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Greta Adler pianota nerveusement sur son clavier et se repassa une dernière fois le PowerPoint
qu’elle allait présenter à leur client potentiel. Mon Dieu, si cela pouvait marcher ! Sunrise Airlines
serait le client idéal pour l’agence — et elle, la parfaite directrice artistique du projet… s’ils
obtenaient le projet, évidemment.
Ses nerfs étaient à vif. Cela faisait des mois qu’elle visait cette promotion qui se faisait toujours
attendre. Cette présentation lui offrait une chance unique de montrer à Rich Johnson, Bob Jacobs et au
reste de la direction de Johnson-Jacobs Advertising qu’elle était à la hauteur de plus grandes
responsabilités.
Elle se frotta les yeux. Elle n’avait dormi qu’une heure ou deux après avoir passé le plus gros de
la soirée et de la nuit à finaliser les derniers détails de la présentation multimédia avec Alex Hansen,
le directeur financier.
— Et toi, ne t’avise pas de me lâcher en route, sinon je te balance par la fenêtre, marmonna-t-
elle à l’intention de son ordinateur portable.
— Bien dit ! C’est comme ça qu’on doit traiter l’électronique. Parfois, il m’arrive de flanquer
mon iPod au congélateur.
Greta tourna la tête. Alex venait d’arriver dans la salle de conférences. Elle fut prise d’un
frisson qui la surprit elle-même. Allons, ce devait être la fatigue ; ou alors la nervosité. Alex
s’approcha et elle le regarda plus attentivement. Il était comme toujours superbe dans son costume sur
mesure et avec sa cravate de soie. De tout le personnel masculin de Johnson-Jacobs Advertising,
Alex Hansen était de loin le plus beau, et aucune des employées de l’agence ne se serait avisée de la
contredire.
— Ne t’en fais pas, lui dit-il en lui massant le dos d’une main. On est prêts.
L’éclair de chaleur qui la traversa lui coupa le souffle. C’était dingue ! D’où sortait cette
soudaine attirance ? Cela faisait plus de sept ans qu’ils étaient amis — enfin, sept ans moins une nuit
de passion éméchée. Et, jusqu’à récemment, elle n’avait jamais ressenti autre chose qu’une solide
affection pour lui.
— Je… je suis juste un peu crevée, dit-elle.
C’était ça. La fatigue.
— Peut-être qu’on devrait transférer le dossier sur ton ordinateur, ajouta-t-elle. Le mien est
tellement capricieux.
— Ne t’en fais pas, répéta Alex en souriant, avant de se rapprocher d’elle et de feuilleter les
dossiers de présentation. Tout va bien se passer. On est prêts. On a paré à toute éventualité, et ils
seraient fous de ne pas accepter.
Elle opina du chef. Quelle que soit la situation, elle pouvait toujours compter sur lui pour la
calmer. A vrai dire, peut-être comptait-elle même un peu trop sur lui. Après avoir assisté au naufrage
du mariage de ses parents, elle avait du mal à faire confiance aux hommes, mais Alex s’était avéré un
ami loyal et un homme solide. Il avait toujours été là pour elle, à chacune de ses petites catastrophes,
de l’invasion de souris chez elle à son dégât des eaux, en passant par les jours de grippe ou même ses
différentes ruptures.
Cela faisait maintenant sept ans qu’ils avaient été embauchés ensemble à l’agence, elle au sortir
des Beaux-Arts et lui son MBA tout frais en poche. Tout d’abord collègues, ils étaient vite devenus
camarades, puis réellement amis. Une amitié platonique qui ne cessait de provoquer les
interrogations de leur entourage.
Pourtant, c’était d’une simplicité enfantine : elle n’était pas son genre, et lui n’était pas le sien.
Alex aimait les grandes blondes toutes en jambes, alors qu’elle était brune et petite. Et elle, elle
cherchait encore l’oiseau rare, l’homme qui voudrait une relation stable, et pas juste quelques
semaines de galipettes torrides suivies d’une rupture à la va-vite.
Deux célibataires de sexe opposé pouvaient être les meilleurs amis du monde s’ils n’avaient
aucune raison de devenir amants. Et la recette avait marché jusqu’à une nuit de beuverie, quatre ans
plus tôt, un faux pas, une aberration, une erreur qu’ils avaient tous deux regrettée et vite oubliée.
Si elle n’avait qu’un vague souvenir de cette fameuse nuit, elle s’était souvent surprise à essayer
de le retrouver, encore et encore. Toutefois, quelque chose avait changé cette dernière année : chaque
fois qu’une femme traversait la vie d’Alex, elle éprouvait des pointes de jalousie de plus en plus
marquées. Et elle avait l’impression qu’Alex lui-même avait évolué, car il devenait un peu possessif
ces derniers temps. A tel point que, parfois, elle s’était demandé si leur amitié se délitait peu à peu,
ou si quelque chose de plus fondamental se jouait entre eux.
Peut-être était-elle finalement prête à admettre la réalité de leur situation. Tôt ou tard, Alex
rencontrerait la femme de ses rêves, et elle se retrouverait toute seule. Difficile d’imaginer une
épouse appréciant que son mari ait une meilleure amie.
Elle glissa une main dans ses cheveux.
— Tu n’es pas nerveux, toi ? s’enquit-elle.
— Tu as fait un travail formidable, Greta, et je pense que tu vas obtenir exactement ce que tu
veux, répondit Alex en se penchant vers elle.
— Un petit ami plein aux as avec un jet privé et une maison à Belize ? le taquina-t-elle.
— C’est ça que tu veux ? reprit Alex.
— Toutes les filles rêvent de ça, murmura-t-elle. Ça, et des glaces à zéro calorie, des
chaussures sur mesure et des cheveux impeccables quand on sort du lit.
— Je parlais d’un point de vue professionnel. Je crois qu’ils vont te promouvoir au poste de
directrice artistique.
— Vrai ? s’écria Greta en lui prenant le bras. Et comment le sais-tu ?
— Je le sais. Bob Jacobs m’a convoqué il y a une heure dans son bureau ; il voulait avoir mon
avis. Il m’a demandé si je pensais que tu méritais cette promotion. J’ai dit oui, bien sûr. Je lui ai
d’ailleurs dit que tu étais prête depuis longtemps, depuis ta présentation Besconi Pasta, en fait.
— Oh ! merci ! s’exclama Greta en lui jetant les bras autour du cou pour le serrer contre elle.
Alex était un ami extraordinaire. Une amitié pareille se cultivait, et elle serait folle de vouloir y
toucher. Mais, quand elle se redressa, sa joue frôla par mégarde la sienne. Ils se figèrent, leurs
bouches à quelques centimètres l’une de l’autre.
Le cœur de Greta se mit à tambouriner dans sa poitrine, ses genoux furent pris de faiblesse. Ce
serait si facile de l’embrasser. Il suffirait juste de…
— Je t’en prie, murmura Alex avant de reculer d’un pas en lui caressant les bras.
Les joues empourprées, Greta se mit à rire.
— Ah, ah ! Tu as eu envie de m’embrasser, c’est ça ?
Ou alors, peut-être était-ce un vœu pieux de sa part ?
— Hein ? hoqueta Alex.
— Oh ! ça va, n’essaye pas de dire le contraire. L’espace d’une seconde, tu as oublié qui j’étais
et tu as eu envie d’un peu d’action !
Elle lui jeta un regard joueur. C’était ainsi qu’ils communiquaient, en se taquinant, en se
cherchant. Sans jamais vraiment dire ce qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre.
— Eh bien, ça te monte à la tête, on dirait ! Au seuil d’une promotion, voilà que tu vas soudain
t’imaginer que tous les hommes ici ont envie de te sauter dessus ?
— Tu peux te moquer, mais n’empêche… Lorsque je serai directrice artistique, tu verras, ça ne
fera qu’ajouter à mon légendaire sex-appeal. Enfin, vu le règlement interne, estime-toi heureux de ne
pas m’avoir embrassée.
C’était un règlement idiot, institué six ans auparavant à la suite d’une sordide histoire de
coucherie entre le P.-D.G., Rich Johnson, et une jeune rédactrice. Cette dernière, qui allait devenir sa
seconde épouse, avait posé une condition à leur mariage : que tous les employés ayant une relation
extraprofessionnelle soient licenciés sur-le-champ.
Ce qui ne les avait pas le moins du monde arrêtés, Alex et elle. Ils avaient établi leurs propres
règles et s’y étaient tenus, si l’on exceptait cette unique nuit passée ensemble. Depuis, elle ne s’était
que rarement autorisée à fantasmer sur son ami. Et toute tension sexuelle intempestive était balayée
dans un éclat de rire.
Elle prit une grande inspiration.
— Non, sans rire, merci d’être intervenu en ma faveur, Alex.
— Je t’en prie, répondit-il en captant son regard.
Ils restèrent ainsi, les yeux dans les yeux, un bon moment. Greta eut la tentation de tendre la main
vers ses cheveux épais et bruns. Il fallait être aveugle pour ne pas voir qu’Alex était
extraordinairement beau.
Il pouvait aussi, s’il le décidait, être doux, attentionné et drôle, le meilleur ami dont puisse rêver
une fille. Elle savait que nombre de gens trouvaient bizarre leur relation, mais peu lui importait. Il
avait toujours été à ses côtés dans les moments de crise, dans les hauts et les bas de ses différentes
relations amoureuses éphémères… A ses côtés aussi quand, terrorisée, elle avait appris qu’on lui
avait trouvé une grosseur dans le sein… ou à la mort inopinée de son père.
Ne plus le voir, ne plus être proche de lui, ne plus pouvoir compter sur lui était pour elle
impensable. Cependant, plus ils approchaient de leur trentième anniversaire, plus Greta s’interrogeait
sur leur avenir, car ils ne resteraient pas célibataires à vie. Lequel des deux serait le premier à
trouver le grand amour ? Vu sa vie sentimentale passée, elle soupçonnait fort qu’il gagnerait haut la
main. Et, le jour où cela arriverait, elle devrait renoncer à lui, aussi gracieusement que possible.
— T’ai-je déjà dit à quel point je t’apprécie ? lança-t-elle d’un air espiègle.
— Oui. Tu me le dis tout le temps. Et tu es bien la seule femme à pouvoir me le dire sans que ça
me donne envie de fuir par la fenêtre des toilettes !
— Parce que tu l’as déjà fait ?
— Deux fois. Tu te rappelles ma cheville brisée ? Je ne m’étais pas fait ça au basket.
— Tu m’as menti ?
— Je n’étais pas fier de moi. Il faut bien qu’on ait nos petits secrets, Greta. Et j’ai une
réputation à protéger.
— Mais je suis ta meilleure amie ! protesta-t-elle. On est censés tout se dire.
— Ah oui ? Toi, tu ne m’as pas parlé de cette fameuse fois où tu as cru être enceinte, riposta-t-
il.
— Comment sais-tu ça ? murmura Greta en s’empourprant de nouveau.
— J’ai vu l’emballage du test en sortant tes poubelles avant la fête que tu avais donnée pour le
Super Bowl. Et je me suis dit que, si tu voulais m’en parler, tu finirais par le faire un jour.
— Euh, il était négatif, donc il n’y avait rien à dire.
— Donc, on est d’accord, même si on est les meilleurs amis du monde, on n’a pas à tout se dire.
D’accord ?
— D’accord.
Ce n’était pas bon de tout partager, et ils ne pourraient plus être amis si l’un des deux voulait
renégocier les règles. Ou si l’un des deux tombait amoureux de l’autre. Et ce n’était pas comme si
elle était raide amoureuse de lui ; elle était juste un peu perdue ces temps-ci, et seulement à cause de
cette attirance occasionnelle.
Ce n’était pas évident de le voir enchaîner aventure sur aventure, de le voir écarter des femmes
capables de le rendre heureux sous le prétexte fallacieux qu’un défaut lui serait apparu. Et pourtant
chaque rupture la ravissait, car elle signifiait qu’il serait là pour elle un peu plus longtemps.
Greta savait aussi que, dans sa propre vie sentimentale, la présence d’Alex pouvait constituer un
problème. Son dernier petit ami lui avait carrément posé un ultimatum — « lui ou moi » — et elle
n’avait pas hésité une seule seconde. Elle avait choisi Alex.
— La franchise absolue est très surévaluée, reprit-elle.
— Donc, tu n’auras pas envie de me dire pourquoi tes cheveux sont un peu… foufous ce matin.
— Foufous ? Que veux-tu dire ?
Il tendit la main et lui tapota la tête.
— Je ne sais pas. Tu as un drôle d’épi derrière. Peut-être que tu devrais arranger ça.
Elle jeta un coup d’œil à sa montre et réprima un grognement.
— Plus le temps d’arranger ça. Ils vont arriver d’une minute à l’autre.
— Alors lève-toi et donne-moi ta brosse, fit Alex après avoir poussé un soupir impatient.
Elle la sortit de son sac et la lui confia. Il lui lissa les cheveux une fois, deux, puis hocha la tête.
— Bon, ça a meilleure allure maintenant. Cet épi, ça faisait un peu crête de coq.
— Merci, marmonna Greta d’un air bougon en repoussant ses cheveux derrière ses oreilles.
Il y avait des trucs qu’elle n’appréciait pas trop dans leur amitié. Sa trop grande franchise, par
exemple.
— Si tout se passe bien, on ira boire un verre ce soir, pour fêter ça, dit-elle.
— Je ne peux pas. Je vais passer le week-end à Aspen.
— Oh ! oh ! Une autre blonde torride ?
— Non, pas du tout. Thea Michaels nous a proposé, à Dave MacDonalds et moi, de profiter de
son chalet ce week-end. On devait skier, mais Dave a dû annuler, lui dit Alex avant de marquer une
pause. Tu veux venir ?
— La dernière fois qu’on est allés skier ensemble, je suis restée à l’hôtel comme une idiote
pendant que tu dévalais les pistes. Je ne suis pas de taille pour les pistes noires, et toi tu n’aimes pas
les vertes.
— Alors, tu pourras… faire les boutiques. Ou travailler. Le chalet de Thea est sympa, et ça fait
des mois qu’elle me le propose. Comme c’est ma plus grosse cliente, je me suis dit que je devais
accepter son invitation. Je ne veux pas risquer de me la mettre à dos.
Greta avait beaucoup entendu parler de Thea Michaels et de ses manières de diva. Elle avait
exigé de choisir son équipe de créateurs, avait systématiquement écarté toutes les femmes
talentueuses de l’agence et s’était entourée de jeunes hommes attirants. Alex était son chargé de
compte et Dave son directeur artistique.
— Dans ce cas, pourquoi pas ? répliqua Greta.
A part leur erreur d’une nuit, Alex et elle n’avaient jamais passé vingt-quatre heures ensemble,
et encore moins un week-end entier. Tout d’abord, elle se demanda si leur amitié serait à même de
résister. La dernière fois qu’ils étaient allés en voiture ensemble à une vente aux enchères à Colorado
Springs, ils s’étaient âprement querellés à propos de sport et, par la suite, ne s’étaient plus adressé la
parole pendant des semaines.
— Tu verras, ce sera rigolo, lui dit-il. Contente-toi de ne pas insulter mon équipe de hockey
préférée, et tout ira bien.
— Tant que tu ne critiques pas mes goûts musicaux, on n’aura aucun problème.
— Je veux bien essayer !

* * *

La météo ne s’était pas trompée, la neige n’avait cessé de tomber depuis qu’ils avaient pris la
route. Greta lui paraissait anxieuse. Il entreprit de la rassurer, non sans la taquiner :
— On est presque arrivés, et j’ai l’habitude de conduire par mauvais temps. Détends-toi, on
arrivera quand on arrivera.
— Je ne suis pas nerveuse ! rétorqua Greta. Je pense juste qu’on aurait dû faire demi-tour et
rentrer quand ils ont annoncé qu’ils fermaient l’aéroport de Denver.
— Où donc est passé ton sens de l’aventure ? C’est une tempête de neige, pas l’Apocalypse. Et,
si tu t’agrippes encore plus fort à la portière, tu vas finir éjectée au prochain virage !
— Tu fais ça pour me rendre folle, c’est ça ?
— Je fais ça parce que demain matin il y aura une belle couche de neige fraîche sur Aspen et
que j’ai bien l’intention d’être le premier à descendre cette montagne.
— Je crois que je vais mourir ! Je frise l’AVC. Si je commence à bafouiller et à avoir des
absences, tu auras intérêt à faire demi-tour dare-dare.
Alex s’amusait comme un petit fou. C’était ça qu’il aimait chez Greta, elle ne s’imposait pas de
barrières et n’essayait jamais d’être une autre qu’elle-même quand ils étaient ensemble. S’il avait
invité une autre femme pour le week-end, elle aurait sans doute fait mine d’être parfaitement rassurée,
comme si conduire dans un tel blizzard était une fabuleuse aventure et non un risque calculé. Et, si
elle s’était conduite comme Greta en grognant et s’accrochant à la portière, il s’en serait débarrassé
sur la première congère venue. Mais Greta était Greta, sa meilleure amie, la plus enquiquinante, la
plus adorable qui soit.
— Tournez à gauche dans cinquante mètres, énonça la voix désincarnée du GPS.
— Tourne à gauche dans cinquante mètres, répéta Greta.
Alex jeta un coup d’œil au GPS.
— Tu vois bien, on y est presque. Encore deux kilomètres sur cette route secondaire et on…
— Quelle route ? l’interrompit Greta. On n’arrive même plus à voir sur laquelle on roule.
— Je me suis servi de mon considérable pouvoir de déduction, puisque deux rangées d’arbres
bordent ce grand passage blanc partant vers la forêt.
— Tournez à gauche dans vingt-cinq mètres, annonça le GPS.
— Tourne à gauche dans vingt-cinq mètres, répéta Greta. Ce chalet a intérêt à valoir le voyage.
Il devrait. Thea le lui avait décrit en détail, et pas une femme sur terre ne serait déçue —
Jacuzzi, douche à jets, literie confortable, cuisine gastronomique. Thea lui avait même promis de
remplir le réfrigérateur d’une sélection appétissante de plats. Dès leur arrivée, il avait l’intention de
servir un grand verre de vin à Greta, de l’attirer dans le Jacuzzi et de l’encourager à se détendre
après ces six heures de route.
Alors qu’il songeait au Jacuzzi, une image s’imposa à lui. Greta, nue, tout près de lui. Vision
pour le moins… problématique, songea-t-il. D’ordinaire, quand les femmes se dénudaient à proximité
de lui, il ne pouvait résister très longtemps.
Greta et lui n’avaient goûté ce plaisir qu’une seule fois au cours de leurs sept années d’amitié.
Une passion induite par trop de margaritas, la rupture récente de Greta avec le petit ami idéal, et deux
mois d’abstinence de son côté.
En toute franchise, cela avait été superbe, mais la gueule de bois de Greta s’était accompagnée
d’une bonne dose de remords et d’un souvenir très flou de ce qui s’était passé. Lui, en revanche, en
gardait un vif souvenir. Cela avait été explosif et passionné, et vivant… tellement vivant. Il n’avait
jamais retrouvé cette sensation avec d’autres femmes.
Seulement, Greta avait tenu à tout oublier de cette nuit et il avait accepté, dans le but de sauver
leur amitié. Toutefois, le souvenir de son corps, son corps parfait, était à jamais imprimé en lui.
Même maintenant, après des années, il se souvenait encore de cela, de son goût, de l’intensité de leur
désir.
— Tournez à droite maintenant, dit le GPS.
— Tourne à droite ! répéta Greta.
Alex scruta l’étendue neigeuse.
— Où ? Je ne vois aucune route !
Avant, il avait suivi les traces de pneus sur la route enneigée, mais ici rien n’indiquait où il était
censé bifurquer. Aucun panneau, aucun sillon, rien que de la neige.
— Je ne vois rien du tout, marmonna-t-il en ralentissant.
— Peut-être qu’on l’a passée, suggéra Greta.
— Non. Le GPS nous aurait demandé de faire demi-tour dès qu’on…
— Là, s’écria Greta.
C’était une route étroite tapissée d’un épais manteau de neige. Jusque-là, la Subaru s’était plutôt
bien comportée sur la neige tassée, mais là…
— Merde, grommela-t-il.
— Et quoi ? Impossible de faire demi-tour maintenant. On est à huit cents mètres d’un lit
douillet. Pas question de renoncer, lança Greta.
— Je ne sais pas si on va passer.
— Je ne supporterai pas encore trois heures d’un tel stress.
— Bah, si on est bloqués, on pourra toujours finir à pied. J’ai des raquettes dans la malle et une
lampe torche dans la boîte à gants. On devrait assez vite arriver en vue du chalet.
— J’espère que tu as prévu une miche de pain, répliqua-t-elle.
— Il y a de quoi manger, là-bas !
— Non, pas pour manger, pour laisser des miettes sur le chemin de la voiture ! Je ne tiens pas à
ce qu’on reste coincés en pleine forêt, repartit Greta en lui jetant un coup d’œil. Hansen et Greta ? Il
ne nous manque plus qu’une méchante sorcière, et on sera parés pour le week-end.
— Ça vaudra le voyage, lui assura-t-il en obliquant tout doucement à droite. D’ici quelques
minutes, tu seras en sécurité et au chaud dans un chalet de montagne. Je te préparerai même le dîner.
— Un peu que tu vas le faire !
Ils empruntèrent la route enneigée, et Alex garda un œil sur le GPS alors que les mètres
défilaient. Ils avaient parcouru cinq cents mètres quand il sentit les roues déraper dans la neige. Il
donna un coup d’accélérateur en espérant les redresser, mais la voiture partit en glissade dans le
fossé.
Alex lâcha une bordée de jurons. Même avec les quatre roues motrices, il n’y avait rien à faire.
Certes, il pouvait passer la prochaine demi-heure à pelleter la neige, mais ils étaient si près du chalet
qu’ils feraient tout aussi bien de continuer à pied. Il viendrait récupérer la voiture dans la matinée.
Sa priorité était d’offrir à Greta un bon feu de cheminée et qu’elle puisse laisser tous les soucis
loin d’elle. Il décrocha le GPS de son support et le fourra dans la poche de sa veste.
— Collecte tes miettes de pain, petite fille. On va finir en marchant, dit-il en lui désignant la
boîte à gants du doigt. Récupère la lampe torche, je vais chercher les raquettes.
— On ne peut pas laisser la voiture ici.
— Et pourquoi pas ? Ça m’étonnerait que quelqu’un emprunte cette route ce soir. Une fois au
chalet, j’appellerai le shérif pour lui dire où elle est. Je reviendrai la dégager demain matin.
Sur ce, il rabattit sa capuche sur la tête et sortit de la voiture. Il conservait la majorité de son
équipement de plein air à l’arrière de sa fourgonnette en cas de week-end imprévu : une tente, deux
duvets, de quoi faire la cuisine en plein air, et de la nourriture lyophilisée. Si jamais Greta et lui
étaient obligés de vivre à la dure, au moins auraient-ils chaud et le ventre plein jusqu’à la fin de la
tempête de neige.
Il sortit deux paires de raquettes, puis aida Greta à descendre de voiture.
— Comment va-t-on faire, pour les bagages ? lui demanda-t-elle.
— On va les laisser là, je reviendrai les prendre plus tard.
— Non, il n’est pas question que tu reviennes tout seul dans le noir. Il me faut juste récupérer
deux ou trois petites choses.
— Alors, je porterai ton sac et je laisserai le mien ici.
Il prit la lampe torche, l’aida à fixer les raquettes à ses chaussures, la lui confia et fit de même.
Elle dirigea la lumière vers la neige qui tombait dru en tourbillonnant.
— Si jamais je tombe avec ces machins aux pieds, je ne pourrai jamais me relever.
— Je te ramasserai, lui promit-il en lui faisant un clin d’œil. Et puis, on n’est pas loin. Et, si le
chalet n’est pas là où il est supposé être, on reviendra à la voiture et on se fera un nid pour la nuit.
— Ne va pas t’imaginer que tu pourras me séduire comme toutes ces autres femmes. Je suis
immunisée contre tes charmes, marmonna-t-elle.
Il tourna la lampe vers elle, et elle réussit à lui sourire.
— Tu me crois irrésistible, je le sais, répondit-il. Je le vois dans la façon que tu as de me
regarder. On dirait que tu me déshabilles des yeux.
Elle écarta la lampe d’une chiquenaude et rétorqua :
— Continue comme ça, et je retourne à pied vers le plus proche patelin pour me trouver un
motel. Non mais je rêve !
— D’accord. Démarre lentement. Ça va commencer par te faire bizarre de marcher avec ces
raquettes. Il faut juste bien lever le pied et le poser devant soi.
Il jeta le sac sur son épaule, ferma la voiture et lui prit la main. Ils n’avaient pas fait deux pas
que Greta s’emmêla les pieds et tomba en avant dans la neige. Alex voulut la rattraper, mais le sac le
déséquilibra, et il tomba avec elle.
Il tourna la lampe vers elle alors qu’elle se rasseyait, le visage couvert de neige. Elle avait l’air
si ridicule qu’il ne put retenir un éclat de rire avant de tendre le bras et d’épousseter sa joue de sa
main gantée.
— Arrête ! cria-t-elle. Ce n’est pas drôle ! Il y a des gens qui meurent comme ça. Au printemps,
ils retrouveront nos corps congelés, et on fera la une des faits divers. Avec une bonne morale en
conclusion ! « Voyez les deux fous qui ont voulu conduire dans le blizzard pour passer la nuit gratis
dans un vieux chalet déglingué. »
Alex balaya la neige de ses cheveux et l’illumina de la torche.
— Veux-tu que je te porte ?
— Je peux marcher, bougonna-t-elle. Mais je veux tenir la torche.
Une fois debout, ils reprirent leur avancée, guidés par le mince trait de lumière sur la neige.
Dans le silence de la forêt, seul s’élevait le léger chuintement de leurs raquettes. Le vent s’était
calmé, les flocons tombaient sans bruit d’un ciel glacial d’hiver.
— Très belle, dit-il.
— Si tu crois que m’envoyer des fleurs va me faire avancer plus vite, tu te fiches le doigt dans
l’œil !
— Je parlais de la neige ! Du paysage…
Elle s’arrêta net, orienta la lampe vers la forêt, et Alex s’attendit à une autre repartie acerbe,
mais elle inspira à pleins poumons et sourit.
— Oui, c’est vraiment beau. Et si paisible. On pourrait presque entendre les flocons atterrir sur
le sol.
— Je suis très content que tu aies décidé de m’accompagner, dit-il en lui prenant la main et en
lui posant un baiser léger sur le front. Tu vas voir, on va bien s’amuser.
Mais alors qu’ils reprenaient leur progression il se surprit à penser à bien plus qu’un simple
amusement. En se penchant pour lui donner ce baiser, il avait été diablement tenté de faire un détour
par ses lèvres. Une impulsion à laquelle il avait eu un mal fou à résister.
Il inspira à fond l’air froid de la nuit. Bon sang, mais qu’est-ce qui avait changé ? Avait-il
réellement envie de briser les règles qu’ils avaient édictées, ou était-il juste un peu en manque ? Il
avait devant lui un week-end pour le découvrir.

* * *

A un détour de la route, le chalet leur apparut tel un phare. Toutes les lumières y étaient
allumées et, de là où ils se trouvaient, il ressemblait à une pittoresque boule à neige.
Alors qu’ils s’en rapprochaient, Greta découvrit que le lieu ne correspondait pas exactement à
ce qu’elle entendait par « chalet ». Bien sûr, il était fait de rondins, mais il faisait davantage penser à
une sorte de manoir ancien. Une fois près du lampadaire illuminant le porche, elle s’arrêta et se
tourna vers Alex. Il avait écarquillé les yeux.
— Thea a dû envoyer quelqu’un pour allumer, marmonna-t-il.
— Pourquoi est-elle aussi gentille avec toi ? lui demanda Greta. Je la croyais égocentrique.
— Je suppose qu’elle nous a proposé son chalet afin de nous remercier, Dave et moi, de tout le
travail qu’on a fait pour elle.
— Eh bien, moi, je n’en suis pas sûre, répliqua Greta. Elle avait probablement d’autres
motivations en tête. Et si, ça, ça s’appelle un chalet, eh bien, la Maison Blanche est une aimable
bicoque.
— La campagne publicitaire qu’on lui a concoctée a fait grimper son chiffre d’affaires de trente-
cinq pour cent l’an dernier. Elle nous en est reconnaissante. Et, après toutes les heures que j’ai
passées sur son dossier, je t’avoue être ravi que ce soit luxueux. Et puis, quelles autres motivations
pourrait-elle bien avoir en tête ?
— Oh ! elle doit vouloir te faire passer à la casserole. Après un week-end ici, tu seras son
débiteur.
— Non !
— Qu’est-ce que les hommes peuvent être bouchés, parfois, ironisa Greta. Ou je n’y connais
rien, ou cette femme est une cougar. Et ce n’est pas parce qu’elle a passé la quarantaine qu’elle ne
peut pas être attirée par toi. Elle se sert généralement de son argent pour obtenir ce qu’elle veut.
Pourquoi crois-tu que son équipe est exclusivement jeune, sexy, et masculine ? Que savent les
hommes des cosmétiques ? Reconnais-le, elle aime se rincer l’œil.
— Elle nous a choisis pour nos talents ! riposta Alex. Selon elle, les hommes sont plus enclins à
voir les femmes comme des objets sexuels, et c’est précisément ce qu’elle essaye de vendre.
— Elle t’a choisi parce que tu as un beau visage et un corps à tomber.
— Je devrais me sentir insulté, mais je me suis promis qu’on ne se disputerait pas ce week-end.
La structure de rondins avait été accolée au flanc de la montagne et d’immenses baies vitrées
donnaient sur le paysage accidenté. Une galerie couverte courait sur deux côtés du bâtiment, et des
marches menaient à la porte d’entrée.
Un 4x4 couvert de neige était garé devant le chalet.
— Je croyais que Dave ne pouvait pas venir ? dit Greta.
— C’est exact. Il devait recevoir la visite de sa sœur.
— Pourtant, il y a quelqu’un, fit Greta en désignant le 4x4. Peut-être qu’il a changé d’avis.
Alex s’arrêta.
— C’est une Cadillac Escalade. Thea en a une.
— Eh bien nous y voilà ! s’écria Greta en riant. Un point pour moi, jeu, set et match. Je crois
qu’on peut finalement se mettre d’accord sur les motivations cachées.
— Peut-être qu’elle est venue approvisionner le chalet et qu’elle s’est fait coincer par la neige,
suggéra Alex en repartant vers le porche. Ou peut-être qu’elle a juste voulu voir si on était bien
installés avant de partir pour le week-end.
— Ou alors, peut-être qu’elle est venue pour un ménage à trois, répliqua Greta. Dave, plus Alex,
plus Thea, ça fait bien trois, non ?
Une fois en bas des marches, Alex déboucla ses raquettes et les planta dans une congère avant
d’aider Greta à en faire autant. Ils gravirent lentement le perron.
— Elle a dit qu’elle laisserait les clés à un crochet sous la balancelle.
— Pourquoi ne pas d’abord essayer ça ? dit Greta en appuyant sur la sonnette.
Une seconde plus tard, la porte s’ouvrit en grand sur Thea Michaels dans toute sa splendeur, en
pyjama de soie noire laissant apparaître un soutien-gorge de dentelle noire, les cheveux
stratégiquement ébouriffés pour faire croire qu’elle sortait du lit, et les lèvres d’un rouge incendiaire.
Elle exsudait tant le sex-appeal que Greta eut l’impression d’être une vraie godiche.
Alex prit une brusque inspiration tandis qu’elle souriait intérieurement. Elle n’avait pas souvent
raison, mais quand c’était le cas elle se régalait. Alex avait beau se targuer de connaître intimement
les femmes, il était d’un naïf, parfois…
— Thea, si je m’attendais…, dit-il en faisant un pas en avant.
— Alex, très cher, entrez, entrez. Ainsi couvert de neige, on pourrait croire que vous êtes venu à
pied du cercle arctique, susurra Thea. Est-ce Dave que je vois derrière vous ?
— Non. Dave a eu des obligations familiales inopinées et n’a pas pu venir, aussi ai-je invité une
de nos directrices artistiques, Greta Adler, répondit-il avant de marquer une pause, tout en passant un
bras autour des épaules de Greta. C’est ma petite amie.
Greta éclata de rire devant cette déclaration ridicule, puis se couvrit la bouche de son gant
humide. Il aurait aussi bien pu dire « C’est mon raton laveur préféré » tant il avait mis de conviction
dans sa phrase.
— Désolée, marmonna-t-elle. Froid, gorge sèche.
Afin de mieux enfoncer le clou, Alex l’attira tout contre lui et dit :
— Greta, je te présente Thea Michaels, P.-D.G. et directrice générale de Te Adora Cosmetics.
L’expression chaleureuse et accueillante de Thea laissa progressivement place à un masque
froid et distant.
— Votre petite amie ?
Greta ravala un autre éclat de rire et prit une expression calme et dégagée.
— Oh ! je sais, j’ai moi-même parfois du mal à y croire. On s’est officiellement déclarés hier
sur Facebook, précisa-t-elle. Et je suis ravie de faire votre connaissance. Alex parle tout le temps de
vous.
— Etrange. Il ne m’a jamais parlé de vous, marmonna Thea en lui jetant un regard
condescendant.
— On parle toujours business, intervint Alex. Et j’ai d’ailleurs peur de m’être mépris. Je n’ai
jamais envisagé que vous ayez pensé à un week-end de travail.
— Non, vous aviez raison. Ce week-end était uniquement prévu pour le plaisir, dit Thea en
laissant courir ses yeux de l’un à l’autre.
L’espace d’un instant, Greta crut qu’elle allait bondir. Pas étonnant qu’on les appelle des
cougars…
— Eh bien, avec cette belle couche de poudreuse fraîche, le plaisir sera au rendez-vous. Je ne
demande pas plus ! s’exclama Alex en les regardant tour à tour. Mais ce n’est pas comme si nous ne
nous réjouissions pas de…
Il s’éclaircit la gorge.
Un long silence s’ensuivit. Qu’attendait donc cette femme ? s’interrogea Greta. Oh ! elle serait
probablement ravie de la voir retourner dans la tempête pour ne jamais revenir, rendant ainsi service
à Alex ! Elle comprenait très bien ce que Thea Michaels avait eu en tête dès le départ.
— Oui, nous nous en réjouissons, dit-elle. Mais nous nous en voudrions de vous gâcher le week-
end. Peut-être ferions-nous mieux de rentrer à Denver et de…
— Ne soyez pas ridicule, l’interrompit Thea après avoir poussé un soupir théâtral. Vous allez
passer le week-end ici, comme vous l’aviez prévu. Venez, entrez, que je puisse refermer, et enlevez
vos vestes.
Alex posa le sac de Greta et l’aida galamment à ôter son anorak. Il le suspendit à la patère avant
d’enlever le sien.
— Cet endroit est magnifique, dit-il.
— Je l’ai fait construire il y a quelques années. Ici, je peux être complètement seule, et me
promener toute nue si j’en ai envie. Oh ! en parlant de ça, il y a un Jacuzzi à l’arrière et une baignoire
à remous à deux places dans la suite des invités.
— Tout le confort, approuva Alex.
— Oui. Maintenant, venez, que je vous montre vos chambres.
— Nos chambres ? répéta Alex.
— Ne seriez-vous pas mieux installés dans deux chambres séparées ? roucoula Thea en tendant
la main pour épousseter la neige des cheveux d’Alex. Il y a plein de chambres, pas besoin de se
marcher dessus.
— Non, une chambre, ce sera bien, insista Alex.
— En haut de l’escalier, répondit Thea d’un ton irrité. Je vous laisse vous installer. Quand vous
aurez fini, vous pourrez me rejoindre pour prendre un verre.
Elle s’en fut en ondulant outrageusement des hanches sous la soie de son pyjama.
Greta se hissa vers Alex et lui chuchota à l’oreille :
— J’adore quand j’ai raison.
-2-

— Pas question de dormir ensemble, insista Greta. Et ça, ce n’est pas négociable.
Alex jeta le sac sur le lit, s’y assit et se passa les mains dans les cheveux.
— Et moi je ne dors pas seul. Si tu n’es pas dans la chambre avec moi, elle viendra.
Greta faisait les cent pas, la mine préoccupée. Il lui attrapa la main pour l’obliger à s’arrêter et
à lui faire face.
— Joue le jeu. Je te promets de me conduire en parfait gentilhomme.
— Cet endroit est vraiment fabuleux, dit-elle en inspectant du regard la chambre luxueusement
aménagée. Je parie qu’elle amène ici tous les hommes qu’elle a l’intention de séduire.
Et elle avait tristement raison, songea-t-il. Ce palais de séduction déguisé en retraite
montagnarde n’avait pas grand-chose à voir avec un chalet. L’éclairage était merveilleusement
tamisé, les lits moelleux suggéraient la nudité des corps, et l’emplacement isolé, idéal pour toute
activité intérieure ou extérieure, relevait de l’intimité absolue.
— Ma foi, fabriquer des crèmes hydratantes avec des ananas pourris a bien des avantages,
réfléchit Greta à voix haute en se dégageant de son emprise. Ça permet de s’offrir bien des choses, y
compris un homme.
Alex lâcha un juron à mi-voix.
— Surtout, aucun commentaire ! Thea reste avant tout une cliente, quoi qu’il se passe ce week-
end, je ne veux pas que cela change.
— Oh ! s’il te plaît, laisse-moi me divertir un peu, dit Greta en se laissant choir sur le lit près de
lui. Ça sera la seule chose agréable du week-end, j’en ai peur.
Alex se mit à plat dos avant de rouler sur le ventre.
— Je dois bien reconnaître que tu avais vu juste. Contente ?
Il pouvait toujours se fier à Greta pour aller au fond des choses quand il s’agissait d’analyser
les relations humaines.
— As-tu vu sa tenue ? Elle avait tout prévu. Si Dave et toi étiez venus, vous seriez déjà en train
de batifoler dans le Jacuzzi à l’heure qu’il est. Tous les trois.
— Je ne batifole pas avec les clientes. Tu es vraiment sûre qu’elle avait prévu de nous séduire,
tous les deux ?
— Elle a probablement invité Dave pour s’assurer une position de repli au cas où tu aurais une
crise de conscience.
— Parce qu’elle m’aurait préféré à Dave, selon toi ?
— Evidemment. Tu es bien plus séduisant.
— Il est plus grand, objecta Alex.
— Oui, mais tu as un corps bien plus beau. Et tu es bien plus mignon.
Alex lâcha un grognement et enfouit le visage dans la couette. Puis il se retourna pour la
regarder.
— Elle est séduisante. Comprends-moi bien, on ne peut nier que Thea Michaels est sexy. Mais
elle me fiche la pétoche, en fait.
— Tu peux rester dans la chambre pour cette nuit, on n’aura qu’à faire comme si on couchait
ensemble, suggéra Greta en se mettant à genoux sur le lit et en le faisant osciller. Il te suffira juste de
pousser un grognement de temps en temps. Oh ! bébé. Oui ! Oh ! c’est bon ! Encore, encore !
Il l’attrapa par le bras et l’obligea à se rallonger.
— Chut, elle pourrait nous entendre !
Greta atterrit durement sur son torse, leurs regards se rencontrèrent et, l’espace d’un instant, un
éclair de lucidité coupa le souffle à Alex. Bon Dieu, il avait envie de l’embrasser. Et pas d’un baiser
léger, mais d’un vrai baiser. Il baissa les yeux sur ses lèvres.
Lentement, il lui glissa les doigts dans les cheveux, puis sur la nuque, et l’attira plus près.
Presque étourdi, il dut prendre une grande inspiration, avide d’oxygène et de sa bouche sur la sienne.
Ses perceptions s’aiguisèrent, et il fut certain qu’elle pouvait entendre tambouriner son cœur
contre ses côtes. S’il l’embrassait comme il en avait envie, sa vie en serait modifiée. Il serait obligé
d’admettre qu’il éprouvait plus que de l’amitié pour elle.
Alors qu’il l’attirait vers lui, Greta ferma les yeux comme pour lui donner l’autorisation de
continuer. Serait-ce aussi bon que dans son souvenir ? se demanda-t-il. Toutes les règles qu’ils
avaient édictées ensemble pour prévenir pareille situation lui semblèrent soudain ridiculement
inutiles. C’était juste un baiser. Et, quand il serait terminé, ils retourneraient à la relation, disons,
normale qui était censée exister entre eux.
— On ne devrait pas faire ça, murmura-t-il.
Greta rouvrit les yeux. Alex la regarda, et vit son expression passer de l’attente à la résignation.
— Tu as raison, dit-elle d’une voix étranglée.
Il grogna doucement, et un sourire s’étira sur ses lèvres.
— Non, j’ai tort.
Et il lui prit la bouche. Ils retombèrent sur le lit et, les doigts toujours dans ses cheveux, il lui
passa une jambe sur les cuisses.
Il la taquina de la langue jusqu’à ce qu’elle rende les armes. Alors, le désir s’empara de lui et
lui fit battre plus vite le cœur. Il avait eu énormément de femmes dans sa vie depuis la seule et unique
fois où ils s’étaient laissés aller à leur désir, mais jamais aucune d’entre elles n’avait pu l’électriser
comme le faisait Greta.
Le baiser s’acheva aussi vite qu’il avait commencé. Alex releva la tête, recouvra ses esprits et
roula loin de Greta en se jetant un bras sur les yeux.
— Je n’arrive pas à croire que j’aie fait ça. Je te demande pardon, Greta. Je sais qu’on avait
décidé de…
— Non, murmura-t-elle. Si on doit jouer au couple devant ta cliente, je crois qu’on va devoir
dépasser nos inhibitions et privilégier les contacts physiques. Ce n’était qu’un baiser. Et ce n’est pas
comme si on allait plus loin toi et moi… n’est-ce pas ?
Il se rassit et se frotta la figure.
— Oui. Je… je vais descendre et voir où en sont les préparatifs pour le dîner. Installe-toi, et
rejoins-moi.
Greta fit oui de la tête alors qu’il se levait.
— Je te suis vraiment reconnaissant, Greta. Je ne sais pas trop quoi faire avec Thea, mais ta
présence me facilite grandement les choses.
Une fois dans le couloir, il referma la porte derrière lui et se laissa aller contre le mur. Jamais
encore il ne s’était retrouvé dans une situation plus étrange. Avec, derrière cette porte, une femme
qu’il désirait mais qui ne voulait pas de lui et, au rez-de-chaussée, une femme qui le désirait mais
dont il ne voulait à aucun prix.
Greta et lui avaient établi les règles de leur amitié bien des années auparavant, et les restrictions
qu’ils avaient imposées à toute éventualité de romance les avaient servis à merveille. Mais, après ce
baiser, peut-être était-il temps de les renégocier.
Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait plus éprouvé ce genre de sensation en embrassant une
femme. Il en était même venu, dernièrement, à se dire qu’il ne parviendrait jamais à en trouver une
capable de lui faire battre follement le cœur et tourner la tête. Mais là… Ou alors, seule la nature
interdite de ce baiser le rendait aussi étourdissant.
Il fallait le reconnaître, outrepasser les règles lui avait toujours paru excitant. Il avait passé sa
vie à s’embarquer dans de nouvelles aventures sans même réfléchir aux conséquences. Un autre jour,
dans d’autres circonstances, peut-être, il aurait pu sérieusement envisager la proposition de Thea. Si
les conditions avaient été idéales et les risques minimes.
Mais quelque chose avait changé dans les secondes qui avaient précédé ce baiser, comme si sa
boussole interne s’était inversée. Le nord était au sud, et le sud au nord. Il voulait Greta, pas juste
pour cette nuit, pas pour… quoi ? Pour toujours ? Ça, il l’avait déjà. Ils étaient amis depuis sept ans,
et le demeureraient aussi longtemps qu’ils respecteraient les règles.
Mais il voulait les briser, ces règles, voir ce qu’il y avait par-delà l’amitié, reprendre là où ils
s’étaient arrêtés cette fameuse nuit, quatre ans plus tôt.
Mais avant de tenter de séduire sa meilleure amie il devait d’abord régler le problème Thea.
Peut-être était-ce sa faute, après tout. Il s’était montré amical envers elle, flirtant même vaguement
avec elle à l’occasion. Toutefois, il ne se souvenait pas d’avoir dit ou fait quelque chose qui eût pu
prêter à confusion de la part de sa cliente. C’était une femme mûre, intelligente, qui savait que
s’engager dans une relation avec lui était inconvenant. Mais, au contraire de Greta, Thea ne jouait pas
selon les règles. Quelque chose lui plaisait ? Elle faisait tout pour l’avoir, sans se soucier des
conséquences.
Et, pour le moment, c’était lui qu’elle voulait, il en était certain. Ou, du moins, elle voulait un
homme dans son lit. Il jeta un coup d’œil à la porte de la chambre et se demanda ce que Greta pouvait
bien penser.
Peut-être devrait-il y retourner pour s’excuser mais, pour être tout à fait honnête, il n’était
absolument pas désolé. Comment le pourrait-il ? Embrasser Greta, ou la caresser, lui semblait la
chose la plus naturelle du monde. Il fit une courte prière dans l’espoir qu’elle prenne les choses
comme lui.
Et, lentement, il descendit l’escalier. Il trouva Thea debout devant la cheminée, un verre de vin
entre ses doigts parfaitement manucurés. Elle se retourna lentement en l’entendant arriver.
— Eh bien, ne voilà-t-il pas que nous formons un joli petit ménage à trois, murmura-t-elle.
— Est-ce cela que vous aviez en tête en nous invitant, Dave et moi ? lui demanda-t-il. Je dois
bien vous accorder que c’était plutôt téméraire.
— Je ne suis pas arrivée où je suis en jouant petit bras, répondit-elle sur le même ton. Et ce
n’est pas parce que vous avez amené votre petite amie que nous ne pouvons pas nous donner du bon
temps. Je peux être discrète… si j’ai de bonnes raisons de le faire. Et vous êtes une excellente raison.
— Thea, aussi flatté que je sois par cette proposition, je ne pense pas…
— Oh ! je vous en prie, ne me servez pas ce genre d’excuse éculée ! reprit-elle, une note irritée
dans la voix. Vous êtes suffisamment intelligent pour savoir séparer travail et plaisir. Je ne vois pas
une seule raison qui nous interdirait de profiter des deux aspects de notre relation.
Elle avança lentement vers lui et repoussa les cheveux qui lui tombaient sur le front.
— Donc, dites-m’en plus sur cette fille. Est-ce sérieux, ou juste une passade ?
— C’est sérieux, répondit-il en s’éloignant d’elle.
L’aisance avec laquelle ces mots étaient sortis de sa bouche l’arrêta et le fit réfléchir un instant.
Il n’avait pas menti. Son amitié avec Greta était la chose la plus importante dans sa vie.
— Elle est très… douce, ajouta-t-il, un peu nerveux.
— Les bananes sont douces, mais je ne recommanderais pas d’en manger quotidiennement. Peut-
être avez-vous besoin de plus épicé.
— Thea, j’apprécie…
Elle lui posa un doigt sur la bouche.
— Nous sommes tous deux adultes. Nous avons des besoins. Si vous vous inquiétez pour votre
travail, je peux vous garantir, Alex, que rien ne changera… excepté, bien évidemment, mon degré
d’affection pour vous. Tout cela pourrait, en fait, jouer en votre faveur.
— Thea, je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Je…, dit-il avant de marquer une pause. Je
suis amoureux de Greta. Fou amoureux. Vous êtes une femme belle, sexy et très attirante et, en
d’autres circonstances, j’aurais certainement accepté votre proposition. Mais si des règles ont été
établies pour prévenir ce genre de situations, ce n’est pas pour rien.
— Et moi qui vous imaginais homme à adorer outrepasser les règles.
— Vous ne me connaissez pas en dehors de notre relation professionnelle.
— C’était justement l’objectif de ce week-end, répliqua Thea avant d’avaler une gorgée de vin.
Mais, dites-moi, comment vos collègues réagissent-ils en vous voyant travailler ensemble, vous et
votre dulcinée ? Les histoires de cœur de ce type n’ont jamais beaucoup plu dans les cercles
directoriaux, ajouta-t-elle avant de sourire, lascive, et de s’approcher de nouveau de lu. A moins que
personne ne soit au courant. Gardez-vous soigneusement le secret, Alex ? Ça, ça m’indiquerait que
vous aimez outrepasser les règles.
Alex prit délicatement la main qu’elle venait de poser sur son épaule pour la repousser.
— Nous n’avons pas mangé, et je meurs de faim. Et si je nous préparais un dîner pour tous les
trois ?
— Oubliez le dîner, susurra-t-elle.
— J’ai faim. Et… Greta aussi. Du moment où nous sommes tous coincés ici, nous pourrions tout
aussi bien partager un agréable repas ensemble.
— Très bien. Buvons donc un verre, ça vous aidera à vous détendre. Et vous en avez besoin.
Que puis-je vous servir ?
— Une bière ?
— Permettez que je vous prépare un cocktail qui, je vous le garantis, saura vous détendre.
Elle s’en fut vers le bar près de la cuisine et Alex se trouva un coin sûr près de la cheminée, du
valet de cheminée et de ses outils en fer forgé. Au moins disposerait-il d’une arme s’il devait
esquiver un assaut.
L’insistance de Thea n’avait pourtant pas de quoi le surprendre. Cette multimillionnaire s’était
faite toute seule et se frayait à coups de griffes un chemin vers le sommet. Et elle mesurait sa réussite
à sa capacité de s’offrir tous ses caprices.
Certaines de ses liaisons avaient été des désastres publics ; quant à la dernière en date, avec un
joueur de polo argentin, elle s’était soldée par le règlement d’une somme astronomique au dit joueur
afin de s’assurer de son silence. Pas étonnant qu’elle cherche à le séduire, lui, qui était un pari sûr. Il
avait autant à perdre qu’à gagner dans l’histoire.
Mais… avait-il une aussi sale réputation ? Au bureau, on le connaissait comme un homme à
femmes, et Thea avait manifestement décidé d’en tirer avantage. Dans le passé, Greta l’avait souvent
taquiné, lui disant qu’il était un homme facile, un coureur de jupons, un chien-chien à sa mémère. Il ne
niait pas apprécier la compagnie des femmes. Et il ne voyait aucune raison de limiter ses ardeurs.
Toutefois, il avait commencé à se lasser, ces derniers temps, des longues soirées à écumer les
bars en quête d’un visage, d’un esprit susceptibles de le fasciner et de retenir son intérêt plus de dix
minutes. Il avait passé plus de temps avec Greta, à repeindre son appartement, à faire les antiquaires
pour le meubler, à terminer un week-end laborieux devant un film et un menu chinois à emporter.
A la vérité, il aimait traîner avec Greta, plus qu’avec ses amis masculins, et infiniment plus
qu’avec les femmes rencontrées cette dernière année. Ensemble, ils s’amusaient, quand ils ne se
chamaillaient pas. Et, après ce qui venait de se passer à l’étage du dessus, ils partageaient bien plus
que de l’amitié.
Il ne savait pas ce que lui réserverait ce week-end. Cela pourrait être un désastre absolu, ou le
début de quelque chose de miraculeux. Bref, tant qu’il garderait la tête sur les épaules et saurait
éviter les mines sexuelles sur son chemin, il devrait s’en sortir sain et sauf.
Mais avant qu’il ne puisse filer Thea le prit par le bras et l’obligea à s’arrêter.
— Je sais ce que vous voulez, chéri, dit-elle en faisant courir les doigts sur son torse. Et, si elle
ne vous donne pas ce que vous attendez, moi je le ferai avec beaucoup… de plaisir.
— Je garde ça en tête, répondit-il en se forçant à sourire. Et, justement, je vais voir ce que
devient Greta. Elle doit commencer à crier famine, à l’heure qu’il est.
— Quel petit ami attentionné, murmura Thea. J’espère qu’elle vous mérite.
— Oh oui, répondit-il sur le même ton.
Et il commençait juste à comprendre à quel point elle comptait pour lui.

* * *

— Oh ! le paradis, marmonna Greta en fermant les yeux dans la baignoire.


Bain moussant français, bougies parfumées, draps de bain épais et doux, voilà ce qu’il lui fallait
pour effacer le stress et la confusion de cette journée.
Pourtant, dès qu’elle eut fermé les yeux, le souvenir du baiser qu’Alex et elle venaient
d’échanger revint la tarauder. Elle se passa les mains sur les bras et découvrit avec surprise qu’elle
avait la chair de poule.
Un coup résonna à la porte, et elle se rassit dans la baignoire, bras croisés sur les seins.
— Es-tu visible ? demanda Alex.
— Je prends un bain, répondit-elle.
Il actionna la poignée, constata qu’elle n’avait pas mis le verrou et entra, les mains sur les yeux.
— Bon, il faut que tu descendes tout de suite.
— Fiche le camp ! cria Greta en lui jetant une éponge de bain trempée. Je suis toute nue.
— J’ai déjà tout vu, la contra Alex en écartant les doigts pour la regarder. A propos, quelle idée
de prendre un bain ! Tu me laisses tout seul entre les griffes de Thea alors que j’ai besoin de toi pour
faire diversion.
— Eh, c’est ta cliente, à toi de t’en occuper.
— Eh bien, justement, c’est ça qu’elle veut, que je m’occupe d’elle… et en détail, si tu vois ce
que je veux dire, répondit-il en laissant retomber ses mains pour venir s’asseoir sur le bord de la
baignoire.
Greta disparut sous l’eau et rassembla le plus de mousse possible sur sa poitrine. Elle tendait la
main pour en ramasser encore quand elle vit les yeux d’Alex braqués sur ses seins. Le désir s’empara
immédiatement d’elle, et elle arrêta aussitôt ce qu’elle faisait, bien décidée à le punir de son
intrusion.
Se débattrait-elle s’il tendait la main pour la toucher ? Ou se coulerait-elle entre ses bras, toute
chaude et humide du bain ? Et s’il se débarrassait de ses vêtements pour la rejoindre ? Où cela
finirait-il ?
Alex lâcha un juron à mi-voix.
— Pourquoi prends-tu un bain ? Tu n’étais pas sale. On n’a rien fait de la soirée à part être assis
dans la voiture.
Et se peloter sur le lit, ajouta-t-elle en silence.
— J’étais tendue, et j’avais besoin de me décontracter.
— Eh bien, viens boire un verre, j’ai besoin de ton aide.
— Pourquoi devrais-je t’aider ? C’est toi qui nous as attirés dans ce bourbier, et s’il ne neigeait
pas tant je t’aurais demandé de me ramener à la maison. Mais puisqu’on est coincés ici je vais
profiter de tout ce que ce chalet a à m’offrir. Cette baignoire est un vrai luxe que je n’ai pas chez moi.
Regarde, je peux y tenir tout entière.
Il baissa les yeux sur elle et parcourut son corps d’un regard appréciateur.
— J’ai faim, murmura-t-il en arrêtant son inspection à l’endroit où l’eau touchait ses seins. Et
sans toi je ne peux pas manger.
— Et pourquoi ça ?
— Parce que, si tu n’es pas là, j’ai bien peur d’être moi-même le dîner…
— D’accord, répondit-elle dans un soupir. Laisse-moi juste cinq minutes. Tu peux sortir,
maintenant.
— Tu es sûre que tu ne veux pas que je te lave le dos ?
Elle lui envoya de l’eau dans le visage mais, à l’instant où elle leva les bras, elle comprit
qu’elle avait exposé ses seins à sa vue. Après tout, elle s’en fichait. Qu’il regarde, s’il voulait.
Alex se leva rapidement et opéra une vive retraite avant de refermer la porte derrière lui. Greta
attrapa une serviette et sortit de la baignoire. Cependant, une minute plus tard, Alex réapparut. Il
ouvrit la bouche comme pour dire quelque chose, et la referma.
Debout à côté de la baignoire, nue, serviette en main, Greta avait le corps qui scintillait à la
lueur des bougies. Un long moment, aucun des deux ne fit un geste. Le cœur battant la chamade, Greta
se cacha derrière la serviette et attendit qu’il bouge, qu’il parle.
— Quoi ? finit-elle par demander en le regardant, pétrifiée.
Il s’éclaircit la gorge.
— Je, euh… Bon sang !
Manifestement frustré, il traversa la salle de bains, lui prit le visage à deux mains et l’embrassa.
Il lui prit la bouche en un baiser urgent, presque frénétique, et elle se coula instinctivement
contre lui. La serviette de toilette lui échappa des doigts alors que les mains d’Alex couraient sur sa
peau trempée. Puis il lui prit les hanches et la plaqua contre lui avant de refermer ses mains sur ses
fesses.
Greta perçut l’arête dure de son érection à travers le jean. Elle n’avait pas prévu cela pour le
week-end, pas prévu du tout de lui succomber encore une fois. Mais cela lui sembla si juste, si
naturel, si parfait, que ce fut comme si rien, dans leur équipée, n’avait eu d’autre but.
Il se redressa et la regarda. Les joues enflammées, Greta prit une grande inspiration. Et elle eut
beau chercher, elle ne trouva rien à dire.
Il ramassa la serviette et la lui drapa autour du corps.
— Je vais y aller, maintenant, dit-il en se forçant à sourire. Je… je te retrouve en bas.
Dès qu’elle fut seule, Greta s’assit sur le bord de la baignoire, consciente de la tournure des
événements. Tout les poussait à reprendre là où ils s’étaient arrêtés quatre ans plus tôt. A ceci près
que leur première fois avait été provoquée par l’abus de tequila. Et par la curiosité.
C’était différent, cette fois-ci. Ils étaient plus mûrs, plus sages, et bien meilleurs amis. Elle
n’était pas certaine d’avoir la volonté de tout arrêter. Elle se sécha, un sourire étirant ses lèvres.
Peut-être était-il temps d’explorer certains des fantasmes qu’elle avait eus à propos d’Alex. Et, si les
choses avaient changé, quel meilleur moyen de le savoir ?
Elle retourna dans la chambre et chercha une tenue confortable dans son sac. D’abord, elle allait
l’extirper des griffes de Thea Michaels. Ensuite, ils se retireraient pour la nuit. Et puis après… un
autre frisson la parcourut. Bon, il fallait juste oublier toute notion de prudence.
Quand elle arriva au rez-de-chaussée, le dîner venait d’être servi. Alex leva les yeux vers elle,
manifestement soulagé.
— Te voilà, dit-il en se levant pour lui tirer la chaise à côté de la sienne.
Il lui posa un baiser gauche sur la joue, et elle se plaqua un sourire sur le visage.
— Désolée, murmura-t-elle. Ce bain était tellement divin que j’ai eu du mal à le quitter. Ces
bougies parfumées sont parfaites pour la détente. J’ai remarqué qu’elles font partie de votre gamme
en aromathérapie, madame. Ça marche ! Je ne pourrais être plus détendue.
— Hum… Peut-être devrions-nous obliger Alex à prendre lui aussi un bain. Il est tellement sur
les nerfs, répondit Thea.
— Mangeons ! déclara Alex en s’asseyant près de Greta, avant de lui présenter un plat de
nouilles thaïlandaises. Mlle Adler adore manger thaï.
— Mlle Adler ?
— Greta ou Mlle Adler, oui ! Je lui ai interdit de m’appeler par tous ces noms ridicules :
pupuce, mon canard, bébé d’amour ou autre…, intervint Greta en plissant le nez de dégoût.
— Sers-toi, lui dit Alex en lui présentant le plat.
— Les hommes, marmonna Thea en les observant tour à tour. Quand ils ne pensent pas au sexe,
ils pensent à manger !
— Il y a aussi des lasagnes. Greta, tu adores les lasagnes, dit Alex sans relever la dernière
remarque de Thea.
Sous la table, Greta perçut une pression gentille de sa main sur sa cuisse, une prière muette.
Mais pour quoi ? Jusqu’où voulait-il qu’elle aille dans cette farce ?
— C’est vrai, j’adore les lasagnes, et on en mange souvent, dans ton petit restaurant italien,
lança-t-elle.
— Gino’s Trattoria, précisa Alex.
— Oui, chez Gino, acquiesça-t-elle.
Manifestement, Thea ne les croyait pas. Greta prit son courage à deux mains, se pencha vers
Alex et se nicha contre lui.
— Ce repas est fabuleux. On dirait un pique-nique gastronomique.
Thea sourit, lascive.
— Il y a des huîtres, que j’ai spécialement commandées pour ce soir. L’expérience m’a appris
que les hommes qui aiment les huîtres sont très… oraux. Aimez-vous les huîtres, Alex ?
Impossible de se méprendre sur le sens de cette question. Et l’expression dans le regard de leur
hôtesse suffit à faire frissonner Greta. Thea lui faisait penser à une panthère attendant le bon moment
pour bondir sur sa proie.
— Oui, il adore ça, répondit-elle.
— Mais, en fait, j’en mange rarement. Je ne suis pas fana des fruits de mer crus, il y a trop de
risques d’intoxication, ajouta Alex.
Le reste du repas se déroula dans le climat d’une partie d’échecs sexuels — Thea à l’offensive,
Alex à la défense et Greta au milieu, essayant d’anticiper le prochain mouvement pour mieux le
parer. Aussi délicieux que fussent les mets, le nœud de plus en plus serré qu’elle avait à l’estomac
l’empêcha de les savourer.
Elle se prit à rêver d’une autre incursion dans la baignoire, mais avec un partenaire, cette fois-
ci. Sa tension grimpa au seul souvenir de son corps nu plaqué contre celui d’Alex. Cela avait été
l’expérience la plus excitante qu’elle eût jamais connue avec un homme.
Si l’abus d’alcool avait brouillé le souvenir de leur précédente incartade sexuelle, celui-ci était
limpide. Un autre frisson la parcourut, et elle inspira à fond.
Elle termina son verre de vin et le reposa devant elle, en songeant qu’elle devait être un peu
euphorique après deux verres, mais son taux d’adrénaline avait grimpé en flèche depuis l’instant
même où elle s’était assise à table, et elle avait les idées très claires.
— Ce fut un dîner très agréable, dit-elle. Merci.
— J’ai rarement vu une femme manger avec autant de… plaisir, lui répondit Thea. Vous devriez
faire attention, de telles habitudes alimentaires finiront par vous rattraper un jour.
— Greta fait beaucoup d’exercice. En fait, on fait toujours une promenade après dîner, n’est-ce
pas, chérie ?
— Une promenade ? Mais là il fait froid, il neige et…, balbutia-t-elle.
— Allons, viens, fit-il en se levant et en lui prenant la main. L’air frais va nous faire du bien, et
puis il faut que j’aille chercher mon sac dans la voiture. Vous nous accompagnez, Thea ?
— Vous plaisantez ? Je ne fais jamais d’exercice en dehors de la présence de mon coach. C’est
tellement plus efficace, repartit-elle d’une voix condescendante.
— Comme il vous plaira, dit Alex, en entraînant Greta vers la porte. On revient bientôt.
— Une promenade, lui chuchota Greta. Au beau milieu de la tempête ! Tu n’aurais pas pu
trouver autre chose pour te débarrasser d’elle ?
— As-tu une autre suggestion ?
— Euh… non. Mais il fait froid dehors et je n’ai aucune envie d’aller me geler. Je…
— Enfile ton anorak.
Il l’aida à le mettre, lui tendit ses gants, rabattit sa capuche sur sa tête et se pencha pour lui
planter un baiser sur les lèvres.
— Et ça, c’était pour quoi ? demanda-t-elle.
— Jouer le jeu, répondit-il en souriant.
-3-

Ils sortirent sous le porche enneigé et refermèrent la porte. Greta prit une grande inspiration,
ferma les yeux et s’appuya contre le mur.
— Est-ce que ça va ? lui murmura Alex en la dévisageant pour tenter de deviner ce qu’elle
pensait.
Elle avait joué son rôle à la perfection. Mais jusqu’où était-elle disposée à aller pour le
protéger ?
— Oui, ça va, le stress de ce dîner m’a juste épuisée, répondit-elle en rouvrant les yeux. Et si on
retournait à la voiture et qu’on rentrait à la maison ? S’il te plaît ? Je ne veux pas passer la nuit ici. Je
veux dormir dans mon lit.
— Impossible. Il me faudrait au moins une heure pour dégager la voiture, et les routes seront
impraticables. Ils ne sortiront pas les chasse-neige avant la fin de la tempête. Et ce sera bien pire
qu’en venant, lui dit-il en lui passant le bras autour de la taille. Ne la laisse pas te porter sur le
système. Une fois qu’on sera au lit, on n’aura plus à la voir jusqu’à demain matin.
— Elle a dit que j’étais grosse ! cria-t-elle.
— Chut ! Elle peut nous entendre.
— Mais non, ou alors c’est qu’elle a l’oreille collée à la porte, rétorqua Greta. Mais, si c’est le
cas, qu’elle sache qu’elle-même a des jambonneaux à la place des cuisses.
Alex lui prit la main et l’emmena à l’autre bout de la galerie avant de lui dire :
— Quand t’a-t-elle dit que tu étais grosse ? Je ne l’ai pas entendu.
— Tu ne te souviens pas de la manière dont elle a insinué que je mangeais avec plaisir ? Je la
déteste, cette sorcière. S’il y avait dans cette maison un four assez grand, je te jure que je la
flanquerais dedans !
— Tu la mettrais au four ?
— Oui, comme la sorcière du conte Hansel et Gretel. Seigneur, quelle femme épouvantable !
dit-elle en repoussant ses cheveux pour le regarder. Je me fiche du temps qu’on mettra à rentrer, et je
te promets de ne pas critiquer ta façon de conduire. Je ne dirai rien du tout.
— Toi, ne rien dire ? Impossible. On va juste annoncer qu’on se retire pour la nuit. Et puis on se
lèvera de bonne heure demain et on partira. Je te le promets.
Etait-elle tellement réticente à passer la nuit sous le même toit que Thea Michaels ?
— Est-ce à cause de Thea que tu t’inquiètes, ou de moi ? lui demanda-t-il, sans avoir envie
d’entendre la réponse.
De la vapeur s’échappa de la bouche de Greta quand elle poussa un gros soupir.
— Pourquoi devrais-je m’inquiéter de toi ?
— Eh bien, je me disais qu’après ce qui s’est passé dans la chambre tout à l’heure tu pourrais…
— Non.
— Non ? Que veux-tu dire ?
Elle prit une autre grande inspiration avant de répondre :
— Je ne sais pas. Je… je crois que j’essayais juste de jouer le jeu.
— Et c’est tout ?
— Tu attendais quoi d’autre ?
— Eh bien, je ne sais pas… Tu t’en es superbement bien sortie. A part ce truc sur les huîtres…
— Tu aimes les huîtres. Je me suis dit que plus on collait à la vérité, moins on risquerait de
s’emmêler les pieds. Cette Thea, c’est un sacré personnage, tu ne trouves pas ? Des griffes de cougar,
des dents de barracuda, des oreilles de chauve-souris. Je me demande si elle b… comme un lapin.
— Plus bas ! Elle va t’entendre, lança Alex, en s’esclaffant. Et arrête. Je refuse d’avoir cette
image en tête le restant de la soirée. Merci d’être intervenue, conclut-il en la serrant brièvement
contre lui.
— C’est tout moi, ça. Ta protectrice personnelle. Que se serait-il passé si je n’étais pas venue ?
Tu aurais couché avec elle ?
— Non.
— Sans rire ?
— Non ! C’est une cliente, et je ne mélange jamais travail et plaisir.
— On l’a fait en couchant ensemble, lui fit-elle remarquer. Et quand tu m’as embrassée sur ce
lit. Et dans la salle de bains.
— Ce n’est pas pareil, dit-il. Je ne te considère pas comme une collègue. Bon sang, Greta, tu es
ma meilleure amie !
— Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Si tu devais choisir entre moi et ton travail, que choisirais-
tu ?
— C’est simple. Un travail, je peux toujours en trouver un autre, mais jamais je ne retrouverais
une amie telle que toi.
La mine méfiante, Greta le dévisagea avec attention.
— Tu dis juste ça pour que je continue à faire comme si j’étais ta petite amie, réépliqua-t-elle.
— Non. Je dis cela parce que c’est la vérité. Je tiens vraiment à toi, Greta.
Elle le fixa, bouche bée. Puis elle voulut dire quelque chose, mais se ravisa. Alex attendit la
tirade, une récapitulation des règles suivie d’un avertissement selon lequel il n’y aurait pas de
répétition de leur précédente incartade. Mais, à sa grande surprise, non seulement elle ne dit rien,
mais elle se jeta à son cou et l’embrassa.
Tout d’abord pris de court, il fit un pas en arrière. Mais, très vite, tous ses sens s’emballèrent et
il lui prit la bouche en un long baiser. Elle gémit quand il la poussa contre le mur et plaqua les
coudes de chaque côté de sa tête.
Ça devenait une habitude entre eux, à tel point que se perdre dans la douceur de sa bouche
commençait presque à devenir normal pour lui. Il l’attira plus près de lui, mais fut gêné par l’anorak
de Greta. Il descendit sa fermeture Eclair lentement, lui passa les bras autour de la taille et l’attira à
lui.
Alentour, la neige tombait dans le silence de la nuit, illuminée par la maison. Le cœur battant,
Alex ne prêtait plus attention au froid. Il avait même envie d’arracher tous les vêtements de Greta, là,
tout de suite.
Elle fut prise d’un long frisson, et il redressa la tête.
— Ça gèle par ici, lui dit-il. Rentre. Je vais aller chercher mes affaires et revenir très vite.
— Elle va me manger en dessert !
— Ne t’en fais pas. Rentre, et enferme-toi dans la chambre. Je te promets de revenir te protéger
d’ici à quelques minutes.
— Je… je pensais que c’était moi qui te protégeais…
— Et tu l’as fait comme personne, Greta. Maintenant, file et ne t’inquiète pas. J’arrive.
Elle hocha la tête et se retourna vers la porte, lui jetant un coup d’œil par-dessus son épaule.
Elle paraissait dévorée de curiosité.
— Te jetterais-tu sous un bus pour me sauver la vie ?
— Sans réfléchir, répondit-il avec un petit rire.
Satisfaite, elle ouvrit la porte et disparut à l’intérieur. Et lui, il avait pris sa décision. Quoi qu’il
se passe entre eux cette nuit, il ne regretterait rien. Chaque fois qu’ils se touchaient, il avait la preuve
qu’elle voulait davantage, qu’elle était disposée à partager de nouveau l’intimité ultime avec lui, à
être nue entre ses bras, à le caresser autant qu’elle en aurait envie.
Pour cette seule nuit, peut-être qu’ils pourraient oublier toutes les règles. Il descendit les
marches, attrapa ses raquettes, les fixa à ses chaussures et s’éloigna aussi vite qu’il le put, pressé de
rentrer retrouver Greta.
Il arriva rapidement à la voiture et récupéra son sac. Il l’ouvrit, farfouilla dedans et poussa un
soupir de soulagement en y trouvant une boîte de préservatifs. Au moins avait-il paré à toutes les
éventualités.
Cependant, il comprit qu’il n’était pas prêt à prendre cette décision… pas encore. Il remit le sac
en place, attrapa la pelle qu’il avait en permanence dans la malle et entreprit de dégager les roues de
la voiture. Le labeur suffit à le débarrasser de son trop-plein d’énergie et, au bout de quelques
minutes, il fut à même de redémarrer la voiture et de conduire jusqu’au chalet.
Gelé jusqu’aux os, il grimpa sur le perron blanc de neige. Mais l’exercice avait rempli son
office : il était délicieusement épuisé et détendu. Et, même s’il avait en tête l’image obsédante de
Greta nue dans son bain, il avait une chance de s’endormir en partageant son lit. En atteignant la
porte, il eut un mouvement de recul ; allait-il devoir affronter de nouveau Thea avant de pouvoir
rejoindre Greta ?
Il détestait se montrer grossier, mais il n’aurait pas le choix si elle continuait à le harceler.
Pourquoi tenait-elle tant à coucher avec lui ? Etait-ce juste le plaisir de la conquête ? Il ne parvenait
pas à imaginer l’intérêt de cette femme, hormis le sexe bien sûr. Oh ! il savait qu’elle invitait souvent
les hommes à partager son lit, mais aussi qu’elle leur faisait rarement une place dans sa vie.
Il prit une grande inspiration, et entra. Pénombre et silence régnaient à l’intérieur. Le feu
crépitait toujours dans la cheminée, et il finit par distinguer Thea à moitié allongée sur le canapé, un
autre verre en main.
Il ôta ses bottes et son anorak, puis entra dans la pièce.
— Je vous aurais crue au lit, à cette heure, dit-il.
— Il est 23 heures, seuls les enfants sont couchés à cette heure-ci, répondit-elle. A propos, votre
petite amie est déjà montée, ajouta-t-elle avant de tapoter le canapé près d’elle. Asseyez-vous,
détendez-vous. Laissez-moi vous préparer un verre.
— Non, je vous remercie, dit-il avant de prendre une autre grande inspiration et de choisir ses
mots avec soin : Je tiens à ce que vous sachiez, Thea, qu’en d’autres temps et d’autres lieux cela
aurait pu arriver. Mais je suis bien certain que, nous deux ensemble, ce serait une catastrophe. Nous
avons une belle relation professionnelle, et j’adore travailler pour vous. Je tiens à ce que cela
continue. Je vais donc décliner votre proposition.
— Quel dommage, lança Thea. On se serait tellement amusés, tous les deux, Alex.
— Oui, je suppose, fit-il en se penchant pour lui embrasser la joue. Bonne nuit, Thea.
Elle poussa un petit soupir, puis haussa les épaules et dit :
— Bonne nuit, Alex.
Il s’en fut vers l’escalier et monta au premier sans trop savoir ce qu’allait lui coûter cette
décision sur le plan professionnel, mais à la vérité il s’en moquait un peu. Il ne pensait qu’à la femme
qui l’attendait dans la chambre. Et, s’il avait réussi à convaincre Thea qu’il ne voulait pas coucher
avec elle, il ne lui restait plus qu’à convaincre Greta du contraire.

* * *

Assise au milieu du lit, le drap remonté sur son corps nu, Greta tendit la main pour éteindre la
lumière avant de se raviser. Pourquoi était-il si long ? Avait-il décidé de passer un peu plus de temps
avec Thea ? Elle lâcha un grognement sourd. Oh ! Seigneur, et si elle était en train de le séduire en ce
moment même ?
Elle éteignit la lumière. Peut-être que ce serait plus facile si elle n’avait pas à voir son visage
quand il entrerait. Elle ralluma. Non, mieux valait voir sa réaction dès le départ. Si son expression ne
lui disait rien qui vaille, elle pourrait au moins s’éviter une humiliation. Elle tendit la main vers son
T-shirt, au bout du lit, puis le jeta sur le côté.
— Non, marmonna-t-elle pour elle-même.
Elle ne se faisait aucune illusion. Elle avait bien déchiffré les signes. Il la désirait autant qu’elle
le désirait. Mais jusqu’où serait-il disposé à aller avant de mettre un terme à tout cela ?
Elle se retourna dans le lit et se plaqua l’oreiller sur la figure. Elle connaissait mieux Alex que
n’importe quel autre homme, parfois mieux qu’il ne se connaissait lui-même. Et il fallait être honnête,
toutes ces sensations avaient pris le pas sur leurs règles ; ils ne pouvaient plus les ignorer. Ils avaient
deux choix devant eux : continuer à combattre cette attirance, ou se laisser aller à leur désir et ensuite
reprendre le cours de leur amitié.
Ils y étaient déjà arrivés. La dernière fois. Peut-être était-ce tout ce dont ils avaient besoin pour
maintenir leur amitié — coucher ensemble tous les quatre ans. Mais, là encore, peut-être que coucher
ensemble cette fois-ci gâcherait tout. La pensée de ne plus jamais parler à Alex, ne plus jamais
pouvoir compter sur lui, lui donna envie d’aller dormir dans la baignoire.
Elle entendit la porte s’ouvrir et se figea, l’oreiller toujours sur la figure. Quoi, maintenant ?
Elle s’était juré de prendre sa décision quand il arriverait, et il était là. Le cliquetis de l’interrupteur
lui parvint, et elle ravala un grognement.
— Greta ? Tu dors ? chuchota-t-il.
— Oui, marmonna-t-elle dans l’oreiller.
— Si tu dors, pourquoi réponds-tu ?
Elle écarta lentement l’oreiller et le regarda.
Les mains dans les poches de son jean, Alex lui sourit.
— Es-tu nue là-dessous ?
— Oui. Où étais-tu ?
— J’ai dégagé la voiture. As-tu apporté une nuisette ?
— Oui. J’ai cru que Thea et toi…
— Tu rigoles ? répondit-il avant de marquer une pause. Donc, tu es toute nue parce que…
— Ne m’oblige pas à le dire, répliqua-t-elle en ouvrant l’autre côté du lit. Déshabille-toi et
viens te coucher.
Il la dévisagea, incrédule.
— Que se passe-t-il, Greta ?
Et là, tout de suite, sur ses lèvres, son prénom résonna de manière intime, et profonde.
— Je me suis dit que, tous les quatre ans, on pourrait… se débarrasser de ça. Plutôt qu’endurer
toutes ces absurdités, autant coucher ensemble, finalement. Et l’époque convient aussi bien qu’une
autre, tu ne penses pas ? En fait, on fait d’une pierre deux coups.
— En es-tu certaine ? dit-il en posant son sac près du lit. Rassure-moi, tu n’es pas soûle ?
— Non. Quelle différence cela ferait-il ?
— D’un point de vue technique, il s’est écoulé quatre ans depuis la dernière fois.
— As-tu vraiment envie de pinailler maintenant ? Parce que, si c’est le cas, tu peux toujours
aller dormir avec Thea.
Alex s’assit sur le bord du lit et plongea les yeux dans le regard gêné de Greta.
— Après la dernière fois, je me suis dit que, si nous décidions jamais de refaire un essai, je
veillerais à ce qu’aucun d’entre nous ne soit soûl. Je ne m’attendais tout bonnement pas à ce que ta
suggestion sonne aussi…
— Aussi quoi ? Désespérée ? riposta-t-elle.
— Non. Pragmatique.
— Bon. Tu viens ou pas ?
Elle le regarda faire passer son pull par-dessus sa tête et le jeter au loin. Le T-shirt suivit,
dévoilant un torse musclé. Quand il se leva et défit le bouton de son jean, elle inspira subitement, et il
s’arrêta.
— Trop vite ? demanda-t-il.
— Oui, murmura-t-elle. Peux-tu ralentir un tout petit peu ? Juste un tout petit peu ?
Il hocha la tête en souriant et s’allongea sur le lit près d’elle. Seul le drap les séparait.
— Peut-être que tu devrais me dire ce qu’on va faire une fois que j’aurai enlevé mon jean. Juste
pour m’y préparer.
— Thea était-elle toujours en bas quand tu es revenu ?
— Oui, je crois qu’elle m’attendait.
— Est-ce qu’elle a essayé de t’embrasser ?
— Non. C’est moi qui l’ai embrassée. Sur la joue.
Son aveu ne lui allégea pas le cœur. En fait, parler de Thea était un simple moyen de gagner un
peu de temps en attendant qu’elle soit prête à le toucher. Une fois qu’elle aurait commencé, il n’y
aurait plus de marche arrière.
— Je ne veux pas de Thea, murmura-t-il en lui caressant la joue.
Un long silence s’ensuivit.
— Veux-tu de moi ? lui demanda finalement Greta.
Il hocha lentement la tête, se pencha et effleura ses lèvres des siennes.
— Je te veux, Greta. Ça fait longtemps que je te désire, je pense, mais j’avais réussi à me
persuader du contraire. Mais maintenant je pense qu’on devrait trancher, arrêter de prétendre qu’on
est amis et accepter qu’on puisse être autre chose.
Greta se rassit et tira le drap sur ses seins nus.
— Non ! Ce n’est pas ce qu’on s’était dit !
— Que veux-tu dire ? Que tu n’as jamais pensé à nous… ensemble ? Parce que je crois que ce
serait un mensonge. On a tous les deux réfléchi à cette éventualité, des centaines de fois. Et, tous les
deux, on a trop peur de se lancer dans quelque chose d’autre… Mais peut-être est-il temps de le
faire.
— Une histoire sentimentale gâcherait notre amitié, contrairement à une simple nuit de sexe,
protesta-t-elle. On a déjà couché ensemble et on a survécu. On peut le refaire.
— Et, moi, je crois que l’amitié pourrait faire qu’une histoire sentimentale réussisse. Je n’avais
jamais été ami avec une femme avant. Peut-être que c’est ça qui me manquait.
Greta le dévisagea avec attention, tâchant de vérifier s’il était vraiment sérieux. Etait-il
réellement en train de lui proposer qu’ils deviennent plus que des amis ? Elle s’était autorisé des
fantasmes romantiques le concernant, mais les avait vite repoussés. Et, en général, quand elle
fantasmait à propos de lui, c’était uniquement sexuel. Le sexe, ça pourrait être simple entre eux mais,
l’amour, c’était tout autre chose.
— Depuis combien de temps as-tu cette impression ? lui demanda-t-elle.
— Un bon moment. Même si, je pense, j’ai tout fait pour l’ignorer.
— Comment ? En sortant avec toutes les blondes à forte poitrine de la ville ?
— Elles étaient distrayantes, mais elles n’étaient pas toi, répondit-il en souriant.
— Et s’il n’y avait rien entre nous ? Pas d’étincelles ?
— Alors, on saurait qu’on est amis et rien d’autre. Ne préférerais-tu pas le savoir avec certitude
plutôt que de vivre en passant ton temps à te le demander ?
Cela paraissait logique, mais elle n’était pas certaine de vouloir le savoir. Peut-être avait-elle
voulu maintenir à tout prix leur amitié parce que, au plus profond d’elle-même, elle avait toujours
espéré qu’un jour il la choisisse. Qu’un jour elle soit la seule et unique pour lui.
Toutefois, elle ne s’était jamais autorisée à l’envisager sérieusement, car elle savait que, s’ils se
lançaient dans une relation et que celle-ci ne fonctionnait pas, elle ne serait plus capable de retourner
à leur amitié. Elle deviendrait juste une autre de ces femmes écartées, seulement bonnes à lui tenir
chaud au lit en attendant mieux.
Qu’avait-il en tête ? Où pensait-il que cela pourrait les mener ?
— Tu es certain que ce n’est pas pour mieux jouer la comédie devant Thea ? l’interrogea-t-elle.
— Tu sais, j’aurais peut-être couché avec elle, il y a quelques années, mais je sais à présent à
quel point tu en aurais été déçue. Tu as fait de moi un homme meilleur, Greta. Et je me dis que, peut-
être, il serait temps que tu récoltes le fruit de tous tes efforts.
Cette révélation la stupéfia, elle qui avait toujours pensé qu’il ne prêtait qu’une oreille distraite
à ses remontrances. Elle avait tenté de le convaincre d’être l’homme parfait — selon ses propres
critères de la perfection masculine. Et maintenant il s’offrait à elle. Comment refuser ?
— Très bien, dit-elle tout bas. Mais, si l’un de nous deux décide que ça ne marche pas, alors on
redevient amis. Ça, il faut que tu me le promettes.
Elle avait besoin de cette garantie, même si c’était une promesse en l’air.
Il la regarda bien en face.
— Si c’est ce que tu veux, je te le promets. Nous resterons amis.
Greta prit une grande inspiration.
— D’accord. Accorde-moi juste un moment, dit-elle en attrapant son T-shirt pour l’enfiler avant
de sortir du lit. Je reviens.
— Je t’attends, répondit Alex en roulant sur le dos.
Greta se précipita dans la salle de bains, referma la porte derrière elle, alluma la lumière et se
planta devant le miroir surmontant le lavabo.
— Ça va tout changer, murmura-t-elle à son reflet.
Et, même en voulant croire qu’ils pourraient faire marche arrière, elle savait qu’ils avaient peu
de chances d’y arriver. Le risque en valait-il la chandelle ?

* * *

Alex attendait. Cela faisait bien cinq minutes que Greta était dans la salle de bains. Si, au
départ, il avait cru savoir ce qu’elle y faisait, il commençait à penser qu’elle n’était peut-être pas
prête pour ce qui allait suivre.
Il la connaissait si bien, avec sa manie de lister les pour et les contre, les conséquences
éventuelles, en soupesant soigneusement sa décision. Bon sang, il lui arrivait d’hésiter un bon quart
d’heure avant de choisir une marque de lessive ! Si on considérait les ramifications qu’impliquait
cette nuit, il était possible qu’elle reste enfermée là-dedans jusqu’à l’aube…
Au fil du temps, il s’était demandé à quoi tenait son indécision vis-à-vis des hommes. Ne
mettait-elle pas la barre trop haut ? Ensuite, il s’était demandé si elle ne nourrissait pas en secret un
béguin pour lui. Il n’aimait pas l’imaginer amoureuse de lui, mais il s’était aussi souvent interrogé sur
le fait que lui-même passait tant de temps à rechercher d’autres femmes — par peur de s’éprendre de
Greta ?
Bon sang, il n’avait pas la moindre idée de la raison pour laquelle il avait fait ce qu’il avait fait
dans le passé. Ce soir, en revanche, il savait exactement ce qu’il voulait, et avec qui. Et il avait
besoin d’être sûr que Greta désirait les mêmes choses que lui.
Il réprima un grognement, se leva et alla vers la porte de la salle de bains. Sans prendre la peine
de frapper, il ouvrit et découvrit Greta assise sur le bord de la baignoire, les mains serrées devant
elle. Elle avait l’air si perdu qu’il ne put retenir un sourire. Sans dire un mot, il alla lui prendre les
mains, l’aida à se relever, posa sa bouche sur la sienne et la câlina tendrement jusqu’à ce qu’elle
accepte son baiser.
Son corps se fit malléable contre le sien, et il lui caressa le dos avant de poser les mains sur ses
hanches. Elle n’avait que ce T-shirt sur elle, et la tentation de caresser sa peau eut presque raison de
lui, mais il savait que c’était à elle de décider.
— Est-ce qu’on va vraiment le faire ? murmura-t-elle.
— Cela dépend uniquement de toi, lui dit-il en lui prenant la main pour poser un baiser à
l’intérieur de son poignet.Je crois qu’il est temps pour nous de découvrir ce qu’il se passe vraiment
entre nous.
— On est amis.
— Allons, Greta, on sait tous les deux qu’il y a bien plus que ça. On a simplement peur de
l’admettre.
— Et si ça gâchait tout ?
— Et si ça rendait tout plus beau ? riposta-t-il.
Il perçut la reddition dans son regard, et la peur le saisit. Il voulait que ce soit bon. Non, pas
juste bon, il voulait que ce soit extraordinaire.
— Comment veux-tu commencer ?
— Je n’en sais rien, avoua-t-elle en fermant les yeux. Je te demande pardon, Alex, je suis
vraiment très nerveuse.
— On est amis. Ça ne peut pas être aussi difficile, et puis, on l’a déjà fait, non ? Et si tu
commençais par me caresser ?
— Ou peut-être que, toi, tu pourrais le faire.
— Je pourrais.
Il fit glisser sa main sur sa hanche et la remonta sous le T-shirt, puis il passa l’autre main sur sa
nuque pour plonger les doigts dans ses cheveux et l’attirer plus près de lui.
— Ça te va, comme ça ?
Il la fit pivoter et s’appuyer contre le lavabo alors qu’il lui reprenait la bouche. Elle réagit, cette
fois-ci, en aplatissant les mains sur son torse, et la température de la pièce commença à grimper.
Il la connaissait si bien, il connaissait toutes ses excentricités, toutes ses convictions, et pourtant
il ne connaissait pas cet aspect d’elle-même, la femme sous l’amie. Longtemps, très longtemps, il
l’avait considérée comme une fille parmi d’autres. Et cela avait brutalement changé.
Elle lui caressa les épaules, et un tremblement de désir secoua Alex. Il la voulait, mais pas
seulement sur un plan physique. Ils avaient tant partagé qu’il était juste qu’ils partagent cela aussi. Et,
cette fois-ci, il garderait un souvenir précis de chaque instant.
Il la souleva, lui fit passer les jambes autour de sa taille et la ramena dans la chambre, où ils
roulèrent ensemble sur le lit jusqu’à trouver la position idéale. Il l’embrassa de nouveau, surpris de
trouver cela aussi naturel.
Il n’avait plus entre les bras l’amie têtue, opiniâtre et autoritaire qu’il avait toujours connue,
mais une femme douce et vulnérable au corps souple sous ses caresses.
Elle tendit les mains, les posa sur la ceinture de son jean, et il comprit qu’elle avait pris sa
décision. Envolés, ses doutes. Il roula sur le dos et la regarda baisser sa fermeture Eclair. Il tendit la
main, repoussa les cheveux qui lui retombaient sur le front et lui sourit. Le jean ouvert, il s’en
débarrassa vivement et le jeta à bas du lit.
Son désir était patent sous le fin coton de son caleçon, et il eut un instant peur qu’elle s’imagine
que ce n’était qu’une histoire de sexe. Il eut l’envie de lui dire ce qu’il éprouvait, et à quel point leur
rapprochement, cette nouvelle étape de leur relation, comptait à ses yeux.
Allongée près de lui, Greta lui passa un bras autour de la taille et se nicha dans le creux de son
épaule.
— A quoi penses-tu ? murmura-t-il.
— A rien.
— Impossible. Tu penses toujours à quelque chose, Greta. Je te connais trop, je sais que ton
esprit ne cesse jamais de mouliner.
Greta se redressa, rangea ses pieds sous ses fesses et le regarda avec circonspection. Elle
aplatit une main sur son torse et fit lentement courir les doigts sur son ventre. Souffle coupé, il eut un
sursaut de plaisir.
— C’est à ça que je pensais, dit-elle.
— Quoi donc ?
— Je me demandais si tu trouverais en moi ce que tu trouves dans toutes les autres femmes.
Il en resta interdit. Comment pouvait-elle seulement penser à se comparer ? Mis à part les
femmes de sa famille, elle était pour lui la plus importante dans sa vie.
— Aucune d’entre elles n’avait ce que tu as. Pourquoi crois-tu qu’elles n’ont jamais duré ? Moi,
je les comparais à toi.
— Non ?
— Si, je pense que c’est ce que je faisais. Je n’en n’avais pas vraiment pris conscience jusqu’à
maintenant, mais je n’ai jamais pu être totalement franc avec elles. Pas comme je suis avec toi.
— Pareil pour moi, avoua-t-elle.
— Alors, je crois que tu devrais m’embrasser, tout de suite, et commencer à penser à nous.
— Ça doit être faisable, répondit-elle en riant tout bas.
Il la prit par la taille et l’attira sur lui. Puis il lui donna un autre baiser, mais un baiser différent
cette fois-ci. Un baiser destiné à lui faire comprendre quelque chose, et il y parvint… Peu à peu, les
hésitations de Greta disparurent, elle se sentit en sécurité.
Bientôt, les seuls vêtements qu’il leur restait devinrent des barrières insupportables et le contact
peau contre peau se révéla indispensable. T-shirt et caleçon volèrent loin du lit et, quand ils furent
enfin nus, Alex put se concentrer sur le corps de Greta.
Là où Greta ne voyait que défauts physiques, il voyait la perfection. Elle était naturelle, de la
tête aux pieds, ni trop ni pas assez, et tout était là où il devait être.
Il posa la bouche sur un sein et en agaça le mamelon de la langue, puis passa à l’autre, attentif
aux petits soupirs et gémissements de Greta. Elle lui attrapa les cheveux et le fit revenir à elle pour
un baiser.
Ils avaient tout le temps du monde, et semblaient pourtant pressés de découvrir où leur désir
secret les emmènerait. Il retint son souffle quand Greta aventura ses caresses en territoire plus intime.
Et fut secoué d’un long frisson quand elle referma la main sur son sexe érigé.
Le plaisir était omniprésent, car ce ne fut pas tant une séduction qu’une découverte, celle d’un
trésor caché qu’ils avaient pourtant toujours eu sous les yeux.
Pourquoi lui avait-il fallu tant de temps pour se rendre compte de ce qu’il éprouvait pour elle ?
Une sorte d’instinct l’en avait-il empêché jusqu’à maintenant ? Les planètes avaient-elles fini par
s’aligner ? Peut-être qu’après tout le destin avait eu son rôle à jouer.
Greta traça un chemin de baisers le long de sa clavicule, puis plus bas, sur son torse, son ventre.
Et il retint encore une fois son souffle, sachant ce qui allait arriver, certain que ça lui ferait faire le
grand plongeon. Elle lui agaça le bout du pénis de la langue, puis le prit entièrement dans sa bouche
si douce.
Dans l’esprit d’Alex passa une image d’elle et de tous ses petits amis passés. Leur avait-elle
donné du plaisir ainsi ? Une vague de jalousie le submergea en même temps qu’une autre de plaisir.
Dorénavant, il n’y aurait plus d’autres hommes. Greta était à lui.
Pour mieux le prouver, il l’attrapa et la fit remonter le long de son corps. Puis il prit la boîte de
préservatifs qu’il avait posée sur la table de nuit pendant qu’elle était à la salle de bains et la lui
tendit.
— Je crois qu’on va en avoir besoin, murmura-t-il en la regardant.
— Je crois bien, oui, répondit-elle sur le même ton en esquissant un sourire.
Elle sortit un étui de la boîte, le déchira et le gaina avec douceur. Et, quand elle se mit à
califourchon et se laissa descendre sur lui, il eut le sentiment, malgré sa longue expérience dans le
domaine, qu’il vivait sa première fois. Ses sens s’étaient exacerbés, et chaque mouvement le faisait
frissonner de plaisir.
Un instinct irrépressible le poussa à rouler sur elle et à lui faire nouer les jambes autour de ses
reins. Elle laissa échapper un petit gémissement, enfouit les doigts dans ses cheveux et colla les
lèvres contre son cou.
Au fil des ans, il en avait connu, des moments où il se sentait plus proche de Greta que jamais,
mais c’était différent à présent. Ils étaient sobres tous les deux, et tous les deux conscients du risque
qu’ils prenaient. Pourtant, cela lui semblait si naturel, si juste.
Il l’embrassa, et elle se cambra contre lui en commençant à haleter alors que le désir lui faisait
intensifier ses va-et-vient en elle. Et, dès l’instant où il perçut que l’orgasme emportait Greta, il la
suivit et plongea lui aussi dans le précipice.
Un plaisir exquis les emporta, vague après vague et, quand il se fut apaisé, Alex referma les
mains sur son visage et l’embrassa passionnément. Nul besoin de mots, ils avaient tous deux compris
que ce ne serait pas la dernière fois.
-4-

— Tu vas avoir les doigts tout fripés si tu restes une minute de plus dans cette baignoire, dit
Alex, debout sur le seuil de la salle de bains.
Greta ouvrit les yeux et le contempla, prise d’un frisson devant son allure encore empreinte de
sensualité. C’était elle qui était responsable de ces cheveux en bataille, de ce suçon sur son cou, et de
l’expression ensommeillée de son regard.
Il portait juste son jean et avait une mine épanouie. Il fallait dire qu’ils avaient passé une nuit
extraordinaire… C’était infiniment mieux que tout ce qu’elle aurait pu imaginer.
La première fois, ils avaient été un peu frénétiques, et ça s’était terminé avant même que l’un ou
l’autre ait pu mesurer ce qu’ils étaient en train de faire. Le regret s’était aussitôt emparé d’elle et
l’avait glacée comme un vent polaire. Mais cette nuit… ils avaient savouré chaque sensation, chaque
caresse, ils avaient pris le temps d’explorer, de faire de nouvelles expériences ensemble…
— Je ne t’ai pas entendue te lever, dit-il.
— Tu dormais comme une marmotte, alors j’ai préféré te laisser tranquille. Ah, je crois bien
que Thea est partie. Sa voiture n’est plus là, lui dit-elle avant de sourire et d’ajouter : On est tout
seuls maintenant.
— Parfait, répondit-il en s’approchant de la baignoire. Et toi, tu es exactement comme je voulais
que tu sois. Toute nue, reprit-il en s’agenouillant près d’elle pour lui poser un baiser sur l’épaule.
Thea a dû partir juste après le passage du chasse-neige.
— Bizarre, je l’aurais crue plus déterminée à te fourrer dans son lit.
— Peut-être qu’elle nous a entendus, et a compris que c’était inutile.
— On n’a pas fait tant de bruit que ça ! s’écria Greta avant de marquer une pause. Ou alors, si ?
— Un tout petit peu quand même, répondit-il en riant. Je ne m’y attendais pas. Enfin, ça fait des
années que je te connais, mais je n’avais encore jamais vu cet aspect de ta personnalité. Je ne l’avais
même jamais soupçonné.
— Tu croyais que j’étais du genre coincé ?
— Non, c’est juste que je ne me souvenais pas que les choses se soient passées comme ça la
dernière fois. C’était bien aussi, hein, ne te méprends pas sur ce que je dis, mais cette nuit ça a été…
houla. Etonnant, je crois.
— La dernière fois, on était tous les deux passablement ivres, précisa Greta. Je ne suis pas
persuadée qu’on aurait fait quelque chose si on n’avait pas bu comme des trous.
— Est-ce que tu regrettes ? Pas il y a quatre ans, mais cette nuit ? lui demanda Alex.
— Non. Je m’étais toujours demandé à quoi ressemblerait une nouvelle tentative… et puis une
troisième, et une quatrième. Juste pour être sûrs de faire ça au mieux…
Il sourit, prit une éponge dans le panier, la mouilla, la passa sur le savon et entreprit de lui
masser le dos avec. Greta poussa un soupir de pur délice. C’était parfait, songea-t-elle. C’était à cela
que devait ressembler une relation avec un homme, du moins ainsi qu’elle se l’était toujours imaginé
— de manière douce, facile, intime. Pourquoi n’avait-elle jamais été capable de nouer une relation
de ce genre avec personne d’autre ?
Elle était sortie avec beaucoup d’hommes, avait partagé l’intimité de certains, mais avec Alex
tout lui semblait juste, comme s’ils étaient en parfaite adéquation, tout le temps. Etait-ce dû au fait
qu’ils étaient si bons amis ? Ou alors au fait que leur week-end avait pour vocation de n’être qu’une
aventure sans lendemain ? Hors des murs de cette chambre, aucune attente, aucun engagement ne
viendrait les perturber.
Elle se morigéna. Ils avaient passé un accord, tout de même ! Sur son instance à elle, en fait.
Juste une nuit. Si l’un d’eux n’en n’était pas satisfait, c’était fini et, une fois partis de ce chalet, ils
reprendraient leur vie telle qu’elle était auparavant. Ils seraient amis. Elle inspira, le corps tremblant,
et ferma plus fort les yeux. Pourrait-elle y arriver ? Pourrait-elle jamais regarder Alex et ne pas voir
l’homme qui se mouvait en elle ? Pourrait-elle jamais se coucher et ne pas penser à ses mains sur
elle ?
— J’adore cette baignoire, dit-elle, déterminée à donner un ton léger à cette conversation. A la
maison, je n’ai qu’une douche. Mais, mon Dieu, quel luxe de pouvoir simplement prendre un bain ! Je
crois que je m’en offrirais un tous les jours en rentrant du travail.
— Il y a une grande baignoire chez moi, lui dit Alex, qui lui lavait à présent le bas du dos. Tu
viens quand tu veux, tu le sais.
— Fais attention, je pourrais te prendre au mot ! Avec ta vie mouvementée, je ne suis pas
certaine que tu apprécierais de trouver une femme nue dans ta baignoire par surprise. Surtout si tu
n’es pas seul à ce moment-là…
— Je ne suis pas persuadé que ça me dérangerait vraiment. En tout cas, pas si cette femme nue,
c’est toi, dit-il tout bas.
Sa gorge se noua d’un coup et elle sentit la chair de poule lui hérisser les bras. Etait-il en train
de la taquiner ? Ou avait-il dit cela sérieusement ? Lui suggérait-il vraiment que cela pourrait
continuer, qu’il y avait plus entre eux qu’une simple aventure d’une nuit ?
Et voilà que cela recommençait. Les attentes. Les rêves. Tout ce qui gâchait les plus belles
amitiés. Sans parler de la passion. Une passion indéniable, patente, depuis hier soir. Si elle y
réfléchissait, Alex et elle avaient tout ce qu’elle recherchait dans une relation romantique — à part le
romantisme.
— Cette baignoire n’est vraiment pas très pratique, murmura-t-elle. Je ne peux pas m’y laver la
tête.
— Bien sûr que si, répondit Alex en lui montrant le pommeau de douche.
— Je vais mettre de l’eau partout.
— Mais non. Il faut juste faire attention. Laisse-moi te montrer.
— Non, répliqua Greta. Je ne voulais pas me laver la tête maintenant, c’était juste un
commentaire comme ça.
— Je vais le faire pour toi, comme ça tu pourras…
— Je ne voulais pas me…, répéta Greta avant de se taire.
Si elle avait craint que les choses aient changé entre eux, elle pouvait désormais écarter ses
inquiétudes, puisque à la première occasion ils étaient retournés aux chamailleries.
— D’accord.
— Ce sera plus facile si je monte dans la baignoire avec toi, suggéra Alex.
Elle prit une grande inspiration en percevant le désir sous sa suggestion.
— Oui, c’est vrai. Viens.
Alex se redressa en souriant et enleva son jean. Il entrait déjà en érection et Greta profita de
l’occasion pour observer son corps. Il ne courait que quelques fois par semaine mais bougeait
beaucoup, sur ses skis, son vélo, ou son skate. Si elle y ajoutait les calories brûlées dans la chambre,
pas étonnant qu’il fût en si bonne forme.
Il entra dans l’eau, s’assit face à elle et poussa un petit soupir.
— C’est vraiment agréable. Ce serait mieux si tu me tournais le dos, dit-il en lui attrapant la
taille.
Greta se retrouva aussitôt assise entre ses jambes, le dos contre son torse… et son érection de
plus en plus ferme. Elle sentit une onde de chaleur lui envahir le ventre. Peu lui importait le
shampooing. A vrai dire elle n’avait plus qu’une envie à présent. Alors, pourquoi ne pas passer
directement au plus important ? Il ne leur restait qu’une journée pour se débarrasser de leurs
fantasmes. La seule façon de le faire était de s’offrir encore quelques orgasmes exaltants.
— Penche la tête en arrière, lui demanda Alex.
Un instant plus tard, de l’eau tiède ruisselait sur sa chevelure, tandis qu’un parfum d’amande lui
parvenait aux narines. Ses doigts fins lui massaient le cuir chevelu. C’est un luxe auquel elle pourrait
s’habituer, songea-t-elle en se détendant avec bonheur.
— Mmm, tu fais ça bien. Tu as souvent eu l’occasion de t’entraîner, peut-être ? dit-elle,
incapable de réprimer un accès de jalousie envers les femmes qui l’avaient précédée.
— Détrompe-toi, c’est la première fois que je lave les cheveux d’une femme, mais ce n’est pas
vraiment compliqué, répondit-il.
Tout en lui rinçant la tête, il lui passa un bras autour de la taille, referma une main sur un sein et
agaça le mamelon de son pouce. Elle se laissa aller contre lui.
Et s’efforça de s’imaginer avec lui en couple. Seraient-ils jamais capables de quitter la
chambre ?
— Je n’arrive pas à me rassasier de toi, murmura Alex. C’est bizarre.
— Vraiment ?
— Ça fait sept ans que je te vois tous les jours au travail, mais je ne t’avais jamais vraiment
envisagée comme ça. Nue, et douce… et aussi excitante.
Il glissa la main sur son ventre, la plongea sous l’eau et Greta éprouva un délicieux frisson le
long de sa colonne vertébrale. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour découvrir ce qui attisait son
désir. Elle gémit quand ses doigts s’arrêtèrent sur son clitoris.
Pourquoi était-ce si simple de lui céder ? Etait-ce dû à la franchise qui avait présidé à leur
amitié ? A sa connaissance, Alex était le seul homme qui ne lui ferait jamais du mal délibérément, se
dit-elle, avant d’être prise d’un doute. En était-elle si sûre que cela ? Il avait quitté une kyrielle de
petites amies sans en éprouver de remords ; qu’est-ce qui la poussait à croire que ce serait différent
avec elle ?
Ça ne le serait pas, admit-elle. L’essentiel était qu’ils restent amis par la suite, quoi qu’il arrive.
Pour le reste, ça irait. Car, s’il était une chose dont elle était certaine, c’était que la passion qu’ils
partageaient ici s’envolerait dès qu’ils auraient regagné le monde réel.

* * *
Ce qui avait commencé dans la baignoire se termina sur le sol de la salle de bains et sur un
enchevêtrement de draps de bain épais et moelleux. De ses caresses, il l’emmena chaque fois aux
portes de la jouissance, et ce supplice était si délicieux qu’elle en redemandait, encore et encore,
jusqu’au moment où elle l’implora d’aller au bout, même si elle n’avait aucune envie que tout ça
s’arrête. C’était peut-être la dernière expérience de ce type qu’ils partageaient, et elle voulait qu’elle
fût à jamais gravée dans sa mémoire.
Plus jamais elle ne pourrait inviter un autre homme à partager son lit sans penser à Alex, aux
plaisirs qu’il lui avait donnés. Il lui fit remonter les jambes autour de ses hanches et ralentit le
rythme. Seigneur, qu’il était beau, comment ne s’en était-elle pas rendu compte avant ?
Quelque chose avait changé entre eux, comme s’ils avaient tous deux fait l’expérience d’un éveil
sexuel sismique. Cela ne s’était pas produit quatre ans auparavant, alors pourquoi maintenant ?
Qu’est-ce qui avait changé, entre-temps, entre eux ?
Son orgasme les prit tous deux par surprise. L’instant d’avant, elle murmurait son prénom dans
son cou, et puis brutalement elle cria de plaisir alors que son corps tressautait sous le sien. Avec un
grognement guttural, Alex s’enfonça une ultime fois en elle et se perdit dans un océan de sensations.
Encore étourdie, Greta se nicha dans le creux de son bras, tout près de lui.
— Jolie manière de commencer la journée, chuchota-t-il.
— Oui… En général, je me contente d’un bol de café au lait, répondit-elle en riant.
— Ah, oui ? dit-il avant de réfléchir un instant, puis de sourire. Encore une chose que je ne
savais pas sur toi. Mais… j’espère que tu ne compares pas mes performances à un simple bol de café
au lait ?
— Non ! Mais, si je devais commencer tous les jours comme ça, je n’irais jamais travailler.
— Et si ça arrivait ? lui demanda Alex. Y as-tu jamais songé ? Toi et moi, ensemble ? Tous les
matins ?
— Non, prétendit Greta.
Bien sûr qu’elle l’avait fait, mais elle avait été assez futée pour repousser ces pensées dans les
tréfonds de son esprit. C’était une question de survie, pour elle. Comment aurait-elle pu tomber
amoureuse d’Alex en étant persuadée que la réciproque ne serait pas vraie ? Le risque était trop
grand. Mais à présent ? Il avait lui-même admis qu’il y avait quelque chose entre eux, quelque chose
qui dépassait l’amitié.
Etait-il amoureux d’elle ? Ou alors, peut-être n’était-il qu’attiré sexuellement par elle, se
raisonna-t-elle, car elle le connaissait suffisamment pour savoir détecter les signes. La rencontre
d’une femme était toujours suivie par une période de fierté absolue de son côté, quand il pensait
avoir trouvé la bonne. Puis, le temps passant, l’excitation s’émoussait, et il reprenait sa route. Si elle
voulait s’éviter quelques larmes, mieux valait se préparer au pire. Elle prit une profonde inspiration
et reprit la conversation sur un ton léger.
— Tu détestes le café au lait.
— Là n’est pas le sujet, répliqua-t-il. Ce que je disais, c’est que j’aime bien nous imaginer tous
les deux en train de prendre le petit déjeuner. Pas seulement aujourd’hui, mais peut-être demain. Et la
semaine prochaine. Et l’année prochaine.
Greta se remit sur pied, attrapa un drap de bain et s’enroula dedans.
— Tu dis ça à chaque femme que tu rencontres, mais ça ne veut pas dire que ça va durer,
répliqua-t-elle.
— Cela n’a rien à voir. Toi, je ne viens pas juste de te rencontrer. Et ne te compare surtout pas
avec les autres femmes de ma vie. Tu es différente.
— Tous les deux, on est des adultes séduisants, à la solide santé sexuelle. On est aussi
célibataires tous les deux, mais ça ne veut rien dire. C’est juste… une question d’hormones.
Alex se rassit, ramena un coin de serviette sur lui et la regarda déambuler dans la pièce, la mine
soucieuse. Manifestement, ses derniers mots l’avaient perturbée et il essayait de déchiffrer son
humeur. D’accord, elle ne devrait peut-être pas faire preuve d’un tel pessimisme, mais comment faire
autrement avec un homme qui changeait de femme comme de paire de chaussettes ? La serviette nouée
autour des hanches, il vint la rejoindre devant le miroir, lui passa un bras autour de la taille et appuya
le menton sur son épaule.
— Bon, qu’est-ce qu’on fait alors ?
— On s’habille et on va prendre le petit déjeuner en ville. Ensuite, on devrait rentrer à Denver.
— Ce n’est pas ça que je te demandais, je te parlais de nous.
— Il n’y a pas de nous.
— Et moi, je crois qu’il pourrait y en avoir un. Sans compter que je n’ai aucune envie de
rentrer. On a le chalet à notre disposition pour le week-end, maintenant… Pourquoi ne pas en
profiter, puisque la cougar a abandonné le terrain ?
Elle se retourna vers lui, prise de l’envie de l’embrasser, d’apaiser ses propres doutes, de se
rassurer. Ce serait si facile de le croire. Mais, le risque, ce serait elle qui le prendrait.
— Je n’irai pas skier.
— Alors, moi non plus.
— N’est-ce pas pour ça que tu étais venu ?
— Si, mais je préfère passer la journée avec toi. Qu’aurais-tu envie de faire ?
— Si on faisait un tour en ville et peut-être un peu de shopping ?
Le shopping n’était pas l’occupation préférée d’Alex, loin de là.
— Ou alors, ça ne me dérangerait pas de skier si tu restes avec moi.
— D’accord, dit-il avec un grand sourire. Allons nous habiller. On va s’offrir un bon petit
déjeuner, descendre quelques pistes, et dîner de bonne heure en ville. On trouvera même le temps de
faire du shopping entre deux.
Il sortit de la salle de bains, laissant Greta à ses pensées. Moins ils passeraient de temps
enfermés dans le chalet, mieux ce serait, car il n’y avait ici qu’une seule activité à leur disposition et,
même si elle parvenait très bien à imaginer une semaine entière au lit avec lui, elle n’était pas
certaine que ce fût le meilleur choix pour son corps ou son cœur. A l’extérieur, elle pourrait plus
facilement faire le tri dans la confusion de ses émotions.
Mais la même question revenait sans cesse dans sa tête : comment ça serait d’avoir en
permanence un homme tel qu’Alex dans son lit, de s’éveiller près de lui chaque matin, de s’endormir
près de lui chaque soir ?
— Dépêche-toi un peu, lui cria Alex. Il faut profiter de la lumière du jour.
Elle se secoua, car elle retrouvait là le véritable Alex. Impatient, déterminé, égocentrique. Il
adorait skier et s’imaginait que c’était le cas pour elle aussi.
— Comment est-ce que je m’habille ?
— Tu n’as qu’à enfiler mon pantalon de ski. Je vais rester en jean puisqu’on sera sur les pistes
des débutants, lui dit-il.
Elle revint dans la chambre, saisit le pantalon en question et le déploya devant elle.
— Je ne suis pas sûre qu’il m’aille.
— Il va être un peu trop grand, mais il te tiendra chaud et te gardera au sec.
Elle sourit intérieurement en s’habillant. Elle n’avait pas pensé taille mais morphologie, et fut
étonnée de constater que le vêtement lui allait plutôt bien.
— Il va aussi te falloir des chaussettes chaudes, dit Alex.
Il en sortit une paire de son sac, la fit asseoir au bord du lit et lui attrapa un pied.
— Eh, même que je sais m’habiller toute seule, murmura-t-elle en prenant l’attitude d’une
fillette.
— Je sais, mais c’est plus rigolo si je le fais, répondit-il sur le même ton en riant, avant de lui
donner un baiser sur la plante du pied. Oh ! les jolis pieds ! J’ai toujours trouvé que tu avais de jolis
pieds, tu sais ?

* * *

Alex avait toujours aimé skier au printemps. Le temps était plus clément et, même si la neige
était moins agréable, il savait que la saison s’achèverait bientôt et n’en prenait que plus de plaisir.
— Tu peux y arriver, en slalomant lentement comme je te l’ai montré, cria-t-il à Greta.
— La pente est trop raide, répondit-elle, immobilisée un peu plus haut, les bâtons fermement
plantés dans la neige devant elle.
— Non, prends-la en biais et tout ira bien.
Il s’était attendu à ce que cette matinée soit une longue série de disputes mais, à sa grande
surprise, Greta faisait de son mieux pour apprendre. Dans le passé, elle avait toujours décliné ses
propositions de lui apprendre à skier mais, aujourd’hui, elle faisait vraiment des efforts.
Il la regarda avancer. Elle fit la grimace, pointa ses skis vers le bas, et commença à descendre
en biais. En arrivant à l’autre bout, elle rejoignit les pointes de ses skis, fit un superbe virage et
descendit vers lui, un immense sourire sur le visage.
— C’est parfait, continue comme ça, lança-t-il alors qu’elle passait près de lui.
Elle négocia un deuxième virage et il la suivit en lui prodiguant des encouragements alors
qu’elle descendait malaisément la piste.
Elle poussa un ou deux hurlements, prit quelques virages pas très orthodoxes, mais ils parvinrent
au bas de la piste sans chute. Alex la rejoignit en riant.
— Tu vois, je t’avais dit que tu pouvais y arriver.
Greta battit des mains mais, dans son enthousiasme, elle perdit l’équilibre, moulina des bras et
tomba dans la neige. Il se mit à rire en découvrant ses yeux ronds et écarquillés.
— Ça ira de mieux en mieux avec l’habitude, lui dit-il en l’aidant à se remettre debout.
Mais elle le fit tomber près d’elle.
— Arrête de te moquer de moi !
— Je ne me moque pas de toi, protesta-t-il. Je profite de l’instant.
— L’instant où je me paie la honte devant toi ?
— Non, murmura-t-il en lui passant une main autour du cou pour l’attirer à lui et l’embrasser.
Ce ne fut pas chose facile dans l’enchevêtrement de skis et de bâtons. Elle fit d’abord mine de
se dérober mais, très vite, elle poussa un petit soupir et lui rendit son baiser. Quand il redressa la
tête, elle repoussa les cheveux de son front.
— En fait, moi aussi, je profite de l’instant, dit-elle.
— Assez pour te donner envie de recommencer ?
— Je crois que j’ai eu ma dose d’humiliation pour la journée, mais oui, une autre fois peut-être.
— Quelle humiliation ? fit Alex en l’aidant à se relever. Tu t’es super bien débrouillée.
— J’ai bien dû mordre la neige une trentaine de fois. Au minimum.
— Oh ! ça va, dit-il en lui prenant le coude. Ce n’est pas comme si tu t’étais retrouvée toute nue
au milieu de la Grand-Place. On est sur les pistes, tout le monde tombe.
— Oui, mais moi je n’ai fait que tomber. Si tu avais voulu m’apprendre à me vautrer dans la
neige, alors je suis une experte maintenant ! protesta-t-elle en déchaussant ses skis pour les planter de
guingois dans la neige. Je sais que tu aurais préféré dévaler une piste noire au lieu de traîner avec
moi. Et si j’allais me réchauffer à l’auberge pendant que tu t’amuses un peu ?
— J’aime bien traîner avec toi, Greta. Tu m’amuses, répondit-il en lui soulevant le menton du
pouce pour lui poser un baiser papillon sur les lèvres. Je pense que ça suffit pour aujourd’hui ; allons
déjeuner quelque part. Et après, on pourra aller faire un peu de shopping.
— Du shopping ? On va faire les magasins alors que les pistes t’appellent ? s’étonna-t-elle
avant de lui filer une petite tape sur la tête. Tu es sûr que ça va bien, là-dedans ?
— Très bien. Je préfère juste passer la journée avec toi plutôt que seul sur les pistes. Qu’y a-t-il
de mal à cela ?
— Il y a que tu te conduis comme…, fit-elle avant de se taire et de vouloir attraper ses skis. Oh !
laisse tomber, finit-elle par marmonner.
— Non. Je me conduis comme… quoi ?
— Un petit ami, répliqua-t-elle en le regardant, mal à l’aise. C’est… juste un peu énervant.
Il lui prit ses skis et les jucha sur son épaule en même temps que les siens.
— Peut-être qu’on devrait faire un essai, répondit-il.
— Faire un essai ? répéta-t-elle bêtement.
Il la regarda.
— Es-tu vraiment aussi obtuse, ou…
— Je ne suis pas obtuse !
— Alors, tu essayes délibérément de m’énerver en faisant la bête. Ce que je veux te dire, c’est
qu’on pourrait essayer de sortir ensemble. Non, pas sortir ensemble. On pourrait… être ensemble.
— Tu es cinglé, rétorqua-t-elle. On arrive à peine à se supporter deux heures d’affilée, et tu
voudrais qu’on survive à une vraie relation ?
— On s’est plutôt bien entendus la nuit dernière ; et ce matin. Si tu te souviens bien, on s’est à
peine chamaillés, bref, on a battu tous nos records. Et je pense que l’après-midi sera encore mieux,
argua-t-il avant de lui sourire. La pratique mène à la perfection.
— On ne parle pas de ski, là, répondit-elle. Former un couple, ce n’est pas une décision qu’on
prend à la légère, comme ça, rien ne garantit que ça marchera comme sur des roulettes. On a toujours
été amis, et puis… Tu sais comme moi qu’on ne peut pas sortir ensemble, pas avec les
réglementations de Johnson-Jacobs.
— De quoi as-tu peur ?
— De rien. A part que… depuis le temps que je te connais, tu n’as jamais réussi à avoir une
relation stable plus de deux mois d’affilée. Pourquoi devrais-je penser qu’avec moi les choses seront
différentes ?
— Tu penses vraiment que je mettrais notre amitié en péril pour une aventure sans lendemain ?
Ils ne dirent plus rien en rendant l’équipement de ski de Greta, elle refusa son invitation à
déjeuner, et ils regagnèrent le parking. Il lui prit la main et entrelaça ses doigts aux siens.
Elle lui jeta un coup d’œil surpris.
— C’est ce que font les petits amis, expliqua-t-il.
— Et que font-ils d’autre ?
— Tout ce que veut leur belle ? répondit-il en souriant. Que veux-tu ? Il te suffit de le dire.
Elle le dévisagea, attentive.
— J’ai entendu parler d’un antiquaire en ville. On pourrait y faire un tour, finit-elle par
suggérer.
— Super, je sens qu’on va s’amuser.
— Cache ta joie ! repartit-elle en éclatant de rire.
— Non, je pense vraiment que ça pourrait être rigolo. Peut-être qu’on trouvera ces poteries que
tu cherches.
— Des Roseville, ce sont des poteries Roseville, précisa-t-elle.
— Oui, c’est vrai. Il va falloir que je m’en souvienne si je deviens ton petit ami.
— Ne t’avance pas trop, bonhomme, on n’a pas encore mis le pied dans cette boutique,
marmonna-t-elle.
Ils se rendirent à Aspen et se garèrent près de l’antiquaire en question. Alex passa le bras autour
de sa taille alors qu’ils longeaient le trottoir.
— C’est là, non ? fit-il en désignant un magasin.
— Oui, répondit Greta en inspectant la vitrine.
— Roseville, répéta-t-il pour lui-même.
Ils entrèrent et, contrairement à son habitude en termes de shopping, Alex resta près de Greta
alors qu’elle examinait un présentoir de poteries vivement colorées. Elle en sélectionna plusieurs
avant de hausser les épaules et de dire :
— Il n’y a rien que je veux, ici.
— Oh ? Il y a sûrement quelque chose qui te ferait plaisir dans ce magasin, insista-t-il.
— C’est trop cher, murmura-t-elle. Bien trop cher.
— Si tu pouvais en acheter un, lequel choisirais-tu ?
— Celui-ci, dit-elle en désignant un petit vase bleu. C’est un Roseville Wisteria ; on n’en trouve
pas souvent.
Puis elle s’en fut vers une autre partie de la boutique, et Alex fit signe au vendeur.
— Merci de me faire un paquet et de le mettre dans…, chuchota-t-il en lui confiant le vase et en
regardant autour de lui afin de trouver un contenant abordable. Mettez-le là-dedans, dit-il en attrapant
un vieux pot à lait. Et ne la laissez pas voir ce que vous faites, conclut-il en lui tendant sa carte de
crédit.
Puis il rejoignit Greta d’un pas nonchalant et la regarda farfouiller dans un panier de nappes
brodées. Ils y restèrent un moment, puis le vendeur le rappela au comptoir, où il récupéra sa facture
et prit son sac.
— Qu’as-tu acheté ? lui demanda Greta en sortant.
— Un vieux pot à lait, dit-il en le sortant du sac pour le lui montrer. Je cherchais juste un truc où
entreposer ma monnaie pour la laverie automatique.
— Pas bête, l’approuva-t-elle.
Alex lui remit le bras autour de la taille et lui dit :
— Tout ce shopping m’a creusé l’appétit. Veux-tu qu’on mange ici, ou qu’on rentre au chalet ?
Elle réfléchit un instant, puis marmonna :
— Le chalet.
Là-bas, le réfrigérateur était plein à craquer. Mais il espérait bien qu’elle aurait envie de plus
qu’un reste de nouilles thaïes.
-5-

Un feu rugissant dans la cheminée, des cartons de plats à emporter étalés devant eux, ils se firent
un vrai festin pour le dîner. Greta ne cessait de s’étonner de leur aisance ensemble, plus belle
qu’avant. Ordinairement, ils passaient leur temps à se chamailler tel un vieux couple mais, à présent,
Alex ne semblait avoir aucune envie de la provoquer.
Ses pensées la ramenèrent à l’époque du lycée et au premier garçon qui avait manifesté un peu
d’intérêt pour elle. Il l’avait taquinée sans répit et harcelée pendant les récréations, lui jetant des
cailloux ou lui tirant les cheveux. Sa mère avait assuré que c’était ce que faisaient les garçons quand
une fille leur plaisait.
Avait-ce été la même chose avec Alex ? Avait-il eu si peur de ses sentiments qu’il avait préféré
la tenir à distance ? Elle avait très envie de croire que sa toute nouvelle attitude vis-à-vis d’elle était
fondée sur bien plus qu’un simple attrait sexuel.
— J’ai passé une journée superbe, murmura-t-elle en tripotant le pied de son verre. Vraiment,
même si c’était un peu… bizarre.
— Comment ça ?
— Je n’en sais rien. C’était comme si on n’était pas nous-mêmes, comme si on se conduisait
en… adultes.
— On est des adultes.
Il tendit la main, prit la sienne et posa un baiser sur sa paume. Elle fut prise d’un frisson, et
l’image de lui, nu et en érection, s’imposa à elle. Elle savait à quoi il pensait, et avait été incapable
de se concentrer sur quoi que ce soit d’autre depuis qu’ils avaient regagné le chalet.
Une longue nuit les attendait, un chalet vide, un grand lit, tout ce dont ils avaient besoin, en
somme. Comment résister ?
— J’aime bien notre nouveau duo, déclara-t-elle en souriant.
— Hum… Et que dirais-tu d’explorer plus intimement ce duo dans le Jacuzzi ? J’y ai jeté un œil
tout à l’heure et l’ai trouvé tentant.
— Mais il fait un froid de canard, dehors, objecta-t-elle.
— Tu as skié tout l’après-midi, je suis sûr que tu seras assez courageuse pour braver un peu de
neige sur la terrasse. Il est aussi sympa que la grande baignoire du haut, sauf qu’il se trouve juste sous
les étoiles, argua-t-il avant de se lever et de commencer à se déshabiller. Allez, Greta, t’es pas
chiche !
Greta ne reculait jamais devant un défi qu’il lui jetait, et il le savait. Elle se leva et l’imita
jusqu’à n’être plus qu’en culotte et soutien-gorge. Déjà entièrement nu, Alex prit les verres, la
bouteille de vin et s’en fut vers la porte de la terrasse. Avant de pousser un hurlement en mettant les
pieds sur la neige !
— Fais vite, la prévint-il. Et, si tu veux que je partage le Jacuzzi avec toi, dépêche-toi d’enlever
le reste.
Elle courut à la porte et le regarda traverser la terrasse couverte de neige. Il posa bouteille et
verres et souleva le couvercle du Jacuzzi. Puis il sauta dedans et s’immergea jusqu’au cou.
— Viens ! Tu vas attraper froid.
Elle se blinda et le rejoignit en essayant de marcher sur ses traces. Puis elle s’assit sur le bord,
balança les jambes dans l’eau et s’y laissa glisser.
— Nue, j’ai dit, murmura-t-il en la rejoignant, avant de dégrafer son soutien-gorge, puis de faire
descendre sa petite culotte le long de ses jambes.
Il jeta le tout sur la terrasse.
— Voilà qui est bien mieux ! s’exclama-t-il en souriant.
Greta lui jeta les bras autour du cou, se colla contre lui et lui offrit sa bouche. Il lui prit les
hanches, la souleva, puis la refit descendre contre lui. Ce fut si bon qu’elle en gémit de plaisir.
— Tu aimes ? lui demanda-t-il.
— Oh ! oui, répondit-elle en rejetant la tête en arrière.
Il continua à se mouvoir contre elle et leur fit faire le tour du Jacuzzi jusqu’à pouvoir s’asseoir
sur un banc immergé, Greta à califourchon sur lui. Là, il posa ses lèvres chaudes sur son cou et traça
un chemin de baisers sur son épaule.
Elle le voulut en elle, mais il n’y avait pas de préservatifs à proximité. Tout comme elle, Alex
en utilisait systématiquement. Cependant, et pour la toute première fois de sa vie, elle eut envie de
sentir un homme en elle sans aucune barrière. Et elle prenait la pilule.
— Attends, murmura-t-il comme s’il avait deviné ce qu’elle voulait. Faire l’amour dans un
Jacuzzi n’est peut-être pas une bonne idée, l’un de nous risquerait de tourner de l’œil. Mais dans ce
grand lit… Je ne suis pas contre !
— Alors, on devrait peut-être sortir de là et y monter, justement, dans ce grand lit, répondit-elle
sur le même ton en se caressant contre lui.
— Ohé ? Il y a quelqu’un ?
Stupéfaits, ils se retournèrent ensemble. Un homme était entré.
— Est-ce que c’est Dave ? fit Greta en descendant des genoux d’Alex.
— Oui.
— Que fiche-t-il ici ?
— Je n’en sais rien. Il a dû changer d’avis.
— Il ne faut pas qu’il nous trouve ensemble ! s’affola Greta en cherchant une issue de secours.
Oh ! Seigneur, nos fringues ! Elles sont partout par terre !
— Baisse-toi.
Elle se laissa aller sous l’eau et se plaqua contre le bord, mais Alex lui fit remonter la tête en
disant :
— Pas la peine de te noyer, quand même !
Puis il se pencha vers la terrasse et cria :
— Hello !
— Ne l’appelle pas ! chuchota Greta.
— Eh, qu’est-ce que tu fabriques ici ? demanda-t-il encore.
— Ma sœur avait des trucs à faire, alors je me suis dit que je pourrais venir ce soir, comme ça
on aurait une grande journée de ski demain, répondit Dave. Il y a quelqu’un d’autre ?
— Quelqu’un d’autre ? Que…
— Il y a les restes d’un dîner pour deux devant la cheminée, précisa Dave.
— Oh ! oui, Greta est venue avec moi quand tu as annulé.
— Adler ?
— Oui, répondit Alex en posant une main sur la cuisse de Greta. Je crois qu’elle bouquine dans
sa chambre. Et moi je profite du Jacuzzi.
— Ça ne pose pas de problème que je sois venu ? s’enquit Dave.
— Pas du tout. Tu connais Adler.
— Bon, eh bien, laisse-moi récupérer mes affaires dans la voiture, et puis je te rejoins. J’espère
qu’il y a de la bière.
— En pagaille !
— Super. Je reviens.
Quelques secondes plus tard, Alex fit sortir Greta de l’eau.
— Vite. File au premier et habille-toi. Et puis déménage mon sac dans une des chambres.
Greta ramassa ses sous-vêtements et rentra au pas de course alors que de la vapeur s’exhalait de
sa peau nue. Elle ramassa ses habits au passage et s’engouffra dans l’escalier.
De son côté, Alex récupéra son jean, l’enfila et verrouilla la porte jusqu’à ce qu’elle soit en
sécurité à l’étage.
— Habille-toi et redescends, lui cria-t-il.
Hors d’haleine, Greta referma la porte de la chambre derrière elle et se laissa aller contre le
battant. Qu’ils aient fait semblant d’être ensemble pour Thea Michaels ne poserait aucun problème au
bureau, mais un tripotage nus dans un Jacuzzi…
Elle jeta un coup d’œil dans la chambre. Ils avaient semé leurs affaires partout. Bon, eh bien tant
pis pour cette dernière nuit romantique… Ils dormiraient dans des lits séparés ce soir, et cette pensée
fit monter en elle une vague inattendue de tristesse.
Mauvais signe, se dit-elle. Elle s’était tellement laissée aller en une seule journée que la
perspective de passer une nuit sans Alex lui devenait intolérable ?
— Allez, ma vieille, reprends-toi ! se morigéna-t-elle tout haut. Tous les contes de fées ont une
fin !

* * *

Alex dut endurer trois bières et une interminable discussion portant sur le travail, le ski et la
taille du budget publicitaire de Thea Michaels avant de pouvoir s’excuser.
— Tu sais quoi, je n’en peux plus, et je crois que je vais aller dormir, dit-il en posant sa canette
sur la table basse.
— Mais il est à peine 10 heures du soir ! s’étonna Dave.
— Je sais, mais on va devoir se lever tôt demain, si on veut profiter de la journée sur les pistes.
— Et Adler, elle va venir aussi ?
— Non. Elle débute sur des planches. J’ai skié avec elle aujourd’hui, mais elle ne serait pas
capable de nous suivre. Même si elle en avait envie.
— Est-ce qu’il y a quelque chose entre elle et toi ? l’interrogea Dave en le dévisageant avec
attention.
— Pourquoi me demandes-tu cela ? On est amis depuis des années.
— Je ne crois pas à l’amitié entre un homme et une femme.
— Eh bien, crois-moi, ça fait sept ans qu’on est amis.
— Elle est plutôt jolie, poursuivit Dave.
— Plutôt jolie ? Elle est belle, tu veux dire, rétorqua-t-il.
— Tu vois, c’est exactement ce que je veux dire. Si tu la trouves belle, c’est qu’en quelque sorte
elle t’attire. A moins, évidemment, que ce soit une plaie. Une de ces filles qui se régalent à faire
marcher les hommes.
— Non ; elle est sympa.
— Alors, pourquoi n’as-tu pas couché avec elle ? s’enquit Dave.
— Je refuse d’aller par là. Greta et moi, on est amis, point à la ligne.
— As-tu couché avec elle ? insista Dave.
— Non, mentit-il.
Hors de question de tout dire à Dave MacDonalds. Ce qui s’était passé entre Greta et lui
relevait du privé… de l’intime… et ne regardait personne.
— Je ne tiens pas à bousiller notre amitié.
— Je ne pige pas, dit Dave après avoir pris une grande inspiration. Si j’avais été ici, seul, avec
une femme comme elle, j’aurais au moins tenté ma chance.
Alex étouffa un juron. Il s’était attendu à ce que Greta descende les rejoindre, mais finalement
elle avait bien fait de s’en abstenir. Il n’avait jamais vraiment pensé à la manière dont les autres
hommes la voyaient, au bureau, et comme les relations amoureuses entre collègues étaient interdites il
ne s’en était jamais soucié. Et puis, il n’aimait pas les conversations trop intimes, comme celle qui se
déroulait à présent.
Manifestement, Dave avait perçu quelque chose. Si Greta avait été là, aurait-il été capable de
déchiffrer le désir dans ses yeux ou son attitude ? Lui-même, serait-il jamais capable d’être dans la
même pièce qu’elle sans la regarder et avoir envie de la caresser ?
— Combien de fois on a fait la fête jusqu’à l’aube et skié ensuite toute la journée ? Allez, mec,
tu n’es pas si vieux que ça !
— Je le suis.
Il était assez vieux pour savoir que la vie n’était pas une fête sans fin ; que des inconnues ne
serviraient à rien le jour où il aurait réellement besoin de quelqu’un ; que trouver une femme avec qui
on a envie de passer sa vie était infiniment plus difficile que de trouver une femme pour la nuit.
— Bon, eh bien, je vais aller faire un tour dans le Jacuzzi avant de monter me coucher, conclut
Dave.
— A demain, lui dit Alex en débarrassant la table pour tout emporter dans la cuisine.
Là, il chipa deux ou trois choses dans le réfrigérateur avant de monter. En arrivant à la porte de
la chambre qu’il avait partagée avec Greta, il passa la tête à l’intérieur. Chambre et lit étaient vides.
Il ouvrit la porte suivante, et y découvrit Greta en train de lire au lit.
— Eh, murmura-t-il en refermant derrière lui.
— Eh, répondit-elle en se redressant. Tu as apporté quelque chose ?
— Le dessert, fit-il. On n’en a pas eu tout à l’heure.
— Quel amour, dit-elle en souriant. C’est quoi ?
— Un reste de tiramisu, de gâteau au chocolat et d’une sorte d’opéra, énuméra-t-il en posant les
boîtes hermétiques sur le lit devant elle.
— Fourchettes ?
— Mince, non, j’ai oublié. Attends que je descende en chercher.
— Pas la peine, on va manger avec les doigts !
— J’adore, dit-il.
Greta prit un morceau de tiramisu en riant, et le lui tendit. Il lui prit la main et fourra ses doigts
dans sa bouche en la regardant.
— C’est bon ? demanda-t-elle.
— Mmm, grogna-t-il pour toute réponse.
Il lui nettoya la main de la langue, prit un morceau de gâteau au chocolat et la régala à son tour.
— Est-ce que Dave est monté se coucher ?
— Non. Il est dans le Jacuzzi. Ensuite, je pense qu’il ira dormir. Alors, toi et moi, on aura notre
nuit à nous.
— Non ! S’il découvre quelque chose, on va se retrouver dans un vrai pétrin.
— Il ne va rien découvrir, je te le promets. Je vais être très, très, très silencieux.
Greta secoua la tête.
— Non. Si on doit continuer, ce sera à Denver, seuls, à l’abri. Pas ici, c’est trop risqué.
— Je ne suis pas persuadé que se voir en douce va me plaire. Et si j’ai envie de t’embrasser au
bureau ? Peut-être qu’on devrait trouver un endroit où se retrouver.
Elle poussa un petit soupir et secoua la tête.
— As-tu envie de perdre ton emploi à cause de ça ?
— Non. Cette règle a été édictée à cause d’une relation adultérine, pas d’une relation entre deux
célibataires. On fait du bon travail, tous les deux. Ils ne vont pas nous flanquer dehors, Greta.
— Comment peux-tu en être sûr ? J’ai besoin de ce travail, et je ne tiens pas à devoir attendre
de nouveau sept ans dans une agence pour essayer d’accéder au poste de directrice artistique, dont je
suis pratiquement titulaire chez Johnson-Jacobs.
Alex savait qu’il pourrait retrouver un emploi équivalent dans n’importe quelle agence de la
ville, mais il savait aussi que ce n’était pas aussi simple pour les créateurs comme Greta.
— Que proposes-tu que nous fassions, alors ? Quoi que tu décides, je suis partant, lui dit-il.
— On garde le secret tant qu’on n’est pas sûrs de nous.
— Pas sûrs de nous ? Mais c’est tout le contraire ! On est ensemble, Greta.
— Pour l’instant, je vois plutôt ça comme une aventure d’un week-end, rétorqua Greta.
Il se pencha et lui posa un baiser sur les lèvres.
— Quoi que ce soit, ça me plaît. Enormément.
— A moi aussi, renchérit-elle.
— Je vais revenir plus tard, et je partirai avant l’aube, lui promit-il. Dave ne se doutera de rien.
Alex se gratta le nez. Hum… ce n’était pas le moment de dire que Dave se doutait déjà de
quelque chose.
— Non, s’il te plaît, le pria-t-elle.
— On ne va pas se voir demain ! Il veut skier, et je n’ai pas trouvé une excuse décente pour
refuser.
— Dans ce cas, je pense que je vais prendre ta voiture et rentrer, si tu veux revenir de ton côté
avec Dave.
— Et si je trouvais un prétexte pour qu’on passe la journée ensemble ?
— Je ne m’en vais pas au bout du monde, lui dit-elle gentiment. On passe déjà beaucoup de
temps ensemble.
— Oui, mais pas comme ça.
Une crainte l’avait hanté toute la soirée durant. A quoi bon la cacher plus longtemps ? Il planta
ses yeux dans les siens et lui lança :
— Et si ce n’était plus pareil entre nous une fois rentrés à Denver ? Et si tu voulais revenir à la
relation que nous avions avant ? Comme il y a quatre ans ?
— C’est toi qui l’as voulu, lui rappela-t-elle.
— Ce n’est pas ce dont je me souviens, mais peu importe, je n’ai pas envie de me disputer. Je
veux me déshabiller, entrer dans ce lit avec toi et te faire l’amour. Tout de suite.
Greta ferma les yeux, et se mordit la lèvre. A la voir si troublée, il n’eut qu’une envie, la
prendre dans ses bras pour la rassurer. En vérité, elle avait bien plus à perdre que lui, car personne
ne le licencierait. Il était responsable de deux des plus gros clients de l’agence. Mais il tenait à ce
qu’elle pense qu’une relation entre eux passerait inaperçue.
— Bon, je m’en vais, dit-il en se levant. Mais ne verrouille pas ta porte, je pourrais revenir.
Sur ce, il se pencha et posa ses lèvres sur les siennes. Ce fut un simple baiser, mais il fit aussitôt
renaître le désir entre eux.
Il réussit toutefois à se redresser, et lui sourit.
— Bonne nuit, Greta.
— Bonne nuit, Alex. Dors bien.

* * *

Le chalet était silencieux et obscur quand Greta sortit en catimini de sa chambre. Frissonnante,
elle retint son souffle et partit sur la pointe des pieds vers la chambre d’Alex. Elle ouvrit la porte et
se faufila à l’intérieur.
Allongé au milieu du lit, seulement éclairé par la lumière venant de la salle de bains, il perçut sa
présence.
— Je savais que tu viendrais, murmura-t-il alors qu’elle se glissait dans son lit en souriant.
Il lui passa un bras autour de la taille et l’attira tout contre lui en ajoutant :
— J’aime t’avoir dans mon lit. Pourquoi as-tu mis si longtemps ?
— Je n’étais pas sûre de venir.
— Si tu veux, on peut juste s’allonger côte à côte et se faire un câlin.
— Un câlin ? répondit-elle en riant tout bas. Je n’arrive pas à t’imaginer en homme se contentant
d’un câlin.
— Jusque-là, je dois l’avouer, ça ne me ressemblait pas trop. Mais avec toi ça me plaît
beaucoup. Juste te toucher, t’écouter parler, sentir l’odeur de tes cheveux. Ils sentent si bon… Est-ce
qu’on te l’a déjà dit ? Je ne sais même pas pourquoi je m’en aperçois si tard.
— Euh, excusez-moi, monsieur, mais où donc est Alex Hansen ? Qu’avez-vous fait de l’homme
que j’ai toujours connu ? répondit-elle en riant.
— Il est toujours là, lui dit-il à l’oreille avant de l’embrasser.
D’abord délicat, son baiser devint vite passionné, et il l’attira tout contre lui. Il était déjà en
érection.
Et, s’il était encore en T-shirt et bas de jogging, cela n’empêcha pas Greta de glisser les mains
dessous pour les poser sur son torse.
— Je ne me serais jamais attendue à ça, souffla-t-elle.
— A nous ? Ensemble ? Nus ? dit-il en riant. Attends, on n’est visiblement pas nus.
Il se redressa sur ses genoux, fit passer son T-shirt par-dessus sa tête et le jeta au pied du lit. Le
pantalon suivit le même chemin.
— Voilà qui est mieux.
— Bien mieux, fit Greta en faisant courir un doigt sur son ventre.
— Et toi ?
Elle se débarrassa de son T-shirt trop grand.
— Maintenant qu’on est nus tous les deux, un petit câlin, peut-être ? dit-elle.
Il referma la main sur un sein et entreprit d’en agacer le mamelon. Puis il la remplaça par sa
bouche, et Greta gémit doucement alors que le plaisir se diffusait dans son corps. Déjà, elle
commençait à ne plus pouvoir se passer des sensations qu’il provoquait en elle.
Tout, en Alex, rendait plus intense l’intimité de ces instants. Elle avait fait l’amour avec d’autres
hommes, mais jamais elle n’avait connu une telle attirance, quasi magnétique, envers l’un d’eux. Rien
à faire, elle ne pouvait lui résister. Il était tout ce qu’elle avait toujours voulu chez un homme.
Pourquoi lui avait-il fallu si longtemps pour s’en rendre compte ?
Elle lui fourra les doigts dans les cheveux alors qu’il parsemait de baisers son autre sein, puis
son ventre.
— Tu es si belle, murmura-t-il contre sa peau.
Elle ne s’était jamais trouvée particulièrement belle, mais il ne lui avait jamais menti. Il croyait
ce qu’il disait, et ce compliment sincère lui mit le cœur en joie.
Ils se caressèrent lentement, sensuellement, jusqu’à être tous deux étourdis d’un désir violent.
Quand il la fit rouler sous lui et se logea entre ses cuisses, elle retint son souffle tout le temps où il la
pénétra. Elle bougea sous lui, et il inspira brusquement.
— Ne bouge pas, murmura-t-il.
— Mais j’ai envie !
— Pourquoi est-ce que c’est si différent avec toi ? lui demanda-t-il à mi-voix. Avec toi, j’ai
l’impression d’être un ado. Comme si je ne savais pas ce que je fais.
— Je trouve que tu te débrouilles comme un chef, lui assura-t-elle. Il y a des rumeurs au bureau,
comme quoi tu es plutôt bon dans le domaine.
— Des rumeurs ? A mon propos ? Qui ?
— Toutes les femmes. Mais je crois qu’elles ne font que spéculer. Tu n’as pas couché avec
toutes, quand même ?
— Non, Greta. La seule collègue avec qui j’aie couché est dans mon lit en ce moment. Oh ! et
j’ai aussi couché avec Dave quand on est partis camper dans l’Estes Park. On a dormi dans la même
tente.
— Tu es bête… Bon, est-ce que je peux bouger, maintenant ?
— Non.
— Si.
— Non, répéta-t-il.
Elle se cambra et l’attira plus profond en elle. Il poussa un grognement guttural, lui saisit les
hanches et la fit rouler sur lui. Les cheveux dans la figure, elle baissa les yeux vers lui.
— Maintenant, tu peux bouger, lui dit-il.
Elle adopta d’abord un rythme lent, paresseux, et regarda le plaisir reflété par ses yeux. Mais,
quand il l’attira à lui pour l’embrasser, elle perdit sa concentration et se laissa simplement aller à la
douceur de l’instant.
Ils étaient si bien ensemble. Il avait suffi d’une seule nuit pour lui faire comprendre que
personne d’autre ne saurait lui donner autant de plaisir. Et, alors qu’il l’emmenait vers l’orgasme,
elle ne put nier plus longtemps ce qu’elle éprouvait. Elle était amoureuse de lui. Et elle l’avait été
depuis bien longtemps, peut-être même depuis le tout début.
Elle avait tout fait pour le nier pendant des années, mais à présent elle se sentait libre — libre
de croire qu’un avenir était possible pour eux.
A cet instant, tout son corps se contracta et elle gémit en atteignant l’orgasme, avant de coller les
lèvres sur son cou pour s’empêcher de crier. C’était ce qu’elle avait attendu, ce qu’elle avait toujours
espéré trouver. Et le trouver en la personne de son meilleur ami ne le rendait que plus merveilleux.
Il jouit peu après, en silence, yeux fermés, et elle murmura son prénom en lui tenant le visage à
deux mains tandis qu’il frémissait sous elle. Cet homme s’était fait une place dans sa vie, mais il
avait maintenant trouvé une place dans son cœur. Qu’allait-elle faire de tout cela ?
— Si j’avais su que ce serait si bon, on aurait fait l’amour il y a des lustres déjà, lui dit-il.
— On a fait l’amour il y a presque un lustre, lui rappela-t-elle.
— Je sais. Mais je crois qu’aucun de nous deux n’était prêt à ce moment-là. Et d’ailleurs aucun
de nous n’a su reconnaître ce qui se passait à ce moment-là.
— Et maintenant ?
— Maintenant ? répéta-t-il avant de marquer une pause et de plonger dans ses yeux. Maintenant,
je ne suis pas certain de pouvoir m’en passer. Je te veux dans ma vie, Greta.
— J’y suis, répondit-elle tout bas.
— Comme ça. Ensemble. Toi et moi.
— Ça a duré un week-end.
— Ça a duré sept ans.
Elle se nicha contre lui. Il avait raison. Ils se connaissaient mieux que certains vieux couples.
— Je t’ai seulement vraiment bien aimé les cinq dernières années, ajouta-t-elle.
— Comment ? Tu ne m’as pas aimé quand on s’est connus ?
— Non, pas du tout. Je te trouvais suffisant, tu charmais tout le monde sur ton passage ; toutes
les filles pensaient avoir une chance avec toi, et tu ne faisais rien pour les décourager. Je pensais que
tu étais dangereux.
— Dangereux ? Sur le plan publicité, je suis un ninja !
Ce jour-là, Greta s’en souvenait parfaitement. Elle avait alors décidé de verrouiller son cœur
quand Alex était dans les parages, pour sa propre sécurité. Peut-être était-ce pour cela que leur
amitié avait si bien fonctionné.
— Alors, que fais-tu maintenant ? Tu restes dormir dans notre lit, ou tu retournes dans ta
chambre solitaire, Greta ?
— Je peux rester jusqu’à 3 heures.
— 3 h 30, riposta-t-il.
— 3 h 30, approuva-t-elle avant de l’embrasser. Mets le réveil sur ton portable.
— Pour quoi faire ? On ne va pas dormir.
-6-

Alex sortit de l’ascenseur devant les portes de Johnson-Jacobs, pressé de voir Greta pour la
première fois après leur week-end.
Elle était rentrée seule à Denver la veille, et il avait trouvé ses clés de voiture sur le comptoir
de la cuisine en rentrant. Elles étaient accompagnées d’un petit mot lui disant : A demain !
Il avait passé une nuit agitée à se demander pourquoi elle n’était pas là avec lui. Avait-elle
changé d’avis ? Allaient-ils encore devoir attendre quatre ans ?
Il la connaissait assez pour la savoir pragmatique, une caractéristique à même de tempérer sa
propre impulsivité. C’était en partie pour cela qu’ils allaient si bien ensemble.
Il poussa la porte et Emily, la réceptionniste, lui sourit.
— Alerte rouge, lui dit-elle. Rich t’a cherché partout, et il n’a pas l’air de bon poil. Oh ! et Thea
Michaels t’attend dans ton bureau. Je lui ai fait apporter son café, et elle a l’air satisfaite pour
l’instant avec le dernier Vogue.
— Rich t’a-t-il dit ce qu’il me voulait ?
— Non, mais les bruits de couloir disent que la diva l’attendait à la première heure ce matin. Et
son humeur a changé après leur entretien.
Un sale pressentiment saisit Alex.
— As-tu vu Greta ?
— Non, je ne suis pas sûre qu’elle soit déjà arrivée. Veux-tu que je vérifie ?
— Merci, mais je vais le faire moi-même, dit Alex après avoir pris une grande inspiration.
Il se dirigea vers le département artistique et, en arrivant dans le bureau de Greta, posa son
attaché-case sur le bureau, l’ouvrit, en sortit le joli vase bleu et un petit bouquet de roses-thé. Greta
allait être ravie.
Dommage qu’il ne puisse pas voir sa réaction, mais il était attendu dans le bureau du directeur.
Il avait peut-être vécu le plus merveilleux week-end de son existence, mais les réalités de sa vie
professionnelle suffirent à assombrir ses superbes souvenirs. Il allait devoir composer avec Thea,
maintenant. Et, si ses soupçons étaient exacts, Greta et lui allaient devoir payer le prix fort pour leur
petit interlude amoureux dans le chalet.
Il souffla à fond, et s’efforça de trouver un soupçon de remords, mais il eut beau faire, il ne
regrettait pas un seul instant de ce qui s’était passé.
Bon, il ferait mieux d’aller voir ce qu’on lui voulait, songea-t-il non sans anxiété.
Il suivit le couloir menant au bureau du grand manitou en épluchant une liste d’hypothèses, mais
une seule lui semblait plausible.
La règle stricte était sur le point d’être appliquée. L’assistante de Rich attendait son arrivée et,
le regard inquiet, le fit entrer. A sa grande surprise, il trouva Greta assise sur le canapé, les jambes
sagement croisées. Et, à son soulagement, Thea n’était pas présente. Il regarda Greta et lui sourit.
— Bonjour, Greta, dit-il.
— B… bonjour, Alex, dit-elle en regardant ses mains, avant de lever les yeux vers Rich.
Venons-en directement au fait, voulez-vous ?
— Assieds-toi, Alex, suggéra Rich. Je ne vais pas y aller par quatre chemins. Je comprends que
vous deux ayez une relation intime. Mais vous connaissez le règlement de l’entreprise, alors, que
pouvons-nous faire ?
— Monsieur, répondit Greta, je crois qu’il me faut tout d’abord dire qu’Alex et moi…
— Quelles sont nos options ? l’interrompit Alex.
— Nous ne sommes pas en couple, expliqua Greta.
— Bien sûr que si, la contra Alex.
— Non ! cria-t-elle. C’était juste une… une aventure d’une nuit. C’est fini. Complètement fini.
Et ça ne recommencera plus jamais.
— Non, ce n’est pas fini, la contredit-il encore. Du moins, pour autant que je suis concerné. Et
ce n’était pas une mais deux nuits, ajouta-t-il en levant deux doigts.
— Et donc ? fit impatiemment Johnson.
— Que fais-tu ? demanda Greta à Alex d’une voix étranglée. Ne plaisante pas avec cela.
— Je ne plaisante pas. Même maintenant, après un week-end entier passé au lit, je n’ai qu’une
envie, te ramener à la maison, lui assura-t-il avant de tourner une mine contrite vers le patron.
Désolé, mais c’est la vérité.
— Hum, ça pose donc un problème, répondit celui-ci.
Greta sauta sur ses pieds et traversa la pièce pour se planter devant Alex.
— Que fais-tu ? répéta-t-elle à mi-voix. On va perdre notre travail.
— J’étais sur le point de vous donner une promotion, annonça Johnson à Greta. Directrice
artistique du compte Sunrise Airlines.
— On l’a obtenu ? lui demanda-t-elle.
— Oui. Ils ont appelé ce matin pour m’en informer. Votre présentation les a énormément
impressionnés.
Greta lança alors un regard implorant à Alex et lui dit :
— J’ai travaillé sept ans pour en arriver là.
— Je sais. Et tu la mérites plus que personne, lui dit-il avant de se tourner vers Johnson. Bien, si
j’accepte de démissionner, la règle ne s’applique plus et tout va bien, n’est-ce pas, Rich ? Greta peut
conserver son emploi.
— Tu diriges deux de nos plus gros comptes, répondit Rich. Je ne pense pas que nous voulions
perdre…
— Oui, ou non ? le coupa Alex.
— Non ! s’écria Greta. Tout cela est ridicule. Aucun de nous n’a à renoncer à son travail. On va
juste dire ensemble que c’est fini.
— Non, répondit Alex. Je pense… non, je sais que je suis amoureux de toi. Amoureux fou. Et je
veux passer le plus de temps possible avec toi. Et puis, je peux trouver du travail n’importe où.
— Oh, eh ! intervint Rich. De quoi parlez-vous, au juste ? Je ne peux pas me permettre de vous
perdre, tous les deux. Si tu pars, Alex, Thea Michaels suivra. Et j’ai besoin de toi, Greta, pour
Sunrise Airlines.
— Alors, Rich, je crois que vous êtes devant un plus gros problème, dit Alex en se levant. Si
vous renvoyez Greta, je m’en vais. Vous feriez peut-être mieux de nous renvoyer tous les deux et de
faire avec.
— Hein ? s’étonna Greta. Non ! Ce serait une très mauvaise idée. Je… je vais démissionner.
— Je ne sais pas…, dit Rich.
— Pas question. Elle s’en va, je m’en vais, assura Alex en passant un bras autour de la taille de
Greta pour l’attirer contre lui, et l’embrasser tendrement. Tu es superbe ce matin, lui murmura-t-il. Et
tu m’as manqué cette nuit.
— Toi aussi tu m’as manqué.
— Je t’aime, Greta.
Elle sourit, puis passa la main sur sa chemise.
— Je t’aime aussi, Alex.
Il l’embrassa de nouveau, puis fit un pas en arrière.
— Je suis certain que vous allez trouver une solution, Rich. Quoi que vous décidiez, tenez-m’en
informé. Je vais partir à la recherche de Thea Michaels et voir si elle n’est pas trop contrariée.
— Je lui ai dit de t’attendre dans ton bureau, lui apprit Johnson. Quelle enquiquineuse, celle-là.
— Oh ! oui ! s’écria Greta. Vous devriez passer un peu de temps avec elle. Elle m’a dit que
j’étais grosse.
— Elle a dit ça ? dit Johnson, mécontent. La garce.
Persuadé que tout allait finir par s’arranger, Alex se dirigea vers son propre bureau. Comme
prévu, Thea l’y attendait en feuilletant un magazine.
— Vous êtes arrivée tôt, lui dit-il.
Elle releva la tête et le mangea littéralement des yeux.
— J’avais des choses importantes à faire, répondit-elle.
— Genre, moucharder à mon patron ce qui s’est passé ce week-end ? lui demanda-t-il en
conservant délibérément un ton léger, et en espérant qu’une confession lui donnerait exactement ce
dont il avait besoin pour tourner la situation à son avantage.
— J’ai peut-être fait mention de vos petites galipettes.
— Eh bien, je pense que je dois vous en remercier, alors. Je suis certain qu’ils vous trouveront
un nouveau directeur financier ravi de gérer ces petits jeux dont vous semblez raffoler.
Elle se figea.
— Mais de quoi parlez-vous ?
— J’en ai terminé ici. Je ne suis plus…
— Non ! s’écria-t-elle. Il était censé la flanquer à la porte, elle, pas vous !
— Et moi, je démissionne. Comme ça, elle pourra conserver son travail. Greta est la femme de
ma vie, et je suis prêt à tout faire pour la protéger. Moralité, ne pensez même pas à vous attaquer à
elle, Thea, vous me trouveriez sur votre chemin. Et d’ailleurs, pour que les choses soient claires
entre nous, fichez-lui la paix.
Thea ouvrit la bouche, et la referma aussitôt. Elle prit une profonde inspiration, puis lui décocha
un sourire penaud.
— Très bien. Vous avez gagné. Je vous prie de m’excuser. J’ai juste voulu m’amuser un peu.
— Je ne pense pas que bousiller la carrière des autres soit très amusant. Ecoutez, j’aime mon
travail ici, et je le fais bien, chose que je pense vous avoir prouvée. Mais apparemment ce n’est pas
suffisant.
— Il vous a renvoyé ?
— Non. Je vous l’ai dit, je m’en vais. Pourquoi n’y retournez-vous pas ? Si vous arrivez à
arranger les choses avec Rich, je pourrai peut-être vous pardonner.
Elle se leva, vint se placer devant lui, se souleva sur la pointe des pieds et lui embrassa la joue.
— Vous êtes un homme bien, murmura-t-elle. Vous l’a-t-on jamais dit ?
— Oui, affirma-t-il en se rappelant les paroles de Greta.
Et, pour la première fois de sa vie, il crut que c’était vrai.

* * *

Nerveuse, Greta regagna son bureau après son entretien avec Rich Johnson. Alex avait quitté les
lieux avant elle, et Rich lui avait ordonné de reprendre le travail sans autre commentaire.
Elle vit l’adorable vase et les roses-thé près de son ordinateur. Alex. Quelle délicate
attention… Il fallait qu’elle le trouve tout de suite. Tout cela était ridicule. Il avait travaillé dur des
années durant pour en arriver là, et il voudrait jeter tout cela aux orties à cause d’un seul week-end
passé ensemble ? Jamais elle ne le permettrait !
Elle se rendit à la réception.
— Depuis combien de temps Thea Michaels est-elle partie ? demanda-t-elle à Emily.
— Deux bonnes heures, je dirais. Ensuite, c’est Alex qui est parti, et Rich l’a rattrapé devant
l’ascenseur, et ils sont descendus ensemble. Que s’est-il passé ? lui répondit la réceptionniste.
— Rien, rien.
— Est-ce que ça vous concerne, Alex et toi ?
— Tu es au courant ?
— Tout le monde l’est.
— Mais comment est-ce que ça s’est su aussi vite ? s’étonna Greta.
— Quoi donc ?
— Mais de quoi parlais-tu, au juste ? reprit Greta, interloquée.
— Le truc qu’il y a entre Alex et toi. Votre amitié. C’est un leurre, tout le monde le sait. Et on se
demande tous quand vous allez finalement l’admettre, vous deux. C’est évident que vous êtes
amoureux l’un de l’autre.
— Ah oui ?
Emily se mit à rire.
— Cette façon que vous avez de flirter, de vous chamailler et de recommencer à flirter. Toutes
les filles et moi, on attend que le mur s’écroule.
— Euh, il s’est écroulé, et bien, admit Greta. Et maintenant Alex veut démissionner pour que je
garde mon emploi. Je pense qu’on devrait redevenir de simples amis, mais lui il veut continuer ce
qu’on a commencé.
— Tu ne peux plus reculer, lui dit Emily avant de se pencher vers elle. Est-il aussi bon au lit
qu’on le prétend ?
— Alors là, ne compte pas sur moi pour te le dire ! rétorqua Greta en agitant un doigt.
— En parlant du loup, regarde qui arrive, reprit Emily, les yeux tournés vers la porte vitrée.
Greta fit volte-face et le vit sortir de l’ascenseur. En la voyant, il arbora un immense sourire, et
elle se contracta, encore plus nerveuse. Il avait l’air si content. Comment pouvait-il l’être s’il venait
de démissionner ?
Il passa la porte, vint à elle et lui posa un baiser sur les lèvres.
— Salut, c’est justement toi que je cherchais.
— Où étais-tu ? J’ai essayé plusieurs fois de te joindre.
— J’avais à réfléchir.
— Tu ne peux pas démissionner.
— C’est déjà fait. Et puis, Rich m’a convaincu de rester.
— Il ne va pas te flanquer à la porte ?
— Non. Et toi non plus.
— Mais… et le règlement interne ?
— Eh bien, il semblerait que le règlement ne s’applique qu’à deux personnes célibataires
entretenant une relation au sein de cette entreprise.
Perplexe, Greta jeta un coup d’œil alentour, et découvrit que nombre d’employés s’étaient
rassemblés dans la zone de réception.
— Que veux-tu dire ? chuchota-t-elle.
— Je parle de nous. Toi et moi. Si on n’était pas célibataires, ils ne pourraient pas nous virer.
— Je… je ne comprends plus rien. On est célibataires.
— Oui. Mais ça, on peut y remédier.
Et Greta le vit mettre un genou à terre devant elle. Il lui prit la main et glissa l’autre dans sa
poche.
— On se connaît depuis sept ans et, depuis sept ans, on a été les meilleurs amis du monde. Tu
m’as vu dans mes bons et mes mauvais moments et, quoi que j’aie dit ou fait, tu es restée à mes côtés.
Tu es la femme la plus importante de ma vie, et je tiens à ce que cela reste ainsi.
— Relève-toi, tout le monde nous regarde, murmura-t-elle en constatant, affolée, que la foule
s’était rapprochée pour entendre ce qu’ils disaient.
— Tant mieux, parce que je tiens à ce que tout le monde sache ce que j’éprouve pour toi, dit-il
en se retournant vers leurs collègues. J’aime Greta Adler, et je suis sûr qu’elle m’aime aussi. Est-ce
que ça pose un problème à quelqu’un ? hurla-t-il à la cantonade.
— Non ! rugit la foule en riant et en applaudissant.
— Puisque nous avons leur approbation, je vais continuer, Greta, reprit-il en lui refaisant face.
Greta, je t’aime, et je veux passer ma vie avec toi. Acceptes-tu de m’épouser ?
— Tu es fou, ou quoi ? fit-elle.
— Oui, je suis fou, fou d’amour pour toi. Que dis-tu ? Ne perdons plus de temps, répondit-il en
sortant de sa poche un écrin de velours. Je ne suis pas certain qu’elle te plaise, mais le bijoutier est
d’accord pour un échange.
Il ouvrit l’écrin, et une bague en diamant étincela.
Souffle coupé, Greta le vit la sortir et la lui présenter devant l’annulaire.
— Dis oui, la pressa-t-il. Je te promets de te rendre heureuse.
L’esprit en ébullition, le cœur en émoi, elle ne put retenir un ultime doute.
— Fais-tu ça juste pour que nous gardions nos emplois ?
— Non ! Je fais ça parce que je ne peux imaginer vivre un jour de plus sans toi.
— Dis oui, lui souffla Emily.
— Dis oui, répéta la foule en chœur.
— Je t’aime, dit-elle, et… Oui, oui, oui !
Des vivats, des rires et des applaudissements s’élevèrent alors qu’Alex se remettait sur pied
pour lui passer la bague au doigt et l’embrasser passionnément.
— Que se passe-t-il donc ici ? tonna la voix de Rich Johnson, et les employés s’écartèrent à la
vitesse de la lumière.
— Elle a dit oui ! lui apprit Alex avec un sourire radieux.
— Eh bien, mon problème est résolu, approuva Rich. Prenez donc votre après-midi, tous les
deux, et on se voit tous les trois demain dans mon bureau pour lancer le projet Sunrise Airlines.
Puis il tourna les talons. Mais, au dernier moment, il se ravisa et ajouta avec un clin d’œil :
— Au fait, vous formez un très joli couple…
Alex lui rendit son clin d’œil et regarda Greta avec amour, elle dont le sourire illuminait déjà sa
vie.
TITRE ORIGINAL : OFF THE BEATEN PATH

Traduction française : EM M A PAULE


Photo de couverture
Couple : © EM RE OGAN/ROYALTY FREE/ISTOCKPHOTOS
Réalisation graphique couverture : C. ESCARBELT (Harlequin SA)

© 2012, Peggy A. Hoffmann. © 2013, Harlequin S.A.


ISBN 9782280305068

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