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Sous la direction de

Mathias Éric OWONA NGUINI (Pr)


et
Edmond VII MBALLA ELANGA (MC)

Le fédéralisme communautaire est-il soluble


dans la République du Cameroun ?
Représentations, Énonciations, Mobilisations et Projections
Cet ouvrage a été réalisé par les éditions Pygmies
Douala, Cameroun
Tél. : +237 677 47 85 55 - +237 677 13 42 11
contact@pygmieseditions.com
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Tous droits réservés pour tous pays.

Dépôt légal.
© Éditions Pygmies, 2023

ISBN : 979-10-424-1044-5
Ont contribué :
BIDIMÉ EPOPA Charles est un chercheur actif, titulaire d’un doctorat PhD en histoire
des relations internationales. Son champ de recherche couvre les questions de
polémologie/irénologie et d’histoire contemporaine. Il est auteur de plusieurs articles et
autres publications scientifiques.
BEKOMBO Claude Jabea est coordonnateur du Centre d’études et de recherches sur
le sport en Afrique (CERSA) et chercheur au Centre d’études et de recherche en droit,
économie et politique du Sport (CERDEPS) de l’Université de Yaoundé II.
BITOUGA Bernard Aristide est titulaire d’un doctorat PhD en anthropologie sociale et
culturelle. Sur le plan professionnel, il est enseignant-chercheur à l’Université de Douala.
Sur le plan politique, il est le président du bureau politique national du Parti camerounais
pour la réconciliation nationale (PCRN), présidé par l’honorable Cabral Libii, auteur de
l’ouvrage sur le fédéralisme communautaire au Cameroun.
BIWONI AYISSI Jean-Pierre est enseignant-chercheur, chargé de cours à la faculté
des sciences juridiques et politiques de l’Université d’Ebolowa, département de science
politique. Il est par ailleurs chercheur associé au Groupe de recherche sur le
parlementarisme et la démocratie en Afrique (GREPDA) et membre de la Société
africaine de géopolitique et d’études stratégiques (SAGES).
DJAMEN Célestin est juriste de formation et homme politique, président de l’Alliance
Patriotique Républicaine. Il est par ailleurs un ancien cadre du Social Democratic Front et
du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun. Il fit ses études primaires à l’école de la
Mission catholique de Deido (Saint-Lwanga), puis secondaires successivement au collège
jésuite Saint-Michel de la Cité-Sic Bassa (Douala), puis au lycée Joss à Bonanjo (Douala).
Il effectue ensuite ses études supérieures à Paris (Panthéon-Sorbonne), en France. Jusqu’en
2000, il était collaborateur au cabinet Edric Consulting à Paris jusqu’en 2000.
EPOH-EPOH Benjamain est doctorant en philosophie à l’Université de Maroua. Ses
travaux de recherche portent notamment sur la justice sociale et la pensée
cosmopolitique en relation avec des questions culturelles, identitaires et juridiques.
ETA-FOUDA BIDZOA Sabine Célestine est docteure, enseignante au département de
Psychologie de l’Université de Douala. Ses recherches portent sur la psychologie du
développement humain et notamment l’axiologie numismatique, la psychologie du
commandement, la communication stratégique et idéologique, l’ingénierie sociale, et la
neuropsychologie. L’auteure mène des recherches pertinentes ayant une portée stratégique
avérée et pouvant avoir un impact direct dans la vie quotidienne, elle s’intéresse à tout ce qui
concerne les valeurs, la souveraineté des nations et la préservation de l’authenticité culturelle.
GLO Nicodème est enseignant-chercheur à l’Université de Buéa (Cameroun). Il est
membre du Groupe de recherche international en sciences humaines pour le
développement (GRISHD) basé à Abidjan (Côte d’Ivoire), et membre de la société
savante Cheikh AntaDiop (SS-CAD) dont le siège est à Douala (Cameroun).
ISSEKIN Yvan est docteur PhD en science politique (Université de Yaoundé II).
Chercheur au Centre d’études et de recherche en dynamiques administratives et politiques
(CERDAP), au Centre en droit, économie et politique du sport (CERDEPS) de la même
université, il intervient aussi au Centre de recherches, d’études diplomatiques,
internationales et stratégiques (CRÉDIS) et au Centre d’études et de recherches sur le
Sport en Afrique (CERSA). Ses travaux portent sur la sociologie électorale, les politiques
symboliques, la géopolitique locale, les politiques sportives et les mobilisations en ligne.
MBALLA ELANGA Edmond VII est titulaire d’un doctorat PhD, enseignant-
chercheur, maître de conférences à l’Université de Douala, à la Faculté des Lettres et
Sciences humaines (Laboratoire des sciences de l’Homme et de la Société, département
de sociologie). Il est coordonnateur du Centre de recherche appliquée en sciences
humaines et sociales, membre du Conseil scientifique du Rédoc (Réseau international
d’écoles doctorales en sociologie/sciences sociales de l’Association internationale de
sociologues de langue française), de la Société internationale de sociologie des religions
(SISR) et de l’Association américaine de science politique où il est par ailleurs
examinateur des subventions du Centennial Center for Political Science and Public
Affairs.
NEBEU Jean Daniel est titulaire d’un doctorat PhD en histoire politique et des relations
internationales. Il est enseignant-chercheur au département d’histoire de l’Université de
Yaoundé 1. Son domaine de compétence scientifique porte sur l’histoire des institutions
et la problématique de démocratie. Il occupe le poste de secrétaire général du groupe de
recherche Collective Memory and Internet (CMI) et est membre du Laboratoire d’études
politiques et des relations internationales (LAEPORI).
NGABA Serge Remy est doctorant en sociologie politique à l’Université Pontificale
Grégorienne de Rome (Italie). Titulaire d’une licence en histoire des relations
internationales, de deux masters en sociologie et en sciences politiques, il est membre
de l’Association américaine de science politique et du Centre de recherche appliquée en
sciences humaines et sociales.
OUAMBO OUAMBO Joselin Paulin est chercheur junior au département
d’anthropologie de l’Université de Douala. Il est par ailleurs membre du Laboratoire des
sciences de l’Homme et de la Société de la même Université.
OWONA NGUINI Mathias Éric est vice-recteur à l’Université de Yaoundé 1,
professeur titulaire des universités et docteur en science politique (Université de
Bordeaux IV-Montesquieu et diplômé de l’Institut d’études politiques de Bordeaux,
Section politique et sociale). Il est chercheur à la Fondation Paul Ango Ela, rédacteur en
chef de la Revue camerounaise de science politique Polis de 1999 à 2004, un des
rédacteurs et animateurs de la Lettre d’information Conjoncturis de la Fondation Paul
Ango Ela, Directeur de séminaire à l’ESIG, Directeur du CERDAP (Centre d’Étude et de
Recherche sur les Dynamiques Administratives et Politiques) et du LASTAP (Laboratoire
des Sciences Théoriques et Appliquées du Politique) de l’Université de Yaoundé 2.
WANGBA J. Joseph est enseignant-chercheur (assistant) à l’Université de Ngaoundéré
(Cameroun), précisément à la faculté des sciences juridiques et politiques, département
de science politique. Il est titulaire d’un PhD en science politique, et est par ailleurs
membre de l’International Peace Research Association (IPRA) et de l’American
political science association (APSA).
WOGAING FOTSO Jeannette est anthropologue, maître de conférences,
enseignante-chercheure au département d’anthropologie de l’Université de Douala. Elle
est coordonnateur adjoint du Laboratoire des sciences de l’homme et de la société de la
même Université, membre du Cercle de recherche des enseignants de la Faculté des
lettres et sciences humaines de l’Association internationale de sociologues de langue
française, du Higher Institute for Growth in Health Research for Women (Higher
Women) Consortium. Ses centres d’intérêt sont les questions féminines (maternité,
femme dans l’académie, en milieu carcéral) et contemporaines (les violences).
Remerciements
Les directeurs de publication remercient les personnes morales ou physiques
ci-dessous, pour leur accompagnement et leur appui multiforme :

− Alain Fleury EKORONG (PhD, MC, Université de Douala) ;


− Armand LEKA ESSOMBA (PhD, Pr, Université de Yaoundé 1,
CERESC) ;
− Centre de Recherche appliquée en sciences sociales et humaines
(CRASSH) ;
− Christian BIOS NELEM (PhD, MC, Université de Yaoundé 1) ;
− Isidore Pascal NDJOCK NYOBE (PhD, MC, Université de Douala) ;
− Jean-Marcel ESSIENE (PhD, MC, Université de Douala) ;
− Joseph-Marie ZAMBO BELINGA (Pr, Université cd Yaoundé 1) ;
− Laboratoire camerounais d’Études et de Recherches sur les Sociétés
contemporaines (CERESC) ;
− Laurain Lauras ASSIPOLO NKEPSEU (PhD, CC, Université de
Douala) ;
− Marcelin MANGA LEBONGO (PhD, CC, Université de Yaoundé 2,
CERESC) ;
− Thomas Théophile NUG BISSOHONG (CC, Université de Douala) ;
− Université de Douala, Faculté des Lettres et Sciences Humaines,
Laboratoire des sciences de l’Homme et de la Societé.
This publication was made possible by a grant from the
American Political Science Association.
The statements made and views expressed are solely the
responsibility of the author.

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Research Partnerships on Critical Issues Grant Project

Comment les dirigeants politiques et les citoyens peuvent-ils s’adapter à la


diversité culturelle dans un État profondément multiculturel ou multiethnique ?
Quelle forme l’État devrait-il prendre pour s’adapter à une citoyenneté
diversifiée avec une histoire de tensions culturelles et ethniques ? Ces questions
sont au cœur de certains des défis politiques les plus importants du XXIe siècle
et font l’objet d’un projet soutenu par la Bourse APSA 2023 (Research
Partnerships on Critical Issues grant awarded by the Centennial Center for
Political Science and Public Affairs).
INTRODUCTION
Le fédéralisme communautaire au Cameroun, une
thématique à l’épreuve de l’ontologie et de l’axiologie
politiques de l’État, de la Nation et de la République au
Cameroun : une critique sociopolitiste de sa fiabilité éthique et
de sa recevabilité nomique

Mathias Éric OWONA NGUINI et Edmond VII MBALLA ELANGA (Dir.)

La collectivité sociétale et étatique camerounaise est traversée et travaillée,


des années 2010 aux années 2020 – par des dynamiques frictionnelles et
tensionnelles expressives de contradictions caractérisant les dynamiques
conventionnelles-organisationnelles ou les dynamiques institutionnelles-
régulationnelles caractéristiques des « sociétés plurales » (Furnivall, 1939). Où
l’on voit comment la formation sociale et étatique camerounaise doit faire face
à des contraintes stratégiques multiples à même de mettre à l’épreuve ses
formules de coordination, de régulation et de stabilisation1.
Le processus de démocratisation du champ sociétal et politique camerounais,
déjà confronté aux tensions résultant de sa conversion systémique au pluralisme
institutionnel et organisationnel, doit également faire face aux crispations
provenant de l’avènement d’un « temps de réactivation des conflits identitaires et
de construction d’une identité nationale plurielle » où les clivages
communautaires resurgissent avec acuité dans l’espace public (Menthong, 1998,
p. 41). En lien avec ce processus de démocratisation, il y a effectivement, depuis
les années 1990 jusqu’aux années 2020, une dynamique tensionnelle susceptible
d’activer de vives compétitions et confrontations identitaires ou communautaires
au sein du macrocosme sociétal et souverain au Cameroun.
La dynamique sociétale et souveraine camerounaise est caractérisée par une
hétérogénéité communautaire et identitaire significative, laquelle correspond à une
configuration historique et anthropologique de « pluralisme culturel » pouvant
mettre en question une évolution sereine des institutions constitutives de « l’État-
nation » (Sindjoun, 1996, pp. 87-115)2. C’est que la gestion politique et stratégique
de ce pluralisme culturel peut être obstruée par l’activation ou la réactivation de
compétitions et confrontations inter-communautaires diverses à l’exemple des

1 Les sociétés plurales sont caractérisées par la multiplicité des entités identitaires et
communautaires (clans, tribus, ethnies, confessions, blocs ethno-régionaux) fondée sur une
grammaire primordialiste de l’appartenance (Geertz, 1963 et 1973).
2 Sur le pluralisme culturel comme schématique configurationnelle expressive de formations

sociales posées en collectivités composites.

9
conflits Nord/Sud, Francophones/Anglophones, Beti/Bamileké, Kirdi/Islamo-Peuls
à même de compromettre la cohésion stato-nationale et stato-républicaine.
Le ravivement des frictions et tensions inter-communautaires et inter-
identitaires au sein de la collectivité sociétale et étatique camerounaise entre
les années 2010 et les années 2020, trouve sa source dans les affirmations et
mobilisations communautaires, comme on peut le voir avec la réarticulation et
la réactivation du « problème anglophone » (Konings et Nyamnjoh, 1994).
C’est qu’en effet, cette problématique identitaire liée à l’autonomisme
anglophone balançant entre les mouvances fédéralistes et les mouvances
séparatistes, est l’un des signes de la réactivation de tensions identitaires et
communautaires dans la formation sociale et étatique camerounaise au cours
des années 2010. Une telle évolution appelle à examiner les niveaux de densité
orientationnelle et organisationnelle de « régimes de communautarisation » ;
lesquels régimes peuvent proposer des formules régulationnelles (Owona
Nguini, 2021).
La résurgence en forme spiralée de fluctuations et ondulations identitaires
est expressive d’une relance de la dialectique agonistique liée à « la réactivation
des conflits ethno-régionaux constitués en enjeu politique » dans l’espace
sociétal et souverain camerounais entre les années 2010 et les années 2010
(Menthong, 1996, p. 150). Une telle évolution appelle la collectivité sociétale et
étatique camerounaise à prendre la mesure de cette dynamique frictionnelle et
tensionnelle, qui va (re) modeler les relations entre les différentes entités
sectionnelles et segmentaires à travers lesquelles le pluralisme culturel
s’exprime et s’organise au sein du Cameroun comme ensemble collectif.
La réarticulation et la réactivation des dynamiques identitaires et
communautaires d’action ont mis en évidence le fait que l’ordre gouvernant et
institutionnel camerounais a dû faire face à la matérialisation et la manifestation
de « lieux de conflits communautaires » dotés d’une configuration homomorphe
et homologique de celle des années 1990 (Bigombe Logo et Menthong, 1996, p.
23)3. Où l’on voit comment la société étatique camerounaise se trouve à
nouveau confrontée à la dialectique entre sa structuration comme formation
transcendante (fondée sur la souveraineté) et sa composition comme formation
marquée par sa segmentarité et sa sectionnalité immanentes, dialectique qui
s’est réaffirmée entre les années 2010 et les années 2020.

3 Patrice Bigombe Logo et Hélène-Laure Menthong attentifs aux processus socio-culturels,


anthropo-culturels et politico-culturels s’inscrivant dans les changements politiques visualisés
comme dynamiques de rupture post-monopoliste de la continuité politique au sein de l’ordre
social et politique camerounais au début des années 1990, ont bien mis en évidence cette
conflictualité inter-communautaire.

10
Les dynamiques renouvelées d’expression et d’action collectives à travers
« l’affirmation ethno-régionale » entre les années 2010 et les années 2020, ont
conduit à des situations de (re)mise en question des processus de construction
et production politiques des démarches institutionnelles et régulationnelles
vouées à assurer « l’intégration nationale » (Owona Nguini, 1994). En effet, les
centres étatiques de domination et de régulation qui disposent des commandes
souveraines au sein de la machinerie stato-nationale camerounaise, sont tenus
de relever les défis répétés d’unification politique posés en raison de logiques
antagoniques de tensions inter-identitaires et inter-communautaires.
Dans une telle écologie situationnelle, les différentes composantes de la
formation sociale et étatique camerounaise continuent tant bien que mal de gérer
les effets complexes de « l’émergence démocratique dans les sociétés plurales »,
comme « passage relatif ou problématique à un régime d’institutionnalisation de
la production de la contradiction, de la compétition et d’accroissement des
libertés » (Mabou, 2018, p. 13)4. C’est que la formation sociale et étatique
camerounaise, travaillée par son hétérogénéité co-constitutive, est tenue de faire
face aux implications et répercussions conflictogènes et crisogènes qui émanent
de ladite hétérogénéité. Il convient en effet de savoir quels outils régulationnels
et fonctionnels sont en mesure d’ordonner la « nouvelle scène politique sur
laquelle les communautés ethniques se donnent à voir, s’épient, rivalisent, voire
s’opposent parfois pour la conquête, le contrôle ou la préservation du pouvoir
politique » (Mabou, ibid.).
Il s’agit de cerner comment le champ social et politique camerounais
travaillé de manière périodique et cyclique par des crispations simultanément
factionnelles et sectionnelles qui se sont répétées entre les années 2010 et les
années 2020, fait face à la dialectique « entre les dynamiques de la coalescence
et celles de la segmentation » (Mbembe, 1993, p. 367). Dans ces conditions, on
peut observer que le questionnement à développer et à déployer concerne la
prise en charge politico-institutionnelle et politico-conventionnelle de la
diversité à partir d’orientations instituantes proposées comme « solutions
institutionnelles » (Dobry, 1992, p. 221).
Le questionnement qui organise le présent ouvrage et qui est figuré par son
titre, en est la problématique de cadrage : « Le fédéralisme communautaire est-
il soluble dans la République du Cameroun ? »5. C’est ce questionnement qui
organise le projet scientifico-heuristique et scientifico-épistémique autant que
politico-heuristique et politico-épistémique qui s’énonce et s’organise dans le

4 Mabou Mabou met bien en lumière les frictions et tensions associées à la conjoncture de la
démocratisation de l’interdépendance inter-communautaire constituée dans une formation stato-
nationale et socio-multinationale camerounaise posée en société plurale.
5 Ce questionnement est énoncé dans une logique gnoséologique et épistémologique homologue

à celui de Luc Sindjoun s’interrogeant sur le caractère soluble des démocraties dans les sociétés
plurales (Sindjoun, 2001).

11
présent ouvrage. Avant d’y répondre, il est important de souligner que la
discussion sur le fédéralisme communautaire comme orientation instituant
relative à la forme de l’État apparaît en tant que formule concrète de
l’Unitarisme primo-westphalien ou État centralisé, ou de l’Unitarisme
Décentralisé mais aussi du fédéralisme territorial bi-culturel ou du fédéralisme
territorial multi-régional6. Le fédéralisme communautaire ressortit bel et bien
du « fédéralisme multinational » (Gagnon, 2006).
Le questionnement avant d’être constitué en problème sociologique et en
problème politologique, en problème scientifique, a résulté d’un problème
politique, d’un problème social, d’un problème pratique. Ce questionnement
émerge à partir de 2015 à l’occasion d’une intervention de l’universitaire Mathias
Éric Owona Nguini recommandant d’aller plus loin que l’équilibre régional à la
radio FM Tolly FM, le 15 septembre de cette année-là7. Dans cette optique, le
fédéralisme communautaire envisagé comme une forme de l’État ne l’est pas sur
un mode absolu, inconditionnel et incontournable. La version prudente,
prudentielle même du fédéralisme communautaire proposée par Mathias Éric
Owona Nguini n’est pas posée comme une nécessité mais comme une possibilité
s’exprimant toujours sur les problèmes institutionnels et/ou constitutionnels
soulevés par la réactivation des tensions communautaires, Mathias Éric Owona
Nguini intéressé par l’enjeu de « donner une forme acceptée à une visée
d’autonomie régionale et locale sans menacer la garantie pacifique de la stabilité
étatique et nationale » en lien avec « la base communautaire des États »,
préconise le « Fédéralisme Communautaire » comme « système institutionnel
permettant d’asseoir un État multinational et multiculturel »8. Soucieux de
souligner le caractère transversal de sa démarche, Mathias Éric Owona Nguini
évoquant toujours ce « fédéralisme communautaire » considère qu’un « tel
système est à aménager pour concrétiser une visée de Self-Government local et
régional qui pourrait être « si on n’est pas pris dans les biais du fétichisme
institutionnel et constitutionnel, être initié à travers un schéma avancé et
approfondi de la décentralisation ».
En ouvrant cette discussion, Mathias Eric Owona Nguini a évoqué une
thématique bien établie dans les sciences théoriques et appliquées du gouvernement
et du pouvoir en ce qui concerne le fédéralisme communautaire, le « système du
Millet » comme forme de fédéralisme dite fédéralisme personnel (Weber, 1986). Il
l’a fait plus sur une base procéduraliste et instrumentaliste que sur une base
primordialiste et essentialiste, car il ne s’est pas contenté d’intégrer les

6 En tant que forme d’État relevant du type de l’État fédéral, le fédéralisme multinational correspond à
une forme complexe d’État où les structures fédérées font l’objet d’un ciselage identitaire.
7 Mathias Éric Owona Nguini avisé des questionnements universitaires et savants sur les formes

unitaires ou fédérales d’État, a mis l’accent sur les systèmes institutionnels de fédéralisme
personnel/fédéralisme multinational.
8 Mathias Éric Owona Nguini en contribuant à la politisation pro-légitimante d’un

questionnement sur le fédéralisme multinational, l’a examiné sous l’angle d’un raisonnement
communautaire.

12
considérations liées à la gestion politique des « sentiments primordiaux » Geertz,
1963). C’est dans ce cadre situationnel que la discussion publique au sein de la
collectivité sociétale et souveraine étatique camerounaise a commencé à faire droit
à cette thématique que la culture politologique connaît bien.
La thématique du fédéralisme communautaire examinée d’un point de vue
épistémique et analytique n’est une nouveauté ni au Cameroun ni dans le reste
de l’Afrique, parce qu’elle repose sur un système bien connu, le « système du
Milliyet » comme formule politico-axiomatique (et politico-pragmatique)
d’origine turque ; formule dans laquelle « seules sont prises en compte les
communautés qui se définissent comme telles par l’origine et/ou la religion et
constituent ainsi une fédération » (Abangapakwa Nzeke, 2017)9. C’est par la
médiation initiale d’une intervention politico-intellectuelle faite comme indiqué
plus haut qu’elle s’inscrit grâce à Mathias Éric Owona Nguini dans le débat
public camerounais, avant d’être mobilisée — sans inventaire — par Cabral
Libii qui va tenter de faire croire qu’il est le créateur de ce concept et du courant
qu’il exprime à partir de 202010.
L’orientation communautarienne donnée par Mathias Éric Owona Nguini
sur le fédéralisme communautaire comme possibilité plutôt que
nécessivité/exclusivité en termes de forme de l’État disponible pour le
macrocosme sociétal et national camerounais, indique qu’il a privilégié dans sa
lecture politico-intellectuelle et intellectuolo-institutionnelle, l’obligation de
« solidarité » en lien « avec des appartenances, des histoires et des loyautés »
plutôt que l’obligation d’identité (Owona Nguini et Mballa Elanga, 2021),
(Taylor, 1992) et (Macintyre,1993). Ce faisant, il a formulé avant Cabral Libii
et accessoirement Serge Matomba ou Dieudonné Essomba, des termes
transversaux plutôt que primordiaux d’un échange public sur le fédéralisme
communautaire comme forme d’État.
Le présent projet dirigé par Mathias Éric Owona Nguini et Edmond VII
Mballa Elanga VII inscrit les recherches faites sur le fédéralisme
communautaire dans une optique gouvernée épistémiquement, analytiquement
et herméneutiquement par « une démarche de distanciation » (Elias, 1991, p.
167). C’est ce qui leur permet d’organiser le projet qui a donné lieu au présent
ouvrage en balayant les différentes positions disponibles dans l’espace de la
discussion publique camerounaise sur la bonne forme entre unitarisme primo-
westphalien/centralisé, unitarisme néo-westphalien/décentralisé, fédéralisme
territorial biculturel, fédéralisme territorial/multirégional ou fédéralisme
communautaire/multinational11. Il n’est donc pas question de ratifier les

9 Léon Abangapakwa Nzeke, politologue du Congo-RDC (République Démocratique du Congo)


est l’un des spécialistes africains à s’intéresser au gouvernement démocratique et politique des
problématiques identitaires et communautaires.
10 C’est sans conteste par la médiation de Mathias Éric Owona Nguin que Cabral Libii est devenu

attentif aux formulations et orientations du fédéralisme communautaire comme expression singulière.


11 Le présent ouvrage sur le « fédéralisme communautaire » placé sous la direction de Mathias

Éric Owona Nguini et Edmond VII Mballa Elanga) permet à des acteurs/créateurs/producteurs

13
orientations instituantes ou constituantes en termes de fédéralisme
communautaire au sein de la formation sociale et étatique camerounaise.
Une interaction et une interdépendance dialectiques vont se nouer dans la
discussion publique camerounaise entre la vision politico-intellectuelle
réflexive (Owona Nguini et Mballa Elanga), mais aussi critique et la définition
politico-idéologique normative et canonique autour du fédéralisme
communautaire (Cabral Libii, Serge Espoir Matomba, voire Dieudonné
Essomba). Dans cette optique, la vision politico-intellectuelle, mais aussi
politico-scientifique qui a gouverné l’examen des ressorts axiologico-politiques
et ontologico-politiques des échanges/luttes autour du fédéralisme
communautaire comme orientation politico-institutionnelle, mobilise
effectivement une axiologie sous-jacente de la communauté — de facture
communautarienne qui met en valeur « une certaine solidarité concrète »
(Taylor, 1992, p. 60).
En raison de sa référence transversalisme communautarienne, la vision
politico-intellectuelle distanciée du fédéralisme communautaire semble opposé
au fétichisme primordialiste, même si son défenseur de prédilection, Cabral
Libii pose du point de vue onto-axiologique et onto-idéologique que « la
solution pour régler plusieurs problèmes que connaît le Cameroun est d’opter
pour le fédéralisme communautaire » 12. C’est donc en réalité comme un
élément de rebond politico-idéologique tirant profit de la mobilisation politico-
intellectuelle initiale sur le fédéralisme communautaire dès 2015, que Cabral
Libii clarifie/précise son positionnement doctrinal sur « le fédéralisme
communautaire » en vue de « fédérer les différences et de les mettre sur l’orbite
d’une destinée commune » (Libii, 2021, p. 43).
Les considérations de clarification conceptuelle et doctrinale étant précisées,
on peut alors dire que le questionnement envisagé au sujet du fédéralisme
communautaire en République du Cameroun appelle la problématisation suivante
comme dynamique d’élucidation du questionnement : « Comment convient-il
d’appréhender le fédéralisme communautaire au Cameroun ? ». À cette
problématique centrale correspond l’hypothèse centrale suivante prenant en
considération le questionnement figurant dans le titre du présent ouvrage : « Il
convient d’appréhender le fédéralisme communautaire au Cameroun en mettant
en évidence le fait qu’il s’agit d’une orientation instituante et/ou constituante dont
les modèles de l’État, de la Nation et de la République portées sur une valorisation
des différences communautaires, donne lieu à la construction d’une controverse

des sciences sociales, de profiter de la conjoncture de réaffirmation du débat sur la forme de


l’État dans la collectivité sociétale et étatique camerounaise en vue d’examiner les conditions de
la problématisation gouvernant ce débat au sein de la fonction sociale et étatique camerounaise à
partir de la deuxième moitié des années 2010.
12 On voit bien s’exprimer une version souple, relationnelle et construite du fédéralisme

communautaire présentée comme possibilité (Mathias Éric Owona Nguini, Edmond Mballa
Elanga VII) qui est distincte de la version rigide, substantielle et primordiale de Cabral Libii et
ses associés politiques du PCRN, envisagée comme nécessité.

14
correspondant d’abord à une dialectique affirmée des représentations et
énonciations au sujet de ce modèle (première partie) puis d’une dialectique
éprouvée des mobilisations et projections organisées autour dudit modèle
totalisant (deuxième partie). La méthodologie fondée sur une logique générique
et structurante d’« anthropologie réflexive » et de « sociologie réflexive » a été
retenue comme cadre régulateur pour préserver la construction d’une cohérence
analytique et épistémique, ceci en dépit de schémas empirico-descriptifs variables
et/ou variés (Bourdieu, 1992)13.
C’est grâce à cette démarche configurée sur des bases dialectiques que l’on
peut mettre en lumière et en exergue la diversité des visions/orientations et des
actions/mobilisations relatives au fédéralisme communautaire comme enjeu
instituant/constituant dont il convient d’évaluer l’intelligibilité et la faisabilité
de ce modèle.
À l’analyse, il convient de comprendre comment la discussion publique et
politique sur le fédéralisme communautaire au Cameroun ou à voir avec les
dynamiques d’effervescence et de codescence communautaires/identitaires au
sein de la collectivité sociétale étatique camerounaise ; lesquelles dynamiques
ont à voir avec la radicalisation de « l’anglophonie identitaire » au travers de
la montée en régime de « l’ambazonisme armé » entre 2015 et 2017 (Owona
Nguini, 2017 et 2018). C’est dans ce contexte qu’on a assisté à la montée en
puissance des options multi-culturalistes/multi-nationalistes du mouvement
fédéraliste mettant en question la viabilité institutionnelle et politique de la
forme de l’État correspondant à l’État unitaire même décentralisé.
En mettant en évidence cette discussion autour du « dispositif du Miliyet »
qui est la structure du fédéralisme communautaire, il s’agit de souligner aussi
bien la dialectique critique ayant trait aussi bien à l’ontologie politique qu’à
l’axiologie politique concernant l’État, la République et la Nation ; ces
différentes catégories politico-institutionnelles et socio-politiques étant à
utiliser pour éprouver le fédéralisme communautaire par rapport au système
sociétal et étatique camerounais (Weber, 1986)14.
C’est compte tenu de ces considérations simultanément épistémologiques
que méthodologiques qu’il convient d’abord d’évaluer « l’ontologie politique de
l’État, de la République et de la Nation à l’épreuve du fédéralisme
communautaire comme modèle au Cameroun » (I) avant de faire de même à
propos de « l’axiologie politique de l’État, de la République et de la Nation à
l’épreuve du fédéralisme communautaire comme modèle au Cameroun » (II).

13 Une perspective réflexive/réflexiviste raisonnée et tempérée d’analyse socio-anthropologique


et socio-politologique paraît avisée dans l’examen épistémologique et méthodologique du débat
entre partisans et adversaires du fédéralisme communautaire au sein de la collectivité sociétale
et souveraine Camerounaise.
14 Un positionnement dialectique est approprié pour saisir les logiques doctrinales, normatives et

opérationnelles en compétition autour des formules institutionnelles conformes ou opposées au


fédéralisme communautaire en tant que forma status respublicae.

15
1. L’ontologie politique de l’État, de la République et de la
nation à l’épreuve du fédéralisme communautaire comme
modèle au Cameroun : une critique sociopolitiste de sa
fiabilité éthique
Par ces termes, on veut dire que les constructions perceptuelles ou
conceptuelles du fédéralisme communautaire relativement à l’être politique de
l’État, correspondent à une compétition définitionnelle, laquelle compétition
conduit à une mise en discussion de la teneur substantielle de cette forme de
l’État comme modèle légitime d’organisation politique et sociale de la
puissance souveraine camerounaise. Ce faisant, le bien-fondé de cette formule
étatique est mis en doute surtout quand certains adversaires de cette orientation
y voient du « nativisme », tenant cela pour une caractéristique rédhibitoire
(Pluriel, 1997, p. 68). Où l’on voit que ces contradicteurs mettent en question la
fiabilité de ce dispositif.
La discussion publique initiée au Cameroun entre la fin des années 2010
(2017-2019) et le début des années 2020 (2020-2023) intègre des points de vue
mettant effectivement en doute la capacité du fédéralisme communautaire à
pouvoir assurer « les rapports de reconnaissance réciproque » qu’appelle le jeu
de la citoyenneté (Habermas, 2014 : 99)15. C’est compte tenu de cela qu’il
convient d’analyser « la fiabilité éthique réinterrogée d’une ontologie
centraliste de l’État et du souverain par une ontologie pluraliste liée au
fédéralisme communautaire » (A-1) avant d’étudier « la fiabilité éthique
questionnée d’une ontologie réaliste de la République et de la Nation par une
ontologie organiciste associée au fédéralisme communautaire (B-2).

A.1. La fiabilité éthique réinterrogée d’une ontologie centraliste de


l’État et du souverain par une ontologie pluraliste liée au
fédéralisme communautaire

Par ces termes, on veut mettre en lumière le fait que le modèle du fédéralisme
communautaire a donné lieu à une discussion publique au sein de l’espace
sociétal et souverain camerounais ; laquelle discussion a permis aux défenseurs
de cette forme de fédéralisme multinational de remettre en question un modèle
d’être centraliste de l’État et de susciter de ce fait la réaction contradictoire des
tenants du « centralisme prégnant ».
En procédant de la sorte, les promoteurs du fédéralisme communautaire ont
questionné la valeur d’être associée à l’ontologie politique gouvernante et

15La réflexion du théoricien politique et philosophe politique allemand Jurgen Habermas sur les
conditions de l’intégration républicaine sait se montrer attentive à l’importance des mécanismes
de reconnaissance réciproque pour la construction de la citoyenneté dans des États républicains
consistants.

16
dominante du « Cameroun un et indivisible » (Ngniman, 2019). Où l’on voit
comment s’est initié un débat politico-intellectuel et politico-idéologique sur la
légitimité politico-morale de la forme de l’État.
La mise en discussion de l’ontologie centraliste de l’État et du souverain par les
tenants du fédéralisme communautaire s’exprime à travers leur discours de
délégitimation du modèle unitaire disqualifié pour son « centralisme inhibant
(Libii, 2021, p. 22). Afin de cerner ce débat, il convient de saisir les formes
d’une « fiabilité éthique en décalage avec l’ontologie souveraine de l’État fondé
sur un socle léviathanique » (1-A-1) puis celles d’une « fiabilité éthique du
fédéralisme communautaire en déphasage avec l’ontologie unitariste de l’État
posé comme instance indivisible » (2-A-1) et enfin celles « d’une fiabilité
éthique du fédéralisme communautaire en décrochage avec l’ontologie
individualiste de l’État » (3-A-1).
1.A.1. Une fiabilité éthique du fédéralisme communautaire en décalage
avec l’ontologie souveraine de l’État fondé sur un socle
léviathanique
Par ces termes, on veut dire que les positions politico-intellectuelles ou
politico-idéologiques favorables — à des degrés divers — au fédéralisme
communautaire au sein de la formation sociale et étatique camerounaise
mettent en question le mode d’être politico-constitutionnel et politico-
institutionnel correspondent à l’État Unitaire. Ainsi, l’entrepreneur politique
qui a opportunément, voire opportunistiquement fait du « fédéralisme
communautaire » la marque emblématique de son offre programmatique,
disqualifie-t-il une vision monologique de « la nation unie » et n’envisage cette
dernière qu’à travers sa structuration componentielle par « le fédéralisme des
peuples » (Libii, 2021, p. 38).
L’orientation de fondation ontologique proposée par le fédéralisme
communautaire va clairement à l’encontre de l’unitarisme souverainiste qui est
la matrice de l’ontologie gouvernante de l’État associée à la vision dirigeante
du président Paul Biya et de son régime, avec son parti hégémonique : « Le
Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais entend… encourager
l’émergence rapide de toutes les possibilités de solidarité inter-ethnique qui
doivent conduire au dépérissement progressif des sectarismes actuels… C’est
par là que le Cameroun de sa simple définition actuelle en tant qu’État
souverain, acquerra une consistance sociologique nationale » (Biya, 1987, pp.
34-35)16. Où l’on voit l’expression de formes d’être de l’État valorisant la
puissance étatique dans un registre léviathanique aux antipodes d’une vision
pluraliste de l’État.

16 Par cette formulation, le Président Paul Biya en tant que leader central souligne l’optique
rationaliste et transcendante mobilisée par son appareil gouvernant dans le cadre des stratégies
et techniques de construction stato-nationale et stato-républicaine, démarches orientées vers une
gestion transversaliste des différences.

17
À défaut de disqualifier une ontologie moniste de la construction étatique
de manière radicale, le « Fédéralisme Communautaire » réduit la distance
entre « État Multinational » et dynamique unitaire ou autonomique liée à un
« pacte de décentralisation »17. Cela correspond en tout cas à une vision de
l’organisation politico-constitutionnelle et politico-institutionnelle dans
laquelle l’Être de l’État ne correspond pas à un corpus politicum figuré en
« Léviathan » (Hobbes, 1971). Bien entendu, une telle optique est en complète
dissonance avec la figuration monômique de la formation étatique
camerounaise et de la dynamique de construction nationale. La logique
idéologico-doctrinale du fédéralisme communautaire valorise une ontologie en
termes de « pluralisme démotique » (Cuvelier, 2019).
Parce que le fédéralisme communautaire organique véhiculé par Cabral Libii
met ontologiquement en exergue « l’essence communautaire des peuplements
camerounais », il exprime son désaccord substantiel avec « la souveraineté
unie » qui est la matrice institutionnelle fondatrice de la construction stato-
nationale. Cela n’empêche pas certains des analystes du présent ouvrage de
l’aborder de manière critique : «…la rationalisation du fédéralisme
communautaire suggère prudence, réflexion et prospective pour son
implémentation au Cameroun » (Mballa Elanga et Ngaba*)18. D’autres
analystes plus compréhensifs pour l’ontologie politique du fédéralisme
communautaire, n’en reconnaissent pas moins que ce modèle relève d’une
ontologie politique exposant la collectivité sociétale et souveraine
camerounaise à « une fragmentation de la société en une multitude de
subcultures qui se retranchent sur elles-mêmes », cela même s’il permet
« d’assurer la représentativité politique, groupes communautaires fragiles »
(Epoh Epoh*) et « qu’il est désormais important de faire des projets de société
qui tiennent compte des réalités anthropologiques qui portent davantage sur la
diversité des peuples, des cultures et de leur besoin » (Wogaing et Ouambo
Ouambo*).

2.A.1. Une fiabilité éthique du fédéralisme communautaire en déphasage


avec l’ontologie unitariste de l’État posé comme instance indivisible
Par ces termes, on veut indiquer que les orientations doctrinales de
Fédéralisme communautaire construisent une vision distincte de la construction
étatique et souveraine par rapport à celle exprimée par la formation dirigeante
du Renouveau National conduite par le président Paul Biya avec

17 Le républicanisme communautarien associé à la vision politico-intellectuelle développée par


Mathias Éric Owona Nguini et reprise par Edmond Mballa Elanga — évite le fétichisme de la
forme institutionnelle d’État, contrairement au primordialisme communautariste qui caractérise
la vision du fédéralisme communautaire modelée par Cabral Libii.
18 La vision communautarienne du fédéralisme formulée par Mathias Éric Owona Nguini sur un

mode hypothétique et reprise par Edmond Mballa Elanga et Serge Ngaba donne lieu à une
prudence pragmatique concernant son ingénierie d’implémentation.

18
l’accompagnement politique par la superstructure hégémonique qu’est le
RDPC19.
En effet, le Fédéralisme communautaire met comme l’indique sa
désignation éponyme, « la forme dite fédérale » en mettant en exergue « la
région identitaire » en tant qu’« entité fédérée » avec « pour socle, la
communauté » (Libii, 2021, p. 26).
De manière claire, les logiques perceptuelles et/ou conceptuelles qui sont
associées au fédéralisme communautaire comme offre politico-institutionnelle
et politico-administrative faite au sein de la collectivité sociétale et souveraine
camerounaise mettent en question une vision unitaire de la construction stato-
nationale. Cette orientation politico-institutionnelle ressortissant d’une « tacite
philosophie politique particularisante au Cameroun » (Glo*), telle que le
reconnaît une des contributions au présent ouvrage. En en se positionnant de la
sorte, le « fédéralisme communautaire » met en valeur les références
identitaires et communautaires (langues ; origines ; confessions) correspondant
chacune à « un outil d’identification et de différenciation », en opposition avec
une onto-téléologie politique fondée sur « l’unité de la Nation » comme horizon
de devenir et optique d’être (Enoh Meyomesse, 2018, pp. 9-10).
La perspective politico-institutionnelle fondée sur le fédéralisme
communautaire est gouvernée par « la pluralité identitaire » dans un schéma
configurationnel qui est aux antipodes de la logique unitariste associée à la
forme de l’État consacrée par l’ordre gouvernant camerounais (Libii, 2021).
Ses contradicteurs politico-intellectuels ou politico-idéologiques — soulignent
que cette perspective est chauviniste et nombriliste. Ils l’envisagent alors
comme une optique porteuse de « repli identitaire » en raison de l’exacerbation
conflictogène des « différences culturelles (Mbarga, 2019 et Jiotsa, 2019). Où
l’on voit que la logique plurale correspondant au fédéralisme communautaire
entre en contradiction avec la logique centrale correspondant au modèle unitaire
même décentralisé20.
La « version libiienne de fédéralisme communautaire » en raison de sa
survalorisation du pluralisme identitaire et communautaire dans la formation
étatique et sociale camerounaise est — pour un analyste de cet ouvrage —
exposé à des « risques ou effets pervers » qu’il lie à « une certaine

19 Plus que ne veut et ne peut l’admettre Cabral Libii soucieux de mettre l’accent sur l’originalité
de son modèle, il y a des convergences formelles et substantielles entre le libéralisme
communautaire de Paul Biya et le fédéralisme communautaire de Cabral Libii, ce dernier étant
une version volontariste du libéralisme communautaire distincte de la version prudentialiste du
libéralisme communautaire de Paul Biya.
20 Il y a bien une tension idéologico-doctrinale et idéologico-programmatique entre le RDPC

dirigé par Paul Biya et le PCRN conduit par Cabral Libii, malgré les convergences. Le modèle
prudentialiste du libéralisme communautaire de Paul Biya a choisi une optique gradualiste de
décompression du centralisme par la décentralisation progressive de l’État unitaire. Le modèle
volontariste du libéralisme communautaire qu’est le fédéralisme communautaire version Cabral
Libii, a plutôt pris position en faveur d’une décentralisation régionalisatrice à vocation
autonomique ou d’une fédéralisation identitaire.

19
décentralisation des tendances tribalistes voire une institutionnalisation des
confrontations entre intercommunautaires, liées à la compétition politique et la
fragmentation des grands ensembles ethniques tant au niveau local que
national » (Wangba*). Où l’on voit que ces « effets pervers » évoqués par
l’auteur concerné sont à même de relativiser la relative pertinence politique
qu’il prête au fédéralisme communautaire. En effet, le référentiel différentialiste
de ce modèle institutionnel est clairement en contradiction avec le « thème de la
construction nationale » comme référentiel classique de l’ordre gouvernant
fondé sur l’unification par l’unitarisme (Bayart, 1985, p. 108)21.
3.A.1. Une fiabilité éthique du fédéralisme communautaire en décrochage
avec l’ontologie individualiste de l’État
Par ces termes, on veut souligner que les versions différentes du fédéralisme
communautaire correspondent dans leur configuration ontologique à des
modèles dont la structuration les différencie sur un mode substantiel des
constructions étatiques caractérisées par une vision individualiste de la
souveraineté. Dans cette optique, nulle surprise que la plupart des défenseurs
politiques du fédéralisme communautaire au sein du macrocosme social,
historique et politique camerounais se montrent opposés à une démarche
léviathanique prétendant « construire l’unité nationale par l’inhibition
d’aspirations singulières légitimes, des identités culturelles particulières »
(Libii, 2021, p. 43).
Les différentes versions du fédéralisme communautaire (la version souple)
fondée sur la logique républicaine-communautarienne ouverte à la
transversalité et la version rigide basée sur la logique populiste-
communautariste survalorisant la différentialité, sont à distance de la logique
aussi individualiste que monopoliste des formations étatiques inspirées de la
rationalité politique de Thomas Hobbes. C’est que l’organisation centraliste et
monopoliste voire absolutiste de la souveraineté étatique camerounaise qui est
un héritage constitutionnel et institutionnel de ses origines occidentalo-
centriques, est largement dérivée de son lien avec la version hobbesienne de
« l’individualisme possessif » (Macpherson,1962). En d’autres termes, cela
signifie qu’il n’est pas surprenant que les différentes versions du fédéralisme
communautaire mettant en valeur des positions morales communautariennes
et/ou des positions primordialistes communautaristes soient en opposition avec
l’individualisation et l’individualisme souverain22.

21 L’axiologie et la téléologie politiques de la fondation de l’ordre dirigeant camerounais mises


en place dans les années 1960 se sont fondées sur la construction nationale comme formule
hégémonique de justification et de légitimation d’un référentiel unificateur basé sur des
orientations unanimistes (au plan idéologico-politique) et unitaristes (au plan politico-
institutionnel).
22 Malgré leurs nuances sémiologiques, axiologiques et idéologiques, les différentes versions du

fédéralisme communautaire correspondent à des références théorico-politiques, philosophico-

20
La logique de prépondérance et de reconnaissance des communautés qui
transparaît dans la critique de « L’État eurocentrique de 1960 » et dans sa mise en
exergue de « la reconnaissance des communautés exprime clairement l’orientation
contre-individualiste associée à sa défense du fédéralisme communautaire (Libii,
2021, p. 51). En procédant de la sorte, le politicien posé en doctrinaire du
communautarisme politique, récuse de se soumettre à une rationalisation
typiquement individualiste de la construction stato-nationale et stato-républicaine.
C’est précisément le noyau intangible de l’individualité étatique qui détermine la
réitération du thème de la « concorde nationale » comme dynamique politico-
spirituelle, politico-morale et politico-métaphysique d’unité conduite grâce à un
véhicule étatique unitaire (Ahidjo, 1964 et Biya, 1987)23.
En se montrant attentif aux « régimes de communautarisation » envisagés
comme des cadres psychiques et pragmatiques d’imagination et d’action
publiques opérant dans la vie politique et sociale camerounais, un des tenants
d’un regard communautarien sur le fédéralisme communautaire, exprime
l’existence du décalage de la dynamique sociétale avec le profil individualiste
de la machine étatique camerounaise (Owona Nguini, 2021).
Or, la biographie sociale et historique de la formation étatique camerounaise
commence par un acte de naissance qui pose cette formation comme une entité-
individu ou une entité-personne suivant la fiction constituante contractualiste
(non seulement hobberienne mais aussi lockéenne, rousseauiste et kantienne).
Dans cette biographie sociale et historique de l’État camerounais aménagé sous
la forme unitaire, l’État relève d’une logique ontologico-juridico-politique qui
le fait se poser « comme une personne » (Wendt, 2004, pp. 289-290).

B.1. La fiabilité éthique questionnée d’une ontologie réaliste de la


république et de la nation par une ontologie organiciste associée
au fédéralisme communautaire

Par ces termes, on veut entendre que les options et orientations doctrinales en
termes de fédéralisme communautaire qui questionnent non seulement les formes
centralisées ou décentralisées de l’unitarisme, mais aussi celles du fédéralisme
territorial, vont mettre en cause les cadres significationnels de la République et
de la Nation en vigueur au Cameroun, des années 1960 aux années 2010 et 2020.
Dans cette optique, l’activation du discours politique en termes de fédéralisme
communautaire sur l’échiquier sociétal et souverain camerounais va y susciter
une « hybridation culturelle » en rupture avec les cadres cognitifs et normatifs du

politiques ou idéologico-politiques fondées sur le mutualisme ou le solidarisme comme


orientations opposées à l’individualisme possessif et/ou souverain.
23 La compréhension fondatrice de ce thème de la « concorde nationale » développé par le

président Ahmadou Ahidjo dans les années 1960 est clairement entendue dans une perspective
unanimiste et unitariste.

21
modèle unitariste gouvernant fondé sur une conception monologique et/ou
monocentrique de la culture stato-nationale (Eta Fouda*).
Les logiques contextuelles de surenchère identitaire, favorisées par la
cristallisation fondamentaliste et extrémiste de l’anglophonie identitaire, ont
favorisé une relance du débat sur les bonnes formes institutionnelles et
constitutionnelles pouvant assurer une dynamique régulationnelle nationale et
étatique pertinente des appartenances communautaires. Dans cette optique, il
convient d’abord de s’interroger sur les formes d’« une fiabilité éthique du
fédéralisme communautaire en déphasage avec l’ontologie régalienne de la
République d’Institution » (1-B-1) avant d’investiguer sur les formes d’« une
fiabilité éthique du fédéralisme communautaire en décalage avec l’ontologie
postcoloniale de la Nation » (2-B-1).
1.B.1. Une fiabilité éthique du fédéralisme communautaire en déphasage
avec l’ontologie régalienne de la République d’Institution
Par ces termes, on veut dire que les orientations politiques de valorisation
de la pluralité identitaire et communautaire associées aux différentes versions
du fédéralisme communautaire, ont conduit à mettre en question les figurations
de transcendance étatique largement liées aux orientations politique de
l’unitarisme dans l’espace sociétal et souverain camerounais. C’est dans cette
perspective que les tenants du fédéralisme communautaire se basant sur des
orientations politico-ontologiques fondées sur la pluralité communautaire et
identitaire vont réévaluer « la forme républicaine du régime » historiquement
modelée par un cadre significationnel fondé sur les structures de l’unitarisme
(Ahidjo, 1964, p. 23).
Les tenants de la version rigide du fédéralisme communautaire, engagés
dans le débat sur la forme de l’État, vont moduler et mitiger la fondation
républicaine de l’État par une définition communautariste du « contrat social
camerounais », qui relativise la vision institutionnelle de la République énoncée
à travers l’évocation du « Cameroun personne de droit moral aboutie » (Libii,
2021, p. 25). En procédant de la sorte, il s’agit pour ces défenseurs du
communautarisme prépondérant de relativiser une République
Institutionnaliste. C’est ce que les promoteurs de la critique communautarienne
et post-communautarienne du modèle libiien de fédéralisme communautaire
écrivant dans le présent ouvrage lui reprochent ; « priorisant la politique des
ethnies et des communautés sur la politique de la Nation et de la République, il
maintient l’impasse sur la délimitation de la frontière entre la République (res-
publica : la chose publique) et la commun culte (Mballa Elanga et Ngaba*).
Les orientations politico-doctrinales du fédéralisme communautaire
rigide/dur en affaiblissant la définition institutionnaliste de la République
consacrée par l’ordre gouvernant camerounais en tant que dépositaire
postcolonial de la rationalité léviathanique correspondant à la construction
étatique camerounaise, contestent profondément « l’éthique de l’État » qui y est

22
liée à des considérations sur la République comme forme de gouvernement
insistant sur « l’Unité politique » (Schmitt, 1988 et 1997).
En procédant de la sorte, les orientations visent à faire valoir une ontologie
conventionnaliste correspondant aux préoccupations socio-culturelles et
politico-culturelles propres au fédéralisme communautaire, proposé comme
forme de l’État devant organiser le pouvoir au sein de la collectivité sociétale et
souveraine camerounaise.
Le fédéralisme communautaire envisagé en tant que formule
conventionnaliste d’orientation et d’organisation du pouvoir proposé au sein de
la formation sociale et étatique camerounaise, met en œuvre le principe que
constitue l’« autonomie nationale culturelle » visant à articuler des structures
territoriales autant que des structures personnelles en ce qui concerne la
formalisation étatique proposée du fédéralisme (Watts, 2003)24. En opérant
ainsi, ce modèle met en avant une démarche qui prend le contrepied de la forme
unitaire de l’État comme structure politico-institutionnelle prévalant au sein de
l’espace sociétal et souverain camerounais, démarche expressive de l’ontologie
primordialiste caractéristique de cette orientation communautaire et/ou
communautarienne mettant en valeur la logique riveraine.
2.B.1. Une fiabilité éthique du fédéralisme communautaire en décalage avec
l’ontologie postcoloniale de la Nation
Par ces termes, on veut dire que le modèle politico-institutionnel du
fédéralisme communautaire est apparu dans le débat public développé au sein
de l’espace sociétal et souverain camerounais entre 2015 et 2020, comme une
orientation doctrinale et normative mettant en question le modèle établi de
l’État-nation organisé sur la base politico-institutionnelle de l’unitarisme. Il
exprime le retour dans le débat public camerounais d’orientations politico-
institutionnelles et politico-constitutionnelles procédant à une modélisation de
l’État à partir d’une « approche consociationnelle » (Lijphart, 1968).
L’orientation primordialiste du fédéralisme communautaire envisagé
comme mode d’organisation de la formation sociale et étatique camerounaise
correspond à une ontologie pluraliste de la gestion étatique de l’intégration
nationale : « La stabilité durable du Cameroun passe par la reconnaissance des
communautés et l’entreprise d’intégration entre celles-ci » (Libii, 2021, p. 52).
Où l’on voit qu’elle correspond à une logique de desserrement de l’étreinte
westphalienne associée à la formation sociale et étatique camerounaise.
Ainsi, la dynamique de construction régalienne de l’État-nation est mise en
défi par la perspective du fédéralisme communautaire dont les tenants font
objectivement partie de ceux qui « appellent tout simplement à un rejet du
modèle de l’État-nation occidental » (Epoh Epoh*).
24Le principe de l’autonomie culturelle nationale est l’expression bolchevique et soviétique d’une
orientation en termes d’État multinational correspondant en termes organisationnels à un
fédéralisme communautaire/identitaire. Il traduit l’acceptation du principe des nationalités tel
qu’énoncé par la doctrine de l’austro-marxisme sur la question des nationalités (cf. Otto Bauer).

23
L’explicitation par l’ontologie du fédéralisme communautaire de formules
politico-constitutionnelles et politico-institutionnelles d’inclusion de
« communautés territoriales, ethniques et linguistiques du Cameroun »
participe de l’inflation symbolique et éthique de « comportements
particularistes », inflation qui « déconstruit la communauté nationale »
(Menthong, 1998, p. 42). En effet, les versions douces et dure du fédéralisme
communautaire correspondent à des orientations politico-institutionnelles qui
sont en dissonance avec le nationalisme pro-coloniale de l’État pro-westphalien
qu’est la formation étatique camerounaise. À l’encontre du modèle unitaire, le
modèle du fédéralisme communautaire orienté par une ontologie autonomiste
prône le développement de « la politique du multi-culturalisme » (Kymlicka,
2001, p. 24)25.
La publicisation des orientations politico-institutionnelles ne donne pas
seulement lieu à une réception favorable, mais suscite aussi des désaccords
exprimés contre lesdites orientations qui sont en contradiction avec le
nationalisme supra-communautaire des cadres établis de l’État postcolonial
camerounais, divergeant nettement avec le multinationalisme
intercommunautaire ou transcommunautaire préconise dudit fédéralisme
communautaire. C’est dans cette perspective de relativisation de la pertinence
du modèle de fédéralisme communautaire, qu’un des auteurs du présent ouvrage
met en question une orientation politico-institutionnelle et politico-
administrative de ce type fonde sur une dynamique relevant de
« l’institutionnalisation des frontières communautaires » qu’est à même
d’alimenter « l’exacerbation du provincialisme » (Glo*).
3.B.1. Une fiabilité éthique du fédéralisme communautaire en décrochage
avec une ontologie institutionnaliste-conventionnaliste de la Nation
Républicaine
Par ces termes, il s’agit d’entendre que les cadres doctrinaux et/ou
doctrinaires du fédéralisme communautaire ne correspondent pas à la
compréhension souverainiste du contrat social, qui est censé fonder et structurer
l’être-substance de l’articulation institutionnelle entre les figures instituantes
et/ou légitimantes de la Nation et de la République. À l’analyse et à
l’observation, les « formes symboliques » que sont la Nation et la République
n’ont pas la même configuration définitionnelle et significationnelle pour les
courants unitaristes ou fédéralistes (Cassirer, 1972). C’est que l’ontologie
communautaire/communautariste associée aux orientations politico-
institutionnelles de fédéralisme communautaire est fondée sur un
contractualisme inter-communautaire.
Les référentiels correspondants aux courants du fédéralisme
communautaire développés dans le débat public camerounais entre la fin des

25Will Kymlicka est l’un des théoriciens reconnus en ce qui concerne la prise en charge politico-
institutionnelle du multiculturalisme.

24
années 2010 et le début des années 2020 prennent le contrepied d’un processus
institutionnaliste-légitimiste de construction étatique, faisant valoir selon une
logique contractualiste le « chantier concerté de construction d’une nation
unie » organisé autour des fondations communautaristes (Libii, 2021, p. 15).
En procédant de la sorte, il est question pour les tenants de cette orientation
politico-institutionnelle et politico-administrative de faire valoir l’importance
instituante et opérante de références identitaires et communautaires liées à
l’historicité précoloniale de la formation sociale et étatique camerounaise.
L’ontologie du fédéralisme communautaire dans sa version dure ou souple
s’inscrit dans les configurations institutionnelles ou relationnelles modelées par
un contractualisme inter-communautaire ressortissant du « fédéralisme
multinational » qui « reconnaît aux communautés nationales un rôle clé d’une
part, en tant que pôle d’identification, d’autre part, en tant que pilier de l’État
fédéral » (Laplante-Levesque, 2010, p. 20 et Wangba*). Il est ainsi question de
formuler une version communautarienne-transversale ou communautaire-
primordiale du contrat social envisagé non plus comme un contrat d’adhésion
lié à un pacte institutionnaliste, mais plutôt comme un contrat mutualiste ou
synallagmatique associé à un pacte conventionnaliste-culturaliste26.
Le modèle politico-institutionnel du fédéralisme communautaire entendu
dans une perspective de primordialisme s’appuyant sur le contractualisme inter-
communautaire, n’en fait pas moins l’objet de réserves : « En réalité, l’étude du
modèle éthiopien de fédéralisme à base ethnique nous permet de comprendre
aisément que le modèle de fédéralisme communautaire de Cabral Libii n’est
rien d’autre que le fédéralisme ethnique qu’il veut couvrir avec le terme
communautaire » (Wangba*). La version primordialiste du fédéralisme
communautaire peu portée vers le développement analytique et herméneutique
— voire pragmatique de formes de réflexivité, donne facilement prise à la
logique conflictualiste de « la lutte d’appropriation de l’État par les
communautés ethniques » (Mandjack et Ndock, 2019, p. 49).

2. L’axiologie politique de l’État, de la République et de la


nation à l’épreuve du fédéralisme communautaire comme
modèle au Cameroun : une critique socio-politiste de sa
recevabilité nomique
Par ces termes, on veut souligner que l’inscription du fédéralisme
communautaire dans le débat public traversant l’espace sociétal et souverain

26 Cf Ernst Cassirer, La philosophie des formes symboliques, Paris : Éditions de Minuit, 1972. Le
contrat social envisagé dans la perspective quasi-consociative ou consociative liée à ces
orientations fédéralistes hypothétiques (communautariennes) ou catégoriques (communautariste)
s’inscrivent dans la perspective de la « symbiose » et de la communication développée par
Johannes L. Athusius, Politica Methodice Digesta et Frederick S. Carney, Liberty Fund Inc,
Indianapolis, 1995, chap. I &7.

25
camerounais va donner lieu à des controverses normatives et institutionnelles
entre défenseurs et contradicteurs de cette orientation. C’est que cette
inscription se fera dans un contexte socio-culturel et politico-culturel de
« foisonnement identitaire » à même de devenir — à nouveau — dans les
années 2010 à 2020, après les années 1990 à 2000, « un défi majeur pour les
politiques d’intégration nationale » (Ghouenzen Mfondi, 2019, p. 95)27.
En s’inscrivant dans l’agenda politico-institutionnel entre 2015 et 2020, le
modèle du fédéralisme communautaire y a opéré comme une orientation non
seulement doctrinale, mais aussi normative à même de faire concurrence au
modèle de l’unitarisme sur le plan des valeurs. Ce faisant, le fédéralisme
communautaire a inscrit — dans le débat public lié à la collectivité sociétale et
éthique communautaire — la « philosophie culturelle qui “travaille” les
sociétés plurales à composante cosmopolite à l’instar du Cameroun »
(Menguele Menyengue, 2019, p. 189). Dans cette perspective, il convient
d’abord d’étudier « La recevabilité nomique mitigée d’une axiologie pluraliste
de l’État et du souverain associée au fédéralisme communautaire par une
axiologie centraliste de l’État unitaire » (A-2), avant d’examiner « La
recevabilité nomique discutée de l’axiologie culturaliste de la République et de
la Nation liée au fédéralisme communautaire par une axiologie universaliste de
la Nation Républicaine » (B-2).

A.2. La recevabilité nomique mitigée d’une axiologie pluraliste de l’État


et du souverain associée au fédéralisme communautaire par une
axiologie centraliste de l’État unitaire

Par ces termes, on veut mettre en lumière le fait que la publicisation des
orientations et options politico-institutionnelles et/ou politico-administratives du
fédéralisme communautaire comme problématique d’organisation du pouvoir a
donné lieu à une compétition définitionnelle avec les orientations et options
ressortissant de l’unitarisme au sein de la collectivité sociétale et souveraine
camerounaise. C’est ainsi que le débat public camerounais sur la forme de l’État
réarticulé autour de la tension normative entre fédéralisme et unitarisme des
années 2010 aux années 2020, a ouvert de nouvelles conjonctures de
« construction des discours identitaires » (Mabou, 2018, p. 206).
L’activation du débat entre orientations fédéralistes/fédérales et
orientations unitaristes/unitaires dans lequel s’est inscrit la publicisation des
choix normatifs et/ou institutionnels des défenseurs du fédéralisme
communautaire au sein de la formation sociale et étatique camerounais, a

27 La prolifération identitaire et communautaire exprimée par le foisonnement qu’évoque


Ghouenzen Mfondi au sujet de la formation sociale et étatique camerounaise, soulève
effectivement de sérieux challenges quant à la construction et à la consolidation des politiques
d’intégration nationale au sein de cette collectivité sociétale et souveraine marquée par une
grande diversité culturelle.

26
ouvert entre 2015 et 2020, une nouvelle configuration du « conflit de l’unité et
du pluralisme » (Fogui, 1990, pp. 41-42)28. Dans cette perspective, il convient
d’abord d’analyser les formes ressortissant d’une recevabilité nomique de
l’axiologie social-pluraliste du fédéralisme communautaire en décalage avec
l’axiologie post-béhémothique de l’État » (1-A-2), peut d’étudier les formes
relevant d’« une recevabilité nomique de l’axiologie associationniste mutualiste
de l’État de fédéralisme communautaire en déphasage avec l’axiologie
westphalienne de l’État » (2-A-2) et enfin d’examiner les formes correspondant
à « une recevabilité nomique de l’axiologie communautariste liée au
fédéralisme communautaire eu décrochage entre l’axiologie immunitariste de
l’État » (3-A-2).
1.A.2. Une recevabilité nomique de l’axiologie social-pluraliste du
fédéralisme communautaire en décalage avec l’axiologie post-
béhémothique de l’État
Par ces termes, on veut mettre en évidence que le modèle du fédéralisme
communautaire fera face à des compétitions de valeurs l’opposant au modèle de
l’unitarisme, mais aussi au modèle du fédéralisme territorial au sein du champ
social, historique et politique camerounais. C’est que les orientations
valorielles et axiologiques associées au fédéralisme communautaire, entrent en
opposition par exemple avec celles liées à la formation controversée du
« fédéralisme unitaire » comme expression malaisée et maladroite du
fédéralisme territorial en tant que variante du fédéralisme peu préoccupée par
les questions relatives aux statuts personnels comme statuts spécifiques
(Djamen, 2021)29.
Les valeurs qui modèlent les orientations du fédéralisme communautaire
envisagé comme propositions politico-normatives et politico-institutionnelles
pour reconfigurer l’organisation du pouvoir au sein de la formation sociale et
étatique camerounaise, correspondent à des valeurs mettant en exergue une
« politique du pluralisme culturel » (Young, 1976).
Dans cette perspective, la forme spécifique de fédéralisme qu’est le
fédéralisme communautaire se fonde sur des valeurs de contractualisme
intercommunautaire qui consistent « à convenir d’un contrat social à double
détente, qui accorde d’abord les citoyens entre eux, avec pour finalité d’agréger

28 L’investigation de Jean Pierre Fogui qui est attentive aux conditions et configurations de
l’intégration politique au sein de la formation sociale et étatique camerounaise se montre très
attentive à cette tension conflictuelle entre l’unité politique et institutionnelle d’une part et le
pluralisme social et culturel d’autre part.
29 Il convient d’apporter une critique sévère à cette formulation de « fédéralisme unitaire » dont

Célestin Djamen (promoteur principal du parti Alliance patriotique Républicaine : APAR) est
l’auteur. En effet, c’est une formulation confuse qui heurte le purisme en matière de pensée
constitutionnaliste classique ou néo-classique issue du rationalisme libéral des lumières
(Enlightenment/Aufklarung).

27
et de canaliser les attentes des entités sociologiques singulières des
communautés qu’il doit mettre en confiance » (Libii, 2021, p. 27).
L’axiologie politico-idéologique associée à la version originale du
fédéralisme communautaire comme celle exprimée dans le modèle proposé par
Cabral Libii, qui est fondée sur une vision primordialiste et/ou populiste, peut
avoir une résonance dans la discussion politico-intellectuelle ou politico-
scientifique sur la pertinence dudit modèle au sein de la formation sociale et
étatique camerounaise. C’est le cas quand l’un des contributeurs du présent
ouvrage évoquant le fédéralisme communautaire dans le débat public
camerounais, considère que ledit fédéralisme « s’inscrit dans la logique de
donner une chance aux pléthores de minorités pour une représentation
institutionnelle véritable qui prend en compte les aspirations des
communautés », apparaissant même comme « une décentralisation plus poussée
et démocratique à la différence de celle en vigueur » (Nebeu*).
Il convient néanmoins de dire que les valeurs de pluralisme socio-culturel et
politico-culturel associées en particulier à ces variantes primordialistes et
sentimentalistes du modèle du fédéralisme communautaire, sont modelées par
une logique valorielle de « parcellisation de l’identité nationale » résultant de
sa mise en norme et en code des « idéologies identitaires » au cœur du champ
social et étatique camerounais (Menthong, 1996, pp. 149-150)30. C’est dans
cette perspective critiquant les formes normatives et institutionnelles de
valorisation par le fédéralisme communautaire comme orientation
régulationnelle proposée au sein de la collectivité sociétale et souveraine
camerounaise, qu’un des contributeurs du présent ouvrage lie cette orientation
à une « perspective de cloisonnement politico-communautariste » qui
« hypothèque également les sentiments patriotiques » (Glo*).
2.A.2. Une recevabilité nomique de l’axiologie associationniste mutualiste
de l’État de fédéralisme communautaire en déphasage avec
l’axiologie westphalienne de l’État
Par ces termes, on veut mettre en exergue le fait que la publicisation des thèses
annoncées ou énoncées de fédéralisme communautaire au sein de l’espace
sociétal et souverain camerounais fait face aux positions de réitération de la
transcendance stato-nationale de facture unitaire. C’est dans cette perspective
que l’un des tenants de la version simple du fédéralisme communautaire qu’il
reconnaît comme une hypothèse de travail en termes d’adoption d’une forme de
l’État dans laquelle le fédéralisme communautaire articulée dans sa forme
transversale du « fédéralisme communautarien » permet de construire « un Pacte

30 Ces formulations d’Hélène-Laure Menthong relatives à la « parcellisation de l’identité


nationale » et aux « idéologies identitaires », cernent de manière remarquable comment les
logiques primordialistes d’identification qui sont réapparues au Cameroun dans les années 1990,
y ont questionné la logique universaliste d’énonciation de l’identité nationale basée sur le modèle
de souveraineté des Lumières (Rousseau, Kant).

28
de décentralisation et de régionalisation fondé sur un toilettage modernisateur
des lois sur la décentralisation » (Owona Nguini, 2017)31.
Les formes rigides ou souples du fédéralisme communautaire qui ont émergé
dans l’espace public camerounais, correspondent à la construction de valeurs
normatives et institutionnelles mettant en exergue un symbiotisme
consociationniste soucieux d’assurer une organisation de la cohésion étatique et
nationale fondée sur le pluralisme culturel. Ainsi entendues, ces formes politico-
normatives et politico-institutionnelles proposant de faire prévaloir les
orientations de fédéralisme communautaire au sein de la macrostructure sociétale
et souveraine camerounaise constituée en espace hégémonique, ressortissent en
fait de formules organisées sur la base de dispositifs orientés par des valeurs de
« démocratie consociationnelle » (Lijphart, 1969 et Lewis, 1965, p. 65).
Il y a une claire opposition axiologique entre le pluralisme identitaire normé
par les formules du fédéralisme communautaire comme orientations proposées
sous la forme de repères moraux et valoriels devant gouverner les modes
étatiques camerounais d’organisation du pouvoir, et le centralisme supra-
identitaire attaché aux formules concurrentes de l’unitarisme modelé par une
morale souveraine et universaliste. En effet, en dépit de l’émergence de
référentiels politico-institutionnels tournés vers la « communautarisation »,
l’espace sociétal et souverain camerounais reste régulé par les formes
centralisatrices qui sont « celles de l’étatisation de la bureaucratisation et de la
capitalisation » opérant dans le cadre de la logique intégrative associée à des
« formes évolutives de la recherche hégémonique » (Bayart, 1985, p. 280)32.
La version rigide du fédéralisme communautaire envisagé comme
paradigme politico-normatif et politico-institutionnel proposé pour assurer la
régulation du pouvoir dans la collectivité sociétale et souveraine camerounaise,
met bien en exergue ses valeurs culturalistes-primordialistes : « La région
cessera d’être une aire géographique saisie par le droit, mais deviendra une
circonscription de notre identité » (Libii, 2019, p. 57). Cette orientation
normative et institutionnelle qui célèbre pourtant les valeurs de l’inclusion
socio-culturelle et politico-culturelle, n’en suscite pas moins de sévères
critiques d’un des contributeurs du présent ouvrage inscrit dans la perspective
de l’intégration nationale : « Le fédéralisme communautaire de M. Libii risque
d’exacerber les divisions en mettant en compétition plusieurs tribus », car « les
compétitions politiques n’auront plus pour objectif la défense des intérêts de la
nation, mais plutôt ceux de la communauté » (Wangba*).

31 L’hypothèse formulée par Mathias Éric Owona Nguini à travers l’évocation de ce « Pacte de
décentralisation » relève d’un contractualisme althusien ou néo-althusien lié à une pensée en
termes de symbiose et de consociation dont Arndt Lijphart s’inspirera pour penser la démocratie
consociationnelle.
32 La prévalence communautaire est un élément anthropologique de configuration fort

caractéristique des traits méta-dispositionnels, orientationnels et organisationnels des sociétés


multiculturelles modelées par une diversité identitaire et communautaire éprouvée.

29
3.A.2. Une recevabilité nomique de l’axiologie communautariste liée au
fédéralisme communautaire au décrochage entre l’axiologie
immunitariste de l’État
Par ces termes, on veut mettre en lumière le fait que l’introduction du
fédéralisme communautaire dans le débat public ayant cours au sein de la
formation étatique et sociale camerounaise a suscité l’expression de visions
diverses et divergentes sur les lignes de valeur énoncées à propos de la forme
de l’État. C’est que cette dynamique de publicisation politico-intellectuelle
et/ou politico-idéologique du fédéralisme communautaire au sein de la
collectivité sociétale et étatique postcoloniale camerounaise a mis en évidence
les orientations valorielles concurrentes et/ou conflictuelles au sujet de « la
division territoriale du pouvoir » (Sindjoun, 1994).
Les tenants du fédéralisme communautaire à l’instar de Cabral Libii ont mis
en évidence leur opposition valorielle et normative à la perspective
léviathanique d’étatisation comme dynamique de facture immunitariste :
« L’institutionnalisation de l’État au Cameroun comme ailleurs en Afrique a été
dominée par une approche eurocentrique, individualiste, civilisatrice, hors-sol
et hors-contexte » (Libii, 2021, p. 25). Dans cette optique, la forme de l’État
envisagée dans une perspective fédérale plutôt qu’unitaire est co-
constitutivement modelée par une axiologie communautaire en opposition avec
une axiologie individuelle. C’est cette manière de voir qui est reconnue par un
des contributeurs du présent ouvrage qui se montre fort compréhensif au sujet
de cette prévalence communautaire : « Dans les sociétés multiculturelles et
complexes, comme le Cameroun c’est à partir d’une souche communautaire que
chaque citoyen se construit une personnalité » (Epoh Epoh*)33.
Les tenants du fédéralisme communautaire au Cameroun qui ont contribué
à la re-publicisation du modèle fédéral en le posant comme offre institutionnelle
concurrençant le modèle unitaire au sein de cette collectivité sociétale et
souveraine post coloniale africaine à partir du milieu des années 2010, valorise
« la consociation » comme « sujet de la politique » par « pacte exprès ou
tacite » correspondant à une « politique symbiotique » (Demelemestre, 2012).
Où l’on voit que cette orientation fédéraliste s’inscrit dans une perspective
associationniste et consociationniste d’inspiration calviniste et d’orientation
althusienne mise en cohérence avec un thumos afro-communautariste34. Dans
une optique prosaïque, le fédéralisme communautaire rigide à la Cabral LIBII
envisage cette orientation dans une perspective attentive à la « symbiotique »

33 Si les formules afro-communautaristes de fédéralisme partagent de larges traits, méta-


dispositionnels, orientationnels et organisationnels avec le modèle althusien de fédéralisme, on
ne saurait négliger les éléments de singularité liés à leurs formes propres de configuration
caractérisées par l’ethnicité comme capital social-organisationnel prégnant.
34 Le registre althusien de la symbiose met en lien des formes grecques de continuation du code

intégrateur kamite du SEMA/SAMBA, cf. Alain Anselin, Samba, Umrag, 1992.

30
orientée vers une complexification de la souveraineté « d’inspiration
monarchomaque (Althusius,1932 et 2003).
Les versions du fédéralisme communautaire envisagées comme orientations
normatives et institutionnelles intéressantes au sein de l’ordre social et étatique
postcolonial du Cameroun, sont donc fortement sensibles aux exigences
morales et statutaires de la « consociation » qui expriment le fait que c’est « la
communauté qui est absolument première » (Althussius, 1997 et Belin, 1984 et
2015). Ainsi, il apparaît que l’énonciation et la formulation de la souveraineté
étatique s’en trouvent amendées dans un sens opposé à la logique moniste,
unanimiste et monopoliste de la souveraineté centralisatrice et/ou centraliste.
C’est dans une telle perspective axiologico-politique (aussi bien idéologico-
politique que théologico-politique) que la version rigide du fédéralisme
communautaire que propose Cabral Libii, met aussi bien en question le
« libéralisme outrancier » que « l’État providence apathique » autant qu’« un
étatisme ou un dirigisme anesthésiant » (Libii, 2021, p. 84).

B.2. La recevabilité nomique discutée de l’axiologie culturaliste de la


République et de la nation associée au fédéralisme communautaire
par une axiologie universaliste de la nation républicaine

Par ces termes, on veut souligner que les orientations normatives et


institutionnelles ressortissant du fédéralisme communautaire envisagées comme
mesures de reconfiguration d’une forme jusque-là unitaire de l’État, s’y
inscrivent dans une perspective de compétition avec l’offre gouvernante qui
conduit la collectivité sociétale et étatique camerounaise basée depuis 1996 sur
la décentralisation. Ces orientations, marquées par le symbiotisme
communicationnel et communautaire associé à des valeurs simultanément
fédéralistes et consociationnels, recoupent sur les plans moraux et normatifs, les
conceptions althusiennes de la « symbiose » (Althusius,1932)35. Ce faisant, de
telles orientations sont en opposition avec à logique injonctive et impérative des
formes institutives de la souveraineté.
Les formulations doctrinales du fédéralisme communautaire qui ont fait
l’objet sous une forme sténographique ou sous une forme scolastique, qui
émergent dans le débat public camerounais sur les cadres instituants/institués
de l’État entre les années 2010 et 2020, prennent le contrepied de celles liées à
l’unitarisme, ce faisant, elles révèlent la tension entre ces orientations sur « la
République » et le « Républicanisme ». Afin de cerner cette tension, il convient
d’examiner d’abord les formes d’une « recevabilité nomique de l’axiologie
multinationaliste du fédéralisme communautaire en décalage avec l’axiologie

35 Dans cet entretien d’orientation géopoliticienne accordé à la géographe française Marie


Morelle, Mathias Éric Owona Nguini évoque la pluralité des propositions sur la forme de l’État
disponibles dans le débat politico-institutionnel et socio-politique ayant cours au sein de la
collectivité sociétale et étatique camerounaise.

31
supra-communautaire de la République Unitaire » (1-B-2), puis d’étudier les
formes d’une « recevabilité nomique de l’axiologie consociationniste de la
Nation associée au fédéralisme communautaire en déphasage avec l’axiologie
institutionnaliste de la Nation dans l’État postcolonial » (2-B-2) et d’analyser
enfin les formes d’une « recevabilité nomique de l’axiologie multipersonnaliste
du fédéralisme communautaire en décrochage avec l’axiologie individualiste
au sujet de la Nation Républicaine » (3-B-2).
1.B.2. Une recevabilité nomique de l’axiologie multinationaliste du
fédéralisme communautaire en décalage avec l’axiologie supra-
communautaire de la République Unitaire
Par ces termes, il s’agit de souligner comment la publicisation des
orientations normatives et institutionnelles développées par les promoteurs du
fédéralisme communautaire, suscite leur opposition avec les orientations
gouvernantes en la matière qui ressortissent de conceptions transcendantes en
conflit avec des conceptions organicistes et/ou romantiques. Dans ces
conditions simultanément structurelles et temporelles, « les visions sur les
institutions sont assez clivées entre « une organisation fédérale de type
territorial » et « un État unitaire » marqué par une « évolution vers la
décentralisation » et un « État fédéral construit à partir des actuelles
circonscriptions régionales » pour « assurer la perspective d’une coexistence
entre les différents segments du Cameroun » (Morelle ; Owona Nguini, 2018)36.
Il y a clairement, comme le note un des contributeurs du présent ouvrage,
une dynamique tensionnelle entre la réalité plurale d’un « pays plurinational »
et l’optique générale d’un « véritable État-nation » (GLO*). En effet, les
modèles communautaristes/communautariens gouvernés par la multiculturalité
et la multinationalité, correspondent à un nomos de l’étagement, s’opposant aux
modèles prévalents de la transcendance unitaire de la différence gouvernés par
la centralité et la généralité en lien avec un nomos de l’ordonnancement. Dans
une telle configuration tensionnelle, il y a une nette compétition au sujet de
l’architecture politico-normative et politico-institutionnelle entre les
visions/orientations unitaires et les visions/orientations fédérales au sujet des
termes et régimes qui organisent la « construction de la nation », ceci en
interaction avec les « structures sociopolitiques » soutenant les dynamiques
d’étatisation (Elaigwu, Mazrui In Mazrui et Wondji, 1998).
L’entrepreneur politique camerounais qui a fait du « fédéralisme
communautaire » un produit de choix de son marketing politique, en souligne bien
l’ancrage dans la multiculturalité et la multinationalité ; « Le Camerounais, se
détermine à son village, sa terre, sa communauté » (Libii, 2021 : 56). Un des
contributeurs du présent ouvrage reconnaît que le modèle libiien du fédéralisme
36Mwayila Tshiyembe s’inscrivant dans une perspective démotique proche de celle de Stéphane
Pierre-Caps, propose ainsi un modèle d’État multinational dont la configuration institutionnelle
est d’allure fédérale cf. Mwayila Tshiyembe, État multinational et démocratie africaine, Paris :
L’Harmattan, 2001. Voir aussi Stéphane Pierre-Caps, La Multination, Paris : Odile Jacob, 1995.

32
communautaire est en quête de la consécration d’un « fédéralisme communautaire
de jure » (Wangba*). Il s’agit alors, à l’encontre du modèle unitaire, de « traduire
en politiques spécifiques et en règle de fonctionnement le pluralisme national de la
société » (Seymour et Laforest, 2011, p. 10 et Wangba*). Où l’on voit qu’il existe
une discordance normative entre les projections légales du fédéralisme
communautaire basées sur le statut personnel et les dispositions légales de l’État
unitaire privilégiant une légalité fonctionnelle et territoriale.
Le modèle rigide — car populiste — de fédéralisme communautaire proposé par
Cabral Libii est critiqué par une des contributions du présent ouvrage soulignant
que l’organisation unitaire de la forme de l’État exprimée dans la Constitution
camerounaise du 18 janvier 1996 et des lois attentives au « respect de la diversité
ethnique, linguistique et culturelle », met en place différents mécanismes et
instruments ressortissant de la « promotion du multiculturalisme et des identités
ethniques dans un élan de vivre ensemble » (Wangba*). Où l’on voit que des
dynamiques de formation d’un « espace public mixte » au cœur de la collectivité
sociétale et souveraine camerounaise postcolonial, n’ont pas attendu la
réarticulation institutionnelle de l’État-nation camerounais en « État
multinational » pour se manifester et se structurer (Tshiyembe, 2001, pp. 91-123)37.
2.B.2. Une recevabilité nomique de l’axiologie consociationniste de la
Nation associée au fédéralisme communautaire en déphasage avec
l’axiologie institutionnaliste de la Nation dans l’État postcolonial
Par ces termes, il est question d’attirer l’attention sur le conflit des valeurs qui
transparaît dans les visions et orientations divergentes des tenants du fédéralisme
(même communautaire) et de l’unitarisme (même décentralisé) au sein du champ
sociétal et étatique camerounais. C’est dans une perspective modérée et tempérée
d’appréciation de la substance valorielle du fédéralisme communautaire,qu’un
des tenants de son courant communautarien et communautariste en explicite les
problèmes aussi bien axiologiques que phénoménologiques dans un entretien :
« si on choisit plutôt un fédéralisme identitaire ou communautaire à la place d’un
fédéralisme territorial (MEON) défini autour des grandes constellations
ethniques et ethno-régionales, ça va poser des problèmes identitaires de conflits
entre les majorités communautaires qui se trouvent dans les États fédérés et les
autres groupes ». (Owona Nguini, 2020).
Les versions du fédéralisme communautaire proposées dans le débat public
camerounais sur la forme de l’État qu’elles soient rigides (Libii et Essomba) ou

37 Dans les structurations étatiques multinationales, il convient d’être attentif à l’articulation


pluri-niveaux entre la Nation (comme corps intégral/intégrateur) et les Nationalités (comme corps
différentiels/différenciateurs). Dès la fin des années 1980, sur la base de la connaissance des
conceptions austro-marxistes des nationalités (Otto Bauer, Max Adler, Victor Adler ou Karl
Renner) et des conceptions soviétiques de l’autonomie nationale-culturelle, Elenga Mbuyinga
(pseudonyme du militant upéciste Moukoko Priso) tenait déjà compte dans le débat politico-
théorique et/ou politico-idéologique camerounais, de la distinction entre Nation et Nationalité cf.
Tribaliste et problème national en Afrique noire… p. 49.

33
souples (Owona Nguini et Mballa Elanga) sont confrontées aux appréciations
valorielles divergentes de la relation entre Nation et Nationalités38. La version
libiienne du fédéralisme communautaire souligne clairement la conception
consociationniste et symbiotique de son « inspiration fédéraliste », en faisant du
« fédéralisme des peuples constitutifs de la nation unie (Libii, 2021, p. 38). Où l’on
voit l’opposition nette de cette manière de voir la structuration de la nation, celle
de l’ordre gouvernant énoncée par le Président Paul Biya en tant que politicien-
idéologique, pour qui « la nation » est « une collectivité humaine dépassant les
particularismes ethniques, religieux ou linguistiques, qui a une conscience vitale de
son unité et de sa solidarité » (Biya, 1987, p. 114)39.
Comme le note un des contributeurs du présent ouvrage qui exprime au passage
sa préférence pour l’État unitaire décentralisé par rapport au fédéralisme
communautaire, considérant que dans l’espace sociétal et souverain camerounais,
« l’argument de fédéralisme communautaire ne saurait faire l’objet d’une
revendication politique » et que « le problème de l’État unitaire décentralisé est
(…) une affaire de gouvernance canonique, c’est-à-dire une bonne répartition des
ressources économiques et des compétences politico-administratives entre l’État
central et les (TD) (Wangba*). Où il apparaît que la dynamique multiculturaliste
ferme voire dure de l’option libiienne du fédéralisme communautaire, est souvent
critiquée pour sa propension primordialiste et populiste.
L’inscription du modèle du fédéralisme communautariste dans le débat public
camerounais a permis une confrontation de ses options correspondant à une
conception consociationniste avec les options différentes associés aux conception
institutionnaliste liée aux formes centralistes ressortissant de « l’État comme mode
dominant d’organisation politique » (Bayart, 1985, p. 281). C’est que le répertoire
unificateur et unitariste autant que centralisateur et centraliste est demeuré un
répertoire-clé dans les cadrages politiques mobilisés par l’ordre gouvernant pour
« la construction camerounaise de la Nation » (Ngadjui, 1990). Il y a alors un hiatus
politico-moral et politico-valoriel entre l’institutionnalité congrégative associée à
la logique plurale du fédéralisme communautaire et la logique intégrale de
l’unitarisme comme forme hégémonique et organique de l’État postcolonial
camerounais posé comme État uni-national40.

38 Le libéralisme communautaire de Paul Biya privilégie clairement la Nation en la posant comme


collectivité transcendante qui prime sur les nationalités qu’il associe précisément aux
« particularismes ethniques, religieux ou linguistiques », voir Paul Biya, Pour le libéralisme
communautaire, p. 114.
39 La formation sociale et étatique camerounaise placée sous le commandement politique et

institutionnel successif des présidents Ahmadou Ahidjo et Paul Biya s’est organisée et instituée
comme État uni-national, suivant une orientation gouvernante reléguant la Multi-Nation socio-
culturelle dans l’espace de la co-régulation conventionnelle/paraconstitutionnelle.
40 La gestion politique de la dynamique multiculturelle, multi-ethnique et multinationale concrète

de la collectivité sociétale et souveraine camerounaise a été progressivement saisie par des


exigences de communautarisme politique, exigences montant du fait de l’interaction entre
pluralisme politique et pluralisme culturel.

34
3.B.2. Une recevabilité nomique de l’axiologie multipersonnaliste du
fédéralisme communautaire et de l’État postcolonial uni-national
Par ces termes, on veut souligner la configuration concurrentielle et compétitive
conférée au débat public camerounais sur la forme de l’État, lequel débat a été
influencé depuis le milieu des années 2010 par l’irruption d’orientations
multiculturalistes et multinationalistes discutant la pertinence politico-
institutionnelle des formes unitaristes (centralisées ou décentralisées) de l’État.
Cette évolution politico-idéologique et politico-axiologique a mis en évidence la
montée en régime de perspectives théorico-morales et philosophico-morales
correspondant à des idées et idéaux politiques ressortissant de dynamiques de
publicisation et de mobilisation du « communautarisme politique » au sein de
l’espace sociétal et souverain camerounais (Ndock, 2017)41.
La conjoncture politique de réactivation du débat public et institutionnel sur la
forme de l’État au sein de l’ordre social et étatique camerounais a favorisé une
« politique d’idéalisation du fédéralisme » (Menguele, 2018, p. 82). Dans cette
dynamique, l’on a assisté à une montée des contradictions entre les philosophies
politico-morales respectives du fédéralisme (même communautaire) et de
l’unitarisme (même décentralisé), montée expressive des luttes de définition et de
catégorisation des formes de l’État au sein de l’espace sociétal et souverain
camerounais42. C’est que le champ social et politique camerounais est traversé
entre le milieu des années 2010 et 2020 par le balancement politico-moral et/ou
politico-culturel entre des tendances centralisations et/ou centralistes orientées vers
« une annihilation des identités hétérogènes », a des tendances consociatives et
communautaristes axés vers la réduction de « la juxtaposition de la diversité
culturelle ou linguistique » (Owono Zambo, 2018, p. 186).
La logique communautariste/consociationniste valorisée par la version libiienne
du fédéralisme communautaire comme modélisation valorisée de la forme de l’État
au Cameroun, s’inscrit dans une rupture expressive d’une orientation
monarchomaque africanisée et camerounisée : « il urge d’agir concomitamment au
profit d’entités de proximité dotées du pouvoir d’œuvrer de façon rapide,
concentrée et palpable pour le bien-être des populations. Il est illusoire, en effet, de
prétendre construire l’unité nationale par l’inhibition d’aspirations singulières
légitimes, des identités culturelles particulières » (Libii, 2021, p. 42). Cette optique
met en exergue la base plurielle de la construction étatique et nationale : « Au
contraire, la construction d’un État uni et fort passe par la reconnaissance et la
valorisation des communautés nationales »43.

41 Ce sont ces luttes de définition et de catégorisation des formes de l’État qui apparaissent dans
la mise en évidence par Hélène-Laure Menthong de la compétition sur l’espace local et légitime.
42 Ces propos sont fort expressifs du rattachement de la vision du fédéralisme communautaire chez

Cabral Libii à une optique caractérisée par la mise en valeur doctrinale du Cameroun comme société
plurale/plurielle marquée précisément par la multiplicité des communautés nationales.
43 La version souple et conditionnelle du fédéralisme communautaire défendue par Mathias Éric

Owona Nguini ou par Edmond VII Mballa Elanga ou Serge Ngaba se met effectivement à distance
d’une conception doctrinaire de ce modèle de fédéralisme que Cabral Libii n’est pas loin de

35
Dans une logique prudente et pragmatique, la version modérée et douce du
fédéralisme communautaire (Mathias Éric Owona Nguini et Mballa Elanga, Serge
Ngaba) admettant « la possible implémentation du fédéralisme au Cameroun »,
pense « qu’il serait mieux que soit suivi un processus progressif pour une éventuelle
fédéralisation du Cameroun, communautaire ou non » (Mballa Elanga et Ngaba*).
Une telle optique module la question de l’aménagement ontologique et axiologique
de la forme de l’État au sein de la collectivité sociétale et souveraine camerounaise
en entreprenant de l’examiner suivant une démarche intellectuelle et scientifique
récusant toute appréhension fétichiste de ladite forme d’État comme instrumentum
politico-institutionnel44.
Cnclusion
À l’analyse, il apparaît que la problématique de la légitimation et de
l’institutionnalisation d’une forme plurale de l’État au sein du macrocosme
social et étatique camerounaise, est devenue depuis 2015, une ligne politico-
idéologique, politico-intellectuelle et politico-scientifique de questionnement
inscrite dans les controverses relatives aux figures pertinentes d’organisation
du pouvoir étatique. La montée en régime du débat public institutionnel entre
tenants de l’unitarisme (même décentralisé) et tenants du fédéralisme (même
communautaire) ; débat engagé dans la collectivité sociétale et souveraine du
Cameroun postcolonial, exprime la relance de discussion concernant la
recherche compromissoire de « justes milieux institutionnels » orientée vers une
« organisation de l’État » attentive à « la configuration socio-culturelle de
pays » (Bigombe Logo, 1996, p. 13).
La mobilisation politico-ontologique et politico-axiologique du débat
identitaire à travers les différentes évocations du fédéralisme communautaire
entre la fin des années 2010 et le début des années 2020 s’inscrit dans une
dialectique politico- sémiologique et politico-anthropologique où « l’exaltation
de la singularité, du droit à la différence à travers des constructions politico-
idéologiques peut signifier aussi bien développement de la démocratie et
enracinement culturel que repli sur soi et tendance centrifuge » (Menthong,
1996, p. 160). Où l’on voit que la promotion du modèle du fédéralisme
communautaire comme formule normative et institutionnelle de gestion étatique
a partie liée avec une conjoncture de réactivation des mobilisations identitaires
et communautaires.
En s’intéressant à la dynamique de publicisation et de politisation des
demandes relatives à l’institutionnalisation et à la légitimation du fédéralisme
communautaire comme forme canonique de l’État, devant prévaloir au sein de
la collectivité sociétale et souveraine camerounaise, il s’agit de cerner les

défendre. Ce faisant, cette version souple élimine toute appréhension fétichiste de la forme
fédérale (communautaire ou territoriale) d’État.
44 Une telle gestion non fétichiste de la diversité permet d’éviter une conception calcifiée et

ossifiée des outils/organes institutionnels permettant un management politique avisé du


pluralisme culturel et social attaché aux formations sociales que sont les multi-nations.

36
configurations ontologiques et axiologiques des luttes relatives à la forme de
l’État. En procédant de la sorte, il est question de cerner l’être et le devoir-être
pertinents à même d’assurer une régulation légitimatrice et civilisatrice d’une
nouvelle conjoncture politico-anthropologique marquée par « l’affirmation de
ces nationalités et l’émergence de nouvelles figurations normatives et
institutionnelles du « problème national » (Mbuyinga Elenga, 1989, p. 335).
Il convient à l’occasion de l’inscription du fédéralisme communautaire dans
le débat public sur la forme de l’État de procéder à la réorientation et à
l’organisation du référentiel institutionnel de l’État-nation, de telle manière que
la collectivité sociétale et souveraine camerounaise prenne la mesure du fait que
« la réalité démotique dans les États-nations africains est complexe » (Tabi
Manga, 2020, p. 100). Dans cette optique, il est question d’avoir en vue des
orientations normatives, morales et institutionnelles à même de procéder à des
stratégies régulationnelles sagaces et perspicaces, stratégies à même de
développer le niveau de maîtrise de la dialectique entre « société
plurinationale » (incarnant la réalité de la diversité socio- anthropologique) et
« nation » (révélatrice de la construction d’une « civilisation étatique » (Person,
1974 et 2015, p. 89).
L’orientation catégorique (ou dure) et hypothétique (ou modérée) liée au
modèle du fédéralisme communautaire est venue questionner le modèle politico-
idéologique et politico-institutionnel de l’unitarisme dans lequel « l’État
camerounais est et doit demeurer unitaire », cet État se posant comme « élément
fondateur et structurant d’une République une et indivisible » qui est
« compatible avec le principe de libre administration des collectivités
territoriales décentralisées, dès lors que les prérogatives de l’État sont
maintenues » (Kankeu, 2010, p. 135). Ce faisant, les versions du fédéralisme
communautaire (la populiste et la républicaniste) expriment la réactivation de
courants politico-idéologiques s’opposant aux orientations unitaristes modelant
l’organisation morale, normative et institutionnelle de la forme de l’État au sein
de la collectivité sociétale et souveraine du Cameroun postcoloniale.
Les défenseurs du courant identitaire et communautaire du fédéralisme qui
ont multiplié les interventions dans l’espace public camerounais ont ainsi
relancé dans les années 2010, des dynamiques de contestation et de
disqualification homologues de celles qui avaient initié « la dénonciation du
centralisme étatique » au cours des années 1990 (Lado et Mballa Elanga, 2010).
Il convient de les aborder sans sombrer dans « une idéalisation politique
démesurée » correspondant à l’« idéalisation du fédéralisme institutionnel » au
sein de la formation sociale et étatique camerounaise (Tabi Manga, 2020, p.
153). En procédant de la sorte, il est effectivement question de réitérer
l’importance d’avoir des dispositions aussi bien éthiques qu’analytiques ou

37
herméneutiques et pragmatiques permettant d’envisager la gestion de la
diversité en dehors de tout « fétichisme institutionnel »45.
L’espace sociétal et souverain camerounais est traversé et travaillé par un
débat sur l’orientation et l’organisation du polynôme Etat-Nation-République
au sein du macrocosme camerounais ; lequel débat met en opposition des
visions concurrentes et/ou divergentes au sujet de la structuration du pouvoir
qui varie entre modèles d’unitarisme et modèles de fédéralisme. C’est dans ce
contexte que l’un des tenants des visions en termes de fédéralisme
communautaire — qui a largement contribué à la vulgarisation politique et
idéologique de cette orientation — note « son adéquation au contexte
camerounais » (Libii, 2021, p. 33).
Le fédéralisme communautaire proposé comme modèle politico-ontologique
et politico-axiologique, ne suscite pas seulement des oppositions au sein des
tenants et partisans de l’unitarisme. Ainsi, ces défenseurs du « fédéralisme
unitaire » comme le politicien Célestin Djamen, mettent en question le
« fédéralisme communautaire » comme « une fumeuse utopie » (Djamen, 2021,
p. 197). Dans une logique commandée par la compétition politico-doctrinale, ce
contradicteur du fédéralisme communautaire comme orientation pouvant faire
l’objet de débats politico-ontologiques et politico-axiologiques, se pose en
véritable contempteur de ce modèle : « Le Cameroun n’est pas et ne saurait être
un laboratoire d’expérimentation du fédéralisme communautaire qui peut se
transformer en une des formes les plus hideuses et détestables du fascisme et du
tribalisme » (Djamen, 2021, p. 201).

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45 Célestin Djamen par souci de souligner — à juste titre — l’exigence d’une République
transcendante, n’en méconnaît pas moins la complexité situationnelle créée par la diversité
culturelle qu’il n’est pas illégitime d’assurer la régulation comme les modèles de fédéralisme
communautaire essaient de faire.

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42
PREMIÈRE PARTIE

UNE DIALECTIQUE AFFIRMÉE DES REPRÉSENTATIONS


ET ÉNONCIATIONS RELATIVES AU FÉDÉRALISME
COMMUNAUTAIRE AU CAMEROUN : UNE ÉCONOMIE
PSYCHIQUE ET SYMBOLIQUE DISCUTÉE DE SES
FIGURES ET POSTURES
TITRE I

DES REPRÉSENTATIONS DU FÉDÉRALISME


COMMUNAUTAIRE AU CAMEROUN COMME FIGURES
DIVERSIFIÉES D'IDENTIFICATION ET D’INCARNATION :
LEUR CONFIGURATION PSYCHIQUE COMME ÉCONOMIE
DISPOSITIONNELLE ET MOTIVATIONNELLE
CHAPITRE 1

FÉDÉRALISME COMMUNAUTAIRE, DYNAMIQUES URBAINES


ET MODERNITÉ DÉMOCRATIQUE AU CAMEROUN : DOUALA
ET LE DÉFI DU MULTICULTURALISME
Edmond VII MBALLA ELANGA et Serge Remy NGABA

Résumé
Les villes camerounaises concentrent plus de 52 % de la population du Cameroun et sont
devenues de véritables lieux de brassage de personnes aux origines, cultures, langues et
mentalités différentes. Alors qu’à la faveur de tensions identitaires croît, dans l’espace
public, l’audience du fédéralisme communautaire comme régime politique qui agrège des
communautés installées sur des territoires devenus des États, cette réflexion éprouve
l’implémentation de cette possible technologie institutionnelle sur le terrain urbain à partir
du cas paradigmatique de la ville de Douala. En s’appuyant méthodologiquement sur la
recherche documentaire et l’approche phénoménologique, l’analyse établit que cette ville
est pénétrée par la diversité ethnotribale, les polémiques suscitées par l’autochtonie et
l’allochtonie. Aussi fabrique-t-elle des dynamiques urbaines de territorialisation des
identités ethnoculturelles et politiques que le fédéralisme communautaire ne peut éluder.
L’exigence du multiculturalisme, marqueur important de la modernité démocratique,
permet d’en discuter la pertinence. Il en résulte que, dans le contexte actuel, la
consolidation et l’application rigoureuse de la décentralisation sont nécessaires au
renforcement de l’esprit républicain. La décentralisation devient alors une étape nécessaire
qui, sortant la cohésion sociale du funambulisme, pourrait, plus tard, assurer l’évolution
de l’État vers une forme fédérale, communautaire ou non.
Mots-clés : fédéralisme communautaire, dynamiques urbaines, démocratisation,
multiculturalisme, Douala.
Abstract
Cameroonian cities concentrate more than 52% of the population of Cameroon and have
become real places of mixing of people with different origins, cultures, languages and
mentalities. While, thanks to identity tensions, the audience for community federalism is
growing in the public space, as a political regime that aggregates communities settled in
territories and has become States, this reflection tests the implementation of this possible
institutional technology on the urban terrain, based on the paradigmatic case of the city of
Douala. Methodologically based on documentary research and the phenomenological
approach, the analysis establishes that this city is penetrated by ethnotribal diversity, the
controversies aroused by autochthony and allochthony. In addition, it manufactures urban
dynamics of territorialization of ethnocultural and political identities, which community
federalism cannot elude. The requirement of multiculturalism, an important marker of
democratic modernity, makes it possible to discuss its relevance. It follows that, in the

47
current context, the consolidation and rigorous application of decentralization are
necessary to strengthen the republican spirit. Decentralization then becomes a necessary
step which, taking social cohesion out of tightrope walking, could later ensure the
evolution of the State towards a federal form, community or not.
Keywords: community federalism, urban dynamics, democratization, multiculturalism,
Douala.

Introduction
Le débat sur la forme de l’État au Cameroun, bien qu’ancien, a pour matrice
structurante la technologie institutionnelle du fédéralisme. Ce débat a
violemment et bruyamment été relancé et recontextualisé par deux critical
junctures qui, par path dependance, s’enracinent dans l’histoire politique du
pays. Primo, la grave crise sécuritaire créée par l’affrontement entre les forces
de sécurité et celles du sécessionnisme armé dans les régions d’expression
anglophone du Nord-Ouest et du Sud-Ouest (NOSO). Commodément appelée
« crise anglophone », elle a débuté par les revendications corporatistes
d’octobre 2016, avant de se muer, dès 2017, en un conflit sanglant. Cette crise
anglophone s’enracine dans l’expérience fédéraliste des années 1961-1972 ; le
retour, par le référendum du 20 mai 1972, à l’État unitaire sous la dénomination
de République unie du Cameroun, « rapidement renommé » République du
Cameroun le 4 février 1984. De là naîtront les premières expressions du
sécessionnisme dès 1985, avec la déclaration d’indépendance de l’État
d’Ambazonie (Konings, 1996, p. 26) ; les revendications démocratiques des
années 1990 avec la formation de groupes de pression fédéralistes ; la réforme
constitutionnelle du 18 janvier 1996 consacrant un État unitaire décentralisé ; la
mal-gouvernance globale du pays ; la gestion : de la « spécificité linguistique et
culturelle » du NOSO, et des sentiments de marginalisation éprouvés et
exprimés par les camerounais originaires de ces régions. Secundo, la forme de
l’État a aussi été reproblématisée à travers une version tribalisée et exubérante :
des luttes politiques autour de l’élection présidentielle d’octobre 2018 ; et la
convoitise, par le biais de l’alternance, de la domination obèse exercée par le
président de la République dans le système politique camerounais.
À grand renfort de ces deux « moments critiques », plusieurs énoncés
politico-idéologiques inondent l’espace public médiatique et numérique, et sont
proposés par divers acteurs, politiques ou non. Outre la sécession, ils oscillent
entre diverses conceptions de l’État unitaire. Certains, comme le leader
d’opinion Dieudonné Essomba, évoquent un fédéralisme unissant deux à dix
États fédérés, flirtant même parfois avec le confédéralisme pensé comme
agrégation contractuelle d’États indépendants. D’autres, à l’instar de député
Cabral Libii Li Ngué, optent pour un fédéralisme des communautés, qualifiable
de communautaire, ethnique, multiethnique ou multinational. Bien que l’ordre
dirigeant ait réorienté, suivant la Constitution de 1996, la décentralisation en

48
octroyant un statut spécial aux régions du NOSO par la Loi 2019/024 du
24 décembre 2019 portant code général des collectivités territoriales
décentralisées, le fédéralisme communautaire émerge comme référent dominant
des débats dans l’espace public. Plusieurs leaders d’opinion et d’hommes
politiques lui sont ainsi favorables lors de débats télévisés. Il est mis en tension
avec la décentralisation dont certains principes juridiques et politiques, bien
qu’adoptés en 1996, ne sont qu’au début de leur application.
La présente réflexion scrute l’énonciation camerounaise du fédéralisme
communautaire. Elle teste sa pertinence, en le discutant avec les dynamiques
urbaines et l’exigence du multiculturalisme aujourd’hui associé au
fonctionnement des démocraties (modernité démocratique) et qui en cours
d’implémentation au Cameroun. Il s’agit aussi de voir si les pressions fédéralistes
communautaires ne trahissent pas l’épuisement et l’inadaptabilité du projet
politique unitariste qui, depuis 1972, a voulu harmoniser la diversité
ethnoculturelle camerounaise, à travers un nationalisme et une politique de
l’intégration régionale, suspectés d’être plus décrétés que voulus. Précisément :
en quoi est-ce que les dynamiques urbaines éprouvent-elles la pertinence du
fédéralisme communautaire dans un contexte de modernité démocratique ?
L’analyse s’appuie sur une élucidation conceptuelle de l’urbanité qui la
différencie, stricto sensu, de la ville et de la citadinité. Comme forme de société,
style de vie et de gouvernement (Fijalkow, 2017, p. 4) pénétrés par
l’industrialisation et l’urbanisme, la ville regroupe des hommes d’horizons divers
(cosmopolitisme), facilite la créativité, la prospérité économique, le brassage des
idées et des cultures. L’urbanité, quant à elle, renvoie à l’organisation et la gestion
de l’espace impliquées par des compétences normées (Wieviorka, 2011, pp. 5‑6).
Elle ressort les territorialisations citadines des relations sociales et des cadres de
vie par la configuration donnée aux bâtiments, aux équipements et au peuplement.
Berry-Chikhaoui (2009) montre que la citadinité n’est pas seulement une forme
d’inscription à la fois dans l’espace et le social urbains. Elle renvoie aussi à des
pratiques et des représentations qui organisent et construisent la ville, ses usages
et ses significations. La relation n’est donc pas à sens unique, de la ville vers le
citadin ; la citadinité renvoie bien à un processus, mais un processus de co-
construction de la ville et du citadin. Elle est

[…] une relation dynamique entre un acteur individuel (individuel au premier


chef mais aussi collectif) et l’objet urbain. […] La citadinité constitue un
ensemble — très complexe et évolutif — de représentations nourrissant des
pratiques spatiales, celles-ci en retour, par réflexivité, contribuant à modifier
celles-là. (Berry-Chikhaoui, 2009, p.12)

Ainsi, parler des dynamiques urbaines, c’est indexer, en un sens, les marqueurs
spatiaux, les tendances démographiques, les rapports de force politiques et la
régulation étatique, qui organisent le « vivre-ensemble » ou le « faire société »
dans les villes camerounaises, dont Douala est un cas paradigmatique.

49
À partir de l’entrée de Douala, ville cosmopolite et capitale économique du
Cameroun, l’étude fait l’hypothèse qu’en contexte de démocratisation, les
dynamiques urbaines, travaillées par diverses territorialisations identitaires,
impriment une rythmique évolutive et processuelle à une possible fédéralisation du
pays, supposée en maîtriser la diversité communautaire. D’une façon ou d’une
autre, les individus (citadins) occupent l’espace d’une part selon des enjeux
d’identification démographique, ethnoculturelle, sociale, économique —
territorialisation des identités —, et d’autre part selon les politiques urbaines
(Viboud, 2014, p. 383) comme actions de l’État in situ. Toute forme politique de
l’État doit donc nécessairement intégrer la gestion complexe de ces variables de
territorialisation. Cette gestion lui impose le multiculturalisme comme trame, parce
que rendue encore plus compliquée par l’acte de naissance ethnoconflictuel des
débats politiques actuels, et la fragilisation de la cohésion nationale qui en découle.
Pour vérifier cette hypothèse, nous suivrons un parcours analytique et
phénoménologique (Meyor, 2005), procédant de la recherche documentaire,
d’une observation structurée des routines sociales à Douala et des discours qui
animent l’espace médiatique. Ce parcours s’inspirera à la fois des approches
populationnelle et spatiale de la sociologie urbaine, et des théories juridico-
politiques du fédéralisme et de la démocratie. La réflexion marquera trois arrêts.
Après la discussion des énonciations camerounaises du fédéralisme
communautaire (1), les dynamiques urbaines de Douala, qui lui sont liées seront
ensuite ressorties (2). Garante de la modernité démocratique, l’exigence du
multiculturalisme qui en découlera permettra à la fin d’envisager ou contester la
solubilité du fédéralisme communautaire dans le contexte urbain actuel (3).

1. Le fédéralisme communautaire au Cameroun : énonciations et


discussions
La vulgate fédéraliste communautaire articule les débats de l’espace public
camerounais, parce que la réclamation des autonomies locales s’est faite plus forte
avec la montée des tensions identitaires. Par précaution analytique, il ne faut
toutefois pas éluder le fait que le fédéralisme communautaire soit avant tout un
fédéralisme. Il en souligne juste, ici, la diversité de manière accommodante. Une
approche juridique répandue comprend le fédéralisme par sa distanciation du
confédéralisme, qui en serait l’antichambre. La différence se jouerait au niveau
du degré de souveraineté et du cadre contractuel des entités (souvent des États)
confédérées et fédérées. Celles-ci s’agrègent au moyen d’une alliance nouée par
un traité, un pacte (confédéralisme), ou par une constitution (fédéralisme). Si dans
la confédération, la souveraineté des entités est maintenue et définit davantage une
union des États, dans la fédération, elle est diluée et transférée à l’entité fédérale
pour apparaître comme une union des peuples (Beaud, 2007). Cependant, des
auteurs comme Olivier Beaud (2007), contestant cette approche, estiment qu’il
faut penser le fédéralisme autrement, en lui-même, parce que la pratique juridique

50
ne consacre pas toujours l’antériorité de la confédération sur la fédération. La
théorie politique enrichit l’élucidation du fédéralisme en circonscrivant le niveau
politique de prise des décisions fédérales. Selon William H. Riker (1955, p. 453),
il y a substantiellement deux types de fédéralisme. D’une part, le fédéralisme
centralisé (centrally-directed or centralized) où les décisions fédérales sont
exclusivement prises par l’entité centrale. D’autre part, le fédéralisme
périphérique ou « périphérialisé » (peripherally-directed or peripheralized) où
certaines décisions fédérales sont émises par l’entité régionale.
Tout bien considéré, le fédéralisme agrège des entités périphériques
(régionales) sans indépendance, et distribue l’exercice du pouvoir entre les
niveaux central et périphérique, selon des compétences administratives et légales
constitutionnellement attribuées à chaque entité fédérée (niveau périphérique) et
à l’entité fédérale (niveau central). Plus proche des formes étatiques anglo-
saxonnes, adopté par une vingtaine de pays aux territoires généralement vastes et
représentant 40 % de la population mondiale, le fédéralisme tente donc
d’harmoniser les pluralités régionales dans l’unité nationale (Roux, 2020, p. 240).
Cette forme d’État superpose le régional à d’autres entités similaires et au centre
fédéral, en lui accordant une large autonomie et une participation à l’exercice de
la souveraineté interne. Quatre principaux critères le déterminent : l’autonomie ou
le partage de la souveraineté interne, l’égalité, la participation et la coopération
(Arcq, Coorebyter, et Istasse, 2012, p. 19‑21). Quand les épithètes de
communautaire, ethnique ou multinational lui sont accolé, le fédéralisme se fonde
sur des entités communautaires.
Le fédéralisme communautaire, ethnique ou multinational, est appliqué dans des
pays comme l’Éthiopie et la Belgique. L’Éthiopie l’a adopté après de longues
années de guerre civile pour réaliser « une politique de “démocratie ethnique” »
(Gouriellec, 2021, p. 116). Au centre du jeu politique se trouve l’ethnicité consacrée
par la constitution et promue par les partis politiques. En fait, l’Éthiopie est :

devenu un État fédéral ethnique avec neuf régions-États (kellel) énoncées à


l’article 47 de la Constitution de 1994 — dont les frontières tracent à peu près
des lignes ethniques — et deux administrations urbaines : les Conseils
administratifs d’Addis-Abeba et de Dire Dawa. (Gouriellec, 2021, p. 116)

Quant à la Belgique formée d’une « Autorité fédérale, de trois Communautés et


de trois Régions » (Reuchamps et Onclin, 2009, p. 21), son fédéralisme
communautaire, adoptée sous la pression des partis politiques, a permis le
transfert d’importants pouvoirs aux régions et non aux provinces. Le but est de
mieux gérer les clivages socioculturels et linguistiques, bipolarisés par les
Wallons francophones et les Flamands néerlandophones. Ces clivages
remontent à la naissance, en 1830, de l’État belge qui, depuis cette date-là, n’a
cessé de se réformer (Anselme, 2021 ; Reuchamps et Onclin, 2009, p. 21‑23).
Le même fédéralisme communautaire connaît, au Cameroun, une audience
croissante ces dernières années. Leaders d’opinion, politiciens, activistes,

51
influenceurs et analystes ne manquent aucune occasion pour opiner à son sujet, avec
des avis tant favorables que défavorables. Parmi les tenants de ce courant, figure en
bonne place l’économiste Dieudonné Essomba qui affirme que « le système actuel
est intrinsèquement mauvais. Il faut le réformer, créer deux niveaux de décision
dans l’État pour réduire les tensions du système. »46 Il pense que
l’hypercentralisation du pouvoir est la cause première des mauvaises performances
de l’économie camerounaise, entre autres. Pour résorber ces insuffisances, il
présente le fédéralisme communautaire comme le seul modèle qui régule de
manière rationnelle et cohérente les relations intercommunautaires. « Par sa
prétention à fabriquer des Nations homogènes par décret, à proclamer l’amour des
communautés par décret, l’État unitaire se présente objectivement comme le
creuset des purifications tribales », conclut-il.
Cette analyse reçoit un écho favorable sur la scène politique où des hommes
politiques tels que l’honorable Cabral Libii et Serge Espoir Matomba se sont posés
comme les porte-flambeaux du fédéralisme communautaire. Ils voient dans ce
modèle un moyen de rassembler les Camerounais et non de les diviser. Cabral Libii,
le leader du Parti Camerounais pour la Réconciliation nationale (PCRN) explique
que ceux qui s’opposent au fédéralisme communautaire en l’assimilant au repli
identitaire sont de deux catégories : ceux qui méritent une écoute parce qu’ils sont
de bonne foi, et ceux qui n’ont droit qu’à la raillerie parce qu’ils sont de mauvaise
foi et ne visent qu’à abrutir les autres à des fins ridiculement politiciennes. Il ajoute
que « la solution pour régler plusieurs problèmes que connaît le Cameroun est
d’opter pour le fédéralisme communautaire. »47 Pour lui, se fédérer c’est se
regrouper, se rassembler. En revanche, se replier, c’est se couper. Ce sont, en effet,
des contraires. S’appuyant sur les travaux de Paul Abouna (2020), il affirme :
Le Cameroun est le fruit d’un melting-pot migratoire. C’est une richesse
sociologique et historique rare qui prédestine ce pays à une prospérité proche de
celle des États-Unis d’Amérique. Il faut teindre les braises guerrières sur lesquelles,
souffle le vent divisionniste et actionner le levier principal qui est la communauté
unité-essence sur laquelle doit se poser l’État fédéral. L’État, comme espace
délimité, est d’abord, avant sa souveraineté internationale, une collectivité humaine.
Puis, un ensemble de règles d’organisation et de fonctionnement qui donnent
naissance à un corpus institutionnel. La conjugaison de ces deux visages de l’État
est viciée dès le départ au Cameroun. Il est d’une pressante opportunité de « refaire
le portrait » d’un avenir étatique résolument inclusif de nos aspirations communes :

46 Club d’Élite, émission de débat diffusée sur la chaine de télévision Vision 4, 29 décembre 2019.
Dieudonné Essomba est un économiste, statisticien et chroniqueur camerounais. Né à Yaoundé,
Dieudonné Essomba fait des études d’ingénieur en France. Il intervient sur des chaines de télévision
comme Vision 4 où il participe à des débats comme chroniqueur.
47 Propos tenus au cours du Grand dialogue national (GDN). Le GDN (en anglais : Major National

Dialogue) est le nom officiel d’un dialogue entre le gouvernement du Cameroun et différents
partis d’opposition, visant à résoudre la crise anglophone au Cameroun. Il s’est déroulé du
30 septembre au 4 octobre 2019.

52
vivre harmonieusement ensemble sous un abri étatique qui épouse nos identités et
nos valeurs (2021, p. 32).
Le postulat central de l’idéologie de Cabral Libii peut être résumé en ces
termes : « fédérer les communautés pour prévenir les divisions et créer les
mécanismes de prospérité du Cameroun. » S’éloignant de la « finalité
technocratique » qu’il juge réductrice, car d’après ce député du PCRN, celle-ci
est réductrice et confond l’ethnie à la communauté.
Pour lui, la première chose à faire au Cameroun est « l’élimination des dix (10)
régions artificielles consacrées par la constitution, car il est très pénible, voire
impossible d’en déterminer la pertinence. » La « réforme » qu’il propose
consisterait à transformer tous les départements en régions ; puis à procéder à un
réexamen des lignes de démarcation des nouvelles régions en consolidant des
blocs, sociologiquement et anthropologiquement affinitaires. Pour ce qui est
spécifiquement de l’actuelle région du Littoral, avec sa capitale Douala qui nous
intéresse dans le cadre de cette réflexion, il souligne ceci : « la région de Douala
pourrait être constitutive de la grande famille Sawa qui est repartie dans les
départements du Wouri, du Nkam, du Moungo, de la Sanaga-maritime dans le
littoral et dans le département de l’Océan dans le Sud. » (2021, p. 46).
En revanche, depuis 2016 et le début de la forme la plus violente des
revendications sécessionnistes dans le NOSO, de nombreux universitaires à
l’instar de Owona Nguini48, sont beaucoup plus réservés. Pour lui, le mouvement
social anglophone est un dangereux leurre susceptible de conduire à l’explosion
de l’État camerounais. Ce mouvement, affirme-t-il, a ouvert la boite de pandore
des délires liés aux idolâtries communautaires. Ainsi, seule la transversalité
républicaine peut s’opposer à cette idéologie, d’où que viennent les activistes qui
alimentent des « chauvinismes décomplexés pour la cohésion nationale ». Le
redécoupage des régions du Cameroun sur une base ethnique, un des fondements
du fédéralisme communautaire formulé par ses partisans, est susceptible de
renforcer les clivages entre les groupes ethniques et d’accentuer le tribalisme, avec
comme conséquences la dislocation de la fébrile cohésion nationale actuelle. Il
parle ainsi du « fétichisme au sujet de la forme de l’État. » En lieu et place du
fédéralisme communautaire, il développe l’idée d’un « fédéralisme
communautarien », dont la philosophie se fonde sur une opposition au libéralisme
privilégiant l’appartenance culturelle et la communauté face à l’individu (Taylor,
1992 a, b ; Michael Walzer, 1997)49. Cette discussion des énonciations

48Voir l’introduction de cet ouvrage.


49 La philosophie du fédéralisme communautarien se fonde sur une opposition au libéralisme
privilégiant l’appartenance culturelle et la communauté face à l’individu. En effet, la philosophie
communautarienne relative à la justice sociale vise à dépasser la pensée libérale. Celle-ci n’impose
que deux choses : des devoirs universels que les hommes ont en tant qu’êtres humains (ne pas faire
preuve de cruauté, etc.) et des obligations volontaires pour lesquelles ils ont consenti (contrat,
promesse, etc.). Les communautariens vont réfléchir la justice sociale à partir d’un troisième point,
non universel et non lié à un consentement, une obligation que Michael Sandel (1999) appelle de
solidarité : celui des obligations en lien avec des appartenances, des histoires et des loyautés.

53
camerounaises du fédéralisme communautaire conduit à faire le point sur les
dynamiques urbaines de Douala et la territorialisation des identités.

2. Les dynamiques urbaines à Douala et la territorialisation des


identités
L’urbanisation du monde est un fait majeur des sociétés contemporaines. Elle
participe de la mondialisation. Dès la fin du XXe siècle, le département des
Affaires sociales et économiques des Nations unies a signalé que la majorité de la
population mondiale était en voie de devenir urbaine. Ce constat contraste avec
les chiffres de 1950, quand la population urbaine se limitait à 30 % (Ghorra-
Gobin, 2019). Parmi les défis que le monde en général, et l’Afrique en particulier,
doit relever dans les décennies à venir, la croissance démographique est sans doute
la plus importante. Alors qu’au cours des cinquante dernières années, le continent
africain a déjà multiplié par quatre sa population pour atteindre le milliard
d’habitants en 2010, l’Afrique pourrait atteindre les deux milliards d’habitants
d’ici 2050. Au Cameroun, la réalisation de trois recensements généraux de la
population (1976, 1987, 2005) a montré l’augmentation du taux de la population
urbaine. Ainsi de 1976 à 2005, la population urbaine du Cameroun est passée de
2 184 242 habitants à 3 968 919 habitants en 1987, puis à 8 514 938 habitants en
2005. Il se dégage que l’effectif de la population urbaine a été multiplié par 3,9
entre 1976 et 2005 mettant en évidence un dynamisme urbain très fort. En 2019,
en s’appuyant sur les projections faites à partir du dernier recensement (2010) et
du taux de croissance de la population (2,6/100), la population de Douala et de
Yaoundé était estimée, respectivement à près de 4 000 000 et 3 500 000 habitants.
L’une des caractéristiques de cette population urbaine est sa très forte
hétérogénéité. L’idée de l’hétérogénéité de la société urbaine qu’exprimaient déjà
à leur époque les sociologues de la première modernité, comme Weber, Simmel,
Park, Wirth ou Durkheim, est au moins centenaire. Les villes contemporaines sont
plurielles à un point tel qu’il devient souvent hasardeux de les narrer en mettant
en scène des acteurs collectifs, personnifications de grands agrégats d’individus
(Thomas et Znaniecki, 1998 ; Burgess, Park et Roderick [1925] ; Grafmeyer et
Joseph, 2009 ; Coulon, 2012, etc.) L’hétérogénéité diffuse dans la ville
contemporaine rend tout aussi délicate la fabrication de récits qui se réclament de
la méthode idéal-typique ou qui se veulent des « modèles » (Simmel, 2013).
En effet, la ville a été historiquement un point de convergence de personnes
d’origines, cultures, langues, mentalités différentes. Elle est le lieu par excellence
de la diversité sociale. L’hétérogénéité socio-urbaine se résume à la coexistence
sur un même territoire de groupes de personnes différents les uns des autres
suivant leurs principaux traits sociaux ou culturels. La ville réunit des riches, des
pauvres, des jeunes, des personnes âgées, des dirigeants, des ouvriers, des
familles, des personnes seules, des natifs, des immigrés, des représentants d’une
pluralité de confessions, d’ethnies, etc., et c’est en cela qu’elle est hétérogène

54
(Emre Korsu, sans date). Cette hétérogénéité est finalement celle des différentes
positions sociales (profession, origine ethnique, résidence, consommation, etc.)
liées à chaque individu, et dont la ville permet l’expression et la projection. Dès
lors établie, la mutipositionnalité urbaine affecte aussi l’espace qui, dans un jeu
de constructivisme structuraliste, agit également sur l’individu. Ni l’individu ni
l’espace ne sont alors neutres. Leur entremêlement révèle des aspects importants
de la vie sociale, qui dessinent des configurations socio-urbaines qui, à Douala, se
constituent en territorialisations des identités. Celles-ci ont un rapport de
dépendance avec l’histoire socioculturelle et coloniale de la ville (Amougou
Mbarga, 2013), et de détermination du projet fédéraliste communautaire.

3. La ville de Douala : aperçu historique, cartographie


socioculturelle et contraintes
Site portuaire situé en bordure de l’océan Atlantique, au fond du golfe de Guinée,
Douala est la plus grande ville du Cameroun et de la sous-région Afrique centrale
(CEMAC), sur le plan économique et démographique. Le port de Douala est la
principale porte d’entrée du Cameroun, et de fait, de la sous-région d’Afrique
centrale. Il dessert plusieurs pays limitrophes, particulièrement le Tchad et la
République centrafricaine. La ville se trouve être une destination naturelle pour les
chercheurs d’emplois, les étudiants ou encore les hommes et les femmes d’affaires,
qu’ils soient des nationaux ou des ressortissants des autres pays de la CEMAC et
même d’Afrique de l’Ouest (Mballa Elanga, 2023). En effet :
Douala est la première agglomération du Cameroun à subir le processus
d’occidentalisation. En 1884, à la signature du traité germano-douala par les rois
Akwa et Bell, les Doualas ne comptaient probablement guère plus de cinq mille
personnes, réparties dans un groupe de huit villages avoisinants. (Amougou
Mbarga, 2013, p. 195)

Capitale du Cameroun de 1885 à 1909, elle dut sa fortune à son port, que des voies
ferrées relièrent bientôt à la capitale Yaoundé. Environ dix mille autres Doualas
vivaient dans un périmètre de 32 à 80 km de la ville de Douala. De manière
singulière, la ville s’est construite à partir de villages. Elle est traversée de
multiples artères (avenues, esplanades, rues) déterminant son urbanité et illustrant
sa trajectoire historique et socioéconomique (Amougou Mbarga, 2013).
La ville de Douala a toujours été, sur le plan historique, en relation avec des
peuples issus d’horizons divers. D’abord les Portugais qui ont attribué le nom
de « Rio dos camaroes » au fleuve Wouri en 1472, expression à l’origine de
l’appellation « Cameroun ». Puis les Allemands pendant le protectorat de 1884,
les Britanniques et les Français après la Première Guerre mondiale. Ces différents
peuples se sont progressivement familiarisés avec l’importante diversité des
populations locales. Le Cameroun en lui-même est constitué de plus de
240 ethnies différentes parlant autant de langues ou d’unités-langues. Toute cette

55
diversité socioculturelle se retrouve à Douala, ce qui montre l’importance des
différences linguistiques et culturelles des populations locales. La ville regorge
également d’une multitude de peuples africains, européens, américains, bref des
citoyens de diverses nationalités du monde : nigérians, français, libanais, togolais,
grecs, sénégalais, maliens, béninois, centrafricains, tchadiens, indiens, allemands,
etc. Dans l’imagerie populaire, la ville de Douala représente : « les États-Unis du
Cameroun et d’Afrique centrale. Une ville où on vient pour se “chercher ». » Si
Douala est une ville où les populations autochtones constituent encore un poids
symbolique important, du point de vue purement statistique, les populations dites
allogènes constituent la majorité de la population qui continuera à croître, comme
le montrent le tableau et le graphique ci-dessous.

Tableau 1 : Évolution des principaux groupes ethniques dans la population de Douala


Groupes ethniques 1956 1967 1976 1987 2010
Douala 19 15 12 11 10
Autochtones 17 18 19 21 21
Béti 17 11 10 9 11
Bamiléké Allogènes 25 39 42 46 42
Autres 22 17 17 13 16
Total 100 100 100 100 100
Source : Nsegbe et al., 2014 et Tchumtchoua, 2019

Graphique 1 : Évolution des principaux groupes ethniques dans la population de Douala

Source : Nations Unies-world population prospects

Si, comme nous l’avons dit, la croissance démographique est le défi le plus
important que les pays africains doivent relever dans les décennies à venir, cela
veut dire que les villes jouent déjà et joueront encore plus un rôle essentiel. Elles
concentrent, en effet, l’ensemble des enjeux soulevés par ces bouleversements

56
démographiques et ceux à venir. En sus, elles devraient d’ici peu accueillir
l’essentiel de la population africaine (Batel, 2016). La ville de Douala n’échappe
pas à cette réalité de ville centrale pour ce qui est de l’accueil des populations.
Elle a l’avantage de voir réunies en elle des qualités susceptibles d’intéresser, sous
plusieurs rapports, les historiens, les sociologues, les géographes. Ces qualités,
elle les doit aux hommes qui l’ont créée, aux documents qui la concernent et aux
rôles régional, national — colonial auparavant — et international qu’elle a joués
et joue toujours (Gouellain, 1973). En 2019, en s’appuyant sur les projections
faites à partir du dernier recensement et du taux de croissance de la population
(2,6/100), sa population était estimée à près de 4 000 000 d’habitants.

4. La territorialisation des identités à Douala


La croissance démographique continue et la grande hétérogénéité des
trajectoires tribales de la ville de Douala (cf. tableau n° 1 et graphique n° 1)
questionnent les localisations territoriales de sa diversité ethnoculturelle, transfusée
à travers les migrations internes. En sachant qu’à l’image de Douala, les villes
camerounaises sont des lieux de pouvoir qui produisent la symétrie, manifeste ou
tacite entre toponymes et ethnonymes, et dévoilée par la forte « ethnicisation de
l’espace physique ». Cela s’explique, au Cameroun, par « le pouvoir de l’ethnie en
tant qu’il dicte ou impose aux hommes d’occuper des espaces précis » (Abouna,
2011, p. 21). Ainsi, ethnicité et urbanité se conjuguent et créent des
interdépendances à réguler. L’on notera au passage que l’ethnicité est une
caractérisation culturelle qui, dans les relations sociales, distingue des acteurs ou
groupes sociaux donnés d’autres acteurs ou groupes sociaux, parce qu’ils s’estiment
et sont estimés différents de ces derniers, bien que des interactions régulières les
relient (Martiniello, 2013, p. 30). Ce disant, le repérage géographique de l’ethnicité
plurielle de Douala ne peut faire l’économie de l’orientation politique du Cameroun
vers la modernité démocratique, surtout au niveau local. Car la spatialisation des
identités, prises dans leur dimension ethnique (ethnicité) comme conséquence
socioanthropologique des migrations, est superposée aux enjeux politico-
géographiques (autre dimension de l’identité) des compétitions électorales. La ville
est un horizon de sens identitaires puisque l’ethnicité y détermine incontestablement
l’occupation des espaces, la pratique religieuse, l’emploi et la gestion des ressources
humaines dans les secteurs privé et public, la genèse, les noms et les programmes
des médias audiovisuels et de la presse écrite, les processus de politisation et le
militantisme — fiefs politiques et électoraux — (Abouna, 2011).
Ces déterminations de l’espace par le politique et l’ethnicité, qui impliquent de
tenir à la fois des discriminations positives et des équilibres, nous les qualifions
de territorialisation des identités ethnoculturelles et politiques. Elles représentent
des défis politiques majeurs pour toute idéologie et tout système politiques à
implémenter au Cameroun. En mobilisant l’identité ou les identités comme « un
outil d’analyse » et non comme « arme politique » (Heinich et Sarthou-Lajus,

57
2022, pp. 56-59) pour éprouver la force de régulation sociopolitique du
fédéralisme communautaire, nous nous déprenons des débats sur l’existence ou
non de l’identité. Nous suivons la voie de son utilité analytique, et non celle
extrémiste et inféconde polarisée par l’opposition primordialisme (essentialisme)
versus constructivisme (postmodernisme). Cette opposition éclipse la prégnance
des représentations sociales collectives sur la réalité, lesquelles représentations ne
sont pas toujours de l’ordre du pur positivisme. Ce faisant, ladite opposition les
exacerbe (primordialisme, tribalisme), ou les nie (constructivisme), alors que dans
la vie et les relations sociales, le pouvoir de coercition de ces représentations
identitaires est indéniable. On s’identifie bien toujours par rapport à sa taille, son
niveau d’étude, sa région, son pays d’origine, etc. Les diverses socialisations par
lesquelles passent les individus sont autant de paliers de fabrique des identités,
dont la narration démontre la factualité. Notre propos articule donc essence,
factualité, construction historico-mentale et symbolique. Il est de dire que bien
qu’historiquement construite, l’identité n’est pas moins une représentation sociale
(collective) et mentale, symbolique, vécue, structurée et distribuée au travers des
caractéristiques sociodémographiques définies (naissance, âge, région d’origine,
etc.), idéologiques, économiques, sociopolitiques (raciale, genrée, politique,
régionale, nationale, etc.) et culturelles. À ce titre, l’identité produit des effets et
des croyances d’appartenance et délimitation d’espaces propres. Multisituée et
pouvant se penser à diverses échelles, l’identité est encadrée, voire protégée, par
des organisations et les pratiques politico-institutionnelles, qu’elle impacte
également, non sans des risques d’aliénations ou d’excès.
Le cosmopolitisme n’empêche pas ainsi des Camerounais originaires du
Nord ou du Centre et vivant dans le Littoral, d’assumer leurs origines par la
référence ultime, très souvent associative, au « terroir » pour des cérémonies
traditionnelles importantes comme les mariages et les obsèques50. La formation
de ces cadres associatifs, d’ailleurs validés par les autorités administratives en
parfaite cohérence avec l’ordre juridique établi (Constitution et Loi n° 90-53 du
19 décembre 1990 portant sur la liberté d’association), ressort aussi des
reconnaissances sociales de l’identité, surtout quand lui est accolé l’épithète
d’ethnique (Lado et Mballa Elanga, 2018). C’est pour cela que l’investissement,
l’occupation et l’installation dans des quartiers sont souvent déterminés par la
variable ethnique jouée par l’autochtonie et l’allochtonie. À propos des
autochtones, l’onomastique des quartiers de la ville révèle ceci :
50 Sur les 732 associations identifiées par la Mairie de Douala (CUD), plusieurs centaines (le nombre
exact n’est pas connu) sont des associations avec une base ethnique ou tribale. Nous pouvons citer,
à titre d’illustration : Association de développement du Mayo Tsanaga, Elat Meyong Beti du Wouri
(Association des fils et filles Beti ressortissants du Centre, Sud, Est du Wouri), Association pour le
développement de l’arrondissement de Mogode, Communauté du Grand Nord, Comité de
développement de Rhumzou antenne de Douala, Cercle des amis Bafou de Douala, Association des
ressortissants et sympathisants du grand Mbam, Association des ressortissants Haut Nkam Bobongo
Douala 3e, Association des ressortissants Fongo Tongo, Association des ressortissants Nlem de
Bandjoun, Communauté Fondanti du Wouri, Communauté Bamendou du Wouri, Communauté
Babone du wouri, Association Femmes Baham, Association des ressortissants Bamia de Douala, etc.

58
La segmentation historique de la ville de Douala se perçoit dans la dénomination
des quartiers. Dans la spatialisation des peuples, les préfixes Log, Ndog, Bona,
selon le regroupement ethno-identitaire, renvoient au village, à la tribu, au clan ou
à la famille. Log correspond aux populations Bakoko, identifiant les quartiers
comme Logpom (« Le terroir » ou « Le village de Pom ») ou Logbaba.
L’expression Ndog détermine les populations Mba n’saa Wouri (les Bassas du
Wouri), d’où les quartiers comme Ndogkoti, Ndogsimbi, Ndogbong. Le préfixe
Bona fait référence aux populations Douala situant les quartiers tels que Bonapriso,
Bonanjo, Bonamoussadi, Bonabéri. (Amougou Mbarga, 2013, pp. 197‑98)

Dans la même logique, différents quartiers de la ville sont dominés, voire


« accaparés », par des ethnies allochtones, et leurs dénominations sont fort
suggestives. Comme les autochtones, les allochtones se spatialisent en acquérant
des terres ou résidant dans des coins précis de la ville, parfois choisis en relation
avec la direction ou la proximité du terroir. La figure ci-dessous, avec les limites
qu’on peut lui reconnaître51, montre à suffisance qu’il existe dans la ville de Douala,
une structuration ethnique des quartiers (Nsegbe et al, 2019, p. 33).

Figure 1 : Fragmentation socio-identitaire des quartiers de Douala

Source : Nsegbe et al, 2019

Cela confirme cette caractéristique prégnante déjà identifiée par Jean-Marc Éla
(1983), à propos des localisations géographiques des associations et des ethnies dans
les villes camerounaises. Celles-ci sont des lieux de constructions identitaires sous
formes associatives — tontines, associations ethniques — et de polarisations

51La catégorie anglo-bamileké par exemple est querellée par de nombreux chercheurs et
observateurs qui estiment qu’elle ne renvoie pas à une réalité pertinente.

59
ethnogéographiques. De toute évidence, il y a, au Cameroun, une pénétration
communautaire du champ social urbain (Abé, 2004). Douala constitue, dans ce
domaine qui s’étend même à la sphère professionnelle, un site d’observation
pertinent (Séraphin, 2000), qui informe sur ce qu’une opinion connue qualifie
souvent de « dynamisme » de certaines communautés « allogènes ». Cette
transformation identitaire de l’espace urbain stylise les rapports de forces entre
autochtones et allochtones, et les significations d’une cohabitation ethnique
négociée par les communautés dans leurs interactions, leurs pratiques d’occupation
de l’espace et les socialités d’utilité. Elle invente et crée (Manga, 2012, p. 52) des
logiques identitaires de regroupements, de circulation et de résidence.
Si l’on entend par urbanisme : « un ensemble de réflexion et de pratiques
consistant à prétendre définir des objectifs d’utilisation des espaces construits ou
“constructibles” dans l’avenir ; à vouloir, également, programmer des actions de
nature à poursuivre ces objectifs » (Davignon, 2014, p.513). Alors, l’urbanisme par
le bas, raboté par des contrats de fait entre agents sociaux, est le nom de l’occupation
spatiale, à travers des constructions et locations, et des dynamiques de résidence
observées à Douala. Cet urbanisme par le bas a des conséquences politiques que les
compétitions électorales permettent d’apprécier. C’est ainsi que contrairement aux
régions du Centre et de l’Extrême-Nord traditionnellement acquises au parti au
pouvoir, le Rassemblement démocratique du Peuple camerounais (RDPC), la
région du Littoral est, dans la géographie électorale et depuis les revendications
démocratiques des années 1990, souvent favorable à l’opposition politique. Ces
trois régions cumulent la majorité de l’électorat camerounais, et les statistiques
officielles, ci-dessous rendues de l’élection présidentielle de 2018, confirment
l’alignement oppositionnel de Douala. Le Mouvement pour la Renaissance du
Cameroun (MRC) y est arrivé en tête, se constituant ainsi, en ce moment-là, en
principale force partisane d’opposition.

Tableau 2 : Géographie électorale sommaire de la présidentielle de 2018


Régions Inscrits sur les Suffrages Suffrages Suffrages
administratives listes électorales valablement RDPC (%) MRC (%)
exprimés
Centre 1 155 161 72 613 478 231 102 604
(71,10 %) (15,25 %)
Extrême-Nord 1 135 942 804 189 717 442 27 770
(89,21 %) (3,45 %)
Littoral 935 531 507 427 181 417 195 843 (38,
(35,75 %) 60 %)
Source : Compilation de données faite à partir du rapport d’Elections Cameroon
(2019, pp. 185-197)

Siège d’importantes dynamiques sociales, associatives et résidentielles,


d’institutions économiques, politiques et partisanes, Douala, qui dévoile l’urbanité
camerounaise en situation de grande hétérogénéité, est le lieu d’un marquage

60
ethnique et politique de l’espace52. Ce marquage a des effets politiques puissants et
révèle des disparités de niveaux de vie. C’est la raison pour laquelle la ville apparaît,
au Cameroun, comme le lieu par excellence d’expression des mouvements sociaux
(villes mortes des années 1990 et les émeutes de la faim de 2008) et de
revendications d’autochtonie. À titre d’illustrations, nous citons les revendications
et manifestations des populations autochtones (moins d’une centaine de familles)
consécutives aux déguerpissements de Dikolo (Douala) pour la construction d’un
complexe hôtelier par un particulier revendiquant l’obtention d’une « déclaration
d’utilité publique ». En mai 2022, ces manifestions et ces revendications ont poussé
le gouverneur de la région du littoral à suspendre les travaux de construction de cet
édifice, afin d’examiner les réclamations des populations autochtones s’estimant
spoliées de leur patrimoine. Le 24 mai 2023, la construction de ce complexe hôtelier
a finalement été annulée par le tribunal administratif de Douala. Par ailleurs, au
cours du Grand dialogue national, d’autres populations autochtones de Douala
avaient aussi manifesté, jugeant que les doléances du Littoral n’avaient pas été
prises en compte, des doléances qui allaient dans le sens de la préservation des droits
des populations autochtones de Douala par l’État.
Bissou (2021) souligne ainsi que l’urbanisation de Douala a affronté depuis sa
création les revendications foncières des peuples autochtones. Premier facteur de
production permettant l’entretien des hommes, la terre dans la conception
autochtone, est un dépôt d’énergie, un réservoir des forces mises à la disposition des
êtres humains qui, pour en tirer profit, doivent les maîtriser dans leurs activités.
C’est un bien commun, la terre des ancêtres dont chaque unité lignagère, dans le
cadre d’un droit absolu de jouissance, bénéficie d’une parcelle. Confrontée à la
logique mercantile et à la notion de propriété privée issue du droit moderne, la terre
à Douala devient objet d’affrontements entre autochtones, allogènes et pouvoirs
publics, contribuant à influencer considérablement l’urbanisation de la ville, de sa
création à nos jours. La création des identités locales artificielles par les découpages
territoriaux récents ne semble pas arrêter ce phénomène dans l’action publique
urbaine contemporaine.
Par ailleurs, les buts que se donnent les associations dévoilent l’invention de
socialités et solidarités ethniques et transethniques, basées sur l’âge, la profession
ou l’activité génératrice de revenu (bayam sellam, mototaxi), le genre, les besoins
sociaux (eaux, sécurité, régulation des marchés, salubrité publique, etc.). Ces

52 Nous citons ici quelques partis politiques qui ont leur siège dans la ville de Douala : Démocratie
Intégrale du Cameroun Union des Populations du Cameroun, Parti Socialiste Démocrate, Union des
Républicains du Cameroun, Congrès Panafricain du Cameroun, Parti Socialiste Unifié, Parti Socialiste
camerounais, Mouvement Socialiste pour la Nouvelle Démocratie, Convention Libérale, Union des
Initiatives pour l’Entente nationale, Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la
démocratie, etc. Par ailleurs, d’autres partis politiques, dont les six représentés à l’Assemblée nationale
(élections législatives du 9 février 2020), ont des bureaux dans tous six les arrondissements de la ville
de Douala : Rassemblement démocratique du peuple camerounais, Union Nationale pour la Démocratie
et le Progrès, Social Democratic Front, Parti Camerounais pour la Réconciliation nationale, Union
Démocratique du Cameroun, Front pour le Salut National du Cameroun, Mouvement pour la défense
de la République, Union des Mouvements Socialistes.

61
socialités et solidarités indiquent une imbrication du communautaire
(associations, attachement au terroir), du social (salubrité, viabilité du cadre de
vie, sécurité, liens sociaux) et l’urbain. Si ces associations d’autochtones et
allochtones deviennent très souvent des interlocuteurs crédibles du pouvoir
politique à travers les municipalités par exemple (Leimdorfer, 1999, p. 55), cela
veut dire qu’elles sont intégrées, d’une manière ou d’une autre, dans l’appareil
d’État. La citoyenneté complexe d’accommodation et de résignation sécrétée par
cette urbanité spécifique va à la fois du bas vers le haut et du haut vers le bas.
Produisant un rapport différencié et multiniveau à l’État, elle doit être intégrée
dans tout projet sociopolitique visant le renforcement de la cohésion nationale,
fût-il le fédéralisme communautaire.

5. Fédéralisme communautaire, urbanité et multiculturalisme


à Douala et au Cameroun
L’imbrication politique du communautaire et de l’urbain précédemment
décrite met en exergue l’impact territorial des représentations et des imaginaires
identitaires qui centralisent la contiguïté entre la vie et l’espace de référence
immédiat et originel des individus et des groupes ethniques. Cette dernière étape
de notre analyse examine, par l’entrée de Douala, la pertinence de l’éventuelle
implémentation du fédéralisme communautaire au Cameroun, qui a proclamé sa
foi institutionnelle dans le multiculturalisme. Matérialisation en a été faite par le
décret n° 2017/013 du 23 janvier 2017 portant création, organisation et
fonctionnement de la Commission nationale pour la Promotion du Bilinguisme et
du Multiculturalisme. Selon ce décret, le but de cet

organe consultatif doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière »


est « d’œuvrer à la promotion du bilinguisme, du multiculturalisme au
Cameroun, dans l’optique de maintenir la paix, de consolider l’unité nationale du
pays et de renforcer la volonté et la pratique quotidienne du vivre ensemble de
ses populations.

En théorie, avec les modèles républicain et consociatif, le modèle libéral du


multiculturalisme, introduit au Canada en 1965 par une Commission royale, est
une modélisation démocratique de la citoyenneté, appuyée sur une collectivisation
normée des droits et devoirs individuels qui reconnaît, valorise et égalise la
diversité culturelle et communautaire (Bennett, 2008, pp. 20‑21 ; Dormagen et
Mouchard 2015, 96 ; Savidan 2016, pp. 18‑19). Contrairement à
l’assimilationnisme pur, le multiculturalisme consiste en une économie des
échanges culturels et participe des politiques de la reconnaissance. Appartenant
au patrimoine du devenir démocratique et culturel (ethnique) des sociétés
modernes (Savidan, 2016, pp. 6‑10), il s’agit d’une technologie d’intégration et
de participation sociocommunautaires et politiques, traditionnellement mise en

62
œuvre dans des pays de longue tradition communautaire et (im)migratoire comme
les États-Unis, le Canada, l’Australie.
À ce titre, le multiculturalisme intègre la catégorie des politiques urbaines
(Galès, 2020, p. 555) dont les domaines sont entre autres :

la fabrique urbaine ou comment différents groupes sociaux ou ethniques vivent


ensemble dans des villes, la création d’un intérêt général urbain, les politiques
d’intégration de différents groupes, les politiques sociales urbaines et les politiques
d’ordre public, de sécurité, de contrôle, la gestion des émeutes et des conflits », ainsi
que les « les politiques culturelles, le marketing urbain. (Galès, 2020, p. 556)

Ainsi, on ne peut discuter, dans le contexte camerounais, de la cohabitation des


communautés, de la cohésion sociale et de la gouvernance urbaine en marge de
l’exigence du multiculturalisme qui est un véritable « champ de problèmes » et
d’« accommodements raisonnables » (Savidan, 2016, p. 121). Il y a donc lieu de
questionner, de manière lucide, le fédéralisme communautaire qui vise à harmoniser
la diversité ethnoculturelle camerounaise. Celle-ci est essentiellement urbaine et
politiquement orientée vers le multiculturalisme, par le perfectionnement des
modalités citoyennes de représentation, représentativité et participation politiques.
Que pourrait donc faire et offrir le fédéralisme communautaire à la citoyenneté
urbaine multiculturelle que n’aurait fait ou offert l’actuelle forme d’État unitaire
décentralisé en vigueur au Cameroun ? Les politiques de la reconnaissance ou
communautaires que propose l’idéologie fédéraliste communautaire bien vendue
dans l’espace public, sont-elles réellement solubles dans le pluralisme urbain
doualais et camerounais ? Quelles pourraient en être les porosités ?
Pour répondre à ces interrogations, il faut démêler le fantasme du réel, le voulu
du faisable. Cela enjoint de rappeler que l’effervescence nourrie autour de
l’idéologie du fédéralisme communautaire est consécutive aux crises politico-
sécuritaires, évoquées en introduction, que rencontre le Cameroun depuis plus
d’une dizaine d’années. Dans ce contexte, si la sociologie de la fabrique des
réformes institutionnelles en période de crise incline à reconnaître leur lien, on ne
peut faire l’économie du principe de précaution, pour ne pas donner un passe-droit
à toute réforme naissant d’une crise. Il faut bien évaluer la réforme pour voir si
elle répond de manière appropriée à son input, et comprendre préalablement les
dimensions déclarées ou cachées de cet input, au risque d’exacerber la situation
sur le moyen ou le long terme. Or, il n’est pas sûr qu’il en soit ainsi du fédéralisme
communautaire, si on complique les évidences déclarées, à défaut de les contester.
En préemptant la modestie sur la portée nationale de cette idéologie, notamment
en ce qui concerne la protection des droits des minorités et la multipositionnalité
géographique de certaines ethnies, il émerge des espaces de dictature et
d’incertitudes dangereuses émanant, non plus du pouvoir central, mais des
territoires communautaires, avec un effet d’émasculation du contrat républicain.
En proposant de remplacer les départements administratifs actuels du
Cameroun par des régions communautaires pour consolider des blocs,

63
sociologiquement et anthropologiquement affinitaires, le fédéralisme
communautaire de Libii ne garantit pas : la fin des brouillages entre les niveaux
de décisions nationaux et régionaux, et un vivre-ensemble plus harmonieux.
Priorisant la politique des ethnies et des communautés sur la politique de la
nation et de la République, il maintient l’impasse sur la délimitation de la
frontière entre la République (res-publica : la chose publique) et la communauté
qui, toutes deux, peuvent mettre l’individu en position d’identités multisituées
et de jeux de rôles. À titre indicatif, pourquoi enfermerait-on certains peuples
dans une seule région, les Bassa et les Sawa en l’occurrence dans la région de
Douala, alors qu’on les retrouve aussi dans les régions du Centre et du Sud-
Ouest ? En ce qui concerne les Bati et Mbo, par quel mécanisme les
regrouperait-on facilement alors que, comme le note Libii (2021, p. 47) lui-
même, on les retrouve dans le Mbam-et-Inoubou (région du Centre), la Sanaga-
Maritime et le Moungo (région du Littoral), le Kupemanengouba (région du
Sud-ouest), et le Haut-Nkam et la Menoua (région de l’Ouest) ? Les conditions
de leur regroupement géographique sont-elles réellement envisageables ? Quel
traitement recevraient ces ethnies dans les régions qui ne sont pas les « leurs »
de la part d’autres ethnies qui se sauraient « chez elles », et dès lors que celles-
ci auront conscience que les premières ont « leur région » ?
Si ce qui est dit des Bassa, Sawa, Bati et Mbo, vaut également pour plusieurs
autres ethnies, alors on passerait d’une dictature du centre à celle de la périphérie.
Tzvetan Todorov (2002) parle à ce propos de « la tyrannie des individus » comme
un des « ennemis intimes » de la démocratie. En remplaçant une dictature par une
autre, le problème identitaire ne serait pas résolu comme le montrent les fortes
revendications foncières formulées par les chefs sawa. À Yaoundé, les tensions
régulières entre autochtones bétis et locataires allogènes bamilékés (Socpa, 2006)
ajoutent à l’argumentaire de la prudence. Dans le fédéralisme communautaire,
l’inégale répartition géographique des ethnies pourrait conduire à résoudre un mal
par un mal d’égale intensité, et peut-être même plus corrosif. La fédération des
territoires ou régions communautaires n’induit pas forcément la fédération des
populations. Surtout que les fédérations multinationales ou ethniques élèvent les
risques de sécession (Parent, 2019, p. 33), et que l’actuelle « guerre de sécession »
dans le NOSO a une fin et un dénouement qui déjouent les pronostics.
Par conséquent, les dynamiques d’occupation et d’affirmation de l’autochtonie
autorisent une double observation nourrie par les approches spatiale et
populationnelle de la sociologie urbaine, et font suspecter le fédéralisme
communautaire. L’approche par l’espace suggère que chaque espace porte la
marque humaine des individus qui l’occupent, et que l’espace n’est pas neutre,
contrairement à ce que pense la philosophie libérale. Parce que des dynamiques
identitaires y sont projetées, l’espace devient ainsi une clé herméneutique du rapport
des citoyens (citadins) à la différence de l’altérité. Par suite, l’espace révèle des
aspects importants de la vie sociale camerounaise, traversée par des problèmes
sociopolitiques de cohabitation et de respect des minorités revendiquant le statut
d’autochtones. L’approche par la population, quant à elle, fait état de ce que le

64
citadin est enrôlé dans des appartenances multiples. Ces appartenances constituent
le substrat définitionnel concentrique de l’identité et de l’ethnie que le brassage des
populations démultiplie. L’habitant béti de Douala n’y est pas que Beti. Il est pris
dans les tenailles d’autres identités professionnelles, matrimoniales, politiques ou
associatives, qui pourraient justifier sa migration vers Douala, ou y fixer sa
détermination comme sujet social. Les agents de l’État sont une parfaite illustration
de cette réalité. C’est l’État central qui les fixe sur le territoire national par le biais
des « affectations ». Ces agents, les fonctionnaires notamment, s’installent dans des
régions et des villes qu’ils n’ont pas choisies et doivent y travailler et y résider. Le
décret n° 94/199 du 7 octobre 1994 portant statut général de la Fonction publique
de l’État souligne justement que les personnels de l’État ayant la qualité de
fonctionnaires, résident obligatoirement dans leur lieu d’affectation. Certains y
acquièrent des terres, construisent des habitations, s’y installent momentanément ou
durablement, voire définitivement avec leur famille. D’autres perdent même des
contacts avec leurs communautés ethniques et tribales originelles53.
Dans tout cela, il y a une trace de ce qu’« à l’échelle individuelle, les
identifications territoriales étaient généralement duales ou multiples et pouvaient
associer, par exemple, une appartenance ethnoterritoriale régionale à une identité
civique étatique » (Itçaina, 2020, p. 283). Ce disant, la solidarité sociale concrète et
quotidienne peut se construire à partir d’autres éléments. Le plus important, pour la
philosophie communautarienne par exemple, étant que l’individu reste encastré
dans ses environnements multisitués, et traité comme un membre d’un (ou
plusieurs) groupe(s) et non comme un individu dessouché de ces environnements.
On retrouve ici le dilemme qu’a affronté la philosophie pratique des
communautariens dans leur relativisation du kantisme déontologiste et de son
approche libérale et procédurale. Ils ont contesté le libéralisme dans son
individualisme exacerbé, sa postulation d’un idéal de neutralité et de l’universalité
de la justice et du bien, qui se déprendraient des particularismes communautaires,
de la réalité sociale réduite à une simple coexistence. Les communautariens
(Alasdair MAcIntyre, Michaël Walzer, Michael Sandel, Charles Taylor)
proposaient une critique du monde social qui soit ontologique, « herméneutique »
et anthropologique (Gomez-Muller, 2001). Elle incluait à la fois
« “communautarisme” méthodologique », individualisme, pluralisme, « ontologie
holiste et non atomiste », et surtout le bien commun — et non les biens
« convergents » — qui, au niveau public, est la République (Gomez-Muller, 2001,
pp. 673‑679).
S’il est vrai que la variable ethnique (communauté ethnique) est l’une des plus
fortes et susceptible de créer la communauté, il est tout aussi vrai que d’autres
variables peuvent le faire, notamment au niveau étatique républicain. Les

53Lire par exemple Tchumtchoua et Dikoumé (2019). Dans leur ouvrage, Douala histoire et
patrimoine, la ville est saisie comme une ville d’occupation et d’immigration avec une mise en
exergue de sa fragmentation ethnique des territoires, des recompositions et des adaptations de ses
communautés, entre autres.

65
populations peuvent se sentir solidaires pour une question en lien avec la sécurité
d’un quartier, la scolarisation de leurs enfants, le ravitaillement en eau, etc., et
former une communauté solidaire qui se situe au-delà des groupes ethniques, non
pas ignorés, mais transcendés. Les analyses du pluralisme religieux en contexte
urbain, par exemple, montrent comment dans certaines communautés religieuses
les identités religieuses sont plus fortes que celles ethniques. On observe la
« construction d’une identité chrétienne pentecôtiste » (Mballa Elanga, 2015, p.71),
par exemple. En effet, dans un contexte camerounais marqué par une diversité
culturelle, qui engendre des regroupements identitaires, que ce soit en milieu urbain
ou en milieu rural, le foisonnement des Églises pentecôtistes apporte non pas une
rupture dans ces processus de regroupement, mais un élément nouveau :
l’appartenance à une famille où les « frères » et les « sœurs » ne sont plus « ceux du
village », mais davantage les « frères et sœurs en Christ ». Dans cette logique, les
identités ethniques ou régionales sont transcendées au profit de celles chrétiennes.
Ce dépassement des identités, que nous pouvons qualifier d’élémentaires au profit
de celles secondaires, est l’une des caractéristiques du religieux en général, bien
qu’elle soit renforcée dans le pentecôtisme (Mballa Elanga, 2015).
Il apparaît alors que la possible implémentation du fédéralisme communautaire
au Cameroun ressort d’une démarche plus complexe que celle simpliste de
l’apparent consensus de circonstance démontré par une certaine opinion publique.
L’enchâssement des territorialisations identitaires et l’exigence du
multiculturalisme ne sont pas automatiquement solubles, par formule magique, dans
et par le fédéralisme communautaire, dans le contexte de modernisation
démocratique en cours au Cameroun. Le fédéralisme communautaire pourrait
accentuer les tensions et litiges fonciers dans les conditions actuelles. Il serait mieux
que soit suivi un processus progressif pour une éventuelle fédéralisation du
Cameroun, communautaire ou non. La décentralisation actuelle, rigoureusement
appliquée par l’amplification du pouvoir local, est une opportunité de maturation
des projets fédéraliste et républicain, pour juguler les diverses politisations de
l’ethnicité qui caractérisent l’urbanité.
Par ailleurs, la démultiplication des sites d’affrontements intercommunautaires
et de stigmatisation ethnique (Ngaba, 2021) ne constitue pas des bases rassurantes.
La maturation du projet républicain permettra de négocier un « nouveau pacte
national » et renforcer l’esprit républicain communautarien. La fédération des
populations doit correspondre à une jonction des procédures politiques, qui
permettent à toutes les ethnies, dans une ontologie holiste, une égale participation et
une représentation conséquente. La crise apaisée du fédéralisme belge et celle
actuelle du fédéralisme ethnolinguistique éthiopien — fédéralisme des peuples et
non des territoires — sont, à ce sujet, des indicateurs intéressants. Avec seulement
quatre-vingts groupes ethniques selon le recensement de 1994, ou quatre-vingt-cinq
selon celui de 2007 (Gouriellec, 2021, pp. 116-17), on observe actuellement, en
Éthiopie, une grave crise de ce fédéralisme, avec une guerre civile meurtrière qui a
cours depuis novembre 2020. Bien que l’accord de cessation des hostilités signé le
2 novembre 2022 offre une perspective prudente de sortie de crise.

66
En considération des données du modèle éthiopien, il appert que le fédéralisme
communautaire est un système d’application délicate, technique et risquée, qui
nécessite un travail de fond. Certes, comparaison n’est pas raison, mais on doit
relever que là où il est appliqué, des crises institutionnelles permanentes
(Belgique) et sécuritaires (Éthiopie) de grande envergure surgissent, replongeant
ces pays dans des périodes sombres de leur histoire qu’on pensait dépassées. Il
faut donc s’assurer qu’au Cameroun, l’énonciation et l’application du fédéralisme
communautaire ne soient pas le détour qui servira de contour hypocrite à des
formes soft de stigmatisation et de tribalisme de fait. Il faut le penser, du point de
vue philosophique et socioanthropologique, pour que l’individu, dans son rapport
à l’espace et à l’ethnie, produise une véritable citoyenneté communautarienne et
multiculturelle. Au niveau public, son implémentation devrait correspondre à une
cosmopolitique nationale qui intègre le « je » individuel et le « nous »
communautaire dans le « nous » global de l’identité nationale, pour soumettre
ainsi les pulsions ethniques à la civilisation communautarienne du vivre-ensemble
et du républicanisme.
Il est vrai que le fédéralisme communautaire restitue, à sa bonne valeur,
l’importance de la terre et de l’espace géographique (Abouna, 2011, p. 17) dans la
définition de l’ethnie, mais il n’est pas un prêt-à-réguler automatique de la cohésion
sociale. La mauvaise régulation des identités ouvre la voie dangereuse à « la
politique des identités » ou à « l’identitarisme » (Heinich et Sarthou-Lajus, 2022,
p. 56). Dans l’identitarisme, il faut suspecter les germes fratricides du transfert
ambigu, sectaire, communautariste et socialement réducteur du « statut de tout un
chacun à une appartenance collective qui constituerait l’alpha et l’oméga de son
être social » (Heinich et Sarthou-Lajus, 2022, p. 57). Or l’identité s’insère toujours
dans une relation sociale qui sert de canal d’intégration à l’individu ou au groupe,
et a une double dimension individuelle — identité ipse — et collective — identité
idem — (Heinich et Sarthou-Lajus, 2022, p. 63). Elle surfe simultanément sur : le
dissemblable et le semblable, la distanciation et le rapprochement,
l’individualisation et la collectivisation, la dissimilation et l’assimilation, le mono-
culturel et le multiculturel.

Conclusion
Notre analyse a testé l’énonciation camerounaise du fédéralisme communautaire
sur le terrain des dynamiques urbaines imposant la modernité démocratique du
multiculturalisme. Par l’entrée de la ville de Douala, notre approche
phénoménologique a fait apparaître que la rationalisation du fédéralisme
communautaire suggère prudence, réflexion et prospective pour son
implémentation au Cameroun. Cela est d’autant plus recommandé que les crises
institutionnelle et sécuritaire ne manquent pas d’obstruer la marche des États
(Éthiopie et Belgique) qui ont adopté ce régime politique. Ces lignes conclusives
prolongent le débat entamé dans le corps du texte en enrichissant notre

67
argumentaire. Un des postulats sur lequel repose le fédéralisme communautaire
stipule que « Le Camerounais, se détermine à son village, sa terre et sa
communauté » (Libii, 2021, p. 56). Cette affirmation, synthèse du fédéralisme
communautaire à la camerounaise, pose plusieurs problèmes au-delà des réflexions
de Cabral Libii. Le premier est d’ordre méthodologique et indexe, non pas le
caractère erroné du fédéralisme communautaire, mais sa base scientifique. Sur
quelles études scientifiques ou réalités empiriques s’appuie un tel postulat ?
Puisqu’il est censé constituer les fondements d’une idéologie et d’une orientation
politiques solides, il doit reposer sur des données probantes et des conclusions
rigoureusement établies, et non des affirmations contestables par d’autres
affirmations comme : « le Camerounais, NE se détermine PAS qu’à son village, sa
terre et sa communauté ». Outre le jeu affirmation vs contre-affirmation, seule la
rigueur des méthodes de réflexion fondant une idéologie (programme) politique
garantit de sa solidité.
Le deuxième problème réside dans le fond. Dans l’affirmation « Le
Camerounais, se détermine à son village, sa terre et sa communauté », les concepts
« village », « terre » et « communauté », sont des équivalents et renvoient à une
même réalité du point de vue de leur territorialisation. La territorialisation est un
processus qui consiste en une appropriation limitée et construite qui peut être
juridique et économique (la propriété) ou symbolique (le sentiment d’appartenance,
de connivence). Or, le village ne renvoie pas (forcément) à la terre, la terre ne
renvoie pas (forcement) à la communauté, et la communauté ne renvoie pas
(forcement) à la terre ou au village. On peut donc, par exemple, avoir son village
dans la région de l’Est (Bertoua), sa terre dans la région du Centre (Yaoundé) et sa
communauté, ou mieux encore ses communautés — communauté au sens de groupe
social dont les membres vivent ensemble, ou ont des biens, des intérêts communs
—, dans plusieurs espaces transversaux : familial, ethnique, religieux,
professionnel, politique, etc. Affirmer que « Le Camerounais, se détermine à son
village, sa terre et sa communauté », ne peut donc pas conduire automatiquement à
fixer ce camerounais quelque part, et en faire un acteur situé exclusivement dans un
seul espace géographique.
Le fait de superposer le « village », la « terre » et la « communauté », et d’en
faire une seule et même « réalité territoriale », constitue un biais dans l’analyse
et une difficulté pour l’implémentation du fédéralisme communautaire dans le
champ urbain. Il serait « dangereux » de dénier à certains citoyens (citadins) une
appartenance et un ancrage, comme pour d’autres citadins, à un espace urbain
sous le prétexte qu’ils ont leur village sur un territoire situé hors de cet espace
urbain. Il peut se trouver que c’est dans cet espace urbain qu’ils se déterminent
parce qu’ils y ont leur terre, leur village et leur communauté, puisqu’ils y vivent,
y sont nés et y ont grandi. Rappelons que 52 % de la population camerounaise
est citadine, d’où l’importance de penser le fédéralisme communautaire à partir
des dynamiques urbaines et de l’urbanisation. La citadinité, nous rappelle Berry-
Chikhaoui (2009), renvoie à des pratiques et des représentations organisatrices
qui construisent la ville, ses usages et ses significations. La ville, en retour, fait

68
le citadin à travers ses usages et ses héritages. La relation n’est donc pas à sens
unique, de la ville vers le citadin ; la citadinité renvoie bien à un processus, mais
un processus de co-construction de la ville et du citadin.

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71
CHAPITRE 2

CONFRONTATIONS IDENTITAIRES ET REPRÉSENTATIVITÉ


POLITIQUE DES COMMUNAUTÉS AU CAMEROUN :
PERSPECTIVES POUR UNE CULTURE POLITIQUE INCLUSIVE

Benjamain EPOH-EPOH

Résumé
Le Cameroun est une mosaïque de groupes ethniques regroupés autour de quatre grandes
aires culturelles, qui s’attèlent à vivre ensemble au sein d’une nation depuis plusieurs
décennies. Toutefois, cette coexistence n’est pas toujours pacifique, au regard des tensions
enregistrées dès son indépendance. Elles se trament sous fond de représentativité politique
entre les différents groupes ethniques et des revendications autonomistes des anglophones.
Sous le monolithisme politique, ces clivages étaient systématiquement modulés par le
gouvernement. Or, à l’ère de la démocratisation et du multipartisme, alors qu’on se serait
attendu à l’ouverture d’un véritable débat politique, l’on a plutôt assisté à une ethnicisation
de la scène politique nationale. Cette exacerbation de la tribalité dans la sphère politique
nationale, pourrait se justifier par la non-appropriation de l’État unitaire et de ses principes
fondateurs. Mais elle pourrait également traduire son rejet, puisque l’individu, en tant que
socle de la citoyenneté, est supposé faire disparaitre les communautés. Le problème de
fond, soulevé dans ce travail, est celui du statut des groupes identitaires dans la
construction de l’État-nation. Dès lors, la résolution des oppositions et des confrontations
en cours au Cameroun requiert que l’on prenne en compte la communauté comme
matériau de base dans la construction d’un modèle politique inclusif et intégrateur de
différences.
Mots clés : communautés, confrontations identitaires, État-nation, groupes ethniques,
représentativité politique.
Abstract
Cameroon is a mosaic of ethnic groups, grouped around four major cultural areas, which
have been striving to live together within the same nation for several decades. However, this
coexistence is not always peaceful, given the tensions recorded in recent decades. They are
woven against the backdrop of political representation between the different ethnic groups
and the autonomy claims of Anglophones. Under political monolithism, these divisions were
systematically managed by the government. However, in the era of democratization and
multi-partyism, while we would have expected the opening of a real political debate, we
have instead witnessed an ethnicization of the national political scene. This exacerbation of
tribality in the national political sphere could be justified by the non-appropriation of the

73
unitary state and its founding principles. But it could also reflect its rejection, since the
individual as the basis of citizenship, is supposed to make communities disappear. The
fundamental problem raised in this work is that of the status of identity groups in the
construction of the nation-state. Therefore, the resolution of the oppositions and
confrontations in progress in Cameroon, requires that we consider, the community as basic
material, in the construction of an inclusive political model and integrator of differences.
Key words: communities, identity confrontations, Nation-state, ethnic groups, political
representativeness.

Introduction

Le Cameroun est généralement présenté comme une « Afrique en


miniature » en raison, entre autres, de sa diversité culturelle, géographique,
ethnique et identitaire. Étant très souvent présentée comme une opportunité,
cette diversité est devenue le tableau de fond sur lequel l’unité nationale devait
se construire et se consolider. Toutefois, les tensions (symboliques et
matérielles) enregistrées dans l’espace politique national ces dernières
décennies replacent au cœur du débat, les questions sur la forme de l’État, la
représentativité politique des groupes identitaires et la place des communautés
dans la construction de l’unité nationale.
Si depuis le référendum du 20 mai 1972 l’on notait déjà quelques-unes de
ces contestations, elles se feront plus pressantes avec la libéralisation politique
amorcée dans la décennie 1990 et seront, notamment, le fait des lobbies
anglophones et de certaines minorités ethniques. À ce sujet, Carole Valérie
Nouazi Kemkeng (2013) note que :

avec la libéralisation de la politique camerounaise dans les années 1990, non


seulement, les groupes de pression des régions anglophones exigèrent des
changements dans le gouvernement camerounais, préférant un retour au système
fédéral ; mais aussi, certains groupes minoritaires et des pratiques généralisées
sur l’ensemble du territoire permettent de remettre en cause l’effectivité de
l’unité nationale. (p. 252)

Cet ébranlement de l’unité nationale peut être perçu comme un inachèvement de


la construction de l’État-nation au Cameroun, étant donné que ces velléités de
particularisation tendent parfois à remettre en question les fondements de l’État-
nation, en faisant valoir les perspectives de sécession (Dimi, 2007).
Compris comme un produit de l’autodétermination politique, l’État-nation se
caractérise par sa capacité à créer une homogénéité réelle des peuples et des
communautés, même si cela s’est souvent réalisé par l’assimilation et le rejet de
certaines communautés. Habermas (1998) précise que l’État-nation « a créé une
homogénéité culturelle et ethnique sur la base de laquelle la démocratisation de
l’État a pu s’imposer depuis la fin du XVIIIe Siècle, au prix, il faut le dire, de

74
l’oppression et de l’exclusion de plusieurs minorités nationales » (p.69). Or, la
résurgence des antagonismes communautaires et des particularités identitaires
dans notre environnement politique est de nature à édulcorer le concept de
citoyenneté. Par citoyenneté, nous entendons la fusion d’un ensemble de
volontés individuelles qui se mettent librement en commun pour fonder une
nation. Il se dégage dans cette définition, une existence de rapports
intersubjectifs, régis par des mécanismes juridiques et institutionnels capables
de garantir une reconnaissance réciproque des individus, indépendamment de
leurs communautés de naissances ou de leurs groupes identitaires
d’appartenance (Habermas, 1998).
Cependant, au Cameroun comme dans bon nombre de pays africains, l’on
semble vouloir trouver sa propre voie dans la construction de l’État-nation. C’est
dans ce cadre qu’émergent des schémas qui tendent vers la « retraditionalisation »
des pratiques politiques (Chabal & Daloz, 1999). Par ailleurs, d’autres appellent
tout simplement à un rejet du modèle de l’État-nation occidental pour adopter
« une structure politique multicommunautaire » (Nsame Mbongo, 2004, p. 80).
Dès lors, la perception de la citoyenneté issue de la modernité semble inopérante.
En effet, l’on se réfère davantage à cette qualification du citoyen présentée par
Taylor (1989) comme un sujet qui se sert de son encrage communautaire pour
affirmer et déterminer sa personnalité civique. Ce qui remet en cause la perception
du citoyen comme cet individu socialement isolé et atomisé.
Dans un contexte de modernité politique marqué par l’avènement du
multipartisme, l’on se serait attendu à un encrage de la démocratie, à la
consolidation de l’État-nation et à l’émergence d’une citoyenneté débarrassée
de tout repli identitaire et ethnique. Mais force est de constater que les
organisations politiques naissantes, à l’ère du multipartisme, visent
généralement à promouvoir les intérêts des communautés d’origines de leurs
fondateurs. Dans cette contribution, il est question de ressortir le paradoxe de la
résurgence de la communauté dans un contexte de modernisation de la vie
politique nationale, par l’avènement de la démocratie et du multipartisme. En
outre, nous nous questionnons également, sur la possibilité d’intégrer des
déterminants identitaires dans la construction d’un État-nation stable et apaisé.

1. Le rejet de l’État unitaire et ses conséquences sociopolitiques

1.1. De la dilution des particularités communautaires par l’État unitaire

À l’image de la plupart des pays francophones d’Afrique, la structure


institutionnelle du Cameroun repose sur l’État unitaire décentralisé. Mais si cette
forme de l’État a pour but de doter les collectivités locales décentralisées des
capacités d’actions pour un développement rapide et équitable sur l’ensemble du
territoire national, il demeure qu’elle ne règle pas entièrement la question de la
représentativité identitaire et communautaire. Certes, la constitution du

75
18 janvier 1996 reconnait l’existence de la pluralité communautaire et ethnique et
définit passablement les contours de leur inclusion au sein des instances
administratives décentralisées, telles que les communes et les conseils régionaux.
Mais en dépit de ces dispositions constitutionnelles destinées à protéger par
exemple les minorités ethniques, l’on note toujours de graves fractures
identitaires. Elles traduisent souvent les frustrations des uns et des autres, au sujet
de leur sous-représentativité dans les sphères du pouvoir politique.
S’inspirant en partie du modèle républicain français, le Cameroun nourrit sans
aucun doute l’ambition de bâtir une nation au sein de laquelle les particularités
identitaires définiront moins les individus. Pour parvenir à une intégration nationale
effective, ces derniers devront se définir comme les enfants de la république,
indépendamment de leurs appartenances particulières (Djamen, 2022). Dans son
ouvrage-programme Pour le libéralisme communautaire, le chef d’État
camerounais pose l’intégration nationale comme l’étape prioritaire et ultime de
l’unité nationale (Biya, 2018). Il faut cependant noter que, lorsqu’on parle
d’intégration nationale au sens du républicanisme français, l’on sous-entend la
réalisation d’une intégration républicaine homogène, qui à terme, fera fi des
particularités identitaires pour ne laisser place qu’à ce que Schnapper (1998) conçoit
comme, une citoyenneté démocratique et universelle. Il relève que « l’ordre
politique se donne pour ambition et pour justification, au nom des valeurs modernes,
d’intégrer les populations par la citoyenneté en dépassant leurs diversités concrètes,
en transcendant leurs particularismes » (Schnapper, 1998, p. 446). Une telle
perception de l’État et de la citoyenneté se ramène à une culture politique uniforme,
mettant en index certaines particularités.
Cependant, comme le reconnaît Paul Biya dans son ouvrage précédemment
cité, la construction de l’unité nationale reste confrontée à un défi majeur dû à
la survivance des particularismes à caractère ethnique, religieux et linguistique.
Envisager dès lors de construire un État-nation harmonieux implique que toute
tentative de construction d’une nation requiert nécessairement, une meilleure
prise en compte de ces données. Les actes, les symboles, les discours émergent
çà et là pour revendiquer soit l’antériorité d’un peuple par rapport à un
autre/d’autres sur un territoire donné, soit pour évoquer la marginalisation et la
sous-représentativité de certaines communautés au sein des instances de pouvoir
et de décisions. Pour traduire la complexité des données communautaires au
Cameroun, l’on peut lire ces mots du président camerounais :

La difficulté de la tâche est certaine puisque notre pays, plus qu’aucun autre en
Afrique, se révèle être une terre de la multiplicité et de la diversité
sociohistorique, le lieu de rendez-vous d’une variété insoupçonnable de forces
centrifuges et antagonistes, d’une infinité de communautés sectaires, voire
hostiles, campant face à face en une sorte de veillée d’armes permanente où
l’évidence des particularismes ethnico-géographiques est trop frappante : les
quartiers de nos villes revêtent parfois des spécificités ethniques manifestes qui
rappellent, en une concentration spatiale particulièrement explosive, les
contradictions humaines de notre société. (Biya, 2018, p. 38)

76
C’est dire que la nation camerounaise affronte, dans sa construction, des
irrédentismes identitaires qui imposent certainement que l’on explore des pistes
fécondes pour la réalisation d’un consensus national réel et d’une unité
efficiente des peuples qui constituent la nation camerounaise.
Cet effort d’unification dans la diversité et la pluralité fut l’objectif de la
réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996. Elle visait, entre autres, le
rapprochement de l’administration des populations et la correction des
défaillances de la centralisation du pouvoir d’État. En mettant d’un côté la volonté
gouvernementale de perpétuer le centralisme institutionnel issu de la constitution
de 1972 et de l’autre, les aspirations de certains groupes identitaires (comme
évoqué à l’introduction) à adopter une constitution fédéraliste, l’idée de l’État
unitaire décentralisé apparaît donc comme un juste milieu entre ces deux courants
fondamentalement antagoniques. La réforme constitutionnelle de 1996 entretient
toutefois une certaine ambiguïté entre un régionalisme administratif et un
régionalisme politique. D’après Nouazi Kemkeng (2013), « le projet de
régionalisation au Cameroun était entouré dès le départ d’un caractère « ambigu ».
Plus explicitement, l’on ne devrait pas nier le fait que la constitution de 1996 reste
aussi imprécise sur cette forme unitaire décentralisée qui a la particularité selon
laquelle ce n’est ni un « État régional » ni « un État fédéral » (p. 253).
Il faut cependant relever la survivance de l’hyper centralisme que cette réforme
était censée combattre, de telle sorte que ce sont les représentants administratifs qui
assurent la tutelle des représentations régionales et communales. Libii (2021) note
d’ailleurs que la cohabitation entre le gouverneur et le président d’un Conseil
régional élu se révèle incompatible dans la mesure où l’autorité administrative
asphyxie l’autorité régionale. Cette cohabitation selon lui créée « une homonymie
constitutionnelle qui a entretenu l’illusion de décentralisation régionale pendant un
quart de siècle » (Libii, 2021, pp. 59-60). Dans cette coexistence, l’on note une
prééminence accordée aux autorités administratives, laissant paraitre le choix de
l’État d’œuvrer pour une régionalisation administrative qui, en réalité, n’est qu’une
perpétuation insidieuse de l’administration centrale. Si l’on peut justifier cette
complexité par le fait que l’État central veuille garder ses privilèges de
commandement, il faut surtout prendre en compte la non-appropriation de l’État
unitaire et même son rejet par certains Camerounais. Ces derniers estiment, en effet,
que cette forme de l’État, non seulement les annexe, mais bien plus, il absorbe leurs
particularités et leurs spécificités historiques, sociologiques et identitaires.
L’argument soutenant cette inadéquation entre l’État et ses citoyens se fonde
sur la primauté des communautés sur l’État en tant qu’Institution. Libii (2021) fait
remarquer que « avant de parler du Cameroun personne morale de droit public
aboutie, il faut au préalable résoudre l’équation des camerounais, personnes
physiques organisées en communautés et ayant leurs habitudes qui le précèdent »
(p. 25). En d’autres termes, le rejet de l’État unitaire décentralisé trouve son
fondement dans l’absorption des données communautaires, que même la
décentralisation ne réussit pas à corriger finalement.

77
1.2. Le repli identitaire comme conséquence du libéralisme politique
au Cameroun

Avec le retour du multipartisme au Cameroun, l’on se serait attendu à une


certaine modernisation de la scène politique nationale, à travers la présentation
des programmes politiques bien élaborés et une participation citoyenne dans le
débat politique. Une telle participation devrait transcender tout clivage
identitaire et tout repli communautariste. En effet, à l’ère du monolithisme
politique, il revenait à l’État (appuyé dans son fonctionnement quotidien par le
parti unique) d’assurer la préservation de certains équilibres géopolitiques
(l’application des politiques de quotas, la protection des minorités ethniques,
l’équilibre régional, etc.). Cette politique permettait de régler le problème de la
représentativité sociologique, mais aussi, de procéder à un rééquilibrage des
communautés et de certains antagonismes sociaux. De ce fait, il revenait au parti
unique, par exemple, de choisir ses délégués et ses candidats, en fonction des
mécanismes d’équilibrage mentionnés précédemment. Selon Ibrahim Mouiche
(2008), l’État, sous le parti unique, avait créé des mécanismes d’inclusion
sociopolitique, « pour accorder prioritairement et exclusivement à certaines
minorités ethniques des positions fortes de pouvoir comme maires au sein des
municipalités de leurs localités respectives » (p. 64). Si ces mécanismes de
représentativité politique sont encore dans une moindre mesure en vigueur
aujourd’hui, il apparaît également, qu’ils suscitent un véritable débat, quant à
leur actualisation ou leur rejet total.
L’émergence des nouveaux clivages qui s’accompagnent de la radicalisation
d’anciens témoigne à suffire le malaise qu’expriment les communautés au
moment même de l’ouverture du jeu politique au pluralisme. La création du
mouvement Dix millions de nordistes1 et la crise anglophone, sont des faits
révélateurs de cette dynamique de renfermement sur la communauté en temps
d’ouverture politique. Certes, la décentralisation se met progressivement en
place, mais au regard des contestations et des résistances qui s’observent sur le
terrain, l’on peut souligner qu’elle serait en déphasage avec la volonté des
communautés qui souhaitent exister politiquement. Mais qu’est-ce qui pourrait
justifier l’échec de l’État unitaire décentralisé ? Pour répondre à cette question,
nous identifierons les lenteurs enregistrées dans la mise en place des instruments
de la décentralisation, doublée des ambiguïtés institutionnelles visant non
seulement à centraliser davantage la gestion de l’État, mais aussi à uniformiser
le champ politique national.
L’avènement du multipartisme viendra diluer, sinon mettre un terme à de
telles pratiques politiques. Certes, au sein du Rassemblement démocratique du
1 Crée par le journaliste Guibai Gatama, par ailleurs directeur de publication du journal l’Œil du
Sahel, ce mouvement avait pour vocation de recenser et de diffuser dans l’opinion publique les
frustrations et les attentes des populations septentrionales. Accusé d’être porteur des germes de
division entre Camerounais, il a été interdit par le ministère de l’Administration territoriale
(MINAT) en 2020.

78
peuple camerounais (RDPC), l’on assiste encore à de tels arrangements afin
d’assurer une certaine représentativité politique à certaines communautés lors
des échéances électorales locales. Mais ces méthodes sont sujettes à quelques
contestations, puisque certains observateurs et analystes estiment que, dans un
contexte d’ouverture politique, de telles pratiques sont antidémocratiques et
discriminatoires. L’ouverture démocratique devrait, selon eux, mettre
définitivement un terme à de telles manœuvres, puisque l’on entre désormais
dans une ère de la compétition politique.
En temps d’ouverture démocratique, l’on assistera rapidement à un
foisonnement des partis politiques sur l’étendue du territoire national, les uns
plus représentatifs que les autres, mais affichant tous la même volonté, celle de
conquérir et de contrôler le pouvoir politique. Il faut néanmoins remarquer que,
malgré cette multiplication des partis politiques d’opposition, le parti au pouvoir
reste suffisamment présent et dominateur sur l’étendue du territoire national.
Cette occupation de l’espace politique national pourrait se justifier par le fait
qu’il dispose non seulement des moyens d’État, mais également des possibilités
de redistribution des dividendes politiques, de manière plus ou moins équitable
entre les communautés, des ressources nationales et des responsabilités aussi
bien politiques qu’administratives. Si l’on assiste à une sorte de reproduction du
modèle monolithique dont l’objectif pourrait être la préservation des intérêts des
différents groupes sociologiques, il faut également remarquer l’émergence de la
concurrence politique, avec l’ethnie comme base opératoire (Dimi, 2007).
Au regard d’une telle tendance, il devient moins étonnant que les bases
militantes de la plupart des partis d’oppositions soient localisées dans les régions
d’origines de leurs leaders ou des zones urbaines où l’on note une forte présence des
ressortissants de la même localité que ces derniers. Selon Njoh-Mouelle et Michalon
(2011), même si les leaders politiques s’en défendent, le constat est que la plupart
des partis créés depuis 1990 reposent sur une base identitaire et ethnique. De ce fait,
les leaders politiques se replient dans leurs bases communautaires pour recruter les
militants ; toute chose qui renforce et perpétue le vote ethnique et communautaire
en Afrique noire et notamment au Cameroun. Dans un tel schéma politique, les
leaders d’opposition sont considérés par les « frères du village », comme les porte-
étendards de la communauté, ceux qui pourront mieux porter leurs revendications
et défendre leurs intérêts.
Évoquant la question de la représentativité politique en Afrique du sud du
Sahara, Chabal et Daloz (1999) soulignent que les représentants s’éloignent
difficilement de leurs identités communautaires et infranationales. D’après eux,
« qu’ils aient des mandats électifs locaux ou nationaux, ils sont avant tout les
porte-paroles et les garants des intérêts de leurs propres communautés » (Chabal
& Daloz, 1999, pp. 73-74). La démocratie étant comprise comme un principe de
la majorité, sa mise en œuvre au Cameroun a conduit à une radicalisation de la
tribalité. Chaque groupe ethnique s’oppose à un autre, pour le contrôle du
pouvoir politique. À ce propos, Dimi (2007) souligne : « la scène politique, avec
“la libération” des institutions politiques et juridiques, est envahie, une fois de

79
plus, par des politiques d’obédience plus ou moins tribales, qui se perdent dans
d’interminables bagarres (de rue) et qui sont sans foi politique. Au Cameroun,
par exemple, les Bamiléké, les Bassa, les Beti, les Boulou, les Kirdi, etc., ont
créé des partis, politiques dont la sphère d’influence coïncide, pour la plupart
avec leur sphère d’existence » (pp.86-87). Dans un tel schéma, chaque groupe
communautaire en voulant s’affirmer, construit et entretien des rapports
d’inimitié avec les autres.
Ces rapports conflictuels pour le contrôle de l’espace politique se traduisent
avec acuité dans les centres urbains, en raison de leur caractère cosmopolite. Pour
Nsame Mbongo (2004), les métropoles camerounaises, en occurrence Douala et
Yaoundé, sont devenues des cas de figure patents de la représentation conflictuelle
des communautés au Cameroun. Dans son ouvrage le Choc des civilisations ou
recomposition des peuples ?, il tente de décrire les rapports « autochtone-
allogène », afin de ressortir la dimension conflictuelle qu’ils génèrent, notamment
sur le plan politique. Cette confrontation à caractère identitaire se traduit selon lui
du fait que l’étranger s’investit dans un milieu urbain à la recherche de meilleures
conditions de vie. Mais l’urbanisation et l’agrandissement de la ville deviennent
un problème pour l’occupant autochtone, qui vit impuissamment la dénaturation
de son espace traditionnel. La densification démographique des métropoles
camerounaises rend ses occupants traditionnels et historiques fragiles et
vulnérables dans la mesure où ils deviennent minoritaires et, par conséquent, sous-
représentés dans les instances du pouvoir politique. Or, dans un contexte
d’ouverture politique, où les grands groupes communautaires sont capables de
s’organiser pour confisquer le pouvoir politique, la coexistence entre autochtones
et étrangers prend une dimension tribale et conflictuelle. Nsame Mbongo (2004)
note de ce fait que « l’allogène, dans la ville africaine contemporaine est un
problème communautaire dont la dimension politique est certaine » (p. 55). En
fait, de telles confrontations revêtent davantage leur dimension politique, depuis
l’avènement du multipartisme et de l’ouverture démocratique.
L’on est tenté de se demander si l’enracinement de ces pratiques politiques
n’est pas l’œuvre de l’élite politique qui manœuvre inlassablement pour les
maintenir. Mais comme nous l’avons mentionné précédemment, la base politique
considère généralement son élite comme le porte-parole de ses causes et de ses
intérêts qui, reconnaissons-le, peuvent souvent être spécifiques par rapport à ceux
des autres communautés au sein de la République. Cette situation met donc le
leader dans un certain inconfort, puisqu’il lui est difficile, voire impossible de
s’émouvoir en dehors de sa base politique à connotation communautaire. Chaque
fois que le leader politique cherche à s’émanciper de sa communauté, il court en
même temps le risque, de se voir déposséder du soutien et de l’influence dans
l’environnement communautaire qui lui confère toute la légitimité et le soutien
dont il a besoin (Chabal & Daloz, 1999). C’est donc la base (très souvent
communautaire) qui fabrique et assure la survie politique de la plupart des leaders
politiques au Cameroun. Contrairement au modèle politique occidental qui se

80
fonde davantage sur des classes sociales, le modèle africain se consolide sur la
communauté ethnique qui devient un instrument d’analyse politique pertinente.
Si les pays africains et notamment le Cameroun font ressurgir chaque fois la
communauté ethnique comme ressource politique, c’est parce qu’ils ne partagent
pas les mêmes trajectoires historiques que ceux de l’Europe. En raison de la
révolution industrielle, l’Europe a vu sa société se stratifier en classes, ce qui laisse
plutôt la place aux solidarités de classes. En Afrique cependant, en l’absence d’un
tel mécanisme, les solidarités à l’œuvre sont des solidarités communautaires et de
groupes identitaires. Il faut, de ce fait, « adapter la philosophie des institutions
modernes à la réalité socio-culturelle, la tentative pour faire l’inverse ayant, depuis
les indépendances, largement échoué » (Njoh-Mouelle & Michalon, 2011, p. 25).
En combinant l’ouverture démocratique à la vision unitaire de l’État, il se dégage
le constat selon lequel les crises sociopolitiques enregistrées au Cameroun ces
dernières années apparaissent comme un signe de rejet d’une Nation désincarnée
des identités communautaires.

2. Perspectives pour une culture politique nationale inclusive

2.1. Reconnaissance et prise en compte des antagonismes et des


différences

L’évocation de la question des antagonismes et des différences renvoie à


l’existence au sein de l’État-nation des divergences, des oppositions et dans
certains cas, des affrontements qui nourrissent et enracinent certains clivages.
Selon les tenants de la citoyenneté universelle, la construction d’une nation ne
saurait prendre en compte certaines particularités que présentent certaines
entités communautaires. Une telle démarche pourrait se présenter comme un
refus d’exigence de justice dans la société. Selon Wuhl (2002), « le déni de
reconnaissance de la culture, de la langue, de l’identité d’une personne constitue
une barrière telle que toute prétention de la société à l’universalité de ses
bienfaits en matière de liberté et d’égalité de traitement demeure purement
formelle » (p. 284). Autrement dit, un État se doit de manière objective de
prendre en compte certaines données concrètes, qui structurent et sédimentent
la société dans son entièreté. Refuser de prendre en compte les données
identitaires et les complexités qu’elles font naître dans l’organigramme
républicain de nos jours, c’est faire le choix de laisser en suspens, certaines
confrontations identitaires actuelles ou à venir.
Les sociétés plurielles et multiethniques sont généralement le lieu
d’expression des antagonismes sociopolitiques. Même si la citoyenneté se
définit en termes d’autonomie du sujet, qui en toute liberté, s’associe avec ses
semblables pour construire un cadre institutionnel démocratique, l’on ne saurait
aisément présenter un citoyen qui n’ait aucun encrage ethnoculturel. La
construction de l’unité nationale devrait intégrer la représentativité

81
communautaire des citoyens, afin de limiter des conflits sociopolitiques. Au-
delà des critiques régulièrement faites au principe de la représentativité
politique, il faut dire que dans les États multiethniques, elle peut servir de base
pour un consensus national. C’est pourquoi il faut prendre en compte les
segmentations et les antagonismes qu’elles engendrent, les soumettre en
discussion et en cas de nécessité leur accorder un statut juridique.
De manière subtile et officieuse, la réalité identitaire est mobilisée pour
servir à certaines manœuvres politiques. Si de telles pratiques sont très souvent
perceptibles dans les rangs du parti au pouvoir, il n’en demeure pas moins que
les partis d’opposition y font aussi recours. C’est pourquoi l’on peut relever que
de tels arrangements traduisent le rejet de l’ordre politique libéral. De ce fait,
dans son échange avec Njoh-Mouelle, Thiérry Michalon estime qu’une
officialisation des réalités communautaires et identitaires leur accorderait une
certaine légitimité et permettrait à l’État de se doter d’un ordre juridique clair et
stable (Njoh-Mouelle & Michalon, 2011). Ce mécanisme pourrait ainsi aider, à
apporter un arbitrage nécessaire à la résolution des conflits et des antagonismes
sociaux et identitaires.
Les débats entre libéraux et communautariens ont fait l’objet d’une abondante
littérature dans la philosophie politique depuis le siècle dernier, donnant lieu à des
conceptions divergentes du concept de citoyenneté. D’après leur ligne
argumentaire, les libéraux mettent l’accent sur la liberté individuelle. La citoyenneté
ici est le produit d’un ensemble de volontés individuelles, qui s’associent autour
d’un contrat social. Ce cas de figure présente ainsi « une société constituée par un
contrat volontaire entre des membres libres de toute attache » (Wuhl, 2002, p. 274).
Pour les communautariens par contre, la citoyenneté doit nécessairement
s’imprégner de l’appartenance collective et identitaire des uns et des autres. Il faut
souligner que cette imprégnation précède toute pratique politique individualiste et
met plutôt l’accent, sur les données collectives et communautaires. Wuhl (2002)
souligne que « tout processus d’auto-accomplissement n’est possible que si les
références collectives constitutives de l’identité sont préservées sous la
responsabilité de l’État » (p. 276). Étant donné son pluralisme ethnique et
communautaire qui le caractérise, le Cameroun fait face à un réel défi de la
construction de son unité nationale. D’après la pensée communautarienne, la
construction de la citoyenneté ne doit pas laisser place à un sujet individuel dénué
de toute référence sociohistorique, au risque d’en faire un individu aliéné. Dans les
sociétés multiculturelles et complexes comme le Cameroun, c’est à partir d’une
souche communautaire que chaque citoyen se construit une personnalité.
Cependant, dans cette complexité, toutes les communautés ne se valent pas.
Certaines sont plus représentatives que d’autres et dans un contexte de
représentativité politique, l’État doit œuvrer pour une certaine égalité
communautaire.
En comptant une multitude d’ethnies disséminées de manière inégalitaire sur
l’étendue du territoire national, le Cameroun est le théâtre d’une compétition des
groupes identitaires pour le contrôle de l’espace politique national. À cette pluralité

82
ethnique, l’on peut également prendre en compte, les dualités géopolitiques
Francophones-Anglophones (dualité ayant conduit à la crise sociopolitique en zone
anglophone) /Nord-Sud (la création du Mouvement 10 millions de nordistes) qui
complexifient davantage les pratiques politiques consensuelles.
Dans les sociétés multiculturelles et pluralistes, les minorités identitaires sont
généralement confrontées au problème d’assimilation et même du rejet par des
groupes démographiquement importants. D’où la nécessité d’inclure les identités
particulières dans la construction de l’identité nationale. Cette inclusion des
différences peut être effective à partir de « la séparation des pouvoirs de type
fédéraliste, un transfert fonctionnellement spécifié ou une décentralisation des
compétences étatiques » (Habermas, 1998, p. 140). Un tel décentrage institutionnel
implique l’idée selon laquelle le principe d’un État centralisé est obsolète et
lorsqu’on est dans la perspective de la décentralisation comme c’est le cas au
Cameroun, il faut non seulement, lever les blocages administratifs qui perpétuent
les tendances centralisatrices comme la préfectorale, mais en plus, accorder une
réelle importance aux identités et spécificités culturelles.

2.2. L’idée du fédéralisme communautaire comme système de


conciliation des différences

En 2018, lors des échéances électorales présidentielles, la scène politique


nationale s’est enrichie d’un nouveau discours, celui du fédéralisme
communautaire, porté par Cabral Libii2, le candidat du parti UNIVERS. Avec
la montée en puissance des appels au sécessionnisme et des actes de guerre
destinés à fragiliser l’État central par certains groupes anglophones, combinés
aux discours de revendications des identités communautaires, Libii (2021)
entend proposer un modèle politique qui s’imprègne de nos réalités
sociohistoriques. Il s’agit, en fait, d’élaborer une démarche capable de se poser
comme une nécessité dans la société et de répondre aux intérêts divers des
communautés et de leurs modes d’expression.
Bien que communément admise comme une source d’enrichissement culturel,
la diversité ethnique camerounaise est devenue un élément de frustrations, de
crispations et d’oppositions. C’est pourquoi il faut mettre en œuvre un mode
d’organisation politique, susceptible de fédérer la diversité et de consolider la
cohésion nationale. En faisant recours au fédéralisme communautaire, Cabral
Libii entend ainsi mettre en avant « la région communautaire » comme base de
remodelage des circonscriptions territoriales actuelles (Libii, 2021). En
reconnaissant la communauté comme le fondement de la nouvelle architecture
étatique, l’on entreprend ainsi de construire un compromis sur nos divergences,
afin de rapprocher les peuples et les communautés censés bâtir et consolider la
nation camerounaise. Libii (2021) souligne à cet effet qu’il est « illusoire, en effet,
2 Homme politique camerounais, Cabral Libii est aujourd’hui à la tête du Parti camerounais pour
la réconciliation nationale (PCRN).

83
de prétendre construire l’unité nationale par l’inhibition d’aspirations singulières
légitimes, des identités culturelles particulières. Au contraire, la construction d’un
État uni et fort passe par la reconnaissance et la valorisation des communautés
nationales » (p. 42). Les collectivités territoriales actuelles, selon lui, n’obéissent
qu’à des tracés arbitraires, en ce qu’elles ne respectent aucune référence socio
anthropologique et identitaire. L’avantage d’un tel modèle est que, une fois de
nouvelles régions mises en place, elles devront obéir à une certaine homogénéité
communautaire, ce qui aiderait à juguler certains conflits politiques dès la base.
Les nouvelles régions, qui devront donc se construire sur la base des identités
communautaires, seront le point de départ d’un modèle fédéral qui devra intégrer
certaines particularités locales et permettra au niveau national d’avoir un jeu
politique plus ouvert et moins enclin aux particularismes et aux intérêts égoïstes
et clivants. Une fois les communautés représentées politiquement au sein des
régions, au niveau national, l’on parlera davantage d’une citoyenneté universelle.
La considération de la diversité d’intérêts a l’avantage d’éviter une
uniformisation de la société, tout en la hiérarchisant dans la redistribution des
biens sociaux prédominants à l’instar du pouvoir politique (Wuhl, 2002). En
réalité, l’une des raisons pour lesquelles l’identité est chaque fois mobilisée
comme ressource politique est que l’État unitaire présente très souvent de fortes
velléités d’absorption et de dilution des particularités identitaires et notamment
des minorités ethniques. Or, il se trouve que dans les pays aux réalités
multiculturelles comme le Cameroun, l’on note une juxtaposition entre les
cultures minoritaires et les cultures majoritaires et au milieu desquelles, une
culture nationale veut émerger. Ainsi, les cultures minoritaires font souvent face
aux cultures majoritaires, qui veulent s’ériger en norme. L’articulation de la
citoyenneté devient de ce fait problématique, puisque l’enjeu devient celui de la
non-marginalisation des groupes minoritaires (Habermas, 1998). Il devient dès
lors nécessaire d’adopter des mécanismes de gestion du pouvoir politique qui
prennent en compte la pluralité des identités propres aux sociétés multiethniques
comme le Cameroun. Cette prise en compte concerne, entre autres, les libertés
et droits communautaires à travers la constitution, ou bien la considération de
certaines asymétries constitutionnelles qui s’appuient sur les éléments
démographiques, historiques et culturels (Gwoda, 2009).
Le besoin d’égalité communautaire est, selon Cabral Libii, la condition sine
qua none pour une meilleure cohésion sociale. Le fédéralisme communautaire
devra, de son point de vue, limiter l’omniprésence de l’État central afin de
transférer véritablement le pouvoir aux populations qui s’impliqueront
davantage dans le développement du pays et se reconnaitront par ailleurs dans
la nation à construire. Le fédéralisme communautaire apparaît donc comme une
politique de reconnaissance et d’intégration des communautés ethniques dans
l’action politique nationale. À ce titre, « le fédéralisme communautaire n’est pas
un repli, mais plutôt un « dépli », une rationalisation efficace de l’existant, une
mise en lumière d’une richesse enfouie, une libération de nos énergies
culturelles « envoutées » (Libii, 2021, p. 57). À travers une politique de

84
reconnaissance, il permet aux communautés de préserver leur authenticité, mais
également, de promouvoir la justice et l’égalité (Wuhl, 2002). D’ailleurs, dans
les sociétés multiethniques, les injustices et les revendications qui s’en suivent
s’appréhendent très souvent sur la base identitaire. Selon Gwoda (2009), « cela
explique pourquoi les revendications contemporaines intègrent le plus souvent
une dimension symbolique. Les luttes des minorités ethniques s’articulent aux
notions de « statut » et de « dignité » (p. 189).
Contrairement au modèle libéral qui impulse la citoyenneté par le haut, le
fédéralisme communautaire veut fonder une citoyenneté par le bas, celle qui part
des identités ethniques et de leurs particularités pour fonder l’État-nation. En
prenant de telles dispositions dans un contexte multiculturel, l’État peut non
seulement assurer la représentativité politique des groupes communautaires
fragiles, mais en même temps leur permettre de participer au processus
démocratique avec sérénité, dans un contexte où les confrontations et les
antagonismes socioculturels se font de plus en plus présents. Cependant, il ne
faut pas entendre par inclusion une fragmentation de la société en une multitude
de subcultures, qui se retranchent sur elles-mêmes. L’inclusion consiste ici à
travailler sur certaines dénivellations sociopolitiques, afin de permettre une
meilleure intégration de tous les citoyens dans l’entreprise de la construction
d’une identité nationale.

Conclusion

Les confrontations identitaires au Cameroun se trament à l’arrière-plan d’un


malaise né de la question de la représentativité politique. Les États
multiculturels et multiethniques comme le nôtre font généralement l’objet des
soubresauts et remous politiques, qui se justifient par la défense des intérêts des
communautés. Durant les décennies qui ont suivi son indépendance, le
Cameroun s’est évertué à construire un État-nation qui, bien qu’intégrant
certains éléments particuliers, se voulait d’abord unitaire. Ce désir d’unité avait
poussé les autorités au centralisme institutionnel pendant la période du
monolithisme politique. Sous la bannière du parti unique, l’État central avait
créé des mécanismes de représentativité politique, qui semblaient assurer
l’équité entre les différentes communautés.
Avec l’ouverture politique et le multipartisme, le pays devait entrer alors
dans l’ère de la compétition politique. Mais contrairement à ce qui se vit dans
les États occidentaux où l’ouverture démocratique renvoie à la construction d’un
État-nation à partir d’une citoyenneté universelle, c’est-à-dire débarrassée des
allégeances primaires, au Cameroun, l’on constate plutôt une démarche inverse.
En effet, les citoyens orientent prioritairement leurs choix politiques vers les
idéaux susceptibles de faire valoir les intérêts de groupes ethniques et
identitaires. C’est dans cette perspective qu’il nous a été donné d’orienter notre

85
réflexion autour du statut de la communauté en temps de multipartisme et
d’ouverture politique. En accordant une attention plus sérieuse aux approches
d’inclusions, comme le fédéralisme communautaire, la communauté peut être
traitée comme instrument pertinent dans la construction de l’État-nation. Une
telle adéquation est non seulement possible, mais elle demeure nécessaire dans
un État aux identités plurielles, car la construction d’une nation ne saurait léser
certaines spécificités et certains intérêts des communautés. Dès lors, nous
pouvons dire que la construction d’une nation dans un pays complexe comme
le Cameroun nécessite une réelle considération des accommodements, visant à
inclure certaines particularités et certains intérêts politiques des communautés.

Références

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Chabal, P. & Daloz, J.P. (1999). L’Afrique est partie. Economica.
Dimi, C-R. (2007). Historicité et rationalité de la démocratie africaine. L’Harmattan.
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de la FALSH, UY1, 1 (10) Nouvelle série, 177-193.
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Libii, C. (2021). Le fédéralisme communautaire. Dinimber&Larimber.
Mouiche, I. (2008). Chefferies traditionnelles, autochtonie et construction d’une sphère
publique locale au Cameroun. L’anthropologue africain, 15 (1 & 2), 61-100.
https://www.ajol.info/index.php/aa/article/view/77247/67694
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Ifrikya.
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Cameroun. In Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’université de Douala
(Ed.), Actes du Colloque du Cinquantenaire de la Réunification du Cameroun,
pp.238-260.
NsameMbongo. (2004). Choc des civilisations ou recomposition des peuples ? Dianoïa.
Schnapper, D. (1998). La relation à l’autre. Gallimard.
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University Press.
Wuhl, S. (2002). L’égalité. Nouveaux débats Rawls et Walser : Les principes face
aux pratiques. PUF.

86
TITRE II

DES ÉNONCIATIONS CONCERNANT LE FÉDÉRALISME


COMMUNAUTAIRE AU CAMEROUN COMME POSTURES
CONTRASTÉES DE NORMATION ET DE LÉGITIMATION :
LEUR CONFIGURATION SYMBOLIQUE COMME ÉCONOMIE
SIGNIFICATIONNELLE ET CONVENTIONNELLE.
CHAPITRE 3

FRONTIÈRES POLITICO-CULTURELLES,
LÉGITIMATION/LÉGALISATION DES REPLIS IDENTITAIRES ET
PRODUCTION STRUCTURELLE DES CONFLITS ENTRE
IDENTITÉS PRIMORDIALES AU CAMEROUN

Nicodème GLO

Résumé
La question de la forme de l’État et l’organisation politico-administrative du territoire est
devenue un problème structurel dans la dynamique sociopolitique du Cameroun. Elle est en
permanence interrogée sous le prisme des modèles pluriels que proposent les acteurs
politiques et la société civile. Plusieurs acteurs suggèrent à ce titre le cloisonnement du
territoire camerounais sous le critère des identités socioculturelles et/ou historiques (le
fédéralisme communautaire ou le retour au fédéralisme à deux États), notamment du fait que
ce pays est parcouru par plusieurs frontières communautaires. Or, le Cameroun se destine à
former un État-nation. Cette étude s’est proposé d’analyser le processus sociohistorique et
les prospections qui organisent la légitimation des frontières politico-culturelles et explore
également les risques de cette perspective sur la construction d’une identité nationale
camerounaise. Elle révèle précisément que l’organisation des frontières internes du
Cameroun sous un prisme politico-culturel correspond à une praxis politique qui enlise et
sacralise les particularités identitaires.
Mots clés : frontières, politico-culturelles, Cameroun, conflits, identités, primordiales.
Abstract
The question of the form of State and that of the political and administrative organization of
the territory has become a structural issue in the sociopolitical dynamics of Cameroon. They
are permanently questioned through the prism of diverse models, which are proposed, by the
politicians and the civilian society. Among multiple prototypes, an important number
suggests a portioning of the Cameroonian territory under cultural identity criterion like the
communal federalism or the return to the two federal States. Inhabited by many socio-
cultural groups, the country shapes its future and intends to build a real nation-state. This
study seeks to analyze the socio-historical process and the prospection, which organizes the
legitimization of politico-cultural boundaries and also explores risks in the construction of a
Cameroonian national identity. This precisely reveals that the organization of Cameroonian
internal boundaries under the politico-cultural prism corresponds to a political praxis which
pulls down and makes sacred the specificities of the different sociocultural identities.
Key words: boundaries, politico-cultural, Cameroon, conflicts, identities, primordial.

89
Introduction

Le Cameroun est une mosaïque de groupes socioculturels aux ancrages


identitaires marqués, multidimensionnels et pluriscalaires. Cette réalité est
utilisée par plusieurs entrepreneurs politiques et intellectuels pour proposer une
nouvelle forme de l’État face aux difficultés sociales et économiques que
traverse ce pays. Des deux grandes tendances qui se dégagent, l’on enregistre
les adeptes et théoriciens du fédéralisme communautaire avec pour chef de file
le président du Parti Camerounais pour la Réconciliation nationale (PCRN)
Cabral Libii Li Ngué. La seconde option qui est le retour au fédéralisme à deux
États qu’a connus le Cameroun de 1961 à 1972 est quant à elle plus défendue
par les populations des deux régions d’expression anglaise.
En effet, situé à cheval entre l’Afrique de l’Ouest par les trois régions
septentrionales (selon la pensée géographique anglo-saxonne) et l’Afrique
centrale par les sept autres régions, ce pays est parcouru par une kyrielle de
frontières socioculturelles. Des regroupements ethno-identitaires régionaux et
transrégionaux tels que le Ngondo, Mpo’o, Kumze, Ngouon, Efulameyon, Koupé,
Kwasio, Marata, Anagsama-Lessomolo, le Kolo-Beti, le Laakam et l’Essingang
(Jiotsa, 2019, pp. 76-78) et le mouvement 10 millions de nordistes (depuis 2020)
témoignent de cette réalité sociopolitique. Ceci schématise des frontières politico-
culturelles qui sont des lignes de démarcation circonscrivant des groupes sociaux
non seulement sous le critère de leur appartenance à une même aire culturelle,
mais aussi en tant singularité dans le paysage politique. Ces frontières se
traduisent par un échiquier de strates et de lieux communautaires complexes,
agités, flottants, mais surtout très hétérogènes.
En effet, aux identités primordiales ou ethniques, se sont ajoutées, du fait de la
réorganisation territoriale par l’avènement de l’État moderne, des identités que l’on
qualifierait d’ethnorégionales, de régionales et d’interrégionales. Ces quatre degrés
de référenciation identitaires/communautaires posent un double problème dans la
gouvernance : celui du modèle approprié pour le processus de la transformation de
ce pays plurinational en véritable État-nation (en tant que forme achevée de l’État
comme superstructure politique et administrative) et celui de la redistribution de ses
ressources nationales. Ainsi, comment le régime historique et les ressorts
prospectifs des frontières politico-culturelles impactent-ils l’État-nation en
construction au Cameroun ? Cette analyse questionne le processus sociohistorique
et les prospections qui structurent la légalisation/légitimation des frontières politico-
culturelles sous l’angle du projet de la construction d’une identité nationale
camerounaise. Sur la base des données récoltées dans les documents tels que la
littérature scientifique portant sur ce champ de recherche, notamment les articles de
presse, les sources orales1 et l’observation in situ (sur les dynamiques

1 Les noms utilisés pour référencer les témoignages oraux dans cette étude sont des noms
d’emprunt. Le choix de cette méthode se justifie par le souci de préserver l’anonymat de ceux qui
ont bien voulu répondre à nos questions.

90
sociopolitiques au Cameroun), cette étude présente le lien entre
l’« institutionnalité » de l’identité transrégionale anglophone, l’identité
transrégionale nordiste et l’expérience de la philosophie politique particulariste au
Cameroun. Ensuite, elle examine l’influence de l’institutionnalisation des frontières
communautaires sur l’exacerbation du provincialisme et l’enlisement du statut
d’altérité. Enfin, elle établit le paradoxe entre ce modèle de cloisonnement et le
projet intégrationniste camerounais et africain.

1. Praxis politique particularisante, identités régionales et


transrégionales au Cameroun

La prise en compte des identités régionales et transrégionales dans la praxis


politique au Cameroun correspond à une sorte de philosophie politique
particularisante. Elle se décline par une quasi-institutionnalité de l’identité
transrégionale anglophone et une matérialité complexe de celle nordiste.

1.1. La tacite philosophie politique particularisante au Cameroun

Comme dans tous les pays au sud du Sahara, la conscience politico-


administrative camerounaise est cloisonnante. Cette réalité est extraction
délibérative au sens habermasien du terme (Bouvier, 2007, pp. 5-34), mais de
façon tacite. En effet, depuis le retour de la démocratie dans les années 1990, la
conscience collective et les dynamiques politiques au Cameroun sont dominées
par les cloisons identitaires portées par des entités sociospatiales. Celles-ci
régentent non seulement la compétition pour la conquête et la conservation du
pouvoir central (Nguijoi, 2019, p. 95), la distribution des leviers de la
gouvernance, l’accès aux ascenseurs sociaux, mais aussi la distribution des
infrastructures de développement ainsi que l’organisation du paysage des partis
politiques. Selon Antonio Custódio Gonçalves, cette situation est pandémique
sur le continent africain. Il affirme d’ailleurs que :
La carte ethnique de ce continent constitue une gigantesque mosaïque de
centaines de groupes ethniques. Les différences culturelles ne se sont véritablement
estompées que dans les villes. Mais cela ne signifie pas que l’identité ethnique des
groupes distinctifs, la conscience d’appartenir à une certaine « tribu » ait disparu.
Au contraire, on a réinterprété le fonctionnement de la plupart des institutions
modernes en termes d’appartenance ethnique. La solidarité ethnique continue de
jouer dans tous les milieux « modernes » et « semi-modernisés », au niveau de la
composition des partis politiques, des nominations au sein du secteur administratif,
du secteur des services, du commerce, etc. (Custódio Gonçalves, 1986, p. 47).
Pour ce qui est du Cameroun, depuis le début du multipartisme et des élections
libres, la compétition pour la conquête du pouvoir a pris une coloration
ethnorégionale (Ntumba Luaba-Lumu, 2000, p. 13 ; Medou Ngoa, 2020, p. 223.).

91
En effet, le principe électoral de la démocratie libérale qui est en construction dans
ce pays est mal assimilé. Il est vécu par le citoyen lambda comme une maxime qui
induit un renouvellement systématique de la classe dirigeante, en l’occurrence le
président de la République. De 1992 à 2018, le Cameroun a, à l’occasion de chaque
élection présidentielle, fait face aux débats sur la légitimité des candidats dans le
sens de trancher sur leur acceptation en fonction de leurs origines ethnorégionales.
L’on a souvent entendu de façon explicite ou subliminale que le pouvoir central
étant entre les mains d’un originaire de la zone Fang-béti, il est logique qu’il y
demeure. Ainsi, dans une réflexion commune, Aboubakar Sidi Njutapwoui et Jean
Pierre Fewou Ngouloure rapportent une réaction produite par un internaute qui
s’offusque en par ces mots : « Avertissement !!! Que Biya tente de positionner un
autre fang-béti boulou au pouvoir, on ne va pas leur dire. On a été clairet on ne peut
pas être plus clair que ça. Just wait and see (Aboubakar Sidi Njutapwoui et Fewou
Ngouloure, 2015) ».
Une autre opinion constate que « le Grand Nord est peuplé d’esprits vengeurs
qui rêvent de reprendre le pouvoir » qu’il estime avoir concédé à un fang-béti et
ajoute que « le fameux axe nord-sud tangue dangereusement » (Georges Dougueli,
2013). Un troisième point de vue estime qu’il devrait être concédé, pour une fois, à
un originaire de l’une des deux régions d’expression anglaise, dans un souci de
rotation (Piets Konings and Nyamnjoh, 2003). Pour la même raison, mais aussi pour
l’impact non négligeable des Bamiléké sur l’économie camerounaise, une
quatrième opinion défend que le prochain président de la République du Cameroun
devrait tout simplement être un originaire de la région de l’Ouest, précisément une
personne issue de ce groupe socioculturel (Nitcheu, 2018).
Ces postures ethnorégionalistes de l’organisation et de la légitimité du
paysage politico-administratif camerounais ne se limitent pas à l’observation et
à la conception du profil de l’occupant du siège de la magistrature suprême.
Elles sont également produites pour critiquer, expliquer et ordonnancer le
partage des différents leviers de la gouvernance comme les postes de ministre,
de secrétaire général, d’inspecteur général ainsi que ceux de directeur général,
de sous-directeur et leurs équivalents.
En effet, il est constaté une formulation permanente des énoncés au sujet de
la composition, de la conservation ou du renouvellement des élites nationales.
Dans ce sens, certains Camerounais sont soupçonnés, en fonction de leur
appartenance culturelle, voire régionale, d’avoir prioritairement accès aux
ascenseurs sociaux contrôlés par les institutions étatiques (Ateba Eyene, 2008 ;
Aboubakar Sidi Njutapwoui et Fewou Ngouloure, 2015 ; Mbarga, 2019).
D’ailleurs, Hermann Minkonda et Bertrand-Michel Mahini affirment à ce
sujet que : « ces différents acteurs qui gravitent autour du chef de l’État ont mis
en place des instruments qui permettent de consolider la prépondérance de la
fonction présidentielle et qui les aident à canaliser un renouvellement sans
renouveau des élites politiques » (Minkonda et Mahini, 2019).
Les critiques au sujet de la répartition des infrastructures de développement
sur l’étendue du territoire camerounais sont également formulées dans ce sens

92
comme le souligne Albert Jiotsa (Jiotsa, 2019). Il généralise ce constat en
soulignant que : « la difficile avancée de la notion d’intégration nationale au
Cameroun est principalement due à un certain nombre de facteurs tels que le
tribalisme, le primordialisme ou la communauté primaire, l’esprit séparatiste,
les tendances centrifuges, l’exclusion ou la marginalisation, les conflits entre
autochtones et allogènes, etc. (Jiotsa, 2019).
Ainsi, il est produit de manière féconde des arguments qui adossent certains
projets de construction d’infrastructures de développement à une volonté
cocardière et égoïste des décideurs dont le but est de privilégier leurs régions ou
leurs villages d’origine (Aboubakar Sidi Njutapwoui et Fewou Ngouloure,
2015 ; MBarga, 2019). D’ailleurs, l’on peut comprendre la théorie des « Les
paradoxes du "pays organisateur" » de Charles Ateba Eyene et lire la critique
qu’il formule à l’endroit des élites politico-administratives de la région du sud à
l’aune de cette réalité quasi-systémique (Ateba Eyene, 2008).
Dans cette même logique, la carte des partis politiques au Cameroun n’a pas
échappé à la pesanteur des références identitaires socioculturelles. En fait, elle s’est
structurée par un regroupement des militants autour des partis politiques sous le
critère de leurs repères identitaires, ethniques ou transrégionaux. Le journaliste
Emmanuel Jules Ntap citait Ernesto Yene, un acteur de la société civile
camerounaise à ce sujet. Ce dernier constatait alors que, « Lorsqu’on veut déjà
conserver ou acquérir le pouvoir, on a toujours une tendance facile à s’appuyer sur
le village où sur le groupe ou sur la tribalité » (Ntap, 2019).
Dans ce théâtre, l’on constate par exemple que les Fang-Béti du Sud, du
Centre et de l’Est militent dans le Rassemblement démocratique du peuple
camerounais, le parti du Président Biya qui est lui-même un fils de la région du
sud. Dans la même logique, d’autres groupes ethniques se sont regroupés
presque systématiquement au sein des partis politiques dont l’un des leurs est le
leader. C’est ainsi qu’au Nord, l’Union nationale pour la démocratie et le
progrès de Bello Bouba Maïgari était l’épicentre des espérances des populations
telles que l’Union des populations du Cameroun l’a été en pays Bassa, le
Mouvement pour la défense de la République en pays Toupouri, l’Union
démocratique du Cameroun en pays Bamoun ou le Mouvement pour la
renaissance du Cameroun l’est en pays Bamiléké. Jean Njoya explique la
géographie des partis politiques au Cameroun par le fait que « […] les
divergences ethniques refont surface et les forces politiques épousent largement
les limites de la balkanisation ethnique » (Njoya, 2002, p. 239) ».
En fin de compte, la praxis politique et les identités régionales ainsi que
celles transrégionales au Cameroun correspondent à des logiques de
cloisonnement socioculturelles. Cette situation a, par exemple, généré une
quasi-institutionnalité de l’identité transrégionale anglophone en tant que
catégorie sociopolitique opérante (Petrigh, 2019, pp. 8-9).

93
1.2. Une quasi-institutionnalité de l’identité transrégionale
anglophone à travers l’organisation du pouvoir exécutif

Au Cameroun, la conscience des particularités culturelles domine toutes les


entités sociospatiales, traverse les cadres ethnorégionaux et régente l’autoperception
des groupes transrégionaux et ethniquement pluriels tels que les « nordistes » et les
« anglophones ». Toutefois, ces repères identitaires ont une essence contextuelle et
une vocation opératoire au sens de Kaufmann (2004), notamment du fait des crises
d’hospitalité que connait ce pays depuis le début des années1990. En fonction des
enjeux, par une logique de décentration, les entités ethnospatiales s’autoperçoivent
et sont perçues sous le prisme des grands groupes auxquels ils appartiennent. Cette
échelle de démarcation est reconnue et pratiquée comme une donnée de
référenciation et d’organisation de vie sociopolitique de ce pays, car elle est usitée
de façon structurelle par les instances de décision. Elle est, de manière permanente,
présentée comme étant le dénominateur des repères originels des mouvements ou
des discours de revendication. C’est ainsi que ce socle et fondement de l’identité
socioculturelle issue d’une dynamique historique organisée par le condominium
franco-britannique à partir de 1916 (Mveng, 1985, p. 102 ; Woudammiké et Gigla
Garakcheme, 2014) est perçu et vécu comme étant un ressort naturel.
C’est dans cette veine que les frustrations manifestées par les populations
originaires des régions du Nord-ouest et du Sud-ouest en rapport avec leur
représentation dans les instances du pouvoir exécutif en particulier et au sommet
de l’État en général vont déboucher sur une réorientation systémique de la
distribution des postes au sommet de l’État. Depuis la tripartite tenue du
30 octobre 1991 au 15 novembre de la même année, cette situation aboutit à une
quasi-consécration du poste de Premier ministre, chef du gouvernement aux
originaires de ces deux régions et, hypothétiquement, celui du président de
l’Assemblée nationale aux originaires de la partie septentrion de ce pays.
Quoiqu’il n’y ait pas de cadre juridique formelle qui encadre cette répartition de
postes, les nominations des chefs du gouvernement depuis le 9 avril 1992
(décret no 92/06 du 9 avril 1992) et les discours produits par des voix officielles
à ce sujet confirment qu’il s’agit d’une réorganisation stratégique adoptée pour
répondre aux mécontentements indiqués ci-haut.
Cependant, il est difficile de confirmer le cas du poste de président de
l’Assemblée nationale, car depuis ce tournant de l’histoire des institutions du
Cameroun, le perchoir de l’Assemblée nationale de ce pays est administré par la
même personnalité, l’honorable Cavayé Yéguié Djibril. Or depuis lors, tous les
Premiers ministres nommés à la tête des gouvernements du Cameroun sont
originaires des deux régions d’expression anglaise. Cette constance dans le choix
des chefs du gouvernement indique une quasi-institutionalité de l’identité
anglophone dans le sens où elle est devenue l’un des facteurs constants et
déterminants dans l’organisation du pouvoir exécutif de ce pays (Edou, 2017,
pp. 81-82). Elle transcende les logiques de répartition ou d’organisation des
institutions de cet État, notamment sous le prisme des arguments purement

94
régionalistes pour définir une logique singulière qui est la dimension
transrégionale (prenant en compte les deux régions anglophones).
Au-delà de la quasi-institutionnalisation de l’identité transrégionale
anglophone en tant que catégorie sociopolitique opérante, cette dynamique des
enjeux et des pratiques politiques au Cameroun régente non seulement la
matérialité de l’identité transrégionale nordiste, mais aussi la polémique autour
du contenant sociospatial de cette identité et leurs corollaires dans les équations
politico-administratives de ce pays.

1.3. Matérialité, complexité et polémique autour de l’identité


transrégionale nordiste et son contenant sociospatial dans
l’écosystème administratif camerounais

Construite et cristallisée par la dualité de la trajectoire historique de l’ensemble


du territoire national camerounais, l’identité transrégionale « nordiste » est, à la
fois, discutée et partagée. En effet, dans son itinéraire historique, le septentrion de
ce pays se démarque du reste du territoire par le fait qu’il soit constitué d’une
étendue de savane et steppe habitée par les populations soudano-sahéliennes. De
plus, il a connu une expérience culturelle (homogénéisante) différente de la partie
méridionale de ce pays. L’islam introduit par les cavaliers peuls sous l’égide du
réformateur Ousman Dan Fodio à partir de 1804 (Boutinot, 1994, p. 8), va presque
uniformiser la carte socioculturelle locale en y diffusant des valeurs culturelles
islamiques et/ou peules (Badié, 1986, p. 180). Si dans les extrémités boréales de
cet espace cette religion était déjà présente depuis au moins le XIe siècle
(Boutinot, 1994, p. 28), par l’action des guerriers peuls en provenance du nord du
Nigéria, elle va atteindre les limites australes de cet espace géographique,
notamment les abords nord du fleuve Noun (dans l’actuelle région de
l’Adamaoua). Ce qui va structurer un contexte géoculturel camerounais dual,
puisque, pendant ce temps, l’histoire culturelle de la partie sud de ce pays
s’écrivait sous le prisme d’une logique de vie hybridée par la cohabitation des
valeurs locales et celles occidentales progressivement diffusée avec l’arrivée des
premiers Occidentaux au XVe siècle (Stocks-Smith, 2012, p. 18).
C’est dans cette logique que tout le nord du Cameroun, bien que n’étant pas
totalement islamisé, sera traversé par les référentiels culturels locaux de facture
soudano-sahélienne et celles islamiques. On les retrouve ainsi dans les mœurs, les
expressions, le style vestimentaire, les rites, les rituels et la langue, en l’occurrence
l’idiome dominant qui est le fulfuldé ou le poular pratiqué dans cet espace hormis
le Logone et Chari où l’arabe choa est la langue dominante. Cette identité est
souvent reconnue et assumée par les populations de la contrée. Elle est même
régulièrement utilisée comme référence de demandes ou de revendications
identitaires dans l’écosystème politico-administratif camerounais.
Pourtant, l’identité nordiste encore appelée identité « wadjo » est complexe
(Adder Abel Gwola et Alawadi Zélao, 2012, p. 77). Elle est multidimensionnelle,

95
acceptée par les populations désignées et discutée dans leur usage politico-
administratif en fonction des enjeux et sur la base de multiples réminiscences
sociohistoriques d’envergure interne (Sangmpam, 2017, p. 68). Si elle désigne
précisément les originaires de la partie septentrionale, elle couvre également les
Peuls et les Haoussas installés dans la partie méridionale, pour certains, depuis la
deuxième moitié du XIXe siècle (Souley Mane, 2012, p. 241). En plus, dans
l’imaginaire local de l’ensemble de l’hémisphère sud du Cameroun, elle intègre
également tous les originaires de la zone soudano-sahélienne africaine telle que
les Sénégalais, les Maliens, les Tchadiens, les Nigériens, les Soudanais, etc.
(Sangmpam, 2017, p. 75).
Comme dans sa matérialité, le cadrage sociopolitique wadjo est également
fluctuant dans son usage politique. Même si en général, elle est assumée par les
populations des trois régions septentrionales du Cameroun, de manière opportune,
elle fait l’objet de nuance ou de déconstruction. En effet, l’administration des
Camerounais et du territoire camerounais par le prisme des unités sociospatiales
génère des compétitions entre les différentes composantes du pays et les trois
régions de cet espace que sont l’Adamaoua, le Nord et l’Extrême-Nord ne font pas
exception. Au-delà, l’appartenance ethnique ou religieuse crée une compétition
interne non seulement dans les périmètres régionaux, mais aussi dans l’ensemble du
cadre transrégional. Celle-ci se manifeste par les revendications à partir de ce que
chaque acteur ou chaque communauté considère, de manière opportune, comme
étant son essence identitaire dans l’ensemble de la communauté transrégionale
nordiste. C’est dans ce sens que dans les trois régions, les populations islamopeules
(s’agissant des Peuls et des personnes islamisées et foulanisées) sont considérées
comme étant les plus privilégiées du grand ensemble nordiste par le reste constitué
des chrétiens et animistes que sont entre autres les Guiziga, Dii, Toupouri, Daba,
Fali, Guidar et Moundang, etc2. D’ailleurs, Dieudonné Enoh Meyomesse constate
que ce clivage existait déjà sous le premier régime et souligne que « Face aux Fulbé,
tout « Kirdi » qui osait s’insurger sous Ahidjo, contre le mauvais traitement qui leur
était réservé, était un homme à abattre » (Enoh Meyomesse, 2016, p. 124).
Une autre échelle de nuance à l’intérieur de ce groupe demeure la conception du
statut des Haoussas installés dans le Littoral et le Centre, mais aussi celui des Peuls
installés dans le Nord-Ouest et l’Ouest du Cameroun. En fonction des enjeux, ces
derniers se délectent et/ou sont délectés du grand groupe nordiste sur la base de leur
présence séculaire dans les contrées où ils sont installés. Ainsi, ils sont définis ou ils
se définissent comme étant des originaires de l’Ouest ou du Nord-Ouest pour les
Peuls, du Centre ou du Littoral pour les Haoussas. La légitimation/légalisation des
balkans spatiocommunautaires historiques par les praxis politiques
particularisantes, est une perspective paradoxale aux projets intégrationnistes
(national, sous-régional et régional) camerounais.

2 Entretien avec MIRA, originaire de la région du Nord de sexe féminin, le 12 avril 2013 à Douala.

96
2. Paradoxe entre le cloisonnement politico-communautaire et
le projet intégrationniste camerounais

Le paradoxe entre le cloisonnement politico-communautariste et le projet


intégrationniste camerounais est palpable. Il réside dans l’incompatibilité entre
l’idée d’une véritable nation camerounaise et la pluralité des itinéraires
historiques, le fractionnement et l’hypothèque des sentiments patriotiques ainsi
que l’obstruction au projet de l’intégration africaine des Camerounais en tant
groupe homogène.

2.1. Cloisonnement politico-communautaire et pluralité des


itinéraires historiques

Le sens futur du Cameroun, tel qu’il est indiqué dans les discours officiels,
est celui de l’aboutissement à une nation homogène. C’est l’itinéraire vers un
destin unique dans le cadre d’une véritable nation dont les différentes
composantes partagent les mêmes référentiels historiques, culturels et
sociopolitiques. D’ailleurs, Joseph Ki-Zerbo, Ali Mazrui et Christophe Wondji
le rappellent lorsqu’ils affirment que :

Si l’on considère les devises, les hymnes et les drapeaux adoptés par les
nouveaux États indépendants, on voit les valeurs qu’ils avaient l’ambition de
promouvoir. Les devises étatiques, formules concises qui frappent par leur
caractère d’impératif catégorique, en appellent à des valeurs collectives
fondamentales comme […] « paix, travail, patrie » (Cameroun). […] Les hymnes
nationaux, quant à eux, exaltent la lutte commune, l’unité et la fraternité
africaine…, rappellent l’honneur des ancêtres, la liberté et l’unité. (Hymne
camerounais […]. (Ki-Zerbo, Mazrui et Wondji, 1998, p. 509)

De ce point de vue, cette perspective est non seulement officielle, elle est
également populaire, car le concept d’« intégration nationale » est une véritable
ritournelle qui est invitée dans toutes les partitions officielles de la dynamique
sociopolitique camerounaise. Les fêtes nationales, les conférences sectorielles, le
baptême des contingents des grandes écoles de l’administration et de l’armée, etc.,
sont généralement définis avec pour constance le concept de « l’intégration
nationale » ou son équivalent qui est le concept de l’« unité nationale ». À ce titre la
liste non exhaustive des thèmes retenus pour les deux solennités majeures de ce pays
que sont la fête nationale et celle de sa jeunesse se révèle assez illustrative.
− 1969 : Jeunesse, levain et responsable de l’Unité nationale (fête nationale
de la jeunesse).
− 1970 : Responsabilité et participation face aux exigences de la
Construction nationale (fête nationale de la jeunesse).

97
− 1975 : Unité au sein de la Jeunesse de l’Union nationale camerounaise
(fête nationale de la jeunesse).
− 1977 : Culture et Unité nationale (fête nationale de la jeunesse).
− 1989 : Jeunesse et Solidarité nationale (fête nationale de la jeunesse).
− 1996 : Jeunesse, Unité nationale et Unité africaine (fête nationale de la
jeunesse).
− 2004 : Jeunesse, Paix, participation et prospérité nationale (fête nationale
de la jeunesse).
− 2004 : paix, unité nationale et lutte contre la pauvreté (fête nationale).
− 2006 : Jeunesse, rectitude morale et développement national (fête
nationale de la jeunesse).
− 2011 : Jeunesse et consolidation des acquis de la Réunification du
Cameroun (fête nationale de la jeunesse).
− 2015 : Forces de Défense, en synergie avec les forces vives de la Nation,
pour relever les défis sécuritaires et préserver la paix et la stabilité au
Cameroun et en Afrique Centrale (fête nationale).
− 2016 : Forces de défense et forces vives de la nation, ensemble pour la
lutte contre le terrorisme, la préservation de la paix et de l’intégrité
nationale (fête nationale).
Il s’agit, en d’autres termes, pour l’État du Cameroun, de créer une nation
camerounaise qui se caractérise par le phénotype singulier et commun de son
itinéraire historique. Or, le cloisonnement politico-communautaire oriente le
sens du futur, notamment en fonction des ancrages socioculturels à la dimension
de l’unité socioculturelle choisie. Ce qui pose un réel problème à l’idéal national
camerounais, car la définition des préférences, des besoins et des urgences d’une
société homogène ou homogénéisée est intimement influencée par sa mentalité
collective. Dans cette logique, le sens de l’histoire nationale camerounaise qui
est l’une des modalités essentielles de l’intégration entre les micronations3 qui
composent ce pays est hypothéqué.
C’est dans cette logique que le cloisonnement politico-communautaire est une
politique qui produit un paradoxe dans l’observation du projet intégrateur au
Cameroun. Le rapport à l’espace et à l’antériorité influençant de façon holistique la
philosophie globale de la vie collective, l’organisation administrative du territoire

3 Le concept d’« ethnie » défini en tant qu’un ensemble humain uni par une communauté de
langue, de culture, de structure sociale et économique renvoie quasiment à la même réalité
épistémologique que la « nation ». Dans cette étude, elle est désignée par le concept de « micro-
nation », notamment dans le but de souligner les réalités politiques consubstantielles à sa nature,
mais surtout pour marquer une différence avec les « nations » dites modernes issues de
l’expérience coloniale occidentale sur le continent africain. Il faut également noter que l’usage
précipité de ce concept dans la désignation des peuples d’un même pays est surtout prospectif, car
depuis leur accession à la souveraineté nationale notamment dans les années 60, les pays africains
sont unanimes sur l’impératif de construire une nation continentale malgré les divergences sur la
démarche à suivre. Ils étaient alors particulièrement unanimes sur l’impératif qu’il a à transformer
les peuples des différents pays en de véritables nations.

98
se révèle comme étant un enjeu de mobilisation et de sédimentation des liens
sociopolitiques ou un vecteur de démobilisation et de balkanisation des nations
modernes encore en parturition sur l’ensemble du continent africain.
Au-delà de déclencher des itinéraires historiques multiples et préjudiciables à
la construction d’une identité commune, toute perspective de cloisonnement
politico-communautariste hypothèque également les sentiments patriotiques. Ces
perspectives produisent une dynamique complexe qui se révèle à la fois centrifuge
et polycentrique4.

2.2. Cloisonnement politico-communautaire, fractionnement et


hypothèque des sentiments patriotiques

Construits sur l’acceptation de l’appartenance à un contenant sociospatial qui


est un pays et traduisant l’affection que l’on ressent pour cet espace, les
sentiments patriotiques sont des sentiments essentiellement partisans. Il s’agit
en réalité d’un choix issu d’une conscience politique qui, par ce fait, n’est pas
un sentiment inné et immuable. Il est adossé sur l’identité ou les identités à
laquelle ou auxquelles on est lié. Ces identités peuvent être cloisonnées comme
dans le cas de la binationalité ou de la plurinationalité. Elles peuvent également
être stratifiées comme dans le cas de la cohabitation entre les références
identitaires primordiales, régionales et transrégionales. Le Cameroun s’inscrit
précisément dans cette logique comme le souligne son ministère de l’Économie,
de la Planification et de l’Aménagement du territoire. Cette institution révèle
que la population est :

une mosaïque ethnique et linguistique sur laquelle se superposent d’autres


facteurs de divergence (religion, politique, corporation, etc.). La construction
d’un État-nation sur cette hétérogénéité s’est souvent heurtée à certaines forces
centrifuges et à des velléités de replis identitaires (ministère de l’Économie, de
la Planification et de l’Aménagement du territoire (2009, p. iv).

Ces replis identitaires multidimensionnels manifestés par les Camerounais


entament alors les sentiments patriotiques et hypothèquent le chantier d’un destin
commun. Par conséquent, le patriotisme demeure une donnée strictement relative et
inconstante, souvent déterminée par les attentes formulées à l’endroit de son pays.
En effet, l’un des points d’achoppement dans la construction des États-nations sur
le continent africain demeure le népotisme basé sur les identités ethnorégionales
dans le sens où l’on est accepté et favorisé ou l’on est refusé et discriminé en
fonction qu’on appartienne ou pas à une quelconque ethnie (Sangmpam, 2017,
p. 75). Cette réalité qui gangrène la société camerounaise dans son ensemble a, pour

4 Une des mécaniques est de nature centrifuge parce que les citoyens se délectent des logiques de
la construction d’une nation homogène pour leurs différents groupes socioculturels. Ils créent, par
cette logique, plusieurs centres d’intérêt.

99
conséquence, l’organisation d’un cercle vicieux structuré par les actions et les
réactions face à l’exclusivisme et au prioritarisme.
Il en découle que le périmètre commun des Camerounais qu’est l’espace
« Cameroun » et ses institutions sont boudés et instrumentalisés. Les sentiments à
l’endroit des espaces politico-communautaires qui se substituent au patriotisme se
retrouvent exacerbés5. La tribalité qui est censée générer une différenciation de
complémentarité est remplcée par le tribalisme. Toutefois, la transrégionalité de bon
nombre d’identités communautaires (comme l’identité soudano-sahélienne, celle
béti et celle sawa), en transrégionalisant également l’attachement au contenant
sociospatial auquel appartiennent les Camerounais, participent à élire un espace et
une société plus larges et plus intégrés comme repère sociospatial. Ce qui impose
un dépassement du nombrilisme ethnique ou ethnorégional pour proposer un élan
intégrateur plus inclusif.
Les perspectives de cloisonnement politico-communautaires provoquent non
seulement des itinéraires historiques multiples — donc la construction d’une
identité multiple au sein d’un même pays, elles hypothèquent également les
sentiments patriotiques par une logique de multiplication, voire d’opposition de
centres d’intérêts collectifs.

2.3. Cloisonnement politico-communautaire et obstruction au projet


de l’intégration africaine en cours au Cameroun

L’adhésion du Cameroun aux différents cadres multinationaux africains et sa


contribution à leur fonctionnement traduisent la volonté de cet État à s’ouvrir et
construire un destin collectif avec d’autres pays sur son continent. En effet, la
diplomatie camerounaise en général est largement influencée par le paradigme
de l’intégration sous-régionale et régionale. Cependant, l’horizon téléologique
de l’intégration africaine (en tant que tremplin dans le processus de la formation
d’une nation africaine) implique une rupture progressive de frontières non
seulement politico-économiques, mais aussi culturelles. Il s’agit de donner corps
au concept de « peuple africain » qui est, jusque-là, idéel et abstrait ; ceci en
accomplissant une identité africaine inclusive et singulière.
L’un des leviers de cet objectif sur le territoire camerounais est le caractère
cosmopolite des deux principales grandes villes du Cameroun que sont Douala
et Yaoundé, qui au-delà d’abriter des quartiers entiers d’identité transrégionale
camerounaise comme dans les autres huit régions de ce pays, intègrent aisément
et par milliers des personnes en provenance d’autres pays africains.
Or le cloisonnement de ses populations sur les bases identitaires dérive d’une
logique de désintégration des acquis fédérateurs déjà conquis autant à l’échelle
camerounaise qu’africaine. C’est dans ce sens que la construction et la
sacralisation des frontières politico-culturelles au Cameroun constituent un

5 Entretien avec IBRA, originaire de la région Nord de sexe masculin, 13 mai 2022 à Douala.

100
paramètre structurel de légitimation et de légalisation des replis identitaires. Au-
delà de limiter ce pays dans son effort de construction d’un État-nation véritable
et homogène, cette structuration politico-administrative participe à inverser le
sens de la politique africaine du Cameroun et à renfermer ses populations au sein
de leurs cadres primordiaux. Par ce fait, l’on aboutit à une extraction méthodique
et fatale du Cameroun du projet intégrateur du continent africain.
Quant aux logiques de cloisonnement politico-communautariste au Cameroun,
elles sont par nature antagoniques au projet intégrationniste camerounais. Effet,
tout paradigme politico-administratif d’institutionnalisation des frontières
communautaires dans ce pays participe, de marinière inéluctable, à l’exacerbation
du provincialisme et à l’enlisement du statut d’altérité qui gangrènent ce pays
depuis plusieurs décennies déjà.

3. Influence de l’institutionnalisation des frontières


communautaires sur l’exacerbation du provincialisme et
l’enlisement du statut d’altérité

Les perspectives de l’institutionnalisation des frontières


spatiocommunautaires structurent non seulement un réel risque de
développement des élans tant prioritaristes qu’exclusivistes sur le plan politico-
administratif et économique. Elles sont également une modalité majeure du
développement des élans schismatiques.

3.1. Institutionnalisation des frontières spatiocommunautaires et


développement des replis identitaires

L’histoire des cadres spatiocommunautaires au Cameroun est en réalité


l’expérience des périmètres fluctuants, revendiqués et contestés en fonction des
enjeux. Qu’il s’agisse des identités primordiales (ethniques), ethnorégionales,
régionales ou transrégionales, il n’existe aucun ancrage considéré comme étant
une référence constante, un repère essentiel qui soit présenté de manière
inaltérable dans les équations politico-administratives. Cette réalité
généralisante du paysage et des logiques sociopolitiques camerounais interpelle
sur les possibilités d’institutionnaliser les frontières spatiocommunautaires dans
la formulation de la politique administrative.
En effet, la nature complexe, équivoque et multidimensionnelle des
références identitaires et leur manipulation selon une tectonique à la fois
fédératrice et centrifuge sont un palier dominant dans le répertoire des vecteurs
des replis identitaires dans ce pays. Ceux-ci sont pluriels et consubstantiels à un
cloisonnement spatiocommunautaire de la carte administrative du territoire

101
camerounais. Ce qui amène Carole Valérie Nouazi Kemkeng et Abdou Njikam
Njifotie à observer que :

Depuis quelque temps, la République du Cameroun est secouée dans sa cohésion


et sa stabilité. La montée en puissance des revendications identitaires, la crise
des frontières et le « choc des civilisations » forcent à admettre que
l’interdépendance entre les concepts de République et de Nation s’effrite
inéluctablement (Nouazi Kemkeng et Abdou Njikam Njifotie, 2019, p. 22).

En effet, les cadres socioculturels sont les lieux de domiciliation par


excellence des divergences entre les citoyens d’un pays multiculturel. Ils sont,
en général, les ruines des entités sociopolitiques précoloniales qui gardent
encore leurs réflexes de conquête et de conservation d’espace et de pouvoir.
Par conséquent, domicilier les communautés à l’intérieur des périmètres
consacrés et sacralisés par la légalité revient à ressusciter les entités
sociopolitiques d’autrefois, notamment avec leurs logiques de cohabitation
excepté la souveraineté. Quoique cette dernière soit observée de manière
relative autant dans les collectivités territoriales décentralisées que dans les États
fédérés. Ainsi, cet ancrage spatiocommunautaire, par son aptitude à fédérer les
citoyens au sein des périmètres spatioculturels, va générer de façon exacerbée,
des groupes différenciés et enliser les fossés sociopolitiques. Inaptes (du fait de
leur nature) à se projeter dans le grand ensemble politico-administratif et
géographique qu’est le territoire camerounais, ces communautés politisées
engendrent des conflits d’intérêts autant entre elles qu’entre chacune d’elles et
les institutions étatiques6.
Toutefois, les communautés transrégionales sont, dans la sociologie culturelle
au Cameroun, une catégorie de cadre identitaire qui participe à l’atténuement du
provincialisme et à l’inscription des préoccupations des populations dans de grands
ensembles sociopolitiques qui sont des véhicules d’une conscience fédératrice. En
effet, dans ce cadre, lorsque ces peuples expriment des préoccupations, en réalité,
ils adressent des problèmes qui transcendent le cadre sociospatial d’une seule ethnie
ou d’une seule région. Par ce fait, leurs actions politiques prennent des perspectives
nationales grâce à leur « transrégionalité ».
Nonobstant l’adoption de la formule de l’équilibre régional (décret
No 2000/696/PM du 13 septembre 2000, article 60), les enjeux liés aux ascenseurs
sociaux contrôlés par l’État, le choix et la localisation des projets d’investissement
génèrent, de façon régulière, des replis proportionnels à la dimension et au
redimensionnement des périmètres identitaires qui se considèrent comme étant
lésés7. L’impossibilité à doter chaque groupe ethnique d’une région dont la prise
en compte dans la quête d’équité et d’égalité serait la formule du développement
harmonieux de ce pays génère, au-delà des revendications régionalistes et

6 Entretien avec MAHO, originaire de la région du Littoral de sexe masculin, 17 juin 2018 à
Douala.
7 Entretien avec AKO, originaire de la région Nord-ouest de sexe masculin, 12 février 2023 à Buea.

102
transrégionalistes, des disjonctions organisées sur des bases essentiellement
ethniques. Ainsi, l’institutionnalisation des frontières spatiocommunautaires ou
spatioculturelles est de nature à confiner les compétitions ou les revendications
identitaires au niveau strictement ethnique, exacerbant par ce fait les clivages et
les tensions sociopolitiques à l’intérieur de ce pays. En plus de sa capacité à avoir
une influence sur l’exacerbation du provincialisme et sur l’enlisement du statut
d’altérité parmi les Camerounais, l’institutionnalisation des frontières
communautaires est un véritable terreau du développement des replis identitaires.

3.2. Institutionnalisation des frontières spatiocommunautaires,


risque de prioritarisme et d’exclusivisme politico-administratif
et économique

La consécration des frontières politico-administratives entre les espaces


communautaires revient à démarquer les populations camerounaises en fonction
de ce qui constitue leurs essences identitaires ou leur filiation socioculturelle
primordiale. La superficialité de l’ancrage patriotique de ces citoyens,
inlassablement matérialisée par la conception, le cadrage et
l’instrumentalisation de la notion d’« élite » et le déploiement de ces figures
participent au confinement et la singularisation des véritables micronations que
sont, en réalité, les groupes ethniques dans les pays au sud du Sahara. Au
Cameroun, l’enlisement et la consécration de schismes ne se sont pas généralisés
principalement du fait que les sous-ensembles de ce modèle sociopolitique
d’essence divisionniste ne constituent pas des unités administratives et que ce
pays à une structure étatique monolithique.
Toutefois, il n’est pas rare de constater des récriminations à l’endroit des
élites politico-administratives, les accusant d’orienter tous les projets de
construction infrastructurelle, l’enrôlement dans la fonction publique ou les
promotions professionnelles dans ce couloir, notamment vers les cadres
restreints sociospatiaux de leurs groupes ethniques, au détriment des
communautés voisines installées dans les mêmes espaces communautaires
qu’eux8. Si les discontinuités entre les terroirs à l’intérieur de ces cadres
sociospatiaux sont historiques, elles ne sont, jusque-là, pas légales, car au
Cameroun aucune circonscription administrative ne correspond qu’à un seul
territoire ethnique. C’est ce qui, manifestement, freine les élans d’exclusivisme
ou de prioritarisme dont sont soupçonnées ces élites.
En effet, ne pouvant revendiquer ou défendre des faveurs pour les seuls
périmètres ethniques auxquels elles appartiennent, ces derniers sont obligés
d’élargir leur spectre à tout leur arrondissement, département, région ou
« transrégion » (faisant allusion aux quatre aires culturelles) selon les cas de

8 Entretien avec HATO, originaire de la région nord de sexe masculin, 12 juin 2018 à Guider.

103
figure9. Elles étendent ainsi leurs actions politiques sur des ensembles
transisthmiques. De facture intégratrice, cette démarche émousse les
exclusivismes ou les prioritarismes primordialistes qui sont de nature à
exacerber les tensions interethniques au Cameroun.
Ces tensions sont en général issues des attitudes prioritaristes et exclusivistes
qui se nourrissent des itinéraires historiques marqués par des séquences
d’humiliation ou de sentiment d’humiliation, des compétitions pour
l’occupation de l’espace et des logiques hégémoniques pour la conquête et le
contrôle des trophées politiques locales. Ce qui imprègne de façon indélébile les
consciences collectives comme entre les Kotoko et les Arabes Choa dans la
région de l’Extrême-Nord.
C’est également le cas dans les relations entre les populations pygmées et les
Bantous dans la partie forestière de ce pays. Ces antagonismes ont connu un
profond enlisement du fait des enjeux soulevés par le passage du pipeline Tchad-
Cameroun, servant pour l’évacuation du pétrole brut tchadien vers la côte
kribiènne de l’océan Atlantique en vue de son exportation (Leka Essomba, 2009,
pp. 378-379). En fait, on y a noté un large phénomène d’expropriation foncière
des pygmées par des membres des communautés bantoues en vue de bénéficier
des compensations prévues par les le projet (ACP-UE, 2002, pp. 44). De plus, ce
contexte a révélé des rapports assez dramatiques entre eux dans la mesure où l’on
a noté que des citoyens d’origine bantoue et même certains chefs de villages
revendiquent non seulement la propriété des espaces occupés par les pygmées, ils
estiment aussi que ces derniers sont également leurs propriétés10.
Au-delà d’exacerber les comportements provincialistes et de provoquer un
enlisement du statut d’altérité parmi les Camerounais, l’institutionnalisation des
frontières communautaires constitue un redoutable facteur de fractionnement.
En effet, elle fait le lit du développement des élans schismatiques en exhumant
les cloisons des entités socioculturelles et politiques autonomes ou
indépendantes de cet espace d’avant 1884.

3.3. Institutionnalisation des frontières communautaires et


développement des élans schismatiques

Le projet de la construction des États-nations dans les pays pluriels sur le


plan socioculturel correspond précisément à la déconstruction des différences
qui particularisent leurs citoyens, car la nation par définition est une
communauté stable et historiquement évoluée de personnes ayant en commun
un territoire, une vie économique, une culture qui les distingue et une langue
(Isawa Elaigwu et Ali Mazru, 1987, p. 64). Gérard Cornu l’envisageant comme
un corps nettement homogène et monolithique la décrit comme étant un groupe

9 Entretien avec EYAP, originaire de la partie méridionale de sexe masculin, 12 avril 2015 à
Garoua.
10 Entretien avec MICHOU, originaire de la région de l’Est de sexe féminin, 17 mars 2013 à Douala.

104
« dont la réalité résulte de caractéristiques ethniques, linguistiques, culturelles,
de coutumes sociales et de traditions historiques et religieuses » communes
(cornu, 2000, p. 672).
De ce point de vue, les États africains sont en général des États-nations en
construction. Ils demeurent jusqu’aujourd’hui des regroupements de micronations
domiciliées dans des périmètres dessinés par la colonisation occidentale (Olatunji
Oloruntimehin, 1987, p. 7). L’ancrage territorial et le contexte fondateur de ces
États continuent d’organiser les contestations/conflits à chaque fois que les enjeux
de l’État moderne ne satisfont pas les espérances des terroirs. Ainsi, comme le
soulignent Isawa Elaigwu et Ali Mazru, la crise des jeunes nations africaines est
celle des identités collectives défaillantes (Isawa Elaigwu et Ali Mazru, 1987,
p. 461). Dans cette logique, la crise de l’État dans cet espace en général et au
Cameroun en particulier se traduit par une adoption relative de l’autorité centrale
qui se manifeste en permanence par la contestation de sa légitimité et/ou sa
légalité. En effet, le paradigme politico-administratif de l’État moderne au
Cameroun comme ailleurs sur le continent africain est une donnée nouvelle qui
diffère des modèles séculaires dont les leaders centraux émergeaient, par des
logiques qui étaient perçues comme étant naturelles, des différentes entités
spatiocommunautaires. C’est pour cette raison que la plupart des pays africains
créés sous le régime colonial disproportionnellement considérés comme des
nations luttent non sans difficulté pour devenir des nations plus cohérentes (Isawa
Elaigwu et Ali Mazru, 1987, p. 466).
Au Cameroun, on constate un foisonnement des velléités schismatiques plus ou
moins manifestes. En effet, les cadres sociospatiaux transrégionaux ont produit une
conscience communautaire adossée sur des trajectoires historiques et des
quintessences culturelles plus ou moins communes. Ces communautés se
reconnaissent comme étant des sortes de nations relativement achevées par rapport
à la nation camerounaise dont les éléments de formation sont marqués par une
pluralité et une hétérogénéité. Celles-ci estiment avoir plus de dénominateurs
communs que ce qui fonde l’identité de ce qui est appelé, de façon précipitée, « la
nation camerounaise ». Ainsi, ce confinement identitaire est utilisé comme étant des
logiques stratégiques des individualités sociospatiales transrégionales dans leurs
rapports à l’État lorsque ces communautés estiment être lésées par les institutions
de la république ou encore lorsqu’elles estiment, tout simplement, avoir un meilleur
destin en tant qu’entités socioculturelles et historiques. Les velléités
indépendantistes manifestées dans les deux régions camerounaises d’expression
anglaise (Nord-Ouest et Sud-Ouest), la production massive des discours séparatistes
constatés dans les trois régions septentrionales (Extrême-Nord, Nord et Adamaoua),
les spéculations et/ou gesticulations autour de l’idée de la création de la république
de Sawaland (intégrant la région du Littoral et celle du Sud-Ouest) ou encore celles
au sujet de la république du Grassland (intégrant la région de l’Ouest et celle du
Nord-Ouest) entrent dans cette logique.
Dans le même sillage, le débat autour du fédéralisme dont la crise dite
anglophone a imposé à l’opinion camerounaise participe à questionner et à discuter

105
le cloisonnement politico-culturel dans l’ensemble du territoire national du
Cameroun (Edou, 2017, p. 96). En effet, les élans séparatistes dans les périmètres
de ce pays d’Afrique centrale se développent à l’intérieur des ensembles
spatioculturels ou spatiocommunautaires dont les habitants ont des attaches
sociospatiales et historiques multiples. Or, ces ancrages qu’ils trouvent légitimes
sont défiés par les logiques des repères sociopatio légaux que sont les différentes
unités administratives, les arrondissements, les départements et les régions. Ainsi,
plusieurs points de vue ont estimé que la rupture de la frontière régionale entre le
Nord-ouest et le Sud-ouest notamment dans le cadre d’une entité fédérée est une
modalité qui ajouterait à l’unité légitime réclamée par les acteurs « anglophones »
de la crise, une unité légale11. Ce qui accentuerait leur élan de détachement vis-à-
vis du reste du territoire camerounais. Ce point de vue est motivé par le fait qu’en
Afrique de façon générale l’ancrage spatioculturel est plus fort que celui politico-
spatial, parce que les Africains se reconnaissent comme appartenant d’abord à leur
groupe ethnique (historique) avant de se référer à leur pays12. Cette propension fait
de l’établissement des cloisons politico-culturelles un vecteur additif des
expressions dissidentes.
L’institutionnalisation des frontières communautaires organise, de manière
indéniable, un développement du provincialisme et un enlisement du statut
d’altérité sur l’ensemble du territoire camerounais. Elle génère, en effet, un
déploiement mécanique, actionnel et réactionnel des replis identitaires ainsi que
des comportements prioritaristes et d’exclusivistes, notamment sur le plan
politico-administratif et économique. Elle offre, en fin de compte, un terrain
propice au développement des élans schismatiques.

Conclusion

Analyser la problématique de la forme de l’État au Cameroun revenait à


questionner clairement le devenir commun des citoyens de ce pays, notamment
celui des groupes socioculturels auxquels ils appartiennent. Il était question de
réfléchir sur la conjugaison des repères identitaires et des cadres sociospatiaux
légaux dans la perceptive de la construction d’un véritable État-nation dans ce
pays aux identités socioculturelles multiples. Il est dont établi que les ancrages
primordiaux ou ethniques, régionaux et transrégionaux se sont révélés comme
étant des références de démarcation, les unes étant potentiellement plus
excluantes que les autres. Au Cameroun comme dans bien d’autres pays
africains au sud du Sahara, la cohabitation intégrée qui constitue le premier
palier de la construction d’un destin commun est prédisposée à participer à la

11 Entretien avec AGBE, originaire de la région du Sud-ouest de sexe masculin,


16 novembre 2022 à Buea.
12 Entretien avec SIAB, originaire de la région du Centre de sexe féminin, 17 mars 2013 à Douala.

106
fonte des cloisons afin d’aboutir à une population monolithique, un peuple
historique, une nation. Dans leur ontologie et leur axiologie, toute organisation
et toute légalisation éventuelles des frontières internes sous un prisme politico-
culturel, programme et synchronise des praxis politiques susceptibles d’enliser
et de sacraliser les particularités identitaires à l’instar de l’identité transrégionale
anglophone. C’est ainsi que cette identité s’est imposée dans les différentes
équations politiques de ce pays comme une constance quasi insoluble et
conflictogène.
Dans la même logique, même si la matérialité l’identité transrégionale
nordiste est incontestable, il n’en demeure pas moins qu’elle pose, par son
instabilité et sa fluctuation, des arithmétiques très complexes dans l’écosystème
politico-administratif camerounais. C’est dans cette logique qu’il faut craindre
une exacerbation du provincialisme du fait de l’aggravation du statut d’altérité
et des replis identitaires qui caractérisent les dynamiques sociopolitiques au
Cameroun depuis l’élection présidentielle de 2018. Ceci s’ajoute à la menace du
prioritarisme et de l’exclusivisme politico-administrative ainsi qu’une
démultiplication des scissiparités schismatiques au sein de la citoyenneté
camerounaise malgré la signature du décret présidentiel n° 82/407 du
7 septembre 1982 qui modifie les dispositions de l’article 56 du décret n° 25/496
du 3 juillet 1975 fixant le régime général des concours administratifs. Par
conséquent, tout cloisonnement spatiocommunautaire favorise un itinéraire
historique pluriel, fractionne et démobilise les sentiments patriotiques, érode en
fin de compte, le projet d’intégration nationale au Cameroun. Il apparait donc
en tout état de cause qu’indépendamment de leur ancrage, les cloisons
identitaires socioculturelles génèrent des visions et des visées divergentes par
rapport à la philosophie politique de facture intégrationniste qu’observe le
Cameroun au moins depuis son indépendance. Si la démarcation des espaces
communautaires historiques dans le processus de la fraternisation sociocivique
au Cameroun se révèle essentiellement destructrice, il n’en demeure pas moins
que ces entités existent et exigent une considération dans l’équation. Une
réflexion dans ce sens pourrait intégrer une observation et un cadrage de leurs
évolutions ainsi que leurs projetions incluantes au sein des collectivités
territoriales décentralisées issues de la constitution de ce pays adoptée en 1996.

Références

Sources orales
Entretien avec Mira, originaire de la région du Nord de sexe féminin, 12 avril 2013
à Douala.
Entretien avec Ibra, originaire de la région Nord de sexe masculin, 13 mai 2022 à
Douala.

107
Entretien avec Hato, originaire de la région nord de sexe masculin, 12 juin 2018 à
Guider.
Entretien avec Ako, originaire de la région Nord-ouest de sexe masculin,
12 février 2023 à Buea.
Entretien avec Siab, originaire de la région du Centre de sexe féminin, 17 mars 2013
à Douala.
Entretien avec Maho, originaire de la région du Littoral de sexe masculin,
17 juin 2018 à Douala.
Entretien avec Eyap, originaire de la partie méridionale de sexe masculin,
12 avril 2015 à Garoua.
Entretien avec Agbe, originaire de la région du Sud-ouest de sexe masculin,
16 novembre 2022 à Buea.
Entretien avec Michou, originaire de la région de l’Est de sexe féminin,
17 mars 2013 à Douala.
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110
CHAPITRE 4

LE FÉDÉRALISME COMMUNAUTAIRE DE CABRAL LIBII AU


CAMEROUN : DE LA PERTINENCE POLITIQUE AUX « EFFETS
PERVERS »

Joseph WANGBA J.

Résumé
Dans les sociétés politiques modernes, les conflits violents d’essence structurelle sont
résolus par des réformes institutionnelles, pour la pacification sociale. Au Cameroun,
parmi les ferments de la crise sécessionniste dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-
Ouest, les problèmes politiques structurels sont évoqués en bonne place. Pour juguler
cette crise, la problématique relative à la forme de l’État s’impose avec acuité. Dès lors,
le fédéralisme communautaire proposé par Cabral Libii peut-il constituer une panacée
pour les réformes institutionnelles au Cameroun ? Étiologiquement, il est plausible
d’administrer le fédéralisme communautaire, mais l’implémentation et l’efficacité de ce
modèle d’organisation politique recèlent des dangers énormes. En effet, la pertinence
théorique et politique du fédéralisme communautaire demeure relative. Car, si l’on
admet qu’il pourrait constituer une panacée pour les problèmes politiques structurels,
les effets pervers d’une telle médication politique sont susceptibles d’entraîner
d’énormes risques pour la société politique camerounaise.
Mots clés : Cameroun, fédéralisme communautaire libiien, pertinence politique, effets
pervers.
Abstract
In modern political societies, violent conflicts of a structural nature are resolved by
institutional reforms, for social pacification. In Cameroon, among the ferments of the
secessionist crisis in the North-West and South-West regions, structural political
problems are mentioned prominently. To curb this crisis, the issue of the form of the
state is urgently needed. Can the Cabral Libii’s community federalism therefore
constitute a panacea for institutional reforms in Cameroon? Etiologically, it is plausible
to administer community federalism, but the implementation and effectiveness of this
model of political organization contains enormous dangers. Indeed, the theoretical and
political relevance of community federalism remains relative. For, if it is accepted that
it could constitute a panacea for structural political problems, the perverse effects of
such political medication are likely to entail enormous risks for the Cameroonian
political society.
Keywords: Cameroon, Cabral Libii’s community federalism, political relevance,
perverse effects.

111
Introduction

Dès le début de ce XXIe siècle comme par le passé, l’État moderne est
confronté à diverses crises sociopolitiques. Ces dernières sont de nature soit
consubstantielle à la vie politique quotidienne ou soit d’essence structurelle, c’est-
à-dire liées au mode d’organisation des institutions politiques. Consécutivement,
leur résorption nécessite aussi des solutions proportionnelles. En ce qui concerne
les crises sociopolitiques d’origine institutionnelle, le débat sur la forme de l’État
se pose toujours. Au cours de son histoire politique, le Cameroun a connu
plusieurs réformes institutionnelles. Il s’agit d’une histoire politique coloniale et
postcoloniale très riche, très complexe et bien captivante. La période
postcoloniale, qui débute avec l’accession du pays à son indépendance, est
caractérisée par les réformes institutionnelles suivantes : l’avènement de l’État
unitaire à partir de 1960, l’institution de l’État fédéral dès le 1er octobre 1961, le
retour à l’État unitaire le 20 mai 1972 et la matérialisation « progressive » de
l’État unitaire décentralisé depuis le 18 janvier 1996 jusqu’à la mise en place des
Régions en janvier 2021.
Au regard du processus d’implémentation de toutes ces réformes
institutionnelles, le fédéralisme y figure en bonne place. Cependant, le passage du
fédéralisme à l’État unitaire a connu d’énormes résistances animées par des
mouvements de contestation et de revendications jusqu’à l’émergence du
mouvement sécessionniste. Ces résistances sont encore d’actualité et elles ont
occasionné l’escalade de la violence depuis novembre 2016 (Edou, 2017). En
amont du mouvement sécessionniste, il y a une contestation de l’État unitaire et
une revendication du « retour au fédéralisme » (2017, p. 272 ; Cagiao y Conde,
2010) à deux États fédérés comme par le passé. Au-delà des jeux et enjeux de ces
conflits latents auparavant, et devenus très violents de nos jours, il est important
de faire une petite réunion préparatoire sur le processus historique de constitution
de l’État fédéral au Cameroun et des composantes sociologiques des États fédérés
qui l’avaient constitué.
Avant la Première Guerre mondiale, les groupes sociaux et les territoires de
l’actuel Cameroun, à la fois auteurs et victimes de la crise sécessionniste, ont
fait partie d’un même territoire colonisé par l’Allemagne impérialiste.
Cependant, la capitulation progressive de cette dernière puissance face aux alliés
a donné l’occasion à la France et à la Grande-Bretagne de prendre possession
de ses propriétés coloniales en imposant le condominium franco-britannique au
Cameroun dès les 21 et 24 septembre 1915. Le condominium a pris fin lorsque
les deux puissances alliées ont procédé ainsi au partage du territoire en deux
parties inégales le 6 mars 1916 (Mveng, 1978, p. 167). Ce partage territorial
aura été à l’origine des disparités dans l’acquisition des valeurs culturelles
franco-britanniques, puisque le même découpage a été maintenu lorsque les
deux territoires du Cameroun sont passés respectivement sous mandat de la
Société des Nations (SDN) et sous la tutelle de l’Organisation des Nations Unies

112
(ONU). Les mêmes disparités ont également été observées sur le plan politique,
étant entendu que ces deux territoires ont accédé de différentes manières à leur
indépendance. Si le Cameroun sous domination française a été indépendant le
1er janvier 1960, la partie sud (Southern Cameroon) du Cameroun sous
domination britannique a cependant opté pour le rattachement à la République
du Cameroun, appelé Cameroun oriental français, pour former par agrégation
un État fédéral constitué de deux États fédérés. Le retour à l’État unitaire, tel
que cela a été évoqué ci-dessus, fut le point de départ d’un interminable conflit
dont le point d’achoppement a été le déclenchement de la crise sécessionniste
depuis 2016. À la suite des tentatives jugées infructueuses, par certains acteurs
politiques, pour la résolution de cette crise, les débats ont davantage été orientés
vers la remise en question de la forme de l’État. Parmi les options du
gouvernement pour la résorption de la crise, nous pouvons évoquer, entre autres,
la mise en place effective des Régions, en tant que Collectivités territoriales
décentralisées (CTD), et l’attribution du statut spécial aux Régions du Nord-
Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun. La problématique des réformes
institutionnelles se place donc au centre de la présente analyse.
Pour certains, le maintien de l’État unitaire et la finalisation du processus de
mise en place des institutions de la décentralisation constituent une solution
probante pour la résorption de la crise sécessionniste dans les Régions du Nord-
Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun. Pour d’autres, le retour au fédéralisme
serait un impératif catégorique. Ici encore, la forme du fédéralisme à adopter
fait soulever un autre débat. Il tourne autour du fédéralisme territorial, à deux
États ou à dix États, et du fédéralisme communautaire. Le fédéralisme est un
concept qui ne possède pas de définition unique et peut signifier différentes
choses pour différentes personnes (Babalola, 2020, pp. 483 et 484). Cependant,
une caractéristique constante de ce système politique semble être le principe
intrinsèque qui le distingue des autres systèmes (Babalola, 2020, p. 484). Il
s’agit du principe fédéral que Wheare (1963) définit comme la « méthode de
séparation des pouvoirs faisant en sorte que les gouvernements centraux et
régionaux sont tous, au sein d’une même sphère, à la fois coordonnés et
indépendants » (Babalola, 2020, p. 484).
Dans son essence, le fédéralisme vient du terme latin foedus qui signifie
contrat, convention, pacte ou accord, et qui est issu du monde des relations
internationales (Burgess, 2020, p. 27). De nos jours, le fédéralisme est une
philosophie politique, une idéologie voire un principe politique qui favorise une
distribution institutionnelle des pouvoirs entre un gouvernement central et les
gouvernements fédérés, dans le but d’atteindre l’autonomie, le partage du
pouvoir et des compétences entre ceux-ci (Babalola, 2020, p. 484). Pour
Beaufays et Matagne (2007), le concept de fédéralisme est employé pour faire
allusion à l’ensemble des caractéristiques et des pratiques institutionnelles des
systèmes politiques fédéraux ainsi qu’aux théories politiques qui ont été
construites pour en rendre compte ou pour les promouvoir. Pour une simple
clarification conceptuelle, l’on peut retenir que le fédéralisme est un mode

113
d’organisation de l’État qui consiste à former un État fédéral constitué de deux
ou plusieurs États fédérés, à travers un processus d’agrégation d’États
indépendants ou par désagrégation voire par morcellement d’un État unitaire.
Par ailleurs, il existe une distinction conceptuelle importante entre les termes
« fédéralisme » et « fédération » qu’il ne faut pas négliger.
D’emblée, le fédéralisme est ce qui fait animer ou ce qui met en mouvement
la fédération. C’est le moteur de cette dernière, et son but est de protéger, de
préserver et de promouvoir ce qu’on peut appeler « la politique de la différence »,
c’est-à-dire la reconnaissance formelle, constitutionnelle, légale et politique de la
diversité et de son respect (Burgess, 2020, p. 27). C’est aussi l’idée ou la théorie
politique normative qui sous-tend et justifie pourquoi le modèle fédéral serait
préférable à l’État unitaire par exemple (Gagnon et Mathieu, 2020, p. 42).
Contrairement au fédéralisme, la fédération est un État ou toute entité politique
dont l’objectif est d’implémenter le fédéralisme en tant que système politique
adopté pour l’organisation et le fonctionnement des institutions politiques
instituées. Sur la base du fonctionnement de l’État fédéral et de son rapport avec
les États fédérés, Nenad Stojanović (2010) distingue deux types de fédéralisme :
le fédéralisme centripète, c’est-à-dire un type de fédéralisme où il règne de la
stabilité, et le fédéralisme centrifuge, caractérisé par une demande croissante de
sécession ou de dissolution de l’État fédéral au profit des entités indépendantes
(p. 10). Du point de vue de la nature du fédéralisme, on peut distinguer plusieurs
déclinaisons. Gagnon et Mathieu (2020, pp. 35-48) ont dégagé une classification
trilogique des déclinaisons de ce système politique : le fédéralisme universaliste,
le fédéralisme communautarien et le fédéralisme multinational ou pluraliste
(2020, pp. 43-45). D’abord, le modèle universaliste, qui correspond de façon
relative au fédéralisme territorial, accorde une certaine supériorité institutionnelle
au pouvoir central. Il ne se préoccupe pas des considérations ethnoculturelles ou
particularistes. Ensuite, le modèle communautarien tend à conférer de pouvoirs
colossaux aux États fédérés, ceci au détriment des institutions de l’État central. Il
vise la protection des intérêts fondamentaux d’une ou des communauté(s)
constitutive(s) d’un ou de certain(s) État(s) fédéré(s) contre la domination
politique et institutionnelle d’une ou des communauté(s) majoritaire(s). Enfin,
Gagnon (2006, p. 290) appréhende le fédéralisme multinational comme étant une
conception pluraliste dont

[…] le partage des pouvoirs se justifie à partir des droits [des communautés
nationales] en vue d’une reconnaissance institutionnelle formelle. Le fédéralisme
multinational [ou pluraliste] exige l’implantation d’un modèle asymétrique de
gouvernance afin de permettre aux diverses communautés [nationales] de donner
à leurs citoyens la possibilité de se réaliser pleinement en misant sur les moyens
adaptés pour enrichir les contextes de choix pour chacune des grandes
communautés à l’origine du contrat de fondation (Mathieu et Gagnon, 2020, p. 45).

À la lecture de l’article de Tulkens (2003), Pourquoi le fédéralisme ?, il est


pertinent de constater que l’auteur fait une analyse critique des avantages

114
économiques du fédéralisme par rapport aux structures centralisées (p. 470).
Dans son analyse du fédéralisme, Rodrigues (2010) estime quant à lui que ce
modèle d’organisation politique « est généralement compris comme étant un
mécanisme de gestion et/ou de prévention des conflits dans des contextes
multiethniques. Toutefois, l’Histoire nous montre, à travers certains cas où il a
été voué à l’échec, que celui-ci n’est pas une panacée. Le rapport entre
fédéralisme et sécession est aujourd’hui perçu par certains auteurs et praticiens
d’une façon plutôt négative. Le premier est largement conçu comme la cause du
second. » (p. 01). Il est bien vrai que le Cameroun a connu à un certain moment
de son histoire ce mode d’organisation politique, et il devrait revivre cette
expérience, selon une certaine opinion nationale évoquée ci-dessus, pour
garantir la paix civile nationale.
Cependant, en marge de ce désir de retour au fédéralisme, il se trouve que la
forme à adopter constitue toujours un objet à débat. C’est dans ce même sillage que
la proposition du modèle du fédéralisme communautaire, comme solution miracle
à la crise sécessionniste et à toute autre forme de revendication identitaire, a
occasionné un autre débat face à la surenchère de ce modèle. Cette fois-ci, il porte
sur la pertinence de cette forme de fédéralisme. Le débat y relatif a fait surface à la
suite de cette proposition politique dont les tenants sont des acteurs politiques
camerounais1. Ce débat, qui implique à la fois les acteurs politiques, les acteurs de
la société civile et les universitaires, a suscité une réflexion autour d’une thématique
qui a fait l’objet d’un ouvrage collectif : Le fédéralisme communautaire est-il
soluble dans la République du Cameroun ? Représentations, Enonciations,
Mobilisations et Projections. C’est dans le cadre de ce travail que s’insère la
présente analyse qui constitue d’ailleurs l’un des chapitres de cet ouvrage. Il se
focalise donc sur une appréciation critique du modèle de fédéralisme
communautaire proposé par Cabral Libii.
Par définition, le « fédéralisme communautaire libiien »2 est « le
régionalisme identitaire qui s’apparente plutôt dans sa structure au modèle
espagnol. C’est la révision des contours de nos régions afin qu’elles épousent
nos réalités anthropologiques, culturelles et historiques » (Libii, 2021, p. 57).
Pour y arriver, l’auteur pense qu’il va falloir « supprimer les dix régions figurant
dans la constitution et le Décret n° 2008/376 du 12 novembre 2008 portant
organisation administrative de la République du Cameroun, pour ne conserver
que les départements. Ceux-ci sont renommés régions et reconfigurés afin d’être

1 Cabral Libii et Serges Espoir Matomba qui sont respectivement député et président national du
Parti Camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN) ; et secrétaire exécutif du Parti uni
pour la rénovation sociale (PURS). Cette proposition a été faite par Cabral Libii lors du Grand
Dialogue national, et donc la finalité est de résorber la crise sécessionniste au Cameroun.
2 Ces expressions sont utilisées pour faire allusion au fédéralisme communautaire que Cabral Libii a

proposé pour la réorganisation institutionnelle de l’État du Cameroun. La substance de ce modèle de


substitution politique de Cabral Libiie se trouve résumer dans son ouvrage Le fédéralisme
communautaire. Compromis pour la paix durable, la croissance collective, l’inclusion et le respect des
entités, publié aux éditions Dinimber & Larimber à Yaoundé (Cameroun) en octobre 2021.

115
regroupés par affinité sociologique ou anthropologique » (ibid.). Toutefois,
Cabral Libii précise que

Le fédéralisme communautaire n’est donc ni le retour au fédéralisme linguistique


et politique de 1961, ni le fédéralisme ethnolinguistique éthiopien, ni le pacte
religieux libanais, ni le fédéralisme institutionnellement encombré du Nigéria.
[Ce] n’est pas un repli identitaire, plutôt un « dépli », une rationalisation efficace
de l’existant, une mise en lumière d’une richesse enfouie, une libéralisation de
nos énergies culturelles « envoutées » (ibid., pp. 56-57).

Au-delà de cette précision sur ce que n’est pas le fédéralisme


communautaire, l’auteur complète la définition de « son » modèle politique en
ces termes :

C’est aussi le réaménagement structurel qui permet d’affecter une autonomie


réelle aux Régions sans superposition institutionnelle. C’est le découpage de
l’État en plusieurs régions réellement autonomes, non pas en plusieurs petits
États avec (Gouvernements, Parlements, Cours suprême, etc.), mais avec des
organes exécutifs élus, dotés de pouvoirs délibérants et exerçant des compétences
réelles aménagées constitutionnellement et institutionnellement afin d’asseoir
une gouvernance de proximité inspirée des réalités commandées par la diversité
qui est notre identité, par des acteurs légitimes. La région cessera d’être une aire
géographique saisie par le droit, mais deviendra une circonscription de notre
identité (ibid., p. 57).

La vision communautaire de Cabral Libii semble promouvoir le


multiculturalisme comme d’autres qui l’ont d’ailleurs fait tant au niveau
international (Taylor, 1994 ; Le Coadic, 2005 ; Doytcheva, 2005 ; Kymlicka,
2007) que national (Abe, 2004 ; Abouna, 2011). Dans ses vertus et ses limites,
le multiculturalisme s’appréhende comme une réalité, une conception
philosophique voire un ensemble de politiques publiques mises en œuvre dans
le but de gérer la diversité culturelle (Le Coadic, 2004, p. 01). Au Cameroun, la
diversité culturelle s’apparente aux groupes ethniques. Les axes de réflexion
relatifs au modèle d’organisation politique proposé par Cabral Libii sont ainsi
articulés autour de la question suivante : le fédéralisme communautaire de
Cabral Libii peut-il constituer une panacée pour les réformes institutionnelles
au Cameroun ? À travers une réponse anticipée à cette question, nous pouvons
retenir que le fédéralisme communautaire libiien peut constituer une proposition
politique pertinente, mais elle ne saurait être une panacée pour des réformes
institutionnelles au Cameroun. En analysant les propos de Rodrigues (2010),
cités ci-dessus, sur l’implémentation du modèle de fédéralisme en général, cela
donne à s’interroger particulièrement sur l’expérimentation de sa forme
« communautaire » au Cameroun, lorsqu’on s’en tient à l’extrême diversité
ethnique de ce pays d’Afrique centrale. Ainsi, la pertinence politique de cette
forme de fédéralisme dit communautaire demeure très relative (I) et contestable

116
à cet effet. La remise en cause de ce modèle d’organisation politique est fonction
des risques (II) que cela peut occasionner dans le devenir de la société politique
camerounaise.

1. La relative pertinence politique du fédéralisme


communautaire de Cabral Libii au Cameroun

Le modèle du fédéralisme communautaire apparait pertinent, voire captivant,


du point de vue théorique et politique (1), cependant sa pertinence politique
demeure relative lorsqu’il faut penser à son implémentation sur le plan pratique
au Cameroun. Ceci est inhérent en partie aux obstacles de délimitation de ses
contours (2), c’est-à-dire aux incongruités de ce modèle d’organisation politique
dans le contexte camerounais.

1.1. La pertinence théorique et politique du fédéralisme


communautaire libiien

La pertinence théorique et politique du fédéralisme communautaire de


Cabral Libii est soutenable sur la base de trois argumentaires : la viabilité de son
essence en tant que théorie politique, la clarté de son organisation
institutionnelle et la tentative de son implémentation étiologique à la crise
sécessionniste. D’abord, la pertinence de cette théorie et philosophie politique
tient au fait que c’est un modèle d’organisation politique qui a bel et bien existé
à travers le monde. D’ailleurs, il continue toujours à déterminer le mode
d’organisation et de fonctionnement de certaines sociétés politiques. Ensuite, le
fédéralisme communautaire libiien est pertinent au regard de la clarté de
l’organisation institutionnelle de l’État et des collectivités locales. Enfin et
surtout, sa proposition et le désir de son expérimentation ne relèvent donc pas
d’une imagination ex nihilo. Elle se fonde à la fois sur l’existence réelle de ce
modèle d’organisation politique et sur la dégénérescence d’un problème
politique spécifique au Cameroun : la crise sécessionniste, sous-tendue aussi
bien par une cause identitaire que socioéconomique.
En ce qui concerne l’essence et la viabilité de ce modèle, il est à retenir que
par le passé, c’est une forme de fédéralisme qui a existé dans d’anciennes
sociétés politiques telles que les empires aztèque, mongol de l’Inde, chinois ou
turc. Le mode d’organisation de ces empires était fondé sur une fédération des
communautés ethniques ou religieuses. À l’époque contemporaine, le
fédéralisme communautaire de type multiconfessionnel est implémenté dans
certains États d’Europe de l’Est (le Chypre), du Proche et du Moyen-Orient tels
que l’Iran, le Liban, la Syrie, la Jordanie, l’Israël ou le Pakistan. En Afrique du
Nord, cette expérience du modèle d’organisation politique communautaire est
vécue en Égypte et au Maroc.

117
Il est objectif de déduire dans la conception d’Alain Gagnon (2006), le fond
commun « des fédéralismes communautaires »3, car « [le] fédéralisme
communautaire ou […] fédéralisme multinational reconn[ait] aux communautés
nationales un rôle clé, d’une part, en tant que pôle d’identification et, d’autre
part, en tant que pilier de l’État fédéral » (Laplante-Lévesque, 2010, p. 20). Ce
modèle revendique une sorte de fédéralisme multinational de jure au détriment
du fédéralisme multinational de facto. En effet, on peut constater que
« [certaines] fédérations sont composées de plusieurs peuples différents, sans
que cela ne soit reflété dans les institutions, les mentalités et la constitution du
pays, alors que dans le fédéralisme [multinational] de jure, il faut traduire en
politiques spécifiques et en règles de fonctionnement le pluralisme national de
la société. » (Seymour et Laforest, 2011, p. 10). Cette même revendication,
c’est-à-dire le fédéralisme communautaire de juré, est celle du modèle libiien
pour une implémentation au Cameroun. L’auteur assimile sa proposition au
modèle espagnol de régionalisme politique. Cependant, même si Cabral Libii
clame le caractère non ethnique de son modèle, sa proposition tend davantage
vers le modèle de fédéralisme communautaire à base ethnique. Le prototype de
ce dernier modèle en Afrique subsaharienne est celui de la République fédérale
d’Éthiopie. Elle dispose d’un système de gouvernement fédéral comprenant
neuf États régionaux à base ethnique appelés Killil. Ces neuf États régionaux à
base ethnique sont entre autres l’Afar, l’Amhara, le Benishangul-Gumuz, le
Gambela, l’Harar, l’Oromia, le Somali, les Nations, nationalités et peuples du
Sud [NNPS] et le Tigré (Mesfin Gebremichael, 2011, pp. 79-80). À cela on y
ajoute deux administrations urbaines, les Conseils administratifs d’Addis-
Abeba et de Dire Daoua (ibid., p. 80). Les exemples sont loin d’être exhaustifs.
Tout ceci justifie fort bien la pertinence théorique et politique du fédéralisme
communautaire du point de vue de son essence et de sa viabilité.
Inspiré des modèles français et espagnol (Libii, 2021, pp. 47 et 57), le
fédéralisme communautaire libiien ou mieux le régionalisme identitaire est un
modèle d’organisation politique qui apparait clair, sur le plan de l’agencement
institutionnel : les Communes comme Collectivités territoriales de base (CTB)
(ibid., p. 67) ; les Collectivités communautaires territoriales décentralisées
(CCTD) (ibid., p. 64), issues des régions communautaires ou communautés
fédérées (ibid., p. 43) au niveau intermédiaire ; et l’État au sommet, façonné par
de nouvelles réformes et par la bonne gouvernance (ibid., pp. 75-186). Or, cette
structuration des entités politiques locales, en rapport avec l’État central, n’est
pas une nouveauté à comparer aux CTD actuelles, implémentées dans le cadre
de l’État unitaire décentralisé. L’originalité du modèle de Cabral Libii se situe
au niveau de son ancrage hautement identitaire ou ethnico-régional des CCTD,
tandis que l’identité est relativement prise en compte dans le découpage des

3 L’emploi des expressions « fédéralismes communautaires » au pluriel tient au souci


d’objectivation de la diversité des formes de fédéralisme communautaire qui peuvent être, soit
confessionnelle, soit ethnique, soit culturelle ou linguistique.

118
circonscriptions et des CTD actuelles (ibid., p. 44). Ceci, pour favoriser une
parfaite intégration nationale.
Pour ce qui est de la proposition du fédéralisme communautaire au
Cameroun, en tant que modèle d’organisation politique, il est objectif de
constater que cette initiative politique est pertinente du fait de son intervention
comme un modèle criso-thérapeutique pour la crise sécessionniste et pour toutes
les autres formes de revendications identitaires. À vrai dire, l’escalade de la
violence inhérente à la « guerre de sécession au Cameroun » pousse à penser
urgemment à une solution miracle. C’est face à un tel état de choses que la
proposition du fédéralisme communautaire intervient avec acuité, et cette
proposition semble se fonder sur l’aspect identitaire de la crise. D’où sa logique
politique et sa pertinence théorique. Mais, l’on se demande si ce modèle est
vraiment le bon pour juguler les crises identitaires au Cameroun. La réponse à
cette question se trouve dans la partie consacrée ci-dessous aux risques du
modèle de fédéralisme communautaire. Allant dans le sillage de justification de
la pertinence de ce système politique, il est important de relever que sa
proposition est intervenue dans le cadre des commissions du Grand Dialogue
national, consacré aux travaux de réflexion sur les solutions idoines pour la
résolution de la crise sécessionniste dans les Régions du Nord-Ouest et du Sud-
Ouest du Cameroun. En faisant cette proposition, Cabral Libii, en tant que
défenseur principal de ce modèle, a relevé qu’il faut « tenir compte de la
spécificité linguistique et culturelle que nous impose l’histoire depuis le
4 mars 1916. Donc, il y a un chantier d’intégration national ; […] » (Libii, 2020,
n° 511). C’est dans ce contexte que « la crise anglophone offre une opportunité.
Saisissons-là. Un saupoudrage de plus nous conduira à d’autres crises plus
aiguës et plus tôt que tard » (2020). Pour une résolution de cette crise, il propose
le régionalisme identitaire comme une panacée qui « présente le principal
avantage de gommer progressivement le clivage “francophone-anglophone”
dans le découpage, en faveur de la communauté qui est l’essence ineffaçable de
la société camerounaise. […], ces deux vocables [francophone et anglophone]
disparaitront définitivement du langage quotidien » (Libii, 2021, p. 47).
L’auteur précise qu’il propose le « fédéralisme communautaire comme
philosophie-socle de formation de l’État » (2020), et il le définit comme « un
regroupement des communautés et de leurs identités » (2020). Ainsi, « se
fédérer c’est se regrouper, se rassembler. En revanche, se replier, c’est se
couper. Ce sont donc des contraires. » (2020). Selon lui, étant donné que le
fédéralisme communautaire veut fédérer les communautés et leurs identités, il
est inconcevable de le confondre avec le repli identitaire. Fort de cette précision,
la pertinence théorique de ce modèle demeure relative lorsqu’il faut penser à son
implémentation au Cameroun. Au-delà des risques qu’entraine la mise en œuvre
du fédéralisme communautaire à identité fortement ethnique, on s’aperçoit que
les griefs et les obstacles inhérents à son implémentation sont aussi énormes.

119
1.2. La relative pertinence du fédéralisme communautaire inhérente
aux critiques et obstacles de son opérationnalisation au
Cameroun

Le principal défenseur du fédéralisme communautaire au Cameroun, Cabral


Libii en l’occurrence, a bien osé en tant qu’intellectuel et de surcroit un
politicien bien connu de la scène politique camerounaise, mais son modèle
politique demeure critiquable à plus d’un titre. Les éléments de cette relativité
se situent à trois niveaux.
Primo, ce modèle demeure incongru sur le plan théorique et conceptuel. Vu
sous cet angle, le fédéralisme communautaire est une proposition théorique et
politique dont les concepts de fédéralisme et de communauté prêtent à confusion.
L’idée de fédéralisme fait directement penser à une fédération d’États (un État
fédéral avec des États fédérés), tandis que celle de communauté tend facilement
vers la communauté ethnique dans le contexte africain, et camerounais
particulièrement. Pour ce qui est du concept de fédéralisme, l’auteur précise que
« [sa] forme d’État [est] d’inspiration fédérale » (Libii, 2021, p. 43), c’est-à-dire
« [une] organisation de l’État qui fédère les peuplements divers, unis par la souche
malgré les croisements et les migrations, unis par le destin » (ibid.). Fort de cette
précision, il est à retenir que le modèle d’État issu du fédéralisme communautaire
est « d’inspiration fédéraliste, à distinguer de l’État dit fédéral » (ibid., p. 38).
Cependant, l’appréhension de l’adjectif « communautaire » pose un sérieux
problème de précision et de compréhension. À la lumière de cette confuse
imprécision, une question s’impose, celle de savoir de quelle identité il s’agit.
L’ambigüité vient donc de ce que l’auteur pense que la communauté n’est pas une
ethnie. Elle peut contenir plusieurs ethnies. C’est un groupe social, une collectivité
ayant entre autres et alternativement (non cumulativement) en commun, un lieu,
une culture, des intérêts, des caractères, etc. Beaucoup d’acquis sont à préserver.
C’est juste des correctifs qu’il faut faire sur certains tracés de nos circonscriptions
afin d’épouser réellement nos réalités historiques et anthropologiques et appliquer
désormais une franche autonomie (Le Bled Parle, 2019).
En dépit des diverses explications et précisions, le fédéralisme communautaire
proposé par Cabral Libii suscite une série d’interrogations sur la praticité de ce
modèle d’organisation politique. Ces questions demeurent sans réponses
immédiates. Si la communauté n’est pas ethnique, et qu’il s’agit plutôt
d’une « identité régionale » telle que l’auteur le revendique, quelle identité précise
va-t-on attribuer à ces futures « communautés régionales multiethniques » ? Une
identité ethnique, linguistique, culturelle ou autre ? Rien de tout cela, mais tout
simplement une « affinité sociologique et anthropologique » (Libii, 2021, p. 57)
qui en réalité ne souffre pas de véritable problème de cohabitation. Par ailleurs,
d’autres interrogations demeurent toujours aussi d’actualité : « Qui aura la charge
de définir les ethnies qui peuvent être agrégées et celles qui ne le peuvent pas ?
Que faire si cette agrégation d’ethnies n’est pas voulue par les représentants des
ethnies en question ou les peuples concernés ? » (DaVinci, 2020). Pourtant, dans

120
le fédéralisme communautaire, les composantes sociologiques, essentiellement
ethniques, culturelles et/ou religieuses sont en position d’homogénéité
organisationnelle, prises isolément. Par exemple, l’État fédéral multinational
canadien est constitué de deux États fédérés dont l’un est composé de la
communauté canadienne francophone, et l’autre, de la communauté québécoise
anglophone. L’idée de fédéralisme communautaire fait directement penser à cela.
Serait-il préférable de revenir à l’État fédéral du 1er octobre 1961 ? Quant à moi,
je tiens personnellement à rappeler à l’auteur de ce modèle que l’adjectif
« communautaire » renvoie immédiatement, dans l’imaginaire populaire national,
aux communautés ethniques prises isolément.
En s’inspirant des réalités socioanthropologiques africaines, la première idée
de communauté renvoie directement à l’ethnie. Prenant l’exemple de l’Éthiopie,
Éloi Ficquet (2009) précise bien que « [l]a nouvelle constitution organisa
l’Éthiopie en fédération selon un principe d’homogénéité ethnique des régions
autonomes (kellel) » (p. 47). Alors, si la région communautaire ou communauté
fédérée est constituée des « communautés ethniques fédérées » par
désagrégation de l’État unitaire décentralisé, il sera difficile d’établir une
différence entre ces « entités ethniques fédérées » et les Régions actuelles, en
tant que CTD. Ces Régions sont essentiellement constituées des communautés
ethniques qui ne se plaignent pas en majorité, si ce n’est des problèmes d’ordre
socioéconomique. Si fédérer les communautés ethniques revient juste à revoir
le tracé des Régions en tant que CTD et de revoir les limites territoriales des
circonscriptions administratives, cette proposition est superficielle et ne mérite
pas d’être qualifiée de « fédéralisme communautaire ». À cet effet, le
fédéralisme communautaire de Cabral Libii ne tient qu’à un seul argumentaire :
la réforme administrative sur la base des « proximités sociologiques » et
socioanthropologiques. Il le précise bien en ces termes : « La réforme consiste
donc à transformer tous les Départements en régions. Puis à procéder à un
redécoupage des Régions qui va fondre plusieurs départements historiquement,
sociologiquement et anthropologiquement affinitaires, en une seule » (N.R.M.,
2020). En réalité, l’étude du modèle éthiopien de fédéralisme communautaire à
base ethnique nous permet de comprendre aisément que le modèle de
fédéralisme communautaire de Cabral Libii n’est rien d’autre que le fédéralisme
ethnique qu’il veut couvrir avec le terme communautaire. Ce genre de
regroupements constitue le fondement de certains États régionaux en Éthiopie.
Ceux-ci sont relativement constitués de plusieurs ethnies. Les Nations,
nationalités et peuples du Sud [NNPS] constituent une parfaite illustration.
En ce qui est de la fonction criso-thérapeutique de ce modèle, il est essentiel
de retenir qu’au-delà de ses ramifications socioéconomique et politique, la crise
politique dite « anglophone » est fondée sur une « identité artificielle » ou
allogène, issue de l’héritage colonial. Cette crise n’a aucun fondement lié aux
identités culturelles locales. Donc, le fédéralisme communautaire est non
conforme, voire inopérant, dans le cadre de la crise anglophone. C’est une
proposition politique qui parait pertinente, mais le caractère inopérant surgit du

121
moment où la grande majorité des populations camerounaises ne s’y reconnait
pas, d’autant plus qu’il n’y a pas de revendications de grande envergure dans ce
sens, c’est-à-dire de véritables revendications d’une autonomie ethnico-
régionale. En tout état de cause, les tensions intercommunautaires opposant des
ethnies, dites autochtones et allogènes, dans certaines grandes agglomérations
sont une donnée réelle, mais leur gestion nécessite une implémentation des
politiques multiculturelles rationnelles. Cependant, les quelques mouvements
ethnico-régionaux demeurent impopulaires, et leurs revendications sont
relativement relayées dans les médias classiques et les réseaux sociaux. En plus
de cela, certaines revendications ont un fondement administratif dans la mesure
où certaines communautés ethniques se disent être départagées entre deux ou
plusieurs départements. D’où la pertinence d’une simple réforme
administrative. Dans la vie sociopolitique locale, même si certaines Communes
sont caractérisées par la prédominance de certains groupes ethniques, cela ne
pose en aucun cas un problème d’inclusion sociale, car les composantes
sociologiques sont bien prises en compte dans la composition des conseils
municipaux et régionaux. La rationalisation perpétuelle d’une sorte de
multiculturalisme au niveau local serait salutaire. Cependant, la régionalisation
de l’identité risque d’être la source d’exclusion des minorités ethniques.
Par ailleurs, une autre incongruité théorique nait de ce que l’auteur pense que
ce modèle est une sorte de « […] régionalisme identitaire. On ne peut pas
construire l’intégration nationale dans l’exclusion ou le déni des différences. Le
mariage est acceptation de la différence et communion avec elle. Sortons les
“njounjou” des cages. Arrêtons l’hypocrisie. Écrivons enfin, le contrat social »
(Le Bled Parle, 2019). Il est bien vrai que le découpage administratif actuel
présente un certain nombre d’imperfections au point où il est nécessaire d’initier
de nouvelles réformes administrative et institutionnelle qui pourraient résoudre
ces manquements de l’État unitaire décentralisé. Toutefois, il est excessif de
parler de la négation des identités des communautés ethniques voire de
« l’exclusion ou [du] déni des différences ». La mise en œuvre du régionalisme
identitaire ou du fédéralisme communautaire constitue à coup sûr une
institutionnalisation de l’exclusion sociale, puisque le processus de
décloisonnement des groupes ethniques en cours pour la construction d’une
nation camerounaise va encaisser de sacrés coups. Ce modèle favoriserait un
retour au cloisonnement des communautés ethniques décloisonnées. De juré, la
constitution camerounaise du 18 janvier 1996 est claire à ce sujet : « L’État
assure la protection des minorités et préserve les droits des populations
autochtones conformément à la loi ». Les textes de loi sont également clairs en
ce qui concerne le respect de la diversité ethnique, linguistique et culturelle. De
facto, il y a toute une floraison de politiques et de structures sociales et
gouvernementales de promotion du multiculturalisme et des identités ethniques
dans un élan de vivre ensemble. Dans ce sens, les nouveaux constituants auront
vraiment besoin de la matière et des matériaux pour refaire le Cameroun.
Contrairement à ce que pensent Cabral Libii et ses suiveurs, on peut dire à la

122
suite de Michel Seymour et Guy Laforest (2011) que le fait pour les populations
nationales distinctes d’avoir pu vivre côte à côte et se tolérer les unes les autres
au sein d’un même État est déjà en soi un résultat remarquable (p. 10) et
appréciable. En plus des principes constitutionnels reflétant la diversité
nationale, des lois anti-tribalistes et des politiques de reconnaissances des
minorités ethniques, que les défenseurs du fédéralisme qualifient de
saupoudrages, ce n’est peut-être pas une bonne idée d’ouvrir un débat portant
sur une réforme constitutionnelle promouvant les replis identitaires à grande
échelle, car ce serait une occasion d’ouverture d’une boîte de Pandore qu’on ne
pourrait plus fermer comme ailleurs.
Secundo, le modèle de fédéralisme communautaire à implémenter au Cameroun
demeure inopérant lorsqu’il semble ne pas prendre en compte toutes les réalités
sociohistoriques approfondies de ce pays d’Afrique centrale. L’histoire du
Cameroun n’a pas été l’histoire des communautés ethniques sur « leurs territoires »,
mais l’histoire de ces communautés sur « un territoire » pour des enjeux
géopolitiques et géoéconomiques. Il serait donc difficile de délimiter les frontières
territoriales de ces communautés. Les frontières en Afrique sont une donnée très
relative. C’est plutôt le fait de la colonisation occidentale. Entamée depuis le
12 juillet 1884, avec le traité germano-douala, la construction de l’État du
Cameroun s’est faite peu à peu avec la colonisation allemande et franco-britannique.
Le Cameroun actuel est donc le résultat d’un découpage effectué par le « crayon du
colonisateur » (Fogui, 1990, p. 101). L’échec ou le mauvais découpage
administratif du territoire national ne saurait se limiter au statu quo et ne saurait se
réduire uniquement à l’État du Cameroun. C’est un phénomène historiquement
colonial et continental. Il remonte depuis le Congrès de Berlin de novembre 1884 à
février 1885. L’expérience coloniale a largement influencé l’histoire politique de ce
pays particulièrement, et du continent africain de façon générale, excepté les cas
éthiopien et libérien. Malgré les séquelles de cette dynamique coloniale occidentale,
cette dernière est aussi venue mettre un terme à des conflits intercommunautaires
sur fond de colonisation africaine ou d’hégémonisme de certaines sociétés
politiques sur d’autres. Cela dit, la colonisation occidentale est venue stopper et
supplanter la colonisation africaine orchestrée par les grands royaumes et empires
sur les communautés les moins organisées politiquement. Cette réalité historique
n’est pas à ignorer. Ce phénomène pourrait encore resurgir et faire l’objet de
nouvelles revendications intracommunautaire lorsque des ethnies seront confinées
ensemble pour former une entité politique régionale. L’hégémonisme
intercommunautaire, au sens ethnique, pourra donc renaitre.
Dans la partie septentrionale, le djihad d’Ousman Dan Fodio depuis le
royaume de Sokoto (Mveng, 1978, pp. 95-100), les razzias de l’empire du Kanem-
Bornou de Rabat, et les guerres fratricides entre les royaumes duala (Ngongo,
1987, pp. 23-24) dans la partie australe du pays en disent beaucoup lorsque l’on
fait un rétrospectif historique. Tributaire à une telle situation, les tendances
d’établissement d’un État unitaire centralisateur ne pouvaient que s’imposer avec
acuité. C’est pour cela que le passage à l’État fédéral a été furtif pour un retour à

123
l’État unitaire, cette fois-ci décentralisé. Tout ceci est la manifestation et le souci
d’anticipation sur les dangers de l’extrême diversité culturelle, ethnique et
linguistique. Même si le désir d’un retour au fédéralisme du passé à deux États
demeure toujours présent à la table des débats sur la forme de l’État, l’option d’un
fédéralisme communautaire est moins envisageable au regard de l’histoire du
Cameroun. Comparé à l’Éthiopie, pays africain ayant relativement réussi à
implémenter le modèle de fédéralisme ethnique, le Cameroun a connu une histoire
aussi singulière. Ce dernier n’a pas été préparé à l’implémentation du modèle de
fédéralisme communautaire à base ethnique. C’est pour cela que Bach (2011)
nous rappelle que « [i]l est donc nécessaire de comprendre les ethnies dans leur
contexte particulier. Celles-ci “ont une histoire” (Chrétien & Prunier 1989) et
doivent être appréhendées dans leur contexte socioéconomique et politique, et
plus spécifiquement ici dans leur relation à la formation de l’État au sein duquel
elles évoluent, participent ou résistent. » (p. 131).
Depuis l’indépendance du Cameroun, il n’y a eu aucune revendication
sécessionniste sur fond de nationalisme ethnique, comme au Nigéria de
mai 1967 à janvier 1970 (Babalola, 2020), avec la guerre du Biafra, pour
évoquer l’argument du fédéralisme communautaire comme réponse aux
velléités sécessionnistes. D’ailleurs, en dépit de ce que le fédéralisme soit
« considéré comme le mécanisme privilégié d’accommodement de nations
multiples dans un seul État et de gestion de la diversité » (Nootens, 2011, p. 21 ;
Rodrigues, 2010), on peut relativement retenir que ce sont les failles du mode
de fonctionnement de l’État fédéral nigérian qui a pourtant été à l’origine de
cette tentation sécessionniste des peuples Igbos du Biafra. Même si l’argument
d’une bonne redistribution des ressources est mis en avant, il y avait aussi le
sentiment de revendication d’un fédéralisme communautaire à États fédérés sur
la base d’une appartenance essentiellement ethnique. Dele Babalola explique ce
phénomène en ces termes :

Dans le sud-est du pays, territoire des Igbos, on critiqua surtout le fait que le
système fédéral du Nigéria soit caractérisé par un profond déséquilibre, notamment
dans l’allocation des ressources. Une autre raison qui explique l’agitation igbo en
faveur d’un véritable fédéralisme est la perception, par les membres de cette ethnie,
de leur exclusion de la vie politique du pays depuis la fin de la guerre civile, en
1970. On pourrait voir cette non-intégration à l’œuvre notamment par la faible
présence du gouvernement central dans leur région. Le sentiment de non-
appartenance est perceptible aussi dans les déclarations de certains groupes
souverainistes, tels que le Mouvement pour l’Actualisation de l’État Souverain du
Biafra (MASSOB), ou encore le regroupement des Peuples Autochtones du Biafra
(IPOB). Ces groupes jugent que le peuple igbo n’est plus intéressé à faire partie du
Nigéria, et qu’il devrait se voir accorder un droit de faire sécession pour fonder un
État indépendant. Il est néanmoins peu probable que la campagne en faveur d’une
résurgence du Biafra bénéficie d’un vaste soutien auprès des élites du sud-est, ces
dernières ayant des intérêts politiques et financiers un peu partout dans le pays.
Néanmoins, pour les Igbos du sud-est, le véritable fédéralisme est donc synonyme

124
d’une pratique fédérale qui accommoderait équitablement tous les groupes
ethniques au sein d’une fédération résolument multinationale (Babalola, 2020,
pp. 487-488).

À part l’exemple de la crise du fédéralisme nigérian, il est remarquable de


constater que l’Éthiopie constitue, malgré les conflits ethniques et la crise qui la
secoue dans le Tigré, un idéal type de fédéralisme communautaire en Afrique
subsaharienne. L’existence de ce modèle est tributaire à son histoire en tant que
pays africain n’ayant pas connu la colonisation occidentale : « L’État éthiopien
est puissant car il est “millénaire” » (Bach, 2011, p. 16 ; Gascon, 2009). Fort de
cette souveraineté naturelle et absolue, les communautés ethniques ont pu à un
certain moment décider de former des États régionaux à base communautaire, et
précisément ethnique. Les communautés ethniques ont pu construire leurs
affinités et leur différence dans une longue durée. Ce qui n’est donc pas le cas du
Cameroun. La probabilité de voir prospérer ce modèle au Cameroun, sur une base
ethnico-régionale, est quasiment inopérante.
Au regard de cette analyse, fondée sur les problèmes du fédéralisme nigérian
et l’exemple du fédéralisme communautaire éthiopien, l’on peut simplement
déduire que l’argument de micronationalisme ethnique n’a jamais été le cas au
Cameroun, pour justifier un acte de sécession ou pour former une fédération à
base ethnique. Donc, l’argument de fédéralisme communautaire ne saurait faire
l’objet d’une revendication politique. L’opinion publique pourrait admettre
l’idée d’un fédéralisme, mais non communautaire. Le véritable problème de
l’État unitaire décentralisé est aussi bien une affaire de gouvernance
économique, c’est-à-dire une bonne répartition des ressources économiques et
des compétences politico-administratives entre l’État central et les CTD.
Tercio et in fine, le « fédéralisme communautaire libiien » proposé pour le
Cameroun comme nouvelle forme d’organisation politique demeure tout de
même imprécis sur le plan sociogéographique. Dans cette optique, il est
concevable de s’interroger sur les limites géographiques des différentes
communautés à fédérer pour former la fédération communautaire. Étant donné
que le « crayon du colonisateur » a saucissonné les différents groupes ethniques
de part et d’autre des frontières des États africains, le Cameroun n’a pas été à
l’abri d’une telle dynamique. Fondamentalement, l’État du Cameroun constitue
déjà une fédération de groupes ethniques collectionnés çà et là pour former le
triangle national. Alors, ce serait une tautologie, voire un pléonasme de parler
d’un fédéralisme communautaire. Une simple réforme administrative serait
suffisante pour servir d’ersatz à la proposition politique de Cabral Libii. Dans
ce sillage, la Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 répond fort bien à
cette nécessité de réformes futures : « Les collectivités territoriales
décentralisées de la République sont les régions et les communes. Tout autre
type de collectivité territoriale décentralisée est créé par la loi » (Art. 55). La
substance de l’article 61, de la même Constitution à l’alinéa 2, donne une idée
claire sur ces réformes conjoncturelles :

125
Le président de la République peut, en tant que de besoin :
a- modifier les dénominations et les délimitations géographiques des Régions
énumérées à l’alinéa (1) ci-dessus ;
b- créer d’autres Régions. Dans ce cas, il leur attribue une dénomination et fixe
leurs délimitations géographiques.

Même si l’option de Cabral Libii peut être envisageable, elle n’a pas encore un
fondement sociogéographique au vu des migrations constantes sur le territoire
national. D’ailleurs, l’auteur reconnait que les peuplements divers sont unis par la
souche ethnique, mais qu’il y a aussi une forte influence des croisements
interethniques et les mouvements migratoires divers (2021, p. 43). L’auteur parle
de « l’hypothèse des mixités et des migrations » (ibid., p. 49). Le décloisonnement
des espaces culturels est un atout pour l’intégration nationale, tandis que la
« clôture politique » de ces aires constitue un nœud gordien pour les communautés
nationales. À en croire Jean-Pierre Fogui, l’on peut comprendre aisément que
l’ancrage territorial de ces communautés ethniques est très relatif :

Lorsqu’on étudie l’histoire plus ou moins récente du Cameroun, on est frappé par
l’opposition quasi permanente entre ces diverses populations que rien ne
prédestinait à vivre ensemble (1990, p. 44). […] À vrai dire, il n’y avait rien de
commun entre tous ces peuples ; sauf qu’un jour, le coup de crayon du
colonisateur a dessiné sur une carte d’Afrique encore vierge les contours
incertains d’un territoire qu’il a baptisé Kamerun (p. 101).

De nos jours, la relativité de cet ancrage territorial peut tenir sur trois
argumentaires : l’extrême diversité de la société politique camerounaise ; les
migrations constantes des peuples dues aux aléas climatiques, à la crise de
l’espace vital et à la recherche du bien-être ; et la prépondérance institutionnelle
de l’État central en tant que garant du domaine national.
Fort de ce constat, la proposition du fédéralisme communautaire est à revoir
si non, ce modèle serait à parfaire continuellement. À la limite, il est inopérant
et non envisageable politiquement. L’option du fédéralisme communautaire
entrainerait de risques inestimables dont certains constituent une évidence
intuitive et heuristique.

2. Les risques ou effets pervers du modèle de fédéralisme


communautaire au Cameroun

Sans nier la pertinence théorique et politique du fédéralisme communautaire,


et au-delà de ses limites, il est aussi plausible, voire objectif, de relever qu’il
représente un danger pour la nation camerounaise, et qu’il présente de ce fait
des risques énormes qu’on qualifierait d’effets pervers. D’une part, ce modèle
favorise un extrême morcellement de la société politique camerounaise et un

126
risque permanent de confrontation intercommunautaire (1). D’autre part, cette
nouvelle dynamique politique risque également d’engendrer l’exacerbation des
crises identitaires et le foisonnement des mouvements irrédentistes (2). En
analysant les risques du fédéralisme communautaire au Cameroun, le présent
travail s’est inspiré essentiellement et non exclusivement des réalités
éthiopiennes en ce qui concerne la dégénérescence de ce modèle.

2.1. L’extrême morcellement de la société politique camerounaise et


le risque permanent de confrontation intercommunautaire

En reprenant Eloi Ficquet (2009, p. 20) dans ses études éthiopiennes, nous
pensons aussi que le risque de clivages irréversibles, impulsé par la fixation
politique des ethnies et leur mise en concurrence locale dans l’accès aux diverses
ressources, va aussi continuer à questionner l’opinion publique camerounaise
face à une proposition du modèle de fédéralisme communautaire. Cabral Libii,
principal défenseur du fédéralisme communautaire, présente les contours
territoriaux de ce modèle d’État de la manière suivante :

La réforme consiste donc à transformer tous les Départements en régions. Puis à


procéder à un redécoupage des Régions qui va fondre plusieurs départements
historiquement, sociologiquement et anthropologiquement affinitaires, en une
seule. Une simulation autour de la ville de Yaoundé pourrait donner lieu à la
Région de Yaoundé qui serait alors constitutive des Départements (actuels) du
Mfoundi, de la Mefou-Akono, de la Mefou-Afamba, du Nyong et So’o et du
Nyong et Mfoumou. Au bout de l’exercice, le Cameroun devrait compter un
maximum de trente Régions (Agence Cameroun Presse, 2020).

Les contours sociogéographiques du fédéralisme communautaire de Cabral


Libii permettent de percevoir à quel point le triangle national de l’État du
Cameroun va subir de fortes divisions identitaires, même si les contours de la
grande majorité des « communautaires fédérés », soit « une trentaine de régions »
(Libii, 2021, p. 47), demeurent jusque-là imprécis et incertains, à part l’exemple
de la « Région de Yaoundé », de la région Sawa et des Grass-fields. Au-delà de
ce que la communauté ne soit pas une identité ethnique, selon la version
« libiienne » de fédéralisme communautaire, et qu’elle pourrait contenir plusieurs
ethnies, ce modèle dont il est question ici se présente comme une forme
d’organisation politique qui favorise une certaine décentralisation des tendances
tribalistes voire une institutionnalisation des confrontations intra et
intercommunautaires, liées à la compétition politique et la fragmentation des
grands ensembles ethniques tant au niveau local que national. Il va transparaitre
comme une décomposition sans importance du peuplement national. Cela est une
expression manifeste du repli identitaire et du tribalisme politique voire du
communautarisme politique néfaste pour le grand ensemble national. Il est bien
vrai comme le relève Jean-Nicolas Bach (2011), à la suite de Holloway et Stedman

127
(2002, p. 165), « [l]’ethnicité comme source de conflit paraît ainsi peu probable
dans la mesure où la règle est davantage la coexistence pacifique que le conflit
entre groupes ethniques » (p. 131). Mais, la politisation de l’ethnicité constitue
une source potentielle de conflits interethniques en Afrique. Cela vient relativiser
l’hypothèse de la coexistence pacifique interethnique.
De manière générale, sauf quelques cas sporadiques, les communautés
ethniques vivent en harmonie au Cameroun. Cependant, les jeux et les enjeux
politiques sont souvent à l’origine des conflits intercommunautaires, voire
interethniques. Les exemples de conflits interethniques et intercommunautaires
en Afrique, sur fond de compétitions politiques, sont loin d’être exhaustifs. Les
cas de la Côte d’Ivoire, de la République centrafricaine, du Rwanda et de bien
d’autres sont illustratifs à cet égard. Même si les protagonistes du fédéralisme
communautaire au Cameroun clament le caractère non ethnique de leur modèle
de substitution à l’État unitaire décentralisé, son implémentation ne va pas
échapper à coup sûr à la dégénérescence des problèmes ethniques contrôlable
par l’État unitaire. Par exemple, en se fondant sur le modèle de fédéralisme
ethnique éthiopien, il est important de savoir que parmi les neuf (9) États
régionaux qui constituent la fédération d’Éthiopie, il figure une entité régionale,
les Nations, nationalités et peuples du Sud [NNPS] en l’occurrence, qui
s’identifie textuellement au modèle que les défenseurs du fédéralisme
communautaire semblent proposer pour la réforme de l’État du Cameroun.
Pourtant, les problèmes identitaires ayant émergés au sein de cette région
identitaire sont aussi énormes qu’ils doivent servir de leçon pour le cas
camerounais :

Généralement, les régions contiennent entre 1 et 5 différentes ethnies afin de


tenter de conserver un bon équilibre. Or, la région du SNNP contient
46 différentes ethnies […]. En d’autres mots, cette région a été établie pour y
installer toutes les ethnies qui n’étaient pas conformes aux autres régions. Les
problèmes qu’attend cette région sont énormes. Aussi bien que ceux-ci ont déjà
débuté, prenons le cas de la communauté Silte dans la région du SNNP qui au
début des années 2000 s’est séparée de la communauté Gurage à laquelle elle
était identifiée, car elle se disait distincte de celle-ci. Par conséquent, après avoir
fait un référendum chez les Siltes ceux-ci se sont séparés et ont maintenant leurs
propres communautés (Habtu 2004, 108-109). Les problèmes émergents du
fédéralisme ethnique ne sont pas seulement en matière de guerres, mais aussi en
terme[s] de séparations de populations. La flexibilité et la facilité de se faire
reconnaitre comme une ethnie distincte sont trop élevées, ce processus peut être
utilis[é] avec abus auprès des différentes ethnies (Héroux, 2016, p. 80).

Le désastre vers lequel se dirige aujourd’hui l’Éthiopie (Héroux, 2016, p. 78)


et les étapes du processus de fragmentation qui guette périodiquement les États
fédéraux doivent servir de leçon aux promoteurs de ce modèle d’État au
Cameroun. Alex Héroux (2016) fait marteler sur ce désastre éthiopien, sous la
forme d’une mise en garde, à travers les détails suivants :

128
Le fédéralisme ethnique était perçu comme la meilleure solution afin d’éviter les
conflits ethniques interminables dans ce pays, or, avec du recul, il est discutable
à savoir si cela était vraiment une bonne décision. En fait, ce type de fédéralisme
a apporté plusieurs nouveaux problèmes, en débutant par la séparation des
régions. Dans un pays comme l’Éthiopie, il est très difficile d’attribuer une région
à une ethnie. […]. Cela signifie que non seulement des bordures ont été créées
pour la période de transition, mais qu’après celle-ci, nous en avons créé de
nouvelles. Déjà que la modification de territoire est une opération délicate,
surtout lorsqu’il y a de fortes tensions ethniques, les modifier à deux reprises en
moins de 5 ans est très risquée. Évidemment, l’élimination de certaines régions
après 1995 a créé de nouveaux conflits entre différentes ethnies. L’application
du fédéralisme, établi pour stabiliser le pays, [a] donc dès le départ produit
l’émergence de nouveaux conflits. Il est donc difficile d’argumenter que cela a
amélioré la paix dans le pays, il serait plus juste de dire que cela [a] redirig[é] les
problèmes (p. 79).

Pour le cas du Cameroun, il serait difficile de faire une séparation nette entre
les grandes aires culturelles et les différents groupes ethniques qui demeurent
intimement liés à travers une certaine interconnexion et un métissage très
complexe. En mettant l’emphase sur la collaboration plutôt que sur la séparation
des grands ensembles ethnico-régionaux, cela va renforcer davantage le
sentiment national en faisant taire les vieilles querelles qui n’ont souvent pas
une essence ethnique, mais géopolitique, c’est-à-dire le désir de contrôler le
pouvoir politique local et les ressources économiques diverses. Ainsi,
l’implémentation de ce modèle va servir d’outils institutionnels pour les
communautés ethniques dites « autochtones » pour « chasser » les
communautés ethniques installées en dehors de leur région d’origine, dites des
« allogènes ». En dépit des efforts actuels de l’État unitaire décentralisé, les
épiphénomènes de ce genre sont visibles dans certaines régions du Cameroun.
Cela permet de comprendre aisément que la « cohabitation pacifique de
différents groupes ethniques au sein d’un même État n’est pas toujours évidente
malgré l’existence de certains arrangements […] ayant pourtant ce but »
(Rodrigues, 2010, p. 05). Ces conflits sont solvables dans le cadre de l’État
unitaire décentralisé, à condition que les compétences administratives et les
diverses ressources soient effectivement et conséquemment allouées. Les
divisions communautaires ne feront que conserver les conflits d’antan en vie.
Étant entendu que les ethnies se mixent de plus en plus entre elles, cet état de
choses enlève toute la nécessité de la séparation ethnico-régionale. Cela va en
droite ligne avec ce que pense Alex Héroux au sujet de la situation éthiopienne :
« lorsque nous prenons le temps d’analyser les différentes ethnies, nous en
venons à constater que la majorité de celles-ci sont mélangées entre elles et que
la raison d’être du fédéralisme ethnique perd tout son sens » (p. 80). À moins
qu’il y ait un mobile, à des fins politiciennes, de la part des promoteurs de ce
modèle, qui consiste à créer de nouvelles divisions pour un positionnement
politique, et afin de mieux régner par la suite.

129
D’emblée, la société camerounaise est très composite et ne souffre pas de
problème majeur dans l’expression de son multiculturalisme sur le plan
ethnique, religieux et culturel. Néanmoins, le véritable problème identitaire au
Cameroun se pose donc au niveau linguistique lorsque certaines langues
nationales sont en voie de disparition, et surtout les manquements de l’État dans
la promotion du bilinguisme en ce qui concerne les langues officielles.
D’ailleurs, le déséquilibre entre les deux langues officielles, caractérisé par une
primauté du français sur l’anglais dans les services publics, avait constitué l’un
des mobiles de l’escalade de la violence orchestrée par la crise dite anglophone.
Cette crise qui a un pendant linguistique peut être résolue au mépris des
solutions politiques extrêmement communautaires. Compte tenu de ce que cette
crise n’est entièrement pas encore résolue, l’État risque de faire face à de
nouvelles revendications linguistiques occasionnées par des minorités
ethnolinguistiques au sein des régions communautaires. Ainsi, des scissions
vont commencer par se créer au sein de ces communautés pour devenir une
affaire d’État. Et le fédéralisme communautaire n’aurait rien résolu dans ce cas,
sauf si c’est de faire dégénérer les problèmes identitaires.
Le fédéralisme communautaire constitue cependant une forme de politisation
du multiculturalisme camerounais. À cet effet, l’expérience a montré que la
plupart des manifestations du repli identitaire ont quasiment une essence
politique. C’est à ce titre que nous verrons que l’émergence de certains partis
ethniques d’aujourd’hui va servir de ferment à une telle fragmentation
sociopolitique. L’escalade de la violence politique communautaire va donc
trouver un terrain fertile dans un tel projet de « balkanisation » du Cameroun, et
donc les tenants du fédéralisme communautaire seront des instigateurs. À en
croire une certaine presse (DaVinci, 2020), les risques inhérents à
l’implémentation de ce modèle d’État sont énormes et les exemples de sa
dégénérescence sont aussi variés. L’implémentation de ce modèle au Cameroun
présage les confrontations intra et intercommunautaires pour des enjeux locaux
et nationaux :

Le fédéralisme communautaire de M. Libii risque d’exacerber les divisions en


mettant en compétition plusieurs tribus. Les compétitions politiques n’auront
plus pour objectif la défense des intérêts de la nation, mais plutôt ceux de la
“communauté”. De nombreux conflits armés en Afrique Subsaharienne ont
émergé suite à de telles considérations. Au Kenya, les discours communautaristes
ont catalysé les violences post-électorales de 2007 (DaVinci, 2020).

Des réalités pareilles sont aujourd’hui vécues dans bon nombre de pays ayant
expérimenté ce modèle d’État. Les cas du Liban, de l’Éthiopie et de bien
d’autres pays nous renseignent à suffire. L’anticipation, c’est-à-dire le
bannissement de l’idée de fédéralisme communautaire serait la meilleure option
puisqu’il ne serait qu’une solution transitoire et passagère. C’est ce que Daniel
Rodrigues (2010) appelle « fédéralisme transitoire » (p. 05) pour parler du

130
fédéralisme communautaire. Les plus grands dangers seront ceux liés à la
dégénérescence de ce système en conflits intra (interethniques) et
intercommunautaire (entre les grands ensembles ethnico-régionaux), ainsi que
le risque de foisonnement des mouvements sécessionnistes, conséquence
logique des crises de particularismes identitaires. Partant de là, le risque de
contestation de l’autorité de l’État sera imminent et permanent. Et la suite
logique est bien connue. Stojanović (2010) va encore plus loin en le qualifiant
de « fédéralisme centrifuge », c’est-à-dire un fédéralisme qui présage une
demande croissante de sécession ou de dissolution de l’État fédéral au profit des
entités indépendantes.

2.2. L’exacerbation des crises de particularismes identitaires et le


risque de multiplication des mouvements irrédentistes

Le fédéralisme communautaire libiien, dit « transitoire », apparait comme une


spirale de la désagrégation sociale au Cameroun au vu de la complexité de ses
composantes sociologiques. Avant tout débat au fond, les épisodes de
sécessionnisme en Espagne, animés par la région autonome de Catalogne, doivent
servir de leçon à l’instigateur du fédéralisme communautaire au Cameroun.
Inspiré des modèles français et espagnol de régionalisme politique identitaire, le
modèle libiien de régionalisme identitaire n’est pas très différent du modèle
éthiopien de fédéralisme communautaire à base ethnique. En effet, le Cameroun
présente une extrême diversité culturelle et ethnique sur un territoire qui n’est pas
aussi immense que l’Éthiopie, un idéal type d’État ayant connu le fédéralisme
communautaire à base ethnique en Afrique subsaharienne. Même si certains États
reposent sur une immensité territoriale égale ou inférieure à celle du Cameroun,
il faut reconnaitre que la plupart d’entre eux présentent des composantes
sociologiques moins diversifiées que celles du Cameroun, avec une population
constituée de plus de 240 groupes ethniques sur un territoire de 475,442 km2. Le
déphasage est absolu lorsqu’on le compare à l’Éthiopie qui dispose d’environ
80 groupes ethniques répartis sur un territoire de 1 104 300 km2. À cet effet,
désagréger l’État du Cameroun pour former un État adossé sur un fondement
communautaire constitue inexorablement un danger évident. Les conflits intra et
intercommunautaires inhérents vont provoquer une exacerbation des crises de
particularismes identitaires qui vont à leur tour porter un coup fatal à l’intégrité
territoriale de l’État du Cameroun.
En plus de ce que la constitution des « identités ethniques régionales » aura
provoqué un morcellement de la société politique camerounaise, il va également
surgir une aggravation des crises identitaires liées aux revendications
particularistes. Un début de division communautaire va occasionner de nouvelles
revendications, c’est-à-dire de nouvelles divisions. Par exemple, les frustrations
subies par un groupe ethnique au sein d’une région identitaire, parfois liées aux
conflits interethniques ou aux inégalités dans la redistribution des ressources,

131
peuvent pousser celui-ci à revendiquer une région autonome. Même s’il faut
défendre l’hypothèse d’une faible diversité ethnique pour justifier
l’implémentation du fédéralisme communautaire, le génocide rwandais n’a pas
été résolu par une option pour le fédéralisme communautaire à base ethnique. Pour
montrer qu’un début de division communautaire d’inspiration fédéraliste est un
catalyseur pour de nouvelles divisions, les exemples de l’Éthiopie, de l’Espagne
avec la Catalogne et du Nigeria sont illustratifs à cet égard. Hormis le fait que le
Nigeria ne soit pas une fédération communautaire, le fédéralisme territorial
semble avoir eu des implications communautaires puisque certaines
communautés ethniques ont revendiqué « leur État fédéré » durant toute
l’existence de la fédération nigériane. Alex Héroux (2016) précise que « [d]ans
ses 3 périodes démocratiques, séparées par des régimes militaires, le Nigeria a
débuté avec 3 états (1960), pour ensuite augmenter à 19 états (1979) et finalement
à 36 états (1999) » (p. 81). Une telle dynamique en moins d’un quart de siècle doit
vivement interpeller l’élan des défenseurs du fédéralisme communautaire au
Cameroun. Par ailleurs, la guerre de sécession du Biafra et le terrorisme du Boko
Haram sont révélateurs des conséquences de l’exacerbation de ces crises de
particularismes identitaires. En plus de la guerre de sécession dans les Régions du
Nord-Ouest et du Sud-Ouest, le Cameroun doit donc s’attendre au pire avec
l’implémentation du modèle « libiien » d’État.
En tout état de cause, la promotion du fédéralisme communautaire libiien au
Cameroun est une forme de promotion de la sécession pacifique (Rodrigues, 2010,
p. 05) qui va dégénérer dès son implémentation en sécession violente. C’est dans
ce contexte que Daniel Rodrigues (2020) relève les effets pervers du modèle
fédéral, et surtout du fédéralisme communautaire, en ces termes :

Le modèle fédéral n’a pas encore été utilisé avec l’objectif explicite de préparer,
et donc d’entamer, un processus de subdivision territoriale visant la
fragmentation ultérieure d’un État. Néanmoins, force est de constater que
plusieurs fédérations n’ont pas survécu aux forces centrifuges portées par des
tensions politiques ou des rivalités ethniques. Ce fut le cas des ethnofédérations
tchécoslovaque, soviétique et yougoslave en Europe, mais également d’autres
expériences fédératives telles que la Birmanie (1948-1962), l’Indonésie (1949-
1950), la [Libye] (1951-1963), le Mali (1960), le Cameroun (1961-1972), la
Fédération des Indes occidentales (1958-1962), ou encore la Serbie-et-
Monténégro (1992-2006). La scission de certains de ces États fut accompagnée
d’épisodes de violence (Rodrigues, 2010, p. 05).

Même lorsqu’une communauté aura réussi à se forger une identité régionale


homogène, et lorsqu’elle disposerait de ressources économiques conséquentes,
cela pourrait faire naitre des velléités sécessionnistes vis-à-vis de l’ensemble
national. En plus de cela, les frustrations sociopolitiques et socioéconomiques
peuvent également constituer un ferment à l’élan sécessionniste. Le cas de la crise
anglophone est suffisant pour une illustration. En bref, institutionnaliser le
fédéralisme communautaire à base ethnique comme solution miracle à la crise

132
anglophone, cela signifie qu’à peine le Cameroun n’a pas encore fini de juguler la
guerre de sécession, de nouvelles guerres de sécessions sont cependant en
préparation ou sont annoncées.

Conclusion

Tout compte fait, le débat sur les problèmes communautaires au Cameroun


nous a conduit à mener une réflexion sur le fédéralisme communautaire de Cabral
Libii, ceci dans le cadre d’un ouvrage collectif intitulé : Le fédéralisme
communautaire est-il soluble dans la République du Cameroun ?
Représentations, Enonciations, Mobilisations et Projections. Le présent chapitre
s’est attelé à répondre à la question suivante : le fédéralisme communautaire
proposé par Cabral Libii peut-il constituer une panacée pour les réformes
institutionnelles au Cameroun ? Il est donc à retenir que l’offre politique de Cabral
Libii désignée sous le label de fédéralisme communautaire ou régionalisme
identitaire apparait très captivante et alléchante comme proposition politique aux
fins de résoudre la crise identitaire dans les Régions du Nord-ouest et du Sud-
ouest du Cameroun, principal objet de sa pertinence politique. Simultanément,
l’existence historique de ce modèle dans les sociétés antiques, modernes et
contemporaines permet de percevoir sa pertinence théorique en tant que modèle
concret d’organisation politique pour une reconnaissance du pluralisme identitaire
(ethnique, religieux, linguistique et culturel). Tous ces exemples et la vocation
criso-thérapeutique de ce modèle dit de fédéralisme communautaire justifient
aussi bien sa pertinence théorique. Cependant, d’énormes critiques et obstacles
liés à son implémentation au Cameroun le rendent relatif, car ses contours sont
imprécis et incongrus. Par ailleurs, les effets pervers du « fédéralisme libiien » le
rendent inopérant à la limite. À l’observation des phénomènes de conflits
intercommunautaires sporadiques et du tribalisme politique ou du repli identitaire
qui sévissent de nos jours, cela permet de déduire aisément que le fédéralisme
communautaire va occasionner le risque permanent de confrontation
intercommunautaire, corolaire de l’extrême morcellement de la société politique
camerounaise ; et le risque de foisonnement des mouvements irrédentistes liés à
l’exacerbation des crises de particularismes identitaires. La contestation de
l’autorité de l’État central serait donc le paroxysme des effets pervers de
l’implémentation du fédéralisme communautaire à base ethnique au Cameroun.
L’institutionnalisation de ce modèle d’État suppose la mise en œuvre d’un type
de fédéralisme que Stojanović (2010) qualifie de « centrifuge », c’est-à-dire un
fédéralisme caractérisé par une demande croissante de sécession ou de dissolution
de l’État central au profit des entités indépendantes. Cet état de choses
préfigurerait la fin ou une balkanisation de l’État du Cameroun. Le fédéralisme
communautaire n’est qu’une « trompe l’œil », une motivation aux revendications
ethnico-identitaires, à la limite une poudrière pour l’ensemble national. D’une

133
manière pondérée, l’hypothèse du fédéralisme territorial, comme solution
palliative aux revendications autonomistes, pourrait être plausible, mais tout
système est faillible. Les véritables problèmes du Cameroun ne sont absolument
pas institutionnels, mais aussi substantiels. Ils sont liés à la mauvaise gouvernance
qu’il faut résorber tout en accordant une « véritable autonomie » aux CTD, avec
des « ressources conséquentes », car comme le dirait un proverbe anglais : « a
hungry man is an angry man ».

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136
CHAPITRE 5

EXODE CONFLICTUEL ET IMPUISSANCE PERÇUE. UNE


SÉMIOTIQUE DE L’HYBRIDATION CULTURELLE EN LIEN AVEC
L’ANCRAGE AXIOLOGIQUE COMME FACTEURS DE LA
RÉSILIENCE FACE AUX TROUBLES IDENTITAIRES POST-
TRAUMATIQUES CHEZ LES DÉPLACÉS INTERNES DU NORD-
OUEST ET SUD-OUEST

Sabine Célestine ETA-FOUDA BIDZOA

Résumé
L’objectif de ce travail est de procéder à une évaluation psychosociologique du vécu des
déplacés internes de la crise du NO/SO. Les identités peuvent être en crise à cause de
l’exode conflictuel et entraîner des altérités et des diversités qui induisent des phénomènes
de transculturalisation dans un contexte d’absence de transterritorialisation. Un déplacé
interne au Cameroun pouvant ainsi se sentir en insécurité dans son pays du simple fait
d’une différenciation catégorielle liée à la langue. La mesure chez les déplacés internes de
Bonabéri, de l’anxiété ainsi que celle du sentiment d’impuissance perçue, permettra de
mieux saisir le problème du vécu post-traumatique des conflits afin d’entrevoir un
accompagnement psychosociologique de ces personnes axé sur l’hybridation culturelle et
l’encrage axiologique comme facteur de résilience.
Mots clés : hybridité ; altérité, différenciation catégorielle, suivi psychosociologique,
résilience.
Abstract
This research explores the complex issues of conflict-induced displacement and post-
traumatic identity disorders among internal refugees in the North/South cameroonian
regions. It employs a semiotic analysis of cultural hybridization and its relationship with
axiological anchoring in the process of identity reconstruction. Through qualitative data
analysis, the study shows that axiological anchoring is a crucial element in the identity
reconstruction of internal refugees. The study's findings also highlight the importance
of cultural hybridization and its influence on the perceived helplessness of displaced
individuals.
Key words: conflict-induced displacement, culturals hybridization, post-traumatic
identity disorders, axiological anchoring.

137
Introduction

La crise anglophone au Cameroun est un conflit sociopolitique en cours depuis


fin 2016. Le NO/SO représente environ 20 % de la population nationale et
constitue les deux régions dites anglophones du pays. La crise qui a commencé
avec des revendications pacifiques pour une plus grande reconnaissance de la
culture anglophone a dégénéré en une escalade de conflit, et a entraîné la montée
de groupes séparatistes anglophones, dont l’Ambazonia Defence Forces (ADF),
le Southern Cameroons Defence Forces (SOCADEF), le Red Dragon, le Manyu
Ghost Warriors. Ces groupes ont réclamé, à sang, l’indépendance des Régions du
Nord-Ouest et du Sud-Ouest et l’ont même déclarée unilatéralement. Ils ont mené
des attaques contre les forces de sécurité et les civils ainsi que les infrastructures
publiques. Le gouvernement a également été accusé de violation des droits de
l’Homme, notamment de détentions arbitraires, de tortures et d’exécutions
extrajudiciaires (Boursin, 2022).
Les tentatives de résolution de la crise ont été compliquées du fait de la
polarisation politique et de la méfiance mutuelle entre les parties impliquées, mais
aussi par l’absence d’une médiation internationale significative. Les pourparlers
de paix ont été initiés par le gouvernement camerounais, mais les groupes
séparatistes ont jusqu’à présent refusé de participer, exigeant des conditions
préalables telles que la reconnaissance de leur indépendance pour certains et le
retour au fédéralisme comme forme administrative de l’État pour d’autres.
La crise a ainsi entraîné des perturbations majeures dans les régions du
NO/SO, avec des milliers de personnes déplacées et des pertes en vies humaines.
Elle continue d’avoir un impact dévastateur sur les communautés touchées, et la
situation reste préoccupante en raison de l’escalade de la violence et de
l’absence de progrès significatifs vers une résolution pacifique du conflit. Ce
qui continue d’occasionner un exode conflictuel préoccupant.
L’exode conflictuel est un phénomène mondial qui affecte des millions de
personnes chaque année, entraînant des déplacements massifs de populations à
l’intérieur de leur propre pays. C’est un phénomène multifactoriel tel que les
conflits armés, les guerres civiles, les catastrophes naturelles et les changements
climatiques sont les plus prépondérants.
Ces facteurs de conjoncture sociale poussent les populations à fuir leur
domicile et leur communauté. L’expression « déplacés internes » désigne les
populations déplacées involontairement à l’intérieur de leur propre pays. Ces
déplacés internes sont souvent confrontés à des défis considérables, notamment
l’implication forcée dans des conflits armés, la perte de leur maison et de leurs
biens, ainsi que la séparation de leur famille et de leur communauté, l’insécurité,
la violence, et les conditions de vie précaires, notamment le manque d’accès à
l’eau potable, à la nourriture, aux soins de santé ou à l’éducation. De plus, ces
déplacements forcés sont souvent traumatisants, provoquant des troubles
mentaux et psychologiques chez les individus qui les subissent. Ces expériences

138
traumatiques ont alors un impact profond sur leur santé mentale et leur identité
culturelle, qui est souvent remise en question et modifiée en raison de l’exode.
Cette recherche propose alors une analyse des effets de l’exode conflictuel
sur les déplacés internes, en examinant spécifiquement l’hybridation culturelle
en lien avec l’ancrage axiologique qui peut permettre de faire face à des troubles
identitaires post-traumatiques. En utilisant une approche sémiotique, cette
recherche explore comment les expériences de déplacement et de relocalisation
forcés influencent les identités culturelles des déplacés internes, notamment la
manière dont les éléments de culture dominante et de culture d’origine sont
incorporés et transformés. Elle vise comme objectif :
− Explorer les causes et les conséquences de l’exode conflictuel chez les
déplacés internes du NO/SO.
− Étudier l’importance de l’hybridation culturelle dans la reconstruction
identitaire des déplacés internes.
− Examiner le rôle de l’ancrage axiologique dans la reconstruction
identitaire des déplacés internes.
Cette étude qui est un diagnostic psychosocial clinique a pour intérêt de
permettre de mieux orienter les approches de prévention et de prise en charge,
c’est-à-dire l’organisation professionnelle des interventions psychosociales
conséquentes. Elle s’articule en deux principales parties, une perspective
empirique qui présente l’objet d’étude et la problématique qui la justifie, puis
une perspective méthodologique et opératoire qui synthétise le processus
méthodologique, les principaux résultats et la discussion qui en découle.

1. Perspective conceptuelle et théorique de l’étude


1.1. L’exode conflictuel

L’exode conflictuel se réfère à la situation dans laquelle les personnes sont


forcées de quitter leur foyer en raison de conflits armés, de guerres civiles, de
persécutions ou de toute autre forme de violence. Cette expérience traumatique
peut causer de nombreux troubles mentaux et psychologiques chez les individus
touchés. L’exode conflictuel peut se produire à l’intérieur d’un pays (déplacés
internes) ou à travers les frontières nationales (réfugiés), et peut impliquer des
déplacements temporaires ou permanents. Lorsqu’ils sont déplacés, les individus
sont souvent exposés à des expériences traumatiques, qui peuvent avoir des
répercussions sur leur santé mentale et leur bien-être psychologique à long terme.

1.2. Conséquences de l’exode conflictuel

Les conséquences de l’exode conflictuel sont nombreuses et peuvent être


dramatiques pour les personnes déplacées, les communautés d’accueil et les
pays d’origine. Les populations déplacées sont souvent confrontées à des défis

139
pour leur sécurité, leur santé, leur bien-être psychologique et leur
développement personnel. Elles peuvent être victimes de discrimination, de
marginalisation, d’exploitation, de violence sexuelle et de stigmatisation. Les
déplacements forcés peuvent également affecter la structure familiale, la vie
communautaire et les liens sociaux des personnes touchées.
Les communautés d’accueil et les pays d’origine peuvent également être
touchés par les conséquences de l’exode conflictuel. Les communautés
d’accueil peuvent être confrontées à des pressions économiques, sociales et
environnementales, à des tensions intercommunautaires et à des difficultés pour
fournir des services de base à la population. Les pays d’origine peuvent perdre
une partie de leur population, de leur capital humain et de leur potentiel de
développement économique et social. Mais, nous allons nous appesantir
davantage sur les traumatismes résultants de l’exode conflictuel.

1.3. Typologie des traumas

L’Association Américaine de Psychiatrie (APA) définit le traumatisme


comme étant le fait qu’une personne ait été confrontée à la mort, à la peur de
mourir ou à de graves blessures, ou lorsque son intégrité physique ou celle d’une
autre personne a été menacée. Cet événement doit également causer une peur
intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur.
Terr (1991) distingue deux types de traumatisme : Type 1 et Type 2. Le
traumatisme de type 1 est caractérisé par sa soudaineté, il est brusque et
imprévisible. Une agression, un incendie, la perte d’un être cher, une catastrophe
naturelle, peuvent en constituer des exemples. Le traumatisme de type 2, quant
à lui, est plus permanent et susceptible de se répéter dans le temps. Les abus
sexuels, les conflits conjugaux, familiaux ou professionnels, les conflits armés
traduisent mieux cette forme de causes de traumatisme.
Herman (1997) choisit de désigner ces deux types de traumatismes par des
termes « simple » et « complexe ». Le traumatisme simple renvoie à celui de
type 1 chez Terr et le traumatisme complexe correspond à celui de type 2. Un
troisième type de traumatisme émerge en 1999 avec Solomon et Heide. Cette
catégorie désigne les événements permanents tout au long de la vie. Il s’agit par
exemple des maladies chroniques ou congénitales (Moro, 2019 ; Josse, 2019).
Les causes de traumatisme peuvent alors être regroupées en trois catégories :
les catastrophes naturelles, les accidents liés aux facteurs humains ou techniques
et les violences interpersonnelles.
Le cas qui nous intéresse dans ce travail est donc un traumatisme de type 2. En
effet, la crise du Nord-Ouest et du Sud-Ouest (NO/SO) du Cameroun cause des
affres sur le plan social depuis plusieurs années. Et l’enlisement du conflit contribue
à exacerber ses conséquences sur le plan humanitaire. Consacrons-nous maintenant
aux paradigmes théoriques qui permettent de lire cette problématique.

140
1.4. Les grilles classiques de lecture théorique des phénomènes liés à
l’exode conflictuel

La problématique du vécu traumatique d’un épisode de vie est prépondérante


en psychologie et particulièrement en psychologie sociale. Les antécédents
existentiels, qu’ils soient agréables ou pénibles, participent à la construction de
la personnalité sociale de l’individu. Chaque personne poste ainsi en elle, dans
son univers psychique, le bagage expérientiel des épisodes de sa vie. Cette
expérience modifie considérablement ses perceptions, ses représentations ainsi
que ses interactions, aussi bien avec son milieu de vie que les autres individus
avec lesquels il partage son espace hodologique. Cette relation individuelle avec
le vécu participe également de la formation des identités.
Ainsi, l’exode conflictuel peut causer une crise des identités et entraîner des
altérités et des diversités qui induisent des phénomènes de transculturalisation
(Haesbaert, 2011) dans un contexte d’absence de transterritorialisation (Haesbaert,
2011). Cette absence de transterritorialité s’explique par le fait que le conflit NOSO
est un Conflit Armé Non-Internatonalisé (CANI), quoiqu’avec les facilités
qu’offrent les réseaux sociaux, certains commanditaires de ce conflit et l’essentiel
de son financement viennent de l’extérieur du pays. Mais, les rixes armées et les
déplacements sont essentiellement observés à l’intérieur du Cameroun.
Le phénomène d’hybridation culturelle conflictuelle liée à la langue se
manifeste par le fait qu’un déplacé interne au Cameroun peut se sentir en
insécurité dans son pays du simple fait d’une différenciation catégorielle liée à
la langue. La différenciation catégorielle (Deschamps, 1984 ; Alliot, Le Marc et
Lafon, 2005) renvoie à une forme de catégorisation sociale dans laquelle
l’individu amplifie les différences entre les membres de l’exo-groupe et lui-
même tout en accentuant les ressemblances entre les membres de son endo-
groupe et lui. C’est donc une différentiation de soi par rapport à autrui
(Deschamps, 1984). Cette attitude de discrimination crée non seulement le rejet
d’autrui (celui qui ne parle pas la même langue que soi), mais aussi accentue le
sentiment d’insécurité et l’anxiété chez le concerné.
La mesure de l’anxiété et du sentiment d’impuissance perçue, chez les
déplacés internes de Bonabéri, permettra de mieux saisir le problème du vécu
post-traumatique des conflits afin d’entrevoir un accompagnement
psychosociologique de ces personnes. Le paradigme de saisie
psychosociologique de ces sentiments dysphoriques est axé sur l’hybridation
culturelle et l’encrage axiologique comme facteur de résilience.
Au-delà des grilles de lectures théoriques développées dans diverses sciences
humaines pour expliquer les effets du traumatisme sur l’identité et la santé
mentale, cette étude propose un nouveau paradigme qui permettrait de mieux
saisir, nous l’espérons, les troubles identitaires post-traumatiques chez les
déplacés internes. Mentionnons d’abord ces théories classiques :

141
La théorie de l’attachement de Bowlby présentée par Dugravier et Barbey-Mintz
(2015) postule que les relations d’attachement avec les figures d’autorité dans
l’enfance sont essentielles pour le développement de l’identité. Les déplacés
internes, séparés de leur famille et de leur communauté d’origine, perdent leur
principal point d’ancrage et se sentent désorientés dans la vie.

À côté de cette théorie, viennent se greffer bien d’autres approches


conceptuelles, telles que le stress post-traumatique (Auxéméry, 2013) qui décrit les
effets à long terme du stress traumatique sur le fonctionnement mental et physique.
L’exposition permanente au stress dans les champs de bataille ou les centres
d’hébergement d’urgence accroît le trouble lié au stress post-traumatique.
La théorie de la résilience culturelle (Cirulnik, & Seron (2004) décrit la
capacité des individus et des groupes à surmonter les traumatismes et à se
réadapter à leur environnement social et culturel à partir des ressources
culturelles et communautaires disponibles.
Les traumas peuvent avoir des effets complexes sur l’identité et la santé
mentale des personnes concernées. Ce qui nécessite une approche culturellement
sensible pour en tenir compte. C’est pourquoi, dans le cadre de cette recherche,
nous envisageons une nouvelle approche basée sur les réminiscences identitaires,
culturelles et éducatives comme facteurs de résilience.

1.5. Les Troubles identitaires posts-traumatiques

La première étape de cette approche paradigmatique de la compréhension


des effets de l’impuissance apprise (Giorgi, 2018) résultant de l’exode
conflictuel chez les déplacés internes est d’isoler la notion de Trouble Identitaire
Post-Traumatique (TIPT). En effet, l’exode conflictuel touche à des enjeux
humains fondamentaux tels que la sécurité, la dignité, l’identité culturelle et la
santé mentale. De la violence et l’insécurité aux difficultés d’adaptation dans
des environnements étrangers en passant par l’absence de ressources de base
sont autant de difficultés auxquelles font face les déplacés internes. Ces défis
peuvent entraîner des conséquences graves sur leur santé mentale et leur bien-
être psycochahologique. Dans le cadre de ce travail, nous nous focalisons sur
l’un de ces troubles à savoir les troubles identitaires post-traumatiques
(Ammour, 2020 ; Barbier & Garapon, 2019).
Les troubles identitaires post-traumatiques sont un type de troubles
psychologiques qui peuvent survenir après un événement traumatisant. Ces
troubles peuvent affecter la façon dont une personne perçoit son identité
personnelle, son estime de soi et ses relations sociales.
Les troubles identitaires post-traumatiques sont fréquents chez les déplacés
internes, car ils sont confrontés à des changements importants dans leur identité
culturelle et leur sentiment d’appartenance à une communauté.
Il convient de préciser en définitive que l’exode conflictuel est un
phénomène qui a des répercussions aussi bien sur les personnes déplacées que

142
sur les communautés d’accueil. Il est donc crucial de comprendre les différentes
implications de ce phénomène.

1.6. Exode conflictuel et impuissance perçue

L’exode conflictuel et l’impuissance perçue sont deux concepts intimement


liés lorsqu’il s’agit des déplacements forcés et les situations de conflit armé.
L’exode conflictuel fait référence au déplacement massif de populations en
raison de la guerre, des conflits ethniques, religieux ou politiques, ou de toute
autre situation de violence généralisée. L’impuissance perçue, quant à elle,
désigne le sentiment d’incapacité à influencer ou à contrôler les événements de
sa vie, qui peut résulter de l’exposition à des traumatismes psychologiques ou
de l’expérience de situations de stress extrême.
Dans le contexte des déplacements forcés, l’impuissance perçue peut être
exacerbée par la perte des repères sociaux, culturels et familiaux, la rupture des
liens communautaires et la difficulté à reconstruire une vie dans un
environnement inconnu et souvent hostile. L’exode conflictuel peut également
entraîner des troubles identitaires et culturels chez les personnes déplacées.
Celles-ci peuvent se sentir déracinées de leur culture d’origine et subir une
hybridation culturelle en raison de leur exposition brusque et involontaire à des
cultures et des valeurs différentes.
Comprendre les mécanismes de l’hybridation culturelle et de l’ancrage
axiologique des troubles identitaires post-traumatiques chez les déplacés
internes du NO/SO est donc essentiel pour aider ces populations vulnérables à
surmonter les défis liés à leur situation et à reconstruire leur vie dans un
environnement culturel différent de celui qu’ils ont connu auparavant.

1.7. Hybridation culturelle et ancrage axiologique

L’hybridation culturelle (Lecomte, (2023) fait référence au processus de


fusion et de mélange de différentes cultures, traditions et pratiques en raison de
l’exode et de la cohabitation avec d’autres groupes culturels et ethniques. Ce
processus implique souvent l’émergence de nouvelles formes culturelles, qui
sont le produit de la créativité, de l’adaptation et de la résilience (Cirulnik &
Seron, 2004 ; Brouard, 2018) des populations concernées.
L’ancrage axiologique, quant à lui, renvoie à la dimension éthique et morale
des valeurs qui sous-tendent les représentations et les pratiques culturelles. Il
s’agit des principes et des normes qui guident les choix et les comportements
des individus et des groupes, et qui peuvent jouer un rôle important dans la
construction et l’expression de l’identité culturelle.
Dans le contexte des troubles identitaires post-traumatiques chez les déplacés
internes du NO/SO, l’hybridation culturelle peut être un moyen de surmonter les
barrières culturelles et de favoriser la résilience face aux traumatismes vécus. Elle

143
peut également contribuer à l’émergence de nouvelles formes d’expression
culturelle, qui reflètent les expériences et les aspirations des populations concernées.
L’ancrage axiologique peut quant à lui jouer un rôle clé dans la
reconstruction de l’identité culturelle des personnes déplacées, en leur
fournissant une base morale et éthique pour leur engagement dans la vie sociale
et politique. Il peut également être un facteur de résilience en aidant les
personnes déplacées à trouver du sens et de la stabilité dans leur vie quotidienne,
malgré les perturbations causées par le conflit et le déplacement.
En définitive, l’hybridation culturelle et l’ancrage axiologique peuvent offrir
des pistes de réflexion pour mieux comprendre les processus de résilience et de
reconstruction identitaire chez les personnes déplacées par des conflits armés, et
pour promouvoir des politiques et des programmes qui encouragent la créativité,
l’adaptation et la solidarité entre les groupes culturels différents.

1.8. Sémiotique de l’hybridation culturelle

La sémiotique de l’hybridation culturelle se réfère à l’étude des signes et des


symboles qui émergent du processus de fusion et de mélange de différentes
cultures. Elle vise à explorer la manière dont les éléments culturels sont
sélectionnés, combinés et transformés dans les contextes de contact
interculturel, afin de créer de nouvelles formes de sens et de représentation.
Dans le contexte des déplacés internes du NO/SO, la sémiotique de
l’hybridation culturelle peut permettre de comprendre comment les identités
culturelles et linguistiques sont redéfinies et réinventées dans les situations de
conflit et de déplacement. Elle peut également aider à identifier les signes et les
symboles qui sont utilisés par les personnes déplacées pour exprimer leurs
expériences, leurs émotions et leurs aspirations.
Par exemple, la sémiotique de l’hybridation culturelle peut aider à analyser les
processus de mixité linguistique et de création de nouveaux dialectes ou langues
hybrides, tels que le pidgin-english. Elle permet également d’étudier les formes
d’expression artistique qui émergent du contact entre différentes traditions
culturelles, comme la musique, la danse, la peinture ou la sculpture.
En clair, la sémiotique de l’hybridation culturelle est un outil précieux pour
comprendre les dynamiques culturelles complexes qui se produisent dans les
situations de conflit et de déplacement, et pour mieux appréhender les formes
d’expression et de résilience des personnes déplacées.

1.9. Importance de l’ancrage axiologique dans la reconstruction


identitaire

L’ancrage axiologique se réfère aux valeurs et aux croyances qui sont


fondamentales pour la construction de l’identité personnelle et collective. Pour
ce qui concerne les déplacés internes du NO/SO, l’ancrage axiologique peut

144
jouer un rôle crucial dans la reconstruction identitaire et dans la résilience face
aux traumatismes et aux pertes.
Les personnes déplacées peuvent perdre leurs repères culturels et sociaux
lorsqu’elles sont contraintes de quitter leur lieu de résidence et leur
communauté. Dans ces situations, l’ancrage axiologique peut leur fournir une
source de stabilité et de continuité dans leur vie. Les valeurs et les croyances
peuvent constituer un point de référence pour reconstruire une identité et un sens
de l’appartenance.
De plus, les valeurs et les croyances influencent également la manière dont les
personnes déplacées font face à leurs difficultés et à leurs traumatismes. Par
exemple, une forte adhésion à des valeurs telles que la solidarité, la résilience ou
la spiritualité aide à surmonter les obstacles et à trouver un sens dans les
expériences difficiles.
Enfin, l’ancrage axiologique peut jouer un rôle important dans la
reconstruction de la cohésion sociale, la réconciliation et le retour à la paix dans
les communautés affectées par le conflit ou recevant le flux des déplacés. En
réaffirmant et en partageant les valeurs communes, les personnes déplacées
peuvent contribuer à la reconstruction de leur communauté et à la réconciliation
avec d’autres groupes. L’ancrage axiologique constitue ainsi un élément clé dans
la résilience des personnes déplacées du NO/SO. Il aide à maintenir un sentiment
de stabilité et de continuité ainsi qu’à faire face aux difficultés et aux
traumatismes.

2. Perspective méthodologique et opératoire


La présente étude est de type évaluatif. C’est un diagnostic psychosocial
clinique des troubles émotionnels et identitaires que manifestent les déplacés
internes de la crise du NO/SO qui sont recasés à Bonabéri dans l’arrondissement
de Douala 3e. Elle s’est réalisée en deux phases pendant le mois de mars 2023.
L’équipe de recherche a d’abord identifié les meneurs au travers des différentes
associations qui organisent ces déplacés internes. Puis, dix de ces meneurs ont
été formés comme pairs éducateurs et ont contribué à la passation des
instruments de recueil des données. Ils se sont scindés en équipe de quatre
personnes, y compris un des membres de l’équipe de recherche. Ce qui a donné
un total de trois équipes.

2.1. Populations, technique d’échantillonnage et échantillon

La présente étude cible les déplacés internes de la crise anglophone au


Cameroun. Elle a pour cadre la zone de recasement de Douala Bonabéri. Un
échantillon de 348 a été prélevé sur une population de déplacés estimée à
26 000 âmes par la United Nations Office for the coordination of Humanitarian
Affairs (OCHA, 2020). Des déplacés internes du NO/SO et des professionnels

145
de la santé mentale et de l’aide humanitaire travaillant avec cette population. La
technique d’échantillonnage adoptée est ainsi un échantillonnage aléatoire
stratifié par grappes raisonnées.

2.2. Les outils de recueil des données

Le recueil de données consistait à diagnostiquer les troubles identitaires post-


traumatiques. Les outils utilisés à cet effet sont :
– La grille d’observation qui permettait de recenser ce que les chercheurs
pouvaient observer sur les modes de vie, d’habitation, les conditions
sanitaires des déplacés internes.
– L’entretien clinique a permis d’obtenir des informations sur les symptômes
et les antécédents des concernés. Les questions spécifiques ont été posées sur
les expériences traumatiques vécues et les symptômes ressentis.
– Les questionnaires et échelles exploraient l’estime de soi, d’identité, de
dissociation, de troubles de l’humeur et le sentiment d’efficacité personnelle.
– Le test de caractérisation a, enfin, permis de relever les techniques de
résilience mises en œuvre par les déplacées internes du NO/SO pour faire
face à l’ensemble des troubles post-traumatiques. Nous avons relevé les
thêmatas (les valeurs ou idées-forces) (Bonardi, 2003 ; Eta, 2017) les
cadres de référence identitaires sur lesquels les déplacés internes s’appuient
pour résister à la tentation de la dérive afin de garder leur comportement
conforme à la norme et de maintenir ainsi leur dignité.
Les données obtenues à la suite de la passation des outils étaient à la fois
qualitatives et quantitatives. Mais dans le cadre de ce travail, il nous a semblé
pertinent de ne tenir compte que des données qualitatives permettant d’établir un
diagnostic.

2.3. Analyse des données qualitatives

L’analyse des données qualitatives a été effectuée à l’aide de la méthode


d’analyse de contenu thématique (Negura, 2006). Les entretiens ont été enregistrés,
retranscrits et codés selon des catégories préétablies en lien avec les différentes
thématiques abordées. Les données ont ensuite été analysées pour identifier les
thèmes et les sous-thèmes émergents qui correspondaient tous, soit aux troubles
post-traumatiques, soit aux stratégies de résiliences mises en œuvre.

3. Résultats
3.1. Analyse de contenu thématique
Voici les troubles mentaux et psychologiques qui ressortent des entretiens
avec les déplacés internes du NO/SO :

146
Schématisation des perturbations psychologiques liées à l’exode conflictuel au NO/SO

Voici quelques exemples de troubles identitaires post-traumatiques que


manifeste l’impuissance acquise des déplacés internes du NO/SO :

Représentation des Troubles d’identité personnelle détectés et leurs symptômes


Troubles d’identité Symptômes manifestés
diagnostiqués
Perte de l’identité Avoir du mal à se reconnaître et à se comprendre l’image de soi-
même ;
Confusion ou incertitude sur l’identité propre.
Sentiment de Impression de ne plus être connecté à son corps
dépersonnalisation Se sentir détaché de sa propre réalité
Observer sa vie de l’extérieur comme un spectateur
Changements d’humeur Avoir l’impression que la meilleure attitude c’est la tristesse
S’offusquer de percevoir de la joie chez quelqu’un d’autre
Difficultés relationnelles Incapable de former des relations intimes et profondes
intercommunautaires ; se sentir isolées ; se méfier des autres,
craindre d’être blessé à nouveau.
Autostigmatisation
Perturbation de l’estime Estime de soi altérée
de soi Vision négative d’elles-mêmes
Avoir du mal à se sentir compétentes ou à se valoriser.
Culpabilité Remord
Regret

147
Si ces troubles identitaires post-traumatiques sont décrits par l’ensemble des
déplacés internes interrogés, le personnel soignant qui a été abordé précise que
leur occurrence et leur intensité sont assez irrégulières en fonction des patients.
L’analyse de la fréquence et de la cooccurrence (Negura, 2006) des plaintes dans
notre étude montre que les déplacés du NO/SO manifestant quasiment les
mêmes symptômes de l’état de stress post-traumatiques, toutes variabilités
restant explicables par les différences interindividuelles telles que l’expérience
et les antécédents personnels.
Les résultats de la recherche ont mis en évidence l’importance de la
sémiotique de l’hybridation culturelle et de l’ancrage axiologique dans la
reconstruction identitaire des déplacés internes du NO/SO.

Schématisation des implications de l’hybridation culturelle et de l’ancrage


axiologique
Expériences de mélange culturel

Syncrétisme
Hybridation culturelle
Perception de soi

Résilience

Solidarité
Spiritualité

Ancrage axiologique
Reconstruire une identité
personnelle collective
Surmonter les traumas

Cohésion sociale

Réconciliation entre les groupes

Comme il a été schématisé sur la figure ci-dessus, les résultats montrent que
les déplacés internes peuvent être confrontés à des expériences de mélange
culturel et de syncrétisme, en particulier dans les situations où ils sont en contact
avec d’autres groupes ethniques et religieux. Cette hybridation culturelle peut
affecter leur identité et leur perception d’eux-mêmes en tant que membres d’une
communauté particulière. Mais l’hybridation culturelle ainsi en construction est
également une opportunité pour développer une identité plus inclusive et
transversale ainsi qu’un sentiment d’appartenance nationale.
En ce qui concerne l’ancrage axiologique, les résultats ont montré que les
déplacés internes attachent une grande importance à certaines valeurs telles que
la solidarité, la résilience et la spiritualité. Ces thêmata (Bonardi, 2005 ; Eta,

148
2017) peuvent les aider à surmonter les traumatismes et les difficultés
rencontrées pendant l’exode et à reconstruire une identité personnelle et
collective. De plus, les valeurs partagées peuvent contribuer à la cohésion
sociale et à la réconciliation entre les groupes.
Le test de caractérisation a permis de mettre en évidence quatre dimensions
comme composantes principales de l’ancrage axiologique qui servent de socle
de résilience à ces déplacés internes. Il s’agit de la religion, la langue, la culture,
les valeurs et la solidarité résultant de la vie communautaire et de la sollicitude
des riverains.
En somme, les résultats de la recherche montrent que la sémiotique de
l’hybridation culturelle et de l’ancrage axiologique sont des éléments clés pour
comprendre les troubles identitaires post-traumatiques et pour favoriser la
reconstruction identitaire des déplacés internes du NO/SO et leur résilience face
aux traumatismes et aux difficultés rencontrées pendant l’exode.
Les résultats de l’analyse des données qualitatives ont été triangulés pour
mettre en évidence l’importance de la sémiotique de l’hybridation culturelle et
de l’ancrage axiologique dans la reconstruction identitaire des déplacés internes
du NO/SO, ainsi que les troubles identitaires post-traumatiques qu’ils
rencontrent.

3.2. Interprétation des résultats et discussion

L’interprétation et la discussion des résultats se font par rapport aux


objectifs. Ce qui a permis d’identifier plusieurs thèmes clés en lien avec le sujet
de la recherche. Les objectifs de départ étaient de :
1. Explorer les causes et les conséquences de l’exode conflictuel chez les
déplacés internes du NO/SO.
2. Étudier l’importance de l’hybridation culturelle dans la reconstruction
identitaire des déplacés internes.
3. Examiner le rôle de l’ancrage axiologique dans la reconstruction
identitaire des déplacés internes.
Cette étude a mis en exergue le fait que l’exode conflictuel est une expérience
traumatique qui peut avoir des conséquences graves sur la santé mentale et le
bien-être des déplacés internes du NO/SO. Les causes de l’exode conflictuel
sont multiples et complexes, et incluent des facteurs politiques, économiques,
sociaux et culturels.
Ensuite, les données ont montré que les déplacés internes du NO/SO ont une
identité culturelle hybride, combinaison de leur culture d’origine et de la culture
de leur nouveau lieu de vie. Cette hybridation culturelle joue un rôle important
dans la reconstruction de leur identité. Elle peut être à la fois positive et négative,
en fonction de la manière dont elle est vécue et perçue par les concernés.
Enfin, les données ont montré que l’ancrage axiologique est un élément clé
dans la reconstruction identitaire des déplacés internes. Il se réfère aux valeurs,

149
croyances et normes culturelles qui guident le comportement et les choix des
individus. Lorsque les déplacés internes ont un ancrage axiologique fort, ils ont
tendance à mieux faire face aux traumatismes et à reconstruire leur identité de
manière plus solide.
En somme, les thèmes clés identifiés dans cette recherche soulignent
l’importance de la prise en compte de l’hybridation culturelle et de l’ancrage
axiologique dans les programmes d’aide et de soutien psychosocial pour les
déplacés internes du NO/SO. Ces thèmes ont des implications importantes pour
la pratique clinique et l’aide humanitaire, ainsi que pour la recherche future sur
le sujet de l’exode conflictuel et des troubles identitaires post-traumatiques.

3.3. Limites de l’étude et implications pour la recherche future

Dans la discussion, il est également important de discuter des limites de


l’étude et des implications pour la recherche future. Voici quelques points à
prendre en compte :
1. Échantillon : L’une des limites de cette étude est que l’échantillon était
limité aux déplacés internes du NO/SO, et principalement ceux de
Bonabéri à Douala. Ce qui peut restreindre la généralisation des
résultats à d’autres populations déplacées pour le même conflit et pour
d’autres foyers de conflits. Une étude multimodale aurait été plus
efficace en diversifiant les échantillons.
2. Méthodologie : Cette étude n’a tenu compte que des données
qualitatives. Or, l’utilisation de méthodes mixtes ou quali-quantitatives
pourrait fournir des résultats plus complets.

3.4. Recommandation

Les recommandations que nous formulons à la fin de ce travail sont centrées


sur la plus grande prise ne compte de la sémiotique de l’hybridation culturelle
comme facteur d’intégration des déplacés internes de la crise du NO/SO dans le
site de Bonabéri Douala. Nous suggérons à cet effet l’organisation d’un festival
de l’unité nationale dans cette zone. Il serait également tout à fait indiqué de
désigner Bonabéri comme zone d’intégration nationale et du vivre ensemble.

Conclusion
La recherche visait comme objectifs d’évaluer le rôle de l’hybridation culturelle
et de l’ancrage axiologique sur le comportement de résilience des déplacés internes
du NO/SO de Bonabéri-Douala. Très précisément, il s’est agi de :
− Explorer les causes et les conséquences de l’exode conflictuel chez les
déplacés internes du NO/SO.

150
− Étudier l’importance de l’hybridation culturelle dans la reconstruction
identitaire des déplacés internes.
− Examiner le rôle de l’ancrage axiologique dans la reconstruction
identitaire des déplacés internes
Alors, cette recherche montre que l’exode conflictuel est un phénomène
complexe qui peut avoir des conséquences durables sur la vie des déplacés
internes. Toutefois, l’hybridation culturelle est un moyen pour les déplacés
internes de faire face aux changements dans leur environnement et de reconstruire
leur identité. L’ancrage axiologique est comme un élément clé dans la
reconstruction identitaire des déplacés internes, car il leur permet de relier leur
expérience à leurs valeurs et croyances. Et, en définitive, la sémiotique de
l’hybridation culturelle s’est avérée nécessaire, voire indispensable. Elle constitue
une méthode efficace l’accompagnement psychosocial des déplacés internes du
NO/SO, surtout de compréhension de leur vécu posttraumatique. Ainsi, les
programmes d’aide aux déplacés internes prennent en compte ces aspects liés à
l’encrage axiologique et la sémiotique de l’hybridation culturelle. De même que
les décideurs devraient également tenir compte de l’hybridation culturelle et
encourager les déplacés internes à intégrer de nouvelles pratiques culturelles dans
leur identité. Ils devraient également tenir compte des implications de cette étude
pour la planification de l’aide humanitaire en cas de déplacement interne, en
mettant en place des programmes qui favorisent la reconstruction identitaire et la
résilience des déplacés internes.
Enfin, cette étude met en évidence l’importance de prendre en compte les voix
des déplacés internes eux-mêmes dans la compréhension de leurs expériences et
des processus de reconstruction identitaire, en encourageant l’utilisation de
méthodes participatives et collaboratives dans la recherche sur les déplacements
internes et les troubles identitaires post-traumatiques. Pour poursuivre cette étude,
des réflexions futures pourront être axées sur les pistes suivantes :
1. Étudier les facteurs qui contribuent à l’ancrage axiologique chez les
déplacés internes, que nous avons mis en évidence dans cette recherche à
savoir : la religion, la langue, la culture, les valeurs, etc., afin de mieux
comprendre les mécanismes qui sous-tendent la reconstruction identitaire.
2. Explorer les liens entre les troubles identitaires post-traumatiques et
d’autres troubles mentaux, tels que la dépression, l’anxiété, le stress post-
traumatique, etc., afin de mieux comprendre la complexité des problèmes
de santé mentale chez les déplacés internes.
3. Utiliser des approches participatives et collaboratives pour impliquer les
déplacés internes dans la recherche sur leur propre expérience, afin de
mieux comprendre leurs besoins et de co-construire des solutions avec eux.
En effet, comprendre les mécanismes psychologiques et culturels qui sous-
tendent ces troubles s’avère crucial pour élaborer des stratégies de prévention et
de guidance psychosociologique adaptées aux besoins des déplacés internes
bénéficiaires. Cette recherche contribue alors à une meilleure compréhension de
ces enjeux et offre des perspectives pour les professionnels de la santé mentale,

151
les chercheurs, les décideurs politiques et les organisations humanitaires qui
travaillent avec les déplacés internes.

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United Nations Office for the coordination of Humanitarian Affairs (UNOCHA, 2020).

153
DEUXIÈME PARTIE

UNE DIALECTIQUE ÉPROUVÉE DES MOBILISATIONS ET


PROJECTIONS RELATIVES DU FÉDÉRALISME
COMMUNAUTAIRE AU CAMEROUN : UNE ÉCONOMIE
PRAGMATIQUE ET ORGANIQUE DISPUTÉE DE SES
PROCÉDURES ET STRUCTURES
TITRE III

DES MOBILISATIONS AU SUJET DU FÉDÉRALISME


COMMUNAUTAIRE AU CAMEROUN COMME PROCÉDURES
VARIÉES D’ORIENTATION ET DES GESTIONS : LEUR
CONFIGURATION PRAGMATIQUE COMME ÉCONOMIE
POSITIONNELLE ET ACTIONNELLE
CHAPITRE 6

FÉDÉRALISME COMMUNAUTAIRE ET REPRÉSENTATION


INSTITUTIONNELLE DES MINORITÉS ETHNIQUES AU
CAMEROUN

Jean Daniel NEBEU

Résumé
Le Cameroun est parmi les États du monde dont les séquences du passé impérialiste qu’il
a subi continuent d’influencer son présent. Cela est dû aux méthodes orchestrées par les
Occidentaux à travers la désintégration des territoires africains. Au-delà de cette
appréhension, le Cameroun dès 1960, a expérimenté plusieurs formes de l’État, mais il
s’avère que l’actuel système est farouchement contesté au point de demander la scission
du Cameroun par une partie de la population du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, en utilisant
les armes létales pour atteindre ce but. On retrouve dans ces revendications les modérés,
adeptes de la décentralisation et du fédéralisme. Face à cette guerre et ce débat idéel
contemporain, existe un problème sous-jacent de la faible représentation institutionnelle
des minorités ethniques dans le partage des rentes du pouvoir. À l’hypothèse selon laquelle
la forme de l’État est modulable, on peut admettre que le fédéralisme communautaire serait
une panacée pour la représentation institutionnelle des couches sociales dites minoritaires
ou marginalisées. En fait, il s’agit de l’expérimentation d’un système politique de partage
démocratique du pouvoir entre les États fédérés, tenant compte de toutes les communautés
qui participent de commune mesure à la gouvernance des intérêts collectifs au sein des
institutions. C’est ce à quoi cette réflexion se propose pour une forme
d’institutionnalisation de la solidarité nationale.
Mots-clés : Cameroun, démocratie, fédéralisme communautaire, minorité ethnique,
représentation institutionnelle.
Abstract
Cameroon is among the States of the world whose sequences of the imperialist past that
it has suffered continue to influence its present. This is due to the methods orchestrated
by the West through the disintegration of African territories. Beyond this apprehension,
Cameroon since 1960, experimented with several forms of the State, but it turns out that
the current system is fiercely contested to the point of asking for the split of Cameroon
by part of the population of the North -West and Southwest, using lethal weapons to
achieve this goal. We find in these demands the moderates, followers of decentralization
and federalism. Faced with this war and this contemporary ideal debate, there is an

159
underlying problem of the weak institutional representation of ethnic minorities in the
sharing of power rents. On the assumption that the form of the state is flexible, we can
admit that community federalism would be a panacea for the institutional representation
of so-called minority or marginalized social strata. In fact, it is about experimenting with
a political system of democratic sharing of power between federated states, taking into
account all the communities that participate in common measure in the governance of
collective interests. This is what this reflection proposes for a form of institutionalization
of national solidarity.
Key works: Cameroon, community federalism, democracy, ethnic minority,
institutional representation.

Introduction

L’évolution du monde est caractérisée par d’incessantes mutations


économiques et sociopolitiques. Dans ce registre, la résolution des
problématiques politiques, aussi cruciales que le fédéralisme, nécessite une
bonne compréhension du contexte historique d’institutionnalisation d’un État.
En fait, c’est la condition préalable sans laquelle toute tentative d’adaptation des
institutions n’est possible et durable. Quoique les régimes fédéraux aient des
similitudes, il est cependant difficile de trouver leurs constructions normatives
identiques. Que ce soit au Nigéria, au Canada, en Chine, en Belgique, en
Espagne, en Russie, au Royaume-Uni, etc., tout dépend du peuple, des facteurs
historiques, anthropologiques, géographiques, sociopolitiques, économiques.
C’est le cas du Cameroun qui est un pays anthropologiquement, historiquement,
linguistiquement, ethnologiquement différent et a eu une expérience dans le
système fédéral dont l’adoption de ce système était liée aux contingences
historiques.
Le fédéralisme est un mot d’origine latine Foedus. Il signifie de manière
littérale, accord, contrat ou convention (Burgess, 2020, p. 27). Parler donc du
fédéralisme communautaire est une possibilité pour consolider le trait d’union ou
réconcilier les minorités ethniques entre elles. Par ailleurs, au regard de la structure
sociale du Cameroun, avec ses différentes ethnies, combinée par son passé de pays
dominé par les impérialistes, l’on peut admettre que ce pays a été disposé à
l’architecture institutionnelle de type fédéral afin de maintenir l’équilibre de son
hétérogénéité. Concrètement, l’année 1916 peut être considérée comme le point de
départ de la désintégration territoriale du Cameroun et comme fondement inavoué
du fédéralisme. C’est ce qui s’est matérialisé dès le 1er octobre 1961 jusqu’au
20 mai 1972 pour unir le territoire jadis divisé. Aujourd’hui, malgré plusieurs
mutagenèses constitutionnelles, l’État du Cameroun s’est maintenu sur la formule
de l’État unitaire et la stabilité institutionnelle longtemps affichée, n’a pas exclu de
relever les failles de l’obsolescence de cet État. Il s’avère donc que dans cette
configuration, le problème de la représentation institutionnelle des minorités ethnies
au Cameroun est l’un des points d’achoppement de la stabilité au point où les

160
revendications d’autonomisation, de représentation institutionnelle ou de scission
du Cameroun se font entendre. À cela, une réponse a été donnée par l’État en
proposant la réforme constitutionnelle liée à la décentralisation depuis 1996 et qui a
été appliquée en 2020 par l’élection des premiers conseils régionaux pour
l’autonomisation des communautés ethniques. Néanmoins, ladite réforme semble
moins satisfaisante au vu des revendications aporétiques à cet effet. Ainsi, une
question importante nécessite d’être posée. Le fédéralisme communautaire peut-il
constituer une panacée pour la représentation institutionnelle des minorités
ethniques afin d’éviter la banqueroute de l’État camerounais ? La résolution de cette
problématique est basée sur la démarche qualitative guidée par la théorie fédéraliste.
C’est une démarche privilégiée pour apporter les solutions aux problèmes que
traînent les Camerounais depuis des décennies qui se manifestent par des replis
identitaires. Il s’agit d’amener les différents acteurs à un pacte de fédéralisme
communautaire ou d’« ethno fédéralisme » dont la représentation institutionnelle
des minorités ethniques concourrait mutatis mutandis à la prise en compte des
strates sociales géographiquement identifiées, pour le partage des privilèges de toute
sorte. Vu le substrat étatique du Cameroun, ce système serait une force pour
endiguer les ondes négatives qui cherchent à vaciller l’État et revitaliser son vivre
ensemble en tourment.

1. Facteurs de l’institutionnalisation du fédéralisme


communautaire au Cameroun

Le fédéralisme est un système dont les principes reposent sur le partage des
pouvoirs entre l’État fédéral qui détient les compétences régaliennes en matière
de défense et de politique étrangère entre autres, et des États fédérés qui ont des
compétences qui ne dépendent pas du pouvoir central et de l’autonomie reconnue
par la constitution (Nay, 2017, p. 448). De cette appréhension générique, le
système fédéraliste dégage plusieurs déclinaisons. Preuve que ce n’est pas une
doctrine homogène, il diffère d’un pays à un autre. C’est la raison pour laquelle la
conception de Michael Burgess semble appropriée à la thématique traitée. Parce
qu’un État fédéral regroupe « les politiques de différence et de diversité recoupent
les politiques de reconnaissance, de manière à être formellement incorporées dans
une constitution écrite, ainsi que dans le système juridique et politique » (Burgess,
2020, p. 28)
Dans ce travail, il ne s’agit pas de traiter le système fédéral dans sa
conception théorique éparse, mais de se focaliser sur la perspective
communautaire qui constitue un moyen efficace de sécurisation de la valeur des
différentes communautés. Cela étant, cette articulation prend appui sur les
facteurs de l’institutionnalisation du fédéralisme communautaire. Pour y
parvenir, il est nécessaire de se fonder sur les faits historiques, le poids des
ethnies et les facteurs politico-économiques inhérents au Cameroun.

161
1.1. L’archéologie des faits historiques pour la redéfinition de la
forme de l’État au Cameroun

Faire l’archéologie des faits historiques pour redéfinir les institutions est une
démarche qui consiste à « exhumer » les formes historiques d’organisation
sociopolitique des proto États qui ont existé au Cameroun dans leurs strictes
structurations stato-centriques pour en tirer la valeur endogène des institutions,
pour l’équilibre de la société. Cependant, la rencontre avec l’Occident dans sa
politique de bifurcation des institutions traditionnelles suite au schéma structurel
imposé lors de la Conférence de Berlin perdure. En ce XXIe siècle, cela se justifie
par le mode de vie et d’organisation des organes étatiques au caractère occidental,
mais sans véritablement l’être. Voilà pourquoi dans la perspective historique, il
est nécessaire de s’en inspirer pour envisager l’institutionnalisation des sociétés
modernes à partir des réalités camerounaises. L’Histoire livre donc à cet effet, des
possibilités pour parvenir à la compréhension des sociétés et à leur redéfinition
selon les contextes.
En fait, cet apophtegme nous enseigne qu’« indépendamment même de toute
éventualité d’application à la conduite, l’histoire n’aura donc le droit de
revendiquer sa place parmi les connaissances vraiment dignes d’effort, seulement
dans la mesure où, au lieu d’une simple énumération sans liens et quasiment sans
limite, elle nous promettra un classement rationnel et une progressive
intelligibilité » (Bloch, 1952, p. 9). Si on s’appuie sur le fait que les États sont
dynamiques, il y a lieu de dire que l’histoire du Cameroun offre un large éventail
de redéfinition de ses institutions qui ont été fondées essentiellement pour la
perpétuation du système impérialiste dont sa métamorphose s’est traduite sur une
forme rampante appelée néocolonialisme. L’écologie de l’histoire1 du Cameroun
consiste aussi à prendre conscience de l’endogénisation des institutions sur la base
d’un fondement qui sied à la modernité et sur des us et coutumes. Car, l’imposture
franco-britannique quant à l’architecture étatique lors de l’octroi des
indépendances du Cameroun semble ne pas correspondre aux aspirations de la
génération des Camerounais actuels.
Au regard des systèmes d’organisation politique des institutions avant
l’extraversion culturelle, institutionnelle du Cameroun, on peut conclure
qu’« Une des solutions d’avenir de nos institutions sera d’inventer
l’alternativité, une alternativité dans un Cameroun réputé comme étant une
Afrique en miniature. L’alternativité régionale s’avèrerait peut-être comme la
règle la plus souhaitable, consistant en une rotation du pouvoir suprême entre
toutes les régions du pays » (Owona, 2015, p. 95). L’Histoire étant une science
des hommes dans le temps, elle doit se donner des moyens aujourd’hui pour en

1Dans cette réflexion il faut comprendre par « écologie de l’Histoire du Cameroun », une manière
particulière de procéder par une analyse quantitative dans l’optique de mettre en relation les
données ou mieux les faits de l’histoire sociopolitique, culturelle et économique inhérents au
Cameroun.

162
proposer des solutions durables. Ce qui est important de connaître dans le
contexte d’institutionnalisation du Cameroun est que c’est une société
essentiellement constituée des proto États ou des organisations sociopolitiques
bien structurées et respectées par tous. Déjà dès l’antiquité, lors du périple
d’Hannon, cette organisation était déjà une réalité à partir même des tissus
familiaux (Mveng, 1963, p. 65).
De l’antiquité jusqu’en 1884, ces institutions traditionnelles ont existé dans
leurs formes originales. Dès 1884, date de la signature du Traité germano-Duala
jusqu’en 1916, période du partage anarchique du Kamerun, ces proto États ont
survécu sous le diktat allemand avec des méthodes brutales qui consistaient à
charcuter des « chefferies » bien organisées. De 1916 à 1961, la diversité du
Cameroun était dans un cycle de désinstitutionalisation. Ceci parce que son
territoire a été bifurqué dont une partie de quatre cent vingt-cinq mille (425 000)
km2 est revenue à la France et l’autre de quatre-vingt-cinq mille (85 000) km2 est
revenue à l’Angleterre. Par la suite, cela s’est traduit par l’émergence d’un peuple
avec deux territoires, deux cultures étrangères et deux systèmes d’organisation
politique qui ont été imposés. Malgré la détermination des Camerounais à
revendiquer leur liberté, leur réelle indépendance a été volée (Deltombe et al,
2016, p. 97). Depuis l’indépendance en 1960 pour la partie francophone et en
1961 pour la partie anglophone, tout a été fait pour poursuivre la cause extérieure
en adoptant le système institutionnel que les Français et les Anglais ont institué
au détriment des réalités locales. Il s’agissait du point de départ des problèmes des
revendications irrédentistes d’aujourd’hui, avec la forte ethnicisation du
Cameroun.
Dans la même perception, malgré que l’expérience du fédéralisme qu’a connu
le Cameroun dès le 1er octobre 1961, constituée de deux États appelés Cameroun
oriental et Cameroun occidental soit un élément exogène, il est néanmoins un
facteur de motivation pour tirer de l’histoire, des expériences nécessaires afin de
résorber les irrédentismes actuels. En fait, l’unité et l’indépendance réclamées par
les leaders de l’UPC dès 1948, dans le schéma de libération totale du Cameroun et
de décentralisation eu égard de la diversité du pays ont été un échec. Cependant cet
objectif s’est concrétisé sur la forme souple en 1961. Il s’agissait de la quête de la
réunification des deux territoires par les leaders politiques anglophones menés par
Foncha et francophones conduits par Ahidjo lors de la conférence constitutionnelle
de Foumban du 17 au 21 juillet 1961.
Ahidjo déclarait à l’occasion : « nous choisissons un cadre fédéral… parce
que… un système confédéré d’autre part, trop instable, ne favorisera pas le
rapprochement et le lien profond que nous désirons » (Ahidjo, cité par Ngoh,
2011, p. 50). Dans la même perspective, les deux hommes semblaient être
d’accord quant à la finalité à atteindre, à savoir le fédéralisme. C’est alors dans
ce sens que Foncha affirmait à son tour : « nous avons gardé à l’esprit… que
nous ne devons pas, cependant, oublier l’existence de deux cultures…
l’administration centrale, par conséquent, ne recevra expressément que des
sujets très limités, tandis que les États auront en grande partie la permission de

163
continuer tels qu’ils sont actuellement » (Foncha, cité par Ngoh, 2011, p. 50).
Avec cette volonté d’institutionnaliser le fédéralisme au Cameroun, elle fera
bien sa petite expérience entre 1961 et 1972.
C’est donc l’opportunité de relever que la désinstitutionalisation du
fédéralisme au Cameroun n’a guère été sans regret. Elle a laissé place à la
nostalgie entretenue par certains adeptes de ce système politique jusqu’à nos
jours. Certains ont pensé à la volonté délibérée des politiques à bannir les
communautés à travers la rigide concentration du pouvoir central depuis 1972.
Les quelques faits suivants le prouvent comme l’Ordonnance n° 62-0f-12 du
12 mars1962 portant répression de la subversion un an après l’instauration du
fédéralisme, l’échec de l’institutionnalisation du bilinguisme à l’échelle
nationale, le phagocytage des partis politiques à caractère ethnique au profit de
l’Union nationale camerounaise en 1966, etc.
De ce qui précède, il y a lieu de reconnaître que cette conception qui consiste
à prendre conscience du passé historique pour un État fédéral de type
communautaire est une révolution dont a besoin le Cameroun en cette période
charnière pour la stabilité durable du pays. D’autres pays polyethniques l’on érigé
en modèle institutionnel. Le cas des Pays-Bas reste une référence dans sa politique
« des minorités ethniques » avec la promotion du multiculturalisme dans le cadre
de la perpétuation de la tradition hollandaise à travers le système de Pillarization
(Doytcheva, 2005, p. 58). Voilà pourquoi il faut comprendre qu’il ne s’agit pas
d’une conception ex nihilo, mais des faits historiques qui se sont opérés dans
certains pays du monde et dont la stabilité institutionnelle reste une référence.
Cette audace et innovation institutionnelle au nom de la stabilité, du
développement et de l’unité dans la diversité, est possible au Cameroun. On peut
étendre les illustrations historiques à cet effet, les événements d’antan comme la
Révolution meiji revendiquant la profonde intériorisation des Japonais, la
Révolution chinoise dans sa combinaison des principes confucéens, traditionnels
et modernes, la Révolution française dans sa logique de mettre fin à l’ancien
régime conservateur pour nouvelle république libre, la Révolution russe dans sa
perspective d’instauration d’une République socialiste fédérative, la révolution
américaine qui a vu naître une République fédérale, etc.

1.2. Le poids et la dynamique des ethnies comme baromètre


d’institutionnalisation

Le Cameroun est un pays essentiellement multiethnique et multiculturel.


Cette hétérogénéité est originelle malgré la dynamique et les mutations de sa
société. C’est-à-dire, la dynamique communautariste s’est considérablement
accrue et le poids des ethnies au Cameroun et la perception irrédentiste de plus
en plus encouragée, donnent lieu à penser que la diversité et la pléthore des
communautés au Cameroun, constituent un baromètre pour la refondation de ses
institutions. Ceci dans une logique fédéraliste pour la représentation

164
institutionnelle des différentes communautés et pour la gestion du patrimoine
commun parce que « la société camerounaise par essence a vocation à être
structurée par une philosophie fédérale » (Libii, 2021, p. 43). C’est un chantier
qui consiste à sauver l’unité territoriale, l’unité des Camerounais et pour bannir
efficacement les velléités sécessionnistes. Ce chantier concerne tous les
Camerounais afin d’éviter la catastrophe situation de guerre du Soudan depuis
1956 jusqu’à sa scission en 2011 et dont la stabilité envisagée à travers la
déterritorialisation reste à venir.
La logique de l’institutionnalisation formelle des ethnies au Cameroun est
une réalité historique, anthropologique, ethnologique, culturelle ou sociologique
consistant à donner un caractère institutionnel aux ethnies. Cette dynamique
prend corps dans le processus de migration et peuplement du Cameroun qui se
pratiquait par affinité ethnique, des us et coutumes, des langues, des espaces
géographiques, etc. Il serait alors impossible de la dissoudre politiquement ou
juridiquement. Il s’agit plutôt de démocratiser les considérations
communautaires au Cameroun pour l’équilibre et l’équité dans la gestion de la
République fédérale. En cela, il faut reconnaître derechef que :
Le maintien des équilibres ethniques peut expliquer le rayonnement
économique et la stabilité sociopolitique de certains pays. Au Cameroun, par
exemple, il existe dans la gestion de l’État quelques pratiques informelles dont
la finalité consiste à maintenir les grands équilibres ethniques et à assurer
l’insertion de toutes les ethnies dans les organes de gestion du pouvoir, à des
degrés variables. (Abouna, 2011, p. 18).
À la suite de Paul Abouna, il convient de proposer le fédéralisme
communautaire au Cameroun. C’est un impératif démocratique parce que les
centaines d’ethnies qui composent le Cameroun sont considérées par les
Camerounais selon leur appartenance comme leur institution première de
référence avant l’État central. Voilà pourquoi les chefferies jouent un rôle fort
apprécié pour l’intégration, la régulation sociopolitique, philosophique et
anthropologique au sein des communautés. Donc, une représentation
institutionnelle au niveau local et régional serait plus légitime, proche et juste
pour les Camerounais, d’où l’idée de la représentation institutionnelle des
communautés codifiée par le système fédéral. Cependant, un gouvernement trop
centralisé dans un pays à forte ethnicisation, politiquement tribalisé et
historiquement acculturé à travers le processus de francophonisation et
d’anglophonisation imposé, il y a lieu de dire que cela constitue des facteurs qui
contribuent à l’effritement de l’Unité nationale et nécessite une reconfiguration
institutionnelle.
Fort de cette perception, il est nécessaire de reconnaître que la centralisation
du pouvoir semble être antinomique dans le contexte actuel. Ceci parce que le
mouvement d’affirmation des communautés devient de plus en plus pressant et
les communautés sont une force de changement dans le monde, car leur
dynamique reconfigure parfois ce qu’on peut considérer comme définitif.
D’ailleurs, les Hommes au Cameroun sont perçus et se définissent selon leurs

165
espaces géographiques, culturels ou mieux, selon leurs communautés. En clair,
l’organisation de la société camerounaise se fonde sur les critères de poursuite
d’ethnicisation. Ceci trouve un écho favorable dans les travaux de Paul Abouna
lorsqu’il présente le processus d’ethnicisation de l’espace territorial, religieux,
médiatique, politique au Cameroun (Abouna, 2011). C’est ce qui aboutit très
souvent à des revendications pour le mieux-être ou pour la représentation
institutionnelle. Ce qui jusqu’ici, paralyse le fonctionnement de l’État central et
par conséquent engendre des injustices dans la gestion de la chose publique à
travers le népotisme. Et cela ne compte guère s’arrêter au regard de la résurgence
à chaque fois des cris de marginalisation. Bien sûr que l’État à trouver les mesures
palliatives pour l’équilibre entre les communautés dans le cadre législatif et
règlementaire, mais cela n’a en rien empêché les revendications communautaires
dues aux insuffisances de représentation institutionnelle. Voilà pourquoi : « Faute
de solidarité nationale, englobante, il faudrait fonder les institutions publiques sur
les solidarités réelles, de nature culturelle, régionale, par la mise en place dans
chaque État d’un certain nombre d’États fédérés ethniquement homogènes, autour
de la ville principale de chaque région » (Njoh Mouelle et Michalon, 2011, p. 8).

1.3. La configuration politico-économique et architecture


institutionnelle

Les institutions au sein d’un État sont influencées par les facteurs politiques
et économiques. Elles sont également animées par les hommes qui constituent
les artisans de recherche des moyens d’adaptation face à certaines mutations.
On comprend au-delà de cela que les partis politiques et leurs acteurs jouent un
rôle important dans un pays. En passant, le parti politique peut être considéré
comme étant des organisations dont les membres partagent les mêmes valeurs
idéologiques, le même projet politique avec pour objectif, la conquête du
pouvoir (Hermet et al, 2010 : 340). Les partis politiques diffèrent les uns les
autres en fonction des idéologies. Il s’agit par exemple de l’idéologie
communiste, fédéraliste, démocratique, confessionnelle, écologiste, etc. Sur la
base de leur idéologie, les partis politiques déterminent une architecture qui
correspond à leur fondement politique et juridique.
À l’analyse, les partis politiques sont à l’image des multiples ethnies au
Cameroun. Ce qui veut dire qu’il y a un lien consubstantiel entre partis
politiques et ethnies au Cameroun. Avec environ deux cent cinquante (250)
ethnies, les formations politiques se dénombrent à plus de trois cents (300) dans
l’ensemble du territoire national, soit 1,2 parti politique qui serait créé par
ethnie. Il faut donc comprendre par-là que les partis politiques au Cameroun
sont fondés pour la plupart sur la base ethnique et les politiques trouvent leur
réconfort face à cette situation informelle au détriment des partis qui offrent
d’excellents projets républicains. Ce qui favorise la situation de repli identitaire
des partis politiques sur le prisme communautaire. Bien sûr que les partis de

166
masse ont existé au Cameroun comme l’UPC, le KNDP, l’UNC, le RDPC, mais
il n’en demeure pas que la tendance actuelle est la recrudescence de la création
des partis politiques à caractère ethnique, dont le rayonnement est plus resté
local. Ceux-ci participent rarement aux échéances électorales et quand même,
ils ont participé, les revendications postélectorales sont faites sur la base
ethnique. En clair :
L’une des conséquences nécessaires de la configuration ethnique des partis
camerounais est l’ethnicisation des revendications politiques. Elles sont
apparues ces dernières années sous la forme de mémorandum ou de documents
écrits divers, mettant en relief les problèmes non pas des classes sociales, des
classes d’âges, des catégories socio professionnelles, des genres, etc., mais des
régions et des ethnies qui y vivent (Abouna, 2011, p. 77).
Sur le plan économique, il est également question de la configuration
économique dans l’influence des institutions d’un pays. En fait, l’économie ici,
constitue l’ensemble des activités d’une collectivité humaine relatives à la
promotion, à la distribution et à la consommation des richesses (Larousse, 2005,
p. 392). En plus des facteurs sociaux et communautaires relevés en sus, il est à
noter que le paysage politico-économique du Cameroun est disposé à une
restructuration des institutions, adaptées pour la régulation de la vie des
communautés.
Il faut ajouter que la géographie de l’économie camerounaise est parfois
source des revendications communautaires. Étant un pays dont l’agriculture
informelle constitue la principale économique, il faut savoir qu’il s’agit pour la
plupart d’une agriculture primaire. C’est dire que chaque région se définit en
fonction de ses activités économiques ou mieux, de l’économie qui correspond
à son aire géographique et écologique comme l’espace soudano-sahélienne,
l’espace des hauts plateaux de l’Ouest, l’espace des forêts humides à
pluviométrie monomodale et l’espace des hautes savanes guinéennes. C’est à ce
titre que l’élevage, les cultures maraichères, des céréales, du cacao, du café et
des palmiers à huile ou l’exploitation des ressources naturelles correspondent à
chaque espace géographique spécifique. Cette disparité de la géographie de
l’économie camerounaise est un indicateur pour la recherche des mesures
d’autonomisation et d’institutionnalisation des régions camerounaises. Une
stratégie efficace pour que toutes les communautés participent à la gestion des
ressources et au développement du Cameroun dans son ensemble et de leurs
différentes localités en particulier, car le fédéralisme est « le seul système
politique qui puisse se concilier avec la vraie révolution et réaliser l’égalité
économique, est la fédération » (Proudhon cité par Lekene Donfack, 1979, p. 6).
La stratégie de redéfinition des institutions constitue un mécanisme de justice
dans l’optique de pallier les revendications liées à l’injustice économique ou au
partage inéquitable des richesses nationales. In fine, cette politique peut être
adossée sur le système de fédéralisme communautaire, capable de fédérer toutes
les couches ethniques dans l’optique de consolider la conscience nationale à
partir des communautés sur un même idéal.

167
2. Fédéralisme communautaire : une opportunité pour la
représentation institutionnelle des minorités ethniques au
Cameroun

Le Cameroun est un pays ethniquement hétérogène. Par conséquent, les


irrédentismes qui ont cours contribuent à la désintégration de son vivre
ensemble jadis un modèle. En plus, la guerre engagée dans les régions du Nord-
Ouest et du Sud-Ouest en 2016 pour la sécession a considérablement donné des
signaux à plusieurs régions ou communautés dans la lutte pour
l’autonomisation. Ce qui est un réel motif de réflexion dans la perspective de
recherche des solutions durables. Il convient donc de reconnaître que le
fédéralisme communautaire est un moyen pour la représentation des minorités
et surtout de limiter les conflits ethniques et des revendications à caractère
sécessionnistes. Pour y parvenir, cela passe par la consolidation du processus de
représentation des minorités au niveau des institutions locales telles que les
Collectivités territoriales décentralisées (CTD) ainsi que les assemblées
parlementaires. Cette articulation a pour but de montrer la valeur démocratique
de la représentation des minorités au Cameroun dans un système fédéral de type
communautaire.

2.1. Les institutions locales et la représentation des minorités au


Cameroun

Les institutions locales dans la représentation des minorités au Cameroun


sont une idée qui vise à recenser les couches sociales longtemps ignorées afin
de protéger leur mode de vie et de leur permettre de s’auto administrer. C’est
également une vision de justice sociale qu’il faut maintenir dans un système de
fédéralisme communautaire au Cameroun. Les institutions sociales,
économiques et politiques ici concernent les Collectivités territoriales
décentralisées et d’autres institutions jugées nécessaires capables de permettre
aux minorités de faire prévaloir leurs droits.
Parlant des CTD au Cameroun, elles voient le jour juridiquement à l’issue
de la modification constitutionnelle de 1996. C’était à la suite de la Tripartite
en 1991, des revendications des partis politiques, de la société civile en 1990
et des revendications des acteurs anglophones favorables à la sécession
depuis la réunification en 1961 (Konings, 1961, p. 26). Bien sûr que la
volonté du gouvernement à vouloir aller vers un État unitaire décentralisé
peut être mise en exergue dans ce processus de décentralisation, mais cette
volonté n’était qu’un affichage, car c’est en 2020, c’est-à-dire plus de deux
décennies après que ces Collectivités territoriales décentralisées ont été
institutionnalisées.

168
À cet effet, ces collectivités territoriales décentralisées dont il est question
ici sont les Régions et les Communes. Elles sont tenues de respecter l’unité,
l’intégrité du territoire, la primauté de l’État et disposent d’une autonomisation
administrative et financière (Code des CTD, 2019). Les collectivités territoriales
décentralisées peuvent également être considérées comme des espaces
géographiques qui revêtent la responsabilité juridique, capables de s’auto
administrer. Pour cela, chaque collectivité territoriale décentralisée détient « une
sorte de carte d’identité » (Thoumelou, 2016, p. 13). À la compréhension, cette
carte d’identité résume son histoire, détermine ses potentialités économiques, sa
configuration ethnique et politique.
Il est néanmoins important de rappeler que l’État a prévu quelques
passerelles pour la représentation des ethnies au sein des institutions locales.
Cependant, le mode d’accession est resté opaque et élitiste au détriment de
véritables représentations institutionnelles démocratiques des communautés.
C’est alors suite aux multiples revendications à caractère ethnique, qui ont
d’ailleurs entrainé une guerre armée de sécession dont il est important de
proposer dans cette réflexion le fédéralisme communautaire. Lequel
fédéralisme s’inscrit dans la logique de donner une chance aux pléthores des
minorités pour une représentation institutionnelle véritable qui prend en
compte les aspirations des communautés. Une fédération à dix États ou les
États rassemblés selon les aires culturelles et géographiques ou économiques
est une nécessité au regard des mutations irrédentistes actuelles. Cela est
également possible, car le Cameroun compte trois cent soixante (360)
communes et les quatorze (14) communes de villes, c’est-à-dire, chaque
arrondissement a une collectivité territoriale à savoir la commune catégorisée
selon la densité de la population. C’est dans cette perspective au sein de
laquelle toutes les minorités ethniques peuvent participer pour la gestion des
richesses locales, à la prise de décisions, aux débats démocratiques des
problèmes de leurs localités. Bref, il s’agit d’une décentralisation plus poussée
et démocratique à la différence de celle en vigueur.
Il est vrai qu’en l’état, les minorités ne se sentent en rien concernées de
l’administration de leurs différentes institutions locales, pourtant la gouvernance
locale véritable sur la base du fédéralisme est une possibilité politique qui :

Donne aux unités sub-Étatiques, par exemple, le pouvoir de privilégier certaines


politiques publiques qui diffèrent des standards établis par l’ordre de
gouvernement central ; la capacité de générer des revenus au moyen d’une
imposition spécifique ; la latitude suffisante pour accepter ou refuser un
financement fédéral pour la réalisation de projets spécifiques ; la capacité
d’adapter, suivant des paramètres régionaux, l’implantation de règles établies par
le gouvernement fédéral » (Mueller, 2020, p. 51)

De même, c’est une chance pour limiter les conflits ethniques dans le champ
politique, économique ou culturel. Parce que dans un système de forte
centralisation de pouvoir, dans un paysage multiethnique, plurilingue et

169
multiculturel, l’État peut difficilement résister aux irrédentismes généralisés
d’une violence physique et verbale inouïe comme au Nord-Ouest et au Sud-
Ouest Cameroun, surtout que cette crise met l’État dans une situation
d’instabilité explosive (Keutcheu, 2021, p. 24). Raison pour laquelle il convient
de procéder à la recherche des solutions avant-gardistes pour la satisfaction des
peuples dans leur ensemble.
Compte tenu donc des inégalités croissantes entre Camerounais, il est
nécessaire de mettre sur pied un système fédéral de type communautaire
pouvant représenter les personnes vulnérables, des couches défavorisées, des
minorités ignorées pour leur donner les opportunités réelles de participer à leur
émancipation au niveau local. Nous pensons à toutes les communautés là où
elles se trouvent mieux représentées avec un pourcentage requis comme les
Pygmées, les déplacés définitifs internes, les Montagnards, les Bororos, etc. Ces
communautés que l’État a bien voulu qualifier de communautés défavorisées
qui connaissent de véritables difficultés, mais ne sont pas assez représentatives
dans les collectivités territoriales. Pourtant, il y a des ethnies ignorées qui ne
font jamais partie au sein desdites collectivités parce que le système de
représentation censitaire informelle est une réalité au Cameroun. Il est donc
important de favoriser ou d’imposer que ces différentes couches soient
représentées au niveau local. Cela est plus favorable par une organisation locale
autonome régie par une législation qui encadre cette représentation dans un
système de quotas communautaires, car elle est « la condition transcendantale
sans laquelle des buts communs ne peuvent véritablement pas être réalisés »
(Mbonda, 2009, p. 49).

2.2. La représentation des minorités dans les assemblées


parlementaires fédérées

La volonté d’institutionnaliser le système fédéral au Cameroun dans ce


travail se fonde sur la négligence des spécificités des Camerounais dans le
partage des richesses communes, sur la forte propension des revendications à
caractère ethnique et sur la guerre de sécession qui déchire le Cameroun. Cette
architecture institutionnelle implique que les États fédérés aient une assemblée
locale ou mieux, une assemblée fédérée. Ces assemblées fédérées jouent le rôle
de législateur et de contrôleur des politiques des gouvernants des différents
exécutifs subétatiques. Elles sont également encadrées par les lois supra
étatiques qui concourent au maintien de l’unité nationale dans la diversité ou à
la codification de la politique étrangère.
Historiquement, ces assemblées fédérées ont bien existé au Cameroun sur le
plan constitutionnel dès 1961. Elles ont effectivement siégé pour la première
fois, le 24 avril 1962 (Efoua et Damrawa, 2017, p. 61). C’est-à-dire de 1962 à
1972, l’expérience des assemblées dans un système fédéral a existé dans
l’optique de représenter les populations des deux États fédérés. Il y avait donc

170
l’Assemblée législative du Cameroun oriental (ALCAMOR) qui était
unicamérale et l’Assemblée législative du Cameroun occidental (ALCAMOC)
quant à elle, était bicamérale. Tout ce divertimento des assemblées
parlementaires n’avait que pour objectif de représenter le peuple dans sa
multiethnicité. Meyolo parle de l’Assemblée nationale fédérale comme le socle
de la construction d’une identité narrative camerounaise et propose le retour à
l’organisation institutionnelle fédérale d’antan qui pour lui, constitue « une
solution pour la renaissance historique camerounaise indispensable pour le
développement de ce pays » (Meyolo, 2019, p. 83).
Au regard de ce qui précède, il convient de plaider pour un système fédéral
au Cameroun pour combler le déficit de représentation des minorités dans les
assemblées parlementaires. C’est une nécessité démocratique cardinale dans un
Cameroun qui cherche véritablement à se moderniser.
De fait, cette analyse se veut un plaidoyer pour la représentation juste de la
population dans son ensemble par les parlementaires. Car au Cameroun, on
observe les couches des minorités disproportionnellement représentées au sein
du parlement. Il se dégage également une inadéquation entre les ethnies et
l’ensemble des parlementaires qui constitue l’ossature du peuple camerounais.
Dans cette perceptive, nous pouvons dire derechef :
Il est une évidence que l’évolution de la population au Cameroun est en
constance croissance. En revanche, l’État entretient une certaine incongruité à
cause du manque d’une bonne politique de recensement de la population qui
survient des décennies après avec des chiffres démographiques qui ne reflètent
pas toujours les dynamiques de la natalité et de la mortalité de la population
(Nebeu, 2020, p. 171).
Au Cameroun, cent quatre-vingts (180) députés représentent une population
estimée à vingt millions cent trente-huit mille six cent trente-sept (20 138 637)
habitants, selon les chiffres donnés par le Bureau central des recensements et
des études de population (BUCREP) en 2011 (www.bucrep.cm, 2011) et cent
(100) sénateurs représentent plus de trois cent soixante (360) Collectivités
territoriales décentralisées.
À cela, si la représentation nationale tient compte des constituantes
sociologiques, le Cameroun a plus de deux cent cinquante (250) ethnies
représentées à l’Assemblée nationale du Cameroun par cent quatre-vingts
(180) députés. C’était à la suite de la réforme constitutionnelle de 1988 qui
avait été élaborée sur la base d’une population estimée à presque dix (10)
millions dans un contexte de parti unique et d’hyper centralisation du pouvoir.
Ce qui permet de dire que la représentation de la population par le parlement
au Cameroun, est obsolète dans un contexte de modernité, d’une population à
constance croissance, émancipée, pluriethnique, multiculturelle et en crise. Le
tableau qui suit, est une illustration qui peut permettre d’avoir une vue
synoptique de l’approximative représentation intentionnelle de la population
au Cameroun.

171
Tableau 3 Représentation attenante de la population par les députés au Cameroun
N° Régions Population régionale Nombre Pourcentage de
régional des Représentation de
députés la population
1 Adamaoua 1.064.807 10 0,000 93 %
2 Centre 3.690.656 28 0,000 75 %
3 Est 811 844 11 0,000 13 %
4 Extrême Nord 3.617.237 29 0,000 80 %
5 Littoral 2.996.931 19 0,000 63 %
6 Nord 2.166.897 12 0,000 55 %
7 Nord-Ouest 1.842.158 20 0,000 10 %
8 Ouest 1.816.775 25 0,001 3 %
9 Sud 709 876 11 0,001 5 %
10 Sud-Ouest 1.421.456 15 0,001 0 %
Représentation Population 20 138 637 180 Députés de Représentation
nationale totale totale la nation nationale de la
population
8,938 %
Source : Nebeu (2020, p. 173).

À l’observation, la population camerounaise a triplé en trois (3) décennies et


le nombre des représentants du peuple n’a point changé. Il transparait alors une
faillite dans la représentation nationale de la population en général et des ethnies
minoritaires en particulier. Ce qui est susceptible de créer les dissensions
sociales d’envergure. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de tendre
vers la prise en compte des minorités dans un système fédéral afin de mieux les
représenter au sein des assemblées fédérées de chaque État fédéré. Une option
qui peut dépendre des différentes législations des États à condition qu’elles
prennent en compte toutes les couches sociales et rapprocher les assemblées des
minorités ethniques.
À titre de perspective, cela peut s’envisager sur le principe des sièges
réservés pour les parlementaires issus des couches minoritaires de la population.
Comparativement, l’architecture de l’Île Maurice qui réserve huit (8) sièges sur
soixante-dix (70), de l’Inde qui réserve soixante-dix-neuf (79) sur cinq cent
quarante-neuf (549), du Liban qui réserve onze (11) sur cent vingt-huit (128)
cela peut inspirer le Cameroun, pays à la diversité ethnique et multiculturelle
dans ce processus. En fait, ce procédé prend en compte la volonté populaire,
raison pour laquelle elle a été institutionnalisée pour la prise en compte de toute
la population dans la gestion politique, économique et de préservation des
identités. C’est aussi une option démocratique pour s’affranchir des systèmes
opaques qui entretiennent les ressentiments entre les ethnies (Nebeu, 2020,
p. 325).

172
2.3. La valeur démocratique de la représentation des minorités

L’expression démocratie mise en exergue dans ce travail pour dégager sa


valeur dans le système de fédéralisme communautaire nécessite de faire
découler ses contours expressifs. Toutefois, sans s’attarder sur ses principes
classiques, la démocratie est une exigence morale, une valeur vitale pour le
fonctionnement des institutions et du bien-être de la population (Nebeu, 2020 :
8). Dans le contexte de guéguerre, la pratique démocratique se révèle comme un
instrument pour la justice, la liberté et pour la bonne gestion de la croissance du
Cameroun. En fait, la pratique démocratique voulue dans un système fédéral
n’est pas une transposition, mais une pratique propre aux réalités
multicommunautaires camerounaises pour la participation et la représentation
des minorités ethniques dans les institutions politiques des États fédérés. Il faut
donc comprendre par-là avec Lanciné que :

Les régimes qui portent actuellement le nom de démocratie sont très différents
les uns des autres, autant dans leurs conceptions ou leurs interprétations du
concept lui-même de démocratie, que dans les pratiques de la démocratie et dans
les aménagements constitutionnels des institutions les plus essentielles à son
fonctionnement régulier. Ces différences entre les divers régimes démocratiques
dépendent, entre autres, de l’histoire et de la culture politiques, c’est-à-dire du
système des valeurs, des traditions et des convictions propres à chaque société ;
mais aussi de ses stratifications sociales, de sa composition ethnique, raciale ou
religieuse, et de beaucoup d’autres facteurs qu’il serait fastidieux de rappeler ici
(Lanciné, 2006, pp. 21-22).

Dans la pratique, il est important de relever que la législation et la


réglementation au Cameroun encadrent les minorités ethniques. De même, la
société civile, les organisations internationales, les organisations non
gouvernementales œuvrent aussi pour le respect des couches ignorées. À la
vérité, la difficulté dans ce combat se présente au niveau de l’applicabilité des
textes dans le processus de représentation institutionnelle des groupes
minoritaires, des femmes, des jeunes et des couches défavorisées. Il faut ajouter
à ce manquement, les clivages tribaux et ethniques entretenus par les politiques
afin de bénéficier politiquement des rentes engendrées par l’exclusion et le
désaccord entre certains groupes sociaux.
L’obsolescence des textes qui protègent les minorités ethniques constitue
également une difficulté dans la représentation institutionnelle au Cameroun. Ce
qui est donc une aubaine pour proposer une (ré) définition institutionnelle, une
adaptation de la législation et de la réglementation dans le contexte actuel de
clivages sociaux. Un contexte caractérisé par les relents d’ethnicisation, de
politisation et de tribalisation des couches sociales de toutes les régions et de
volonté de sécession du territoire camerounais revendiquée par certains
Camerounais du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.

173
La représentation institutionnelle des minorités ethniques dans un système de
fédéralisme communautaire proposée dans cette réflexion revêt une valeur
démocratique pouvant contribuer à l’apaisement du climat dégradé et conduire à
l’épanouissement socioéconomique des Camerounais. C’est une démarche de
prise en compte de la valeur du peuple camerounais dans sa diversité, car, « Le
peuple est à la fois principe, sujet et fin, ou encore, ce sujet est à lui-même sa
propre fin. C’est reconnaître que la vraie démocratie, reconduite en permanence
à l’activité du peuple, se déploie nécessairement dans un élément
d’idéalité » (Abensour, 1997 : 90). De ce qui précède, il s’agit, par conséquent, de
libérer le peuple camerounais du cachot de la centralisation du pouvoir digne des
régimes westphaliens qui ont cours depuis la fin du fédéralisme en 1972.
Le principe cardinal, entre autres à relever ici pour y parvenir, est la liberté
des groupes minoritaires à s’exprimer politiquement dans un cadre d’autonomie
et de confiance mutuelle. Il s’agit d’impliquer la population pour qu’elle
découvre enfin sa valeur et son indispensabilité dans la gestion de la chose
publique. Cette liberté d’expression politique de proximité favorise l’expression
de la démocratie plus ou moins directe au niveau des États fédérés. Ce qui
conduit inéluctablement au partage des postes dans les institutions fédérales. À
cet effet, l’institutionnalisation du fédéralisme communautaire au Cameroun,
dans le contexte actuel, est une démarche démocratique capable de contribuer à
la résolution définitive du conflit armé dans les régions du NOSO, limiter la
propension du tribalisme ambiant et les clivages ethniques. C’est une possibilité
pour trouver des solutions à travers des méthodes endogènes, traditionnelles et
constitutionnelles propres à chaque État. Bien sûr que l’intégrité territoriale
incombe à l’État central, mais la sécurité de chaque État fédéré revient à chacun
d’eux dans la perspective de lutter efficacement contre les bandes armées locales
qui sévissent à travers les mécanismes locaux et pour une gouvernance
démocratique de la diversité.
Sur la base du fédéralisme communautaire, les communautés peuvent
recouvrer la liberté d’organisation de leur économie. Ce qui est une voie royale
pour démocratiser la gestion économique par les gouvernements fédéraux afin
d’accélérer la croissance du Cameroun en général et celle des différents États
fédéraux en particulier. La motivation de la ressource humaine pour la
mobilisation des richesses locales est également une ouverture démocratique pour
résoudre le problème du chômage et pour le développement participatif dans
l’optique de changer les paradigmes qui bloquent le Cameroun. C’est un canevas
nécessaire pour se départir des incantations gouvernementales sur l’émergence du
Cameroun en 2035. Une politique des slogans creux dont les Camerounais se sont
habitués depuis des décennies. Au regard du mouvement irréversible de lutte pour
la démocratie commencée depuis 1990, on peut dire que l’idéal poursuivi par les
Camerounais pour la marche vers la démocratisation des institutions n’a pas
encore été véritablement atteint.
À travers cette architecture institutionnelle du fédéralisme communautaire,
le gouvernement fédéré se donne les moyens nécessaires de réduction de la

174
corruption dont le Cameroun est depuis 1998 l’un des pays les plus corrompus
du monde. Ce pays continu à être l’un des foyers où ce fléau tarde à être éradiqué
à cause de certaines dispositions constitutionnelles inapplicables comme
l’article 66 de la Loi n° 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la
Constitution du 2 juin 1972. Il faut ajouter l’implication et la clémence de
certaines autorités sur les actes de corruption. Selon cet article 66 de la
Constitution, il est dit que :

Le Président de la République, le Premier ministre, les membres du Gouvernement


et assimilés, le président et les membres du bureau de l’Assemblée nationale, le
président et les membres du bureau du Sénat, les députés, les sénateurs, tout
détenteur d’un mandat électif, les secrétaires généraux des ministères et assimilés,
les directeurs des administrations centrales, les directeurs généraux des entreprises
publiques et parapubliques, les magistrats, les personnels des administrations
chargées de l’assiette, du recouvrement et du maniement des recettes publiques,
tout gestionnaire de crédits et des biens publics, doivent faire une déclaration de
leurs biens et avoirs au début et à la fin de leur mandat ou de leur fonction
(Constitution, 1996).

À l’analyse, cette disposition aussi intéressante soit elle, n’est


malheureusement pas appliquée au Cameroun depuis trois décennies. Pourtant
son applicabilité aurait pu limiter l’opacité dans la gestion de la chose publique et
par conséquent, permettre le bien-être des Camerounais. En fait, c’est dans ce sens
que le fédéralisme communautaire est une possibilité donnée à l’administration
locale ou fédérée de mieux limiter la mauvaise gestion grâce à la participation de
la population dans un système décomplexé de la gestion pour éviter les
représailles à l’encontre des individus, des journalistes, des organisations de la
société civile susceptibles de dénoncer. Il s’agit d’une stratégie inclusive de
gouvernance qui prend en compte les aspirations de toute la communauté et l’État
central doit se situer comme un acteur de référence dans l’applicabilité du
processus inclusif de gouvernance démocratique

Conclusion

La problématique du fédéralisme communautaire au Cameroun survient plus


au moment où la violence armée a atteint son paroxysme dans les régions du Nord-
Ouest et du Sud-Ouest au point où il est difficile de penser à une fin imminente
des hostilités, mais une fin qui viendra certainement et qui laissera des
conséquences ineffaçables dans la reconstitution du spicilège des faits historiques.
C’est une guerre camerouno-camerounaise qui amène certains à parler de la
faillite de l’État compte tenu des multiples tentatives avortées de l’État pour la
résolution de cet antagonisme. Ainsi, les irrédentismes des ethnies dans la
réclamation politique pour leur représentation dans les institutions ont permis de

175
proposer comme possibilité, l’implémentation du fédéralisme communautaire
afin d’éviter les menaces de la banqueroute de l’État au regard de la pléthore des
communautés qui structurent l’ossature sociopolitique et économique au
Cameroun. Il ne s’agit pas dans ce chapitre de motiver le repli des communautés
sur elles-mêmes, mais de percevoir le fédéralisme communautaire comme un
idéal pour la prise en compte de l’ensemble du peuple dans la gestion
démocratique de la chose publique au sein des institutions. De même, cette forme
de l’État est un moyen d’envisager la paix durable, de préserver l’intégrité du
territoire, de créer les opportunités économiques pour tous, de consolider le
multiculturalisme et du vivre ensemble d’antan des Camerounais. Plusieurs
éléments, mobilisés dans ce travail, favorisent la redéfinition de cette architecture
étatique pour la représentation institutionnelle des minorités ethniques. Il s’agit de
l’histoire du Cameroun, de son paysage politico-économique, du poids et de la
dynamique de ses ethnies. Cette (ré) définition institutionnelle voulue par nombre
de Camerounais revêt une valeur démocratique parce que la démocratie dégage
une certaine ductilité qui se conjugue selon les caractéristiques de chaque peuple
surtout en prenant pour élément cardinal, la valeur de l’Homme dans toutes les
institutions.

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termes du débat » in Mathieu, F ; Guenette, D et Gagnon, A-G. (dirs.). Cinquante
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Consulté le 21 juin 2021 sur http://www.uqac.ca/classiquedessciencessociales/.
Konings, P.J.J. (1996). « Le “problème anglophone” au Cameroun dans les
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https://doi.org/10.7202/1077867ar.

177
CHAPITRE 7

FÉDÉRALISME COMMUNAUTAIRE ET REDÉCOUPAGES


FÉDÉRAUX SUR FACEBOOK : QUELLE(S) GÉOPOLITIQUE(S)
DES CARTOGRAPHIES DE LA REMISE EN CAUSE DE L’ÉTAT
UNITAIRE DÉCENTRALISÉ ?

Yvan ISSEKIN

Résumé
S’inscrivant dans une économie positionnelle et actionnelle des procédures variées
d’orientation et des gestions du fédéralisme communautaire au Cameroun, ce texte
analyse la remise en cause de l’État unitaire décentralisé par les cartographies de ce
phénomène géopolitique sur Facebook. Cette réflexion émerge dans un contexte de
multiplication de discours en ligne remettant en cause l’aménagement unitaire de l’État
camerounais par des revendications fédéralistes entre octobre 2018 et mars 2021. Il s’est
agi de présenter, par une démarche combinant une géopolitique locale et une
ethnographie en ligne, le rôle de ces discours fédéralistes sur Facebook dans
l’articulation entre les rivalités de pouvoir et la remise en cause de l’implémentation de
la décentralisation territoriale. Cette remise en cause plurielle de l’État unitaire par ces
idéographies du fédéralisme communautaire en ligne, repose d’abord sur des discours
et des logiques fondant ces redécoupages fédéraux alternatifs du territoire national. Les
discours de ces re-mapping servent ensuite à cristalliser des fonctions identitaires et des
usages politiques de ces idéographies fédéralistes.
Mots-clés : Cartographies, fédéralisme communautaire, re-mapping, Facebook, Cameroun.
Abstract
As part of a positional and actional economy of the various procedures of orientation and
management of community federalism in Cameroon, this text analyzes the questioning of
the decentralized unitary State by the cartographies of this geopolitical phenomenon on
Facebook. This reflection emerges in a context of increasing online discourse questioning
the unitary arrangement of the Cameroonian state through federalist demands between
October 2018 and March 2021. Using an approach combining local geopolitics and online
ethnography, the aim was to present the role of these federalist discourses on Facebook in
the articulation between power rivalries and the questioning of the implementation of
territorial decentralisation. This plural questioning of the unitary state by these ideographies
of online community federalism is based first and foremost on the discourses and logics
underpinning these alternative federal redrawings of the national territory. The discourses of
these re-mappings then serve to crystallize the identity functions and political uses of these
federalist ideographies.
Keywords: Cartographies, community federalism, re-mapping, Facebook, Cameroon.

179
Introduction
L’inflation des discours autour du fédéralisme communautaire sur Facebook
depuis 2018 renforce plus l’idée de la remise en cause de l’aménagement unitaire
de l’État au Cameroun comme objet de rivalités de pouvoir et des débats entre les
citoyens sur des territoires. Cette idée s’oppose au power branding (Filler &
Filimonov, 2017) camerounais : il apparait comme une construction verticale et
horizontale consécutive à un consensus explicite entre les populations et les élites
pour incarner le pouvoir d’état à travers la décentralisation territoriale sur le
territoire national, mais aussi à l’extérieur du pays. Pragmatiquement configurées,
ces mobilisations s’inscrivent dans une économie positionnelle et actionnelle du
fédéralisme communautaire traversée par des procédures variées d’orientation et
des gestions de cette question en ligne. Expressions des représentations
géopolitiques d’une remise en cause plurielle de l’État unitaire décentralisé au
Cameroun, les cartographies du fédéralisme communautaire en ligne, nouent des
liens entre des rivalités territoriales et l’analyse critique en ligne de l’implémentation
de la décentralisation territoriale.
Le recours aux cartographies du fédéralisme communautaire sur Facebook
charrie des représentations diverses et contradictoires des débats autour de la
décentralisation camerounaise, ses remises en cause autour des liens entre
géopolitique et démocratie (Loyer, 2019, pp.143-168). Si ces discours questionnent
les discours et les logiques des revendications du fédéralisme communautaire en
ligne, c’est parce que ces représentations charrient des fonctions et des usages divers
en ligne et hors ligne autour des notions de peuple(s) de minorités et d’identités et
d’égalité pour vaincre et éviter le conflit « en les conditions du compromis entre des
acteurs antagonistes » en démocratie (Loyer, 2019, p.143). En d’autres termes, les
cartographies du fédéralisme communautaire mettent en scène les affects
quémandeurs des groupes sociaux et des populations vis-à-vis de l’État dans la
conduite du processus de la décentralisation territoriale au Cameroun.
Il s’est agi de présenter comment est-ce que ces cartographies véhiculent une
remise en cause plurielle de l’État unitaire décentralisé au Cameroun par des
partis politiques, des personnalités et citoyens à travers des représentations
géopolitiques véhiculées par ces cartes. Cette remise en cause plurielle de l’État
unitaire par les idéographies du fédéralisme communautaire en ligne, repose
d’abord sur des discours et des logiques fondant ces redécoupages fédéraux. Il
est question de remettre en cause l’aménagement unitaire décentralisé de l’État
en énonçant des redécoupages alternatifs du territoire national. Ces discours de
ces re-mapping servent ensuite à cristalliser des fonctions identitaires et des
usages politiques de ces idéographies fédéralistes.
Une ethnographie en ligne (Milette et al., 2020) a été mobilisée pour mener cette
étude. Elle a permis d’observer les articulations dans ces cartographies des mondes
sociaux et des « nouveaux nouveaux mondes » (Copans, 2014, p.262). Cette
approche qualitative (Thick data) des réseaux socionumériques n’est pas
contradictoire à une autre démarche d’analyse géopolitique pour saisir cette ruée

180
citoyenne vers les cartes en pleine démocratisation (Loyer, 2012). Analysant les
rivalités politiques entre des acteurs pour des territoires à des échelles diverses
(Lacoste, 2012 ; Douzet, 2020), la démarche d’analyse géopolitique permettra
d’identifier les logiques multiscalaires et les représentations (idées et cartes) à
l’œuvre dans la construction et la diffusion de ces cartographies du fédéralisme
communautaire sur Facebook. Des modélisations des redécoupages fédéraux sur
Facebook seront identifiées entre octobre 2018 et mars 2021. Leurs commentaires
seront également instrumentalisés pour en faire une analyse critique vis-à-vis de la
décentralisation. Ce texte est divisé en deux grandes parties. La première
s’attarde à analyser les discours et les logiques des redécoupages fédéraux des
cartographies du fédéralisme communautaire sur Facebook (I). La seconde
partie s’intéresse aux fonctions identitaires et usages politiques des idéographies
en ligne, dans une perspective géopolitique interne (II).

1. Cartographies du fédéralisme communautaire sur


Facebook : discours et logiques des redécoupages fédéraux
L’économie politique des idéographies du fédéralisme communautaire
relève d’abord une typologie des cartographies (A), avant de décrire les
modalités imaginées des redécoupages fédéraux (B) en ligne.

1.1. Typologie des cartographies : acteurs et formes des discours


fédéralistes

Les redécoupages fédéraux de l’État unitaire sur Facebook dépendent d’abord


d’un système d’acteurs des cartographies au sein duquel les partis politiques ont été
dominés par des individus et des mouvements. Ces cartographies du fédéralisme
communautaire prennent ensuite des formes liées aux discours et aux cartes.
Bénéficiant d’un statut de pionniers dans les idéographies du fédéralisme
communautaire sur Facebook, les partis politiques camerounais sont cependant
devancés par d’autres acteurs émergents. Ils s’appuient sur des logiques
d’établissement, à savoir une « offre politico-institutionnelle » autour du
fédéralisme communautaire liée aux élus, aux appareils politiques et à la diffusion
des consignes (Giband, 2022). En effet, Cabral Libii et ses partisans du Parti
camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN) ont mis en agenda des
réflexions déjà existantes dans la société sur un nécessaire devenir fédéral
communautaire ou communautarien du Cameroun, après l’élection présidentielle
de 2018 marquée par des débats autour de la forme de l’État. Le président du PCRN
est parti des réflexions autour d’un « régionalisme identitaire » vers un fédéralisme
communautaire, en vue de préparer des élections intermédiaires de 2020 après
l’élection principale d’octobre 2018. Cabral Libii a souhaité promouvoir à travers
des extraits d’un livre-programme sur le fédéralisme communautaire en cours de
publication, une offre politique qui le distinguerait de l’État unitaire décentralisée,

181
du bifédéralisme et du confédéralisme déjà défendus au niveau du marché politique
central par des partis de la majorité présidentielle et d’opposition, respectivement
pour la première et les deux autres options1. Pour lui, il est question de construire à
partir de Facebook, une forme d’interdépendance entre les mouvements sociaux
autour des revendications autonomistes localistes au Cameroun et sa formation
politique par un structurel électoral des élections intermédiaires (Sawicki, 2011).
Ces pratiques discursives de Cabral Libii autour de la mise en agenda du
fédéralisme communautaire reposent avant tout sur des discours de stratégies
(Lamizet, 1982). En effet, les discours des responsables du PCRN, sur cette question
en ligne, revêtent un caractère stratégique pour deux principales raisons. Il y a
d’abord une orientation des débats par les cadres du parti par les stratégies
d’établissement en ligne (Giband, 2022). En absence des sites internet (Bouba
Oumarou, 2020), des pages des cadres, des militants et des sympathisants sont
mobilisées pour partager des informations grâce à des textes originaux, des images
et des extraits de vidéos autour du fédéralisme communautaire. Un vide sémantique
autour de ce que désigne la communauté caractérise ensuite ce fédéralisme
communautaire des discours du PCRN (voir figure 1). L’identification de la
communauté est labile dans ces discours des responsables : elle peut désigner des
régions, des ethnies ou de grands ensembles sociostructurels2. Cependant, ces
postures stratégiques exposées par les dirigeants du PCRN sont débordées par
l’intérêt d’autres acteurs pour le fédéralisme communautaire.
Les mouvements et les individus ont relégué au second plan les partis politiques
discourant sur le fédéralisme communautaire par une inflation des discours
fédéralistes. Les mouvements se distinguent avant tout par une forte coloration
identitaire, notamment ethnorégionale et dans une moindre mesure géolinguistique.
Le Southern Cameroons, la Fédération Ekang, la République Fédérale des
Grassfields ou le mouvement Onze Millions de Nordistes illustrent la domination
de ces dynamiques ethnorégionales issues des grandes aires culturelles face à
d’autres mouvements proches de l’anglophonie identitaire dans les réflexions
autour des redécoupages fédéraux de l’État unitaire décentralisé. Ces débats en ligne
initiés par le truchement des posts, des directs sur des pages personnelles et
spécialisées et dans des groupes, sont plus ou moins repris par les individus sur
Facebook. Les individus sont les acteurs les plus nombreux dans le système
d’acteurs des découpages fédéraux en ligne. Les personnalités (chercheurs,
politiques, acteurs culturels, etc.) précèdent les anonymes pour alimenter les débats
sur les redécoupages fédéraux sous deux angles. Acteurs de la remise en cause du
power branding (Filler & Filimonov, 2017) de la décentralisation territoriale en
ligne, ils proposent d’abord des idéographies pour approuver et mettre l’emphase
sur les représentations construites par des médias. Les individus contredisent aussi

1 Voir https://www.facebook.com/groups/547417172498421/permalink/785333275373475/?app=fbl
consulté le 12/08/2021.
2 À ce sujet, voir https://www.facebook.com/100002529639915/posts/4195407677220179/,

consulté le 12/08/2021.

182
les redécoupages fédéraux présentés en ligne. Ceux-ci proposent des alternatives
aux modèles portés par les mouvements et les partis politiques, avant de les critiquer
pour défendre des options liées au maintien de l’État unitaire décentralisé et aux
autres variantes du fédéralisme. Il faut dès lors identifier les formes prises par ces
idéographies fédérales.
Les idées de re-mapping (Grondin, 2006), opérant comme des discours
géopolitiques, correspondent aux premières formes des cartographies
communautaires. Ces dernières renvoient aux idées et aux modélisations, si on se
situe dans une démarche proche de l’école française de géopolitique (Lacoste,
2012 ; Loyer, 2019). Ces cartographies du fédéralisme communautaire désignent
les écritures idéographiques de la remise en cause plurielle de l’État unitaire
décentralisé en ligne, dans les textes en circulation dans les débats en ligne au sujet
des découpages fédéraux sur Facebook. Une géopolitique critique permet d’abord
de repérer la remise en cause de l’aménagement unitaire de l’État par un « re-
mapping process » lié à des pratiques sociolinguistiques (Grondin, 2006, p.37). Les
langages des redécoupages fédéraux communautaires se déploient dans la
contextualisation d’une démocratisation des débats autour des résolutions des crises
camerounaises (Morelle & Owona Nguini, 2018). Ces pratiques discursives
prennent, sur Facebook, la forme routinière de posts et de commentaires. En
fonction de leur influence, des acteurs relaient ce qui a été produit non seulement en
ligne, mais aussi en dehors, afin de maintenir saillantes des discussions autour d’une
nécessaire fédéralisation du Cameroun. Il n’est pas rare de voir des commentaires
et des liens sur Facebook renvoyant aux échanges au cours des débats dominicaux
télévisés autour de ces questions d’aménagement de l’État. On y décrit les types de
redécoupages souhaités par des acteurs en vue d’influencer les politiques
d’aménagement du territoire national.
Les directs apparaissent ensuite comme une forme exceptionnelle de ces
cartographies discursives du fédéralisme communautaire. Il est question de diffuser
sur des formes audiovisuelles et interactives, des discours sur les enjeux de la
nécessité de fédéraliser le Cameroun autour de ses « communautés ». Plusieurs
facteurs peuvent expliquer cette inflation des discours fédéralistes. Si des réflexions
sur les résolutions des crises camerounaises ont rendu visibles ces discours
fédéralistes, le structurel électoral et la digitalisation des partis politiques
(Njutapwoui, 2020) perpétuent ces discours qui présentent l’État unitaire comme
« l’ennemi à détruire » en vue d’apaiser ces crises camerounaises. Les cartographies
matérielles correspondent, enfin, au recours à la modélisation cartographique pour
mettre en scène les idées des re-mapping du fédéralisme communautaire sur
Facebook. Ces cartographies semblent procéder d’une géopolitique matérialiste de
la remise en cause de l’État unitaire portée par les débats autour du fédéralisme
communautaire. Si ces cartes objectivent des idées exprimées dans les cartographies
discursives, elles révèlent pourtant un cens caché ; ce dernier agit doublement sur
une faible inflation des modélisations, par rapport aux pratiques sociolinguistiques
sur Facebook. L’absence de la géomatique dans la production des cartes du
fédéralisme communautaire reflète d’abord le refus d’un pouvoir technocratique

183
dans ces idéographies. En effet, les cartes du fédéralisme communautaire sur
Facebook prennent les formes des représentations continues et des représentations
de surface (Loubet Del Bayle, 2000). Elles sont construites sur des fonds de cartes
territoriaux sur lesquels il est question d’incruster des redécoupages fédéraux au gré
des discours géopolitiques déployés par les argumentaires en concurrence. Dans
cette perspective, le recours à la modélisation apparait censitaire.
Fiction d’un re-mapping d’un fédéralisme communautaire. Redécoupage fictif du Cameroun en
14 États reposant sur des affinités culturelles plus ou moins proches

Source : Compilée par l’auteur

184
Enfin, le reflux des systèmes d’information géographiques (SIG) dans les
imaginations cartographiques du fédéralisme communautaire sur Facebook illustre
le second et dernier aspect du sens caché porté par les modélisations
cartographiques. Les logiques citoyennes derrière cette production cartographique
(Loyer, 2012) sur Facebook sont fragilisées à cause du manque de fiabilité des
informations fournies par les citoyens pour mener ces redécoupages. Il en résulte
des expressions rivales des représentations cartographiques du fédéralisme
communautaire sur ce réseau socionumérique (voir figure 3).
Fiction d’un re-mapping de la FEDEK. Elle réunit au sein d’un même État, les populations Ekang
(Fang-Beti-Bulu) du Cameroun, de la Guinée équatoriale, du Gabon, du Congo, de Sao Tomé.

Source : Ramos Messe. (2019, octobre 11) COMPRENDRE LE FONDEMENT DU


FÉDÉRALISME COMMUNAUTAIRE. [images]. Facebook. :
https://www.facebook.com/photo.php?fbid=615218185353445&set=a.347558965452703&type
=3&app=fbl

1.2. Modalités imaginées des redécoupages fédéraux

Les re-mapping du fédéralisme communautaire sur Facebook révèlent d’abord


des rivalités entre des projets ethno-territoriaux et territoriaux dans les
cartographies. Ces luttes cachent, ensuite, une diversité des procédures conduisant
à ces redécoupages fédéraux souhaités. Des idéologies ethno-territoriales et
territoriales s’opposent dans les projets de redécoupage du fédéralisme

185
communautaire en ligne. Elles apparaissent comme des fictions, « c’est-à-dire les
menaces appréhendées et les défis identifiés » (Grondin, 2006, p.38) constituant le
cœur des projets des re-mapping fédéraux communautaires. Ces projets ethno-
territoriaux s’inspirent d’un nationalisme ethnique hérité d’une conception
allemande de la nationalité. Elles mettent, en avant, une forme d’identité ethnique
homogène, en vue de constituer des États fédérés sur cette base communautaire
(Cattaruzza, 2007). Dans les redécoupages fédéraux communautaires sur Facebook,
ces projets ethno-territoriaux prennent les formes des modèles fédératifs et
confédéralistes. Les modèles fédératifs autour des pôles géoculturels caractérisent
d’abord les re-mapping ethno-territoriaux. Ces discours reprennent en effet des
réflexions observées antérieurement au cours du débat sur la mutation
constitutionnelle entre 1990 et 1996. Se rapprochant du régionalisme, ces modèles
sont défendus en grande partie par les partisans et sympathisants du PCRN, en dépit
des différences notables autour du contenu de ces aires culturelles oscillant entre les
grandes aires géoculturelles, les minorités groupées et éclatées (Nlep, 1986).
Fiction d’un re-mapping de la région Bassa (Grande Sanaga). Il adjoint à l’ancienne Grande Sanaga
démantelée par le Zone de pacification (ZOPAC) en décembre 1957, les départements du Centre, du
Littoral, du Sud et du Sud-Ouest, des populations.

Source : Ramos Messe. (2019, octobre 11) comprendre le fondement du fédéralisme


communautaire. [images].
https://www.facebook.com/photo.php?fbid=615218185353445&set=a.347558965452703&type
=3&app=fbl

Des logiques confédéralistes caractérisent également les idéographies des re-


mapping fédéraux communautaires sur Facebook. Celles-ci reposent sur un

186
éclatement du contrat unitaire de l’État pour faire des confédérations ethniques
autour desquelles se déploiera le projet fédéraliste communautaire. Les réflexions
autour de la FEDEK, la République des Grassfields, le Grand Mbam ou encore le
Grand Sawa (voir figures 1 et 2) se déploient autour de telles considérations. Ces
discours sont dénoncés par certains acteurs proches de l’opposition et de la majorité
présidentielle comme Elimbi Lobè et Jean de Dieu Momo : ils les présentent comme
des antichambres de la sécession et par là, de la fin du Cameroun.
Des projets stato-territoriaux se déploient aussi dans l’économie des
fédéralismes communautaires sur Facebook. Ils reposent sur l’idée française selon
laquelle la citoyenneté permet à des individus issus de groupes différents de vivre
sur un territoire et de faire communauté (Cataruzza, 2007). Ici, ce sont des enjeux
liés à l’hétérogénéité ethnique (Dumont, 2017) qui priment dans ces catégories de
projets territoriaux. La réception de cette conception dans les cartographies du
fédéralisme communautaire est plurielle. Reposant sur des acceptions hybrides
reconnaissant aussi le droit des communautés, ces logiques peuvent se résumer en
deux grands schémas dans les discours en ligne. Des modèles de redécoupages
d’extraction stato-territoriale reposent d’abord sur une intangibilité des dix (10)
régions de l’État unitaire décentralisé. Apparaissant comme l’aboutissement de la
régionalisation dans les discours qui en font la promotion, ces approches remontent
elles aussi aux idées exprimées hors ligne, lors du débat de la mutation
constitutionnelle susmentionné (Issekin, 2022, pp.196-198). Ce schéma est repris
dans plusieurs cartographies. Il permet de visualiser virtuellement autant d’États
fédérés que les 10 régions actuelles.
À côté de ces discours stato-territoriaux, d’autres idéographies reprennent aussi
des discours autour des confédérations régionales. Pour ces discours, les
confédérations en question diffèrent des confédérations ethniques : elles s’appuient
avant tout sur des territoires à redéfinir, nonobstant des questions liées à l’inflation
des États fédérés. Dès lors, les enjeux autour de l’échelle de définition des
confédérations régionales diffèrent. Ces territoires fédérés peuvent prendre d’une
agrégation suprarégionale de plusieurs territoires de taille variable, dans une
géostratégie de la recomposition territoriale au Cameroun. C’est le cas du retour à
la Grande Sanaga Maritime (voir figure 3), porté par des activistes demandant un
retour à l’entité administrative de la période coloniale déconstruite par les enjeux
géostratégiques de la « Zone de Pacification » (ZOPAC). Ces confédérations
peuvent prendre racine à l’intérieur des actuelles régions à l’échelle des
départements. C’est le cas du Grand Mbam (voir figure 6) revendiqué par des
entrepreneurs identitaires dans un fora sur Facebook réunissant les ressortissants de
cet ancien espace politico-administratif. Il est question dans ce schéma, de ramener
aux frontières de 1992, l’ancien département qui avait été scindé afin d’en faire un
État fédéré. Il faut, dans ce cas, interroger les modalités et les procédures imaginées
de ces différents redécoupages.
Les cartographies du fédéralisme communautaire révèlent ensuite différentes
modalités pour porter les projets. Les idéographies du fédéralisme communautaire
ont recours aux mécanismes de l’autodétermination pour déconstruire en ligne,

187
l’aménagement unitaire de l’État camerounais. Ce choix résulte d’une défiance
généralisée vis-à-vis des autres mécanismes institutionnels de changement de la
forme de l’État, notamment le recours à la voie parlementaire (Menthong, 1996).
Cependant, les modalités de la mise en œuvre de cette autodétermination varient en
fonction des approches du fédéralisme communautaire. Deux grandes tendances
émergent des débats en ligne autour des procédures d’un éventuel recours à
l’autodétermination dans la mise en place du fédéralisme communautaire.
La procédure par zone (Cattaruzza, 2007) semble s’imposer comme la première
des procédures d’autodétermination dans la mise en place d’un fédéralisme
communautaire au Cameroun dans les échanges sur Facebook. Cette procédure vise
à multiplier les territoires de l’autodétermination locale, afin de permettre aux
citoyens des différentes communautés de décider de leur adhésion à un redécoupage
fédéral communautaire. L’enjeu est de procéder ici, à une adéquation entre les
territoires de l’autodétermination et les choix des électeurs en faveur du fédéralisme
communautaire. Il y a, derrière ce choix, des dynamiques d’autonomisation des
zones reposant sur les temporalités des opérations électorales (Issekin, 2019, pp.58-
59). L’enjeu est celui de l’autonomisation des choix électoraux, en insistant sur leur
rationalité, tout en faisant coïncider ou différer les différentes opérations électorales.
Mieux, les unités territoriales pour le comptage des voix varient aussi selon les
zones. Dans certaines idéographies du fédéralisme, les modalités du comptage des
voix varient selon les zones : elles peuvent être globales pour donner une envergure
nationale au choix des populations quand ces modalités peuvent être plus
autonomes et locales lorsque les voix sont agrégées au niveau des territoires
sollicités par les acteurs. Ces logiques peuvent renvoyer à des calculs géopolitiques
liés au Packing. Cette technique de découpage électoral « vise à concentrer le plus
possible tous les électeurs d’un même bord au sein d’une même circonscription, afin
que les circonscriptions adjacentes soient toutes très orientées en faveur de l’autre
bord » (Erhard, 2015, p.7). Elle est sollicitée par la procédure dite « zone par zone »
pour conserver un contrôle politique sur l’issue des référendums dans les zones où
des acteurs souhaitent imposer un fédéralisme communautaire.
La procédure séquentielle apparait comme la seconde et dernière procédure
électorale sollicitée par les acteurs des re-mapping fédéraux communautaires. Elle
renvoie au recours à un processus d’autodétermination processuel « d’une
négociation par le vote à plusieurs échelles » (Issekin, 2019 : p.58) du fédéralisme
communautaire sur les territoires locaux. Ce type de procédure permet de recourir
à plusieurs referendums ou plébiscites pour mener un éventuel processus de
fédéralisation du territoire Camerounais. Ici, l’enjeu est la volonté de privilégier des
votes stratégiques dans le choix d’une fictionnelle fédéralisation du Cameroun. Il
s’agit d’étaler le processus de fédéralisation sur le temps long, en posant des
questions précises au cours des différents référendums et plébiscites. Des
dynamiques de nationalisation des votes sont escomptées par cet effet-cadre
nécessaire dans cette perspective pour adhérer au projet fédéral. Les modalités de
comptage sont identiques pour les unités territoriales concernées au niveau national.

188
Fiction d’un re-mapping de la République d’Ambazonie. Elle reconstitue l’ex-Southern
Cameroons, en faisant des départements actuels du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, des régions de
cette république fictive ambazonienne.

Source : Charly Ova. (2016, décembre 16) Sans titre [images]. Facebook. :
https://www.facebook.com/photo.php?fbid=615218185353445&set=a.347558965452703&type
=3&app=fbl

Le choix d’une procédure séquentielle dans les re-mapping fédéralistes


correspond dans ce cas au Cracking. Ce schéma reprend du Packing, les
concentrations d’électeurs : si elles y sont moins élevées, ces concentrations visent
à produire des circonscriptions fortement orientées (Erhard, 2015, p.7) en faveur du
choix d’un fédéralisme communautaire au niveau national. Ce cracking prend sens
dans des configurations où les fictions du fédéralisme communautaire sont
négociées à plusieurs échelles par les différents protagonistes, durant une séquence
temporelle donnée. Il faut, dès lors, interroger les fonctions et les usages des
cartographies du fédéralisme communautaire sur Facebook.

2. Fonctions et usages des cartographies du fédéralisme


communautaire sur Facebook
Les déclinaisons des idéographies fédérales communautaires permettent de
relever des fonctions identitaires et des claustrophobies géopolitiques (A). Liées
à ces claustrophobies territoriales, elles cachent cependant des usages
cartographiques du fédéralisme communautaire (B).

189
2.1. Fonctions identitaires et claustrophobies géopolitiques
Les redécoupages du fédéralisme communautaire sur Facebook semblent
porter à des fonctions identitaires refusant la ségrégation au niveau local (Loyer,
2019, pp.171-190). Ces configurations identitaires précèdent des claustrophobies
géopolitiques mises en scène par les discours fédéraux en ligne.
Fiction d’un re-mapping d’un Cameroun fédéral à 5 États. Il fusionne quasiment des régions
actuelles du Cameroun (en dehors de la région de l’Est) pour constituer un État fédéral à 5 États.

Source : Issekin Gaon Yvan. (2019, mai 31). L’imagination cartographique autour d’un
découpage fédéraliste au Cameroun véhicule un certain nombre de représentations
géopolitiques. [Images]. Facebook.
(https://www.facebook.com/100001070091348/posts/2402171709828475/)

Les re-mapping du fédéralisme communautaire renvoient aux fonctions


d’identification collective des territoires (Subra, 2016) dans une chaine de sociétés
camerounaises en crise face à l’aménagement unitaire décentralisé de l’État.
Cependant, les fonctions identitaires de ces redécoupages prennent des formes
spécifiques. La toponymie des territoires issus des représentations du fédéralisme
communautaire en ligne révèle d’abord des idéographies qui tendent à rompre avec
l’aménagement unitaire de l’État. Prenant les modes du changement des noms des

190
territoires et également, la conservation de ceux-ci, ces pratiques sociolinguistiques
renvoient à des affirmations identitaires, en vue de singulariser les groupes humains
majoritaires et minoritaires. La FEDEK (voir figure 2) révèle, par exemple, l’idée
de la rupture vis-à-vis d’un ordre étatique unitaire ancien. Les régions du Centre, du
Sud et de l’Est puisant dans les repères cardinaux et séparées, ne renvoient pas à un
continuum géoculturel commun aux peuples de la forêt. La revendication d’un État
du Nord (voir figure 5) renvoie en revanche à un retour à une entité qui a préexisté
pour souligner une identité fabriquée depuis la période coloniale et nostalgique de
la première partie du monolithisme datant de la présidence d’Ahmadou Ahidjo.
Fiction d’un re-mapping du Grand Mbam. Cette fiction reconstitue le département du Mbam qui
avait été en deux départements que sont le Mbam et Inoubou et le Mbam et Kim

Source : Ramos Messe. (2019, octobre 11) COMPRENDRE LE FONDEMENT DU


FÉDÉRALISME COMMUNAUTAIRE. [images]. Facebook. :
https://www.facebook.com/photo.php?fbid=615218185353445&set=a.347558965452703&type
=3&app=fbl

Les usages identitaires des redécoupages fédéraux prennent aussi la forme


d’une volonté de se distinguer des autres unités territoriales préexistantes. Les

191
fictions véhiculées par les re-mapping (Grondin, 2006, p.38) soulignent en fait,
le caractère faible de la référence fédéraliste communautaire par rapport à des
départements et à des communes précédant ces réalités beaucoup plus ancrées
dans les représentations géopolitiques camerounaises de l’autonomie locale
(Issekin, 2022, pp.196-198).
La toponymie fédéraliste communautaire renvoie dans ce cas aux rivalités de
pouvoir en puissance entre ces territoires politiques locaux non seulement dans le
cadre de l’action publique, mais aussi entre des courants politiques. Les rivalités
autour du toponyme « Sanaga Maritime » entre les partisans de de cet État fédéré
en puissance et le département éponyme expriment par exemple, le souci d’une
distinction des entités fédérées et des unités territoriales préexistantes dans les
idéographies du fédéralisme communautaire sur Facebook ; celles-ci occultent
parfois que ces territoires renvoient à des réalités différentes.
Les fonctions identitaires visent également à distinguer les territoires
fédéraux imaginés entre eux. Si cela relève d’un truisme dans la recherche d’une
cohésion territoriale du fédéralisme communautaire, il ne faut pas occulter les
concurrences entre des groupes ethniques dans la construction d’un charisme
identitaire suite à une greffe des populations à ces territoires (Sindjoun, 2002)
fédérés. Dans cette perspective, on peut lire sous un autre angle, le choix des
toponymes en ligne selon qu’ils ont recours aux éléments de la géographie
physique et de la géographie sociale (Sanguin, 1977).
Les éléments de la géographie physique renvoient au recours aux noms des
ensembles spatiaux pour construire à une cohésion et à une cohérence
territoriale (Lacoste, 2012) dans un fédéralisme communautaire. Ces ensembles
spatiaux visent à renvoyer dans cette optique, les particularismes ethniques en
arrière dans la solidification de l’État fédéral. Le recours aux GrassFields pour
désigner un territoire fédéral s’étendant de l’Ouest au Nord-Ouest, vise à
rapprocher des groupes humains proches culturellement que des clivages
géolinguistiques coloniaux ont divisés.
Le recours aux artifices de la géographie sociale vise par contre à mobiliser une
marque territoriale pour construire une parure identitaire (Sindjoun, 2002). Il s’agit
de s’appuyer sur la composition démographique des groupes humains pour mettre
en avant des liens entre des terroirs et des populations afin de souligner la distinction
entre des territoires. La cohésion territoriale reposera non pas sur des ensembles
spatiaux physiques, mais sur des greffes identitaires à un territoire. Les
revendications autour d’une région Bamoun mettent, en avant, le caractère ethnique
des populations de ce département identifié à un sultanat éponyme.
Ces discours en ligne occultent également une diversité ethnique de ces
territoires portés par l’existence ancienne et récente des groupes ethniques
minoritaires (Mouiché, 2010). Ces logiques semblent, dès lors, ouvrir à des
claustrophobies territoriales.
Les re-mapping du fédéralisme communautaire sur Facebook diffusent des
claustrophobies préexistantes hors ligne dans une ségrégation perçue (Loyer,
2019, pp.171-190.). Relevant de la projection idéographique d’une libido

192
territoriale des groupes humains en vue de leur accomplissement narcissique
(Thual, 1999), les redécoupages sur Facebook sécurisent d’abord des territoires
communautaires. La représentation géopolitique des anneaux (Issekin, 2020)
permet, en effet, d’observer une sanctuarisation des « territoires de l’anneau
intérieur » dans les découpages virtuels. Ces territoires correspondent aux terroirs
communautaires que les re-mapping ont fait correspondre aux États fédérés. Dans
ces idéographies, les territoires de l’anneau intérieur se distinguent des autres
territoires des anneaux extérieurs échappant aux idéographies du fédéralisme
communautaire. Trois grandes claustrophobies se manifestent dans ces lectures
géopolitiques du fédéralisme communautaire en ligne.
La « hantise de l’éclatement perpétuel » (Thual, 1999, p.23) est la première
des claustrophobies territoriales mises en scène par les idéographies du
fédéralisme communautaire. Elle renvoie ici, aux cartographies du fédéralisme
communautaire procédant à une concentration des groupes humains proches
afin d’éviter qu’ils se retrouvent éclatés dans l’aménagement unitaire
camerounais. La FEDEK et le Grand Nord correspondent respectivement à ces
schémas du fédéralisme communautaire. La FEDEK (voir figure 2) décrit un
retour d’une homogénéité territoriale des régions de Sud, de l’Est et du Centre
qui formait initialement un seul territoire avant 1962. L’identité Pahouine ou
Ekang est invoquée par la FEDEK pour justifier une réforme territoriale mettant
en avant ces groupes humains majoritaires dans ces espaces. L’État du Grand
Nord (voir figure 6) est également dans cette configuration de la hantise de
l’encerclement. Elle vise à remettre en cause, le redécoupage géostratégique de
l’ancienne province du Nord en trois grandes provinces de l’Extrême-Nord, de
l’Adamaoua et du Nord, au désavantage d’une nouvelle province du Nord
hégémoniquement musulmane et qui se retrouve isolée par l’émergence de ces
nouveaux pôles géopolitiques rivaux.
La « contestation de l’héritage colonial » (Thual, 1999, p.23) est la seconde
modalité des claustrophobies territoriales exprimées en ligne par les
cartographies du fédéralisme communautaire. Ces idéographies viennent, dans
ce cas, remettre en question, des aménagements territoriaux issus de la
colonisation ou de ce qui est perçu comme tel. La Grande Sanaga et la
Confédération du Southern Cameroons sont des archétypes de cette
claustrophobie territoriale. La Grande Sanaga (voir figure 3) est la remise en
question du découpage administratif de la ZOPAC de 1957 en pleine lutte
d’indépendance. Les départements du Nyong et Kelle et de la Sanaga Maritime
émergèrent de ce découpage colonial. Celui-ci visait à affaiblir la rébellion
armée de l’UPC de ses bases identitaires Bassa, Mpo’o et Bati, en les éclatant
dans ces deux départements (Kenne Nguemo, 1996). Ces populations
revendiquent un territoire susceptible d’assumer leur continuum ethnique entre
les actuelles régions du Centre, du Sud, du Littoral et du Sud-Ouest dans le
fédéralisme communautaire.
Dans une configuration proche, la confédération du Southern Cameroons
(voir figure 4) remet également en question de l’héritage colonial britannique.

193
Elle repose sur une contestation des résultats des plébiscites des 11 et
12 février 1961 pour revendiquer un autre droit d’autodétermination de l’ex-
Southern Cameroons dans son union à l’État du Cameroun (Issekin, 2019). Les
communautés dans ces représentations confédérales du fédéralisme
communautaire sont structurellement géolinguistiques : elles correspondent aux
populations des ex-Cameroun sous tutelles britannique et française.
La « hantise de l’encerclement » (Thual, 1999, p.23) est la troisième et
dernière claustrophobie énoncée dans les idéographies du fédéralisme
communautaire sur Facebook. Elle renvoie aux représentations du fédéralisme
communautaire visant à protéger des groupes humains d’un encerclement par
d’autres groupes perçus comme des rivaux, dans les expressions des libidos
territoriales au Cameroun. Il est question de construire un espace d’homogénéité
ethnique (Dumont, 2017), en vue de se protéger des situations géopolitiques
défavorables portées par l’actuel aménagement unitaire du territoire national.
Deux cas peuvent être relevés dans les idéographies du fédéralisme
communautaire sur Facebook.
Les idéographies du Sawaland (voir figure 1) appartiennent à la logique de
cette hantise d’encerclement. Ce projet d’État fédéré a pour ambition de réunir
les populations originaires du littoral camerounais. Il fusionne des territoires
appartenant aux actuelles régions du Sud-Ouest, du Littoral et du Sud, au nom
d’une unité géoculturelle construite autour d’une civilisation de la pirogue. Pour
ces derniers, le « Sawaland » apparaît comme une garantie contre
l’encerclement des populations autochtones par des migrants venus d’ailleurs,
notamment dans les villes de Limbé, de Douala et de Kribi.
La région Bamoun correspond également à cette hantise de l’encerclement.
Les discours autour d’une émergence d’une région Bamoun en ligne,
revendiquent doublement la moitié de la taille et de la population de la région
de l’Ouest. Il s’agit pour ces derniers discours sur la toile de faire face à ce qu’ils
perçoivent comme une hégémonie bamilékée dans la géopolitique régionale où
les ressortissants du royaume Bamoun estiment être lésés non seulement dans le
partage du pouvoir, mais aussi au niveau de l’action publique. Ces réflexions
nous invitent à interroger davantage les usages politiques des cartographies du
fédéralisme communautaire sur Facebook.

2.2. Usages politiques des cartographies du fédéralisme


communautaire

Les cartographies du fédéralisme communautaire se déploient comme des


actants (Dumont, 2010) dans leurs usages politiques divers en ligne et hors ligne.
Simultanément rivaux et complémentaires, ces usages politiques peuvent être
réduits en trois grandes catégories.
Les interactions entre les forces politiques et les personnalités déclinent avant
tout les premiers usages politiques du fédéralisme communautaire en ligne

194
(Njutapwoui, 2022). Il est dans ce cas question d’appréhender, le fédéralisme
communautaire en tant qu’un bien politique immatériel et indivisible (Offerlé, 2002,
p.45) circulant dans le marché politique périphérique de Facebook.
Ces échanges politiques (Sindjoun, 2003) prennent d’abord la forme de
coopérations entre les forces politiques et les personnalités autour de cette idée-
force. Une lecture politiste informée des posts et des commentaires sur Facebook
émanant des partis politiques, des personnalités et des anonymes favorables au
fédéralisme communautaire, fait observer une forme de consensus autour de la
nécessité de fédéraliser l’État unitaire décentralisé. On peut appréhender ces
configurations en ligne comme relevant des articulations construites entre les forces
politiques et des mouvements sociaux revendiquant au niveau des périphéries
territoriales ; des modalités d’autonomisation du local face aux limites de
l’aménagement unitaire décentralisé de l’État camerounais (Issekin, 2022).
Cependant, les tensions autour de la définition du contenu des communautés laissent
place à d’autres configurations plus tendues entre ces acteurs des cartographies du
fédéralisme communautaire sur Facebook.
Les rivalités politiques entre les acteurs sont les secondes formes des
interactions autour des cartographies du fédéralisme communautaire en ligne.
En effet, elles relèvent avant tout de la volonté de ces derniers de se distinguer
par l’information (Bouba Oumarou, 2020), en prétextant d’être à l’origine de la
circulation de cette idée-force. C’est ce qu’illustre la polémique entre les
partisans du PCRN et Mathias Éric Owona Nguini autour des origines du
fédéralisme communautaire. Les premiers attribuent l’origine du concept à
Cabral Libii, quand le second revendique la paternité de ce dernier concept
depuis 2017, en soulignant les limites de ses protagonistes dans la terminologie
et l’acception dudit fédéralisme.
Ces luttes peuvent également prendre la forme de rivalités entre des forces
politiques non seulement sur l’origine du concept, mais également son
implémentation. Ce sont ces luttes qui sont les plus nombreuses sur Facebook.
Elles mettent en scène dans certaines configurations, les partisans du PCRN face
aux militants et sympathisants des mouvements confédéralistes avec lesquels ils
partagent l’idée d’une fédéralisation du Cameroun, sans toutefois s’entendre sur
le contenu des re-mapping fédéraux.
Les rivalités avec les forces politiques se revendiquant de l’aménagement
unitaire décentralisé caractérisent aussi les échanges autour du fédéralisme
communautaire sur Facebook. Ici, le PCRN doit d’abord faire face au
Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) et aux autres partis
d’opposition favorables à un maintien de la forme unitaire de l’État au sein du
camp des oppositions. Le power branding (Filler & Filimonov, 2017) de l’État
unitaire recrute ensuite le Rassemblement démocratique du peuple camerounais
(RDPC) et ses alliés de la majorité présidentielle face au PCRN : ces forces
politiques défendent une implémentation rapide de la décentralisation par
l’empouvoirement des régions pour refuser une fédéralisation communautaire
du Cameroun.

195
Les enjeux de ces rivalités politiques prennent d’abord la forme des (re)
constructions des micropays partisans (Sindjoun, 2003) par des pratiques
sociodiscursives en ligne. Ce sont des « cartographies d’apparat » (Desbois, 2015,
p.69) : elles mettent en scène sur Facebook, les territoires que des forces politiques
ambitionnent de contrôler grâce aux re-mapping. Les discours sur une « Grande
Sanaga » ou un « Grand Mbam » illustrent les ambitions que certains acteurs ont
vis-à-vis de ces territoires politiques existants ou à redéfinir.
Mieux, la datasphère camerounaise apparait également comme un des
territoires ciblés par ces re-mapping sur Facebook. En effet, cette datasphère
apparait depuis une quinzaine d’années comme un enjeu de pouvoir : il canalise
des rivalités entre l’État et les forces politiques pour des enjeux sécuritaires,
informationnels et électoraux (Douzet, 2020 ; Issekin, 2020). Le débat autour
d’un fédéralisme communautaire permet en effet aux (nouveaux) acteurs
d’opposition (Sindjoun, 2003) de jouer sur un effet de rattrapage dans leurs
implantations hors ligne, non seulement à l’étranger, mais surtout au niveau
local.
Les enjeux liés à l’action publique locale correspondent également aux usages
politiques des cartographies du fédéralisme communautaire en ligne. Elles
protestent contre les cartographies étatiques officielles en vue de conduire l’action
publique nationale et locale (Loyer, 2013, p.97). Les fictions portées par les re-
mapping sont en lien non seulement avec les questions de l’aménagement du
territoire, mais aussi avec un élargissement de la communauté épistémique de la
gouvernance territoriale au Cameroun (Issekin, 2022, pp.201-211).
La gouvernance territoriale de l’État unitaire décentralisé est remise en cause
par ces redécoupages fédéraux communautaires sur Facebook. Moyennant les
enjeux géopolitiques portés par les crises camerounaises (Morelle et Owona
Nguini, 2018) sur la démocratie locale, il s’agit d’abord de présenter les
multiples scénarios alternatifs au modèle unitaire d’aménagement du territoire
dégagé dans les fictions, pour souligner la pertinence des territoires de la
réforme de l’organisation territoriale du Cameroun. Dans ces lectures
géopolitiques, ce big bang institutionnel semble opérer sous deux grands
scénarii dans les re-mapping en ligne.
La suppression des régions dans leur format actuel (voir figures 1 et 5) s’est
imposée comme le premier enjeu pour dégager l’échelle pertinente de l’action
publique locale. C’est dans cette optique qu’il faudrait appréhender les re-
mapping du fédéralisme communautaire ; ils apparaissent comme des modes de
définition et d’identification des territoires perçus comme pertinents pour
identifier et résoudre des problèmes locaux.
La fusion des territoires (voir figures 3 et 5) apparait comme le second et
dernier enjeu des redécoupages fédéraux communautaires sur Facebook. Si des
résistances sont à envisager des institutions elles-mêmes, ce sont les élus qui
semblent poser de plus grandes résistances dans les discours en ligne par leurs
logiques d’établissement (Giband, 2022). Ces fictions fédérales
communautaires apparaissent comme autant de redéfinitions de la cartographie

196
officielle nationale susceptibles d’affaiblir le contrôle partisan des territoires par
des systèmes géopolitiques locaux (Subra, 2016) mis en place par des forces
politiques de la majorité et de l’opposition à plusieurs échelles (commune,
département, région). Ce contrôle pouvant aller dans un sens croissant quand il
n’est pas décroissant en fonction des emprises partisanes des forces politiques
sollicitant ces re-mapping.
L’élargissement de la communauté épistémique de la gouvernance territoriale
par les redécoupages en ligne tient avant tout aux expressions d’un divorce entre
les territoires politiques de l’action publique et du vote au sein du modèle
camerounais de la décentralisation (Ngo Tong, 2018), dans les discours des
locuteurs. Pour eux, les re-mapping visent à réconcilier les territoires de l’action
et de la mise en œuvre des politiques publiques avec ceux où les citoyens
désignent eux-mêmes par le vote, les responsables qui seront chargés de la
gouvernance territoriale (Issekin, 2022). Ces idéographies critiques du power
branding camerounais aux niveaux internes expriment non seulement les logiques
de l’autodétermination convoitées au niveau local, mais aussi les autres logiques
d’élections au suffrage universel direct des élus qui présideront aux destinées des
instances fédérales contrairement à ce qui se fait actuellement dans les régions
sous une démocratisation non aboutie (Njutapwoui, 2022).
La remise en cause de la fin de l’organisation uniforme du territoire national
correspond enfin à cet élargissement de la communauté épistémique de la
gouvernance territoriale. Elle tient en effet, à contester en ligne, la géopolitique
locale (Subra, 2012) portée par les asymétries institutionnelles liées au statut
spécial. Il s’agit d’une dénonciation de la prise en compte de l’application de ce
statut dans certaines régions du pays au détriment d’autres régions qui le
revendiquent (Issekin, 2022).
Dans cette optique, le recours aux idéographies fédéralistes revient à remettre
au cœur de la réflexion, une organisation uniforme du territoire (Issekin, 2022,
pp.222-223) exprimée par exemple par les débats en ligne autour des budgets et
de la levée des impôts. Dans ces échanges sur Facebook, les discours autour de
la répartition du fictionnel budget fédéral tendent à ancrer une nécessaire
localisation des données budgétaires, quand la question de la levée des impôts
tend à faire émerger la question de l’autochtonie à partir de l’épineuse question
des résidents3.
L’accès aux données cartographiques apparait comme le dernier usage des re-
mapping fédéraux communautaires. Il apparait comme un élément clé de la
démocratisation (Loyer, 2019) en ligne. Cet accès aux cartes et aux idéographies
intervient dans ce contexte camerounais où les rivalités de pouvoir sont gérées
généralement pacifiquement par les débats (Menthong, 1996).
Les cartographies du fédéralisme communautaire sur Facebook apparaissent
dès lors comme des ressources pour des acteurs qui ont choisi la non-violence

3 Sur une sortie de Dieudonné Essomba à ce sujet, voir


https://www.facebook.com/157912906381547/posts/158121329694038/ consulté le 28/09/2021.

197
dans les résolutions des crises camerounaises par la réforme de l’aménagement
unitaire du Cameroun. Il s’agit de contourner une démobilisation hors ligne,
pour dire les crises camerounaises, tout en présentant les moyens d’y remédier
à travers les fictions du fédéralisme communautaire.

Conclusion

L’examen des cartographies des redécoupages fédéraux des partisans du


fédéralisme communautaire sur Facebook a relevé deux grandes réalités. D’une
part, ces idéographies du fédéralisme communautaire sur Facebook ont révélé
un système d’acteurs rivaux dans les formes prises par ces représentations. Ces
discours désignent des rivalités entre des projets ethno-territoriaux et stato-
territoriaux dans les cartographies, dont une diversité des procédures conduisant
à ces redécoupages fédéraux souhaités.
D’autre part, les re-mapping du fédéralisme communautaire en ligne ont porté à
des fonctions identitaires. Celles-ci ont précédé des claustrophobies géopolitiques
mises en scène par les discours fédéraux en ligne. Mieux, ces pratiques
sociolinguistiques autour des cartographies du fédéralisme communautaire ont
dévoilé des usages politiques divers simultanément rivaux et complémentaires ; des
usages voilant des enjeux pluriels allant des rivalités politiques aux luttes dans la
définition et l’implémentation de l’action publique locale, en passant par la
démocratisation des débats sur la forme de l’État en ligne.
Dans cette perspective, la méthode d’analyse géopolitique anticipe des
débats hors ligne sur les itinéraires de la décentralisation, notamment sur la place
des asymétries institutionnelles dans la préservation de l’État unitaire
décentralisé au Cameroun.

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200
TITRE IV

DES PROJECTIONS PORTANT SUR LE FÉDÉRALISME


COMMUNAUTAIRE AU CAMEROUN COMME STRUCTURES
QUERELLÉES DE MOBILISATION ET DE REFONDATION :
LEUR CONFIGURATION ORGANIQUE COMME ÉCONOMIE
INSTITUTIONNELLE ET ORGANISATIONNELLE
CHAPITRE 8

LA QUESTION ETHNO-IDENTITAIRE AU CAMEROUN : QUEL


MODÈLE D’ÉTAT-NATION DANS UN PAYSAGE ETHNIQUE
BIGARRÉ ?

Charles BIDIME EPOPA

Résumé
Au lendemain des indépendances, les États africains d’une manière générale ont essayé
d’articuler leurs projets nationaux entre, d’une part, l’émulation d’une conscience
historique commune formée dans le paradoxe colonial et, d’autre part, l’érection des
singularités néopatrimoniales dans lesquelles l’identité nationale se construisait autour
et par le potentat, « père de la nation ». Il en est ressorti des États-nations émaciés,
soumis aux intempéries diverses, dont les collusions ethniques. Dans l’exemple du
Cameroun, l’unité nationale, l’identité et la stabilité sociopolitique sont, entre autres,
autant d’acquis plus ou moins vérifiables qui se sont réduit telle peau de chagrin ces
dernières années. Entre autres raisons de cette décrépitude de l’État-nation au
Cameroun, la concomitance d’enjeux pluriels avec un paysage ethnique bigarré, devenu
le champ d’expression de « toutes » les contradictions. La question qui se pose est celle
de savoir, dans le sillage du fédéralisme communautaire, comment articuler près de
250 ethnies de manière à ne former qu’un seul référentiel identitaire. Suivant une lecture
diachronique de l’histoire du Cameroun, cette réflexion pose les multiples convulsions
qui traversent la nationalité camerounaise comme subséquentes à un malaise
d’intégration et de fusion des identités supposées disparates. Desquelles identités, il
importe avant toute initiative de fédération communautaire, d’en définir les contours,
d’en cerner les logiques formelles, structurelles et fonctionnelles, et d’en maîtriser les
déviations et les perversions.
Mots clés : Identité, État-nation, Ethnie, fédéralisme communautaire, unité nationale.
Abstract
After independences, African states in general tried - awkwardly - to build their national
identity between: on the one hand, the emulation of a common historical consciousness
formed in the colonial paradox; and on the other hand, the erection of neo-patrimonial
singularities in which national identity was built around and by the potentate, "father of
the nation". This resulted in fragile nation states, plagued by internal divisions, including
ethnic collusions. In the case of Cameroon, national unity, identity, socio-political
stability are all verifiable gains, which have been reduced like a skin of sorrow in recent
years. Among reasons of this degradation of the Nation-State in Cameroon, different
issues and variegated ethnic landscape, which has become the field of expression of "all"
contradictions. The question that arises is how, in the wake of community federalism,

203
to articulate nearly 250 ethnic groups in such a way as to form a single identity reference
system. Following a diachronic reading of the history of Cameroon, this reflection posits
the multiple convulsions that are traversing Cameroonian nationality as after a malaise
of integration and fusion of disparate identities. Before any community federation
initiative is launched, it is important to define the contours of these identities; to identify
their formal, structural, and functional logic; and to control their deviations and
perversions.
Key words: Identity, nation-state, ethnic group, community federalism, national unity.

Introduction

Depuis le 20 mai 1972, l’idée d’une « nation » camerounaise une et


indivisible a plus ou moins fait l’unanimité. Dès les indépendances, le
gouvernement camerounais a fait de l’unité nationale son combat préalable à
une existence épanouie de la nation. Cela s’est observé autant dans
l’acharnement à mater la « rébellion »1 de l’UPC encore sous maquis, que dans
la détermination du gouvernement Ahidjo de passer d’une République fédérale
à une République unie du Cameroun. Des préalables dont la réalisation a alors
été perçue comme l’apothéose d’une nation enfin réalisée. Ainsi, fort d’un
environnement sociopolitique relativement stable depuis au moins 1972, le
Cameroun s’est alors construit la réputation d’une « terre de paix » et d’une
« nation exemplaire », dans un contexte africain marqué par des statolités en
crise2. Ce d’autant plus qu’aucune menace relativement sérieuse n’avait alors
pas/plus depuis la fin du maquis jusqu’à l’avènement de l’imaginaire
« Ambazonie » été adressée à l’infrastructure statonationale camerounaise.
Cependant, en ce début de XXIe siècle, la situation sécuritaire du Cameroun s’est
considérablement détériorée. Aussi bien la forme de l’État que la nation dans son
essence et son existence sont remises en cause, autant par un mouvement
sécessionniste né dans les régions administratives Nord-ouest et Sud-ouest, que par
les dérives multiples d’un foisonnement ethnique qui s’avère davantage un handicap
qu’un atout, dans le sempiternel et dantesque chantier de construction nationale
(Onana J.-B. , 2005, pp. 337-344). En quête de solution à cette crise d’identité vécue
à l’échelle nationale qui traverse le Cameroun de « toutes parts », la présente
réflexion se propose de sonder la camerounité, afin de rendre compte des écueils,
des méprises, des acquis ainsi que des défis qui sont encore à relever, de proposer
des apports constructifs susceptibles de fixer une identité camerounaise plus ou

1 Ilimporte de préciser que le combat de l’UPC sous maquis, précisément à partir de 1960, est au
centre d’une polémique lorsqu’il s’agit de le qualifier. Pour les autorités camerounaises
postcoloniales, il s’agit d’une rébellion tandis que pour les upécistes eux-mêmes, il s’agit d’un
combat pour la véritable indépendance du Cameroun.
2 La statolité est une expression qui désigne la qualité de l’État. Voir dans ce sens : A. Kontchou

Koumegni (1989), « De la statolité en Afrique : à la recherche de la souveraineté », Revue science


et technique, science humaine, vol.VI, n° 3-4, pp.19-33.

204
moins dégagée de toutes pesanteurs. Bien plus, il est ici question de montrer que la
crise d’identité nationale vécue par le Cameroun en ce début du XXIe siècle est
subséquente à un projet de nation-Cameroun mal conçu, mal interprété, mal mené,
voir biaisé. Pour mieux l’encadrer, il importe de repenser de fond en comble le
projet Cameroun sur divers axes dont celui du paysage ethnique en particulier, qui
doit absolument aboutir à la naissance d’une identité Cameroun représentative de
tous les particularismes socioculturels. Autrement dit, c’est bien d’un fédéralisme
communautaire qu’il est question. Seulement, celui-ci ne devrait pas consacrer un
fétichisme des identités ethniques ni même occasionner une logique de
réidentification des couches sociales, suivant des déviations et récupérations
politiques, susceptibles d’épurer l’ethnie de ses valeurs primordiales et de n’en faire
plus qu’un front solidaire3. Il s’agit plutôt d’envisager l’ethnie (comprise comme le
socle de notre identité) comme un « bien » au sens de Charles Taylor (1989). Dans
cette perspective, le fédéralisme communautaire ne peut se dire autrement que
comme une communauté de biens. Reste donc à déterminer les motifs qui peuvent
nous mener à mettre notre bien en communauté. Comment donc articuler plus de
250 ethnies et autant de biens, de manière à former un composite plus ou moins
homogène, et surtout accepté de tous ? Au mieux, quelles ont été les modalités de
rencontre ayant participé à notre expérience communautaire, et comment peut-on
en rectifier la trajectoire, alors qu’elle semble aujourd’hui portée à la dérive ?
Loin d’être un champ impénétrable malgré la rigidité de son armure
législative, institutionnelle et le mythe qui l’entoure, la nation camerounaise a
déjà été mise en débat dans nombre de travaux scientifiques. De cette littérature
relativement abondante ressortent les travaux de Willibroad Dze Ngwa (1998),
Daniel Abwa (2000, pp. 115-141), Gabriel M. Dong Mougnol (2014, pp. 231-
248), Jos-Blaise Alima (1977) ; Cabral Libii (2021) et Célestin Djamen (2022),
qui ont fait œuvre utile en soulignant autant les manquements que les acquis de
la camerounité, et en fécondant des pensées novatrices susceptibles de
contribuer à une camerounité de bon aloi. Sur la base de diverses sources et dans
une approche diachronique, cette réflexion sonde d’une part les fondements
historiques de l’identité camerounaise (I), et analyse d’autre part les errances de
la camerounité, tout en esquissant des pistes de solution afin de (re)constituer
une figure nationale douée de sens (II).

1. Le projet de nation camerounaise : naissance et


appropriation

Cette première idée s’attèle à retracer les prémices de la nation camerounaise,


depuis la période anté-coloniale saisie dans le registre de l’ethnicité (1), en
3Par front solidaire, nous entendons ici désigner les formes de solidarités sociales qui s’articulent
sur l’ethnicité, mais dont la finalité est la revendication des prébendes dans un système politique
envisagé dès lors comme un modèle rentier.

205
passant par l’impérialisme occidental dans le sillage duquel l’on remarque la
mise en forme de certains espaces désignés « Kamerun » ; « Cameroun » et «
Cameroon » (2), de même que l’émergence des formes « embryonnaires »
d’identités se référant à elles, culminant avec les luttes indépendantistes qui
rendent manifestement compte d’une volonté plus ou moins sérieuse
d’appropriation du projet Cameroun par des Camerounais (3).

1.1. L’ethnie comme référence identitaire dans les Afriques anté-


coloniales

Depuis au moins les travaux de Cheikh Anta Diop (1979), l’idée quelque peu
poétique d’une seule Afrique culturelle n’a cessé de séduire ; tant par sa
pertinence, par l’effervescence scientifique qu’elle a occasionnée, que par les
espoirs qu’elle a suscités. En substance, cette idée soutient qu’au-delà des nuances
plus ou moins perceptibles, toutes les Afriques partagent une seule et même
culture. Pourtant, vues de l’extérieur, les différences qui caractérisent les sociétés
africaines tant actuelles que dans l’immédiat anté-colonial, peuvent porter à une
analyse contraire. Ainsi peut-on observer que l’espace qui allait devenir le
Cameroun, comme nombres d’espaces d’ailleurs à travers le continent noir, était
occupé par des africanités aux différences religieuses, politiques, économiques…
bien réelles, que l’on peut substantialiser dans l’expression ethnie.
Suivant une approche prétendument universelle, plusieurs lexiques
s’accordent à quelques nuances syntaxiques prêtes, à définir l’ethnie comme un
groupement humain qui possède une structure familiale, économique et sociale
homogène, et dont l’unité repose sur une communauté de langue, de culture et de
conscience de groupe. Cette conception de l’ethnie se heurte à la particularité de
l’histoire des peuples d’Afrique, marquée par de grands moments de fractures et
de ruptures qui influent sur les représentations originales de leur univers.
Conscients de cela, certains auteurs comme Max Weber ont tenté de considérer
les particularismes de manière à fixer une définition plus ou moins complète.
Weber désigne ainsi par « groupe ethnique » un ensemble de personnes qui font
preuve d’une croyance subjective dans leur ascendance commune, à cause des
ressemblances dans le type physique, dans les coutumes, ou des souvenirs
partagés dans l’expérience de la colonisation et des migrations (Weber, 1995
(1922), pp. 124-144).
Le débat autour du sens à donner au terme ethnie a dérivé en Afrique sur la
question de son existence. C’est le lieu de poser ici dos à dos deux des principales
conceptions qui s’affrontent. D’un côté, les pourfendeurs absolus de l’ethnie en
Afrique la présentent comme une notion inventée de toute pièce et prompte à la
réinvention, face à des situations conjoncturelles. De l’autre, les pro-ethnies
proposent une lecture empirique de la configuration des peuples africains, en
posant les nuances culturelles visibles comme des éléments principaux de
différenciation entre groupes, que l’on ne saurait désigner autrement. Pour les

206
premiers, la charge identitaire différentielle portée par le terme ethnie
s’accommode mal des forts rapports de dépendance développés sur le continent
africain avant les chocs de la traite et de la colonisation. En effet, non sans nier les
quelques rapports belliqueux entre eux, les peuples d’Afrique ont vécu pendant
longtemps dans une symbiose facilement perceptible par les dynamiques comme
celle du commerce transsaharien, développé d’un bout à l’autre du Sahara,
occasionnant un fort brassage dans de grands centres urbains tels que Gao,
Tombouctou, Aoudagost, Tlemcen, Agades… qui ont en même temps été des
centres intellectuels de renommé, du fait des grandes universités que beaucoup
d’entre elles abritaient. Bien plus, ce que l’on désigne par ethnie de nos jours
dénote une nature composite vidée de toute substance réellement culturelle
comme principal élément identitaire. C’est dire de manière pratique qu’une
supposée ethnie à l’image du Bamiléké, par exemple, n’est en fait qu’une fabrique
historique circonstancielle. En effet, l’ethnonyme bamiléké désigne les
populations semi-bantoues qui peuplent majoritairement les hauts plateaux de
l’Ouest camerounais. Au-delà de leur unité culturelle supposée, il s’agit en réalité
d’un agglomérat de peuples apparentés, qui s’expriment dans de multiples
langues, affirmant chacun leurs identités spécifiques et distinctes de celle qui leur
est dite commune (Onana J.-B. , 2005, pp. 337-344). De même, notons que du
temps des colons, il a été question de regrouper les peuples de manière à mieux
les catégoriser et souvent les instrumentaliser, en les opposant les uns aux autres.
C’est d’ailleurs dans ce sens que certaines ethnies se sont formées par simple
mimétisme, afin de bénéficier de quelques avantages en faisant bloc pour porter
plus haut leurs revendications (Akono Evang, 2014, pp. 157-174). Cette logique
semble d’ailleurs être la même à l’œuvre dans la fabrique de ce que nous avons
précédemment désigné comme les fronts solidaires. Des formes perverties
d’identités dont l’existence n’est motivée que par l’ambition de certains
entrepreneurs politiques qui, en créant la distinction, en accentuant la différence
et en creusant la distance, trouvent un moyen d’exister sur l’espace public.
Cependant, au-delà de cette diatribe à l’endroit de l’ethnie en contexte
africain en général, fort est de reconnaitre que bien avant l’entreprise coloniale,
la configuration des sociétés africaines présentait certaines nuances très
remarquables, que les administrations coloniales ont su capitaliser. Ce sont ces
nuances qui ont fait en sorte que l’on puisse catégoriser les peuples, de manière
à exposer leurs — supposées — différences au grand jour. De cette lecture
teintée de subjectivité hégémonique, mais non moins pertinente, l’on a retrouvé
au Cameroun plusieurs groupes prétendument ethniques. Précisons que le
Cameroun tel que nous le connaissons aujourd’hui, c’est-à-dire comme entité
territoriale humaine et politique ayant des contours et des frontières bien définis,
n’existait pas avant 1894 (Owona, 1996, p. 16). Bien qu’à partir de 1884 les
premiers contours du protectorat allemand soient connus, il faudra attendre
1911, après moult tractations et revers, pour fixer plus ou moins définitivement
les frontières du Kamerun à 750 000 km2. Ainsi, au matin de la colonisation
allemande, l’espace qui allait devenir le Cameroun est une région ethniquement

207
morcelée. On ne comptait pas moins d’une centaine de groupes ethniques,
parlant chacun sa langue, adorant chacun ses dieux, ayant chacun ses coutumes,
et possédant chacun un morceau de leur histoire collective (Owona, 1996, p.
17). Le temps colonial inaugura de nouvelles territorialités, à l’intérieur
desquelles se sont forgées de nouvelles nationalités.

1.2. La « nation » camerounaise : fille de l’impérialisme occidental

L’on ne saurait apprécier la trajectoire des peuples qui occupaient autrefois


l’espace aujourd’hui désigné Cameroun hors du vaste projet impérialiste entamé
depuis la révolution industrielle. En effet, le Cameroun est un fruit de
l’hégémonie occidentale dans le monde : son nom (Cameroun) est
émerveillement d’explorateurs portugais face au rio dos camaroes ; sa forme
étatique est une copie du modèle jacobin ; son ambition nationale est amas des
legs germaniques et franco-anglais. Dans une perspective plus large, les auteurs
« décoloniaux »4 se sont proposé de réinterpréter la modernité dans tous ses sens
et ses domaines d’application, en prenant comme point de départ la colonisation.
La colonialité ou comme le dirait Walter Mignolo, « le côté obscur de la
modernité » (Mignolo, 2015), consiste à établir l’oppression et l’exploitation
comme parties prétendument reniées, mais en tout cas constitutives, d’un
processus historique violent, culminant dans le discours hégémonique du
progrès perpétuel et de la perfectibilité sans fin de l’homme, promesses d’une
modernité eurocentrique faussement civilisatrice. Ainsi se sont formés les
empires coloniaux, au détriment des fractures et des similitudes des peuples,
livrées alors aux gémonies d’une mission civilisatrice justificative d’une
présence plus ou moins voulue, de laquelle furent enfantés divers maux, dont
l’ethnicité, qui gangrènent les sociétés africaines.
Le choc de la colonisation en Afrique a eu plusieurs effets sur les
représentations de ses peuples. La reconfiguration géographique arbitraire des
ensembles territoriaux a favorisé la naissance des agrégats culturels plus ou moins
incompatibles. La déculturation programmée a fait œuvre utile pour un projet
impérial de longue haleine ; en ce sens qu’en même temps qu’elle a eu soin
d’extraire le nec-plus-ultra culturel générique africain dans un système de
formatage de masse adapté au dessein colonial, elle a consolidé des liens flous et
légers entre des esprits dépaysés, cloitrés dans des frontières problématiques, avec
pour seul repère identitaire véritable, un implacable dépaysement dans un monde
davantage globalisé, où les identités culturelles se livrent une lutte sans merci
(Huntington, 1997). Le Cameroun comme invention coloniale rend bien compte
de cette logique, tout comme de nombreux autres États à travers le monde, dont
majoritairement ceux qui se sont forgés dans l’expérience de la colonisation. Du
point de vue culturel, c’est un amas de quelques centaines de singularités dont les

4 Les auteurs issus du courant décolonial.

208
différences, bien mises en évidence, espèrent et doivent d’ailleurs se fédérer au
sein d’une seule nation. Du point de vue politique, ses frontières, autant que son
système de gouvernance, sont des héritages coloniaux. Du point de vue de son
identité, le Cameroun, comme plusieurs autres enfants de la colonisation, reste un
corps en quête de lui-même.
En lieu et place des modalités de rencontre qu’elles avaient longtemps
constituées, la colonisation a figé les identités, en les transformant en des
modalités d’exclusion, ceci malgré la forte interpénétration qui se vit entre elles,
sous l’effet des rencontres et des unions sexuelles transethniques. Les identités
ethniques, autrefois repérables dans des ensembles mouvants que formaient les
groupes locaux dont elles assumaient la fugacité, n’étaient que des registres
définissant l’appartenance des individus à des unités domestiques (Babo &
Droz, 2008, pp. 749-751). Les rattachements identitaires faisaient alors feu de
tout bois ; l’individu jouait non seulement sur son affiliation clanique ou
lignagère, mais aussi sur des liens cathartiques sacrés de parenté à plaisanterie
(Bidime Epopa, 2018), ou des relations commerciales. Mieux encore, sur son
mode de vie et même ses habitudes alimentaires (Babo & Droz, 2008). Ce n’est
qu’avec la colonisation que ces catégories, ces ensembles mouvants ont mutée
au fétichisme des nationalités, auxquelles les peuples africains ont dû
s’accommoder.

1.3. De l’appropriation du projet de nation-Cameroun par des


Camerounais

Parler de l’appropriation par des locaux du projet de nation camerounaise


revient à jeter un regard rétrospectif sur la longue et riche histoire du
nationalisme camerounais ; et même bien au-delà, avec les résistances à la
pénétration coloniale ainsi que les tentatives — bien que foireuses — de faire
bloc pour barrer la route à l’avancée des colons.
En effet, la mise en forme du territoire nouvellement acquis par les Allemands
au lendemain des traités germano-douala s’est faite au prix du sang de certains
locaux, qui se sont érigés contre l’occupation et la soumission. Les premiers effets
de résistances se vivent en terre Douala, notamment avec les chefs Elamé du
plateau Joss et Lock Priso de Hichory Town (Bonaberi), qui manifestent très vite
leur désaccord avec la présence allemande, en organisant une résistance qui sera
malheureusement de très courte durée. Si bien que dès décembre 1884, ces
derniers sont écroués, occasionnant au passage la destruction des quartiers Joss et
Bonabérie. Nous pouvons également citer dans le même registre, la résistance de
Kwa Likwenye chez les Bakwéri, les résistances Bassa et Bakoko, Ewondo, Bulu,
Maka, Nyem Nyem, Tibati, Rey Bouba, Yola, Garoua, Maroua, Mora, Kousseri,
pour ne citer que celles-là. Au motif de l’échec des résistances au Cameroun
comme en Afrique d’une façon générale d’ailleurs, l’on a très souvent évoqué
l’évolution des résistants en rangs dispersés et les trahisons entre eux. Toutefois,

209
au rang de cette avant-garde des nationalistes, s’en sont trouvé quelques-uns qui
ont très tôt pensé la nation au-delà du Kamerun Stadt5. C’est le cas principalement
de Rudolph Douala Manga Bell qui, après avoir découvert la colonisation sous
son vrai jour, se résout à faire appel à tous les Kamerunais afin de faire bloc contre
la présence allemande (Abwa, 2010).
Au-delà des multiples revendications et motifs qui ont amené les
camerounais à se regrouper, que ce soit les mouvements germanophiles, les
associations ethniques et régionales (Ngondo, Kumzse, Efulameyong, Union
Bamiléké, Bakweri improvement union, Ngolo-Batanga Improvement union,
Kolo-Beti…), le syndicalisme, ou encore le militantisme politique, la
réunification, posée par l’Union des populations du Cameroun (UPC) comme
préalable à toute marche vers l’indépendance et inscrite au cœur du programme
nationaliste de ce parti, est l’une, sinon la manifestation la plus évidente d’une
appropriation « aboutie » du projet de nation-Cameroun (Le Vine, 1985, p. 270).
En effet, arbitrairement partagé et ce unilatéralement après la Première Guerre
mondiale entre la France et la Grande-Bretagne comme un butin de guerre, le
projet allemand de nation kamerunaise qui commençait à peine à prendre forme
a tout simplement volé en éclat. Une fois de plus, comme au souvenir du tracé
des frontières coloniales, des peuples, des familles et tout le tissu social, toute
la complicité entre les communautés, voire, l’esprit Kamerun bien qu’encore
embryonnaire qu’avait façonné consciemment ou non la colonisation
allemande, s’en est trouvé abimé. La colonisation allemande constituait dès lors
une part essentielle de la conscience historique commune des peuples
camerounais, en s’érigeant comme un marqueur identitaire typique.
Dans le même sens, l’appropriation de la nation camerounaise s’est faite par le
militantisme politique manifesté au travers de l’implication des populations dans la
lutte pour les indépendances du Cameroun, que ce soit au sein de l’UPC, de l’Union
sociale camerounaise (USC), du Bloc démocratique camerounais (BDC), et de
diverses autres formations politiques. Bien que l’on ne puisse à juste titre parler
d’une double trajectoire dans l’appropriation du projet de nation camerounaise, fort
est de reconnaitre les nuances majeures entre la perception upéciste et celles des
nationalistes dits modérés, parmi lesquels l’on peut loger les autres formations
politiques actives sur le front des luttes indépendantistes au Cameroun. En effet et
comme nous l’avons relevé plus haut, l’UPC posait depuis 1948 la réunification et
l’indépendance immédiate comme principal objectif à atteindre. Pour y arriver, ce
parti politique a déployé un ensemble de moyens aussi bien locaux
qu’internationaux, qui ont déjà d’ailleurs été largement étudiés par de nombreux
travaux scientifiques. Dangereux de par ses idéaux et la pugnacité de ses membres,
l’administration coloniale s’attèle au gré de diverses stratégies à lui couper toute
possibilité d’expression. La naissance de plusieurs partis — beaucoup plus
administratifs que — politiques s’inscrit d’ailleurs dans cette logique. Se sont

5Nom que portaient les côtes camerounaises, notamment Douala, lors de la signature des traités
de protectorat avec l’Allemagne.

210
trouvés également au rang de ces partis des nationalistes dévoués, dont certains
héritèrent du Cameroun sous tutelle française au lendemain du départ des colons, et
entreprirent de concert avec les « anciens nouveaux Camerounais » du British
Southern Cameroon, de construire une nation dans laquelle les nationalistes
upécistes d’hier étaient devenus les principaux ennemis de l’unité nationale.
Paradoxalement, nombre de Camerounais se sont retrouvés au lendemain des
indépendances du côté des upécistes. Analysant la guerre de 1960-1971 en pays
bamiléké, Jos-Blaise Alima ne peut s’empêcher de remarquer que « sur les
500 000 habitants qui peuplent cette région…, 400 000 au bas mot échappent à tout
contrôle du gouvernement camerounais postcolonial et fournissent aux rebelles une
aide matérielle active » (Alima, 1977, pp. 15-16). La popularité de ce parti politique
et l’adhésion à sa cause de foules de Camerounais depuis sa création rendent compte
de l’existence d’une conscience nationale qui n’a d’ailleurs cessé de s’affiner,
malgré qu’elle soit aujourd’hui remise en question.

2. Les errances de l’identité nationale au Cameroun

Avec suffisamment de recul, l’on peut aujourd’hui se prêter à tirer des


apports constructifs en appréciant objectivement la trajectoire historique
empruntée par nos sociétés, les erreurs commises et les acquis engrangés afin
de mieux relever les défis de notre temps et ceux à venir. Cette partie s’attèle à
cette tâche en se proposant, dans un premier temps, de saisir la nation
camerounaise à l’aune des modèles de nationalités classiques à savoir les
modèles français et germanique (1), ensuite, elle présente les résistances à
l’intégration supraethnique (nationale) comme la manifestation d’une
résurgence des identités paranationales (très souvent ethniques), tenaces et
longtemps recluses (2) ; enfin, elle analyse la place du récit national dans le
chantier de construction de l’identité camerounaise (3).

2.1. La nation camerounaise au crible des nationalités classiques

L’identité nationale nait du sentiment d’appartenance à une nation. C’est un


concept qui juxtapose une notion d’ordre identitaire qui est la nation, et une notion
d’ordre juridique : l’État ou toute autre juridiction pouvant en rendre compte.
Depuis le XIXe siècle, plusieurs conceptions de l’État-nation s’opposent. Dans
cette lutte conceptuelle, nous pouvons identifier les modèles français et
germaniques. Pour ce dernier, la culture est l’élément incontestable du fondement
de la nation, qui débouche sur la création de l’État. Quant au modèle français,
fortement inspiré de la pensée d’Ernest Renan, l’État précède la nation, qui se bâtit
sur une volonté communément exprimée par des groupes divers de vivre
ensemble (Renan, 1882). Ces deux conceptions ont d’ailleurs été
opérationnalisées en s’entrechoquant sur la question de l’Alsace et la Lorraine. De

211
culture pourtant germanique, le territoire de l’Alsace-Lorraine fut au centre d’une
longue opposition entre la France et la Prusse (plus tard l’Allemagne). Tandis que
l’Allemagne le réclame comme une continuité de sa nation du fait de son
composite culturel, la France, elle estime que son « désir clairement exprimé de
continuer la vie commune » (Renan, 1882) atteste de son identité française.
Les États-nations africains en général ont donné matière à penser aux
théoriciens de l’identité nationale. Ceci parce que du fait des moments de
rupture (traite et colonisation), les peuples d’Afrique ont « perdu » leur identité
générique, dont l’ancrage est pourtant un préalable à toute projection supra-
ethnique, régionale, voire nationale. Les nationalités africaines se constituent
comme des modèles hybrides, situés aux interstices : entre post-volontés
d’ailleurs plus ou moins partagées de vivre ensemble et agencement de quelques
similitudes culturelles, héritées d’un passé paradoxalement douloureux. C’est le
cas du Cameroun, où la construction de l’identité nationale, la consolidation de
l’unité et la supposée formation de la nation se sont faites plus par contrainte
que par choix délibéré. En plus de l’héritage colonial qui orientait d’emblée la
trajectoire des peuples regroupés dans l’espace au départ appelé Kamerun, la
guerre postindépendances que mène le pouvoir contre une partie des
Camerounais rend bien compte du désir manifeste des uns d’imposer une vision
de la nation camerounaise aux autres, sans que ces derniers n’aient la possibilité
de s’abstenir d’y prendre part. Cette formulation inadaptée, voire erronée du
modèle de nationalité camerounais, l’expose donc à des turbulences liées à la
résurgence des nationalités ethniques, des nationalités coloniales et des nations
providentielles qui étaient longtemps restées muselées.
La construction des identités à l’échelle nationale, dans un contexte
multiethnique, est bien souvent soumise à nombre de difficultés, surtout lorsque
les fondements ne sont pas bien identifiés et suffisamment ancrés tant dans
l’imaginaire que dans le vécu des populations. L’Afrique de manière générale est
pour sa part confrontée à davantage de difficultés liées aux chocs observés tout au
long de son histoire. En effet, l’acculturation de masse occasionnée par la
colonisation et le néocolonialisme a dissipé les forts liens culturels existants entre
les peuples africains en général, dont le passé de plus en plus mis en évidence,
révèle pourtant une parenté certaine, tel que noté précédemment. Cette
acculturation généralisée empêche les peuples africains d’apprécier leur unicité
culturelle plus ou moins évidente, qui pourrait pourtant être mise à profit dans la
(ré)construction de leurs identités, eu égard à la logique germanique des
nationalités. Bien plus, partout — ou presque — en Afrique, l’État a précédé la
nation que l’on a voulu imposer comme une donnée immédiate. Après les
indépendances, l’action aurait dû consister à mieux agencer les ingrédients, afin
de donner une meilleure forme à la nation camerounaise par exemple. Le besoin
s’est pourtant fait sentir et la détermination du président Ahidjo à construire l’unité
nationale, témoigne d’ailleurs de la conscience de ce besoin même au sommet de
l’État. Seulement, la réalité actuelle laisse voir un échec. Les gouvernements, pour
la plupart en Afrique, ont privilégié l’imposition par les armes des versions

212
perverses de nationalités, au lieu d’accepter la confrontation d’idées, de laquelle
aurait pu sortir des solutions durables. Cette imposition rend également compte
de l’échec d’une nationalité à la française, car à l’observation, fort est de
reconnaitre que l’on est aujourd’hui bien loin du désir diffus de vivre ensemble.

2.2. Nationalités ethniques, coloniales et nations providentielles au


Cameroun

C’est dans le sillage des « reconstructions » identitaires que les États


africains en général ont essayé d’articuler leurs projets nationaux : entre
l’émulation d’une histoire commune — mitigée dans le cas du Cameroun —, et
une réelle dictature de la pensée unique. Sur fond de crise générée par
l’esclavage et la régulation coloniale, les États-nations africains se sont ainsi
fondés en pleine quête de nouveaux repères culturels et historiques, oscillant
constamment entre les extrêmes de la nostalgie d’un passé peu ou prou perdu
d’une part, et le mimétisme servile de l’occident triomphant d’autre part, mettant
de ce fait en évidence une crise d’identité générique. Cette crise s’est d’ailleurs
reflétée dans l’histoire récente de l’Afrique et peut être appréciée à l’aune des
phénomènes de replis identitaires, qui ont participé à élargir les fossés culturels
entre les peuples africains, dont l’exhumation du passé anté-colonial a pourtant
attesté d’une descendance égyptonubienne commune (Cheik Anta, 1999, 4eme
édition). Des indépendances à nos jours, la passive instabilité sociale et les
remous politiques qui travaillent le Cameroun rendent bien compte d’une crise
d’identité nationale. Si bien qu’à l’observation du paysage socioculturel
camerounais, sa diversité dévoile parfois des éléments qui refusent de fusionner,
de s’accepter, de se coaliser ; des ethnies qui expriment plus leurs différences
qu’elles ne défendent les idéaux d’une nation une et indivisible (Dong Mougnol
G. , 2014, p. 231). Donnant ainsi à voir l’image pâle d’un Cameroun envisagé
comme rien de plus qu’une vaste fédération culturelle au sein de laquelle les
diverses identités ethniques parviennent difficilement à se transcender, comme
a pu le relever Joseph Achille Mbembe (1986, pp. 37-38).
À l’heure où le zèle politique proclame au Cameroun une intégration
nationale réussie et une nationalité plus ou moins épanouie, se développent
pourtant, et ce de plus en plus, des phénomènes de repli identitaire exacerbés,
qui aboutissent à la naissance des nationalités ethniques, historiques coloniales,
et à l’érection des nations providentielles. Nous entendons par nationalité
ethnique le fort attachement de certains groupes à leur identité singulière, au
détriment de la valeur identitaire républicaine. La nationalité historique
coloniale traduit des solidarités fondées sur une trajectoire historique que l’on
veut particulière, depuis la régulation coloniale. Quant aux nations
providentielles, il s’agit des élans communautaristes, qui naissent de la fragilité
de l’État-nation, suivant des facteurs culturels, historiques, politiques avérés ou
non. À l’initiative des nationalités ethniques, historiques et des nations

213
providentielles, plusieurs facteurs très souvent enchevêtrés sont à prendre en
compte. Au rang de ceux-ci, l’on distingue en plus de la fébrilité de l’État-
nation, l’ethnicisation du champ politique, les politiques gouvernementales
d’équilibre ethnique et de gestion des minorités qui s’apparentent davantage à
une gestion féodale de l’État, les enjeux économiques et le développement
précaire, ainsi que la résistance à l’hégémonie de certains groupes.
De la démocratisation en particulier, disons que telle « une » boite de pandore,
elle a libéré des maux multiples, au rang desquels l’ethnicité exacerbée qui s’est
rependue dans toutes les sphères de la vie sociopolitique. Depuis les indépendances
— si ce n’est pendant la colonisation même —, le pouvoir au Cameroun s’est
constitué au sein des cercles restreints, desquels une certaine catégorie de personnes
a arbitrairement été exclue. La démocratisation a donc conduit à l’irruption au sein
de l’État de nouveaux clients politiques (Mouiche, 2000), qui ont fait des
singularités ethniques, sociales et historiques, un moyen de revendication politique,
visant à imposer une redistribution des prébendes (Chétima, 2013, pp. 81-91). En
effet, on assiste au Cameroun à une surproduction contextuelle de l’ethnicité autant
que de l’historicité, depuis l’ouverture démocratique des années 1990. Celles-ci sont
le fait des consécrations de ce que l’on a alors appelé minorités sociales et politiques,
qui tendent à poser leurs revendications d’une part par le biais des regroupements
au sein des associations ethnorégionales (Chétima, 2013) à l’image du Conseil
supérieur des intérêts Bamilékés (COSIBA), le North-West elite Association
(NWELA), la Dynamique culturelle Kirdi (DCK), le Cercle des amis de la forêt
équatoriale (CAFE) des Béti, le South-West Elite Association (SWELA) entre
autres ; et d’autre part, à poser les trajectoires historiques comme moyen de pression
politique, usant parfois de la menace de sécession pour capitaliser sur leurs intérêts.
L’enjeu a surtout été d’interpeller le pouvoir central sur la situation de minorité à
laquelle chacun s’identifie, malgré son poids démographique (Bigombe, 1993), sa
particularité culturelle, ou sa différence historique.
L’environnement économique délétère et les tensions sociales au Cameroun
ont contribué au développement de grands fossés entre les différentes couches de
la population, s’identifiant sur la base des critères de singularités, exacerbés par le
malaise économique et l’apparition d’une véritable rhétorique de la division.
Autochtones-Allogènes, Minorités défavorisés-majorités hégémoniques et
inversement, Anglophones-Francophones. Ce vocabulaire, loin d’exprimer de
simples regroupements catégoriels, se charge de nombres de stéréotypes qui
accentuent les frontières idéologiques (Abwa, Temgoua, Fomin, & Dze-Ngwa,
2011). L’ensauvagement de la société que suscite la discrimination, le tribalisme,
et toutes les perceptions sociales subjectives issues de l’altérité conduisent à une
fracture sociale et une hiérarchisation avérée ou non, surtout lorsqu’il se conjugue
à une quasi-absence d’alternance aux affaires de l’État, et à un long cortège de
malaises majoritairement liés à la pauvreté.

214
2.3. La place du récit national dans le chantier de la camerounité

Il est indubitable, à la lumière de la diversité ethnique du Cameroun, que la


cohésion nationale dont a besoin l’État pour exister durablement ne saurait être
une donnée immédiate (Bamaze N'Gani, 2018, pp. 419-444). La personnalité
culturelle et spirituelle qui, au-delà des considérations d’ordre biologique, fonde
les nations modernes ne peut être ici que le produit de l’histoire ; le contrecoup
d’une communauté de destins et d’expériences historiques communes, intégrées
positivement dans la conscience des Camerounais. Dans une telle perspective,
l’État se doit de composer avec les diversités et de rechercher en permanence
l’équilibre et le consensus (Bamaze N'Gani, 2018). En effet, notre identité
nationale, dans un contexte multiethnique où la fusion est incertaine, ne peut
être garantie que par l’exhumation et la sacralisation d’un passé commun, de
façon à en dégager un substrat fédérateur. Dans ce sens, le politologue Benedict
Anderson conçoit l’identité nationale comme une communauté politique
imaginée (Anderson, 1996). Il articule l’identité à l’échelle nationale en termes
d’imaginaire collectif qui se forge à travers un cortège de symboles, de héros
nationaux, de récits quasi mythiques reconstruits et recomposés à posteriori, à
dessein de façonner une représentation mythique de la nation.
L’histoire se présente aussi comme garantie d’une identité à la fois fixe et
dynamique. Fixe du fait du caractère immuable de l’histoire dans son
appréciation objective, et dynamique du fait d’un renouvellement permanent lié
à l’évolution même des sociétés. C’est d’ailleurs en toute conscience du rôle
majeur de l’histoire dans la construction des identités à l’échelle nationale que
les nationalistes de l’UPC posaient comme préalable à l’indépendance, la
réunification des deux Cameroun. Dans ce sens, il aurait fallu que la quête de
l’indépendance du Cameroun se fît en bloc et non en rangs dispersés, afin
d’éviter des particularités qui font qu’aujourd’hui, certains en viennent à
proclamer des États-nations providentiels, non pas sur la base d’une
différenciation ethnique, mais d’une prétendue trajectoire historique plus ou
moins différente. Il est aussi nécessaire de reconsidérer les logiques d’histoire
officielle (Mintoogue, 2005, pp. 1-6) qui ont longtemps embrigadé la lecture du
nationalisme de nos États, pour s’immerger totalement dans ce passé riche, afin
d’en tirer le substrat autour duquel pourra se former la mystique nationale. Le
discours et l’œuvre des nationalistes, longtemps considérés comme
« dangereux » (Eckert, 1997, pp. 217-228), doivent pouvoir se défaire de toute
cette brume qui l’entoure encore. Bien plus, le chantier de la nation
camerounaise devrait sonder l’histoire bien au-delà de la colonisation, afin de
mettre en évidence une trajectoire commune de toutes les composantes
ethniques qui y prennent part, et d’y ancrer profondément les fondations de notre
expérience communautaire. Cette mise en évidence dévoilerait par exemple que
le paysage ethnique « hautement » bigarré du Cameroun vu de l’intérieur, se
présente plutôt comme un panorama en fondu enchainé, et moins comme un

215
collage mosaïque, à l’évidence des similitudes qui font en sorte que toutes ces
« bribes de cultures » s’arque-boutent et se fondent les unes dans les autres.
De même, la gestion du pluralisme ethnique, inscrite dans la perspective de
fédérer les différences en même temps que de consolider les ressemblances, ne
saurait se réduire à de simples dispositions politico-juridiques favorables ou non
à quelques ensembles au détriment des autres. Il s’agit bien plutôt de promouvoir
la perspective de la postcommunauté, qui vient fédérer trois types de mobilisations
enchevêtrées : l’une relative à la conscience de groupe ; l’autre à la participation
de toutes les composantes communautaires au bien commun, enfin celle relative
aux nouvelles responsabilités de l’État (Bamaze N'Gani, 2018). Des
responsabilités, surtout d’impartialité et de justice sociale. L’État n’est certes pas
libre quand le pouvoir est confisqué et exploité par une minorité (Walzer , 1997,
p. 47). De même, l’État ne saurait se dégager des tutelles ethniques lorsque celui-
ci est obligé de s’arrimer à des politiques d’équilibres incongrues. Il est donc
urgent au rang des mesures à prendre, de rompre avec cette inquiétude permanente
qui caractérise nos États, dans le sens de maintenir les équilibres de
représentativité, pour laisser libre cours à la justice, la méritocratie et l’intérêt
supérieur de la nation. En effet, l’autorité au Cameroun a pensé qu’il serait plus
juste de promouvoir un certain équilibre — et moins un équilibre certain — dans
la distribution des ressources du pays, la vie sociopolitique et la gestion
administrative de son expérience communautaire. Cette politique, instaurée au
Cameroun depuis des décades, a permis tout au moins à l’État postcolonial de
freiner les tensions tribales et de se construire surtout un réseau de partenaires par
la distribution des prébendes. Cet équilibre déjà mal appliqué dans les faits
(Mbembe, 1993, pp. 345-374) se retrouve mis à nu et apparait au grand jour
comme un canular au service des objectifs contraires, autant que comme une
diversion des réels enjeux qui devraient préoccuper l’ensemble des Camerounais
et leurs dirigeants les premiers. En lieu et place donc d’une politique d’équilibre
mitigée, la justice sociale doit pouvoir constituer le seul référentiel d’équilibre.

Conclusion

Au demeurant, la formation du Cameroun en tant qu’unité territoriale et


politique est le fruit des dynamiques de rupture et de continuité observées tout au
long de l’histoire. C’est avec beaucoup de froideur que l’on se doit d’admettre que
le Cameroun, tant du point de vue nominal que politique, est une invention
coloniale que l’on s’est progressivement appropriée. Cette prise de possession du
Cameroun est malheureusement inachevée. Ce qu’il y a lieu de dire en effet, c’est
que certes, la gestion du pouvoir, la maitrise de l’espace et de la territorialité,
autant que la défense de certains symboles se référant à une idée du pays, sont
souvent disputés et attestent bien d’une certaine imprégnation des corps
conscients qui peuplent cet espace désigné Cameroun et des quelques amours

216
qu’ils lui portent. Il reste cependant que la camerounité ne se traduit pas encore
comme une donnée structurante des représentations et des projections de toutes
les consciences qui peuplent ce territoire. Aussi assiste-t-on à l’érection des
formes nombreuses de nationalités, adossées à des références identitaires
reconstituées, et dont la difficile cohabitation retentit sur l’équilibre de la
camerounité elle-même. Il est certain que les modalités de réidentification de ces
formes de nationalités suivent des trajectoires politiquement ou économiquement
intéressées, et s’inscrivent quelquefois dans une logique d’instrumentalisation. Ce
que l’on ne peut nier cependant, c’est l’existence des différences, aussi infimes
qu’elles puissent être, la forte bigarité du paysage socioculturel de l’unité politique
que constitue encore le Cameroun. L’on ne peut nier également que la
camerounité dans ces conditions, ne peut se dire qu’à l’image de cette diversité ou
rien. Dans l’idéal, toute autre forme de camerounité qui ne prendrait pas en compte
cette diversité serait un échec, quel que soit son équilibre. Autant dire donc que la
fédération des nombreuses formes d’identités qui constituent le Cameroun est au
fondement même de toute camerounité envisagée comme juste et durable.
L’ethnie constitue un bien, un élément essentiel de l’identité individuelle. La
nationalité supraethnique doit se construire en toute conscience de cet encrage.
Dans un contexte multiethnique, la nationalité doit pouvoir se dire comme la
somme des différences. Une communauté de biens à l’intérieur de laquelle
chaque individu pourrait se reconnaitre. Dans le cas du Cameroun, cette identité
communautaire est d’autant plus possible que malgré les divergences
apparentes, il existe de nombreux points de rencontre entre nos cultures. De
même, notre histoire commune constitue un ciment qui est resté jusqu’à nos
jours, très peu exploité dans la construction de notre identité nationale. Il est
donc question de nous imprégner davantage du récit national, qui doit constituer
un soubassement sur lequel devrait s’appuyer notre volonté de faire
communauté. Relevons in fine que le fédéralisme communautaire envisagé
comme une poétique de la rencontre est certes un idéal, une belle utopie dans
une certaine mesure. Mais cela ne veut aucunement dire qu’il est inatteignable.
Du moins, que l’on ne peut absolument pas y parvenir. Il nous revient de
travailler, toujours, pour nous en rapprocher.

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220
CHAPITRE 9

QUELLES COMMUNAUTÉS POUR UN FÉDÉRALISME À LA


CAMEROUNAISE ? ENTRE ÉTATISATION DE LA SOCIÉTÉ ET
SOCIALISATION DE L’ÉTAT

Jean-Pierre BIWONI AYISSI

Résumé
Le présent article ambitionne de questionner l’énonciation juridico-institutionnelle du
fédéralisme et les acceptions communautaires qui en sont faites au Cameroun. Il s’agit de
mettre aux prises le monde juridique et le monde réel suivant la perspective d’une mutuelle
influence et co-constitution entre l’État et l’univers social. Il pose le problème de la tension
mouvante entre objectivation constitutionnelle d’un fédéralisme et sa subjectivation
sociale dans la gestion du communautarisme et des sous-nationalismes. Suivant la
perspective d’un constructivisme à la Berger et Luckmann, il s’agit d’analyser les logiques
de construction et déconstruction en œuvre entre ordre politique et ordre social afin de
ressortir les différents habillages possibles du fédéralisme (au bout de sa logique) et des
communautés construites et érigées en catégories d’État. L’ordre juridico-institutionnel et
l’ordre social constituant des champs au sein desquels se crée et se diffuse un habitus
suivant la perspective Bourdieusienne.
Mots clés : Contrat de fédération, régionalisation, identités collectives, pacte fédéral
initial, sécession.
Abstract
This paper aims to question the legal and institutional enunciation of federalism and its
various perceptions by Cameroonian communities nowadays. It is all about putting
together legal and real world under the scheme of co-constitution and mutual influence
between state and social environment. It addresses the shifting tension between the
constitutional objectivation of federalism and its social subjectivation in the
management of communities and sub-nationalisms processes. From a constructivist
standpoint as conceptualized by Berger and Luckmann, it is all about analyzing
construction and deconstruction dynamics between political and social environment to
portray different appraisal of federalism and community which are constructed and
raised as state categories. Legal and social environments are thus “spaces” where are
created and spread some “habitus” as referred to Bourdieu.
Keywords: federation contract, regionalization, collective identities, initial federal
pact, secession.

221
Introduction

Jadis canonisé et par la suite conjuré, le fédéralisme, comme forme


d’organisation sociale et institutionnelle, a connu bien des fortunes tenant moins
d’une réalité du changement des pratiques institutionnelles que d’une mutation
du regard qu’on leur porte. Dans les faits, la trajectoire des pratiques fédéralistes
relève moins d’une logique de hauts et de bas ; elle tient davantage des
mutations voire des avatars possibles de cette forme de gouvernement, suivant
une volonté de repenser le fédéralisme en poussant jusqu’au bout sa logique
(Cagiao y Conde, 2010, p.6).
Les études sur le fédéralisme s’accommodent toujours de l’idée d’un retour
suivant le prisme d’un regain d’intérêt apparu à l’aube du XXIe siècle. S’il est
vrai que cet état de fait présuppose un abandon de cette forme de gouvernement
au profit de l’État unitaire, considéré comme foncièrement opposé au
fédéralisme stricto sensu et relevant de la « modernité » ; il serait plus judicieux
d’envisager le « phénomène fédéral » suivant la perspective d’un
affranchissement de toute lecture prescriptive qui tendrait à le limiter à ses
formes vécues plutôt qu’à ses univers possibles. L’idée d’un retour au
fédéralisme doit davantage se lire dans la perspective d’une « anthropologie du
phénomène fédéral » qui tendrait à aller par-delà les catégorisations rigides des
formes d’États et la découverte de la logique fédérale dans toute forme
d’organisation politico-institutionnelle (Beaud, 2006, pp. 229-246).
Lorsque l’on traite du fédéralisme, l’autre fait saillant est l’édulcoration du sacro-
saint principe de souveraineté étatique suivant la double dynamique du « dedans »
et du « dehors ». Cette ère du fédéralisme (Watts, 2011 : 11) est donc consécutive à
un monde sans souveraineté tel que l’envisage Badie consacrant la quasi-caducité
du principe de l’indivisible souveraineté. Si sur le plan international la crise du
souverainisme est adossée sur la confusion, voire le rapprochement entre fédération
et confédération1, sur le plan interne, c’est la question des multiculturalismes et des
plurinationalismes qui structure les débats sur le fédéralisme (Caminal, 2002 ;
Gagnon, 2006 ; Kymlicka, 2007 ; Norman, 2006).
Au Cameroun à l’occurrence, le questionnement sur la logique d’un
fédéralisme communautaire s’inscrit bien dans le sillage de cette tendance forte

1 L’un des exemples les plus éclatants de la confusion théorique ambiante sur le fédéralisme a été
sans aucun doute le débat qui, autour de la forme politique de l’UE (Confédération ou
Fédération ?) ou de la nature de son texte fondamental (Traité ou Constitution ?), a eu lieu ces
dernières années. Le néologisme que la Cour de Karlsruhe (Staatenverbund, « union fédérative
d’États »), dans sa décision sur le Traité de Maastricht, a dû inventer en 1990 pour contourner le
choix classique — et fort réducteur — entre la Confédération et l’État fédéral afin de rendre
compte de la nature juridique de l’UE (qui serait dès lors un hybride à mi-chemin entre l’État
fédéral et la Confédération), et le nom particulièrement curieux, mais ô combien significatif, qui
fut choisi pour baptiser la Constitution européenne en 2003 (Traité établissant une Constitution
pour l’Europe) montrent bien les difficultés théoriques rencontrées pour produire un cadre
normatif clair pour une réalité fédérative comme celle de l’UE.

222
des fédéralismes entre les XXe et XXIe siècles. Parler du fédéralisme
communautaire, si l’on occulte la logique de fédéralisme fiscal tel que vécu en
Italie, c’est valider un pléonasme dont on s’accommode afin de ressortir la place
centrale des communautés et des sous-nationalismes dans la sociogenèse de
l’État. Envisager le fédéralisme sous l’aspect communautaire s’apparente à
l’ouverture d’une boîte de pandore, tant la problématique communautaire se
refuse à une conceptualisation péremptoire ici plus qu’ailleurs. En effet, sur le
plan macro-territorial, la fracture sociolinguistique constitue un élément décisif
d’identification des communautés anglophones d’une part et francophone de
l’autre. Sur le plan microterritorial, les particularismes ethnoculturels, canonisés
ou conjurés du fait de la mise en ordre de la société par l’État suivant l’image
d’un État qui pénètre brousse (Ela, 1990), constituent l’autre variable décisive
dans l’analyse d’un fédéralisme qui aurait une coloration communautaire.
Toutefois, dans une ingénierie de confrontation du « phénomène fédéral »
(Gaudreault-Desbiens & Gelinas, 2005) à la variable communautaire, l’objectif
est d’aller au bout de leur logique respective afin de parvenir, non pas à une
litanie exhaustive de leurs tournures et postures répertoriées, mais dans la
logique des différents habillages possibles. Autrement dit, comment peut-on
construire le fédéralisme au Cameroun comme amortisseur de la crise de
légitimité de l’État unitaire, sous les auspices aussi bien des irrédentismes que
du sécessionnisme ? Fédéralisme centripète ou centrifuge (Stojanovic, 2010),
d’assimilation ou d’agrégation (Gonidec, 1985), le phénomène fédéral au
Cameroun questionne même la place de la sécession dans la fédération (Cagiao
y Conde, 2010). Inscrire le fédéralisme camerounais entre étatisation de la
société et socialisation de l’État c’est le décrire au prisme de la rencontre entre
le pays légal et le pays réel (Badie, 1992, pp. 227-268). En effet, autant
l’énonciation légale de l’État travaille la société du fait de la validation de la
région comme échelon communautaire de référence, autant il est constitué par
l’image que celle-ci se fait de lui (Rosanvallon, 1990, p.14), du fait d’une
perception assez originale du fédéralisme qui irait au bout de sa logique.

1. Construction d’un imaginaire communautaire pertinent dans


un champ social clivé

Fédérer le Cameroun de nos jours présuppose une nécessaire prise en


considération de la tension mouvante entre un ordre politique tourné vers une
invention originale de référentiels globaux d’appartenance politique et un ordre
social sclérosé par une surenchère des particularismes ethno-territoriaux (Fogui,
1990). La sociogenèse de l’État camerounais est, pour ainsi dire, la grammaire
d’une régulation de la tension entre étatisation de la société et socialisation de
l’État, suivant l’hypothèse d’un État central censé disciplinariser les aspérités
centrifuges et l’impétuosité d’une société profondément clivée et différenciée.

223
Sortir le fédéralisme des oubliettes d’un parcours qui en a marqué le dédain
sinon le déni, dans le contexte sociopolitique actuel, nous impose de revisiter
les déterminants de la surcotation de la marque « État fédéral » à la bourse des
valeurs politico-institutionnelles. En effet, le pays traverse depuis quelque temps
des crises sociales et identitaires inédites et d’une rare ampleur. Bien que la
problématique de la gestion de ces crises convoque une thérapie plurielle, car
intégrant diverses facettes du problème, sur le plan institutionnel, la question de
la forme de l’État a semblé constituer le point central et le plus débattu dans la
doctrine (Cabral Libii, 2021 ; Donfack, 1998 ; Mbembe, 2005). Ceci se justifie
principalement par le fait qu’on lui reconnait certaines vertus homéopathiques
dans la gestion de la crise sécessionniste dans les régions anglophones du pays
d’une part, et la montée à l’extrême des particularismes ethno-territoriaux, voire
des irrédentismes, dans l’ensemble du pays d’autre part.

1.1. Un habitus macro-territorial nostalgique du symbolisme de 1961

Lorsque l’on évoque l’idée du fédéralisme comme évolution possible dans


le cours constitutionnel camerounais, il est difficile de l’envisager sous des
auspices nouveaux : contraire à la logique qui prévalait à l’institution de la
proto-fédération de 19612. C’est à juste titre que le « phénomène fédéral » au
Cameroun, chaque fois qu’il est envisagé, ressuscite le terreau historique qui
légitimait la quête par l’État fédéré du Cameroun méridional d’une singularité3,
d’une spécialité (Badie & Leca, 1990). Si la sociogénèse de l’État fédéral de
1961 n’a été qu’une grammaire des logiques transactionnelles entre un
« Cameroun-maître » et un « Cameroun-élève » (Sindjoun, 1994), la marque
« État fédéral » au Cameroun se veut conditionnée par la création d’un bipode
géopolitique imparfait entre les deux communautés.
Envisager le fédéralisme au Cameroun de nos jours impose une rétrospective
dans les années 1960 afin de rendre compte des différents desseins que cette
forme de gouvernement était censée servir aussi bien dans la perspective de la
République du Cameroun que dans celle du southern Cameroons. En tout état
de cause, si pour ces deux composantes du jeu fédéral de 1961, le capital

2 Le terreau historique qui caractérise le fédéralisme de 1961 au Cameroun est marqué par la forte
nostalgie du Cameroun allemand et la dénégation de la tutelle franco-britannique comme variable
devant être prise en compte dans le processus d’institutionnalisation en cours. C’est ce qui en a
conditionné le caractère transitoire et passager. La prise en compte des communautés partenaires
à l’entreprise de fédération ne s’est faite qu’à des fins pratiques et ne semblait pas devoir
conditionner l’évolution politique du pays.
3 Si au Cameroun oriental il y a comme une unanimité sur la nécessité de reconstruire un

Cameroun qui se rapprocherait le plus du Kamerun, dans le Cameroun occidental la question est
loin de bénéficier d’un tel assentiment d’où le principal point de discorde entre Endeley et Foncha.
Outre Moungo, le retour à ce qui ressemblerait le plus au Kamerun ne s’envisageait pas outre la
prise en compte et la survivance d’une identité anglophone cristallisée par la tutelle britannique.
L’horizon Kamerun ne se perçoit donc pas sous le prisme d’une homogénéisation des territoires ;
mais suivant la logique du particularisme et la spécialité des deux entités.

224
sémantique de la fédération se veut différentiel, c’est assurément que les bases
d’un État fédéral stable et quasi égalitaire s’en trouvent faussées.
L’hypothèse d’une fédération à deux États poserait toujours un ensemble de
défis et d’écueils consistant entre autres à la dynamique d’absorption de
« l’élève » par le « maître » suivant la figure d’une « loose federation » ou d’un
fédéralisme asymétrique (Bayart, 1985) d’une part, et de la mise sur orbite du
duo République du Cameroun et territoire du Southern Cameroons comme pôles
d’énonciation exclusifs de tout projet fédéral.
1.1.1. Création baroque de l’axe bicommunautaire comme pôle
d’énonciation exclusif de la fédération
L’illusion du « toujours ainsi » qui confère à tout processus de statogenèse
un certain essentialisme constitue l’un des principaux symbolismes de l’État
westphalien (Balandier, 1988). L’enjeu n’est pourtant pas de s’interroger sur la
valeur de cette fétichisation de l’État comme mythe d’action (Kamto, 1987 ;
Sindjoun, 2002), mais d’en évaluer les effets à l’aune des processus de
transformation politico-institutionnelle auxquels font face les sociétés modernes
de nos jours. Pour le cas d’espèce, c’est la quête d’un ordre primordial
(Balandier, 1988) labélisé Kamerun qui justifie l’invention internationale d’un
bipode communautaire et des usages domestiques qui en sont faits.
Le sentiment de nostalgie qui habite bon nombre d’hommes politiques
camerounais eu égard à la reconstruction atavique d’un Cameroun sous les
auspices du Kamerun, à l’instar de Um Nyobe est la principale justification de
la mise en branle du droit international de la reconstitution du Cameroun
allemand (Abwa, 2015). Par-delà la tutelle franco-britannique, c’est la
sacralisation du territoire kamerunais et l’obsession de sa reconstitution qui
impose l’organisation d’un plébiscite territorial comme prévu par la
résolution 1608 (XV) du 21 avril 1961 par laquelle l’Assemblée générale de
l’Organisation des Nations Unies (ONU) fixait la levée de la tutelle britannique
sur le Cameroun méridional au 1er octobre 1961. Le mythe d’un « Cameroun
prodigue » dont les prophéties autoréalisatrices empruntaient un retour
inévitable dans le grand ensemble Kamerun est donc déconstruit. En plus de la
consécration onusienne du bicommunautarisme, les anciennes puissances
tutélaires que sont la France et la Grande-Bretagne voient en la déconstruction
de ce bipode avant l’indépendance une tendance forte à la banalisation de leur
passage au Cameroun. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le combat d’Um
Nyobe, dans la logique de reconstituer le Cameroun de 1911 avant toute idée
d’indépendance, n’a pas prospéré. Il s’en suit donc une course interne à la
représentation légitime de communautés respectives du fait de la division des
marchés politiques4.
4Par division des marchés politiques, il faut entendre une démultiplication de l’espace national
en plusieurs champs politiques disposant d’enjeux et de trophées propres. Braud y voit un espace
symbolique où se rencontrent une offre (propositions des entrepreneurs politiques) et une
demande (les attentes des citoyens). Pour le cas d’espèce, il s’agit de l’espace territorial du

225
Passé dans le maquis après son cuisant échec pour reconstituer le Kamerun
avant toute indépendance, Ruben Um Nyobe se voit disqualifié de la course pour
l’énonciation légitime d’un projet d’union des territoires jadis séparés, bien que
ceci se fasse après la levée des tutelles contrairement à ses aspirations. Cette
situation coïncide avec le positionnement politique de certains leaders dont
Ahmadou Ahidjo et John Ngu Foncha, respectivement dans le Cameroun
oriental et le Cameroun méridional, comme porte-paroles légitimes de leurs
deux territoires en vue du projet fédéral. Un tel état de fait est davantage
perceptible dans la perspective d’une analyse du système de parti d’alors dans
les deux territoires.
L’usage quasi incantatoire de la formule d’unification des formations
politiques, aussi bien au Cameroun oriental que méridional, participe de la
division des marchés politiques par la constitution de deux zones d’influences
respectives de l’Union camerounaise (UC) et du Kamerun National Democratic
Party (KNDP). Il s’en suit comme un pacte tacite de non-agression entre les
deux formations et l’auto-attribution du droit de représentation légitime de
chaque territoire. Figure politique de proue dans le Cameroun méridional du fait
de sa victoire sur Endeley lors du plébiscite, Foncha n’envisage pas la possibilité
des partis politiques méridionaux d’intégrer le « parti national » en rangs
dispersés : l’union au KNDP est donc, à son sens, une condition pour intégrer la
grande alliance au niveau fédéral avec l’UC. Au Cameroun oriental, la stratégie
d’ingestion du pluralisme et l’entropie qui le sous-tend passent par l’usage
permanent de la coercition et de la violence sous toutes ses formes (Arendt,
1970). Du Mouvement d’action nationale du Cameroun (MANC) aux autres
formations politiques qui vont suivre, le ralliement à l’UC se fait en rangs
dispersés du fait de l’exploitation à des fins politiciennes de
l’ordonnance no62/0F/12 du 12 mars 1962 portant répression de la subversion.
C’est l’usage abusif du prétexte de la subversion qui va permettre à l’UC
d’absorber toutes les autres formations ou même de les exclure purement et
simplement du jeu politique. L’arrestation le 29 juin 1962 des fondateurs du
front national unifié (FNU) Charles Okala, Bebe Eyidi, André Marie Mbida et
Théodore Mayi Matip pour menées subversives illustre bien cette volonté
d’annihiler toute opposition au régime. C’est ce modus operandi, en plus du
critère numérique, qui configurera l’asymétrie au niveau fédéral entre la
République du Cameroun et le territoire du Cameroun méridional.
1.1.2. Asymétrie bicommunautaire et l’écueil d’une assimilation
L’un des défis majeurs qui se posent à différents systèmes fédéraux est celui
de la gestion aussi bien de l’unité que de la diversité, dans un cadre légal et
institutionnel qui les promeut. Dans une telle perspective, il est supposé

Cameroun oriental d’une part et du Cameroun occidental d’autre part comme champs politiques
distincts dont le droit de représentation légitime respectivement pour Ahidjo et Foncha constitue
l’un des principaux trophées. Braud y voit un espace symbolique où se rencontrent une offre
(propositions des entrepreneurs politiques) et une demande (les attentes des citoyens).

226
favoriser tout aussi bien la cohésion sociale que le respect des différences,
l’autonomie des entités fédérées que l’interdépendance dans la quête des
solutions aux problèmes communs, le respect des choix sociaux singuliers que
la solidarité intercommunautaire. En somme, il appelle à concilier des principes
qui semblent contradictoires (Lecours & Rocher, 2007, p.2). Quoiqu’il en soit,
la question de la construction d’une image de l’État fédéral au Cameroun a
toujours été productrice de tensions irrésolues de part et d’autre du fleuve
« Moungo ».
Depuis les tractations de Foumban de juillet 1961, le projet fédéral apparait
profondément différencié conformément au contenu que l’on attribue à la
marque fédérale dans les deux parties du pays. Pour ce qui est du Cameroun
oriental, sous la férule du président Ahmadou Ahidjo, la fédération entre dans
une logique de satellisation du Southern Cameroon’s comme pôle de
répercussion de la forte aura de la République du Cameroun. Il s’en suit toute
une rhétorique tenant à la relativisation du capital juridique et symbolique de
cette union sous des airs d’annexion.
Devant l’Assemblée nationale le 10 août 1961, Ahidjo de déclarer :
« conformément à la résolution de l’ONU, le Cameroun réunifié n’apparaît pas
en droit international comme un nouvel État souverain [et que] juridiquement,
la réunification n’est analysée que comme une modification des frontières ».
Cette forte tendance à la satellisation du Southern Cameroon’s se trouve
exacerbée par la sous-cotation de l’acte juridique garant de l’union. En effet, il
va sans dire que les changements sociopolitiques et institutionnels opérés étaient
de nature à ce que l’on fît recours au pouvoir constituant originel5. Or, le texte
fondateur de la République fédérale est présenté comme loi « portant révision
constitutionnelle et tendant à adapter la constitution actuelle [celle du
4 mars 1960] aux exigences d’un Cameroun réunifié ». Au-delà du fait que
recours fut fait à une simple révision de la constitution, le biais majeur se situe
au niveau de l’illégitimité de l’assemblée ayant exercé ce pouvoir de révision.
En effet, la loi est votée au sein de l’Assemblée nationale de la République du
Cameroun6. Bien plus, ladite loi est promulguée le 1er septembre 1961 par
Ahmadou Ahidjo, alors Président de la République du Cameroun (oriental). La
tendance à la satellisation du Cameroun méridional sera poussée à l’extrême du
fait de la confusion entre l’État fédéré du Cameroun oriental et l’État fédéral
(Edwin. O. Ardener, 1967, pp. 289-290) trahissant ainsi la logique d’un
fédéralisme asymétrique (Rocher & Cousineau-Morin, 2011). D’où la

5 La mise en commun des deux entités sous les auspices de la fédération traduisait de fait une
toute nouvelle unité politique et disqualifiait l’Assemblée nationale comme instance délibérative
légitime. Il aurait fallu que des législatives eussent été organisées afin que le parlement revêtît la
coloration des deux territoires. Bien plus, les changements opérés exigeaient en principe la
rédaction d’une nouvelle constitution, non pas une simple révision de la constitution du
4 mars 1960.
6La constitution de 1961 a été votée à l’Assemblée nationale de la République du Cameroun

(Cameroun Oriental) par 88 voix contre 6 abstentions et 2 bulletins nuls.

227
subséquente division administrative du southern Cameroons suite à
l’unification de 1972.

1.2. Déconstruction du communautarisme macro-territorial sur


fond de validation de la communauté de socialisation
administrative

Par communauté de socialisation administrative, il faut entendre l’habitus


communautaire qui se construit du fait de l’appartenance à une même
circonscription administrative. La problématique du fédéralisme comme
technologie de gestion de la diversité dans un contexte de construction de l’unité
s’est toujours posée comme si celle-ci et celle-là étaient des valeurs figées, donc
revêtues d’une aura essentialiste. Il s’agit bien là d’un effet de sens et de
puissance de la loi du monopole qui préside à toute sociogenèse (Elias, 1975,
pp. 29-45). Sans toutefois postuler d’une frontière étanche entre ordre politique
et ordre social (Lacroix, 1985), il s’agit, non pas uniquement de relever les
pesanteurs liées aux représentations instituées de l’État fédéral dans une analyse
politique du processus d’Étatisation, mais davantage de questionner le processus
d’institutionnalisation des représentations sociales de la marque « État fédéral ».
Tel que nous l’avons remarqué plus haut, le bipode communautaire
Cameroun oriental-Cameroun méridional, bien que construit par la double
tutelle franco-britannique, apparaît comme la marque déposée dans
l’énonciation politico-institutionnelle de la fédération. Pourtant, c’est sa remise
en question par le processus d’unification d’une part et la résurgence des
irrédentismes d’autre part qui marque la forte tendance à la socialisation de
l’État. En effet, il est assez difficile d’appréhender la dynamique d’étatisation
sans prendre en compte l’influence de l’environnement social dans un équilibre
toujours mouvant (Azarya, 1988 ; Nettl, 1968). L’idée d’une fédération dans le
contexte camerounais actuel convoque ainsi une large entreprise de production
de l’espace (Lefebvre, 1986) et son institutionnalisation dans le sens, non pas
d’une simple pénétration politique (Coleman, 1977) mais, d’une invention
syncrétique et originale. C’est la prise en compte de la dynamique locale de
l’État qui permet d’envisager la structuration administrative de l’espace comme
ingénierie d’imposition verticale d’un référentiel communautaire pertinent.

1.2.1. Déclassement de l’ethnicité et la tribalité comme référents


communautaires constitutifs de catégories d’État
Entendue comme groupement d’individus partageant une même culture,
parlant généralement la même langue et ayant conscience de participer à une
même identité collective (Lombard, 2004), l’ethnie est très souvent associée à
la notion de tribu, bien qu’elle n’y corresponde pas toujours. En effet, cette
dernière, en plus de la communauté culturelle et linguistique, inclut l’occupation

228
d’un territoire propre et généralement continu (Evans-Pritchard, 1940). Dans la
quête d’un référentiel communautaire opératoire pour la construction d’un
fédéralisme communautaire, bien des auteurs à l’instar de Cabral Libii (2021)
ont pensé pouvoir se référer à ces deux catégories, car donnant l’illusion d’un
essentialisme et d’une grille de lecture primordialiste des communautés
nationales face à la société républicaine. Toutefois, un tel postulat souffre de
bien des contingences qui tendent à le rendre inopérant.
Les anthropologues sont unanimes sur le fait que, par-delà la culture et la
langue commune, les communautés tribales et/ou ethniques doivent s’articuler
autour d’un sentiment d’appartenance à une même identité collective (élément
cognitif et subjectif) et l’occupation effective d’un territoire propre et continu
(élément physique et objectif). Pourtant, si l’on s’en tient à ces deux variables,
l’échelle communautaire construite autour de l’ethnie et la tribu comme
catégories d’État se voit disqualifiée. En parfait contraste avec l’idée acquise
d’un « habit d’arlequin », le Cameroun est un l’exemple même d’une
anthropologie de peuples à la parenté méconnue (Abouna, 2020). Par cette
titraille fort évocatrice, il s’agit de rendre compte de la méconnaissance des
imbrications et enchevêtrements ethnico-tribaux qui s’opèrent sur l’ensemble
du territoire camerounais entre des communautés territorialement scissiparées
et communément perçues comme distinctes. Il se trouve là objectivée l’idée
d’une dénégation aussi bien de l’élément subjectif qu’objectif des communautés
ethniques et tribales comme catégories essentielles.
Par ricochet, l’on se rend bien compte de la place de l’État central dans une
entreprise de production de sens du fait de la primauté d’une socialisation
administrative sur les appartenances primaires. Il est vrai que le référentiel
régional, tel que construit par l’État central et diffusé dans les arcanes de
l’univers social camerounais, est producteur d’une symbolique et d’un effet de
sens qui tendraient à en valider de manière péremptoire la qualité de micro-État.
Ceci se justifie par le fait que cette homogénéité présumée occulte bien les lignes
de diversité, de discontinuité et de conflictualité qui s’entremêlent au sein de ces
espaces canonisés. La régionalisation a consacré un ensemble de bricolages dans
la géographie administrative qui n’ont pas réussi à dévoiler l’hétérogénéité
ethnique et les incohérences dont elle est le théâtre. À l’ouest du pays, la
tentative d’édulcoration d’une identité Bamoun dans la masse numérique
Bamiléké ; dans le septentrion, l’antagonisme entre Peuls et Kirdi (Bigombe
Logo, 1999), les accointances ethnoculturelles entre Sawa et Bakweri,
l’ensemble culturel grassfield qui va de l’ouest au Nord-Ouest (Fogui, 1990), la
géographie administrative du Cameroun de nos jours est le vestige d’une
technologie de mise en ordre des communautés suivant des manœuvres
politiques de containment partisan, d’hétérogénéisation des fiefs partisans ou de
simple rétribution (Biwoni, 2017, pp.165-167). Avec le retour au multipartisme
dans les années 1990, les usages électoraux du découpage territorial ont
participé pour beaucoup dans la structuration de l’espace sous les auspices du
Gerrymandering. C’est dire que la géographie administrative a servi bien des

229
desseins, dont l’édulcoration des appartenances primaires et le maintien des
conflits communautaires dans une proportion congrue en constituent les plus
perceptibles.
Passer la région, entendue comme figure politico-administrative de proue
dans le processus de pénétration territoriale de l’État, au crible des pluralismes
ethnoterritoriaux, c’est envisager l’État comme consociation d’une part
(Lijphart, 1969), tout en relevant le caractère équivoque et mouvant des identités
collectives (Geertz, 1986a, 1986b ; Rorty, 1986, 1989). Cette logique
consociationnelle présuppose la construction et l’auto-identification à des
communautés censées porter la cause identitaire tout en catalysant la légitimité
de l’État central. Le découpage politico-administratif du territoire, tel que
construit par l’État, participe ainsi d’une « prédiction créatrice » au sens de
Merton en même temps qu’il produit un malentendu productif (Chauveau &
Dozon, 1987) au sein de la société. Puisque l’appartenance communautaire
stricto sensu se voit supplantée par une espèce de communautarisme
administratif, il convient de s’y référer comme échelon de construction d’un
fédéralisme communautaire. L’ambition ici n’étant pas de réfléchir sur
l’essentialisme ou le caractère construit d’une catégorie par rapport à une autre,
mais de retenir celle qui produit le plus d’effets dans la logique d’une mise en
ordre de la société. La communauté de socialisation administrative, élément de
statolité (Kontchou Kouemegni, 1989), structure et façonne les communautés
dans une logique de sociabilité qui les dépouillerait des effets pervers d’une
auto-identification aux référentiels communautaires primaires que sont la tribu
et l’ethnie.

1.2.2. La structuration administrative de l’espace comme ingénierie


d’imposition verticale d’un référentiel communautaire
Une fois remise en question la macro-identification au bipode
communautaire Cameroun oriental-Cameroun méridional, la structuration de
l’espace se produit sous les auspices d’un monopole de la géographie
administrative suivant l’hypothèse de l’État cartographe (Sindjoun, 2002).
Outre la monopolisation du droit de structurer et de restructurer l’espace
administratif entre les présidents Ahidjo et Paul Biya sur fond d’hégémonie
décrétale (Biwoni, 2017), la démultiplication locale d’unités administratives
participe de la double dynamique de « proxy-hégémonie » de l’État central et
de production d’une « homophilie locale » (Sindjoun, 2002) suivant la division
des marchés et rétributions politiques.
Premièrement, sur le plan politique, les échelons provincial et départemental
constituent une modalité de décomposition locale du marché politique national.
Ainsi, le décret no83-390 du 22 août 1983 portant création de nouvelles
provinces en République unie du Cameroun et bien avant, le décret no72/349 de
1972, portant organisation administrative de la République du Cameroun,
contribuent à la consécration de la province comme référentiel communautaire.

230
Au Cameroun méridional, la création des deux régions du Nord-Ouest et du
Sud-Ouest entraine la déconstruction de l’ancien État fédéré au profit d’une
micro-communautarisation suivant la configuration « Nord-Ouest » et « Sud-
Ouest ». C’est la même symbolique qui caractérise la création des régions du
Centre, du Sud, du Nord, de l’Adamaoua et de l’extrême nord dans le Cameroun
oriental. La provincialisation et la départementalisation des marchés politiques
participent à ériger ces espaces en référentiels d’appartenances.
Toutefois, c’est de manière ultime avec le processus de décentralisation entré
dans sa phase décisive depuis 2004 suite à l’adoption d’une loi d’orientation que
la région est consacrée de manière ultime comme identifiant cardinal influençant
les rapports sociaux de manière formelle et décisive (Sindjoun, 1996, p. 61). En
effet, la mise sur orbite de la région emporte également régionalisation de la
compétition politique en faisant de cet espace géographique le champ de
cristallisation du conflit, mais aussi un référent identitaire collectif. C’est le
principal effet de sens que produit l’élection des conseils régionaux organisée
en 2020.
Deuxièmement, la région est consacrée comme échelon par excellence de
diffusion de l’offre étatique en termes d’allocation des ressources de bien-être
collectif : l’aménagement du territoire. C’est cet état de choses qui justifie la
politique d’équilibre régional comme technologie de gestion de la diversité
communautaire au Cameroun (Biwoni, 2017). Dans cet ordre d’idée, la pratique de
mémorandums par des régions apparait comme un indicateur de la mise en ordre de
la société du fait d’une identification à ce schème construit par l’État. Toutefois, il
demeure que l’échelle communautaire retenue dans le projet fédéral se doit d’être
adaptée de manière syncrétique à une ingénierie fédérale qui ferait face au défi
juridico-institutionnel que constitue un retour au fédéralisme.

2. Quelle ingénierie fédérale originale dans un champ juridico-


institutionnel figé ?

La question du fédéralisme, dans le contexte camerounais actuel, nourrit bien


des espoirs et des attentes qui semblent dépasser le cadre exigu de la simple
mutation constitutionnelle tenant à la forme de l’État. Elle met aux prises une
énonciation stato-républicaine d’un modèle de gestion des communautés et une
ingénierie sociétale de pacification du rapport à l’altérité. De manière assez triviale,
nous avons présenté les figures et postures du projet fédéral camerounais eu égard
aux problématiques de gestion de la crise sécessionniste dans les régions du Nord-
Ouest et du Sud-Ouest d’une part et du « problème national camerounais » d’autre
part. Quelle que soit la forme sous laquelle on le conçoit, le néo-fédéralisme
camerounais pose des défis tenant d’une part de l’évolution constitutionnelle
questionnant l’unilinéarité des processus de transformations politico-

231
institutionnelles7 et le besoin de construction originale d’une théorie du fédéralisme
s’émancipant des frontières étanches de la fédération et à même de gérer le
« désordre identitaire » dont le pays est l’objet.

2.1. L’impossible reconstruction d’un habitus fédéral stricto sensu

Le courant sociologique caractérisé par les areas studies (Almond & Verba,
1963 ; Constant Martin, 1992 ; Geertz, 1973) s’est illustré par la consécration
de l’exotisme et l’importance de l’univers sociologique dans l’analyse des
transformations politiques : il était là clairement pris en compte la variable
spatiale. Pourtant, les approches relatives au développement politique (Almond,
1987 ; Badie, 1994 ; Huntington, 1987; Nisbet, 1970 ; Pye, 1966), malgré les
efforts, ont du mal à sortir du bipode tradition et modernité induisant un certain
évolutionnisme dans l’analyse des transformations politico-institutionnelles.
Dans le cas du Cameroun, l’État unitaire a été consacré comme figure de la
modernité, reléguant la fédération dans un anachronisme certain.
Eu égard aux vertus que l’on reconnaît au fédéralisme dans la gestion de la
diversité aussi bien sécessionniste qu’irrédentiste, l’hypothèse d’un retour au
fédéralisme apparaît envisageable, nonobstant les écueils liés à un pareil
rétropédalage institutionnel. C’est d’ailleurs le sens de la figure d’une fédération
Janus telle que présentée plus haut. Si l’on s’en tient à l’évolution politico-
institutionnelle du Cameroun et les défis communautaires auxquels il fait face,
il est bien à propos de s’interroger sur la praticabilité des formes de fédérations
instituées pour ce qui est du contrat fédératif initial et du mode de dévolution
des pouvoirs.

2.1.1. Quel contrat fédératif pour une néo-fédération camerounaise ?


La fédération se crée sur la base d’un contrat ; le contrat fédératif est un
contrat de droit public (Kelsen, 1940). C’est la même idée qu’exprime déjà
Proudhon dans Du Principe fédératif quand il relève que les sujets du pacte
fédératif sont des sujets collectifs (peuples et territoires) et non des individus
contrairement au contrat rousseauiste ; le lien fédératif qui les unit est un lien
contractuel et non statutaire ou organique (Proudhon, 1997, pp. 84-90). Il
présente ce qu’il qualifie de logique fédérale de la manière suivante : « le contrat
de fédération […] est essentiellement restreint. L’autorité chargée de son

7 Il faut voir ici la forte tendance à l’évolutionnisme dont sont sujets les processus de
transformation politique du fait d’une mutation présumée de la tradition vers la modernité. Pour
le cas d’espèce, l’évolution du fédéralisme à l’État unitaire semblait s’inscrire dans l’ordre naturel
des choses, selon les leaders politiques francophones tout au moins. Or imaginer la possibilité
d’un passage de l’État unitaire décentralisé à une néo-fédération remet en question cette tendance
évolutionniste au point de questionner la faisabilité d’une telle entreprise.

232
exécution ne peut jamais l’emporter sur ses constituantes… » (1997, p.87). Il en
résulte deux faits saillants qui dévoilent la logique même du pacte fédératif.
Le caractère essentiellement restreint du pacte fédératif traduit l’idée de la
prépondérance et le rôle central de ses différentes constituantes (Communautés).
Puisque dans le cadre du Cameroun il s’agirait davantage d’une néo-fédération, il
est question de comprendre les rapports entre ce qu’il est convenu de nommer
« pacte fédératif fondateur » de 1961 et le néo pacte fédératif8 qui tendrait à
constituer le socle d’une fédération tout aussi nouvelle. C’est justement cette
question de pacte fédératif fondateur qui concourt à envisager l’hypothèse d’une
fédération par-delà le bipode sociolinguistique avec beaucoup de circonspection. En
effet, le pacte fédératif fondateur de la proto-République fédérale du Cameroun, tel
que nous l’avons dit plus haut, a participé d’une logique de construction de l’axe
bicommunautaire « Cameroun oriental » et « Cameroun occidental » comme pôle
d’énonciation exclusif de la fédération. Si tant est que, dans une fédération, le pacte
fondateur soit revêtu d’un symbolisme qui en justifie le caractère restreint, il
apparait donc qu’une fédération à plusieurs9 tendrait à en édulcorer la charge
symbolique au détriment du Cameroun méridional qui se verrait disqualifié du rang
de partenaire exclusif au projet fédéral. Il s’agirait d’une dilution de l’aura du
Cameroun méridional du fait d’une trop grande scissiparité de l’offre fédérale
contrairement à la configuration du pacte fédératif initial. Dans une telle
perspective, la fédération constituerait moins un début de solution au
sécessionnisme au Cameroun méridional du fait d’une certaine érosion identitaire.
L’autre principale caractéristique du pacte fédératif réside dans son caractère
attributif et habilitant. C’est ce que sous-tend le principe selon lequel l’autorité
chargée de l’exécution du pacte ne saurait l’emporter sur ses différentes
constituantes. Dans la logique proudhonienne, il n’est pas souhaitable que le
pacte fédératif consacre plus de prérogatives à l’autorité centrale qui en est
investie de l’implémentation. Or, dans le cas de la proto-fédération camerounaise
de 1961, l’essentiel des pouvoirs est concentré entre les mains du Président de
l’État fédéral, Ahmadou Ahidjo, suivant la perspective d’une personnification
du pouvoir et de ce qu’il conviendrait de qualifier de configuration
anthropomorphique de la fédération. Il ne pouvait donc en résulter qu’une
« loose federaion ». La transformation de la nature contractuelle du pacte
fédératif initial en pacte statutaire (Beaud, 1997, pp.197-270) est la raison de
l’évolution institutionnelle de la fédération à l’État unitaire entre 1961 et 1972
malgré la consécration de l’inviolabilité de ce pacte par le constituant de 1961
qui, en son article 47, dispose que « toute proposition de révision de la présente

8 Pour le cas d’espèce, le pacte fédéral fondateur renvoie, dans une perspective contractuelle, à l’acte
initial faisant office de contrat de fédération. Dans le cas du Cameroun, il s’agit des clauses de la
conférence de Foumban, matérialisées par la constitution de septembre 1961. Vu le passage de la
fédération à l’État unitaire, le néo-pacte fédéral renvoie à l’acte constitutif d’une fédération nouvelle.
9 Nous entendons par là tout projet de fédération qui tendrait à déconstruire le bipode Cameroun

oriental et Cameroun occidental comme axe d’énonciation légitime de la fédération au profit d’un
multipode quel qu’il soit.

233
constitution [septembre 1961] portant atteinte à l’unité et à l’intégrité de la
fédération est irrecevable ». L’épineuse question de la répartition du pouvoir
constitue d’ailleurs l’un des principaux écueils à l’idée même d’une néo-
fédération quant à sa viabilité.
2.1.2. L’écueil d’une dévolution descendante du pouvoir
Quand Proudhon insiste sur la concentration aussi bien en qualité qu’en quantité
de l’essentiel des pouvoirs entre les mains des constituantes au pacte fédératif (États
fédérés), il présuppose une dévolution des pouvoirs qui serait ascendante, donc des
démembrements territoriaux vers l’État fédéral, de la périphérie vers le centre. Dans
une telle configuration idéale, les unités fédérées seraient dépositaires du pouvoir
d’État. Il se pose donc le problème, dans le cas du Cameroun, de l’ingénierie de
construction d’une fédération sur fond d’évolution politico-institutionnelle de l’État
unitaire vers l’État fédéral. Empreint d’une réelle culture jacobine, l’élite politique
au Cameroun est supposée faire preuve de volontarisme afin de construire une
fédération qui fasse sens en dessaisissant l’État central de l’essentiel de ses
prérogatives au profit des États fédérés. Or, pour que la question fédérale fût
évoquée avec plus de certitudes dans le cours institutionnel Camerounais, il aurait
fallu que la nature contractuelle initiale de la fédération n’eût pas évolué en pacte
statutaire en 1972 et faisant de la structure fédérative de 1961, un tout indivisible
unitaire (Beaud, 1997, pp.197-270). Bien plus, la question du mode de dévolution
des pouvoirs masque mal la problématique du dépositaire de la souveraineté au sein
d’un État fédéral suivant le fameux dilemme de « Calhoun ». Sur la question,
Voyenne (1981, p. 134) remarque : « ou bien les traités qui ont donné naissance à
l’État subsistent, et alors cet État n’existe qu’en vertu de la souveraineté de ses
membres ; ou il s’agit, comme le prétendent les fédéralistes, d’un pacte définitif et
dans ce cas on se trouverait en face d’un État unitaire ».
Le cours constitutionnel camerounais fait pourtant état d’une prépondérance de
la logique fédéraliste qui conçoit le pacte fédératif comme définitif, car
s’émancipant de la souveraineté des unités fédérées au profit du tout fédéral10. C’est
entre autres choses qui ont contribué à exacerber le sentiment d’érosion identitaire
et de phagocytose du Cameroun méridional au point d’en arriver à un
sécessionnisme réactionnaire11. La souveraineté du « tout fédéral » labélisé sous les
formules « République unie » « République du Cameroun » faisant face à la

10 Le pacte fédératif dans le cas du Cameroun est considéré comme définitif et s’émancipant de la
souveraineté respective du Cameroun oriental que du Cameroun occidental dans la mesure où
l’évolution de l’État fédéral à l’État unitaire lors du référendum constitutionnel de mai 1972 s’est
faite sur fond d’homogénéisation du corps électoral validant de fait la supériorité numérique d’un
Cameroun oriental acquis à la cause du Président Ahidjo. La prise en compte de la souveraineté
des parties au pacte fédératif aurait nécessité que l’on différentiât les corps électoraux avec besoin
de majorité de suffrages exprimés de part et d’autre du Moungo.
11 L’autodétermination du Southern Cameroons est envisagée par Gorki Dinka dans le cadre de

la proclamation de la « République d’Ambazonie ». Il était question de procéder à la proclamation


de l’indépendance tout en intégrant la possibilité d’une confrontation militaire ou ce qu’Albert
Mukong qualifie de « guerre de libération nationale ».

234
souveraineté des États fédérés sous les auspices de la sécession. Cet ensemble
d’écueils et de défis auxquels fait face le néo-fédéralisme camerounais nous impose
de naviguer aux confins des frontières de l’idéologie fédéraliste afin de construire
un modèle qui permettrait de gérer les tensions communautaires au Cameroun.

2.2. Pour une ingénierie originale du fédéralisme au Cameroun : le


fédéralisme par-delà la fédération

Une politologie prospective des univers possibles d’un fédéralisme


communautaire comme amortisseur de la crise de légitimité de l’État unitaire,
fût-il décentralisé, se heurte à plusieurs écueils. Le premier obstacle est le piège
du nominalisme. Très souvent, le fédéralisme est utilisé de manière
synonymique avec la fédération. Il se passe comme si, aussi bien le fédéralisme
que la fédération réussissent à traduire en totalité la logique que sous-tend tout
projet fédéral. Cette réalité, hors des codes d’énonciation langagiers, nous invite
à une odyssée dans ce qu’il est convenu d’appeler esprit du fédéralisme.
Le second écueil réside dans la consécration ultime de l’échelon
communautaire comme modalité d’expression et de diffusion privilégiée du
fédéralisme dans son esprit. La communauté est ici absolutisée comme si,
mesure ultime, c’est elle qui conditionnerait la trajectoire que pourrait prendre
tout projet fédéral. Pourtant, nous l’avons vu plus haut, lorsqu’on les passe au
crible de revendications ethno-territoriales, les communautés construites et
érigées en catégories d’États se révèlent avec toutes leurs contingences
intrinsèques. Les communautés se construisent et se déconstruisent sous l’effet
conjugué d’une dynamique sociétale propre et les régulations étatiques qui en
sont faites12. Parce que les deux variables que sont l’État et les communautés ne
sont pas figées et entretiennent des rapports de co-constitution ou, tout au moins,
d’influence mutuelle, il convient de les envisager avec les contingences qui leur
sont inhérentes. Étatisation de la société et socialisation de l’État ne constituent
donc qu’un continuum dans tout processus de statogenèse. C’est le sens de la
distinction entre « fédéralisme intensif » et « fédéralisme extensif ».
2.2.1. Fédéralisme, et si on y était déjà ? Décentralisation et régionalisation
à l’épreuve de l’esprit fédéral
L’une des idées-forces de la fédération réside dans la déconstruction du
référentiel unitaire et centralisé de l’État, par l’institutionnalisation d’une
gouvernance multiniveaux prenant en compte la réalité d’une diversité
territoriale conjuguée à l’exigence de l’unité. Malgré quelques nuances, dans

12 Les communautés sont ici perçues comme le produit d’un double processus de subjectivation
et d’objectivation de l’univers social. La dynamique sociétale propre, dans ce sens, participe de la
subjectivation, car se rapportant aux aspirations des groupes (communautés) en fonction de
l’image que ceux-ci ont d’eux-mêmes tandis que leur validation ou encadrement par l’État en
constitue un élément décisif d’objectivation.

235
l’esprit, la décentralisation et la régionalisation ne sont pas moins des modalités
de gestion de la diversité territoriale dans un État. Il est vrai qu’entre les deux
formes il existe une différence de nature dans la mesure où aussi bien la
décentralisation que la régionalisation constituent des tentatives de dilution du
caractère unitaire de l’État, tandis que la fédération consiste en une opposition
au concept même d’État unitaire (Arcq et al, 2012). En plus de cet état de fait,
l’idée d’un oxymore constitutionnel (Biwoni, 2017, p. 132) par l’association que
l’on fait entre État unitaire et décentralisation, tel que le fit le constituant
camerounais de janvier 1996 témoigne à suffire de la difficile conciliation de
l’unité et de la diversité. Dans l’esprit et quelle que soit la forme qu’il prend
(fédérale ou unitaire), l’État moderne fait principalement face au défi d’une
maîtrise de la tension mouvante entre unité et diversité afin qu’elle ne puisse
mettre à mal la stabilité institutionnelle.
Nonobstant les manœuvres de constitutionnalisme rédhibitoire de la
décentralisation telles qu’instituées par le constituant de 199613, de juré l’État du
Cameroun s’inscrivait déjà dans la logique d’une gestion de la diversité, donc il était
déjà de plain-pied dans la dynamique du fédéralisme de facto. Ceci est d’autant plus
vrai que, par-delà le label « État unitaire décentralisé », la scissiparité territoriale
qu’institue la constitution de 1996 dépasse le cadre exigu d’une simple
décentralisation et tend, du fait de la mise sur orbite de la région14, vers une véritable
régionalisation. Or l’État régional se situerait donc à la lisière entre l’État unitaire
(qu’il n’est plus totalement, puisque les régions exercent des compétences beaucoup
plus importantes que les administrations locales dans le cadre d’une décentralisation
classique) et l’État fédéral (qu’il n’est pas complètement, puisque l’autonomie
accordée aux régions reste contrôlée par le niveau central) (Arcq et al, 2012).
Encore plus, la régionalisation a ceci de particulier qu’elle n’accorde pas
nécessairement les mêmes compétences aux régions sur toute l’étendue du
territoire ; c’est ce qui justifie la possibilité du statut spécial pour les régions du
Nord-Ouest et du Sud-Ouest tel que retenu lors du Grand dialogue national. Cette
option a le mérite de constituer un début de solution pour le « problème national
Camerounais » d’une part tout en conservant le symbolisme lié à la spécialité de la
partie anglophone. C’est la solution qui avait déjà été retenue par l’Italie15 et la

13 Par constitutionnalisme rédhibitoire de la décentralisation ici, il faut entendre le décalage entre


la consécration constitutionnelle de ce mode d’organisation politico-institutionnel tel que ce fut
le cas dans la constitution du 18 janvier 1996 et son implémentation effective. Au demeurant, il
s’est d’une manœuvre dilatoire reportant l’applicabilité de la décentralisation à huit années plus
tard du fait du vote de la loi portant orientation de la décentralisation en 2004 et celles portant
respectivement dispositions applicables aux communes et aux régions en 2008.
14 Toutefois, la simple organisation administrative du territoire en région n’emporte pas institution

du régionalisme qui se caractérise par une reconnaissance d’un surcroit de pouvoirs aux régions
par rapport à la simple décentralisation administrative. À titre d’exemple, le territoire français est
découpé depuis 1954 en un certain nombre de circonscriptions qui sont appelées régions depuis
1972, mais elle n’est pas pour autant un État régional.
15 Constituée de 20 régions depuis 1972, l’Italie reconnait le statut spécial et une autonomie élargie à

05 d’entre elles : Frioul-Vénétie Julienne, Sardaigne, Sicile, Trentin–Haut-Adige et Val d’Aoste.

236
Grande-Bretagne afin de contrer les mouvements séparatistes et protéger des
minorités linguistiques. Au final, la fédération et l’État régional ont de réelles
affinités électives, raison pour laquelle certains juristes considèrent le régionalisme
espagnol comme une fédération de fait. Il en est de même de la forte tendance qu’ont
les Italiens à qualifier l’organisation de leur pays de « fédéralisme administratif et
fiscal ». Toutefois, si dans ces pays le régionalisme parvient à contenir en amont les
tendances séparatistes, ses vertus dans la pacification sociale et la résolution d’une
crise sécessionniste restent questionnables ; d’où l’idée du caractère suranné d’une
solution par régionalisation.
2.2.2. Le besoin d’aseptiser le tabou constitutionnel du droit à la sécession
par la création d’un « droit de la sécession »
La problématique de la sécession apparaît comme l’un des principaux tabous
constitutionnels et le grand impensé de la science et de la philosophie politiques.
Prenant référence sur des fédérations dont l’intégrité territoriale et l’identité
particulière ne poseraient pas de souci suivant la perspective de John Stuart Mill
« un État une nation » (1861), la doctrine dominante et le droit positif fédéral se
sont généralement traduits dans les sciences juridique et politique par l’abandon
de cette importante question (Cagiao y Conde, 2010, p. 23). Bien que dans bon
nombre de constitutions la sécession soit formellement interdite, lorsqu’elle
n’est pas royalement ignorée, elle n’est pas pour autant exclue des aspirations
de peuples pourtant parties prenantes à des fédérations ou à de simples États
régionaux16. Le sujet semble d’une importance telle qu’il a servi de critère à la
doctrine en droit public pour établir la célèbre distinction « État fédéral » droit
interne et « confédération » droit international sur laquelle a été bâtie
traditionnellement la théorie du fédéralisme (Beaud, 1997). En envisageant la
confédération dans ce travail, nous ne souscrivons pas à la distinction que la
doctrine classique en fait d’avec la fédération ; nous souscrivons plutôt à la
théorie de la fédération de Beaud dans laquelle il regroupe l’État fédéral et la
confédération dans une catégorie juridique plus large, qu’il nomme Fédération.
Pour le cas d’espèce, l’on ne saurait envisager l’hypothèse d’une
confédération, au sens classique du terme, comme évolution constitutionnelle
possible ; bien des éléments ne permettent pas au Cameroun de s’inscrire dans
le conformisme de la critériologie classique17. Il importe de convoquer l’idée de

16 Le principe démocratique voudrait que le peuple, dépositaire de sa souveraineté, puisse exercer cette
dernière aussi bien dans le cadre d’une sécession s’il le juge nécessaire. C’est pourquoi il est assez
difficile de qualifier les velléités sécessionnistes d’un État unitaire comme l’Espagne d’illégitimes du
fait de la forme de l’État tout en légitimant celles d’États fédéraux tels que le Canada voire la Belgique.
Dans une telle perspective, la sécession serait davantage légitimée par une dynamique communautaire
claire qui la revendiquerait plutôt qu’une dynamique juridique laconique qui la sous-entendrait. Si, tel
que c’est le cas en matière de sécession, le champ juridique rechigne à s’adapter à l’univers social.
17 La confédération stricto sensu renvoie à une convention entre plusieurs États indépendants. Or

la situation camerounaise ne met pas aux prises des unités politiques indépendantes. Il serait donc
assez périlleux d’envisager une confédération au sens strict comme horizon possible au
Cameroun.

237
confédération, dans le cadre de ce travail, suivant les vertus qui sont les siennes
pour ce qui est de la gestion des questions liées aux séparatismes et
sécessionnismes au sein d’unités politiques. La principale raison de la mise sur
Agenda politico-institutionnel de la forme de l’État est bien la crise
sécessionniste dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Dans cette
perspective, toute forme institutionnelle qui tendrait à produire une technologie
efficace de gestion des relents sécessionnistes serait d’un apport certain dans
l’ingénierie camerounaise de gestion institutionnelle de la crise qui y sévit.
Contrairement aux fédérations stricto sensu et aux États régionaux au sein
desquels la gestion de la sécession n’est qu’exceptionnellement envisagée18, la
confédération a le mérite de produire tout un encadrement juridique extirpant la
problématique du tabou constitutionnel.
L’enjeu ici est donc la question de l’encadrement du droit à la sécession
comme modalité de maintien de la légitimité entre ordre fédéral et ordres
fédérés. C’est l’hypothèse que retient Weinstock (2001, pp.84-85) afin
d’encadrer les tendances centrifuges des unités fédérées tout en édulcorant
l’aura pesante de l’État fédéral. L’introduction d’un droit à la sécession avec des
conditions clairement définies peut être un moyen d’une efficacité certaine. Un
tel droit contraindrait aussi bien l’État fédéral que les entités fédérées en créant
un effet psychologique modifiant l’attitude arrogante et autoritaire de celui-ci
tout en limitant le chantage et les caprices de celles-là. Le droit à la sécession
aurait donc plus d’avantages pour le fédéralisme que pour la sécession. La
sécession n’est au final pas un tabou dont on ne peut discuter qu’au son des
détonations et des crépitements sur le terrain de la répression des séparatistes ;
elle doit être juridiquement encadrée afin que le « droit de la sécession » rende
la mobilisation du droit à la sécession très peu probable tout en disciplinant aussi
bien l’échelon central que local.

Conclusion
Le fédéralisme communautaire est bien un pléonasme dont on s’accommode
volontiers, quelle que soit la perspective théorique que l’on privilégie quand on
cherche à l’appréhender. Que la priorité soit donnée au « tout fédéral » suivant la
perspective classique ou aux approches contractualistes, la raison d’être du
fédéralisme se trouve dans la gestion de diverses formes de communautés. Il était
donc opportun de s’interroger sur la nature des communautés qui participeraient à
façonner le projet de fédération au Cameroun. Entre la macro-identification au
bipode communautaire Cameroun oriental-Cameroun méridional et la micro-
identification relative à une socialisation administrative sous les auspices de la
décentralisation voire la régionalisation ; le phénomène communautaire se veut
essentiellement construit et mouvant au gré d’équilibres entre l’État et l’univers
18Seuls les États d’Éthiopie et de Saint-Christophe et Niévès ont à ce jour inclus une clause de
sécession dans leur constitution.

238
social. L’échelon régional apparaît ainsi comme assez pertinent dans la construction
d’une fédération qui serait une thérapie aussi contre le sécessionnisme et les
irrédentismes. Communautés régionales et État imposent une méso-sociologie du
rapport privilégié de co-constitution et d’influence mutuelle qui lie les partenaires
au projet fédéral. Dans un contexte où les communautés primaires sont inopérantes
du fait de leurs contingences et leur caractère conflictogène, il n’est pas souhaitable
que le néo-fédéralisme camerounais se fasse au gré de ces ensembles qui tendraient
à « mettre en ordre » l’État. La réalité communautaire et la raison d’État sont des
variables que l’on ne saurait appréhender séparément ; d’où le besoin de disqualifier
aussi bien les référents communautaires primaires que les versions consacrées et
nominalistes de fédérations.
Parler d’un fédéralisme communautaire au Cameroun comme modalité
d’amortissement de la crise sécessionniste dans les régions du Nord-Ouest et du
Sud-Ouest d’une part et les irrédentismes dans les autres régions d’autre part
c’est faire le pari de l’iconoclasme dans la perception de la communauté comme
catégorie d’État. Il s’agit également d’avoir un regard profanateur sur le
nominalisme du label « État fédéral » en allant outre ses formes instituées, dans
une ingénierie qui emprunte à la confédération la clause du droit à la sécession
et à la régionalisation une distribution à géométrie variable des compétences
attribuées aux régions. C’est ce dernier élément qui permettrait de sauvegarder
le caractère spécial des régions constitutives de l’ancien Southern Cameroons.

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240
CHAPITRE 10

REGARDS CROISÉS DES CAMEROUNAIS SUR LE


FÉDÉRALISME

Jeannette WOGAING FOTSO, & Joselin Paulin OUAMBO OUAMBO

Résumé
Le Cameroun est un véritable kaléidoscope du continent africain de par les aires
culturelles et les végétations qui le composent. À la veille d’une probable transition
sociopolitique, on observe un regain de repli identitaire et une dégradation sans cesse
croissante des conditions de vie des citoyens. Cette tendance marquée laisse craindre
une déflagration de la société camerounaise au profit de la mise en place du fédéralisme.
À la lumière d’observations, d’entretiens et de récits de vie auprès des personnes vivant
en milieu urbain et rural, nous avons voulu connaitre ce que les uns et les autres pensent
du fédéralisme et de ses différentes formes. Il ressort de notre analyse qu’il est désormais
important de faire des projets de société qui tiennent compte des réalités
anthropologiques qui portent davantage sur la diversité des peuples, des cultures et de
leur besoin. Une telle pratique ne peut que favoriser une certaine cohésion sociale où la
participation réelle des bénéficiaires à ces programmes de société est effective.
Mots-clés : culture, aire culturelle, diversité, transition, fédéralisme, Cameroun.
Abstract
Cameroon is a veritable kaleidoscope of the African continent through the cultural areas
and vegetation that compose it. On the eve of a probable socio-political transition, there
is a renewed withdrawal of identity and an ever-increasing deterioration in the living
conditions of citizens. This marked trend raises fears of an explosion of Cameroonian
society in favor of the establishment of federalism. In the light of observations,
interviews and life stories with people living in urban and rural areas, we wanted to
know what citizens think of federalism and its different forms. At the end of our analysis,
it appears that it is now important to make social projects that consider anthropological
realities that focus more on the diversity of peoples, cultures and their needs. Such
practice can promote a social cohesion where the real participation of the beneficiaries
in these social programs is effective.
Keywords: culture, cultural area, diversity, transition, federalism, Cameroon.

241
Introduction

Depuis la crise postélectorale de 2018, le Cameroun connaît un regain de


violence qui part de la crise sociopolitique dans les régions du Nord-ouest et du
Sud-ouest aux violences de plusieurs natures parmi lesquelles les enlèvements, les
féminicides1, les assassinats, sans oublier la pléthore de problèmes infrastructurels
qui existent déjà (accidents de la route2, l’accès à l’eau potable, à l’électricité)
auxquels viennent désormais se greffer les discours haineux3 et tribaux4. Ces
crises se vivent dans un contexte où les biens publics sont pillés au profit de celles
et ceux qui gèrent la cité et se déroulent sous le regard complice de ceux-là mêmes
qui sont censés faire appliquer la loi ou organiser des démarches allant dans le
sens de rendre justice et donc de ramener la paix sociale. Par ailleurs, plusieurs
études montrent que pour évaluer le niveau de développement d’un pays, il faut
interroger les indicateurs tels que le taux de mortalité maternelle5, l’espérance de
vie6, etc., l’exercice de la justice7. Dans leur quête de nouveau modèle de
gouvernance, quelques universitaires et membres de la société civile se sont
également intéressés à la pratique de la gouvernance parmi lesquelles la
problématique du fédéralisme (Lado et Mballa Elanga, 2018 ; Libii, 2021 ;
Djamen, 2022) et autre forme de gestion efficace de la cité en l’occurrence la
tritocratie8 que propose Ndoulah9 (2019). Même si les points de vue sont tantôt
partagés, tantôt antagonistes. Ces différentes productions ont le mérite d’ouvrir la
voie au débat contradictoire et de mettre sur la place publique la complexité qui

1 Le Cameroun a enregistré 29 féminicides en 81 jours au Cameroun dans des circonstances


troubles et le plus souvent par leurs partenaires. www.GRIOTE.TV consulté le 15 mai 2023.
2 Les accidents de la route sont la cause importante de la mortalité plus de 3000 décès sur les axes

routiers du Cameroun selon les statistiques de la sécurité routière en 2021.


https://www.voaafrique.com/a/les axes-routiers-du cameroun-font-de-nombreux-morts-par-an-
/6268855.HTML, consulté le 15 juin 2023.
3 Les « discours de haine et les violences. Genèse sociale, formes émergentes et pistes de

réponses » ont fait l’objet d’un colloque organisé par le département de sociologie de l’université
de Yaoundé le 10 mai 2023 à l’Amphithéâtre 1003.
4 Ces discours haineux et toutes sortes de violences se font dans les médias et les réseaux sociaux

numériques.
5 Même si la santé maternelle s’est améliorée, le taux de mortalité reste drastiquement élevé, un

décès de fille ou de femme en état de grossesse toutes les deux heures pour des causes multiples
(obstétricales, socioculturelles, assassinat, accident de la route)
6 L’espérance de vie est de 56 ans selon le fonds Monétaire Internationale.
https://www.imf.org/external/pubs/ft/fabric/fra/camprof.htm consulté le 17 juin 2023.
7 L’exercice de la justice fait allusion aux cas traduits dans les tribunaux et qui ne connaissent pas

un rendu qui correspond aux lois existantes.


8 La tritocratie est un modèle de gouvernance aussi appelé démocratie à trois dirigeants (triade), qui

consiste à avoir systématiquement trois personnes à la tête de chaque pouvoir central élues parmi les
trois premières lors d’une élection populaire qui doivent gouverner administrativement par la
collégialité de la majorité ou par choix tiré si chacun a sa préférence et ce collège doit aussi nommer
trois collaborateurs dans chaque poste de responsabilité des services de l’État qui travailleront sur le
même principe. C’est un modèle adaptable à tout système/régime.
9 www.ndoulah.com

242
caractérise le Cameroun. Cette réalité laisse croire que la diversité culturelle, loin
d’être un élément de richesse, est devenue pour certains un facteur de division au
point où les uns et les autres tendent à être favorable au fédéralisme qu’il soit
unitaire ou communautaire ou tout autre modèle de gouvernance où l’être humain
serait au cœur de la préoccupation majeure, d’où notre intérêt à vouloir
comprendre ce que les citoyennes et citoyens pensent et disent du fédéralisme.

1. Matériel et méthode

Pour répondre à notre désir de connaître ce que les Camerounais pensent du


fédéralisme, nous avons choisi la recherche qualitative. Fondée sur le recueil des
opinions, elle nous a permis de collecter les données auprès de quarante personnes
vivant en ville et au village. Nous avons conçu un guide d’entretien.
Ce guide avait trois parties : une première qui présente l’objectif du travail
envisagé et l’identification de la personne interviewée. La seconde a concerné
la définition et la représentation du fédéralisme et ses formes. La troisième
portait plus sur ce qu’elles pensent de l’adoption du fédéralisme et si ce modèle
peut contribuer au développement du Cameroun.
Par ailleurs, la difficulté majeure a été l’accès aux sources primaires.
Plusieurs personnes ne sont pas promptes à répondre aux questions relatives au
fédéralisme. Elles donnent l’impression que ce n’est pas seulement pour des fins
académiques alors que leur anonymat était requis dès le début de l’entretien.
Cependant, les rappels constants par voie téléphonique, des messages via des
réseaux sociaux numériques tels que whatzapp nous ont finalement permis
d’avoir des personnes qui acceptent de nous communiquer leur opinion sur le
fédéralisme.
L’analyse des données est combinatoire. Nous avons opté pour une démarche
compréhensive et interprétative qui s’appuie sur la démarche qualitative. Elle a
permis d’analyser les discours des personnes interviewées sur le fédéralisme.

2. Le fédéralisme : un concept peu connu par le public jeune

Le fédéralisme a été un sujet tabou au Cameroun au lendemain des élections


présidentielles de 2018 et à la suite de la guerre fratricide dans les régions du
Nord-ouest et du Sud-ouest10. Pourtant, « le Cameroun a d’abord été un État
fédéral de 1961 à 1972 avant de devenir un état unitaire » (Tumi, 2018, p. 9)

10 Cette crise qui secoue le Cameroun depuis octobre 2016 est communément appelée crise
anglophone même si les conséquences sociales et économiques ne concernent pas uniquement les
régions du Nord-ouest et du Sud-ouest.

243
même si certaines populations en ont une vague idée11. Deux ans plus tard, il est
remis sur la scène politique à travers les publications d’universitaires, d’hommes
politiques (Lado et Mballa Elanga, 2018 ; Libii, 2021 et Djamen, 2022) et de
débats dans les médias traditionnels et les réseaux sociaux numériques.
Cependant, on observe que les jeunes qui représentent 43,6 % de la population
qui constituent la fraction avec laquelle il est important de composer semblent
peu instruits sur le concept de fédéralisme encore moins des différentes
typologies ou même d’en proposer une forme qui sied au Cameroun au regard
de sa diversité culturelle et de sa complexité.
À la question de savoir s’ils ont déjà entendu parler du fédéralisme, la quasi-
totalité répond par l’affirmative même si un nombre non négligeable dit le
contraire. Pour une population aussi jeune, une telle attitude suscite de
nombreux questionnements au regard de l’actualité nationale (mal gouvernance,
insalubrité, accès insuffisant à l’eau potable, à l’énergie, aux infrastructures
routières, etc.). Pour celles et ceux qui en ont entendu parler, c’était davantage
à l’école et dans les médias. « J’ai entendu parler du fédéralisme à l’école et
dans les médias. […] Mon professeur nous a demandé de préparer un exposé
sur cette thématique » (Yan, Cité SIC). Aucune des personnes interviewées n’a
cherché de manière individuelle à savoir ce que c’est que le fédéralisme. C’est
dire qu’une partie importante de la population n’est pas au courant des ambitions
de certaines personnalités qui occupent la scène politique notamment pour ce
qui est de la structure du pays ou du projet que ces derniers ont pour le pays. Par
ailleurs, plusieurs jeunes disent avoir entendu parler du fédéralisme. Les
personnes qui en parlent peuvent être regroupées en trois : (1) les hommes. « Ce
sont le plus souvent les hommes qui parlent du fédéralisme au Cameroun. C’est
comme si la réflexion sur le mode de fonctionnement de l’État est plus leur
affaire » (Nol, Ndogbong). (2) Les femmes et les hommes de médias même si
les femmes y occupent une portion incongrue. « C’est dans les débats politiques
qui inondent nos médias les dimanches qu’on entend souvent parler du
fédéralisme » (Rama, Cité SIC). (3) Les enseignants. « Dans le cadre de
certains de nos cours, quelques enseignants nous parlent du fédéralisme surtout
en sciences humaines et sciences politiques » (Ouam, Ndog-Passi). Les
déclarations des uns et des autres laissent supposer que la société est pensée au
masculin. À aucun moment, ces répondants n’évoquent la catégorie femme (de
culture ou politique) dans leur prise de parole sur la question du fédéralisme au
Cameroun. Les hommes y occupent une place de choix comparés aux femmes
qui relèveraient de la catégorie des « invisibles » dont parle Alioum (2005).
Même au 21e siècle, les femmes ont toujours tendance à être reléguées au second
plan. Pourtant on observe la présence de quelques-unes dans la sphère politique,
notamment Henriette Ekwe, Kah Walla, Alice Sadio, Tomaino Ndam Njoya,

11En dehors de quelques jeunes, une portion incongrue a une bonne connaissance de l’histoire
sociopolitique du Cameroun. Même les étudiants en histoire et anthropologie de troisième année
n’ont pas réussi à situer la période du passage de l’État fédéré à l’État unitaire.

244
Alice Maguedjo, Odile Yogo, Sylvie Dongmo, etc. Il n’en demeure pas moins
qu’elles y sont en représentation et constituent une portion incongrue au regard
du nombre total de femmes en mesure de prendre part au processus de prise de
décision en général qu’il s’agisse du politique, de l’académie, de l’armée, etc.
Le fait de relayer la femme dans la sphère privée laisse penser qu’elle n’est pas
apte à diriger, à faire des propositions constructives. Par ailleurs, selon un
certain discours populaire, elle semble complice de la décadence de la société
par sa démission. Même si elle aussi est victime de nombreux maux (Boni,
2008). La situation globale entraîne la dégénérescence de la société et le repli
identitaire.

3. De la crise sociale au repli identitaire

Le Cameroun est une véritable Afrique en miniature au regard de sa


géographie physique, de ses modes de productions et d’organisation et par
conséquent des aires culturelles qui la constituent et des minorités humaines qui
s’y trouvent (Baka, Bagyeli, Bakola et Mbororo). La mal gouvernance qui est une
incapacité notoire à gérer la cité et les biens publics a occasionné la dépravation
des mœurs, la disparition de la morale, la corruption, la perversion de la société,
la promotion de la médiocrité, l’accroissement de la violence, du taux de
criminalité, etc. De ce paysage désolant est né le désir imaginaire pour les
communautés à chercher à se refermer sur elles-mêmes en espérant un brin de
sécurité. « Avec ce que l’on vit au Cameroun aujourd’hui, c’est assez difficile
d’avoir un objectif commun. Les gens préfèrent se regrouper entre eux. » (Intok,
Missokè). Pourtant, lorsque vous leur poser la question de savoir ce qu’est la
communauté et pourquoi ils font ce choix, les réponses demeurent mitigées.
« Pour moi, la communauté est le fait que les gens vivent ensemble sans qu’il ne
s’agisse forcément des personnes appartenant à un seul et même village », note
Mafogang, Cité des Palmiers. « Dans une ville et même au village, est-ce qu’on
connaît tout le monde ? […] Je suis Bahouan, je ne connais pas tous les Bahouan
qui vivent à Douala ? Pourtant je suis ici depuis cinquante ans » note Tchoua,
Missokè. En fait, les personnes interviewées dénoncent plus « le fait que des
individus profitent de leur position dans le gouvernement pour vivre décemment
avec l’argent du contribuable. […] En plus, dès lors qu’un individu a une position
sociale, il ne pense qu’à sa famille nucléaire, à sa bande d’amis. […] Que vont
faire ou devenir les autres qui se débrouillent par eux-mêmes ou qui ne sont pas
dans les cooptations », clame Sil, Stade-Cicam.
Pour plusieurs personnes interviewées, « sa communauté est celle où l’on vit,
s’épanouir ensemble et se sent intégrer. […] Si le projet de l’honorable Cabral
Libii n’est pas d’obliger les gens à rentrer vers ce que certains ont appelé “le
rentrez chez-vous” j’adhère », rappelle Zintou, PK 8. Ce qui semble s’apparenter
au repli identitaire ne se vit et ne se lit pas de la même manière par les citoyens.

245
La crise sociale ne résulterait pas du repli identitaire, mais davantage d’un mal
être social qui gangrène l’ensemble du pays. Cette crise sociale donne lieu à des
discours haineux qui ont tendance à stigmatiser certaines communautés. On
assiste à la limite à une sorte de tribalisme d’État pour mieux se positionner.
Pourtant, d’un point de vue communautaire, les Camerounais vivent ensemble
depuis de nombreuses migrations internes et se partagent des espaces communs
indépendamment de leur origine. Plusieurs alliances matrimoniales exogamiques
se sont faites entre les communautés pour marquer leur attachement les uns par
rapport aux autres (Priso et Mbende II, 2022). Une partie de la population qui a
une connaissance avérée des modèles politiques et de gouvernance affiche une
certaine préférence pour la restructuration de la société. Quelques personnes
interviewées prétendent que le fédéralisme se pratique déjà à travers les mariages
exogamiques. « C’est au sommet de l’État que le problème se pose » note Toko,
Beedi). Elles pensent que la réussite d’une société passe par le brassage des
cultures à travers les mariages exogamiques qui constituent pour elles un
incubateur du fédéralisme.

4. Le mariage exogamique comme forme de dialogue entre les


communautés

Sur le plan nuptial, le mariage exogamique est une forme d’union entre une
femme et un homme issus de deux communautés ou aires culturelles différentes.
Cette alliance lie deux individus de sexe différent par un faisceau de droits et
d’obligations mutuelles variables de culture à culture (Claude Rivière, 1999,
p. 58). Pendant longtemps, la pratique de l’exogamie était réservée aux petits
groupes ou alors dans les communautés où les ressources naturelles étaient rares.
À ce propos, Djamen (2022, p.8) rappelle qu’il n’est pas possible de « nier le
développement exponentiel des mariages inter-ethniques. » En contexte
camerounais, c’est une pratique courante et régulière au sein de groupes
culturels différents. Plusieurs personnes interviewées préconisent l’alliance
exogamique comme solution durable à la cohésion sociale. « Je suis Evuzock et
mon épouse est bouda […] Je suis ewondo et ma dulcinée est bamoum, […] »
Ce sont là, les propos de deux informateurs pour qui le fédéralisme n’est pas un
problème. « Nous avons plus affaire à un mal être social », renchérit Mwa,
Lendi. Parce que le mariage crée la filiation qui est le principe qui gouverne la
transmission de la parenté (Ghasarian, 1996, p. 57). Dès lors qu’un parent
transmet son patrimoine génétique à sa descendance, cela établit les liens
affectifs et le plus souvent le désir de partager et de protéger. « Quand un enfant
est par exemple issu de deux parents de cultures différentes, que fait-on de lui ?
Au lieu de réclamer de meilleures conditions de vie, de travailler […] les gens
passent leur temps à en vouloir aux autres » (Afon, Cité des Palmiers).
L’alliance génère plusieurs types de lien et de relation : entraide, liens

246
juridiques, sociaux, économiques entre le groupe de filiation de l’époux et celui
de l’épouse. Par ailleurs, le couple d’hier, qui devient parent, transmet son
capital génétique à sa descendance. Les alliés deviennent ainsi des grands-
parents. À la suite de la naissance d’un enfant, les alliés changent de statut pour
devenir des parents à travers ego. Même si les mariages intercommunautaires
existent, et ont le plus souvent vocation à fédérer des individus ayant des
cultures différentes, on observe que les jeunes ne s’intéressent quasiment pas à
« la chose politique », observe Tina, Ange Raphaël.

5. Les jeunes pensent que la chose politique ne les concerne


point ?

La politique est le fait de gérer la cité. Ce qui signifie que toute décision
votée par le parlement et abrogée par le chef de l’État impacte la vie de tous
(mineures, jeunes, adultes, personnes âgées). Sur ce plan, qu’est-ce qui peut
expliquer un tel phénomène ? Pourquoi un tel sujet ne passionne-t-il pas les plus
jeunes au Cameroun ? Est-ce dû au fait que plusieurs d’entre-deux n’ont pas ou
presque pas d’éléments d’explications et de compréhension du phénomène ? Si
ceux interrogés dans leur immense majorité ne sont pas enthousiastes et à la
limite cultivés sur la question du fédéralisme, ce n’est pas tant que le sujet ou la
question politique ne les intéresse pas, c’est aussi et surtout parce que pendant
trop longtemps, la communication gouvernementale y était hostile : la forme de
l’État est non négociable12. Tout se passe comme si « prôner le fédéralisme
signifiait sécession, dysharmonie, absence de cohésion », observe Wira, Cité-
Sic. Il est pourtant avéré que les jeunes en général décrient le système de
gouvernance actuel au Cameroun et souhaitent que les conditions d’existence
changent dans l’ensemble du pays (accès à l’eau potable, à l’emploi, à
l’éducation, aux soins de santé, à un habitat décent, etc.). Mais au-delà de tout
débat philosophique, ils veulent voir leurs conditions de vie s’améliorer de façon
substantielle.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle certains évoquent avec emphase
depuis 2017, la possibilité d’un retour à l’État fédéral au Cameroun. Le
fédéralisme étant perçu ici comme un système politique qui garantit la
transparence, le management responsable, l’efficacité dans la gestion et surtout
l’autonomie des collectivités locales. On peut même rentrer plus loin dans
l’histoire du Cameroun pour constater que le débat sur le fédéralisme ne date
pas de la résurgence de la crise dite anglophone qui date d’octobre 2016. Il a
pris forme sur la scène politique camerounaise depuis que le Cameroun est passé
de la République fédérale instaurée en 1961 à la République unie en 1972 (Lado,

12La forme de l’État est non négociable disait le président Paul Biya lors de son traditionnel
message à la nation du 31 décembre 2017.

247
2018, p.33). Les populations de l’ex-République du Cameroun devenue
Cameroun oriental et de l’ex-Southern Cameroons devenu Cameroun occidental
ayant fait l’expérience de la fédération, n’ont cessé de comparer les deux
systèmes pour voir quelle forme d’organisation était la plus constructive.
On peut sur cette base, affirmer que les interrogations autour de la forme de
l’état au Cameroun sont une émanation des préoccupations d’ordre social, mais
avec l’idée de rendre pratique, utilitaire et visible les bienfaits de la gouvernance
publique. Selon Cabral Libii (2021, p.135), « la bonne gouvernance renvoie à
un système de gouvernance qui articule et associe les institutions politiques, les
acteurs sociaux et les organisations privées, dans des processus d’élaboration
et de mise en œuvre de choix collectifs capables de provoquer une adhésion
active des citoyens. » Seulement, même si certains se plaisent à présenter le
fédéralisme comme la forme d’État incontournable pour préserver et consolider
le double héritage colonial que détient le Cameroun, on peut avec une certaine
réserve affirmer également qu’il n’est pas une solution miracle face à la
complexité des problèmes auxquels un État aussi diversifié que le Cameroun
peut être confronté. Plusieurs pays ont déjà essayé cette forme de gouvernance
en Afrique, les résultats sont mitigés. Certains ont même dû l’abandonner, on
peut citer entre autres : le Cameroun, le Kenya, la République démocratique du
Congo, le Sénégal, l’Ouganda. Mais le fédéralisme reste tout de même une
option crédible dans un pays aussi riche et diversifié. Les réalités du Cameroun
sont essentiellement différentes de celles des autres pays même s’il fallait se
limiter aux pays de l’Afrique. Il est important que l’expertise des
anthropologues, littéraires et historiens, soit mise à contribution pour connaître
les cultures qu’on s’apprête à fédérer. L’une des questions que l’on peut se poser
est celle de savoir quelle en serait la plus-value.

6. C’est quoi le fédéralisme et sa plus-value ?

On peut définir le fédéralisme comme étant un mode d’organisation de l’État


qui répartit l’exercice des compétences étatiques entre une autorité fédérale et
des collectivités politiques autonomes ayant pour noms des entités fédérées.
Pour Gim, « le fédéralisme est une forme de l’État comme tout autre. […]
L’amélioration des conditions de vie dépend moins de la forme de l’État, mais
des femmes et des hommes qui en ont la responsabilité. » La principale
spécificité du fédéralisme est sa capacité à rapprocher les services publics des
usagers, du citoyen, malgré les multiples contraintes. Ce mode de gouvernement
permet d’agréger dans un même ensemble constitutionnel les diversités
composant une société qui peuvent être d’ordre national13 ou d’ordre
linguistique, religieux, culturel14 ou simplement le produit de traditions

13 La province de Québec au Canada, la Catalogne en Espagne.


14 Les cantons suisses.

248
historiques, politiques propres15 et qui bénéficient d’une autonomie politique
pour préserver et développer ces singularités.
Il est vrai que cette forme d’organisation politique de la société a fait la
preuve de son efficacité comme accélérateur de la croissance dans plusieurs
pays dans le monde, entre autres : le Nigeria, l’Éthiopie (Habtamu (2013)16,
l’Australie, l’Allemagne, le Canada, les États-Unis. Et quand l’on voit en même
temps les ravages de la centralité du pouvoir politique dans un continent comme
l’Afrique, on est tenté effectivement de percevoir le fédéralisme comme un
impératif, même s’il restera encore à le modeler selon la spécificité
camerounaise. L’un des moyens d’intégrer cette spécificité camerounaise est de
recourir à la période où le Cameroun a pratiqué le fédéralisme pour en tirer les
leçons, tout en étant attentif à d’autres expériences.

7. L’option du fédéralisme est-elle d’actualité au Cameroun ?

Les identités culturelles actuelles n’empêchent pas la mise en place du


fédéralisme. Ceux qui sont au pouvoir au Cameroun ont à plusieurs occasions
marqué leur désaccord en ce qui concerne un probable retour au fédéralisme.
Les raisons évoquées par le pouvoir sont multiples, notamment le fait que cela
s’apparente à une forme de régression et autre moyen de dépenser plus. « Le
pouvoir actuel n’envisage donc pas un quelconque retour au fédéralisme et il
n’est pas connu pour faire des concessions ou des compromis constructifs avec
les acteurs politiques qui seraient au service du peuple », note Rita (Cité SIC).
L’état unitaire décentralisé que propose le gouvernement camerounais se
rapproche de ce que prône Djamen (2022) même si les résultats ne sont pas
encore visibles sur le terrain. On observe plutôt une sorte de substitution de
nouveau mot dans le jargon politique qui fonctionnerait comme si l’on se
trouverait dans un État fédéral. Face à cette réalité, l’étude sur le fédéralisme
perd un peu sa pertinence, sauf si les politiques et les chercheurs qui s’y
intéressent joignent à leurs réflexions les moyens de son implémentation.
Pour que le fédéralisme soit instauré au Cameroun, un changement de régime
tout autant que de nouvelles mentalités, respect de la chose publique, amour de
la patrie s’impose. Le pouvoir actuel doit être contraint de l’implémenter à
nouveau. Ce n’est pas un fait de hasard si dans certains pays comme le Nigéria,
le Soudan, la solution fédérale a été imposée par un régime militaire en temps
de guerre (Pérouse de Montclos, 2003, p.11). L’histoire du Nigéria permet
d’étayer l’idée selon laquelle l’évolution des institutions d’un pays suit la
dynamique des rapports de forces entre élites et non-élites au sein de la société

15Les États-Unis d’Amérique.


16Même le modèle de fédéralisme éthiopien, n’est pas le plus réussi, l’État du Cameroun peut
toujours s’en inspirer. Ce d’autant plus que c’est un pays qui compte également une diversité
culturelle.

249
(Acemoglu et Robinson, 2006). Ainsi, l’évolution de la forme de l’État au
Cameroun dépendra fortement de la capacité de la classe politique hors du
pouvoir à inverser le rapport de force contre le pouvoir actuel. Pour que ceci
advienne, il faut impérativement que le projet d’instauration du fédéralisme soit
très bien pensé, contextualisé, puis expliqué et qu’il reçoive l’adhésion massive
du peuple. Comme le souligne Nyemb (Kotto) : « nous voulons une autre forme
de gouvernance que celle hyper centralisée qui est pratiquée actuellement au
Cameroun. » Le pays est bloqué à tous les niveaux : pas de routes, pas d’eau,
etc. Les gens s’activent dans les espaces publics quand ils doivent voler […]
Vous pensez que si l’État avait privatisé certains domaines le peuple ne
s’organiserait pas pour vivre mieux ?
Le fédéralisme a déjà une histoire au Cameroun et de cette histoire on peut
tirer la meilleure forme qui convient. Mais avant, il est impératif, pour mieux
aborder le cas du Cameroun, de se poser une question fondamentale : est-ce que
le fédéralisme est l’option voulue par le peuple ? Cette forme de gouvernance
répond-elle aux aspirations du peuple ? En cela, l’histoire nous renseigne que,
lors des pourparlers sur la réunification, les propositions du camp du Premier
ministre John Ngu Foncha favorisaient une fédération qui sauvegarderait au
maximum l’autonomie du Southern Cameroons. Alors que l’autre camp, celui
du président Ahidjo penchait davantage pour une forme fédérale la plus
centralisée possible (Njeuma, 1995). Les bénéficiaires doivent être renseignés
sur l’utilité du fédéralisme et les probables amendements qu’il peut nécessiter.

Conclusion

En contexte camerounais, parler du fédéralisme est devenu plus aisé qu’au


début de la crise dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Par ailleurs,
la décentralisation n’a pas répondu aux attentes des populations tout autant
qu’on observe un mal être qui gangrène le quotidien des citoyennes et citoyens
dans leur immense majorité. Les gens vivent dans la peur du lendemain au
regard des faits sociaux qui ne sont pas de nature à favoriser une vie sereine
même si on peut noter des efforts de part et d’autre, mais qui demeurent
insuffisants.
Au regard de la complexité culturelle du Cameroun, les uns pensent qu’il
faut « retourner » au fédéralisme en tenant compte des réalités actuelles.
Cependant, les populations et en occurrence les jeunes semblent très peu
intéressés à « la chose » politique. Ils se comportent moins que les
consommateurs d’un produit mal fait. Même si deux compatriotes présentent
chacun dans son ouvrage une forme de fédéralisme, il est important que le
peuple camerounais précise ses exigences même s’il faut faire un arbitrage pour
extraire dans chaque forme proposée ce qui satisfait le mieux aux bénéficiaires.

250
À moins qu’au final le débat public n’axe sur la tritocratie, cette autre forme de
gouvernance qui gagnerait à être en débat au même titre que le fédéralisme.

Références

Acemoglu D. & Robinson J. A. (2006). Economic Origins of Dictatorship and


Democracy, Cambridge University Press.
Alioum, I. (2005). Les prisons au Cameroun sous administration française, 1916-1960,
[thèse de doctorat d’histoire non publiée]. Université de Yaoundé 1.
Boni. T. (2008). Que vivent les femmes en Afrique ? Paris. Panama.
Djamen, C. (2022). Le fédéralisme unitaire. Douala. EDN Books.
Ghasarian, C. (1996). Introduction à la parenté. Paris. Édition Seuil.
Habtamu, W. (2013). Fédéralisme et gestion ethniques en Éthiopie : Analyse
psychologique sociale des opportunités et des défis. Exposé préparé pour la Chambre
de la fédération de l’Éthiopie.
Lado, L. & Mballa Elanga VII, E. (2018). Crise Anglophone et Forme de l’État en Débat
au Cameroun. Le procès du centralisme étatique. Yaoundé. Édition du Schabel.
Libii, C. (2021). Le Fédéralisme communautaire. Yaoundé. Dinimber&Larimber.
Njeuma, M. (1995). Reunification and Political Opportunism in the Making of
Cameroon’s Independance. Paideuma, 41,27-37.
Pérouse de Montclos, M-A. (2003). Le fédéralisme au secours de l’Afrique ? Du Nigéria
au Soudan, des expériences contrastées. https://doi.org/10.3917/afco.208.0101 Mis
en ligne sur Cairn.info le 01/10/2005 (consulté le 08/06/2023).
Priso Eyoum & Mbende II, G. M. (2022). Lexique de la parenté et de la famille. Paris.
Les Éditions du Net.
Rivière, Cl. (1999). Introduction à l’anthropologie. Paris. Hachette.
Tumi, C. C. (2018), Préface in Lado, L. & Mballa Elanga VII, E. (2018). Crise
Anglophone et Forme de l’État en Débat au Cameroun. Le procès du centralisme
étatique. Yaoundé. Édition du Schabel, pp. 7-8.

251
Chapitre 11

PEUT-ON ENVISAGER LA TRANSLATION DU CONCEPT DE


FÉDÉRALISME COMMUNAUTAIRE DANS L’ORDRE JURIDIQUE
AU CAMEROUN ? SOLILOQUE ENTRE DROIT DUR ET DROIT
MOU

Claude BEKOMBO JABEA

Résumé :
Le fédéralisme communautaire est un système politicojuridique de gestion de l’État
reconnaissant des statuts spécifiques à chaque communauté dans l’État (Beaud 1996),
voire des tribunaux spécifiques à chaque confession qui jugent exclusivement les affaires
de « statut personnel » (De Benoist 1999). La présente réflexion ambitionne d’étudier le
cas du Cameroun qui est un État unitaire composé (en fonction du confessionnalisme et
des communautés), afin de voir si l’application des principes du fédéralisme
communautaire au sein de son système est envisageable. Ladite réflexion nous permettra
de ressortir les possibilités d’encrage et de réception du fédéralisme communautaire dans
la philosophie de l’ordre juridique camerounais et ensuite d’analyser les conditions de
cette « translation » afin d’intégrer la pyramide normative de l’ordre juridique
camerounais sans porter atteinte à la philosophie juridique existante.
Mots-clés : translation, fédéralisme communautaire, Cameroun, droit dur, droit mou.

Abstract:
Communautarian federalism is a State management modality with recognition of the
statute of communities (Beaud 1996), having the opportunity to handle their civil statutes
issues (De Benoist 1999). The aim of this study is to study and imagine the possibility to
apply the principles of communautarian federalism in Cameroon with its communautarian
background. Otherwise understanding how Cameroon as a unified State can manage the
quest and arising political communautarian recognition with its legal framework. This
study will help us identify the basis of the « translation » of communautarian federalism
principles into a unified minded legal framework in Cameroon.
Keywords: translation, communautarian federalism, Cameroon, Hard law, Soft Law.

253
Introduction

L’avènement de la mondialisation a eu comme corolaire l’émergence de


l’expression des particularismes au sein de l’État, induisant le désir des
communautés identitaires (Eyoh & stern, 2007) d’éviter d’être soluble dans ce
dernier (Nyamnjoh, 1985), révélant ainsi l’avènement du « communautarisme
politique » (Picard 2008). En effet, le système-monde (Wallerstein, 1974) a
quitté le clash des civilisations (Huntington, 1993) d’avant-hier, pour la réalité
bipolaire d’hier, et aujourd’hui, c’est la revendication identitaire (Mouiche,
1997), ethnique (Nyamnjoh, 2001), nationaliste, communautaire qui anime
l’actualité internationale des États.
L’irruption des « guerres communautaires » comme dans les Balkans, au
Caucase et dans la corne de l’Afrique démontre bien la montée en puissance dudit
phénomène ; dont le Liban avec « la libanisation » (Picard, 2001) est l’illustration
parfaite. L’expression de l’exception catalane, chiite, wallonne, talibane, oromo,
corse, anglophone, etc., rappelle qu’au sein de l’institution étatique le magma de
la reconnaissance des spécificités communautaires (Eyoh, 2007) et surtout de
leurs prises en compte par « le pouvoir » central étatique est incandescent, on frise
même « l’emprise communautaire sur l’État » (Picard, 1994).
L’Afrique ne s’aurait être en marge de ce mouvement qui fait passer le monde
de « l’Étau » (Traoré, 1999) de l’uniformisation au sein de l’État à l’urgence de
l’unité dans la diversité. La question du recours au fédéralisme dans les espaces
politiques africains (Perouse de Montclos 2003) n’est pas nouvelle, c’est son
pendant « communautaire » qui nous installe dans cette urgence globale de
visibilité des spécificités dans l’État en Afrique (Bayart, 1989).
Face à la montée contemporaine des tensions communautaires l’espace
public camerounais n’est pas en marge de cette mouvance mondiale, avec
l’irruption de l’idée d’un possible recours au fédéralisme communautaire au
Cameroun par Mathias Eric Owona Nguini pour la première fois le
8 février 2017 en ces termes :

[…] cette Démarche créerait les Bases d’un État Multinational. C’est celui-ci
qui poserait les Bases du Fédéralisme Communautarien. Le Consentement ou
l’Assentiment des Acteurs du Groupe Gouvernant sont nécessaires dès lors qu’on
veut faire prospérer des Projets ou Propositions concernant la Fondation ou la
Refondation de la République du Cameroun […] Pourtant l’Enjeu essentiel est
de donner une Forme Acceptée à une Visée d’Autonomie Régionale et Locale
sans menacer la Garantie Pacifique de la Stabilité Étatique et Nationale. C’est à
partir de la Base Communautaire des États qu’il faut domestiquer en la
structurant à travers des Institutions Politiques créant une Rationalisation des
Mécanismes Politiques de Gestion, de Représentation et de Mobilisation. Il est
évident que cette Configuration prendra la Forme d’un Système Institutionnel
permettant d’asseoir un État Multinational et Multiculturel. C’est bien cela que
j’appelle le Fédéralisme Communautarien. […] (cf consulté le

254
9 octobre 2021 sur https://www.facebook.com/677082832333060/photos/-cette-
d%c3%a9marche-cr%c3%a9erait-les-bases-d-un-%c3%a9tat-multinationalc-
est-celui-ci-qui-pos/1431823590192310/).

L’idée singulièrement reprise de manière opératoire dans le discours


politique porté par l’ancien candidat à la présidentielle du Cameroun de 2018
Cabral Libiih le 20 septembre 2019 avec quelques nuances dans le contenu qu’il
précisera en ces termes le 3 juin 2020 :

Le fédéralisme communautaire du président cabral libiih.


Qu’est qu’un fédéralisme communautaire ? C’est un regroupement d’États
fédérés qui ont les mêmes cultures dans plusieurs domaines se faisant dans la
transparence la cohérence la justice… est. Il est très important de savoir pourquoi
tel ou tel état a une telle superficie et pourquoi ses frontières ont une telle
configuration ? car à mon avis un état peut être plus vaste et plus peuplé qu’un
autre et cela peut être explicable : le terme "fédération" vient du verbe fédérer
qui signifie mettre ensemble des groupes différents pour un (objectif commun)
et maintenant surgit le mot #communauté. la question si vous ne fédérez pas les
communautés vous allez alors fédérer quoi ? Le mot communauté étant considéré
ici pour certains comme (un repli identitaire) et pourtant très loin de cette idée.
(cf consulté le 9 octobre 2021 sur
https://www.youtube.com/watch?v=enbhjdbq3sc).

L’essentiel des prolégomènes sur le fédéralisme communautaire dans


l’espace public au Cameroun ne se résume pas à ces deux figures, et du choix
entre la posture owonanguinienne du « pacte de décentralisation » l’adossant sur
la commune et la Région, d’une part, et la tendance libiihiste de « la loi
universelle et le bon sens » adossée sur les « affinités culturelles » et un seul
État pour « un regroupement des communautés et de leurs identités ». Il n’en
demeure pas moins qu’indépendamment des lieux et des postures, l’idée de
« communauté » renvoi intimement à une triple réalité « la conscience
d’intérêts communs, consolidés par une idéologie commune ; des institutions
dans le sens le plus complet du terme ; une hiérarchie » (Moreau Defarges,
2000), au-delà de la Gemeinschaft (groupe, solidaire société ancienne) et
Gesellschaft (individus, société moderne) (Tonnies, 2015), nous dirons avec
Michel Alliot que « La communauté se définit, non par une ressemblance, mais
par un triple partage (…) partage d’une même vie, partage de la totalité des
spécificités1 et partage d’un champ décisionnel commun » (1980).
Ces constats nous amènent en ce qui concerne le Cameroun à nous demander
avant d’élaborer les modalités juridiques de translation du modèle de

1 L’expérience prouve que les communautés valorisent plus les hiérarchies et les différences que
l’égalité et les similitudes. La communauté est constituée d’éléments différents, hiérarchisés et
interdépendants.

255
fédéralisme communautaire, si identifier les communautés cohérente et
hiérarchisée est au préalable possible. Les communautés existent bien au
Cameroun, à l’exemple des Peuhls, des Sawa, des Bamilékés, des Bassas, des
Ekang, etc., mais la question fondamentale est celle de savoir si ces exemples
de regroupement constituent des communautés. Si on prend la réalité des
Bamilékés, est-ce que les Bamoums rattachés géographiquement à cet espace
« communautaire dit Bamiléké » accepterons un seul « État fédéré
communautaire » (libiihiste) ou une « une Région communautaire »
(owonanguiniste) avec le risque de noyauter leur droit à la visibilité
communautaire (avec les Bangangté, Dschang, Mbouda, Baham, Bana,
Batoufam, etc.) au nom du fédéralisme communautaire.
Ces exemples démontrent bien la complexité de déterminer
géographiquement les balises de l’espace communautaire au Cameroun,
d’attribuer avec beaucoup de pertinence la question de l’unité de langue et de
culture (à l’intérieur de chaque grand groupe communautaire, plusieurs langues
et cultures sont partagées comme chez les Sawa et les Ekang par exemple). À
côté de toutes ces situations complexes, il faut aussi qu’il y ait une conscience
« communautaire » construite. Cela présuppose qu’il y aurait des communautés
cohérentes, clairement identifiables politiquement et que la question
communautaire soit posée au sein de l’État du Cameroun (Eyoh, 1998) comme
enjeu politique devant être réglé dans le cadre du système institutionnel fondé
sur la laïcité, la diversité, le pluralisme ou le multiculturalisme.
Qu’on soit d’accord ou pas sur ce préalable, il nous a semblé intéressant
d’essayer d’entrevoir si le dispositif juridique camerounais actuel se confondant
à la forme unitaire décentralisée de l’État pourrait permettre la translation
juridique du concept de fédéralisme communautaire, en tenant compte que le
pluralisme juridique camerounais permet de faire cohabiter le droit traditionnel
et corporatiste (droit mou) d’une part, avec le droit positif ou moderne (droit
dur) d’autre part.
Mais avant d’envisager l’analyse des modalités juridiques de cette
translation au Cameroun, il faut au préalable, s’entendre sur le contenu de la
notion de fédéralisme communautaire, afin d’être sûre de dégager un consensus
notionnel partagé ou connu. Le fédéralisme communautaire fait partie des
notions a priori simples, « mais dont chacun propose sa propre définition,
témoignant ainsi de sa fausse évidence et de sa propre complexité » (Rousseau,
1992). En ce qui concerne sa définition, la littérature nous oriente vers un
triptyque paradigmatique fondamental avec des variations philosophiques selon
les sensibilités disciplinaires. Le terme renvoie d’abord à la reconnaissance du
statut spécifique des « communautés » (Tonnies, 2015) au sein de l’État,
consacrée par le cadre juridique qui aménage la possibilité pour celles-ci de
régler les questions de statut personnel et juridictionnel. Cette tendance,
présuppose que les « communautés » soient identifiables, localisables,
organisées, donc capables par elles-mêmes d’une « autorégulation » en marge
de l’État dans une perspective de la démocratie consensuelle. Il renvoie ensuite

256
au « multiconfessionnel » ou au « confessionnel », en terme plus clair, à la
religion, permettant ainsi que l’État s’appuie sur la structuration religieuse pour
son organisation, laissant aux représentants religieux la possibilité de gérer des
questions de statuts personnels et juridictionnels. Il renvoie enfin, à
l’« identité », aux « identités » (Konings et Nyamnjoh, 2001), en ce que l’État
se structure autour de la représentation des particularismes de tout ordre :
religieux, coutumier, culturel, tribale, ou alors favorise les visibilités identitaires
au sein de l’État.
On ne peut par conséquent articuler une définition uniforme et unanime du
fédéralisme communautaire, sans tenir compte des logiques duales de
démocratie de consensus (Sindjoun, 2000) d’une part, et de l’impératif de la
régulation du partage du pouvoir politique ou power sharing communautaire
(Cannage 1989) d’autre part. La démocratie dans l’État est à l’épreuve du
pluralisme avec l’émergence d’un débat autour du fédéralisme communautaire,
il importe donc de savoir comment le droit camerounais existant pourrait
articuler cette éventualité au Cameroun. Puisque la question se pose dans
l’espace public politique du Cameroun (Owona, 2015), on peut supposer qu’il y
aurait donc une question communautaire en latence, ce serait illusoire de ne pas
le reconnaitre, au vu de quelques revendications communautaires visibles :
l’école normale de Maroua, le Mémorandum du Grand Nord (Chetima 2018), le
Lakam, le Bassaland2, le Ngondo3, le Ngouon4, l’essingan5, etc., mais surtout
l’émergence des discours politiques « communautaire » assumés et publics
depuis sensiblement 2018. Faudra-t-il le modifier (le droit camerounais) ou alors
est-il adaptable en l’état à intégrer les principes du fédéralisme communautaires
tels qu’esquissés ci-dessus ?
Opérer une « translation juridique » suppose qu’on transpose dans un
système normatif un « autre système » ou une « modalité juridique » d’un
système étranger ; en clair, c’est une modalité juridique créée dans un autre
système existant qu’on essaye de greffer à un autre d’abord, et qu’ensuite, on
observe si ladite greffe prendra ou alors pronostiquer de manière prospective les
possibilités de réussite. La translation juridique au plan technique du
« fédéralisme communautaire » dans le système juridique camerounais,
présuppose donc que la question de l’identification pertinente des communautés
devant animer ce système de power sharing soit validée, ensuite c’est la
structuration de l’ordre juridique camerounais dans lequel devrait se faire cette
translation juridique qu’il faut questionner en termes de préparation technique

2 Terme désignant la revendication de l’espace politique et culturel Bassa par les organisations
Bassa-Mpo-Bati du Cameroun.
3 Organisation politicoculturelle regroupant les différentes ethnies de la cote qu’on retrouve

essentiellement autour de la province du littoral Cameroun


4 Organisation politicoculturelle regroupant les Bamoun autour de leur culture et leurs rites qu’on

retrouve essentiellement autour de la province de l’Ouest Cameroun précisément à Foumban.


5 Organisation informelle politicoculturelle ayant pour objectif de défendre la spécificité culturelle

Ekang.

257
ou d’adaptation structurelle. La construction de l’ordre juridique camerounais
est marquée par le pluralisme juridique faisant cohabiter le droit positif d’origine
anglo-saxonne « common law » et le « droit français » (Ngando, 2010), héritage
des différentes tutelles britannique et française sur son territoire (Ngando, 2002),
avec ce qu’il est convenu d’appeler le « droit coutumier » (Ngando, 2020)
mettant en exergue les us et coutumes traditionnels du Cameroun. Nonobstant
cette histoire de la structuration de ce système juridique, peu importe le moment
(Ngando, 2010), il faut constater que l’ordre juridique camerounais est le pilier
du système institutionnel étatique ayant subi des transformations de sa structure
fédérale, unitaire (Mveng, 1963), à unitaire décentralisé (Owona, 1973)
aujourd’hui.
C’est dans cet ordre juridique camerounais traversé par la logique pluraliste
du droit au soutien de l’État unitaire qu’on doit analyser si la logique du
fédéralisme communautaire (I) peut coexister, et ensuite analyser les éléments
juridiques de cette possible translation (II) du fédéralisme communautaire dans
ledit ordre au-delàs des logiques pouvant augurer le désordre.

1. Le fédéralisme communautaire dans l’ordre juridique


camerounais : l’enjeu de la téléologie juridique

L’ordre juridique camerounais à pour marqueur fondamental la logique


pluraliste du droit au soutien de l’État unitaire depuis l’obtention de son
indépendance. Le système juridique camerounais s’est construit par succession
en droit international après le départ des forces tutélaires et mandataire, au
niveau des règles domestiques, ce double héritage de la culture juridique anglo-
saxonne et française « droit dur » reste prégnant, matinée d’une dose de droit
coutumier applicable « droit mou », constituant donc une armature pluraliste.
La question préalable est donc de voir si dans la logique de construction de l’État
unitaire la logique « communautaire » peut être soluble (I.1) et si finalement ce
n’est pas les effets du « pluralisme juridique » (I.2) qui peuvent être bénéfique
à l’expression du fédéralisme communautaire dans le système juridique
camerounais tel qu’il est construit actuellement.

1.1. La « logique juridique unitaire décentralisée » face à la logique


« communautaire » du fédéralisme communautaire au
Cameroun : rivalités et conflits juridiques

En l’état actuel de la construction du système juridique camerounais, avec


précision depuis la constitution de 1996, l’idée maitresse est « l’État unitaire
décentralisé » et sa consolidation ; même s’il peut être susceptible de
déconstruction à tout moment, car c’est une prérogative normale de toute

258
société, la capacité de changement et de transformation des règles qui organisent
les interactions sociales en mobilisant les constituants originaires (nouvelles
règles) ou institués (révisions des règles existantes).
De la constitution du 2 juin 19726 à celle du 18 janvier 19967, la « logique
juridique unitaire décentralisée » place « la commune » et « la province » avant
la Constitution camerounaise de 1996 et « la Région » depuis 1996 au cœur de
la logique de construction de l’État (Owona, 1973). Curieusement cette logique
favorise l’hypercentralisation nonobstant la reconnaissance par le constituant
d’une part, de la personnalité juridique aux collectivités territoriales
décentralisées susvisées, professe aussi une autonomie administrative,
financière et une libre administration par des conseils élus (Guimdo, 1998) ; et
d’autre part, structuration constitutionnelle de la Région sur le plan organique,
à organiser sa protection, et à faire du Sénat la structure de représentation, au
niveau étatique, des collectivités territoriales décentralisées.
Cette logique « unitaire décentralisée » n’a pas fait irruption en 1996, elle
s’est construite depuis 1960, on peut y jeter un regard synoptique en constatant
avec Raymond Bernard Guimdo que :

Le constituant avait inséré, pour la première fois, dans le texte constitutionnel du


4 mars 1960, en son article 46, une disposition qui faisait des provinces et des
communes des « collectivités locales de l’État du Cameroun ». Celles-ci devaient
s’administrer librement par des conseils élus, être dotées de la personnalité
morale et jouir de l’autonomie financière. La Constitution du 4 mars 1960
consacrait ainsi les « bases constitutionnelles » de la décentralisation au
Cameroun. Cette consécration devait faire long feu, car en 1961 était institué
l’État fédéral avec l’adoption de la Loi n° 61/24 du 1er septembre 1961 portant
révision constitutionnelle et tendant à adapter la Constitution du 4 mars 1960 aux
nécessités du Cameroun réunifié. Cette loi ne contenait plus de dispositions
susceptibles de constituer les fondements constitutionnels de la décentralisation.
La Commune reprenait son statut législatif tandis que la Province disparaissait
— pour un temps — de la carte administrative. La Constitution du 2 juin 1972,
qui consacra l’État unitaire, ne fit pas mieux que sa devancière. Elle affirmait
simplement, en son article 20, alinéa 3, § 4, que « l’organisation des collectivités
locales » est du domaine de la loi. (1998, p26)

La logique unitaire décentralisée de l’armature juridictionnelle actuelle du


Cameroun est donc bien visible, au plan constitutionnel, comment la logique
« communautaire » mise en avant par les défenseurs du fédéralisme
communautaire comme forme de l’État peut-elle y être transplantée ?
Nécessairement, cela requiert une déconstruction et une reconstruction
constitutionnelles de la notion de « Région administrative » clairement définie
par le constituant de 1996 avec des limitations géographiques connues (celle des

6 L’article 1er al. 2 de la Constitution du 2 juin 1972 disposait que « la République du Cameroun
est un État unitaire ».
7 Le Constituant du 18 janvier 1996 y a ajouté le qualificatif « décentralisé ».

259
anciennes provinces du constituant de 1971) pour celle de la « Région
communautaire » à définir ou identifier clairement. Nous illustrerons notre
analyse dans le cadre de cette réflexion en prenant pour prototype de grands
groupes communautaires, Bassa (regroupement communautaire du centre et du
littoral Cameroun), Douala (regroupement communautaire du littoral
Cameroun), Grand Nord (regroupement communautaire des régions de
l’Adamoua, Nord et Extrême Nord Cameroun), Anglophone (regroupement
communautaire du Nord-Ouest et du Sud-Ouest Cameroun), Ekang
(regroupement communautaire du centre Sud et Est Cameroun), Bamiléké
(regroupement communautaire de l’Ouest et du littoral Cameroun), tout au long
de la réflexion, sans pour autant avoir une discussion sur le contenu précis
desdits groupes et en donner une représentation identitaire précise, car ce travail
reviendra aux chantres du fédéralisme communautaire comme déjà indiqué
supra. Notre découpage va donc se baser sur la représentation desdites
communautés selon l’imaginaire construit dans la société.
En effet au Cameroun, les défenseurs du fédéralisme communautaire dont
nous avons pris la peine de présenter les arguments à l’introduction de cette
réflexion, estiment que l’on peut passer de la « région administrative » à la
« région communautaire » permettant ainsi aux communautés de gérer leur
destin, mais c’est sans compter sur de nombreuses difficultés techniques au plan
juridique, car en cette matière il faut toujours garder la logique fondamentale
que le droit est général et impersonnel. Il faut garder à l’esprit qu’il faut donner
un contenu à cette notion de « région communautaire », sera-t-elle basée sur les
grandes représentations identitaires au Cameroun ? Dans ce cas que ferons-nous
des singularités qui ont besoin de visibilité et sont au bord de la rupture à
l’intérieur de ces grandes représentations identitaires au Cameroun (exemples
les Bamoums dans la représentation du Grand Ouest ou la région
communautaire du Grand Ouest ou encore l’État fédéré du Grand Ouest en cas
de fédéralisme communautaire ; les Banens disséminés géographiquement dans
le Grand Centre ou Ekang [Mbam] et le Grand Littoral Douala [Nkam], etc. Les
exemples sont nombreux). Il y’a donc des questions de rapports de
forces « Intra-communautaire pour la visibilité à régler dans l’identification
juridique du contenu de cette « région communautaire » qui augurera au niveau
conceptuel au Cameroun, d’autres complexités juridiques, car les blocs
communautaires sont hétéroclites au Cameroun. Si la notion de fédéralisme
communautaire est basée sur les grands ensembles culturels du Cameroun,
comment l’opérationnaliser juridiquement quand il faut choisir une unité
linguistique (en tenant compte de la diversité linguistique à l’intérieur des
grands groupes communautaires à l’exemple du grand Sawa, qui regroupe
beaucoup de réalités linguistiques en dehors de la langue Duala), des règles
coutumières cohérentes applicables à l’état des personnes dans ces « régions
communautaires », les règles de circulation spatiale tenant compte des traditions
séculaires et du degré d’autonomie négocié avec l’État central, etc.

260
Au niveau juridique les difficultés techniques de la « région
communautaire » sont les mêmes qu’engendrera « l’État fédéré
communautaire », en terme contenu de la notion, de délimitation spatiale et
géographique des limites, du socle culturel ou identitaire. Mais au-delà de ces
tentions juridiques intracommunautaires au sein des microcosmes
« communautaires » que nous venons de relever en termes de leadership de
langue, de gestion de pouvoir et de l’État civil en lien avec l’État central dans la
logique du fédéralisme communautaire applicable au Cameroun, l’expérience
pourrait être porteuse de visibilité des préoccupations « communautaires » à
condition que le risque communautariste et la déflagration intracommunautaire
ou intercommunautaire ne se fassent jour.
Au vu de cette logique juridique actuelle du constituant, la logique « unitaire
décentralisée » fondée sur une carte administrative donne à l’État central
l’initiative de la gestion des tensions inter et intracommunautaire que la
transmission aux grands ensembles « communautaires » peut installer dans une
zone d’instabilité. Au final est-ce qu’il ne sera pas question juridiquement de
déplacer la gestion des problèmes intra et intercommunautaire de l’autorité de
l’État pour l’autorité des instances communautaires (région ou État fédéré) sans
aucun engagement international pour le respect des droits de l’homme et toutes
les autres valeurs de l’humanité qui incombera toujours à l’État central même
dans le fédéralisme communautaire ?

1.2. La logique juridique « pluraliste » face à la logique


« communautaire du fédéralisme communautaire au Cameroun :
« l’internormativité de fait » par intégration ou complémentarité

Peut-être que le pluralisme juridique de l’ordre juridique camerounais au


soutien de l’État unitaire constitue une voie d’intégration de la logique
« communautaire » du fédéralisme communautaire, ayant au préalable évité les
écueils de l’identification des grandes identités communautaires cohérentes en
interne comme l’exige toutes les théories sur la communauté convoquée supra
et pouvant interagir comme interlocuteur politique de l’État central dans le cadre
du système de power sharing.
Théoriquement, un système de pluralisme juridique permet d’ordonner ou de
coordonner les règles ayant des sources ou systèmes différents, n’obéissant pas
à un principe de hiérarchie et n’ayant pas une cohérence établie. Il est question,
après avoir reconnu la pertinence procédurale des différents foyers juridiques,
d’essayer de les « ordonner » à travers des règles autres que les principes
classiques de la hiérarchie des normes et du parallélisme des formes. Le
monisme8, le centralisme9 et le positivisme10 sont trois variables que

8 L’existence d’un seul ordre juridique dans un espace géographique.


9 Rattachement du droit à l’État.
10 Le droit produit les institutions réglementaires.

261
l’internormativité juridique bat en brèche, car cette théorie recherche les voies
et méthodes de collaboration entre les différents ordres juridiques en interaction.
Jean Carbonnier (2004) l’un des précurseurs de cette théorie, en s’intéressant
aux phénomènes d’internormativité qu’il considère plus comme des actions
sociologiques que juridiques, distingue le pluralisme juridique interne (à
l’intérieur d’un ordre) et externe (entre au moins deux ordres), ayant pour effets
ou issues possibles l’acculturation, le métissage et l’élimination. Au final pour
l’auteur, soit il y a intégration des droits connexes, soit ces droits connexes
deviennent des « sous droits » ou encore du « non droit ». L’auteur a professé à
ce propos un « flexible droit » que d’autres ont qualifié de « droit mou » ou «
droit soluble ». C’est à ce niveau que pour Mireille Delmas-Marty,
l’internormativité crée une dialectique autour de ce qu’elle appelle
« l’internormativité de fait » (2003), c’est-à-dire des relations (volontaires et
non obligatoires en droit) entre des ensembles normatifs non hiérarchisés entre
eux, à quelque niveau qu’ils se trouvent dans l’espace normatif. Elle identifie
les processus d’intégration par degrés de hiérarchisation croissante 11qui
peuvent permettre de mettre en ordre deux systèmes juridiques distincts
(Delmas-Marty, 2006). Quand nous sommes dans l’hypothèse de deux ordres
distincts sans fondement hiérarchique, la technique des jeux d’interprétation
croisée des divers organes, judiciaires, juridictionnels, ou quasi juridictionnels
(Eberhard & Sidi Ndongo, 2001), qui sont chargés d’appliquer les normes à des
cas concrets, permet selon l’auteur de déterminer le sens d’un droit ou le contenu
d’une disposition, par le biais d’une comparaison normative entre deux ou
plusieurs instruments internationaux et/ou jurisprudences internationales.
Mieux encore, notons aussi l’apport de l’équipe de Jean Guy Belley qui prône
un « pluralisme ordonné » (1996) comme Mireille Delmas-Marty qui parle de
« droit mou »(2004) ou « droit doux » pour la mise en œuvre de
l’internormativé, identifiant dans un même ordre les méthodes imitation12 ou de
renvoi permettant d’assurer la cohérence interne. Il faut clairement dire avec
Roderick Macdonald que l’objectif fondamental des tenants de
l’internormativité juridique est de mettre en lumière les conditions d’une mise
en ordre d’un système juridique pluraliste en distinguant les différents processus
d’interaction par degré de hiérarchisation croissante (1996). En ce sens, leur
apport est fondamental pour la compréhension et l’adoption des techniques de
« mise en ordre » des systèmes pluralistes au niveau interne (coordination,
unification, harmonisation) et au niveau externe (jeux d’interprétations croisées,
technique comparative basée sur l’imitation externe).

11 De la coordination, par entrecroisements horizontaux, à l’unification imposée verticalement par


transplantation ou par hybridation, en passant par l’harmonisation qui implique le rapprochement,
mais sans prétendre à l’uniformité.
12 Explicitée par Rodolfo Sacco qui démontre que le droit commun produit par imitation n’est pas

forcément unifié, car l’imitation ne transforme nullement le socle de parturition historique de ces
règles, ce qui a pour conséquence l’influence résiduelle des systèmes de droit.

262
Ce détour dans la théorie du droit au sujet de la technique de
l’internormativité comme reflet du pluralisme juridique permet d’envisager la
translation juridique de la logique communautaire dans la logique « pluraliste »
de » l’ordre juridique du Cameroun. Cela a bien été indiqué supra, dans le
système juridique au Cameroun, ce qu’il est convenu d’appeler le droit moderne
ou « civil » collabore, en termes d’applicabilité, avec la common law et le droit
traditionnel ou coutumier. Il faut donc imaginer au niveau juridique les
conditions de cohabitation d’un système juridique « communautaire » qui
pourra s’adosser sur l’application existante du droit coutumier quoique
marginal, car le justiciable camerounais à l’option de législation qui entraine
l’option de juridiction et très souvent c’est le droit moderne qui est choisi, car
dans l’esprit processuel garantissant plus la protection des droits communs.
L’objectif du fédéralisme communautaire au Cameroun est de permettre à
l’État de s’appuyer sur les grands blocs communautaires pour leur permettre de
gérer en interne les questions d’état civil, liberté religieuse, de représentativité
dans les institutions de l’État central, de management des affaires locales, tout
cela implique pour ladite communauté la construction d’un corpus légal
cohérent pouvant permettre à l’intérieure des différentes grandes communautés
identifiées de garantir une certaine « autorégulation sociale » au plan juridique.
Cela présuppose donc qu’au sein de chaque grande communauté identitaire ou
culturelle au Cameroun qu’on ait atteint un niveau de consensus juridique sur
les règles devant organiser la régulation sociale à l’intérieur et la aussi structurer
la coopération avec les autres groupes au sein de l’État. Si nous n’envisageons
pas les difficultés techniques de ces législateurs « communautaires », nous
entrevoyons les bénéfices d’une telle codification « communautaire » pour le
système juridique pluraliste du Cameroun, car elle permettra assurément au droit
dit « coutumier » d’avoir en la « communauté » une instance d’affinage, de
renouvellement et de production ordonnée, si la cohérence communautaire est
au préalable réglée comme ayant déjà été posé comme condition fondamentale.
On pourra donc avoir l’émergence d’un « législateur communautaire » qui
va non seulement permettre aux règles du droit moderne concernant le droit des
personnes, l’état civil, d’épouser les réalités socio-anthropologiques des grandes
« communautés » camerounaises d’une part, et aux règles du droit coutumier
d’évoluer en prenant en cohérence les réalités desdits groupes face à la
prolifération dudit droit relatif à chaque groupe traditionnel requérant les
assesseurs (connaisseurs des diverses traditions coutumières) dans les instances
juridictionnelles ou les justiciables ont requis leur application en général par
consentement mutuel. Il faudra au préalable régler la question de la constitution
de l’instance législative communautaire (en tenant compte précisément de toutes
les sensibilités intracommunautaires dans chaque grande communauté au
Cameroun), de la conformité de ce corpus législatif communautaire au droit de
l’État (en termes de parallélisme des formes et hiérarchie des normes de cette
production normative communautaire au Cameroun), aussi de la visibilité des
us et coutumes de toutes les composantes intracommunautaires (afin d’évider la

263
domination des majorités intracommunautaires à l’intérieures des grands
groupes communautaires, comme les coutumes des Douala qui s’appliqueraient
dans les instances juridictionnelles coutumières de toutes les composantes de ce
grand Sawa qui à notre sens obéit plus à une réalité politique qu’à une vérité
sociologique comme dans beaucoup de regroupement communautaire du
Cameroun).
Cette réalité conflictuelle de la logique « unitaire décentralisé » qu’atténue
un peu l’univers des possibles ouvert par le « pluralisme juridique » de l’ordre
juridique camerounais face à la logique « communautariste » que laisse
entrevoir la translation juridique du fédéralisme communautaire au Cameroun,
ci-dessus, permet maintenant d’envisager techniquement ce mouvement.

2. Les éléments juridiques techniques de la translation de la


notion de fédéralisme communautaire dans l’ordre
juridique au Cameroun

Le changement de la forme d’un État comme le Cameroun de l’État unitaire


décentralisé actuel pour adopter le fédéralisme communautaire induit certes au
niveau de la téléologie juridique des préalables en termes de conception et
conceptualisation comme à essayer de démontrer notre premier mouvement
analytique ; mais surtout cette translation juridique doit être négociée par des
conditions techniques (II.1) et produire des effets (II.2) volontaires ou pas qu’on
peut entrevoir de manière prospective.

2.1. Les conditions de la translation

Transposer le fédéralisme communautaire sur le plan juridique requiert des


aménagements techniques spécifiques, car c’est une nouvelle « institution »
(« Région communautaire » en cas de décentralisation ou « État fédéré
communautaire » en cas de fédéralisme communautaire) qu’il faut mettre en
place au niveau du contenu notionnel nous l’avons vu, et une série de rapports
juridiques relationnels ou en termes de pouvoir qu’il faut aussi déterminer entre
l’entité communautaire à l’intérieur d’elle-même, avec les autres entités
communautaires et enfin entre eux et l’État (nous y reviendrons infra dans le
cadre des effets de cette translation). La précondition de donner une armature
juridique claire ou un contenu à cette institution « communautaire » afin d’en
déterminer la nature juridique a été évacué dans le premier mouvement
analytique, rendant plus compte de sa complexité avec l’espoir de le rendre
soluble dans le pluralisme de l’ordre juridique camerounais, il reste que, nous
devons postuler qu’un consensus notionnel minimum soit trouvé ou alors un
modus vivendi permettant d’opérationnaliser cette « institution

264
communautaire ». Comme toute notion juridique à mettre en place l’État à la
possibilité de choisir les méthodes permettant de l’opérationnaliser, il va alors
chercher dans la technique juridique les possibilités de construire avec son ordre
juridique existant les interactions et connections à réaliser afin d’avoir un
système qui s’adapte ou se conforme à celle-ci.
La translation de la logique « communautaire » du fédéralisme
communautaire dans l’ordre juridique camerounais se fera selon à deux
conditions techniques à partir du moment où l’on a validé les questions de
contenu conceptuel a donné à ladite notion sur le plan juridique comme souligné
plus supra dans la réflexion. Les règles en vigueur dans les grandes
communautés au Cameroun sont éparses qu’elles soient de nature coutumière,
des usages, principes de vie partagée depuis des millénaires, il faudra
nécessairement les mettre en cohérence pour constituer un ensemble juridique
cohérent pour chaque grand groupe communautaire. Il faudra donc selon les cas
légiférer en codifiant l’existant ou en faisant connaitre l’usage ou la coutume
applicable, la translation passera alors par la codification juridique pour avoir
une chance de pouvoir se faire concrètement dans l’ordre juridique camerounais.
L’État central aura dans cette réception des principes juridiques du fédéralisme
communautaire un rôle central, car il sera au cœur du « nouveau pacte » entre
les communautés et lui-même dans le cadre de la définition du niveau
d’autonomie et de la délimitation des espaces de pouvoirs.
Contrairement à l’idée reçue dans la mise en place juridique et le
fonctionnement de ce fédéralisme communautaire, ce n’est pas « la puissance
communautaire » qui fera face à l’État qui reste au plan juridique l’entité qui
détermine les balises d’expression des différentes communautés et devant gérer
en dernier ressort les tensions intracommunautaires. Puisqu’il n’y a pas dans le
fédéralisme communautaire création de nouveaux États fédérés à la quête de la
personnalité juridique internationale ou cherchant à challenger l’État central sur
la scène internationale, ce dernier organisera son rapport juridique aux entités
communautaires crée en faisant recours à la modalité juridique de la codification
de ce « nouveau pacte communautaire ».
Pour éviter le piège de l’inflation législative dans l’État qui répond aux
exigences d’une société moderne, de plus en plus technique et complexe, il
s’agira alors soit de faire une codification a doit constant ou a droit nouveau des
principes du fédéralisme communautaire au Cameroun avec comme préalable
indispensable le vote une loi d’habilitation autorisant le gouvernement à
"codifier ". La codification législative rassemble et classe dans des codes
thématiques l’ensemble des lois en vigueur à la date d’adoption de ces codes.
Cette codification se fait à droit constant, sous réserve des modifications
nécessaires pour améliorer la cohérence rédactionnelle des textes rassemblés,
assurer le respect de la hiérarchie des normes et harmoniser l’état du droit. Le
recours à la méthode de la codification à droit constant doit satisfaire aux
objectifs d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi d’une part et de la sécurité
juridique. Il faut y faire recours, car les coutumes et usages « communautaires »

265
au Cameroun sont très connus sur l’étendue du territoire et à l’intérieure même
des différentes communautés. La question de la sécurité juridique se pose aussi
dans cette codification puisque les blocs communautaires sur lesquels l’État du
Cameroun s’adossera pour organiser son management dans le cadre du
fédéralisme communautaire sont en interaction entre eux. Il faut donc que les
justiciables intercommunautaires et intracommunautaires partagent les
informations juridiques de même nature afin d’éviter de mettre les justiciables
« hors de la communautaire » selon les cas, étant tous nationaux de l’État, dans
l’insécurité juridique totale, car les règles s’appliquant aux statuts des personnes
et à l’état civil vont varier nécessairement d’un ensemble communautaire à un
autre.
À côté de cette codification à droit constants concernant la transformation
de la « région administrative » en « région communautaire » ou le passage à
« l’État fédéré communautaire », l’État peut aussi opter pour la codification à
droit nouveau, celle-ci permettra à l’État du Cameroun de créer un nouveau
régime juridique avec une prise en compte des grands blocs communautaires
dans son management. Cette codification a droit nouveau va donc concerner ce
que nous appelons dans le cadre de cette réflexion le « droit mou », c’est-à-dire,
l’ensembles des us, coutumes et pratiques socioculturels des différents grands
groupes communautaires au Cameroun pouvant faire l’objet d’une
systématisation juridique dans le cadre de leur prise en compte dans l’ordre
juridique étatique en tant que tel. L’objectif de l’État ne sera pas de transformer
ces formes de règle juridique en droit positif ou « droit dur », mais de les rendre
accessibles et intelligibles pour tous dans le cadre de la nouvelle société
camerounaise basée sur l’interaction des grands groupes intercommunautaires,
cela rendra possible l’interaction normative entre les différents « ordres
communautaires », celui-ci étant entendu comme une constellation d’us,
coutumes et pratiques propres à une communauté donnée et reconnue par celle-
ci comme étant des règles obligatoires observées par tous les membres
appartement à cette dernière. Ce n’est donc pas l’État qui va nourrir
conceptuellement la construction de l’ordre ou des différents ordres juridiques
communautaires, mais eux-mêmes, l’État fera juste le travail de codification à
droit nouveau pour permettre les interactions normatives. Il reviendra aussi à
l’État de construire de nouvelles règles permettant le dialogue normatif entre les
différents « ordres juridiques communautaires » en interaction dans l’espace
juridique camerounais dans le cadre du fédéralisme communautaire. Ce qui
prendra un peu de temps, car l’État devra au préalable terminer le travail de
codification de toutes les aires communautaires au plan du droit et ensuite
imaginer les conditions juridiques de cohabitation.
Pour organiser ce dialogue normatif et permettre que les différents ordres
juridiques communautaires émergents, la méthode de codification par voie
d’ordonnances présente, au plan des principes, l’indéniable avantage de la
rapidité. Elle confère aux différents codes ainsi élaborés une nature juridique
aisément identifiable puisque jusqu’à leur ratification par le vote d’une loi, les

266
codifications n’auront que la valeur d’actes réglementaires qui peuvent faire
l’objet de recours devant le juge administratif ou constitutionnel et elles
n’acquièrent la qualité de lois qu’une fois ratifiées par le parlement. Dans le
cadre de ce dialogue normatif qu’augure nécessairement la superposition de
diffèrent foyer juridique et surtout la production juridique de l’institution
communautaire mise ne place par le fédéralisme communautaire ayant réglé les
préalables juridiques, il faut donner une valeur juridique aux différentes règles
de « droit mou » coutumière afin de permettre une intranormativité (à l’intérieur
de l’ordre communautaire) et une internormativité (entre au moins deux ordres
communautaires) communautaire fructueuse et cohérente au Cameroun.
Cette question du dialogue normatif à l’intérieur d’une communauté n’est pas
négligeable, car nous l’avons déjà indiqué supra, les coutumes, usages et pratiques
coutumières à l’intérieur des possibles grands découpages « communautaires » au
Cameroun (Région communautaire et État fédéré communautaire) seront
complexes. En effet, il faudra appliquer les règles de l’intranormativité (fusion des
règles complémentaires, absorption des règles divergente par la technique du
conflit de règles, construction d’une nouvelle règle en cas de vide juridique
intranormatif), sauf que si cette technique s’adapte clairement au droit dur des
États dans États ayant une certaine cohérence hiérarchique en termes d’ordre et
de parallélisme des formes, il pourrait avoir des problèmes à s’adapter dans le
« droit mou » plus hétéroclite et désordonné. Comment organiser le dialogue
normatif entre les coutumes, usages, rites à l’intérieur d’un groupe communautaire
hétéroclite, imaginons le groupe Ekang et Douala. Dans le groupe Ekang,
comment faire cohabiter ou ordonner les rites, coutumes et traditions des Bulu,
Ewondo, Manguissa, Yezoum, Eton, etc., au sein d’un seul ordre juridique
communautaire, quelle est la coutume dominante ? Quelle est la coutume qu’on
doit sacrifier ou absorber dans le cadre de l’ordre juridique communautaire devant
s’exprimer face à d’autres ordres juridiques communautaires et l’ordre étatique ?
Il y a donc une cohérence à travers un dialogue normatif intracommunautaire à
créer pour les coutumes hétéroclites au sein de la même communauté, nous allons
illustrer cette complexité normative en prenant le groupe Ekang et le groupe
Douala comme exemples.
Ce dialogue normatif autour de l’État qu’induit la translation au niveau
juridique des règles du fédéralisme communautaire, augure des effets juridiques
évidents qu’il faut analyser, car l’État est en face d’institutions d’un genre
particulier « communautaire », il faut qu’il articule ses rapports en ce qui
concerne les domaines de compétence ratione materia, loci et temporis.

2.2. Les effets de la translation

Nécessairement la translation du fédéralisme communautaire au Cameroun


a pour effet majeur d’adresser la qualité de l’action publique. Cette translation
juridique postule pour l’amélioration pertinente de l’action publique en

267
l’adossant sur les blocs communautaires pour une meilleure prise en compte de
l’intérêt communautaire dans le cadre de l’État. Sauf qu’au niveau idéologique,
l’action publique est innervée par « l’intérêt général » et non « l’intérêt
communautaire ». En effet, dès lors que, dans une société, la légitimité du
pouvoir repose sur la raison, les citoyens n’acceptent de se soumettre aux
décisions des gouvernants que parce qu’ils les jugent conformes à l’intérêt de
tous et de chacun (Weber, 1963) ; l’intérêt général est donc la pierre angulaire
de l’action publique, dont il détermine la finalité et fonde la légitimité.
Rappelons rapidement pour le mettre en perspective avec l’intérêt
communautaire que charrie le fédéralisme communautaire que deux
conceptions de l’intérêt général se sont opposé dans l’histoire théorique. La
conception utilitariste, qui perçoit dans l’intérêt commun uniquement l’addition
d’intérêts particuliers d’agents économiques rationnels, laissant ainsi peu de
place à l’arbitrage de la puissance publique, illustrant une hésitation envers
l’État ; qui fait face à la conception volontariste, estimant que les intérêts
économiques, seuls ne peuvent fonder une société il faut donc le dépassement
des intérêts particuliers, afin que s’exprime la volonté générale, ce qui confère
à l’État la mission de poursuivre des fins qui s’imposent à l’ensemble des
individus, par-delà leurs intérêts particuliers. Au niveau conceptuel à tout le
moins, en comparant les effets sur les intérêts des citoyens en tenant compte de
l’action publique, la problématique de la translation juridique des éléments du
fédéralisme communautaire au Cameroun semble nous ramener finalement à ce
débat.
Il faudra bien pour l’État jouer le rôle de régulateur, d’arbitre, de stratège,
et de tutelle dans ce face-à-face entre différents types d’intérêts ? Selon les cas,
l’intérêt communautaire devra s’effacer ou se tasser devant l’intérêt général,
c’est la logique même de l’État post-westphalien, même dans le cadre du
fédéralisme communautaire afin d’éviter le piège de la « tyrannie
communautaire », qui va dénaturer le statocentrisme, sauf si c’est une posture
assumée dans l’espace international.
L’action de l’État avec l’entité dite « communautaire » ne sera pas différente
dans le fédéralisme communautaire que dans l’État fédéral ou alors
véritablement décentralisé, les principes de superposition, de supériorité
(institution) ou encore de primauté (droit) et de complémentarité d’une part, et
les principes de tutelle ou des transferts de compétences locales d’autre part.
Dans le cadre d’une organisation fédérale peu importe la nature communautaire
ou pas, nous avons le principe de superposition qui signifie que les compétences
étatiques sont réparties entre chacun des États fédérés qui composent une
fédération et l’État fédéral qui englobe l’ensemble du territoire, ainsi deux
ordres juridiques se superposent, celui du niveau fédéré et celui du niveau
fédéral. Quant au principe de supériorité, il se décline en pendant institutionnel
signifiant que tout ordre juridique confère aux destinataires de ses normes des
droits et pouvoirs juridiques, il leur impose des obligations, qui les lient. En ce
sens, tout ordre juridique s’affirme supérieur à ses sujets, ou bien il n’est pas ;

268
et juridique qui est le principe de primauté, qui voudrait qu’une norme juridique
d’une entité communautaire qui se trouve en conflit avec une norme de l’État
central doive être écartée par les instances devant gérer ce conflit de lois, afin
que le droit de l’État central puisse s’appliquer en toute circonstance. Il garantit
la supériorité du droit de l’État sur les droits des entités « communautaires ». Le
principe de primauté vaut pour tous les actes de l’État central disposant d’une
force obligatoire, qu’ils soient issus du droit primaire ou du droit dérivé. De
même, tous les actes dans un système de fédéralisme communautaire sont
soumis à ce principe, quelle que soit leur nature et que ces textes aient été émis
par le pouvoir exécutif ou législatif, entités communautaires dans le cadre du
fédéralisme communautaire. Le pouvoir judiciaire et la constitution des entités
communautaires sont également soumis au principe de primauté. Dans le cadre
d’une décentralisation communautaire plutôt, « région communautaire », la
tutelle permet en contrepartie de l’autonomie dont elles jouissent, les
collectivités décentralisées de les soumettre à un contrôle qui constitue la tutelle
administrative. La tutelle administrative est une modalité d’exercice par une
personne morale de droit public en général l’État central ou tout autre entité
administrative placée au sommet de la hiérarchie, qu’on appelle autorité de
tutelle, ledit pouvoir comprenant la kyrielle de moyens de contrôle
réglementaires dont dispose cette autorité sur l’entité sous tutelle, en vue de la
maintenir dans le respect de la loi, et de faire prévaloir un intérêt public
supérieur.
À l’intérieur de ce fédéralisme communautaire, l’entité communautaire doit
s’autoréguler, c’est-à-dire adopter des règles permettant un minimum
d’autonomie normative permettant le respect de l’équité et des principes
généraux de droit, s’il y a défaut d’autorégulation et de management interne,
l’État y applique la régulation. Dans les relations entre deux ou plusieurs entités
« communautaires », l’autorégulation ne peut plus être la règle ici, car ces
interactions vont s’étendre sur l’espace étatique, ces rapports
intercommunautaires sont laissés à la régulation étatique qui va en déterminer
les contours en ce qui concerne, la migration, les questions de conflits
intercommunautaires de toute nature. Dans cette perspective, les relations
intercommunautaires doivent se faire sur la base du pacte communautaire avec
l’État central qui encadre les compétences rationae materiae, loci et temporis
des entités communautaires, on ne peut donc logiquement envisager des accords
de coopération entre deux entités communautaires portant sur des matières
relevant de la compétence de l’État ou alors que ce dernier n’a pas transfère
juridiquement aux autorités des entités communautaires. Mais on conçoit bien
que des échanges intercommunautaires ainsi que des mémorandums d’entente
puissent être signés entre différentes entités communautaires afin de régler des
problèmes étant dans l’agenda du pacte communautaire avec l’État.
En dehors d’assumer la régulation intercommunautaire, l’État est aussi le
seul interlocuteur des autres acteurs rationnels dans l’espace international, il
pourra être possible que les entités communautaires dans le cadre de la

269
coopération décentralisée puissent conclure des partenariats avec des entités
hors de l’État dans le strict respect de l’indépendance et des règles des relations
diplomatiques ou consulaires. Jusqu’à ce qu’il en soit différemment, les entités
communautaires au sein d’un État pratiquant le fédéralisme communautaire,
qu’elle soit une « Région communautaire » ou alors un « État fédéré
communautaire », n’ont pas encore la personnalité juridique internationale pour
une projection internationale, il va toujours leur manquer la population et le
territoire qui sont les marqueurs fondamentaux de l’État dans l’espace
international. Aussi parce que la promotion des « intérêts communautaires »
dans le cadre international réduira l’État au recours a ses visages identitaires, et
ce n’est pas cette posture que les États préfèrent présenter dans ledit espace, qui
est ailleurs concurrentiel, il est donc sécurisant pour ces entités communautaires
d’évoluer sous la tutelle de l’État en ce qui concerne leurs éventuelles incursions
dans l’espace international.

Conclusion

À l’heure où la nuit va tomber sur cette réflexion, il n’est pas superflu de


rappeler qu’il s’est agi de voir si l’on pouvait « envisager », même
conceptuellement, la translation du concept de fédéralisme communautaire dans
l’ordre juridique camerounais. En partant de l’existant, l’ordre juridique
camerounais dans son versant unitaire complique ladite translation, mais avec
son revers pluraliste il ouvre une brèche évidente pour cette opération. La
réalisation technique de cette opération de translation doit obéir au préalable de
la qualification et au rattachement juridique de la notion de fédéralisme
communautaire sur le fondement de « la Région communautaire » et « l’État
fédéral communautaire », ce qui n’est pas exempt de complexité dans l’espace
juridique socioanthropologique camerounais.
Il est apparu clairement des soubresauts réflexifs nonobstant une possibilité
de codification par l’État des éléments de ce fédéralisme communautaire que
techniquement la volonté générale et la volonté « communautaire » constituent
les points d’achoppements relationnels entre les deux entités faisant de l’État en
dernier ressort le garant de la stature nationale et internationale de l’État.
La transaction du fédéralisme communautaire dans l’ordre juridique
camerounais est possible, envisageable, à condition de prendre en compte la
réalité communautaire complexe du Cameroun, on ne peut pas en effet appliquer
ce système mis en œuvre par le Liban avec une réalité sociologique moins
complexe que le Cameroun. En effet, et la réflexion l’a démontré a suffisance
l’identification et la constitution des différents blocs communautaires sur lequel
devrait s’adosser le système d’action publique avec l’État n’est pas simple, avec
des réalités intracommunautaires hétéroclites et disparates sur l’étendue du
territoire camerounais, pouvant plutôt constituer un risque d’explosion dans

270
cette quête effrénée de la visibilité qu’augure l’application du fédéralisme
communautaire dans les esprits au Cameroun.
Il est clair que l’irruption de cette question de fédéralisme communautaire
comme modalité de l’action publique au Cameroun rappel nécessairement qu’il
y a une critique faite à l’État central, celle de voir dans l’intérêt général que
l’intérêt des classes sociales ayant conquis le pouvoir au sein de l’État au
Cameroun, et en remplaçant cet intérêt des classes par l’intérêt communautaire
on pourrait arriver à une expression pertinente de l’action publique envers une
grande partie des couches sociales. Mais au fond, n’est-ce pas remplacer un
clash social sur l’aspect économique à l’aspect socioculturel desdites classes
sociales ? La pensée libérale contemporaine n’épargne pas l’action publique au
Cameroun, celle-ci n’est pas moins sévère à l’égard d’une représentation de
l’intérêt général entendu comme l’intérêt de la société, distincte des intérêts de
ses membres. Ces critiques ne pouvaient manquer d’entraîner un recul de la
croyance dans l’intérêt général, à un moment où précisément les progrès de la
démocratie s’accompagnent d’une valorisation des comportements
individualistes, qui induisent un repli des individus sur leurs intérêts propres et
une désaffection profonde pour la défense des idéaux collectifs au Cameroun.
Le phénomène s’est trouvé aggravé par la mise en cause de la légitimité de l’État
au Cameroun, ainsi que de sa capacité à faire prévaloir un véritable intérêt
général, le fédéralisme communautaire est donc une proposition qui ambitionne
de se positionner comme une option de rectification, l’analyse de sa translation
juridique au Cameroun en a donné les préalables, les conditions et préfiguré les
effets.

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273
CONCLUSION

La praxéologie et la technologie politiques de l’État, de la


République et de la nation face au défi du fédéralisme
communautaire comme paradigme au Cameroun : une critique
sociopolitique de sa viabilité pragmatique et de sa supputabilité
stratégique
Mathias Éric OWONA NGUINI et Edmond VII MBALLA ELANGA (Dir.)

À l’issue des différentes recherches inscrites dans le présent ouvrage


intitulé Le Fédéralisme communautaire est-il soluble dans la République du
Cameroun : Représentations, Énonciations, Mobilisations et Projections, il est
loisible d’esquisser un bilan de cette enquête collective. Un tel bilan peut de
manière délibérée consacrer son attention de manière privilégiée à la question de
savoir si l’on peut vraiment envisager le fédéralisme communautaire comme un
canon politico-institutionnel et politico-organique pertinent et applicable en
matière d’organisation de la forme de l’État au sein du macrocosme souverain et
sociétal camerounais (Cabral Libii, 2021 ; Owona Nguini, Mballa Elanga, 2022)1.
Il importe effectivement de procéder à une évaluation conclusive de la
viabilité pragmatique de ce modèle de présentation et d’organisation de la
forme de l’État au sujet de la formation sociale et étatique camerounaise. Une
telle exigence requiert alors d’interroger la capacité du fédéralisme
communautaire à constituer un aménagement institutionnel à même d’assurer
une matérialisation consistante du pouvoir de l’ethnie attentive à la complexité
communautaire et identitaire de la formation sociale et étatique camerounaise
entendue comme collectivité devant lier les exigences de centralité et les
exigences de pluralité (Abouna, 2011).
Le fédéralisme communautaire est apparu dans l’espace public camerounais
entre le milieu des années 2010 (2015) et le début des années 2020 (2021) à
travers des conjectures théorico-politiques et politico-intellectuelles (exprimées
par les universitaires Mathias Éric Owona Nguini puis Edmond VII Mballa
Elanga) ou des élaborations théorico-idéologiques et politico-idéologiques
(Cabral Libii), sans que ces deux régimes d’énonciation soient strictement
identiques2. Il est expressif de la montée en régime de débats politico-doctrinaux
1 Le fédéralisme communautaire alias fédéralisme multinational est une catégorie politologique
qui a été introduite dans le débat public camerounais en 2015 par Mathias Éric Owona Nguini,
avant de faire l’objet d’une réappropriation politico-doctrinale par le politicien Cabral Libii.
2 Il y a bel et bien des régimes d’énonciation distincts entre le modèle politico-intellectuel esquissé

par Mathias Éric Owona Nguini et le modèle politico-idéologique développé par Cabral Libii.

275
et politico-institutionnels révélateurs « d’un temps de réactivation des conflits
identitaires et de construction d’une “identité nationale plurielle” où les
clivages communautaires resurgissent avec acuité dans l’espace public »
(Menthong, 1998, p. 11).
L’émergence du fédéralisme communautaire comme proposition théorique
ou normative de forme de l’État entre les années 2010 et les années 2020 met
aussi en évidence le fait que la vie socio-politique camerounaise a réitéré des
inspirations doctrinales ou idéologiques attentives — comme dans les
années 1990 — aux termes d’une identité nationale plurielle en lien avec une
perception de l’ordre souverain comme « État post-unitaire » (Sindjoun, 1996,
pp. 18-20 et Menthong, 1998, p. 41). Où l’on voit comment à travers le
fédéralisme communautaire, la discussion politique a été marquée par les
stratégies d’entrepreneurs politiques ou parapolitiques visant à revaloriser le
fédéralisme comme orientation institutionnelle touchant à la forme de l’État.
Les discussions politiques qui ont permis de mettre en avant le fédéralisme
— dont la version communautaire est une expression — sont revenues dans le
débat politique camerounais, en raison des mobilisations critiques et
conflictuels liés à la résurgence de la « cause anglophone » ; laquelle entreprise
mobilisationnelle émergée en 2015, a mis en lumière la tension entre
fédéralistes revendiquant le retour au modèle fédéral de 1961-1972 et
sécessionnistes défendant la perspective de la séparation et la constitution d’un
État anglophone indépendant (Owona Nguini)3. La cristallisation polémogène
de cette dynamique mobilisationnelle à partir d’août 2017 a alors contribué à
faire (re) monter le courant de contestation de l’État unitaire.
La dynamique critique alimentée par les opérateurs identitaires de
l’anglophonie autonomique a fait que, le débat sur le fédéralisme qui est « un
vieux débat qui date de 1961 » soit un débat qui « s’exprime avec force » ; ceci
en raison des revendications autonomistes ou séparatistes » formulées par les
entrepreneurs de l’anglophonie identitaire. Il convient de tenir compte de ce
cadrage historico-temporel pour bien cerner la reconstitution même rénovée du
courant fédéraliste positionné comme courant institutionnel à même de
concurrencer le courant unitariste au sein du champ social et politique
camerounais, champ engagé depuis les rebondissements mobilisationnels de
l’autonomisme anglophone entre 2015 et 2023, dans une dynamique de
recomposition.
La perspective de cette conclusion s’intéresse à la dynamique concrète des
mobilisations et projections relatives au fédéralisme communautaire au
Cameroun. Elle vise à évaluer le niveau d’applicabilité du fédéralisme
communautaire envisage comme modèle alternatif ou substitutif en matière de

3 Mathias Éric Owona Nguini cerne bien la construction sociale et politique de la « cause
anglophone » /« crise anglophone » comme un mouvement social correspondant à une
mobilisation identitaire relancée au milieu des années 2010, qui met en question la stabilité
sociétale et souveraine du Cameroun.

276
forme de l’État au sein du macrocosme sociétal et souverain camerounais. Dès
lors, il est question d’évaluer comment le fédéralisme comme mode
d’organisation politico-institutionnelle de l’État correspondant à une gestion
appropriée de la « division territoriale du pouvoir » à travers la formation sociale
et étatique camerounaise envisagée dans les années 2020 (Tagou, 2018, p. 94)4.
La discussion politique qui règle la compétition paradigmatique entre les
modèles de fédéralisme et les modèles d’unitarisme relancée dans l’espace
sociétal et souverain camerounais entre les années 2010 et les années 2020,
participe d’un renouvellement intellectuel et idéologique du « chassé-croisé
entre l’unité et le pluralisme » (Menthong, 1996).
Ce présent ouvrage a proposé des recherches se prononçant sur la viabilité
ou la non-viabilité en pratique du fédéralisme communautaire comme forme de
l’État à même d’assurer une gestion avisée de la pluralité sociale accompagnant
le processus d’étatisation au Cameroun. Dans cette optique, on construira les
lignes conclusives autour d’une évaluation de la praxéologie et de la
technologie politiques liées au fédéralisme communautaire.
Ce qui distingue le fédéralisme communautaire du fédéralisme territorial
(auquel la République fédérale du Cameroun de 1961-1972 est associée), c’est
qu’il plaide en faveur d’une reconnaissance de l’appartenance comme
« principe de vie politique », comme « mode normal d’action politique » devant
modeler la forme de l’État au sein de l’ensemble sociétal et souverain
camerounais (Menthong, 1998, p. 52)5. Où l’on voit que le surgissement du
fédéralisme communautaire a tiré parti d’un political process confronté aux
« luttes politiques anglophones relancées par la nouvelle vague
mobilisationnelle de l’anglophonie identitaire exprimée à partir de 2015 et qui
a induit diverses « réponses étatiques » (Jua, 2003).
Cabral Libii s’est posé en entrepreneur politique de choix dans la
revendication du fédéralisme communautaire dans l’espace sociétal et
étatique : « Les frontières communautaires existent de manière tangible. Le
Cameroun est un agglomérat d’agrégats humains partageant chacun en son
sein, une conscience de destinée commune fixée sur une portion de territoire »
(Libii, 2021, p. 29). Cet opérateur politique qui a fortement investi pour la
configuration identitaire et communautaire de la forme de l’État en faisant du
fédéralisme communautaire un filon, renchérit en montrant comment celui-ci
peut se révéler que le fédéralisme de type 1961-1972 : « En posant simplement
l’État sur la communauté, toutes ces tensions vives ou larvées qui nous
étreignent s’évanouiront. Emportant avec elles, des clivages tels “anglophone”
ou “francophone” » (Libii, 2021, p. 29).

4 Célestin Tagou met en évidence avec pertinence le lien entre la dynamique fédérale et la division
territoriale du pouvoir.
5 L’analyse socio­politiste d’Hélène­Laure Menthong est construite à partir d’une grammaire

explicative et compréhensive liant communautarisme réflexif et communautarisme intuitif.

277
1. Le praxéologie politique de l’État, de la République et de la
nation face au défi du fédéralisme communautaire comme
paradigme : une critique sociopolitiste de sa viabilité
paradigmatique
Par ces termes, on veut mettre d’accent sur une analyse de la praticabilité du
modèle du fédéralisme communautaire dans les formations sociales et
souveraines camerounaises. Il s’agit alors de savoir quelle est la capacité
concrète du fédéralisme communautaire à construire un cadre permanent de
« power sharing », correspondant à la mise en place d’une coalition opérante et
gouvernante à même d’assurer l’inclusion de toutes les composantes de la
formation sociétale et souveraine camerounaise (Moukoko Mbonjo, 1993).
La logique concrète de la mobilisation favorable au fédéralisme
communautaire au Cameroun ressortit d’un positionnement post-moderne
relevant d’une optique ratificatrice de la « tribalisation du monde » qui est en
dissonance avec la dynamique de transcendance étatique constitutive de
l’acquis gouvernant (Mappesoli)6. Dans cette optique, il s’agit de s’interroger
sur la viabilité pragmatique discutée d’une praxéologie centraliste de l’État et
du souverain par une praxéologie pluraliste associée au fédéralisme
communautaire (A-1) et d’évaluer la viabilité pragmatique critiquée d’une
praxéologie souverainiste de la République et de la Nation par une praxéologie
autonomiste liée au fédéralisme communautaire (B-1).

A.1. La viabilité pragmatique discutée d’une praxéologie centraliste de


l’État et du souverain par une praxéologie pluraliste associée au
fédéralisme communautaire

Par ces termes, on veut souligner que l’offre politico-institutionnelle du


fédéralisme communautaire comme proposition paradigmatique de rechange,
qui met en question la firme prévalente de l’État fondée sur l’historicité de la
centralisation malgré son réaménagement par l’avènement de l’État unitaire
décentralisé, va se trouver confronté à la persistance d’un logiciel transcendant
d’étatisation. Ce faisant, la proposition du fédéralisme communautaire est
confrontée aux stratégies gouvernantes de maîtrise stabilisatrice de « la
reconfiguration de l’État unitaire dans le sens d’un nouvel équilibre des
tensions entre le centre et la périphérie » (Menthong, 1996, p. 148).
Les critiques du fédéralisme communautaire soulignent que « la possible
implémentation du fédéralisme communautaire au Cameroun ressort d’une
démarche plus complexe que celle simpliste de l’apparent consensus de
circonstance démontré par une certaine opinion publique » (Mballa Elanga ;

6Il convient de relativiser l’enthousiasme sur-affectif et ethno-populiste de la position post­


moderniste de Michel Maffesoli sur la « tribalisation du monde ».

278
Ngaba*)7. Dans cette perspective, il s’agit de procéder de manière critique à une
évaluation de la fiabilité pragmatique du fédéralisme communautaire en
dissonance avec la praxéologie souveraine de l’État basé sur un instrumentum
léviathanique (1-A-1) puis d’une « viabilité pragmatique du fédéralisme
communautaire en discordance avec la praxéologie unitariste de l’État
organisé comme centre indivisible » (2-A-1) et enfin d’une viabilité
paradigmatique du fédéralisme communautaire.
1.A.1. Une viabilité pragmatique du fédéralisme communautaire en
dissonance avec la praxéologie souverainiste de l’État basé sur un
instrumentum léviathanique
Par ces termes, on veut indiquer que le fait d’envisager la matérialisation
effective d’un modèle de fédéralisme communautaire comme forme de l’État
opérante au sein de la collectivité sociétale et souveraine camerounaise va à
l’encontre de la continuité de l’unitarisme. Certains analystes-chercheurs ayant
une contribution dans le présent ouvrage prennent position en faveur du
fédéralisme communautaire comme forme de l’État : « … cette forme de l’État
est un moyen d’envisager la paix durable, de préserver l’intégrité du territoire,
de créer les opportunités économiques pour tous, de consolider le
multiculturalisme et le vivre-ensemble d’antan des camerounais » (Nebeu*).
Sur le plan idéologico-politique, Cabral Libii s’avère être l’entrepreneur
politique le plus percutant en matière d’argumentation sur la pertinence pratique du
« fédéralisme communautaire ». « C’est le découpage de l’État en plusieurs régions
réellement autonomes, non pas en plusieurs petits États avec (Gouvernements,
Parlements, Cours Suprêmes, etc.), mais avec des organes exécutifs élus dotés de
pouvoirs délibérants et exerçant des compétences réelles aménagées
constitutionnellement et institutionnellement afin d’asseoir une gouvernance de
proximité inspirée de réalités commandées par la diversité qui est notre identité… »
(Libii, 2021, p. 57). Cette présentation du modèle du fédéralisme communautaire
correspond à des arrangements et déploiements politico-praxéologiques en
décalage avec l’appareillage unitaire prévalent au Cameroun8.
Pour un chercheur présentant une contribution dans le présent ouvrage, le
fédéralisme communautaire est une orientation institutionnelle concrètement
envisageable, car il épouse les contours de la diversité comme élément
intrinsèque de la collectivité sociétale et souveraine camerounaise : « Autant
dire donc que la fédération des nombreuses formes d’identités qui constituent
le Cameroun est au fondement même de toute camerounité envisagée comme
juste et durable » (Bidime Epopa*). Dans cette optique, la mise en place d’une
forme de l’État en compatibilité avec la constitution plurale/plurielle de la

7 La prudence réflexive et pragmatique développée par Edmond VII Mballa Elanga et Serge
Ngaba les rattache à l’orientation communautarienne formulée par Mathias Éric Owona Nguini.
8 La présentation du cadrage institutionnel faite par Cabral Libii est largement aux antipodes du

cadrage classique de l’État unitaire.

279
formation sociale et étatique postcolonial camerounaise n’est pas à appréhender
comme une simple vue de l’esprit9.
Ceux qui prennent position en faveur de l’applicabilité du fédéralisme
communautaire l’envisagent à travers la proposition de « re-mapping du
fédéralisme communautaire » comme hypothèses cartographiques militant en
faveur de « multiples scénarii alternatifs au modèle unitaire d’aménagement du
territoire » (Issekin*). Où l’on voit comment les mobilisations soutenant la
praticabilité du fédéralisme communautaire au sein de la collectivité sociétale
et souveraine camerounaise, inscrivent ce macrocosme au rang des formations
justiciables d’incorporer des instruments de gouvernement ressortissant d’une
pragmatique politique ouverte à l’« État multinational » (Audeoud ; Mouton ;
Pierre-Caps, 1997).
2.A.1. Une viabilité pragmatique du fédéralisme communautaire en
discordance avec la praxéologie unitariste de l’État organisé comme
centre indivisible
Par ces termes, on veut souligner que les dynamiques de mobilisation et de
projection qui envisagent une matérialisation constitutionnelle et institutionnelle
du Fédéralisme communautaire au sein de l’ensemble sociétal et souverain
camerounais soulignent la distance de cette forme de l’État et de sa matrice
doctrinale avec les catégories correspondantes valant pour l’unitarisme. Ainsi,
sans récuser de manière catégorique la forme unitaire de l’État, un tenant de la
version hypothétique et politico-intellectuelle du « fédéralisme communautaire »
ou « fédéralisme intercommunautaire » défend l’applicabilité de ce « fédéralisme
basé sur la transformation des 10 Régions (du Cameroun) en 10 États fédérés ou
en 10 États régionaux » (Owona Nguini, 2017)10.
Défenseur du « fédéralisme communautaire dont il est convaincu de la
pertinence pragmatique en raison de sa concordance avec les « fondements
identitaires » caractéristiques de la collectivité sociétale et étatique camerounaise,
l’opérateur politique Cabral Libii voit dans l’État unitaire, une « forme de l’État »
qui est « devenue source de crises corporatistes, sociales et politiques
meurtrières » ; ceci parce qu’au sein de cette forme d’État ressortissant de
l’unitarisme, « la déclinaison constitutionnelle des pouvoirs est inadaptée et
surannée » (Libii, 2021, pp. 76-77). Où l’on voit comment cet entrepreneur
politique plaidant en faveur du fédéralisme communautaire comme modèle dont il
défend la faisabilité, disqualifie la pertinence pragmatique de l’unitarisme11.

9 Envisager une forme de l’État correspondant à un État Plurinational au sein du macrocosme sociétal
et souverain camerounais, ressortit d’un réalisme sociologique rationnel, raisonnable et raisonné.
10 L’évolution éventuelle de l’architecture étatique camerounaise vers un fédéralisme inter-

régional a le mérite de relativiser la présentation idyllique du fédéralisme binational/biculturel de


1961-1972 qui a prévalu au Cameroun, de souligner le lien d’une telle évolution avec la
complexité démotique de la collectivité sociétale et étatique camerounaise.
11 Cabral Libii se pose clairement comme un fédéraliste intransigeant exprimant une vraie

défiance à l’encontre de l’unitarisme.

280
Les promoteurs et/ou défenseurs du fédéralisme communautaire dans
l’espace des positions politico-publiques et publico-politiques inscrit dans la
formation sociale et étatique camerounaise, tel que Cabral Libii et Serge Espoir
Matomba, s’efforcent de déconstruire la prévalence pratique d’une forme
unitariste d’État et d’obtenir « l’élargissement de la communauté épistémique
de la gouvernance territoriale » (Issekin*). En procédant de la sorte, ils
expriment leurs préférences pour l’application d’une forme de l’État relativisent
l’entendement unitariste de l’indivisibilité de l’État qui continue à modeler la
conduite politico-institutionnelle et politico-administrative au sein d’une
formation sociale et étatique camerounaise dont l’unitarisme continue à être
une marque aussi bien structurante qu’opérante.
Les opérateurs politiques se mobilisant en faveur du fédéralisme
communautaire, relativisent l’indivisibilité de la puissance étatique au sein de la
collectivité sociétale et souveraine camerounaise, dans une démarche formellement
similaire à l’approche fédérative et consociative d’Althusius soulignée par Oho
Von Gierke, mais discutée par Carl Friedrich et Giuseppe Oiso (Von Gierke, 1980 ;
Friedrich, 1932 ; Duso, 1990). C’est dans une telle logique que Cabral Libii pour
conforter son plaidoyer en faveur de la pertinence pratique du fédéralisme
communautaire, énonce concrètement une formulation corporative de cette
orientation précise du fédéralisme : « La société camerounaise par essence à
vocation à être structurée par une philosophie fédérale, une organisation de l’État
qui fédère les peuples divers, unis par la souche malgré les croisements et les
migrations, unis par le destin » (Libii, 2011, p.43).
3.A.1. Une viabilité pragmatique du fédéralisme communautaire en
divergence avec la praxéologie individualiste de l’État
Par ces termes, on veut souligner que les modèles politico-idéologiques (ou
même politico-intellectuels) du fédéralisme communautaire qui sont exposés et/ou
proposés sur l’espace public associé à la formation sociale et politique
camerounaise, sont clairement en opposition avec les dynamiques individualistes
de l’État camerounais posé en structure postcoloniale héritière du souverainisme
euro-occidental de facture majestueuse12. Il s’agit ici de mettre en exergue les
fondations communautaristes du fédéralisme communautaire, comme en atteste un
des contributeurs du présent ouvrage favorable à cette forme de l’État : « le poids
des ethnies au Cameroun et la perception irrédentiste de plus en plus encouragée,
donnent lieu à penser que la diversité et la pléthore des communautés au Cameroun,
constituent un baromètre pour la refondation de ses institutions dans une logique
fédéraliste » (Nebeu*).
Les défenseurs de la version dure du fédéralisme communautaire comme
forme d’État applicable au sein de l’espace sociétal et étatique camerounais,

12 Le fédéralisme communautarisme correspond à une mise en cause du souverainisme


individualiste dont il met en question l’eurocentrisme caractéristique, comme on peut le voit chez
Cabral Libii (Libii, 2021).

281
quoiqu’ils reconnaissent le Léviathan comme symbole du « pacte social » dans
sa formulation hobbesienne, ne le relativisent pas moins au moment d’aborder
sa matérialisation camerounaise : « L’institutionnalisation de l’État au
Cameroun comme ailleurs en Afrique, a été dominée par une approche
eurocentrique, individualiste, civilisatrice, hors-sol et hors-contexte » (Libii,
2021, p. 25). Bien entendu, ces réserves exprimées à propos du fond
individualiste de l’instrumentum étatique que constitue l’appareillage
léviathanique, sont révélatrices de la souscription de ceux qui les expriment à
une pragmatique communautariste de mobilisation du pouvoir étatique13.
Un des auteurs du présent ouvrage y développe des analyses en concordance
avec la visée communautariste qui est de manière entéléchique, associe au
fédéralisme communautaire envisagé comme perspective pragmatique de
gouvernement et de gouvernance : « La logique de l’institutionnalisation formelle
des ethnies au Cameroun, est une réalité historique, anthropologique,
ethnologique, culturelle ou sociologique consistant à donner un caractère
institutionnel aux ethnies… Il s’agit […] de démocratiser les considérations
communautaires pour l’équilibre et l’équité dans la gestion de la République
fédérale » (Nebeu*). Une telle orientation diverge clairement avec la pragmatique
individualiste associée à l’État postcolonial africain et camerounais même envisagé
comme « leviathan boîteux, (Lame Léviathan) (Callaghy, 1987)14.
En dépit de la persistance de dynamiques léviathaniques d’étatisation
fondées formellement et organiquement sur l’individualisation souveraine, la
collectivité englobante camerounaise n’en est pas moins saisie entre les
années 2010 et 2020 par « l’attention et l’intérêt croissants pour un débat
politique pro-communautariste » (Owona Nguini, 2021, p. 161). C’est que pour
les défenseurs intransigeants d’une orientation communautariste d’étatisation
prenant position en faveur du fédéralisme communautaire, « il est illusoire… de
prétendre construire l’unité nationale par l’inhibition d’aspiration singulières
légitimes, des identités culturelles particulières » (Libii, 2021, p. 42). Pour
autant, la construction du fédéralisme communautaire requiert de la prudence
pragmatique pour les défenseurs modérés et raisonnés du fédéralisme
communautaire au Cameroun : « il faut donc s’assurer qu’au Cameroun,
l’énonciation et l’application du fédéralisme communautaire ne soient pas le
détour qui servira de contour hypocrite à des formes soft de stigmatisation et de
tribalisme de fait » (Mballa Elanga et Ngaba*).

13 James Callaghy, s’appuyant sur la base du terrain zaïrois, va formuler une théorie critique du
patrimonialisme administratif étatique africain. C’est une telle logique configurationnelle qu’il
présente sous la figure métaphorique du « Lame Léviathan » (Le Léviathan boiteux), en livrant un
regard soulignant la défectuosité des puissances souveraines africaines.
14 Paul Abouna développe un positionnement clairement primordialiste à la Clifford Geertz quand

il étudie les communautés ethno-tribales et ethno-régionales présentes dans la collectivité


sociétale et souveraine camerounaise.

282
B.1. La viabilité pragmatique critiquée d’une praxéologie souverainiste
de la République et de la nation par une praxéologie autonomiste
liée au fédéralisme communautaire

Par ces termes, on veut dire que l’orientation politico-doctrinale et juridico-


doctrinale qui est associée aux formulations du fédéralisme communautaire, fait
montre d’un sens politique commandant une pratique gouvernante et
gestionnaire basée sur une liberté significative d’administration et de direction
conférée aux entités fédérées ou démotiques qui en formant la base. Bien
entendu, cette orientation en termes de fédéralisme communautaire relie la
« réelle socio-ethnique du Cameroun » à la définition et à l’organisation
pragmatico-institutionnelles des entités opérantes constituées en entités de
présentation et de représentation permettant de gérer « la consanguinité et la
coculturalité entre les peuples du Cameroun » (Abouna, 2020, pp. 136-137)15.
Le modèle de fédéralisme communautaire qui est mis en débat au sein de la
formation sociale été étatique camerounaise comme solution pragmatico-
institutionnelle, n’en fait pas moins l’objet de résistances associées aux logiques
de reproduction de l’unitarisme comme modèle encore prévalent. Dans cette
perspective, il est question de faire une évaluation critique d’une viabilité
pragmatique du fédéralisme communautaire en décrochage avec la praxéologie
régalienne de la République d’Institution (1-B-1) puis d’une viabilité
pragmatique du fédéralisme communautaire en déphasage avec la praxéologie
postcoloniale de la Nation (2-B-1) et enfin d’une viabilité pragmatique du
fédéralisme communautaire en décalage avec une praxéologie
institutionnaliste-conventionnaliste de la Nation Républicaine (3-B-1).
1.B.1. Une viabilité pragmatique du fédéralisme communautaire en
décrochage avec la praxéologie régalienne de la République
d’Institution
Par ces termes, on veut montrer que le modèle du fédéralisme
communautaire proposé par ces défenseurs comme paradigme de rechange en
matière de forme de l’État pour la collectivité sociétale et souveraine
camerounaise, se base sur des orientations politico-morales et politico-
culturelles défendant la pertinence pratique d’une organisation étatique du
pouvoir intégrant la donne gentilice. C’est qu’en effet, les tenants du
fédéralisme communautaire considérant que la configuration sociétale
camerounaise incorpore largement les traits organisationnels et actionnels
d’une « société gentilice », même si elle incorpore aussi des caractéristiques
organiques et pratiques d’une « société civile » (Hegel, 1992)16. Les canons
15 La vision qu’Hegel livre de la « société civile » (burgerlich geseleschaft en allemand) est
largement d’ordre organique et économique.
16 L’attention au « pluralisme démotique » qu’évoque Cuvellier porte ceux qui la manifestent à

développer un concernement significatif pour une gestion autonomique de cette forme


substantielle de diversité socio-culturelle.

283
pratiques organisant le « fédéralisme communautaire » font que cet
instrumentum étatique apparaît comme « une politique de reconnaissance et
d’intégration des communautés ethniques dans l’action politique nationale »
(Epoh, Epoh*). Où l’on voit que le paradigme du fédéralisme communautaire
correspond à une transposition camerounaise du système turc du millet, système
dans lequel les millets constituent pragmatiquement des « unités autonomes » et
où ces millets constituent les « communautés » en « unités administratives
locales, généralement fondées sur l’ethnie et la langue » (Kymlicka, 2001, pp.
222-223).
Quand on l’envisage comme formule pragmatico-politique, le fédéralisme
communautaire dans sa version radicale insiste sur l’énonciation identitaire de
« l’aspiration à l’autonomie », son défenseur éminent (Cabral Libii) estimant
que ladite aspiration est « largement partagée par tous les Camerounais de tous
les recoins » ; ce qui légitime cette formule comme une solution qui est
« médiane et compromissoire » autant qu’« autonomiste » (Libii, 2021, p. 39).
Une telle orientation se montre fort attentive à la logique autonomique qui est
associée à la prise en charge politico-institutionnelle significative de la diversité
qui caractérise l’organisation du « pluralisme démotique » (Cuvelier, 2019)17.
Les défenseurs communautaristes et/ou communautariens de l’autonomisme
proposé comme orientation régulatrice de la forme de l’État qu’ils proposent
comme instrumentum canonique pratiquement appropriable par la formation
sociale et étatique camerounaise, relativisent la configuration régalienne de la
République d’Institution de facture hobbesienne (Hobbes, 1983).
Elle met plutôt en relief des orientations consociatives et corporatives
mettant en valeur des logiques autonomiques d’organisation et
d’opérationnalisation de la forme fédératrice d’État, ceci dans une optique
visant à apporter des tempéraments à la centralisation du pouvoir étatique.
Ainsi, un des contributeurs du présent ouvrage voit dans « la représentation
institutionnelle des minorités ethniques dans un système de fédéralisme
communautaire », un moyen de faire pièce à un modèle d’unitarisme révisé,
mais en aucune manière annihilé18.
2.B.1. Une viabilité pragmatique du fédéralisme communautaire en
déphasage avec ka praxéologie postcoloniale de la Nation
Par ces termes, on veut attirer l’attention sur le fait que les tenants du
fédéralisme communautaire travaillent à légitimer le courant politico-doctrinal
et juridico-doctrinal qu’ils défendent, comme une offre politico-pragmatique
pertinente en vue d’une organisation appropriée du pouvoir souverain au sein
de la collectivité sociétale et étatique camerounaise modelée par sa constitution

17 Ce contributeur (Neubeu) exprime une vision quelque peu romantique du fédéralisme


communautaire, ce qui l’inscrit au rang des défenseurs du Communautarisme populiste tels que
Cabral Libii.
18 Il y a des passerelles politico-anthropologiques et politico-idéologiques de ces partisans de

l’afro-organicisme avec les courants nativistes associés à l’afrocentricité.

284
sociale et culturelle afro-organique19. Dans cette optique, les tenants du
fédéralisme communautaire opèrent en faveur d’une relance doctrinale et
idéologique dans les années 2010 et 2020 de « l’âpreté des luttes pour la
définition de la problématique locale légitime » qui avait eu lieu dans les
années 1990 et 2000 (Menthong, 1996, p.181).
Les tenants du fédéralisme communautaire proposé comme forme
substitutive, voire alternative d’État adossé à une orientation politico-doctrinale
et juridico-doctrinale questionnent l’unitarisme, travaillent ainsi à mettre en
valeur la perspective de l’applicabilité d’un paradigme d’autonomisme multi
national. Même les tenants de la version modérée et raisonnable dite
communautarisme du fédéralisme communautaire comme Mathias Éric Owona
Nguini souligne les formes de multinationales de la diversité de l’espace social
camerounais ; lequel « espace social » est visualisé comme « formé de
plusieurs segments communautaires dans ses différentes sections territoriales
et multiples secteurs d’activité », espace difficile à maîtriser par une
« République de format euro-centrique et occidentalo-centrique (westphalien) »
(Owona Nguini, 2019)20.
Dans la compétition politico-doctrinale et/ou politico-idéologique qu’ils
engagent contre l’unitarisme tempéré comme marque actuellement prévalente
d’organisation de la forme de l’État, les tenants du fédéralisme communautaire
entendent effectivement exploiter la remontée de la « fièvre autonomique pour
légitimer la pertinence pragmatique de leur modèle de prédilection au sein de
la collectivité sociétale et souveraine camerounaise (Menthong, 1996, p. 181).
En opérant de la sorte, ils contestent la colonialité persistante du modèle
unitariste toujours dominant dans l’organisation étatique du pouvoir
camerounais. Il s’agit alors de mobiliser « l’évocation de l’autonomie » pour
légitimer la dynamique inséparablement consociative, corporative et
congrégative d’un « retour aux sources identitaires » (Libii, 2021, p. 43).
La compétition politique entre l’unitarisme et le fédéralisme au sujet du
choix de la forme de l’État travaille le champ politique et social camerounais
depuis que la résurgence de l’anglophonie identitaire mettant en lumière les
contradictions entre le Stato-Nationalisme hégémonique post-colonial de
facture supra-communautaire et le Multi-nationalisme périphérique décolonial
ou extra-colonial de facture intercommunautaire. Face à une telle situation, les
acteurs de la formation dirigeante camerounaise travaillent précisément à
canaliser le champ décisionnel et opérationnel de « la réforme de
l’aménagement unitaire du Cameroun », pour contrer la mobilisation
d’« idéographies fédéralistes — dont les rémapping fédéraux —

19En dépit de son orientation hyper-réflexive, la vision du fédéralisme communautaire de Mathias


Éric Owona Nguini inclut des éléments organicistes et romantiques de composition ; ceci
montrant qu’elle ne diverge pas complètement de l’orientation du communautarisme populiste,
mais essaie d’en formuler une modélisation raisonnée et raisonnable.
20 C’est dans un tel contexte qu’il convient par exemple d’inscrire le regard politico-doctrinal

de Cabral Libii.

285
communautaires » sont des expressions visant à contester la prévalence d’« une
organisation uniforme du territoire » (Issekin*).
3.B.1. Une viabilité paradigmatique du fédéralisme communautaire en
décalage avec une praxéologie institutionnaliste-conventionnaliste
de la Nation Républicaine
Par ces termes, on veut dire que le référentiel politico-doctrinal et politico-
institutionnel du fédéralisme communautaire au sein de la formation sociale et
étatique camerounaise proposé comme solution institutionnelle substitutive ou
alternative à l’unitarisme même réaménagé doit faire face à la résistance des
formules de nationalisation et de républicanisation attachées à ce courant
dirigeant et dominant. C’est qu’en effet, les tenants du fédéralisme
communautaire relativisent les structures institutionnelles prévalentes au sein
de la machinerie étatique contrôlant les commandes hégémoniques dans la
collectivité englobante camerounaise (Dobry, 1992, p. 116).
Dans la configuration actuelle du débat politico-doctrinal et politico-
institutionnel sur la (bonne) forme de l’État. Les tenants du fédéralisme
communautaire récusent une vision institutionnaliste-nominaliste (une vision
juridiste) ou une vision institutionnnaliste-personnaliste de l’État basées sur des
références hobbesiennes ou bodiniennes de la République. C’est que les
défenseurs du fédéralisme communautaire mobilisant leurs représentations
communautaristes et/ou communautariennes, critiquent la conception statutaire
et étatique de la Nation vue non seulement comme « une collection
d’individus », mais aussi comme « l’individu au plan collectif » distinct
« d’autres individus nations » (Dumont, 1983, p. 189).
La figure de Cabral Libii illustre bien le soutien des tenants du fédéralisme
communautaire surtout dans sa version dure d’orientation romantique,
organicisme et populiste, qui s’exprime clairement quand cette personnalité
politique dit ce qu’il suit : « Le Camerounais se détermine à son village, sa terre
et sa communauté » (Libii, 2021, p. 56). Son positionnement est clairement
expressif d’une conception éminemment corporative de la communauté, d’une
conception de la communauté comme corps intermédiaire basé sur des attaches
affinitaires. Ce positionnement est en concordance avec la vision d’Otto
Von Gierke en termes de « Genossenschaft » laquelle conception souligne le
caractère éminemment associatif et surtout communautaire du « pactum
socialis » (Von Gierke, s.d. pp.1868-1913) (Von Gierke, 2021)21.
Même les défenseurs de la vision politico-intellectuelle du fédéralisme
communautaire comme forme éclairée du fédéralisme communautaire
tempèrent l’institutionnalité bodinienne ou hobbesienne de l’étatisation
camerounaise, en revalorisant une vision contradualiste et mutualiste attentif au

21Otto Von Gierke met bien en évidence l’importance des corporations et du droit corporatif
dans une énonciation pro-fédéraliste dudit pactum socialis, exprimant ainsi son intérêt pour la
place des communautés dans un tel cadre.

286
« pacte national de décentralisation » (Owona Nguini, 2017). Ce faisant, ils
revalorisent une logique de « symbiose » correspondant à des arrangements
politiques et institutionnels, modelant leur offre de réorganisation du pouvoir
étatique camerounais en soulignant l’importance des contrats synallagmatiques
configurés en réseau dans une restructuration de l’organisation souveraine par
l’appel pragmatique du fédéralisme communautaire (Althusius,1932 et 2023).

2. La technologie politique de l’État, de la République et de la


nation face au défi du fédéralisme communautaire comme
paradigme : une critique sociopolitiste de la supputabilité
stratégique
Par ces termes, on veut indiquer que la formulation du fédéralisme
communautaire comme courant politico-institutionnel crédité d’une certaine
faisabilité, exige que les cadres procéduraux et instrumentaux à même de
faciliter l’opérationnalisation de la forme de l’État y liée au sein de la formation
sociale et étatique camerounaise, soient précisées. En effet, il est important
d’envisager les techniques de pouvoir à même de soutenir la mise en œuvre de
la forme de l’État associée au fédéralisme communautaire destiné à
accommoder la communauté politique constituée par le Cameroun, à des
structures institutionnelles régulent « le multiculturalisme » (Bourque,
Duchastel, 2000).
Il s’agit alors d’élucider « le problème de la faisabilité du fédéralisme
communautaire compte tenu des contraintes contextuelles et situationnelles
créées par l’hétérogénéité du Cameroun » (Owona Nguini ; Mballa Elanga,
2022 : 3). Dans cette perspective, il est question d’évaluer la supputabilité
stratégique mitigée d’une technologie pluraliste de l’État et du souverain reliée
au fédéralisme communautaire par une technologie centraliste de l’État
unitaire (A-2) puis de la supputabilité stratégique contestée de la technologie
culturaliste de la République et de la Nation associée au fédéralisme
communautaire challengé par une technologie universaliste de la Nation
Républicaine (B-2).

A.2. La supputabilité stratégique contestée d’une technologie pluraliste


de l’État et du souverain reliée au fédéralisme communautaire
par une technologie centraliste de l’État unitaire

Par ces termes, on veut dire que les instruments d’organisation du pouvoir
étatique liés au Modèle Opérationnel prévalent de l’État léviathanique
camerounais, résistent aux efforts d’institution d’une technologie pluraliste de
l’État et du souverain qu’on appelle au fédéralisme communautaire comme
paradigme structurant et opérant. En effet, la maîtrise du modèle du fédéralisme

287
communautaire comme code stratégique gouvernant la mise en place de la
forme de l’État vouée à organiser la collectivité sociétale et souveraine du
Cameroun, n’est pas acquise, c’est que la capacité du fédéralisme
communautaire à mettre en question « confiance fragmentée, parcellaire » est
discutable pour certains (Toko, 2013, p. 138)22.
Le paradigme du « fédéralisme communautaire » voit sa prévisibilité et sa
lisibilité institutionnelles faire l’objet de remises en causes savantes ou
profanes, c’est que comme le note un analyste « l’imaginaire postcolonial
africain associe volontiers le fédéralisme à la fragmentation politique et à la
conflictualité ethnique » (Kasongo, 2018 : 11). Dans cette optique, il convient
de conduire une évaluation raisonnée, prudente et distancée d’« une
supputabilité stratégique de la technologie social-pluraliste du fédéralisme
communautaire en décalage avec la technologie post-behemothique typique de
l’État unitaire » (1-A-2) puis « d’une supputabilité stratégique de la
technologie associationniste-mutualiste de l’État de fédéralisme
communautaire en déphasage avec la technologie westphalienne de l’État
unitaire » (2-A-2) et enfin d’une « supputabilité stratégique de la technologie
communautariste au fédéralisme communautaire en décrochage avec
l’axiologie immunitariste de l’État unitaire » (3-A-2).
1.A.2. Une supputabilité stratégique de la technologie social-pluraliste du
fédéralisme communautaire en décalage avec la technologie post-
béhémothique typique de l’État unitaire
Par ces termes, on veut souligner que la consistance stratégique du
fédéralisme communautaire comme courant politico-institutionnel à même de
garantir une organisation prévisible et crédible du pouvoir étatique est discutée
par de nombreux opérateurs politiques ou parapolitiques autant que par maints
analystes. C’est par exemple dans une telle perspective qu’un des contributeurs
du présent ouvrage souligne « l’impossible reconstruction d’un habitus fédéral
stricto sensu » à même de garantir une mobilisation pertinente, consistante et
constante des « vertus » de la forme communautaire du « fédéralisme » au sujet
de « la gestion de la diversité aussi bien sécessionniste qu’irrédentiste »
(Biwoni Ayissi*).
Le modèle du fédéralisme communautaire proposé par certains opérateurs
politico-idéologiques (Cabral Libii et dans une moindre mesure Serge Espoir
Matomba) ou exposé par certains analystes-chercheurs (Mathias Éric Owona
Nguini, Edmond VII Mballa Elanga ou Serge Ngaba), voit souvent son
efficacité et son efficience politico-technologiques contestées même par certains
de ses défenseurs : « … le fédéralisme communautaire est-il soluble dans la
République du Cameroun ? Peut-il s’implémenter au Cameroun sans qu’il ne

22 Jérémie Toko s’inscrit dans un courant civique exprimant une forte réserve vis-à-vis des
logiques du Communautarisme.

288
provoque des rejets de par la complexité et la diversité du Cameroun ? »
(Owona Nguini ; Mballa Elanga, 2022, p. 3)23.
La supputabilité stratégique du fédéralisme communautaire en termes de
« gestion du pluralisme ethnique » n’est pas nécessairement acquise en termes
de capacités technologico-politiques, même si ses défenseurs politiques vantent
sa capacité pratique à « fédérer les différences » et surtout à « consolider les
ressemblances » (Bidime Epopa*). C’est que les tenants du fédéralisme
communautaire comme modèle d’organisation du pouvoir étatique à instaurer
pour réguler la collectivité souveraine et sociétale camerounaise restent
confrontés à des défis importants quand il s’agit concrètement de « faire
communauté » (Bidime Epopa*).
Dans le contexte de manifestation exhilatatoire des dynamiques identitaires
et communautaires, les défenseurs du fédéralisme communautaire comme
modèle d’orientation et de structuration institutionnelles autant que
régulationnelles de l’État, font à nouveau face au cours des années 2010 et
2020, aux résistances des acteurs politiques tenant pour « dangereuses » des
« notions comme État ethnique ou fédéralisme ethnique » (Louka, 1994, p. 79).
Où l’on voit que la dynamique de compétition politico-idéologique et/ou
politico-intellectuelle entre modèles d’unitarisme/État unitaire et modèles de
fédéralisme/État fédéral qui s’est installé entre les années 2010 et années 2020,
rend difficile la légitimation opérationnelle du fédéralisme communautaire24.
2.A.2. Une supputabilité stratégique de la technologie associationniste-
mutualiste de l’État de fédéralisme communautaire en déphasage
avec la technologie westphalienne de l’État unitaire
Par ces termes, on veut souligner que des approches de pluralisme social et
culturel dans l’aménagement institutionnel de la souveraineté étatique qui sont
liées à des orientations comme le fédéralisme communautaire envisageable au
sein de la formation sociale et étatique camerounaise pour ses défenseurs,
doivent faire face à l’opposition tenace des promoteurs de l’universalisme
étatique. Ainsi, un des contributeurs du présent ouvrage qui n’est pourtant pas
opposé par principe au modèle du fédéralisme communautaire, n’en relativise
pas moins l’idée que « le néo-fédéralisme camerounais » puisse se faire au gré
des « communautés primaires » en raison de ce qu’il considère comme « leurs
contingences et leur caractère conflictogène (Bidime Epopa*).
La dynamique de proposition ou d’exposition du fédéralisme communautaire
se voit contestée même par certains défenseurs du fédéralisme comme Célestin
Djamen qui procède à une critique idéologique et politique virulente, allant

23 Le scepticisme prudent exprimé par Mathias Éric Owona Nguini et Edmond VII Mballa Elanga,
témoigne de leur fédéralisme communautaire flexible, quand on en vient à l’évaluation de la
faisabilité de ce modèle politico-institutionnel.
24 L’orientation du fédéralisme communautaire envisagée comme évolution possible dans

l’architecture politico-institutionnelle et politico-institutionnelle camerounaise, fait l’objet de


critiques se montrant réservées sur son application.

289
même à parler à ce sujet, de « l’artificiel et illusoire fédéralisme
communautaire » ou « régionalisme communautaire » (Djamen, 2022 : 112).
Dans une logique souvent calculée de dénégation mi-angélique, mi-cynique de
la consistance sociale et culturelle des différentes formes de communautarisme,
cet acteur politique veut ne voir dans le fédéralisme communautaire, « qu’une
nouvelle forme d’États tribaux dans le fédéralisme comme l’État unitaire tribal
et tribaliste peut l’être dans l’État unitaire… » (Djamen, 2022).
Les « défenseurs du fédéralisme unitaire » (une dénomination ressortissant
du barbarisme outrancier et de l’oxymore outrageant au vu du logos juridique
orthodoxe) comme Célestin Djamen récuse la validité politico-institutionnelle,
de tout « fédéralisme multinational », récusant que « l’État fédéral » envisagé
comme « État englobant » travaille à « accommoder la diversité nationale » par
l’admission d’une définition tribale et ethnique de nations plurielles au sein
d’un seul État de facture souveraine (Seymour, 2011, pp. 17-18)25. Où l’on voit
que le référentiel politique qui gouverne la vision de M. Djamen et le conduit à
rejeter le fédéralisme communautaire comme forme du fédéralisme
multinational, est fondé sur l’idée que les nationalités-communautés ou
nationalités-peuples ne peuvent être intégrées de manière supputable et
calculable dans l’organisation constitutionnelle de la forme de l’État au sein de
la collectivité sociétale et souveraine camerounaise.
Les tenants du fédéralisme territorial comme le promoteur du « fédéralisme
unitaire » en viennent souvent dans une optique de cécité authentiquement
candide ou faussement candide à la structuration socio-anthropologique effective
de formations sociales plurales/plurielles comme la collectivité sociétale et
souveraine camerounaise, à méconnaître le fait pourtant établi et atteste que le
« fédéralisme a souvent été considéré comme le mécanisme privilégié
d’accommodement de nations multiples dans un seul État et de gestion de la
diversité » (Nootens, 2011, p. 21). Où l’on voit que l’inconscient jacobiniste en
lien avec une conception transcendantiste et universaliste de la Nation existe
encore chez certains fédéralistes camerounais dont le souverainisme n’est pas bien
distinct de celui affiché par les unitaristes de ce pays.
3.A.2. Une supputabilité stratégique de la technologie communautariste liée
au fédéralisme communautaire en décrochage avec l’axiologie
immunitariste de l’État unitaire
Par ces termes, on veut souligner que la perspective politico-institutionnelle
de normalisation du fédéralisme communautaire comme modèle qui ressortit du
fédéralisme multinational, doit faire face à l’opposition des défenseurs de la
coalition dirigeante camerounaise toujours soudée autour de la vision d’un
Cameroun un et indivisible. En effet, le groupe gouvernant se fondant sur son

25Le logos du communautarisme fait l’objet d’une vive opposition de Célestin DJAMEN qui tente
de lui substituer un républicanisme éthéré qui n’en opère pas moins comme un communautarisme
refoulé.

290
expérience conserve une confiance relative mais effective à la technologie
politico-gouvernante d’une « intégration par en haut » (from above), même s’il
a admis des concessions en adoptant à la technique régulationnelle modératrice
et modulatrice de l’État unitaire décentralisé (Fogui, 1990, p. 337)26.
Les défenseurs communautariens ou populistes du fédéralisme
communautaire comme modèle envisageable au sein du complexe sociétal et
souverain camerounais entre les années 2010 et les années 2020 considèrent
que ce modèle est inconditionnellement (pour les populistes) ou
conditionnellement maîtrisable (doté de calculabilité et de supputabilité). Les
tenants de la version populiste du fédéralisme communautaire soulignent avec
netteté le fond primordialiste de leur conception. Ainsi, Cabral Libii voit le
fédéralisme communautaire, un « compromis » qui « ne peut être trouvé que
dans une forme de l’État qui fédère avec équité les différences entre les peuples
camerounais ; qu’il s’agisse des « différences sociologiques et
anthropologiques ayant précédé la domination allemande et franco-
britannique » ou des « différences systémiques, politiques et culturelles nées de
cette domination » (Libii, 2021, p. 38)27
Face à la visée de gestion avisée de la diversité communautaire au sein de
l’hyper-ensemble souverain et sociétal camerounais des contributeurs du
présent ouvrage considère que celui-ci soulève de manière pratique des
problèmes consistants de supputabilité stratégique : « … le modèle de
fédéralisme communautaire à implémenter au Cameroun demeure inopérant
lorsqu’il ne semble pas prendre en compte toutes les réalités socio-historiques
de ce pays d’Afrique centrale » (Wangba*). Renchérissant, cet analyste ajoute :
« L’histoire du Cameroun n’a pas été l’histoire des communautés ethniques sur
« leurs » territoires mais, l’histoire de ces communautés sur « un territoire »
pour des enjeux géopolitiques et géoéconomiques ». C’est qu’en effet, la
dynamique multi-communautaire/multinationale de la diversité a toujours fort à
faire avec les contraintes lycanthropiques d’une étatisation postcoloniale
camerounaise dont la tropicalisation n’élimine pas les marques hobbesiennes
(voire bodiniennes ou machiavélienne)28
La « dénonciation politique du centralisme étatique » qui transparaît dans
la mobilisation militante des défenseurs du fédéralisme communautaire

26 Un tel état de choses qui révèle la référence forte et persistante de l’ordre gouvernant
camerounais à l’unitarisme dur, renvoie bien entendu à une longue historicité d’intégration par
le haut liée à une intelligence monopoliste des politiques d’unité nationale et d’intégration
nationale entre 1966 et 1990 (période de prévalence de l’État de Parti Unique). On peut alors
comprendre le rapport de prédilection de cet ordre gouvernant pour l’unitarisme centralisé ou
décentralisé.
27 Cabral Libii exprime avec force une position qui soutient l’existence de la pluralité des peuples

camerounais, que l’unité de l’Etat ne saurait masquer.


28 La « perspective lycanthropique » associée à construction principautaire et centralisatrice des

ordres politiques stato-territoriaux s’oppose clairement à la perspective symbiotique du


multicommunautarisme.

291
(envisagé dans sa version dure), ne doit pas moins faire face aux stratégies
politiques et idéologiques des tenants de l’unitarisme ; ces derniers travaillant
à atténuer puis à résorber le retour dans les années 2010 aux années 2020 à
« la crise qui frappe l’universalité du modèle politique unitaire au
Cameroun » (Menthong, 1996 : 161). Ainsi, les choix structurants de
consolidation administrative de l’État unitaire décentralisé (acquis
constitutionnellement en janvier 1996) par le code général des collectivités
territoriales décentralisées (adopté en décembre 2019) ressortissent de ces
manœuvres juridico-politiques et stratégico-politiques aidant à la canalisation
des revendications et mobilisations fédéralistes.

B.2. La supputabilité stratégique contestée de la technologie culturaliste


de la République et de la nation associée au fédéralisme
communautaire par une technologie universaliste de la nation
républicaine

Par ces termes, on veut faire entendre que les approches procédurales et
instrumentales envisagées à titre de techniques politiques d’organisation
étatique du pouvoir par les promoteurs du fédéralisme communautaire font
concrètement face à la résistance des technologies unitaristes de structuration
étatique du pouvoir. C’est que comme cela avait déjà été le cas dans la
conjoncture de transition des années 1990, on a affaire alors à des luttes sur la
forme de l’État au sein du macrocosme sociétal et souverain camerounais ; des
luttes révélatrices d’un véritable « chassé-croisé entre l’unité et le pluralisme »
(Menthong, 1996).
La crise de l’anglophonie identitaire relancée en octobre 1996 a favorisé
le retour d’une compétition politico-idéologique, politico-intellectuelle ou
politico-institutionnelle entre les modèles respectifs et concurrents de la
Nation et de la République configurés par les doctrines du fédéralisme
(fédéralisme communautaire inclus) et de l’unitarisme. Dans cette
perspective, il convient de procéder d’abord à une évaluation tempérée et
réflexive d’une supputabilité stratégique de la technologie multinationaliste
du fédéralisme communautaire en déphasage avec la technologie supra-
communautariste de la République unitaire (1-B-2), puis à celle d’une
supputabilité stratégique de la technologie consociationniste de la nation
associée au fédéralisme communautaire en décrochage avec une technologie
institutionnaliste de la Nation dans l’État postcolonial unitaire (2-B-2) et
enfin pour celle d’une supputabilité stratégique de la technologie
multipersonnaliste du fédéralisme communautaire en décalage avec la
technologie supra-individualiste au sujet de la Nation Républicaine unitaire
(3-B-2).

292
1.B.2. Une supputabilité stratégique de la technologie multinationaliste du
fédéralisme communautaire en déphasage avec la technologie supra-
communautariste de la République unitaire
Par ces termes, on veut mettre en lumière le déploiement tensionnel et/ou
conflictuel de la relation entre les modèles procéduraux et opérationnels
respectifs du fédéralisme communautaire et de l’unitarisme en ce qui concerne la
mise en place et la mise en œuvre de l’architecture Républicaine au sein de la
collectivité sociétale et souveraine camerounaise. La conception fédéraliste-
communautaire de la République envisage ce corps politique disposant de la
pleine puissance souveraine dans une logique intellectuelle et technique relavant
d’un État composé qui correspond à la figure baroque/composite plutôt que
classique/épurée de la « République ethnique » (Okah Atenga, 2021, p. 105)29.
Dans l’optique des défenseurs du fédéralisme communautaire, l’énonciation
de la République comme collectivité garante d’une destinée commune se construit
à travers « un fédéralisme des peuples » (Libii, 2021, p. 38). Avec un tel
positionnement, le principe fondamental de l’égalité républicaine quoique
maintenu, est soumis de manière pragmatique à des réajustements aussi bien
politico-moraux que politico-institutionnels. Où l’on voit comment les solutions
institutionnelles à opérationnaliser sur la base des référentiels communautaires
associés aux versions du fédéralisme communautaire, montrent comment se
construisent des procédures juridico-politiques destinées à gérer empiriquement
une « ethnicité républicaine » qui prend le contrepied d’un logos universaliste de
la République et n’a pas une perception tabouée des conduites camerounaises
relevant de l’« ethnicisation du politique » (Geisser, 2005, pp. 19-20).
La logique du fédéralisme communautaire marquée par les procédures
autonomiques en forme de statut personnel sur le mode du Millet/Milliyet, fait
face à la persistance de dynamiques fonctionnelles et territoriales
d’organisation du pouvoir étatique révélatrices de l’inertie centraliste associée
à l’héritage institutionnel et décisionnel des « politiques impériales de gestion
des territoires » liées aux formes fondatrices de l’unitarisme et de l’État
unitaire, dans les années 2010 et 2020 (Owona Nguini, 1994, p. 10). Face à la
montée en régime de mobilisations fédéralistes et séparatistes liées à la crise de
l’anglophonie identitaire, l’ordre dirigeant récuse « tout débat sur
l’indivisibilité de l’État du Cameroun » lorsque le Premier ministre Dion Ngute
fait à ce sujet une offre de dialogue (Ngniman, 2019, p. 111)30.

29 Pierre Okah Atenga malgré la réserve qu’il exprime au sujet du communautarisme ethnique,
n’en reconnait pas moins que les dynamiques d’historicité et de socialité des collectivités
sociétales et souveraines africaines sont contraints de faire avec la « République ethnique »
évoqué par Vincent Geisser.
30 À l’occasion, par l’entremise du Premier ministre Joseph Dion Ngute, l’ordre gouvernant

camerounais réitère la fermeté de son engagement unitariste et universaliste, engagement


réaffirmant sa défense de l’indivisibilité stato-nationale du Cameroun alors qu’il envisage un
Grand Dialogue National.

293
L’optique populiste-communautariste de fédéraliste communautaire conçoit
l’État/République comme étant prioritairement le « fruit du contrat social »,
dans une logique où cet État/République est un « compromis entre le peuple et
lui-même » (Libii, 2021, p. 77). Où il apparaît que cet État/République se
présente de manière organique comme « un Cameroun réel et cohérent des
peuples » et non comme une puissance mécanique d’ordre léviathanique.
Pourtant, l’équilibre institutionnel prévalent des tensions ne correspond pas
encore à une telle architecture mutualiste et contractualiste fondée sur la force
grégative ou corporative des communautés. Au contraire, la logique
hégémonique persistante de l’organisation étatique du pouvoir dans la
collectivité sociétale et souveraine ressortit d’une évolution institutive de la
« structure fédérative de 1961 » et de son « pacte fédératif » en un tout
indivisible unitaire » conservé par la prévalence de son « pacte statutaire » qui
continue à neutraliser les projections du « néo fédéralisme camerounais »
(Beaud, 1997, pp. 197-270 et Biwoni*).
2.B.1. Une supputabilité stratégique de la technologie consociationniste de
la nation associée au fédéralisme communautaire en décrochage
avec une technologie institutionnaliste de la Nation dans l’État post-
colonial unitaire
Par ces termes, on veut souligner que les différentes versions du fédéralisme
communautaire envisagées comme expressions de ce courant politico-
institutionnel correspondant aux techniques nomiques et organiques du
fédéralisme multinational, est confronté à la résistance d’un unitarisme doté d’un
fort ancrage souverainiste au sein de la collectivité sociétale et étatique
camerounaise31. Même la pragmatique institutionnelle et régulationnelle souple
du « fédéralisme communautarien » qui relativise la compétition
fédéralisme/unitarisme en envisageant son « pacte de décentralisation » reste
attentif à une dynamique symbolique et consociationnelle (Owona Nguini, 2017).
La version souple du fédéralisme communautaire envisage un « système
institutionne et gouvernant fondé sur des mécanismes à la fois représentatifs et
consociatifs » qui a vocation à asseoir un État multinational et multiculturel,
correspondant au « fédéralisme communautarien » mais qui peut « être initié à
travers un schéma avancé et approfondi de Décentralisation »32. La logique qui
modèle la version dure du fédéralisme communautaire défendue par Cabral
Libii se fonde sur une orientation consociationniste car il défend précisément
« le fédéralisme des peuples constitutifs de la nation unie » (Libii, 2021, p. 38).
Une telle logique met en valeur une offre politico-institutionnelle basée sur des

31 Cet Unitarisme est un courant politico-institutionnel qui domine nettement les milieux
gouvernants camerounais caractérisés par leur accoutumance à l’hégémonie sociétale et
souveraine.
32 On voit ici la souplesse stratégique et pragmatique de la rationalité institutionnelle du

« fédéralisme communautarien » esquissé sur le mode politico-théorique par Mathias Éric Owona
Nguini.

294
techniques politiques consociationnistes d’action et d’organisation du pouvoir
orientées vers un légalisme autonomique et/ou romantique.
Les différentes versions du modèle de fédéralisme communautaire exposées
et/ou proposés au titre de l’outillage politico-institutionnel et politico-régulationnel
d’organisation de la forme de l’État au sein du macrocosme sociétal et souverain
camerounais, s’efforcent de mettre à disposition des technologies de pouvoir et de
gouvernement ressortissant d’une politique de « communautarisation productive »
(Owona Nguini, 2021, p. 177). Pourtant, les opérateurs stratégiques de la coalition
dirigeante qui dispose des commandes étatiques camerounaises continuent de
défendre la validité opérationnelle du modèle de l’unitarisme. Sous ce rapport,
l’écosystème politico-institutionnel et politico-gouvernant camerounais des
années 2010 à 2020 présente des homologues structurelles et fonctionnelles avec
celui des années 1990 et 2000. « Le discours sur la décentralisation, le
régionalisme, la fédération et même la sécession… marque l’ancrage,
l’enracinement de la culture de l’État » (Menthong, 1996, p. 181).
Wogaing et Ouambo Ouambo* affirment que le Féderlisme communautaire
« n’est pas une solution miracle face à la complexité des problèmes auxquels un
État aussi diversifié que le Cameroun peut être confronté ». Où l’on voit que si
les procédures de régulation de l’ensemble sociétal étatique camerounais par
les solutions organiques et stratégiques fondées sur le modèle du fédéralisme
communautaire font l’objet d’esquisses et débauches, tous les acteurs qui en
prennent connaissance, ne les partagent pas nécessairement. C’est que le débat
relatif à la pertinence et à la consistance du fédéralisme communautaire comme
courant politico-institutionnel orienté vers une forme autonomique et démotique
de l’État est tempéré par des stratégies unitaristes combattant la « parcellisation
de l’identité nationale » (Menthong, 1996, p. 149)33.
3.B.2. Une supputabilité stratégique de la technologie multipersonnaliste
du fédéralisme communautaire en décalage avec la technologie
supra-individualiste au sujet de la nation
Par ces termes, on veut mettre en évidence le fait que les chaînes de
procédures et les paquetages de techniques gouvernantes associées au
fédéralisme communautaire comme courant politico-idéologique, politico-
institutionnel et politico-régulationnel, sont en opposition avec les montages et
assemblages correspondants liés à l’unitarisme comme courant concurrent qui
prévaut au sein de la formation sociale et étatique camerounaise34. Le modèle
du fédéralisme communautaire correspond à une institutionnalité congrégative
et consociative dont la forme organique correspond à « la symbiose » comme
mode de configuration et d’action (Althusius, 2003).

33 La conjoncture historique des années 2010 aux années 2020 reproduit relativement les
conditions de compétition entre courants politico-institutionnels (unitarisme, fédéralisme,
régionalisme) qu’Hélène-Laure MENTHONG évoquait déjà dans les années 1990.
34 L’opposition entre unitarisme et fédéralisme reproduit le chassé-croisé entre unité et pluralisme

qu’Hélène-Laure Menthong avait déjà étudié.

295
La forme catégorique du fédéralisme communautaire exprimée chez Cabral
Libii qui met l’accent sur « son caractère doctrinal » plutôt que sur les
« dimensions institutionnelles et normatives » et du « fédéralisme », est modelée
par son attachement pour le personnalisme que pour le fonctionnalisme (Libii,
2021, p. 21). Cela signifie qu’elle accorde une place importante à une logique
organisatrice de statut personnel ; laquelle logique souligne le rôle décisif de
mécanismes régulationnels relevant du système du Millet/Milliyet. Dans cette
perspective qui envisage de poser le fédéralisme communautaire comme offre
institutionnelle et régulationnelle, l’on se montre fort préoccupé par le rôle des
communautés comme composantes politico-culturelles et sociopolitiques
correspondant à des personnes corporatives/consociatives intervenant dans
l’organisation du pouvoir au sein de la collectivité camerounaise envisagée en
tant qu’« État Multinational » (Owona Nguini, 2017).
Les différentes versions du fédéralisme communautaire exposées et/ou
proposées dans le débat public camerounais entre les années 2010 et les
années 2020, correspondent à la modélisation plus ou moins élaborée d’une
« théorie de l’association symbiotique » de facture
communautaire/communautarienne dont la configuration est fort proche de la
pensée althusienne (Vorster, 2015, p. 30). Pour autant, un des contributeurs du
présent ouvrage n’en soulève pas moins les obstacles à une matérialisation
avisée du fédéralisme communautaire dans la pragmatique institutionnelle
camerounaise soulignant que « l’identification et la constitution des différents
blocs communautaires sur lesquels devrait s’adresser le système d’action public
(sic) avec l’État n’est pas simple avec des réalités intra-communautaires
hétéroclites et disparats sur l’étendue du territoire camerounais » (Bekombo,
Jabea*).
Les logiques politico-intellectuelles et/ou politico-idéologiques favorables à
une dynamque de manifestation pragmatique du fédéralisme communautaire
dans le macrocosme sociétal et souverain camerounais, œuvrant en faveur
d’une « communauté constitutionnelle transethnique » posée comme
« communauté des communautés » (Gouemo, 2009, pp.76-77). Elles visent ainsi
à instituer un État multinational fondé sur des bases sociales soumises à un
aménagement politico-institutionnel et socio-politique autonomique. Il apparaît
toutefois que la structuration et la mobilisation stratégiques de procédures et
techniques institutionnelles ou régulationnelles destinées à opérationnaliser une
architecture constitutionnelle et légale d’un État de fédéralisme communautaire
dans la collectivité sociétale et souveraine camerounaise, sont aussi tenues
d’atténuer et de réguler les « risques d’explosion » liés à la « quête effrénée de
la visibilité qu’augure l’application du fédéralisme communautaire dans les
esprits au Cameroun » (Bekombo Jabea*)35.

35
Claude Bekombo Jabea s’inscrit dans le courant du communautarisme régulé tout comme
Mathias Éric Owona Nguini, Edmond VII Mballa elanga ou Serge Ngaba

296
La formation sociale et étatique camerounaise modelée par une longue
tradition d’unitarisme largement basée sur des modes et modules de
centralisation est marquée depuis 2016 par une radicalisation des
revendications et mobilisations démotiques. Ce faisant, cette formation sociale
et étatique est travaillée par une « politique d’idéalisation du fédéralisme » dont
l’un des expressions est précisément le fédéralisme communautaire ainsi advenu
dans le débat public camerounais (Menguele Menyengue, 2018, p. 82). Dans
une telle conjoncture de contestation de l’unitarisme, la nostalgie fédéraliste va
favoriser la construction sociale-historique et sociale-politique du « mythe de
l’État fédéral comme forme d’État idéal pour le Cameroun » (Menguele
Menyengue, 2018, p. 84).
Confronté à « une déconstruction par le bas » s’appuyant sur les chaînes
pro-fédéralistes de revendication/mobilisation, les opérateurs de la coalition
dirigeante contrôlant les commandes étatiques camerounaises, vont utiliser le
statut spécial conféré aux régions dites anglophones du Nord-Ouest et du Sud-
Ouest « en créant des entités sub-étatiques autonomes en vue de prendre en
charge la pluralité démotique dans sa spécificité propre en vue d’impulser (par)
la technique administrative et politique de la décentralisation » comme une
« déconstruction de l’État-nation par voie médiane »36. A l’analyse, il convient
de voir que les processus évoqués de déconstruction appellent dialectiquement
des processus entamés de reconstruction.
Les logiques politico-intellectuelles et/ou politico-idéologiques de
propagation du fédéralisme communautaire au sein de l’ensemble sociétal et
souverain camerounais sont des orientations qui interviennent dans une
conjoncture de disqualification calculée ou marquée du « centralisme
étatique » (Lado et Mballa Elanga, 2018). Pour autant, leur avènement
symbolico-mobilisationnel ou pratico-mobilisationnel n’a pas conduit à une
supplantation automatique du courant unitariste par le courant fédéraliste en
ce qui concerne l’organisation de la forme de l’État concernant la collectivité
sociétale et souveraine camerounaise. Cela signifie que le recours/retour au
fédéralisme ne s’est pas (mécaniquement) imposé comme « solution
institutionnelle » permettant de résorber la « conjoncture critique » ouverte par
la radicalisation armée de l’anglophonie identitaire.
Les défenseurs du courant fédéraliste opérant dans les années 2010 et 2020
travaillent comme leurs prédécesseurs des années 1990 et 2000, à construire
les « revendications fédéralistes » comme « un problème de société » bien
plus large que la seule exigence « d’une nouvelle organisation de l’État »
(Louka, s.d, pp. 86-87). Dans cette optique, s’inscrivent bel et bien les tenants
du fédéralisme communautaire dont l’approche juridico-politique, organico-
politique et socio-politique du fédéralisme comme orientation envisageable

36 La position de Jean Tabi Manga qui révèle du régionalisme normé ou normo-régionalisme


recoupe dans une certaine mesure le communautarisme régulé et policé lié au « fédéralisme
communautarien », surtout en raison de son subtil alliage entre herméneutique et pragmatique.

297
pour réorganiser l’architecture constitutionnelle et institutionnelle de la
collectivité sociétale et souveraine camerounaise met l’accent sur les
caractéristiques socio-culturelles, plutôt que sur les caractéristiques politico-
légales37.
Le « fédéralisme communautaire » qui « est axé sur la fédération des ethnies
ou des communautés en fonction de leur origine ou de leur religion » va
s’opposer au sein du courant fédéraliste exprimé dans le « champ social et
étatique camerounais au fédéralisme territorial » fondé sur le « système
d’organisation et d’administration de l’État fédéral » (Tshiyembe, 2012, p. 19).
Où l’on voit qu’il existe au sein même du courant fédéraliste camerounais
régénéré, une compétition intellectuelle et idéologique autant que normative
entre les tenants du fédéralisme communautaire et les défenseurs du fédéralisme
territorial, tension symbolisée par les désaccords entre Cabral Libii et Célestin
Djamen et révélatrice de leurs divergences profondes38
Comprendre les divergences et concurrences opposant ces différents
opérateurs politiques envisageant le courant fédéraliste comme orientation
alternative pouvant se substituer à l’unitarisme est un élément important en vue
d’une caractérisation sociologique et politologique appropriée de la complexité
de l’espace des positions et de prises de position sur la forme de l’État. Les
divergences sont expressives de la complexité politique constitutive de
l’ensemble sociétal et souverain camerounais travaillé et traversé par une
configuration polysegmentaire et pluri-sectionnelle significative. En effet, le
courant fédéraliste camerounais est marqué par la tension marquante et
déterminante contre les tenants du fédéralisme territorial ancien (le modèle
biculturel de 1961 à 1972) ou nouveau (le modèle fondé sur 10 États fédérés
résultant des 10 régions) et les partisans du fédéralisme communautaire (en lien
avec les régions identitaires ou communautaires, comme États fédérés).
À l’analyse, le « fédéralisme communautaire » ouvre un espace
nouveau/inédit de réflexion et de discussion sur les formes éventuelles de
réaménagement fédéral de l’État, comportant néanmoins un « risque permanent
de confrontation intercommunautaire corollaire de l’extrême morcellement de la
société politique camerounaise » (Mballa Elanga et Ngaba*). C’est qu’en effet ce
modèle est susceptible d’alimenter des dynamiques supplémentaires et
croissantes de fragmentation identitaire et de tension intercommunautaire. Les
défenseurs de la version modérée et souple du fédéralisme communautaire
soulignent que « la contestation de l’autorité de l’État central » peut être « le
paroxysme des effets pervers de l’implémentation du fédéralisme communautaire
à base ethnique au Cameroun » (Mballa Elanga et Ngaba*).

37 En raison de cette orientation, les différents courants du fédéralisme communautaire


ressortissent du fédéralisme sociologique ou anthropologique.
38 Le conflit onto-axiologique et praxéo-technologique entre le fédéralisme communautaire de

Cabral Libii et le fédéralisme unitaire de Célestin Djamen est radical. Ce conflit exprime la nette
divergence de ces acteurs politiques sur la manière de cartographier le fédéralisme.

298
Un autre tenant du courant communautarien comme version modérée du
fédéralisme communautaire souligne sa compréhension prudente et relativiste
de ce modèle : « Si on choisit plutôt un fédéralisme identitaire ou
communautaire défini autour des grandes constellations ethniques et ethno-
régionales, ça va poser des problèmes identitaires de conflits entre les majorités
communautaires qui se trouvent dans les États fédérés et les autres groupes »
(Owona Nguini, 2019). Il apparaît ainsi qu’à l’instar du modèle étatique
éthiopien à base ethnique, un modèle homologue de fédéralisme communautaire
camerounais ne sera pas mécaniquement assuré de disposer d’une « stabilité
démocratique », laquelle exprimerait sa capacité à domestiquer l’échange
sociétal et souverain entre les différentes nationalités communautaires et
identitaires constitutives de la formation sociale et étatique camerounaise
(Heroux, 2016).
La logique modérée du fédéralisme communautaire fondée sur le logos
communautarien comme expression raisonnable et raisonnée est
pragmatiquement compatible avec le « régionalisme » ; lequel régionalisme
correspond à « l’autonomie donnée aux régions, définition et réalisation des
politiques économiques, sociales et culturelles en faveur des communautés »
(Tabi Manga, 2020, p. 153). C’est que « l’argumentation en faveur du retour au
fédéralisme, pour pertinente qu’elle soit aux yeux de ses partisans, a le défaut
d’une qualité », car « il s’agit d’une idéalisation. Mais d’une idéalisation
politique démesurée », ceci d’autant plus qu’« aux yeux de la plupart des
Camerounais, le fédéralisme ne résout pas tous les problèmes » (Tabi Manga,
2020, p. 153).

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301
APPENDICE
LE FÉDÉRALISME COMMUNAUTAIRE EST-IL SOLUBLE DANS
LA RÉPUBLIQUE ?

Célestin DJAMEN

Il conviendrait, dans une approche scientifique et dans un premier temps, de


fixer un champ de définition des termes que nous sommes amenés à échanger.
Tout d’abord la définition de la communauté dans l’ouvrage duquel s’inspire le
débat actuel reste contextuellement floue pour ce qui est du Cameroun. Si le
fédéralisme est une forme juridique d’administration et de gouvernance de
l’État, juridiquement bien établie et largement pratiquée dans le monde entier,
on ignore tout de la notion de la communauté. Est-ce un groupement ou un cercle
linguistique, ethnique, et/ou culturel ? Dans sa définition classique la plus
simple, une communauté est un groupe de personnes unies par un lien social,
lequel lien n’étant aucunement limitatif, on pourrait allégrement parler ici de
communauté institution. Les groupements d’intérêts qui jonchent le paysage
sociétal ne sont-ils donc pas aussi des communautés, alors qu’ils sont, eux aussi,
des « sujets de droit » habilités à « revendiquer une propriété » ? Non, la
communauté au Cameroun, et nulle part ailleurs, n’est pas seulement
sociologique, ni sur le plan institutionnel ni sur le plan sémantique ! La
cantonner à l’un de ces deux espaces de pensée, sociologique ou linguistique,
participe de l’embrouillamini évoqué plus haut ! De mon point de vue, même
les membres et sympathisants d’une formation politique constituent une
communauté. Le fédéralisme communautaire n’est à mon avis qu’un cache-sexe
du régionalisme identitaire. C’est précisément de ça qu’il s’agit.
En son temps, Jean Jacques Rousseau affirmait, et ce sans ambages, que :
« l’homme est un animal social ». C’est dire en d’autres termes que la société
constitue en elle-même, l’environnement indiqué, sinon le seul milieu au sein
duquel l’homme peut opérationnaliser son accomplissement multidimensionnel,
au milieu duquel on peut confronter ses idées et son propre caractère. Depuis
quelque temps, les questions sur l’ethnicité en politique inondent les plateformes
sociomédiatiques camerounaises subodorant que l’ethnicité peut être un outil de
débat ou d’analyse des enjeux politiques. Tout en respectant la libre pensée des
différents auteurs ou analystes, il nous urge de démontrer que le mélange de
genre, pour la clarté du message, n’est jamais une approche judicieuse. Il est en
effet malsain de croire que l’ethnie (que personne n’a choisie à sa naissance)
fasse l’objet d’un débat sérieux susceptible de remplacer la bataille des idées.
Nous croyons bien au contraire fermement que loin d’être antinomiques, la
tribalité et la citoyenneté peuvent coexister sans heurts au sein de la nation
camerounaise qui se veut avant tout plurielle, quoiqu’indivisible. « Nous ne
sommes pas des détribalisateurs » comme le rappelait à juste titre le M’podol

305
Ruben Um Nyobe, cité dans mon ouvrage le fédéralisme unitaire* « mais nous
sommes farouchement opposés à l’instrumentalisation de la tribu ou de la
communauté ethnique dans le champ politique »
Ce qu’il y a à préserver, quelle que soit la forme de l’État c’est l’unité de
notre cher pays. Nul ne sera de trop pour la préserver, la bonifier et la consolider
encore davantage. L’identité est évolutive, c’est dire à quel point il s’avère
dangereux d’emprunter un terrain aussi glissant que funeste sur la question de
l’ethnie en politique tant il semble évident qu’en la matière, seul devrait compter
le débat d’idées. Les identités meurtrières, loin d’être une vue de l’esprit,
constituent malheureusement dans la plupart des cas le terreau fertile des
comportements fratricides. C’est sous cette loupe que nous aborderons au vu de
ce qui précède la problématique des constructions identitaires dans un premier
temps pour ensuite égrener ce qui nous paraît comme actions à mener pour
dissuader les apprentis sorciers de tous bords, adeptes du fédéralisme
communautaire, à ensemencer le mal. C’est bien connu, les mots mal formulés,
créent des maux.

1. Les constructions identitaires

Si, de manière générale, la (dé)nomination ou l’acte de nommer se présente


à la fois comme un acte de catégorisation et de référenciations d’une portion
quelconque de l’univers, il y a lieu de dire qu’au Cameroun en particulier, il est
loin d’être perçu comme une entité « vide de sens », c’est-à-dire
sémantiquement et symboliquement gratuit, relevant d’une coquetterie de
langage ou d’un fait d’élégance linguistique. On peut ainsi observer que la
macro-toponymie (noms de quartiers ou des villages) et l’anthroponymie (noms
de personnes) reposent sur des liens de causalité avec les structures sociales,
culturelles, linguistiques, historiques ou mentales qui les génèrent, et leur
fonctionnement lexico-sémantique met en évidence les relations qui se tissent
entre « pratique de l’espace, pratique langagière et pratique sociale.
La dénomination repose sur des constructions identitaires façonnées par
l’environnement socioculturel et sociolinguistique polyphonique qui les
conditionnent, « je suis bassa’a », « je suis bamileké » ou encore « je suis
Ékang-beti avec toutes les connotations et inclusivités que cela entraîne. Étant
entendu que les identités sont des « constructions » comme le dit Eboussi
Boulaga c’est-à-dire « des opérations spécifiques de quelque art de construire »
qui reposent sur un lieu, un « milieu de vie, de pensée et d’action dans lequel un
groupe se reconnaît.
« Le Cameroun c’est le Cameroun », pour reprendre une très célèbre formule
patriotique assez récurrente. En effet, notre pays de taille moyenne, 475 000 km2
et 19 millions d’habitants en 2005, frappe par sa diversité (culturelle, ethnique et
linguistique). On parle d’une société complexe dont le patriotisme recouvre les

306
consciences identitaires diverses, une nation dont l’unité consensuelle repose sur
de délicats équilibres, et qui tire de sa pluralité même un poids géopolitique envié.
Cette caractéristique qui fait « l’exception camerounaise », cette exception
plurielle est la marque du Cameroun que nul ne peut ignorer. Ce cosmopolitisme
ambiant fait d’office interdiction à quelque aventurier que ce soit de parler de
politique d’intégration qui n’a aucun sens chez nous puisque précisément c’est
notre cosmopolitisme qui fait notre identité. Même s’il n’y a pas du tout d’unité
géographique et encore moins linguistique dans ce pays dont les frontières ont été
délimitées depuis 1921 par La Société des Nations (SDN), il n’en demeure pas
moins vrai que les Camerounais ont ENSEMBLE choisi leur destin : s’unir dans
la diversité et préserver comme la prunelle de leurs yeux L’Unité nationale, la
forme de l’État ne peut la remettre en cause. Au cœur de cette mosaïque de peuples
se trouve donc l’ethnie, fondée sur une souche commune : la langue, un territoire
plus ou moins mythifié, le « village », et des traits socioculturels incluant
coutumes, modes d’agir et de penser. Et alors ... ? serai-je tenté de dire !
Le tribalisme n’est pas un phénomène nouveau au Cameroun, il remonte
d’ailleurs à la période de la colonisation allemande. Il constitue avec le régionalisme
identitaire un véritable frein au développement, c’est bien connu. Le fédéralisme
communautaire qui s’oppose ainsi au fédéralisme unitaire (celui qui préserve
L’UNITÉ des Camerounais) n’est pas et ne sera jamais, Dieu merci, soluble dans la
République. La République n’a qu’une communauté : la communauté des citoyens
et des patriotes, toute autre assertion met en danger cette République. Nier
l’existence des tribus est aussi incongru que tribaliser la République, sur les deux
segments c’est une voie sans issue. Nous sommes pluriels et fiers de l’être. Cette
mosaïque culturelle est une force, pas une faiblesse. Nous sommes résolument pour
le fédéralisme unitaire, du moins tant que personne ne nous aura défini le mot
« communautaire », l’adjectif unitaire ne devant en rien être confondu avec la forme
unitaire de l’État bien entendu.
Nous nous opposons fermement au Fédéralisme de division communément
appelé fédéralisme communautaire et porteur du germe du séparatisme. Le
fédéralisme unitaire s’affirme à l’opposé comme une forme de l’État qui unit et
qui rassemble. Dickson EYO, éminent universitaire, enseignant à l’université de
Toronto s’interrogeait déjà sur le danger d’une citoyenneté ethnique. Selon lui,
il existe deux conceptions contradictoires de la citoyenneté d’appartenance :
celle inclusive et actée par la gouvernance postcoloniale universaliste qui
affirme que les citoyens sont égaux en Droits et en Devoirs et l’autre coloniale
qui focalise sur l’appartenance ethnique ou tribale, bref sur la citoyenneté
ethnique qui met l’accent sur le territoire ancestral. En effet Dickson EYO
illustre ce qu’il ne faut pas faire en matière de République : confondre
République et « républiquette ». La République qui a gravé ses principes et ses
valeurs pérennes dans la Constitution ne peut concevoir d’autres types de
communauté que citoyenne et institutionnelle. Qu’en est-il donc des actions
qu’il convient de mener pour l’avènement d’une République dépouillée de ses
oripeaux tribalistes ?

307
2. Stratégies et actions

Il en va des constructions qui précèdent les actions malheureuses et


désintégratives comme des solutions qui mettent un terme aux errements. Ainsi
sommes-nous conduits à évoquer quelques éléments de réponse à l’envoûtement
collectif qui gagne jusqu’aux personnes les plus insoupçonnables.
1. Seuls le dialogue et l’échange de toutes les catégories sociales assurent le
progrès de tous à long terme. Les Camerounais ne doivent pas seulement
tenir un discours de tolérance, ils doivent être tolérants.
2. Il faut implémenter le fédéralisme unitaire tel que défini par l’homme
politique Célestin DJAMEN, auteur de l’ouvrage éponyme. Il nous faut,
sous les cendres de la décentralisation jamais vraiment implémentée,
mettre en place un fédéralisme qui unit et qui rassemble au-delà des
paradigmes régionalistes et communautaristes.
3. Le Cameroun a besoin d’un fédéralisme soluble dans la République, un
fédéralisme qui protège la culture de chacun et de tous, un fédéralisme
humaniste et solidaire, un fédéralisme qui unit tout simplement. La nation
n’absorbe ni ne dissout les tribus bien au contraire, elle les protège contre
les imposteurs et les libérateurs de la 25e heure.
4. On gagnerait à ne pas confondre CULTURE et IDENTITÉ, on peut
d’ailleurs être influencé par plusieurs cultures, mais s’identifier à une seule.
5. Agissons contre la primauté de la conscience ethnique sur la conscience
nationale même si nous reconnaissons que la base de la civilisation
humaine ce sont les communautés.
6. Une politique volontariste doit mettre en place un système d’où la
scolastique sera enseignée sans se méprendre sur le principe même du
débat politique.
Tous ces axes d’actions pourraient être commentés plus longuement afin
d’étayer la quintessence et surtout la valeur de chacun des éléments évoqués
plus haut. Depuis quelques années mon beau pays à son VIVRE ENSEMBLE,
mais il ne saurait éviter la recherche permanente de solutions.
Conclusion
Dans l’analyse des joutes politico-intellectuelles au Cameroun, la variable
explicative la plus couramment mise en avant est l’ethnicité. Est-ce un
phénomène de mode ? L'Histoire nous le dira. Tout compte fait cette
prépondérance du facteur identitaire n’est pas sans rapport avec une tendance
des acteurs politiques à privilégier en politique des approches culturelles au
détriment d’autres approches, volontaristes, historiques ou institutionnelles. Elle
peut certes s’expliquer par la dynamique de la formation de l’État en Afrique,
ponctuée par la fameuse règle coloniale du « diviser pour mieux régner »
C’est quand même dommage que le questionnement sur l’ordonnancement
étatique soit subvertie par des logiques ethniques de type communautaire tant il
est évident que l’allégeance personnelle ou communautaire vide de sens

308
l’allégeance citoyenne à l’État. Il est à craindre si cette approche est pérennisée
que cela débouche sur des conflits tels ceux de la Casamance au Sénégal, du
Biafra au Nigeria, du Katanga dans l’ex-Zaïre ou même des rébellions
touarègues au Niger et au Mali sans oublier la crise affectant l’est du Tchad et
le Darfour.
Loin de m’en tenir à une explication primordialiste, et sans tomber dans la
thèse de la fabrication coloniale de l’ethnicité au Cameroun comme dans
d’autres nations africaines, on peut néanmoins se risquer à dire dans un certain
sens que la colonisation a renforcé les identités ethniques.
Au-delà de ce qui précède, il me semble aussi urgent de rappeler que
l’ethnicité reste un vecteur à la fois fort heureusement inefficace et
manifestement dangereux de réaménagement de la forme de l’État au
Cameroun. Si l'on n'y prend garde l’anarchie risquera de dicter sa loi, la
yougoslavisation, sous l’aspect des fractures ethniques et identitaires de plus en
plus marquées, concluront le bal funeste de la saga communautariste. Au-delà
de tout ceci de plus en plus nombreux seront les conflits interethniques.
La démocratisation et la reconnaissance du droit des minorités et encore
moins les tiraillements sur la forme de l’État ne sauraient justifier ou légitimer
l’autonomisation de groupes minoritaires (dévolution de pouvoir) sinon il y
aurait de bonnes raisons de redouter le retour à l’âge des ténèbres et au chaos
annoncé à la suite du déploiement de violences tel qu’on a pu l'observer lors du
conflit dans l'ex-yougoslavie.
Au final, accorder la reconnaissance constitutionnelle aux communautés
ethniques qui constituent la nation camerounaise déboucherait sur une
catastrophe sismique qui explosera résolument la paix publique et pire encore la
marche graduelle vers l’indispensable unité nationale. C’est ce que j’ai appelé
le fédéralisme UNITAIRE dans mon récent ouvrage, un fédéralisme qui unit et
qui rassemble. Je ne crois pas à un Cameroun multinational mais multiculturel
qui se distingue par sa capacité à transformer le plomb de la querelle ethno-
fasciste en or de la diversité revitalisante et redynamisante.
Le nouveau contrat social est un défi non pas contre les tribus ou la tribalité
mais pour les différences culturelles sublimées par la nation qui protège et
agrège. Le fédéralisme
UNITAIRE, loin d’être le champ clos des débats ennuyeux et
prodigieusement interminables sera le creuset invulnérable du Vivre-ensemble
et donc de l’unité nationale revigorée.

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310
LA PERTINENCE POLITICO-ADMINISTRATIVE ET SOCIALE DU
FÉDÉRALISME COMMUNAUTAIRE : ESQUISSE D’ANALYSE À
PARTIR D’UNE APPROCHE EMIC ET ETIC

Aristide BITOUGA

Introduction

Invité dans le cadre d’un atelier de réflexion164, en qualité de membre du


Directoire du Parti Camerounais pour la Réconciliation Nationale (PCRN),
l’occasion nous a été donnée de soumettre à la critique l’offre politique de
gestion de la diversité culturelle que propose le PCRN. Ladite proposition
politique est consignée dans l’ouvrage éponyme intitulée : « Le Fédéralisme
communautaire : Compromis pour la paix durable, la croissance collective,
l’inclusion et le respect des entités » (Cabral Libii, 2021). L’objectif assigné à
mon propos au cours de cette concertation qui regroupait aussi bien des
universitaires, des acteurs de la société civile ainsi que des leaders des
formations politiques, était de présenter la pertinence politico-administrative et
sociale du Fédéralisme communautaire.
Dans un mouvement de la pensée qui débute par la déconstruction des
paradigmes eurocentriste autour des systèmes politiques en Afrique noire, nous
abordons la question de l’histoire et l’anthropologie politique dans la
compréhension des enjeux civilisationnels auxquels les sociétés ou nations
africaines sont confrontées. Par la suite, nous invitons les académiciens, les
universitaires à repenser le social à partir de la diversité culturelle et des
primordialismes communautaires. Ce travail réflexif nous invite à repenser la
communauté afin de l’inscrire comme identité ontologique des nations
africaines. Cette spécificité culturelle doit être prise en compte dans
l’organisation des systèmes politiques et la formulation des politiques publiques
pour garantir la stabilité et la pérennité des Nations africaines. Comme nous le
démontrons dans le texte liminaire, la communauté doit être considérée comme

164Ledit atelier qui s’est tenue du 15-16 mai 2023 portait sur le thème : « Cultural pluralism,
Community Federalism and the Form of the State in Cameroon ». La Ledit atelier était organisé
par le Centre de Recherche appliquée en Sciences sociales et humaines (CRASSH) en partenariat
avec le Laboratoire camerounais d’Études et de Recherches sur les Sociétés contemporaines
(CERESC) et avait comme prétexte les discussions autour de la publication d’un ouvrage intitulé :
« Le fédéralisme communautaire est-il soluble dans la République du Cameroun ?
Représentations, Énonciations, Mobilisations et Projections ».

311
la structure civilisationnelle de base des sociétés africaines. Après avoir cerné
de part et d’autre les enjeux multiples qui encerclent les paradigmes et les
courants idéologiques qui organisent les États à travers l’histoire des sociétés
humaines et le contexte actuel qui consiste à imposer les courants universalistes
comme la référence au détriment des spécificités et des identités singulières des
sociétés contemporaines, nous présentons de manière sommaire ce que c’est que
le fédéralisme communautaire.
Le corps du texte, quant à lui, s’appesantit sur deux grands axes. D’une part,
il s’agit de présenter la nouvelle architecture institutionnelle de l’État que
propose le PCRN dans sa formulation politico-institutionnelle du fédéralisme
communautaire. D’autre part, il est question de présenter de manière succincte
le projet de redéfinition du rôle de l’État. L’État reformé que propose le PCRN
à travers le fédéralisme aura pour mission primordiale la promotion de
l’autonomie des communautés. À travers des propositions concrètes, il est
question de rendre opérationnelle la vision contenue dans le fédéralisme
communautaire. La finalité assignée à ce texte est d’apporter des réponses
précises sur les nombreuses interrogations qui s’articulent autour de l’adaptation
du fédéralisme aux réalités sociologiques, anthropologiques, historiques,
politiques, économiques qui composent la « Nation communautaire du
Cameroun ».

1. Repenser l’anthropologie politique des nations africaines a


l’ère des hégémons universalistes eurocentristes

1.1. Déconstruire le dogme eurocentriste de la construction des


entités politiques en Afrique

Le constat est clair, tous les peuples africains n’ont pas réagi de la même
manière à l’invasion coloniale. L’histoire des guerres des indépendances en dit
long sur la diversité des résistances auxquelles les forces coloniales ont dû faire
face pour se maintenir contre vents et marées. Ce douloureux épisode passé vint
celle des après-indépendances qui aura été particulièrement sociocidaire pour de
nombreuses nations. Les modèles constitutionnels hérités de la période
coloniale étaient pour la plupart adossés sur un ferment structurel et organique
hors-sol, car ne correspondant pas dans la plupart des cas aux réalités endogènes
des sociétés africaines. Qu’il s’agisse de ce qu’il est convenu de désigner sous
le vocable « la forme de l’État », l’« État-nation » ou l’organisation tout court
de celui-ci. En Afrique, les communautés ethnotribales ont précédé l’État
colonial ; et d’une certaine façon, l’ont prédéterminé. Les nations africaines sont
d’essence pluricommunautaire et par conséquent doivent être prises comme des
plurinationalités. La construction de l’identité d’une Nation nécessite la prise en
compte de deux pôles antagonistes. D’une part les ressemblances et d’autre part

312
les différences. Toute tentative d’uniformisation des différences ou des
singularismes est délétère à toute démarche de construction d’une identité
commune ou agrégative.

1.2. La communauté comme structure civilisationnelle de base des


sociétés africaines

Comme l’attestent les travaux de Cheik Anta Diop (1960), les nations négro-
africaines précoloniales se présentaient dans leur grande majorité sous la forme des
fédérations de communautés autonomes. Cette manière de penser l’organisation
sociale des sociétés répondait à un idéal de vivre-au-monde qui passe par la
conciliation des forces centripètes, la diversité, la cohésion sociale et les spécificités
au sein d’un espace donné. S’agissant du Cameroun en particulier, l’on note que les
peuples ont toujours été rassemblés en communautés historiquement,
anthropologiquement et sociologiquement affinitaires. Les communautés
camerounaises entretiennent entre elles, comme le rappelle Paul Abouna (2020) des
« profonds liens d’une consanguinité séculaire. Ces liens qui entrelacent de
nombreux peuples du Cameroun, volontairement ou non, couverts, travestis par des
apparences sensibles d’hétérogénéité voire de distanciations géographiques
hypocrites » (Abouna. P, 2020). L’enjeu actuel, au moment où l’État-nation
présente des signes notoires d’essoufflement à travers la résurgence de toutes les
formes de primordialismes qui s’objectivent à travers la montée en puissance des
discours de haine, de repenser le vivre-ensemble camerounais. Cela passe par une
organisation de l’État qui au lieu d’oblitérer les communautés, les reconnait plutôt
et s’appuie sur cette richesse pour conduire le Cameroun vers le grand destin
annoncé par les Pères fondateurs. À ce propos, Owona Nguini affirme : « Pour
qu’un pays avance, il lui faut des institutions qui sont modelées pour épouser les
contours de sa dynamique sociétale dans toute sa complexité avec ses sphères
politiques, économiques et socioculturelles ». Le fédéralisme communautaire165
que propose Cabral Libii (2021) permet de questionner les politiques actuelles de
gestion de la diversité culturelle au Cameroun. Cette offre politique vise à retenir la
région identitaire comme unité à fédérer dans le cadre de cette forme d’organisation
de l’État. Cela passe par la reconnaissance constitutionnelle et institutionnelle des
communautés qui composent la mosaïque culturelle du Cameroun.
Poser la construction de l’État à partir de la communautatisation166 est une
démarche qui vise à renforcer la participation et l’autonomie des communautés.
Cependant, elle pose comme préalables le regroupement des populations en

165 La dimension opérationnelle du fédéralisme communautaire se fonde comme l’affirme Joël


Meyolo (préfacier de l’ouvrage) sur le double contrat social à établir entre les citoyens d’une part,
et entre ceux-ci et l’État d’autre part. Il en résultera, poursuit-il, « la capacité de l’État à agréger
et à concilier les singularités qu’il mettra en confiance » (Cabral Libii, 2021 : 20).
166 Nous entendons la communautatisation comme étant le fait de transférer aux communautés

une ou plusieurs compétences initialement dévolues à l’État central.

313
communautés affinitaires au sein d’une nouvelle configuration des Régions. Tandis
que la perspective institutionnelle actuelle vise à transcender les communautés à
travers la promotion d’une politique qui s’articule autour du « vivre-ensemble ».
Toutefois, il y a lieu de souligner que les contours et le contenu politique de ce
« vivre-ensemble » restent flous. Car, au niveau individuel et communautaire, ladite
notion reste diversement comprise en fonction des enjeux et des intérêts sociaux,
politiques, etc. Toute chose qui contribue à nourrir des pratiques empreintes de
fourberie, d’hypocrisie et de félonie entre les communautés. Celles-ci se livrent des
batailles larvées et parfois ouvertes autour de la sauvegarde ou de préservation d’un
certain nombre de privilèges ou de rentes politiques diverses. C’est le cas
notamment avec les logiques qui structurent les tensions sociales autour de la
question foncière sur l’ensemble du territoire national.

1.3. Qu’est-ce que le fédéralisme communautaire ?

Le fédéralisme communautaire questionne en profondeur le devenir du peuple


et celui de sa conscience en tant que tel. Cabral Libii (2021) développe une
philosophie organique de l’État résolument inscrite dans le progressisme, c’est-à-
dire l’avènement d’une société de quiétude fondée sur l’autonomisation des
communautés et la connaissance empirique des phénomènes historiques ayant
conduit à la formation de notre État et de son système de gouvernance en vigueur
depuis février 1958. Il postule une profonde réforme de l’État susceptible de
conduire au progrès social au moyen d’une transformation socio-économique des
régions communautaires. La transformation qui au 21e siècle dépasse la notion de
développement, usitée et rabâchée depuis la fin du 19e siècle, induit une prise en
charge sociopolitique des citoyens par eux-mêmes grâce au nouveau contrat social
(dans l’acception cabraliste Contrat Social Originel liant l’État et conditionnant
l’existence des communautés) qui induit un État fonctionnellement protecteur, au
sens de facilitateur, donc libéral, et entièrement voué à la réalisation permanente de
la justice, de la justice sociale globale, de l’équité (traitement spécifique au cas par
cas), et à la préservation de l’unité nationale et de l’intégrité du territoire. Impulsée
par l’action administrative, la transformation sociale c’est-à-dire l’accroissement du
niveau de vie et le développement de genres de vie sera le leitmotiv des
communautés dont les administrations s’attacheront à adresser les problématiques
spécifiques que pose le milieu géographique et socioculturel. La réforme de l’État
que promeut Le Fédéralisme Communautaire est donc avant tout une mise en
adéquation du rôle de l’Administration avec les aspirations des peuples, l’adaptation
de ses méthodes de travail et des objectifs qu’elle poursuit. Comme l’affirme Cabral
Libii (2021) :

Le fédéralisme communautaire n’est donc ni le retour au fédéralisme linguistique


et politique de 1961, ni le fédéralisme ethnolinguistique éthiopien, ni le pacte
religieux libanais, ni le fédéralisme encombré du Nigéria. C’est le régionalisme
identitaire qui s’apparente plutôt dans sa structure, au modèle espagnol. […] Le

314
fédéralisme communautaire n’est pas un repli, mais plutôt un « dépli », une
rationalisation efficace de l’existant, une mise en lumière d’une richesse enfouie,
une libération de nos énergies culturelles « envoutées ». C’est aussi le
réaménagement structurel qui permet d’affecter une autonomie réelle aux
Régions sans superposition institutionnelle. (Cabral Libii, 2021 : 56-57).

2. Une nouvelle architecture institutionnelle de l’État : du


centralisme a la communautatisation

Le consensus général de l’intangibilité des frontières issues de la


décolonisation en Afrique a conduit à l’émergence, un siècle après la France et
Rhenan, de l’Etat-nation censé justifier l’État postcolonial. Soixante-deux (62)
ans après, l’Etat-nation fondé sur un gouvernement fort n’a pas conduit à la
transformation sociale qui eût permis de dépasser les clivages et chocs
centrifuges dérivant de la mauvaise gouvernance et exacerbant les
particularismes hérités du fait colonial. Le fédéralisme communautaire postule
de suivre le chemin inverse imposé par l’autoritarisme de l’État-national, en
passant pour ainsi dire des nations communautaires à l’État.

3. La redéfinition du rôle de l’État : une protection plus accrue


du citoyen et une plus grande autonomie des communautés

En transférant le véritable pouvoir politique aux Collectivités


communautaires territoriales décentralisées (CCTD), le fédéralisme
communautaire confie l’initiative économique aux communautés et
repositionne l’État sur ses compétences internationales se rapportant à la
souveraineté (Parlement, monnaie, défense, relations extérieures, commerce
extérieur, sécurité du territoire et recherche extérieure), la maîtrise des nouveaux
enjeux et défis (adaptation climatique, e-gouvernance et intelligence artificielle
et cryptomonnaies), les infrastructures transnationales, la santé publique,
l’enseignement supérieur et la recherche scientifique ou l’orientation de
l’éducation.
Dans son implémentation, il s’agira de doter les CCTD des compétences en
matière de régulation. D’une part en matière de régulation de la dimension
quantitative du progrès (matériel) lié au niveau de vie. D’autre part à la
dimension qualitative qui sera liée au bien-être (concurremment avec les
CCTD). Pour ce faire, l’État devra imaginer des incitations spécifiques pour le
développement de nouveaux genres de vie orientés vers le localisme
(l’appropriation des terroirs). Comme pensé par le fédéralisme communautaire,
l’administration centrale remplira une fonction de pilotage stratégique tandis
que l’administration déconcentrée aura une fonction de support (suivi et

315
accompagnement dans la conformité) auprès des CCTD. Globalement, les deux
modalités de l’État central n’auront qu’une vocation d’encadrement et de
facilitation de l’économie aux mains des CCTD d’où l’urgence d’une formation
modernisée et de qualité des serviteurs de l’État et du citoyen au sein des grandes
écoles d’application qui seront mises en place afin d’intégrer ce changement de
paradigme.

Conclusion

Accorder une reconnaissance constitutionnelle aux communautés qui


composent la nation camerounaise dans un esprit démocratique participe de
manière concrète à la stabilité et à la préservation de la paix sociale. Le projet
de réforme de l’État par le fédéralisme communautaire préconise la
constitutionnalisation des communautés culturelles qui composent la mosaïque
de la Nation camerounaise. Cette reconnaissance constitutionnelle du caractère
multicommunautaire des États africains est gage d’une cohabitation
harmonieuse, d’une paix durable, de l’inclusion et le respect des entités pour
parvenir à une croissance collective. Ce contrat social conduira à des
changements constitutionnels, institutionnels et structurels, toute chose qui n’est
pas toujours facile à faire accepter dans un environnement plombé par l’inertie
et l’« impuissance apprise ».

Références

Abeles, M. (1990). Anthropologie de l’État, Paris : Armand Colin


Abouna, P. (2020). Peuples du Cameroun : anthropologie d’une fraternité méconnue,
Paris : Éditions Connaissances et savoirs.
Balandier, G. (1967). Anthropologie politique, Paris, PUF.
Cheikh Anta, D. (1960). L’Afrique noire précoloniale, Paris : Éditions Présence
Africaine.
Clastres, P. (1974). La société contre l’État, Paris, Minuit.
Libii, C. (2021). Le Fédéralisme communautaire : Compromis pour la paix durable, la
croissance collective, l’inclusion et le respect des entités, Dinimber & Larimber :
Yaoundé.

316
Soutien aux populations Bororos du Nord-Ouest, déplacées à
la suite de la crise anglophone par le Réseau rural pour
l’autonomisation des femmes (partenaire du projet Research
Partnerships on Critical Issues Grant Project)

317
Yaoundé, workshop sur “Cultural pluralism, Community
Federalism and the Form of the State in Cameroon”

318
319
Table des matières

Ont contribué : ............................................................................................. 5


Remerciements ............................................................................................ 7
INTRODUCTION ................................................................................................. 9
Mathias Éric OWONA NGUINI et Edmond VII MBALLA ELANGA
PREMIÈRE PARTIE : UNE DIALECTIQUE AFFIRMÉE DES REPRÉSENTATIONS ET
ÉNONCIATIONS RELATIVES AU FÉDÉRALISME COMMUNAUTAIRE AU
CAMEROUN : UNE ÉCONOMIE PSYCHIQUE ET SYMBOLIQUE DISCUTÉE DE
SES FIGURES ET POSTURES ......................................................................... 43
TITRE I : DES REPRÉSENTATIONS DU FÉDÉRALISME COMMUNAUTAIRE AU
CAMEROUN COMME FIGURES DIVERSIFIÉES D'IDENTIFICATION ET
D’INCARNATION : LEUR CONFIGURATION PSYCHIQUE COMME ÉCONOMIE
DISPOSITIONNELLE ET MOTIVATIONNELLE ................................................ 45
Chapitre 1 : Fédéralisme communautaire, dynamiques urbaines et modernité
démocratique au Cameroun : Douala et le défi du multiculturalisme ............ 47
Edmond VII MBALLA ELANGA and Serge Remy NGABA
Chapitre 2 : Confrontations identitaires et représentativité politique des
communautés au Cameroun : perspectives pour une culture politique inclusive
......................................................................................................................... 73
Benjamain EPOH-EPOH
TITRE II : DES ÉNONCIATIONS CONCERNANT LE FÉDÉRALISME
COMMUNAUTAIRE AU CAMEROUN COMME POSTURES CONTRASTÉES DE
NORMATION ET DE LÉGITIMATION : LEUR CONFIGURATION SYMBOLIQUE
COMME ÉCONOMIE SIGNIFICATIONNELLE ET CONVENTIONNELLE. ......... 87
Chapitre 3 : Frontières politico-culturelles, légitimation/légalisation des replis
identitaires et production structurelle des conflits entre identités primordiales
au Cameroun ................................................................................................... 89
Nicodème GLO
Chapitre 4 : Le fédéralisme communautaire de Cabral Libii au Cameroun : de la
pertinence politique aux « effets pervers » .................................................. 111
Joseph WANGBA J.
Chapitre 5 : Exode conflictuel et impuissance perçue. Une sémiotique de
l’hybridation culturelle en lien avec l’ancrage axiologique comme facteurs de

321
la résilience face aux troubles identitaires post-traumatiques chez les déplacés
internes du Nord-ouest et Sud-ouest ............................................................ 137
Sabine Célestine ETA-FOUDA BIDZOA
DEUXIÈME PARTIE : UNE DIALECTIQUE ÉPROUVÉE DES MOBILISATIONS ET
PROJECTIONS RELATIVES DU FÉDÉRALISME COMMUNAUTAIRE AU
CAMEROUN : UNE ÉCONOMIE PRAGMATIQUE ET ORGANIQUE DISPUTÉE DE
SES PROCÉDURES ET STRUCTURES ........................................................... 155
TITRE III : DES MOBILISATIONS AU SUJET DU FÉDÉRALISME
COMMUNAUTAIRE AU CAMEROUN COMME PROCÉDURES VARIÉES
D’ORIENTATION ET DES GESTIONS : LEUR CONFIGURATION PRAGMATIQUE
COMME ÉCONOMIE POSITIONNELLE ET ACTIONNELLE ............................ 157
Chapitre 6 : Fédéralisme communautaire et représentation institutionnelle des
minorités ethniques au Cameroun ................................................................ 159
Jean Daniel NEBEU
Chapitre 7 : Fédéralisme communautaire et redécoupages fédéraux sur
Facebook : quelle(s) géopolitique(s) des cartographies de la remise en cause de
l’État unitaire décentralisé ? .......................................................................... 179
Yvan ISSEKIN
TITRE IV : DES PROJECTIONS PORTANT SUR LE FÉDÉRALISME
COMMUNAUTAIRE AU CAMEROUN COMME STRUCTURES QUERELLÉES DE
MOBILISATION ET DE REFONDATION : LEUR CONFIGURATION ORGANIQUE
COMME ÉCONOMIE INSTITUTIONNELLE ET ORGANISATIONNELLE......... 201
Chapitre 8 : La question ethno-identitaire au Cameroun : quel modèle d’État-
nation dans un paysage ethnique bigarré ? .................................................. 203
Charles BIDIME EPOPA
Chapitre 9 : 221Quelles communautés pour un fédéralisme à la
camerounaise ? Entre étatisation de la société et socialisation de l’État ..... 221
Jean-Pierre BIWONI AYISSI
Chapitre 10 : Regards croisés des camerounais sur le fédéralisme .............. 241
Jeannette WOGAING FOTSO and Joselin Paulin OUAMBO OUAMBO
Chapitre 11 : Peut-on envisager la translation du concept de fédéralisme
communautaire dans l’ordre juridique au cameroun ? soliloque entre droit dur
et droit mou ................................................................................................... 253
Claude BEKOMBO JABEA

322
Conclusion : La praxéologie et la technologie politiques de l’État, de la
République et de la nation face au défi du fédéralisme communautaire comme
paradigme au Cameroun : une critique sociopolitique de sa viabilité pragmatique
et de sa supputabilité stratégique .................................................................. 275
Mathias Éric OWONA NGUINI et Edmond VII MBALLA ELANGA (Dir.)
APPENDICE ............................................................................................... 303
Le fédéralisme communautaire est-il soluble dans la République ? ............. 305
Célestin DJAMEN
La pertinence politico-administrative et sociale du fédéralisme
communautaire : esquisse d’analyse à partir d’une approche Emic et Etic.. 311
Aristide BITOUGA
Soutien aux populations Bororos du Nord-Ouest, déplacées à la suite de la crise
anglophone par le Réseau rural pour l’autonomisation des femmes (partenaire
du projet Research Partnerships on Critical Issues Grant Project) ................ 317
Yaoundé, workshop sur “Cultural pluralism, Community Federalism and the
Form of the State in Cameroon” ................................................................... 318
Table des matières ........................................................................................ 321

323
324

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