.
Il faut dépasser cela. La seule chose dont tu peu avoir honte, c’est
d’en avoir eu honte un our.
Pour ma part, si e suis fier de uel ue chose, c’est bien de l’histoire de
mes anc tres africains mis en esclavage en uadeloupe, ui ont résisté à
cette tentative de déshumanisation ui dura des si cles.

Frant Fanon re oit une bonne éducation au lycée Schoelcher de Fort-


de-France, o enseigne imé Césaire. cellent en classe, il est aussi une
forte t te, ne r vant ue d’évasion. Pour le eune Frant , en ces années
1940, la artini ue semble irrespirable, un univers borné, écrasé sous la
chape de plomb ue les pétainistes y font peser.
Prisonnier de son le, il ressent comme une libération l’appel de la
Résistance. n 194 , il a enfin di -huit ans et peut prendre les armes. Il
s’embar ue dans le premier bateau pour re oindre les Forces fran aises
libres. oi, le fils d’esclave, aller libérer les fils de ceu ui ont encha né
tes a eu Cette guerre n’est pas la tienne, lui disent certains camarades, les
N gres n’ont rien à y faire ais, tout feu tout flamme, Frant s’engage
dans l’armée réguli re apr s le ralliement des ntilles fran aises au général
de aulle, puis il combat dans l’armée du général de Lattre.
Il est blessé dans les osges, décoré ais la médaille a son revers.
Parti avec un idéal républicain d’égalité, de liberté et de fraternité, il
rencontre le racisme et l’indifférence des Fran ais, pour ui ces Noirs,
venus de toutes les colonies fran aises, sont uniformément des Sénégalais.
eurtri dans ses convictions, dé u dans ses illusions comme l’ont été tant
d’autres, il écrit à sa famille, en avril 1945 : Si e ne retournais pas, si
vous apprenie un our ma mort face à l’ennemi, console -vous mais ne
dites amais : il est mort pour la belle cause e me suis trompé.
émobilisé, Frant Fanon retourne au ntilles, puis revient en France
poursuivre des études de médecine. Comme tous les eunes ntillais, il était
préparé au départ. Par faute de bonnes universités, les meilleurs éléments
sont obligés de partir. C’est ainsi ue l’e ode des plus brillants d’entre eu
se perpétue et emp che l’ le de se développer.
Fanon arrive en territoire blanc, contraint de repenser son sort .
aman, regarde le N gre, ’ai peur crie un enfant dans la rue.
Peur peur oilà u’on se mettait à me craindre . J’étais tout à
la fois responsable de mon corps, responsable de ma race, de mes anc tres.
Je promenai sur moi un regard ob ectif, découvris ma noirceur, mes
caract res ethni ues et me défonc rent le tympan, l’anthropophagie,
l’arriération mentale, le fétichisme, les tares raciales, les négriers, et
surtout : a bon Banania , écrit-il dans eau noire masques lancs.
Il étudie, analyse, diss ue sa nouvelle situation et propose, en 1950,
une th se de médecine intitulée ssai pour la désaliénation du Noir. La
th se est ugée irrecevable par l’ niversité pour des raisons de non-
conformité au r gles de méthodologie, et, surtout, inadmissible sur le fond
puis u’il criti ue la psychiatrie traditionnelle colonialiste, et se propose
d’observer les réactions des ntillais dans leur volonté de se faire accepter
par le Blanc envers et contre tout, au mépris d’eu -m mes.
Sa th se étant refusée, Fanon la transforme et, deu ans plus tard, en
1952, la nouvelle version s’intitule eau noire masques lancs. Le livre
déclenche des réactions passionnelles. droite, on crie à l’ incitation à la
haine raciale au centre, on pose la main sur le c ur : Il y a longtemps
ue nous avons reconnu les Noirs comme nos égau . uant au
communistes, ils lui reprochent une vision trop individualiste .
n an plus tard, en uin 195 , n’ayant pas trouvé de place à la
artini ue, Fanon se retrouve médecin chef à l’h pital psychiatri ue de
Blida-Joinville, en lgérie, colonie fran aise depuis 18 0, o r gne un
climat de ségrégation entre malades mentau indig nes et métropolitains.
L’École psychiatri ue d’ lger a popularisé les écrits de John Colin
Carothers ui, dans un rapport de 195 pour l’O S, décrit l’homme
africain comme un uropéen amputé de son lobe frontal . Le malade
métropolitain est accessible à la guérison, l’indig ne, incurable Sans
tomber dans ces e tr mes, la ma orité des psychiatres partage alors, sur la
souffrance psychi ue de l’ lgérien, un pré ugé racial. u mieu , on le
consid re comme le représentant d’une race feignante , prompte à tricher
sur ses sympt mes pour échapper au travail.
Frant Fanon élabore peu à peu une psychiatrie respectueuse de la
dignité des personnes il introduit des méthodes de psychothérapie prenant
en compte la culture musulmane des patients, et définit les rapports entre
leurs pathologies et les dramati ues événements ui perturbent la vie
publi ue. Ses travau le situent dans les courants précurseurs de la
psychiatrie sociale, ce ui, a outé à sa volonté de décoloniser le milieu
psychiatri ue, lui vaut l’hostilité d’une partie de ses coll gues et le conduit
naturellement à l’engagement politi ue.
e l’interrogation sur soi, sur les autres, il est passé à l’engagement
total, me dit ireille Fanon- end s France. Il voulait faire sortir les gens
des h pitau psychiatri ues, des prisons, de l’aliénation. ais à un certain
stade d’oppression, la réponse ne peut plus tre individuelle, mais sociale.
Le 1er novembre 1954, c’est la oussaint rouge ui mar ue le
début du soul vement algérien. Les indépendantistes commettent plusieurs
di aines d’actions armées. Fanon s’engage dans la résistance algérienne et
noue des contacts avec la direction politi ue du FLN.
Son h pital étant devenu un lieu de refuge pour les combattants, il est
contraint de démissionner. n 1956, il adresse un courrier au ministre
résident Robert Lacoste, lui e pli uant ue les événements d’ lgérie sont
la consé uence logi ue d’une tentative avortée de décérébraliser un
peuple .
pulsé par les autorités coloniales en anvier 1957, il re oint Paris,
puis unis o il m ne de front ses activités psychiatri ues et politi ues.
aucun moment il n’abandonne son métier de médecin. me clandestin,
m me gri vement blessé dans plusieurs attentats, m me ambassadeur du
PR ouvernement provisoire révolutionnaire algérien , en 1960, au
hana, il continue à prati uer. Sa vie est une perpétuelle tension entre son
métier u’il aime, la médecine, la prise de responsabilités politi ues ui lui
est indispensable, et l’écriture pour en rendre compte. Il rédige des articles
pour l’organe central de presse du FNL, l oud a id, ui seront publiés en
1959 sous le titre L n de la révolution algérienne.
n décembre 1960, des e amens de santé rév lent une leucémie. u
printemps 1961, à unis, il dicte son dernier ouvrage, Les amnés de la
terre, un manifeste pour la lutte anticoloniale et l’émancipation du tiers-
monde. Il meurt en décembre à ashington.
Frant Fanon, Richard right, Chei h nta iop, imé Césaire et
tous les panafricanistes des années 1950-1960 ont eu raison du
colonialisme. Ils ont forgé les instruments de libération comme les droits
économi ues, sociau , culturels, civi ues et politi ues. ais des
revendications de Frant Fanon il n’y a, hélas, pas un mot à supprimer
encore au ourd’hui, comme si l’on se retrouvait de nouveau à la case départ.
Le monde des puissants est en train de recoloniser, au pri des guerres
au uelles on assiste en Ira , en fghanistan on assiste en m me temps à
la régression des droits des migrants, de plus en plus brutalement contr lés
et sélectionnés. t l’on constate une véritable ra ia sur les terres agricoles,
notamment en fri ue et à adagascar o pays riches et grandes sociétés
négocient des millions d’hectares.

Les nouveau amnés de la terre, dit mon ami l’historien chille


bembe, ce sont ceu à ui est refusé le droit d’avoir des droits ceu dont
on estime u’ils ne doivent pas bouger ceu ui sont condamnés à vivre
dans toutes sortes de structures d’enfermement dans les camps, les centres
de transit, les mille lieu de détention ui pars ment nos espaces uridi ues
et policiers. Ce sont les refoulés, les déportés, les e pulsés, les clandestins
et autres sans-papiers ces intrus et ces rebuts de notre humanité dont
nous avons h te de nous débarrasser parce ue nous estimons u’entre eu
et nous, il n’y a rien ui vaille la peine d’ tre sauvé, puis u’ils nuisent
fondamentalement à notre vie, à notre santé et à notre bien- tre
Car, comme le disait Frant Fanon peu de temps avant sa mort à un
ami, nous ne sommes rien sur terre, si nous ne sommes d’abord les
esclaves d’une cause, de la cause des peuples, la cause de la ustice et de la
liberté .
tince e

o o ui c u r
4 février 191 - 24 octobre 2005

Il faut avoir le courage de dire non. L’histoire de Rosa Par s en est un


e emple.
ue uel u’un devienne cél bre pour avoir refusé de se mettre debout
peut sembler surréaliste. ais, dans l’univers ségrégationniste américain
des années 1950, c’était une mani re d’affirmer ses droits

Le 1er décembre 1955, à ontgomery labama , me Rosa Par s


est assise dans le bus sur la premi re rangée du secteur accordé au Noirs
par les lois Jim Crow ces r glements promulgués dans les
municipalités du Sud ui imposent, entre 1876 et 1965, une ségrégation
raciale dans tous les lieu et services publics. Lors d’un arr t, monte un
Blanc. Comme il n’y a plus de si ge libre dans la partie réservée au
Blancs, le conducteur demande à me Rosa Par s de lui céder sa place. La
loi ségrégationniste du sud des États- nis stipule ue, lors ue le nombre de
voyageurs blancs e c de les uatre premi res rangées ui leur sont
réservées, ceu -ci peuvent déborder sur les si ges des Noirs ui constituent
75 des utilisateurs . Ces derniers n’ont plus u’à s’entasser à l’arri re,
us ue sur la plate-forme, et à voyager debout
Si me Rosa Par s refuse avec calme et dignité de se lever, ce n’est
pas u’elle soit plus fatiguée u’un autre our. ais la coupe de la patience
a fini par déborder. Certes, elle n’est pas la premi re à ne pas obtempérer
au in onctions de cette loi ini ue. Il y eut des prédécesseurs. es vedettes
comme le oueur de base-ball Jac ie Robinson, en 1944, ui refusa de céder
sa place à un officier de l’armée des bo eurs comme Ray Sugar Robinson,
Battling Si i, Joe Louis ais il y eut surtout, dans cette m me ville de
ontgomery, neuf mois auparavant, Claudette Colvin, une lycéenne de
uin e ans, ui fut giflée, etée hors du bus, arr tée et condamnée à une
lourde amende pour trouble à l’ordre public .
. . Ni on, le leader de la section locale du N CP ssociation
nationale pour l’avancement des gens de couleur à ontgomery, avait
voulu s’emparer du cas de cette eune fille pour dénoncer et refuser la
ségrégation dans les bus. e nombreu responsables noirs avaient collecté
de l’argent pour sa défense. ais, peu apr s son arrestation, on s’était
aper u u’elle était enceinte d’un homme marié, ui plus est peut- tre
blanc. Cette transgression ris uait non seulement de scandaliser une partie
de la communauté noire religieuse, mais surtout d’ tre utilisée par la presse
blanche pour la déconsidérer. lle n’était donc pas la personne idéale pour
porter la banni re des droits de la communauté noire
ne certaine ary Louise Smith refusa également de céder sa place
mais, son p re étant alcooli ue, elle ne présentait pas non plus les
références d’honorabilité recherchées pour défendre la cause. ussi les
strat ges du N CP continuaient-ils à rechercher un plaignant asse
respectable et asse déterminé pour parcourir le périlleu chemin us u’à la
Cour supr me. Car il fallait du courage pour atta uer en ustice la ustice
elle-m me, il fallait un sacré sens politi ue pour ouer un r le ue l’ istoire
pouvait consacrer.
Rosa Par s est l’un des membres les plus respectés de la communauté
noire. Sa moralité est e emplaire, sa conduite, irréprochable et son
éducation ne souffre d’aucune tache. uant à sa détermination, elle est
profondément enracinée dans son enfance et enrichie de vingt ans de lutte
contre la discrimination raciale. uel meilleur étendard pour la cause
noire
Rosa cCauley est née à us egee, en labama, de parents
charpentier et institutrice. Étant donné le tr s médiocre enseignement ue
l’on dispense au petites filles noires, sa m re entreprend de l’édu uer à la
maison us u’à ses on e ans. Puis elle l’envoie à l’Industrial School for
irls, de ontgomery, institution fondée par des familles blanches du Nord
et destinée au enfants noirs.
Le racisme uotidien mar ue la petite Rosa. lle se souviendra
tou ours de ces fontaines publi ues réservées au Blancs. nfant, dit-elle,
e pensais ue l’eau des fontaines pour les Blancs avait meilleur go t ue
celle des Noirs Impression partagée par bien des enfants noirs ayant subi
les m mes discriminations. ne amie antillaise me racontait ue sa grand-
m re, ui disposait d’un lopin de terre produisant des cannes à sucre, avait
pourtant coutume d’aller voler un peu de la canne à sucre des Blancs,
car réputée meilleure pour les enfants.
Rosa Par s a connu le pire du pire, spécialement les horreurs du u
lu lan, ui br le à deu reprises l’Industrial School for irls u’elle
fré uente. lle a entendu des récits de lynchage, elle a vu son grand-p re
veiller la nuit devant la ferme, son fusil à la main, pour défendre les siens
des cavaliers blancs encagoulés et brandissant des croi enflammées. lle
est pr te à se battre elle aussi pour faire avancer la ustice. Parmi les formes
de racisme uotidien, celui ui concerne les bus est le plus visible. Non
seulement les transports en commun appli uent la loi de ségrégation Jim
Crow , mais, de plus, les transports scolaires sont interdits au enfants
noirs, ui doivent se contenter des bus publics. Le bus fut un des premiers
éléments par les uels e réalisais u’il y avait un monde pour les Noirs et un
monde pour les Blancs , dit-elle.
Car les transports en commun sont un révélateur de la vie
en société. Comme leur nom l’indi ue, ils devraient servir à la communauté
et tre symboles d’égalité. andhi lui-m me, ui inspira si profondément le
mouvement de libération des Noirs américains, eut la révélation de
l’ampleur du racisme par les transports publics. n avril 189 , lors u’il
arrive en fri ue du Sud, il se fait eter hors d’un train, alors u’il poss de
un tic et valide, pour avoir refusé de passer du wagon de premi re classe à
celui de troisi me. n autre our, alors u’il voyage en diligence, il est battu
par un conducteur parce u’il refuse de s’installer sur le marchepied pour
faire de la place à un passager blanc.
Rosa cCauley s’est engagée dans la lutte pour la ustice et l’égalité
bien avant l’ affaire de 1955 ui la rend cél bre. n 19 2, elle épouse
Raymond Par s, un militant de la cause des droits civi ues, et membre de la
N CP de l’ labama. Leur premi re lutte commune est l’affaire dite des
Scottsboro Boys . Le 25 mars 19 1, neuf gar ons noirs, dont le plus
eune a dou e ans, prennent le train pour l’ labama. Là, des Blancs leur
demandent de uitter le wagon. Les eunes répli uent vivement.
l’arr t suivant, une foule de Blancs armés les attend, les contraint à
descendre et veut les lyncher. ais la police intervient et ils sont conduits à
la prison de Scottsboro. s le lendemain, deu femmes blanches, s res
d’elles, prétendent avoir été violées dans le train et portent plainte contre les
eunes Noirs. Or l’e amen médical effectué par des docteurs blancs, peu
suspects de sympathie pour la cause noire, atteste u’elles n’ont subi aucune
violence se uelle. Pourtant, le 9 avril 19 1, apr s une parodie de proc s,
tous les eunes, à part celui de dou e ans, sont condamnés à la chaise
électri ue Il faut toute l’énergie du N CP pour surseoir à l’e écution et
obtenir un nouveau proc s dans le uel leur innocence sera prouvée.
outefois, l’un d’entre eu restera encore enfermé pendant di -neuf ans
avant de sortir de prison.
Rosa Par s, ui avait d interrompre asse t t ses études secondaires à
cause de la maladie de sa m re, les reprend et les ach ve en 19 4. lle est
persuadée ue la communauté a besoin de personnes instruites et capables
de se défendre, notamment gr ce au droit. Remar uable détermination,
puis u’à cette épo ue-là seulement 7 des Noirs atteignent ce niveau
d’études.
Son engagement ne fait ue se confirmer au fil des ans. n 1940, Rosa
et son mari sont membres de la Ligue des électeurs oters’ League . n
194 , Rosa Par s devient la secrétaire de la N CP de ontgomery
présidée par dgar Ni on. t, fin décembre 194 , elle est membre du
ouvement pour les droits civi ues merican Civil Rights ovement .
Les moments d’indignation et de découragement ne man uent pas.
Comme beaucoup d’autres fro- méricains, elle est bouleversée par le
lynchage atroce de l’adolescent mmett ill, le 28 ao t 1955. Ce eune Noir
de Chicago a uator e ans. Il a une petite amie blanche et fait ses études
dans une école mi te. Il n’imagine pas une seconde le degré de haine ui
r gne contre les Noirs dans les États du Sud. lors u’il passe ses vacances
che un oncle, dans le ississippi, en se promenant il lance un Bye,
baby à une eune femme blanche u’il croise sur le trottoir. t c’est le
décha nement de la folie raciale. Celle-ci se plaint à son mari. uel ues
ours plus tard, on retrouve le corps de l’adolescent dans le fleuve
allahatchie, lesté de soi ante-cin livres de coton symbole de l’esclavage
accrochés autour de son cou avec des barbelés. Il est émasculé. Il a un il
arraché, le visage fracassé et une balle dans la t te. Les auteurs du crime
sont présentés à la ustice, ugés non coupables par un ury blanc et
aussit t libérés insi allait la ustice des tats du Sud il y a à peine
cin uante ans.
algré l’atrocité du crime, à Chicago on ne réagit pas. On ferme les
yeu sur cet aspect du pays ue l’on ne veut pas voir. n eune Noir
assassiné dans le Sud, c’est tous les ours, et puis c’est une affaire entre eu .
ais la m re de l’enfant de uator e ans atrocement torturé ne l’entend pas
ainsi. Le our de l’enterrement, elle ouvre grand le cercueil et demande à la
presse de le photographier. Ces photos feront le tour du monde, écornant
uel ue peu la grandeur des États- nis en ces temps de guerre froide.
rois mois plus tard, Rosa Par s assiste à une grande cérémonie en
l’honneur du eune gar on. t trois ours apr s, dans le bus de ontgomery,
le chauffeur lui demande de céder sa place à un Blanc Ce n’est pas une
femme songeuse ui aurait oublié de se lever, c’est une femme en
col re
lle est aussit t arr tée, ugée et inculpée pour violation des lois
ségrégationnistes locales. . . Ni on, de m me u’un eune pasteur noir
de vingt-si ans, artin Luther ing, avec le concours de Ralph bernathy,
un autre eune pasteur de la premi re église baptiste de ontgomery,
lancent alors une campagne de protestation et de boycott de la compagnie
des bus ou plut t de non-coopération massive à un syst me vicieu ,
comme le dira ing.
Puis cin uante dirigeants de la communauté afro-américaine, emmenés
par artin Luther ing, se réunissent en l’église baptiste de la e ter
venue pour discuter des actions à mener. Ils fondent le I ontgomery
Improvement ssociation , dont ils élisent Luther ing président, et
diffusent cet appel de résistance non violente, et de solidarité :
Ne prene pas l’autobus pour aller au travail, en ville, à l’école, ou à
n’importe uel endroit, le lundi 5 décembre. ne autre femme noire vient
d’ tre arr tée et etée en prison parce u’elle a refusé de céder sa place dans
l’autobus . ene au grand rassemblement organisé lundi à 19 heures,
dans l’église baptiste de olt Street, pour y recevoir d’autres instructions.
Le mot d’ordre est repris par e ontgomer dvertiser, le ournal
noir local. s le lendemain matin, une armée de eunes distribue plus de
sept mille tracts ui portent sur uatre revendications immédiates :
ue les lancs et les Noirs puissent s asseoir o ils veulent dans
l auto us.
lors ue les passagers noirs sont les plus nombreu à prendre
l’autobus, ils doivent rester le plus souvent debout devant les si ges
vides des uatre rangées réservées au Blancs.
ue les c au eurs soient plus courtois l égard de toutes les
personnes.

Les conducteurs se montrent in urieu et traitent les passagers noirs de


maca ues noirs , les passag res de vaches noires , et les humilient
sans cesse.

ue les c au eurs de us cessent leurs ve ations.


Non contents d’ tre grossiers, les conducteurs cherchent tous les
moyens d’humiliation. insi les Noirs, apr s s’ tre présentés à la porte
de devant pour y payer le pri du transport, sont obligés de ressortir
pour monter par les portes arri re de l’autobus. Souvent, le conducteur
démarre aussit t apr s avoir encaissé l’argent, avant ue le passager
noir ait eu le temps d’atteindre la porte arri re.
ue des c au eurs noirs soient engagés.

Le lendemain, le miracle se produit. Contre toute attente artin


Luther ing espérait un boycott à 60 , le boycott est suivi à 100 Les
autobus sont vides de passagers noirs. La communauté noire, us ue-là
endormie et passive, était désormais bel et bien réveillée, écrit ing. u
heures de pointe, les trottoirs étaient envahis par une foule de travailleurs et
de personnels domesti ues ui rentraient patiemment de leur lieu de travail,
situé parfois à plus de uin e ilom tres de leur domicile. Ils savaient
pour uoi ils marchaient, et cela se voyait dans leur mani re de se tenir. t
en les regardant, e me disais u’il n’y a rien de plus ma estueu ue le
courage déterminé dont font preuve les individus lors u’ils acceptent de
souffrir et de se sacrifier pour leur liberté et leur dignité. Nous avions
fini par comprendre u’à la longue il est plus honorable de marcher à pied
dans la dignité ue de rouler en autobus dans l’humiliation. C’est ainsi
u’en adoptant un comportement digne et tran uille, nous avons décidé de
substituer la lassitude de nos pieds à celle de nos mes, en marchant dans
les rues de ontgomery
Ce m me our, artin Luther ing se rend au tribunal o Rosa Par s
doit tre ugée. lle est condamnée à une amende, plus les frais de
procédure, pour avoir enfreint les lois sur la ségrégation . lle fait
aussit t appel. Les membres du N CP ubilent, car us ue-là les
poursuites étaient abandonnées ou bien le contrevenant était condamné
pour trouble à l’ordre public . ais, cette fois, l’affaire rel ve nettement
de la ségrégation . C’est l’occasion r vée de contester la validité des lois
relatives à la ségrégation elle-m me. Rosa Par s devient la représentante de
vingt millions de Noirs dont les droits sont bafoués depuis le IIe si cle.
Le boycott se prolonge durant 81 longs ours. uelle perte pour la
compagnie de bus es di aines de bus publics restent au dép t. La plupart
des protestataires marchent à pied mais la solidarité ne tarde pas à faire ses
effets, et des ta is conduits par des Noirs assurent des tra ets communs au
tarif du bus di cents . Peu à peu, gr ce en partie à l’écho international
u’a re u le mouvement, des fonds commencent à arriver, permettant de
mettre en place un service d’autobus parall le, et des achats de paires de
chaussures
Évidemment, les menaces sont nombreuses et sont souvent suivies
d’effet : c’est ainsi ue des bombes e plosent au domicile de artin Luther
ing, le 0 anvier 1956. ais rien ne fait céder la révolte. Les boycotteurs
poursuivent leur mouvement us u’à la victoire.
nfin, le 1 novembre 1956, la Cour supr me déclare ue les lois
ségrégationnistes dans les bus sont anticonstitutionnelles. L’arr t est signifié
au autorités de ontgomery le 20 décembre 1956. Le lendemain, artin
Luther ing est le premier à reprendre le bus
Par son r le de déclencheur du boycott, par sa ténacité, son courage et
son intelligence lors de son proc s, Rosa Par s a contribué à la prise de
conscience des méricains dans la lutte pour les droits civi ues. lle est
désormais considérée comme la m re du mouvement des droits
civi ues.
L’ affaire des bus de ontgomery mar ue un tournant
psychologi ue pour le Noir américain dans sa lutte contre la ségrégation.
r ce à Rosa Par s, la communauté a découvert et e périmenté l’efficacité
d’une arme nouvelle : la résistance non violente.
Souvent, l’ istoire ne retient ue uel ues noms. Si la modeste Rosa
Par s a mar ué les mémoires, c’est ue toute une génération a, avec elle,
pris en main sa destinée et décidé de lutter contre la ségrégation. Bien s r,
le racisme ne s’éteindra pas du our au lendemain. ais chacun de nous a la
possibilité d’améliorer les choses pour les générations futures. Je pense à
cette phrase d’ lbert instein : Le monde est dangereu à vivre Non pas
à cause de ceu ui font le mal, mais à cause de ceu ui regardent et
laissent faire.
a i ert o a mort

co
19 mai 1925 - 21 février 1965

L’éducation est le passeport


pour le futur, car demain appartient
à ceu ui s’y préparent
auourd’hui.

alcolm

ans l’opinion générale, alcolm est synonyme de violence et de


provocation. Il y aurait d’un c té le bon pasteur artin Luther ing et de
l’autre le méchant alcolm . Je ne m’étonne pas ue, voulant appeler
mon fils alcolm, ’aie provo ué les réticences de ma famille et de mes
amis. C’est pour uoi ’aimerais faire comprendre, par ces uel ues pages,
comment alcolm , voué au départ à la violence, s’en est échappé au
point d’accepter de travailler avec des hommes de toutes couleurs et de
toutes religions à une société plus uste. Il a ac uis une certaine éducation, il
a su prendre de la hauteur.

alcolm Little na t à Omaha, dans le Nebras a, en 1925. Son p re,


arl Little, pr cheur baptiste, est un fervent adepte du panafricain arcus
arvey, ce ui lui vaut de violentes menaces du u lu lan. uel ues
ours avant la naissance de alcolm, tandis u’il pr che à ilwau ee, les
cavaliers blancs encerclent sa maison, brandissent des torches, brisent les
vitres et en oignent à Louisa, sa femme, entourée de ses trois enfants
terrorisés, de uitter la région.
La m re de alcolm, Louisa, souffre d’une blessure ineffa able : la
couleur de sa peau, trop blanche parce ue le produit d’un viol. e ce
grand-p re, alcolm ne saura rien, sinon u’il était la honte de sa grand-
m re et de sa m re. t cette honte sera aussi la sienne, puis u’il tient de cet
anc tre violeur un teint de peau clair et une couleur de cheveu ui lui vaut
le surnom de rou uin .
n 1926, la famille c de au menaces du u lu lan et déménage
pour le ichigan, o le m me drame ne tarde pas à se renouveler. O
u’elle aille, elle rencontre terreur et violence. alcolm a uatre ans
lors u’on met le feu à leur maison. Par la suite, pas moins de si de ses
oncles sont tués par des Blancs, dont un est lynché. Cin ans plus tard, en
19 1, le propre p re de alcolm est fauché par un tram sans doute un
assassinat déguisé en accident. Sa m re en devient folle et doit tre internée.
alcolm arr te ses études à la fin des classes primaires, sachant à
peine lire et écrire. Lui et ses fr res et s urs sont dispersés parmi plusieurs
foyers d’accueil. l’ ge de uin e ans, il se retrouve à Boston. Il cire des
chaussures, fait des petits travau dans un h tel, dans un bar, dans un
wagon-restaurant. Peu à peu il se met à fré uenter la p gre et découvre la
coca ne. Le 16 anvier 1946, à vingt et un ans, il est inculpé pour vol
caractérisé et diverses effractions. Il est condamné à di ans d’enfermement
dans la prison d’État du assachusetts, à Charleston.
n prison, le nihiliste u’il était devenu découvre, par l’entremise de
l’un de ses codétenus, les prédications d’ li ah uhammad, le leader des
Blac uslims, dits aussi Nation of Islam. L’enfermement et l’isolement
sont propices au prosélytisme des mouvements de toutes sortes. Ils trouvent
là des eunes hommes isolés, perdus, à la recherche d’un sens à donner à
leur vie. n u te de certitudes, alcolm se prend de passion pour l’islam,
ui lui apporte l’apaisement ainsi ue le désir impétueu de mieu lire et
écrire. Pour ce faire, il passe son temps à la biblioth ue de la prison,
recopiant intégralement un dictionnaire, faute de savoir comment s’y
prendre. n 1950, il écrit à un ami : Je finis ma uatri me année d’une
peine de prison de huit à di ans ais ces uatre ans de réclusion se sont
révélés tre les plus enrichissants de mes vingt- uatre ans sur cette terre et
e ressens ue ce cadeau du emps était un cadeau u’ llah me fit, sa
mani re de me sauver de la destruction certaine vers la uelle ’avan ais.
Jus u’à la fin de son incarcération, alcolm correspond avec
l’ honorable li ah uhammad ui se présente comme un messager de
ieu dont il a directement re u des l vres les vérités . Son enseignement
repose, comme pour toute religion, sur un rite, des r gles de vie et une
doctrine. La sienne est e trémiste, pr nant un nationalisme africain et noir,
et un virulent racisme anti-Blancs. On pourrait le voir comme le miroir de la
violence des Blancs envers les Noirs. n effet, elle présente, inversés, tous
les travers de la ségrégation : le Noir est de race supérieure, et la race
blanche est inférieure et impure. Les Blac uslims interdisent de m ler
leur sang par l’intégration raciale . insi, l’organisation ne m ne aucune
campagne pour les droits civi ues ou une uelcon ue forme d’intégration.
Ces propos dangereu substituent la tyrannie de la suprématie noire à la
tyrannie de la suprématie blanche , comme le dit artin Luther ing.
ais, durant un temps, ils ont comme vertu de rendre au adeptes de Nation
of Islam, les Noirs les plus pauvres, les repris de ustice et les laissés-pour-
compte, la fierté et la dignité ue le racisme blanc leur refuse.
ous ave été souillés et corrompus par l’esclavage, par la
civilisation blanche, leur rép te li ah uhammad, et e vous demande de
recon uérir votre dignité. Pour cela, le choi de l’islam est nécessaire. La
religion chrétienne est définitivement salie par ses liens avec la traite, avec
la ségrégation et avec la colonisation. L’homme blanc, dit alcolm, nous
a volés à nous-m mes, et puis nous a volé notre religion. ntre les Blancs
et eu , les Blac uslims dressent un mur infranchissable.
e m me, ils refusent la non-violence de artin Luther ing dans une
société blanche irrémédiablement raciste. Notre religion ne nous enseigne
pas de tendre l’autre oue l’islam nous enseigne de nous défendre nous-
m mes. Ou encore : Pendant ue ing fait son r ve , nous autres Noirs
vivons un cauchemar
artin Luther ing, bien s r, se déclare totalement en désaccord avec
de tels préceptes. Pour lui, la vision désespérée des Noirs e clut toute
solution de rechange positive et imaginative . Il consid re ue les discours
des Blac uslims sont démagogi ues et ne peuvent u’entra ner le
malheur et la désolation. Cette forme de révolution, dit-il, serait écrasée
sous le nombre et les Noirs se retrouveront plus misérables encore et
désenchantés .
alcolm, lui, a besoin de l’espoir offert par cette religion, ui l’aide à
supporter l’incarcération. Lors u’il est libéré, le 7 ao t 1952, il va aussit t à
Chicago écouter li ah uhammad, à ui il offre son concours pour l’aider
à pr cher et convertir ses fr res noirs. ésormais, il s’appelle alcolm .
pour remplacer le nom du ma tre d’esclaves, ui a été imposé à ses
anc tres par uel ue diable au yeu bleus .
n 1954, il devient ministre de la mos uée 7, sur Leno venue, à
arlem. alcolm n’est plus un de ces anciens taulards, nouveau
convertis, ui sont passés à la prédication religieuse. Il est devenu un
meneur influent et respecté, un orateur de talent. Il ouvre d’autres
mos uées, dont une à Philadelphie. n lui, le mouvement trouve un leader
plus efficace encore ue la vieille garde d’ li ah uhammad. C’est ue
l’épo ue a changé. Le temps est au Blac Power. On veut le pouvoir pour
soi. On veut organiser une force noire, une puissance politi ue noire, régner
en ma tre dans les uartiers et les villes o la population noire est
ma oritaire. Sous son autorité, Nation of Islam atteint bient t les cent mille
adhérents. n 1959, un documentaire télévisé intitulé e ate at ate
roduced La haine engendrée par la haine lui donne l’occasion
d’appara tre sur la sc ne publi ue. L’émission a pour effet de développer
considérablement l’intér t médiati ue pour l’organisation et pour
alcolm .
Cependant, à partir du début des années 1960, de nombreu différends
surgissent entre alcolm et li ah uhammad. Probl mes de partage du
pouvoir, mais aussi probl mes religieu et morau . n effet, des rumeurs
sur les abus se uels commis par li ah uhammad sont confirmées, de
m me ue les profits financiers u’il réalise sur le dos des adeptes. Peu à
peu, alcolm se rend compte u’ li ah uhammad e ploite l’angoisse
des Noirs en leur faisant miroiter un avenir paradisia ue. Ses doutes
l’am nent à revoir ses positions sur cette organisation, u’il consid re
maintenant non seulement comme faussement religieuse, mais aussi
dangereusement apoliti ue puis u’elle ne participe pas à la lutte pour les
droits civi ues. Il estime u’il faut en finir avec l’attente de la tartine ui
doit tomber du ciel , et se brouille avec li ah uhammad.
C’est le départ d’une nouvelle vie. L’image de alcolm est la
plupart du temps réduite à uel ues clichés grossiers le présentant comme
agité d’une frénésie raciste convulsive, écrit ongo Beti, ce ui lui attire la
dévotion d’admirateurs douteu et le prive de l’audience ue l’intelligence
ui anime son discours mériterait. aintenant ue sa pensée n’est plus
inféodée à celle de uhammad, ses discours refl tent une réfle ion plus
humaniste, percutante et rigoureuse, sans pour autant trahir ses convictions.
Il reste fid le à une action ui privilégie la communauté noire, tout en se
refusant à condamner la violence des Noirs opprimés. Pour lui, la priorité
n’est pas, comme pour artin Luther ing, d’unir les Blancs et les Noirs,
mais de réaliser d’abord l’union des Noirs.
ans son cél bre discours du avril 1964, e allot or t e ullet
Le bulletin de vote ou la balle , il menace tou ours de recourir à la
violence face à l’oppression.
Non, e ne suis pas américain. Je suis l’un des vingt-deu millions de
Noirs ui sont victimes de l’américanisme. L’un des vingt-deu millions de
Noirs victimes d’une démocratie ui n’est rien d’autre u’une hypocrisie
déguisée. ussi ne suis- e pas ici pour vous parler en tant u’ méricain, en
tant ue patriote, en tant u’adorateur ou porteur de drapeau non, ce n’est
pas mon genre. Je m’adresse à vous en tant ue victime de ce syst me
américain. ans le m me discours, il déclare u’il n’est pas raciste et ue,
si l’homme blanc ne veut pas ue nous soyons contre lui, u’il cesse de
nous opprimer, de nous e ploiter et de nous dégrader. Nous allons tre
forcés d’employer le vote ou la alle. Il y aura des coc tails olotov
ce mois-ci, des grenades à main le mois prochain, et autre chose le mois
suivant. Ce sera la liberté, ou ce sera la mort.
Peu de temps apr s, il se convertit à l’islam sunnite orthodo e et, le 1
avril 1964, part en p lerinage à La ec ue dont il revient sous le nom
musulman d’ l ad ali l Shaba . u-delà de son nouveau nom, il est
surtout transformé et réconcilié avec les différences.
e son p lerinage, il dit : Il y avait des di aines de milliers de
p lerins, de partout dans le monde. Ils étaient de toutes les couleurs, des
blonds au yeu bleus au fricains à la peau noire. ais nous étions tous
les participants d’un m me rituel, montrant un esprit d’unité et de fraternité
ue mes e périences en méri ue m’avaient mené à croire ne amais
pouvoir e ister entre les Blancs et les non-Blancs. L’ méri ue doit
comprendre l’islam, parce ue c’est la seule religion ui efface de sa société
le probl me des races.
S’il veut tre fid le à lui-m me, il doit faire un choi entre islam et
racisme. Le racisme lui appara t désormais comme une folie, et il le fait
savoir. uparavant, ’ai permis ue l’on se serv t de moi pour condamner
en bloc tous les Blancs, et ces généralisations ont in ustement blessé
certains d’entre eu . ais mon p lerinage à la Sainte ec ue a attiré sur
moi la bénédiction d’une renaissance spirituelle et e me refuse dorénavant
à condamner en bloc toute une race. ésormais nous entendons
accueillir à nos c tés les chrétiens noirs comme les uifs noirs. me les
athées seront acceptés . insi nous recevrons dans nos rangs non
seulement tous les Noirs, mais encore les Blancs musulmans car la couleur
cesse d’ tre un facteur de discrimination pour uicon ue adopte l’islam
alcolm fonde l’Organisation pour l’unité afro-américaine, groupe
politi ue non religieu . Fini, les soldats de ieu. Sa volonté est de mener
une lutte politi ue et engagée, de réaliser l’internationalisation de la lutte
des Noirs, de mettre en accusation le gouvernement américain devant l’Onu
pour racisme. ous condamne l’ nion sud-africaine leur dit-il. ais
les n tres ne sont ue on e millions là-bas, alors u’ici, ils sont vingt-deu
millions. t l’in ustice dont nous sommes victimes est tout aussi criminelle
ue celle ui est faite au Noirs d’ fri ue du Sud.
La t che révolutionnaire primordiale, à ses yeu , c’est l’éducation, la
formation. Pour les Noirs, mais aussi pour les Blancs Le 8 anvier 1965,
un peu moins de deu mois avant sa mort, répondant à une uestion sur les
causes du pré ugé racial au États- nis, il donne cette réponse ui pourrait
figurer en e ergue de mon livre : Si toute la population des États- nis
recevait une éducation correcte e veu dire, si on lui faisait un tableau
fid le de l’histoire et de l’apport des Noirs , e crois ue bon nombre de
Blancs auraient plus de respect pour le Noir en tant u’ tre humain. Sachant
ce u’a été l’apport des Noirs à la science et à la civilisation, le Blanc
abandonnerait, au moins partiellement, son sentiment de supériorité. u
m me coup, le sentiment d’infériorité u’éprouve le Noir ferait place à une
connaissance de soi bien é uilibrée. Le Noir se sentirait plus homme
Cependant la tension entre alcolm et Nation of Islam ne cesse de
cro tre. Le 14 février 1965 sa maison est dynamitée. Si ours plus tard, le
dimanche 21 février, comme il commence un discours dans le uartier de
arlem devant un auditoire de uel ues centaines de Noirs, une fausse
dispute éclate dans l’assistance. alcolm appelle au calme : Fr res,
reste calmes, ne vous énerve pas u m me instant, trois hommes
bondissent sur l’estrade et déchargent sur lui leurs fusils de chasse à canon
scié et leurs revolvers.
es commentateurs ont cru bon d’appeler l’Évangile à la rescousse :
Celui ui vit par l’épée périra par l’épée. Rien de plus ine act. Le non-
violent artin Luther ing périt également par l’épée. uant à alcolm ,
il n’a pas choisi la violence, c’est la violence ui l’a choisi.
nr e i c angea e monde

rtin u t r in
15 anvier 1929 - 4 avril 1968

Je vous le dis ce matin, si vous


n’ave amais rencontré rien
ui vous soit si cher, si précieu
ue vous soye prt à mourir pour
a, alors vous n’tes pas apte
à vivre.

artin Luther ing,


5 novembre 1967

Le p re de artin Luther ing est pasteur, son oncle paternel est


pasteur, son fr re uni ue est pasteur, son grand-p re était pasteur, son
arri re-grand-p re également tous des hommes sensibles à la souffrance
et au in ustices. Le combat de artin Luther ing Jr. pour la liberté est le
résultat d’une tr s forte éducation humaniste.

e bonnes fées se sont penchées sur le berceau de artin Luther ing


Jr. Ses parents sont tr s unis, et suffisamment aisés pour lui permettre de
faire des études supérieures. Il obtient sa licence de sociologie en 1948, et
se dote d’une forte culture philosophi ue. n ouvrage déterminant dans sa
formation intellectuelle est l’essai de enry avid horeau, Civil
iso edience La éso éissance civile . Ce livre enseigne la techni ue de
la résistance passive, le devoir de refuser toute coopération avec un régime
pervers. Plus tard, en 1950, lors d’une conférence, il découvre la pensée de
andhi. Immédiatement lui appara t ue la méthode de non-violence pr née
par le ahatma pourrait tre d’une grande efficacité contre la ségrégation.
n 195 , il devient le pasteur de l’église baptiste de l’avenue e ter à
ontgomery, labama. Il se marie la m me année avec Coretta Scott, elle-
m me tr s active dans la lutte contre l’oppression ue subit la communauté
noire.
Le 1er décembre 1955, our o Rosa Par s refuse l’in onction
d’un chauffeur de bus de céder sa place à un Blanc, est pour artin Luther
ing une révélation. ontgomery et dans toute la communauté noire, cet
épisode, au uel ’ai consacré un chapitre de ce livre pages 27 -282 , se
solde par une victoire contre la ségrégation dans les bus. artin Luther
ing prend conscience des résultats possibles d’une telle action, ui
combine à la fois les préceptes non-violents de andhi et la nécessité
morale de la résistance passive préconisée par horeau.
La force de la non-violence l’a emporté , écrit le pasteur. ais il
reste encore beaucoup de chemin avant de sortir de la nuit lugubre et
sinistre de l’inhumanité de l’homme pour l’homme
On ne trouvera aucun romantisme, aucune na veté che les héros de la
résistance noire à cette épo ue. Ils ont étudié les techni ues politi ues,
uridi ues, médiati ues susceptibles de servir leurs droits. e m me ue ce
n’est pas une malheureuse femme, épuisée par une ournée de travail, ui
refuse de uitter sa place dans un bus, mais une militante décidée et
aguerrie, le pasteur artin Luther ing n’est pas le dou et pacifiste pasteur
ue l’on imagine volontiers tendant la oue gauche apr s la droite.
La stratégie de artin Luther ing est une non-violence
provocatrice , une confrontation conciliante . Il cherche l’efficacité,
pas la mortification. Son génie est de s’inspirer de andhi, ui affirme en
1920 : Là o il n’y a ue le choi entre la l cheté et la violence, e
conseillerais la violence. Je préférerais ue l’Inde e t recours au
armes pour défendre son honneur plut t ue de la voir, par l cheté, devenir
ou rester l’impuissant témoin de son propre déshonneur. ais e crois ue la
non-violence est infiniment supérieure à la violence. Supériorité ui tient
à la compréhension de sa force politi ue, loin des bons sentiments ou du
refus de combattre, à l’art de retourner la violence de l’autre contre lui-
m me, d’e poser au yeu de tous la violence brute de l’autre. artin
Luther ing a compris la démonstration. s lors, il s’appli ue à révéler la
violence du Blanc du Sud, notamment du u lu lan et de ses complices
dans les polices locales, pour la diffuser dans les médias. artin Luther
ing est un véritable leader politi ue, pas un uelcon ue candidat au
élections.
n 1957, artin Luther ing est désigné comme président de la SCLC
Southern Christian Leadership Conference : Conférence des dirigeants
chrétiens du Sud ui organise la lutte des glises afro-américaines pour les
droits civi ues. Faut-il rappeler ue ce n’est u’en partageant les m mes
droits et les m mes devoirs ue l’on peut vivre ensemble dans la cité
Sinon, la guerre civile menace. C’est ce ue démontrent les différentes
actions de artin Luther ing, provo uant une haine croissante che ceu
ui veulent entretenir les inégalités et la peur pour mieu régner.
Le 20 septembre 1958, il est poignardé à arlem alors u’il dédicace
son livre Com at pour la li erté. Le coup porté a fr lé l’aorte de si pr s
ue, s’il avait éternué pendant les heures d’attente, dit le Ne or imes,
elle aurait été transpercée et il se serait noyé dans son sang . Cette
agression ne l’arr te pas, ses ob ectifs dépassent le souci de sa propre vie.
n 1959, il se rend en Inde o il s’entretient avec le Premier ministre
Nehru. L’effroyable mis re et les in ustices sociales ui r gnent dans le pays
ne lui échappent pas. lors u’il visite une école, un proviseur le présente
ainsi : Jeunes gens, ’aimerais vous présenter un camarade intouchable
des États- nis d’ méri ue n mati re de ségrégation, un méricain
peut-il donner une le on à l’Inde
n 1960, la prati ue des sit in est généralisée dans les magasins et les
restaurants des États du Sud. lle consiste à s’asseoir en groupe dans un lieu
o les Noirs n’ont pas le droit d’entrer. outes pacifi ues ue sont ces
actions engagées par artin Luther ing, elles ne restent pas sans
représailles. Cible du FBI, il est plusieurs fois arr té sous préte te de
fausses déclarations de revenus, de participations à une manifestation,
d’infractions au code de la route, etc. Pourtant, tout au long des années
1961-1962, il continue à parler, à agir et, bien entendu, à sé ourner en
prison.
n 196 , la SCLC et l labama Christian ovement for uman
Rights lancent une grande campagne de contestation à Birmingham le pire
endroit de tous les États- nis, pour un Noir. Birmingham, les édiles
semblent n’avoir amais entendu parler d’ braham Lincoln, de homas
Jefferson, de la éclaration des droits de l’homme, du verdict rendu en
1954 par la Cour supr me déclarant illégale toute ségrégation dans les
établissements scolaires L’ istoire y est niée, les droits civi ues
également. Le gouverneur de l’État, eorge allace, ne conna t u’une
devise : Ségrégation au ourd’hui, ségrégation demain, ségrégation
tou ours eu petites filles noires sont tuées dans une église. Il y a
tellement d’attentats racistes non élucidés ue les Noirs appellent la ville
Bombingham
Le tableau u’en dresse artin Luther ing est effrayant. Il écrit ue
les droits de l’homme y sont bafoués depuis si longtemps ue la peur et
l’oppression y rendent l’atmosph re sociale aussi épaisse ue la fumée
dégagée par ses usines .
Le shérif, ugene Connor, surnommé Bull taureau , est
policier le our et membre du u lu lan la nuit. L’ensemble de la vie
civi ue et sociale obéit au lois ségrégationnistes dites Jim Crow : les
h pitau , les cinémas, les magasins, les pissoti res, les fontaines, les
cimeti res, les bus, les ardins publics Lors ue le courageu pasteur
Shuttlesworth obtient en ustice la déségrégation pour les parcs de la ville,
Bull réagit en les fermant et en faisant sauter à la bombe le domicile
du pasteur n mati re de travail, les postes offerts au Noirs sont tou ours
dérisoires : aucune promotion possible, des salaires largement inférieurs à
ceu des Blancs Par un curieu aménagement des lois démocrati ues, les
droits civi ues selon les lois Jim Crow aussi permettent u’un tiers
de Noirs ne constitue u’un huiti me du corps électoral. n plus
des intimidations, des menaces devant les bureau de vote, artin Luther
ing parle du ralentissement délibéré des formalités d’inscription et de
la réduction du nombre de ours et des heures au cours des uels le bureau
était ouvert . ans une ville comme Selma, par e emple, sur uin e mille
électeurs noirs potentiels, moins de trois cent cin uante peuvent s’inscrire.
nfin, le fameu test d’ alphabétisation , con u pour handicaper les
électeurs noirs, est corrigé avec la plus grande partialité.
Les églises, lieu sacrés de la vie collective, sont elles aussi assu etties
au régime Jim Crow . Car tout en se proclamant chrétiens, écrit artin
Luther ing, nos concitoyens blancs prati uaient la ségrégation avec autant
de rigueur dans la maison de ieu u’ils l’appli uaient dans les cinémas .
Imagine-t-on seulement u’un enfant noir entrant prier dans une église
blanche pouvait se faire violemment refouler et bastonner
Le probl me ma eur reste de savoir comment, dans un pays dont les
Blancs détiennent le pouvoir économi ue, culturel, politi ue, répressif,
obtenir ue la ségrégation dont souffre la minorité noire intéresse l’opinion
publi ue blanche, et particuli rement la ma orité silencieuse blanche,
plus attachée à l’ordre u’à la ustice. Le grand obstacle opposé au Noirs
en lutte pour leur liberté, écrit-il, ce n’est pas le membre du Conseil des
citoyens blancs ni celui du u lu lan, mais le Blanc modéré ui
préf re une pai négative issue d’une absence de tensions, à la pai positive
issue d’une victoire de la ustice ui croit pouvoir fi er, en bon
paternaliste, un calendrier pour la libération d’un autre homme ui cultive
le mythe du temps- ui-travaille-pour-vous et conseille constamment au
Noir d’attendre un moment plus opportun .
Birmingham, les opérations commencent en avril 196 par
un boycott des magasins. Comme leurs directeurs semblent s’en
accommoder, on met en action le pro et C , soit une série de sit in dans
les magasins, les restaurants, les biblioth ues et les églises réservés au
Blancs. L’ob ectif est de créer une situation ui soit un tel pa uet de crises
u’elle ouvre inévitablement la porte à des négociations .
Évidemment, artin Luther ing est arr té le 12 avril 196 . Il écrit
alors la Lettre de la prison de irming am, dont voici un e trait :
Nous avons attendu pendant plus de trois cent uarante ans les droits
constitutionnels dont nous a dotés notre Créateur. Les nations d’ sie et
d’ fri ue progressent vers l’indépendance politi ue à la vitesse d’un avion
à réaction, et nous nous tra nons encore à l’allure d’une voiture à cheval
vers le droit de prendre une tasse de café au comptoir. Ceu ui n’ont
amais senti le dard br lant de la ségrégation raciale ont beau eu de dire :
ttende ais uand vous ave vu des populaces vicieuses lyncher à
volonté vos p res et m res, noyer à plaisir vos fr res et s urs uand vous
ave vu des policiers pleins de haine maudire, frapper, brutaliser et m me
tuer vos fr res et s urs noirs en toute impunité uand vous voye la
grande ma orité de vos vingt millions de fr res noirs étouffer dans la prison
fétide de la pauvreté, au sein d’une société opulente uand vous sente
votre langue se nouer et votre voi vous man uer pour tenter d’e pli uer à
votre petite fille de si ans pour uoi elle ne peut aller au parc d’attractions
ui vient de faire l’ob et d’une publicité à la télévision uand vous voye
les larmes affluer dans ses petits yeu parce u’un tel parc est fermé au
enfants de couleur uand vous voye les nuages déprimants d’un
sentiment d’infériorité se former dans son petit ciel mental uand vous la
voye commencer à oblitérer sa petite personnalité en sécrétant
inconsciemment une amertume à l’égard des Blancs uand vous tes
harcelé le our et hanté la nuit par le fait ue vous tes un N gre, marchant
tou ours sur la pointe des pieds sans savoir ce ui va vous arriver l’instant
d’apr s, accablé de peur à l’intérieur et de ressentiment à l’e térieur uand
vous combatte sans cesse le sentiment dévastateur de n’ tre personne
alors vous comprene pour uoi nous trouvons si difficile d’attendre. Il vient
un temps o la coupe est pleine et o les hommes ne supportent plus de se
trouver plongés dans les ab mes du désespoir
Lors ue artin Luther ing sort de prison, une semaine plus tard,
gr ce à l’intervention de John Fit gerald ennedy, président des États- nis,
et de son fr re Robert, ministre de la Justice, il retrouve un mouvement
essoufflé, dont les actions n’intéressent plus aucun ournal. Il décide alors
de soulever la eunesse, réservoir éternel de la résistance. Le 2 mai 196 ,
une gigantes ue manifestation d’enfants est organisée. es collégiens, des
écoliers, des lycéens défilent en chantant reedom. Le plus eune a sept ans,
le plus gé, di -huit.
u 2 au 7 mai 196 , la Croisade des enfants ne faiblit pas. Le
premier our, plus de mille eunes sont arr tés. Par man ue de paniers à
salade, la police doit affréter des bus scolaires pour les conduire en prison.
Le lendemain, ce sont deu mille enfants ui dorment sous les verrous. t il
en vient encore Certains enfants se présentent spontanément à la porte des
bureau de police en chantant pour tre arr tés.
Cette fois, hors de lui, Bull Connor l che des bergers allemands,
dressés à mordre au ventre, sur ces enfants ui défilent pacifi uement, et
utilise des lances d’incendie capables d’écorcer un arbre. s le lendemain,
la presse nationale, les radios alertées reviennent à Birmingham. Les
lecteurs de tous les États- nis voient dans leurs uotidiens des
photographies de sc nes de violences inou es : des eunes femmes sans
défense etées à terre et matra uées, un eune homme pro eté par-dessus une
voiture par le et d’une lance d’incendie, et surtout des photographies
d’enfants marchant directement sur les crocs nus des chiens policiers .
L’ méricain moyen, la ma orité silencieuse, est profondément cho ué par
ces images.
ans son cél bre entretien avec enneth B. Clar , diffusé en mai- uin
196 , a rtin Luther ing raconte ue les manifestants non-violents sont
spécialement préparés, u’on leur dispense des cours o ils apprennent ce
ue c’est d’ tre malmené . t, comme enneth B. Clar lui demande si les
eunes enfants ont également suivi l’entra nement, artin Luther ing
répond : Oui, les enfants aussi. n fait, aucun d’eu n’a pris le départ
d’une marche, aucun n’a participé à aucune manifestation sans avoir au
préalable suivi cet entra nement.
artin Luther ing ne man ue pas d’ tre atta ué par des mes
charitables ui lui reprochent d’avoir instrumentalisé les enfants. Il leur
répond ue ces derniers sont en premi re ligne de la ségrégation depuis cent
ans et u’il n’a encore amais entendu uicon ue s’intéresser à leur sort
Ces mes charitables e cuseraient pres ue l’agresseur, le ma tre-chien, sous
préte te ue les enfants pacifi ues l’ont provo ué
Les photographies sont tr s embarrassantes pour ashington. artin
Luther ing a réussi à ébranler l’opinion publi ue. Les réactions
internationales fusent de partout. L’ nion soviéti ue en profite pour
dénoncer les atteintes au droits de l’homme au pays de l’oncle Sam. uant
à la ville de Birmingham, elle est au bord de l’effondrement : plus aucun
commerce du centre-ville ne fonctionne. La aison-Blanche se voit
contrainte de dép cher Bruce arshall, ad oint du ministre de la Justice
pour les droits civi ues, et le vice-ministre ad oint, Joseph F. olan, chargés
de proposer une tr ve et de conduire des négociations.
nfin, le 21 mai 196 , le maire de la ville démissionne, le chef de la
police est renvoyé et, en uin, toutes les pancartes ségrégationnistes sont
enlevées : tous les lieu publics sont ouverts au Noirs. e son c té, le
gouvernement ennedy, pour le uel une législation sur les droits civi ues
n’était pas une priorité, décide de présenter de toute urgence une vigoureuse
proposition de loi sur ces droits ue tous doivent respecter.
La réputation de artin Luther ing s’est considérablement renforcée.
On décide de couronner l’événement par une marche sur ashington, ui
unira l’ensemble des forces dispersées. Le 28 ao t 196 , deu cent
cin uante mille personnes de toutes couleurs et religions se retrouvent
devant le monument consacré à la mémoire de Lincoln. cette occasion,
artin Luther ing doit prononcer un discours. Il a préparé son te te dans
la nuit du 27. Il en a dressé le plan, et a pres ue achevé la version compl te.
artin Luther ing commence à parler, et soudain lui viennent à
l’esprit des mots u’il avait prononcés deu mois auparavant dans une
réunion au ichigan : Je fais un r ve ussit t, il écarte le papier u’il
était en train de lire et déclare :

Je fais pourtant un r ve. C’est un r ve profondément ancré dans le


r ve américain.
Je r ve ue, un our, notre pays se l vera et vivra pleinement la
véritable réalité de son credo : Nous tenons ces vérités pour évidentes par
elles-m mes ue tous les hommes sont créés égau .
Je r ve ue, un our, sur les rouges collines de eorgie, les fils des
anciens esclaves et les fils des anciens propriétaires d’esclaves pourront
s’asseoir ensemble à la table de la fraternité.
Je r ve ue, un our, l’État du ississippi lui-m me, tout br lant des
feu de l’in ustice, tout br lant des feu de l’oppression, se transformera en
oasis de liberté et de ustice.
Je r ve ue mes uatre eunes enfants vivront un our dans un pays
o on ne les ugera pas à la couleur de leur peau mais à la nature de leur
caract re.
Je fais au ourd’hui un r ve

Le 10 décembre 1964, le pri Nobel de la pai lui est décerné. Il a


trente-cin ans. travers lui, c’est un magnifi ue hommage au milliers
d’anonymes, acteurs du mouvement en faveur des droits civi ues.
Ce r ve et la marche triomphante ui l’accompagne auront pour
effet d’e acerber encore la haine ue lui vouent les Blancs
ségrégationnistes. ais ils rendront aussi plus impatiente une eunesse noire
révoltée ui, peu à peu, déborde son action, relayée par des mouvements
pr chant l’autodéfense comme les Blac uslims d’ li ah uhammad,
dont alcolm est une figure puis, en 1966, lancé par Sto ely
Carmichael, le Blac Power, et enfin les Blac Panthers. Pour artin
Luther ing, le moment o sa philosophie de la non-violence chavire
co ncide avec la arche contre la peur , le 6 uin 1966.
Comme nous marchions le long de cette route sinueuse dans une
chaleur accablante, nous parlions beaucoup et bien des uestions ont été
soulevées, raconte-t-il.
Je ne suis plus pour ce genre de truc de la non-violence , a crié l’un
des activistes les plus eunes. Si l’un de ces foutus salauds du ississippi
me touche, e lui fais sauter la gueule , a crié un autre.
ne fois, pendant l’apr s-midi, nous nous sommes arr tés pour
chanter e all vercome. Les voi s’élevaient avec toute la ferveur
habituelle . ais uand nous en sommes arrivés à la strophe ui parle
des Noirs et des Blancs ensemble les voi de uel ues-uns des marcheurs
se sont tues. Je leur ai demandé un peu plus tard pour uoi ils refusaient de
chanter ce vers. La réponse a été : C’est un nouveau our. Nous ne
chanterons plus ces mots. n fait, toute la chanson devrait tre changée. Ce
n’est plus Nous l’emporterons u’il faut dire, mais : Nous les
écraserons .
La haine appelle la haine. artin Luther ing ne s’y trompe pas, et
écrit en avril 1968, à uel ues heures de sa mort : h bien, e ne sais pas
ce ui va arriver maintenant. Nous avons devant nous des ournées
difficiles. ais peu importe ce ui va m’arriver maintenant, car e suis allé
us u’au sommet de la montagne. Je ne m’in ui te plus. Comme tout le
monde, e voudrais vivre longtemps. La longévité a son pri . ais e ne
m’en soucie gu re maintenant.
Luther ing sait u’il ris ue à cha ue instant d’ tre assassiné. ais
va-t-il s’arr ter pour autant
Le 4 avril 1968, alors u’il est sur le balcon de sa chambre d’h tel à
emphis, un coup de feu est tiré. n seul. artin Luther ing, celui ui
voulait changer la discorde de sa nation en une belle symphonie de
fraternité , s’effondre.
uel ues ours plus tard, deu cent mille méricains de toutes
couleurs et de toutes religions suivent, dans les rues d’ tlanta, la mule ui
tire le chariot transportant son cercueil.

Il nous reste au ourd’hui la droiture et le courage peu communs d’un


homme ui n’a amais transigé avec un idéal. Idéal u’il définissait à ses
interlocuteurs par les paroles suivantes :
Sur certaines prises de position, la couardise pose la uestion : st-
ce sans danger
L’opportunisme pose la uestion : st-ce politi ue
t la vanité les re oint et pose la uestion : st-ce populaire
ais la conscience pose la uestion : st-ce uste
e mi itant d e e africain

on o t i
0 uin 19 2 - 7 octobre 2001

Je rencontre Odile obner, femme de ongo Beti, pour mieu


comprendre ce grand écrivain camerounais, véritable génie de l’indignation.

Né le andre Biyidi- wala, ongo Beti est le nom d’écrivain u’il


s’est choisi. ongo signifie fils , et Beti est le nom de son groupe
ethni ue : fils de son peuple, de sa terre. rrivé en France en 1951, à l’ ge
de di -neuf ans, pour faire des études de lettres, il publie d s 1954 son
premier roman, ille cruelle, o il dénonce le syst me arbitraire et in uste
du colonialisme.
L’art du roman, il l’a appris d s l’enfance, lors des f tes de son village
d’ ometan, au Cameroun, o chacun à tour de r le devait raconter une
histoire.
La colonisation de son pays commence en 1472, lors ue les Portugais
débar uent dans l’estuaire ouri c’est le début de l’esclavage ui
s’intensifie avec les Néerlandais, puis les llemands venus s’établir en
1884. Ceu -ci, en raison de leur défaite de 1914-1918, perdent le
Cameroun, ui est alors divisé entre la France et le Royaume- ni.
L’art de la résistance, voilà ce ue ongo Beti a appris d s l’enfance.
L’année de sa naissance, en 19 2, des manifestations contre
l’administration coloniale sont violemment réprimées à ouala. n 1945,
alors u’il fait ses études au lycée Leclerc, à aoundé, émeutes et gr ves se
succ dent. n 1948, tandis u’il prépare son bac, Ruben m Nyobé, le
Che du Cameroun, le leader charismati ue précurseur des
indépendances en fri ue francophone, fonde l’ nion des populations du
Cameroun PC . Fasciné par cet orateur et par son propos, il fait le mur du
lycée pour aller l’écouter. Les colonialistes ne veulent pas admettre u’un
Noir soit l’égal d’un Blanc. Cette conception se manifeste dans le domaine
social, dans l’échelle des salaires, dans le traitement médical, dans le
logement, dans la ustice et hélas, à l’église. uelle est alors l’ me éprise de
liberté ui resterait insensible devant ce fait révoltant d’un étranger ui
traite les enfants de la terre comme des hommes de seconde one
La guerre d’indépendance des nationalistes de l’ PC contre
l’occupation fran aise commence d s 1951. Les sanglants événements ui
secouent le Cameroun entre 1954 et 1960 sont occultés par la communauté
internationale. L’attention du monde, et en particulier des Fran ais, est
totalement confis uée par le fracas massif des guerres ui se succ dent de
l’Indochine au aghreb , écrit ongo Beti dans epentance, un discours
prononcé le 9 uin 2001 à l’occasion du collo ue de l’ ssociation
internationale de recherche sur les crimes contre l’humanité et les génocides
ircrige .
e plus en plus indigné, il publie un deu i me roman ui fait
scandale : Le auvre C rist de om a. ongo Beti se met dans la peau de
deu gentils colonisateurs Il s’agit d’un missionnaire et d’un
administrateur colonial sinc res, de bonne volonté, dépassés par un syst me
hautement condamnable u’ils ne per oivent m me pas. Cette mise en
sc ne permet à l’auteur de porter un certain regard , sans tomber dans la
caricature. Le choc entre ces gentils et la population africaine est
effrayant, dans le roman comme dans la vie. L’année suivante, ongo Beti
publie ission terminée pri Sainte-Beuve 1958 ui, cette fois, s’atta ue
au vices dont souffre la société traditionnelle camerounaise. Puis c’est Le
oi miraculé vec sa verve et son imagination inépuisables, ongo Beti
pourrait encha ner les romans comme un feuilletoniste du I e si cle.
ais, apr s ce roman, il se tait littérairement pendant plus de di ans. La
raison tient au événements dramati ues ui alonnent le réveil africain
durant des décennies et dont on per oit encore les tremblements.
n 1959, c’est la pseudo-indépendance du Cameroun. Le Che
Ruben m Nyobé, au uel ongo Beti porte une admiration sans bornes,
est assassiné apr s de longs mois de tra ue par les troupes coloniales
fran aises, le 1 septembre 1958.
L’engagement de Ruben m Nyobé était une pure folie parce ue,
vraiment, rien ne lui permettait à l’épo ue d’espérer un succ s , dit ongo
Beti. Il est vrai ue les résistants sont souvent considérés comme des fous
ou des terroristes. Comme andela ui entre en sc ne à une épo ue
inimaginable, comme Luther ing, ou tous ces hommes ui, en 1940,
comme le général de aulle, s’imaginaient vaincre le na isme Ruben,
Lumumba, Luther ing, alcolm , andela, Beti resteront pour tou ours
des références parce u’ils n’ont amais pactisé. t ce sont eu ui, en
définitive, gagneront parce u’ils auront permis l’espoir, et inspiré les
générations futures.
pr s ce meurtre, la colonisation se perpétue au Cameroun gr ce à un
régime dictatorial. La France de e aulle fait croire ue la décolonisation
en fri ue noire est achevée et ue, si des troubles persistent encore, c’est
une affaire entre ethnies . Ce genre de désinformation se poursuit de nos
ours o les guerres d’intér ts en fri ue et elles sont nombreuses, car
l’ fri ue est riche sont présentées comme des guerres ethni ues.
Le général de aulle, bafouant au Cameroun la éclaration des droits
de l’homme du 10 décembre 1948 dont le préambule dispose ue la
reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille
humaine et de leurs droits égau et inaliénables constitue le fondement de la
liberté, de la ustice et de la pai dans le monde , envoie un corps
e péditionnaire combattre l’ PC, dont rnest Ouandié a maintenant pris la
t te. Le mot d’ordre est : ue -les tous
es villages entiers, des uartiers des villes ont été mis à feu, apr s
avoir été encerclés par la troupe, afin ue nul n’en réchappe, enfants,
vieillards, femmes enceintes, s’e clame ongo Beti dans epentance. u
napalm a été répandu d’avion sur de pauvres paysans désarmés et en fuite.
ouala, en 1960, un uartier populaire appelé ongo, connu pour
tre le repaire de militants nationalistes radicau , est encerclé par des
soldats africains sous le commandement d’officiers blancs, et incendié
tous les habitants périront, sans distinction d’ ge ni de se e. Bilan de la
répression : des milliers de morts.
rnest Ouandié tombe dans un pi ge, en 1970. Il est e écuté le 15
anvier 1971 sur la place publi ue, à Bafoussam. ongo Beti est indigné
par la mani re dont les médias rendent compte de son proc s et de celui
d’un év ue, gr Ndongmo. Il rédige aussit t ain asse sur le
Cameroun autopsie d une décolonisation, o , malgré une censure
impitoyable, il consigne les témoignages recueillis. Le livre para t
au éditions aspero en uin 1972. Il est immédiatement saisi par décret du
ministre de l’Intérieur de eorges Pompidou, Raymond arcellin.
Loin d’ tre démobilisé, ongo Beti se lance dans un proc s de uatre
ans contre l’État fran ais. u’il gagne. La presse fran aise regarde ailleurs
et n’en rend pas compte. n revanche, les persécutions administratives et
les intimidations se multiplient. Convo ué au commissariat du port de
Rouen, il se voit confis uer ses papiers. Il se retrouve sans nationalité, lui,
le professeur agrégé de littérature fran aise Nouveau proc s, u’il gagne.
t dont personne ne rend compte une fois de plus.
ne telle censure de la presse et des médias a une e plication. ain
asse sur le Cameroun lui a valu d’ tre e clu de toutes les rédactions. insi
la criti ue ignorera-t-elle ses nombreu romans. Paru en 1974, erpétue
dépeint la corruption, la dictature et la condition de la femme africaine.
emem er u en 1974 raconte les bouleversements de l’ fri ue au
moment o le mouvement indépendantiste prend de l’ampleur sous
l’impulsion de Ruben m Nyobé, La uine presque cocasse d un
polic inelle 1979 , Les eu res de uillaume sma l e atama utur
camionneur 198 , La evanc e de uillaume sma l e atama 1984 ,
rop de soleil tue l amour 1999 , ranle as en noir et lanc 2000
la suite de l’affaire ain asse sur le Cameroun, il décide de se
donner les moyens de publier ce ue personne ne veut lire. vec sa femme,
Odile obner, il fonde en 1978 la revue euples noirs euples a ricains
ui décrira inlassablement les mau infligés à l’ fri ue par les régimes
néocoloniau , et permettra au eunes intellectuels africains de s’e primer.
La revue survit dans des conditions tr s difficiles, car éditer une presse
indépendante africaine en France demande énormément d’argent. e plus,
les adversaires sont nombreu . lle est stigmatisée par les anciens cadres
coloniau , reconvertis africanistes, comme confidentielle au vitriol .
Sans doute auraient-ils préféré une revue de grande diffusion à l’eau de
rose faisant l’éloge de leurs apports .
Ces petits cadres coloniau parachutés linguistes ou ma tres
d’enseignement de la littérature africaine dissuadent leurs étudiants de lire
l’ uvre de ongo Beti. Selon eu , il faut choisir entre romancier et
militant ui écrit . ongo Beti leur répond ue, s’il écrivait des livres
d’amour pour des peuples ui souffrent, ceu -ci ne s’y identifieraient pas. Il
ne veut pas d’une peau noire, littérature rose , il ne veut pas de
complaisance dans une fri ue r vée. Pour lui, la vocation de l’écrivain
n’est pas de bénir le monde tel u’il est, mais de mettre la société mal à
l’aise , de lui fournir cette mauvaise conscience dont elle a besoin pour
progresser. Il faut provo uer l’indignation, source de vie et de liberté.
pr s trente-deu ans d’e il en France, il retourne au Cameroun en
1991. ais l’a-t-il vraiment uitté, lui, le fils de cette terre L’action,
l’imaginaire de tous ses livres se sont tou ours situés en fri ue.
Son désir est de créer une librairie à aoundé car, contrairement au
pré ugés, les fricains aiment lire, particuli rement les livres politi ues.
S’ils ne le font pas, c’est u’ils ne peuvent s’en acheter. uand il s’installe
au Cameroun, le livre est la denrée la plus rare du pays. Sa librairie
s’appellera La Librairie des Peuples noirs .
Il retourne également dans son village d’ ometan afin d’aider les
villageois à organiser des activités agricoles. Il esp re y créer les conditions
d’un développement autonome. n moins de di ans, il se fait cultivateur de
tomates, de bananes, de ma s, éleveur de porcs, e ploitant forestier ais
il ne tarde pas à découvrir ue l’esprit local et le conte te sont vicieu et
corrompus. Il se tue littéralement à tenter de faire vivre son entreprise.
Comme l’écrit mbroise om dans ongo eti parle : Il se heurte à une
population ui, à l’instar des dignitaires du régime néocolonial en place,
n’aspire u’à mener une vie de rentiers au dépens de l’ancien e ilé.
ans La rance contre l rique retour au Cameroun, u’il publie en
199 , il décrit finement la culture ambiante et l’état délabré du pays u’il a
retrouvé. Le constat est en soi une accusation des échecs de la
néocolonisation.
ans toute l’ fri ue centrale, le syst me néocolonial établi
n’encourage ue la prédation absolue. Les grandes plantations de bananes
du sud du Cameroun sont la propriété de capitau fran ais. Les villages de
ces travailleurs restent dans une mis re totale. Leur eau est polluée, ils
travaillent soi ante heures par semaine pour un salaire ui les maintient au-
dessous du seuil de pauvreté. Ils sont esclaves sur leurs propres terres dont
ils ont été spoliés au profit des capitalistes fran ais.
uant au bois, il n’est pas transformé sur place pour éviter toute plus-
value. ne industrie interne de transformation du bois ruinerait les
marchands de meubles européens. Les bénéfices vont à des multinationales
étrang res, ui ne payent pas d’imp ts. Sans compter le pétrole Comme le
disait Lo Le Floch-Prigent, ancien P- d’ lf, s’il y a des dictatures c’est
ue la fourniture du pétrole ne tol re aucune incertitude
t sur cette mis re veillent les instances mondiales et financi res. ans
La rande ésillusion en 2002, Joseph . Stiglit , pri Nobel d’économie,
e pli ue comment la politi ue de la Ban ue mondiale et surtout celle du
Fonds monétaire international F I favorisent l’oppression ui sert les
intér ts d’un certain nombre de pays dominants. Le F I est tou ours
dirigé par un uropéen, la Ban ue mondiale par un méricain. Les
dirigeants sont choisis à huis clos, et l’on n’a amais ugé nécessaire de leur
demander la moindre e périence préalable du monde en développement.
L’un des pires obstacles au uels se heurtent les pays en voie de
développement réside dans les politi ues actuelles du F I.
On pourra tou ours aider au développement , ou faire semblant.
outes les aides cumulées l’argent des aides de l’État, des ON et des
immigrés sont si fois moins importantes ue les capitau ui sont volés à
l’ fri ue par les multinationales.
Par voie de consé uence et malgré ses richesses humaines, vivri res et
mini res, mécani uement l’ fri ue s’appauvrit. Ce n’est pas une destinée
mauvaise ui aurait programmé la pauvreté des fricains, ni un man ue de
maturité emp chant l’ fri ue de s’ouvrir à la démocratie, c’est un
syst me d’e ploitation forcené mis en place et maintenu par le F I.
Savons-nous u’un marché réellement é uitable supposerait une
chute de notre niveau de vie en Occident, une décroissance pour un certain
nombre de pays développés ccepterions-nous un transfert des richesses
et une égalisation des niveau de vie L’Occident, corrompu par la
consommation à outrance, a-t-il un intér t capital à ce ue l’ fri ue reste
dans sa mis re
Je suis tou ours surpris ue certains pays, dont le n tre, parlent de
démocratie alors u’elle n’est prati uée par aucune des institutions
internationales ui gouvernent la plan te : une répartition iné uitable des
uote-parts et des voi attribuées au pays membres du F I et de la
Ban ue mondiale un Conseil de sécurité ui se compose de cin membres
permanents, institué au sortir de la Seconde uerre mondiale : Chine, États-
nis, Fédération de Russie, France et Royaume- ni, et di membres non
permanents. Or seuls ces cin pays ont un droit de veto. C’est la r gle de
l’ unanimité des grandes puissances.
oute l’ uvre de ongo Beti crie cette douleur, cette in ustice et cette
mis re imposée. Ses espoirs ont beau se porter sur le r le de la presse, ici
encore la lutte est terrible. Pius N awé, fondateur et directeur du essager,
à ouala, l’homme ui a créé le premier ournal non gouvernemental au
Cameroun, a été emprisonné une di aine de fois, notamment à la fin des
années 1990.
Les di derni res années de ongo Beti en fri ue sont un martyre. Il
avait idéalisé le désir d’émancipation de la population, il avait idéalisé la
volonté d’indépendance des ournalistes, et il s’est aper u combien ses
compatriotes composaient, louvoyaient. Il leur en a terriblement voulu.
uel ues mois avant sa mort, il pronon ait ces mots : Pour assainir
définitivement la relation fri ue-France, et prévenir massacres et autres
génocides, il convient surtout de libérer les acteurs des médias fran ais de
toutes les inhibitions, psychologi ues, politi ues et culturelles ui les ont
paralysés us u’ici. Comme ailleurs, dans les pays développés et réellement
démocrati ues, il faudra bien ue vienne le our o un ournaliste fran ais
parlera ob ectivement de l’ fri ue, m me si les faits contredisent son
idéologie.
ongo Beti meurt le 7 octobre 2001.
Le gouvernement du Cameroun veut l’ honorer publi uement.
Fid le à sa mémoire, sa famille refuse publi uement.
« e i er-ra ide e me at a ec mon cer ea »

o d i
Né le 17 anvier 1942

ans cent ans, ils diront


ue ’étais blanc c’est ce u’ils
ont fait à Jésus.

ohamed li

Cassius Clay, né à Louisville en 1942, porte le nom d’un général blanc,


Cassius arcellus Clay. Sportif e ceptionnel, il gagne à l’ ge de di -huit
ans la médaille d’or des poids mi-lourds au Jeu olympi ues de Rome, en
1960.

n 1962, Clay re oint la Nation de l’Islam, et change son nom


en Cassius , parce ue la lettre symbolise son identité africaine perdue.
C’est aussi un hommage à alcolm ui le soutient avant son combat
contre Sonny Liston nsuite, il re oit le nom de uhammad li de la
part d’ li ah uhammad, chef des Blac uslims. Le changement de
mon nom est l’une des principales décisions ue ’ai prises dans ma vie, dit-
il. Ce changement m’a affranchi de l’identité ui avait été donnée à ma
famille par les ma tres des esclaves. Cette réfle ion ne va pas apaiser
l’ méricain moyen.
Si ’avais changé Cassius Clay en Smith ou en Jones, déclare-t-il,
personne ne se serait plaint.
Passé professionnel en 196 , il est le bo eur de l’année , et c’est
naturellement u’il devient l’adversaire du champion du monde Sonny
Liston, réputé invincible, en 1964. la surprise générale, il le domine en
si rounds et hurle à ui veut l’entendre : Je suis un Noir, e suis l’homme
le plus fort du monde, e ne crois pas à l’intégration forcée. t pour uoi les
Noirs n’auraient-ils pas le droit de dire u’ils sont les plus grands et les plus
forts et les plus beau Les Blancs, eu , l’affirment tous les ours. n
méri ue, tout est blanc. Le Président est blanc, l’administrateur est blanc,
le shérif est blanc, m me le cirage est blanc, ieu est blanc, ar an est
blanc, Superman aussi, la voi céleste est blanche et les femmes se marient
en blanc. Pourtant, en méri ue, 10 des hommes sont noirs. Ils font la
gloire des États- nis en sport, en musi ue, dans le chant, dans la danse.
uoi cela sert-il puis ue aucun Noir n’a de responsabilité dans les rouages
de la nation On n’a pas à s’e cuser d’ tre noir, on n’a pas à avoir l’air
conciliant, on n’a pas à demander pitié au Blancs. u contraire, il faut
revendi uer sa condition d’homme noir.
u 25 février 1964 au 20 uin 1967, ohamed li domine la catégorie
des lourds, puis commencent les probl mes udiciaires. Il refuse
l’incorporation dans l’armée américaine engagée dans la guerre du ietnam
et devient ob ecteur de conscience, déclarant u’il n’a rien contre le
ietcong et u’ aucun ietnamien ne m’a amais traité de N gre .
Le 8 mai 1967, il passe en ustice. Le 20 uin, il est condamné à une
amende de di mille dollars et à cin ans d’emprisonnement.
On le prive de sa licence et il doit renoncer à son titre, ue Joe Fra ier
récup re au dépens de Jimmy llis. Finalement, en 1971, la Cour supr me
lui reconna t le droit de refuser le service militaire. Il peut reprendre sa
carri re. éterminé à regagner son titre, il combat Joe Fra ier et subit sa
premi re défaite. Il multiplie alors les combats contre les meilleurs bo eurs
américains pour revenir à son plus haut niveau. Il lui reste une t te à faire
tomber : Joe Fra ier. an ue de chance : le 22 anvier 197 , Joe Fra ier est
littéralement détruit par eorge Foreman.
Il a maintenant deu adversaires à battre, au lieu d’un, pour reprendre
son titre. Or, le 1 mars de la m me année, le bo eur en Norton lui brise
la m choire. t de trois li choisit d’affronter ces trois bo eurs par ordre
de grandeur : Norton, puis Fra ier, et enfin l’imbattable eorge Foreman.
yant uitté l’école d s l’ ge de di ans, li man ue d’instruction,
mais poss de un sens inné du spectacle et une réelle intelligence. La bo e
est pour lui une tribune d’o il crie sa révolte. Il déclame des po mes
prédisant à uelle reprise il mettra son adversaire O. Il annonce ses
prochains combats à la presse dans un style tr s personnel : aintenant e
suis un pro. J’ai eu la m choire cassée, ’ai été mis O, e suis un dur. J’ai
coupé des arbres, ’ai fait uel ue chose de nouveau. Je me suis battu contre
un alligator J’ai lutté contre une baleine. J’ai attrapé un éclair,
emprisonné la foudre, blessé une pierre, envoyé une bri ue à l’hosto ier
soir, ’ai éteint la lumi re, ’étais au lit avant u’il fasse noir. Foreman, toi et
les autres, vous alle vous incliner devant moi
li bat Norton au points, puis Fra ier Reste le fameu eorge
Foreman. Le physi ue de cet homme est impressionnant. La presse est
unanime : il ne peut pas tre vaincu par li. n miracle est possible, dit-
on, mais pas contre Foreman, invaincu en uarante combats, dont trente-
sept par O li va prendre sa retraite apr s ce combat.
La légende veut ue tout bo eur, si fort et si grand soit-il, semble
rétrécir face à Foreman. Chacun de ses coups fait décoller son entra neur
ui tient le punching-ball.
ais li rép te à ui veut l’entendre : Je suis hyper-rapide Je me
bats avec mon cerveau. Je suis un scientifi ue. n artiste J’ai une
stratégie Il est comme un taureau, moi e suis le matador Comment
Foreman va m’approcher Je vais danser Il aura l’air idiot à me
chercher.
n 1974, on ing, son manager, organise à inshasa, au a re
devenu républi ue démocrati ue du Congo en 1997 , son combat contre
eorge Foreman. s son arrivée, li annonce la couleur : Je suis en
fri ue. L’ fri ue, c’est che moi. u diable l’ méri ue et ses valeurs. J’y
habite, mais les Noirs viennent d’ fri ue. pr s uatre cents ans
d’esclavage, e rentre che moi me battre avec mes fr res. Il court le long
du fleuve Congo, poursuivi par des gamins en liesse en criant : Foreman,
tu es trop laid u ne représentes pas les gens de couleur. Les fricains
sont beau , eu t il lance : li oma e , ce ui signifie : li,
tue-le
Foreman se présente à inshasa accompagné d’un berger allemand, un
de ces chiens ue les colons belges l chaient sur les Noirs Pour tous,
Foreman représente l’ méri ue, le Noir à mas ue blanc. li, c’est le a re,
l’ fri ue. li est le n g’marron . Il sait parler au Noirs. Il leur rend leur
dignité.
Il multiplie les déclarations : J’ai beaucoup à faire dans les uartiers
noirs. Les Noirs ignorent ui ils sont. entalement ils ressemblent au
Blancs. Les Blancs nous ont tellement fa onnés à leur image ue nous ne
savons plus ui nous sommes. Il faut leur apprendre ui ils sont, leur
histoire, leur langue, à se prendre en charge. Il faut faire les choses sans
mendier l’aide des Blancs.
Il enfonce le clou : Je vais me battre pour aider mes fr res ui
dorment sur le béton au États- nis. Les Noirs assistés ui ont faim, les
Noirs ui ignorent leur histoire, ui n’ont aucun avenir. vec mon titre,
’irai dans les rues avec les ivrognes, les drogués, les prostituées. Je
donnerai du courage à mon peuple, à Louisville, à Indianapolis, à
Cincinnati
Comme il parle également de faire construire un h pital, Foreman, ui
ne man ue pas d’humour, remar ue tran uillement : Il pense dé à avoir
besoin d’un h pital
Le match se prépare dans une ambiance à la ladiator. Les photos de
obutu Sese Se o, le sanguinaire dictateur du a re celui ui a fait tuer
l’une de mes étoiles, Patrice Lumumba , accrochées partout, vous suivent
des yeu . Sous le stade de cent mille personnes il y a une prison, o sont
enfermés deu mille opposants, délin uants et criminels. On prétend ue
obutu en aurait fait e écuter cent au hasard.
Le 0 octobre, le match commence à 4 heures du matin au a re, afin
d’ tre diffusé à une heure raisonnable sur les écrans américains.
L’écrivain Norman ailer relate une sc ne peu ordinaire. vant le
combat, dans le vestiaire d’ li, tout le monde est abattu. Ses amis sont s rs
u’avec sa fierté il ne voudra amais abandonner et u’il se fera massacrer.
On croirait voir la C ne, le dernier repas du Christ. Soudain li les
interroge : Pour uoi tes-vous tous si tristes
Comme personne ne lui répond, il s’écrie : Je vais danser ce soir
u’est-ce ue e fais ce soir
u vas danser.
Oui, e vais danser et il ne va rien comprendre Je vais danser,
danser
t ils se mettent à pleurer.
Sit t sur le ring, li fait crier au public : li oma e On entend
la cloche. C’est parti.
li traverse le ring, se balance de gauche à droite. Foreman l’observe.
li lance un léger coup droit sur le front de Foreman ui, prudent, arme son
crochet du gauche. Foreman le coince. li re oit un uppercut gauche. Il
tente de s’accrocher à la t te de Foreman, puis réussit à lui lancer une droite
ui l’étourdit. ais Foreman ne tombe pas. u contraire, il se décha ne. li
encaisse deu coups à la t te, puis un coup droit tr s puissant uste sous le
c ur. Foreman le punit.
La cloche retentit. Le cauchemar u’ li redoutait prend forme.
Foreman est plus fort, il n’a pas peur. lors li se reprend et crie à la foule :
li oma e Cent mille personnes lui font écho : li oma e
eu i me round lors ue tout le monde s’attend à voir li danser,
il bo e dos au cordes On attendait le papillon et l’on voit un escargot se
réfugiant dans les cordes, sur les uelles il s’assoit, les deu coudes
protégeant l’estomac et le foie, les gants protégeant la t te , écrit le is
Philonen o.
n ournaliste le compare à un homme penché à sa fen tre pour voir
s’il y a uel ue chose sur le toit . Il ne para t pas se défendre et semble pr t
à céder. Les cordes, c’est pres ue le sol pour un bo eur. cet instant,
beaucoup croient le match tru ué
Pendant deu rounds encore, li ne uitte pas les cordes. e temps en
temps, il profite ue leurs corps soient rapprochés pour dire à Foreman ui
le roue de coups et le fait valser comme s’il était en haut d’un m t :
eorge, tu me dé ois. Je pensais ue tu tapais plus fort. Je ne sens rien.
Foreman, enragé, frappe et refrappe, au ris ue de se démettre l’épaule.
u milieu du cin ui me round, il est épuisé. C’est alors u’ li place
une combinaison et réussit un crochet ui fait reculer Foreman
u si i me round, Foreman lance un formidable direct ui man ue sa
cible. Il trébuche dans les cordes ui lui coupent la respiration.
Passe le septi me round, et arrive le huiti me. ncore trente
secondes li lance une droite. ne autre ui passe par-dessus l’épaule de
Foreman et soudain la bonne combinaison Foreman s’écroule.
eu trois uatre cin , compte l’arbitre. huit, Foreman
tente de se relever. Neuf di rop tard
C’est fini, ohamed li a gagné par O
li disputera encore vingt-deu combats. n 1976, à anille, il
remporte une nouvelle victoire contre Joe Fra ier Puis il perd son titre, le
regagne. nfin, dans les années 1980, son corps le trahit. On diagnosti ue
une maladie de Par inson. Le champion ne dissimule pas son état, il le
montre au grand our. Il ne s’apitoie pas sur son sort, il combat pour
survivre à son corps, comme il a combattu pour convaincre les Noirs de
surmonter leur comple e d’infériorité. n 1996, malgré sa maladie, il fut le
porteur de la flamme dans le stade des Jeu olympi ues d’ tlanta. Son pays
lui rendait ainsi un vibrant hommage. Il a obligé la société américaine à se
uestionner sur le racisme anti-Noirs, il a fait de son poids médiati ue une
force politi ue. Si la notoriété a un sens, c’est celui-là.
e i i o a re e er e gant

o i it
Né le 6 uin 1944

Le 16 octobre 1968, ommie Smith et John Carlos s’approchent du


podium du stade de e ico o ils doivent recevoir leurs médailles
olympi ues du 200 m tres. Ils tiennent leurs chaussures à la main derri re
leur dos et marchent en chaussettes noires, symbole de la pauvreté des
Noirs, sur la pelouse du stade.
ommie Smith mar ue un temps d’arr t puis monte sur la plus haute
marche, celle de l’or, et l ve les bras en l’air sous les ovations du public. e
sa main gauche, il tient encore sa chaussure blanche, un gant noir recouvre
son poing droit. Puis il se penche afin de recevoir sa médaille, serre la main
de l’officiel et se redresse. Peter Norman se penche à son tour pour recevoir
sa médaille d’argent, puis John Carlos, le bron e. On entend alors :
Premier et champion olympi ue : ommie Smith, États- nis, 19 secondes
8 di i mes. Les e clamations enthousiastes de la foule redoublent.
e tar pangled anner, l’hymne national américain, s’él ve
Oh, dites-moi, pouve -vous voir dans les lueurs de l’aube
ce moment, ommie Smith et John Carlos brandissent leur poing
ganté et baissent la t te. Smith porte un foulard autour du cou, Carlos un
collier, référence au lynchage des Noirs.
t la banni re étoilée dans son triomphe flottera.
n signe de soutien, Peter Norman, l’athl te blanc, porte un badge de
l’OP R Pro et olympi ue pour les droits de l’homme . Carlos et Smith
partagent la m me paire de gants.
Sur la terre de la Liberté et la patrie des braves.
ans la foule, on commence à percevoir les huées. ne odeur de
lynchage. Sale N gre, tu vas mourir demain à 14 heures hurle un
spectateur au comble de la haine.

ue pense ommie Smith à cet instant u premi res années de sa


vie, sans doute. Il se revoit travailler dans les champs du e as avec son
p re, au lever du soleil. Il arrive à l’école à 8 heures du matin, en sort à
16 heures, puis il retravaille dans les champs us u’à la nuit. Le salaire est
une mis re, assorti du mépris des Blancs.
Il pense à ses années de petit gar on. u dois tre fier d’ tre
américain, lui dit-on, parce ue l’ méri ue est le meilleur pays sur cette
terre. Il s’assied dans un coin et regarde les Blancs vivre à l’aise. t il se
sent perdu Lui et son p re sont considérés comme des sous-hommes,
mais puis u’il ne conna t rien d’autre, il croit u’il est normal, ce mépris.
Fier d’ tre sur ce podium Bien s r. Il a tellement travaillé pour y
parvenir Les souvenirs lui reviennent : il a uitté les champs pour
l’université d’État de San José à la fin de sa derni re année de lycée et,
pendant trois ans, n’a rien fait ue lire et étudier. nfin, il comprend bien
des choses au uelles un bon N gre n’aurait amais d avoir acc s. La
culture, l’éducation, le savoir l’ont rendu libre et lui ont permis de uger le
monde dans le uel il vit.
Comme il est grand et fort 1,88 m tre , il est recruté dans l’é uipe
d’athlétisme et s’entra ne avec acharnement. Il pulvérise en 1966 le record
du monde du 220 yards, puis le relais 4 400 m tres avec l’é uipe
nationale américaine. u total, durant ses études universitaires, il égale ou
dépasse trei e records mondiau Non seulement il est considéré comme le
meilleur athl te de bas et-ball et d’athlétisme pendant trois années de suite,
mais il couronne le tout d’une ma trise en sociologie : un esprit sain dans un
corps sain.
n 1967, il est l’un des fondateurs, tou ours à San José, du Pro et
olympi ue pour les droits de l’homme Olympic Pro ect for uman Rights
contre les discriminations au États- nis, en fri ue du Sud et dans le
monde entier. Il n’hésite pas à parcourir les États- nis pour sensibiliser la
population au probl me des droits civi ues et humains. Pour la premi re
fois dans l’ istoire, de eunes athl tes noirs se mobilisent autour d’une
cause commune.
ans leur grande ma orité, les Blancs réagissent par la col re. u
Jeu olympi ues de 1968, ommie Smith et John Carlos descendent du
podium sous les vociférations. u’un Noir baisse la t te pendant l’hymne
américain et ose lever le poing, uelle folie Il faut savoir à uel peuple on
a affaire : uarante ans plus tard, lors ue Barac Obama, au cours de sa
campagne présidentielle, oublie un our de mettre la main sur son c ur, tout
le monde le remar ue. C’est dire
Il y a encore une minute, ommie Smith avait en poche un contrat en
or pour entrer dans un super-club de football américain. n uittant le stade,
il sait u’il a tout perdu. out, sauf le respect de lui-m me, la fierté d’avoir
ouvert les yeu des Noirs et dénoncé le racisme.
On lui reprend ses médailles. Il aura donc tout sacrifié, sa vie m me
peut- tre. Il ris ue de ne amais revenir vivant sur le sol américain, il ne
l’ignore pas.
ais si, avec d’autres, nous ne nous étions pas battus, uelle vie
aurais- e vécue demande-t-il. on p re n’avait pas le droit de regarder un
homme blanc dans les yeu . Je ne pouvais pas tolérer a. Je voulais léguer
uel ue chose, un symbole visuel au peuples noir et blanc, c’était un
besoin ue e ressentais tr s profondément.
t dire ue nous aurions pu avoir, ce our-là, trois athl tes noirs sur le
podium me rappelle l’historien Pascal Blanchard. Roger Bambuc , le
grand sprinter fran ais, s’était engagé à lever le poing lui aussi s’il montait
sur le podium. élas il a terminé à la cin ui me place. uelle ampleur
aurait pris le geste symboli ue de e ico Noirs d’ urope et d’ méri ue
poing levé ne diaspora ui aurait parlé d’une seule voi
On a ualifié ommie Smith de rebelle . On en a dit autant de Rosa
Par s, de Luther ing, de arcus arvey, de alcolm , de andhi. Ce ne
sont pourtant ue des individus ui, à un moment donné, obligent les
femmes et les hommes à se uestionner. Le monde sportif punit souvent ce
type d’actions au lieu de les accompagner. Le président du Comité
international olympi ue, very Brundage, ordonne ue Smith et Carlos
soient suspendus de l’é uipe américaine et e clus du village olympi ue.
gissant ainsi, very Brundage respectait un certain esprit olympi ue .
La fameuse phrase : L’important est de participer , u’on attribue
généralement au baron Pierre de Coubertin, est valable pour tout le monde
sauf pour les N gres. u reste, monsieur le baron s’indignait de cette
théorie de l’égalité des droits pour toutes les races humaines ui conduit
à une ligne politi ue contraire à tout progr s colonial. Sans naturellement
s’abaisser à l’esclavage ou m me à une forme adoucie du servage, la race
supérieure a parfaitement raison de refuser à la race inférieure certains
privil ges de la vie civilisée e evie o t e evie s avril 1901 .
Ce n’est pas le souci de ustice ui fait évoluer les mentalités. Si les
Noirs ont le droit de participer au Jeu olympi ues de Paris pour la
premi re fois en 1924, c’est ue les Japonais veulent en tre. n acceptant
ces derniers, on est obligé d’accepter aussi les Noirs. Certes, des ournau
sportifs comme iroir des sports s’insurgent : Il faudrait des épreuves
séparées . C’est in uste pour les Blancs ui, eu , courent dans l’esprit
olympi ue ais les politi ues fran ais ont compris u’ils avaient toutes
chances de récolter des médailles gr ce à leurs Noirs .
Berlin 19 6. Les na is sont au pouvoir, la race aryenne est
glorifiée. Le Blanc de Blanc est s r de dominer tout le monde. ais ui
rafle les médailles d’or du 100 m tres, du 200 m tres, du 4 100 m tres et
du saut en longueur au Stade olympi ue Jesse Owens. n Noir. Scandale
à l’épo ue o , rappelons-le, les performances des Noirs étaient réputées
inférieures.
u’au ourd’hui on accorde au Noirs de meilleures aptitudes sportives
ue celles des Blancs rel ve du pré ugé racial le plus commun.
n our, un élu me demande comment ’envisage ma carri re apr s le
foot. Je lui réponds ue e pense à une activité portant sur l’éducation contre
le racisme. J’aimerais aller dans les écoles, donner au eunes une grille de
lecture pour comprendre le phénom ne du racisme, leur poser des
uestions, les conduire à entendre ce u’ils disent.
uel genre de uestions leur poserie -vous me demande le député.
Par e emple : n uoi les Noirs sont forts
n sport, évidemment me répond-il spontanément.
ous voule dire en natation, en patinage artisti ue, en s i
Non, en course. n sprint, par e emple. ans les finales, il n’y a ue
des Noirs.
h bon C’est parce u’ils sont noirs u’ils courent si vite
Oui, gr ce à leur morphologie Regarde les Jama cains. Ils ont
raflé les médailles d’or au JO de Pé in, les femmes aussi, d’ailleurs.
ans les grandes écoles, il y a une écrasante ma orité de Blancs.
oit-on en déduire ue les Blancs sont plus intelligents ue les Noirs Le
raisonnement me para t logi ue
Il bafouille, s’emm le, il est en grande difficulté. Il n’a amais cherché
à savoir pour uoi ce sont des Jama cains ui ont gagné au Jeu et non des
Camerounais ou des Sénégalais. ous les marron foncé étaient
soudainement devenus des Jama cains. h bien, s’il avait un peu approfondi
son su et, il aurait appris u’à la Jama ue, depuis plusieurs années, le
gouvernement encourage tr s fortement la prati ue de l’athlétisme d s le
plus eune ge dans les écoles.

L’année 2004, en France, à Saint-Ouen, est inauguré un gymnase


portant le nom de ommie Smith. n 2005, à l’université de San José, une
statue le représente sur un podium avec John Carlos. la place o se tenait
Peter Norman, médaille d’argent, une pla ue propose au passant de
l’occuper pour soutenir leur cause.
n ao t 2008, lors des Jeu olympi ues de Pé in, ommie Smith offre
en cadeau d’anniversaire au sprinter ama cain sain Bolt, triple médaillé,
une des chaussures u’il portait au Jeu olympi ues de 1968.
e di mi e o r de ri on a r idence

oi on nd
Né le 18 uillet 1918

J’ai rencontré Nelson andela en 1999, à Johannesburg, à l’occasion


d’un match amical organisé apr s la Coupe du monde. Je me souviens u’à
l’h tel o nous étions descendus certains ne voulaient pas croire ue nous
étions l’é uipe de France, simplement parce u’une grande ma orité d’entre
nous étaient noirs. Il faut se rappeler ue le peuple sud-africain a connu la
colonisation depuis 18 8, année o l’empereur oulou ingane fut battu à
Blood River par les Boers puis, du début du e si cle us u’en 199 , la
ségrégation raciale et l’apartheid, cette politi ue de développement séparé
des populations selon des crit res raciau ou ethni ues.

Rolihlahla andela est né à la fin de la Premi re uerre mondiale, le


18 uillet 1918, dans le village de ve o, au rans ei Cap-Oriental . Il est
issu de la famille royale des hembus. Son p re est conseiller du roi. Son
prénom combien prémonitoire signifie Celui ui crée des
probl mes . L’école anglaise de ealdtown lui en imposera un plus
classi ue, Nelson.
Son p re meurt lors u’il a neuf ans. Il est alors confié par sa m re au
régent du peuple thembu ui l’envoie faire des études dans les seules écoles
ouvertes au Noirs, études u’il réussit brillamment.
n anvier 19 4, Nelson a sei e ans et se soumet au rituel d’initiation
de son peuple. Comme le veut la coutume, la circoncision fait des eunes
hommes libres et fiers. n principe car la réalité est bien différente. La
crudité du discours prononcé par un chef, pour cl turer la cérémonie, le
glace et cho ue Nelson : oici nos fils, eunes, robustes et beau , l’orgueil
de notre nation. Nous venons de les circoncire dans un rituel ui leur
promet de devenir des adultes, mais e suis ici pour vous dire u’il s’agit
d’une promesse vide et illusoire. ous ire dans les villes o vous vivre
dans des taudis parce ue nous n’aurons pas de terre à vous donner sur
la uelle vous pourrie prospérer et vous multiplier. ous crachere vos
poumons au fond des entrailles des mines de l’homme blanc pour ue
l’homme blanc puisse mener une vie de richesse sans pareille. Parmi vous,
il y a des chefs ui ne dirigeront amais parce u’ils n’auront pas le pouvoir
de gouverner des él ves ui n’étudieront amais
Ces paroles s ment dans l’esprit du eune andela une graine ui n’en
finira plus de germer. ésormais, il ne pense u’à la liberté, non seulement
pour lui-m me, mais aussi pour les autres, puis ue la libération ne pourra
u’ tre collective.
andela int gre trois ans plus tard le lycée de Fort Beaufort, puis
l’université de Fort are, uni ue centre d’enseignement accessible au
Noirs d’ fri ue du Sud. C’est là u’il rencontre Oliver ambo, ui
présidera plus tard l’ frican National Congress NC en e il. Ce Congr s
national africain, depuis sa création en 1912 par des chefs de tribus et des
intellectuels, réclamait des mesures en faveur du peuple africain opprimé.
La rencontre de ambo et d’autres membres du mouvement est décisive.
s lors, andela s’engage. Élu membre du conseil représentatif des
étudiants, il organise la résistance à l’administration blanche, ce ui lui vaut
rapidement d’ tre e clu de l’université.
Il rentre che lui : le régent veut lui imposer un mariage arrangé.
andela s’enfuit à Johannesburg o un agent immobilier, alter Sisulu, ui
sera également plus tard un membre éminent de la lutte contre l’apartheid,
le fait engager dans un des rares cabinets d’avocats e empts de
discrimination. andela y rencontre des membres du parti communiste sud-
africain, en lutte eu aussi contre l’apartheid, ui tentent de le convertir à
leur doctrine. ais réduire le probl me de l’ fri ue du Sud à la seule lutte
des classes serait gravement négliger le facteur racial. Comment oublier ue
pres ue toutes les lois oppressives votées depuis 191 ont une couleur
191 , le Land ct prive les Noirs de 87 de leur territoire l’ rban
reas ct crée des bidonvilles afin de fournir une main-d’ uvre bon
marché au Blancs.
1926, le Color Bar ct interdit les emplois ualifiés au Noirs.
19 6, le Representation of Natives ct enl ve les Noirs de la province
du Cap de la liste électorale principale pour les inscrire sur une listé
séparée. Leurs votes serviront à envoyer trois députés blancs au
Parlement.
vec alter Sisulu, Oliver ambo et nton Lembede, Nelson andela
fonde en 1944 la Ligue de la eunesse de l’ NC, dont les mots d’ordre
sont : nationalisme africain, création d’une nation composée des différentes
tribus, renversement de la suprématie blanche et démocratie.
uatre ans plus tard, les élections de 1948 mar uent une nouvelle
étape dans l’histoire de l’ fri ue du Sud. Contre toute attente, le Parti
national afri aner remporte les élections, alors u’il a ouvertement soutenu
les na is pendant la Seconde uerre mondiale. Son cri de ralliement, son
credo, est : apart eid, ce ui signifie séparation et son pro et, rien de
moins ue de codifier en lois et r glements les usages ui oppriment les
gens de couleur depuis le début du si cle. n syst me diaboli ue dans le
détail, inéluctable dans son ob ectif et écrasant dans son pouvoir . La
légalisation des interdits leur donne une rigidité et un e trémisme
nouveau .
Le our de 1999 o ’ai serré la main de andela, ’aurais aimé u’il
m’e pli ue comment l’apartheid a été possible, cent ans apr s l’abolition de
l’esclavage en France et trois ans apr s la fin de la Seconde uerre
mondiale. Je n’arrive tou ours pas à comprendre ue des pays occidentau ,
ui avaient vaincu le na isme, aient pu soutenir l’ fri ue du Sud raciste et
n’aient pas plus activement réagi à ces lois de 1948 Comment le syst me
de l’apartheid, en contradiction totale avec les principes des Nations unies,
a pu ouir d’une telle complaisance de la part des États occidentau , ue
ce soit la France et ses droits de l’homme , la Confédération helvéti ue et
sa Croi -Rouge , l’ ngleterre et ses grands principes , les États- nis
us u’à Isra l
ans les semaines ui suivent l’élection du Parti afri aner, le
gouvernement interdit les relations se uelles entre Blancs et non-
Blancs , classe les fricains par ethnie et couleur, et crée des ones
urbaines séparées pour cha ue groupe racial.
Face à une telle machinerie, l’ NC élargit au ma imum son soutien.
lle demande à deu cents organisations blanches, noires, indiennes,
métisses opposées à l’apartheid de se oindre à elle. L’ NC se transforme
en une organisation de masse dont l’ob ectif premier est de mettre sur
pied une vaste campagne de mobilisation. u programme : des actions non
violentes sortant du cadre de la loi. Le temps du légalisme est fini. Face au
mesures bafouant les droits de l’homme, l’ NC appelle à la désobéissance
civile, à la non-coopération, au boycotts et à la gr ve.
Sourd à ces appels, le Parti national afri aner répond par une nouvelle
loi ui interdit toute activité communiste , toute réunion commune. n
clair, toute protestation contre l’État est ugée criminelle.
Le 26 uin 1952 débute une série d’actions de masse, non violentes,
ue l’on a appelées la Campagne de défi. Le programme est suivi avec un
enthousiasme, un courage et un sens de l’ istoire ui ne sont pas sans
rappeler les manifestations organisées par artin Luther ing dans les
m mes années. s le matin du 26 uin, trente-deu militants pén trent dans
une gare de chemin de fer par l’entrée réservée au Blancs. Ils sont aussit t
arr tés. urant leur voyage vers la prison, ils chantent des hymnes à la
liberté. ’immenses manifestations de solidarité se déclenchent aussit t.
ne telle cohésion in ui te fortement le gouvernement ui a ustement
instauré l’apartheid pour diviser les couleurs. uit mille cin cents
participants sont emprisonnés, et la répression se durcit.
andela est arr té le 0 uillet 1952, avec vingt autres membres de
l’ NC. Ils sont condamnés à neuf mois de travau forcés, mais la sentence
reste suspendue pendant deu ans car les uges, pourtant pointilleu et
légalistes, ont ugé leur stratégie calme et évitant toute forme de
violence .
n 1955, l’ NC prépare la rédaction de la Charte de la liberté. es
uestionnaires sont e pédiés dans tout le pays :
i vous pouvie aire des lois que erie vous
Comment vous prendrie vous pour aire de l rique du ud un
endroit o tout le monde pourrait vivre eureu
Les milliers de réponses sont discutées, synthétisées. Le 26 uin, la
Charte de la liberté est approuvée dans l’enthousiasme et restera un phare
tout au long de la lutte de libération. Ce ue la Charte envisage, c’est une
modification radicale des structures politi ues et économi ues du pays. lle
insiste particuli rement sur la condition sine qua non du changement : la
destruction de l’apartheid ui est l’ incarnation de l’in ustice .
Les responsables d’une telle revendication ne peuvent rester libres
longtemps. Le 5 décembre 1956, andela et la pres ue totalité de la
direction de l’ NC sont de nouveau arr tés, accusés cette fois de haute
trahison . Le procureur entend démontrer ue, avec l’aide de pays
étrangers, l’ NC tente de renverser le gouvernement en place par la
violence et d’imposer un État communiste à l’ fri ue du Sud . me
infondée, l’accusation présente l’intér t de freiner le soutien ue les autres
pays pourraient porter à l’ NC, car nous sommes en pleine guerre froide et
r gne en Occident la psychose du communisme.
Pourtant, apr s uatre années de travail sur les dossiers, des milliers de
pages de rapports, l’accusation baisse les bras et les uges, tou ours aussi
légalistes, rela ent les cent cin uante-cin accusés. Ce verdict met en rage
le gouvernement ui décide de durcir son action. On nommera désormais
des uges au ordres et on se dispensera des subtilités uridi ues ui
prot gent les opposants.
Cette montée en violence, ce mépris de la loi dont fait preuve le Parti
national afri aner vont mener à la remise en cause internationale de ce
régime. é à, uel ues mois avant le verdict rela ant les membres de
l’ NC, a éclaté la tragédie de Sharpeville, au sud de Johannesburg. Le 21
mars 1960, soi ante-neuf manifestants sont morts et uatre cents femmes et
enfants ont été blessés alors u’ils manifestaient pacifi uement. Les
policiers ont tiré sans sommation dans la foule. L’opinion internationale
s’en est émue, des protestations ont fusé du monde entier, la Bourse de
Johannesburg a chuté, les capitau ont commencé à uitter le pays
L’état d’urgence est proclamé. ise hors la loi, l’ NC refuse de se
soumettre et entre dans la clandestinité.
Comment se représenter ce ue signifie la clandestinité pour un Noir
ui subit depuis sa naissance le régime de l’apartheid La clandestinité, on
peut le dire, constitue sa vie ordinaire, lui dont l’e istence oscille depuis
l’enfance entre légalité et illégalité. peine sait-il parler u’il conna t les
r gles de l’autodéfense uotidienne. Il sait tr s vite u’il n’est amais à sa
place . Il sait u’il a une vie à part, une vie o il se trouve constamment
pris au pi ge, re eté du monde, obligé de mentir pour cacher ses sentiments,
condamné à ouer l’innocence, à se taire, tou ours muet de rage, tou ours
obligé de contr ler ses impulsions et ses paroles. Ne amais accorder sa
confiance à personne, tou ours tre au aguets n somme, une vie de
clandestin.
pr s l’interdiction de son e istence légale, l’ NC, acculée dans ses
modes d’action et contrainte d’abandonner la stratégie non-violente, réagit
en fondant un réseau armé, m onto e i e, Fer de lance de la
nation . Le manifeste du 16 décembre 1961 e pli ue à la population ce
changement de conduite : n moment arrive dans la vie d’une nation o il
ne reste plus u’une alternative : se soumettre ou combattre. Nous n’avons
pas d’autre possibilité ue de riposter par tous les moyens en notre pouvoir,
afin de défendre notre peuple, notre avenir et notre liberté.
Évidemment, cette décision fournit des atouts au gouvernement
oppresseur : en 1962, andela est arr té pour incitation à la gr ve et pour
avoir uitté l’ fri ue du Sud sans passeport. Son proc s a lieu d’octobre à
novembre 1962, à Pretoria. Il tente d’emblée de récuser ce tribunal
uni uement composé de Blancs : Pour uoi est-ce ue dans ce prétoire e
dois compara tre devant un magistrat blanc, tre confronté à un procureur
blanc, escorté par des gardiens blancs On ne peut suggérer honn tement et
sérieusement ue, dans ces conditions, la neutralité de la ustice soit
assurée Je suis un homme noir dans la cour d’un homme blanc. Ceci ne
devrait pas tre.
Peu importe son argumentation : il est ugé d’avance. Le 7 novembre
1962, le ury le condamne à cin ans de travau forcés. Sept mois plus tard,
le 11 uin 196 , alors ue andela est en prison, la police politi ue s’abat
sur l’état-ma or clandestin de l’ NC, à Rivona. andela retrouve ses
camarades sur les bancs de l’accusation pour un nouveau proc s. ous
doivent répondre de sabotages et de complot révolutionnaire.
andela reconna t tre l’un des fondateurs de l’ m onto. Il admet
avoir eu recours au sabotage, au terme d’une analyse calme et réfléchie de
la situation politi ue avoir recruté des e perts en e plosifs, dont la
premi re action fut l’atta ue des b timents gouvernementau à
Johannesburg le 16 décembre 1961 avoir formé des membres du réseau à
la techni ue de la guérilla avoir fait une tournée des États africains en
1962 afin de solliciter des facilités pour l’entra nement de ses soldats avoir
étudié toutes les techni ues de guerre et de révolution, de Clausewit au
Che avoir été influencé par la pensée mar iste comme l’ont été avant
lui andhi, Nehru, N rumah ou Nasser, et avoir suivi lui-m me des cours
d’entra nement militaire afin de combattre au c tés de son peuple .
S’il n’y a pas eu bain de sang dans ce conflit opposant Blancs à non-
Blancs, c’est ue l’ NC rappelons-le avait un leader tel ue andela,
ui mettait tout en uvre pour éviter un scénario de guerre civile alors ue
le ris ue était grand.
u total, si Noirs : Nelson andela, alter Sisulu, ovan be i,
Raymond hlaba, lias otsoaledi, ndrew langeni un Indien : hmed
ohamed athrada et un Blanc : ennis oldberg sont condamnés en mai
1964 à la détention criminelle à perpétuité. Sans les protestations
mondiales, dont la résolution adoptée par l’ ssemblée générale de l’Onu,
ils auraient été condamnés à mort.
Ils sont envoyés sur l’ lot-bagne de Robben Island, au large du Cap,
l’avant-poste le plus dur de tout le syst me pénitentiaire sud-africain.
urant vingt-huit années de détention, le détenu 46664, numéro
attribué à andela, réussit à conserver et m me à renforcer ses convictions.
J’étais maintenant hors de course, écrit-il dans son autobiographie n
long c emin vers la li erté, mais e savais ue e n’abandonnerais pas la
lutte. Je me trouvais dans une ar ne différente et plus petite, une ar ne dans
la uelle le seul public se composait de nous-m mes et de nos oppresseurs.
Nous considérions la lutte en prison comme une version réduite de la lutte
dans le monde. Nous allions combattre à l’intérieur comme nous avions
combattu à l’e térieur. Le racisme et la répression étaient les m mes e
devrais simplement me battre dans des termes différents.
Il conserve également son optimisme . Il sait ue la lutte
s’intensifie. n 1984, l’archev ue anti-apartheid esmond utu re oit le
pri Nobel de la pai le gouvernement sud-africain subit une pression
internationale de plus en plus forte, peu à peu certaines nations imposent
des sanctions économi ues à Pretoria.
C’est gr ce à ce soutien international ue andela est libéré, au bout
de di mille ours de travau forcés, le 11 février 1990, sur ordre de
Frederi e ler ui a remplacé P. . Botha à la présidence de l’État en
ao t 1989. s la libération du cél bre prisonnier, on assiste à un
déferlement d’enthousiasme planétaire. ans les si premiers mois,
andela passe son temps à l’étranger. ar es-Salam, en an anie, une
foule d’un demi-million de personnes l’accueille au Caire, la population
déborde tous les syst mes de sécurité
ais andela ne se consid re pas comme libéré pour autant : la
bataille doit se poursuivre, car les violences et les atrocités perdurent. out
en soutenant la lutte armée, il demande l’ouverture de négociations il
rép te à la presse ue, lors ue l’État cessera d’imposer la violence, l’ NC
répondra par la pai . Lors u’on l’interroge sur la peur des minorités
blanches face à la nouvelle situation, il répond u’en prison sa col re
envers les Blancs s’est apaisée alors ue sa haine du syst me apartheid s’est
accrue. Il insiste sur le fait u’il ne veut pas détruire le pays, et ue son
mouvement cherche le uste milieu entre la peur des Blancs et l’espoir des
Noirs.
r s vite, il se heurte au président e ler ui fait tra ner les
pourparlers en espérant ue l’euphorie autour de andela s’éteindra. ’une
part, la police ouvre le feu sur une manifestation de l’ NC, faisant dou e
morts d’autre part, e ler attise les rivalités entre les partisans des
différents partis opposants, incite à la haine entre le parti In atha,
mouvement de culture ouloue, et l’ NC. e fait, une véritable guerre
oppose les deu partis. es villages sont incendiés, faisant des di aines de
morts, des centaines de blessés et des milliers de réfugiés.
n réalité, les négociations entre le Parti national et l’ NC achoppent
sur le principe démocrati ue de base : n homme, une voi . vec ses
seuls cin millions de membres, le pouvoir blanc craint u’il ne se dissolve
dans la masse des vingt-cin millions de non-Blancs . ussi propose-t-il
un nouveau déguisement de l’apartheid : ue l’ fri ue du Sud ne se divise
plus en Blancs et non-Blancs , mais en une multitude de communautés :
hosa, ouloue, ndebele, afri aner, anglophone long terme, il compte
l’emporter sur la ma orité noire en attirant dans son camp les Indiens et les
métis.
Cependant, les sanctions économi ues imposées par la Communauté
européenne et les États- nis ont pris de telles proportions, ointes au
violences dans la population ui menace de re eter les Blancs à la mer ,
ue Frederi e ler c de. pr s uatre années de négociations, les
premi res élections libres de l’histoire de l’ fri ue du Sud ont enfin lieu.
Le 27 avril 1994, Nelson andela est élu président de la Républi ue
de l’ fri ue du Sud avec 62,65 des voi . Cette date est devenue fériée en
fri ue du Sud : le our de la Liberté . Fid le à sa promesse lors des
négociations, andela constitue un gouvernement d’union nationale
comprenant l’ NC, le Parti national et le parti In hata. Ses deu vice-
présidents sont habo be i, de l’ NC, et Frederi e ler , du Parti
national.
ans les derni res pages de son autobiographie, andela écrit ue
l’opprimé et l’oppresseur sont tous deu dépossédés de leur humanité .
C’est en accord avec cette profession de foi u’il crée la Commission de la
vérité et de la réconciliation, dont la mission est d’en u ter sur les crimes
commis pendant l’apartheid. Il en confie la présidence à gr esmond
utu. Il ne s’agit pas de passer l’éponge, mais d’accorder l’amnistie à titre
individuel en échange d’aveu complets. n deu mots : la Liberté contre la
érité u plan udiciaire, le résultat est mitigé. Comme tou ours, les
petits, les gens du peuple policiers, soldats ou citoyens avouent leurs
crimes, mais peu de hauts responsables, dont l’ancien président P. . Botha,
acceptent d’en faire autant. Botha, condamné à un an de prison avec sursis,
gagne m me en appel.
Néanmoins, cette Commission de la vérité et de la réconciliation sauve
l’ fri ue du Sud des ris ues d’affrontements sanglants et fait école en
fri ue. andela est devenu l’ ic ne mondiale de la réconciliation .

a pour le pardon, mais u’en est-il des indemnisations des Noirs


spoliés depuis le début de la colonisation Peut- tre suis- e d’une grande
na veté, mais si uel u’un vous vole et u’on l’attrape, il est contraint de
vous rendre votre bien. Cette simple ustice est-elle impossible sur le plan
international uel ue chose se rép te de fa on lancinante dans l’ istoire.
Lors de l’abolition de l’esclavage au ntilles, les propriétaires des
e ploitations furent indemnisés par l’État de la libération de leurs esclaves,
mais les esclaves n’eurent droit à rien ue se serait-il passé si andela
avait décidé de reprendre les terres au Blancs L’ urope et les États- nis,
ui ont si longtemps accepté la domination blanche sur l’ fri ue du Sud,
auraient-ils été d’accord n 2009, les fricains noirs représentent 79 de
la population, les métis 8,9 , les Indiens et siati ues, 2,5 et les Blancs
9,6 . Le constat est ue la minorité blanche, ui s’est enrichie par
l’e ploitation éhontée des Noirs, détient la uasi-totalité des richesses
économi ues du pays.
st-ce uste
o age r inter an taire

ic odi o i rr
Né le 21 avril 1952

Combien d’opportunités
peuvent tre manuées. Prene cette
eune fille assise au bord du fleuve
Niger, elle ne va pas à l’école parce
u’un concours de circonstances l’a
fait natre dans un village pauvre,
alors u’elle est peut-tre la seule
sur les sept milliards d’individus
de la plante à avoir la structure
d’esprit ui puisse pénétrer
les secrets du I ou du cancer .

Cheic odibo iarra

erni rement, l’un de mes fils ayant du mal à résoudre un probl me de


géométrie demande à un copain de l’aider.
C’est normal ue ce soit plus difficile pour toi, observe ce dernier.
Pour uoi
Parce ue tu es noir
t il rapporte cette réponse à la maison, non sans désarroi.
Or il se trouve ue, le soir m me, mon ami malien Cheic odibo
iarra vient d ner à la maison Les titres ne lui man uent pas. Chercheur à
la Nasa, actuellement président de icrosoft fri ue et oyen-Orient, il a
été responsable de plusieurs missions vers les étoiles, concrétisant les r ves
de beaucoup de erriens : mission agellan à destination de énus sonde
lysses partie étudier le Soleil pendant di -sept ans sonde alileo vers
Jupiter et puis toute une série de missions destinées à scruter la plan te
ars : ars Observer, ars Pathfinder
Comme mon fils lui raconte l’échange avec son camarade, mon ami
Cheic o dibo lui e pli ue ue de tout temps, dans tous les domaines, des
gens de toutes origines ont contribué au grandes uvres de l’humanité. Il
lui cite de nombreu noms de scientifi ues, de chercheurs et d’inventeurs
noirs voir pages 22 -2 0 , et a oute uel ues e emples : les pyramides
d’Égypte, le mas ue à ga , la transfusion sanguine, la premi re opération à
c ur ouvert, l’ordinateur de calcul le plus rapide au monde, les feu
tricolores ou le taille-crayon
on fils ouvre de grands yeu .

Le voyage de Cheic odibo iarra commence en 1952 au ali, dans


la petite ville de Nioro, huit ans avant l’indépendance du pays. Son p re est
commis de l’administration coloniale. Cheic odibo vit une enfance ue
les Occidentau ualifieraient de tr s difficile. Lui, la ressent comme
heureuse, dans la mesure o , si ses parents sont pauvres, ils se montrent
émotionnellement riches. Ils poss dent surtout un solide bagage de valeurs
ui contribue à rendre leur fils fort comme un roc : on ne ment pas, on se
comporte avec droiture et honn teté, on travaille de fa on à donner le
meilleur de soi-m me.
Cheic odibo a la chance d’ tre élevé par Binta, la seconde épouse
de son p re, ui l’aime infiniment et le laisse faire ses e périences sans
mettre aucun frein à ses élans d’aventurier. u coup, Cheic odibo
grandit sans peur, avec l’envie de créer. oute sa vie il osera se lancer dans
des aventures nouvelles. nsuite, cette femme ui ne sait ni lire ni écrire lui
fait don d’un savoir, le plus important peut- tre, ui ne s’ac uiert pas à
l’école. n our u’il revient de ses cours, tout fier d’avoir obtenu une tr s
bonne note, elle le félicite, puis a oute :
st-ce ue tes camarades ont compris aussi bien ue toi la le on
Combien en as-tu aidé
Binta n’a pas fait d’études, mais elle sait ue le succ s individuel est
une impasse. alcolm disait ue, cha ue fois u’un individu se proclame
le seul à faire ceci, ou le premier à faire cela, c’est u’il n’a pas bien fait son
travail. Il ne faut amais tre seul au sommet. uand tu es seul, tu es fragile.
Sa remar ue déconcerte d’abord le eune gar on, puis elle lui ouvre
une voie : celle de la collaboration, sans la uelle les hommes ne se
transmettraient rien, sans la uelle aucune mission ne serait en train
d’e plorer les étoiles. Il prend désormais l’habitude d’e pli uer à ses amis
ce u’ils n’ont pas compris en classe. La véritable réussite, il le
découvre alors, c’est de tisser des liens. Plus tard, travaillant à la Nasa, il
apprendra, ainsi ue ses collaborateurs, à ma triser l’esprit de rivalité ui
anime chacun de nous, à dépasser la compétition pour favoriser l’effort
commun. Ce u’on gagne à travailler dans la rivalité, on le perd mille fois
plus en efficacité. Sans compter, dit-il, le ris ue de se voir marginaliser.
Cheic odibo a l’habitude de prendre des responsabilités, m me s’il
sait partager. l’ ge de sept ans, il devient chef de famille n drame a
fait basculer sa vie et celle des siens. eu partis s’opposent au ali : celui
du mar iste odibo eita, et celui dirigé par Fily abo Sisso o dont son
p re est proche. L’ayant emporté dans de tr s nombreuses communes,
odibo eita décide de muter ses adversaires à des centaines de
ilom tres. Le p re de Cheic odibo iarra, s’appuyant sur un te te de
loi, refuse. La riposte ne se fait pas attendre.
Le 2 février 1959, Cheic odibo iarra entend des clameurs venant
de la rue. u hangar proche, sur le toit du uel sa famille vient de déposer la
récolte de mil, de ri et de haricots, dégouline de l’essence. Son odeur le
prend à la gorge out s’embrase. La famille se précipite pour sortir dans
la cour, échapper au feu et à la fumée ui les encerclent, mais on leur ette
des pierres pour les emp cher de fuir. ous sont enfermés dans le hangar ui
va devenir leur b cher uand les assaillants, se préparant à détruire d’autres
maisons, rel chent leur surveillance. C’est leur salut. uel ues instants plus
tard, les incendiaires reviennent accompagnés de policiers ui passent les
menottes à son p re. Il sera condamné, ainsi ue son fr re, à di ans de
prison pour crimes contre l’État .
L’univers de Cheic odibo s’écroule. Pendant di ans, il ne sera plus
heureu . Le pays non plus. Les denrées de base man uent, le marché noir se
développe partout. Le franc malien est dévalué de 50 .
Son fr re a né, Sidi, étant parti étudier en France, il se retrouve chargé
de famille. Pendant les grandes vacances scolaires, t t le matin, non
seulement il cultive les champs de ri et de mil avec ce ui lui reste de
grain, mais il se livre à des e ercices intenses. Il mesure la longueur et la
largeur de la terre u’il doit labourer, il calcule sa surface. n fonction de la
largeur d’un sillon, il sait combien le soc de sa charrue doit en tracer. Il
détermine combien d’heures il faut pour finir ses labours, selon le temps
u’il met à tracer un sillon.
Pour uoi un alien a-t-il la bosse des maths Cheic odibo
répond : n France, uand on aime, on ne compte pas. u ali, et dans
tous les pays pauvres, uand on aime, on compte, on recompte, on
décompte, de l’aube au crépuscule
Cheic odibo iarra ne se contente pas de compter. Son pays est en
ruine, sa famille, décimée. Lui r ve de transformer son environnement, de
sortir sa patrie de la mis re, de réparer la vie, de fabri uer des machines tr s
compli uées et tr s modernes La révélation de sa vocation date du our o ,
au lycée, un professeur donne un cours sur l’électricité.
Le ma tre a un comportement étrange : tout en faisant son cours, il fait
rebondir incessamment un citron contre le mur. Puis il perce le citron avec
une tige de cuivre et une tige de inc. Il leur appli ue une petite ampoule
ui, aussit t, s’allume La pile à citron fascine l’esprit de Cheic
odibo : s’il connaissait les réactions des matériau , il arriverait lui aussi à
fabri uer de la lumi re, ou à accomplir d’autres semblables miracles.
s lors, il n’a u’une idée : comprendre les mécanismes du monde
ui l’entoure, en attendant ceu de l’univers. Il démonte tout ce ui lui
tombe sous la main : réveils, radios, appareils photo, fers à repasser,
moteurs, mobylettes, u’il peine à remonter ensuite
n uillet 1969, l’année o il passe le B PC, Neil rmstrong et Bu
ldrin marchent sur la Lune. Les professeurs apportent des photos en
classe. Cheic odibo essaie de se mettre dans la peau des e plorateurs :
u’est-ce ui les a poussés à s’aventurer dans l’inconnu
Il s’identifie volontiers aussi à alilée ui, apr s avoir bouleversé la
science de son temps, s’est retrouvé accusé par l’In uisition, obligé de se
défendre en répétant : t pourtant elle tourne Oui, la erre tourne
autour du Soleil et non le Soleil autour de la erre. Oui, les in uisiteurs sont
de tous les temps : ils ont persécuté alilée, ils ont enfermé le p re de
Cheic odibo. Ce p re ui lui a appris l’intégrité politi ue et civi ue.
Cheic odibo iarra la fera sienne et l’étendra à son travail de
scientifi ue.
Son bac en poche, il hésite entre les lettres classi ues pour devenir
ournaliste, ou la préparation d’une école d’ingénieurs. Finalement, c’est le
minist re de l’Éducation du ali ui tranche : le pays a besoin de
scientifi ues plus ue d’hommes de lettres.
rrivé à Paris en 1972, il étudie les mathémati ues, la physi ue et la
mécani ue analyti ue à l’université Pierre-et- arie-Curie, o il m ne la vie
difficile des eunes étudiants africains. Il étouffe dans l’espace restreint et
froid de la capitale, lui ui est habitué au désert, au collines boisées. Les
vibrations du métro remplacent le chant du co . Il supporte mal les
crissements des freins, la fadeur des aliments sans épices, et la psychologie
des professeurs pour ui les étrangers ont une identité transparente.
La mécani ue analyti ue, mati re ui permet l’enseignement des
principes de mécani ue, l’ennuie profondément uant au autres
disciplines, il les trouve trop théori ues. uoi bon résoudre des é uations
de Laplace uand Laplace lui-m me les a dé à résolues au IIIe si cle
Ce u’il veut, c’est construire des engins. écouvrir des terres inconnues,
ouvrir la place au futur
n 1979, Cheic odibo iarra réunit toutes ses économies, uitte
Paris et re oint l’université oward, à ashington. Il découvre un paradis.
Cette université a été fondée, en 1866, pour préparer des pr tres noirs à
prendre en charge uatre millions d’esclaves libérés depuis une année de
leurs cha nes. u ourd’hui, elle accueille uin e mille étudiants de tous
pays. Les enseignants y sont de tr s haut niveau et, surtout c’est son atout
ma eur , on y étudie des syst mes dans toute leur comple ité et dans toutes
leurs applications possibles.
e anvier 1980 à mai 1982, tout en suivant les cours de mécani ue
spatiale, il rédige sa ma trise d’ingénierie aérospatiale, sur la commande de
satellites reliés à une navette par un c ble. Il s’inscrit ensuite en doctorat de
génie mécani ue pour une th se sur la théorie des plates-formes dans
l’espace. Sa th se soutenue, vient l’e périence appli uée apr s u’il est
repéré par un chasseur de t tes de la Nasa. Cheic odibo iarra gagne son
titre de navigateur interplanétaire .
Je fabri ue une sonde, e mets des moteurs dessus, e la fais voler sur
la tra ectoire u’on m’impose, e la place o on me le demande pendant
ue e suis en train de voler, des astrophysiciens me disent : Cheic
odibo, est-ce ue tu peu tourner la sonde pour ue la caméra puisse
regarder dans la bonne direction et prendre des photos t ils observent ce
ue font les étoiles par-ci par-là , me raconte-t-il. Il a la modestie des
grands chercheurs ui savent combien il leur reste à apprendre. Or un
navigateur planétaire doit avoir non seulement fait de l’ingénierie
mécani ue, mais de la mécani ue spatiale, de l’astronomie, de la physi ue
entre autres , et tre capable de combiner tous ces éléments. ans le
monde, ils se comptent sur les doigts des deu mains.
Sa premi re mission date du 4 mai 1989 : destination énus, gr ce à la
sonde agellan. ais d’autres plan tes sont visées : lysses part vers le
Soleil, alileo vers Jupiter tou ours en cours . es imprévus surviennent
parfois : ars Observer n’est amais arrivé au bout de sa mission, faire un
inventaire de ars. Le contact avec la sonde a été perdu. C’est ars
Pathfinder ui, un peu plus tard, apr s un voyage de 497 millions de
ilom tres, se pose sur la plan te rouge en uillet 1997.
Pour Cheic odibo iarra, l’essentiel est d’élever le niveau de la
connaissance humaine, de faire parvenir une étincelle d’humanité dans
l’espace, de savoir de uoi le lointain est fait. Peu lui importe d’entrer dans
l’ istoire. Il a les pieds ancrés sur terre et n’oublie ni les drames ni les
in ustices. n 1999, il crée la Fondation Pathfinder pour l’éducation et le
développement en fri ue. n 2000, il organise le Forum sur l’éducation à
a ar. n 2002, il développe un laboratoire de recherche sur l’énergie
solaire à Bama o. Il sait ue l’énergie, comme l’éducation, c’est la vie,
l’avenir. Il fonde le Sommet africain de la science et des nouvelles
technologies Sasnet , ui a dé à tenu plusieurs réunions en fri ue abon,
auritanie et a apporté son soutien à divers pro ets d’étudiants africains.
n 2005, il participe à la création de l’ niversité numéri ue
francophone mondiale, afin d’offrir un véritable enseignement là o r gne
la pénurie. Le 20 février 2006, il est nommé à la t te de icrosoft fri ue
et oyen-Orient. nfin, il est ambassadeur de bonne volonté pour l’ nesco
pour les sciences et les technologies.
Le plus grand probl me de l’ fri ue, dit Cheic odibo iarra, est
le man ue de confiance en elle. Nous, fricains, avons tou ours tendance,
face à un probl me, au lieu d’utiliser notre créativité, notre ingéniosité, à
chercher des solutions e térieures à l’ fri ue. Ces solutions sont co teuses
et ne fonctionnent pas. Il faut en finir avec l’ afro-pessimisme , redonner
confiance à tous les Noirs, u’ils soient d’ fri ue, des États- nis, des
ntilles, du Canada Nous n’avons rien à envier au autres.
L’e plosion démographi ue en fri ue a pour consé uence ue 5
de la population a moins de vingt-cin ans. Il faut faire face au probl mes
d’énergie, de santé, au probl mes d’infrastructures, il faut édu uer. La
science est à la portée de tous, dit Cheic odibo iarra. Combien
d’opportunités peuvent tre man uées
La sonde oyageur, lancée en 1976, parcourt l’espace depuis plus de
trente- uatre ans, à une vitesse de on e ilom tres par seconde.
Récemment, les techniciens lui ont donné l’ordre de se retourner afin de
prendre une photo de famille du syst me solaire. La photo est parlante :
on distingue le Soleil, énus, Jupiter, Saturne, ranus et Neptune. ais, à
cette distance, la erre est insignifiante.
Regarde le volume de notre minuscule syst me solaire dit Cheic
odibo iarra. La gala ie compte deu cents milliards de soleils comme le
n tre, la plan te erre représente moins u’un grain de sable comparé au
volume du cosmos. t pourtant, les hommes pensent u’ils occupent une
place primordiale dans l’univers, certains s’imaginent m me u’ils sont
l’univers à eu tout seuls.
a oi de an - oi

u i u
Né le 24 avril 1954

n individu seul peut défier


un empire pour sauver son honneur,
sa religion, son me.

ahatma andhi

1969 : deu cent cin uante mille eunes marchent sur la aison-
Blanche pour réclamer la fin de la guerre du ietnam.
La m me année, le eune umia bu-Jamal, uator e ans, se rend au
stadium de Philadelphie, avec trois camarades, pour protester contre un
meeting organisé par eorge allace, partisan de la suprématie blanche et
candidat à la présidence des États- nis.
Ils se retrouvent aussit t noyés dans une marée blanche d’o seules
émergent leurs tignasses afro. es spectateurs s’en prennent à eu et, sous
les huées, les refoulent vers la sortie. ne fois dehors, ils sont roués de
coups. ombé à terre, umia tente de se redresser et crie : Police u
secours Pour toute réponse, un homme lui décoche un coup de pied dans
la figure. Cet homme porte un uniforme
Je voue une éternelle reconnaissance à ce flic anonyme, dit umia,
car son coup de pied m’a e pédié tout droit che les Panth res noires.
el est l’acte fondateur, dit-on, de la résistance de umia bu-Jamal,
le condamné à mort politi ue le plus cél bre des États- nis.

n fait, umia a découvert le parti des Blac Panthers uel ues mois
auparavant, lors u’un camarade lui a montré un numéro du ournal e
lac ant er. Il regarde les photos de ce peuple noir en armes, ui affirme
sa détermination à s’autodéfendre, à combattre ou à mourir pour sa
révolution. Il en est bouleversé. Puis il découvre la librairie Robin, premier
du parti des Blac Panthers, o sont e posés des livres de Frant Fanon,
alcolm , Richard right et bien d’autres. Il fait siens arriet ubman,
Frederic ouglass, il fait sien uey P. Newton : Nous avons un tel désir
de vivre avec espoir et dignité ue, sans eu , l’e istence est impossible.
ais il fait siens également ces mots de Niet sche, u’il ne reniera amais,
malgré vingt-huit ans d’enfermement dans le couloir de la mort de la prison
de SCI- reene, en Pennsylvanie : Celui ui combat des monstres doit
prendre garde de ne pas devenir monstre lui-m me. t si tu regardes
longtemps un ab me, l’ab me regarde aussi en toi.
uelle horrible histoire l’a donc conduit dans le couloir de la mort, et
l’y maintient depuis vingt-huit ans, comme au temps des lettres de cachet
uelle horrible faute peut-il bien avoir commise pour mériter un tel
ch timent dans un pays démocrati ue Réponse : d’abord la couleur de
sa peau, ensuite son amour de la ustice et de la vérité. Cette résistance s’est
inscrite dans sa chair. Car, pour de nombreu Noirs, le passé est aussi
présent ue l’est leur miroir.
s l’ ge de uator e ans, avant m me son passage à tabac au meeting
de eorge allace, il est fiché par le FBI pour avoir demandé ue son lycée
soit rebaptisé alcolm puis les Blac Panthers le chargent de
l’information dans leur section de Philadelphie. Cet engagement vaut à ce
tr s eune homme d’ tre considéré comme une personne à interner en cas
d’alerte nationale . ans ces années-là, 40 de l’activité du FBI est
consacrée à la surveillance des militants politi ues, et 1 seulement au
crime organisé.
La m me année, il trouve du travail dans une station de radio o il
dénonce la corruption de la police et des politiciens locau , la mis re et le
lynchage puis ue la ma orité des condamnés à mort sont afro-américains,
alors u’ils ne représentent ue 15 de la population au États- nis.
81 , la peine de mort est infligée pour les meurtres de Blancs, et à 19
pour les meurtres de Noirs, d’ ispani ues, de Latinos, d’ siati ues
Surnommé la oi des sans-voi oice o t e voiceless , il
devient chroni ueur sur plusieurs stations et directeur de l’information sur
hat, une radio noire de Philadelphie. ais umia fait trop de vagues, il
éclabousse trop de gens. La haine des politiciens et de la police grandit
contre lui. L’éclairage u’il donne de l’ affaire ove Changement
ou n avant met le feu au poudres.
ove est une communauté noire composée de gens ui s’auto-
édu uent afin de se débarrasser du matérialisme et du clin uant de la
société américaine. Ils vivent dans une grande solidarité et en référence
constante à l’ fri ue un groupe de dou dingues pour les uns, d’idéalistes
en tout cas, fondé par John frica au début des années 1970. Leur ob ectif
est de dénoncer toutes les in ustices commises contre les hommes, les
animau et les plantes ais cette attitude e istentielle e asp re les
autorités. Ces gens-là ne se comportent pas en bons N gres : ils ne se
taisent pas uand on leur dit de se taire bien au contraire, ils défendent
leurs idées et harc lent les autorités de leurs criti ues.
Le maire de Philadelphie, un e -policier ui s’est fait élire avec le
slogan : ote Blanc , se charge de les mater. n 1977, sa police
multiplie les agressions. lle n’hésite pas à rouer de coups une femme
enceinte et à la mettre en prison ou à eter au sol une autre m re, dont
l’enfant de trois ans meurt, le cr ne enfoncé.
Inévitablement, umia bu-Jamal interviewe les témoins de ces
sc nes, diffuse leurs propos à la radio et rédige des chroni ues au vitriol,
dénon ant la violence et l’in ustice.
Le maire de Philadelphie durcit sa position. Le 16 mars 1978, le si ge
de la communauté et les uatre p tés de maisons voisins sont encerclés.
Plus aucune nourriture ne parvient au membres de ove. On leur donne
uatre-vingt-di ours pour uitter les lieu . Le 8 ao t, estimant ue la
clause n’a pas été respectée, des bulldo ers renversent les cl tures, des
grues font voler les vitres en éclats, et uarante-cin policiers pén trent
dans la maison. ommes, femmes et enfants sont violemment battus,
parfois à coups de crosse de fusil, certains sont blessés par balle.
Soudain, des coups de feu sont tirés d’une maison voisine. Le policer
James Ramp est tué. u’importe si l’en u te rév le ue c’est un coll gue
ui l’a touché, neuf membres de ove sont condamnés con ointement à
cent ans de prison ferme avec une peine incompressible de trente ans ne
fois encore, umia dénonce ce crime digne d’un passé ue l’on croyait
révolu, et réalise de tr s nombreu reportages. La police e erce une telle
pression u’il perd son emploi à la radio et se voit contraint de faire le ta i
de nuit. C’est là ue tout bascule
Pour comprendre ce ui s’est passé, ’ai utilisé des documents des
collectifs de soutien à umia, et e me suis entretenu avec me Julia
right, fille de l’écrivain Richard right et porte-parole en France de
umia bu-Jamal. Julia right lutta au c tés des mouvements de
libération pour l’indépendance nationale en fri ue, interviewa des
dirigeants comme milcar Cabral leader indépendantiste de la uinée-
Bissau et du Cap- ert , gostino Neto p re de l’indépendance angolaise
ou alcolm , accompagna la veuve de Frant Fanon au front lors de la
guerre Nigeria-Biafra 1967-1970 , assura le contact en France et à lger
pour la branche internationale du parti des Panth res noires
oici les faits : la nuit du 9 décembre 1981, umia est à bord de son
ta i. fin de trouver un client, il passe à l’intersection de Locus Street et de
la 1 e Rue. C’est l’heure de la fermeture des bars.
Il vient de déposer un passager dans le uartier de est Philadelphia et
remplit son bulletin de course uand il entend crier. Il ette un coup d’ il
dans ses rétroviseurs et voit le gyrophare allumé d’une voiture de police.
Rien de plus ordinaire dans ce uartier. Il continue donc à remplir le
formulaire. Cette fois, il entend des coups de feu. Il regarde de nouveau
dans son rétroviseur et voit des gens courir en tous sens. Soudain, il lui
semble reconna tre son fr re illiam trébuchant et comme pris de
vertige . Il ouvre la porti re et descend aussit t.
andis u’il traverse la rue pour porter secours, un policier en
uniforme le bra ue avec son arme : une détonation, un éclair, et il se
retrouve à genou sur l’asphalte, gri vement blessé à l’estomac.
Il ferme les yeu , essaie de respirer et s’évanouit. Revenant à lui, il se
découvre au milieu d’un cercle de policiers ui hurlent, l’insultent et le
frappent. Par-delà les policiers ui l’entourent, il voit son fr re : du sang
coule sur son cou. Il voit aussi un policier allongé sur le dos.
On le brutalise encore, puis on le ette dans un panier à salade.
uel ues heures passent. n gradé ouvre la porti re et le frappe au front en
l’in uriant : Sale N gre , nculé de N gre , etc.
nfin, on le conduit à l’h pital o , en guise de premiers soins, on le
précipite à terre et on le roue de coups. u sang plein les poumons, il ne
peut parler
Le policier tué s’appelle aniel Faul ner, il était membre du syndicat
policier l’Ordre fraternel de la police, organisation d’e tr me droite proche
du u lu lan. son réveil, umia est accusé de son assassinat.
partir du moment o un Noir est au mauvais endroit au mauvais moment, de
acto il est coupable. ans nos imaginaires, le Noir est souvent plus suspect
ue les autres. ans la police de Philadelphie, une rumeur circule : il faut
réparer l’ in ustice selon la uelle aucun Blac Panther n’a amais été
officiellement condamné et mis à mort.
n France, certains politi ues disent ue ce sont les Noirs et les
rabes ui créent des probl mes . Ils sont les premiers suspects. ans le
livre d’ duardo aleano, ens dessus dessous. L école du monde l envers,
’ai trouvé une superbe réponse au cliché du Noir agressif, du Noir
délin uant : n méri ue et en urope, la police chasse des stéréotypes,
des coupables du délit de faci s. Cha ue suspect ui n’est pas blanc
confirme la r gle écrite, à l’encre invisible, dans les profondeurs de
l’inconscience collective : le crime est noir, ou marron, ou au minimum
aune. Cette diabolisation ignore l’e périence histori ue du monde. Pour ne
parler ue de ces cin derniers si cles, il faudrait reconna tre ue les crimes
de couleur blanche étaient beaucoup plus fré uents
Je sugg re parfois à mes fils, lors ue des propos sur la prétendue
violence des Noirs les ont cho ués, de répondre à leur interlocuteur de
réfléchir à l’ istoire. ui a massacré des millions d’ mérindiens ui a
déraciné des millions d’ fricains pour les mettre en esclavage ui a
colonisé ui a envoyé à la mort soi ante- uatre millions d’ tres humains
pendant les deu guerres mondiales ui a torturé et e terminé des
millions de Juifs et de iganes Étaient-ce des Noirs, les responsables
de tous ces crimes
Lors ue l’on sait ue c’est le uge Sabo, membre à vie de l’Ordre
fraternel de la police, recordman des États- nis des condamnations à mort
de Noirs 99 , ui va s’occuper du cas umia bu-Jamal, on est en droit
de penser ue la messe est dite
L’en u te est b clée aucune e pertise balisti ue, balles non
identifiables, absence de relevé d’empreintes , sans compter les
subornations de témoins, et la mort d’une prostituée, témoin à charge
peu fiable.
uant au proc s d’assises, en 1982, son ury est composé de Blancs
fervents partisans de la peine de mort, et d’un Noir. vant u’ils rendent
leur verdict, une greffi re entend le uge Sabo s’e clamer dans son
antichambre : Je vais les aider à br ler le N gre. oilà de uoi renforcer
une en u te conduite au États- nis montrant ue 68 des condamnés à
mort n’ont pas eu de proc s é uitable
Il faut savoir également u’un tel proc s co te une fortune. n pauvre
doit se contenter souvent du pire avocat commis d’office. Comme le dit le
prédicateur musulman Robert uhammad : n méri ue, il vaut mieu
tre riche et coupable ue pauvre et innocent. La défense de umia a
co té plus d’un million de dollars au divers comités ui se sont créés
depuis
Le uillet 1982, umia bu-Jamal est condamné à mort.
rois ans plus tard, alors ue umia est dans le couloir de la mort, la
communauté ove subit le martyre. Le 1 mai 1985, pour en terminer avec
les manifestations en faveur des Neuf de ove , le nouveau premier
maire noir de Philadelphie prépare une ultime atta ue. L’assaut est donné.
uin e mille balles sont tirées sur la maison. n engin e plosif C4, de
provenance militaire, fourni illégalement par le FBI, est largué par
hélicopt re sur le toit. L’e plosion provo ue l’incendie de soi ante maisons
au alentours. ans les décombres, on retrouve si adultes, dont John
frica, et cin enfants.
Cin ans passent.
Certains témoins subornés par la ustice se rétractent. Par e emple,
cette prostituée ui reconna t avoir menti, car ayant un passé udiciaire et
étant sous le coup d’une peine avec sursis, elle avait été menacée de ne
amais plus revoir sa fille si elle témoignait en faveur de umia. L’avocat
de umia demande donc l’ouverture d’un nouveau proc s. La Cour
supr me de Pennsylvanie, loin de re uger l’affaire, botte en touche et estime
ue ces preuves arrivent trop tard .
Puis ue l’on ne peut pas avoir un nouveau proc s sur le fond, pourrait-
on au moins dire u’il a été entaché de racisme n an plus tard, la
Cour supr me de Pennsylvanie reconna t u’il y a bien eu des éléments de
racisme, mais ue c’est à la Cour supr me des États- nis de décider. t
cette derni re de confirmer le refus d’un nouveau proc s. La nouvelle loi
pour l’efficacité de la peine de mort et contre le terrorisme prévoit une
prescription pour présenter des preuves d’innocence
umia continue donc sa vie dans le couloir de la mort, rythmée par les
décisions d’e écution ui se succ dent et ui cha ue fois sont repoussées
gr ce à une internationalisation de la mobilisation initiée en France par Julia
right : elle a pris contact avec les associations et groupes ui,
traditionnellement, soutiennent la lutte des fro- méricains tels ue le
R P et la Ligue des droits de l’homme. ais pour combien de temps
Jamais il ne sortira du couloir de la mort , pensent certains amis de
umia, parce u’il restera tou ours la oi des sans-voi . umia se
revendi ue Noir dans une méri ue blanche au syst mes à plusieurs
vitesses. Son cas accuse la ustice américaine, il en rév le les
dysfonctionnements, il en est la mauvaise conscience. lors le plus simple
est de laisser umia à la trappe.
Pourtant, il résiste au suicide psychologi ue. uicon ue va le voir est
sub ugué. Son esprit est totalement libre. Il a une perception du fait
politi ue tr s pertinente, alors u’il n’a acc s u’au informations ue
laisse filtrer la prison. Il lit, écrit, travaille et, cha ue semaine, communi ue
par téléphone une chroni ue à une radio.
Ses conditions de vie sont effroyables. Imagine , écrit-il, une pi ce
de la taille de votre salle de bains et imagine ue vous tes condamné à y
vivre, à y manger, à y dormir, à y faire vos besoins naturels, à y r vasser, à y
pleurer et surtout, surtout, à y attendre. Imagine ce ue c’est
u’attendre, attendre, et attendre attendre la mort.
t imagine ue vous soye enfermé depuis 1981 dans cette minuscule
cellule vingt-trois heures sur vingt- uatre en semaine, et vingt- uatre heures
sur vingt- uatre le wee -end Cette mort à l’américaine, umia l’appelle
t e merican a o deat .
e e e ra no crie

u c ru ur
16 uin 1971 - 1 septembre 1996

Le fils des Blac Panthers, et le flambeur. oilà les deu personnes


ui sont en moi , déclare uel ues semaines avant sa mort upac maru
Sha ur, alias Pac, ou 2Pac. Car cet homme a deu personnalités : ange et
démon. Il a étudié la danse classi ue et écrit des te tes émouvants comme
ear ama :

l n a pas de mots pour e primer ce que e ressens


u ne nous as amais cac é tes secrets tu es tou ours restée vraie
t apprécie comment tu m as élevé et tout l amour que tu m as o ert.
esp re que e pourrai e acer tes peines

’un autre c té, c’est une t te br lée ui écrit des te tes pleins d’un tel
concentré de haine

2Pac est né à New or . C’est sa m re, membre des Blac Panthers,


ui l’a appelé upac maru, du nom d’un chef inca uechua en révolte
contre les colons espagnols au Ie si cle.
dolescent, il est dans la rue et fré uente des trafi uants en tous
genres. Il vit dans ces uartiers o , à di ans, on a plus d’occasions de faire
partie d’un gang ue d’aller à l’école, et à vingt ans, si on n’est pas mort,
c’est u’on croupit en prison.
Olivier Cachin, spécialiste des musi ues urbaines, me cite ces
uel ues rimes de essage, un rap de . . Fletcher :

n en ant est né inconscient égaré


veugle au voies de l umanité
ieu lui sourit mais avec une grimace
Car ieu seul sait quoi il devra aire ace
u grandis dans le g etto une vie en seconde classe
t tes eu c antent une c anson pleine de aine
u admires tous les oo ma ers
Les escrocs les macs les dealers et les i nesseurs
ls ont des grosses caisses rassent des liasses d argent
t toi tu veu grandir en leur ressem lant.

La violence de 2Pac et de son rap est le reflet du milieu o il a vécu.


On sait ce u’est la vie dans le ghetto. C’est dur d’y tre une femme, dur
d’y tre différent, dur d’y tre un Noir. Le Noir du ghetto doit se confronter
à sa communauté et s’y faire respecter, puis au monde des Blancs, pour
le uel il est invisible. tre Noir, tre femme, tre différent est tou ours
difficile, mais ici la vie porte encore moins d’espoir. L’hori on est barré, le
r ve semble interdit.

Noir c est noir ni leu ni violet


tre noir c est un cercle vicieu
coute moi e t en prie
La réalité est ce qu elle est
La réalité c est noir c est noir.

Jungle Brothers

Le rap retranscrit cette lutte uotidienne, et dérange. Il bra ue la


lumi re sur des coins d’ombre u’on ne veut pas conna tre, sur des gens
u’on voudrait invisibles et muets. Le rap ne prend pas de détours, il a
l’ il caméra , il montre cr ment la réalité. Il raconte le ghetto à la
premi re personne et au premier degré. Il dit ce ui se passe dans sa cité,
dans sa famille, dans sa t te

on r re a se passe ien pour lui


il a volé la télé de ma grand m re
l dit qu elle la regarde trop
C est vraiment pas on pour elle
es rats dans le salon
des ca ards dans l arri re cour
et des un ies dans le all
avec une atte de ase all
e pousse pas e suis au ord du mur
e sais pas comment e ais pour ne pas tom er.

Ce ui effraie che les rappeurs, c’est u’ils parlent d’eu -m mes. Les
bien-pensants n’aiment pas ue ces gens-là prennent la parole.
n 1990, 2Pac a di -neuf ans. Il rencontre Shoc - , alias umpty
ump, le leader du groupe igital nderground. Ce groupe d’Oa land
l’embauche comme danseur et technicien. Il sort au printemps 1991 son
premier titre acal se No . Il a trouvé sa voie .
cette épo ue, la musi ue ne parlait plus de la condition des Noirs,
comme s’il n’y avait plus de probl mes dans les ghettos. Or 2Pac a re u de
ses parents une culture politi ue. Il n’a pas oublié, il sait ce u’il vit dans
ses tripes, il sera le révolté, le défenseur de la conscience noire. Les Blac
Panthers ont été décimés. Lui, il reprend la parole
vec le rap, cette population étouffée peut à nouveau illustrer la
fameuse phrase, am some od , lancée en 1970 par le révérend Jesse
Jac son, relever la t te et retrouver sa fierté :

e suis peut tre au c mage mais e suis quelqu un.


e ne suis peut tre pas tr s éduqué mais e suis quelqu un.
e suis peut tre en prison mais e suis quelqu un.

On e iste, disent les rappeurs, pas parce ue vous nous y autorise , ni


parce ue vous nous donne un r le de mangeurs de past ues on est
quelqu un parce u’on a créé notre truc de négros .
n réaction à l’invisibilité culturelle du Noir, une identité du ghetto se
crée, ue l’on appelle maintenant la culture hip-hop. Ces Noirs inventent, en
totale autarcie, non pas une contre-culture, mais une culture parall le ui
leur donne la vie, ui leur prouve à eu -m mes ue ce u’ils pensent peut
tre partagé. On fait notre culture entre nous : c’est le hip-hop. ous les
éléments sont à égalité : la danse, avec le brea -dance ou smur du nom de
ce bonnet à la Schtroumpf smur en anglais u’on s’enfonce sur le
cr ne le rap, avec le J ui crée du son en mi ant des dis ues e istants, et
le C ma tre de cérémonies ui prend le micro les graffitis, les attles
batailles de mots , la percussion buccale, le slam, la cas uette angol, la
capuche, les pantalons de ogging démesurément larges et les bas ets
montantes un langage aussi, avec des e pressions, des rythmes nouveau
une fa on de marcher
Progressivement, tout a prend forme. La constante du rap, c’est un
rythme ui inspire le chanteur et porte le morceau, et c’est sa présence
vocale, son te te. Les J s’aper oivent ue ce ui rend fous les gens, ce
sont ces parties de trente secondes mar uées par un brea d’enfer. Ils ont
l’idée de mettre le m me dis ue sur deu platines et, en naviguant de l’une
à l’autre, de passer et repasser le brea .
La France est la deu i me patrie du hip-hop. Comment est-ce
possible Comment toute une génération de eunes ui ne ma trisent
absolument pas la langue anglaise a-t-elle pu se passionner pour un art
fondé principalement sur les mots Comment le rap made in lac a-t-il
fasciné une population des cités riche de plus de trente nationalités
différentes, au point u’elle a créé sa propre version du rap et, vingt ans
apr s, a grandi en force malgré son e clusion des radios et des télés
h bien, c’est simple : en général, le eune banlieusard de la troisi me
génération n’a pas plus de place ni de respect dans l’imaginaire de la France
ue le Noir des années 1990 au États- nis. Ce eune regarde la télé, il se
cherche. O est-il Nulle part.
lire et à écouter les médias, on a l’impression ue tous les mau
viennent des banlieues et ue, si elles n’e istaient pas, nous vivrions dans
un paradis.
L’adolescence de certains eunes de banlieue est un cauchemar o ils
découvrent le racisme. Cette fois, ce ne sont plus des mots ni des images de
télé, mais des portes réelles ui se ferment, des contr les d’identité.
uator e ou uin e ans, uand ils croisent une voiture de police,
systémati uement celle-ci ralentit. Les policiers les dévisagent. ne fois sur
deu , ils les contr lent. Pour les gosses issus de l’immigration, le bapt me
de leur vie d’adulte, c’est ce contr le d’identité. el est l’accueil ue leur
réserve la société : es papiers
e nombreu eunes des cités sont d’autant plus torturés par le
probl me de leur identité u’ils sont éloignés de leurs origines. Ils
n’appartiennent pas à la case émigré , on ne les place pas dans la case
fran ais , mais dans la case banlieue . Leur revendication, c’est :
Respecte -nous Leur obsession : trouver de la tune , tou ours pour
e ister.
ivant dans un flou identitaire, ils se sentent plus proches d’un eune
de arlem, de Broo lyn, de South Los ngeles ue de n’importe uel
voisin du centre-ville. Les uel ues éléments unificateurs dont ils disposent
se trouvent dans la culture américaine hip-hop, le rap en particulier.
La culture rap est tr s clairement une guerre d’e istence, d’affirmation.
la différence de la roc attitude contestation du monde des adultes
, elle est un monde autre. Il ne s’agit plus de faire de la musi ue ou de
chanter, mais de crier ui on est : des individus ui n’ont rien, un tiers-
monde importé dans le monde des riches, un tiers-monde dont les parents
n’ont pas été respectés, ne le sont tou ours pas, un tiers-monde dont la
couleur dérange, dont le numéro 9 fait peur, un monde ramené à ses seuls
incendies de voitures, ses trafics et ses tournantes. n monde vu comme
l’ ennemi intérieur .
Finalement, le rap donne des mots au eunes, ils sont les reporters de
leur cité. Il faut les écouter. La banlieue trouve sa respiration dans le rap.
ne politi ue culturelle intelligente devrait s’ouvrir au rappeurs.
Il est vrai ue la culture rap est vécue comme agressive et violente par
le reste du monde. ais a-t-on vraiment écouté ses paroles Ceu ui
vivent l’in ustice sont les mieu placés pour remettre les choses en ordre, il
faut les écouter, m me s’ils dérangent en uestionnant durement la société.
Cette génération ne se reconna t pas dans l’immigré des années 1960
soumis au patrons. Ces eunes ne sont plus des immigrés, ils sont fran ais,
et personne ne veut l’entendre. Les rappeurs de la premi re vague, N ,
C Solaar, I , puis les Lunatic, Booba, Sefyu et compagnie, ont apporté
une identité au uartiers. Ils sont, comme le dit N , les haut-parleurs
de toute une génération parce ue, derri re un groupe de rap, il y a un
uartier, un arrondissement.
Les premiers rappeurs fran ais ont repris le th me né dans les ghettos
de New or : parler de sa réalité à soi. Nous, on va parler de ce ui se
passe à Sarcelles, à Bobigny, à itry, Lyon, arseille ou Rouen. a raconte
cha ue fois une histoire différente parce ue c’est tou ours et amais la
m me chose. n France, contrairement au États- nis o les nationalités se
regroupent en uartiers, en communautés, ici elles se mélangent. Richesse
ue l’on trouve dans les groupes de rap ui m lent des eunes d’origine
sénégalaise, malgache, espagnole, italienne, marseillaise Ce n’est pas un
rap de ghettos, mais de bandes ou de réseau . ne parole d’e clus décidés à
se faire entendre.
Le gamin de banlieue ui a découvert ce monde s’est dit naturellement
ue c’était pour lui. Pour le rap, pas besoin d’avoir étudié le solf ge, tu as
uste besoin de repartie, pour ne pas perdre la face dans le défi.
e bonnes mes la ues et religieuses s’insurgent contre les paroles du
rap et tentent de les faire interdire pour incitation à toutes sortes de haines.
u’elles relisent les grands te tes fondateurs de la littérature : la en se,
l’ d ssée, les pi ces de Sha espeare, souvent d’une violence e tr me. Les
artistes devraient-ils appli uer dans la vie leurs déclarations poéti ues Le
po te pacifiste ndré Breton ne déclarait-il pas ue l’acte surréaliste le
plus simple consiste, revolver au poing, à descendre dans la rue et à tirer au
hasard, tant u’on peut, dans la foule Faisons la part de la fiction, de la
mise en sc ne dans le rap. Il s’agit de symboles illustrant une vie de rage. Il
s’agit d’ e ploits codifiés. La rodomontade, t e oast, est une tradition
poéti ue dont le bo eur ohamed li était le roi : Je suis si rapide ue
uand ’éteins la lumi re de ma chambre, e suis au lit avant u’il fasse
noir , s’amusait-il à dire.
Le rap, c’est la culture des mots. pr s les dirt do en dou aines
dégueulasses , o les ados s’insultent sur un rythme prédéfini et o
l’humour est roi, les attles o ils se tirent la bourre occupent les sc nes de
rap. Le but est d’humilier l’autre pour montrer u’on e iste. La souffrance
vécue suscite une défense virile. Personne ne veut de moi, mais moi e
m’impose : d’o un langage tou ours outrancier.
Le charisme de 2Pac, sa fantaisie, son lo mani re de scander ses
rimes , ses paroles travaillées en font une ic ne de son vivant. Obsédé de
productivité, il est tou ours en studio, à écrire te te sur te te. Il travaille
dans l’urgence, ne s’attarde amais sur une chanson. Les voi sont
enregistrées en une seule prise. Il ne supporte pas les techniciens ui
passent des ours sur un son de batterie. C’est ainsi u’il fait si albums en
cin ans une uin aine d’autres para tront apr s son déc s .
ais 2Pac est en guerre contre l’univers et il rencontre bient t des
probl mes avec la ustice.
n 1992, à vingt et un ans, il est arr té apr s une dispute ui se termine
par un échange de coups de feu, puis rel ché.
n 199 , il tourne dans le film enace ociet . Il s’atta ue au
réalisateur, on le condamne à uin e ours de prison. n octobre de la m me
année, il est accusé d’avoir tiré sur deu policiers. Les poursuites sont
abandonnées.
Le 0 novembre 1994, ce sont deu individus ui tirent sur lui alors
u’il enregistre dans un studio de New or .
rois mois plus tard, le 7 février 1995, il est condamné à uatre ans et
demi de prison pour agression se uelle. Son troisi me album, e gainst
t e orld, para t alors u’il est incarcéré. Le dis ue est numéro un des
ventes. ou ours derri re les barreau , il accuse he Notorious B.I. .,
devenu son ennemi intime, Puffy Combs, ndre arrel et son propre ami
Randy Stretch al er d’avoir orchestré l’attentat de New or .
Le 0 novembre 1995, e actement un an apr s, al er est assassiné
dans le ueens.
Je parle de mon shooting à New or , dit 2Pac dans une interview à
propos de son dernier dis ue a aveli e donne les noms des négros ui
m’ont tiré dessus, de ceu ui m’ont trahi out ce ue e ne peu pas
dire, e le dis dans mes raps.

Les gars m ont s ooté cinq ois les vrais négros ne meurent pas
entends a ris dans le eu tu sais que e suis dangereu
e détiens le secret de la guerre donc les couards ont peur de moi
a seule peur de la mort c est la réincarnation
ai un c ur de soldat et un cerveau ait pour éduquer ta nation
t ne plus ressentir cette douleur

No more pain

On fait la guerre par dis ues interposés, sauf u’apr s le dis ue il y a


la réalité
ne version californienne du rap, ue l’on appelle gangsta rap, a
commencé à se développer dans les années 1980. Pour la premi re fois
depuis longtemps, me dit Olivier Cachin, des artistes font visiter à leur
public le creuset de l’enfer, ce ghetto urbain o la violence r gne en
ma tre.
2Pac sort de prison au bout de huit mois, en octobre 1995, gr ce à
arion Suge night, du label eath Row Record, ui verse une caution
de 1,4 million de dollars Comme dans le film de Brian de Palma, antom
o t e aradise, 2Pac fait un pacte avec le diable. Jamais un label de
dis ues ne conna tra pire réputation ue eath Row Records. L’un des
nombreu slogans ui font la notoriété de cette fabri ue de tubes proclame :
Personne ne uitte ce label vivant. prendre au premier degré.
arion Suge night est l’homme de paille de ichael arris, un
gangster condamné à vingt-huit ans de prison. Il entretient pendant trois
ans, comme une utopie, ce label du gangsta rap.
C’est lui ui él ve 2Pac au rang d’ic ne de la c te Ouest, en guerre
violente contre ceu de la c te st, r le ue le rappeur oue us u’à sa
tragi ue et logi ue conclusion. L’artiste gangsta rap devient un adman ui
ne craint aucune des retombées de sa violence. Les titres des albums en font
foi. 2Pac : e gainst t e orld oi contre le monde Notorious
B.I. . répond par : ead to ie Pr t à mourir . On sort du symbole
des mots, on passe au actes, le réel prend le dessus.
2Pac se lance frénéti uement dans l’enregistrement d’un monument en
forme de double C , ll e on e ous les regards sur moi .
Comme investi d’une mission, de plus en plus mégalomane et messiani ue,
imbibé d’alcool et d’herbe, il écrit et met en bo te des di aines de titres en
uel ues mois.
Le 7 septembre 1996, comme il revient en voiture avec le patron de
eath Row Record, arion Suge night, d’un combat de bo e
opposant i e yson à Bruce Seldon au rand, à Las egas, il
re oit sept balles ui l’atteignent au torse, au bassin, au bras, à la cuisse et
au poumon.
Pour certains, il aurait eu une altercation violente avec un type pendant
le combat. Pour d’autres, il s’agirait d’une vengeance de he Notorious
B.I. . ’autres enfin avancent l’habituelle théorie du complot du FBI. ais
il est plus probable ue le r glement de comptes soit une affaire de milieu,
le milieu du milieu ui remet les compteurs à éro.
out est pr t pour la légende
2Pac reste dans le coma pendant si ours et meurt le septi me, un
vendredi 1 , à l’ ge de vingt-cin ans. uit semaines apr s sa mort sort son
dis ue intitulé a aveli. a aveli, parce ue en lisant Le rince, de
achiavel, il était tombé sur le passage o , dit l’auteur, pour tromper ses
ennemis, il faut mettre en sc ne sa propre mort.
C’est pour uoi certains croient ue 2Pac est encore en vie
toi e de e oir

r c u in
Né le 4 ao t 1961

Les méricains ont choisi


l’espoir plutt ue la peur .

Barac Obama,
iscours d’investiture, 20 anvier
2009

Lilian, c’est merveilleu , e ne l’aurais amais cru me dit ma


m re, apr s avoir regardé la cérémonie d’investiture de Barac Obama à la
présidence des États- nis, le 20 anvier 2009. es fils, eu , s’étonnent
simplement u’il n’y ait encore amais eu de Noir président des États- nis.
uant à moi, e suis tr s heureu , et soulagé. Je me dis ue cette élection va
changer bien des choses dans l’imaginaire des peuples et représenter un
formidable encouragement à l’éducation contre le racisme.

Les deu premi res étoiles d’Obama sont ses parents. Sa m re, nne
unham, a des origines irlandaises, écossaises et chero ees. a m re
était blanche comme le lait , écrit-il dans Les ves de mon p re. lle vient
d’une famille modeste du ansas ui cherchait une vie plus clémente en
émigrant à awaii. ’esprit libre, progressiste humaniste , elle tombe
amoureuse du beau, grand et intelligent Barac ussein Obama Sr.
Lui est d’origine luo, une ethnie du enya. pr s de brillantes études à
Nairobi, il suit un cursus d’économie à l’université d’ awaii, o il est le
premier étudiant africain.
Ses parents se marient en 1960. Premier miracle, puis ue le mariage
mi te est encore considéré comme un crime dans plus de la moitié des
États- nis. on p re aurait pu périr pendu à un arbre simplement pour
avoir osé poser les yeu sur ma m re , écrit Barac Obama. Peu avant, en
1958, un couple mi te avait été condamné à un an de prison par un uge de
l’État de irginie. Loin de se laisser abattre, ce couple avait intenté une
série de proc s ui avaient abouti, le 12 uin 1967, à la cassation du verdict
par la Cour supr me. Cette histoire a uel ue chose de magi ue lors ue
l’on sait ue le mari s’appelait Loving imant et ue l’arr t mettant fin à
l’interdiction du mariage mi te est poéti uement intitulé mour contre
irginie Loving vs irginie . uarante-deu ans plus tard, les tentatives
de discrimination continuent. n octobre 2009, en Louisiane, un uge de
pai refuse de marier un Noir et une Blanche au préte te u’il ne veut pas
mettre les enfants dans une situation u’ils ne choisissent pas eu -
m mes .
Barac ussein Obama Jr. na t à onolulu en 1961. eu ans plus
tard, ses parents se séparent. yant obtenu son dipl me d’économie, en ao t
196 , à la prestigieuse université de arvard, son p re repart seul au enya
o un poste l’attend au gouvernement. uel ue temps apr s, sa m re se
remarie avec un étudiant indonésien, Lolo Soetoro, et emménage en 1967 à
a arta. C’est là ue na t aya, la demi-s ur d’Obama. Rapidement
adapté, le petit Barry apprend l’indonésien, fait des batailles de cerfs-
volants, go te au serpents et au sauterelles grillées, mais découvre
également la mis re des paysans et les inégalités sociales flagrantes entre
les méricains et les Indonésiens.
l’ ge de di ans, il retourne à awaii pour y recevoir une éducation
à l’américaine. Il est accueilli par ses grands-parents maternels ui
l’inscrivent dans la meilleure école de l’ le. C’est là ue le eune Barry
découvre sa couleur. L’endroit a beau tre le plus métissé des États- nis,
ses camarades voient en lui un Noir et se montrent tr s agressifs.
No l 1971, pour la premi re fois et la derni re , il rencontre son
p re ui, apr s diverses mauvaises fortunes au enya, se tuera dans un
accident de voiture en 1982. n uel ues ours, son p re lui montre
uel ues pas de danse, l’invite à un concert de a , lui offre un ballon de
bas et et deu dis ues de musi ue africaine, autant de symboles de la
culture noire-américaine à la uelle il esp re voir adhérer son fils.
ais le eune Barry peine à trouver ses rep res entre la Blanche et le
Noir de ses origines, ui se sont aimés puis uittés entre le blanc et le noir
de la société ui s’affrontent. Pour affirmer son identité, incapable de faire
autrement, il devient un sale gosse, un ad negro du moins sa caricature.
vec Ray, son ami noir le plus proche, ils se rép tent sans arr t les in ures
ue leur font les Blancs et parlent de révolte. ais ces discours, au lieu de
l’affermir et de le sécuriser, fragilisent Barac Obama, car il sait ue sa
m re, blanche, est sans pré ugés de couleur, et il aime aussi profondément
ses grands-parents, malgré leur racisme ordinaire .
n u te de lui-m me, il se cherche dans les autres : Frederic
ouglass ui, cin ans apr s l’abolition de l’esclavage, avait été candidat à
la présidence des États- nis les panafricanistes arcus arvey et . . B.
u Bois, ui e hortaient les Noirs à se montrer fiers de leur couleur et fiers
des civilisations de leurs anc tres. Il lit les uvres des auteurs noirs
américains modernes, comme Richard right ui dénonce l’ méri ue
raciste, Langston ughes, le po te de la fierté noire, ou Ralph llison ui
écrit : Je n’ai pas honte ue mes grands-parents aient été des esclaves. La
seule chose dont ’ai honte, c’est d’en avoir eu honte un our.
Il s’identifie particuli rement à alcolm , dont il épouse la révolte et
la u te d’identité. Comme lui, il tente de réconcilier deu parties de lui-
m me, cherche à devenir aussi noir et aussi américain ue lui. Puis,
évidemment, il rév re le pasteur artin Luther ing pour sa finesse d’esprit
et son pragmatisme.
Sans ouglass, u Bois, ing, alcolm , la arlem Renaissance
menée par des écrivains et des musiciens, sans le mouvement des droits
civi ues, la théologie noire, le mouvement féministe noir, la criti ue
postcoloniale, sans tous ces prédécesseurs, Obama n’aurait amais eu acc s
à lui-m me, et encore moins à la Présidence.
pr s le lycée, il suit des études à l’Occidental College de Californie.
cette épo ue, il découvre la politi ue de terrain gr ce à des amis
féministes, mar istes, influencés par l’esprit des Blac Panthers. Ces
femmes et ces hommes ui combattent le racisme blanc par la solidarité,
créent des écoles de libération , informent sur la culture noire, aident les
eunes à entrer dans les universités, lisent leurs droits au Noirs en cas
d’arrestation Ces activités tranchent avec l’image surmilitarisée ue les
médias ont transmise d’eu , alors u’ils étaient pacifistes tout en étant pr ts
à se défendre. Leur engagement social sera une des étoiles d’Obama.
Son militantisme lui redonne confiance en lui-m me, asse
pour abandonner le Barry dont l’avait affublé son p re parce ue cela
passait mieu au États- nis . Il reprend son vrai prénom Barac , ui
est africain et signifie béni en swahili.
l’automne 1981, il entre à l’université Columbia de New or , d’o
il sort deu ans plus tard, un dipl me de sciences politi ues en poche. Plut t
ue d’embrasser une confortable carri re dans une entreprise privée, il
choisit de participer à la lutte pour les droits civi ues comme animateur
social. Il n’y a rien de mal à gagner de l’argent, dit-il, mais orienter sa vie
vers cet ob ectif dénote une absence d’ambition. Pendant trois ans, il
s’occupe à Chicago des résidents des uartiers pauvres frappés par le
ch mage, il organise des réunions, se bat pour la prévention de la
délin uance et cent autres causes, mais il constate u’il pourrait consacrer
toute sa vie au militantisme de uartier sans amais vraiment résoudre les
probl mes de Chicago. Il se rend compte ue, s’il veut tre utile, il lui faut
prendre de la hauteur, analyser comment fonctionne le syst me. C’est dans
cette intention u’il passe son dipl me de droit constitutionnel à l’université
arvard puis, fid le à l’esprit libre et humaniste de sa m re, il entre dans
un cabinet uridi ue spécialisé dans la défense des droits civi ues.
e l’ambition, il n’en man ue pas, et la suite en sera la preuve. ais
serait-il monté aussi haut s’il n’avait alors rencontré ichelle Robinson
Issue d’une famille ouvri re, ichelle est uriste. Comme lui, elle a refusé
un poste lucratif dans un cabinet d’affaires et s’est engagée dans la lutte
pour les droits civi ues. Leurs personnalités complémentaires donnent une
dimension nouvelle à la carri re de Barac Obama. n 1996, il est élu au
Sénat de l’État de l’Illinois, poste o il e celle. l’e emple du pasteur
artin Luther ing, il préf re accumuler les petites victoires ue de livrer
de grandes batailles ui ne voient amais d’issue. Il réussit à amender
plusieurs pro ets de lois républicains, et à faire passer vingt-si pro ets
allant de la couverture médicale au plus démunis au droit à l’éducation des
enfants en bas ge, en passant par l’obligation d’enregistrer en vidéo les
interrogatoires des individus suspectés de crimes.
Conviction, courage : il n’en man ue pas. n 2002, il refuse de
cautionner l’invasion de l’Ira . ne guerre stupide, dit-il, fondée non sur
la raison, mais sur la passion. n 200 , il pose sa candidature pour
devenir sénateur des États- nis. Le prestigieu Sénat forme, avec la
Chambre des représentants, le pouvoir législatif américain, ue l’on désigne
sous le terme de Congr s. Barac Obama remporte l’élection le 2 novembre
2004 avec 70 des voi La plus belle victoire de l’histoire du Sénat
américain, au point ue le maga ine imes titre : he Ne t President
Le prochain président . Il est l’un des rares Noirs, apr s Carol
oseley-Braun, seule sénatrice noire, en fonction de 1992 à 1998, à accéder
à la charge sénatoriale. Profitant de sa notoriété, il écrit un livre dont les
droits lui permettent de rembourser ses pr ts étudiant, d’acheter une maison
et de continuer son irrésistible ascension.
Le 10 février 2007, il se présente à l’investiture du parti démocrate.
Lors des primaires, il doit affronter la redoutable illary Clinton. Celle-ci,
se sentant menacée, se livre à de basses atta ues dont le résultat sera de la
perdre dans l’opinion : dénigrement de l’action de artin Luther ing sous
préte te u’Obama s’identifie au pasteur remar ues sur les origines
musulmanes de Barac ussein Obama allusion à ses rapports supposés
avec le courant islamiste responsable de l’attentat du 11 Septembre. Comme
Obama l’a tou ours dit, son p re était bien d’origine musulmane, mais
athée uant à sa m re, elle professait des principes morau comme
l’honn teté et le respect de son prochain, ue l’on retrouve dans toutes les
religions bien comprises. u cours de cette odieuse campagne o tous les
coups sont permis, l’alliée de illary Clinton, eraldine Ferraro, déclare
lors de la primaire du ississippi : Si Obama était un homme blanc, il ne
serait pas là o il est maintenant, et s’il était une femme uelle ue soit sa
race , il ne serait pas là o il est, il se trouve u’il a beaucoup de chance
d’ tre ce u’il est.
Ses adversaires restent enfermés dans leur opposition noir-blanc et leur
se isme. C’est une erreur u’Obama ne commet pas. Fid le à l’esprit de
Frant Fanon Le N gre n’est pas, pas plus ue le Blanc , il refuse de
se laisser enfermer dans sa couleur. ous ne deve pas voter pour
uel u’un parce u’il vous ressemble , dit-il lors de sa campagne au
méricains.
La plupart des observateurs occidentau se sont imaginé ue le fait
d’ tre métis avantageait Obama. La réalité, c’est u’il est tou ours trop noir
ou pas asse . Comme son p re est enyan, il n’est pas descendant
d’esclaves, certains Noirs américains ne le consid rent donc pas comme
l’un des leurs : pour tre un vrai Noir américain, faudrait-il présenter des
a eu esclaves Obama doit rappeler ue u Bois avait un p re ha tien, ue
alcolm était un immigrant de premi re génération, et ue la référence
de artin Luther ing était le ahatma andhi.
Finalement, apr s une lutte serrée, Obama l’emporte sur illary
Clinton, et désormais se concentre sur son combat contre le candidat
républicain John cCain. Sa campagne est la plus efficace machine à
gagner de toute l’histoire des États- nis : la mieu financée, la mieu
médiatisée, et sans doute la plus intelligente.
Certes la crise économi ue le sert, mais encore fallait-il la comprendre.
Lors ue le cyclone atrina, en septembre 2005, fit plus de deu mille
morts, montrant une population noire abandonnée à son sort, il sut répondre,
à ceu ui accusaient le président Bush de mollesse parce ue la population
était noire, ue l’incompétence n’est pas liée à une discrimination
raciale . Remar uable repartie, ui élargit la uestion à l’irresponsabilité
de l’administration républicaine en général et rassemble dans le m me
destin les déshérités de toutes couleurs.
Sa candidature est celle de la réconciliation. Contrairement au dire de
certains de mes criti ues, blancs ou noirs, e n’ai amais eu la na veté de
croire ue nous pourrions régler nos différends raciau en l’espace de
uatre ans ou avec une seule candidature, dit-il dans son cél bre discours de
Philadelphie du 18 mars 2008. ais ’ai affirmé ma conviction profonde
u’en travaillant ensemble nous arriverons à panser nos vieilles
blessures raciales et u’en fait nous n’avons plus le choi si nous voulons
continuer d’avancer dans la voie d’une union plus parfaite. Pour la
communauté afro-américaine, cela veut dire accepter le fardeau de notre
passé sans en devenir les victimes, cela veut dire continuer d’e iger une
vraie ustice dans tous les aspects de la vie américaine.
Orateur e ceptionnel, il ne tombe amais dans les clichés gestuels ni
les intonations habituelles des pasteurs baptistes afro-américains, sans pour
autant mas uer sa couleur de peau. C’est un homme asse cultivé pour se
montrer humble et savoir s’entourer de bons conseillers.
u countr irst le pays d’abord de John cCain pilote
militaire, héros de la guerre du ietnam , ui l’accuse d’ tre le candidat
de l’étranger , Obama répond ue gr ce à ses multiples origines il incarne
le r ve américain. L’ méri ue de 2009, dit-il, n’est plus celle de John
ayne, mais celle de citoyens d’origine coréenne ou indienne. Fran ois
urpaire, auteur de L mérique de arac ama, en 2007 livre
prémonitoire ui m’a inspiré ces pages , rappelle ue le métissage
d’Obama est en phase avec les évolutions à l’ uvre dans la société
américaine. iger oods, le grand champion de golf, est un mélange de
Blanc, de Noir, d’ mérindien et d’ siati ue. Les f tes de No l, che les
Obama, ressemblent à l’assemblée des Nations unies . aya, sa s ur
indonésienne, ressemble à une e icaine, son beau-fr re et sa ni ce sont
chinois ais Obama ne tombe pas dans le pi ge électoral de se dire
métis, il se revendi ue totalement blanc et totalement noir, descendant du
enya et descendant du ansas. Il n’est pas afro-américain, il est africain et
américain.
Il n’a pas la na veté de pr ner une société color lind, devenue
aveugle à la couleur , car c’est la conscience d’ tre noirs ui a mené
certains à faire évoluer les droits. La couleur permet de mesurer le degré
d’intégration dans les universités et dans les entreprises. artin Luther
ing était bien placé pour savoir ue sa lutte avait poussé le président
Lyndon Johnson à donner la priorité au droits civi ues et à signer, en 1964,
le Civil Rights ct rendant illégale toute forme de discrimination.
n définitive, John cCain est nettement battu le 4 novembre 2008
65 grands électeurs contre 17 . Ce ue artin Luther ing lui-m me,
pas plus ue arianna, ma m re, n’auraient amais imaginé, est arrivé : les
États- nis ont élu un Noir à la Présidence.
t maintenant
Obama est arrivé à un moment de crise aigu , non seulement au plan
économi ue, mais aussi moral. Nous sommes confrontés à l’insupportable
inégalité des peuples et à la dégradation de notre terre, ui commence à ne
plus nous supporter .
e tout cela, Obama est conscient. Il engage la lutte contre la pollution
de la plan te. Le 22 septembre 2009, il déclare à l’Onu ue les générations
futures vont à une catastrophe irréversible si la communauté
internationale n’agit pas audacieusement, rapidement et ensemble il
milite pour la suppression des armes nucléaires, il a entamé le
désengagement des troupes américaines d’Ira et cherche des solutions au
bourbier afghan.
Il sait u’il faut tre à la fois impatient et patient, parce ue les grands
lobbys n’ont pas envie de perdre leurs profits. Il faut du courage
intellectuel, social, politi ue. Pour tout changement, il faut se faire violence.
Obama insiste beaucoup sur cet aspect de l’évolution, lui ui est au c ur de
la difficile réforme, entre autres, du syst me de santé u’il entend mener
dans son pays, o uarante-sept millions d’habitants n’ont pas acc s au
soins.
Il faut remettre l’homme au centre, il faut accepter le métissage des
corps, des rencontres, des cultures, des religions , me dit Stéphane essel,
cél bre résistant ui participa notamment à la rédaction de la éclaration
universelle des droits de l’homme de 1948. Il faut un nouveau
militantisme pour ue le Ie si cle remplisse les promesses de droits de
l’homme, de uste développement, d’États souverains ui ont été faites et
non tenues au cours du e si cle. Les intér ts nationau sont importants,
mais si on continue à se focaliser sur eu on va passer notre vie à tre des
sapeurs-pompiers.
ans un cadre plus global, c’est l’intér t de l’esp ce humaine ui est
en eu, et cela induit une nouvelle éthi ue politi ue en train de se dessiner
avec Obama. C’est ainsi ue, en uin 2009, Obama prononce en Égypte un
discours destiné à reprendre le dialogue entre son pays et le monde
musulman. Le cycle de méfiance et de discorde doit s’achever , dit-il
apr s avoir salué un milliard et demi de musulmans par ces mots : alam
alei oum ue la pai soit sur vous .
Pour toutes ces actions, et particuli rement pour sa diplomatie fondée
sur l’idée ue les dirigeants doivent s’appuyer sur les valeurs partagées
par la ma orité des peuples du monde , le pri Nobel de la pai lui est
attribué le 9 octobre 2009, uarante-cin ans apr s artin Luther ing. Il
est le troisi me président des États- nis à en tre récompensé pendant
l’e ercice de ses fonctions, apr s heodore Roosevelt en 1906, et oodrow
ilson en 1919.
Le racisme e iste tou ours au États- nis, Obama lui-m me y est
confronté. -shirts, photographies, dessins le représentent en singe
mangeant une banane, affublé de moustaches à la itler ou en train de
repeindre en noir la aison-Blanche Berlusconi, président du Conseil
italien, ironise à plusieurs reprises sur son bron age . ais la liberté
progresse, la présidence d’Obama est un formidable encouragement pour
les femmes et les hommes ui, dans le monde, luttent contre les in ustices.
Le chemin est encore long, parce ue l’égalité humaine est une idée encore
neuve. La éclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, puis la
éclaration universelle des droits de l’homme de 1948 n’ont pris en compte
ue l’homme blanc. u ourd’hui, cha ue tre humain revendi ue
l’application de ces déclarations.
Non cette carte n e t a en er

Les cartes ue nous utilisons généralement placent l’ urope en haut et


au centre du monde. lle para t plus étendue ue l’ méri ue latine alors
u’en réalité elle est pres ue deu fois plus petite : l’ urope s’étend sur 9,7
millions de ilom tres carrés et l’ méri ue latine sur 17,8 millions de
ilom tres carrés.
La carte reproduite au pages suivantes uestionne nos
représentations. n effet, le géographe australien Stuart c rthur, en 1978,
a placé son pays non plus en bas et e centré, mais en haut et au centre.
Cette carte résulte aussi des travau de l’ llemand rno Peters, en 1974,
ui a choisi de respecter les surfaces réelles de cha ue continent. Il montre,
par e emple, ue l’ fri ue, avec ses 0 millions de ilom tres carrés, est
deu fois plus grande ue la Russie ui compte 17,1 millions de ilom tres
carrés. Pourtant, sur les cartes traditionnelles, c’est le contraire
Placer l’ urope en haut est une astuce psychologi ue inventée par
ceu ui croient tre en haut, pour u’à leur tour les autres pensent tre en
bas. C’est comme l’histoire de Christophe Colomb ui découvre
l’ méri ue, ou encore la classification des races au I e si cle ui
pla ait l’homme blanc en haut de l’échelle et les autres en bas. Sur les
cartes traditionnelles, deu tiers de la surface sont consacrés au Nord ,
un tiers au Sud . Pourtant, dans l’espace, il n’e iste ni Sud ni Nord.
ettre le Nord en haut est une norme arbitraire, on pourrait tout aussi bien
choisir l’inverse.
Rien n’est neutre en termes de représentation. Lors ue le Sud finira de
se voir en bas, ce sera la fin des idées re ues. out n’est u’une uestion
d’habitude.
ot ui i r nt nir

r i e - arie a et
Il y a uel ues années, le eune athieu, trei e ans, débar uait dans
mon cabinet. Plusieurs e clusions de différents coll ges et dou e mois dans
un internat réputé pour les fortes t tes n’avaient pas réussi à calmer sa
violence ni à résoudre ses difficultés relationnelles. Sur les conseils d’un
éducateur, sa m re s’était résignée à l’accompagner à une consultation de
psychiatrie pour enfants et adolescents. Selon elle, athieu avait tou ours
été turbulent, mais les choses s’étaient aggravées à l’orée de l’adolescence.
L’enfant avait grandi dans l’idée ue son p re était mort uand lui-
m me n’était encore u’un tout petit bébé, sans u’on ait pu lui dire
comment. Les différentes versions ui lui avaient été livrées ne lui
permettaient pas de se faire une idée de l’homme u’avait pu tre ce p re.
partir de sa di i me année, il se montra plus sensible au contradictions,
plus attentif au inadvertances laissant entendre ue ce dernier serait bien
vivant et habiterait à uel ues encablures de son domicile. insi, il comprit
u’il avait été abandonné par un homme u’il s’imagina alors comme le
plus abominable des individus
Pour uoi la famille avait-elle préféré maintenir le gar on dans
l’ignorance Pour le préserver d’une terrible réalité uoi u’il en soit, ces
non-dits, dont il avait per u plus ou moins inconsciemment la lourdeur
comme celle d’un funeste secret, avaient favorisé un mal- tre dont les
troubles du comportement n’étaient ue la traduction.
Se croire fils de rien, fils de ieu ou du diable, avec toute la
déshumanisation ue cela sous-entend, ne permet pas de se construire une
identité suffisamment sereine pour se confronter au autres.

Il y a uel ues ours, Lilian huram me fit lire le manuscrit de es


étoiles noires. Il m’apparut comme une évidence u’un parall le pouvait
tre dressé entre les enfants ignorants de leurs origines et un peuple amputé
d’une partie de son histoire. me besoin de reconnaissance, m me
e pression, plus ou moins violente, de revendication, m me sentiment
d’ tre trompé ou trahi, associés à ce ris ue similaire de repli identitaire sur
des aspects réducteurs de ce ue sont ces tres la couleur de peau, le se e,
les conceptions religieuses ou philosophi ues .
alcolm , Cassius , et tous ceu ou celles ue l’ istoire a conduits
à changer de nom, m’évo uaient mes eunes patients nés sous , ue
l’impossibilité d’accéder à la moindre bribe de leur histoire laissait dans une
confusion et une difficulté de vivre.

uelles sé uelles s’e pose-t-on uand la vérité sur nos origines nous
est dissimulée
L’atteinte est surtout identitaire.
L’identité personnelle se construit progressivement, c’est un processus
comple e associant le sentiment d’ tre uni ue, celui d’appartenance à une
famille, un groupe, une culture et celui de valoir uel ue chose. Or ces
sentiments se développent en fonction des e périences ue va vivre
l’enfant, d s son plus eune ge, et ce simultanément dans trois dimensions :
individuelle, groupale la famille, la bande, la société et culturelle. Ces
différents cadres interagissent et, pour tre en accord avec soi, il faut à la
fois se sentir singulier différent des autres et pourvu de ualités ui nous
sont propres , mais également reconnu par l’autre et accepté dans ces
particularités, u’elles soient physi ues, caractérielles, se uelles
pprécier la couleur de ses yeu ou la nature de ses cheveu , se savoir fille
ou gar on, participent à cette élaboration identitaire au m me titre u’ tre
reconnu e comme le fils ou la fille de ses parents, per u e par les autres
comme généreu se ou autoritaire, fid le à certaines valeurs ou tenu e
pour rebelle. Connaissance de soi et estime de soi, liées à la reconnaissance
de ce ue l’on vaut, notamment par les autres, sont ainsi les garantes de cet
é uilibre identitaire.
eu processus complémentaires interviennent con ointement à cet
égard : un mécanisme d’identification au autres et un mécanisme de
distinction par rapport à ceu -ci. Les parents constituent les premiers
supports de ce phénom ne d’identification-re et, puis viennent les
ascendants les grands-parents, ue l’on rencontre ou dont on entend
parler , les proches, puis les relations sociales les amis, les ennemis Les
idoles, les héros des contes ue l’on nous raconte durant l’enfance, comme
les personnages histori ues dont on apprend les e ploits ou les erreurs,
interviennent également dans ce panthéon à la fois personnel et hérité de
l’entourage.
u’il vienne à man uer un pilier à cette identification, ou ue ses
fondations soient gangrenées par des non-dits, et c’est tout l’édifice ui s’en
trouve fragilisé.

Il en va de m me pour la société des hommes ui, comme un enfant, a


besoin de savoir de uels ascendants elle est issue pour développer une
identité ui soit é uilibrée et sereine, c’est-à-dire en accord avec elle-m me
ou, plus précisément, avec cha ue partie d’elle-m me. Les en eu d’une
telle connaissance ne sont donc pas uni uement culturels ou intellectuels,
mais bien psychologi ues et éducatifs. Car elle permet d’évoluer
sereinement, et d’éviter notamment ces replis identitaires, focalisés sur des
aspects parcellaires de ceu ui constituent la société. Ces aspects, ui se
voudraient caractéristi ues uand ils ne sont ue caricaturau , favorisent
des organisations en fonction de rep res ethni ues, religieu ou doctrinaires
pouvant entra ner des positionnements e trémistes.

Parce ue ce livre nous rappelle l’histoire d’hommes et de femmes ui


ont contribué à l’ istoire de l’humanité, mais ui pour certains ont été
oubliés ou e clus des manuels scolaires, il restitue un pan de l’ anamn se
de notre société. J’ose espérer ue ce travail nécessaire de reconnaissance,
comme au cours d’une thérapie, participera à l’épanouissement de notre
société.
ans l’histoire de athieu, ce n’est pas l’absence du p re ui est en
cause, mais le non-dit, la forclusion autour de son nom et de sa personne. t
peu importe ue cet homme soit bon ou mauvais, c’est ce silence ui
emp che son fils de s’identifier ou de s’en distinguer.
uand ’interrogeai la m re, elle eut du mal, dans un premier temps, à
évo uer à cause de la ranc ur u’elle gardait pour celui ui l’avait
abandonnée avec un nourrisson sur les bras le géniteur ui s’était montré
incapable d’assumer ses responsabilités de p re. Pourtant les souvenirs de
leur rencontre n’étaient pas loin et, de l’homme u’elle avait aimé, restaient
uand m me les vestiges de l’émotion des premiers rende -vous, la
mémoire de ce ui lui avait plu che lui et u’elle retrouvait parfois che
son fils, ainsi ue la passion des étreintes dont ce dernier fut le fruit Ces
mots-là, enfin, athieu put les entendre.
Il y a uel ues semaines, ’ai appris ue athieu avait croisé ce p re :
ils n’avaient rien à se dire et la rencontre resta sans suite. ais cette
confrontation essentielle lui a probablement permis de franchir un cap, de
pouvoir devenir p re à son tour.
Les sociétés aussi doivent se confronter à leur histoire, pour passer de
l’obscurantisme à l’humanisme, pour évoluer harmonieusement.
r illes- arie alet
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O SON, Roger, NR - L OR , Simonne, imé Césaire le
N gre inconsolé, ent d’ailleurs, 2002.
RI , Richard, lac o , allimard, 1945.
, a u cet autre monde, La able ronde, 2009.
, n en ant du pa s, allimard, 1940.
rci nt d ut ur
Lucie lves, lain nselin, gn s b., Serge Bahuchet, Cécile Berger,
incent Bessi res, Pascal Blanchard, Claude Boli, Pascal Boniface, nne
Bosco, Jac ie ernon Boyd, Pascal Brice, Philippe Broussaud, Jac ues
Bungert, James et Laurence Burnet, l’é uipe de B. orld Connection,
Olivier Cachin, Juan Campmany, artine Castro, ves Coppens, Christine
Coste, hierry emai i re, Paul emougeot, ugues esprés, Ro haya
iallo, Cheic odibo iarra, oudou i ne, Chei ’ba e iop, Louise-
arie iop- aes, andé Christiane iop, arcel origny, lsa orlin,
Laurent ubois, Fran ois urpaire, Patric strade, ireille Fanon- end s
France, ostafa Fourar, uriel authier, artine eiger, enriette irard,
douard lissant, ieudonné namman ou, lfons odall artine ,
Olivier uilbaud, Catherine uillebaud, Jean-Claude uillebaud, ary
nn ennessey, Stéphane essel, velyne eyer, Ninian ubert an
Blyenburgh, Rachel han, Serge otchounian, Richard . Lapchic , Joan
Laporta struch, annis arian, hierry ars alec , Stéphane artin,
chille bembe, li ia bo olo, Nathalie ercier, nne eudec,
Philippe iclot, dgar orin, Rachel ulot, aguy Nestoret, Sylvie
Ofranc, Josep Ortado, Sif Ourabah, hislaine Prévos, Pierre Raynaud,
Christophe Réthoré, Carole Reynaud Paligot, aurice Rives, nne
Roussel- ersini, arie Santiago, Isabelle Sauvé, arta Seg i struch,
Fran ois Sémah, Christian Séranot-Sauron, Sylvia Serbin, Jean-Claude
chi aya, lban eurlai, Odile obner, vetan odorov, omini ue
albelle, Jean-Louis alentin, illes- arie alet, Fran oise erg s et
l’é uipe de la aison des Civilisations et de l’ nité Réunionnaise
C R , Paul erg s, nna icente, Rafael ila San Juan, arga illoria,
ichel ievior a, Julia right, ihane a i.

erci à Bernard pour sa patience et son écoute.


t un grand merci à Lionel authier... pour tout.
Ind d no d r onn
bel : 1.
bernathy, Ralph : 1.
bu-Jamal, umia : 1-2.
bu-Jamal, illiam : 1.
dam : 1.
lfonso Ier roi du ongo : 1-2.
frica, John : 1, 2.
gassi , Louis : 1.
hmed III sultan : 1.
uoc, Nguyen, voir Chi inh.
ilhaud, ntoine : 1.
ratangua : 1.
lbius, dmond : 1.
lcorn, eorge dward : 1.
ldrin, Bu : 1.
li, ohamed : 1-2, .
lphonse I roi du Portugal : 1.
mo, nton ilhelm : 1-2, .
mon : 1-2.
ntoine, saint : 1, 2, , 4.
ntoine, ves : 1.
pollinaire, uillaume : 1.
ppelteere, Lint e van : 1.
rago, mmanuel : 1.
rago, Fran ois : 1.
rburger : 1.
rc, Jeanne d’ : 1-2, .
rmstrong, Louis : 1.
rmstrong, Neil : 1.
rnould, Sophie : 1.
ssarhaddon roi d’ ssyrie : 1.
ssurbanipal roi d’ ssyrie : 1.

B , ddi : 1-2.
Bailey, L. C. : 1.
Baillon de Libertat, ntoine : 1.
Baldwin, James : 1-2.
Bambuc , Roger : 1.
Banne er, Ben amin : 1.
Bari, monsieur : 1.
Barnave, ntoine : 1.
Barro, dit saint Jean : 1, 2.
Barry, illiam : 1.
Basie, illiam Count : 1.
Bath, Patricia rna : 1.
Battling Si i : 1-2, .
Baudelaire, Charles : 1.
Baudouin Ier roi de Belgi ue : 1-2, .
Baudry eslo i res, Louis Narcisse : 1.
Baumfree, Isabella, voir ruth, So ourner.
Beard, ndrew Jac son : 1, 2.
Beauvoir, Simone de : 1.
Beecher Stowe, arriet : 1.
Beethoven, Ludwig van : 1.
Bélins i, issarion : 1.
Bell, Landron : 1.
Belley, Jean-Baptiste : 1.
Benga, Ota : 1-2.
Bent, heodore : 1.
Berlusconi, Silvio : 1.
Bernardo, p re : 1-2.
Béthencourt, ntoine de : 1.
Beti, ongo : 1, 2, , 4-5.
Biassou, eorges : 1, 2.
Biyidi- wala, le andre, voir Beti, ongo.
Bismarc , Otto von : 1.
Blair, enry : 1.
Blanchard, Pascal : 1, 2.
Bolden, Charles : 1.
Bologne, eorges de : 1.
Bologne, Joseph de, voir Saint- eorges, chevalier de.
Bolt, sain : 1.
Bonaparte, voir Napoléon Ier.
Bonnal, Charles- aurice : 1.
Bonnet, Charles : 1.
Bonny, vette : 1.
Booba : 1.
Boone, Sarah : 1.
Botha, Pieter illem : 1, 2.
Bouchareb, Rachid : 1.
Bou man, utty : 1-2, .
Boy in, Otis : 1-2.
Bretagne, Jean- arie : 1.
Breton, ndré : 1, 2.
Bridgetower, eorge . P. : 1.
Broca, Paul : 1, 2, .
Brodess, dward : 1, 2.
Broo s, Charles : 1.
Brown, lfonso eofilo, dit Panama l Brown : 1-2.
Brown, John : 1, 2.
Brundage, very : 1.
Brunswic - olfenb ttel, nton lrich de : 1.
Brunswic - olfenb ttel, ugust ilhelm de : 1, 2.
Bullard, lice : 1.
Burr, illiam F. : 1.
Burton, us : 1.
Bush, eorge . : 1.
Butler, Richard usten : 1.
Butts, John arren : 1.

Cabral, milcar : 1.
Cabral, Pedro lvares : 1.
Cachin, Olivier : 1, 2.
Cafarelli, a imilien : 1.
Ca n : 1.
Camus, lbert : 1.
Canaan : 1-2.
Cao, iego : 1.
Capoi , Fran ois : 1.
Carlos, John : 1-2, .
Carmichael, Sto ely : 1.
Carothers, John Colin : 1.
Carpentier, eorges : 1-2.
Carruthers, eorge Robert : 1.
Carson, Ben amin Solomon : 1.
Carver, eorge ashington : 1, 2, .
Cendrars, Blaise : 1.
Césaire, imé : 1, 2, , 4-5, 6, 7, 8, 9-10, 11, 12, 1 , 14, 15.
Cham : 1.
Chaplin, Charlie : 1, 2.
Chavannes, Jean-Baptiste 1.
Christophe, enry : 1.
Chubb, Lewis arrington : 1.
Cissé, oussouf ata : 1.
Clar , enneth Bancroft : 1-2.
Claudel, Paul : 1.
Clausewit , Carl von : 1.
Clay, Cassius, voir li, ohamed.
Clay, Cassius arcellus : 1.
Clemenceau, eorges : 1.
Clinton, illary : 1.
Cocteau, Jean : 1-2.
Colette, Sidonie- abrielle : 1.
Colomb, Christophe : 1.
Colvin, Claudette : 1.
Combs, Puffy : 1.
Comte, uguste : 1.
Connor, ugene Bull : 1, 2.
Conrad, Joseph : 1, 2.
Coo , Frederic : 1.
Cooper, James : 1.
Coppens, ves : 1-2.
Coppola, Francis Ford : 1.
Corneille, Pierre : 1.
Correia da Sou a, nna : 1.
Correia da Sou a, don Joao : 1-2.
Cosgrove, illiam F. : 1.
Coubertin, Pierre de : 1.
Crésus : 1.
Croslin, ichael : 1.
Crosthwait, avid Nelson Jr. : 1.
Cuvier, eorges : 1.

amas, Léon- ontran : 1, 2, , 4, 5.


ant s, eorges : 1-2.
an as, Constantin : 1.
arwin, Charles : 1-2.
auphiné, Jo l : 1.
avid, Jac ues-Louis : 1.
avis, ngela : 1.
avis, Nelson : 1.
e Canala, athio : 1.
éfilée la Folle : 1.
e ler , Frederi : 1-2.
elgr s, Louis : 1-2, , 4.
elgr s, arthe-Rose : 1.
emby adolescent noir assassiné : 1.
escartes, René : 1.
essalines, Jean-Jac ues : 1, 2- , 4, 5.
iagne, Blaise : 1.
iarra, Binta : 1-2.
iarra, Cheic odibo : 1, 2, -4.
iarra, Sidi : 1.
ic ens, Charles : 1.
ic inson, Joseph : 1.
i ne, oudou : 1, 2.
ingane, aSen anga hona : 1.
iop, Chei h nta : 1-2, , 4.
iop, hierno : 1.
ioper, vdo ia : 1.
olan, Joseph F. : 1.
ona Béatrice : 1-2, , 4.
origny, arcel : 1.
orlin, lsa : 1.
orticus, Clatonia Joa uin : 1.
osto evs i, Fedor : 1.
ouglass, Charles : 1.
ouglass, Frederic : 1-2, , 4, 5, 6-7.
ouglass, Lewis : 1.
rew, Charles Richard : 1.
u Bois, . . B. : 1, 2- , 4-5, 6.
ufay, Louis-Pierre : 1.
umas, le andre : 1.
umas, homas le andre : 1.
umesle, érard : 1.
umourie , Charles-Fran ois : 1.
unham, nne : 1-2, -4.
urpaire, Fran ois : 1.

Éboué, Féli : 1-2.


glin, llen F. : 1.
ghingwah : 1.
instein, lbert : 1.
l ins, homas : 1.
llington, u e : 1.
llis, Jimmy : 1.
llison, Ralph : 1.
Éluard, Paul : 1.
meagwali, Philip : 1.
Éon, chevalier d’ : 1.
Ésope : 1-2.
vans, J. . : 1.
ve : 1.
ys ens, aston : 1, 2, .

Fabiola reine de Belgi ue : 1.


Fabre, ichel : 1, 2.
Fagan, Sadie : 1.
Faidherbe, Louis : 1.
Fall, baric , voir Battling Si i.
Fanon, Frant : 1, 2- , 4, 5, 6.
Fanon- end s France, ireille : 1, 2.
Farraudi re, Sylv re : 1.
Fatiman, Cécile : 1.
Faul ner, aniel : 1.
Feller, abbé de : 1.
Ferraro, eraldine : 1.
Ferry, Jules : 1.
Firmin, Joseph nténor : 1-2.
Fletcher, . . : 1.
Flon, Catherine : 1.
Flynn, rrol : 1.
Foreman, eorge : 1-2.
Fou uier- inville, ntoine : 1.
Fra ier, Joe : 1-2, .
Frobenius, Leo : 1.

aleano, duardo : 1.
alilée : 1.
allieni, Joseph : 1.
alton, Francis : 1.
amell, Joseph uthon : 1.
andhi : 1, 2, , 4, 5, 6.
aou- uinou roi d’ llada : 1.
alles, prince de eorge I : 1.
arland, Judy : 1.
arrison, illiam Lloyd : 1.
arvey, arcus osiah : 1-2, , 4, 5.
astines, Civi ue de : 1.
aulle, Charles de : 1-2, , 4, 5, 6.
eorge III roi d’ ngleterre : 1.
ide, ndré : 1, 2.
iscard d’ staing, aléry : 1.
namman ou, ieudonné : 1.
obineau, Joseph rthur de : 1.
oldberg, ennis : 1.
ontcharova, Natalia : 1.
oode, Sara . : 1.
ordon, révérend : 1.
ore propriétaire ayant tué un adolescent noir : 1.
or i, a ime : 1.
ossec, Fran ois Joseph : 1.
ottlieb, Sidney : 1.
ouges, arie-Olympe de : 1-2.
ould, Stephen Jay : 1.
ourdine, eredith Charles : 1.
rant, eorge Fran lin : 1.
rant, lysse Simpson : 1-2.
rant, . S. : 1.
régoire, abbé enri Jean-Baptiste : 1, 2, , 4.
riffin, Bessie Blount : 1.
rigoriev, pollon le androvitch : 1.
uevara, rnesto Che : 1, 2.
uillon, uillaume voir Lethi re, uillaume.
uillon, Pierre : 1.
uimard, arie- adeleine : 1.

agenbec , Carl : 1.
aley, le : 1.
all, Lloyd ugustus : 1.
amey, ichael C. : 1.
amp té B , madou : 1.
anibal, braham Petrovitch : 1-2, -4.
arrel, ndre : 1.
arrington, Ollie : 1.
arris, ichael : 1.
aydn, Joseph : 1.
eaden, innis : 1.
ellers, Charlie : 1.
emingway, rnest : 1.
enson, atthew : 1-2.
ergé : 1.
érodote : 1.
essel, Stéphane : 1.
imes, Chester : 1.
inton, illiam ugustus : 1.
itler, dolf : 1, 2, .
Chi inh : 1.
ochschild, dam : 1, 2.
oliday, Billie : 1-2.
oliday, Clarence : 1-2.
om re : 1, 2.
orace : 1.
uat, ug ne : 1.
ughes, Langston : 1.
ugo, ictor : 1, 2, , 4-5, 6.
umpty ump Shoc - : 1.

I : 1.
Ignace, Joseph : 1, 2, -4.
Isis : 1.

Jac son, Jesse : 1.


Janvier, Louis-Joseph : 1.
Jefferson, homas : 1.
Jeffries, Jim : 1.
Jésus-Christ : 1, 2, , 4.
Johanson, onald : 1.
Johnson, Isaac R. : 1.
Johnson, Jac : 1, 2.
Johnson, Lyndon : 1.
Johnson, Payton : 1.
Johnson, Powell : 1.
Johnson, illis : 1.
Jones, . L. : 1.
Jones, J. C. : 1.
Joyner, ar orie Stewart : 1.
Julian, Percy Lavon : 1.
Jungle Brothers : 1.
Just, rnest verett : 1.

abila, Laurent- ésiré : 1.


ant, mmanuel : 1.
anté, Fad imba : 1.
an a, homas : 1-2.
arembeu, Christian : 1.
asa- ubu, Joseph : 1-2, -4.
asongho, Joseph : 1.
athrada, hmed ohamed : 1.
eita, odibo : 1.
eita, Soundiata : 1.
elley, eorge ashington : 1.
endall, imothy : 1.
ennedy, John Fit gerald : 1-2.
ennedy, Robert : 1.
esteloot, Lilyan : 1.
hephren pharaon : 1.
ing, C. B. . : 1.
ing, on : 1.
ing, artin Luther Jr. : 1, 2, , 4, 5-6, 7, 8-9, 10-11, 12, 1 , 14, 15-
16, 17-18.
night, arion Suge : 1-2.
om, mbroise : 1.
one, Siri i : 1.
ount , Samuel Lee : 1.
reut er, Rodolphe : 1.

Lacoste, Robert : 1.
Lacrosse, Jean-Baptiste de : 1-2.
Lafayette, ilbert du otier de : 1.
La Fontaine, Jean de : 1, 2.
Lamartine, lphonse de : 1.
La ettrie, Julien Offray de : 1.
Laplace, Pierre-Simon : 1.
Latimer, Lewis oward : 1.
Lattre de assigny, Jean- arie de : 1.
Lavalette, . . : 1.
Leclair, Jean- arie : 1.
Leclant, Jean : 1.
Leclerc, ictor mmanuel : 1, 2- .
Lee, Joseph : 1.
Le Floch-Prigent, Lo : 1.
Lembede, nton : 1.
Lenshina, lice : 1.
Léopold II roi de Belgi ue : 1, 2, .
Lethi re, uillaume : 1, 2- .
Levasseur, Rosalie : 1.
Lévi-Strauss, Claude : 1.
Lewis, James . : 1.
Lincoln, braham : 1, 2- , 4, 5, 6, 7.
Linné, Carl von : 1.
Liston, Sonny : 1-2.
Little, arl : 1.
Little, Louisa : 1.
Little, alcolm, voir alcolm .
Loove, John Lee : 1.
Louis, Joe : 1.
Louis I roi de France : 1.
Luc ues, Laurent de : 1.
Lucy : 1-2.
Lully, Jean-Baptiste : 1.
Lumumba, Patrice Émery : 1, 2- , 4, 5.
Lunatic : 1.
Lynch, illie : 1.

achiavel, Nicolas : 1.
ac andal, Fran ois : 1-2.
ac- ahon, Patrice de : 1.
ailer, Norman : 1.
aine duc du , Louis- uguste de Bourbon : 1.
alcolm : 1, 2, -4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12-1 , 14, 15.
andela, Rolihlahla Nelson : 1, 2, -4.
angin, Charles : 1-2.
aran, René : 1, 2.
arcellin, Raymond : 1.
arie- ntoinette reine de France : 1.
arley, Bob : 1.
arshall, Bruce : 1.
arshall, hurgood : 1.
aspero, aston : 1.
attipalu , voir enson, atthew.
at eliger, Jan arnst : 1.
auch, arl : 1.
aure, li orali : 1.
be i, ovan : 1.
be i, habo : 1.
bembe, chille : 1.
c rthur Stuart : 1.
cCain, John : 1-2.
cCauley, Rosa, voir Par s, Rosa.
cCoy, li ah : 1-2.
c inley Jones, Frederic : 1.
C Solaar : 1.
eeropol, bel : 1.
elchior, baron de rimm : 1.
ell, Fernande : 1.
énil, René : 1.
hlaba, Raymond : 1.
ichel, arc : 1.
iles, le ander : 1.
ills, Jean-Baptiste : 1.
ilton, John : 1.
irabeau, onoré de : 1.
langeni, ndrew : 1.
obutu, Joseph ésiré, dit Sese Se o : 1-2, -4.
oli re : 1.
onnereau : 1.
ontaigne, ichel de : 1.
ontgomery, Ben amin : 1.
oon, John P. : 1.
oreau, tienne : 1.
oreau de Saint- éry, édéric : 1, 2.
orel, dmund ene : 1.
organ, arrett ugustus : 1-2.
ortenol, ndré : 1.
ortenol, Camille : 1-2.
orton, eorge : 1.
oseley-Braun, Carol : 1.
otsoaledi, lias : 1.
oulin, Jean : 1-2.
o art, olfgang madeus : 1.
polo, aurice : 1.
uhammad, li ah : 1-2, , 4.
uhammad, Robert : 1.
unger, Birdie : 1.

Nadeau, aurice : 1.
Nanny, ranny : 1.
Nanon, nne : 1.
Napoléon Ier Bonaparte : 1-2, , 4-5, 6, 7, 8-9, 10.
Nardal, Paulette, Jane et ndrée : 1.
Nasser, amal bdel : 1, 2.
Ndongmo, arcus gr : 1.
Nehru, Jawaharlal : 1, 2, .
Nephthys : 1.
Neto, gostino : 1.
Newton, uey P. : 1, 2.
Ngola, ani roi du atamba : 1-2.
Nichols, Joseph . : 1.
Nicolo, Raoul- eorges : 1.
Niet sche, Friedrich : 1.
Ni on, dgar aniel : 1, 2- .
N awé, Pius : 1.
N rumah, wame : 1, 2, .
Noé : 1.
Norman, Peter : 1, 2, .
Norton, en : 1.
Notorious B.I. . he : 1-2.
N : 1.
Nyobé, Ruben m : 1, 2- , 4.

Obama, Barac ussein Jr. : 1, 2, , 4, 5, 6-7.


Obama, Barac ussein Sr. : 1.
Obama, ichelle : 1, 2.
Obenga, héophile : 1.
Ogé, incent : 1-2.
O ito, Joseph : 1.
Ollian, Oui aran : 1.
Oo ueah : 1.
Ootah : 1.
Orléans, Louis-Philippe duc d’ : 1.
Osiris : 1.
Othello : 1.
Ouandié, rnest : 1.
Ovide : 1.
Owens, Jesse : 1, 2.

Painter, illiam : 1.
Palma, Brian de : 1.
Par er, Charlie : 1.
Par s, Raymond : 1.
Par s, Rosa Louise : 1, 2, , 4-5, 6, 7.
Pastoureau, ichel : 1.
Peary, Robert dwin : 1-2.
Pedro I roi du ongo : 1, 2, -4.
Pélage, agloire : 1-2, , 4.
Pérec, arie-José : 1.
Peters, rno : 1.
Peters, John : 1.
Pétion, le andre : 1.
Petrovitch, braham, voir anibal.
Petrovitch, Joseph : 1.
Philonen o, le is : 1.
Pierre Ier le rand tsar : 1-2.
Pitts, elen : 1.
Piyé, en heperret pharaon : 1-2.
Platon : 1.
Polverel, Étienne : 1.
Pompidou, eorges : 1.
Pouch ine, le andre : 1, 2, -4.
Pouch ine, Nadine : 1.
Pouch ine, Serge : 1.
Preston, Larry . : 1.
Prévert, Jac ues : 1.
Purvis, illiam : 1.

Raimond, Julien : 1.
Rameau, Jean-Philippe : 1.
Ramp, James : 1.
Rams s II : 1
Reed, John : 1-2.
Reynaud Paligot, Carole : 1.
Reynolds, umphrey : 1.
Reynolds, ary Jane : 1.
Richardson, lbert C. : 1.
Richardson, illiam enry : 1.
Richepanse, ntoine : 1-2, , 4, 5-6.
Rillieu , Norbert : 1.
Rives, aurice : 1-2, .
Robinson, lbert R. : 1.
Robinson, Jac ie : 1.
Robinson, ichelle, voir Obama, ichelle.
Robinson, Sugar Ray : 1.
Rochambeau, onatien arie-Joseph de : 1-2.
Roc efeller, Nelson : 1.
Roger, ichel : 1.
Roosevelt, heodore : 1.
Ross, le ander : 1.
Ross, raminta, voir ubman, arriet.
Russel, Lewis . : 1.

Sabloni re, argrit de : 1.


Sabo, lbert : 1.
Saint- eorges, chevalier de : 1-2.
Saint-John Perse : 1.
Samba, Cheri : 1.
Sammons, alter : 1.
Sampson, eorge . : 1.
Sampson, enry homas : 1.
Sangchilli, Balta ar : 1, 2.
Sartre, Jean-Paul : 1, 2.
Scho berg, Christine-Régine de : 1.
Schoelcher, ictor : 1, 2- , 4, 5, 6, 7, 8-9.
Scott, Coretta : 1.
Scott, Robert P. : 1.
Scott, ony : 1.
Seegloo : 1.
Sefyu : 1.
Segond, Louis : 1.
Seldon, Bruce : 1.
Senghor, Léopold Sédar : 1, 2- , 4, 5.
Serbin, Sylvia : 1, 2, .
Seth : 1.
Shaba a pharaon : 1-2.
Shabata a pharaon : 1.
Sha espeare, illiam : 1, 2.
Sha ur, upac maru, dit 2Pac : 1-2.
Shaw, rtie : 1.
Shaw, arl : 1.
Sheriddan, Richard Brinsley : 1.
Shuttlesworth pasteur : 1.
Sisso o, Fily abo : 1.
Sisulu, alter : 1, 2.
Smith, Joseph . : 1.
Smith, ary Louise : 1.
Smith, ommie : 1-2.
Smith, illiam ardner : 1.
Soetoro, Lolo : 1
Soetoro, aya : 1.
Solitude : 1-2.
Sonthona , Léger-Félicité : 1-2, .
Spartacus : 1, 2.
Spencer, nne : 1.
Spi es, Richard : 1.
Stein, ertrude : 1.
Steinbec , John : 1.
Stenard, John : 1.
Stewart, homas . : 1.
Stiglit , Joseph . : 1.
Still, illiam : 1.
Su arno, hmad : 1.
Sullivan, Otha Richard : 1.
Sylla, yne : 1.

ahar a pharaon : 1-2.


a eb, aurice : 1.
ambo, Oliver : 1-2.
aylor, arshall alter, dit a or aylor : 1-2.
e ier de la Bo ssi re, Nicolas : 1.
hompson, . C. C. : 1.
horeau, enry avid : 1.
hore , aurice : 1.
huram, arianna : 1.
iemcoumba : 1.
ill, mmett : 1
obner, Odile : 1, 2, .
oussaint, Fran ois- omini ue, dit oussaint-Louverture : 1-2, ,
4-5, 6, 7, 8, 9, 10.
oussaint, Isaac : 1.
oussaint, Julienne : 1.
oussaint, Placide : 1.
oussaint, Su anne : 1.
outhm sis III : 1.
ruth, So ourner : 1-2.
ubman, arriet : 1, 2- , 4.
ubman, John : 1.
utu, esmond gr : 1, 2.
yson, i e : 1.

shanu huru : 1.

aillant-Couturier, Paul : 1.
auban, Sébastien : 1.
ercoutter, Jean : 1.
erner, Samuel Phillips : 1, 2.
idal, regorio : 1.
inta, impa, voir ona Béatrice.
irgile : 1.
olney comte de , Constantin-Fran ois : 1
oltaire : 1, 2.

al er, Charles Joseph : 1.


al er, Randy Stretch : 1.
allace, eorge : 1, 2, .
ashington, Boo er . : 1, 2- .
ashington, eorge : 1.
ayne, John : 1.
heatley, John : 1-2.
heatley, ary : 1.
heatley, Phillis : 1-2.
heatley, Susannah : 1.
hite, John homas : 1.
igny, Pierre : 1.
illiam, Carter : 1.
illiams, aniel ale : 1.
ilson, oodrow : 1.
inters, Joseph R. : 1.
ood, F. J. : 1.
oodhull, ictoria : 1.
oods, ranville . : 1-2, -4.
oods, iger : 1.
right, llen : 1.
right, Jane Coo e : 1.
right, Julia : 1, 2, , 4.
right, Louis omp ins : 1.
right, Richard Nathaniel : 1-2, , 4, 5, 6.

anthos : 1

oung, Lester : 1.

hou, nlai : 1.
ingha, nne : 1-2.
ola, Émile : 1, 2.

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