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FACULTÉ DE PHARMACIE
THÈSE
pour le
DIPLÔME D’ÉTAT
DE DOCTEUR EN PHARMACIE
Par
Julien POTIRON
1
Au Professeur Alain Pineau, pour me faire l’honneur de présider cette thèse.
A Mme Claire Sallenave-Namont, pour avoir accepté d’encadrer ce travail. Merci pour la
liberté procurée, votre patience et vos conseils avisés.
A Gaël Rousseau, pour avoir accepté de faire partie de ce jury. Merci pour votre indulgence,
votre patience et votre confiance accordée, c’est un vrai plaisir de travailler à vos côtés.
2
SOMMAIRE
SOMMAIRE .............................................................................................................................. 3
AVANT-PROPOS ..................................................................................................................... 7
INTRODUCTION ...................................................................................................................... 8
Partie I : Un breuvage issu de deux plantes ............................................................................... 9
I) Etymologie........................................................................................................................ 10
II) Composition du breuvage et mode de préparation .......................................................... 12
III) Banisteriopsis caapi (Spruce ex Griseb.)....................................................................... 14
A) Historique .................................................................................................................... 24
1) Découverte ............................................................................................................... 24
2) Chronologie des études analytiques ......................................................................... 24
A) Historique .................................................................................................................... 34
B) Pharmacocinétique ...................................................................................................... 35
C) Manifestations cliniques de la DMT ........................................................................... 36
V) Toxicité ........................................................................................................................... 53
4) Plantes et champignons psycho-actifs utilisés par les chamanes dans le monde ..... 65
1) Différents rôles......................................................................................................... 66
2) Déroulement d’une session ...................................................................................... 67
A) Le Néo-Chamanisme................................................................................................... 69
5
1) Origines .................................................................................................................... 71
2) Expansion nationale ................................................................................................. 71
3) Expansion internationale .......................................................................................... 72
4) Description du rituel ................................................................................................ 73
CONCLUSION ........................................................................................................................ 81
ANNEXE ................................................................................................................................. 82
Table des figures ...................................................................................................................... 84
Table des tableaux .................................................................................................................... 85
Bibliographie ............................................................................................................................ 86
6
AVANT-PROPOS
7
INTRODUCTION
Les plantes hallucinogènes sont utilisées dans les sociétés primitives depuis des siècles, mais
jusqu’à présent leur usage se limitait à quelques individus chamanes, médecins-sorciers, etc…
Depuis quelques années, de nouveaux hallucinogènes naturels sont apparus sur le marché des
drogues récréatives. Ils s’inscrivent ainsi dans un mouvement de retour à la nature de plus en
plus prisé. Leur mise à disposition sur Internet permet une propagation de ces substances et
n’a fait qu’accélérer cette émergence récente. Parmi ces hallucinogènes naturels, l’ayahuasca
est un breuvage qui connaît un nouvel essor en Europe et aux États-Unis. Un tourisme
occidental, attiré par les séances d’ayahuasca décrites par leurs adeptes comme une
expérience de transe positive favorisant l’introspection, s’est fortement développé ces
dernières années dans le bassin amazonien. Ainsi toléré dans certains pays, l’ayahuasca est
pourtant classé comme stupéfiant en France depuis 2007 parce qu’il contient de la
diméthyltryptamine (DMT).
Cette thèse a donc pour but de faire une revue bibliographique des connaissances actuelles sur
cette mystérieuse boisson. Dans une première partie, nous allons aborder son mode
d’élaboration et surtout les caractéristiques botaniques des différentes plantes qui la
composent. Puis dans une seconde partie, nous traiterons des aspects pharmacologiques en
faisant le détail des constituants chimiques, de leurs modes d’action et de leurs effets. Cette
partie sera également l’occasion d’évoquer une éventuelle toxicité et le statut légal qui en
découle. Enfin nous terminerons par faire une revue des usages de l’ayahuasca dans une
troisième partie. Nous verrons que ce breuvage est utilisé traditionnellement par les chamanes
des tribus indiennes d’Amazonie dans un but divinatoire ou comme outil thérapeutique. Mais
une mode autour de cette « plante sacrée » donne lieu à des dérives dénoncées en France par
des autorités comme la MIVILUDES (Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte
contre les Dérives Sectaires).
8
PARTIE I : UN BREUVAGE ISSU
DE DEUX PLANTES
9
I) Etymologie
Le terme ayahuasca vient du Quechua, une langue qui fut la langue officielle de l’Empire
Inca, et dont différentes variantes dialectales sont encore parlées en Amérique du Sud par six
à sept millions de locuteurs, indigènes pour la plupart (principalement au Pérou, en Equateur
et en Bolivie).
Il s’agit d’un mot composé. Il est formé à partir du mot huasca qui désigne, en fonction du
contexte, la corde ou la liane. A ce terme principal est collé le mot aya qui signifie selon la
version la plus répandue le cadavre et par extension, le défunt. Ainsi ayahuasca est souvent
traduit par « liane des morts » ou « des âmes défuntes ».
Toutefois, il existe une deuxième version affirmant qu’il s’agirait du qualificatif haya. Ce
dernier signifiant amer, on traduirait ayahuasca par « liane amère ». (Baud, 2008 ; Deshayes,
2004)
A cette incertitude sur les traductions possibles du mot "ayahuasca" s’ajoute la pluralité de ce
qu’ayahuasca peut désigner. Car si ayahuasca désigne d’abord une plante (dont l’identité
botanique est Banisteriopsis caapi), le terme est aussi employé pour désigner la boisson dont
cette liane est toujours le constituant, parfois seul, mais souvent additionné d’autres plantes.
Des pratiques indigènes de l’ayahuasca ont été recensées sur une large zone géographique qui
inclut la partie occidentale de ce qu’il est convenu d’appeler la grande Amazonie ainsi que des
zones de forêts tropicales disséminées le long du littoral pacifique, de l’Equateur au Panama.
Figure 1: Carte situant la région où l'ayahuasca est utilisé (en vert) (www.ayahuasca.com)
10
On estime à soixante-dix le nombre de groupes indigènes qui utiliseraient aujourd’hui
l’ayahuasca dans la région amazonienne. (Goulart, 2011)
L’exceptionnelle ethno-diversité de cette aire géographique est donc à l’origine de
nombreuses appellations différentes. (Luna, 1986)
En voici une liste non exhaustive :
Caapi ; ? ; Brésil
Dápa ; Wounaan ; Colombie, Panama
Datem ; Awajún ; Equateur, Pérou
Huni ; Cashinahua ; Brésil, Pérou
Inunii ; Urarina ; Pérou
Jono pase ; Ese Ejja ; Bolivie, Pérou
Kamarampi ; Asháninka, Ashéninka, Machiguenga ; Brésil, Pérou
Natem ou Natema ; Achuar, Shiwiar, Shuar, Wampís ; Equateur, Pérou
Nepi ; Tsachila ; Equateur
Oni ou nishi oni ; Shipibo-Conibo ; Pérou
Oofa ; Cofán ; Colombie, Equateur
Pildé ; Embera ; Colombie, Equateur
Ramanujú ; Yagua ; Pérou
Shori ; Yaminahua ; Bolivie, Brésil, Pérou
Tsipu ; Culina ; Brésil, Pérou
Tuhuipe ; Piaroa ; Colombie, Vénézuela
Uipa ; Guahibo ; Colombie, Vénézuela
Unao ; Huitoto ; Colombie, Pérou
Yaje ou Yage ; ? ; Colombie
Zoroopzi ; Candoshi ; Pérou
11
II) Composition du breuvage et mode de préparation
L’ayahuasca est une boisson pouvant être obtenue à partir de plusieurs espèces de plantes.
La liane Banisteriopsis caapi appartenant à la famille des Malphigiacées en est l’ingrédient
premier.
Dans la partie extrême occidentale de l’Amazonie, l’écorce issue de cette liane est préparée en
infusion dans de l’eau froide. (Schultes & Raffauf, 1990)
En revanche dans les autres régions, la cuisson est le mode d’obtention le plus courant. Les
tronçons préalablement lavés puis écrasés de cette liane sont mis à bouillir dans une marmite
pendant environ six à huit heures (figure 2).
A l’issue d’une dernière étape de réduction, on obtient une décoction de couleur marron, plus
ou moins épaisse selon la concentration. Celle-ci pourra être bue telle quelle. Le processus
total demande une dizaine d’heures de travail pour réduire 50 litres de préparation à
seulement 2 litres de boisson.
12
Mais le plus souvent diverses autres plantes sont ajoutées à cette boisson par le brasseur, ceci
pour en modifier la nature et l’intensité des effets ou pour d’autres raisons spirituelles.
Les additifs végétaux les plus couramment retrouvés sont les feuilles de chacruna (Psychotria
viridis), un arbuste de la famille des Rubiacées. (Pépin & Duffort, 2004)
Mais là encore la diversité ethnique induit une grande fluctuation dans la composition de
l’ayahuasca. Ainsi quatre vingt dix sept espèces de plantes appartenant à trente huit familles
végétales ont été recensées comme susceptibles d’être ajoutées à la liane Banisteriopsis caapi,
qui peut elle-même être remplacée par Banisteriopsis inebrians. (Ott, 1996)
Les autres plantes additives peuvent être d’autres Malphigiacées telles que Diplopterys
cabrerana ou encore d’autres plantes psychotropes telles que Brugmansia suaveolens,
Brunfelsia grandiflora, Callaeum antifebrile, Clusia sp., Heteropterys sp.. On peut également
citer les cactus contenant de la mescaline comme le peyote (Lophophora williamsii) et le San
Pedro (Trichocereus pachanoi), les feuilles de coca (Erythroxylum coca), le tabac (Nicotiana
tabacum) ainsi que diverses plantes de la famille des Solanacées.
Enfin il faut noter que plusieurs facteurs interviennent également dans la qualité de la boisson
préparée. Ce sont l’âge des plantes, le mode de conservation de la liane, la nature des
morceaux utilisés : épais ou fins, coupés près de la racine ou au sommet, leur couleur etc.
13
III) Banisteriopsis caapi (Spruce ex Griseb.)
Cette classification classique établit des groupes ou taxons en fonction d’un simple critère de
ressemblance globale. Chaque niveau correspond au regroupement d’organismes présentant
des caractères similaires.
Le sous règne des Tracheobionta regroupe les anciens embranchements des ptéridophytes et
des spermaphytes. Les caractères essentiels sont l’existence de racines et la présence de
vaisseaux (xylème et phloème) permettant la circulation de la sève.
La division des angiospermes regroupe l’ensemble des plantes à graines dont l’ovule, fécondé
par un tube pollinique, se transforme en un fruit clos. Leurs organes reproducteurs sont
condensés en une fleur, les angiospermes sont ainsi communément appelées « plantes à
fleurs ». Elles représentent la majeure partie des végétaux terrestres avec 250 à 300 000
espèces.
14
B) Famille des Malphigiacées
D’après les travaux compilés par William R. et Christiane Anderson (University of michigan)
et Charles C. Davis (Harvard University), la famille des Malphigiacées comprend environ
1300 espèces regroupées dans près de soixante-quinze genres.
(http://herbarium.lsa.umich.edu/databases.html)
Parmi elles, on peut citer l’acerola (Malphigia punicifolia) dont le fruit est utilisé pour sa
richesse en vitamine C.
Les plantes appartenant aux Malphigiacées sont des arbres, arbustes, ou des lianes, aux
feuilles opposées, des régions subtropicales à tropicales, originaires essentiellement
d’Amérique du sud.
La liane est pourvue d’hipsides (poils rudes et épais) serrés et bifurqués dits poils
malphigiens.
Les feuilles sont simples, généralement opposées ou verticillées, diversement stipulées, et
pourvues de pétioles.
Les fleurs sont regroupées en inflorescences : grappes, cymes, ombelles, panicules qui sont
terminales ou axillaires.
Le fruit se dissocie en coques souvent ailées et à déhiscence dorsale, nuciforme ou drupe.
(Brau, 2009)
C) Genre Banisteriopsis
Ce sont des plantes grimpantes et des lianes vivant dans les régions tropicales d’Amérique
centrale et d’Amérique du sud. Il a été recensé 98 espèces de plantes appartenant à ce genre,
les plus importantes étant B. caapi (Spruce ex Griseb.) Morton, B. inebrians, B. lucida, B.
muriatica, B. quitensis, B. rusbyana. (Schultes & Raffauf, 1990)
Nous nous limiterons ici à Banisteriopsis caapi (Spruce ex Griseb.) Morton qui est l’espèce la
plus étudiée car la plus utilisée traditionnellement.
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D) Banisteriopsis caapi (Spruce ex Griseb.) Morton
1) Description botanique
C’est une liane géante, à écorce lisse et brune. Elle a des axes, mesurant deux à trois
centimètres de diamètre, qui sont renflés aux nœuds. Ses tiges boisées sont très longues et
fournissent de multiples branches. (Boullard, 2001)
Elle étale des feuilles vert foncé, pétiolées, opposées, ovales acuminées. Elles sont longues de
quinze centimètres sur huit centimètres de largeur. Les feuilles jeunes sont pourvues de poils
malphigiens sur les deux faces qui leur donnent un aspect velu. En revanche elles sont glabres
à l’état adulte (figure 3).
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Le fruit est un samare (fruit sec indéhiscent, à une seule graine, muni d’une aile membraneuse
selon www.larousse.fr) de trois à cinq centimètres.
Afin d’éviter les confusions avec les autres espèces, ici B. rusbyana et B. inebrians, nous
pouvons spécifier quelques différences fondamentales qui serviront de clefs de détermination.
( Cuatrecasas, 1965)
B. caapi et B. rusbyana se distinguent bien quand elles sont en fleurs. Alors que la première
espèce est dotée de pétales glabres, roses ou rosâtres, B. rusbyana se caractérise par des
pétales jaunes et fortement velues à l’extérieur.
Ce critère n’est pas distinctif pour B. inebrians qui possède des inflorescences semblables à
celles de B. caapi. La différence entre les deux espèces est moins évidente, elles se
distinguent l’une et l’autre par la forme du fruit.
Le fruit de B. caapi possède une aile semi-ovale-elliptique, sans étranglement à la base. Pour
B. inebrians, l’aile du fruit est de forme semi-obovale, très large sur un côté vers le sommet,
étranglée au sommet de la base.
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Figure 6 : Dessins du fruit de B. caapi ( e ) et B. inebrians ( h)
(Cuatrecasas, 1965)
Banisteriopsis caapi (Spruce ex Griseb.) Morton pousse sous un climat tropical et subtropical
(précipitations comprises entre 1800 et 3500 mm par an, et températures oscillant entre 20 et
26°C), jusqu’à 1500 m d’altitude sur des sols non inondables.
Bien qu’elle puisse être cultivée en utilisant des boutures, la plante sauvage est davantage
appréciée par ceux qui l’utilisent.
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IV) Psychotria viridis Ruiz & Pavon
C’est la plante la plus fréquemment associée à B. caapi pour préparer la boisson "ayahuasca".
Elle est appelée chacruna en langage quechua, qui signifie "qui peut être mélangé". (Baud,
2008)
Avec plus de 5000 espèces essentiellement ligneuses, les Rubiacées sont une très vaste
famille, mais dont on ne peut saisir l’importance que sous les tropiques.
Les quelques genres qui habitent les régions tempérées comme les garances ou les gaillets
sont des plantes herbacées à l’aspect très particulier qui donnent une image tronquée de la
famille.
Pour nous pharmaciens, les Rubiacées sont la famille du caféier (genre Coffea), du quinquina
(genre Cinchona) et de l’ipéca (genre Ipeca), espèces toutes riches en alcaloïdes. (Dupont &
Guignard, 2004)
La plupart des Rubiacées des régions chaudes sont ligneuses : ce sont des arbustes ou de petits
arbres, mais aussi des lianes, des plantes grimpantes ou des épiphytes.
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Un caractère distinctif important est fourni par la disposition des feuilles. Les Rubiacées sont
typiques par leurs feuilles simples, opposées, à stipules bien développées.
La corolle de la fleur est soudée et tubuleuse; les étamines sont soudées au tube de la corolle.
Les fleurs sont généralement adaptées à la pollinisation par les insectes, elles sont groupées en
cymes ramifiées, ont une symétrie radiaire et sont généralement blanches, parfois jaunes,
roses ou bleues.
Le fruit est généralement une drupe ou une baie.
C) Genre Psychotria
C’est un genre pantropical taxonomiquement complexe comprenant selon les auteurs entre
800 et 2000 espèces. Considéré comme l’un des plus importants de la famille des Rubiacées,
il ne compte pas moins de 700 espèces en Amérique centrale et Amérique du Sud. (Meyer et
al., 2003)
C’est une plante vivace qui peut atteindre jusqu’à 5 mètres de haut.
Ses feuilles sont simples et opposées ; de forme elliptique, elles mesurent le plus souvent près
de 5 cm sur 2.5 cm.
Les fleurs sont blanches et disposées en grappes, l’inflorescence est terminale.
Les fruits sont des baies sphériques qui prennent une couleur rouge à maturité.
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V) Autres plantes additives
L’usage de ces plantes varie en fonction des traditions des groupes ethniques.
Nous nous contenterons ici de faire une description sommaire des principales.
A) Diplopterys cabrerana
Connue également sous le nom de chagropanga, il s’agit d’une liane appartenant à la famille
des Malphigiacées, qui pousse uniquement dans les forêts du bassin amazonien (Equateur,
Pérou, Brésil et Colombie).
Cette très longue vigne possède des feuilles opposées de forme ovale. Les inflorescences,
poussant à partir de l’aisselle pétiolée, portent chacune quatre minuscules fleurs.
Ce sont ses feuilles séchées qui peuvent être utilisées pour préparer le breuvage ayahuasca.
B) Brugmansia suaveolens
Brugmansia suaveolens est une plante originaire d’Amérique du Sud appartenant à la famille
des Solanacées (comme le datura).
C’est un arbuste qui peut atteindre une hauteur de 3 à 4 mètres.
Ses fleurs sont de couleur blanche ou rose et possèdent une forme particulière de calices
mesurant 10 à 30 cm. Brugmansia suaveolens est d’ailleurs communément appelée Trompette
des anges.
Longtemps confondu avec le Datura, la principale distinction entre les deux genres vient du
fait que les feuilles de Datura sont érigées alors que celles du Brugmansia sont pendantes.
Brugmansia suaveolens est utilisée comme principal additif parmi les Yagua. (Chaumeil,
2000)
Elle est également utilisée seule en macération chez les Aguarana. (Baud, 2008)
C) Brunfelsia grandiflora
Il s’agit d’un arbuste appartenant à la famille des Solanacées. Il peut atteindre 5 m de haut et
pousse jusqu’à une altitude de 2000m. Deux variétés sont connues, une à fleurs blanches, une
autre à fleurs violettes. Toutes deux fleurissent trois à quatre fois par an.
La racine et la tige sont les parties utilisées dans la préparation de l’ayahuasca. (Baud, 2008)
22
PARTIE II : ANALYSE
PHYTOCHIMIQUE,
PHARMACOLOGIE ET TOXICITÉ
DE L’AYAHUASCA
23
Avant d’aborder les aspects pharmacologique et toxicologique de l’ayahuasca, nous
commencerons d’abord par étudier la composition de cette boisson, en essayant de
caractériser ses constituants actifs de façon qualitative et quantitative.
A) Historique
1) Découverte
Il faut attendre le milieu du 19è siècle pour que les européens découvrent la préparation et
l’utilisation du breuvage ayahuasca. Le botaniste anglais Richard Spruce fut le premier à en
rendre compte en 1851 lors de ses explorations le long des affluents du fleuve Amazone. Il
observa l’usage de décoctions parmi diverses tribus amérindiennes (les Tukano du Río
Vaupés, les Indiens Guahibo du haut Orénoque de la Colombie et du Venezuela, puis les
Zápara de l’Équateur). Toutes ces décoctions avaient en commun la présence de B. caapi,
contrairement aux feuilles de P. viridis qui n’étaient pas présentes systématiquement. Spruce
préleva des échantillons de ces plantes qu’il expédia en Angleterre.
Mais ce n’est qu’en 1968 que débuta l’étude chimique des échantillons de R. Spruce. Bo
Holmstedt et Jan-Erik Lindgren, à l’institut Karolinska à Stockholm, utilisèrent des méthodes
modernes de chromatographie pour en faire une analyse précise. (Callaway et al., 2005)
Plusieurs études analytiques furent réalisées dans le but d’évaluer la composition qualitative
et quantitative de l’ayahuasca et de ses plantes constitutives.
- Les travaux menés sur B.caapi par Hochstein et Paradies (1957), les premiers à
rapporter la présence d’alcaloïdes β-carbolines : harmine, harmaline et
tetrahydroharmine (THH) ainsi que d’harmol, harmine N-oxyde, methyl ester
24
d’acide harmique, acide harmalinique, acide harmique, acétylnorharmine et
ketotetrahydronorharmine.
- L’étude réalisée en 1972 par Rivier et Lindgren qui ont utilisé la chromatographie
en phase gazeuse avec détection par spectrométrie de masse, sur des échantillons
prélevés chez les tribus indiennes Sharanahua et Culina, sur la rive supérieure du
Rio Purús au Brésil. (Rivier & Lindgren, 1972)
En plus des constituants déjà découverts dans B. caapi, ils ont rapporté la présence
de 6-methoxytryptamine.
Ils ont également analysé des échantillons de P. viridis, dans laquelle ils ont
identifié de la dimethyltryptamine (DMT), monomethyltryptamine et 2-methyl-
1,2,3,4-tetrahydro-β-carboline.
- Les travaux de Kawanishi et al. qui ont mis en évidence deux constituants
alcaloïdes plus mineurs dérivés de la pyrrolidine : la shihunine et la (S)-(+)-
dihydroshihunine. (Kawanishi et al., 1982)
- L’étude réalisée en 1984 par McKenna et al. qui ont utilisé la chromatographie
liquide haute performance avec une détection UV à 260 nm, sur des échantillons
prélevés à Pucallpa au Pérou. (McKenna et al., 1984)
- Les travaux d’Aquino et al. qui ont mis en évidence la présence de terpénoides : le
stigmasterol, le β-sitosterol, l’acide ursolique, l’acide oléanolique et le nérolidol.
(Aquino et al., 1991)
- L’étude réalisée plus récemment en 1995 par J.C. Callaway et al. que nous allons
détailler ci-dessous afin d’avoir une idée plus précise du mode opératoire de ces
analyses. (Callaway et al., 2005)
25
B) Etude de J.C. Callaway
1) Contexte
Le 7 octobre 1995, des échantillons de B. caapi et P. viridis furent collectés au Brésil par des
membres du groupe d’União do Vegetal (UDV), groupe religieux qui utilise ces plantes. La
collecte eut lieu entre 6 et 9 heures du matin, sur 22 sites différents, dans une zone comprise
entre 23.8° sud et 67.38° ouest.
Pour compléter cette étude, des échantillons de feuilles de P. viridis furent prélevés sur le
même arbuste mais à plusieurs heures d’intervalle ; ceci afin d’examiner des possibles
variations circadiennes dans la composition.
Tous les échantillons récoltés furent minutieusement séchés à température ambiante (25 à
35°C) pendant plusieurs jours puis conservés dans des enveloppes papier, dans une pièce
sèche à l’abri de la lumière.
Puis environ 30 grammes de chaque échantillon de B. caapi furent broyés puis à nouveau
séchés pendant encore une semaine. On préleva ensuite 100 milligrammes de chaque
échantillon pour faire une extraction par le méthanol.
Quant aux échantillons de P. viridis, des feuilles entières de chaque prélèvement furent pesées
et mélangées dans un solvant composé de 67% de méthanol, 11% d’acétonitrile et 22%
d’acétate d’ammonium à pH 8.
3) Technique utilisée
26
4) Résultats
B. caapi P. viridis
27
D’autre part les échantillons de P. viridis récoltés à des heures différentes furent également
analysés. Sur la figure 9, on peut voir que la concentration de DMT dans les feuilles de P.
viridis augmente jusqu’à 6h, avant une légère baisse de 6 à 9h. Puis la concentration
augmente à nouveau progressivement jusqu’à atteindre son maximum à 18h, heure à partir de
laquelle elle décroît brutalement.
10
9
mg/g de DMT
5
0 5 10 15 20
Heure du jour
Aucune raison n’a encore été avancée pour expliquer cette fluctuation, bien que des variations
similaires aient déjà été observées dans d’autres plantes à alcaloïdes.
Il apparaît cependant qu’une élévation de la consommation de DMT coïncide avec les heures
les plus chaudes de la journée. Ainsi certains ont supposé que P. viridis produisait de la DMT
dans le but de se protéger des radiations solaires, la DMT ayant une absorption UV maximale
pour une longueur d’onde comprise entre 280 et 315 nm, soit celle des rayons UVB. (Itenov
et al., 1999)
28
5) Conclusion
Les extraits les plus actifs, issus des branches et des grosses tiges, ont été standardisés puis
fractionnés en utilisant une méthode de chromatographie en phase inverse.
Ainsi, à l’issue de cette étude, plusieurs nouveaux constituants ont été mis en évidence : deux
alcaloïdes glycosides nommés banistenoside A et banistenoside B, deux molécules
proanthocyanidines, epicatechine et procyanidine B2, et enfin un disaccharide β-D-
fructofuranosyl-(2→5)-fructopyranose.
29
D) Synthèse des différentes études
Les constituants chimiques de l’ayahuasca et des plantes utilisées pour sa préparation ont été
bien caractérisés au fil des études successives. Voici une liste récapitulative des constituants
chimiques identifiés jusqu’à présent :
30
On peut préciser que les trois constituants recensés pour P.viridis ne sont surement pas les
seuls mais on se heurte ici à la pauvreté de la littérature sur le sujet.
Par ordre décroissant selon leurs proportions dans les décoctés, les alcaloïdes identifiés dans
la grande majorité de ces breuvages sont : l’harmine, la 1,2,3,4-tétrahydroharmine (THH), la
N,N-diméthyltryptamine (DMT), l’harmaline, et parfois l’harmol. L’harmaline et l’harmol
sont le plus souvent présents en petites quantités, n’atteignant que 5 à 6% du poids total des
alcaloïdes.
Il existe une proximité biochimique entre l’ensemble de ces molécules : elles possèdent toutes
un noyau indole, et à l’instar de la sérotonine, dérivent par biosynthèse de l’acide aminé
tryptophane.
L’harmine, la THH, l’harmaline et l’harmol appartiennent à la famille des β-carbolines, la
DMT à celle des tryptamines.
31
Les concentrations et doses moyennes des différents alcaloïdes par prise d’ayahuasca sont
résumées dans le tableau 3, établi à partir des recherches comportant des analyses
quantitatives.
β-
HARMINE HARMALINE THH DMT
CARBOLINES* TECHNIQUES
Contexte N (mg/ml) (mg/ml) (mg/ml) (mg/ml)
(mg/ml) REMARQUES
Dose/prise Dose/prise Dose/prise Dose/prise
Dose/prise
Rivier &
Indiens Kulina et Sharanawa, 0,14 ± 0,06 0,052 ± 0,03 0,20 0,12 ± 0,04
Lindgren Rio Purús, Pérou
6
30 mg
Trace
10 mg 41 mg 25 mg
CG-SM
(1972)
Guérisseurs métis de
McKenna et al. 4,67 ± 0,2 0,41 ± 0,03 1,60 ± 0,08 6,68 0,6 ± 0,06 HPLC
Pucallpa, 5
(1984) 280 mg 24 mg 96 mg 400 mg 36 mg quantitative
Pérou
CG-SM
Provenance et
Liwszyc et al. Santo Daime 1,49 1,39 2,88 0,53
1 Trace volume des
(1992) (Amérique du Sud) 112 mg 104 mg 216 mg 40 mg
prises non
précisés
HPLC
Santo Daime,
Don et al. 0,74 0,06 0,58 1,38 0,55 quantitative
Céu do Mar, 4
(1998) 56 mg 4,5 mg 44 mg 105 mg 41 mg Pas d'écarts-
Rio de Janeiro, Brésil
types
União do Vegetal,
Callaway et al. 1,70 0,20 1,07 2,97 441 0,24 HPLC
Nucleo Caupuri, 1
(1999) 252 mg 29,6 mg 159 mg mg 35,5 mg quantitative
Manaus, Brésil
Dans ce tableau, les doses par prise ont été calculées en se basant sur un volume moyen établi
de 75 ml d’ayahuasca par prise.
Les teneurs en DMT retrouvées dans les échantillons varient entre 0.12 et 0.60 mg/ml, avec
une moyenne de 0.40 mg/ml. Les concentrations pour l’ensemble des β-Carbolines
s’échelonnent entre 0.20 et 6.68 mg/ml, avec une moyenne de 2.82 mg/ml.
32
On peut noter des variations relativement importantes des concentrations en fonction des
études réalisées. Celles-ci peuvent s’expliquer assez facilement par les différences de
préparation des boissons.
En effet, dans la région du Rio Purús (région source des échantillons collectés par Rivier &
Lindgren), la décoction est portée à ébullition pendant une heure, sans autre traitement. En
revanche à Pucallpa (lieu de récolte des échantillons de McKenna), la concentration du
breuvage est réalisée par 10-15 heures de cuisson.
On comprend donc aisément que ce dernier procédé aboutisse à une boisson beaucoup plus
concentrée en principes actifs.
33
II) Le point sur la Diméthyltryptamine (DMT)
A) Historique
La première évocation de la DMT dans la littérature remonte à plus de cinq siècles. Elle est
issue des récits d’un moine qui participait en 1496 à la seconde expédition de Christophe
Colomb aux Amériques. Il décrivit les indiens Taino, sur l’île d’Hispaniola (Haïti), utilisant
une poudre qu’ils appelaient "kohhobba" et qui était "si forte que sa prise provoquait une
perte de conscience".
Mais ce n’est que bien plus tard, en 1946, que la DMT fut pour la première fois extraite des
racines de Mimosa hostilis par l’ethnobotaniste brésilien Gonçalves Delima.
Aujourd’hui la DMT a été recensée dans plus de cinquante espèces de plantes, notamment
Mimosa tenuiflora et évidemment B.caapi (Gaujac et al., 2012).
Elle est reconnue comme un principe actif essentiel de l’ayahuasca et d’autres préparations à
base de plantes psychotropes.
La DMT est également présente chez les mammifères : elle serait produite de façon endogène.
On la retrouve par conséquent dans plusieurs tissus humains ainsi que dans le sang et l’urine,
mais son rôle endogène est encore mal connu. (Barker et al., 2012)
Beaucoup d’études sur la DMT et ses composés dérivés ont mis en évidence des effets et des
caractéristiques pharmacologiques propres aux hallucinogènes. Hollister (1968) affirme que
« ce sont des composés chimiques qui, à des doses non toxiques, entraînent une modification
des perceptions, du cours de la pensée et de l’humeur, et provoquent plus rarement un état de
confusion mentale, de troubles de mémoire, ou une désorientation à l’égard des personnes, de
l’espace et du temps ».
Parallèlement à ces études la molécule a connu dans les années soixante un essor en tant que
drogue à usage récréatif. On la connaît alors sous le nom de « voyage de l’homme
d’affaires ». En effet, classiquement fumée, elle provoque un effet hallucinogène quasiment
immédiat et de courte durée (on pouvait effectuer le voyage au cours d’une heure de déjeuner,
d’où le qualificatif). Ceci contraste avec le LSD dont les effets durent de huit à douze heures.
(Cakic et al., 2010)
B) Pharmacocinétique
Les premières études pharmacologiques sur la DMT ont rapidement conclu à une inactivité
par voie orale, même à une dose très élevée de 350 mg (4.7 mg / kg soit plus de dix fois la
dose seuil par voie intramusculaire). (Szára, 1956)
En effet l’alcaloïde est rapidement dégradé par les monoamines oxydases (MAO) digestives
en métabolites inactifs. Nous verrons plus tard que c’est l’action IMAO de l’harmine qui
permet à la DMT d’engendrer ses effets dans l’ayahuasca.
En revanche, bien que de courte durée, l’action de la DMT est effective par voie parentérale.
Une injection intramusculaire (IM) engendre un pic plasmatique au bout de dix minutes. La
concentration redevient nulle en une heure. Le délai est encore plus court par voie
intraveineuse (IV) : on observe le pic plasmatique 2 minutes après administration et les
concentrations redeviennent nulles en moins d’une demi-heure. (Brierley & Davidson, 2012)
Il est intéressant de connaître l’évolution de ces taux plasmatiques car les études ont montré
que l’activité psychique et les effets subjectifs de la DMT y sont étroitement liés.
On comprend donc que les effets soient beaucoup plus intenses et beaucoup plus rapides par
voie IV (doses seuils pour les effets psychédéliques évaluées à 0.2 mg / kg) que par voie IM
(doses seuils de 0.7 à 1 mg / kg). (Strassman, 1996)
Pour finir, il faut souligner la très grande variabilité interindividuelle des taux plasmatiques de
la DMT pour une même dose administrée : d’un facteur 6 à 7 par voie IV ou IM et d’un
facteur 2 après absorption d’ayahuasca. (Bois-Mariage, 2002)
35
C) Manifestations cliniques de la DMT
1) Effets hallucinogènes
Les effets hallucinogènes ont été très bien décrits par Sai-Halász et al. (1958) lors d’une étude
sur l’administration de DMT (0.7 à 1 mg / kg en IM) à 30 volontaires sains.
Ils ont noté :
2) Autres effets
Au niveau cardiovasculaire, des études contrôlées contre placebo ont mis en évidence une
hausse dose-dépendante de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque. (Strassman &
Qualls, 1994)
Au niveau du système nerveux autonome, on observe une mydriase ainsi qu’une élévation de
la température corporelle.
36
Enfin sur le plan endocrinien, l’administration de DMT augmente les taux sanguins de
prolactine, du cortisol, de l’hormone de croissance et de l’hormone adénocorticotrope
(ACTH).
Tous ces paramètres sont liés à l’activation des récepteurs 5-HT2, ce qui laisse préjuger d’un
effet régulateur de la DMT sur le système sérotoninergique.
Ainsi il a été établi que la DMT a une affinité pour les récepteurs dopaminergiques D1, les
récepteurs adrénergiques α1 et α2 et les récepteurs imidazoline I1.
Mais c’est surtout via son action agoniste sur les récepteurs sérotoninergiques 5HT2A,
récepteurs très présents dans le néocortex, qu’elle exerce les effets psychoactifs. (Smith et al.,
1998)
Cette corrélation entre l’affinité pour les récepteurs 5HT2A et la génération d’effets
psychédéliques est une caractéristique partagée par toutes les substances hallucinogènes, en
dépit des différences structurelles. (Glennon et al., 1984 ; Rabin et al., 2002)
Dans une moindre mesure, la DMT a une action agoniste sur les récepteurs sérotoninergiques
5HT1A, 5HT2B et 5HT2C.
Plus récemment des études ont montré une affinité pour les récepteurs TAAR1 (Trace Amine
Associated Receptors).
Cette famille de récepteurs fait l’objet d’un intérêt considérable dans l’industrie
pharmaceutique. En effet ils sont activés par les amines traces qui sont des dérivés
métaboliques endogènes des amines biogènes classiques (amphétamine et metamphétamine).
Ils seraient donc impliqués dans les pathologies neurologiques et psychiatriques. (Brierley,
2012)
37
Enfin en 2009, Fontanilla et al. ont mis en évidence une action de la DMT sur les récepteurs
sigma σ1. Ces récepteurs sont localisés dans de nombreux tissus au sein du SNC (noyaux des
nerfs crâniens, hippocampe, cortex) ainsi que dans des tissus périphériques : cœur, foie, rate.
Beaucoup de neuroleptiques constituent des ligands de ces récepteurs.
Ils joueraient un rôle dans la régulation cardiovasculaire, la schizophrénie ou encore la
dépression.
E) Statut légal
Depuis la convention sur les substances psychotropes de 1971, la DMT est incluse dans le
tableau I qui répertorie les substances ayant un potentiel d’abus présentant un risque grave
pour la santé publique et une faible valeur thérapeutique. Son usage est depuis réglementé et
surveillé dans de nombreux pays.
38
III) Le point sur les β-CARBOLINES
Ce sont des composés tricycliques qui constituent la part majoritaire des alcaloïdes de
l’ayahuasca. Découverte en 1847, après avoir été isolée des graines de Peganum harmala,
l’harmine est le composé qui a fait l’objet de plus d’études.
La pharmacologie des β-carbolines chez l’homme reste aujourd’hui mal identifiée : des
incompréhensions subsistent quant à leurs effets et leur mode d’action.
Les MAO sont des enzymes mitochondriales impliquées dans la dégradation des principaux
neurotransmetteurs chimiques à structure monoamine : sérotonine, dopamine, noradrénaline,
adrénaline. En contribuant à leur inactivation, elles jouent un rôle dans la régulation de
l’humeur.
Il existe deux iso-enzymes, MAO-A et MAO-B, que l’on retrouve toutes deux à des taux
élevés au niveau cérébral. La MAO-A montre également une forte activité au niveau digestif
et hépatique.
La première preuve du rôle inhibiteur des β-carbolines résulte des travaux de Undenfriend et
ses collaborateurs (1958). Ils ont démontré que l’harmine, l’harmaline et la THH agissent
comme des inhibiteurs de la MAO selon un mécanisme d’inhibition compétitive réversible.
Des études plus récentes ont confirmé ces conclusions : l’harmine s’avère être le composé qui
possède l’activité inhibitrice la plus puissante. Elle agit préférentiellement sur la MAO-A à
des concentrations nanomolaires (IC50=2-5 nM). (Samolyenko et al., 2010)
39
2) Interactions avec les différents récepteurs
De par la diversité des interactions avec les différents récepteurs, les β-carbolines engendrent
des effets pharmacologiques variés.
Des tests biochimiques et comportementaux ont été effectués sur des rats pour évaluer les
effets de l’harmine. En situation de stress forcé, l’administration d’harmine pendant quarante
jours a diminué les symptômes d’anhédonie et normalisé les taux d’ACTH et de BDNF (Brain
derivated neurotrophic factor).
Le test de la nage forcée a également présenté des résultats intéressants : augmentation du
temps de nage et diminution du temps d’immobilisation.
Ces résultats sont en faveur d’un effet anxiolytique et antidépresseur de l’harmine. (Fortunato
et al., 2010)
40
Un premier rapport publié en 1957 par Pennes et Hoch a conclu à une absence d’effets
hallucinogènes après une prise orale d’harmine, administrée à une dose d’un gramme chez des
patients psychiatriques et schizophrènes.
Naranjo (1967) a ensuite affirmé que l’harmine avait un potentiel hallucinogène à partir d’un
seuil de 8 mg/kg per os (soit près de la moitié de la dose administrée par Pennes et Hoch).
Cette dose seuil serait de 4 mg/kg pour l’harmaline. Toutefois, l’étude de Naranjo ayant été
effectuée sans contrôle placebo, on peut émettre des réserves quant à ces conclusions.
Des observations plus récentes sont disponibles, elles concernent des effets subjectifs issus de
rapports d’auto-expérimentations. Tous ces rapports compilés par Shulgin et al. (1997)
décrivent là encore l’harmine de façon contradictoire, ce qui empêche de conclure à une
réponse pour une dose type.
Elle induirait des effets dysphoriques, des réactions allant de la relaxation (300 mg par voie
sublinguale) à la sédation (140 mg par voie orale), de l’excitation à l’agitation (40 mg per os),
ou même des symptômes psychotiques (300-400 mg per os).
Quant à l’harmaline, les auteurs ont relaté leurs propres expériences. Ils n’ont pas ressenti
d’effets avec 100 mg per os, décrivent un effet d’engourdissement et d’altération de la
perception auditive avec 150 mg, et parlent de visions les yeux fermés pour des doses
supérieures à 200 mg.
Par conséquent, en s’appuyant sur ces constats, il semble difficile de conclure à un effet
hallucinogène typique des β-carbolines. On peut donc supposer que les manifestations de
l’ayahuasca sont plutôt liées à la présence de DMT.
2) Effets cardiovasculaires
L’harmine et l’harmaline provoquent toutes deux une bradycardie et une hypotension aigue
après administration IV. (Pennes & Hoch, 1957)
3) Effets sérotoninergiques
L’action inhibitrice des MAO provoque une accumulation des amines biogènes (dont la
sérotonine) normalement dégradées par ces enzymes. (Brierley, 2012)
L’administration d’harmaline contribue donc à une élévation du taux de sérotonine au niveau
cérébral, dont voici les conséquences :
41
• Au niveau endocrinien : une augmentation des taux d’hormone de croissance (GH) et
de prolactine
• Des nausées, vomissements, diarrhées, liés à la stimulation de la motricité intestinale
causée par l’augmentation des taux périphériques de sérotonine
• Une hypothermie dose-dépendante qui semblerait liée à la stimulation hypothalamique
des récepteurs post-synaptiques 5HT1
4) Autres effets
• Effet tremogène
L’harmine et l’harmaline sont connues pour leur effet tremogène. Des expérimentations
menées chez le rat ont montré un syndrome dose-dépendant se traduisant par une excitation,
des tremblements généralisés associés à une ataxie, des convulsions avec en parallèle une
modification de l’activité électrique du système nerveux central (révélée sur
l’électroencéphalogramme).
La fréquence, l’intensité et la durée de ces tremblements sont corrélées à la dose de β-
carbolines administrée et à la nature de la substance en cause. L’harmaline engendrerait ainsi
des effets plus puissants et plus longs que l’harmine. (Fuentes & Longo, 1971)
Les mécanismes responsables de ces tremblements ne sont pas réellement élucidés. Une
première hypothèse se base sur des interactions au niveau des neurotransmissions
GABAergiques, plus précisément par une action agoniste inverse des récepteurs des
benzodiazépines. (Prantazatelli & Snodgrass, 1987)
Une autre hypothèse repose sur une action des β-carbolines sur le système extrapyramidal
dopaminergique : elles bloqueraient la synthèse de dopamine. Mais là encore les conclusions
des études divergent. Les β-carbolines auraient, fonction des doses administrées, une
influence à clarifier sur le taux de dopamine au niveau cérébral, en agissant à la fois sur la
synthèse et la dégradation de la dopamine.
• Effet anti-infectieux
42
d’Amérique du Sud. De nombreuses espèces de plantes sont ainsi utilisées pour traiter des
infections bactériennes.
Bussmann et al. (2010) ont cherché à évaluer l’activité antimicrobienne d’espèces de plantes
provenant du nord du Pérou. Ils ont montré par cette étude que des extraits aqueux et
alcooliques de B.caapi présentaient un effet intéressant sur Escherichia coli. Ce sont
l’harmine et l’harmaline qui possèdent in vitro une activité antibactérienne, dirigée contre
certaines bactéries gram+ pour l’harmaline et contre certaines bactéries gram+ et gram- pour
l’harmine.
D’autre part, l’harmine présenterait une activité antifongique contre certaines espèces,
notamment Fusarium moniliforme. Elle jouerait également un rôle antagoniste au niveau du
système musculaire de certains parasites : l’harmine a montré une action inhibitrice sur
Trypanosoma cruzi, l’agent étiologique de la maladie de Chagas. (Patel, 2012)
Cette action antiparasitaire combinée aux vomissements serait connue des chamans et mise à
profit dans l’ayahuasca.
• Effet anti-tumoral
Des extraits de graines de Peganum harmala ont présenté une activité cytotoxique contre
plusieurs lignées de cellules murines in vitro et un effet anti-tumoral sur un modèle de tumeur
in vivo. L’activité anti-proliférative des β-carbolines suscite donc un intérêt important
aujourd’hui. Des tests de screening sont effectués pour obtenir des molécules avec un effet
anti-tumoral important mais moins neurotoxiques. (Rihui, 2012)
43
IV) Pharmacologie de l’ayahuasca
Dans la seconde moitié des années 60, des ethnobotanistes firent le constat que des feuilles
contenant quasi exclusivement de la DMT servaient d’additifs fréquents dans les décoctions
de B. caapi. Cette découverte fut une surprise car ils savaient déjà à l’époque que la
diméthyltryptamine était inactive par voie orale. (Poisson, 1965 ; Agurell et al., 1968)
Afin d’expliquer alors l’efficacité de la DMT après ingestion d’ayahuasca, ils avancèrent
l’hypothèse d’une contribution des β-carbolines apportées par la liane B. caapi ; plus
particulièrement de leur capacité à inhiber de façon réversible une enzyme largement
répandue dans notre organisme : la monoamine oxydase.
Ce n’est qu’en 1984 que cette supposition fut précisée et testée expérimentalement par
McKenna qui étudia in vitro l’effet inhibiteur de la MAO sur des échantillons dilués
d’ayahuasca. Il formula la théorie toujours en vigueur aujourd’hui : une rapide destruction
viscérale de la DMT par la MAO est bloquée par l’action IMAO conjointe - mais non
synergique - de l’harmine et de l’harmaline, rendant ainsi la DMT active par voie orale.
(McKenna et al., 1984)
Enfin on peut supposer que l’inhibition de la MAO contribue également à l’action des autres
substances psycho-actives parfois présentes dans le breuvage : la nicotine issue de Nicotiana
tabacum, la cocaïne de Erythroxylum coca, la caféine de Ilex guayusa ou les alcaloïdes des
Solanacées, l’atropine, la scopolamine et la hyoscyamine. (Pinkley, 1969; Ott, 1994).
44
B) Expérimentation pharmacologique de l’ayahuasca
La littérature recense peu d’études centrées sur l’ayahuasca et menées avec une méthodologie
rigoureuse. L’une d’elle a été menée, à l'invitation du groupe religieux UDV (União Do
Vegetal), sur 15 volontaires de sexe masculin (âge compris entre 26 et 48 ans) ayant déjà
expérimenté l’ayahuasca à travers leurs pratiques religieuses depuis au moins 10 ans (les
membres d’UDV ingèrent classiquement l’ayahuasca une fois toutes les deux semaines).
(Callaway et al., 1999)
Chaque volontaire s’est vu administré per os la dose de 2 ml / kg d’ayahuasca, dont voici les
concentrations en alcaloïdes : harmine 1.70 mg / ml, harmaline 0.20 mg / ml, THH 1.07 mg /
ml et DMT 0.24 mg / ml.
- Prélèvements sanguins à 0, 20, 40, 60, 90, 120, 180, 240, 360, 480 min et 24 h
après administration.
- Mesure des taux plasmatiques de DMT, harmine, harmaline et THH par des
méthodes de CPG et HPLC.
- Examen et contrôle du pouls, de la tension artérielle, de la respiration, de la
température corporelle et du diamètre de la pupille après chaque prise de sang.
Cette étude à fourni des informations sur la pharmacocinétique de l’ayahuasca ainsi que sur
ses effets subjectifs, cardio-vasculaires et neuroendocriniens.
1) Paramètres pharmacocinétiques
La mesure des concentrations des différents alcaloïdes dans chaque prélèvement sanguin a
permis de calculer plusieurs paramètres : la Cmax, le temps de concentration plasmatique
maximale Tmax, le temps de demi-vie t1/2, la clairance Cl et le volume de distribution Vd.
Bien que des pics plasmatiques de DMT aient été détectés chez tous les sujets, seuls 12
d’entre eux avaient des concentrations suffisantes pour calculer tous les paramètres.
45
En ce qui concerne l’harmaline, les taux très faibles n’ont permis le calcul de la Cmax et du
Tmax que chez 5 volontaires. Enfin les paramètres de l’harmine et du THH n’ont été
déterminés que chez 14 sujets.
6,3 145,0
Harmaline (3,1) (66,9)
. . .
D’autre part, on constate des variations importantes d’écarts types pour la plupart des
constantes calculées. Ceci dénote une grande variabilité interindividuelle d’absorption et de
métabolisme pour les alcaloïdes de l’ayahuasca.
46
2) Effets psycho-actifs
Afin de mesurer ces effets subjectifs, les auteurs ont utilisé l’échelle HRS (Hallucinogenic
rating scale). C’est un questionnaire d’auto-évaluation développé pour quantifier les effets
somatiques et psychologiques des drogues hallucinogènes. Il comporte 71 items qui
permettent de mesurer l’action sur six paramètres : l’émotion, la cognition, les intentions, la
perception, la somesthésie et la volonté. (annexe)
Les réponses au questionnaire ont été recueillies avant, pendant et après l’administration du
breuvage.
En résumé, les scores obtenus sont faibles si on les compare avec ceux obtenus après
administration IV de la DMT. Par exemple, l’absorption d’une dose de 0.48 mg / kg de DMT
peut être comparée en terme d’effets sur l’émotion, la cognition, les intentions et la volonté à
une dose IV de 0.1-0.2 mg / kg. (Grob et al., 1996)
Une étude menée plus récemment permet de compléter ces conclusions. Après administration
d’une dose d’ayahuasca versus placebo, on a cherché à évaluer les effets sur les sentiments
d’anxiété, de panique et de désespoir. Ces trois paramètres difficilement quantifiables ont été
mesurés par des échelles, respectivement la STAI (State trait anxiety inventory), la ASI
(Anxiety sensitivity index) et BHS (Beck hopelessness scale).
Une heure après l’ingestion, on a observé un effet significatif sur les scores ASI (score de 7
contre 1) et BHS (score de 5 contre 0), mais peu d’influence sur le score STAI (score de 4
contre 2). L’administration d’ayahuasca a donc atténué les sentiments de panique et de
désespoir. (Santos et al., 2007)
47
3) Effets cardiovasculaires
Le rythme cardiaque et la tension artérielle ont été mesurés chez quatorze volontaires au
moment de l’administration t0, puis à t20, t40, t60, t90, t120, t180, t240, t360, t480 et enfin au bout de
24 heures. L’évolution des valeurs moyennes mesurées est représentée sur la figure 15. La
fréquence cardiaque, exprimée en battements par minute, et les pressions artérielles, en mm
Hg, partagent la même échelle numérique sur l’axe vertical.
160
mm Hg et battements par minute
140
120
Fréquence cardiaque
100 Pression diastolique
Pression systolique
80
60
0 50 100 150 200 250
Minutes
On voit que l’administration d’ayahuasca a entraîné chez les volontaires une hausse de tous
les paramètres mesurés. L’augmentation de la pression artérielle a été maximale à 40 min
post-administration tandis que le pic de fréquence cardiaque a été observé à 20 min. Pour ces
deux paramètres, on a observé un retour aux valeurs initiales 4 heures après administration.
En moyenne, la pression artérielle systolique a augmenté de 11 mm Hg, la pression
diastolique de 9.3 mm Hg et la fréquence cardiaque de 7.4 battements par minute. (Callaway
et al., 1999).
48
On constate cependant que ces élévations restent assez mesurées, elles sont ainsi nettement
moins prononcées (d’un facteur 2 environ) qu’après administration de DMT de synthèse.
Elles sont donc considérées comme « non hypertensives » dans le cas de l’ayahuasca alors
que l’exclusion des personnes souffrant ou ayant souffert d’hypertension a été préconisée
pour les protocoles de recherche sur la DMT. (Strassman & Qualls, 1994)
On peut certainement estimer que l’harmine, de part son effet hypotenseur et bradycardisant,
est responsable de l’amortissement de l’effet cardiovasculaire de la DMT.
4) Effets digestifs
L’ayahuasca provoque une mydriase qui est maximale 3 heures après administration. Il
accroît également le rythme respiratoire avec un maximum de 21 mouvements respiratoires
par minute observé au bout de 90 minutes. Enfin il augmente sensiblement la température
corporelle : une élévation de 0.3 °C a été enregistrée au bout de 4 heures.
6) Effets neuroendocriniens
C’est une autre étude qui a permis d’évaluer l’impact physiologique de l’ayahuasca sur la
fonction endocrinienne. Après administration d’une dose d’ayahuasca, on a mesuré les taux
sanguins de prolactine, de cortisol et d’hormone de croissance. Les mesures de la réponse
endocrinienne ont toutes montrées une hausse significative. Un pic des taux plasmatiques a
été enregistré à 60 minutes pour le cortisol, 120 minutes pour la prolactine, et 90 minutes pour
l’hormone de croissance. Un retour aux valeurs basales a été observé 6 heures après
administration. (Dos Santos et al., 2012)
49
C) Potentialités thérapeutiques ? Orientation des recherches
scientifiques
1) Parkinson et ayahuasca
A la fin des années 1920, l’harmine fut utilisée sur des animaux et des patients présentant des
symptômes d’akinésie et de rigidité. Les conclusions des essais mentionnèrent une
amélioration de la rigidité mais des résultats disparates quant aux tremblements. Pourtant ces
études pionnières furent critiquées et abandonnées pour plusieurs raisons, notamment la
question de l’agent actif et l’impossibilité de mener des études strictement contrôlées.
50
Bien plus tard, à la fin des années 1990, ces études furent reprises par le biais d’essais lancés
pour évaluer le bénéfice de l’utilisation d’extraits de B.caapi sur des patients atteints de
parkinson.
Pour rappel, nous avons évoqué précédemment l’action inhibitrice des β-carbolines sur les
MAO périphériques, enzymes responsables du catabolisme de la dopamine. On comprend
donc l’intérêt de B.caapi, qui par son action inhibitrice des MAO, peut augmenter l’activité
dopaminergique.
Ainsi Serrano-Dueñas et al. (2001) entreprirent une étude randomisée conduite en double
aveugle contre placebo, sur 30 patients nouvellement diagnostiqués parkinsoniens.
L’administration d’une dose unique d’un extrait de B.caapi a permis d’améliorer de façon
significative les fonctions motrices comme en atteste l’augmentation du score UPDRS
(Unified Parkinson’s Disease Rating Scale). Les effets bénéfiques furent maximaux deux
heures après administration et se prolongèrent jusqu’à quatre heures.
Il faut apporter un bémol : les tremblements ne furent pas améliorés, allant même jusqu’à une
exacerbation chez certains patients. De plus, tous les patients ressentirent des sensations de
nausées allant jusqu’à des vomissements.
Pour rappel, on sait que le plaisir procuré par une drogue provient se son interaction avec les
neurones dopaminergiques de l’aire tegmentale ventrale qui se projettent au niveau de
l’hypothalamus, de l’amygdale, du septum, du noyau accumbens et du cortex préfrontal.
Par conséquent, on trouve dans la littérature de nombreuses études qui s’appuient sur le lien
établi entre dopamine et « circuit de la récompense » et cherchent à évaluer l’apport de
l’ayahuasca dans les pathologies addictives. Beaucoup concluent à un réel intérêt.
L’ayahuasca serait ainsi bénéfique dans le traitement des dépendances à l’alcool et à d’autres
drogues.
D’autre part les consommateurs réguliers d’ayahuasca seraient moins exposés aux pathologies
psychiatriques et à la consommation d’alcool. (Fabregas et al., 2010)
Mais on peut rester circonspect devant de telles conclusions, l’ayahuasca étant lui-même
classé comme stupéfiant en France.
52
V) Toxicité
A) A court terme
La littérature scientifique s’avère très élogieuse envers l’ayahuasca. Réalité étonnante, mais
en observant attentivement, on s’aperçoit qu’elle émane de la recherche ethno-médicale et
psychédélique, tolérée aux Etats-Unis par la Food and Drug Administration (FDA).
Pourtant plusieurs décès ont été signalés en Amazonie ces dernières années avec à chaque fois
suspicion d’usage d’ayahuasca. Même si la justice locale n’a pas certifié le lien entre le décès
et la consommation d’ayahuasca, on peut conclure à une dangerosité évidente.
Pour rappel, le syndrome sérotoninergique est une situation potentiellement létale, qui fait
suite à un excès de sérotonine dans le système nerveux central. Ce syndrome provoque un
tableau associant rigidité musculaire, myoclonies, agitation, confusion, hyperthermie,
hyperréflexie, manifestations dysautonomiques, avec un risque de choc à résistances
vasculaires périphériques basses, de convulsions, de coma, de rhabdomyolyse et/ou de
coagulation intra-vasculaire disséminée. Les ISRS et les inhibiteurs de la monoamine oxydase
(IMAO) peuvent réaliser un tel syndrome, en situation pharmacologique ou toxicologique.
(Mégarbane, 2003)
Cette observation est essentielle car la classe médicamenteuse des ISRS comprend des
antidépresseurs figurant parmi les plus prescrits dans le monde, par exemple la fluoxétine, la
paroxétine, le citalopram et la sertraline. Il est donc recommandé d'arrêter impérativement
toute prise d'ISRS et de respecter un délai de huit semaines avant toute ingestion d'ayahuasca.
Cette précaution est étendue à tous les médicaments augmentant le taux de sérotonine
cérébrale libre (IRS-NA : inhibiteurs de la recapture de sérotonine et noradrénaline, IMAO-A,
précurseurs de la sérotonine). (Bois-Mariage, 2002)
53
B) A moyen et long terme
Afin d’évaluer les conséquences à long terme d’un usage régulier d’ayahuasca, une grande
équipe internationale (chercheurs finlandais, brésiliens, américains…) a conduit une étude
standardisée chez 15 membres d’un culte syncrétique brésilien, l’União do Vegetal (UDV).
Ces personnes avaient consommé de l’ayahuasca environ une fois par semaine pendant plus
de dix ans, à l’occasion des cérémonies du culte. L’étude a pourtant conclu à une normalité
physiologique, neuropsychologique et psychiatrique des sujets. (Grob et al., 1996)
En dépit de l’absence de toxicité réelle conclue par l’étude de Grob et al., nous ne pouvons
que rester mesurés face aux conséquences d’un usage prolongé d’ayahuasca. En effet, des
crises d’allure psychotique, de type bouffée délirante subaigüe, ont été décrites chez des
consommateurs tant occasionnels que plus expérimentés (faits plus rares). (Bois-Mariage,
2002)
Malgré leur faible prévalence, elles ne peuvent qu’inciter les consommateurs naïfs à la plus
grande précaution.
Enfin, pour étayer cet appel à la prudence, on peut citer le Docteur Gilbert Pépin qui affirme
que « les risques liés à l’utilisation d’un hallucinogène aussi puissant que l’ayahuasca (…)
sont essentiellement d’ordre psychologique : elle peut être un important facteur de
déstructuration psychologique. Elle autorise également une forme de soumission chimique
des adeptes par les responsables des sectes. » (Pépin, 2000)
54
c) Toxicité materno-fœtale (Oliveira et al., 2010)
Une étude récente menée sur des rats de laboratoire a évalué la dangerosité de l’ayahuasca sur
la mère et le fœtus.
Une toxicité maternelle a été mise en évidence chez des rates traitées avec des hautes doses
d’ayahuasca. Cette toxicité s’est traduite par une diminution significative de l’absorption de
nourriture et donc de la prise de poids au cours de la gestation.
D’autre part, il a été constaté une survenue plus fréquente de malformations viscérales et
d’anomalies au niveau du squelette (absence, réduction ou ossification incomplète du crâne et
des autres parties du squelette) ; ceci pour des doses intermédiaires et élevées. Les fœtus issus
des groupes traités aux plus hautes doses ont également présenté une baisse de leurs poids.
Ces résultats permettent donc de conclure que l’exposition à l’ayahuasca constitue un risque
pour la mère et le développement du fœtus. La toxicité semble dose-dépendante.
L'ayahuasca en tant que tel n'est pas réglementé par les conventions internationales. Sa
législation est variable d'un pays à l'autre.
• En France
En 2005, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps, aujourd’hui
ANSM) a proposé, sur avis de la Commission nationale des stupéfiants et des psychotropes, le
classement comme stupéfiants de la liane géante Banisteriopsis caapi (Ayahuasca) ainsi que
plusieurs autres plantes pouvant faire l’objet d’une utilisation similaire (Peganum harmala,
Psychotria viridis, Diplopterys cabrerana, Mimosa hostilis, Banisteriopsis rusbyana). Il en a
été de même pour plusieurs substances entrant dans la composition de la boisson appelée
ayahuasca (harmine, harmaline, tétrahydroharmine, harmol et harmalol), en raison d’une
utilisation à des fins hallucinogènes. Cette mesure a fait l’objet d’un arrêté publié au Journal
Officiel du 3 mai 2005, en remplacement de l’arrêté du 22 février 1990. (ansm.sante.fr)
Un recours, déposé le 4 juillet 2005 devant le Conseil d’Etat par les associations pour la
55
« Liberté du Santo Daime » et « La Maison qui chante » (Takiwasi), a demandé l’annulation
« pour excès de pouvoir l’arrêté du ministre de la solidarité, de la santé et de la famille ».
« Au regard des préoccupations de santé publique », ce recours a été rejeté par le Conseil
d'Etat lors de sa séance du 3 décembre 2007.
• En Europe
L’ayahuasca est légal en Belgique, toléré aux Pays-Bas dans le cadre religieux de Santo
daïme, mais illicite en Italie et en Espagne.
• Au Brésil
En 2006, l'ayahuasca a fait l’objet d’une dépénalisation définitive au titre d'objet de culte.
L'utilisation de l'ayahuasca a donc été confirmée légale dans un contexte religieux. Le
Bulletin Officiel de l’Etat brésilien est venu préciser depuis que l’usage de l’hallucinogène est
légal, pas sa commercialisation, et qu’il est interdit aux fidèles de quitter le lieu du rite tant
que les effets hallucinogènes n’auront pas cessé.
• Au Pérou
L'ayahuasca est utilisé dans le cadre de la médecine traditionnelle et est aujourd’hui intégrée
dans le système de santé officiel. Le gouvernement favorise aujourd’hui une politique
intégrative et complémentaire de la médecine qui intègre l’usage de l’Ayahuasca comme
pratique reconnue de soins. Il a dans ce but créé L’Institut National de Santé Interculturel
(INSI) en Janvier 2003. Le gouvernement péruvien a déclaré en juin 2008 « patrimoine
culturel de la nation » les « connaissances et usages traditionnels de l’ayahuasca tels que
pratiqués par les communautés indigènes amazoniennes »
• Aux États-Unis
Depuis le 21 février 2006, l'ayahuasca n'est plus pénalisé, selon un mandat de la cour suprême
de justice.
56
PARTIE III : LES DIFFÉRENTS
USAGES
57
Nous avons vu précédemment que les européens ont découvert l’ayahuasca au 19è siècle, à
travers les récits des explorations de Richard Spruce. Il est certain qu’à cette époque, l’usage
de l’ayahuasca était déjà très répandu chez bon nombre de tribus indigènes, à travers
l’ensemble du bassin amazonien.
Ce breuvage, utilisé à la fois pour la divination, en sorcellerie et en thérapeutique, est
profondément enraciné dans la mythologie indigène.
Nous allons donc découvrir dans un premier temps l’utilisation traditionnelle de l’ayahuasca
en abordant l’usage chamanique et ses rituels. Mais nous verrons ensuite que ces croyances et
traditions ancestrales ont été reprises et transformées par la modernité occidentale. Elles
connaissent en effet un vif regain d’intérêt depuis les années 1960 et le développement du
mouvement New Age qui fait le succès d’un néo-chamanisme aux formes très variées. Nous
aborderons ainsi les utilisations modernes de l’ayahuasca avec les usages religieux et les
usages dits "thérapeutiques".
Il est bien évident que ces usages, bien que différents, ne sont pas exclusifs les uns des autres.
Les frontières entre leurs pratiques ne sont pas si étanches et les emprunts sont fréquents entre
les uns et les autres. Toutefois le repérage de ces usages permet de différencier les approches.
I) Utilisations traditionnelles
58
Pourtant on peut imaginer que ces peuples précolombiens, familiarisés à l'utilisation de
plantes psychotropes, aient été également coutumiers de l'ayahuasca et de sa préparation.
On ignore aujourd’hui comment a été découverte la particularité pharmacologique de
l’ayahuasca (combinaison nécessaire de plantes contenant des β-carbolines à la liane
Banisteriopsis). Bien qu’on ne le sache peut être jamais, certains mythes fantasques tentent
d’y fournir une réponse.
Ainsi les ayahuasqueros Mestizos affirment que le savoir aurait été enseigné directement par
les "maîtres des plantes". Les maestros du groupe religieux brésilien UDV affirment, eux,
avec une égale conviction, qu’il proviendrait du "Premier scientifique", le roi Salomon, qui
aurait apporté la technique au roi Inca lors d’une visite dans le nouveau Monde pendant
l’antiquité. (McKenna, 2004)
Pour conclure, on peut affirmer avec certitude que l’ayahuasca, connue sous de nombreuses
appellations, était une pratique déjà très bien établie parmi les peuples indigènes endémiques
du bassin amazonien, lorsqu’elle est venue à l’attention des chercheurs modernes. (Schultes,
1957)
C’est une pratique traditionnelle, enracinée depuis des millénaires, dont la technique de
préparation et la connaissance des plantes appropriées étaient probablement connues des
premiers habitants de la région.
Faisant suite à l’arrivée des européens, un important brassage culturel et l’adoption de
nouvelles coutumes a permis l’intégration de l’ayahuasca à une pharmacopée traditionnelle,
aux côté des autres plantes médicinales.
Nous allons voir qu’aujourd’hui encore, l’ayahuasca occupe une place prépondérante dans
l’ethnomédecine et le chamanisme, pratiqués chez les populations indigènes mestizos dans
tous les pays du bassin amazonien.
59
B) Approche du chamanisme
1) Principe du chamanisme
Le terme chamanisme provient du mot saman, utilisé par les Toungouses de Sibérie pour
désigner "celui qui sait" et "celui qui voit". A l’origine utilisé pour caractériser un mode de
pensée propre aux sociétés de chasseurs, le mot chamanisme s’est propagé en Occident au
XVIIIe siècle pour désigner diverses sociétés religieuses traditionnelles qui s’inscrivent dans
une conception animiste et holiste du monde. (Mivludes, 2009)
L’être humain n’est pas conçu comme radicalement séparé du cosmos et des autres êtres
vivants. Les plantes et les animaux sont habités par des esprits qui constituent des forces qui
animent la nature : ils permettent à la pluie de tomber, aux animaux de se reproduire et aux
plantes de pousser. Ils sont donc responsables du cycle de la vie, la maladie et de la mort.
Ainsi l’homme fait partie intégrante de la nature, il n’existe donc pas de frontière étanche
entre le monde visible et le monde invisible peuplé de dieux et d’esprits.
Certains individus peuvent ainsi rentrer en contact avec les entités supérieures de la nature et
les esprits habitant les plantes, les arbres, les animaux ; ce sont les chamanes.
2) Le chamane
Entendu au sens premier, le chamane est celui qui établit le contact avec les esprits-animaux.
Il est le seul à comprendre leur langage et emploie donc, au cours des cérémonies de transe,
un parler incompréhensible pour les autres. Ainsi dans les sociétés de chasseurs, il assure une
fonction d’aide à la chasse et à la récolte en implorant l’abondance de gibier, la fertilité des
terres et la croissance des plantes.
Mais le chamane a une autre facette, il exerce également une fonction de devin et de medecine
man, selon l’expression des Indiens d’Amérique. C’est un guérisseur, qui connaît l’origine
des maladies par sa communication avec le monde invisible et les vertus des plantes
favorisant la guérison. (Mivludes, 2009)
Les anthropologues utilisent aujourd’hui le terme chamane dans un sens beaucoup plus large.
On appelle également "chamanes" des guérisseurs qui font appel aux esprits sans recourir à la
transe (en Australie et Nouvelle-Guinée). Ils qualifient également des sorciers-guérisseurs qui
organisent des rituels de possession pendant lesquels ce sont les patients qui entrent en transe
(dans la confrérie des Gwana du Maroc).
60
Le chamane possède donc une dimension mystique en conversant avec les esprits. En servant
d’intermédiaire, il veille à l’harmonie entre le groupe visible et invisible et apparaît comme le
garant du bon ordre des choses.
Figure 14 : Un chamane Ashaninka, se tenant à côté d’une liane de B.caapi, dans l’Amazonie
péruvienne (www.killingthebuddha.com
Dans les tribus amérindiennes du bassin amazonien, le rôle du chamane est souvent assuré par
un homme, avec des fonctions très variées, incluant la direction de la tribu, l’élaboration des
rituels, la guérison, l’enseignement et le conseil. L’accès à la fonction de chamane est en
général soumis à une initiation de plusieurs années. Cependant, nul ne peut y accéder s’il ne
possède les qualités supposées essentielles, à savoir une perception extra sensorielle et des
pouvoirs psychiques variables suivant les traditions : télépathie, vision à de grandes distances,
divination…
C’est le chamane qui perpétue la tradition de la confection de l’ayahuasca.
61
3) le chamanisme traditionnel à travers le monde
Nous verrons plus tard que l’influence des coutumes et du mode de pensée occidentale a
donné naissance à une branche dérivée du chamanisme ancestral : le néo-chamanisme. Parmi
les dérives engendrées par ce nouveau mouvement, nous aborderons le tourisme mystique mis
à profit par de nombreux tour-operators en Amérique du Sud et dans le reste du monde.
Mais avant cela, il convient de passer en revue les différentes pratiques chamaniques
traditionnelles recensées à travers le monde. (Mivludes, 2009)
L’emploi du terme « chamanique » doit être ici considéré comme regroupant un vaste
ensemble de phénomènes (objets, actions, cérémonies et rituels…) rencontrés chez des
groupes vivant encore de façon présumée « traditionnelle », et le chamane sera donc compris
comme « à la fois un prêtre et un guérisseur et fonctions assimilées, communiquant avec le
monde des esprits par le recours à diverses techniques dont la transe, l’extase et
éventuellement l’utilisation de produits pour arriver à cet état de communication spécifique ».
a) En Amérique du Sud
Nous n’aborderons ici que les états où subsiste une forte tradition chamanique. En effet, dans
le reste du sous-continent, le chamanisme, bien qu’existant, reste une pratique de plus en plus
marginale. Ceci en raison de la disparition des tribus autochtones ou à cause des politiques
gouvernementales. Par exemple, au Guyana, le gouvernement a adopté une politique visant à
l’assimilation des minorités amérindiennes au détriment de la préservation des cultures
indigènes.
• Au Pérou
Le chamanisme au Pérou est hérité de coutumes très anciennes revendiquées par les
communautés indigènes comme un élément central de leur identité, il constitue un phénomène
religieux et magique plusieurs fois millénaire.
Il est très vivant dans la partie amazonienne du Pérou.
62
• Au Brésil
On dénombre près de 220 sociétés indigènes (500 000 Indiens, 180 langues) au sein
desquelles on trouve un chamane ou Paje. Ainsi, le chamanisme, encore nommé Pajelanca,
est associé aux rituels magiques pour soigner les malades ou prédire l’avenir. Le Paje au
Brésil est une tradition familiale, on le devient de père en fils, et il faut passer par des rites
d’initiation qui impliquent l’état de transe (avec du tabac). La communication avec les
ancêtres et les esprits y est essentielle et se fera au travers de danses et de chants.
• En Colombie
Les fonctions de chamane y sont très variées ; il est traditionnellement le guide spirituel de la
tribu, le médecin et s’apparenterait aujourd’hui à un leader politique. Le chamanisme a été
longtemps perçu comme de la sorcellerie et condamné comme telle par l’Église catholique en
place, mais il est aujourd’hui reconnu par le gouvernement colombien. Mais à l’heure
actuelle le chamanisme serait clairement en voie de disparition en Colombie, du fait de la
désintégration des tribus indigènes.
• En Bolivie
63
• En Equateur
Le chamanisme y est très présent dans les sociétés traditionnelles, en particulier chez les
peuples autochtones. Le chamane est en Équateur désigné par plusieurs termes : guérisseur,
médiateur, homme et femme de savoir. Leurs pratiques visent essentiellement à guérir ou
purifier l’âme et l’esprit par la médecine traditionnelle mais également à communiquer avec
les ancêtres, les divinités et la nature. A ce jour, on dénombrerait plus de 5000 chamanes.
b) En Amérique Centrale
c) En Afrique
D’autre part, on doit souligner le cas particulier du Gabon. En effet, il existe là-bas un rite
chamanique qui fait partie intégrante de la culture locale : "le bwiti".
Le "bwiti" entre dans la catégorie des rites initiatiques. L’initiation se déroule durant une
cérémonie avec transe sous le contrôle d’un chamane. Cette transe est provoquée par la prise
d’iboga, une substance narcotique issue de l’arbuste Tabernanthe iboga. L’initiation est
accomplie lorsque l’apprenti peut rendre compte de l’expérience de ses visions.
Le rituel "bwiti" et les pratiques chamaniques sont exercés dans tout le pays. A Libreville, la
capitale, 300 cases seraient dédiées à ces cérémonies magiques.
64
4) Plantes et champignons psycho-actifs utilisés par les
chamanes dans le monde
Tableau 5 : Plantes et champignons psycho-actifs utilisés par les chamanes dans le monde
(Schultes & Hofmann, 1979)
Ergot de
Claviceps purpurea Europe (Grèce antique) Acide lysergique amine, ergine
seigle
Mandragora
Mandragore Europe Scopolamine, hyoscyamine
officinarum
Cactus San
Trichocereus pachanoi Andes Mescaline
Pedro
Harmine, harmaline,
Ayahuasca, Banisteriopsis caapi
Amazonie occidentale tétrahydroharmine,
Yagé … Psychotria viridis
diméthyltryptamine
65
C) Utilisations traditionnelles de l’ayahuasca
Malgré les changements historiques et les transformations sociales liées aux mouvements de
population et à l’urbanisation, malgré l’influence européenne et nord-américaine, un usage
traditionnel de l’ayahuasca perdure chez les peuples autochtones du bassin amazonien.
Beaucoup d’études ont été menées à ce sujet par des anthropologues, afin de répertorier ces
usages.
1) Différents rôles
A l’image d’autres plantes de cette région du monde, le breuvage ayahuasca est considéré
comme sacré, il est ainsi employé par les chamanes ou les médecine-men pour les expériences
de vision qu’elles provoquent. Mais il peut également être absorbé par les autres membres de
la tribu, ceci à l’occasion de célébrations communautaires, de funérailles ou de passages
rituels. (Metzner, 1998)
Dobkin de Rios (1984) a listé les divers rôles attribués à l’ayahuasca. Il peut constituer :
Ainsi les indiens Shuar d’Equateur utilisent le natem afin de faire s’abattre le mauvais sort sur
autrui ou au contraire afin de s’en protéger. (Harner, 1972)
Les Cubeo de Colombie utilisent l’ayahuasca dans l’espoir d’atteindre un état extatique.
(Dobkin de Rios, 1984)
Les Cashinahua du Pérou l’absorbent dans le but "d’apprendre des choses des personnes et
des événements retirés de leur temps ou de leur espace". Leurs chamanes l’utilisent pour
interroger les esprits, afin de connaître les causes de la maladie touchant une personne. (Der
Marderosian et al., 1970)
Quant aux Awajún du Pérou, ils utilisent le yáji pour sa propriété à engendrer "le voyage en
âme" dans l’espace ou le monde-autre, à la rencontre des esprits de la nature et des ancêtres, à
la découverte de son avenir. (Baud, 2009)
Enfin, on peut évoquer une dernière utilisation de l’ayahuasca qui n’a rien à voir avec les rites
chamaniques. En effet, il est traditionnellement employé en Colombie afin de traiter le
paludisme. Ceci s’expliquerait par l’effet hypothermisant des β-carbolines, valable pour toutes
les fièvres.
Le chamane fume alors abondamment du tabac et, au fur et à mesure que les visions
psychédéliques commencent, il entonne des chants chamaniques. Il dirige ses chants vers
chaque personne présente et s’attarde plus longuement sur les cas critiques. Parfois, il souffle
de la fumée de tabac sur un corps malade et, par une série de succions, tente d’en extraire un
67
élément pathogène. La réputation d’un chamane croît lorsqu’il peut retirer une preuve visible
de l’affection (un petit insecte, une épine) et l’exhiber à l’assistance.
Quand les effets hallucinogènes se sont dissipés, soit après un délai de quatre à cinq heures, le
chamane s’arrête de chanter ; ceci constitue le signal de clôture de la séance.
Avant de partir, le chamane souffle une dernière fois de la fumée de tabac aux personnes
présentes, en guise de protection. (Colpron, 2009)
68
II) Utilisations modernes : le Néo-Chamanisme et ses
dérives
A) Le Néo-Chamanisme
Ce vaste courant spirituel est apparu en Occident au vingtième siècle pour devenir
particulièrement populaire dans les années 1970 aux États-Unis au sein des communautés
californiennes. Il s’inscrivait alors dans l’esprit post « années soixante » qui remettait en
cause une société jugée trop matérialiste et pas assez « spirituelle », en rejetant notamment la
croissance industrielle et le consumérisme.
De plus à cette époque, les Etats-Unis sont en pleine guerre du Vietnam et les enfants du
baby-boom d’après la Seconde Guerre Mondiale refusent cette violence. Le New Age ou
Nouvel Age apparaît alors comme une contre culture qui dénonce l’« American way of life »
et plus largement le mode de vie occidental et prône la libération de l’individu.
Il poursuit très largement son essor au XXIe siècle et couvre aujourd’hui des domaines aussi
différents que la religion, la science, la philosophie, l’astrologie, la psychologie, le
développement de la personne et la médecine… Il fait donc partie intégrante de notre vie
quotidienne et les références au New Age sont multiples et constantes, notamment en ce qui
concerne les thèmes liés à l’épanouissement personnel (bien-être du corps et de l’esprit,
régime alimentaire etc.).
La vision holistique du monde constitue l’un des thèmes clés de la mouvance New Age. Le
monde est vu dans sa globalité et non comme une juxtaposition de parties distinctes. C’est un
monde dans lequel l’homme et la nature forment un tout.
• Une raison existentielle liée à la frustration d’un nombre croissant d’individus qui
recherchent dans le monde d’aujourd’hui une dimension plus humaine. Ceci est
particulièrement visible dans le rejet, voire la critique de la médecine occidentale
69
allopathique et l’attention grandissante portée aux pratiques non conventionnelles à
visée thérapeutique ; elles sembleraient plus séduisantes en raison de leur approche
globale de l’être humain.
• Un facteur culturel marqué par une attirance pour des religions issues d’autres
cultures, généralement orientales et dotées d’une dimension ésotérique.
La vision holistique du monde rejaillit sur l’approche New Age de la santé : la plupart des
maux « physiques » dont nous souffrons ne seraient que la manifestation d’autres troubles
souvent de nature psychologique. Il faudrait donc traiter ces problèmes de manière globale,
soigner la cause et non la conséquence.
Cet engouement pour des nouvelles thérapies, proches de la nature, a induit un regain
d’intérêt pour les pratiques chamaniques ancestrales, utilisées désormais comme des rituels de
guérison en vue d’un épanouissement personnel. L’objectif serait la guérison spirituelle et
psychique, donnant l’espoir au participant de mieux gérer sa vie.
Le « néo-chamane » est en général une femme ou un homme né(e) et ayant vécu dans une
société développée de type occidental. Les rituels qu’il pratique, inspirés par des chamanes
autochtones, sont donc souvent mélangés à d’autres formes spirituelles ou thérapeutiques
issues de la culture occidentale. Mais cette adaptation des cérémonials traditionnels, avec de
nouveaux référents et outils, tend à induire des situations au final assez déviantes autant dans
le fond que dans la forme, voire dangereuses.
70
B) Utilisation par des mouvements religieux
Une évolution majeure des rituels traditionnels de l’ayahuasca a été l’œuvre des églises
syncrétiques, qui ont repris ces rituels dans des pratiques religieuses communautaires. Ces
groupes religieux ont mélangé la culture religieuse afro-brésilienne et / ou européenne avec
les utilisations autochtones de l’ayahuasca, qui est ainsi devenu le sacrement central de ces
religions.
1) Origines
Au Brésil, dans les années 1920, le Maréchal Rondon constitua un groupe de volontaires issus
de tous les états, afin de prendre position dans les régions jusqu’alors inexplorées de
l’Amazonie. L’un d’eux, Raimundo Irineu Serra, fut envoyé dans la région d’Acre, à la
frontière de l’Amazonie péruvienne. Là-bas, il fut initié à l’ayahuasca par les indigènes avec
qui il travaillait.
Sous les effets de la plante, il aurait reçu la "mission divine" de fonder, en s’appuyant sur la
doctrine chrétienne, une nouvelle doctrine religieuse basée sur l’usage de l’Ayahuasca. Au
cours de cette même expérience divine lui est révélé le nom accordé à l’ayahuasca : Daime.
Celui-ci tire son origine des invocations utilisées dans les rituels : Dai-me amor, luz, força
(Donne moi l’amour, la lumière, la force).
Irineu Serra devient donc le fondateur du plus ancien des cultes syncrétiques, le Santo Daime.
Il se fera alors appeler Mestre Irineu par ses disciples.
D’autres mouvements ont fait leur apparition dans des conditions semblables à la même
période. Parmi les plus importants, l’União do Vegetale (UDV) fondée à Porto Velho,
Rondônia, et la Barquinha fondée à Acre.
2) Expansion nationale
Pendant les années 1970 et 1980, l’UDV et le Santo Daime souhaitent s’étendre sur les
centres urbains du sud-Brésil alors que la Barquinha reste principalement implantée à Acre.
Parallèlement, de nombreux jeunes issus des milieux bourgeois se disent désenchantés par les
codes de leur société, ils sont à la recherche d’un nouveau sens à donner à leur vie. Ils se
laissent alors séduire par le mouvement du Santo Daime et partent vers Acre et Rondônia en
quête de la mystérieuse boisson. Les mouvements syncrétiques rassemblent les
71
caractéristiques recherchées par ces jeunes : une organisation communautaire, la drogue
comme moyen de libération, la rencontre d’un autre monde…
Le mouvement prend une ampleur nationale, il ne cesse d’attirer des adeptes. Le début des
années 1980 voit donc apparaître à Rio de Janeiro, San Paolo, Brasilia, Bello Horizonte, entre
autres, de petits centres qui propagent la nouvelle pratique et séduisent des personnalités du
monde du spectacle et de la politique, des thérapeutes, des professions libérales... Ainsi la
conversion des chanteurs Ney Mattogrosso et Milton Nascimiento, ou encore de la figure
emblématique du mouvement contestataire, Alex Polari constitue une autre étape marquante
pour le mouvement daimiste national. (Deshayes, 2006)
Mais leur visibilité croissante alerte les autorités brésiliennes qui lancent une enquête dans les
années quatre-vingt. Celle-ci donne lieu, en 1985, au classement de l’ayahuasca au rang des
substances interdites. Pourtant, en 1987, on assiste à une annulation de la classification de
l’ayahuasca comme substance contrôlée et à l’autorisation de son usage dans un contexte
rituel. En 1988, après une nouvelle enquête, les usages sacrés demeurent légaux. (OGD, 2000)
A la fin du 20è siècle, on a dénombré au Brésil vingt-deux groupes religieux faisant usage de
l’ayahuasca. Selon les chiffres fournis par les sectes elles-mêmes, il y avait sept mille adeptes
de l’UDV et cinq mille de Santo Daime. (Mac Rae, 1998 ; Castilla, 1998)
3) Expansion internationale
Au cours des dernières années, les églises syncrétiques ont exporté leurs activités dans
d’autres pays, contribuant à la propagation de l’ayahuasca dans les pays fortement
industrialisés d’Europe et d’Amérique du Nord. En 2012, des groupes d’adeptes du Santo
Daime étaient présents dans vingt et un pays, sur quatre continents (France, Allemagne,
Espagne, Belgique, Grande Bretagne, République Tchèque, Pays Bas, États-Unis, Canada,
Chine…). L’UDV avait des représentants officiels en Espagne et aux États-Unis, et des
projets de centres dans quatre pays d’Europe. (Prado Martin et al., 2012)
72
poursuites judiciaires. Mais ces poursuites n’ont pas abouti, l’ayahuasca n’étant pas encore, à
l’époque des faits, classée comme substance stupéfiante. (Aubrond, 2005 ; Ariès, 2005)
En France, aujourd’hui, les églises syncrétiques sont assimilées aux mouvements sectaires. Le
récent rapport de la MIVLUDES affirme que des structures de type associatif présentes sur le
territoire et des groupes établis dans une université française continueraient à ce jour à faire
du prosélytisme et l’apologie de la consommation d’ayahuasca.
4) Description du rituel
L’ayahuasca constituant un sacrement des pratiques religieuses syncrétiques, son usage est
très ritualisé. Cette ritualisation implique des règles strictes : interdiction aux femmes
menstruées de participer aux rituels, diète et prescriptions comportementales trois jours avant
et trois jours après la prise…
Des réunions régulières sont organisées au cours desquelles les adeptes consomment de
l’ayahuasca en chantant des hymnes religieux. Elles sont conduites par des maîtres de
cérémonie, appelés maestros.
Il existe plusieurs sortes de rituels, avec des durées variables de cérémonie (de quelques
heures à une journée, voire un week-end entier) et des buts bien différents, certains des rituels
ayant une fonction mystique et méditative, d’autres de purification et de guérison.
La fréquence diffère également fonction des organisations. Par exemple pour l’UDV, il existe
des sessions officielles qui se déroulent chaque premier et chaque troisième samedi du mois.
A celles-ci s’ajoutent des sessions pendant les jours de fêtes chrétiennes (Noël, Pâques),
pendant les jours de plusieurs saints chrétiens, pendant l’anniversaire du fondateur de l’UDV,
pendant la fête des pères et la fête des mères et au cours du réveillon de transition vers la
nouvelle année.
Un autre exemple d’utilisation de l’ayahuasca est celui des communautés dites thérapeutiques,
basées à l’étranger le plus souvent, qui se présentent comme des centres de sevrage pour les
toxicomanes. Nous allons aborder l’une d’elles, le centre Takiwasi fondé par un médecin
nantais, Jacques Mabit.
73
1) Jacques Mabit et le centre Takiwasi
Jacques Mabit a été initié au chamanisme et aux médecines traditionnelles dans les années
1980, lors de voyages au Pérou avec Médecins sans frontières. Il y a rencontré des guérisseurs
qui lui ont parlé des plantes utilisées pour guérir rhumatismes et troubles mentaux. Il a alors
participé pendant des mois à des séances de prise d’ayahuasca, encadrées par des chamanes.
Takiwasi est ainsi présenté comme un centre pilote de la réhabilitation des toxicomanes. Le
centre est reconnu par le ministère de la santé péruvien ainsi que par l’Institut National des
Médecines Traditionnelles ( INMETRA).
2) Protocole thérapeutique
La méthode utilisée pour prendre en charge les addictions au centre Takiwasi repose sur 3
principes : la consommation d’ayahuasca, la psychothérapie et la vie en communauté.
74
l’ayahuasca sert de catalyseur. Ainsi, tout au long de cette étape, le patient prend part à des
rituels impliquent la consommation d’ayahuasca une fois par semaine.
Après cette étape, le patient peut alors réintégrer la communauté et prendre part à des activités
de groupe.
Depuis l’ouverture du centre, Mabit affirme avoir guéri des dizaines de toxicomanes grâce au
jeûne rituel, à la psychothérapie et à la prise d’hallucinogènes. Il revendique une réussite sur
environ un tiers des patients.
Les spécialistes de la toxicomanie et des maladies mentales se sont intéressés aux thèses de
Mabit. Mais seul un cercle restreint de médecins, convaincu du succès de ces méthodes
alternatives, affirme qu’elles seraient plus efficaces que les cures classiques de substitution.
Néanmoins, les Pays-Bas notamment ont mis un terme à l’usage de l’ayahuasca dans les cures
de désintoxication en raison d’accidents mortels causés par des mélanges de diverses drogues
avec l’ayahuasca.
Quant aux États-Unis, même s’ils semblent continuer dans cette voie de la cure par l’usage de
drogues psychédéliques, ce programme de soins pour toxicomanes reste contesté par la
communauté scientifique.
Enfin en France, signalons la voix de la MIVILUDES, qui dans son rapport annuel de 2009,
appelle de nouveau à la vigilance concernant ce centre qui demeure encore aujourd’hui très
actif. Et les activités de Takiwasi sont également mises en cause par l’Union Nationale de
Défense des Familles et de l’Individu (UNADFI), qui lutte contre les sectes.
D’autres centres du même type existent au Pérou, par exemple le centre psycho-spirituel de
Guillermo Arevalo alias Kestembetsa, Espiritu de Anaconda. Ils y œuvrent dans la légalité et
sont immatriculés au registre du commerce. Pourtant leur organisation et leur mode de
recrutement en France, imposent selon la MIVILUDES de faire preuve de la plus grande
prudence à leur égard.
76
1) Qui sont ces touristes ?
La première est d’ordre spirituel : on vient à l’ayahuasca pour faire le vide en supprimant
toutes connexions avec le monde moderne. Les participants disent être en quête de
développement spirituel personnel, d’introspection, ceci pour trouver un nouveau sens à leur
vie.
La seconde motivation avancée est liée à une recherche de guérison face à un traumatisme
physique ou psychologique. Les chamanes prétendent pouvoir guérir de nombreux troubles et
maladies : SIDA, cancers, hépatites, rhumatismes, cirrhoses, troubles mentaux, dépendances
et autres…
La troisième raison est d’ordre purement hédoniste : l’ayahuasca est vue comme une
expérience par des touristes (usagers de stupéfiants ou non) en mal de sensations fortes. Ils
contournent ici les problèmes de législation de leurs pays d’origine.
Dans une zone d’extrême pauvreté ou le salaire moyen est de 76 $ mensuel, le tourisme de
l’ayahuasca constitue une manne lucrative. C’est pourquoi on assiste aussi aujourd’hui à
l’ouverture de centres hors de la zone usuelle d’usage comme au Costa Rica (la Guaria de
osa).
Ces lodges sont possédés et dirigés par des locaux et des étrangers. La demande occidentale a
créé une nouvelle profession de faux shamans qui s’improvisent guérisseurs pour les touristes
étrangers. Ces nouveaux venus, opportunistes, ne sont pas passés à travers toutes les étapes
de l’apprentissage traditionnel et n’ont pas connaissance des situations à risques.
Par exemple, ils n’interrogent pas les futurs participants sur d’éventuels traitements en cours
et donc éludent la probabilité d’interactions médicamenteuses. Elles peuvent pourtant avoir
des effets désastreux, comme dans le cas d’association d’ayahuasca avec des antidépresseurs
de la famille des ISRS (syndrome sérotoninergique évoqué plus haut).
77
Quant aux touristes, ils méconnaissent la toxicité et les risques inhérents à l’ayahuasca. De
plus, la perception du risque peut évidemment être altérée : ils sont en vacances et les
substances sont consommées dans un contexte culturel qui justifie à leurs yeux l’expérience.
Pourtant boire l’ayahuasca, c’est ingérer un breuvage psycho-actif et purgatif qui met le corps
et l’esprit dans un état qui n’est pas familier à un individu normal. L’ayahuasca peut ainsi
constituer un outil chimique de manipulation mentale redoutable chez des individus
désorientés, déstabilisés dont les facultés mentales auront été altérées. La dérive thérapeutique
devient dérive sectaire. (Homan, 2011)
Au cinéma, dans le film Blueberry de Jan Kounen (sorti en 2004), on voit Vincent Cassel en
proie à une série d’hallucinations terrifiantes après avoir pris le breuvage. Le réalisateur a
aussi produit un documentaire : D’autres mondes. Il y raconte les visions obsessionnelles
(serpents enroulés, jaguars, crocodiles) qu’il a eues pendant des séjours dans un centre au
Pérou ; et comment le breuvage psychotrope et le passage par des états de conscience altérée
lui ont permis de mieux se comprendre.
Enfin il faut noter la mention de l’ayahuasca faite par les différents guides de voyage
(Routard, Lonely Planet). L’initiation au chamanisme via l’ayahuasca y est présentée comme
une activité authentique, permettant une immersion dans la culture indigène.
79
touristiques ainsi que des centres d’éco-tourisme peu fiables proposent des initiations au
chamanisme…»
(www.diplomatie.gouv.fr/fr/conseils-
auxvoyageurs_909/pays_12191/perou_12345/index.html)
Auparavant, faisant suite à la diffusion d’un reportage dans l’émission Envoyé Spécial, c’était
le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) qui était intervenu auprès du président de France
télévisions. Le CSA avait estimé que « plusieurs séquences de ce reportage contribuaient à
présenter de manière positive ou équivoque la consommation du produit stupéfiant faisant
l’objet du reportage. Les effets dangereux de la substance ont été minorés et les quelques
éléments critiques apportés aux téléspectateurs ne dissipent pas les ambiguïtés du propos
général ».
80
CONCLUSION
L’ayahuasca est donc un breuvage sacré millénaire souvent issu de la décoction de deux
plantes : une liane géante qui pousse en abondance dans la forêt amazonienne, Banisteriopsis
caapi, et une autre Psychotria viridis qui contient de la diméthyltryptamine (DMT), un
stupéfiant prohibé en France. Sous des apparences naturelles, cette étrange boisson s’avère
hautement hallucinogène de par ses principes actifs tels que l’harmine, l’harmaline et la
DMT. Sa toxicité chez l’homme consiste essentiellement en des effets hallucinogènes et une
altération profonde de l’état de conscience associés à des troubles digestifs (nausées,
vomissements, diarrhées), neurovégétatifs (sudation, vertiges, tremblements) et cardiaques
(tachycardie, Hypertension artérielle).
Auparavant confiné à un usage traditionnel par des chamanes dans des groupes indigènes
d’Amérique du Sud, l’utilisation de cette plante tend néanmoins à se développer dans les pays
occidentaux au sein de populations particulières (mouvements religieux, séminaires,
associations sectaires) ou par la voie de sites Internet proposant l’achat de cette plante. Un
tourisme psycho-spirituel s’est développé en Amazonie où des occidentaux consomment en
toute légalité l’hallucinogène dans des communautés thérapeutiques, dites spécialisées dans le
traitement de la toxicomanie et des maux psycho-spirituels en tous genres. Il est donc
essentiel d’insister sur les risques majeurs pour la santé physique, les désordres
psychologiques et psychiatriques encourus par les expérimentateurs potentiels, souvent déjà
fragiles. Et ce d’autant plus que ces mêmes risques sont soigneusement passés sous silence ou
minimisés à l’extrême par les agents recruteurs cupides ou les « néo-chamanes » apprentis-
sorciers qui maîtrisent les techniques de la manipulation psychologique. La survenue récente
de plusieurs décès doit confirmer cette extrême prudence à adopter. On peut espérer une
harmonisation de la législation européenne puis internationale pour éviter ces conséquences
désastreuses.
81
ANNEXE
Traduction des 71 items inclus dans le questionnaire HRS (Riba et al., 2001)
83
TABLE DES FIGURES
Figure 1: Carte situant la région où l'ayahuasca est utilisé (en vert) (www.ayahuasca.com) .. 10
Figure 2 : Cuisson de l'ayahuasca (www.xpeditionstv.com) ................................................... 12
Figure 3 : Aspect général de B. caapi (Spruce ex Griseb.) Morton (www.wikipedia.org) ...... 16
Figure 4 : Fleurs de B. caapi (Spruce ex Griseb.) Morton (www.wikipedia.org).................... 16
Figure 5 : Planche de B. caapi (Spruce ex Griseb.) Morton (www.sacredhearth.com) ........... 17
Figure 6 : Dessins du fruit de B. caapi ( e ) et B. inebrians ( h) (Cuatrecasas, 1965)............. 18
Figure 7 Aspect général de P. viridis Ruiz & Pavon (www.biopark.org)................................ 20
Figure 8 : Brugmansia suaveolens en floraison (www.ayahuasca-info.com) .......................... 21
Figure 9 : Brunfelsia grandiflora en floraison (www.ayahuasca-info.com) ............................ 22
Figure 10 : Variation circadienne de la concentration de DMT dans les feuilles de P. viridis 28
Figure 11 : Structure chimique des alcaloïdes de l'ayahuasca : (A) diméthyltryptamine, (B)
Harmine, (C) Harmaline et (D) Tetrahydroharmine (Pires et al., 2009) .................................. 31
Figure 12 : Valeurs moyennes de la fréquence cardiaque et des pressions systolique et
diastolique, mesurées chez 14 volontaires après administration d’ayahuasca ( 2 ml / kg) ...... 48
Figure 13 : Anatomie dopaminergique cérébrale ( www.centre-pharmacodependance.net) ... 51
Figure 14 : Un chamane Ashaninka, se tenant à côté d’une liane de B.caapi, dans l’Amazonie
péruvienne (www.killingthebuddha.com ................................................................................. 61
Figure 15 : Utilisation thérapeutique de l’ayahuasca chez les Shipibo (www.ayahusaca-
info.com) .................................................................................................................................. 66
84
TABLE DES TABLEAUX
85
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96
UNIVERSITÉ DE NANTES Année de la soutenance
FACULTÉ DE PHARMACIE 2013
Résumé de la thèse :
L’ayahuasca est un breuvage hallucinogène utilisé depuis près de deux mille cinq cents ans
par des groupes indigènes de la région amazonienne. Il est le plus souvent obtenu par
décoction de deux plantes : Banisteriopsis caapi, une liane géante de la famille des
Malphigiacées et Psychotria viridis (Rubiacées). L’effet hallucinogène de l’ayahuasca est dû
à la diméthyltryptamine dont l’action est rendue possible par l’effet inhibiteur des
MonoAmines Oxydase des β-carbolines (harmine, harmaline et tetrahydroharmine). Utilisé
historiquement par les chamanes à des fins divinatoires ou thérapeutiques, ce breuvage suscite
depuis quelques années un engouement dans nos sociétés occidentales, porté par la mouvance
« New-Age ». Loin de son cadre traditionnel, l’ayahuasca est aujourd’hui utilisé par des
mouvements religieux brésiliens et dans des communautés dites « thérapeutiques ». Il fait
ainsi l’objet d’un nouveau tourisme en s’adressant à des voyageurs en quête de
développement personnel. Mais plusieurs décès survenus attestent du caractère dangereux de
l’ayahuasca qui est classé en France comme stupéfiant.
JURY
Président : Mr PINEAU Alain, Professeur de toxicologie, Faculté de Pharmacie de Nantes
Assesseurs : Mme SALLENAVE-NAMONT Claire, Maître de Conférences de Mycologie
et de Botanique, Faculté de Pharmacie de Nantes
Mr ROUSSEAU Gaël, Pharmacien, Mouilleron le Captif
POTIRON Julien
85000 La Roche Sur Yon
97