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Éditions Saint-Remi

www.saint-remi.fr
COLLECTION LÉON VILLE
Couronnée par l’Académie Française
(Grand Prix de vertu Louis BIGOT, de 6.000 francs)

Léon Ville, dont tous les ouvrages, avidement lus par la jeunesse, ont été
couronnés par l’Académie Française et la Société d’Encouragement au bien, est
un émule de Fenimore Cooper, Mayne-Reid, Jules Verne, etc... Sa plume alerte
et la verve de son esprit tiennent constamment en haleine le lecteur et le
captivent de la première à la dernière page de son œuvre.
Et combien saine est cette distraction pour l’esprit et le cœur épris de
sentiments chevaleresques ! Ces lectures sont comme de la gymnastique morale
au grand air. Mettez sans crainte ces livres entre les mains de vos enfants. Vous
verrez de quelle façon ils formeront leur caractère et quel plaisir vous vous
procurerez à vous-mêmes, parents et maîtres, à voir vos jeunes lecteurs
dévorer littéralement ces excellentes publications illustrées.

Du même auteur
Ouvrages parus aux Editions Saint-Remi (tous abondamment illustrés)

LES PIONNIERS DU GRAND DÉSERT AMÉRICAIN, 273 p., 19 €


LA RIVIÈRE DES ALLIGATORS, 152 p., 12 €
JEAN LE VACHER, MISSIONNAIRE, CONSUL ET MARTYR, 136 p., 11 €
LES CORSAIRES D’AFRIQUE, 147 p., 11 €
NOS GRANDS CAPITAINES - ROLAND, 137 p., 11 €
NOS GRANDS CAPITAINES – DU GUESCLIN, 127 p., 10 €
NOS GRANDS CAPITAINES – BAYARD, 139 p., 11 €
NOS GRANDS CAPITAINES

BAYARD
par

Léon VILLE,
LAURÉAT DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

Nouvelle édition
avec de nombreuses illustrations
à partir de celle de Tolra, 1936

Editions Saint-Remi
– 2012 –
Armes de Bayard

Éditions Saint-Remi
BP 80 – 33410 CADILLAC
05 56 76 73 38
www.saint-remi.fr
BAYARD
I
BAYARD CHEZ SON ONCLE

Pd'Ainay
une belle matinée de juillet de l'année 1432, le prieur
AR
lisait ses heures sous les magnifiques ombrages de
son abbaye, laquelle était située à quelques lieues de Lyon, quand
le sacristain vint le prévenir que deux jeunes seigneurs, portant le
costume de pages du comte de Ligny, désiraient l'entretenir.
Sur un signe du prieur, le sacristain s'éloigna, pour revenir
bientôt, accompagné des deux visiteurs.
— Pierre de Bayard, mon neveu ! s'écria le prieur avec un
joyeux étonnement, en s'avançant majestueusement.
— Oui, mon oncle, moi-même, répondit en s'inclinant avec
respect le plus jeune des deux pages, qui pouvait avoir dix-sept à
dix-huit ans.
Puis, présentant son compagnon :
— Messire de Bellabre, dit-il, pendant que ce dernier faisait au
prieur un profond salut.
— Ah ça ! mon neveu, reprit le religieux, qu'est-ce qui me vaut
le plaisir de votre visite ? Il y a, si je ne me trompe, trois bonnes
années que je ne vous ai vu.
— C'est vrai, mon oncle, et croyez bien que le service a pu
seul m'empêcher de vous voir plus souvent.
— Je n'en doute pas.
— Si vous me voyez ici aujourd'hui, c'est, d'abord, pour vous
présenter mes devoirs, ensuite, pour solliciter de votre affection
un petit service.
— Oh ! oh ! grommela le prieur inquiet pour sa bourse.
— Oui. Le roi, vous ne devez pas l'ignorer, est à Lyon depuis
quelques jours.
6 NOS GRANDS CAPITAINES – BAYARD

Oui, mon oncle, moi-même…


— Je le sais, en effet. Après ?
— Charles VIII, vous devez également le savoir, adore les
joutes et tournois.
— Oui, oui, le roi est friand de ces sortes de spectacles.
— Eh bien, un gentilhomme bourguignon, nommé Claude de
Vaudrey, a demandé au roi et obtenu la permission de porter un
défi à tous les gens d'armes, quel que fût leur rang.
— C'est de l'outrecuidance ! déclara sentencieusement le
prieur.
— Peut-être ; en tous cas, je me suis fait inscrire, et vais me
mesurer avec lui.
CHAP. I : BAYARD CHEZ SON ONCLE 7

— Parlez-vous sérieusement ? s'écria le prieur en contemplant


son neveu avec autant de curiosité que s'il se fût trouvé en
présence d'un phénomène.
— Très sérieusement, répondit tranquillement le jeune Bayard.
— Mais volts avez dix-sept ans à peine !
— C'est l'âge où l'on doit faire ses preuves.
— Trois poils de barbe au menton !
— Ce n'est pas avec ma barbe, soyez-en persuadé, que je
compte combattre messire de Vaudrey.
— Mon neveu, dit sévèrement le prieur, vous avez trop
d'orgueil.
— Moi ? protesta le jeune homme.
— Vous, répondit sèchement le religieux … D'ailleurs, je vais
vous le prouver, poursuivit-il en s'asseyant sur un banc et faisant
signe aux deux pages de prendre place à ses côtés.
Il y eut un silence, et le prieur reprit, en s'adressant à son
neveu :
— A treize ans, vous avez été présenté par mon frère, l'évêque
de Grenoble, au duc de Savoie.
— C'est exact, souligna Bayard.
— Laissez-moi continuer
Bayard s'inclina sans souffler mot.
Le prieur poursuivit :
— Le duc vous admit dans sa maison comme page. Six mois
après, le roi Charles VIII, en vous voyant caracoler, fut séduit par
votre bonne mine …
— Oh ! protesta Bayard, lequel était maigre et blême et savait
parfaitement à quoi s'en tenir sur son genre de beauté.
— Mettons par celle de votre cheval, reprit le prieur. Or, le
roi, dis je, séduit par la bonne mine de votre cheval, pria le duc de
vous céder à lui, ce que le duc fit avec une parfaite bonne grâce,
bien que vous lui plussiez beaucoup. Le jour même, Charles VIII
vous fit admettre comme page dans la maison de son cousin le
comte de Ligny, où vous êtes encore. Comme vous voyez, je suis
bien instruit de votre passé.
— Je le reconnais, mon oncle, crut devoir répondre le page.
8 NOS GRANDS CAPITAINES – BAYARD

— Ainsi, tant de marques d'estime, tant de faveurs ne vous


suffisent plus ?
— Permettez, mon oncle, je ne dis pas ...
— Vous voulez encore, continua le prieur, éclipser vos
compagnons en allant parader dans un tournoi ? Je vous le répète,
c'est de l'orgueil !
— Mon oncle, fit Bayard un peu décontenancé, je vous assure
que vous vous trompez grandement. En relevant le défi du
gentilhomme bourguignon, je ne veux que m'aguerrir au
maniement des armes, afin de marcher le plus tôt possible sur les
traces de nos vaillants ancêtres et me montrer digne d'eux et du
nom qu'ils m'ont légué.
— Est-ce bien là le fond de votre pensée ? interrogea le prieur
d'un ton radouci.
— Je le jure par Notre-Seigneur Jésus-Christ ! s'écria Bayard
avec une chaleur qui calma tout à fait son oncle.
— S'il en est ainsi, dit alors ce dernier, non seulement je ne
vous blâme plus, mais encore je vous approuve ; à la condition,
pourtant, que la vie des camps ne vous fasse jamais négliger vos
devoirs de chrétien.
— Mon oncle, répondit d'un ton ferme le jeune Bayard, avant
mon départ, ma noble et sainte mère, que je vénère de toutes les
forces de mon âme, m'a fait la même recommandation et j'ai juré
de ne la point oublier et de m'y conformer, persuadé que sans
l'aide de Dieu je ne saurais faire rien qui vaille.
— Bien, mon neveu, bien, dit avec onction le prieur ; et si ma
bénédiction peut accentuer encore votre courage, je vous là
donne de grand cœur !
— Ah I mon oncle, s'écria Bayard après avoir échangé un
regard avec son ami, si vous pouviez ajouter quelque chose à
votre bénédiction ...
— Des prières ? ... dit le prieur, je vous les promets.
— Merci, mon oncle, fit Bayard, mais ce n'est pas tout.
— Comment, ma bénédiction et des prières ne vous suffisent
pas ! s’exclama l'abbé d'Ainay d'un ton de reproche ; que vous
faut-il donc de plus ?
CHAP. I : BAYARD CHEZ SON ONCLE 9

— Quelque chose de moins spirituel, mais non moins


indispensable, dit Bellabre en venant au secours de Bayard, dont
l'embarras était extrême.
Le prieur, sans répondre, toisa l'ami de son neveu, lequel
poursuivit :
— Pour paraître dans un tournoi, il faut être équipé en
conséquence ; or, Bayard ne possède qu'un affreux roussin et pas
de vêtements autres que ceux que vous lui voyez.
— Aussi, ajouta vivement Bayard, si vous poussiez la bonté
jusqu'à me venir en aide ...
— De l'argent, n'est-ce pas ? dit le prieur avec une grimace de
mauvais augure.
— Oh ! fit Bellabre, si peu que ce soit.
— Je n'en ai pas, déclara péremptoirement le prieur.
— C'est impossible.
— Doutez-vous de ma parole ? répondit avec hauteur le
prieur.
— Non, mais de votre bon vouloir, répliqua Bellabre sans se
déconcerter, ni même remarquer les regards suppliants de son
ami. Oui, de votre bon vouloir. Comment, monseigneur l'abbé,
vous avez le bonheur de posséder un neveu brave, chevaleresque,
en lequel résident toutes les vertus, un neveu qui peut continuer
la gloire ancestrale de votre maison, et vous, homme de Dieu,
issu de vaillants chevaliers, vous hésitez à faire un léger sacrifice
grâce auquel il pourrait se lancer dans la carrière des armes ! Ah !
tenez, je me voile la face.
Et, de fait, Bellabre cacha son visage dans ses mains, mais
seulement pour voiler l'accès de rire qui le prenait tout entier en
présence de la mine piteuse et effrayée de son ami, et pour
observer hypocritement entre ses doigts l'effet que ses paroles
avaient, produit sur le religieux.
Ce dernier était visiblement ébranlé par la perspective de voir
continuer la glorieuse réputation de sa maison.
— Somme toute, dit-il au bout d'un instant, avez-vous bon
espoir de sortir à votre honneur de ce tournoi qui semble vous
avoir troublé la cervelle ?
10 NOS GRANDS CAPITAINES – BAYARD

Et son regard semblait, tandis qu'il posait cette question à son


neveu, vouloir lire jusqu'au fond de sa pensée.
— J'en sortirai vaincu peut-être, répondit fièrement le jeune
homme, mais point sans honneur, je vous l'assure.
— Allons, soit, je consens à faire un grand sacrifice ... Suivez-
moi.
Bellabre qui, depuis un instant, s'était dévoilé la face, échangea
un rapide regard de satisfaction avec son ami, et tous deux
suivirent le prieur, qui les conduisit dans sa chambre, ouvrit un
petit meuble de chêne et en tira un sac d'assez mince dimension,
qu'il tendit à Bayard en lui disant :
— Tenez, mon neveu, voici cent écus.
— Heu ! ... fit Bellabre, tandis que Bavard empochait la
somme.
— Que voulez-vous dire ? lui demanda aigrement le prieur.
— Que c'est maigre, monseigneur l'abbé, répliqua le page.
Cent écus pour équiper un combattant, c'est à peine de quoi
acheter un cheval.
— Il me semble pourtant que c'est là l'essentiel.
— Oui, mais il y a encore les habits, sans parler des armes. Le
prieur réfléchit un instant.
— Soit, dit-il enfin, je pourvoirai aux habits.
— A la bonne heure ! s'écria Bellabre, tandis que le visage de
son compagnon semblait, tant il était joyeux, refléter toutes les
nuances de l'arc-en-ciel.
Le prieur s'assit à une table et écrivit rapidement une lettre,
qu'il cacheta de son sceau.
Puis, la remettant à Bayard :
— Voici, lui dit-il, une lettre pour mon drapier, messire
Laurencin, à Lyon. Rendez-vous chez lui et il vous délivrera
l'étoffe qui vous est nécessaire. Quant au tailleur qui la
transformera en habits, ce soin vous regarde, je ne puis faire
davantage.
— Ah ! mon oncle, que de remerciements ! s'écria avec chaleur
le jeune Bayard.
CHAP. I : BAYARD CHEZ SON ONCLE 11

— Bon, bon, dit le prieur en poussant doucement les deux


tamis dehors, songez plutôt à ne pas me faire repentir de ma
faiblesse.
— Jamais ! s'écria fougueusement le page, ivre de joie.
— J'y compte. Allons, adieu !
— Adieu, mon oncle ! répondit Bayard.
— Adieu, vénérable prieur ! dit Bellabre en prenant le bras de
son ami, pendant que la porte se refermait sur les deux pages.
— Ce cher oncle ! dit alors Bayard, c'est tout de même un
excellent cœur.
— Il n'en est pas moins vrai que sans mon intervention, vous
n'obteniez rien du tout.
— En effet, et je le reconnais. Mais courons vite à Lyon, car
j'ai hâte d'utiliser ma lettre de crédit.
Les deux jeunes gens reprirent un petit bateau sur lequel ils
étaient venus à l'abbaye et se dirigèrent vers la ville qui avait en ce
moment l'insigne honneur de posséder le roi de France Charles,
huitième du nom.
A la porte du drapier, Bellabre arrêta son ami prêt à en
franchir le seuil.
— Laissez-moi faire, lui dit-il en riant, et vous allez avoir de
quoi vous vêtir durant deux années.
— Comment cela ? interrogea Bayard étonné.
— Tandis que votre oncle écrivait, je lisais par-dessus son
épaule et j'ai constaté qu'il oubliait de limiter la quantité d'étoffe.
— Nous ne pouvons pourtant abuser de la confiance de mon
parent, objecta le timide Bayard
— A-t-il fixé une somme pour votre acquisition ?
— Non.
— Alors, agissez au mieux de vos intérêts, puisque, ce : faisant
vous n’excéderez pas votre droit.
— C'est un cas de consciente qui se présente là.
— Pas du tout, pas du tout. D'ailleurs laissez-moi faire.
Ils entrèrent chez le drapier.
12 NOS GRANDS CAPITAINES – BAYARD

Le drapier se confondit en compliment.


Lorsque ce dernier eut pris connaissance de la missive du
prieur, il se confondit en compliments et salutations, déclarant
que toutes ses marchandises, sans exception étaient à la
disposition du neveu de monseigneur l'abbé d'Ainay.
CHAP. I : BAYARD CHEZ SON ONCLE 13

— Tout, ce serait un peu trop, dit en riant Bellabre cependant,


nous en prendrons une bonne partie.
Et il fit étaler incontinent des draps d'or et d'argent, des satins
brochés, des velours, etc.
—Quand faudra-t-il vous livrer cela ? demanda le drapier à
Bayard, lorsque les deux pages eurent fait leur choix.
— Mais tout de suite ! s’écria Bellabre qui redoutait que l’abbé,
se rappelant la teneur de sa lettre, en envoya une seconde plus
explicative.
Une heure plus tard, Bayard et Bellabre, qui habitaient la
même chambre, étalaient sur leur lit les soyeuses étoffes, les
maniant avec un plaisir extrême.
Cependant, après leur départ, l'abbé d'Ainay avait fait part au
sacristain de son excès de générosité.
— Ah ! comme vous avez bien fait, monseigneur ! lui répondit
le sacristain, qui était un peu le secrétaire du prieur et avait, avec
ce dernier, son franc-parler.
— N'est-ce pas ?
— Oui, monseigneur. Car, enfin, votre neveu, si j'en crois les
bruits qui courent, est grandement aimé du roi.
— Aussi, n'ai-je pas hésité à lui bailler cent écus et une lettre
pour mon drapier.
— Lettre dans laquelle vous avez certainement limité la
dépense, dit tout naturellement le sacristain.
— Ah ! mon Dieu ! exclama l'abbé pris d'une terreur subite.
— Qu'avez-vous, monseigneur ? s'écria le sacristain en se
précipitant vers son supérieur.
— J'ai oublié de fixer le chiffre du crédit ... Vite, vite, courez
chez Laurencin et dites-lui bien de ne livrer d'étoffe que jusqu'à
concurrence de la somme de cent livres.
— J'y cours, monseigneur ! dit le sacristain en se ruant vers la
porte et disparaissant comme un météore, pour se rendre
immédiatement à Lyon, chez messire Laurencin.
— Messire, dit-il au drapier, en entrant en coup de vent, avez-
vous reçu la visite du neveu de monseigneur l’abbé d'Ainay ?
14 NOS GRANDS CAPITAINES – BAYARD

— Il y a une heure à peine, répondit Laurencin, avec l'air


réjoui d'un marchand qui vient de faire une bonne affaire.
— J'arrive trop tard, murmura le sacristain atterré.
Et tout haut :
—A combien se monte l'achat qu'a fait le seigneur de Bayard.
— A mille livres, répondit gracieusement le drapier. Oh !
ajouta-t-il en voyant son interlocuteur faire un mouvement, il
aurait pu me demander tout ce qu'il aurait voulu, je ne lui aurais
rien refusé. Pensez donc, le neveu de ...
Mais, déjà, le sacristain était dans la rue, courant comme s'il
avait le diable à ses trousses.
— Ah ! monseigneur ! s'écria-t-il lorsqu'il entra, suant,
soufflant, râlant, dans la chambre du prieur, ah ! monseigneur,
quel désastre !
— Qu'y a-t-il ? interrogea l'abbé d'Ainay en palissant.
— Je suis arrivé trop tard !
— Et ? ...
— Votre neveu en a pris pour mille livres !
— Mille livres ! gémit le prieur. Ah ! le gueux !
Puis, avec volubilité, en secouant le sacristain par le bras :
— Retournez à Lyon ; voyez mon neveu ; faites-lui savoir le
chiffre que je comptais qu'il ne dépasserait pas, et sommez-le, de
ma part, d'avoir à renvoyer le surplus des étoffes au drapier.
— Bien, monseigneur, dit le sacristain en s'élançant au dehors.
Mais Bellabre et Bayard, avaient prévu cette visite, aussi
déclara-t-on au sacristain, lorsqu'il se présenta au domicile des
pages, qu'ils se trouvaient chez leur maître, le comte de Ligny.
Chez le comte, où le pauvre homme se rendit incontinent, on
le renvoya ailleurs ; bref, après dix courses infructueuses, il
Comprit qu'on le bernait et reprit, désolé, le chemin de l'abbaye.
En apprenant de son sacristain, qu'il devait en prendre son
parti et qu'il lui faudrait, bon gré, mal gré, solder la note, le prieur
faillit maudire son neveu. Néanmoins, il se retint et se borna à
jurer que le jeune Bayard n'aurait plus un denier de lui.
Cependant, le grand jour arriva, et Bayard, tout flambant neuf,
put prendre part au tournoi organisé par Claude de Vaudrey.
CHAP. I : BAYARD CHEZ SON ONCLE 15

Et le page s’en est allé à fond de train.


Bien que novice dans le métier des armes, il se comporta avec
tant de vaillance qu'après la joute, lorsqu'il fit, selon la coutume, le
tour de l'enceinte, toutes les dames s'extasièrent sur ce qu'un
jeune homme d'aussi chétive mine ait, pu sortir avec honneur
d'un tournoi où de plus robustes avaient vidé les arçons sous la
lance du gentilhomme bourguignon.
— Si l'abbé d'Ainay était là, lui dit Bellabre, il ne regretterait
sûrement pas son argent.
16 NOS GRANDS CAPITAINES – BAYARD

Mon ami, répondit Bayard, j'estime que nous avons eu tort


d'abuser de la confiance de mon oncle.
— Dites de son oubli, ce serai plus juste.
— N'importe, ce que nous avons fait là n'est pas bien.
Le comte de Ligny mit fin à cet entretien en venant
complimenter Bayard et lui annoncer qu'il avait décidé de
l’incorporer dans sa compagnie, laquelle : tenait garnison à Aire,
en Picardie.
— Si nous allions porter cette bonne nouvelle à votre oncle ?
lui dit Bellabre, lorsque le comte se fut éloigné.
— Ah ! non, alors ! s'écria avec vivacité celui qui devait plus
tard être nommé le « chevalier sans peur et sans reproche » et qui,
depuis trois années, n'était guère appelé que « Piquet », étrange
surnom conservé par l'histoire et dont l'origine remonte à une
chevauchée en plaine, exécutée par Bayard devant le roi, un jour
que Charles VIII se rendait, avec toute sa cour, à l'abbaye
d'Ainay, pour y entendre la messe. Le monarque, enthousiasmé
par l'habileté et la solidité en selle du page, n'avait pu s'empêcher
de crier, au moment où le cavalier s'arrêtait devant lui :
— Recommence, mon enfant ; pique ! pique !
Et le page s'en était allé à fond de train, stimulé par les
assistants, qui lui criaient, après le roi :
— Piquez ! piquez !
La multiplicité de même cri fit naturellement rire les pages et
les écuyers, qui n'appelèrent plus, dès lors, leur camarade que
« Piquet », surnom qui resta fort longtemps à Bayard, sans qu'il
songeât même à s'en fâcher.
Mon gentilhomme, approchez-vous.

II
PREMIÈRES ARMES DE BAYARD

Bayard qui s'était rendu à Aire aussitôt après son


incorporation dans la compagnie du comte de Ligny, s'y
trouvait depuis deux ans quand Charles VIII entreprit sa première
expédition d'Italie, dans le but de s'emparer de Naples, qu'il
estimait lui appartenir en sa qualité d'héritier des ducs d'Anjou,
jadis souverains du royaume de Naples, dont ils avaient été
dépossédés par Alphonse d'Aragon.
Louis X : plus avisé, s'était bien gardé de revendiquer des
droits qui l'auraient entraîné dans une expédition dont le résultat
se présentait comme assez problématique.
Mais Louis XII n'était pas Charles VIII, c'est-à-dire un
monarque à l'esprit chevaleresque et avide de faire revivre les
exploits des paladins de l'époque de Charlemagne.
Charles VIII, d'ailleurs, était stimulé par sa noblesse dont la
valeureuse ardeur se trouvait comprimée depuis trente ans. Tout
portait donc le roi vers l'Italie, ce paradis au doux climat, auréolé
des plus brillantes légendes. Il voulait voir de près ce pays
18 NOS GRANDS CAPITAINES – BAYARD

merveilleux dont les palais de marbre étaient autant


d'amoncellements de fines dentelles. De plus, le roi de France
savait que, dès son apparition en Italie, de nombreux partisans lui
apporteraient leur concours.
Ludovic Sforza, dit le More, qui gouvernait le duché de Milan
au nom de Galéas, son neveu, sollicitait l'aide de Charles VIII
contre le roi de Naples et plusieurs seigneurs voisins ; le marquis
de Saluces qui désirait que son fief relevât, du Dauphiné implorait
également l'intervention de la France envers le duc de Savoie ; les
barons napolitains, exaspéré par les cruautés du roi de Naples, les
cardinaux ennemi du pape Alexandre VI, attendaient avec une
fébrile impatience l’arrivé des français.
Tant de sollicitations et d’appels devaient, nécessairement
persuader à Charles VIII que l'Italie toute entière attendait sa
venue et l'accueillerait avec des cris d'allégresse et, des larmes de
joie.
Il prépara donc activement son départ et au mois d'août 1494,
son armée était rassemblée au pied des Alpes. Il y avait là 3.600
lances, c'est-à-dire 21.600 cavaliers, 6.000 archers bretons, autant
d'arbalétriers, 8.000 arquebusiers gascons, 8.000 piquiers suisses :
en tout 50.000 hommes accompagnes d’une quantité de canons.
Tandis que l'armée se rassemblait, le duc d'Orléans prenait, le
commandement de la flotte et débarquait à Rapallo près de
Gènes, où il rencontrait les napolitains et les massacrait en une
formidable tuerie dans laquelle les Suisses se signalèrent par une
effroyable cruauté.
L'armée, commandée par le roi en personne franchit les Alpes
en passant par le mont Genèvre, traversa le Piémont, domaine
des ducs de Savoie, et ne s'arrêta, qu'à Asti où Charles VIII
tomba malade.
Dès que le monarque se sentit mieux, il fit mander, Ludovic le
More, et tous deux se rendirent à Pavie, auprès de Galéas, jeune
prince de vingt-cinq ans, dont l’incapacité prolongeait
indéfiniment la minorité, et qui devait mourir peu de temps après,
épuisé, disent les uns, empoisonné par son tuteur, disent les
autres.
CHAP. II : ARMES DE BAYARD 19

À Florence, à Pise, à Rome, le roi de France, fut reçu comme


un Messie longtemps attendu ; les frontières de Naples même,
tombèrent devant lui, c'est-à-dire le laissèrent passer sans qu'il
rencontrât la moindre résistance.
Le roi Alphonse II, épouvanté par cette marche triomphale,
abdiqua en faveur de son fils Ferdinand, qui s'empressa de
s'enfuir dans l'île d'Ischia.
Le 22 février 1495, Charles VIII entrait en vainqueur à Naples,
à cheval, sous un dais de drap d'or porté par quatre grands
seigneurs napolitains. Les comtes de Foix, de Montpensier, de
Vendôme, de Ligny, de la Trémoïlle, les maréchaux de Gié et de
Rieux, le vaillant capitaine milanais Trivulce et une foule de
chevaliers formaient autour du dais royal une magnifique escorte.
Les habitants, délivrés de leur tyran, poussaient des acclamations
enthousiastes et jetaient des fleurs jusque sous les pieds des
chevaux.
La conquête était donc certaine et il ne restait plus qu'à la
consolider par une sage administration. Malheureusement,
Charles VIII était aussi frivole que brave, et il ne songea qu'à ses
plaisirs, tandis que la jalousie de l'Europe s'éveillait et qu'une ligue
formidable s'organisait à Venise, dans le but de fermer aux
Français la sortie de l'Italie en les entourant d'un cercle de fer qu'il
leur serait impossible de briser.
Cette ligue comprenait Ferdinand le Catholique, roi
d'Espagne ; Maximilien, empereur d'Allemagne ; Henri VIII, roi
d'Angleterre la République de Venise ; le pape Alexandre VI et
Ludovic le More, l'allié du début de la campagne, qui, maintenant,
passait à l'ennemi.
Charles VIII comprit enfin le danger qui le menaçait et se
décida à partir pour la France, en laissant à Naples, comme vice
roi, son cousin Gilbert de Montpensier, chevalier courageux, mais
de caractère parfois indolent, et incapable de faire face à la
situation.
Bientôt attaqué par les troupes de Ferdinand II, il battit en
retraite, perdit l'une après l'autre toutes les places qu'il défendait
20 NOS GRANDS CAPITAINES – BAYARD

et finit par se trouver cerné dans Atella, où il mourut de la peste


le 5 octobre 1406.
Ferdinand II étant mort un mois auparavant, son oncle, qui lui
succéda sous le nom de Ferdinand III, libéra définitivement le
territoire napolitain en renvoyant en France les débris de nos
garnisons vaincues.
Cependant, Charles VIII avait repris hardiment la route de
France avec une dizaine de mille hommes. Cette petite armée dut
franchir les Apennins en entaillant le roc, afin de se frayer un
passage à peu près praticable. Détail admirable ! on vit les
chevaliers dépouiller leurs armures et aider les Suisses à traîner les
canons et les fourgons, aplanissant tous les obstacles avec cette
gaieté communicative qui distingue partout le Français et étonne
parfois l'ennemi.
Après avoir franchi avec un incroyable entrain cette barrière
naturelle, l'armée se trouva en présence d'une autre, non moins
dangereuse, les alliés au nombre de 30.000, attendaient les
Français dans le duché de Parme, près du bourg de Fornoue, bien
résolus à ne pas les laisser passer et a les massacrer jusqu'au
dernier.
Émue à la pensée du sort qui attendait tous ses braves
chevaliers, Charles VIII voulut essayer de négocier et expédia un
parlementaire, au duc de Mantoue qui commandait l'armée
italienne. Mais il était trop tard, car, déjà, l'on escarmouchait de
tous cotés, et le duc refusa•d’entrer en pourparlers. Charles VIII
fut alors réellement roi par le cœur. Calme et intrépide, il cria à
ses troupes :
— Ils sont dix fois autant que nous, mais vous valez dix fois
mieux qu'eux ! Dieu aime les français ; il est avec nous et
bataillera pour nous. Par son aide je vous reconduirai en France à
notre honneur !
Et, donnant le signal d'une marche en avant, il entraîna ses
troupes en une attaque générale, combattant avec une énergie
farouche qui le conduisit un moment au milieu des rangs ennemis
où il se vit enveloppé et sur le point d'être pris.
TABLE DES MATIÈRES 139

I BAYARD CHEZ SON ONCLE ...................................................................................... 5

II PREMIÈRES ARMES DE BAYARD ........................................................................... 17

III BAYARD SUR LE PONT DU GARIGLIANO ............................................................ 30

IV BAYARD À GÊNES ................................................................................................. 41

V BAYARD DEVANT PADOUE ................................................................................... 50

VI BAYARD DEVANT LA MIRANDOLE ..................................................................... 61

VII BAYARD À BRESCIA ............................................................................................. 71

VIII BAYARD AU CAMP D’HENRI VIII ....................................................................... 85

IX BAYARD À MARIGNAN ......................................................................................... 98

X BAYARD À MÉZIÈRES........................................................................................... 110

XI MORT DE BAYARD .............................................................................................. 125

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