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Ce livre est un ouvrage de fiction. Les noms, les personnages lieux et événements sont le produit
de l’imagination de l’auteure ou utilisés de façon fictive. Toute ressemblance avec des faits réels,
des lieux ou des personnages existants ou ayant existé serait totalement fortuite.
ISBN : 9782755651751
Titre
Copyright
1 - Evie
2 - Ryan
3 - Evie
4 - Ryan
5 - Evie
6 - Ryan
7 - Evie
8 - Ryan
9 - Evie
10 - Ryan
11 - Evie
12 - Ryan
13 - Evie
14 - Ryan
15 - Evie
16 - Ryan
17 - Evie
18 - Ryan
19 - Evie
20 - Ryan
21 - Evie
22 - Ryan
23 - Evie
24 - Ryan
25 - Evie
26 - Ryan
27 - Evie
Épilogue - Evie
Ryan
Remerciements
Sa main se faufile sous ma robe, entre mes cuisses. Le contact est si
agréable que je sens mes jambes s’ouvrir lentement.
BLACK-OUT
Je me régale de cette bouche gourmande qui ne semble pas se lasser de
la mienne, de cette virilité surprenante qui va et qui vient en moi, de ces
attouchements tendres et englobants. J’écoute ses grognements de plaisir
en me répétant que c’est mal.
BLACK-OUT
BLACK-OUT
J’ai soif, comme si je marchais dans le désert. Je sais pourtant que j’en
suis loin, car je n’ai jamais eu aussi froid. Je cherche le drap pour
m’envelopper. En vain. Ce n’est pas étonnant, Alexander me vole toujours
les couvertures. En imaginant son visage derrière mes paupières closes, je
sens l’angoisse s’emparer de tout mon être. Mon pouls commence à faire
battre mes tympans, d’abord lentement, puis plus rapidement. À l’instant
où je juge mes pulsations anormalement élevées, un étau se referme sur
mon crâne. Mon gosier se resserre comme si on voulait m’étrangler. Je
manque d’air.
— Elle respire. J’entends une voix d’homme tandis qu’une main tiède
me presse le côté de la gorge.
— Elle a perdu beaucoup de sang, enchaîne une femme.
Les bruits assourdissants deviennent de plus en plus envahissants.
Des sirènes.
Des voix.
Des cris.
Des portières qui claquent.
Le chaos s’intensifie.
Puis, plus rien.
BLACK-OUT
BLACK-OUT
r
Le D Stevenson m’ausculte silencieusement. Moi aussi je reste muette.
Je suis concentrée sur les traits de son visage. C’est un bel homme. Il a très
bien vieilli. Ce que j’aime surtout, ce sont ses yeux. J’y lis de la gentillesse.
Il n’a pas choisi de devenir neurologue pour le prestige, mais bien pour
aider les gens. C’est ce que je ressens en sa compagnie, et ce, même s’il n’a
pas soufflé mot depuis dix minutes. Alexander, quant à lui, fait les cent
pas dans la chambre. Il est énervé et il me donne le tournis à force de virer
r
dans tous les sens. Je m’apprête à lui demander de sortir lorsque le D
Stevenson parle enfin.
— Rien n’a changé depuis l’examen de ce matin, conclut-il. Vous avez
subi une sérieuse commotion cérébrale et il y a eu des saignements
importants, mais justement, si ce sang nous a inquiétés, il est préférable à
l’extérieur qu’à l’intérieur de la boîte crânienne. Pour le reste, les tissus me
semblent intacts, sinon pour un œdème qui se résorbera au fil des jours.
Un vrai miracle. Vous avez la tête dure, blague-t-il.
— On me l’a souvent répété, dis-je en riant.
— Justement, parlons de ce dont vous vous souvenez.
— Oh, ça risque d’être un assez long processus, je peux boire autre
chose que de l’eau ? Si le vin est interdit, peut-être un martini ?
— Evie ! me dispute Alexander comme si j’étais une enfant.
Je ne m’empêche pas de lever les yeux au ciel avant de sourire au
neurologue, qui, lui, paraît plus enclin à encourager mon humour, un brin
inapproprié, je l’avoue.
— Je sais que nous sommes lundi… mais c’est un peu de la tricherie
parce que Maureen me l’a dit.
Je suis récompensée par un sourire de mon médecin et même
d’Alexander.
— Je sais mon nom, mon âge… J’ai bien vingt-huit ans ? dis-je en
cherchant la réponse dans le regard d’Alexander.
Il me le confirme d’un mouvement de tête de haut en bas.
— En vérité, je me souviens de l’essentiel, mais beaucoup
d’informations sont embrouillées. J’ai l’impression qu’on a fait exploser
mon disque dur et que je dois rassembler les morceaux. Comme un puzzle
à dix millions de pièces, qui finiront par s’emboîter un jour, mais qui ne
suscite pour le moment que du découragement. Vous voyez ce que je veux
dire ?
— Très bien, confirme mon médecin en souriant. Votre façon de
l’expliquer est très bien imagée.
— C’est une déformation professionnelle. Je suis enseignante en arts
visuels ; la sculpture et la peinture.
— Oui, je sais. Vous avez beaucoup de talent.
— Vous êtes très gentil, docteur Stevenson, on doit vous le répéter
souvent.
L’homme se contente d’un sourire en guise de remerciement.
e
— Mais revenons à ce qui paraît intéresser M Hamilton. Pour
l’instant, je n’ai pas la moindre idée de ce qui a pu se passer avec cet
étudiant. Je connais Ethan Lewis et je me rappelle qu’il a posé comme
modèle dans mes cours. Je le sais parce que j’ai des flashs de ce que j’ai
peint de lui. Quand on prononce son nom, c’est une toile le représentant
qui s’invite dans mon esprit plutôt qu’une personne de chair et d’os. C’est
un peu étrange, ce que je raconte, non ?
— Pas vraiment, répond mon neurologue. Votre cerveau a reçu un
coup qui aurait pu vous tuer, alors il peut vous jouer des tours. Nous
devons néanmoins nous réjouir du peu de séquelles que vous avez subies.
C’est relatif, j’en conviens. Disons que, d’un point de vue médical,
considérant que vous n’avez pas perdu l’usage de la parole, que votre
élocution et votre accès lexical me semblent intacts, du moins à la lumière
de ces quelques tests sommaires, et que tous les examens physiques me
confirment que vous n’avez aucune atteinte à la moelle épinière, je suis
plus qu’heureux de votre état. Vous devriez retrouver votre mémoire dans
les prochains jours.
— C’est vrai ? s’intéresse soudain Alexander.
— Oui, mais il faut savoir que le cerveau est très complexe. Nous
avons toutes les raisons de croire que votre amnésie est due à la blessure à
votre tête, Evie. Mais il se pourrait aussi que ce soit plutôt le résultat d’un
choc post-traumatique. Ou encore une combinaison des deux. Loin de moi
l’intention de créer de faux espoirs…
— Au contraire ! J’adore que vous semiez de l’espoir. J’aime imaginer
que tout rentrera dans l’ordre et que je saurai ce qui est arrivé à ce pauvre
Ethan. Ses parents doivent être dévastés.
— L’important, Evie, c’est que tu penses à ta guérison, intervient
Alexander.
— Je suis en vie, mais pas lui. On doit découvrir ce qui se cache
derrière cette affaire, dis-je plus sèchement que je l’aurais espéré. Est-ce
qu’il y a une façon d’aider ma mémoire à revenir plus vite, docteur
Stevenson ?
— Le repos. D’ailleurs, vous pourriez éprouver des difficultés de
concentration et être sensible à la luminosité pour un certain temps, peut-
être même le restant de votre vie. Les symptômes d’une commotion
cérébrale varient d’une personne à l’autre et perdurent en moyenne deux
ans. Pour le moment, nous ne connaissons pas toutes vos séquelles. Vous
serez la meilleure juge. Il ne faut toutefois pas négliger votre état. Même si
la blessure est interne et donc invisible, il y a bien un temps de guérison
nécessaire. À court terme, il vous faudra éviter les écrans sous toutes ses
formes : télévision, ordinateur, cellulaire…
— Je peux peindre ?
— Je dirais même que vous devriez peindre. Peut-être pourriez-vous
mettre en images ce que vous apercevez dans votre esprit.
— Ce ne serait pas exigeant de forcer sa mémoire ? s’inquiète
Alexander en prenant ma main.
J’ai le réflexe de me dégager. Lorsque je vois une lueur de tristesse
voiler ses traits, je replace une mèche rebelle derrière mon oreille pour
justifier mon geste et glisse de nouveau mes doigts entre les siens.
— Ce sera à Evie de l’évaluer, mais je suppose que la peinture pourrait
constituer un excellent exutoire. Il y a au moins une chose dont je suis
convaincu : le stress que vous vous apprêtez à vivre avec cette enquête
n’aidera en rien votre condition. Vous devriez être en période de repos
complet et ne subir aucune tension. J’ai bien peur que ce ne soit pas
exactement ce qui vous attend à la sortie de l’hôpital. D’ailleurs, j’ai déjà
reçu l’appel d’un policier qui veut vous interroger incessamment.
— Peut-elle évoquer son état de santé pour refuser de répondre à ses
questions ? demande Alexander.
— Mais je souhaite lui parler !
— Et si tu révèles des informations qui pourraient jouer contre toi ?
Mais qu’est-ce qu’il raconte ?
— Un jeune homme est décédé, Alexander. On doit découvrir ce qui
s’est produit. Je ne sais pas grand-chose, mais je doute sérieusement de
l’avoir tué.
— Comment peux-tu en être certaine si tu ne te souviens de rien ?
— Peu importe que ce soit moi ou pas, on doit savoir.
— Evie, reprend Alexander d’une voix douce, il faut travailler avec
Miles pour bien se préparer. Je ne pourrais endurer de te perdre.
— Si j’ai tué Ethan, ma place est en prison.
— Tu pourrais l’avoir fait en légitime défense, argumente-t-il.
D’ailleurs, tout porte à le croire.
Je m’installe le dos contre mon oreiller pour observer mon fiancé. À
l’évidence, j’ai du rattrapage à faire. Alexander paraît en savoir beaucoup
plus que moi sur ce qui a pu se produire. J’abandonne la dispute en
tournant les yeux vers la fenêtre. Le médecin, témoin silencieux de notre
argumentation, choisit ce moment pour s’excuser afin d’aller rencontrer
d’autres patients.
Comme prévu, Burke a fait une provision de café pour tout le monde,
une boisson glacée pour sa fiancée, et nous nous installons près d’une
fontaine. Les deux hommes d’affaires sont en retrait, à l’ombre. Quant à
l’enseignante et moi, même en étant sous les feuilles d’un palmier, nous
sommes partiellement en zone ensoleillée. Si j’ai chaud, je me dis que
l’atmosphère est plus propice aux confidences dans ce genre d’endroit que
dans une pièce froide et sans vie, comme celle où nous nous trouvions. Le
temps d’activer l’enregistrement, je commence sans tarder.
— Alors, madame McDaniel…
— Evie, me corrige-t-elle de nouveau. Je déteste les civilités, laissons
tomber les grands mots. Vous me permettez de vous appeler Ryan ?
J’acquiesce d’un subtil geste de tête tout en jouant nerveusement avec
mon calepin.
— Evie, vous pouvez me raconter ce dont vous vous souvenez de la
journée de la mort d’Ethan Lewis ?
— J’ai enseigné en après-midi, commence-t-elle aussitôt. Je pense avoir
donné rendez-vous… en fait, je sais que j’avais rendez-vous avec ma
copine, Olivia Fallon, car elle me l’a confirmé. Je suis passée à la maison à
mon retour de l’université pour me changer. Je me suis rendue sur le
campus. Ensuite, je me souviens d’avoir un mal de tête indescriptible,
d’avoir soif, d’être secourue par les services d’urgence, de rencontrer une
gynécologue qui voulait prendre des prélèvements vaginaux parce
e
qu’apparemment j’avais été violée, et de me faire annoncer par M
Hamilton que je serai probablement accusée du meurtre de mon étudiant.
Je suis estomaqué. C’est bien pire que ce qu’on m’avait dépeint. On ne
parle pas ici de trou de mémoire, mais bien d’une solide amnésie.
Si elle dit la vérité…
— Qu’est-ce que vous pouvez me raconter au sujet d’Ethan Lewis ?
Vous étiez proches ?
— Objection, lance l’avocat.
Je m’esclaffe.
Il se croit en plein procès ou quoi ?
— Je veux dire que votre question est orientée, monsieur Knight. La
mémoire d’Evie étant altérée, il est préférable de ne pas insinuer des
réponses au risque de l’influencer.
— Ce l’est pourtant moins que de prétendre qu’elle a été violée, alors
qu’elle m’affirme ne se souvenir de rien à ce sujet.
L’avocat me décoche un regard meurtrier. Tant mieux, le but était
justement de lui passer un message clair sur le fait qu’il pourrait être
accusé d’entrave au travail des policiers. Alexander Burke s’est lui aussi
braqué. Néanmoins, ce dernier plonge le nez dans son café sans prononcer
un mot. Evie retire ses tongs et se tourne pour tremper ses pieds dans le
bassin tout en reprenant la parole.
— Ethan était un jeune homme promis à une belle carrière. Il était
intelligent et très doué en production cinématographique. En plus, il avait
une vision artistique très développée, beaucoup plus que la moyenne des
autres étudiants, explique-t-elle pendant que j’observe ses orteils peints en
rose corail former des cercles dans l’eau claire.
Je l’envie de se rafraîchir ainsi de manière si désinvolte. Je jette un œil
aux deux hommes en costume qui, eux, doivent souffrir de la chaleur.
Burke ne m’a pas lâché des yeux une seule seconde. Comme l’avocat, il
paraît stressé, alors que la femme agit de façon tellement insouciante.
Pourtant, c’est elle qui est interrogée pour meurtre.
— Il est venu me voir en janvier dernier pour me demander si j’avais
besoin de modèles pour le trimestre. Je lui ai confirmé que c’était toujours
le cas. Je crois qu’il le savait déjà, car sa copine, Dakota… Dakota…
— Dakota Garner ?
— Oui, exactement, acquiesce-t-elle. Une blonde avec de jolies courbes
et de très beaux yeux bleus, une Barbie en quelque sorte. Elle est dans un
de mes cours de peinture. Elle est aussi très douée, pour la sculpture en
particulier. Je pense que c’est elle qui lui avait suggéré de poser, mais ce
n’est pas une certitude. C’est une simple supposition.
— Pouvez-vous m’expliquer comment se déroulent ces séances avec
modèle ?
— En quoi est-ce pertinent ? s’énerve l’avocat.
— Ça me permettra d’évaluer la relation que Mme McDaniel a avec ses
étudiants et, pour être honnête, je suis curieux.
— On y passera la journée si vous n’êtes ici que pour satisfaire votre
curiosité, monsieur Knight, riposte Hamilton.
— Je ne vous retiens pas, dis-je d’une voix posée.
Miles Hamilton soupire non sans cacher son exaspération, ce qui ne
m’affecte pas le moins du monde. Evie McDaniel poursuit sans se laisser
distraire. C’est plutôt moi qui suis momentanément déconcentré lorsque la
jeune femme remonte sa robe jusqu’aux cuisses pour se mettre debout
dans le bassin. Ses jambes luisent comme une étoffe de satin, permettant
de deviner une texture de peau fine et soyeuse.
— Les séances n’ont rien d’excitant au sens où vous pourriez
l’imaginer, explique-t-elle en marchant dans l’eau. Même que, la plupart du
temps, elles sont assez banales. Un modèle arrive, retire ses vêtements,
s’installe comme je lui demande, et les étudiants se placent derrière leur
chevalet pour se mettre au travail. En général, les gens qui n’ont jamais
posé nus ressentent un léger malaise durant les premières minutes du
cours. Ils comprennent vite par la suite que les artistes ne voient qu’un
élément parmi tant d’autres au centre de la pièce et qu’ils sont concentrés à
répondre aux exigences de l’atelier.
— Vous n’êtes jamais seule avec eux ?
Je perçois un soupir du côté des hommes assis à l’ombre.
— Non, mais Ethan avait l’habitude de rester un peu après le cours, il
étirait le temps, m’informe-t-elle en sirotant une gorgée de son cappuccino
glacé. Aïe ! fait-elle en se tenant le front.
— Ça va ? s’inquiète son fiancé. Tu veux arrêter ? C’est peut-être trop
exigeant de forcer ta mémoire.
— Relax ! Je me suis juste gelé le crâne parce que j’ai bu trop vite.
Je souris à Evie qui est d’une nonchalance enfantine, vraiment
déconcertante. Alexander Burke, lui, ne semble pas s’amuser de la
situation. À l’évidence, il est beaucoup plus conscient que sa fiancée de ce
qui l’attend si elle est accusée et reconnue coupable de meurtre.
3
Evie
BLACK-OUT
BLACK-OUT
Ethan masse doucement mon muscle trapèze qui en a bien besoin. Les
délicieuses pressions m’occasionnent des frissons que je tente d’ignorer.
BLACK-OUT
BLACK-OUT
Il prend ma tête entre ses paumes. Ses lèvres sont à une proximité
dérangeante. Pourtant, j’ai la folle envie de l’embrasser. Comme un rêve
exaucé, il s’empare de ma bouche. L’instant suivant, il glisse ses mains sous
ma robe pour me retirer ma culotte.
BLACK-OUT
4
Ryan
Malgré la bouteille de vin qui se vide et l’heure qui a passé, Olivia n’a
pas réussi à trouver la réponse à ma question. Selon moi, les gestes
amoureux devraient suivre les sentiments, même si je n’ai pas toujours
adhéré à cette logique. Nous en sommes venues à la conclusion que trop
d’éléments peuvent changer la donne pour qu’une réponse unique
corresponde à tous les gens issus de cultures, de religions et de pays
différents. Après cette philosophie bon marché, nous nous affalons sur des
chaises longues sur la plage, à l’abri d’un parasol qu’un gentil employé de
l’hôtel a eu l’amabilité d’installer en échange d’un généreux pourboire.
Je sirote mon verre de vin en observant toute la beauté que j’ai sous les
yeux.
— Je devrais peindre cette toile, dis-je dans un souffle.
— Tu manques drôlement d’inspiration ! répond Olivia en fouillant
dans son sac pour récupérer une casquette.
— Non, je parle plutôt de nous, assises ici, avec du bon vin, des
enfants qui s’amusent dans l’eau, des parents qui courent pour attraper les
petites pelles que la mer vole pour les narguer. Je sais que je peins
habituellement des portraits, mais je souhaiterais graver tous ces détails
dans mon esprit pour ne rien oublier lorsque je n’y aurai pas accès.
— Moi, si j’étais toi, c’est eux que je peindrais, lance-t-elle en abaissant
ses verres fumés pour observer les joueurs qui prennent place pour un
match de volley-ball qui s’organise.
Je ne me donne pas la peine de regarder. En d’autres temps et d’autres
lieux, je ne me serais pas juste rincé l’œil, j’aurais voulu me joindre à eux.
Pas aujourd’hui. Or, quand un ballon roule jusqu’à mes pieds et que mon
amie émet un petit cri d’excitation en songeant qu’un beau mec devra
venir le récupérer, je tourne la tête sur le côté. Je manque renverser mon
verre en apercevant le flic venu m’interroger à l’hôpital.
— Merde, c’est lui, dis-je sans bouger les lèvres.
— Lui ? chuchote à son tour Olivia en souriant à l’homme séduisant
qui arrive devant nous.
— Pardon, mesdames, s’excuse-t-il en se penchant pour reprendre son
ballon. On n’a frappé personne, j’espère ?
— Est-ce que ça enlève des preuves incriminantes à mon dossier si
vous m’avez atteinte ?
— Madame McDaniel ? s’étonne Ryan en perdant son sourire.
— Je croyais qu’on s’était entendus pour Evie.
Le policier retire ses verres teintés qu’il plante sur sa tête et pivote vers
les joueurs qui s’impatientent. Il lance le ballon haut dans les airs et le tape
avec force pour le propulser jusque dans le jeu. Pendant ce temps, je
remarque que mon amie le détaille sans la moindre discrétion. J’admets
que si je l’avais trouvé séduisant hier, il l’est autrement aujourd’hui. Avec
son maillot aussi noir que ses cheveux et ses lunettes miroir, il me semble
plus jeune. J’avais déjà observé qu’il paraissait musclé, mais comme il est
sans tee-shirt ce n’est plus la peine de chercher à deviner cet abdomen plat.
Son corps est splendide. Alors que je me plonge dans une analyse encore
plus déplacée que celle de ma copine, surtout dans les circonstances me
liant à lui, le policier tend la main vers Olivia.
— Ryan Knight.
— Olivia Fallon. Je suis la meilleure amie d’Evie. Vous aurez sûrement
à m’interroger bientôt moi aussi pour élucider cette affaire d’accusation de
meurtre qui ne tient pas la route.
À défaut de pouvoir me cacher dans le sable, j’enfonce mon chapeau
sur ma tête et je me laisse glisser sur ma chaise.
— Je m’accorde une journée de congé et je suis certain qu’Evie n’a pas
envie que je relance mon interrogatoire pendant qu’elle profite de la plage.
Mais, oui, il est possible que je cherche quelques réponses à mes questions
en vous téléphonant prochainement. Vous avez pu vous reposer cette
nuit ? demande Ryan à mon intention.
— Je ne me souviens de rien de plus, si c’est votre question, dis-je
bêtement.
— Non, ma question était de savoir si vous aviez mieux dormi dans le
confort de votre maison que dans une chambre impersonnelle d’un centre
hospitalier, rectifie-t-il calmement.
Sa voix posée me fait réaliser l’intonation odieuse que j’ai utilisée. Je
retire mes lunettes et me tourne vers lui. Le soleil aveuglant m’oblige à me
fabriquer une visière avec ma main et même à fermer un œil.
— Je suis désolée. Je me sens un peu mieux, merci. Des trucs me
reviennent peu à peu.
Je pourrais parier que mon amie me darde un regard meurtrier malgré
l’épaisse vitre teintée masquant ses yeux. Je suis convaincue qu’Olivia ne
serait pas d’accord pour que je communique mes souvenirs d’Ethan et
moi. Mais j’ai décidé de jouer franc-jeu. La situation est déjà assez
complexe sans que je m’empêtre dans les mensonges en plus.
— Je suis content de l’apprendre… Enfin, pas nécessairement pour les
éléments d’enquête, mais pour votre mémoire qui se rétablit.
J’étire un peu les lèvres.
— En attendant, profitez de la superbe journée et de ce chardonnay
qui me semble succulent, lance-t-il en commençant à reculer.
— Justement, la bouteille est vide, lui fait remarquer Olivia en la
sortant du seau à glace.
Ryan se contente de sourire avant de se mettre à courir pour continuer
son match. Une fois qu’elle a terminé de suivre le policier des yeux, Olivia
se tourne vers moi tandis que je prends une gorgée de vin.
— Hum… Tu crois que tu pourras résister à l’envie de devenir une
meurtrière en série ? demande-t-elle, un rire dans la voix. Ça pourrait être
ton modus operandi, une baise, un meurtre, puis tu oublies tout.
— Tu es moins comique avec les années, lui fais-je remarquer.
Pourtant, cet humour noir est étrangement apaisant. En vérité, une part
de moi veut se tapir sous ma chaise pour pleurer, alors que l’autre partie
souhaite profiter au maximum de chaque seconde de liberté.
— Je vais nager, dis-je en enlevant mon chapeau.
— Tu as ton maillot ? s’étonne Olivia.
— Non.
— Il y a des enfants, je ne pense pas que les sauveteurs te laisseront te
baigner nue.
— J’ai perdu la mémoire, pas la raison. À ma connaissance, il n’y a pas
de loi qui interdit les maillots longs. Au pire, les autorités ajouteront cette
offense à mon dossier. Ça fait quoi lorsqu’on obtient déjà la peine de
mort ? Il nous tue, nous réanime et recommence ?
Sur le franc éclat de rire d’Olivia, je marche vers la mer en me délectant
du sable chaud entre mes orteils. Je rigole quand l’eau chatouille mes
chevilles. Je remonte un peu ma robe, même si je serai vite mouillée.
Justement, la vague suivante me frappe de plein fouet et m’arrose jusque
dans le visage. Je souris en pivotant vers Olivia qui est en compagnie du
serveur de l’hôtel, qui place une nouvelle bouteille de vin dans le seau à
glace. Je ne peux résister à la tentation de dévier discrètement le regard
vers le match de volley-ball où je remarque que Ryan est tourné vers moi.
Je jurerais qu’il m’observe. Je l’ignore et plonge sous la vague suivante.
6
Ryan
— Il paraît que ce n’est pas une bonne idée qu’on soit aperçus
ensemble, me nargue Evie dès que j’arrive.
Je lui souris.
— Je ne peux quand même pas vous empêcher de profiter de ma
plage.
— Votre plage ?
— Je viens y faire un tour presque chaque jour. C’est mon refuge pour
fuir le boulot.
Je converse en observant la position des chaises. Si je m’installe où
sont mes affaires, je serai devant elle, pas si loin, mais pas si près. En
faisant tous les deux face à la mer, ça m’évitera de la détailler. Je
continuerais toutefois à sentir son regard sur moi. Entre les deux options,
je préfère ne pas l’avoir dans mon champ de vision.
— Zut ! Et voilà qu’une horrible meurtrière envahit votre havre de
paix, lâche-t-elle en attrapant un cahier à dessin et un crayon.
Malgré le sarcasme évident, je perçois une pointe de tristesse dans sa
voix.
— Ce n’est pas ce que je voulais insinuer, dis-je avec sincérité.
— Je le sais, souffle-t-elle en commençant à donner des coups de
crayon dans son carnet.
Son occupation m’arrange. Je peux observer la mer et elle est
concentrée à dessiner. Tout est parfait. Alors pourquoi je n’arrive pas à me
détendre ? C’est encore pire quand elle demande :
— Vous êtes marié, Ryan ?
Je hoche la tête pour faire non, en récupérant ma bouteille de bière
dans le seau à glace.
— Pourquoi pas ?
Je hausse les épaules pour éviter d’expliquer que les femmes qui sont
passées dans ma vie avaient des valeurs trop différentes des miennes pour
réfléchir à l’engagement. Pour moi, le mariage est plus qu’un bout de
papier qu’on déchire après quelques années.
— Vous avez une maîtresse ? relance Evie.
Cette fois, je manque de m’étouffer avec ma gorgée. Je pense d’abord à
ne pas m’aventurer sur cette avenue avec elle, puis je songe que, tout
compte fait, je pourrais avoir la réponse à quelques questions.
— Oui, dis-je en me tournant vers elle, tout en fixant mes verres fumés
sur le sommet de mon crâne.
Je n’aurais pas dû adopter cette position parce qu’avec ses jambes
repliées pour retenir sa tablette à dessin Evie m’offre une vue parfaite sur
l’arrière de ses cuisses et sur ce qui doit être un string, car ses fesses sont
aussi à nu. La dentelle de la même couleur que sa robe est si délicate que
je peux presque découvrir chaque repli de sa féminité. Ce que je ressens
lorsque je suis en sa compagnie est à peine concevable. Je me croirais
revenu à l’adolescence, au temps où seules les hormones contrôlaient mes
pensées.
Alors que je m’évertue à regarder ailleurs, Evie se redresse et imite ma
position. Les jambes écartées, les avant-bras sur les genoux, elle se penche
vers l’avant. Cette fois, elle déplace le tissu pour se couvrir. C’est par
recherche de confort et non par pudeur, car sa bretelle retombe dans le pli
de son coude, dévoilant la naissance d’un sein, sans qu’elle s’en préoccupe.
Contrairement à moi. Je force mon regard jusqu’au sien quand elle retire
ses lunettes pour demander :
— Parlez-moi de vous, Ryan. Pourquoi êtes-vous devenu policier ?
La scène que j’ai sous les yeux est terriblement déstabilisante. Ses
mèches rousses dans un complet fouillis, la peau de ses joues dorée par le
soleil et cette épaule menue qui paraît si douce… Dieu qu’elle est belle !
Et toi, Evie, pourquoi faut-il que tu sois soupçonnée de meurtre ?
7
Evie
Il prend ma tête entre ses paumes. Ses lèvres sont à une proximité
dérangeante. Pourtant, j’ai la folle envie de l’embrasser. Comme un rêve
exaucé, il s’empare de ma bouche.
BLACK-OUT
BLACK-OUT
BLACK-OUT
BLACK-OUT
Ses dix doigts sont emmêlés dans mes cheveux, tandis qu’il m’embrasse
à pleine bouche, son bassin heurtant doucement mes hanches.
— Tu es si étroite, si chaude, si…
Je me régale de cette bouche gourmande qui ne semble pas se lasser de
la mienne, de cette virilité surprenante qui va et qui vient en moi, de ces
attouchements tendres et englobants. J’écoute ses grognements de plaisir
qui se transforment en un cri étouffé. S’ensuivent des bruits assourdissants,
le chaos, du sang, beaucoup de sang. Puis, tout s’efface.
Après une nuit écourtée tant par les larmes que par les flashs
récurrents du soir du meurtre, je me suis levée avec une nausée
grandissante. Je regrette d’avoir suggéré à Ryan Knight de le rencontrer
aujourd’hui. Tout ce que je veux, c’est peindre. Je pourrai le faire à ma
guise, car Alexander m’a informée qu’il devait partir plus tôt que prévu
pour New York, et ce, pour plusieurs jours. C’est là la meilleure nouvelle
de la semaine. Après cette étreinte bâclée de la veille, laquelle repasse en
boucle dans ma tête, je n’ai aucune envie de partager mon lit avec lui, ni
même la maison.
Il termine de nouer sa cravate en avançant vers moi. Je me crispe
lorsqu’il ouvre les bras pour me serrer contre lui. Je ferme les yeux, dans
l’attente que ça finisse.
— Ça va, chérie ? Tu n’es pas trop déçue que je doive partir ?
— Non. Je suis juste un peu fatiguée. Je n’ai pas bien dormi.
— Tu me sembles préoccupée.
— Imagine te réveiller près d’un homme qu’on a assassiné et on verra
comment tu te sens, dis-je bêtement.
Alexander reste pantois.
— Oui, je comprends, répond-il doucement. Tu préfères que j’annule
mes réunions ? Je suis conscient que c’est un très mauvais timing. Je
n’irais pas si certaines rencontres n’étaient pas aussi importantes.
— Non, dis-je sur un ton plus calme. Au contraire. Je sens que je
pourrai peindre plus facilement. J’arriverai peut-être à me souvenir des
détails pour expliquer ce que je faisais dans la chambre de cet étudiant.
— Si c’est le cas, parles-en à Miles ou à moi avant d’aller voir ce flic.
D’accord ?
— Que tu sois présent ou pas, Alexander, je ne dirai que la vérité,
même si ça nuit à ma défense. Je ne pourrais jamais vivre avec le
mensonge si je savais que j’ai bel et bien tué cet étudiant.
— Je comprends, mais…
Je lève la main devant ses yeux.
— Tu manqueras ton vol si tu ne pars pas maintenant. Je doute de
retrouver la mémoire avant que tu reviennes. Va à tes réunions. Nous en
reparlerons.
Alexander s’approche encore pour me prendre dans ses bras. Cette fois,
je me laisse aller sans résistance et échappe un soupir en m’appuyant
contre lui.
— Connaissions-nous des difficultés ? dis-je dans un murmure.
— Quel genre de difficulté ? s’étonne-t-il en s’éloignant pour me
regarder.
— Nous. Notre couple. Avions-nous des problèmes avant que tout ça
se produise ?
— Pourquoi cette question ? demande-t-il en embrassant mon front.
Ce geste me donne carrément la chair de poule à présent. Je hausse les
épaules plutôt que de répondre. Comment ne peut-il pas sentir que notre
relation n’a rien d’idyllique ?
— Je suis désolée, je m’interroge sur beaucoup de choses parce que je
me sens étrangère dans ma propre vie.
— Tout rentrera dans l’ordre, je te le promets, jure-t-il en frôlant ma
joue.
Il me sourit, puis tourne les talons pour récupérer son bagage et son
porte-documents. Pendant qu’il s’éloigne, je caresse mes lèvres en me
demandant comment un homme amoureux peut quitter sa fiancée pour
plusieurs jours sans même l’embrasser passionnément.
Contre toute attente, Ryan Knight est appuyé sur mon plan de travail
et sirote un verre de vin pendant que je cuisine des pâtes. C’était la
condition pour qu’il reste : je devais manger. C’est un peu particulier qu’il
ait insisté sur ce point, mais il n’a pas tort : boire sans rien avaler fini par
faire tourner la tête. Et puis, c’est vrai que l’appétit vient en mangeant, car
j’ai déjà dévoré trois bouts de pain et plusieurs des tomates cerises que je
prévois de mettre sur les spaghettis.
À son arrivée, Ryan semblait stressé d’être chez moi, probablement à
cause des conditions qui nous lient. Après juste deux gorgées de vin, il
paraît beaucoup plus détendu. Il observe tous mes gestes avec grande
attention et un petit sourire flotte au coin de ses lèvres. Je croyais que ce
qui l’avait convaincu de rester était ma suggestion de régler
l’interrogatoire, mais il n’a pas encore posé une question à ce sujet. Il s’est
plutôt informé sur un tas de trucs, notamment les médiums que j’utilise
pour mes toiles et sur ce qui m’inspire.
— Je peux t’aider ? offre-t-il pendant que je prépare le prosciutto.
— Il n’y a rien à faire.
— C’est ce que tu as prétendu plus tôt, mais depuis tu as râpé du
parmesan, lavé et découpé des légumes, et mis des pâtes à cuire, détaille-t-
il pendant que je souffle à répétition sur une mèche de cheveux qui
s’acharne à me chatouiller la joue.
— À bien y penser, j’ai besoin de ton aide maintenant, dis-je en riant,
tentant sans succès de me débarrasser de ma couette.
Ryan s’empresse de dégager mon visage. Il glisse son index sur ma
joue, sous l’intrus, mais la mèche rebelle retombe aussitôt. Il la récupère
pour la coincer sous mon bandeau en grimaçant, soucieux de ne pas
réussir. Je profite de sa proximité pour l’observer de plus près. Ses
cheveux, ses sourcils et même ses cils sont noirs, presque bleutés. Ces
éléments sombres devraient lui donner une allure sévère, mais il n’en est
rien. Ses traits sont virils, mais raffinés. En plus, quand il sourit, comme
en ce moment, un petit trou se creuse sur l’une de ses joues. C’est
absolument craquant. Ça crée aussi de minuscules ridules sur le coin
extérieur de ses yeux. J’ai la folle envie de le peindre. Si je n’avais pas les
doigts dans le prosciutto, je toucherais son visage pour m’en rappeler
chaque détail.
— Merci, dis-je en retournant à l’évier pour me laver les mains.
Lorsque je pivote vers mon invité, je remarque qu’une trace turquoise
marque son front. Je m’esclaffe. Il écarte la coupe de ses lèvres en fronçant
les sourcils.
— Tu as de la peinture sur le visage, dis-je en avançant vers lui avec
une serviette de papier.
Ryan a le réflexe de se frotter le front, mais il étend la couleur.
— Attends ! Tu en mets partout.
Je nettoie sa peau pendant qu’il me fixe, comme un garçon attendant
que sa maman termine de le débarbouiller. Je ne parviens pas à résister à
la tentation de caresser du bout des doigts ses tempes près des ridules,
mais elles disparaissent quand le sourire de Ryan s’estompe. Je devrais
comprendre que je dois arrêter de le toucher, mais je continue d’explorer
l’os de sa joue avec curiosité. Sa peau est étonnamment douce. Je brûle
d’envie de toucher à ses lèvres, mais ce serait difficile à justifier. Je songe
que mes yeux s’attardent trop longuement sur sa bouche lorsque Ryan me
subtilise la serviette.
— C’est de toi que vient cette peinture, explique-t-il en appuyant mon
menton sur son index pour immobiliser mon visage.
À son tour, Ryan effectue un nettoyage minutieux de ma joue en me
scrutant avec attention. Mon cœur s’affole. Je ne devrais pas ressentir ce
torrent d’émotions, car, contrairement à moi, il ne se concentre que sur sa
tâche. Seulement, je perçois son regard intense comme la plus impudique
des caresses. Les yeux d’Alexander ne me font pas cet effet. C’est
dommage, parce que la sensation est enivrante. Que j’aurais aimé
rencontrer Ryan dans des circonstances différentes ! Ma cage thoracique se
soulève sous ma respiration qui s’accélère. Je suis presque étourdie par
autant d’air qui cherche le chemin vers mes poumons. Je peux imaginer ce
que serait son toucher si ses yeux ont un tel pouvoir sur moi. Par chance,
Ryan me délaisse enfin… ou déjà.
— Oh, zut ! dis-je en me précipitant sur la cuisinière où l’eau de la
casserole déborde.
Je passe mon agitation intérieure en m’affairant à finaliser le repas. En
un rien de temps, j’ai égoutté les pâtes, lancé de l’ail, du citron et un filet
d’huile sur les tomates avant de jeter le tout sur les spaghettis, accompagné
de prosciutto, de plusieurs feuilles de basilic frais et d’un soupçon de
parmesan. J’ajoute quelques haricots verts près des nouilles et apporte les
deux couverts sur la terrasse.
Je n’avais pas officiellement invité Ryan à se joindre à moi pour le
repas, même si j’en mourais d’envie, parce que j’ai pensé que la meilleure
façon de ne pas le voir refuser était de mettre devant lui une assiette déjà
préparée. J’avais raison, il me suit avec la bouteille de vin et les deux
coupes. J’en suis ravie.
Je savais que c’était une erreur de venir ici. Pourtant, je n’ai pu m’en
empêcher. À des dizaines d’occasions, je me suis flagellé l’esprit pour me
convaincre de partir, mais j’ai été faible. Cette femme me fascine au point
de me rendre dingue. Cette soirée m’a tout de même éclairé sur cette
affaire, je suis maintenant persuadé qu’Evie est incapable de meurtre. Je
ne suis toutefois pas certain qu’elle soit aussi fidèle que tout le monde le
prétende. Elle est la première à crier haut et fort qu’elle ne tromperait
jamais son conjoint, pourtant elle pense avoir consenti à cette relation
sexuelle avec Lewis et fait tout pour séduire le policier responsable de son
enquête. Et ça fonctionne ! Si ça se trouve, c’est une manigance bien
orchestrée pour nuire à ma crédibilité. Il y a peut-être des caméras partout
dans cette baraque de richard et je serai sur la sellette au procès si nous en
venons là.
Pendant que je grimpe l’escalier de la piscine dans laquelle je me suis
jeté comme un abruti pour la consoler, Evie pose la main sur mon épaule
pour que j’arrête. Je ne peux résister à la tentation de me retourner et,
comme par magie, toute hargne à son endroit s’évapore.
— Je ne voulais pas te mettre mal à l’aise, Ryan.
Elle me devance. Je me suis efforcé de ne pas la regarder pendant
qu’elle se déshabillait pour nager, maintenant qu’elle est en légers dessous,
mouillés, je dois me faire violence pour combattre l’envie de la toucher. Sa
silhouette est telle que je l’avais imaginée, svelte et harmonieusement
proportionnée. Je peux toujours résister à de jolies courbes, mais c’est
l’ensemble du portrait qui me rend fou. Chacune de ses paroles et de ses
actions me paraît si naïve que son pouvoir d’attraction en est quintuplé.
Je détourne la tête pour aider le bas de mon corps qui insiste pour me
rappeler que je suis un homme.
— Je ne suis pas mal à l’aise, Evie. C’est que je suis dans une position
qui n’implique habituellement pas ce genre de confidence. J’avoue que
notre soirée n’avait pas le cadre strict et professionnel de ma salle
d’interrogatoire ou de mon bureau.
— C’est de ma faute. Je me sentais désemparée, et comme ta présence
m’a réconfortée, je ne voulais pas te voir partir, s’excuse-t-elle tandis que la
bretelle de son soutien-gorge glisse dans le repli de son coude et libère un
de ses seins.
Evie ne le remarque pas. Elle s’approche davantage et pose la main sur
mon avant-bras. Son contact me tétanise.
— Je te remercie d’avoir passé cette soirée avec moi, même si tu n’en
avais pas envie.
Elle a tout faux. J’en crevais d’envie. C’est bien là où se situe tout le
problème. Je voudrais rectifier ce qu’elle affirme avec une lueur de
tristesse dans les yeux, mais je ne ferais qu’envenimer la situation.
— Pour la suite de la procédure, je te promets de faire ce que tu me
demandes, ajoute-t-elle d’une voix penaude.
Je me contente de hocher la tête en continuant de forcer mon regard à
fixer son visage. Le chagrin que j’y lis ne m’y aide pas. J’ai si envie de la
serrer dans mes bras. Ce qui serait la pire idée de la soirée, parmi une
tonne d’idées qui étaient toutes atrocement nulles. Je me sens toutefois
incapable de la laisser dans cet état. Ainsi, je caresse doucement sa joue
pour ce qui devrait être le geste le plus amical jamais enregistré, mais Evie,
fidèle à elle-même, gâche tout. Elle se colle à moi pour m’enlacer. Son
corps menu qui se moule au mien provoque un courant chaud et
électrifiant dans ma colonne vertébrale. Je resserre mes bras autour d’elle,
mais quand notre étreinte titille de nouveau ma virilité, je me braque. Je
dois partir avant qu’il ne soit trop tard. Je me retire beaucoup plus
brusquement que je l’aurais voulu et m’efforce d’étirer les lèvres pour
compenser.
— Merci pour le succulent repas. Je t’appelle demain pour fixer une
rencontre. Bonne nuit, Evie !
— Bonne nuit, Ryan !
Je m’éloigne sans me retourner, je monte dans ma voiture et me
promets de ne jamais remettre les pieds dans cette maison.
Mady est allongée sur mon lit où elle se laisse caresser le bas du dos et
les fesses. Tandis que je suis perdu dans mes pensées, je dessine
d’incessantes formes abstraites sur sa peau.
— Quand l’as-tu rencontrée ? demande-t-elle.
Je ralentis mes mouvements en cherchant à comprendre sa question.
— Cette fille, Evie, tu la connais depuis quand ?
Je cesse de bouger.
— Je t’en prie, n’arrête pas tout de suite, exige-t-elle en tirant sur ma
main pour m’obliger à poursuivre mes cajoleries.
— Comment la connais-tu ? dis-je en la retournant sur le dos d’un
geste vif.
Je m’appuie sur mes coudes pour la regarder dans les yeux.
— Je ne la connais pas. Je suis juste curieuse parce que, pendant que
ton joli instrument était dans ma bouche, tu as prononcé deux fois son
nom.
Quel con !
Pourtant, Mady s’esclaffe comme si c’était la chose la plus drôle du
monde.
— Je suis tellement désolé, Mady. Je suis le pire salaud que la terre ait
porté, dis-je en laissant tomber ma tête sur son abdomen.
Sans trop de délicatesse, elle tire sur mes cheveux pour m’obliger à la
regarder.
— Ryan, poursuit-elle doucement, je n’ai jamais eu d’amant avant toi.
Tous les autres types étaient mes petits amis, parfois même de potentiels
maris, et pourtant aucun d’entre eux ne m’a jamais traitée aussi bien.
Aucun d’entre eux ne m’a fait sentir précieuse et importante. Je ne me
souviens pas d’une occasion où tu ne m’as pas caressée comme si j’étais
faite de satin, et pas une seule fois tu es venu prendre un repas chez moi
sans m’apporter des cadeaux. Pourtant, je n’ai jamais rien exigé d’autre de
toi que du sexe. Pour toutes ces raisons, je peux te pardonner d’avoir
prononcé le prénom d’une autre femme.
— Tu aurais dû me mordre.
Mady s’esclaffe.
— Non. La seule chose que je souhaiterais, si tu le veux, c’est que tu
me parles de cette Evie qui te joue dans la tête au point où tu parais triste
depuis quinze minutes. Mais, pendant ce temps, j’exige que tu continues à
caresser mes fesses, conclut-elle en se repositionnant sur le ventre.
Je me penche pour bécoter son muscle, puis le mordre doucement.
Après quoi, j’obtempère à sa demande particulière.
— Oui, dis-je avec certitude. J’ignore si je l’ai bue en entier, mais Ethan
m’a bien servi une bière.
— Tu as accepté de consommer de l’alcool avec lui dans sa chambre ?
demande Ryan sur un ton désapprobateur.
— Quel sens de l’éthique épouvantable, n’est-ce pas ? dis-je dans un
soupir.
— Ce n’est pas ce que je voulais insinuer.
— C’est exactement ce que tu voulais insinuer. J’admets que ça
manquait sérieusement de jugement. Il y a un article de loi dans ton Code
criminel de merde qui punit les gens pour ça ?
Ryan s’incline vers l’avant, comme s’il allait se lever, mais n’en fait
rien. Il croise ses doigts. On dirait qu’il est fâché et se retient de frapper. À
moins qu’il soit déçu, déçu de moi. Je le suis aussi. Je prépare sans
conteste la corde qui me pendra. Ignorant ces pensées pessimistes, je
reprends mon dessin et poursuis plus doucement.
— J’ai accepté la bière parce qu’Ethan l’avait déjà décapsulée avant de
me l’offrir. Je ne voulais pas la gaspiller, alors que le budget des étudiants
est souvent serré. Je n’ai pas réfléchi.
Alors que je croyais que ma réponse le satisferait, Ryan contracte
davantage les mâchoires. Cette fois, il est enragé, il n’y a pas de doute. Il se
lève pourtant lentement et marche vers moi. Je l’observe avec attention
pendant qu’il pose une fesse sur son bureau. Il ferme les paupières, l’air de
vouloir se contrôler. J’en profite pour retourner mon calepin afin de cacher
mon dessin.
— Evie, je te demande une dernière fois de me confirmer que jamais
tu n’as consommé d’ecstasy.
— J’ai déjà avoué m’être rendue volontairement chez Ethan, avoir
accepté de boire une bière en sa présence, avoir pris plaisir à coucher avec
lui. Pourquoi te mentirais-je à ce sujet ? À ce moment-ci, ce serait un
miracle si je ne pourris pas en prison, alors à quoi bon réfuter un détail
aussi banal que celui-là ? Je ne consomme pas d’ecstasy, ni aucune autre
cochonnerie du même genre. Traite-moi de traînée sans jugement, mais
pas de droguée.
Après un soupir rempli de frustration, Ryan largue :
— Il se trouve que tu avais l’équivalent d’une dose, voire presque
deux, dans le sang.
— C’est impossible !
— Ton analyse sanguine le confirme, Evie. Je suis maintenant
convaincu, à moins que tu mentes, réitère-t-il en rivant ses iris aux miens,
qu’Ethan en a versé dans ta consommation.
Je m’écroulerais si je n’étais pas déjà assise. Ethan, cet étudiant si
gentil, m’aurait droguée pour abuser de moi. Je n’arrive pas à le concevoir.
Des larmes s’échappent de mes yeux lorsque je bats des paupières.
J’aurais préféré avoir une longue pause après ma rencontre avec Evie.
L’interroger comme une criminelle alors que je suis convaincu, plus que
jamais, qu’elle n’est qu’une victime dans cette histoire était déjà éprouvant,
mais me retenir de la serrer dans mes bras quand j’ai appris qu’elle avait
été une proie pour Ethan Lewis a représenté le plus grand défi. Puis, lire
toute la tristesse dans ses yeux lorsqu’elle s’est avouée désillusionnée par
sa relation avec Burke a achevé de me broyer le cœur. Je ne voulais pas
être si dur avec elle en lui soumettant l’hypothèse que son fiancé la
trompait. Je souhaitais d’une part vérifier ses impressions, car un détail
me titille depuis un moment, et j’espérais, d’autre part, qu’elle cesse de se
sentir coupable pour ses soi-disant agissements. Evie se traite de traînée
sans jugement, pourtant je vois plutôt une femme qui commence à peine à
réagir à cette carence affective dont elle a souffert à l’adolescence, et fort
probablement au cours des deux dernières années. J’ai une théorie quant à
la froideur que dépeint Evie au sujet de son partenaire. Or, s’il s’avère que
mon intuition ne me fait pas défaut, concernant Alexander Burke, la
nouvelle pourrait anéantir Evie.
En attendant, le visionnement des vidéos de la galerie que m’a
acheminées l’homme d’affaires confirme mes soupçons. Je devrais fouiller
davantage, mais le plus important pour le moment est que les films
appuient les dires du galeriste, selon lesquels Ethan Lewis était souvent
dans les parages. D’après lui, il semblait dévorer Evie des yeux sans que
l’enseignante semble pour autant le réaliser. De fait, elle est souriante,
enjouée et concentrée à faire le guide partageant sa passion pour l’art. C’est
un bon point pour la défense d’Evie. Comme elle l’a souligné, le
responsable est ailleurs et espère tourner les soupçons vers elle. Il reste
donc à connaître le mobile du meurtre pour aligner mon enquête vers un
autre suspect. À ce sujet, j’aurai bientôt des comptes à rendre, le dossier est
loin d’avancer comme je le voudrais. J’aurai vite besoin d’un nouvel accusé
à mettre sous la dent de mon supérieur. Alors, à partir d’ici, le suspect est
Alexander Burke, l’homme jaloux, possessif, bien que peut-être pas aussi
amoureux de sa fiancée qu’il veuille le faire croire.
Si Alexander me ment sur ses séjours à New York et San Francisco, j’ai
tout de même découvert des frais liés à ses déplacements là-bas. Il s’y rend
réellement, mais pour des périodes plus courtes que celles annoncées. De
plus, parmi les dépenses récurrentes de restaurants, de bars et d’autres
endroits semblables, il y a, chaque fois qu’il va à San Francisco, un
montant fixe pour la location d’un smoking. C’est l’élément le plus
intrigant de toutes mes découvertes. Alexander porte toujours un smoking
lors des galas ici, à Miami, alors ce n’est pas étonnant que s’il fréquente un
lieu où la tenue élégante est requise il endosse aussi ce genre de
vêtements. Or, je croyais qu’il se rendait dans ces villes surtout pour
rencontrer des clients et parfois de nouveaux artistes. Les dépenses
faramineuses dans les restaurants, les bars et les hôtels sont donc
justifiées, mais la location du costume de cérémonie s’explique mal.
D’autant plus que la fréquence est étrangement fixe. Je ne sais plus quoi
penser de tout ça, mais pour l’heure je dois me préparer pour ma soirée
avec Olivia.
Debout devant le miroir de la salle de bain, j’évalue les sous-vêtements
que j’ai choisi de porter. J’ai toujours aimé la lingerie fine, mais je me
souviens maintenant qu’Alexander s’y attarde rarement. Je trouve ce
constat désolant quand je songe au gros budget que j’y consacre chaque
saison. Comme la plupart des femmes, j’aime les vêtements, mais c’est
avec des dessous affriolants que je me sens belle, que je me sens femme.
En m’examinant, je découvre une fille amaigrie.
Peut-être qu’Alexander est de mon avis et que mon corps ne lui plaît
plus.
Le carillon de l’entrée interrompt l’évaluation attentive de mes courbes.
Je cours répondre à Olivia sans enfiler ma robe.
— Tu feras fureur dans cette tenue ! s’exclame ma copine en
m’apercevant.
Je rigole en retournant à la salle de bain pour terminer de me préparer,
suivie d’Olivia.
— Justement, je me trouve un peu maigre, dis-je en saisissant de
l’huile coiffante pour lisser quelques mèches.
— C’est vrai que tu as perdu du poids, acquiesce Olivia, mais tu es
encore superbe. Si tu savais à quel point j’envie ton cul.
— Et moi ta poitrine. Je n’ai plus de seins, dis-je en les empoignant.
— Alors tes mains sont trop petites, plaisante-t-elle, parce que ça
déborde de tous les côtés. En tout cas, je connais bien des hommes qui
s’en satisferaient largement.
Une image d’Alexander s’immisce dans mon esprit.
À l’évidence, pas lui.
— À ce propos, j’ai eu la visite de ton séduisant détective, renchérit
Olivia.
— C’est vrai ? dis-je nonchalamment en continuant ma coiffure,
malgré ma soudaine envie de connaître le contenu de leur échange.
— Oui, répond simplement ma copine en sortant son fard de son sac
pour retoucher son maquillage.
Je l’observe du coin de l’œil en espérant qu’elle poursuive, mais ce
n’est pas le cas. Du moins pas avant que nos regards se croisent et
qu’Olivia parte d’un grand éclat de rire.
— Curieuse ? s’enquiert-elle.
— J’imagine que vous avez parlé du meurtre, sinon il était là pour
plaider la cause de son ami criminaliste.
— Il est venu pour me questionner au sujet de l’affaire. J’en ai profité
pour tenter de le soudoyer afin qu’il informe Dave du bar où nous sortons.
Je crois qu’ils viendront.
— Je préférerais ne pas le croiser. Notre rencontre a été pénible, dis-je
en me dirigeant vers ma penderie.
Si j’étais honnête, j’avouerais que je repense plutôt à la fin de cet
entretien, moment pendant lequel j’ai senti une nouvelle ouverture de sa
part à mon endroit. Je m’accroche à ce bref espoir que Ryan me voie
autrement que comme cette présumée meurtrière sur qui il enquête.
— C’est normal que ce soit désagréable, Evie. Pour l’instant, tu es
soupçonnée d’un crime qu’il doit résoudre. Dès que tout ça sera terminé,
votre relation changera, explique Olivia quand je reviens vers elle en
détachant la fermeture éclair de la robe que j’enfile aussitôt.
— Je ne crois pas. Il était très froid pendant l’interrogatoire. Il a établi
une distance évidente ; il est dans ma vie pour élucider cette affaire, point
final.
Je laisse aller un soupir, tout en me tournant pour demander l’aide de
mon amie pour attacher ma robe.
— Tu réalises que je vis dans la maison d’un gars et que je te parle
d’un autre ? Quelle garce, je suis !
— Je t’ai déjà parlé de deux types en même temps, me rappelle Olivia.
— Il ne s’agit pas de deux hommes ordinaires. Je partage ma vie
depuis deux ans avec l’un d’eux, quant à l’autre…
Je baisse les yeux sur mes doigts où il y a la fausse bague de fiançailles
d’Alexander.
Même ça, c’est un mensonge. Je la retire et la lance avec fracas dans un
vide-poche. Olivia observe d’un œil intrigué mon geste brusque.
— L’autre ? s’impatiente-t-elle.
— Ryan est… En fait, quand je m’arrête à penser à lui, je me dis que la
fidélité est un concept qui mérite d’être défini.
— Voilà Platon qui revient, me taquine Olivia en me claquant une
fesse pour m’aviser qu’elle en a fini avec mon attache.
— Je n’ai peut-être pas trompé Alexander avec Ryan, mais toutes les
cellules de mon corps ont envie de lui. C’est bien pire que de passer à
l’acte.
— C’est pour cette raison que tu souhaites rompre avec Alexander ?
Parce que tu te sens coupable de fantasmer sur un autre ?
— Non. En ce moment, c’est terminé entre Alexander et moi. Non
seulement je m’autorise à rêver d’un homme, mais je suis à deux cheveux
de m’en permettre plus.
— Alors tu es une nouvelle célibataire ? relève Olivia, le sourire
coquin. Si Ryan est là ce soir et qu’il décide de t’embrasser, tu le laisseras…
— Ça n’arrivera pas. Je pense que son travail est trop important. Et
puis, ce n’est pas parce qu’il me plaît que le sentiment est partagé.
Olivia s’esclaffe, mais s’arrête quand elle remarque que je ne vois pas
ce qu’il y a de drôle.
— D’accord. Oublions le flic sexy pour un instant. Si un homme
séduisant t’approche ce soir, tu te présentes comme une fille célibataire ou
une femme fiancée à un galeriste constamment en voyage d’affaires… qui
s’ennuie… beaucoup ?
Je souris devant l’astuce un peu tordue de sa demande.
— Si j’étais Alexander, je ne souhaiterais pas que toute la ville sache
avant moi que ma fiancée a l’intention de rompre. D’ailleurs, je réalise que
je te l’ai dit et que je l’ai aussi confié à Ryan.
— Et tu crois qu’on va passer une publicité à la télé ?
— Non. Mais aussi longtemps que je ne lui ai pas parlé, je suis fiancée
à cet homme.
Même si lui s’en fiche…
— Ahhh ! geint Olivia comme une enfant de quatre ans à qui on
refuserait une sortie dans un parc d’attractions. Que c’est ennuyeux !
J’aurais préféré que tu te sentes prête à autre chose dès ce soir. De toute
façon, avec cette tenue, les mecs seront nombreux à poser leur candidature.
Tu auras tout le loisir de revoir tes intentions.
— Ma robe n’est pas convenable ?
— Elle est parfaite, m’assure Olivia. Elle te va très bien.
Un sourire taquin fait briller ses yeux bleus d’un éclat lumineux.
Incertaine, je me jette un coup d’œil dans la glace. J’aime bien cette robe
rouge au tissu confortable et sans artifice. Comme le dos est ouvert et
qu’un cordon au cou sert de bretelle, elle me permet de danser sans être
restreinte dans mes mouvements et, surtout, sans avoir trop chaud. Je l’ai
choisie pour cette raison.
— J’adore cette robe, dis-je enfin avant d’appliquer mon rouge à lèvres.
Je me fiche de ce que les autres peuvent penser.
Ce soir, ce que je veux, c’est sortir et oublier tout.
BLACK-OUT
J’ouvre les yeux pour fuir la scène terrifiante qui arrive où je vois du
sang gicler. Seule, dans ma chambre, je me replie contre mon oreiller et
tente d’identifier les émotions qui m’habitent. Je déteste d’avoir fait
ressurgir ces images. J’espérais retrouver la tendresse de Ryan et non les
abus d’Ethan. J’ai si honte d’avoir encouragé ce jeune à se servir de moi. Il
m’a droguée certes, mais j’ai été faible. Même qu’il y a fort à parier que je
me suis rendue chez lui parce que j’étais désillusionnée de ma relation
avec Alexander. Après tout, si Ryan ne m’avait pas rejetée, il me ferait
l’amour dans mon lit en ce moment. Tout compte fait, peut-être ai-je aussi
été infidèle à Alexander avec Ethan ?
Quelle garce, je suis !
Je cesse de me flageller mentalement et revois le visage de mon
délicieux policier, souriant, sur la plage. Je touche mes lèvres où il a posé
les siennes. Je me souviens de leur texture. Je repense à ces quelques
minutes où j’ai eu accès à l’homme derrière le flic. À cet instant, Ryan avait
l’allure d’un homme sensuel et passionné. Je meurs d’envie de le revoir.
Cette bouche satinée, je la veux sur moi, je le veux tout entier.
C’est en repensant à ces moments exquis avec Ryan que je ferme les
yeux et trouve le sommeil.
18
Ryan
Si j’ai vécu des moments précieux avec Evie hier soir, je me suis
toutefois repenti durant toute la nuit d’avoir été aussi imprudent et
également de l’avoir plantée sur la plage sans explication. Maintenant que
j’ai goûté à une parcelle de ce qu’elle a à m’offrir et que c’est cent fois
mieux que je ne l’imaginais, je ne vois pas comment je parviendrai à être
dans la même pièce qu’elle sans recommencer. Pourtant, je suis loin de
pouvoir me laisser aller à un tel risque. Et si quelqu’un nous avait
aperçus ? Je me répète comme un mantra que je m’invente des scénarios-
catastrophes à tort, mais rien n’y fait. J’ai demandé à Dave qu’on se
rencontre pour le petit-déjeuner afin de m’aider à me calmer, mais bien
sûr, ayant passé la nuit avec Olivia, il a du sommeil à rattraper. J’étais aussi
heureux que frustré d’apprendre la nouvelle. Cette femme lui a tapé dans
l’œil et c’est tant mieux, mais je suis jaloux de mon ami de pouvoir vivre
librement cette idylle. Je rêve à un avenir pas trop lointain où toutes les
accusations contre Evie seront écartées et où je pourrai l’emmener dans un
restaurant sans craindre qu’on nous voie ensemble. J’ai envie de me
perdre dans ses yeux magnifiques et de lui avouer à quel point elle me
rend dingue. Beaucoup plus que ce qu’elle peut imaginer. À défaut du
petit-déjeuner, Dave a proposé un ou deux matchs de volley-ball sur la
plage, en après-midi. C’est encore mieux finalement.
En attendant de pouvoir me prélasser sous les couvertures avec une
jolie rousse, je me pointe au bureau à l’aube. Je n’ai pas l’intention de lui
téléphoner ce matin, même si je meurs d’envie d’entendre sa voix.
Déterminé à mettre cette affaire derrière moi au plus vite, j’épluche tous
les documents susceptibles de me fournir de nouvelles informations.
Je dépouille les relevés bancaires d’Alexander Burke depuis une
dizaine de minutes en songeant que jamais je ne pourrai offrir à Evie ce
que cet homme lui donne. Ce type est foutrement riche. J’aime croire son
amie Olivia quand elle prétend qu’Evie n’est pas avec lui pour son argent.
C’est aussi l’impression que j’ai d’elle.
N’empêche que c’est facile de se satisfaire de peu quand on peut tout se
payer !
J’ignore ce que je cherche précisément. Peut-être une irrégularité dans
les transactions effectuées les jours autour du meurtre. Rien d’éclatant
n’apparaît. J’en découvrirai peut-être davantage avec les relevés de cartes
de crédit. Justement, au moment où je mets les comptes bancaires de côté,
mes yeux restent scotchés sur un montant. C’est la deuxième fois que je
vois un retrait de vingt mille dollars. Bien que Burke soit un homme
fortuné, ça représente une somme importante. Je vérifie une trentaine de
jours plus tôt. De fait, je découvre que le galeriste a de nouveau eu besoin
de liquidités. Inévitablement, j’analyse les mois précédents.
Que fait Alexander Burke avec vingt mille dollars comptant tous les
mois ?
Les pieds sur mon classeur, je fixe le ciel bleu par la fenêtre en me
demandant comment j’ai pu en arriver là. Je ne suis pas objectif dans cette
affaire. Dès que j’ai reçu le dossier, j’ai décrété que ce serait compliqué. En
apercevant Evie, dès la première seconde, je me suis tout de suite braqué
en songeant que je devrais être très vigilant. En la découvrant un peu plus,
je suis carrément tombé sous son charme. Maintenant que je l’ai tenue
contre moi et que nous avons partagé un court moment, ô combien
exaltant, je ne vois plus clair. Tout ce que je voudrais, c’est m’enfuir avec
elle sur une île déserte et oublier ce dossier qui risque de tout faire éclater.
Fait chier !
Songeur, je prends le sac des pièces à conviction contenant le cellulaire
enfin déverrouillé de Lewis, dans le but de décortiquer tout ce qui s’y
trouve. Les premières minutes sont d’une banalité déconcertante ; des
échanges de textos en tout genre avec des copains, des invitations à des
fêtes et quelques messages mielleux à sa petite amie. Après un certain
temps, je note quelques incohérences me prouvant qu’il lui mentait. Il
promet de la voir, mais prétend plus tard qu’il doit étudier, alors qu’un
texto atteste qu’il retrouvera plutôt une autre fille chez elle. Ce n’est pas
une découverte exceptionnelle, mais c’est la confirmation qu’il était
infidèle à Dakota ou, du moins, qu’il n’était pas honnête avec elle. Je
pourrai donc soulever cet élément et, surtout, j’ai le nom d’une étudiante
universitaire à rencontrer. Qui sait où ça pourrait mener ? Pour le moment,
ça prouve qu’il était un petit menteur, mais ça ne justifie pas son meurtre.
Et me dit encore moins qui en est l’auteur. Soudain, une nouvelle
hypothèse s’impose. Et si Dakota les avait surpris ? C’est elle qui les a
découverts et qui a appelé les secours. Comment se fait-il que je n’aie
même jamais vérifié son alibi ? Je veux me convaincre que c’est Burke le
coupable.
Parce que j’ai envie de l’enlever de l’équation pour me permettre d’être
avec Evie, me nargue une petite voix.
Ce constat me dirige vers une autre idée encore plus troublante. Les
sentiments que je conçois pour cette femme finiront par lui nuire, alors
que ce que je désire, c’est la blanchir de ces terribles accusations qui
pèsent sur elle. Je devrais demander à être déchargé de cette enquête.
Avant de prendre une décision, je consulterai à nouveau la déposition de
Dakota Garner, mais d’abord, je dois terminer d’examiner le téléphone
d’Ethan Lewis.
Après les textos, je me penche sur les réseaux sociaux, peu garnis pour
un gars de son âge. Il les utilise surtout pour diffuser son travail : ses
vidéos et courts métrages. Puis, sans avoir de grandes attentes, je vais
regarder ses photos. Pourtant, le premier cliché sur lequel je tombe me
trouble au plus haut point. J’y vois Evie, allongée sur un lit, les yeux
fermés, partiellement nue.
Petit salaud !
Il a pris le risque de la photographier. Probablement pour montrer à
ses potes qu’il a relevé le défi ; la preuve de ses exploits. Mon cœur se
serre. Je passe aux suivantes, mais elles n’ont pas de lien avec Evie. Je suis
soulagé, mais ça ne dure pas lorsque je bascule vers les vidéos. Ethan
Lewis n’a pris qu’une photo, préférant plutôt immortaliser leurs ébats sur
vidéo.
Durant les premières secondes du film, on y voit l’étudiant en train
d’installer sa caméra avant de retourner vers le lit où Evie est allongée,
presque nue. Les doigts tremblants, j’arrête la vidéo.
Le cœur battant à un rythme anormalement élevé, je fixe l’écran en
songeant que je risque de trouver la réponse à bien des questions. Je
ferme les yeux en réfléchissant au fait que quoi que je découvre sur ce
film, je n’aurai d’autre choix que d’en parler à mon lieutenant, même s’il
s’agit d’une preuve incriminante pour Evie.
Ça me tuerait.
Déterminé à en finir au plus vite, j’appuie de nouveau sur le bouton.
Evie est donc allongée sur le dos, sa robe est détachée et elle n’a plus de
sous-vêtements. Elle paraît inconsciente jusqu’à ce que sa tête s’incline
vers l’arrière alors que Lewis empoigne un de ses seins en même temps
qu’il met sa main entre ses cuisses. Ses paupières s’ouvrent
momentanément lorsqu’il descend sur elle pour remplacer ses doigts par
sa bouche.
Je ferme les yeux quelques secondes alors que le bassin d’Evie semble
osciller de plaisir. Elle marmonne des paroles inaudibles. J’arrête le film
pour retourner en arrière, m’obligeant à subir de nouveau ces horribles
images. Hélas, ses propos ne sont pas plus clairs la deuxième fois. Par
contre, ceux de l’étudiant le sont :
— Tu es délicieuse. Dis-moi que ça te plaît, demande Ethan.
Evie toujours inconsciente ne réagit pas, alors il renchérit.
— Dis-moi que tu me veux. Je t’aime, assure-t-il en montant sur Evie
pour s’introduire en elle.
Encore là, elle ouvre un instant les yeux et tente d’articuler quelque
chose, mais l’expression de son visage donne l’impression que ça ne lui
plaît pas. L’instant suivant cependant, elle ouvre les lèvres pour soupirer
son plaisir. Alors que je voudrais crier de rage, j’entends enfin les
premières paroles d’Evie :
— Ethan, je t’en supplie arrête…
Yes !
— Tu es si étroite, si chaude, murmure Ethan. Tu es si parfaite.
Malgré la demande très claire d’Evie, le jeune homme continue à la
pénétrer avec de plus en plus d’ardeur. Il s’écoule encore plusieurs
secondes avant que je voie l’étudiant se crisper, me faisant deviner qu’il a
atteint son plaisir. Ne paraissant pas consciente qu’il est trop tard, Evie
répète, pas aussi nettement que la fois précédente, mais tout de même
distinctement :
— Ethan, arrête…
Ses mots s’envolent quand il se retire d’elle et l’abandonne sur le lit.
Lewis marche vers la caméra en souriant et a même le front de refermer
un œil de satisfaction pour conclure son film. Puis, juste avant qu’il
atteigne son téléphone, on voit Ethan propulsé contre un mur. L’écran
devient noir et seuls des bruits chaotiques demeurent. Le son de coups,
puis un cri étouffé et enfin le silence le plus complet. Plusieurs secondes
s’écoulent avant qu’il y ait du mouvement de nouveau. Comme si des
meubles étaient déplacés. Le calme revient plusieurs minutes plus tard, et
ce n’est qu’à ce moment-là que la vidéo se coupe.
Je suis aussi essoufflé que si j’avais moi-même vécu l’assaut ayant pris
la vie d’Ethan Lewis. Tant à cause des bruits attestant d’une bagarre que
par les images d’Evie. S’il n’était pas déjà mort, je rendrais une visite à cet
enfoiré. Bien que je sois troublé, c’est ma meilleure découverte jusqu’ici. Je
copie le film sur une clé USB et cours vers le bureau de mon supérieur
pour lui présenter cette nouvelle preuve.
La tête penchée sur un document, les tempes prises en étau entre mes
doigts, tentant de comprendre le relevé bancaire que j’ai sous les yeux,
j’attends l’appel de Dakota Garner. J’espère que l’ex-copine d’Ethan Lewis
pourra m’expliquer d’où proviennent les cinq mille dollars déposés dans
son compte une semaine avant sa mort. C’est une recrue de mon équipe
qui a soulevé cette surprenante transaction. Un coup de fil à l’institution
financière a permis de confirmer que le dépôt a été effectué en argent, un
détail pour le moins étonnant. D’autant plus que, selon toute
vraisemblance, l’étudiant n’était pas si fortuné. Sans être dans une
situation précaire, il bénéficiait de finances modestes. J’ai analysé que,
chaque mois, le père d’Ethan faisait un virement de huit cents dollars, qui
paraissait servir pour les dépenses mensuelles de nourriture et autres
besoins de ce dernier. Les frais universitaires et de logement, eux, étaient
payés par chèque au début de chaque trimestre par les parents. Nul doute
pour moi, cette somme de cinq mille dollars est très inhabituelle. J’ai bien
tenté de communiquer avec le père pour connaître la provenance d’un
montant aussi important, et à défaut de le joindre par téléphone, je me
suis rendu sur place. J’ai appris par les voisins que les Lewis s’étaient
exilés aux îles Caïmans pour les trois prochaines semaines parce que la
mère, en dépression, avait besoin de changer de décor. C’est légitime. Au
besoin, j’insisterai, mais en attendant je croise les doigts pour que
l’étudiante ait été mis au courant de ce dépôt.
Même s’il est à peine quatorze heures, je referme la chemise cartonnée
que j’ai sous les yeux, me lève pour éteindre la lumière de mon bureau et
prends congé de mes collègues pour le restant de la journée. Je cueille mon
cellulaire qui sonne dans ma poche en fermant ma porte.
— Knight, dis-je en marchant dans le corridor menant à l’extérieur.
— Salut, Ryan. Nous avons un match, annonce Shawn, le technicien
que j’ai chargé de relever les empreintes sur les verres de Burke et de
Hamilton.
— Sérieusement ? Sur les deux ?
— Seulement l’avocat. J’ignore encore où elles ont été prélevées, mais
les mêmes empreintes sont bel et bien dans l’appartement de la victime.
Tu veux que je pousse les analyses ?
— S’il te plaît. Focalise ton attention sur l’arme du crime. Si nous
obtenions une concordance, ce serait inespéré.
J’en doute parce que Hamilton est avocat, il a certainement été prudent.
D’un autre côté, si le meurtre a été commis sous le coup de la colère
comme je le pense, il pourrait avoir agi vite. Sait-on jamais !
Je coupe la communication et cherche à trouver un nouveau mobile
pour le meurtre d’Ethan Lewis en considérant ces nouvelles données.
Miles Hamilton s’est bien retrouvé dans l’appartement de la victime, mais
quelles raisons avait-il de l’abattre ? Pour le moment, je n’en ai pas la
moindre idée. Est-ce que cette somme d’argent déposée dans le compte du
jeune homme pourrait être un motif valable ? Pour un étudiant, ça
représente beaucoup de fric, mais pour Miles Hamilton, ce n’est rien. Du
moins pas assez pour justifier de le tuer. À moins, bien sûr, que ce soit
une dispute qui a dégénéré en bagarre pour se conclure tragiquement. Ce
qui ne ressemble en rien à ce que dévoile la vidéo.
Hamilton aurait-il pu se disputer avec Lewis et revenir plus tard pour se
venger ?
Ce serait étonnant. Dans ce cas, l’assassin aurait été mieux préparé. Et
la même question demeure : comment est-il entré ? Peut-être a-t-il été
invité s’ils se connaissaient ?
Je souhaiterais lancer un mandat d’arrestation, mais c’est beaucoup
trop tôt. Un manque de preuves – ou encore l’absence de preuves – ferait
tout rater. Même si je suis impatient de mettre cette affaire derrière moi, je
ne dois pas me précipiter. Je doute que cet avocat soit assez con pour s’en
prendre à Evie après notre rencontre de ce matin.
Bien que nous ne soyons jamais assez prudents…
Je pianote le numéro d’Evie tout en déposant ma tasse de café vide au
lave-vaisselle dans la salle des employés. Sa boîte vocale s’enclenche à la
cinquième sonnerie. Je décide de ne pas laisser de message et d’aviser
plutôt Olivia que je souhaite parler à son amie. Finalement, une part de
moi comprend Burke d’avoir eu ce réflexe.
— Knight ! Dans mon bureau ! rugit mon supérieur lorsque je passe
devant sa porte.
Son intonation me surprend. Si Scott Andrew n’a pas atteint le grade
de lieutenant en utilisant de belles formules de politesse, il a l’habitude
d’être au minimum courtois. J’en déduis qu’il est insatisfait du peu de
progrès dans le dossier Lewis. C’est vrai que je n’ai pas grand-chose à lui
servir, mais je dois faire avec ce que j’ai obtenu durant ces dernières
heures.
Je fais volte-face pour le retrouver à pas de tortue. J’ai à peine passé le
seuil de la porte qu’Andrew hurle de nouveau.
— Comment as-tu pu être aussi con ?
Je referme la porte et tente de comprendre ce qui le met si en rogne. Je
n’ai pas le temps d’élaborer une hypothèse que mon supérieur se lève
pour marcher dans son bureau, le visage rouge de colère.
— Je peux savoir…
Avant que j’aie verbalisé ma question, il me lance une clé USB et
largue :
— Tu peux m’expliquer ce qui s’est passé dans ta petite cervelle ?
Je crains d’avoir été vu avec Evie. Sinon je ne sais pas ce qui le met
dans cet état. Si c’est le cas, c’est la fin de ma carrière. Incertain que c’est
bien ce dont il est question, je joue la carte de l’innocence. Scott Andrew se
rassoit, croise ses dix doigts et m’ordonne d’un coup d’œil de m’installer.
— Ryan, reprend-il plus calmement. Tu es un des meilleurs, sinon le
meilleur élément de mon équipe. Je n’ai rien à redire sur ton boulot.
Jamais je n’ai eu à redouter que tes dossiers soient bâclés. J’ai toujours
signé tes rapports en fermant les yeux parce que tu viens d’une famille de
flics et que ton travail en témoigne. Sauf que, lorsque j’ai trouvé ça dans la
boîte aux lettres au retour du lunch, je me suis dit que tu n’avais jamais
fait de conneries pour les réunir en une seule. Comment diable t’es-tu
laissé berner par cette femme ?
Mes épaules s’affaissent en entendant la confirmation que je
souhaitais ne jamais voir arriver.
— Permets-moi de t’expliquer…
— Expliquer quoi ? Dans quelle position tu l’as baisée une fois que le
film s’arrête ? Non, merci, j’ai assez d’imagination.
Si l’heure n’était pas si grave, je rirais presque de sa tête à la fois
découragée et furax. Mais il y a trop de questions qui défilent dans mon
esprit. Qui nous a vus ? Et surtout qui a intérêt à ce que cette vidéo d’Evie
et moi se retrouve au poste de police de Miami-Dade ? L’assassin, bien sûr,
mais dans ce cas pourquoi dévoiler cette information maintenant plutôt
que durant le procès ? Ce qui aurait été bien plus dommageable pour ma
crédibilité.
— Tu as l’intention d’ouvrir la bouche un de ces jours ou tu es trop
épuisé de ta nuit blanche avec la rouquine ?
— J’ai été faible, il n’y a aucune façon pour moi de le nier.
— Je reconnais que peu lui auraient résisté, rétorque Andrew en se
penchant le nez dans sa tasse de café. Et puis, j’ai déjà été jeune et
imbécile, moi aussi.
Je décèle une once d’espoir. Si j’obtiens au moins l’appui de mon
lieutenant, ce serait énorme, même si tout n’est pas gagné d’avance.
— Le fiancé d’Evie McDaniel, Alexander Burke, est homosexuel, j’en
suis certain à quatre-vingt-quinze pour cent.
— En quoi est-ce pertinent, sinon pour justifier que tu baises sa
femme ?
— Son amant, Miles Hamilton qui, par hasard, est aussi l’avocat d’Evie
McDaniel, connaissait Lewis. Ses empreintes ont été relevées dans
l’appartement. Shawn essaie de préciser les tests préliminaires.
Scott Andrew s’installe contre son haut dossier en conservant son
regard pensif sur moi.
— Ton hypothèse ? demande-t-il.
— Elles sont nombreuses, la principale étant que Burke n’avait pas
avantage à ce que sa fiancée le quitte et que son homosexualité soit
exposée au grand jour. Aucune théorie ne se confirme pour le moment. On
vient de trouver un dépôt de cinq mille dollars en espèces dans le compte
du jeune Lewis. Ça pourrait également être une piste. J’attends un appel de
son ex-copine, j’espère qu’elle pourra m’en dire plus. Les parents de la
victime sont à l’étranger. De toute façon, je doute qu’ils soient au courant.
Par contre, le père avait soulevé le fait que son fils n’était pas aussi naïf
que sa femme semblait le croire. Ça, on l’a confirmé, mais y a-t-il plus ?
Faudra voir.
Cette fois, Andrew paraît plus attentif. Je poursuis sur ma lancée :
— Écoute, Scott, je pense qu’Evie McDaniel est en danger. L’assassin
pourrait vouloir l’éliminer. Elle était sur les lieux, alors si elle recouvre la
mémoire, elle pourrait nous en apprendre beaucoup sur cette soirée-là. Tu
as vu comme moi qu’elle était plus ou moins consciente, mais qui sait ?
J’ai avisé Burke et l’avocat que je resterais auprès d’elle pour la protéger.
Mon patron s’esclaffe.
— Finalement, tu es beaucoup plus intelligent que je l’ai supposé plus
tôt, me nargue-t-il.
— Je pense vraiment que l’un de ces deux hommes peut être une
menace pour elle, voire les deux, dis-je, balayant la moquerie de mon
supérieur du revers de la main.
— Tu sais que si une copie de ce film circule, ta crédibilité prendra
une solide dérape.
— Elle n’est plus une suspecte, mais une victime.
— Et c’était le cas, à ce moment ?
— Elle ne l’est plus maintenant. Si l’intention était de sortir la vidéo
dans les médias, ce serait fait. C’est une menace, sans plus, et selon moi,
elle provient de l’un des deux hommes que j’ai reçus dans mon bureau ce
matin. Ce qui prouverait leur responsabilité dans l’affaire. Bien sûr, la clé
USB est exempte d’empreintes ?
Andrew confirme l’évidence en bougeant la tête.
— Où est Evie McDaniel ? s’enquiert mon lieutenant.
— Je l’ignore, j’essaie de la joindre, sans succès. Burke prend l’avion ce
soir et, si mon hypothèse est bonne, lui et son amant se rendent à San
Francisco au Sanctuary, un club homosexuel sélect où seuls les hommes
sont admis. Ils y vont chaque mois à peu près à ces dates.
— Donc, tu peux rester loin d’elle ?
L’annonce de l’arrivée d’un nouveau courriel sur mon téléphone
interrompt notre discussion. Il provient de la directrice du campus de
l’université de Miami.
— J’attends une réponse importante au sujet des cartes d’accès émises
le campus.
Scott Andrew m’indique d’un mouvement de menton d’effectuer la
vérification escomptée. Le temps de lire le message en diagonale et de
télécharger la pièce jointe, je zoome pour repérer les noms que je cherche.
Comme je le pensais, ceux d’Alexander Burke et de Miles Hamilton n’y
figurent pas. Déçu, je me prépare à refermer le fichier quand une autre
section attire mon attention… dans laquelle est inscrit le nom du galeriste.
— Alexander Burke a une carte d’accès.
— Comment ça se fait ? s’étonne Andrew.
— Il siège au conseil d’administration et, selon la catégorie « accès
honorable » classée en retrait, il en serait un membre particulier. Je vais
confirmer le tout, mais pour l’instant on sait qu’il pouvait être sur les lieux
du meurtre sans que sa présence soit sue. L’étau se resserre.
— Tu n’as pas dit que c’étaient les empreintes de l’avocat qui avaient
été trouvées ?
— En effet, l’accès était permis à l’un des hommes, mais c’est l’autre
qui s’est retrouvé sur le campus. Complicité ?
— Écoute, Ryan, soupire Andrew, j’ai confiance en ton jugement… la
plupart du temps, ajoute-t-il en plissant le coin de la bouche. Seulement, je
n’ai pas besoin de mauvaise presse pour cette affaire. Tu peux très bien
organiser la surveillance d’Evie McDaniel par un agent. Je comprends
toutefois que tu as un intérêt particulier à le faire. Tu dois me promettre
de demeurer en protection éloignée.
— Je ferai ce que je crois opportun pour sa sécurité.
— Tu sais que tu peux la sécuriser sans être dans son lit, me fait-il
remarquer en souriant.
Je me lève sans répondre.
— Je m’occupe de faire filer les hommes à San Francisco. Pour le reste,
je n’ai jamais eu cette clé USB et nous n’avons jamais eu cette discussion,
lance Scott Andrew pendant que j’ouvre la porte pour sortir de son bureau.
Voilà une bonne affaire de réglée !
Espérant trouver Evie chez elle, je fais un détour dans son quartier. Or,
aucune voiture n’est dans l’allée et je n’obtiens pas de réponse en sonnant
à la porte d’entrée. Je récupère mon cellulaire pour téléphoner d’abord à
Dave avant de communiquer avec Olivia. J’ai la surprise de remarquer un
appel manqué de sa part. Son court message demande à ce que je la
rappelle le plus vite possible. Je ne tarde pas.
En un discours ininterrompu, Olivia me raconte ce dont Evie et elle ont
été témoins hier soir, en revenant de Key Biscayne. Bien sûr, ce n’est pas
une primeur pour moi, mais je suis satisfait de confirmer ma théorie.
Cependant, en entendant l’état dans lequel s’est retrouvée Evie après cette
découverte, je sens mon cœur se serrer. Apprendre l’homosexualité de son
partenaire est déjà difficile, l’avoir sous les yeux l’est autrement.
La designer m’explique ensuite le projet d’Evie pour les prochaines
journées et son désir d’être seule, et me fait part de ses inquiétudes de la
laisser à l’écart de la ville, considérant que le meurtrier court toujours. Je
rassure Olivia à ce sujet. Même si une partie de moi demeure aussi un peu
inquiète, je n’ai pas l’impression que les deux hommes prendront mes
menaces à la légère, et, en plus, je sais qu’ils partent pour San Francisco.
D’un autre côté, cette intrusion de Hamilton chez Evie pendant laquelle il a
paru péter les plombs m’indique qu’il n’est peut-être pas si sain d’esprit.
Sinon, pourquoi n’a-t-il pas su la boucler jusqu’à ce que l’affaire soit
terminée ? Il y a fort à parier qu’il devient nerveux, et ça, c’est le meilleur
indicateur qu’il n’est pas blanc comme neige.
Ainsi, j’arrête chez moi le temps d’attraper un sac d’effets personnels,
et je me mets en route vers Key Biscayne sans tarder. En chemin, l’appel
tant attendu de Dakota Garner rentre. Je lui demande si elle était au
courant de l’état des finances de son petit ami, incluant une dette ou un
gain récent notable. Ce n’est pas le cas. La seule chose que j’apprends, sans
que ce soit une surprise, est que l’étudiant cherchait du financement pour
la production d’un court métrage. À l’évidence, la collecte de fonds était
amorcée !
— Attendez ! lance Dakota quand je me prépare à la remercier pour sa
collaboration. Ethan m’a parlé d’une offre qu’il a déclinée. Aussi bien le
mentionner juste au cas où ça pourrait être utile. Un homme l’a contacté
quelques semaines avant son décès. Il travaillait pour un réalisateur.
— Pour un stage ?
— Oui. Le type l’a convié à un rendez-vous à San Francisco.
Pardon ?
— Et il a refusé ? dis-je le plus calmement possible.
— Ethan doutait de l’honnêteté du gars. Ça lui paraissait trop beau
pour être vrai. C’est d’ailleurs pour me demander mon avis qu’il m’en a
parlé.
— Il a nommé cet homme ou cette compagnie qui souhaitait le
rencontrer ?
— L’entreprise, oui, mais je ne m’en souviens plus. Ce n’était pas si
connu, mais Ethan avait fouillé le site Internet. Ça semblait bien.
Je me gare en bordure de la route pour me concentrer et noter
quelques détails.
— Pourquoi ne pas avoir soulevé cette information lors de notre
entretien ?
— Honnêtement, je ne croyais pas que c’était important. Ethan avait
déjà des offres depuis un moment. Il était très talentueux, vous savez ?
Cette fois, c’était quand même plus intéressant parce que l’homme avec
qui il a parlé semblait avoir de l’argent. L’avion, l’hôtel et les dépenses
d’Ethan allaient être payés s’il acceptait de s’y rendre.
— Alors pourquoi avoir refusé ?
— Justement pour ces raisons. Il jugeait bizarre que le type en fasse
autant pour lui, un simple étudiant.
— Si je te demandais de fouiller, tu crois que tu retrouverais le nom de
l’entreprise de San Francisco ?
— Je ne peux pas regarder dans mon historique parce qu’on a analysé
le site à partir du portable d’Ethan. C’est probable qu’Ethan ne l’ait pas
supprimé de ses favoris. Mais je vais quand même essayer de me creuser
la tête. Je sais déjà que c’était à San Francisco, c’est un début. Sinon,
l’homme lui a donné une carte de visite.
— Si l’individu lui a remis sa carte, c’est qu’ils se sont rencontrés ?
— Le gars l’attendait à la sortie d’un cours. J’ai du temps, je vais fureter
sur Internet pour trouver le nom de l’entreprise. Vous croyez que ç’a un
lien avec la mort d’Ethan ?
— Nous analysons toutes les pistes, dis-je simplement.
— Vous ne pensez plus que c’est Evie qui l’a tué ?
— Non.
Après un court silence, Dakota relance :
— Votre assistante m’a appelée pour obtenir la liste des gens pouvant
attester que j’étais avec eux le soir du meurtre. Ç’a un lien avec vos
nouveaux soupçons ?
J’hésite à confirmer l’évidence.
— Ce n’est qu’une formalité.
— Je comprends et je ne vous en veux pas, répond la jeune femme.
Vous savez, les rumeurs vont bon train. Je commence à réaliser qu’Ethan
n’était pas exactement celui qu’il prétendait être. Ça me rend malade, mais
jamais je n’aurais pu commettre un geste semblable, même si je l’avais
appris de son vivant. De toute façon, sachez que j’ai déjà envoyé la liste
des gens avec qui j’étais au moment du meurtre.
Après avoir remercié la jeune fille pour sa collaboration, je coupe la
communication. Du coup, j’écarte Dakota Garner de la liste des suspects.
Elle paraît trop vouloir faire la lumière sur cette affaire pour être l’auteure
du meurtre de son petit ami.
Comme je l’espérais, j’ai été honnête avec Evie, mais j’ai quand même
omis certains détails, notamment la participation d’Alexander à des orgies
à San Francisco, ainsi que l’existence de la vidéo réalisée par Lewis,
évaluant que la trahison avait été suffisante pour la journée.
Ensuite, décrétant que nous méritions une soirée de congé, j’ai
abandonné mon portable dans la salle de bain de l’étage et j’ai laissé mon
esprit tourmenté au même endroit pour profiter du temps avec elle. Pour
la première fois depuis très longtemps, j’ai repoussé le travail pour me
concentrer sur l’instant présent.
Cette soirée est parfaite en tout point. Le menu composé de crevettes,
de salade et de légumes marinés, qu’Evie a préparé pendant que j’étais
sous la douche, était exquis. Mais surtout, le calme de l’endroit, la vue et la
compagnie sont incomparables. Je dois me faire violence pour ne pas
l’embrasser ou la toucher.
Au moment où cette pensée traverse mon esprit pour la dixième fois
en autant de minutes, Evie, assise sur la couverture illuminée par les
torches, se laisse tomber sur le dos pour admirer les étoiles, le sourire aux
lèvres, l’air décontracté. Une image que je voudrais contempler pour le
restant de ma vie.
Déjà, lorsqu’elle est descendue après sa douche, je me suis demandé si
je parviendrais un jour à m’habituer à son allure. Sourire aux lèvres, elle
s’est avancée vers moi vêtue d’un boxer féminin et d’un caraco turquoise
sous une veste de lainage négligemment posée sur ses épaules. Ses
cheveux mouillés qui dégoulinaient sur sa poitrine, offrant une délicieuse
transparence au voile la recouvrant, me déconcentraient. Comme
d’habitude, Evie ne semblait pas consciente de son effet sur moi.
Quand je me tourne sur le côté, elle m’imite, exposant son flanc et
faisant émerger un string assorti à son bustier. Même si elle est sublime
habillée de cette façon, je souhaiterais lui retirer chaque bout de tissu pour
embrasser la peau en dessous.
— Je n’en veux pas autant à Alexander que tu pourrais le penser, lance-
t-elle soudain. Avec le temps, je crois que notre union est devenue un
mariage de raison, dit-elle en mimant des guillemets sur le mot mariage.
D’une certaine façon, je crois m’être aussi servie de lui, même si de mon
côté c’était plus inconscient.
— De quelle façon l’as-tu utilisé ? dis-je, étonné par cette déclaration.
— Dans notre société, la réussite se mesure davantage à ce que vous
possédez qu’à ce que vous êtes. C’est un constat désolant, mais assez réel.
Cela dit, je pense qu’une part inconsciente de moi avait l’impression d’être
parvenue à s’en sortir, à cadrer dans ce que la société espère, en étant avec
lui. Ça ne me ressemble pas d’être aussi hypocrite. Pourtant, je ne vois
aucune autre raison d’avoir continué de partager mon quotidien avec
Alexander parce que, lorsque j’y réfléchis de manière rationnelle, plus rien
ne m’attire chez cet homme. Du moins, pas amoureusement parlant. Je
suppose que ç’a été le cas au début, mais la réalité nous a rattrapés.
Forcément. Tu vois, ma mère était aussi une artiste et, à son époque, c’était
moins bien perçu. Aujourd’hui, nous sommes admirés. Dans son temps,
les peintres étaient des ratés qui avaient trop d’imagination. Mon père le
lui a souvent fait sentir, car elle n’avait pas poursuivi de longues études.
Elle travaillait comme serveuse dans un restaurant parce que ça payait
bien, mais elle détestait son boulot. Avec ses économies, elle s’achetait du
matériel pour peindre. Mon père n’a jamais rien compris à son art, et
quand il a su que je peignais aussi, il a jeté le même regard méprisant sur
moi. Comme si je n’étais que le pâle reflet de ma mère, alors que lui
gagnait bien sa vie à titre de comptable d’une grande société immobilière
où il baisait la moitié des employées.
Je la sens émotive de nouveau, alors je ne peux résister à la tentation
de me rapprocher pour poser ma main sur sa taille. Je caresse
machinalement son abdomen du pouce. Contrairement à mes intentions
préalables, mon geste sert plutôt à lui démontrer mon soutien.
— Je crois que d’une certaine façon j’ai reproduit le pattern de mes
parents. Sauf que j’avais pour objectif bien défini de ne dépendre de
personne financièrement. Au risque de faire de la psychologie bon
marché, Alexander représentait peut-être le modèle masculin froid et
distant que j’ai connu, mais aussi le symbole d’une certaine réussite, car
même s’il ne m’a jamais réellement aimée, il admirait mon travail. Je suis
convaincue que c’est ce qui m’a attirée au début. N’empêche que je
comprends mieux la raison qu’il avait de m’utiliser que l’inverse.
Evie me fait taire d’un index posé sur mes lèvres quand je tente de
m’opposer. Je retiens donc mes paroles, mais récupère sa main dans la
mienne pour embrasser ses doigts.
— Tu imagines ce que serait ta vie à devoir cacher celui que tu es
vraiment ? Alexander doit souffrir énormément. Je ne veux pas parler du
meurtre et de toute cette histoire, nous avons assez abordé le sujet pour
aujourd’hui, mais si je ne considère que son infidélité et les mensonges à
mon égard, je comprends pourquoi il s’est servi de moi. J’étais parfaite,
quand on y songe. Sauf bien sûr que je manque de savoir vivre, rigole-t-
elle.
Je lui souris en retour. En ce qui me concerne, cette façon d’agir de
manière irréfléchie comme le font les enfants me charme littéralement.
— Ta présence est inestimable, Ryan.
— J’allais te remercier de m’avoir invité, mais je réalise que je me suis
pointé sans invitation.
— Et c’est parfait… presque parfait, rectifie-t-elle, sondant mon regard.
Evie avance doucement. Elle se retrouve si près que je n’ai d’autre
choix que de l’enlacer, occasionnant un léger dérèglement de mes
battements de cœur.
— Ce qui rendrait cette soirée réellement parfaite, chuchote-t-elle à
mon oreille, c’est que tu fasses ce que je désire depuis le premier jour.
Ses paroles suggestives sont d’autant plus troublantes quand elle rive
ses iris sur ma lèvre inférieure qu’elle caresse d’un pouce délicat. Je sens
mon cœur galoper lorsque sa main descend vers ma nuque pour m’obliger
à m’avancer. Nos bouches se touchent presque, mais aucun des deux ne
franchit les quelques millimètres qui serviront de prélude à ce
rapprochement tant souhaité. Nos souffles se mêlent au point de rendre la
tension insupportable.
— Je serai furieuse si tu m’abandonnes encore, Ryan, murmure-t-elle
contre mes lèvres.
— Je te jure que je ne vais nulle part, dis-je en prenant enfin sa bouche
avec la mienne.
Je la repousse de mon bras afin de l’allonger sous moi pendant qu’elle
me goûte avec cette délicatesse que j’aime tant chez elle. Elle encadre mes
mâchoires de ses deux mains comme si elle ne voulait pas me voir
m’éloigner. Je n’ai pas l’intention de m’enfuir, mais la saveur salée d’une
larme me déconcentre momentanément. Je romps ce délicieux contact
pour l’observer.
— Si tu savais à quel point j’aime ta façon de m’embrasser, Ryan.
Rassuré par ses paroles, je ne tarde pas à recommencer. En maintenant
d’une main le dos d’Evie, j’utilise l’autre pour saisir sa mâchoire avant de
dévorer ses lèvres comme un affamé. Je descends sur sa gorge, puis sur ce
bustier qui m’obsède depuis deux heures. Du bout des doigts, je suis les
détails de la jolie lingerie. La bouche entrouverte, Evie s’offre à moi tout
entière. Ça me rend fou.
Elle s’allonge sur la couverture, pantelante et complètement soumise à
mes caresses. Je cesse de l’embrasser le temps de me délecter de sa vue.
Craignant peut-être que je parte, elle saisit le bas de mon tee-shirt. Je la
rassure en m’inclinant de nouveau au-dessus d’elle. Je lui enlève son boxer
pour découvrir le string qui me fait fantasmer depuis quelques minutes.
Elle se tortille doucement quand je descends le tissu entre ses jambes,
jusqu’à la retrouver vêtue de ses dessous indécents, encadrés par cette
veste inutile qui ne l’a pas cachée à mon regard de la soirée.
— Il y a une certaine inégalité, plaisante-t-elle en tirant sur les côtés de
mon tee-shirt pour me l’ôter.
Comme si elle n’avait jamais touché un homme de sa vie, elle se
redresse pour découvrir mon torse, mon abdomen, mes épaules et mes
bras de ses deux mains. Quand elle remplace ses doigts par sa bouche et
qu’elle s’aventure vers mon bas-ventre, mon attribut masculin resserre
mon caleçon qui devient vite inconfortable. Ce moment délicieux est
interrompu lorsqu’une rafale nous asperge de sable et qu’une des deux
torches tombe au sol. D’un simple coup d’œil, nous nous consultons et
décidons de courir nous réfugier dans la maison.
Ryan s’est endormi en me dorlotant. Moi aussi, j’ai fermé les yeux
pendant quelques heures, mais lorsque j’ai ouvert les paupières et que j’ai
observé l’homme dans mon lit, j’ai eu l’urgente envie de le peindre.
Allongé sur le dos, le drap posé négligemment sur son bassin, il offre son
délicieux torse et ses jambes musclées en spectacle. Comment résister ?
Quand un sujet me fascine autant, la toile prend forme en très peu de
temps. Je n’ai que grossièrement dessiné sa silhouette avant d’attraper mes
pinceaux pour lui donner vie. Je suis concentrée sur le contour de sa
mâchoire lorsque je remarque du mouvement sous ses paupières. Ryan
allonge le bras gauche et tâte le matelas en formant un arc complet. À
défaut de me trouver, il étire le bras droit, sans plus de succès. Ça me plaît
de constater qu’il me cherche avant d’ouvrir les yeux.
— Qu’est-ce que tu fabriques ? demande-t-il d’une voix âpre dès que
son regard ensommeillé croise le mien.
— Ça me semble évident, dis-je en levant mon pinceau bien haut. Je te
peins.
Gêné, il plaque sa main sur son visage souriant.
— Je voudrais te préparer du café, mais j’ai réalisé que je n’ai pas de
cafetière.
Sur ces mots, Ryan se redresse dans le lit.
— Quelle heure est-il ? s’inquiète-t-il en bondissant sur ses pieds.
— Autour de six heures et demie.
— Tu peins depuis quand ?
Je hausse les épaules, car je n’en ai pas la moindre idée. Quand Ryan
vient vers moi, je tourne le chevalet pour cacher mon œuvre.
— Je suis nu là-dessus ? s’enquiert-il en m’enlaçant.
— Non, dans ce cas, j’aurais attendu d’avoir ton autorisation. Si la toile
ne te plaît pas, je la détruirai, mais si tu veux mon avis, je pourrais en
avoir un bon prix. Avec un modèle semblable, c’est voué à devenir un
chef-d’œuvre, dis-je en me rendant près de la fenêtre pour récupérer mon
téléphone.
Je glisse mon doigt sur l’écran et le tourne ensuite vers Ryan.
— Je savais que je perdrais mon modèle à ton réveil, alors je me suis
permis de prendre une photo. Je peux la conserver ou préfères-tu que
j’abandonne un si beau projet ?
Pour seule réponse, Ryan pose ses lèvres sur les miennes, puis file
sous la douche tandis que je me délecte de son joli postérieur. Cet homme,
je l’ai déjà dans la peau. Il l’ignore encore, mais il est condamné à
demeurer dans ma vie.
Après l’arrivée de Ryan, deux policiers en uniforme ont suivi. Ils ont
pris en charge Miles Hamilton, qui n’a pas prononcé un seul mot durant
son arrestation. J’étais encore effondrée au sol, alors Ryan s’est penché
pour me prendre dans ses bras et m’a bercée en caressant mes cheveux.
Après un long moment, alors que tous les intervenants avaient libéré la
maison, je me suis levée et je l’ai attiré avec moi sous les jets de la douche
où nous sommes restés pendant plusieurs minutes à ne rien faire d’autre
que nous enlacer. Ryan paraissait inquiet de me toucher, il se contentait de
demeurer là et de m’entourer de ses bras pendant que je me blottissais
contre lui.
Maintenant, je sens qu’il est temps de passer à autre chose. Cette
histoire est enfin terminée.
— J’ai faim.
— Attends, exige Ryan avant de sortir pour récupérer une serviette.
— J’ai envie d’un burger, des frites et d’une bière, dis-je tandis qu’il
m’entoure du tissu moelleux et m’attire de nouveau contre son torse.
— Tout ce que tu veux, me jure-t-il en posant sa main sur ma joue.
Je me dresse sur le bout des orteils pour presser mes lèvres contre les
siennes.
— Merci, Ryan. Sans toi, ce type écœurant…
— Je suis arrivé beaucoup trop tard, se désole-t-il.
— Au contraire. Tu es intervenu juste à temps. Il ne s’est rien passé
que je ne peux pas facilement effacer de mon esprit. Ç’aurait pu être
autrement.
Quand Ryan veut répliquer, je pose un index sur ses lèvres.
— Tu as raison. Tu dois te faire pardonner. Je veux un burger, des
frites et une bière, dis-je encore.
— Tout ce que tu désires, répond-il, une lueur d’amusement dans l’œil.
— Tout ?
— Tout, confirme-t-il avec un sourire salace.
— Alors, épouse-moi.
Après une fraction de seconde où je vois passer la surprise dans ses
yeux, il étire les lèvres et murmure :
— Dites-moi la date qui vous convient, madame Evie McDaniel-
Knight.
Je lui souris et entoure son cou de mes bras. La tête inclinée, j’attends
qu’il réponde à ma demande silencieuse de m’embrasser. Ce qu’il fait sans
tarder. Je me laisse porter par ce tendre baiser que m’offre Ryan Knight, ce
policier qui deviendra ma protection rapprochée pour toujours.
ÉPILOGUE
Evie