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LAgora Recherche... Q Luther Martin La Diéte de Worms Jeudi le 19 janvier 2006 FRANTZ FUNCK-BRENTANO Deuxiéme partie de l'article biographique que consacrait 4 Luther, Frantz Funck-Brentano, dans une édition de 1934 de la Revue de Paris. La diéte de Worms La bulle pontificale Decet romanum pontificem... prononcant l'entrée en activité de l'excommunication formulée contre Luther, fut scellée 4 Rome le 3 janvier 1521. Le clergé allemand ne se rendait pas compte de la gravité des événements. Aujourd‘hui on en exprime de la surprise; mais il faut se mettre dans la situation et les idées de l'époque. Qui pouvait alors prévoir que la protestation d'un moine augustin changerait les destinées de | Eglise, celles méme de 1 Europe? La bulle Decet romanum... ne parvint entre les mains du nonce en Allemagne, Aléandre, que le 10 février. Vers le milieu de janvier, Luther publiait son Assertio omnium romeo bs ign loin de se rétracter, lauteur y renouvelait ses affirmations concernant fés quarante et une propositions que la Cour de Rome avait condamnées. Le livre eut, presque simultanément, deux éditions, l'une en latin, l'autre en allemand. En la préface de l'édition allemande, notre Augustin se donne hardiment comme un prophéte divin, et comme le seul de son temps «car Dieu ne suscite jamais qu'un prophéte en une méme époque». Il affirme 4 nouveau, confirme, prononce d'une maniére plus tranchante encore que par le p: , les points essentiels de sa doctrine: la justification par la foi seule, la négation du libre arbitre, tout s‘opérant sur terre par la volonté de Dieu; la Bible enfin, ancien et nouveau Testament, unique source de la vérité teligieuse. Ce dernier point, nul de ses contradicteurs ne le contestait; mais le réformateur parlait de la Bible comme lui l'entendait, ce qui revenait a dire que l'unique source de la vérité religieuse était la pensée de Luther. Inutile d'ajouter que ce n était pas ainsi que Luther le comprenait: il était convaincu que sa pensée religieuse était celle de Dieu méme, il lui semblait donc impossible que la Bible, telle qu'il la «voyait», ne fiit pas la vérité. Cet état d'esprit évidemment, dans notre pensée moderne, ruine tout le systéme luthérien, mais il fut pour la Réforme, a son origine, un élément de force et d'énergie incomparable. Cependant la diéte d'Empire (Reichstag) était réunie 4 Worms sous la présidence de l'Empereur. Elle avait 4 s‘occuper de questions religieuses. Le 13 février, mercredi des Cendres, le nonce Aléandre y fit donner lecture du bref pontifical qui excommuniait définitivement Luther et prononca ensuite un discours qui dura trois heures. I] insistait sur ce point que Luther ressuscitait I'hérésie de Jean Huss, mais, contrairement a son opinion, la diéte décida qu'elle entendrait le Frére augustin, afin que le pouvoir séculier, le pouvoir impérial, ne joignit pas son action a celle de l'autorité religieuse sans que l'accusé ait pu, devant lui, se justifier. «Luther, répondait Charles-Quint au représentant du Souverain Pontife, a déja agi si fortement sur l'esprit du peuple allemand que son arrestation sans autre forme de procés, risquerait de provoquer, non seulement une agitation regrettable, mais jusqu'a des crimes et des émeutes.» Le réformateur, pressenti par I'Electeur de Saxe, disait de son coté: ' viene puts me vende Gora « je my era — Si je ne puis me rendre 4 Worms en bonne santé, je m’y ferai transporter malade, car si l'empereur m'appelle, je ne doute pas que ce ne soit I'appel de Dieu. Il était en proie a la plus vive agitation: — Hercule n'eut 4 lutter que contre une seule hydre; je dois en abattre dix. Son ami Spalatin qui, depuis l'éloignement de Staupitz, avait sur lui grande influence, ne parvenait pas a le calmer. II répond 4 ses contradicteurs par des répliques violentes et grossiéres. A son ami Pellican, qui veillait avec soin sur l'impression de ses livres a Bale, il écrivait: «Avec raison tu me conseilles de me montrer plus modéré. J'en sens moi-méme le besoin; mais je ne suis pas maitre de moi. Je ne sais quel esprit m'entraine. Dans les moments ov je me ressaisis, je désire ne rien prendre en mauvaise part de personne; mais c'est eux qui me poussent avec une telle furie que je ne me garde plus suffisamment contre Satan.» A Frédéric le Sage, il écrit en termes semblables; puis, le 1° mars 1521: «Mes adversaires me reprochent de me mettre en avant avec la prétention d’étre seul Ainstruire le monde. C'est eux qui me font sortir du rang. Et s'il était vrai que je me portasse en avant de mon propre mouvement, encore seraient-ils sans excuse. Sont-ils bien certains que je ne sois pas poussé par Dieu? Qu'ils craignent de mépriser Dieu en me méprisant!» (dass sie nicht Gott in mich verachten). Et plus loin: «Dans le cas méme ot je ne serais pas un prophete, je suis du moins certain que la parole de Dieu est en moi!» II n'est évidemment pas possible de discuter ni de parvenir 4 un accord quelconque avec un théologien tourné de cette facon-| Le 6 mars 1521, Luther a citation de Charles-Quint 4 comparaitre devant la diéte 4 Worms. II serait muni d'un sauf-conduit; un héraut d'armes serait désigné pour l'accompagner. II convient de noter que la diéte elle-méme formulait bien des griefs contre la politique pontificale. Le duc Georges de Saxe, trés hostile au réformateur, déclarait qu'on ne pouvait continuer de tolérer en Allemagne I'exploitation des bénéfices et revenus ecclésiastiques par la Cour de Rome, ni le trafic des indulgences, ni l'incessante immixtion de la Curie dans des affaires particuliéres au clergé allemand; cependant que le supérieur des Augustins de Wittenberg retombait dans ses troubles de conscience, ses craintes, ses angoisses; puis, parvenant a se secouer un peu, les attribuait en bloc aux attaques de Satan, et se décidait 4 se débarrasser des pratiques monacales qui lui avaient été si pénibles 4 supporter: il cesse de lire son bréviaire. «Par les lois mémes de mon ordre et celles de la Cour de Rome, la bulle d'excommunication m'a dégagé de mes obligations monastiques; je continuerai cependant 4 demeurer dans mon couvent et a porter I'habit religieux.» Au moment oi il allait partir pour Worms, Spalatin fit parvenir a Luther la liste de celles de ses propositions qu'on lui demanderait de rétracter. «Sois bien assuré, lui répondit Luther, que je ne rétracterai rien du tout; car je vois @ présent clairement qu'ils n’ont d'autre argument a m’opposer que la doctrine coutumieére et les traditions de leur Eglise. Le réformateur se mit en route accompagné, non seulement du héraut impérial Gaspar Sturm dit Allemagne, (Deutschland), mais d'un officier chargé par 1 Electeur de Saxe de veiller sur sa personne. I] quitta Wittenberg le 2 avril 1521 (mardi de Paques). Luniversité avait mis a sa disposition une voiture attelée de trois chevaux. C’était une de ces petites voitures ouvertes nommées Rollwagelein, surmontées d'une maniére de dais pour abriter du soleil et de la pluie. Le héraut d'armes chevauchait en avant dans sa tunique armoriée, décorée de l'aigle impériale. Luther était assis dans la voiture avec son dévoué collégue Amsdorf et un jeune étudiant, accompagné d'un Frére augustin, conformément aux régles de l'ordre que le réformateur n'avait pas encore officiellement quitté. Le voyage fut triomphal. Le réformateur était accueilli par des acclamations dans lesjogalités ou il passait. A Erfurt il fit devant un auditoire, pressé dans ROS harengs en caque, un sermon sur la voie du salut que le Saint-Esprit lui avait révélé — le salut par la seule justification divine — aprés avoir déclaré en passant que le «dieu Aristote» était ennemi de Dieu. Les galeries de l'église étaient surchargées. Tout a coup un terrible craquement: la foule, prise de panique, s'apprétait, par les fenétres, a sauter dans le cimetiére dont l'église était entourée, quand, d'une voix forte, Luther apostropha le diable, lui enjoignant de se tenir tranquille. Le calme se rétablit. «Ce fut le premier miracle, écrit un contemporain, accompli par cet homme de Dieu.» Cependant a Gotha le diable devait refaire des siennes en langant une pierre du haut du pignon de I'église pendant que «l'homme de Dieu» préchait; mais, comprenant sans doute la vanité de ses espiégleries, il n'insista pas. A Leipzig, a Naumburg, les conseils de ville offrirent un vin d'honneur au champion des idées nouvelles; les podtes saluaient en lui le «messager de la parole divine»; les dames lui baisaient les mains et lui envoyaient du malvoisie. Durant tout le trajet, le réformateur souffrit cruellement des maux dont il était atteint: «C'est le diable, écrit-il 4 Spalatin, qui veut m'empécher d'arriver & Worms.» Cependant le diable ne l'empéchait pas de faire bonne et joyeuse chére dans les auberges od il s'arrétait, voire de charmer les assistants en faisant valoir son talent sur la harpe, tout en vidant chopine, «jouant comme un Orphée, écrit son adversaire Cochlaus, un Orphée tondu et encapuchonné.» A Francfort, lui parvint encore une mise en garde de Spalatin qui lui rappelait le supplice de Jean Huss, bralé vif en des circonstances semblables, nonobstant le sauf-conduit qui aurait du le protéger. Luther apprit en méme temps que l'Empereur avait publié un édit ordonnant de livrer au feu tous les livres écrits par lui. «Continuerons-nous notre route?» demandait le héraut impérial. Luther n‘hésitait pas. «J'irai a Worms, répond-il 4 Spalatin, dussé-je y trouver autant de diables qu'il y a de tuiles sur les toits!» Peu de temps avant sa mort, il parlera encore de ces moments critiques de sa vie: LAgora —J’étais sans peur ni cnn Ge je me demande si je suis encore aussi joyeux que je l’étais en ces circonstances. Dans la matinée du 16 avril 1521, du haut de la tour cathédrale de Worms le guetteur, au son de sa trompe, annongait ‘entrée du réformateur. Une troupe de cent cavaliers lui faisait cortége. «A peine eut-il mis pied a terre, écrit le nonce Aléandre, qu'il promena sur le peuple accouru, ses yeux diaboliques.» Les bras levés, il répétait: — Dieu est avec moi! Il était dans le froc noir des Augustins; la taille nouée d'une ceinture de cuir. Ses yeux profonds brillaient d'un éclat surprenant. Son attitude était fiére, assurée; ses adversaires disent

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