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Contester en Espagne
Crise démocratique et mouvements sociaux
DOI : 10.4000/books.demopolis.1862
Éditeur : Demopolis
Lieu d’édition : Paris
Année d’édition : 2016
Date de mise en ligne : 26 octobre 2020
Collection : Quaero
EAN électronique : 9782354571528
https://books.openedition.org
Édition imprimée
EAN (Édition imprimée) : 9782354570903
Nombre de pages : 332
Référence électronique
GARCIA FERNANDEZ, Alicia (dir.) ; PETITHOMME, Mathieu (dir.). Contester en Espagne : Crise
démocratique et mouvements sociaux. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Demopolis, 2016 (généré le 09
juin 2023). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/demopolis/1862>. ISBN :
9782354571528. DOI : https://doi.org/10.4000/books.demopolis.1862.
© Demopolis, 2016
Licence OpenEdition Books
RÉSUMÉS
Violence de la crise payée au prix fort par les classes populaires après l’éclatement de la bulle
immobilière, plans d’austérité drastiques et chômage avoisinant les 25 %, renouveau de
l’émigration des jeunes, multiplication des affaires de corruption touchant jusqu’à la famille
royale, radicalisation de l’indépendantisme en Catalogne, crise du bipartisme et des partis
socialiste et conservateur, les éléments « dramatiques » ne manquent pas dans le tableau de
l’Espagne d’aujourd’hui. La crise économique, sociale et politique enclenchée depuis 2008
marquera toute une génération.
Mais ce livre montre que cette période troublée a aussi été marquée par le renouveau de la
contestation et l’essor de nouveaux mouvements sociaux : luttes contre les expulsions,
mouvement des indignés mobilisés à Madrid en 2011, résistances syndicales contre les plans
d’austérité, « marées » citoyennes contre les coupes budgétaires dans l’éducation et la santé,
mobilisations féministes et républicaines, renouveau des pratiques artistiques critiques.
Neuf spécialistes offrent des analyses de l’intérieur de l’actualité sociale et politique espagnole,
de l’indignation citoyenne à l’émergence de nouvelles alternatives politiques telles que Podemos
et Citoyens.
NOTE DE L’ÉDITEUR
Cet ouvrage a été publié avec le soutien du Centre de recherches juridiques de Franche-
Comté (EA 3225), de l’école doctorale Lettres, Langues et Spectacle, du Centre de
recherches ibériques et ibéro-américaines (CRIIA/EA 369) et du Conseil cientifique de
l’université de Nanterre.
Sous la direction de
Alicia Fernandez Garcia
Mathieu Petithomme
CONTESTER
EN ESPAGNE
CRISE DÉMOCRATIQUE ET MOUVEMENTS SOCIAUX
Cet ouvrage a été publié avec le soutien du Centre de recherches juridiques de
Franche-Comté (EA 3225), de l’école doctorale Lettres, Langues et Spectacle, du
Centre de recherches ibériques et ibéro-américaines (CRIIA/EA 369) et du Conseil
Scientifique de l’université de Nanterre.
CONTESTER EN ESPAGNE
« QUAERO »
Collection dirigée par Jean-Christophe Tamisier
Dernières parutions :
Emmanuel Ethis,
Le cinéma près de la vie. Prises de vue sociologique sur le spectateur du
XXIe siècle.
Alexandre Fontaine,
Aux heures suisses de l’école républicaine.
Prix Louis Cros 2015 de l’Académie des sciences morales et politiques
Christian Ghasarian,
Rapa. Île du bout du monde, île dans le monde.
Émilie Oléron Evans,
Nikolaus Pevsner, arpenteur des arts.
Pascale Rabault-Feuerhahn (dir.),
Théories intercontinentales. Voyages du comparatisme postcolonial.
Michèle-H. Salamagne et Patrick Thominet (dir.),
Accompagner. Trente ans de soins palliatifs en France.
Illustration de couverture :
Marches de la dignité pour « le pain, un travail et un toit »,
Madrid, 22 mars 2014 (LD).
ISBN : 978-2-35457-090-3
Sous la direction de
CONTESTER EN ESPAGNE
CRISE DÉMOCRATIQUE
ET MOUVEMENTS SOCIAUX
Les auteurs
Matilde Alonso Pérez est docteure en sciences économiques et profes-
seure des universités en économie à l’université de Lyon 2.
Benoît Pellistrandi HVW KLVWRULHQ VS«FLDOLVWH GH OD YLH SROLWLTXH HW
culturelle de l’Espagne des XIXe et XXeVLªFOHV DQFLHQ GLUHFWHXU GHV
études (époques moderne et contemporaine) de la Casa Velázquez
0DGULG HW PHPEUH FRUUHVSRQGDQW GH OD 5HDO $FDGHPLD GH OD
Historia (Madrid).
3
AVANT-PROPOS
5
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
6
Avant-propos
HW U«JLRQDOHV GH TXL RQW SHUPLV ¢ GHV OLVWHV FLWR\HQQHV «WDEOLHV
DXWRXUGH3RGHPRVGHFRQTX«ULU0DGULG%DUFHORQH9DOHQFHPDLVDXVVL
6DUDJRVVHHW&DGL[RQWGRQQ«XQHLOOXVWUDWLRQGHSOXVGHODYRORQW«GH
changement des Espagnols à la faveur du nouveau cycle politique et
social qui s’annonce.
7
1
La crise démocratique
espagnole et le renouveau
de la contestation sociale
Alicia FERNÁNDEZ GARCÍA et Mathieu PETITHOMME
3«WUL GH OȇH[S«ULHQFH GH VHV DQV OȇKLVWRULHQ -RVHS )RQWDQD SUR-
IHVVHXU «P«ULWH ¢ OȇXQLYHUVLW« 3RPSHX )DEUD GH %DUFHORQH QȇD SDV
OD ODQJXH GDQV VD SRFKH 1« HQ DQQ«H GH OD SURFODPDWLRQ GH OD
6HFRQGH5«SXEOLTXHGLVFLSOHGH-DXPH9LFHQVL9LYHVH[SXOV«GHOȇXQL-
versité de Barcelone avec Miquel Roca Junyent pour leur opposition au
U«JLPH IUDQTXLVWH HQ LO D G«GL« OȇHQVHPEOH GH VD YLH ¢ OȇKLVWRLUH
FRQWHPSRUDLQH GDQV XQH SHUVSHFWLYH FULWLTXH 3RXU OXL OD FULVH HVSD-
JQROHHVWDYDQWWRXWmXQHFULVHG«PRFUDWLTXHPDUTX«HSDUOHPDQTXH
de contrôle des citoyens sur les décisions irresponsables des entités
ȴQDQFLªUHVHWGHVUHVSRQVDEOHVSROLWLTXHV1 ». Les dernières années ont
en effet été caractérisées en Espagne par des débats publics intenses
FRQFHUQDQW OHV UHVSRQVDELOLW«V GX SHUVRQQHO SROLWLTXH GHV EDQTXHV HW
GH OD VS«FXODWLRQ ȴQDQFLªUH GDQV Oȇ«PHUJHQFH GH OD FULVH 3HX ¢ SHX
OH GLVFRXUV GRPLQDQW VXU OH mG«YHORSSHPHQW LQȴQL} TXH GHYDLHQW
connaître les générations espagnoles futures s’est effondré. Les ruines
LPPRELOLªUHV Oȇ«PLJUDWLRQ GHV MHXQHV HW OH UHWRXU GH QRPEUHX[ TXD-
GUDJ«QDLUHVFKH]OHXUVSDUHQWV¢ODUHWUDLWHIDXWHGHUHYHQXVVXɚVDQWV
ont substitué à l’imaginaire collectif du progrès futur l’amertume d’un
quotidien marqué par le déclassement social.
šEntretien avec Josep FƵƴƹƧƴƧ, dans José Miguel MƵƴƿʭƴ connu comme « El Gran
Wyoming »), No estamos solos. Un retrato de gente que está cambiando este país, Madrid, Planeta,
2014, p. 77.
9
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
/RLQGHVSURPHVVHV«OHFWRUDOHVGȇDXWUHVLPDJHVRQWIDLWODXQHGHOD
SUHVVH«FULWHHWGHVMRXUQDX[W«O«YLV«VFHOOHVGHVGUDPHVKXPDLQVGHV
expulsions locatives et des queues interminables de chômeurs devant
les agences pour l’emploi ; celles aussi d’une classe politique volontiers
donneuse de leçons relatives aux « efforts nécessaires » à fournir par les
FLWR\HQVHXSK«PLVPHVFRPPRGHVSRXULPSRVHUGHVFRXSHVEXGJ«WDLUHV
massives dans l’éducation et la santé. Mais les Espagnols ont aussi pris
FRQVFLHQFH VFDQGDOH DSUªV VFDQGDOH GH OD IDFH FDFK«H GH QRPEUH GH
OHXUV UHSU«VHQWDQWV SROLWLTXHV JUDQGV DGHSWHV GH Oȇ«YDVLRQ ȴVFDOH GH
la surfacturation des marchés publics et de pratiques d’enrichissement
LOOLFLWH&HWWHSHUFHSWLRQODUJHPHQWSDUWDJ«HHQWUHG«JUDGDWLRQVDQVSU«-
F«GHQWGHVFRQGLWLRQVGHYLHHWKDXVVHGHVLQ«JDOLW«VSDUDOOªOHPHQWDX[
révélations hebdomadaires des fraudes massives commises par les élites
GLULJHDQWHVDG«ERXFK«VXUXQUHQRXYHDXGHODFRQWHVWDWLRQVRFLDOH
&RPPHQW H[SOLTXHU OD FULVH «FRQRPLTXH VRFLDOH HW SROLWLTXH TXH
traverse l’Espagne d’aujourd’hui ? Comment les mouvements sociaux
RQWLOVFRQWULEX«¢ODSROLWLVDWLRQGHQRXYHDX[HQMHX[DXFKDQJHPHQW
social et à l’évolution des mentalités ? Ce chapitre d’introduction réca-
pitule et analyse de façon critique les principales étapes de la crise
«FRQRPLTXH VRFLDOH HW SROLWLTXH HVSDJQROH GHSXLV ,O V\QWK«WLVH
d’abord les aspects essentiels de l’éclatement de la « bulle immobilière »
et de l’appauvrissement des classes moyennes et populaires. Il revient
ensuite sur les politiques d’austérité menées tant par le PSOE que par le
33VXUOHXUSHUFHSWLRQSDUOHVFLWR\HQVDLQVLTXHVXUODFULVHGHODUHSU«-
VHQWDWLRQ SROLWLTXH 3XLV LO SU«VHQWH OH UHQRXYHDX GH OD FRQWHVWDWLRQ
HQ «YRTXDQW Oȇ«PHUJHQFH GȇXQH PXOWLSOLFLW« GH PRXYHPHQWV VRFLDX[
de résistances et de revendications citoyennes au cours des dernières
années. La dernière section présente le plan et précise l’approche de
OȇRXYUDJHTXLRIIUHDXOHFWHXUXQHYLVLRQV\QWK«WLTXHPDLVG«WDLOO«H¢
SDUWLUGȇDQDO\VHVGHVS«FLDOLVWHVGHVSULQFLSDX[ERXOHYHUVHPHQWVVRFLR-
politiques de l’Espagne d’aujourd’hui.
10
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale
FULVHEDQFDLUHGHTXLRQWHQJHQGU«XQHDXJPHQWDWLRQGXFK¶PDJH
et une dégradation des conditions de vie des classes moyennes et popu-
laires2. Certains analystes avaient pourtant critiqué depuis des années le
FDUDFWªUHVXSHUȴFLHOGXmPLUDFOH«FRQRPLTXHHVSDJQRO}XQmPRGªOH}
de développement soutenu de façon consensuelle par le Parti populaire
33 HWOH3DUWLVRFLDOLVWH 362( IRQG«VXUOHVVHFWHXUVGXE¤WLPHQWGX
WRXULVPHOHVG«SHQVHVGHVP«QDJHVHWODFRQVRPPDWLRQLQW«ULHXUHJU¤FH
à l’accès facile au crédit3 /HV G«ȴFLWV GHV DGPLQLVWUDWLRQV GH OȇWDW HW
GHV FRPPXQDXW«V DXWRQRPHV OD UHVWULFWLRQ GHV FU«GLWV EDQFDLUHV DX[
entreprises et la hausse des prêts immobiliers impayés ont transformé
la récession économique et la crise immobilière en un appauvrissement
sans précédent de nombreux secteurs de la société.
La crise immobilière s’explique par une hausse continue des mises en
FKDQWLHU GXUDQW OHV DQQ«HV DORUV P¬PH TXH OD G«PRJUDSKLH
espagnole est déclinante et vieillissante et que de nombreux apparte-
PHQWVHWPDLVRQVWUDQVPLVOHSOXVVRXYHQWSDUK«ULWDJHHWFRQVHUY«VDX
VHLQGHODIDPLOOHVRQWYLGHVHWHQPDXYDLV«WDW/DKDXVVHGHOȇLPPLJUD-
tion au début des années 2000 puis lors du premier mandat de José Luis
5RGU¯JXH]=DSDWHURDHQWUHWHQXOHIDQWDVPHGXG\QDPLVPH«FRQRPLTXH
illimité. Mais le principal problème historique de l’Espagne est lié à ce
TXH 6DPLU $PLQ DSSHODLW HQ VRQ WHPSV mOH G«YHORSSHPHQW LQ«JDO} ¢
VDYRLUOHIDLWTXHOHVIUXLWVGHODFURLVVDQFHUHVWHQWWUªVPDOU«SDUWLVHW
que l’accès à l’éducation et à la formation est très inégal selon les classes
VRFLDOHV/HVFODVVHVSRSXODLUHVSHXIRUP«HVVRQWWRXFK«HVGHSOHLQIRXHW
en temps de crise4$XWRXUQDQWGHVDQQ«HVOȇ(VSDJQH«WDLWDUULY«H
¢XQHVLWXDWLRQR»OȇDSS¤WGXJDLQ¢FRXUWWHUPHGHSURPRWHXUVLPPREL-
liers a conduit à la multiplication de « villes nouvelles » et à la construc-
tion de quartiers parfois très éloignés des transports et des infrastruc-
WXUHV SXEOLTXHV ¢ WUDYHUV OD mYHQWH} DX[ FODVVHV SRSXODLUHV GH OȇLG«DO
d’un ascenseur social fondé sur l’accès à la propriété et le crédit facile.
šLa crise des « subprimes » trouve son origine dans les prêts immobiliers faciles et à risque
concédés par des banques américaines aux particuliers et aux entreprises, sans respecter les
garanties traditionnelles nécessaires. Ces prêts ont été surnommés « prêts Ninja » pour « No
Income, No Jobs and Assets », sachant qu’ils furent parfois consentis à des gens sans revenus,
sans travail et sans aucun type de propriétés ou de ressources. Cette spéculation financière
déclencha des impayés en chaîne, des expulsions et des saisies immobilières, puis la chute
des principales banques américaines et le tarissement du crédit. Cf. Paul JƵƷƯƵƴ, La crise. Des
subprimes au séisme financier planétaire, Paris, Fayard, 2008.
šVicenç NƧƻƧƷƷƵ, « El desastre économico actual era predecible », Público, 29 avril 2013.
šSamir AƳƯƴ, LHG«YHORSSHPHQWLQ«JDO̰Essai sur les formations sociales du capitalisme périphé-
rique, Paris, Éditions de Minuit, 1973.
11
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
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La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale
GH FRUUXSWLRQ m*¾UWHO} QȇD SDU H[HPSOH MDPDLV «W« PLV HQ VHUYLFH6.
/DVFXOSWXUHGH-XDQ5LSROO«VmOȇKRPPHDYLRQ}LQVWDOO«H¢OȇHQWU«HGH
OȇD«URSRUWV\PEROLVHODG«PHVXUHGHFHVLQYHVWLVVHPHQWVSXEOLFV,URQLH
GH OȇKLVWRLUH QRPEUHX[ VRQW FHX[ TXL DVVRFLHQW G«VRUPDLV OȇmKRPPH
DYLRQ} ¢ &DUORV )DEUD SU«VHQW« HQ FRPPH mXQ FLWR\HQ HW XQ
KRPPHSROLWLTXHH[HPSODLUH}SDU0DULDQR5DMR\DORUVFKHIGHOȇRSSR-
VLWLRQ P¬PH VL OȇDUWLVWH QLH RɚFLHOOHPHQW DYRLU YRXOX OH UHSU«VHQWHU7.
/H FLUFXLW GH IRUPXOH GH 9DOHQFH FRQVWUXLW VXU XQH DQFLHQQH ]RQH
LQGXVWULHOOH¢ODS«ULSK«ULHGHODYLOOHGHUULªUHOHSRUWQȇDMDPDLVVHUYLHW
WRPEHHQUXLQHV/DELEOLRWKªTXHPXQLFLSDOHGH/HJDQ«V 0DGULG TXLD
FR½W«PLOOLRQVGȇHXURV¢ODYLOOHQȇDMDPDLV«W«RXYHUWHDXSXEOLF/H
WUDPZD\GH-D«QGRQWOHVUDPHVHWOHVZDJRQVVRQWHQSODFHQȇDMDPDLV
IRQFWLRQQ«HQUDLVRQGȇXQFR½WȴQDQFLHULPSRVVLEOH¢DVVXPHUSRXUOD
municipalité andalouse.
šCarlos Fabra fut condamné en 2013 à quatre années de prison pour plusieurs délits et une
HTCWFGFGšGWTQUȃNŨCFOKPKUVTCVKQPHKUECNGCf. « Los FCDTCšCȓQUFGECEKSWKUOQGP
Castellón », La Vanguardia, 15 juillet 2012.
7. « RCLQ[šūFabra es un ciudadano y un político ejemplar para el PP” », El País, 11 juillet 2008.
šIOCIG NKDTG FG FTQKVU FŨCWVGWT =JVVREQOOQPUYKMKOGFKCQTIYKMKFKNGEl_hombre_avi%C3
%B3n.JPG].
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Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
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La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale
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Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
nationaux des pays d’Europe de l’Est17 3OXV JUDYH HQFRUH XQH SDUWLH
de cette nouvelle émigration concerne de jeunes Espagnols diplômés
DX FK¶PDJH SDUWLV SRXU Oȇ$OOHPDJQH OH 5R\DXPH8QL HW OD )UDQFH
SULQFLSDOHPHQWPDLVDXVVLSRXUGHVSD\V«PHUJHQWVGȇ$P«ULTXHODWLQH
comme le Brésil et l’Argentine18/ȇ«PLJUDWLRQDDXJPHQW«GHGH
¢P¬PHVLOHFKLIIUHRɚFLHOGHG«SDUWVHVWODUJHPHQW
sous-estimé en raison de la très grande quantité d’Espagnols qui ne
s’enregistre pas auprès de leur consulat à l’étranger19(QȴQGHV
emplois détruits entre 2008 et 2013 ont touché des jeunes de moins de
DQV XQ FKLIIUH TXL SDUOH GH OXLP¬PH20. Avec un taux de chômage
GHSOXVGHFKH]OHVPRLQVGHDQVODFULVHDGRQFHQJHQGU«XQH
radicalisation de la jeunesse21.
Mais la crise espagnole n’est pas uniquement économique et sociale.
&ȇHVW DXVVL XQH FULVH GX SROLWLTXH IDFH ¢ OȇLQFDSDFLW« GHV GLULJHDQWV
à limiter les effets de la récession sur la population et à trouver des
VROXWLRQV SRXU \ UHP«GLHU FRPPH DXVVL HQ UDLVRQ GH OȇDPSOHXU GH OD
corruption des élites et de pratiques clientélistes qui affaiblissent les
IRQGHPHQWVGXV\VWªPHUHSU«VHQWDWLIEDV«HQWK«RULHVXUODFRQȴDQFH
et la délégation du pouvoir22. La crise a mis en évidence l’écart immense
HQWUH GȇXQH SDUW OHV FRXSHV EXGJ«WDLUHV HW OHV PHVXUHV GȇDXVW«ULW«
LPSRV«HVDX[FLWR\HQVHWGȇDXWUHSDUWOȇHQULFKLVVHPHQWHWOHVSUDWLTXHV
LOO«JDOHV HW LPPRUDOHV GH QRPEUHX[ GLULJHDQWV SROLWLTXHV HW ȴQDQ-
FLHUV (Q OD SOXV JUDQGH SDUW GHV «OLWHV SROLWLTXHV HVWLPDLW TXH
l’on allait assister à un scénario similaire à celui de 1993 : la récession
serait limitée dans le temps. Pas besoin donc de s’affoler. Ni même de
PHQHU GHV SROLWLTXHV GH WUDLWHPHQW VRFLDO GX FK¶PDJH DȴQ GH OLPLWHU
OȇDPSOLȴFDWLRQGHODFULVHSDUH[HPSOH¢WUDYHUVGHVSURJUDPPHVHWGHV
IRUPDWLRQVGHUHFRQYHUVLRQSRXUOHVVDODUL«VRXOHVRXWLHQDX[IDPLOOHV
16
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale
HQYRLHGHSDXS«ULVDWLRQ8QHFXUHGUDVWLTXHGȇDXVW«ULW«VXɚUDLWSRXU
FRQMXUHUOHVmH[FªV}GXSDVV«SHQVªUHQWHOOHV
$SUªVWRXWOHV(VSDJQROVDYDLHQWY«FXTXLQ]HDQQ«HVGHFURLVVDQFH
«FRQRPLTXH GH ¢ ,OV Vȇ«WDLHQW HQULFKLV HW HPERXUJHRLV«V
choisissant d’acheter des voitures et des appartements à leurs enfants
grâce aux crédits immobiliers et à la consommation. Ils avaient incité
ces derniers à vite trouver de l’« argent facile » et un travail dans le
bâtiment plutôt qu’ils ne les avaient encouragés à étudier. Ils avaient
PRELOLV« OHXUV UHODWLRQV SHUVRQQHOOHV DFWLRQQ« OHV menchufes » (pis-
WRQV SRXUOHXUWURXYHUmXQHERQQHSODFH}VXUOHPDUFK«GXWUDYDLO
%UHIOHV(VSDJQROVDYDLHQWY«FXDXGHVVXVGHOHXUVPR\HQVHWLOVSRX-
vaient bien faire quelques efforts. Si on leur enlevait quelques avan-
WDJHVFHQHVHUDLWSDVODȴQGXPRQGH(WWRXWUHSDUWLUDLWFRPPHDYDQW
&H GLVFRXUV P¬PH DLQVL U«VXP« MXVTXȇ¢ VD FDULFDWXUH QȇHVW SRXUWDQW
SDVWUªV«ORLJQ«GHFHX[TXHOHV«OLWHVGHVSDUWLVGRPLQDQWV33HW362(
HQW¬WHSXUHQWWHQLU¢SDUWLUGH,OFRQVWLWXDODWUDPHGHIRQGMXV-
WLȴFDWLYH GH OD YROWHIDFH OLE«UDOH HW GHV SROLWLTXHV GȇDXVW«ULW« PHQ«HV
par José Luis Rodriguez Zapatero qui touchèrent d’abord les catégories
SRSXODLUHVDORUVP¬PHTXȇLODYDLW«W««OXVXUXQSURJUDPPHGHU«GXF-
WLRQGHVLQ«JDOLW«V0DLVOȇDPSOLȴFDWLRQGHVVFDQGDOHVGHFRUUXSWLRQHW
GȇHQULFKLVVHPHQW GHV UHVSRQVDEOHV SXEOLFV OD U«Y«ODWLRQ GH SUDWLTXHV
FOLHQW«OLVWHVHWGȇ«FKDQJHVGHIDYHXUVHQWUHOHV«OLWHVSROLWLTXHVHWȴQDQ-
FLªUHVDORUVP¬PHTXHOHVFODVVHVSRSXODLUHVHWPR\HQQHVUHVVHQWDLHQW
— et continuent de ressentir — très fortement les effets de la crise dans
OHXUYLHTXRWLGLHQQHRQWG«ERXFK«VXUXQHFULVHWUªVIRUWHGHODUHSU«-
sentation politique et une prise de conscience des limites du système
institutionnel issu de la constitution de 1978.
DE LA CRISE ÉCONOMIQUE
À LA DÉFIANCE POLITIQUE
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Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
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La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale
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Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
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La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale
šAlejandro BƵƲƧʫƵƸ, « Una crisis de 4,9 millones de parados », El País, 30 avril 2011.
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Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
3«UH]5XEDOFDEDREWLQWDORUVVHXOHPHQWGHVYRL[ FRQWUH
HQ OH33UDȵDQWDXFRQWUDLUHODPDMRULW«DEVROXHDYHFGHV
suffrages exprimés.
Cette politique néolibérale et complaisante à l’égard des princi-
paux responsables de la crise bancaire fut toutefois poursuivie par
OH JRXYHUQHPHQW FRQVHUYDWHXU GH 0DULDQR 5DMR\ $LQVL ȴQ OD
Banque d’Espagne intervint pour sauver la Caisse d’épargne de la
0«GLWHUUDQ«HSXLVQDWLRQDOLVDOHVEDQTXHV&DWDOXQ\D&DL[D1RYDFDL[D
*DOLFLD HW %DQFR GH 9DOHQFLD SRXU XQ PRQWDQW WRWDO GH PLOOLRQV
GȇHXURVFHTXLȴWDXJPHQWHUGȇDXWDQWODGHWWHSXEOLTXHȃTXLDWWHLJQLW
DORUVOHVGXSURGXLWLQW«ULHXUEUXW 3,% 3XLVHQOHJRXYHU-
QHPHQWGX33SULWOHFRQWU¶OHGH%DQNLDHQWLW«ȴQDQFLªUHFRQWU¶ODQW
GH QRPEUHXVHV EDQTXHV HW FDLVVHV Gȇ«SDUJQH &DMD 0DGULG %DQFDMD
&DMD &DQDULDV &DL[D /DLHWDQD &DMD 5LRMD &DVD YLOD HW &DMD 6HJRYLD
HW GRQW OH SU«VLGHQW 5RGULJR 5DWR UHVSRQVDEOH GȇXQH JHVWLRQ G«VDV-
WUHXVH«WDLWXQPHPEUHLQȵXHQWGX3335)DFH¢GHVSHUWHVȴQDQFLªUHV
«QRUPHVRQLQMHFWDPLOOLRQVGȇHXURVGȇDUJHQWSXEOLFSRXUVDX-
YHU FHW «WDEOLVVHPHQW GDQV FH TXL GHYDLW GHYHQLU OH SOXV LPSRUWDQW
plan de sauvetage de l’histoire de l’Espagne et l’un des principaux en
(XURSH 0DLV FH SODQ QH IXW SDV VXɚVDQW /H PDL XQ DSSRUW
de 23 500 millions d’euros supplémentaires apparut nécessaire pour
derechef « sauver » Bankia.
'HYDQW OȇDPSOHXU GHV SHUWHV OH JRXYHUQHPHQW VROOLFLWD OH VRXWLHQ
de l’Union européenne à hauteur de cent milliards d’euros ; il l’obtint
OHMXLQRɚFLHOOHPHQWSRXUmDVVDLQLUOHV\VWªPHȴQDQFLHUHVSD-
gnol » en prêtant aux banques36/HVSHUWHVGHVEDQTXHVUHVSRQVDEOHV
GHODVS«FXODWLRQȴQDQFLªUHHWLPPRELOLªUHSDUOȇRFWURLPDVVLIGHFU«GLWV
¢GHVSHUVRQQHVHW¢GHVHQWUHSULVHVVDQVJDUDQWLHVVXɚVDQWHVORUVGHV
DQQ«HVGXmERRP}IXUHQWGRQFWUDQVIRUP«HVHQGHWWHSXEOLTXHGRQW
OHUHPERXUVHPHQWHWOHVLQW«U¬WVSD\«VSDUOHFRQWULEXDEOHHVSDJQROQH
GHYDLHQW SOXV ¬WUH UHQGXV ¢ OȇWDW PDLV DX[ FU«DQFLHUV H[W«ULHXUV /HV
actions des gouvernements du PSOE et du PP furent dès lors très criti-
TX«HVSDUOȇRSLQLRQSXEOLTXHG«VRUPDLVWUªVFRQVFLHQWHGXP«FDQLVPH
pervers de la dette. Les banques ont été déresponsabilisées malgré leurs
H[FªV VS«FXODWLIV HW OȇDPSOHXU GH OHXU «YDVLRQ ȴVFDOH HW OȇWDW GRQF
OȇHQVHPEOH GHV FLWR\HQV GXW HW GHYUD ORQJWHPSV SD\HU OH SUL[ GȇXQH
dette dont ces derniers ne sont que partiellement responsables. En
22
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale
«FKDQJH GHV HPSUXQWV FRQWUDFW«V SDU OȇWDW SRXU DVVDLQLU OHV ȴQDQFHV
GHVEDQTXHVOHVFU«DQFLHUVH[W«ULHXUVRQWHQHIIHWH[LJ«XQHU«GXFWLRQ
GHVG«ȴFLWVSXEOLFVTXLVHVRQWFUHXV«VGHID©RQP«FDQLTXHSDUOHVIDLO-
OLWHVEDQFDLUHVHWODKDXVVHGHVWDX[GȇLQW«U¬WVXUOHVPDUFK«VȴQDQFLHUV
3RXUU«SRQGUHDX[FRQGLWLRQVHXURS«HQQHVOHSDLHPHQWGHODGHWWHHW
la réduction des dépenses publiques sont devenus l’alpha et l’oméga de
OȇHQVHPEOHGHVSROLWLTXHVJRXYHUQHPHQWDOHVGHSXLV¢OȇH[FOXVLRQ
de tout autre projet économique alternatif. De nombreux Espagnols ont
ainsi perdu tout espoir face aux discours de partis dominants n’offrant
que l’austérité comme horizon politique.
'ªV VD SULVH GH SRXYRLU HW DYHF OȇDSSXL GH &L8 0DULDQR 5DMR\
G«FLGDSRXUFRPSHQVHUFHV«QRUPHVSHUWHVȴQDQFLªUHVGȇDXJPHQWHU
OȇLPS¶W VXU OH UHYHQX GH U«GXLUH OH G«ȴFLW SXEOLF GH PLOOLDUGV
d’euros (la plus importante coupe budgétaire depuis 1978) à travers
GHV SULYDWLVDWLRQV GHV OLFHQFLHPHQWV OD SRXUVXLWH GX JHO GX VDODLUH
des fonctionnaires et une diminution de 40 % des investissements
publics en 2012. Puis des coupes budgétaires à hauteur de 18 milliards
d’euros furent imposées aux communautés autonomes. Comme le
362(DYDQWOXLOH33UHQLDVHVSURPHVVHV«OHFWRUDOHVHQPHQDQWXQH
politique d’austérité : privatisation des entreprises publiques ; coupes
budgétaires dans le secteur de la santé et de l’éducation ; nouvelle
augmentation de la TVA de 18 % à 21 % en juillet 2012 ; suppression
des paies extra de Noël des fonctionnaires et réduction du nombre de
FRQJ«VHWF 4XL SOXV HVW FHV SROLWLTXHV QȇHXUHQW SDV GȇHIIHWV ¢ FRXUW
WHUPH SXLVTXH Oȇ(VSDJQH HQWUD ¢ QRXYHDX HQ U«FHVVLRQ ȴQ HW
\ UHVWD MXVTXȇ¢ OD ȴQ 3HQGDQW FHWWH S«ULRGH HPSORLV
SXEOLFVIXUHQWVXSSULP«V(QSXLVHQGHQRXYHOOHVDXJPHQ-
WDWLRQVGXSUL[GHOȇ«OHFWULFLW«IXUHQWG«FLG«HV HQGHX[DQV HWOH
VDODLUHPLQLPXPGHPHXUDJHO«¢HXURVSDUPRLV0DLVODGHWWH
extérieure espagnole n’en aura pas moins triplé en moins d’une décen-
QLH DWWHLJQDQW OHV GX 3,% HQ )LQ Oȇ(XURVWDW HVWLPD
P¬PH OH UHYHQX SDU KDELWDQW ¢ GH OD PR\HQQH HXURS«HQQH FH
TXLVLJQLȴDLWXQHU«JUHVVLRQGXSD\V¢ODVLWXDWLRQTXL«WDLWODVLHQQH
TXLQ]HDQVSOXVW¶WHQ
Malgré le retour d’une — faible — croissance économique en 2014-
OHGLVFRXUVRɚFLHOVXUODmVRUWLHGHFULVH}SHLQH¢FRQYDLQFUHOHV
(VSDJQROV GHV FODVVHV PR\HQQHV HW SRSXODLUHV SRXU TXL OHV GHUQLªUHV
années et le temps présent demeurent associés à la récession écono-
PLTXH¢ODKDXVVHGHVLQ«JDOLW«VHW¢ODUHPLVHHQFDXVHGHQRPEUHX[
GURLWVVRFLDX[/HVIUXLWVGHFHWWHFURLVVDQFHQHE«Q«ȴFLHQWHQHIIHWSDV
23
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
¢WRXVORLQGHO¢/HVLQ«JDOLW«VVHVRQWGȇDLOOHXUVODUJHPHQWUHQIRUF«HV
depuis 2008. Une situation perçue avec un sentiment partagé d’injus-
WLFHGȇDXWDQWSOXVTXȇHOOHFR±QFLGHDYHFODPXOWLSOLFDWLRQGHVDIIDLUHVGH
corruption.
24
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale
*¾UWHOGȇDYRLUSD\«HQOLTXLGHHWVDQVG«FODUDWLRQVȴVFDOHVOHVWUDYDX[
GHVRQVLªJHSRXUXQPRQWDQWGHPLOOLRQGȇHXURVHWGȇDYRLUDFKHW«
des actions du groupe Libertad Digital avec de l’argent illicite issu de
sa « double comptabilité » (connue comme « la caisse b » du parti). Le
MDQYLHU OH TXRWLGLHQ El Mundo ȴW «WDW GH G«FODUDWLRQV GH /XLV
%£UFHQDVFRQȴDQWDYRLUGLVWULEX«FKDTXHPRLV¢GHVGLULJHDQWVGX33
SHQGDQW GH QRPEUHXVHV DQQ«HV GHV HQYHORSSHV FRQWHQDQW GH ¢
HXURV SURF«GDQW GȇHQWUHSULVHV GH V«FXULW« GX E¤WLPHQW RX GH
donations non déclarées40'DQVOHFDGUHGHOȇmDIIDLUH%£UFHQDV}GRQW
OHSULQFLSDOLQFXOS«HVWOȇDQFLHQWU«VRULHUGX33OHSDUWLHVWVRXS©RQQ«
GȇDYRLUPLVHQSODFHXQV\VWªPHGHȴQDQFHPHQWRFFXOWHGH¢
TXLOXLDXUDLWQRWDPPHQWSHUPLVGHWLUHUSURȴWGHKXLWPLOOLRQVGȇHXURV
de donations illégales41. Malgré la gravité des faits reprochés aux per-
VRQQHVVRXS©RQQ«HVGHFRUUXSWLRQOHVHQWLPHQWODUJHPHQWSDUWDJ«SDU
les Espagnols est que les peines sont très légères et que la justice n’est
pas la même pour tous.
,O VXɚW SDU H[HPSOH GH FRQVWDWHU OH JUDQG «FDUW HQWUH OHV SHLQHV
requises par les juges anticorruption et les durées effectives de déten-
WLRQ GHV GHX[ SULQFLSDX[ mERXFV «PLVVDLUHV} GH OȇDIIDLUH *¾UWHO
Francisco Correa et Luis Bárcenas. Les juges réclament cent vingt-
FLQT DQQ«HV GH SULVRQ HW XQH DPHQGH GH PLOOLRQV GȇHXURV SRXU
)UDQFLVFR&RUUHDDFFXV«GHFRUUXSWLRQWUDȴFGȇLQȵXHQFHEODQFKLPHQW
GH FDSLWDX[ IUDXGH ȴVFDOH DVVRFLDWLRQ LOOLFLWH HW IDOVLȴFDWLRQ GH GRFX-
ments42. Ils réclament aussi quarante-deux années de prison pour Luis
%£UFHQDV TXL VȇHVW HQULFKL JU¤FH ¢ GHV FRPPLVVLRQV SRXU VRQ WUDYDLO
d’intermédiaire entre des entreprises obtenant des contrats publics et
GHVGLULJHDQWVGX33REWHQDQWGHVU«WURFRPPLVVLRQVRFFXOWDQWPLO-
OLRQV GȇHXURV ¢ OȇDGPLQLVWUDWLRQ ȴVFDOH VXU GHV FRPSWHV EDQFDLUHV HQ
Suisse43. L’un n’a effectué que trois années de prison de 2009 à 2012 en
G«WHQWLRQ SU«YHQWLYH REWHQDQW VD PLVH HQ OLEHUW« JU¤FH DX SDLHPHQW
de 200 000 euros ; l’autre est resté dix-neuf mois en détention à la pri-
son madrilène de Soto del Real pour les mêmes délits. Même s’il est
SRVVLEOH TXȇLOV UHWRXUQHQW HQ SULVRQ ¢ OȇLVVX GH OHXU SURFªV LO HVW SHX
SUREDEOHTXHFHODVRLWOHFDVHQUDLVRQGHVDP«QDJHPHQWVGHSHLQHVFH
qui donne à la société l’image d’une impunité « des politiques » et « des
25
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šLorsque Luis BȄTEGPCU UQTVKV FG RTKUQP GP LCPXKGT KN FȌENCTCš kJ’ai été fort. Le PP
n’a rien à craindre », un euphémisme pour dire que des condamnations de hauts dirigeants
semblent improbables. SQPCXQECVGWVOȍOGNGEWNQVFGFȌENCTGTškMon client a payé pour les
autres. Avoir 40 millions en Suisse, ce n’est pas un délit », cf. Fernando PʤƷƫƿ, « BȄTEGPCUUCNG
FGRTKUKȕPškHe sido fuerte. El PP no tiene nada que temer », El País, 23 janvier 2015.
45. « El fraude fiscal alcanza en EURCȓC GN FGN PIBz =JVVRšYYYRWDNKEQGU? HȌXTKGT
2013.
46. « Un estudio concluye que hay hasta 26 billones de euros ocultos en paraísos fiscales »,
=JVVRYYYGWTQRCRTGUU
com], 17 juillet 2012.
47. « Quiénes son los aforados en EURCȓC[SWKȌPNQULW\ICzEl País, 2 septembre 2014.
26
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale
šQuelques cas peuvent être cités parmi les plus emblématiques. Pour le PPš NGU CHHCKTGU
BȄTEGPCUš Brugal et Fabra mettant en cause les anciens maires d’Alicante et de VCNGPEGš
les cas FC[EȄPšGȜTVGNšPalma Arena etc. Pour le PSOEšCHHCKTGFGUERE d’Andalousie corres
RQPFCPVȃFGUFȌVQWTPGOGPVUQWȃFGHCWUUGURTKOGUFGNKEGPEKGOGPVšCHHCKTGFKNGUCšFNKEMš
Mercasevilla etc. Pour CiUšCHHCKTGPCNCWšPCNNGTQNUšBanca Catalana etc.
šSoledad GƧƲƲƫƭƵDʨƧƿ« La opacidad corrompe », El País, 18 mars 2012.
šL’expression est ici reprise de Félix MƧƷƹʨƴƫƿ et Jordi OƲƯƻƫƷƫƸ, Jordi PXMRO̰HQQRPEUHGH
Cataluña, Barcelona, Editorial Debate, 2005, p. 12.
27
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
SDUWLFXOLªUHPHQWFKRTX«OHVRSLQLRQVSXEOLTXHVHVSDJQROHHWFDWDODQH
WDQW LO LOOXVWUH OH F\QLVPH HW OHV SUDWLTXHV TXDVL PDȴHXVHV U«SDQGXHV
SDUPLOHV«OLWHVGHVSDUWLVGRPLQDQWVHWP¬PHSDUPLOHVQDWLRQDOLVWHV
FDWDODQVGRQWOHGLVFRXUVSROLWLTXHDSRXUWDQWWRXMRXUV«W«D[«VXUOHXU
mH[HPSODULW«}OHXUPRGHUQLVPHHWOHXUmGLII«UHQFH}SDUUDSSRUWDX[
autres élites espagnoles51.
/HFDVGHVmFDUWHVRSDTXHV}U«Y«O«SDUODSUHVVHHQVHSWHPEUH
qui permirent à de nombreux dirigeants politiques d’utiliser pour leur
E«Q«ȴFHSHUVRQQHOGHVFRPSWHVQRQG«FODU«V¢OD&DMD0DGULGHWFKH]
%DQNLD ¢ KDXWHXU GH PLOOLRQV GȇHXURV LOOXVWUD XQH IRLV HQFRUH OHV
OLHQV GRXWHX[ GHV UHSU«VHQWDQWV SROLWLTXHV DYHF OHV EDQTXHV HW OHV
SUDWLTXHV LOO«JDOHV GH QRPEUHXVHV «OLWHV SROLWLTXHV HW ȴQDQFLªUHV52. Le
fait que les directeurs et les conseillers des principales banques et des
caisses d’épargne espagnoles soient souvent issus des partis politiques
est un problème majeur qui favorise l’opacité et les échanges de faveur
HQWUH GHV DFWHXUV TXL MRXHQW XQ mGRXEOH MHX} HW GRQW OHV WUDMHFWRLUHV
illustrent l’utilisation des positions de pouvoir dans le champ politique
comme moteur de l’accumulation de richesses économiques53. En
GHVSRVWHVGHVFRQVHLOVGȇDGPLQLVWUDWLRQGHOȇ,%(;TXL
UHJURXSHOHVSULQFLSDOHVPXOWLQDWLRQDOHVHVSDJQROHV %DQFR6DQWDQGHU
(QGHVD ,EHUGUROD 7HOHIµQLFD %DQNLDHWF «WDLHQW RFFXS«V SDU GHV
membres du PSOE et du PP (mais aussi six par des membres de CiU et
un respectivement pour Izquierda UnidaHWOH319 TXLDYDLHQWH[HUF«
ou qui exerçaient encore des responsabilités politiques en parallèle54.
/ȇLQGLFH GH SHUFHSWLRQ GH OD FRUUXSWLRQ GH Oȇ21* Transparency
International classa ainsi l’Espagne en treizième position parmi les pays
GHOȇ8(HW¢ODWUHQWLªPHGDQVOHPRQGHHQGHUULªUHOȇ2XJDQGDHQ
notant que le pays régresse d’année en année et qu’il s’agit du seul pays
de l’UE qui ne s’est pas encore doté d’une véritable loi sur la transpa-
rence en politique. Ce classement a suscité un tel débat que le chef du
šSur ce point, voir les déclarations du maire de Barcelone, Xavier TƷƯƧƸ, « La sombra del
pujolismo se ha acabado y se abre una nueva etapa », La Vanguardia, 29 juillet 2014.
52. « Las tarjetas opacas de Caja Madrid al detalle », El País, 31 janvier 2015.
šSWTNCPQVKQPFGkFQWDNGLGWzRQNKVKEQȌEQPQOKSWGFGUCEVGWTUGPVTGFKHHȌTGPVGUURJȋTGU
GVQWCTȋPGUXQKTNGUVTCXCWZFŨYves DƫƿƧƲƧƾ et notamment avec Antonin CƵƮƫƴ et Dominique
MƧƷƩƮƫƹƹƯ, « Esprits d’État, Entrepreneurs d’Europe », Actes de la recherche en sciences sociales,
PoRDe même, cf. Yves DƫƿƧƲƧƾ, « The legal construction of a politics of
notables. The double game of the patricians of the IPFKCPDCTQPVJGOCTMGVQHEKXKEXKTVWGz
RetfaerdXQNPoR
54. « Transparencia International llama a frenar la corrupción para salir de la crisis », El País,
5 décembre 2013 Voir de même « EURCȓCPQGUUICPFC~QUȐš!», El Mundo, 13 juin 2012.
28
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale
55. « Comparar EURCȓC EQP Uganda le sale caro a RCLQ[z =JVVRYYYGNRNWTCNEQO? LWKP
2012, consulté le 1er février 2015.
56. « LQURQNȐVKEQUGURCȓQNGUšUKPKFKQOCUUKPGZRGTKGPEKCNCDQTCN[NGLQUFGNCUPWGXCUVGEPQ
NQIȐCUz=JVVRYYY
minutos. com], 15 juin 2014, consulté le 10 février 2015.
29
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šSur une discussion des limites du rôle du Tribunal de las Cuentas en Espagne sur la trans
parence du financement des partis, cf. Mathieu PƫƹƯƹƮƵƳƳƫ, Dépolitiser l’Europe. Comment les
partis dominants évitent le conflit sur l’intégration européenne, Paris, L’Harmattan, 2015, notam
ment le chapitre VIIRVoir aussi du meme auteur « Second order elections but also
kNQYEQUVz ECORCKIPUš! National parties and campaign spending in EWTQRGCP GNGEVKQPUš A
comparative analysis », Perspectives on European Politics and Society, XQNPoR
168.
30
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale
šCette mesure fut mise en œuvre lors de la transition pour permettre aux élites politiques
exilées durant la dictature franquiste d’avoir droit à une pension de retraite lors de leur retour en
Espagne, mais elle a été maintenue jusqu’à nos jours, même s’il n’y a désormais plus aucune
justification à un tel traitement de faveur, hormis celle de maintenir ce qui est perçu comme un
« privilège » injuste par la société.
šAlicia FƫƷƴʜƴƪƫƿ GƧƷƩʨƧ et Mathieu PƫƹƯƹƮƵƳƳƫ, « Structuration et trajectoires idéolo
IKSWGUFGURCTVKUPCVKQPCNKUVGUECVCNCPUFGRWKUNCVTCPUKVKQPšERC, CiU et le PSC en perspective
comparée », Cahiers de civilisation espagnole contemporaine, n° 11, 2014.
31
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
LE RENOUVEAU DE LA CONTESTATION
DANS L’ESPAGNE CONTEMPORAINE
Une multiplicité de manifestations anti-austérité
&RPPH DX 3RUWXJDO HQ *UªFH HQ ,WDOLH HW DLOOHXUV HQ (XURSH OHV
Espagnols se sont activement mobilisés depuis 2008 pour contester les
HIIHWV GH OD FULVH «FRQRPLTXH HW SRXU G«QRQFHU OHV UHVSRQVDEOHV SROL-
WLTXHVHWȴQDQFLHUVGHODU«FHVVLRQ/DPDQLIHVWDWLRQGHUXHHQWHQGXH
comme toute « occupation momentanée par plusieurs personnes d’un
lieu ouvert public ou privé et qui comporte directement ou indirecte-
PHQWOȇH[SUHVVLRQGȇRSLQLRQVSROLWLTXHV}HVWUHYHQXHDYHFIRUFHVXUOH
devant de la scène médiatique à travers de nombreuses mobilisations
collectives60/HV(VSDJQROVVRQWGHVFHQGXVHQPDVVHGDQVODUXHDȴQGH
VȇRSSRVHUDX[SODQVGȇDXVW«ULW«LPSRV«VSDUOH362(SXLVSDUOH33GDQV
le contexte des pressions plus globales de la Troïka. Les principaux syn-
GLFDWVComisiones Obreras (CC. OO) et Union générale des travailleurs
8*7 VȇRSSRVªUHQWDLQVLGªVOHG«FHPEUH¢ODmORL2PQLEXV}
qui appliquait la directive Bolkestein61 à l’Espagne et engendra une
privatisation du secteur des services. Les chauffeurs routiers le 8 juin
SXLV OHV FK¶PHXUV OHV «WXGLDQWV OHV SHUVRQQHOV GH Oȇ«GXFDWLRQ
de la santé et les membres des fonctions publiques des communautés
DXWRQRPHV WRXFK«V GH SOHLQ IRXHW SDU OHV SROLWLTXHV GȇDXVW«ULW« HW OHV
OLFHQFLHPHQWV VH PRELOLVªUHQW HQVXLWH ORUV GH QRPEUHXVHV PDQLIHVWD-
tions et « marées62 ».
Le refus par les citoyens des deux « réformes du travail » proposées
SDU OH 362( OH VHSWHPEUH SXLV SDU OH 33 HQ PDUV HW OHXU
RSSRVLWLRQ SOXV J«Q«UDOH DX[ SROLWLTXHV GȇDXVW«ULW« RQW G«ERXFK« VXU
TXDWUHJUªYHVJ«Q«UDOHVHQWURLVDQVOHSOXVVRXYHQWFRQYRTX«HVSDU&&
22HWOȇ8*7DORUVTXHVHSWJUªYHVJ«Q«UDOHVVHXOHPHQWDYDLHQW«W«HQUH-
gistrées depuis l’approbation de la constitution en 197863. Ces grèves
eurent lieu le 29 septembre 2010 puis le 27 janvier 2011 (principalement
32
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale
HQ&DWDORJQHHQ*DOLFHDX3D\V%DVTXHHWHQ1DYDUUHVRXVODGLUHFWLRQ
GHVV\QGLFDWV(/$679/$%&,*&*7HW&17 GHP¬PHTXHOHPDUV
et le 14 novembre 201264. La fréquence de ces manifestations montra la
PRELOLVDWLRQ WUªV IRUWH GHV VDODUL«V SRXU OD G«IHQVH GX VHFWHXU SXEOLF
PDLV DXVVL FRQWUH OH FK¶PDJH OHV OLFHQFLHPHQWV HW OH UHFRXUV DFFUX
DX[ FRQWUDWV SU«FDLUHV HW ¢ GXU«H G«WHUPLQ«H /H VHSWHPEUH
en aboutissement des mouvements de protestation enregistrés dans
OȇHQVHPEOH GH Oȇ(VSDJQH OD mPDUFKH VXU 0DGULG} RX mPDUFKH GH OD
GLJQLW«} FXOPLQD VXU OD 3OD]D GH &ROµQ HQ RSSRVLWLRQ DX[ SROLWLTXHV
d’austérité et aux coupes budgétaires65. Cette manifestation qui réunit
šELASTVš Eusko Langileen Alkartasuna, SQNKFCTKVȌ FGU VTCXCKNNGWTU DCUSWGUš LABš Langile
Abertzaleen Batzordeak, CQOOKUUKQPUFGUQWXTKGTUCDGTV\CNGUšCIGšConfédération intersyndicale
ICNKEKGPPGšCGTšCQPHȌFȌTCVKQPIȌPȌTCNGFWVTCXCKNšCNTšConfédération nationale du travail.
šCes manifestations contre l’austérité se traduisirent aussi par des mobilisations autour
du scandale des « preferentes », des placements sur des participations, présentés comme
sans risques aux petits épargnants dans le cadre de pratiques commerciales agressives des
banques, qui débouchèrent sur la ruine de ces particuliers et l’évaporation de leur épargne
dans des actifs toxiques. Le 23 mars 2013, le gouvernement conservateur décida pourtant
de convertir ces participations en actions des banques, ce qui supposa une réduction de leur
valeur qui oscilla entre 10 % et 70 %, suscitant une large indignation citoyenne.
33
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
SOXVGHSHUVRQQHVVHȴW¢OȇDSSHOGX6RPPHWVRFLDOGLULJ«SDUOHV
GHX[V\QGLFDWVPDMRULWDLUHVPDLVUHJURXSDDXVVLFROOHFWLIVGLVWLQFWV
/HVPDQLIHVWDQWVU«FODPªUHQWmGXSDLQGXWUDYDLOHWGHODGLJQLW«}HW
exigèrent un référendum sur les politiques d’austérité.
Les manifestations anti-austérité touchèrent particulièrement les
VHFWHXUV GH OD VDQW« HW GH Oȇ«GXFDWLRQ (Q OH SURMHW GH SULYDWLVD-
tion de nombreux hôpitaux de la communauté de Madrid déclencha
XQH mPDU«H EODQFKH} GȇLQȴUPLHU ªUH V HW GH P«GHFLQV JU«YLVWHV
suivant une forme protestataire ensuite reprise par d’autres secteurs.
(Q DYULO GH QRPEUHX[ FLWR\HQV VH PRELOLVªUHQW GH P¬PH FRQWUH
OȇLQVWDXUDWLRQ GX mFRSDLHPHQW SKDUPDFHXWLTXH} DX[ WHUPHV GXTXHO
les usagers payeront désormais une franchise de 10 % sur le prix des
P«GLFDPHQWV XQH PHVXUH TXL WRXFKH SURSRUWLRQQHOOHPHQW GDYDQWDJH
les classes populaires puisqu’elle ne tient pas compte du revenu du
SDWLHQW(QȴQOHFKRL[GXJRXYHUQHPHQWFRQVHUYDWHXUGHPHWWUHȴQ¢
l’assistance sanitaire gratuite aux 910 000 immigrants illégaux ou qui
QH FRWLVHQW SDV ¢ OD 6«FXULW« VRFLDOH G«FOHQFKD XQH FDPSDJQH m0RL
2XL6DQW«XQLYHUVHOOH} mYo Si, Sanidad Universal} TXLGRQQDOLHX¢
de nouvelles manifestations et à une campagne de désobéissance civile
GHP«GHFLQVHWGHSHUVRQQHOVGHODVDQW«&HUWDLQVGȇHQWUHHX[FRPPH
OH GRFWHXU -XDQ /XLV 5XL]*LP«QH] WUªV FRQQX HQ (VSDJQH UHIXVHQW
d’appliquer la loi qu’ils jugent contraire aux principes éthiques de leur
SURIHVVLRQ OȇmREOLJDWLRQ GH VRLQ HQYHUV OHV PDODGHV} «WDQW XQ SULQ-
cipe cardinal66. D’autres manifestations eurent lieu en septembre 2012
contre la décision de la ministre de la Santé Ana Mato de ne plus faire
rembourser 417 médicaments par la Sécurité sociale selon un proces-
sus connu comme le « medicamentazo}(QȴQFRPPHOHPRQWUHELHQ
.DULQH %HUJªV GDQV OH SU«VHQW RXYUDJH OHV (VSDJQROHV VH VRQW DFWLYH-
PHQWPRELOLV«HVFRQWUHOHSURMHWGHU«IRUPHGHODORLVXUOȇDYRUWHPHQW
IRU©DQWOHPLQLVWUHGHOD-XVWLFH$OEHUWR5XL]*DOODUGµQ¢G«PLVVLRQQHU
'DQV OH VHFWHXU GH Oȇ«GXFDWLRQ GHV PDQLIHVWDWLRQV PDVVLYHV Gȇ«WX-
GLDQWV GH SHUVRQQHOV HW GȇDVVRFLDWLRQV GH SDUHQWV Gȇ«OªYHV VH VRQW
G«URXO«HV ¢ SDUWLU GH OD ȴQ GH OȇDQQ«H FRQWUH OD mORL RUJDQLTXH
SRXUOȇDP«OLRUDWLRQGHODTXDOLW««GXFDWLYH} /20&( FRQQXHFRPPH
ODmORL:HUW}GXQRPGHVRQSURPRWHXUHWSURPXOJX«HOHRFWREUH
201367&HWWHORLDPRGLȴ«SURIRQG«PHQWOHV\VWªPH«GXFDWLIHVSDJQRO
34
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale
68. « Las cuatro mayores críticas a la polémica ley Wert », El País, 5 octobre 2013.
šEn EURCIPG KN HCWV EQORVGT RCT GZGORNG GPVTGš GVšGWTQU FG HTCKU FŨKPUETKRVKQP
RCT CP RQWT FGU ȌVWFGU FG OȌFGEKPG UQKV GPVTG š GV šGWTQU LWUSWŨȃ NŨQDVGPVKQP FW
droit d’exercer en tant que stagiaire médecin interne, auxquels il faut ajouter près de 500 et
700 euros annuels de frais pour l’achat de manuels spécialisés. Les frais d’inscription sont
VTȋUXCTKCDNGUUWKXCPVNGUHKNKȋTGUGVNGUWPKXGTUKVȌUOCKUTCTGOGPVKPHȌTKGWTUȃšGWTQURCT
année universitaire.
šCf. « Estudiar la carrera en FTCPEKCGUEKPEQXGEGUOȄUDCTCVQSWGGPEURCȓCzCadena Ser,
9 janvier 2013.
35
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šCharles TƯƲƲƾ, « Social movements and national politics », dans Charles BƷƯƭƮƹ et Susan
HƧƷƪƯƴƭ FKT SWDWHPDNLQJ DQG VRFLDO PRYHPHQWV̰ Essays in history and theory, Ann Arbor,
University of Michigan Press, 1984, p. 306. Pour une critique de cette notion, cf. Olivier
FƯƲƲƯƫƺƲƫ, « Requiem pour un concept. VKG GV OQTV FG NC PQVKQP FG ūUVTWEVWTG FGU KFGPVKVȌU
politiques” », dans Gilles DƵƷƷƵƴƸƵƷƵ FKT La Turquie conteste, Paris, Éditions du CNRS, 2006,
R
36
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale
JQROH XQ mFKRF PRUDO} ODUJHPHQW UHOD\« SDU OD SUHVVH «FULWH HW OHV
W«O«YLVLRQVTXLFU«DXQHIIHWGȇHQWUD°QHPHQWHWIDYRULVDODPRELOLVDWLRQ
de secteurs sociaux dépourvus de tradition militante72. Par l’envahisse-
PHQWOHEORFDJHHWOȇRFFXSDWLRQGHQRPEUHX[HVSDFHVSXEOLFVGHVPLO-
liers d’Espagnols ont cherché à créer des espaces de débat qui puissent
donner corps aux revendications des « sans voix ».
D’autres indignés reprirent ensuite cette forme d’occupation média-
WLV«H VXU OD SODFH 6\QWDJPD ¢ $WKªQHV OH ERXOHYDUG 5RWKVFKLOG ¢ 7HO
Aviv à l’été 2011 ou à travers le mouvement Occupy Wall Street qui
occupa le parc Zuccotti à New York. Cette forme d’occupation de lieux
SXEOLFV QȇHVW WRXWHIRLV SDV HQWLªUHPHQW QRXYHOOH HW VH VLWXH GDQV OD
lignée des campements et des villages alternatifs réunis par les mouve-
ments altermondialistes dans les années 200073. L’idée sous-jacente est
d’inscrire un mouvement social dans la durée et dans un espace social
GRQQ«HQFKHUFKDQW¢DJLUmLFLHWPDLQWHQDQW}HWHQPDQLIHVWDQWSDU
la non-violence une opposition au système néolibéral et au dévoiement
de la démocratie représentative. Par l’occupation collective de la Puerta
GHO 6RO OHV PDQLIHVWDQWV RQW J«Q«U« XQH IRUPH GȇH[SUHVVLYLW« HQ DɚU-
PDQW OD YLVLELOLW« GȇXQ JURXSH VRFLDO WRXW HQ PHWWDQW VXU OH GHYDQW GH
la scène publique des demandes sociales et politiques précises : dénon-
FLDWLRQGHODFRUUXSWLRQGHV«OLWHVGHODUHVSRQVDELOLW«GHVEDQTXHVHW
GHVHQWLW«VȴQDQFLªUHVGDQVODFULVHRSSRVLWLRQ¢ODȴQDQFLDULVDWLRQGH
Oȇ«FRQRPLHOXWWHFRQWUHOHVH[SXOVLRQVORFDWLYHVOHVSROLWLTXHVGȇDXVW«-
rité et les coupes budgétaires dans l’éducation et la santé ; critique des
RUJDQLVDWLRQV SDUWLVDQHV WUDGLWLRQQHOOHV GH OD ORL VXU OHV SDUWLV HW GX
système politique issu de la constitution de 197874.
L’impact du 15-M va bien au-delà des occupations et doit être com-
SULV ¢ XQ QLYHDX SOXV JOREDO FHOXL GH OD UHPLVH HQ FDXVH GHV GLVFRXUV
politiques dominants et de la prise de conscience de l’opinion publique
espagnole. Les indignés ont contribué à questionner des « cadres
d’interprétation » qui faisaient jusqu’alors consensus et ont proposé
šJames JƧƸǞƫƷ, The art of moral protest, Chicago, The University of Chicago PTGUU š
Youssef EƲ CƮƧƿƲƯ, « Sur les sentiers de la Révolution. Comment des ÉI[RVKGPU ūFȌRQNKVKUȌUŬ
UQPVKNUFGXGPWUTȌXQNWVKQPPCKTGUš!zRevue Française de Science PolitiqueXQNPo
R
šSur ce point, voir par exemple Éric AƭƷƯƱƵƲƯƧƴƸƱƾ, Olivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ et Nonna MƧƾƫƷ,
L’altermondialisme en France. Genèse et dynamique d’un mouvement social, Paris, Flammarion,
2005.
šPour une revue de la littérature sur les mouvements des « indignés » et « Occupy », cf.
Héloïse Nƫƿ, « Indignados and Occupiers », dans Guya AƩƩƵƷƴƫƷƵ et Olivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ FKT
Social movements studies in EXURSH̰The state of the art, NGYYQTMBerghan BQQMUR
135.
37
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šLa théorie des « cadres d’interprétation » a été formulée par David SPQYGVUGUEQNNȋIWGU
cf. David SƴƵƼ, BWTMG RƵƩƮƬƵƷƪ, Steven WƵƷƪƫƴ et Robert BƫƴƬƵƷƪ, « Frame alignment
processes, micromobilization and movement participation », American Sociological Review,
Po Rš David SƴƵƼ et Robert BƫƴƬƵƷƪ, « Ideology, frame resonance and
participant mobilization », dans Bert KƲƧƴƪƫƷƳƧƴƸ, Hanspeter KƷƯƫƸƯ et Sidney TƧƷƷƵƼ FKT
FURPVWUXFWXUHWRDFWLRQ̰Comparing social movement research accross cultures, GTGGPYKEJJAI
PTGUUR
šDaniel CƫƬƧʪ, « La construction des problèmes publics. Définitions de situations dans des
arènes publiques », RéseauxXQNPoR
šWilliam GƧƳƸƵƴ, Talking Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1992.
šPhilippe BƲƧƴƩƮƧƷƪ, « Agenda », dans Olivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ, Lilian MƧƹƮƯƫƺ et Cécile PʣƩƮƺ
FKT Dictionnaire des mouvements sociaux, Paris, Presses de Sciences Po, 2009, p. 24.
38
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale
OȇH[SXOVLRQ GH /XLV 0DGULG OH MXLQ FLQT FHQWV SHUVRQQHV
se regroupèrent suivant le même procédé devant le domicile d’une
IDPLOOHEXOJDUROLEDQDLVHGDQVOHTXDUWLHUGH7HWX£QVȇRSSRVªUHQWSK\-
VLTXHPHQW ¢ OD SROLFH HW HPS¬FKªUHQW VRQ H[SXOVLRQ /ȇXVDJH U«ȵ«FKL
de la désobéissance civile et la médiatisation de ces actions eurent
GHVHIIHWVLPP«GLDWVFHTXLHQJHQGUDSHX¢SHXODVWUXFWXUDWLRQGHOD
« Plateforme des affectés par l’hypothèque » (Plataforma de Afectados
por la Hipoteca 3$+ GȇDERUG ¢ %DUFHORQH HW HQ &DWDORJQH VRXV OD
GLUHFWLRQGȇ$GD&RODXHW$GUL¢$OHPDQ\SXLVGDQVOHUHVWHGHOȇ(VSDJQH
Sa campagne « Stop Desahucios } HQ SURWHVWDQW SDU GHV VLɛHWV HW GHV
regroupements et en cherchant à s’interposer face aux forces de police
pour empêcher les expulsions a eu des répercussions importantes.
Photo 1.3 Action du collectif Flo6x8 (« Flamenco et Activisme »), devant une
banque BBVA, Séville, 2011.
39
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
40
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale
WHVWDWDLUHVGHQRPEUHX[VHFWHXUVGHODVRFL«W«RQWSHUPLV¢WUDYHUVOD
VHQVLELOLVDWLRQ HW OD PRELOLVDWLRQ GH OȇRSLQLRQ SXEOLTXH GH IRUFHU OHV
arènes institutionnelles et d’obliger les acteurs politiques à s’ouvrir à la
GLVFXVVLRQ(QUHYHQGLTXDQWGHUHSU«VHQWHUODmPDMRULW«VLOHQFLHXVH}
OHVmFRQWUH}OHVPDQLIHVWDQWVRQWGRQQ«XQHUHSU«VHQWDWLRQ
V\PEROLTXHDX[mFLWR\HQVGȇHQEDV}DXmSHXSOH}HW¢VHVLQW«U¬WVSU«-
VHQW«VFRPPHPLV¢PDOSDUXQHFRDOLWLRQGȇ«OLWHVSROLWLFRȴQDQFLªUHV84.
On peut donc parler d’une institutionnalisation de l’indignation dans
Oȇ(VSDJQHFRQWHPSRUDLQHGȇXQFRPSRUWHPHQWPLQRULWDLUHSRUW«HVVHQ-
tiellement par les syndicats et les mouvements de chômeurs à partir de
SXLVSDUOHVMHXQHVLQGLJQ«VHQOȇLQGLJQDWLRQVȇHVWSHX¢SHX
GLIIXV«H DX VHLQ GH OD VRFL«W« HVSDJQROH SRXU GHYHQLU PDMRULWDLUH DX
sein des classes moyennes et populaires. Ces mouvements sociaux ont
QRQVHXOHPHQWUHSROLWLV«ODVRFL«W«HVSDJQROHPDLVLOVRQWDXVVLRXYHUW
la voie à l’émergence de nouvelles forces politiques et à une recomposi-
tion des équilibres électoraux dans les années à venir.
šSur cette question du travail symbolique de représentation politique, cf. Pierre BƵƺƷƪƯƫƺ, « La
représentation politique. Éléments pour une théorie du champ politique », Actes de la recherche
en sciences socialesPoR
41
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
42
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale
43
PREMIÈRE PARTIE
DE LA CRISE ÉCONOMIQUE
AU RENOUVEAU DE LA
CONTESTATION SOCIALE
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
2
Le défi de la montée du chômage
et la réforme du marché du travail
Elíes FURIÓ BLASCO0DWLOGHALONSO PÉREZ
et Christel BIRABENT CAMARASA
/DFLWDWLRQFLGHVVXVUHȵªWHODGRXEOHU«DOLW«DFWXHOOHGXPDUFK«GX
WUDYDLOHVSDJQROXQHIRUWHFURLVVDQFHGXFK¶PDJHTXLWRXFKHHQYDOHXU
DEVROXHVL[PLOOLRQVGHSHUVRQQHV6DQVFRQWHVWHOHSLUHSUREOªPHVRFLR
«FRQRPLTXH GX SD\V /H GLDJQRVWLF RɚFLHO FRQVLGªUH OHV ULJLGLW«V GX
marché du travail espagnol comme les causes principales du chômage.
Ces rigidités empêcheraient une adéquation de l’emploi à la conjonc-
WXUH «FRQRPLTXH &HSHQGDQW OD FLWDWLRQ PLVH LFL HQ H[HUJXH QȇHVW SDV
tirée d’un ouvrage traitant de la situation actuelle du marché du travail
espagnol et du diagnostic qui en est fait. Il s’agit du premier paragraphe
GHOȇLQWURGXFWLRQGXOLYUHGH/OX¯V)LQDHW/XLV7RKDULD&RUW«VLes causes
du chômage en Espagne. Un point de vue structurelSXEOL«HQ/ȇ«WDW
du marché du travail et le diagnostic sont toujours les mêmes. Nous
apportons ici quelques éléments complémentaires en ce sens.
(QHIIHWGHSXLVODm*UDQGH5«FHVVLRQ}DGHQRXYHDXG«PRQ-
tré le caractère chronique du déséquilibre qui touche le marché du
WUDYDLO HVSDJQRO /H WDX[ GH FK¶PDJH H[WU¬PHPHQW «OHY« HVW «JDOH-
PHQWEHDXFRXSSOXVYRODWLOTXHFHOXLGȇDXWUHVSD\VHXURS«HQV2UQRWUH
regard d’économistes nous mènera à démontrer ci-après que le taux de
chômage élevé en Espagne n’est pas uniquement la conséquence de
šLluís FƯƴƧ et Luis TƵƮƧƷƯƧCƵƷƹʤƸ, Las causas del paro en España. Un punto de vista estructural,
Madrid, Fundación IESA, 1987, p. 5.
47
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
OD FULVH «FRQRPLTXH 6DQV PLQLPLVHU OȇDPSOHXU GH FHWWH GHUQLªUH VD
VS«FLȴFLW«HWVDODUJHLQFLGHQFHVXUOHPDUFK«GHOȇHPSORLLOHVWLPSRU-
WDQWGHUDSSHOHUTXHOHFK¶PDJH«WDLWFHUWHVPRLQGUHPDLVG«M¢FRQV«-
quent même en phase de croissance2 'HSOXVODVLWXDWLRQ
aurait été la même dans les années 1960 si les presque deux millions
d’Espagnols partis de chez eux en quête d’un emploi dans un autre pays
européen avaient été comptabilisés. La croissance de l’emploi dans les
années 1960 a été fort modeste eu égard à la croissance assez soute-
QXH GH Oȇ«FRQRPLH HW Oȇ«PLJUDWLRQ D GLPLQX« GH ID©RQ P«FDQLTXH OHV
chiffres du chômage. La persistance du chômage en Espagne n’est donc
pas conjoncturelle et ses causes non plus.
Le chômage est la préoccupation majeure des Espagnols ; il a un
impact décisif eu égard à l’élaboration d’un projet de vie. Selon un son-
dage du Centre de recherches sociologiques (CIS) de Madrid réalisé en
RFWREUHLOUHSU«VHQWHOHSOXVJUDYHSUREOªPHGHODVRFL«W«HVSD-
JQROHSRXUGHVJHQVDYDQWODFRUUXSWLRQ 3. L’évolution de
OȇHPSORL HW GX FK¶PDJH WRXW FRPPH OHXU U«SDUWLWLRQ RQW Gȇ«QRUPHV
U«SHUFXVVLRQV «FRQRPLTXHV VRFLDOHV HW SROLWLTXHV $LQVL OD G«JUDGD-
tion du marché du travail pousse les électeurs à sanctionner le parti
DXSRXYRLU6XUOHSODQVRFLR«FRQRPLTXHOȇDXJPHQWDWLRQGXFK¶PDJH
avec la crise a mis un frein aux changements qui étaient en train de se
produire dans la sphère familiale. Il y avait une plus grande émancipa-
WLRQGHVMHXQHVOHVOLHQVIDPLOLDX[Vȇ«WDLHQWDIIDLEOLVHWOHQRPEUHGH
divorces et de séparations avait augmenté. Toutes ces transformations
RQW«W«SDUDO\V«HVVXLWH¢ODFULVH«FRQRPLTXH¢ODPRQW«HHQȵªFKH
GXFK¶PDJH¢ODGLPLQXWLRQGXSRXYRLUGȇDFKDWHWOȇDXJPHQWDWLRQGH
la pauvreté. L’augmentation des inégalités en Espagne fait partie des
évolutions soulignées par Thomas Piketty dans ses études4. L’Espagne
HVW UHGHYHQXH XQ SD\V Gȇ«PLJUDWLRQ QHWWH SRXU PRWLIV «FRQRPLTXHV
après de nombreuses années de croissance de l’immigration écono-
mique5.
šPar exemple, lors de la crise de 1993, le chômage atteignait déjà 24,8 %. De 1994 à 2007, il
a ensuite diminué continuellement, mais hormis de 2005 à 2007, il n’a jamais été inférieur à
10 %. Cf.ITCRJKSWGEKFGUUQWU
šSondage réalisé du 1erCWQEVQDTGUWTWPȌEJCPVKNNQPFGšRGTUQPPGUTGRTȌUGPVCVKXGU
FGNCRQRWNCVKQPGURCIPQNGȃVTCXGTUFGUGPVTGVKGPUGPHCEGȃHCEGCWFQOKEKNGFGUGPSWȍVȌU
CIS, Madrid, 2014.
šThomas PƯƱƫƹƹƾLe capital au xxie siècle, Paris, Éditions du Seuil, 2013.
šMatilde AƲƵƴƸƵ, Elíes BƲƧƸƩƵ et Christel BƯƷƧƨƫƴƹ, Panorama de l’Espagne contemporaine,
Ellipses, Paris, 2008, chapitre VIII.
48
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
'DQV FH FKDSLWUH QRXV DQDO\VHURQV «JDOHPHQW OH FRQWHQX GH OD
réforme du marché du travail mise en œuvre en 2012 par le gouverne-
PHQWGH0DULDQR5DMR\GX3DUWLSRSXODLUH6HORQOHWH[WHGHODU«IRUPH
OHVFDXVHVGXFK¶PDJHU«VLGHUDLHQWGDQVOHPDQTXHGHȵH[LELOLW«¢OȇHP-
bauche et au licenciement ainsi que dans le manque de correspondance
HQWUHOHVVDODLUHVOHVFRQGLWLRQVHWODVLWXDWLRQGHOȇHQWUHSULVH,OHVWELHQ
HQWHQGX WURS W¶W SRXU «YDOXHU OȇHɚFDFLW« GH OD U«IRUPH PDLV FHUWDLQV
éléments démontrent ses limites. La réforme cherche à augmenter la
ȵH[LELOLW« LQWHUQH GHV HQWUHSULVHV SRXU SHUPHWWUH XQH PHLOOHXUH DG«-
TXDWLRQ DX[ ȵXFWXDWLRQV «FRQRPLTXHV (OOH SU«VHQWH FHSHQGDQW GHV
carences importantes à la fois en matière de lutte contre la dualité du
PDUFK«GXWUDYDLOGHSROLWLTXHVDFWLYHVGȇHPSORLGȇDP«OLRUDWLRQGHOD
productivité et de garanties sociales.
Nous présenterons d’abord l’ampleur du chômage et certaines de
VHV FDUDFW«ULVWLTXHV SXLV QRXV DQDO\VHURQV VHV FDXVHV HQ SURIRQGHXU
Nous comparerons ensuite la situation espagnole à celle des autres pays
HXURS«HQV SXLV OH FRQWHQX GH OD U«IRUPH GX WUDYDLO VHUD SU«VHQW« HQ
WURLVLªPHVHFWLRQ/HFKDSLWUHVHWHUPLQHUDHQȴQSDUXQHGLVFXVVLRQVXU
les apports et les limites de cette réforme pour combattre le problème
du chômage en Espagne.
LE PROBLÈME DU CHÔMAGE EN
ESPAGNE ET SES EXPLICATIONS
49
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
5DSSHORQV TXHOTXHV FKLIIUHV HQ OLHQ DYHF OH SUHPLHU PRWLI DȴQ
de mettre en évidence le caractère structurel du déséquilibre du
PDUFK« GX WUDYDLO HVSDJQRO 3HQGDQW OHV DQQ«HV XQ JUDQG
QRPEUHGȇ(VSDJQROVRQW«PLJU«YHUVGȇDXWUHVSD\VHXURS«HQV )UDQFH
Allemagne et Suisse notamment) à la recherche d’un emploi6. Cette
émigration (plus d’un million et demi de personnes selon certaines
HVWLPDWLRQV D SHUPLV ¢ Oȇ(VSDJQH ORUV GX mERRP «FRQRPLTXH} GH
OD ȴQ GHV DQQ«HV HW GX G«EXW GHV DQQ«HV GH FRQQD°WUH XQH
situation de quasi plein emploi7. Sans cette émigration l’augmentation
des postes de travail grâce à l’industrialisation et à l’essor du tertiaire
QȇH½W SDV VXɚ $MRXWRQV TXH SHQGDQW WRXWHV FHV DQQ«HV OD FURLVVDQFH
G«PRJUDSKLTXH«WDLWLPSRUWDQWHPDLVODmQRXYHOOHSRSXODWLRQ}«WDLW
encore trop jeune et ne faisait donc pas encore pression pour entrer sur
le marché du travail.
Le deuxième élément à prendre en compte pour démontrer le carac-
tère structurel du chômage en Espagne est la situation de ce dernier
pendant la récente période d’expansion économique. Entre le deuxième
WULPHVWUHGHHWOHGHX[LªPHWULPHVWUHGHOȇ(VSDJQHDY«FX
trimestres (15 ans) de croissance économique ininterrompue alors que
OH FK¶PDJH QȇHVW SDV GHVFHQGX VRXV OH VHXLO GH SUHPLHU WUL-
mestre 1997). Le deuxième trimestre de 1993 correspond au début de la
UHSULVHDSUªVODU«FHVVLRQGHȴQG«EXW/DU«FHVVLRQDFWXHOOH
a débuté en Espagne au troisième trimestre de 2008. Pendant cette
ORQJXH S«ULRGH GH FURLVVDQFH «FRQRPLTXH OH PHLOOHXU
résultat relatif au marché du travail espagnol a été bien plus mauvais
TXH FHOXL GH FHUWDLQV SD\V HXURS«HQV DX SOXV IRUW GH OD m*UDQGH
5«FHVVLRQ} 3DU H[HPSOH VHORQ OȇRɚFH HXURS«HQ GH VWDWLVWLTXHV
(XURVWDWHQDYULOOHFK¶PDJHHQ$OOHPDJQHRXHQ6ORYDTXLH«WDLW
LQI«ULHXU¢(QFRPSDUDLVRQFRPPHOHPRQWUHOHJUDSKLTXH
GXSUHPLHUWULPHVWUHGHDXSUHPLHUWULPHVWUHGHOHWDX[GH
chômage espagnol a été supérieur à 10 %8. Pendant les douze trimestres
šOn estime qu’environ deux millions d’Espagnols sont partis travailler en Europe. Cf. Carmen
GƵƴƿʜƲƫƿEƴƷʨƶƺƫƿ¿EPLJUDQORVHVSD³ROHV̰", ARI, Real Instituto Elcano, n° 39, 18 septembre
2013.
šRappelons que pendant toute la décennie des années 1960, l’emploi a modestement aug
menté de 0,6 % par an, alors que la croissance réelle moyenne du PIB était supérieure à 7,5 %
et le taux d’accroissement naturel de la population de l’ordre de 1,2 %. Cf. Lluís FƯƴƧ, « El paro en
EURCȓCšUWUECWUCU[NCTGURWGUVCFGNCRQNȐVKECGEQPȕOKECzFCPULluís FƯƴƧ et Luis TƵƮƧƷƯƧ
CƵƷƹʤƸ, op. cit., Madrid, Fundación IESA, 1987, p. 23.
šPour une réflexion sur les causes générales du chômage en période de croissance voir Alice
MƵƺƭƲƯƴ, « CQOOGPVGZRNKSWGTNCRGTUKUVCPEGFWEJȖOCIGGPRȌTKQFGFGTGNCPEGš!zRegards
croisés sur l’économiePoR
50
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
25
20
15
10
0
1976 TIII
1977 TII
1978 TI
1978 TIV
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1994 TIII
1995 TII
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1998 TII
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2001 TII
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2002 TIV
2003 TIII
2004 TII
2005 TI
2005 TIV
2006 TIII
2007 TII
2008 TI
2008 TIV
2009 TIII
2010 TII
2011 TI
2011 TIV
2012 TIII
2013 TII
Élaboration personnelle des auteurs à partir de l’enquête de population active,
+0'/CFTKF=YYYKPGGU?
Le tableau 2.2 ci-dessous montre le lien étroit qui existe entre l’âge
et le chômage en Espagne. Le taux de chômage des personnes âgées
de 16 à 34 ans dépasse largement la moyenne nationale. La situation
est tout particulièrement préoccupante pour la population de 16 à 19
DQVTXLYRLWSOXVGHVGHX[WLHUVGHVDWUDQFKHGȇ¤JHDXFK¶PDJH&KH]
OHVMHXQHVGH¢DQVXQHSHUVRQQHVXUGHX[HVW«JDOHPHQWDXFK¶-
PDJH 2Q QRWHUD TXH SDUPL OD MHXQHVVH HVSDJQROH OD VLWXDWLRQ HVW XQ
peu plus favorable aux femmes qu’aux hommes. Le niveau moyen de
IRUPDWLRQGHVMHXQHVIHPPHVHVWVXS«ULHXU¢FHOXLGHVMHXQHVKRPPHV
šLe chômage frictionnel indique un chômage provoqué par le délai nécessaire à une personne
pour trouver un autre emploi. Sont également causes de ce chômage les imperfections du
OCTEJȌ FW VTCXCKN CDUGPEG FG VTCPURCTGPEG OCWXCKUG FKHHWUKQP FG NŨKPHQTOCVKQPGVE Il est
souvent présenté comme inévitable et peu compressible.
51
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
Tableau 2.2. Taux de chômage en Espagne par âge et par genre, 2006 et 2012 (%)
'HSOXVLOH[LVWHXQOLHQWUªVFODLUHQWUHOHQLYHDXGHIRUPDWLRQHWOH
taux de chômage. Le chômage est plus élevé parmi les catégories dont
OHQLYHDXGHIRUPDWLRQHVWOHSOXVEDVHWLOGLPLQXHSRXUOHVSHUVRQQHV
GRQWOHQLYHDXGHIRUPDWLRQHVWSOXV«OHY«(QOHWDX[GHFK¶PDJH
des personnes ayant achevé le cycle d’enseignement primaire — on
parle ici des personnes qui n’ont pas réussi à terminer leur éducation
VHFRQGDLUHREOLJDWRLUH DQVHQ(VSDJQHDQVHQ)UDQFH ȃ«WDLW
GH HQ PR\HQQH DQQXHOOH (Q UHYDQFKH FHWWH P¬PH DQQ«H
pour la catégorie de personnes disposant d’une formation supérieure
VDQVGRFWRUDW OHWDX[GHFK¶PDJH«WDLWGHELHQLQI«ULHXU¢OD
52
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
PR\HQQHQDWLRQDOH3RXUOHVSHUVRQQHVWLWXODLUHVGȇXQGRFWRUDWOHWDX[
de chômage était même inférieur à 5 %10.
6LJQDORQV FHSHQGDQW TXȇHQ (VSDJQH GHX[ SUREOªPHV RSSRV«V
FRH[LVWHQWOȇ«FKHFVFRODLUHHWODVXUTXDOLȴFDWLRQ/HSUHPLHUHVWSULQ-
FLSDOHPHQW G½ ¢ OȇDEDQGRQ SU«PDWXU« GX V\VWªPH «GXFDWLI SDU GHV
jeunes attirés par la forte demande de main-d’œuvre et les niveaux de
salaires élevés du secteur du bâtiment pendant la phase d’expansion.
/H SUREOªPH GH OD VXUTXDOLȴFDWLRQ WLHQW TXDQW ¢ OXL ¢ GHX[ UDLVRQV
OȇRIIUHHWODGHPDQGHGHWUDYDLO(QPDWLªUHGȇRIIUHLOVȇDJLWGHOȇDUULY«H
VXU OH PDUFK« GX WUDYDLO GH MHXQHV GLSO¶P«V GDQV GHV GRPDLQHV R»
l’emploi n’est pas systématiquement au rendez-vous. C’est le cas de
nombreux diplômés universitaires en sciences sociales et humaines
DLQVLTXHGHFHUWDLQHVIRUPDWLRQVGȇLQJ«QLHXUV/DGHPDQGHHVWTXDQW
¢HOOHOL«H¢ODVWUXFWXUHSURGXFWLYHTXLQȇXWLOLVHSDVFHUWDLQHVDFWLYLW«V
WHFKQRORJLTXHPHQW DYDQF«HV FH TXL QH SHUPHW SDV ¢ FHUWDLQV MHXQHV
GLSO¶P«VGHWURXYHUXQHPSORLHQ(VSDJQH,OFRQYLHQWȴQDOHPHQWGH
SU«FLVHUTXHSHQGDQWODS«ULRGHGȇH[SDQVLRQOHSD\VDFRQQXXQHIRUWH
FURLVVDQFH «FRQRPLTXH PDLV GRXEO«H GȇXQH GHVWUXFWLRQ GȇHPSORLV
dans certains secteurs particuliers. La sous-partie suivante revient sur
ces questions.
53
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
Croissance
démographique
Accroissement Solde
naturel migratoire
(VSDJQROH GH DQV «WDLW GH ȑ11 (Q OD I«FRQGLW« GȇXQH
IHPPHHVSDJQROHGHDQV«WDLWGHȑ
Cette tendance à la diminution des naissances s’est accompagnée
GȇXQHGLPLQXWLRQVLJQLȴFDWLYHGHODPRUWDOLW«'HIDLWSHQGDQWGHQRP-
EUHXVHV DQQ«HV OH PDLQWLHQ GH OȇDFFURLVVHPHQW QDWXUHO D «W« G½ ¢ OD
diminution des décès plus qu’à l’augmentation des naissances. Une telle
tendance démographique ne favorise donc pas l’arrivée sur le marché
GH OȇHPSORL GȇXQH SOXV LPSRUWDQWH mIRUFH GH WUDYDLO} PDLV HQJHQGUH
SOXW¶W XQH DXJPHQWDWLRQ GHV SRSXODWLRQV G«SHQGDQWHV QRWDPPHQW
FHOOHGHVSOXVGHDQVFRPPHOȇLOOXVWUHOHVFK«PDFLDSUªV
La situation de croissance naturelle presque nulle et de stagnation
de la force de travail a été compensée par une forte augmentation
šLGVCWZFGHȌEQPFKVȌGUVNGPQODTGFŨGPHCPVUPȌUXKXCPVURQWTšHGOOGUFGȃCPU
EPHCPVUPȌUXKXCPVUFGOOGUFGȃCPU ZšIl est également calculé par groupes
d’âge.
54
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
Population
Immigration
Force Population
de travail
(+) dépendante
Population
Étrangers Population Moins Plus
active
(+) inactive de 16 ans de 55 ans
Population
Chômeurs
active occupée
5QWTEGšȌNCDQTCVKQPRGTUQPPGNNG
55
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
5QWTEGšȌNCDQTCVKQPRGTUQPPGNNGȃRCTVKTFG
=JVVRCRRUUQGWTQUVCVGEGWTQRCGWPWKUGVWR&QYPNQCFUFQ?
56
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
5QWTEGšȌNCDQTCVKQPRTQRTGFGUCWVGWTUȃRCTVKTFGNŨ+0'=YYYKPGGU?
57
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
15
10
-5
-10
-15
Construction
-20 Industrie manufacturière
Total
-25
-30
2001 TI
2001 TIII
2002 TI
2002 TIII
2003 TI
2003 TIII
2004 TI
2004 TIII
2005 TI
2005 TIII
2006 TI
2006 TIII
2007 TI
2007 TIII
2008 TI
2008 TIII
2009 TI
2009 TIII
2010 TI
2010 TIII
2011 TI
2011 TIII
2012 TI
2012 TIII
2013 TI
2013 TII
5QWTEGšȌNCDQTCVKQPȃRCTVKTFGNŨ+0'=YYYKPGGU?
58
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
&HSHQGDQW OH PDUFK« GX WUDYDLO HVSDJQRO HVW FDUDFW«ULV« SDU XQH
SURSRUWLRQ VLJQLȴFDWLYH GH FK¶PDJH VWUXFWXUHO /H FK¶PDJH HVW «OHY«
tant dans les périodes de crise grave (la phase actuelle) que dans celles
d’expansion intense et continue (phase précédente). La période de crois-
sance récente a été fondée sur l’expansion du secteur du bâtiment et le
PDUFK«GRPHVWLTXH&HGHUQLHUQRXVOȇDYRQVYXGDQVOHVDQQ«HV
HW HVW WURS U«GXLW SRXU IRXUQLU VXɚVDPPHQW GH FURLVVDQFH GH
OȇHPSORLDXE«Q«ȴFHGHWRXWHODSRSXODWLRQHVSDJQROH6ȇLOHVWYUDLTXH
Oȇ«FRQRPLH HW OHV HQWUHSULVHV VH VRQW LQWHUQDWLRQDOLV«HV QRWDPPHQW ¢
SDUWLUGHVDQQ«HVFHSK«QRPªQHQȇDSDVSHUPLVSRXUGLII«UHQWHV
UDLVRQVGHFU«HUGHVHPSORLV(QUHYDQFKHGȇDXWUHVSD\VSOXVSHWLWVTXH
l’Espagne ont su combiner le marché national et l’extérieur pour déve-
ORSSHUXQHVWUXFWXUHGHSURGXFWLRQVXɚVDQW¢U«SRQGUHDX[EHVRLQVGH
l’emploi national. Le marché du travail espagnol est atypique parmi les
pays européens. Notons cependant que le marché du travail est forte-
ment hétérogène en Europe et que les différents pays partagent peu de
points communs. Avant d’étudier la réforme proposée par le gouverne-
PHQW GH 0DULDQR 5DMR\ HQ SHQFKRQVQRXV GȇDERUG VXU OHV WUDLWV
TXLG«ȴQLVVHQWOȇK«W«URJ«Q«LW«GXPDUFK«GXWUDYDLOHXURS«HQ
L’HÉTÉROGÉNÉITÉ DU MARCHÉ DU
TRAVAIL EUROPÉEN FACE À LA CRISE
59
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šLGTCVKQFGEJȖOCIGFGULGWPGUGUVECNEWNȌUWTNCRQRWNCVKQPFŨWPITQWRGFŨȅIG ȃ
ans) indépendamment de leur situation, alors que le taux de chômage des jeunes est calculé
sur la population active dudit groupe d’âge. Par exemple, les étudiants sont comptabilisés dans
le ratio du chômage des jeunes et ils ne le sont pas dans le taux de chômage des jeunes. C’est
la raison pour laquelle le taux de chômage est supérieur au ratio.
60
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
GHSOXVGHDQVGHYDQWHOOHVGHVKRPPHVFK¶PHXUVGHORQJXH
GXU«HRQWPRLQVGHDQVVȇDJLVVDQWGHVIHPPHV
15
10
0
UE-27
Zone euro
Espagne
Grèce
Lettonie
Lithuanie
Irlande
Slovaquie
Portugal
Estonie
Bulgarie
Hongrie
Pologne
France
Italie
Slovénie
Royaume-Uni
Chypre
Finlande
Danemark
Suède
Roumanie
Belgique
Malte
Allemagne
République Tchèque
Luxembourg
Pays-Bas
Autriche
Croatie
États-Unis
Turquie
Islande
Japon
Norvège
5QWTEGšȌNCDQTCVKQPȃRCTVKTFŨ'WTQUVCV=JVVRGRRGWTQUVCVGEGWTQRCGW? QEVQDTG
Graphique 2.9. Le chômage de longue durée en Espagne, par âge et par genre (%),
2010
45
Hommes Femmes
40
35
30
25
20
15
10
5
0
Moins de 30 ans 30-45 ans Plus de 45 ans
5QWTEGš5CTC&G.C4KECk.QUFGUGORNGCFQUFGNCTICFWTCEKȕPGP'URCȓCVTCUNCETKUKUz
=JVVRYYYHGFGCDNQIUPGVGEQPQOKC!R?
61
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
6L OH FULWªUH GȇDQDO\VH HVW OH QLYHDX GH IRUPDWLRQ OH FK¶PDJH GH
longue durée touche des personnes occupant des postes de travail
QRQ PDQXHOV TXDOLȴ«V SURIHVVLRQQHOV WHFKQLFLHQV DGPLQLVWUDWLIV GHV
JURXSHV$* GHOȇHQVHPEOHGHFHVFK¶PHXUVVHORQOHVGRQQ«HVGH
Sara de la Ric). L’autre catégorie importante est composée de chômeurs
TXL RFFXSDLHQW GHV SRVWHV GH WUDYDLO PDQXHOV QRQ TXDOLȴ«V (Q
PR\HQQH GX FK¶PDJH GH Oȇ8( FRUUHVSRQG ¢ XQ FK¶PDJH GH
longue durée. Ce pourcentage prouve l’existence de causes structu-
UHOOHVWHOOHVTXHOHVFDUHQFHVGHIRUPDWLRQHWGHFRPS«WHQFHVODQRQ
correspondance entre la formation initiale et l’évolution des besoins
GHVP«WLHUVDLQVLTXHOHPDQTXHGHIRUPDWLRQFRQWLQXHHWGȇDGDSWDWLRQ
du capital humain aux besoins de l’économie. Le chômage de longue
GXU«HDXQ«QRUPHFR½WVRFLDOHW«FRQRPLTXHSRXUXQSD\V&HSHQGDQW
GDQVGHQRPEUHX[SD\VWHOVTXHOȇ(VSDJQHOȇDFWLRQJRXYHUQHPHQWDOHVH
FRQFHQWUHVXUOHVFRQGLWLRQVGȇHPEDXFKHHWGHOLFHQFLHPHQWDLQVLTXH
sur la diminution des prestations chômage en tant qu’instruments de
promotion de la réinsertion professionnelle de cette catégorie ainsi que
pour inciter les chômeurs à chercher et à accepter les emplois qui leur
sont proposés.
Le chômage européen
Le graphique 2.10 démontre que l’impact de la crise économique sur
le marché du travail des pays européens a été très hétérogène : alors que
GDQVODSOXSDUWGHVSD\VOHFK¶PDJHDDXJPHQW«HW¢GHVU\WKPHVGLII«-
UHQWVFHUWDLQVSD\VRQWDɚFK«GHVEDLVVHV(QOHWDX[GHFK¶PDJH
GHOD]RQHHXUR«WDLWGHHWGHHQ/HVSD\VHXURS«HQV
dans lesquels le taux de chômage a augmenté le plus rapidement sont
Oȇ,UODQGHOȇ(VSDJQHHWOD*UªFHGRQWOHVWDX[RQW«W«PXOWLSOL«VSDU
YRLUHWULSO«VGDQVOHSLUHGHVFDV(QWUHHWOHWDX[GHFK¶PDJH
HQ ,UODQGH HVW SDVV« GH ¢ GH ¢ HQ (VSDJQH
HW GH ¢ HQ *UªFH (Q UHYDQFKH OH FK¶PDJH D GLPLQX« HQ
$OOHPDJQHLOHVWUHVW«VWDEOHHQ$XWULFKHHWDX[3D\V%DVHWLODO«JªUH-
ment augmenté en France pendant la même période.
Cette disparité ne peut être totalement attribuée aux conséquences
différentes de la crise dans les économies européennes. La crise éco-
nomique ne peut être la cause unique d’augmentation du chômage en
(VSDJQH ,O H[LVWH GȇDXWUHV IDFWHXUV GRQW FHUWDLQV VRQW OL«V DX[ FDUDF-
téristiques de la crise (et non à son ampleur) et d’autres à la réponse
que les pays ont apportée à la diminution de la demande de travail. Cet
ensemble de facteurs permet d’expliquer pourquoi un même niveau de
62
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
Graphique 2.10. Impact de la crise sur le marché du travail européen (base 2007)
3,5
Irlande Autriche
3,0 France Italie
Espagne Allemagne
2,5 Hollande Zone euro
Grèce
2,0
1,5
1,0
0,5
0
2007 2008 2009 2010 2011
5QWTEGšȌNCDQTCVKQPRTQRTGFGUCWVGWTUȃRCTVKTFŨ'WTQUVCV=JVVRGRRGWTQUVCVGEGWTQRCGW?
QEVQDTG
'DQVXQGHX[LªPHWHPSVVHORQOHVSD\VOȇDG«TXDWLRQGHODGHPDQGH
de travail aux moindres niveaux de production suite à la crise écono-
mique a été faite en adaptant la force de travail ou en diminuant les
KHXUHVGHWUDYDLO$LQVLHQ$OOHPDJQHHWHQ$XWULFKHODGLPLQXWLRQGX
WHPSVGHWUDYDLODSHUPLVGȇDMXVWHUOȇHPSORL¢ODPDXYDLVHFRQMRQFWXUH
alors qu’en Espagne c’est le nombre d’employés qui a été ajusté14. La
conséquence est une plus grande augmentation du chômage dans le
GHUQLHU FDV 0DOJU« OD SRUW«H JOREDOH GH OD FULVH VHV FRQV«TXHQFHV RQW
été différentes selon les activités et elles ont été particulièrement graves
63
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
64
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
OȇREMHFWLI SULRULWDLUH DYRX« HVW OD GLPLQXWLRQ GX G«ȴFLW SXEOLF &HW
objectif macroéconomique est prioritaire par rapport à toute autre
considération de politique économique ou générale. Selon le raisonne-
PHQWJRXYHUQHPHQWDOODU«GXFWLRQGXG«ȴFLWSXEOLFHVWXQHFRQGLWLRQ
Q«FHVVDLUHSRXUTXHOHSD\VSXLVVHDWWHLQGUHGȇDXWUHVREMHFWLIVWHOVTXH
SDUH[HPSOHODUHSULVHGHOȇDFWLYLW««FRQRPLTXHHWGHVHPSORLV'DQVOH
GRPDLQHGHOȇHPSORLHWGHODOXWWHFRQWUHOHFK¶PDJHODU«IRUPHȴVFDOH
semble être une étape préalable et nécessaire mais pas une condition
VXɚVDQWH6HORQOHVSURMHWVGXJRXYHUQHPHQWXQHU«IRUPHVWUXFWXUHOOH
du marché du travail espagnol est nécessaire. Cette nécessité peut
GLɚFLOHPHQW¬WUHPLVHHQGRXWHVLQRXVWHQRQVFRPSWHGHODVLWXDWLRQ
TXL YLHQW Gȇ¬WUH G«FULWH FLGHVVXV (Q UHYDQFKH OD QDWXUH P¬PH GH OD
U«IRUPHHVWXQHTXHVWLRQELHQSOXVVXMHWWH¢G«EDWHW¢SRO«PLTXHWDQW
sur le plan technique que politique. Il ne s’agit pas ici de lancer un débat
FRQWUHIDFWXHOPDLVLOHVWQ«FHVVDLUHGHG«FULUHOHFRQWHQXGHODU«IRUPH
du gouvernement Rajoy et d’évaluer ses conséquences sur le marché du
travail pour établir dans quelle mesure elle est ou non une arme contre
le chômage.
šBoletín Oficial del Estado, 11 février 2012, n° 36, Sec. I. PȄI š =JVVRYYYDQGGU
DQGFȐCURFHUBOEARFH?
šLCHQTOGLWTKFKSWGFGNCTȌHQTOGGUVWPFȌETGVNQKCe type de texte, conformément au cadre
juridique espagnol, est une norme ayant force de loi qui peut être dictée par l’exécutif en cas
de nécessité extraordinaire ou d’urgence. LGUFȌETGVUNQKUQPVWPECTCEVȋTGRTQXKUQKTGšWPGHQKU
dictés, ils devront être soumis au vote du CQPITȋUFGUFȌRWVȌUšEGFGTPKGTRQWTTCNGUXCNKFGTNGU
abroger ou permettre leur examen en tant que loi ordinaire urgente. Le caractère d’urgence et
de nécessité extraordinaire d’adoption de la réforme du travail ne provenait pas des difficultés
du marché du travail, mais plutôt de la pression des marchés financiers et des autorités euro
péennes, tels la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international.
65
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
Négociation collective
̽'«FHQWUDOLVDWLRQGHVFRQYHQWLRQV
̽)OH[LELOLW«GHO̵HQWUHSULVH
̽0RELOLW«J«RJUDSKLTXH
̽0RELOLW«LQWHUQH
̽$VVRXSOLVVHPHQWGHODQ«JRFLDWLRQ
̽0RWLIV«FRQRPLTXHVGHOLFHQFLHPHQW
̽,QGHPQLVDWLRQVSRXUOLFHQFLHPHQWDEXVLI
̽6XSSUHVVLRQGHO̵DXWRULVDWLRQDGPLQLVWUDWLYH
̽6XSSUHVVLRQGHO̵REOLJDWLRQGHSD\HPHQWMXVTX̵¢ODG«FLVLRQMXGLFLDLUH
Modalités d’embauche
̽(PEDXFKH
̽&RQWUDWG̵DLGH¢O̵HPSORL
̽&RQWUDWGHIRUPDWLRQHWG̵DSSUHQWLVVDJH
̽&RQWUDW¢WHPSVSDUWLHO
̽(QFKD°QHPHQWGHFRQWUDWVWHPSRUDLUHV
̽0«GLDWLRQ
̽$JHQFHVGHSODFHPHQW
̽(QWUHSULVHVGHWUDYDLOWHPSRUDLUH
(QPDWLªUHGHQ«JRFLDWLRQFROOHFWLYHODU«IRUPHSRXVVH¢XQJUDQG
FKDQJHPHQWHWPRGLȴHOHOLHQHQWUHOHVIRUFHVHQSU«VHQFHHQGLPLQXDQW
la capacité d’intervention des syndicats. Sont concernées les questions
UHODWLYHV DX QLYHDX GH Q«JRFLDWLRQ ¢ OD ȵH[LELOLW« LQWHUQH HW ¢ OȇDVVRX-
plissement des négociations. La réforme est favorable à une décentra-
lisation des domaines de négociation collective pour les rapprocher
davantage de la situation des entreprises. Les conventions d’entreprise
VHURQWSOXV¢P¬PHGȇLQW«JUHUODY«ULWDEOHVLWXDWLRQGHFHOOHVFLGȇDGDS-
WHUOHVQLYHDX[GHVDODLUHGHEDVHHWOHVFRPSO«PHQWVODU«WULEXWLRQGHV
heures supplémentaires et le temps de travail.
66
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
(QPDWLªUHGHȵH[LELOLW«LQWHUQHLOHVWGDYDQWDJHORLVLEOHGHQHSDV
appliquer les conditions adoptées dans les conventions. Les motifs
pour lesquels l’entreprise peut imposer la mobilité géographique sont
assouplis ; l’intervention de l’autorité de travail n’est plus nécessaire ;
HQȴQHQDFFRUGDYHFOHVUHSU«VHQWDQWVV\QGLFDX[LOHVWSRVVLEOHGȇ«WD-
blir des ordres de priorité pour certains collectifs (travailleurs ayant
FKDUJHGHIDPLOOHG«SDVVDQWXQFHUWDLQ¤JHHWF (QPDWLªUHGHPREL-
OLW« LQWHUQH OD PDLQGȇĕXYUH QȇHVW SOXV LQVFULWH GDQV XQH mFDW«JRULH
SURIHVVLRQQHOOH} PDLV GDQV XQ mJURXSH SURIHVVLRQQHO} TXL HQJOREH
OHVDSWLWXGHVSURIHVVLRQQHOOHVOHVGLSO¶PHVHWOHFRQWHQXJ«Q«UDOGHOD
SUHVWDWLRQFHTXLVLJQLȴHXQ«ODUJLVVHPHQWGHVSRVVLELOLW«VGHPRELOLW«
LQWHUQH/ȇDVVRXSOLVVHPHQWGHVFRQYHQWLRQVFROOHFWLYHVWLHQW¢PHWWUHȴQ
¢FHTXHOȇRQDSSHOOHmOȇXOWUDDFWLYLW«},OHVWPLVȴQDXUHQRXYHOOHPHQW
automatique de la convention existante par manque d’accord lors des
Q«JRFLDWLRQVGȇXQHQRXYHOOHFRQYHQWLRQ$SUªVODU«IRUPHFȇHVWFHOOHGH
niveau supérieur qui s’appliquera.
(QPDWLªUHGHFR½WVHWGHVLPSOLȴFDWLRQGHVSURF«GXUHVGHOLFHQFLH-
PHQWODU«IRUPHFRQWLHQWXQHUHG«ȴQLWLRQGHVPRWLIVGHOLFHQFLHPHQW
«FRQRPLTXH XQ QRXYHDX WUDLWHPHQW GHV LQGHPQLW«V GH OLFHQFLHPHQW
ainsi que la suppression de l’autorisation administrative. En ce qui
FRQFHUQHODU«YLVLRQGHVFDXVHVREMHFWLYHVGHOLFHQFLHPHQWOHWH[WHGX
décret-loi entend par licenciement collectif la rupture des contrats de
WUDYDLO IRQG«H VXU GHV PRWLIV «FRQRPLTXHV WHFKQLTXHV RUJDQLVDWLRQ-
QHOVRXGHSURGXFWLRQORUVTXHVXUXQHS«ULRGHGHMRXUVODUXSWXUH
FRQFHUQH DX PRLQV D GL[ VDODUL«V GDQV OHV HQWUHSULVHV GH PRLQV GH
cent employés ; b) 10 % des employés de l’entreprise dans le cas de
celles de cent à trois cents employés ; et c) trente employés dans les
HQWUHSULVHV GH SOXV GH WURLV FHQWV HPSOR\«V 'ȇXQH SDUW RQ FRQVLGªUH
que divers motifs économiques sont réunis lorsqu’une situation écono-
PLTXHQ«JDWLYHUHVVRUWGHVU«VXOWDWVGHOȇHQWUHSULVHHQFDVGȇH[LVWHQFH
GHSHUWHVDFWXHOOHVRXSU«YXHVRXGHODGLPLQXWLRQSHUVLVWDQWHGHVRQ
QLYHDXGHUHYHQXVRXGHVYHQWHV(QWRXW«WDWGHFDXVHRQFRQVLGªUHTXH
la diminution est persistante si elle se poursuit pendant trois trimestres
consécutifs.
'ȇDXWUHSDUWGHVPRWLIVWHFKQLTXHVVRQWU«XQLVORUVTXHGHVFKDQJH-
PHQWVVHSURGXLVHQWHQWUHDXWUHVGDQVOHGRPDLQHGHVPR\HQVRXGHV
outils de production ; les motifs organisationnels sont réunis lorsque
GHVFKDQJHPHQWVVHSURGXLVHQWHQWUHDXWUHVGDQVOHGRPDLQHGHVV\V-
tèmes et des méthodes de travail du personnel ou dans le mode d’orga-
nisation de la production ; les motifs productifs sont réunis lorsque des
67
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
FKDQJHPHQWVVHSURGXLVHQWHQWUHDXWUHVGDQVODGHPDQGHGHSURGXLWV
RX GH VHUYLFHV TXH OȇHQWUHSULVH SU«WHQG SODFHU VXU OH PDUFK« (QȴQ
on considère également comme licenciement collectif la rupture des
FRQWUDWVGHWUDYDLOTXLWRXFKHQWOȇHQVHPEOHGHVHIIHFWLIVGHOȇHQWUHSULVH
ORUVTXH OH QRPEUH GH VDODUL«V HVW VXS«ULHXU ¢ FLQT VL OH OLFHQFLHPHQW
se produit en conséquence de la cessation totale de l’activité de l’entre-
prise fondée sur les mêmes motifs que précédemment (art. 51.1)17. En
RXWUHODSRVVLELOLW«GHOLFHQFLHUSRXUPRWLIV«FRQRPLTXHVWHFKQLTXHV
organisationnels et de production est étendue au personnel de service
dépendant du secteur public.
6ȇDJLVVDQWGHVLQGHPQLW«VSRXUOLFHQFLHPHQWDEXVLIHOOHVSDVVHQWGH
45 jours par année travaillée avant la réforme à 33 jours après celle-
FL/HQRPEUHPD[LPXPGHPHQVXDOLW«VSDVVHGH¢(QRXWUHOH
besoin d’autorisation administrative pour les licenciements collectifs
HVWVXSSULP«WRXWFRPPHOȇREOLJDWLRQGHOȇHQWUHSULVHGHSD\HUOHSU«D-
YLVHQWUHOHPRPHQWGHQRWLȴFDWLRQGXOLFHQFLHPHQWHWFHOXLGHODU«VROX-
tion judiciaire. Cette suppression des salaires de préavis ne se fera pas si
l’employé est réembauché ou s’il s’agit d’un représentant du personnel.
Une nouvelle modalité de licenciement collectif est également créée.
(QPDWLªUHGHQRXYHOOHHPEDXFKHGLII«UHQWVFDVGHȴJXUHVRQWHQYL-
VDJ«V/HSUHPLHUHVWFHOXLGXQRXYHDXFRQWUDWLQG«ȴQLGHVRXWLHQGȇDLGH
à l’emploi. Cette solution peut être utilisée par les entreprises de moins
GHHPSOR\«VOHFRQWUDWHVWGHW\SHLQG«ȴQL¢WHPSVFRPSOHWHWSU«-
YRLW XQH S«ULRGH GȇHVVDL GȇXQ DQ &HOOHFL E«Q«ȴFLH GH QRPEUHX[ DYDQ-
WDJHVȴVFDX[/ȇHPSOR\«SHXWSHUFHYRLUGHVSUHVWDWLRQVFK¶PDJHHQ
plus de son salaire. Ce contrat doit être conservé pendant au moins trois
DQV/DGHX[LªPHVROXWLRQHVWOHFRQWUDWGHIRUPDWLRQHWGȇDSSUHQWLVVDJH
SRXU OHV PRLQV GH WUHQWH DQV OȇH[SLUDWLRQ GX FRQWUDW OȇHPSOR\« QH
pourra être embauché sous cette forme par la même entreprise ou par
une entreprise différente pour la même activité ou la même fonction
REMHWGHODTXDOLȴFDWLRQSURIHVVLRQQHOOHDVVRFL«HDXFRQWUDW,OSRXUUDHQ
revanche être embauché dans les mêmes conditions pour une formation
différente. Le temps de travail ne pourra être supérieur à 75 % pendant
la première année et à 85 % les deuxième et troisième années. Ce type de
šIl est obligatoire de verser une somme au Trésor public lorsque le licenciement collec
tif touche plus de cinquante employés, que l’entreprise a plus de 500 employés, que des
GORNQ[ȌUFGRNWUFGCPUUQPVVQWEJȌUGVSWGNŨGPVTGRTKUG QWITQWRGFŨGPVTGRTKUGUCWSWGN
elle appartient) a dégagé des bénéfices lors des deux exercices précédant celui du plan social,
cf. BOEAMinisterio de Trabajo e IPOKITCEKȕP=JVVRYYYDQGGUFKCTKQADQGVZV
RJR!KFBOEA?
68
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
FRQWUDWE«Q«ȴFLHGȇLPSRUWDQWHVU«GXFWLRQVSRXYDQWDOOHUMXVTXȇ¢
GHV FRWLVDWLRQV /D WURLVLªPH PRGLȴFDWLRQ GX FRQWUDW GH WUDYDLO WLHQW ¢
la possibilité de réaliser des heures supplémentaires en cas de contrat
¢ WHPSV SDUWLHO /D TXDWULªPH PRGLȴFDWLRQ FRQFHUQH OD SRVVLELOLW«
d’enchaîner sans limite les contrats à durée déterminée. D’autres modi-
ȴFDWLRQV¢GHVFRQWUDWVSU«H[LVWDQWVVRQW«JDOHPHQWSU«YXHV
,O HVW GLɚFLOH DX PRPHQW R» QRXV U«GLJHRQV FHV OLJQHV Gȇ«YDOXHU
la capacité de la réforme du travail à contribuer à la réduction du
FK¶PDJH WRXW GȇDERUG SDUFH TXȇLO VȇHVW «FRXO« SHX GH WHPSV GHSXLV
VD PLVH HQ ĕXYUH HW «JDOHPHQW SDUFH TXH Oȇ«FRQRPLH HVSDJQROH QH
VȇHVWSDVHQFRUHUHPLVHGHODU«FHVVLRQ(QRXWUHOHG«FUHWORLFRPPH
QRXVOȇDYRQVGLWPRGLȴHOHUDSSRUWGHIRUFHHQWUHOHVDJHQWVVRFLDX[HW
GDQV XQ GRPDLQH VXMHW ¢ Q«JRFLDWLRQ LO HVW HQFRUH WURS W¶W SRXU YRLU
FRPPHQW OHV XQV HW OHV DXWUHV HQWUHSULVHV HW V\QGLFDWV YRQW UHG«ȴQLU
leurs stratégies de négociation. Notons également que certains aspects
GHODORLSHXYHQWDYRLUGHVFRQV«TXHQFHVLQDWWHQGXHV3DUH[HPSOHOD
VLPSOLȴFDWLRQ HW OD GLPLQXWLRQ GHV FR½WV GHV SURF«GXUHV GH OLFHQFLH-
ment peuvent conduire à une nouvelle ou une plus forte judiciarisation
GHVOLFHQFLHPHQWV(QHIIHWOȇ«OLPLQDWLRQGHVLQGHPQLW«VGHSU«DYLVHVW
GLVVXDVLYH PDLV OD SRVVLELOLW« GH UHFHYRLU MRXUV GȇLQGHPQLW«V SRXU
OLFHQFLHPHQWDEXVLISOXW¶WTXHOHVMRXUVKDELWXHOVSHXWSHUPHWWUHGH
compenser la perte de ces indemnités et conduire à une augmentation
des cas portés devant les tribunaux.
,O H[LVWH GȇDXWUHV VRXUFHV GȇHIIHWV FROODW«UDX[ (Q HIIHW OD VLWXDWLRQ
DFWXHOOHGHOȇ«FRQRPLHHVSDJQROHQHUHȵªWHSDVGHEDLVVHGXFK¶PDJH
DORUVTXHOHVVDODLUHVHX[RQWGLPLQX«/DU«IRUPHGXWUDYDLOSHUPHW
d’adapter les conditions de travail à la situation particulière des entre-
prises et favorise selon le patronat un ajustement équilibré entre les
VDODLUHV OȇHPSORL HW OD MRXUQ«H GH WUDYDLO /D U«IRUPH YD SOXV GDQV OH
sens des revendications du patronat que de celles des salariés. Mais il
en a résulté une diminution des emplois tant dans le secteur privé que
dans le public.
Les études empiriques en économie nous permettent de com-
prendre les limites de l’approche présentée par la réforme. Depuis la
ȴQGHVDQQ«HVOȇ«WXGHFODVVLTXHGH61LFNHOODSHUPLVGHPRQWUHU
69
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
TXȇLO QȇH[LVWH HQ IDLW SDV GH UHODWLRQ FDXVDOH GLUHFWH HQWUH OHV FR½WV GH
licenciement et le taux de chômage moyen18 /RUVTXH OHV FR½WV VRQW
U«GXLWV OHV HQWUHSULVHV OLFHQFLHQW DLV«PHQW HW DLQVL OH FR½W GH OȇHP-
EDXFKH HVW «JDOHPHQW GLPLQX« SXLVTXH HQ FDV Gȇ«YHQWXHOOH UHVWUXFWX-
UDWLRQ GHV HIIHFWLIV ¢ OȇDYHQLU OH SURFHVVXV VHUD PRLQV RQ«UHX[ &HWWH
situation permet certes aux entreprises de commencer à réembaucher
GªVTXȇHOOHVFRQVLGªUHQWTXHODUHSULVH«FRQRPLTXHHVWHQWDP«HPDLV
DXVVL GH OLFHQFLHU DX SUHPLHU V\PSW¶PH GH FULVH (Q FRQV«TXHQFH OD
fréquence d’entrée et de sortie des salariés du marché du travail risque
GȇDXJPHQWHUPDLVLOQȇ\DWRXWHIRLVDXFXQHJDUDQWLHTXȇ¢PR\HQWHUPH
le taux de chômage diminue. Le chômage de longue durée peut dimi-
QXHUVLHWVHXOHPHQWVLFHWWHSRSXODWLRQQȇDSDVHQWUHWHPSVSHUGXXQH
partie de ses compétences.
Mais le même argument peut également agir dans le sens contraire.
/RUVTXHOHVFR½WVGHOLFHQFLHPHQWVRQWSOXV«OHY«VOHVHQWUHSULVHVVRQW
généralement plus réticentes à embaucher. Elles n’embauchent pas tant
qu’elles ne sont pas totalement convaincues que la croissance de leur
SRUWHIHXLOOHGHFRPPDQGHVVHUDGXUDEOHGDQVOHWHPSV&HSHQGDQWHOOHV
ne licencient pas non plus dès la première manifestation d’un change-
PHQWGHF\FOH(OOHVSU«IªUHQWVRXYHQWVWDELOLVHUOHXUVHIIHFWLIVSXLVTXH
OȇHIIHWQHWVHUDXQHPSORLSOXVVWDEOH'DQVFHFDVLOHVWSOXVSUREDEOH
que les entreprises cherchent à faire face à la chute de leur activité en
ajustant les heures et les journées de travail de leurs salariés plutôt
TXH OHV HPSORLV /H FK¶PDJH DXJPHQWHUD PRLQV HW HQ UªJOH J«Q«UDOH
ODPDVVHVDODULDOHGLPLQXHUDPRLQVWRXWFRPPHODFRQVRPPDWLRQGHV
P«QDJHV$LQVLOȇHIIHWPXOWLSOLFDWHXUGXFK¶PDJHVXUODGHPDQGHLQW«-
ULHXUHHWOHQLYHDXGHSURGXFWLRQVHUDPRLQVLPSRUWDQW'DQVFHFDVR»
OHV FR½WV GH OLFHQFLHPHQW VRQW SOXV «OHY«V LO HVW FHUWDLQ TXH OHV HQWUH-
prises embaucheront moins même pendant les phases de croissance.
Elles seront cependant plus enclines à tenter d’augmenter la production
par la productivité et l’amélioration technico-organisationnelle.
&HUWDLQV DXWHXUV RQW G«PRQWU« TXHOHV HIIHWV GHV FR½WV GHOLFHQFLH-
PHQW VXU OD FU«DWLRQ GȇHPSORL G«SHQGHQW GH OD WHFKQRORJLH GHV SHU-
turbations économiques et des négociations entre les syndicats et les
entreprises19,OD«JDOHPHQW«W«G«PRQWU«TXHOHVFR½WVGHOLFHQFLHPHQW
18. S. NƯƩƱƫƲƲ, « Fixed costs, employment and labour demand over the cycle », Economica,
PoR
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EWTQUENGTQUKUš!zReview of Economic StudiesXQNPoRšLars LưƺƴƭƶƻƯƸƹ,
« HQYFQNC[QHHEQUVUCHHGEVGORNQ[OGPVzEconomic JournalPoR
70
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
šSamuel BƫƴƹƵƲƯƲƧ, Pierre CƧƮƺƩ, Juan DƵƲƧƪƵ et Thomas LƫBƧƷƨƧƴƩƮƵƴ, « Paro y empleo
VGORQTCNFWTCPVGNCETKUKUšUna comparación entre Francia y EURCȓCzKPšVV. AA., La Crisis de
la Economía Española. Análisis Económico de la Gran Recesión Madrid, FGFGCR
šOlivier BƲƧƴƩƮƧƷƪ et Jean TƯƷƵƲƫ, Protection de l’emploi et procédures de licenciement, La
Documentation française, Paris, 2003.
šPropuesta para la reactivación laboral en España =JVVRYYYETKUKUGU
RTQRWGUVC!RCIGAKF
5]. Voir également NCFCGUITCVKU GUš Luis GƧƷƯƩƧƴƵ, ¿EV FRQVWLWXFLRQDO HO FRQWUDWR ¼QLFR̰"
HȌXTKGT =JVVRPCFCGUITCVKUGU!R?š José Ignacio CƵƴƪƫRƺƯƿ, La maraña
FRQWUDFWXDODFWXDO̰NRVHU¯DWRGRP£VI£FLOFRQXQFRQWUDWR¼QLFR̰"OCK=JVVRPCFCGU
ITCVKUGU!R?
71
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
3DUDLOOHXUVLOH[LVWHXQFRQVHQVXVVHORQOHTXHOODU«IRUPHGXWUDYDLO
actuelle devrait s’appliquer dans un contexte de croissance et non pas
de grave récession231HSDVWHQLUFRPSWHGHFHFRQVHQVXVUHYLHQWSRXU
3DXO .UXJPDQ ¢ LJQRUHU OHV IRQGHPHQWV GH OD WK«RULH «FRQRPLTXH24.
L’immédiate conséquence de ce type de réforme en pleine récession
HVW TXȇHOOH HQWUD°QH FRPPH QRXV OȇDYRQV G«M¢ PHQWLRQQ« XQH FURLV-
sance rapide du chômage. Si la réforme du travail s’accompagne d’un
plan strict de restructuration macroéconomique caractérisé par de
IRUWHV FRXSHV GDQV OHV G«SHQVHV SXEOLTXHV HW GHV KDXVVHV GȇLPS¶WV OD
situation économique et sociale des familles et des individus ne pourra
qu’empirer. Les conséquences malheureuses de la réforme aux plans
économique et social restent associées à la conjoncture du moment de
sa mise en œuvre.
'DQVXQFRQWH[WHGHU«FHVVLRQODU«IRUPHDIDYRULV«OHVUHVWUXFWXUD-
WLRQVGHSHUVRQQHOHQGLPLQXDQWOHVFR½WVHWDIDFLOLW«XQHGLPLQXWLRQ
GHVFR½WVGXWUDYDLO0¬PHVȇLOHVWGLɚFLOHGHVDYRLUGDQVTXHOOHPHVXUH
FHWWH GLPLQXWLRQ HVW GXH ¢ OD U«IRUPH RX ¢ OD FULVH ,O HVW FHUWDLQ TXH
SHQGDQWODSUHPLªUHDQQ«HGHFULVH«FRQRPLTXHOHVVDODLUHVU«HOVRQW
DXJPHQW«HQFRQV«TXHQFHGHOȇLQGH[DWLRQDXWRPDWLTXHFHTXLQȇDIDLW
qu’empirer la situation de certaines entreprises. La réforme corrige cet
HIIHWPDLVHOOHRXYUH«JDOHPHQWODSRUWHDX[DEXVGHODSDUWGHVHQWUH-
prises qui mettent en avant la recherche de compétitivité pour dimi-
nuer les salaires. Ceci peut faire dégénérer les relations sur le lieu de
WUDYDLO'HIDLWOHG«EDWVXUOHVVDODLUHVSRXUUDLWSURȴWHUGHODFU«DWLRQ
de mécanismes institutionnels à l’échelle nationale compatibles avec les
conventions collectives principales de l’entreprise.
3DU DLOOHXUV OD U«IRUPH QȇLQFOXW SDV GH SROLWLTXHV GȇHPSORL 3DU
H[HPSOH LO Qȇ\ D SDV HX SOXV GH PHVXUHV HQ IDYHXU GH OȇDFFRPSDJQH-
ment des chômeurs à la recherche d’emploi. La seule mesure a été celle
GȇDVVRFLHU XQH IRUPDWLRQ REOLJDWRLUH DȴQ TXH OHV FK¶PHXUV HQ ȴQ GH
droits perçoivent une prestation compensatoire. Les actions en faveur
GH OD UHFKHUFKH GȇHPSORL VRQW DEVHQWHV GH OD U«IRUPH WRXW FRPPH OHV
P«FDQLVPHV GȇDGDSWDWLRQ GX SURȴO SURIHVVLRQQHO GHV SHUVRQQHV VDQV
emploi aux nouveaux besoins du marché du travail. Le problème de
Oȇ«FKHF VFRODLUH HW GH OD VXUTXDOLȴFDWLRQ GHV MHXQHV (VSDJQROV QȇD SDV
non plus été résolu. Les chiffres du chômage de certaines catégories
72
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
73
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
3
Le renouveau du mouvement
républicain : de la nostalgie à la
défiance citoyenne
Alicia FERNÁNDEZ GARCÍA
A DȴQ GH F«O«EUHU OD P«PRLUH GH OD 6HFRQGH 5«SXEOLTXH RX GH
revendiquer l’instauration d’une « Troisième République » qui
PHWWUDLW ȴQ DX[ G«ULYHV GX V\VWªPH SROLWLTXH DFWXHO RQW FRQQX XQ
UHQRXYHDX FHUWDLQ 'HV YRL[ GH SOXV HQ SOXV QRPEUHXVHV LVVXHV SULQ-
FLSDOHPHQW GH OD VRFL«W« FLYLOH HW GHV PLOLHX[ LQWHOOHFWXHOV RQW DSSHO«
¢ XQH mVHFRQGH WUDQVLWLRQ} DȴQ GH G«SDVVHU OHV OLPLWHV GH OD FRQVWL-
tution de 1978. Mais l’histoire moderne et contemporaine du républi-
FDQLVPH HQ (VSDJQH GHPHXUH QRQ VHXOHPHQW OLPLW«H PDLV DXVVL WUªV
FRQWURYHUV«H (OOH VH FRQFHQWUH HVVHQWLHOOHPHQW VXU GHX[ «SLVRGHV OD
3UHPLªUH5«SXEOLTXH I«YULHUG«FHPEUH WUªVEUªYHHW
PDUTX«H SDU OȇLQVWDELOLW« SROLWLTXH HW OD 6HFRQGH 5«SXEOLTXH DYULO
1931-1erDYULO TXLJRXYHUQDHQSDL[SHQGDQWVHXOHPHQWFLQTDQV
MXVTXȇDX FRXS GȇWDW GH MXLOOHW TXL G«FOHQFKD OD JXHUUH FLYLOH HW
obligea le gouvernement républicain de Largo Caballero et le président
socialiste Manuel Azaña à se réfugier à Valence puis à Barcelone de
1937 à 19391 'DQV OD P«PRLUH FROOHFWLYH GHV (VSDJQROV OD 6HFRQGH
République suscite le plus d’interprétations opposées : symbole d’une
šLes travaux historiques sur ces deux périodes sont très nombreux et documentés. Citons
seulement quelques travaux de référence réactualisés. Sur la Première République, cf. José
María JƵƻƫƷ ZƧƳƵƷƧ, Realidad y mito de la Primera República, Pozuelo de Alarcón, EURCUC
CCNRGšJosep FƵƴƹƧƴƧ, La época del liberalismo. Vol. 6 de la collection Historia de España,
dirigée par Josep FƵƴƹƧƴƧ et Ramón VƯƲƲƧƷƫƸ, Barcelone, Marcial PQPUšJorge VƯƲƩƮƫƸ,
Progreso y Libertad. El Partido Progresista en la Revolución Liberal Española, Madrid, Alianza
Editorial, 2001.
75
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
š5WT NC 5GEQPFG 4ȌRWDNKSWG XQKT NŨȌVWFG ENCUUKSWG FG ,CXKGT 6ƺƸƫƲƲ, Las Constituyentes de
XQDVHOHFFLRQHVGHWUDQVLFLµQ, Madrid, CIS, 1982. Pour une édition plus récente, voir Santos
JƺƲƯƧ, La Constitución de 1931, Madrid, Iustel, 2009. Voir de même les études classiques de
Stanley PƧƾƴƫ, La primera democracia española. La Segunda República, 1931-1936, Barcelona,
Paidós, 1995, et El colapso de la República, Madrid, La Esfera de los Libros, 2005. Pour une
XKUKQPU[PVJȌVKSWGFŨGPUGODNGXQKT,WNKȄP%ƧƸƧƴƵƻƧ, República y Guerra Civil. Vol. 8 de Historia
de España, op. cit., 2007. Enfin, pour une étude plus récente sur la droite, voir Eduardo GƵƴƿʜƲƫƿ
CƧƲƲƫưƧ Contrarrevolucionarios. Radicalización violenta de las derechas durante la Segunda
República, Alianza Editorial, Madrid, 2011.
76
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
LA MÉMOIRE HISTORIQUE
RÉPUBLICAINE EN ESPAGNE
La Première République :
l’image négative de la « République de 1873 »
La Première République fut le régime politique de l’Espagne du
11 février 1873 au 29 décembre 1874. Il s’inséra dans le cadre du sexen-
QDW G«PRFUDWLTXH HQFOHQFK« SDU OD U«YROXWLRQ GH TXL G«ERXFKD
VXU OH UªJQH Gȇ$PDGHR ,HU SXLV VXU OD 5«SXEOLTXH VXLWH ¢ OȇDEGLFDWLRQ
OH I«YULHU GH FH GHUQLHU DFFXO« SDU OD WURLVLªPH JXHUUH FDU-
OLVWH OH FRQȵLW GH &XED OȇRSSRVLWLRQ GHV PRQDUFKLVWHV SDUWLVDQV GH OD
UHVWDXUDWLRQGȇ$OIRQVHGH%RXUERQ ȴOVGȇ,VDEHO,, HWOHVLQVXUUHFWLRQV
républicaines3 /D 3UHPLªUH 5«SXEOLTXH SULW ȴQ VXLWH DX FRXS GȇWDW
du général Arsenio Martínez-Campos qui donna lieu à la restauration
bourbonienne. Elle fut très brève et caractérisée par l’instabilité poli-
WLTXHGXUDQWVHVRQ]HSUHPLHUVPRLVGȇH[LVWHQFHHOOHHQFKD°QDTXDWUH
présidents issus du Parti républicain fédéral. Le premier gouvernement
d’Estanislao Figueras dut faire face à une situation de crise économique
HWVRFLDOHGDQVOHFRQWH[WH GHODFULVH PRQGLDOHGHPDUTX«HSDU
OȇDXJPHQWDWLRQGXFK¶PDJHHWGHVJUªYHV¢U«S«WLWLRQ(Q$QGDORXVLHOD
république était associée symboliquement à la réforme agraire par les
paysans sans terre des latifundios GHV GRPDLQHV DJULFROHV LPPHQVHV
77
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
Photo 3.1. Caricature de la Ire République, revue satirique La Flaca, 3 mars 1873
78
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
šDCPUNGUSWGNSWGUFKUVTKEVUQșWPGEQORȌVKVKQPȌNGEVQTCNGGWVVQWVGHQKUNKGWEGNNGEKUŨQTIC
nisa uniquement entre républicains fédéralistes « modérés » ou « intransigeants ».
šJorge VƯƲƩƮƫƸ, op. cit., 2001, p. 381.
šLC VTQKUKȋOG IWGTTG ECTNKUVG CXTKNHȌXTKGT FȌUKIPG NŨCHHTQPVGOGPV SWK
opposa, d’une part, les partisans de Charles VII de BQWTDQP RTȌVGPFCPV ECTNKUVG
au trône d’EURCIPG GVCȑPȌFGUECRȌVKGPUGVEJGHFGNCOCKUQPFGFrance, considéré à ce titre
par les légitimistes comme le roi de France « Charles XI »), et, d’autre part, les gouvernements
d’Amadeo Ier, de la Première République et d’Alfonse XII. Sur le carlisme, voir Julio MƵƴƹƫƷƵ
El Estado Carlista. Principios teóricos y práctica política (1872-1876), Madrid, Aportes XIXš
Jordi CƧƴƧƲ, El Carlismo. Dos siglos de contrarrevolución en España, Madrid, Alianza Editorial,
š5WTNGNKGPFG%JCTNGU8++ȃNCOCKUQPFG(TCPEGXQKT Jacques ƨƫƷƴƵƹ, /HVSULQFHVFDFK«V̰
Histoire des prétendants légitimistes, Paris, Lanore, 2014, p. 13.
šLa révolution cantonale est un mouvement politique qui se fit jour en juillet 1873 par une
grève révolutionnaire à Alcoy puis par l’insurrection de Carthagène le 12 juillet, et qui consista
en une réorganisation d’une partie du territoire de l’Espagne en cantons, à savoir de fédérations
de villes qui se regroupaient librement. Il entraîna la démission de Pi y Margall, le ministre de
l’Intérieur. Le mouvement s’étendit ensuite dans les régions de Valence, de Murcie, de l’Anda
lousie, en EUVTȌOCFWTG ȃCoria, HGTXȄUPlasencia) où fut créé le journal El Canton Extremeño,
et dans la province de Salamanque. La majorité des cantons, dotés de milices d’autodéfense,
UWRRTKOȋTGPVNGUOQPQRQNGUGVNGUKORȖVUUWTNCEQPUQOOCVKQP FTQKVUFŨQEVTQK VQWVGPTGEQP
naissant le droit au travail et en instaurant la journée de huit heures. Les cantons d’Almansa,
Loja, Séville, MȄNCICCadix, Tarifa et surtout CCTVJCIȋPGSWKHWVNGFGTPKGTȃTȌUKUVGT LWUSWŨCW
13 janvier1874) furent les plus actifs. Ce mouvement était partisan d’un fédéralisme radical et
eut une grande influence sur le mouvement ouvrier et surtout sur l’anarchisme en Espagne. Voir
José BƧƷʭƴFƫƷƴʜƴƪƫƿEl movimiento cantonal de 1873 (1ª República), La Corogne, Edicios do
Castro, 1998, p. 214.
79
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šCe discours fut revu et corrigé, publié puis réédité par la suite. Cf. José María JƵƻƫƷ
ZƧƳƵƷƧ, op. cit., 1991, p. 80.
šIbid., p. 81.
šIbid., p. 82.
šGenoveva GƧƷƩʨƧ QƺƫƯǞƵ Dƫ LƲƧƴƵ El reinado de Alfonso XIII. La modernización fallida,
Madrid, Historia 16, 1997, p. 130.
80
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
WULRPSKHSRXUOHVU«SXEOLFDLQVQRWDPPHQWGDQVOHVFDPSDJQHV0DLV
OHIDLWTXHOHYRWHUXUDODLW«W«FRPSOªWHPHQWG«IRUP«SDUOȇLQȵXHQFHHW
les pressions sociales des « caciques} UHODLV ORFDX[ GHV «OLWHV FRQVHU-
YDWULFHVHWPRQDUFKLVWHVG«O«JLWLPDFHOXLFLDORUVTXHOHVU«SXEOLFDLQV
UHPSRUWªUHQW GH ODUJHV YLFWRLUHV GDQV FDSLWDOHV GH SURYLQFH GRQW
0DGULG HW %DUFHORQH FH TXL OHV LQFLWD ¢ LQVWDXUHU LPP«GLDWHPHQW OD
république15.
La Seconde République fut ainsi le régime politique démocratique
VRXVOHTXHOY«FXWOȇ(VSDJQHHQWUHOHDYULOGDWHGHVDSURFODPD-
WLRQ HW OH erDYULO GDWH GX G«EXW GH OD JXHUUH FLYLOH TXL G«ERX-
cha sur la dictature franquiste (1939-1975). Après la mise en place
du gouvernement provisoire (avril-décembre 1931) qui approuva la
FRQVWLWXWLRQGHODS«ULRGHGXUDQWODTXHOOHOD6HFRQGH5«SXEOLTXH
JRXYHUQDmHQSDL[}SHXW¬WUHGLYLV«HHQWURLVSKDVHV/DSUHPLªUHGH
¢SHUPLW¢ODFRDOLWLRQU«SXEOLFDLQHHWVRFLDOLVWHGLULJ«HSDU
Manuel Azaña de mener à bien plusieurs réformes qui modernisèrent
OH SD\V /D VHFRQGH GH ¢ FRQVLG«U«H SDU OD JDXFKH FRPPH
XQH S«ULRGH U«DFWLRQQDLUH SHUPLW DX JRXYHUQHPHQW GX SDUWL U«SXEOL-
FDLQ UDGLFDO Gȇ$OHMDQGUR /HUURX[ DYHF OȇDSSXL GH OD GURLWH FDWKROLTXH
OD &RQI«G«UDWLRQ HVSDJQROH GHV GURLWHV DXWRQRPHV &('$ GH UHYHQLU
sur une partie des réformes menées jusqu’alors. Durant cette période
VHSURGXLVLWODU«YROXWLRQGHXQHU«YROWHSRSXODLUHTXLG«ERXFKD
sur une véritable insurrection en Asturies et fut réprimée dans le sang
par l’armée16. La troisième période fut marquée par la victoire du Front
SRSXODLUH OD FRDOLWLRQ GHV JDXFKHV ORUV GHV «OHFWLRQV O«JLVODWLYHV GH
OH)URQWQHSXWJRXYHUQHUTXHFLQTPRLVHQUDLVRQGXFRXSGȇWDW
des 17 et 18 juillet 1936 qui entraîna la guerre civile.
'XUDQWODJXHUUHGH¢WURLVJRXYHUQHPHQWVU«SXEOLFDLQV
VHVXFF«GªUHQWGRQWDXFXQQHSDUYLQW¢IDLUHUHVSHFWHUOHPRQRSROHGH
ODYLROHQFHGHOȇWDWFHQWUDOHWODO«JDOLW«U«SXEOLFDLQHVXUVRQSURSUHWHU-
ULWRLUH/HJRXYHUQHPHQWU«SXEOLFDLQGH-RV«*LUDOGXWDLQVLFRPSRVHU
avec des centaines de comités républicains d’autodéfense formés suite
à la révolution sociale de 1936. Le gouvernement du socialiste Francisco
/DUJR &DEDOOHUR VHSWHPEUHPDL H[GLULJHDQW GH Oȇ8QLRQ
J«Q«UDOH GHV WUDYDLOOHXUV 8*7 IXW P¬PH REOLJ« GH FRPSRVHU DYHF
la pression des anarchistes de la Confédération nationale du travail
81
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
&17 TXLDYDLHQWMRX«XQU¶OHFHQWUDOGDQVODU«YROXWLRQRUJDQLVªUHQW
des grèves insurrectionnelles et des actions directes pour prendre le
FRQWU¶OHGHVXVLQHVHWIRUPªUHQWGHQRPEUHXVHVPLOLFHVGȇDXWRG«IHQVH
QRWDPPHQWHQ&DWDORJQH'HSXLV%DUFHORQHOHJRXYHUQHPHQWGXVRFLD-
liste Juan Negrín (mars 1937-mars 1939) chercha à résister jusqu’au
ERXW¢OȇDYDQF«HGHVWURXSHVmQDWLRQDOHV}DYDQWGHSUHQGUHODURXWH
GHOȇH[LOVXLWHDXFRXSGȇWDWGXJ«Q«UDO&DVDGR
La Seconde République eut à son actif des avancées sociales
HW SROLWLTXHV VDQV SU«F«GHQW 'DQV VHV SULQFLSHV IRQGDPHQWDX[ OD
FRQVWLWXWLRQ GH SURFODPD OD V«SDUDWLRQ GH OȇJOLVH HW GH OȇWDW OH
caractère laïc des institutions nationales et le principe de l’élection
des responsables publics. Elle supprima aussi la seconde chambre
WURS DULVWRFUDWLTXH UHFRQQXW OH PDULDJH FLYLO HW OH GLYRUFH HW LPSRVD
OHVXIIUDJHXQLYHUVHOGRQQDQWDLQVLDX[IHPPHVODSRVVLELOLW«GHYRWHU
pour la première fois en 193317. Une réforme agraire fut mise en place
HQGHP¬PHTXHGHQRXYHDX[VWDWXWVGȇDXWRQRPLHHQ&DWDORJQH
DX 3D\V EDVTXH HW HQ *DOLFH 'H QRXYHDX[ GURLWV IXUHQW GRQQ«V DX[
WUDYDLOOHXUV &RPPH OH VRXOLJQH ELHQ 0HUFHGHV <XVWD OHV LPSRUWDQWV
SURJUªV VRFLDX[ PDLV DXVVL OHV QRPEUHX[ G«ȴV DX[TXHOV OD 6HFRQGH
République dut faire face ont donné corps à des interprétations oppo-
V«HVHWWUªVGLɚFLOHPHQWU«FRQFLOLDEOHVVXUOHVP«ULWHVRXDXFRQWUDLUH
les responsabilités de ce régime :
2QWURXYHUDGLɚFLOHPHQWGDQVOȇKLVWRLUHGHOȇ(VSDJQHXQHS«ULRGHDXVVL
FRQWURYHUV«HTXHFHOOHGHOD6HFRQGH5«SXEOLTXH3RXUOHVXQVHOOHUHSU«-
sente une occasion unique de moderniser l’Espagne qui fut brutalement
étouffée par ceux qui ne voulaient pas perdre leurs privilèges. Pour les
DXWUHVFȇHVWODS«ULRGHTXLH[DFHUEDOHVGLYLVLRQVHWOHVFRQȵLWVTXLIUDF-
WXUDLHQWODVRFL«W«HVSDJQROHMXVTXȇ¢ODIDLUH«FODWHUORUVGȇXQHVDQJODQWH
JXHUUH FLYLOH GRQW OHV SROLWLFLHQV U«SXEOLFDLQV VHUDLHQW SDUWLHOOHPHQW
VLQRQWRWDOHPHQWUHVSRQVDEOHV18.
82
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
EHDXFRXS HOOH V\PEROLVH DXVVL OH SDVV« XQH H[S«ULHQFH FHUWHV QRYD-
WULFHSRXUOȇ«SRTXHPDLVGRQWOHSUL[¢SD\HUD«W«WURSORXUGGDQVOH
contexte espagnol. La propagande franquiste a d’ailleurs largement
FRQWULEX«¢G«O«JLWLPHUFHU«JLPHVHPDQWOHGRXWHGDQVOHVP«PRLUHV
FROOHFWLYHVHQIDOVLȴDQWDOO«JUHPHQWOȇKLVWRLUHHWHQOXLIDLVDQWSRUWHUOD
responsabilité de la guerre civile.
83
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
84
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
FHVHFWHXUGHODVRFL«W«LOOXVWUHUDLWOHVOLPLWHVGXV\VWªPHSROLWLTXHDFWXHO
LVVX GH OD WUDQVLWLRQ 3DU H[HPSOH HQ DYULO OD SODWHIRUPH Séville
pour la RépubliqueHQSU«VHQFHGXFRRUGLQDWHXUGȇ,8SRXUOȇ$QGDORXVLH
$QWRQLR 0D¯OOR D RUJDQLV« XQ KRPPDJH DX[ YLFWLPHV GX VRXOªYHPHQW
militaire de juillet 1936 sur le lieu de la fosse commune du cimetière de
San Fernando.
'DQV SOXVLHXUV YLOOHV HW YLOODJHV Gȇ(VSDJQH GHV GUDSHDX[ GH OD
Seconde République sont hissés symboliquement par des maires répu-
EOLFDLQV ORUV GH OD GDWH DQQLYHUVDLUH GH VD SURFODPDWLRQ OH DYULO
GH FKDTXH DQQ«H (Q ORUV GX e anniversaire de la Seconde
5«SXEOLTXH XQ GUDSHDX GH P GH ORQJ D «W« WLU« SDU OH 3&( VXU OD
Puerta del Sol à Madrid22 (Q FH IXW DXVVL OH FDV ¢ 3DORPDUHV
GHO 5¯R GDQV OD SURYLQFH GH 6«YLOOH XQH SHWLWH YLOOH GLULJ«H SDU -XDQD
Caballero à la tête d’une coalition entre IU et la Coalition andalouse.
/HVDXWRULW«VGH9LOODYHUGHGHO5¯RXQHORFDOLW«JRXYHUQ«HSDUODP¬PH
FRDOLWLRQ G«FLGªUHQW DXVVL GȇRUQHU OD PDLULH GX GUDSHDX U«SXEOLFDLQ
SHQGDQWXQHVHPDLQH¢F¶W«GHVDXWUHVGUDSHDX[ GHOȇ8(GHOȇ(VSDJQH
HWGHOȇ$QGDORXVLH DYDQWGȇ¬WUHFRQGDPQ«HV¢OHUHWLUHUSDUOHWULEXQDO
administratif de Séville.
/H DYULO GHX[ PLOOH FLQT FHQWV SHUVRQQHV RQW ¢ QRXYHDX
G«ȴO« ¢ 0DGULG GH OD 3OD]D GH &LEHOHV MXVTXȇ¢ OD 3XHUWD GHO 6RO HQ
HPSUXQWDQWODUXH$OFDO£HQP«PRLUHGHODSURFODPDWLRQGHOD6HFRQGH
République23. Même si l’aversion de ces personnes à l’égard de la
monarchie se comprend assez aisément pour les raisons historiques et
IDPLOLDOHVPHQWLRQQ«HVSU«F«GHPPHQWIRUFHHVWWRXWHIRLVGHFRQVWDWHU
que l’idéalisation de la Seconde République n’est pas partagée par la
PDMRULW« GHV (VSDJQROV SRXU TXL FH U«JLPH V\PEROLVH OH SDVV« HW VHV
démons. La nostalgie de la Seconde République demeure minoritaire
en ce qu’elle est associée symboliquement à un « retour en arrière ». Le
propos d’un lecteur du quotidien El País de Majadahonda (Madrid) est
parfaitement révélateur :
85
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
-HUHVVHQVXQHJUDQGHV\PSDWKLHSRXUOHGUDSHDXWULFRORUHPDLVSOXW¶W
TXH GH PRELOLVHU HQ IDYHXU GH OD 5«SXEOLTXH GX IXWXU MH SHQVH TXȇHOOH
implique un frein pour beaucoup de gens. Ce drapeau symbolise une
LG«H GH UHWRXU HQ DUULªUH DYHF XQH «SRTXH TXH QRXV FKHUFKRQV WRXV ¢
oublier. […] Si nous avons évacué de nos vies les symboles fascistes et
DXWRULWDLUHV GX U«JLPH IUDQTXLVWH LO Qȇ\ D DXFXQ VHQV ¢ UHYHQGLTXHU OH
futur en enlevant la poussière sur des photos en noir et blanc. La Répu-
EOLTXHFRPPHV\VWªPHSROLWLTXHPRGHUQHIRQG«VXUOȇ«JDOLW«GHYDQWOD
ORLOHOLEUHFKRL[GHVUHSU«VHQWDQWVSXEOLFVODV«SDUDWLRQHWOHFRQWU¶OH
GHVSRXYRLUVGHOȇWDWHWODSUDWLTXHGXUHVSHFWHWGHODWRO«UDQFHHVWLQ«-
YLWDEOHPHQWQRWUHIXWXU0DLVQRXVDYRQVEHVRLQGHQRXYHDX[V\PEROHV
GHWRXWHVOHVFRXOHXUVHQKDXWHG«ȴQLWLRQHWVDQVFRQQRWDWLRQVQ«JDWLYHV
pour personne. Le drapeau tricolore ne fut pas celui de la première
5«SXEOLTXH GH HW LO Qȇ\ D SDV GH UDLVRQ SRXU TXȇLO VRLW FHOXL GH OD
République espagnole du futur24.
LE MOUVEMENT RÉPUBLICAIN À LA
CONFLUENCE DES MOUVEMENTS SOCIAUX
86
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
2Q YRLW ELHQ FRPPHQW P¬PH VL FHUWDLQV VH PRELOLVªUHQW WUªV FODL-
UHPHQW FRQWUH OȇLQVWLWXWLRQ PRQDUFKLTXH HOOHP¬PH GȇDXWUHV PDQLIHV-
tèrent leur mécontentement plus général à l’égard du système politique
GDQVVRQHQVHPEOHHW¢OȇHQFRQWUHGHVSDUWLVGRPLQDQWVHQSDUWLFXOLHU
Le mouvement républicain doit donc être analysé comme un catalyseur
des revendications plurielles des mouvements sociaux.
(Q HIIHW LO SHUPHW GH U«XQLU DXWRXU GȇXQ FRQFHSW HW GȇXQ KRUL]RQ
SROLWLTXHFRPPXQGHVSHUVRQQHVTXLVHVRQWPRELOLV«HVDXWRXUGȇHQMHX[
šLa principale différence était surtout liée au fait que le parti libéral soutenait un plus impor
tant développement des libertés constitutionnelles établies, dans le but de rapprocher la consti
tution conservatrice de 1876 de celle, plus démocratique, de 1869. Cf. Ignacio FƫƷƴʜƴƪƫƿ
SƧƷƧƸƵƲƧ, Los partidos políticos en el pensamiento español. De la ilustración a nuestros días,
Madrid, Marcial Pons, Ediciones de Historia, 2009, p. 179.
šSur le système politique de la Restauration, cf. Jordi CƧƴƧƲ FKT Histoire de l’Espagne
contemporaine. De 1808 à nos jours, Paris, Armand CQNKPR
šEl Mundo, 3 juin 2014, p. 3.
87
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
/RUVGHFHVPRELOLVDWLRQVOHVGHVFHQGDQWVGHVYLFWLPHVU«SXEOLFDLQHV
GHODJXHUUHFLYLOHOHVPLOLWDQWVGX3DUWLFRPPXQLVWHGȇ(VSDJQHHWGȇIz-
quierda UnidaGHP¬PHTXHGHQRPEUHX[MHXQHVLVVXVQRWDPPHQWGX
PRXYHPHQWGHVLQGLJQ«VRQWFRQVWLWX«OHVSULQFLSDX[FROOHFWLIVPRELOL-
sés. Le collectif Junta Estatal Republicana a joué un rôle central dans la
FRQYRFDWLRQGHFHVPDQLIHVWDWLRQVUHFXHLOODQWGHP¬PHXQHS«WLWLRQGH
100 000 signatures en faveur d’un référendum30. Lors de chaque mani-
IHVWDWLRQU«SXEOLFDLQH¢0DGULGGHVPDQLIHVWDWLRQVFRQFRPLWDQWHVRQW
HXOLHXGDQVOHVJUDQGHVYLOOHVGHVSURYLQFHVHVSDJQROHVQRWDPPHQWHQ
$QGDORXVLH R» Izquierda Unida OH SDUWL OH SOXV QHWWHPHQW U«SXEOLFDLQ
88
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
DOHSOXVGȇLQȵXHQFH3RXUOHVMHXQHVHWOHV«WXGLDQWVTXLVRQWQ«VDSUªV
ODWUDQVLWLRQODȴJXUHGXURL-XDQ&DUORVQȇHVWSDVDVVRFL«H¢VRQU¶OHGH
médiateur lors de la transition ou à sa défense des institutions démocra-
WLTXHVORUVGHODWHQWDWLYHGHFRXSGȇWDWGXI«YULHU,OV\PEROLVH
¢OȇLQYHUVHXQU«JLPHYLHLOOLVVDQWPRQDUFKLTXHHWGRQFK«U«GLWDLUHTXL
renvoie indirectement à l’endogamie et aux tendances oligarchiques
TXLSU«YDOHQWGDQVODFODVVHSROLWLTXH/HSURSRVGH1LQR7RUUHOHGLUL-
geant des Jeunesses socialistesGX362(PRQWUHELHQFHOD
Les Jeunesses socialistes sont républicaines pour des raisons idéolo-
JLTXHV GH P«PRLUH HW GH SULQFLSHV «WKLTXHV /DG«IHQVH GH OD 5«SX-
blique fait partie de son identité politique. Le régime monarchique est
le résultat hérité d’une génération qui considère cette institution comme
XQ«O«PHQWXQLȴFDWHXUHWGHVWDELOLW«PDLVFHQȇHVWSOXVYUDLPHQWOHFDV
pour les jeunes d’aujourd’hui31.
31. « Las JSE llevamos la apuesta por la República », Público, 29 avril 2012.
32. « Malaise en Espagne après l’accident de chasse du roi au BQVUYCPCzLe Monde, 16 avril
2012.
šCarmen MƵƷʜƴ, « Entrevista con Alberto GCT\ȕPšAunque se eligiera Monarquía ya sería un
gran avance el hecho de consultarlo », El País, 4 juin 2014.
89
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šAlberto GƧƷƿʭƴEƸǞƯƴƵƸƧ, La Tercera República, Madrid, Madrid Ediciones Atalaya, 2014, p. 12.
šIbid., p. 15.
šIbid., p. 17.
šIbid., p. 34.
šLe parti citoyens d’Albert Rivera, symbole de la « nouvelle politique » avec Podemos dirigé par
Pablo Iglesias, est en faveur du maintien de la monarchie, mais demande plus de transparence.
39. « Manifestaciones republicanas en Catalunya », La Vanguardia, 3 juin 2014.
90
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
šL’ex dirigeant du PSOE, Alfredo Pérez Rubalcaba déclara ainsi que « la succession de
Juan Carlos Ier et sa succession par Philippe VI ouvre un temps nouveau pour l’Espagne. La
monarchie incarne le compromis pour la coexistence et le consensus que représente notre loi
fondamentale ». Cf. El Mundo, 15 juin 2014.
šLors des primaires du parti du 13 juillet 2014, José Antonio Pérez Tapias, représentant
du courant « Gauche socialiste » demanda par exemple un référendum, le PSOE devant faire
prévaloir sa « tradition républicaine » selon lui.
šÀngels PƯʫƵƲ et Jesús SƫƷƻƺƲƵGƵƴƿʜƲƫƿ, « Miles de personas reclaman un referéndum
sobre la Monarquía », El País, 2 juin 2014.
šLe slogan exact en valencien était « Per la República, els processos constituents, el dret a
decidir i per un referèndum ».
44. « Miles de personas piden en la calle un referéndum por la república », El Mundo, 7 juin 2014.
šCristina Vʜƿƶƺƫƿ, « 40 entidades se unen para reivindicar la república », El País, 6 juin 2014.
46. « IU comunica al Gobierno una manifestación para pedir un referéndum », El País, 4 juin 2014.
91
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
SURFODPDWLRQGXQRXYHDXURL3KLOLSSH9,OHMXLQSUHXYHGXFDUDFWªUH
U«DFWLIHWFRQMRQFWXUHOGHFHVPRELOLVDWLRQV$LQVLOHMXLQVHXOV
sympathisants républicains se mobilisèrent dans la rue à Valence. À
$OLFDQWH WURLV PDQLIHVWDWLRQV VXFFHVVLYHV U«XQLUHQW UHVSHFWLYHPHQW
SXLV SHUVRQQHV HQYLURQ /RUV GH OD SURFODPDWLRQ GX
QRXYHDXURLLOQȇ\HXWSDVGHFRQWHVWDWLRQPDVVLYHPDLVSDVYUDLPHQW
d’engouement non plus dans la plupart des villes espagnoles47. Comme
OHQRWªUHQWGHQRPEUHX[MRXUQDOLVWHVHWREVHUYDWHXUVKRUPLVVXUOHWUD-
MHWGXFRQYRLUR\DOSHXGHGUDSHDX[GHOȇ(VSDJQHȵRWWªUHQWDX[EDOFRQV
le jour de l’intronisation de Philippe VI : le sentiment le plus partagé fut
une certaine forme de résignation.
L’étude des slogans les plus récurrents lors des manifestations per-
met d’illustrer le discours politique et les principales revendications des
groupes mobilisés. Lors des actions collectives dans les villes moyennes
GH OD FRPPXQDXW« YDOHQFLHQQH ¢ *DQGLD '«QLD $OFRL HW (OFKH GHV
lycéens et étudiants scandèrent des slogans en faveur d’un « référen-
GXP UR\DO PDLQWHQDQW} DSSHODQW m/HV %RXUERQV DX[ «OHFWLRQV} RX
LQYRTXDQW m/D SURFKDLQH H[SXOVLRQ ¢ OD =DU]XHOD} FRPPH OH ȴUHQW
les jeunes d’Alicante48. Plutôt que de mettre en avant la légitimité « his-
WRULTXH} GH OD PRQDUFKLH LOV FULWLTXDLHQW VRQ DEVHQFH GH mO«JLWLPLW«
«OHFWRUDOH},OHVWFODLUTXHGDQVODWUDGLWLRQPRQDUFKLTXHHQ*UDQGH
%UHWDJQH HQ %HOJLTXH RX DLOOHXUV HQ (XURSH OȇLQVWLWXWLRQ UR\DOH QH VH
VRXPHWSDVDXYRWHGHVFLWR\HQVORUVGȇ«OHFWLRQVU«JXOLªUHVSXLVTXȇHOOH
se fonde justement sur le type de « légitimité traditionnelle » évoquée
SDU 0D[ :HEHU WUDQVPLVH GH ID©RQ K«U«GLWDLUH HW IRQG«H VXU OHV FRX-
tumes et la tradition49. Mais la « tradition » monarchique demeure
FRQWHVW«H HQ (VSDJQH WDQW VRQ KLVWRLUH PRGHUQH HW FRQWHPSRUDLQH D
été liée à des épisodes répétés de dérives autoritaires et de gestion sul-
fureuse du pouvoir.
Les autres slogans principaux des manifestants faisaient référence
¢ GHV TXHVWLRQV GȇRUGUH «FRQRPLTXH m1RQ DX[ FRXSHV EXGJ«WDLUHV}
m/HJHQGUHGX%RXUERQHQSULVRQSRXUYRO}m1RXVQHVRPPHVSDV
GHV SD\VDQV QRXV VRPPHV GHV U«SXEOLFDLQV} m3RXU OH G«ȴFLW XQH
réforme de la constitution est possible. Pour la monarchie aussi ».
D’autres slogans appelaient à une « seconde transition » à travers
XQH U«IRUPH GHV LQVWLWXWLRQV HW GHV SUDWLTXHV SROLWLTXHVDȴQ GH OXWWHU
92
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
FRQWUHODFRUUXSWLRQHWGȇLQWURGXLUHOHUHVSHFWGHFHUWDLQVGURLWVVRFLDX[
FRPPH FHOXL DX ORJHPHQW GDQV XQH QRXYHOOH ORL IRQGDPHQWDOH (Q FH
VHQV RQ FRPSUHQG ELHQ TXH OHV PDQLIHVWDWLRQV U«SXEOLFDLQHV ORUV GH
l’abdication de Juan Carlos doivent être analysées à partir du contexte
VRFLDO GH Oȇ(VSDJQH GȇDXMRXUGȇKXL PDUTX«H SDU XQ VHQWLPHQW DVVH]
répandu d’injustice. Une perception fondée sur un manque d’équité
dans l’imposition de politiques d’austérité aux classes populaires tou-
FK«HVGHSOHLQIRXHWSDUODFULVHVXUOHVLQ«JDOLW«VGHWUDLWHPHQWIDFH¢OD
MXVWLFHHWOȇLPSXQLW«GHVmSXLVVDQWV}RXHQFRUHVXUODSULRULW«GRQQ«H
au paiement de la dette publique au détriment d’autres objectifs poli-
tiques et sociaux.
/RUVGHODVXFFHVVLRQOHMXLQXQHF«U«PRQLHPDUTX«HSDU
ODVREUL«W«VDQVLQYLWDWLRQGHFKHIVGȇWDW«WUDQJHUVHWVDQVODSU«VHQFH
de Juan Carlos Ier OȇLQWHUGLFWLRQ GHV GUDSHDX[ U«SXEOLFDLQV GXUDQW OH
G«ȴO« VXVFLWD OD SRO«PLTXH50 /D SROLFH MXVWLȴD FHWWH PHVXUH HQ LQYR-
quant la loi Corcuera de 1992 et une décision du tribunal supérieur de
93
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šIl est de notoriété publique que la « neutralité » du Tribunal supérieur de justice de la com
munauté autonome de Madrid peut parfois être mise en question, notamment sur les ques
tions hautement politiques, telle que la succession par exemple. En effet, il faut tenir compte du
fait qu’un tiers des sièges de la chambre civile et pénale sont réservés à des juristes reconnus,
souvent anciens membres ou proches de partis politiques, nommés par le Conseil général du
RQWXQKT LWFKEKCKTG CGPJ) sur proposition de l’assemblée législative de la communauté auto
nome de MCFTKFFQOKPȌGUCPURCTVCIGHCWVKNNGTCRRGNGTRCTNGRCTVKRQRWNCKTGFGRWKU
šLes directives policières consistèrent à inciter les agents à prendre note des appartements
ornant des drapeaux républicains sur le passage du cortège, et de chercher ensuite à savoir, par
un contrôle au domicile des personnes concernées, si l’intention était de provoquer. On imagine
le type de conversations surréalistes entre policiers et occupants pour savoir si ces derniers
cherchaient à « provoquer » ou à simplement « exercer leur liberté d’expression ». Pour éviter
les drapeaux républicains aux balcons, les policiers effectuèrent des visites dans les jours qui
précédèrent le défilé.
94
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
RÉPUBLICANISME ET INDÉPENDANTISME
Le renouveau de la revendication républicaine est aussi allé de
pair avec l’essor des mouvements indépendantistes et régionalistes
HQ&DWDORJQHDX3D\VEDVTXHHWHQ*DOLFH(QHIIHWFHVFRPPXQDXW«V
DXWRQRPHVRQWFRQQXSOXVLHXUVPDQLIHVWDWLRQVR»VHVRQWP¬O«VU«SX-
EOLFDLQVHWLQG«SHQGDQWLVWHVLOOXVWUDQWXQHFHUWDLQHFRQYHUJHQFHHQWUH
les revendications de ces courants politiques pourtant très distincts.
95
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
96
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
TXȇLO WUDYDLOOH DX %XUJHU .LQJ} PLUHQW HQ VFªQH HW G«QRQFªUHQW GH
façon imagée les affaires de corruption qui touchèrent l’entourage du
roi Juan Carlos Ier. Certains protestataires se sont déguisés en clowns ou
HQ DQLPDX[ DYHF GHV «O«SKDQWV HQ FDUWRQ GHV W¬WHV RX GHV FRPELQDL-
VRQVGHOLRQIDLVDQWDOOXVLRQDYHFKXPRXUDXPDOHQFRQWUHX[VDIDULGX
URLDX%RWVZDQDTXLU«Y«ODWDQWVDOLDLVRQDGXOWªUHTXHVRQJR½WSRXU
OHVDFWLYLW«VGHOX[HGDQVXQFRQWH[WHVRFLDOHW«FRQRPLTXHSDUWLFXOLª-
UHPHQWGLɚFLOHSRXUOHV(VSDJQROV
$XGHO¢ GHV PHPEUHV Gȇ(5& HW GH OD &83 SDUPL OHV SHUVRQQDOLW«V
SROLWLTXHV TXL VH MRLJQLUHQW ¢ FHV PDQLIHVWDWLRQV RQ QRWD VXUWRXW OD
présence des dirigeants d’Esquerra Unida i Alternativa (8L$,&9 -RDQ
Herrera et Dolors Camats56. EUiA est le parti politique catalan au posi-
WLRQQHPHQWOHSOXVFRK«UHQWVXUODTXHVWLRQSXLVTXHGHVI«G«UDOLVWHVHW
des indépendantistes coexistent en son sein : il est favorable à l’instau-
ration d’une « république espagnole » via l’instauration parallèle d’un
WDW I«G«UDO DSSU«KHQG« FRPPH XQH I«G«UDWLRQ GȇHQWLW«V DXWRQRPHV
qui inclurait donc potentiellement des éventuelles républiques catalane
RX EDVTXH 3RXU (8L$ FRPPH SRXU $GD &RODX OȇH[ SRUWHSDUROH GH OD
3$+RXSRXUOHVm,DLRȵDXWDV}ODTXHVWLRQG«PRFUDWLTXH¢WUDYHUVOD
GHPDQGHGHOȇRUJDQLVDWLRQGHU«I«UHQGXPVTXHFHVRLWGDQVOHFRQWH[WH
GXIXWXUVWDWXWGHOD&DWDORJQHRXVXUOHU«JLPHSROLWLTXHGHOȇWDWHVSD-
JQROMRXDXQU¶OHFHQWUDOGDQVFHVPRELOLVDWLRQVWLWUHGȇLOOXVWUDWLRQ
RQ SHXW FLWHU LFL OH SURSRV GH 5DPµQ %DUED UDSSRUW« SDU El País XQ
,DLRȵDXWD de Barcelone de 59 ans :
J’espère qu’il y aura un référendum. La Couronne a été imposée dans la
&RQVWLWXWLRQVDQVG«EDW/¢FȇHVWODP¬PHFKRVHOȇDEGLFDWLRQGXURLD«W«
une surprise pour tout le monde. Ils veulent aller vite pour introniser le
nouveau roi sans débat. C’est un déni de démocratie. C’est la même chose
pour le référendum catalan. Ils s’opposent au 9-N et ne veulent pas lais-
ser le droit au peuple de décider de son propre futur.
&HSURSRVU«VXPHELHQOHJULHISULQFLSDOGHVPDQLIHVWDQWV¢VDYRLU
OȇLG«HGXPDQTXHGHFRQVXOWDWLRQGHVFLWR\HQVHWGHOȇLPSRVLWLRQWDQWGH
ODIRUPHGHOȇWDWHVSDJQROTXHGXVWDWXWGHOD&DWDORJQH¢WUDYHUVGHV
pactes entre les élites dominantes (« ils ») des deux principales forces
politiques.
šEUiAICV est une coalition de gauche alternative qui regroupe la branche catalane d’IU
EUiA), la formation Iniciativa per Catalunya, et le parti écologiste Els Verds kNGUVerts »).
97
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
57. « Cientos de personas se echan a la calle en contra de la Monarquía », El País, 2 juin 2014.
šD’autres collectifs moins nombreux et représentatifs participèrent aussi à la manifestation,
notamment Iratzarri-EKI, Alternativa Republicana, Antikapitalistak, Círculo Republicano, Colectivo
Republicano de Euskal Herria, Gazte Komunistak, GKB, Goldatu, Ikasle Ekintza et URE Orduña.
59. « Concentraciones para reivindicar la república vasca o un referéndum », El País, 19 juin 2014.
60. « Manifestación contra la Monarquía », El País, 18 juin 2014.
98
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
FDVFDWDODQDX3D\VEDVTXHOHVFRUWªJHVGHVGLII«UHQWVFROOHFWLIVPRELOL-
sés prirent toujours le soin de manifester séparément. EH Bildu revendi-
quait ainsi « la reconnaissance et le respect du droit à décider d’Euskal
+HUULD} DORUV TXȇEzker Anitza-IU axa ses slogans sur un changement
GH U«JLPH m-DPDLV GHX[ VDQV WURLV 5«SXEOLTXH GH QRXYHDX} m/HV
%RXUERQVDXVVL¢ODTXHXHGHOȇ,QHP61} 6DLQW6«EDVWLHQTXDWUHFRU-
tèges distincts ont manifesté62.
99
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
U«VLGXHOGHFHPRXYHPHQWGDQVXQHU«JLRQR»XQFRQVHUYDWLVPHSROL-
tique teinté de régionalisme domine64.
šPour une étude synthétique de l’évolution des clivages politiques en Galice, voir Nieves
LƧƭƧƷƫƸ, José Manuel RƯƻƫƷƧ et Ramón MƧƯƿ, « LG PCVKQPCNKUOG ICNKEKGPš FG NŨCEEȋU CW
gouvernement à la crise électorale et organisationnelle », dans Alicia FƫƷƴʜƴƪƫƿ GƧƷƩʨƧ
et Mathieu PƫƹƯƹƮƵƳƳƫ FKT Les nationalismes dans l’Espagne contemporaine (1975-2011).
Compétition politique et identités nationales, Paris, Armand CQNKPR
100
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
PDQLIHVWDQWV RQW SHUPLV GH VRXOLJQHU HW FRPPH OH VXJJªUHQW OHV VRQ-
GDJHVGȇRSLQLRQFHVRQWGȇDERUGOHVSDUWLVSROLWLTXHVWUDGLWLRQQHOVOHXUV
élites et le gouvernement qui sont mis en cause. Les Espagnols continuent
GHSO«ELVFLWHUPDMRULWDLUHPHQWODPRQDUFKLHHWODȴJXUHGXURL,OHVWYUDL
WRXWHIRLVTXHOHFDV1µRVD\DQWPLVHQDYDQWOȇH[LVWHQFHGHSUDWLTXHVGH
corruption dans l’entourage de Juan Carlos IerHWVRQVDIDULDX%RWVZDQD
HQDORUVTXȇLODYDLWGHPDQG«DX[(VSDJQROVGHmIDLUHGHVHIIRUWV}
assurant que « la justice est la même pour tous » dans son discours de
1ROGXG«FHPEUHVȇHVWU«Y«O«SURIRQG«PHQWHQG«FDODJHDYHFOH
Y«FXTXRWLGLHQGHVFLWR\HQVRUGLQDLUHV(QVHXOHPHQWTXHOTXHVVHPDLQHV
Juan Carlos Ier a perdu une bonne partie du crédit historique qui était le
VLHQSRXUDYRLUMRX«XQU¶OHPDMHXUGXUDQWODWUDQVLWLRQU«VLVW«¢ODWHQWD-
WLYHGHFRXSGȇWDWGXI«YULHUHWFRQWULEX«¢UHGRQQHU¢Oȇ(VSDJQH
sa place dans le concert des nations européennes.
3RXU DXWDQW FRPPH QRXV OȇDYRQV PLV HQ DYDQW OHV PDQLIHVWDWLRQV
VXUYHQXHV ORUV GH VRQ DEGLFDWLRQ RQW «W« HVVHQWLHOOHPHQW VSRQWDQ«HV
liées à l’effet de surprise et à l’euphorie du moment. Il ne s’est en
rien agi d’un mouvement social massif d’opposition à la monarchie.
1RXV OȇDYRQV FRQVWDW« FHV PRELOLVDWLRQV RQW VXUWRXW «W« LPSRUWDQWHV
HQ &DWDORJQH HW DX 3D\V EDVTXH ¢ VDYRLU DX VHLQ GH FRPPXQDXW«V
DXWRQRPHV R» OHV PDQLIHVWDQWV QH VH PRELOLVªUHQW SDV WDQW FRQWUH OD
monarchie qu’en faveur d’un nouveau statut politique pour leur terri-
WRLUH,OHVWGȇDLOOHXUVU«Y«ODWHXUTXȇHQ*DOLFHR»FRH[LVWHQWU«JLRQDOLVPH
LGHQWLWDLUH HW FRQVHUYDWLVPH SROLWLTXH OHV PDQLIHVWDWLRQV SURU«SXEOL-
FDLQHVIXUHQWWUªVSHXVXLYLHV'DQVOȇHQVHPEOHGHOȇ(VSDJQHOȇLQWURQL-
sation du nouveau roi Philippe VI a sonné le glas de ces mobilisations
et attesté une forme de résignation des citoyens. Le républicanisme
GHPHXUHGȇDXWDQWSOXVPLQRULWDLUHDXMRXUGȇKXLTXHOH362(TXLUHVWH¢
FHMRXUOHSULQFLSDOSDUWLGHODJDXFKHHVWDWWDFK«DXU«JLPHSROLWLTXHGH
ODPRQDUFKLHSDUOHPHQWDLUHP¬PHVLOHVRSLQLRQVGHVDEDVHPLOLWDQWH
et de ses électeurs demeurent plus nuancées.
Conscient de la peur de l’inconnu et de l’image rassurante de sta-
ELOLW« TXH WUDQVPHW OD PRQDUFKLH ¢ EHDXFRXS Gȇ(VSDJQROV OH QRXYHDX
parti PodemosDGȇDLOOHXUVIDLW«YROXHUVDSRVLWLRQLQLWLDOHHQ«YRTXDQW
la possibilité d’un référendum mais en ne mettant plus vraiment cette
question au centre de ses préoccupations65. Le parti Citoyens d’Albert
101
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
5LYHUD TXL GHYUDLW FRQFXUUHQFHU OH 33 HQ DWWLUDQW XQH SDUWLH GH VRQ
«OHFWRUDWOLE«UDOQHGHPDQGHSDVQRQSOXVXQFKDQJHPHQWGHU«JLPH
Les manifestations républicaines de ces dernières années ont ainsi
WUDGXLW OȇLQGLJQDWLRQ OD G«ȴDQFH SROLWLTXH J«Q«UDOLV«H HW OD YRORQW« GH
FKDQJHPHQWGHVFLWR\HQVSOXVTXȇXQG«VLUGȇHQȴQLUDYHFODPRQDUFKLH
L’abdication de Juan Carlos IerHWVRQUHPSODFHPHQWSDU3KLOLSSH9,TXL
VȇDSSXLH VXU XQ FRXSOH UR\DO GRW« GȇXQH LPDJH PRGHUQH HW JODPRXU
furent en ce sens une décision sage et stratégique de Juan Carlos IerDȴQ
de « sortir par le haut » de la crise de légitimité dans laquelle il avait fait
entrer la monarchie du fait d’une succession d’épisodes polémiques.
6HXOOȇDYHQLUGLUDVLOHQRXYHDXURLVDXUDU«DɚUPHUODO«JLWLPLW«GHOD
monarchie66. Une institution dont le principal déterminant de légitimité
populaire ne dépend pas tant de l’effet des mobilisations d’un mou-
vement social républicain qui demeure minoritaire que de sa propre
FDSDFLW«¢LQFDUQHUXQHDXWRULW«QHXWUHH[HPSODLUHHWUDVVHPEOHXVH
102
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
4
Les féminismes dans l’Espagne
d’aujourd’hui
Karine BERGÈS
$SUªV WUHQWHVL[ DQQ«HV GH GLFWDWXUH OD PRUW GX J«Q«UDO )UDQFR
OH QRYHPEUH IHUPH OD ORQJXH SDUHQWKªVH GȇXQ U«JLPH SHU-
VRQQDOLVWH DXWRULWDLUH HW U«SUHVVLI UHSRVDQW VXU OH VHXO SRXYRLU GX
Généralissime1. Si tous les citoyens furent privés des libertés fonda-
mentales et contraints de se plier aux injonctions d’un régime natio-
QDOFDWKROLTXH OHV IHPPHV HQGRVVªUHQW XQ GRXEOH VWDWXW GH YLFWLPHV
on leur refusa la jouissance des droits civils et politiques à l’instar des
KRPPHV PDLV «JDOHPHQW OȇDFFªV ¢ OD VSKªUH SXEOLTXH DX QRP GȇXQ
projet maternaliste et patriarcal consistant à « nationaliser » le corps
des femmes au service des intérêts réputés fondamentaux du pays2. La
propagande franquiste érigea l’image de la « gardienne du foyer » en
DUFK«W\SH GH OD I«PLQLW« KLVSDQLTXH VRXPHWWDQW DLQVL OD PRLWL« GH OD
SRSXODWLRQ ¢ XQH GRPHVWLFDWLRQ GHV FRUSV HW GHV HVSULWV &H IDLVDQW OH
šPour faciliter la lecture du public français, la traduction de l’ensemble des textes en espagnol,
ainsi que celle des noms des collectifs mentionnés, a été réalisée par les soins de l’auteure.
šKarine BƫƷƭʣƸ, « La nacionalización del cuerpo femenino al servicio de la construcción de
la identidad nacional en las culturas falangistas y franquistas », dans GHQUH VH[H HW QDWLRQ̰
représentations et pratiques politiques en Espagne (ЊЊ-ЊЊe siècles), Madrid, Mélanges de la Casa
de VGNȄ\SWG\R
103
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
104
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
SDU Oȇ218 TXH OH PRXYHPHQW I«PLQLVWH VH VWUXFWXUH HQ WDQW TXH WHO6.
&RQYRTX«HVGDQVODVHPLFODQGHVWLQLW«SRXUOHV¢G«FHPEUHOHV
SUHPLªUHV-RXUQ«HVGHOLE«UDWLRQGHODIHPPH¢OȇLQLWLDWLYHGHODSODWH-
forme des organisations de femmes et du Mouvement démocratique des
femmes7VRQWUHVW«HVGDQVOHVDQQDOHVFRPPHOȇDFWHIRQGDWHXUGXI«PL-
nisme espagnol. Si cet événement traduisit la vitalité des revendications
I«PLQLVWHV TXHOTXHV VHPDLQHV VHXOHPHQW DSUªV OD PRUW GX GLFWDWHXU
LO IXW «JDOHPHQW OH U«Y«ODWHXU GHV FRQWURYHUVHV TXL WRXW DX ORQJ GH OD
WUDQVLWLRQ G«PRFUDWLTXH DOODLHQW ȴVVXUHU OH PRXYHPHQW
DXWRXUGHGHX[WHQGDQFHVOHFRXUDQWGXmI«PLQLVPHUDGLFDO}UHSU«-
VHQW« SDU OH 6«PLQDLUH FROOHFWLI I«PLQLVWH VRXFLHX[ GH SU«VHUYHU VRQ
DXWRQRPLH¢Oȇ«JDUGGHVRUJDQLVDWLRQVSROLWLTXHVHWV\QGLFDOHVHWFHOXL
GXmI«PLQLVPHOXWWHGHVFODVVHV}SDUWLVDQGȇLQVFULUHOHVUHYHQGLFDWLRQV
I«PLQLVWHVDXVHLQGHUHYHQGLFDWLRQVSOXVJ«Q«UDOHVSDUOHWUXFKHPHQW
GHV SDUWLV SROLWLTXHV DYHF FRPPH SULRULW« DEVROXH OȇLQVWDXUDWLRQ GȇXQ
régime démocratique8/HVI«PLQLVWHVGHODGRXEOHPLOLWDQFHELHQTXH
conscientes de la structure et du fonctionnement androcentrés des
SDUWLVSROLWLTXHVSRVWXODLHQWFRQWUHODGRXEOHH[SORLWDWLRQI«PLQLQHGH
classe (et contre celle-ci luttaient les partis politiques de gauche) et d’un
šLe deuxième Congrès International de la Femme en juin 1970 avait dégagé un premier,
bien que timide, espace de parole en faveur de l’émancipation des Espagnoles. Même si ce
rassemblement, placé sous la tutelle de la Section féminine ne laissait que peu de place à
de véritables changements idéologiques, il offrit une tribune à quelques voix réformatrices, à
NŨKPUVCTFG/CTȐC6GNQ0ȚȓG\HQPFCVTKEGFGNŨ#UUQEKCVKQPGURCIPQNGFGUHGOOGULWTKUVGU
à qui l’on doit la réforme visant à éliminer l’autorisation maritale obligatoire pour la femme
mariée. Sur les réformes juridiques défendues par les avocates Mercedes Fórmica, en 1953,
et María Telo Núnez, en 1974, voir Rosario ƷƺƯƿƬƷƧƴƩƵ, (WHUQDVPHQRUHV̰"/DVPXMHUHVHQHO
franquismo, Madrid, Biblioteca Nueva, 2007 -CTKPGƨƫƷƭʣƸk.C5GEVKQPHȌOKPKPG š
entre conservatisme et réformisme », dans Marie Claude ƩƮƧǞƺƹ, Christine ƲƧƻƧƯƲ FKT Sur le
chemin de la citoyenneté, Femmes et Cultures Politiques. Espagne ЊЊe-ЊЊe siècles, Paris, université
2CTKU1WGUV0CPVGTTG.C&ȌHGPUGR
šLe Mouvement démocratique des femmes a été fondé en 1965 sous la tutelle du Parti com
muniste espagnol. Voir Mercedes CƵƳƧƨƫƲƲƧ, « Movimiento DGOQETȄVKEQFGMujeres », dans
Carmen Martínez Tƫƴ, Purificación GƺƹƯʤƷƷƫƿ LʭǞƫƿ, Pilar GƵƴƿʜƲƫƿ RƺƯƿ FKT El movimiento
feminista en España en los años 70, Madrid, CȄVGFTCR
šPour une étude détaillée du féminisme espagnol pendant la transition, voir María Ángeles
LƧƷƺƳƨƫ, Una inmensa minoría. Influencia y feminismo en la Transición, Saragosse, Prensas uni
versitarias de ZCTCIQ\CšLas que dijeron no. Palabra y acción del feminismo en la Transición,
Saragosse, Prensas universitarias de ZCTCIQ\CšEspañolas en la TUDQVLFLµQ̰GHH[FOXLGDVD
protagonistas (1973-1982), V. A, Madrid, Biblioteca NWGXCššIsabel MƵƷƧƴƹ FKT Historia de
las mujeres en España y América Latina. Del siglo XX a los umbrales del XXI, Vol. IV, Madrid, CȄVGFTC
š Pilar FƵƲƭƺƫƷƧ FKT El feminismo en España, dos siglos de Historia, Madrid, Ed Pablo
IINGUKCUšOliva María RƺƨƯƵ et Isabel TƫưƫƪƧ FKT 100 años en femenino. Una historia de
las mujeres en España, Madrid, Acción Cultural EURCȓQNC
105
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
106
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
tisanes d’une société dans laquelle les hommes et les femmes détien-
GUDLHQW OHV P¬PHV GURLWV HW REOLJDWLRQV OHV I«PLQLVWHV GLII«UHQWLDOLVWHV
défendaient les visions essentialistes de la différence des sexes en attri-
buant des qualités ontologiques distinctes aux femmes et aux hommes.
6L FRPPH OH VXJJªUH 0DU¯D QJHOHV /DUXPEH mGHSXLV VRQ RULJLQH
notre féminisme s’est caractérisé par une fragmentation organisatrice
DFFUXHHWGHVGLYHUJHQFHVWK«RULTXHVPDUTX«HV}ODG«S«QDOLVDWLRQGH
OȇDYRUWHPHQWHWODO«JDOLVDWLRQGXGLYRUFHGHPHXUDLHQWHQFRUH¢ODȴQ
GHVDQQ«HVGHVVXMHWVGHPRELOLVDWLRQFROOHFWLYHHWXQLWDLUH13. Pour
OHPRXYHPHQWI«PLQLVWHGDQVVRQHQVHPEOHOȇREWHQWLRQGȇXQHORLVXUOH
divorce (déjà accordée sous la Seconde République) devenait un enjeu
crucial eu égard au texte constitutionnel qui établissait le principe de
l’égalité de droit avec les hommes. À l’exception des secteurs les plus
FRQVHUYDWHXUV HW GH OȇJOLVH FDWKROLTXH FHWWH GHPDQGH «WDLW VRXWHQXH
SDUODJUDQGHPDMRULW«GHV(VSDJQROVGHVUHVSRQVDEOHVSROLWLTXHVGHV
SURIHVVLRQQHOVGXGURLWHWGHVP«GLDVHWȴQLWSDU¬WUHO«JDOLV«HSDUOD
loi du 7 juillet 198114 /D EDWDLOOH SRXU OȇDYRUWHPHQW HQ UHYDQFKH VH
WURXYD ¬WUH mOD SOXV FRQȵLFWXHOOH TXH OH PRXYHPHQW I«PLQLVWH HXW ¢
PHQHU} HQ UDLVRQ GX PDQTXH GH FRQVHQVXV GDQV OD VRFL«W« FLYLOH15.
6RXVOHVORJDQmFRQWUDFHSWLRQSRXUQHSDVDYRUWHUDYRUWHPHQWSRXUQH
SDV PRXULU} HOOH PRELOLVD OHV PLOLWDQWHV WRXW HQ U«Y«ODQW OD G«VXQLRQ
des professionnels de santé ainsi que des clivages au sein même des
SDUWLV SURJUHVVLVWHV 3UHXYH GH FHV U«VLVWDQFHV OD ORL WUªV UHVWULFWLYH
GX MXLOOHW VXU OH GURLW ¢ OȇLQWHUUXSWLRQ YRORQWDLUH GH JURVVHVVH
DSSURXY«H VRXV OD O«JLVODWXUH GX VRFLDOLVWH )HOLSH *RQ]£OH] OLPLWDLW OD
G«S«QDOLVDWLRQGHOȇ,9*¢WURLVFDVGHȴJXUHVHXOHPHQWFRPPHQRXVOH
verrons plus en amont.
Pour clore cette mise en contexte du féminisme sous la transition
G«PRFUDWLTXH QRXV UDSSHOOHURQV TXH OD FRQWHVWDWLRQ HW OȇDFWLYLVPH
PLOLWDQWV FRPPHQFHQW ¢ PRQWUHU GHV VLJQHV GȇHVVRXɛHPHQW ¢ SDU-
WLU GH GDWH ¢ ODTXHOOH RQ DVVLVWH ¢ XQH GLVSHUVLRQ GX PRXYH-
PHQW I«PLQLVWH UHYHQGLFDWLI GHYDQW OD SHUF«H GX I«PLQLVPH GLW
107
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šPilar FƵƲƭƺƫƷƧ, « Voces del feminismo », dans Isabel MƵƷƧƴƹ FKT op. cit., 2006, p. 443.
šBGIQȓC MƧƷƺƭʜƴ, María Jesús MƯƷƧƴƪƧ et Marta MƧƹƵ, « El poder de los géneros
y los géneros del poder. Relatos de un feminismo encarnado en tres generaciones »,
Encrucijadas. Revista Crítica de Ciencias SocialesPo=JVVRGCTEJKXQWEOGUDKVUVTGCO
JCPFNGOCTWICPARQFGTAENARFH!UGSWGPEG?EQPUWNVȌGPQEVQDTG
šPour un historique de l’Institut de la Femme, voir Celia VƧƲƯƫƴƹƫ FƫƷƴʜƴƪƫƿ, El feminismo
de Estado en España. El Instituto de la Mujer (1983-2003), Valence, Institut Universitari d’Estudis
de la Dona, 2006.
šSite internet de l’Instituto de la Mujer =JVVRYYYKPOWLGTIQDGUJQOGJVO? EQPUWNVȌ GP
novembre 2014.
šPilar FƵƲƭƺƫƷƧ, « De la Transición política a la paridad », dans Pilar FƵƲƭƺƫƷƧ FKT op. cit,
2007, p. 179.
šMónica TƮƷƫƲƬƧƲƲ, « El papel transformador del movimiento de mujeres en la transición
RQNȐVKECGURCȓQNCzFCPUCarmen Martínez TƫƲƵ GVCN FKT op. cit., 2009, p. 44.
108
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
SURIHVVLRQQHOVHWMXULGLTXHVGHVIHPPHVOHPRXYHPHQWI«PLQLVWHGH
la transition a également eu un impact sur l’évolution des mentalités.
$XU\WKPHGHVHVPRELOLVDWLRQVLOHVWSDUYHQX¢LQVWLOOHUXQHY«ULWDEOH
conscience politique aux Espagnoles et à impulser un changement
VRFLDO TXL VȇHVW WUDGXLW SDU OȇDYªQHPHQW GȇXQH J«Q«UDWLRQ TXL D IDLW
sienne les combats historiques des années 1970 : accès à l’éducation
VXS«ULHXUHLQG«SHQGDQFH«FRQRPLTXHHWSURIHVVLRQQHOOHDXWRQRPLH
personnelle et liberté sexuelle.
Si ce rappel historique concernant le féminisme espagnol démontre
VDSRUW«HWUDQVIRUPDWULFHGHODVRFL«W«HVSDJQROHTXȇHQHVWLOGHVRQFKH-
minement au cours des trois dernières décennies ? L’institutionnalisation
GX I«PLQLVPH ¢ SDUWLU GHV DQQ«HV VȇHVWHOOH DFFRPSDJQ«H GȇXQH
neutralisation des collectifs féministes les plus contestataires ? En
(VSDJQHOHI«PLQLVPHDWLOU«XVVL¢VXUYLYUHDXmbacklash » des années
FH UHFXO DQWLI«PLQLVWH RFFLGHQWDO TXL D G«O«JLWLP« OH I«PLQLVPH
en tant que mouvement social et politique22"&RPPHQWHQPDUJHGHV
FDPSDJQHV SRUW«HV SDU OH I«PLQLVPH LQVWLWXWLRQQHO OHV I«PLQLVWHV GHV
années 2000 sont-elles parvenues à reformuler d’anciennes questions
ou à faire émerger des discours et des modes d’action novateurs ? De
TXHOOH ID©RQ OD FXOWXUH GH OD FRQWHVWDWLRQ UHID©RQQ«H SDU OHV PRXYH-
PHQWV FLWR\HQV FRQWHPSRUDLQV ¢ OȇLQVWDU GX PRXYHPHQW GHV LQGLJQ«V
HQDWHOOHLPSDFW«OHI«PLQLVPHHVSDJQRO"'DQVTXHOOHPHVXUHOHV
WK«RULHVI«PLQLVWHVVRQWHOOHVUHSHQV«HVVRXVOȇLQȵXHQFHGȇXQUHQRXYHDX
générationnel et d’une multiplicité de courants autonomes qui se sont
positionnés en marge du féminisme mainstream ? Autant de question-
QHPHQWVTXȇLOVȇDJLUDGȇDSSURIRQGLUGDQVFHFKDSLWUHDȴQGȇHVTXLVVHUHQ
ȴOLJUDQHXQHJ«Q«DORJLHGXI«PLQLVPHHVSDJQROORQJWHPSVUHVW«mXQ
non-objet de l’histoire23}PDLVTXLQHSHXW¬WUHFRPSULVVDQVOȇDQDO\VH
des espaces-temps dans lesquels il se déploie. Comme le fait remarquer
)UDQ©RLVH7K«EDXGmOHVI«PLQLVWHVQȇKDELWHQWSDVGHV°ORWVGHVRQRULW«V
SURW«J«V} FȇHVW SRXUTXRL QRXV LQWHUURJHURQV FHWWH KLVWRLUH GHV I«PL-
QLVPHV HVSDJQROV ¢ OȇDXQH GHV PXWDWLRQV SROLWLTXHV «FRQRPLTXHV HW
sociales de la société espagnole contemporaine24.
šSusan FƧƲƺƪƯ, BDFNODVK̰ OD JXHUUH IURLGH FRQWUH OHV IHPPHV, Paris, Editions des Femmes,
1993.
šBrigitte SƹƺƪƫƷ et Françoise TƮʤƨƧƺƪ, « Entre histoire et mémoire », dans Eliane GƺƨƯƴ et.
CN FKT Le siècle des Féminismes, Paris, Les éditions de l’Atelier, 2004, p. 28.
šFrançoise TƮʤƨƧƺƪ, « Introduction au chapitre Féminismes et Politique », ibid., 2004, p. 223.
109
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šIl faudra malgré tout attendre la première législature du socialiste José Luis Rodríguez
Zapatero pour que ces problématiques deviennent un enjeu politique de premier plan avec
l’approbation, le 28 décembre 2004, de la loi organique relative aux mesures de protection
intégrale contre la violence de genre.
šMaría MƧƷƹʨƴƫƿGƵƴƿʜƲƫƿ, « LGUOQDKNKUCVKQPUHȌOKPKUVGUGVNGUF[PCOKSWGUKFGPVKVCKTGUš
une étude du féminisme au Pays basque espagnol », Recherches féministes. LHI«PLQLVPH̰XQH
question de valeur(s), n° 21, 2008.
šLa tradition écoféministe remonte aux années 1970 avec les théories de la penseuse liber
taire française Françoise d’ECWDQPPG OCKUEGEQWTCPVCȌVȌTȌKPXGUVKFGRWKUNGU
années 1990 jusqu’à aujourd’hui par les féministes. Pour une généalogie, cf. Alicia H. ǞƺƲƫƵ,
Ecofeminismo. Para otro mundo posible/CFTKF%ȄVGFTC
šLe mouvement Okupa, littéralement le mouvement des squats, puise ses racines dans les
mouvements d’occupation allemand et italien des années 1970. En Espagne, il se consolide
dans les années 1980 en réaction au desencanto de la fin de la transition démocratique, et
rejette toutes les institutions au profit de l’action collective, de pratiques sociales, politiques
GVȌEQPQOKSWGUCNVGTPCVKXGUFGUWVQRKGUEQPVGUVCVCKTGUGVFGNCEQPVTGEWNVWTGRWPMGVTQEM
110
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
šSilvia GƯƲ, Nuevos feminismos. Sentidos comunes en la dispersión. Una historia de trayectorias
y rupturas en el Estado español, Madrid, Traficantes de SWGȓQR
šL’historiographie distingue deux vagues féministes. La première vague renvoie au mouvement
suffragiste, qui est apparu à la fin du xixe siècle aux ÉVCVUUPKU GV GP Grande Bretagne
EGPVTȌCWVQWTFGNCFGOCPFGFGNŨȌICNKVȌLWTKFKSWGEKXKNGGVRQNKVKSWGGPVTGNGUUGZGULa
FGWZKȋOG XCIWG C RQTVȌ NGU TGXGPFKECVKQPU SWK RTȖPCKGPV NC NKDȌTCVKQP FGU HGOOGU FGU
attaches et normes imposées par la société patriarcale. Ces revendications furent porteuses
FŨWPTGPQWXGCWFWHȌOKPKUOGRCTNGDKCKUFGOQDKNKUCVKQPUTCFKECNGU Mouvement de libération
des femmes) qui ont pointé la dimension politique de questions traditionnellement considérées
EQOOGRTKXȌGU NGUXKQNGPEGUEQPLWICNGUNCUGZWCNKVȌGVE GVQPVRQRWNCTKUȌNGUNQICPGODNȌOC
tique « le privé est politique ». Rappelons toutefois que ce découpage en vagues est loin de faire
l’unanimité au sein de l’historiographie féministe, comme en témoignent, entre autres, les travaux
de la philosophe française Geneviève FƷƧƯƸƸƫ, Les excès du genre, Paris, Lignes, 2014.
šÉquivalent du « lesbianisme radical » qui se développe dans les années 1980 et pense
l’hétérosexualité comme un « régime politique d’oppression » maintenant les femmes dans
une position d’esclavagisme, d’où la nécessité de le renverser. Voir Monique WƯƹƹƯƭ, La pensée
Straight GȌF Paris, BCNNCTF=?šChristine BƧƷƪ, « Le lesbianisme comme construc
tion politique », dans Eliane GƺƨƯƴGVCN FKT op. citR
šMélissa BƲƧƯƸ Laurence FƵƷƹƯƴPƫƲƲƫƷƯƴ Ève Marie LƧƳǞƷƵƴ Geneviève PƧƭʤ, « Pour
ȌXKVGTFGUGPQ[GTFCPUNC VTQKUKȋOG XCIWGšTȌHNGZKQPUUWTNŨJKUVQKTGGVNŨCEVWCNKVȌFWHȌOKPKUOG
radical », Recherches Féministes XQN Po =JVVRKFGTWFKVQTIKFGTWFKVCT?
consulté le 31 mars 2015.
šL’intersectionnalité « dénonce la prétention à l’universalité d’un féminisme qui ignore son point
de vue et appelle à une réflexion sur la coconstruction des différents rapports de domination », cf.
Christine BƧƷƪ, Le féminisme au-delà des idées reçues, Paris, Le cavalier bleu, 2012, p. 271.
šJudith BƺƹƲƫƷ, Gender TURXEOH̰Feminism and the subversion of identity, London NGYYQTM
Routledge, 1990. En Espagne, les études Queer doivent beaucoup à d’autres théoriciennes
comme Donna HCTCYC[Teresa de Lauretis, Eve KQUQHUM[SGFIYKEMQWRNWUTȌEGOOGPVPaul
B. Preciado et MCTKGHélène Bourcier.
111
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šCes critiques ont été regroupées en quatre catégories par Diane LƧƳƵƺƷƫƺƖ, « La réflexion
QueeršCRRQTVUGVNKOKVGUzFCPUMaria NƫƴƭƫƮMƫƴƸƧƮ FKT op. cit., 2005, p. 92.
šPour une histoire politique du terme queer, voir Paul B. PƷƫƩƯƧƪƵ, « Queer. Historia de
WPC RCNCDTCz =JVVRRCTQNGFGSWGGTDNQIURQVHTRDGCVTK\RTGEKCFQJVON? EQPUWNVȌ NG
15 novembre 2014.
šPaul B. PƷƫƩƯƧƪƵ CPEKGPPGOGPVBeatriz Preciado) est l’auteure de Manifeste contra-sexuel,
Paris, BCNNCPFššTesto JXQNLH̰VH[HGURJXHHWELRSROLWLTXH, Paris, GTCUUGVšPornotopie,
Paris, Climats, 2010.
šHistoire de la Sexualité de Michel FƵƺƩƧƺƲƹ est parue en trois volumes entre 1976 et 1984
aux Éditions Gallimard. 1. La volonté de savoir 2. L’usage du plaisir 3. Le souci de soi.
šPaul B. PƷƫƩƯƧƪƵ, op. cit., 2009.
šDiane LƧƳƵƺƷƫƺƖ, op. cit., 2005, p. 92.
šChristelle TƧƷƧƺƪ, Les féminismes en question. Éléments pour une cartographie, Paris,
Éditions Amsterdam, 2005, p. 47. Entretien avec MCTKGHélène BƵƺƷƩƯƫƷ, théoricienne et acti
viste queer de référence en France. Elle a notamment publié la trilogie qui fait autorité sur la
SWGUVKQPšQueer Zones 1 Queer Zones 2 Queer Zones 3
112
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
šChristine BƧƷƪ, Le féminisme au-delà des idées reçues, op. cit., p. 169.
šMaría MƧƷƹʨƴƫƿ GƵƴƿʜƲƫƿ, Identidades feministas en proceso. Reiteraciones relacionales y
activaciones emocionales en las movilizaciones feministas en el Estado español, Thèse de doctorat,
Université du PC[UBasque, Bilbao, mars 2015, p. 341.
šElena CƧƸƧƪƵAǞƧƷƯƩƯƵ, « A vueltas con el sujeto del feminismo », Política y sociedad, n° 30,
=JVVRTGXKUVCUWEOGUKPFGZRJRPOSOCTVKENGXKGYFKNGPOSO9999130073A?
consulté le 31 mars 2015. De la même auteure, La construcción socio-cognitica de las identidades
de género de las mujeres españolas (1975-1995), Thèse de doctorat, université Complutense,
MCFTKF=JVVRDKDNKQVGECWEOGUVGUKUERUWEOVRFH?EQPUWNVȌNGOCTU
šSelon les témoignages des activistes transféministes madrilènes que j’ai pu recueillir, cette
SWGUVKQPCȌVȌNŨQDLGVFGHQTVGUFKUUGPUKQPUFCPUNCRGTURGEVKXGFWOCTUQșšWPEGTVCKP
nombre de féministes historiques ou mainstream se sont opposées à la participation des col
lectifs trans à cette manifestation.
113
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
114
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
šComme le dit Annie SǞƷƯƴƱƲƫ dans son ouvrage Hardcore from the Heart kLa
réponse au mauvais porno n’est pas d’interdire le porno, mais de faire de meilleurs pornos. »,
cité et traduit par Virginie DƫƸǞƫƴƹƫƸ, King Kong Théorie, Paris, Grasset, 2006, p. 87. À ce
titre, voir les productions pornographiques féministes indépendantes de la réalisatrice et
RTQFWEVTKEGUWȌFQKUG'TKMCƲƺƸƹKPUVCNNȌGȃ$CTEGNQPGFGRWKUšHandcuffs Cabaret
Desire Room 33 X Confessions =JVVRGTKMCNWUVEQOHT? EQPUWNVȌ
le 2 janvier 2015.
šDavid CƵƺƷƨƫƹ, Féminismes et pornographie, op. cit., p. 270.
šDiana J. TƵƷƷƫƸ, Pornoterrorismo, Tafalla, Editorial Txalaparta, 2011. L’ouvrage a une version
en français, Pornoterrorisme, Bayonne, Ed. Gatuzain, 2012.
šLŨGURCEG RQTPQITCRJKSWG GUV WPG kUVTCVȌIKG CTVKUVKEQRQNKVKSWG RQWT HCKTG FG PQU EQTRU NC
meilleure arme », Diana J. TƵƷƷƫƸ, Manifiesto pornoterrorista =JVVRRQTPQVGTTQTKUOQ
EQONGGOCPKHKGUVQRQTPQVGTTQTKUVC?EQPUWNVȌNGPQXGODTG
šClaire LƧƭƺƯƧƴ, « FWTGWTFȌ CON) structrice et « viscéranimalité » du désir saphique dans
la poésie du xxie siècle en Espagne », conférence lors de la Journée d’Études internationales,
« MLYDJLQDFODPDXQDYHQJDQ]D}̰IXUHXUHWG«VLUI«PLQLQVGDQVOHVOLWW«UDWXUHVFRQWHPSRUDLQHVGH
langues romanes, université de Paris Est MCTPGLa VCNNȌGLCPXKGT ȃRCTCȑVTG
šArnaud AƲƫƸƸƧƴƪƷƯƴ, « Notes de lecture. Diana J. Torres. Pornoterrorisme », Cahiers du
Genre Po R =JVVRECJKGTUAFWAIGPTGRQWEJGVEPTUHTRFHNLCdG55.pdf],
consulté en juin 2014.
115
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šVoir la définition du transféminisme par l’association OUTTCPU HQPFȌG GP =JVVR
QWVTCPUQTIKPHQUCTVKENGUVTCPUHGOKPKUOG?EQPUWNVȌNGPQXGODTGPrécisons toutefois
que le transféminisme diffère selon les contextes culturels dans lesquels il est appréhendé.
Le transféminisme en France semble encore être plutôt le « féminisme des trans » alors que
le transféminisme, dans les pays hispanophones, se fonde plus sur une approche intersec
VKQPPGNNG FGU NWVVGUš RCT GZGORNG CNNKCPEG CXGE NGU HGOOGU SWK RQTVGPV NG XQKNG GV UQPV ȃ EG
VKVTGFKUETKOKPȌGUGVQWNGUKOOKITȌGUGZRNQKVȌGUCf. Brigitte VƧƸƧƲƲƵ, Pornoburka, Cardedeu,
Associació Cultural Colectivo Cautivo, 2013. Pour une étude documentée sur ces questions,
voir Karine EƸǞƯƴƫƯƷƧ, Transidentités. Ordre & panique de genre, Paris, Éditions L’Harmattan, 2015.
šPour une conceptualisation récente de ce courant en Espagne, voir Miriam SƵƲʜ et Elena
UƷƱƵ FKT Transfeminismos. Epistemes, fricciones y flujos, Tafalla, Txalaparta, 2014.
60. « Nous sommes issues du féminisme radical, nous sommes les gouines, les putes, les
trans, les immigrées, les noires, les hétérodissidents… nous sommes la rage de la révolution
HȌOKPKUVG GV PQWU XQWNQPU OQPVTGT NGU ETQEUš UQTVKT FGU QHHKEKPGU FW IGPTG GV FGU RQNKVKSWGU
EQTTGEVGUš SWG PQVTG FȌUKT PQWU IWKFG GP ȌVCPV RQNKVKSWGOGPV KPEQTTGEVGU GP FȌTCPIGCPV
repensant et resignifiant nos mutations. Nous ne nous contentons plus d’être seulement des
femmes. LGUWLGVRQNKVKSWGFWHȌOKPKUOGūHGOOGUŬPQWUGUVȌVTQKVKNGUVGZENWCPVGPUQKNCKU
sant dehors les gouines, les trans, les putes, celles qui portent le voile, celles qui gagnent peu
GVSWKPGXQPVRCUȃNCHCEEGNNGUSWKETKGPVEGNNGUUCPURCRKGTUGVNGURȌFȌUzkManifiesto para
la RGXQNWEKȕP VTCPUHGOKPKUVCz GTLCPXKGT =JVVROGFGCMDNQIURQVEQOGU
OCPKHKGUVQRCTCNCKPUWTTGEEKQPJVON?EQPUWNVȌNGCXTKN
šItziar ƿƯƭƧ, Devenir perra, Barcelone, MGNWUKPC š Un zulo propio, Barcelone, Melusina,
š Sexual Herria, Tafalla, TZCNCRCTVC š Malditas. Una estirpe transfeminista, Tafalla,
Txalaparta, 2014.
62. « Manifiesto para la Revolución transfeminista », op. cit.
šIbid.
116
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
117
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
du cyberféminisme ¬WUH G«ȴQL SDU FH TXȇLO QȇHVW SDV70. C’est ainsi que
Diana J. Torres propose une théorisation de ce courant à partir des
DOOLDQFHV TXȇLO QH QRXHUD MDPDLV OH WUDQVI«PLQLVPH DVVXUHWHOOH mFH
ne sera pas avec celles qui censurent la pornographie ; avec celles qui
victimisent la prostitution et la confondent gravement avec l’esclavage ;
avec celles qui crient ni pute ni soumise ; ni avec celles qui pensent que
le sadomasochisme est aberrant et peu respectable ; ni avec celles qui
s’offusquent de l’exubérance et de l’effronterie71 ». Laboratoire expé-
ULPHQWDO HW SHUIRUPDWLI HVSDFH GH GLVFXVVLRQV HW GH G«EDWV OH IHVWLYDO
Octubre TransTXLDOLHXGHSXLVTXDWUHDQVGDQVOHTXDUWLHUSRSXODLUH
GH/DYDSL«V¢0DGULGPDLV«JDOHPHQW¢%DUFHORQHHWDX3D\V%DVTXH
est emblématique de la vitalité de ce courant et de sa récente visibilité72.
Il est organisé par plusieurs collectifs dont la Pandi Trans, un collectif
GHSHUVRQQHVWUDQVIRQG«HQRFWREUHDYHFSRXUREMHFWLIGHJ«Q«UHU
XQHU«ȵH[LRQDFWLRQDXWRXUGHVLGHQWLW«VHWGHVFRUSVmGDQVXQHSHUV-
pective d’empowermentWUDQVI«PLQLVWHDXWRQRPHHWDQWLFDSLWDOLVWH73 ».
La circulation de ces nouveaux courants a ouvert un horizon de
SRVVLELOLW«V PDLV SDU ULFRFKHW XQH QRXYHOOH OLJQH GH IUDFWXUH DX VHLQ
GX I«PLQLVPH HVSDJQRO FRQWHPSRUDLQ GȇXQ F¶W« XQ I«PLQLVPH K«J«-
PRQLTXH mSURIHPPH} K«ULWLHU GHV SRVWXODWV GX I«PLQLVPH GH OD
GHX[LªPHYDJXHFULWLTX«SRXU¬WUHXQmI«PLQLVPHDXWRU«I«UHQWLHOTXL
VȇDGUHVVH ¢ HOOHVP¬PHV IHPPHV EODQFKHV RFFLGHQWDOHV HW GH FODVVH
moyenne74}GHOȇDXWUHOHI«PLQLVPHGHODWURLVLªPHYDJXHTXLFRQVL-
dère le sujet du féminisme comme multiple et entend croiser systémati-
TXHPHQWOHVSURSRVLWLRQVI«PLQLVWHVDYHFODUDFHODFODVVHOHJHQUHHWOD
sexualité. La mobilité de ces courants alternatifs témoigne d’un renou-
vellement des théories et des pratiques féministes classiques depuis le
milieu des années 1990 jusqu’à aujourd’hui : ils sont emblématiques
GȇXQ mI«PLQLVPH DX WHPSV GX SRVW} QRXV GLW OD FKHUFKHXVH 0DU¯D
šLes 100 antithèses du cyberféminisme est un texte rédigé en 1997 par le collectif Old Boys
Network lors de la première conférence internationale cyberféministe en Allemagne. Il s’agissait
de refuser une définition fermée du cyberféminisme mais de définir, en 100 antithèses, ce qu’il
n’était pas.
šDiana J. TƵƷƷƫƸ, op. cit., 2012, p. 182
šLe festival en est à sa quatrième saison et, sous le slogan « Ce qui est incongru, ce n’est pas
OQPEQTRUOCKUVQPTGICTFz La incongruencia no está en mi cuerpo, está en tu mirada), il pro
RQUG WP OQKU FWTCPV WPG RTQITCOOCVKQP TKEJG JȌVȌTQENKVG =JVVRQEVWDTGVTCPUOCFTKF
FTWRCNICTFGPUEQOEQPVGPVQVTQUQEVWDTGU?EQPUWNVȌNGPQXGODTG
=JVVRQEVWDTGVTCPUOCFTKFFTWRCNICTFGPUEQOEQPVGPVRCPFKVTCPU? EQPUWNVȌ NG
17 novembre 2014.
šBeatriz GƯƳƫƴƵ, « ¿QWȌ HGOKPKUOQš!z Trasversales Po =JVVRDGCVTK\IKOGPQ
GUC2%BFSWGHGOKPKUOQ?EQPUWNVȌNGPQXGODTG
118
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
0DUW¯QH]*RQ]£OH]SRXUODTXHOOHmLOVȇDJLWGȇXQI«PLQLVPHTXLQHUHQLH
pas ses origines […] qui hérite des préoccupations de la deuxième vague
mais les adaptent au temps présent75}XQI«PLQLVPHGHODVXEYHUVLRQ
capable de brouiller les catégories et les normes et de questionner les
subjectivités et les corporalités socialement construites.
119
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
traversé par des courants et des identités multiples78. Dans une perspec-
WLYHGHJHQUHVȇ\F¶WRLHQWXQHJ«Q«UDWLRQGHMHXQHVI«PLQLVWHVSURFKHGH
ODPRXYDQFHDQDUFKLVWHHWDQWLFDSLWDOLVWHGHVFROOHFWLIVWUDQVI«PLQLVWHV
TXHQRXVDYRQV«YRTX«VSU«F«GHPPHQWPDLV«JDOHPHQWGHVI«PLQLVWHV
FKHYURQQ«HV GHV mDXWRQRPHV} GHV DQQ«HV TXL SURORQJHQW DLQVL
des engagements militants de longue date.
7UDQVIRUP«HV HQ FDPSHPHQWV ¢ FLHO RXYHUW OHV SODFHV HW OHV UXHV
RQW DFFXHLOOL OH IHUPHQW GH OD FRQWHVWDWLRQ VRFLDOH HW OD 3XHUWD GHO 6RO
l’offensive des féministes rassemblées autour d’un espace militant : la
&RPPLVVLRQGHVI«PLQLVPHVGH6ROTXLHVWGHYHQXHHQTXHOTXHVMRXUV
le centre névralgique des féminismes madrilènes. La valeur symbolique
GHVOLHX[SUHQGLFLWRXWVRQVHQVOȇRFFXSDWLRQGHODSODFHDXWUHPHQWGLW
OD VXEYHUVLRQ GH OȇHVSDFH UHYLHQW ¢ VLJQLȴHU TXȇXQ DXWUH RUGUH VRFLDO
HVW SRVVLEOH PHWWDQW ¢ PDO WRXWH OȇDUFKLWHFWXUH GX V\VWªPH SROLWLTXH
UHSU«VHQWDWLI DX SURȴW GȇXQH G«PRFUDWLH GLUHFWH 'H IDLW OȇRFFXSDWLRQ
GH OD SODFH UHGRQQH VHQV ¢ OȇHVSDFH HQ WDQW TXH OLHX RXYHUW SDUWLFL-
SDWLI YLVLEOH HW GH U«VLVWDQFH HQ V\QWRQLH DYHF OȇLG«RORJLH P¬PH GX
PRXYHPHQWGX03RXUOHVI«PLQLVWHVla carpa de la Puerta del Sol79
s’est muée en lieu de résonance de tous les féminismes non étatiques
dans une volonté de dépassement des clivages idéologiques et de mise
HQ ĕXYUH GȇXQH SROLWLTXH GHV DOOLDQFHV K«W«URVH[XHOOHV ELVH[XHOOHV
OHVELHQQHV WUDQVI«PLQLVWHV SURVH[H queer SURVWLWX«HV WUDYDLOOHXVHV
GRPHVWLTXHV PLJUDQWHV VDODUL«HV «WXGLDQWHVHWF &HWWH VRURULW« GDQV
la diversité80 a constitué un tournant indéniable dans la consolidation
120
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
Photo 4.1. Pancarte féministe 15-M, Puerta del Sol, Madrid, mai 2011.
šCGU OCTȌGU XGTVG RQWT NŨȌFWECVKQP DNCPEJG RQWT NC UCPVȌ XKQNGVVG RQWT NG HȌOKPKUOG
sont « des mouvements ouverts qui cherchent à socialiser leurs revendications, qui en réalité,
défendent des causes qui existaient déjà mais d’une façon radicalement nouvelle, qui sont
complexes et sans possibilité d’être représentés de manière institutionnelle », cf. José Luis
SʜƴƩƮƫƿ Las 10 mareas del cambio, Barcelone, Rocaeditorial, 2013, p. 14.
šLGUNQICPHȌFȌTCVGWTCFQRVȌNQTUFGUOQDKNKUCVKQPUȌVCKVNGUWKXCPVškOPUGHCKVVQWUVQWVGU
DCKUGTRCTNGU[UVȋOGRCVTKCTECNz El sistema patriarcal nos jode todxs)
šCes propositions sont consultables dans Dossier de la Comisión de Feminismos de Sol, 2011,
=JVVRWUVGCOWLGTQTIUKVGUFGHCWNVHKNGUFeminismos%20Sol.pdf], consulté en octobre 2014.
121
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
122
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
123
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
(OOHU«JXODULVDLWODG«S«QDOLVDWLRQGHOȇ,9*GDQVWURLVFDVGHȴJXUHYLRO
PDOIRUPDWLRQGXIĕWXVJUDYHGDQJHUSRXUODVDQW«SK\VLTXHRXPHQWDOH
GHODPªUH,OVȇDJLVVDLWGRQFGȇXQHORLUHVWULFWLYHTXLQHVHUDLWPRGLȴ«H
TXȇHQVRXVODO«JLVODWXUHVRFLDOLVWHGH-RV«/XLV5RGU¯JXH]=DSDWHUR
soucieux de faire de l’Espagne une référence mondiale en matière de
reconnaissance des droits des femmes. La loi organique du 3 mars
SURF«GDLW GRQF ¢ OD G«S«QDOLVDWLRQ GH Oȇ,9* VDQV FRQGLWLRQV MXVTXȇ¢ OD
quatorzième semaine de gestation et remplaçait le régime dit des « cas
GHȴJXUH}SDUXQV\VWªPHU«JLSDUmOHVG«ODLV}XQHPLVHHQKRPRJ«-
néité avec les réglementations en vigueur de la plupart des démocraties
HXURS«HQQHV/HFKDQJHPHQWGHPDMRULW«VXLWHDX[«OHFWLRQVO«JLVODWLYHV
DQWLFLS«HVGHQRYHPEUHTXLRQWSRUW«DXSRXYRLUODGURLWHFRQVHU-
YDWULFHGH0DULDQR5DMR\VȇHVWDFFRPSDJQ«GȇXQQRXYHDXSURMHWGHORL
VXUOȇDYRUWHPHQWSODF«VRXVOȇDXWRULW«GXPLQLVWUHGHOD-XVWLFH$OEHUWR
5XL]*DOODUGµQ&KHUFKDQWVDO«JLWLPLW«GDQVGHVDUJXPHQWVGȇRUGUHMXUL-
GLTXHFRPPHOHUHVSHFW¢ODmSURWHFWLRQGHODYLHGHOȇHQIDQW¢QD°WUH}
ou la « non-discrimination des personnes handicapées94}OȇDYDQWSURMHW
de loi envisageait de circonscrire l’accès à l’avortement à deux cas de
ȴJXUH VHXOHPHQW OH YLRO HW OH JUDYH GDQJHU SRXU OD VDQW« SK\VLTXH RX
SV\FKRORJLTXH GH OD IHPPH OD PDOIRUPDWLRQ GX IĕWXV QH FRQVWLWXDQW
plus à elle seule un motif légal. Pour la première fois en trente-cinq ans
GHG«PRFUDWLHOȇ(VSDJQHVXELVVDLWXQQHWUHFXOHQPDWLªUHGHGURLWVGHV
IHPPHVHWIDLVDLWIDFH¢ODPLVHVRXVWXWHOOHGHOHXUFRUSVDXVHUYLFHGHV
LQW«U¬WVSROLWLTXHVHWLG«RORJLTXHVGHOȇWDWHVSDJQRO95.
'H IDLW OD PRGLȴFDWLRQ O«JLVODWLYH «WDLW GHVWLQ«H ¢ V«GXLUH OȇDLOH
OD SOXV FRQVHUYDWULFH GX SDUWL DX SRXYRLU Oȇ«SLVFRSDW HVSDJQRO HW OHV
JURXSHV mSURYLH} WUªV PRELOLV«V FRQWUH OD ORL GH DORUV TXH
toutes les enquêtes d’opinion ont exprimé le rejet massif de la réforme
VRXWHQXH SDU $OEHUWR 5XL] *DOODUGµQ96. Ces enquêtes sont d’autant
šCf. IPVGTXKGY FG Mercedes YƺƸƹƧ, JOL Press LCPXKGT =JVVRYYYLQNRTGUUEQO
GURCIPGCXQTVGOGPVKXIOGTEGFGU[WUVCCTVKENGJVON?EQPUWNVȌNGPQXGODTG
šCf. la tribune publiée par Paul B. PƷƫƩƯƧƪƵdans Libération qui appelle toutes les femmes
espagnoles à faire « la grève des utérus » en signe de résistance « matriotique », Libération,
« DȌENCTGTNCITȋXGFGUWVȌTWUzLCPXKGT=JVVRYYYNKDGTCVKQPHTUQEKGVG
FGENCTGTNCITGXGFGUWVGTWUA?EQPUWNVȌNGPQXGODTG
š FG NC RQRWNCVKQP UG FȌENCTG GP HCXGWT FW OCKPVKGP FG NC NQK FG FGU
Espagnols considèrent que toute femme enceinte doit pouvoir décider librement de mener ou
non sa grossesse à terme et 65 % des électeurs du Parti populaire se déclarent à leur tour oppo
sés à la loi GCNNCTFȕP =JVVRYYYGNOWPFQGUGURCPCECHGGFD
DJVON? =JVVRRQNKVKECGNRCKUEQORQNKVKECCEVWCNKFCFA
JVON? =JVVRGNRCKUEQOGNRCKUOGFKCAJVON? EQPUWNVȌU NG
18 novembre 2014.
124
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
SOXV VLJQLȴFDWLYHV TXȇHOOHV IXUHQW FRQGXLWHV GDQV XQ FRQWH[WH GH FULVH
économique et de durcissement des politiques d’austérité dont la mise
en œuvre fragilisait d’autant plus les femmes des classes moyennes et
SRSXODLUHV $XVVL QȇHVWLO JXªUH VXUSUHQDQW TXH OȇDQQRQFH GH FH SURMHW
GHORLDLWVXVFLW«XQHPRELOLVDWLRQVDQVSU«F«GHQWGDQVODVRFL«W«FLYLOH
confrontée à une précarisation généralisée et à la paupérisation crois-
VDQWHGHODSRSXODWLRQI«PLQLQH'DQVOHVFHUFOHVI«PLQLVWHVOȇRIIHQVLYH
a été orchestrée via la plateforme numérique Nosotras DecidimosIRQ-
G«HHQSRXUFRQWUHUOHVDWWDTXHV¢ODVXLWHGHODG«S«QDOLVDWLRQGH
l’avortement par le gouvernement Zapatero97. Aujourd’hui intégrée par
RUJDQLVDWLRQVGHIHPPHVHOOHIDLWRɚFHGHSRUWHYRL[GHVUHYHQGLFD-
WLRQVGHV(VSDJQROHVSRXUOȇDFFªV¢OȇDYRUWHPHQWOLEUHHWJUDWXLWHWI«GªUH
la mobilisation au plan national et régional autour d’un large réseau
GH VROLGDULW« SUHXYH HQ HVW OD FRQYRFDWLRQ GH JUDQGHV PDQLIHVWDWLRQV
FRPPHFHOOHVGXVHSWHPEUHGXer février et du 8 mars 201498.
=JVVRPQUQVTCUFGEKFKOQUQTI?EQPUWNVȌNGPQXGODTG
ššRGTUQPPGUCWTCKGPVFȌHKNȌNQTUFGNCOCPKHGUVCVKQPFWOCTU
125
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
Photo 4.3. Manifestation en soutien aux femmes espagnoles, Paris, 1er février
2014.
šFabien GƷƧƴưƵƴ, L’internet militant, Rennes, Apogée, 2001, cité par Pierre MƫƷƩƱƲʤ,
Sociologie des réseaux sociaux, Paris, la découverte, 2011, p. 87. Pour plus de détails sur la
mobilisation internationale autour de la loi de réforme de l’IVG en Espagne, voir Karine BƫƷƭʣƸ,
« FGOOGUGPTȌUGCWZGVTȌUGCWZFGHGOOGUšNCVGEJPQNQIKGCWUGTXKEGFWOKNKVCPVKUOGzFCPU
Féminismes du xxie siècle, Karine BƫƷƭʣƸ, Florence BƯƴƧƷƪ, Alexandrine GƺƾƧƷƪNƫƪƫƲƫƩ FKT
Rennes, PUR, collection « Archives du féminisme », 2015.
šCette initiative a donné son nom au documentaire, Yo decido. El Tren de la libertad, 2014,
=JVVRXKOGQEQO?
126
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
šLe même jour et à la même heure, des manifestations de solidarité se sont déroulées dans
FGPQODTGWUGUXKNNGUGWTQRȌGPPGU GPBelgique, GTCPFGBretagne, Portugal, France). À Paris, la
OCPKHGUVCVKQPCEQORVȌRNWUFGšOCPKHGUVCPVGU
šLa Asamblea Feminista de Madrid se réunit depuis 1978 au sein de « Barquillo, 44 », lieu
de référence du féminisme madrilène depuis la transition démocratique. Il a accueilli plus
d’une centaine de collectifs et d’associations, devenant ainsi un espace de convergence et
de dialogue entre tous les féminismes. En raison des coupes budgétaires, le local a fermé
ses portes en octobre 2014 et a été transféré à « Bravo Murillo, 4 ». Cf. « Manifiesto sobre el
cierre de BCTSWKNNQzQEVQDTG=JVVRYYYHGOKPKUVCUQTIOCFTKF!R?EQPUWNVȌNG
18 novembre 2014.
šLuis RƺƯƿ AưƧ, FNQTKȄPManuel PʤƷƫƿ, Teresa María GʭƳƫƿPƧƸƹƷƧƴƧ, El descontento social
y la Generación IN, Madrid, Editorial Popular, 2013, p. 30.
šEn Espagne, c’est la « PNCVGHQTOG FGU CHHGEVȌU FG NŨJ[RQVJȋSWGz Plataforma de los
Afectados por la Hipoteca) qui a réalisé les premiers escraches pour protester contre les expul
sions abusives sous l’effet de la crise économique et de la spéculation financière.
šJoanna GƧƷƩʨƧ GƷƫƴƿƫƷ, Pikara Magazine OCK =JVVRYYYRKMCTCOCIC\KPG
EQOGUETCEJGHGOKPKUVCJCEKCNCFGUQDGFKGPEKCEKXKNCPVGNCEQPVTCTTGHQTOCFGNC
NG[FGCDQTVQ?EQPUWNVȌNGPQXGODTG
127
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
***
Ces mobilisations massives démontrent le dynamisme du mili-
WDQWLVPH I«PLQLVWH TXL D FRPPHQF« ¢ VH UHFRQȴJXUHU ¢ OD ȴQ GHV
šLes images de la charge de la police contre les manifestant.e.s, devant le domicile d’Al
berto Ruiz Gallardón à MCFTKFUQPVFKURQPKDNGUUWTNGNKGPUWKXCPV=JVVRUšYYY[QWVWDGEQO
YCVEJ!X[PDgb7N5D9g], consulté le 10 novembre 2014.
šSQWNKIPQPU SWŨWP CXCPVRTQLGV FW OKPKUVȋTG FG NŨIntérieur sur la « nouvelle loi de sécu
rité citoyenne » soulève depuis plusieurs mois de vives polémiques. Il prévoit notamment de
renforcer les sanctions contre les escraches, référencés comme des infractions graves et,
RWPKU RCT FGU COGPFGU GPVTG šGV šGWTQU Diario. es PQXGODTG =JVVR
YYYRWDNKEQGUNCNG[FGUGIWTKFCFEKWFCFCPCWPCOQTFC\CRCTCNQUSWGRTQVGUVCP?
consulté le 18 novembre 2014.
šPlusieurs figures du Parti populaire ont manifesté publiquement leur opposition au projet
FG NQKš Celia VKNNCNQDQU XKEGRTȌUKFGPVG FW Congrès et ancienne ministre de la Santé sous le
gouvernement de José María Aznar), José Antonio MQPCIQ RTȌUKFGPV FG NC EQOOWPCWVȌ
autonome d’Estrémadure), Alberto NȚȓG\ FGKLQQ RTȌUKFGPV FG NC EQOOWPCWVȌ CWVQPQOG FG
Galice), Juan Vicente HGTTGTC RTȌUKFGPV FG NC EQOOWPCWVȌ CWVQPQOG FG Castille et Léon),
Cristina CKHWGPVGU FȌNȌIWȌG FW IQWXGTPGOGPV ȃ Madrid), Rosa VCNFGȕP OCKTG FG Zamora),
Borja SGORGT RTȌUKFGPVFWPP de Guipuscoa), etc.
128
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
DQQ«HV HW TXL D WURXY« XQ WHUUDLQ GȇH[SUHVVLRQ GȇDERUG GDQV OD
mU«YROXWLRQFLWR\HQQH}GHSXLVDXWRXUGXSURMHWGHU«IRUPHVXU
l’avortement. Depuis les luttes féministes pour l’obtention d’une loi
VXU OH GLYRUFH HW VXU OȇDYRUWHPHQW DX G«EXW GHV DQQ«HV OH SD\V
n’avait pas connu une telle « unité dans l’action109 ». L’obstination
Gȇ$OEHUWR 5XL] *DOODUGµQ GDQV VRQ HQWUHSULVH GH PLVH VRXV WXWHOOH GHV
IHPPHVHVSDJQROHVDIDLWRɚFHGHFDWDO\VHXUGHVIRUFHVI«PLQLVWHVTXL
se sont rassemblées dans un grand mouvement intergénérationnel et
FRQWHVWDWDLUH OHV PDQLIHVWDWLRQV RQW RIIHUW WRXU ¢ WRXU OȇRFFDVLRQ GH
PDUTXHUXQHRSSRVLWLRQIHUPHDXSURMHWGHORLGHG«QRQFHUODG«JUD-
GDWLRQGHVFRQGLWLRQVGHYLHGHVIDPLOOHVHWGHVIHPPHVOL«HDX[FRXSHV
EXGJ«WDLUHV HQ PDWLªUH GH VDQW« GȇDLGHV VRFLDOHV GH JHO GHV VDODLUHV
RX GH VȇLQVXUJHU FRQWUH OH SRLGV GH OȇRUGUH SDWULDUFDO K«W«URVH[LVWH HW
FDSLWDOLVWH2QFRQVWDWHTXHOȇ(VSDJQHQHIDLWSDVȴJXUHGHFDVLVRO«FDU
QRXV DVVLVWRQV GHSXLV OH G«EXW GHV DQQ«HV DX UHQRXYHDX GH OD
« culture de la contestation110} TXL VH WUDGXLW GDQV XQH SHUVSHFWLYH
JHQU«HSDUXQHLQWHUQDWLRQDOLVDWLRQGHVVWUDW«JLHVGHOȇDFWLYLVPHI«PL-
QLVWH UDGLFDO SDU OD FRQVROLGDWLRQ GH U«VHDX[ GH VROLGDULW« I«PLQLVWHV
QDWLRQDX[ HW WUDQVQDWLRQDX[ HW SDU OD IRQGDWLRQ GH QRXYHDX[ FROOHF-
WLIVTXLUHYHQGLTXHQWVXUGHVUHJLVWUHV GLYHUVXQUHQRXYHOOHPHQW GHV
discours et des modalités d’action féministes. L’histoire du féminisme
espagnol est marquée par la consolidation de ses luttes au cours des
dernières années du franquisme (tardofranquismo HW ELHQ TXH VD
IUDJPHQWDWLRQ HQ FRXUDQWV SOXULHOV DLW «W« XQH FRQVWDQWH FHOD QH OȇD
pas empêché de porter des combats de haut vol visant à l’obtention de
nouveaux droits juridiques pour les femmes. L’institutionnalisation du
I«PLQLVPH VRXV OHV JRXYHUQHPHQWV VRFLDOLVWHV D LQVFULW OHV SROLWLTXHV
GH JHQUH ¢ OȇDJHQGD SROLWLTXH PDLV FH I«PLQLVPH GH VHUYLFH O«JLWLPH
HWQ«FHVVDLUHDHXSRXUHIIHWGHUHO«JXHUOHI«PLQLVPHDXWRQRPHGDQV
les interstices de la contestation minoritaire. Au tournant des années
VRXV OȇLQȵXHQFH GHV WK«RULHV SRVWPRGHUQHV SRVWVWUXFWXUDOLVWHV
et queerOHVI«PLQLVPHVHVSDJQROVRQWSURF«G«¢XQHU«DFWXDOLVDWLRQGH
OHXUVWK«RULHVSRVWXODQWSRXUODmVXEYHUVLRQGHOȇLGHQWLW«}HWODSHUIRU-
mativité des corps111$XVVLGªVOHPLOLHXGHVDQQ«HVHWSOXVHQFRUH
¢ SDUWLU GHV DQQ«HV OHV DFWLYLVWHV VH VRQW PRQWU« H V SHUP«DEOHV
¢GHQRXYHDX[FRXUDQWVUHPHWWDQWHQFDXVHODPDWULFHK«W«URVH[XHOOH
129
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
130
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale
pour laquelle les mutations qui sont en train de s’opérer sont le fait de
mMHXQHVI«PLQLVWHVELHQIRUP«HVWUªVHQJDJ«HVGDQVOHI«PLQLVPHDYHF
les idées claires et un haut degré d’activisme féministe118 ». Ces nou-
velles formes d’engagement s’efforcent de refaçonner l’agir féministe
et ouvrent un horizon d’espoir quant à la progressive prise en compte
WUDQVYHUVDOHGHVUHYHQGLFDWLRQVI«PLQLVWHVQRQSOXVWUDLW«HV¢ODPDUJH
mais prises comme caisse de résonance des questions du temps présent.
/H I«PLQLVPH K«J«PRQLTXH TXL HVW DXMRXUGȇKXL OD FLEOH GHV DFWLYLVWHV
GH OD WURLVLªPH YDJXH FH I«PLQLVPH mJULV QRUPDWLI HW SXULWDLQ119}
GHOȇDYHXP¬PHGHVHVG«WUDFWHXUVULFHVHVWLOHQPHVXUHGHU«SRQGUH
DX[G«ȴVFRQWHPSRUDLQVVDQVXQUHQRXYHOOHPHQWHQSURIRQGHXUGHVHV
WK«RULHVGHVHVPRGHVGȇDFWLRQHWGHVRQYLYLHUPLOLWDQW"3DUYLHQGUDWLO
¢VHODLVVHUEDLJQHUSDUGHQRXYHOOHVPDU«HVU«J«Q«UDWULFHV¢VHODLVVHU
VHFRXHUSDUODKRXOHWXPXOWXHXVHGXUHQRXYHDX¢VHODLVVHUSRUWHUSDU
les remous des problématiques émergentes ? Il semble en tout cas en
avoir les capacités structurelles et organisationnelles puisque le fémi-
QLVPH VȇHVW WRXMRXUV G«ȴQL FRPPH mXQH SROLWLTXH GH OȇDFWLRQ SHUPD-
nente120}XQPRXYHPHQWMDORQQ«GHȵX[HWGHUHȵX[GȇDYDQF«HVHWGH
UHFXOVGHFRQȵLWVHWGHVRURULW«TXLDUHIRUPXO«U«LQYHQW«U«DGDSW«
repensé inlassablement son corpus théorique et ses pratiques tout au
long de sa longue histoire politique et sociale.
šIbid.
šPaul B. PƷƫƩƯƧƪƵ, « MWLGTGUGPNQUOȄTIGPGUzElpais. com, 13 janvier 2007,
=JVVRGNRCKUEQOFKCTKQDCDGNKCAJVON? EQPUWNVȌ NG
18 novembre 2014.
šFrançoise CƵƲƲƯƴ et Irène KƧƺƬƫƷ, « PQUVScriptum. La Terre promise », op. cit., 2014, p. 32.
131
DEUXIÈME PARTIE
REVENDICATIONS
IDENTITAIRES
ET NOUVEAUX MOUVEMENTS
SOCIAUX
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
5
Mouvements de contestation
en Catalogne : manifestations et
consultation(s) sur l’indépendance
Mercè PUJOL BERCHÉ
/H QRYHPEUH GHV «OHFWHXUV FDWDODQV XQ SHX SOXV GH
deux millions de personnes) se sont rendus aux urnes pour répondre
¢ FHV GHX[ TXHVWLRQV m9RXOH]YRXV TXH OD &DWDORJQH VRLW XQ WDW"}
HW m9RXOH]YRXV TXH FHW WDW VRLW LQG«SHQGDQW"} GHV SHU-
sonnes qui se sont exprimées lors de cette consultation ont répondu
m2XL}DX[GHX[TXHVWLRQVm2XL}¢OȇWDWPDLVm1RQ}¢XQ
WDW LQG«SHQGDQW HW HQȴQ m1RQ} DX[ GHX[ TXHVWLRQV &HWWH
FRQVXOWDWLRQYRXOXHSDUODVRFL«W«FLYLOHHWRUJDQLV«HSDUODGeneralitat
n’était pas un référendum et n’était pas non plus légale. Elle fait par-
WLHGȇXQHmORQJXHKLVWRLUH}GRQWRQSRXUUDLWVLWXHUOȇRULJLQHHQ
ORUVTXHOD&DWDORJQHDLQVLTXHOHV°OHV%DO«DUHV9DOHQFHHWOȇ$UDJRQRQW
subi l’abolition des Fors ORLV OȇLQWHUGLFWLRQGXFDWDODQHWOȇLQVWDXUDWLRQ
des Bourbons en Espagne.
Le renouveau du mouvement indépendantiste catalan doit être
analysé dans le contexte des discussions sur la réforme du statut cata-
lan (2004-2006). Il commença à prendre forme avec les consultations
SRSXODLUHV LQLWL«HV HQ SXLV FRQQXW XQ VXUVDXW TXDOLWDWLI ORUV GH
la manifestation massive de juillet 2010 contre la décision du Tribunal
constitutionnel sur le caractère anticonstitutionnel des articles les
SOXV HPEO«PDWLTXHV GH FH VWDWXW QRWDPPHQW SDU UDSSRUW ¢ OD ODQJXH
FDWDODQH ¢ OD ȴVFDOLW« HW ¢ OD UHFRQQDLVVDQFH GH OȇLGHQWLW« FDWDODQH HQ
135
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
tant que « nation » politique à part entière. Dans le contexte des crises
«FRQRPLTXH HW G«PRFUDWLTXH OȇLQG«SHQGDQWLVPH FDWDODQ VȇHVW FULVWDO-
OLV« SHWLW ¢ SHWLW ¢ OȇRFFDVLRQ GX VHSWHPEUH OH MRXU GH OD Diada OD
I¬WH QDWLRQDOH FDWDODQH GHSXLV 8QH HQWLW« FXOWXUHOOH Òmnium
Cultural HW Oȇ$VVHPEO«H QDWLRQDOH FDWDODQH FU««H HQ GHX[ LQV-
WDQFHV SU«VLG«HV SDU GHX[ IHPPHV 0XULHO &DVDOV HW &DUPH )RUFDGHOO
UHVSHFWLYHPHQW RQW SULV HQ FKDUJH OȇRUJDQLVDWLRQ GHV PRXYHPHQWV GH
FRQWHVWDWLRQHQIDLVDQWSUHVVLRQVXUOHVSROLWLTXHVHWHQPHQDQWOHG«EDW
vers la société civile.
Comment a ressurgi la vieille revendication de l’indépendance de
OD &DWDORJQH" 'DQV TXHO FRQWH[WH VRFLDO HVSDJQRO VȇLQVªUHWHOOH" 4XL
organise le mouvement et pourquoi ? Ce sont les questions auxquelles
OHSU«VHQWFKDSLWUHHVVDLHGHU«SRQGUH3RXUFHIDLUHQRXVFRPPHQFH-
URQVSDUXQEUHIUDSSHOKLVWRULTXHDȴQGHGRQQHUTXHOTXHVSRLQWVGH
UHSªUHVSHUPHWWDQWGHVLWXHUODGHPDQGHFRQWHPSRUDLQHGHV&DWDODQV
ce qui nous permettra notamment de retracer la trajectoire du natio-
nalisme catalan depuis la naissance de l’Espagne des autonomies.
Puis l’« œuvre collective » qu’a constituée le statut d’autonomie de
OD &DWDORJQH GH QRXV VHUYLUD ¢ m«FULUH XQH SDJH GH OȇKLVWRLUH}
VHORQ OHV PRWV GH FHOXL TXL IXW OH SU«VLGHQW GH OD &DWDORJQH 3DVTXDO
0DUDJDOO 8QH KLVWRLUH GX WHPSV SU«VHQW R» OD ODQJXH FDWDODQH DLQVL
que la « nation catalane » font partie d’un imaginaire collectif qui
se sent attaqué et bafoué par le Tribunal constitutionnel et donc par
le gouvernement espagnol. L’histoire des relations entre le gouver-
nement de Madrid et celui de la Generalitat de Catalogne s’est donc
ranimée. La voix du peuple s’est organisée et des protestations ont
VXUJLGDQVXQH(VSDJQHHQFULVHR»OHV(VSDJQROVVRQWWUªVUHPRQW«V
FRQWUH GHV SROLWLTXHV PHQ«HV DX G«WULPHQW GHV SHUVRQQHV FRQWUH OD
corruption institutionnelle et l’incapacité des partis à donner des
réponses à leurs demandes de démocratie et de mesures sociales. Nous
WHUPLQHURQVHQUDSSHODQWTXȇXQVRQGDJHU«FHQWGȇDYULOPHWHQ
évidence que 60 % des Catalans considèrent qu’aucun parti politique
QHSHXWGRQQHUXQHU«SRQVHDG«TXDWH¢OHXUVSUREOªPHVSULQFLSDX[
OH FK¶PDJH HW OD SU«FDULW« GRQQ«H TXL LOOXVWUH XQ LPSRUWDQW G«VHQ-
chantement démocratique.
136
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
REPÈRES HISTORIQUES :
LE NATIONALISME CATALAN EN PERSPECTIVE
/HG«EDWDXWRXUGȇXQWDWLQG«SHQGDQWSRXUOD&DWDORJQHQȇHVWSDV
QRXYHDX (Q HIIHW LO HVW OH IUXLW GȇXQH ORQJXH KLVWRLUH TXL G«EXWH DYHF
les décrets de Nova Planta GH 3KLOLSSH9 DYHF OȇDEROLWLRQ GH WRXWHV OHV
LQVWLWXWLRQV FDWDODQHV HW OD PLVH DX EDQ GX FDWDODQ (Q HIIHW SHQGDQW
OD S«ULRGH DOODQW GH ¢ OHV G«FUHWV VH WUDGXLVLUHQW FRQFUªWH-
ment par l’abolition des Fors (lois) : d’abord en Aragon et à Valence
SXLVGDQVOHV°OHV%DO«DUHV HWHQȴQHQ&DWDORJQH
L’espagnol ou castillan sera désormais la seule langue obligatoire de
OȇDGPLQLVWUDWLRQGHODMXVWLFHHWGHOȇHQVHLJQHPHQW
À partir de la seconde moitié du XIXeVLªFOHDSUªVXQHORQJXHS«ULRGH
GHPLVHHQVLOHQFHHWGHUHO«JDWLRQGHODODQJXHFDWDODQHSUHQGFRUSV
une conscience de la langue et de l’identité catalanes. L’avènement des
Jocs Florals OLWW«UDOHPHQWGHVm-HX[)ORUDX[} GHVMRXWHVSR«WLTXHVHQ
ODQJXHFDWDODQHPDUTXHXQH«WDSHLPSRUWDQWHGXUHQRXYHDXFXOWXUHO
de la Renaixença m5HQDLVVDQFH} HWU«DQLPHODFDWDODQLW«VDQVUHMHWHU
OȇHVSDJQROLW«GHOD&DWDORJQH$LQVLORUVGHOȇRXYHUWXUHGHVJocs Florals
HQ VRQ SU«VLGHQW $QWRQL GH %RIDUXOO SURQRQFH TXHOTXHV PRWV
VXUOHSDVV«JORULHX[GHOD&DWDORJQHFRPSDWLEOHDYHFOȇHVSDJQROLW«GX
présent1. Le XIXe siècle verra naître les nationalismes que l’on appelle
mS«ULSK«ULTXHV}EDVTXH HWKQLTXH JDOLFLHQ SOXW¶WFXOWXUHO HWFDWD-
ODQ OLWW«UDLUHFXOWXUHOHWSROLWLTXH ¢FDXVHHQWUHDXWUHVGHOȇLQFDSDFLW«
GHVJRXYHUQHPHQWVFHQWUDX[GHPHQHUXQHSROLWLTXHGHSURJUªVVRFLDO
d’adopter le libéralisme politique et d’affronter sereinement la perte
des dernières colonies2.
'X SRLQW GH YXH SROLWLTXH OD Lliga Regionalista créée entre 1898
et 1901 sera au pouvoir jusqu’à la dictature de Primo de Rivera (1923)3.
6RQOHDGHU3UDWGHOD5LEDFRQGXLUDOHVG«EDWVVXUODQDWLRQHWOȇWDWHW
publiera La nacionalitat catalana HQ«WDEOLVVDQWODGLVWLQFWLRQ¢
IDLUHVHORQOXLHQWUHOȇWDWȃRUJDQLVDWLRQSROLWLTXHHWDUWLȴFLHOOHȃHWOD
QDWLRQȃHQWLW«QDWXUHOOHDYHFXQHKLVWRLUHHWXQHFXOWXUHSDUWDJ«HVHW
137
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
dotée d’une langue propre qui a une importance centrale pour la créa-
WLRQGȇXQVHQWLPHQWQDWLRQDO&ȇHVW¢SDUWLUGHO¢TXHODQDWLRQODODQJXH
et l’identité prendront une forte valeur symbolique : on commence alors
¢FU«HUXQHFRPPXQDXW«LPDJLQDLUHEDV«HVXUWRXWVXUODODQJXHVXUOH
passé historique4GHOD&DWDORJQHDLQVLTXHVXUVDOLWW«UDWXUH5.
SURSRVGHOȇLPSRUWDQFHGHODODQJXHFDWDODQHVLJQDORQVTXHOTXHV
faits qui contribuèrent à la construction de cet imaginaire collectif : le
Primer Congrés Internacional de la Llengua Catalana a lieu à Barcelone
du 13 au 18 octobre 1906 et Joan Bardina demande que cette langue soit
la seule enseignée6 ; l’Institut d’Estudis Catalans est créé le 18 juin 1907
SDU 3UDW GH OD 5LED DORUV SU«VLGHQW GH OD SURYLQFH GH %DUFHORQH 3XLV
Pompeu Fabra (1868-1948) élève la langue catalane du statut de langue
ancestrale à celui de langue nationale de la Catalogne et des pays cata-
ODQVHQPHQDQWXQWUDYDLOUHPDUTXDEOHHWGHJUDQGHSURIRQGHXUVXUOH
corpus de la langue7 (tout ce qui est en rapport avec sa normativité : dic-
WLRQQDLUHVJUDPPDLUHVHWF /D Mancomunitat catalanaFU««HHQ
regroupe les quatre institutions provinciales catalanes (Diputacions de
7DUUDJRQHGH%DUFHORQHGH/OHLGDHWGH*«URQH IDYRULVHODG«FHQWUD-
OLVDWLRQ DGPLQLVWUDWLYH HW OȇDXWRJRXYHUQDQFH HQ PDWLªUH «FRQRPLTXH
WRXW HQ ĕXYUDQW FRQVLG«UDEOHPHQW HQ IDYHXU GH OD ODQJXH GHV ELEOLR-
thèques et de la diffusion de la culture catalane.
3DU OD VXLWH SHQGDQW OHV DQQ«HV FRPPH OȇD IDLW UHPDUTXHU
5LTXHU mFDWDODQLVHU} VȇRSSRVHUD HQ TXHOTXH VRUWH ¢ mHVSDJQROLVHU}
GDQV OD PHVXUH R» OH FDWDODQLVPH SROLWLTXH «PHUJHQW HQWUHUD GH SOXV
en plus en confrontation avec le nationalisme espagnol. Ce sera ensuite
grâce à la Seconde République que la Catalogne obtiendra son statut
GȇDXWRQRPLH OH VHSWHPEUH 8. C’est là qu’il faut situer le début
GHOȇ(VSDJQHGHVDXWRQRPLHVFDUSRXU0DQXHO$]D³D SU«-
šLa première histoire écrite de la Catalogne est celle d’Antonio de Capmany, puis celle de Víctor
BCNCIWGTGPHistoria de Cataluña y de la Corona de Aragón, cf. Pere AƴƭƺƫƷƧ 1998b. « El nacio
PCNKUOQECVCNȄPFGUFGUWUQTȐIGPGUCzFCPUJGCPLouis GƺƫƷƫʫƧ FKT Les nationalismes dans
l’Espagne contemporaine. Idéologies, mouvements, symboles, Paris, ÉFKVKQPUFWVGORUR
La première histoire nationale est celle d’Antoni Aulèstia PKLQCPRWDNKȌGGPHistòria de Catalunya.
šIl faut mentionner la publication Lo Verdader Català où l’on proclame que les Catalans sont
des EURCIPQNUškL’Espagne est notre nation, mais la Catalogne est notre Patrie ».
šSignalons que déjà, lors du congrès de pédagogie de 1888, on avait sollicité de la reine
TȌIGPVG Marie Christine de HCDUDQWTILorena, épouse d’Alfonse XII), le droit de scolariser les
GPHCPVUGPECVCNCPCWOQKPUEJG\NGUVQWVRGVKVU
šSWT NŨCEVKQP RCPECVCNCPKUVG GV NG VTCXCKN FG RTQOQVKQP FG NC NCPIWG ECVCNCPG CW FȌDWV FW
ƖƖe siècle, voir Isabel GƷƧʫƧƯZƧǞƧƹƧL̸DFFLµSDQFDWDODQLVWDLODOOHQJXD̰QRVWUDSDUOD ,
Barcelone, Publicacions de l’Abadia de Montserrat, 1995.
šRéférendum du 2 août 1932 avec 75,09 % de « Oui ».
138
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
VLGHQWGHOD6HFRQGH5«SXEOLTXHGH¢OȇWDWFHQWUDO«WDLWDORUV
devenu capable d’admettre la pluralité territoriale de l’Espagne9.
LA CONSTITUTION DE 1978
ET L’ESPAGNE DES AUTONOMIES
Après la dictature de Franco (1939-1975) et l’approbation de la consti-
WXWLRQGHOHVGL[VHSWQRXYHOOHVmFRPPXQDXW«VDXWRQRPHV}HWOHV
deux « villes autonomes » (Ceuta et Melilla) rédigeront leurs statuts
d’autonomie respectifs à partir de 1979. Ceux de la Catalogne et du Pays
Basque furent ainsi votés par référendum le 25 octobre 1979 et celui
GH OD *DOLFH OH G«FHPEUH 'ȇDSUªV FHUWDLQV DXWHXUV Oȇ(VSDJQH
des autonomies présente les caractéristiques d’un « fédéralisme sans
WDW I«G«UDO10 » ou d’une « fédéralisation caractérisée par une compé-
tence ethno-territoriale multiple11 ». D’autres estiment que la nouvelle
VWUXFWXUHWHUULWRULDOHGHOȇWDWGHVDXWRQRPLHVDHXFHWHIIHWTXHOȇmWDW
devenait ainsi fédéralisable12 ».
(Q HIIHW OȇXQ GHV EXWV GH OD PLVH HQ SODFH GHV FRPPXQDXW«V DXWR-
nomes était d’établir une structure administrative et politique capable de
dépasser les grands déséquilibres entre les régions observés et forgés pen-
dant les XVIIIe et XIXeVLªFOHVTXHOȇLQGXVWULDOLVDWLRQGHVHXOHPHQWTXHOTXHV
XQHV GȇHQWUH HOOHV QRWDPPHQW GH OD &DWDORJQH GX 3D\V %DVTXH SXLV GH
0DGULG DYDLW FUHXV«HV ,O VȇDJLVVDLW GH P¬PH GH G«SDVVHU OHV EOHVVXUHV
collectives du XXeVLªFOHHQUHFRQQDLVVDQWOHVSDUWLFXODULVPHVLGHQWLWDLUHV
et en octroyant un statut distinct aux trois « nationalités historiques »
GRW«HV GȇXQH ODQJXH SURSUH 2U ORUVTXH OȇRQ U«GLJHD OD &RQVWLWXWLRQ GH
FHTXLD«W«G«VLJQ«FRPPHOHmcafé para todos} mFDI«SRXUWRXV}
c’est-à-dire le rejet d’une différence de traitement entre les « nationalités
KLVWRULTXHV} HW OHV DXWUHV FRPPXQDXW«V DXWRQRPHV D HX SRXU FRQV«-
quence que l’ensemble des communautés autonomes se sont dotées de
139
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šIN CXCKV ȌVȌ XKEGRTȌUKFGPV FW FȌEGODTG CW LCPXKGT FGU IQWXGTPGOGPVU
de Felipe GQP\ȄNG\ GV CXCKV TGȊW GP NG RTKZ FG NC HQPFCVKQP Abril Martorell pour « sa
EQPVTKDWVKQPFȌEKUKXGCWūITCPFRCEVGŬFGNCTȌFCEVKQPFGNCEQPUVKVWVKQPFGzEHEl País,
3 décembre 2005.
šLes premiers statuts pour ces mêmes communautés autonomes ont été votés comme
UWKVšAragon et VCNGPEGšCastille et Léon, Estrémadure et Iles Baléares.
šAfin de rendre plus lisible le texte, nous traduisons en français les noms des partis poli
tiques. CiUGUVWPGEQCNKVKQPNKDȌTCNGGVFȌOQETCVGEJTȌVKGPPG
šJulio PʤƷƫƿ SƫƷƷƧƴƵ, « Migraciones, identidad cultural y ciudadanía en la construcción
de la CQOWPKFCF CWVȕPQOC CPFCNW\C z FCPU MCTKGClaude CƮƧǞƺƹ, Géraldine
GƧƲƫƵƹƫ, Maria LƲƵƳƨƧƷƹ, Mercè PƺưƵƲBƫƷƩƮʤ et Bruno TƺƷ FKT Migraciones e identidades
en la España plural. Madrid, Biblioteca Nueva, 2015.
140
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
QDWLRQDOLW«V HW GH OȇXQLW« GH Oȇ(VSDJQH 3RXU OȇLQVWDQW DXFXQ GHV JRXYHU-
nements centraux depuis Leopoldo Calvo-Sotelo jusqu’à Mariano Rajoy
n’a accepté de revenir sur les acquis de la transition17 (notamment sur le
mSDFWHGXVLOHQFH} GHUHYRLUOHPRGªOHGHOȇWDW Oȇ(VSDJQHGHVDXWRQR-
PLHVHWODPRQDUFKLHSDUOHPHQWDLUH HWHQȴQGHSRVHUFODLUHPHQWHWGH
G«EDWWUHGHODSRVVLELOLW«GȇLQVWDXUHUXQY«ULWDEOHWDWI«G«UDO
šVoir MCTKGClaude CƮƧǞƺƹ et Julio PʤƷƫƿ SƫƷƷƧƴƵ FKT La transición española. Nuevos
enfoques para un viejo debate, Madrid, Biblioteca Nueva, 2005.
šOWKšRCTNGOGPVCKTGUšPSC Parti socialiste de Catalogne), ERC Gauche Républicaine de
Catalogne), ICVEUiA Initiative pour la CCVCNQIPGVGTVUGauche unie et alternative) et CiUšPQPš
15 parlementaires du PPC Parti populaire de Catalogne).
šLGUITQWRGURQNKVKSWGUUWKXCPVXQVȋTGPVGPHCXGWTFWUVCVWVFŨCWVQPQOKGšPSOE Parti socia
liste ouvrier espagnol), CiU, PNV, BNG et CC Coalition Canaries). Les députés du PP et d’ERC
UQKVTGRTȌUGPVCPVU UŨ[QRRQUȋTGPVEnfin, deux groupes choisirent l’abstention, EA Eusko
Alkartasuna) et PAR Parti Aragonais).
šEPHCXGWTšPS1'%K7208$0)GV%%š0QPš22GVCDUVGPVKQPUš'4%'#GV2#4
šCette coalition réunit le PSC, ERC, et ICVEUiA, domina le Parlament et le gouvernement de
Catalogne de 2003 à 2006, puis à nouveau de 2006 à 2010.
šIl sera président du 20 décembre 2003 au 28 novembre 2006. C’est aussi grâce à lui que,
lorsqu’il était le maire de Barcelone, cette ville a organisé les Jeux olympiques de 1992 qui
furent pour cette ville, et pour l’Espagne de 1992 un événement marquant.
141
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
OHmSDFWHGX7LQHOO}IXWVLJQ«DYHFSRXUYLV«HOȇDXWRJRXYHUQHPHQWXQH
meilleure qualité démocratique et l’obtention d’un statut plus favorable
SRXUOHFDWDODQ&HWWHFRDOLWLRQGHJDXFKHPLWȴQDX[YLQJWWURLVDQQ«HV
GHJRXYHUQHPHQWGH-RUGL3XMROGXDYULODXG«FHPEUH
/D FRDOLWLRQ WULSDUWLWH UHODQ©D OHV GLVFXVVLRQV HQ YXH GH OD PRGLȴFD-
tion du statut d’autonomie de la Catalogne : il en résulta une nouvelle
rédaction et une certaine reconnaissance (relative) de la pluralité de
Oȇ(VSDJQH3RXUFHVWURLVSDUWLVGHJDXFKHDXSRXYRLULO«WDLWWUªVLPSRU-
WDQWGHPHQHU¢ELHQOHSURMHWGXQRXYHDXVWDWXWFDUFHODLPSOLTXDLWGH
donner une cohésion interne à leurs actions.
4XDQW ¢ -RV« /X¯V 5RGU¯JXH] =DSDWHUR LO DYDLW SURPLV SHQGDQW VD
FDPSDJQH«OHFWRUDOHGHGHUHYRLUOHVVWDWXWVGȇDXWRQRPLHGHGRQ-
QHUVRQVRXWLHQDXVRFLDOLVWH3DVTXDO0DUDJDOODLQVLTXHGȇDFFHSWHUOH
statut que les Catalans auraient voté. Dans le contexte politique et insti-
WXWLRQQHOGXJRXYHUQHPHQWFHQWUDOOH3DUWLSRSXODLUHVȇDIIURQWDLWFHUWHV
aux socialistes en tant que principal parti de l’opposition. Mais dans
le jeu politique de l’alternance (gauche-droite ; socialistes-populaires)
HW GX ELSDUWLVPH OHV HQMHX[ GHV SDFWHV GHV XQV HW GHV DXWUHV MRXDLHQW
XQ U¶OH QRQ Q«JOLJHDEOH VXUWRXW DYHF OHV SDUWLV mPLQRULWDLUHV} TXL
servent de charnière lorsque le camp majoritaire ne dispose pas d’une
majorité absolue. Le PP était farouchement opposé aux propositions
QDWLRQDOLVWHV WULSDUWLWHV HW HQFRUH SOXV ¢ OD GHPDQGH GȇLQG«SHQGDQFH
d’ERC. Rappelons néanmoins que Jordi Pujol23 (CiU) avait passé un pacte
DYHF OH 3DUWL SRSXODLUH HQ DȴQ TXH -RV« 0DU¯D $]QDU SU«VLGHQW
entre 1996 et 2004) puisse être investi en tant que président du gouver-
QHPHQWFHQWUDO0DLV¢FHWWH«SRTXHO¢OD&L8QȇDYDLWDXFXQHSU«WHQWLRQ
indépendantiste.
/H VWDWXW GH IXW mXQH ĕXYUH FROOHFWLYH} FRPPH OȇLOOXVWUHQW
FHV PRWV «FULWV SDU 3DVTXDO 0DUDJDOO WLU«V GH OȇLQWURGXFWLRQ GX WH[WH
« Nous avons démontré une fois encore que la Catalogne est forte
lorsque nous les Catalans exprimons librement notre volonté. Nous
avons écrit une page de notre histoire ». Malgré le vote du peuple cata-
ODQOH3DUWLSRSXODLUHSU«VHQWDXQUHFRXUVGȇLQFRQVWLWXWLRQQDOLW«¢OȇHQ-
contre du nouveau statut à propos de 114 articles et de 12 dispositions24.
šJordi Pujol avoua le 25 juillet 2014, après des fuites dans la presse qu’il ne pouvait plus
cacher, qu’il avait fraudé le fisc au moins pendant 34 ans, concernant la prétendue fortune qu’il
avait reçue de son père, qu’il avait transmise à ses sept enfants et gardée en Andorre.
šRecours du Parti populaire présenté au Tribunal constitutionnel le 31 juillet 2006, admis le
UGRVGODTGškRGEWTUQFGKPEQPUVKVWEKQPCNKFCFPyGPTGNCEKȕPEQPFKXGTUQU
preceptos de la Ley OTIȄPKECFGFGLWNKQFGTGHQTOCFGNEstatuto de autonomía de
CCVCNWȓCzBoletín Oficial del Estado, n° 241, 9 octobre 2006, Madrid.
142
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
/H VRFLDOLVWH (QULTXH 0¼JLFD +HU]RJ G«IHQVHXU GX SHXSOH GX MXLQ
DXMXLQ SU«VHQWDOXLDXVVLXQUHFRXUVDXSUªVGX7ULEXQDO
constitutionnel concernant 109 articles et 4 dispositions25. Le Tribunal
FRQVWLWXWLRQQHOSURQRQ©DVRQMXJHPHQWELHQSOXVWDUGOHMXLQ
UHPHWWDQWHQFDXVHDUWLFOHVVHXOHPHQWPDLVOHVSOXVHPEO«PDWLTXHV
¢ SURSRV GH OD ODQJXH GH OD QRWLRQ GH QDWLRQ HW GX SDFWH ȴVFDO HQWUH
autres. C’est cette décision du Tribunal constitutionnel qui déclencha la
grande manifestation du 10 juillet 2010 dont le slogan « Nous sommes
XQHQDWLRQQRXVG«FLGRQV} (Som una nació, nosaltres decidim UHWHQ-
tit dans les rues de Barcelone26. Des manifestations massives se sont
répétées chaque année depuis lors à l’occasion de la fête nationale de la
&DWDORJQHOD DiadaOHVHSWHPEUH
Rappelons pour terminer que quelques mois après le vote du nou-
YHDX VWDWXW GHV «OHFWLRQV U«JLRQDOHV DQWLFLS«HV RQW G½ ¬WUH RUJDQLV«HV
pour légitimer à nouveau le gouvernement catalan dans le contexte
de l’adoption du statut ; des élections qui furent remportée par le PSC.
C’est ainsi que José Montilla27TXLDYDLW«W«PLQLVWUHGHOȇ,QGXVWULHGX
Tourisme et du Commerce (du 18 avril 2004 au 8 septembre 2006) du
SUHPLHU JRXYHUQHPHQW GH -RV« /X¯V 5RGU¯JXH] =DSDWHUR IXW «OX SU«-
sident de la GeneralitatIRQFWLRQTXȇLODRFFXS«GXQRYHPEUHDX
G«FHPEUH(QSU«YLVLRQGHV«OHFWLRQVDXWRQRPLTXHVFDWDODQHV
José Luís Rodríguez Zapatero avait « demandé à Montilla de quitter le
gouvernement pour se consacrer à ces élections qu’il a donc gagnées ».
šRGEQWTU Po RTȌUGPVȌ NG UGRVGODTG GV CFOKU NG QEVQDTGš kRecursos de
KPEQPUVKVWEKQPCNKFCF Py GP TGNCEKȕP EQP FKXGTUQU RTGEGRVQU FG NC Ley OTIȄPKEC
FGFGLWNKQFGTGHQTOCFGNEstatuto de autonomía de CCVCNWȓCzBoletín Oficial del
Estado Po Madrid. Voir sur les recours José Carlos HƫƷƷƫƷƧƸ, « Le statut
des langues de l’EURCIPG FCPU NGU PQWXGCWZ ūUVCVWVU FŨCWVQPQOKGŬz La linguistique, n°
šIl s’agit de la deuxième manifestation massive après celle de la transition en 1977 avec le
slogan « Liberté, amnistie et Statut d’autonomie ».
šMontilla, né à I\PȄLCTFCPUNCRTQXKPEGFGCordoue, a été maire de Cornellà, une ville près de
Barcelone, dont la proportion de personnes nées en APFCNQWUKG OKITCVKQPKPVGTPGFGUCPPȌGU
soixante) était très importante.
143
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
144
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
šSur l’utilisation des langues à des fins politiques pendant les élections voir Mercè PƺưƵƲ
BƫƷƩƮʤ, « UPG OCPKRWNCVKQP UWDVKNGš Les propositions concernant les langues pendant la
campagne électorale espagnole », dans José Carlos DƫHƵƾƵƸ et MCTKGHélène PʣƷƫƴƴƫƩ FKT
Langue et manipulation, SCKPVÉtienne, Presses universitaires de SCKPVÉVKGPPG R
et Mercè PƺưƵƲBƫƷƩƮʤ, « LCEWGUVKȕPNKPIȜȐUVKECGPNCECORCȓCGNGEVQTCNGURCȓQNCFG
y su transposición en los periódicos ABC y El País », dans Christian LƧƭƧƷƪƫ FKT Le discours
sur les « langues d’Espagne »/El Discurso sobre las « lenguas españolas », (1978-2008), Perpignan,
Presses universitaires de PGTRKIPCP R Sur l’usage que les personnalités
politiques font des termes sociolinguistiques, voir Mercè PƺưƵƲ BƫƷƩƮʤ, « Langue, nation et
PCVKQPCNKVȌUšUs et abus de notions sociolinguistiques par les politiques », dans Henri BƵƾƫƷ
FKT Colloque IQWHUQDWLRQDO̰ Pour une épistémologie de la sociolinguistique, Limoges, LCODGTV
LWECUR
šJosé Carlos MƵƷƫƴƵ CƧƨƷƫƷƧ, El nacionalismo lingüístico. Una ideología destructiva,
Barcelone, Península, 2008.
šIsidor MƧƷƯ, « DGNCPQTOCNKV\CEKȕCNCUQUVGPKDKNKVCVšGNUNȐOKVUFGNCRNCPKHKECEKȕFGNŨGUVC
tus », Treballs de Sociolingüística catalana, PoR
š+ORQUUKDNGFGPGRCUTCRRGNGTSWGNGPP veut des écoles séparées selon la langue, quelque
chose qu’il demande sans cesse par exemple aux Îles Baléares où il a gouverné pendant des
années.
145
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
/D&DWDORJQHDWRXMRXUV«W«XQHU«JLRQGȇDFFXHLOGHPLJUDQWVHWDWRX-
jours veillé à leur insertion : il s’est agi d’abord de migrants originaires de
0XUFLH DX G«EXW GH OȇLQGXVWULDOLVDWLRQ SXLV HQ SURYHQDQFH VXUWRXW GH
Oȇ$QGDORXVLH GDQVOHVDQQ«HV HWHQȴQLVVXVGHODQRXYHOOHLPPL-
gration internationale (depuis les années 1990). Pour illustrer le souci
GȇLQFOXVLRQGHVQRXYHDX[YHQXVGDQVODSRSXODWLRQPHQWLRQQRQVOH3ODQ
SRXUODODQJXHHWODFRK«VLRQVRFLDOHGHSXLVOH3DFWHQDWLRQDO
SRXUOȇLPPLJUDWLRQHQR»OȇXQGHVSRLQWVUHFRQQXVOHVSOXVLPSRU-
tants est la cohésion sociale et la participation de tous à la société34. Sur
FHV FKDSLWUHV OHV SURSRVLWLRQV «PLVHV SDU 3DVTXDO 0DUDJDOO DYDQW TXȇLO
devienne président de la Generalitat HQ IXUHQW UHSULVHV ¢ VDYRLU
TXHOD&DWDORJQHGHYDLWWUDYDLOOHUSRXUOȇLPPLJUDWLRQSRXUVDSODFHGDQV
l’Union européenne et pour les droits civiques et sociaux de tous. Un
travail à l’international que l’on constate aussi au sein du mouvement
indépendantiste. Rappelons également que la Generalitat possède des
G«O«JDWLRQVHQWUHDXWUHVSRXUOD)UDQFHHWOD6XLVVHGRQWOHVLªJHHVW¢
3DULVDXSUªVGHOȇ8QLRQHXURS«HQQHOHVLªJH«WDQW¢%UX[HOOHVHWHQȴQ
DX[WDWV8QLVGRQWOHVVLªJHVVRQW¢:DVKLQJWRQHW¢1HZ<RUN
šNous avons écrit sur l’intégration sociolinguistique des migrants en Catalogne. Voir par
exemple Mercè PƺưƵƲ BƫƷƩƮʤ, « Contribution de l’immigration à la richesse linguistique et
culturelle de l’EURCIPGšTȌHNGZKQPUCWVQWTFGNŨKPVȌITCVKQPUQEKQNKPIWKUVKSWGzFCPUMCTKGClaude
CƮƧǞƺƹ, María Luisa PƫʫƧƲƻƧ et Bruno TƺƷ FKT Regards, Po R GV Mercè
PƺưƵƲ BƫƷƩƮʤ, « Immigració i integració sociolingüística a Catalunya », Actes du Colloque
international de l’Association rrançaise des catalanistes et de l’université Paris Ouest Nanterre La
Défense, Limoges, LCODGTVLucas, 2015.
146
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
šÒmnium Cultural GUV WPG GPVKVȌ ECVCNCPG ETȌG GP EGPUWTȌG RCT Franco entre 1963
et 1967), qui œuvre pour la défense de la langue, la cohésion sociale, la culture, le modèle
d’école catalane, de même qu’en faveur de la projection internationale de l’identité catalane.
147
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šLa présidence de la Generalitat via le Secrétariat aux Affaires étrangères et à l’Union euro
péenne, a organisé l’inscription au « Registre des Catalanes et Catalans résidant à l’extérieur »,
et ces Catalans ont pu voter dans différentes capitales du monde.
šIl est important de mentionner que depuis les manifestations massives de 2003 contre la
guerre d’ITCM CXGENGParti populaire au pouvoir), on considère ces manifestations comme étant
planétaires à cause du nombre de manifestants, du nombre de villes où elles ont eu lieu et du
retentissement médiatique qu’elles ont reçu.
šLes chiffres de manifestants sont toujours sujets à des controverses. La police estima
CKPUKNGPQODTGFGOCPKHGUVCPVUȃššGVNGSWQVKFKGPEl PaísȃšMais la plupart
des observateurs s’accordèrent pour dire que plus d’un million de personnes participèrent, un
chiffre historique, cf. « ENKPFGRGPFGPVKUOQECVCNȄPNQITCWPCJKUVȕTKECGZJKDKEKȕPFGHWGT\Cz
El País, 11 septembre 2012.
šIl faut, à notre avis, situer l’ANC sur la même ligne que l’assemblée de Catalogne consti
tuée à la fin du franquisme, le 7 novembre 1971, par des syndicats, organisations sociales et
secteurs progressistes de l’église. Elle a été dissoute suite à la création de l’assemblée des
parlementaires.
šPQWTRNWUFŨKPHQTOCVKQPUXQKTUQPUKVGKPVGTPGV=JVVRCUUGODNGCECV?
148
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
149
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
IXWRUJDQLV«HVRXVOHVLJQHGXm9}9GH9LFWRLUHPDLVDXVVL9GH9RWH
en faisant directement allusion au référendum du 9 novembre 2014 sur
OȇLQG«SHQGDQFHm9GH9RORQW«GȇXQSHXSOH¢G«FLGHU9GH9DOHXUVGȇXQ
SHXSOH9GH9LHLOOHVUH9HQGLFDWLRQVTXLVRQWWRXMRXUV9LYHV}/DGDWHGX
11 septembre 2014 était de surcroît dotée d’une forte composante sym-
EROLTXH SXLVTXH OȇRQ FRPP«PRUDLW OD G«IDLWH GH %DUFHORQH mDSUªV} OD
SULVHGHODYLOOHSDUOHVSDUWLVDQVGH3KLOLSSHGȇ$QMRXORUVGHODJXHUUHGH
6XFFHVVLRQGȇ(VSDJQHOHVHSWHPEUHBȃFHWWHJXHUUHTXLLQVWDXUD
le pouvoir monarchique des Bourbons.
7RXWHV FHV PDQLIHVWDWLRQV DLQVL TXH GȇDXWUHV DFWLRQV FROOHFWLYHV
locales illustrent le renouveau des mouvements sociaux indépen-
dantistes dans la Catalogne d’aujourd’hui44. Il s’agit de mouvements
FLWR\HQVGHPDVVHUHPHWWDQWHQFDXVHODO«JLWLPLW«GHOȇWDWFHQWUDOGDQV
XQH U«JLRQ OD &DWDORJQH PDLV DYHF GHV U«SHUFXVVLRQV JOREDOHV SURȴ-
tables à d’autres mouvements indépendantistes comme ceux d’Irlande
RX GȇFRVVH TXL RQW HX[P¬PHV GHV U«SHUFXVVLRQV VXU OD FRQVWUXFWLRQ
GH Oȇ8QLRQ HXURS«HQQH &RPPH OH VLJQDOH OȇKLVWRULHQ -RVHS )RQWDQD
certains secteurs de la société catalane considèrent que le pacte de
HVW GHYHQX FDGXF HW TXH OD &DWDORJQH GHPHXUH SHU©XH
par le gouvernement central comme une province de la couronne de
Castille45QRWUHDYLVFȇHVW¢SDUWLUGHFHWWHLQWUDQVLJHDQFHGXJRXYHU-
QHPHQWFHQWUDOFRPPHGXFRQWH[WHGHOȇ«PHUJHQFHGXPRXYHPHQWGHV
LQGLJQ«V GX m0} GHSXLV GHV m1RY¯VLPRV} RX GH OD Spanish
Revolution46 TXȇLO IDXW FRQVLG«UHU HW DQDO\VHU OD GHPDQGH GȇLQG«SHQ-
dance des Catalans47.
šLGNGEVGWTRGWVEQPUWNVGTWPGDKDNKQITCRJKGFȌLȃKORQTVCPVGUWTNGUOQWXGOGPVUUQEKCWZš
Donatella DƫƲƲƧPƵƷƹƧ et Mario DƯƧƴƯSocial MRXYHPHQWV̰DQLQWURGXFWLRQ, Londres, BNCEMYGNN
š Enric PƷƧƹ FKT Els moviments socials a la Catalunya contemporània, Barcelone,
Publicacions i edicions de la Universitat de BCTEGNQPC š Benjamín TƫưƫƷƯƴƧ MƵƴƹƧʫƧ,
LD VRFLHGDG LPDJLQDGD̰ PRYLPLHQWRV VRFLDOHV \ FDPELR FXOWXUDO HQ España. Madrid, Trotta,
š Manuel CƧƸƹƫƲƲƸ, RHGHVGHLQGLJQDFLµQ \HVSHUDQ]D̰ORVPRYLPLHQWRVVRFLDOHVHQODHUD
de Internet, Madrid, ANKCP\C GFKVQTKCN š Josep FƵƴƹƧƴƧ, EO IXWXUR HV XQ SD¯V H[WUD³R̰ XQD
reflexión sobre la crisis social de comienzos del siglo XXI, Barcelone, Pasado & Presente, 2013.
šJosep FƵƴƹƧƴƧ, op. cit., 2013. Voir de même Josep FƵƴƹƧƴƧ, « Espanya i CCVCNWP[Cš
VTGUEGPVUCP[UFŨJKUVȔTKCzLeçon inaugurale du Simposi Espanya contra CDWDOXQ\D̰XQDPLUDGD
histórica, Barcelone, Institut d’Estudis CCVCNCPUOKUGPNKIPGNGFȌEGODTG=JVVRYYY
[QWVWDGEQOYCVEJ!XTYOHM4ysc], consulté le 23 de mars 2014.
šFrancisco FƫƷƴʜƴƪƫƿ MƵƷƫƴƵ Spanish Revolution. Ensayo sobre los lenguajes indignados,
Madrid, UnoyCero ediciones, 2013.
šLa composition du Parlement catalan depuis les élections du 10 décembre qui ont porté
Artur Mas à la présidence de la Generalitat de CCVCNQIPGGUVNCUWKXCPVGšUKȋIGURQWTCiU, 28
pour le PSC, 18 pour le PPC, 10 pour ERC, 10 pour ICVEUiA, 4 pour SI Solidarité catalane pour
l’Indépendance) et 3 pour CŨU Citoyens).
150
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
(QHIIHWLOHVWHVVHQWLHOGHVRXOLJQHUTXHFHVSURWHVWDWLRQVVXUJLVVHQW
HQ (VSDJQH GDQV XQ FRQWH[WH R» OHV (VSDJQROV \ FRPSULV GRQF OHV
Catalans) sont très mécontents des politiques menées par les différents
SDUWLV SROLWLTXHV GHV VDXYHWDJHV ȴQDQFLHUV DFFRUG«V DX[ EDQTXHV DX
G«WULPHQWGHVSHUVRQQHVGHVVFDQGDOHVGHFRUUXSWLRQLQVWLWXWLRQQHOOH
qui touchent tous les partis politiques y compris la Couronne (la sœur
GHOȇDFWXHOURL)HOLSH9,&ULVWLQDGH%RUEµQHVWWRXMRXUVLQFXOS«H /HV
(VSDJQROVVHUHQGHQWFRPSWHTXHOHVSROLWLTXHVQHOHVUHSU«VHQWHQWSDV
qu’il y a un abîme de plus en plus profond entre les gens et leurs repré-
sentants. La démocratie est en crise. Comme Javier de Lucas le fait
UHPDUTXHU¢MXVWHWLWUHOHSUREOªPHGHODVRFL«W«HVSDJQROHHVWQRQVHX-
lement la crise économique (utilisée souvent aussi comme une excuse
SRXU QH SDV DERUGHU GȇDXWUHV VXMHWV SUREDEOHPHQW SOXV LPSRUWDQWV
PDLV OD FULVH GH OD G«PRFUDWLH HW OD P«ȴDQFH GHV (VSDJQROV ¢ Oȇ«JDUG
GHVSROLWLTXHVTXLQȇRQWSDVVXSXRXYRXOXVȇDGDSWHUDXQRXYHOHVSDFH
VRFLDO FXOWXUHO SROLWLTXH HW «FRQRPLTXH GH OD PRQGLDOLVDWLRQ48. Pour
FHSURIHVVHXUGHGURLWFRQVWLWXWLRQQHOmOHPRGªOHGHFLWR\HQ FRQVRP-
mateur de voix) du Parti populaire c’est la majorité silencieuse ». Face
à une politique économique qui favorise les banques et qui paupérise
GHSOXVHQSOXVOHVJHQVFHVPRXYHPHQWVVRFLDX[GHPDQGHQWGHVFKDQ-
JHPHQWV SURIRQGV 3RXU OD &DWDORJQH FHOD VȇH[SULPH GDQV OD PDQLªUH
GRQWOȇ$1&SRXVVH¢SDUWLUGHODEDVHOHVSROLWLFLHQV¢DJLUSRXUTXȇLOV
RUJDQLVHQW XQ U«I«UHQGXP m5HJDUGH] OH SHXSOH TXL HVW O¢ GHKRUV
OXL LO D IDLW XQ SDV PDLQWHQDQW FȇHVW DX JRXYHUQHPHQW GH OH IDLUH HW
TXȇLOVDLWTXHVȇLOOHIDLWQRXVVHURQV¢VRQF¶W«FRXWH]ODFODPHXUGX
peuple49. »
(Q U«VXP« OHV FRQWHVWDWLRQV VXUJLVVHQW GDQV XQ FRQWH[WH VRFLDO
GHFULVHFULVH«FRQRPLTXH FK¶PDJHLQFDSDFLW«¢FU«HUGHOȇHPSORL
FULVH G«PRFUDWLTXH P«ȴDQFH GHV JHQV ¢ Oȇ«JDUG GH OHXUV «OXV FRU-
UXSWLRQ LQVWLWXWLRQQHOOH FULVH GH OȇWDWSURYLGHQFH SULYDWLVDWLRQ GH
ODVDQW«HWGHOȇ«GXFDWLRQ¤JHGHODUHWUDLWHSOXVWDUGLI GHOȇWDWGHV
DXWRQRPLHV U«IRUPH GHV VWDWXWV U«IRUPH GH OD FRQVWLWXWLRQ )DFH ¢
FHPDUDVPHVXUJLWODYRL[GHODFLWR\HQQHW«TXȇLQFDUQHQWOHVPRXYH-
PHQWVVRFLDX[DYHFOHXUVUHYHQGLFDWLRQVOHXUVPRGHVGHIRQFWLRQQH-
PHQWOHXUVVWUDW«JLHVGȇDFWLRQDOODQWGHOȇDFWLRQFROOHFWLYH¢ODFRQQHF-
WLYLW«GDQVOHFRQWH[WHSOXVJOREDOGHODPRQGLDOLVDWLRQGX XXIe siècle
151
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
DYHFVHVFDUDFW«ULVWLTXHVODUDSLGLW«OHVQRXYHOOHVWHFKQRORJLHVHWOHV
réseaux sociaux.
152
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
HW OȇXWLOLVHU FRPPH RXWLO SRXU IDLUH SUHVVLRQ (OOH VȇDXWRG«ȴQLW DXVVL
FRPPHXQHRUJDQLVDWLRQLQFOXVLYHDȴQTXHWRXVOHVFLWR\HQVSXLVVHQW
y adhérer. Ses promoteurs mettent toujours en avant la volonté col-
OHFWLYH HQ VRXOLJQDQW TXH Oȇ$1& UHSU«VHQWH XQH RUJDQLVDWLRQ FLYLOH
WUDQVYHUVDOH TXL VȇHVW FRQVWUXLWH GHSXLV OH EDV YHUV OH KDXW &RPPH
GDQV OHV PRXYHPHQWV GȇDVVHPEO«H FHOOHFL G«FLGH OHV DFWLRQV TXH
l’organisation doit entreprendre. Ses membres œuvrent à dans ce
SURFHVVXV TXL GHPDQGH OH GURLW ¢ G«FLGHU GDQV OHV XUQHV GX IXWXU
SROLWLTXH GH OD &DWDORJQH DȴQ TXȇHOOH SXLVVH DYRLU VRQ SURSUH WDW
6LQRXVQRXVDWWDUGRQVPDLQWHQDQWVXUOHGLVFRXUVGHOȇ$1&RQSHXW
observer qu’il se structure autour de trois axes thématiques : la société
FLYLOHODG«PRFUDWLHHWOHPRXYHPHQW50.
&RQFHUQDQWODVRFL«W«FLYLOHOȇ$1&«YRTXHXQHmYRORQW«FROOHFWLYH
XQH RUJDQLVDWLRQ FLYLOH WUDQVYHUVDOH} HW OH IDLW TXH mFȇHVW WRXWH OD
VRFL«W« FLYLOH VRXYHUDLQH TXL FRQYRTXH OH SURFHVVXV DXTXHO OHV SROL-
WLFLHQV GRQQHURQW XQH IRUPH SROLWLTXH PDLV GHSXLV OD VRFL«W« FLYLOH
>HW TXH@ QRXV QRXV VHQWRQV UHVSRQVDEOHV GȇDQLPHU OH G«EDW} 4XDQW
¢ OD G«PRFUDWLH LO VȇDJLW GH mIDLUH SUHVVLRQ VXU OHV SDUWLV SRXU TXȇLOV
RUJDQLVHQW OD FRQVXOWDWLRQ} GH mSRUWHU OHV XUQHV GDQV OD UXH} DȴQ
de favoriser une « régénération démocratique » : « Nous sommes ici
SRXU IDLUH FRQQD°WUH QRWUH FDXVH TXL HVW DXVVL FHOOH GH OD &DWDORJQH
HWVXUWRXWODFDXVHGHODG«PRFUDWLHFHOOHGXSHXSOHHWGHODMXVWLFH}
(QȴQVȇDJLVVDQWGXPRXYHPHQWm1RXVQHERXJHURQVSDVGȇLFLFȇHVW
QRWUHFKHPLQPHWWUHHQPDUFKHGHVDFWLRQVVXLYUHOHSURFHVVXVGȇLQ-
G«SHQGDQFH DȴQ GH VDXYHJDUGHU QRWUH LGHQWLW« HW OȇWDWSURYLGHQFH
nous faisons du chemin vers notre souveraineté. » En phase avec cette
G\QDPLTXH GX PRXYHPHQW OHV UHWRXUV VXU DYDQF«H VRQW IU«TXHQWV
« Nous sommes en train d’initier le chemin de la construction natio-
QDOH QRXV FRQWLQXHURQV QRXV WUDYDLOOHURQV WRXMRXUV QRXV VRPPHV
HQWUDLQGHIDLUHXQHU«YROXWLRQ}(QȴQOȇWDWFHQWUDOmOȇDXWUH}OXL
FȇHVWmOȇWDWHVSDJQROTXLQRXVVRXPHWDXJU«GȇXQHȊVLWXDWLRQVHPL
coloniale” ».
/D FRQVXOWDWLRQ GX QRYHPEUH VRXV Oȇ«JLGH GH &L8 (5& ,&9
et CUP51 a posé deux questions : « Voulez-vous que la Catalogne soit un
WDW"}m9RXOH]YRXVTXHFHWWDWVRLWLQG«SHQGDQW"}/HU«VXOWDWGH
ce « processus participatif52 » avec une participation d’un peu plus de
šSQWTEGš=JVVRCUUGODNGCECV!SPQFG?EQPUWNVȌNGFGOCTU
šCandidature d’UPKVȌRQRWNCKTGAlternatives de gauche.
šC’est sous cette désignation qu’il a été nommé par les indépendantistes.
153
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
GHV«OHFWHXUVD«W«OHVXLYDQWGHmRXL}DX[GHX[TXHV-
WLRQVGHmRXL}¢OȇWDWPDLVmQRQ}¢XQWDWLQG«SHQGDQW
GH mQRQ} DX[ GHX[ TXHVWLRQV53 4XȇHVWFH TXȇRQ SHXW GLUH GH
FHV U«VXOWDWV" 'ȇDERUG OD SUHPLªUH FRQVWDWDWLRQ LPSRUWDQWH HVW TXH
la consultation a eu lieu grâce à la mobilisation des gens — la société
FLYLOH ȃ HW TXH OȇRUJDQLVDWLRQ D «W« DVVXU«H SDU Òmnium Cultural
Oȇ$1&DLQVLTXHJU¤FH¢ODGeneralitat elle-même (qui s’est chargée de
OȇHQUHJLVWUHPHQWGHV«OHFWHXUV (QVXLWHLOIDXWQRWHUTXHOHV«OHFWHXUV
se sont rendus aux urnes dans la bonne humeur et avec un esprit festif
VDFKDQW TXH OH PRPHQW PDOJU« OH FDUDFWªUH QRQ SO«ELVFLWDLUH GH OD
FRQVXOWDWLRQ «WDLW KLVWRULTXH (QȴQ ELHQ TXȇLO Qȇ\ DLW SDV HX GȇHQMHX
politique (car il s’agissait d’une consultation et non d’un référendum
RUJDQLV«GHPDQLªUHO«JDOH XQHERQQHSDUWLHGHV«OHFWHXUVTXLVHVRQW
rendus aux urnes ont exprimé le souhait d’une gouvernance agissant
GDQV XQH &DWDORJQH VRXYHUDLQH $SUªV FHWWH FRQVXOWDWLRQ OH 7ULEXQDO
supérieur de justice de Catalogne a poursuivi trois personnes : le pré-
sident de la Generalitat$UWXU0DVODYLFHSU«VLGHQWH-RDQD2UWHJDHWOD
conseillère Irene Rigau.
Même s’il s’agissait bien d’un processus entamé par la société
FLYLOHLOIDXW«JDOHPHQWWHQLUFRPSWHGHODSUHVVLRQGHVRUJDQLVDWLRQV
GHODVRFL«W«FLYLOHVXUOHVSDUWLVVDQVRXEOLHUOHV«FK«DQFHV«OHFWRUDOHV
TXL FRPPH GDQV WRXW WDW G«PRFUDWLTXH RQW OLHX GH PDQLªUH S«ULR-
GLTXH HW HQ FH TXL FRQFHUQH Oȇ(VSDJQH VRQW SU«YXHV SRXU G«FHPEUH
/H mMHX SROLWLTXH} QH IDLW TXH FRPPHQFHU PDLV FH TXH OȇRQ
SHXW GȇRUHV HW G«M¢ GLUH FȇHVW TXH Oȇ$1& HW Òmnium Cultural par le
ELDLVGHVHVGHX[SU«VLGHQWHVSURYRTXHQWHWVWLPXOHQWOHG«EDWSDUPL
OHVFLWR\HQVDXVHLQP¬PHGHFKDFXQGHVSDUWLVSROLWLTXHVHWHQWUHOHV
GLII«UHQWHV RUJDQLVDWLRQV 9R\RQV GRQF ȴQDOHPHQW FRPPHQW FKDTXH
tête de liste se situe par rapport à ces élections.
/HV «OHFWLRQV PXQLFLSDOHV GX PDL PDLV VXUWRXW OHV U«JLR-
nales du 27 septembre 2015 ont montré le maintien dans les urnes
GȇXQ IRUW LQG«SHQGDQWLVPH 4XDQW ¢ OD FODVVH SROLWLTXH HVSDJQROH
0DULDQR 5DMR\ 33 UHVWH LPPXDEOH DORUV TXH 3HGUR 6£QFKH] 362(
pencherait plutôt pour essayer d’ouvrir un dialogue vers le fédéra-
OLVPH(QFHTXLFRQFHUQHODFODVVHSROLWLTXHFDWDODQH$UWXU0DV &'&
HW 2ULRO -XQTXHUDV (5& RQW VLJQ« OH PDUV OD mIHXLOOH GH
URXWH} FRQMRLQWHPHQW DYHF Oȇ$1& Òmnium Cultural et l’AMI. Miquel
=JVVRRTGOUCIGPECVECVRTGUAHUXRAppJCXCPQVCRTGOUCXYECQHEC
VCNCPUJCXGVCMGPRCTVKPVJGRCTVKEKRCVKXGRTQEGUUFQ?EQPUWNVȌNGGTCXTKN
154
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
Iceta (PSC) demande une nouvelle loi électorale qui prenne plus en
FRPSWHODSURSRUWLRQQHOOHHWFRPPHOH362(XQG«EDWVXUODU«IRUPH
de la constitution et le fédéralisme. Pour Alicia Sánchez Camacho
33& ODIHXLOOHGHURXWHQȇHVWTXȇXQmSDSLHUPRXLOO«} mpapel moja-
do} ¢VDYRLUTXHVHORQHOOHm0DVHW-XQTXHUDVFRQWLQXHQWGHWURP-
per les Catalans54 ». Joan Herrera (ICV) souhaite quant à lui un « pacte
SRXUODG«PRFUDWLH}VDQVUHQRQFHU¢XQU«I«UHQGXPVXUOHIXWXUGH
la Catalogne55 (QȴQ $OEHUW 5LYHUD &LWR\HQV IDURXFKH RSSRVDQW DX
QDWLRQDOLVPH FDWDODQ FRQWLQXH VD FURLVVDQFH GDQV OHV LQWHQWLRQV GH
vote au niveau national et pour promouvoir un air de changement (à
Oȇ«JDUGGX33HWGX362( XWLOLVHOHYRFDEOHmPRXYHPHQW} WUªV¢OD
PRGHLOHVWYUDL HQTXDOLȴDQWVDIRUPDWLRQGHmPRXYHPHQWFLWR\HQ}
(« Movimiento ciudadano »).
=JVVRYYYRRECVCNWP[CEQOUCPEJG\ECOCEJQECNKHKECFGRCRGNOQLCFQGNRTGCEWGTFQ
FGJQLCFGTWVCKPFGRGPFGPVKUVC?EQPUWNVȌNGCXTKN
=JVVRYYYKPKEKCVKXCECVKEXPGYU?EQPUWNVȌNGCXTKN
155
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šLa progression de Podemos depuis les élections européennes de mai 2014, ainsi que l’appa
rition de Citoyens FGRWKU NGU ȌNGEVKQPU ECVCNCPGU FG Ciutadans/Ciudadanos, né en 2006,
possède 9 sièges), peut remettre en cause le bipartisme, une perspective qui fait peur aux deux
partis majoritaires et nationaux, le Parti populaire et le Parti socialiste ouvrier espagnol. Lors
des dernières élections anticipées en Andalousie qui ont eu lieu le 22 mars 2015, les deux partis
Citoyens et Nous Pouvons ont obtenu des sièges. EPGHHGVNCEQORQUKVKQPCEVWGNNGGUVNCUWKXCPVGš
PSOEšUKȋIGUPPšPodemosšCiudadanosšIUVGTVUConvocation pour l’APFCNQWUKGš
šCentre d’estudis d’Opinió, Baròmetre d’Opinió Política, 1ª onada de 2014, nº 746, Barcelone,
Generalitat de Catalunya, 30 avril 2015.
156
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
G«VHQFKDQWHPHQW GH OD VRFL«W« FLYLOH HQYHUV OHV «OLWHV SROLWLTXHV OHV
partis et leurs promesses. Elle illustre bien la grande déception des
LQG«SHQGDQWLVWHVPDLV«JDOHPHQWGXUHVWHGHODVRFL«W«FDWDODQHIDFH
à l’absence totale de perspective.
157
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
6
La « transition démocratique »
du nationalisme basque radical :
de la légitimation de la violence à
l’indépendantisme démocratique ?
Mathieu PETITHOMME
La tolérance est le seul remède contre la diversité des
opinions.
(Charles Nodier)
159
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
&H FKDSLWUH D SRXU REMHFWLI GH PRQWUHU FRPPHQW DXGHO¢ GH Oȇ(7$3
de ses nombreuses organisations satellites et des formations politiques
et différentes « marques » de la gauche abertzaleOHQDWLRQDOLVPHEDVTXH
UDGLFDOFRQVWLWXHVXUWRXWXQSXLVVDQWPRXYHPHQWVRFLDOGRQWOHVIRQGH-
ments sociologiques et l’ancrage dans l’espace public permettent d’expli-
TXHUODSHUVLVWDQFHMXVTXȇ¢QRVMRXUV3DUPRXYHPHQWVRFLDOQRXVHQWHQ-
dons les actions collectives d’une communauté politique qui partage un
V\VWªPH GH YDOHXUV HW XQ VHQWLPHQW GȇDSSDUWHQDQFH WRXW HQ VH GRWDQW
GȇXQHFDSDFLW«GHPRELOLVDWLRQGDQVOȇHVSDFHSXEOLFHWHQG«ȴQLVVDQWGHV
UHYHQGLFDWLRQV GHV DGYHUVDLUHV HW XQ SURMHW SROLWLTXH HW VRFLDO4. Même
VȇLO«YRTXHQ«FHVVDLUHPHQWOHU¶OHGHODOXWWHDUP«HGHOȇ(7$OHFKDSLWUH
porte donc avant tout sur la « lutte de masse » du « mouvement basque
de libération nationale » (MLNV) à travers le prisme de ses actions collec-
WLYHV,OVȇDJLUDGȇ«WXGLHUOȇDFWXDOLW«GHFHWWHFRPPXQDXW«SROLWLTXHHQOD
UHSOD©DQWGDQVVRQFRQWH[WHKLVWRULTXHHWVRFLDOHWHQSDUWDQWGXSRLQW
GHYXHGHVPRELOLVDWLRQVGHVPDQLIHVWDWLRQVHWGHVPRXYHPHQWVVRFLDX[
contemporains qui donnent corps à ses revendications et les légitiment.
3DU QDWLRQDOLVPH EDVTXH UDGLFDO QRXV HQWHQGRQV OD YHUVLRQ OD SOXV
LQWUDQVLJHDQWHGHOȇXOWUDQDWLRQDOLVPHEDVTXHTXLUHQYRLH¢OȇH[WU«PLVPH
mais aussi aux racines de l’idéologie nationaliste de Sabino Arana (voir
infra FHFRXUDQWVȇDXWRG«VLJQDQWFRPPHOHUHSU«VHQWDQWO«JLWLPHGHOD
QDWLRQEDVTXHHQWHQGXHDXVHQVODUJH (XVNDGL3D\VEDVTXHIUDQ©DLVHW
1DYDUUH HWUHYHQGLTXDQWVRQGURLW¢OȇDXWRG«WHUPLQDWLRQ5.
/HV SURWHVWDWLRQV OHV PDQLIHVWDWLRQV HW OHV PDUFKHV FRQVWLWXHQW
en effet des répertoires d’action centraux de l’abertzalisme UDGLFDO
des formes de « lutte » (borroka HQ EDVTXH VL LPSRUWDQWHV SRXU OD
šPour les principaux travaux sur l’ETA, se référer à Miren AƲƩƫƪƵ, Militar en ETA. Historias de
vida y muerte, San SGDCUVKȄPHCTCPDWTWšFlorencio DƵƳʨƴƭƺƫƿ, ETA̰HVWUDWHJLDRUJDQL]D-
tiva y actuaciones, 1978-1992, Bilbao, Universidad del País VCUEQšCarmen GƺƷƷƺƩƮƧƭƧ,
Los jefes de ETA, Madrid, La EUHGTCFGNQUNKDTQUšIgnacio SʜƴƩƮƫƿCƺƫƴƩƧ, ETA contra el
Estado. Las estrategias del terrorismošFernando RƫƯƴƧƷƫƸ, Patriotas de la muerte. Quiénes
han militado en ETA y por qué e édition), Madrid, TCWTWUšIȓKIQBƺƲƲƧƯƴ, Revolucionarismo
patriótico. El Movimiento de Liberación Nacional Vasco. Origen, ideología, estrategia y organización,
Madrid, Tecnos, 2011. Voir aussi en français Antonio EƲƵƷƿƧ et al., ETA une histoire, Paris,
Denoël, 2002 et Jacques MƧƸƸƫƾ, ETA̰KLVWRLUHVHFUªWHG̸XQHJXHUUHGHFHQWDQV, Paris, 2010.
šSur cette notion, cf. ÉTKM Nƫƻƫƺ, Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte,
šOlivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ, Lilian MƧƹƮƯƫƺ et Cécile PƫƩƮƺ, Dictionnaire des mouvements sociaux,
Paris, Presses de Sciences Po, 2009.
šLe fait que le nationalisme radical se revendique comme le seul représentant légitime de la
PCVKQPDCUSWGEQPUVKVWGWPGU[PGEFQSWG RTGPFTGWPGRCTVKGRQWTNGVQWV EQOOQFGSWKGZENWV
une partie des citoyens basques, soit sur des critères d’exclusion notamment linguistiques,
UQKVRQWTNGWTkGURCIPQNKUOGz NGWTUGPVKOGPVFŨCRRCTVGPCPEGȃNŨEspagne). Sur ce point, cf.
Jesús CƧƸƶƺƫƹƫkLa religión de la patria », Claves de Razón PrácticaDPoR
160
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
161
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
162
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
GȇRSSRVLWLRQ DX IUDQTXLVPH HW FH GȇDXWDQW SOXV TXH OH JURXSH QH ȴW
VHV SUHPLªUHV YLFWLPHV IUDSS«HV ¢ PRUW TXȇHQ GL[ DQV DSUªV VD
fondation. Les premières manifestations de rue lors de l’Aberri Eguna
de 1966 symbolisèrent bien ce rôle d’opposition antifranquiste. Le
319FRQȵXDVLOHQFLHXVHPHQW¢9LWRULDHWVHVPHPEUHVVHGLVSHUVªUHQW
DYDQWOȇDUULY«HGHVIRUFHVGHSROLFH/HVUDGLFDX[HX[DIIURQWªUHQWYLR-
OHPPHQWODSROLFH¢,UXQ$X[QDWLRQDOLVWHVPRG«U«VODSDVVLYLW«DX[
UDGLFDX[OȇDFWLRQHWODU«VLVWDQFH/HVIXQ«UDLOOHVGHTxabi Etxebarrieta
HQOHSUHPLHUmPDUW\U }GHOȇRUJDQLVDWLRQIXUHQWDFFRPSDJQ«HV
d’incitation à suivre son chemin : ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les
morts imputables à l’ETA se multiplièrent à partir de cette date. Durant
ODGLFWDWXUHOHFRQWH[WHGȇDEVHQFHGHOLEHUW«GȇH[SUHVVLRQGHU«XQLRQHW
GHPDQLIHVWDWLRQUHQIRUF«SDUOȇ«WDWGȇH[FHSWLRQHXWSRXUFRQV«TXHQFH
que le nationalisme basque radical fut perçu comme l’avant-garde du
PRXYHPHQW DQWLIUDQTXLVWH &HSHQGDQW FRPPH OȇD ELHQ PRQWU« 5DIDHO
'XU£Q 0X³R] GDQV VD WKªVH FH IXW VXUWRXW OH PRXYHPHQW RXYULHU ¢
WUDYHUVGHVJUªYHV¢U«S«WLWLRQTXLMRXDOHU¶OHSULQFLSDOGDQVODFRQWHV-
WDWLRQ GX U«JLPH IUDQTXLVWH ¢ OD ȴQ GHV DQQ«HV HW DX G«EXW GHV
années 197013.
$X 3D\V EDVTXH OH SUHVWLJH VRFLDO GH Oȇ(7$ IXW WUªV ODUJHPHQW UHQ-
IRUF«VXLWHDXSURFªVGH%XUJRVGXG«FHPEUHTXLFRQGDPQD
PHPEUHVGHOȇRUJDQLVDWLRQ¢GHVSHLQHVWUªVORXUGHVGRQWVL[FRQGDP-
nations à mort. Les mobilisations populaires sans précédent au Pays
EDVTXHHWGDQVOȇHQVHPEOHGHOȇ(VSDJQHDLQVLTXHOHVQRPEUHXVHVSUR-
WHVWDWLRQVLQWHUQDWLRQDOHVREOLJªUHQWWRXWHIRLVOHU«JLPH¢WUDQVIRUPHU
les peines de mort en des peines de prison. La médiatisation très forte
GX SURFªV OHV PDQLIHVWDWLRQV GH UXH HW OHV JUªYHV TXL VH VXFF«GªUHQW
pour demander l’amnistie des prisonniers contribuèrent à donner à
l’ETA l’image d’une organisation de résistance. L’opération « Ogro » qui
U«DOLVDOȇDVVDVVLQDWGH/XLV&DUUHUR%ODQFROHG«FHPEUHDFF«O«-
ra la déliquescence du régime14. Lorsque Juan Paredes Manot (Txiki) et
QJHO2WDHJXLPLOLWDQWVGHOȇ(7$SPIXUHQWPLV¢PRUWOHVHSWHPEUH
ORUVGHVGHUQLªUHVH[«FXWLRQVGXU«JLPHOHSUHVWLJHVRFLDOGHOȇ(7$
QH IDLVDLW SOXV DXFXQ GRXWH 3DUDGR[DOHPHQW FHV H[«FXWLRQV V\PEROL-
sèrent la défaite idéologique du franquisme. L’organisation s’empressa
163
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
GHIDLUHGHVFRQGDPQ«VGHVmPDUW\UV}GHODOXWWHQDWLRQDOLVWHEDVTXH
F«O«EUDQWFKDTXHDQQ«HOHXUP«PRLUHSRXUPLHX[MXVWLȴHUODO«JLWLPLW«
de sa cause et la perpétuation de la lutte armée.
(QOȇDFFURLVVHPHQWGHVDWWHQWDWVDERXWLW¢ODVFLVVLRQGHOȇ(7$
en deux branches : « l’ETA militaire » (ETA-m) qui privilégia la « lutte
DUP«H}HWmOȇ(7$SROLWLFRPLOLWDLUH} (7$SP TXLDGRSWDODmOXWWHGH
PDVVH}(QORUVGHVD9,,èmeDVVHPEO«HOȇ(7$SPSULYLO«JLDODYRLH
SROLWLTXHFHTXLFRQGXLUDFHWWHEUDQFKH¢LQW«JUHUSOXVWDUGODFRDOLWLRQ
nationaliste de gauche Euskadiko Ezkerra m*DXFKH Gȇ(XVNDGL} ((
'DQV OH PRXYHPHQW LQYHUVH HQ VHV FRPPDQGRV VS«FLDX[ bere-
ziak) rejoignirent l’ETA-m. À rebours de la condamnation de la violence
GX319GªVOȇ(7$PLQWHQVLȴDFHOOHFL¢SDUWLUGHXQHIRLVOD
G«PRFUDWLH U«LQVWDXU«H FH TXL OXL ȴW SHUGUH SURJUHVVLYHPHQW OȇDSSXL
de l’opinion publique15. Le nationalisme radical chercha à disputer au
nationalisme modéré du PNV la légitimité de la continuité de la lutte
KLVWRULTXH GX QDWLRQDOLVPH EDVTXH (QWUH G«PRFUDWHV HW UDGLFDX[ OD
rupture fut consommée à Saint-Sébastien le 8 septembre 1977 : lors
GȇXQH PDQLIHVWDWLRQ XQLWDLUH SRXU OȇDPQLVWLH J«Q«UDOH GHV MHXQHV
proches d’ETA-m s’en prirent au député José Antonio Maturana du PSE-
362(G«WUXLVLUHQWGHVSDQQHDX[HWFULªUHQWGHVVORJDQVWHOVTXHm(7$
le peuple est avec toi » ou « Dehors les espagnolistes » (« Espainolistak
kanpora} UHG«ȴQLVVDQWODOLJQHGHIUDFWXUHLG«RORJLTXHTXLSU«YDODLW
MXVTXȇDORUVHQWUHSDUWLVDQVGHODGLFWDWXUHHWG«PRFUDWHVDXSURȴWGȇXQH
GLYLVLRQ SROLWLTXH HQWUH (VSDJQROV HW %DVTXHV HW SDUPL FHV GHUQLHUV
entre patriotes et traîtres16).
La transition illustra le rejet par le nationalisme basque radical de la
démocratie représentative : il boycotta les élections législatives et auto-
QRPLTXHVHWQLDWRXWHO«JLWLPLW«¢OȇWDWHVSDJQROHWDXVWDWXWGȇDXWRQR-
mie de 1979 qui créa la communauté autonome du Pays basque espa-
gnol et la dota d’un parlement. Suite à la mort de Franco en 1975 et à
ODUHVWDXUDWLRQGHODPRQDUFKLHOHQDWLRQDOLVPHPRG«U«GX319GHYLQW
majoritaire dans les urnes dès 1977. Il dut faire face aux pressions
FHQWULIXJHV FURLVVDQWHV GHV UDGLFDX[ WDQW SDU OD OXWWH DUP«H GH Oȇ(7$
TXH GDQV OD UXH SXLVTXH FH FRXUDQW PLQRULWDLUH GH OD VRFL«W« EDVTXH
opposait la légitimité « populaire » des mouvements sociaux proches
de sa cause à la légitimité électorale exprimée à travers le vote libre des
šSantiago Dƫ PƧƨƲƵ, Documentos para la historia del nacionalismo vasco, Barcelona, Ariel
Practicum, 1998.
šGCK\MCFƫƷƴʜƴƪƫƿSƵƲƪƫƻƯƲƲƧ et Raúl LʭǞƫƿLƵƳƵ op. cit., 2012, p. 226.
164
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
165
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
GHTXDWUHFRORQQHVSDUWDQWGHSRLQWVGLII«UHQWVTXLGHYDLHQWFRQȵXHU
dans la plaine d’Arazuri près de Pampelune. Symbolisant la marche
GXSHXSOHEDVTXHHQPRXYHPHQWOȇ«Y«QHPHQWGXUDWRXWOȇ«W«OHVPDU-
FKHXUV SDUFRXUDQW SOXV GH NLORPªWUHV HQ %LVFD\H ¢ *XLSXVFRD
HQ$ODYDDX3D\VEDVTXHIUDQ©DLVHWHQ1DYDUUHWRXWHQRUJDQLVDQWGH
QRPEUHX[ PHHWLQJV FRQFHUWV HW EDOV SRSXODLUHV GDQV OHV YLOOHV HW OHV
villages traversés21.
La marche devait symboliser le mouvement déterminé du « peuple
HQ PDUFKH} YHUV OD OLEHUW« HQ UXSWXUH DYHF OH SDVV« IUDQTXLVWH HQ
traversant l’ensemble des territoires revendiqués de l’« Euskal Herria}
une terminologie utilisée pour dépasser le cadre de la future commu-
QDXW«DXWRQRPHGX3D\VEDVTXHHVSDJQRO Oȇ(XVNDGL HWLQFOXUHOȇIpar-
raldeOHm3D\V%DVTXHQRUG}U«XQLVVDQWOHVWURLVmSD\V}IUDQ©DLVGX
/DERXUGGHOD%DVVH1DYDUUHHWGHOD6RXOHDLQVLTXHOD1DYDUUH.HSD
$XOHVWLDPLOLWDQWGȇ(7$SPSXLVVHFU«WDLUHJ«Q«UDOGȇEuskadiko Ezkerra
GH ¢ FRQVLG«UD GȇDLOOHXUV TXH OD SDUWLFLSDWLRQ ¢ OD PDUFKH
constituait à certains égards une « profession de foi abertzale »22. Des
anciens prisonniers de l’ETA condamnés par le conseil de guerre de
%XUJRVSXLVUHPLVHQOLEHUW«HWH[SXOV«VSDUOHJRXYHUQHPHQWGȇ$GROIR
6X£UH]HQPDLWHOV0DULR2QDLQGLDHW(GXDUGR8ULDUWH Teo SUR-
ȴWªUHQWGHODPDUFKHSRXUUHWRXUQHUHQ(VSDJQHGDQVODFODQGHVWLQLW«
et furent accueillis en héros à Durango en juillet 197723. La plupart
d’entre eux intégrèrent pourtant EIA en 1976 puis EE en 1977 (tel le
V«QDWHXU-XDQ0DUL%DQGU«V ¢VDYRLUODEUDQFKHmSROLWLFRPLOLWDLUH}
qui chercha à s’émanciper de l’ETA-m à partir de 1974 en se présentant
aux élections et en s’insérant au sein du jeu démocratique. Lors de l’acte
ȴQDO GH OD PDUFKH OH DR½W OȇDSSDULWLRQ GH 7HOHVIRUR 0RQ]µQ
GLULJHDQW LQG«SHQGDQWLVWH SRªWH HW GUDPDWXUJH EDVTXH H[LO« ¢ 6DLQW
-HDQGH/X]GXUDQWODGLFWDWXUHIXWPLQXWLHXVHPHQWPLVHHQVFªQHDX[
côtés des principaux dirigeants nationalistes radicaux24.
166
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
167
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
$LQVL ORUV GH OD VRUWLH GH SULVRQ GX GHUQLHU PLOLWDQW GH Oȇ(7$
Francisco Aldanondo (Ondarru OH G«FHPEUH ¢ 6DLQW6«EDVWLHQ
šJosé Luis UƴƿƺƫƹƧ, « EWUMCFKš COPKUVȐC [ XWGNVC C GORG\CTz FCPU Santos JƺƲƯƧ, Javier
PƷƧƪƫƷƧ et Joaquín PƷƯƫƹƵ FKT Memoria de la transición, Madrid, TCWTWUR
šPaloma AƭƺƯƲƧƷ, « LC COPGUKC [ NC OGOQTKCš NCU OQXKNK\CEKQPGU RQT NC COPKUVȐC GP NC
Transición a la democracia », dans Rafael CƷƺƿ et Manuel PʤƷƫƿ LƫƪƫƸƳƧ FKT Cultura y
movilización en la España Contemporánea, Madrid, Alianza EFKVQTKCN R Plus
globalement, sur la thématique de la mémoire en Espagne, voir l’œuvre magistrale de la même
auteure, Políticas de la memoria y memorias de la política. El caso español en perspectiva compa-
rada, Madrid, Alianza Editorial, 2008.
šEmprisonné en 1994 après son arrestation à Bayonne, Kepa PKMCDGC FGXKPV WP FKUUKFGPV
de l’ETA après l’assassinat de Miguel Àngel Blanco. Il fit son autocritique, considérant que
« la stratégie militaire a été inhumaine » et choisit la « voie Nanclares », suivant laquelle il
condamna le terrorisme, cf. Monica CƫƨƫƷƯƵBƫƲƧƿƧ, « DQUEQPFGPCFQUūCNHKPCNFGNVȚPGNŬzEl
País, 24 octobre 2011. Voir aussi, « De ídolo de ETA a traidor », El Mundo, 27 mars 2014.
168
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
169
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
170
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
3KRWR 0DQLIHVWDWLRQ GX 3&((3. FRQWUH OD YLROHQFH 3RUWXJDOHWH MXLQ
1978
Herri BatasunaOHSDUWLIRUP«HQSDUOHVQDWLRQDOLVWHVUDGLFDX[
et les Gestoras Pro Amnistía LQWHUSU«WªUHQW FHWWH FRQYRFDWLRQ FRPPH
un affront à l’ETA et organisèrent une contre-manifestation le même
jour dans le centre historique de Bilbao sous le slogan « Pour les guda-
ris d’hier et d’aujourd’hui »38. Ce slogan fut ensuite constamment repris
SDUOHVUDGLFDX[MXVTXȇHQORUVGHOHXUVPHHWLQJVHWGHVSULQFLSDOHV
fêtes du calendrier historique du nationalisme basque ; les radicaux
«WDEOLUHQW DLQVL ¢ OHXU SURȴW XQ SDUDOOªOH HQWUH OHV VROGDWV GX 319 HW GH
Oȇ$19TXLFRPEDWWLUHQWHQORUVGHODJXHUUHFLYLOHHWOHVmPDUW\UV}
GHOȇ(7$HQSU«VHQWDQWFHVGHUQLHUVFRPPHOHVFRQWLQXDWHXUVGHODmOXWWH
V«FXODLUH} GHV %DVTXHV FRQWUH mOȇRSSUHVVLRQ GH OȇWDW HVSDJQRO} /D
171
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
172
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
173
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
0DLVOHVQRPEUHXVHVPDQLIHVWDWLRQVGHUXHUHȵ«WDLHQWSOXVOHVSU«I«-
UHQFHVSROLWLTXHVGȇXQJURXSHRUJDQLV«TXHFHOOHVGXmSHXSOH}EDVTXH
au nom duquel les nationalistes radicaux disaient pourtant parler et
qu’ils prétendaient incarner. Ils exercèrent en fait un chantage sur
OHV LQVWLWXWLRQV G«PRFUDWLTXHV HQ XWLOLVDQW OD YLROHQFH SRXU REOLJHU OHV
gouvernements basque et espagnol à accepter leurs conditions. Cette
posture antisystème discréditant le système politique fut bien illustrée
par la création de l’« Assemblée nationale du peuple basque » (Euskal
Herriko Biltzarre Nazionala HQ XQH DVVHPEO«H SDUDOOªOH TXL UDV-
VHPEODLW HQ IDLW XQLTXHPHQW OHV PHPEUHV Gȇ+% TXHOTXHV FRQVHLOOHUV
municipaux d’extrême gauche et des indépendants nationalistes. Pour
OHV QDWLRQDOLVWHV UDGLFDX[ OD WUDQVLWLRQ QȇDYDLW ULHQ FKDQJ« FDU OHXUV
REMHFWLIV ȃ mOȇDPQLVWLH WRWDOH} OȇDXWRG«WHUPLQDWLRQ HW OȇH[SXOVLRQ GHV
forces de police et de l’armée — n’avaient pas été atteints. La tentative
GHFRXSGȇWDWUDW«HGXI«YULHUFRQȴUPDDX[\HX[GHFHVHFWHXU
social « l’autoritarisme » latent du nouveau régime. Au début des années
OHV SHUVRQQHV V«TXHVWU«HV SDU Oȇ(7$ IXUHQW DLQVL PDLQWHQXHV HQ
FDSWLYLW«DXQRPGHODOXWWHSRXUODmOLEHUW«}GXSHXSOHEDVTXHGDQVFH
que l’organisation appelait des « prisons du peuple ». Les sigles de l’ETA
et des slogans défendant le groupe armé étaient très clairement mis en
avant lors des manifestations de rue. Le monopole de l’espace public
du nationalisme radical était d’autant plus prononcé qu’il n’existait pas
de véritable confrontation avec d’autres groupes. Cette communauté
politique maintenait un quasi-monopole sur l’expression de l’identité
territoriale basque. De nombreuses organisations s’institutionnalisèrent
DXWRXU GX 0/19 TXL UHSULW ¢ VRQ FRPSWH OȇH[SUHVVLRQ GHV SULQFLSDOHV
revendications sociales du Pays basque en créant des organisations sym-
pathisantes ou en faisant de l’entrisme puis en contrôlant de l’intérieur
OHVPRXYHPHQWVVRFLDX[FHTXLIXWSDUWLFXOLªUHPHQWYUDLSRXUOHVPRX-
YHPHQWVRXYULHUVI«PLQLVWHDQWLQXFO«DLUHHWDQWLU«SUHVVLRQ
La monopolisation de l’espace public par le nationalisme radical fut
largement la conséquence des attentats et des assassinats à répétition
TXL LQVWDXUªUHQW XQ FOLPDW GH WHUUHXU FRQGDPQDQW OD VRFL«W« FLYLOH
EDVTXH ¢ XQH mVSLUDOH GX VLOHQFH} HW LQFLWDQW OHV RSSRVDQWV ¢ QH SDV
s’engager en politique de peur des représailles42(QSDUH[HPSOH
selon une étude récente des historiens de l’institut Valentín de Foronda
šLe concept de « spirale du silence » a été proposé par Elisabeth NQGNNGNeumann. Pour une
FKUEWUUKQPFGEGNWKEKFCPUNGEQPVGZVGGURCIPQNEH. Alejandro MƺʫƵƿAƲƵƴƸƵ, « La espiral del
silencio en el País Vasco », Cuenta y RazónPoR
174
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
GH OȇXQLYHUVLW« GX 3D\V EDVTXH ORUVTXH OHV YLFWLPHV «WDLHQW GHV SROL-
FLHUVGHVPDQLIHVWDWLRQVGHUHMHWGHODYLROHQFHIXUHQWRUJDQLV«HVGDQV
VHXOHPHQWGHVDVVDVVLQDWVXQWDX[TXLDWWHLJQLWDXFRQWUDLUH
lorsque les victimes étaient des civils ou des membres de l’ETA assassi-
nés par l’extrême droite438QHFXOWXUHUDGLFDOHVHVROLGLȴDTXLF«O«EUDLW
RX DX PRLQV MXVWLȴDLW HW FRPSUHQDLW OȇDVVDVVLQDW GHV SROLFLHUV HW GHV
PLOLWDLUHV WRXW HQ VDOXDQW OHV UHVSRQVDEOHV FRPPH GHV K«URV RX GHV
martyrs44. Ce contexte d’indifférence à l’égard des victimes de l’ETA et
de démobilisation eut pour conséquence que la réponse au terrorisme
dans la rue fut pratiquement nulle et se nourrit uniquement d’initia-
tives institutionnelles comme des minutes de silence. 82 % des assas-
sinats de l’ETA durant les années 1980 n’engendrèrent en fait aucune
réponse sociale à travers d’éventuelles manifestations de rejet45. À
OȇLQYHUVHOȇHQVHPEOHGHVG«FªVGHPHPEUHVGHOȇ(7$G«ERXFKªUHQWVXU
des répliques politiques sous la forme de grèves et de manifestations.
/HV PHQDFHV HW OHV LQWLPLGDWLRQV SULUHQW DXVVL GȇDXWUHV IRUPHV
notamment à travers l’extorsion et le paiement forcé de « l’impôt
U«YROXWLRQQDLUH} 8QH «WXGH VFLHQWLȴTXH U«FHQWH GX &HQWUH Gȇ«WKLTXH
appliquée de l’université de Deusto estime ainsi qu’environ neuf mille
personnes ont été victimes d’extorsion de 1993 à 2008 et environ quinze
PLOOH GHSXLV OHV DQQ«HV SULQFLSDOHPHQW GHV SHWLWV FRPPHU©DQWV
HWGHVSURIHVVLRQVOLE«UDOHVGDQVOHVYLOOHVHWOHVYLOODJHVR»ODSU«VHQFH
des nationalistes radicaux était la plus forte46. Les entrepreneurs et
les directeurs de grande entreprise pouvaient plus facilement résister
HQ VȇDSSX\DQW VXU GHV «TXLSHV GH V«FXULW« $X FRQWUDLUH OH PDQTXH
GH SURWHFWLRQ GHV FLYLOV HW GHV SHWLWV HQWUHSUHQHXUV YLFWLPHV HXW SRXU
šContextos históricos del terrorismo y consideración social de las víctimas. 1968-2010, rapport
de l’institut Valentín de Foronda, présenté devant la Commission des droits de l’homme du
Parlement basque, Victoria, 26 février 2015.
šSur cette question du processus de radicalisation, cf. Xavier CƷƫƹƹƯƫƿ, « High risk activismš
comprendre le processus de radicalisation violente », Pôle sudPošJeff JƺƸƹƯƩƫ, « Of
IWPU CPF DCNNQVUš AVVKVWFGU VQYCTFU WPEQPXGPVKQPCN CPF FGUVTWEVKXG RQNKVKECN RCTVKEKRCVKQP
among Sinn Fein and Herri Batasuna supporters », Nationalism and Ethnic Politics, n° 11, 2005,
R
45. « El 82 % de los asesinatos de ETA en los 80 no tuvieron respuesta social », El País,
26 février 2015. La comptabilité de Sokoa, arrêté en France en 1986 à Hendaye, prouva que
plus de 7,2 millions d’euros de l’ETA provenaient directement de l’extorsion. À partir de 1993
et face à l’augmentation des arrestations policières, l’extorsion diminua peu à peu, puis reprit
après l’assassinat de l’entrepreneur José María Korta, proche du PNV en août 2000, avant
de décliner à nouveau suite à la détention en France de MKMGN Antza et Soledad Iparraguirre,
qui contrôlaient l’appareil d’extorsion. De 2000 à 2004, on estime que l’extorsion représentait
2 millions d’euros par an.
šLuis AƯƿǞƫƵƲƫƧ, « Los extorsionados por ETA toman la palabra », El País, 1er mars 2015.
175
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
HIIHW TXȇLOV SU«I«UDLHQW VRXYHQW SD\HU OHV GHPDQGHV GH UDQ©RQ P¬PH
si la « collaboration avec le terrorisme » constitue un délit suivant l’ar-
ticle 576 du code pénal espagnol47. Le collectif Gesto Por la Paz m*HVWH
pour la paix ») organisa la première manifestation contre la violence
à l’initiative de la société civile le 26 novembre 1985. La violence avait
DORUVG«M¢IDLWYLFWLPHVGHSXLV/HSURSRVGȇ$QD5RVD*µPH]
0RUDOPHPEUHGHGesto por la PazLOOXVWUHELHQOHVHQWLPHQWTXLSU«-
valait à l’époque :
Nous avons tardé à réagir parce que nous venions d’une dictature et que
GHQRPEUHX[%DVTXHVGHID©RQHUURQ«HQRXVMXVWLȴLRQVODU«EHOOLRQGH
l’ETA contre l’oppression. Nous avons tardé à nous rendre compte que
nous étions désormais en démocratie et que le terrorisme n’avait plus de
MXVWLȴFDWLRQSRVVLEOH48.
šLes seules personnes poursuivies par l’Audience nationale, les sœurs BTWȓQHWTGPVFŨCKNNGWTU
ensuite acquittées par le Tribunal suprême en juin 2012 au motif d’une « peur insoutenable ».
šAna Rosa GʭƳƫƿ MƵƷƧƲ, cité dans Luis AƯƿǞƫƵƲƫƧ, « FKP FGN OQXKOKGPVQ CPVKETA »,
22 février 2015.
49. « HKRGTEQTGNCVGPVCFQOȄUUCNXCLGzLa Vanguardia, 21 juillet 1987.
50. « Barcelona expresó su dolor en silencio », La Vanguardia, 23 juin 1987, p. 24.
šLQTU FG EGU ȌNGEVKQPU NG RCTVK QDVKPV š XQKZ FCPU NŨGPUGODNG FG NŨEspagne, dont
š CW Pays basque et en Navarre, faisant élire sa tête de liste Txema Montero au
Parlement européen.
176
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
ȴW RQ]H PRUWV GRQW FLQT MHXQHV ȴOOHV HW TXDWUHYLQJWKXLW EOHVV«V /H
G«FHPEUHGHX[FHQWFLQTXDQWHPLOOHSHUVRQQHVG«ȴOªUHQWVRXV
OHVORJDQm6DUDJRVVHSRXUODSDL[HWFRQWUHOHWHUURULVPH}GDQVFHTXL
restera la plus grande manifestation de l’histoire de la ville52. Lorsque
OȇWDWIXWFRQGDPQ«HQSDUOȇ$XGLHQFHQDWLRQDOHSRXUmQ«JOLJHQFH
SROLFLªUH} SRXU QH SDV DYRLU HPS¬FK« OȇHQWU«H GHV FOLHQWV HW G«FLG«
l’évacuation du magasin suite à trois appels téléphoniques anonymes
SU«YHQDQW GH OȇDWWHQWDW OHV UDGLFDX[ \ YLUHQW OD FRQȴUPDWLRQ GH OHXUV
DUJXPHQWVHWODSUHXYHGHmODUHVSRQVDELOLW«GHOȇWDWHVSDJQROGDQVOD
violence53 ».
52. « Zaragoza condena el terrorismo y clama por la paz, en la mayor manifestación de toda su
historia », La Vanguardia, 14 décembre 1987, p. 5.
šAnna AƷƭƫƳƯ, « El Estado, condenado por negligencia policial en el atentado de Hipercor »,
El País, 21 mai 1994.
šJosé Luis DƫLƧGƷƧƴưƧ, El siglo de Euskadi. El nacionalismo vasco en la España del siglo XX,
Madrid, TGEPQUR
55. « LCOCPKHGUVCEKȕPOȄUEQPEWTTKFCGPGNPaís Vasco », El País, 19 mars 1989.
177
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šOPQDUGTXGWPkRKEzNQTUFGUCPPȌGURWKUWPFȌENKPCWFȌDWVFGUCPPȌGU
Pour les élections autonomiques, Herri Batasuna QDVKPV š XQKZ GP RWKU
š XQKZ GP GV š GP Lors des élections municipales,
NGRCTVKȌXQNWCFGšXQKZGP EQPUGKNNGTUOWPKEKRCWZ ȃšGP
EQPUGKNNGTU RWKUšGP GVšGP SQWTEGUšMinistère de l’inté
rieur et Gouvernement du Pays basque.
šMaría Jesús FƺƴƫƸRƯƻƧƸ, La salida del silencio. Movilizaciones por la paz en Euskadi 1986-
1998, Madrid, AMCN
58. « UPC GUVTCVGIKC FG RTGUKȕP FKUGȓCFC C TCȐ\ FG NC RQPGPEKC ūOldartzen” del 94 », El Diario
Vasco, 8 juillet 2007.
šHanspeter VƧƴ DƫƷ BƷƵƫƱ, « Borroka. The legitimation of street violence in the political
discourse of radical basque nationalists », Terrorism and Political Violence, vol. 16, n° 2, 2004,
R
178
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
179
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
$X G«EXW GHV DQQ«HV OD U«SUHVVLRQ VȇLQWHQVLȴD FRQWUH OHV
groupes politiques et sociaux accusés de servir de « couverture » à
l’ETA : les partis Herri Batasuna puis Batasuna et Euskal Herritarrok
les Gestoras Pro Amnistía et les organisations de jeunesse Segi et Ekin
furent successivement interdits. De nombreuses « herriko tabernas}
ces bars qui rassemblaient les nationalistes radicaux dans le quar-
WLHUKLVWRULTXHGH%LOEDRHWDLOOHXUVDX3D\VEDVTXHHWGRQWOHVPXUV
étaient souvent recouverts de portraits des « martyrs » de l’ETA et des
SULVRQQLHUV GH OȇRUJDQLVDWLRQ IXUHQW IHUP«V /HV PDUFKHV GHV UDGL-
caux furent de plus en plus souvent interdites et les condamnations
pour « apologie du terrorisme » se multiplièrent. La mobilisation des
mouvements sociaux antiviolence diminua entre 2003 et 2011 paral-
lèlement à la réduction drastique des victimes de l’ETA (douze depuis
ODGHUQLªUHHQ /ȇHQVHPEOHGHFHV«YROXWLRQVLOOXVWUªUHQWOD
IDWLJXHGHOȇRSLQLRQSXEOLTXHEDVTXHHWVRQG«VLUGHȴQGHODYLROHQFH
HW GH SDFLȴFDWLRQ 3HX ¢ SHX DX VHLQ GH OD FRPPXQDXW« QDWLRQDOLVWH
UDGLFDOH FHUWDLQV DFWHXUV FRPPHQFªUHQW ¢ SUHQGUH FRQVFLHQFH TXH
OD ȴQ GH OD YLROHQFH Qȇ«WDLW SDV Q«JRFLDEOH FRQWUH GHV FRQWUHSDUWLHV
SROLWLTXHV HW GHYDLW ¬WUH G«FLG«H XQLODW«UDOHPHQW SDU OȇRUJDQLVDWLRQ
armée.
'DQVODYHLQHGXFHVVH]OHIHXGHOHFKDQJHPHQWHWODSDFLȴ-
FDWLRQ VRQW DXMRXUGȇKXL WUªV QHWWHPHQW SHUFHSWLEOHV DX 3D\V EDVTXH
notamment à travers l’autodissolution des mouvements sociaux anti-
ETA. Lokarri OH GHUQLHU PRXYHPHQW VRFLDO HQ DFWLYLW« FU«« HQ
dans la continuité de Elkarri Q« HQ DYHF OȇREMHFWLI GH PHWWUH ȴQ
DX WHUURULVPH VȇHVW DLQVL GLVVRXV HQ PDUV 6RQ FRRUGLQDWHXU
3DXO 5¯RV MXVWLȴD HQ HIIHW FHWWH G«FLVLRQ SDU OH IDLW TXH mOD ȴQ GH OD
violence est désormais irréversible »62. Lokarri a servi de mouve-
ment social médiateur dans le processus de légalisation de la gauche
abertzaleHQI«YULHUGHP¬PHTXHORUVGHODG«FODUDWLRQGȇ$LHWH
GȇRFWREUH TXL PLW ȴQ ¢ OD OXWWH DUP«H $YDQW OXL HQ MXLQ
ce fut Gesto por la Paz TXL DQQRQ©D VD GLVVROXWLRQ DSUªV cBasta Ya
HQ GRQW OHV SULQFLSDX[ UHVSRQVDEOHV VH VRQW GHSXLV HQJDJ«V HQ
SROLWLTXH QRWDPPHQW DX VHLQ GX SDUWL 8QLRQ SURJUªV HW G«PRFUDWLH
83\' &HUWDLQHVTXHVWLRQVUHVWHQWFHSHQGDQWHQVXVSHQVQRWDPPHQW
OHG«VDUPHPHQWODU«LQW«JUDWLRQVRFLDOHGHVSULVRQQLHUVHWODFRH[LV-
WHQFHSDFLȴTXH
180
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
INSTITUTIONNALISATION ET « TRANSITION
DÉMOCRATIQUE » DU NATIONALISME
BASQUE RADICAL (DEPUIS 2011)
'HSXLV OH mFHVVH]OHIHX G«ȴQLWLI GH OȇDFWLYLW« DUP«H} GH Oȇ(7$ OH
RFWREUHLOHVWGRQFSRVVLEOHGHGLUHTXHOȇRQDVVLVWH¢ODmWUDQ-
VLWLRQ G«PRFUDWLTXH} GX QDWLRQDOLVPH EDVTXH UDGLFDO FDUDFW«ULV«H
par un rejet formel de la violence et un début d’autocritique sur les
dérives des années de lutte armée633HQGDQWOHVDQQ«HVOHQDWLR-
QDOLVPHUDGLFDOO«JLWLPDLWRXYHUWHPHQWODYLROHQFHSXLVLOVȇHPSOR\D¢
formuler de nombreux euphémismes pour ne pas la condamner durant
les années 1990. Ses partisans présentèrent ses postulats comme non-
Q«JRFLDEOHV ȃ OȇDXWRG«WHUPLQDWLRQ OȇDSSDUWHQDQFH GX 3D\V EDVTXH
IUDQ©DLVGHOD1DYDUUHHWGHOȇ(XVNDGL¢ODP¬PHQDWLRQOHUHWUDLWGHV
IRUFHV GH SROLFH HW GH OȇDUP«H GX 3D\V EDVTXH ȃ OHXU SHUPHWWDQW GH
MXVWLȴHU GHYDQW OD QRQU«DOLVDWLRQ GH FHV FRQGLWLRQV OȇH[HUFLFH GȇXQH
violence présentée comme « défensive » contre une autre violence
MXJ«H DQW«ULHXUH GH mOȇWDW HVSDJQRO} FRQWUH OH mSHXSOH} EDVTXH /D
63. « ETA anuncia el cese definitivo de su actividad armada », Gara, 20 octobre 2011.
181
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
8QHUXSWXUHDYHFOHSDVV«ȴQGHODYLROHQFH
UHQRXYHDXGHOȇLQG«SHQGDQWLVPHHWSDFLȴFDWLRQ
(Q RFWREUH SOXVLHXUV DQFLHQV UHVSRQVDEOHV GH Batasuna
dont son ex-dirigeant Arnaldo Otegi en prison depuis 2009 pour une
FROODERUDWLRQ SU«VXP«H DYHF Oȇ(7$ RQW LQFLW« OȇRUJDQLVDWLRQ DUP«H ¢
proclamer un cessez-le-feu unilatéral et inconditionnel de la violence
sans exiger de conditions préalables au gouvernement espagnol. La
gauche abertzale a donc accueilli comme une « évolution sans précé-
GHQW}HW¢ODSRUW«HmKLVWRULTXH}OHFRPPXQLTX«SRVW«ULHXUGHOȇ(7$
d’octobre 201165. Le nationalisme radical a parallèlement effectué un
retour important sur la scène électorale : avec vingt et un représentants
VXUVRL[DQWHTXLQ]H VXLWH¢OȇREWHQWLRQGHGHVYRL[ Euskal Herria
Bildu m5«XQLUOȇ(XVNDO+HUULD}EH Bildu TXLLQWªJUHOHVSDUWLVSortu
(XVNR $ONDUWDVXQD $UDODU HW $OWHUQDWLED FRQVWLWXH G«VRUPDLV OD GHX-
xième formation politique derrière le PNV (vingt-sept représentants)
au Parlement du Pays basque depuis 2012. Bildu compte aussi onze
182
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
šLors des élections européennes de 2014, la coalition a aussi envoyé un représentant, Josu
Juaristi, au Parlement de Strasbourg.
šNotons que ce résultat lui permet d’être loin devant le PSEEEPSOE CXGE GV
š XQKZ GV SWŨWPG CWVTG HQTOCVKQP KPFȌRGPFCPVKUVG ATCNCT C CWUUK QDVGPW CXGE
š XQKZ Cf. « Elecciones municipales 2011 en EWUMCFKz Archives des résultats électo
raux, GQWXGTPGOGPVDCUSWGFȌRCTVGOGPVFGNCUȌEWTKVȌ=JVVRYYYGWUMCFKPGV?EQPUWNVȌNG
12 mars 2015.
šIbid.
šMKMGNOƷƳƧƿƧƨƧƲ, « Sortu aguarda su refundación », El País, 22 février 2014.
70. « EH Bildu muestra al PNV su voluntad de acuerdos sobre el derecho a decidir », El País,
4 janvier 2015.
183
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
71. « EH Bildu pide a los vascos que se pongan en pie como en CCVCNWȓCzEl País, 21 février
2015.
72. « EH Bildu propone un proceso en tres fases hasta una Constitución vasca », El País,
24 janvier 2015.
73. « ATTCK\CRGNCCNCūTWRVWTCFGOQETȄVKECŬEQPEURCȓCzEl País, 25 septembre 2014.
šJavier DƵƷƯƧ, « Sortu llama a una alianza soberanista en su constitución », El Mundo,
24 février 2013.
184
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
6XUOHSODQRUJDQLVDWLRQQHOOHQDWLRQDOLVPHEDVTXHUDGLFDODPDLQ-
tenu la tradition de la création d’une multiplicité de groupes politiques
s’organisant en cercles concentriques autour d’un noyau central. Cela
SHUPHWGHPXOWLSOLHUOHVDFWHXUVHWOHVQLYHDX[GHGLVFRXUVWRXWHQG«YH-
loppant son impact social : AmairurHVWSU«VHQWDX&RQJUªVGHVG«SXW«V
EH Bildu DX VHLQ GHV LQVWLWXWLRQV EDVTXHV HW Sortu G«ȴQLW OD VWUDW«JLH
d’ensemble. L’utilisation de plusieurs organisations offre la possibilité à
SortuGȇDGRSWHUXQHSRVWXUHPRLQVUDGLFDOHHWSOXVVXUSORPEDQWHWRXW
en laissant à des organisations proches le soin de prendre des postures
plus critiques et anticonventionnelles. Mais la démocratisation interne
du parti qui dit opter pour la « démocratie participative » demeure
OLPLW«H&HUWHVSOXVGHVL[PLOOHSHUVRQQHVRQWSDUWLFLS«¢VRQFRQJUªV
FRQVWLWXDQW PDLV VHXOHV FHUWDLQHV FDQGLGDWXUHV IXUHQW RXYHUWHV DX
SOXUDOLVPHOHVPLOLWDQWVGHYDQWUDWLȴHUOHVFDQGLGDWVXQLTXHVSURSRV«V
SRXU OD GLUHFWLRQ +DVLHU $UUDL] IXW QRPP« SU«VLGHQW ,GRLD $LDVWXL
UHVSRQVDEOHGHOȇRUJDQLVDWLRQLQWHUQH-XDQ-R[H3HWULNRUHQDGHODFRP-
PXQLFDWLRQ0DULVD$OHMDQGURGHVȴQDQFHV0DLWH8ELULDGHVUHODWLRQV
internationales et Arnaldo Otegi fut nommé secrétaire général malgré
son incarcération suite à l’affaire Bateragune75.
/H UHVSRQVDEOH GH OD mOXWWH LG«RORJLTXH} ,RVX /L]DUUDOGH IXW GH
P¬PHLPSRV«GȇHQKDXW&RPPHSRXUOHFRQVHLOQDWLRQDOOHVPLOLWDQWV
SXUHQWXQLTXHPHQWUDWLȴHUHQEORFOHVFRRUGLQDWHXUVWHUULWRULDX[SUR-
SRV«VSDUODGLUHFWLRQ0DULEL8JDUWHEXUXHQ%LVFD\H7[XV0DUWLQH]HQ
$ODYD-R[HDQ$JLUUHHQ*XLSXVFRD-XDQ.UX]$OGDVRURHQ1DYDUUHHW
Jean-François Lefort pour le Pays basque français. Les bases militantes
SXUHQW HQ IDLW VHXOHPHQW FKRLVLU WURLV SRUWHSDUROH $PDLD ,]NR ;DEL
/DUUDOGHHW3HUQDQGR%DUUHQD VXUFLQTSURSRV«VGHP¬PHTXȇXQUHV-
SRQVDEOHGHODmOXWWHGHPDVVH}HQRSWDQWSRXU0DULMH)XOODRQGRHW
XQUHVSRQVDEOHGHODmOXWWHLQVWLWXWLRQQHOOH} -RVHED3HUPDFK SDUPL
WURLVFDQGLGDWV¢FKDTXHIRLV3RXUODmU«VROXWLRQGXFRQȵLW}LOVFKRL-
VLUHQW5Xȴ(W[HEHUULD DQFLHQPHPEUHGHOȇ(7$PMXVTXȇHQSXLV
GH+%(+SXLVBatasuna SDUPLWURLVFDQGLGDWXUHVGHP¬PHTXHFLQT
personnes sur dix proposées par le conseil national pour les représen-
ter à l’international. Suite à un sondage récent annonçant Podemos
devant la gauche abertzale +DVLHU $UUDL] SODLGD SRXU XQH U«RUJD-
nisation au-delà de la coalition de partis et une « nouvelle culture
de participation » qui devrait permettre aux militants de « décider
75. « SQTVW FGLCTȄ XCECPVG NC UGETGVCTKC IGPGTCN OKGPVTCU Arnaldo Otegi siga en prisión », El
País, 14 février 2013.
185
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
eux-mêmes »76 (Q SOXV GH VD IUDJPHQWDWLRQ IRUFH HVW WRXWHIRLV GH
constater que le nationalisme basque radical demeure structuré en
LQWHUQH SDU XQH FHUWDLQH YHUWLFDOH GX SRXYRLU HW SDU XQH FXOWXUH GX
FRQȵLWGDQVVDVWUDW«JLHGHFRPS«WLWLRQ
šSelon l’EWUMQDCTȕOGVTQ FG PQXGODTG ȃ NC SWGUVKQP kUK FGU ȌNGEVKQPU CXCKGPV NKGW
RTQEJCKPGOGPVRQWTSWKXQVGTKG\XQWUš!zFGUGPSWȍVȌUFGNCEQOOWPCWVȌCWVQPQOG
d’EWUMCFK FȌENCTȋTGPV QRVGT RQWT NG PNV, 25,6 % pour Podemos et seulement 19,7 % pour
EH Bildu. Cf. « Estimación de voto en el País Vasco », Encuesta electoral Euskobarómetro,
novembre 2014.
77. « Los presos de ETA apoyan el acuerdo de GGTPKMCSWGCUWOGGNHKPFGNCXKQNGPEKCzEl País,
24 septembre 2011.
78. « Los presos disidentes de ETA urgen a abordar la reparación de las víctimas », El País,
23 septembre 2011.
186
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
187
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
%RUMD 6«PSHU OH SRUWHSDUROH GX 33 DX 3D\V EDVTXH /H G«FHPEUH
ORUV GȇXQ KRPPDJH DX[ GLULJHDQWV GH Herri Batasuna assassinés
SDU OHV *$/ 6DQWLDJR %URXDUG HQ HW -RVX 0XJXUX]D HQ
LO G«FODUD TXH mOD VHXOH YLROHQFH HVW FHOOH GH OȇWDW WHUURULVWH GH OD
*DUGH FLYLOH HW GHV FRUSV U«SUHVVLIV} UHYHQGLTXDQW OD WUDMHFWRLUH GX
parti malgré sa dépendance passée à l’égard de l’organisation armée83.
Convoqué par le Tribunal suprême de justice du Pays basque pour un
délit présumé d’apologie du terrorisme et d’humiliation des victimes
VXLWH ¢ XQH SODLQWH GH OȇDVVRFLDWLRQ 'LJQLW« HW -XVWLFH LO G«FODUD DYRLU
défendu la stratégie de la gauche abertzale des trente-cinq dernières
DQQ«HV YLVDQW ¢ mURPSUH DYHF Oȇ(VSDJQH} HW QRQ OD mOXWWH DUP«H GH
Oȇ(7$} DYDQW Gȇ¬WUH ȴQDOHPHQW DFTXLWW«84 3RXU OXL VD FRQYRFDWLRQ
illustrerait le « manque de liberté d’expression des militants indépen-
dantistes » et leur répression. L’utilisation politique par Sortu de la
manifestation conjointe avec le PNV en faveur des droits de l’homme
HQTXLVHWHUPLQDSDUGHVFULVHQIDYHXUGHOȇ(7$FRQVWLWXHXQH
autre illustration du chemin qui reste à parcourir. Même si les statuts de
Sortu FRQGDPQHQW OD YLROHQFH OHV GLVFRXUV GHV QDWLRQDOLVWHV UDGLFDX[
GHPHXUHQWSDUIRLVDPELJXVHWODFRQGDPQDWLRQH[SOLFLWHGHVDQQ«HVGH
lutte armée de l’ETA demeure encore un tabou pour ce secteur social.
83. « El presidente de Sortu pide a la Guardia Civil que se vaya de EWUMCFKzEl País, 14 janvier
2015.
84. « Arraiz declara que defendió romper con el EUVCFQ[PQNCūNWEJCCTOCFCŬFGETA », El País,
2 avril 2014.
188
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
***
3RXU FRQFOXUH OH QDWLRQDOLVPH EDVTXH UDGLFDO HVW DXMRXUGȇKXL ¢
XQWRXUQDQWFHTXLGRQQHOLHX¢GHQRPEUHXVHVGLYLVLRQVHQVRQVHLQ
'ȇXQHSDUWLOFRQGDPQHGHSOXVHQSOXVODOXWWHDUP«HSDVV«HHWP¬PH
la « kale borroka} FHUWDLQV GLULJHDQWV D\DQW FRQGDPQ« GHV «SLVRGHV
récents de violence de rue. Le dirigeant de Sortu -RVHED 3HUPDFK D
ainsi déclaré son « rejet le plus absolu » de l’attaque contre le quar-
WLHU J«Q«UDO GX 33 ¢ %DUDNDOGR HQ QRYHPEUH DSSHODQW VHV V\P-
pathisants à défendre les droits des prisonniers de l’ETA « avec des
P«WKRGHVSDFLȴTXHV85 ». Des dirigeants de Bildu ont de même participé
à l’hommage rendu aux parlementaires socialistes Fernando Buesa et
(QULTXH&DVDVHQW«PRLJQDQWGXG«EXWGȇXQHUHFRQQDLVVDQFHGHV
souffrances engendrées par la lutte armée. Le choix d’une ligne dure
d’opposition au gouvernement régional dirigé par Urkullu n’est pas par-
WDJ«SDUWRXVFRPPHOȇDWWHVWHSDUH[HPSOHODG«PLVVLRQGHODSDUOHPHQ-
taire d’EH Bildu/DXUD0LQWHJLHQVHSWHPEUHHWVRQUHPSODFHPHQW
SDU,NHU&DVDQRYDG«WHQXHQHWFRQGDPQ«HQSDUOȇ$XGLHQFH
nationale comme responsable du mouvement de jeunesse Ekin86.
'ȇDXWUHSDUWOȇDXWRFULWLTXHTXDQW¢OȇXVDJHGXWHUURULVPHGHPHXUH
HQFRUHODUJHPHQWWDERXHFRPPHHQDWWHVWHODYRORQW«GHPHWWUHmOȇHQ-
VHPEOH GHV YLFWLPHV} DIIHFW«HV SDU OH WHUURULVPH VXU OH P¬PH SODQ
sous-entendant que les membres de l’ETA tués par les forces de l’ordre
GRLYHQWWRXWDXWDQW¬WUHUHP«PRU«VTXHOHVYLFWLPHVFLYLOHVSROLFLªUHV
et militaires de l’organisation87 $LQVL SDU H[HPSOH Bildu refusa de
85. « Ataque con artefactos incendiarios contra la sede del PP de BCTCMCNFQz ABC,
25 novembre 2013.
86.. « Mintegi se va ajena a la oposición dura de Bildu y a su papel diluido », El País, 25 juillet
2014.
šAu contraire, pour la droite conservatrice, comme en relève le maire de Vitoria Javier Maroto
PP), « seules les victimes de l’ETA méritent une reconnaissance spécifique », considérant qu’il
n’y a pas eu de « guerre » entre deux parties au Pays basque, mais plutôt une violence unilaté
rale de l’ETA. Cf. « MCTQVQTGRTQEJCCNIQDKGTPGSWGūOG\ENGŬCVQFCUNCUXȐEVKOCUzEl Mundo,
9 février 2015. Ce positionnement est défendu avec ardeur par le PP et les associations de
victimes du terrorisme. La position la plus partagée au sein de la société basque est cependant
de reconnaître qu’il y a eu des victimes des deux côtés, tout en considérant toutefois que les
victimes de l’ETA ont été beaucoup plus nombreuses que celles du « terrorisme d’État » des
GAL. Pour la plupart des Basques, le « conflit » avec l’État espagnol évoqué par les nationa
listes radicaux n’a existé que jusqu’à la fin du franquisme. Le choix du maintien de l’utilisation
de la violence par l’ETA malgré l’instauration du cadre démocratique définitivement ancré
après 1982, relevant plutôt d’une violence unilatérale. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle
parvinrent les historiens Raúl López Romo, Luis Castells, Antonio Ribera et José Antonio Pérez
dans un rapport sur la « mémoire historique au PC[UDCUSWGzTGPFWTȌEGOOGPV
au gouvernement de VKVQTKCGasteiz. PQWTWPEQORVGTGPFWFWTCRRQTVEH. Luis AƯƿǞƫƵƲƫƧ, « No
hubo conflicto vasco, sino totalitarismo de ETA », El País, 11 mars 2015.
189
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
88. « LC K\SWKGTFC ūCDGTV\CNGŬ TGEJC\C NC ūMCNG DQTTQMCŬ RGTQ GXKVC TGEQTFCT C NCU XȐEVKOCUz
El País, 29 novembre 2013. Les GAL correspondent aux groupes antiterroristes de libération,
groupes d’extrême droite qui assassinèrent des membres de l’ETA lors des années de plomb.
190
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
7
Le mouvement des indignés :
la création du 15-M et sa postérité
Sylvie KOLLER
(Q PDL OȇDVVHPEO«H GH 0DGULG GH FH TXL HVW G«VRUPDLV
dénommé le 15-M a célébré le troisième anniversaire de la création
du mouvement des indignés1. Les formes mêmes de cet anniversaire
VȇLQVFULYHQW GDQV OD FRQWLQXLW« GH Oȇ«ODQ SUHPLHU PDLV Oȇ«Y«QHPHQW
n’a pas fédéré plus de quelques centaines de personnes et a eu peu de
U«SHUFXVVLRQVP«GLDWLTXHVP¬PHGDQVODSUHVVHV\PSDWKLVDQWH(VWFH
¢GLUHTXHOȇHVVRXɛHPHQWGXPRXYHPHQWDQQRQF«GªVMXLOOHWVH
FRQȴUPH" /D U«SRQVH DSSHOOH GHV QXDQFHV &HUWHV OHV PRELOLVDWLRQV
GH PDVVH FRQYRTX«HV GLUHFWHPHQW SDU OHV GLII«UHQWHV UDPLȴFDWLRQV
visibles du 15-M (Democracia Real YaJuventud sin FuturoAssemblée de
MadridDVVHPEO«HVORFDOHV QHVHVRQWSDVUHSURGXLWHVDSUªVODJUDQGH
manifestation unitaire du 15 octobre 2011. Mais si le mouvement des
LQGLJQ«V QH VH S«UHQQLVH SDV GDQV VD IRUPH LQLWLDOH VHV QRPEUHXVHV
mutations en gardent l’empreinte originelle. Certains répertoires d’ac-
tion et formes d’organisation demeurèrent bien présents lors du troi-
sième anniversaire : tenue d’une assemblée ouverte sur la Puerta del
6RO WUDYDLO «FKHORQQ« VXU SOXVLHXUV MRXUQ«HV DX VHLQ GȇDWHOLHUV HW GH
FRPPLVVLRQV WK«PDWLTXHV GDQV XQ HVSDFH SXEOLF UHSU«VHQWDWLI GH OD
šLGUKINGMTGPXQKGȃNCFCVGFWOCKEŨGUVȃFKTGȃWPGOCPKHGUVCVKQPQTICPKUȌGȃ
Madrid contre l’ordre économique et politique. Refusant de se disperser, quelques participants
à la manifestation passèrent la nuit sur la Puerta del Sol, marquant le début symbolique de
l’occupation de la place. Cette date inaugurale est le coup d’envoi du mouvement social des
Indignés. Il est habituel en Espagne de cristalliser les dates pour évoquer des événements
marquants.
191
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
2. « Especial APKXGTUCTKQM », Madrid 15-M, periódico de Asambleas de Madrid, nº 25, mai 2014.
192
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
193
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
194
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
PDLXQSDVPDMHXUIXWIUDQFKLYHUVXQHWUDQVIRUPDWLRQGHOȇLQGL-
gnation sociale en un nouveau capital politique.
5HYHQLU¢SU«VHQWVXUODID©RQGRQWHVWQ«OHPRXYHPHQWGXPDL
VXUVHVDFWHXUVVXUOHVIRUPHVTXȇLODDGRSW«HVHWVXUVHVSURSRVLWLRQV
SHUPHW GH FRPSUHQGUH OȇLQȵXHQFH TXȇLO D H[HUF«H HQ WDQW TXH YHFWHXU
d’insurrection morale. Peu susceptible de se perpétuer dans son état ini-
WLDOFHWWHLQGLJQDWLRQDFRQQXGHVPXWDWLRQVWRXWSDUWLFXOLªUHPHQWHQ
évoluant vers des formes d’indignation plus sélectives et spécialisées.
Elle a servi de carburant à des acteurs sociaux différenciés qui se sont
mobilisés pour défendre leurs objectifs propres. Elle a aussi changé de
ODQJDJHHQ«SRXVDQWGȇDXWUHVUK«WRULTXHV6RQK«ULWDJHFHSHQGDQWHVW
DXMRXUGȇKXLELHQSDOSDEOHHWQHVHODLVVHSDVIDFLOHPHQWHQIHUPHUGDQV
GHV G«ȴQLWLRQV FDULFDWXUDOHV SRSXOLVPH DQWL«OLWLVPH VSRQWDQ«LVPH
ni même réduire à des slogans politiques (démocratie directe et parti-
FLSDWLYH UHERXUVGHFHVSU«VXSSRV«VLOLQFDUQHVXUWRXWXQHSKLORVR-
phie de l’engagement social et de l’action politique3.
LA TOILE ET LA PLACE
6L OȇH[SORVLRQ GX 0 LQFDUQ«H SDU XQ PRLV GH FDPSHPHQW VXU
OD 3XHUWD GHO 6RO HQ PDL D SULV GH FRXUW OȇRSLQLRQ SXEOLTXH HW
OHV P«GLDV HOOH Qȇ«WDLW SDV H[DFWHPHQW XQH PªFKH TXL SUHQG IHX SDU
accident. L’étape de gestation du mouvement montre un mélange
d’actions dans l’espace public et d’organisation sur la Toile. Sur les
U«VHDX[VRFLDX[RQSURWHVWDLWG«M¢FRQWUHODORL6LQGH «TXLYDOHQWGHOD
loi Hadopi). Un groupe de militants s’organisait depuis décembre 2010
sous le nom de Democracia Real Ya GDQV OH EXW H[SOLFLWH GH FDWDO\VHU
l’énergie des mécontents. Il s’agissait d’une plateforme virtuelle regrou-
pant par adhésion volontaire de petits groupes d’acteurs sociaux sans
DɚOLDWLRQ SDUWLVDQH TXL VȇRUJDQLVDLHQW VXU GHV SRLQWV GH FRQWHVWDWLRQ
du système économique et politique. L’interconnaissance et le mode
WUDGLWLRQQHO GH OD U«XQLRQ \ MRXDLHQW DXVVL XQ U¶OH /H DYULO
un autre mouvement alors peu connu, Juventud Sin futuro, appelait
à une manifestation de rue dans toute l’Espagne pour dénoncer les
FRQGLWLRQVGHYLHGHODMHXQHVVH6DQVG«SDVVHUXQVXFFªVGȇHVWLPHFHV
jeunes furent remarqués car leur manifestation prenait la suite d’une
mobilisation analogue de la jeunesse au Portugal. Les réseaux créateurs
de ces mouvements étaient principalement constitués de personnes de
195
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
YLQJW ¢ WUHQWH DQV D\DQW XQ KDXW QLYHDX Gȇ«WXGHV UHSU«VHQWDWLYHV GH
ODJ«Q«UDWLRQTXHOȇRQGLWODPLHX[IRUP«HGHWRXVOHVWHPSVWRXWHQOD
TXDOLȴDQWGHmJ«Q«UDWLRQSHUGXH}8QHQWUHVRLVROLGHPHQWWLVV«HWGHV
OHDGHUVSRXUOȇKHXUHDQRQ\PHVQHFRQVWLWXDLHQWSDVXQOHYLHUVXɚVDQW
Il fallait y ajouter les circonstances : la proximité des élections munici-
SDOHVHWDXWRQRPLTXHVGXPDLSURSLFHV¢ODG«QRQFLDWLRQGHODFULVH
des institutions démocratiques. Contexte électoral défavorable à une
réaction répressive de la part des autorités.
šNacima BƧƷƵƴ YƫƲƲʣƸ, « Puerta del Sol versus les indignés. Une lecture de la crise espa
gnole au prisme de l’espace public », Urbanités Po PQXGODTG =JVVRYYYTGXWGWTDC
PKVGUHT!UPuerta + del + Sol].
196
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
comme l’usage d’un langage gestuel dans les assemblées au lieu des tra-
GLWLRQQHOVP«JDSKRQHVȴUHQWPRXFKHHWGHPHXUHQWGDQVOȇLPDJLQDLUH
GH FH PRLV GȇRFFXSDWLRQ GH OD SODFH 'H P¬PH HQ FKRLVLVVDQW GH SU«-
VHQWHUGHVSRUWHSDUROHVWRXUQDQWVDX[P«GLDVOHVLQGLJQ«VRQWVLJQLȴ«
concrètement leur refus du leadership et de la notoriété médiatique.
197
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šCe terme retourne un stigmate attaché au mot « Perroflautas », une façon péjorative de
désigner les marginaux urbains.
šIaioflautas, « EN PQUVTG OCPKHGUVz QEVQDTG =JVVRYYYKCKQHNCWVCUQTIGNPQUVTG
OCPKHGUVECUVG
llano] consulté en août 2014.
198
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
199
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
9. « Especial APKXGTUCTKQM », op. cit., mai 2014, p. 22. L’article rappelle la méthode d’orga
nisation instaurée en mai 2011.
200
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
GRQQH FRUSV HQ TXHOTXH VRUWH DX[ DUFKLYHV YLUWXHOOHV GX PRXYHPHQW
FHUWHV WUªV «FODW«HV VRXYHQW DIIHFW«HV GH GLVFRQWLQXLW« HW WUXII«HV GH
liens hypertexte vers d’autres sites de mouvements sociaux ou d’orga-
nisations connexes. Cette façon de procéder est à mettre en relation
DYHF OȇLPS«UDWLI GH WUDQVSDUHQFH PDLQWHV IRLV DɚUP« FRPPH KRUL]RQ
G«PRFUDWLTXH TXH OȇRQ WHQWH GH VȇDSSOLTXHU ¢ VRLP¬PH10. Comme
l’ont montré par la suite les autres mouvements qui s’ancrèrent aussi
symboliquement sur différentes places du monde (Place de la perle
¢ 0DQDPD DX %DKUH±Q 7DKULU HQ J\SWH 6\QWDJPD HQ *UªFHHWF
OHV RXWLOV QXP«ULTXHV VȇDYªUHQW SOXV HɚFDFHV SRXU FRQYRTXHU GHV
manifestations réelles et pour échanger entre sympathisants que pour
DUWLFXOHUXQGLVFRXUVDXGLEOHSDUOȇHQVHPEOHGHODVRFL«W«/DGLIIXVLRQ
l’appropriation et même la transformation des idées et des propositions
H[SULP«HVSDUOH0GDQVODSKDVHLQLWLDOHVXUOD7RLOHHWVXUOD3ODFH
HVWXQSK«QRPªQHGLɚFLOH¢FHUQHU4XHOOHTXHVRLWOȇDSSU«FLDWLRQTXH
OȇRQSRUWHVXUFHVLG«HVLOIDXWWRXMRXUVOHVPHWWUHHQUDSSRUWDYHFGHV
formes d’action dans le monde réel.
201
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
PDLVYLVDQWFODLUHPHQW¢OȇDXWRRUJDQLVDWLRQ*DJQHUGHVHVSDFHVGȇDXWR-
nomie et s’organiser en dehors des circuits marchands peut donner
à des petits groupes de personnes le sentiment de prendre leur vie
FROOHFWLYH HQ PDLQ DORUV TXH OH ȴQDQFHPHQW GHV DVVRFLDWLRQV VRFLDOHV
et culturelles se réduit comme peau de chagrin. Il ne s’agit cependant
SDV GH VH VXEVWLWXHU DX[ G«IDLOODQFHV GH OȇWDWSURYLGHQFH OHV P¬PHV
individus se trouvant engagés dans ces formes d’organisation autocen-
trées et dans la défense publique de droits collectifs comme l’accès à la
culture12&ȇHVWGDQVFHWWHPXWDWLRQFU«DWLYHGHVPRELOLVDWLRQVLQLWLDOHV
dont la force intrinsèque demeure comme moteur de la protestation
PDLV VXUWRXW GH OȇHQJDJHPHQW TXH VH MRXH OD SRVW«ULW« GX 0 (Q FH
VHQV OH PRXYHPHQW «FKDSSH DX[ FDW«JRULVDWLRQV WUDGLWLRQQHOOHV FDU
VRQ LQG«ȴQLWLRQ SROLWLTXH QH OȇD SDV VW«ULOLV« VRFLDOHPHQW (OOH OXL D DX
contraire permis de durer dans l’imaginaire collectif et de porter des
WKªPHVGHPRELOLVDWLRQTXHOHFKHUFKHXU-«U¶PH)HUUHWW«PRLQHWDQD-
O\VWHGHWRXWHFHWWHS«ULRGHDSSHOOHGHVmXQLYHUVHOVGDQVOHFRQFUHW}
TXLDVVRFLHQWOHUHJLVWUHSURWHVWDWDLUHDX[UHJLVWUHV«FRQRPLTXHVDVVR-
ciatifs et caritatifs13.
0DGULG OH 0 VȇHVW GH P¬PH GRW« GªV OHV SUHPLHUV MRXUV GȇXQ
outil culturel et militant qui porte l’emblème du Soleil (Sol) et accom-
pagne ses actions : le chœur et l’orchestre Solfónica14. Des musiciens ont
d’abord joué le quatrième mouvement de la Neuvième Symphonie de
Beethoven sur la place de Neptune. Cette performance s’est répétée lors
des grandes manifestations du 19 juin et du 15 octobre 2011. Les musi-
FLHQV HW FKRULVWHV YRORQWDLUHV VH G«ȴQLVVHQW FRPPH mOH EUDV V\PSKR-
nique des marées et manifestations citoyennes ». La Solfónica est consti-
WX«H GȇXQH EDVH GH GHX[ FHQWV PXVLFLHQV DPDWHXUV HW SURIHVVLRQQHOV
VDQVGLVWLQFWLRQ/ȇHQVHPEOHHVW¢J«RP«WULHYDULDEOHU«XQLVVDQWYLQJW¢
TXDUDQWHSHUVRQQHVSRXUFHUWDLQVFRQFHUWVSDUIRLVGDYDQWDJHSRXUOHV
JUDQGV «Y«QHPHQWV ,O MRXH DXVVL ELHQ GDQV GHV I¬WHV GH TXDUWLHU ORUV
Gȇ«Y«QHPHQWVFRPPHOH)RUXPVRFLDOPRQGLDOTXȇ¢ODȴQGHPDQLIHVWD-
tions de rue dont le concert est le point d’orgue. Chacun peut téléchar-
ger les paroles des chansons et les partitions pour se familiariser avec
le répertoire et chacun peut faire partie de la Solfónica TXHO TXH VRLW
202
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
VRQQLYHDXPXVLFDO/DPR\HQQHGȇ¤JHGHVFKRULVWHVHVWDVVH]«OHY«HFH
TXLSHXWVȇH[SOLTXHUSDUOHU«SHUWRLUHOXLP¬PHSHXVXVFHSWLEOHGȇDWWL-
rer des jeunes. Ce répertoire reprend de célèbres chansons engagées
comme L’Estaca GH /XLV /ODFK Grandola Vila Morena GH -RV« $IRQVR
GHVYHUVLRQVUHQRXYHO«HVGHFKDQWVGHODJXHUUHGȇ(VSDJQHGHVFKDQWV
populaires et des pièces de circonstance créées par et pour la Solfónica.
Le clou de l’année 2013 fut la mise en scène d’un opéra-bouffe donné
plusieurs fois à guichets fermés à la Tabacalera : El crepúsculo del ladril-
loOHmFU«SXVFXOHGHODEULTXH}HQU«I«UHQFH¢ODEXOOHLPPRELOLªUHHW
¢ODFULVHGXE¤WLPHQWVXUXQOLYUHWGH-RV«0DQXHO1DUHGRGDWDQWGHV
DQQ«HVHWXQHPXVLTXHGH'DYLG$OHJUHOHGLUHFWHXUGXFKĕXUHW
de l’orchestre. La vie sociale de la Solfónica repose sur ses représenta-
tions mais aussi sur les répétitions et sur des ateliers d’initiation aux
nouvelles technologies. Cet orchestre et ce chœur sont l’exemple le plus
YLVLEOH GH OD VXUYLH GX 0 ¢ 0DGULG ¢ WUDYHUV OD SHUS«WXDWLRQ GȇXQ
collectif de musiciens amateurs et professionnels engagés.
DE L’INSURRECTION MORALE
AUX PROPOSITIONS DE CHANGEMENT
m1LIDFH$QLIDFH%RQYHXWFKDQJHUGHGLVTXH}m1RXVQHVRPPHV
SDV FRQWUH OH V\VWªPH FȇHVW OH V\VWªPH TXL HVW FRQWUH QRXV} m&H
QȇHVW SDV XQH FULVH FȇHVW XQH HVFURTXHULH} m+DXW OHV PDLQV FȇHVW XQ
FRQWUDW}m5HEHOOHVVDQVWRLW}m0HVU¬YHVVRQWWURSJUDQGVSRXUWHV
XUQHV}m6LYRXVQHQRXVODLVVH]SDVU¬YHUQRXVQHYRXVODLVVHURQVSDV
GRUPLU}4XHOTXHVXQVGHVVORJDQVGHPDLQȇ«WDLHQWSDVSROLWLTXHV
DX VHQV VWULFW GX WHUPH /HXU SRUW«H «WDLW SOXV ODUJH HW SOXV LQG«ȴQLH
3DU OD VXLWH OȇDWWHQWLRQ P«GLDWLTXH VȇHVW SRUW«H VXU OHV SURWHVWDWLRQV
DQWLFDSLWDOLVWHV VH U«FODPDQW GHV LQGLJQ«V HW VXU OH VORJDQ GX PRXYH-
ment Occupy Wall Streetm1RXVVRPPHVLOVVRQW}0DLVHQ
(VSDJQHOȇXQGHVVORJDQVOHVSOXVUHSULVIXWmNo nos representan » (« Ils
QH QRXV UHSU«VHQWHQW SDV} FH TXL PHWWDLW GDYDQWDJH OȇDFFHQW VXU OH
manque de représentativité démocratique du personnel politique que
VXUOHUHMHWGHOȇROLJDUFKLHȴQDQFLªUHPRQGLDOH'LJQLW«GXSHXSOHLQGL-
JQLW«GHVSROLWLTXHV(X[HWQRXVPDLVTXHOQRXV"9RLFLFHTXȇ«QRQ©DLW
le début du premier manifeste adopté par consensus pour inaugurer le
campement de la Puerta del Sol :
4XLVRPPHVQRXV"'HVSHUVRQQHVYHQXHVLFLGHQRWUHSOHLQJU«TXLRQW
décidé de nous réunir après la manifestation pour continuer à revendi-
203
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
204
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
205
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
206
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
'LYHUVLȴFDWLRQHWFRQYHUJHQFHGHVPDQLIHVWDWLRQV
La manifestation demeure au centre du répertoire d’action du mou-
YHPHQW TXȇHOOH U«XQLVVH GHV FHQWDLQHV GHV PLOOLHUV RX GHV FHQWDLQHV
de milliers de personnes. L’idéal-type de la manifestation héritière du
15-M est une manifestation transversale aux différents mouvements
VRFLDX[TXLHQWHQGSRUWHUXQHSURWHVWDWLRQJOREDOHFRQWUHOHV\VWªPH
politique en place et le modèle économique néolibéral. Les manifes-
tations anniversaires du 15-M et les manifestations convoquées sur
des mots d’ordre large de refus des mesures gouvernementales cor-
respondent à cet idéal-type. La démission du gouvernement du Parti
populaire a été un mot d’ordre souvent entendu. À partir de l’automne
2012 se sont enchaînées des manifestations qui se situaient sur un axe
FRQWLQXHQWUHOHVG«ȴO«VV\QGLFDX[HWOHVUDVVHPEOHPHQWVSRSXODLUHV
OHV mPDU«HV} /D mPDU«H EODQFKH} DXUD «W« XQH SODWHIRUPH XQ
FROOHFWLI GH V\QGLFDWV GȇDVVRFLDWLRQV GȇXVDJHUV GH VDQW« GH FRPLW«V
de quartier et d’assemblées et de commissions du 15-M. Dans la com-
PXQDXW« DXWRQRPH GH 0DGULG OD PDU«H EODQFKH VH PRELOLVD FRQWUH
la privatisation annoncée de six hôpitaux et la fermeture de services
hospitaliers. L’assemblée du 15-M de Madrid déclare s’y être systémati-
TXHPHQWDVVRFL«HSDUWLUGHOȇDXWRPQHHWSHQGDQWWRXWHOȇDQQ«H
OHVPRELOLVDWLRQVOHVJUªYHVOHVUDVVHPEOHPHQWVHWOHVPDQLIHV-
WDWLRQV VH VRQW PXOWLSOL«V /H EODQF FRXOHXU GHV XQLIRUPHV GH WUDYDLO
est aussi celui des draps que suspendirent les Madrilènes au balcon en
solidarité avec ce mouvement.
207
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
Occupations, obstructions
$SUªV OHV «OHFWLRQV PXQLFLSDOHV GH PDL GHV PLOLWDQWV VH
réclamant du 15-M se sont réunis devant les mairies pour perturber
l’installation de nouveaux conseils municipaux. D’autres ont cherché
à y pénétrer pour dire leur fait aux élus : « Ils ne nous représentent
pas ». Suivre les ordres du jour de certaines assemblées du 15-M per-
met de voir que ces actions ont évolué vers un « contrôle citoyen » plus
SDFLȴTXH GHV FRQVHLOV PXQLFLSDX[ 7RXW VLPSOHPHQW OHV SHUVRQQHV
intéressées utilisent leur droit d’assister au conseil municipal pour
FRQQD°WUHVHVG«FLVLRQVHWG«OLE«UDWLRQV&HVOLHX[GHODUHSU«VHQWDWLRQ
DSUªVDYRLU«W«FRQVSX«VDWWLUHQWDLQVLXQHSDUWLHGHVK«ULWLHUVGX0
comme autant de lieux d’expérimentation politique. « Prendre d’assaut
OHVLQVWLWXWLRQV}VORJDQHQVRLYLGHGHVHQVGHYLHQWHQXQVORJDQ
plus ouvert sur un projet politique. En sera-t-il de même du Congrès ?
Certains groupes militants avaient inauguré cette forme d’action en
208
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
209
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
GXUHUHPLWHQFDXVHOHVGURLWVVRFLDX[HWRS«U«GHVFRXSHVFODLUHVGDQV
les budgets publics. Au fur et à mesure que ce gouvernement s’est vu
FRQWHVW« GDQV OD UXH LO D FRQWUHDWWDTX« HQ HVVD\DQW GH G«FU«GLELOLVHU
son opposition extra-parlementaire. Il a eu de plus en plus fréquem-
PHQW UHFRXUV DX[ FKDUJHV SROLFLªUHV DX[ FRXSV GH PDWUDTXH DX[
JD] ODFU\PRJªQHV ¢ OD YLG«RVXUYHLOODQFH DX[ LQWHUSHOODWLRQV HW DX[
LQFXOSDWLRQV'HFHIDLWXQHQRXYHOOHFDXVHGHPRELOLVDWLRQD«PHUJ«
celle de la dénonciation des violences policières et de la criminalisation
du mouvement social. Les militants se sont organisés pour assurer la
défense légale des personnes mises en examen et pour payer collecti-
YHPHQWOHVDPHQGHVLQȵLJ«HV/HGXUFLVVHPHQWDQQRQF«GXFRGHS«QDO
et le projet de loi sur la « sécurité des citoyens » ont fait naître le mot
d’ordre et la plateforme « Nous ne sommes pas un délit »22. Les liber-
tés fondamentales sont jugées menacées. Cette escalade n’a pas donné
lieu à un changement de tactique de la part des mouvements organisés
s’exprimant dans la rue. Le credo non-violent du 15-M n’a pas été altéré.
&HSHQGDQWORUVTXHGHVJURXSHVRUJDQLV«VYLROHQWVVDLVLVVHQWGHVRFFD-
sions d’affrontement délibéré en venant se greffer sur les mouvements
SDFLȴTXHV FRPPH FHOD DUULYH TXHOTXHIRLV OH ULVTXH GȇDPDOJDPH HVW
grand. Le spectre de la mouvance de l’ETA ou celui de mouvements
manipulés de l’extérieur par le Venezuela chaviste sont faciles à bran-
GLU SDU OD GURLWH FRQVHUYDWULFH FRPPH FHOXL GȇXQH FHUWDLQH MHXQHVVH
YLROHQWHHWLQFRQWU¶ODEOH$LQVLDXSULQWHPSVDORUVTXHODSU«SD-
ration des marches de la dignité et les marches elles-mêmes n’avaient
SDVIDLWOȇREMHWGȇXQHFRXYHUWXUHLPSRUWDQWHSDUOHVJUDQGVP«GLDVFHV
mêmes médias ont amplement répercuté le dénouement violent de la
manifestation organisée en point d’orgue à ces marches.
22. « Nous ne sommes pas un délit », [nosomosdelito. net], consulté en septembre 2014.
šFélix TƧƨƫƷƴƧ et Luis CƧƳǞƵƸ, Informe sobre calidad, empleo joven, becarios y prácticas,
Consejo de la Juventud de EURCȓCR=JVVRYYYELGQTIFGUECTICUELGRFH?
210
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
šSandra Gaviria étudie les politiques de la jeunesse et du logement en Espagne sur le long
terme. Elle souligne que la crise a bloqué l’accès à la propriété pour les jeunes Espagnols,
modèle le plus acceptable culturellement, alors même que les aides au logement locatif sont
insignifiantes. Le retard à l’émancipation, qui d’après elle n’est pas imputable principalement à
des facteurs économiques, se trouve de fait aggravé par la dégradation de la situation écono
mique. Cf. Sandra GƧƻƯƷƯƧ, « Politique de logement et autonomie résidentielle de la jeunesse en
Espagne », Informations socialesPyššR
211
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
25. « No nos vamos, nos echan. Entrevista a Juventud Sin Futuro », Relaciones Internacionales,
nº 24, GERIUniversidad Autónoma de MCFTKF QEVQDTGLCPXKGT FKURQPKDNG ȃ
NŨCFTGUUG =JVVRYYY CECFGOKC GFWANoNosVamosNosEchan_Entrevista_a_
Juventud_Sin_Futuro].
212
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
partir du bloc des mécontents s’exprime aussi bien plus nettement que
la volonté de tourner le dos à la société : Juventud Sin Futuro ne joue pas
sur la connotation nihiliste de son nom.
213
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
L’avènement du « municipalisme »
8QH DXWUH G\QDPLTXH VȇHVW RXYHUWH ¢ Oȇ«W« GRQW Oȇ«WLTXHWDJH
est le terme de « municipalisme ». Des plateformes citoyennes se sont
FRQVWLWX«HVHQYXHGHV«OHFWLRQVPXQLFLSDOHVGHPDLSRXUHQWUHU
GDQVODFRPS«WLWLRQ«OHFWRUDOH*DJQRQV%DUFHORQH0DGULGOD&RURJQH
9DOODGROLG 0XUFLHHWF /HV GLII«UHQWV PDQLIHVWHV TXL SU«VLGHQW ¢ FHV
initiatives sont assez voisins et ressemblent bien davantage aux textes
produits par la mouvance du 15-M qu’à ceux de Podemos. Il s’agit
GȇLQFDUQHU OHV LG«DX[ GX UHQRXYHDX G«PRFUDWLTXH GDQV OȇHVSDFH ORFDO
en rassemblant des citoyens organisés et d’autres inorganisés pour leur
« rendre la ville ». La conversion à la stratégie politique ne s’est pas
IDLWHVDQVPDOFRPPHOHPRQWUHQWOHVSUHPLHUVPDQLIHVWHVPXQLFLSD-
listes de Madrid qui ont débouché sur la constitution de la plateforme
Ganemos Madrid. On y sent une véritable hésitation sur le sens donné à
GHVH[SUHVVLRQVFRPPHmSUHQGUHGȇDVVDXWOHVLQVWLWXWLRQV}HWXQPRX-
vement de recul devant la démocratie représentative :
/HG«ȴFRQVLVWH¢UHSUHQGUHOHSURMHWGHG«PRFUDWLHWHUULWRULDOHGX0
les élections ne représentant qu’une ressource parmi d’autres de ce
SRXYRLUG«PRFUDWLTXH(QG«ȴQLWLYHQRXVFRPSUHQRQVODSROLWLTXHLQV-
WLWXWLRQQHOOH FRPPH XQ HVSDFH GH FRQȵLW SDUPL GȇDXWUHV HW GH PLVH HQ
lumière des tensions qui traversent nos villes27.
214
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux
0¬PHDSUªVOHODQFHPHQWGHODSODWHIRUPHDORUVTXHOHSURJUDPPH
de gouvernance municipale est déjà dans une phase avancée d’élabora-
WLRQHWTXHOHVFRQWDFWVVHQRXHQWDYHFGȇDXWUHVIRUPDWLRQVSROLWLTXHVOH
groupe de travail intitulé « mouvement municipaliste » reste dans une
certaine ambivalence :
7URS VRXYHQW LO \ D HX FRQIXVLRQ HQWUH OȇLPDJLQDLUH GH OȇDVVDXW LQVWLWX-
WLRQQHO >Ȑ@ HW OD SULVH SXUH HW VLPSOH GX SRXYRLU /RLQ GH FHWWH LPDJH
tout mouvement municipaliste qui entend avoir une présence institu-
tionnelle doit concevoir son rôle de façon inverse. Il faut comprendre le
municipalisme comme une façon d’ôter le pouvoir aux institutions et de
le rendre aux mouvements28.
8QHH[SUHVVLRQVHSURSDJHGDQVOHVHQWUHWLHQVOHVG«FODUDWLRQVOHV
textes à propos de ces plateformes. On se réclame de « l’ADN du 15-M ».
4XHVLJQLȴHXQHWHOOHH[SUHVVLRQ"4XHOHVV\PSDWKLVDQWVHWPLOLWDQWVVH
GRQQHQWUHQGH]YRXVVXUOHVSODFHV"4XHVHUHIRUPHQWGHVJURXSHVGH
WUDYDLO HW GHV FRPPLVVLRQV FKDUJ«V GH OD ORJLVWLTXH GH OD FRPPXQLFD-
WLRQGHODP«WKRGRORJLH"4XHOHVGRFXPHQWVGHWUDYDLOHWOHVSURFªVYHU-
EDX[GHU«XQLRQVVRQWGLVSRQLEOHVVXUOD7RLOH"4XHOHVSODWHIRUPHVVH
U«FODPHQWGHVFROOHFWLIVPDU«HVPDUFKHVDVVRFLDWLRQVORFDOHVHWmGHV
JHQVFRPPHWRLHWPRL}"4XHOȇRQUHWURXYHH[SULP«HODP¬PHDYHUVLRQ
SRXU OHV SDUWLV SROLWLTXHV GRPLQDQWV OHV SROLWLFLHQV Y«UHX[ OȇDXWRULWD-
ULVPH"4XȇRQ\SURFODPHOHP¬PHDPRXUGHVELHQVSXEOLFVGHVELHQV
FRPPXQV GH Oȇ«JDOLW« HQWUH FLWR\HQV" 4XȇXQH G\QDPLTXH Gȇempower-
ment désormais explicitement reconnue et revendiquée est à l’œuvre ?
6DQVGRXWHPDLVLO\DDXVVLGHVJURXSHVGHWUDYDLOmFDQGLGDWXUHV}
HW OH WUDYDLO GH UDSSURFKHPHQW DYHF OHV SDUWLV GȇDOWHUQDQFH \ FRPSULV
Izquierda Unida HVW HQJDJ« /HV SRUWHSDUROH GH FHV SODWHIRUPHV TXL
UHVWHQWDXWRQRPHVOHVXQHVSDUUDSSRUWDX[DXWUHVUHFRQQDLVVHQWYRX-
loir surfer sur l’effet Podemos HW HQ DWWLUHU OHV PLOLWDQWV FDU OH SDUWL D
décidé de ne pas se présenter directement aux élections municipales
pour ne pas altérer son capital politique national. C’est dans le discours
du rassemblement que se lit le mieux l’héritage du 15-M. La délibération
est investie comme forme démocratique nécessairement productive
SROLWLTXHPHQW &HSHQGDQW OD FRQVWUXFWLRQ GȇXQH SURSRVLWLRQ SROLWLTXH
demande d’autres ressources et oblige à choisir ses alliés. Le mot de
mPDUTXH EODQFKH} XWLOLV« SRXU G«ȴQLU FHV SODWHIRUPHV FLWR\HQQHV
qui refusent le modèle de la coalition multipartite est un élément de
215
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
PDUNHWLQJ SROLWLTXH ,O G«VLJQH DXVVL OH GHUQLHU PRPHQW R» OȇLOOXVLRQ
GȇXQHOLPLWHQHWWHHQWUHmHX[HWQRXV}SHUVLVWHODEODQFKHXUUHQYR\DQW
¢XQHIRUPHGȇLQQRFHQFHm7RXWFRPPHQFHHQP\VWLTXHHWȴQLWHQSROL-
WLTXH}GLVDLW&KDUOHV3«JX\29.
216
TROISIÈME PARTIE
DE LA CRISE
SOCIALE À LA CRISE
INSTITUTIONNELLE
ET POLITIQUE
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
8
Le droit au logement et la
lutte contre les expulsions :
la Plataforma de Afectados
por la Hipoteca
Mathieu PETITHOMME
05DMR\LOQȇHVWMDPDLVWURSWDUGSRXUUHFWLȴHU
1ȇD\H]SDVSHXUGHVVLɛHWVQȇD\H]SDVSHXUGHODSRSXODWLRQ
Descendez dans la rue et parlez avec les gens.
Faites justice et arrêtez les expulsions.
Il y a des vies en jeu qui ne peuvent plus attendre. […]
Nous, les gens, les citoyens d’en bas, nous n’avons pas les
mêmes moyens pour faire valoir nos droits.
Mais nous avons l’arme la plus puissante de toutes.
Contre le jeu sale du système, la force de la raison et du cœur.
(Ada Colau et Adrià Alemany1)
Carmen Martínez Ayuso est âgée de 85 ans et vit seule dans son
DSSDUWHPHQWDYHFVDSHWLWHUHWUDLWHGHHXURVSDUPRLVDXQXP«UR
de la rue Sierra de Palomares dans le quartier populaire de Vallecas à
0DGULG )HPPH GH P«QDJH GXUDQW WRXWH VD YLH HOOH D SHUGX VRQ PDUL
GȇXQ FDQFHU GH OD JRUJH LO \ D VHSW DQV 0DLV OH QRYHPEUH HOOH
a été expulsée de son logement car elle s’était déclarée garante avant la
FULVHGXSU¬WGHHXURVGHVRQȴOVXQLTXHTXLVȇ«WDLWHQGHWW«DXSUªV
d’un particulier pour créer un commerce2. Ce dernier est depuis au chô-
mage et sans possibilité de rembourser sa dette qui atteint désormais
77 000 euros en raison des taux d’intérêt et des frais d’impayés. Le par-
WLFXOLHUVȇHVWGRQFUHWRXUQ«FRQWUHODJDUDQWHVDPªUHGHDQVHWVXLWH
¢ OȇDFFRUG GH OD MXVWLFH OD SROLFH OȇD H[SXOV«H GH VRQ ORJHPHQW GRQW OD
YDOHXUHVWHVWLP«H¢HXURV*U¤FH¢ODPRELOLVDWLRQGHVHVYRLVLQV
et à l’intervention militante des membres de la Plataforma de Afectados
por la Hipoteca m3ODWHIRUPHGHVDIIHFW«VSDUOȇK\SRWKªTXH}3$+ HOOH
219
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šAna Pérez BƧƷƷƫƪƵ, « El desahucio de Carmen desata un red de solidaridad dentro y fuera
del barrio », El País, 25 novembre 2014, p. 7.
šCes chiffres sont fournis par la PAH sur son site internet, cf.=JVVRCHGEVCFQURQTNCJKRQVGEC
EQOUVQRFGUCNQLQU?EQPUWNVȌNGPQXGODTG
šExpression employée lors d’un entretien par Jordi, 34 ans, chômeur et militant du collectif
de Barcelone, 7 novembre 2014.
šEntretien avec Ada colau, Regards, 15 avril 2014.
šSelon les données de la Fondation FƵƫƸƸƧ NKȌG ȃ NŨCUUQEKCVKQP EJTȌVKGPPG Caritas), VII
Informe sobre exclusión y desarrollo social en España, Madrid, 2014, p. 2.
220
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
Oȇ«QRQFH$OIRQVRXQPLOLWDQWGH%DUFHORQHm/D3$+G«QRQFHOHVDEXV
HWOHVPDQLSXODWLRQVGHVEDQTXHVHWGHVHQWLW«VȴQDQFLªUHV1RWUHREMHF-
WLIHVWGȇLQVWDXUHUXQHȊG«PRFUDWLHU«HOOHȋSDUOHEDVR»OHGURLWDXORJH-
PHQWSRXUWDQWLQVFULWGDQVQRWUHFRQVWLWXWLRQVHUDLWHQȴQUHVSHFW«8. »
&RPPHQWOD3$+¢WUDYHUVOHPRXYHPHQWVRFLDOTXLVȇHVWRUJDQLV«
GDQV VRQ VLOODJH FRQWULEXHWHOOH ¢ OD G«IHQVH GHV FLWR\HQV HW DX SUR-
grès social ? Ce chapitre se fonde sur une enquête de terrain menée
en novembre 2014 au sein des collectifs de la PAH de Barcelone et de
l’Hospitalet de Llobregat. En assistant à plusieurs assemblées hebdo-
PDGDLUHV¢GHVDFWLRQVGȇRFFXSDWLRQHWHQPȇHQWUHWHQDQWGLUHFWHPHQW
DYHF SOXV GȇXQH YLQJWDLQH GH PLOLWDQWV MȇDL FKHUFK« ¢ DSSU«KHQGHU GH
OȇLQW«ULHXUODVWUXFWXUDWLRQOHIRQFWLRQQHPHQWOHVSULQFLSDOHVUHYHQGL-
FDWLRQV HW OD VRFLRORJLH GH FHV FROOHFWLIV &H FKDSLWUH PRQWUH FRPPHQW
OD 3$+ WRXW HQ SROLWLVDQW OHV HQMHX[ GX GURLW DX ORJHPHQW HW GH OD
UHVSRQVDELOLW« GHV EDQTXHV GDQV OD FULVH VȇLQVFULW SOHLQHPHQW GDQV OH
mouvement social anti-austérité et a contribué à sensibiliser l’opinion
publique et à mettre ces questions sur le devant de la scène politique.
Le chapitre se structure en quatre temps. À travers la trajectoire
ELRJUDSKLTXHGH0DQXHOXQPHPEUHGXFROOHFWLIGXTXDUWLHUNou Barris
PHQDF«GȇH[SXOVLRQODSUHPLªUHSDUWLHH[HPSOLȴHSXLVV\QWK«WLVHODVSL-
UDOHGHODSDXS«ULVDWLRQY«FXHSDUGHQRPEUHXVHVIDPLOOHVHQ(VSDJQH
GHSXLVHQLQVLVWDQWVXUOȇ«FRQRPLHSROLWLTXHGHVSU¬WVEDQFDLUHV/D
deuxième partie s’intéresse plus en détail à la structuration territoriale
HWDXIRQFWLRQQHPHQWTXRWLGLHQGHOD3$+GHP¬PHTXȇ¢VRQLQVHUWLRQ
dans le mouvement social anti-austérité. La troisième partie présente
VHVSULQFLSDOHVUHYHQGLFDWLRQVSXLVODTXDWULªPHVHVVWUDW«JLHVGȇDFWLRQ
FROOHFWLYHTXLXVHQWKDELOHPHQWGXGURLWHWGHODIRUFHGXQRPEUH(QȴQ
ODFRQFOXVLRQSURSRVHXQHU«ȵH[LRQV\QWK«WLTXHVXUODFRQWULEXWLRQGX
mouvement à la défense des droits des citoyens et au progrès social.
221
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šLŨGPUGODNG FGU KPHQTOCVKQPU EKFGUUQWU UQPV KUUWGU FG EGV GPVTGVKGP CXGE Manuel
Vicentero, 42 ans, Équatorien nationalisé espagnol, membre de la PAH, 11 novembre 2014,
Barcelone, puis de l’observation participante de la manifestation de la PAH, le même jour, contre
l’agence BCPMKC
222
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
GȇH[SXOVLRQV PLOLWDQWV RX V\PSDWKLVDQWV GH OD 3$+ (VSDJQROV SRXU OD
SOXSDUWLPPLJU«VSRXUFHUWDLQVLOVFKHUFKHQW¢UHQFRQWUHUOHGLUHFWHXU
GH OȇDJHQFH EDQFDLUH DȴQ GȇRXYULU XQ SURFHVVXV GH Q«JRFLDWLRQ SRXU
obtenir l’allongement des dettes des personnes affectées ou le solde
de celles-ci en échange du don de leur bien à la banque. Vêtus de tee-
VKLUWVYHUWVDYHFOHORJRGXFROOHFWLILOVIRQWGXEUXLWDYHFGHVFDVVHUROHV
HW HQWRQQHQW GHV VORJDQV m6WRS DX[ H[SXOVLRQV} m%DQNLD YROHXUV
5HQGH]QRXV QRWUH DUJHQW} m&HWWH EDQTXH PHW GHV JHQV ¢ OD UXH}
« Ton taux d’intérêt m’a tué ». Face à l’absence de réponse des dirigeants
¢OHXUVQRPEUHXVHVOHWWUHVGHGHPDQGHGHGLDORJXHLOVRQWFKRLVLGHSRU-
ter atteinte à « l’image de marque » de la banque. D’autres distribuent
des tracts et ont monté un stand devant l’agence sur l’une des avenues
les plus touristiques de Barcelone. Les passants et les touristes curieux
VRQWGHSOXVHQSOXVQRPEUHX[KHXUHVSRXU«YLWHUOHVFDQGDOHOH
directeur délégué de l’agence accepte de discuter avec un représentant
GHOD3$+HQ«FKDQJHGHODȴQGHOȇRFFXSDWLRQ/DSUHPLªUHEDWDLOOHHVW
JDJQ«H 0DLV OHV Q«JRFLDWLRQV TXL GXUHQW VRXYHQW GHV VHPDLQHV VRQW
loin d’avoir abouti. Après la force dissuasive de l’occupation et de la
G«QRQFLDWLRQLOIDXGUDIDLUHYDORLUOHSRLGVGHVDUJXPHQWV
La spirale de la paupérisation :
« de la précarité à l’expulsion, il n’y a qu’un pas »
'HSXLVDORUVP¬PHTXHOȇ(VSDJQHHVWOHSD\VHXURS«HQR»OHV
LQ«JDOLW«V VRFLDOHV RQW OH SOXV SURJUHVV« SOXV GH FLQT FHQW PLOOH SHU-
VRQQHVORFDWDLUHVRXSURSUL«WDLUHVRQW«W«H[SXOV«HVGHOHXUORJHPHQW
la plupart du temps sans proposition alternative de relogement par
les pouvoirs publics et les mairies10. Cinq millions de personnes vivent
aujourd’hui en « situation sévère d’exclusion » et 728 300 familles ne
reçoivent aucun argent ni prestation sociale113DUDOOªOHPHQWOHQRPEUH
de millionnaires (465 000 en 2014) a augmenté de 24 % en seulement
GHX[ DQV GHSXLV HW OHV UHYHQXV GHV OHV SOXV ULFKHV QȇRQW
SDVFKDQJ«GHSXLVDORUVTXHFHX[GHVOHVSOXVSDXYUHVRQW
diminué de 14 %12'DQVFHFRQWH[WHODORLK\SRWK«FDLUHHVSDJQROHTXL
GDWHGHHVWOȇXQHGHVSOXVG«IDYRUDEOHVDX[DFKHWHXUVHQ(XURSH
šL’Espagne est ainsi le pays de l’Union européenne où le coefficient de Gini, qui mesure le
VCWZFŨKPȌICNKVȌUGUVNGRNWUHQTV EH. BTCPMQMƯƲƧƴƵƻƯƩ, Los que tienen y los que no tienen.
Una breve y singular historia de la desigualdad global, Madrid, Alianza Editorial, 2012, p. 28.
šFondation FƵƫƸƸƧ, op. cit., 2014, p. 2.
šMiguel Ángel GƧƷƩʨƧVƫƭƧ« ENPGIQEKQGUVȄGPNQUGZVTGOQUzEl País, 9 novembre 2014,
p. 13.
223
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šEnrique GƯƲCƧƲƻƵ, Los poderes opacos. Austeridad y resistencia, Madrid, Alianza Editorial, 2013, p. 36.
šRamón GƧƷƩʨƧ, « CCFC GURCȓQN JC RGTFKFQ šGWTQU FG TKSWG\C RQT NC ETKUKU GEQPȕ
OKECz=JVVRYYYKPXGTVKCEQO?LWKNNGV
šC’est aussi pour ces raisons que certains analystes considèrent qu’une bonne partie des
dettes publiques en Europe du Sud sont « illégitimes », puisque des proportions importantes
FG EGNNGUEK EQTTGURQPFGPVWPKSWGOGPVȃNŨCWIOGPVCVKQPVTȋU HQTVG FGU VCWZFŨKPVȌTȍV GV FG NC
spéculation depuis 2008. Cf. par exemple, Damien MƯƲƲƫƹ et Éric TƵƺƸƸƧƯƴƹ, La dette ou la vie,
Bruxelles, Éditions Aden, 2011.
224
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
WRXUQHQWDXVVLYHUVHX[HWOHXUU«FODPHQWOHVVRPPHVGXHV(QȴQGHSXLV
ODORLGHMXLQYRW«HSDUOH33OHVSHUVRQQHVFRQFHUQ«HVVRQWȴFK«HV
au « registre public des défaillants pour impayés » : elles ne peuvent
SOXVMDPDLVDFKHWHUGHELHQVDYRLUXQHOLJQHW«O«SKRQLTXHRXREWHQLUXQ
FU«GLWHWIRQWIDFH¢Gȇ«QRUPHVGLɚFXOW«VSRXUWURXYHUXQHORFDWLRQSHU-
cevoir certaines prestations sociales ou renouveler leur carte bancaire16.
'DQVFHFRQWH[WHGHFK¶PDJHGHPDVVHHWGHKDXVVHGHVLQ«JDOLW«V
OD3$+VHPRELOLVHDFWLYHPHQWGHSXLVSRXUU«VLVWHUDX[H[SXOVLRQV
dénoncer la responsabilité de banques aux pratiques commerciales
douteuses et maintenir le droit fondamental de tout être humain au
ORJHPHQW m'H OD SU«FDULW« ¢ OȇH[SXOVLRQ LO Qȇ\ D TXȇXQ SDV} PH GLUD
XQMRXU<RODQGDXQHUHWUDLW«HDFWLYHDXVHLQGXFROOHFWLIGH/ȇ+RVSLWDOHW
qui aide les personnes menacées d’expulsion dans leurs recours juri-
diques17'HSXLVQRYHPEUHORUVGHODSUHPLªUHH[SXOVLRQHQWUDY«H
DYHF VXFFªV ¢ /D %LVEDO GHO 3HQHGªV GDQV OD SURYLQFH GH 7DUUDJRQH
plus de 1 135 expulsions ont été empêchées par les militants de la
3$+ /ȇmĕXYUH VRFLDOH} H[SUHVVLRQ TXL G«VLJQH OHV RFFXSDWLRQV HQ
WK«RULH mLOO«JDOHV} GH OD 3$+ D SHUPLV GH UHORJHU SHUVRQQHV18.
'HV EDQTXHV RQW DXVVL «W« RFFXS«HV SHUPHWWDQW XOW«ULHXUHPHQW OD
renégociation de nombreux prêts de particuliers. L’opinion publique
espagnole a été largement sensibilisée par les campagnes de la PAH.
'HV LPPHXEOHV G«ODLVV«V VXLWH ¢ OD IDLOOLWH GȇHQWUHSULVHV GX E¤WLPHQW
GHYHQXV OHV SURSUL«W«V GH EDQTXHV RX GȇDVVXUDQFHV RQW «W« RFFXS«V
pour reloger des familles. Certains sont même devenus des logements
sociaux avec l’accord des banques et suite aux négociations collectives
GHOD3$+SHUPHWWDQWGHO«JDOLVHUOHVRFFXSDWLRQVHQ«FKDQJHGXSDLH-
PHQWGȇXQmOR\HUVRFLDO}DX[HQWLW«VȴQDQFLªUHV
šBoletín Oficial del EUVCFQ BOE), Ley de medidas de flexibilización y fomento del mercado del
alquiler de viviendas, Titulo 3, « Creación de un registro público de morosos por impago del
alquiler », BOELWKP
šEntretien avec Yolanda, 62 ans, retraitée, L’Hospitalet de Llobregat, 6 novembre 2014.
šSur ce point, cf. Ada CƵƲƧƺ et Adrià AƲƫƳƧƴƾ, Vidas hipotecadas. De la burbuja inmobiliaria al
derecho a la vivienda, CWCFTKNȄVGTQFGNKDTQUBarcelona, 2012, p. 92.
225
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
)HUQDQGRXQRXYULHU«TXDWRULHQGHDQVDXFK¶PDJHUHQFRQWU«
DXORFDOGHOD3$+GH/ȇ+RVSLWDOHWGH/OREUHJDWQHGLWSDVDXWUHFKRVH
$YHFOHFK¶PDJHMHPHVXLVLVRO«8QFRPSDWULRWHPȇDSDUO«GHODSODWH-
forme et je suis venu avec lui la première fois. J’avais honte de parler de
PDVLWXDWLRQ0DLVTXDQGMȇDLYXTXHMHQȇ«WDLVSDVVHXO©DPȇDUDVVXU«HW
DXMRXUGȇKXLMHYDLVPLHX[P¬PHVLMHVXLVWRXMRXUVPHQDF«GȇH[SXOVLRQ21.
šCette information m’a été fournie par Andrés, un étudiant en sociologie de 24 ans, qui se dit
« très actif » au sein du collectif de Barcelone, avenida Rambla, 11 novembre 2014.
šEntretien avec Edurne, sans emploi, 47 ans, local de la PAH, Barcelone, 12 novembre 2014.
šEntretien avec Fernando, 51 ans, ouvrier au chômage, L’Hospitalet de Llobregat, 6 novembre
2014.
226
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
GHOHXUVDFWLRQVOHVSODWHIRUPHVMRXHQWDXVVLXQU¶OHVRFLDOGHSUR[LPL-
W«HQFU«DQWGHVOLHX[RXOHVSHUVRQQHVDIIHFW«HVSHXYHQW¬WUH«FRXW«HV
et peuvent échanger sur leurs expériences. Être ancré dans le territoire
à travers les collectifs locaux constitue l’élément-clé qui permet de
PRELOLVHUVXɚVDPPHQWGHSHUVRQQHVORUVGHVDFWLRQVGHPDQLIHVWDWLRQ
RX GH U«DJLU UDSLGHPHQW DX[ H[SXOVLRQV TXL RQW VRXYHQW OLHX WUªV W¶W
OH PDWLQ RX ¢ GHV KHXUHV LPSU«YXHV HQ FU«DQW GHV V\VWªPHV FROOHFWLIV
d’alerte et en utilisant habilement les réseaux sociaux. Les assemblées
hebdomadaires permettent à l’information de se répandre et favorisent
OȇLPSOLFDWLRQ GHV JHQV 'HSXLV GHV VWUDW«JLHV RQW GȇDLOOHXUV «W«
PLVHV HQ SODFH DȴQ GH IDFLOLWHU OHV «FKDQJHV GȇLQIRUPDWLRQV HQWUH OHV
collectifs locaux pour aider les nouvelles plateformes à s’organiser22. À
IRUFHGHVXLYUHOHVQRPEUHX[FDVGȇH[SXOVLRQVOHVPHPEUHVGHOD3$+
RQWFRQWULEX«¢mODSURGXFWLRQGȇXQVDYRLUPLOLWDQW}IRQG«VXUOȇH[S«-
ULHQFHGHVUHFRXUVMXULGLTXHVHWOHVPRELOLVDWLRQVVRFLDOHVSDVV«HVTXȇLO
s’agit de transmettre aux nouveaux groupes locaux23. Mais l’évolution la
SOXVQRWDEOHHVWFHUWDLQHPHQWTXHGHSXLVQRYHPEUHIDFH¢OȇDXJ-
mentation importante du nombre de procédures d’expulsion qui rend
SOXV GLɚFLOH OH VXLYL FDV SDU FDV OHV GLULJHDQWV GH OD 3$+ SULYLO«JLHQW
de plus en plus des négociations générales avec les banques au nom de
l’ensemble des personnes affectées.
227
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
ainsi à disparaître24&ȇHVWHQFHODTXHFRXYUDQWSOXVTXȇXQHVLPSOHRUJD-
QLVDWLRQ DVVRFLDWLYH PLOLWDQWH OD 3$+ G\QDPLVH XQ PRXYHPHQW VRFLDO
FLWR\HQSOXVODUJHHQWHQGXFRPPHmXQHQVHPEOHGHU«VHDX[LQIRUPHOV
GȇRUJDQLVDWLRQVHWGȇDFWHXUVLVRO«VFRQVWUXLWVXUGHVYDOHXUVSDUWDJ«HVHW
XQHVROLGDULW«HQWUHOHXUVPHPEUHVTXLVHPRELOLVHQWDXVXMHWGȇHQMHX[
FRQȵLFWXHOVHQD\DQWUHFRXUV¢GLII«UHQWHVIRUPHVGHSURWHVWDWLRQ25 ».
(QHIIHWORUVGHVPDQLIHVWDWLRQVGHUXHVGHOD3$+¢WLWUHLQGLYLGXHO
RX DX QRP GȇXQ JURXSH ORFDO GHV RUJDQLVDWLRQV «WXGLDQWHV GHV PRX-
vements de jeunes comme Juventud Sin FuturoGHVPLOLWDQWVGHSDUWLV
issus notamment d’Izquierda Unida ou de la formation Candidatura
d’Unitat Popular &83 HQ &DWDORJQH GHV V\QGLFDOLVWHV GHV Comisiones
Obreras &&22 RX GH Oȇ8*7 HW GHV DUWLVWHV VH MRLJQHQW DX[ FRUWªJHV
par solidarité26. Même si les personnes affectées par les expulsions
FRQVWLWXHQW OH VRFOH GH EDVH GHV PRELOLVDWLRQV HW VL OH GLVFRXUV GH OD
PAH se situe plus dans la lignée du mouvement des indignés et des
U«I«UHQFHVDX[FDW«JRULHVSROLWLTXHVGHODJDXFKH «JDOLW«GURLWDXORJH-
PHQW OXWWH FRQWUH OH FDSLWDOLVPH ȴQDQFLDULV« OHV LQMXVWLFHV HW OȇH[FOX-
VLRQ VRFLDOHHWF OD SODWHIRUPH VH UHYHQGLTXH FRPPH XQ PRXYHPHQW
non-partisan et transversal. Ses dirigeants critiquent d’ailleurs tant la
politique du PP que celle du PSOE en matière de logement et de régu-
lation des banques. En discutant avec les manifestants à Barcelone le
QRYHPEUHMȇDLSXFRQVWDWHUTXHGHV«OHFWHXUVGHWRXVOHVSDUWLV
étaient représentés. Mais on trouve surtout de nombreux « abstention-
QLVWHVGDQVOHMHX}GHVG«©XVGHODSROLWLTXHTXLQHFURLHQWSOXVDX[
SURPHVVHV «OHFWRUDOHV HW GLVHQW VHXOHPHQW YRWHU GH ID©RQ VSRUDGLTXH
PDLV TXL GHPHXUHQW FHSHQGDQW VXɚVDPPHQW LQGLJQ«V HW FRQVFLHQWV
des enjeux pour être prêts à signer un tract ou à participer à une mani-
festation27/HVLPPLJUDQWVOHVSUHPLHUVWRXFK«VSDUODFULVHTXLVRQW
SOXV LVRO«V HW QH SHXYHQW SDV VȇDSSX\HU VXU OHXUV U«VHDX[ IDPLOLDX[
228
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
šPour de nombreux exemples, voir le documentaire La ley del Ladrillo kLa loi de la brique »),
réalisé par Glòria Matamala en 2007, juste avant l’éclatement de la bulle immobilière, et dont le
script a été rédigé par Ada Colau.
šCe type d’arguments m’a été transmis par Irene, une avocate trentenaire qui collabore au
sein du groupe de travail juridique de L’Hospitalet de Llobregat, le 6 novembre 2014.
229
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
WLRQVGHFRQȴDQFH}DYHFOHXUVFOLHQWVSRXUOHXUIDLUHVLJQHUGHVFODXVHV
DEXVLYHVFRPPHODmFODXVHVRO}VXLYDQWODTXHOOHOHSDUWLFXOLHUVȇHQJDJH
sans le savoir à payer un taux minimum d’intérêt (bien supérieur à celui
SU«VHQW«SDUOHFRPPHUFLDO HWTXLSHXWDWWHLQGUHGHVVRPPHWVHQUDL-
VRQGHVȵXFWXDWLRQVGȇXQWDX[YDULDEOH30. Les conséquences des impayés
QȇDSSDUDLVVDLHQW VRXYHQW SDV GLUHFWHPHQW VXU OHV FRQWUDWV OHV EDQTXHV
VHUHSRVDQWVXUODORLTXLOHXU«WDLWIDYRUDEOH(QȴQGHQRPEUHX[SU¬WV
RQW«W«VLJQ«VSRXUGHVGXU«HVDOODQWMXVTXȇ¢YRLUHP¬PHDQV
au mépris complet de l’intérêt économique des particuliers.
Le langage dominant du « tous propriétaires » a monopolisé l’espace
public et politique et les banques ont vanté l’accès au crédit « pas
cher » à grands coups de publicité mensongère. Durant les années de
FURLVVDQFH «FRQRPLTXH LQW«ULRULVDQW FH GLVFRXUV «OLWLVWH
DXTXHO HOOHV RQW FUX DYRLU XQ LQW«U¬W SDUWDJ« OHV FODVVHV SRSXODLUHV HW
moyennes ont incité leurs enfants à s’endetter et à accéder à la proprié-
W« GªV TXȇLOV REWHQDLHQW XQ WUDYDLO HQ GHV IDPLOOHV «WDLHQW
DLQVLSURSUL«WDLUHVHQ(VSDJQHOHWDX[OHSOXV«OHY«HQ(XURSHFRQWUH
seulement 50 % en 195031. Mais l’ensemble du château de cartes s’est
effondré avec l’éclatement de la bulle de la spéculation immobilière. En
GH OD SRSXODWLRQ DFWLYH WUDYDLOODLW GDQV OH E¤WLPHQW FH TXL
UHSU«VHQWDLW GX 3,% YRLUH VL OȇRQ WLHQW FRPSWH GHV IRXUQLV-
seurs et des activités indirectes. Des centaines de milliers d’ouvriers se
VRQWUHWURXY«VDXFK¶PDJHSXLVDFFXO«VSDUOHVEDQTXHV¢SD\HUOHXU
SU¬WHWPHQDF«VGȇH[SXOVLRQGDQVXQSD\VTXLLURQLHGHOȇKLVWRLUHQȇD
jamais connu autant de logements vacants et de chantiers d’immeubles
DEDQGRQQ«V'DQVFHFRQWH[WHOD3$+DPLVWURLVGHPDQGHVSULQFLSDOHV
sur le devant de la scène depuis 2009 : 1) la donation pour paiement
rétractif ; 2) un moratoire sur les expulsions ; 3) la location sociale des
ORJHPHQWVYDFDQWVG«WHQXVSDUOHVHQWLW«VȴQDQFLªUHV
šLa banque d’Espagne estime qu’un tiers de l’ensemble des contrats de prêt immobilier
contient des « clauses sol » abusives, soit environ 3,5 millions de particuliers et d’entreprises.
Mais à ce jour, seul 5 % des personnes concernées ont poursuivi leur banque en justice. Le
collectif d’avocats Denuncias Colectivas et l’ADICAE, l’association des usagers des banques
et des caisses d’épargne, cherchent à favoriser les actions collectives en justice, comme la
plainte en cours à Madrid contre BCPMKCGVUGUGPVKVȌUHKPCPEKȋTGU Caja Madrid, Bancaja, Caixa
LCKGVCPCGVE SWK KORNKSWG š RCTVKEWNKGTU Cf. ADICAE, « MȄU FG š RTGHGTGPVKUVCU UG
suman finalmente a la demanda colectiva de ADICAE contra BCPMKCzLWKP
šSur ce point, voir par exemple l’excellente étude de la sociologue Sandra GƧƻƯƷƯƧJuventud
y familia en Francia y en España, Madrid, Centro de Investigaciones Sociológicas, 2007, dans
laquelle elle explique bien les différentes trajectoires de vies des jeunes et les discours distincts
des parents à l’égard de la location au sein des deux pays.
230
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
231
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
sociale. Cette revendication est soutenue de longue date par les collec-
tifs de sans-abri et par une association de solidarité chrétienne comme
Caritas3RXUOHVPLOLWDQWVGHOD3$+LOVȇDJLWGȇXQHTXHVWLRQGȇXUJHQFH
VRFLDOHPDLVDXVVLGȇXQHQMHXG«PRFUDWLTXHFRPPHOHG«IHQG-RUJH
Une démocratie qui remet en cause le droit fondamental à avoir un toit
QȇHVWSDVXQHG«PRFUDWLHP¬PHVLOȇRQYRWHWRXVOHVTXDWUHDQV/DG«PR-
cratie c’est lorsque l’on prend d’abord en compte l’intérêt général des
FLWR\HQVHWQRQFHOXLGHVPDUFK«VȴQDQFLHUV32.
0¬PHVLOHVSRXYRLUVSXEOLFVQDWLRQDX[VRQWUHVW«VLQȵH[LEOHVWDQW
VRXVOHJRXYHUQHPHQWGX362(TXHGXUDQWFHOXLGX33OHVDFWLRQVGHV
FROOHFWLIVGHOD3$+OHXUSXEOLFLW«HWODPLVHVXUOȇDJHQGDSXEOLFGHOHXUV
revendications ont débouché sur des évolutions politiques dans l’espace
ORFDO$XQLYHDXPXQLFLSDOODYLOOHGH6DQW$GUL¢GHO%HV´VHQ&DWDORJQH
a approuvé en décembre 2010 à l’unanimité la première motion
GȇDSSXL¢OD3$+'HSXLVORUVTXDWUHFHQWVPXQLFLSDOLW«VRQWDGK«U«¢
VHVFDPSDJQHV%DUFHORQH7HUUDVD*«URQH*HWDIH/RJUR³RHW9LJR
des commissions mixtes associant des représentants de la PAH et des
PXQLFLSDOLW«V RQW «W« IRUP«HV DȴQ GH WURXYHU GHV VROXWLRQV FRQFUªWHV
de relogement ou pour éviter des expulsions. Le gouvernement régional
andalou dirigé par la coalition PSOE-IU a de même décidé un moratoire
WHPSRUDLUHHQ0¬PHVLXQPRUDWRLUHQDWLRQDOQȇDSDV«W«G«FU«W«
les mobilisations collectives de la PAH ont ainsi contribué à politiser
ORFDOHPHQWOȇHQMHXGXORJHPHQWHW¢IDLUHSDUIRLV«YROXHUOHVSROLWLTXHV
des municipalités.
232
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
,OHVWLQDFFHSWDEOHTXHOȇ(VSDJQHVRLWOHSD\VHXURS«HQR»LO\DOHSOXV
GȇH[SXOVLRQV DORUV TXH FȇHVW DXVVL FHOXL R» LO \ D OH SOXV GH ORJHPHQWV
YLGHV &RPPH LO QȇH[LVWH SDV XQ SDUF GH ORJHPHQWV SXEOLFV R» UHORJHU
OHV JHQV LO VHPEOH O«JLWLPH GH U«FXS«UHU FHV ORJHPHQWV YLGHV HW GH OHV
occuper33.
233
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
SROLWLTXHGHVSHUVRQQHVLQWHUURJ«HVIDLVDLHQWFRQȴDQFH¢OD3$+
SRXU U«VRXGUH OH SUREOªPH GHV H[SXOVLRQV FRQWUH VHXOHPHQW DX
JRXYHUQHPHQWDX362(HWDX[DXWUHVSDUWLVGHOȇRSSRVLWLRQ35.
Même les électeurs du PP ne sont pas convaincus de la capacité ou de la
volonté politique du gouvernement conservateur de trouver des solu-
tions au problème36.
234
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
OH PRQGH OHV MHXQHV OHV YLHX[ OHV VDODUL«V OHV HQWUHSUHQHXUV HQ FULVH
&KDFXQFRQQD°WGHVYRLVLQVGHVDPLVRXDHQWHQGXSDUOHUGȇH[SXOVLRQV
à la télévision. Ces situations sont des drames individuels et familiaux et
les gens sont touchés par ces expulsions car cela peut arriver à n’importe
TXL$YHFODFULVHEHDXFRXSGHJHQVVHVHQWHQWYXOQ«UDEOHV0¬PHVLWX
QȇDVSDVGHSU¬WWXHVDIIHFW«SDUOHVFRXSHVEXGJ«WDLUHV/HVH[SXOVLRQV
c’est la goutte d’eau qui déborde du vase37.
$X VHLQ GHV FROOHFWLIV OH WUDYDLO GH OD mFRPPLVVLRQ MXULGLTXH} HVW
très respecté et perçu comme celui « des sages et des intellos. Mais
GHV LQWHOORV TXL QRXV DLGHQW YUDLPHQW} SRXU UHSUHQGUH OȇH[SUHVVLRQ
GH7ULQLGDGXQHDIIHFW«HGHNou Barris38. On y trouve surtout des étu-
GLDQWVHQGURLWGHVLQVWLWXWULFHVHWGHVSURIHVVHXUVDLQVLTXHGHVUHWUDL-
tés. Ces personnes ont en commun d’être plus diplômées que le reste
des militants. On peut d’ailleurs remarquer une tendance à la spéciali-
VDWLRQ GHV SURȴOV PLOLWDQWV &HX[ TXL SU«IªUHQW OȇDFWLRQ GLUHFWH HW VRQW
SOXV SROLWLV«V VȇHQJDJHQW SOXV VRXYHQW GDQV OHV FRPPLVVLRQV mYLG«R}
mFRPPXQLFDWLRQ} RX mDFWLRQ} DX VHLQ GHVTXHOOHV LOV GLVFXWHQW GHV
stratégies et des modes d’action pour alerter l’opinion et les pouvoirs
publics. Les militants les plus jeunes se retrouvent généralement dans
FHVFRPPLVVLRQVLOVLQFDUQHQWOHVIRUFHVYLYHVGHVFROOHFWLIVVRQWPRLQV
SU«VHQWV TXRWLGLHQQHPHQW GDQV OHV ORFDX[ PDLV ¢ OȇDYDQWJDUGH GHV
interpositions face aux forces de l’ordre.
Les membres des commissions « accompagnement » et « suivi des
FDV} FRQVWLWXHQW mOHV SHWLWHV PDLQV} GHV FROOHFWLIV FHX[ TXL RQW XQH
présence la plus régulière dans les locaux de quartier et qui rassemblent
VRXYHQW OHV ȴJXUHV OHV SOXV FRQQXHV 3OXV SU«VHQWV DX TXRWLGLHQ FHV
JHQV MRXHQW OH U¶OH GH SHUVRQQHV G«YRX«HV HW ¢ Oȇ«FRXWH OHV SUHPLªUHV
¢ DFFXHLOOLU ¢ DFFRPSDJQHU HW ¢ VXLYUH GDQV OH WHPSV OHV SHUVRQQHV
DIIHFW«HV ,OV FRPSOªWHQW OȇDFWLRQ GHV WUDYDLOOHXUV VRFLDX[ YRLUH P¬PH
se substituent dans les faits à ces derniers. J’ai pu aussi constater une
GLPHQVLRQJHQU«HGHOȇHQJDJHPHQWGDQVOHVFRPPLVVLRQVOHVKRPPHV
étant plus nombreux dans celles qui sont axées sur les stratégies d’ac-
WLRQFROOHFWLYHHWOHVIHPPHVSOXVUHSU«VHQW«HVGDQVFHOOHVTXLVRQWOL«HV
DX VXLYL GHV SHUVRQQHV (QȴQ OHV PHPEUHV GH OD mFRPPLVVLRQ MXUL-
GLTXH}RQWVRXYHQWXQVWDWXW¢SDUWPRLQVQRPEUHX[OHXUHQJDJHPHQW
DOWHUQHHQWUHGHVU«XQLRQVGHJURXSHVGHVFRQVXOWDWLRQVLQGLYLGXDOLV«HV
235
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
236
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
šLa seule initiative du gouvernement du PSOE de 2004 à 2008, fut d’augmenter le prix
d’évaluation d’un immeuble lors de sa saisie par les entités financières de 50 % à 60 % de sa
valeur estimée, cf. Antonio Papell, Zapatero 2004-2008. La legislatura de la crispación, Madrid,
Foca Ediciones, 2008, p. 207.
41. « La PAH en el Congreso de los diputados », El País, 11 juillet 2011.
šÉvolution du taux de chômage en Espagne, données Eurostat, Commission Européenne,
2014.
237
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
OD EDQTXH OH SDWURQDW GX VHFWHXU TXL ORXD mOH FRPSRUWHPHQW H[HP-
plaire des banques » et leur « implication sociale » puisqu’elles « font
WRXWFHTXȇHOOHVSHXYHQWSRXU«YLWHUOHVH[SXOVLRQV}WRXWHQTXDOLȴDQW
d’« excellente » (« estupenda} OD ORL K\SRWK«FDLUH HVSDJQROH mOȇXQH
des meilleures en Europe » selon lui43. Dans une intervention très suivie
VXUOHVU«VHDX[VRFLDX[$GD&RODXOXLU«SRQGLWGHID©RQFLQJODQWH
,O Qȇ\ D ULHQ GH SOXV F\QLTXH TXH GH TXDOLȴHU FHWWH ORL GȇȊH[FHOOHQWHȋ
alors que de nombreuses personnes se suicident à cause d’elle. Je n’ai
SDVHQYR\«GHFKDXVVXUH¢FH0RQVLHXUSDUUHVSHFWPDLVMHSHQVHTXH
vous êtes un criminel et un menteur. Vous dites que le comportement
GHVEDQTXHVD«W«ȊH[HPSODLUHȋDORUVP¬PHTXHOHVSU¬WVIUDXGXOHX[OH
scandale des “preferentes” et les clauses abusives ont causé la ruine de
milliers de personnes44.
0DLV GHYDQW OȇLQDFWLRQ GX SRXYRLU SROLWLTXH OD OXWWH VȇHVW MXGLFLDUL-
V«H /H MXJH *XLOOHP 6ROHU V\PSDWKLVDQW GX PRXYHPHQW D G«SRV« XQ
UHFRXUVGHYDQWOH7ULEXQDOFRQVWLWXWLRQQHOHQVHSWHPEUHDXPRWLI
que la procédure d’expulsion existante dans la loi espagnole remet en
FDXVH OHV GURLWV GH OD G«IHQVH OD WXWHOOH MXGLFLDLUH QH VȇH[HU©DQW SDV
GH ID©RQ HIIHFWLYH FH TXL QH SHUPHW SDV DX[ SHUVRQQHV DIIHFW«HV GH
se défendre correctement. Le juge José Maria Fernández Seijò a aussi
effectué une dénonciation de l’Espagne devant la Cour de justice de
l’Union européenne au motif que la loi hypothécaire remettrait en
FDXVHODQRUPHHXURS«HQQHHQPDWLªUHGHGURLWVGXFRQVRPPDWHXUTXL
prévoit un minimum de protection et d’information contre les clauses
DEXVLYHV ORUV GH OD VLJQDWXUH GH SU¬WV EDQFDLUHV OH PDUV OH
WULEXQDOOXLDȴQDOHPHQWGRQQ«UDLVRQHQMRLJQDQWOHSRXYRLUSROLWLTXH
¢PRGLȴHUODORLSRXUUHQIRUFHUOHVGURLWVGHVSDUWLFXOLHUV45. De 2007 à
OHV WULEXQDX[ HVSDJQROV DXURQW GRQF DSSOLTX« XQH ORL TXL SRUWH
atteinte à certains droits fondamentaux…
(QȴQ OD 3$+ D XWLOLV« DYHF VXFFªV OȇXQH GHV SRVVLELOLW«V MXULGLTXHV
permises par la loi espagnole : une initiative législative populaire (ILP)
peut en effet être débattue au Congrès des députés suite à une pétition
rassemblant les signatures de cinq cent mille citoyens. Même si c’est
la majorité parlementaire (et non un éventuel référendum) qui décide
HQVXLWHVLXQG«EDWGRLWRXQRQDYRLUOLHXSXLVTXLYRWHOȇDSSUREDWLRQRX
43. « Rodriguez Pellitero defiende los bancos en el Congreso », El País, 5 février 2013.
šIntervention citée par Ada Colau et Adrià Alemany dans leur ouvrage, op. cit., 2013, p. 26.
45. « El Tribunal de JWUVKEKCGWTQRGQEQPUKFGTCCDWUKXCNCNG[GURCȓQNCUQDTGFGUCJWEKQUzEl
País, 14 mars 2013.
238
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
OHUHMHWGHOȇ,/3FHWWHSURF«GXUHSHUPHWGHODQFHUXQYUDLG«EDWSXEOLF
DXWRXUGȇXQHLQLWLDWLYHFLWR\HQQH(QRFWREUHOD3$+VȇHVWDVVRFL«H
DYHF OHV V\QGLFDWV && 22 HW 8*7 OD FRQI«G«UDWLRQ GHV DVVRFLDWLRQV GH
YRLVLQVGH&DWDORJQH &21)$9& OȇREVHUYDWRLUH'(6&HWODTaula del ter-
cer Sector m7DEOH GX WURLVLªPH VHFWHXU} SRXU PHWWUH HQ ĕXYUH XQH
,/3DXWRXUGHGHX[UHYHQGLFDWLRQVXQPRUDWRLUHVXUOHVH[SXOVLRQVHW
la donation pour paiement.
,OQȇH[LVWDLWDORUVTXȇXQHGRX]DLQHGHSODWHIRUPHVGHOD3$+ODSOX-
SDUWGDQVODSURYLQFHGH%DUFHORQH/HPRXYHPHQWGHVLQGLJQ«VTXLVH
G«YHORSSDDSUªVODJUDQGHPDQLIHVWDWLRQGXPDLQȇ«WDLWHQFRUH
qu’embryonnaire. Cette initiative de rassemblement d’organisations
V\QGLFDOHV GH FROOHFWLIV HW GȇDVVRFLDWLRQV GH OD VRFL«W« FLYLOH DXWRXU
d’un même objectif permit à la PAH de faire connaître son combat.
0DLV OȇLPSOLFDWLRQ GH QRPEUHX[ PLOLWDQWV GDQV OHV PDQLIHVWDWLRQV
les occupations et les assemblées de rue des indignés au printemps
¢ %DUFHORQH 7DUUDJRQH *«URQH HQ &DWDORJQH HW GDQV OHV DXWUHV
JUDQGHV YLOOHV Gȇ(VSDJQH SXLV OH UHFHQWUDJH GX G«EDW SXEOLF VXU OHV
«OHFWLRQV O«JLVODWLYHV DQWLFLS«HV GX QRYHPEUH UHWDUGªUHQW OH
SURFHVVXV/HDYULOODSUHPLªUHWDEOHIXWLQVWDOO«HGDQVODUXH¢
%DUFHORQH3RXU-DYLHUXQ«WXGLDQWHQSKLORVRSKLHPHPEUHGXFROOHFWLI
de Barcelone depuis trois ans et ayant participé à ce processus : « cette
FDPSDJQH SHUPLW GH PRELOLVHU OHV JHQV FRQWUH OHV H[SXOVLRQV HW GH
UHQIRUFHU OH VRXWLHQ SRSXODLUH ¢ QRWUH FDXVH /ȇXQ DPHQDLW GHV VLªJHV
OȇDXWUHOHVVDQGZLFKVODS«WLWLRQG«YHORSSDOHVVROLGDULW«V46}*U¤FH¢FH
YDVWHPRXYHPHQWGȇ«GXFDWLRQHWGȇHQJDJHPHQWSRSXODLUHODS«WLWLRQIXW
VLJQ«HHQTXHOTXHVPRLVSDUPLOOLRQGHFLWR\HQV
239
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
240
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
šLe « corralito » désigne la limitation des retraits bancaires des épargnants à 250 pesos par
semaine et l’interdiction d’envoi de fonds à l’extérieur pour tenter de répondre à la fuite des
capitaux et à la crise de liquidité. Mais la conversion forcée des comptes en dollar en peso
dévalué, fit perdre une grosse partie de leur épargne aux Argentins des classes moyennes et
populaires, qui protestèrent par des sifflets, des bruits de casseroles et des manifestations
parfois violentes contre les banques et les institutions. Cf. François CƮƫƸƴƧƯƸet JGCPPhilippe
DƯƻʣƸ¡QXHVHYD\DQWRGRV̰Le peuple d’Argentine se soulève, Paris, Éditions Nautilus, 2002.
šCharles TƯƲƲƾ, La France conteste. De 100 à nos jours, Paris, FC[CTFR
šOlivier FƯƲƲƯƫƺƲƫet Danielle TƧƷƹƧƱƵƼƸƱƾop. cit., 2013, p. 79.
šPropos et observations recueillis auprès de passants et de manifestants lors d’un terrain,
avenue Rambla, Barcelone, 9 juillet 2013.
241
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
242
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
243
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
244
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
62. « El Gobierno habla de dación en pago para emprendedores pero se olvida de las familias »,
[La Sexta. com], 26 février 2015, consulté le 5 avril.
245
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
9
La monarchie espagnole entre
crises et restaurations (1808-2015)
Benoît PELLISTRANDI
/ȇDEGLFDWLRQGXURL-XDQ&DUORVDQQRQF«HOHMXLQGȇDERUGSDU
le chef du gouvernement Mariano Rajoy puis expliquée par le roi lui-
P¬PH DX FRXUV GȇXQH LQWHUYHQWLRQ W«O«YLV«H mLQVWLWXWLRQQHOOH} QȇHVW
pas apparue comme un geste volontaire mais bien comme le résultat
quasiment obligé d’une détérioration de l’image du roi dans l’opinion
SXEOLTXH G«W«ULRUDWLRQ TXL HQWUD°QDLW DYHF HOOH OD UHPLVH HQ FDXVH GX
V\VWªPH PRQDUFKLTXH /H SURFHVVXV FRQVWLWXWLRQQHO H[LJHDLW TXH I½W
alors votée une loi organique prenant acte de l’abdication de Juan
Carlos ; c’est lorsqu’il signerait la loi que son abdication deviendrait
effective. L’acte solennel eut lieu le mercredi 18 juin 2014 au Palais
5R\DO¢0DGULG/HOHQGHPDLQOHV&RUWªVSURF«GDLHQW¢ODSURFODPDWLRQ
GXQRXYHDXURL3KLOLSSH9,
La séquence politique fut donc extraordinairement rapide : en dix-
KXLW MRXUV OD &RXURQQH DYDLW FKDQJ« GH WLWXODLUH HW OD PDJLVWUDWXUH
VXSU¬PH GH OȇWDW IDLVDLW OD G«PRQVWUDWLRQ TXȇHOOH IRQFWLRQQDLW SDUIDL-
tement dans le cadre prévu et instauré par la constitution de 1978. Les
PDQLIHVWDWLRQVGHU«SXEOLFDLQVGHPDQGDQWTXȇXQU«I«UHQGXPI½WRUJD-
nisé pour décider de la continuité ou non de la forme monarchique de
ODW¬WHGHOȇWDWIXUHQWUDSLGHPHQWQR\«HVVRXVOHȵRWGHVFRPPHQWDLUHV
VRXYHQW«ORJLHX[TXLDFFRPSDJQªUHQWODG«FLVLRQGH-XDQ&DUORV&HOOH
FLPHWWDQWȴQ¢XQUªJQHGHSUHVTXHWUHQWHQHXIDQVRQQHSRXYDLWSDV
QHSDVSURSRVHUXQELODQ(W¢FHW«JDUGOȇDFWLIODWUDQVLWLRQG«PRFUD-
WLTXH OD FDSDFLW« ¢ DFFRPSDJQHU OD P«WDPRUSKRVH GH Oȇ(VSDJQH HW ¢
UHSU«VHQWHU FHSD\VTXLUHWURXYDLWODVFªQHLQWHUQDWLRQDOHOȇHPSRUWDLW
247
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
1. « Encuesta de MGVTQUEQRKCš GN ENKOC RQNȐVKEQ [ UQEKCN GP EURCȓCz El País, dimanche
8 février 2015.
248
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
LA MONARCHIE, UN HÉRITAGE
FRAGILISÉ PAR L’HISTOIRE
L’histoire des Bourbons en Espagne est une histoire complexe dans
ODTXHOOH OHV VFDQGDOHV OHV FULVHV IDPLOLDOHV OHV DEGLFDWLRQV OHV H[LOV
les restaurations scandent une saga dynastique et politique haute-
ment colorée. Il y eut d’abord la guerre de Succession et la manœuvre
SROLWLTXH GH /RXLV ;,9 SHWLWȴOV GH 3KLOLSSH ,,, URL Gȇ(VSDJQH GH
à 1621) et neveu et gendre de Philippe IV (roi de 1621 à 1665). Bien
qu’il ait renoncé à la succession d’Espagne pour sa descendance lors de
VRQPDULDJHDYHFOȇLQIDQWH0DULH7K«UªVH/RXLV;,9DFFHSWHUDHQ
OD FRXURQQH Gȇ(VSDJQH SRXU VRQ SHWLWȴOV OH GXF Gȇ$QMRX (QWUH
HW OD OXWWH HQWUH OHV SDUWLVDQV GH 3KLOLSSH9 HW FHX[ GX SU«WHQ-
GDQW &KDUOHV GH +DEVERXUJ G«FKLUD Oȇ(VSDJQH (Q &DWDORJQH QRWDP-
PHQW R» OHV %DUFHORQDLV TXLHQ Vȇ«WDLHQW WRXUQ«V YHUV /RXLV;,,,
šTelle est la raison d’un article consacré à la monarchie dans ce livre étudiant la crise démo
cratique espagnole.
249
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
FRQWUH3KLOLSSH,9YRLHQWG«VRUPDLVHQ&KDUOHVGH+DEVERXUJOHPHLO-
leur défenseur des libertés catalanes3. Il convient de ne pas tomber
dans l’anachronisme et de ne pas relire le XVIIIe siècle espagnol à la
lumière des historiens catalans du XIXe siècle. La vision misérabiliste
d’une Catalogne opprimée est fausse : Pierre Vilar l’a magistralement
G«PRQWU«GDQVVDF«OªEUHWKªVHLa Catalogne dans l’Espagne moderne.
Recherches sur les fondements économiques des structures nationales
(1962). Retenons cependant l’idée d’une nouvelle étape dans l’histoire
QDWLRQDOH PDUTX«H ¢ OD IRLV SDU OȇLPSODQWDWLRQ GHV %RXUERQV HW SDU
OȇDEROLWLRQGHVMXULGLFWLRQVGHVGLII«UHQWHVFRXURQQHV $UDJRQ9DOHQFH
&DWDORJQH%DO«DUHV DXSURȴWGXV\VWªPHMXGLFLDLUHFDVWLOODQ'ȇXQF¶W«
XQQRXYHODOLJQHPHQWGH0DGULGVXUOD)UDQFHGHOȇDXWUHOȇH[S«ULHQFH
d’une rationalisation administrative.
L’Espagne du XVIIIe siècle avec ses quatre rois — Philippe V (1700-
/RXLV,er (1724)4)HUGLQDQG9, &KDUOHV,,,
— est une puissance européenne qui compte et qui se modernise. Charles
IV (1788-1808) va se trouver confronté à l’épreuve de la Révolution
IUDQ©DLVHFHTXLH[SOLTXHVHVUDLGLVVHPHQWVLQWHOOHFWXHOVHWLG«RORJLTXHV
4XRLTXȇHQJDJ« GDQV OHV JXHUUHV DQWLIUDQ©DLVHV Oȇ(VSDJQH UHWURXYH WUªV
YLWHVRQDOOLDQFHDYHFOD)UDQFH WUDLW«GH6DQ,OGHIRQVRHQTXLIDL-
VDQWVXLWH¢ODSDL[GH%¤OHOLHOHVLQW«U¬WVHVSDJQROV¢FHX[GHOD)UDQFHȐ
et explique l’alliance maritime qui vaudra à l’Espagne la perte de ses
navires lors de la bataille de Trafalgar en 1805). La présence de troupes
françaises sur son sol dès 1807 — elles se dirigent vers le Portugal — se
transformera en occupation militaire en avril 1808 lorsque la crise fami-
liale et politique de la dynastie des Bourbons conduit Napoléon à la dépos-
V«GHUGXWU¶QH&KDUOHV,9GRLWHQHIIHWIDLUHIDFH¢OȇRSSRVLWLRQGHVRQȴOV
)HUGLQDQGSULQFHGHV$VWXULHV&KRTX«SDUOȇDWWLWXGHGHVDPªUHODUHLQH
0DULH/RXLVH SURWHFWULFH GH OȇDVFHQVLRQ LQG«FHQWH GH 0DQXHO *RGR\ HW
FRQVWHUQ« SDU OD IDLEOHVVH GH VRQ SªUH &KDUOHV ,9 )HUGLQDQG HVW VDQV
aucun doute impliqué dans la préparation du soulèvement d’Aranjuez.
([SORVLRQ GH YLROHQFH SRSXODLUH FHWWH «PHXWH D GȇLPPHQVHV FRQV«-
quences politiques entre le 17 et le 19 mars 1808 : Charles IV abdique et
)HUGLQDQG9,,HVWSURFODP«URL'HX[MRXUVDSUªVOHYLHX[URLUHSUHQGVD
šPour une interprétation globale de ce moment dans l’histoire catalane, voir José Enrique
RƺƯƿDƵƳʣƩƫƩ, Catalunya-España. Encuentros y desencuentros, Barcelone, La Vanguardia 2010
et Henry KƧƳƫƴ, España y Cataluña, Madrid, La Esfera de los libros, 2014. Pour un point plus
détaillé sur la guerre de Succession, voir Joaquim AƲƨƧƷƫƪƧSƧƲƻƧƪʭ, La guerra de Sucesión en
España (1700-1714), Barcelone, Crítica, 2011.
šPhilippe V abdiqua en janvier 1724 et son fils Louis lui succéda. Il mourut prématurément en
août 1724 forçant son père à remonter sur le trône.
250
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
251
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
252
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
D KXLW HQIDQWV WRXV HQYR\«V HQ )UDQFH SRXU FDFKHU OH VFDQGDOH ȃ OD
fragilise. Ses tergiversations — elle n’est libérale que pour sauver son
WU¶QHȃ SXLV SOXV WDUG VHV PDOYHUVDWLRQV ȴQDQFLªUHV DXURQW PLQ« OH
chemin qui devait conduire la jeune Isabelle sur le trône9 -RV« *¾HOO
avait proposé en 1858 un parallèle entre Isabelle II et la grande Isabelle
OD FDWKROLTXH ,O VȇDJLVVDLW ELHQ GH G«IHQGUH OD ȴJXUH GȇXQH WUªV MHXQH
IHPPHTXLRFFXSDLWXQWU¶QHFRQWHVW«SDUOHVFDUOLVWHVHWGȇ\YRLUODSUR-
messe d’un grand règne10. Cet essai restera infructueux et la réputation
d’Isabelle II sera toujours sulfureuse. Cela commença par la question
hautement politique de son mariage.
)UXLW GȇXQH ORQJXH Q«JRFLDWLRQ GLSORPDWLTXH GRQW *XL]RW D ODLVV«
le récit11 OH PDULDJH Gȇ,VDEHOOH VHUD HVSDJQRO HOOH «SRXVH VRQ FRXVLQ
JHUPDLQ)UDQ©RLVȴOVGXȴOVFDGHWGH&KDUOHV,9XQDXWUH)UDQ©RLV/D
VĕXU FDGHWWH GH OD UHLQH OȇLQIDQWH /RXLVH)HUQDQGH «SRXVH OH GXF GH
0RQWSHQVLHU XQ GHV ȴOV GH /RXLV3KLOLSSH /H PDULDJH UR\DO F«O«EU«
HQIXWLPP«GLDWHPHQWREMHWGHVFDQGDOH1RQVHXOHPHQWLOQȇ«WDLW
SDVFRQVRPP«PDLVLOVHPEOHTXHODMHXQHUHLQH HOOHDHQWUHVHL]HHW
dix-sept ans) s’attache à d’autres hommes. Il faudra l’intervention du
pape Pie IX pour forcer la reine et son époux à vivre ensemble. Si des
HQIDQWV QDTXLUHQW GH FHWWH XQLRQ OHV DSS«WLWV VH[XHOV WDQW Gȇ,VDEHOOH
TXHGH)UDQ©RLVȃRQOHVXUQRPPDLWm3DTXLWD}GLPLQXWLII«PLQLQGH
)UDQ©RLVȃHXUHQWW¶WIDLWGȇDOLPHQWHUWRXWHVVRUWHVGHUXPHXUVHWGȇLQ-
sinuations. La chose ne serait qu’anecdotique si elle n’avait eu des effets
SROLWLTXHV7RXWU«FHPPHQW,VDEHO%XUGLHO¢TXLOȇRQGRLWODPHLOOHXUH
biographie d’Isabelle12DSU«IDF«ODU««GLWLRQGȇXQRXYUDJHVFDQGDOHX[
du XIXe siècle : Los Borbones en pelota OLWW«UDOHPHQW Les Bourbons à
poil13. Les images satiriques du pamphlet sont d’une violence inouïe :
on y voit la reine offrant son sexe à ses courtisans dont le pénis est en
YLROHQWH«UHFWLRQ/HFRQIHVVHXUGHODUHLQHOHSªUH&ODUHWVDFRQVHLOOªUH
VSLULWXHOOH6ĕXU3DWURFLQLRVRQWWRXWDXVVLREV«G«VVH[XHOVHWG«QXG«VȐ
&LUFXODQWVRXVOHPDQWHDXFHVLPDJHVRQWIDLWSOXVTXȇDE°PHUODȴJXUH
de la reine : elles minaient l’institution monarchique en discréditant la
šIsabelle est proclamée majeure à ses treize ans en 1843. Mérimée dans sa correspondance
insinue que la reine mère, Marie Christine, qu’il appelle « la vieille coquine », avait tenté de
vendre des toiles originales du Prado et de les remplacer par des copies… le tout à son profit
GZENWUKHšЏ
šUne deuxième guerre carliste a eu lieu entre 1854 et 1856.
šFrançois GƺƯƿƵƹ, Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps, Paris, 1874.
šIsabel BƺƷƪƯƫƲ, Isabel II, Madrid, Taurus, 2010.
šIsabel BƺƷƪƯƫƲ FKT Los Borbones en pelota, Saragosse, Institución Fernando el Católico,
2012.
253
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
G\QDVWLH0«ULP«HGªVLQIRUPH1DSRO«RQ,,,GXP«SULVGRQWHOOH
fait l’objet14.
(QOȇ«PHXWHGLWHGHODVDLQW'DQLHOQ«HGHODG«FLVLRQGXJRX-
YHUQHPHQWGHVXVSHQGUHOHUHFWHXUGHOȇXQLYHUVLW«GH0DGULGSORQJHHQ
U«DOLW«VHVUDFLQHVGDQVXQHQRXYHOOHLQFDUWDGHSROLWLTXHHWȴQDQFLªUH
de la reine Isabelle. Celle-ci avait décidé de céder une partie de son
SDWULPRLQH ¢ OȇWDW DȴQ TXH FHOXLFL SXLVVH ¢ VRQ WRXU OH YHQGUH HW HQ
WLUHUGHVUHFHWWHVTXLU«GXLUDLHQWOHG«ȴFLW&HSHQGDQWGXSURGXLW
GHODYHQWH«WDLWDIIHFW«¢OȇWDWWDQGLVTXHOHVUHVWDQWDOLPHQWDLHQW
ODFDLVVHSHUVRQQHOOHGHODPRQDUTXH/HVDɚG«VYLUHQWGDQVFHJHVWHOD
répétition du geste généreux d’Isabelle la Catholique vendant ses bijoux
SRXU ȴQDQFHU OȇH[S«GLWLRQ GH &KULVWRSKH &RORPE 0DLV OȇRSSRVLWLRQ
libérale et démocrate y vit la spoliation pure et simple d’un patrimoine
QDWLRQDO 3RXU (PLOLR &DVWHODU SURIHVVHXU ¢ OȇXQLYHUVLW« GH 0DGULG HW
OHDGHU G«PRFUDWH OD UHLQH YRODLW OHV (VSDJQROV /ȇ«PHXWH SURYRTXD
QHXI PRUWV OH WU¶QH HQ UHVWD WRXW ¢ IDLW YDFLOODQW 7URLV DQV SOXV WDUG
la « Gloriosa } FȇHVWOHQRPGRQQ«¢ODU«YROXWLRQTXLHVWGȇDERUGXQH
FRQMXUDWLRQ GH WRXWHV OHV RSSRVLWLRQV PHW ȴQ DX UªJQH Gȇ,VDEHOOH (OOH
part en exil en France et connaît dès lors un « triste destin15 ». Isabelle
a échoué comme reine constitutionnelle et la fragilité morale de ses
comportements a convaincu les élites espagnoles de l’abandonner.
,QFDSDEOH GH VȇHQ WHQLU DX U¶OH TXH OXL ȴ[DLHQW OHV WH[WHV FRQVWLWXWLRQ-
nels (essentiellement celui de 1845 puisque la constitution progressiste
GH QH IXW SDV DSSOLTX«H ,VDEHOOH D G«PRQWU« TXH VD SUDWLTXH
perturbait l’équilibre des pouvoirs. La solution passe donc par son
renversement.
/HQRXYHDXSRXYRLU¢0DGULGDSUªVTXHOHV&RUWHVFRQVWLWXWLRQQHOV
RQWU«GLJ«XQWH[WH FKHUFKHXQURL3DUPLOHVFDQGLGDWVOHGXF
GH0RQWSHQVLHUEHDXIUªUHGHODUHLQHG«FKXHTXLVHYDQWHGȇDSSDUWH-
nir à la famille d’Orléans : c’est une manière de dire son libéralisme.
On sonde un prince Hohenzollern (ce qui provoquera la guerre entre
la France et la Prusse). On écarte l’hypothèse d’un roi choisi parmi les
SUHVWLJLHX[ J«Q«UDX[ HVSDJQROV $X ȴQDO FȇHVW OH ȴOV FDGHW GH 9LFWRU
Emmanuel II roi de Piémont qui est élu. Amédée de Savoie arrivera à
Madrid en décembre 1871 et quittera l’Espagne en février 1873. Son
bref règne ne fait que traduire l’instabilité dans laquelle s’enfonce le
14. « J’ai dit textuellement à Leurs Majestés que la haine qu’elle inspirait n’était tempérée que
par le mépris », Lettre 2082, au général L.A. Callier, 2 janvier 1854, CG, t. VII, p. 244.
šL’expression est de PƫƷƫƿGƧƲƪƵƸ, La de los tristes destinos, Madrid, Pelardo y PGNȄG\
254
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
SD\V $SUªV FHWWH SDUHQWKªVH LWDOLHQQH GH OD FRXURQQH HVSDJQROH OD
République est proclamée.
3HQGDQWFHWHPSVDXWRXUGȇ$QWRQLR&DQµYDVGHO&DVWLOOROHVSDUWL-
sans d’une restauration de la monarchie et des Bourbons s’activent. Ils
REWLHQQHQWXQHUHQRQFLDWLRQDXWU¶QHGHODUHLQH,VDEHOOH,,DXSURȴWGH
VRQ ȴOV D°Q« OH MHXQH SULQFH $OSKRQVH GRQW Oȇ«GXFDWLRQ VH SRXUVXLW ¢
Paris puis à l’académie militaire britannique de Sandhurst. Publiant un
manifeste le 1er décembre 187416OHMHXQHSULQFHVȇRIIUHSRXUXQHUHV-
tauration qui reprendrait la forme d’une monarchie constitutionnelle.
3«UH]*DOGRVWURXYHUDODIRUPXOHTXLGLWODV\QWKªVHSURSRV«HLOVȇDJLW
d’unir dans un même corps l’esprit de Pie IX et celui d’Espartero. Début
$OSKRQVH IDLW VRQ HQWU«H ¢ 0DGULG HW GHYLHQW URL VRXV OH QRP
d’Alphonse XII. Une constitution mettant en place un système bicaméral
et faisant du roi l’un des détenteurs de la souveraineté est votée en 1876.
Le suffrage est redevenu censitaire. La pensée politique de Cánovas
emprunte au libéralisme anglais et au libéralisme doctrinaire17. Il rêve
d’un système bipartisan : à un grand parti conservateur s’oppose un
JUDQGSDUWLOLE«UDOOHVGHX[«WDQWXQLVVXUODIRUPHGHOȇWDW&HWLG«DO
est mis en forme à partir de 1876. Il surmontera trois grandes épreuves :
la mort prématurée d’Alphonse XII en 1885 et la mise en place d’une
U«JHQFHVRXVOȇDXWRULW«GHODUHLQH0DULH&KULVWLQHGH+DEVERXUJOȇLQV-
tauration du suffrage universel en 1890 par le gouvernement libéral de
0DWHR3UD[HGHV6DJDVWDHWHQȴQODJUDQGHFULVHGHFRQVFLHQFHQDWLRQDOH
GHFRQV«FXWLYH¢ODSHUWHGHVFRORQLHVFXEDLQHHWSKLOLSSLQHDUUD-
FK«HVSDUOHVWDWV8QLVDXWHUPHGHFRPEDWVUDSLGHVHWKXPLOLDQWV
(Q OH MHXQH $OSKRQVH HVW SURFODP« URL VRXV OH QRP Gȇ$O-
SKRQVH;,,,,ODWRXWMXVWHVHL]HDQV1«DSUªVODPRUWGHVRQSªUHLOHVW
l’enfant du miracle mais aussi roi dès sa naissance. Dès son plus jeune
¤JHLOUHFHYUDOHVPDUTXHVGȇKRPPDJHHWGHU«Y«UHQFHDX[TXHOOHVVRQ
VWDWXW OXL GRQQH GURLW 3V\FKRORJLTXHPHQW FHOD QH IXW SDV VDQV FRQV«-
quence : le jeune homme n’a jamais fait l’expérience d’une résistance…
(QWRXU«GȇKRPPHVSROLWLTXHV¤J«VLOVHVHQWEHDXFRXSSOXV¢OȇDLVHGDQV
XQHDPELDQFHPLOLWDLUHR»VHVWDOHQWVHWVRQ«QHUJLHVHOLEªUHQW&RPPH
URLLOGRLWIDLUHIDFHDXOHQWG«UªJOHPHQWGXV\VWªPHGHVSDUWLVOLE«UDX[
et conservateurs continuent d’alterner au pouvoir mais des dissidences
SXUHPHQWSHUVRQQHOOHVFRPSOLTXHQWODVWDELOLW«GHVJURXSHV0DGULG
¢ %DUFHORQH OH VRFLDOLVPH FRPPHQFH ¢ VH PDQLIHVWHU «OHFWRUDOHPHQW
255
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
(Q &DWDORJQH HW DX 3D\V EDVTXH GHV PRXYHPHQWV U«JLRQDOLVWHV VDQV
UHPHWWUHHQFDXVHOHXUDOO«JHDQFH¢OD&RXURQQHG«YHORSSHQWGHQRX-
velles perspectives pour l’Espagne.
/H PDL ORUV GX PDULDJH GX URL DYHF OD SULQFHVVH DQJODLVH
9LFWRLUH(XJ«QLH GH %DWWHQEHUJ XQ DWWHQWDW IDLW YLQJWWURLV PRUWV VXU
le passage du convoi nuptial. La chance du roi aurait pu être un signe
IDYRUDEOH PDLV OD SRXUVXLWH GHV IHVWLYLW«V PDOJU« OH GUDPH KHXUWH
OȇRSLQLRQ SXEOLTXH 3UHPLªUH JUDYH IDXWH GH FRPPXQLFDWLRQ HOOH VHUD
VXLYLHGȇDXWUHVHUUHXUVVHPEODEOHV4XLQ]HDQVSOXVWDUGDORUVTXHOHV
troupes espagnoles au Maroc ont subi à Annual un véritable massacre
RQ SDUOH GH GL[ PLOOH PRUWV OH URL F«OªEUH ¢ %XUJRV OH UDSDWULHPHQW
GHVFHQGUHVGX&LGFDPSHDGRU/ȇ«FDUWHVWG«FLG«PHQWWURSPDQLIHVWH
entre une élite enfermée dans ses codes et ses symboles et un pays qui
ploie sous les épreuves et les revers. La violence politique qui se déve-
loppe à partir de la grève générale de 1917 accentue cette impression
de crise désormais ouverte et non plus larvée. Les contemporains ont
conscience de cette crise. Les historiens ont d’ailleurs appelé ce temps
mOD FULVH GH OD 5HVWDXUDWLRQ} VRXVHQWHQGDQW Oȇ«SXLVHPHQW GH OD IRU-
mule historique de 1876.
2QVDLWFRPPHQWFHODVHU«JODHQVHSWHPEUHOHFRPPDQGDQW
PLOLWDLUH GH &DWDORJQH OH J«Q«UDO 0LJXHO 3ULPR GH 5LYHUD UHQYHUVH
le gouvernement civil et s’installe à la tête d’un directoire militaire.
$OSKRQVH;,,,HQW«ULQHOHFRXSGȇWDW3ULPRGH5LYHUDDYDLWSURPLVXQ
gouvernement provisoire de 90 jours : il présidera le gouvernement
MXVTXȇHQ/DFRQVWLWXWLRQGHHVWVXVSHQGXHVDQVSRXUDXWDQW
que soit institutionnalisée la dictature sous la forme d’un régime poli-
tique réglé par des lois fondamentales. Alphonse XIII a beau voir en
3ULPR GH 5LYHUD mVRQ 0XVVROLQL} Oȇ(VSDJQH QȇHVW SDV IDVFLVWH18. Elle
QȇHVW SOXV OLE«UDOH 4XDQG OHV RSSRVLWLRQV VXUPRQWDQW QRQ VDQV PDO
leurs divisions se rassemblent — c’est le Pacte de Saint-Sébastien de
Oȇ«W«ȃHOOHVVȇDFFRUGHQWVXUOȇLG«HTXHIRUPXOHUDDYHFDXGDFH-RV«
2UWHJD\*DVVHWmDelenda est Monarchia19 ». Incriminant directement
$OSKRQVH;,,,LOOȇDFFXVHGHYRXORLUIDLUHmFRPPHVȇLOQȇ\DYDLWSDVHX
GH GLFWDWXUH} FRPPH mVL ULHQ QH Vȇ«WDLW SDVV«} HW TXȇXQ UHWRXU ¢ OD
normale était possible.
šLes deux tantes du roi, les infantes, Eulalie et Paz, disent leur admiration pour Mussolini
dans leurs mémoires. Voir María VKEVQTKȄLʭǞƫƿCƵƷƪʭƴ, La casa de BorbónXQNš
Madrid, Alianza Editorial, 2000, p. 676.
šLa formule conclut l’article donné par le philosophe le 15 novembre 1930 et passé à la posté
rité. « Espagnols, écrit Ortega, votre État n’existe pas. RGEQPUVTWKUG\NGšЏDelenda est Monarchia ».
256
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
/H DYULO GHV «OHFWLRQV PXQLFLSDOHV RQW OLHX GDQV WRXWH
l’Espagne. Elles sont le prélude à la reprise d’une vie politique selon les
règles de la constitution de 1876. L’opposition républicaine l’emporte
dans 45 des 50 capitales de province. Et même si ses conseillers tentent
de faire croire à Alphonse XIII que le rapport de forces numériques
est favorable aux monarchistes (en comptabilisant tous les conseillers
PXQLFLSDX[RUSUªVGHYLQJWGHX[PLOOHDYDLHQW«W««OXVVDQVFRPS«WL-
teurs aux termes de la loi électorale qui prévoyait l’absence de vote en
FDVGHFDQGLGDWXUHXQLTXH OHURLQHFªGHSDV¢ODWHQWDWLRQGHFHWWHOHF-
ture biaisée. Il abdique et le 14 avril 1931 la République est proclamée.
Arrêtons-nous un instant pour faire un bilan de cette monarchie
du XIXe et du début du XXe siècle. Ferdinand VII et Alphonse XII sont
PRUWVURLVGȇ(VSDJQH,VDEHOOH,,HW$OSKRQVH;,,,PRXUURQWHQH[LOHQ
¢ 3DULV SRXU OD SUHPLªUH ¢ 5RPH HQ SRXU OH VHFRQG 7RXV
DXURQW FRQQX OȇH[LO )HUGLQDQG9,, GH ¢ ,VDEHOOH,, GH
¢$OSKRQVH;,,FRPPHMHXQHSULQFHGH¢$OSKRQVH;,,,
GH ¢ 7RXV ¢ OȇH[FHSWLRQ Gȇ$OSKRQVH;,, GRQW OH UªJQH IXW
EUHI XQH GL]DLQH GȇDQQ«HV RQW G½ JRXYHUQHU DYHF GHV DGYHUVDLUHV
politiques. Ils n’y ont jamais vraiment consenti et ont toujours voulu
reprendre la main. Ils n’ont pas joué le jeu de la constitution qui leur
DVVLJQDLWXQHIRQFWLRQSU«FLVHGDQVOȇWDW/HXU«GXFDWLRQOHSOXVVRX-
YHQWQ«JOLJ«HFRQWLQXDLWGHOHVFRQYDLQFUHTXȇLOVLQFDUQDLHQWOȇ(VSDJQH
HWTXHOȇWDWVHFRQIRQGDLWDYHFOHXUYRORQW«
Ce bilan politique et historique explique la fragilité de la monarchie.
FODERXVV«HSOXVTXȇLOQHIDXWSDUGHVFRPSRUWHPHQWVRXWUDJHXVHPHQW
VFDQGDOHX[ TXDQG LO VȇDJLVVDLW GH PDOYHUVDWLRQV ȴQDQFLªUHV OD UHLQH
0DULH&KULVWLQH GH %RXUERQ ,VDEHOOH,, RX JULYRLVHPHQW FRPLTXHV
FRQFHUQDQW ,VDEHOOH,, HW $OSKRQVH;,,, JUDQG FROOHFWLRQQHXU GH SKR-
WRV «URWLTXHV OD PRQDUFKLH D VRXIIHUW SDU HW GH VHV LQFDUQDWLRQV VXF-
cessives. Le principe qu’incarne l’homme ou la femme qui règne n’a
jamais vraiment percé devant des comportements qui trahissaient une
trop grande complaisance à l’égard de pulsions privées. On ne compte
pas les libelles et les articles qui dénonçaient les Bourbons. Un siècle
GHFULWLTXHVGHEODJXHVI«URFHVHWGHP«SULVPLQHOHUHVSHFWSULQFLSH
essentiel sur lequel reposent le pouvoir royal et sa symbolique.
Il faut avoir présent à l’esprit ces réalités qui sont entrées dans la
FXOWXUH SROLWLTXH HVSDJQROH (OOHV \ VRQW GHPHXU«HV HW VL HOOHV RQW XQ
WHPSV«W«PDVTX«HVSDUODSRSXODULW«GH-XDQ&DUORVRQDSXYRLUDYHF
quelle intensité elles sont revenues au premier plan lors de la crise de
l’institution monarchique ces dernières années. Les images négatives
257
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
que l’on peut avoir des Bourbons ne sont pas que des effets d’opinion :
GXUDEOHPHQWDQFU«HVGDQVOȇHVSULWSXEOLFHOOHVIRQWSDUWLHGȇXQHFXOWXUH
GHODSURWHVWDWLRQHW¢FHWLWUHHOOHVSHXYHQW¬WUHU«DFWLY«HVGªVORUVTXH
des similitudes entre le présent et le passé semblent apparaître.
258
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
23. « Dès que j’ai assumé les devoirs et les droits de la Couronne d’Espagne, j’ai montré mon
insatisfaction à l’égard de la politique intérieure et extérieure suivie par le général Franco. […] Je
ne lève aucune étendard de sédition, je n’incite personne à se soulever, mais je veux rappeler à
ceux qui soutiennent le régime l’immense responsabilité qu’ils assument en prolongeant ainsi
une situation qui est en train de mener le pays vers une irrémédiable catastrophe », Manifeste
de Lausanne, 19 mars 1945.
šPour une approche détaillée voir Gonzalo RƫƪƵƴƪƵ, Política, cultura y sociedad en la España
de Franco (1939-1975)VšLa configuración del Estado español, nacional y católico (1939-1947),
Pampelune, EUNSAR
259
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
UHVWDXUDWHXUGHV%RXUERQV-XVTXȇHQODȴJXUHGH-XDQ&DUORVHVW
GLVFUªWH6RQPDULDJHDYHF6RSKLHGH*UªFHHVWXQ«Y«QHPHQWGHODYLH
mondaine. L’installation du nouveau couple à Madrid reste discrète. La
QDLVVDQFH GH OHXUV WURLV HQIDQWV ȃ +«OªQH HQ &KULVWLQH HQ
3KLOLSSHHQȃUHVWHXQ«Y«QHPHQWSULY«P¬PHVLOHEDSW¬PHGH
3KLOLSSHSHUPHW¢ODUHLQH9LFWRLUH(XJ«QLHODYHXYHGȇ$OSKRQVH;,,,GH
revenir en Espagne pour la première fois depuis 1931. Il faut attendre
juillet 1969 pour que Juan Carlos devienne une personnalité politique.
Franco le désigne en effet comme son successeur. Cette décision pro-
voque une crise familiale : le comte de Barcelone est furieux de consta-
WHUTXHVRQȴOVDFFHSWHODVXFFHVVLRQGH)UDQFRVDQVOHFRQVXOWHUHWHQ
YLRODWLRQȵDJUDQWHGHVUªJOHVVXFFHVVRUDOHVHWG\QDVWLTXHV25. Juan Carlos
prendra d’ailleurs le titre de « prince d’Espagne » et non le titre tradi-
tionnel des héritiers de la couronne à savoir « prince des Asturies ». Ce
IDLVDQWLOFKHUFKDLW¢P«QDJHUVRQSªUHHW¢QHSDVYLROHUSURWRFRODLUH-
ment les règles de la famille royale.
(Q)UDQFRHVWFKHIGHOȇWDWGHSXLVSOXVGHWUHQWHDQV,OYLHLOOLW
et les cercles politiques bruissent des spéculations que génèrent ce que
OȇRQ DSSHOOH SXGLTXHPHQW mOH IDLW ELRORJLTXH} FȇHVW¢GLUH OD PRUW GX
vieux général. Juan Carlos est idéalement placé pour recueillir cette
succession… si l’ordre franquiste survit à son fondateur. Le prince
VHUD DLG« SDU OȇDFWLRQ GX GLUHFWHXU J«Q«UDO GH OD 7«O«YLVLRQ HVSDJQROH
un certain Adolfo Suárez26 3HQGDQW VL[ DQV OH SULQFH VȇHVW GRQQ« ¢
FRQQD°WUH HW ORUVTXH )UDQFR PHXUW OH QRYHPEUH LO QȇHVW SOXV
un inconnu. Il demeure cependant une énigme tant il s’est habilement
enfermé dans le silence. On sait désormais que cette attitude était
le fruit d’une prudence absolue. Juan Carlos sait qu’il possède peu
GȇDWRXWV G«VLJQ« SDU )UDQFR FRQWUH VRQ SªUH LO QȇD SDV OD O«JLWLPLW«
PRQDUFKLTXH SXUH K«ULWLHU GX GLFWDWHXU LO DSSDUD°W FRPPH OH FRQWL-
QXDWHXUGXU«JLPHKRQQLSDUVHVDGYHUVDLUHV(QȴQLOQHMRXLWSDVGHOD
FRQȴDQFHGHVFHUFOHVIUDQTXLVWHV/HSU«VLGHQWGXFRQVHLO&DUORV$ULDV
Navarro le méprise ouvertement et Juan Carlos déclarera publiquement
ORUVGHVRQYR\DJHRɚFLHODX[WDWV8QLVHQPDLTXHVRQ3UHPLHU
PLQLVWUH mHVW XQ G«VDVWUH} &H QȇHVW TXȇHQ MXLOOHW GH OD P¬PH DQQ«H
que le jeune roi abat sa première carte : il nomme Adolfo Suárez chef
GXJRXYHUQHPHQW3DUXQHIIHWGȇDQDFKURQLVPHRQHVWDPHQ«¢SHQVHU
260
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
šOrtega y Gasset avait en 1930 dénoncé « l’erreur Berenguer », nom du général nommé à la
tête du gouvernement par Alphonse XIII après la démission de Primo de Rivera.
šÀ cause du souvenir d’avril 1931, on a choisi d’aller directement aux élections générales et de
retarder les élections municipales. De fait, il faudra attendre avril 1979
261
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
LQVWLWXWLRQVSROLWLTXHVVRQWDLQVLSULVHVHQRWDJHVHXOOHURLHQWRXU«GH
TXHOTXHV VHFU«WDLUHV GȇWDW HVW ¢ P¬PH GȇDVVXUHU OH IRQFWLRQQHPHQW
U«JXOLHUGHVLQVWLWXWLRQV'DQVODQXLW¢KGXPDWLQ-XDQ&DUORVHQ
XQLIRUPH GH FDSLWDLQHJ«Q«UDO LQWHUYLHQW ¢ OD W«O«YLVLRQ 6RQ GLVFRXUV
est centré sur la défense de la Constitution et il agit comme l’un de ses
organes en incarnant la « Couronne ». Il a ordonné aux autorités civiles
et militaires de « maintenir l’ordre institutionnel dans la législation
en vigueur » et rappelle que « la Couronne ne peut tolérer l’action de
personnes qui prétendraient interrompre par la force le processus
démocratique que la Constitution votée par le peuple espagnol lors
GȇXQU«I«UHQGXPG«WHUPLQDQW}'DQVOȇ«PRWLRQGXPRPHQWRQDWURS
peu prêté attention au calibrage extrême de ce très bref message d’une
PLQXWH HW GHPLH /H URL QȇD FHVV« GH VH SODFHU GDQV OH FDGUH FRQVWLWX-
tionnel. Il a sauvé la démocratie et la constitution de 1978 en jouant le
rôle que celle-ci lui avait dévolu. Il a agi comme pouvoir constitutionnel
démontrant que la Couronne était parfaitement compatible avec la
démocratie. Il est le premier roi d’Espagne à faire cette démonstration.
,PP«GLDWHPHQWOHVHQWLPHQWTXHOHURLYLHQWGHJDJQHUXQHSDUWLH
décisive se répand non seulement parmi les Espagnols mais dans l’opi-
nion publique mondiale. Si certains pouvaient douter de la légitimité
GX URL VXFFHVVHXU GH )UDQFR -XDQ &DUORV YLHQW HQ DJLVVDQW FRQVWLWX-
WLRQQHOOHPHQWGHJDJQHUVDO«JLWLPLW«KLVWRULTXHHWSROLWLTXH(OOHVHUD
longtemps la base de l’immense respect qu’il inspirait. Fort de cette
WUDQVLWLRQG«PRFUDWLTXHU«XVVLH-XDQ&DUORVYDGHYHQLUOȇDPEDVVDGHXU
de la nouvelle Espagne démocratique. La signature de l’adhésion de
Oȇ(VSDJQH¢OD&((HQMXLQOȇDFFXHLOGHODFRQI«UHQFHSRXUODSDL[
DX 0R\HQ2ULHQW ȴQ OHV -HX[ RO\PSLTXHV GH %DUFHORQH HQ
sont autant de moments fastes du règne de Juan Carlos. L’alternance
démocratique — de 1982 à 1996 ont gouverné les socialistes de Felipe
*RQ]£OH]GH¢OHVFRQVHUYDWHXUVGH-RV«0DU¯D$]QDUSXLV
GH¢¢QRXYHDXOHVVRFLDOLVWHVȃODSURVS«ULW«GXSD\VHWVD
modernisation accréditent l’idée d’un succès espagnol. Juan Carlos est
célébré comme le promoteur de la période la plus brillante de l’histoire
contemporaine de l’Espagne29.
Le contraste est saisissant en effet entre ce règne qui voit fonc-
tionner une constitution libérale et démocratique et les expériences
antérieures qui avaient vu les rois être en eux-mêmes une partie
šVoir par exemple, Real Academia de la Historia, 25 años de reinado de S. M. D. Juan Carlos I,
Madrid, Espasa Calpe, 2002.
262
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
šL’un des premiers titres à représenter ce courant est Juan Pablo FƺƸƯ, Jordi PƧƲƧƬƵƖ, España.
El desafio de la modernidad, Madrid, Espasa Calpe, 1998.
263
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šLe roi n’intervient que pour son message de Noël le 24 décembre à 21 heures Par quatre
HQKUKNGUVKPVGTXGPWGZEGRVKQPPGNNGOGPVšFCPUNCPWKVFWCWHȌXTKGTRQWTGORȍEJGT
le coup d’État, le 11 mars 2004 au soir des attentats de Madrid qui avaient coûté la vie à
192 personnes, le 23 mars 2014 à l’annonce de la mort d’Adolfo SWȄTG\ NG LWKP RQWT
expliquer son abdication.
264
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
10
La crise de la représentation
et l’ascension de Podemos :
L’émancipation citoyenne « au
cœur » de l’échiquier politique ?
Mathieu PETITHOMME
265
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
266
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
šPablo Manuel Iglesias Turrión est né le 17 octobre 1978 dans le quartier populaire de
Vallecas à Madrid. AWVGWTGPFŨWPGVJȋUGUWTNŨCEVKQPEQNNGEVKXGRQUVPCVKQPCNGKNGUVFGXG
nu la même année maître de conférences en sciences politiques à l’université Complutense.
šEn effet, le PSOE GVNGPP CVVKTGPVFGOQKPUGPOQKPUFŨȌNGEVGWTUÀ l’inverse, les
partis de la « nouvelle politique », Podemos, mais aussi le parti Citoyens représenté en Andalousie
par Juan Marin LQ\CPQSWKQDVKPVšXQKZFGUUWHHTCIGUGZRTKOȌUGVUKȋIGUHKTGPVNGWT
GPVTȌGUWTNCUEȋPGRQNKVKSWGNQECNG FGXCPVIUCA, qui obtint 6,89 % des voix et seulement 5 sièges).
šJacobo RƯƻƫƷƵ, Conversación con Pablo Iglesias. Podemos, de la calle a Bruselas G GF
Madrid, Ediciones Turpial, 2014, p. 12.
267
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
HW GDQV OH FHUFOH GX TXDUWLHU SOXV KXSS« GH 6DODPDQFD ¢ 0DGULG FH
chapitre explique les raisons de l’ascension fulgurante du nouveau
parti. Il revient d’abord sur le contexte de crise de la représentation en
Espagne et sur la structure d’opportunité politique favorable à l’émer-
gence d’une formation qui entend fournir un débouché politique aux
mouvements sociaux des indignés. La seconde partie étudie la structu-
ration organisationnelle de Podemos¢SDUWLUGHVPLOLWDQWVKLVWRULTXHV
de Lavapiés et d’Izquierda Anticapitalista m*DXFKH DQWLFDSLWDOLVWH}
,$ HQ VȇDSSX\DQW VXU XQH I«G«UDWLRQ GȇDVVHPEO«HV HW GH FROOHFWLIV
autonomes et en utilisant largement les nouvelles technologies et les
U«VHDX[ VRFLDX[ /D WURLVLªPH SDUWLH UHYLHQW HQȴQ VXU OH OHDGHUVKLS
le discours politique et la stratégie de compétition de Podemos DYDQW
Gȇ«YRTXHUSRXUFRQFOXUHOHVHIIHWVTXHVRQ«FORVLRQSRXUUDLWSRWHQWLHO-
lement engendrer sur le système partisan espagnol.
šFondation FƵƫƸƸƧ NKȌG ȃ NŨCUUQEKCVKQP EJTȌVKGPPG Caritas), VII Informe sobre exclusión y
desarrollo social en España, Madrid, 2014, p. 2. Sur l’optimisme macroéconomique du gouver
nement, cf. Soraya SʛƫƴƿƪƫSƧƴƹƧƳƧƷʨƧkLa recuperación empieza a llegar a las familias »,
ABC, 11 décembre 2014.
268
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
FODERXVV«VSDUOHVVFDQGDOHVGHIDXVVHVIDFWXUHVGHG«SHQVHVH[FHV-
VLYHV GHV G«SXW«V GH G«WRXUQHPHQW GH IRQGV Gȇ«YDVLRQ ȴVFDOH HW GH
marchés publics surfacturés par des élites locales à des grandes entre-
SULVHVGXE¤WLPHQWTXLVRQWU«Y«O«VTXRWLGLHQQHPHQWSDUODSUHVVHOHV
membres des deux grands partis sont plus que jamais perçus comme une
ROLJDUFKLH XQ mFDUWHO} GH SHUVRQQDOLW«V TXL SDUWDJHQW OHV P¬PHV LQW«-
rêts au maintien du système politique actuel et de ce qu’un nombre crois-
sant de citoyens perçoit comme des « privilèges » indus11. Les Espagnols
VRQWIUXVWU«VGHOȇDOWHUQDQFHȴJ«HDXSRXYRLUMXJ«HLQHɚFDFHHQWUHOH33
HWOH362(&HWWHVWUXFWXUHGȇRSSRUWXQLW«SROLWLTXHODEHOOLV«HSDUPodemos
FRPPHOHm3362(} TXLUDSSHOOHOHm8036}GX)1HQ)UDQFH FDUDFW«-
ULV«HSDUOHGLVFU«GLWGHVGHX[JUDQGVSDUWLVWUDGLWLRQQHOVGXELSDUWLVPH
HWGXmV\VWªPH}TXȇLOVRQWPLVHQSODFHORUVGHODWUDQVLWLRQQRWDPPHQW
OH V\VWªPH «OHFWRUDO OD G«VLJQDWLRQ GHV FDQGLGDWV SDU OLVWHV IHUP«HV HW
la politisation de la justice et des grandes entreprises au sein desquelles
OȇWDW SRVVªGH GHV SDUWV HQWUH HQ U«VRQDQFH DYHF OHV DVSLUDWLRQV GHV
citoyens au changement.
,PSU«JQ« GH OȇLQW«U¬W FRPPXQ GHV GHX[ JURXSHV GRPLQDQWV OHV
élites de « l’ancien régime » franquiste qui se recyclèrent dans les rangs
de l’Union du centre démocratique (UCD) d’Adolfo Suarez puis du Parti
SRSXODLUH ¢ SDUWLU GH HW OHV mQRXYHDX[ G«PRFUDWHV} LQFDUQ«V
SDU OH 362( GH )HOLSH *RQ]£OH] HW Gȇ$OIRQVR *XHUUD OH mSDFWH GH OD
transition » explique le choix en 1978 d’instaurer un système électo-
ral proportionnel en théorie mais majoritaire dans les faits et surtout
WUªV LQ«JDOLWDLUH TXL IDYRULVH VWUXFWXUHOOHPHQW OHV JUDQGV SDUWLV DX
détriment des plus petites formations12. Face à ce qui est perçu comme
XQ IUHLQ DX FKDQJHPHQW GH QRPEUHX[ LQWHOOHFWXHOV HW PHPEUHV GH OD
šSur la théorie de la cartelisation et ses critiques, cf. Peter MƧƯƷ, « Changing models of party
QTICPK\CVKQP CPF RCTV[ FGOQETCE[š VJG GOGTIGPEG QH VJG ECTVGN RCTV[z Party Politics, vol. 1,
PoRšYohann AƺƩƧƴƹƫ et Alexandre Dʤƿƫ FKT Les systèmes de partis dans les
démocraties occidentales. Le modèle du parti cartel en question, Paris, Presses de Sciences Po,
2008.
šPour l’élection des 350 membres du Congrès des députés tous les quatre ans, chacune des
EKTEQPUETKRVKQPU NGURTQXKPEGURNWUNGUkXKNNGUCWVQPQOGUzFGCeuta et Melilla) se voit
attribuer un nombre de sièges proportionnel à leur population, avec un minimum de deux. La
RNWRCTVFGUEKTEQPUETKRVKQPUTWTCNGUGVRGWRGWRNȌGUPŨGPCRRQTVGPVSWŨWPPQODTGVTȋUNKOKVȌš
le pourcentage de voix nécessaires pour obtenir un siège est si élevé que les petits partis ne
peuvent espérer être représentés que dans les grandes circonscriptions. En 2008, par exemple,
le Parti socialiste a obtenu 169 sièges avec 11 millions de voix, alors qu’IU n’a obtenu que deux
sièges avec un million de voix. Pour le Parti socialiste, chaque siège au Congrès correspondait
ȃšXQKZCNQTUSWŨKNGPHCNNCKVšRQWTSWŨIU obtienne un même siège. Sur le pacte de
la transition, cf. Álvaro SƵƹƵ, Transición y cambio en España 1975-1996, Madrid, Alianza Editorial,
R
269
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šSur le débat sur la « seconde transition », cf. notamment Sebastian BƧƲƬƵƺƷ et Alejandro
QƺƯƷƵƭƧ, España reinventada. Nación e identidad desde la Transición, Madrid, Peninsula, 2007,
R
šFrédéric VƫƷƨƫƱƫ, « En Espagne, le bipartisme rend les élections moins démocratiques »,
EiTB, 11 septembre 2011.
270
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
IXWXUHVWRXWHQGHYHQDQWWUªVmOLE«UDO}VXUOHSODQ«FRQRPLTXHHWHQ
perdant de vue tout objectif d’émancipation sociale15.
La formule de base qui permet à Podemos de percer dans l’opinion
est en fait assez simple mais très puissante. Elle se fonde sur une repo-
litisation des thèmes traditionnels de la gauche délaissés par le PSOE :
GHPDQGH Gȇ«JDOLW« KRPPHVIHPPHV G«QRQFLDWLRQ GHV VDODLUHV LQG«-
FHQWVGHV«OLWHVSROLWLTXHVHWȴQDQFLªUHVGHODKDXVVHGHVLQ«JDOLW«VGX
VFDQGDOH GHV H[SXOVLRQV GX FR½W FURLVVDQW GHV «WXGHV QH SHUPHWWDQW
SDV DX[ FODVVHV SRSXODLUHV GȇDFF«GHU ¢ OȇXQLYHUVLW« GH OD SULYDWLVDWLRQ
GHV K¶SLWDX[HWF /ȇDXVW«ULW« OD FRUUXSWLRQ SROLWLTXH OD KDXVVH GHV
inégalités et surtout l’incapacité des élites politiques traditionnelles à
formuler un discours crédible proposant des solutions alternatives à
FHVSUREOªPHVTXLWRXFKHQWOȇHQVHPEOHGHODVRFL«W«H[SOLTXHQWODIRUWH
réceptivité des citoyens à l’égard du discours de PodemosTXLLQFDUQH
une nouvelle offre politique et une organisation ex novoFU««HGHWRXWHV
SLªFHVHWVDQVOLHQVV\PEROLTXHVDYHFOHSDVV«OHVYLHLOOHVLG«RORJLHVHW
les anciens appareils partisans.
šSur la notion de « parti électoral professionnel », cf. Angelo PƧƴƫƨƯƧƴƩƵ Political parties.
Organization and Power, Cambridge, Cambridge University Press, 1988.
šPablo IƭƲƫƸƯƧƸTƺƷƷƯʭƴ et Juan Carlos MƵƴƫƪƫƷƵ, ¡Que no nos representan ! : El debate
sobre el sistema electoral español, Madrid, Editorial Popular, 2011.
271
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šJuan Carlos MƵƴƫƪƫƷƵ et Jesús MƵƴƹƫƷƵ, « Claro que Podemos », tribune dans le quoti
dien El País, 17 octobre 2014.
šMiguel UƷƨʜƴ, cité dans Patricia OƷƹƫƭƧDƵƲƿ, « Las cuatro esquinas de Podemos », El País,
12 novembre 2014, p. 27.
šEntretien avec Pablo Ortega, Lavapiés, 27 février 2015.
272
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
šJuan Carlos MƵƴƫƪƫƷƵ, cité dans « ¿Hacia dónde camina PQFGOQUš!zEl Mundo, 15 sep
tembre 2014, p. 15.
šEntretien avec Luis Portela, quartier Salamanca, 26 février 2015.
šEntretien avec Clara, quartier Salamanca, 26 février 2015.
273
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
FHUFOHVGH6DODPDQFDHWGH/DYDSL«VFKDTXHDVVHPEO«HVHWHUPLQHSDU
XQH mTX¬WH} GDQV GHV ER°WHV HQ SODVWLTXH VXUQRPP«HV mEDODLV} HQ
U«I«UHQFHDXVRXWLHQȴQDQFLHUDXPRXYHPHQWSHUPHWWDQWGHmEDOD\HU
ODFODVVHSROLWLTXH}HQSODFH/DFDUWHGH0DGULGGXORFDOGH/DYDSL«V
FROO«HDXPXUGHUULªUHXQYLHX[WDEOHDXHVWXQHP«WDSKRUHGXG«ERU-
dement : les membres collaient initialement des petites pastilles de cou-
OHXUSRXUVLWXHUFKDTXHQRXYHDXmFHUFOH}PDLVIDFH¢ODFU«DWLRQGH
QRXYHOOHVDVVHPEO«HVFKDTXHVHPDLQHSDUWRXWHQ(VSDJQHOHVPLOLWDQWV
n’ont plus le temps ni l’espace pour mettre la carte à jour. En s’appuyant
VXU OH VRFOH GX PRXYHPHQW GHV LQGLJQ«V Podemos attire des citoyens
G«©XVGHVSDUWLVWUDGLWLRQQHOVHWLVVXVGHGLII«UHQWVPLOLHX[HWFKHUFKH
désormais à s’adresser à l’ensemble des Espagnols.
274
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
šPour justifier leur engagement, Juan Carlos Monedero évoque sur ce point la « responsa
bilité sociale » des professeurs de science politique de faire surgir une politique utile pour les
Espagnols. Cf. Juan Carlos MƵƴƫƪƫƷƵ, Curso urgente de política para gente decente G ȌF
Madrid, Seix Barral, 2014, p. 15.
25. « Espacio Alternativo becomes Izquierda Anticapitalista and decides to stand in European
elections », International Viewpoint, 24 novembre 2008.
šSegundo SƧƴƿ, « Quién es quién en Izquierda Anticapitalista, el partido que mueve los hilos
dentro de Podemos », Vozpópuli, 16 juin 2014.
šSegundo SƧƴƿ, « El padre de ETTGLȕP Podemos) acusa a CGDTKȄPFGKORWNUCTWPCūQRGTC
ción” para salvar la Corona », Vozpópuli, 19 juin 2014.
28. « Pablo Iglesias deja a Izquierda Anticapitalista fuera de Podemos », El Confidencial Digital,
21 octobre 2014.
275
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šIzquierda Anticapitalista, « El papel y tareas de IA ante la crisis del régimen surgido en 1978.
Adecuación organizativa del activismo anticapitalista ante las nuevas responsabilidades »,
document de travail interne, 24 novembre 2014.
šAitor RƯƻƫƷƵ, « Izquierda Anticapitalista busca la forma de que sus militantes puedan aspi
rar a cargos en Podemos », [Eldiario. es], 15 novembre 2014.
31. « Anova e IU UG RTGUGPVCTȄP EQOQ Alternativa Galega de Esquerda », El Mundo, 11 sep
tembre 2012.
šDavid LƵƳƨƧƵ, « Galicia fue el laboratorio electoral de Podemos », [Eldiario. es], 10 octobre
2014.
276
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
GȇTXDWRULHQVGH6«Q«JDODLVHWGHQRPEUHX[DXWUHVSHXSOHVGXPRQGH
PDLVDXVVLOHSOXVSROLWLV«GDQVODSOXSDUWGHVEDUVORFDX[RXFHQWUHV
VRFLDX[ GHV U«XQLRQV VRQW RUJDQLV«HV HW GHV PRXYHPHQWV VRFLDX[
emblématiques de l’Espagne d’aujourd’hui comme Juventud Sin Futuro
ou Espacio Alternativo s’y sont structurés. Podemos s’est par exemple
appuyé sur les sympathisants du Teatro del Barrio¢OȇDQJOHGHODUXH
IRQG«SDUOȇDFWHXU$OEHUWR6DQ-X£QTXLHVWXQSURMHWWK«¤WUDOFRRS«UD-
WLI PHWWDQW HQ VFªQH GHV SLªFHV HW GHV SHUIRUPDQFHV FULWLTXHV HW GRQ-
nant un espace de libre expression à de nombreux artistes réalistes et à
des collectifs politiques qui dénoncent et s’inscrivent pleinement dans
la réalité sociale de la crise espagnole. Le noyau fondateur de Podemos
VH VLWXH GRQF ¢ OD FRQȵXHQFH GȇLQWHOOHFWXHOV GH PLOLWDQWV GH OD JDXFKH
anticapitaliste et d’activistes du mouvement social des indignés ancrés
dans un territoire urbain.
šCette anecdote est citée par Patricia OƷƹƫƭƧDƵƲƿ, op. cit., 12 novembre 2014, p. 27.
277
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
GȇLG«HV RXYHUW OD SRVVLELOLW« GH VH IDLUH HQWHQGUH GH GLUH FH TXH OȇRQ
SHQVHHWGȇ¬WUH«FRXW«GHSDUWLFLSHU'DQVOHVDXWUHVSDUWLVOHVFLWR\HQV
GRLYHQW«FRXWHUOHVGLULJHDQWVLOVQȇRQWSDVGHIRUXPVSRXUVȇH[SULPHU
,OVQHVRQWSDVYUDLPHQWFRQVXOW«V,FLLOVVHVHQWHQWYDORULV«VLOVRQWOH
sentiment d’être utiles et d’avoir un réel pouvoir. En renversant la pyra-
PLGHKL«UDUFKLTXHOHVJHQVVHVHQWHQWSOXVFRQFHUQ«VHWLOVVȇHQJDJHQW
C’est la clé du succès de Podemos : remettre l’engagement des citoyens au
centre et leur redonner du pouvoir34.
278
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
Barcelona GLULJ«H SDU $GD &RODX GH OD 3$+ VRQW DLQVL HQ WUDLQ GH VH
former dans cet esprit au sein de différentes villes d’Espagne.
PodemosDHQWDP«XQSURFHVVXVFRQVWLWXDQWHQVHSWHPEUHTXL
déboucha sur une assemblée préparatoire au sein de la Plaza de Toros
GH 9LVWDOHJUH OHV HW RFWREUH HW HQW«ULQD OH FKRL[ GH VD WUDQVIRU-
mation en parti politique. Mille personnes organisées en 164 équipes
RQW IRUPXO« SURSRVLWLRQV GRQW FHOOHV TXL RQW UHFXHLOOL OH SOXV GH
YRL[RQWSHUPLVGHG«ȴQLUOHVSULQFLSHVGHEDVHGXSDUWL3XLVORUVGH
son assemblée constituante du 15 novembre 2014 au théâtre Nuevo
Apolo GH 0DGULG OH SDUWL VȇHVW GRW« GȇXQ mFRQVHLO FLWR\HQ} FRPSRV«
GH PHPEUHV VXU SOXV GH PLOOH FDQGLGDWV FKRLVLV SDU OȇHQVHPEOH
GHV V\PSDWKLVDQWV Vȇ«WDQW H[SULP«V SOXV GL[VHSW UHSU«VHQWDQWV GHV
communautés autonomes et un membre élu par les sympathisants
résidant à l’étranger. Pablo Iglesias a été élu secrétaire général en
REWHQDQW GHVYRWHV«OHFWURQLTXHV«PLVVXLYDQWXQ
processus en ligne géré par la compagnie Agora Voting. Le fait que le
second meilleur candidat sur les soixante-deux personnes qui se sont
SU«VHQW«HV DX SRVWH GH VHFU«WDLUH J«Q«UDO QȇDLW REWHQX TXH YRL[
illustre bien la très forte personnalisation de Podemos autour de Pablo
Iglesias. Seuls 41 % des sympathisants du parti (environ 260 000) ont
cependant voté. Les votants furent les sympathisants inscrits sur le site
internet de PodemosTXLSXUHQWSDUWLFLSHUVDQVDYRLUEHVRLQGHSD\HU
une adhésion.
Le « conseil citoyen » du parti se divise en aires de travail (organi-
VDWLRQ «FRQRPLH FRPPXQLFDWLRQ «JDOLW« U«VHDX[HWF HW FRQVWLWXH
en quelque sorte le parlement de la formation. L’autre organe natio-
QDO HVW XQ mFRQVHLO GH FRRUGLQDWLRQ} SOXV UHVWUHLQW TXL «TXLYDXW DX
mFRPLW« GH GLUHFWLRQ} DX VHLQ GȇDXWUHV SDUWLV HW TXL HVW FRPSRV« GH
dix à quinze personnes élues par le conseil citoyen sur proposition du
VHFU«WDLUHJ«Q«UDOFHMRXUHQSOXVGHVFLQTIRQGDWHXUVLOU«XQLWOȇHX-
URG«SXW«H7DQLD*RQ]£OH]OȇDQFLHQMXJHDQWLFRUUXSWLRQ&DUORV-LP«QH]
9LOODUHMR OȇDYRFDW GH OD 3$+ 5DID 0D\RUDO Oȇ«FRQRPLVWH $OEHUWR
0RQWHURGHOȇXQLYHUVLW«GH0£ODJDOȇ«GLWHXU-RUJH/DJRGHODPDLVRQ
d’édition Lengua de Trapo et quelques membres de l’équipe technique
FKDUJ«H GȇRUJDQLVHU OȇDVVHPEO«H GX SDUWL GRQW 0LJXHO 8UE£Q (QȴQ
XQmFRPLW«GHJDUDQWLHVG«PRFUDWLTXHV}FRPSRV«GHGL[SHUVRQQHV
GRQW*ORULD(OL]RUHVSRQVDEOHGHOȇ«TXLSHMXULGLTXHGHPodemos et de
ODUHSU«VHQWDWLRQGHODSDUWLHFLYLOHGDQVOȇDIIDLUH2OHJXHU3XMROHWOH
SURIHVVHXUGHGURLWS«QDO0DQXHO0DURWRDSRXUU¶OHGȇ¬WUHOHMXJHGH
la démocratie interne. Suite à l’approbation des structures centrales
279
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
GX SDUWL GHV UHSU«VHQWDQWV RQW «W« «OXV DX VHLQ GH FKDTXH FRPPX-
nauté autonome.
Même si Podemos s’appuie sur des procédures visant à créer une
mG«PRFUDWLHU«HOOH}VXUOHSODQLQWHUQHLOVHUDLWWURPSHXUGHOHTXDOL-
ȴHUGHmSDUWLGȇDVVHPEO«H}&HUWHV¢WUDYHUVODI«G«UDWLRQGȇDVVHPEO«HV
ORFDOHV OD FRQVXOWDWLRQ SDU YRWH GHV PLOLWDQWV VXU OHV JUDQGHV RULHQWD-
tions du parti et la revendication de « transparence » en publiant ses
FRPSWHVVXULQWHUQHWPodemos cherche à mettre en application les prin-
cipes de la démocratie participative et directe37. Mais la ligne politique
adoptée lors du congrès fondateur a intronisé un secrétaire général
XQLTXH HW OȇHQVHPEOH GX SRXYRLU LQWHUQH D «W« FRQȴ« DX[ JURXSHV GHV
fondateurs38/HSDUWLHVWFHUWHVGRW«GȇXQmFRQVHLOFLWR\HQ}PDLVDXVVL
GȇXQH[«FXWLIGLULJHDQWGȇXQHKL«UDUFKLHHWGȇXQHGLVFLSOLQHFRPPXQH
DX[SDUWLVWUDGLWLRQQHOVHW¢ODmORLGȇDLUDLQGHOȇROLJDUFKLH}G«ȴQLHSDU
Robert Michels39 )«G«UDWLRQ GȇDVVHPEO«HV ORFDOHV DXWRJ«U«HV GRQW OHV
G«FLVLRQVVRQWVRXPLVHV¢OȇDSSUREDWLRQGHVEDVHVPodemos est aussi un
parti au leadership très marqué.
La marginalisation des courants internes favorables au maintien
d’un mouvement d’assemblées et critiques de la ligne des fondateurs
l’illustre bien. Représentant le courant interne « Sumando Podemos »
DYHF OHV HXURG«SXW«HV 7HUHVD 5RGU¯JXH] HW /ROD 6£QFKH] OHV PLOLWDQWV
9LFWRU *DUF¯D HW %HDWUL] *LPHQR HW OH mFHUFOH GHV LQȴUPLªUHV} GH
PodemosOȇHXURG«SXW«3DEOR(FKHQLTXHUHWLUDVDFDQGLGDWXUHDXVHFU«-
WDULDW J«Q«UDO DSUªV DYRLU PLV HQ FDXVH OD P«WKRGH GH YRWH HVWLPDQW
qu’une compétition interne avec l’équipe de Pablo Iglesias était impos-
sible40. Le courant « Construyendo Podemos » dirigé par Clara Marañòn
HW&DUROLQD+XHOPRTXLU«XQLWXQHGL]DLQHGHFHUFOHVWUªVDFWLIV GRQW
FHX[GH0DGULG6«YLOOH0XUFLH&LXGDG5HDO$OLFDQWHHW*XLSXVFRD ȴW
DXVVLGHVG«FODUDWLRQVFULWLTXHVO«PHQWSUREO«PDWLTXHOHVV\PSDWKL-
sants devaient soit voter en bloc pour la liste fermée proposée par les
IRQGDWHXUVVRLWFKRLVLUXQ¢XQOHVVRL[DQWHGHX[FDQGLGDWVDXmFRQVHLO
FLWR\HQ}'DQVXQWHOV\VWªPHOHFKRL[SRVVLEOHGHVFDQGLGDWVVXUXQH
base individuelle ne pouvait être qu’en compétition inégale avec la liste
šFrancesco MƧƴƫƹƹƵ, « Podemos corona a Pablo Iglesias para liderar la pugna al biparti
dismo », El País, 14 novembre 2014, p. 22.
šFrancesco MƧƴƫƹƹƵ, « IINGUKCUšLas dificultades comienzan ahora », El País, 15 novembre
2014, p. 1.
šRobert MƯƩƮƫƲƸ, Les partis politiques. Essais sur les tendances oligarchiques des démocraties,
Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, [1914], 2009.
40. « Las renuncias de Echenique », El Periódico de Catalunya, 24 octobre 2014, p. 5.
280
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
GH3DEOR,JOHVLDVHQUDLVRQGXG«ȴFLWGHQRWRUL«W«GHODSOXSDUWGHVFDQ-
GLGDWV/HFHUFOHGHVLQȴUPLªUHVGHPodemosOHSOXVFULWLTXHHQYLQW¢
DFFXVHURXYHUWHPHQW,JOHVLDVGHGRQQHUFRUSVDX[mSUHPLHUVU«ȵH[HV
GH FDVWH} DX VHLQ GX PRXYHPHQW PRQWUDQW Oȇ«YROXWLRQ UDSLGH GH
Podemos vers une organisation dotée d’une discipline partisane autour
d’une direction verticale et hiérarchisée41.
šLe caractère décentralisé du parti constitue sa plus grande force mais aussi sa plus grande
HCKDNGUUGšEGNCRGTOGVFŨKPUVCWTGTWPGFȌOQETCVKGKPVGTPGRCTVKEKRCVKXGOCKURGWVFQPPGTWPG
image d’incohérence de son positionnement idéologique. La question de la maîtrise des prises
de parole commence à se poser. Preuve en est par exemple, la polémique sur la proposition
de Fonsi Loaiza, membre du « cercle des sports », de limiter le salaire maximum des sportifs,
une proposition ensuite désavouée par ÍȓKIQErrejón. Cf. « Podemos no propone futbolistas con
GUVWFKQUQUCNCTKQOȄZKOQz, El País, 9 décembre 2014, p. 19.
šGuiomar DƫƲSƫƷ, « La infraestructura de Podemos vive en internet », El País, 15 novembre
2014.
281
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
Pablo Iglesias est désormais suivi par 663 000 personnes sur Twitter
FRQWUH SRXU 0DULDQR 5DMR\ HW WUªV ORLQ GHYDQW 3HGUR 6£QFKH]
FHOD LO IDXW DMRXWHU OHV GL]DLQHV GH FRPSWHV VHFWRULHOV HW
régionaux promus par les cercles et les assemblées territoriales de
PodemosPDLVDXVVLFHX[DQLP«VSDUOHV(VSDJQROV¢Oȇ«WUDQJHU(QXWL-
OLVDQWOȇDSSOLFDWLRQ7HOHJUDP FRQFXUUHQWHUXVVHGH:KDWV$SS OHSDUWL
a aussi entrepris de recenser l’ensemble des comptes et des applications
V\PSDWKLVDQWHV DȴQ Gȇ«YLWHU OHV LPSRVWXUHV HW GȇDP«OLRUHU OD FDSDFLW«
GH U«DFWLRQ FROOHFWLYH SDU UDSSRUW ¢ OȇDFWXDOLW« *U¤FH ¢ 7HOHJUDP GHV
débats en temps réel pouvant inclure simultanément des représen-
tants de près de 250 cercles distincts ont lieu lors des grandes réunions
publiques. La progression des adhésions sur les réseaux sociaux ne
FHVVH GH VȇDPSOLȴHU GHSXLV OHV «OHFWLRQV HXURS«HQQHV TXL RQW PDUTX«
XQSRLQWGȇLQȵH[LRQ
QJHO XQ «WXGLDQW GH YLQJWFLQT DQV LPSOLTX« DX VHLQ GX JURXSH
mSDUWLFLSDWLRQ} GLULJ« SDU 0LJXHO $UGDQX\ PȇD H[SOLTX« TXH OH SDUWL
XWLOLVH OȇDSSOLFDWLRQ GH YRWH $SSJUHH GLVSRQLEOH VXU OHV W«O«SKRQHV
SRUWDEOHVTXLSHUPHWGHV«OHFWLRQQHU¢SDUWLUGHFULWªUHVV«PDQWLTXHV
282
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
HW QXP«ULTXHV SDUPL OHV FHQWDLQHV GȇRSLQLRQV HW GH SURSRVLWLRQV GHV
XWLOLVDWHXUVVXUXQVXMHWGRQQ«FHOOHVTXLSU«VHQWHQWOHVSOXVIRUWVWDX[
GȇLQWHUDFWLRQ GH SRSXODULW« HW GH UHGRQGDQFH 3RXU OXL LO VȇDJLW GȇXQ
« exemple d’intelligence collective » permettant de travailler en temps
U«HOHWGHIDLUHUHPRQWHUYHUVODGLUHFWLRQGXSDUWLOHVSRVLWLRQVOHVSOXV
appréciées par les sympathisants de base44&HODSHUPHWDXVVLJU¤FH¢
OD WHFKQRORJLH GH WLUHU SURȴW HW GH VWUXFWXUHU OH WUDYDLO GH SURFHVVXV
d’assemblées qui ont montré leurs limites organisationnelles suite
au 15-M. L’application Appgree a ainsi été utilisée lors de l’assemblée
citoyenne d’octobre 2014 pour sélectionner cinquante questions (sur
«PDQDQW GHV FHUFOHV GH EDVH GX SDUWL ¢ WUDYHUV YRWHV
qui furent ensuite posées aux porte-parole de chaque aire thématique.
Podemos utilise aussi le système de vote créé grâce à l’algorithme des
HQWLW«V LQG«SHQGDQWHV 2SHQ .UDWLR HW $JRUD 9RWLQJ TXL H[LVWH G«M¢ HQ
6XLVVHHWHQ1RUYªJHHWTXLSHUPHWIDFLOHPHQWGȇRUJDQLVHUGHVYRWHVHQ
DOOLDQWUHVSHFWGHODYLHSULY«HDQRQ\PDWHWJDUDQWLHVGHV«FXULW«HWGH
ȴDELOLW«
L’idée de la direction de Podemos est d’instaurer la possibilité de
révocation interne des élus de la formation si 25 % des votants en
G«FLGHQW DLQVL HW GH IDYRULVHU GHV G«EDWV LQWHUQHV VXU OHV LQLWLDWLYHV
programmatiques citoyennes qui obtiennent le soutien d’au moins
GHV YRWDQWV (QȴQ HQ XWLOLVDQW OD WHFKQRORJLH DP«ULFDLQH 5HGGLW
la formation a créé Plaza Podemos XQ VLWH LQWHUQHW GȇDJU«JDWLRQ HW
GȇLQWHUDFWLRQHQWUHXWLOLVDWHXUVTXLSHUPHWGHIDLUHYLYUHHQVHPEOHOHV
FULWLTXHV GH FHUWDLQV VHFWHXUV OHV SURSRVLWLRQV HW OHV G«EDWV 2Q YRLW
donc bien comment l’essor de PodemosQȇHVWSDVOHIUXLWGXKDVDUGHWVH
fonde notamment sur sa rénovation des pratiques politiques au service
de la démocratie partisane interne et de la communication politique
à l’heure de l’internet et des réseaux sociaux. Les nouvelles techno-
logies sont activement utilisées par Podemos comme des instruments
GHPRELOLVDWLRQHWGȇLQYLWDWLRQDXG«EDWFHTXLSHUPHWGHUHOD\HUSOXV
HIIHFWLYHPHQWOHVSULVHVGHSRVLWLRQSXEOLTXHVGHVSRUWHSDUROHGXSDUWL
et de mener une « campagne 2.0 » plus effective que ses concurrents.
Cela rappelle l’innovation technologique utilisée de façon déterminante
au service de la campagne présidentielle de Barack Obama en 200845.
283
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
RENOUVELLEMENT IDÉOLOGIQUE
ET STRATÉGIES POLITIQUES
Un leader médiatique
Podemos SRXU OH JUDQG SXEOLF FȇHVW DYDQW WRXW OH YHUEH DVVH] UHV-
pectueux de ses adversaires et la parole critique étayée d’exemples
GH 3DEOR ,JOHVLDV (Q FH GHUQLHU ODQ©D HW SU«VHQWD La Tuerka sur
Público TVXQH«PLVVLRQGHG«EDWVSROLWLTXHVTXȇLODFU««HVXUOȇLQWHUQHW
DYHF TXHOTXHV FROOªJXHV HW DPLV GRQW -XDQ &DUORV 0RQHGHUR GHSXLV
OHG«EXWGHVDQQ«HV3XLVOHW\SHGHGLVFRXUVTXHSURSRVHG«VRU-
mais Podemos fut testé lors d’une émission hebdomadaire diffusée sur
XQHFKD°QHW«O«YLV«HORFDOHGXTXDUWLHUPDGULOªQHGH9DOOHFDVGȇR»HVW
RULJLQDLUH 3DEOR ,JOHVLDV 'HYDQW OH VXFFªV UHQFRQWU« SDU OȇLQLWLDWLYH
les plateaux télévisés et radios l’invitèrent peu à peu. Ces analyses
minutieusement travaillées commencèrent à créer la polémique sur
les réseaux sociaux et à faire monter l’audience des chaînes de télévi-
VLRQ(QDR½WLOG«EXWDXQHFROODERUDWLRQSOXVJ«Q«UDOHDYHFFHWWH
FKD°QHHWHQQRYHPEUHLOGHYLQWDQDO\VWHDXVHLQGXSURJUDPPH
La Sexta Columna de la chaîne Sexta.
6D SUHPLªUH DQDO\VH LQWLWXO«H m5DMR\ DQ, /D U«DOLW« Fȇ«WDLW ©D}
TXL FULWLTXDLW OD SUHPLªUH DQQ«H GX JRXYHUQHPHQW FRQVHUYDWHXU
ȴW OH mEX]]} VXU OȇLQWHUQHW HW OHV U«VHDX[ VRFLDX[46. À partir de jan-
YLHU LO FU«D HW SU«VHQWD OH SURJUDPPH Fort Apache U«DOLV« SDU
les productions CMI et émis par la chaîne de télévision publique
internationale iranienne Hispan TV GHVWLQ«H DX PRQGH KLVSDQLTXH
/H DYULO LO IXW HQVXLWH LQYLW« ¢ Oȇ«PLVVLRQ WUªV VXLYLH El Gato
al Agua sur la chaîne IntereconomíaSRXUU«DJLU¢OȇDSSHOGXFROOHFWLI
25-S de tenter d’occuper le Congrès des députés le 25 avril jusqu’à
obtenir la démission du gouvernement47. Ayant milité au sein du
PRXYHPHQW DOWHUPRQGLDOLVWH HQ 3DEOR ,JOHVLDV G«IHQG OD G«VR-
E«LVVDQFH FLYLOH FRPPH PR\HQ GH OXWWH /RUV GH FHWWH LQWHUYHQWLRQ
WRXW HQ FRQGDPQDQW OȇXVDJH GH OD YLROHQFH LO MXVWLȴH OHV PDQLIHVWD-
tions populaires en cherchant à montrer le manque de légitimité du
JRXYHUQHPHQW GH VHV SROLWLTXHV GȇDXVW«ULW« HW SOXV J«Q«UDOHPHQW OD
crise du système politique issu de la constitution de 1978. Ses prises de
šPablo IƭƲƫƸƯƧƸ, « RCLQ[CȓQIšLa realidad era esto », [atresplayer. com], 16 novembre 2012.
šMiguel HƫƷƴʜƴƪƫƿ, « El 25SNNCOCCūCUGFKCTŬGNCongreso el 25 de abril y a no abandonar
hasta que dimita el Gobierno », La Razón, 31 mars 2013.
284
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
SRVLWLRQWUªVKDELOHVHWDSSX\«HVGHGRQQ«HVFRQFUªWHVOXLRQWSHUPLV
de se faire connaître du grand public et ont suscité un large débat sur
internet et dans la presse écrite48.
Il est dès lors devenu peu à peu un analyste et un collaborateur
habituel invité à différentes « Tertulias políticas} El Gato al Agua et
El Cascabel al Gato 79 La SextaNoche /D 6H[WD Las Mañanas
de Cuatro (Cuatro) et La noche en 24 horas présenté par Sergio Martin
(24 horas)49. La principale nouveauté du discours qu’il propose et sa
percée à l’écran s’expliquent par le fait que le format télévisuel des
« Tertulias} GHV G«EDWV VXU OȇDFWXDOLW« SROLWLTXH HQWUH VXSSRV«V mVS«-
FLDOLVWHV}MRXUQDOLVWHVHWLQYLW«VD«W«ODUJHPHQWmYDPSLULV«}SDUGHV
pseudo-experts au cours des dernières années. Ces « spécialistes du ciel
HW GH OD WHUUH} SRXU UHSUHQGUH OȇH[SUHVVLRQ Gȇ,JOHVLDV RQW SULV OȇKDEL-
tude d’opiner sur tous les sujets et de se dire compétents sur toutes les
WK«PDWLTXHVHQUHVVDVVDQWOHVP¬PHVSRLQWVGHYXHHWLG«HVUH©XHV(Q
préparant au contraire très sérieusement en amont ses interventions
W«O«YLV«HVHQU«GLJHDQWGHVQRWHVGHVDUJXPHQWDLUHVHWHQ«WD\DQWVRQ
SURSRVGHQRPEUHX[H[HPSOHV3DEOR,JOHVLDVDVRXGDLQHPHQWPRQWU«
OH IDLEOH QLYHDX LQWHOOHFWXHO GH QRPEUHX[ G«EDWV SUHQDQW VRXYHQW OH
dessus sur ses interlocuteurs grâce à un vrai travail méthodique d’argu-
mentation et de contre-argumentation.
6HVLQWHUYHQWLRQVWUªVFULWLTXHVPDLVLQWHOOLJHQWHVHWWUªVGRFXPHQ-
W«HVG«VWDELOLVHQWDLQVLVRXYHQWOHVDXWUHVPHPEUHVGXSODWHDXHQPHW-
tant le doigt sur les questions qui fâchent50. Avant même la création de
PodemosHQMDQYLHUHOOHVOXLRQWSHUPLVGHȴG«OLVHUXQSXEOLFHWGH
diffuser ses prises de position à des heures de grande écoute. Depuis la
IRUPDWLRQGXPRXYHPHQW3DEOR,JOHVLDVHVWGHYHQXXQYUDLSK«QRPªQH
P«GLDWLTXH LQYLW« HQ DX VHLQ GH QRPEUHXVHV DXWUHV «PLVVLRQV
comme La LupaVia VAl Rojo vivoEl ObjetivoViajando con ChesterUn
tiempo nuevo et Salvados. L’émergence de Podemos doit ainsi beaucoup
DX FKDULVPH DX WUDYDLO FULWLTXH VXU OH FRQWHQX HW ¢ OD FRPPXQLFDWLRQ
politique de Pablo Iglesias. L’essor de la formation est donc intimement
lié à la diffusion de nouveaux cadres d’interprétation et d’un discours
critique renouvelé au sein même des médias de masse traditionnels.
šMario LʭǞƫƿ, « Pablo Iglesias y la conquista de la inteligencia », Diario Siglo XXI, 4 juillet
2013.
šIl a aussi participé à l’émission Te vas a enterar en 2013.
šEn octobre 2013, il a d’ailleurs obtenu un prix journalistique octroyé par le département de
journalisme de l’université Carlos III de Madrid, puis le prix « Enfocados » de journalisme de
l’ONG Coordinadora para el desarrollo, pour sa contribution au changement social.
285
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šSWT NC PQVKQP FG kRCTVK CVVTCRGVQWVz EH NŨCTVKENG ENCUUKSWG FG Otto KƯƷƩƮƫƯƳƫƷ, « The
transformation of the West European party systems », dans Joseph LƧPƧƲƵƳƨƧƷƧ et Myron
WƫƯƴƫƷ FKT Political Parties and Political Development, Princeton, Princeton University Press,
R
šFrancesco MƧƴƫƹƹƵ, « TUKRTCUCTTQRCTȄCPablo Iglesias en la clausura de la asamblea de
Podemos », El País PQXGODTG Rš María Antonia SʛƴƩƮƫƿVƧƲƲƫưƵ, « El espejo
griego de Syriza », El País, 23 novembre 2014.
šLes expressions sont ici reprises de Juan Carlos MƵƴƫƪƫƷƵ et Jesús MƵƴƹƫƷƵ, op. cit.,
17 octobre 2014. De 3 % lors des européennes de 2004, Syriza est devenu le premier parti de
NŨQRRQUKVKQP NQTU FGU NȌIKUNCVKXGU FG GPXQ[CPV FȌRWVȌU UWT CW Parlement grec,
RWKUNGRTGOKGTRCTVKITGENGRNWUXQVȌ NQTUFGUGWTQRȌGPPGUFGPas à pas, Syriza
s’est transformé en un parti de gouvernement cherchant à rassurer ses partenaires européens,
ce qui a débouché sur sa conquête du pouvoir lors des élections législatives du 25 janvier 2015.
Cf. Lamprini RƵƷƯet Elias DƯƴƧƸkLGUȌNGEVKQPUNȌIKUNCVKXGUITGESWGUFGšFGUȌNGEVKQPUȃ
haut risque », Pôle sud. Revue de science politique de l’Europe méridionalePoR
šSondage El PaísMetroscopia, 2 novembre 2014.
286
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
287
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
DGYHUVDLUHV HVVDLHQW GH U«SDQGUH ¢ Oȇ«JDUG GH VD IRUPDWLRQ HQ GLVDQW
que « ce qui fait réellement peur aujourd’hui en Espagne est que pen-
dant que le nombre de citoyens riches a augmenté de 24 % l’année der-
QLªUHGHVSHUVRQQHVHQULVTXHGHSDXYUHW«QHVRUWHQWSDVGHFHOOH
ci lorsqu’elles trouvent un travail59 ». Il s’est principalement focalisé
sur la lutte contre la corruption et la nécessité de « changer de régime »
pour résoudre le problème au-delà des nombreuses affaires indivi-
duelles qui ne seraient que « la pointe de l’iceberg ». Critique des excès
GXQ«ROLE«UDOLVPHOHGLVFRXUVSROLWLTXHGHPodemos donne une impor-
tance centrale aux aspects les plus concrets de la vie des gens : le droit à
XQHDOLPHQWDWLRQVDLQHHW¢OȇHDXSRXUWRXVDX[OLEHUW«VGHGLVSRVHUGH
son corps et de s’exprimer (contre les réformes du PP anti-avortement
HWUHVWUHLJQDQWOHGURLWGHPDQLIHVWHU HWDX[GURLWVIRQGDPHQWDX[GH
se loger et d’accéder à l’éducation60. Comme le collectif de la PAH depuis
Podemos prône l’utilisation des logements vides possédés par les
banques et un moratoire sur les expulsions.
(Q PDWLªUH «FRQRPLTXH OD SRVLWLRQ GH Podemos a d’ores et déjà
«YROX« QRWDPPHQW VXU OȇHXUR HW OD GHWWH SXEOLTXH HQ FKHUFKDQW VXU-
tout à rassurer61. Les économistes Bibiana Medialdea et les professeurs
$OEHUWR 0RQWHUR HW 1DFKR OYDUH] G«IHQGHQW G«VRUPDLV XQ SODQ GH
UHVWUXFWXUDWLRQ SDUWLHOOH HW FRQFHUW«H GH OD GHWWH QRWDPPHQW SRXU
répondre aux critiques à l’égard de son projet initial lors des euro-
S«HQQHVTXLG«IHQGDLWOHQRQSDLHPHQWGHVSDUWLHVmLOO«JLWLPHV}GHOD
dette62. Iglesias cherche aussi à rassurer en défendant qu’il ne s’agira
de sortir ni de l’euro ni de l’UE. Son « Programme économique pour les
JHQV}VȇLQVSLUHGHVUHFRPPDQGDWLRQVGHV«FRQRPLVWHV-XDQ7RUUHVHW
9LFHQ©1DYDUURTXLSURSRVHQWQRWDPPHQWXQmSODQGHG«YHORSSHPHQW
288
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
šElsa GƧƷƩʨƧ Dƫ BƲƧƸ, « ETTGLȕPš ūLos catalanes tienen derecho a decidir como los esco
ceses” », El País, 13 novembre 2014, p. 19.
289
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
290
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
šLoïc LƫCƲƫƷƩ, « Pourquoi Podemos progresse quand le Front de gauche patine », Marianne,
6 septembre 2014.
šGregorio ÀƲƻƧƷƫƿ, « IU se divide ante el ascenso de Podemos », El País, 7 novembre 2014.
šAlberto GƧƷƿƵƴ, conférence de presse publique, Madrid, 25 octobre 2014.
291
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šFrancesc PƧƲƲƧƷʣƸ et Michael KƫƧƹƯƴƭ, « Les élections autonomiques et les systèmes par
VKUCPUTȌIKQPCWZšNŨGUUQTFŨWPGEQORȌVKVKQPȌNGEVQTCNGOWNVKPKXGCWZzFCPUAlicia FƫƷƴʜƴƪƫƿ
GƧƷƩƯƧ et Mathieu PƫƹƯƹƮƵƳƳƫ FKT Les nationalismes dans l’Espagne contemporaine.
Compétition politique et identités nationales, Paris, Armand CQNKPR
292
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
293
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
294
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
šSur ce point, la secrétaire d’analyse politique et sociale Carolina Bescansa juge « plausible »
WPRCEVGRQUVȌNGEVQTCNGPVTGNGPP et le PSOE, ce qui serait certainement désastreux pour ce
FGTPKGT GP CEVCPV UQP FȌENKP GV TKUSWGTCKV FŨGPVTCȑPGT UC SWCUKFKURCTKVKQP EQOOG NG PASOK
grec.
295
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
Tant PodemosSRXUFRQȴUPHUVRQDQFUDJH«OHFWRUDOTXHOH362(SRXU
ne pas le voir disparaître n’ont donc aucun intérêt stratégique à former
une alliance préélectorale. Mais au vu de l’évolution idéologique rapide
de PodemosYHUVODVRFLDOG«PRFUDWLHXQHFRQYHUJHQFHSRVW«OHFWRUDOH
VRXVODIRUPHGȇXQDFFRUGGHJRXYHUQHPHQWSHXW¬WUHSRVVLEOHFRPPH
ce fut le cas dans de nombreuses municipalités. Mais il faudrait pour
FHOD TXH OHV GHX[ IRUFHV REWLHQQHQW VXɚVDPPHQW GH VRXWLHQV «OHFWR-
raux pour pouvoir constituer une majorité ensemble. Il faudrait aussi
que le PSOE préfère s’allier avec Podemos SOXW¶W TXȇDYHF &LWR\HQV
puisqu’un tel pacte est aussi possible.
/DVHFRQGHFRQȴJXUDWLRQVHUDLWFHOOHGȇXQHDOOLDQFHDOWHUQDWLYHHQWUH
IU et Podemos$SUªVWRXW3DEOR,JOHVLDVDOXLP¬PHFROODERU«DYHF,8
dans le passé et de nombreux membres du cercle dirigeant du parti
VRQW LVVXV GHV UDQJV Gȇ,8 0DLV ¢ FH MRXU Podemos dépasse quasiment
FRQVWDPPHQW OHV GȇLQWHQWLRQV GH YRWH VDQV ,8 HQ «WDQW DQQRQF«
DX PLHX[ FRPPH OD SUHPLªUH DX SLUH FRPPH OD WURLVLªPH IRUFH SROL-
tique. L’intérêt d’une telle alliance semble donc limité pour Podemos
et ses dirigeants optent plutôt pour préserver leur indépendance et
absorber de fait l’électorat d’IU sans avoir besoin d’accords partisans.
Il semble clair qu’un affrontement entre le PSOE et PodemosVHSURȴOH
pour le leadership de la gauche. La stratégie du PSOE est de « rappe-
ler aux gens que la majorité des dirigeants de Podemos sont issus de
Izquierda Anticapitalista} HQ mG«YRLODQW OD FRQWUDGLFWLRQ HQWUH OHXUV
paroles modérées d’aujourd’hui et leur discours radical de toujours77 ».
On estime qu’environ un tiers des électeurs de Podemos lors des euro-
péennes du 25 mai 2014 ont au moins voté une fois pour le PSOE dans
OHSDVV«FHTXLW«PRLJQHGHOȇH[LVWHQFHGȇXQ«OHFWRUDWmȵRWWDQW}TXHOHV
VRFLDOLVWHV HVSªUHQW U«FXS«UHU 0DLV OD W¤FKH VHPEOH GLɚFLOH SXLVTXH
cela risque de stigmatiser comme « extrémistes » des électeurs qui ne se
UHVVHQWHQWSDVFRPPHWHOVHWGȇDFFUR°WUHHQFRUHOȇDWWUDLWGHPodemos au
PRPHQWR»LOHQWUHSUHQGmXQUDSLGHYR\DJHLG«RORJLTXHYHUVODVRFLDO
démocratie78 ». Le PSOE reconnaît d’ailleurs lui-même que « les élec-
teurs de Podemos sont majoritairement des personnes progressistes qui
expriment leur indignation face au fonctionnement du système et qui
ne trouvent pas aujourd’hui au sein du PSOE la réponse adéquate79 ».
Mais les dirigeants socialistes ne comprennent pas la montée en
296
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
SXLVVDQFHGXPRXYHPHQWHPS¬WU«VTXȇLOVVRQWGDQVXQHYLVLRQU«GXF-
trice du parti comme « une scission de la gauche d’Izquierda Unida }
alors que la vraie question est celle de la radicalisation de l’électorat
GH JDXFKH SURJUHVVLVWH IDFH DX PDLQWLHQ GȇXQ FK¶PDJH GH PDVVH ¢ OD
hausse des inégalités et à la corruption politique80. Dans un contexte
général de fragmentation et de multiplication des organisations parti-
VDQHVOHVF«QDULRGȇXQHWULSDUWLWLRQYRLUHP¬PHGȇXQHTXDGULSDUWLWLRQ
(Podemos-PSOE-Citoyens-PP) de l’espace politique semble donc le plus
SUREDEOHDYHFSRXULQFRQQXHVOHSRLGVUHODWLIGHFKDFXQHGHFHVTXDWUH
composantes principales et leurs stratégies d’alliances respectives.
297
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
11
Un tournant historique
en Espagne ?
Nouvelles alternatives et
renouveau de l’engagement citoyen
Alicia FERNÁNDEZ GARCÍA
299
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
UHSROLWLVDWLRQGHODVRFL«W«HVSDJQROHHQUHPHWWDQWGHVHQMHX[VRFLDX[
majeurs sur le devant de la scène publique et médiatique. La défense
GHVGURLWVIRQGDPHQWDX[DXWUDYDLODXORJHPHQW¢ODVDQW«HW¢Oȇ«GXFD-
tion a engendré un renouveau de l’engagement citoyen. Il semble ainsi
désormais que l’Espagne soit à un tournant de son histoire contem-
SRUDLQH PDUTX« SDU OȇHVVRU GH QRXYHOOHV GHPDQGHV FLWR\HQQHV TXL
déboucheront très certainement sur des alternatives et des pratiques
politiques et sociales renouvelées.
8QmPLURLUJURVVLVVDQW}GHVG«ULYHVSROLWLFRȴQDQFLªUHV
'DQV FHW RXYUDJH FROOHFWLI OHV DXWHXUV RQW PLV HQ DYDQW GHV GLD-
gnostics assez proches en ce qui concerne les principales causes du
déclenchement de la crise économique. La responsabilité des élites
SROLWLTXHV GȇDERUG ODUJHPHQW FRXSDEOHV GH OȇHQGHWWHPHQW H[FHVVLI
des communautés autonomes par des investissements publics déme-
VXU«V TXL RQW SDUIRLV HQJHQGU« GH Y«ULWDEOHV JRXIIUHV ȴQDQFLHUV /HV
gouvernements successifs depuis les années 1990 ont aussi très sou-
YHQW IHUP« OHV \HX[ VXU OHV SUDWLTXHV GRXWHXVHV HPSUXQWV WR[LTXHV
FODXVHVDEXVLYHVGHSU¬WHWF GHV«WDEOLVVHPHQWVEDQFDLUHV/HVLQW«-
U¬WVGHQRPEUHXVHV«OLWHVSROLWLTXHVPHPEUHVGHVFRQVHLOVGȇDGPLQLV-
WUDWLRQGHVEDQTXHVGHVFDLVVHVGȇ«SDUJQHRXHQFRUHGHVSULQFLSDOHV
PXOWLQDWLRQDOHV HVSDJQROHV RQW «YLGHPPHQW UHQIRUF« OH PDQTXH GH
FRQWU¶OHHWGHWUDQVSDUHQFHWDQWGDQVOȇXWLOLVDWLRQGHVGHQLHUVSXEOLFV
que dans les prêts consentis aux particuliers. Les échanges de faveur
HQWUHPHPEUHVGHOȇ«OLWHSROLWLFRȴQDQFLªUHVRQWDXVVLGLUHFWHPHQWPLV
HQFDXVH/HVFRQȵLWVGȇLQW«U¬WVODVXUIDFWXUDWLRQGHVPDUFK«VSXEOLFV
HWOHȴQDQFHPHQWLOO«JDOGHVSDUWLVSROLWLTXHVVRQWDXWDQWGHSUDWLTXHV
qui ont été mises en lumière et qui ont suscité l’indignation générale
des citoyens.
Une deuxième raison qui permet d’expliquer pourquoi l’impact
social de la crise a été plus important en Espagne qu’ailleurs en Europe
est liée aux limites du modèle économique espagnol et à ses déséqui-
OLEUHV VWUXFWXUHOV (Q HIIHW OHV JRXYHUQHPHQWV VXFFHVVLIV GX 33 HW GX
PSOE ont plébiscité depuis les années 1980 un modèle de croissance
«FRQRPLTXHDVVH]DUWLȴFLHOHWSHXYLDEOH¢ORQJWHUPHIRQG«SULQFLSD-
lement sur les secteurs du bâtiment et du tourisme. Les limites de ce
300
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
301
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
302
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
$XWUHFRQV«TXHQFHGHODFULVHOHWUDYDLODXQRLUDDXVVLODUJHPHQW
UHIDLWVXUIDFHSHUPHWWDQWGHOLPLWHUOȇLPSDFWVRFLDOGHODFULVHHQGRQ-
QDQWGHVUHYHQXVGȇDSSRLQWDX[IDPLOOHVPDLVREOLJHDQWDXVVLGHQRP-
breuses personnes à travailler sans cotisations retraites ni protection
sociale. Le chômage reste très élevé et touche fortement les jeunes pour
qui les perspectives d’avenir ne sont plus les mêmes. Elìes Furiò Blasco
et ses coauteurs ont bien mis en avant le fait que la hausse des frais
d’inscription à l’université décidée par le gouvernement conservateur
LOOXVWUH mXQH YLVLRQ LG«RORJLTXH GH Oȇ«GXFDWLRQ} TXL ULVTXH GH SULYHU
toute une génération de jeunes issus des classes populaires de l’accès à
OȇHQVHLJQHPHQW VXS«ULHXU OHV H[SRVDQW GȇDXWDQW SOXV DX FK¶PDJH VXU
le long terme et accroissant la fracture entre les classes sociales. La
U«IRUPHGXPDUFK«GXWUDYDLOGHIDFLOLWHOHVOLFHQFLHPHQWVP¬PH
VLOHV«WXGHV«FRQRPLTXHVRQWPRQWU«VHORQHX[mTXȇLOQȇH[LVWHHQIDLW
SDVGHUHODWLRQFDXVDOHGLUHFWHHQWUHOHVFR½WVGHOLFHQFLHPHQWHWOHWDX[
de chômage moyen ». La diminution de la capacité d’action collective
GHV V\QGLFDWV ULVTXH DXVVL GH PRGLȴHU GXUDEOHPHQW mOH UDSSRUW GH
IRUFH HQWUH OHV DJHQWV VRFLDX[} &HUWHV OD VLWXDWLRQ SHXW «YROXHU GDQV
les années à venir avec des changements possibles de majorité à l’éche-
lon local ou au niveau national. Mais il sera impossible de compenser
OHVVRXIIUDQFHVSDVV«HVGHUHQGUHOHXUDUJHQWDX[«SDUJQDQWVȵRX«VHW
leur appartement aux personnes expulsées durant la crise.
303
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
304
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
8QHGLYHUVLȴFDWLRQGHVIRUPHVGHFRQWHVWDWLRQ
(QVHPRELOLVDQWHQPDQLIHVWDQWHQVLJQDQWGHVS«WLWLRQV2HQFKHU-
FKDQW¢HQWRXUHUOH&RQJUªVGHVG«SXW«VHQXWLOLVDQWOȇKXPRXUODG«VR-
béissance civile (des médecins par exemple dans la défense de la santé
šComme le note Benoît Pellistrandi, malgré que Juan Carlos Ier fût « éduqué par Franco dans
l’Espagne de Franco », ce qui apparaît pour l’opposition antifranquiste comme « une compro
mission avec le dictateur », le fait qu’il devint le « pilote du changement démocratique », et qu’il
incarne la légitimité et la défense de la Constitution lors du coup d’État raté du 23 février 1981,
contribua à asseoir sa légitimité auprès des Espagnols de la génération de la transition. Voir
aussi Charles T. PƵƼƫƲƲ El piloto del cambio, op. cit., 1991. Sur l’importance historique du coup
d’État de 1981, on peut se référer à l’essai historique primé, sous la forme d’un roman, de Javier
CƫƷƩƧƸ, Anatomía de un instante, Madrid, Editorial Mondadori, 2009.
šOn peut citer la pétition de l’ILP pour un moratoire sur les expulsions à l’initiative de la PAH,
mais aussi suite aux révélations d’El Mundo sur la « comptabilité B » du PP le 31 janvier 2013,
la pétition lancée le 1er février sur le site internet change. org, demandant la démission de
Mariano Rajoy, qui recueillit un million de signatures en une semaine seulement.
305
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
306
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
šSur les émotions en politique, Christophe TƷƧƯƴƯ FKT , Émotions… mobilisations, Paris, Presses
de SEKGPEGUPo, 2009. Voir aussi Dominique WƯƸƲƫƷ, « La couverture médiatique de l’action pro
testataire, étude à partir du cas suisse », Revue française de sociologiePoR
šOlivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ et Danielle TƧƷƹƧƱƵƼƸƱƾ, La manifestation, Paris, Presses de SEKGPEGUPo,
2013, p. 145.
šÉTKMNƫƻƫƺ, « Médias, mouvements sociaux, espaces publics », Réseaux, vol. 17, n° 98, 1999,
R
307
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
308
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
VRFL«W«VEDQFDLUHVGHSRUWHUDWWHLQWH¢OȇLPDJHGHPDUTXHGHVEDQTXHV
et de les forcer à ouvrir une négociation avec les particuliers pour éviter
des expulsions et renégocier des prêts bancaires.
La Coordination 25-S a de même appelé à « entourer le Congrès »
OHVHSWHPEUHSXLV¢mDVVL«JHUOH&RQJUªV}OHDYULOHQ
estimant que les députés ne représentent pas les aspirations du peuple
espagnol10. Autour de la Coordination 25-S mais aussi d’autres organisa-
WLRQVSURFKHVGHVPLOLHX[GȇH[WU¬PHJDXFKHHWDQDUFKLVWHVQRWDPPHQW
HQ &DWDORJQH OD YLROHQFH GH UXH D IDLW VRQ UHWRXU &HUWHV GXUDQW OHV
DQQ«HVHOOHMRXDLWG«M¢XQU¶OHFHQWUDOSRXUFHUWDLQVPRXYHPHQWV
VRFLDX[ FRPPH DXWRXU GH OD Kale borroka utilisée politiquement par
le nationalisme basque radical pour monopoliser l’espace public et
intimider ses adversaires. Mais les affrontements avec la police lors des
DFWLRQVGȇLQWHUSRVLWLRQGHVFLWR\HQVSRXU«YLWHUOHVH[SXOVLRQVRXOȇLQȴO-
tration de radicaux violents lors des manifestations contre les banques
HWOȇDXVW«ULW«VȇH[SOLTXHQWDXVVLSDUOȇLQGLJQDWLRQJ«Q«UDOHGHODVRFL«W«
et la radicalisation d’une certaine frange de la jeunesse11. Ils traduisent
XQH IRUWH G«ȴDQFH YLV¢YLV GH OD FULPLQDOLVDWLRQ HW GH OD S«QDOLVDWLRQ
croissante des mouvements sociaux par la récente loi sur la sécurité
intérieure12. Le « moment manifestant » selon l’expression de Pierre
)DYUHDDLQVLSDUIRLVFRQWULEX«¢G«O«JLWLPHUOHVSRXYRLUVSXEOLFVVXLWH
à l’usage disproportionné de la répression par les forces de l’ordre13.
309
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
310
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
/D TXHVWLRQ GH OD FRUUXSWLRQ SROLWLTXH TXL QȇHVW SDV QRXYHOOH HQ
(VSDJQH WDQW FHV SUDWLTXHV «WDLHQW G«M¢ FRXUDQWHV GXUDQW OHV DQQ«HV
HVWG«VRUPDLVDSSU«KHQG«HGLII«UHPPHQWSDUODVRFL«W«FRPPH
XQ ȵ«DX PDMHXU ¢ WUDLWHU $XSDUDYDQW OD FRUUXSWLRQ «WDLW SHU©XH
FRPPH XQ SK«QRPªQH U«VLGXHO FRPPH OD U«VXOWDQWH GHV FRQGXLWHV
déviantes de certains individus. Elle est désormais associée à un « sys-
WªPH} SOXV J«Q«UDO TXL SHLQH ¢ FRPEDWWUH FHWWH WDUH FH TXL DPªQH ¢
SRVHU OD TXHVWLRQ GH U«IRUPHV SURIRQGHV DXGHO¢ GHV FDV LQGLYLGXHOV
nécessité de remédier au manque de transparence dans la gestion des
IRQGV SXEOLFV PLVH HQ FDXVH GX FXPXO GHV PDQGDWV GH OȇRSDFLW« GX
ȴQDQFHPHQWGHVSDUWLVRXHQFRUHGHOȇLPSXQLW«GHV«OLWHVTXLWLUHQWSUR-
ȴWGȇXQV\VWªPHMXGLFLDLUHTXLPDQTXHGȇLQG«SHQGDQFH0¬PHVȇLOUHVWH
HQFRUH EHDXFRXS GH FKHPLQ ¢ SDUFRXULU OHV SDUWLV SROLWLTXHV HW OHXUV
acteurs commencent à prendre conscience que la corruption mine leur
LPDJH HW G«WRXUQH OHV «OHFWHXUV GHV IRUPDWLRQV TXL QȇH[FOXHQW SDV OHV
personnes soupçonnées de corruption ou qui présentent une attitude
jugée trop reprochable. Tant à travers l’essor de nouveaux partis qui
PHWWHQW FODLUHPHQW FHW HQMHX DX FHQWUH GH OHXUV SU«RFFXSDWLRQV TXH
JU¤FH¢Oȇ«YROXWLRQSURJUHVVLYHGHVSUDWLTXHVGHVSDUWLVWUDGLWLRQQHOVLO
est possible d’espérer que des mesures plus coercitives pour combattre
ces dérives et que de nouvelles pratiques seront adoptées au cours de
la prochaine décennie.
D’autres enjeux ont aussi ressurgi grâce aux mouvements sociaux :
la réforme du système électoral et de la loi sur les partis demandée par
OHV LQGLJQ«V OD U«IRUPH GH OȇWDW GHV DXWRQRPLHV YRXOXH SDU OHV LQG«-
pendantistes basques et catalans ; la dénonciation de l’austérité par les
mPDU«HV}FLWR\HQQHVRXHQFRUHFHOOHGHODȴQDQFLDULVDWLRQGHOȇ«FRQR-
mie et des pratiques frauduleuses des banques par la mobilisation des
SHWLWV «SDUJQDQWV QRWDPPHQW DXWRXU GX VFDQGDOH GHV preferentes FHV
placements à risque autour d’actifs toxiques vendus sans informations
VXɚVDQWHV TXL RQW FDXV« OD UXLQH GH QRPEUHX[ SDUWLFXOLHUV 0DWKLHX
3HWLWKRPPH D GH P¬PH ELHQ PRQWU« FRPELHQ OD 3$+ D FRQWULEX« ¢
G«QRQFHU OD ORL K\SRWK«FDLUH HVSDJQROH OHV FODXVHV DEXVLYHV GDQV OHV
contrats de prêts immobiliers et le scandale des expulsions. Par ses
DFWLRQVGȇLQWHUSRVLWLRQVHVSODLQWHVHWVHVUHFRXUVGHYDQWOHVWULEXQDX[
FHFROOHFWLIDIDLWSUHVVLRQVXUOHVSRXYRLUVSXEOLFV*U¤FH¢VHVDFWLRQV
les Espagnols ont pris conscience de la responsabilité des banques
dans le déclenchement de la bulle immobilière. Si l’actuel gouverne-
PHQWFRQVHUYDWHXUDG«FLG«HQPDUVDYDQWWRXWSRXUGHVUDLVRQV
«OHFWRUDOLVWHVGHIDLUHYRWHUXQHIXWXUHORLIDFLOLWDQWOHVUHQ«JRFLDWLRQV
311
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
312
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
GLVFRXUVGRPLQDQWVHQSURSRVDQWGHQRXYHDX[U«FLWVHWmFDGUHVGȇLQ-
terprétation » pour expliquer le réel et l’histoire espagnole du temps
SU«VHQW/HV«OLWHVSROLWLTXHVFRPPHOȇDELHQPRQWU«OHFRPSRUWHPHQW
GH-RV«/X¯V5RGU¯JXH]=DSDWHURRQWGȇDERUGQL«OȇH[LVWHQFHGHODFULVH
pour ensuite minimiser son impact et ses effets. La repolitisation de la
société espagnole est en ce sens intimement liée au manque d’empa-
thie et à la déconnexion du réel de la classe politique. Les pensions de
UHWUDLWHJ«Q«UHXVHVGHVG«SXW«VOHVmSDUDFKXWHVGRU«V}GHVGLULJHDQWV
GH PXOWLQDWLRQDOH TXL OLFHQFLHQW VDQV «WDW Gȇ¤PH OHV U«PXQ«UDWLRQV
démesurées des actionnaires de banques au bord de la faillite sont
devenues intolérables pour les citoyens et le symbole même des limites
du système politique issu de la transition et de l’ordre économique
néolibéral. Face à des acteurs politiques dominants qui partageaient
JOREDOHPHQW OH P¬PH GLVFRXUV OD P¬PH Y«Q«UDWLRQ GX OLEUH«FKDQJH
et le même maniement de la langue de bois pour éviter toute réforme
VWUXFWXUHOOHGXV\VWªPHGHGXPRGªOH«FRQRPLTXHHVSDJQROHWGH
OHXUVSUDWLTXHVOHVFLWR\HQVSDUOHXUVPRELOLVDWLRQVRQWMRX«OHU¶OHGH
mODQFHXUVGȇDOHUWH}G«QRQ©DQWOHVLQMXVWLFHVHWSURSRVDQWGHQRXYHOOHV
DOWHUQDWLYHV (Q DWWLUDQW OȇDWWHQWLRQ VXU GH QRXYHDX[ HQMHX[ HQ «YR-
TXDQW GHV FDXVHV HQ G«QRQ©DQW GHV UHVSRQVDEOHV HW HQ SURSRVDQW GHV
VROXWLRQVOHVPRXYHPHQWVVRFLDX[RQWUHGRQQ«GXVHQV¢OȇHQJDJHPHQW
rompant avec le cercle vicieux de la lassitude et redonnant de l’espoir
DX[ FLWR\HQV /D WUDQVIRUPDWLRQ GX VORJDQ m2XL FȇHVW SRVVLEOH} GHV
LQGLJQ«V HQ FHOXL GH Podemos m%LHQ V½U TXH RXL QRXV SRXYRQV} RX
HQFRUHOȇDSSHOODWLRQP¬PHGXQRXYHDXSDUWLm&LWR\HQV}V\PEROLVHQW
bien cette volonté de remettre la citoyenneté et son engagement au
cœur de l’action politique.
313
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
OȇLPDJHGȇXQHPLVHHQVRPPHLOGX0OHVDFWHXUVGHFHPRXYHPHQW
VHVRQWSHX¢SHXLQYHVWLVmGDQVGHVFROOHFWLIVFLWR\HQVGHVSODWHIRUPHV
GHV FRPLW«V GH TXDUWLHU HW GHV H[S«ULHQFHV Gȇ«FRQRPLH DOWHUQDWLYH}
diffusant en fait de nouvelles pratiques citoyennes au sein d’arènes et
de lieux publics distincts. Cette « contre-culture » de la protestation a
débouché sur des initiatives telles que la création de jardins commu-
QDXWDLUHV GH FRRS«UDWLYHV GH WURF Gȇ«OHFWULFLW« GHV FHQWUHV VRFLDX[
DOWHUQDWLIV GHV RFFXSDWLRQV GȇLPPHXEOHV DEDQGRQQ«V SDU GHV SURPR-
WHXUVLPPRELOLHUVHQIDLOOLWHRXHQFRUHGHVYLOODJHVUXUDX[DXWRJ«U«V
(Q FH VHQV OȇmHVSULW FLWR\HQ HW QRQSDUWLVDQ GȇRULJLQH GX 0}
a eu un impact plus global sur la société espagnole. Il explique par
H[HPSOH OȇHVVRU GX mPXQLFLSDOLVPH} ¢ VDYRLU GH QRXYHOOHV SODWH-
formes citoyennes présentées dans le contexte des élections municipales
(Ganemos Barcelona SDU H[HPSOH 6HORQ 6\OYLH .ROOHU HQ LQFLWDQW VHV
V\PSDWKLVDQWVm¢FRQVWLWXHUGHVFHUFOHVVXUXQHEDVHORFDOHSURIHVVLRQ-
QHOOHRXWK«PDWLTXHGHID©RQOLEUHHWDXWRQRPH}Podemos a suscité un
large engouement citoyen. Cette dynamique montre l’attachement d’une
frange importante des citoyens à l’auto-organisation et à la territoria-
lisation des luttes dans leur quartier et leur municipalité. L’activisme
GX PRXYHPHQW GHV LQGLJQ«V OHV QRPEUHX[ PRXYHPHQWV VRFLDX[ TXL
VRQW GHVFHQGXV GDQV OD UXH GHSXLV GH P¬PH TXH Podemos dans
OHXUVLOODJHSDUODIRUPXODWLRQGȇXQHQRXYHOOHSODWHIRUPHSROLWLTXHRQW
contribué à une repolitisation de la société espagnole par le bas.
Les limites de la dynamique d’assemblée du mouvement des indi-
JQ«VQRWDPPHQWOHVGLɚFXOW«V¢SUHQGUHGHVG«FLVLRQVSDUFRQVHQVXV¢
KL«UDUFKLVHUOHVUHYHQGLFDWLRQVHW¢G«ȴQLUXQHVWUDW«JLHSROLWLTXHFRK«-
UHQWHRQWORJLTXHPHQWG«ERXFK«VXUXQHYRORQW«GHWUDQVIRUPHUOȇLQGL-
gnation sociale et citoyenne en de nouvelles alternatives politiques.
$LQVL VHORQ 6\OYLH .ROOHU OH QRXYHDX SDUWL Podemos « a emprunté au
0FHUWDLQHVUªJOHVGHIRQFWLRQQHPHQWFRPPHXQPRGHGȇDɚOLDWLRQ
souple (sans cotisation exigée et des formes de cyberactivisme : délibé-
rations et forums de participation sur l’internet ». Il s’inspire de même
des propositions du mouvement sur la question du contrôle démocra-
tique à travers « des primaires ouvertes pour désigner les candidats
DX[«OHFWLRQVRX¢FHUWDLQHVIRQFWLRQV}mODSRVVLELOLW«GHU«YRTXHUOHV
«OXV}HWmODOLPLWDWLRQ¢HXURVGHVLQGHPQLW«VSDUOHPHQWDLUHV}
0DLV FRPPH OȇD VRXOLJQ« 0DWKLHX 3HWLWKRPPH Podemos est certes
mXQH I«G«UDWLRQ GȇDVVHPEO«HV ORFDOHV DXWRJ«U«HV GRQW OHV G«FLVLRQV
VRQW VRXPLVHV ¢ OȇDSSUREDWLRQ GHV EDVHV} PDLV DXVVL mXQ SDUWL DX
leadership très marqué ». La centralisation du parti autour d’un noyau
314
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
GLULJHDQW LVVX GHV IRQGDWHXUV OH PDQTXH GH QRWRUL«W« GH QRPEUHX[
FDQGLGDWVTXLDG«ERXFK«VXUXQHFRPS«WLWLRQDVVH]LQ«JDOHHQWUHOHV
différentes listes dans l’élection de son « conseil citoyen » et de son
VHFU«WDLUHJ«Q«UDOVRQWDXWDQWGȇH[HPSOHVPRQWUDQWOHVOLPLWHVGXSUR-
FHVVXV GH G«O«JDWLRQ GH SRXYRLU FH MRXU OH IRQFWLRQQHPHQW LQWHUQH
de Podemos illustre cependant une tentative de créer une organisation
SDUWLVDQH VXU GHV EDVHV QRXYHOOHV DOOLDQW XQH FHQWUDOLVDWLRQ HW XQH
autonomie du cercle dirigeant avec la décentralisation et l’autogestion
GHV DVVHPEO«HV ORFDOHV 'ȇXQHFHUWDLQH PDQLªUH Podemos incarne une
IRUPHGHmODERUDWRLUHSROLWLTXH}XQHH[S«ULHQFH¢PLFKHPLQHQWUHOD
verticale du pouvoir des partis traditionnels hiérarchisés et la mise en
œuvre de nouvelles pratiques de démocratie participative directement
issues du mouvement des indignés.
De par la nécessité d’adopter une stratégie politique claire pour
FRQYDLQFUHOHV«OHFWHXUVHWSDUYHQLUDXVXFFªV«OHFWRUDOGHQRPEUHX[
événements de l’actualité incitent à penser que la centralisation des
G«FLVLRQVGHVSULVHVGHSDUROHHWGHODVWUDW«JLHQDWLRQDOHGXSDUWLWHQG
¢VHUHQIRUFHU0DLVFHTXLHVWLPSRUWDQWHVWOHSURFHVVXVOXLP¬PHHW
ce que feront les acteurs de cette organisation de cette expérience de
mQRXYHOOHSROLWLTXH}FHW«JDUGOHV«OHFWLRQVU«JLRQDOHVDQGDORXVHV
qui ont permis au parti d’obtenir quinze représentants au parlement
U«JLRQDO RQW LOOXVWU« WDQW OȇDFFªV ¢ OD IRQFWLRQ SROLWLTXH GH QRXYHOOHV
«OLWHVTXHODG«IHQVHGHOHXUQRXYHOOHDXWRQRPLHSROLWLTXHOHVFRQȵLWV
HQWUH 7HUHVD 5RGULJXH] HXURG«SXW«H HW GLULJHDQWH GX JURXSH SDUOH-
PHQWDLUH DQGDORX HW OD GLUHFWLRQ QDWLRQDOH VXU OD VWUDW«JLH ¢ DGRSWHU
à l’égard du gouvernement régional du PSOE mettent ainsi à l’épreuve
le principe d’autonomie des groupes locaux. L’élection de l’eurodéputé
3DEOR (FKHQLTXH DX SDUOHPHQW U«JLRQDO Gȇ$UDJRQ XQH SHUVRQQDOLW«
DVVH] FULWLTXH GX PDQTXH GH G«O«JDWLRQ GH SRXYRLU GH OD GLUHFWLRQ
laisse augurer de futures négociations internes entre les acteurs du
SDUWLDȴQGHU«HOOHPHQWDSSOLTXHUOHVSUDWLTXHVG«PRFUDWLTXHVUHYHQ-
diquées par Podemos6XUFHSRLQW.DULQH%HUJªVOȇDGHP¬PHVRXOLJQ«
« à travers le grand nombre de féministes qu’il compte dans ses rangs »
qui se regroupent dans le cercle Podemos)«PLQLVPHVGRQWXQHȴJXUH
HPEO«PDWLTXHFRPPH%HDWUL]*LPHQROHQRXYHDXSDUWLVȇLPSRVHDLQVL
comme un « laboratoire expérimental » de la mise en œuvre transver-
VDOHGHOȇ«JDOLW«IHPPHVKRPPHV$XGHO¢GHVG«FODUDWLRQVGȇLQWHQWLRQ
ce sera ainsi la pratique politique des acteurs locaux et nationaux de
PodemosTXLSHUPHWWUDGHGLUHVLGHQRXYHOOHVSUDWLTXHVGHG«PRFUDWLH
LQWHUQHSDUWLFLSDWLYHHWGȇ«JDOLW«VȇLPSRVHURQW
315
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šAWPKXGCWNQECNEGVVGVGPFCPEGCWFȌRCUUGOGPVFWENKXCIGICWEJGFTQKVGGVCWTGEGPVTCIG
sur des « coalitions de projet » a par exemple débouché sur le soutien inédit d’Izquierda Unida au
PP en EUVTȌOCFWTGGPVTGGV ȃVTCXGTUUQPCDUVGPVKQPRQWTHCEKNKVGTNGIQWXGTPGOGPV
du PP avec une majorité simple), une entente qui semblait d’autant plus improbable vu la dis
tance idéologique qui sépare les partis, et le caractère quasiment impossible d’une telle alliance
au niveau national. Mais le PP régional, sans majorité absolue, devait absolument trouver un
partenaire, et a su convaincre IU en faisant des concessions programmatiques concrètes
OCKPVGPKTNŨKORȖVUWTNGUUWEEGUUKQPUPQVCOOGPVEQPVTCKTGOGPVȃNCRQUKVKQPFWPP national),
qui donna à la majorité régionale un programme globalement de droite mais teinté de certaines
mesures de gauche. Cf. « Rajoy autoriza a Monago a mantener el impuesto de sucesiones para
atraer a IUz=JVVRYYYRWDNKEQGU?LWKPEQPUWNVȌNGCXTKN
316
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
'DQV OD PHVXUH R» OHV MHXQHV OHV SOXV WRXFK«V SDU OD FULVH HW OH
FK¶PDJH RQW «W« HQ SUHPLªUH OLJQH GHV PDQLIHVWDWLRQV HW GHV DFWLRQV
FROOHFWLYHVOHmF\FOHSURWHVWDWDLUH}HQWDP«GHSXLVDG«ERXFK«VXU
de fortes demandes en faveur d’un renouvellement idéologique mais
aussi générationnel des organisations politiques18. Dans les mouvements
SURWHVWDWDLUHV GHV FRQȵXHQFHV HQWUH J«Q«UDWLRQV RQW «W« REVHUY«HV
SDU6\OYLH.ROOHU¢SURSRVGX0SDUPRLP¬PHDXVXMHWGXPRXYH-
PHQW U«SXEOLFDLQ RX HQFRUH SDU .DULQH %HUJªV GDQV OH FURLVHPHQW GH
plusieurs générations de militantes féministes. L’activisme des jeunes
dans le cadre de Juventud Sin Futuro Democracia Real Ya GX 0
GHVPRXYHPHQWV«WXGLDQWVGHVPRELOLVDWLRQVGHOD3$+RXGHVDFWLRQV
collectives lors de l’abdication de Juan Carlos IerSHUPHWGHQXDQFHUOD
thèse d’un déclin de l’engagement19. Les partis traditionnels connaissent
XQ G«FOLQ GX PLOLWDQWLVPH PDLV XQH IRUPDWLRQ FRPPH Podemos plaît
DX[MHXQHVHW¢GHQRPEUHX[FLWR\HQVHWVXVFLWHXQHQJRXHPHQWPLOL-
WDQW &HUWHV OH PLOLWDQWLVPH HVW DXMRXUGȇKXL SOXV GLIIXV PRLQV VWDEOH
GDQVOHWHPSVSOXVU«DFWLIHWVSRQWDQ«HWLQWLPHPHQWOL«DX[QRXYHDX[
moyens de diffusion de l’information que constituent les réseaux
sociaux. Militer aujourd’hui ne veut plus vraiment dire la même chose
que du temps des partis de masse. Mais l’exemple espagnol montre que
ORUVTXH OH MHX HQ YDXW OD SHLQH OHV FLWR\HQV VȇHQJDJHQW VH PRELOLVHQW
dans des collectifs formés sur de nouvelles bases et font valoir leurs
droits sociaux et politiques.
FH MRXU KRUPLV OH 3DUWL SRSXODLUH DX SRXYRLU HW &L8 OȇHQVHPEOH
des autres partis politiques ont renouvelé leurs dirigeants en faveur
GHUHVSRQVDEOHVSOXVMHXQHV$OEHUWR*DU]´Q DQV DUHPSODF«&D\R
Lara à la tête d’Izquierda Unida ; Pedro Sánchez (43 ans) a remporté la
primaire socialiste de juillet 2014 ; Oriol Junqueras (46 ans) est devenu
OH GLULJHDQW Gȇ(5& HW FKHI GH OȇRSSRVLWLRQ HQ &DWDORJQH 3DEOR ,JOHVLDV
le nouveau leader de PodemosHVW¤J«GHDQVHW$OEHUW5LYHUDFHOXL
GH&LWR\HQVGHDQV0¬PHVȇLOQȇH[LVWHSDVGHOLHQGLUHFWHQWUHOȇ¤JH
HWOHVSROLWLTXHVSXEOLTXHVVRXWHQXHVSXLVTXHSDUH[HPSOHXQHIUDQJH
importante de la jeunesse présente des attitudes tout à fait conserva-
WULFHV SDUIRLV P¬PH SOXV TXH OHXUV SURSUHV SDUHQWV IRUFH HVW WRXWH-
fois de constater que la crise a débouché sur un renouvellement sans
SU«F«GHQWGHVGLULJHDQWVSROLWLTXHVQDWLRQDX[DXSURȴWGȇXQHQRXYHOOH
317
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
NOUVELLES ALTERNATIVES ET
RECOMPOSITION DU PAYSAGE POLITIQUE
šLa notion de « parti de cartel » a été proposée en science politique par Peter Mair pour
évoquer la tendance des partis dominants dans les démocraties occidentales à dépendre de
plus en plus des ressources de l’ÉVCV PQVCOOGPVFWHKPCPEGOGPVRWDNKE GVȃȍVTGFGOQKPUGP
OQKPUCPETȌUFCPUNCUQEKȌVȌ ȃVTCXGTUWPFȌENKPFWOKNKVCPVKUOG La survie des grands partis
serait donc de plus en plus liée à leur capacité à sauvegarder leurs positions de pouvoir au sein
du système institutionnel et à maintenir des règles en leur faveur, plutôt que directement liée
à leurs soutiens dans la société, qui tendent à décliner. Pour une discussion de cette théorie,
voir l’ouvrage de référence en français, Yohann AƺƩƧƴƹƫ et Alexandre Dʤƿƫ FKT Les systèmes
de partis dans les démocraties occidentales. Le modèle du parti cartel en question, Paris, Presses
de Sciences Po, 2008.
318
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
319
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
šMême parmi les sympathisants du parti conservateur, 44 % pensent la même chose. Cf.
« Clima político en EURCȓCzUQPFCIGMetroscopia pour El País, 10 avril 2015.
23. « PP y socialistas repuntan ligeramente aunque el 77 % quiere que dejen de ser predomi
nantes », El País, 13 avril 2015.
šDans son ouvrage classique sur les systèmes de partis, Giovanni Sartori évoque ces
notions de « capacité de chantage » et de « potentiel de coalition » afin de caractériser le rôle
important que peuvent jouer des organisations politiques certes mineures, mais qui dans un
système fragmenté, ont un rôle central dans la formation des coalitions gouvernementales,
ce qui leur permet d’exercer une influence, soit sur la stratégie et le programme des autres
partis, soit sur les politiques publiques adoptées par un gouvernement. Cf. Giovanni SƧƷƹƵƷƯ,
Partis et systèmes de partis. Un cadre d’analyse, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles,
2011 [1976].
320
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique
OD VRFL«W« WDQW GDQV OHV PLOLHX[ FDWKROLTXHV TXH SDUPL OHV FODVVHV
PR\HQQHVTXLSRXUUDLWUHQGUHSOXVGLɚFLOHSRXUPodemos ou Citoyens
le fait de devenir de vrai partis de gouvernement et pas seulement des
partenaires minoritaires de coalition. Le refus de l’extrémisme et du
radicalisme est désormais largement ancré dans une société espagnole
SDFLȴTXHTXLGHPHXUHODUJHPHQWLQȵXHQF«HSDUOHVYDOHXUVG«PRFUD-
WLTXHVLVVXHVGHODWUDQVLWLRQGXFRQVHQVXVHWGHODQ«JRFLDWLRQ6XUFH
SRLQWFȇHVWGRQFSOXW¶WODFRQIURQWDWLRQSROLWLFLHQQHVW«ULOHHWOHVDIIURQ-
tements partisans sur fond de stratégies électorales lors des alternances
HQWUHOH33HWOH362(FHWWHmOXWWHSROLWLTXH¢OȇHVSDJQROH}«YRTX«HSDU
(QULTXH*LO&DOYRTXLVHPEOHHQG«SKDVDJHDYHFOHG«VLUGHFRPSURPLV
des Espagnols et le retour d’une « culture de la négociation25 ». Pour
EHDXFRXSGHFLWR\HQVFHWWHYRORQW«GȇHQWHQWHGDQVXQEXWFRPPXQGH
PRGHUQLVDWLRQSROLWLTXHHWVRFLDOHTXLSHUPLWOHVSULQFLSDOHVU«XVVLWHV
GHODWUDQVLWLRQDSURJUHVVLYHPHQWGLVSDUXDXSURȴWGHVFRQVLG«UDWLRQV
politiciennes.
Les enquêtes sociologiques ont également bien montré que la
VRFL«W« HVSDJQROH HVW GH P¬PH PRLQV FULWLTXH ¢ Oȇ«JDUG GHV «WUDQJHUV
SOXV WRO«UDQWH RXYHUWH HW SURHXURS«HQQH TXH GH QRPEUHXVHV DXWUHV
sociétés européennes26 $XVVL «YLGHQW VRLWLO OȇXQ GHV PHLOOHXUV LQGLFD-
WHXUVGHPHXUHWRXWHIRLVTXHFRQWUDLUHPHQW¢OD*UªFHHW¢Oȇ,WDOLHSRXU
Oȇ(XURSHGXVXGPDLVDXVVL¢OD)UDQFH¢OD%HOJLTXHDX[3D\V%DVDX
'DQHPDUNHW¢GȇDXWUHVSD\VHXURS«HQVODFULVHSRXUWDQWSOXVLPSRU-
WDQWH HQ (VSDJQH TXȇDLOOHXUV QȇD SDV G«ERXFK« VXU Oȇ«PHUJHQFH GȇXQ
SDUWLSRSXOLVWH[«QRSKREHHWDQWLHXURS«HQ&HWWHH[FHSWLRQHVSDJQROH
P«ULWH UHVSHFW WDQW HOOH VH VLWXH ¢ FRQWUHFRXUDQW GX UHSOL LGHQWLWDLUH
et du retour de valeurs réactionnaires qui touche la plupart des pays
européens.
3RXUOȇHQVHPEOHGHFHVUDLVRQVOHVF«QDULROHSOXVSUREDEOHGDQVOHV
années à venir ne semble donc pas celui d’un renversement complet
GHOȇ«FKLTXLHUSROLWLTXHHWLQVWLWXWLRQQHO3OXW¶W¢OȇLPDJHGHV«OHFWLRQV
U«JLRQDOHV DQGDORXVHV LO HVW SUREDEOH TXH Oȇ(VSDJQH FRQQDLVVH XQH
forme de rééquilibrage politique à travers l’entrée de nouveaux acteurs
comme Podemos &LWR\HQV PDLV DXVVL (5& TXL SRXUUDLW VȇLPSRVHU HQ
&DWDORJQH HQWUD°QDQW XQ DIIDLEOLVVHPHQW GHV GHX[ SDUWLV GRPLQDQWV
321
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
33HW362( HWXQHFULVHRXXQHTXDVLGLVSDULWLRQGHFHUWDLQHVRSWLRQV
83\'Izquierda Unida ou encore le PSC en Catalogne). Le paysage poli-
WLTXH ¢ OȇLPDJH GH OD VRFL«W« GHYLHQGUD FHUWDLQHPHQW SOXV IUDJPHQW«
DYHFXQHIRUPHGȇLQVWDELOLW«¢FRXUWWHUPHTXLREOLJHUD¢PR\HQWHUPH
OHVDFWHXUV¢FRRS«UHU¢WURXYHUGHQRXYHOOHVDOOLDQFHVHW¢VȇDGDSWHU¢
ODQRXYHOOHGRQQH,OHVWGLɚFLOHGHSU«GLUHOHV«YROXWLRQVIXWXUHVWDQW
HOOHVVHURQWG«SHQGDQWHVGHIDFWHXUVLQWHUQHV WDX[GHFK¶PDJHUHSULVH
«FRQRPLTXHHWF HW H[WHUQHV FRQWH[WH LQWHUQDWLRQDO SROLWLTXH PRQ«-
WDLUHHXURS«HQQHWHUURULVPHHWF
La très forte volatilité électorale observée dans les intentions de
YRWHTXL«YROXHQWFKDTXHPRLVGDQVXQVHQVRXGDQVXQDXWUHPRQWUH
TXH mOH MHX HVW G«VRUPDLV SOXV RXYHUW} SRXU UHSUHQGUH OȇH[SUHVVLRQ
du journaliste Ignacio Urquizu27. Face à la concurrence de PodemosOH
362( YD GHYRLU U«RULHQWHU VRQ GLVFRXUV SOXV ¢ JDXFKH 'H P¬PH IDFH
¢ Oȇ«PHUJHQFH GH &LWR\HQV DX SRVLWLRQQHPHQW SOXV OLE«UDO HW PRLQV
WUDGLWLRQQDOLVWHVXUOHVTXHVWLRQVGHVRFL«W«OH33YDGHYRLUPRGHUQLVHU
son discours et son image. L’ordre d’arrivée et la hiérarchisation des
IRUFHV SROLWLTXHV SDU OHV «OHFWHXUV MRXHURQW XQ U¶OH FHQWUDO SXLVTXȇHQ
Oȇ«WDW OH V\VWªPH «OHFWRUDO PDMRULWDLUH E«Q«ȴFLH DX SDUWL TXL UHFXHLOOH
OH SOXV GH YRWHV HW GDQV XQH PRLQGUH PHVXUH ¢ OD VHFRQGH IRUPDWLRQ
tout en pénalisant largement les organisations qui terminent troisième
RXTXDWULªPH0DLVFHTXLHVWFODLUFȇHVWTXHOȇ(VSDJQHHVWDXMRXUGȇKXL
m¢XQWRXUQDQW}&HUWHVSRXUOHVVFHSWLTXHVODS«ULRGHKLVWRULTXHTXL
VȇRXYUHLQFDUQHSHXW¬WUHXQHSKDVHGȇLQFHUWLWXGHHWGȇLQVWDELOLW«PDLV
les optimistes verront dans la redistribution possible des cartes le sym-
bole même de changements démocratiques possibles. Comme le disait
$QWRQLR0DFKDGROHFKHPLQVHIDLWHQPDUFKDQW
322
Liste des sigles employés
$*( Alternativa Galega de Esquerda (Alternative galicienne de
gauche)
AMI Associació de Municipis per la independència (Association
des municipalités pour l’indépendance)
ANC Assemblea Nacional Catalana (Assemblée nationale cata-
lane)
ANV Acción Nacionalista Vasca (Action nationaliste basque)
AP Alianza Popular (Alliance populaire)
%1* Bloque Nacionalista Gallego %1*
CAA Comandos Autónomos Anticapitalistas (Commandos auto-
nomes anticapitalistes)
CC Coalición Canaria (Coalition Canaries)
CCOO Comisiones Obreras (Commissions ouvrières)
CDC Convergència Democrática de Catalunya (Convergence
démocratique de Catalogne)
CDS Centro Democrático y Social (Centre démocratique et social)
CEDA Confederación española de las derechas autónomas
(Confédération espagnole des droites autonomes)
&*3- Consejo Superior del Poder Judicial (Conseil supérieur du
pouvoir judiciaire)
&*7 Confederación General del Trabajo (Confédération générale
du Travail)
&,* Confederación Intersindical Galega (Confédération inter-
syndicale galicienne)
CiU Convergència i Unió (Convergence et union)
CNT Confederación Nacional del Trabajo (Confédération natio-
nale du Travail)
C’s Ciutadans de Catalunya (Citoyens de Catalogne)
323
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
324
Liste des sigles employés
325
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
7DEOHDX7DX[GHFK¶PDJHHQ(VSDJQHSDU¤JHHWSDUJHQUH
2006 et 2012 (%) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
Tableau 2.5. Immigration en Europe (% de population immigrée
par rapport à la population totale) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
7DEOHDX)RUFHGHWUDYDLODFWLYLW«SRSXODWLRQDFWLYHRFFXS«H
et chômage en Espagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
326
Liste des photographies
327
Table des matières
Les auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
1. La crise démocratique espagnole et le renouveau
de la contestation sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
De la récession économique à la crise sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
L’éclatement de la « bulle immobilière » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
Une dégradation sans précédent des conditions de vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
'HODFULVH«FRQRPLTXH¢ODG«ͤDQFHSROLWLTXH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
La perception de l’échec du néolibéralisme et des politiques d’austérité. . . . . 17
L’impact de la corruption sur la crise de la représentation politique . . . . . . . . . . 24
#WFGNȃFGUCHHCKTGUNGUNKOKVGUFWU[UVȋOGKPUVKVWVKQPPGNKUUWFGNC
constitution de 1978 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
Le renouveau de la contestation dans l’Espagne contemporaine . . . . . . . . . . . . . 32
7PGOWNVKRNKEKVȌFGOCPKHGUVCVKQPUCPVKCWUVȌTKVȌ. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
L’émergence du mouvement des indignés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
Le développement de nouveaux répertoires d’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
Comprendre la crise démocratique espagnole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
Première partie :
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale . . . . . . . . 45
/HG«ͤGHODPRQW«HGXFK¶PDJHHWODU«IRUPHGXPDUFK«GXWUDYDLO. . . . . 47
Le problème du chômage en Espagne et ses explications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
Un enjeu ancien, revenu sur le devant de la scène depuis 2008 . . . . . . . . . . . . . . . 49
Offre et demande de travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
L’hétérogénéité du marché du travail européen face à la crise . . . . . . . . . . . . . . . . 59
Les points communs de l’Espagne avec le chômage en Europe . . . . . . . . . . . . . . 59
Le chômage européen . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
/DU«IRUPHGXPDUFK«GXWUDYDLOHQ(VSDJQHXQHSROLWLTXHHͦFDFHGH
lutte contre le chômage ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
Politique économique générale et réforme du travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
Le contenu de la réforme du travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
/DU«IRUPHGXWUDYDLOHWOHSUREOªPHGXFK¶PDJHREVHUYDWLRQVͤQDOHV . . . . . 69
3. Le renouveau du mouvement républicain :
GHODQRVWDOJLH¢ODG«ͤDQFHFLWR\HQQH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
La mémoire historique républicaine en Espagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
.C2TGOKȋTG4ȌRWDNKSWGšNŨKOCIGPȌICVKXGFGNCk4ȌRWDNKSWGFGz . . . . 77
.C5GEQPFG4ȌRWDNKSWGšWPGKOCIGVTȋUENKXȌG . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
329
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
Deuxième partie
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux . . . . . . . . 133
5. Mouvements de contestation en Catalogne : manifestations et
consultation(s) sur l’indépendance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
Repères historiques : le nationalisme catalan en perspective . . . . . . . . . . . . . . . 137
La constitution de 1978 et l’Espagne des autonomies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
Les statuts d’autonomie de 1979 et 2006 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
/DODQJXHFDWDODQHFRPPHV\PEROHG̵LGHQWLW«HWGHFRK«VLRQVRFLDOH . . . . 143
La place des contestations : la voix du peuple. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146
Le mouvement vers l’indépendance et la consultation du 9 novembre 2014 152
La Catalogne face au renouveau indépendantiste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
6. La « transition démocratique » du nationalisme basque radical : de
la légitimation de la violence à l’indépendantisme démocratique ? . . . . . . 159
La « résistance » au régime franquiste et la légitimité originelle du
nationalisme radical (1958-1977). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
La résistance antifranquiste et le procès de Burgos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
La marche pour la liberté du Pays basque. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165
Le tournant de l’amnistie générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168
Violence politique et monopolisation de l’espace public (1978-1994) . . . . . . 170
Légitimation de la violence politique et culte des « gudaris » . . . . . . . . . . . . . . . . 170
De l’« Alternative KAS » au monopole de la rue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 172
.GFȌENKPFGNŨJȌIȌOQPKGOQDKNKUCVTKEG . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176
.CTWRVWTGFGNCURKTCNGFWUKNGPEGšNŨȌOGTIGPEGFGGesto por la Paz . . . . . . . 177
De la fracture à la dissolution des mouvements antiviolence . . . . . . . . . . . . . . . 179
330
Table des matières
Troisième partie :
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique. . . . . . . . . . . . . . . . . . 217
8. Le droit au logement et la lutte contre les expulsions :
la Plataforma de Afectados por la Hipoteca. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219
Crise du droit au logement et luttes collectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
« Dernier toit avant liquidation » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
.CURKTCNGFGNCRCWRȌTKUCVKQPškFGNCRTȌECTKVȌȃNŨGZRWNUKQPKNPŨ[C
qu’un pas » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223
Un mouvement décentralisé et transversal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225
Autonomie et coopération des collectifs locaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225
Un mouvement social citoyen . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227
Des revendications sociales concrètes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229
Instaurer une donation pour paiement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231
Militer pour un moratoire sur les expulsions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231
Développer le logement social . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232
'HVVWUDW«JLHVG̵DFWLRQFROOHFWLYHGLYHUVLͤ«HV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 234
.WVVGTRCTNGFTQKVšLWFKEKCTKUCVKQPGVFȌDCVRWDNKE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 234
.WVVGTRCTNGPQODTGšOCPKHGUVCVKQPUQEEWRCVKQPUGVTȌUKUVCPEGU
citoyennes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239
La lutte nécessaire et les victoires concrètes du collectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 242
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Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui
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Déjà parus aux éditions DEMOPOLIS