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Les Mille et Une

Nuits/Histoire de
Sindbad le marin
< Les Mille et Une Nuit s

Anonyme
Histoire de Sindbad le marin
Traduction par Antoine Galland.
Les Mille et Une Nuits, Le
Normant, 1806, Tome 2 (p. 58-65).
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HISTOIRE
DE SINDBAD LE MARIN.

Sire, sous le règne de ce même calife Haroun Alraschid, dont je viens de parler, il y avoit à
Bagdad un pauvre port eur qui se nommoit Hindbad. Un jour qu’il faisoit une chaleur excessive, il
port oit une charge t rès-pesant e d’une ext rémit é de la ville à une aut re. Comme il ét oit fort
fat igué du chemin qu’il avoit déjà fait , et qu’il lui en rest oit encore beaucoup à faire, il arriva
dans une rue où régnoit un doux zéphir, et dont le pavé ét oit arrosé d’eau de rose. Ne pouvant
désirer un vent plus favorable pour se reposer et reprendre de nouvelles forces, il posa sa
charge à t erre et s’assit dessus auprès d’une grande maison.

Il se sut bient ôt t rès-bon gré de s’êt re arrêt é en cet endroit ; car son odorat fut
agréablement frappé d’un parfum exquis de bois d’aloës et de past illes, qui sort oit par les
fenêt res de cet hôt el, et qui, se mêlant avec l’odeur de l’eau de rose, achevoit d’embaumer
l’air. Out re cela, il ouït en dedans un concert de divers inst rumens, accompagnés du ramage
harmonieux d’un grand nombre de rossignols et d’aut res oiseaux part iculiers au climat de
Bagdad. Cet t e gracieuse mélodie et la fumée de plusieurs sort es de viandes qui se faisoient
sent ir, lui firent juger qu’il y avoit là quelque fest in, et qu’on s’y réjouissoit . Il voulut savoir qui
demeuroit en cet t e maison qu’il ne connoissoit pas bien, parce qu’il n’avoit pas eu occasion de
passer souvent par cet t e rue. Pour sat isfaire sa curiosit é, il s’approcha de quelques
domest iques qu’il vit à la port e, magnifiquement habillés, et demanda à l’un d’ent r’eux
comment s’appeloit le maît re de cet hôt el. « Hé quoi, lui répondit le domest ique, vous
demeurez à Bagdad, et vous ignorez que c’est ici la demeure du seigneur Sindbad le marin, de
ce fameux voyageur qui a parcouru t out es les mers que le soleil éclaire ? » Le port eur, qui
avoit ouï parler des richesses de Sindbad, ne put s’empêcher de port er envie à un homme dont
la condit ion lui paroissoit aussi heureuse qu’il t rouvoit la sienne déplorable. L’esprit aigri par ses
réflexions, il leva les yeux au ciel, et dit assez haut pour êt re ent endu : « Puissant créat eur de
t out es choses, considérez la différence qu’il y a ent re Sindbad et moi ; je souffre t ous les
jours mille fat igues et mille maux ; et j’ai bien de la peine à me nourrir, moi et ma famille, de
mauvais pain d’orge, pendant que l’heureux Sindbad dépense avec profusion d’immenses
richesses, et mène une vie pleine de délices. Qu’a-t -il fait pour obt enir de vous une dest inée si
agréable ? Qu’ai-je fait pour en mérit er une si rigoureuse ? » En achevant ces paroles, il frappa
du pied cont re t erre, comme un homme ent ièrement possédé de sa douleur et de son
désespoir.

Il ét oit encore occupé de ses t rist es pensées, lorsqu’il vit sort ir de l’hôt el un valet qui vint à
lui, et qui, le prenant par le bras, lui dit : « Venez, suivez-moi, le seigneur Sindbad, mon maît re,
veut vous parler. »

Le jour qui parut en cet endroit , empêcha Scheherazade de cont inuer cet t e hist oire ; mais elle
la reprit ainsi le lendemain :

LXXe NUIT.

Sire, vot re majest é peut aisément s’imaginer qu’Hindbad ne fut pas peu surpris du
compliment qu’on lui faisoit . Après le discours qu’il venoit de t enir, il avoit sujet de craindre que
Sindbad ne l’envoyât chercher pour lui faire quelque mauvais t rait ement ; c’est pourquoi il
voulut s’excuser sur ce qu’il ne pouvoit abandonner sa charge au milieu de la rue ; mais le valet
de Sindbad l’assura qu’on y prendroit garde, et le pressa t ellement sur l’ordre dont il ét oit
chargé, que le port eur fut obligé de se rendre à ses inst ances.

Le valet l’int roduisit dans une grande salle, où il y avoit un bon nombre de personnes aut our
d’une t able couvert e de t out es sort es de met s délicat s. On voyoit à la place d’honneur un
personnage grave, bien fait et vénérable par une longue barbe blanche ; et derrière lui, ét oit
debout une foule d’officiers et de domest iques fort empressés à le servir. Ce personnage
ét oit Sindbad. Le port eur, dont le t rouble s’augment a à la vue de t ant de monde et d’un fest in
si superbe, salua la compagnie en t remblant . Sindbad lui dit de s’approcher ; et après l’avoir fait
asseoir à sa droit e, il lui servit à manger lui-même, et lui fit donner à boire d’un excellent vin,
dont le buffet ét oit abondamment garni.

Sur la fin du repas, Sindbad, remarquant que ses convives ne mangeoient plus, prit la parole ; et
s’adressant à Hindbad, qu’il t rait a de frère, selon la cout ume des Arabes lorsqu’ils se parlent
familièrement , lui demanda comment il se nommoit , et quelle ét oit sa profession. « Seigneur,
lui répondit -il, je m’appelle Hindbad. » « Je suis bien aise de vous voir, reprit Sindbad, et je vous
réponds que la compagnie vous voit aussi avec plaisir ; mais je souhait erois d’apprendre de
vous-même ce que vous disiez t ant ôt dans la rue. » Sindbad, avant que de se met t re à t able,
avoit ent endu t out son discours par la fenêt re ; et c’ét oit ce qui l’avoit engagé à le faire
appeler.

À cet t e demande, Hindbad, plein de confusion, baissa la t êt e, et repart it : « Seigneur, je vous


avoue que ma lassit ude m’avoit mis en mauvaise humeur, et il m’est échappé quelques paroles
indiscrèt es que je vous supplie de me pardonner. » « Oh ne croyez pas, reprit Sindbad, que je
sois assez injust e pour en conserver du ressent iment . J’ent re dans vot re sit uat ion ; au lieu de
vous reprocher vos murmures, je vous plains ; mais il faut que je vous t ire d’une erreur où vous
me paroissez êt re à mon égard. Vous vous imaginez, sans dout e, que j’ai acquis sans peine et
sans t ravail t out es les commodit és et le repos dont vous voyez que je jouis ; désabusez-vous.
Je ne suis parvenu à un ét at si heureux, qu’après avoir souffert durant plusieurs années t ous
les t ravaux du corps et de l’esprit que l’imaginat ion peut concevoir. Oui, seigneurs, ajout a-t -il
en s’adressant à t out e la compagnie, je puis vous assurer que ces t ravaux sont si
ext raordinaires, qu’ils sont capables d’ôt er aux hommes les plus avides de richesses, l’envie
fat ale de t raverser les mers pour en acquérir. Vous n’avez peut -êt re ent endu parler que
confusément de mes ét ranges avent ures, et des dangers que j’ai courus sur mer dans les sept
voyages que j’ai fait s ; et puisque l’occasion s’en présent e, je vais vous en faire un rapport
fidèle : je crois que vous ne serez pas fâchés de l’ent endre. »

Comme Sindbad vouloit racont er son hist oire, part iculièrement à cause du port eur, avant que
de la commencer, il ordonna qu’on fît port er la charge qu’il avoit laissée dans la rue, au lieu où
Hindbad marqua qu’il souhait oit qu’elle fût port ée. Après cela, il parla dans ces t ermes :
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