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L’orchestre chair
Alfred Anchetain
Béryl Serizy

– Bonjour, Docteur Anchetain. Cela me fait plaisir de vous revoir. Vous avez l’air très en
forme aujourd’hui. Pourquoi souriez-vous ?

– Ma recherche sur la femme qui retire sa petite culotte en public est maintenant terminée.
Je n’ai plus qu’à écrire mon rapport final.

– Des filles ont accepté de se déshabiller devant vous ?


– Elles ont été un peu vite à mon goût, mais j’ai bien vu.

– Vous avez senti chez elles le grand frisson ? Comme vous sur la plage grecque ?
– Elles s’étaient entraînées, mais la tâche restait difficile, surtout le faire devant des hommes.
Leur gêne, très visible, leur hâte à en finir, je l’ai trouvée charmante.
– Vous êtes un gros voyeur !

– Moi, pas du tout ? Me déshabiller en public, je l’ai fait avant elles. C’est un défi, une
victoire sur soi-même. Dépasser sa pudeur, ses propres limites.

– Vous avez vraiment tout regardé ? Les seins, les fesses ? Leur petite fourrure ? … Est-ce
qu’elles en avaient une, au moins ? Ou rasées de près ?

– Probablement épilées. En bas, elles étaient toutes pareilles. J’aurais aimé plus de variété.
Très noirs, dense. Des poils, à peine sur le côté. Travail propre, au final.
– Les filles ? Minces ? Jolies ?

– Toutes jeunes, agréables à regarder.


– Vous avez été dans une boite de striptease ?

– Jamais de la vie. Je voulais du naturel, pas de contorsions bêtasses, ces mouvements de


croupes qui font chiennes en chaleur ! Non, de la classe. Quand le rideau s’est levé, elles étaient
toutes en rang. Robe noire descendant très bas. Collants noirs, chaussures noires. Elles sont
venues se déshabiller au-devant de la scène, l’une après l’autre. Du travail, de l’ordre de la
méthode, de la concision, du style !
– Un vrai remède-à-l’amour. Vous avez bâillé combien de fois ?

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– Jamais. On était tous des experts. Pas là pour rigoler. La pureté du geste. Sobre, réduit à
l’essentiel. Du vrai, authentique, pur. À l’ancienne.
– J’aurais aimé voir ça. Je serais sortie dans les deux minutes ! Des filles, raides, qui enlèvent
une petite culotte, dans le silence, sans lumières de couleur ni scintillantes ? Vous aviez des
tubes néon au plafond ? Histoire d’être vraiment glauque !

– Vous auriez dû venir. Un spectacle original, nouveau, très actuel, nouvelles tendances.
Assez prenant, et même haletant. Plein de suspens, de mystères. Imaginez, des femmes jeunes,
brunes, noires comme des zombies quand elles arrivent. Jolis seins qui pointent en avant, fesses
dodues, quand elles regagnent leur place. On découvre la nature humaine, une surprise renou-
velée, une joie sincère. Un retour aux fondamentaux.
– Le culte du slip de femme. Vous me rappelez Sartre, Schopenhauer, ou encore Bergmann.
La déprime érigée en valeur absolue. Il faut sortir un peu, Docteur. Rire. Là, vous courrez au
cimetière. Tout droit.

– Non, Béryl. Personne ne riait, je l’admets. Mais on n’était pas tristes. Du respect. Les filles,
à l’appel de leur nom, se placent devant nous, vous saluent bien bas, on applaudit très fort. Pour
les encourager. Elles retirent tout ce qu’elles ont sur elles : robe, sous-vêt. Elles ne cachent rien
de leur jeune anatomie. Elles saluent à nouveau. On applaudit à cette belle prestation. Une autre
arrive. Pas de temps perdu. Excellente organisation…
– Moi, à la seconde fille, vous ne me voyez plus. Aucun intérêt. Venez chez moi. Spectacle
privatif. Vous vous mettez où vous voulez. Tout contre, si vous avez des problèmes de vue.
– Non, Béryl, je vous l’ai dit. Il me faut le frisson, la crainte. À moins d’être grande actrice,
vous ne pourrez pas.
– C’est ça ! Gros cochon ! Dites-moi. Au moins… vous avez eu…

– Une réaction inadaptée ? Pensez-vous ! Pas davantage qu’avec la Vénus de Milo. De l’art
brut. Du zen initiatique. Ambiance religieuse.

– Docteur Anchetain, réveillez-moi ! Vous aviez fumé ? Pris de la blanche ? Un homme


comme vous, que je croyais intelligent, vouer à la petite culotte une telle… dévotion ! Vous
allez très mal.
– J’attendais ce moment, dans une sorte de désespoir, pensant que je ne le verrai jamais.
Échecs répétés en Grèce puis deux fois au Musée Maillol, sans rien voir. Toutes ces femmes,
nues avant que j’aie pu tourner la tête. Mystère complet. Là, enfin, j’ai vu ! Quand enfin ça
arrive, on bénit le Ciel.
– Qu’il arrive quoi, au juste ?
– Je ne demandais pas l’impossible : une femme qui, sans chichi aucun, retire toutes ses
affaires, une à une, dans le bon ordre, jusqu’à ne plus rien avoir sur la peau. Je voulais du

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sérieux, une compétence. Attitude impassible, visage neutre. Pire qu’une notaire de province.
Du vrai de vrai.
– Je le fais toujours sans sourire. Je pousse le mâle dans ses retranchements. Importance de
la situation. La femme qui ne se donne pas, ne se livre pas. Une forteresse à vaincre. Si l’homme
en a les moyens.

– Je vous connais trop. Si vous faites ça devant moi, je ne vous croirai pas.
– Vous savez combien je coûte ? Pour me voir toute nue ? Je vous le fais cadeau, si vous
n’attendez pas trop…
– Je le sais…

– Je ne vous comprends pas. Je vous l’ai proposé plus d’une fois. Niet de votre part. Une
autre le fait, vous êtes en extase. Vous avez perdu un temps précieux. Si j’avais été l’INSERM,
j’aurais coupé vos crédits !
– Non, l’Institut n’a jamais financé ce projet. Cela fait partie de mes 20 % de travail libre.
Vous pensez bien…
– Au moins vous êtes honnête… Donc, je résume. Une fille retire sa culotte, là. Une autre
vient, idem, une troisième… Vous n’avez pas eu l’impression… que les choses se répètent. Une
sensation d’ennui. Le fétichisme, ça se soigne ! On vous enverrait à l’HP pour moins que ça !

– Pas du tout, Béryl, un renouveau constant. Comme le Boléro de Ravel, la même mélodie
revient, sans lasser car ce n’est jamais vraiment pareil. Ici, les gestes, les attitudes, l’émotion
sous-jacente, les sous-vêtements, tout différait de l’une à l’autre.
– Bien sûr, des filles, il y a des minces, des plus rondes. Grandes et petites, jeunes ou moins…
Jolies ou limite.
– Non, elles étaient toutes presque de la même taille, brunes, cheveux courts ou noués. Vingt
ans, minces, fesses menues, poitrines plutôt petites, tétons bien sortis. Des post-ados.
– Comme au Crazy : 1,72-90-60-85. Le même numéro de téléphone ! Artificiel en diable.
Modèle Barbie. Si on sort du stéréotype, vous fuyez. Docteur, rassurez-moi ! Vous n’êtes pas
comme ça !

– Non, Béryl, pas du tout. Je ne connais même pas vos mensurations.


– Je vous les montre si vous êtes très gentil… Mais, dites-moi, vos collègues, ça devait jaser.
Ambiance salle de garde de médecine. Graveleux, chaos…
– Rien du tout. Nous étions attentifs, très attentifs. Aucune quinte de toux. On aurait joué du
Mozart ou du Beethoven, on aurait fait plus de bruit… Là, rien. Mieux qu’une messe avec le
pape !
–Vous étiez nombreux ?

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– Environ 300. Que des hommes. Tous en noir, ou presque.

– Une confrérie de vicieux ? Une société secrète ?


– Non, un concert de musique classique, joué par des filles nues.

– Il était bon, ce concert ?


– Assez nul, style fanfare de village. À écorcher mes oreilles affutées. On n’était pas vrai-
ment là pour ça.
– Il n’y avait que des hommes ? Ça ne m’étonne pas. Nous, les femmes, on n’aurait pas
supporté.
– Essayez, Béryl, de dépasser vos préjugés bourgeois. À Maillol, j’ai découvert une chose
importante : une femme ne sait pas se déshabiller correctement. Elle traîne ça toute sa vie. Un
handicap à l’origine de beaucoup de divorces ou de séparations…

– Je connais des filles qui savent y faire. Elles ont divorcé très jeunes.
– Un autre homme les a vues. C’est le risque… Mais, vous, Béryl, qui avez de l’expérience,
essayez de me comprendre : une femme, le moment où baisse son slip, elle se révèle. Elle dit
sa nature profonde. Quand elle est nue, c’est fini. On n’a plus que son physique en face de soi,
on a manqué ce qu’elle a dans la tête. Il y a, dans l’effeuillage, un discours, muet. Aucune
langue ne peut le traduire. Pour nous, le metteur en scène l’avait compris. Il savait tenir son
public, le garder sous pression. Chaque geste compte. Venir vers nous, sans précipitation. Sans
trop d’assurance non plus. Jouer la naïve, feindre la première fois. Elle hésite pour le collant.
Elle s’y reprend à deux fois, avec la robe. Les bretelles de sout’ expriment beaucoup, elles
sautent à la moindre occasion. On les remet sur l’épaule d’un geste discret, l’air de ne pas y
toucher. Les bonnets qui basculent et libèrent les tétons, c’est la coquille qui révèle la Vénus de
Botticelli. La culotte qu’on descend le long des jambes, sans trop se presser… On lève les pieds,
l’une après l’autre, écartant un chouia les cuisses, ouvrant sur le Mystère. On donne ses vête-
ments à une assistante. On part, dans l’état où le Bon Dieu vous a fait, le premier jour.

– Vous êtes lyrique ! Ça vous a remué !


– Je résume, je résume… Les filles ne font pas toutes bien. C’est l’intérêt du spectacle, qui
le rend très prenant. Il n’y a pas de domaine où l’interaction actrice-spectateur soit si grande,
avec très peu de moyens.

– Une mise de fonds assez réduite. Je vais dire ça aux copines. Pour se faire de l’argent de
poche.

– Le risque est limité. Si vous êtes équilibriste ou vous faites de la prestidigitation, il vous
faut des mois, des années pour avoir un numéro qui tienne la route. Il suscitera de l’émotion,
certes, mais pas à la mesure de votre effort ou de votre compétence. Baisser sa culotte pour une
femme ne nécessite pas une grande adresse. Si elle perd l’équilibre en étant sur une jambe, elle

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ne tombe pas de bien haut. Un peu d’entraînement pour avoir un jeu plus subtil. Du courage
pour le défi. À la portée de beaucoup de femmes. Le spectateur, lui, il vibre. La moindre mala-
dresse a un grand retentissement.

– J’en parle à mes amies. On prépare un numéro original. Vous êtes notre impresario. Vous
louez la salle pour nous ? Pensez aux assurances contre les chutes et les infarcts.

– Vous, travaillez le timing, ni trop vif ni trop lent. Ce que vous faites à Paris, chez Anaïs,
avec vos clients, transposé pour un vaste public. Pas de pudeur déplacée, comme à Maillol.
Laurent Luft, l’organisateur, m’avait prévenu : absence de savoir-faire ; les femmes se ca-
chaient, elles avaient bien raison.

– Votre truc, c’était des professionnelles ?


– Non. Quand une fille est à l’aise, qu’elle vous regarde bien droit, en souriant, aucun intérêt.
Elle vous domine, elle vous mène par le bout du nez. Un rapport de force. Si elle a une jolie
poitrine et de belles fesses, elle suscite du désir, mais elle a tout manqué. Au Crazy Horse on
fait beaucoup mieux. Pour que cela vous prenne aux tripes, il n’avoir supprimer toute distrac-
tion. Dans mon spectacle, il n’y avait rien. Fond uni. Aucun effet ni ornement, pas le moindre
où accrocher le regard.
– Bravo ! On fait ça à froid. On retire tout, comme en prison, quand on vient d’arriver. Fille
morte de trouille et vous, face à elle, vous prenez votre pied. Si elle sourit, out. Vidée. On passe
à la suivante. C’est du joli !

– J’ai bien aimé celle qui a eu beaucoup de problèmes. Elle commence par saluer. Elle s’in-
cline très bas, comme dans un concert. Applaudissements. Elle lève bien sa robe, pour retirer
son collant, mais elle a oublié ses chaussures. Elle lâche la robe et recommence au début. Elle
dénoue le gros nœud qu’elle a autour du cou, façon boite à bonbons. Elle le pose par terre,
revient au collant. Comme toutes les autres, elle le retire en étant debout, en appui sur une
jambe. Bon équilibre. Mais les problèmes commencent. Sa robe se retire par le bas, contraire-
ment aux autres. Elle veut dégager son épaule, mais la bretelle de son sout’ part avec. Elle la
remet en place. Trop lâche, ça recommence. Elle la remet et passe à l’autre épaule. Même pro-
blème. On est tous angoissés, à prier qu’elle s’en sorte. Elle ne va pas bien, interroge du regard
ses copines. Monte en elle la panique. On est tous tendus. Aucun bruit, aucun murmure. Elle
descend sa robe. La bretelle du sout’ se refait la malle. Elle replace. Enfin elle est en sous-vêt.
On respire ! On ne l’attendait plus. Elle dégrafe le sout’ sans le tourner. De l’entraînement, elle
en a. Mais, les bonnets, en se détachant, révèlent sa poitrine. Trop tôt. Elle cache ses seins avec
son bras. Très bourgeoise effarouchée. Elle se ravise et nous la montre. Jolie poitrine, très fille
de bon milieu. Aucun tatouage, bien entendu. On passe à la culotte. Elle fait vite. Très vite.
Hâte d’en finir, de tout quitter. Elle s’incline très bas, religieusement. Applaudissements nour-
ris. Un grand moment d’émotion.

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– Des violeurs en puissance ! Je vais vous dénoncer. Un spectacle à interdire !

– On a beaucoup aimé sa prestation. De la sincérité. Tact et mesure. La fille quitte le devant


de la scène. Celle qui prend les vêtements lui barre la route. Surprise, elle s’incline face à elle.
Elle ne sait plus où elle en est. Paumée. Sourire crispé. Prête à pleurer. Revenue à sa place, elle
ne voit pas où mettre ses bras. Cacher son sexe ? Ses seins ? Elle regarde les autres filles, elle
les laisse tomber le long du corps. La suivante est déjà en place…
– Je vous vois tous, langue pendante, raides du bas ! Limite masturb’.

– Non, Béryl. On ne se réjouit pas du malheur des autres. Nous ne sommes pas bien non
plus. Pensez donc : si une autre fille avait dû venir la déshabiller, face au public, vous imagi-
nez ? Ça aurait fait viol. La honte !
– Vous avez senti le frisson avec elle ?

– Pas du tout. De l’angoisse, oui. Qui a effacé tout le reste.


– C’était une grande actrice. Qui a très bien joué son rôle.

– À ce niveau, il faut davantage que de la compétence. Une seconde nature. Ou la première !


– Vos filles, elles ont toutes ont eu les mêmes problèmes ?

– Non, rien. Les autres, c’est passé tout seul… Les deux premières n’avaient pas de sout’.
On a été très déçu. Prestation bâclée. Celle qui a commencé était visiblement une pro, ravie de
ses mensurations attrayantes. Elle a regardé le public, bien droite. Air moqueur. On m’a dit
qu’elle faisait du porno.

– Nulle pour votre recherche.


– Quand vous avez une fille comme ça, en tant que chercheur, vous vous dites : « Qu’est-
ce que j’en fais ? Je la sors du groupe expérimental ? Mais j’en ai déjà très peu. Je lui rajoute
un sout’ dans mon rapport ? » On est parfois obligé de truander. Heureusement, elles n’étaient
que deux.
– Vous avez eu de la variété, je vois. Je vois…

– J’ai aussi beaucoup aimé une autre fille. Grosses lunettes, style intello. Visage impassible.
Le sens du devoir. Un (très) mauvais moment à passer. Quand elle marche, sa robe flotte. Arrivé
devant, elle s’incline. Elle a déjà descendu la fermeture éclair de sa robe presque jusqu’en bas
du dos. Ses chaussures n’ont pas d’attache, elle les retire dans l’instant. Trop vite. Elle descend
son collant. Bien, mais elle tire à peine sur la fermeture de sa robe que celle-ci descend. Aucune
attente, pas le temps de se préparer. Heureusement, jolis sous-vêtements fleuris. Petit ventre
rebondi. Du relâchement. Elle n’avait pas la finesse des précédentes.
– Plus naturelle aussi…

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– Une fille première de classe, qui ne plaisante pas. Du sérieux. Parfait sur la méthode… Un
peu rapide. Je ne lui donnerai pas la meilleure note. Trop technique, pas assez de sentiment.
Elle dégrafe son sout’, qui tombe. Elle le retient à peine et le pose à terre. On est pris de court.
Heureusement, pour la culotte, elle s’est bien rattrapée. Beau geste des mains. Elle glisse ses
deux paumes derrière ses fesses, entre peau et culotte, pour éviter que ça accroche. Elle revient
devant, une main cachant son sexe, pour ne pas tirer sur ses poils. Gestes précis, méticuleux,
efficaces. Elle fait glisser sa culotte, visage impassible, sinistre, de la fille qui remplit une obli-
gation. Elle se tourne sur elle-même, par contrainte, pour ne pas se singulariser. On sent que ça
lui pèse. Pourtant, elle était bien. Seins fermes, pointant en avant. La fille revient à sa place.
Toujours mine figée.
– Un drame personnel.

– On ne l’obligeait pas à venir. Chez elle, un défi. Elle visait l’excellence. Elle avait tout
préparé dans le détail. Baisser sa fermeture dans le dos, elle ne voulait pas demander de l’aide,
ni se contorsionner. Elle avait tout testé à la maison. Gestes impeccables, mais sans originalité
ni fantaisie. Académique, conforme, standard.

– Vous aviez là un retrait-type de culotte. Une référence scientifique. Un modèle. Une règle.
– Non, Béryl, une exception. Si toutes les femmes se déshabillaient comme elle, il y a de
quoi se pendre. La vie ne vaut plus le coup d’être vécue.
– Avant la corde, passez-moi un coup de fil. Je viens avec deux-trois copines. Je ne veux pas
vous perdre !
– Merci Béryl, vous êtes une mère pour moi.

– N’en faites pas trop, Docteur Anchetain… Vous aviez un chrono ?


– Non, ça m’aurait distrait. Avec cette fille, côté timing et méthode, je tenais le centre de la
courbe de Gauss. Pas côté émotion, là zéro de conduite, archinulle.
– Il en faut comme ça, pour rendre les autres attrayantes.

– J’ai bien aimé ses fesses, assez rondes. Ça changeait des postérieurs androgynes.
– Une aimable ampleur, féminine. Bonne pour avoir des gosses ! Dites-moi, Docteur, vous
en avez eu combien, de filles, au total ?
– On en avait prévu 20. On en a eu 16. Une a craqué en cours de route. Trois ont été retoquées
pour faible qualité musicale.
– Seize ? Vous aviez de quoi faire !

– Enfin 15 plus une, la cheffe, celle qui dirigeait l’orchestre. Visage très banal, pas de ma-
quillage. Du sauvage, du tout cru.
– Vous vouliez du naturel ! Ne vous plaigniez pas !

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– À ce niveau, elle poussait un peu. Sûr, pas une actrice porno. On la sentait très gênée. Elle
aurait voulu éviter ça, se déshabiller en public. Ses filles l’avaient fait avant. Jouer la timide,
ç’aurait fait tache. Manque de civilité. Pour elle, c’était plus difficile. Elle n’était pas habillée
pareil. Elle avait un costume trois pièces, veste queue de pie, noire, gilet blanc, pantalon noir.
Beaucoup plus de choses à retirer. Avec un micro dont elle ne savait que faire. Elle le pose par
terre, ouvre sa veste, la plie soigneusement, se baisse, va chercher le micro dans un beau dé-
hanchement, elle le remet sur sa veste. Souple, la fille. Elle retire le gilet, visage de marbre.
Pourquoi ?, me demanderez-vous. Jusqu’à présent, elle n’a eu aucune difficulté. Mais le drame
surgit. Elle porte une sorte de large ceinturon, très cintrée. Elle l’ouvre, erreur funeste. Son
pantalon ne tient plus et tombe. Elle le remonte et le tient d’une main. Elle a oublié les chaus-
sures, qu’elle a toujours. Elle les retire, en se contorsionnant. Pas facile d’une main, avec l’autre
bras retenant le pantalon. Confusion, désordre. Elle fait descendre son pantalon avec une cer-
taine hâte. Elle ouvre son tour de cou, qu’elle pose par terre. Commence à déboutonner sa che-
mise… Elle a oublié son collant. Elle arrête avec la chemise, descend le collant… Mais, chose
qu’elle n’aurait pas dû, elle emmène la culotte avec et se retrouve fesses nues. Heureusement,
son sexe est caché par le pan de sa chemise. Elle revient aux boutons, ouvre la chemise, nous
révélant un fort joli soutien-gorge de dentelle blanche. Problème, elle n’a déjà plus de culotte.
Elle a tout fait à l’envers. Elle retire vite le sout’. On sent l’angoisse. Petits seins, pas trop mal
faits. Elle est nue. Elle se tourne, comme les autres filles, pour qu’on voie bien sa croupe. Visage
à faire pleurer. Elle salue, très profondément. On est content pour elle, elle a rempli son devoir,
mis un point final à l’effeuillage des 16 filles. Elles s’inclinent toutes ensemble, longtemps,
respectueusement, nues comme Eve en Paradis. Une belle prestation, au final. Quand elle se
redresse, elle se gratte le nez. Nerveuse, pour sûr… Le concert commence.

– Vous avez vu tout ce que vous vouliez !


– Déçu que ça ait duré si peu. À peine plus d’une demi-heure, pour une expérience unique,
non reproductible. Dommage.
– Le plan scientifique : le retrait de culotte féminine en conditions standardisées, quelle con-
clusion ?
– Ce que j’avais déjà subodoré. Habillées, les filles sont à l’aise, comme nous tous. Un peu
inquiète sans doute de ce qu’elles devront faire… Nues, grâce à leur entraînement, naturelles
en diable. Mais, entre deux, un moment critique, de grande instabilité. Difficile pour elles. De-
vant ces 300 messieurs en costume noir. Juges de leurs moindres défauts. Un défi. Elles avaient
elles avaient un peu honte d’être là, d’avoir accepté de se déshabiller comme des putes. Passez-
moi l’expression.

– Elles l’avaient choisi.


– Jouer nues. Oui, certainement. Mais de se déshabiller devant tout le monde, elles ont avoué
que ça les avait gênées.

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– Vous les croyez ? À leur place, j’aurais été ravie de faire baver – ou davantage – 300
bonnes gens qui ont payé très cher pour voir ma croupe et mes nénés.
– Oui, mais je reste toujours face au même problème : le déshabillage. Pourquoi cette
crainte ? Réponse ? C’est culturel. On se déshabille dans sa salle de bains, ou au vestiaire, pas
devant tout le monde. Seules les putes, les stripteaseuses, ou les actrices pornos se montrent au
grand jour.
– Vous étiez venus pour ça, et elles aussi.

– Oui, j’ai vu : elles se déshabillaient normalement, comme elles font chez elles. Elles mon-
traient ce qu’on ne voit que par le trou de la serrure.

– Vous n’avez pas le sentiment d’une forme de prostitution, de filles qui offrent leur corps à
la vue des hommes.

– Pas du tout. Une femme, dès lors qu’elle est en sécurité, qu’on ne lui sautera pas dessus,
peut se dévêtir sans problème. Au contraire, elle profite de ses attraits. On l’admire.

– Elles faisaient ça pour gagner leur vie ?


– Non, c’était des filles qui cherchaient une expérience originale, de groupe, entre copines,
toutes du même âge, une vingtaine d’années. Qui voulaient s’offrir des regards d’hommes en
chaleur.

– Mais, dites-moi, Docteur Anchetain, ça s’est passé où, votre affaire. Je n’en ai pas entendu
parler ?

– Vous ne pouvez pas être au courant de tout.


– Les journaux adorent ce genre de spectacle. Il n’y a pas de jour où l’on ne parle d’une
actrice qui s’est montrée nue, en public, ou avec des vêtements plus que transparents.
– On ne parle pas des sites naturistes. Les filles ont des activités très diverses sans rien sur
elles.
– Ils demandent qu’on se déshabille dans des vestiaires et pas en public.

– À Maillol, on était à 70 dans la même pièce, femmes et hommes à se dévêtir tous ensemble.
La presse en a à peine parlé.

– Une visite dans les principes du naturisme. Vous êtes allé en Allemagne, dans un Eros
Center. C’était des putes, même si on vous a dit le contraire.

– Non, Béryl, les Allemandes n’oseraient pas jouer aussi mal, comme une fanfare de village.
Une honte pour le pays de Beethoven !

– Si vous ne me dites pas où c’était, je retire tout et je crie que vous me violez. Vos collègues
n’attendent que ça pour vous virer !

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– Cela s’est passé au Japon.

– Vous avez vu ça à l’écran ? Une vidéo porno ?


– Porno ? Pas le style, je vous ai dit. Mais vous avez un peu raison. L’organisateur était le
plus gros organisme de diffusion de vidéos pornos japonaises Soft on Demand (SOD). Il voulait
redorer son blason en réunissant la culture et l’effeuillage, leur spécialité. Côté prise de vue, ils
ont du métier.
– Ils ont pris de jolies filles, mais pas fortiches côté instrument.

– Je vais vous raconter mon histoire. Pas banale, en termes de recherche. Je me désespérais
de jamais voir une femme se déshabiller devant moi quand un collègue m’a présenté une vidéo
où des filles jouaient toutes nues. Culotte déjà retirée, aucun intérêt pour moi. J’ai fait de la
recherche documentaire, selon mon habitude. J’ai alors découvert une vidéo à deux heures
presque et demie, qui montrait tout, depuis leur entraînement à être nues et à jouer un minimum,
jusqu’à la fin du concert, où la cheffe s’effondre en pleurs. Un vrai roman !

– Vous ayez tout vu. Poils occupant tout l’écran.


– Non, Béryl. Les Japonais sont très pudiques. Dès qu’apparaît le moindre poil, on floute.

– Seins et fesses ? Bout de tétons ?


– Là, aucun problème. Même la raie des fesses, en très gros.

– Vous avez fait plein de pauses, des retours en arrière, des ralentis.
– La recherche nécessite un examen rigoureux.

– Vous avez passé des heures à mater, des nuits peut-être. À votre âge ! Qu’a dit votre
femme ?
– Je suis un homme pressé. Quand j’ai compris, je survole en accéléré. J’optimiser mon
temps, sinon je n’arrive jamais à conclure.

– Retirer sa culotte n’a donc plus de secret pour vous.


– Si, tout autant. Les Japonaises n’ont pas nos problèmes avec la nudité. En famille, ils sont
souvent à poil. Dans les Onsens, ils se baignent tout nu, mais femmes et hommes séparés. Mais
retirer sa culotte en public leur pose autant de problèmes qu’à nous. Au début, elles ont tiré au
sort, pour savoir quel jour elles seront nues ou pas. Après, beaucoup ont longtemps gardé leur
culotte. On les voit se rhabiller dès que la caméra s’approche, elles fuient et vont se cacher. Les
hommes filmaient les femmes, d’où le problème. Peu à peu, elles acceptent de se montrer. On
les voit nues, toutes, à faire de la gym, à jouer d’un instrument ou à manger ensemble.

– Nues, oui, mais pas se déshabiller.

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– Le film ne le montre pas. On ne leur apprend jamais. Je pense que l’organisateur voulait
garder l’ambiance « première fois » sur scène.
– Ces filles, de 20 ans, ont dû être marquées par l’expérience.

– Non, tout cela n’était que du jeu. Il y en a une qui, sur scène, se tourne sur elle-même après
s’être déshabillée, comme les autres. Mais elle profite qu’elle est de dos pour tirer la langue aux
filles, une manière de leur dire : « Nananère ! »
– Une gamine, pas gênée pour un sou. Elle avait relevé le défi.

– Quand le rideau est tombé, à la fin, et que le public ne les voit plus, toutes éclatent de rire.
Elles lèvent le poing en signe de victoire, ignorant même leur maigre performance musicale.

– Sauf la cheffe en pleurs ?


– Grand moment d’émotion. Imaginez cette femme, sans maquillage, aucun charme, toute
rouge de larmes, s’effondrer sur scène, tomber par terre. Mais, la voyant, une fille se met à
glousser en se cachant derrière sa main. Une autre… Elles réalisent alors qu’elles… ne sont pas
gentilles. Alors toutes ensemble, elles s’accroupissent autour de leur cheffe. Elles font rempart.
– Le rideau se relève…

– Bien évidemment. On voit seize belles paires de fesses, jeunes, élégantes. De rêve. Un
final superbe. Digne de Versailles. Royal !

– Appelez le Crazy, ils sont preneurs… Mais, Docteur, vous l’avez dit, ça, dans votre rapport
de recherche ?

– Oui, bien évidemment. J’ai parlé de l’angoisse générée par cette prestation. Toutes les
femmes, quelle que soit leur culture, ont du mal à retirer leur culotte devant un public masculin.
D’où l’importance du cadrage émotionnel solide, d’un bon management…
– Langue de bois. Vous savez tourner les choses. Dites, vous avez contacté Playboy ? Un
article ?

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