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Demopolis

Contester en Espagne
Crise démocratique et mouvements sociaux

Alicia Garcia Fernandez et Mathieu Petithomme (dir.)

DOI : 10.4000/books.demopolis.1862
Éditeur : Demopolis
Lieu d’édition : Paris
Année d’édition : 2016
Date de mise en ligne : 26 octobre 2020
Collection : Quaero
EAN électronique : 9782354571528

https://books.openedition.org

Édition imprimée
EAN (Édition imprimée) : 9782354570903
Nombre de pages : 332

Référence électronique
GARCIA FERNANDEZ, Alicia (dir.) ; PETITHOMME, Mathieu (dir.). Contester en Espagne : Crise
démocratique et mouvements sociaux. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Demopolis, 2016 (généré le 09
juin 2023). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/demopolis/1862>. ISBN :
9782354571528. DOI : https://doi.org/10.4000/books.demopolis.1862.

© Demopolis, 2016
Licence OpenEdition Books
RÉSUMÉS
Violence de la crise payée au prix fort par les classes populaires après l’éclatement de la bulle
immobilière, plans d’austérité drastiques et chômage avoisinant les 25 %, renouveau de
l’émigration des jeunes, multiplication des affaires de corruption touchant jusqu’à la famille
royale, radicalisation de l’indépendantisme en Catalogne, crise du bipartisme et des partis
socialiste et conservateur, les éléments « dramatiques » ne manquent pas dans le tableau de
l’Espagne d’aujourd’hui. La crise économique, sociale et politique enclenchée depuis 2008
marquera toute une génération.
Mais ce livre montre que cette période troublée a aussi été marquée par le renouveau de la
contestation et l’essor de nouveaux mouvements sociaux : luttes contre les expulsions,
mouvement des indignés mobilisés à Madrid en 2011, résistances syndicales contre les plans
d’austérité, « marées » citoyennes contre les coupes budgétaires dans l’éducation et la santé,
mobilisations féministes et républicaines, renouveau des pratiques artistiques critiques.
Neuf spécialistes offrent des analyses de l’intérieur de l’actualité sociale et politique espagnole,
de l’indignation citoyenne à l’émergence de nouvelles alternatives politiques telles que Podemos
et Citoyens.

ALICIA GARCIA FERNANDEZ (DIR.)


Doctorante à l’université de Nanterre et ATER en civilisation espagnole à l’université
Paris Est Marne La Vallée

MATHIEU PETITHOMME (DIR.)


Maître de conférences en science politique à l’IUT de Besançon et chercheur au CRJFC
de l’université de Besançon.

NOTE DE L’ÉDITEUR
Cet ouvrage a été publié avec le soutien du Centre de recherches juridiques de Franche-
Comté (EA 3225), de l’école doctorale Lettres, Langues et Spectacle, du Centre de
recherches ibériques et ibéro-américaines (CRIIA/EA 369) et du Conseil cientifique de
l’université de Nanterre.
Sous la direction de
Alicia Fernandez Garcia
Mathieu Petithomme

CONTESTER
EN ESPAGNE
CRISE DÉMOCRATIQUE ET MOUVEMENTS SOCIAUX
Cet ouvrage a été publié avec le soutien du Centre de recherches juridiques de
Franche-Comté (EA 3225), de l’école doctorale Lettres, Langues et Spectacle, du
Centre de recherches ibériques et ibéro-américaines (CRIIA/EA 369) et du Conseil
Scientifique de l’université de Nanterre.
CONTESTER EN ESPAGNE
« QUAERO »
Collection dirigée par Jean-Christophe Tamisier

Dernières parutions :
Emmanuel Ethis,
Le cinéma près de la vie. Prises de vue sociologique sur le spectateur du
XXIe siècle.

Alexandre Fontaine,
Aux heures suisses de l’école républicaine.
Prix Louis Cros 2015 de l’Académie des sciences morales et politiques
Christian Ghasarian,
Rapa. Île du bout du monde, île dans le monde.
Émilie Oléron Evans,
Nikolaus Pevsner, arpenteur des arts.
Pascale Rabault-Feuerhahn (dir.),
Théories intercontinentales. Voyages du comparatisme postcolonial.
Michèle-H. Salamagne et Patrick Thominet (dir.),
Accompagner. Trente ans de soins palliatifs en France.

Illustration de couverture :
Marches de la dignité pour « le pain, un travail et un toit »,
Madrid, 22 mars 2014 (LD).

© Éditions Demopolis, 2015


4, rue Scipion
75 005 Paris
www.demopolis.fr

ISBN : 978-2-35457-090-3
Sous la direction de

ALICIA FERNÁNDEZ GARCÍA


et MATHIEU PETITHOMME

CONTESTER EN ESPAGNE
CRISE DÉMOCRATIQUE
ET MOUVEMENTS SOCIAUX
Les auteurs
Matilde Alonso Pérez est docteure en sciences économiques et profes-
seure des universités en économie à l’université de Lyon 2.

Karine Bergès est maîtresse de conférences en civilisation espagnole


à l’université de Cergy-Pontoise (UFR LEI) et chargée de mission
« égalité femmes-hommes ».

Christel Birabent Camarasa est maîtresse de conférences associée à


l’université de Lyon 3 et traductrice-interprète professionnelle.

Alicia Fernández García HVW SURIHVVHXUH FHUWLȴ«H GȇHVSDJQRO GRFWR-


rante à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense et ATER en
civilisation hispanique à l’université de Paris-Est Marne-la-Vallée.

Elíes Furió Blasco est professeure des universités en civilisation espa-


gnole à l’université de Lyon 3 et spécialiste en sciences économiques.

Sylvie Koller est maîtresse de conférences en études ibériques et ibé-


URDP«ULFDLQHV ¢ OȇXQLYHUVLW« GH 5HQQHV  PHPEUH GX ODERUDWRLUH
interdisciplinaire de recherches sur les Amériques.

Benoît Pellistrandi HVW KLVWRULHQ VS«FLDOLVWH GH OD YLH SROLWLTXH HW
culturelle de l’Espagne des XIXe et XXeVLªFOHV DQFLHQ GLUHFWHXU GHV
études (époques moderne et contemporaine) de la Casa Velázquez
0DGULG  HW PHPEUH FRUUHVSRQGDQW GH OD 5HDO $FDGHPLD GH OD
Historia (Madrid).

Mathieu Petithomme est maître de conférences en science politique à


l’IUT de Besançon et chercheur au Centre de recherches juridiques
de Franche-Comté.

Mercè Pujol Berché est professeure des universités en espagnol à


l’université de Paris Ouest Nanterre La Défense et co-directrice du
Centre de recherches ibériques et ibéro-américaines (EA 369 Etudes
Romanes).

3
AVANT-PROPOS

Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui. Le titre même de cet ouvrage


est une invitation à l’analyse des causes et des effets des nombreuses
mobilisations sociales et politiques qui ont bousculé le pays depuis
2008. Violence de la crise après l’éclatement de la bulle immobilière
PDUTX«H SDU OȇDSSDXYULVVHPHQW GHV FODVVHV SRSXODLUHV OD KDXVVH GHV
LQ«JDOLW«V HW OHV H[SXOVLRQV ORFDWLYHV SODQV GȇDXVW«ULW« GUDVWLTXHV HW
FK¶PDJH DYRLVLQDQW OHV  UHQRXYHDX GH Oȇ«PLJUDWLRQ GHV MHXQHV
HQWUD°QDQW XQ YLHLOOLVVHPHQW HW XQ G«FOLQ G«PRJUDSKLTXH PXOWLSOL-
FDWLRQ GHV DIIDLUHV GH FRUUXSWLRQ WRXFKDQW MXVTXȇ¢ OD IDPLOOH UR\DOH
UDGLFDOLVDWLRQGHOȇLQG«SHQGDQWLVPHHQ&DWDORJQHFULVHGXELSDUWLVPH
les éléments « dramatiques » ne manquent pas dans le tableau de
Oȇ(VSDJQH GȇDXMRXUGȇKXL /D FULVH «FRQRPLTXH VRFLDOH HW SROLWLTXH
enclenchée depuis 2008 marquera toute une génération. Les années
2007-2015 seront présentées comme une « décennie perdue » dans les
PDQXHOVGȇKLVWRLUHSXLVTXHOHQLYHDXGHYLHGHV(VSDJQROVHVWUHYHQX
à ce qu’il était au début des années 2000. Les frais d’inscription à
OȇXQLYHUVLW«RQWDXJPHQW«OHVSUHVWDWLRQVVRFLDOHVDX[IDPLOOHVRQW«W«
réduites et les frais de santé seront désormais moins remboursés. Les
sans-papiers ne peuvent plus avoir accès aux soins suite à la remise en
cause de la couverture maladie universelle. Les exigences européennes
et le soutien au dogme des plans d’austérité par les gouvernements du
socialiste José Luis Rodríguez Zapatero (2004-2011) et du conservateur
0DULDQR 5DMR\   RQW IUDSS« Oȇ‹WDWSURYLGHQFH HVSDJQRO GH
lourds coups de butoir.
0DLVDXGHO¢GXSHVVLPLVPHGHVGUDPHVKXPDLQVHWGHODU«VLJQD-
WLRQFHOLYUHPRQWUHTXHFHWWHS«ULRGHWURXEO«HDDXVVL«W«PDUTX«HSDU
le renouveau de l’action citoyenne et par l’essor de nouveaux mouve-
ments sociaux : luttes contre les expulsions ; mouvement des indignés
mobilisés à Madrid en 2011 pour dénoncer les limites de la démocratie
représentative ; résistance syndicale aux plans d’austérité à travers
WURLVJUªYHVJ«Q«UDOHVHQTXHOTXHVDQQ«HVGXMDPDLVYXGHSXLVODWUDQ-
sition ; « marées » citoyennes contre les coupes budgétaires pratiquées

5
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

dans l’éducation et la santé ; mobilisations féministes contre le projet de


ORLDQWLDYRUWHPHQWHWU«SXEOLFDLQHVHQIDYHXUGHOȇDEGLFDWLRQGH-XDQ
Carlos Ier et d’un référendum sur la monarchie ; renouveau des groupes
anarchistes et d’extrême gauche qui furent jusqu’à « faire le siège » du
&RQJUªVGHVG«SXW«VUHJDLQGȇLQW«U¬WSRXUOHWK«¤WUHVRFLDOOHFLQ«PD
HQJDJ« OH ȵDPHQFR PLOLWDQW HW OHV SUDWLTXHV DUWLVWLTXHV FULWLTXHV /D
crise démocratique et l’indignation citoyenne ont peu à peu laissé place
à une politisation nouvelle de la société espagnole pour la défense de
VHV GURLWV IRQGDPHQWDX[ ORJHPHQW «GXFDWLRQ VDQW«  TXL VȇH[SULPH
aussi par la critique de la corruption politique et du fonctionnement
d’institutions issues de la constitution de 1978 et qui ont très peu évolué
depuis lors.
Il est d’ailleurs frappant de noter l’inscription résolument « progres-
VLVWH}GHODFRQWHVWDWLRQGDQVXQSD\VTXLSRXUXQHUDLVRQKLVWRULTXH
OL«H ¢ OȇK«ULWDJH GLFWDWRULDO IUDQTXLVWH GHPHXUH LPSHUP«DEOH ¢ OD
poussée de l’extrême droite observée ailleurs en Europe. Les enquêtes
GȇRSLQLRQPRQWUHQWDXVVLTXHPDOJU«ODFULVHOHV(VSDJQROVGHPHXUHQW
assez pro-européens.
En réunissant les travaux de neuf spécialistes issus de différentes
GLVFLSOLQHV GHV VFLHQFHV VRFLDOHV «FRQRPLVWHV KLVSDQLVWHV SROLWRORJXH
HW KLVWRULHQ  FH OLYUH RIIUH GHV DQDO\VHV GH OȇLQW«ULHXU VXU OHV SULQFL-
paux mouvements sociaux qui ont fait l’actualité espagnole des der-
QLªUHVDQQ«HV5«GLJ«HQHWHQLO«FODLUHDLQVLOHOHFWHXUVXU
l’ensemble des phénomènes sociaux et politiques de l’histoire du temps
présent : il explique les causes et les principaux effets postérieurs de
OD FULVH GH  SU«VHQWH OH FRQWH[WH GH FULVH GH O«JLWLPLW« GHV SDUWLV
GRPLQDQWVHWGHOȇLQVWLWXWLRQUR\DOHHWPRQWUHHQSDUDOOªOHOHFDUDFWªUH
historiquement minoritaire du mouvement républicain en Espagne. Le
livre permet aussi de comprendre le rôle et les revendications des fémi-
QLVWHVHVSDJQROHVOȇLPSDFWGXUDEOHGDQVOHG«EDWGȇLG«HVGXPRXYHPHQW
GHV LQGLJQ«V OD mWUDQVLWLRQ G«PRFUDWLTXH} GX QDWLRQDOLVPH EDVTXH
UDGLFDOSDUODVRUWLHGHODYLROHQFHRXHQFRUHODUDGLFDOLVDWLRQGHOȇLQG«-
SHQGDQWLVPH HQ &DWDORJQH XQ VXMHW GȇDFWXDOLW« EU½ODQW &HW RXYUDJH
FROOHFWLI GH U«I«UHQFH PRQWUH HQȴQ OD WUDQVIRUPDWLRQ GH OȇLQGLJQDWLRQ
citoyenne par l’essor de nouvelles pratiques sociales et la prise de pou-
YRLUSURJUHVVLYHHQSROLWLTXHGȇXQHQRXYHOOHJ«Q«UDWLRQR»OHVIHPPHV
occupent un rôle majeur. L’émergence de nouvelles alternatives telles
TXH&LWR\HQVDXFHQWUHGURLWHWTXH3RGHPRVTXLSURSRVHXQGLVFRXUV
SOXV FULWLTXH HW WUDQVYHUVDO LOOXVWUH DLQVL FH G«VLU GH mU«J«Q«UDWLRQ}
démocratique. Les élections européennes de 2014 puis les municipales

6
Avant-propos

HW U«JLRQDOHV GH  TXL RQW SHUPLV ¢ GHV OLVWHV FLWR\HQQHV «WDEOLHV
DXWRXUGH3RGHPRVGHFRQTX«ULU0DGULG%DUFHORQH9DOHQFHPDLVDXVVL
6DUDJRVVHHW&DGL[RQWGRQQ«XQHLOOXVWUDWLRQGHSOXVGHODYRORQW«GH
changement des Espagnols à la faveur du nouveau cycle politique et
social qui s’annonce.

Alicia FERNÁNDEZ GARCÍA et Mathieu PETITHOMME


0DUQHOD9DOO«H%HVDQ©RQ
5 novembre 2015.

7
1
La crise démocratique
espagnole et le renouveau
de la contestation sociale
Alicia FERNÁNDEZ GARCÍA et Mathieu PETITHOMME

Ceci n’est pas une crise, c’est un changement dans les


règles du jeu, qui emmène le monde vers plus d’inégali-
tés et un appauvrissement global.
(Josep Fontana)

3«WUL GH OȇH[S«ULHQFH GH VHV  DQV OȇKLVWRULHQ -RVHS )RQWDQD SUR-
IHVVHXU «P«ULWH ¢ OȇXQLYHUVLW« 3RPSHX )DEUD GH %DUFHORQH QȇD SDV
OD ODQJXH GDQV VD SRFKH 1« HQ  DQQ«H GH OD SURFODPDWLRQ GH OD
6HFRQGH5«SXEOLTXHGLVFLSOHGH-DXPH9LFHQVL9LYHVH[SXOV«GHOȇXQL-
versité de Barcelone avec Miquel Roca Junyent pour leur opposition au
U«JLPH IUDQTXLVWH HQ  LO D G«GL« OȇHQVHPEOH GH VD YLH ¢ OȇKLVWRLUH
FRQWHPSRUDLQH GDQV XQH SHUVSHFWLYH FULWLTXH 3RXU OXL OD FULVH HVSD-
JQROHHVWDYDQWWRXWmXQHFULVHG«PRFUDWLTXHPDUTX«HSDUOHPDQTXH
de contrôle des citoyens sur les décisions irresponsables des entités
ȴQDQFLªUHVHWGHVUHVSRQVDEOHVSROLWLTXHV1 ». Les dernières années ont
en effet été caractérisées en Espagne par des débats publics intenses
FRQFHUQDQW OHV UHVSRQVDELOLW«V GX SHUVRQQHO SROLWLTXH GHV EDQTXHV HW
GH OD VS«FXODWLRQ ȴQDQFLªUH GDQV Oȇ«PHUJHQFH GH OD FULVH 3HX ¢ SHX
OH GLVFRXUV GRPLQDQW VXU OH mG«YHORSSHPHQW LQȴQL} TXH GHYDLHQW
connaître les générations espagnoles futures s’est effondré. Les ruines
LPPRELOLªUHV Oȇ«PLJUDWLRQ GHV MHXQHV HW OH UHWRXU GH QRPEUHX[ TXD-
GUDJ«QDLUHVFKH]OHXUVSDUHQWV¢ODUHWUDLWHIDXWHGHUHYHQXVVXɚVDQWV
ont substitué à l’imaginaire collectif du progrès futur l’amertume d’un
quotidien marqué par le déclassement social.

šEntretien avec Josep FƵƴƹƧƴƧ, dans José Miguel MƵƴƿʭƴ connu comme « El Gran
Wyoming »), No estamos solos. Un retrato de gente que está cambiando este país, Madrid, Planeta,
2014, p. 77.

9
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

/RLQGHVSURPHVVHV«OHFWRUDOHVGȇDXWUHVLPDJHVRQWIDLWODXQHGHOD
SUHVVH«FULWHHWGHVMRXUQDX[W«O«YLV«VFHOOHVGHVGUDPHVKXPDLQVGHV
expulsions locatives et des queues interminables de chômeurs devant
les agences pour l’emploi ; celles aussi d’une classe politique volontiers
donneuse de leçons relatives aux « efforts nécessaires » à fournir par les
FLWR\HQVHXSK«PLVPHVFRPPRGHVSRXULPSRVHUGHVFRXSHVEXGJ«WDLUHV
massives dans l’éducation et la santé. Mais les Espagnols ont aussi pris
FRQVFLHQFH VFDQGDOH DSUªV VFDQGDOH GH OD IDFH FDFK«H GH QRPEUH GH
OHXUV UHSU«VHQWDQWV SROLWLTXHV JUDQGV DGHSWHV GH Oȇ«YDVLRQ ȴVFDOH GH
la surfacturation des marchés publics et de pratiques d’enrichissement
LOOLFLWH&HWWHSHUFHSWLRQODUJHPHQWSDUWDJ«HHQWUHG«JUDGDWLRQVDQVSU«-
F«GHQWGHVFRQGLWLRQVGHYLHHWKDXVVHGHVLQ«JDOLW«VSDUDOOªOHPHQWDX[
révélations hebdomadaires des fraudes massives commises par les élites
GLULJHDQWHVDG«ERXFK«VXUXQUHQRXYHDXGHODFRQWHVWDWLRQVRFLDOH
&RPPHQW H[SOLTXHU OD FULVH «FRQRPLTXH VRFLDOH HW SROLWLTXH TXH
traverse l’Espagne d’aujourd’hui ? Comment les mouvements sociaux
RQWLOVFRQWULEX«¢ODSROLWLVDWLRQGHQRXYHDX[HQMHX[DXFKDQJHPHQW
social et à l’évolution des mentalités ? Ce chapitre d’introduction réca-
pitule et analyse de façon critique les principales étapes de la crise
«FRQRPLTXH VRFLDOH HW SROLWLTXH HVSDJQROH GHSXLV  ,O V\QWK«WLVH
d’abord les aspects essentiels de l’éclatement de la « bulle immobilière »
et de l’appauvrissement des classes moyennes et populaires. Il revient
ensuite sur les politiques d’austérité menées tant par le PSOE que par le
33VXUOHXUSHUFHSWLRQSDUOHVFLWR\HQVDLQVLTXHVXUODFULVHGHODUHSU«-
VHQWDWLRQ SROLWLTXH 3XLV LO SU«VHQWH OH UHQRXYHDX GH OD FRQWHVWDWLRQ
HQ «YRTXDQW Oȇ«PHUJHQFH GȇXQH PXOWLSOLFLW« GH PRXYHPHQWV VRFLDX[
de résistances et de revendications citoyennes au cours des dernières
années. La dernière section présente le plan et précise l’approche de
OȇRXYUDJHTXLRIIUHDXOHFWHXUXQHYLVLRQV\QWK«WLTXHPDLVG«WDLOO«H¢
SDUWLUGȇDQDO\VHVGHVS«FLDOLVWHVGHVSULQFLSDX[ERXOHYHUVHPHQWVVRFLR-
politiques de l’Espagne d’aujourd’hui.

DE LA RÉCESSION ÉCONOMIQUE À LA CRISE SOCIALE


L’éclatement de la « bulle immobilière »
Les effets du développement de la crise économique au sein des prin-
FLSDX[SD\VLQGXVWULDOLV«V¢SDUWLUGHVXLWH¢ODIDLOOLWHGH/HKPDQ
Brothers et à la crise des subprimesDX[‹WDWV8QLVIXUHQWUHQIRUF«VHQ
Espagne par l’éclatement de la bulle immobilière en 2008 puis par la

10
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

FULVHEDQFDLUHGHTXLRQWHQJHQGU«XQHDXJPHQWDWLRQGXFK¶PDJH
et une dégradation des conditions de vie des classes moyennes et popu-
laires2. Certains analystes avaient pourtant critiqué depuis des années le
FDUDFWªUHVXSHUȴFLHOGXmPLUDFOH«FRQRPLTXHHVSDJQRO}XQmPRGªOH}
de développement soutenu de façon consensuelle par le Parti populaire
33 HWOH3DUWLVRFLDOLVWH 362( IRQG«VXUOHVVHFWHXUVGXE¤WLPHQWGX
WRXULVPHOHVG«SHQVHVGHVP«QDJHVHWODFRQVRPPDWLRQLQW«ULHXUHJU¤FH
à l’accès facile au crédit3 /HV G«ȴFLWV GHV DGPLQLVWUDWLRQV GH Oȇ‹WDW HW
GHV FRPPXQDXW«V DXWRQRPHV OD UHVWULFWLRQ GHV FU«GLWV EDQFDLUHV DX[
entreprises et la hausse des prêts immobiliers impayés ont transformé
la récession économique et la crise immobilière en un appauvrissement
sans précédent de nombreux secteurs de la société.
La crise immobilière s’explique par une hausse continue des mises en
FKDQWLHU GXUDQW OHV DQQ«HV  DORUV P¬PH TXH OD G«PRJUDSKLH
espagnole est déclinante et vieillissante et que de nombreux apparte-
PHQWVHWPDLVRQVWUDQVPLVOHSOXVVRXYHQWSDUK«ULWDJHHWFRQVHUY«VDX
VHLQGHODIDPLOOHVRQWYLGHVHWHQPDXYDLV«WDW/DKDXVVHGHOȇLPPLJUD-
tion au début des années 2000 puis lors du premier mandat de José Luis
5RGU¯JXH]=DSDWHURDHQWUHWHQXOHIDQWDVPHGXG\QDPLVPH«FRQRPLTXH
illimité. Mais le principal problème historique de l’Espagne est lié à ce
TXH 6DPLU $PLQ DSSHODLW HQ VRQ WHPSV mOH G«YHORSSHPHQW LQ«JDO} ¢
VDYRLUOHIDLWTXHOHVIUXLWVGHODFURLVVDQFHUHVWHQWWUªVPDOU«SDUWLVHW
que l’accès à l’éducation et à la formation est très inégal selon les classes
VRFLDOHV/HVFODVVHVSRSXODLUHVSHXIRUP«HVVRQWWRXFK«HVGHSOHLQIRXHW
en temps de crise4$XWRXUQDQWGHVDQQ«HVOȇ(VSDJQH«WDLWDUULY«H
¢XQHVLWXDWLRQR»OȇDSS¤WGXJDLQ¢FRXUWWHUPHGHSURPRWHXUVLPPREL-
liers a conduit à la multiplication de « villes nouvelles » et à la construc-
tion de quartiers parfois très éloignés des transports et des infrastruc-
WXUHV SXEOLTXHV ¢ WUDYHUV OD mYHQWH} DX[ FODVVHV SRSXODLUHV GH OȇLG«DO
d’un ascenseur social fondé sur l’accès à la propriété et le crédit facile.

šLa crise des « subprimes » trouve son origine dans les prêts immobiliers faciles et à risque
concédés par des banques américaines aux particuliers et aux entreprises, sans respecter les
garanties traditionnelles nécessaires. Ces prêts ont été surnommés « prêts Ninja » pour « No
Income, No Jobs and Assets », sachant qu’ils furent parfois consentis à des gens sans revenus,
sans travail et sans aucun type de propriétés ou de ressources. Cette spéculation financière
déclencha des impayés en chaîne, des expulsions et des saisies immobilières, puis la chute
des principales banques américaines et le tarissement du crédit. Cf. Paul JƵƷƯƵƴ, La crise. Des
subprimes au séisme financier planétaire, Paris, Fayard, 2008.
šVicenç NƧƻƧƷƷƵ, « El desastre économico actual era predecible », Público, 29 avril 2013.
šSamir AƳƯƴ, LHG«YHORSSHPHQWLQ«JDO̰Essai sur les formations sociales du capitalisme périphé-
rique, Paris, Éditions de Minuit, 1973.

11
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Les banques ont ainsi multiplié les prêts immobiliers sur 25 ou


DQVPDLVDXVVLVXUYRLUHP¬PHDQVGRQQDQW¢GHVSDUWLFXOLHUV
l’illusion de l’enrichissement et du progrès social grâce à l’accès à la
propriété… Mais la vérité est que des dizaines de milliers de citoyens
RUGLQDLUHVDEXV«VSDUOHODQJDJHFRPPHUFLDOVHVRQWUHWURXY«VHQJDJ«V
¢YLHHQYHUVOHXUEDQTXH'ȇR»XQHU«GXFWLRQGHOHXUFDSDFLW«GHPREL-
lité géographique pour trouver un travail en cas de chômage. Un facteur
FXOWXUHOELHQPLVHQDYDQWSDU6DQGUD*DYLULDGDQVVHVWUDYDX[DDXVVL
UHQIRUF«FHSURFHVVXVLQȵXHQF«HVSDUOHGLVFRXUVSROLWLTXHGRPLQDQWHW
ODSUHVVLRQVRFLDOHOHVIDPLOOHVHVSDJQROHVRQWWRXMRXUVSHU©XQ«JDWLYH-
PHQWODORFDWLRQFRPPHmGHOȇDUJHQWG«SHQV«E¬WHPHQW}HWRQWGRQF
incité leurs enfants à accéder à la propriété dès leur obtention d’un
travail5. Mais avec la stagnation de la démographie et l’émergence d’une
J«Q«UDWLRQmQLQL}VDQVWUDYDLOQL«WXGHVODGHPDQGHGHORJHPHQWVHVW
GHYHQXHEHDXFRXSSOXVIDLEOHTXHOȇRIIUHȵRULVVDQWH/HVSUL[GHOȇLPPR-
bilier ont très fortement chuté (-20 % en moyenne) dans la veine de la
G«ȵDWLRQHQUHJLVWU«HHQPDUV%HDXFRXSGȇ(VSDJQROVTXLDYDLHQW
DFKHW«OHXUELHQORUVTXHOȇLQȵDWLRQGHVSUL[«WDLW¢VRQFRPEOHDYDQWOD
FULVHGHGRLYHQWG«VRUPDLVSD\HUGHVFU«GLWVLPPRELOLHUVWUªVVRX-
YHQW¢WDX[YDULDEOHVHWTXLVRQWVXUWRXWWUªVODUJHPHQWVXS«ULHXUVDX
prix de vente estimé de leur maison ou appartement. Les crédits immo-
ELOLHUVLPSD\«VRQWH[SORV«SDVVDQWGH¢GHSXLVGȇR»OD
PXOWLSOLFDWLRQGHVH[SXOVLRQVGHSURSUL«WDLUHVPDLVDXVVLGHORFDWDLUHV
l’éclatement de la bulle immobilière a notamment mis au chômage une
part importante des ouvriers du bâtiment. Les ouvriers de plus de 40
DQV D\DQW VRXYHQW WUDYDLOO« WRXWH OHXU YLH GDQV FH VHFWHXU «SURXYHQW
DXMRXUGȇKXL GH WUªV JUDQGHV GLɚFXOW«V ¢ VH UHFRQYHUWLU KDQGLFDS«V
SDUOHXUPDQTXHGHIRUPDWLRQ LQLWLDOHOHXU ¤JH HW ODFRQFXUUHQFH GHV
ouvriers venus d’Amérique latine et des pays d’Europe de l’Est ; ils sont
donc les premiers à être exposés au chômage de longue durée.
$X QLYHDX ORFDO GXUDQW OHV DQQ«HV  OHV «OLWHV SROLWLTXHV
RQW«W«ODUJHPHQWFRPSOLFHVGHVULVTXHVSULVSDUOHVHFWHXUEDQFDLUHHQ
soutenant elles-mêmes des projets immobiliers peu viables dans leurs
YLOOHV HW OHXUV U«JLRQV /D OLVWH HVW WUªV ORQJXH PDLV FLWRQV TXHOTXHV
H[HPSOHVHPEO«PDWLTXHV/ȇD«URSRUWGH&DVWHOOµQGHOD3ODQDLQDXJXU«
OHPDUVSDU&DUORV)DEUDDQFLHQSU«VLGHQWGHODG«SXWDWLRQSUR-
YLQFLDOHGH&DVWHOOµQGH¢ODUJHPHQWLPSOLTX«GDQVOHU«VHDX

šSandra GƧƻƯƷƯƧ, Juventud y familia en Francia y en España, Madrid, Centro de Investigaciones


Sociológicas, Centro de investigaciones sociológicas, 2007.

12
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

GH FRUUXSWLRQ m*¾UWHO} QȇD SDU H[HPSOH MDPDLV «W« PLV HQ VHUYLFH6.
/DVFXOSWXUHGH-XDQ5LSROO«VmOȇKRPPHDYLRQ}LQVWDOO«H¢OȇHQWU«HGH
OȇD«URSRUWV\PEROLVHODG«PHVXUHGHFHVLQYHVWLVVHPHQWVSXEOLFV,URQLH
GH OȇKLVWRLUH QRPEUHX[ VRQW FHX[ TXL DVVRFLHQW G«VRUPDLV OȇmKRPPH
DYLRQ} ¢ &DUORV )DEUD SU«VHQW« HQ  FRPPH mXQ FLWR\HQ HW XQ
KRPPHSROLWLTXHH[HPSODLUH}SDU0DULDQR5DMR\DORUVFKHIGHOȇRSSR-
VLWLRQ P¬PH VL OȇDUWLVWH QLH RɚFLHOOHPHQW DYRLU YRXOX OH UHSU«VHQWHU7.
/H FLUFXLW GH IRUPXOH  GH 9DOHQFH FRQVWUXLW VXU XQH DQFLHQQH ]RQH
LQGXVWULHOOH¢ODS«ULSK«ULHGHODYLOOHGHUULªUHOHSRUWQȇDMDPDLVVHUYLHW
WRPEHHQUXLQHV/DELEOLRWKªTXHPXQLFLSDOHGH/HJDQ«V 0DGULG TXLD
FR½W«PLOOLRQVGȇHXURV¢ODYLOOHQȇDMDPDLV«W«RXYHUWHDXSXEOLF/H
WUDPZD\GH-D«QGRQWOHVUDPHVHWOHVZDJRQVVRQWHQSODFHQȇDMDPDLV
IRQFWLRQQ«HQUDLVRQGȇXQFR½WȴQDQFLHULPSRVVLEOH¢DVVXPHUSRXUOD
municipalité andalouse.

Photo 1.1 « L’homme-avion », sculpture de Juan Ripollés, aéroport de Castellón


de la Plana8

šCarlos Fabra fut condamné en 2013 à quatre années de prison pour plusieurs délits et une
HTCWFGFGšGWTQUȃNŨCFOKPKUVTCVKQPHKUECNGCf. « Los FCDTCšCȓQUFGECEKSWKUOQGP
Castellón », La Vanguardia, 15 juillet 2012.
7. « RCLQ[šūFabra es un ciudadano y un político ejemplar para el PP” », El País, 11 juillet 2008.
šIOCIG NKDTG FG FTQKVU FŨCWVGWT =JVVREQOOQPUYKMKOGFKCQTIYKMKFKNGEl_hombre_avi%C3
%B3n.JPG].

13
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

D’autres exemples emblématiques peuvent encore être évoqués :


OȇD«URSRUWDEDQGRQQ«GH&LXGDG5HDOOD&LW«GHOD/XPLªUHTXLDFR½W«
265 millions d’euros à la communauté valencienne et devait devenir
un haut lieu de la production cinématographique espagnole ; le Centre
FXOWXUHO LQWHUQDWLRQDO 2VFDU 1LHPH\HU ¢ $YLO«V RX HQFRUH OD &LW« GHV
VFLHQFHV GH 9DOHQFH GHX[ Y«ULWDEOHV JRXIIUHV ȴQDQFLHUV /D PXOWLSOL-
FDWLRQ GHV OLJQHV GH WUDLQ ¢ JUDQGH YLWHVVH VDQV UHQWDELOLW« VXɚVDQWH
représente une illustration supplémentaire9. Cette « folie des gran-
deurs » des élites locales durant les années du boom économique (1993-
2007) a engendré le surendettement de nombreuses communautés
DXWRQRPHV3DUPLOHVSOXVPDXYDLV«OªYHVRQWURXYHOHVFRPPXQDXW«V
GH 9DOHQFH GH 0XUFLH GH &DVWLOOH/D 0DQFKH HW GHV %DO«DUHV JRXYHU-
Q«HVSDUOH33PDLVDXVVLOȇ$QGDORXVLHGLULJ«HSDUOH362(RXGHVFRP-
munautés autonomes gouvernées pendant longtemps par des partis
QDWLRQDOLVWHVFRPPHOD&DWDORJQH Convergència i Unió de 1980 à 2003)
ou les îles Canaries (Coalition Canaries). La presse a de même révélé en
2012 que les communautés autonomes de Madrid et de Valence avaient
HQUHJLVWU« GHV G«ȴFLWV SXEOLFV SOXV LPSRUWDQWV TXH SU«YXV GH  HW
PLOOLRQV GȇHXURV UHVSHFWLYHPHQW HQ UDLVRQ GH mG«ȴFLWV RFFXOWHV}
FHTXLFRQWUDLJQLW¢U«YLVHU¢ODKDXVVHOHG«ȴFLWWRWDOGHOȇ‹WDWGH
¢10.
La crise économique mondiale s’est donc conjuguée en Espagne
avec des dépenses publiques et des projets d’investissement parfois très
FRQWHVWDEOHV TXL RQW DJJUDY« Oȇ«WDW GHV ȴQDQFHV SXEOLTXHV $SUªV DYRLU
« sauvé » les banques malgré le caractère très répréhensible de certaines
GH OHXUV SUDWLTXHV GH VS«FXODWLRQ VXU OHV PDUFK«V ȴQDQFLHUV HW GȇRFWURL
GH SU¬WV VDQV JDUDQWLHV VXɚVDQWHV Oȇ‹WDW VȇHVW HQGHWW« ¢ QRXYHDX SRXU
«YLWHUODIDLOOLWHGHFHUWDLQHVFRPPXQDXW«VDXWRQRPHV$LQVLGHDX
G«EXWKRUPLVGHX[WULPHVWUHVHQOȇ(VSDJQHQȇDFRQQXTXȇXQH
U«FHVVLRQFRQWLQXHHWGHIRUWHDPSOHXU6LFRPPHRQYLHQWGHOHUDSSHOHU
ODFULVHU«VXOWHODUJHPHQWGHODVS«FXODWLRQLPPRELOLªUHHWȴQDQFLªUHGHV
«WDEOLVVHPHQWVEDQFDLUHVOȇDJJUDYDWLRQGHODU«FHVVLRQVȇH[SOLTXHDXVVL
FRPPHHQ*UªFHSDUGHVIDFWHXUVH[WHUQHVOL«V¢ODȴQDQFLDULVDWLRQGH
Oȇ«FRQRPLH OD mSHUWH GH FRQȴDQFH} GHV PDUFK«V HQYHUV Oȇ(VSDJQH D
FRQWULEX«DXWULSOHPHQWGHODGHWWHSXEOLTXH GHGX3,%HQ
¢HQ HW¢XQHDXJPHQWDWLRQGHGHVDSULPHGHULVTXH

9. « El AVE no alcanza el umbral de rentabilidad por viajeros en ninguna línea », La Vanguardia,


26 avril 2012.
10. « Los déficits ocultos de las comunidades de Madrid y de VCNGPEKCšWPGUEȄPFCNQOȄUz
El País, 15 septembre 2012.

14
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

Une dégradation sans précédent des conditions de vie


La crise économique a engendré un appauvrissement des classes
PR\HQQHVHWSRSXODLUHV'H¢OHVOHVSOXVSDXYUHVGHOD
SRSXODWLRQRQWYXOHXUVUHYHQXVGLPLQXHUGHOHVDODLUHPR\HQ
HWOH3,%SDUKDELWDQWRQWEDLVV«DORUVTXHOHVVDODLUHVOHVSOXV«OHY«V
ont continué à augmenter11. Le chômage a littéralement explosé :
WRXFKDQWPLOOLRQGHSHUVRQQHVVRLWGHODSRSXODWLRQDFWLYH
DXSULQWHPSVLODDWWHLQWOHPD[LPXPKLVWRULTXHGHPLOOLRQV
GH SHUVRQQHV ¢ VDYRLU  GH OD SRSXODWLRQ DFWLYH G«EXW 12.
De nombreuses familles ont réduit leur consommation alimentaire
et des carences nutritives disparues sont réapparues chez de jeunes
enfants issus de familles défavorisées. L’Espagne est ainsi devenue le
deuxième pays le plus inégalitaire de l’Union européenne derrière la
*UDQGH%UHWDJQH13 (Q QRYHPEUH OH VDODLUH PLQLPXP «WDLW GH
HXURVQHWSDUPRLVOHQRPEUHGHFK¶PHXUVDWWHLJQDLWPLO-
OLRQVGHSHUVRQQHVVRLWGHODSRSXODWLRQDFWLYHHWGHV
MHXQHVPLOOLRQVGHFK¶PHXUVGHORQJXHGXU«HVHWURXYDLHQWGDQV
FHWWH VLWXDWLRQ GHSXLV SOXV GȇXQ DQ HW PLOOLRQ GH IDPLOOHV DYDLHQW
l’ensemble de leurs membres au chômage14. L’administration estimait
TXHGHVVDODUL«VWRXFKDLHQWXQUHYHQXLQI«ULHXURX«TXLYDOHQW
DX VDODLUH PLQLPXP IDLW LOOXVWUDQW XQH IRUWH SU«FDULVDWLRQ GH ODUJHV
secteurs de la société15 (QȴQ VXU PLOOLRQV GH VDODUL«V 
PLOOLRQV  «WDLHQW HPSOR\«V ¢ WHPSV SDUWLHO XQ SK«QRPªQH TXL
s’est renforcé suite aux deux réformes du marché du travail de 2010
et 201216.
&RQV«TXHQFHGHODFULVHODSRSXODWLRQDP¬PHGLPLQX«GH
LQGLYLGXV GHSXLV  SRXU DWWHLQGUH OHV PLOOLRQV HQ   HQ
raison d’un ralentissement très net du taux de fécondité et d’une aug-
PHQWDWLRQGHOȇ«PLJUDWLRQTXLDWRXFK«SUªVGHSHUVRQQHVSRXU
OD VHXOH DQQ«H  SULQFLSDOHPHQW GHV PLJUDQWV ODWLQRDP«ULFDLQV
TXL RQW SU«I«U« UHWRXUQHU GDQV OHXU SD\V GȇRULJLQH PDLV DXVVL GHV

šJosé OƹƫƷƵ, « EURCȓCUWHTGNCETKUKUOȄUFGUKIWCNzEl País, 19 juin 2014.


šEPSWȍVGFGRQRWNCVKQPCEVKXG EPA +PUVKVWVPCVKQPCNFGUVCVKUVKSWGU INE), premier trimestre
2013.
šLuis DƵƴƩƫƲ, « PCTȄNKUKUGPNCGEQPQOȐCGURCȓQNCzEl País, 15 août 2008.
šService public d’État de l’emploi, novembre 2014.
šAgence d’État d’administration des impôts, novembre 2014. Voir aussi « Cobrar lo mínimo
de lo mínimo », Alternativas Económicas, n° 17, septembre 2014, p. 25.
šEPA, INE, Madrid, deuxième trimestre 2014.

15
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

nationaux des pays d’Europe de l’Est17 3OXV JUDYH HQFRUH XQH SDUWLH
de cette nouvelle émigration concerne de jeunes Espagnols diplômés
DX FK¶PDJH SDUWLV SRXU Oȇ$OOHPDJQH OH 5R\DXPH8QL HW OD )UDQFH
SULQFLSDOHPHQWPDLVDXVVLSRXUGHVSD\V«PHUJHQWVGȇ$P«ULTXHODWLQH
comme le Brésil et l’Argentine18/ȇ«PLJUDWLRQDDXJPHQW«GHGH
¢P¬PHVLOHFKLIIUHRɚFLHOGHG«SDUWVHVWODUJHPHQW
sous-estimé en raison de la très grande quantité d’Espagnols qui ne
s’enregistre pas auprès de leur consulat à l’étranger19(QȴQGHV
emplois détruits entre 2008 et 2013 ont touché des jeunes de moins de
 DQV XQ FKLIIUH TXL SDUOH GH OXLP¬PH20. Avec un taux de chômage
GHSOXVGHFKH]OHVPRLQVGHDQVODFULVHDGRQFHQJHQGU«XQH
radicalisation de la jeunesse21.
Mais la crise espagnole n’est pas uniquement économique et sociale.
&ȇHVW DXVVL XQH FULVH GX SROLWLTXH IDFH ¢ OȇLQFDSDFLW« GHV GLULJHDQWV
à limiter les effets de la récession sur la population et à trouver des
VROXWLRQV SRXU \ UHP«GLHU FRPPH DXVVL HQ UDLVRQ GH OȇDPSOHXU GH OD
corruption des élites et de pratiques clientélistes qui affaiblissent les
IRQGHPHQWVGXV\VWªPHUHSU«VHQWDWLIEDV«HQWK«RULHVXUODFRQȴDQFH
et la délégation du pouvoir22. La crise a mis en évidence l’écart immense
HQWUH GȇXQH SDUW OHV FRXSHV EXGJ«WDLUHV HW OHV PHVXUHV GȇDXVW«ULW«
LPSRV«HVDX[FLWR\HQVHWGȇDXWUHSDUWOȇHQULFKLVVHPHQWHWOHVSUDWLTXHV
LOO«JDOHV HW LPPRUDOHV GH QRPEUHX[ GLULJHDQWV SROLWLTXHV HW ȴQDQ-
FLHUV (Q  OD SOXV JUDQGH SDUW GHV «OLWHV SROLWLTXHV HVWLPDLW TXH
l’on allait assister à un scénario similaire à celui de 1993 : la récession
serait limitée dans le temps. Pas besoin donc de s’affoler. Ni même de
PHQHU GHV SROLWLTXHV GH WUDLWHPHQW VRFLDO GX FK¶PDJH DȴQ GH OLPLWHU
OȇDPSOLȴFDWLRQGHODFULVHSDUH[HPSOH¢WUDYHUVGHVSURJUDPPHVHWGHV
IRUPDWLRQVGHUHFRQYHUVLRQSRXUOHVVDODUL«VRXOHVRXWLHQDX[IDPLOOHV

17. « Evolución de la población en EURCȓCšzINE, 2014.


18. « La salida de inmigrantes reduce la población en EURCȓCRQTUGIWPFQCȓQzEl País, 30 juin
2014.
19. « Emigración en EURCȓCzINE, 2012. Voir aussi Soledad GƯƳʤƴƫƿ, « CCUKšGURCȓQNGU
GOKITCTQPGPDWUECFGVTCDCLQFGUFGz=JVVRYYYRWDNKEQGU?LCPXKGT
20. « Destrucción de empleo en EURCȓCzEPA, 2013.
šSur les trajectoires de cette génération, voir par exemple le livre de Benjamín Serra, origi
naire de Valence, titulaire de deux masters et qui raconte comment il a été amené à s’expatrier
à Londres et à travailler comme agent d’entretien. Cf. Benjamín SƫƷƷƧ, Sobradamente preparado
para limpiar váteres en LRQGUHV̰La voz esperanzada de una juventud dispuesta a ganar la batalla
del futuro, Madrid, Península, 2014.
šPour des réflexions classiques sur le socle de la légitimité populaire dans les régimes représen
tatifs, cf. Bernard MƧƴƯƴ, Principes du gouvernement représentatif, Paris, FNCOOCTKQPšPierre
RƵƸƧƴƻƧƲƲƵƴ, La légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité, Paris, Points, 2010.

16
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

HQYRLHGHSDXS«ULVDWLRQ8QHFXUHGUDVWLTXHGȇDXVW«ULW«VXɚUDLWSRXU
FRQMXUHUOHVmH[FªV}GXSDVV«SHQVªUHQWHOOHV
$SUªVWRXWOHV(VSDJQROVDYDLHQWY«FXTXLQ]HDQQ«HVGHFURLVVDQFH
«FRQRPLTXH GH  ¢  ,OV Vȇ«WDLHQW HQULFKLV HW HPERXUJHRLV«V
choisissant d’acheter des voitures et des appartements à leurs enfants
grâce aux crédits immobiliers et à la consommation. Ils avaient incité
ces derniers à vite trouver de l’« argent facile » et un travail dans le
bâtiment plutôt qu’ils ne les avaient encouragés à étudier. Ils avaient
PRELOLV« OHXUV UHODWLRQV SHUVRQQHOOHV DFWLRQQ« OHV menchufes » (pis-
WRQV SRXUOHXUWURXYHUmXQHERQQHSODFH}VXUOHPDUFK«GXWUDYDLO
%UHIOHV(VSDJQROVDYDLHQWY«FXDXGHVVXVGHOHXUVPR\HQVHWLOVSRX-
vaient bien faire quelques efforts. Si on leur enlevait quelques avan-
WDJHVFHQHVHUDLWSDVODȴQGXPRQGH(WWRXWUHSDUWLUDLWFRPPHDYDQW
&H GLVFRXUV P¬PH DLQVL U«VXP« MXVTXȇ¢ VD FDULFDWXUH QȇHVW SRXUWDQW
SDVWUªV«ORLJQ«GHFHX[TXHOHV«OLWHVGHVSDUWLVGRPLQDQWV33HW362(
HQW¬WHSXUHQWWHQLU¢SDUWLUGH,OFRQVWLWXDODWUDPHGHIRQGMXV-
WLȴFDWLYH GH OD YROWHIDFH OLE«UDOH HW GHV SROLWLTXHV GȇDXVW«ULW« PHQ«HV
par José Luis Rodriguez Zapatero qui touchèrent d’abord les catégories
SRSXODLUHVDORUVP¬PHTXȇLODYDLW«W««OXVXUXQSURJUDPPHGHU«GXF-
WLRQGHVLQ«JDOLW«V0DLVOȇDPSOLȴFDWLRQGHVVFDQGDOHVGHFRUUXSWLRQHW
GȇHQULFKLVVHPHQW GHV UHVSRQVDEOHV SXEOLFV OD U«Y«ODWLRQ GH SUDWLTXHV
FOLHQW«OLVWHVHWGȇ«FKDQJHVGHIDYHXUVHQWUHOHV«OLWHVSROLWLTXHVHWȴQDQ-
FLªUHVDORUVP¬PHTXHOHVFODVVHVSRSXODLUHVHWPR\HQQHVUHVVHQWDLHQW
— et continuent de ressentir — très fortement les effets de la crise dans
OHXUYLHTXRWLGLHQQHRQWG«ERXFK«VXUXQHFULVHWUªVIRUWHGHODUHSU«-
sentation politique et une prise de conscience des limites du système
institutionnel issu de la constitution de 1978.

DE LA CRISE ÉCONOMIQUE
À LA DÉFIANCE POLITIQUE

La perception de l’échec du néolibéralisme


et des politiques d’austérité
Après presque une décennie de crise économique et sociale écoulée
GHSXLV OHV SU«PLFHV GH OD U«FHVVLRQ HQ  OH MXJHPHQW WUªV Q«JDWLI
et critique des Espagnols à l’égard de leurs élites politiques est d’ins-
SLUDWLRQ DYDQW WRXW U«WURVSHFWLYH WDQW OH 362( TXL D JRXYHUQ« GH
 ¢  VRXV OD GLUHFWLRQ GH -RV« /XLV 5RGU¯JXH] =DSDWHUR TXH OH

17
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

gouvernement du PP de Mariano Rajoy au pouvoir depuis lors ont été


LQFDSDEOHV GH PRGLȴHU OHXUV SUDWLTXHV SROLWLTXHV HW OHV RULHQWDWLRQV
traditionnelles de leurs politiques publiques pour enrayer la progres-
sion du chômage et combattre la hausse des inégalités. Il convient donc
de revenir brièvement sur les principales orientations des politiques
publiques menées par le PSOE et par le PP au cours de la dernière
G«FHQQLH GHSXLV   SRXU FRPSUHQGUH OH IRQGHPHQW GH OD G«ȴDQFH
croissante des citoyens à leur égard. Jordi Sevilla a bien montré com-
PHQW OH 362( D SHX ¢ SHX DɚUP« DX G«EXW GHV DQQ«HV  XQH
V\QWKªVH LG«RORJLTXH HQWUH VRFLDOLVPH HW OLE«UDOLVPH VȇLQVSLUDQW GH OD
mWURLVLªPHYRLH}VRFLDOHG«PRFUDWHWK«RULV«HSDU$QWKRQ\*LGGHQVHW
mise en pratique par le travailliste Tony Blair (1997-2007)23. Le PSOE est
progressivement devenu un parti « social-libéral » ne cherchant plus
Y«ULWDEOHPHQW ¢ UHPHWWUH HQ FDXVH OHV H[FªV GH OD ȴQDQFLDULVDWLRQ GH
l’économie. Sa cure d’opposition durant les gouvernements conserva-
teurs de José María Aznar de 1996 à 2004 et la croissance économique
GXSD\VGXUDQWFHVDQQ«HVU«HOOHPDLVIRQG«HVXUGHVEDVHVWUªVIUDJLOHV
HW ODUJHPHQW DUWLȴFLHOOHV IDYRULVªUHQW OH UDOOLHPHQW GH VHV «OLWHV ¢ OD
doxa néolibérale24.
Cette évolution idéologique permet d’expliquer le fait que le bilan
du PSOE sous les gouvernements de José Luis Rodríguez Zapatero est
WUªV D[« VXU OHV «YROXWLRQV mVRFL«WDOHV} SOXV TXH VXU OD U«GXFWLRQ
des inégalités sociales et l’émancipation des classes moyennes et
SRSXODLUHV GHV REMHFWLIV SROLWLTXHV SRXUWDQW WUDGLWLRQQHOV GHV SDUWLV
socialistes européens. Les principales lois approuvées par le PSOE ont
SRUW« VXU OD YLROHQFH GRPHVWLTXH HW Oȇ«JDOLW« KRPPHVIHPPHV  
le mariage pour les couples homosexuels et la « mémoire historique »
de la guerre civile (2005)25. Le PSOE a adopté une ligne plus conciliante
¢ Oȇ«JDUG GHV UHYHQGLFDWLRQV QDWLRQDOLVWHV HQ UHFRQQDLVVDQW OH SOXUD-
lisme identitaire et culturel de l’Espagne et en soutenant le nouveau
statut d’autonomie de la Catalogne en 2005. Le journaliste Fernando
Jáuregui put publier dès 2008 un livre intitulé La déception DQWLFL-
pant l’amertume de l’électorat populaire vis-à-vis d’un gouvernement
SOXV FHQWULVWH HW OLE«UDO D[« VXU OHV TXHVWLRQV GH GURLWV HW GH OLEHUW«V
TXH IRQGDPHQWDOHPHQW GH JDXFKH HW YRXODQW PRGLȴHU OHV VWUXFWXUHV

šAnthony GƯƪƪƫƴƸ, La tercera vía. La renovación de la socialdemocracia, Madrid, Taurus, 2003.


šJordi SƫƻƯƲƲƧ, De nuevo socialismo, Barcelona, Crítica, 2002, p. 8.
šAntonio PƧǞƫƲƲ, Zapatero 2004-2008. La legislatura de la crispación, Madrid, Foca Ediciones,
R

18
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

économiques et limiter les inégalités26. Le politologue Carlos Taibo


parla même dès 2007 d’une « illusion d’optique » pour évaluer le bilan
GX JRXYHUQHPHQW VRFLDOLVWH SRXU OXL VRQ DXJPHQWDWLRQ WUªV IDLEOH
HW SXUHPHQW V\PEROLTXH GX VDODLUH PLQLPXP   VD G«FLVLRQ GH
libéraliser le marché hypothécaire en facilitant l’accès au « crédit
IDFLOH}SRXUOHVSDUWLFXOLHUV HQ VDP\RSLHIDFH¢ODmEXOOHGHOD
EULTXH}HWVRQUHIXVGHPHQHUXQHY«ULWDEOHU«IRUPHȴVFDOHHQIDYHXU
GHVFODVVHVSRSXODLUHV«WDLHQWDXWDQWGȇLOOXVWUDWLRQVGHVRQRUWKRGR[LH
économique libérale et de son renoncement à défendre un véritable
projet d’émancipation sociale27.
3RXUWDQW GDQV VRQ SURJUDPPH «OHFWRUDO GH  OH 362( SURPLW
XQ mVDXW G«ȴQLWLI} YHUV OH SOHLQ HPSORL HW OȇDSSURIRQGLVVHPHQW GH
Oȇ‹WDWSURYLGHQFHXQHG«GXFWLRQGȇLPS¶WGHHXURVSRXUOȇHQVHPEOH
GHV FLWR\HQV ¢ DSSURXYHU SDU OH SUHPLHU &RQVHLO GHV PLQLVWUHV XQH
augmentation du salaire minimum à 800 euros et la construction de
PLOOLRQGHORJHPHQWVVRFLDX[VXUGL[DQVSRXUSHUPHWWUHDX[MHXQHV
de s’émanciper en échange d’un loyer modeste de 210 euros28. Mais la
campagne électorale de 2008 fut surtout marquée par une « lutte poli-
tique » médiatisée et personnalisée entre José Luis Rodríguez Zapatero
HW 0DULDQR 5DMR\ VHORQ OH VRFLRORJXH (QULTXH *LO &DOYR HW SDU mOȇDE-
sence absolue d’idées politiques » pour le journaliste Josep Ramoneda29.
Malgré les premiers signes évidents de dégradation économique
HQUHJLVWU«VGHSXLVODȴQGHOȇDQQ«H-RV«/XLV5RGU¯JXH]=DSDWHUR

šFernando JƧƺƷƫƭƺƯ, La decepción. Crónica amarga y secreta de cuatro años de crispación,


Barcelona, Debate, 2008. Cf. de même Félix OƻƫưƫƷƵ, « ¿Es de izquierdas la política del PSOEš!z
El noticiero de las ideasPoRLes positions de Fernando Vallespin, professeur de
science politique de l’Université autonome de Madrid et ancien directeur du Centre de recherches
UQEKQNQIKSWGU CIS), furent très écoutées et influencèrent la campagne électorale du PSOE de
2004. Il critiqua la « troisième voie » et soutint qu’un socialisme rénové doit maintenir le rôle cen
tral de l’État et se focaliser principalement sur l’investissement en capital humain par l’éducation,
la formation des chômeurs et la réduction des inégalités. Avec le recul, force est de constater que
le PSOE a surtout utilisé stratégiquement ses idées pour jouer son rôle d’opposition et accéder au
pouvoir, mais n’a pas développé de politiques publiques novatrices qui puissent favoriser l’égalité
sociale et la redistribution des richesses. Cf. Fernando ƻƧƲƲƫƸǞƯƴ, El futuro de la política, Madrid,
6CWTWU PQVCOOGPV R 8QKT CWUUK UGU CTVKENGU k5QEKCNKUOQ RQUVKFȌQNQIKEQz GV k.C
izquierda posible » paru dans El País le 28 mai et le 13 juillet 2000.
šCarlos TƧƯƨƵ, « ZCRCVGTQ~GPNCK\SWKGTFCš!zLa Vanguardia, 18 juin 2007.
šJesús Caldera, le coordinateur du programme électoral du PSOE, soutint ainsi qu’« il est
essentiel d’avoir une vision optimiste du futur du pays, parce que ceux qui pronostiquent la
catastrophe développent une attitude contraire au plein emploi », cf. Jesús CƧƲƪƫƷƧ, déclara
tion lors de la réunion du bureau exécutif du PSOE le 16 janvier 2007, cité dans Antonio PƧǞƫƲ,
op. cit., 2008, p. 314
šEnrique GƯƲ CƧƲƻƵ, La lucha política a la española. Tragicomedia de la crispación, Madrid,
TCWTWUšJosep RƧƳƵƴƫƪƧ, « Sin ideas políticas », El País, 6 mars 2008.

19
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

stigmatisa comme « antipatriotes » ceux qui selon lui « exagéraient la


FULVH «FRQRPLTXH} SURPHWWDQW TXH Oȇ(VSDJQH VHUDLW SURFKDLQHPHQW
« dans la Champions League de l’économie mondiale »30. Le programme
électoral du PSOE fut d’ailleurs intitulé : « Pour le plein emploi : Raisons
pour grandir »31. José Luis Rodríguez Zapatero nia pendant longtemps
OD FULVH SU«I«UDQW SDUOHU GHV mIDLEOHVVHV} RX GȇXQ mUDOHQWLVVHPHQW}
GH Oȇ«FRQRPLH HW FH MXVTXȇDX MXLOOHW  ORUVTXȇLO UHFRQQXW VRQ
existence et utilisa pour la première fois le terme de « crise » lors d’un
entretien à la chaîne Antena 332/DVHPDLQHVXLYDQWH0DUWLQVD)DGHVD
OD SUHPLªUH HQWUHSULVH LPPRELOLªUH GX SD\V ȴW IDLOOLWH ODLVVDQW GHV
centaines de chantiers à l’abandon et plusieurs milliers d’ouvriers au
chômage.
/ȇKLVWRLUHGRQQDGRQFUDLVRQ¢&DUORV7DLERGȇDXWDQWSOXVTXHVXLWH
à l’éclatement de la bulle immobilière et à la faillite des principales
EDQTXHV HVSDJQROHV OH 362( DSSOLTXD VDQV EURQFKHU OHV PHVXUHV
GȇDXVW«ULW«SU¶Q«HVSDUODm7UR±ND} &RPPLVVLRQHXURS«HQQH%DQTXH
FHQWUDOH HXURS«HQQH HW )RQGV PRQ«WDLUH LQWHUQDWLRQDO  VȇDOL«QDQW
durablement le soutien des classes populaires les plus touchées par la
FULVH(QDR½WOHJRXYHUQHPHQWVRFLDOLVWHHQWUHSULWGȇDSSOLTXHUXQ
plan d’austérité drastique de 24 mesures en contradiction totale avec
ses promesses électorales : réduction de 70 % des ouvertures de poste
et de 5 % des salaires dans la fonction publique ; hausse de la TVA ; gel
des pensions de retraite et augmentation de l’âge de départ à 67 ans
(avec l’appui du PP à travers le « pacte de Tolède ») ; remise en cause
des principales avancées sociales de la législature antérieure (« chèque
E«E«}GHHXURVDSSURXY«HQMXLOOHWSRXUVRXWHQLUODQDWDOLW«
et déduction de 400 euros sur l’impôt sur le revenu) ; de même qu’une
réforme du travail en septembre 2010 qui réduisit les primes de licen-
ciement de 33 à 25 jours d’indemnisation par année travaillée et débou-
cha sur une grève générale33.
/H 362( UHQRQ©D ¢ DXJPHQWHU ¢ HXURV OH VDODLUH PLQLPXP
TXL UHVWD GRQF GH HXURV QHW SDU PRLV MXVTXȇ¢ OD ȴQ GH VRQ VHFRQG
mandat en novembre 2011. Les dépenses publiques furent réduites de
PLOOLRQVHQOHVLQYHVWLVVHPHQWVSXEOLFVGLPLQXªUHQWHWOHV

šJosé LƵƨƵ, « ZCRCVGTQXWGNXGCVCEJCTFGūCPVKRCVTKQVCUŨCSWKGPGUūGZCIGTCPŬNCETKUKUGEQPȕ


mica », [Elconfidencial. com], 30 avril 2008, consulté le 14 janvier 2015.
31. « El PSOE presenta los motivos para crecer », Público, 3 mars 2008.
šJosé LƵƨƵ, « NKETKUKUPKFGUCEGNGTCEKȕPšZCRCVGTQJCDNCCJQTCFGūFGDKNKFCFGUŬGEQPȕOK
cas », [Elconfidencial. com], 14 mai 2008, consulté le 15 janvier 2015.
šNatalia JƺƴƶƺƫƷƧ, « Las 10 grandes rectificaciones de Zapatero », El País, 24 août 2011.

20
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

communautés autonomes se livrèrent à des licenciements et des réduc-


WLRQVGHVDODLUHVRXVODSUHVVLRQGHOȇ‹WDWFHQWUDOOXLP¬PHVRXPLVDX[
conditions et pressions de la Troïka et des créanciers européens de l’Es-
SDJQH(QMXLQOHVSUL[GHOȇHVVHQFHHWGXWDEDFDXJPHQWªUHQWSRXU
ODSUHPLªUHIRLVGHSXLV(QMDQYLHUFHIXWOHWRXUGHVSUL[GH
Oȇ«OHFWULFLW«   HW GHV ELOOHWV GH WUDLQV   $X erMDQYLHU 
OHV SUL[ GH Oȇ«OHFWULFLW«   GHV ELOOHWV GH WUDLQ HW GHV DXWRURXWHV
augmentèrent de nouveau et les pensions de retraite furent gelées. Le
WDX[GHFK¶PDJHDWWHLJQDLWDORUVHQ$QGDORXVLHGDQVOHV
°OHV &DQDULHV HW  ¢ 0XUFLH34. Malgré ses critiques sur ce point à
OȇHQFRQWUHGHVJRXYHUQHPHQWVGH-RV«0DU¯D$]QDU-RV«/XLV5RGU¯JXH]
=DSDWHURQȇK«VLWDSDV¢SULYDWLVHU$HQDOȇHQWUHSULVHQDWLRQDOHTXLJ«UDLW
MXVTXȇDORUV OHV D«URSRUWV HW OD QDYLJDWLRQ D«ULHQQH GH P¬PH TXȇXQH
partie de la loterie nationale. L’approbation d’une réforme constitution-
QHOOHDYHFOȇDSSXLGX33TXLLQVWDXUDXQHmUªJOHGȇRU}OLPLWDQWOHG«ȴFLW
SXEOLFHQDR½WPRQWUDELHQODSULRULW«GRQQ«HDXUHPERXUVHPHQW
de la dette et à la réduction des dépenses publiques.
&HUWHV OH JRXYHUQHPHQW VRFLDOLVWH FKHUFKD ¢ UHODQFHU OȇLQYHVWLVVH-
ment public à travers le « plan E » qui mobilisa 11 000 millions d’euros
HWSHUPLWGHȴQDQFHUGHVSURMHWVDXVHLQGHVPXQLFLSDOLW«V$ORUVTXHOH
gouvernement américain laissa les banques qui avaient trop de risques
ȴQDQFLHUVIDLUHIDLOOLWHDSSOLTXDQWDLQVL¢ODOHWWUHODGRFWULQHOLE«UDOH
FHTXLGHYDLWGȇDLOOHXUVVHU«Y«OHUE«Q«ȴTXHVXUOHORQJWHUPHOHV‹WDWV
HXURS«HQVYLQUHQWDXFKHYHWGHVEDQTXHVFHTXLWUDQVIRUPDOHVGHWWHV
EDQFDLUHV HQ GHWWHV SXEOLTXHV &HV SROLWLTXHV Q«ROLE«UDOHV R» Oȇ‹WDW D
VDXY«GHVEDQTXHVSRXUWDQWUHVSRQVDEOHVGHODVS«FXODWLRQȴQDQFLªUH
ont non seulement été menées sans contreparties quant à une plus
IHUPH U«JXODWLRQ GHV DFWLYLW«V EDQFDLUHV HW GHV PDUFK«V ȴQDQFLHUV
mais ont aussi déresponsabilisé les principaux acteurs à l’origine de la
FULVH(Q(VSDJQHGHQRPEUHXVHVEDQTXHVRQWDLQVL«W«mVDXY«HV}SDU
Oȇ‹WDW &DMD &DVWLOODOD0DQFKD HQ PDUV &DMD6XU HQ PDL SDU
H[HPSOH  OH JRXYHUQHPHQW VRFLDOLVWH D\DQW G«ERXUV« PLOOLRQV
GȇHXURV SRXU OȇDFKDW GȇDFWLIV ȴQDQFLHUV SDU OH 7U«VRU SXEOLF 0DLV OD
IDLOOLWHGHVEDQTXHVHWOȇLQWHUYHQWLRQGHOȇ‹WDWRQWIDLWH[SORVHUODGHWWH
SXEOLTXHHWOHVG«ȴFLWV3HX¢SHXOHVFRQGLWLRQVGHYLHGHV(VSDJQROV
se sont largement dégradées. Le renoncement idéologique du PSOE et
son choix de l’austérité débouchèrent sur sa plus large défaite depuis la
transition lors des élections législatives du 29 novembre 2011 : Alfredo

šAlejandro BƵƲƧʫƵƸ, « Una crisis de 4,9 millones de parados », El País, 30 avril 2011.

21
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

3«UH]5XEDOFDEDREWLQWDORUVVHXOHPHQWGHVYRL[ FRQWUH
HQ OH33UDȵDQWDXFRQWUDLUHODPDMRULW«DEVROXHDYHFGHV
suffrages exprimés.
Cette politique néolibérale et complaisante à l’égard des princi-
paux responsables de la crise bancaire fut toutefois poursuivie par
OH JRXYHUQHPHQW FRQVHUYDWHXU GH 0DULDQR 5DMR\ $LQVL ȴQ  OD
Banque d’Espagne intervint pour sauver la Caisse d’épargne de la
0«GLWHUUDQ«HSXLVQDWLRQDOLVDOHVEDQTXHV&DWDOXQ\D&DL[D1RYDFDL[D
*DOLFLD HW %DQFR GH 9DOHQFLD SRXU XQ PRQWDQW WRWDO GH PLOOLRQV
GȇHXURVFHTXLȴWDXJPHQWHUGȇDXWDQWODGHWWHSXEOLTXHȃTXLDWWHLJQLW
DORUVOHVGXSURGXLWLQW«ULHXUEUXW 3,% 3XLVHQOHJRXYHU-
QHPHQWGX33SULWOHFRQWU¶OHGH%DQNLDHQWLW«ȴQDQFLªUHFRQWU¶ODQW
GH QRPEUHXVHV EDQTXHV HW FDLVVHV Gȇ«SDUJQH &DMD 0DGULG %DQFDMD
&DMD &DQDULDV &DL[D /DLHWDQD &DMD 5LRMD &DVD ƒYLOD HW &DMD 6HJRYLD 
HW GRQW OH SU«VLGHQW 5RGULJR 5DWR UHVSRQVDEOH GȇXQH JHVWLRQ G«VDV-
WUHXVH«WDLWXQPHPEUHLQȵXHQWGX3335)DFH¢GHVSHUWHVȴQDQFLªUHV
«QRUPHVRQLQMHFWDPLOOLRQVGȇHXURVGȇDUJHQWSXEOLFSRXUVDX-
YHU FHW «WDEOLVVHPHQW GDQV FH TXL GHYDLW GHYHQLU OH SOXV LPSRUWDQW
plan de sauvetage de l’histoire de l’Espagne et l’un des principaux en
(XURSH 0DLV FH SODQ QH IXW SDV VXɚVDQW /H PDL  XQ DSSRUW
de 23 500 millions d’euros supplémentaires apparut nécessaire pour
derechef « sauver » Bankia.
'HYDQW OȇDPSOHXU GHV SHUWHV OH JRXYHUQHPHQW VROOLFLWD OH VRXWLHQ
de l’Union européenne à hauteur de cent milliards d’euros ; il l’obtint
OHMXLQRɚFLHOOHPHQWSRXUmDVVDLQLUOHV\VWªPHȴQDQFLHUHVSD-
gnol » en prêtant aux banques36/HVSHUWHVGHVEDQTXHVUHVSRQVDEOHV
GHODVS«FXODWLRQȴQDQFLªUHHWLPPRELOLªUHSDUOȇRFWURLPDVVLIGHFU«GLWV
¢GHVSHUVRQQHVHW¢GHVHQWUHSULVHVVDQVJDUDQWLHVVXɚVDQWHVORUVGHV
DQQ«HVGXmERRP}IXUHQWGRQFWUDQVIRUP«HVHQGHWWHSXEOLTXHGRQW
OHUHPERXUVHPHQWHWOHVLQW«U¬WVSD\«VSDUOHFRQWULEXDEOHHVSDJQROQH
GHYDLHQW SOXV ¬WUH UHQGXV ¢ Oȇ‹WDW PDLV DX[ FU«DQFLHUV H[W«ULHXUV /HV
actions des gouvernements du PSOE et du PP furent dès lors très criti-
TX«HVSDUOȇRSLQLRQSXEOLTXHG«VRUPDLVWUªVFRQVFLHQWHGXP«FDQLVPH
pervers de la dette. Les banques ont été déresponsabilisées malgré leurs
H[FªV VS«FXODWLIV HW OȇDPSOHXU GH OHXU «YDVLRQ ȴVFDOH HW Oȇ‹WDW GRQF
OȇHQVHPEOH GHV FLWR\HQV GXW HW GHYUD ORQJWHPSV SD\HU OH SUL[ GȇXQH
dette dont ces derniers ne sont que partiellement responsables. En

šIȓKIQDƫBƧƷƷʭƴ, « Rato dimite como presidente de BCPMKCzEl País, 7 mai 2012.


šIȓKIQDƫBƧƷƷʭƴ, « El Estado nacionaliza el grupo de BCPMKCzEl País, 10 mai 2012.

22
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

«FKDQJH GHV HPSUXQWV FRQWUDFW«V SDU Oȇ‹WDW SRXU DVVDLQLU OHV ȴQDQFHV
GHVEDQTXHVOHVFU«DQFLHUVH[W«ULHXUVRQWHQHIIHWH[LJ«XQHU«GXFWLRQ
GHVG«ȴFLWVSXEOLFVTXLVHVRQWFUHXV«VGHID©RQP«FDQLTXHSDUOHVIDLO-
OLWHVEDQFDLUHVHWODKDXVVHGHVWDX[GȇLQW«U¬WVXUOHVPDUFK«VȴQDQFLHUV
3RXUU«SRQGUHDX[FRQGLWLRQVHXURS«HQQHVOHSDLHPHQWGHODGHWWHHW
la réduction des dépenses publiques sont devenus l’alpha et l’oméga de
OȇHQVHPEOHGHVSROLWLTXHVJRXYHUQHPHQWDOHVGHSXLV¢OȇH[FOXVLRQ
de tout autre projet économique alternatif. De nombreux Espagnols ont
ainsi perdu tout espoir face aux discours de partis dominants n’offrant
que l’austérité comme horizon politique.
'ªV VD SULVH GH SRXYRLU HW DYHF OȇDSSXL GH &L8 0DULDQR 5DMR\
G«FLGDSRXUFRPSHQVHUFHV«QRUPHVSHUWHVȴQDQFLªUHVGȇDXJPHQWHU
OȇLPS¶W VXU OH UHYHQX GH U«GXLUH OH G«ȴFLW SXEOLF GH  PLOOLDUGV
d’euros (la plus importante coupe budgétaire depuis 1978) à travers
GHV SULYDWLVDWLRQV GHV OLFHQFLHPHQWV OD SRXUVXLWH GX JHO GX VDODLUH
des fonctionnaires et une diminution de 40 % des investissements
publics en 2012. Puis des coupes budgétaires à hauteur de 18 milliards
d’euros furent imposées aux communautés autonomes. Comme le
362(DYDQWOXLOH33UHQLDVHVSURPHVVHV«OHFWRUDOHVHQPHQDQWXQH
politique d’austérité : privatisation des entreprises publiques ; coupes
budgétaires dans le secteur de la santé et de l’éducation ; nouvelle
augmentation de la TVA de 18 % à 21 % en juillet 2012 ; suppression
des paies extra de Noël des fonctionnaires et réduction du nombre de
FRQJ«VHWF 4XL SOXV HVW FHV SROLWLTXHV QȇHXUHQW SDV GȇHIIHWV ¢ FRXUW
WHUPH SXLVTXH Oȇ(VSDJQH HQWUD ¢ QRXYHDX HQ U«FHVVLRQ ȴQ  HW
\ UHVWD MXVTXȇ¢ OD ȴQ  3HQGDQW FHWWH S«ULRGH  HPSORLV
SXEOLFVIXUHQWVXSSULP«V(QSXLVHQGHQRXYHOOHVDXJPHQ-
WDWLRQVGXSUL[GHOȇ«OHFWULFLW«IXUHQWG«FLG«HV HQGHX[DQV HWOH
VDODLUHPLQLPXPGHPHXUDJHO«¢HXURVSDUPRLV0DLVODGHWWH
extérieure espagnole n’en aura pas moins triplé en moins d’une décen-
QLH DWWHLJQDQW OHV  GX 3,% HQ  )LQ  Oȇ(XURVWDW HVWLPD
P¬PH OH UHYHQX SDU KDELWDQW ¢  GH OD PR\HQQH HXURS«HQQH FH
TXLVLJQLȴDLWXQHU«JUHVVLRQGXSD\V¢ODVLWXDWLRQTXL«WDLWODVLHQQH
TXLQ]HDQVSOXVW¶WHQ
Malgré le retour d’une — faible — croissance économique en 2014-
OHGLVFRXUVRɚFLHOVXUODmVRUWLHGHFULVH}SHLQH¢FRQYDLQFUHOHV
(VSDJQROV GHV FODVVHV PR\HQQHV HW SRSXODLUHV SRXU TXL OHV GHUQLªUHV
années et le temps présent demeurent associés à la récession écono-
PLTXH¢ODKDXVVHGHVLQ«JDOLW«VHW¢ODUHPLVHHQFDXVHGHQRPEUHX[
GURLWVVRFLDX[/HVIUXLWVGHFHWWHFURLVVDQFHQHE«Q«ȴFLHQWHQHIIHWSDV

23
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

¢WRXVORLQGHO¢/HVLQ«JDOLW«VVHVRQWGȇDLOOHXUVODUJHPHQWUHQIRUF«HV
depuis 2008. Une situation perçue avec un sentiment partagé d’injus-
WLFHGȇDXWDQWSOXVTXȇHOOHFR±QFLGHDYHFODPXOWLSOLFDWLRQGHVDIIDLUHVGH
corruption.

L’impact de la corruption sur la crise


de la représentation politique
'DQVOȇ(VSDJQHGȇDXMRXUGȇKXLODPXOWLSOLFDWLRQGHVDIIDLUHVGHFRU-
ruption politique est telle que cet enjeu constitue désormais la seconde
SU«RFFXSDWLRQPDMHXUHGHVFLWR\HQVGHUULªUHODTXHVWLRQGXFK¶PDJH37.
/ȇmDIIDLUH *¾UWHO} U«Y«O«H OH I«YULHU  SDU OȇHQTX¬WH GX MXJH
%DOWDVDU *DU]µQ VXU OH ȴQDQFHPHQW LOO«JDO GX 33 GH OD FRPPXQDXW«
valencienne est la plus emblématique. Ses membres ont détourné les
fonds publics dédiés à la Feria de Valence et à la visite fastueuse du
3DSH %HQR°W;9, HQ  VXUIDFWXU« GHV FRQWUDWV GH WUDYDX[ SXEOLFV
DYHF GHV HQWUHSULVHV WUDYDLOODQW DYHF OD *HQHUDOLWDW HW G«YHORSS« XQ
U«VHDXGHȴQDQFHPHQWRFFXOWHGHVFDPSDJQHV«OHFWRUDOHVGHHWGH
200838. Mais bien d’autres cas de corruption ont éclaboussé les fédéra-
tions régionales du PP depuis 2008. Les PP de la Rioja et de Biscaye sont
VRXS©RQQ«VGȇDYRLUDFKHW«OHXUVLªJH SRXUOHSUHPLHU RXSD\«OȇK\SR-
WKªTXHHWHIIHFWX«GHVWUDYDX[DXVHLQGHFHOXLFL SRXUOHVHFRQG JU¤FH
à de l’argent issu de la « double comptabilité » du PP national. Le PP de
&DQWDEULHHVWTXDQW¢OXLDFFXV«GȇDYRLUE«Q«ȴFL«GHGRQDWLRQVLOO«JDOHV
Des municipalités qui ont été ou qui sont encore gouvernées par le PP
VRQW DXVVL PLVHV HQ FDXVH 9DOHQFH 3RQWHYHGUD 7ROªGH %RDGLOOD GHO
0RQWH RX $UJDQGD GHO 5H\ SRXU QȇHQ FLWHU TXH TXHOTXHVXQHV 0DU¯D
'RORUHVGH&RVSHGDOVHFU«WDLUHJ«Q«UDOGX33GHSXLVHWSU«VLGHQWH
GH OD -XQWH GHV FRPPXQDXW«V GH &DVWLOOH/D 0DQFKH GHSXLV  D
ainsi été indirectement mise en cause après la découverte du détour-
nement de 200 000 euros octroyés à la compagnie Sacyr à Tolède pour
OHWUDLWHPHQWGHVG«FKHWVXQHVRPPHTXLDXUDLWSHUPLVGHȴQDQFHUVD
campagne électorale régionale de 200739.
(Q PDUV GH QRPEUHXVHV DIIDLUHV PHQDFHQW HQFRUH OH 33 DX
SRXYRLU HW SOXVLHXUV GH VHV I«G«UDWLRQV /H SDUWL HVW VRXS©RQQ« VXL-
vant les « papiers de Bárcenas » révélés durant l’enquête sur le réseau

šSondage El PaísMetroscopia, 2 novembre 2014.


šJosé Manuel RƵƳƫƷƵ, « Gürtel, la corrupción que colonizó el Partido Popular », El País,
16 janvier 2015.
šJosé MƧƷʨƧIƷƺưƵ, « Un contrato de basuras bajo sospecha », El País, 20 juillet 2013.

24
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

*¾UWHOGȇDYRLUSD\«HQOLTXLGHHWVDQVG«FODUDWLRQVȴVFDOHVOHVWUDYDX[
GHVRQVLªJHSRXUXQPRQWDQWGHPLOOLRQGȇHXURVHWGȇDYRLUDFKHW«
des actions du groupe Libertad Digital avec de l’argent illicite issu de
sa « double comptabilité » (connue comme « la caisse b » du parti). Le
MDQYLHU  OH TXRWLGLHQ El Mundo ȴW «WDW GH G«FODUDWLRQV GH /XLV
%£UFHQDVFRQȴDQWDYRLUGLVWULEX«FKDTXHPRLV¢GHVGLULJHDQWVGX33
SHQGDQW GH QRPEUHXVHV DQQ«HV GHV HQYHORSSHV FRQWHQDQW GH ¢
HXURV SURF«GDQW GȇHQWUHSULVHV GH V«FXULW« GX E¤WLPHQW RX GH
donations non déclarées40'DQVOHFDGUHGHOȇmDIIDLUH%£UFHQDV}GRQW
OHSULQFLSDOLQFXOS«HVWOȇDQFLHQWU«VRULHUGX33OHSDUWLHVWVRXS©RQQ«
GȇDYRLUPLVHQSODFHXQV\VWªPHGHȴQDQFHPHQWRFFXOWHGH¢
TXLOXLDXUDLWQRWDPPHQWSHUPLVGHWLUHUSURȴWGHKXLWPLOOLRQVGȇHXURV
de donations illégales41. Malgré la gravité des faits reprochés aux per-
VRQQHVVRXS©RQQ«HVGHFRUUXSWLRQOHVHQWLPHQWODUJHPHQWSDUWDJ«SDU
les Espagnols est que les peines sont très légères et que la justice n’est
pas la même pour tous.
,O VXɚW SDU H[HPSOH GH FRQVWDWHU OH JUDQG «FDUW HQWUH OHV SHLQHV
requises par les juges anticorruption et les durées effectives de déten-
WLRQ GHV GHX[ SULQFLSDX[ mERXFV «PLVVDLUHV} GH OȇDIIDLUH *¾UWHO
Francisco Correa et Luis Bárcenas. Les juges réclament cent vingt-
FLQT DQQ«HV GH SULVRQ HW XQH DPHQGH GH PLOOLRQV GȇHXURV SRXU
)UDQFLVFR&RUUHDDFFXV«GHFRUUXSWLRQWUDȴFGȇLQȵXHQFHEODQFKLPHQW
GH FDSLWDX[ IUDXGH ȴVFDOH DVVRFLDWLRQ LOOLFLWH HW IDOVLȴFDWLRQ GH GRFX-
ments42. Ils réclament aussi quarante-deux années de prison pour Luis
%£UFHQDV TXL VȇHVW HQULFKL JU¤FH ¢ GHV FRPPLVVLRQV SRXU VRQ WUDYDLO
d’intermédiaire entre des entreprises obtenant des contrats publics et
GHVGLULJHDQWVGX33REWHQDQWGHVU«WURFRPPLVVLRQVRFFXOWDQWPLO-
OLRQV GȇHXURV ¢ OȇDGPLQLVWUDWLRQ ȴVFDOH VXU GHV FRPSWHV EDQFDLUHV HQ
Suisse43. L’un n’a effectué que trois années de prison de 2009 à 2012 en
G«WHQWLRQ SU«YHQWLYH REWHQDQW VD PLVH HQ OLEHUW« JU¤FH DX SDLHPHQW
de 200 000 euros ; l’autre est resté dix-neuf mois en détention à la pri-
son madrilène de Soto del Real pour les mêmes délits. Même s’il est
SRVVLEOH TXȇLOV UHWRXUQHQW HQ SULVRQ ¢ OȇLVVX GH OHXU SURFªV LO HVW SHX
SUREDEOHTXHFHODVRLWOHFDVHQUDLVRQGHVDP«QDJHPHQWVGHSHLQHVFH
qui donne à la société l’image d’une impunité « des politiques » et « des

40. « Las revelaciones de BȄTEGPCUzEl Mundo, 18 janvier 2010.


41. « LQUGUEȄPFCNQUSWGCOGPC\CPGNPP », El País, 16 janvier 2015.
šMaría FƧƨƷƧ, « BȄTEGPCU[CGUVȄGPNCECTEGNzEl País, 28 juin 2013.
šJosé Manuel RƵƳƫƷƵ et Fernando PʤƷƫƿ, « El fiscal detalla la financiación ilegal del PP
FWTCPVGCȓQUzEl País, 16 janvier 2015.

25
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

puissants44} 4XDUDQWH HW XQ DXWUHV SU«YHQXV GRLYHQW GȇDLOOHXUV ¬WUH


MXJ«VGRQWOȇDQFLHQQHPLQLVWUHGHOD6DQW«$QD0DWRSRXUmSDUWLFLSD-
WLRQ¢WLWUHOXFUDWLI}¢OȇDSSURSULDWLRQGHELHQVSXEOLFVRXHQFRUH3DEOR
&UHVSRDQFLHQVHFU«WDLUHJ«Q«UDOGX33GH*DOLFHHWDPLSHUVRQQHOGH
l’actuel chef du gouvernement Mariano Rajoy. Mais la prescription très
UDSLGH GHV G«OLWV ȴQDQFLHUV DSUªV VHXOHPHQW WURLV RX TXDWUH DQV GDQV
OD SOXSDUW GHV FDV HW ¢ OȇLQYHUVH OHV G«ODLV WUªV ORQJV GHV SURF«GXUHV
MXGLFLDLUHVSHUPHWWHQWOHSOXVVRXYHQWDX[SU«YHQXVGȇ«FKDSSHU¢GHV
condamnations.
La corruption politique mine le socle du lien représentatif et l’impu-
nité renforce l’indignation citoyenne et la montée de l’antiparlemen-
WDULVPH /D IUDXGH ȴVFDOH IXW DLQVL HVWLP«H ¢  PLOOLDUGV GȇHXURV HQ
 SDU OH PLQLVWªUH GHV ȴQDQFHV45 0DLV OHV FRQWU¶OHV ȴVFDX[ FLEOHQW
SULQFLSDOHPHQWOHVSURIHVVLRQVOLE«UDOHVOHVDXWRHQWUHSUHQHXUVOHVDUWL-
VDQVHWOHVSHWLWVFRPPHU©DQWVP¬PHVLOHXUVIUDXGHVQHUHSU«VHQWHQW
que 8 % du total. Les entreprises multinationales et les grandes fortunes
VRQW OHV SULQFLSDX[ UHVSRQVDEOHV GH OD IUDXGH ȴVFDOH HQ (VSDJQH PDLV
VRQW UDUHPHQW FRQGDPQ«HV FH TXL UHQIRUFH OH VHQWLPHQW TXH OD ORL HW
la justice ne s’appliquent pas de la même manière pour les « citoyens
ordinaires » et pour les « puissants46} /ȇDPQLVWLH ȴVFDOH G«FLG«H SDU
OH 33 HQ PDUV D GRQQ« XQH LPDJH G«SORUDEOH (Q RXWUH HOOH QȇD
débouché que sur une régularisation de 5 % des sommes estimées de
Oȇ«YDVLRQȴVFDOH'ȇDXWUHVDUWLȴFHVO«JDX[SURYRTXHQWDXVVLOȇLQGLJQDWLRQ
GHV FLWR\HQV SDU H[HPSOH OD SRVVLELOLW« GX JRXYHUQHPHQW GȇDFFRUGHU
un « pardon » (indulto) en dépit d’un verdict judiciaire à certaines per-
VRQQHVFRQGDPQ«HVRXHQFRUHOHIDLWTXHSHUVRQQHVE«Q«ȴFLHQW
GȇXQHmLPPXQLW«}OL«H¢OHXUVUHVSRQVDELOLW«VSXEOLTXHVRXSROLWLTXHV
SULQFLSDOHPHQWOHVMXJHVPDLVDXVVLSOXVGHGHX[PLOOHSROLWLFLHQV47.
Le plus grave est que ces scandales touchent l’ensemble de la classe
SROLWLTXH (Q  OH SURFXUHXU J«Q«UDO GH Oȇ‹WDW mȴVFDO JHQHUDO} 

šLorsque Luis BȄTEGPCU UQTVKV FG RTKUQP GP LCPXKGT KN FȌENCTCš kJ’ai été fort. Le PP
n’a rien à craindre », un euphémisme pour dire que des condamnations de hauts dirigeants
semblent improbables. SQPCXQECVGWVOȍOGNGEWNQVFGFȌENCTGTškMon client a payé pour les
autres. Avoir 40 millions en Suisse, ce n’est pas un délit », cf. Fernando PʤƷƫƿ, « BȄTEGPCUUCNG
FGRTKUKȕPškHe sido fuerte. El PP no tiene nada que temer », El País, 23 janvier 2015.
45. « El fraude fiscal alcanza en EURCȓC GN  FGN PIBz =JVVRšYYYRWDNKEQGU? HȌXTKGT
2013.
46. « Un estudio concluye que hay hasta 26 billones de euros ocultos en paraísos fiscales »,
=JVVRYYYGWTQRCRTGUU
com], 17 juillet 2012.
47. « Quiénes son los aforados en EURCȓC[SWKȌPNQULW\ICzEl País, 2 septembre 2014.

26
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

&£QGLGR &RQGH3XPSLGR U«Y«OD TXH  HQTX¬WHV SRXU FRUUXSWLRQ


«WDLHQW HQ FRXUV HW FRQFHUQDLHQW OȇHQVHPEOH GHV SDUWLV GRQQDQW XQH
image lamentable d’impunité généralisée : 464 affaires concernaient
GHVPHPEUHVGX362(HWGX33 UHVSHFWLYHPHQWHW VRLW
GX WRWDO PDLV GH QRPEUHXVHV DXWUHV SURF«GXUHV48 impliquaient des
PHPEUHVGHOD&RDOLWLRQ&DQDULHV SURF«GXUHV GH&L8  GXSDUWL
DQGDORXFLVWH  GȇIzquierda Unida  GXJURXSHLQG«SHQGDQWOLE«UDO
¢&HXWD0HOLOODHW0DUEHOOD  GHOȇ8QLRQGH0DMRUTXH  GȇEsquerra
Republicana de Catalunya   GX %ORF QDWLRQDOLVWH JDOLFLHQ %1*   HW
GX3DUWLQDWLRQDOLVWHEDVTXH 319 /RUVGHV«OHFWLRQVPXQLFLSDOHVGX
PDL  SOXV GH FHQW UHVSRQVDEOHV SROLWLTXHV LPSOLTX«V GDQV GHV
affaires de corruption n’hésitèrent pas à se présenter sur les listes élec-
WRUDOHVOHXUU««OHFWLRQ«WDQWGȇDLOOHXUVVRXYHQWOHXUVHXOPR\HQGȇ«YLWHU
GHVFRQGDPQDWLRQVHWGHPDLQWHQLUOHXUmLPPXQLW«}G«VRUPDLVV\QR-
nyme d’impunité pour de nombreux citoyens49(QHQYLURQWURLV
FHQWVKRPPHVHWIHPPHVSROLWLTXHVVRQWHQFRUHPLVHQFDXVHGRQWXQH
trentaine de maires et une centaine d’anciens maires. Aucune institu-
WLRQ QȇHVW «SDUJQ«H P¬PH OD PRQDUFKLH ¢ WUDYHUV OȇDIIDLUH 1µRV TXL
LPSOLTXHOȇLQIDQWH&KULVWLQHGH%RXUERQȴOOHGH-XDQ&DUORV,erPDUL«H¢
,³DNL8UGDQJDU¯QOHSULQFLSDOSU«YHQX/HVFLWR\HQVRQWDLQVLOȇLPSUHV-
sion que tous les partis sont corrompus et que le système politique régi
SDUODFRQVWLWXWLRQGHHVW¢ERXWGHVRXɛHQHSHUPHWWDQWSOXVGH
OXWWHUHɚFDFHPHQWFRQWUHFHVG«ULYHV
/H MXLOOHW  -RUGL 3XMRO OȇDQFLHQ mSU«VLGHQW WRXWSXLVVDQW}
de la Generalitat de Catalogne de 1980 à 2003 a même avoué publi-
TXHPHQW DYRLU FDFK« SHQGDQW WUHQWHTXDWUH DQV GHSXLV  VXU GHV
FRPSWHVHQ6XLVVHHWHQ$QGRUUHXQHIRUWXQHGHSOXVLHXUVGL]DLQHVGH
millions d’euros supposée correspondre à l’héritage de son père50. De
QRPEUHX[VRXS©RQVSªVHQWDXVVLVXUOHȴQDQFHPHQWLOO«JDOGHVRQSDUWL
Convergència Democràtica de Catalunya (« Convergence démocratique
GH&DWDORJQH}&'& HWVXUGHVSUDWLTXHVGHFRUUXSWLRQHWGHEODQFKL-
PHQWGȇDUJHQWGDQVVRQHQWRXUDJHVHVȴOV-RUGL2OHJXHUHW2ULRO«WDQW
eux-mêmes notamment soupçonnés de fraudes massives. Ce scandale a

šQuelques cas peuvent être cités parmi les plus emblématiques. Pour le PPš NGU CHHCKTGU
BȄTEGPCUš Brugal et Fabra mettant en cause les anciens maires d’Alicante et de VCNGPEGš
les cas FC[EȄPšGȜTVGNšPalma Arena etc. Pour le PSOEšCHHCKTGFGUERE d’Andalousie corres
RQPFCPVȃFGUFȌVQWTPGOGPVUQWȃFGHCWUUGURTKOGUFGNKEGPEKGOGPVšCHHCKTGFKNGUCšFNKEMš
Mercasevilla etc. Pour CiUšCHHCKTGPCNCWšPCNNGTQNUšBanca Catalana etc.
šSoledad GƧƲƲƫƭƵDʨƧƿ« La opacidad corrompe », El País, 18 mars 2012.
šL’expression est ici reprise de Félix MƧƷƹʨƴƫƿ et Jordi OƲƯƻƫƷƫƸ, Jordi PXMRO̰HQQRPEUHGH
Cataluña, Barcelona, Editorial Debate, 2005, p. 12.

27
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

SDUWLFXOLªUHPHQWFKRTX«OHVRSLQLRQVSXEOLTXHVHVSDJQROHHWFDWDODQH
WDQW LO LOOXVWUH OH F\QLVPH HW OHV SUDWLTXHV TXDVL PDȴHXVHV U«SDQGXHV
SDUPLOHV«OLWHVGHVSDUWLVGRPLQDQWVHWP¬PHSDUPLOHVQDWLRQDOLVWHV
FDWDODQVGRQWOHGLVFRXUVSROLWLTXHDSRXUWDQWWRXMRXUV«W«D[«VXUOHXU
mH[HPSODULW«}OHXUPRGHUQLVPHHWOHXUmGLII«UHQFH}SDUUDSSRUWDX[
autres élites espagnoles51.
/HFDVGHVmFDUWHVRSDTXHV}U«Y«O«SDUODSUHVVHHQVHSWHPEUH
qui permirent à de nombreux dirigeants politiques d’utiliser pour leur
E«Q«ȴFHSHUVRQQHOGHVFRPSWHVQRQG«FODU«V¢OD&DMD0DGULGHWFKH]
%DQNLD ¢ KDXWHXU GH PLOOLRQV GȇHXURV  LOOXVWUD XQH IRLV HQFRUH OHV
OLHQV GRXWHX[ GHV UHSU«VHQWDQWV SROLWLTXHV DYHF OHV EDQTXHV HW OHV
SUDWLTXHV LOO«JDOHV GH QRPEUHXVHV «OLWHV SROLWLTXHV HW ȴQDQFLªUHV52. Le
fait que les directeurs et les conseillers des principales banques et des
caisses d’épargne espagnoles soient souvent issus des partis politiques
est un problème majeur qui favorise l’opacité et les échanges de faveur
HQWUH GHV DFWHXUV TXL MRXHQW XQ mGRXEOH MHX} HW GRQW OHV WUDMHFWRLUHV
illustrent l’utilisation des positions de pouvoir dans le champ politique
comme moteur de l’accumulation de richesses économiques53. En
GHVSRVWHVGHVFRQVHLOVGȇDGPLQLVWUDWLRQGHOȇ,%(;TXL
UHJURXSHOHVSULQFLSDOHVPXOWLQDWLRQDOHVHVSDJQROHV %DQFR6DQWDQGHU
(QGHVD ,EHUGUROD 7HOHIµQLFD %DQNLDHWF  «WDLHQW RFFXS«V SDU GHV
membres du PSOE et du PP (mais aussi six par des membres de CiU et
un respectivement pour Izquierda UnidaHWOH319 TXLDYDLHQWH[HUF«
ou qui exerçaient encore des responsabilités politiques en parallèle54.
/ȇLQGLFH GH SHUFHSWLRQ GH OD FRUUXSWLRQ GH Oȇ21* Transparency
International classa ainsi l’Espagne en treizième position parmi les pays
GHOȇ8(HW¢ODWUHQWLªPHGDQVOHPRQGHHQGHUULªUHOȇ2XJDQGDHQ
notant que le pays régresse d’année en année et qu’il s’agit du seul pays
de l’UE qui ne s’est pas encore doté d’une véritable loi sur la transpa-
rence en politique. Ce classement a suscité un tel débat que le chef du

šSur ce point, voir les déclarations du maire de Barcelone, Xavier TƷƯƧƸ, « La sombra del
pujolismo se ha acabado y se abre una nueva etapa », La Vanguardia, 29 juillet 2014.
52. « Las tarjetas opacas de Caja Madrid al detalle », El País, 31 janvier 2015.
šSWTNCPQVKQPFGkFQWDNGLGWzRQNKVKEQȌEQPQOKSWGFGUCEVGWTUGPVTGFKHHȌTGPVGUURJȋTGU
GVQWCTȋPGUXQKTNGUVTCXCWZFŨYves DƫƿƧƲƧƾ et notamment avec Antonin CƵƮƫƴ et Dominique
MƧƷƩƮƫƹƹƯ, « Esprits d’État, Entrepreneurs d’Europe », Actes de la recherche en sciences sociales,
PoRDe même, cf. Yves DƫƿƧƲƧƾ, « The legal construction of a politics of
notables. The double game of the patricians of the IPFKCPDCTQPVJGOCTMGVQHEKXKEXKTVWGz
RetfaerdXQNPoR
54. « Transparencia International llama a frenar la corrupción para salir de la crisis », El País,
5 décembre 2013 Voir de même « EURCȓCPQGUUICPFC~QUȐš!», El Mundo, 13 juin 2012.

28
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

JRXYHUQHPHQW 0DULDQR 5DMR\ D G½ OXLP¬PH VH MXVWLȴHU HQ G«FODUDQW


TXHmOȇ(VSDJQHFHQȇHVWSDVOȇ2XJDQGD}GDQVXQH[HUFLFHGHG«IHQVH
de sa politique anti-corruption qui a plus fait rire que convaincu55.
L’indignation citoyenne est d’autant plus forte que de nombreux com-
mentateurs ont souligné à juste titre la médiocrité de la classe politique
HVSDJQROH GRQW OH UHFUXWHPHQW G«SHQG DPSOHPHQW GH U«VHDX[ IDPL-
OLDX[GHSDWURQDJHHWGHFRRSWDWLRQHWTXLVHFDUDFW«ULVHSDUOHPDQTXH
d’expérience professionnelle et une faible maîtrise des langues étran-
gères et des nouvelles technologies56.

Au-delà des affaires, les limites du système


institutionnel issu de la constitution de 1978
/D FULVH HVSDJQROH HVW DXVVL XQH FULVH LQVWLWXWLRQQHOOH GDQV OD
PHVXUHR»LOH[LVWHXQVRXWLHQGHSOXVHQSOXVODUJHDXVHLQGHODVRFL«W«
¢OȇLG«HGȇXQHU«IRUPHGHODFRQVWLWXWLRQGHQRWDPPHQWHQFHTXL
FRQFHUQH OȇLQG«SHQGDQFH GH OD MXVWLFH OD ORL «OHFWRUDOH HW OD TXHVWLRQ
WHUULWRULDOH7RXWGȇDERUGLOVXEVLVWHXQSUREOªPHK«ULW«GHODS«ULRGH
franquiste lié à la séparation encore imparfaite des pouvoirs exécutif et
MXGLFLDLUH(QHIIHWOHVSULQFLSDX[GLULJHDQWVGXSRXYRLUMXGLFLDLUHOHV
PHPEUHVGXPLQLVWªUHȴVFDOGȇ(VSDJQHGX&RQVHLOJ«Q«UDOGXSRXYRLU
MXGLFLDLUHHWGX7ULEXQDOFRQVWLWXWLRQQHOVRQWQRPP«VSDUOHVSRXYRLUV
exécutif et législatif. Le système électoral majoritaire permet ainsi au
JRXYHUQHPHQW TXL VȇDSSXLH VXU XQH PDMRULW« UHODWLYH RX DEVROXH GH
nommer des juges dont la philosophie est réputée proche de sa ten-
GDQFHSROLWLTXH&HODSHXWDYRLUGHVHIIHWVG«WHUPLQDQWVVȇDJLVVDQWSDU
exemple des décisions du Tribunal constitutionnel sur les recours des
partis de l’opposition à l’égard d’une loi. La question de l’impartialité
GHV MXJHV QRWDPPHQW GDQV OD SULVH HQ FRPSWH GH OD FRUUXSWLRQ TXL
WRXFKHOHV«OLWHVPDLVDXVVLSOXVJ«Q«UDOHPHQWHVWDLQVLPLVHHQFDXVH
On a particulièrement pu l’observer lorsque le juge constitutionnel
)UDQFLVFR3«UH]GHORV&RERVTXLDPLOLW«GHORQJXHVDQQ«HVDXVHLQGX
33DUHMHW«HQOHVGHPDQGHVFDWDODQHVOL«HVDXVWDWXWGȇDXWRQRPLH
GH  RX HQFRUH ORUVTXH OH PDJLVWUDW 3HGUR *RQ]£OH]7UHYLMDQR
QRPP« SDU OH 33 VȇHVW SURQRQF« FRQWUH OH U«I«UHQGXP FDWDODQ GX
QRYHPEUH'DQVOHVDIIDLUHVDQWLFRUUXSWLRQOHIDLWTXHOHPDQGDW

55. « Comparar EURCȓC EQP Uganda le sale caro a RCLQ[z =JVVRYYYGNRNWTCNEQO? LWKP
2012, consulté le 1er février 2015.
56. « LQURQNȐVKEQUGURCȓQNGUšUKPKFKQOCUUKPGZRGTKGPEKCNCDQTCN[NGLQUFGNCUPWGXCUVGEPQ
NQIȐCUz=JVVRYYY
minutos. com], 15 juin 2014, consulté le 10 février 2015.

29
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

du juge instructeur expire au bout de deux ou trois ans permet souvent


DXJRXYHUQHPHQWGHOHUHPSODFHUSDUXQPDJLVWUDWPRLQV]«O«FHTXL
constitue une façon indirecte « d’enterrer » une affaire par la procrasti-
nation et l’absence de volonté politique.
/HV FLWR\HQV VRQW GH P¬PH GH SOXV HQ SOXV FRQVFLHQWV GHV OLPLWHV
du système électoral et de la loi sur les partis hérités de la transition.
/HV\VWªPH«OHFWRUDOPDMRULWDLUHIDYRULVHXQELSDUWLVPHȴJ«HWOHVGHX[
SDUWLV GRPLQDQWV FRPPH DLOOHXUV HQ (XURSH VRQW FULWLTX«V SRXU OH
manque de renouvellement de leur idéologie et de leur personnel poli-
WLTXH/HV\VWªPHGHOLVWHVIHUP«HVTXLQHSHUPHWSDVDX[FLWR\HQVGH
choisir directement leurs candidats préférés et les oblige à voter pour
les candidats choisis par les partis est directement mis en cause par
une nouvelle formation comme Podemos TXL YHXW LQFLWHU OHV FLWR\HQV
à choisir eux-mêmes leurs candidats par des votes électroniques et des
listes ouvertes. Mais la critique majeure de la loi électorale est surtout
OL«H¢ODJUDQGHRSDFLW«GXȴQDQFHPHQWGHVSDUWLVGDQVXQFRQWH[WHR»
les citoyens demandent plus de transparence pour lutter plus effective-
ment contre la corruption. Seuls Unión Progreso y Democracia 83\' 
ODIRUPDWLRQGH5RVD'LH]HWOHQRXYHDXSDUWLPodemos de Pablo Iglesias
publient leurs comptes sur internet.
/«JDOHPHQWOHVSDUWLVGRLYHQWSU«VHQWHUXQUDSSRUWDQQXHOVXUOȇ«WDW
GH OHXUV ȴQDQFHV DX Tribunal de las Cuentas Oȇ«TXLYDOHQW HVSDJQRO GH
la Cour des comptes. L’organisme doit se prononcer sur la validité des
FRPSWHVGDQVXQHS«ULRGHGHVL[PRLVPDLVFHG«ODLQȇHVWMDPDLVUHVSHF-
W«3LUHOHGHUQLHUUDSSRUWFRPSWDEOHGDWHGHHWODORL«WDEOLWXQH
SUHVFULSWLRQ MXGLFLDLUH DSUªV TXDWUH DQV SRXU OH G«OLW GH ȴQDQFHPHQW
LOO«JDO $XWUHPHQW GLW OH PDQTXH GH PR\HQV GX V\VWªPH MXGLFLDLUH VD
faible indépendance par rapport au pouvoir exécutif et l’intérêt partagé
GHV SDUWLV GRPLQDQWV DX PDLQWLHQ GȇXQ V\VWªPH RSDTXH SHUPHWWHQW
DX[ DFWHXUV GH PDLQWHQLU GHV SUDWLTXHV LOO«JDOHV QRWDPPHQW GDQV OH
ȴQDQFHPHQW GHV FDPSDJQHV HW OD SDVVDWLRQ GHV PDUFK«V SXEOLFV VDQV
trop de crainte des conséquences judiciaires57'HSOXVKRUPLVGDQVOH
FDV R» XQH SURF«GXUH MXGLFLDLUH RXYHUWH DIIHFWH GLUHFWHPHQW XQ SDUWL
VHXOXQDFFRUGFRQVHQVXHOHQWUHOHVPHPEUHVGHOD&RXUGHVFRPSWHV

šSur une discussion des limites du rôle du Tribunal de las Cuentas en Espagne sur la trans
parence du financement des partis, cf. Mathieu PƫƹƯƹƮƵƳƳƫ, Dépolitiser l’Europe. Comment les
partis dominants évitent le conflit sur l’intégration européenne, Paris, L’Harmattan, 2015, notam
ment le chapitre VIIRVoir aussi du meme auteur « Second order elections but also
kNQYEQUVz ECORCKIPUš! National parties and campaign spending in EWTQRGCP GNGEVKQPUš A
comparative analysis », Perspectives on European Politics and Society, XQNPoR
168.

30
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

TXL VRQW QRPP«V SDU OHV UHVSRQVDEOHV SROLWLTXHV SHUPHW GȇHQWDPHU


GHVSURF«GXUHVHWGȇLPSRVHUGHVSHLQHVDFFRUGKDXWHPHQWLPSUREDEOH
'ȇDXWUHV SULYLOªJHV GHV PHPEUHV GH OD FODVVH SROLWLTXHV VRQW GLɚFLOH-
PHQW MXVWLȴDEOHV DXMRXUGȇKXL OHV SDUOHPHQWDLUHV HVSDJQROV SHXYHQW
DLQVLE«Q«ȴFLHUGȇXQHUHWUDLWH¢WDX[SOHLQDSUªVDYRLUVL«J«VHXOHPHQW
sept années au Congrès des députés58.
Une réforme constitutionnelle est aussi plébiscitée par les partis
GH JDXFKH HW U«JLRQDOLVWHV FHOOH TXL «WDEOLUDLW G«ȴQLWLYHPHQW XQ ‹WDW
fédéral en dépassant les limites du « fédéralisme asymétrique » propre
¢Oȇ‹WDWGHVDXWRQRPLHVHWHQU««YDOXDQWOHU¶OHGX6«QDW59/HȴQDQFH-
PHQWGHVDXWRQRPLHV TXLDFFRUGHXQVWDWXWSDUWLFXOLHU¢OD&DWDORJQH
OD*DOLFHHWDX3D\VEDVTXH SRVHSUREOªPHGDQVODPHVXUHR»LOHVWOH
sujet de perpétuelles négociations entre les communautés autonomes
HW Oȇ‹WDW FHQWUDO HQWUH GHPDQGHV GȇDXWRQRPLH DFFUXH HW SURMHWV GH
recentralisation. Il alimente aussi des luttes de pouvoirs entre les
communautés pour faire prévaloir leurs intérêts à la solidarité interré-
JLRQDOHHWODI«G«UDOLVDWLRQRX¢OȇDXWRQRPLHȴVFDOHHWSROLWLTXH(QȴQ
XQH U«IRUPH GX VWDWXW GH OD PRQDUFKLH HVW VRXYHQW PLVH HQ DYDQW
notamment suite à l’affaire de corruption mettant en cause le gendre
de Juan Carlos IerDȴQGHUHVWUHLQGUHOȇLPPXQLW«¢ODVHXOHSHUVRQQHGX
URLHW¢VDIDPLOOHLPP«GLDWHHWQRQ¢OȇHQVHPEOHGHODIDPLOOHUR\DOH
FRXVLQV HW QHYHX[ LQFOXV 0DLV VXU OȇHQVHPEOH GH FHV TXHVWLRQV DX
GHO¢GHVHVG«FODUDWLRQVGȇLQWHQWLRQOH362(QȇDSDVIDLWSUHXYHGȇXQH
grande volonté politique durant ses gouvernements de 2004 à 2011. Le
PP cherche aujourd’hui à maintenir le statu quo, alors même que les
sondages d’opinion montrent une forte attente des Espagnols à l’égard
d’éventuelles réformes institutionnelles. Ils sont très critiques envers
la passivité et l’immobilisme des partis dominants sur ces questions. Et
ce d’autant plus que ces derniers ont collaboré pour réformer la consti-
WXWLRQ HQ  HW LQVWDXUHU XQH REOLJDWLRQ O«JDOH GH QH SDV G«SDVVHU
XQG«ȴFLWSXEOLFDQQXHOGHSOXVGHGX3,%8QHSUHXYHGHSOXVTXH
réformer la constitution est possible.

šCette mesure fut mise en œuvre lors de la transition pour permettre aux élites politiques
exilées durant la dictature franquiste d’avoir droit à une pension de retraite lors de leur retour en
Espagne, mais elle a été maintenue jusqu’à nos jours, même s’il n’y a désormais plus aucune
justification à un tel traitement de faveur, hormis celle de maintenir ce qui est perçu comme un
« privilège » injuste par la société.
šAlicia FƫƷƴʜƴƪƫƿ GƧƷƩʨƧ et Mathieu PƫƹƯƹƮƵƳƳƫ, « Structuration et trajectoires idéolo
IKSWGUFGURCTVKUPCVKQPCNKUVGUECVCNCPUFGRWKUNCVTCPUKVKQPšERC, CiU et le PSC en perspective
comparée », Cahiers de civilisation espagnole contemporaine, n° 11, 2014.

31
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

LE RENOUVEAU DE LA CONTESTATION
DANS L’ESPAGNE CONTEMPORAINE
Une multiplicité de manifestations anti-austérité
&RPPH DX 3RUWXJDO HQ *UªFH HQ ,WDOLH HW DLOOHXUV HQ (XURSH OHV
Espagnols se sont activement mobilisés depuis 2008 pour contester les
HIIHWV GH OD FULVH «FRQRPLTXH HW SRXU G«QRQFHU OHV UHVSRQVDEOHV SROL-
WLTXHVHWȴQDQFLHUVGHODU«FHVVLRQ/DPDQLIHVWDWLRQGHUXHHQWHQGXH
comme toute « occupation momentanée par plusieurs personnes d’un
lieu ouvert public ou privé et qui comporte directement ou indirecte-
PHQWOȇH[SUHVVLRQGȇRSLQLRQVSROLWLTXHV}HVWUHYHQXHDYHFIRUFHVXUOH
devant de la scène médiatique à travers de nombreuses mobilisations
collectives60/HV(VSDJQROVVRQWGHVFHQGXVHQPDVVHGDQVODUXHDȴQGH
VȇRSSRVHUDX[SODQVGȇDXVW«ULW«LPSRV«VSDUOH362(SXLVSDUOH33GDQV
le contexte des pressions plus globales de la Troïka. Les principaux syn-
GLFDWVComisiones Obreras (CC. OO) et Union générale des travailleurs
8*7 VȇRSSRVªUHQWDLQVLGªVOHG«FHPEUH¢ODmORL2PQLEXV}
qui appliquait la directive Bolkestein61 à l’Espagne et engendra une
privatisation du secteur des services. Les chauffeurs routiers le 8 juin
 SXLV OHV FK¶PHXUV OHV «WXGLDQWV OHV SHUVRQQHOV GH Oȇ«GXFDWLRQ
de la santé et les membres des fonctions publiques des communautés
DXWRQRPHV WRXFK«V GH SOHLQ IRXHW SDU OHV SROLWLTXHV GȇDXVW«ULW« HW OHV
OLFHQFLHPHQWV VH PRELOLVªUHQW HQVXLWH ORUV GH QRPEUHXVHV PDQLIHVWD-
tions et « marées62 ».
Le refus par les citoyens des deux « réformes du travail » proposées
SDU OH 362( OH VHSWHPEUH  SXLV SDU OH 33 HQ PDUV HW OHXU
RSSRVLWLRQ SOXV J«Q«UDOH DX[ SROLWLTXHV GȇDXVW«ULW« RQW G«ERXFK« VXU
TXDWUHJUªYHVJ«Q«UDOHVHQWURLVDQVOHSOXVVRXYHQWFRQYRTX«HVSDU&&
22HWOȇ8*7DORUVTXHVHSWJUªYHVJ«Q«UDOHVVHXOHPHQWDYDLHQW«W«HQUH-
gistrées depuis l’approbation de la constitution en 197863. Ces grèves
eurent lieu le 29 septembre 2010 puis le 27 janvier 2011 (principalement

šOlivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ, Stratégies de la rue, Paris, Presses de SEKGPEGUPo, 1997, p. 44.


šSur les résistances à la directive BQNMGUVGKPEHAmandine CƷƫƸǞƾ, Qui a peur de BRONHVWHLQ̰"
Conflit, résistances et démocratie dans l’Union européenne, Paris, Economica, 2012.
š.GU kOCTȌGUz EQTTGURQPFGPV CW VGTOG WVKNKUȌ GP 'URCIPG FGRWKU  RQWT SWCNKHKGT NC
convergence de collectifs, d’associations et de syndicats divers vers un même mouvement
social, en jouant sur l’image d’une déferlante de revendications citoyennes. Les « marées » ont
FŨCKNNGWTUJCDKNGOGPVKPEKVȌNGUOCPKHGUVCPVUȃUGXȍVKTUWKXCPVWPEQFGEQWNGWTšOCTȌGkXGTVGz
dans l’éducation, « blanche » dans la santé, « violette » pour les féministes etc.
63. « Las huelgas generales de la democracia », El País, 14 juin 2010.

32
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

HQ&DWDORJQHHQ*DOLFHDX3D\V%DVTXHHWHQ1DYDUUHVRXVODGLUHFWLRQ
GHVV\QGLFDWV(/$679/$%&,*&*7HW&17 GHP¬PHTXHOHPDUV
et le 14 novembre 201264. La fréquence de ces manifestations montra la
PRELOLVDWLRQ WUªV IRUWH GHV VDODUL«V SRXU OD G«IHQVH GX VHFWHXU SXEOLF
PDLV DXVVL FRQWUH OH FK¶PDJH OHV OLFHQFLHPHQWV HW OH UHFRXUV DFFUX
DX[ FRQWUDWV SU«FDLUHV HW ¢ GXU«H G«WHUPLQ«H /H VHSWHPEUH 
en aboutissement des mouvements de protestation enregistrés dans
OȇHQVHPEOH GH Oȇ(VSDJQH OD mPDUFKH VXU 0DGULG} RX mPDUFKH GH OD
GLJQLW«} FXOPLQD VXU OD 3OD]D GH &ROµQ HQ RSSRVLWLRQ DX[ SROLWLTXHV
d’austérité et aux coupes budgétaires65. Cette manifestation qui réunit

Photo 1.2 Tract de convocation de la grève générale du 29 septembre 2010

šELASTVš Eusko Langileen Alkartasuna, SQNKFCTKVȌ FGU VTCXCKNNGWTU DCUSWGUš LABš Langile
Abertzaleen Batzordeak, CQOOKUUKQPUFGUQWXTKGTUCDGTV\CNGUšCIGšConfédération intersyndicale
ICNKEKGPPGšCGTšCQPHȌFȌTCVKQPIȌPȌTCNGFWVTCXCKNšCNTšConfédération nationale du travail.
šCes manifestations contre l’austérité se traduisirent aussi par des mobilisations autour
du scandale des « preferentes », des placements sur des participations, présentés comme
sans risques aux petits épargnants dans le cadre de pratiques commerciales agressives des
banques, qui débouchèrent sur la ruine de ces particuliers et l’évaporation de leur épargne
dans des actifs toxiques. Le 23 mars 2013, le gouvernement conservateur décida pourtant
de convertir ces participations en actions des banques, ce qui supposa une réduction de leur
valeur qui oscilla entre 10 % et 70 %, suscitant une large indignation citoyenne.

33
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

SOXVGHSHUVRQQHVVHȴW¢OȇDSSHOGX6RPPHWVRFLDOGLULJ«SDUOHV
GHX[V\QGLFDWVPDMRULWDLUHVPDLVUHJURXSDDXVVLFROOHFWLIVGLVWLQFWV
/HVPDQLIHVWDQWVU«FODPªUHQWmGXSDLQGXWUDYDLOHWGHODGLJQLW«}HW
exigèrent un référendum sur les politiques d’austérité.
Les manifestations anti-austérité touchèrent particulièrement les
VHFWHXUV GH OD VDQW« HW GH Oȇ«GXFDWLRQ (Q  OH SURMHW GH SULYDWLVD-
tion de nombreux hôpitaux de la communauté de Madrid déclencha
XQH mPDU«H EODQFKH} GȇLQȴUPLHU ªUH  V HW GH P«GHFLQV JU«YLVWHV
suivant une forme protestataire ensuite reprise par d’autres secteurs.
(Q DYULO GH QRPEUHX[ FLWR\HQV VH PRELOLVªUHQW GH P¬PH FRQWUH
OȇLQVWDXUDWLRQ GX mFRSDLHPHQW SKDUPDFHXWLTXH} DX[ WHUPHV GXTXHO
les usagers payeront désormais une franchise de 10 % sur le prix des
P«GLFDPHQWV XQH PHVXUH TXL WRXFKH SURSRUWLRQQHOOHPHQW GDYDQWDJH
les classes populaires puisqu’elle ne tient pas compte du revenu du
SDWLHQW(QȴQOHFKRL[GXJRXYHUQHPHQWFRQVHUYDWHXUGHPHWWUHȴQ¢
l’assistance sanitaire gratuite aux 910 000 immigrants illégaux ou qui
QH FRWLVHQW SDV ¢ OD 6«FXULW« VRFLDOH G«FOHQFKD XQH FDPSDJQH m0RL
2XL6DQW«XQLYHUVHOOH} mYo Si, Sanidad Universal} TXLGRQQDOLHX¢
de nouvelles manifestations et à une campagne de désobéissance civile
GHP«GHFLQVHWGHSHUVRQQHOVGHODVDQW«&HUWDLQVGȇHQWUHHX[FRPPH
OH GRFWHXU -XDQ /XLV 5XL]*LP«QH] WUªV FRQQX HQ (VSDJQH UHIXVHQW
d’appliquer la loi qu’ils jugent contraire aux principes éthiques de leur
SURIHVVLRQ OȇmREOLJDWLRQ GH VRLQ HQYHUV OHV PDODGHV} «WDQW XQ SULQ-
cipe cardinal66. D’autres manifestations eurent lieu en septembre 2012
contre la décision de la ministre de la Santé Ana Mato de ne plus faire
rembourser 417 médicaments par la Sécurité sociale selon un proces-
sus connu comme le « medicamentazo}(QȴQFRPPHOHPRQWUHELHQ
.DULQH %HUJªV GDQV OH SU«VHQW RXYUDJH OHV (VSDJQROHV VH VRQW DFWLYH-
PHQWPRELOLV«HVFRQWUHOHSURMHWGHU«IRUPHGHODORLVXUOȇDYRUWHPHQW
IRU©DQWOHPLQLVWUHGHOD-XVWLFH$OEHUWR5XL]*DOODUGµQ¢G«PLVVLRQQHU
'DQV OH VHFWHXU GH Oȇ«GXFDWLRQ GHV PDQLIHVWDWLRQV PDVVLYHV Gȇ«WX-
GLDQWV GH SHUVRQQHOV HW GȇDVVRFLDWLRQV GH SDUHQWV Gȇ«OªYHV VH VRQW
G«URXO«HV ¢ SDUWLU GH OD ȴQ GH OȇDQQ«H  FRQWUH OD mORL RUJDQLTXH
SRXUOȇDP«OLRUDWLRQGHODTXDOLW««GXFDWLYH} /20&( FRQQXHFRPPH
ODmORL:HUW}GXQRPGHVRQSURPRWHXUHWSURPXOJX«HOHRFWREUH
201367&HWWHORLDPRGLȴ«SURIRQG«PHQWOHV\VWªPH«GXFDWLIHVSDJQRO

šJuan Luis RƺƯƿGƯƳʤƴƫƿ, « La insumisión en favor de la asistencia », dans José Miguel


MƵƴƿʭƴ, op. cit., 2014, p. 77.
67. « El Congreso aprueba la reforma educativa Wert con los únicos votos del Partido Popular »,
El Mundo, 10 octobre 2013.

34
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

Elle a imposé d’augmenter le nombre d’heures de cours des professeurs


à tous les niveaux ainsi que le nombre d’élèves par classe. Elle a limité
OHVSRVVLELOLW«VGHUHGRXEOHPHQWLQVWDXU«XQHV«OHFWLRQSOXVSU«FRFHGHV
élèves dotés de problèmes d’apprentissage en cherchant à les orienter
YHUV OȇHQVHLJQHPHQW SURIHVVLRQQHO OXLP¬PH G«JUDG« SXLVTXȇLO IDXGUD
désormais une année supplémentaire pour pouvoir entrer à l’univer-
sité par cette voie. Cette loi a octroyé la possibilité aux centres scolaires
« concertés » (semi-privés) d’effectuer une ségrégation des sexes68. Les
directeurs des centres scolaires devront être élus à travers un concours
VRXV OH FRQWU¶OH GH OȇDGPLQLVWUDWLRQ FHQWUDOH R» OD FRPPXQDXW« SUR-
IHVVRUDOH GX FHQWUH «GXFDWLI DXUD PRLQV GH  GHV YRL[ DFWDQW XQH
recentralisation de la compétence éducative. La possibilité a été donnée
aux chefs d’établissements d’avoir recours à des sociétés privées pour
assurer la sécurité de leur école. Alors que les langues régionales ont
«W« UHO«JX«HV DX UDQJ GH PDWLªUHV GH mVS«FLDOLW«} OHV «OªYHV DXURQW
désormais deux possibilités (et non une seule) de choix s’agissant de la
matière « religion ». L’enseignement de l’économie a été aussi renforcé
et une matière d’« initiation à l’entreprenariat » a été créée.
$XQLYHDXXQLYHUVLWDLUHODORLDLQVWDXU«XQHGLPLQXWLRQGUDVWLTXH
GHV ERXUVHV XQH TXDVLGLVSDULWLRQ GHV VXEYHQWLRQV DFFRUG«HV DX SUR-
gramme d’échange Erasmus et une augmentation des frais d’inscrip-
WLRQG«M¢WUªV«OHY«VSDUUDSSRUW¢GȇDXWUHVSD\VHXURS«HQV69. La radio
Cadena Ser HVWLPD DLQVL TXH OH FR½W GHV «WXGHV HQ (VSDJQH VȇDY«UDLW
cinq fois plus élevé qu’en France70. La plupart des dispositions de la loi
ȴUHQW OȇREMHW GH IRUWHV RSSRVLWLRQV /HV PDQLIHVWDQWV G«QRQFªUHQW XQH
mSULYDWLVDWLRQ}GHOȇHQVHLJQHPHQWVXS«ULHXUU«VHUY«DX[VHXOV«OªYHV
dont les parents pourraient payer des frais d’inscription. Le fait que la
ORLLQWURGXLVHXQHGLɚFXOW«VXSSO«PHQWDLUHGȇDFFªV¢OȇXQLYHUVLW«SRXU
les élèves issus de l’enseignement professionnel donna l’impression de
OȇLQVWDXUDWLRQGȇXQV\VWªPH¢GHX[YLWHVVHVTXLS«QDOLVHUDHQFRUHSOXV
les enfants des classes moyennes et populaires. La recentralisation de
OD FRPS«WHQFH «GXFDWLYH DX G«WULPHQW GHV FRPPXQDXW«V DXWRQRPHV

68. « Las cuatro mayores críticas a la polémica ley Wert », El País, 5 octobre 2013.
šEn EURCIPG KN HCWV EQORVGT RCT GZGORNG GPVTGš GVšGWTQU FG HTCKU FŨKPUETKRVKQP
RCT CP RQWT FGU ȌVWFGU FG OȌFGEKPG UQKV GPVTG š GV šGWTQU LWUSWŨȃ NŨQDVGPVKQP FW
droit d’exercer en tant que stagiaire médecin interne, auxquels il faut ajouter près de 500 et
700 euros annuels de frais pour l’achat de manuels spécialisés. Les frais d’inscription sont
VTȋUXCTKCDNGUUWKXCPVNGUHKNKȋTGUGVNGUWPKXGTUKVȌUOCKUTCTGOGPVKPHȌTKGWTUȃšGWTQURCT
année universitaire.
šCf. « Estudiar la carrera en FTCPEKCGUEKPEQXGEGUOȄUDCTCVQSWGGPEURCȓCzCadena Ser,
9 janvier 2013.

35
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

l’accès mis sur la religion et l’économie et la relégation du statut des


langues régionales provoquèrent un tollé. La « loi Wert » déboucha le
24 octobre 2013 sur une grève générale de tous les niveaux éducatifs
SXEOLFV GH OD PDWHUQHOOH ¢ OȇXQLYHUVLW« GDQV OȇHQVHPEOH GHV FRPPX-
nautés autonomes : ce fut la première grève unitaire de l’enseignement
public de l’histoire de la démocratie espagnole.

L’émergence du mouvement des indignés


/HV PDQLIHVWDWLRQV V\QGLFDOHV HW FLWR\HQQHV DQWLDXVW«ULW« OHV FUL-
tiques grandissantes à l’égard de la classe politique et des banques et
OD UHPLVH HQ FDXVH GH OȇDYHQLU GH WRXWH XQH J«Q«UDWLRQ G«ERXFKªUHQW
sur la création de collectifs tels que Juventud Sin Futuro (« Jeunes sans
futur ») et Democracia Real Ya m'«PRFUDWLH U«HOOH PDLQWHQDQW}  TXL
appelèrent à manifester dans l’ensemble de l’Espagne le 15 mai 2011
pour dénoncer les responsables de la crise et demander l’instauration
GȇXQH mG«PRFUDWLH U«HOOH} SOXV SDUWLFLSDWLYH HW KRUL]RQWDOH HW TXL
mettrait réellement en œuvre les principes de justice et d’égalité. Ces
manifestations massives furent suivies par des occupations de plusieurs
SODFHV GRQW OHV SOXV P«GLDWLV«HV IXUHQW FHOOHV GH OD 3OD©D &DWDOXQ\D ¢
Barcelone et de la Puerta del Sol à Madrid. Ces protestations débou-
FKªUHQWVXUODFU«DWLRQGXPRXYHPHQWGHVLQGLJQ«VG«QRPP«m0}
GDQVOHFRQWH[WHHVSDJQROHQU«I«UHQFH¢VRQDFWLRQFROOHFWLYHLQLWLDOH
En occupant ces lieux publics par des campements permanents
HW HQ RUJDQLVDQW GHV DFWLRQV FROOHFWLYHV ¢ WUDYHUV GHV PDQLIHVWDWLRQV
GHVDVVHPEO«HVHWSDUXQIRQFWLRQQHPHQWG«SHUVRQQDOLV«OHVLQGLJQ«V
créèrent une nouvelle « structure d’opportunités politiques ». Charles
Tilly a bien montré qu’il existe dans toute société des acteurs qui dis-
SRVHQW GȇXQ DFFªV SULYLO«JL« DX[ DUªQHV LQVWLWXWLRQQHOOHV HW GȇDXWUHV
acteurs plus ou moins dominés (« challengers}  TXL VRQW FRQWUDLQWV
GȇDYRLU UHFRXUV ¢ OD PRELOLVDWLRQ HW ¢ OD SURWHVWDWLRQ DȴQ GH G«IHQGUH
OHXUV GURLWV HQ PRELOLVDQW OHV SHUVRQQHV GLUHFWHPHQW FRQFHUQ«HV HW
en faisant plus largement appel au soutien de l’opinion publique71.
(Q FH VHQV SDU OD FU«DWLRQ GH FDPSHPHQWV SHUPDQHQWV ¢ 0DGULG HW ¢
%DUFHORQHQRWDPPHQWOHVLQGLJQ«VSURYRTXªUHQWGDQVODVRFL«W«HVSD-

šCharles TƯƲƲƾ, « Social movements and national politics », dans Charles BƷƯƭƮƹ et Susan
HƧƷƪƯƴƭ FKT  SWDWHPDNLQJ DQG VRFLDO PRYHPHQWV̰ Essays in history and theory, Ann Arbor,
University of Michigan Press, 1984, p. 306. Pour une critique de cette notion, cf. Olivier
FƯƲƲƯƫƺƲƫ, « Requiem pour un concept. VKG GV OQTV FG NC PQVKQP FG ūUVTWEVWTG FGU KFGPVKVȌU
politiques” », dans Gilles DƵƷƷƵƴƸƵƷƵ FKT La Turquie conteste, Paris, Éditions du CNRS, 2006,
R

36
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

JQROH XQ mFKRF PRUDO} ODUJHPHQW UHOD\« SDU OD SUHVVH «FULWH HW OHV
W«O«YLVLRQVTXLFU«DXQHIIHWGȇHQWUD°QHPHQWHWIDYRULVDODPRELOLVDWLRQ
de secteurs sociaux dépourvus de tradition militante72. Par l’envahisse-
PHQWOHEORFDJHHWOȇRFFXSDWLRQGHQRPEUHX[HVSDFHVSXEOLFVGHVPLO-
liers d’Espagnols ont cherché à créer des espaces de débat qui puissent
donner corps aux revendications des « sans voix ».
D’autres indignés reprirent ensuite cette forme d’occupation média-
WLV«H VXU OD SODFH 6\QWDJPD ¢ $WKªQHV OH ERXOHYDUG 5RWKVFKLOG ¢ 7HO
Aviv à l’été 2011 ou à travers le mouvement Occupy Wall Street qui
occupa le parc Zuccotti à New York. Cette forme d’occupation de lieux
SXEOLFV QȇHVW WRXWHIRLV SDV HQWLªUHPHQW QRXYHOOH HW VH VLWXH GDQV OD
lignée des campements et des villages alternatifs réunis par les mouve-
ments altermondialistes dans les années 200073. L’idée sous-jacente est
d’inscrire un mouvement social dans la durée et dans un espace social
GRQQ«HQFKHUFKDQW¢DJLUmLFLHWPDLQWHQDQW}HWHQPDQLIHVWDQWSDU
la non-violence une opposition au système néolibéral et au dévoiement
de la démocratie représentative. Par l’occupation collective de la Puerta
GHO 6RO OHV PDQLIHVWDQWV RQW J«Q«U« XQH IRUPH GȇH[SUHVVLYLW« HQ DɚU-
PDQW OD YLVLELOLW« GȇXQ JURXSH VRFLDO WRXW HQ PHWWDQW VXU OH GHYDQW GH
la scène publique des demandes sociales et politiques précises : dénon-
FLDWLRQGHODFRUUXSWLRQGHV«OLWHVGHODUHVSRQVDELOLW«GHVEDQTXHVHW
GHVHQWLW«VȴQDQFLªUHVGDQVODFULVHRSSRVLWLRQ¢ODȴQDQFLDULVDWLRQGH
Oȇ«FRQRPLHOXWWHFRQWUHOHVH[SXOVLRQVORFDWLYHVOHVSROLWLTXHVGȇDXVW«-
rité et les coupes budgétaires dans l’éducation et la santé ; critique des
RUJDQLVDWLRQV SDUWLVDQHV WUDGLWLRQQHOOHV GH OD ORL VXU OHV SDUWLV HW GX
système politique issu de la constitution de 197874.
L’impact du 15-M va bien au-delà des occupations et doit être com-
SULV ¢ XQ QLYHDX SOXV JOREDO FHOXL GH OD UHPLVH HQ FDXVH GHV GLVFRXUV
politiques dominants et de la prise de conscience de l’opinion publique
espagnole. Les indignés ont contribué à questionner des « cadres
d’interprétation » qui faisaient jusqu’alors consensus et ont proposé

šJames JƧƸǞƫƷ, The art of moral protest, Chicago, The University of Chicago PTGUU š
Youssef EƲ CƮƧƿƲƯ, « Sur les sentiers de la Révolution. Comment des ÉI[RVKGPU ūFȌRQNKVKUȌUŬ
UQPVKNUFGXGPWUTȌXQNWVKQPPCKTGUš!zRevue Française de Science PolitiqueXQNPo
R
šSur ce point, voir par exemple Éric AƭƷƯƱƵƲƯƧƴƸƱƾ, Olivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ et Nonna MƧƾƫƷ,
L’altermondialisme en France. Genèse et dynamique d’un mouvement social, Paris, Flammarion,
2005.
šPour une revue de la littérature sur les mouvements des « indignés » et « Occupy », cf.
Héloïse Nƫƿ, « Indignados and Occupiers », dans Guya AƩƩƵƷƴƫƷƵ et Olivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ FKT 
Social movements studies in EXURSH̰The state of the art, NGYYQTMBerghan BQQMUR
135.

37
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

des idéaux politiques alternatifs75. Ils se sont attachés à rompre le cercle


YLFLHX[ GH OD FULVH GX G«VHVSRLU HW GH OD ODVVLWXGH HQ UHGRQQDQW GH
l’espoir aux citoyens par l’action collective et en promouvant l’idée que
m2XLFȇHVWSRVVLEOH} cSi se puede  GHFKDQJHUOHVFKRVHV/DVRFLROR-
JLHGHVPRELOLVDWLRQVDELHQPRQWU«TXȇHQS«ULRGHGHURXWLQHSROLWLTXH
ORUVTXȇXQ GRPDLQH GH SROLWLTXH SXEOLTXH IDLW OȇREMHW GȇXQ FRQVHQVXV
une coalition dominante d’acteurs impose son monopole sur l’inter-
SU«WDWLRQ GH OD U«DOLW« SROLWLTXH HW VRFLDOH /D SUHVVH OHV FDPSDJQHV
«OHFWRUDOHVOHVP«GLDV QRWDPPHQWW«O«YLVXHOV VRQWDXWDQWGHOLHX[HW
GHPRPHQWVR»FHUWDLQVFDGUHVGȇLQWHUSU«WDWLRQGRPLQHQWOHWUDLWHPHQW
des problèmes publics76 3DU OȇDFWLRQ SURWHVWDWDLUH OHV LQGLJQ«V RQW
promu de nouveaux slogans et arguments dans leurs manifestations et
SULVHVGHSRVLWLRQGDQVOHVP«GLDVTXLRQWIRUJ«FHTXH:LOOLDP*DPVRQ
dénomme des « contre-cadrages » de la réalité sociale et politique77. De
nouvelles questions ont aussi été « mises sur l’agenda » (agenda setting)
SROLWLTXHSDUH[HPSOHOȇLG«HGȇXQHU«IRUPHGHODFRQVWLWXWLRQODG«QRQ-
FLDWLRQGHVLQ«JDOLW«VGXFOLHQW«OLVPHHWGXPDQTXHGȇLQG«SHQGDQFHGH
la justice78.

Le développement de nouveaux répertoires d’action


/D FULVH «FRQRPLTXH HW VRFLDOH D GH P¬PH G«WHUPLQ« OȇHVVRU GH
QRXYHOOHVOXWWHVSDUH[HPSOHDXWRXUGXGURLWDXORJHPHQWHWGHODU«VLV-
WDQFHDX[H[SXOVLRQVTXLRQWG«ERXFK«VXUOȇXWLOLVDWLRQGHU«SHUWRLUHV
d’actions collectives traditionnellement peu employés dans la société
HVSDJQROH(QQRYHPEUH¢/D%LVEDOGHO3HQªGHVHQ&DWDORJQHGHV
militants et de simples citoyens se réunirent ainsi devant le logement
GH /XLV XQ P«FDQLFLHQ DX FK¶PDJH GRQW OD EDQTXH &DWDOXQ\D&DL[D
YRXODLW OȇH[SXOVHU (Q DOHUWDQW OHV MRXUQDOLVWHV HQ PDQLIHVWDQW GHYDQW
VRQ GRPLFLOH HQ G«QRQ©DQW OH FRPSRUWHPHQW GH OD EDQTXH HW HQ SRU-
WDQW DWWHLQWH ¢ VRQ mLPDJH GH PDUTXH} LOV U«XVVLUHQW ¢ HPS¬FKHU

šLa théorie des « cadres d’interprétation » a été formulée par David SPQYGVUGUEQNNȋIWGU
cf. David SƴƵƼ, BWTMG RƵƩƮƬƵƷƪ, Steven WƵƷƪƫƴ et Robert BƫƴƬƵƷƪ, « Frame alignment
processes, micromobilization and movement participation », American Sociological Review,
Po  Rš David SƴƵƼ et Robert BƫƴƬƵƷƪ, « Ideology, frame resonance and
participant mobilization », dans Bert KƲƧƴƪƫƷƳƧƴƸ, Hanspeter KƷƯƫƸƯ et Sidney TƧƷƷƵƼ FKT 
FURPVWUXFWXUHWRDFWLRQ̰Comparing social movement research accross cultures, GTGGPYKEJJAI
PTGUUR
šDaniel CƫƬƧʪ, « La construction des problèmes publics. Définitions de situations dans des
arènes publiques », RéseauxXQNPoR
šWilliam GƧƳƸƵƴ, Talking Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1992.
šPhilippe BƲƧƴƩƮƧƷƪ, « Agenda », dans Olivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ, Lilian MƧƹƮƯƫƺ et Cécile PʣƩƮƺ
FKT Dictionnaire des mouvements sociaux, Paris, Presses de Sciences Po, 2009, p. 24.

38
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

OȇH[SXOVLRQ GH /XLV ‚ 0DGULG OH MXLQ  FLQT FHQWV SHUVRQQHV
se regroupèrent suivant le même procédé devant le domicile d’une
IDPLOOHEXOJDUROLEDQDLVHGDQVOHTXDUWLHUGH7HWX£QVȇRSSRVªUHQWSK\-
VLTXHPHQW ¢ OD SROLFH HW HPS¬FKªUHQW VRQ H[SXOVLRQ /ȇXVDJH U«ȵ«FKL
de la désobéissance civile et la médiatisation de ces actions eurent
GHVHIIHWVLPP«GLDWVFHTXLHQJHQGUDSHX¢SHXODVWUXFWXUDWLRQGHOD
« Plateforme des affectés par l’hypothèque » (Plataforma de Afectados
por la Hipoteca 3$+  GȇDERUG ¢ %DUFHORQH HW HQ &DWDORJQH VRXV OD
GLUHFWLRQGȇ$GD&RODXHW$GUL¢$OHPDQ\SXLVGDQVOHUHVWHGHOȇ(VSDJQH
Sa campagne « Stop Desahucios } HQ SURWHVWDQW SDU GHV VLɛHWV HW GHV
regroupements et en cherchant à s’interposer face aux forces de police
pour empêcher les expulsions a eu des répercussions importantes.

Photo 1.3 Action du collectif Flo6x8 (« Flamenco et Activisme »), devant une
banque BBVA, Séville, 2011.

Les mobilisations collectives sous la forme d’attroupements et


de protestations qui se sont déployées sur le lieu même de l’injustice
G«QRQF«H VHORQ XQ U«SHUWRLUH GȇDFWLRQ TXL UDSSHOOH OHV SURWHVWDWLRQV
SD\VDQQHV YLOODJHRLVHV HW OHV mFKDULYDULV} GX PLOLHX GX XIXe siècle
«WXGL«V SDU &KDUOHV 7LOO\ LOOXVWUHQW OH UHQRXYHDX GH PRGHV GȇDFWLRQ

39
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

anticonventionnels et de la désobéissance civile79. Cette tendance à la


radicalisation des mouvements protestataires a été palpable lors des
DIIURQWHPHQWVYLROHQWVOHPDLHQWUHOHVIRUFHVGHSROLFHHWOHV
mineurs des Asturies et de Castille-et-León luttant contre le projet de
fermeture de plusieurs mines et de réduction des aides au charbon.
Mais il existe aussi beaucoup d’autres exemples illustrant l’essor de ces
QRXYHDX[ U«SHUWRLUHV GȇDFWLRQ DLQVL RQ SHXW FLWHU OHV FULV GȇLQWLPLGD-
tion (« escraches}  VRXV OHV IHQ¬WUHV GȇKRPPHV SROLWLTXHV FRUURPSXV
les affrontements violents avec les forces de police (35 mises en déten-
WLRQEOHVV«VGRQWKRVSLWDOLVDWLRQV ORUVGXPRXYHPHQWm2FFXSH
OH&RQJUªV}GXVHSWHPEUHRXHQFRUHOȇLQYDVLRQGX3DUOHPHQW
DQGDORXHQMXLOOHWSDUOHFROOHFWLI)OR[XQJURXSHGȇDUWLVWHVTXL
GDQVHFKDQWHHWUHSROLWLVHOHȵDPHQFRORUVGHSHUIRUPDQFHVH[«FXW«HV
GDQV GHV EDQTXHV RX GHV OLHX[ SXEOLFV HQ G«QRQ©DQW HQ FKDQVRQV OHV
responsables de la crise80.
&RPPH OȇDQDO\VH IRUW ELHQ OH VRFLRORJXH -«VXV &DVTXHWH OHV UDV-
VHPEOHPHQWV GH PDVVH FRPPH OHV mPDU«HV} OHV PDQLIHVWDWLRQV GHV
indignés et les appels à l’occupation de lieux publics n’ont pas simple-
ment eu pour fonction de résister à des programmes d’austérité ou de
SULYDWLVDWLRQV JRXYHUQHPHQWDX[ RX ORFDX[ PDLV RQW DXVVL IRQFWLRQQ«
comme « des opportunités de cimenter un groupe social »81. En faisant
SDUWDJHU XQH FDXVH FRPPXQH DX[ SDUWLFLSDQWV FHV PRELOLVDWLRQV
ont créé un sentiment d’« effervescence collective » comme le disait
'XUNKHLP FKH] GH QRPEUHX[ FLWR\HQV82. La fréquence des manifesta-
tions des dernières années a « renforcé la solidarité entre les groupes
SURWHVWDWDLUHV} IRUJHDQW GHV ULWXHOV GȇDFWLRQ FROOHFWLYH HW HQJHQGUDQW
mXQ HIIHW VRFLDOLVDWHXU SHUPHWWDQW OȇLGHQWLȴFDWLRQ HW OȇDGK«VLRQ} GX
plus grand nombre à des luttes communes83 'H SOXV OHV DFWLRQV SUR-

šCharles TƯƲƲƾLa France conteste de 1600 à nos jours, Paris, FC[CTFR


šLe mouvement « Occupe le Congrès » fut renommé « Entoure le Congrès » suite aux polé
miques qu’il suscita, certains conservateurs parlant même d’un « mouvement terroriste ». Suite
aux violences policières du 25 septembre, de nouvelles concentrations eurent lieu sur la Plaza
de Neptuno près du Congrès dans les jours qui suivirent. Cet épisode déclencha une réaction
du gouvernement, et inspira d’ailleurs le vote d’une nouvelle loi sur « les libertés publiques »,
qui criminalise les mouvements sociaux spontanés et facilite notamment la détention de
personnes filmant les forces de police. Quant à lui, le collectif Flo6x8 regroupe des activistes
de Séville. Pour avoir une idée de leurs performances, voir les vidéos disponibles sur leur site
KPVGTPGV=JVVRYYYHNQZEQO?
šJésus CƧƸƶƺƫƹƫ, « TJG RQYGT QH FGOQPUVTCVKQPUz Social movement studies, vol. 5, n° 1,
2006, p. 48.
šÉmile DƺƷƱƮƫƯƳ, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, ANECPR
šOlivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ et Danielle TƧƷƹƧƱƵƼƸƱƾ, La manifestation, Paris, Presses de SEKGPEGUPo,
R

40
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

WHVWDWDLUHVGHQRPEUHX[VHFWHXUVGHODVRFL«W«RQWSHUPLV¢WUDYHUVOD
VHQVLELOLVDWLRQ HW OD PRELOLVDWLRQ GH OȇRSLQLRQ SXEOLTXH GH IRUFHU OHV
arènes institutionnelles et d’obliger les acteurs politiques à s’ouvrir à la
GLVFXVVLRQ(QUHYHQGLTXDQWGHUHSU«VHQWHUODmPDMRULW«VLOHQFLHXVH}
OHVmFRQWUH}OHVPDQLIHVWDQWVRQWGRQQ«XQHUHSU«VHQWDWLRQ
V\PEROLTXHDX[mFLWR\HQVGȇHQEDV}DXmSHXSOH}HW¢VHVLQW«U¬WVSU«-
VHQW«VFRPPHPLV¢PDOSDUXQHFRDOLWLRQGȇ«OLWHVSROLWLFRȴQDQFLªUHV84.
On peut donc parler d’une institutionnalisation de l’indignation dans
Oȇ(VSDJQHFRQWHPSRUDLQHGȇXQFRPSRUWHPHQWPLQRULWDLUHSRUW«HVVHQ-
tiellement par les syndicats et les mouvements de chômeurs à partir de
SXLVSDUOHVMHXQHVLQGLJQ«VHQOȇLQGLJQDWLRQVȇHVWSHX¢SHX
GLIIXV«H DX VHLQ GH OD VRFL«W« HVSDJQROH SRXU GHYHQLU PDMRULWDLUH DX
sein des classes moyennes et populaires. Ces mouvements sociaux ont
QRQVHXOHPHQWUHSROLWLV«ODVRFL«W«HVSDJQROHPDLVLOVRQWDXVVLRXYHUW
la voie à l’émergence de nouvelles forces politiques et à une recomposi-
tion des équilibres électoraux dans les années à venir.

COMPRENDRE LA CRISE DÉMOCRATIQUE ESPAGNOLE


'DQVOHFRQWH[WHGHOȇ(VSDJQHGȇDXMRXUGȇKXLOȇREMHFWLIGHFHWRXYUDJH
collectif est donc de mieux comprendre les ressorts de la crise écono-
PLTXHVRFLDOHHWSROLWLTXHGXSD\VHQVȇDSSX\DQWGDQVXQHSHUVSHFWLYH
SOXULGLVFLSOLQDLUHVXUOHVUHJDUGVFURLV«VGȇ«FRQRPLVWHVGHSROLWRORJXHV
d’historiens et d’hispanistes français et espagnols. Il s’agit à la fois d’étu-
dier dans le détail les mécanismes et les effets de la crise sur la société
HWOHVLQVWLWXWLRQVHVSDJQROHVPDLVDXVVLGHG«FHOHUOHVU«VLVWDQFHVHWOHV
mouvements sociaux qui ont émergé au cours des dernières années. Un
DFFHQWSDUWLFXOLHUHVWDLQVLPLVVXUOHXUVRULJLQHVOHXUVVWUXFWXUHVOHXUV
revendications et leurs contributions respectives au changement social
et à l’évolution des discours politiques et des mentalités.
La première partie de l’ouvrage replace d’abord la problématique
dans le contexte de la crise économique et du renouveau parallèle de la
FRQWHVWDWLRQ‚SDUWLUGHOHXUUHJDUGGȇ«FRQRPLVWHV(O¯HV)XULµ%ODVFR
0DWLOGH$ORQVR3«UH]HW&KULVWHO%LUDEHQW&DPDUDVD«WXGLHQWFKLIIUHV¢
OȇDSSXLOHG«ȴGHODPRQW«HGXFK¶PDJHHQVȇLQW«UHVVDQW¢VHVIDFWHXUV
H[SOLFDWLIV FRQMRQFWXUHOV HW VWUXFWXUHOV $QDO\VDQW DYHF SU«FLVLRQ OD

šSur cette question du travail symbolique de représentation politique, cf. Pierre BƵƺƷƪƯƫƺ, « La
représentation politique. Éléments pour une théorie du champ politique », Actes de la recherche
en sciences socialesPoR

41
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

réforme du marché du travail entreprise par le gouvernement conser-


YDWHXUSULQFLSDOHU«SRQVH¢ODFULVHGHVSROLWLTXHVSXEOLTXHVJRXYHUQH-
PHQWDOHV LOV PRQWUHQW DXVVL TXH VHV HIIHWV VRQW EHDXFRXS SOXV OLPLW«V
que les conservateurs veulent bien le reconnaître. Alicia Fernández
*DUF¯D VȇLQW«UHVVH HQVXLWH DX UHQRXYHDX GX PRXYHPHQW U«SXEOLFDLQ
dans le contexte de l’abdication de Juan Carlos IerHQPRQWUDQW¢ODIRLV
le caractère rassembleur de la revendication de l’instauration d’une
m7URLVLªPH 5«SXEOLTXH} PDLV DXVVL OD IDLEOHVVH GX U«SXEOLFDQLVPH
HQ(VSDJQHHWOHOLHQGHVPRELOLVDWLRQVU«FHQWHVDYHFODG«ȴDQFHFURLV-
VDQWH¢Oȇ«JDUGGHV«OLWHVSROLWLTXHV$XPRPHQWP¬PHR»OHV(VSDJQROV
étaient touchés de plein fouet par la montée du chômage et les pro-
JUDPPHVGȇDXVW«ULW«ODFULVHGHO«JLWLPLW«GHODPRQDUFKLHDG«ERXFK«
sur un renouveau des débats sociaux et politiques quant à l’apport
potentiel du républicanisme au changement social. Déplaçant notre
regard des questions économiques aux rapports de genre et aux enjeux
VRFL«WDX[.DULQH%HUJªVRIIUHHQȴQXQHV\QWKªVH«UXGLWHGHOȇ«YROXWLRQ
des revendications et de l’éventail très large des mouvements fémi-
nistes dans l’Espagne d’aujourd’hui.
La seconde partie du livre se focalise sur la radicalisation des reven-
dications identitaires et l’essor de nouveaux mouvements sociaux. Mercè
Pujol Berché s’intéresse à la trajectoire des mouvements indépendan-
tistes catalans depuis la DiadaGHPDLVDXVVLGDQVOHFRQWH[WHKLV-
WRULTXHSOXVODUJHGȇXQHFURLVVDQFHGHVGHPDQGHVGȇDXWRQRPLHHWGȇXQ
retour de la question identitaire depuis le rejet des principales mesures
de reconnaissance de la « nation » et de l’identité catalanes dans la
ligne du statut d’autonomie de 2005. Mathieu Petithomme revient sur
l’actualité du nationalisme basque radical dans le contexte de sortie de
la lutte armée ouvert par le cessez-le-feu unilatéral de l’ETA en 2011.
Il montre que ce secteur de la société basque s’articule autour d’un
PRXYHPHQWVRFLDOWUªVDQFU«HWGLVSRVHGHQRPEUHX[UHODLVHWH[SRVH
OD VWUXFWXUDWLRQ SURJUHVVLYH GȇXQ LQG«SHQGDQWLVPH G«PRFUDWLTXH TXL
s’appuie sur des partis politiques et des collectifs qui s’insèrent de plus
en plus dans le jeu politique institutionnel. Sylvie Koller revient quant à
HOOHVXUOHPRXYHPHQWOHSOXVHPEO«PDWLTXHGHVGHUQLªUHVDQQ«HVFHOXL
GHV LQGLJQ«V HW GX 0 HQ SU«FLVDQW OHV ORJLTXHV GH VD VWUXFWXUDWLRQ
ses principales revendications et son impact plus général sur le débat
d’idées dans la société espagnole.
La dernière partie du livre déplace la focale des enjeux écono-
PLTXHV HW VRFLDX[ YHUV OHV TXHVWLRQV SROLWLTXHV LQVWLWXWLRQQHOOHV HW
démocratiques. Mathieu Petithomme dépeint la structuration de la

42
La crise démocratique espagnole et le renouveau de la contestation sociale

Plateforme des affectés par l’hypothèque (PAH) autour de la lutte contre


OHV H[SXOVLRQV XQ SK«QRPªQH WRXW ¢ IDLW QRXYHDX GDQV OȇKLVWRLUH GH
Oȇ(VSDJQHFRQWHPSRUDLQHHWSOHLQHPHQWOL«¢Oȇ«FODWHPHQWGHODmEXOOH}
immobilière. Benoît Pellistrandi porte un regard d’historien sur la crise
GHO«JLWLPLW«GHODPRQDUFKLHHVSDJQROHHQVHGHPDQGDQWGDQVTXHOOH
mesure l’accession au trône de Philippe VI pourrait permettre à la
PRQDUFKLHGHUHGRUHUVRQEODVRQDXSUªVGHOȇRSLQLRQSXEOLTXH(QȴQ
le dernier chapitre empirique revient sur l’émergence d’une nouvelle
DOWHUQDWLYH SROLWLTXH Podemos XQH IRUPDWLRQ WUªV FULWLTX«H SDU FHU-
WDLQVTXLSU«WHQGRIIULUXQG«ERXFK«SROLWLTXH¢OȇLQGLJQDWLRQFLWR\HQQH
et à la crise des partis traditionnels. La conclusion de l’ouvrage propose
un regard d’ensemble sur la crise économique et politique espagnole :
au-delà de la récession et des drames sociaux et humains des dernières
DQQ«HV Oȇ(VSDJQH QȇHVWHOOH SDV ¢ XQ WRXUQDQW KLVWRULTXH PDUTX« SDU
l’essor de nouvelles pratiques et alternatives politiques et par un renou-
veau de l’engagement citoyen ?

43
PREMIÈRE PARTIE

DE LA CRISE ÉCONOMIQUE
AU RENOUVEAU DE LA
CONTESTATION SOCIALE
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

2
Le défi de la montée du chômage
et la réforme du marché du travail
Elíes FURIÓ BLASCO0DWLOGHALONSO PÉREZ
et Christel BIRABENT CAMARASA

Lorsqu’il est fait référence aux causes du très fort taux


de chômage espagnol, deux motifs sont habituellement
mis en avant : tout d’abord la forte croissance des
salaires, bien supérieure à celle compatible avec le plein-
emploi du facteur travail dans un moment de crise […]
et également la « rigidité » excessive institutionnelle de
notre marché du travail1.

/DFLWDWLRQFLGHVVXVUHȵªWHODGRXEOHU«DOLW«DFWXHOOHGXPDUFK«GX
WUDYDLOHVSDJQROXQHIRUWHFURLVVDQFHGXFK¶PDJHTXLWRXFKHHQYDOHXU
DEVROXHVL[PLOOLRQVGHSHUVRQQHV6DQVFRQWHVWHOHSLUHSUREOªPHVRFLR
«FRQRPLTXH GX SD\V /H GLDJQRVWLF RɚFLHO FRQVLGªUH OHV ULJLGLW«V GX
marché du travail espagnol comme les causes principales du chômage.
Ces rigidités empêcheraient une adéquation de l’emploi à la conjonc-
WXUH «FRQRPLTXH &HSHQGDQW OD FLWDWLRQ PLVH LFL HQ H[HUJXH QȇHVW SDV
tirée d’un ouvrage traitant de la situation actuelle du marché du travail
espagnol et du diagnostic qui en est fait. Il s’agit du premier paragraphe
GHOȇLQWURGXFWLRQGXOLYUHGH/OX¯V)LQDHW/XLV7RKDULD&RUW«VLes causes
du chômage en Espagne. Un point de vue structurelSXEOL«HQ/ȇ«WDW
du marché du travail et le diagnostic sont toujours les mêmes. Nous
apportons ici quelques éléments complémentaires en ce sens.
(QHIIHWGHSXLVODm*UDQGH5«FHVVLRQ}DGHQRXYHDXG«PRQ-
tré le caractère chronique du déséquilibre qui touche le marché du
WUDYDLO HVSDJQRO /H WDX[ GH FK¶PDJH H[WU¬PHPHQW «OHY« HVW «JDOH-
PHQWEHDXFRXSSOXVYRODWLOTXHFHOXLGȇDXWUHVSD\VHXURS«HQV2UQRWUH
regard d’économistes nous mènera à démontrer ci-après que le taux de
chômage élevé en Espagne n’est pas uniquement la conséquence de

šLluís FƯƴƧ et Luis TƵƮƧƷƯƧCƵƷƹʤƸ, Las causas del paro en España. Un punto de vista estructural,
Madrid, Fundación IESA, 1987, p. 5.

47
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

OD FULVH «FRQRPLTXH 6DQV PLQLPLVHU OȇDPSOHXU GH FHWWH GHUQLªUH VD
VS«FLȴFLW«HWVDODUJHLQFLGHQFHVXUOHPDUFK«GHOȇHPSORLLOHVWLPSRU-
WDQWGHUDSSHOHUTXHOHFK¶PDJH«WDLWFHUWHVPRLQGUHPDLVG«M¢FRQV«-
quent même en phase de croissance2  'HSOXVODVLWXDWLRQ
aurait été la même dans les années 1960 si les presque deux millions
d’Espagnols partis de chez eux en quête d’un emploi dans un autre pays
européen avaient été comptabilisés. La croissance de l’emploi dans les
années 1960 a été fort modeste eu égard à la croissance assez soute-
QXH GH Oȇ«FRQRPLH HW Oȇ«PLJUDWLRQ D GLPLQX« GH ID©RQ P«FDQLTXH OHV
chiffres du chômage. La persistance du chômage en Espagne n’est donc
pas conjoncturelle et ses causes non plus.
Le chômage est la préoccupation majeure des Espagnols ; il a un
impact décisif eu égard à l’élaboration d’un projet de vie. Selon un son-
dage du Centre de recherches sociologiques (CIS) de Madrid réalisé en
RFWREUHLOUHSU«VHQWHOHSOXVJUDYHSUREOªPHGHODVRFL«W«HVSD-
JQROHSRXUGHVJHQVDYDQWODFRUUXSWLRQ  3. L’évolution de
OȇHPSORL HW GX FK¶PDJH WRXW FRPPH OHXU U«SDUWLWLRQ RQW Gȇ«QRUPHV
U«SHUFXVVLRQV «FRQRPLTXHV VRFLDOHV HW SROLWLTXHV $LQVL OD G«JUDGD-
tion du marché du travail pousse les électeurs à sanctionner le parti
DXSRXYRLU6XUOHSODQVRFLR«FRQRPLTXHOȇDXJPHQWDWLRQGXFK¶PDJH
avec la crise a mis un frein aux changements qui étaient en train de se
produire dans la sphère familiale. Il y avait une plus grande émancipa-
WLRQGHVMHXQHVOHVOLHQVIDPLOLDX[Vȇ«WDLHQWDIIDLEOLVHWOHQRPEUHGH
divorces et de séparations avait augmenté. Toutes ces transformations
RQW«W«SDUDO\V«HVVXLWH¢ODFULVH«FRQRPLTXH¢ODPRQW«HHQȵªFKH
GXFK¶PDJH¢ODGLPLQXWLRQGXSRXYRLUGȇDFKDWHWOȇDXJPHQWDWLRQGH
la pauvreté. L’augmentation des inégalités en Espagne fait partie des
évolutions soulignées par Thomas Piketty dans ses études4. L’Espagne
HVW UHGHYHQXH XQ SD\V Gȇ«PLJUDWLRQ QHWWH SRXU PRWLIV «FRQRPLTXHV
après de nombreuses années de croissance de l’immigration écono-
mique5.

šPar exemple, lors de la crise de 1993, le chômage atteignait déjà 24,8 %. De 1994 à 2007, il
a ensuite diminué continuellement, mais hormis de 2005 à 2007, il n’a jamais été inférieur à
10 %. Cf.ITCRJKSWGEKFGUUQWU
šSondage réalisé du 1erCWQEVQDTGUWTWPȌEJCPVKNNQPFGšRGTUQPPGUTGRTȌUGPVCVKXGU
FGNCRQRWNCVKQPGURCIPQNGȃVTCXGTUFGUGPVTGVKGPUGPHCEGȃHCEGCWFQOKEKNGFGUGPSWȍVȌU
CIS, Madrid, 2014.
šThomas PƯƱƫƹƹƾLe capital au xxie siècle, Paris, Éditions du Seuil, 2013.
šMatilde AƲƵƴƸƵ, Elíes BƲƧƸƩƵ et Christel BƯƷƧƨƫƴƹ, Panorama de l’Espagne contemporaine,
Ellipses, Paris, 2008, chapitre VIII.

48
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

'DQV FH FKDSLWUH QRXV DQDO\VHURQV «JDOHPHQW OH FRQWHQX GH OD
réforme du marché du travail mise en œuvre en 2012 par le gouverne-
PHQWGH0DULDQR5DMR\GX3DUWLSRSXODLUH6HORQOHWH[WHGHODU«IRUPH
OHVFDXVHVGXFK¶PDJHU«VLGHUDLHQWGDQVOHPDQTXHGHȵH[LELOLW«¢OȇHP-
bauche et au licenciement ainsi que dans le manque de correspondance
HQWUHOHVVDODLUHVOHVFRQGLWLRQVHWODVLWXDWLRQGHOȇHQWUHSULVH,OHVWELHQ
HQWHQGX WURS W¶W SRXU «YDOXHU OȇHɚFDFLW« GH OD U«IRUPH PDLV FHUWDLQV
éléments démontrent ses limites. La réforme cherche à augmenter la
ȵH[LELOLW« LQWHUQH GHV HQWUHSULVHV SRXU SHUPHWWUH XQH PHLOOHXUH DG«-
TXDWLRQ DX[ ȵXFWXDWLRQV «FRQRPLTXHV (OOH SU«VHQWH FHSHQGDQW GHV
carences importantes à la fois en matière de lutte contre la dualité du
PDUFK«GXWUDYDLOGHSROLWLTXHVDFWLYHVGȇHPSORLGȇDP«OLRUDWLRQGHOD
productivité et de garanties sociales.
Nous présenterons d’abord l’ampleur du chômage et certaines de
VHV FDUDFW«ULVWLTXHV SXLV QRXV DQDO\VHURQV VHV FDXVHV HQ SURIRQGHXU
Nous comparerons ensuite la situation espagnole à celle des autres pays
HXURS«HQV SXLV OH FRQWHQX GH OD U«IRUPH GX WUDYDLO VHUD SU«VHQW« HQ
WURLVLªPHVHFWLRQ/HFKDSLWUHVHWHUPLQHUDHQȴQSDUXQHGLVFXVVLRQVXU
les apports et les limites de cette réforme pour combattre le problème
du chômage en Espagne.

LE PROBLÈME DU CHÔMAGE EN
ESPAGNE ET SES EXPLICATIONS

Un enjeu ancien, revenu sur


le devant de la scène depuis 2008
Le grand déséquilibre qui caractérise le marché du travail est l’un
des problèmes les plus graves de l’Espagne. C’est le pays de l’Union euro-
péenne dont le taux de chômage est le plus élevé. Au second trimestre
VHORQOȇ(QTX¬WHGHSRSXODWLRQDFWLYHSXEOL«HSDUOȇLQVWLWXWQDWLRQDO
GHVWDWLVWLTXHV ,1( RQG«QRPEUDLWSHUVRQQHVHQVLWXDWLRQGH
FK¶PDJHFȇHVW¢GLUHGHODSRSXODWLRQDFWLYH,OHVW«YLGHQWTXH
la gravité du chômage est intimement liée à la crise économique natio-
QDOHHWLQWHUQDWLRQDOHDFWXHOOH&HSHQGDQWGHX[«O«PHQWVGRLYHQW¬WUH
SULVHQFRPSWHORUVGHOȇH[DPHQGXFK¶PDJHHQ(VSDJQH7RXWGȇDERUG
OH SUREOªPH GX FK¶PDJH HVW VWUXFWXUHO HW V\VW«PDWLTXH (QVXLWH LO
convient de noter que d’autres pays dans la même situation obtiennent
actuellement de meilleurs résultats dans la lutte contre le chômage.

49
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

5DSSHORQV TXHOTXHV FKLIIUHV HQ OLHQ DYHF OH SUHPLHU PRWLI DȴQ
de mettre en évidence le caractère structurel du déséquilibre du
PDUFK« GX WUDYDLO HVSDJQRO 3HQGDQW OHV DQQ«HV  XQ JUDQG
QRPEUHGȇ(VSDJQROVRQW«PLJU«YHUVGȇDXWUHVSD\VHXURS«HQV )UDQFH
Allemagne et Suisse notamment) à la recherche d’un emploi6. Cette
émigration (plus d’un million et demi de personnes selon certaines
HVWLPDWLRQV  D SHUPLV ¢ Oȇ(VSDJQH ORUV GX mERRP «FRQRPLTXH} GH
OD ȴQ GHV DQQ«HV  HW GX G«EXW GHV DQQ«HV  GH FRQQD°WUH XQH
situation de quasi plein emploi7. Sans cette émigration l’augmentation
des postes de travail grâce à l’industrialisation et à l’essor du tertiaire
QȇH½W SDV VXɚ $MRXWRQV TXH SHQGDQW WRXWHV FHV DQQ«HV OD FURLVVDQFH
G«PRJUDSKLTXH«WDLWLPSRUWDQWHPDLVODmQRXYHOOHSRSXODWLRQ}«WDLW
encore trop jeune et ne faisait donc pas encore pression pour entrer sur
le marché du travail.
Le deuxième élément à prendre en compte pour démontrer le carac-
tère structurel du chômage en Espagne est la situation de ce dernier
pendant la récente période d’expansion économique. Entre le deuxième
WULPHVWUHGHHWOHGHX[LªPHWULPHVWUHGHOȇ(VSDJQHDY«FX
trimestres (15 ans) de croissance économique ininterrompue alors que
OH FK¶PDJH QȇHVW SDV GHVFHQGX VRXV OH VHXLO GH  SUHPLHU WUL-
mestre 1997). Le deuxième trimestre de 1993 correspond au début de la
UHSULVHDSUªVODU«FHVVLRQGHȴQG«EXW/DU«FHVVLRQDFWXHOOH
a débuté en Espagne au troisième trimestre de 2008. Pendant cette
ORQJXH S«ULRGH GH FURLVVDQFH «FRQRPLTXH   OH PHLOOHXU
résultat relatif au marché du travail espagnol a été bien plus mauvais
TXH FHOXL GH FHUWDLQV SD\V HXURS«HQV DX SOXV IRUW GH OD m*UDQGH
5«FHVVLRQ} 3DU H[HPSOH VHORQ OȇRɚFH HXURS«HQ GH VWDWLVWLTXHV
(XURVWDWHQDYULOOHFK¶PDJHHQ$OOHPDJQHRXHQ6ORYDTXLH«WDLW
LQI«ULHXU¢(QFRPSDUDLVRQFRPPHOHPRQWUHOHJUDSKLTXH
GXSUHPLHUWULPHVWUHGHDXSUHPLHUWULPHVWUHGHOHWDX[GH
chômage espagnol a été supérieur à 10 %8. Pendant les douze trimestres

šOn estime qu’environ deux millions d’Espagnols sont partis travailler en Europe. Cf. Carmen
GƵƴƿʜƲƫƿEƴƷʨƶƺƫƿ¿EPLJUDQORVHVSD³ROHV̰", ARI, Real Instituto Elcano, n° 39, 18 septembre
2013.
šRappelons que pendant toute la décennie des années 1960, l’emploi a modestement aug
menté de 0,6 % par an, alors que la croissance réelle moyenne du PIB était supérieure à 7,5 %
et le taux d’accroissement naturel de la population de l’ordre de 1,2 %. Cf. Lluís FƯƴƧ, « El paro en
EURCȓCšUWUECWUCU[NCTGURWGUVCFGNCRQNȐVKECGEQPȕOKECzFCPULluís FƯƴƧ et Luis TƵƮƧƷƯƧ
CƵƷƹʤƸ, op. cit., Madrid, Fundación IESA, 1987, p. 23.
šPour une réflexion sur les causes générales du chômage en période de croissance voir Alice
MƵƺƭƲƯƴ, « CQOOGPVGZRNKSWGTNCRGTUKUVCPEGFWEJȖOCIGGPRȌTKQFGFGTGNCPEGš!zRegards
croisés sur l’économiePoR

50
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

FRQV«FXWLIV SRVW«ULHXUV ¢ FHWWH GHUQLªUH GDWH LO D «W« LQI«ULHXU ¢ 


DYHFXQPLQLPXPGH‚SDUWLUGXGHX[LªPHWULPHVWUHGHLO
DGHQRXYHDXG«SDVV«OHVHXLOGHSRXUVȇHQYROHUMXVTXȇ¢DX
premier trimestre de 2013 et diminuer légèrement début 2014. Si l’on
considère que le taux de chômage frictionnel9PRWLY«SDUODURWDWLRQHW
ODUHFKHUFKHGȇHPSORLHVWGȇHQYLURQRQSHXWHQȴQQRWHUTXHGHSXLV
OHSUHPLHUWULPHVWUHGHOHPDUFK«GXWUDYDLOHVSDJQROHVWWRXMRXUV
au-dessus de ce taux. Il s’agit donc d’un chômage structurel aux causes
multiples.

Graphique 2.1. L’évolution du chômage en Espagne, 1976-2013 (%)


30

25

20

15

10

0
1976 TIII
1977 TII
1978 TI
1978 TIV
1979 TIII
1980 TII
1981 TI
1981 TIV
1982 TIII
1983 TII
1984 TI
1984 TIV
1985 TIII
1986 TII
1987 TI
1987 TIV
1988 TIII
1989 TII
1990 TI
1990 TIV
1991 TIII
1992 TII
1993 TI
1993 TIV
1994 TIII
1995 TII
1996 TI
1996 TIV
1997 TIII
1998 TII
1999 TI
1999 TIV
2000 TIII
2001 TII
2002 TI
2002 TIV
2003 TIII
2004 TII
2005 TI
2005 TIV
2006 TIII
2007 TII
2008 TI
2008 TIV
2009 TIII
2010 TII
2011 TI
2011 TIV
2012 TIII
2013 TII
Élaboration personnelle des auteurs à partir de l’enquête de population active,
+0'/CFTKF=YYYKPGGU?

Le tableau 2.2 ci-dessous montre le lien étroit qui existe entre l’âge
et le chômage en Espagne. Le taux de chômage des personnes âgées
de 16 à 34 ans dépasse largement la moyenne nationale. La situation
est tout particulièrement préoccupante pour la population de 16 à 19
DQVTXLYRLWSOXVGHVGHX[WLHUVGHVDWUDQFKHGȇ¤JHDXFK¶PDJH&KH]
OHVMHXQHVGH¢DQVXQHSHUVRQQHVXUGHX[HVW«JDOHPHQWDXFK¶-
PDJH 2Q QRWHUD TXH SDUPL OD MHXQHVVH HVSDJQROH OD VLWXDWLRQ HVW XQ
peu plus favorable aux femmes qu’aux hommes. Le niveau moyen de
IRUPDWLRQGHVMHXQHVIHPPHVHVWVXS«ULHXU¢FHOXLGHVMHXQHVKRPPHV

šLe chômage frictionnel indique un chômage provoqué par le délai nécessaire à une personne
pour trouver un autre emploi. Sont également causes de ce chômage les imperfections du
OCTEJȌ FW VTCXCKN CDUGPEG FG VTCPURCTGPEG OCWXCKUG FKHHWUKQP FG NŨKPHQTOCVKQPGVE  Il est
souvent présenté comme inévitable et peu compressible.

51
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

ce qui explique en partie cette situation plus positive des femmes. En


UHYDQFKH DX IXU HW ¢ PHVXUH GH OȇDYDQFHPHQW GDQV OHV JURXSHV Gȇ¤JH
le taux de chômage général diminue et la situation des hommes devient
PHLOOHXUH TXH FHOOH GHV IHPPHV &HSHQGDQW QRXV YHUURQV SDU OD VXLWH
TXHGDQVODS«ULRGHGHFULVHDFWXHOOHFRQWUDLUHPHQWDX[FULVHVSDVV«HV
la situation des femmes s’est proportionnellement moins dégradée que
celle des hommes.

Tableau 2.2. Taux de chômage en Espagne par âge et par genre, 2006 et 2012 (%)

Général Hommes Femmes


2006 2012 2006 2012 2006 2012
16 à 19 ans 29,0 72,6 23,7 72,0 36,5 73,5
20 à 24 ans 14,8 49,1 12,3 50,5 17,8 47,6
25 à 29 ans 10,2 32,2 8,0 33,9 12,9 30,3
30 à 34 ans 8,0 25,3 5,8 25,9 10,9 24,6
35 à 39 ans 7,1 22,0 4,9 21,0 10,2 23,3
40 à 44 ans 6,9 22,0 4,6 20,6 9,9 23,6
45 à 49 ans 5,8 21,2 4,0 20,2 8,3 22,2
50 à 54 ans 6,1 19,8 4,0 19,5 9,5 20,0
55 à 59 ans 6,1 18,8 5,0 18,7 8,3 19,0
60 à 64 ans 4,9 16,0 4,5 16,3 5,5 15,5
65 à 69 ans 2,0 4,8 2,0 5,3 2,0 4,3
70 ans et plus 0,7 1,2 0,2 0,2 1,8 2,6
Total 8,5 25,0 6,3 24,7 11,5 25,4

Élaboration personnelle des auteurs à partir de l’enquête de population active, INE,


/CFTKF=JVVRYYYKPGGU?2QWTWPGOGKNNGWTGNKUKDKNKVȌFWVCDNGCWNGUEJKHHTGU
ont été arrondis à la décimale..

'HSOXVLOH[LVWHXQOLHQWUªVFODLUHQWUHOHQLYHDXGHIRUPDWLRQHWOH
taux de chômage. Le chômage est plus élevé parmi les catégories dont
OHQLYHDXGHIRUPDWLRQHVWOHSOXVEDVHWLOGLPLQXHSRXUOHVSHUVRQQHV
GRQWOHQLYHDXGHIRUPDWLRQHVWSOXV«OHY«(QOHWDX[GHFK¶PDJH
des personnes ayant achevé le cycle d’enseignement primaire — on
parle ici des personnes qui n’ont pas réussi à terminer leur éducation
VHFRQGDLUHREOLJDWRLUH DQVHQ(VSDJQHDQVHQ)UDQFH ȃ«WDLW
GH  HQ PR\HQQH DQQXHOOH (Q UHYDQFKH FHWWH P¬PH DQQ«H
pour la catégorie de personnes disposant d’une formation supérieure
VDQVGRFWRUDW OHWDX[GHFK¶PDJH«WDLWGHELHQLQI«ULHXU¢OD

52
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

PR\HQQHQDWLRQDOH3RXUOHVSHUVRQQHVWLWXODLUHVGȇXQGRFWRUDWOHWDX[
de chômage était même inférieur à 5 %10.
6LJQDORQV FHSHQGDQW TXȇHQ (VSDJQH GHX[ SUREOªPHV RSSRV«V
FRH[LVWHQWOȇ«FKHFVFRODLUHHWODVXUTXDOLȴFDWLRQ/HSUHPLHUHVWSULQ-
FLSDOHPHQW G½ ¢ OȇDEDQGRQ SU«PDWXU« GX V\VWªPH «GXFDWLI SDU GHV
jeunes attirés par la forte demande de main-d’œuvre et les niveaux de
salaires élevés du secteur du bâtiment pendant la phase d’expansion.
/H SUREOªPH GH OD VXUTXDOLȴFDWLRQ WLHQW TXDQW ¢ OXL ¢ GHX[ UDLVRQV
OȇRIIUHHWODGHPDQGHGHWUDYDLO(QPDWLªUHGȇRIIUHLOVȇDJLWGHOȇDUULY«H
VXU OH PDUFK« GX WUDYDLO GH MHXQHV GLSO¶P«V GDQV GHV GRPDLQHV R»
l’emploi n’est pas systématiquement au rendez-vous. C’est le cas de
nombreux diplômés universitaires en sciences sociales et humaines
DLQVLTXHGHFHUWDLQHVIRUPDWLRQVGȇLQJ«QLHXUV/DGHPDQGHHVWTXDQW
¢HOOHOL«H¢ODVWUXFWXUHSURGXFWLYHTXLQȇXWLOLVHSDVFHUWDLQHVDFWLYLW«V
WHFKQRORJLTXHPHQW DYDQF«HV FH TXL QH SHUPHW SDV ¢ FHUWDLQV MHXQHV
GLSO¶P«VGHWURXYHUXQHPSORLHQ(VSDJQH,OFRQYLHQWȴQDOHPHQWGH
SU«FLVHUTXHSHQGDQWODS«ULRGHGȇH[SDQVLRQOHSD\VDFRQQXXQHIRUWH
FURLVVDQFH «FRQRPLTXH PDLV GRXEO«H GȇXQH GHVWUXFWLRQ GȇHPSORLV
dans certains secteurs particuliers. La sous-partie suivante revient sur
ces questions.

Offre et demande de travail


7RXW GȇDERUG OH VFK«PD  FLDSUªV PRQWUH OHV YDULDEOHV G«WHUPL-
nantes de la croissance démographique. Pendant la période de crois-
VDQFH TXL D SU«F«G« OD m*UDQGH 5«FHVVLRQ} OD SRSXODWLRQ HVSDJQROH
est passée d’une situation de quasi-stagnation à une forte croissance
G«PRJUDSKLTXH GXH ¢ XQ VROGH PLJUDWRLUH WUªV IDYRUDEOH (Q 
OH WDX[ GȇDFFURLVVHPHQW QDWXUHO ¢ VDYRLU OD GLII«UHQFH HQWUH OHV QDLV-
VDQFHV HW OHV G«FªV «WDLW GH  SRXU  KDELWDQWV &ȇHVW ¢ SDUWLU
GH FH PRPHQWO¢ TXH VȇDPRU©D XQH GLPLQXWLRQ GUDVWLTXH GH FH WDX[
TXLFKXWHUD¢ȑHQ&HWWHWUªVIRUWHGLPLQXWLRQHVWODSUHXYH
d’une stagnation de l’accroissement due à la forte chute de la fécondité
HWGHODQDWDOLW«(QOȇ¤JHPR\HQGHODPDWHUQLW«GHVIHPPHV«WDLW
GHDQVDORUVTXȇHQLO«WDLWSDVV«¢DQV/ȇDXJPHQWDWLRQ
de l’âge des femmes lors de la naissance de leur premier enfant réduit
OHV SRVVLELOLW«V GH QDLVVDQFH GȇXQ GHX[LªPH HW GȇXQ WURLVLªPH HQIDQW
et va en conséquence de pair avec une diminution de la fécondité et
GH OD WDLOOH GH OD FHOOXOH IDPLOLDOH (Q  OH WDX[ GH I«FRQGLW« GȇXQH

šDonnées tirées de l’enquête de population active, INE, Madrid, 2012.

53
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Schéma 2.3. Les facteurs de la croissance démographique

Croissance
démographique

Accroissement Solde
naturel migratoire

Naissances Décès Immigration Émigration


(+) (–) (+) (–)

Rappatriement Émigration des Rappatriement


Fécondité Étrangers de ressortissants ressortissants de l’immigration
(+) (+) nationaux nationaux préalable
(+) (–) (–)

Élaboration personnelle des auteurs.

(VSDJQROH GH  DQV «WDLW GH ȑ11 (Q  OD I«FRQGLW« GȇXQH
IHPPHHVSDJQROHGHDQV«WDLWGHȑ
Cette tendance à la diminution des naissances s’est accompagnée
GȇXQHGLPLQXWLRQVLJQLȴFDWLYHGHODPRUWDOLW«'HIDLWSHQGDQWGHQRP-
EUHXVHV DQQ«HV OH PDLQWLHQ GH OȇDFFURLVVHPHQW QDWXUHO D «W« G½ ¢ OD
diminution des décès plus qu’à l’augmentation des naissances. Une telle
tendance démographique ne favorise donc pas l’arrivée sur le marché
GH OȇHPSORL GȇXQH SOXV LPSRUWDQWH mIRUFH GH WUDYDLO} PDLV HQJHQGUH
SOXW¶W XQH DXJPHQWDWLRQ GHV SRSXODWLRQV G«SHQGDQWHV QRWDPPHQW
FHOOHGHVSOXVGHDQVFRPPHOȇLOOXVWUHOHVFK«PDFLDSUªV
La situation de croissance naturelle presque nulle et de stagnation
de la force de travail a été compensée par une forte augmentation

šLGVCWZFGHȌEQPFKVȌGUVNGPQODTGFŨGPHCPVUPȌUXKXCPVURQWTšHGOOGUFGȃCPU
EPHCPVUPȌUXKXCPVUFGOOGUFGȃCPU ZšIl est également calculé par groupes
d’âge.

54
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

Schéma 2.4. Population et offre de travail

Population

Immigration
Force Population
de travail
(+) dépendante

Population
Étrangers Population Moins Plus
active
(+) inactive de 16 ans de 55 ans

Population
Chômeurs
active occupée

5QWTEGšȌNCDQTCVKQPRGTUQPPGNNG

GX VROGH PLJUDWRLUH 3HQGDQW OD S«ULRGH GH FURLVVDQFH «FRQRPLTXH


l’Espagne est devenue pour la première fois un pays récepteur d’immi-
JUDWLRQ(QFHWWHSRSXODWLRQUHSU«VHQWDLWGHODSRSXODWLRQ
totale. Un pourcentage relativement bas par rapport aux 9 % de
Oȇ$OOHPDJQH RX DX[  GH OD )UDQFH HQ  ‚ FHWWH «SRTXH XQH
proportion importante des immigrants était des Européens retraités
qui s’étaient installés de manière permanente sur le littoral ou dans
OHV°OHVHVSDJQROHV(QUHYDQFKHOHG«EXWGX XXIe siècle a vu une arri-
vée massive d’immigrants en Espagne pour des raisons économiques.
Ils représentent désormais plus de 11 % de la population espagnole.
L’importance quantitative de ces immigrants est bien supérieure à
celle d’autres pays européens ayant une grande tradition d’accueil
SRXU PRWLIV «FRQRPLTXHV FRPPH SHXYHQW Oȇ¬WUH Oȇ$OOHPDJQH OD
France ou le Royaume Uni (tableau 2.5).

55
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Tableau 2.5. Immigration en Europe


(% de population immigrée par rapport à la population totale) -

Allemagne Irlande Espagne France Italie Royaume Uni

1998 9,0 3,0 1,5 - 1,7 3,6


1999 8,9 3,0 1,6 5,6 2,0 3,9
2 000 8,9 3,2 2,0 - 2,2 -
2001 8,8 3,9 2,9 - - 4,5
2002 8,9 7,1 3,8 - - -
2003 8,9 6,1 5,3 5,6 2,7 4,7
2004 8,9 5,3 6,5 - 3,4 5,0
2005 8,8 6,0 7,8 5,8 4,1 5,2
2006 8,8 10,9 9,1 5,6 4,5 5,7
2007 8,8 10,5 10,4 5,8 5,0 6,0
2008 8,8 12,6 11,6 5,8 5,8 6,6
2009 8,8 9,9 11,6 5,9 6,5 6,8
2010 8,7 8,6 11,6 5,8 7,0 7,0
2011 8,8 8,1 11,4 5,9 7,5 7,2
2012 9,1 10,6 11,2 5,9 7,9 7,6

5QWTEGšȌNCDQTCVKQPRGTUQPPGNNGȃRCTVKTFG
=JVVRCRRUUQGWTQUVCVGEGWTQRCGWPWKUGVWR&QYPNQCFUFQ? 

,O VȇDJLVVDLW QRXV OȇDYRQV GLW GȇXQH LPPLJUDWLRQ «FRQRPLTXH TXL


DOODLW IDYRULVHU QRQ VHXOHPHQW XQH FURLVVDQFH G«PRJUDSKLTXH PDLV
également une forte augmentation de la population active et de la
SRSXODWLRQ DFWLYH RFFXS«H VFK«PD   &ȇ«WDLW XQH SRSXODWLRQ MHXQH
HQ¤JHGHWUDYDLOOHUTXLDDXJPHQW«ODIRUFHGHWUDYDLOHVSDJQROHHWTXL
UHFKHUFKDLWDFWLYHPHQWXQHPSORLSHUPHWWDQWSDUO¢P¬PH¢ODSRSX-
ODWLRQDFWLYHGHFUR°WUH7RXWFRPPHOȇLQGLTXHOHWDEOHDXHQHQ
(VSDJQHRQG«QRPEUDLWPLOOLRQVGHSHUVRQQHVHQ¤JHGHWUDYDLOOHU
HW PLOOLRQV HQ  (Q SURSRUWLRQ GH OD SRSXODWLRQ WRWDOH OȇDXJ-
PHQWDWLRQ D «W« GȇXQ SHX SOXV GH GHX[ SRXU FHQW PDLV OD SRSXODWLRQ
active de 2007 comptait sept millions de personnes de plus (plus d’un
tiers) qu’en 1991. Ceci suppose une forte hausse de l’offre potentielle de
travail sur le marché du travail espagnol. « Potentielle » car seule une
partie de cette offre cherche activement un emploi.
/D UHFKHUFKH GȇHPSORL D FU½ SHQGDQW FHWWH S«ULRGH WRXW FRPPH OH
G«PRQWUHOHWDX[GȇHPSORLTXLHVWSDVV«GȇXQSHXSOXVGHHQ
à 59 % en 2007. C’est cette augmentation sensible de la population active

56
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

qui nous permet d’expliquer l’ampleur de la croissance économique et


la non-diminution du niveau de chômage. Notons que le taux d’emploi
D«W«SDUWLFXOLªUHPHQW«OHY«SRXUOHVIHPPHVWRXWFRPPHSRXUODSRSX-
lation immigrante. Le tableau 2.6 nous permet d’observer que la crise
QȇDSDVHQWUD°Q«XQHGLPLQXWLRQLPSRUWDQWHGXWDX[GȇHPSORLFRQWUDL-
UHPHQWDX[FULVHVSU«F«GHQWHV(QSUDWLTXHOȇHQVHPEOHGHOȇDXJPHQWD-
tion de la force de travail est passé à la population active occupée. En
RQG«QRPEUDLWPLOOLRQVGȇDFWLIVRFFXS«VHQ(VSDJQHHQ
LOV«WDLHQWSOXVGHPLOOLRQVXQHKDXVVHGHSOXVGH(QGȇDXWUHV
WHUPHV DORUV TXH OD IRUFH GH WUDYDLO D DXJPHQW« GȇXQ WLHUV OȇHPSORL D
DXJPHQW«GHPRLQVGHGHX[WLHUV/DGLII«UHQFHHQWUHOHVGHX[DVLJQLȴ«
une diminution du chômage de 700 000 personnes. Pendant la période
DOODQWGH¢KXLWPLOOLRQVGȇHPSORLVRQW«W«FU««VHQ(VSDJQH
0DLV SHQGDQW OHV FLQT DQQ«HV VXLYDQWHV HQWUH HW SOXV GH
trois millions d’emplois ont été détruits.

Tableau 2.6. Force de travail, activité, population active occupée et chômage en


Espagne

1991 1999 2007 2012

106 23,4 26,8 30,4 30,40


Force de travail
% (population) 65,2 67,1 67,8 66,40
Total 50,8 52,5 58,9 59,98
Femmes 34,7 48,9 53,39
Taux d’activité
Hommes 68,0 69,3 66,93
Immigrants 76,0 75,10

1991 1994 2007 2012

Population active occupée (106) 13,0 20,3 17,282


Chômeurs (106) 2,5 3,8 1,8 5,769
Taux de chômage (%) 16,3 24,1 8,3 25,030

5QWTEGšȌNCDQTCVKQPRTQRTGFGUCWVGWTUȃRCTVKTFGNŨ+0'=YYYKPGGU?

Cette augmentation importante de la force de travail et de l’emploi


pendant la période de croissance économique est allée de pair avec la
transformation de la structure productive et active de l’économie espa-
gnole. Le graphique 2.7 ci-dessous reprend la transformation de la struc-
ture de l’emploi en Espagne pendant la dernière étape de croissance et
OD*UDQGH5«FHVVLRQ7URLVV«ULHVGHGRQQ«HVVRQWUHSU«VHQW«HVGH
¢GDQVOȇLQGXVWULHPDQXIDFWXULªUHOHVHFWHXUGXE¤WLPHQWHWGDQV

57
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

l’ensemble des secteurs économiques. La destruction des emplois qui a


accompagné l’entrée dans la crise est clairement visible. Pour l’ensemble
GHOȇ«FRQRPLHODGHVWUXFWLRQGHOȇHPSORLG«EXWHDXWURLVLªPHWULPHVWUH
'DQVOHVHFWHXUGXE¤WLPHQWFHOXLTXLDJ«Q«U«OHSOXVGȇHPSORLV
HWa posterioriOHSOXVGHFK¶PDJHODGHVWUXFWLRQFRPPHQFHDXSUHPLHU
WULPHVWUH  /H JUDSKLTXH  SHUPHW «JDOHPHQW GȇREVHUYHU TXH \
compris pendant les années de forte croissance économique et de créa-
WLRQGȇHPSORLVGDQVOȇHQVHPEOHGHOȇ«FRQRPLHHVSDJQROHHWOHVHFWHXUGX
E¤WLPHQWHQSDUWLFXOLHUOHVHFWHXULQGXVWULHOSHUGDLWGHVHPSORLV'HIDLW
pendant la période de 28 trimestres qui vont du premier trimestre 2001
au premier trimestre 2008 (au cours duquel le secteur de la construction
FRPPHQFH ¢ SHUGUH GHV HPSORLV  OȇDFWLYLW« LQGXVWULHOOH QȇD FRQQX TXH
FLQTWULPHVWUHVGHFU«DWLRQGȇHPSORLGHX[DYHFXQHYDULDWLRQQXOOHHW
trimestres de pertes. La différence entre la valeur maximale et la valeur
minimale de l’emploi industriel est de 281 700 emplois perdus. Si on leur
DMRXWH OHV  HPSORLV SHUGXV SDU OH VHFWHXU GH OȇDJULFXOWXUH QRXV
SDUYHQRQV ¢  HPSORLV TXL VȇLOV DYDLHQW «W« FRQVHUY«V DXUDLHQW
SHUPLVGHVLWXHUOHWDX[GHFK¶PDJHDX[DOHQWRXUVGH$LQVLVDQVOD
GHVWUXFWLRQGHOȇHPSORLLQGXVWULHOHWDJULFROHOHFK¶PDJHHVSDJQRODXUDLW
eu un caractère conjoncturel et non pas structurel.

Graphique 2.7. L’emploi en Espagne

15

10

-5

-10

-15
Construction
-20 Industrie manufacturière
Total

-25

-30
2001 TI

2001 TIII

2002 TI

2002 TIII

2003 TI

2003 TIII

2004 TI

2004 TIII

2005 TI

2005 TIII

2006 TI

2006 TIII

2007 TI

2007 TIII

2008 TI

2008 TIII

2009 TI

2009 TIII

2010 TI

2010 TIII

2011 TI

2011 TIII

2012 TI

2012 TIII

2013 TI
2013 TII

5QWTEGšȌNCDQTCVKQPȃRCTVKTFGNŨ+0'=YYYKPGGU?

58
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

&HSHQGDQW OH PDUFK« GX WUDYDLO HVSDJQRO HVW FDUDFW«ULV« SDU XQH
SURSRUWLRQ VLJQLȴFDWLYH GH FK¶PDJH VWUXFWXUHO /H FK¶PDJH HVW «OHY«
tant dans les périodes de crise grave (la phase actuelle) que dans celles
d’expansion intense et continue (phase précédente). La période de crois-
sance récente a été fondée sur l’expansion du secteur du bâtiment et le
PDUFK«GRPHVWLTXH&HGHUQLHUQRXVOȇDYRQVYXGDQVOHVDQQ«HV
HW HVW WURS U«GXLW SRXU IRXUQLU VXɚVDPPHQW GH FURLVVDQFH GH
OȇHPSORLDXE«Q«ȴFHGHWRXWHODSRSXODWLRQHVSDJQROH6ȇLOHVWYUDLTXH
Oȇ«FRQRPLH HW OHV HQWUHSULVHV VH VRQW LQWHUQDWLRQDOLV«HV QRWDPPHQW ¢
SDUWLUGHVDQQ«HVFHSK«QRPªQHQȇDSDVSHUPLVSRXUGLII«UHQWHV
UDLVRQVGHFU«HUGHVHPSORLV(QUHYDQFKHGȇDXWUHVSD\VSOXVSHWLWVTXH
l’Espagne ont su combiner le marché national et l’extérieur pour déve-
ORSSHUXQHVWUXFWXUHGHSURGXFWLRQVXɚVDQW¢U«SRQGUHDX[EHVRLQVGH
l’emploi national. Le marché du travail espagnol est atypique parmi les
pays européens. Notons cependant que le marché du travail est forte-
ment hétérogène en Europe et que les différents pays partagent peu de
points communs. Avant d’étudier la réforme proposée par le gouverne-
PHQW GH 0DULDQR 5DMR\ HQ  SHQFKRQVQRXV GȇDERUG VXU OHV WUDLWV
TXLG«ȴQLVVHQWOȇK«W«URJ«Q«LW«GXPDUFK«GXWUDYDLOHXURS«HQ

L’HÉTÉROGÉNÉITÉ DU MARCHÉ DU
TRAVAIL EUROPÉEN FACE À LA CRISE

Les points communs de l’Espagne


avec le chômage en Europe
$X SODQ HXURS«HQ PDOJU« FHUWDLQV SRLQWV FRPPXQV OH PDUFK« GX
travail a réagi à la crise économique de façon très hétérogène selon les
pays. Les points communs sont dus aux traits démographiques du chô-
mage. Le chômage est plus élevé chez les travailleurs au faible niveau
GHTXDOLȴFDWLRQFKH]OHVMHXQHVHWOHVSHUVRQQHVG«SHQGDQWGȇXQFRQWUDW
GH WUDYDLO WHPSRUDLUH /ȇLQȵXHQFH GHV FRQWUDWV ¢ GXU«H G«WHUPLQ«H VXU
l’augmentation du chômage est un mécanisme d’adaptation au cycle et à
ODVDLVRQQDOLW«GHVHPSORLV(QFRQV«TXHQFHFȇHVWODSUHPLªUHFDW«JRULH
touchée par le chômage lors d’un changement de phase de comporte-
PHQW GH Oȇ«FRQRPLH &HSHQGDQW OH GHJU« GH SU«FDULW« GX PDUFK« GX
WUDYDLOG½¢OȇDPSOHXUGHFHW\SHGHFRQWUDWQȇHVWSDVOHP¬PHGDQVWRXWH
Oȇ(XURSH6RQLPSDFWTXDQWLWDWLIHVWGRQFGLII«UHQWVHORQOHVSD\VP¬PH
s’il convient de reconnaître qu’il s’agit d’un secteur très vulnérable.

59
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

La situation des jeunes est très similaire. Malgré l’existence de


JUDQGHVGLII«UHQFHVQDWLRQDOHVOHWDX[GHFK¶PDJHGDQVFHWWHFDW«JRULH
HVWVXS«ULHXU¢ODPR\HQQHQDWLRQDOHGHFKDTXHSD\V(QOHVSD\V
européens pour lesquels le chômage des jeunes était fort différent de la
PR\HQQHJ«Q«UDOH«WDLHQWOD*UªFHOȇ(VSDJQHOD&URDWLHHWOȇ,WDOLH'DQV
WRXVFHVSD\VODGLII«UHQFH«WDLWVXS«ULHXUH¢YLQJWSRLQWV$ORUVTXȇHQ
$OOHPDJQH OD GLII«UHQFH «WDLW GH  SRLQWV HW DX[ 3D\V%DV GH  /D
GLII«UHQFHPR\HQQHHXURS«HQQH 8( «WDLWGHSRLQWVSRXU
la France. Le taux de chômage des jeunes des quatre premiers pays était
VXS«ULHXU¢SRXUOȇ(VSDJQHHWOD*UªFHLOG«SDVVDLWHQ&URDWLH
HW DYRLVLQDLW OHV  HQ ,WDOLH ‚ OȇRSSRV« OH FK¶PDJH GHV MHXQHV HQ
$OOHPDJQH«WDLWGHHWGHDX[3D\V%DV(Q)UDQFHLOUHSU«-
VHQWDLW  HW OD PR\HQQH HXURS«HQQH 8(   &HSHQGDQW VL
l’on considère le ratio de chômage des jeunes plutôt que le taux de chô-
PDJHGHVMHXQHVOHVU«VXOWDWVVRQWGHPHLOOHXUHTXDOLW«PDLVXQHIRUWH
disparité persiste entre les pays12.
3RXUOHVFK¶PHXUVGHORQJXHGXU«H FK¶PDJHVXS«ULHXU¢PRLV 
la tendance européenne a été celle d’une augmentation tout au long de
ODFULVH«FRQRPLTXH\FRPSULVDYDQWFHOOHFL(QJ«Q«UDOWRXWFRPPH
OȇLOOXVWUH OH JUDSKLTXH  LO H[LVWH XQ OLHQ GLUHFW HQWUH OH G«V«TXLOLEUH
général du marché du travail et le taux de chômage de longue durée. La
Slovénie est le pays européen dans lequel le taux de chômage de longue
GXU«HHVWOHSOXVLPSRUWDQWVXLYLGHOȇ(VSDJQHOD*UªFHOD/HWWRQLHHW
Oȇ,UODQGH/HWDX[HVSDJQROGHFK¶PDJHGHORQJXHGXU«HHVWGHDORUV
TXHODPR\HQQHGHOȇ8(HVWGHHWOHWDX[IUDQ©DLVGH
(Q(VSDJQHVHORQOHVGRQQ«HVGHOȇ(QTX¬WHVXUODSRSXODWLRQDFWLYH
(3$  GH Oȇ,1( SRXU OȇDQQ«H  OH FK¶PDJH GH ORQJXH GXU«H UHSU«-
VHQWHHQYLURQODPRLWL«GXFK¶PDJHWRWDODORUVTXHOHVSHUVRQQHVTXL
FKHUFKHQWOHXUSUHPLHUHPSORLUHSU«VHQWHQWGHVFK¶PHXUV$LQVL
l’essentiel du problème du chômage espagnol est le chômage de longue
GXU«H HQYLURQHQVHORQOȇ(3$ (QYLURQXQWLHUVGHVKRPPHV
FK¶PHXUV GH ORQJXH GXU«H RQW PRLQV GH  DQV SRXU XQ TXDUW GHV
femmes (graphique 2.9). Le problème du chômage de longue durée en
Espagne ne peut être résolu avec des solutions telles que la retraite anti-
FLS«HFDULOVȇDJLWGHSHUVRQQHVTXLRQWHQFRUHXQHYLHSURIHVVLRQQHOOH

šLGTCVKQFGEJȖOCIGFGULGWPGUGUVECNEWNȌUWTNCRQRWNCVKQPFŨWPITQWRGFŨȅIG ȃ
ans) indépendamment de leur situation, alors que le taux de chômage des jeunes est calculé
sur la population active dudit groupe d’âge. Par exemple, les étudiants sont comptabilisés dans
le ratio du chômage des jeunes et ils ne le sont pas dans le taux de chômage des jeunes. C’est
la raison pour laquelle le taux de chômage est supérieur au ratio.

60
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

GHSOXVGHDQVGHYDQWHOOHVGHVKRPPHVFK¶PHXUVGHORQJXH
GXU«HRQWPRLQVGHDQVVȇDJLVVDQWGHVIHPPHV

Graphique 2.8. Chômage de courte et de longue durée en Europe (%), 2011


25
Chômeurs de moins de 12 mois
Taux de chômage de longue durée
20

15

10

0
UE-27
Zone euro
Espagne
Grèce
Lettonie
Lithuanie
Irlande
Slovaquie
Portugal
Estonie
Bulgarie
Hongrie
Pologne
France
Italie
Slovénie
Royaume-Uni
Chypre
Finlande
Danemark
Suède
Roumanie
Belgique

Malte
Allemagne
République Tchèque

Luxembourg
Pays-Bas
Autriche
Croatie
États-Unis
Turquie
Islande
Japon
Norvège
5QWTEGšȌNCDQTCVKQPȃRCTVKTFŨ'WTQUVCV=JVVRGRRGWTQUVCVGEGWTQRCGW? QEVQDTG 

Graphique 2.9. Le chômage de longue durée en Espagne, par âge et par genre (%),
2010

45
Hommes Femmes
40

35
30

25

20
15

10
5

0
Moins de 30 ans 30-45 ans Plus de 45 ans

5QWTEGš5CTC&G.C4KECk.QUFGUGORNGCFQUFGNCTICFWTCEKȕPGP'URCȓCVTCUNCETKUKUz
=JVVRYYYHGFGCDNQIUPGVGEQPQOKC!R?

61
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

6L OH FULWªUH GȇDQDO\VH HVW OH QLYHDX GH IRUPDWLRQ OH FK¶PDJH GH
longue durée touche des personnes occupant des postes de travail
QRQ PDQXHOV TXDOLȴ«V SURIHVVLRQQHOV WHFKQLFLHQV DGPLQLVWUDWLIV GHV
JURXSHV$* GHOȇHQVHPEOHGHFHVFK¶PHXUVVHORQOHVGRQQ«HVGH
Sara de la Ric). L’autre catégorie importante est composée de chômeurs
TXL RFFXSDLHQW GHV SRVWHV GH WUDYDLO PDQXHOV QRQ TXDOLȴ«V   (Q
PR\HQQH  GX FK¶PDJH GH Oȇ8( FRUUHVSRQG ¢ XQ FK¶PDJH GH
longue durée. Ce pourcentage prouve l’existence de causes structu-
UHOOHVWHOOHVTXHOHVFDUHQFHVGHIRUPDWLRQHWGHFRPS«WHQFHVODQRQ
correspondance entre la formation initiale et l’évolution des besoins
GHVP«WLHUVDLQVLTXHOHPDQTXHGHIRUPDWLRQFRQWLQXHHWGȇDGDSWDWLRQ
du capital humain aux besoins de l’économie. Le chômage de longue
GXU«HDXQ«QRUPHFR½WVRFLDOHW«FRQRPLTXHSRXUXQSD\V&HSHQGDQW
GDQVGHQRPEUHX[SD\VWHOVTXHOȇ(VSDJQHOȇDFWLRQJRXYHUQHPHQWDOHVH
FRQFHQWUHVXUOHVFRQGLWLRQVGȇHPEDXFKHHWGHOLFHQFLHPHQWDLQVLTXH
sur la diminution des prestations chômage en tant qu’instruments de
promotion de la réinsertion professionnelle de cette catégorie ainsi que
pour inciter les chômeurs à chercher et à accepter les emplois qui leur
sont proposés.

Le chômage européen
Le graphique 2.10 démontre que l’impact de la crise économique sur
le marché du travail des pays européens a été très hétérogène : alors que
GDQVODSOXSDUWGHVSD\VOHFK¶PDJHDDXJPHQW«HW¢GHVU\WKPHVGLII«-
UHQWVFHUWDLQVSD\VRQWDɚFK«GHVEDLVVHV(QOHWDX[GHFK¶PDJH
GHOD]RQHHXUR«WDLWGHHWGHHQ/HVSD\VHXURS«HQV
dans lesquels le taux de chômage a augmenté le plus rapidement sont
Oȇ,UODQGHOȇ(VSDJQHHWOD*UªFHGRQWOHVWDX[RQW«W«PXOWLSOL«VSDU
YRLUHWULSO«VGDQVOHSLUHGHVFDV(QWUHHWOHWDX[GHFK¶PDJH
HQ ,UODQGH HVW SDVV« GH  ¢  GH  ¢  HQ (VSDJQH
HW GH  ¢  HQ *UªFH (Q UHYDQFKH OH FK¶PDJH D GLPLQX« HQ
$OOHPDJQHLOHVWUHVW«VWDEOHHQ$XWULFKHHWDX[3D\V%DVHWLODO«JªUH-
ment augmenté en France pendant la même période.
Cette disparité ne peut être totalement attribuée aux conséquences
différentes de la crise dans les économies européennes. La crise éco-
nomique ne peut être la cause unique d’augmentation du chômage en
(VSDJQH ,O H[LVWH GȇDXWUHV IDFWHXUV GRQW FHUWDLQV VRQW OL«V DX[ FDUDF-
téristiques de la crise (et non à son ampleur) et d’autres à la réponse
que les pays ont apportée à la diminution de la demande de travail. Cet
ensemble de facteurs permet d’expliquer pourquoi un même niveau de

62
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

contraction de l’économie entraîne plus de chômage en Espagne qu’en


$OOHPDJQH SDU H[HPSOH 7RXW GȇDERUG GHSXLV OH G«EXW GH OD SU«VHQWH
FULVHHXURS«HQQHLOVȇDYªUHTXHOHFK¶PDJHHVWSOXVLPSRUWDQWGDQVOHV
SD\V TXL RQW IRQG« OHXU FURLVVDQFH VXU OD GHPDQGH LQWHUQH FH TXL HVW
OHFDVGHOȇ(VSDJQHTXHGDQVOHVSD\VGRQWOHPRWHXUGHFURLVVDQFHHVW
OȇH[SRUWDWLRQFRPPHOȇ$OOHPDJQH/HVFDOFXOVSHUPHWWHQWGȇHVWLPHUXQH
«ODVWLFLW«IRLVVXS«ULHXUHGDQVOHVSUHPLHUVSD\V¢FHTXȇHOOHHVWGDQV
les seconds13.

Graphique 2.10. Impact de la crise sur le marché du travail européen (base 2007)
3,5
Irlande Autriche
3,0 France Italie
Espagne Allemagne
2,5 Hollande Zone euro
Grèce
2,0

1,5

1,0

0,5

0
2007 2008 2009 2010 2011

5QWTEGšȌNCDQTCVKQPRTQRTGFGUCWVGWTUȃRCTVKTFŨ'WTQUVCV=JVVRGRRGWTQUVCVGEGWTQRCGW?
QEVQDTG 

'DQVXQGHX[LªPHWHPSVVHORQOHVSD\VOȇDG«TXDWLRQGHODGHPDQGH
de travail aux moindres niveaux de production suite à la crise écono-
mique a été faite en adaptant la force de travail ou en diminuant les
KHXUHVGHWUDYDLO$LQVLHQ$OOHPDJQHHWHQ$XWULFKHODGLPLQXWLRQGX
WHPSVGHWUDYDLODSHUPLVGȇDMXVWHUOȇHPSORL¢ODPDXYDLVHFRQMRQFWXUH
alors qu’en Espagne c’est le nombre d’employés qui a été ajusté14. La
conséquence est une plus grande augmentation du chômage dans le
GHUQLHU FDV 0DOJU« OD SRUW«H JOREDOH GH OD FULVH VHV FRQV«TXHQFHV RQW
été différentes selon les activités et elles ont été particulièrement graves

šCristina FƫƷƴʜƴƪƫƿ et Mario IƿƶƺƯƫƷƪƵ, « El ajuste de los mercados laborales europeos


desde el inicio de la crisis », Boletín Mensual del Banco de EspañaQEVQDTGR
šLe chômage a beaucoup augmenté aux États Unis et également en Suède pendant la crise.
Cependant, cette augmentation est bien plus faible qu’en Espagne pendant la même période.
Voir Christel GƯƲƲƫƸet JGCPPaul NƯƩƵƲƧƯkL’ajustement de l’emploi durant la crise dans huit
grands pays industrialisés », Regards croisés sur l’économie, n° 13, ǂǀǁǃǁR

63
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

dans des secteurs tels que la construction et l’immobilier. Les secteurs


WRXFK«VSDUODFULVHQȇRQWSDV«W«OHVP¬PHVVHORQOHVSD\VHXURS«HQVFH
TXLH[SOLTXHOHVFRQV«TXHQFHVGLII«UHQWHVVXUOHFK¶PDJH(Q(VSDJQH
le secteur de la construction était surdimensionné par rapport à sa taille
GDQV OHV DXWUHV SD\V HXURS«HQV FH TXL H[SOLTXH OȇLPSDFW PDMHXU GH OD
FULVH0DLVLOVHUD«JDOHPHQWSOXVGLɚFLOHGHFU«HUGHQRXYHDX[EDVVLQV
GȇHPSORLFDUOȇ«FRQRPLHQ«FHVVLWHXQFKDQJHPHQWGHJUDQGHHQYHUJXUH
(QRXWUHGDQVOHVSD\VFRPPHOȇ(VSDJQHR»ODSRSXODWLRQDSHU©X
TXHODFULVH«WDLWSDUWLFXOLªUHPHQWJUDYHHWTXȇHOOHDOODLWSHUVLVWHUOȇDXJ-
mentation du chômage a été plus importante. La perception d’une grave
crise a transformé les habitudes de comportement social de la popula-
tion. La consommation a eu tendance à se contracter et à provoquer
XQHFKXWHSOXVLPSRUWDQWHGHOȇDFWLYLW«HWGHODGHPDQGHGHWUDYDLO6L¢
FHVFRQGLWLRQVG«IDYRUDEOHVQRXVDMRXWRQVXQIRUWGHJU«GȇHQGHWWHPHQW
GHVIDPLOOHVHWGHVHQWUHSULVHVODFRQWUDFWLRQGHODFRQVRPPDWLRQHWGHV
LQYHVWLVVHPHQWV¢GHVȴQVSU«YHQWLYHVHVWHQFRUHSOXVFRPSU«KHQVLEOH
‹WDQWGRQQ«ODU«SRQVHIRUWHPHQWGLVWLQFWHGXPDUFK«GXWUDYDLOHVSD-
gnol face à la crise et à la persistance d’un fort composant de chômage
VWUXFWXUHO LO FRQYLHQW ¢ SU«VHQW GȇDQDO\VHU OD SROLWLTXH «FRQRPLTXH
appliquée par le gouvernement de Mariano Rajoy pour faire face
MXVTXȇ¢ODȴQGH

LA RÉFORME DU MARCHÉ DU TRAVAIL


EN ESPAGNE : UNE POLITIQUE EFFICACE
DE LUTTE CONTRE LE CHÔMAGE ?

Politique économique générale et réforme du travail


'DQV XQ FRQWH[WH GH IRUWHV FRXSHV EXGJ«WDLUHV OH JRXYHUQHPHQW
conservateur de Mariano Rajoy a envisagé la réforme du marché du
WUDYDLOFRPPHODVHXOHDFWLRQSRVVLEOHDȴQGHUHP«GLHUDXJUDYHSUR-
blème du chômage. Les restructurations budgétaires ont consisté en
des diminutions des dépenses publiques et des augmentations d’impôts
obérant le pouvoir d’achat des Espagnols. Ces derniers ont réduit leurs
QLYHDX[ GH FRQVRPPDWLRQ HW GȇLQYHVWLVVHPHQW &HWWH VLWXDWLRQ XQLH ¢
ODGLPLQXWLRQGHVG«SHQVHVSXEOLTXHVDHQWUD°Q«XQHIRUWHFRQWUDFWLRQ
de la demande intérieure. Le tarissement des crédits à destination des
entreprises et des familles a encore accentué ce phénomène. Dans le
VFK«PD GH SROLWLTXH «FRQRPLTXH FKRLVL SDU OH JRXYHUQHPHQW 5DMR\

64
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

OȇREMHFWLI SULRULWDLUH DYRX« HVW OD GLPLQXWLRQ GX G«ȴFLW SXEOLF &HW
objectif macroéconomique est prioritaire par rapport à toute autre
considération de politique économique ou générale. Selon le raisonne-
PHQWJRXYHUQHPHQWDOODU«GXFWLRQGXG«ȴFLWSXEOLFHVWXQHFRQGLWLRQ
Q«FHVVDLUHSRXUTXHOHSD\VSXLVVHDWWHLQGUHGȇDXWUHVREMHFWLIVWHOVTXH
SDUH[HPSOHODUHSULVHGHOȇDFWLYLW««FRQRPLTXHHWGHVHPSORLV'DQVOH
GRPDLQHGHOȇHPSORLHWGHODOXWWHFRQWUHOHFK¶PDJHODU«IRUPHȴVFDOH
semble être une étape préalable et nécessaire mais pas une condition
VXɚVDQWH6HORQOHVSURMHWVGXJRXYHUQHPHQWXQHU«IRUPHVWUXFWXUHOOH
du marché du travail espagnol est nécessaire. Cette nécessité peut
GLɚFLOHPHQW¬WUHPLVHHQGRXWHVLQRXVWHQRQVFRPSWHGHODVLWXDWLRQ
TXL YLHQW Gȇ¬WUH G«FULWH FLGHVVXV (Q UHYDQFKH OD QDWXUH P¬PH GH OD
U«IRUPHHVWXQHTXHVWLRQELHQSOXVVXMHWWH¢G«EDWHW¢SRO«PLTXHWDQW
sur le plan technique que politique. Il ne s’agit pas ici de lancer un débat
FRQWUHIDFWXHOPDLVLOHVWQ«FHVVDLUHGHG«FULUHOHFRQWHQXGHODU«IRUPH
du gouvernement Rajoy et d’évaluer ses conséquences sur le marché du
travail pour établir dans quelle mesure elle est ou non une arme contre
le chômage.

Le contenu de la réforme du travail


Le décret-loi n° 3/2012 du 10 février 2012 prenant des mesures
XUJHQWHV SRXU OD U«IRUPH GX PDUFK« GX WUDYDLO SXEOL« DX %XOOHWLQ
RɚFLHO GH Oȇ‹WDW %2(  GX VDPHGL I«YULHU UHFRQQD°W RXYHUWHPHQW
TXH OH PDUFK« GX WUDYDLO HVSDJQRO SU«VHQWH GH JUDYHV G«V«TXLOLEUHV
notamment concernant les jeunes et les chômeurs de longue durée15.
3RXUOHJRXYHUQHPHQWODJUDYLW«GHODVLWXDWLRQGXFK¶PDJHHQ(VSDJQH
exigeait une réforme urgente du marché du travail16. Le contenu de la
réforme peut être schématisé en trois parties : une première partie rela-
WLYH ¢ OD Q«JRFLDWLRQ FROOHFWLYH XQH GHX[LªPH SRUWDQW VXU OHV FR½WV HW
OHVSURF«GXUHVGHOLFHQFLHPHQWHWXQHWURLVLªPHUHODWLYHDX[PRGDOLW«V
d’embauche (schéma 2.11).

šBoletín Oficial del Estado, 11 février 2012, n° 36, Sec. I. PȄI š =JVVRYYYDQGGU
DQGFȐCURFHUBOEARFH?
šLCHQTOGLWTKFKSWGFGNCTȌHQTOGGUVWPFȌETGVNQKCe type de texte, conformément au cadre
juridique espagnol, est une norme ayant force de loi qui peut être dictée par l’exécutif en cas
de nécessité extraordinaire ou d’urgence. LGUFȌETGVUNQKUQPVWPECTCEVȋTGRTQXKUQKTGšWPGHQKU
dictés, ils devront être soumis au vote du CQPITȋUFGUFȌRWVȌUšEGFGTPKGTRQWTTCNGUXCNKFGTNGU
abroger ou permettre leur examen en tant que loi ordinaire urgente. Le caractère d’urgence et
de nécessité extraordinaire d’adoption de la réforme du travail ne provenait pas des difficultés
du marché du travail, mais plutôt de la pression des marchés financiers et des autorités euro
péennes, tels la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international.

65
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Schéma 2.11. La réforme du Travail de 2012

Négociation collective

̽'«FHQWUDOLVDWLRQGHVFRQYHQWLRQV
̽)OH[LELOLW«GHO̵HQWUHSULVH
̽0RELOLW«J«RJUDSKLTXH
̽0RELOLW«LQWHUQH
̽$VVRXSOLVVHPHQWGHODQ«JRFLDWLRQ

Coûts et procédures de licenciement

̽0RWLIV«FRQRPLTXHVGHOLFHQFLHPHQW
̽,QGHPQLVDWLRQVSRXUOLFHQFLHPHQWDEXVLI
̽6XSSUHVVLRQGHO̵DXWRULVDWLRQDGPLQLVWUDWLYH
̽6XSSUHVVLRQGHO̵REOLJDWLRQGHSD\HPHQWMXVTX̵¢ODG«FLVLRQMXGLFLDLUH

Modalités d’embauche

̽(PEDXFKH
̽&RQWUDWG̵DLGH¢O̵HPSORL
̽&RQWUDWGHIRUPDWLRQHWG̵DSSUHQWLVVDJH
̽&RQWUDW¢WHPSVSDUWLHO
̽(QFKD°QHPHQWGHFRQWUDWVWHPSRUDLUHV
̽0«GLDWLRQ
̽$JHQFHVGHSODFHPHQW
̽(QWUHSULVHVGHWUDYDLOWHPSRUDLUH

(QPDWLªUHGHQ«JRFLDWLRQFROOHFWLYHODU«IRUPHSRXVVH¢XQJUDQG
FKDQJHPHQWHWPRGLȴHOHOLHQHQWUHOHVIRUFHVHQSU«VHQFHHQGLPLQXDQW
la capacité d’intervention des syndicats. Sont concernées les questions
UHODWLYHV DX QLYHDX GH Q«JRFLDWLRQ ¢ OD ȵH[LELOLW« LQWHUQH HW ¢ OȇDVVRX-
plissement des négociations. La réforme est favorable à une décentra-
lisation des domaines de négociation collective pour les rapprocher
davantage de la situation des entreprises. Les conventions d’entreprise
VHURQWSOXV¢P¬PHGȇLQW«JUHUODY«ULWDEOHVLWXDWLRQGHFHOOHVFLGȇDGDS-
WHUOHVQLYHDX[GHVDODLUHGHEDVHHWOHVFRPSO«PHQWVODU«WULEXWLRQGHV
heures supplémentaires et le temps de travail.

66
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

(QPDWLªUHGHȵH[LELOLW«LQWHUQHLOHVWGDYDQWDJHORLVLEOHGHQHSDV
appliquer les conditions adoptées dans les conventions. Les motifs
pour lesquels l’entreprise peut imposer la mobilité géographique sont
assouplis ; l’intervention de l’autorité de travail n’est plus nécessaire ;
HQȴQHQDFFRUGDYHFOHVUHSU«VHQWDQWVV\QGLFDX[LOHVWSRVVLEOHGȇ«WD-
blir des ordres de priorité pour certains collectifs (travailleurs ayant
FKDUJHGHIDPLOOHG«SDVVDQWXQFHUWDLQ¤JHHWF (QPDWLªUHGHPREL-
OLW« LQWHUQH OD PDLQGȇĕXYUH QȇHVW SOXV LQVFULWH GDQV XQH mFDW«JRULH
SURIHVVLRQQHOOH} PDLV GDQV XQ mJURXSH SURIHVVLRQQHO} TXL HQJOREH
OHVDSWLWXGHVSURIHVVLRQQHOOHVOHVGLSO¶PHVHWOHFRQWHQXJ«Q«UDOGHOD
SUHVWDWLRQFHTXLVLJQLȴHXQ«ODUJLVVHPHQWGHVSRVVLELOLW«VGHPRELOLW«
LQWHUQH/ȇDVVRXSOLVVHPHQWGHVFRQYHQWLRQVFROOHFWLYHVWLHQW¢PHWWUHȴQ
¢FHTXHOȇRQDSSHOOHmOȇXOWUDDFWLYLW«},OHVWPLVȴQDXUHQRXYHOOHPHQW
automatique de la convention existante par manque d’accord lors des
Q«JRFLDWLRQVGȇXQHQRXYHOOHFRQYHQWLRQ$SUªVODU«IRUPHFȇHVWFHOOHGH
niveau supérieur qui s’appliquera.
(QPDWLªUHGHFR½WVHWGHVLPSOLȴFDWLRQGHVSURF«GXUHVGHOLFHQFLH-
PHQWODU«IRUPHFRQWLHQWXQHUHG«ȴQLWLRQGHVPRWLIVGHOLFHQFLHPHQW
«FRQRPLTXH XQ QRXYHDX WUDLWHPHQW GHV LQGHPQLW«V GH OLFHQFLHPHQW
ainsi que la suppression de l’autorisation administrative. En ce qui
FRQFHUQHODU«YLVLRQGHVFDXVHVREMHFWLYHVGHOLFHQFLHPHQWOHWH[WHGX
décret-loi entend par licenciement collectif la rupture des contrats de
WUDYDLO IRQG«H VXU GHV PRWLIV «FRQRPLTXHV WHFKQLTXHV RUJDQLVDWLRQ-
QHOVRXGHSURGXFWLRQORUVTXHVXUXQHS«ULRGHGHMRXUVODUXSWXUH
FRQFHUQH DX PRLQV D  GL[ VDODUL«V GDQV OHV HQWUHSULVHV GH PRLQV GH
cent employés ; b) 10 % des employés de l’entreprise dans le cas de
celles de cent à trois cents employés ; et c) trente employés dans les
HQWUHSULVHV GH SOXV GH WURLV FHQWV HPSOR\«V 'ȇXQH SDUW RQ FRQVLGªUH
que divers motifs économiques sont réunis lorsqu’une situation écono-
PLTXHQ«JDWLYHUHVVRUWGHVU«VXOWDWVGHOȇHQWUHSULVHHQFDVGȇH[LVWHQFH
GHSHUWHVDFWXHOOHVRXSU«YXHVRXGHODGLPLQXWLRQSHUVLVWDQWHGHVRQ
QLYHDXGHUHYHQXVRXGHVYHQWHV(QWRXW«WDWGHFDXVHRQFRQVLGªUHTXH
la diminution est persistante si elle se poursuit pendant trois trimestres
consécutifs.
'ȇDXWUHSDUWGHVPRWLIVWHFKQLTXHVVRQWU«XQLVORUVTXHGHVFKDQJH-
PHQWVVHSURGXLVHQWHQWUHDXWUHVGDQVOHGRPDLQHGHVPR\HQVRXGHV
outils de production ; les motifs organisationnels sont réunis lorsque
GHVFKDQJHPHQWVVHSURGXLVHQWHQWUHDXWUHVGDQVOHGRPDLQHGHVV\V-
tèmes et des méthodes de travail du personnel ou dans le mode d’orga-
nisation de la production ; les motifs productifs sont réunis lorsque des

67
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

FKDQJHPHQWVVHSURGXLVHQWHQWUHDXWUHVGDQVODGHPDQGHGHSURGXLWV
RX GH VHUYLFHV TXH OȇHQWUHSULVH SU«WHQG SODFHU VXU OH PDUFK« (QȴQ
on considère également comme licenciement collectif la rupture des
FRQWUDWVGHWUDYDLOTXLWRXFKHQWOȇHQVHPEOHGHVHIIHFWLIVGHOȇHQWUHSULVH
ORUVTXH OH QRPEUH GH VDODUL«V HVW VXS«ULHXU ¢ FLQT VL OH OLFHQFLHPHQW
se produit en conséquence de la cessation totale de l’activité de l’entre-
prise fondée sur les mêmes motifs que précédemment (art. 51.1)17. En
RXWUHODSRVVLELOLW«GHOLFHQFLHUSRXUPRWLIV«FRQRPLTXHVWHFKQLTXHV
organisationnels et de production est étendue au personnel de service
dépendant du secteur public.
6ȇDJLVVDQWGHVLQGHPQLW«VSRXUOLFHQFLHPHQWDEXVLIHOOHVSDVVHQWGH
45 jours par année travaillée avant la réforme à 33 jours après celle-
FL/HQRPEUHPD[LPXPGHPHQVXDOLW«VSDVVHGH¢(QRXWUHOH
besoin d’autorisation administrative pour les licenciements collectifs
HVWVXSSULP«WRXWFRPPHOȇREOLJDWLRQGHOȇHQWUHSULVHGHSD\HUOHSU«D-
YLVHQWUHOHPRPHQWGHQRWLȴFDWLRQGXOLFHQFLHPHQWHWFHOXLGHODU«VROX-
tion judiciaire. Cette suppression des salaires de préavis ne se fera pas si
l’employé est réembauché ou s’il s’agit d’un représentant du personnel.
Une nouvelle modalité de licenciement collectif est également créée.
(QPDWLªUHGHQRXYHOOHHPEDXFKHGLII«UHQWVFDVGHȴJXUHVRQWHQYL-
VDJ«V/HSUHPLHUHVWFHOXLGXQRXYHDXFRQWUDWLQG«ȴQLGHVRXWLHQGȇDLGH
à l’emploi. Cette solution peut être utilisée par les entreprises de moins
GHHPSOR\«VOHFRQWUDWHVWGHW\SHLQG«ȴQL¢WHPSVFRPSOHWHWSU«-
YRLW XQH S«ULRGH GȇHVVDL GȇXQ DQ &HOOHFL E«Q«ȴFLH GH QRPEUHX[ DYDQ-
WDJHVȴVFDX[/ȇHPSOR\«SHXWSHUFHYRLUGHVSUHVWDWLRQVFK¶PDJHHQ
plus de son salaire. Ce contrat doit être conservé pendant au moins trois
DQV/DGHX[LªPHVROXWLRQHVWOHFRQWUDWGHIRUPDWLRQHWGȇDSSUHQWLVVDJH
SRXU OHV PRLQV GH WUHQWH DQV ‚ OȇH[SLUDWLRQ GX FRQWUDW OȇHPSOR\« QH
pourra être embauché sous cette forme par la même entreprise ou par
une entreprise différente pour la même activité ou la même fonction
REMHWGHODTXDOLȴFDWLRQSURIHVVLRQQHOOHDVVRFL«HDXFRQWUDW,OSRXUUDHQ
revanche être embauché dans les mêmes conditions pour une formation
différente. Le temps de travail ne pourra être supérieur à 75 % pendant
la première année et à 85 % les deuxième et troisième années. Ce type de

šIl est obligatoire de verser une somme au Trésor public lorsque le licenciement collec
tif touche plus de cinquante employés, que l’entreprise a plus de 500 employés, que des
GORNQ[ȌUFGRNWUFGCPUUQPVVQWEJȌUGVSWGNŨGPVTGRTKUG QWITQWRGFŨGPVTGRTKUGUCWSWGN
elle appartient) a dégagé des bénéfices lors des deux exercices précédant celui du plan social,
cf. BOEAMinisterio de Trabajo e IPOKITCEKȕP=JVVRYYYDQGGUFKCTKQADQGVZV
RJR!KFBOEA?

68
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

FRQWUDWE«Q«ȴFLHGȇLPSRUWDQWHVU«GXFWLRQVSRXYDQWDOOHUMXVTXȇ¢
GHV FRWLVDWLRQV /D WURLVLªPH PRGLȴFDWLRQ GX FRQWUDW GH WUDYDLO WLHQW ¢
la possibilité de réaliser des heures supplémentaires en cas de contrat
¢ WHPSV SDUWLHO /D TXDWULªPH PRGLȴFDWLRQ FRQFHUQH OD SRVVLELOLW«
d’enchaîner sans limite les contrats à durée déterminée. D’autres modi-
ȴFDWLRQV¢GHVFRQWUDWVSU«H[LVWDQWVVRQW«JDOHPHQWSU«YXHV

LA RÉFORME DU TRAVAIL ET LE PROBLÈME


DU CHÔMAGE : OBSERVATIONS FINALES

,O HVW GLɚFLOH DX PRPHQW R» QRXV U«GLJHRQV FHV OLJQHV Gȇ«YDOXHU
la capacité de la réforme du travail à contribuer à la réduction du
FK¶PDJH WRXW GȇDERUG SDUFH TXȇLO VȇHVW «FRXO« SHX GH WHPSV GHSXLV
VD PLVH HQ ĕXYUH HW «JDOHPHQW SDUFH TXH Oȇ«FRQRPLH HVSDJQROH QH
VȇHVWSDVHQFRUHUHPLVHGHODU«FHVVLRQ(QRXWUHOHG«FUHWORLFRPPH
QRXVOȇDYRQVGLWPRGLȴHOHUDSSRUWGHIRUFHHQWUHOHVDJHQWVVRFLDX[HW
GDQV XQ GRPDLQH VXMHW ¢ Q«JRFLDWLRQ LO HVW HQFRUH WURS W¶W SRXU YRLU
FRPPHQW OHV XQV HW OHV DXWUHV HQWUHSULVHV HW V\QGLFDWV YRQW UHG«ȴQLU
leurs stratégies de négociation. Notons également que certains aspects
GHODORLSHXYHQWDYRLUGHVFRQV«TXHQFHVLQDWWHQGXHV3DUH[HPSOHOD
VLPSOLȴFDWLRQ HW OD GLPLQXWLRQ GHV FR½WV GHV SURF«GXUHV GH OLFHQFLH-
ment peuvent conduire à une nouvelle ou une plus forte judiciarisation
GHVOLFHQFLHPHQWV(QHIIHWOȇ«OLPLQDWLRQGHVLQGHPQLW«VGHSU«DYLVHVW
GLVVXDVLYH PDLV OD SRVVLELOLW« GH UHFHYRLU  MRXUV GȇLQGHPQLW«V SRXU
OLFHQFLHPHQWDEXVLISOXW¶WTXHOHVMRXUVKDELWXHOVSHXWSHUPHWWUHGH
compenser la perte de ces indemnités et conduire à une augmentation
des cas portés devant les tribunaux.
,O H[LVWH GȇDXWUHV VRXUFHV GȇHIIHWV FROODW«UDX[ (Q HIIHW OD VLWXDWLRQ
DFWXHOOHGHOȇ«FRQRPLHHVSDJQROHQHUHȵªWHSDVGHEDLVVHGXFK¶PDJH
DORUVTXHOHVVDODLUHVHX[RQWGLPLQX«/DU«IRUPHGXWUDYDLOSHUPHW
d’adapter les conditions de travail à la situation particulière des entre-
prises et favorise selon le patronat un ajustement équilibré entre les
VDODLUHV OȇHPSORL HW OD MRXUQ«H GH WUDYDLO /D U«IRUPH YD SOXV GDQV OH
sens des revendications du patronat que de celles des salariés. Mais il
en a résulté une diminution des emplois tant dans le secteur privé que
dans le public.
Les études empiriques en économie nous permettent de com-
prendre les limites de l’approche présentée par la réforme. Depuis la
ȴQGHVDQQ«HVOȇ«WXGHFODVVLTXHGH61LFNHOODSHUPLVGHPRQWUHU

69
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

TXȇLO QȇH[LVWH HQ IDLW SDV GH UHODWLRQ FDXVDOH GLUHFWH HQWUH OHV FR½WV GH
licenciement et le taux de chômage moyen18 /RUVTXH OHV FR½WV VRQW
U«GXLWV OHV HQWUHSULVHV OLFHQFLHQW DLV«PHQW HW DLQVL OH FR½W GH OȇHP-
EDXFKH HVW «JDOHPHQW GLPLQX« SXLVTXH HQ FDV Gȇ«YHQWXHOOH UHVWUXFWX-
UDWLRQ GHV HIIHFWLIV ¢ OȇDYHQLU OH SURFHVVXV VHUD PRLQV RQ«UHX[ &HWWH
situation permet certes aux entreprises de commencer à réembaucher
GªVTXȇHOOHVFRQVLGªUHQWTXHODUHSULVH«FRQRPLTXHHVWHQWDP«HPDLV
DXVVL GH OLFHQFLHU DX SUHPLHU V\PSW¶PH GH FULVH (Q FRQV«TXHQFH OD
fréquence d’entrée et de sortie des salariés du marché du travail risque
GȇDXJPHQWHUPDLVLOQȇ\DWRXWHIRLVDXFXQHJDUDQWLHTXȇ¢PR\HQWHUPH
le taux de chômage diminue. Le chômage de longue durée peut dimi-
QXHUVLHWVHXOHPHQWVLFHWWHSRSXODWLRQQȇDSDVHQWUHWHPSVSHUGXXQH
partie de ses compétences.
Mais le même argument peut également agir dans le sens contraire.
/RUVTXHOHVFR½WVGHOLFHQFLHPHQWVRQWSOXV«OHY«VOHVHQWUHSULVHVVRQW
généralement plus réticentes à embaucher. Elles n’embauchent pas tant
qu’elles ne sont pas totalement convaincues que la croissance de leur
SRUWHIHXLOOHGHFRPPDQGHVVHUDGXUDEOHGDQVOHWHPSV&HSHQGDQWHOOHV
ne licencient pas non plus dès la première manifestation d’un change-
PHQWGHF\FOH(OOHVSU«IªUHQWVRXYHQWVWDELOLVHUOHXUVHIIHFWLIVSXLVTXH
OȇHIIHWQHWVHUDXQHPSORLSOXVVWDEOH'DQVFHFDVLOHVWSOXVSUREDEOH
que les entreprises cherchent à faire face à la chute de leur activité en
ajustant les heures et les journées de travail de leurs salariés plutôt
TXH OHV HPSORLV /H FK¶PDJH DXJPHQWHUD PRLQV HW HQ UªJOH J«Q«UDOH
ODPDVVHVDODULDOHGLPLQXHUDPRLQVWRXWFRPPHODFRQVRPPDWLRQGHV
P«QDJHV$LQVLOȇHIIHWPXOWLSOLFDWHXUGXFK¶PDJHVXUODGHPDQGHLQW«-
ULHXUHHWOHQLYHDXGHSURGXFWLRQVHUDPRLQVLPSRUWDQW'DQVFHFDVR»
OHV FR½WV GH OLFHQFLHPHQW VRQW SOXV «OHY«V LO HVW FHUWDLQ TXH OHV HQWUH-
prises embaucheront moins même pendant les phases de croissance.
Elles seront cependant plus enclines à tenter d’augmenter la production
par la productivité et l’amélioration technico-organisationnelle.
&HUWDLQV DXWHXUV RQW G«PRQWU« TXHOHV HIIHWV GHV FR½WV GHOLFHQFLH-
PHQW VXU OD FU«DWLRQ GȇHPSORL G«SHQGHQW GH OD WHFKQRORJLH GHV SHU-
turbations économiques et des négociations entre les syndicats et les
entreprises19,OD«JDOHPHQW«W«G«PRQWU«TXHOHVFR½WVGHOLFHQFLHPHQW

18. S. NƯƩƱƫƲƲ, « Fixed costs, employment and labour demand over the cycle », Economica,
PoR
šSamuel BƫƴƹƵƲƯƲƧ et Guiseppe BƫƷƹƵƲƧ « FKTKPI EQUVU CPF NCDQWT FGOCPFš HQY DCF KU
EWTQUENGTQUKUš!zReview of Economic StudiesXQNPoRšLars LưƺƴƭƶƻƯƸƹ,
« HQYFQNC[QHHEQUVUCHHGEVGORNQ[OGPVzEconomic JournalPoR

70
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

GLVFULPLQHQW FHUWDLQV HPSOR\«V SDU UDSSRUW ¢ GȇDXWUHV TXȇLOV E«Q«ȴ-


FLHQW¢FHUWDLQVHWSRUWHQWSU«MXGLFH¢GȇDXWUHV/DGLPLQXWLRQGHVFR½WV
GHOLFHQFLHPHQWHWODVLPSOLȴFDWLRQGHODSURF«GXUHQHVHPEOHQWGRQF
SDVODPHLOOHXUHID©RQGHJRPPHUODGXDOLW«GXPDUFK«GXWUDYDLODYHF
son nombre élevé de contrats à durée déterminée. Mais la solution la
SOXV UDSLGH DȴQ GH OLPLWHU OD WHPSRUDOLW« HVW GH U«GXLUH OD SRVVLELOLW«
d’enchaîner lesdits contrats. L’absence de restrictions en la matière
J«QªUHXQHGXDOLW«VXUOHPDUFK«GXWUDYDLOHVSDJQRO$LQVLSHQGDQWOD
S«ULRGHGȇH[SDQVLRQXQSHXPRLQVGHVGHX[WLHUVGHVFRQWUDWVGHWUDYDLO
étaient à durée indéterminée et un peu plus d’un tiers étaient à durée
G«WHUPLQ«H&HUWDLQVDXWHXUVVRXWLHQQHQW¢SURSRVGHFHWWHGXDOLW«TXH
ODU«GXFWLRQGHVFR½WVGHOLFHQFLHPHQWGHVFRQWUDWV¢GXU«HLQG«WHUPL-
née permettra de réduire la dualité20.
Mais la cause de cette dualité n’est pas le contrat à durée indé-
WHUPLQ«H FȇHVW OȇHQFKD°QHPHQW GH FRQWUDWV ¢ GXU«H G«WHUPLQ«H SRXU
des postes de travail et des employés qui ne sont pas temporaires. Il
FRQYLHQGUDLWHQWRXWHORJLTXHGȇDJLUVXUODFDXVHSRXUGLPLQXHUODGXD-
lité du marché du travail. Les contrats à durée déterminée sont et seront
toujours le mécanisme le plus immédiat d’ajustement de l’entreprise à
ODFRQMRQFWXUH«FRQRPLTXH&HSHQGDQWOHUHQRXYHOOHPHQWH[FHVVLIGHV
HIIHFWLIV VXSSRVH XQ FR½W SRXU OȇHPSOR\« HW SRXU OȇHQWUHSULVH VXUWRXW
ORUVTXHOHEXWUHFKHUFK«HVW¢PR\HQWHUPHOȇDXJPHQWDWLRQGHODSUR-
ductivité et de la qualité de production. Remplacer les CDI et les CDD
SDUXQFRQWUDWXQLTXHHVWOȇRSWLRQSURSRV«HSDU-HDQ7LUROHSUL[1REHO
d’économie 201421. Ce contrat s’accompagnerait de plus de droits pour
les salariés licenciés. L’idée d’un contrat unique est partagée par des
économistes espagnols22$LQVLSHQVHQWLOVSRXUUDLHQW¬WUHFRQFLOL«HVOD
ȵH[LELOLW« SRXU OHV HQWUHSULVHV TXL YHXOHQW U«DJLU DX[ ȵXFWXDWLRQV GH
OD GHPDQGH HW DX[ FKDQJHPHQWV GH WHFKQRORJLH HW OD SURWHFWLRQ SRXU
les salariés.

šSamuel BƫƴƹƵƲƯƲƧ, Pierre CƧƮƺƩ, Juan DƵƲƧƪƵ et Thomas LƫBƧƷƨƧƴƩƮƵƴ, « Paro y empleo
VGORQTCNFWTCPVGNCETKUKUšUna comparación entre Francia y EURCȓCzKPšVV. AA., La Crisis de
la Economía Española. Análisis Económico de la Gran Recesión Madrid, FGFGCR
šOlivier BƲƧƴƩƮƧƷƪ et Jean TƯƷƵƲƫ, Protection de l’emploi et procédures de licenciement, La
Documentation française, Paris, 2003.
šPropuesta para la reactivación laboral en España  =JVVRYYYETKUKUGU
RTQRWGUVC!RCIGAKF
5]. Voir également NCFCGUITCVKU GUš Luis GƧƷƯƩƧƴƵ, ¿EV FRQVWLWXFLRQDO HO FRQWUDWR ¼QLFR̰"
HȌXTKGT  =JVVRPCFCGUITCVKUGU!R?š José Ignacio CƵƴƪƫRƺƯƿ, La maraña
FRQWUDFWXDODFWXDO̰NRVHU¯DWRGRP£VI£FLOFRQXQFRQWUDWR¼QLFR̰"OCK=JVVRPCFCGU
ITCVKUGU!R?

71
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

3DUDLOOHXUVLOH[LVWHXQFRQVHQVXVVHORQOHTXHOODU«IRUPHGXWUDYDLO
actuelle devrait s’appliquer dans un contexte de croissance et non pas
de grave récession231HSDVWHQLUFRPSWHGHFHFRQVHQVXVUHYLHQWSRXU
3DXO .UXJPDQ ¢ LJQRUHU OHV IRQGHPHQWV GH OD WK«RULH «FRQRPLTXH24.
L’immédiate conséquence de ce type de réforme en pleine récession
HVW TXȇHOOH HQWUD°QH FRPPH QRXV OȇDYRQV G«M¢ PHQWLRQQ« XQH FURLV-
sance rapide du chômage. Si la réforme du travail s’accompagne d’un
plan strict de restructuration macroéconomique caractérisé par de
IRUWHV FRXSHV GDQV OHV G«SHQVHV SXEOLTXHV HW GHV KDXVVHV GȇLPS¶WV OD
situation économique et sociale des familles et des individus ne pourra
qu’empirer. Les conséquences malheureuses de la réforme aux plans
économique et social restent associées à la conjoncture du moment de
sa mise en œuvre.
'DQVXQFRQWH[WHGHU«FHVVLRQODU«IRUPHDIDYRULV«OHVUHVWUXFWXUD-
WLRQVGHSHUVRQQHOHQGLPLQXDQWOHVFR½WVHWDIDFLOLW«XQHGLPLQXWLRQ
GHVFR½WVGXWUDYDLO0¬PHVȇLOHVWGLɚFLOHGHVDYRLUGDQVTXHOOHPHVXUH
FHWWH GLPLQXWLRQ HVW GXH ¢ OD U«IRUPH RX ¢ OD FULVH ,O HVW FHUWDLQ TXH
SHQGDQWODSUHPLªUHDQQ«HGHFULVH«FRQRPLTXHOHVVDODLUHVU«HOVRQW
DXJPHQW«HQFRQV«TXHQFHGHOȇLQGH[DWLRQDXWRPDWLTXHFHTXLQȇDIDLW
qu’empirer la situation de certaines entreprises. La réforme corrige cet
HIIHWPDLVHOOHRXYUH«JDOHPHQWODSRUWHDX[DEXVGHODSDUWGHVHQWUH-
prises qui mettent en avant la recherche de compétitivité pour dimi-
nuer les salaires. Ceci peut faire dégénérer les relations sur le lieu de
WUDYDLO'HIDLWOHG«EDWVXUOHVVDODLUHVSRXUUDLWSURȴWHUGHODFU«DWLRQ
de mécanismes institutionnels à l’échelle nationale compatibles avec les
conventions collectives principales de l’entreprise.
3DU DLOOHXUV OD U«IRUPH QȇLQFOXW SDV GH SROLWLTXHV GȇHPSORL 3DU
H[HPSOH LO Qȇ\ D SDV HX SOXV GH PHVXUHV HQ IDYHXU GH OȇDFFRPSDJQH-
ment des chômeurs à la recherche d’emploi. La seule mesure a été celle
GȇDVVRFLHU XQH IRUPDWLRQ REOLJDWRLUH DȴQ TXH OHV FK¶PHXUV HQ ȴQ GH
droits perçoivent une prestation compensatoire. Les actions en faveur
GH OD UHFKHUFKH GȇHPSORL VRQW DEVHQWHV GH OD U«IRUPH WRXW FRPPH OHV
P«FDQLVPHV GȇDGDSWDWLRQ GX SURȴO SURIHVVLRQQHO GHV SHUVRQQHV VDQV
emploi aux nouveaux besoins du marché du travail. Le problème de
Oȇ«FKHF VFRODLUH HW GH OD VXUTXDOLȴFDWLRQ GHV MHXQHV (VSDJQROV QȇD SDV
non plus été résolu. Les chiffres du chômage de certaines catégories

šSamuel BƫƴƹƵƲƯƲƧ, et Marcel JƧƴƸƫƴ, « LCTGHQTOCNCDQTCNFGšWPCRTKOGTCGXCNWC


ción ». Apuntes Fedea, 2012, 16.
šPaul KƷƺƭƳƧƴ, Ignorar la teoría básica causa desastres, Blog Paul Krugman, El País, 20 mai
2013.

72
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

de jeunes dépassent les 70 % et plus d’un tiers des chômeurs de longue


durée sont des jeunes. Certains d’entre eux ont abandonné prématu-
rément le système éducatif et il est important de mettre en œuvre des
mécanismes de retour à l’enseignement traditionnel ou des mesures de
formation. Le contrat d’apprentissage ne semble pas la solution perti-
QHQWHSRXUOHVMHXQHVVDQVIRUPDWLRQFDULOVVRQWHQFRQFXUUHQFHDYHF
GHVMHXQHVTXLVRQWG«M¢SDVV«VHWDYHFVXFFªVSDUOHPDUFK«GXWUDYDLO
(QȴQ GDQV OH GRPDLQH GH OD VXUTXDOLȴFDWLRQ OD SROLWLTXH GX JRX-
vernement ne corrige pas l’inadéquation d’une partie des formations et
GHFHUWDLQVGLSO¶PHVPDLVWHQGSOXW¶W¢UHVWUHLQGUHODGHPDQGHGȇ«GX-
cation. La politique d’éducation a consisté à diminuer les dépenses (y
FRPSULV OHV ERXUVHV  HW ¢ DXJPHQWHU GH PDQLªUH VLJQLȴFDWLYH OHV IUDLV
GȇLQVFULSWLRQFHTXLDHQWUD°Q«OȇH[SXOVLRQHWOȇ«YLFWLRQGȇXQHSDUWLHGHV
étudiants de l’enseignement non obligatoire (essentiellement les études
XQLYHUVLWDLUHV  &HUWDLQV RQW G½ DEDQGRQQHU OHV «WXGHV TXȇLOV DYDLHQW
entamées suite à l’effet combiné de la perte d’emploi et de revenus
de leurs familles et de l’augmentation des frais d’inscription. Dans la
U«IRUPHGHVHQVHLJQHPHQWVFȇHVWXQHYLVLRQLG«RORJLTXHGHOȇ«GXFDWLRQ
et non pas l’ambition de résoudre les problèmes du système éducatif et
du pays qui a prévalu.
+LHU FRPPH DXMRXUGȇKXL SRXU H[SOLTXHU OȇDXJPHQWDWLRQ GX FK¶-
PDJH HQ (VSDJQH LO HVW GRQF Q«FHVVDLUH GH U««YDOXHU OHV FDXVHV GH OD
perte des emplois et/ou du manque de création de ces derniers. Dans le
FRQWH[WH DFWXHO WRXW FRPPH SHQGDQW OHV DQQ«HV  OȇHVVRXɛHPHQW
du modèle de croissance est la principale cause de perte des emplois.
$LQVLGHQRPEUHX[IDFWHXUVSHXYHQWH[SOLTXHUODVLWXDWLRQWHOVTXHOD
prépondérance du secteur du bâtiment et du marché intérieur dans
OD FURLVVDQFH «FRQRPLTXH GH OD S«ULRGH  OD IDLEOH FRPS«WL-
tivité internationale d’une grande partie de l’industrie et sa moindre
orientation à l’exportation. Le problème du chômage en Espagne a un
caractère structurel et sa résolution exige des actions aux conséquences
importantes sur la sphère productive du pays.

73
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

3
Le renouveau du mouvement
républicain : de la nostalgie à la
défiance citoyenne
Alicia FERNÁNDEZ GARCÍA

Marcheur, il n’y a pas de chemin. Le chemin se fait en


marchant.
$QWRQLR0DFKDGR

X FRXUV GHV GHUQLªUHV DQQ«HV OHV PDQLIHVWDWLRQV U«SXEOLFDLQHV

A DȴQ GH F«O«EUHU OD P«PRLUH GH OD 6HFRQGH 5«SXEOLTXH RX GH
revendiquer l’instauration d’une « Troisième République » qui
PHWWUDLW ȴQ DX[ G«ULYHV GX V\VWªPH SROLWLTXH DFWXHO RQW FRQQX XQ
UHQRXYHDX FHUWDLQ 'HV YRL[ GH SOXV HQ SOXV QRPEUHXVHV LVVXHV SULQ-
FLSDOHPHQW GH OD VRFL«W« FLYLOH HW GHV PLOLHX[ LQWHOOHFWXHOV RQW DSSHO«
¢ XQH mVHFRQGH WUDQVLWLRQ} DȴQ GH G«SDVVHU OHV OLPLWHV GH OD FRQVWL-
tution de 1978. Mais l’histoire moderne et contemporaine du républi-
FDQLVPH HQ (VSDJQH GHPHXUH QRQ VHXOHPHQW OLPLW«H PDLV DXVVL WUªV
FRQWURYHUV«H (OOH VH FRQFHQWUH HVVHQWLHOOHPHQW VXU GHX[ «SLVRGHV OD
3UHPLªUH5«SXEOLTXH I«YULHUG«FHPEUH WUªVEUªYHHW
PDUTX«H SDU OȇLQVWDELOLW« SROLWLTXH HW OD 6HFRQGH 5«SXEOLTXH DYULO
1931-1erDYULO TXLJRXYHUQDHQSDL[SHQGDQWVHXOHPHQWFLQTDQV
MXVTXȇDX FRXS Gȇ‹WDW GH MXLOOHW TXL G«FOHQFKD OD JXHUUH FLYLOH HW
obligea le gouvernement républicain de Largo Caballero et le président
socialiste Manuel Azaña à se réfugier à Valence puis à Barcelone de
1937 à 19391 'DQV OD P«PRLUH FROOHFWLYH GHV (VSDJQROV OD 6HFRQGH
République suscite le plus d’interprétations opposées : symbole d’une

šLes travaux historiques sur ces deux périodes sont très nombreux et documentés. Citons
seulement quelques travaux de référence réactualisés. Sur la Première République, cf. José
María JƵƻƫƷ ZƧƳƵƷƧ, Realidad y mito de la Primera República, Pozuelo de Alarcón, EURCUC
CCNRGšJosep FƵƴƹƧƴƧ, La época del liberalismo. Vol. 6 de la collection Historia de España,
dirigée par Josep FƵƴƹƧƴƧ et Ramón VƯƲƲƧƷƫƸ, Barcelone, Marcial PQPUšJorge VƯƲƩƮƫƸ,
Progreso y Libertad. El Partido Progresista en la Revolución Liberal Española, Madrid, Alianza
Editorial, 2001.

75
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

tentative de modernisation inachevée pour certains face à la violence


d’une partie de la classe dirigeante réactionnaire ; régime honni par les
DXWUHVSRXUDYRLUH[DFHUE«OHVGLYLVLRQVLGHQWLWDLUHVHWOHVFRQȵLWVLG«R-
logiques des années 1930 et conduit le pays à l’affrontement sanglant2.
On comprend donc aisément que la république comme régime
SROLWLTXHHWOHU«SXEOLFDQLVPHFRPPHLG«RORJLHQHIRQWSDVFRQVHQVXV
ORLQ GH O¢ ‚ OȇLQYHUVH LO HVW DVVRFL« ¢ OȇLG«DO SROLWLTXH GH OD JDXFKH HW
GHPHXUHUHMHW«SDUODGURLWH$XMRXUGȇKXLOHU«SXEOLFDQLVPHHVWP¬PH
XQLTXHPHQW UHYHQGLTX« SDU XQH FHUWDLQH IUDQJH GH OD JDXFKH PLQR-
ULWDLUHDXQLYHDXGHVDSSDUHLOVSROLWLTXHV6HXOVGHX[SDUWLVIzquierda
Unida (IU) et Esquerra Republicana de Catalunya (5& VHGLVHQWFODLUH-
ment « républicains ». L’ERC prône cependant la république avant tout
dans le contexte catalan. Le soutien au républicanisme est quoi qu’il
en soit plus largement partagé par les bases militantes du PSOE et les
(VSDJQROVGHJDXFKH$LQVLFRPPHQWH[SOLTXHUOHUHQRXYHDXGXPRX-
vement républicain dans l’Espagne d’aujourd’hui ? La thèse de ce cha-
SLWUH HVW TXH FH UHQRXYHDX GX U«SXEOLFDQLVPH TXL GHPHXUH WRXWHIRLV
PLQRULWDLUH WUDGXLW XQH QRVWDOJLH LG«DOLV«H GH OD 6HFRQGH 5«SXEOLTXH
PDLVGRLWVXUWRXW¬WUHFRPSULVFRPPHXQV\PEROHIRUWGHG«ȴDQFHSROL-
tique et de volonté de changement des citoyens.
En replaçant les mouvements sociaux récents dans le contexte de
FULVH«FRQRPLTXHHWVRFLDOHGXSD\VGHSXLVFHFKDSLWUHFKHUFKH¢
déceler les raisons du renouveau de la sympathie à l’égard du régime
U«SXEOLFDLQ WRXW HQ «YDOXDQW OD SRUW«H GH FHV PRELOLVDWLRQV ,O VȇDJLUD
de s’intéresser dans le détail aux principaux groupes et collectifs poli-
tiques et sociaux qui se sont mobilisés lors des dernières années autour
GH OȇHQMHX U«SXEOLFDLQ 3DU O¢ P¬PH QRXV FKHUFKHURQV ¢ PHWWUH HQ
DYDQWOHXUVSULQFLSDOHVUHYHQGLFDWLRQVHW¢U«ȵ«FKLUSOXVJOREDOHPHQW
VXU OD FDSDFLW« GȇLQȵXHQFH GH FH VHFWHXU GȇRSLQLRQ (Q VȇDSSX\DQW VXU
GHV WUDYDX[ KLVWRULRJUDSKLTXHV OD SUHPLªUH SDUWLH UHWUDFH EULªYH-
ment les principales réalisations et les dilemmes de la Première et de
OD 6HFRQGH 5«SXEOLTXH SXLV LOOXVWUH ¢ WUDYHUV GHV H[HPSOHV U«FHQWV

š5WT NC 5GEQPFG 4ȌRWDNKSWG XQKT NŨȌVWFG ENCUUKSWG FG ,CXKGT 6ƺƸƫƲƲ, Las Constituyentes de
XQDVHOHFFLRQHVGHWUDQVLFLµQ, Madrid, CIS, 1982. Pour une édition plus récente, voir Santos
JƺƲƯƧ, La Constitución de 1931, Madrid, Iustel, 2009. Voir de même les études classiques de
Stanley PƧƾƴƫ, La primera democracia española. La Segunda República, 1931-1936, Barcelona,
Paidós, 1995, et El colapso de la República, Madrid, La Esfera de los Libros, 2005. Pour une
XKUKQPU[PVJȌVKSWGFŨGPUGODNGXQKT,WNKȄP%ƧƸƧƴƵƻƧ, República y Guerra Civil. Vol. 8 de Historia
de España, op. cit., 2007. Enfin, pour une étude plus récente sur la droite, voir Eduardo GƵƴƿʜƲƫƿ
CƧƲƲƫưƧ Contrarrevolucionarios. Radicalización violenta de las derechas durante la Segunda
República, Alianza Editorial, Madrid, 2011.

76
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

comment la mémoire républicaine demeure intimement liée à la


question des victimes de la guerre civile. La seconde partie porte sur
OHV PRELOLVDWLRQV FRQWHPSRUDLQHV HQ PRQWUDQW FRPPHQW OH PRXYH-
PHQW U«SXEOLFDLQ VH VLWXH ¢ OD FRQȵXHQFH GHV PRXYHPHQWV VRFLDX[
OD m7URLVLªPH5«SXEOLTXH} DJLVVDQW FRPPH XQ LG«DO UDVVHPEOHXU HW
l’abdication du roi Juan Carlos Ier ayant joué le rôle d’un événement
déclencheur d’une repolitisation de la question du régime politique
de l’Espagne. La troisième partie étudie le lien entre la revendication
républicaine et les mouvements indépendantistes et régionalistes en
&DWDORJQHDX3D\VEDVTXHHWHQ*DOLFH(QȴQODFRQFOXVLRQSURSRVHXQH
U«ȵH[LRQFULWLTXHVXUOHVPRELOLVDWLRQVGHVGHUQLªUHVDQQ«HVOȇLQȵXHQFH
et les perspectives futures du républicanisme en Espagne.

LA MÉMOIRE HISTORIQUE
RÉPUBLICAINE EN ESPAGNE

La Première République :
l’image négative de la « République de 1873 »
La Première République fut le régime politique de l’Espagne du
11 février 1873 au 29 décembre 1874. Il s’inséra dans le cadre du sexen-
QDW G«PRFUDWLTXH HQFOHQFK« SDU OD U«YROXWLRQ GH  TXL G«ERXFKD
VXU OH UªJQH Gȇ$PDGHR ,HU SXLV VXU OD 5«SXEOLTXH VXLWH ¢ OȇDEGLFDWLRQ
OH I«YULHU  GH FH GHUQLHU DFFXO« SDU OD WURLVLªPH JXHUUH FDU-
OLVWH OH FRQȵLW GH &XED OȇRSSRVLWLRQ GHV PRQDUFKLVWHV SDUWLVDQV GH OD
UHVWDXUDWLRQGȇ$OIRQVHGH%RXUERQ ȴOVGȇ,VDEHO,, HWOHVLQVXUUHFWLRQV
républicaines3 /D 3UHPLªUH 5«SXEOLTXH SULW ȴQ VXLWH DX FRXS Gȇ‹WDW
du général Arsenio Martínez-Campos qui donna lieu à la restauration
bourbonienne. Elle fut très brève et caractérisée par l’instabilité poli-
WLTXHGXUDQWVHVRQ]HSUHPLHUVPRLVGȇH[LVWHQFHHOOHHQFKD°QDTXDWUH
présidents issus du Parti républicain fédéral. Le premier gouvernement
d’Estanislao Figueras dut faire face à une situation de crise économique
HWVRFLDOHGDQVOHFRQWH[WH GHODFULVH PRQGLDOHGHPDUTX«HSDU
OȇDXJPHQWDWLRQGXFK¶PDJHHWGHVJUªYHV¢U«S«WLWLRQ(Q$QGDORXVLHOD
république était associée symboliquement à la réforme agraire par les
paysans sans terre des latifundios GHV GRPDLQHV DJULFROHV LPPHQVHV

šStéphane MƯƩƮƵƴƴƫƧƺ, « Le Sexenio FȌOQETCVKSWG z FCPU Jordi CƧƴƧƲ FKT 


Histoire de l’Espagne contemporaine de 1808 à nos jours GȌFKVKQP Paris, Armand Colin, 2014,
chapitre IX.

77
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

propriétés le plus souvent de nobles hidalgos issus de l’aristocratie


madrilène : les paysans demandèrent ainsi la parcellisation immédiate
GHVWHUUHVHQWUD°QDQWGHQRPEUHX[FRQȵLWVORFDX[
/D 3UHPLªUH 5«SXEOLTXH SHLQD ¢ IDLUH UHVSHFWHU OȇRUGUH SXEOLF
notamment en raison de la présence de « juntes révolutionnaires » qui
G«ȴªUHQW OH SRXYRLU GH OȇDGPLQLVWUDWLRQ FHQWUDOH HW GHV PDLULHV /HV
m9RORQWDLUHV GH OD 5«SXEOLTXH} XQH PLOLFH WRO«U«H SDU OH JRXYHUQH-
PHQWVȇRSSRVªUHQW4DX[m9RORQWDLUHVGHOD/LEHUW«}ODPLOLFHPRQDU-
chiste fondée durant le règne d’Amadeo Ier  /HV UDGLFDX[ TXL G«IHQ-
GDLHQW OD U«SXEOLTXH XQLWDLUH VȇRSSRVDLHQW DX[ U«SXEOLFDLQV I«G«UD-
OLVWHVFRPPHOȇLOOXVWUHODFDULFDWXUHGXTXRWLGLHQVDWLULTXHLa Flaca de
HX[P¬PHVGLYLV«VHQWUHOHVI«G«UDOLVWHVmPRG«U«V}HWmLQWUDQ-
sigeants5}3OXVLHXUVFRXSVGȇ‹WDWG«VWDELOLVªUHQWOHU«JLPHQRWDPPHQW
FHX[GXUDGLFDOSU«VLGHQWGHOȇ$VVHPEO«HQDWLRQDOH&ULVWLQR0DUWRVOH
I«YULHUSXLVOHPDUVHW¢QRXYHDXOHDYULODYHFOȇDSSXLGX
général Pavia et du PDUWL FRQVWLWXWLRQQHO GȇRULHQWDWLRQ FRQVHUYDWULFH6.
/HVU«SXEOLFDLQVI«G«UDOLVWHVmLQWUDQVLJHDQWV}TXLGRPLQDLHQWODG«SX-
WDWLRQGH%DUFHORQHSURFODPªUHQWGHP¬PHOȇ‹WDWFDWDODQHQPDUV

Photo 3.1. Caricature de la Ire République, revue satirique La Flaca, 3 mars 1873

šJorge VƯƲƩƮƫƸ, op. cit., 2001, p. 370.


šJosep FƵƴƹƧƴƧop. cit.R
šJorge VƯƲƩƮƫƸ, op. cit., 2001, p. 372.

78
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

Les élections du 10 au 13 mai 1873 illustrèrent bien le manque de


légitimité du régime : non seulement les carlistes (en guerre depuis
1972) et les monarchistes partisans d’Alfonse de Bourbon dirigés par
&£QRYDVGHO&DVWLOORQHUHFRQQDLVVDLHQWSDVOD5«SXEOLTXHPDLVOHVUDGL-
FDX[ OHV PHPEUHV GX Parti constitutionnel et même les organisations
RXYULªUHVSURFKHVGHOȇ,QWHUQDWLRQDOHVRFLDOLVWHER\FRWWªUHQWOHVFUXWLQ
de telle sorte qu’il n’y eut pas de véritable lutte électorale7. Avec 60 %
GȇDEVWHQWLRQFHV«OHFWLRQVFRPSWHQWSDUPLOHVPRLQVPRELOLVDWULFHVGH
OȇKLVWRLUHGHOȇ(VSDJQHHQ&DWDORJQHVHXOGHOȇ«OHFWRUDWVHUHQGLW
DX[ XUQHV HW  ¢ 0DGULG HW FH PDOJU« OȇDEDLVVHPHQW GH Oȇ¤JH GX
droit de vote de 25 à 21 ans8. Les Espagnols doutaient beaucoup de la
U«SXEOLTXH /H FRXS Gȇ‹WDW GX J«Q«UDO 3DYLD OH DR½W UHPLW HQ
FDXVH OH I«G«UDOLVPH HW LQVWDXUD XQH U«SXEOLTXH XQLWDLUH GLULJ«H SDU
OHJ«Q«UDO6HUUDQRTXL«WDLWGȇDLOOHXUVGHYHQXOHQRXYHDXGLULJHDQWGX
Parti constitutionnel. En parallèle avec l’instabilité gouvernementale
et l’opposition entre partisans d’un régime fédéral ou unitaire et cen-
WUDOLV« OD 3UHPLªUH 5«SXEOLTXH GXW IDLUH IDFH VLPXOWDQ«PHQW ¢ WURLV
FRQȵLWV OD WURLVLªPH JXHUUH FDUOLVWH  9 OD U«YROXWLRQ FDQWR-
nale10 HW OD JXHUUH GHV 'L[ $QV SUHPLªUH JXHUUH GȇLQG«SHQGDQFH GH
Cuba (1868-1878).

šDCPUNGUSWGNSWGUFKUVTKEVUQșWPGEQORȌVKVKQPȌNGEVQTCNGGWVVQWVGHQKUNKGWEGNNGEKUŨQTIC
nisa uniquement entre républicains fédéralistes « modérés » ou « intransigeants ».
šJorge VƯƲƩƮƫƸ, op. cit., 2001, p. 381.
šLC VTQKUKȋOG IWGTTG ECTNKUVG CXTKNHȌXTKGT  FȌUKIPG NŨCHHTQPVGOGPV SWK
opposa, d’une part, les partisans de Charles VII de BQWTDQP   RTȌVGPFCPV ECTNKUVG
au trône d’EURCIPG GVCȑPȌFGUECRȌVKGPUGVEJGHFGNCOCKUQPFGFrance, considéré à ce titre
par les légitimistes comme le roi de France « Charles XI »), et, d’autre part, les gouvernements
d’Amadeo Ier, de la Première République et d’Alfonse XII. Sur le carlisme, voir Julio MƵƴƹƫƷƵ
El Estado Carlista. Principios teóricos y práctica política (1872-1876), Madrid, Aportes XIXš
Jordi CƧƴƧƲ, El Carlismo. Dos siglos de contrarrevolución en España, Madrid, Alianza Editorial,
š5WTNGNKGPFG%JCTNGU8++ȃNCOCKUQPFG(TCPEGXQKT Jacques ƨƫƷƴƵƹ, /HVSULQFHVFDFK«V̰
Histoire des prétendants légitimistes, Paris, Lanore, 2014, p. 13.
šLa révolution cantonale est un mouvement politique qui se fit jour en juillet 1873 par une
grève révolutionnaire à Alcoy puis par l’insurrection de Carthagène le 12 juillet, et qui consista
en une réorganisation d’une partie du territoire de l’Espagne en cantons, à savoir de fédérations
de villes qui se regroupaient librement. Il entraîna la démission de Pi y Margall, le ministre de
l’Intérieur. Le mouvement s’étendit ensuite dans les régions de Valence, de Murcie, de l’Anda
lousie, en EUVTȌOCFWTG ȃCoria, HGTXȄUPlasencia) où fut créé le journal El Canton Extremeño,
et dans la province de Salamanque. La majorité des cantons, dotés de milices d’autodéfense,
UWRRTKOȋTGPVNGUOQPQRQNGUGVNGUKORȖVUUWTNCEQPUQOOCVKQP FTQKVUFŨQEVTQK VQWVGPTGEQP
naissant le droit au travail et en instaurant la journée de huit heures. Les cantons d’Almansa,
Loja, Séville, MȄNCICCadix, Tarifa et surtout CCTVJCIȋPGSWKHWVNGFGTPKGTȃTȌUKUVGT LWUSWŨCW
13 janvier1874) furent les plus actifs. Ce mouvement était partisan d’un fédéralisme radical et
eut une grande influence sur le mouvement ouvrier et surtout sur l’anarchisme en Espagne. Voir
José BƧƷʭƴFƫƷƴʜƴƪƫƿEl movimiento cantonal de 1873 (1ª República), La Corogne, Edicios do
Castro, 1998, p. 214.

79
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Lors de son discours d’investiture à la Real Academia de la Historia en


OȇKLVWRULHQ-RV«0DU¯D-RYHU=DPRUDG«GLDVRQH[SRV«¢ODmU«DOLW«
et aux mythes de la Première République ». Il montra combien la vision
que l’on conserve de ce régime en Espagne reste stéréotypée et défor-
mée. Il insista sur le caractère exagéré du parallèle parfois fait entre la
U«YROXWLRQFDQWRQDOHWUªVORFDOLV«HHWGRQWOHVHIIHWVIXUHQWOLPLW«VHWOD
&RPPXQHGH3DULVTXLHXW¢OȇLQYHUVHXQLPSDFWPRQGLDO6ȇLOUHFRQQXW
ODUJHPHQW OȇLQVWDELOLW« GX U«JLPH HW VHV FULVHV LQWHUQHV =DPRUD PLW HQ
évidence la tendance de l’historiographie postérieure et d’importants
historiens comme Manuel de la Revilla ou Marcelino Menéndez y Pelayo
à promouvoir une « image de la République de 1873 » trop détachée de
sa situation historique de référence et déformée par une vision conserva-
trice hostile stigmatisant le fédéralisme comme « absurde » et l’associant
au « séparatisme »11$LQVLOHVG«ERLUHVGHOD3UHPLªUH5«SXEOLTXHPDLV
aussi les interprétations dominantes formulées dans les années et les
G«FHQQLHV TXL VXLYLUHQW G«FU«GLELOLVªUHQW GXUDEOHPHQW OH U«JLPH U«SX-
EOLFDLQHQ(VSDJQHHQOȇDVVRFLDQW¢OȇmLQVWDELOLW«}DXmG«VRUGUH}¢OD
mFULVHGȇDXWRULW«}¢ODmFROOHFWLYLVDWLRQ}DXmVRFLDOLVPH}HW¢OȇmXWR-
pie »12. Autant de représentations sociales négatives qui contribuèrent
¢ FLPHQWHU OȇLPDJLQDLUH FROOHFWLI GHV (VSDJQROV GH OD ȴQ GX ;,;e et du
début du XXeVLªFOH(QPDOJU«OHU«WDEOLVVHPHQWGHODG«PRFUDWLH
le Dictionnaire de la langue espagnole de la Real Academia Española
DVVRFLDLWHQFRUHODU«SXEOLTXH¢XQmOLHXR»UªJQHOHG«VRUGUHSRXUH[FªV
de libertés13 ».

La Seconde République : une image très clivée


Suite à la démission du général Miguel Primo de Rivera en jan-
YLHUOHURL$OIRQVH;,,,QRPPDOHJ«Q«UDO'£PDVR%HUHQJXHUFKHI
du gouvernement dans le dessein de revenir à la « normalité constitu-
WLRQQHOOH} 0DLV OȇH[S«ULHQFH TXL QH GXUD TXH MXVTXȇHQ I«YULHU
connue comme la « Dictablanda } OD mGLFWDWXUH GRXFH}  IXW SHX
concluante. La monarchie et les anciens partis dynastiques étaient
d’autant plus discrédités qu’ils avaient soutenu le régime de Primo de
Rivera14. Les élections municipales du 12 avril 1931 ne furent pas un

šCe discours fut revu et corrigé, publié puis réédité par la suite. Cf. José María JƵƻƫƷ
ZƧƳƵƷƧ, op. cit., 1991, p. 80.
šIbid., p. 81.
šIbid., p. 82.
šGenoveva GƧƷƩʨƧ QƺƫƯǞƵ Dƫ LƲƧƴƵ El reinado de Alfonso XIII. La modernización fallida,
Madrid, Historia 16, 1997, p. 130.

80
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

WULRPSKHSRXUOHVU«SXEOLFDLQVQRWDPPHQWGDQVOHVFDPSDJQHV0DLV
OHIDLWTXHOHYRWHUXUDODLW«W«FRPSOªWHPHQWG«IRUP«SDUOȇLQȵXHQFHHW
les pressions sociales des « caciques} UHODLV ORFDX[ GHV «OLWHV FRQVHU-
YDWULFHVHWPRQDUFKLVWHVG«O«JLWLPDFHOXLFLDORUVTXHOHVU«SXEOLFDLQV
UHPSRUWªUHQW GH ODUJHV YLFWRLUHV GDQV  FDSLWDOHV GH SURYLQFH GRQW
0DGULG HW %DUFHORQH FH TXL OHV LQFLWD ¢ LQVWDXUHU LPP«GLDWHPHQW OD
république15.
La Seconde République fut ainsi le régime politique démocratique
VRXVOHTXHOY«FXWOȇ(VSDJQHHQWUHOHDYULOGDWHGHVDSURFODPD-
WLRQ HW OH erDYULO  GDWH GX G«EXW GH OD JXHUUH FLYLOH TXL G«ERX-
cha sur la dictature franquiste (1939-1975). Après la mise en place
du gouvernement provisoire (avril-décembre 1931) qui approuva la
FRQVWLWXWLRQGHODS«ULRGHGXUDQWODTXHOOHOD6HFRQGH5«SXEOLTXH
JRXYHUQDmHQSDL[}SHXW¬WUHGLYLV«HHQWURLVSKDVHV/DSUHPLªUHGH
¢SHUPLW¢ODFRDOLWLRQU«SXEOLFDLQHHWVRFLDOLVWHGLULJ«HSDU
Manuel Azaña de mener à bien plusieurs réformes qui modernisèrent
OH SD\V /D VHFRQGH GH  ¢  FRQVLG«U«H SDU OD JDXFKH FRPPH
XQH S«ULRGH U«DFWLRQQDLUH SHUPLW DX JRXYHUQHPHQW GX SDUWL U«SXEOL-
FDLQ UDGLFDO Gȇ$OHMDQGUR /HUURX[ DYHF OȇDSSXL GH OD GURLWH FDWKROLTXH
OD &RQI«G«UDWLRQ HVSDJQROH GHV GURLWHV DXWRQRPHV &('$  GH UHYHQLU
sur une partie des réformes menées jusqu’alors. Durant cette période
VHSURGXLVLWODU«YROXWLRQGHXQHU«YROWHSRSXODLUHTXLG«ERXFKD
sur une véritable insurrection en Asturies et fut réprimée dans le sang
par l’armée16. La troisième période fut marquée par la victoire du Front
SRSXODLUH OD FRDOLWLRQ GHV JDXFKHV ORUV GHV «OHFWLRQV O«JLVODWLYHV GH
OH)URQWQHSXWJRXYHUQHUTXHFLQTPRLVHQUDLVRQGXFRXSGȇ‹WDW
des 17 et 18 juillet 1936 qui entraîna la guerre civile.
'XUDQWODJXHUUHGH¢WURLVJRXYHUQHPHQWVU«SXEOLFDLQV
VHVXFF«GªUHQWGRQWDXFXQQHSDUYLQW¢IDLUHUHVSHFWHUOHPRQRSROHGH
ODYLROHQFHGHOȇ‹WDWFHQWUDOHWODO«JDOLW«U«SXEOLFDLQHVXUVRQSURSUHWHU-
ULWRLUH/HJRXYHUQHPHQWU«SXEOLFDLQGH-RV«*LUDOGXWDLQVLFRPSRVHU
avec des centaines de comités républicains d’autodéfense formés suite
à la révolution sociale de 1936. Le gouvernement du socialiste Francisco
/DUJR &DEDOOHUR VHSWHPEUHPDL  H[GLULJHDQW GH Oȇ8QLRQ
J«Q«UDOH GHV WUDYDLOOHXUV 8*7  IXW P¬PH REOLJ« GH FRPSRVHU DYHF
la pression des anarchistes de la Confédération nationale du travail

šSantos JƺƲƯƧ, op. cit., 2009, p. 20.


šSur ce point, voir Juan Pablo FƺƸƯ, « NCEKQPCNKUOQ[TGXQNWEKȕPšOctubre de 1934 en el País
Vasco », dans Gabriel JƧƩƱƸƵƴ et al FKT Octubre 1934. Cincuenta años para la reflexión, Madrid,
Siglo XXIR

81
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

&17 TXLDYDLHQWMRX«XQU¶OHFHQWUDOGDQVODU«YROXWLRQRUJDQLVªUHQW
des grèves insurrectionnelles et des actions directes pour prendre le
FRQWU¶OHGHVXVLQHVHWIRUPªUHQWGHQRPEUHXVHVPLOLFHVGȇDXWRG«IHQVH
QRWDPPHQWHQ&DWDORJQH'HSXLV%DUFHORQHOHJRXYHUQHPHQWGXVRFLD-
liste Juan Negrín (mars 1937-mars 1939) chercha à résister jusqu’au
ERXW¢OȇDYDQF«HGHVWURXSHVmQDWLRQDOHV}DYDQWGHSUHQGUHODURXWH
GHOȇH[LOVXLWHDXFRXSGȇ‹WDWGXJ«Q«UDO&DVDGR
La Seconde République eut à son actif des avancées sociales
HW SROLWLTXHV VDQV SU«F«GHQW 'DQV VHV SULQFLSHV IRQGDPHQWDX[ OD
FRQVWLWXWLRQ GH  SURFODPD OD V«SDUDWLRQ GH Oȇ‹JOLVH HW GH Oȇ‹WDW OH
caractère laïc des institutions nationales et le principe de l’élection
des responsables publics. Elle supprima aussi la seconde chambre
WURS DULVWRFUDWLTXH UHFRQQXW OH PDULDJH FLYLO HW OH GLYRUFH HW LPSRVD
OHVXIIUDJHXQLYHUVHOGRQQDQWDLQVLDX[IHPPHVODSRVVLELOLW«GHYRWHU
pour la première fois en 193317. Une réforme agraire fut mise en place
HQGHP¬PHTXHGHQRXYHDX[VWDWXWVGȇDXWRQRPLHHQ&DWDORJQH
DX 3D\V EDVTXH HW HQ *DOLFH 'H QRXYHDX[ GURLWV IXUHQW GRQQ«V DX[
WUDYDLOOHXUV &RPPH OH VRXOLJQH ELHQ 0HUFHGHV <XVWD OHV LPSRUWDQWV
SURJUªV VRFLDX[ PDLV DXVVL OHV QRPEUHX[ G«ȴV DX[TXHOV OD 6HFRQGH
République dut faire face ont donné corps à des interprétations oppo-
V«HVHWWUªVGLɚFLOHPHQWU«FRQFLOLDEOHVVXUOHVP«ULWHVRXDXFRQWUDLUH
les responsabilités de ce régime :
2QWURXYHUDGLɚFLOHPHQWGDQVOȇKLVWRLUHGHOȇ(VSDJQHXQHS«ULRGHDXVVL
FRQWURYHUV«HTXHFHOOHGHOD6HFRQGH5«SXEOLTXH3RXUOHVXQVHOOHUHSU«-
sente une occasion unique de moderniser l’Espagne qui fut brutalement
étouffée par ceux qui ne voulaient pas perdre leurs privilèges. Pour les
DXWUHVFȇHVWODS«ULRGHTXLH[DFHUEDOHVGLYLVLRQVHWOHVFRQȵLWVTXLIUDF-
WXUDLHQWODVRFL«W«HVSDJQROHMXVTXȇ¢ODIDLUH«FODWHUORUVGȇXQHVDQJODQWH
JXHUUH FLYLOH GRQW OHV SROLWLFLHQV U«SXEOLFDLQV VHUDLHQW SDUWLHOOHPHQW
VLQRQWRWDOHPHQWUHVSRQVDEOHV18.

&ȇHVW SRXUTXRL GDQV OD P«PRLUH FROOHFWLYH HVSDJQROH OD 6HFRQGH


République demeure davantage jugée à partir des événements histo-
ULTXHV TXL OXL VRQW SRVW«ULHXUV OD JXHUUH FLYLOH SXLV OD GLFWDWXUH IUDQ-
TXLVWHSOXW¶WTXȇ¢SDUWLUGȇXQHDQDO\VHGXU«JLPHOXLP¬PHGHVHVVXF-
cès et de ses limites. La Seconde République demeure plus associée au
traumatisme de la guerre civile qu’à ses nombreuses avancées sociales
et politiques et à sa contribution à la modernisation de l’Espagne. Pour

šSantos JƺƲƯƧ, op. cit.R


šMercedes YƺƸƹƧ, « La Seconde République », dans Jordi CƧƴƧƲ FKT op. cit., 2014, p. 173.

82
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

EHDXFRXS HOOH V\PEROLVH DXVVL OH SDVV« XQH H[S«ULHQFH FHUWHV QRYD-
WULFHSRXUOȇ«SRTXHPDLVGRQWOHSUL[¢SD\HUD«W«WURSORXUGGDQVOH
contexte espagnol. La propagande franquiste a d’ailleurs largement
FRQWULEX«¢G«O«JLWLPHUFHU«JLPHVHPDQWOHGRXWHGDQVOHVP«PRLUHV
FROOHFWLYHVHQIDOVLȴDQWDOO«JUHPHQWOȇKLVWRLUHHWHQOXLIDLVDQWSRUWHUOD
responsabilité de la guerre civile.

Républicanisme et victimes de la guerre civile


'H QRV MRXUV OȇLG«H GȇXQ UHWRXU ¢ OD U«SXEOLTXH V«GXLW GȇDERUG
OHV GHVFHQGDQWV GHV U«SXEOLFDLQV HW GHV YLFWLPHV GH OD JXHUUH FLYLOH
de même que les personnes qui ont personnellement vécu la répres-
VLRQ IUDQTXLVWH 3RXU FHWWH IUDQJH GH OD VRFL«W« HVSDJQROH OD 6HFRQGH
République se remémore avec nostalgie et symbolise l’idéal d’un
U«JLPH G«PRFUDWLTXH HW U«SXEOLFDLQ VDQV SHUVRQQDOLVDWLRQ H[FHVVLYH
GXSRXYRLU/DPRQDUFKLHHVWSHU©XHFRPPHmLOO«JLWLPH}VDFKDQWTXH
Juan Carlos Ier D «W« FKRLVL HW SURPX SDU )UDQFR OXLP¬PH HQ  HW
qu’elle aurait été imposée lors de la transition sans consultation des
(VSDJQROV 6ȇLO HVW FODLU FRPPH OH UDSSHOOH 3DORPD $JXLODU )HUQ£QGH]
GDQV VRQ ĕXYUH PDJLVWUDOH TXH OD UHVWDXUDWLRQ GH OD PRQDUFKLH D
FRQVWLWX«XQ«O«PHQWFO«GXmFRPSURPLV}GHODWUDQVLWLRQSHUPHWWDQW
de convaincre les élites de l’ancien régime franquiste et de la droite
conservatrice d’accepter le nouveau système démocratique (ce qui
VHPEOHUDLWFRQȴUPHUOȇDUJXPHQWGȇXQHmLPSRVLWLRQ}GHODPRQDUFKLH 
il ne faut toutefois pas oublier que les Espagnols se sont prononcés par
référendum et ont massivement approuvé la constitution de 197819. Il
est vrai qu’un référendum qui aurait exclusivement porté sur la forme
GHOȇ‹WDWSURSRVDQWOHFKRL[HQWUHU«SXEOLTXHHWPRQDUFKLHQȇDSDV«W«
organisé. Une telle consultation aurait redonné corps au clivage issu de
la guerre civile entre les républicains et les conservateurs que le pacte
GH OD WUDQVLWLRQ FKHUFKDLW MXVWHPHQW ¢ HIIDFHU 0DLV HQ SO«ELVFLWDQW OD
FRQVWLWXWLRQ GH  TXL SU«FLVH ELHQ GDQV VRQ DUWLFOH TXH OD IRUPH
GHOȇ‹WDWHVWXQHPRQDUFKLHSDUOHPHQWDLUHOHV(VSDJQROVRQWU«LQVWDXU«
ODPRQDUFKLHVXUGHQRXYHOOHVEDVHVG«PRFUDWLTXHVHWOXLRQWGRQQ«OD
légitimité originelle qu’elle nécessitait.

šSur la question de la gestion de la « mémoire historique », l’ouvrage de Paloma Aguilar


FGTPȄPFG\EQPUVKVWGUCPUCWEWPFQWVGWPGTȌHȌTGPEGRCTUQPFȌVCKNUQPȌTWFKVKQPGVUCRGTU
pective comparée. Cf. Paloma AƭƺƯƲƧƷFƫƷƴʜƴƪƫƿPolíticas de la memoria y memorias de la polí-
tica, Madrid, Alianza Editorial, 2008. Lors du référendum du 6 décembre 1978, sur 26,6 millions
d’électeurs, 17,7 millions soit 67,1 % ont voté. Parmi les suffrages exprimés, 87,8 % des votants
ont approuvé la nouvelle constitution démocratique.

83
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Ce rappel des circonstances historiques qui ont présidé à la restau-


ration de la monarchie lors de la transition permet de bien comprendre
pourquoi la nostalgie de la Seconde République subsiste encore en
(VSDJQH PDLV GHPHXUH XQ SK«QRPªQH VRFLDO DVVH] PLQRULWDLUH (OOH
WRXFKH VXUWRXW XQH J«Q«UDWLRQ GH SHUVRQQHV SOXW¶W ¤J«HV LVVXHV GHV
PLOLHX[FRPPXQLVWHVHWU«SXEOLFDLQVSRXUTXLODWUDQVLWLRQD«W«Y«FXH
comme une évolution incomplète : elle n’a pas débouché sur une restau-
UDWLRQGHODU«SXEOLTXHLG«DOLV«HFRPPHOHU«JLPHOHSOXVG«PRFUDWLTXH
SRVVLEOH QL P¬PH SHUPLV GH SXQLU OHV FULPHV IUDQTXLVWHV &HUWHV OD
loi sur la mémoire historique approuvée par le Congrès des députés
le 31 octobre 2007 durant le premier mandat du socialiste José Luis
5RGULJXH]=DSDWHURDUHFRQQXV\PEROLTXHPHQWOHVVRXIIUDQFHVGHWRXWHV
les victimes de la guerre civile et de la dictature franquiste. Mais cette
ORL QH IDFLOLWH SDV OȇRXYHUWXUH GHV IRVVHV FRPPXQHV GDQV OHVTXHOOHV VH
WURXYHQWOHVUHVWHVGHYLFWLPHVHWGHGLVSDUXVTXLHVWHIIHFWX«HSDUGHV
associations locales privées le plus souvent. La loi n’a pas non plus impo-
sé une remise en cause totale de la présence des symboles franquistes
dans les espaces publics : de nombreuses rues des villes et des villages
d’Espagne arborent encore les noms de militaires responsables du coup
Gȇ‹WDW GH  HW GH GLJQLWDLUHV IUDQTXLVWHV 3RXU OHV GHVFHQGDQWV GHV
SHUVRQQHVGLVSDUXHVODWUDQVLWLRQV\PEROLVHGRQFWRXMRXUVXQmSDFWHGH
l’oubli » imposé au détriment des victimes et de la recherche de justice20.
4XHOTXHVH[HPSOHVWLU«VGHOȇDFWXDOLW«U«FHQWHSHUPHWWHQWGȇLOOXVWUHU
WDQWODQRVWDOJLHOL«H¢ODUHYHQGLFDWLRQU«SXEOLFDLQHTXHVRQFDUDFWªUH
PLQRULWDLUH‚0DGULGOHG«FHPEUHPLOOHSHUVRQQHVVHVRQWDLQVL
réunies pour manifester et rendre hommage au dirigeant communiste
-XOL£Q *ULPDX TXL PRXUXW HQ WRPEDQW GȇXQH IHQ¬WUH HQ FKHUFKDQW ¢
échapper à la police franquiste21'HP¬PHGDQVOHFDGUHGHVSURWHVWD-
WLRQVGHVLQGLJQ«VOHJURXSHGHVm,DLRȵDXWDV}DPRQWU«OȇLQFRUSRUDWLRQ
de la revendication républicaine au sein de ce nouveau mouvement
VRFLDO HQ GHPDQGDQW mY«ULW« MXVWLFH HW U«SDUDWLRQ} SRXU OHV YLFWLPHV
GHODJXHUUHFLYLOHHWGXIUDQTXLVPHFHFROOHFWLIFRPSRV«GHSHUVRQQHV
VRXYHQW¤J«HVGHSOXVGHVRL[DQWHGL[DQVDFKHUFK«¢PHWWUHHQ«YLGHQFH
le caractère actuel de ses revendications. La dénonciation des crimes de
ODJXHUUHFLYLOHHWGHOȇLPSXQLW«HVWXQ«O«PHQWFHQWUDOTXLDX[\HX[GH

šPour Sandrine Lefranc, spécialiste de la « justice transitionnelle », toute transition démocra


tique se caractérise par ce dilemme moral lié à la conciliation d’objectifs distincts, d’une part, la
réconciliation, la pacification et le pardon, et d’autre part, la nécessité de justice. VOIR Sandrine
LƫƬƷƧƴƩ, Politiques du pardon, Paris, Presses universitaires de France, 2002.
šJoaquín GƯƲ, « Hay que luchar por la III República », El País, 6 décembre 2011.

84
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

FHVHFWHXUGHODVRFL«W«LOOXVWUHUDLWOHVOLPLWHVGXV\VWªPHSROLWLTXHDFWXHO
LVVX GH OD WUDQVLWLRQ 3DU H[HPSOH HQ DYULO OD SODWHIRUPH Séville
pour la RépubliqueHQSU«VHQFHGXFRRUGLQDWHXUGȇ,8SRXUOȇ$QGDORXVLH
$QWRQLR 0D¯OOR D RUJDQLV« XQ KRPPDJH DX[ YLFWLPHV GX VRXOªYHPHQW
militaire de juillet 1936 sur le lieu de la fosse commune du cimetière de
San Fernando.
'DQV SOXVLHXUV YLOOHV HW YLOODJHV Gȇ(VSDJQH GHV GUDSHDX[ GH OD
Seconde République sont hissés symboliquement par des maires répu-
EOLFDLQV ORUV GH OD GDWH DQQLYHUVDLUH GH VD SURFODPDWLRQ OH DYULO
GH FKDTXH DQQ«H (Q  ORUV GX e anniversaire de la Seconde
5«SXEOLTXH XQ GUDSHDX GH P GH ORQJ D «W« WLU« SDU OH 3&( VXU OD
Puerta del Sol à Madrid22 (Q  FH IXW DXVVL OH FDV ¢ 3DORPDUHV
GHO 5¯R GDQV OD SURYLQFH GH 6«YLOOH XQH SHWLWH YLOOH GLULJ«H SDU -XDQD
Caballero à la tête d’une coalition entre IU et la Coalition andalouse.
/HVDXWRULW«VGH9LOODYHUGHGHO5¯RXQHORFDOLW«JRXYHUQ«HSDUODP¬PH
FRDOLWLRQ G«FLGªUHQW DXVVL GȇRUQHU OD PDLULH GX GUDSHDX U«SXEOLFDLQ
SHQGDQWXQHVHPDLQH¢F¶W«GHVDXWUHVGUDSHDX[ GHOȇ8(GHOȇ(VSDJQH
HWGHOȇ$QGDORXVLH DYDQWGȇ¬WUHFRQGDPQ«HV¢OHUHWLUHUSDUOHWULEXQDO
administratif de Séville.
/H DYULO  GHX[ PLOOH FLQT FHQWV SHUVRQQHV RQW ¢ QRXYHDX
G«ȴO« ¢ 0DGULG GH OD 3OD]D GH &LEHOHV MXVTXȇ¢ OD 3XHUWD GHO 6RO HQ
HPSUXQWDQWODUXH$OFDO£HQP«PRLUHGHODSURFODPDWLRQGHOD6HFRQGH
République23. Même si l’aversion de ces personnes à l’égard de la
monarchie se comprend assez aisément pour les raisons historiques et
IDPLOLDOHVPHQWLRQQ«HVSU«F«GHPPHQWIRUFHHVWWRXWHIRLVGHFRQVWDWHU
que l’idéalisation de la Seconde République n’est pas partagée par la
PDMRULW« GHV (VSDJQROV SRXU TXL FH U«JLPH V\PEROLVH OH SDVV« HW VHV
démons. La nostalgie de la Seconde République demeure minoritaire
en ce qu’elle est associée symboliquement à un « retour en arrière ». Le
propos d’un lecteur du quotidien El País de Majadahonda (Madrid) est
parfaitement révélateur :

šJusqu’en 1931, les républicains espagnols célébraient l’anniversaire de la Première


République le 11 février. Cette célébration a disparu par la suite, et fut remplacée par l’anniver
saire de la proclamation de la Seconde République le 14 avril, qui fut d’ailleurs une « fête natio
PCNGzFGȃ OȍOGUKFCPUNGUHCKVUUGWNGOGPVGPVGTTKVQKTGTȌRWDNKECKPȃRCTVKTFG
1936). Le 14 avril 1931, des milliers de personnes se sont réunies face à l’ancien ministère de
l’intérieur, l’actuelle présidence du gouvernement de la communauté de Madrid, pour célébrer la
fin du règne d’Alfonse XIII. Cf. « La bandera republicana regresa a la Puerta del Sol », El Mundo,
14 avril 2010. Sur l’utilisation symbolique par les municipalités du drapeau républicain ou des
drapeaux catalan et basque, cf. Sebastian BƧƲƬƵƺƷ et Alejandro QƺƯƷƵƭƧEspaña reinventada.
Nación e identidad desde la Transición, Barcelona, Ediciones Península, 2007.
23. « Miles de personas claman en Madrid por la III República », El País, 14 avril 2014.

85
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

-HUHVVHQVXQHJUDQGHV\PSDWKLHSRXUOHGUDSHDXWULFRORUHPDLVSOXW¶W
TXH GH PRELOLVHU HQ IDYHXU GH OD 5«SXEOLTXH GX IXWXU MH SHQVH TXȇHOOH
implique un frein pour beaucoup de gens. Ce drapeau symbolise une
LG«H GH UHWRXU HQ DUULªUH DYHF XQH «SRTXH TXH QRXV FKHUFKRQV WRXV ¢
oublier. […] Si nous avons évacué de nos vies les symboles fascistes et
DXWRULWDLUHV GX U«JLPH IUDQTXLVWH LO Qȇ\ D DXFXQ VHQV ¢ UHYHQGLTXHU OH
futur en enlevant la poussière sur des photos en noir et blanc. La Répu-
EOLTXHFRPPHV\VWªPHSROLWLTXHPRGHUQHIRQG«VXUOȇ«JDOLW«GHYDQWOD
ORLOHOLEUHFKRL[GHVUHSU«VHQWDQWVSXEOLFVODV«SDUDWLRQHWOHFRQWU¶OH
GHVSRXYRLUVGHOȇ‹WDWHWODSUDWLTXHGXUHVSHFWHWGHODWRO«UDQFHHVWLQ«-
YLWDEOHPHQWQRWUHIXWXU0DLVQRXVDYRQVEHVRLQGHQRXYHDX[V\PEROHV
GHWRXWHVOHVFRXOHXUVHQKDXWHG«ȴQLWLRQHWVDQVFRQQRWDWLRQVQ«JDWLYHV
pour personne. Le drapeau tricolore ne fut pas celui de la première
5«SXEOLTXH GH  HW LO Qȇ\ D SDV GH UDLVRQ SRXU TXȇLO VRLW FHOXL GH OD
République espagnole du futur24.

LE MOUVEMENT RÉPUBLICAIN À LA
CONFLUENCE DES MOUVEMENTS SOCIAUX

La « Troisième République », un concept rassembleur


La revendication d’une « Troisième République » est un concept
rassembleur pour l’ensemble des mouvements sociaux très divers qui
se situent dans l’opposition au gouvernement conservateur de Mariano
5DMR\/HVG«ULYHVGXELSDUWLVPHȴJ«LVVXGHODWUDQVLWLRQODFRUUXSWLRQ
GHP¬PHTXHOHVSROLWLTXHVPHQ«HVFHVGHUQLªUHVDQQ«HVJXLG«HVSDU
OȇDXVW«ULW« OHV FRXSHV EXGJ«WDLUHV HW OD UHPLVH HQ FDXVH GH QRPEUHX[
GURLWVVRFLDX[VRQWWUªVODUJHPHQWFULWLTX«HV&HVPXOWLSOHVJULHIVSHU-
PHWWHQW GH PLHX[ LG«DOLVHU OHV DOOLDQFHV SROLWLTXHV OD UHFRQQDLVVDQFH
GHVVS«FLȴFLW«VLGHQWLWDLUHVGHFHUWDLQHVU«JLRQVHVSDJQROHVHWOHVDYDQ-
F«HV VRFLDOHV GH OD 6HFRQGH 5«SXEOLTXH 'ȇXQH FHUWDLQH PDQLªUH LO HVW
YUDL TXH OȇDOWHUQDQFH ȴJ«H HQWUH OH 33 HW OH 362( GRQQH OȇLPDJH GȇXQ
V\VWªPH¢ERXWGHVRXɛHFHTXLVXVFLWHODFRPSDUDLVRQDYHFOHm turnis-
mo}GXV\VWªPHSROLWLTXHFRQVHUYDWHXUGHOD5HVWDXUDWLRQ  
lorsque le parti libéral de Práxedes Mateo Sagasta et le parti conserva-
WHXU Gȇ$QWRQLR &£QRYDV GHO &DVWLOOR GHX[ RUJDQLVDWLRQV ROLJDUFKLTXHV
IDYRUDEOHV¢ODPRQDUFKLHDOWHUQDLHQWDXSRXYRLUVDQVY«ULWDEOHPHQWVH

šCarlos OƲƯƻƧ, « La bandera de la República », Majadahonda, Cartas al lector, El País, 18 mai


2013.

86
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

différencier25. Les critiques mettent en avant les nombreuses affaires de


corruption qui ont éclaboussé les deux partis dominants ces dernières
DQQ«HVHWOHXUPDQTXHGHYRORQW«FRPPXQHGHOXWWHUFRQWUHmOȇDIIDL-
ULVPH} GH OHXUV «OLWHV SROLWLTXHV ORFDOHV HW QDWLRQDOHV GHV G«ULYHV
qui constitueraient autant de réminiscences du clientélisme et des
« caciques » des deux partis dynastiques de la Restauration26.
Mais la Seconde République est aussi largement idéalisée : on oublie
YLWH OȇLQVWDELOLW« OHV VDERWDJHV OHV DWWHQWDWV GHV JURXSHV DQDUFKRV\Q-
GLFDOLVWHV HW OHV DIIURQWHPHQWV SROLWLTXHV VDQV FRQFHVVLRQ ¢ OȇRULJLQH
du climat néfaste de luttes idéologiques exacerbées qui a mené à la
JXHUUHFLYLOH,OHVWGȇDLOOHXUVWRXW¢IDLWVLJQLȴFDWLIGHQRWHUTXHSOXVTXH
mFRQWUHODPRQDUFKLH}OHVSHUVRQQHVTXLVHVRQWPRELOLV«HVDXFRXUV
des dernières années en faveur d’une IIIe5«SXEOLTXH RQW DYDQW WRXW
PDQLIHVW« mFRQWUH OHV «OLWHV} HQ J«Q«UDO HW SULQFLSDOHPHQW FRQWUH OH
ELODQSDVV«GX362(HWODJHVWLRQDFWXHOOHGX33/HSURSRVGH0DU¯DXQH
MHXQH «WXGLDQWH FDWDODQH GH YLQJWGHX[ DQV UDSSRUW« SDU OH TXRWLGLHQ
El MundoORUVGHVPDQLIHVWDWLRQVGHMXLQHVWLFLDVVH]U«Y«ODWHXU
-HSHQVHTXHOHV\VWªPHSROLWLTXHGHQHPDUFKHSOXV&KDTXHMRXU
nous voyons ses limites avec la multiplication des affaires de corruption
qui touchent les élites. Mais les deux grands partis s’entendent pour ne
ULHQ FKDQJHU SRXU PDLQWHQLU GHV ORLV TXL IDYRULVHQW OȇLPSXQLW« HW QH
permettent pas la transparence. C’est pour cela que je suis en faveur du
U«I«UHQGXP0¬PHVLMHVXLVFRQWUHODPRQDUFKLHMHVXLVSOXVFRQWUHQRV
GLULJHDQWV-HFRPSUHQGVTXHFHODVHPEOHEL]DUUHPDLVFȇHVWDLQVL27.

2Q YRLW ELHQ FRPPHQW P¬PH VL FHUWDLQV VH PRELOLVªUHQW WUªV FODL-
UHPHQW FRQWUH OȇLQVWLWXWLRQ PRQDUFKLTXH HOOHP¬PH GȇDXWUHV PDQLIHV-
tèrent leur mécontentement plus général à l’égard du système politique
GDQVVRQHQVHPEOHHW¢OȇHQFRQWUHGHVSDUWLVGRPLQDQWVHQSDUWLFXOLHU
Le mouvement républicain doit donc être analysé comme un catalyseur
des revendications plurielles des mouvements sociaux.
(Q HIIHW LO SHUPHW GH U«XQLU DXWRXU GȇXQ FRQFHSW HW GȇXQ KRUL]RQ
SROLWLTXHFRPPXQGHVSHUVRQQHVTXLVHVRQWPRELOLV«HVDXWRXUGȇHQMHX[

šLa principale différence était surtout liée au fait que le parti libéral soutenait un plus impor
tant développement des libertés constitutionnelles établies, dans le but de rapprocher la consti
tution conservatrice de 1876 de celle, plus démocratique, de 1869. Cf. Ignacio FƫƷƴʜƴƪƫƿ
SƧƷƧƸƵƲƧ, Los partidos políticos en el pensamiento español. De la ilustración a nuestros días,
Madrid, Marcial Pons, Ediciones de Historia, 2009, p. 179.
šSur le système politique de la Restauration, cf. Jordi CƧƴƧƲ FKT  Histoire de l’Espagne
contemporaine. De 1808 à nos jours, Paris, Armand CQNKPR
šEl Mundo, 3 juin 2014, p. 3.

87
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

sociaux pourtant distincts depuis la crise de 2008 : « marée verte »


contre les coupes budgétaires dans l’éducation ; « marée blanche »
contre les privatisations et la remise en cause de l’assistance univer-
selle dans le secteur de la santé ; syndicats contre la réforme du travail ;
collectifs féministes voyant dans la République un régime plus à même
GH IDYRULVHU Oȇ«JDOLW« KRPPHVIHPPHV MHXQHV FK¶PHXUV HW SU«FDLUHV
SRXUTXLOHV\VWªPHSROLWLTXHGHQȇDSDVWHQXVHVSURPHVVHVHWF
Le concept de « Troisième République » permet de rassembler des per-
sonnes issues de mouvements sociaux distincts et aux revendications
plurielles derrière une même matrice revendicative. Les mobilisations
de juin 2014 illustrèrent d’une certaine manière l’essor de la « démocra-
WLH GȇLPSXWDWLRQ} «YRTX«H SDU 3LHUUH 5RVDQYDOORQ FDUDFW«ULV«H VHORQ
lui par la tendance avérée dans les sociétés contemporaines à se mobi-
OLVHUmFRQWUH}WHORXWHOSURMHWGHID©RQU«DFWLYHPDOJU«ODGLɚFXOW«¢
mobiliser « en faveur » d’un projet de réforme ou d’une institution28. Le
SURSRVGH/HDQGUR3XOOLGRXQG«O«JX«GXV\QGLFDWComisiones Obreras
LOOXVWUHELHQFHWWHFRQȵXHQFHGHVPRXYHPHQWVVRFLDX[
Nous sommes ici dans cette manifestation républicaine car nous allons
nous rendre à l’ensemble des manifestations convoquées par des mouve-
PHQWVGHJDXFKH3DUFHTXHQRXVVRPPHVFRQWUHOHVH[SXOVLRQVFRQWUH
OHVFRXSHVEXGJ«WDLUHVHWELHQV½UFRQWUHODU«IRUPHGXWUDYDLO5HYHQ-
GLTXHUOD5«SXEOLTXHFȇHVWUHYHQGLTXHUXQDXWUHPRGªOHVRFLDOHWSROL-
tique29.

/RUVGHFHVPRELOLVDWLRQVOHVGHVFHQGDQWVGHVYLFWLPHVU«SXEOLFDLQHV
GHODJXHUUHFLYLOHOHVPLOLWDQWVGX3DUWLFRPPXQLVWHGȇ(VSDJQHHWGȇIz-
quierda UnidaGHP¬PHTXHGHQRPEUHX[MHXQHVLVVXVQRWDPPHQWGX
PRXYHPHQWGHVLQGLJQ«VRQWFRQVWLWX«OHVSULQFLSDX[FROOHFWLIVPRELOL-
sés. Le collectif Junta Estatal Republicana a joué un rôle central dans la
FRQYRFDWLRQGHFHVPDQLIHVWDWLRQVUHFXHLOODQWGHP¬PHXQHS«WLWLRQGH
100 000 signatures en faveur d’un référendum30. Lors de chaque mani-
IHVWDWLRQU«SXEOLFDLQH¢0DGULGGHVPDQLIHVWDWLRQVFRQFRPLWDQWHVRQW
HXOLHXGDQVOHVJUDQGHVYLOOHVGHVSURYLQFHVHVSDJQROHVQRWDPPHQWHQ
$QGDORXVLH R» Izquierda Unida OH SDUWL OH SOXV QHWWHPHQW U«SXEOLFDLQ

šPierre RƵƸƧƴƻƧƲƲƵƴ, La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Paris, Le Seuil,


2014.
29. « Manifestaciones multitudinarias por la República », La Vanguardia, 5 juin 2014.
šPour Francisco Pérez EUVGDCPNGRQTVGRCTQNGFGla Junta Estatal Republicana, qui est d’ail
leurs aussi le responsable fédéral des droits de l’homme d’IU, il faudrait « ouvrir un processus
constituant pour définir le droit à décider entre la monarchie ou la République », cf. « La junta
Republicana manifiesta por la República », El Mundo, 14 avril 2014.

88
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

DOHSOXVGȇLQȵXHQFH3RXUOHVMHXQHVHWOHV«WXGLDQWVTXLVRQWQ«VDSUªV
ODWUDQVLWLRQODȴJXUHGXURL-XDQ&DUORVQȇHVWSDVDVVRFL«H¢VRQU¶OHGH
médiateur lors de la transition ou à sa défense des institutions démocra-
WLTXHVORUVGHODWHQWDWLYHGHFRXSGȇ‹WDWGXI«YULHU,OV\PEROLVH
¢OȇLQYHUVHXQU«JLPHYLHLOOLVVDQWPRQDUFKLTXHHWGRQFK«U«GLWDLUHTXL
renvoie indirectement à l’endogamie et aux tendances oligarchiques
TXLSU«YDOHQWGDQVODFODVVHSROLWLTXH/HSURSRVGH1LQR7RUUHOHGLUL-
geant des Jeunesses socialistesGX362(PRQWUHELHQFHOD
Les Jeunesses socialistes sont républicaines pour des raisons idéolo-
JLTXHV GH P«PRLUH HW GH SULQFLSHV «WKLTXHV /DG«IHQVH GH OD 5«SX-
blique fait partie de son identité politique. Le régime monarchique est
le résultat hérité d’une génération qui considère cette institution comme
XQ«O«PHQWXQLȴFDWHXUHWGHVWDELOLW«PDLVFHQȇHVWSOXVYUDLPHQWOHFDV
pour les jeunes d’aujourd’hui31.

3HQGDQW ORQJWHPSV OD SRVLWLRQ SOXV QHXWUH HW VXUSORPEDQWH GH


OD PRQDUFKLH OXL D SHUPLV Gȇ«YLWHU OHV FULWLTXHV OH URL SHUVRQQDJH
UHVSHFW«GDQVOHPRQGHSRXUVRQU¶OHKLVWRULTXHORUVGHODWUDQVLWLRQ
représentait le prestige de l’Espagne et permettait d’appuyer la diplo-
PDWLHGXSD\VVXUXQHȴJXUHGȇDXWRULW«,OMRXDLWDXVVLXQU¶OHGHUDV-
VHPEOHXU GX PRQGH KLVSDQRSKRQH HW GH SURPRWLRQ GHV HQWUHSULVHV
et des intérêts de l’Espagne à l’étranger. Mais les dernières années
RQWWHUQLVRQLPDJHQRWDPPHQWVXLWHDXVFDQGDOHm8UGDQJDULQ}HW
à son safari controversé à 30 000 euros au Botswana en pleine crise
économique32.
Izquierda Unida avec ses branches régionales est le seul parti qui
PLOLWHWUªVFODLUHPHQWSRXUOȇLQVWDXUDWLRQGȇXQH7URLVLªPH5«SXEOLTXH
HW SDU G«IDXW SRXU OȇRUJDQLVDWLRQ GȇXQ U«I«UHQGXP VXU OD IRUPH GH
Oȇ‹WDW /H QRXYHDX GLULJHDQW Gȇ,8 $OEHUWR *DU]µQ SURSRVH DLQVL XQ
mU«I«UHQGXPFRQVXOWDWLI}VDQVIRUF«PHQWTXȇLOVRLWGLUHFWHPHQWVXLYL
GȇHIIHWVMXULGLTXHVDȴQGHSRXYRLUFRQVXOWHU OHVFLWR\HQVVXUODIRUPH
GH Oȇ‹WDW HVSDJQRO SRXU OXL mP¬PH VL OHV FLWR\HQV FKRLVLVVDLHQW OD
PRQDUFKLHFHVHUDLWXQHJUDQGHDYDQF«HGHOHVFRQVXOWHU}33. Dans son
récent ouvrage La Troisième RépubliqueLOSODLGHSRXUmXQFKDQJHPHQW
GHV UªJOHV GX MHX DȴQ GH VH GRWHU GH P«FDQLVPHV SRXU FRPEDWWUH OD

31. « Las JSE llevamos la apuesta por la República », Público, 29 avril 2012.
32. « Malaise en Espagne après l’accident de chasse du roi au BQVUYCPCzLe Monde, 16 avril
2012.
šCarmen MƵƷʜƴ, « Entrevista con Alberto GCT\ȕPšAunque se eligiera Monarquía ya sería un
gran avance el hecho de consultarlo », El País, 4 juin 2014.

89
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

corruption et faciliter la transparence en politique34 ». La république


constituerait selon lui le « symbole de cette nouvelle politique35 ». Il
évoque le fait que « la modernisation des institutions est beaucoup plus
OHQWHHWLQVXɚVDQWHSDUUDSSRUWDX[GHPDQGHVGHVFLWR\HQVHQUDLVRQ
des résistances et des intérêts des deux partis dominants à maintenir
OH V\VWªPH HQ SODFH QRWDPPHQW HQ FH TXL FRQFHUQH OH ȵRX DXWRXU GX
ȴQDQFHPHQWGHVSDUWLVHWOHVHQWUDYHV¢OȇLQG«SHQGDQFHGHODMXVWLFH36 ».
Il note de même l’émergence d’une « jeunesse républicaine » beaucoup
SOXV FULWLTXH ¢ Oȇ«JDUG GH OD PRQDUFKLH TXH OD J«Q«UDWLRQ DQW«ULHXUH
HVWLPDQW DLQVL TXH mOHV EDVHV GX 362( VRQW U«SXEOLFDLQHV PDLV TXH
l’appareil du parti parle pour elles dans un sens contraire37 ».
0¬PHVLFHUWDLQVGHVFRQVWDWVGȇ$OEHUWR*DU]µQSHXYHQW¬WUHMXVWHV
IRUFH HVW GH FRQVWDWHU TXH OȇLQȵXHQFH GH ,8 HVW G«FOLQDQWH &HUWHV OH
SDUWLE«Q«ȴFL«GȇXQUHJDLQGHV\PSDWKLHHQWUHHWDXSOXVIRUW
GH OD FULVH DYHF QRWDPPHQW XQH KDXVVH GHV LQWHQWLRQV GH YRWHV HQ VD
IDYHXUGDQVOHVVRQGDJHVPDLVOȇDVFHQVLRQGHPodemos et des partis de
la « nouvelle politique » semble jouer très en défaveur d’une formation
qui demeure associée à la « vieille politique »38. Lors des manifestations
U«SXEOLFDLQHVGHVGHUQLªUHVDQQ«HVELHQSHXIXUHQWFHX[TXLSRXYDLHQW
QRPPHU OȇDFWXHO VHFU«WDLUH J«Q«UDO GX 3&( -RV« /XLV &HQWHOOD /RUV
GȇXQHPDQLIHVWDWLRQ¢%DUFHORQHXQMHXQHPDQLIHVWDQWGHPDQGHGȇDLO-
leurs à un journaliste de La Vanguardia : « Il existe encore le parti des
FRPPXQLVWHV"} FH TXL PRQWUH ELHQ TXH SRXU OHV MHXQHV OD FRDOLWLRQ
est associée à une époque révolue39. Même si le concept de « Troisième
République » rassemble une part importante des mouvements sociaux
TXL VȇRSSRVHQW DX[ SROLWLTXHV GȇDXVW«ULW« DX JRXYHUQHPHQW GX 33 HW
TXLG«QRQFHQWODFRUUXSWLRQSDUPLOHVSDUWLVSROLWLTXHVVHXOV,8HWOHV
partis régionalistes ou indépendantistes (EH Bildu(5&HW%1* SODLGHQW
SRXUXQFKDQJHPHQWGHU«JLPH0DLVFRPPHQRXVOHYHUURQVFHVGHU-
niers défendent plus une évolution du statut de leur communauté auto-
QRPH UHVSHFWLYH TXȇLOV QH VȇLGHQWLȴHQW ¢ XQ FKDQJHPHQW GH OD IRUPH
GH Oȇ‹WDW FHQWUDO (QȴQ OH 362( GHPHXUH IDYRUDEOH ¢ OD PRQDUFKLH
et voit en Philippe VI le respect de la constitution et de la normalité

šAlberto GƧƷƿʭƴEƸǞƯƴƵƸƧ, La Tercera República, Madrid, Madrid Ediciones Atalaya, 2014, p. 12.
šIbid., p. 15.
šIbid., p. 17.
šIbid., p. 34.
šLe parti citoyens d’Albert Rivera, symbole de la « nouvelle politique » avec Podemos dirigé par
Pablo Iglesias, est en faveur du maintien de la monarchie, mais demande plus de transparence.
39. « Manifestaciones republicanas en Catalunya », La Vanguardia, 3 juin 2014.

90
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

institutionnelle40. Sa base militante est toutefois plus partagée et les


jeunesses du parti sont ouvertement républicaines41.

Les manifestations républicaines


lors de l’abdication de Juan Carlos
Les manifestations républicaines les plus importantes des dernières
années eurent lieu lors de l’abdication de Juan Carlos Ier. Ces mobilisa-
WLRQVFLWR\HQQHVIXUHQWHVVHQWLHOOHPHQWVSRQWDQ«HVHIIHFWX«HVODSOXSDUW
GXWHPSVVDQVFRQYRFDWLRQSU«DODEOHQLGHPDQGHGȇDXWRULVDWLRQVXLWH¢
la propagation de la nouvelle sur les réseaux sociaux42 /H MXLQ 
SHUVRQQHVVHU«XQLUHQWDLQVL¢9DOHQFHHWHQYLURQSHUVRQQHV
UHVSHFWLYHPHQW¢&DVWHOOµQGHODSODQDHW¢$OLFDQWHUHSUHQDQWOHVORJDQ
m3RXUOD5«SXEOLTXHOHVSURFHVVXVFRQVWLWXDQWVOHGURLW¢G«FLGHUHWOH
référendum43 ». La revendication républicaine était ainsi mêlée à celle
GXmGURLW¢G«FLGHU}FRQFHUQDQWWDQWODIRUPHGHOȇ‹WDWTXHOȇLQG«SHQ-
GDQFH RX QRQ GHV m3D\V FDWDODQV} DX VHLQ GHVTXHOV OHV LQG«SHQGDQ-
tistes incluent la communauté valencienne et son important groupe de
locuteurs du catalan. Les mouvements de jeunesse Democracia Real Ya et
Juventud Sin FuturoUHOD\ªUHQWDFWLYHPHQWOȇDSSHO¢PDQLIHVWHU4XDUDQWH
RUJDQLVDWLRQVGHODFRPPXQDXW«YDOHQFLHQQHGHVV\QGLFDWVGHVSDUWLVHW
des mouvements sociaux participèrent à ces manifestations44.
3DUPL FHV HQWLW«V ȴJXUDLHQW Compromís Esquerra Unida del País
Valencia (839 PodemosOH3&(OHVV\QGLFDWV&&22HWIntersindical
ValencianaGHP¬PHTXHGȇDXWUHVRUJDQLVDWLRQVFRPPHAcció Cultural
OHV DVVHPEO«HV GX 0 OD 3$+ RX OH FROOHFWLI GH OD 0DUFKH SRXU OD
dignité45. IU convoqua de même une grande manifestation à Madrid le
samedi 7 juin 201446'DQVOȇHQVHPEOHOHVPDQLIHVWDWLRQVIXUHQWLPSRU-
tantes lors de l’abdication de Juan Carlos IerSXLVG«FOLQªUHQWORUVGHOD

šL’ex dirigeant du PSOE, Alfredo Pérez Rubalcaba déclara ainsi que « la succession de
Juan Carlos Ier et sa succession par Philippe VI ouvre un temps nouveau pour l’Espagne. La
monarchie incarne le compromis pour la coexistence et le consensus que représente notre loi
fondamentale ». Cf. El Mundo, 15 juin 2014.
šLors des primaires du parti du 13 juillet 2014, José Antonio Pérez Tapias, représentant
du courant « Gauche socialiste » demanda par exemple un référendum, le PSOE devant faire
prévaloir sa « tradition républicaine » selon lui.
šÀngels PƯʫƵƲ et Jesús SƫƷƻƺƲƵGƵƴƿʜƲƫƿ, « Miles de personas reclaman un referéndum
sobre la Monarquía », El País, 2 juin 2014.
šLe slogan exact en valencien était « Per la República, els processos constituents, el dret a
decidir i per un referèndum ».
44. « Miles de personas piden en la calle un referéndum por la república », El Mundo, 7 juin 2014.
šCristina Vʜƿƶƺƫƿ, « 40 entidades se unen para reivindicar la república », El País, 6 juin 2014.
46. « IU comunica al Gobierno una manifestación para pedir un referéndum », El País, 4 juin 2014.

91
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

SURFODPDWLRQGXQRXYHDXURL3KLOLSSH9,OHMXLQSUHXYHGXFDUDFWªUH
U«DFWLIHWFRQMRQFWXUHOGHFHVPRELOLVDWLRQV$LQVLOHMXLQVHXOV
sympathisants républicains se mobilisèrent dans la rue à Valence. À
$OLFDQWH WURLV PDQLIHVWDWLRQV VXFFHVVLYHV U«XQLUHQW UHVSHFWLYHPHQW
  SXLV  SHUVRQQHV HQYLURQ /RUV GH OD SURFODPDWLRQ GX
QRXYHDXURLLOQȇ\HXWSDVGHFRQWHVWDWLRQPDVVLYHPDLVSDVYUDLPHQW
d’engouement non plus dans la plupart des villes espagnoles47. Comme
OHQRWªUHQWGHQRPEUHX[MRXUQDOLVWHVHWREVHUYDWHXUVKRUPLVVXUOHWUD-
MHWGXFRQYRLUR\DOSHXGHGUDSHDX[GHOȇ(VSDJQHȵRWWªUHQWDX[EDOFRQV
le jour de l’intronisation de Philippe VI : le sentiment le plus partagé fut
une certaine forme de résignation.
L’étude des slogans les plus récurrents lors des manifestations per-
met d’illustrer le discours politique et les principales revendications des
groupes mobilisés. Lors des actions collectives dans les villes moyennes
GH OD FRPPXQDXW« YDOHQFLHQQH ¢ *DQGLD '«QLD $OFRL HW (OFKH GHV
lycéens et étudiants scandèrent des slogans en faveur d’un « référen-
GXP UR\DO PDLQWHQDQW} DSSHODQW m/HV %RXUERQV DX[ «OHFWLRQV} RX
LQYRTXDQW m/D SURFKDLQH H[SXOVLRQ ¢ OD =DU]XHOD} FRPPH OH ȴUHQW
les jeunes d’Alicante48. Plutôt que de mettre en avant la légitimité « his-
WRULTXH} GH OD PRQDUFKLH LOV FULWLTXDLHQW VRQ DEVHQFH GH mO«JLWLPLW«
«OHFWRUDOH},OHVWFODLUTXHGDQVODWUDGLWLRQPRQDUFKLTXHHQ*UDQGH
%UHWDJQH HQ %HOJLTXH RX DLOOHXUV HQ (XURSH OȇLQVWLWXWLRQ UR\DOH QH VH
VRXPHWSDVDXYRWHGHVFLWR\HQVORUVGȇ«OHFWLRQVU«JXOLªUHVSXLVTXȇHOOH
se fonde justement sur le type de « légitimité traditionnelle » évoquée
SDU 0D[ :HEHU WUDQVPLVH GH ID©RQ K«U«GLWDLUH HW IRQG«H VXU OHV FRX-
tumes et la tradition49. Mais la « tradition » monarchique demeure
FRQWHVW«H HQ (VSDJQH WDQW VRQ KLVWRLUH PRGHUQH HW FRQWHPSRUDLQH D
été liée à des épisodes répétés de dérives autoritaires et de gestion sul-
fureuse du pouvoir.
Les autres slogans principaux des manifestants faisaient référence
¢ GHV TXHVWLRQV GȇRUGUH «FRQRPLTXH m1RQ DX[ FRXSHV EXGJ«WDLUHV}
m/HJHQGUHGX%RXUERQHQSULVRQSRXUYRO}m1RXVQHVRPPHVSDV
GHV SD\VDQV QRXV VRPPHV GHV U«SXEOLFDLQV} m3RXU OH G«ȴFLW XQH
réforme de la constitution est possible. Pour la monarchie aussi ».
D’autres slogans appelaient à une « seconde transition » à travers
XQH U«IRUPH GHV LQVWLWXWLRQV HW GHV SUDWLTXHV SROLWLTXHVDȴQ GH OXWWHU

47. « Un día como cualquiera », El País, 19 juin 2014.


48. « Los republicanos exigen que los Borbones se sometan a una consulta », El País, 8 juin
2014.
šMax WƫƨƫƷ, Économie et société, Paris, Flammarion, [1922] 2003, p. 219.

92
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

Photo 3.2. Manifestation républicaine lors de l’abdication de Juan Carlos Ier,


3XHUWDGHO6RO0DGULGMXLQ

FRQWUHODFRUUXSWLRQHWGȇLQWURGXLUHOHUHVSHFWGHFHUWDLQVGURLWVVRFLDX[
FRPPH FHOXL DX ORJHPHQW GDQV XQH QRXYHOOH ORL IRQGDPHQWDOH (Q FH
VHQV RQ FRPSUHQG ELHQ TXH OHV PDQLIHVWDWLRQV U«SXEOLFDLQHV ORUV GH
l’abdication de Juan Carlos doivent être analysées à partir du contexte
VRFLDO GH Oȇ(VSDJQH GȇDXMRXUGȇKXL PDUTX«H SDU XQ VHQWLPHQW DVVH]
répandu d’injustice. Une perception fondée sur un manque d’équité
dans l’imposition de politiques d’austérité aux classes populaires tou-
FK«HVGHSOHLQIRXHWSDUODFULVHVXUOHVLQ«JDOLW«VGHWUDLWHPHQWIDFH¢OD
MXVWLFHHWOȇLPSXQLW«GHVmSXLVVDQWV}RXHQFRUHVXUODSULRULW«GRQQ«H
au paiement de la dette publique au détriment d’autres objectifs poli-
tiques et sociaux.
/RUVGHODVXFFHVVLRQOHMXLQXQHF«U«PRQLHPDUTX«HSDU
ODVREUL«W«VDQVLQYLWDWLRQGHFKHIVGȇ‹WDW«WUDQJHUVHWVDQVODSU«VHQFH
de Juan Carlos Ier OȇLQWHUGLFWLRQ GHV GUDSHDX[ U«SXEOLFDLQV GXUDQW OH
G«ȴO« VXVFLWD OD SRO«PLTXH50 /D SROLFH MXVWLȴD FHWWH PHVXUH HQ LQYR-
quant la loi Corcuera de 1992 et une décision du tribunal supérieur de

šJesús DƺƻƧ, « LCRQNKEȐCKORGFKTȄGZJKDKTDCPFGTCUTGRWDNKECPCUFWTCPVGGNFGUHKNGzEl País,


18 juin 2014.

93
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

justice (TSJ) de Madrid motivée par le « risque d’affrontements »51. Le


« risque réel » et « certain » d’échauffourées selon le TSJ prévalut sur la
liberté d’expression pour interdire la manifestation « Revendiquer la
République face à la proclamation du nouveau roi ». La police interdit
OHV GUDSHDX[ U«SXEOLFDLQV VXU OH SDUFRXUV GH 3KLOLSSH9, P¬PH DX[
EDOFRQV DX PRWLI TXȇLOV SRXYDLHQW FRQVWLWXHU mGHV SURYRFDWLRQV SRXU
OHV SHUVRQQHV TXL VXLYHQW OH G«ȴO«}52. Les drapeaux des récalcitrants
IXUHQW FRQȴVTX«V 0DLV OH 76- UHFRQQXW TXȇLO Qȇ«WDLW SDV SRVVLEOH GH
PHWWUH OHV SHUVRQQHV HQ G«WHQWLRQ VDXI GDQV OH FDV GH G«VRE«LVVDQFH
aux agents et d’altercations. La coordination républicaine de Madrid
VXVSHQGLWGRQFODPDQLIHVWDWLRQSU«YXHDSSHODQWWRXWHIRLVOHVFLWR\HQV
¢ mH[KLEHU SDFLȴTXHPHQW} OH GUDSHDX U«SXEOLFDLQ HQ V\PEROH GH
« liberté inconditionnelle ». La loi espagnole n’interdit pourtant pas
l’usage d’un drapeau (quel qu’il soit) dans l’espace public. Il ne peut pas
y avoir de sanctions. Le TSJ de Madrid annula d’ailleurs récemment un
DUU¬W«GXPDLUHGH7RUUHORGRQHVTXLFKHUFKDLW¢HPS¬FKHU,8GȇDUERUHU
XQ GUDSHDX U«SXEOLFDLQ GXUDQW OHV I¬WHV GH OD YLOOH (GXDUGR 0DGLQD
DORUV FDQGLGDW DX SRVWH GH VHFU«WDLUH J«Q«UDO GX 362( G«FODUD mQH
SDVYRLUGHUDLVRQGȇLQWHUGLUHOHVGUDSHDX[U«SXEOLFDLQV}3RXUDXWDQW
FHUWDLQV SROLFLHUV GLVWULEXDLHQW GHV GUDSHDX[ HVSDJQROV ORUV GX G«ȴO«
VRUWDQW«YLGHPPHQWGHOHXUU¶OHVHORQXQHSUDWLTXHG«SRXUYXHGHQHX-
tralité. Même s’il est clair qu’il s’agissait avant tout de donner au reste
du monde une bonne image d’unité et d’une succession monarchique
U«XVVLHLODSSDUXWDXVVLWRXWHIRLVGHID©RQ«YLGHQWHTXHOȇDUJXPHQWGH
la sécurité fut utilisé politiquement par les juges madrilènes et par le
JRXYHUQHPHQWFRQVHUYDWHXUDȴQGȇ«YLWHUXQH«YHQWXHOOHSROLWLVDWLRQGH
la cérémonie de la succession.

šIl est de notoriété publique que la « neutralité » du Tribunal supérieur de justice de la com
munauté autonome de Madrid peut parfois être mise en question, notamment sur les ques
tions hautement politiques, telle que la succession par exemple. En effet, il faut tenir compte du
fait qu’un tiers des sièges de la chambre civile et pénale sont réservés à des juristes reconnus,
souvent anciens membres ou proches de partis politiques, nommés par le Conseil général du
RQWXQKT LWFKEKCKTG CGPJ) sur proposition de l’assemblée législative de la communauté auto
nome de MCFTKFFQOKPȌGUCPURCTVCIGHCWVKNNGTCRRGNGTRCTNGRCTVKRQRWNCKTGFGRWKU
šLes directives policières consistèrent à inciter les agents à prendre note des appartements
ornant des drapeaux républicains sur le passage du cortège, et de chercher ensuite à savoir, par
un contrôle au domicile des personnes concernées, si l’intention était de provoquer. On imagine
le type de conversations surréalistes entre policiers et occupants pour savoir si ces derniers
cherchaient à « provoquer » ou à simplement « exercer leur liberté d’expression ». Pour éviter
les drapeaux républicains aux balcons, les policiers effectuèrent des visites dans les jours qui
précédèrent le défilé.

94
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

RÉPUBLICANISME ET INDÉPENDANTISME
Le renouveau de la revendication républicaine est aussi allé de
pair avec l’essor des mouvements indépendantistes et régionalistes
HQ&DWDORJQHDX3D\VEDVTXHHWHQ*DOLFH(QHIIHWFHVFRPPXQDXW«V
DXWRQRPHVRQWFRQQXSOXVLHXUVPDQLIHVWDWLRQVR»VHVRQWP¬O«VU«SX-
EOLFDLQVHWLQG«SHQGDQWLVWHVLOOXVWUDQWXQHFHUWDLQHFRQYHUJHQFHHQWUH
les revendications de ces courants politiques pourtant très distincts.

La demande d’un référendum dans


le contexte de la consultation catalane
(Q&DWDORJQHFLQTPLOOHSHUVRQQHVVRQWPRELOLV«HVVXUODSODFH6DQW
Jaume à Barcelone en réponse à l’abdication du roi Juan Carlos53. Dans
OHFDVFDWDODQOHVSDUWLVSROLWLTXHV(5&OD&DQGLGDWXUHGȇXQLW«SRSXODLUH
(CUP) et la petite formation Solidarité catalane utilisèrent la manifesta-
WLRQU«SXEOLFDLQHDȴQGHUHPRELOLVHUOHXUVV\PSDWKLVDQWVHQIDYHXUGH
l’indépendance. Le député régional et porte-parole adjoint d’ERC Oriol
$PRU´V HW OHV UHSU«VHQWDQWV GX SDUWL DX &RQJUªV GHV G«SXW«V $OIUHG
%RVFKHW-RDQ7DUG¢ȴUHQWDFWHGHSU«VHQFH$XFRQWUDLUHConvergència
i Unió (CiU) ne se prononça pas sur l’abdication et ne se mobilisa pas
QRQ SOXV GDQV OD UXH DWWLWXGH PRQWUDQW ELHQ OH FRQVHUYDWLVPH GH OD
formation et son acceptation implicite de la monarchie. Une illustration
par ailleurs de l’absence de consensus des indépendantistes catalans
VXUFHWWHTXHVWLRQFHUWDLQVSU«I«UDQWOHVLOHQFHHWOȇ«YLWHPHQWGȇDXWUHV
la mobilisation et l’opposition. Comme ailleurs dans le reste de l’Es-
SDJQHOHVPRELOLVDWLRQVIXUHQWSOXVQRPEUHXVHVHQU«DFWLRQVSRQWDQ«H
à l’abdication de Juan Carlos Ier que lors de l’intronisation du nouveau
URL3KLOLSSH9,OHMXLQVHXOHVVL[FHQWVSHUVRQQHVVHU«XQLUHQWDLQVL
UHVSHFWLYHPHQW¢*«URQHHW/OHLGDHWFLQTFHQWVSHUVRQQHV¢7DUUDJRQH
sur la Plaza de la Font.
/ȇ$VVHPEO«H QDWLRQDOH FDWDODQH $1&  ¢ OȇRULJLQH GHV SOXV LPSRU-
tantes manifestations enregistrées depuis la transition démocratique
HQ&DWDORJQHQRWDPPHQWOHVHSWHPEUHGHFKDTXHDQQ«HGHSXLV
lors de la Diada OH m-RXU GH OD &DWDORJQH} VH G«PDUTXD GH P¬PH
des mobilisations. L’ANC souligna que les revendications en faveur
d’un changement de monarque ou d’un nouveau régime en Espagne
doivent être séparées de celles portant sur la tenue d’un référendum

šMaiol RƵƭƫƷ, « El independentismo se moviliza a medio gas a favor de la República », El


País, 3 juin 2014.

95
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

VXU OȇLQG«SHQGDQFH GH OD &DWDORJQH 'DQV XQ FRPPXQLTX« XOW«ULHXU


l’ANC déclara de même qu’elle ne soutient pas la revendication d’une
U«SXEOLTXH HVSDJQROH «WDQW GRQQ« TXȇHOOH VH IRFDOLVH XQLTXHPHQW VXU
OD SROLWLTXH FDWDODQH ¢ WUDYHUV OD SURFODPDWLRQ HW OD UHFRQQDLVVDQFH
d’une république catalane indépendante54. Malgré cette position de
OD GLUHFWLRQ GH Oȇ$1& GHV PHPEUHV GH VRQ PRXYHPHQW GH MHXQHVVH
Oȇ$VVHPEO«H QDWLRQDOH GHV MHXQHV LQG«SHQGDQWLVWHV $1-,$1&  RQW
SDUWLFLS«DX[PDQLIHVWDWLRQVSURU«SXEOLFDLQHVPDLVLOHVWYUDLHQEUDQ-
GLVVDQW OH SOXV VRXYHQW GHV GUDSHDX[ FDWDODQV /H MXLQ ¢ %DUFHORQH
deux grandes estelades OH GUDSHDX FDWDODQ IXUHQW «WHQGXHV VXU OH VRO
DYHF OH VORJDQ mQRXV YRXORQV YRWHU 1 } DOOXVLRQ WUªV FODLUH ¢
la consultation souverainiste prévue pour le 9 novembre55. Dans une
G\QDPLTXH VLPLODLUH ¢ FHOOH GH Oȇ$1-,$1& OHV -HXQHVVHV VRFLDOLVWHV
du Partit dels Socialistes de Catalunya (PSC) et le député autonomique
Ferran Pedret se démarquèrent des positions monarchistes du PSOE et
GX36&PHWWDQWHQ«YLGHQFHOȇH[LVWHQFHGȇXQFOLYDJHJ«Q«UDWLRQQHOGDQV
la perception de la légitimité de la monarchie au sein du socialisme et
de la gauche en Espagne.
/HV VRXYHUDLQLVWHV HW OHV U«SXEOLFDLQV RQW SURWHVW« DLQVL HQVHPEOH
unis par leur rejet commun de la monarchie plus que par un projet poli-
WLTXHSDUWDJ« &HUWDLQV RQW EUDQGLP¬PHGHX[GUDSHDX[OȇXQFDWDODQ
OȇDXWUHU«SXEOLFDLQU«FODPDQWOHFKDQJHPHQWGHU«JLPHGȇXQ‹WDWTXȇLOV
G«VLUHQW DEDQGRQQHU /HV VORJDQV U«SXEOLFDLQV WHOV TXH  m(VSDJQH
GHPDLQ VHUD U«SXEOLFDLQ} m9HUV OD 7URLVLªPH 5«SXEOLTXH} RX m‚
EDV OD PRQDUFKLH ¢ EDV OȇK\SRFULVLH} VH VRQW SDUWDJ« OH WHUUDLQ DYHF
GȇDXWUHV SOXV J«Q«UDX[ FRPPH  m(Q G«PRFUDWLH OH SHXSOH G«FLGH}
m/H ELSDUWLVPH 3362( VȇHIIRQGUH FȇHVW QRWUH PRPHQW} RX GȇDXWUHV
HQFRUHSOXVGLUHFWHPHQWOL«V¢ODTXHVWLRQFDWDODQH mOHV&DWDODQVQRXV
n’avons pas de roi » ; ou le traditionnel « I-Inde-Independencia}U«S«W«
à de nombreuses reprises ces dernières années). Les revendications des
manifestants ont mis en avant non seulement la crise de légitimité de
ODPRQDUFKLHPDLVDXVVLODSDUDO\VLHGXV\VWªPHSROLWLTXHEORTX«SDU
OȇDOWHUQDQFHHQWUHOH33HWOH362(GHX[SDUWLVTXLRQWG«©XOHV«OHFWHXUV
SDU OHXUV SURPHVVHV QRQ WHQXHV /D FULVH GH FRQȴDQFH GHV FLWR\HQV ¢
l’égard de leurs élites politiques a ainsi dominé ces actions collectives.
'HVVORJDQVWHOVTXHmOHV%RXUERQVVRQWGHVUHTXLQV}RXm8UGDQJDU¯Q

šRebeca CƧƷƧƴƩƵ, « ¡A por la RGRȚDNKECECVCNCPCšЏzEl País, 3 juin 2014.


55. « Miles de personas se concentran en Barcelona a favor de la República », El Mundo, 2 juin
2014.

96
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

TXȇLO WUDYDLOOH DX %XUJHU .LQJ} PLUHQW HQ VFªQH HW G«QRQFªUHQW GH
façon imagée les affaires de corruption qui touchèrent l’entourage du
roi Juan Carlos Ier. Certains protestataires se sont déguisés en clowns ou
HQ DQLPDX[ DYHF GHV «O«SKDQWV HQ FDUWRQ GHV W¬WHV RX GHV FRPELQDL-
VRQVGHOLRQIDLVDQWDOOXVLRQDYHFKXPRXUDXPDOHQFRQWUHX[VDIDULGX
URLDX%RWVZDQDTXLU«Y«ODWDQWVDOLDLVRQDGXOWªUHTXHVRQJR½WSRXU
OHVDFWLYLW«VGHOX[HGDQVXQFRQWH[WHVRFLDOHW«FRQRPLTXHSDUWLFXOLª-
UHPHQWGLɚFLOHSRXUOHV(VSDJQROV
$XGHO¢ GHV PHPEUHV Gȇ(5& HW GH OD &83 SDUPL OHV SHUVRQQDOLW«V
SROLWLTXHV TXL VH MRLJQLUHQW ¢ FHV PDQLIHVWDWLRQV RQ QRWD VXUWRXW OD
présence des dirigeants d’Esquerra Unida i Alternativa (8L$,&9 -RDQ
Herrera et Dolors Camats56. EUiA est le parti politique catalan au posi-
WLRQQHPHQWOHSOXVFRK«UHQWVXUODTXHVWLRQSXLVTXHGHVI«G«UDOLVWHVHW
des indépendantistes coexistent en son sein : il est favorable à l’instau-
ration d’une « république espagnole » via l’instauration parallèle d’un
‹WDW I«G«UDO DSSU«KHQG« FRPPH XQH I«G«UDWLRQ GȇHQWLW«V DXWRQRPHV
qui inclurait donc potentiellement des éventuelles républiques catalane
RX EDVTXH 3RXU (8L$ FRPPH SRXU $GD &RODX OȇH[ SRUWHSDUROH GH OD
3$+RXSRXUOHVm,DLRȵDXWDV}ODTXHVWLRQG«PRFUDWLTXH¢WUDYHUVOD
GHPDQGHGHOȇRUJDQLVDWLRQGHU«I«UHQGXPVTXHFHVRLWGDQVOHFRQWH[WH
GXIXWXUVWDWXWGHOD&DWDORJQHRXVXUOHU«JLPHSROLWLTXHGHOȇ‹WDWHVSD-
JQROMRXDXQU¶OHFHQWUDOGDQVFHVPRELOLVDWLRQV‚WLWUHGȇLOOXVWUDWLRQ
RQ SHXW FLWHU LFL OH SURSRV GH 5DPµQ %DUED UDSSRUW« SDU El País XQ
,DLRȵDXWD de Barcelone de 59 ans :
J’espère qu’il y aura un référendum. La Couronne a été imposée dans la
&RQVWLWXWLRQVDQVG«EDW/¢FȇHVWODP¬PHFKRVHOȇDEGLFDWLRQGXURLD«W«
une surprise pour tout le monde. Ils veulent aller vite pour introniser le
nouveau roi sans débat. C’est un déni de démocratie. C’est la même chose
pour le référendum catalan. Ils s’opposent au 9-N et ne veulent pas lais-
ser le droit au peuple de décider de son propre futur.

&HSURSRVU«VXPHELHQOHJULHISULQFLSDOGHVPDQLIHVWDQWV¢VDYRLU
OȇLG«HGXPDQTXHGHFRQVXOWDWLRQGHVFLWR\HQVHWGHOȇLPSRVLWLRQWDQWGH
ODIRUPHGHOȇ‹WDWHVSDJQROTXHGXVWDWXWGHOD&DWDORJQH¢WUDYHUVGHV
pactes entre les élites dominantes (« ils ») des deux principales forces
politiques.

šEUiAICV est une coalition de gauche alternative qui regroupe la branche catalane d’IU
EUiA), la formation Iniciativa per Catalunya, et le parti écologiste Els Verds kNGUVerts »).

97
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Au Pays basque : un enjeu mobilisateur


pour les indépendantistes
$X 3D\V EDVTXH OHV PLOLWDQWV GH OD JDXFKH DEHUW]DOH VH VRQW
MRLQWVDX[PDQLIHVWDWLRQVGHVJURXSHVU«SXEOLFDLQVGHVFRPPXQLVWHV
et d’IU57 ‚%LOEDR OHV G«SXW«V GȇEH Bildu Oskar Matute et Maribi
Ugarteburu et quelque 400 personnes seulement ont manifesté sur
OD SODFH GX WK«¤WUH $UULDJD OH MXLQ  DUERUDQW GH QRPEUHXVHV
ikurriñas en faveur de la « république basque libre » et de l’« indépen-
GDQFH}'ªVOHG«SDUWOȇDEGLFDWLRQGXURLD«W«XWLOLV«HSROLWLTXHPHQW
par les indépendantistes pour mettre en avant et remobiliser leurs
sympathisants autour de l’enjeu de la création d’une « république
basque » indépendante. EH Bildu a ainsi incité d’autres formations
SROLWLTXHV HW FROOHFWLIV GH JDXFKH GH P¬PH TXH FHUWDLQHV RUJDQLVD-
tions syndicales (notamment Podemos Ezker Anitza-IU Equo OHV
MHXQHVVHVGX36(((HWOȇ8*7 58¢SDUWLFLSHU¢XQHPDQLIHVWDWLRQXQL-
taire à Bilbao le 19 juin : mais alors que les manifestants « prorépubli-
FDLQV}GHPDQGDLHQWXQU«I«UHQGXPVXUOHPRGªOHGȇ‹WDWGHOȇ(VSDJQH
(à travers le slogan « Monarkiari ez, hirtarrek erabaki} m1RQ ¢ OD
PRQDUFKLH OHV FLWR\HQV G«FLGHQW}  OHV LQG«SHQGDQWLVWHV SULUHQW OH
soin de bien différencier leur cortège du reste des manifestants59. Ils
DSSHODLHQW ¢ OD FU«DWLRQ GȇXQH mU«SXEOLTXH EDVTXH LQG«SHQGDQWH}
en exigeant un processus démocratique qui permette « aux citoyens et
DX[SHXSOHVGHOȇ‹WDWGHG«FLGHUGHOHXUIXWXU}60.
&RQWUDLUHPHQWDXUHVWHGHOȇ(VSDJQHR»OHVDFWLRQVFROOHFWLYHVIXUHQW
plus importantes lors de l’abdication de Juan Carlos Ier puis s’essouf-
ȵªUHQW ORUV GH OȇLQWURQLVDWLRQ GX QRXYHDX URL OH UHWUDLW GX PRQDUTXH
VXVFLWDLQLWLDOHPHQWSHXGHPDQLIHVWDWLRQVDYDQWTXHOHVLQG«SHQGDQ-
tistes se saisissent de l’occasion pour remettre leurs revendications
VXU OH GHYDQW GH OD VFªQH /H MXLQ  PLOOH FLQT FHQWV SHUVRQQHV
G«ȴOªUHQW¢9LWRULD*DVWHL]SXLVGHX[PLOOHSHUVRQQHVOHMRXUVXLYDQW¢
Bilbao. Ce jour était aussi la date anniversaire de la prise de la ville par
OHVWURXSHVIUDQTXLVWHVOHMXLQSU«WH[WH¢ODPRELOLVDWLRQGHOD
Plateforme basque contre les crimes du franquisme. Contrairement au

57. « Cientos de personas se echan a la calle en contra de la Monarquía », El País, 2 juin 2014.
šD’autres collectifs moins nombreux et représentatifs participèrent aussi à la manifestation,
notamment Iratzarri-EKI, Alternativa Republicana, Antikapitalistak, Círculo Republicano, Colectivo
Republicano de Euskal Herria, Gazte Komunistak, GKB, Goldatu, Ikasle Ekintza et URE Orduña.
59. « Concentraciones para reivindicar la república vasca o un referéndum », El País, 19 juin 2014.
60. « Manifestación contra la Monarquía », El País, 18 juin 2014.

98
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

FDVFDWDODQDX3D\VEDVTXHOHVFRUWªJHVGHVGLII«UHQWVFROOHFWLIVPRELOL-
sés prirent toujours le soin de manifester séparément. EH Bildu revendi-
quait ainsi « la reconnaissance et le respect du droit à décider d’Euskal
+HUULD} DORUV TXȇEzker Anitza-IU axa ses slogans sur un changement
GH U«JLPH m-DPDLV GHX[ VDQV WURLV 5«SXEOLTXH GH QRXYHDX} m/HV
%RXUERQVDXVVL¢ODTXHXHGHOȇ,QHP61} ‚6DLQW6«EDVWLHQTXDWUHFRU-
tèges distincts ont manifesté62.

Des mobilisations minoritaires en Galice,


symbole d’un régionalisme conservateur
(QȴQ HQ *DOLFH WURLV PLOOH SHUVRQQHV VH VRQW PRELOLV«HV ¢ 9LJR OH
2 juin 2014 sur la rúa do Príncipe et devant le musée d’Art contempo-
rain de la ville63 'ȇDXWUHV PDQLIHVWDWLRQV HXUHQW OLHX ¢ /D &RURJQH ¢
2XUHQVH HW ¢ /XJR R» GHX[ FHQWV SHUVRQQHV ¢ SHLQH RQW G«ȴO«  /HV
militants du Bloc nationaliste galicien (« Bloque Nacionalista Galego
%1*  HW GH Oȇ$OWHUQDWLYH JDOLFLHQQH GH JDXFKH mAlternativa Galega de
Esquerda$*( GHP¬PHTXHOHVPHPEUHVGHV-HXQHVVHVVRFLDOLVWHVGH
*DOLFH DXURQW «W« OHV SULQFLSDX[ LQLWLDWHXUV GH FHV DFWLRQV FROOHFWLYHV
Des représentants de Podemos se sont joints aussi aux cortèges qui
HQWRQQªUHQW GHV VORJDQV FRPPH m/D =DU]XHOD OD SURFKDLQH H[SXO-
VLRQ} m5«I«UHQGXP} RX HQFRUH OH G«VRUPDLV F«OªEUH m2XL QRXV
SRXYRQV}‚6DLQW-DFTXHVGH&RPSRVWHOOHODUHYHQGLFDWLRQLGHQWLWDLUH
IXW SOXV PDUTX«H TXDWUH FHQWV SHUVRQQHV G«ȴOªUHQW HQ IDYHXU GH
mOȇLQG«SHQGDQFH}HWGȇXQHU«SXEOLTXHGH*DOLFH&RPPHHQ&DWDORJQH
OHVJURXSHVGHMHXQHVVHLQG«SHQGDQWLVWHVIXUHQWDVVH]PRELOLV«VFULDQW
notamment « Dehors les Bourbons de notre nation » (« Fóra Borbóns da
nosa nación} m1RWUHUXLQHFȇHVWOȇ(VSDJQH} mA nosa ruina, España
é} RXHQFRUHm$YDQ©RQVVDQVUHO¤FKHYHUVODU«SXEOLTXHJDOLFLHQQH}
(« Avante sen tregua á república galega »). Lors de l’intronisation de
3KLOLSSH9, VHXOV TXHOTXHV FHQWDLQHV GH PDQLIHVWDQWV VH PRELOLVªUHQW
¢ QRXYHDX GDQV FHV YLOOHV SUHXYH GX FDUDFWªUH WUªV PLQRULWDLUH YRLUH

šL’Inem est l’Institut National de l’Emploi. À Bilbao, le groupe communiste appela à


une « Troisième République » et entama le chant de l’internationale devant la mairie. À
Pampelune, seule4 une centaine de personnes manifestèrent, et crièrent en basque « Dehors
NC OQPCTEJKGšЏz GV kRépublique basque », illustrant bien la prédominance historique du
conservatisme en Navarre et le caractère minoritaire des groupes républicains au sein de cette
communauté autonome.
šDepuis son élection en 2012 à SCKPVSébastien, le maire Juan Carlos Izagirre du parti indé
pendantiste basque Bildu, dresse symboliquement un drapeau républicain depuis le balcon de
la mairie le 14 avril de chaque année.
63. « Miles de gallegos salen a la calle para pedir la República », El País, 2 juin 2014.

99
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

U«VLGXHOGHFHPRXYHPHQWGDQVXQHU«JLRQR»XQFRQVHUYDWLVPHSROL-
tique teinté de régionalisme domine64.

RENOUVEAU ET DÉCLIN DU RÉPUBLICANISME


DANS L’ESPAGNE D’AUJOURD’HUI
$LQVL DX ȴQDO FRPPHQW H[SOLTXHU OH UHQRXYHDX GX PRXYHPHQW
U«SXEOLFDLQ GDQV Oȇ(VSDJQH GȇDXMRXUGȇKXL" (Q U«SRQVH ¢ FHWWH TXHVWLRQ
nous avons montré dans ce chapitre que la récurrence des manifestations
républicaines ces dernières années est intimement liée au contexte de
FULVH «FRQRPLTXH VRFLDOH HW SROLWLTXH TXL FDUDFW«ULVH Oȇ(VSDJQH GHSXLV
2008. La crise a non seulement provoqué une paupérisation des classes
PR\HQQHV HW SRSXODLUHV HW XQH DXJPHQWDWLRQ GHV LQ«JDOLW«V PDLV VȇHVW
aussi traduite par une crise de légitimité des élites et du système politique
issu de la transition et de la constitution de 1978. Cette situation de perte
GH FRQȴDQFH ¢ Oȇ«JDUG GX SHUVRQQHO SROLWLTXH HW GHV SULQFLSDOHV LQVWLWX-
tions espagnoles a amené un nombre croissant de citoyens à réévaluer
de façon critique le « pacte » de la transition. Pour les communistes et les
GHVFHQGDQWVGHVU«SXEOLFDLQVYLFWLPHVRXH[LO«VSHQGDQWODJXHUUHFLYLOH
la monarchie espagnole a été imposée d’en-haut par les élites de l’ancien
U«JLPHIUDQTXLVWHHWFRQVWLWXHGRQFOHGHUQLHUV\PEROHGȇXQHG«PRFUD-
tisation inachevée. Pour ce secteur social qui demeure minoritaire dans
Oȇ(VSDJQHGȇDXMRXUGȇKXLODWUDQVLWLRQDXUD«W«LQFRPSOªWHHWODU«SXEOLTXH
LG«DOLV«H¢SDUWLUGXVRXYHQLUHWGȇXQHP«PRLUHP\WKLȴ«HHWTXHOTXHSHX
G«IRUP«HGHOD6HFRQGH5«SXEOLTXHFRQVWLWXHUDLWODVROXWLRQ
0DLVFRPPHQRXVOȇDYRQVYXOȇKLVWRLUHFRQWHPSRUDLQHGXU«SXEOLFD-
nisme en Espagne demeure très controversée et sujette à des interpréta-
WLRQVRSSRV«HV3RXUODPDMHXUHSDUWLHGHODVRFL«W«HVSDJQROHODmU«SX-
EOLTXH}QȇHVWSDVLQVWLQFWLYHPHQWDVVRFL«HDXIXWXU¢ODPRGHUQLW«¢OD
FRH[LVWHQFH SDFLȴTXH HW DX SURJUªV VRFLDO 'DQV OD P«PRLUH FROOHFWLYH
HOOHHVWSOXW¶WDFFRO«HDX[G«PRQVGXSDVV«¢ODGLYLVLRQHWDXFRQȵLWHW
demeure très connotée idéologiquement en référence à l’idéal politique de
ODJDXFKHSOXVTXȇHOOHQHV\PEROLVHXQU«JLPHSROLWLTXHFRQVHQVXHO&ȇHVW
pourquoi la monarchie n’a pas échappé à la crise de légitimité qui touche
l’ensemble des institutions espagnoles. Mais comme des témoignages de

šPour une étude synthétique de l’évolution des clivages politiques en Galice, voir Nieves
LƧƭƧƷƫƸ, José Manuel RƯƻƫƷƧ et Ramón MƧƯƿ, « LG PCVKQPCNKUOG ICNKEKGPš FG NŨCEEȋU CW
gouvernement à la crise électorale et organisationnelle », dans Alicia FƫƷƴʜƴƪƫƿ GƧƷƩʨƧ
et Mathieu PƫƹƯƹƮƵƳƳƫ FKT  Les nationalismes dans l’Espagne contemporaine (1975-2011).
Compétition politique et identités nationales, Paris, Armand CQNKPR

100
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

PDQLIHVWDQWV RQW SHUPLV GH VRXOLJQHU HW FRPPH OH VXJJªUHQW OHV VRQ-
GDJHVGȇRSLQLRQFHVRQWGȇDERUGOHVSDUWLVSROLWLTXHVWUDGLWLRQQHOVOHXUV
élites et le gouvernement qui sont mis en cause. Les Espagnols continuent
GHSO«ELVFLWHUPDMRULWDLUHPHQWODPRQDUFKLHHWODȴJXUHGXURL,OHVWYUDL
WRXWHIRLVTXHOHFDV1µRVD\DQWPLVHQDYDQWOȇH[LVWHQFHGHSUDWLTXHVGH
corruption dans l’entourage de Juan Carlos IerHWVRQVDIDULDX%RWVZDQD
HQDORUVTXȇLODYDLWGHPDQG«DX[(VSDJQROVGHmIDLUHGHVHIIRUWV}
assurant que « la justice est la même pour tous » dans son discours de
1R­OGXG«FHPEUHVȇHVWU«Y«O«SURIRQG«PHQWHQG«FDODJHDYHFOH
Y«FXTXRWLGLHQGHVFLWR\HQVRUGLQDLUHV(QVHXOHPHQWTXHOTXHVVHPDLQHV
Juan Carlos Ier a perdu une bonne partie du crédit historique qui était le
VLHQSRXUDYRLUMRX«XQU¶OHPDMHXUGXUDQWODWUDQVLWLRQU«VLVW«¢ODWHQWD-
WLYHGHFRXSGȇ‹WDWGXI«YULHUHWFRQWULEX«¢UHGRQQHU¢Oȇ(VSDJQH
sa place dans le concert des nations européennes.
3RXU DXWDQW FRPPH QRXV OȇDYRQV PLV HQ DYDQW OHV PDQLIHVWDWLRQV
VXUYHQXHV ORUV GH VRQ DEGLFDWLRQ RQW «W« HVVHQWLHOOHPHQW VSRQWDQ«HV
liées à l’effet de surprise et à l’euphorie du moment. Il ne s’est en
rien agi d’un mouvement social massif d’opposition à la monarchie.
1RXV OȇDYRQV FRQVWDW« FHV PRELOLVDWLRQV RQW VXUWRXW «W« LPSRUWDQWHV
HQ &DWDORJQH HW DX 3D\V EDVTXH ¢ VDYRLU DX VHLQ GH FRPPXQDXW«V
DXWRQRPHV R» OHV PDQLIHVWDQWV QH VH PRELOLVªUHQW SDV WDQW FRQWUH OD
monarchie qu’en faveur d’un nouveau statut politique pour leur terri-
WRLUH,OHVWGȇDLOOHXUVU«Y«ODWHXUTXȇHQ*DOLFHR»FRH[LVWHQWU«JLRQDOLVPH
LGHQWLWDLUH HW FRQVHUYDWLVPH SROLWLTXH OHV PDQLIHVWDWLRQV SURU«SXEOL-
FDLQHVIXUHQWWUªVSHXVXLYLHV'DQVOȇHQVHPEOHGHOȇ(VSDJQHOȇLQWURQL-
sation du nouveau roi Philippe VI a sonné le glas de ces mobilisations
et attesté une forme de résignation des citoyens. Le républicanisme
GHPHXUHGȇDXWDQWSOXVPLQRULWDLUHDXMRXUGȇKXLTXHOH362(TXLUHVWH¢
FHMRXUOHSULQFLSDOSDUWLGHODJDXFKHHVWDWWDFK«DXU«JLPHSROLWLTXHGH
ODPRQDUFKLHSDUOHPHQWDLUHP¬PHVLOHVRSLQLRQVGHVDEDVHPLOLWDQWH
et de ses électeurs demeurent plus nuancées.
Conscient de la peur de l’inconnu et de l’image rassurante de sta-
ELOLW« TXH WUDQVPHW OD PRQDUFKLH ¢ EHDXFRXS Gȇ(VSDJQROV OH QRXYHDX
parti PodemosDGȇDLOOHXUVIDLW«YROXHUVDSRVLWLRQLQLWLDOHHQ«YRTXDQW
la possibilité d’un référendum mais en ne mettant plus vraiment cette
question au centre de ses préoccupations65. Le parti Citoyens d’Albert

šPour Pablo Iglesias, « l’abdication accélère la décomposition du régime de 1978 ». Podemos


a dénoncé le pacte PSOEPP pour la réforme de la loi organique qui a ouvert la succession
Cf. Anabel DƯƫƿ, « Las fuerzas de izquierda piden un referéndum sobre la monarquía », El País,
2 juin 2014.

101
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

5LYHUD TXL GHYUDLW FRQFXUUHQFHU OH 33 HQ DWWLUDQW XQH SDUWLH GH VRQ
«OHFWRUDWOLE«UDOQHGHPDQGHSDVQRQSOXVXQFKDQJHPHQWGHU«JLPH
Les manifestations républicaines de ces dernières années ont ainsi
WUDGXLW OȇLQGLJQDWLRQ OD G«ȴDQFH SROLWLTXH J«Q«UDOLV«H HW OD YRORQW« GH
FKDQJHPHQWGHVFLWR\HQVSOXVTXȇXQG«VLUGȇHQȴQLUDYHFODPRQDUFKLH
L’abdication de Juan Carlos IerHWVRQUHPSODFHPHQWSDU3KLOLSSH9,TXL
VȇDSSXLH VXU XQ FRXSOH UR\DO GRW« GȇXQH LPDJH PRGHUQH HW JODPRXU
furent en ce sens une décision sage et stratégique de Juan Carlos IerDȴQ
de « sortir par le haut » de la crise de légitimité dans laquelle il avait fait
entrer la monarchie du fait d’une succession d’épisodes polémiques.
6HXOOȇDYHQLUGLUDVLOHQRXYHDXURLVDXUDU«DɚUPHUODO«JLWLPLW«GHOD
monarchie66. Une institution dont le principal déterminant de légitimité
populaire ne dépend pas tant de l’effet des mobilisations d’un mou-
vement social républicain qui demeure minoritaire que de sa propre
FDSDFLW«¢LQFDUQHUXQHDXWRULW«QHXWUHH[HPSODLUHHWUDVVHPEOHXVH

šConscient que la poussée du mouvement indépendantiste catalan constituera l’un des


défis de son règne, le simple fait que Philippe VI propose le 26 juin 2014 à Gérone, lors de sa
première visite en tant que chef de l’État en Catalogne, un discours d’apaisement, dont la moitié
fut prononcé en catalan, illustre à cet égard une évolution qui peut paraître anecdotique, mais
qui illustre bien une rupture avec le passé et avec la domination du castillan dans les discours
de Juan Carlos Ier.

102
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

4
Les féminismes dans l’Espagne
d’aujourd’hui
Karine BERGÈS

Je m’obstine à penser que le féminisme n’est pas une


politique que l’on peut appliquer sans les femmes, et à
leur place, sans qu’elles-mêmes, collectivement et sin-
gulièrement, d’une génération à l’autre, s’y impliquent
activement. Ce n’est pas une religion du salut, une nou-
velle Écriture Sainte. Il n’y a pas de Terre Promise, pas
de Moïse, pas de petite ou de grande mère des peuples.
Mais il y a une marche collective et singulière, avec ses
divisions et ses errances.
(Françoise Collin)

$SUªV WUHQWHVL[ DQQ«HV GH GLFWDWXUH OD PRUW GX J«Q«UDO )UDQFR
OH QRYHPEUH  IHUPH OD ORQJXH SDUHQWKªVH GȇXQ U«JLPH SHU-
VRQQDOLVWH DXWRULWDLUH HW U«SUHVVLI UHSRVDQW VXU OH VHXO SRXYRLU GX
Généralissime1. Si tous les citoyens furent privés des libertés fonda-
mentales et contraints de se plier aux injonctions d’un régime natio-
QDOFDWKROLTXH OHV IHPPHV HQGRVVªUHQW XQ GRXEOH VWDWXW GH YLFWLPHV
on leur refusa la jouissance des droits civils et politiques à l’instar des
KRPPHV PDLV «JDOHPHQW OȇDFFªV ¢ OD VSKªUH SXEOLTXH DX QRP GȇXQ
projet maternaliste et patriarcal consistant à « nationaliser » le corps
des femmes au service des intérêts réputés fondamentaux du pays2. La
propagande franquiste érigea l’image de la « gardienne du foyer » en
DUFK«W\SH GH OD I«PLQLW« KLVSDQLTXH VRXPHWWDQW DLQVL OD PRLWL« GH OD
SRSXODWLRQ ¢ XQH GRPHVWLFDWLRQ GHV FRUSV HW GHV HVSULWV &H IDLVDQW OH

šPour faciliter la lecture du public français, la traduction de l’ensemble des textes en espagnol,
ainsi que celle des noms des collectifs mentionnés, a été réalisée par les soins de l’auteure.
šKarine BƫƷƭʣƸ, « La nacionalización del cuerpo femenino al servicio de la construcción de
la identidad nacional en las culturas falangistas y franquistas », dans GHQUH VH[H HW QDWLRQ̰
représentations et pratiques politiques en Espagne (Њ΂Њ-ЊЊe siècles), Madrid, Mélanges de la Casa
de VGNȄ\SWG\R

103
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

cantonnement des femmes dans la sphère intime s’accompagna d’une


O«JLVODWLRQ GLVFULPLQDQWH GȇXQH VRFLDOLVDWLRQ GLII«UHQFL«H HW GȇXQH
DVVLJQDWLRQVH[X«HGHVU¶OHV,OVȇDJLVVDLWSDUOȇLPSRVLWLRQGHSROLWLTXHV
mGRPHVWLTXHV} GH JRPPHU OȇK«ULWDJH GH OD 6HFRQGH 5«SXEOLTXH
  DX FRXUV GH ODTXHOOH XQ U«JLPH G«PRFUDWLTXH DYDLW SRV«
OHV SUHPLHUV MDORQV GH Oȇ«PDQFLSDWLRQ I«PLQLQH 1RQ VDQV U«VLVWDQFHV
une législation favorable à l’amélioration de la condition juridique des
femmes fut en effet portée par les idéaux républicains : inscription du
droit de vote et de l’égalité des sexes dans la constitution du 9 décembre
 O«JDOLVDWLRQ GX GLYRUFH SDU OD ORL GX PDUV  HW GX PDULDJH
FLYLO SDU FHOOH GX MXLQ  6L FRPPH OH VRXOLJQH 'DQLªOH %XVV\
*HQHYRLV m/D 5«SXEOLTXH SRXU OHV (VSDJQROHV D VLJQLȴ« OȇDSSUHQWLV-
VDJHGHODOHFWXUHGHOȇHQJDJHPHQWSROLWLTXHHWDYHFGLɚFXOW«OȇDSSUHQ-
WLVVDJH GX VHQV GX YRWH} FH OHQW SURFHVVXV GH VRFLDOLVDWLRQ SROLWLTXH
VȇHVW YX LQWHUURPSX SDU OD YLFWRLUH GHV IRUFHV QDWLRQDOLVWHV ¢ OD ȴQ GH
la guerre civile (1er avril 1939)3 : l’institutionnalisation du franquisme
VRQQD OH UHWRXU GHV IHPPHV DX IR\HU OH UHQRQFHPHQW ¢ OHXUV HQJDJH-
ments militants et/ou professionnels dans la sphère publique et leur
VRXPLVVLRQ¢ODSROLWLTXHQDWDOLVWHGXU«JLPHVRXVODI«UXOHGHOȇ‹JOLVH
HWGHODVHFWLRQI«PLQLQHGHOD3KDODQJHDSSDUHLOGHFRQWU¶OHK«J«PR-
nique chargé de l’encadrement idéologique des femmes espagnoles tout
au long de la dictature4.
En dépit de quelques initiatives isolées au cours des années 19605
FHQȇHVWTXȇHQORUVGHOȇ$QQ«HLQWHUQDWLRQDOHGHODIHPPHG«FU«W«H

šDanièle BƺƸƸƾGƫƴƫƻƵƯƸ, « Citoyennes de la Seconde République », dans MCTKGAline


BƧƷƷƧƩƮƯƴƧ, Danièle BƺƸƸƾGƫƴƫƻƵƯƸ et Mercedes YƺƸƹƧ FKT  FHPPHV HW G«PRFUDWLH̰ OHV
Espagnoles dans l’espace public (1868-1978), Paris, Éditions du Temps, 2007, p. 145. Nous
précisons, dans les notes à suivre, qu’il existe deux ouvrages du même nom mais dans deux
maisons d’éditions différentes, l’un aux Éditions du Temps, l’autre chez Ellipse.
šSur la Section féminine de la Phalange, voir. les études francophones de MCTKGAline
BƧƷƷƧƩƮƯƴƧš FHPPHV HW G«PRFUDWLH̰ OHV Espagnoles dans l’espace public (1868-1978), Paris,
SGFGUCNED š kLa Section féminine et ses paradoxes », dans MCTKGAline BƧƷƷƧƩƮƯƴƧ
GV CN FKT  op. cit., Rš Christine LƧƻƧƯƲ, « Les femmes de la Section féminine de la
PJCNCPIGš GPVTG GURCEG RTKXȌ GV GURCEG RWDNKEz FCPU Florence BƫƲƳƵƴƹƫ FKT  Femmes et
G«PRFUDWLH̰ OHV Espagnoles dans l’espace public (1868-1978), Paris, ENNKRUGU  Rš
Karine BƫƷƭʣƸ « Récits et expériences de la Guerre civile espagnole à travers les écrits des
HGOOGU RJCNCPIKUVGU  z FCPU Florence BƫƲƳƵƴƹƫ, Karim BƫƴƳƯƲƵƺƪ et Sylvie
IƳǞƧƷƧƹƵ-PƷƯƫƺƷ FKT  Guerres dans le monde ibérique et ibéro-américain, Berne, Peter Lang,
R
šOn mentionnera la création de l’Association des femmes universitaires en 1953 et la fondation
du Séminaire d’études sociologiques par María Laffite Campo Alange.

104
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

SDU Oȇ218 TXH OH PRXYHPHQW I«PLQLVWH VH VWUXFWXUH HQ WDQW TXH WHO6.
&RQYRTX«HVGDQVODVHPLFODQGHVWLQLW«SRXUOHV¢G«FHPEUHOHV
SUHPLªUHV-RXUQ«HVGHOLE«UDWLRQGHODIHPPH¢OȇLQLWLDWLYHGHODSODWH-
forme des organisations de femmes et du Mouvement démocratique des
femmes7VRQWUHVW«HVGDQVOHVDQQDOHVFRPPHOȇDFWHIRQGDWHXUGXI«PL-
nisme espagnol. Si cet événement traduisit la vitalité des revendications
I«PLQLVWHV TXHOTXHV VHPDLQHV VHXOHPHQW DSUªV OD PRUW GX GLFWDWHXU
LO IXW «JDOHPHQW OH U«Y«ODWHXU GHV FRQWURYHUVHV TXL WRXW DX ORQJ GH OD
WUDQVLWLRQ G«PRFUDWLTXH   DOODLHQW ȴVVXUHU OH PRXYHPHQW
DXWRXUGHGHX[WHQGDQFHVOHFRXUDQWGXmI«PLQLVPHUDGLFDO}UHSU«-
VHQW« SDU OH 6«PLQDLUH FROOHFWLI I«PLQLVWH VRXFLHX[ GH SU«VHUYHU VRQ
DXWRQRPLH¢Oȇ«JDUGGHVRUJDQLVDWLRQVSROLWLTXHVHWV\QGLFDOHVHWFHOXL
GXmI«PLQLVPHOXWWHGHVFODVVHV}SDUWLVDQGȇLQVFULUHOHVUHYHQGLFDWLRQV
I«PLQLVWHVDXVHLQGHUHYHQGLFDWLRQVSOXVJ«Q«UDOHVSDUOHWUXFKHPHQW
GHV SDUWLV SROLWLTXHV DYHF FRPPH SULRULW« DEVROXH OȇLQVWDXUDWLRQ GȇXQ
régime démocratique8/HVI«PLQLVWHVGHODGRXEOHPLOLWDQFHELHQTXH
conscientes de la structure et du fonctionnement androcentrés des
SDUWLVSROLWLTXHVSRVWXODLHQWFRQWUHODGRXEOHH[SORLWDWLRQI«PLQLQHGH
classe (et contre celle-ci luttaient les partis politiques de gauche) et d’un

šLe deuxième Congrès International de la Femme en juin 1970 avait dégagé un premier,
bien que timide, espace de parole en faveur de l’émancipation des Espagnoles. Même si ce
rassemblement, placé sous la tutelle de la Section féminine ne laissait que peu de place à
de véritables changements idéologiques, il offrit une tribune à quelques voix réformatrices, à
NŨKPUVCTFG/CTȐC6GNQ0ȚȓG\HQPFCVTKEGFGNŨ#UUQEKCVKQPGURCIPQNGFGUHGOOGULWTKUVGU  
à qui l’on doit la réforme visant à éliminer l’autorisation maritale obligatoire pour la femme
mariée. Sur les réformes juridiques défendues par les avocates Mercedes Fórmica, en 1953,
et María Telo Núnez, en 1974, voir Rosario ƷƺƯƿƬƷƧƴƩƵ, (WHUQDVPHQRUHV̰"/DVPXMHUHVHQHO
franquismo, Madrid, Biblioteca Nueva, 2007 -CTKPGƨƫƷƭʣƸk.C5GEVKQPHȌOKPKPG  š
entre conservatisme et réformisme », dans Marie Claude ƩƮƧǞƺƹ, Christine ƲƧƻƧƯƲ FKT Sur le
chemin de la citoyenneté, Femmes et Cultures Politiques. Espagne Њ΂Њe-ЊЊe siècles, Paris, université
2CTKU1WGUV0CPVGTTG.C&ȌHGPUGR
šLe Mouvement démocratique des femmes a été fondé en 1965 sous la tutelle du Parti com
muniste espagnol. Voir Mercedes CƵƳƧƨƫƲƲƧ, « Movimiento DGOQETȄVKEQFGMujeres », dans
Carmen Martínez Tƫƴ, Purificación GƺƹƯʤƷƷƫƿ LʭǞƫƿ, Pilar GƵƴƿʜƲƫƿ RƺƯƿ FKT El movimiento
feminista en España en los años 70, Madrid, CȄVGFTCR
šPour une étude détaillée du féminisme espagnol pendant la transition, voir María Ángeles
LƧƷƺƳƨƫ, Una inmensa minoría. Influencia y feminismo en la Transición, Saragosse, Prensas uni
versitarias de ZCTCIQ\CšLas que dijeron no. Palabra y acción del feminismo en la Transición,
Saragosse, Prensas universitarias de ZCTCIQ\CšEspañolas en la TUDQVLFLµQ̰GHH[FOXLGDVD
protagonistas (1973-1982), V. A, Madrid, Biblioteca NWGXCššIsabel MƵƷƧƴƹ FKT Historia de
las mujeres en España y América Latina. Del siglo XX a los umbrales del XXI, Vol. IV, Madrid, CȄVGFTC
š Pilar FƵƲƭƺƫƷƧ FKT  El feminismo en España, dos siglos de Historia, Madrid, Ed Pablo
IINGUKCUšOliva María RƺƨƯƵ et Isabel TƫưƫƪƧ FKT 100 años en femenino. Una historia de
las mujeres en España, Madrid, Acción Cultural EURCȓQNC

105
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

V\VWªPHGȇRSSUHVVLRQGHVH[HOHSDWULDUFDW9. Pour la tendance héritière


du féminisme radical étasunien des années 1970 et du féminisme maté-
ULDOLVWHIUDQ©DLVGH&KULVWLQH'HOSK\LOQHIDLVDLWQXOGRXWHTXHODGRXEOH
PLOLWDQFH«WDLWXQSLªJHGªVOȇDYRFDWH/LGLD)DOFµQDYDLWIRQG«OHV
FROOHFWLIVI«PLQLVWHVXQHVSDFHGHPLOLWDQFHXQLTXHHWGHU«ȵH[LRQWK«R-
ULTXHOHVTXHOVRQWSURF«G«¢XQHU««ODERUDWLRQGHOȇK«ULWDJHPDU[LVWH
O«QLQLVWH GDQV XQH SHUVSHFWLYH I«PLQLVWH HW RQW IRUPXO« GHV SRVWXODWV
novateurs sur les mécanismes d’exploitation économique et sexuelle
des femmes et sur les modes de « production domestique ». Ce courant
QȇDHXGHFHVVHGHG«IHQGUHODFRQVWLWXWLRQGȇXQPRXYHPHQWDXWRQRPH
H[FOXVLYHPHQWI«PLQLQGRQWOHVSULQFLSHVLG«RORJLTXHVFRQVWLWXHURQWOD
FOHIGHYR½WHGX3DUWLI«PLQLVWHGȇ(VSDJQHO«JDOLV«HQ10.
(QWUH HW OH PRXYHPHQW I«PLQLVWH mFUR°W HQ TXDQWLW« HW
HQTXDOLW«OHVWHQGDQFHVVHUHQIRUFHQWOHVG«EDWVHWOHVFRQIURQWDWLRQV
LG«RORJLTXHV IRUWHV HW QRPEUHXVHV HQULFKLVVHQW OH PRXYHPHQW}11 HW
VHVPRELOLVDWLRQVȵXFWXHQWDXJU«GHOȇDJHQGDSROLWLTXHGHODWUDQVLWLRQ
ORLGHU«IRUPHSROLWLTXHGHSUHPLªUHV«OHFWLRQVOLEUHVGXMXLQ
 U«GDFWLRQ GH OD FRQVWLWXWLRQ PDMRULWDLUHPHQW DSSURXY«H SDU
OH U«I«UHQGXP GX G«FHPEUH  DXWDQW GȇRFFDVLRQV GH G«VDFFRUG
entre les féministes radicales et celles du « féminisme socialiste »12. Les
-RXUQ«HV I«PLQLVWHV GH *UHQDGH TXL PRELOLVªUHQW WURLV PLOOH SDUWLFL-
SDQWHVHQPDLPLUHQW¢QXOHVOLJQHVGHIUDFWXUHVTXLFRQWLQXDLHQW
GH GLYLVHU OH PRXYHPHQW DXWRXU GH OD GRXEOH PLOLWDQFH PDLV GH QRX-
velles divergences idéologiques vinrent se greffer aux clivages agissant
GHSXLV TXDWUH DQV &RQWUH OHV I«PLQLVWHV UDGLFDOHV RX VRFLDOLVWHV SDU-

šCelia AƳƵƷʭƸ, « Debates ideológicos en el movimiento feminista durante la transición


GURCȓQNCzFCPUCarmen MƧƷƹʨƴƫƿTƫƴet al FKT op. cit., 2009, p. 196.
šSur les origines du Parti féministe en Espagne voir María ÁƴƭƫƲƫƸ LƧƷƺƳƨƫ, Una inmensa
minoría. Influencia y feminismo en la Transición, Zaragoza, Prensas Universitarias de Zaragoza,
2002.
šRosa PƧƷƪƵ, « El feminismo en EURCȓCBTGXGTGUWOGPzFCPUPilar FƵƲƭƺƫƷƧ
FKT op. cit., 2007, p. 205.
šLe texte final de la constitution, s’il levait les obstacles légaux à la participation politique des
HGOOGUGVȌVCDNKUUCKVFCPUUQPCTVKENGNGRTKPEKRGFGNCkPQPFKUETKOKPCVKQPGPHQPEVKQPFW
sexe », n’incluait aucune revendication sur les droits sexuels ou la légalisation de l’avortement.
Ce refus du droit au contrôle de la natalité et à la libre disposition de leur corps par les femmes,
renforça les clivages entre les deux tendances du féminisme espagnol, les plus radicales reje
tant d’un seul bloc le texte constitutionnel alors que les féministes de la double militance, tout
en critiquant ses faiblesses, soutenaient que seul un cadre juridique était à même d’accompa
gner les réformes pour les droits des femmes. INGPHWVCKPUKCXGENCNQKFWFWOCK
qui éliminait les articles 449 et 452 du CQFGRȌPCNTGNCVKHUȃNŨCFWNVȋTGGVCXGENCNQKFW
7 octobre qui dépénalisait la contraception. Pour la liste des lois réformistes à partir de 1978,
voir Pilar FƵƲƭƺƫƷƧ, « Integrando el género en la agenda política. Feminismo, transición y
democracia », dans Oliva María RƺƨƯƵ et Isabel TƫưƫƪƧ FKT op. cit., 2012, p. 105.

106
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

tisanes d’une société dans laquelle les hommes et les femmes détien-
GUDLHQW OHV P¬PHV GURLWV HW REOLJDWLRQV OHV I«PLQLVWHV GLII«UHQWLDOLVWHV
défendaient les visions essentialistes de la différence des sexes en attri-
buant des qualités ontologiques distinctes aux femmes et aux hommes.
6L FRPPH OH VXJJªUH 0DU¯D ƒQJHOHV /DUXPEH mGHSXLV VRQ RULJLQH
notre féminisme s’est caractérisé par une fragmentation organisatrice
DFFUXHHWGHVGLYHUJHQFHVWK«RULTXHVPDUTX«HV}ODG«S«QDOLVDWLRQGH
OȇDYRUWHPHQWHWODO«JDOLVDWLRQGXGLYRUFHGHPHXUDLHQWHQFRUH¢ODȴQ
GHVDQQ«HVGHVVXMHWVGHPRELOLVDWLRQFROOHFWLYHHWXQLWDLUH13. Pour
OHPRXYHPHQWI«PLQLVWHGDQVVRQHQVHPEOHOȇREWHQWLRQGȇXQHORLVXUOH
divorce (déjà accordée sous la Seconde République) devenait un enjeu
crucial eu égard au texte constitutionnel qui établissait le principe de
l’égalité de droit avec les hommes. À l’exception des secteurs les plus
FRQVHUYDWHXUV HW GH Oȇ‹JOLVH FDWKROLTXH FHWWH GHPDQGH «WDLW VRXWHQXH
SDUODJUDQGHPDMRULW«GHV(VSDJQROVGHVUHVSRQVDEOHVSROLWLTXHVGHV
SURIHVVLRQQHOVGXGURLWHWGHVP«GLDVHWȴQLWSDU¬WUHO«JDOLV«HSDUOD
loi du 7 juillet 198114 /D EDWDLOOH SRXU OȇDYRUWHPHQW HQ UHYDQFKH VH
WURXYD ¬WUH mOD SOXV FRQȵLFWXHOOH TXH OH PRXYHPHQW I«PLQLVWH HXW ¢
PHQHU} HQ UDLVRQ GX PDQTXH GH FRQVHQVXV GDQV OD VRFL«W« FLYLOH15.
6RXVOHVORJDQmFRQWUDFHSWLRQSRXUQHSDVDYRUWHUDYRUWHPHQWSRXUQH
SDV PRXULU} HOOH PRELOLVD OHV PLOLWDQWHV WRXW HQ U«Y«ODQW OD G«VXQLRQ
des professionnels de santé ainsi que des clivages au sein même des
SDUWLV SURJUHVVLVWHV 3UHXYH GH FHV U«VLVWDQFHV OD ORL WUªV UHVWULFWLYH
GX MXLOOHW  VXU OH GURLW ¢ OȇLQWHUUXSWLRQ YRORQWDLUH GH JURVVHVVH
DSSURXY«H VRXV OD O«JLVODWXUH GX VRFLDOLVWH )HOLSH *RQ]£OH] OLPLWDLW OD
G«S«QDOLVDWLRQGHOȇ,9*¢WURLVFDVGHȴJXUHVHXOHPHQWFRPPHQRXVOH
verrons plus en amont.
Pour clore cette mise en contexte du féminisme sous la transition
G«PRFUDWLTXH QRXV UDSSHOOHURQV TXH OD FRQWHVWDWLRQ HW OȇDFWLYLVPH
PLOLWDQWV FRPPHQFHQW ¢ PRQWUHU GHV VLJQHV GȇHVVRXɛHPHQW ¢ SDU-
WLU GH  GDWH ¢ ODTXHOOH RQ DVVLVWH ¢ XQH GLVSHUVLRQ GX PRXYH-
PHQW I«PLQLVWH UHYHQGLFDWLI GHYDQW OD SHUF«H GX I«PLQLVPH GLW

šMaría Ángeles LƧƷƺƳƨƫ, « Feminismo y TTCPUKEKȕP FGOQETȄVKECš NQITQU [ EWGPVCU RGP


dientes », dans MCTKGAline BƧƷƷƧƩƮƯƴƧ, Danièle BƺƸƸƾGƫƴƫƻƵƯƸ et Mercedes YƺƸƹƧ FKT 
FHPPHVHWG«PRFUDWLH̰OHVEspagnoles dans l’espace public (1868-1978), Paris, Éditions du Temps,
2007, p. 217.
šLes médias qui appuyèrent le plus la légalisation du divorce furent la revue Triunfo, Cambio
16, El País, et bien sûr la revue féministe radicale Vindicación Feminista qui, durant son exis
tence, de 1976 à 1979, avait défendu dans ses colonnes le divorce et l’avortement sans aucune
restriction.
šMaría Ángeles LƧƷƺƳƨƫ, op. cit., 2007, p. 225.

107
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

« académique » et « institutionnel ». Le développement du féminisme


DFDG«PLTXH ¢ SDUWLU GHV DQQ«HV  VȇRS«UD ¢ OȇLQLWLDWLYH GȇLQWHO-
OHFWXHOOHV TXL VRXV OD WUDQVLWLRQ DYDLHQW FRQFLOL« OHXUV DFWLYLW«V DFD-
démiques avec la militance dans les partis ou mouvements sociaux.
'«©XHV SDU OHV RUJDQLVDWLRQV SROLWLTXHV HOOHV IRQGªUHQW GHV FHQWUHV
Gȇ«WXGHVVXUOHVIHPPHVGDQVOHVJUDQGHVXQLYHUVLW«VHVSDJQROHVDȴQ
de récupérer l’héritage des demandes politiques et sociales des années
DQW«ULHXUHV/HI«PLQLVPHDFDG«PLTXHHQWHQGXFRPPHmXQLQVWUX-
ment de changement social qui se doit d’être au service des agents
et acteurs sociaux16} MRXD XQ U¶OH LPSRUWDQW GDQV OHV PRELOLVDWLRQV
I«PLQLVWHV QRWDPPHQW SDU OH ELDLV GHV JURXSHV GȇDXWRFRQVFLHQFH HW
GH Oȇ$VVHPEO«H GHV IHPPHV GH OD &RPSOXWHQVH OLHX GH VRFLDOLVDWLRQ
féministe tout au long des années 198017 4XDQW DX mI«PLQLVPH LQV-
WLWXWLRQQHO} LO WURXYD VRQ WHUUDLQ GȇH[SUHVVLRQ GDQV OD IRQGDWLRQ GH
Oȇ,QVWLWXW GH OD IHPPH HQ RFWREUH UDWWDFK« DX PLQLVWªUH GH OD
Culture18HWGLULJ«SDU&DUORWD%XVWHORVRXVOHSUHPLHUJRXYHUQHPHQW
VRFLDOLVWH GH OD G«PRFUDWLH DYHF FRPPH PLVVLRQ GH mSURPRXYRLU
et d’encourager les conditions qui favorisent l’égalité entre les deux
VH[HVHWODSDUWLFLSDWLRQGHVIHPPHV¢ODYLHSROLWLTXHFXOWXUHOOH«FR-
nomique et sociale19 ». Aussi absorba-t-il dans ses rangs des féministes
DFWLYHVDXVHLQGX362(FHTXLQHPDQTXDSDVGHVRXOHYHUGHIRUWHV
FRQWURYHUVHVGHODSDUWGXI«PLQLVPHUDGLFDOTXLFULWLTXDLWOȇDWRPLVD-
tion de ses luttes au service des intérêts politiques et la dépolitisation
GHVPRXYHPHQWVVRFLDX[YLG«VGHOHXUUDGLFDOLW«HWGHOHXUSRWHQWLD-
lité transformatrice20. Cette institutionnalisation du féminisme s’est
accompagnée d’une minoration du féminisme indépendant malgré
les apports à son actif : s’il a « été décisif dans l’européisation de
l’Espagne21} HQ G«IHQGDQW GHV U«IRUPHV TXL RQW PRGLȴ« OHV GURLWV

šPilar FƵƲƭƺƫƷƧ, « Voces del feminismo », dans Isabel MƵƷƧƴƹ FKT op. cit., 2006, p. 443.
šBGIQȓC MƧƷƺƭʜƴ, María Jesús MƯƷƧƴƪƧ et Marta MƧƹƵ, « El poder de los géneros
y los géneros del poder. Relatos de un feminismo encarnado en tres generaciones »,
Encrucijadas. Revista Crítica de Ciencias SocialesPo=JVVRGCTEJKXQWEOGUDKVUVTGCO
JCPFNGOCTWICPARQFGTAENARFH!UGSWGPEG?EQPUWNVȌGPQEVQDTG
šPour un historique de l’Institut de la Femme, voir Celia VƧƲƯƫƴƹƫ FƫƷƴʜƴƪƫƿ, El feminismo
de Estado en España. El Instituto de la Mujer (1983-2003), Valence, Institut Universitari d’Estudis
de la Dona, 2006.
šSite internet de l’Instituto de la Mujer =JVVRYYYKPOWLGTIQDGUJQOGJVO? EQPUWNVȌ GP
novembre 2014.
šPilar FƵƲƭƺƫƷƧ, « De la Transición política a la paridad », dans Pilar FƵƲƭƺƫƷƧ FKT op. cit,
2007, p. 179.
šMónica TƮƷƫƲƬƧƲƲ, « El papel transformador del movimiento de mujeres en la transición
RQNȐVKECGURCȓQNCzFCPUCarmen Martínez TƫƲƵ GVCN FKT op. cit., 2009, p. 44.

108
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

SURIHVVLRQQHOVHWMXULGLTXHVGHVIHPPHVOHPRXYHPHQWI«PLQLVWHGH
la transition a également eu un impact sur l’évolution des mentalités.
$XU\WKPHGHVHVPRELOLVDWLRQVLOHVWSDUYHQX¢LQVWLOOHUXQHY«ULWDEOH
conscience politique aux Espagnoles et à impulser un changement
VRFLDO TXL VȇHVW WUDGXLW SDU OȇDYªQHPHQW GȇXQH J«Q«UDWLRQ TXL D IDLW
sienne les combats historiques des années 1970 : accès à l’éducation
VXS«ULHXUHLQG«SHQGDQFH«FRQRPLTXHHWSURIHVVLRQQHOOHDXWRQRPLH
personnelle et liberté sexuelle.
Si ce rappel historique concernant le féminisme espagnol démontre
VDSRUW«HWUDQVIRUPDWULFHGHODVRFL«W«HVSDJQROHTXȇHQHVWLOGHVRQFKH-
minement au cours des trois dernières décennies ? L’institutionnalisation
GX I«PLQLVPH ¢ SDUWLU GHV DQQ«HV  VȇHVWHOOH DFFRPSDJQ«H GȇXQH
neutralisation des collectifs féministes les plus contestataires ? En
(VSDJQHOHI«PLQLVPHDWLOU«XVVL¢VXUYLYUHDXmbacklash » des années
 FH UHFXO DQWLI«PLQLVWH RFFLGHQWDO TXL D G«O«JLWLP« OH I«PLQLVPH
en tant que mouvement social et politique22"&RPPHQWHQPDUJHGHV
FDPSDJQHV SRUW«HV SDU OH I«PLQLVPH LQVWLWXWLRQQHO OHV I«PLQLVWHV GHV
années 2000 sont-elles parvenues à reformuler d’anciennes questions
ou à faire émerger des discours et des modes d’action novateurs ? De
TXHOOH ID©RQ OD FXOWXUH GH OD FRQWHVWDWLRQ UHID©RQQ«H SDU OHV PRXYH-
PHQWV FLWR\HQV FRQWHPSRUDLQV ¢ OȇLQVWDU GX PRXYHPHQW GHV LQGLJQ«V
HQDWHOOHLPSDFW«OHI«PLQLVPHHVSDJQRO"'DQVTXHOOHPHVXUHOHV
WK«RULHVI«PLQLVWHVVRQWHOOHVUHSHQV«HVVRXVOȇLQȵXHQFHGȇXQUHQRXYHDX
générationnel et d’une multiplicité de courants autonomes qui se sont
positionnés en marge du féminisme mainstream ? Autant de question-
QHPHQWVTXȇLOVȇDJLUDGȇDSSURIRQGLUGDQVFHFKDSLWUHDȴQGȇHVTXLVVHUHQ
ȴOLJUDQHXQHJ«Q«DORJLHGXI«PLQLVPHHVSDJQROORQJWHPSVUHVW«mXQ
non-objet de l’histoire23}PDLVTXLQHSHXW¬WUHFRPSULVVDQVOȇDQDO\VH
des espaces-temps dans lesquels il se déploie. Comme le fait remarquer
)UDQ©RLVH7K«EDXGmOHVI«PLQLVWHVQȇKDELWHQWSDVGHV°ORWVGHVRQRULW«V
SURW«J«V} FȇHVW SRXUTXRL QRXV LQWHUURJHURQV FHWWH KLVWRLUH GHV I«PL-
QLVPHV HVSDJQROV ¢ OȇDXQH GHV PXWDWLRQV SROLWLTXHV «FRQRPLTXHV HW
sociales de la société espagnole contemporaine24.

šSusan FƧƲƺƪƯ, BDFNODVK̰ OD JXHUUH IURLGH FRQWUH OHV IHPPHV, Paris, Editions des Femmes,
1993.
šBrigitte SƹƺƪƫƷ et Françoise TƮʤƨƧƺƪ, « Entre histoire et mémoire », dans Eliane GƺƨƯƴ et.
CN FKT Le siècle des Féminismes, Paris, Les éditions de l’Atelier, 2004, p. 28.
šFrançoise TƮʤƨƧƺƪ, « Introduction au chapitre Féminismes et Politique », ibid., 2004, p. 223.

109
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

« NOSOTRAS, LAS MUJERES » : LES DÉBATS AUTOUR


DE LA REDÉFINITION DU « SUJET DU FÉMINISME »
'DQVOȇ(VSDJQHGHVDQQ«HVOHI«PLQLVPHOHSOXVYLVLEOHFRQWLQXH
d’être porté par l’Institut de la femme et par les organisations proches du
Parti socialiste qui inscrivent les politiques de genre au cœur de l’agenda
SROLWLTXH «JDOLW« SURIHVVLRQQHOOH O«JLVODWLRQ VXU OD SDULW« GDQV OHV
VSKªUHVSROLWLTXHVOXWWHFRQWUHOHVYLROHQFHVIDLWHVDX[IHPPHVRXHQFRUH
réglementation de la prostitution256LFHVSUREO«PDWLTXHVP«ULWHQWVDQV
QXO GRXWH WRXWH OȇDWWHQWLRQ GHV LQVWLWXWLRQV «WDWLTXHV OD SRODULVDWLRQ
autour de thèmes consensuels et médiatiques a eu pour conséquence
d’étouffer les revendications les plus radicales émanant des féminismes
DXWRQRPHV WUªV FULWLTXHV ¢ Oȇ«JDUG GȇXQ I«PLQLVPH mainstream accusé
de tuer dans l’œuf le potentiel subversif du féminisme. Cette « décennie
opaque26} TXL HQW«ULQH OD SHUWH GȇXQLW« GX PRXYHPHQW VȇDFFRPSDJQH
HQ PLURLU GȇXQH I«PLQLVDWLRQ FURLVVDQWH GH OD SDXYUHW« VRXV OȇHIIHW GX
WRXUQDQWQ«ROLE«UDOGHVDQQ«HVFK¶PDJHPDVVLȴFDWLRQGHOȇHPSORL
SU«FDLUHDFFURLVVHPHQWGXVHFWHXULQIRUPHOLQ«JDOLW«VVRFLDOHVHWUHFUX-
descence des violences à l’encontre des femmes. Dans ce contexte de
mondialisation néolibérale de nouveaux combats se font jour : la préca-
ULW«OHVPLJUDWLRQVOHVLGDODGLYHUVLW«VH[XHOOHOHWUDȴFSURVWLWXWLRQQHO
OD SRUQRJUDSKLH Oȇ«FRI«PLQLVPH27 ¢ OD IDYHXU GH QRXYHDX[ VXMHWV DX[
SURȴOVK«W«URJªQHVOHVELHQQHVWUDQVH[XHOOHVqueerokupas28PLJUDQWHV
DQWLPLOLWDULVWHVDQWLIDVFLVWHV&HVI«PLQLVPHVGLVVLGHQWVFRPSRVHQWmXQH
QRXYHOOH FDUWH GH JURXSHV G«FHQWUDOLV«V TXL «ODERUHQW GH PDQLªUH
critique et frontale des questionnements qui en général n’étaient pas
abordés par le féminisme traditionnel ou étaient traités de façon

šIl faudra malgré tout attendre la première législature du socialiste José Luis Rodríguez
Zapatero pour que ces problématiques deviennent un enjeu politique de premier plan avec
l’approbation, le 28 décembre 2004, de la loi organique relative aux mesures de protection
intégrale contre la violence de genre.
šMaría MƧƷƹʨƴƫƿGƵƴƿʜƲƫƿ, « LGUOQDKNKUCVKQPUHȌOKPKUVGUGVNGUF[PCOKSWGUKFGPVKVCKTGUš
une étude du féminisme au Pays basque espagnol », Recherches féministes. LHI«PLQLVPH̰XQH
question de valeur(s), n° 21, 2008.
šLa tradition écoféministe remonte aux années 1970 avec les théories de la penseuse liber
taire française Françoise d’ECWDQPPG  OCKUEGEQWTCPVCȌVȌTȌKPXGUVKFGRWKUNGU
années 1990 jusqu’à aujourd’hui par les féministes. Pour une généalogie, cf. Alicia H. ǞƺƲƫƵ,
Ecofeminismo. Para otro mundo posible/CFTKF%ȄVGFTC
šLe mouvement Okupa, littéralement le mouvement des squats, puise ses racines dans les
mouvements d’occupation allemand et italien des années 1970. En Espagne, il se consolide
dans les années 1980 en réaction au desencanto de la fin de la transition démocratique, et
rejette toutes les institutions au profit de l’action collective, de pratiques sociales, politiques
GVȌEQPQOKSWGUCNVGTPCVKXGUFGUWVQRKGUEQPVGUVCVCKTGUGVFGNCEQPVTGEWNVWTGRWPMGVTQEM

110
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

marginale29 ». Ils sont à l’origine de la formation d’une troisième vague


féministe30 TXL HVW Q«H DX[ ‹WDWV8QLV DX PLOLHX GHV DQQ«HV  DYHF
la mobilisation des femmes de couleur (Black Feminism GHVLPPLJU«HV
latino-américaines (Chicanas) et des lesbiennes politiques31OHVTXHOOHVQH
VȇLGHQWLȴHQWSDVDXI«PLQLVPHUDGLFDO«WDVXQLHQGHODGHX[LªPHYDJXH
XQI«PLQLVPHLQWHOOHFWXHOEODQFHWK«W«URVH[XHOSRXUFHVFDW«JRULHVGH
IHPPHVmOȇRSSUHVVLRQQHYDXWSRXUWRXWHVOHVIHPPHVHQWRXWWHPSVHQ
tout lieu et en toute situation32 » et n’est pas seulement le fait de l’oppres-
VLRQ GH VH[H PDLV DXVVL GH FHOOH GH FODVVH HWRX GH UDFH FH TXL SODFH OH
concept d’hybridité au cœur de la troisième vague.
0DOJU« OHV SRLQWV GH YXH FRQWUDVW«V DXWRXU GH FHV TXHVWLRQV LO
semble acquis que le féminisme de la troisième vague travaille mieux
l’approche intersectionnelle des luttes33UHMHWWHSOXVV\VW«PDWLTXHPHQW
la bicatégorisation normative et s’efforce de dénaturaliser les iden-
tités en reprenant à son compte les théories queer LQWURGXLWHV SDU OD
philosophe américaine Judith Butler34 6HV U«ȵH[LRQV RQW LQFRQWHVWD-
blement élargi l’horizon conceptuel des féminismes contemporains en

šSilvia GƯƲ, Nuevos feminismos. Sentidos comunes en la dispersión. Una historia de trayectorias
y rupturas en el Estado español, Madrid, Traficantes de SWGȓQR
šL’historiographie distingue deux vagues féministes. La première vague renvoie au mouvement
suffragiste, qui est apparu à la fin du xixe siècle aux ÉVCVUUPKU   GV GP Grande Bretagne
 EGPVTȌCWVQWTFGNCFGOCPFGFGNŨȌICNKVȌLWTKFKSWGEKXKNGGVRQNKVKSWGGPVTGNGUUGZGULa
FGWZKȋOG XCIWG   C RQTVȌ NGU TGXGPFKECVKQPU SWK RTȖPCKGPV NC NKDȌTCVKQP FGU HGOOGU FGU
attaches et normes imposées par la société patriarcale. Ces revendications furent porteuses
FŨWPTGPQWXGCWFWHȌOKPKUOGRCTNGDKCKUFGOQDKNKUCVKQPUTCFKECNGU Mouvement de libération
des femmes) qui ont pointé la dimension politique de questions traditionnellement considérées
EQOOGRTKXȌGU NGUXKQNGPEGUEQPLWICNGUNCUGZWCNKVȌGVE GVQPVRQRWNCTKUȌNGUNQICPGODNȌOC
tique « le privé est politique ». Rappelons toutefois que ce découpage en vagues est loin de faire
l’unanimité au sein de l’historiographie féministe, comme en témoignent, entre autres, les travaux
de la philosophe française Geneviève FƷƧƯƸƸƫ, Les excès du genre, Paris, Lignes, 2014.
šÉquivalent du « lesbianisme radical » qui se développe dans les années 1980 et pense
l’hétérosexualité comme un « régime politique d’oppression » maintenant les femmes dans
une position d’esclavagisme, d’où la nécessité de le renverser. Voir Monique WƯƹƹƯƭ, La pensée
Straight GȌF Paris, BCNNCTF=?šChristine BƧƷƪ, « Le lesbianisme comme construc
tion politique », dans Eliane GƺƨƯƴGVCN FKT op. citR
šMélissa BƲƧƯƸ Laurence FƵƷƹƯƴPƫƲƲƫƷƯƴ Ève Marie LƧƳǞƷƵƴ Geneviève PƧƭʤ, « Pour
ȌXKVGTFGUGPQ[GTFCPUNC VTQKUKȋOG XCIWGšTȌHNGZKQPUUWTNŨJKUVQKTGGVNŨCEVWCNKVȌFWHȌOKPKUOG
radical », Recherches Féministes XQN  Po  =JVVRKFGTWFKVQTIKFGTWFKVCT?
consulté le 31 mars 2015.
šL’intersectionnalité « dénonce la prétention à l’universalité d’un féminisme qui ignore son point
de vue et appelle à une réflexion sur la coconstruction des différents rapports de domination », cf.
Christine BƧƷƪ, Le féminisme au-delà des idées reçues, Paris, Le cavalier bleu, 2012, p. 271.
šJudith BƺƹƲƫƷ, Gender TURXEOH̰Feminism and the subversion of identity, London NGYYQTM
Routledge, 1990. En Espagne, les études Queer doivent beaucoup à d’autres théoriciennes
comme Donna HCTCYC[Teresa de Lauretis, Eve KQUQHUM[SGFIYKEMQWRNWUTȌEGOOGPVPaul
B. Preciado et MCTKGHélène Bourcier.

111
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

formulant des critiques novatrices : critique de la contrainte de l’hétéro-


VH[XDOLW«FULWLTXHGHODSHQV«HGLFKRWRPLTXH ELSDUWLWLRQGHOȇKXPDQLW«
HQGHX[VH[HV FULWLTXHGHODORJLTXHFDW«JRULHOOHFRPPHP«FDQLVPHGH
SRXYRLUUHPLVHHQFDXVHGXȴ[LVPHLGHQWLWDLUH PXWDELOLW«GHVVXMHWV 35.
‚OȇRULJLQHOHWHUPHqueerG«VLJQDLWHQDQJODLVFHTXLHVW«WUDQJHFH
qui est inclassable et qui résiste aux normes de genre36. Utilisé depuis
le XVIIIe siècle comme un stigmate pour répertorier sous un même
YRFDEOHOȇDEMHFWHWRXOHG«YLDQWOHWHUPHD«W«UHVLJQLȴ«DXPLOLHXGHV
DQQ«HV  SDU OHV FRPPXQDXW«V OHVELHQQHV JD\V WUDQVVH[XHOOHV
pour revendiquer leur étrangeté et en signe de résistance politique aux
normes hétérosexuelles : l’injure a alors « cessé d’être un instrument
de répression sociale pour devenir un signe de résistance à la norma-
OLVDWLRQ}QRXVGLWODSKLORVRSKHHVSDJQROHHWȴJXUHGHSURXHGHOȇDFWL-
visme queer 3DXO % 3UHFLDGR37. Reprenant à son compte les travaux
de Michel Foucault38HWOHVWK«RULHVGXG«FRQVWUXFWLRQQLVPHGHUULGLHQ
ce mouvement prend la forme « d’un mouvement post-identitaire […]
TXL QȇHVW SDV XQ PRXYHPHQW GȇKRPRVH[XHOV QL GH JD\V PDLV GH GLV-
VLGHQWV GX JHQUH GH U«VLVWDQFH IDFH DX[ QRUPHV TXȇLPSRVH OD VRFL«W«
hétérosexuelle dominante39} /D U«ȵH[LRQ queer oppose à la pensée
binaire « une théorie du continuum et de la mutabilité40 ». Les posi-
WLRQVVRQWYXHVFRPPHLQWHUFKDQJHDEOHVHWLOQȇ\DXUDLWSOXV¢FKRLVLU
HQWUHWHOOHRXWHOOHFDW«JRULHHQWUHXQUHJLVWUHVH[XHORXXQDXWUHHQWUH
OȇKRPRVH[XDOLW« RX OȇK«W«URVH[XDOLW« PDLV ¢ VȇLGHQWLȴHU ¢ SDUWLU GȇXQH
PXOWLSOLFLW«GHSRVVLELOLW«VHQVRXPHWWDQWOHVFRUSV¢ODSHUIRUPDWLYLW«
HWHQMRXDQWVXUmOHVJHQUHV}TXLVRQWHQYLVDJ«VGHPDQLªUHUHODWLRQ-
nelle dès lors que « la circulation de la masculinité et de la féminité ne
dépend plus du sexe biologique41 ».

šCes critiques ont été regroupées en quatre catégories par Diane LƧƳƵƺƷƫƺƖ, « La réflexion
QueeršCRRQTVUGVNKOKVGUzFCPUMaria NƫƴƭƫƮMƫƴƸƧƮ FKT op. cit., 2005, p. 92.
šPour une histoire politique du terme queer, voir Paul B. PƷƫƩƯƧƪƵ, « Queer. Historia de
WPC RCNCDTCz  =JVVRRCTQNGFGSWGGTDNQIURQVHTRDGCVTK\RTGEKCFQJVON? EQPUWNVȌ NG
15 novembre 2014.
šPaul B. PƷƫƩƯƧƪƵ CPEKGPPGOGPVBeatriz Preciado) est l’auteure de Manifeste contra-sexuel,
Paris, BCNNCPFššTesto JXQNLH̰VH[HGURJXHHWELRSROLWLTXH, Paris, GTCUUGVšPornotopie,
Paris, Climats, 2010.
šHistoire de la Sexualité de Michel FƵƺƩƧƺƲƹ est parue en trois volumes entre 1976 et 1984
aux Éditions Gallimard. 1. La volonté de savoir 2. L’usage du plaisir 3. Le souci de soi.
šPaul B. PƷƫƩƯƧƪƵ, op. cit., 2009.
šDiane LƧƳƵƺƷƫƺƖ, op. cit., 2005, p. 92.
šChristelle TƧƷƧƺƪ, Les féminismes en question. Éléments pour une cartographie, Paris,
Éditions Amsterdam, 2005, p. 47. Entretien avec MCTKGHélène BƵƺƷƩƯƫƷ, théoricienne et acti
viste queer de référence en France. Elle a notamment publié la trilogie qui fait autorité sur la
SWGUVKQPšQueer Zones 1  Queer Zones 2  Queer Zones 3  

112
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

Le questionnement sur le sujet même du féminisme se trouve au


FĕXU GX I«PLQLVPH GH OD WURLVLªPH J«Q«UDWLRQ 'DQV OHV DQQ«HV 
« le mouvement des femmes se fondait sur une identité-femme très
discutée mais qui cernait en quelque sorte une condition commune
aux femmes »42 QRXV GLW &KULVWLQH %DUG SRXU OH I«PLQLVPH IUDQ©DLV
(Q(VSDJQHFȇHVWDXFRXUVGHV-RXUQ«HVI«PLQLVWHVGH0DGULGGH
TXHODFULVHGXVXMHWGXI«PLQLVPHVHIDLWMRXU/RUVGHFHVUHQFRQWUHV
l’identité-femme ou le sujet hégémonique du féminisme fut remise en
TXHVWLRQVRXVOȇLQȵXHQFHGHMHXQHVFROOHFWLIVGHVI«PLQLVWHVOHVELHQQHV
et de transsexuels rejetant « un sujet-femme unitaire pour dénoncer
la situation de domination »43 /ȇKRPRJ«Q«LVDWLRQ GX VXMHWIHPPH HQ
partant du postulat de départ selon lequel toutes les femmes subissent
une expérience commune de la domination exercée par le système
SDWULDUFDOHVWDLQVLVRXPLVH¢GHVG«EDWVYLUXOHQWVTXLVRQW¢OȇĕXYUH
encore aujourd’hui au sein du mouvement féministe contemporain.
8QHSDUWLHGHVPLOLWDQWHVOHSOXVVRXYHQWOHVI«PLQLVWHVKLVWRULTXHVGHV
DQQ«HVH[SULPHQWOHXUVU«WLFHQFHV¢DEDQGRQQHUmODȴFWLRQGȇXQ
sujet mythique et universalisant du féminisme44}FRPPHVXEVWUDWGH
OHXULGHQWLW«FROOHFWLYHDORUVTXHGDQVODSUDWLTXHODGLYHUVLW«GHVLGHQWL-
tés culturelles politiques au sein des féminismes relève d’une mutation
LQFRQWHVWDEOH‚OȇKHXUHDFWXHOOHOHVFULVSDWLRQVHWOHVIUDFWXUHVVHVRQW
HQFRUHULJLGLȴ«HVDXVXMHWGHOȇLQW«JUDWLRQGHVWUDQVDXVHLQGHVHVSDFHV
I«PLQLVWHV QRWDPPHQW ORUV GH OD F«O«EUDWLRQ GH OD MRXUQ«H GX PDUV
et d’autres commémorations féministes45FHTXLG«PRQWUHTXHODSROL-
tique des alliances qui est plébiscitée par les collectifs de la troisième
génération ainsi que le souhait de voir converger les luttes demeurent
OȇXQGHVG«ȴVPDMHXUVGXI«PLQLVPHGXXXIe siècle.

šChristine BƧƷƪ, Le féminisme au-delà des idées reçues, op. cit., p. 169.
šMaría MƧƷƹʨƴƫƿ GƵƴƿʜƲƫƿ, Identidades feministas en proceso. Reiteraciones relacionales y
activaciones emocionales en las movilizaciones feministas en el Estado español, Thèse de doctorat,
Université du PC[UBasque, Bilbao, mars 2015, p. 341.
šElena CƧƸƧƪƵAǞƧƷƯƩƯƵ, « A vueltas con el sujeto del feminismo », Política y sociedad, n° 30,
 =JVVRTGXKUVCUWEOGUKPFGZRJRPOSOCTVKENGXKGYFKNGPOSO9999130073A?
consulté le 31 mars 2015. De la même auteure, La construcción socio-cognitica de las identidades
de género de las mujeres españolas (1975-1995), Thèse de doctorat, université Complutense,
MCFTKF=JVVRDKDNKQVGECWEOGUVGUKUERUWEOVRFH?EQPUWNVȌNGOCTU
šSelon les témoignages des activistes transféministes madrilènes que j’ai pu recueillir, cette
SWGUVKQPCȌVȌNŨQDLGVFGHQTVGUFKUUGPUKQPUFCPUNCRGTURGEVKXGFWOCTUQșšWPEGTVCKP
nombre de féministes historiques ou mainstream se sont opposées à la participation des col
lectifs trans à cette manifestation.

113
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

D’UNE VAGUE À L’AUTRE : L’ÉMERGENCE


DE NOUVEAUX COURANTS FÉMINISTES
Ces féminismes de la troisième génération trouvent leur matéria-
lisation dans des répertoires d’action qui conjuguent la performance
DUWLVWLTXH PXVLTXH URFNSXQN SR«VLH OLWW«UDWXUH  OD VH[XDOLW« SRUQR-
JUDSKLHVDGRPDVRFKLVPH OHVRXWLOVWHFKQRORJLTXHVHWODGLPHQVLRQSROL-
tique pour déconstruire les contraintes imposées par un système nor-
matif et hétéropatriarcal. Le « post-porn » est à ce titre l’une des mani-
festations artistiques du courant queer LO «PHUJH DX[ ‹WDWV8QLV GDQV
OHVDQQ«HVGDQVOH3RVW3RUQ0RGHUQLVW0DQLȴHVWR46SXLVGDQVOHV
performances d’Annie Sprinkle47 HW VH G«YHORSSH HQ (XURSH HW QRWDP-
PHQWHQ(VSDJQHDXG«EXWGHVDQQ«HVGDQVOHVPLOLHX[DFWLYLVWHV
pro-sexe48 et queer barcelonais493DXO%3UHFLDGRTXLDFRQWULEX«¢IDLUH
connaître ce courant en Espagne50OHG«ȴQLWFRPPHmXQHVSDFHGȇDFWLRQ
politique à travers lequel les femmes et les minorités sexuelles peuvent
UHG«ȴQLUOHXUVFRUSVHWLQYHQWHUGHQRXYHOOHVIRUPHVGHSURGXFWLRQGH
plaisir qui résistent à la normalisation pornographique dominante51 ». Il
s’agit d’une stratégie politique visant à se réapproprier les technologies
GHSURGXFWLRQHWGHUHSU«VHQWDWLRQGHODVH[XDOLW«HWGXJHQUHTXLORLQ

šSous l’impulsion de deux anciennes actrices pornographiques, Veronica Vera et Candida


Royalle.
šAncienne prostituée et actrice pornographique américaine, Annie SRTKPMNG GUV CWLQWTFŨJWK
réalisatrice, éditrice, écrivaine et performeuse.
šFȌOKPKUOG RTQUGZGš EQWTCPV FG RGPUȌG CRRCTW FCPU NGU CPPȌGU  GP QRRQUKVKQP
aux féministes abolitionnistes. Il pose comme principe que la liberté sexuelle est un élément
essentiel de la liberté des femmes. Toute relation sexuelle consentante ne peut dès lors qu’être
enrichissante, David Courbet, Féminismes et pornographie, Paris, La Musardine, 2012, p. 270.
šSur le « postporn », voir MCTKGHélène BƵƺƷƩƯƫƷ, Queer Zones. Politiques des identités
sexuelles, des représentations et des savoirs, Paris, BCNNCPFškBKNFWPIUPQUVPQTPšNotes
sur la provenance du PQUVPorn, un des futurs du féminisme de la désobéissance sexuelle »,
Rue DescartesPoRšRachele BƵƷƭƮƯ, « PQUVPorn », Rue Descartes
PoRšMCTKGAnne PƧƻƫƧƺ, Le discours pornographique, Paris, La Musardine, 2014. Voir
également le documentaire, réalisé entre les ÉVCVUUnis et l’Espagne par Virginie DƫƸǞƫƴƹƫƸ,
Mutantes (Féminisme Porno Punk), 2009, commercialisé depuis 2010 en DVD sous le même
nom, ainsi que l’essai de l’activiste et philosophe espagnole Marisol SƧƲƧƴƵƻƧ, Postpornografía,
Murcie, Ed. Pictografía, 2012 et son blog, Filosofía del Postporno=JVVRHKNQUQHKCFGNRQUVRQTPQ
DNQIURQVHT? EQPUWNVȌ NG PQXGODTG  Pour les performances postporn et queer espa
gnoles, voir les collectifs comme Post Op, Quimera Rosa ou OJKCȓC  =JVVRXKOGQ
EQO?EQPUWNVȌNGLCPXKGT
šPaul B. PƷƫƩƯƧƪƵ et MCTKGHélène BƵƺƷƩƯƫƷ sont à l’initiative du Maratón Postporno,
un séminaire qui s’est tenu, les 6 et 7 juin 2003, au MACBA, musée d’Art contemporain de
Barcelone et qui a proposé des conférences, discussions, tables rondes, performances autour
FGUTGRTȌUGPVCVKQPURQNKVKEQGUVJȌVKSWGUFGNCRQUVRQTPQITCRJKGEQPVGORQTCKPG
šPaul B. PƷƫƩƯƧƪƵ, « Postporno. EZEKVCEKȕP FKUKFGPVGz =JVVRRCTQNGFGSWGGTDNQIURQVHTR
DGCVTK\RTGEKCFQJVON?EQPUWNVȌNGPQXGODTG

114
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

GH FRQGDPQHU OD SRUQRJUDSKLH ¢ OȇLQVWDU GX FRXUDQW DEROLWLRQQLVWH


recherche l’empowerment des femmes : de « corps-objets » au service de
la pornographie hétérosexuelle masculine mainstream OHV SRUQRDFWL-
vistes deviennent des « corps-sujets52}HQJDJ«HVGDQVmXQPRXYHPHQW
de résistance au modèle pornographique traditionnel visant à réinventer
ses codes dans une logique de déconstruction et de dénaturalisation de la
sexualité en produisant des contenus alternatifs53 ».
&HWWHDSSURFKHGHODSRUQRJUDSKLHUHYHQGLTXDQWXQXVDJHSROLWLTXH
GX FRUSV HW GHV VH[XDOLW«V FRQVWLWXH OH FĕXU GH OD PLOLWDQFH DUWLVWLFR
féministe-queer de la performeuse madrilène Diana J. Torres qui a
LQYHQW« XQ FRQFHSW GLVVLGHQW OH mSRUQRWHUURULVPH54} SHQV« FRPPH
XQH FRQWUHRIIHQVLYH DUWLVWLTXH DQWLFRQIRUPLVWH HW UDGLFDOH FRQWUH OH
poids des normes de genre et des dispositifs de contrôle de la sexualité.
(Q U«DFWLRQ DX[ LQMRQFWLRQV PRUDOHV VRFLDOHV HW O«JDOHV GH Oȇ‹WDW GH
Oȇ‹JOLVHHWGHODP«GHFLQH'LDQD-7RUUHVU«LQYHVWLWOȇHVSDFHSRUQRJUD-
SKLTXHDȴQGȇ«ODERUHUXQHFDUWRJUDSKLHGHVVH[XDOLW«VGLVVLGHQWHVHWGH
libérer sa rage via le monstrueux revendiqué et la violence consentie55.
La performance devient ainsi un espace laboratoire de la dissidence
VH[XHOOHXQHmFDWKDUVLVSHUPHWWDQWGȇ«YDFXHUSDUODSURGXFWLRQDUWLV-
tique une fureur désespérée56 » et le pornoterrorisme une action poli-
WLTXHmXQDFWHGHVXUYLVLELOLW«57 » et de réappropriation des corps dans
l’espace public.
Toutes ces formes de résistance aux normes de genre convergent
DX VHLQ GȇXQ DXWUH FRXUDQW mOH WUDQVI«PLQLVPH} PRXYHPHQW GH

šComme le dit Annie SǞƷƯƴƱƲƫ dans son ouvrage Hardcore from the Heart   kLa
réponse au mauvais porno n’est pas d’interdire le porno, mais de faire de meilleurs pornos. »,
cité et traduit par Virginie DƫƸǞƫƴƹƫƸ, King Kong Théorie, Paris, Grasset, 2006, p. 87. À ce
titre, voir les productions pornographiques féministes indépendantes de la réalisatrice et
RTQFWEVTKEGUWȌFQKUG'TKMCƲƺƸƹKPUVCNNȌGȃ$CTEGNQPGFGRWKUšHandcuffs  Cabaret
Desire   Room 33   X Confessions   =JVVRGTKMCNWUVEQOHT? EQPUWNVȌ
le 2 janvier 2015.
šDavid CƵƺƷƨƫƹ, Féminismes et pornographie, op. cit., p. 270.
šDiana J. TƵƷƷƫƸ, Pornoterrorismo, Tafalla, Editorial Txalaparta, 2011. L’ouvrage a une version
en français, Pornoterrorisme, Bayonne, Ed. Gatuzain, 2012.
šLŨGURCEG RQTPQITCRJKSWG GUV WPG kUVTCVȌIKG CTVKUVKEQRQNKVKSWG RQWT HCKTG FG PQU EQTRU NC
meilleure arme », Diana J. TƵƷƷƫƸ, Manifiesto pornoterrorista  =JVVRRQTPQVGTTQTKUOQ
EQONGGOCPKHKGUVQRQTPQVGTTQTKUVC?EQPUWNVȌNGPQXGODTG
šClaire LƧƭƺƯƧƴ, « FWTGWTFȌ CON) structrice et « viscéranimalité » du désir saphique dans
la poésie du xxie siècle en Espagne », conférence lors de la Journée d’Études internationales,
« MLYDJLQDFODPDXQDYHQJDQ]D}̰IXUHXUHWG«VLUI«PLQLQVGDQVOHVOLWW«UDWXUHVFRQWHPSRUDLQHVGH
langues romanes, université de Paris Est MCTPGLa VCNNȌGLCPXKGT ȃRCTCȑVTG 
šArnaud AƲƫƸƸƧƴƪƷƯƴ, « Notes de lecture. Diana J. Torres. Pornoterrorisme », Cahiers du
Genre  Po R =JVVRECJKGTUAFWAIGPTGRQWEJGVEPTUHTRFHNLCdG55.pdf],
consulté en juin 2014.

115
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

G«FRQVWUXFWLRQ GX V\VWªPH VH[HJHQUH GH OȇK«W«URSDWULDUFDW HW U«VROX-


ment critique à l’égard des théories féministes classiques fondées sur
une vision naturalisée du genre. Ce mouvement résulte de l’alliance
HQWUH OHV PRXYHPHQWV WUDQV queer HW I«PLQLVWHV GDQV XQH DSSURFKH
LQWHUVHFWLRQQHOOHDȴQGHPHQHUXQFRPEDWVXUSOXVLHXUVQLYHDX[HWGH
déployer des stratégies basées sur une politique de la coalition plutôt
que sur un groupe social identitaire58 (Q (VSDJQH OH WUDQVI«PLQLVPH
a commencé à gagner en visibilité à partir des Journées féministes de
*UHQDGHHQPDLVLODVXUWRXWIDLWOȇREMHWGȇXQHWHQWDWLYHGHWK«RUL-
sation lors des Journées transféministes de Barcelone en 201059. C’est à
Diana J. Torres que l’on doit l’initiative de la rédaction du « Manifeste
pour la révolution transféministe60}SXEOL«VXUVRQEORJOHer janvier
 HW VLJQ« ¢ OD IRLV SDU GHV FROOHFWLIV GHV DUWLVWHV RX GHV DFWLYLVWHV
I«PLQLVWHV¢OȇLQVWDUGH3DXO%3UHFLDGRGHODMRXUQDOLVWHHWI«PLQLVWH
EDVTXH ,W]LDU =LJD61 ou encore de l’essayiste queer 6D\DN 9DOHQFLD
5«GLJ« VHORQ XQH UK«WRULTXH JXHUULªUH FH SODLGR\HU HQ IDYHXU GȇXQ
renouvellement de la pensée féministe se veut résolument avant-
gardiste et dissident en proposant de « dynamiter le binôme genre et
sexe comme pratique politique62} HW HQ DSSHODQW ¢ mOȇLQVXUUHFWLRQ ¢
l’occupation des rues […] à la désobéissance63} DXWDQW GH SUDWLTXHV

šVoir la définition du transféminisme par l’association OUTTCPU HQPFȌG GP  =JVVR
QWVTCPUQTIKPHQUCTVKENGUVTCPUHGOKPKUOG?EQPUWNVȌNGPQXGODTGPrécisons toutefois
que le transféminisme diffère selon les contextes culturels dans lesquels il est appréhendé.
Le transféminisme en France semble encore être plutôt le « féminisme des trans » alors que
le transféminisme, dans les pays hispanophones, se fonde plus sur une approche intersec
VKQPPGNNG FGU NWVVGUš RCT GZGORNG CNNKCPEG CXGE NGU HGOOGU SWK RQTVGPV NG XQKNG GV UQPV ȃ EG
VKVTGFKUETKOKPȌGUGVQWNGUKOOKITȌGUGZRNQKVȌGUCf. Brigitte VƧƸƧƲƲƵ, Pornoburka, Cardedeu,
Associació Cultural Colectivo Cautivo, 2013. Pour une étude documentée sur ces questions,
voir Karine EƸǞƯƴƫƯƷƧ, Transidentités. Ordre & panique de genre, Paris, Éditions L’Harmattan, 2015.
šPour une conceptualisation récente de ce courant en Espagne, voir Miriam SƵƲʜ et Elena
UƷƱƵ FKT Transfeminismos. Epistemes, fricciones y flujos, Tafalla, Txalaparta, 2014.
60. « Nous sommes issues du féminisme radical, nous sommes les gouines, les putes, les
trans, les immigrées, les noires, les hétérodissidents… nous sommes la rage de la révolution
HȌOKPKUVG GV PQWU XQWNQPU OQPVTGT NGU ETQEUš UQTVKT FGU QHHKEKPGU FW IGPTG GV FGU RQNKVKSWGU
EQTTGEVGUš SWG PQVTG FȌUKT PQWU IWKFG GP ȌVCPV RQNKVKSWGOGPV KPEQTTGEVGU GP FȌTCPIGCPV
repensant et resignifiant nos mutations. Nous ne nous contentons plus d’être seulement des
femmes. LGUWLGVRQNKVKSWGFWHȌOKPKUOGūHGOOGUŬPQWUGUVȌVTQKVKNGUVGZENWCPVGPUQKNCKU
sant dehors les gouines, les trans, les putes, celles qui portent le voile, celles qui gagnent peu
GVSWKPGXQPVRCUȃNCHCEEGNNGUSWKETKGPVEGNNGUUCPURCRKGTUGVNGURȌFȌUzkManifiesto para
la RGXQNWEKȕP VTCPUHGOKPKUVCz GTLCPXKGT  =JVVROGFGCMDNQIURQVEQOGU
OCPKHKGUVQRCTCNCKPUWTTGEEKQPJVON?EQPUWNVȌNGCXTKN
šItziar ƿƯƭƧ, Devenir perra, Barcelone, MGNWUKPC š Un zulo propio, Barcelone, Melusina,
š Sexual Herria, Tafalla, TZCNCRCTVC š Malditas. Una estirpe transfeminista, Tafalla,
Txalaparta, 2014.
62. « Manifiesto para la Revolución transfeminista », op. cit.
šIbid.

116
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

qui réactualisent la potentialité subversive du féminisme de la deu-


xième vague dans l’occupation de l’espace public et la politisation des
questions sexuelles. Le transféminisme viendrait ainsi reformuler les
WK«PDWLTXHV FKªUHV DX I«PLQLVPH YLROHQFHV LQ«JDOLW«V VH[XDOLW«V
SURVWLWXWLRQSRUQRJUDSKLH LOVHUDLWP¬PHVHORQ'LDQD-7RUUHVmOȇDYH-
nir du féminisme64}FHTXLQHYHXWSDVGLUHSRXUDXWDQWTXȇLOUHQLHOHV
DSSRUWVHWOHVFRPEDWVGHVI«PLQLVWHVKLVWRULTXHVP¬PHVȇLOSUHQGVHV
GLVWDQFHVYLV¢YLVGȇXQPRXYHPHQWVRFLDOTXȇLOMXJHWURSK«W«URFHQWU«
WURSEODQFWURSLQWHOOHFWXHOLQFDSDEOHGHUHSHQVHUOHVQRXYHOOHVLQ«JD-
lités produites par l’économie néolibérale et le capitalisme gore65.
/H WUDQVI«PLQLVPH HQ WDQW TXH G«SDVVHPHQW GX I«PLQLVPH LQFOXW
OHV VXMHWV GHV PDUJHV OHV PLQRULW«V VH[XHOOHV RX PLQRULW«V HWKQLTXHV
HW DUWLFXOH PLHX[ OHV GLII«UHQWV PRGHV GȇRSSUHVVLRQ VH[LVPH KRPR-
SKRELHWUDQVSKRELHUDFLVPHFDSLWDOLVPH WRXWHQFRQVHUYDQWOHWHUPH
mI«PLQLVPH}TXL¢OȇLQYHUVHGXYRFDEOHqueerDVVXPHOHVFRQQH[LRQV
avec les discours et les pratiques politiques du féminisme historique.
Espace transfrontière66 PDLV «JDOHPHQW FDLVVH GH U«VRQDQFH GX ORFDO
de la « politique du vivant67} OH WUDQVI«PLQLVPH VH UHFHQWUH mVXU OD
politisation du quotidien68 » et tisse des stratégies microsociologiques
de résistance : il part des expériences des individus marginalisés pour
questionner l’ordre économique néolibéral et les normes du système
K«U«WRSDWULDUFDO QRXHU GH QRXYHOOHV FRDOLWLRQV HW VH U«DSSURSULHU OHV
luttes qui ont divisé et continuent de diviser les féminismes69. S’il est
DUGXGȇ«ODERUHUXQHG«ȴQLWLRQȴJ«HWDQWFHFRXUDQWU«VLVWHDX[FDW«JRUL-
sations rigides en raison de son hétérogénéité et des identités multiples
TXLOHFRPSRVHQWOHWUDQVI«PLQLVPHSHXW¢OȇLQVWDUGHV100 antithèses

šDiana J. TƵƷƷƫƸ, op. cit, 2012, p. 180.


šNous reprenons ici le titre de l’ouvrage de SC[CM VƧƲƫƴƩƯƧ, Capitalismo gore, Barcelone,
Melusina, 2010.
šSilvia GƯƲš Amaia PʤƷƫƿ OƷƵƿƩƵ, « TTCPUHGOKPKUOQš ~UWLGVQU Q XKFC GP EQOȚPš!z
Diagonalperiódico. net LWKNNGV  =JVVRUšYYYFKCIQPCNRGTKQFKEQPGVNCRNC\CVTCPUHGOK
PKUOQUWLGVQUQXKFCEQOWPJVON?EQPUWNVȌNGPQXGODTG
šCe concept de « politique du vivant » est défini par Silvia GƯƲ comme « la politique qui part
de l’expérience et du quotidien, qui ne répond pas à un programme idéologique, ne représente
pas un sujet identifiable, ni ne se base a priori sur aucune unité. C’est une politique du multiple,
autonome, sans médiations ni représentations ». Il s’oppose à la politique institutionnelle et à
sa représentation verticale et élitiste, cf. Silvia GƯƲ, op. cit, 2011, p. 70.
šAmaia PʤƷƫƿ OƷƵƿƩƵ, Subversión feminista de la economía. Aportes para un debate sobre el
conflicto capital-vida, Madrid, Traficantes de SWGȓQR
šLGVTCPUHȌOKPKUOGHCKVCWUUKFȌDCVCWUGKPFGUHȌOKPKUOGUNCVKPQCOȌTKECKPUEHFlorencia
GƵƲƪƸƳƧƴ, « PQNȌOKECU VTCPUš PWGXCU ECVGIQTȐCU RQNKVKECU GP NQU GPEWGPVTQU HGOKPKUVCUz
Pikara Magazine FȌEGODTG  =JVVRYYYRKMCTCOCIC\KPGEQORQNGOKECU
VTCPUPWGXCUECVGIQTKCURQNKVKECUGPNQUGPEWGPVTQUHGOKPKUVCU?EQPUWNVȌNGLCPXKGT

117
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

du cyberféminisme ¬WUH G«ȴQL SDU FH TXȇLO QȇHVW SDV70. C’est ainsi que
Diana J. Torres propose une théorisation de ce courant à partir des
DOOLDQFHV TXȇLO QH QRXHUD MDPDLV OH WUDQVI«PLQLVPH DVVXUHWHOOH mFH
ne sera pas avec celles qui censurent la pornographie ; avec celles qui
victimisent la prostitution et la confondent gravement avec l’esclavage ;
avec celles qui crient ni pute ni soumise ; ni avec celles qui pensent que
le sadomasochisme est aberrant et peu respectable ; ni avec celles qui
s’offusquent de l’exubérance et de l’effronterie71 ». Laboratoire expé-
ULPHQWDO HW SHUIRUPDWLI HVSDFH GH GLVFXVVLRQV HW GH G«EDWV OH IHVWLYDO
Octubre TransTXLDOLHXGHSXLVTXDWUHDQVGDQVOHTXDUWLHUSRSXODLUH
GH/DYDSL«V¢0DGULGPDLV«JDOHPHQW¢%DUFHORQHHWDX3D\V%DVTXH
est emblématique de la vitalité de ce courant et de sa récente visibilité72.
Il est organisé par plusieurs collectifs dont la Pandi Trans, un collectif
GHSHUVRQQHVWUDQVIRQG«HQRFWREUHDYHFSRXUREMHFWLIGHJ«Q«UHU
XQHU«ȵH[LRQDFWLRQDXWRXUGHVLGHQWLW«VHWGHVFRUSVmGDQVXQHSHUV-
pective d’empowermentWUDQVI«PLQLVWHDXWRQRPHHWDQWLFDSLWDOLVWH73 ».
La circulation de ces nouveaux courants a ouvert un horizon de
SRVVLELOLW«V PDLV SDU ULFRFKHW XQH QRXYHOOH OLJQH GH IUDFWXUH DX VHLQ
GX I«PLQLVPH HVSDJQRO FRQWHPSRUDLQ GȇXQ F¶W« XQ I«PLQLVPH K«J«-
PRQLTXH mSURIHPPH} K«ULWLHU GHV SRVWXODWV GX I«PLQLVPH GH OD
GHX[LªPHYDJXHFULWLTX«SRXU¬WUHXQmI«PLQLVPHDXWRU«I«UHQWLHOTXL
VȇDGUHVVH ¢ HOOHVP¬PHV IHPPHV EODQFKHV RFFLGHQWDOHV HW GH FODVVH
moyenne74}GHOȇDXWUHOHI«PLQLVPHGHODWURLVLªPHYDJXHTXLFRQVL-
dère le sujet du féminisme comme multiple et entend croiser systémati-
TXHPHQWOHVSURSRVLWLRQVI«PLQLVWHVDYHFODUDFHODFODVVHOHJHQUHHWOD
sexualité. La mobilité de ces courants alternatifs témoigne d’un renou-
vellement des théories et des pratiques féministes classiques depuis le
milieu des années 1990 jusqu’à aujourd’hui : ils sont emblématiques
GȇXQ mI«PLQLVPH DX WHPSV GX SRVW} QRXV GLW OD FKHUFKHXVH 0DU¯D

šLes 100 antithèses du cyberféminisme est un texte rédigé en 1997 par le collectif Old Boys
Network lors de la première conférence internationale cyberféministe en Allemagne. Il s’agissait
de refuser une définition fermée du cyberféminisme mais de définir, en 100 antithèses, ce qu’il
n’était pas.
šDiana J. TƵƷƷƫƸ, op. cit., 2012, p. 182
šLe festival en est à sa quatrième saison et, sous le slogan « Ce qui est incongru, ce n’est pas
OQPEQTRUOCKUVQPTGICTFz La incongruencia no está en mi cuerpo, está en tu mirada), il pro
RQUG WP OQKU FWTCPV WPG RTQITCOOCVKQP TKEJG JȌVȌTQENKVG =JVVRQEVWDTGVTCPUOCFTKF
FTWRCNICTFGPUEQOEQPVGPVQVTQUQEVWDTGU?EQPUWNVȌNGPQXGODTG
 =JVVRQEVWDTGVTCPUOCFTKFFTWRCNICTFGPUEQOEQPVGPVRCPFKVTCPU? EQPUWNVȌ NG
17 novembre 2014.
šBeatriz GƯƳƫƴƵ, « ¿QWȌ HGOKPKUOQš!z Trasversales  Po =JVVRDGCVTK\IKOGPQ
GUC2%BFSWGHGOKPKUOQ?EQPUWNVȌNGPQXGODTG

118
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

0DUW¯QH]*RQ]£OH]SRXUODTXHOOHmLOVȇDJLWGȇXQI«PLQLVPHTXLQHUHQLH
pas ses origines […] qui hérite des préoccupations de la deuxième vague
mais les adaptent au temps présent75}XQI«PLQLVPHGHODVXEYHUVLRQ
capable de brouiller les catégories et les normes et de questionner les
subjectivités et les corporalités socialement construites.

« ¡LA REVOLUCIÓN SERÁ FEMINISTA O NO SERÁ ! » :


LA « MARÉE VIOLETTE » AU SEIN DU
MOUVEMENT DES INDIGNÉS
6L GHSXLV OD ȴQ GH OD WUDQVLWLRQ G«PRFUDWLTXH FH I«PLQLVPH GH OD
VXEYHUVLRQVHPEOHVȇ¬WUHHVVRXɛ«LOQȇDSRXUWDQWMDPDLVFHVV«GȇH[LVWHU
6RXYHQW UHSOL«H DX FĕXU GHV TXDUWLHUV DYHF XQ FKDPS GȇDFWLRQ FHQWU«
VXUOHORFDOODPLOLWDQFHGHFHVJURXSHVVȇHVWRS«U«HGHSXLVOHVPDUJHVHW
les espaces underground&ȇHVWXQVRXOªYHPHQWGHJUDQGHDPSOLWXGHOD
mU«YROXWLRQGHVLQGLJQ«V}TXLPDUTXHXQWRXUQDQWGDQVODUHFRQȴJX-
UDWLRQ GH FH PLOLWDQWLVPH DXWRQRPH UDGLFDO HW FRQWHVWDWDLUH76. Dès son
RFFXSDWLRQGHOD3XHUWDGHO6RO¢0DGULGOHPDL 0 OHPRX-
vement des indignés a été le catalyseur d’une insurrection citoyenne sans
SU«F«GHQWFRQWUHOHFDSLWDOLVPHODVS«FXODWLRQȴQDQFLªUHHWODFRUUXSWLRQ
politique77 (QFRXUDJ«V SDU OHV «Y«QHPHQWV GX 3ULQWHPSV DUDEH OHV
manifestant(e)s s’insurgent contre les conséquences sociales de la crise
PRUDOH HW ȴQDQFLªUH HQ SURSRVDQW XQ PRGªOH DOWHUQDWLI GH G«PRFUDWLH
GLWH mU«HOOH} RX mSDUWLFLSDWLYH} ‚ FH WLWUH OHV DFWHXUV HW DFWULFHV GX
0DXVVLELHQGHVUHSU«VHQWDQW H VGHVPRXYHPHQWVVRFLDX[DOWHUQDWLIV
TXHGHVMHXQHVLQGLJQ« H VVDQVSDVV«PLOLWDQWRQWG«YHORSS«GHVIRUPHV
de protestations citoyennes marquées par l’absence de leadersOȇDXWRJHV-
WLRQODSROLWLTXHSDUWLFLSDWLYHOȇRFFXSDWLRQHWODSROLWLVDWLRQGHOȇHVSDFH
SXEOLF &HWWH mLQVXUUHFWLRQ GHV FRQVFLHQFHV} TXH OȇRQ D K¤WLYHPHQW
présentée comme le fruit de la révolution d’une jeunesse précaire sans
H[S«ULHQFH PLOLWDQWH DQW«ULHXUH HVW HQ IDLW XQ PRXYHPHQW K«W«URJªQH

šMaría MƧƷƹʨƴƫƿGƵƴƿʜƲƫƿ, « JȕXGPGU[HGOKPKUOQš~JCEKCWPHGOKPKUOQFGNCkUWDXGT


UKȕPzš!zRevista vasca de sociología y ciencia políticaPoR
š8QECDNG TGRTKU FG NŨQWXTCIG FG Stéphane HƫƸƸƫƲ, IQGLJQH]YRXV̰, Montpellier, Indigène
éditions, 2011.
šLes indignés se sont rassemblés sous le slogan fédérateur « « Nous ne sommes pas
des marchandises aux mains des politiciens et des banquiers ». Nous avons privilégié ici
les expériences des indignés madrilènes en raison du cadre restreint de ce chapitre, mais la
mobilisation a été tout aussi massive à Barcelone et dans d’autres grandes villes espagnoles
Valence, MȄNCICGVE 

119
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

traversé par des courants et des identités multiples78. Dans une perspec-
WLYHGHJHQUHVȇ\F¶WRLHQWXQHJ«Q«UDWLRQGHMHXQHVI«PLQLVWHVSURFKHGH
ODPRXYDQFHDQDUFKLVWHHWDQWLFDSLWDOLVWHGHVFROOHFWLIVWUDQVI«PLQLVWHV
TXHQRXVDYRQV«YRTX«VSU«F«GHPPHQWPDLV«JDOHPHQWGHVI«PLQLVWHV
FKHYURQQ«HV GHV mDXWRQRPHV} GHV DQQ«HV  TXL SURORQJHQW DLQVL
des engagements militants de longue date.
7UDQVIRUP«HV HQ FDPSHPHQWV ¢ FLHO RXYHUW OHV SODFHV HW OHV UXHV
RQW DFFXHLOOL OH IHUPHQW GH OD FRQWHVWDWLRQ VRFLDOH HW OD 3XHUWD GHO 6RO
l’offensive des féministes rassemblées autour d’un espace militant : la
&RPPLVVLRQGHVI«PLQLVPHVGH6ROTXLHVWGHYHQXHHQTXHOTXHVMRXUV
le centre névralgique des féminismes madrilènes. La valeur symbolique
GHVOLHX[SUHQGLFLWRXWVRQVHQVOȇRFFXSDWLRQGHODSODFHDXWUHPHQWGLW
OD VXEYHUVLRQ GH OȇHVSDFH UHYLHQW ¢ VLJQLȴHU TXȇXQ DXWUH RUGUH VRFLDO
HVW SRVVLEOH PHWWDQW ¢ PDO WRXWH OȇDUFKLWHFWXUH GX V\VWªPH SROLWLTXH
UHSU«VHQWDWLI DX SURȴW GȇXQH G«PRFUDWLH GLUHFWH 'H IDLW OȇRFFXSDWLRQ
GH OD SODFH UHGRQQH VHQV ¢ OȇHVSDFH HQ WDQW TXH OLHX RXYHUW SDUWLFL-
SDWLI YLVLEOH HW GH U«VLVWDQFH HQ V\QWRQLH DYHF OȇLG«RORJLH P¬PH GX
PRXYHPHQWGX03RXUOHVI«PLQLVWHVla carpa de la Puerta del Sol79
s’est muée en lieu de résonance de tous les féminismes non étatiques
dans une volonté de dépassement des clivages idéologiques et de mise
HQ ĕXYUH GȇXQH SROLWLTXH GHV DOOLDQFHV K«W«URVH[XHOOHV ELVH[XHOOHV
OHVELHQQHV WUDQVI«PLQLVWHV SURVH[H queer SURVWLWX«HV WUDYDLOOHXVHV
GRPHVWLTXHV PLJUDQWHV VDODUL«HV «WXGLDQWHVHWF &HWWH VRURULW« GDQV
la diversité80 a constitué un tournant indéniable dans la consolidation

šNous empruntons cette expression à l’ouvrage D’Athènes à Wall Sreet, IQGLJQ«V̰«FKRVG̸XQH


insurrection des consciences, Revue Contretemps FKT  Paris, La Découverte, 2012. Pour une biblio
graphie sur le mouvement du 15.M cf., entre autres, Benjamín TƫưƫƷƯƴƧet Ignacia PƫƷƷƺƭƵƷʨƧ,
« S[PEJTQPK\KPIKFGPVKVKGUšCrafting the space of mobilization in the spanish 15MzšNicholas P.
PƫƹƷƵǞƵƺƲƵƸ et George O. TƸƵƨƧƴƵƭƲƵƺ GF The Debt Crisis in the EXUR]RQH̰Social Impacts,
Cambridge Scholar Publishing, NGYECUVNG  Rš Luis RƺƯƿ AưƧ, FNQTKȄP Manuel
PʤƷƫƿ, Teresa María GʭƳƫƿPƧƸƹƷƧƴƧ, El descontento social y la generación IN, Madrid, Editorial
PQRWNCT š Manuel CƧƸƹƫƲƲƸ, Redes de indignación y esperanza, Madrid, Alianza Editorial,
šCarlos TƧƯƨƵ, El 15-M. Una brevísima introducción, Galice, Editorial TTKHQNKWOšEl 15-M
en sesenta preguntas, Madrid, CCVCTCVC š Que no se apague la luz. Un diario de campo del
15-M, Madrid, CCVCTCVCšLa rebelión de los indignados, Carlos TƧƯƨƵ, Josep Maria AƴƹƫƴƹƧƸ
y Esther VƯƻƧƸ, Juan Pablo MƧƹƫƵ, Antoni DƵƳʣƴƫƩƮ, IXȄP GƯƳʤƴƫƿ CƮƺƫƩƧ, Juan Carlos
MƵƴƫƪƫƷƵ GF  Madrid, Editorial PQRWNCT š Hablan los indignados, Juan TƵƷƷƫƸ LʭǞƫƿ,
Alberto GƧƷƿʭƴ, Aitor RƵƳƫƷƵ OƷƹƫƭƧ, Joel SƫƷƧƬʨƴ ƧƲƳƫƴƧƷƧ, Marcos ƷƵƯƹƳƧƴ, Gerardo
ƹƺƪƺƷƯ GF  /CFTKF 'FKVQTKCN 2QRWNCT š %TKUVKPC ƭƧƷƩʨƧƷƵƸƧƲƫƸ et Manuel ǞƫƴƫƲƲƧ
ƮƫƲƲƫƷ, Palabras para indignados, Tarragona, Mandala Ediciones, 2011.
šIl s’agit de la « tente féministe » installée sur la Puerta del Sol.
šLe terme «sororité» est un héritage du féminisme de la deuxième vague, il est l’équivalent de
la fraternité masculine et désigne le « lien politique et affectif établi entre femmes », Christine
BƧƷƪ, op. cit., 2012, p. 276.

120
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

d’une « marée violette81} DFFXHLOODQW GDQV VHV UDQJV GHV I«PLQLVPHV


polymorphes mais soudés autour d’un projet commun : la subversion
GH OȇRUGUH FDSLWDOLVWH SDWULDUFDO HW K«W«URQRUP«82. Faisant la jonction
DYHF OH I«PLQLVPH GH OD WURLVLªPH YDJXH OHV I«PLQLVWHV LQGLJQ«HV
revendiquent l’interrelation des multiples systèmes d’oppression et se
sont efforcées d’intégrer toutes les commissions du 15-M pour rendre
effective la transversalisation des propositions féministes. S’en est suivi
XQLQWHQVHWUDYDLOGHS«GDJRJLHPDLV«JDOHPHQWGHG«EDWHWGHU«ȵH[LRQ
théorique qui a abouti à la rédaction de plusieurs textes et manifestes.
/HV WUHL]H SURSRVLWLRQV SXEOL«HV OH PDL  VRQW OȇHVVHQFH P¬PH
GHV I«PLQLVPHV GX 0 HQ WDQW TXH PRXYHPHQW SOXULHO DOWHUQDWLI
KRUL]RQWDODXWRQRPHSDFLȴTXHSURJUHVVLVWHOD±TXHHW«JDOLWDLUH83.

Photo 4.1. Pancarte féministe 15-M, Puerta del Sol, Madrid, mai 2011.

šCGU OCTȌGU XGTVG RQWT NŨȌFWECVKQP DNCPEJG RQWT NC UCPVȌ XKQNGVVG RQWT NG HȌOKPKUOG 
sont « des mouvements ouverts qui cherchent à socialiser leurs revendications, qui en réalité,
défendent des causes qui existaient déjà mais d’une façon radicalement nouvelle, qui sont
complexes et sans possibilité d’être représentés de manière institutionnelle », cf. José Luis
SʜƴƩƮƫƿ Las 10 mareas del cambio, Barcelone, Rocaeditorial, 2013, p. 14.
šLGUNQICPHȌFȌTCVGWTCFQRVȌNQTUFGUOQDKNKUCVKQPUȌVCKVNGUWKXCPVškOPUGHCKVVQWUVQWVGU
DCKUGTRCTNGU[UVȋOGRCVTKCTECNz El sistema patriarcal nos jode todxs)
šCes propositions sont consultables dans Dossier de la Comisión de Feminismos de Sol, 2011,
=JVVRWUVGCOWLGTQTIUKVGUFGHCWNVHKNGUFeminismos%20Sol.pdf], consulté en octobre 2014.

121
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Les répertoires d’action de ces féminismes s’articulent autour


« d’actions constructives et pédagogiques84 » et/ou « d’actions ludiques
HW DUWLVWLTXHV} mDWHOLHU GH I«PLQLVPH V  SRXU G«EXWDQWV} mMRXUQ«HV
OXGLTXHV GHV I«PLQLVPHV} SXEOLFDWLRQ GȇXQH OLWW«UDWXUH ¢ FDUDFWªUH
PLOLWDQWGȇXQHmOLVWHGȇDWWLWXGHVPLFURPDFKLVWHV}G«IHQVHGHOȇDYRUWH-
ment libre et gratuit85JXLGHGHODQJDJHLQFOXVLI86 ou encore rédaction
du manifeste Transmaricabollo87 pour défendre les droits des personnes
/*%7HWOHWUDYDLOVH[XHO(QȴQ¢OȇLQW«ULHXUGHODWHQWHI«PLQLVWHGHSol
une aide psychologique a été proposée à toutes les personnes victimes
GȇDJUHVVLRQV VH[LVWHV KRPRSKREHV RX UDFLVWHV HQGHKRUV RX DX VHLQ
P¬PH GX FDPSHPHQW 5DSSHORQV TXH OH PRXYHPHQW GX 0 JXLG«
SDUGHVLG«DX[DQWLFDSLWDOLVWHVSURJUHVVLVWHVHWOLEHUWDLUHVQȇDSDV«W«¢
l’abri de la reproduction des logiques de domination à l’œuvre dans la
société civile : généralisation des insultes chargées de machisme et d’ho-
PRSKRELHUHIXVGȇLQFRUSRUHUOHVWKªPHVFHQWUDX[GXI«PLQLVPH DYRU-
WHPHQWYLROHQFHVH[LVWHSROLWLTXHVGXcare88) dans le discours général
du mouvement et résistances à la prise de parole féminine et féministe
lors des assemblées générales89. Ces comportements ont été relevés
dans la plupart des campements installés sur les places espagnoles et
RQW GRQQ« OLHX ¢ GHV FRQWUHRIIHQVLYHV RULJLQDOHV ‚ 0DGULG IDFH ¢ OD
EDQDOLVDWLRQGDQVOHVUDQJVGHVLQGLJQ«VGXVORJDQmSROLWLFLHQVȴOVGH
SXWHV}GHVSURVWLWX«HVPDGULOªQHVRQWFRQIHFWLRQQ«GHVSDQFDUWHVVXU
lesquelles on pouvait lire : « [Nous] les putes tenons à dire que les politi-
ciens ne sont pas nos enfants90}UHSUHQDQWDLQVLOHVVORJDQVSRSXODULV«V

šNous empruntons ces différentes catégorisations des répertoires d’action à Benjamín


TƫưƫƷƯƴƧ, La sociedad imaginada. Movimientos sociales y cambio cultural en España, Madrid,
editorial TTQVVCR
š8QKTNGVGZVGkDemocracia Real y derecho de las mujeres a decidir », ibid., 25 mai 2011.
šL’utilisation de la lettre « x » fusionne le « a », marque du féminin et le « o », marque du mas
culin pour neutraliser le genre. CGVGORNQKCȌVȌIȌPȌTCNKUȌFCPUNGUȌETKVUFWM.
šL’équivalent français du « Manifeste transpédégouine ». Cf. « Manifiesto Transmaricabollo »,
Dossier de la Comisión de Feminismos de Sol, op. cit. Ce manifeste s’insurge contre les différentes
oppressions dont sont victimes les trans, les femmes, les personnes homosexuelles et les
OKITCPVGUš TCEKUOG UGZKUOG JQOQRJQDKG ECRKVCNKUOG TGNKIKQPU NQDD[U RJCTOCEGWVKSWGU
médias et éducation véhiculant des principes sexistes ou homophobes.
šBGIQȓCMƧƷƺƭʜƴ et. al., Op Cit, 2013, p. 26.
šSur cette question, voir Karine BƫƷƭʣƸ, « Quand les féminismes s’indignent. Le mouvement
FW M entre revendications égalitaires et reproduction des logiques patriarcales », Erich
FƯƸƨƧƩƮ et Philippe RƧƨƧƹʤ FKT  FCPU Actes choisis du colloque de Strasbourg « crise(s) dans
le monde ibérique et ibéro-américain », HispanismeS Po LWKNNGV =JVVRYYYJKURCPKUVGU
QTIKOCIGUPDFHispanismeSHKURCPKUOGUAUJHJKURCPKUOGUDGTIGU
MCTKPGRFH?EQPUWNVȌNGPQXGODTG
šDossier de la Comisión de Feminismos de Sol, op. cit.

122
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

par le mouvement global de la « Marche des salopes91 ». Le recours au


GLDORJXHHW¢OȇKXPRXUOHUHWRXUQHPHQWGXVWLJPDWHHQVLJQHGHSURWHV-
WDWLRQ OD G«FRQVWUXFWLRQ GHV VW«U«RW\SHV DXWDQW GH VWUDW«JLHV XWLOLV«HV
SRXUFRQMXUHUOHPDFKLVPHLQW«ULRULV«6HORQODWDLOOHGHVFDPSHPHQWV
OHV U«VXOWDWV RQW «W« LQ«JDX[ ‚ 0DGULG RX %DUFHORQH HQ G«SLW GHV
U«WLFHQFHV LQLWLDOHV OHV I«PLQLVWHV VRQW SDUYHQXHV ¢ IDLUH DGRSWHU XQ
ODQJDJH QRQ VH[LVWH ¢ SURGXLUH GHV HVSDFHV I«PLQLVWHV DXWRQRPHV ¢
acquérir une légitimité et une visibilité inédites alors que dans d’autres
YLOOHVOHVU«VXOWDWVRQW«W«PRLQVSUREDQWV
‚ WUDYHUV FHV H[HPSOHV LO HVW PDQLIHVWH TXȇHQ (VSDJQH GHSXLV OH
G«EXWGHVDQQ«HVOHI«PLQLVPHHVWHQWU«GDQVXQHSKDVHGHPXWD-
WLRQHWGHUHFRQȴJXUDWLRQGHOȇDYHXP¬PHGH-XVWD0RQWHURDFWLYLVWH
KLVWRULTXHTXL«YRTXHmXQPRPHQWGHG«IHUODQWHVI«PLQLVWHVGHPRX-
YHPHQWVWXPXOWXHX[YLIVFULWLTXHVUDGLFDX[HWFU«DWLIV92 ». Preuve de
ODYLWDOLW«UHWURXY«HGHVI«PLQLVPHVHVSDJQROVOȇH[WUDRUGLQDLUHPRELOL-
sation unitaire qu’a suscitée l’annonce du projet de réforme de la loi de
OȇDYRUWHPHQWHQG«FHPEUHGRQWQRXVDOORQVUHQGUHFRPSWHGDQV
le dernier volet de cette étude.

« EN NUESTROS ÚTEROS, NO SE LEGISLA » :


LA (RE)MOBILISATION UNITAIRE AUTOUR
DE LA QUESTION DE L’AVORTEMENT
$ȴQ GH FRPSUHQGUH OD SRUW«H GH FHWWH PRELOLVDWLRQ LO FRQYLHQW
de retracer brièvement la généalogie des trois lois sur l’avortement
TXL RQW SU«YDOX GHSXLV OD ȴQ GH OD GLFWDWXUH GX J«Q«UDO )UDQFR HQ
novembre 197593 &ȇHVW HQ  VRXV OD SUHPLªUH O«JLVODWXUH VRFLDOLVWH
GHODG«PRFUDWLHTXHODORLRUJDQLTXHGXMXLOOHWD«W«DGRSW«H

šMouvement né au CCPCFCGPCXTKN Slut Walk) suite aux déclarations d’un policier de


Toronto, Michael Sanguinetti, qui avait conseillé aux étudiantes de ne pas s’habiller « comme
des traînées » si elles ne voulaient pas se faire agresser. Depuis lors, cette marche s’est étendue
à toutes les grandes capitales du monde. Voir Nelly AƴƪƷƫ, « Les nouvelles formes de protes
VCVKQPUQEKCNGšūNCOCTEJGFGUUCNQRGUŬGPAmérique latine », Chronique des Amériques, vol. 14,
Po LWKP =JVVRYYYKGKOWSCOECIMGRFHEFCAXQNWOGAAPWOGTQAALWKPARFH?
consulté en septembre 2014.
šJusta MƵƴƹƫƷƵ, « Marejadas feministas », Diagonalperiodico. net, 1er avril 2014,
=JVVRUšYYYFKCIQPCNRGTKQFKEQPGVNCRNC\COCTGLCFCUHGOKPKUVCUJVO? EQPUWNVȌ NG
10 novembre 2014.
šPour un historique complet, nous renvoyons à l’étude très documentée de Silvia BƫƴƧƳʲ
et Trinidad NƵƭƺƫƷƧ, L’interruption volontaire de grossesse en Espagne, Fondation JGCPJaurès,
OCTU  =JVVRYYYLGCPLCWTGUQTIPWDNKECVKQPUNQVGULKPVGTTWRVKQPXQNQPVCKTGFG
ITQUUGUUGGPEspagne], consulté en juin 2014.

123
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

(OOHU«JXODULVDLWODG«S«QDOLVDWLRQGHOȇ,9*GDQVWURLVFDVGHȴJXUHYLRO
PDOIRUPDWLRQGXIĕWXVJUDYHGDQJHUSRXUODVDQW«SK\VLTXHRXPHQWDOH
GHODPªUH,OVȇDJLVVDLWGRQFGȇXQHORLUHVWULFWLYHTXLQHVHUDLWPRGLȴ«H
TXȇHQVRXVODO«JLVODWXUHVRFLDOLVWHGH-RV«/XLV5RGU¯JXH]=DSDWHUR
soucieux de faire de l’Espagne une référence mondiale en matière de
reconnaissance des droits des femmes. La loi organique du 3 mars
SURF«GDLW GRQF ¢ OD G«S«QDOLVDWLRQ GH Oȇ,9* VDQV FRQGLWLRQV MXVTXȇ¢ OD
quatorzième semaine de gestation et remplaçait le régime dit des « cas
GHȴJXUH}SDUXQV\VWªPHU«JLSDUmOHVG«ODLV}XQHPLVHHQKRPRJ«-
néité avec les réglementations en vigueur de la plupart des démocraties
HXURS«HQQHV/HFKDQJHPHQWGHPDMRULW«VXLWHDX[«OHFWLRQVO«JLVODWLYHV
DQWLFLS«HVGHQRYHPEUHTXLRQWSRUW«DXSRXYRLUODGURLWHFRQVHU-
YDWULFHGH0DULDQR5DMR\VȇHVWDFFRPSDJQ«GȇXQQRXYHDXSURMHWGHORL
VXUOȇDYRUWHPHQWSODF«VRXVOȇDXWRULW«GXPLQLVWUHGHOD-XVWLFH$OEHUWR
5XL]*DOODUGµQ&KHUFKDQWVDO«JLWLPLW«GDQVGHVDUJXPHQWVGȇRUGUHMXUL-
GLTXHFRPPHOHUHVSHFW¢ODmSURWHFWLRQGHODYLHGHOȇHQIDQW¢QD°WUH}
ou la « non-discrimination des personnes handicapées94}OȇDYDQWSURMHW
de loi envisageait de circonscrire l’accès à l’avortement à deux cas de
ȴJXUH VHXOHPHQW OH YLRO HW OH JUDYH GDQJHU SRXU OD VDQW« SK\VLTXH RX
SV\FKRORJLTXH GH OD IHPPH OD PDOIRUPDWLRQ GX IĕWXV QH FRQVWLWXDQW
plus à elle seule un motif légal. Pour la première fois en trente-cinq ans
GHG«PRFUDWLHOȇ(VSDJQHVXELVVDLWXQQHWUHFXOHQPDWLªUHGHGURLWVGHV
IHPPHVHWIDLVDLWIDFH¢ODPLVHVRXVWXWHOOHGHOHXUFRUSVDXVHUYLFHGHV
LQW«U¬WVSROLWLTXHVHWLG«RORJLTXHVGHOȇ‹WDWHVSDJQRO95.
'H IDLW OD PRGLȴFDWLRQ O«JLVODWLYH «WDLW GHVWLQ«H ¢ V«GXLUH OȇDLOH
OD SOXV FRQVHUYDWULFH GX SDUWL DX SRXYRLU Oȇ«SLVFRSDW HVSDJQRO HW OHV
JURXSHV mSURYLH} WUªV PRELOLV«V FRQWUH OD ORL GH  DORUV TXH
toutes les enquêtes d’opinion ont exprimé le rejet massif de la réforme
VRXWHQXH SDU $OEHUWR 5XL] *DOODUGµQ96. Ces enquêtes sont d’autant

šCf. IPVGTXKGY FG Mercedes YƺƸƹƧ, JOL Press LCPXKGT  =JVVRYYYLQNRTGUUEQO
GURCIPGCXQTVGOGPVKXIOGTEGFGU[WUVCCTVKENGJVON?EQPUWNVȌNGPQXGODTG
šCf. la tribune publiée par Paul B. PƷƫƩƯƧƪƵdans Libération qui appelle toutes les femmes
espagnoles à faire « la grève des utérus » en signe de résistance « matriotique », Libération,
« DȌENCTGTNCITȋXGFGUWVȌTWUzLCPXKGT=JVVRYYYNKDGTCVKQPHTUQEKGVG
FGENCTGTNCITGXGFGUWVGTWUA?EQPUWNVȌNGPQXGODTG
š FG NC RQRWNCVKQP UG FȌENCTG GP HCXGWT FW OCKPVKGP FG NC NQK FG   FGU
Espagnols considèrent que toute femme enceinte doit pouvoir décider librement de mener ou
non sa grossesse à terme et 65 % des électeurs du Parti populaire se déclarent à leur tour oppo
sés à la loi GCNNCTFȕP =JVVRYYYGNOWPFQGUGURCPCECHGGFD
DJVON? =JVVRRQNKVKECGNRCKUEQORQNKVKECCEVWCNKFCFA
JVON? =JVVRGNRCKUEQOGNRCKUOGFKCAJVON? EQPUWNVȌU NG
18 novembre 2014.

124
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

SOXV VLJQLȴFDWLYHV TXȇHOOHV IXUHQW FRQGXLWHV GDQV XQ FRQWH[WH GH FULVH
économique et de durcissement des politiques d’austérité dont la mise
en œuvre fragilisait d’autant plus les femmes des classes moyennes et
SRSXODLUHV $XVVL QȇHVWLO JXªUH VXUSUHQDQW TXH OȇDQQRQFH GH FH SURMHW
GHORLDLWVXVFLW«XQHPRELOLVDWLRQVDQVSU«F«GHQWGDQVODVRFL«W«FLYLOH
confrontée à une précarisation généralisée et à la paupérisation crois-
VDQWHGHODSRSXODWLRQI«PLQLQH'DQVOHVFHUFOHVI«PLQLVWHVOȇRIIHQVLYH
a été orchestrée via la plateforme numérique Nosotras DecidimosIRQ-
G«HHQSRXUFRQWUHUOHVDWWDTXHV¢ODVXLWHGHODG«S«QDOLVDWLRQGH
l’avortement par le gouvernement Zapatero97. Aujourd’hui intégrée par
RUJDQLVDWLRQVGHIHPPHVHOOHIDLWRɚFHGHSRUWHYRL[GHVUHYHQGLFD-
WLRQVGHV(VSDJQROHVSRXUOȇDFFªV¢OȇDYRUWHPHQWOLEUHHWJUDWXLWHWI«GªUH
la mobilisation au plan national et régional autour d’un large réseau
GH VROLGDULW« SUHXYH HQ HVW OD FRQYRFDWLRQ GH JUDQGHV PDQLIHVWDWLRQV
FRPPHFHOOHVGXVHSWHPEUHGXer février et du 8 mars 201498.

Photo 4.2. Manifestation contre la loi de réforme de l’avortement, Madrid, 8 mars


2014.

Ces rassemblements citoyens et intergénérationnels ont constitué un


IURQWXQLWDLUHFRQWUHODORL*DOODUGµQDXWRXUGXVORJDQm2QQHO«JLIªUH
pas dans nos utérus » et sont parvenus à faire circuler l’avant-projet de
ORLDXGHO¢GHVIURQWLªUHVQDWLRQDOHVG«PRQWUDQWDLQVLTXHOHVUHVVRXUFHV
LQIRUPDWLRQQHOOHV U«VHDX[ VRFLDX[ VLWHV LQWHUQHWHWF  VȇLPSRVHQW

=JVVRPQUQVTCUFGEKFKOQUQTI?EQPUWNVȌNGPQXGODTG
ššRGTUQPPGUCWTCKGPVFȌHKNȌNQTUFGNCOCPKHGUVCVKQPFWOCTU

125
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Photo 4.3. Manifestation en soutien aux femmes espagnoles, Paris, 1er février
2014.

aujourd’hui comme une « nouvelle arme importante dans l’arsenal


militant99}/ȇXVDJHSROLWLTXHGHVQRXYHOOHVWHFKQRORJLHVDXP¬PHWLWUH
TXH OD mVSHFWDFXODULVDWLRQ} GHV DFWLRQV PLOLWDQWHV SDUWLFLSH GH FH
renouvellement des répertoires d’action du féminisme contemporain. En
W«PRLJQHODPLVHHQVFªQHGȇXQHDFWLRQV\PEROLTXHP«GLDWLTXHHWSROL-
WLTXH mOH WUDLQ GH OD OLEHUW«100} ODQF«H ¢ OȇLQLWLDWLYH GH %HJR³D 3L³HUR
SRUWHSDUROHGHOȇDVVRFLDWLRQI«PLQLVWHGHV$VWXULHVLas ComadresDYHF

šFabien GƷƧƴưƵƴ, L’internet militant, Rennes, Apogée, 2001, cité par Pierre MƫƷƩƱƲʤ,
Sociologie des réseaux sociaux, Paris, la découverte, 2011, p. 87. Pour plus de détails sur la
mobilisation internationale autour de la loi de réforme de l’IVG en Espagne, voir Karine BƫƷƭʣƸ,
« FGOOGUGPTȌUGCWZGVTȌUGCWZFGHGOOGUšNCVGEJPQNQIKGCWUGTXKEGFWOKNKVCPVKUOGzFCPU
Féminismes du xxie siècle, Karine BƫƷƭʣƸ, Florence BƯƴƧƷƪ, Alexandrine GƺƾƧƷƪNƫƪƫƲƫƩ FKT 
Rennes, PUR, collection « Archives du féminisme », 2015.
šCette initiative a donné son nom au documentaire, Yo decido. El Tren de la libertad, 2014,
=JVVRXKOGQEQO?

126
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

à son bord des féministes parties du nord de l’Espagne pour rejoindre


0DGULGOHerI«YULHUGDWHGHODJUDQGHMRXUQ«HLQWHUQDWLRQDOHGHPRELOL-
VDWLRQHXURS«HQQHHQVRXWLHQ¢Oȇ,9*HWDX[IHPPHVHVSDJQROHV101.
La résistance s’est également organisée sous la tutelle de l’Assem-
blée féministe de Madrid qui depuis les années 1980 fédère les expé-
riences des collectifs féministes madrilènes102. Particulièrement active
DXFRXUVGHVGHUQLHUVPRLVHOOHDPRELOLV«GHVFROOHFWLIVI«PLQLVWHVGH
différentes obédiences — des plus institutionnels aux plus autonomes
ȃ¢WUDYHUVODFRQVROLGDWLRQGȇXQHm3ODWHIRUPHXQLWDLUHDYRUWHPHQW}
OH G«ȴ «WDQW GȇRUJDQLVHU OD G«VRE«LVVDQFH FLYLOH ¢ WUDYHUV GHV PRGHV
GH SURWHVWDWLRQ YLVLEOHV GDQV OȇHVSDFH SXEOLF SHUIRUPDQFHV sitting et
escraches &H GHUQLHU WHUPH TXL QȇD SDV VRQ «TXLYDOHQW HQ IUDQ©DLV D
fait son apparition en Espagne à partir de 2013 : il renvoie à un mode
de protestation qui s’est généralisé en Argentine en 1995 contre les
personnes ayant soutenu ou participé à la dictature militaire de Jorge
5DIDHO 9LGHOD   'DQV OH FRQWH[WH GH OD FULVH HVSDJQROH LO
prend la forme de « dénonciations citoyennes d’un type de personnes
G«WHUPLQ«HV >SHUVRQQDOLW«V SROLWLTXHV HQWLW«V EDQFDLUHVHWF@ SDU OH
ELDLVGHPDQLIHVWDWLRQVSDFLȴTXHVGHYDQWOHGRPLFLOHRXOLHXGHWUDYDLO
de celles-ci103 ». Les activistes féministes ont repris à leur compte ces
modes d’intervention dans l’espace public104HWRQWRUJDQLV«OHPDL
 SOXVLHXUV escraches dans vingt-huit villes espagnoles105 : initia-
lement promue par la campagne pour le droit à l’avortement libre et
UUDWXLW GH &DWDORJQH FHWWH DFWLRQ D WURXY« XQ «FKR QDWLRQDO ¢ WUDYHUV
OD &RRUGLQDWLRQ GHV RUJDQLVDWLRQV I«PLQLVWHV &H MRXUO¢ OHV PLOLWDQWHV

šLe même jour et à la même heure, des manifestations de solidarité se sont déroulées dans
FGPQODTGWUGUXKNNGUGWTQRȌGPPGU GPBelgique, GTCPFGBretagne, Portugal, France). À Paris, la
OCPKHGUVCVKQPCEQORVȌRNWUFGšOCPKHGUVCPVGU
šLa Asamblea Feminista de Madrid se réunit depuis 1978 au sein de « Barquillo, 44 », lieu
de référence du féminisme madrilène depuis la transition démocratique. Il a accueilli plus
d’une centaine de collectifs et d’associations, devenant ainsi un espace de convergence et
de dialogue entre tous les féminismes. En raison des coupes budgétaires, le local a fermé
ses portes en octobre 2014 et a été transféré à « Bravo Murillo, 4 ». Cf. « Manifiesto sobre el
cierre de BCTSWKNNQzQEVQDTG=JVVRYYYHGOKPKUVCUQTIOCFTKF!R?EQPUWNVȌNG
18 novembre 2014.
šLuis RƺƯƿ AưƧ, FNQTKȄPManuel PʤƷƫƿ, Teresa María GʭƳƫƿPƧƸƹƷƧƴƧ, El descontento social
y la Generación IN, Madrid, Editorial Popular, 2013, p. 30.
šEn Espagne, c’est la « PNCVGHQTOG FGU CHHGEVȌU FG NŨJ[RQVJȋSWGz Plataforma de los
Afectados por la Hipoteca) qui a réalisé les premiers escraches pour protester contre les expul
sions abusives sous l’effet de la crise économique et de la spéculation financière.
šJoanna GƧƷƩʨƧ GƷƫƴƿƫƷ, Pikara Magazine OCK  =JVVRYYYRKMCTCOCIC\KPG
EQOGUETCEJGHGOKPKUVCJCEKCNCFGUQDGFKGPEKCEKXKNCPVGNCEQPVTCTTGHQTOCFGNC
NG[FGCDQTVQ?EQPUWNVȌNGPQXGODTG

127
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

s’étaient donné rendez-vous devant les sièges régionaux du Parti popu-


ODLUHHWGHYDQWOHGRPLFLOHPDGULOªQHGXPLQLVWUHGHOD-XVWLFHDȴQGH
manifester leur opposition au projet de réforme. « Vos rosaires hors
GHQRVRYDLUHV/HVULFKHVSDLHQWOHVSDXYUHVPHXUHQW3RXUQRVGURLWV
SRXU QRV FKRL[} DXWDQW GH VORJDQV KXPRULVWLTXHV GH SDQFDUWHV HW
GH FKDQVRQV VXEYHUVLYHV TXL QH VRQW SDV VDQV UDSSHOHU OHV PRGDOLW«V
GȇDFWLRQ GHV I«PLQLVWHV GH OD GHX[LªPH YDJXH QRWDPPHQW HQ )UDQFH
pour défendre le droit à l’avortement dans les années 1970. Malgré le
FDUDFWªUH SDFLȴVWH GHV UDVVHPEOHPHQWV FHX[ GH 0DGULG $OLFDQWH HW
Valladolid ont été violemment réprimés par la police106 et se sont soldés
par plusieurs arrestations assorties d’amendes107. Après un bras de fer
de plusieurs mois et toute une gestion des crispations dans les rangs du
3DUWLSRSXODLUHFȇHVWOHFKHIGXJRXYHUQHPHQWOXLP¬PHTXLDDQQRQF«
OHVHSWHPEUHOHUHWUDLWGHOȇDYDQWSURMHWGHORLDFF«O«UDQWDLQVL
la démission annoncée de son ministre de la Justice108. Le manque de
FRQVHQVXVDXVHLQP¬PHGHODGURLWHHVSDJQROHODSU«VHUYDWLRQGHVHV
intérêts politiques et la pression massive des mobilisations nationales
HW LQWHUQDWLRQDOHV FLWR\HQQHV HW I«PLQLVWHV RQW ȴQDOHPHQW HX UDLVRQ
GȇXQSURMHWGHORLTXLDXERXWGXFRPSWHPHQD©DLWODFU«GLELOLW«GȇXQ
gouvernement déjà très affaibli par la crise économique et la révélation
GH QRPEUHX[ VFDQGDOHV GH FRUUXSWLRQ HW TXL Qȇ«WDLW SDV HQ SRVLWLRQ
de force dans la perspective des différentes échéances électorales de
l’année 2015.

***
Ces mobilisations massives démontrent le dynamisme du mili-
WDQWLVPH I«PLQLVWH TXL D FRPPHQF« ¢ VH UHFRQȴJXUHU ¢ OD ȴQ GHV

šLes images de la charge de la police contre les manifestant.e.s, devant le domicile d’Al
berto Ruiz Gallardón à MCFTKFUQPVFKURQPKDNGUUWTNGNKGPUWKXCPV=JVVRUšYYY[QWVWDGEQO
YCVEJ!X[PDgb7N5D9g], consulté le 10 novembre 2014.
šSQWNKIPQPU SWŨWP CXCPVRTQLGV FW OKPKUVȋTG FG NŨIntérieur sur la « nouvelle loi de sécu
rité citoyenne » soulève depuis plusieurs mois de vives polémiques. Il prévoit notamment de
renforcer les sanctions contre les escraches, référencés comme des infractions graves et,
RWPKU RCT FGU COGPFGU GPVTG šGV šGWTQU Diario. es PQXGODTG  =JVVR
YYYRWDNKEQGUNCNG[FGUGIWTKFCFEKWFCFCPCWPCOQTFC\CRCTCNQUSWGRTQVGUVCP?
consulté le 18 novembre 2014.
šPlusieurs figures du Parti populaire ont manifesté publiquement leur opposition au projet
FG NQKš Celia VKNNCNQDQU XKEGRTȌUKFGPVG FW Congrès et ancienne ministre de la Santé sous le
gouvernement de José María Aznar), José Antonio MQPCIQ RTȌUKFGPV FG NC EQOOWPCWVȌ
autonome d’Estrémadure), Alberto NȚȓG\ FGKLQQ RTȌUKFGPV FG NC EQOOWPCWVȌ CWVQPQOG FG
Galice), Juan Vicente HGTTGTC RTȌUKFGPV FG NC EQOOWPCWVȌ CWVQPQOG FG Castille et Léon),
Cristina CKHWGPVGU FȌNȌIWȌG FW IQWXGTPGOGPV ȃ Madrid), Rosa VCNFGȕP OCKTG FG Zamora),
Borja SGORGT RTȌUKFGPVFWPP de Guipuscoa), etc.

128
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

DQQ«HV  HW TXL D WURXY« XQ WHUUDLQ GȇH[SUHVVLRQ GȇDERUG GDQV OD
mU«YROXWLRQFLWR\HQQH}GHSXLVDXWRXUGXSURMHWGHU«IRUPHVXU
l’avortement. Depuis les luttes féministes pour l’obtention d’une loi
VXU OH GLYRUFH HW VXU OȇDYRUWHPHQW DX G«EXW GHV DQQ«HV  OH SD\V
n’avait pas connu une telle « unité dans l’action109 ». L’obstination
Gȇ$OEHUWR 5XL] *DOODUGµQ GDQV VRQ HQWUHSULVH GH PLVH VRXV WXWHOOH GHV
IHPPHVHVSDJQROHVDIDLWRɚFHGHFDWDO\VHXUGHVIRUFHVI«PLQLVWHVTXL
se sont rassemblées dans un grand mouvement intergénérationnel et
FRQWHVWDWDLUH OHV PDQLIHVWDWLRQV RQW RIIHUW WRXU ¢ WRXU OȇRFFDVLRQ GH
PDUTXHUXQHRSSRVLWLRQIHUPHDXSURMHWGHORLGHG«QRQFHUODG«JUD-
GDWLRQGHVFRQGLWLRQVGHYLHGHVIDPLOOHVHWGHVIHPPHVOL«HDX[FRXSHV
EXGJ«WDLUHV HQ PDWLªUH GH VDQW« GȇDLGHV VRFLDOHV GH JHO GHV VDODLUHV
RX GH VȇLQVXUJHU FRQWUH OH SRLGV GH OȇRUGUH SDWULDUFDO K«W«URVH[LVWH HW
FDSLWDOLVWH2QFRQVWDWHTXHOȇ(VSDJQHQHIDLWSDVȴJXUHGHFDVLVRO«FDU
QRXV DVVLVWRQV GHSXLV OH G«EXW GHV DQQ«HV  DX UHQRXYHDX GH OD
« culture de la contestation110} TXL VH WUDGXLW GDQV XQH SHUVSHFWLYH
JHQU«HSDUXQHLQWHUQDWLRQDOLVDWLRQGHVVWUDW«JLHVGHOȇDFWLYLVPHI«PL-
QLVWH UDGLFDO SDU OD FRQVROLGDWLRQ GH U«VHDX[ GH VROLGDULW« I«PLQLVWHV
QDWLRQDX[ HW WUDQVQDWLRQDX[ HW SDU OD IRQGDWLRQ GH QRXYHDX[ FROOHF-
WLIVTXLUHYHQGLTXHQWVXUGHVUHJLVWUHV GLYHUVXQUHQRXYHOOHPHQW GHV
discours et des modalités d’action féministes. L’histoire du féminisme
espagnol est marquée par la consolidation de ses luttes au cours des
dernières années du franquisme (tardofranquismo  HW ELHQ TXH VD
IUDJPHQWDWLRQ HQ FRXUDQWV SOXULHOV DLW «W« XQH FRQVWDQWH FHOD QH OȇD
pas empêché de porter des combats de haut vol visant à l’obtention de
nouveaux droits juridiques pour les femmes. L’institutionnalisation du
I«PLQLVPH VRXV OHV JRXYHUQHPHQWV VRFLDOLVWHV D LQVFULW OHV SROLWLTXHV
GH JHQUH ¢ OȇDJHQGD SROLWLTXH PDLV FH I«PLQLVPH GH VHUYLFH O«JLWLPH
HWQ«FHVVDLUHDHXSRXUHIIHWGHUHO«JXHUOHI«PLQLVPHDXWRQRPHGDQV
les interstices de la contestation minoritaire. Au tournant des années
 VRXV OȇLQȵXHQFH GHV WK«RULHV SRVWPRGHUQHV SRVWVWUXFWXUDOLVWHV
et queerOHVI«PLQLVPHVHVSDJQROVRQWSURF«G«¢XQHU«DFWXDOLVDWLRQGH
OHXUVWK«RULHVSRVWXODQWSRXUODmVXEYHUVLRQGHOȇLGHQWLW«}HWODSHUIRU-
mativité des corps111$XVVLGªVOHPLOLHXGHVDQQ«HVHWSOXVHQFRUH
¢ SDUWLU GHV DQQ«HV  OHV DFWLYLVWHV VH VRQW PRQWU« H V SHUP«DEOHV
¢GHQRXYHDX[FRXUDQWVUHPHWWDQWHQFDXVHODPDWULFHK«W«URVH[XHOOH

šNous empruntons cette expression à María MƧƷƹʨƴƫƿGƵƴƿʜƲƫƿ, op. cit., 2008.


šIsabelle SƵƳƳƯƫƷ, Le renouveau des mouvements contestataires à l’heure de la mondialisation,
Paris, Flammarion, 2003, p. 24.
šNous reprenons ici le titre de l’ouvrage de référence de Judith BƺƹƲƫƷ, op. cit., 1990.

129
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

la catégorisation binaire de genre et le sujet même du féminisme. Les


théories QueerOHWUDQVI«PLQLVPHOHSRVWSRUQOHSRUQRWHUURULVPHOHV
PRXYHPHQWV SURVH[H DXWDQW GH QRXYHDX[ FRXUDQWV TXL RQW RXYHUW
QRXV GLW OȇDFWLYLVWH %HDWUL] *LPHQR mXQ PRQGH GH SRVVLELOLW«V QRXV
ont permis de chausser de nouvelles lunettes pour voir la réalité112}
HQUHQGDQWYLVLEOHVGȇDXWUHVVXEMHFWLYLW«VGȇDXWUHVVXMHWVGHQRXYHOOHV
LQ«JDOLW«VVRXVOȇHIIHWGHVSROLWLTXHVQ«ROLE«UDOHVHWGHOȇLPEULFDWLRQGH
plusieurs systèmes d’oppression.
3RXU FRQFOXUH QRXV DMRXWHURQV TXH FHWWH mPDU«H YLROHWWH} TXL
D G«IHUO« FHV GHX[ GHUQLªUHV DQQ«HV QH VȇHVW SDV WDULH FRPPH HQ
témoigne la déclinaison politique des propositions féministes du 15-M
dans la nouvelle formation politique Podemos113 'HSXLV PDUV
OHV UHYHQGLFDWLRQV I«PLQLVWHV DX VHLQ GH FHWWH QRXYHOOH IRUFH PRQ-
WDQWH VRQW SRUW«HV SDU OH FHUFOH Podemos féminismes114 XQ HVSDFH
GH U«ȵH[LRQ HW GH SDUWLFLSDWLRQ FLWR\HQQH VXU OHV WK«PDWLTXHV HQ OLHQ
DYHF Oȇ«JDOLW« IHPPHVKRPPHV TXL YHLOOH ¢ UHQGUH HIIHFWLYH QRQ VDQV
GLɚFXOW«VODWUDQVYHUVDOLVDWLRQDXVHLQGHVDXWUHVFHUFOHVWK«PDWLTXHV
de l’organisation politique115. Malgré les critiques formulées par les
autres formations politiques à l’égard de ce nouveau parti116PDOJU«OHV
résistances encore perceptibles dans ses rangs à l’égard du féminisme
et malgré l’institutionnalisation d’une mobilisation sociale qui pose
TXHVWLRQLOQȇHQUHVWHSDVPRLQVTXHFHWWHQRXYHOOHIRUPDWLRQSROLWLTXH
s’impose comme un laboratoire expérimental des propositions théo-
ULTXHV WURS VRXYHQW FDQWRQQ«HV DX UDQJ GHV XWRSLHV XQH DOWHUQDWLYH
à la représentation politique traditionnelle en mettant au cœur de son
programme transformateur la participation citoyenne. « L’un des meil-
leurs atouts de Podemos est le grand nombre de féministes qu’il compte
dans ses rangs117} DVVXUH %HDWUL] *LPHQR TXL PLOLWH GDQV OH SDUWL HW

šBeatriz GƯƳƫƴƵ, op. cit., 2009.


šPodemos, dirigé par l’eurodéputé Pablo Iglesias, s’est présenté aux élections européennes
de mai 2014 et a obtenu 7,98 % des voix, ce qui le place au quatrième rang des forces politiques
en Espagne.
 =JVVRUšYYYHCEGDQQMEQORCIGUPQFGOQUFGOKPKUOQU!UMKPHQ?
consulté le 24 novembre 2014.
šIPVGTXKGY Círculo Podemos Feminismos OCTU  =JVVRYYYGURCEKQCNVGTPCVKXQQTI
URKRRJR!CTVKENG?EQPUWNVȌNGPQXGODTG
šLes critiques les plus récurrentes sont la proximité idéologique entre Podemos, le popu
lisme, le chavisme et le castrisme ainsi que l’antidémocratisme de l’équipe constituée autour
de Pablo Iglesias.
šBeatriz GƯƳƫƴƵ, « Ante las críticas al feminismo de Podemos », blog de Beatriz Gimeno,
PQXGODTG  =JVVRDGCVTK\IKOGPQGUCPVGNCUETKVKECUCNHGOKPKUOQFG
RQFGOQUOQTG?EQPUWNVȌNGPQXGODTG

130
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale

pour laquelle les mutations qui sont en train de s’opérer sont le fait de
mMHXQHVI«PLQLVWHVELHQIRUP«HVWUªVHQJDJ«HVGDQVOHI«PLQLVPHDYHF
les idées claires et un haut degré d’activisme féministe118 ». Ces nou-
velles formes d’engagement s’efforcent de refaçonner l’agir féministe
et ouvrent un horizon d’espoir quant à la progressive prise en compte
WUDQVYHUVDOHGHVUHYHQGLFDWLRQVI«PLQLVWHVQRQSOXVWUDLW«HV¢ODPDUJH
mais prises comme caisse de résonance des questions du temps présent.
/H I«PLQLVPH K«J«PRQLTXH TXL HVW DXMRXUGȇKXL OD FLEOH GHV DFWLYLVWHV
GH OD WURLVLªPH YDJXH FH I«PLQLVPH mJULV QRUPDWLI HW SXULWDLQ119}
GHOȇDYHXP¬PHGHVHVG«WUDFWHXUVULFHVHVWLOHQPHVXUHGHU«SRQGUH
DX[G«ȴVFRQWHPSRUDLQVVDQVXQUHQRXYHOOHPHQWHQSURIRQGHXUGHVHV
WK«RULHVGHVHVPRGHVGȇDFWLRQHWGHVRQYLYLHUPLOLWDQW"3DUYLHQGUDWLO
¢VHODLVVHUEDLJQHUSDUGHQRXYHOOHVPDU«HVU«J«Q«UDWULFHV¢VHODLVVHU
VHFRXHUSDUODKRXOHWXPXOWXHXVHGXUHQRXYHDX¢VHODLVVHUSRUWHUSDU
les remous des problématiques émergentes ? Il semble en tout cas en
avoir les capacités structurelles et organisationnelles puisque le fémi-
QLVPH VȇHVW WRXMRXUV G«ȴQL FRPPH mXQH SROLWLTXH GH OȇDFWLRQ SHUPD-
nente120}XQPRXYHPHQWMDORQQ«GHȵX[HWGHUHȵX[GȇDYDQF«HVHWGH
UHFXOVGHFRQȵLWVHWGHVRURULW«TXLDUHIRUPXO«U«LQYHQW«U«DGDSW«
repensé inlassablement son corpus théorique et ses pratiques tout au
long de sa longue histoire politique et sociale.

šIbid.
šPaul B. PƷƫƩƯƧƪƵ, « MWLGTGUGPNQUOȄTIGPGUzElpais. com, 13 janvier 2007,
=JVVRGNRCKUEQOFKCTKQDCDGNKCAJVON? EQPUWNVȌ NG
18 novembre 2014.
šFrançoise CƵƲƲƯƴ et Irène KƧƺƬƫƷ, « PQUVScriptum. La Terre promise », op. cit., 2014, p. 32.

131
DEUXIÈME PARTIE

REVENDICATIONS
IDENTITAIRES
ET NOUVEAUX MOUVEMENTS
SOCIAUX
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

5
Mouvements de contestation
en Catalogne : manifestations et
consultation(s) sur l’indépendance
Mercè PUJOL BERCHÉ

Malgré le mauvais usage de la justice fait par les auto-


rités du gouvernement espagnol, nous ferons réalité un
rêve et ne permettrons pas que l’on nous l’abîme.
0XULHO&DVDOVSU«VLGHQWHGȇ”PQLXP&XOWXUDO
*UDQ7HDWUHGHO/LFHX%DUFHORQHG«FHPEUH

/H QRYHPEUH   GHV «OHFWHXUV FDWDODQV XQ SHX SOXV GH
deux millions de personnes) se sont rendus aux urnes pour répondre
¢ FHV GHX[ TXHVWLRQV m9RXOH]YRXV TXH OD &DWDORJQH VRLW XQ ‹WDW"}
HW m9RXOH]YRXV TXH FHW ‹WDW VRLW LQG«SHQGDQW"}  GHV SHU-
sonnes qui se sont exprimées lors de cette consultation ont répondu
m2XL}DX[GHX[TXHVWLRQVm2XL}¢Oȇ‹WDWPDLVm1RQ}¢XQ
‹WDW LQG«SHQGDQW HW HQȴQ  m1RQ} DX[ GHX[ TXHVWLRQV &HWWH
FRQVXOWDWLRQYRXOXHSDUODVRFL«W«FLYLOHHWRUJDQLV«HSDUODGeneralitat
n’était pas un référendum et n’était pas non plus légale. Elle fait par-
WLHGȇXQHmORQJXHKLVWRLUH}GRQWRQSRXUUDLWVLWXHUOȇRULJLQHHQ
ORUVTXHOD&DWDORJQHDLQVLTXHOHV°OHV%DO«DUHV9DOHQFHHWOȇ$UDJRQRQW
subi l’abolition des Fors ORLV OȇLQWHUGLFWLRQGXFDWDODQHWOȇLQVWDXUDWLRQ
des Bourbons en Espagne.
Le renouveau du mouvement indépendantiste catalan doit être
analysé dans le contexte des discussions sur la réforme du statut cata-
lan (2004-2006). Il commença à prendre forme avec les consultations
SRSXODLUHV LQLWL«HV HQ  SXLV FRQQXW XQ VXUVDXW TXDOLWDWLI ORUV GH
la manifestation massive de juillet 2010 contre la décision du Tribunal
constitutionnel sur le caractère anticonstitutionnel des articles les
SOXV HPEO«PDWLTXHV GH FH VWDWXW QRWDPPHQW SDU UDSSRUW ¢ OD ODQJXH
FDWDODQH ¢ OD ȴVFDOLW« HW ¢ OD UHFRQQDLVVDQFH GH OȇLGHQWLW« FDWDODQH HQ

135
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

tant que « nation » politique à part entière. Dans le contexte des crises
«FRQRPLTXH HW G«PRFUDWLTXH OȇLQG«SHQGDQWLVPH FDWDODQ VȇHVW FULVWDO-
OLV« SHWLW ¢ SHWLW ¢ OȇRFFDVLRQ GX VHSWHPEUH OH MRXU GH OD Diada OD
I¬WH QDWLRQDOH FDWDODQH GHSXLV  8QH HQWLW« FXOWXUHOOH Òmnium
Cultural HW Oȇ$VVHPEO«H QDWLRQDOH FDWDODQH FU««H HQ  GHX[ LQV-
WDQFHV SU«VLG«HV SDU GHX[ IHPPHV 0XULHO &DVDOV HW &DUPH )RUFDGHOO
UHVSHFWLYHPHQW RQW SULV HQ FKDUJH OȇRUJDQLVDWLRQ GHV PRXYHPHQWV GH
FRQWHVWDWLRQHQIDLVDQWSUHVVLRQVXUOHVSROLWLTXHVHWHQPHQDQWOHG«EDW
vers la société civile.
Comment a ressurgi la vieille revendication de l’indépendance de
OD &DWDORJQH" 'DQV TXHO FRQWH[WH VRFLDO HVSDJQRO VȇLQVªUHWHOOH" 4XL
organise le mouvement et pourquoi ? Ce sont les questions auxquelles
OHSU«VHQWFKDSLWUHHVVDLHGHU«SRQGUH3RXUFHIDLUHQRXVFRPPHQFH-
URQVSDUXQEUHIUDSSHOKLVWRULTXHDȴQGHGRQQHUTXHOTXHVSRLQWVGH
UHSªUHVSHUPHWWDQWGHVLWXHUODGHPDQGHFRQWHPSRUDLQHGHV&DWDODQV
ce qui nous permettra notamment de retracer la trajectoire du natio-
nalisme catalan depuis la naissance de l’Espagne des autonomies.
Puis l’« œuvre collective » qu’a constituée le statut d’autonomie de
OD &DWDORJQH GH  QRXV VHUYLUD ¢ m«FULUH XQH SDJH GH OȇKLVWRLUH}
VHORQ OHV PRWV GH FHOXL TXL IXW OH SU«VLGHQW GH OD &DWDORJQH 3DVTXDO
0DUDJDOO 8QH KLVWRLUH GX WHPSV SU«VHQW R» OD ODQJXH FDWDODQH DLQVL
que la « nation catalane » font partie d’un imaginaire collectif qui
se sent attaqué et bafoué par le Tribunal constitutionnel et donc par
le gouvernement espagnol. L’histoire des relations entre le gouver-
nement de Madrid et celui de la Generalitat de Catalogne s’est donc
ranimée. La voix du peuple s’est organisée et des protestations ont
VXUJLGDQVXQH(VSDJQHHQFULVHR»OHV(VSDJQROVVRQWWUªVUHPRQW«V
FRQWUH GHV SROLWLTXHV PHQ«HV DX G«WULPHQW GHV SHUVRQQHV FRQWUH OD
corruption institutionnelle et l’incapacité des partis à donner des
réponses à leurs demandes de démocratie et de mesures sociales. Nous
WHUPLQHURQVHQUDSSHODQWTXȇXQVRQGDJHU«FHQWGȇDYULOPHWHQ
évidence que 60 % des Catalans considèrent qu’aucun parti politique
QHSHXWGRQQHUXQHU«SRQVHDG«TXDWH¢OHXUVSUREOªPHVSULQFLSDX[
OH FK¶PDJH HW OD SU«FDULW« GRQQ«H TXL LOOXVWUH XQ LPSRUWDQW G«VHQ-
chantement démocratique.

136
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

REPÈRES HISTORIQUES :
LE NATIONALISME CATALAN EN PERSPECTIVE
/HG«EDWDXWRXUGȇXQ‹WDWLQG«SHQGDQWSRXUOD&DWDORJQHQȇHVWSDV
QRXYHDX (Q HIIHW LO HVW OH IUXLW GȇXQH ORQJXH KLVWRLUH TXL G«EXWH DYHF
les décrets de Nova Planta GH 3KLOLSSH9 DYHF OȇDEROLWLRQ GH WRXWHV OHV
LQVWLWXWLRQV FDWDODQHV HW OD PLVH DX EDQ GX FDWDODQ (Q HIIHW SHQGDQW
OD S«ULRGH DOODQW GH ¢ OHV G«FUHWV VH WUDGXLVLUHQW FRQFUªWH-
ment par l’abolition des Fors (lois) : d’abord en Aragon et à Valence
 SXLVGDQVOHV°OHV%DO«DUHV  HWHQȴQHQ&DWDORJQH  
L’espagnol ou castillan sera désormais la seule langue obligatoire de
OȇDGPLQLVWUDWLRQGHODMXVWLFHHWGHOȇHQVHLJQHPHQW
À partir de la seconde moitié du XIXeVLªFOHDSUªVXQHORQJXHS«ULRGH
GHPLVHHQVLOHQFHHWGHUHO«JDWLRQGHODODQJXHFDWDODQHSUHQGFRUSV
une conscience de la langue et de l’identité catalanes. L’avènement des
Jocs Florals OLWW«UDOHPHQWGHVm-HX[)ORUDX[} GHVMRXWHVSR«WLTXHVHQ
ODQJXHFDWDODQHPDUTXHXQH«WDSHLPSRUWDQWHGXUHQRXYHDXFXOWXUHO
de la Renaixença m5HQDLVVDQFH} HWU«DQLPHODFDWDODQLW«VDQVUHMHWHU
OȇHVSDJQROLW«GHOD&DWDORJQH$LQVLORUVGHOȇRXYHUWXUHGHVJocs Florals
HQ  VRQ SU«VLGHQW $QWRQL GH %RIDUXOO SURQRQFH TXHOTXHV PRWV
VXUOHSDVV«JORULHX[GHOD&DWDORJQHFRPSDWLEOHDYHFOȇHVSDJQROLW«GX
présent1. Le XIXe siècle verra naître les nationalismes que l’on appelle
mS«ULSK«ULTXHV}EDVTXH HWKQLTXH JDOLFLHQ SOXW¶WFXOWXUHO HWFDWD-
ODQ OLWW«UDLUHFXOWXUHOHWSROLWLTXH ¢FDXVHHQWUHDXWUHVGHOȇLQFDSDFLW«
GHVJRXYHUQHPHQWVFHQWUDX[GHPHQHUXQHSROLWLTXHGHSURJUªVVRFLDO
d’adopter le libéralisme politique et d’affronter sereinement la perte
des dernières colonies2.
'X SRLQW GH YXH SROLWLTXH OD Lliga Regionalista créée entre 1898
et 1901 sera au pouvoir jusqu’à la dictature de Primo de Rivera (1923)3.
6RQOHDGHU3UDWGHOD5LEDFRQGXLUDOHVG«EDWVVXUODQDWLRQHWOȇ‹WDWHW
publiera La nacionalitat catalana  HQ«WDEOLVVDQWODGLVWLQFWLRQ¢
IDLUHVHORQOXLHQWUHOȇ‹WDWȃRUJDQLVDWLRQSROLWLTXHHWDUWLȴFLHOOHȃHWOD
QDWLRQȃHQWLW«QDWXUHOOHDYHFXQHKLVWRLUHHWXQHFXOWXUHSDUWDJ«HVHW

šPere AƴƭƺƫƷƧ « Nacionalismo e historiografía en CCVCNWȓC Tres propuestas en debate »,


dans Carlos FƵƷƩƧƪƫƲƲ FKT Nacionalismo e historia, Zaragoza, Institución Fernando El Católico
& CSICCR
šJuan Luis Dƫ LƧ GƷƧƴưƧ, Justo BƫƷƧƳƫƴƪƯ et Pere AƴƭƺƫƷƧ, La España de los nacionalis-
mos y las autonomías, Madrid, Síntesis, 2001.
šLa Lliga Regionalista fut créée par des groupes politiques catalans dans le but de faire
pression sur le gouvernement de Madrid afin de revendiquer les particularités linguistique et
culturelle catalanes. Sa presse était La veu de Catalunya  

137
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

dotée d’une langue propre qui a une importance centrale pour la créa-
WLRQGȇXQVHQWLPHQWQDWLRQDO&ȇHVW¢SDUWLUGHO¢TXHODQDWLRQODODQJXH
et l’identité prendront une forte valeur symbolique : on commence alors
¢FU«HUXQHFRPPXQDXW«LPDJLQDLUHEDV«HVXUWRXWVXUODODQJXHVXUOH
passé historique4GHOD&DWDORJQHDLQVLTXHVXUVDOLWW«UDWXUH5.
‚SURSRVGHOȇLPSRUWDQFHGHODODQJXHFDWDODQHVLJQDORQVTXHOTXHV
faits qui contribuèrent à la construction de cet imaginaire collectif : le
Primer Congrés Internacional de la Llengua Catalana a lieu à Barcelone
du 13 au 18 octobre 1906 et Joan Bardina demande que cette langue soit
la seule enseignée6 ; l’Institut d’Estudis Catalans est créé le 18 juin 1907
SDU 3UDW GH OD 5LED DORUV SU«VLGHQW GH OD SURYLQFH GH %DUFHORQH 3XLV
Pompeu Fabra (1868-1948) élève la langue catalane du statut de langue
ancestrale à celui de langue nationale de la Catalogne et des pays cata-
ODQVHQPHQDQWXQWUDYDLOUHPDUTXDEOHHWGHJUDQGHSURIRQGHXUVXUOH
corpus de la langue7 (tout ce qui est en rapport avec sa normativité : dic-
WLRQQDLUHVJUDPPDLUHVHWF /D Mancomunitat catalanaFU««HHQ
regroupe les quatre institutions provinciales catalanes (Diputacions de
7DUUDJRQHGH%DUFHORQHGH/OHLGDHWGH*«URQH IDYRULVHODG«FHQWUD-
OLVDWLRQ DGPLQLVWUDWLYH HW OȇDXWRJRXYHUQDQFH HQ PDWLªUH «FRQRPLTXH
WRXW HQ ĕXYUDQW FRQVLG«UDEOHPHQW HQ IDYHXU GH OD ODQJXH GHV ELEOLR-
thèques et de la diffusion de la culture catalane.
3DU OD VXLWH SHQGDQW OHV DQQ«HV  FRPPH OȇD IDLW UHPDUTXHU
5LTXHU mFDWDODQLVHU} VȇRSSRVHUD HQ TXHOTXH VRUWH ¢ mHVSDJQROLVHU}
GDQV OD PHVXUH R» OH FDWDODQLVPH SROLWLTXH «PHUJHQW HQWUHUD GH SOXV
en plus en confrontation avec le nationalisme espagnol. Ce sera ensuite
grâce à la Seconde République que la Catalogne obtiendra son statut
GȇDXWRQRPLH OH VHSWHPEUH 8. C’est là qu’il faut situer le début
GHOȇ(VSDJQHGHVDXWRQRPLHVFDUSRXU0DQXHO$]D³D  SU«-

šLa première histoire écrite de la Catalogne est celle d’Antonio de Capmany, puis celle de Víctor
BCNCIWGTGPHistoria de Cataluña y de la Corona de Aragón, cf. Pere AƴƭƺƫƷƧ 1998b. « El nacio
PCNKUOQECVCNȄPFGUFGUWUQTȐIGPGUCzFCPUJGCPLouis GƺƫƷƫʫƧ FKT Les nationalismes dans
l’Espagne contemporaine. Idéologies, mouvements, symboles, Paris, ÉFKVKQPUFWVGORUR
La première histoire nationale est celle d’Antoni Aulèstia PKLQCPRWDNKȌGGPHistòria de Catalunya.
šIl faut mentionner la publication Lo Verdader Català où l’on proclame que les Catalans sont
des EURCIPQNUškL’Espagne est notre nation, mais la Catalogne est notre Patrie ».
šSignalons que déjà, lors du congrès de pédagogie de 1888, on avait sollicité de la reine
TȌIGPVG Marie Christine de HCDUDQWTILorena, épouse d’Alfonse XII), le droit de scolariser les
GPHCPVUGPECVCNCPCWOQKPUEJG\NGUVQWVRGVKVU
šSWT NŨCEVKQP RCPECVCNCPKUVG GV NG VTCXCKN FG RTQOQVKQP FG NC NCPIWG ECVCNCPG CW FȌDWV FW
ƖƖe siècle, voir Isabel GƷƧʫƧƯZƧǞƧƹƧL̸DFFLµSDQFDWDODQLVWDLODOOHQJXD̰QRVWUDSDUOD  ,
Barcelone, Publicacions de l’Abadia de Montserrat, 1995.
šRéférendum du 2 août 1932 avec 75,09 % de « Oui ».

138
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

VLGHQWGHOD6HFRQGH5«SXEOLTXHGH¢Oȇ‹WDWFHQWUDO«WDLWDORUV
devenu capable d’admettre la pluralité territoriale de l’Espagne9.

LA CONSTITUTION DE 1978
ET L’ESPAGNE DES AUTONOMIES
Après la dictature de Franco (1939-1975) et l’approbation de la consti-
WXWLRQGHOHVGL[VHSWQRXYHOOHVmFRPPXQDXW«VDXWRQRPHV}HWOHV
deux « villes autonomes » (Ceuta et Melilla) rédigeront leurs statuts
d’autonomie respectifs à partir de 1979. Ceux de la Catalogne et du Pays
Basque furent ainsi votés par référendum le 25 octobre 1979 et celui
GH OD *DOLFH OH G«FHPEUH  'ȇDSUªV FHUWDLQV DXWHXUV Oȇ(VSDJQH
des autonomies présente les caractéristiques d’un « fédéralisme sans
‹WDW I«G«UDO10 » ou d’une « fédéralisation caractérisée par une compé-
tence ethno-territoriale multiple11 ». D’autres estiment que la nouvelle
VWUXFWXUHWHUULWRULDOHGHOȇ‹WDWGHVDXWRQRPLHVDHXFHWHIIHWTXHOȇm‹WDW
devenait ainsi fédéralisable12 ».
(Q HIIHW OȇXQ GHV EXWV GH OD PLVH HQ SODFH GHV FRPPXQDXW«V DXWR-
nomes était d’établir une structure administrative et politique capable de
dépasser les grands déséquilibres entre les régions observés et forgés pen-
dant les XVIIIe et XIXeVLªFOHVTXHOȇLQGXVWULDOLVDWLRQGHVHXOHPHQWTXHOTXHV
XQHV GȇHQWUH HOOHV QRWDPPHQW GH OD &DWDORJQH GX 3D\V %DVTXH SXLV GH
0DGULG  DYDLW FUHXV«HV ,O VȇDJLVVDLW GH P¬PH GH G«SDVVHU OHV EOHVVXUHV
collectives du XXeVLªFOHHQUHFRQQDLVVDQWOHVSDUWLFXODULVPHVLGHQWLWDLUHV
et en octroyant un statut distinct aux trois « nationalités historiques »
GRW«HV GȇXQH ODQJXH SURSUH 2U ORUVTXH OȇRQ U«GLJHD OD &RQVWLWXWLRQ GH
FHTXLD«W«G«VLJQ«FRPPHOHmcafé para todos} mFDI«SRXUWRXV} 
c’est-à-dire le rejet d’une différence de traitement entre les « nationalités
KLVWRULTXHV} HW OHV DXWUHV FRPPXQDXW«V DXWRQRPHV D HX SRXU FRQV«-
quence que l’ensemble des communautés autonomes se sont dotées de

šIsidre MƵƲƧƸ, « Los nacionalismos durante la II República. Una perspectiva comparada »,


dans Justo BƫƷƧƳƫƴƪƯ et Ramón MʛƯƿ FKT Los nacionalismos en la España de la II República.
Madrid, Siglo XXIR
šAlicia FƫƷƴʜƴƪƫƿ GƧƷƩʨƧ et Mathieu PƫƹƯƹƮƵƳƳƫ, « Du nationalisme d’État aux nationa
NKUOGUGURCIPQNUNCTȌKPXGPVKQPFGNCūPCVKQPŬGURCIPQNGFGRWKUNCVTCPUKVKQPFȌOQETCVKSWGz
dans Alicia FƫƷƴʜƴƪƫƿGƧƷƩʨƧet Mathieu PƫƹƯƹƮƵƳƳƫ FKT Les nationalismes dans l’Espagne
contemporaine (1975-2011). Compétition politique et identités nationales, Paris, Armand Colin,
2012, p. 9.
šLuís MƵƷƫƴƵLa federalización de España. Poder político y territorio, Madrid, Siglo XXI, 2008.
šEduardo GƧƷƩʨƧ Dƫ EƴƹƫƷƷʨƧ, Estudios sobre autonomías territoriales, Madrid, S. L. Civitas
ediciones, 1985.

139
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

leur propre statut d’autonomie et de leurs symboles. Certaines d’entre


HOOHV QRQ KLVWRULTXHV  RQW G½ GH FH IDLW OHV FU«HU FRPPH 0XUFLH RX
l’Estrémadure (dont l’hymne a été approuvé en 1985).
La réforme des statuts d’autonomie concerna également toutes les
communautés autonomes et pas seulement la Catalogne. Les partis
de gauche ont donné une nouvelle impulsion à ces débats pendant le
SUHPLHUPDQGDWGXVRFLDOLVWH-RV«/X¯V5RGU¯JXH]=DSDWHUR  
même si tous les socialistes ne partageaient pas le même avis et si les
contextes politique et social étaient très différents de ceux du début des
années 1980 lorsque les premiers statuts furent rédigés et votés. Dans ce
VHQV-RV«/X¯V5RGU¯JXH]=DSDWHURSU«VLGHQWGXJRXYHUQHPHQWFHQWUDO
entre 2004 et 2011 a plaidé lors du débat sur l’état de la nation pour
qu’une réforme des statuts puisse avoir lieu. L’un des grands détracteurs
GȇXQWHOSURMHWIXW$OIRQVR*XHUUD13SU«VLGHQWGHODFRPPLVVLRQFRQVWLWX-
tionnelle du Congrès des députés entre 2004 et 2011.
3RXU GRQQHU TXHOTXHV H[HPSOHV GHV PRPHQWV R» OHV U«IRUPHV GHV
VWDWXWVGȇDXWRQRPLHRQWHXOLHXPHQWLRQQRQVFHOXLGHODFRPPXQDXW«GH
9DOHQFHD«W«YRW«HQHQRQW«W«YRW«VFHX[GHV°OHV%DO«DUHVGH
Oȇ$QGDORXVLHGHOȇ$UDJRQHWGHOD&DVWLOOHHW/«RQHWHQFHOXLGHOȇ(VWU«-
madure14. Les mots de « nation » et de « nationalité » ont à nouveau posé
SUREOªPHP¬PHVLUDSSHORQVOHORUVGHODG«FODUDWLRQGH%DUFHORQHGX
MXLOOHWOHVSDUWLV&L8 &RQYHUJHQFHHW8QLRQ15 319 3DUWLQDWLRQD-
OLVWHEDVTXH HW%1* %ORFQDWLRQDOLVWHJDOLFLHQ RQWDSSHO«¢ODUHFRQQDLV-
sance du caractère plurinational de l’Espagne et des identités plurielles
TXȇHOOH LQFOXW HQ IRUJHDQW XQH FRH[LVWHQFH SRVLWLYH HQ UHFRQQDLVVDQW
l’Espagne comme « nation de nations ». Ces termes ne sont pas exclusifs
GHOD&DWDORJQHDLQVLOHVWDWXWGHOȇ$QGDORXVLHGHXWLOLVHWLOOHWHUPH
GHmQDWLRQ}SRXUG«ȴQLUFHWWHFRPPXQDXW«DXWRQRPHOHV\QWDJPHGH
« réalité nationale » est employé pour mettre en évidence sa construction
politique16 2Q GLVFXWH HQFRUH HW WRXMRXUV DXWRXU GH Oȇ‹WDWQDWLRQ GHV

šIN CXCKV ȌVȌ XKEGRTȌUKFGPV FW FȌEGODTG  CW LCPXKGT   FGU IQWXGTPGOGPVU
de Felipe GQP\ȄNG\ GV CXCKV TGȊW GP  NG RTKZ FG NC HQPFCVKQP Abril Martorell pour « sa
EQPVTKDWVKQPFȌEKUKXGCWūITCPFRCEVGŬFGNCTȌFCEVKQPFGNCEQPUVKVWVKQPFGzEHEl País,
3 décembre 2005.
šLes premiers statuts pour ces mêmes communautés autonomes ont été votés comme
UWKVšAragon et VCNGPEGšCastille et Léon, Estrémadure et Iles Baléares.
šAfin de rendre plus lisible le texte, nous traduisons en français les noms des partis poli
tiques. CiUGUVWPGEQCNKVKQPNKDȌTCNGGVFȌOQETCVGEJTȌVKGPPG
šJulio PʤƷƫƿ SƫƷƷƧƴƵ, « Migraciones, identidad cultural y ciudadanía en la construcción
de la CQOWPKFCF CWVȕPQOC CPFCNW\C  z FCPU MCTKGClaude CƮƧǞƺƹ, Géraldine
GƧƲƫƵƹƫ, Maria LƲƵƳƨƧƷƹ, Mercè PƺưƵƲBƫƷƩƮʤ et Bruno TƺƷ FKT Migraciones e identidades
en la España plural. Madrid, Biblioteca Nueva, 2015.

140
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

QDWLRQDOLW«V HW GH OȇXQLW« GH Oȇ(VSDJQH 3RXU OȇLQVWDQW DXFXQ GHV JRXYHU-
nements centraux depuis Leopoldo Calvo-Sotelo jusqu’à Mariano Rajoy
n’a accepté de revenir sur les acquis de la transition17 (notamment sur le
mSDFWHGXVLOHQFH} GHUHYRLUOHPRGªOHGHOȇ‹WDW Oȇ(VSDJQHGHVDXWRQR-
PLHVHWODPRQDUFKLHSDUOHPHQWDLUH HWHQȴQGHSRVHUFODLUHPHQWHWGH
G«EDWWUHGHODSRVVLELOLW«GȇLQVWDXUHUXQY«ULWDEOH‹WDWI«G«UDO

LES STATUTS D’AUTONOMIE DE 1979 ET 2006


Le statut d’autonomie de la Catalogne fut voté par référendum par
OHSHXSOHFDWDODQOHRFWREUH$YHFXQHSDUWLFLSDWLRQGHOD
FRQVXOWDWLRQ GRQQD OHV U«VXOWDWV VXLYDQWV  GH mRXL}  GH
mQRQ}HWGHYRWHVEODQFVHWQXOV/HQRXYHDXVWDWXWGHIXW
YRW«OHMXLQDYHFXQHSDUWLFLSDWLRQGHVHXOHPHQWGHV«OHF-
WHXUVHWDYHFOHVU«VXOWDWVVXLYDQWVGHmRXL}GHmQRQ}
HWGHYRWHVEODQFVHWQXOV&RPPHWRXWSURFHVVXVG«PRFUDWLTXHOH
nouveau statut d’autonomie avait d’abord été approuvé par le parlement
FDWDODQ OH VHSWHPEUH  SDU  GHV YRL[  FRQWUH 18 SXLV
DSUªVGHORQJXHVGLVFXVVLRQVHWDPHQGHPHQWVDGRSW«DX&RQJUªVHVSD-
JQROOHPDUVDYHFYRL[SRXUFRQWUHHWDEVWHQWLRQV19 ; et
HQȴQ DX 6«QDW VDQV PRGLȴFDWLRQ OH PDL  DYHF  YRL[ SRXU OH
mRXL}SRXUOHmQRQ}HWDEVWHQWLRQV20. Nous y reviendrons.
/RUV GHV «OHFWLRQV FDWDODQHV GH  OH &L8 REWLQW OH QRPEUH GH
YRL[ OH SOXV LPSRUWDQW PDLV P¬PH DYHF OHV YRL[ GX 3DUWL SRSXODLUH
il ne pouvait pas atteindre la majorité absolue. Ce fut donc la coalition
« tripartite21} 36& (5& HW ,&9(8L$ TXL DFF«GD ¢ OD Generalitat DYHF
FRPPHSU«VLGHQWOHVRFLDOLVWH3DVTXDO0DUDJDOO22/HG«FHPEUH

šVoir MCTKGClaude CƮƧǞƺƹ et Julio PʤƷƫƿ SƫƷƷƧƴƵ FKT  La transición española. Nuevos
enfoques para un viejo debate, Madrid, Biblioteca Nueva, 2005.
šOWKšRCTNGOGPVCKTGUšPSC Parti socialiste de Catalogne), ERC Gauche Républicaine de
Catalogne), ICVEUiA Initiative pour la CCVCNQIPGVGTVUGauche unie et alternative) et CiUšPQPš
15 parlementaires du PPC Parti populaire de Catalogne).
šLGUITQWRGURQNKVKSWGUUWKXCPVXQVȋTGPVGPHCXGWTFWUVCVWVFŨCWVQPQOKGšPSOE Parti socia
liste ouvrier espagnol), CiU, PNV, BNG et CC Coalition Canaries). Les députés du PP et d’ERC
UQKVTGRTȌUGPVCPVU UŨ[QRRQUȋTGPVEnfin, deux groupes choisirent l’abstention, EA Eusko
Alkartasuna) et PAR Parti Aragonais).
šEPHCXGWTšPS1'%K7208$0)GV%%š0QPš22GVCDUVGPVKQPUš'4%'#GV2#4
šCette coalition réunit le PSC, ERC, et ICVEUiA, domina le Parlament et le gouvernement de
Catalogne de 2003 à 2006, puis à nouveau de 2006 à 2010.
šIl sera président du 20 décembre 2003 au 28 novembre 2006. C’est aussi grâce à lui que,
lorsqu’il était le maire de Barcelone, cette ville a organisé les Jeux olympiques de 1992 qui
furent pour cette ville, et pour l’Espagne de 1992 un événement marquant.

141
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

OHmSDFWHGX7LQHOO}IXWVLJQ«DYHFSRXUYLV«HOȇDXWRJRXYHUQHPHQWXQH
meilleure qualité démocratique et l’obtention d’un statut plus favorable
SRXUOHFDWDODQ&HWWHFRDOLWLRQGHJDXFKHPLWȴQDX[YLQJWWURLVDQQ«HV
GHJRXYHUQHPHQWGH-RUGL3XMROGXDYULODXG«FHPEUH
/D FRDOLWLRQ WULSDUWLWH UHODQ©D OHV GLVFXVVLRQV HQ YXH GH OD PRGLȴFD-
tion du statut d’autonomie de la Catalogne : il en résulta une nouvelle
rédaction et une certaine reconnaissance (relative) de la pluralité de
Oȇ(VSDJQH3RXUFHVWURLVSDUWLVGHJDXFKHDXSRXYRLULO«WDLWWUªVLPSRU-
WDQWGHPHQHU¢ELHQOHSURMHWGXQRXYHDXVWDWXWFDUFHODLPSOLTXDLWGH
donner une cohésion interne à leurs actions.
4XDQW ¢ -RV« /X¯V 5RGU¯JXH] =DSDWHUR LO DYDLW SURPLV SHQGDQW VD
FDPSDJQH«OHFWRUDOHGHGHUHYRLUOHVVWDWXWVGȇDXWRQRPLHGHGRQ-
QHUVRQVRXWLHQDXVRFLDOLVWH3DVTXDO0DUDJDOODLQVLTXHGȇDFFHSWHUOH
statut que les Catalans auraient voté. Dans le contexte politique et insti-
WXWLRQQHOGXJRXYHUQHPHQWFHQWUDOOH3DUWLSRSXODLUHVȇDIIURQWDLWFHUWHV
aux socialistes en tant que principal parti de l’opposition. Mais dans
le jeu politique de l’alternance (gauche-droite ; socialistes-populaires)
HW GX ELSDUWLVPH OHV HQMHX[ GHV SDFWHV GHV XQV HW GHV DXWUHV MRXDLHQW
XQ U¶OH QRQ Q«JOLJHDEOH VXUWRXW DYHF OHV SDUWLV mPLQRULWDLUHV} TXL
servent de charnière lorsque le camp majoritaire ne dispose pas d’une
majorité absolue. Le PP était farouchement opposé aux propositions
QDWLRQDOLVWHV WULSDUWLWHV HW HQFRUH SOXV ¢ OD GHPDQGH GȇLQG«SHQGDQFH
d’ERC. Rappelons néanmoins que Jordi Pujol23 (CiU) avait passé un pacte
DYHF OH 3DUWL SRSXODLUH HQ  DȴQ TXH -RV« 0DU¯D $]QDU SU«VLGHQW
entre 1996 et 2004) puisse être investi en tant que président du gouver-
QHPHQWFHQWUDO0DLV¢FHWWH«SRTXHO¢OD&L8QȇDYDLWDXFXQHSU«WHQWLRQ
indépendantiste.
/H VWDWXW GH  IXW mXQH ĕXYUH FROOHFWLYH} FRPPH OȇLOOXVWUHQW
FHV PRWV «FULWV SDU 3DVTXDO 0DUDJDOO WLU«V GH OȇLQWURGXFWLRQ GX WH[WH
« Nous avons démontré une fois encore que la Catalogne est forte
lorsque nous les Catalans exprimons librement notre volonté. Nous
avons écrit une page de notre histoire ». Malgré le vote du peuple cata-
ODQOH3DUWLSRSXODLUHSU«VHQWDXQUHFRXUVGȇLQFRQVWLWXWLRQQDOLW«¢OȇHQ-
contre du nouveau statut à propos de 114 articles et de 12 dispositions24.

šJordi Pujol avoua le 25 juillet 2014, après des fuites dans la presse qu’il ne pouvait plus
cacher, qu’il avait fraudé le fisc au moins pendant 34 ans, concernant la prétendue fortune qu’il
avait reçue de son père, qu’il avait transmise à ses sept enfants et gardée en Andorre.
šRecours du Parti populaire présenté au Tribunal constitutionnel le 31 juillet 2006, admis le
UGRVGODTGškRGEWTUQFGKPEQPUVKVWEKQPCNKFCFPyGPTGNCEKȕPEQPFKXGTUQU
preceptos de la Ley OTIȄPKECFGFGLWNKQFGTGHQTOCFGNEstatuto de autonomía de
CCVCNWȓCzBoletín Oficial del Estado, n° 241, 9 octobre 2006, Madrid.

142
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

/H VRFLDOLVWH (QULTXH 0¼JLFD +HU]RJ G«IHQVHXU GX SHXSOH GX MXLQ
DXMXLQ SU«VHQWDOXLDXVVLXQUHFRXUVDXSUªVGX7ULEXQDO
constitutionnel concernant 109 articles et 4 dispositions25. Le Tribunal
FRQVWLWXWLRQQHOSURQRQ©DVRQMXJHPHQWELHQSOXVWDUGOHMXLQ
UHPHWWDQWHQFDXVHDUWLFOHVVHXOHPHQWPDLVOHVSOXVHPEO«PDWLTXHV
¢ SURSRV GH OD ODQJXH GH OD QRWLRQ GH QDWLRQ HW GX SDFWH ȴVFDO HQWUH
autres. C’est cette décision du Tribunal constitutionnel qui déclencha la
grande manifestation du 10 juillet 2010 dont le slogan « Nous sommes
XQHQDWLRQQRXVG«FLGRQV} (Som una nació, nosaltres decidim UHWHQ-
tit dans les rues de Barcelone26. Des manifestations massives se sont
répétées chaque année depuis lors à l’occasion de la fête nationale de la
&DWDORJQHOD DiadaOHVHSWHPEUH
Rappelons pour terminer que quelques mois après le vote du nou-
YHDX VWDWXW GHV «OHFWLRQV U«JLRQDOHV DQWLFLS«HV RQW G½ ¬WUH RUJDQLV«HV
pour légitimer à nouveau le gouvernement catalan dans le contexte
de l’adoption du statut ; des élections qui furent remportée par le PSC.
C’est ainsi que José Montilla27TXLDYDLW«W«PLQLVWUHGHOȇ,QGXVWULHGX
Tourisme et du Commerce (du 18 avril 2004 au 8 septembre 2006) du
SUHPLHU JRXYHUQHPHQW GH -RV« /X¯V 5RGU¯JXH] =DSDWHUR IXW «OX SU«-
sident de la GeneralitatIRQFWLRQTXȇLODRFFXS«GXQRYHPEUHDX
G«FHPEUH(QSU«YLVLRQGHV«OHFWLRQVDXWRQRPLTXHVFDWDODQHV
José Luís Rodríguez Zapatero avait « demandé à Montilla de quitter le
gouvernement pour se consacrer à ces élections qu’il a donc gagnées ».

LA LANGUE CATALANE COMME SYMBOLE


D’IDENTITÉ ET DE COHÉSION SOCIALE
Le nationalisme catalan s’est construit avec presque les mêmes
SDUDPªWUHVTXHOHVQDWLRQDOLVPHVGȇ‹WDWWHUULWRLUHODQJXHHWLGHQWLW«,O
DFRQVWUXLWFRPPHQRXVOȇDYRQVUDSSHO«XQLPDJLQDLUHFROOHFWLIDXWRXU

šRGEQWTU Po RTȌUGPVȌ NG UGRVGODTG GV CFOKU NG QEVQDTGš kRecursos de
KPEQPUVKVWEKQPCNKFCF Py  GP TGNCEKȕP EQP FKXGTUQU RTGEGRVQU FG NC Ley OTIȄPKEC
FGFGLWNKQFGTGHQTOCFGNEstatuto de autonomía de CCVCNWȓCzBoletín Oficial del
Estado Po  Madrid. Voir sur les recours José Carlos HƫƷƷƫƷƧƸ, « Le statut
des langues de l’EURCIPG FCPU NGU PQWXGCWZ ūUVCVWVU FŨCWVQPQOKGŬz La linguistique, n° 

šIl s’agit de la deuxième manifestation massive après celle de la transition en 1977 avec le
slogan « Liberté, amnistie et Statut d’autonomie ».
šMontilla, né à I\PȄLCTFCPUNCRTQXKPEGFGCordoue, a été maire de Cornellà, une ville près de
Barcelone, dont la proportion de personnes nées en APFCNQWUKG OKITCVKQPKPVGTPGFGUCPPȌGU
soixante) était très importante.

143
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

de ces trois éléments. La « question de la langue » est devenue un des


symboles de l’identité catalane28. Rappelons que parmi les compétences
des communautés autonomes se trouvent l’éducation et la politique
OLQJXLVWLTXH6XUFHSRLQW¢QRXYHDXOD&DWDORJQHQȇHVWSDVGLII«UHQWH
des autres communautés. Si l’on compare le statut d’autonomie de
DYHFFHOXLGHLOQȇ\DHQHIIHWSDVGHJUDQGHGLII«UHQFHVLFH
n’est la désignation retenue pour les langues autres que le castillan. En
HIIHWOHWHUPHODUJHPHQWG«EDWWXGHmODQJXHSURSUH}IXWDFFHSW«HWOHV
ODQJXHV GHV WURLV mQDWLRQDOLW«V KLVWRULTXHV} OH FDWDODQ OH EDVTXH HW
OHJDOLFLHQVHYLUHQWDWWULEXHUOHVWDWXWGHODQJXHVFRRɚFLHOOHV6LOȇRQ
FRPSDUHPDLQWHQDQWOHVWDWXWGȇDXWRQRPLHGHDYHFFHOXLGH
on observe un traitement différencié du castillan et du catalan. Dans la
FRQVWLWXWLRQGHRQSULYLO«JLHOHFDVWLOODQFDULOHVWODVHXOHODQJXH
GHOȇ‹WDWHVSDJQRORɚFLHOOHVXUOȇHQVHPEOHGXWHUULWRLUH/HVWDWXWFDWD-
ODQGHGDQVVRQDUWLFOHFRQVLGªUHOXLTXHODODQJXHFDWDODQH
HVWODODQJXHGHVDGPLQLVWUDWLRQVSXEOLTXHVODODQJXHY«KLFXODLUHHWOD
langue des apprentissages de l’enseignement en Catalogne. L’article 6.2
précise que les citoyens de la Catalogne ont le droit d’employer aussi
ELHQ OH FDWDODQ TXH OH FDVWLOODQ HW OȇRQ QH SHXW SDV OHV GLVFULPLQHU ¢
cause de la langue.
La politique dite de « normalisation linguistique » de la Generalitat
¢Oȇ«JDUGGHODODQJXHFDWDODQHVȇHVWPLVHHQSODFH¢SDUWLUGHDȴQ
de normaliser l’usage de cette langue. L’action de normaliser consiste à
mettre en place un ensemble de lois et de textes juridiques permettant
GȇDVVXUHUODVWDELOLW«GȇXQHODQJXH8QERQH[HPSOHHQHVWOH4X«EHFR»
OȇRQSDUOHGȇDP«QDJHPHQWOLQJXLVWLTXH(QGȇDXWUHVWHUPHVLOVȇDJLWGH
U«RUJDQLVHUOHVIRQFWLRQVGȇXQHODQJXHPLQRULV«HHWPLQRU«HDȴQTXȇHOOH
SXLVVH ¬WUH XWLOLV«H GDQV WRXV OHV GRPDLQHV /HV WHQVLRQV HQWUH Oȇ‹WDW
central et les communautés autonomes peuvent être mises en évidence
DXQLYHDXOLQJXLVWLTXHFRPPH1LQ\ROHVOȇDVRXOLJQ«29(QHIIHWOHVGLII«-
rences deviennent politiques et peuvent coïncider avec d’autres lignes
de tension. La langue ou la « question de la langue » est ainsi instrumen-
WDOLV«H QRWDPPHQW SDU OHV SROLWLFLHQV ORUV GHV «OHFWLRQV FRPPH QRXV

šLe lecteur peut consulter Mercè PƺưƵƲBƫƷƩƮʤ, « PQNȐVKECNKPIȜȐUVKECšNGPIWCEWNVWTCGKFGP


tidad. El ejemplo de CCVCNWȓCz Amnis. Revue de civilisation contemporaine Europe/Amériques,
=JVVRCOPKUTGXWGUQTI?OKUGPNKIPG
le 20 novembre 2013.
šRafael NƯƴƾƵƲƫƸ, « EURCȓC EQOQ RCȐU RNWTKNKPIȜGš Líneas de futuro », dans Albert
BƧƸƹƧƷƪƧƸ et Emili BƵƯƖ FKT ¿UQHVWDGRXQDOHQJXD̰"La organización política de la diversidad
lingüística, Barcelone, OEVCGFTQR

144
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

l’avons mis en évidence dans différents travaux30. La politique linguis-


tique concerne aussi la relation entre langue et pouvoir31. On voit bien
ces tensions : au XIXeVLªFOHDYHFOȇLQFDSDFLW«GHOȇ‹WDW¢PHWWUHHQSODFH
XQSURMHWQDWLRQDOLQFOXVLISXLVSHQGDQWODU«GDFWLRQGHODFRQVWLWXWLRQ
avec le « café pour tous » visant à ne pas introduire de traitement diffé-
UHQFL«SDUPLOHVFRPPXQDXW«VDXWRQRPHVHQDYHFODU«IRUPHGHV
statuts d’autonomie et actuellement avec le débat autour de la réforme
de la constitution et de la demande d’indépendance de la Catalogne.
4XHOTXHV PRWV VXU OD SROLWLTXH OLQJXLVWLTXH GH OD Generalitat.
'ȇDSUªV,VLGRU0DU¯LOHVWSRVVLEOHGHGLVWLQJXHUTXDWUHS«ULRGHV32. La
première est celle de la « normalisation » (depuis la transition jusqu’à
ODȴQGHVDQQ«HV ODGHX[LªPHHVWFHOOHGHODSODQLȴFDWLRQDYHF
OHmSODQJ«Q«UDOGHQRUPDOLVDWLRQOLQJXLVWLTXHGH} GHSXLVODȴQ
GHV DQQ«HV  MXVTXȇDX[ DQQ«HV   OD WURLVLªPH HVW FHOOH GH OD
PLVHHQSODFHGHODmQRXYHOOHORL}GH ȴQGHVDQQ«HVG«EXW
  HQȴQ OD GHUQLªUH HVW FHOOH GH OD mVRXWHQDELOLW« OLQJXLVWLTXH}
FDUDFW«ULV«H SDU OD JHVWLRQ GH OD GLYHUVLW« $FWXHOOHPHQW OD SROLWLTXH
OLQJXLVWLTXH HVW RUJDQLV«H GH PDQLªUH WUDQVYHUVDOH HQ LQFOXDQW XQ
WUDYDLO FRQMRLQW HQWUH OHV DGPLQLVWUDWLRQV HW OHV VHFWHXUV SULY«V HW OD
représentation de la langue catalane et de la Catalogne au niveau
européen et à l’Unesco. Pendant ces quarante ans de démocratie et de
politique linguistique il y a une constante : indépendamment de la cou-
OHXU SROLWLTXH GHV SDUWLV DX SRXYRLU ¢ OD ODQJXH QȇD FHVV« Gȇ¬WUH OȇXQ
GHVV\PEROHVGHOȇLGHQWLW«FDWDODQHGHP¬PHTXȇXQRXWLOGHFRK«VLRQ
sociale et d’inclusion33.

šSur l’utilisation des langues à des fins politiques pendant les élections voir Mercè PƺưƵƲ
BƫƷƩƮʤ, « UPG OCPKRWNCVKQP UWDVKNGš Les propositions concernant les langues pendant la
campagne électorale espagnole », dans José Carlos DƫHƵƾƵƸ et MCTKGHélène PʣƷƫƴƴƫƩ FKT 
Langue et manipulation, SCKPVÉtienne, Presses universitaires de SCKPVÉVKGPPG  R
et Mercè PƺưƵƲBƫƷƩƮʤ, « LCEWGUVKȕPNKPIȜȐUVKECGPNCECORCȓCGNGEVQTCNGURCȓQNCFG
y su transposición en los periódicos ABC y El País », dans Christian LƧƭƧƷƪƫ FKT Le discours
sur les « langues d’Espagne »/El Discurso sobre las « lenguas españolas », (1978-2008), Perpignan,
Presses universitaires de PGTRKIPCP  R Sur l’usage que les personnalités
politiques font des termes sociolinguistiques, voir Mercè PƺưƵƲ BƫƷƩƮʤ, « Langue, nation et
PCVKQPCNKVȌUšUs et abus de notions sociolinguistiques par les politiques », dans Henri BƵƾƫƷ
FKT  Colloque IQWHUQDWLRQDO̰ Pour une épistémologie de la sociolinguistique, Limoges, LCODGTV
LWECUR
šJosé Carlos MƵƷƫƴƵ CƧƨƷƫƷƧ, El nacionalismo lingüístico. Una ideología destructiva,
Barcelone, Península, 2008.
šIsidor MƧƷƯ, « DGNCPQTOCNKV\CEKȕCNCUQUVGPKDKNKVCVšGNUNȐOKVUFGNCRNCPKHKECEKȕFGNŨGUVC
tus », Treballs de Sociolingüística catalana, PoR
š+ORQUUKDNGFGPGRCUTCRRGNGTSWGNGPP veut des écoles séparées selon la langue, quelque
chose qu’il demande sans cesse par exemple aux Îles Baléares où il a gouverné pendant des
années.

145
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

/D&DWDORJQHDWRXMRXUV«W«XQHU«JLRQGȇDFFXHLOGHPLJUDQWVHWDWRX-
jours veillé à leur insertion : il s’est agi d’abord de migrants originaires de
0XUFLH DX G«EXW GH OȇLQGXVWULDOLVDWLRQ  SXLV HQ SURYHQDQFH VXUWRXW GH
Oȇ$QGDORXVLH GDQVOHVDQQ«HV HWHQȴQLVVXVGHODQRXYHOOHLPPL-
gration internationale (depuis les années 1990). Pour illustrer le souci
GȇLQFOXVLRQGHVQRXYHDX[YHQXVGDQVODSRSXODWLRQPHQWLRQQRQVOH3ODQ
SRXUODODQJXHHWODFRK«VLRQVRFLDOHGHSXLVOH3DFWHQDWLRQDO
SRXUOȇLPPLJUDWLRQHQR»OȇXQGHVSRLQWVUHFRQQXVOHVSOXVLPSRU-
tants est la cohésion sociale et la participation de tous à la société34. Sur
FHV FKDSLWUHV OHV SURSRVLWLRQV «PLVHV SDU 3DVTXDO 0DUDJDOO DYDQW TXȇLO
devienne président de la Generalitat HQ  IXUHQW UHSULVHV ¢ VDYRLU
TXHOD&DWDORJQHGHYDLWWUDYDLOOHUSRXUOȇLPPLJUDWLRQSRXUVDSODFHGDQV
l’Union européenne et pour les droits civiques et sociaux de tous. Un
travail à l’international que l’on constate aussi au sein du mouvement
indépendantiste. Rappelons également que la Generalitat possède des
G«O«JDWLRQVHQWUHDXWUHVSRXUOD)UDQFHHWOD6XLVVHGRQWOHVLªJHHVW¢
3DULVDXSUªVGHOȇ8QLRQHXURS«HQQHOHVLªJH«WDQW¢%UX[HOOHVHWHQȴQ
DX[‹WDWV8QLVGRQWOHVVLªJHVVRQW¢:DVKLQJWRQHW¢1HZ<RUN

LA PLACE DES CONTESTATIONS : LA VOIX DU PEUPLE


S’il est vrai que le détonateur des contestations massives a été
l’appréciation du Tribunal constitutionnel sur le caractère anti-
FRQVWLWXWLRQQHO GH SOXVLHXUV DUWLFOHV GX VWDWXW GȇDXWRQRPLH GH 
il me semble que le « malaise » a commencé à prendre corps lors
des discussions à propos dudit statut. Nous avons égrené plus haut
TXHOTXHV «O«PHQWV GHV GLVFXVVLRQV GH OD FODVVH SROLWLTXH PDLV LO IDXW
DXVVLSDUOHUGHVJHQV(QHIIHWFȇHVWHQTXHODSODWHIRUPHmGURLW
¢G«FLGHU}DYXOHMRXU(OOHD«W««WDEOLHSDUHQWLW«VPXQLFLSD-
OLW«VHWSHUVRQQHVHQU«SRQVH¢ODQRQUHFRQQDLVVDQFHSDUOȇ‹WDW
de la Generalitat FRPPH VXMHW MXULGLTXH (Q HIIHW DSUªV OH YRWH GX
VWDWXWSDUOHSDUOHPHQWFDWDODQHQFHWH[WHHVWSDUWLDX&RQJUªV
HW O¢ FRPPH QRXV OȇDYRQV PHQWLRQQ« SOXV KDXW XQH PXOWLWXGH GH
PRGLȴFDWLRQV RQW «W« DSSRUW«HV 3RXU IDLUH «WDW GX P«FRQWHQWHPHQW

šNous avons écrit sur l’intégration sociolinguistique des migrants en Catalogne. Voir par
exemple Mercè PƺưƵƲ BƫƷƩƮʤ, « Contribution de l’immigration à la richesse linguistique et
culturelle de l’EURCIPGšTȌHNGZKQPUCWVQWTFGNŨKPVȌITCVKQPUQEKQNKPIWKUVKSWGzFCPUMCTKGClaude
CƮƧǞƺƹ, María Luisa PƫʫƧƲƻƧ et Bruno TƺƷ FKT  Regards, Po  R GV Mercè
PƺưƵƲ BƫƷƩƮʤ, « Immigració i integració sociolingüística a Catalunya », Actes du Colloque
international de l’Association rrançaise des catalanistes et de l’université Paris Ouest Nanterre La
Défense, Limoges, LCODGTVLucas, 2015.

146
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

SRSXODLUH OD SODWHIRUPH D FRQYRTX« XQH PDQLIHVWDWLRQ OH I«YULHU


SXLVXQHDXWUHHQ2QSDVVHDORUVGHVIRUFHVSROLWLTXHV¢XQ
PRXYHPHQW WUDQVYHUVDO GH OD VRFL«W« &ȇHVW O¢ QRXV VHPEOHWLO TXȇLO
faut placer le « début du début » de toutes les manifestations qui vont
suivre à cause de la décision du Tribunal constitutionnel adoptée en
juillet 2010. La société civile va alors s’organiser : les consultations
SRSXODLUHV YRQW FRPPHQFHU XQH HQWLW« FLYLTXH HW FXOWXUHOOH FRPPH
Òmnium Cultural35 jouera un rôle important en tant qu’organisatrice
GXPRXYHPHQWOȇ$VVHPEO«HQDWLRQDOHFDWDODQH $1& VHUDFU««HHWOD
consultation du 9 novembre 2014 aura lieu.
6L WHO HVW OH FRQWH[WH FDWDODQ LO QH IDXW SDV RXEOLHU TXȇLO VȇLQVªUH
GDQVOHFRQWH[WHHVSDJQROGHODEXOOHLPPRELOLªUHGHSURYRTXDQW
OD FULVH «FRQRPLTXH TXL «FODWH DYHF IRUFH TXRLTXH QL«H SDU -RV« /X¯V
Rodríguez Zapatero qui ne prend pas les mesures adéquates. La société
civile continue de s’organiser : la « Plateforme des affectés par l’hypo-
WKªTXH}YRLWOHMRXUHQDYHF$GD&RODX¢VDW¬WHm-HXQHVVHVDQV
IXWXU} QD°W HQ I«YULHU OH m0RXYHPHQW GHV LQGLJQ«V} HQ PDL
GH OD P¬PH DQQ«H SXLV WRXWHV OHV mPDU«HV} HW ELHQ V½U OH FROOHFWLI
m'«PRFUDWLH U«HOOH PDLQWHQDQW} WRXMRXUV HQ  0DULDQR 5DMR\
arrivant au pouvoir en décembre 2011 prend une série de mesures
GȇDXVW«ULW« FRPPH LO OȇDYDLW SURPLV SHQGDQW VD FDPSDJQH «OHFWRUDOH
/HV FULVHV QH IRQW TXH VȇDJJUDYHU FULVH «FRQRPLTXH PDLV «JDOHPHQW
FULVHG«PRFUDWLTXHFULVHGHOȇ‹WDWSURYLGHQFHHWFULVHGHOȇ‹WDWQDWLRQ
Le début du mouvement actuel pour l’indépendance de la Catalogne
commence à prendre forme lors de consultations populaires lancées à
OȇLQLWLDWLYHGȇXQHIHPPH(OLVHQGD3DOX]L«¢$UHQ\VGH0XQWXQYLOODJH
VLWX«DXQRUGGH%DUFHORQHOHVHSWHPEUH/RUVGȇXQHFRQVXOWD-
WLRQV\PEROLTXHGHODSRSXODWLRQ¤J«HGHSOXVGHVHL]HDQVYRWH
sur le futur de la Catalogne. La question posée : « Êtes-vous d’accord
SRXU TXH OD QDWLRQ FDWDODQH GHYLHQQH XQ ‹WDW GH GURLW LQG«SHQGDQW
G«PRFUDWLTXHHWVRFLDOLQW«JU«H¢Oȇ8QLRQHXURS«HQQH"}UH©RLW
GHmRXL}HWGHmQRQ}&HWWHFRQVXOWDWLRQDHQVXLWH«W«UHSURGXLWH
GDQVFRPPXQHVHQSXLVGȇDXWUHVPXQLFLSDOLW«VRQWRUJDQLV«
OHP¬PHVFUXWLQHQSXLVHQȃ\FRPSULVGDQVGHVFRPPXQHV
en dehors de la Catalogne comme ce fut le cas d’un village de locuteurs
FDWDODQVGHOD6DUGDLJQH)LQDOHPHQWOHQRYHPEUHHXWOLHXXQH

šÒmnium Cultural GUV WPG GPVKVȌ ECVCNCPG ETȌG GP  EGPUWTȌG RCT Franco entre 1963
et 1967), qui œuvre pour la défense de la langue, la cohésion sociale, la culture, le modèle
d’école catalane, de même qu’en faveur de la projection internationale de l’identité catalane.

147
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

grande consultation populaire organisé par la Generalitat dans l’en-


semble de la Catalogne36TXLHXWFRPPHU«VXOWDWXQmRXL}VDQVDSSHO
Nous y reviendrons.
0DLV OH Y«ULWDEOH «O«PHQW G«FOHQFKHXU IXW FRPPH QRXV OȇDYRQV
LQGLTX« OH UHMHW SDU OH 7ULEXQDO FRQVWLWXWLRQQHO GH SOXVLHXUV DUWLFOHV
du nouveau statut d’autonomie voté par le peuple catalan lors du
référendum du 18 juin 2006. La réponse à cette décision fut donc la
PDQLIHVWDWLRQTXLHXWOLHXOHMXLOOHW¢%DUFHORQHHWTXLIXWOȇDQWL-
FKDPEUHGHFHOOHHQFRUHSOXVPDVVLYHGXVHSWHPEUH37. Sous le
VORJDQm1RXVVRPPHVXQHQDWLRQ1RXVG«FLGRQV}FHWWHPDQLIHVWDWLRQ
historique fut organisée par Òmnium Cultural. L’Assemblée nationale
catalane (ANC) incita aussi les citoyens à se mobiliser dans la rue : deux
millions de personnes selon les organisateurs participèrent à ce mouve-
ment social sans précédent38,OVȇHVWDJLGȇXQDFWHFLWR\HQGȇDɚUPDWLRQ
QDWLRQDOHU«FODPDQWOHUHVSHFWGHOȇLGHQWLW«FDWDODQHHWODFU«DWLRQGȇXQ
QRXYHO ‹WDW WRXUQ« YHUV Oȇ(XURSH VRXV OHV VORJDQV m/D &DWDORJQH XQ
QRXYHO‹WDWHXURS«HQ}m,QG«SHQGDQFH}HWm/ȇLQG«SHQGDQFHVROXWLRQ
pour la Catalogne ».
3RXU FRPSUHQGUH FHW «ODQ LQG«SHQGDQWLVWH LO IDXW VȇDUU¬WHU VXU OD
FU«DWLRQGHOȇ$1&OHPDUVVXUODEDVHGXWUDYDLODFFRPSOLSDU
les assemblées territoriales39. Cette organisation eut pour embryon la
&RQI«UHQFHQDWLRQDOHSRXUXQ‹WDWSURSUHU«XQLHDXSDODLVGHVFRQJUªV
de Barcelone le 30 avril 2011 et marquée par l’élection d’un conseil per-
PDQHQWLQFOXDQWLQWHOOHFWXHOV«FULYDLQVDUWLVWHVHWGHVSHUVRQQDOLW«VGH
la société civile. L’ANC se considère comme une deuxième chambre du
SHXSOHFDWDODQVRXYHUDLQHHWFRQVWLWX«HSDUODVRFL«W«FLYLOH40. Il s’agit

šLa présidence de la Generalitat via le Secrétariat aux Affaires étrangères et à l’Union euro
péenne, a organisé l’inscription au « Registre des Catalanes et Catalans résidant à l’extérieur »,
et ces Catalans ont pu voter dans différentes capitales du monde.
šIl est important de mentionner que depuis les manifestations massives de 2003 contre la
guerre d’ITCM CXGENGParti populaire au pouvoir), on considère ces manifestations comme étant
planétaires à cause du nombre de manifestants, du nombre de villes où elles ont eu lieu et du
retentissement médiatique qu’elles ont reçu.
šLes chiffres de manifestants sont toujours sujets à des controverses. La police estima
CKPUKNGPQODTGFGOCPKHGUVCPVUȃššGVNGSWQVKFKGPEl PaísȃšMais la plupart
des observateurs s’accordèrent pour dire que plus d’un million de personnes participèrent, un
chiffre historique, cf. « ENKPFGRGPFGPVKUOQECVCNȄPNQITCWPCJKUVȕTKECGZJKDKEKȕPFGHWGT\Cz
El País, 11 septembre 2012.
šIl faut, à notre avis, situer l’ANC sur la même ligne que l’assemblée de Catalogne consti
tuée à la fin du franquisme, le 7 novembre 1971, par des syndicats, organisations sociales et
secteurs progressistes de l’église. Elle a été dissoute suite à la création de l’assemblée des
parlementaires.
šPQWTRNWUFŨKPHQTOCVKQPUXQKTUQPUKVGKPVGTPGV=JVVRCUUGODNGCECV?

148
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

d’un mouvement citoyen (hommes et femmes libres avec des droits) et


souverain (autorité suprême). Elle a été présentée à l’université auto-
QRPH GH %DUFHORQH SDU 0´QLFD 7HUULEDV HW VRQ SªUH -DXPH 7HUULEDV
ainsi que par Joan Manuel Tresserras41'HSXLVODUHOªYHP«GLDWLTXHD
été constante.
Une nouvelle étape commença le 7 mars 2013 lorsque Òmnium
Cultural Oȇ$1& HW OȇAssociació de Municipis per la independència
(Association des municipalités pour l’indépendance) avec onze autres
organisations souverainistes créèrent le site El clauerYLVDQW¢IRXUQLUGHV
arguments rassurants et positifs sur les conséquences de l’indépendance
et chargé d’expliquer aux citoyens les perspectives possibles à propos
GHV LQVWLWXWLRQV GH JRXYHUQHPHQW FRQFHUQDQW OH VWDWXW GH OD &DWDORJQH
GDQVOHPRQGHOHVGURLWVHWODFLWR\HQQHW«ODJHVWLRQGHOȇDUJHQWSXEOLF
l’immigration et un ensemble le plus large possible d’enjeux politiques et
sociaux423XLVORUVGHODDiada VXLYDQWHOHVHSWHPEUHODPDQL-
festation fut organisée autour de la « Via catalana » : une chaîne humaine
de 400 km traversa symboliquement toute la communauté autonome.
Via catalana IDLWDOOXVLRQ¢OȇH[SUHVVLRQm)HU9LD}m)HUOD9LD43 » tirée
GȇXQ FODVVLTXH GH OD OLWW«UDWXUH FDWDODQH GX 0R\HQ „JH Tirant lo Blanc
GH-RDQRW0DUWRUHOO,OVȇDJLVVDLWGHWLUHUXQȴOFRQGXFWHXUHQWUHOHSDVV«
HWOHSU«VHQWGHFU«HUHWUHFU«HUOȇLPDJLQDLUHFROOHFWLIVRXVXQDQJOHKLV-
torique et mémoriel. On attendait aussi de cette action très largement
médiatisée une visibilité internationale accrue (avec des rassemblements
FRQFRPLWDQWV ¢ 3DULV /RQGUHVHWF  GH OȇLG«H GȇXQH &DWDORJQH LQG«SHQ-
GDQWH(QȴQODPDQLIHVWDWLRQGXVHSWHPEUHGRQWOȇREMHFWLI«WDLW
GȇDWWLUHUHQFRUHSOXVGHPRQGHTXHOHVDQQ«HVSU«F«GHQWHVHQOLHQDYHF
OHVHIIRUWVIRXUQLVSDU0XULHO&DVDOVHW&DUPH)RUFDGHOOOHVSU«VLGHQWHV
respectives d’Òmnium culturelHWGHOȇ$1&SRXU«ODUJLUODPDMRULW«VRFLDOH

šMònica Terribas est une journaliste très connue en CCVCNQIPGšGNNGHWVNCFKTGEVTKEGIȌPȌTCNG


de la télévision de CCVCNQIPG CXTKN  2TQHGUUGWTG ȃ NŨWPKXGTUKVȌ Pompeu Fabra de
Barcelone, elle possède un doctorat de l’université de RGCFKPI Écosse), sa thèse ayant pour
VKVTGšTHOHYLVLRQQDWLRQDOLGHQWLW\DQGWKHSXEOLFVSKHUH̰DFRPSDUDWLYHVWXG\RIScottish and Catalan
discussion programmes. Jaume Terribas a fondé à Montserrat le parti Convergència Democràtica
de Catalunya  GVJoan Manuel Tresseras fut conseiller pour la culture et la communication
de la Generalitat de Catalogne à l’époque de Montilla.
=JVVRYYYGNENCWGTECV?EQPUWNVȌNGOCTULGUQTICPKUCVKQPUUQPVšCercle català
de negocis, l’associacionisme cultural català, Sobirania i Justícia, Associació catalana de profes-
sionals, Ciemen, Fundació Catalunya Estat, Plataforma per la llengua, Sobirania i Progrès, Collectu
Emma, la Fàbrica et Plataforma pro-Seleccions esportives catalanes.
šDouble sens de l’expression. D’une part, le sens réel « fer via » signifie s’unir à la voie et,
d’autre part, le sens figuré signifie se presser afin d’atteindre un objectif. On doit à Tirant lo
Blanc « fer la via » dans le sens d’aller vers un but.

149
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

IXWRUJDQLV«HVRXVOHVLJQHGXm9}9GH9LFWRLUHPDLVDXVVL9GH9RWH
en faisant directement allusion au référendum du 9 novembre 2014 sur
OȇLQG«SHQGDQFHm9GH9RORQW«GȇXQSHXSOH¢G«FLGHU9GH9DOHXUVGȇXQ
SHXSOH9GH9LHLOOHVUH9HQGLFDWLRQVTXLVRQWWRXMRXUV9LYHV}/DGDWHGX
11 septembre 2014 était de surcroît dotée d’une forte composante sym-
EROLTXH SXLVTXH OȇRQ FRPP«PRUDLW OD G«IDLWH GH %DUFHORQH mDSUªV} OD
SULVHGHODYLOOHSDUOHVSDUWLVDQVGH3KLOLSSHGȇ$QMRXORUVGHODJXHUUHGH
6XFFHVVLRQGȇ(VSDJQHOHVHSWHPEUHBȃFHWWHJXHUUHTXLLQVWDXUD
le pouvoir monarchique des Bourbons.
7RXWHV FHV PDQLIHVWDWLRQV DLQVL TXH GȇDXWUHV DFWLRQV FROOHFWLYHV
locales illustrent le renouveau des mouvements sociaux indépen-
dantistes dans la Catalogne d’aujourd’hui44. Il s’agit de mouvements
FLWR\HQVGHPDVVHUHPHWWDQWHQFDXVHODO«JLWLPLW«GHOȇ‹WDWFHQWUDOGDQV
XQH U«JLRQ OD &DWDORJQH PDLV DYHF GHV U«SHUFXVVLRQV JOREDOHV SURȴ-
tables à d’autres mouvements indépendantistes comme ceux d’Irlande
RX Gȇ‹FRVVH TXL RQW HX[P¬PHV GHV U«SHUFXVVLRQV VXU OD FRQVWUXFWLRQ
GH Oȇ8QLRQ HXURS«HQQH &RPPH OH VLJQDOH OȇKLVWRULHQ -RVHS )RQWDQD
certains secteurs de la société catalane considèrent que le pacte de
 HVW GHYHQX FDGXF HW TXH OD &DWDORJQH GHPHXUH SHU©XH
par le gouvernement central comme une province de la couronne de
Castille45‚QRWUHDYLVFȇHVW¢SDUWLUGHFHWWHLQWUDQVLJHDQFHGXJRXYHU-
QHPHQWFHQWUDOFRPPHGXFRQWH[WHGHOȇ«PHUJHQFHGXPRXYHPHQWGHV
LQGLJQ«V GX m0} GHSXLV  GHV m1RY¯VLPRV} RX GH OD Spanish
Revolution46 TXȇLO IDXW FRQVLG«UHU HW DQDO\VHU OD GHPDQGH GȇLQG«SHQ-
dance des Catalans47.

šLGNGEVGWTRGWVEQPUWNVGTWPGDKDNKQITCRJKGFȌLȃKORQTVCPVGUWTNGUOQWXGOGPVUUQEKCWZš
Donatella DƫƲƲƧPƵƷƹƧ et Mario DƯƧƴƯSocial MRXYHPHQWV̰DQLQWURGXFWLRQ, Londres, BNCEMYGNN
š Enric PƷƧƹ FKT  Els moviments socials a la Catalunya contemporània, Barcelone,
Publicacions i edicions de la Universitat de BCTEGNQPC š Benjamín TƫưƫƷƯƴƧ MƵƴƹƧʫƧ,
LD VRFLHGDG LPDJLQDGD̰ PRYLPLHQWRV VRFLDOHV \ FDPELR FXOWXUDO HQ España. Madrid, Trotta,
š Manuel CƧƸƹƫƲƲƸ, RHGHVGHLQGLJQDFLµQ \HVSHUDQ]D̰ORVPRYLPLHQWRVVRFLDOHVHQODHUD
de Internet, Madrid, ANKCP\C GFKVQTKCN š Josep FƵƴƹƧƴƧ, EO IXWXUR HV XQ SD¯V H[WUD³R̰ XQD
reflexión sobre la crisis social de comienzos del siglo XXI, Barcelone, Pasado & Presente, 2013.
šJosep FƵƴƹƧƴƧ, op. cit., 2013. Voir de même Josep FƵƴƹƧƴƧ, « Espanya i CCVCNWP[Cš
VTGUEGPVUCP[UFŨJKUVȔTKCzLeçon inaugurale du Simposi Espanya contra CDWDOXQ\D̰XQDPLUDGD
histórica, Barcelone, Institut d’Estudis CCVCNCPUOKUGPNKIPGNGFȌEGODTG=JVVRYYY
[QWVWDGEQOYCVEJ!XTYOHM4ysc], consulté le 23 de mars 2014.
šFrancisco FƫƷƴʜƴƪƫƿ MƵƷƫƴƵ Spanish Revolution. Ensayo sobre los lenguajes indignados,
Madrid, UnoyCero ediciones, 2013.
šLa composition du Parlement catalan depuis les élections du 10 décembre qui ont porté
Artur Mas à la présidence de la Generalitat de CCVCNQIPGGUVNCUWKXCPVGšUKȋIGURQWTCiU, 28
pour le PSC, 18 pour le PPC, 10 pour ERC, 10 pour ICVEUiA, 4 pour SI Solidarité catalane pour
l’Indépendance) et 3 pour CŨU Citoyens).

150
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

(QHIIHWLOHVWHVVHQWLHOGHVRXOLJQHUTXHFHVSURWHVWDWLRQVVXUJLVVHQW
HQ (VSDJQH GDQV XQ FRQWH[WH R» OHV (VSDJQROV \ FRPSULV GRQF OHV
Catalans) sont très mécontents des politiques menées par les différents
SDUWLV SROLWLTXHV GHV VDXYHWDJHV ȴQDQFLHUV DFFRUG«V DX[ EDQTXHV DX
G«WULPHQWGHVSHUVRQQHVGHVVFDQGDOHVGHFRUUXSWLRQLQVWLWXWLRQQHOOH
qui touchent tous les partis politiques y compris la Couronne (la sœur
GHOȇDFWXHOURL)HOLSH9,&ULVWLQDGH%RUEµQHVWWRXMRXUVLQFXOS«H /HV
(VSDJQROVVHUHQGHQWFRPSWHTXHOHVSROLWLTXHVQHOHVUHSU«VHQWHQWSDV
qu’il y a un abîme de plus en plus profond entre les gens et leurs repré-
sentants. La démocratie est en crise. Comme Javier de Lucas le fait
UHPDUTXHU¢MXVWHWLWUHOHSUREOªPHGHODVRFL«W«HVSDJQROHHVWQRQVHX-
lement la crise économique (utilisée souvent aussi comme une excuse
SRXU QH SDV DERUGHU GȇDXWUHV VXMHWV SUREDEOHPHQW SOXV LPSRUWDQWV 
PDLV OD FULVH GH OD G«PRFUDWLH HW OD P«ȴDQFH GHV (VSDJQROV ¢ Oȇ«JDUG
GHVSROLWLTXHVTXLQȇRQWSDVVXSXRXYRXOXVȇDGDSWHUDXQRXYHOHVSDFH
VRFLDO FXOWXUHO SROLWLTXH HW «FRQRPLTXH GH OD PRQGLDOLVDWLRQ48. Pour
FHSURIHVVHXUGHGURLWFRQVWLWXWLRQQHOmOHPRGªOHGHFLWR\HQ FRQVRP-
mateur de voix) du Parti populaire c’est la majorité silencieuse ». Face
à une politique économique qui favorise les banques et qui paupérise
GHSOXVHQSOXVOHVJHQVFHVPRXYHPHQWVVRFLDX[GHPDQGHQWGHVFKDQ-
JHPHQWV SURIRQGV 3RXU OD &DWDORJQH FHOD VȇH[SULPH GDQV OD PDQLªUH
GRQWOȇ$1&SRXVVH¢SDUWLUGHODEDVHOHVSROLWLFLHQV¢DJLUSRXUTXȇLOV
RUJDQLVHQW XQ U«I«UHQGXP m5HJDUGH] OH SHXSOH TXL HVW O¢ GHKRUV
OXL LO D IDLW XQ SDV PDLQWHQDQW FȇHVW DX JRXYHUQHPHQW GH OH IDLUH HW
TXȇLOVDLWTXHVȇLOOHIDLWQRXVVHURQV¢VRQF¶W«‹FRXWH]ODFODPHXUGX
peuple49. »
(Q U«VXP« OHV FRQWHVWDWLRQV VXUJLVVHQW GDQV XQ FRQWH[WH VRFLDO
GHFULVHFULVH«FRQRPLTXH FK¶PDJHLQFDSDFLW«¢FU«HUGHOȇHPSORL 
FULVH G«PRFUDWLTXH P«ȴDQFH GHV JHQV ¢ Oȇ«JDUG GH OHXUV «OXV  FRU-
UXSWLRQ LQVWLWXWLRQQHOOH  FULVH GH Oȇ‹WDWSURYLGHQFH SULYDWLVDWLRQ GH
ODVDQW«HWGHOȇ«GXFDWLRQ¤JHGHODUHWUDLWHSOXVWDUGLI GHOȇ‹WDWGHV
DXWRQRPLHV U«IRUPH GHV VWDWXWV U«IRUPH GH OD FRQVWLWXWLRQ  )DFH ¢
FHPDUDVPHVXUJLWODYRL[GHODFLWR\HQQHW«TXȇLQFDUQHQWOHVPRXYH-
PHQWVVRFLDX[DYHFOHXUVUHYHQGLFDWLRQVOHXUVPRGHVGHIRQFWLRQQH-
PHQWOHXUVVWUDW«JLHVGȇDFWLRQDOODQWGHOȇDFWLRQFROOHFWLYH¢ODFRQQHF-
WLYLW«GDQVOHFRQWH[WHSOXVJOREDOGHODPRQGLDOLVDWLRQGX XXIe siècle

šJavier Dƫ LƺƩƧƸ « Crisis de la democracia, ciudadanía, desobediencia », conférence


plénière prononcée dans le cadre du Congreso Internacional Nuestro Patrimonio CRP¼Q̰
Movimientos sociales, université de Cadix, 20 mai 2013.
šActes du secrétariat national du 8 septembre 2012.

151
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

DYHFVHVFDUDFW«ULVWLTXHVODUDSLGLW«OHVQRXYHOOHVWHFKQRORJLHVHWOHV
réseaux sociaux.

LE MOUVEMENT VERS L’INDÉPENDANCE


ET LA CONSULTATION DU 9 NOVEMBRE 2014
Les deux collectifs qui ont pris en charge les actions vers l’indépen-
dance sont Òmnium Cultural et l’ANC. Le premier est une entité culturelle
TXL H[LVWH GHSXLV  WUDYDLOOH SRXU OD FXOWXUH FDWDODQH DX VHQV ODUJH
GXWHUPHHWGHSXLVOȇDXWRPQHVHG«FODUHRXYHUWHPHQWSRXUOȇLQG«-
SHQGDQFH/DP¬PHDQQ«HLODUH©XODP«GDLOOHGȇKRQQHXUGXSDUOHPHQW
catalan pour l’œuvre réalisée pendant toutes ces années d’existence.
/ȇHQWLW« PªQH GLII«UHQWHV DFWLRQV GDQV FH VHQV GRQW XQH LQWLWXO«H m8Q
pays normal » SRXUIDLUHDOOXVLRQ¢ODQ«FHVVLW«Gȇ¬WUHXQ‹WDWGLII«UHQW
GHFHOXLGHOȇ(VSDJQH&HUWDLQHVDFWLRQVVRQWHQUDSSRUWDYHFODmQDWLRQ}
P¬PHFHOOHGHSHQGDQWODWUDQVLWLRQm$SSHO¢ODVROLGDULW«ODQJXH
FXOWXUHHWQDWLRQVFDWDODQHV}  m)UHHGRPIRU&DWDORQLD}SHQGDQW
OHV MHX[ 2O\PSLTXHV GH %DUFHORQH   m)UHH &DWDORQLD} SHQGDQW OH
)RUXP GHV FXOWXUHV DSUªV OHV MHX[   m'LJQLW« QDWLRQDOH}  
« Ensemble pour la Catalogne » après les recours déposés auprès du
7ULEXQDO FRQVWLWXWLRQQHO   m1RXV VRPPHV XQH QDWLRQ QRXV G«FL-
GRQV} PDQLIHVWDWLRQ GH MXLOOHW   m&RQVWUXLVRQV WRXV XQ QRXYHO
‹WDWGȇ(XURSH}m)HXLOOHGHURXWH}  m/D6DQW-RUGLURVHOLYUHHW
Ȋ(VWHODGDȋVXUOHVEDOFRQV}  m4XHVWLRQVGȇ‹WDWU«ȵH[LRQV¢SURSRV
du pays du futur » (2014).
'H VRQ F¶W« Oȇ$1& VRXWLHQW XQ SURFHVVXV TXL FKHUFKH ¢ PHQHU ¢
l’indépendance à travers l’effort collectif. Ses membres et ses sympa-
WKLVDQWVYHXOHQWIDLUHGHOD&DWDORJQHXQ‹WDWGHGURLW SDUWUDGLWLRQ 
démocratique (faire face aux élus dont les gens ne sentent pas qu’ils
OHVUHSU«VHQWHQW VRFLDO PHLOOHXUHU«SDUWLWLRQGHVULFKHVVHV HWLQFOX-
sif (de tous ceux qui vivent en Catalogne). L’un de ses objectifs a été
de faire pression sur les politiciens pour réclamer un référendum
VXU OȇLQG«SHQGDQFH XQH FRQVXOWDWLRQ TXL D HX OLHX OH QRYHPEUH
2014. L’ANC a mené également différentes campagnes : « La marche
vers l’indépendance » qui commença à la Seu d’Urgell (au pied des
Pyrénées) et se termina à Barcelone ; l’« Estelada » (drapeau indépen-
dantiste catalan) organisée par « Bagès independència ». Son carac-
WªUH QRQSDUWLVDQ HVW OȇXQH GH VHV FDUDFW«ULVWLTXHV FDU LO VȇDJLW GȇXQH
plateforme populaire qui souhaite s’appuyer sur la majorité sociale

152
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

HW OȇXWLOLVHU FRPPH RXWLO SRXU IDLUH SUHVVLRQ (OOH VȇDXWRG«ȴQLW DXVVL
FRPPHXQHRUJDQLVDWLRQLQFOXVLYHDȴQTXHWRXVOHVFLWR\HQVSXLVVHQW
y adhérer. Ses promoteurs mettent toujours en avant la volonté col-
OHFWLYH HQ VRXOLJQDQW TXH Oȇ$1& UHSU«VHQWH XQH RUJDQLVDWLRQ FLYLOH
WUDQVYHUVDOH TXL VȇHVW FRQVWUXLWH GHSXLV OH EDV YHUV OH KDXW &RPPH
GDQV OHV PRXYHPHQWV GȇDVVHPEO«H FHOOHFL G«FLGH OHV DFWLRQV TXH
l’organisation doit entreprendre. Ses membres œuvrent à dans ce
SURFHVVXV TXL GHPDQGH OH GURLW ¢ G«FLGHU GDQV OHV XUQHV GX IXWXU
SROLWLTXH GH OD &DWDORJQH DȴQ TXȇHOOH SXLVVH DYRLU VRQ SURSUH ‹WDW
6LQRXVQRXVDWWDUGRQVPDLQWHQDQWVXUOHGLVFRXUVGHOȇ$1&RQSHXW
observer qu’il se structure autour de trois axes thématiques : la société
FLYLOHODG«PRFUDWLHHWOHPRXYHPHQW50.
&RQFHUQDQWODVRFL«W«FLYLOHOȇ$1&«YRTXHXQHmYRORQW«FROOHFWLYH
XQH RUJDQLVDWLRQ FLYLOH WUDQVYHUVDOH} HW OH IDLW TXH mFȇHVW WRXWH OD
VRFL«W« FLYLOH VRXYHUDLQH TXL FRQYRTXH OH SURFHVVXV DXTXHO OHV SROL-
WLFLHQV GRQQHURQW XQH IRUPH SROLWLTXH PDLV GHSXLV OD VRFL«W« FLYLOH
>HW TXH@ QRXV QRXV VHQWRQV UHVSRQVDEOHV GȇDQLPHU OH G«EDW} 4XDQW
¢ OD G«PRFUDWLH LO VȇDJLW GH mIDLUH SUHVVLRQ VXU OHV SDUWLV SRXU TXȇLOV
RUJDQLVHQW OD FRQVXOWDWLRQ} GH mSRUWHU OHV XUQHV GDQV OD UXH} DȴQ
de favoriser une « régénération démocratique » : « Nous sommes ici
SRXU IDLUH FRQQD°WUH QRWUH FDXVH TXL HVW DXVVL FHOOH GH OD &DWDORJQH
HWVXUWRXWODFDXVHGHODG«PRFUDWLHFHOOHGXSHXSOHHWGHODMXVWLFH}
(QȴQVȇDJLVVDQWGXPRXYHPHQWm1RXVQHERXJHURQVSDVGȇLFLFȇHVW
QRWUHFKHPLQPHWWUHHQPDUFKHGHVDFWLRQVVXLYUHOHSURFHVVXVGȇLQ-
G«SHQGDQFH DȴQ GH VDXYHJDUGHU QRWUH LGHQWLW« HW Oȇ‹WDWSURYLGHQFH
nous faisons du chemin vers notre souveraineté. » En phase avec cette
G\QDPLTXH GX PRXYHPHQW OHV UHWRXUV VXU DYDQF«H VRQW IU«TXHQWV
« Nous sommes en train d’initier le chemin de la construction natio-
QDOH QRXV FRQWLQXHURQV QRXV WUDYDLOOHURQV WRXMRXUV QRXV VRPPHV
HQWUDLQGHIDLUHXQHU«YROXWLRQ}(QȴQOȇ‹WDWFHQWUDOmOȇDXWUH}OXL
FȇHVWmOȇ‹WDWHVSDJQROTXLQRXVVRXPHWDXJU«GȇXQHȊVLWXDWLRQVHPL
coloniale” ».
/D FRQVXOWDWLRQ GX QRYHPEUH  VRXV Oȇ«JLGH GH &L8 (5& ,&9
et CUP51 a posé deux questions : « Voulez-vous que la Catalogne soit un
‹WDW"}m9RXOH]YRXVTXHFHW‹WDWVRLWLQG«SHQGDQW"}/HU«VXOWDWGH
ce « processus participatif52 » avec une participation d’un peu plus de

šSQWTEGš=JVVRCUUGODNGCECV!SPQFG?EQPUWNVȌNGFGOCTU
šCandidature d’UPKVȌRQRWNCKTGAlternatives de gauche.
šC’est sous cette désignation qu’il a été nommé par les indépendantistes.

153
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

GHV«OHFWHXUVD«W«OHVXLYDQWGHmRXL}DX[GHX[TXHV-
WLRQVGHmRXL}¢Oȇ‹WDWPDLVmQRQ}¢XQ‹WDWLQG«SHQGDQW
 GH mQRQ} DX[ GHX[ TXHVWLRQV53 4XȇHVWFH TXȇRQ SHXW GLUH GH
FHV U«VXOWDWV" 'ȇDERUG OD SUHPLªUH FRQVWDWDWLRQ LPSRUWDQWH HVW TXH
la consultation a eu lieu grâce à la mobilisation des gens — la société
FLYLOH ȃ HW TXH OȇRUJDQLVDWLRQ D «W« DVVXU«H SDU Òmnium Cultural
Oȇ$1&DLQVLTXHJU¤FH¢ODGeneralitat elle-même (qui s’est chargée de
OȇHQUHJLVWUHPHQWGHV«OHFWHXUV (QVXLWHLOIDXWQRWHUTXHOHV«OHFWHXUV
se sont rendus aux urnes dans la bonne humeur et avec un esprit festif
VDFKDQW TXH OH PRPHQW PDOJU« OH FDUDFWªUH QRQ SO«ELVFLWDLUH GH OD
FRQVXOWDWLRQ «WDLW KLVWRULTXH (QȴQ ELHQ TXȇLO Qȇ\ DLW SDV HX GȇHQMHX
politique (car il s’agissait d’une consultation et non d’un référendum
RUJDQLV«GHPDQLªUHO«JDOH XQHERQQHSDUWLHGHV«OHFWHXUVTXLVHVRQW
rendus aux urnes ont exprimé le souhait d’une gouvernance agissant
GDQV XQH &DWDORJQH VRXYHUDLQH $SUªV FHWWH FRQVXOWDWLRQ OH 7ULEXQDO
supérieur de justice de Catalogne a poursuivi trois personnes : le pré-
sident de la Generalitat$UWXU0DVODYLFHSU«VLGHQWH-RDQD2UWHJDHWOD
conseillère Irene Rigau.
Même s’il s’agissait bien d’un processus entamé par la société
FLYLOHLOIDXW«JDOHPHQWWHQLUFRPSWHGHODSUHVVLRQGHVRUJDQLVDWLRQV
GHODVRFL«W«FLYLOHVXUOHVSDUWLVVDQVRXEOLHUOHV«FK«DQFHV«OHFWRUDOHV
TXL FRPPH GDQV WRXW ‹WDW G«PRFUDWLTXH RQW OLHX GH PDQLªUH S«ULR-
GLTXH HW HQ FH TXL FRQFHUQH Oȇ(VSDJQH VRQW SU«YXHV SRXU G«FHPEUH
 /H mMHX SROLWLTXH} QH IDLW TXH FRPPHQFHU PDLV FH TXH OȇRQ
SHXW GȇRUHV HW G«M¢ GLUH FȇHVW TXH Oȇ$1& HW Òmnium Cultural par le
ELDLVGHVHVGHX[SU«VLGHQWHVSURYRTXHQWHWVWLPXOHQWOHG«EDWSDUPL
OHVFLWR\HQVDXVHLQP¬PHGHFKDFXQGHVSDUWLVSROLWLTXHVHWHQWUHOHV
GLII«UHQWHV RUJDQLVDWLRQV 9R\RQV GRQF ȴQDOHPHQW FRPPHQW FKDTXH
tête de liste se situe par rapport à ces élections.
/HV «OHFWLRQV PXQLFLSDOHV GX  PDL  PDLV VXUWRXW OHV U«JLR-
nales du 27 septembre 2015 ont montré le maintien dans les urnes
GȇXQ IRUW LQG«SHQGDQWLVPH 4XDQW ¢ OD FODVVH SROLWLTXH HVSDJQROH
0DULDQR 5DMR\ 33  UHVWH LPPXDEOH DORUV TXH 3HGUR 6£QFKH] 362( 
pencherait plutôt pour essayer d’ouvrir un dialogue vers le fédéra-
OLVPH(QFHTXLFRQFHUQHODFODVVHSROLWLTXHFDWDODQH$UWXU0DV &'& 
HW 2ULRO -XQTXHUDV (5&  RQW VLJQ« OH PDUV  OD mIHXLOOH GH
URXWH} FRQMRLQWHPHQW DYHF Oȇ$1& Òmnium Cultural et l’AMI. Miquel

 =JVVRRTGOUCIGPECVECVRTGUAHUXRAppJCXCPQVCRTGOUCXYECQHEC
VCNCPUJCXGVCMGPRCTVKPVJGRCTVKEKRCVKXGRTQEGUUFQ?EQPUWNVȌNGGTCXTKN

154
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

Iceta (PSC) demande une nouvelle loi électorale qui prenne plus en
FRPSWHODSURSRUWLRQQHOOHHWFRPPHOH362(XQG«EDWVXUODU«IRUPH
de la constitution et le fédéralisme. Pour Alicia Sánchez Camacho
33& ODIHXLOOHGHURXWHQȇHVWTXȇXQmSDSLHUPRXLOO«} mpapel moja-
do} ¢VDYRLUTXHVHORQHOOHm0DVHW-XQTXHUDVFRQWLQXHQWGHWURP-
per les Catalans54 ». Joan Herrera (ICV) souhaite quant à lui un « pacte
SRXUODG«PRFUDWLH}VDQVUHQRQFHU¢XQU«I«UHQGXPVXUOHIXWXUGH
la Catalogne55 (QȴQ $OEHUW 5LYHUD &LWR\HQV  IDURXFKH RSSRVDQW DX
QDWLRQDOLVPH FDWDODQ FRQWLQXH VD FURLVVDQFH GDQV OHV LQWHQWLRQV GH
vote au niveau national et pour promouvoir un air de changement (à
Oȇ«JDUGGX33HWGX362( XWLOLVHOHYRFDEOHmPRXYHPHQW} WUªV¢OD
PRGHLOHVWYUDL HQTXDOLȴDQWVDIRUPDWLRQGHmPRXYHPHQWFLWR\HQ}
(« Movimiento ciudadano »).

LA CATALOGNE FACE AU RENOUVEAU


INDÉPENDANTISTE
Òmnium Cultural Oȇ$1& HW Oȇ$0, $VVRFLDWLRQ GHV PXQLFLSDOLW«V
SRXU Oȇ,QG«SHQGDQFH  SRXUVXLYHQW OHXUV DFWLRQV FHWWH IRLV DYHF OH
VORJDQ m0DLQWHQDQW FȇHVW OȇKHXUH} HQ YXH GHV «OHFWLRQV GH VHS-
tembre. Ils organisent un grand meeting au Palais des congrès de
%DUFHORQH OH DYULO  HW PªQHQW XQH FDPSDJQH XQLWDLUH SRXU
OHV «OHFWLRQV ORFDOHV GH PDL TXȇLOV YRXGUDLHQW SO«ELVFLWDLUHV DYHF OH
VORJDQ m5HYHQRQV DX[ XUQHV UHYHQRQV GDQV OD UXH} ‚ VL[ PRLV GHV
«OHFWLRQV DX SDUOHPHQW GH &DWDORJQH OHV WURLV HQWLW«V RQW RUJDQLV« OH
PDUVSOXVGHFHQWDFWLRQVVRXVOHVORJDQm/¢R»WRXWFRPPHQFH}
DȴQGHUHQGUHYLVLEOHmODIRUFHGHODVRFL«W«FLYLOH}6LConvergència
de Catalunya-Groupement indépendantiste et ERC remportent ces élec-
WLRQV Oȇ$1& LQWHUSU«WHUD FHUWDLQHPHQW FHV U«VXOWDWV HQ FRQVLG«UDQW
que le peuple a décidé d’entamer le processus vers l’indépendance.
Il semble important de souligner deux points majeurs de leur feuille
GHURXWHODQ«FHVVLW«GȇXQ‹WDWVRFLDO VDQW««GXFDWLRQHWUHWUDLWHV HW
la régénération démocratique. On retrouve bien ici les demandes de
la société civile quant au renouveau de la démocratie et à la manière
de faire face à la crise économique par d’autres biais que les coupes
budgétaires (« recortes-retallades »).

 =JVVRYYYRRECVCNWP[CEQOUCPEJG\ECOCEJQECNKHKECFGRCRGNOQLCFQGNRTGCEWGTFQ
FGJQLCFGTWVCKPFGRGPFGPVKUVC?EQPUWNVȌNGCXTKN
=JVVRYYYKPKEKCVKXCECVKEXPGYU?EQPUWNVȌNGCXTKN

155
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Les élections régionales de septembre 2015 ont ainsi encore eu


OLHXVRXVOHVLJQHGHOȇLQG«SHQGDQFHDȴQGHGRQQHUXQHU«SRQVH¢OD
VRFL«W«FLYLOHGHUHGRQQHUDXSHXSOHODG«PRFUDWLHSHUGXHHWGHUHYH-
QLU¢Oȇ‹WDWSURYLGHQFH(QȴQGDQVODPHVXUHR»OHFRQWH[WHFDWDODQHVW
LQV«U«GDQVOHFRQWH[WHHVSDJQROODIRUFHGXQRXYHDXSDUWLPodemos56
qui réclame également une nouvelle démocratie et l’effacement des
« castes » peut changer la donne des futures élections législatives. Il
HQHVWGHP¬PHGHODFULVSDWLRQGȇXQHSDUWLHGHODVRFL«W«HVSDJQROH
FU««HSDUOH3DUWLSRSXODLUHORUVTXȇLOQLHWRXWG«EDWTXȇLOSRUWHVXUOD
SRVVLELOLW« GȇXQ ‹WDW I«G«UDO SRXU Oȇ(VSDJQH RX VXU XQH SOXV JUDQGH
autonomie des communautés « demandeuses » et non de toutes les
FRPPXQDXW«VDXWRQRPHV¢ODPDQLªUHGXmFDI«SRXUWRXV}(QHIIHW
OH SURFHVVXV VRXYHUDLQLVWH QȇHVW SDV HQYLVDJHDEOH FRPPH XQ SDFWH
mais comme un choc à cause d’un manque total de dialogue entre le
JRXYHUQHPHQWFHQWUDOHWOHJRXYHUQHPHQWGHOD*HQHUDOLWDW&HFLSDU
UDSSRUWDX[SROLWLTXHVPDLVTXȇHQHVWLODXȴQDOHQFHTXLFRQFHUQHOD
société civile ?
/H GHUQLHU VRQGDJH HIIHFWX« DXSUªV GH GHX[ PLOOH SHUVRQQHV SDU
le CEO57 est riche de renseignements concernant les opinions des
FLWR\HQV HVSDJQROV U«VLGDQW HQ &DWDORJQH VXU OD VLWXDWLRQ SROLWLTXH
OD FRQȴDQFH ¢ Oȇ«JDUG GX SHUVRQQHO SROLWLTXH RX GH OD VLWXDWLRQ «FR-
nomique. Arrêtons-nous sur quelques données qui vont nous servir
à conclure ce chapitre. Près de la moitié des personnes interrogées
 FRQVLGªUHQWTXHODVLWXDWLRQSROLWLTXHHQ&DWDORJQHHVWPDX-
vaise tandis que plus de 90 % considère que la situation politique en
(VSDJQH HVW WUªV PDXYDLVH   RX PDXYDLVH   3OXV GH OD
PRLWL« GHV HQTX¬W«V   FRQVLGªUHQW TXȇDXFXQ SDUWL SROLWLTXH
QH SHXW GRQQHU XQH U«SRQVH DG«TXDWH ¢ OHXUV SUREOªPHV GRQW OHV
SULQFLSDX[ VRQW OH FK¶PDJH HW OD SU«FDULW«   /HV U«VXOWDWV
en termes de sympathie à l’égard des partis sont les suivants : ERC
  &L8   &83   36&   &ȇV   ,&9(8L$
  33&   &HWWH HQTX¬WH VRFLRORJLTXH PRQWUH FODLUHPHQW OH

šLa progression de Podemos depuis les élections européennes de mai 2014, ainsi que l’appa
rition de Citoyens FGRWKU NGU ȌNGEVKQPU ECVCNCPGU FG  Ciutadans/Ciudadanos, né en 2006,
possède 9 sièges), peut remettre en cause le bipartisme, une perspective qui fait peur aux deux
partis majoritaires et nationaux, le Parti populaire et le Parti socialiste ouvrier espagnol. Lors
des dernières élections anticipées en Andalousie qui ont eu lieu le 22 mars 2015, les deux partis
Citoyens et Nous Pouvons ont obtenu des sièges. EPGHHGVNCEQORQUKVKQPCEVWGNNGGUVNCUWKXCPVGš
PSOEšUKȋIGUPPšPodemosšCiudadanosšIUVGTVUConvocation pour l’APFCNQWUKGš
šCentre d’estudis d’Opinió, Baròmetre d’Opinió Política, 1ª onada de 2014, nº 746, Barcelone,
Generalitat de Catalunya, 30 avril 2015.

156
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

G«VHQFKDQWHPHQW GH OD VRFL«W« FLYLOH HQYHUV OHV «OLWHV SROLWLTXHV OHV
partis et leurs promesses. Elle illustre bien la grande déception des
LQG«SHQGDQWLVWHVPDLV«JDOHPHQWGXUHVWHGHODVRFL«W«FDWDODQHIDFH
à l’absence totale de perspective.

157
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

6
La « transition démocratique »
du nationalisme basque radical :
de la légitimation de la violence à
l’indépendantisme démocratique ?
Mathieu PETITHOMME
La tolérance est le seul remède contre la diversité des
opinions.
(Charles Nodier)

(Q G«FU«WDQW XQLODW«UDOHPHQW OH RFWREUH  mOD ȴQ G«ȴQLWLYH


GH OD OXWWH DUP«H} GDQV OH EXW VHORQ OȇRUJDQLVDWLRQ GH mGRQQHU XQH
VROXWLRQ MXVWH HW G«PRFUDWLTXH DX FRQȵLW SROLWLTXH V«FXODLUH} Oȇ(7$
(Euskadi Ta Askatasuna m3D\V EDVTXH HW OLEHUW«}  HQW«ULQD OD mWUDQ-
VLWLRQG«PRFUDWLTXH}GXQDWLRQDOLVPHEDVTXHUDGLFDOPDUTX«HGHSXLV
OHG«EXWGHVDQQ«HVSDUOHG«FOLQGHODO«JLWLPDWLRQGHODYLROHQFH
et le choix de plus en plus marqué de ses sympathisants de privilégier
la défense d’un indépendantisme démocratique au sein même des ins-
WLWXWLRQV$SUªVDYRLUFDXV«GLUHFWHPHQWRXLQGLUHFWHPHQWODPRUWGȇDX
PRLQVFLYLOVSROLFLHUVPLOLWDLUHVRXUHVSRQVDEOHVSXEOLFVGH¢
 FHWWH «YROXWLRQ WUDGXLVLW GH IDLW OH G«FOLQ GH OD FRPSRVDQWH PLOL-
taire du nationalisme basque radical et son démantèlement progressif
SDU Oȇ‹WDW GH GURLW ¢ WUDYHUV OD U«SUHVVLRQ SROLFLªUH1 3RXU DXWDQW ORUV
de l’Aste Nagusia OD m*UDQGH 6HPDLQH} GH %LOEDR GH  ORUVTXH
résonnait la chanson « Il n’y a pas de trêve » du groupe de rock navar-
rais Barrikada au sein de certaines txoznas SDLOORWHVIHVWLYHV FHUWDLQV
FULDLHQWHQFRUHKDXWHWIRUWm(7$(7$(7$}2.

šEn plus des 843 victimes mortelles de l’ETAGVFGITQWRGUU[ORCVJKUCPVUKNHCWVCLQWVGTš


RGTUQPPGU DNGUUȌGU FQPV  UQWHHTGPV FŨWPG KPXCNKFKVȌ RCTVKGNNG QW VQVCNG RGTOCPGPVG  GV 
UȌSWGUVTȌGU FQPVCUUCUUKPȌGUGVNKDȌTȌGUUWKVGȃFGUkVKTUFGEJȅVKOGPVzFCPUNGURKGFU RQWT
des durées allant de un jour à 532 jours pour le fonctionnaire de prison José Antonio Ortega Lara.
šAnecdote racontée par GCK\MC FƫƷƴʜƴƪƫƿ SƵƲƪƫƻƯƲƲƧ et Raúl LʭǞƫƿ LƵƳƵ Sangre, votos,
PDQLIHVWDFLRQHV̰ETA y el nacionalismo vasco radical 1958-2011, Madrid, Tecnos, 2012, p. 35. Sur
le lien entre nationalisme radical et musique alternative, cf. Christian LƧƮƺƸƫƴ, « The aesthetic
QH TCFKECNKUOš VJG TGNCVKQPUJKR DGVYGGP RWPM CPF VJG RCVTKQVKE PCVKQPCNKUV OQXGOGPV QH VJG
Basque country », Popular MusicPoR

159
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

&H FKDSLWUH D SRXU REMHFWLI GH PRQWUHU FRPPHQW DXGHO¢ GH Oȇ(7$3
de ses nombreuses organisations satellites et des formations politiques
et différentes « marques » de la gauche abertzaleOHQDWLRQDOLVPHEDVTXH
UDGLFDOFRQVWLWXHVXUWRXWXQSXLVVDQWPRXYHPHQWVRFLDOGRQWOHVIRQGH-
ments sociologiques et l’ancrage dans l’espace public permettent d’expli-
TXHUODSHUVLVWDQFHMXVTXȇ¢QRVMRXUV3DUPRXYHPHQWVRFLDOQRXVHQWHQ-
dons les actions collectives d’une communauté politique qui partage un
V\VWªPH GH YDOHXUV HW XQ VHQWLPHQW GȇDSSDUWHQDQFH WRXW HQ VH GRWDQW
GȇXQHFDSDFLW«GHPRELOLVDWLRQGDQVOȇHVSDFHSXEOLFHWHQG«ȴQLVVDQWGHV
UHYHQGLFDWLRQV GHV DGYHUVDLUHV HW XQ SURMHW SROLWLTXH HW VRFLDO4. Même
VȇLO«YRTXHQ«FHVVDLUHPHQWOHU¶OHGHODOXWWHDUP«HGHOȇ(7$OHFKDSLWUH
porte donc avant tout sur la « lutte de masse » du « mouvement basque
de libération nationale » (MLNV) à travers le prisme de ses actions collec-
WLYHV,OVȇDJLUDGȇ«WXGLHUOȇDFWXDOLW«GHFHWWHFRPPXQDXW«SROLWLTXHHQOD
UHSOD©DQWGDQVVRQFRQWH[WHKLVWRULTXHHWVRFLDOHWHQSDUWDQWGXSRLQW
GHYXHGHVPRELOLVDWLRQVGHVPDQLIHVWDWLRQVHWGHVPRXYHPHQWVVRFLDX[
contemporains qui donnent corps à ses revendications et les légitiment.
3DU QDWLRQDOLVPH EDVTXH UDGLFDO QRXV HQWHQGRQV OD YHUVLRQ OD SOXV
LQWUDQVLJHDQWHGHOȇXOWUDQDWLRQDOLVPHEDVTXHTXLUHQYRLH¢OȇH[WU«PLVPH
mais aussi aux racines de l’idéologie nationaliste de Sabino Arana (voir
infra FHFRXUDQWVȇDXWRG«VLJQDQWFRPPHOHUHSU«VHQWDQWO«JLWLPHGHOD
QDWLRQEDVTXHHQWHQGXHDXVHQVODUJH (XVNDGL3D\VEDVTXHIUDQ©DLVHW
1DYDUUH HWUHYHQGLTXDQWVRQGURLW¢OȇDXWRG«WHUPLQDWLRQ5.
/HV SURWHVWDWLRQV OHV PDQLIHVWDWLRQV HW OHV PDUFKHV FRQVWLWXHQW
en effet des répertoires d’action centraux de l’abertzalisme UDGLFDO
des formes de « lutte » (borroka HQ EDVTXH  VL LPSRUWDQWHV SRXU OD

šPour les principaux travaux sur l’ETA, se référer à Miren AƲƩƫƪƵ, Militar en ETA. Historias de
vida y muerte, San SGDCUVKȄPHCTCPDWTWšFlorencio DƵƳʨƴƭƺƫƿ, ETA̰HVWUDWHJLDRUJDQL]D-
tiva y actuaciones, 1978-1992, Bilbao, Universidad del País VCUEQšCarmen GƺƷƷƺƩƮƧƭƧ,
Los jefes de ETA, Madrid, La EUHGTCFGNQUNKDTQUšIgnacio SʜƴƩƮƫƿCƺƫƴƩƧ, ETA contra el
Estado. Las estrategias del terrorismošFernando RƫƯƴƧƷƫƸ, Patriotas de la muerte. Quiénes
han militado en ETA y por qué e édition), Madrid, TCWTWUšIȓKIQBƺƲƲƧƯƴ, Revolucionarismo
patriótico. El Movimiento de Liberación Nacional Vasco. Origen, ideología, estrategia y organización,
Madrid, Tecnos, 2011. Voir aussi en français Antonio EƲƵƷƿƧ et al., ETA une histoire, Paris,
Denoël, 2002 et Jacques MƧƸƸƫƾ, ETA̰KLVWRLUHVHFUªWHG̸XQHJXHUUHGHFHQWDQV, Paris, 2010.
šSur cette notion, cf. ÉTKM Nƫƻƫƺ, Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte,
šOlivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ, Lilian MƧƹƮƯƫƺ et Cécile PƫƩƮƺ, Dictionnaire des mouvements sociaux,
Paris, Presses de Sciences Po, 2009.
šLe fait que le nationalisme radical se revendique comme le seul représentant légitime de la
PCVKQPDCUSWGEQPUVKVWGWPGU[PGEFQSWG RTGPFTGWPGRCTVKGRQWTNGVQWV EQOOQFGSWKGZENWV
une partie des citoyens basques, soit sur des critères d’exclusion notamment linguistiques,
UQKVRQWTNGWTkGURCIPQNKUOGz NGWTUGPVKOGPVFŨCRRCTVGPCPEGȃNŨEspagne). Sur ce point, cf.
Jesús CƧƸƶƺƫƹƫkLa religión de la patria », Claves de Razón PrácticaDPoR

160
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

diffusion de ses revendications dans l’espace public que ses militants6


sont d’ailleurs dénommés les « borrokas ». Des années 1960 jusqu’à nos
MRXUV OHV QDWLRQDOLVWHV UDGLFDX[ RQW RUJDQLV« GH QRPEUHXVHV DFWLRQV
collectives en faveur de l’amnistie de ceux qu’ils considèrent comme
des « prisonniers politiques ». Des cérémonies en l’honneur des « guda-
ris} XQ WHUPH LQLWLDOHPHQW XWLOLV« SRXU G«VLJQHU OHV VROGDWV EDVTXHV
et républicains qui luttèrent contre les troupes franquistes lors de la
JXHUUHFLYLOHRQW«W«G«WRXUQ«HVDȴQGHUHQGUHKRPPDJHDX[mPDUW\UV
GȇKLHUHWGȇDXMRXUGȇKXL}HQSU«VHQWDQWOHVFRPEDWWDQWVGHOȇ(7$FRPPH
les héritiers historiques des soldats de la guerre civile7. Des cérémonies
d’accueil triomphantes ont été organisées par les Gestoras pro-amnistia
ORUVGHVVRUWLHVGHSULVRQGHVG«WHQXVGHOȇ(7$'XUDQWOHVDQQ«HV
la « kale borroka}ODOXWWHGHUXHIXWXWLOLV«HSDUGHVMHXQHVUDGLFDX[
GXVDPHGLVRLUTXLFRPELQDQWkalimotxoXQP«ODQJHGHYLQHWGHFRFD
FROD W\SLTXH GX mERWHOOµQ} HVSDJQRO SDVVHPRQWDJQH ODQFHSLHUUH HW
FRFNWDLOVPRORWRYFKHUFKªUHQW¢SURYRTXHUGHVDIIURQWHPHQWVYLROHQWV
avec les forces de police8. Des troubles censés donner corps et représen-
WHU OH mFRQȵLW} EDVTXH ORUV GȇDFWHV YLROHQWV ¢ YRFDWLRQ SHUIRUPDWLYH
Les fêtes populaires du Gudari Eguna et de l’Albertia Eguna et des chants
tels que l’Agur Jaunak ou la Marche funèbre Guernica ont été aussi récu-
S«U«VSDUOHQDWLRQDOLVPHUDGLFDOHWXWLOLV«VSRXUMXVWLȴHUVHVREMHFWLIV
OȇDXWRG«WHUPLQDWLRQOȇDPQLVWLHHWOȇH[SXOVLRQGHVIRUFHVDUP«HVGX3D\V
EDVTXH¢WUDYHUVODOXWWHDUP«HOHVXUQHVHWOHVPDQLIHVWDWLRQV&HVEXWV
n’ont pratiquement pas changé depuis 1958. Seuls les moyens mis en
ĕXYUH RQW «YROX« ¢ WUDYHUV OD ȴQ G«ȴQLWLYH GH OD OXWWH DUP«H GHSXLV
octobre 2011.
La « lutte de masse » du nationalisme basque radical peut être appré-
hendée à travers quatre phases distinctes : la phase de « résistance » au

šCe courant s’autodésigne comme « abertzale », à savoir « patriote » et de gauche, en réfé


rence à ses liens historiques avec l’extrême gauche, même si le référentiel de gauche est avant
tout instrumental et a toujours été secondaire, au contraire de la prédominance de l’ultranatio
nalisme. Sur ce débat cf. Jesús CƧƸƶƺƫƹƫ« ADGTV\CNGUȐRGTQ~SWKȌPFKLQFGK\SWKGTFCš!zEl
Viejo TopoPoR
šMathieu PƫƹƯƹƮƵƳƳƫ kCQOOȌOQTGT NGU ūIWFCTKUŬ FŨJKGT RQWT NȌIKVKOGT NC XKQNGPEG
FŨCWLQWTFŨJWKšWPGȌVWFGKEQPQITCRJKSWGFWFȌVQWTPGOGPVFWBK\MCTIKGVFGNŨAlbertia Eguna au
Pays basque », Pôle Sud. Revue de science politique de l’Europe méridionale, n° 41, 2015.
šLe « botellón » est une pratique des jeunes Espagnols, qui consiste à se rassembler dans
la rue, les parcs et sur la voie publique pour consommer de l’alcool, fumer et écouter de la
musique en minimisant les dépenses, souvent avant des sorties en discothèque. Plus que
l’expression d’un simple divertissement, le botellón balise aussi d’une certaine manière un
espace de protestation, à travers l’occupation spontanée de lieux publics, et le contournement
de l’obligation commerciale de payer l’accès aux boissons alcoolisées au prix fort dans les bars
et autres lieux réservés en théorie à cet effet.

161
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

régime franquiste (1958-1977) ; la monopolisation de l’espace public


(1978-1994) ; le déclin de l’hégémonie mobilisatrice (1995-2011) et l’ins-
titutionnalisation du nationalisme radical au sein du jeu démocratique
et électoral depuis 2011. En nous appuyant notamment sur des archives
GHSUHVVHHWXQHODUJHOLWW«UDWXUHVFLHQWLȴTXHLOVȇDJLUDGRQFGHFRQVLG«-
UHUOHVSULQFLSDOHVFDUDFW«ULVWLTXHVGHFKDFXQHGHFHVS«ULRGHVHQUHYH-
nant sur les mouvements sociaux qui illustrent le mieux la trajectoire
contemporaine de ce courant politique au Pays basque espagnol.

LA « RÉSISTANCE » AU RÉGIME FRANQUISTE


ET LA LÉGITIMITÉ ORIGINELLE DU
NATIONALISME RADICAL (1958-1977)

La résistance antifranquiste et le procès de Burgos


&RQWUDLUHPHQW DX[ LG«HV UH©XHV Oȇ«PHUJHQFH GH Oȇabertzalisme
radical est bien antérieure à la fondation de l’ETA en 1958. Elle trouve
son origine historique dans une interprétation littérale des positions de
6DELQR$UDQDWK«RULFLHQGXQDWLRQDOLVPHEDVTXHGHODȴQGXXIXeVLªFOH
sur les critères linguistiques et ethniques d’exclusion qui caractérise-
raient selon lui la « race » basque9. Un groupe de nationalistes radicaux
fut de même formé dès 1906 autour de Santi Meabe et de la publication
d’Aberri (patrie)107RXMRXUVDXWRXUGȇXQHUHYXHQDWLRQDOLVWHHQOȇRFFXU-
rence Jagi-Jagi OH JURXSH UDGLFDO GX P¬PH QRP IXW IRUP« HQ 
SDU (OLDV *DOODVWHJXL HQ P¬ODQW DX QDWLRQDOLVPH EDVTXH UDGLFDO XQH
référence anticapitaliste11/ȇDSSURFKHLG«RORJLTXHGHOȇ(7$TXLDGDSWD
la rhétorique marxiste-léniniste et tiers-mondiste des mouvements de
OLE«UDWLRQ QDWLRQDOH GHV DQQ«HV  QH IXW GRQF SDV LQ«GLWH12. Dans
OHV DQQ«HV  Oȇ(7$ UHFHYDLW LQLWLDOHPHQW OȇDSSXL GȇXQH SDUWLH GH
OȇRSLQLRQ HVSDJQROH TXL FRQVLG«UDLW OȇRUJDQLVDWLRQ FRPPH XQ JURXSH

šPour une présentation synthétique de la théorie et de l’apport de Sabino Arana au nationa


lisme basque, cf. José Luis DƫLƧGƷƧƴưƧ, El siglo de Euskadi. El nacionalismo vasco en la España
del siglo XX, Madrid, TGEPQURšXQKTCWUUKFWOȍOGCWVGWTkENCPVKOCMGVKUOQš
La visión de Sabino Arana sobre EURCȓC[NQUGURCȓQNGUzNorbaXQNR
šJavier CƵƷƩƺƫƷƧAƹƯƫƴƿƧ, OU¯JHQHVLGHRORJ¯D\RUJDQL]DFLµQGHOQDFLRQDOLVPRYDVFR̰
1904, Madrid, Siglo XXIR
šSur ce groupe nationaliste radical, antécédent historique de l’ETA, cf. Eduardo RƫƴƵƨƧƲƫƸ,
Jagi-Jagi. Historia del independentismo vasco, Bilbao, AJC\VWCM
šJosé Manuel MƧƹƧLƵǞƫƿ, El nacionalismo vasco radical. Discurso, organización y expresiones,
Bilbao, Universidad del País VCUEQR

162
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

GȇRSSRVLWLRQ DX IUDQTXLVPH HW FH GȇDXWDQW SOXV TXH OH JURXSH QH ȴW
VHV SUHPLªUHV YLFWLPHV IUDSS«HV ¢ PRUW TXȇHQ  GL[ DQV DSUªV VD
fondation. Les premières manifestations de rue lors de l’Aberri Eguna
de 1966 symbolisèrent bien ce rôle d’opposition antifranquiste. Le
319FRQȵXDVLOHQFLHXVHPHQW¢9LWRULDHWVHVPHPEUHVVHGLVSHUVªUHQW
DYDQWOȇDUULY«HGHVIRUFHVGHSROLFH/HVUDGLFDX[HX[DIIURQWªUHQWYLR-
OHPPHQWODSROLFH¢,UXQ$X[QDWLRQDOLVWHVPRG«U«VODSDVVLYLW«DX[
UDGLFDX[OȇDFWLRQHWODU«VLVWDQFH/HVIXQ«UDLOOHVGHTxabi Etxebarrieta
HQOHSUHPLHUmPDUW\U }GHOȇRUJDQLVDWLRQIXUHQWDFFRPSDJQ«HV
d’incitation à suivre son chemin : ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les
morts imputables à l’ETA se multiplièrent à partir de cette date. Durant
ODGLFWDWXUHOHFRQWH[WHGȇDEVHQFHGHOLEHUW«GȇH[SUHVVLRQGHU«XQLRQHW
GHPDQLIHVWDWLRQUHQIRUF«SDUOȇ«WDWGȇH[FHSWLRQHXWSRXUFRQV«TXHQFH
que le nationalisme basque radical fut perçu comme l’avant-garde du
PRXYHPHQW DQWLIUDQTXLVWH &HSHQGDQW FRPPH OȇD ELHQ PRQWU« 5DIDHO
'XU£Q 0X³R] GDQV VD WKªVH FH IXW VXUWRXW OH PRXYHPHQW RXYULHU ¢
WUDYHUVGHVJUªYHV¢U«S«WLWLRQTXLMRXDOHU¶OHSULQFLSDOGDQVODFRQWHV-
WDWLRQ GX U«JLPH IUDQTXLVWH ¢ OD ȴQ GHV DQQ«HV  HW DX G«EXW GHV
années 197013.
$X 3D\V EDVTXH OH SUHVWLJH VRFLDO GH Oȇ(7$ IXW WUªV ODUJHPHQW UHQ-
IRUF«VXLWHDXSURFªVGH%XUJRVGXG«FHPEUHTXLFRQGDPQD
PHPEUHVGHOȇRUJDQLVDWLRQ¢GHVSHLQHVWUªVORXUGHVGRQWVL[FRQGDP-
nations à mort. Les mobilisations populaires sans précédent au Pays
EDVTXHHWGDQVOȇHQVHPEOHGHOȇ(VSDJQHDLQVLTXHOHVQRPEUHXVHVSUR-
WHVWDWLRQVLQWHUQDWLRQDOHVREOLJªUHQWWRXWHIRLVOHU«JLPH¢WUDQVIRUPHU
les peines de mort en des peines de prison. La médiatisation très forte
GX SURFªV OHV PDQLIHVWDWLRQV GH UXH HW OHV JUªYHV TXL VH VXFF«GªUHQW
pour demander l’amnistie des prisonniers contribuèrent à donner à
l’ETA l’image d’une organisation de résistance. L’opération « Ogro » qui
U«DOLVDOȇDVVDVVLQDWGH/XLV&DUUHUR%ODQFROHG«FHPEUHDFF«O«-
ra la déliquescence du régime14. Lorsque Juan Paredes Manot (Txiki) et
‚QJHO2WDHJXLPLOLWDQWVGHOȇ(7$SPIXUHQWPLV¢PRUWOHVHSWHPEUH
ORUVGHVGHUQLªUHVH[«FXWLRQVGXU«JLPHOHSUHVWLJHVRFLDOGHOȇ(7$
QH IDLVDLW SOXV DXFXQ GRXWH 3DUDGR[DOHPHQW FHV H[«FXWLRQV V\PEROL-
sèrent la défaite idéologique du franquisme. L’organisation s’empressa

šRafael DƺƷʜƴMƺʫƵƿ, Contención y transgresión. Las movilizaciones sociales y el Estado en


las transiciones española y portuguesa, Madrid, Centro de Estudios Políticos y Constitucionales,
Estudios PQNȐVKEQUš
šJavier TƺƸƫƲƲ, Carrero, eminencia gris del régimen de Franco, Madrid, Temas de Hoy, 1993,
R

163
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

GHIDLUHGHVFRQGDPQ«VGHVmPDUW\UV}GHODOXWWHQDWLRQDOLVWHEDVTXH
F«O«EUDQWFKDTXHDQQ«HOHXUP«PRLUHSRXUPLHX[MXVWLȴHUODO«JLWLPLW«
de sa cause et la perpétuation de la lutte armée.
(QOȇDFFURLVVHPHQWGHVDWWHQWDWVDERXWLW¢ODVFLVVLRQGHOȇ(7$
en deux branches : « l’ETA militaire » (ETA-m) qui privilégia la « lutte
DUP«H}HWmOȇ(7$SROLWLFRPLOLWDLUH} (7$SP TXLDGRSWDODmOXWWHGH
PDVVH}(QORUVGHVD9,,èmeDVVHPEO«HOȇ(7$SPSULYLO«JLDODYRLH
SROLWLTXHFHTXLFRQGXLUDFHWWHEUDQFKH¢LQW«JUHUSOXVWDUGODFRDOLWLRQ
nationaliste de gauche Euskadiko Ezkerra m*DXFKH Gȇ(XVNDGL} (( 
'DQV OH PRXYHPHQW LQYHUVH HQ  VHV FRPPDQGRV VS«FLDX[ bere-
ziak) rejoignirent l’ETA-m. À rebours de la condamnation de la violence
GX319GªVOȇ(7$PLQWHQVLȴDFHOOHFL¢SDUWLUGHXQHIRLVOD
G«PRFUDWLH U«LQVWDXU«H FH TXL OXL ȴW SHUGUH SURJUHVVLYHPHQW OȇDSSXL
de l’opinion publique15. Le nationalisme radical chercha à disputer au
nationalisme modéré du PNV la légitimité de la continuité de la lutte
KLVWRULTXH GX QDWLRQDOLVPH EDVTXH (QWUH G«PRFUDWHV HW UDGLFDX[ OD
rupture fut consommée à Saint-Sébastien le 8 septembre 1977 : lors
GȇXQH PDQLIHVWDWLRQ XQLWDLUH SRXU OȇDPQLVWLH J«Q«UDOH GHV MHXQHV
proches d’ETA-m s’en prirent au député José Antonio Maturana du PSE-
362(G«WUXLVLUHQWGHVSDQQHDX[HWFULªUHQWGHVVORJDQVWHOVTXHm(7$
le peuple est avec toi » ou « Dehors les espagnolistes » (« Espainolistak
kanpora} UHG«ȴQLVVDQWODOLJQHGHIUDFWXUHLG«RORJLTXHTXLSU«YDODLW
MXVTXȇDORUVHQWUHSDUWLVDQVGHODGLFWDWXUHHWG«PRFUDWHVDXSURȴWGȇXQH
GLYLVLRQ SROLWLTXH HQWUH (VSDJQROV HW %DVTXHV HW SDUPL FHV GHUQLHUV
entre patriotes et traîtres16).
La transition illustra le rejet par le nationalisme basque radical de la
démocratie représentative : il boycotta les élections législatives et auto-
QRPLTXHVHWQLDWRXWHO«JLWLPLW«¢Oȇ‹WDWHVSDJQROHWDXVWDWXWGȇDXWRQR-
mie de 1979 qui créa la communauté autonome du Pays basque espa-
gnol et la dota d’un parlement. Suite à la mort de Franco en 1975 et à
ODUHVWDXUDWLRQGHODPRQDUFKLHOHQDWLRQDOLVPHPRG«U«GX319GHYLQW
majoritaire dans les urnes dès 1977. Il dut faire face aux pressions
FHQWULIXJHV FURLVVDQWHV GHV UDGLFDX[ WDQW SDU OD OXWWH DUP«H GH Oȇ(7$
TXH GDQV OD UXH SXLVTXH FH FRXUDQW PLQRULWDLUH GH OD VRFL«W« EDVTXH
opposait la légitimité « populaire » des mouvements sociaux proches
de sa cause à la légitimité électorale exprimée à travers le vote libre des

šSantiago Dƫ PƧƨƲƵ, Documentos para la historia del nacionalismo vasco, Barcelona, Ariel
Practicum, 1998.
šGCK\MCFƫƷƴʜƴƪƫƿSƵƲƪƫƻƯƲƲƧ et Raúl LʭǞƫƿLƵƳƵ op. cit., 2012, p. 226.

164
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

citoyens17. Un courant minoritaire issu d’ETA-pm forma le Parti pour


la révolution basque (Euskal Iraultzarako Alderdia (,$  HQ  SXLV
VHUHJURXSDDXWRXUGȇ((HQDGRSWDQWSHX¢SHXXQQDWLRQDOLVPH
plus hétérodoxe et intégrateur18. Trois grandes mobilisations durant la
transition illustrèrent cependant l’hégémonie du nationalisme radical
VXU OȇH[SUHVVLRQ GHV UHYHQGLFDWLRQV LGHQWLWDLUHV QRWDPPHQW JU¤FH ¢
sa capacité de mobilisation et aux pressions et intimidations exercées
sur ses adversaires : la marche pour la liberté de l’Euskadi durant l’été
1977 ; l’hommage en l’honneur de la libération du dernier prisonnier
GHOȇ(7$)UDQFLVFR$OGDQRQGR Ondarru) le 9 décembre 1977 suite à la
ORLGȇDPQLVWLHHWHQȴQODmFRQWUHPDQLIHVWDWLRQ}FRQYRTX«HSDUHerri
BatasunaHQRFWREUHHQRSSRVLWLRQ¢ODPDQLIHVWDWLRQSRXUODSDL[
organisée par le PNV.

La marche pour la liberté du Pays basque


(QWUH OH MXLOOHW HW OH DR½W  OHV Gestoras Pro-Amnistía
convoquèrent une « marche pour la liberté du Pays basque » avec
l’objectif d’obtenir une amnistie pour les prisonniers de l’ETA mais
DXVVL VHORQ OH PLOLWDQW -RNLQ $SDODWHJL mOD UHFRQQDLVVDQFH GH QRWUH
LGHQWLW«QDWLRQDOHXQVWDWXWGȇDXWRQRPLHTXLUHFRQQD°WUDLWOȇDXWRG«WHU-
PLQDWLRQGHOȇ(XVNDGLHWODGLVVROXWLRQGHVFRUSVU«SUHVVLIV}HQWHQGXV
FRPPHOHVIRUFHVGHOD*DUGHFLYLOHDX3D\VEDVTXH19. Alors que l’en-
semble des partis politiques et des organisations syndicales proches
GXQDWLRQDOLVPHUDGLFDOHWGHOȇH[WU¬PHJDXFKHVRXWLQUHQWOȇLQLWLDWLYH
OHVSDUWLVGHJDXFKH 36(362(3&((3. QDWLRQDOLVWHVEDVTXHV 319
(6(, HWGHGURLWH 8&'$3 LQW«JU«VGDQVOHSURFHVVXVGHWUDQVLWLRQHW
UHSU«VHQW«VDX&RQJUªVGHVG«SXW«VGHSXLVOHV«OHFWLRQVGHMXLQ
restèrent en marge20. Il s’agissait d’organiser une vaste marche autour

šSur ce point, voir notamment Fernando MƵƲƯƴƧkENPCEKQPCNKUOQGURCȓQN[NCūIWGTTCFGN


NQTVGŬǡ», Historia del PresentePoR
šCette évolution politique l’amènera finalement à s’émanciper du nationalisme radical et
à intégrer le parti socialiste d’EWUMCFK SWK FGXKGPFTC FQPE NG PSEEE en 1993. Cf. José Luis
Dƫ LƧ GƷƧƴưƧ « L’évolution des nationalismes hétérodoxes au Pays basque », dans Alicia
FƫƷƴʜƴƪƫƿGƧƷƩʨƧet Mathieu PƫƹƯƹƮƵƳƳƫ FKT Les nationalismes dans l’Espagne contempo-
raine (1975-2011). Compétition politique et identités nationales, Paris, Armand CQNKPR
šGCK\MCFƫƷƴʜƴƪƫƿSƵƲƪƫƻƯƲƲƧ, « Agur a las armas. EIA, EWUMCFKMQE\MGTTC[NCFKUQNWEKȕP
de ETARQNȐVKEQOKNKVCT  zSancho el SabioPoR
šJQMKPAǞƧƲƧƹƫƭƯ FKT Marcha de la Libertad, ENMCTZarauz, 1978.
šAndrea MƯƩƩƯƩƮƫ « La transizione in EWUMCFKš WP RTQEGUQ FK RCEKHKEC\KQPGš!z Spagna
Contemporánea  Po R Le PSE désigne le parti socialiste d’EWUMCFK NG PCE le
parti communiste d’EURCIPG GVUCDTCPEJGDCUSWG NGPNV le parti nationaliste basque, ESEI
l’union des socialistes d’EWUMCFK Euskadiko Sozialistak Elkartze Indarra), UCD l’union du centre
démocratique et AP l’alliance populaire.

165
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

GHTXDWUHFRORQQHVSDUWDQWGHSRLQWVGLII«UHQWVTXLGHYDLHQWFRQȵXHU
dans la plaine d’Arazuri près de Pampelune. Symbolisant la marche
GXSHXSOHEDVTXHHQPRXYHPHQWOȇ«Y«QHPHQWGXUDWRXWOȇ«W«OHVPDU-
FKHXUV SDUFRXUDQW SOXV GH  NLORPªWUHV HQ %LVFD\H ¢ *XLSXVFRD
HQ$ODYDDX3D\VEDVTXHIUDQ©DLVHWHQ1DYDUUHWRXWHQRUJDQLVDQWGH
QRPEUHX[ PHHWLQJV FRQFHUWV HW EDOV SRSXODLUHV GDQV OHV YLOOHV HW OHV
villages traversés21.
La marche devait symboliser le mouvement déterminé du « peuple
HQ PDUFKH} YHUV OD OLEHUW« HQ UXSWXUH DYHF OH SDVV« IUDQTXLVWH HQ
traversant l’ensemble des territoires revendiqués de l’« Euskal Herria}
une terminologie utilisée pour dépasser le cadre de la future commu-
QDXW«DXWRQRPHGX3D\VEDVTXHHVSDJQRO Oȇ(XVNDGL HWLQFOXUHOȇIpar-
raldeOHm3D\V%DVTXHQRUG}U«XQLVVDQWOHVWURLVmSD\V}IUDQ©DLVGX
/DERXUGGHOD%DVVH1DYDUUHHWGHOD6RXOHDLQVLTXHOD1DYDUUH.HSD
$XOHVWLDPLOLWDQWGȇ(7$SPSXLVVHFU«WDLUHJ«Q«UDOGȇEuskadiko Ezkerra
GH  ¢  FRQVLG«UD GȇDLOOHXUV TXH OD SDUWLFLSDWLRQ ¢ OD PDUFKH
constituait à certains égards une « profession de foi abertzale »22. Des
anciens prisonniers de l’ETA condamnés par le conseil de guerre de
%XUJRVSXLVUHPLVHQOLEHUW«HWH[SXOV«VSDUOHJRXYHUQHPHQWGȇ$GROIR
6X£UH]HQPDLWHOV0DULR2QDLQGLDHW(GXDUGR8ULDUWH Teo SUR-
ȴWªUHQWGHODPDUFKHSRXUUHWRXUQHUHQ(VSDJQHGDQVODFODQGHVWLQLW«
et furent accueillis en héros à Durango en juillet 197723. La plupart
d’entre eux intégrèrent pourtant EIA en 1976 puis EE en 1977 (tel le
V«QDWHXU-XDQ0DUL%DQGU«V ¢VDYRLUODEUDQFKHmSROLWLFRPLOLWDLUH}
qui chercha à s’émanciper de l’ETA-m à partir de 1974 en se présentant
aux élections et en s’insérant au sein du jeu démocratique. Lors de l’acte
ȴQDO GH OD PDUFKH OH DR½W  OȇDSSDULWLRQ GH 7HOHVIRUR 0RQ]µQ
GLULJHDQW LQG«SHQGDQWLVWH SRªWH HW GUDPDWXUJH EDVTXH H[LO« ¢ 6DLQW
-HDQGH/X]GXUDQWODGLFWDWXUHIXWPLQXWLHXVHPHQWPLVHHQVFªQHDX[
côtés des principaux dirigeants nationalistes radicaux24.

šGCK\MCFƫƷƴʜƴƪƫƿSƵƲƪƫƻƯƲƲƧ et Raúl LʭǞƫƿLƵƳƵ op. cit., 2012, p. 212.


šKepa AƺƲƫƸƹƯƧ, HB. Crónica de un delirio, Madrid, Temas de HQ[R
šGCK\MCFƫƷƴʜƴƪƫƿSƵƲƪƫƻƯƲƲƧ et Raúl LʭǞƫƿLƵƳƵ op. cit., 2012, p. 212.
šNé le 1er décembre 1904 à Bergara et décédé le 9 mars 1981 à Bayonne, Telesforo Monzón
dirigea le PNV durant la Seconde République puis s’exila à Caracas au Venezuela puis en
France durant plus de quarante ans suite à la guerre civile. Figure de référence de l’indépen
dantisme basque, qu’il prône dans ses poèmes et son œuvre théâtrale en langue basque, il
contribua à fonder la coalition Herri Batasuna en 1978, tout en travaillant au développement
de la culture basque. Ses références métaphoriques et allégoriques à la lutte et à la liberté
du peuple basque ont souvent été utilisées politiquement par les nationalistes radicaux pour
justifier leurs propres objectifs.

166
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

/HV RUJDQLVDWHXUV «FKRXªUHQW WRXWHIRLV ¢ UDOOLHU 3DPSHOXQH GRQW


OHV DFFªV UHVWªUHQW VRXV FRQWU¶OH GH OD SROLFH HW R» VH G«URXOD XQH
contre-manifestation des autonomistes navarrais contre l’abertzalisme
largement rejeté dans une terre historiquement plus conservatrice qui
s’opposait à l’intégration du « Vieux Royaume » dans la future commu-
nauté autonome basque. Les organisateurs de la marche interdirent
OHV EDQQLªUHV GHV SDUWLV DȴQ GH WUDQVPHWWUH OȇLPDJH GȇXQ SHXSOH XQL
derrière un objectif commun. Mais Florencio Domínguez put noter que
OHVFULVHWOHVVORJDQVGHVRXWLHQ¢Oȇ(7$PIXUHQWQRPEUHX[ODPDUFKH
ayant même permis à l’organisation de recruter des volontaires25. Pour
0LFKHO &DVWHOOV FRQWUDLUHPHQW ¢ OȇLPDJH YRXOXH GH mQHXWUDOLW«} GȇXQ
PRXYHPHQWGLUHFWHPHQWLVVXGHODVRFL«W«FLYLOHOHVUDGLFDX[XWLOLVªUHQW
OD PDUFKH SRXU IDLUH HQWHQGUH OHXUV UHYHQGLFDWLRQV FRPPH OD PLVH
en liberté de Miguel Àngel Apalategi (Apala DFFXV«GHOȇDVVDVVLQDWGX
garde civil Manuel Pérez à Ataun en 1974 et de diriger les commandos
bereziak — formés à partir d’ETA-pm en 1977 et qui devaient rejoindre
ensuite la branche militaire de l’organisation26. Les membres de l’Union
GHVMHXQHVVHVPDR±VWHV 8-0 IXUHQWDXVVLVLɛ«VHWFRQVSX«VDX[FULVGH
« Komunistak kanpora} m'HKRUVOHVFRPPXQLVWHV} VRXVOHSU«WH[WH
qu’ils utilisaient une marche unitaire pour défendre une propagande
minoritaire27.
$LQVL VHORQ *DL]ND )HUQ£QGH] 6ROGHYLOOD HW 5D¼O /µSH] /RPR mLO
«WDLWSRVVLEOHGHFULHUHQIDYHXUGȇXQHRUJDQLVDWLRQWHUURULVWHPDLVSDV
GH PRQWUHU OH VLJOH GHV MHXQHVVHV GȇXQ SDUWL SROLWLTXH DQWLIUDQTXLVWH
mais “espagnoliste”28} /H PHHWLQJ ȴQDO ¢ $UD]XUL IXW FHSHQGDQW XQH
Y«ULWDEOHU«XVVLWH¢ODTXHOOHSDUWLFLSªUHQWSOXVGHFHQWPLOOHSHUVRQQHV
qui supportèrent des contrôles policiers et l’interdiction de l’accès à
Pampelune. Cette marche renforça les objectifs politiques maximalistes
GHV QDWLRQDOLVWHV UDGLFDX[ WHOOH OȇREWHQWLRQ GȇXQH mDPQLVWLH WRWDOH}
Cette action collective légitima le discours suivant lequel les conquêtes
politiques du « peuple » basque ne pouvaient être obtenues que grâce à
la lutte armée et aux manifestations de rue.

šFlorencio DƵƳʨƴƭƺƫƿ, Dentro de ETA̰ODYLGDGLDULDGHORVWHUURULVWDV, Madrid, Santillana, 2002,


p. 151.
šMiguel CƧƸƹƫƲƲƸ, Los procesos políticos. De la cárcel a la amnistía, Madrid, Fundamentos,
RšRogelio AƲƵƴƸƵ et al., Vidas Rotas. Historia de los hombres, mujeres y niños víctimas
de ETA, Madrid, Espasa, 2010, p. 38.
šGCK\MCFƫƷƴʜƴƪƫƿSƵƲƪƫƻƯƲƲƧ et Raúl LʭǞƫƿLƵƳƵ op. cit., 2012, p. 214.
šIbid., 2012, p. 215.

167
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Le tournant de l’amnistie générale


Comme le suggéra José Luis Unzueta dans son article « Amnistie
HW UHWRXU DX G«SDUW} OH YRWH FRQVHQVXHO GH OD ORL GȇDPQLVWLH J«Q«UDOH
du 15 octobre 1977 marqua un tournant29. Les sociétés basque et espa-
gnole partageaient l’idée que la libération des prisonniers politiques
était nécessaire pour la paix au Pays basque et la démocratisation en
Espagne. Il fut choisi de privilégier le pardon et la réconciliation au
G«WULPHQWGXG«VLUGHMXVWLFHGHVYLFWLPHVGXWHUURULVPHSXLVTXHP¬PH
les prisonniers de l’ETA condamnés pour des « délits de sang » furent
libérés30. Cette loi accrédita ainsi l’idée que les prisonniers de l’ETA
SRXYDLHQW E«Q«ȴFLHU GȇXQ SDUGRQ SXLVTXH OHXU OXWWH VȇLQV«UDLW GDQV OD
résistance plus globale au franquisme. En sortant des prisons tous les
SULVRQQLHUV GH OȇRUJDQLVDWLRQ OȇDPQLVWLH LOOXVWUD OH FDUDFWªUH mG«PR-
FUDWLTXH} GX QRXYHDX U«JLPH SDUGRQQDQW OHV HUUHPHQWV GX SDVV« HW
de la lutte armée dans le contexte de la résistance au franquisme dans
le but de parvenir à la paix et à la réconciliation. Mais pour un secteur
GXQDWLRQDOLVPHUDGLFDOULHQQȇDYDLWFKDQJ«ODOXWWHDUP«HVLEHVRLQ
GHYDLWFRQWLQXHUDȴQGHPHWWUHȴQ¢ODmU«SUHVVLRQGHOȇ‹WDWHVSDJQRO}
HWDXmFRQȵLWEDVTXH}¢WUDYHUVODPLVHHQSODFHGHOȇDXWRG«WHUPLQD-
WLRQ/HSURSRVGHOȇDQFLHQGLULJHDQWGHOȇ(7$.HSD3LNDEHDDXMRXUGȇKXL
emprisonné pour plus d’une vingtaine d’assassinats et pour l’enlève-
PHQWGȇ‚QJHO8UWHDJDQHQSXLVGH-XOLR,JOHVLDV=DPRUDHQ
illustre bien le prestige social des militants de l’ETA à cette époque :
Être militant durant la répression franquiste revenait à être doté d’un
grand prestige social. Lorsque les amnistiés rentraient dans leur village
DSUªVODPRUWGH)UDQFRWRXWOHYLOODJHVRUWDLWSRXUOHVUHFHYRLU31.

$LQVL ORUV GH OD VRUWLH GH SULVRQ GX GHUQLHU PLOLWDQW GH Oȇ(7$
Francisco Aldanondo (Ondarru  OH G«FHPEUH  ¢ 6DLQW6«EDVWLHQ

šJosé Luis UƴƿƺƫƹƧ, « EWUMCFKš COPKUVȐC [ XWGNVC C GORG\CTz FCPU Santos JƺƲƯƧ, Javier
PƷƧƪƫƷƧ et Joaquín PƷƯƫƹƵ FKT Memoria de la transición, Madrid, TCWTWUR
šPaloma AƭƺƯƲƧƷ, « LC COPGUKC [ NC OGOQTKCš NCU OQXKNK\CEKQPGU RQT NC COPKUVȐC GP NC
Transición a la democracia », dans Rafael CƷƺƿ et Manuel PʤƷƫƿ LƫƪƫƸƳƧ FKT  Cultura y
movilización en la España Contemporánea, Madrid, Alianza EFKVQTKCN  R Plus
globalement, sur la thématique de la mémoire en Espagne, voir l’œuvre magistrale de la même
auteure, Políticas de la memoria y memorias de la política. El caso español en perspectiva compa-
rada, Madrid, Alianza Editorial, 2008.
šEmprisonné en 1994 après son arrestation à Bayonne, Kepa PKMCDGC FGXKPV WP FKUUKFGPV
de l’ETA après l’assassinat de Miguel Àngel Blanco. Il fit son autocritique, considérant que
« la stratégie militaire a été inhumaine » et choisit la « voie Nanclares », suivant laquelle il
condamna le terrorisme, cf. Monica CƫƨƫƷƯƵBƫƲƧƿƧ, « DQUEQPFGPCFQUūCNHKPCNFGNVȚPGNŬzEl
País, 24 octobre 2011. Voir aussi, « De ídolo de ETA a traidor », El Mundo, 27 mars 2014.

168
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

une foule de sympathisants proféra des cris en faveur d’une « amnistie


WRWDOH} HW GH Oȇ(7$ m(7$ herria Zurekin} m(7$ OH SHXSOH HVW DYHF
WRL}  P¬PH VȇLO Qȇ\ DYDLW DORUV SOXV DXFXQ SULVRQQLHU ¢ DPQLVWLHU HW
que la lutte armée n’avait plus aucun sens dans le nouveau contexte
démocratique32.
Durant l’ensemble de la période des sorties de prison des membres
GHOȇ(7$DPQLVWL«VOȇRUJDQLVDWLRQQHG«FODUDDXFXQHWU¬YHHWFRQWLQXD¢
FRPPHWWUHGHVDWWHQWDWVGL[YLFWLPHVPRXUXUHQWHQSXLVVRL[DQWH
FLQT HQ  VRL[DQWHGL[QHXI HQ  HW TXDWUHYLQJWTXDWRU]H HQ
 TXL PDUTXªUHQW mOH ]«QLWK GHV DQQ«HV GH SORPE} LOOXVWUDQW
justement une escalade de la violence — après — le retour à la démo-
cratie et l’amnistie générale33 $SUªV OȇDPQLVWLH FHUWDLQV JURXSHV WHOV
que la Comisión Gestora GH *XLSXVFRD G«FLGªUHQW GH VȇDXWRGLVVRXGUH
Ces collectifs considéraient que leur travail était désormais terminé.
0DLV GȇDXWUHV RUJDQLVDWLRQV GDQV OH VLOODJH Gȇ(7$P FRQWLQXªUHQW ¢
GHPDQGHUXQHDPQLVWLHDQWLFLSDQWODU«SUHVVLRQGHVDFWLRQVWHUURULVWHV
¢YHQLU/HIDLWTXHOȇ‹WDWHVSDJQROQȇDFFHSWHSDVOȇDXWRG«WHUPLQDWLRQGX
3D\VEDVTXHIXWFRQVLG«U«FRPPHXQSU«WH[WHVXɚVDQWSRXUSURFODPHU
le caractère illégitime de ses institutions. Ce casus belli et cette posture
GHYLFWLPLVDWLRQIXUHQWXWLOLV«VSRXUMXVWLȴHUODVWUDW«JLHmDFWLRQU«SUHV-
VLRQDFWLRQ} YLVDQW ¢ XWLOLVHU OD YLROHQFH SRXU VXVFLWHU HQ UHWRXU XQH
U«SUHVVLRQ SROLFLªUH GLVSURSRUWLRQQ«H HW G«YHORSSHU DLQVL OH VRXWLHQ
VRFLDODXQDWLRQDOLVPHUDGLFDOWRXWHQREOLJHDQWOHJRXYHUQHPHQWHVSD-
gnol à accepter ses conditions34.
Le fait qu’entre 1978 et 1980 les différents commandos de l’ETA
DVVDVVLQªUHQW  SHUVRQQHV DX PRPHQW P¬PH R» IXW DSSURXY«H OD
FRQVWLWXWLRQ GH  OH VWDWXW GH *XHUQLFD GH  HW IXUHQW LQVWLWX«V
OH SDUOHPHQW GH 9LWRULD HW OH QRXYHDX JRXYHUQHPHQW EDVTXH DWWHV-
tèrent de la volonté des radicaux du maintien d’une stratégie violente
et antisystème malgré l’avènement de la démocratie. Il apparut alors
clairement que l’ETA ne s’opposait pas simplement à Franco et à la dic-
WDWXUHPDLVDXVVLHWVXUWRXW¢Oȇ‹WDWHVSDJQRO/ȇLQVWLWXWLRQQDOLVDWLRQGH
la démocratie dans le reste de l’Espagne alla ainsi de pair avec l’intensi-
ȴFDWLRQGHODYLROHQFHSROLWLTXHDX3D\V%DVTXH

šGCK\MCFƫƷƴʜƴƪƫƿSƵƲƪƫƻƯƲƲƧ et Raúl LʭǞƫƿLƵƳƵ op. cit., 2012, p. 216.


šJosé Luis DƫLƧGƷƧƴưƧ, Santiago DƫPƧƨƲƵ et Coro RƺƨƯƵPƵƨƫƸ, Breve historia de Euskadi.
De los fueros a la autonomía, Barcelona, Editorial Debate, 2011, p. 241.
šFlorencio DƵƳʨƴƭƺƫƿ « El enfrentamiento de ETA con la democracia », dans Antonio
EƲƵƷƿƧ FKT La Historia de ETA, Madrid, Temas de HQ[R

169
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

VIOLENCE POLITIQUE ET MONOPOLISATION


DE L’ESPACE PUBLIC (1978-1994)

Légitimation de la violence politique


et culte des « gudaris »
Ni les premières élections démocratiques en juin 1977 et l’amnistie
J«Q«UDOHHQRFWREUHGHODP¬PHDQQ«HQLOȇDSSUREDWLRQGHODFRQVWLWX-
WLRQ HQ  HW GX VWDWXW GH *XHUQLFD HQ  QH SHUPLUHQW GH FRQWH-
nir l’escalade de la violence. Il est vrai que lors du référendum sur la
FRQVWLWXWLRQ XQH SURSRUWLRQ LPSRUWDQWH GH Oȇ«OHFWRUDW EDVTXH G«FLGD
GHVȇDEVWHQLULOOXVWUDQWXQG«ȴFLWGHO«JLWLPLW«GHVLQVWLWXWLRQVGHOȇ‹WDW
central auprès d’un secteur assez large de la société. Malgré l’avène-
PHQWGHODG«PRFUDWLHOHQDWLRQDOLVPHUDGLFDOG«FLGDGHFRQWLQXHUVD
OXWWHSDUOHVDUPHVHWOHVPDQLIHVWDWLRQVMXVTXȇ¢ODFRQV«FUDWLRQGHVHV
objectifs contenus dans l’« Alternative KAS » (« Koordinadora Abertzale
Sozialista}m&RRUGLQDWLRQVRFLDOLVWHSDWULRWH} ¢VDYRLUOȇDXWRG«WHUPL-
nation pour un Pays basque incluant le « Pays basque nord » (français)
HWOD1DYDUUHGHP¬PHTXHOȇH[SXOVLRQGHODSROLFHHWGHOȇDUP«H
/D EUDQFKH EDVTXH GX SDUWL FRPPXQLVWH HVSDJQRO 3&((3.  SHX
LPSODQW«GDQVODU«JLRQIXWODSUHPLªUH¢DGRSWHUXQHSRVWXUHGHUHMHW
de la violence en convoquant une manifestation sous le slogan « Nous
VRPPHVIDWLJX«VGHODYLROHQFHHWGHVDVVDVVLQDWV} SKRWR TXLHXW
lieu le 28 juin 1978 à Portugalete suite à l’assassinat par ETA-m de José
0DU¯D3RUWHOOMRXUQDOLVWHHWGLUHFWHXUGHOȇKHEGRPDGDLUHHoja del Lunes
de Bilbao35. D’autres manifestations convoquées par le parti furent de
P¬PHRUJDQLV«HVHQRFWREUH¢(OJRLEDUHW*HW[RVRXVODEDQQLªUH
m1RQDXWHUURULVPH2XL¢ODFRQVWLWXWLRQ}VXLWHDX[DVVDVVLQDWVGHSOX-
sieurs gardes civils36. Il est intéressant de noter que lors de la première
PDQLIHVWDWLRQFRQYRTX«HSDUOH319ODmPDUFKHSRXUXQ3D\VEDVTXH
libre et en paix » qui réunit entre trente et soixante mille personnes
TXL G«ȴOªUHQW HQ VLOHQFH OH RFWREUH  ¢ %LOEDR OH PRW GȇRUGUH
des jetzales Qȇ«WDLWSDVmFRQWUHOHWHUURULVPH}RXmFRQWUH(7$}PDLV
« contre la violence » en général. Les dirigeants du PNV comme Xabier
$U]DOOX] FRQGDPQDLHQW OHV FULPHV GH Oȇ(7$ PDLV DWWULEXDLHQW ¢ Oȇ‹WDW
HVSDJQROOȇRULJLQHGHODYLROHQFHSROLWLTXHDX3D\VEDVTXHFHTXLFRQWUL-
bua à miner la légitimité du gouvernement auprès d’un secteur non

šGCK\MCFƫƷƴʜƴƪƫƿSƵƲƪƫƻƯƲƲƧ et Raúl LʭǞƫƿLƵƳƵ op. cit., 2012, p. 219.


šRogelio AƲƵƴƸƵ et al., op. cit., 2010, p. 134.

170
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

négligeable de la société basque. Il est d’ailleurs symptomatique que


le PNV s’opposa à la participation de l’UCD d’Adolfo Suárez à la mani-
IHVWDWLRQ VXJJ«UDQW GH ID©RQ LPSOLFLWH TXH OHV UHVSRQVDELOLW«V «WDLHQW
partagées entre l’ETA et le pouvoir central37.

3KRWR  0DQLIHVWDWLRQ GX 3&((3. FRQWUH OD YLROHQFH 3RUWXJDOHWH MXLQ
1978

Herri BatasunaOHSDUWLIRUP«HQSDUOHVQDWLRQDOLVWHVUDGLFDX[
et les Gestoras Pro Amnistía LQWHUSU«WªUHQW FHWWH FRQYRFDWLRQ FRPPH
un affront à l’ETA et organisèrent une contre-manifestation le même
jour dans le centre historique de Bilbao sous le slogan « Pour les guda-
ris d’hier et d’aujourd’hui »38. Ce slogan fut ensuite constamment repris
SDUOHVUDGLFDX[MXVTXȇHQORUVGHOHXUVPHHWLQJVHWGHVSULQFLSDOHV
fêtes du calendrier historique du nationalisme basque ; les radicaux
«WDEOLUHQW DLQVL ¢ OHXU SURȴW XQ SDUDOOªOH HQWUH OHV VROGDWV GX 319 HW GH
Oȇ$19TXLFRPEDWWLUHQWHQORUVGHODJXHUUHFLYLOHHWOHVmPDUW\UV}
GHOȇ(7$HQSU«VHQWDQWFHVGHUQLHUVFRPPHOHVFRQWLQXDWHXUVGHODmOXWWH
V«FXODLUH} GHV %DVTXHV FRQWUH mOȇRSSUHVVLRQ GH Oȇ‹WDW HVSDJQRO} /D

šLe PSEPSOE, le PCEEPKNŨQTICPKUCVKQPTȌXQNWVKQPPCKTGFGUVTCXCKNNGWTU ORT), le parti du


travail d’EURCIPG PTE), les syndicats CC. OO et UGT de même que le Conseil général basque,
NŨQTICPGRTȌCWVQPQOKSWGETȌȌGPLCPXKGTUQWVKPTGPVNCOCPKHGUVCVKQP
šLa coalition Herri BatasunaHWVHQTOȌGRCTSWCVTGRCTVKUšHerri Alderdi Sozialista Iraultzailea RCTVK
socialiste révolutionnaire populaire, HASI), Langile Abertzaleen Iraultzarako Alderdia RCTVKTȌXQNWVKQP
naire des travailleurs patriotes, LAIA), Euskal Sozialista Biltzarrea CUUGODNȌGUQEKCNKUVGDCUSWGESB)
GV NŨCEVKQP PCVKQPCNKUVG DCUSWG ANV), un parti créé en 1930 sous la Seconde République et qui
connut une dérive radicale suite à sa réémergence lors de la transition. Herri Batasuna utilisa notam
ment sa « légitimité historique » en tant que parti issu de la guerre civile pour obtenir sa légalisation.

171
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

contre-manifestation des radicaux du 28 octobre 1978 débuta d’ailleurs


près de la maison de Txabi(W[HEDUULHWDOHPHPEUHGHOȇ(7$TXLG«FOHQ-
cha le premier assassinat (contre le garde civil José Pardines en 1968) et
OHSUHPLHU¢PRXULUHQVXLWHGDQVXQDIIURQWHPHQWDYHFODSROLFHWRXWHQ
VHWHUPLQDQWVXUOHPRQW$UW[DQGDOLHXGHODGHUQLªUHEDWDLOOHFRQWUHOHV
troupes franquistes en 193739/DFRQWUHPDQLIHVWDWLRQQRQDXWRULV«HQH
réunit que quelques centaines de participants et fut réprimée par la police.
3RXUOHVGLULJHDQWVGH+%7HOHVIRUR0RQ]µQHW)UDQFLVFR/HWDPHQGLDFH
fut là une « preuve » de plus de « l’autoritarisme » du pouvoir central.
Un « calendrier commémoratif » alternatif a peu à peu été institué
SDU OHV QDWLRQDOLVWHV UDGLFDX[ DȴQ GȇLQW«JUHU OD F«O«EUDWLRQ GHV IXQ«-
railles de certains « martyrs » historiques de l’ETA. Le Gudari Eguna
mMRXUGXVROGDWEDVTXH} XQHI¬WHEDVTXHQDWLRQDOLVWHWUDGLWLRQQHOOH
célébrant chaque 27 septembre les résistants antifranquistes de la
JXHUUHFLYLOHD«W«G«WRXUQ«SDUOHVUDGLFDX[SRXUUHP«PRUHUOHVH[«FX-
tions en 1975 de TxikiHWGȇ2WDHJLPHPEUHVGHOȇ(7$SDUOHU«JLPHIUDQ-
quiste40. Des commémorations sont aussi organisées le 20 novembre et
le 21 décembre pour remémorer les assassinats de Santiago Brouard et
de Josu Muguruza d’Herri BatasunaSDUOHV*$/GDQVOHVDQQ«HV
GHP¬PHTXHFHOXLGH-RV«0LJXHO%H³DUDQPHPEUHGHOȇ(7$HQ
Les fêtes du Bizkargi Eguna en mai et de l’Albertia EgunaHQMXLOOHWRQW
GHP¬PH«W«G«WRXUQ«HVDXSURȴWGHODF«O«EUDWLRQGHVmPDUW\UV}GH
Oȇ(7$‚ODȴQGHVDQQ«HVHWGXUDQWODPDMHXUHSDUWLHGHVDQQ«HV
 OHV QDWLRQDOLVWHV UDGLFDX[ QȇK«VLWDLHQW SDV ¢ O«JLWLPHU RXYHUWH-
PHQW OD YLROHQFH F«O«EUDQW OHV PHPEUHV GH Oȇ(7$ FRPPH GHV mU«VLV-
WDQWV}HWLQFLWDQWOHVMHXQHVORUVGHVUDVVHPEOHPHQWVGHUXH¢VȇHQJDJHU
VLEHVRLQSDUOHVDUPHVSRXUG«IHQGUHOHXUFDXVH

De l’« Alternative KAS » au monopole de la rue


'XUDQW Oȇ«SRTXHFO« GH OD WUDQVLWLRQ OD VWUDW«JLH GH Oȇm$OWHUQDWLYH
.$6}GX0/19IXWG«ȴQLH&RQ©XHFRPPHXQHmRUJDQLVDWLRQGȇRUJD-
QLVDWLRQV} OȇDOWHUQDWLYH .$6 LQW«JUDLW (7$P SHUPHWWDLW ¢ +% GH
graviter dans son orbite et cherchait à combiner une lutte sur trois
fronts : la « lutte armée » de l’ETA-m ; la « lutte de masse » à travers les
PDQLIHVWDWLRQV GH UXH HW OD GRPLQDWLRQ GH OȇHVSDFH SXEOLF HW HQȴQ OD
« lutte institutionnelle » à travers la participation d’HB aux élections.
Même si les représentants d’HB boycottaient ensuite leurs sièges aux

šGCK\MCFƫƷƴʜƴƪƫƿSƵƲƪƫƻƯƲƲƧ et Raúl LʭǞƫƿLƵƳƵ op. cit., 2012, p. 221.


šSur le calendrier mémoriel du nationalisme radical, cf. Mathieu PƫƹƯƹƮƵƳƳƫop. cit., 2015.

172
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

LQVWLWXWLRQV QDWLRQDOHV HW U«JLRQDOHV LOV VH SU«VHQWDLHQW DX[ «OHFWLRQV


notamment pour barrer la route à d’autres formations indépendan-
tistes telles qu’EE. Les élus d’HB s’impliquaient toutefois au niveau
PXQLFLSDOXQ«FKHORQSOXVHQDFFRUGDYHFOȇLG«RORJLHGXSDUWLSU¶QDQW
OȇDXWRDɚUPDWLRQGXmSHXSOH}SDUOHEDVVRXVODIRUPHGȇXQmFRQWUH
pouvoir local ». HB maintint cependant un lien ambivalent avec la lutte
DUP«H )UDQFLVFR /HWDPHQGLD OH G«SXW« Gȇ+% «OX HQ  H[SOLTXD
ainsi à l’époque que son parti « assum[ait] toutes les formes de lutte qui
conduisent à la libération nationale et sociale de l’Euskadi »41(Q
(7$P DVVDVVLQD SRXUWDQW VRL[DQWHFLQT SHUVRQQHV DORUV P¬PH TXH
ETA-pm et les Commandos autonomes anticapitalistes (CAA) passèrent
DXVVL ¢ OȇDFWLRQ IDLVDQW TXDWRU]H YLFWLPHV FHWWH DQQ«HO¢ SXLV HQFRUH
TXLQ]H OȇDQQ«H VXLYDQWH  GRQW OHV PHPEUHV GH Oȇ8&' EDVTXH -RV«
,JQDFLR8VWDU£Q-DLPH$UUHVHHW5DPµQ%DJOLHWWR
Le nationalisme basque radical s’organisa en cercles concentriques
SRXU G«PXOWLSOLHU VRQ LQȵXHQFH VRFLDOH OH SDUWL VRFLDOLVWH U«YROXWLRQ-
naire du peuple (Herriko Alderdi Sozialista Iraultzailea+$6, IXWIRUP«
en 1977 pour représenter la classe ouvrière nationaliste ; la solidarité des
travailleurs basques (Eusko Langileen Alkartasuna(/$679 HWOHVFRP-
missions des ouvriers patriotes (Langile Abertzaleen Batzordeak /$% 
pour impulser le mouvement syndical ; les CAA et les commandos bere-
ziak GH¢ GHP¬PHTXH(7$PSRXUODOXWWHDUP«HHWHQȴQ
HB comme parti d’« unité populaire » cherchant à offrir un débouché
politique à la lutte armée. Le nationalisme radical obtint cent cinquante
PLOOHYRL[XQG«SXW«HWGHX[V«QDWHXUVORUVGHV«OHFWLRQVO«JLVODWLYHVGH
 SXLV GHYLQW OD VHFRQGH IRUFH SROLWLTXH GX 3D\V EDVTXH HVSDJQRO
GHUULªUH OH 319 TXL JDUGD OH FRQWU¶OH GHV WURLV FDSLWDOHV 9LWRULD %LOEDR
HW 6DLQW6«EDVWLHQ PDLV GHYDQW OH 36(362( 'H OD ȴQ GHV DQQ«HV 
MXVTXȇDX[DQQ«HVOHVPHPEUHVGH$3HWGHOȇ8&'QHE«Q«ȴFLªUHQW
pas de la même liberté d’expression que les autres représentants poli-
WLTXHV GX 3D\V EDVTXH GHYDQW VXELU OHV LQWLPLGDWLRQV HW OHV PHQDFHV
en étant présentés comme des « fascistes » liés au franquisme. Mais le
QDWLRQDOLVPHUDGLFDOSRXUTXLOHV«OHFWLRQV«WDLHQWDYDQWWRXWXQUHFRXUV
LQVWUXPHQWDOGHPHXUDLWPLQRULWDLUHGDQVOHVXUQHVREWHQDQWDXPLHX[
entre 20 et 25 % des voix. Il chercha ainsi à compenser cette faiblesse à
WUDYHUV OH PRQRSROH GH OD UXH FDU LO FRQVWLWXDLW GH ORLQ OH FRXUDQW SROL-
tique qui montra la plus forte capacité de mobilisation lors des meetings
de campagne et des rassemblements politiques.

41.. « Puntualizaciones de Letamendia », El País, 28 octobre 1979.

173
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

0DLVOHVQRPEUHXVHVPDQLIHVWDWLRQVGHUXHUHȵ«WDLHQWSOXVOHVSU«I«-
UHQFHVSROLWLTXHVGȇXQJURXSHRUJDQLV«TXHFHOOHVGXmSHXSOH}EDVTXH
au nom duquel les nationalistes radicaux disaient pourtant parler et
qu’ils prétendaient incarner. Ils exercèrent en fait un chantage sur
OHV LQVWLWXWLRQV G«PRFUDWLTXHV HQ XWLOLVDQW OD YLROHQFH SRXU REOLJHU OHV
gouvernements basque et espagnol à accepter leurs conditions. Cette
posture antisystème discréditant le système politique fut bien illustrée
par la création de l’« Assemblée nationale du peuple basque » (Euskal
Herriko Biltzarre Nazionala  HQ  XQH DVVHPEO«H SDUDOOªOH TXL UDV-
VHPEODLW HQ IDLW XQLTXHPHQW OHV PHPEUHV Gȇ+% TXHOTXHV FRQVHLOOHUV
municipaux d’extrême gauche et des indépendants nationalistes. Pour
OHV QDWLRQDOLVWHV UDGLFDX[ OD WUDQVLWLRQ QȇDYDLW ULHQ FKDQJ« FDU OHXUV
REMHFWLIV ȃ mOȇDPQLVWLH WRWDOH} OȇDXWRG«WHUPLQDWLRQ HW OȇH[SXOVLRQ GHV
forces de police et de l’armée — n’avaient pas été atteints. La tentative
GHFRXSGȇ‹WDWUDW«HGXI«YULHUFRQȴUPDDX[\HX[GHFHVHFWHXU
social « l’autoritarisme » latent du nouveau régime. Au début des années
 OHV SHUVRQQHV V«TXHVWU«HV SDU Oȇ(7$ IXUHQW DLQVL PDLQWHQXHV HQ
FDSWLYLW«DXQRPGHODOXWWHSRXUODmOLEHUW«}GXSHXSOHEDVTXHGDQVFH
que l’organisation appelait des « prisons du peuple ». Les sigles de l’ETA
et des slogans défendant le groupe armé étaient très clairement mis en
avant lors des manifestations de rue. Le monopole de l’espace public
du nationalisme radical était d’autant plus prononcé qu’il n’existait pas
de véritable confrontation avec d’autres groupes. Cette communauté
politique maintenait un quasi-monopole sur l’expression de l’identité
territoriale basque. De nombreuses organisations s’institutionnalisèrent
DXWRXU GX 0/19 TXL UHSULW ¢ VRQ FRPSWH OȇH[SUHVVLRQ GHV SULQFLSDOHV
revendications sociales du Pays basque en créant des organisations sym-
pathisantes ou en faisant de l’entrisme puis en contrôlant de l’intérieur
OHVPRXYHPHQWVVRFLDX[FHTXLIXWSDUWLFXOLªUHPHQWYUDLSRXUOHVPRX-
YHPHQWVRXYULHUVI«PLQLVWHDQWLQXFO«DLUHHWDQWLU«SUHVVLRQ
La monopolisation de l’espace public par le nationalisme radical fut
largement la conséquence des attentats et des assassinats à répétition
TXL LQVWDXUªUHQW XQ FOLPDW GH WHUUHXU FRQGDPQDQW OD VRFL«W« FLYLOH
EDVTXH ¢ XQH mVSLUDOH GX VLOHQFH} HW LQFLWDQW OHV RSSRVDQWV ¢ QH SDV
s’engager en politique de peur des représailles42(QSDUH[HPSOH
selon une étude récente des historiens de l’institut Valentín de Foronda

šLe concept de « spirale du silence » a été proposé par Elisabeth NQGNNGNeumann. Pour une
FKUEWUUKQPFGEGNWKEKFCPUNGEQPVGZVGGURCIPQNEH. Alejandro MƺʫƵƿAƲƵƴƸƵ, « La espiral del
silencio en el País Vasco », Cuenta y RazónPoR

174
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

GH OȇXQLYHUVLW« GX 3D\V EDVTXH ORUVTXH OHV YLFWLPHV «WDLHQW GHV SROL-
FLHUVGHVPDQLIHVWDWLRQVGHUHMHWGHODYLROHQFHIXUHQWRUJDQLV«HVGDQV
VHXOHPHQWGHVDVVDVVLQDWVXQWDX[TXLDWWHLJQLWDXFRQWUDLUH
lorsque les victimes étaient des civils ou des membres de l’ETA assassi-
nés par l’extrême droite438QHFXOWXUHUDGLFDOHVHVROLGLȴDTXLF«O«EUDLW
RX DX PRLQV MXVWLȴDLW HW FRPSUHQDLW OȇDVVDVVLQDW GHV SROLFLHUV HW GHV
PLOLWDLUHV WRXW HQ VDOXDQW OHV UHVSRQVDEOHV FRPPH GHV K«URV RX GHV
martyrs44. Ce contexte d’indifférence à l’égard des victimes de l’ETA et
de démobilisation eut pour conséquence que la réponse au terrorisme
dans la rue fut pratiquement nulle et se nourrit uniquement d’initia-
tives institutionnelles comme des minutes de silence. 82 % des assas-
sinats de l’ETA durant les années 1980 n’engendrèrent en fait aucune
réponse sociale à travers d’éventuelles manifestations de rejet45. À
OȇLQYHUVHOȇHQVHPEOHGHVG«FªVGHPHPEUHVGHOȇ(7$G«ERXFKªUHQWVXU
des répliques politiques sous la forme de grèves et de manifestations.
/HV PHQDFHV HW OHV LQWLPLGDWLRQV SULUHQW DXVVL GȇDXWUHV IRUPHV
notamment à travers l’extorsion et le paiement forcé de « l’impôt
U«YROXWLRQQDLUH} 8QH «WXGH VFLHQWLȴTXH U«FHQWH GX &HQWUH Gȇ«WKLTXH
appliquée de l’université de Deusto estime ainsi qu’environ neuf mille
personnes ont été victimes d’extorsion de 1993 à 2008 et environ quinze
PLOOH GHSXLV OHV DQQ«HV  SULQFLSDOHPHQW GHV SHWLWV FRPPHU©DQWV
HWGHVSURIHVVLRQVOLE«UDOHVGDQVOHVYLOOHVHWOHVYLOODJHVR»ODSU«VHQFH
des nationalistes radicaux était la plus forte46. Les entrepreneurs et
les directeurs de grande entreprise pouvaient plus facilement résister
HQ VȇDSSX\DQW VXU GHV «TXLSHV GH V«FXULW« $X FRQWUDLUH OH PDQTXH
GH SURWHFWLRQ GHV FLYLOV HW GHV SHWLWV HQWUHSUHQHXUV YLFWLPHV HXW SRXU

šContextos históricos del terrorismo y consideración social de las víctimas. 1968-2010, rapport
de l’institut Valentín de Foronda, présenté devant la Commission des droits de l’homme du
Parlement basque, Victoria, 26 février 2015.
šSur cette question du processus de radicalisation, cf. Xavier CƷƫƹƹƯƫƿ, « High risk activismš
comprendre le processus de radicalisation violente », Pôle sudPošJeff JƺƸƹƯƩƫ, « Of
IWPU CPF DCNNQVUš AVVKVWFGU VQYCTFU WPEQPXGPVKQPCN CPF FGUVTWEVKXG RQNKVKECN RCTVKEKRCVKQP
among Sinn Fein and Herri Batasuna supporters », Nationalism and Ethnic Politics, n° 11, 2005,
R
45. « El 82 % de los asesinatos de ETA en los 80 no tuvieron respuesta social », El País,
26 février 2015. La comptabilité de Sokoa, arrêté en France en 1986 à Hendaye, prouva que
plus de 7,2 millions d’euros de l’ETA provenaient directement de l’extorsion. À partir de 1993
et face à l’augmentation des arrestations policières, l’extorsion diminua peu à peu, puis reprit
après l’assassinat de l’entrepreneur José María Korta, proche du PNV en août 2000, avant
de décliner à nouveau suite à la détention en France de MKMGN Antza et Soledad Iparraguirre,
qui contrôlaient l’appareil d’extorsion. De 2000 à 2004, on estime que l’extorsion représentait
2 millions d’euros par an.
šLuis AƯƿǞƫƵƲƫƧ, « Los extorsionados por ETA toman la palabra », El País, 1er mars 2015.

175
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

HIIHW TXȇLOV SU«I«UDLHQW VRXYHQW SD\HU OHV GHPDQGHV GH UDQ©RQ P¬PH
si la « collaboration avec le terrorisme » constitue un délit suivant l’ar-
ticle 576 du code pénal espagnol47. Le collectif Gesto Por la Paz m*HVWH
pour la paix ») organisa la première manifestation contre la violence
à l’initiative de la société civile le 26 novembre 1985. La violence avait
DORUVG«M¢IDLWYLFWLPHVGHSXLV/HSURSRVGȇ$QD5RVD*µPH]
0RUDOPHPEUHGHGesto por la PazLOOXVWUHELHQOHVHQWLPHQWTXLSU«-
valait à l’époque :
Nous avons tardé à réagir parce que nous venions d’une dictature et que
GHQRPEUHX[%DVTXHVGHID©RQHUURQ«HQRXVMXVWLȴLRQVODU«EHOOLRQGH
l’ETA contre l’oppression. Nous avons tardé à nous rendre compte que
nous étions désormais en démocratie et que le terrorisme n’avait plus de
MXVWLȴFDWLRQSRVVLEOH48.

Le déclin de l’hégémonie mobilisatrice (1995-2011)


‚SDUWLUGXG«EXWGHVDQQ«HVOHVRXWLHQVRFLDODXQDWLRQDOLVPH
radical déclina. L’attentat à la voiture piégée de l’Hipercor de l’avenue
0HULGLDQD¢%DUFHORQHOHMXLQOHSOXVPHXUWULHUGHOȇ(7$PDU-
TXDXQWRXUQDQWWXDQWYLQJWHWXQHSHUVRQQHVHWHQEOHVVDQWTXDUDQWH
FLQT DXWUHV OD SOXSDUW GHV FLYLOV GRQW GHV IHPPHV HW GHV HQIDQWV49.
Les manifestations de rejet furent sans précédent dans l’ensemble de
Oȇ(VSDJQH/HMXLQSOXVLHXUVFHQWDLQHVGHPLOOLHUVGH%DUFHORQDLVVH
U«XQLUHQWVLOHQFLHXVHPHQW¢6DQW$QGUHXSXLVRFFXSªUHQWOHSDVHRGH
*U¢FLDOHMRXUVXLYDQWORUVGHODSOXVJUDQGHPDQLIHVWDWLRQGHSXLV
en Catalogne50. Cinq minutes de silence furent décrétées dans toutes les
LQVWLWXWLRQVHVSDJQROHVHWFDWDODQHV'L[MRXUVSOXVW¶WHerri Batasuna
qui critiqua de façon confuse le déroulement de l’attentat sans le
FRQGDPQHU DYDLW REWHQX SUHVTXH TXDUDQWH PLOOH YRL[ HQ &DWDORJQH
lors des élections européennes51. Mais ETA-m continua son escalade de
ODYLROHQFHHWVDQ«JDWLRQGHODU«DOLW«OHG«FHPEUHXQDWWHQWDW
du commando Argala FRQWUHODFDVHUQHGHOD*DUGHFLYLOHGH6DUDJRVVH

šLes seules personnes poursuivies par l’Audience nationale, les sœurs BTWȓQHWTGPVFŨCKNNGWTU
ensuite acquittées par le Tribunal suprême en juin 2012 au motif d’une « peur insoutenable ».
šAna Rosa GʭƳƫƿ MƵƷƧƲ, cité dans Luis AƯƿǞƫƵƲƫƧ, « FKP FGN OQXKOKGPVQ CPVKETA »,
22 février 2015.
49. « HKRGTEQTGNCVGPVCFQOȄUUCNXCLGzLa Vanguardia, 21 juillet 1987.
50. « Barcelona expresó su dolor en silencio », La Vanguardia, 23 juin 1987, p. 24.
šLQTU FG EGU ȌNGEVKQPU NG RCTVK QDVKPV š XQKZ FCPU NŨGPUGODNG FG NŨEspagne, dont
š CW Pays basque et en Navarre, faisant élire sa tête de liste Txema Montero au
Parlement européen.

176
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

ȴW RQ]H PRUWV GRQW FLQT MHXQHV ȴOOHV  HW TXDWUHYLQJWKXLW EOHVV«V /H
G«FHPEUHGHX[FHQWFLQTXDQWHPLOOHSHUVRQQHVG«ȴOªUHQWVRXV
OHVORJDQm6DUDJRVVHSRXUODSDL[HWFRQWUHOHWHUURULVPH}GDQVFHTXL
restera la plus grande manifestation de l’histoire de la ville52. Lorsque
Oȇ‹WDWIXWFRQGDPQ«HQSDUOȇ$XGLHQFHQDWLRQDOHSRXUmQ«JOLJHQFH
SROLFLªUH} SRXU QH SDV DYRLU HPS¬FK« OȇHQWU«H GHV FOLHQWV HW G«FLG«
l’évacuation du magasin suite à trois appels téléphoniques anonymes
SU«YHQDQW GH OȇDWWHQWDW OHV UDGLFDX[ \ YLUHQW OD FRQȴUPDWLRQ GH OHXUV
DUJXPHQWVHWODSUHXYHGHmODUHVSRQVDELOLW«GHOȇ‹WDWHVSDJQROGDQVOD
violence53 ».

La rupture de la spirale du silence :


l’émergence de Gesto por la Paz
Les manifestations de Gesto por la Paz WUªV SHX QRPEUHXVHV
MXVTXȇDORUV HW SULQFLSDOHPHQW VLOHQFLHXVHV SULUHQW XQH QRXYHOOH
ampleur et débouchèrent sur « l’accord pour la normalisation et la
SDFLȴFDWLRQGHOȇ(XVNDGL}FRQQXFRPPHOHSDFWHGȇ$MXULD(QHDVLJQ«
le 12 janvier 1988 par tous les partis démocratiques nationalistes (PNV
HW(( HWQRQQDWLRQDOLVWHV 36(362(&'6$3 SRXUOHUHVSHFWGHOȇ‹WDW
GHGURLWODFRH[LVWHQFHSDFLȴTXHHWFRQWUHOHWHUURULVPH54. Les premiers
slogans contre l’ETA apparurent et les mobilisations sociales du collectif
jouèrent un rôle déterminant dans la signature du pacte. La première
PDFURPRELOLVDWLRQFRQWUHOȇ(7$DX3D\VEDVTXHmSRXUODSDL[PDLQWH-
QDQWHWSRXUWRXMRXUV}HXWOLHX¢%LOEDROHPDUV55. Avant cette
GDWH OHV SOXV JUDQGHV PRELOLVDWLRQV DYDLHQW HX OLHX ¢ %LOEDR OH VHS-
WHPEUHSRXUOȇDPQLVWLHSXLVOHRFWREUHORUVTXHFHQWPLOOH
personnes protestèrent contre l’assassinat du capitaine Martín Barrios.
Cet assassinat avait aussi mis un million et demi de personnes dans la
UXH OH MRXU SU«F«GHQW ¢ 0DGULG GX MDPDLVYX GHSXLV OHV SURWHVWDWLRQV
FRQWUHOHFRXSGȇ‹WDWUDW«GXI«YULHU/DWUDMHFWRLUHGHFHVPRX-
YHPHQWVVRFLDX[UHȵªWHDVVH]ELHQOȇ«YROXWLRQGHVDWWLWXGHVGHODVRFL«W«
EDVTXH ¢ Oȇ«JDUG GX WHUURULVPH 3HX ¢ SHX PHQ«V SDU OHV IDPLOOHV
des victimes du terrorisme et des citoyens de plus en plus nombreux

52. « Zaragoza condena el terrorismo y clama por la paz, en la mayor manifestación de toda su
historia », La Vanguardia, 14 décembre 1987, p. 5.
šAnna AƷƭƫƳƯ, « El Estado, condenado por negligencia policial en el atentado de Hipercor »,
El País, 21 mai 1994.
šJosé Luis DƫLƧGƷƧƴưƧ, El siglo de Euskadi. El nacionalismo vasco en la España del siglo XX,
Madrid, TGEPQUR
55. « LCOCPKHGUVCEKȕPOȄUEQPEWTTKFCGPGNPaís Vasco », El País, 19 mars 1989.

177
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

commencèrent à rompre le monopole de l’espace public et la spirale du


silence imposés par le nationalisme radical.
Alors que l’appareil militaire d’ETA-m se retrouva soumis à une
SUHVVLRQ SROLFLªUH FURLVVDQWH HW ¢ GHV DUUHVWDWLRQV HQ FKD°QH QRWDP-
ment suite au démantèlement de son groupe dirigeant à Bidart en 1992
SXLVGHVFRPPDQGRV$ODYD$QGDORXVLHHW%LVFD\HHQOHG«FOLQGX
QDWLRQDOLVPHUDGLFDOVHȴWDXVVLVHQWLUGDQVOHVXUQHV'HVYRL[
obtenues par Herri BatasunaORUVGHV«OHFWLRQVO«JLVODWLYHVGHSXLV
HQLOQȇHQUHVWDLWSOXVTXHHQ DORUVP¬PHTXH
l’électorat était désormais beaucoup plus important). Entre les euro-
S«HQQHVGH YRL[ HWFHOOHVGH  VHVVRXWLHQV
électoraux se réduisirent de moitié. La même tendance est observable
lors des élections autonomiques et municipales56. La séquestration de
OȇHQWUHSUHQHXU-XOLR,JOHVLDV=DPRUDHQSXLVFHOOHVGH-RV«0DU¯D
$OGD\D &RVPH 'HOFODX[ HW GX JDUGLHQ GH SULVRQ -RV« $QWRQLR 2UWHJD
/DUDPDUTXªUHQWXQQRXYHDXWRXUQDQW57. Le nationalisme radical cher-
cha à compenser cet ostracisme croissant par un plus grand contrôle
social : la déclaration Oldartzen en 1994 acta ainsi le choix d’une stra-
W«JLHGHmVRFLDOLVDWLRQGHODVRXIIUDQFH}¢WUDYHUVOȇDXJPHQWDWLRQGHV
persécutions contre les intellectuels et les opposants non-nationalistes
du PP et du PSE-PSOE58. Cette période coïncida aussi avec la radicali-
sation des jeunes activistes violents à travers le développement de la
« kale borroka »59.
Entre le 5 mai 1995 et le 1erMXLOOHW  PDOJU« OHV LQWLPLGDWLRQV
HW OHV PHQDFHV Gesto por la Paz organisa des manifestations hebdo-
PDGDLUHVDUERUDQWXQHPEO«PDWLTXHmODFHWEOHX}SRXUGHPDQGHUOD
libération des personnes séquestrées. La manifestation de condamna-
tion de l’enlèvement de Miguel Àngel Blanco en juillet 1997 à Bilbao fut
massive. Des contre-manifestations furent cependant organisées par

šOPQDUGTXGWPkRKEzNQTUFGUCPPȌGURWKUWPFȌENKPCWFȌDWVFGUCPPȌGU
Pour les élections autonomiques, Herri Batasuna QDVKPV š XQKZ   GP  RWKU
š XQKZ   GP  GV š   GP  Lors des élections municipales,
NGRCTVKȌXQNWCFGšXQKZGP EQPUGKNNGTUOWPKEKRCWZ ȃšGP 
EQPUGKNNGTU RWKUšGP  GVšGP  SQWTEGUšMinistère de l’inté
rieur et Gouvernement du Pays basque.
šMaría Jesús FƺƴƫƸRƯƻƧƸ, La salida del silencio. Movilizaciones por la paz en Euskadi 1986-
1998, Madrid, AMCN
58. « UPC GUVTCVGIKC FG RTGUKȕP FKUGȓCFC C TCȐ\ FG NC RQPGPEKC ūOldartzen” del 94 », El Diario
Vasco, 8 juillet 2007.
šHanspeter VƧƴ DƫƷ BƷƵƫƱ, « Borroka. The legitimation of street violence in the political
discourse of radical basque nationalists », Terrorism and Political Violence, vol. 16, n° 2, 2004,
R

178
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

les radicaux sous le slogan « Euskal Herria Askatu » (« Libérez Euskal


+HUULD}  GXUDQW OHVTXHOOHV GH QRPEUHXVHV LQVXOWHV «WDLHQW SURI«U«HV
FRQWUH OHV FLWR\HQV SRUWDQW OH ODFHW EOHX WUDLW«V GH mIDVFLVWHV} HW GH
mIUDQTXLVWHV}0DLVOHGLVFRXUVH[DOWDQWOHFRQȵLWDYHFmOȇ(VSDJQH}HW
mOȇ‹WDWHVSDJQRO}«WDLWHQSURLH¢XQHFULVHGHO«JLWLPLW«6XLWH¢OȇDVVDV-
VLQDW GH 0LJXHO ‚QJHO %ODQFR GHV PRXYHPHQWV SOXV DFWLYLVWHV ȴUHQW
OHXU DSSDULWLRQ WHOV TXH ¡Basta Ya ! m‰D VXɚW}  TXL UHYHQGLTXDLW
clairement l’identité « basco-espagnole » et s’opposait au « nationalisme
obligatoire ». 72 % des Basques considéraient d’ailleurs qu’il s’ouvrait
une nouvelle étape contre l’ETA60.

De la fracture à la dissolution des mouvements antiviolence


0DLVHQODVRFL«W«EDVTXHVHGLYLVDHQGHX[EORFVOHVQDWLRQD-
listes modérés et radicaux s’allièrent à travers le pacte de Lizarra pour
OȇREWHQWLRQGHOȇLQG«SHQGDQFH¢OȇLQYHUVHOHVQRQQDWLRQDOLVWHVFRQYHU-
gèrent dans la critique du manque de détermination de ce front souve-
rainiste pour condamner la violence de l’ETA. Les mouvements sociaux
antiviolence se scindèrent suivant la même ligne de fracture : Elkarri
SU«WHQGDLW REWHQLU OD ȴQ GH OD YLROHQFH ¢ WUDYHUV OD FRQGDPQDWLRQ GH
tous les types de violence et l’exercice du droit à l’autodétermination ;
GȇDXWUHVFROOHFWLIVGRQWOHSOXVHPEO«PDWLTXHIXWcBasta Ya PHWWDLHQW
d’abord en avant le respect de l’unité de l’Espagne et la condamnation
de la violence de l’ETA. La posture plus rassembleuse de Gesto por la Paz
devint alors dépassée et obsolète face à la radicalisation des deux camps.
-RV« 0DU¯D &DOOHMD OȇXQ GHV SURPRWHXUV GH cBasta Ya  «YRTXH ELHQ OD
posture plus militante promue par ce groupe dans le sillage du forum
d’Ermua : « Basta Ya chercha à rassembler l’ensemble des Basques
TXLUHMHWDLHQWOHWHUURULVPHDYHFOȇREMHFWLIGHPHWWUHȴQ¢ODSHXUHWGH
reprendre la rue aux membres de l’ETA et à leurs sympathisants »61.
/H JURXSH RUJDQLVD GȇLPSRUWDQWHV PRELOLVDWLRQV HQWUH HW ¢
XQPRPHQWR»Oȇ(7$G«SOR\DLWVDVWUDW«JLHGHmVRFLDOLVDWLRQGHODVRXI-
france » à travers la répétition d’attaques contre des civils non-nationa-
OLVWHVQRWDPPHQWGHVLQWHOOHFWXHOVGHVMRXUQDOLVWHVHWGHVKRPPHVSROL-
tiques connus pour leur condamnation de la violence. Deux activistes du
PRXYHPHQW-RV«/XLV/µSH]/DFDOOHHW-RVHED3DJD]DXUWXQGXDIXUHQW
d’ailleurs assassinés pour prix de leur résistance non-violente.

šCarlos MƧƷƹʨƴƫƿGƵƷƷƯƧƷʜƴ, « El discurso del medio. Retóricas comprensivas del terroris


mo en el País Vasco », dans Kepa AƺƲƫƸƹƯƧ et al., RD]RQHVFRQWUDODYLROHQFLD̰SRUODFRQYLYHQFLD
democrática en el País Vasco, Bilbao, BCMGC\XQNR
šCité dans ¡Basta YD̰ЏEuskadi, del sueño a la vergüenza, Madrid, Ediciones B, 2005, p. 74.

179
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

$X G«EXW GHV DQQ«HV  OD U«SUHVVLRQ VȇLQWHQVLȴD FRQWUH OHV
groupes politiques et sociaux accusés de servir de « couverture » à
l’ETA : les partis Herri Batasuna puis Batasuna et Euskal Herritarrok
les Gestoras Pro Amnistía et les organisations de jeunesse Segi et Ekin
furent successivement interdits. De nombreuses « herriko tabernas}
ces bars qui rassemblaient les nationalistes radicaux dans le quar-
WLHUKLVWRULTXHGH%LOEDRHWDLOOHXUVDX3D\VEDVTXHHWGRQWOHVPXUV
étaient souvent recouverts de portraits des « martyrs » de l’ETA et des
SULVRQQLHUV GH OȇRUJDQLVDWLRQ IXUHQW IHUP«V /HV PDUFKHV GHV UDGL-
caux furent de plus en plus souvent interdites et les condamnations
pour « apologie du terrorisme » se multiplièrent. La mobilisation des
mouvements sociaux antiviolence diminua entre 2003 et 2011 paral-
lèlement à la réduction drastique des victimes de l’ETA (douze depuis
ODGHUQLªUHHQ /ȇHQVHPEOHGHFHV«YROXWLRQVLOOXVWUªUHQWOD
IDWLJXHGHOȇRSLQLRQSXEOLTXHEDVTXHHWVRQG«VLUGHȴQGHODYLROHQFH
HW GH SDFLȴFDWLRQ 3HX ¢ SHX DX VHLQ GH OD FRPPXQDXW« QDWLRQDOLVWH
UDGLFDOH FHUWDLQV DFWHXUV FRPPHQFªUHQW ¢ SUHQGUH FRQVFLHQFH TXH
OD ȴQ GH OD YLROHQFH Qȇ«WDLW SDV Q«JRFLDEOH FRQWUH GHV FRQWUHSDUWLHV
SROLWLTXHV HW GHYDLW ¬WUH G«FLG«H XQLODW«UDOHPHQW SDU OȇRUJDQLVDWLRQ
armée.
'DQVODYHLQHGXFHVVH]OHIHXGHOHFKDQJHPHQWHWODSDFLȴ-
FDWLRQ VRQW DXMRXUGȇKXL WUªV QHWWHPHQW SHUFHSWLEOHV DX 3D\V EDVTXH
notamment à travers l’autodissolution des mouvements sociaux anti-
ETA. Lokarri OH GHUQLHU PRXYHPHQW VRFLDO HQ DFWLYLW« FU«« HQ 
dans la continuité de Elkarri Q« HQ  DYHF OȇREMHFWLI GH PHWWUH ȴQ
DX WHUURULVPH VȇHVW DLQVL GLVVRXV HQ PDUV 6RQ FRRUGLQDWHXU
3DXO 5¯RV MXVWLȴD HQ HIIHW FHWWH G«FLVLRQ SDU OH IDLW TXH mOD ȴQ GH OD
violence est désormais irréversible »62. Lokarri a servi de mouve-
ment social médiateur dans le processus de légalisation de la gauche
abertzaleHQI«YULHUGHP¬PHTXHORUVGHODG«FODUDWLRQGȇ$LHWH
GȇRFWREUH TXL PLW ȴQ ¢ OD OXWWH DUP«H $YDQW OXL HQ MXLQ
ce fut Gesto por la Paz TXL DQQRQ©D VD GLVVROXWLRQ DSUªV cBasta Ya 
HQ  GRQW OHV SULQFLSDX[ UHVSRQVDEOHV VH VRQW GHSXLV HQJDJ«V HQ
SROLWLTXH QRWDPPHQW DX VHLQ GX SDUWL 8QLRQ SURJUªV HW G«PRFUDWLH
83\' &HUWDLQHVTXHVWLRQVUHVWHQWFHSHQGDQWHQVXVSHQVQRWDPPHQW
OHG«VDUPHPHQWODU«LQW«JUDWLRQVRFLDOHGHVSULVRQQLHUVHWODFRH[LV-
WHQFHSDFLȴTXH

62. « La disolución de LQMCTTKzEl Mundo, 10 mars 2015.

180
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

Photo 6.2. Manifestation de dénonciation de la politique pénitentiaire (2011)

INSTITUTIONNALISATION ET « TRANSITION
DÉMOCRATIQUE » DU NATIONALISME
BASQUE RADICAL (DEPUIS 2011)
'HSXLV OH mFHVVH]OHIHX G«ȴQLWLI GH OȇDFWLYLW« DUP«H} GH Oȇ(7$ OH
RFWREUHLOHVWGRQFSRVVLEOHGHGLUHTXHOȇRQDVVLVWH¢ODmWUDQ-
VLWLRQ G«PRFUDWLTXH} GX QDWLRQDOLVPH EDVTXH UDGLFDO FDUDFW«ULV«H
par un rejet formel de la violence et un début d’autocritique sur les
dérives des années de lutte armée633HQGDQWOHVDQQ«HVOHQDWLR-
QDOLVPHUDGLFDOO«JLWLPDLWRXYHUWHPHQWODYLROHQFHSXLVLOVȇHPSOR\D¢
formuler de nombreux euphémismes pour ne pas la condamner durant
les années 1990. Ses partisans présentèrent ses postulats comme non-
Q«JRFLDEOHV ȃ OȇDXWRG«WHUPLQDWLRQ OȇDSSDUWHQDQFH GX 3D\V EDVTXH
IUDQ©DLVGHOD1DYDUUHHWGHOȇ(XVNDGL¢ODP¬PHQDWLRQOHUHWUDLWGHV
IRUFHV GH SROLFH HW GH OȇDUP«H GX 3D\V EDVTXH ȃ OHXU SHUPHWWDQW GH
MXVWLȴHU GHYDQW OD QRQU«DOLVDWLRQ GH FHV FRQGLWLRQV OȇH[HUFLFH GȇXQH
violence présentée comme « défensive » contre une autre violence
MXJ«H DQW«ULHXUH GH mOȇ‹WDW HVSDJQRO} FRQWUH OH mSHXSOH} EDVTXH /D

63. « ETA anuncia el cese definitivo de su actividad armada », Gara, 20 octobre 2011.

181
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

sacralisation de ces postulats hautement contestables créa une « reli-


JLRQSROLWLTXH}O«JLWLPDQWQRQVHXOHPHQWODG«VRE«LVVDQFHFLYLOHPDLV
exerçant surtout la violence en niant à l’autre la liberté d’expression
que l’on revendiquait pour soi64.
/D SRVWXUH DQWLV\VWªPH OH SRSXOLVPH ȃ HQ SU«WHQGDQW FRQVWDP-
PHQWDJLUDXQRPGXmSHXSOH}EDVTXHȃHWODWHQGDQFH¢ODYLFWLPLVD-
tion du nationalisme radical n’ont pas fondamentalement changé. Pas
plus que le recours très fréquent aux manifestations de rue. Ce courant
D ȴG«OLV« XQH EDVH PLOLWDQWH G«WHUPLQ«H HW WUªV LPSOLTX«H SROLWLTXH-
PHQW 0DLV LO HVW HQ SDVVH GH VȇLQV«UHU G«ȴQLWLYHPHQW DX VHLQ GX MHX
G«PRFUDWLTXHHWFȇHVWWDQWPLHX[&HUWHVODUK«WRULTXHGHODmYLROHQFH
GH Oȇ‹WDW HVSDJQRO} HVW WRXMRXUV GH PLVH 0DLV OH FKRL[ DɚUP« GH OD
continuation de la lutte pour l’indépendance par la rue et les urnes en
«FDUWDQW G«ȴQLWLYHPHQW OD YLROHQFH SROLWLTXH FRQVWLWXH XQH DYDQF«H
majeure dans la démocratisation de ce courant politique. Comme nous
le verrons ci-dessous en retraçant des événements symptomatiques
GH OȇDFWXDOLW« EDVTXH GHSXLV  FH SURFHVVXV HQ FRXUV HVW WRXWHIRLV
incomplet et sujet à des tensions importantes au sein même de la com-
munauté nationaliste radicale.

8QHUXSWXUHDYHFOHSDVV«ȴQGHODYLROHQFH
UHQRXYHDXGHOȇLQG«SHQGDQWLVPHHWSDFLȴFDWLRQ
(Q RFWREUH SOXVLHXUV DQFLHQV UHVSRQVDEOHV GH Batasuna
dont son ex-dirigeant Arnaldo Otegi en prison depuis 2009 pour une
FROODERUDWLRQ SU«VXP«H DYHF Oȇ(7$ RQW LQFLW« OȇRUJDQLVDWLRQ DUP«H ¢
proclamer un cessez-le-feu unilatéral et inconditionnel de la violence
sans exiger de conditions préalables au gouvernement espagnol. La
gauche abertzale a donc accueilli comme une « évolution sans précé-
GHQW}HW¢ODSRUW«HmKLVWRULTXH}OHFRPPXQLTX«SRVW«ULHXUGHOȇ(7$
d’octobre 201165. Le nationalisme radical a parallèlement effectué un
retour important sur la scène électorale : avec vingt et un représentants
VXUVRL[DQWHTXLQ]H VXLWH¢OȇREWHQWLRQGHGHVYRL[ Euskal Herria
Bildu m5«XQLUOȇ(XVNDO+HUULD}EH Bildu TXLLQWªJUHOHVSDUWLVSortu
(XVNR $ONDUWDVXQD $UDODU HW $OWHUQDWLED FRQVWLWXH G«VRUPDLV OD GHX-
xième formation politique derrière le PNV (vingt-sept représentants)
au Parlement du Pays basque depuis 2012. Bildu compte aussi onze

šL’expression de « religion politique » est ici reprise de Jesús CƧƸƶƺƫƹƫ, En el nombre de


Euskal Herria. La religión política del nacionalismo vasco radical, Madrid, Tecnos, 2009.
65. « Batasuna considera el comunicado de ETAWPCūFGEKUKȕPUKPRTGEGFGPVGUŬEQPWPCNECPEG
ūJKUVȕTKEQŬzEl País, 10 janvier 2011.

182
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

représentants (sur cinquante) au Parlement de Navarre et Amairur a


envoyé sept parlementaires au Congrès des députés et obtenu quatre
sénateurs66 /RUV GHV «OHFWLRQV PXQLFLSDOHV GH PDL Bildu (sans
$UDODU  D REWHQX  GHV YRL[   GHUULªUH OH 319  
P¬PHVLVRQYRWHSOXVWHUULWRULDOHPHQWFRQFHQWU«GDQVFHUWDLQHV]RQHV
*XLSXVFRD QRWDPPHQW  OXL D SHUPLV GȇREWHQLU  FRQVHLOOHUV PXQL-
cipaux contre 873 pour le PNV67. La coalition a aussi conquis la ville
GH 6DLQW6«EDVWLHQ GRQW -XDQ &DUORV ,]DJLUUH HVW GHYHQX PDLUH Bildu
XQHFRDOLWLRQLQLWLDOHPHQWIRUP«H OHDYULOVȇHVW WUDQVIRUP«H HQ
juin 2012 pour devenir EH Bildu. Il est aussi intéressant de noter que
*XLSXVFRDFRQVWLWXHWRXMRXUVOHmȴHI}GXQDWLRQDOLVPHUDGLFDO Bildu-
EA\REWHQDQWGHVYRL[HWFRQVHLOOHUVFRQWUHVHXOHPHQW
SRXU OH 319  DORUV TXH OD %LVFD\H HVW WRXMRXUV GRPLQ«H SDU OH 319
FRQWUHSRXUBildu) et que le PP est désormais majoritaire
HQ$ODYD FRQWUHSRXUOH319HWSRXUBildu-EA)68.
Dix ans après la condamnation de Batasuna et après avoir présenté
KXLW mPDUTXHV} «OHFWRUDOHV GLVWLQFWHV OH mFRQJUªV FRQVWLWXDQW} GH
Sortu¢3DPSHOXQHOHI«YULHUPDUTXDOHG«EXWGȇXQHQRXYHOOH
ère dans le respect de la légalité pour le nationalisme basque radical.
Le parti appela à « rompre les chaînes avec la France et l’Espagne et à
participer à la vague en faveur de l’indépendance »69. Sortu et EH Bildu
cherchent à convaincre le PNV de parvenir à un accord sur « le droit
¢ G«FLGHU} WRXW HQ DSSHODQW OD EDVH VRFLDOH GX 319 ¢ VH MRLQGUH DX[
manifestations et au mouvement social indépendantiste70 ‚ ,UXQ OH
MDQYLHU  Sortu SURSRVD OD FRQVWUXFWLRQ GȇXQ ‹WDW EDVTXH LQG«-
SHQGDQW /H PDUV VXLYDQW DX Bilbao Exhibition Centre de Barakaldo
%LVFD\H  GL[ PLOOH PLOLWDQWV «FRXWªUHQW VD SURSRVLWLRQ VRXYHUDLQLVWH
VXUQRPP«HODmYRLHEDVTXH}SU«VHQW«HIDFH¢ODmSDVVLYLW«GX319}
HW ¢ mOȇLPPRELOLVPH GH Oȇ‹WDW} /HV GLULJHDQWV GX SDUWL LQFLWªUHQW OHV
FLWR\HQVEDVTXHV¢XQHmLQVXERUGLQDWLRQG«PRFUDWLTXH}DȴQGȇDYDQFHU

šLors des élections européennes de 2014, la coalition a aussi envoyé un représentant, Josu
Juaristi, au Parlement de Strasbourg.
šNotons que ce résultat lui permet d’être loin devant le PSEEEPSOE CXGE  GV
š XQKZ  GV SWŨWPG CWVTG HQTOCVKQP KPFȌRGPFCPVKUVG ATCNCT C CWUUK QDVGPW  CXGE
š XQKZ  Cf. « Elecciones municipales 2011 en EWUMCFKz Archives des résultats électo
raux, GQWXGTPGOGPVDCUSWGFȌRCTVGOGPVFGNCUȌEWTKVȌ=JVVRYYYGWUMCFKPGV?EQPUWNVȌNG
12 mars 2015.
šIbid.
šMKMGNOƷƳƧƿƧƨƧƲ, « Sortu aguarda su refundación », El País, 22 février 2014.
70. « EH Bildu muestra al PNV su voluntad de acuerdos sobre el derecho a decidir », El País,
4 janvier 2015.

183
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

dans un processus « unilatéral et désobéissant » qui puisse déboucher


sur une « constitution de la République basque »71. Le parti cherche à
DPSOLȴHUODEDVHVRFLDOHGHOȇLQG«SHQGDQWLVPHHQPXOWLSOLDQWOHVRUJDQL-
VDWLRQVSROLWLTXHVV\QGLFDOHVHWFXOWXUHOOHVSDUWHQDLUHV6RQREMHFWLIHVW
de « créer des majorités sociales et politiques pour utiliser les institu-
WLRQVH[LVWDQWHVDXVHUYLFHGHODVRXYHUDLQHW«}SXLVGHUHG«ȴQLUSDUOH
EDVOHVPRGªOHVMXULGLFRSROLWLTXHVGHOȇ(XVNDGLGX3D\VEDVTXHIUDQ©DLV
HW GH OD 1DYDUUH VXLYDQW WURLV SURFHVVXV GLVWLQFWV DYHF GHV U\WKPHV
GLII«UHQWVPDLVVXLYDQWOHP¬PHREMHFWLIGHFRQVWUXLUHXQ‹WDWEDVTXH
indépendant72. Le porte-parole d’EH Bildu+DVLHU$UUDL]DSSHOOHDLQVL¢
une « rupture démocratique » unilatérale avec l’Espagne et à un « pro-
FHVVXVFRQVWLWXDQWHQ(XVNDO+HUULD}SXLVTXHVHORQOXLmOȇ‹WDWHVSDJQRO
ne reconnaîtra jamais le droit à décider du peuple basque »73.
Même si le discours a changé et que Sortu rejette désormais claire-
PHQWODOXWWHDUP«HGDQVVHVVWDWXWVOHVDQFLHQVPHPEUHVGHBatasuna
5Xȴ (W[HEDUULD -RVHED 3HUPDFK HW -XDQ -RV« 3HWULNRUHQD GRPLQHQW
VRQFRQVHLOQDWLRQDOLOOXVWUDQWXQHFHUWDLQHFRQWLQXLW«GHVȴJXUHVGLUL-
geantes. Arnaldo Otegi a joué un rôle central dans l’évolution de la stra-
W«JLHGHVLQG«SHQGDQWLVWHVHQVRXWHQDQWGHSXLVVDSULVRQGH/RJUR³ROD
mFRQVWUXFWLRQGȇXQHPDMRULW«VRFLDOH}QRWDPPHQW¢WUDYHUVXQmIURQW
souverainiste » avec le PNV74. La manifestation commune de la gauche
abertzale avec le PNV en janvier 2014 sembla illustrer ce rapproche-
ment. La « lutte idéologique » et la « confrontation démocratique » dans
la rue et dans les urnes constituent toujours les piliers de sa stratégie
politique. Mais le fait que les militants de Sortu choisirent Otegi pour
RFFXSHU OH SRVWH GH VHFU«WDLUH J«Q«UDO ODLVV« YDFDQW HQ VRQ DEVHQFH
LOOXVWUH ELHQ TXH SRXU HX[ OD mQRUPDOLVDWLRQ} GX FRQȵLW QȇDXUD U«HO-
lement lieu qu’une fois que les prisonniers de l’ETA seront libérés et
que cesseront les emprisonnements de dirigeants abertzales. Devant
HQYLURQGHX[PLOOHPLOLWDQWV¢,UXQHQMDQYLHUOHSRUWHSDUROHGX
&RQVHLO1DWLRQDO3HUQDQGR%DUUHQDG«FODUDDLQVLTXHmODSROLWLTXHGH
U«SUHVVLRQGHOȇ‹WDWHVSDJQROQȇHVWSDVHQFRUHWHUPLQ«H}FHTXLVHUDLW
attesté par « ses menaces » et « sa politique pénitentiaire criminelle ».

71. « EH Bildu pide a los vascos que se pongan en pie como en CCVCNWȓCzEl País, 21 février
2015.
72. « EH Bildu propone un proceso en tres fases hasta una Constitución vasca », El País,
24 janvier 2015.
73. « ATTCK\CRGNCCNCūTWRVWTCFGOQETȄVKECŬEQPEURCȓCzEl País, 25 septembre 2014.
šJavier DƵƷƯƧ, « Sortu llama a una alianza soberanista en su constitución », El Mundo,
24 février 2013.

184
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

6XUOHSODQRUJDQLVDWLRQQHOOHQDWLRQDOLVPHEDVTXHUDGLFDODPDLQ-
tenu la tradition de la création d’une multiplicité de groupes politiques
s’organisant en cercles concentriques autour d’un noyau central. Cela
SHUPHWGHPXOWLSOLHUOHVDFWHXUVHWOHVQLYHDX[GHGLVFRXUVWRXWHQG«YH-
loppant son impact social : AmairurHVWSU«VHQWDX&RQJUªVGHVG«SXW«V
EH Bildu DX VHLQ GHV LQVWLWXWLRQV EDVTXHV HW Sortu G«ȴQLW OD VWUDW«JLH
d’ensemble. L’utilisation de plusieurs organisations offre la possibilité à
SortuGȇDGRSWHUXQHSRVWXUHPRLQVUDGLFDOHHWSOXVVXUSORPEDQWHWRXW
en laissant à des organisations proches le soin de prendre des postures
plus critiques et anticonventionnelles. Mais la démocratisation interne
du parti qui dit opter pour la « démocratie participative » demeure
OLPLW«H&HUWHVSOXVGHVL[PLOOHSHUVRQQHVRQWSDUWLFLS«¢VRQFRQJUªV
FRQVWLWXDQW PDLV VHXOHV FHUWDLQHV FDQGLGDWXUHV IXUHQW RXYHUWHV DX
SOXUDOLVPHOHVPLOLWDQWVGHYDQWUDWLȴHUOHVFDQGLGDWVXQLTXHVSURSRV«V
SRXU OD GLUHFWLRQ +DVLHU $UUDL] IXW QRPP« SU«VLGHQW ,GRLD $LDVWXL
UHVSRQVDEOHGHOȇRUJDQLVDWLRQLQWHUQH-XDQ-R[H3HWULNRUHQDGHODFRP-
PXQLFDWLRQ0DULVD$OHMDQGURGHVȴQDQFHV0DLWH8ELULDGHVUHODWLRQV
internationales et Arnaldo Otegi fut nommé secrétaire général malgré
son incarcération suite à l’affaire Bateragune75.
/H UHVSRQVDEOH GH OD mOXWWH LG«RORJLTXH} ,RVX /L]DUUDOGH IXW GH
P¬PHLPSRV«GȇHQKDXW&RPPHSRXUOHFRQVHLOQDWLRQDOOHVPLOLWDQWV
SXUHQWXQLTXHPHQWUDWLȴHUHQEORFOHVFRRUGLQDWHXUVWHUULWRULDX[SUR-
SRV«VSDUODGLUHFWLRQ0DULEL8JDUWHEXUXHQ%LVFD\H7[XV0DUWLQH]HQ
$ODYD-R[HDQ$JLUUHHQ*XLSXVFRD-XDQ.UX]$OGDVRURHQ1DYDUUHHW
Jean-François Lefort pour le Pays basque français. Les bases militantes
SXUHQW HQ IDLW VHXOHPHQW FKRLVLU WURLV SRUWHSDUROH $PDLD ,]NR ;DEL
/DUUDOGHHW3HUQDQGR%DUUHQD VXUFLQTSURSRV«VGHP¬PHTXȇXQUHV-
SRQVDEOHGHODmOXWWHGHPDVVH}HQRSWDQWSRXU0DULMH)XOODRQGRHW
XQUHVSRQVDEOHGHODmOXWWHLQVWLWXWLRQQHOOH} -RVHED3HUPDFK SDUPL
WURLVFDQGLGDWV¢FKDTXHIRLV3RXUODmU«VROXWLRQGXFRQȵLW}LOVFKRL-
VLUHQW5Xȴ(W[HEHUULD DQFLHQPHPEUHGHOȇ(7$PMXVTXȇHQSXLV
GH+%(+SXLVBatasuna SDUPLWURLVFDQGLGDWXUHVGHP¬PHTXHFLQT
personnes sur dix proposées par le conseil national pour les représen-
ter à l’international. Suite à un sondage récent annonçant Podemos
devant la gauche abertzale +DVLHU $UUDL] SODLGD SRXU XQH U«RUJD-
nisation au-delà de la coalition de partis et une « nouvelle culture
de participation » qui devrait permettre aux militants de « décider

75. « SQTVW FGLCTȄ XCECPVG NC UGETGVCTKC IGPGTCN OKGPVTCU Arnaldo Otegi siga en prisión », El
País, 14 février 2013.

185
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

eux-mêmes »76 (Q SOXV GH VD IUDJPHQWDWLRQ IRUFH HVW WRXWHIRLV GH
constater que le nationalisme basque radical demeure structuré en
LQWHUQH SDU XQH FHUWDLQH YHUWLFDOH GX SRXYRLU HW SDU XQH FXOWXUH GX
FRQȵLWGDQVVDVWUDW«JLHGHFRPS«WLWLRQ

Une transition inachevée


D’autres événements indiquent toutefois que la transition en cours
GHPHXUH LQDFKHY«H /H VHSWHPEUH  OH m&ROOHFWLI GHV SULVRQ-
niers et des prisonnières politiques basques » (EPPK) qui regroupe 732
SULVRQQLHUVGHOȇ(7$¢VDYRLUODTXDVLWRWDOLW«GHVG«WHQXVGHOȇRUJDQL-
VDWLRQ «PLW XQ FRPPXQLTX« VRXWHQX SDU  GH VHV PHPEUHV GDQV
OHTXHOLODSSURXYDLWOȇDFFRUGGH*XHUQLFDGXVHSWHPEUHVXUOD
ȴQGHODYLROHQFHHWVȇHQJDJHDLW¢mDYDQFHUGDQVOHSURFHVVXVG«PRFUD-
WLTXH}VDQVSRXUDXWDQWVROOLFLWHUFODLUHPHQWODȴQGHVDFWLRQVGHOȇ(7$
et en plaidant pour un processus de négociation entre l’organisation et
le gouvernement77. Les détenus considérés comme « dissidents » par
OȇRUJDQLVDWLRQ OD SOXSDUW HQ RQW «W« H[SXOV«V  UHJURXS«V DXWRXU GX
« Collectif des prisonniers impliqués avec le processus de paix irréver-
VLEOH}«PLUHQWXQDXWUHFRPPXQLTX«OHP¬PHMRXUDSSX\DQWOȇDFFRUG
GH*XHUQLFDPDLVDSSHODQWDXVVLm¢ODUHFRQQDLVVDQFHGHVVRXIIUDQFHV
LQȵLJ«HV DX[ YLFWLPHV HW ¢ OD U«FRQFLOLDWLRQ VRFLDOH78} (Q  VHXOV
une trentaine de prisonniers avaient choisi la voie Nanclares qui faci-
lite les remises de peine pour les prisonniers qui rejettent la violence
et assument de façon critique leur passé. Ceci illustre bien le fait que
PDOJU«ODȴQGHODYLROHQFHODUHFRQQDLVVDQFHGHVVRXIIUDQFHVLQȵLJ«HV
aux victimes et la réconciliation demeurent encore des enjeux problé-
matiques.
Le jugement de la Cour européenne des droits de l’homme de juil-
OHW TXL GRQQD UDLVRQ ¢ OȇH[PHPEUH GH Oȇ(7$ ,Q«V GHO 5LR 3UDGD
PLWȴQ¢ODdoctrine ParotSHUPLWODOLE«UDWLRQGHVRL[DQWHHWRQ]HSUL-
sonniers de l’ETA et posa encore plus clairement sur l’agenda politique

šSelon l’EWUMQDCTȕOGVTQ FG PQXGODTG ȃ NC SWGUVKQP kUK FGU ȌNGEVKQPU CXCKGPV NKGW
RTQEJCKPGOGPVRQWTSWKXQVGTKG\XQWUš!zFGUGPSWȍVȌUFGNCEQOOWPCWVȌCWVQPQOG
d’EWUMCFK FȌENCTȋTGPV QRVGT RQWT NG PNV, 25,6 % pour Podemos et seulement 19,7 % pour
EH Bildu. Cf. « Estimación de voto en el País Vasco », Encuesta electoral Euskobarómetro,
novembre 2014.
77. « Los presos de ETA apoyan el acuerdo de GGTPKMCSWGCUWOGGNHKPFGNCXKQNGPEKCzEl País,
24 septembre 2011.
78. « Los presos disidentes de ETA urgen a abordar la reparación de las víctimas », El País,
23 septembre 2011.

186
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

la question de leur réinsertion sociale79. Le Forum social créé en


février 2013 par Lokarri HWGLULJ«SDU3DXO5¯RVGHP¬PHTXHOHFROOHFWLI
Bake Bidea GLULJ« SDU 3HLR 'XIDX HVWLPH TXH OHV SULVRQQLHUV GRLYHQW
MRXHU XQ U¶OH LPSRUWDQW GDQV OH QRXYHDX VF«QDULR SROLWLTXH HW VRQW
soutenus dans leur démarche par EH Bildu et le PNV80. Le Forum social
FKHUFKH ¢ REWHQLU OD ȴQ GH OD SROLWLTXH GH GLVSHUVLRQ TXL HQJHQGUH
l’incarcération des prisonniers de l’ETA dans différentes prisons d’Es-
pagne et de France) et la libération des prisonniers. Il demande aussi la
liberté conditionnelle des prisonniers malades et de ceux âgés de plus
de soixante-dix ans. Les prisonniers et leurs associations de défense
constituent des groupes de pression centraux dans le processus de paci-
ȴFDWLRQ3DUH[HPSOHVXLWH¢ODFRQYRFDWLRQGȇEH Bildu et des syndicats
(/$HW/$%SOXVGHGL[PLOOHSHUVRQQHVRQWPDQLIHVW«OHVDPHGLMDQ-
vier 2015 dans le centre-ville de Saint-Sébastien pour protester contre
l’opération MateGHOD*DUGHFLYLOHPHQ«H¢OȇHQFRQWUHGHVDYRFDWVGHV
SULVRQQLHUV GH Oȇ(7$ VXLYDQW OH VORJDQ m'URLWV GH OȇKRPPH 6ROXWLRQ
Paix » (« Giza Eskubideak. Konponbidea. Bakea}  OH P¬PH TXH FHOXL
utilisé lors de la manifestation de Bilbao en janvier 2014 à laquelle par-
ticipa le PNV81/HI«YULHU,³LJR8UNXOOXHVWGHP¬PHGHYHQXOH
premier lehendakari (président de la communauté autonome) du Pays
EDVTXH HVSDJQRO ¢ UHFHYRLU GH ID©RQ RɚFLHOOH GHV IDPLOOHV GH SULVRQ-
QLHUVGHOȇ(7$ORUVGȇXQHU«XQLRQDYHF0DLGHU$OXVWL]DODSRUWHSDUROH
d’EtxeratOȇDVVRFLDWLRQTXLOHVUHSU«VHQWH82.
'HSOXVOHGLVFRXUVGHFHFRXUDQWSROLWLTXHGHPHXUHWRXMRXUVDXVVL
mUDGLFDO}ȵLUWDQWSDUIRLVDYHFmOȇDSRORJLHGXWHUURULVPH}FHTXLFU«H
un climat tendu avec les autres formations politiques et engendre une
multiplication des poursuites et des condamnations à répétition de ses
GLULJHDQWV (Q RFWREUH +DVLHU $UUDL] WUDLWD DLQVL GH mIDVFLVWH}

šLCūFQEVTKPGParot” correspondait à une jurisprudence du Tribunal suprême qui permettait


de maintenir en détention des prisonniers pourtant libérables. Condamnée en juillet 1987,
Inés del Rio devait être remise en liberté en 2008 après vingt ans de réclusion. Mais le 2 juillet
2008, l’AWFKGPEG PCVKQPCNG FȌEKFC FG TGRQWUUGT EGNNGEK LWUSWŨCW LWKP  WPG FȌEKUKQP
qui fut considérée comme abusive par la Cour européenne en 2012. La Cour considéra que
l’Espagne avait violé les articles 5 et 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, ce
qui fit jurisprudence et engendra la remise en liberté de nombreux prisonniers de l’ETA. Cf. « La
Cour de Strasbourg condamne l’EURCIPGRQWTNCūFQEVTKPGParot” », [EiTb. eu], 10 juillet 2012,
consulté le 11 mars 2015.
80. « El Foro Social pide al Parlamento una interlocución con los presos de ETA », El País,
15 mars 2015.
šInés CƮƧƻƧƷƷƯ, « Miles de personas defienden en la calle a los abogados de presos de ETA »,
El País, 17 janvier 2015.
82. « UTMWNNWGNRTKOGTNGJGPFCMCTKCTGEKDKTRTGUQUFGETA », La Vanguardia, 22 février 2015.

187
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Photo 6.3. Manifestation en faveur des prisonniers de l’ETA, Saint-Sébastien (2015)

%RUMD 6«PSHU OH SRUWHSDUROH GX 33 DX 3D\V EDVTXH /H G«FHPEUH
 ORUV GȇXQ KRPPDJH DX[ GLULJHDQWV GH Herri Batasuna assassinés
SDU OHV *$/ 6DQWLDJR %URXDUG HQ  HW -RVX 0XJXUX]D HQ 
LO G«FODUD TXH mOD VHXOH YLROHQFH HVW FHOOH GH Oȇ‹WDW WHUURULVWH GH OD
*DUGH FLYLOH HW GHV FRUSV U«SUHVVLIV} UHYHQGLTXDQW OD WUDMHFWRLUH GX
parti malgré sa dépendance passée à l’égard de l’organisation armée83.
Convoqué par le Tribunal suprême de justice du Pays basque pour un
délit présumé d’apologie du terrorisme et d’humiliation des victimes
VXLWH ¢ XQH SODLQWH GH OȇDVVRFLDWLRQ 'LJQLW« HW -XVWLFH LO G«FODUD DYRLU
défendu la stratégie de la gauche abertzale des trente-cinq dernières
DQQ«HV YLVDQW ¢ mURPSUH DYHF Oȇ(VSDJQH} HW QRQ OD mOXWWH DUP«H GH
Oȇ(7$} DYDQW Gȇ¬WUH ȴQDOHPHQW DFTXLWW«84 3RXU OXL VD FRQYRFDWLRQ
illustrerait le « manque de liberté d’expression des militants indépen-
dantistes » et leur répression. L’utilisation politique par Sortu de la
manifestation conjointe avec le PNV en faveur des droits de l’homme
HQTXLVHWHUPLQDSDUGHVFULVHQIDYHXUGHOȇ(7$FRQVWLWXHXQH
autre illustration du chemin qui reste à parcourir. Même si les statuts de
Sortu FRQGDPQHQW OD YLROHQFH OHV GLVFRXUV GHV QDWLRQDOLVWHV UDGLFDX[
GHPHXUHQWSDUIRLVDPELJXVHWODFRQGDPQDWLRQH[SOLFLWHGHVDQQ«HVGH
lutte armée de l’ETA demeure encore un tabou pour ce secteur social.

83. « El presidente de Sortu pide a la Guardia Civil que se vaya de EWUMCFKzEl País, 14 janvier
2015.
84. « Arraiz declara que defendió romper con el EUVCFQ[PQNCūNWEJCCTOCFCŬFGETA », El País,
2 avril 2014.

188
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

***
3RXU FRQFOXUH OH QDWLRQDOLVPH EDVTXH UDGLFDO HVW DXMRXUGȇKXL ¢
XQWRXUQDQWFHTXLGRQQHOLHX¢GHQRPEUHXVHVGLYLVLRQVHQVRQVHLQ
'ȇXQHSDUWLOFRQGDPQHGHSOXVHQSOXVODOXWWHDUP«HSDVV«HHWP¬PH
la « kale borroka} FHUWDLQV GLULJHDQWV D\DQW FRQGDPQ« GHV «SLVRGHV
récents de violence de rue. Le dirigeant de Sortu -RVHED 3HUPDFK D
ainsi déclaré son « rejet le plus absolu » de l’attaque contre le quar-
WLHU J«Q«UDO GX 33 ¢ %DUDNDOGR HQ QRYHPEUH DSSHODQW VHV V\P-
pathisants à défendre les droits des prisonniers de l’ETA « avec des
P«WKRGHVSDFLȴTXHV85 ». Des dirigeants de Bildu ont de même participé
à l’hommage rendu aux parlementaires socialistes Fernando Buesa et
(QULTXH&DVDVHQW«PRLJQDQWGXG«EXWGȇXQHUHFRQQDLVVDQFHGHV
souffrances engendrées par la lutte armée. Le choix d’une ligne dure
d’opposition au gouvernement régional dirigé par Urkullu n’est pas par-
WDJ«SDUWRXVFRPPHOȇDWWHVWHSDUH[HPSOHODG«PLVVLRQGHODSDUOHPHQ-
taire d’EH Bildu/DXUD0LQWHJLHQVHSWHPEUHHWVRQUHPSODFHPHQW
SDU,NHU&DVDQRYDG«WHQXHQHWFRQGDPQ«HQSDUOȇ$XGLHQFH
nationale comme responsable du mouvement de jeunesse Ekin86.
'ȇDXWUHSDUWOȇDXWRFULWLTXHTXDQW¢OȇXVDJHGXWHUURULVPHGHPHXUH
HQFRUHODUJHPHQWWDERXHFRPPHHQDWWHVWHODYRORQW«GHPHWWUHmOȇHQ-
VHPEOH GHV YLFWLPHV} DIIHFW«HV SDU OH WHUURULVPH VXU OH P¬PH SODQ
sous-entendant que les membres de l’ETA tués par les forces de l’ordre
GRLYHQWWRXWDXWDQW¬WUHUHP«PRU«VTXHOHVYLFWLPHVFLYLOHVSROLFLªUHV
et militaires de l’organisation87 $LQVL SDU H[HPSOH Bildu refusa de

85. « Ataque con artefactos incendiarios contra la sede del PP de BCTCMCNFQz ABC,
25 novembre 2013.
86.. « Mintegi se va ajena a la oposición dura de Bildu y a su papel diluido », El País, 25 juillet
2014.
šAu contraire, pour la droite conservatrice, comme en relève le maire de Vitoria Javier Maroto
PP), « seules les victimes de l’ETA méritent une reconnaissance spécifique », considérant qu’il
n’y a pas eu de « guerre » entre deux parties au Pays basque, mais plutôt une violence unilaté
rale de l’ETA. Cf. « MCTQVQTGRTQEJCCNIQDKGTPGSWGūOG\ENGŬCVQFCUNCUXȐEVKOCUzEl Mundo,
9 février 2015. Ce positionnement est défendu avec ardeur par le PP et les associations de
victimes du terrorisme. La position la plus partagée au sein de la société basque est cependant
de reconnaître qu’il y a eu des victimes des deux côtés, tout en considérant toutefois que les
victimes de l’ETA ont été beaucoup plus nombreuses que celles du « terrorisme d’État » des
GAL. Pour la plupart des Basques, le « conflit » avec l’État espagnol évoqué par les nationa
listes radicaux n’a existé que jusqu’à la fin du franquisme. Le choix du maintien de l’utilisation
de la violence par l’ETA malgré l’instauration du cadre démocratique définitivement ancré
après 1982, relevant plutôt d’une violence unilatérale. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle
parvinrent les historiens Raúl López Romo, Luis Castells, Antonio Ribera et José Antonio Pérez
dans un rapport sur la « mémoire historique au PC[UDCUSWGzTGPFWTȌEGOOGPV
au gouvernement de VKVQTKCGasteiz. PQWTWPEQORVGTGPFWFWTCRRQTVEH. Luis AƯƿǞƫƵƲƫƧ, « No
hubo conflicto vasco, sino totalitarismo de ETA », El País, 11 mars 2015.

189
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

participer en 2013 à l’hommage aux victimes soutenu par l’ensemble


GHV SDUWLV F«O«EU« ¢ *HW[R FKDTXH DQQ«H GHSXLV  ORUV GX m-RXU
GH OD P«PRLUH} /RUV GH OD FRPP«PRUDWLRQ OH PDLUH ,PDQRO /DQGD
LVVXGX319G«FODUDSRXUWDQWGDQVXQHYRORQW«GHUDVVHPEOHPHQWTXH
mGDQV FHWWH YLOOH QRXV DYRQV HX GHV YLFWLPHV GX WHUURULVPH GH Oȇ(7$
HWGHV*$/‚WUDYHUVFHWWHPLQXWHGHVLOHQFHQRXVYRXORQVKRQRUHUOD
mémoire de toutes les victimes88 ».
Force est toutefois de constater que la démocratisation de ce cou-
UDQWSROLWLTXHHVWHQPDUFKH1RWRQVDXVVLTXHVLOȇRQGHPDQGH¢MXVWH
titre aux indépendantistes de condamner le maintien de la lutte armée
DSUªV OD WUDQVLWLRQ SHX QRPEUHX[ VRQW FHX[ TXL SDUPL OHV FRQVHUYD-
WHXUVIRQWOȇHIIRUWGȇDGPHWWUHOHWHUURULVPHGȇ‹WDWGHV*$/HWGHUHQGUH
hommage à ses victimes. Dans les villes moyennes et les villages ruraux
GX3D\VEDVTXHOHVGHVFHQGDQWVGHYLFWLPHVGHOȇ(7$F¶WRLHQWVRXYHQW
au quotidien d’anciens membres de l’organisation sortis de prison. Ils
VHKD±VVHQWVRXYHQWVȇ«YLWHQWJ«Q«UDOHPHQWPDLVVHSDUOHQWGHSOXVHQ
plus. Des forums de rencontre et des lieux de parole se créent. La même
G\QDPLTXH HVW ¢ OȇĕXYUH GDQV OHV FRQVHLOV PXQLFLSDX[ R» OHV UHSU«-
sentants d’EH Bildu prennent part aux décisions politiques locales. Des
confrontations naissent ici ou là. Les indépendantistes n’hésitent pas à
hisser des drapeaux basques et à retirer parfois les drapeaux espagnols
des frontons des mairies. Ils prennent parfois des décisions ou émettent
des communiqués qui illustrent des pratiques de désobéissance civile.
Mais ils se plient aussi aux nécessités de la « gestion » municipale et au
EHVRLQGHVDWLVIDLUHOHXUV«OHFWHXUVSDVWRXMRXUVLQG«SHQGDQWLVWHV&HX[
qui vivent au Pays basque espagnol s’accordent pour dire que les choses
ont changé depuis 2011. Le climat est plus serein. La paix se construit
MRXU DSUªV MRXU 3HWLW ¢ SHWLW FKDFXQ DFFHSWH OH MHX GH OD G«PRFUDWLH
HW GH OD U«FRQFLOLDWLRQ UHFRQQDLVVDQW OD Q«FHVVLW« GX GLDORJXH HW GX
FRPSURPLVGDQVXQHVRFL«W«EDVTXHSOXUDOLVWHXQHFDUDFW«ULVWLTXHTXL
GHPHXUHLQFKDQJ«HGHSXLVDXPRLQVODȴQGXXIXe siècle.

88. « LC K\SWKGTFC ūCDGTV\CNGŬ TGEJC\C NC ūMCNG DQTTQMCŬ RGTQ GXKVC TGEQTFCT C NCU XȐEVKOCUz
El País, 29 novembre 2013. Les GAL correspondent aux groupes antiterroristes de libération,
groupes d’extrême droite qui assassinèrent des membres de l’ETA lors des années de plomb.

190
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

7
Le mouvement des indignés :
la création du 15-M et sa postérité
Sylvie KOLLER

Ils ne nous représentent pas.


Ce n’est pas une crise, c’est une escroquerie.
Nous ne sommes pas contre le système, c’est le système
qui est contre nous.
(Slogans des indignés de Madrid)

(Q PDL OȇDVVHPEO«H GH 0DGULG GH FH TXL HVW G«VRUPDLV
dénommé le 15-M a célébré le troisième anniversaire de la création
du mouvement des indignés1. Les formes mêmes de cet anniversaire
VȇLQVFULYHQW GDQV OD FRQWLQXLW« GH Oȇ«ODQ SUHPLHU PDLV Oȇ«Y«QHPHQW
n’a pas fédéré plus de quelques centaines de personnes et a eu peu de
U«SHUFXVVLRQVP«GLDWLTXHVP¬PHGDQVODSUHVVHV\PSDWKLVDQWH(VWFH
¢GLUHTXHOȇHVVRXɛHPHQWGXPRXYHPHQWDQQRQF«GªVMXLOOHWVH
FRQȴUPH" /D U«SRQVH DSSHOOH GHV QXDQFHV &HUWHV OHV PRELOLVDWLRQV
GH PDVVH FRQYRTX«HV GLUHFWHPHQW SDU OHV GLII«UHQWHV UDPLȴFDWLRQV
visibles du 15-M (Democracia Real YaJuventud sin FuturoAssemblée de
MadridDVVHPEO«HVORFDOHV QHVHVRQWSDVUHSURGXLWHVDSUªVODJUDQGH
manifestation unitaire du 15 octobre 2011. Mais si le mouvement des
LQGLJQ«V QH VH S«UHQQLVH SDV GDQV VD IRUPH LQLWLDOH VHV QRPEUHXVHV
mutations en gardent l’empreinte originelle. Certains répertoires d’ac-
tion et formes d’organisation demeurèrent bien présents lors du troi-
sième anniversaire : tenue d’une assemblée ouverte sur la Puerta del
6RO WUDYDLO «FKHORQQ« VXU SOXVLHXUV MRXUQ«HV DX VHLQ GȇDWHOLHUV HW GH
FRPPLVVLRQV WK«PDWLTXHV GDQV XQ HVSDFH SXEOLF UHSU«VHQWDWLI GH OD

šLGUKINGMTGPXQKGȃNCFCVGFWOCKEŨGUVȃFKTGȃWPGOCPKHGUVCVKQPQTICPKUȌGȃ
Madrid contre l’ordre économique et politique. Refusant de se disperser, quelques participants
à la manifestation passèrent la nuit sur la Puerta del Sol, marquant le début symbolique de
l’occupation de la place. Cette date inaugurale est le coup d’envoi du mouvement social des
Indignés. Il est habituel en Espagne de cristalliser les dates pour évoquer des événements
marquants.

191
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

contre-culture : el Campo de la Cebada GDQV OH 0DGULG KLVWRULTXH /HV


indignés ont aussi organisé une célébration alternative de la fête votive
GH6DQ,VLGURSDWURQGH0DGULGHWDSSHO«¢PDQLIHVWHUHQGLUHFWLRQGH
OD3XHUWDGHO6RO'HWRXVFHV«Y«QHPHQWVOHMRXUQDOGHOȇDVVHPEO«HGH
Madrid s’est fait largement écho2.
Les revendications soutenues lors du troisième anniversaire illus-
trèrent une lutte axée sur deux points centraux : la critique du modèle
«FRQRPLTXH HW ȴQDQFLHU HVSDJQRO HW OH UHIXV GX V\VWªPH SROLWLTXH HQ
SODFHXQGRXEOHȴOFRQGXFWHXUSU«VHQWGHSXLVOHG«EXWGXPRXYHPHQW
La démocratie participative était encore à l’ordre du jour. Mais par
DLOOHXUVODSURFODPDWLRQGȇXQHVSULWGHU«VLVWDQFH¢GLYHUVHVIRUPHVGH
U«SUHVVLRQPLQXWLHXVHPHQWUHFHQV«HVWUDGXLVLWXQHIRUPHGȇDXWRJORUL-
ȴFDWLRQFRPSHQVDWULFHSURSUHDX[JURXSHVPLOLWDQWVHQSHUWHGHYLWHVVH
Le paysage social du mouvement est donc aujourd’hui contrasté : perte
GȇDXGLHQFHGLUHFWHDWRPLVDWLRQGHVJURXSHVWHQGDQFHDXUHVVDVVHPHQW
GHVHVUHYHQGLFDWLRQVHWGHVHVPRGHVGȇDFWLRQPDLVDXVVLSHUVLVWDQFH
d’un idéal incarné dans des espaces de débat public. Il faut ajouter
que la perméabilité est grande entre le 15-M et d’autres mouvements
VRFLDX[YRLUHSROLWLTXHVHWTXHOHVIRUPHVGȇHQJDJHPHQWVRQWPXOWLSOHV
HW YDULDEOHV GDQV OH FRQWH[WH HVSDJQRO FRQWHPSRUDLQ FDUDFW«ULV« SDU
une crise économique et sociale sans précédent. Le 15-M lui-même peut
GRQFSDUD°WUHHQVRPPHLORXHQUHFXOWDQGLVTXHOHVDFWHXUVGXPRX-
vement des indignés choisissent en fait de s’investir dans des collectifs
FLWR\HQV GHV SODWHIRUPHV GHV FRPLW«V GH TXDUWLHU HW GHV H[S«ULHQFHV
d’économie alternative.
Comment s’est structuré le mouvement des indignés en Espagne
GHSXLVVHVRULJLQHV"4XHOVDXWUHVPRXYHPHQWVVRFLDX[RQW«PHUJ«GDQV
VRQVLOODJH"'DQVFHFKDSLWUHQRXVPRQWUHURQVGȇDERUGTXHOȇLQȵXHQFH
du mouvement des indignés survit actuellement sous des formes
GLYHUVHVLUULJXDQWOHPRXYHPHQWVRFLDOGHSXLVVDQVTXȇLOVRLWSRV-
VLEOHGȇDWWULEXHUDX[LQGLJQ«VODSDWHUQLW«GHVSURWHVWDWLRQVV\QGLFDOHV
des manifestations de rue ou de l’émergence de formations politiques.
3RXU H[SOLTXHU FH UD\RQQHPHQW GLIIXV QRXV QRXV DWWDFKHURQV DX[
IRUPHVLQLWLDOHVGHODPRELOLVDWLRQGRQWODSRUW«HV\PEROLTXHDSX«FOLS-
ser le contenu même des aspirations qu’elle portait. Nous montrerons
TXHODGLPHQVLRQGHUDVVHPEOHPHQWIXVLRQQHOQȇ«WDLWSDVOHVHXOHQMHX
mais que les revendications exprimées dès le début s’articulaient à un
GLDJQRVWLF SRUW« VXU Oȇ«FRQRPLH HW OD SROLWLTXH ¢ XQ PRPHQW FULWLTXH

2. « Especial APKXGTUCTKQM », Madrid 15-M, periódico de Asambleas de Madrid, nº 25, mai 2014.

192
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

de l’histoire de l’Espagne. Puis nous décrirons les actions militantes des


acteurs sociaux organisés qui se spécialisent sur certaines revendica-
WLRQV WRXW HQ VȇLQVSLUDQW GHV HQVHLJQHPHQWV GX 0 DȴQ GȇHQWUHWHQLU
XQHG\QDPLTXHGHUDVVHPEOHPHQW(QȴQQRXVRXYULURQVXQTXHVWLRQ-
nement sur la prolongation politique possible du 15-M.

UN ANNIVERSAIRE PEUT EN CACHER UN AUTRE


,OIDXW«ODUJLUQRWUHFKDPSGHYLVLRQSRXUGLVWLQJXHUDXSULQWHPSV
GHX[«Y«QHPHQWVTXLGRLYHQWEHDXFRXS¢ODEUªFKHGHVSRVVLEOHV
ouverte par les indignés dans le jeu social et politique espagnol depuis
2011. Deux événements préparés par des forces sociales et politiques
TXLVHU«FODPHQWGHOȇHVSULWGX0GDQVODPHVXUHR»LOVU«FXVHQWmOH
V\VWªPH}PDLVTXLRQWDXVVLGHVLQW«U¬WVSURSUHV&HV«Y«QHPHQWVQH
GHYDLHQWULHQ¢OȇHIIHWGHVXUSULVHHW¢ODVSRQWDQ«LW«HWWRXW¢ODSU«SD-
ration.
/H VDPHGL PDUV  0DGULG D YX FRQYHUJHU OHV mPDUFKHV GH
ODGLJQLW«}SDUWLHVGHGLII«UHQWVSRLQWVGHOȇ(VSDJQHRUJDQLV«HVHQKXLW
FRORQQHV DFFXHLOOLHV K«EHUJ«HV QRXUULHV HW I¬W«HV SDU OHV 0DGULOªQHV
qui ont voulu manifester avec les marcheurs. Celles-ci ont été initiées
par le Syndicat andalou des travailleurs (SAT) et rejointes par de
QRPEUHXVHV FRPSRVDQWHV FROOHFWLIV V\QGLFDWV DVVHPEO«HV ORFDOHV /H
WULSOHPRWGȇRUGUHGHVPDUFKHV«WDLWm'XSDLQXQWRLWGXWUDYDLO}(Q
FRQWUDGLFWLRQDYHFOȇHVSULWFLWR\HQHWQRQSDUWLVDQGȇRULJLQHGX0OHV
drapeaux de syndicats et de partis nationalistes et républicains étaient
YLVLEOHV1RQYLROHQWHODPDQLIHVWDWLRQQȇDG«J«Q«U«HQDIIURQWHPHQWV
DYHFODSROLFHTXHORUVGHVDGLVVROXWLRQDYHFGHVKHXUWVTXLIXUHQWVXL-
vis d’interpellations. Ce répertoire d’action rappela en fait les marches
organisées dans toute l’Espagne par les indignés entre le 19 juin et le
MXLOOHW  DYHF GHV KDOWHV GDQV OHV SHWLWHV YLOOHV HW XQH DUULY«H
« triomphale » à Madrid. Ces marches de la dignité représentèrent un
effort porté par des militants et de simples citoyens en vue de fédérer les
différentes formes de protestation sociale des dernières années contre
OD SROLWLTXH GX JRXYHUQHPHQW GX 3DUWL SRSXODLUH FDUDFW«ULV«H SDU OD
régression des droits sociaux et l’austérité budgétaire. Bien que l’on soit
ORLQGHOȇDQRQ\PDWIXVLRQQHOGHVG«EXWVFHVPDUFKHVSHUPLUHQWDXVVL
de revivre ce que le 15-M avait de plus convivial : le partage d’espaces
SXEOLFVOHUHODLVHQWUHJ«Q«UDWLRQVOHERQKHXUGHIDLUHQRPEUHOHVRX-
tien des sympathisants.

193
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Le résultat du vote aux élections européennes du 25 mai constitua


OȇDXWUH «Y«QHPHQW GX SULQWHPSV  ‚ OD VXUSULVH J«Q«UDOH OH QRX-
veau parti Podemos DSUªV VHXOHPHQW TXDWUH PRLV GȇH[LVWHQFH O«JDOH
récolta 1 245 000 voix et remporta cinq sièges au Parlement européen.
/D ȴJXUH P«GLDWLTXH GH VRQ OHDGHU 3DEOR ,JOHVLDV WUªV ERQ FRPPX-
nicant et participant actif de plusieurs tertulias GHV G«EDWV SROLWLTXHV
W«O«YLV«V KHEGRPDGDLUHV IXW DLQVL FRQVDFU«H 7DQGLV TXH OH SDUWL IXW
immédiatement dénigré et calomnié par l’« establishment » politique et
OHVP«GLDVGHGURLWHGDQVODPRXYDQFHGX0OHVU«DFWLRQVYDULªUHQW
GHOȇLQGLII«UHQFHDɚFK«H¢ODU«ȵH[LRQW¤WRQQDQWHVXUOȇRXYHUWXUHGȇXQH
mIHQ¬WUH GȇRSSRUWXQLW«} G«PRFUDWLTXH HQ SDVVDQW SDU OD FULWLTXH GH
l’opportunisme des dirigeants de Podemos'HIDLWHQPDLDSUªV
G«M¢ SOXV GH VL[ DQQ«HV GH FULVH «FRQRPLTXH OHV FLUFRQVWDQFHV RQW
FKDQJ«/DFULVHVRFLDOHSHUVLVWHOHVPRELOLVDWLRQVVRFLDOHVU«S«W«HVGHV
GHUQLªUHVDQQ«HVQȇRQWGRQQ«TXHSHXGHU«VXOWDWVFRQFUHWVOHSRXYRLU
donne des signes de raidissement et prépare une contre-attaque juri-
dique et judiciaire musclée contre les activistes sociaux. Mais dans le
P¬PH WHPSV OHV VLJQHV YLVLEOHV GȇXQH FULVH GH U«JLPH HW OD G«VDɚOLD-
tion politique croissante des Espagnols envers les partis traditionnels
illustrent la fragilité du pouvoir. C’est ce moment propice que choisirent
les militants de Podemos pour faire lever le grain de la contestation
semé par le 15-M.
'XPRXYHPHQWLOVUHSULUHQWXQVORJDQFHQWUDOSi, Podemos m2XL
QRXVSRXYRQV} OXLP¬PHG«ULY«GXF«OªEUHmYes, we can » popularisé
par Barack Obama lors de la présidentielle américaine de 2008. Mais
VXUWRXW Podemos a emprunté au 15-M certaines règles de fonctionne-
PHQW FRPPH XQ PRGH GȇDɚOLDWLRQ VRXSOH VDQV FRWLVDWLRQ H[LJ«H  HW
des formes de cyberactivisme : délibérations et forums de participation
VXU LQWHUQHW 'H SOXV OH QRXYHDX SDUWL VȇLQVSLUH GHV SURSRVLWLRQV GX
mouvement sur le contrôle démocratique : primaires ouvertes pour
désigner les candidats aux élections ou à certaines fonctions ; possibi-
lité de révoquer les élus ; limitation à deux mille euros des indemnités
SDUOHPHQWDLUHVm/HSDUWLFȇHVWODP«WKRGH}DG«FODU«3DEOR,JOHVLDV
Podemos invite ainsi ses sympathisants à constituer des cercles sur une
EDVHORFDOHSURIHVVLRQQHOOHRXWK«PDWLTXHGHID©RQOLEUHHWDXWRQRPH
ce qui rappelle l’organisation du 15-M. Il est encore trop tôt pour ana-
O\VHUOHVIRUPHVGHG«O«JDWLRQGHFHUWLȴFDWLRQHWGHFRQWU¶OHGLULJHDQW
que le parti va peut-être mettre en place pour limiter l’horizontalité et
ODG«PRFUDWLHGLUHFWHHWDȴQGHUHQIRUFHUVHVSRVLWLRQVGDQVODFRQFXU-
rence politique. Toujours est-il que suite aux élections européennes de

194
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

PDLXQSDVPDMHXUIXWIUDQFKLYHUVXQHWUDQVIRUPDWLRQGHOȇLQGL-
gnation sociale en un nouveau capital politique.
5HYHQLU¢SU«VHQWVXUODID©RQGRQWHVWQ«OHPRXYHPHQWGXPDL
VXUVHVDFWHXUVVXUOHVIRUPHVTXȇLODDGRSW«HVHWVXUVHVSURSRVLWLRQV
SHUPHW GH FRPSUHQGUH OȇLQȵXHQFH TXȇLO D H[HUF«H HQ WDQW TXH YHFWHXU
d’insurrection morale. Peu susceptible de se perpétuer dans son état ini-
WLDOFHWWHLQGLJQDWLRQDFRQQXGHVPXWDWLRQVWRXWSDUWLFXOLªUHPHQWHQ
évoluant vers des formes d’indignation plus sélectives et spécialisées.
Elle a servi de carburant à des acteurs sociaux différenciés qui se sont
mobilisés pour défendre leurs objectifs propres. Elle a aussi changé de
ODQJDJHHQ«SRXVDQWGȇDXWUHVUK«WRULTXHV6RQK«ULWDJHFHSHQGDQWHVW
DXMRXUGȇKXLELHQSDOSDEOHHWQHVHODLVVHSDVIDFLOHPHQWHQIHUPHUGDQV
GHV G«ȴQLWLRQV FDULFDWXUDOHV SRSXOLVPH DQWL«OLWLVPH VSRQWDQ«LVPH 
ni même réduire à des slogans politiques (démocratie directe et parti-
FLSDWLYH ‚UHERXUVGHFHVSU«VXSSRV«VLOLQFDUQHVXUWRXWXQHSKLORVR-
phie de l’engagement social et de l’action politique3.

LA TOILE ET LA PLACE
6L OȇH[SORVLRQ GX 0 LQFDUQ«H SDU XQ PRLV GH FDPSHPHQW VXU
OD 3XHUWD GHO 6RO HQ PDL D SULV GH FRXUW OȇRSLQLRQ SXEOLTXH HW
OHV P«GLDV HOOH Qȇ«WDLW SDV H[DFWHPHQW XQH PªFKH TXL SUHQG IHX SDU
accident. L’étape de gestation du mouvement montre un mélange
d’actions dans l’espace public et d’organisation sur la Toile. Sur les
U«VHDX[VRFLDX[RQSURWHVWDLWG«M¢FRQWUHODORL6LQGH «TXLYDOHQWGHOD
loi Hadopi). Un groupe de militants s’organisait depuis décembre 2010
sous le nom de Democracia Real Ya GDQV OH EXW H[SOLFLWH GH FDWDO\VHU
l’énergie des mécontents. Il s’agissait d’une plateforme virtuelle regrou-
pant par adhésion volontaire de petits groupes d’acteurs sociaux sans
DɚOLDWLRQ SDUWLVDQH TXL VȇRUJDQLVDLHQW VXU GHV SRLQWV GH FRQWHVWDWLRQ
du système économique et politique. L’interconnaissance et le mode
WUDGLWLRQQHO GH OD U«XQLRQ \ MRXDLHQW DXVVL XQ U¶OH /H DYULO 
un autre mouvement alors peu connu, Juventud Sin futuro, appelait
à une manifestation de rue dans toute l’Espagne pour dénoncer les
FRQGLWLRQVGHYLHGHODMHXQHVVH6DQVG«SDVVHUXQVXFFªVGȇHVWLPHFHV
jeunes furent remarqués car leur manifestation prenait la suite d’une
mobilisation analogue de la jeunesse au Portugal. Les réseaux créateurs
de ces mouvements étaient principalement constitués de personnes de

šSylvie KƵƲƲƫƷ, « EURCIPGšNGUOCKPUHTCIKNGUFGUKPFKIPȌUzÉtudesHȌXTKGTR

195
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

YLQJW ¢ WUHQWH DQV D\DQW XQ KDXW QLYHDX Gȇ«WXGHV UHSU«VHQWDWLYHV GH
ODJ«Q«UDWLRQTXHOȇRQGLWODPLHX[IRUP«HGHWRXVOHVWHPSVWRXWHQOD
TXDOLȴDQWGHmJ«Q«UDWLRQSHUGXH}8QHQWUHVRLVROLGHPHQWWLVV«HWGHV
OHDGHUVSRXUOȇKHXUHDQRQ\PHVQHFRQVWLWXDLHQWSDVXQOHYLHUVXɚVDQW
Il fallait y ajouter les circonstances : la proximité des élections munici-
SDOHVHWDXWRQRPLTXHVGXPDLSURSLFHV¢ODG«QRQFLDWLRQGHODFULVH
des institutions démocratiques. Contexte électoral défavorable à une
réaction répressive de la part des autorités.

Un campement, des campements


La forme symbolique adoptée par ce premier cercle de manifestants
VȇHVW DY«U«H OD SOXV SURGXFWLYH FHOOH GX FDPSHPHQW ¢ FLHO RXYHUW VXU
XQH SODFH HPEO«PDWLTXH GH OD YLH PDGULOªQH R» VH WURXYH OH VLªJH GH
la communauté autonome4. Délogés une première fois après deux nuits
GH FDPSHPHQW OHV PDQLIHVWDQWVFDPSHXUV RQW PRQWU« OHXU DSWLWXGH ¢
U«RFFXSHUSDFLȴTXHPHQWODSODFHHQDFFURLVVDQWOHQRPEUHGHSDUWLFL-
pants. La non-violence trouvait là à s’illustrer avec éclat. La deuxième
SKDVHSOXVVSRQWDQ«HHWY«ULWDEOHPHQWVXUSUHQDQWHDFRQVLVW«¢FU«HU
VXU OD SODFH XQ HVSDFH GH FRQȴDQFH UDVVHPEODQW GHV FDPSHXUV SHU-
PDQHQWVHWGHVYLVLWHXUVGHVPLOLWDQWVH[S«ULPHQW«VHWGHVQRYLFHVHQ
SROLWLTXHGHVV\PSDWKLVDQWVHWGHVFXULHX[
4XH FHWWH SKDVH GX FDPSHPHQW VXU OD 3XHUWD GHO 6RO DLW SX GXUHU
XQPRLVHQWLHUQHVHG«JUDGDQWTXHYHUVODȴQ¢FDXVHGHODSU«VHQFH
GHPDUJLQDX[HWGȇHVFDUPRXFKHVDYHFODSROLFHIXWOHSULQFLSDOVXFFªV
des indignés. Un succès qui reposait sur une philosophie de l’action
inventée au fur et à mesure de l’occupation de la place : non-violence
DɚUP«H RUJDQLVDWLRQ GȇXQH YLH PDW«ULHOOH GLJQH FU«DWLRQ GȇHVSDFHV
SXEOLFV GH G«OLE«UDWLRQ SULVH GH G«FLVLRQ HQ DVVHPEO«HV WUDYDLO VS«-
FLDOLV«HQFRPPLVVLRQV/DFU«DWLRQGȇXQHELEOLRWKªTXHGȇXQHJDUGHULH
GHSRLQWVGHVHFRXUVODU«FHSWLRQHWOHSDUWDJHGȇDOLPHQWVOHQHWWR\DJH
U«JXOLHU GH OD SODFH OD PLVH HQ SODFH GH PR\HQV GH FRPPXQLFDWLRQ
SURSUHV RQW EHDXFRXS FRQWULEX« ¢ OD SRSXODULW« GX 0 ,O QȇHVW SDV
excessif de dire que ces expérimentations relevaient de l’autogestion et
GHODG«PRFUDWLHGLUHFWHDXVHLQP¬PHGXPRXYHPHQWHWTXȇHOOHVRQW
permis de conserver un capital de sympathie et d’attirer de nouveaux
SDUWLFLSDQWVDXGHO¢P¬PHGHVIURQWLªUHVHVSDJQROHV&HUWDLQVG«WDLOV

šNacima BƧƷƵƴ YƫƲƲʣƸ, « Puerta del Sol versus les indignés. Une lecture de la crise espa
gnole au prisme de l’espace public », Urbanités Po PQXGODTG =JVVRYYYTGXWGWTDC
PKVGUHT!UPuerta + del + Sol].

196
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

comme l’usage d’un langage gestuel dans les assemblées au lieu des tra-
GLWLRQQHOVP«JDSKRQHVȴUHQWPRXFKHHWGHPHXUHQWGDQVOȇLPDJLQDLUH
GH FH PRLV GȇRFFXSDWLRQ GH OD SODFH 'H P¬PH HQ FKRLVLVVDQW GH SU«-
VHQWHUGHVSRUWHSDUROHVWRXUQDQWVDX[P«GLDVOHVLQGLJQ«VRQWVLJQLȴ«
concrètement leur refus du leadership et de la notoriété médiatique.

Photo 7.1. La Puerta del Sol, le 20 mai 2011

Deux événements ont donné une grande résonance médiatique


au mouvement pendant la phase du campement et en ont renforcé la
FRK«VLRQ7RXWGȇDERUGOHVLQGLJQ«VRQWUHIXV«GHVHSOLHUDX[FRQVLJQHV
de l’organisme électoral qui demandait que soit strictement respectée
ODMRXUQ«HGHU«ȵH[LRQODYHLOOHGXVFUXWLQPXQLFLSDOGXPDL,OVRQW
incarné cette désobéissance civile en restant sur les places du vendredi
au samedi. Le grand rassemblement le soir du samedi 21 mai sur la
3XHUWD GHO 6RO OD PLQXWH GH VLOHQFH ¢ PLQXLW OHV ERXFKHV FRXVXHV GH
VSDUDGUDSRQWFU««XQHY«ULWDEOHLFRQRJUDSKLHGX08QHVHPDLQH
SOXV WDUG OHV LQGLJQ«V GH %DUFHORQH «WDLHQW FKDVV«V GH OD 3ODFH GH
&DWDORJQHSDUODSROLFH/HVLPDJHVGHFHWWH«YLFWLRQSDUODIRUFHȴUHQW
le tour de l’Espagne et suscitèrent immédiatement des manifestations
GH VROLGDULW« SXLV XQH U«RFFXSDWLRQ GH OD 3ODFH GH &DWDORJQH $XGHO¢
GHVS«ULS«WLHVSURSUHVDX[PRXYHPHQWVGHUXHFHW«Y«QHPHQWVRXOLJQH

197
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

le fait que le 15-M commençait à transcender les clivages nationalistes


et territoriaux.

Le socle intergénérationnel du mouvement des indignés


'HP¬PHTXȇLOWUDQVFHQGDLWOHVFOLYDJHVWHUULWRULDX[OH0G«SDV-
VDLW OHV FOLYDJHV J«Q«UDWLRQQHOV ‚ FH VWDGH SOXVLHXUV J«Q«UDWLRQV VH
trouvèrent rassemblées. Il ne s’agissait pas seulement du soutien des
DGXOWHV¢XQHJ«Q«UDWLRQPDUTX«HSDUODSU«FDULW«HWOHFK¶PDJHPDLV
d’une inscription dans l’histoire contemporaine des générations. Ces
jeunes de vingt à trente ans qui campaient et délibéraient sur la Puerta
del Sol étaient les enfants des Espagnols qui s’étaient mobilisés pour ins-
WDXUHUGHVHVSDFHVG«PRFUDWLTXHV¢ODȴQGXIUDQTXLVPHHWSHQGDQWOD
période de la transition démocratique (1975-1982). La crise de la démo-
FUDWLH HVSDJQROH G«FHYDLW OHV XQV HW OHV DXWUHV WDQGLV TXH OH VRXYHQLU
des luttes passées se trouvait ravivé. La présence d’une « Commission
9«W«UDQV}VXUODSODFHGªVOHVSUHPLHUVMRXUVGXPRXYHPHQWSU«ȴJXUD
GȇDLOOHXUVODFRQVWLWXWLRQGȇXQHEUDQFKHSDUWLFXOLªUHGHVD°Q«VGX0
celle des ,DLRȵDXWDVTXL«PHUJHDGȇDERUG¢%DUFHORQHHQRFWREUH
SXLV HVVDLPHUD DLOOHXUV HQ &DWDORJQH HW DYHF PRLQV GH IRUFH GDQV
d’autres villes espagnoles5.
L’une des rubriques du manifeste fondateur des ,DLRȵDXWDV met en
«YLGHQFHXQHIIHWJ«Q«UDWLRQQHOWUªVFODLUSDUODU«I«UHQFHH[SOLFLWHDX[
luttes contre la dictature franquiste6(QUHYHQGLTXDQWmY«ULW«MXVWLFH
HW U«SDUDWLRQ} SRXU OHV YLFWLPHV GH OD JXHUUH FLYLOH HW GX IUDQTXLVPH
FHVPLOLWDQWV¤J«VGHSOXVGHVRL[DQWHGL[DQVLVVXVSRXUODSOXSDUWGH
V\QGLFDWVHWGHSDUWLVGHJDXFKHPHWWDLHQWOHGRLJWVXUOHVIDLOOHVHWOHV
RXEOLVGXmSDFWHGXVLOHQFH}GHODWUDQVLWLRQOȇDPQLVWLHD\DQW«W«DFFRU-
dée aux anciens dignitaires franquistes en échange de leur acceptation
GHODG«PRFUDWLH‚OHXUPDQLªUHSDUOHXUVGHPDQGHVGHU«SDUDWLRQHW
GHMXVWLFHLOVH[SULPDLHQWXQHUHPLVHHQFDXVHGHFHSDFWHGHODWUDQVL-
WLRQG«PRFUDWLTXHHWGXPRGªOHFRQVWLWXWLRQQHOOXLP¬PHTXHSRUWDLW
G«VRUPDLVOHPRXYHPHQWFRQWHVWDWDLUH/HPRXYHPHQWGX0HQVH
VDLVLVVDQWGHVGURLWVIRQGDPHQWDX[LQVFULWVGDQVODFRQVWLWXWLRQGHO
exprima aussi une critique du modèle démocratique incarné par cette
constitution.

šCe terme retourne un stigmate attaché au mot « Perroflautas », une façon péjorative de
désigner les marginaux urbains.
šIaioflautas, « EN PQUVTG OCPKHGUVz QEVQDTG  =JVVRYYYKCKQHNCWVCUQTIGNPQUVTG
OCPKHGUVECUVG
llano] consulté en août 2014.

198
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

Comment s’organiser ? Occupations,


assemblées et extension du mouvement
Une autre dimension de cette philosophie de l’action fut l’essaimage
presque immédiat du 15-M dans d’autres villes et sa déconcentration en
assemblées de quartiers à partir du 28 mai. Des groupes constitués ont
pu continuer à se rassembler après l’étape du campement de la Puerta
GHO 6RO HW HQWUHWHQLU OD ȵDPPH SHQGDQW WRXW Oȇ«W« $LQVL RQWLOV PDQL-
festé contre la tenue à Madrid des Journées mondiales de la jeunesse
RUJDQLV«HVSDUOȇ‹JOLVHFDWKROLTXHG«QRQ©DQWOȇXVDJHGHOȇDUJHQWSXEOLF
DXSURȴWGHFHW«Y«QHPHQW/HVIRUPHVGHSDUWLFLSDWLRQFROOHFWLYHKRUL-
zontales trouvèrent bien entendu en elles-mêmes leurs limites : épuise-
ment en discussions interminables ; empilement des propositions sans
hiérarchie ; temps passé dans des navettes entre les différentes assem-
EO«HVGLɚFXOW«¢SUHQGUHGHVG«FLVLRQVSDUFRQVHQVXVRX¢PHWWUHDX
point un autre mécanisme de décision juste. Ce bouillonnement confus
rappelle ainsi les formes dites horizontales du cyber-activisme : chats
IRUXPVZLNLV«FULWXUHFROOHFWLYHVXUGHVWDEOHWWHVHWF/HWHPSVLQYHVWL
GDQVODG«ȴQLWLRQGHUªJOHVGHG«OLE«UDWLRQHWGHPRGHVGȇRUJDQLVDWLRQ
a pu sembler stérile pour certains observateurs. Il fut au contraire
IRQGDPHQWDOFRPPHLQLWLDWLRQSROLWLTXHDXVHLQGȇXQPRXYHPHQWTXL
récusait par principe la démocratie représentative7.
/DU«VRUSWLRQGHFHWWHG\QDPLTXHmDVVHPEO«LVWH}HWQRQYLROHQWH
SURSUH¢UDVVHPEOHUOHV(VSDJQROVDXWRXUGXPRXYHPHQWDXSURȴWGH
JURXSHVGHPLOLWDQWVSOXVVS«FLDOLV«VSRUWHXUVGHODFXOWXUHSROLWLTXHHW
GHVSUDWLTXHVGHODJDXFKHUDGLFDOHDUHSU«VHQW«XQHPXWDWLRQHWXQH
mutilation8. De l’étape fondatrice du premier mois émerge cependant
une sorte d’« organigramme idéal » ainsi formalisé de façon simple
GDQVVDYHUVLRQPDGULOªQHVRXVIRUPHGHPRGHGȇHPSORL
— l’assemblée symbolisée par le campement de Sol essaime en
assemblées de quartier tenues sur des places ou d’autres espaces
ouverts ;
— chaque assemblée de quartier crée librement en son sein des
groupes de travail et de discussion et occupe son propre lieu ;

šL’épuisement de telles formes de mobilisation, et leur incapacité à proposer une rénovation


du système politique sont pointés comme un échec prévisible par JGCPJacques KƵƺƷƲƯƧƴƸƱƾ,
« Espagne, Brésil, des indignations évanescentes », Revue internationale et stratégique, nº 93,
 R Ce chercheur souligne aussi l’absence d’horizons communs aux partici
pants.
šJQUȌLuis MƵƷƫƴƵPƫƸƹƧʫƧ, « Vie et mort des assemblées », La vie des Idées, 25 mars 2013
=JVVRYYYNCXKGFGUKFGGUHTVKGGVOQTVFGUCUUGODNGGUJVO?EQPUWNVȌGPCQțV

199
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

— les délibérations de l’assemblée Sol se nourrissent du travail des


FRPPLVVLRQVWK«PDWLTXHV «FRQRPLHI«PLQLVPHJUªYHJ«Q«UDOHȐ 
— le mouvement met sur pied des groupes de travail spécialisés
G«IHQVHO«JDOHFRPPXQLFDWLRQSU«SDUDWLRQGȇ«Y«QHPHQWV SRXUDVVX-
rer la longévité et la protection du mouvement9.
/ȇDUWLFXODWLRQ WHUULWRULDOH GX PRXYHPHQW GRQW OH S«ULPªWUH «WDLW
ODLVV« ¢ OȇLQLWLDWLYH GHV FLWR\HQV VH GRXEODLW GRQF GȇXQH VS«FLDOLVDWLRQ
L’avantage de cette spécialisation fut de permettre la participation de
JURXSHV VRFLDX[ WUªV GLYHUV FRQVWLWX«V VXU OD EDVH GȇXQ LQW«U¬W FRP-
PXQTXHFHWLQW«U¬WVRLWOHJR½WSRXUGHVIRUPHVGȇDFWLRQRXFHOXLGHV
idées. L’inconvénient de ce mode d’organisation fut la prolifération de
groupes rassemblés autour de causes très hétéroclites : la défense de la
3DOHVWLQHODOXWWHFRQWUHOHVH[SXOVLRQVORFDWLYHVODUHPLVHHQFDXVHGH
ODGHWWHSXEOLTXHODOXWWHSRXUODOD±FLW«ODUHYHQGLFDWLRQGHODP«PRLUH
historique et bien d’autres sujets d’indignation et de mobilisation. Le
résultat fut aussi l’inévitable raréfaction d’une ressource capitale : le
temps investi. Il va en effet de soi qu’une telle organisation dépend
«WURLWHPHQWGHODGLVSRQLELOLW«GȇHVSDFHVSXEOLFVR»OHVPLOLWDQWVVHURQW
WRO«U«VPDLVDXVVLGȇXQWUDYDLOGHFRRUGLQDWLRQ¢SOXVLHXUV«WDJHVLQV-
WDOO« VXU OD ORQJXH GXU«H HW GH OȇXWLOLVDWLRQ GȇRXWLOV GH FRPPXQLFDWLRQ
DGDSW«V6XUOHSODQGHODFRRUGLQDWLRQLOHVWSHUPLVGHFRQVLG«UHUTXH
OHV LQGLJQ«V VH VRQW TXHOTXH SHX mFDVV« OHV GHQWV} 7RXWHIRLV LOV VH
VRQW PRQWU«V SUROLȴTXHV GDQV OD PLVH HQ OLJQH GH GRFXPHQWV GH U«I«-
rence destinés à leurs sympathisants et dans l’utilisation des réseaux
sociaux. La radio locale du mouvement a elle aussi joué un rôle dans la
PRELOLVDWLRQ GȇDXWDQW SOXV TXH OHV P«GLDV GLWV WUDGLWLRQQHOV VXVFLWHQW
ODP«ȴDQFHGHVLQGLJQ«V/ȇDJHQGDDFWXHOGHVPLOLWDQWVG«PRQWUHDXVVL
TXHODWHQXHGȇDVVHPEO«HVGDQVGHVOLHX[SXEOLFVSHUGXUHVXUGHVSODFHV
mais aussi dans des parcs ou des lieux déclarés ouverts par occupation
spontanée.
Une autre dimension de cette étape initiale est désormais bien
DQFU«H OD SXEOLFLW« GHV G«EDWV VRXV IRUPH GȇRUGUH GX MRXU SXEOLFV HW
de comptes-rendus de réunions mis en ligne. On peut ainsi suivre dans
la durée les hauts et les bas des différentes « marques franchisées » du
0 OHV HQTX¬WHV TXȇHOOHV ODQFHQW DXSUªV GHV DVVHPEO«HV ORFDOHV RX
DXSUªVGHVSHUVRQQHVLQVFULWHVVXUOHXUVU«VHDX[VRFLDX[WRXWHQOLVDQW
les commentaires postés sur leurs sites. L’ensemble de ces documents

9. « Especial APKXGTUCTKQM », op. cit., mai 2014, p. 22. L’article rappelle la méthode d’orga
nisation instaurée en mai 2011.

200
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

GRQQH FRUSV HQ TXHOTXH VRUWH DX[ DUFKLYHV YLUWXHOOHV GX PRXYHPHQW
FHUWHV WUªV «FODW«HV VRXYHQW DIIHFW«HV GH GLVFRQWLQXLW« HW WUXII«HV GH
liens hypertexte vers d’autres sites de mouvements sociaux ou d’orga-
nisations connexes. Cette façon de procéder est à mettre en relation
DYHF OȇLPS«UDWLI GH WUDQVSDUHQFH PDLQWHV IRLV DɚUP« FRPPH KRUL]RQ
G«PRFUDWLTXH TXH OȇRQ WHQWH GH VȇDSSOLTXHU ¢ VRLP¬PH10. Comme
l’ont montré par la suite les autres mouvements qui s’ancrèrent aussi
symboliquement sur différentes places du monde (Place de la perle
¢ 0DQDPD DX %DKUH±Q 7DKULU HQ ‹J\SWH 6\QWDJPD HQ *UªFHHWF 
OHV RXWLOV QXP«ULTXHV VȇDYªUHQW SOXV HɚFDFHV SRXU FRQYRTXHU GHV
manifestations réelles et pour échanger entre sympathisants que pour
DUWLFXOHUXQGLVFRXUVDXGLEOHSDUOȇHQVHPEOHGHODVRFL«W«/DGLIIXVLRQ
l’appropriation et même la transformation des idées et des propositions
H[SULP«HVSDUOH0GDQVODSKDVHLQLWLDOHVXUOD7RLOHHWVXUOD3ODFH
HVWXQSK«QRPªQHGLɚFLOH¢FHUQHU4XHOOHTXHVRLWOȇDSSU«FLDWLRQTXH
OȇRQSRUWHVXUFHVLG«HVLOIDXWWRXMRXUVOHVPHWWUHHQUDSSRUWDYHFGHV
formes d’action dans le monde réel.

L’importance de l’expérimentation sociale


Lorsque fut retombé l’effet euphorisant des rassemblements de
IRXOHV OHV LQGLJQ«V VȇLQW«UHVVªUHQW ¢ GȇDXWUHV PRXYHPHQWV VRFLDX[
organisés autour d’objectifs concrets. Ils furent ainsi partie prenante de
ODOXWWHFRQWUHOHVH[SXOVLRQVORFDWLYHVGDQVXQFRQWH[WHR»OHVEDQTXHV
n’hésitent pas à chasser de leur logement de nombreuses familles
IUDSS«HV SDU OH FK¶PDJH TXL QH SHXYHQW SOXV IDLUH IDFH DX SDLHPHQW
de leurs emprunts immobiliers. Le 15-M a aussi débouché sur de nom-
EUHXVHVH[S«ULHQFHVFROOHFWLYHVWHOOHVTXHOHVmEDQTXHVGXWHPSV}OHV
FRRS«UDWLYHVGHFRQVRPPDWLRQOHVMDUGLQVFRPPXQDXWDLUHVOHWURFRX
encore l’occupation de locaux collectifs11. Cette seconde phase allait de
SDLUDYHFXQFHUWDLQHVVRXɛHPHQWGHVIRUPHVLQLWLDOHVGHODPRELOLVD-
WLRQ GHYHQXHV SOXV LQWHUPLWWHQWHV HW PRLQV VSHFWDFXODLUHV 8Q FHUWDLQ
HVSULWGHPHXUDLWKRUL]RQWDOHWFRRS«UDWLIWHOTXȇRQOȇDYDLWYX¢OȇĕXYUH
pendant l’étape des campements sur les places. Bien que le mot ne
ȴJXUHSDVH[SOLFLWHPHQW¢FHWWH«SRTXHGDQVOHVGRFXPHQWVPLOLWDQWVLO
s’agit d’une forme d’empowerment ¢ OȇHVSDJQROH FHUWHV QRQ WK«RULV«H

šCGVVGTȋINGUQWHHTGFGUGZEGRVKQPUšDemocracia Real YaPGFKHHWUGRCUNGUEQORVGUTGPFWU


de ses discussions internes à ses membres.
šLes banques du temps sont des systèmes d’échange locaux, de services et des compé
tences dans un esprit de coopération. Il s’agit d’une forme élaborée de troc de services non
marchands, géré par des associations ou des collectivités locales.

201
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

PDLVYLVDQWFODLUHPHQW¢OȇDXWRRUJDQLVDWLRQ*DJQHUGHVHVSDFHVGȇDXWR-
nomie et s’organiser en dehors des circuits marchands peut donner
à des petits groupes de personnes le sentiment de prendre leur vie
FROOHFWLYH HQ PDLQ DORUV TXH OH ȴQDQFHPHQW GHV DVVRFLDWLRQV VRFLDOHV
et culturelles se réduit comme peau de chagrin. Il ne s’agit cependant
SDV GH VH VXEVWLWXHU DX[ G«IDLOODQFHV GH Oȇ‹WDWSURYLGHQFH OHV P¬PHV
individus se trouvant engagés dans ces formes d’organisation autocen-
trées et dans la défense publique de droits collectifs comme l’accès à la
culture12&ȇHVWGDQVFHWWHPXWDWLRQFU«DWLYHGHVPRELOLVDWLRQVLQLWLDOHV
dont la force intrinsèque demeure comme moteur de la protestation
PDLV VXUWRXW GH OȇHQJDJHPHQW TXH VH MRXH OD SRVW«ULW« GX 0 (Q FH
VHQV OH PRXYHPHQW «FKDSSH DX[ FDW«JRULVDWLRQV WUDGLWLRQQHOOHV FDU
VRQ LQG«ȴQLWLRQ SROLWLTXH QH OȇD SDV VW«ULOLV« VRFLDOHPHQW (OOH OXL D DX
contraire permis de durer dans l’imaginaire collectif et de porter des
WKªPHVGHPRELOLVDWLRQTXHOHFKHUFKHXU-«U¶PH)HUUHWW«PRLQHWDQD-
O\VWHGHWRXWHFHWWHS«ULRGHDSSHOOHGHVmXQLYHUVHOVGDQVOHFRQFUHW}
TXLDVVRFLHQWOHUHJLVWUHSURWHVWDWDLUHDX[UHJLVWUHV«FRQRPLTXHVDVVR-
ciatifs et caritatifs13.
‚ 0DGULG OH 0 VȇHVW GH P¬PH GRW« GªV OHV SUHPLHUV MRXUV GȇXQ
outil culturel et militant qui porte l’emblème du Soleil (Sol) et accom-
pagne ses actions : le chœur et l’orchestre Solfónica14. Des musiciens ont
d’abord joué le quatrième mouvement de la Neuvième Symphonie de
Beethoven sur la place de Neptune. Cette performance s’est répétée lors
des grandes manifestations du 19 juin et du 15 octobre 2011. Les musi-
FLHQV HW FKRULVWHV YRORQWDLUHV VH G«ȴQLVVHQW FRPPH mOH EUDV V\PSKR-
nique des marées et manifestations citoyennes ». La Solfónica est consti-
WX«H GȇXQH EDVH GH GHX[ FHQWV PXVLFLHQV DPDWHXUV HW SURIHVVLRQQHOV
VDQVGLVWLQFWLRQ/ȇHQVHPEOHHVW¢J«RP«WULHYDULDEOHU«XQLVVDQWYLQJW¢
TXDUDQWHSHUVRQQHVSRXUFHUWDLQVFRQFHUWVSDUIRLVGDYDQWDJHSRXUOHV
JUDQGV «Y«QHPHQWV ,O MRXH DXVVL ELHQ GDQV GHV I¬WHV GH TXDUWLHU ORUV
Gȇ«Y«QHPHQWVFRPPHOH)RUXPVRFLDOPRQGLDOTXȇ¢ODȴQGHPDQLIHVWD-
tions de rue dont le concert est le point d’orgue. Chacun peut téléchar-
ger les paroles des chansons et les partitions pour se familiariser avec
le répertoire et chacun peut faire partie de la Solfónica TXHO TXH VRLW

šCf. Joan SƺƨƯƷƧƹƸ, Otra Sociedad, ¿OWUDSRO¯WLFD̰"De « no nos representan » a la democracia


común, Barcelona, Icaria, 2011, 104 p. Joan Subirats, professeur de sciences politiques, est l’un
FGURQTVGRCTQNGFGNCRNCVGHQTOGGuanyem Barcelona.
šJérôme FƫƷƷƫƹ, « Des avenirs minoritaires. Retour sur l’expérience politique des indignés
espagnols », MouvementsPyR
šChœur Solfónica, [SQNHQPKECYQTFRTGUUEQO?EQPUWNVȌGPUGRVGODTG

202
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

VRQQLYHDXPXVLFDO/DPR\HQQHGȇ¤JHGHVFKRULVWHVHVWDVVH]«OHY«HFH
TXLSHXWVȇH[SOLTXHUSDUOHU«SHUWRLUHOXLP¬PHSHXVXVFHSWLEOHGȇDWWL-
rer des jeunes. Ce répertoire reprend de célèbres chansons engagées
comme L’Estaca GH /XLV /ODFK Grandola Vila Morena GH -RV« $IRQVR
GHVYHUVLRQVUHQRXYHO«HVGHFKDQWVGHODJXHUUHGȇ(VSDJQHGHVFKDQWV
populaires et des pièces de circonstance créées par et pour la Solfónica.
Le clou de l’année 2013 fut la mise en scène d’un opéra-bouffe donné
plusieurs fois à guichets fermés à la Tabacalera : El crepúsculo del ladril-
loOHmFU«SXVFXOHGHODEULTXH}HQU«I«UHQFH¢ODEXOOHLPPRELOLªUHHW
¢ODFULVHGXE¤WLPHQWVXUXQOLYUHWGH-RV«0DQXHO1DUHGRGDWDQWGHV
DQQ«HVHWXQHPXVLTXHGH'DYLG$OHJUHOHGLUHFWHXUGXFKĕXUHW
de l’orchestre. La vie sociale de la Solfónica repose sur ses représenta-
tions mais aussi sur les répétitions et sur des ateliers d’initiation aux
nouvelles technologies. Cet orchestre et ce chœur sont l’exemple le plus
YLVLEOH GH OD VXUYLH GX 0 ¢ 0DGULG ¢ WUDYHUV OD SHUS«WXDWLRQ GȇXQ
collectif de musiciens amateurs et professionnels engagés.

DE L’INSURRECTION MORALE
AUX PROPOSITIONS DE CHANGEMENT
m1LIDFH$QLIDFH%RQYHXWFKDQJHUGHGLVTXH}m1RXVQHVRPPHV
SDV FRQWUH OH V\VWªPH FȇHVW OH V\VWªPH TXL HVW FRQWUH QRXV} m&H
QȇHVW SDV XQH FULVH FȇHVW XQH HVFURTXHULH} m+DXW OHV PDLQV FȇHVW XQ
FRQWUDW}m5HEHOOHVVDQVWRLW}m0HVU¬YHVVRQWWURSJUDQGVSRXUWHV
XUQHV}m6LYRXVQHQRXVODLVVH]SDVU¬YHUQRXVQHYRXVODLVVHURQVSDV
GRUPLU}4XHOTXHVXQVGHVVORJDQVGHPDLQȇ«WDLHQWSDVSROLWLTXHV
DX VHQV VWULFW GX WHUPH /HXU SRUW«H «WDLW SOXV ODUJH HW SOXV LQG«ȴQLH
3DU OD VXLWH OȇDWWHQWLRQ P«GLDWLTXH VȇHVW SRUW«H VXU OHV SURWHVWDWLRQV
DQWLFDSLWDOLVWHV VH U«FODPDQW GHV LQGLJQ«V HW VXU OH VORJDQ GX PRXYH-
ment Occupy Wall Streetm1RXVVRPPHVLOVVRQW}0DLVHQ
(VSDJQHOȇXQGHVVORJDQVOHVSOXVUHSULVIXWmNo nos representan » (« Ils
QH QRXV UHSU«VHQWHQW SDV}  FH TXL PHWWDLW GDYDQWDJH OȇDFFHQW VXU OH
manque de représentativité démocratique du personnel politique que
VXUOHUHMHWGHOȇROLJDUFKLHȴQDQFLªUHPRQGLDOH'LJQLW«GXSHXSOHLQGL-
JQLW«GHVSROLWLTXHV(X[HWQRXVPDLVTXHOQRXV"9RLFLFHTXȇ«QRQ©DLW
le début du premier manifeste adopté par consensus pour inaugurer le
campement de la Puerta del Sol :
4XLVRPPHVQRXV"'HVSHUVRQQHVYHQXHVLFLGHQRWUHSOHLQJU«TXLRQW
décidé de nous réunir après la manifestation pour continuer à revendi-

203
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

quer la dignité et la conscience politique et sociale. Nous ne représentons


DXFXQSDUWLDXFXQHDVVRFLDWLRQ&HTXLQRXVUDVVHPEOHFȇHVWOȇDSSHODX
changement. Nous sommes ici en signe de dignité et de solidarité avec
ceux qui ne peuvent pas être ici15.

$LQVL VȇH[SULPDLHQW DORUV OHV LQGLJQ«V RSSRVDQW XQ mQRXV} PRUDO


¢ FHW mDXWUH} OD FODVVH SROLWLTXH 6ȇDJLWLO SRXU DXWDQW GȇXQ FHUWDLQ
« populisme » ? On peut en douter. Le rejet n’était pas seulement un rejet
viscéral de principe. Il prenait clairement pour cible des dysfonctionne-
PHQWVSU«FLVGHODYLHG«PRFUDWLTXHHVSDJQROHFRPPHRQOHYRLWGDQV
le second manifeste adopté par l’assemblée le 20 mai 201116. Parmi les
VHL]H SURSRVLWLRQV ȴJXUDLW HQ SUHPLHU SRLQW OD PRGLȴFDWLRQ GH OD ORL
«OHFWRUDOHDȴQGȇLQVWDXUHUXQHFLUFRQVFULSWLRQXQLTXHGDQVWRXWOHSD\V
des listes ouvertes et un système proportionnel. Le point 6 demandait
de même que la loi électorale obligeât les partis à présenter des listes
mSURSUHV} R» QH ȴJXUHUDLHQW SDV GH SHUVRQQHV PLVHV HQ H[DPHQ RX
condamnées pour corruption. Le point 5 proposait « une réforme des
conditions de travail de la classe politique » et prévoyait de supprimer
OHVmVDODLUHVYHUV«V¢YLH}DX[SDUOHPHQWDLUHVHQFRQVRQDQFHDYHFOD
perception populaire d’un personnel politique formant une caste de
privilégiés. Le point 13 portait sur une séparation effective des pouvoirs
H[«FXWLIO«JLVODWLIHWMXGLFLDLUH/DPRUDOLVDWLRQGHODYLHSXEOLTXHVȇH[-
SULPDLWDXSRLQWSDUOȇH[LJHQFHGHWUDQVSDUHQFHGDQVOHVFRPSWHVGHV
SDUWLVHWGHOHXUȴQDQFHPHQWDȴQGHOXWWHUFRQWUHODFRUUXSWLRQ
'ȇDXWUHV SURSRVLWLRQV RQW GH P¬PH «W« IRUPXO«HV VXU OD 7RLOH
comme celle d’incarner les votes blancs et nuls par des sièges vides au
Parlement. Le 15-M n’est donc pas un mouvement apolitique comme
on a pu le dire. Il n’a pas renoncé aux idéaux démocratiques. Il a plutôt
tenté d’incarner ces idéaux dans les formes de la démocratie délibé-
UDWLYH DORUV P¬PH TXH OHV SDUWLV SROLWLTXHV H[LVWDQWV RQW «W« U«FXV«V
comme incapables de faire vivre ces idéaux démocratiques17. Nombre
GȇREVHUYDWHXUVVHFRQVLG«UDQWFRPPHTXDOLȴ«VHQWDQWTXHVS«FLDOLVWHV
de sciences politiques ou en tant qu’élus n’ont pas manqué de souli-
gner les impasses de la démocratie directe et participative prônée par
le 15-M. Mais la plupart ont reconnu un malaise dans la démocratie

šTraduction de l’auteur, pour cet extrait et tous les extraits suivants.


šToma la Plaza RTQRQUKVKQPU FW OCK  =JVVROCFTKFVQOCNCRNC\CPGV
RTQRWGUVCUOC[Q?EQPUWNVȌGPUGRVGODTG
šEduardo RƵƳƧƴƵƸ, « Les indignés et la démocratie des mouvements sociaux », La vie
des idées PQXGODTG  =JVVRYYYNCXKGFGUKFGGUHTLGUIPFKIPGUGVNCFGOQETCVKGFGU
JVON!NCPIHT?

204
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

représentative et un fossé grandissant entre les élus et la population18.


/D IDLEOHVVH SROLWLTXH YRORQWDLUH GX 0 DORUV ELHQ LQFDSDEOH GȇDUWL-
FXOHUXQSURJUDPPHDFRQVLVW«¢UHQYR\HUGRV¢GRVWRXVOHVSDUWLVHW
à ne donner aucune consigne de vote pour les élections législatives de
QRYHPEUH&HSHQGDQWHQWDQWTXHWHOOHVOHVDVSLUDWLRQVGXPRX-
vement n’ont pas été délégitimées. Elles se retrouvent en 2014 dans le
SURJUDPPHGHVSDUWLVTXLVHU«FODPHQWGHQRXYHDX[PRGªOHVHWGDQV
les tentatives d’aggiornamiento de partis de gauche plus classiques.
L’appel au changement s’est également incarné dans des propo-
sitions portant sur le respect des droits économiques et sociaux ins-
FULWV GDQV OD FRQVWLWXWLRQ GH  GURLW DX ORJHPHQW ¢ XQ V\VWªPH
GH VDQW« JUDWXLW HW XQLYHUVHO SURWHFWLRQ GHV FRQGLWLRQV GH WUDYDLO SDU
OD ORL )UDJLOLV«V SDU OD FULVH «FRQRPLTXH FHV GURLWV VHPEODLHQW G«M¢
remis en cause par les mesures prises par le gouvernement de José
/XLV =DSDWHUR $SUªV OHV «OHFWLRQV O«JLVODWLYHV GH QRYHPEUH OHV
mobilisations incessantes contre les mesures économiques et sociales
SULVHV SDU OH JRXYHUQHPHQW GX 3DUWL SRSXODLUH RQW DPSOLȴ« Oȇ«FKR GH
ces revendications premières. D’une autre nature sont les propositions
GHU«IRUPHUOȇRUGUH«FRQRPLTXHH[LVWDQWWDQWVXUOHSODQQDWLRQDOTXH
sur le plan international. Le catalogue des propositions adoptées le
20 mai 2011 convergeait avec l’agenda de la gauche radicale et avec les
PRXYHPHQWVDOWHUPRQGLDOLVWHVLPSODQWDWLRQGHODWD[H7RELQVXSSUHV-
VLRQGHVSDUDGLVȴVFDX[OLPLWDWLRQGXSRXYRLUGX)0,HWGHOD%DQTXH
centrale européenne.
D’autres propositions ont du sens par rapport à la crise économique
HVSDJQROH UHSULVH GHV HQWUHSULVHV SXEOLTXHV SULYDWLV«HV QDWLRQDOLVD-
WLRQGHVEDQTXHVUHQȵRX«HVSDUOȇ‹WDW/HVPDUFK«VOHVHFWHXUEDQFDLUH
HWODWUR±ND %&(8()0, RQW«W«YRX«VDX[J«PRQLHVDXIXUHW¢PHVXUH
que les décisions du gouvernement du Parti populaire se faisaient plus
durement sentir. Les militants du Forum social mondial de Madrid
se sont d’ailleurs intéressés au 15-M. Lors de la cinquième édition du
)RUXP HQ PDL OHV DVVHPEO«HV SRSXODLUHV GH 0DGULG HW SOXVLHXUV
commissions de travail du 15-M étaient invitées en tant que telles à par-
ticiper à des ateliers-débats. Ce rapprochement est à mettre en rapport
avec la volonté d’internationaliser la Spanish Revolution à l’automne
 VXU GHV EDVHV SOXV ODUJHV TXH OHV VHXOHV FDXVHV GH OȇLQGLJQDWLRQ
en Espagne. La grande manifestation du 15 octobre 2011 se voulait une
manifestation mondiale.

18. « Difícil democracia sin líderes », El País, 28 juin 2011.

205
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Le mouvement des indignés ne constitue donc pas un mouvement de


UXSWXUHDXVHQVU«YROXWLRQQDLUHGXWHUPH/DG«ȴQLWLRQTXȇHQDGRQQ«H
.LNH&DVWHOOµFRIRQGDWHXUGHODSODWHIRUPHDemocracia Real YaVHPEOH
SOXVSHUWLQHQWH TXRLTXȇHOOHGHPHXUH DVVH] YDJXH FHOOH GȇXQOREE\GH
citoyens19. Le plus intéressant est le fait que bien des Espagnols se
UHFRQQDLVVDLHQWGDQVFHOREE\GHFLWR\HQVFRPPHOȇDWWHVWHQWOHVU«VXO-
tats du sondage Metroscopia publiés en juillet 2011 : 64 % des personnes
interrogées déclaraient avoir plutôt de la sympathie pour le 15-M ;
79 % déclaraient que les motifs de mobilisation du mouvement étaient
IRQG«V  OȇLGHQWLȴDLHQW FRPPH XQ PRXYHPHQW SDFLȴTXH YLVDQW ¢
U«J«Q«UHU OD G«PRFUDWLH 4XDWUH SURSRVLWLRQV DYDQF«HV SDU OH  0
recueillaient entre 86 % et 89 % de réponses favorables : le caractère
LPSUHVFULSWLEOH GHV G«OLWV GH FRUUXSWLRQ OȇLQWHUGLFWLRQ GHV OLFHQFLH-
PHQWV FROOHFWLIV ORUVTXȇXQH HQWUHSULVH U«DOLVH GHV E«Q«ȴFHV OD UHVWLWX-
tion de l’argent public prêté aux banques et aux caisses d’épargne en
GLɚFXOW«HWODSRVVLELOLW«GHVROGHUXQSU¬WK\SRWK«FDLUHHQUHPHWWDQW
VRQELHQ¢OȇRUJDQLVPHSU¬WHXU6XUOHSODQSROLWLTXHGHVVRQG«V
DɚUPDLHQWTXHOH0QȇDYDLWSDVGHWHQGDQFHSROLWLTXHDɚUP«HFH
qui peut être corrélé à la sympathie qu’il suscitait.

LE DUR DÉSIR DE DURER :


QUE S’EST-IL PASSÉ DEPUIS LE 15 MAI 2011 ?
‹WDEOLU XQH ȴOLDWLRQ HQWUH OHV IRUPHV GH PRELOLVDWLRQ LQLWLDOHV GH
2011 et les formes de mobilisation ultérieures n’est pas une tâche facile.
Cette généalogie reste à faire en écrivant une histoire documentée des
PRXYHPHQWVVRFLDX[¢SDUWLUGȇDUFKLYHVHWGȇHQWUHWLHQV&RQFOXRQV¢XQ
K«ULWDJHSURYLVRLUHFDUOHGHUQLHUPRWQȇHVWSDVHQFRUHGLW&HWK«ULWDJH
se manifeste par la permanence de formes qui relèvent de la philo-
VRSKLH GH OȇDFWLRQ ,O VH OLW DXVVL SOXV GLɚFLOHPHQW GDQV OȇDUWLFXODWLRQ
entre des revendications sociales et des initiatives politiques20.

L’appropriation de l’espace public : assemblées,


manifestations, marées, marches
La continuité la plus visible entre ce mois de mai inaugural et la
suite des événements est la réappropriation de l’espace public par les

19. « A relaxing cup of democracia », Tinta LibrePyLWKNNGVCQțVR


šPour une analyse des suites du mouvement, consulter « Rebelión a bordo », Tinta Libre, nº
OCTURGVNGPWOȌTQURȌEKCNkRebelión ciudadana contra las élites », Tinta Libre,
PyLWKNNGVCQțV

206
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

(VSDJQROV /H FDPSHPHQW E¬WH QRLUH GHV DXWRULW«V UHVVXUJLW VRXYHQW


échouant presque toujours. Mais l’assemblée en plein air demeure.
3ODFHV FRLQV GH UXH SDUFV ȴJXUHQW VXU OHV DJHQGDV GH U«XQLRQV ‚
OȇDXWRPQHGHVHQVHLJQDQWVHWGHV«WXGLDQWVSURWHVWDQWFRQWUHOȇDV-
SK\[LHEXGJ«WDLUHRQWGRQQ«GHVFRXUVGDQVODUXHRXYHUWVDXSXEOLF
'HVOLHX[GHVXEVWLWXWLRQVRQWUHFKHUFK«VSRXUXQHRFFXSDWLRQSDFLȴTXH
«SLVRGLTXHRXSHUPDQHQWHSHUPHWWDQWGȇDVVRFLHUGHVWHPSVGHG«OLE«-
ration à la préparation d’actions et d’organiser des manifestations
FXOWXUHOOHV‚0DGULGOȇ«GLȴFHG«VDIIHFW«GHODTabacaleraXQHDQFLHQQH
PDQXIDFWXUHGHVWDEDFVHWOȇHVSDFHDSSHO«Patio MaravillasXQHVRUWH
GH PDLVRQ GH TXDUWLHU DXWRJ«U«H VRQW UHSU«VHQWDWLIV GH WHOV HVSDFHV
Mais il faut sans cesse renégocier leur disponibilité avec les autorités
ORFDOHVRXOHVSURSUL«WDLUHVSULY«VFHTXLOHVIUDJLOLVH(QRXWUHLOVVRQW
PRLQVQHXWUHVTXHOȇHVSDFHSXEOLFRXYHUW¢WRXV/DFDYHUQHSURWHFWULFH
l’antre des militants n’est pas la place ouverte aux passants.

'LYHUVLȴFDWLRQHWFRQYHUJHQFHGHVPDQLIHVWDWLRQV
La manifestation demeure au centre du répertoire d’action du mou-
YHPHQW TXȇHOOH U«XQLVVH GHV FHQWDLQHV GHV PLOOLHUV RX GHV FHQWDLQHV
de milliers de personnes. L’idéal-type de la manifestation héritière du
15-M est une manifestation transversale aux différents mouvements
VRFLDX[TXLHQWHQGSRUWHUXQHSURWHVWDWLRQJOREDOHFRQWUHOHV\VWªPH
politique en place et le modèle économique néolibéral. Les manifes-
tations anniversaires du 15-M et les manifestations convoquées sur
des mots d’ordre large de refus des mesures gouvernementales cor-
respondent à cet idéal-type. La démission du gouvernement du Parti
populaire a été un mot d’ordre souvent entendu. À partir de l’automne
2012 se sont enchaînées des manifestations qui se situaient sur un axe
FRQWLQXHQWUHOHVG«ȴO«VV\QGLFDX[HWOHVUDVVHPEOHPHQWVSRSXODLUHV
OHV mPDU«HV} /D mPDU«H EODQFKH} DXUD «W« XQH SODWHIRUPH XQ
FROOHFWLI GH V\QGLFDWV GȇDVVRFLDWLRQV GȇXVDJHUV GH VDQW« GH FRPLW«V
de quartier et d’assemblées et de commissions du 15-M. Dans la com-
PXQDXW« DXWRQRPH GH 0DGULG OD PDU«H EODQFKH VH PRELOLVD FRQWUH
la privatisation annoncée de six hôpitaux et la fermeture de services
hospitaliers. L’assemblée du 15-M de Madrid déclare s’y être systémati-
TXHPHQWDVVRFL«H‚SDUWLUGHOȇDXWRPQHHWSHQGDQWWRXWHOȇDQQ«H
OHVPRELOLVDWLRQVOHVJUªYHVOHVUDVVHPEOHPHQWVHWOHVPDQLIHV-
WDWLRQV VH VRQW PXOWLSOL«V /H EODQF FRXOHXU GHV XQLIRUPHV GH WUDYDLO
est aussi celui des draps que suspendirent les Madrilènes au balcon en
solidarité avec ce mouvement.

207
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Ce distinctif par couleurs a été utilisé par d’autres mouvements


et collectifs à géométrie variable : « marée verte » des travailleurs et
XVDJHUVGHOȇ‹GXFDWLRQmPDU«HYLROHWWH}GHVPRXYHPHQWVI«PLQLVWHV
« marée grenat » des Espagnols ayant émigré pour chercher du travail ;
mPDU«HMDXQH}SRXUG«IHQGUHOHVELEOLRWKªTXHVSXEOLTXHVHWF0¬PH
les ,DRȵDXWDV VH VRQW UDSLGHPHQW LQYHQW« XQ XQLIRUPH SRUWDQW GHV
JLOHWVMDXQHȵXRORUVGHWRXWHVOHXUVDFWLRQVSXEOLTXHV3HQGDQWOȇ«WDSH
GHSU«SDUDWLRQGHVPDUFKHVGHODGLJQLW«GHPDUVXQHSODWHIRUPH
QXP«ULTXH LQWLWXO«H mPDU«H FLWR\HQQH} D YX OH MRXU SRXU WHQWHU
d’organiser la convergence de toutes ces marées sur l’ensemble du ter-
ritoire21 0DLV TXH VLJQLȴH U«HOOHPHQW OH IDLW TXH SOXV GȇXQH WUHQWDLQH
d’assemblées du 15-M aient « adhéré » à cette plateforme virtuelle ? Une
petite centaine de personnes seulement a pris la peine de répondre à
XQHHQTX¬WHHQOLJQHVXUODSODWHIRUPH¢SURSRVGHOHXUVDWWHQWHVGHV
SULRULW«V ¢ G«JDJHU HW GHV UDLVRQV GH OȇHVVRXɛHPHQW GX PRXYHPHQW
social. Ce qu’il faut retenir de ces tentatives de fédérer des initiatives
G«M¢ SOXUDOLVWHV SDU QDWXUH FȇHVW OD QRVWDOJLH GH OȇLQVWDQW IRQGDWHXU
du creuset de Sol. Il est permis de se demander si cette aspiration à la
fusion des mouvements de protestation et à leur débouché « total » ne
YLHQW SDV SDOOLHU OD GLɚFXOW« ¢ DUWLFXOHU XQ SURMHW GH QDWXUH SROLWLTXH
Mais certaines formes de mobilisation sont plus directement politiques
car elles s’en prennent aux symboles du pouvoir.

Occupations, obstructions
$SUªV OHV «OHFWLRQV PXQLFLSDOHV GH PDL GHV PLOLWDQWV VH
réclamant du 15-M se sont réunis devant les mairies pour perturber
l’installation de nouveaux conseils municipaux. D’autres ont cherché
à y pénétrer pour dire leur fait aux élus : « Ils ne nous représentent
pas ». Suivre les ordres du jour de certaines assemblées du 15-M per-
met de voir que ces actions ont évolué vers un « contrôle citoyen » plus
SDFLȴTXH GHV FRQVHLOV PXQLFLSDX[ 7RXW VLPSOHPHQW OHV SHUVRQQHV
intéressées utilisent leur droit d’assister au conseil municipal pour
FRQQD°WUHVHVG«FLVLRQVHWG«OLE«UDWLRQV&HVOLHX[GHODUHSU«VHQWDWLRQ
DSUªVDYRLU«W«FRQVSX«VDWWLUHQWDLQVLXQHSDUWLHGHVK«ULWLHUVGX0
comme autant de lieux d’expérimentation politique. « Prendre d’assaut
OHVLQVWLWXWLRQV}VORJDQHQVRLYLGHGHVHQVGHYLHQWHQXQVORJDQ
plus ouvert sur un projet politique. En sera-t-il de même du Congrès ?
Certains groupes militants avaient inauguré cette forme d’action en

šAppel de la marée citoyenne, [Mareaciudadana. blogspot. fr], consulté en août 2014.

208
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

entourant le parlement de Catalogne le 15 juin 2011 pour empêcher les


G«SXW«VGȇ\S«Q«WUHUFHTXLHQWUD°QDODPLVHHQH[DPHQHWOHSURFªVGH
SOXVLHXUV SHUVRQQHV ‚ SDUWLU GH VHSWHPEUH GHV DFWLRQV U«S«W«HV
YLVDQW¢mHQWRXUHUOH&RQJUªVGHVG«SXW«V}VHVRQWG«URXO«HV¢0DGULG
vite bloquées par les forces de l’ordre. Ce lieu est devenu un abcès de
ȴ[DWLRQ ¢ FRQTX«ULU SRXU OHV PDQLIHVWDQWV TXL SURWHVWHQW FRQWUH OHV
projets de loi à défendre du gouvernement. Les alentours du Congrès
furent maintenus sous haute surveillance et plusieurs affrontements
VHSURGXLVLUHQW¢SUR[LPLW«‚G«IDXWGHVȇ\IDLUHUHSU«VHQWHUOHVRSSR-
sants extra-parlementaires ont perturbé ce symbole de la démocratie
SDUOHPHQWDLUH‚FRXUWGȇDUJXPHQWVSRXUODG«IHQGUHHWODU«QRYHUOHV
tenants du pouvoir l’ont protégé manu militari.
'ȇDXWUHV OLHX[ UHSU«VHQWDWLIV GX SRXYRLU «FRQRPLTXH HW GH OD IDLO-
OLWHGHVIDPLOOHVHWGHVLQGLYLGXVRQW«W«RFFXS«VSDUGHSHWLWVJURXSHV
FRQVWLWX«V GDQV FHW REMHFWLI GHV EDQTXHV QRWDPPHQW OHV EDQTXHV
UHQȵRX«HV SDU Oȇ‹WDW GRQW OHV SHUWHV RQW «W« VRFLDOLV«HV PDLV DXVVL
WRXWHV OHV EDQTXHV D\DQW YHQGX GHV DFWLIV GRXWHX[ HW FDXV« OD UXLQH
GH QRPEUHX[ SHWLWV «SDUJQDQWV FRPPH FHOOHV TXL RQW SDUWLFLS« DX
scandale des Preferentes (QWUHU GDQV XQH DJHQFH EDQFDLUH Vȇ\ PDLQ-
WHQLU SDFLȴTXHPHQW SHQGDQW XQ PRPHQW FKDQWHU GHV VORJDQV HW GHV
FKDQVRQVȴOPHUOȇRS«UDWLRQFȇHVWXQHIRUPHGȇDFWLRQU«FXUUHQWHTXHVH
sont appropriés les ,DLRȵDXWDV pour dénoncer la spoliation des retraités
dont l’épargne s’est volatilisée à cause de pratiques bancaires fraudu-
OHXVHV&HVDFWLRQVFRPPHFHOOHVTXLRQW«W«LQYHQW«HVSDUODPlataforma
de Afectados por la Hipoteca et son collectif d’action Stop Desahucios
(« Stop aux expulsions ») ont frisé l’illégalité tout en se voulant non-vio-
OHQWHV &HWWH OLPLWH HQWUH O«JDOLW« LOO«JDOLW« HW O«JLWLPLW« HVW «ODERU«H HW
MXVWLȴ«HSDUGHVSHUVRQQHVDSSDUWHQDQWDX[PRXYHPHQWVVRFLDX[SDU
GHVEORJXHXUVHWSOXVJ«Q«UDOHPHQWSDUODQWSDUOHVP«GLDVDOWHUQDWLIV
en réponse au pouvoir ou aux médias hostiles à de telles actions. Il s’agit
d’opposer la justice sociale incarnée au droit positif. Le slogan du 15-M :
« Nous ne sommes pas contre le système : c’est le système qui est contre
QRXV}DDLQVLFRQQXGHQRPEUHX[DYDWDUVWDQGLVTXHOHPRWGȇRUGUH
GX JURXSH PLOLWDQW m'«VRE«LVVDQFH FLYLOH} IDLW G«VRUPDLV ȵRUªV GDQV
les documents militants d’autres organisations.

Défense des libertés fondamentales


3RXUELHQFRPSUHQGUHODSRVW«ULW«GX0HWVHVPXWDWLRQVLOIDXW
ELHQDYRLU¢OȇHVSULWODFRQMRQFWXUHSROLWLTXHHQQRYHPEUHOȇ«OHF-
tion d’un gouvernement de droite qui a mené une politique économique

209
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

GXUHUHPLWHQFDXVHOHVGURLWVVRFLDX[HWRS«U«GHVFRXSHVFODLUHVGDQV
les budgets publics. Au fur et à mesure que ce gouvernement s’est vu
FRQWHVW« GDQV OD UXH LO D FRQWUHDWWDTX« HQ HVVD\DQW GH G«FU«GLELOLVHU
son opposition extra-parlementaire. Il a eu de plus en plus fréquem-
PHQW UHFRXUV DX[ FKDUJHV SROLFLªUHV DX[ FRXSV GH PDWUDTXH DX[
JD] ODFU\PRJªQHV ¢ OD YLG«RVXUYHLOODQFH DX[ LQWHUSHOODWLRQV HW DX[
LQFXOSDWLRQV'HFHIDLWXQHQRXYHOOHFDXVHGHPRELOLVDWLRQD«PHUJ«
celle de la dénonciation des violences policières et de la criminalisation
du mouvement social. Les militants se sont organisés pour assurer la
défense légale des personnes mises en examen et pour payer collecti-
YHPHQWOHVDPHQGHVLQȵLJ«HV/HGXUFLVVHPHQWDQQRQF«GXFRGHS«QDO
et le projet de loi sur la « sécurité des citoyens » ont fait naître le mot
d’ordre et la plateforme « Nous ne sommes pas un délit »22. Les liber-
tés fondamentales sont jugées menacées. Cette escalade n’a pas donné
lieu à un changement de tactique de la part des mouvements organisés
s’exprimant dans la rue. Le credo non-violent du 15-M n’a pas été altéré.
&HSHQGDQWORUVTXHGHVJURXSHVRUJDQLV«VYLROHQWVVDLVLVVHQWGHVRFFD-
sions d’affrontement délibéré en venant se greffer sur les mouvements
SDFLȴTXHV FRPPH FHOD DUULYH TXHOTXHIRLV OH ULVTXH GȇDPDOJDPH HVW
grand. Le spectre de la mouvance de l’ETA ou celui de mouvements
manipulés de l’extérieur par le Venezuela chaviste sont faciles à bran-
GLU SDU OD GURLWH FRQVHUYDWULFH FRPPH FHOXL GȇXQH FHUWDLQH MHXQHVVH
YLROHQWHHWLQFRQWU¶ODEOH$LQVLDXSULQWHPSVDORUVTXHODSU«SD-
ration des marches de la dignité et les marches elles-mêmes n’avaient
SDVIDLWOȇREMHWGȇXQHFRXYHUWXUHLPSRUWDQWHSDUOHVJUDQGVP«GLDVFHV
mêmes médias ont amplement répercuté le dénouement violent de la
manifestation organisée en point d’orgue à ces marches.

Le rôle de Juventud Sin futuro


Tous les motifs de protestation qui ont poussé les jeunes de Juventud
Sin Futuro¢GHVFHQGUHGDQVODUXHOHDYULOGHPHXUHQW&K¶PDJH
SU«FDULW«G«TXDOLȴFDWLRQIDLEOHVUHYHQXVGLɚFXOW«VGHORJHPHQWVRQW
toujours le lot d’une grande partie de la jeunesse espagnole. Un rapport
U«FHQW GX &RQVHLO GH OD MHXQHVVH Gȇ(VSDJQH XQ RUJDQLVPH FRQVXOWDWLI
FU«« SDU OHV SRXYRLUV SXEOLFV D «W« PLV HQ YDOHXU SDU Juventud Sin
Futuro23. Il dépeint le sort des jeunes de 16 à 29 ans à partir de leur

22. « Nous ne sommes pas un délit », [nosomosdelito. net], consulté en septembre 2014.
šFélix TƧƨƫƷƴƧ et Luis CƧƳǞƵƸ, Informe sobre calidad, empleo joven, becarios y prácticas,
Consejo de la Juventud de EURCȓCR=JVVRYYYELGQTIFGUECTICUELGRFH?

210
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

situation vis-à-vis de l’emploi. Les statistiques mettent l’accent sur des


conditions d’emploi dégradées aussi bien du point de vue du statut et
du contrat que de la rémunération. Les conclusions sont sans appel : les
jeunes sont le groupe d’âge qui a le plus souffert des répercussions de
la crise sur l’emploi. Beaucoup d’emplois occupés par les jeunes ont été
G«WUXLWV OHV FRQWUDWV ¢ WHPSV SDUWLHO RQW DXJPHQW«  GHV MHXQHV
déclarent même travailler sans contrat. L’enquête révèle que sept
MHXQHVVXUGL[RFFXSDQWXQHPSORLYLYHQWHQFRUHFKH]OHXUVSDUHQWVHW
que 54 % d’entre eux déclarent ne pas pouvoir s’émanciper grâce aux
UHYHQXVGHOHXUWUDYDLO3DUDLOOHXUVGȇHQWUHHX[U«SRQGHQWTXȇLOV
s’attendent à devoir émigrer pour trouver un emploi24.
Les réponses concernant la qualité des emplois occupés par rapport
au niveau d’études mettent l’accent sur une insertion très insatisfai-
sante des jeunes diplômés et sur un véritable gaspillage de ressources
humaines et de talents. Le mouvement Juventud Sin Futuro propose des
explications à cette situation. Il y voit l’effet des arbitrages effectués en
WHPSV GH FULVH G«IDYRUDEOHV DX[ MHXQHV $LQVL OHV SRVVLELOLW«V GȇDFFªV
aux études universitaires et les conditions d’études se sont-elles dégra-
G«HVHQ(VSDJQHDORUVTXȇXQHIRUWHSURSRUWLRQGHMHXQHVYHXWFRQWLQXHU
¢VHIRUPHUSRXUDP«OLRUHUVHVFKDQFHV6DQVVXUSULVHODUHVSRQVDELOLW«
de cet avenir bouché est rejetée sur le gouvernement et sur la classe
SROLWLTXH HQ J«Q«UDO PDLV DXVVL VXU mOHV ROLJDUFKLHV «FRQRPLTXHV HW
ȴQDQFLªUHV} /H GLVFRXUV HVW DYDQW WRXW XQ GLVFRXUV GH G«QRQFLDWLRQ
JOREDOLVDQWTXLQ«JOLJHOHVGLVWLQFWLRQVHQWUHGLII«UHQWHVFDW«JRULHVGHOD
jeunesse et les causes structurelles du chômage des jeunes. Mais quelles
sont les formes d’action du mouvement ?
Le mouvement a pris par surprise les médias qui se sont intéressés à
son apparition initiale dans les rues des villes espagnoles le 7 avril 2011.
(QHIIHWODMHXQHVVHHVSDJQROH«WDLWSOXW¶WMXJ«HFRQIRUPLVWHYRLUHU«VL-
JQ«H HQ WRXW FDV DFFXOWXU«H ¢ OȇLQGLYLGXDOLVPH %LHQ YLWH «FOLSV« SDU OH
0GRQWLOIXWOȇXQGHVLQLWLDWHXUVFHPRXYHPHQWQȇDSDVGLVSDUXSRXU
autant. Il resurgit régulièrement dans l’espace public en lançant des cam-
SDJQHVTXLU«DɚUPHQWOHVHQVGHVRQPRWGȇRUGUHm6DQVWRLWVDQVERXORW
sans peur ». Celle qui a eu le plus d’impact sur les jeunes et sur l’opinion

šSandra Gaviria étudie les politiques de la jeunesse et du logement en Espagne sur le long
terme. Elle souligne que la crise a bloqué l’accès à la propriété pour les jeunes Espagnols,
modèle le plus acceptable culturellement, alors même que les aides au logement locatif sont
insignifiantes. Le retard à l’émancipation, qui d’après elle n’est pas imputable principalement à
des facteurs économiques, se trouve de fait aggravé par la dégradation de la situation écono
mique. Cf. Sandra GƧƻƯƷƯƧ, « Politique de logement et autonomie résidentielle de la jeunesse en
Espagne », Informations socialesPyššR

211
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

publique a marqué le deuxième anniversaire du mouvement. Au prin-


WHPSVJuventud Sin Futuro a appelé les jeunes Espagnols ayant émi-
JU«SRXUWURXYHUXQHPSORL¢W«PRLJQHUHQWDQWTXȇH[LO«VHQLQVLVWDQWVXU
FHWHUPHGȇH[LOm1RXVQHSDUWRQVSDVLOVQRXVMHWWHQW}WHO«WDLWOHVORJDQ
GHFHWWHFDPSDJQH(QGHX[PRLVW«PRLJQDJHVRQW«W«UHFXHLOOLVHW
le site de la campagne a mis en ligne une carte détaillant la présence de
FHVMHXQHVH[LO«VGDQVOHPRQGH/HSRLQWGȇRUJXHGHODFDPSDJQHFRRU-
GRQQ«H VXU OHV U«VHDX[ VRFLDX[ IXW XQ HQVHPEOH GH PDQLIHVWDWLRQV HW
GHUDVVHPEOHPHQWVRUJDQLV«VOHDYULOQRQVHXOHPHQWHQ(VSDJQH
PDLV GDQV GȇDXWUHV YLOOHV HXURS«HQQHV HW P¬PH DXGHO¢ /D JDOHULH GH
SKRWRV GH MHXQHV DUERUDQW GHV SDQFDUWHV SRVW«H VXU OH VLWH GH OD FDP-
SDJQH LOOXVWUH ELHQ OH UHIXV GH FRQVLG«UHU Oȇ«PLJUDWLRQ FRPPH OH FKRL[
GHODPRELOLW«SURIHVVLRQQHOOHXQHLQWHUSU«WDWLRQDYDQF«H¢ODO«JªUHSDU
FHUWDLQV UHVSRQVDEOHV SROLWLTXHV ‚ OȇDXWRPQH  Juventud Sin Futuro
s’associe à une campagne lancée par le Conseil de la jeunesse d’Espagne :
« Jeunesse migrante. Regardons du côté de chez nous ». Il s’agit à nouveau
de réunir des témoignages de jeunes exilés pour la date du 8 novembre
 mMRXU GH OD MHXQHVVH HXURS«HQQH} &H OLHQ QRX« DYHF GH MHXQHV
FRPSDWULRWHV¢Oȇ«WUDQJHUFRPPHODUHFRQQDLVVDQFHGȇXQHFRPPXQDXW«
de destin avec d’autres mouvements de jeunes précaires au Portugal et en
)UDQFHFRQVWLWXHSHXW¬WUHOȇHPEU\RQGHQRXYHOOHVIRUPHVGȇRUJDQLVDWLRQ
de la jeunesse européenne. L’espace de socialisation perdu ou fermé dans
le monde du travail serait en partie compensé par des formes inédites de
sociabilité générationnelle protestataire.
/DOLJQHGXPRXYHPHQWQȇHVWSDVDUU¬W«HVDXIFHOOHGȇXQHLQG«SHQ-
dance revendiquée par rapport aux partis de gauche représentés au
Parlement. Est-ce à dire que ce mouvement serait l’expression d’un
noyau de jeunes militants refusant toute forme d’engagement poli-
tique ? Les longs entretiens qu’ils donnent à des médias sympathisants
tendent à le démentir25. Reconnaissant que leurs rangs comptent des
militants venus de partis de gauche et de mouvements sociaux « tradi-
WLRQQHOV} LOV H[SULPHQW SRXUWDQW OHXU G«ȴDQFH YLV¢YLV GȇXQH SDUROH
GRJPDWLTXH HW VXUSORPEDQWH GHV G«WHQWHXUV GH Y«ULW« HW GHV DYDQW
gardes politiques. L’acquis du 15-M est rappelé : partage entre généra-
WLRQV SOXUDOLVPH IRUPHV ODELOHV GH PRELOLVDWLRQ IRUPHV QRXYHOOHV GH
dynamisation collective. La possibilité de construire une alternative à

25. « No nos vamos, nos echan. Entrevista a Juventud Sin Futuro », Relaciones Internacionales,
nº 24, GERIUniversidad Autónoma de MCFTKF QEVQDTGLCPXKGT FKURQPKDNG ȃ
NŨCFTGUUG =JVVRYYY CECFGOKC GFWANoNosVamosNosEchan_Entrevista_a_
Juventud_Sin_Futuro].

212
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

partir du bloc des mécontents s’exprime aussi bien plus nettement que
la volonté de tourner le dos à la société : Juventud Sin Futuro ne joue pas
sur la connotation nihiliste de son nom.

L’avenir politique du 15-M


Il est indéniable que le succès électoral de Podemos a changé la
donne politique en Espagne. Les partis politiques ont été obligés de se
UHSRVLWLRQQHUSDUUDSSRUW¢FHQRXYHDXYHQXTXȇLOVVRLHQWHQSRVLWLRQ
GRPLQDQWHRXPLQRULWDLUH3DUDLOOHXUVFHVXFFªVDDJLFRPPHXQU«YXO-
sif sur les personnes et les groupes qui se reconnaissent dans les idéaux
du 15-M. Une partie des électeurs de Podemos se sont remobilisés et
VRQW UHGHYHQXV GHV PLOLWDQWV IDLVDQW GH QRXYHDX IUXFWLȴHU OHXU FDSL-
WDO VRFLDO 4XHO «WDLW OHXU KRUL]RQ ¢ Oȇ«W« " ,OV SRXYDLHQW UHMRLQGUH
les cercles de Podemos et préparer l’Assemblée citoyenne prévue à
OȇDXWRPQHVRXVOȇ«JLGHGHOȇ«TXLSHGHWUDYDLO«OXHSDUXQP«FDQLVPHGH
participation citoyenne (55 882 votes exprimés en ligne pour désigner
26 responsables). Ils s’investiraient alors dans la construction d’un nou-
YHDXSDUWLSROLWLTXH&HUWHVFHSDUWLDɚFKDLWVRQLQWHQWLRQGHIDLUHGHOD
SROLWLTXHmDXWUHPHQW}PDLVLOVHGLVWLQJXDLWIRUWHPHQWGHVLG«DX[GX
0VXUSOXVLHXUVSRLQWVHVVHQWLHOVXQOHDGHUVKLSSHUVRQQHODVVXP«
FHOXLGH3DEOR,JOHVLDVHQWRXU«GHSHUVRQQDOLW«VG«M¢SU«VHQWHVORUVGH
la campagne pour les élections européennes ; une stratégie médiatique
décomplexée ; un grand appétit pour les échéances électorales. Du
0 Podemos UHSUHQG FHUWDLQV LG«DX[ G«PRFUDWLTXHV WUDQVSDUHQFH
FRQWU¶OH GHV «OXV PRUDOLVDWLRQ GH OD YLH SROLWLTXH  PDLV VRQ ODQJDJH
politique est beaucoup plus musclé. Le document politique soumis à la
discussion des sympathisants et ouvert aux amendements (comme le
GRFXPHQWSRUWDQWVXUOȇ«WKLTXHHWFHOXLSRUWDQWVXUOȇRUJDQLVDWLRQ HVW
WUªVFRUVHW«SDUOȇHVSULWGHODJDXFKHUDGLFDOHGHUXSWXUHWRXWHQIDLVDQW
montre d’un opportunisme politique manifeste. Le document se place
en surplomb par rapport au 15-M et à la période consécutive :
/H 0 D GRQQ« XQ FRXS GH YLHX[ DX[ «OLWHV HW DX[ U«FLWV RɚFLHOV G«-
YRLODQW Oȇ«SXLVHPHQW GH OHXUV FRQVHQVXV GH OHXUV FHUWLWXGHV GHV FDGUHV
servant à distribuer les positions et à expliquer le rôle de chacun dans le
FRQWUDWVRFLDORX¢FDQDOLVHUOHVGHPDQGHVGHVFLWR\HQV0DLVFHWWHDFFX-
mulation de petites transformations culturelles n’a pas touché tout le pays
HWQȇDSDVPRGLȴ«Oȇ«TXLOLEUHGHVIRUFHV«OHFWRUDOHVHWLQVWLWXWLRQQHOOHV26.

šPodemos, « PTGBorrador político. La crisis del régimen de 1978, Podemos y la posibilidad


de cambio político en EURCȓCz=Podemos. info], 5p., consulté en septembre 2014.

213
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

L’analyse du moment historique est beaucoup plus centrée sur le


rapport de forces politiques que sur les aspirations des mouvements
sociaux. Le parti se place en « challenger » et en « outsider » placé
désormais au centre du jeu. Il entend construire un « appareil discur-
VLISROLWLTXHHW«OHFWRUDO}HQ«ODUJLVVDQWVDEDVHDȴQGHSURȴWHUGHOD
fenêtre d’opportunité que représente la crise du régime hérité de 1978.
Il ne s’arrête pas aux élections municipales mais s’inscrit dans le long
terme pour construire une autre majorité. Un tel positionnement doit
WUªV SHX DX 0 'ȇDLOOHXUV OH U«VHDX GHV XQLYHUVLWDLUHV HQJDJ«V GH
l’université Complutense de Madrid aura joué un rôle plus important
dans la gestation du parti que l’expérience du 15-M. La composition de
ODOLVWHGHFDQGLGDWVSRXUOHV«OHFWLRQVHXURS«HQQHVSXLVGHODOLVWHGH
l’équipe de travail présente toutefois un mélange de personnalités qua-
OLȴ«HVSDUOHXUQRWRUL«W«XQLYHUVLWDLUHHWRXP«GLDWLTXHGHPLOLWDQWVGH
Juventud Sin Futuro et de nouveaux-venus en politique.

L’avènement du « municipalisme »
8QH DXWUH G\QDPLTXH VȇHVW RXYHUWH ¢ Oȇ«W«  GRQW Oȇ«WLTXHWDJH
est le terme de « municipalisme ». Des plateformes citoyennes se sont
FRQVWLWX«HVHQYXHGHV«OHFWLRQVPXQLFLSDOHVGHPDLSRXUHQWUHU
GDQVODFRPS«WLWLRQ«OHFWRUDOH*DJQRQV%DUFHORQH0DGULGOD&RURJQH
9DOODGROLG 0XUFLHHWF /HV GLII«UHQWV PDQLIHVWHV TXL SU«VLGHQW ¢ FHV
initiatives sont assez voisins et ressemblent bien davantage aux textes
produits par la mouvance du 15-M qu’à ceux de Podemos. Il s’agit
GȇLQFDUQHU OHV LG«DX[ GX UHQRXYHDX G«PRFUDWLTXH GDQV OȇHVSDFH ORFDO
en rassemblant des citoyens organisés et d’autres inorganisés pour leur
« rendre la ville ». La conversion à la stratégie politique ne s’est pas
IDLWHVDQVPDOFRPPHOHPRQWUHQWOHVSUHPLHUVPDQLIHVWHVPXQLFLSD-
listes de Madrid qui ont débouché sur la constitution de la plateforme
Ganemos Madrid. On y sent une véritable hésitation sur le sens donné à
GHVH[SUHVVLRQVFRPPHmSUHQGUHGȇDVVDXWOHVLQVWLWXWLRQV}HWXQPRX-
vement de recul devant la démocratie représentative :
/HG«ȴFRQVLVWH¢UHSUHQGUHOHSURMHWGHG«PRFUDWLHWHUULWRULDOHGX0
les élections ne représentant qu’une ressource parmi d’autres de ce
SRXYRLUG«PRFUDWLTXH(QG«ȴQLWLYHQRXVFRPSUHQRQVODSROLWLTXHLQV-
WLWXWLRQQHOOH FRPPH XQ HVSDFH GH FRQȵLW SDUPL GȇDXWUHV HW GH PLVH HQ
lumière des tensions qui traversent nos villes27.

šManifeste Municipalia, juin 2014 [municipalia. tumblr. com].

214
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux

0¬PHDSUªVOHODQFHPHQWGHODSODWHIRUPHDORUVTXHOHSURJUDPPH
de gouvernance municipale est déjà dans une phase avancée d’élabora-
WLRQHWTXHOHVFRQWDFWVVHQRXHQWDYHFGȇDXWUHVIRUPDWLRQVSROLWLTXHVOH
groupe de travail intitulé « mouvement municipaliste » reste dans une
certaine ambivalence :
7URS VRXYHQW LO \ D HX FRQIXVLRQ HQWUH OȇLPDJLQDLUH GH OȇDVVDXW LQVWLWX-
WLRQQHO >Ȑ@ HW OD SULVH SXUH HW VLPSOH GX SRXYRLU /RLQ GH FHWWH LPDJH
tout mouvement municipaliste qui entend avoir une présence institu-
tionnelle doit concevoir son rôle de façon inverse. Il faut comprendre le
municipalisme comme une façon d’ôter le pouvoir aux institutions et de
le rendre aux mouvements28.

8QHH[SUHVVLRQVHSURSDJHGDQVOHVHQWUHWLHQVOHVG«FODUDWLRQVOHV
textes à propos de ces plateformes. On se réclame de « l’ADN du 15-M ».
4XHVLJQLȴHXQHWHOOHH[SUHVVLRQ"4XHOHVV\PSDWKLVDQWVHWPLOLWDQWVVH
GRQQHQWUHQGH]YRXVVXUOHVSODFHV"4XHVHUHIRUPHQWGHVJURXSHVGH
WUDYDLO HW GHV FRPPLVVLRQV FKDUJ«V GH OD ORJLVWLTXH GH OD FRPPXQLFD-
WLRQGHODP«WKRGRORJLH"4XHOHVGRFXPHQWVGHWUDYDLOHWOHVSURFªVYHU-
EDX[GHU«XQLRQVVRQWGLVSRQLEOHVVXUOD7RLOH"4XHOHVSODWHIRUPHVVH
U«FODPHQWGHVFROOHFWLIVPDU«HVPDUFKHVDVVRFLDWLRQVORFDOHVHWmGHV
JHQVFRPPHWRLHWPRL}"4XHOȇRQUHWURXYHH[SULP«HODP¬PHDYHUVLRQ
SRXU OHV SDUWLV SROLWLTXHV GRPLQDQWV OHV SROLWLFLHQV Y«UHX[ OȇDXWRULWD-
ULVPH"4XȇRQ\SURFODPHOHP¬PHDPRXUGHVELHQVSXEOLFVGHVELHQV
FRPPXQV GH Oȇ«JDOLW« HQWUH FLWR\HQV" 4XȇXQH G\QDPLTXH Gȇempower-
ment désormais explicitement reconnue et revendiquée est à l’œuvre ?
6DQVGRXWHPDLVLO\DDXVVLGHVJURXSHVGHWUDYDLOmFDQGLGDWXUHV}
HW OH WUDYDLO GH UDSSURFKHPHQW DYHF OHV SDUWLV GȇDOWHUQDQFH \ FRPSULV
Izquierda Unida HVW HQJDJ« /HV SRUWHSDUROH GH FHV SODWHIRUPHV TXL
UHVWHQWDXWRQRPHVOHVXQHVSDUUDSSRUWDX[DXWUHVUHFRQQDLVVHQWYRX-
loir surfer sur l’effet Podemos HW HQ DWWLUHU OHV PLOLWDQWV FDU OH SDUWL D
décidé de ne pas se présenter directement aux élections municipales
pour ne pas altérer son capital politique national. C’est dans le discours
du rassemblement que se lit le mieux l’héritage du 15-M. La délibération
est investie comme forme démocratique nécessairement productive
SROLWLTXHPHQW &HSHQGDQW OD FRQVWUXFWLRQ GȇXQH SURSRVLWLRQ SROLWLTXH
demande d’autres ressources et oblige à choisir ses alliés. Le mot de
mPDUTXH EODQFKH} XWLOLV« SRXU G«ȴQLU FHV SODWHIRUPHV FLWR\HQQHV
qui refusent le modèle de la coalition multipartite est un élément de

šDocument du groupe de travail « Municipalisme, version 3.0 », [ganemosmadrid. info],


consulté en septembre 2014.

215
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

PDUNHWLQJ SROLWLTXH ,O G«VLJQH DXVVL OH GHUQLHU PRPHQW R» OȇLOOXVLRQ
GȇXQHOLPLWHQHWWHHQWUHmHX[HWQRXV}SHUVLVWHODEODQFKHXUUHQYR\DQW
¢XQHIRUPHGȇLQQRFHQFHm7RXWFRPPHQFHHQP\VWLTXHHWȴQLWHQSROL-
WLTXH}GLVDLW&KDUOHV3«JX\29.

šCharles Pʤƭƺƾ, Notre jeunesse, Paris, Gallimard, 1910 [1993].

216
TROISIÈME PARTIE

DE LA CRISE
SOCIALE À LA CRISE
INSTITUTIONNELLE
ET POLITIQUE
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

8
Le droit au logement et la
lutte contre les expulsions :
la Plataforma de Afectados
por la Hipoteca
Mathieu PETITHOMME
05DMR\LOQȇHVWMDPDLVWURSWDUGSRXUUHFWLȴHU
1ȇD\H]SDVSHXUGHVVLɛHWVQȇD\H]SDVSHXUGHODSRSXODWLRQ
Descendez dans la rue et parlez avec les gens.
Faites justice et arrêtez les expulsions.
Il y a des vies en jeu qui ne peuvent plus attendre. […]
Nous, les gens, les citoyens d’en bas, nous n’avons pas les
mêmes moyens pour faire valoir nos droits.
Mais nous avons l’arme la plus puissante de toutes.
Contre le jeu sale du système, la force de la raison et du cœur.
(Ada Colau et Adrià Alemany1)

Carmen Martínez Ayuso est âgée de 85 ans et vit seule dans son
DSSDUWHPHQWDYHFVDSHWLWHUHWUDLWHGHHXURVSDUPRLVDXQXP«UR
de la rue Sierra de Palomares dans le quartier populaire de Vallecas à
0DGULG )HPPH GH P«QDJH GXUDQW WRXWH VD YLH HOOH D SHUGX VRQ PDUL
GȇXQ FDQFHU GH OD JRUJH LO \ D VHSW DQV 0DLV OH QRYHPEUH  HOOH
a été expulsée de son logement car elle s’était déclarée garante avant la
FULVHGXSU¬WGHHXURVGHVRQȴOVXQLTXHTXLVȇ«WDLWHQGHWW«DXSUªV
d’un particulier pour créer un commerce2. Ce dernier est depuis au chô-
mage et sans possibilité de rembourser sa dette qui atteint désormais
77 000 euros en raison des taux d’intérêt et des frais d’impayés. Le par-
WLFXOLHUVȇHVWGRQFUHWRXUQ«FRQWUHODJDUDQWHVDPªUHGHDQVHWVXLWH
¢ OȇDFFRUG GH OD MXVWLFH OD SROLFH OȇD H[SXOV«H GH VRQ ORJHPHQW GRQW OD
YDOHXUHVWHVWLP«H¢HXURV*U¤FH¢ODPRELOLVDWLRQGHVHVYRLVLQV
et à l’intervention militante des membres de la Plataforma de Afectados
por la Hipoteca m3ODWHIRUPHGHVDIIHFW«VSDUOȇK\SRWKªTXH}3$+ HOOH

šAda CƵƲƧƺ et Adrià AƲƫƳƧƴƾ, ¡SLVHSXHGH̰, Barcelona, Ediciones Destino, 2013, p. 5.


šLuis Javier GƵƴƿʜƲƫƿ, « UPCCPEKCPCFGCȓQUFGUCJWEKCFCRQTCXCNCTWPRTȌUVCOQFGUW
hijo », El País, 21 novembre 2014, p. 12.

219
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

a été relogée depuis lors. De généreux voisins et donateurs ont accepté


GHOȇDLGHU¢SD\HUVRQOR\HUOHVIRRWEDOOHXUVGXRayo VallecanoFOXEORFDO
GHOD/LJDRQWDSSRUW«XQHDLGHȴQDQFLªUHHWIDFH¢OȇLQGLJQDWLRQFU««H
SDU VRQ H[SXOVLRQ OD PDLULH GH 0DGULG D G«FLG« GH WUDLWHU VRQ FDV GH
façon prioritaire pour lui permettre rapidement d’obtenir un logement
VRFLDO0DLVGHSXLVWRXVOHV(VSDJQROVQȇRQWSDVHXFHWWHFKDQFH3.
Pour s’opposer à ce type de drames individuels et venir en aide
DX[ SHUVRQQHV PHQDF«HV GȇH[SXOVLRQ OH mFROOHFWLI 9} GH Vivienda
mORJHPHQW} IXWFU««HQPDLSXLVG«ERXFKDVXUODIRUPDWLRQHQ
I«YULHUGXPRXYHPHQWFLWR\HQGHOD3$+LPSXOV«SDU$GD&RODX
HW$GUL¢$OHPDQ\¢%DUFHORQH'HSXLVORUVFHFROOHFWLIDFU««GHQRP-
breuses antennes dans les villes moyennes et les grandes métropoles
d’Espagne. Ses militants ont paralysé plus de 1 135 expulsions et relogé
HQYLURQ  SHUVRQQHV GDQV GHV ORJHPHQWV RFFXS«V DYDQW GȇREWHQLU
parfois la légalisation de ces occupations en échange du paiement d’un
« loyer social » aux banques4. La PAH dénonce la loi hypothécaire espa-
JQROH GȇmLQVSLUDWLRQ P«GL«YDOH} VHORQ FHUWDLQV TXL SURWªJH WUªV SHX
OHVDFKHWHXUVHWPLOLWHSRXUODVXSSUHVVLRQGHVFODXVHVDEXVLYHVGDQVOHV
contrats de prêts immobiliers5'H¢OD3$+DUHFHQV«SOXVGH
500 000 procédures d’expulsions en Espagne6'DQVXQSD\VR»OHFK¶-
PDJH WRXFKH SUHVTXH PLOOLRQV GH SHUVRQQHV PLOOLRQ GH IDPLOOHV
survivent avec l’ensemble de leurs membres sans emploi7.
0DLVLOH[LVWHSRXUWDQWHQYLURQPLOOLRQVGHORJHPHQWVYLGHVVXU
l’ensemble du territoire. Dans un tel contexte de crise économique et de
SDXS«ULVDWLRQOD3$+OXWWHSRXUOHGURLWDXORJHPHQWGDQVXQSD\VR»
il n’y a jamais eu autant d’expulsions. Au-delà de ses actions d’interpo-
VLWLRQSRXUSDUDO\VHUOHVH[SXOVLRQVOD3$+UHQ«JRFLHGHVFHQWDLQHVGH
SU¬WVLPPRELOLHUVIUDXGXOHX[DYHFOHVEDQTXHVG«SRVHGHVSODLQWHVHW
GHVUHFRXUVGHYDQWOHVWULEXQDX[IDLWSUHVVLRQVXUOHVSRXYRLUVSXEOLFV
HWPLOLWHSRXUOHG«YHORSSHPHQWGXORJHPHQWVRFLDOWUªVSHX«WHQGXHQ
Espagne. Par leurs actions concrètes et profondément ancrées dans leur
TXDUWLHUOHVPLOLWDQWVGHOD3$+OXWWHQWSRXUODMXVWLFHVRFLDOH&RPPH

šAna Pérez BƧƷƷƫƪƵ, « El desahucio de Carmen desata un red de solidaridad dentro y fuera
del barrio », El País, 25 novembre 2014, p. 7.
šCes chiffres sont fournis par la PAH sur son site internet, cf.=JVVRCHGEVCFQURQTNCJKRQVGEC
EQOUVQRFGUCNQLQU?EQPUWNVȌNGPQXGODTG
šExpression employée lors d’un entretien par Jordi, 34 ans, chômeur et militant du collectif
de Barcelone, 7 novembre 2014.
šEntretien avec Ada colau, Regards, 15 avril 2014.
šSelon les données de la Fondation FƵƫƸƸƧ NKȌG ȃ NŨCUUQEKCVKQP EJTȌVKGPPG Caritas), VII
Informe sobre exclusión y desarrollo social en España, Madrid, 2014, p. 2.

220
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

Oȇ«QRQFH$OIRQVRXQPLOLWDQWGH%DUFHORQHm/D3$+G«QRQFHOHVDEXV
HWOHVPDQLSXODWLRQVGHVEDQTXHVHWGHVHQWLW«VȴQDQFLªUHV1RWUHREMHF-
WLIHVWGȇLQVWDXUHUXQHȊG«PRFUDWLHU«HOOHȋSDUOHEDVR»OHGURLWDXORJH-
PHQWSRXUWDQWLQVFULWGDQVQRWUHFRQVWLWXWLRQVHUDLWHQȴQUHVSHFW«8. »
&RPPHQWOD3$+¢WUDYHUVOHPRXYHPHQWVRFLDOTXLVȇHVWRUJDQLV«
GDQV VRQ VLOODJH FRQWULEXHWHOOH ¢ OD G«IHQVH GHV FLWR\HQV HW DX SUR-
grès social ? Ce chapitre se fonde sur une enquête de terrain menée
en novembre 2014 au sein des collectifs de la PAH de Barcelone et de
l’Hospitalet de Llobregat. En assistant à plusieurs assemblées hebdo-
PDGDLUHV¢GHVDFWLRQVGȇRFFXSDWLRQHWHQPȇHQWUHWHQDQWGLUHFWHPHQW
DYHF SOXV GȇXQH YLQJWDLQH GH PLOLWDQWV MȇDL FKHUFK« ¢ DSSU«KHQGHU GH
OȇLQW«ULHXUODVWUXFWXUDWLRQOHIRQFWLRQQHPHQWOHVSULQFLSDOHVUHYHQGL-
FDWLRQV HW OD VRFLRORJLH GH FHV FROOHFWLIV &H FKDSLWUH PRQWUH FRPPHQW
OD 3$+ WRXW HQ SROLWLVDQW OHV HQMHX[ GX GURLW DX ORJHPHQW HW GH OD
UHVSRQVDELOLW« GHV EDQTXHV GDQV OD FULVH VȇLQVFULW SOHLQHPHQW GDQV OH
mouvement social anti-austérité et a contribué à sensibiliser l’opinion
publique et à mettre ces questions sur le devant de la scène politique.
Le chapitre se structure en quatre temps. À travers la trajectoire
ELRJUDSKLTXHGH0DQXHOXQPHPEUHGXFROOHFWLIGXTXDUWLHUNou Barris
PHQDF«GȇH[SXOVLRQODSUHPLªUHSDUWLHH[HPSOLȴHSXLVV\QWK«WLVHODVSL-
UDOHGHODSDXS«ULVDWLRQY«FXHSDUGHQRPEUHXVHVIDPLOOHVHQ(VSDJQH
GHSXLVHQLQVLVWDQWVXUOȇ«FRQRPLHSROLWLTXHGHVSU¬WVEDQFDLUHV/D
deuxième partie s’intéresse plus en détail à la structuration territoriale
HWDXIRQFWLRQQHPHQWTXRWLGLHQGHOD3$+GHP¬PHTXȇ¢VRQLQVHUWLRQ
dans le mouvement social anti-austérité. La troisième partie présente
VHVSULQFLSDOHVUHYHQGLFDWLRQVSXLVODTXDWULªPHVHVVWUDW«JLHVGȇDFWLRQ
FROOHFWLYHTXLXVHQWKDELOHPHQWGXGURLWHWGHODIRUFHGXQRPEUH(QȴQ
ODFRQFOXVLRQSURSRVHXQHU«ȵH[LRQV\QWK«WLTXHVXUODFRQWULEXWLRQGX
mouvement à la défense des droits des citoyens et au progrès social.

CRISE DU DROIT AU LOGEMENT


ET LUTTES COLLECTIVES

« Dernier toit avant liquidation »


0DUGL QRYHPEUH  VXU OȇDYHQLGD 5DPEOD ¢ %DUFHORQH XQ
militant de la PAH brandit une pancarte avec une photographie de son

šAlfonso, 42 ans, professeur d’espagnol dans le secondaire et militant de la PAH, local du


mouvement, Barcelone, 12 novembre 2014.

221
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

appartement et ce slogan : « Dernier toit avant liquidation ». Il s’appelle


0DQXHO9LFHQWHUR‹TXDWRULHQGȇRULJLQH,ODDQVXQHIHPPHHWGHX[
HQIDQWVHWYLWGHSXLV¢Nou BarrisXQTXDUWLHUSRSXODLUHS«ULSK«-
ULTXHGHODYLOOH'HSXLVGHX[PRLVLOHVWPHQDF«GȇH[SXOVLRQ6RQFDVHVW
HQDSSHOGHYDQWOHVWULEXQDX[m&KDTXHMRXUHQRXYUDQWPDER°WHDX[
OHWWUHVMȇDLSHXUSRXUPDIDPLOOH}PHGLWLO9. Maçon depuis son arrivée
HQ(VSDJQHLOWUDYDLOODLWFLQTMRXUVSDUVHPDLQHGHKHXUHV¢KHXUHV
plus une à deux heures de transport aller-retour en moyenne pour
HXURVSDUPRLV(QVHVHQIDQWVHWVDIHPPHTXLDWRXWGHVXLWH
WURXY« XQ HPSORL FRPPH DJHQW GȇHQWUHWLHQ RQW SX TXLWWHU Oȇ‹TXDWHXU
SRXUOHUHMRLQGUH(QLOVRQWDFKHW«XQSHWLWWURLVSLªFHVGHP2
ORUVTXȇHVWQ«H/LQGDOHXUȴOOH(QLOVRQW«W«QDWXUDOLV«VHVSDJQROV
grâce à la loi facilitant l’acquisition de la nationalité pour les ressortis-
sants des pays hispanophones. Puis Jaime est né en 2008. Une trajectoire
H[HPSODLUHGȇLQW«JUDWLRQ0DLVVXLWH¢ODQDLVVDQFHGHOHXUȴOVVDIHPPH
n’a pas retrouvé de travail. La récession était passée par là.
Les employeurs ont gelé les embauches. Dans l’entreprise familiale
R»LOWUDYDLOODLWGHVGL[HPSOR\«VGȇDYDQWODFULVHLOQHUHVWDLWSOXVTXH
OXL VRQ SDWURQ HW VRQ ȴOV ,O D G½ DFFHSWHU XQH GLPLQXWLRQ GH VDODLUH
700 euros par mois en travaillant de 8 heures à 14 heures le samedi
HQSOXV0DLVOȇHQWUHSULVHDTXDQGP¬PHȴQLSDUPHWWUHODFO«VRXVOD
SRUWHHQMXLQ3HQGDQWGHX[DQVLOHVWUHVW«DXFK¶PDJH,OWRXFKH
désormais « la ayuda} OȇDLGH «TXLYDOHQWH DX 50, IUDQ©DLV HXURV
SOXV HXURV SDU HQIDQW VRLW HXURV SRXU IDLUH YLYUH XQH IDPLOOH
GH TXDWUH SHUVRQQHV GRQW XQH ȴOOH GH QHXI DQV HW XQ ȴOV GH VL[ DQV
Sa femme ramène jusqu’à 200 euros par mois en s’occupant d’une
SHUVRQQH¤J«HDXQRLUPDLVVHVUHYHQXVQHVRQWSDVȴ[HV'HSXLVMXLO-
OHWLOQHSHXWSOXVSD\HUOHVHXURVPHQVXHOVGHVRQSU¬WLPPR-
bilier. Il a pourtant tout fait pour : se serrer drastiquement la ceinture ;
utiliser ses économies patiemment constituées depuis son arrivée en
Espagne en 2002 ; vendre certains meubles. Il a tenté de renégocier son
prêt pour allonger sa durée en échange d’une réduction de sa mensua-
lité. Mais sa banque n’a rien voulu savoir et a entamé une action en
justice et une procédure d’expulsion contre lui.
&RPPH 0DQXHO LOV VRQW SOXVLHXUV GL]DLQHV ¢ RFFXSHU OȇDJHQFH GH
Bankia depuis 8 h 45 en cette matinée d’automne. Personnes menacées

šLŨGPUGODNG FGU KPHQTOCVKQPU EKFGUUQWU UQPV KUUWGU FG EGV GPVTGVKGP CXGE Manuel
Vicentero, 42 ans, Équatorien nationalisé espagnol, membre de la PAH, 11 novembre 2014,
Barcelone, puis de l’observation participante de la manifestation de la PAH, le même jour, contre
l’agence BCPMKC

222
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

GȇH[SXOVLRQV PLOLWDQWV RX V\PSDWKLVDQWV GH OD 3$+ (VSDJQROV SRXU OD
SOXSDUWLPPLJU«VSRXUFHUWDLQVLOVFKHUFKHQW¢UHQFRQWUHUOHGLUHFWHXU
GH OȇDJHQFH EDQFDLUH DȴQ GȇRXYULU XQ SURFHVVXV GH Q«JRFLDWLRQ SRXU
obtenir l’allongement des dettes des personnes affectées ou le solde
de celles-ci en échange du don de leur bien à la banque. Vêtus de tee-
VKLUWVYHUWVDYHFOHORJRGXFROOHFWLILOVIRQWGXEUXLWDYHFGHVFDVVHUROHV
HW HQWRQQHQW GHV VORJDQV m6WRS DX[ H[SXOVLRQV} m%DQNLD YROHXUV
5HQGH]QRXV QRWUH DUJHQW} m&HWWH EDQTXH PHW GHV JHQV ¢ OD UXH}
« Ton taux d’intérêt m’a tué ». Face à l’absence de réponse des dirigeants
¢OHXUVQRPEUHXVHVOHWWUHVGHGHPDQGHGHGLDORJXHLOVRQWFKRLVLGHSRU-
ter atteinte à « l’image de marque » de la banque. D’autres distribuent
des tracts et ont monté un stand devant l’agence sur l’une des avenues
les plus touristiques de Barcelone. Les passants et les touristes curieux
VRQWGHSOXVHQSOXVQRPEUHX[‚KHXUHVSRXU«YLWHUOHVFDQGDOHOH
directeur délégué de l’agence accepte de discuter avec un représentant
GHOD3$+HQ«FKDQJHGHODȴQGHOȇRFFXSDWLRQ/DSUHPLªUHEDWDLOOHHVW
JDJQ«H 0DLV OHV Q«JRFLDWLRQV TXL GXUHQW VRXYHQW GHV VHPDLQHV VRQW
loin d’avoir abouti. Après la force dissuasive de l’occupation et de la
G«QRQFLDWLRQLOIDXGUDIDLUHYDORLUOHSRLGVGHVDUJXPHQWV

La spirale de la paupérisation :
« de la précarité à l’expulsion, il n’y a qu’un pas »
'HSXLVDORUVP¬PHTXHOȇ(VSDJQHHVWOHSD\VHXURS«HQR»OHV
LQ«JDOLW«V VRFLDOHV RQW OH SOXV SURJUHVV« SOXV GH FLQT FHQW PLOOH SHU-
VRQQHVORFDWDLUHVRXSURSUL«WDLUHVRQW«W«H[SXOV«HVGHOHXUORJHPHQW
la plupart du temps sans proposition alternative de relogement par
les pouvoirs publics et les mairies10. Cinq millions de personnes vivent
aujourd’hui en « situation sévère d’exclusion » et 728 300 familles ne
reçoivent aucun argent ni prestation sociale113DUDOOªOHPHQWOHQRPEUH
de millionnaires (465 000 en 2014) a augmenté de 24 % en seulement
GHX[ DQV GHSXLV  HW OHV UHYHQXV GHV  OHV SOXV ULFKHV QȇRQW
SDVFKDQJ«GHSXLVDORUVTXHFHX[GHVOHVSOXVSDXYUHVRQW
diminué de 14 %12'DQVFHFRQWH[WHODORLK\SRWK«FDLUHHVSDJQROHTXL
GDWHGHHVWOȇXQHGHVSOXVG«IDYRUDEOHVDX[DFKHWHXUVHQ(XURSH

šL’Espagne est ainsi le pays de l’Union européenne où le coefficient de Gini, qui mesure le
VCWZFŨKPȌICNKVȌUGUVNGRNWUHQTV  EH. BTCPMQMƯƲƧƴƵƻƯƩ, Los que tienen y los que no tienen.
Una breve y singular historia de la desigualdad global, Madrid, Alianza Editorial, 2012, p. 28.
šFondation FƵƫƸƸƧ, op. cit., 2014, p. 2.
šMiguel Ángel GƧƷƩʨƧVƫƭƧ« ENPGIQEKQGUVȄGPNQUGZVTGOQUzEl País, 9 novembre 2014,
p. 13.

223
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

inspirée des intérêts de la noblesse et de la bourgeoisie mercantile de


OD ȴQ GX XIXeVLªFOH HOOH HQWUD°QH XQH UHODWLRQ GH SRXYRLU LQ«JDOLWDLUH
HQWUHOHVSDUWLHVDXSURȴWGHVHQWLW«VȴQDQFLªUHV13. Il est ainsi quasiment
impossible d’acheter un bien sans signer une hypothèque sur celui-ci.
3RXU DXWDQW OH SU¬W LPPRELOLHU UHSRVH VXU XQH SHUVRQQH SK\VLTXH HW
non sur le bien lui-même. Un prêt ne peut pas être soldé en donnant
GLUHFWHPHQW OH ELHQ ¢ OD EDQTXH XQH UHYHQGLFDWLRQ DFWLYHPHQW VRXWH-
nue par la PAH et l’opinion publique espagnole. Dès qu’un particulier
RPHW GH SD\HU XQH PHQVXDOLW« GH VRQ SU¬W OD EDQTXH SHXW SRUWHU
SODLQWH HW XQ SURFHVVXV G«OLFWXHX[ HVW DXWRPDWLTXHPHQW HQFOHQFK«
VDQV «YDOXDWLRQ LQLWLDOH GX MXJH TXL SHXW HQWUD°QHU XQH H[SXOVLRQ ¢
PR\HQWHUPH6LWURSGȇLPSD\«VVȇDFFXPXOHQWODEDQTXHVȇDSSURSULHOH
bien pour 60 % de sa valeur au moment de l’expropriation.
'HSOXVGDQVXQSD\VR»GHOȇ«SDUJQHGHVIDPLOOHVHVWFRQVWLWX«H
SDU OHV ELHQV LPPRELOLHUV OD YDOHXU GH FHV DFWLIV D GLPLQX« GȇHQYLURQ
30 % depuis 200814. Des personnes qui auraient donc pu intégralement
rembourser leur banque avant la crise immobilière grâce à la vente de
OHXUDSSDUWHPHQWVHYRLHQWGRQFQRQVHXOHPHQWH[SURSUL«HVHWH[SXO-
V«HVPDLVGRLYHQWHQFRUHVȇDFTXLWWHUGXPRQWDQWGHODGHWWHUHVWDQWHVL
WHO HVW OH FDV /HV FR½WV ȴQDQFLHUV GX SURFHVVXV O«JDO GȇH[SXOVLRQ HW OHV
intérêts des retards de paiement restent aussi à payer par les expulsés.
De nombreuses familles se retrouvent ainsi sans appartement et avec
XQH GHWWH TXL FRQWLQXH GȇDXJPHQWHU SXLVTXH OHV LQW«U¬WV GHV LPSD\«V
et des pénalités de retard ne cessent de croître. Les banques peuvent
aussi saisir la justice pour obtenir un prélèvement automatique sur les
VDODLUHVGHVG«ELWHXUVTXLVHYRLHQWGRQFFRQWUDLQWV¢WUDYDLOOHUDXQRLU
pour continuer à nourrir leurs enfants. Contrairement aux délits de cor-
ruption ou de détournement de fonds publics qui sont prescrits après
VHXOHPHQW TXHOTXHV DQQ«HV SHUPHWWDQW VRXYHQW DX[ «OLWHV Gȇ«FKDSSHU
¢ OD MXVWLFH OHV GHWWHV GHV FLWR\HQV RUGLQDLUHV HOOHV QH VH SUHVFULYHQW
pas156LOHVSDUHQWVOHVEHDX[SDUHQWVRXOHVIUªUHVHWVĕXUVVHVRQWSRU-
W«VJDUDQWVFRPPHOHGHPDQGDLHQWVRXYHQWOHVEDQTXHVDYDQWODFULVH
SRXUOHVMHXQHVWUDYDLOOHXUVRXOHVGRVVLHUVm¢ULVTXH}FHVGHUQLªUHVVH

šEnrique GƯƲCƧƲƻƵ, Los poderes opacos. Austeridad y resistencia, Madrid, Alianza Editorial, 2013, p. 36.
šRamón GƧƷƩʨƧ, « CCFC GURCȓQN JC RGTFKFQ šGWTQU FG TKSWG\C RQT NC ETKUKU GEQPȕ
OKECz=JVVRYYYKPXGTVKCEQO?LWKNNGV
šC’est aussi pour ces raisons que certains analystes considèrent qu’une bonne partie des
dettes publiques en Europe du Sud sont « illégitimes », puisque des proportions importantes
FG EGNNGUEK EQTTGURQPFGPVWPKSWGOGPVȃNŨCWIOGPVCVKQPVTȋU HQTVG FGU VCWZFŨKPVȌTȍV GV FG NC
spéculation depuis 2008. Cf. par exemple, Damien MƯƲƲƫƹ et Éric TƵƺƸƸƧƯƴƹ, La dette ou la vie,
Bruxelles, Éditions Aden, 2011.

224
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

WRXUQHQWDXVVLYHUVHX[HWOHXUU«FODPHQWOHVVRPPHVGXHV(QȴQGHSXLV
ODORLGHMXLQYRW«HSDUOH33OHVSHUVRQQHVFRQFHUQ«HVVRQWȴFK«HV
au « registre public des défaillants pour impayés » : elles ne peuvent
SOXVMDPDLVDFKHWHUGHELHQVDYRLUXQHOLJQHW«O«SKRQLTXHRXREWHQLUXQ
FU«GLWHWIRQWIDFH¢Gȇ«QRUPHVGLɚFXOW«VSRXUWURXYHUXQHORFDWLRQSHU-
cevoir certaines prestations sociales ou renouveler leur carte bancaire16.
'DQVFHFRQWH[WHGHFK¶PDJHGHPDVVHHWGHKDXVVHGHVLQ«JDOLW«V
OD3$+VHPRELOLVHDFWLYHPHQWGHSXLVSRXUU«VLVWHUDX[H[SXOVLRQV
dénoncer la responsabilité de banques aux pratiques commerciales
douteuses et maintenir le droit fondamental de tout être humain au
ORJHPHQW m'H OD SU«FDULW« ¢ OȇH[SXOVLRQ LO Qȇ\ D TXȇXQ SDV} PH GLUD
XQMRXU<RODQGDXQHUHWUDLW«HDFWLYHDXVHLQGXFROOHFWLIGH/ȇ+RVSLWDOHW
qui aide les personnes menacées d’expulsion dans leurs recours juri-
diques17'HSXLVQRYHPEUHORUVGHODSUHPLªUHH[SXOVLRQHQWUDY«H
DYHF VXFFªV ¢ /D %LVEDO GHO 3HQHGªV GDQV OD SURYLQFH GH 7DUUDJRQH
plus de 1 135 expulsions ont été empêchées par les militants de la
3$+ /ȇmĕXYUH VRFLDOH} H[SUHVVLRQ TXL G«VLJQH OHV RFFXSDWLRQV HQ
WK«RULH mLOO«JDOHV} GH OD 3$+ D SHUPLV GH UHORJHU  SHUVRQQHV18.
'HV EDQTXHV RQW DXVVL «W« RFFXS«HV SHUPHWWDQW XOW«ULHXUHPHQW OD
renégociation de nombreux prêts de particuliers. L’opinion publique
espagnole a été largement sensibilisée par les campagnes de la PAH.
'HV LPPHXEOHV G«ODLVV«V VXLWH ¢ OD IDLOOLWH GȇHQWUHSULVHV GX E¤WLPHQW
GHYHQXV OHV SURSUL«W«V GH EDQTXHV RX GȇDVVXUDQFHV RQW «W« RFFXS«V
pour reloger des familles. Certains sont même devenus des logements
sociaux avec l’accord des banques et suite aux négociations collectives
GHOD3$+SHUPHWWDQWGHO«JDOLVHUOHVRFFXSDWLRQVHQ«FKDQJHGXSDLH-
PHQWGȇXQmOR\HUVRFLDO}DX[HQWLW«VȴQDQFLªUHV

UN MOUVEMENT DÉCENTRALISÉ ET TRANSVERSAL


Autonomie et coopération des collectifs locaux
0¬PH VL HOOH HVW GȇDERUG Q«H HQ &DWDORJQH R» HOOH GLVSRVH HQFRUH
GX SOXV JUDQG QRPEUH GH FROOHFWLIV OD 3$+ VȇHVW SURJUHVVLYHPHQW

šBoletín Oficial del EUVCFQ BOE), Ley de medidas de flexibilización y fomento del mercado del
alquiler de viviendas, Titulo 3, « Creación de un registro público de morosos por impago del
alquiler », BOELWKP
šEntretien avec Yolanda, 62 ans, retraitée, L’Hospitalet de Llobregat, 6 novembre 2014.
šSur ce point, cf. Ada CƵƲƧƺ et Adrià AƲƫƳƧƴƾ, Vidas hipotecadas. De la burbuja inmobiliaria al
derecho a la vivienda, CWCFTKNȄVGTQFGNKDTQUBarcelona, 2012, p. 92.

225
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

structurée à travers la création de collectifs locaux dans l’ensemble des


capitales de province et la plupart des villes moyennes espagnoles. En
OD3$+VȇDSSXLHVXUXQU«VHDXGHJURXSHVORFDX[&KDTXHFRO-
OHFWLIRUJDQLVHVDSURSUHDVVHPEO«HKHEGRPDGDLUHG«EDWHWVȇRUJDQLVH
autour des expulsions et de l’aide juridique à apporter aux personnes
DIIHFW«HVDXVHLQGHVRQTXDUWLHURXGHVRQWHUULWRLUH(QLQWHUQHFKDTXH
SODWHIRUPH VȇRUJDQLVH HQ FRPPLVVLRQV WK«PDWLTXHV HQ UHSUHQDQW
JOREDOHPHQW OD P¬PH VWUXFWXUH DXWRXU GH FLQT RX VL[ FRPPLVVLRQV19 :
mMXULGLTXH} mVXLYL GHV FDV} mYLG«R} mFRPPXQLFDWLRQ} mDFFRP-
SDJQHPHQW} HW mDFWLRQV} 'XUDQW OD VHPDLQH FKDTXH FRPPLVVLRQ
WUDYDLOOH VHORQ VRQ SURSUH DJHQGD SXLV OHV G«FLVLRQV ¢ SUHQGUH HW OHV
actions à mener sont débattues durant l’assemblée hebdomadaire. Une
SHUPDQHQFH HVW DVVXU«H FKDTXH VRLU GH WHOOH VRUWH TXH OD SODWHIRUPH
MRXHDXVVLHQIDLWOHU¶OHGȇDFFRPSDJQHPHQWHWGHFRQVHLOTXLHVWQRU-
malement celui des travailleurs sociaux.
(Q REVHUYDQW OH WUDYDLO GX FROOHFWLI GH %DUFHORQH MȇDL HQ HIIHW SX
constater que le local de la PAH joue bien souvent ce rôle de « centre
GȇDFFXHLO} SRXU GHV SHUVRQQHV G«VHVS«U«HV IUDJLOHV SV\FKRORJLTXH-
PHQW HW HQ UHFKHUFKH GH VRXWLHQ $LQVL (GXUQH YLHQW FKDTXH VRLU ¢ OD
SHUPDQHQFHR»HOOHWURXYHGXU«FRQIRUWHWDOȇLPSUHVVLRQTXȇRQOȇDLGH
concrètement :
'HSXLV TXH MȇDL UH©X XQ FRXUULHU GH PHQDFH GH PD EDQTXH MH VXLV WUªV
anxieuse. Je vois seulement mon assistante sociale deux fois par mois.
&ȇHVW WURS ORQJ (Q YHQDQW LFL DX PRLQV MȇDL OȇLPSUHVVLRQ TXH MȇDYDQFH
je m’informe de mes droits. On m’aide pour écrire à ma banque et me
défendre. C’est concret20.

)HUQDQGRXQRXYULHU«TXDWRULHQGHDQVDXFK¶PDJHUHQFRQWU«
DXORFDOGHOD3$+GH/ȇ+RVSLWDOHWGH/OREUHJDWQHGLWSDVDXWUHFKRVH
$YHFOHFK¶PDJHMHPHVXLVLVRO«8QFRPSDWULRWHPȇDSDUO«GHODSODWH-
forme et je suis venu avec lui la première fois. J’avais honte de parler de
PDVLWXDWLRQ0DLVTXDQGMȇDLYXTXHMHQȇ«WDLVSDVVHXO©DPȇDUDVVXU«HW
DXMRXUGȇKXLMHYDLVPLHX[P¬PHVLMHVXLVWRXMRXUVPHQDF«GȇH[SXOVLRQ21.

Au-delà de la résistance concrète aux expulsions grâce aux interpo-


VLWLRQVIDFHDX[IRUFHVGHOȇRUGUH¢OȇDLGHMXULGLTXHHW¢ODP«GLDWLVDWLRQ

šCette information m’a été fournie par Andrés, un étudiant en sociologie de 24 ans, qui se dit
« très actif » au sein du collectif de Barcelone, avenida Rambla, 11 novembre 2014.
šEntretien avec Edurne, sans emploi, 47 ans, local de la PAH, Barcelone, 12 novembre 2014.
šEntretien avec Fernando, 51 ans, ouvrier au chômage, L’Hospitalet de Llobregat, 6 novembre
2014.

226
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

GHOHXUVDFWLRQVOHVSODWHIRUPHVMRXHQWDXVVLXQU¶OHVRFLDOGHSUR[LPL-
W«HQFU«DQWGHVOLHX[RXOHVSHUVRQQHVDIIHFW«HVSHXYHQW¬WUH«FRXW«HV
et peuvent échanger sur leurs expériences. Être ancré dans le territoire
à travers les collectifs locaux constitue l’élément-clé qui permet de
PRELOLVHUVXɚVDPPHQWGHSHUVRQQHVORUVGHVDFWLRQVGHPDQLIHVWDWLRQ
RX GH U«DJLU UDSLGHPHQW DX[ H[SXOVLRQV TXL RQW VRXYHQW OLHX WUªV W¶W
OH PDWLQ RX ¢ GHV KHXUHV LPSU«YXHV HQ FU«DQW GHV V\VWªPHV FROOHFWLIV
d’alerte et en utilisant habilement les réseaux sociaux. Les assemblées
hebdomadaires permettent à l’information de se répandre et favorisent
OȇLPSOLFDWLRQ GHV JHQV 'HSXLV  GHV VWUDW«JLHV RQW GȇDLOOHXUV «W«
PLVHV HQ SODFH DȴQ GH IDFLOLWHU OHV «FKDQJHV GȇLQIRUPDWLRQV HQWUH OHV
collectifs locaux pour aider les nouvelles plateformes à s’organiser22. À
IRUFHGHVXLYUHOHVQRPEUHX[FDVGȇH[SXOVLRQVOHVPHPEUHVGHOD3$+
RQWFRQWULEX«¢mODSURGXFWLRQGȇXQVDYRLUPLOLWDQW}IRQG«VXUOȇH[S«-
ULHQFHGHVUHFRXUVMXULGLTXHVHWOHVPRELOLVDWLRQVVRFLDOHVSDVV«HVTXȇLO
s’agit de transmettre aux nouveaux groupes locaux23. Mais l’évolution la
SOXVQRWDEOHHVWFHUWDLQHPHQWTXHGHSXLVQRYHPEUHIDFH¢OȇDXJ-
mentation importante du nombre de procédures d’expulsion qui rend
SOXV GLɚFLOH OH VXLYL FDV SDU FDV OHV GLULJHDQWV GH OD 3$+ SULYLO«JLHQW
de plus en plus des négociations générales avec les banques au nom de
l’ensemble des personnes affectées.

Un mouvement social citoyen


'HSOXVOȇREVHUYDWLRQSDUWLFLSDQWHGXTXRWLGLHQGHVFROOHFWLIVORFDX[
SHUPHWGHVRXOLJQHUTXHP¬PHVLOHVRFOHGHOD3$+HVWDQLP«SDUGHV
PLOLWDQWV DVVRFLDWLIV WUDGLWLRQQHOV VHV DFWLRQV VȇLQVªUHQW GDQV XQ PRX-
vement citoyen plus large et transversal. Hormis en ce qui concerne
OD GLUHFWLRQ QDWLRQDOH HW OHV TXHOTXHV SURIHVVLRQQHOV GH OȇRUJDQLVDWLRQ
et au-delà même des bénévoles qui constituent la quasi-totalité des
PHPEUHVGHVPLOOLHUVGHFLWR\HQVSDUWLFLSHQWHQIDLWGHSUªVRXGHORLQ
aux activités de la PAH. Lors des actions d’interposition pour éviter les
H[SXOVLRQVORUVGHVRFFXSDWLRQVGHVDJHQFHVEDQFDLUHVRXGHVPDQLIHV-
WDWLRQVGHUXHVGHQRPEUHXVHVSHUVRQQHVVHMRLJQHQWVSRQWDQ«PHQWGH
ID©RQWHPSRUDLUHRXU«FXUUHQWHDX[FDPSDJQHVGHOD3$+/RUVGHFHV
PRELOLVDWLRQV OD IURQWLªUH HQWUH mOȇH[SHUW} GH OȇHQJDJHPHQW DVVRFLDWLI
et « le profane » indigné par les expulsions et l’exclusion sociale tend

šAda CƵƲƧƺ et Adrià AƲƫƳƧƴƾ, op. cit., 2012, p. 53.


šYves LƵƩƮƧƷƪ et Maud SƯƳƵƴƫƹ, « Les experts associatifs, entre savoirs profanes, militants
et professionnels », dans Didier DƫƳƧƿƯʣƷƫ et Charles GƧƪʣƧ FKT Sociologie des groupes pro-
fessionnels. Acquis récents et nouveaux défis, Paris, La DȌEQWXGTVGR

227
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

ainsi à disparaître24&ȇHVWHQFHODTXHFRXYUDQWSOXVTXȇXQHVLPSOHRUJD-
QLVDWLRQ DVVRFLDWLYH PLOLWDQWH OD 3$+ G\QDPLVH XQ PRXYHPHQW VRFLDO
FLWR\HQSOXVODUJHHQWHQGXFRPPHmXQHQVHPEOHGHU«VHDX[LQIRUPHOV
GȇRUJDQLVDWLRQVHWGȇDFWHXUVLVRO«VFRQVWUXLWVXUGHVYDOHXUVSDUWDJ«HVHW
XQHVROLGDULW«HQWUHOHXUVPHPEUHVTXLVHPRELOLVHQWDXVXMHWGȇHQMHX[
FRQȵLFWXHOVHQD\DQWUHFRXUV¢GLII«UHQWHVIRUPHVGHSURWHVWDWLRQ25 ».
(QHIIHWORUVGHVPDQLIHVWDWLRQVGHUXHVGHOD3$+¢WLWUHLQGLYLGXHO
RX DX QRP GȇXQ JURXSH ORFDO GHV RUJDQLVDWLRQV «WXGLDQWHV GHV PRX-
vements de jeunes comme Juventud Sin FuturoGHVPLOLWDQWVGHSDUWLV
issus notamment d’Izquierda Unida ou de la formation Candidatura
d’Unitat Popular &83  HQ &DWDORJQH GHV V\QGLFDOLVWHV GHV Comisiones
Obreras &&22  RX GH Oȇ8*7 HW GHV DUWLVWHV VH MRLJQHQW DX[ FRUWªJHV
par solidarité26. Même si les personnes affectées par les expulsions
FRQVWLWXHQW OH VRFOH GH EDVH GHV PRELOLVDWLRQV HW VL OH GLVFRXUV GH OD
PAH se situe plus dans la lignée du mouvement des indignés et des
U«I«UHQFHVDX[FDW«JRULHVSROLWLTXHVGHODJDXFKH «JDOLW«GURLWDXORJH-
PHQW OXWWH FRQWUH OH FDSLWDOLVPH ȴQDQFLDULV« OHV LQMXVWLFHV HW OȇH[FOX-
VLRQ VRFLDOHHWF  OD SODWHIRUPH VH UHYHQGLTXH FRPPH XQ PRXYHPHQW
non-partisan et transversal. Ses dirigeants critiquent d’ailleurs tant la
politique du PP que celle du PSOE en matière de logement et de régu-
lation des banques. En discutant avec les manifestants à Barcelone le
QRYHPEUHMȇDLSXFRQVWDWHUTXHGHV«OHFWHXUVGHWRXVOHVSDUWLV
étaient représentés. Mais on trouve surtout de nombreux « abstention-
QLVWHVGDQVOHMHX}GHVG«©XVGHODSROLWLTXHTXLQHFURLHQWSOXVDX[
SURPHVVHV «OHFWRUDOHV HW GLVHQW VHXOHPHQW YRWHU GH ID©RQ VSRUDGLTXH
PDLV TXL GHPHXUHQW FHSHQGDQW VXɚVDPPHQW LQGLJQ«V HW FRQVFLHQWV
des enjeux pour être prêts à signer un tract ou à participer à une mani-
festation27/HVLPPLJUDQWVOHVSUHPLHUVWRXFK«VSDUODFULVHTXLVRQW
SOXV LVRO«V HW QH SHXYHQW SDV VȇDSSX\HU VXU OHXUV U«VHDX[ IDPLOLDX[

šThomas FƷƵƳƫƴƹƯƴ et Stéphanie WƵưƩƯƱ, Le profane en politique. Compétences et engage-


ments du citoyen, Paris, L’HCTOCVVCPR
šDonatella DƫƲƲƧPƵƷƹƧ et Mario DƯƧƴƯ, Social MRYHPHQWV̰An Introduction.QPFTGU9KNG[
$NCEMYGNNR
šLa candidature d’unité populaire est un mouvement d’assemblée, d’extrême gauche et
indépendantiste catalan fondé le 7 mars 1991, successeur du Moviment d’Esquerra Nacionalista
kMouvement de gauche nationaliste », MEN) qui regroupa en 1987 les mouvements nationa
listes et d’extrême gauche de Catalogne fondés dans le sillage de la mort de Franco. La CUP est
actuellement dirigée par David FGTPȄPFG\GVFKURQUGFGVTQKUFȌRWVȌUCWParlament de Catalogne.
Cf. Ivanna Vallespín, « CUPšKPFGRGPFGPVKUVCU[CPVKECRKVCNKUVCUzPQXGODTG
šAnne MƺƖƫƲ, « La poussée des abstentions. Protestation, malaise, sanction », dans Pascal
PƫƷƷƯƴƫƧƺ et Colette YƸƳƧƲ FKT  Le vote de tous les refus. Les élections présidentielle et législa-
tive de 2002, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p. 153.

228
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

VRQW DVVH] UHSU«VHQW«V PDLV OHV FLWR\HQV HVSDJQROV GRPLQHQW MHXQHV


RXYLHX[GHFODVVHSRSXODLUHRXGHFODVVHPR\HQQHHQYRLHGHSDXS«-
ULVDWLRQHWGHG«FODVVHPHQW/HFDUDFWªUHLQWHUFODVVLVWHGXPRXYHPHQW
OHIDLWTXHSUªVGȇXQHIDPLOOHVXUGHX[HVWWRXFK«HSDUOHFK¶PDJHTXL
DWWHLJQDLW  GH OD SRSXODWLRQ DFWLYH HQ DR½W HW OD SHXU GH
QRPEUHX[FLWR\HQVGHVXELUOHP¬PHVRUWTXHOHVH[SXOV«VH[SOLTXHOH
large appui social que la plateforme connaît dans l’opinion.

DES REVENDICATIONS SOCIALES CONCRÈTES


L’objectif principal de la PAH est de lutter contre les expulsions et
d’œuvrer pour le droit au logement en incitant les pouvoirs publics
QDWLRQDX[ HW ORFDX[ ¢ U«DJLU WRXW HQ G«IHQGDQW OHV PLOOLHUV GH SHU-
sonnes affectées par des prêts immobiliers assortis de clauses dou-
teuses ou dans l’incapacité temporaire ou durable de les payer à cause
du chômage. Le collectif dénonce l’inaction des gouvernants face à
OȇH[FOXVLRQVRFLDOHHWU«VLGHQWLHOOHHWOHVDEXVGHVHQWLW«VȴQDQFLªUHV,O
cherche à replacer l’humain au centre des préoccupations politiques
en s’appuyant sur l’indignation citoyenne et en dénonçant les excès du
FDSLWDOLVPHȴQDQFLDULV«HWGHODVS«FXODWLRQLPPRELOLªUH/D3$+DDLQVL
largement dénoncé les pressions exercées avant la crise par les banques
HWOHVJURXSHVȴQDQFLHUVVXUOHVJRXYHUQHPHQWVFRQVHUYDWHXUHWVRFLD-
OLVWH SRXU G«U«JXOHU OH PDUFK« LPPRELOLHU VRXV OH SU«WH[WH GH ȵH[L-
biliser le crédit et de faciliter l’accès au logement28. Les pratiques des
banques sont elles-mêmes mises en cause. Des systèmes d’incitation et
de primes récompensaient en effet les commerciaux qui « vendaient »
OHSOXVGHSU¬WVLQFLWDQWOHVFOLHQWV¢VȇHQGHWWHUSDUIRLVWUªVODUJHPHQW
au-delà des 33 % d’endettement maximal normalement requis.
/ȇDEXVGXODQJDJHFRPPHUFLDOSHUPHWWDLWGHODUJHPHQWFRQYDLQFUH
voire même de manipuler les particuliers. Les conseillers s’appuyaient
VXUXQDUJXPHQWDLUHELHQURG«mLOHVWE¬WHGHSD\HUXQOR\HUDORUVTXH
SRXU OH P¬PH SUL[ YRXV SRXYH] DFKHWHU} mDX SLUH YRXV SRXYH] WRX-
MRXUVYHQGUH}mGHWRXWHID©RQOHVSUL[QHEDLVVHQWMDPDLV}mOHVWDX[
d’intérêt sont à un niveau historiquement très bas » ; « c’est vraiment
XQH FKDQFH}HWF29. Les banques utilisèrent allègrement leurs « rela-

šPour de nombreux exemples, voir le documentaire La ley del Ladrillo kLa loi de la brique »),
réalisé par Glòria Matamala en 2007, juste avant l’éclatement de la bulle immobilière, et dont le
script a été rédigé par Ada Colau.
šCe type d’arguments m’a été transmis par Irene, une avocate trentenaire qui collabore au
sein du groupe de travail juridique de L’Hospitalet de Llobregat, le 6 novembre 2014.

229
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

WLRQVGHFRQȴDQFH}DYHFOHXUVFOLHQWVSRXUOHXUIDLUHVLJQHUGHVFODXVHV
DEXVLYHVFRPPHODmFODXVHVRO}VXLYDQWODTXHOOHOHSDUWLFXOLHUVȇHQJDJH
sans le savoir à payer un taux minimum d’intérêt (bien supérieur à celui
SU«VHQW«SDUOHFRPPHUFLDO HWTXLSHXWDWWHLQGUHGHVVRPPHWVHQUDL-
VRQGHVȵXFWXDWLRQVGȇXQWDX[YDULDEOH30. Les conséquences des impayés
QȇDSSDUDLVVDLHQW VRXYHQW SDV GLUHFWHPHQW VXU OHV FRQWUDWV OHV EDQTXHV
VHUHSRVDQWVXUODORLTXLOHXU«WDLWIDYRUDEOH(QȴQGHQRPEUHX[SU¬WV
RQW«W«VLJQ«VSRXUGHVGXU«HVDOODQWMXVTXȇ¢YRLUHP¬PHDQV
au mépris complet de l’intérêt économique des particuliers.
Le langage dominant du « tous propriétaires » a monopolisé l’espace
public et politique et les banques ont vanté l’accès au crédit « pas
cher » à grands coups de publicité mensongère. Durant les années de
FURLVVDQFH «FRQRPLTXH   LQW«ULRULVDQW FH GLVFRXUV «OLWLVWH
DXTXHO HOOHV RQW FUX DYRLU XQ LQW«U¬W SDUWDJ« OHV FODVVHV SRSXODLUHV HW
moyennes ont incité leurs enfants à s’endetter et à accéder à la proprié-
W« GªV TXȇLOV REWHQDLHQW XQ WUDYDLO HQ   GHV IDPLOOHV «WDLHQW
DLQVLSURSUL«WDLUHVHQ(VSDJQHOHWDX[OHSOXV«OHY«HQ(XURSHFRQWUH
seulement 50 % en 195031. Mais l’ensemble du château de cartes s’est
effondré avec l’éclatement de la bulle de la spéculation immobilière. En
  GH OD SRSXODWLRQ DFWLYH WUDYDLOODLW GDQV OH E¤WLPHQW FH TXL
UHSU«VHQWDLW  GX 3,% YRLUH  VL OȇRQ WLHQW FRPSWH GHV IRXUQLV-
seurs et des activités indirectes. Des centaines de milliers d’ouvriers se
VRQWUHWURXY«VDXFK¶PDJHSXLVDFFXO«VSDUOHVEDQTXHV¢SD\HUOHXU
SU¬WHWPHQDF«VGȇH[SXOVLRQGDQVXQSD\VTXLLURQLHGHOȇKLVWRLUHQȇD
jamais connu autant de logements vacants et de chantiers d’immeubles
DEDQGRQQ«V'DQVFHFRQWH[WHOD3$+DPLVWURLVGHPDQGHVSULQFLSDOHV
sur le devant de la scène depuis 2009 : 1) la donation pour paiement
rétractif ; 2) un moratoire sur les expulsions ; 3) la location sociale des
ORJHPHQWVYDFDQWVG«WHQXVSDUOHVHQWLW«VȴQDQFLªUHV

šLa banque d’Espagne estime qu’un tiers de l’ensemble des contrats de prêt immobilier
contient des « clauses sol » abusives, soit environ 3,5 millions de particuliers et d’entreprises.
Mais à ce jour, seul 5 % des personnes concernées ont poursuivi leur banque en justice. Le
collectif d’avocats Denuncias Colectivas et l’ADICAE, l’association des usagers des banques
et des caisses d’épargne, cherchent à favoriser les actions collectives en justice, comme la
plainte en cours à Madrid contre BCPMKCGVUGUGPVKVȌUHKPCPEKȋTGU Caja Madrid, Bancaja, Caixa
LCKGVCPCGVE  SWK KORNKSWG š RCTVKEWNKGTU Cf. ADICAE, « MȄU FG š RTGHGTGPVKUVCU UG
suman finalmente a la demanda colectiva de ADICAE contra BCPMKCzLWKP
šSur ce point, voir par exemple l’excellente étude de la sociologue Sandra GƧƻƯƷƯƧJuventud
y familia en Francia y en España, Madrid, Centro de Investigaciones Sociológicas, 2007, dans
laquelle elle explique bien les différentes trajectoires de vies des jeunes et les discours distincts
des parents à l’égard de la location au sein des deux pays.

230
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

Instaurer une donation pour paiement


La « donation pour paiement rétroactif » est l’idée qu’un particulier
puisse solder intégralement une dette en donnant son logement à sa
EDQTXH 'DQV OD PHVXUH R» OD GHWWH HVW OL«H DX SUL[ GȇDFKDW GX ELHQ
FHWWH SURSRVLWLRQ IDLW VHQV GȇDXWDQW SOXV TXH GH QRPEUHX[ SDUWLFX-
liers ont souvent payé leur dette et ses intérêts durant de nombreuses
années mais se font quand même expulser après seulement quelques
PRLV GȇLPSD\«V &HUWHV SRXU OHV SU¬WV VLJQ«V U«FHPPHQW OHV EDQTXHV
SHUGUDLHQW OHXUV LQW«U¬WV PDLV VȇDJLVVDQW GHV SHUVRQQHV TXL RQW G«M¢
remboursé plus de 70 % de leur prêt (puisque les intérêts représentent
HQPR\HQQHDXPRLQVGXPRQWDQWJOREDOVXUDQV HOOHVVHUDLHQW
JDJQDQWHVȴQDQFLªUHPHQW&HWWHUHYHQGLFDWLRQYLVH¢U«DɚUPHUOHGURLW
IRQGDPHQWDOGHFKDFXQ¢XQHVHFRQGHFKDQFHHQSHUPHWWDQW¢GHVFK¶-
PHXUVGHVROGHUOHXUVGHWWHVGȇ«YLWHUOȇH[SXOVLRQGHSRXYRLUUHWURXYHU
un logement en tant que locataires et de se relancer dans la vie.
8QHWHOOHPHVXUHSHUPHWWUDLWHQȴQGHOXWWHUFRQWUHODVS«FXODWLRQ
alors qu’elles sont elles-mêmes largement responsables des excès du
mFU«GLW IDFLOH} GHV FKDQWLHUV ¢WRXWYD DXMRXUGȇKXL HQ UXLQHV D«UR-
SRUWV HW mQRXYHOOHVYLOOHV} IDQW¶PHVHWF  HW GH OD EXOOH LPPRELOLªUH
les banques continuent à s’enrichir en s’adjugeant des biens sur le dos
des expulsés pour 60 % de leur valeur de marché (qui a elle-même
ODUJHPHQW GLPLQX«  SXLV HQ OHV UHYHQGDQW HQ HIIHFWXDQW DX SDVVDJH
GH MXWHXVHV SOXVYDOXHV &HUWHV OD U«WURDFWLYLW« UHYHQGLTX«H SRXU OHV
familles déjà affectées et qui ont encore une dette jugée « illégitime »
par la PAH peut poser question. Mais le principe du don pour paiement
existe et s’applique déjà pour certaines entreprises immobilières en fail-
OLWHTXLU«GXLVHQWRXVROGHQWOHXUVGHWWHVHQGRQQDQWOHXUVLPPHXEOHV
inachevés aux banques. La rétroactivité d’une loi est aussi assez rare
HQGURLWPDLVSDVLQH[LVWDQWHORUVTXȇLOH[LVWHXQHYRORQW«SROLWLTXHOD
réforme du travail de 2012 a ainsi réduit le nombre de jours par années
WUDYDLOO«HVORUVGXFDOFXOGHVLQGHPQLW«VGHOLFHQFLHPHQWFHTXLOLPLWHUD
les indemnités des chômeurs pour l’ensemble des périodes travaillées
DSUªV  PDLV DXVVL U«WURDFWLYHPHQW SRXU OHV S«ULRGHV WUDYDLOO«HV
avant cette date.

Militer pour un moratoire sur les expulsions


La PAH milite aussi pour la mise en place d’un moratoire sur les
H[SXOVLRQV DX E«Q«ȴFH QRWDPHQW GHV IDPLOOHV GRQW OȇHQVHPEOH GHV
membres est au chômage et de celles qui s’avèrent en grande précarité

231
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

sociale. Cette revendication est soutenue de longue date par les collec-
tifs de sans-abri et par une association de solidarité chrétienne comme
Caritas3RXUOHVPLOLWDQWVGHOD3$+LOVȇDJLWGȇXQHTXHVWLRQGȇXUJHQFH
VRFLDOHPDLVDXVVLGȇXQHQMHXG«PRFUDWLTXHFRPPHOHG«IHQG-RUJH
Une démocratie qui remet en cause le droit fondamental à avoir un toit
QȇHVWSDVXQHG«PRFUDWLHP¬PHVLOȇRQYRWHWRXVOHVTXDWUHDQV/DG«PR-
cratie c’est lorsque l’on prend d’abord en compte l’intérêt général des
FLWR\HQVHWQRQFHOXLGHVPDUFK«VȴQDQFLHUV32.

0¬PHVLOHVSRXYRLUVSXEOLFVQDWLRQDX[VRQWUHVW«VLQȵH[LEOHVWDQW
VRXVOHJRXYHUQHPHQWGX362(TXHGXUDQWFHOXLGX33OHVDFWLRQVGHV
FROOHFWLIVGHOD3$+OHXUSXEOLFLW«HWODPLVHVXUOȇDJHQGDSXEOLFGHOHXUV
revendications ont débouché sur des évolutions politiques dans l’espace
ORFDO$XQLYHDXPXQLFLSDOODYLOOHGH6DQW$GUL¢GHO%HV´VHQ&DWDORJQH
a approuvé en décembre 2010 à l’unanimité la première motion
GȇDSSXL¢OD3$+'HSXLVORUVTXDWUHFHQWVPXQLFLSDOLW«VRQWDGK«U«¢
VHVFDPSDJQHV‚%DUFHORQH7HUUDVD*«URQH*HWDIH/RJUR³RHW9LJR
des commissions mixtes associant des représentants de la PAH et des
PXQLFLSDOLW«V RQW «W« IRUP«HV DȴQ GH WURXYHU GHV VROXWLRQV FRQFUªWHV
de relogement ou pour éviter des expulsions. Le gouvernement régional
andalou dirigé par la coalition PSOE-IU a de même décidé un moratoire
WHPSRUDLUHHQ0¬PHVLXQPRUDWRLUHQDWLRQDOQȇDSDV«W«G«FU«W«
les mobilisations collectives de la PAH ont ainsi contribué à politiser
ORFDOHPHQWOȇHQMHXGXORJHPHQWHW¢IDLUHSDUIRLV«YROXHUOHVSROLWLTXHV
des municipalités.

Développer le logement social


(QȴQODWURLVLªPHUHYHQGLFDWLRQGHOD3$+HVWGHPHWWUHGHVORJH-
PHQWV YDFDQWV G«WHQXV SDU OHV HQWLW«V ȴQDQFLªUHV ¢ OD GLVSRVLWLRQ GHV
H[SXOV«VGȇDERUGHQOHVRFFXSDQWSXLVHQFKHUFKDQW¢O«JDOLVHUODVLWXD-
tion en négociant avec les banques l’arrêt de la procédure d’expulsion
HQ«FKDQJHGXSDLHPHQWGȇXQmOR\HUVRFLDO}&HWWHFDPSDJQHODEHOOLV«H
FRPPHmOȇĕXYUHVRFLDOHGHOD3$+}YLVH¢DLGHUOHVSHUVRQQHVH[SXO-
V«HVWUªVVRXYHQWVDQVVROXWLRQGHUHORJHPHQWQLDLGHLQVWLWXWLRQQHOOH
HQ PHQDQW GHV DFWLRQV GH G«VRE«LVVDQFH FLYLOH -DLPH XQ WUDYDLOOHXU
VRFLDO DFWLI DX VHLQ GX FROOHFWLI GH /ȇ+RVSLWDOHW G«IHQG OD O«JLWLPLW« GH
ces actions pour pallier l’inexistence d’une politique de logement social :

šEntretien avec Jorge, 37 ans, membre du groupe « communication » de la plateforme de


L’Hospitalet de Llobregat, 6 novembre 2014.

232
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

,OHVWLQDFFHSWDEOHTXHOȇ(VSDJQHVRLWOHSD\VHXURS«HQR»LO\DOHSOXV
GȇH[SXOVLRQV DORUV TXH FȇHVW DXVVL FHOXL R» LO \ D OH SOXV GH ORJHPHQWV
YLGHV &RPPH LO QȇH[LVWH SDV XQ SDUF GH ORJHPHQWV SXEOLFV R» UHORJHU
OHV JHQV LO VHPEOH O«JLWLPH GH U«FXS«UHU FHV ORJHPHQWV YLGHV HW GH OHV
occuper33.

Les militants de la PAH aident ainsi la famille à rentrer dans


OȇDSSDUWHPHQWP¬PHGȇR»HOOHD«W«H[SXOV«HP¬PHVȇLOHVWPDLQWHQDQW
O«JDOHPHQWSURSUL«W«GHODEDQTXH6LFHODQȇHVWSDVSRVVLEOHLOVLQFLWHQW
les familles à occuper un appartement vide dans un immeuble racheté
par une banque en raison de la faillite d’une entreprise immobilière.
Il existe aujourd’hui sept blocs de logements en régime d’« œuvre
VRFLDOH} GHX[ ¢ 7HUUDVVD HW ¢ 6DEDGHOO HW XQ UHVSHFWLYHPHQW ¢
&HUGDQ\ROD5XE\HW*«URQH
Le fait que l’ensemble de ces occupations aient eu lieu uniquement
HQ &DWDORJQH VRXOLJQH ELHQ OD GLɚFXOW« GX SURFHVVXV HW OH U¶OH G«WHU-
PLQDQW GH PLOLWDQWV GH EDVH VXɚVDPPHQW LPSOLTX«V HW SROLWLV«V SRXU
ne pas être effrayés par les conséquences légales de leurs actions. Mais
WDQWGDQVOHSURFHVVXVLQGLYLGXHOTXHGDQVOHFROOHFWLIOD3$+FKHUFKH
¢Q«JRFLHUDYHFOHVEDQTXHVSRXUmO«JDOLVHU}ODVLWXDWLRQ¢WUDYHUVOD
VLJQDWXUHGȇXQFRQWUDWHWOHSDLHPHQWGȇXQOR\HUVRFLDOSDUOHVIDPLOOHV
qui ne peut dépasser 30 % de leurs revenus. En s’appuyant aussi bien
VXU OHV DFWLRQV GH G«VRE«LVVDQFH FLYLOH TXH VRQW OHV RFFXSDWLRQV TXH
VXUGHVQ«JRFLDWLRQVMXULGLTXHVIRUPDOLV«HVOD3$+FKHUFKH¢U«SRQGUH
à l’inaction des banques et des pouvoirs publics. Ces occupations
constituent un instrument de pression politique sur les banques peu
scrupuleuses qui ont fourni des prêts immobiliers associés à des projets
GRXWHX[WRXWHQVS«FXODQWHWHQDFKHWDQWGHVDFWLIVSRXUWDQWFRQVLG«U«V
FRPPHmWR[LTXHV}VXUOHVPDUFK«VȴQDQFLHUV/HEXWHVWDXVVLGHIDLUH
pression sur les institutions et les municipalités pour saisir l’oppor-
tunité historique de construire un parc de logements sociaux publics
quasiment inexistant en Espagne.
Il est intéressant de noter que les revendications centrales de la
3$+ E«Q«ȴFLHQW GȇXQ ODUJH VRXWLHQ GH OȇRSLQLRQ SXEOLTXH VHORQ GHV
sondages de Metroscopia publiés par El País HQ   GHV
(VSDJQROVVHGLVDLHQWDLQVLIDYRUDEOHV¢ODGRQDWLRQSRXUSDLHPHQWHW
94 % à un moratoire sur les expulsions des personnes au chômage34.
,OOXVWUDQWELHQODIRUWHG«ȴDQFH¢Oȇ«JDUGGHVLQVWLWXWLRQVHWGXSHUVRQQHO

šJaime, travailleur social et militant de la PAH, L’Hospitalet de Llobregat, 6 novembre 2014.


šSondage MGVTQUEQRKCEl País, 4 novembre 2012.

233
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

SROLWLTXHGHVSHUVRQQHVLQWHUURJ«HVIDLVDLHQWFRQȴDQFH¢OD3$+
SRXU U«VRXGUH OH SUREOªPH GHV H[SXOVLRQV FRQWUH VHXOHPHQW  DX
JRXYHUQHPHQWDX362(HWDX[DXWUHVSDUWLVGHOȇRSSRVLWLRQ35.
Même les électeurs du PP ne sont pas convaincus de la capacité ou de la
volonté politique du gouvernement conservateur de trouver des solu-
tions au problème36.

DES STRATÉGIES D’ACTION


COLLECTIVE DIVERSIFIÉES

Lutter par le droit : judiciarisation et débat public


/DOXWWHGHOD3$+UHY¬WGȇDERUGXQDVSHFWO«JDOHQVȇDSSX\DQWVXU
ses militants et son expertise de la législation acquise au fur et à mesure
GXWHPSVDȴQGHG«IHQGUHOHVSHUVRQQHVDIIHFW«HVSDUOHVSURF«GXUHV
d’expulsion devant les tribunaux. À force de défendre les expulsés ou
FHX[ TXL VRQW PHQDF«V GH Oȇ¬WUH OHV PLOLWDQWV GHV FROOHFWLIV DFTXLªUHQW
XQH FRQQDLVVDQFH GHV SURF«GXUHV MXULGLTXHV GHV UHFRXUV HW GHV U«FOD-
PDWLRQVSRVVLEOHV$XVHLQGHFKDTXHFROOHFWLIOHVPHPEUHVGHODmFRP-
mission juridique » s’occupent de ce travail procédurier de veille et de
G«IHQVHMXULGLTXHLOVU«GLJHQWGHVFRXUULHUVFRQWDFWHQWHWFRRUGRQQHQW
OHXUVDFWLYLW«VDYHFGHVDYRFDWVSU«SDUHQWOHVDXGLHQFHV,OVWHQWHQWQRQ
seulement d’éviter les expulsions en utilisant toutes les voies de recours
HW HQ FRQWHVWDQW OHXU YDOLGLW« PDLV LOV «SOXFKHQW DXVVL OHV FRQWUDWV GH
SU¬WV EDQFDLUHV GHV DIIHFW«V HQ FKHUFKDQW ¢ G«FHOHU OHV FODXVHV RX OHV
SUDWLTXHVDEXVLYHVHQ«FULYDQWGHVFRXUULHUVDX[EDQTXHVSRXUWURXYHU
GHV VROXWLRQV ¢ OȇDPLDEOH RX HQ VDLVLVVDQW OD MXVWLFH $X ȴO GX WHPSV
OH WUDYDLO MXULGLTXH GH OD 3$+ VXU FHV GHX[ YROHWV OD FRQWHVWDWLRQ GHV
H[SXOVLRQVHWODUHQ«JRFLDWLRQGHVSU¬WVDYHFOHVEDQTXHVOXLDSHUPLV
GHG«YHORSSHUXQHY«ULWDEOHH[SHUWLVHVXUFHVTXHVWLRQVFHTXLH[SOLTXH
TXH OHV (VSDJQROV OXL IDVVHQW SOXV FRQȴDQFH TXȇDX[ SRXYRLUV SXEOLFV
pour répondre concrètement à ces problèmes qui touchent l’ensemble
GHODVRFL«W«<RODQGDPȇDH[SOLTX«VHORQHOOHOHVUDLVRQVGHFHVRXWLHQ
social au travail de lutte juridique et militante de la PAH :
7X VDLV OD YLROHQFH GH OD SU«GDWLRQ GHV EDQTXHV QȇDIIHFWH SDV TXH OHV
expulsés mais l’ensemble des citoyens. C’est un problème qui affecte tout

šSondage MGVTQUEQRKCEl País, 12 juin 2013.


šIbid.

234
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

OH PRQGH OHV MHXQHV OHV YLHX[ OHV VDODUL«V OHV HQWUHSUHQHXUV HQ FULVH
&KDFXQFRQQD°WGHVYRLVLQVGHVDPLVRXDHQWHQGXSDUOHUGȇH[SXOVLRQV
à la télévision. Ces situations sont des drames individuels et familiaux et
les gens sont touchés par ces expulsions car cela peut arriver à n’importe
TXL$YHFODFULVHEHDXFRXSGHJHQVVHVHQWHQWYXOQ«UDEOHV0¬PHVLWX
QȇDVSDVGHSU¬WWXHVDIIHFW«SDUOHVFRXSHVEXGJ«WDLUHV/HVH[SXOVLRQV
c’est la goutte d’eau qui déborde du vase37.

$X VHLQ GHV FROOHFWLIV OH WUDYDLO GH OD mFRPPLVVLRQ MXULGLTXH} HVW
très respecté et perçu comme celui « des sages et des intellos. Mais
GHV LQWHOORV TXL QRXV DLGHQW YUDLPHQW} SRXU UHSUHQGUH OȇH[SUHVVLRQ
GH7ULQLGDGXQHDIIHFW«HGHNou Barris38. On y trouve surtout des étu-
GLDQWVHQGURLWGHVLQVWLWXWULFHVHWGHVSURIHVVHXUVDLQVLTXHGHVUHWUDL-
tés. Ces personnes ont en commun d’être plus diplômées que le reste
des militants. On peut d’ailleurs remarquer une tendance à la spéciali-
VDWLRQ GHV SURȴOV PLOLWDQWV &HX[ TXL SU«IªUHQW OȇDFWLRQ GLUHFWH HW VRQW
SOXV SROLWLV«V VȇHQJDJHQW SOXV VRXYHQW GDQV OHV FRPPLVVLRQV mYLG«R}
mFRPPXQLFDWLRQ} RX mDFWLRQ} DX VHLQ GHVTXHOOHV LOV GLVFXWHQW GHV
stratégies et des modes d’action pour alerter l’opinion et les pouvoirs
publics. Les militants les plus jeunes se retrouvent généralement dans
FHVFRPPLVVLRQVLOVLQFDUQHQWOHVIRUFHVYLYHVGHVFROOHFWLIVVRQWPRLQV
SU«VHQWV TXRWLGLHQQHPHQW GDQV OHV ORFDX[ PDLV ¢ OȇDYDQWJDUGH GHV
interpositions face aux forces de l’ordre.
Les membres des commissions « accompagnement » et « suivi des
FDV} FRQVWLWXHQW mOHV SHWLWHV PDLQV} GHV FROOHFWLIV FHX[ TXL RQW XQH
présence la plus régulière dans les locaux de quartier et qui rassemblent
VRXYHQW OHV ȴJXUHV OHV SOXV FRQQXHV 3OXV SU«VHQWV DX TXRWLGLHQ FHV
JHQV MRXHQW OH U¶OH GH SHUVRQQHV G«YRX«HV HW ¢ Oȇ«FRXWH OHV SUHPLªUHV
¢ DFFXHLOOLU ¢ DFFRPSDJQHU HW ¢ VXLYUH GDQV OH WHPSV OHV SHUVRQQHV
DIIHFW«HV ,OV FRPSOªWHQW OȇDFWLRQ GHV WUDYDLOOHXUV VRFLDX[ YRLUH P¬PH
se substituent dans les faits à ces derniers. J’ai pu aussi constater une
GLPHQVLRQJHQU«HGHOȇHQJDJHPHQWGDQVOHVFRPPLVVLRQVOHVKRPPHV
étant plus nombreux dans celles qui sont axées sur les stratégies d’ac-
WLRQFROOHFWLYHHWOHVIHPPHVSOXVUHSU«VHQW«HVGDQVFHOOHVTXLVRQWOL«HV
DX VXLYL GHV SHUVRQQHV (QȴQ OHV PHPEUHV GH OD mFRPPLVVLRQ MXUL-
GLTXH}RQWVRXYHQWXQVWDWXW¢SDUWPRLQVQRPEUHX[OHXUHQJDJHPHQW
DOWHUQHHQWUHGHVU«XQLRQVGHJURXSHVGHVFRQVXOWDWLRQVLQGLYLGXDOLV«HV

šEntretien avec Yolanda, op. cit., L’Hospitalet de Llobregat, 6 novembre 2014.


šEntretien avec Trinidad, 34 ans, Colombienne au chômage, local de la PAH, Barcelone,
11 novembre 2014.

235
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

avec les affectés et du travail de rédaction et de recherche solitaire.


/RUVGHVDVVHPEO«HVO¢R»ODSDUROHGHVPHPEUHVGHVFRPPLVVLRQVGH
suivi et d’accompagnement est appréciée pour la connaissance des per-
VRQQHVHWGHVWUDMHFWRLUHVVRFLDOHVLQGLYLGXHOOHVGRQWHOOHW«PRLJQHFHOOH
des membres de la commission juridique constitue la référence quant
DX VXLYL GHV SURF«GXUHV /ȇLQȵXHQFH GH FHV GHUQLHUV HVW GȇDXWDQW SOXV
PDUTX«H TXH SOXV XQH SURF«GXUH SURJUHVVH SOXV OȇH[SXOVLRQ GHYLHQW
imminente et plus les stratégies de résistance des commissions orien-
tées vers l’action doivent être réactivées.
La PAH cherche aussi à obliger les banques à renégocier les
FRQWUDWV GH SU¬W GHV SHUVRQQHV DIIHFW«HV HQ G«QRQ©DQW OHV FODXVHV
DEXVLYHV OH PDQTXH GȇLQIRUPDWLRQ VXU GHV WDX[ GȇLQW«U¬W YDULDEOHV
et les nombreuses manipulations ayant amené certains particuliers
à s’endetter pour quarante ans sans en mesurer les conséquences.
La première négociation collective eut lieu avec la Caixa Catalunya le
5 novembre 2012 à Barcelone : trois cents militants et sympathisants
GHOD3$+RFFXSªUHQWOHTXDUWLHUJ«Q«UDOGHODEDQTXHVLWX«GDQVXQ
immeuble moderniste de la via Laietana, près de la cathédrale39. Ils
VROOLFLWªUHQWXQUHQGH]YRXVDYHF$GROI7RGROH3'*GXJURXSHDȴQ
de paralyser les expulsions et de renégocier les prêts bancaires. Cette
RFFXSDWLRQ «WDQW ȴOP«H HW GLIIXV«H SDU HX[ HQ GLUHFW VXU OHV U«VHDX[
VRFLDX[ OHV LQWHUQDXWHV IXUHQW W«PRLQV GHV ERXVFXODGHV DYHF OHV
agents de sécurité puis de la tentative de la direction de faire sortir
les militants en augmentant très fortement le chauffage. Mais leur
REVWLQDWLRQ DERXWLW ȴQDOHPHQW ¢ FH TXȇXQH G«O«JDWLRQ SXLVVH UHQ-
FRQWUHU -RDQ 5¢IROV VHFU«WDLUH GX FRQVHLO GȇDGPLQLVWUDWLRQ HW ,JQDVL
)HUQ£QGH]UHVSRQVDEOHGHVVHUYLFHVMXULGLTXHV/HOHQGHPDLQSDUXQ
FRPPXQLTX« SXEOLF OD &DL[D VȇHQJDJHDLW ¢ SDUDO\VHU OHV H[SXOVLRQV
SURJUDPP«HV 6XLWH ¢ FHWWH DFWLRQ XQ mUHSU«VHQWDQW GH OD 3$+} IXW
nommé au sein de chaque collectif de Barcelone et chargé de négocier
avec chaque banque concernée au nom de l’ensemble des personnes
DIIHFW«HV GH VRQ FROOHFWLI 6L OHV Q«JRFLDWLRQV SL«WLQHQW GH QRXYHOOHV
DFWLRQV VRQW HQWUHSULVHV &HWWH VWUDW«JLH GȇDFWLRQ FROOHFWLYH DOWHUQDQW
HQWUHGHVRFFXSDWLRQVGHVDWWHLQWHV¢OȇLPDJHGHPDUTXHGHVEDQTXHV
HWGHVQ«JRFLDWLRQVMXULGLTXHVD«W«GHSXLV«WHQGXH¢GȇDXWUHVVRFL«W«V
EDQFDLUHVSHUPHWWDQWOHVVLJQDWXUHVGHSOXVLHXUVGL]DLQHVGHmGRQD-
tions pour paiement » et de locations sociales.

39. « Movilización de la PAH en contra de la Caixa », El Mundo, 5 novembre 2012.

236
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

La PAH cherche aussi à faire pression sur les institutions politiques


QDWLRQDOHV HW HXURS«HQQHV DȴQ GH IDLUH «YROXHU OD ORL K\SRWK«FDLUH
espagnole. L’utilisation des voies légales passe d’abord par la volonté
d’agir sur les parlementaires pour qu’ils relaient ses revendications.
(Q MXLQ OH G«SXW« -RDQ +HUUHUD GȇIniciativa per Catalunya-Verds
m,QLWLDWLYH SRXU OD &DWDORJQH9HUWV} ,&9,8  SURSRVD DX &RQJUªV
GHV G«SXW«V XQH PRWLRQ GH VRXWLHQ ¢ OD GRQDWLRQ SRXU SDLHPHQW TXL
IXW UHMHW«H SDU OH 362( IDLW TXL VRXOLJQH ELHQ OH G«SKDVDJH GȇXQ SDUWL
ODEHOOLV«mGHJDXFKH}PDLVGHSOXVHQSOXVOLE«UDODYHFVRQ«OHFWRUDW
SRSXODLUHHWGHFODVVHPR\HQQHTXLVRXWLQWPDVVLYHPHQWFHWWHLQLWLDWLYH
comme le montrent les sondages d’opinion40. Opportuniste et voulant
GRQQHUOȇLPDJHGȇXQSRXYRLUDWWHQWLIDX[SU«RFFXSDWLRQVFLWR\HQQHVOH
gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero ouvrit une commission
d’étude sur le logement au Congrès suite à la demande du député Joan
Ridao d’Esquerra Republicana de Catalunya m*DXFKH U«SXEOLFDLQH
GH&DWDORJQH}(5& FHTXLSHUPLW¢OD3$+GHW«PRLJQHUOHMXLOOHW
201141 0DLV FHWWH FRPSDUXWLRQ HQ SOHLQHV YDFDQFHV HVWLYDOHV IXW SHX
reprise par les médias et ne servit à rien puisque le gouvernement du
362( GHYHQX H[WU¬PHPHQW LPSRSXODLUH HQ UDLVRQ GH OȇH[SORVLRQ GX
FK¶PDJH GH  ORUV GH VD SULVH GH SRXYRLU OH PDUV  ¢ 
HQ MXLOOHW PLW ȴQ DX[ WUDYDX[ GH OD FRPPLVVLRQ DYDQW P¬PH OD
U«GDFWLRQGHVHVFRQFOXVLRQVVXLWH¢VRQFKRL[GȇRUJDQLVHUGHV«OHFWLRQV
anticipées42.
0DOJU« OHV GLɚFXOW«V HW OȇRSSRVLWLRQ GHV SDUWLV GRPLQDQWV OD 3$+
continue de dénoncer la responsabilité des banques lors de la crise et à
alerter sur la problématique du logement. Ada Colau a ainsi témoigné
devant la commission d’économie du Congrès des députés le 5 février
 GDQV OH FDGUH GX SURMHW GH ORL VXU OHV PHVXUHV XUJHQWHV SRXU
renforcer la protection des endettés hypothécaires. Mais le dédain des
conservateurs au pouvoir à l’égard du collectif et l’ordre de passage
des intervenants en dit long sur le rapport de force très défavorable :
elle ne fut invitée à parler qu’après les représentants des assureurs et
-DYLHU 5RGULJXH] 3HOOLWHUR SRUWHSDUROH GH OȇDVVRFLDWLRQ HVSDJQROH GH

šLa seule initiative du gouvernement du PSOE de 2004 à 2008, fut d’augmenter le prix
d’évaluation d’un immeuble lors de sa saisie par les entités financières de 50 % à 60 % de sa
valeur estimée, cf. Antonio Papell, Zapatero 2004-2008. La legislatura de la crispación, Madrid,
Foca Ediciones, 2008, p. 207.
41. « La PAH en el Congreso de los diputados », El País, 11 juillet 2011.
šÉvolution du taux de chômage en Espagne, données Eurostat, Commission Européenne,
2014.

237
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

OD EDQTXH OH SDWURQDW GX VHFWHXU TXL ORXD mOH FRPSRUWHPHQW H[HP-
plaire des banques » et leur « implication sociale » puisqu’elles « font
WRXWFHTXȇHOOHVSHXYHQWSRXU«YLWHUOHVH[SXOVLRQV}WRXWHQTXDOLȴDQW
d’« excellente » (« estupenda}  OD ORL K\SRWK«FDLUH HVSDJQROH mOȇXQH
des meilleures en Europe » selon lui43. Dans une intervention très suivie
VXUOHVU«VHDX[VRFLDX[$GD&RODXOXLU«SRQGLWGHID©RQFLQJODQWH
,O Qȇ\ D ULHQ GH SOXV F\QLTXH TXH GH TXDOLȴHU FHWWH ORL GȇȊH[FHOOHQWHȋ
alors que de nombreuses personnes se suicident à cause d’elle. Je n’ai
SDVHQYR\«GHFKDXVVXUH¢FH0RQVLHXUSDUUHVSHFWPDLVMHSHQVHTXH
vous êtes un criminel et un menteur. Vous dites que le comportement
GHVEDQTXHVD«W«ȊH[HPSODLUHȋDORUVP¬PHTXHOHVSU¬WVIUDXGXOHX[OH
scandale des “preferentes” et les clauses abusives ont causé la ruine de
milliers de personnes44.

0DLV GHYDQW OȇLQDFWLRQ GX SRXYRLU SROLWLTXH OD OXWWH VȇHVW MXGLFLDUL-
V«H /H MXJH *XLOOHP 6ROHU V\PSDWKLVDQW GX PRXYHPHQW D G«SRV« XQ
UHFRXUVGHYDQWOH7ULEXQDOFRQVWLWXWLRQQHOHQVHSWHPEUHDXPRWLI
que la procédure d’expulsion existante dans la loi espagnole remet en
FDXVH OHV GURLWV GH OD G«IHQVH OD WXWHOOH MXGLFLDLUH QH VȇH[HU©DQW SDV
GH ID©RQ HIIHFWLYH FH TXL QH SHUPHW SDV DX[ SHUVRQQHV DIIHFW«HV GH
se défendre correctement. Le juge José Maria Fernández Seijò a aussi
effectué une dénonciation de l’Espagne devant la Cour de justice de
l’Union européenne au motif que la loi hypothécaire remettrait en
FDXVHODQRUPHHXURS«HQQHHQPDWLªUHGHGURLWVGXFRQVRPPDWHXUTXL
prévoit un minimum de protection et d’information contre les clauses
DEXVLYHV ORUV GH OD VLJQDWXUH GH SU¬WV EDQFDLUHV OH PDUV  OH
WULEXQDOOXLDȴQDOHPHQWGRQQ«UDLVRQHQMRLJQDQWOHSRXYRLUSROLWLTXH
¢PRGLȴHUODORLSRXUUHQIRUFHUOHVGURLWVGHVSDUWLFXOLHUV45. De 2007 à
 OHV WULEXQDX[ HVSDJQROV DXURQW GRQF DSSOLTX« XQH ORL TXL SRUWH
atteinte à certains droits fondamentaux…
(QȴQ OD 3$+ D XWLOLV« DYHF VXFFªV OȇXQH GHV SRVVLELOLW«V MXULGLTXHV
permises par la loi espagnole : une initiative législative populaire (ILP)
peut en effet être débattue au Congrès des députés suite à une pétition
rassemblant les signatures de cinq cent mille citoyens. Même si c’est
la majorité parlementaire (et non un éventuel référendum) qui décide
HQVXLWHVLXQG«EDWGRLWRXQRQDYRLUOLHXSXLVTXLYRWHOȇDSSUREDWLRQRX

43. « Rodriguez Pellitero defiende los bancos en el Congreso », El País, 5 février 2013.
šIntervention citée par Ada Colau et Adrià Alemany dans leur ouvrage, op. cit., 2013, p. 26.
45. « El Tribunal de JWUVKEKCGWTQRGQEQPUKFGTCCDWUKXCNCNG[GURCȓQNCUQDTGFGUCJWEKQUzEl
País, 14 mars 2013.

238
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

OHUHMHWGHOȇ,/3FHWWHSURF«GXUHSHUPHWGHODQFHUXQYUDLG«EDWSXEOLF
DXWRXUGȇXQHLQLWLDWLYHFLWR\HQQH(QRFWREUHOD3$+VȇHVWDVVRFL«H
DYHF OHV V\QGLFDWV && 22 HW 8*7 OD FRQI«G«UDWLRQ GHV DVVRFLDWLRQV GH
YRLVLQVGH&DWDORJQH &21)$9& OȇREVHUYDWRLUH'(6&HWODTaula del ter-
cer Sector m7DEOH GX WURLVLªPH VHFWHXU}  SRXU PHWWUH HQ ĕXYUH XQH
,/3DXWRXUGHGHX[UHYHQGLFDWLRQVXQPRUDWRLUHVXUOHVH[SXOVLRQVHW
la donation pour paiement.
,OQȇH[LVWDLWDORUVTXȇXQHGRX]DLQHGHSODWHIRUPHVGHOD3$+ODSOX-
SDUWGDQVODSURYLQFHGH%DUFHORQH/HPRXYHPHQWGHVLQGLJQ«VTXLVH
G«YHORSSDDSUªVODJUDQGHPDQLIHVWDWLRQGXPDLQȇ«WDLWHQFRUH
qu’embryonnaire. Cette initiative de rassemblement d’organisations
V\QGLFDOHV GH FROOHFWLIV HW GȇDVVRFLDWLRQV GH OD VRFL«W« FLYLOH DXWRXU
d’un même objectif permit à la PAH de faire connaître son combat.
0DLV OȇLPSOLFDWLRQ GH QRPEUHX[ PLOLWDQWV GDQV OHV PDQLIHVWDWLRQV
les occupations et les assemblées de rue des indignés au printemps
 ¢ %DUFHORQH 7DUUDJRQH *«URQH HQ &DWDORJQH HW GDQV OHV DXWUHV
JUDQGHV YLOOHV Gȇ(VSDJQH SXLV OH UHFHQWUDJH GX G«EDW SXEOLF VXU OHV
«OHFWLRQV O«JLVODWLYHV DQWLFLS«HV GX QRYHPEUH  UHWDUGªUHQW OH
SURFHVVXV/HDYULOODSUHPLªUHWDEOHIXWLQVWDOO«HGDQVODUXH¢
%DUFHORQH3RXU-DYLHUXQ«WXGLDQWHQSKLORVRSKLHPHPEUHGXFROOHFWLI
de Barcelone depuis trois ans et ayant participé à ce processus : « cette
FDPSDJQH SHUPLW GH PRELOLVHU OHV JHQV FRQWUH OHV H[SXOVLRQV HW GH
UHQIRUFHU OH VRXWLHQ SRSXODLUH ¢ QRWUH FDXVH /ȇXQ DPHQDLW GHV VLªJHV
OȇDXWUHOHVVDQGZLFKVODS«WLWLRQG«YHORSSDOHVVROLGDULW«V46}*U¤FH¢FH
YDVWHPRXYHPHQWGȇ«GXFDWLRQHWGȇHQJDJHPHQWSRSXODLUHODS«WLWLRQIXW
VLJQ«HHQTXHOTXHVPRLVSDUPLOOLRQGHFLWR\HQV

Lutter par le nombre : manifestations,


occupations et résistances citoyennes
La PAH cherche également à faire pression sur les municipalités
et les pouvoirs publics grâce à des actions collectives de masse : des
PDQLIHVWDWLRQVGHUXHGHYDQWOH&RQJUªVGHVG«SXW«VHWOHVDVVHPEO«HV
des communautés autonomes ; des occupations de sociétés bancaires et
ȴQDQFLªUHV HW GH ORJHPHQWV YDFDQWV GHV DFWLRQV GȇLQWHUSRVLWLRQ HW GH
résistance aux expulsions face aux forces de l’ordre. Pour l’ensemble
GHFHVDFWLRQVOHEXWSRXUVXLYLHVWQRQVHXOHPHQWGȇDJLUFRQFUªWHPHQW
SRXUVȇRSSRVHURXG«QRQFHUXQHVLWXDWLRQGRQQ«HPDLVDXVVLGȇDWWLUHU
l’attention des médias et du public sur la cause du droit au logement

šJavier, 25 ans, étudiant en philosophie, Barcelone, 11 novembre 2014.

239
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

et les pratiques commerciales frauduleuses des banques. Les logiques


médiatiques peuvent en effet « transformer la carrière des mouve-
ments sociaux en contribuant à leur ascension ou en les discréditant47 ».
Les manifestations de rue de la PAH permettent d’occuper l’espace
public et comportent « directement ou indirectement l’expression d’opi-
nions politiques48 ».
La campagne Stop Desahucios (« Stop aux expulsions ») est de loin
FHOOH TXL D REWHQX OH SOXV GH U«SHUFXVVLRQV P«GLDWLTXHV ¢ WUDYHUV GHV
UDVVHPEOHPHQWVGHPLOLWDQWVGHOD3$+HWGHYRLVLQVȴOP«VHWGLIIXV«V
HQGLUHFWVXUOHVU«VHDX[VRFLDX[TXLRQWVRXYHQWUHSRUW«RXSDUDO\V«
GHVH[SXOVLRQV/RUVGHFHVFRQFHQWUDWLRQVDXGHO¢GHOȇREMHFWLIFRQFUHW
GHG«IHQVHGHVSHUVRQQHVPHQDF«HVGȇH[SXOVLRQVmOȇH[SUHVVLYLW«}MRXH
XQ U¶OH FHQWUDO HOOH SHUPHW DX[ PDQLIHVWDQWV GȇDɚUPHU OD YLVLELOLW«
de leur groupe et de leurs demandes sociales49. La foule revêt par elle-
même un caractère performatif : elle « fait exister » les citoyens d’en
bas ; elle met en scène la lutte des citoyens ordinaires menacés par
la crise et leur position de dominés face aux pouvoirs publics et aux
policiers50.
Mais la PAH utilise aussi un autre répertoire d’action directement
issu du mouvement des indignés : les escrachesTXLSHXYHQW¬WUHG«ȴQLV
comme des manifestations devant une institution publique ou privée
RXOHGRPLFLOHGȇXQSDUWLFXOLHUYLVDQW¢G«QRQFHUSDUOȇLQWLPLGDWLRQOHV
FULV OHV VLɛHWV HW OHV VORJDQV OHV DJLVVHPHQWV FRQVLG«U«V FRPPH KRQ-
teux d’entités publiques ou de personnes privées. Ada Colau et Adrià
Alemany rappellent que ces pratiques apparurent en Argentine lors des
protestations populaires consécutives à l’adoption de la « loi du point
ȴQDO}OHG«FHPEUHSXLVGHODmORLGXGHYRLUGȇRE«LVVDQFH}GX
4 juin 1987 sous la présidence de Raúl Alfonsín ; ces lois connues comme
les « lois de l’impunité » accordaient une prescription et disculpaient
les responsables des atrocités de la dictature de Jorge Rafael Videla
(1976-1983)51. Ce répertoire d’action fut réactivé en Argentine lors des

šOlivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ FKT Sociologie de la protestation, Paris, L’Harmattan, 1993, p. 3.


šOlivier FƯƲƲƯƫƺƲƫStratégies de la rue, Paris, Presses de Sciences Po, 1997, p. 44.
šOlivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ et Danielle TƧƷƹƧƱƵƼƸƱƾ La manifestation G ȌF , Paris, Presses de
Sciences Po, 2013, p. 16.
šJohn LƧƴƭƸƮƧƼAƺƸƹƯƴ, Quand dire, c’est faire, Paris, Le Seuil, 1991.
šAda CƵƲƧƺ et Adrià AƲƫƳƧƴƾ, op. cit., 2013, p. 76. Face à l’indignation populaire persis
tante, ces lois furent d’ailleurs déclarées nulle part le Congrès national en 2003, puis incons
titutionnelles par la Cour suprême de justice le 14 juin 2005. Sur ces questions, cf. Diana
QƺƧƹƹƷƵƩƩƮƯWƵƯƸƸƵƴ dir.), Argentine. Enjeux et racines d’une société en crise, Paris, Tiempo
Éditions, 2003.

240
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

manifestations massives du « cacerolazo » du 19 et 20 décembre 2001


contre les banques et le « corralito » décidé par le gouvernement de
Fernando de la Rúa ; une répression sans précédent entraîna la mort de
28 manifestants52. Mais l’étude magistrale de Charles Tilly nous rappelle
cependant que ce type de manifestations d’intimidation existe depuis le
Moyen Âge53.
(Q (VSDJQH OD 3$+ D XWLOLV« OHV VLɛHWV HW OHV FDVVHUROHV ¢ GH QRP-
EUHXVHV UHSULVHV FRQWUH OHV EDQTXHV HW OHV UHVSRQVDEOHV SXEOLFV DȴQ
« d’interpeller directement le politique54 ». Sa campagne « Cette banque
WURPSHHVFURTXHHWPHWOHVJHQV¢ODUXH}YLVH¢LQWLPLGHUHW¢UHQGUH
GLUHFWHPHQW UHVSRQVDEOH OHV EDQTXHV HQ RFFXSDQW HQ PRQWUDQW GX
GRLJWHQLQIRUPDQWOHVFOLHQWVHWHQDWWLUDQWOȇDWWHQWLRQP«GLDWLTXHVXU
OHVDJHQFHVR»OHVSHUVRQQHVDIIHFW«HVSDUOHVH[SXOVLRQVSRVVªGHQWGHV
crédits. Sur La Rambla GH %DUFHORQH OH MXLOOHW  VHV PLOLWDQWV VLI-
ȵªUHQWFROOHFWLYHPHQWFROOªUHQWGHVDXWRFROODQWVVXUOȇDJHQFHGXBanco
Popular HW FULªUHQW m&HWWH EDQTXH H[SXOVH} m&HWWH EDQTXH QRXV
YROH}HQLQIRUPDQWOHVSDVVDQWV'HX[PDQLIHVWDQWVFRLII«VGHEDOORQV
J«DQWVHQIRUPHGHFKRUL]RVVXUODW¬WHWHQDLHQWGHVSDQFDUWHVR»OȇRQ
SRXYDLWOLUHm%DQTXLHUVFKRUL]RV}XQPRWDVVLPLO«S«MRUDWLYHPHQW¢
celui de « voleurs » dans la langue de Cervantès. Les quelques passants
LQWHUURJ«VMXJªUHQWFHVDFWLRQVmQRUPDOHV}HWmQ«FHVVDLUHV}DUJXDQW
« de la souffrance des gens face à la crise » et de l’indignation face « aux
banquiers et aux politiques qui se gavent alors que de nombreuses
familles n’ont même pas de quoi manger55 ».
/H I«YULHU  OHV VLɛHWV HW OHV VORJDQV GHV PDQLIHVWDQWV TXL
HQFHUFODLHQW OH &RQJUªV MRXªUHQW XQ U¶OH GH SUHVVLRQ G«FLVLI GDQV
l’acceptation par les députés du débat parlementaire sur l’ILP proposé
SDUOD3$+/DSDUWLH«WDLWSRXUWDQWORLQGȇ¬WUHJDJQ«HHQMDQYLHU
OH 33 TXL GLVSRVDLW GȇXQH PDMRULW« DEVROXH DX &RQJUªV QȇDYDLW P¬PH
pas accepté que la proposition fut discutée ; il ne se ravisa que face aux

šLe « corralito » désigne la limitation des retraits bancaires des épargnants à 250 pesos par
semaine et l’interdiction d’envoi de fonds à l’extérieur pour tenter de répondre à la fuite des
capitaux et à la crise de liquidité. Mais la conversion forcée des comptes en dollar en peso
dévalué, fit perdre une grosse partie de leur épargne aux Argentins des classes moyennes et
populaires, qui protestèrent par des sifflets, des bruits de casseroles et des manifestations
parfois violentes contre les banques et les institutions. Cf. François CƮƫƸƴƧƯƸet JGCPPhilippe
DƯƻʣƸ¡QXHVHYD\DQWRGRV̰Le peuple d’Argentine se soulève, Paris, Éditions Nautilus, 2002.
šCharles TƯƲƲƾ, La France conteste. De 100 à nos jours, Paris, FC[CTFR
šOlivier FƯƲƲƯƫƺƲƫet Danielle TƧƷƹƧƱƵƼƸƱƾop. cit., 2013, p. 79.
šPropos et observations recueillis auprès de passants et de manifestants lors d’un terrain,
avenue Rambla, Barcelone, 9 juillet 2013.

241
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

pressions de l’opinion publique (plus d’un million de courriers furent


ainsi envoyés aux députés du PP en trois jours). L’attente médiatique
«WDLW«QRUPHGȇDXWDQWSOXVTXHOȇ,/3VXUODGRQDWLRQSRXUSDLHPHQWHWOH
moratoire sur les expulsions devaient être débattus parallèlement à une
autre ILP sur la proclamation de la tauromachie comme « bien d’intérêt
FXOWXUHO}TXLDYDLWUHFXHLOOLVLJQDWXUHVHWGRQWRQVDYDLWTXȇHOOH
serait soutenue par le parti au pouvoir56. Des membres de la PAH vêtus
GHVWHHVKLUWVYHUWVV\PEROHGXFROOHFWLIFULªUHQWm6LFȇHVWSRVVLEOH}HW
IXUHQWH[SXOV«VGHVJUDGLQVGX&RQJUªV3XLVORUVGHODSU«VHQWDWLRQGH
Oȇ,/3ODG«SXW«H8[XH%DUNRVGXSDUWLNafarroa Bai renforça la dramati-
sation de l’atmosphère en annonçant qu’un couple de retraités de 67 et
DQVGH&DOYL¢GDQVODSURYLQFHGH0DMRUTXHYHQDLHQWOHMRXUP¬PH
de se jeter de leur balcon après avoir reçu leur ordre d’expulsion. Ce
MRXUO¢ODSUHVVLRQGHODUXHHWOHVFULVGHODIRXOHGH0DGULGU«VRQQªUHQW
jusque dans l’enceinte du Congrès ; on les perçoit sur les reportages dif-
fusés de l’intérieur par les chaînes de télévision. Le principe d’un débat
XOW«ULHXU VXU Oȇ,/3 IXW ȴQDOHPHQW DSSURXY« SDU OHV G«SXW«V FRQVHUYD-
WHXUVTXLVȇHPSUHVVªUHQWGHMRXHUODFDUWHGHODU«FXS«UDWLRQSROLWLTXH
GHYDQW OHV P«GLDV WHO OH G«SXW« 7HRGRUR *DUF¯D TXL RVD G«FODUHU TXH
mOD3$+HWOH33WUDYDLOO>DL@HQWGDQVOHP¬PHVHQV}DORUVP¬PHTXH
son parti s’était opposé à toutes les initiatives du collectif depuis 2008.
0DLVDXGHO¢GHOȇHIIHWFRQMRQFWXUHOGHODSUHVVLRQSRSXODLUHOȇKLVWRLUH
retiendra surtout que le PP enterra ensuite discrètement l’ILP durant les
vacances estivales de 2013.

LA LUTTE NÉCESSAIRE ET LES VICTOIRES


CONCRÈTES DU COLLECTIF
&RPPHQWOD3$+¢WUDYHUVOHPRXYHPHQWVRFLDOTXLVȇHVWRUJDQLV«
GDQVVRQVLOODJHFRQWULEXHWHOOH¢ODG«IHQVHGHVFLWR\HQVHWDXSURJUªV
VRFLDO"'HSXLVHOOHDUHPSOLSOXVLHXUVIRQFWLRQVPDMHXUHVDXVHLQ
de la société espagnole. Elle a d’abord joué une fonction socialeFUXFLDOH
DVVLPLODEOH¢FHOOHGHVWUDYDLOOHXUVVRFLDX[HQFU«DQWJU¤FH¢FHVFROOHF-
WLIVORFDX[GHVOLHX[Gȇ«FRXWHGHU«FRQIRUWHWGȇHQWUDLGHTXLRQWSHUPLV
¢GHVPLOOLHUVGHFLWR\HQVDSSDXYULVSDUODFULVHHWOLYU«VDXG«VHVSRLU
GHUHWURXYHUXQHGLJQLW«GHVHVHQWLUPRLQVVHXOVIDFH¢ODSDXYUHW«HWOD
précarité et de s’appuyer sur les expériences des autres pour défendre
leurs droits. Les psychologues sociaux savent combien les événements

56. « El PPFKTȄPQCNCFCEKȕPGPRCIQ[UȐCNQUVQTQUz=El diario. es], 7 février 2013.

242
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

dramatiques de la vie comme l’exposition durable à la pauvreté ou une


H[SXOVLRQ SHXYHQW HQJHQGUHU XQ mWUDXPDWLVPH SV\FKLTXH} G«WUXL-
VDQWOHVLG«HVUH©XHVGHOȇLQGLYLGXVXUODMXVWLFHHWOHVGURLWVGHOȇKRPPH
et entraînant un état de confusion extrême et d’insécurité qui peut
l’amener à intérioriser son statut d’infériorité sociale. Par l’apport d’un
VRXWLHQ «PRWLRQQHO G«VLQW«UHVV« DX[ SHUVRQQHV DIIHFW«HV OD 3$+ SHU-
PHWGHWUDLWHUOHXUmYXOQ«UDELOLW«SV\FKRORJLTXH}HQU«SRQGDQW¢OHXUV
sentiments de honte et d’injustice et à la dégradation morale de leur
HVWLPH GH VRL HW HQ WUDQVIRUPDQW FHV VHQWLPHQWV HQ GHV SURSRVLWLRQV
constructives et des actes de dénonciation. Au-delà de la lutte pour le
GURLWDXORJHPHQWFRPPHGȇDXWUHVDVVRFLDWLRQVHWFROOHFWLIVVROLGDLUHV
la PAH permet aux citoyens en proie au « déclassement » de se recons-
WUXLUH LQGLYLGXHOOHPHQW GH UHSUHQGUH FRQȴDQFH HQ HX[P¬PHV HW HQ
OHVDXWUHVHWGHURPSUHDYHFODVSLUDOHGHODmGLVTXDOLȴFDWLRQVRFLDOH}
et de l’exclusion57.
'H SOXV OD 3$+ D DXVVL MRX« OHV IRQFWLRQV GH mise sur l’agenda
politique de certains enjeux sociaux et de reformulation des cadrages
dominants de ces enjeux. En interpellant personnellement les députés
par lettre avant sa comparution devant la commission d’économie du
&RQJUªVGXI«YULHUHQU«GLJHDQWGHVWULEXQHVGDQVOHVMRXUQDX[
HQLQWHUYHQDQWORUVGHVG«EDWVGHVRFL«W«VXUOHVFKD°QHVGHW«O«YLVLRQ
HQ PDQLIHVWDQW HQ RFFXSDQW GHV EDQTXHV HW HQ VȇLQWHUSRVDQW IDFH DX[
IRUFHV GH OȇRUGUH SRXU SDUDO\VHU OHV H[SXOVLRQV OH FROOHFWLI D MRX« OD
IRQFWLRQGHmODQFHXUGȇDOHUWH}HQDWWLUDQWOȇDWWHQWLRQGHVP«GLDVHWGHV
citoyens sur la problématique du droit au logement et la responsabilité
GHVHQWLW«VȴQDQFLªUHVGDQVODFULVH(QIRUPXODQWGHQRXYHDX[mFDGUHV
GȇLQWHUSU«WDWLRQ}GHVFDXVHVHWGHVVROXWLRQV¢GRQQHU¢FHVHQMHX[OD
PAH a permis de « répandre de nouvelles valeurs opposées à l’idéologie
dominante58 ». En structurant un « discours d’injustice » sur le carac-
WªUHPRUDOHPHQWLQDFFHSWDEOHGHVH[SXOVLRQVGHVIUDXGHVEDQFDLUHVHW
GH OD VS«FXODWLRQ LPPRELOLªUH OD 3$+ D FRQWULEX« ¢ mGRQQHU XQ VHQV
DX[«Y«QHPHQWV¢RUJDQLVHUOȇH[S«ULHQFHHWJXLGHUOȇDFWLRQLQGLYLGXHOOH
et collective59 ». Son discours alliant dénonciation des causes et des

šSerge PƧƺƭƧƳ, La disqualification sociale, Paris, Presses universitaires de FTCPEG š


Camille Pƫƺƭƴƾ, Le déclassement, Paris, Grasset, 2009.
šWilliam Gamson parle de « frame transformation » pour caractériser cette requalification
du discours dominant. Cf. William GƧƳƸƵƴ, Talking Politics, Cambridge, Cambridge University
Press, 1992.
šDavid SƴƵƼ et. al., « Frame alignment processes, micromobilization and movement partici
pation », American Sociological ReviewXQNPoR

243
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

responsables de la crise et la proposition de solutions alternatives a


SHUPLVGȇmLQȵXHQFHUODU«DOLW«SHU©XHHWODSHUVXDVLRQGHVLQGLYLGXV}
qui constituent eux-mêmes « des déterminants clés de la participation
à un mouvement social60 ».
(QȴQ¢WUDYHUVVHVDFWLRQVQDWLRQDOHVHWOHVOXWWHVORFDOLV«HVGHVHV
FROOHFWLIV DX VHLQ GHV TXDUWLHUV HW GHV PXQLFLSDOLW«V OD 3$+ D MRX« OD
fonction d’un groupe de pression en défense de l’intérêt général. Même si
ces luttes collectives n’ont pas débouché sur un changement politique
PDMHXU IDFH DX G«GDLQ GX 362( SXLV GX 33 HOOHV RQW HX XQ LPSDFW ¢
GLII«UHQWV QLYHDX[ 'ȇDERUG VHV UHYHQGLFDWLRQV VRQW G«VRUPDLV WUªV
FRQQXHVHWREWLHQQHQWOHVRXWLHQPDMRULWDLUHGHODSRSXODWLRQFRPPH
OHPRQWUHQWOHVVRQGDJHVGȇRSLQLRQGHID©RQU«FXUUHQWH$XWUHPHQWGLW
la PAH est en train de marquer des points dans la bataille des idées :
FH QȇHVW SDV XQ KDVDUG VL OD SOXV SXLVVDQWH I«G«UDWLRQ GX 362( FHOOH
Gȇ$QGDORXVLH DX SRXYRLU DYHF ,8 D DSSOLTX« HQ  XQ PRUDWRLUH
sur les expulsions et qu’Izquierda Unida mais surtout la nouvelle for-
mation montante Podemos soutiennent fortement ses revendications.
/HV PXQLFLSDOLW«V GH 0DGULG %DUFHORQH 9DOHQFH &DGL[ HW 6DUDJRVVH
conquises par le parti de Pablo Iglesias lors des municipales de mai
 RQW DLQVL G«FU«W« GHV PRUDWRLUHV VXU OHV H[SXOVLRQV GHSXLV ORUV
'ȇDXWUH SDUW HQ WRXFKDQW OȇLPDJH GH PDUTXH GHV EDQTXHV LPSOLTX«HV
dans la spéculation immobilière et les prêts immobiliers frauduleux et
HQOHVSRXUVXLYDQWHQMXVWLFHOD3$+DDLG«GHVPLOOLHUVGHSHWLWV«SDU-
gnants à éponger leurs dettes et à les renégocier avec leur banque61. Elle
a alerté sur l’exclusion sociale croissante et la possibilité d’y remédier
FRQFUªWHPHQW HQ PDQLDQW OH GURLW OD IRUFH GX QRPEUH HW OD G«VRE«LV-
VDQFH FLYLTXH /D 3$+ D FRQWULEX« ¢ SROLWLVHU GH QRXYHDX[ HQMHX[
MXVTXȇDORUV DEVHQWV GX G«EDW SROLWLTXH HQ (VSDJQH FRPPH OH PDQTXH
d’un parc public de logements sociaux.
/D mORL GH VHFRQGH FKDQFH} G«FLG«H SDU OH 33 HQ I«YULHU HQ
SOHLQHDQQ«H«OHFWRUDOHDȴQGHGRQQHUXQHLPDJHSOXVmVRFLDOH}¢VRQ

šBert KƲƧƴƪƫƷƳƧƴƸ, « MQDKNK\CVKQP CPF RCTVKEKRCVKQPš UQEKCN RU[EJQNQIKECN GZRCPUKQPU QH


resource mobilization theory », American Sociological Review, vol. 49, n° 4, 1984, p. 584.
šSuite à une plainte en 2011 de plusieurs associations et collectifs dont la PAH et l’ADICAE,
l’association des usagers des banques et des caisses d’épargne, le Tribunal Suprême a ainsi
condamné les banques BBVA, Cajamar et Nova Galicia en mai 2013, considérant les « clauses
sol » comme illégales. Depuis lors, les particuliers gagnent 90 % de leurs procès contre les
banques s’ils ont signé un contrat contenant une telle clause. Ces dernières préfèrent donc
négocier avec les clients pour perdre moins de temps et d’argent, éviter les atteintes à leur
réputation et « l’effet d’appel » des victoires judiciaires. Cf.+ȓKIQFG$CTTȕPk.CDCPECFGLCFG
TGEWTTKTNCUENȄWUWNCUUWGNQFGJKRQVGECU[CEGRVCPGIQEKCTzEl País, 16 novembre 2014, p. 27.

244
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

ELODQ SURSRVH GȇDSSOLTXHU OD mGRQDWLRQ SRXU SDLHPHQW} DX[ HQWUH-


SUHQHXUVHWDX[IDPLOOHVPDLVGHID©RQEHDXFRXSSOXVUHVWULFWLYH62. En
GRQQDQWOHXUVELHQVOHVSDUWLFXOLHUVSRXUURQWVHXOHPHQWSD\HUGH
leurs dettes sur cinq ans et 80 % sur dix ans. La loi facilitera la « rené-
JRFLDWLRQ GHV GHWWHV} HQWUH OHV EDQTXHV HW OHV SDUWLFXOLHUV DFWDQW XQH
procédure que la PAH a de fait déjà imposée à de nombreuses banques.
&HUWHVXQHORLELHQPHLOOHXUHDXUDLWSX¬WUHYRW«H/DOXWWHSRXUOHGURLW
au logement ne s’arrête pas là. Mais cette récupération par le pouvoir
FRQVHUYDWHXU FHUWHV SOHLQH GȇDUULªUHSHQV«HV «OHFWRUDOLVWHV HW GRQW OHV
HIIHWVVHURQWOLPLW«VGHFHUWDLQHVUHYHQGLFDWLRQVGXPRXYHPHQWVRFLDO
montre que les lignes commencent à bouger au sein même de l’idéolo-
gie dominante et que les luttes des dernières années n’auront pas été
vaines.

62. « El Gobierno habla de dación en pago para emprendedores pero se olvida de las familias »,
[La Sexta. com], 26 février 2015, consulté le 5 avril.

245
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

9
La monarchie espagnole entre
crises et restaurations (1808-2015)
Benoît PELLISTRANDI

En Juan Carlos, nous disons notre gratitude à l’égard


d’une génération de citoyens qui a ouvert la voie à la
démocratie et à l’entente entre les Espagnols.
3KLOLSSH9,MXLQ

/ȇDEGLFDWLRQGXURL-XDQ&DUORVDQQRQF«HOHMXLQGȇDERUGSDU
le chef du gouvernement Mariano Rajoy puis expliquée par le roi lui-
P¬PH DX FRXUV GȇXQH LQWHUYHQWLRQ W«O«YLV«H mLQVWLWXWLRQQHOOH} QȇHVW
pas apparue comme un geste volontaire mais bien comme le résultat
quasiment obligé d’une détérioration de l’image du roi dans l’opinion
SXEOLTXH G«W«ULRUDWLRQ TXL HQWUD°QDLW DYHF HOOH OD UHPLVH HQ FDXVH GX
V\VWªPH PRQDUFKLTXH /H SURFHVVXV FRQVWLWXWLRQQHO H[LJHDLW TXH I½W
alors votée une loi organique prenant acte de l’abdication de Juan
Carlos ; c’est lorsqu’il signerait la loi que son abdication deviendrait
effective. L’acte solennel eut lieu le mercredi 18 juin 2014 au Palais
5R\DO¢0DGULG/HOHQGHPDLQOHV&RUWªVSURF«GDLHQW¢ODSURFODPDWLRQ
GXQRXYHDXURL3KLOLSSH9,
La séquence politique fut donc extraordinairement rapide : en dix-
KXLW MRXUV OD &RXURQQH DYDLW FKDQJ« GH WLWXODLUH HW OD PDJLVWUDWXUH
VXSU¬PH GH Oȇ‹WDW IDLVDLW OD G«PRQVWUDWLRQ TXȇHOOH IRQFWLRQQDLW SDUIDL-
tement dans le cadre prévu et instauré par la constitution de 1978. Les
PDQLIHVWDWLRQVGHU«SXEOLFDLQVGHPDQGDQWTXȇXQU«I«UHQGXPI½WRUJD-
nisé pour décider de la continuité ou non de la forme monarchique de
ODW¬WHGHOȇ‹WDWIXUHQWUDSLGHPHQWQR\«HVVRXVOHȵRWGHVFRPPHQWDLUHV
VRXYHQW«ORJLHX[TXLDFFRPSDJQªUHQWODG«FLVLRQGH-XDQ&DUORV&HOOH
FLPHWWDQWȴQ¢XQUªJQHGHSUHVTXHWUHQWHQHXIDQVRQQHSRXYDLWSDV
QHSDVSURSRVHUXQELODQ(W¢FHW«JDUGOȇDFWLIODWUDQVLWLRQG«PRFUD-
WLTXH OD FDSDFLW« ¢ DFFRPSDJQHU OD P«WDPRUSKRVH GH Oȇ(VSDJQH HW ¢
UHSU«VHQWHU FHSD\VTXLUHWURXYDLWODVFªQHLQWHUQDWLRQDOHOȇHPSRUWDLW

247
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

largement sur le passif constitué par les scandales de corruption qui


ont entaché la réputation de la famille royale et le comportement de
l’homme privé Juan Carlos.
$XMRXUGȇKXL OH QRXYHDX URL 3KLOLSSH9, MRXLW GȇXQ FU«GLW FRQVLG«-
UDEOH HQ I«YULHU XQ VRQGDJH SXEOL« SDU OH TXRWLGLHQ El País lui
accordait une cote de popularité de 71 % de satisfaits contre 19 % de
P«FRQWHQWV VRLWXQVROGH SRVLWLIGHSRLQWV‚WLWUH GHFRPSDUDLVRQ
OHVOHDGHUVSROLWLTXHV0DULDQR5DMR\ 33FKHIGXJRXYHUQHPHQW 3HGUR
Sánchez (PSOE) et Pablo Iglesias (Podemos  QH UHFXHLOOHQW UHVSHFWLYH-
PHQWTXHHWGȇRSLQLRQVIDYRUDEOHV'DQVOHFRQWH[WHGH
G«VDIIHFWLRQ J«Q«UDOLV«H TXL PDUTXH OH PRQGH SROLWLTXH OD &RXURQQH
UHQRXYHO«H HQ VRQ WLWXODLUH D UHWURXY« OȇDSSXL HW OD FRQȴDQFH GHV
citoyens1. Ce résultat semble effacer en partie la chute vertigineuse
de la popularité de Juan Carlos au cours des dernières années. Selon
les sondages du quotidien El Mundo élaborés par l’entreprise Sigma
Dos HQ MDQYLHU  GHV SHUVRQQHV LQWHUURJ«HV DYDLHQW XQH
très bonne ou une bonne opinion du bilan du règne de Juan Carlos.
8QDQSOXVWDUGOHFKLIIUHWRPEDLW¢HW¢HQMDQYLHU
/DFRQV«TXHQFH«WDLWTXHGHVLQWHUURJ«VFRQWUH HW
VDQVRSLQLRQ VRXWHQDLHQWODPRQDUFKLHFRPPHIRUPHGHOȇ‹WDW FRQWUH
 HQ MDQYLHU  /H VHXO SRLQW SRVLWLI GH FH VRQGDJH FDWDVWUR-
SKLTXH«WDLWTXHGHV(VSDJQROVHVWLPDLHQWTXHOHSULQFH3KLOLSSH
serait à même de restaurer le prestige de la monarchie. Bien que très
VHQVLEOHV ¢ OD FRQMRQFWXUH LPP«GLDWH OHV VRQGDJHV U«YªOHQW DXVVL GHV
tendances de fond de l’opinion publique. La popularité actuelle du roi
Philippe VI trouve ses fondements dans l’image qu’il s’était construite
HQWDQWTXHSULQFHGHV$VWXULHV)DLWQRWDEOHOHVDPHGLMDQYLHU
ORUV GX PHHWLQJ TXL FRQFOXDLW OD mPDUFKH GX FKDQJHPHQW} OH OHDGHU
GHODQRXYHOOHIRUPDWLRQUDGLFDOHGHJDXFKH3DEOR,JOHVLDVQȇ«YRTXDLW
pas de changement de régime alors qu’il est ouvertement républicain.
,OIDXWYRLUO¢¢ODIRLVGHODSUXGHQFHWDFWLTXHPDLVDXVVLSHXW¬WUHOD
UHO«JDWLRQSHXW¬WUHSURYLVRLUHGHODTXHVWLRQPRQDUFKLTXHDXVHFRQG
plan de l’agenda politique.
3RXUDXWDQWODFULVHTXHODPRQDUFKLHHVSDJQROHDWUDYHUV«HGH
à 2014 est-elle seulement conjoncturelle ? Faut-il n’y lire que le crépus-
cule d’un règne qui aurait été trop long ? Les erreurs d’appréciation de
Juan Carlos seraient-elles les seules raisons de cette crise ou ne faut-il

1. « Encuesta de MGVTQUEQRKCš GN ENKOC RQNȐVKEQ [ UQEKCN GP EURCȓCz El País, dimanche
8 février 2015.

248
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

pas l’inscrire dans un faisceau de crises2 ? La monarchie n’aurait-elle


pas été pendant trois ans le paratonnerre qui attirait la colère populaire
«FĕXU«HGHG«FRXYULUOȇDPSOHXUGHODFRUUXSWLRQGHVHV«OLWHVWDQW«FR-
QRPLTXHV HW ȴQDQFLªUHV TXH SROLWLTXHV HW V\QGLFDOHV" /ȇ«EUDQOHPHQW
GȇXQH GHV FOHIV GH YR½WH GX SDFWH FRQVWLWXWLRQQHO GH  GRLW ¬WUH
lu dans sa conjoncture courte mais aussi depuis une perspective his-
torique. Si la monarchie en Espagne reste marquée par un héritage
KLVWRULTXH TXL OD IUDJLOLVH OȇDFWLRQ SROLWLTXH GH -XDQ &DUORV D SHUPLV
de nouer un pacte entre elle et la démocratie. La validité de ce pacte
VXɚWHOOH ¢ DVVXUHU OȇDYHQLU GH OD PRQDUFKLH RX OȇHQWU«H HQ FULVH GHV
fondements du consensus démocratique ne peut-elle pas emporter cette
réalité politique ? Ces questions politiques ne peuvent se comprendre
sans une mise en perspective historique. La monarchie espagnole est
une institution que l’histoire a fragilisée et la société espagnole en garde
ODP«PRLUH$SUªVDYRLUG«FULW¢JUDQGVWUDLWVFHWK«ULWDJHQRXVPRQ-
WUHURQVFRPPHQWJU¤FHDXSDFWHQRX«DYHFODG«PRFUDWLH-XDQ&DUORV
HW G«VRUPDLV VRQ VXFFHVVHXU 3KLOLSSH9, RQW IDLW GH OD PRQDUFKLH XQH
institution d’équilibre et d’incarnation. Cette démarche permettra ainsi
d’exposer l’une des caractéristiques de la culture politique espagnole
dont la juste appréhension est indispensable à la compréhension des
enjeux actuels de l’Espagne.

LA MONARCHIE, UN HÉRITAGE
FRAGILISÉ PAR L’HISTOIRE
L’histoire des Bourbons en Espagne est une histoire complexe dans
ODTXHOOH OHV VFDQGDOHV OHV FULVHV IDPLOLDOHV OHV DEGLFDWLRQV OHV H[LOV
les restaurations scandent une saga dynastique et politique haute-
ment colorée. Il y eut d’abord la guerre de Succession et la manœuvre
SROLWLTXH GH /RXLV ;,9 SHWLWȴOV GH 3KLOLSSH ,,, URL Gȇ(VSDJQH GH
à 1621) et neveu et gendre de Philippe IV (roi de 1621 à 1665). Bien
qu’il ait renoncé à la succession d’Espagne pour sa descendance lors de
VRQPDULDJHDYHFOȇLQIDQWH0DULH7K«UªVH/RXLV;,9DFFHSWHUDHQ
OD FRXURQQH Gȇ(VSDJQH SRXU VRQ SHWLWȴOV OH GXF Gȇ$QMRX (QWUH
HW OD OXWWH HQWUH OHV SDUWLVDQV GH 3KLOLSSH9 HW FHX[ GX SU«WHQ-
GDQW &KDUOHV GH +DEVERXUJ G«FKLUD Oȇ(VSDJQH (Q &DWDORJQH QRWDP-
PHQW R» OHV %DUFHORQDLV TXLHQ  Vȇ«WDLHQW WRXUQ«V YHUV /RXLV;,,,

šTelle est la raison d’un article consacré à la monarchie dans ce livre étudiant la crise démo
cratique espagnole.

249
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

FRQWUH3KLOLSSH,9YRLHQWG«VRUPDLVHQ&KDUOHVGH+DEVERXUJOHPHLO-
leur défenseur des libertés catalanes3. Il convient de ne pas tomber
dans l’anachronisme et de ne pas relire le XVIIIe siècle espagnol à la
lumière des historiens catalans du XIXe siècle. La vision misérabiliste
d’une Catalogne opprimée est fausse : Pierre Vilar l’a magistralement
G«PRQWU«GDQVVDF«OªEUHWKªVHLa Catalogne dans l’Espagne moderne.
Recherches sur les fondements économiques des structures nationales
(1962). Retenons cependant l’idée d’une nouvelle étape dans l’histoire
QDWLRQDOH PDUTX«H ¢ OD IRLV SDU OȇLPSODQWDWLRQ GHV %RXUERQV HW SDU
OȇDEROLWLRQGHVMXULGLFWLRQVGHVGLII«UHQWHVFRXURQQHV $UDJRQ9DOHQFH
&DWDORJQH%DO«DUHV DXSURȴWGXV\VWªPHMXGLFLDLUHFDVWLOODQ'ȇXQF¶W«
XQQRXYHODOLJQHPHQWGH0DGULGVXUOD)UDQFHGHOȇDXWUHOȇH[S«ULHQFH
d’une rationalisation administrative.
L’Espagne du XVIIIe siècle avec ses quatre rois — Philippe V (1700-
 /RXLV,er (1724)4)HUGLQDQG9,  &KDUOHV,,,  
— est une puissance européenne qui compte et qui se modernise. Charles
IV (1788-1808) va se trouver confronté à l’épreuve de la Révolution
IUDQ©DLVHFHTXLH[SOLTXHVHVUDLGLVVHPHQWVLQWHOOHFWXHOVHWLG«RORJLTXHV
4XRLTXȇHQJDJ« GDQV OHV JXHUUHV DQWLIUDQ©DLVHV Oȇ(VSDJQH UHWURXYH WUªV
YLWHVRQDOOLDQFHDYHFOD)UDQFH WUDLW«GH6DQ,OGHIRQVRHQTXLIDL-
VDQWVXLWH¢ODSDL[GH%¤OHOLHOHVLQW«U¬WVHVSDJQROV¢FHX[GHOD)UDQFHȐ
et explique l’alliance maritime qui vaudra à l’Espagne la perte de ses
navires lors de la bataille de Trafalgar en 1805). La présence de troupes
françaises sur son sol dès 1807 — elles se dirigent vers le Portugal — se
transformera en occupation militaire en avril 1808 lorsque la crise fami-
liale et politique de la dynastie des Bourbons conduit Napoléon à la dépos-
V«GHUGXWU¶QH&KDUOHV,9GRLWHQHIIHWIDLUHIDFH¢OȇRSSRVLWLRQGHVRQȴOV
)HUGLQDQGSULQFHGHV$VWXULHV&KRTX«SDUOȇDWWLWXGHGHVDPªUHODUHLQH
0DULH/RXLVH SURWHFWULFH GH OȇDVFHQVLRQ LQG«FHQWH GH 0DQXHO *RGR\ HW
FRQVWHUQ« SDU OD IDLEOHVVH GH VRQ SªUH &KDUOHV ,9 )HUGLQDQG HVW VDQV
aucun doute impliqué dans la préparation du soulèvement d’Aranjuez.
([SORVLRQ GH YLROHQFH SRSXODLUH FHWWH «PHXWH D GȇLPPHQVHV FRQV«-
quences politiques entre le 17 et le 19 mars 1808 : Charles IV abdique et
)HUGLQDQG9,,HVWSURFODP«URL'HX[MRXUVDSUªVOHYLHX[URLUHSUHQGVD

šPour une interprétation globale de ce moment dans l’histoire catalane, voir José Enrique
RƺƯƿDƵƳʣƩƫƩ, Catalunya-España. Encuentros y desencuentros, Barcelone, La Vanguardia 2010
et Henry KƧƳƫƴ, España y Cataluña, Madrid, La Esfera de los libros, 2014. Pour un point plus
détaillé sur la guerre de Succession, voir Joaquim AƲƨƧƷƫƪƧSƧƲƻƧƪʭ, La guerra de Sucesión en
España (1700-1714), Barcelone, Crítica, 2011.
šPhilippe V abdiqua en janvier 1724 et son fils Louis lui succéda. Il mourut prématurément en
août 1724 forçant son père à remonter sur le trône.

250
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

décision prétextant qu’elle lui a été arrachée sous la contrainte… Pendant


FHWHPSV0XUDWHVWHQWU«GDQV0DGULG/ȇHPSHUHXUIUDQ©DLVYDMRXHUOHV
P«GLDWHXUV FRQYRTXDQW HW OH SªUH HW OH ȴOV ¢ %D\RQQH LO REWLHQW GȇHX[
OHXUDEGLFDWLRQUHVSHFWLYH-RVHSK%RQDSDUWHGHYLHQWURLGȇ(VSDJQH
Les tensions familiales ont pesé plus lourd que l’intérêt national.
/ȇH[SUHVVLRQ SHXW G«VRUPDLV ¬WUH XWLOLV«H SXLVTXH GX PDL  DYHF
le soulèvement de Madrid et de la déclaration du maire de Mostoles
on peut dater l’avènement de la notion de souveraineté nationale et
populaire en Espagne5'«VRUPDLVODG\QDVWLHDDIIDLUHDYHFXQQRXYHO
DFWHXUSROLWLTXHOHSHXSOHODQDWLRQ/HV&RUWªVGH&DGL[TXLGRQQHQW
DX SD\V VD SUHPLªUH FRQVWLWXWLRQ OH PDUV  IRUPDOLVHQW FHWWH
QRXYHOOH FRQȴJXUDWLRQ SROLWLTXH (OOH HVW U«YROXWLRQQDLUH /ȇ$QFLHQ
5«JLPHHVSDJQROHVWPRUWȐ0DLVSDUDGR[DOHPHQWOHURL)HUGLQDQG9,,
représente un élément clef de la mobilisation populaire. C’est au nom
GH m)HUGLQDQG OH '«VLU«} TXH OXWWHQW GHV EDQGHV DUP«HV TXL JU¤FH ¢
OȇDLGHDQJODLVHVXSHUYLV«HSDU:HOOLQJWRQPHWWHQWHQ«FKHFOHVDUP«HV
HWOHVJ«Q«UDX[QDSRO«RQLHQV/HPDUV)HUGLQDQG9,,SDVVHOD
IURQWLªUH¢)LJXHUDV,OHVWDFFXHLOOLWULRPSKDOHPHQW¢6DUDJRVVHSXLV¢
9DOHQFH/HPDLDYDQWGȇHQWUHU¢0DGULGLOG«QRQFHODFRQVWLWXWLRQGH
&DGL[ mQXOOH HW QRQ DYHQXH} /ȇ$QFLHQ 5«JLPH YLHQW GH UHQD°WUHȐ HW
DYHFOXLOȇ,QTXLVLWLRQTXH1DSRO«RQGDQVVRQ«ODQPRGHUQLVDWHXUDYDLW
supprimée.
'H ¢ )HUGLQDQG9,, JRXYHUQHUD VHORQ OHV UªJOHV GX
SRXYRLU DEVROXWLVWH (QWUH HW LO DXUD G½ FRPSRVHU DYHF XQ
gouvernement issu d’un pronunciamiento qui avait permis le rétablis-
sement de la constitution de 18126. Mais Ferdinand VII est rétabli dans
ses prérogatives absolues grâce à l’intervention militaire française des
m&HQW PLOOH ȴOV GH VDLQW /RXLV} GRQW &KDWHDXEULDQG VH YDQWHUD GDQV
ses Mémoires d’outre-tombe. La répression qui suivra sera féroce et
les historiens ont coutume d’appeler la période 1823-1833 « la décen-
nie odieuse7} 5RL DEVROX )HUGLQDQG9,, QȇHQ GHPHXUH SDV PRLQV XQ
URL IUDJLOH ‚ Oȇ«WUDQJHU OHV OLE«UDX[ HQ H[LO QRLUFLVVHQW VD U«SXWDWLRQ
‚ OD FRXU LO GRLW DIIURQWHU OHV DPELWLRQV WURS YLVLEOHV GH VRQ IUªUH

šMiguel AƷƹƵƲƧ, La monarquía de España, Madrid, Alianza Editorial, 1999.


šIl s’agit d’un manifeste politique qui est proclamé par une partie de l’armée qui se soulève au
nom des principes exposés. Le pronunciamiento peut aboutir à un changement de gouverne
ment ou pas. Il n’est pas un coup d’ÉVCVšKNGUVWPGKPXKVCVKQPȃEJCPIGTNGIQWXGTPGOGPVGVUC
ligne politique. En vérité, il est la première étape du coup d’ÉVCVšЏ
šBenito PʣƷƫƸGƧƲƪƵƸ  CEQPUVTWKVWPGITCPFGHTGUSWGTQOCPGUSWGUWTNŨJKUVQKTG
contemporaine de l’Espagne rassemblée sous le nom Épisodes nationaux VKVTGUšЏ L’un des
TQOCPUUŨKPVKVWNGšLa terreur de 1824.

251
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

GRQ&DUORV (Q HIIHW )HUGLQDQG9,, QȇD SDV GȇK«ULWLHU 6D TXDWULªPH


«SRXVH0DULH&KULVWLQHGH%RXUERQ«SRXV«HHQOXLGRQQHGHX[
ȴOOHV,VDEHOOHQ«HHQHW/RXLVH)HUQDQGHQ«HHQ/HDYULO
 DYDQW OD QDLVVDQFH GH OD SULQFHVVH HVW SXEOL«H GDQV La Gaceta
la pragmatique sanction qu’en 1789 le roi Charles IV avait décidée
mais pas fait sanctionner et qui abolissait la loi salique introduite en
(VSDJQH SDU OH SUHPLHU GHV %RXUERQV 3KLOLSSH9 /D QDLVVDQFH Gȇ,VD-
belle en septembre 1830 la convertissait dès lors en princesse héritière :
GRQ&DUORV«WDLWG«SODF«HWUHO«JX«(QVHSWHPEUH)HUGLQDQG9,,
YLFWLPHGȇXQHDWWDTXHGHJRXWWHHVWDXSOXVPDO/HFODQGHVSDUWLVDQV
de don Carlos lui arrache l’annulation de la décision de 1830 et le réta-
EOLVVHPHQWGHODORLVDOLTXH0DLVFRQWUHWRXWSURQRVWLF)HUGLQDQG9,,
se releva de cette alerte et annula la décision qu’on lui avait arrachée. À
VDPRUWOHVHSWHPEUHODFRXUHVWQRWRLUHPHQWGLYLV«HHQWUHOHV
« cristinos » — partisans de la régence par la reine Marie-Christine — et
les « carlistas » — les appuis de don Carlos.
L’histoire du règne de Ferdinand VII nous révèle la matrice de l’his-
toire de la dynastie des Bourbons. Elle est faite de divisions familiales
TXL VRQW GHV GLYLVLRQV SROLWLTXHV GȇH[LOV GH UHYDQFKHV GH IUDJLOLW«V
GH U«JHQFHVȐ (QWUH HW OH SD\V FRQQD°W VD SUHPLªUH JXHUUH
FLYLOHHQWUHFDUOLVWHVHWOLE«UDX[(OOHUDYDJHOH1RUGQRWDPPHQWOH3D\V
basque et la Navarre. C’est plus qu’une division : on peut presque parler
GHVFKLVPH3RXUVDXYHUOHWU¶QHGHVDȴOOH0DULH&KULVWLQHIDLWDOOLDQFH
DYHFOHVOLE«UDX[(QHOOHRFWURLHXQHFKDUWH Estatuto Real SXLV
en 1837 elle accepte une constitution tandis que don Carlos continue
de plaider pour l’absolutisme et fait de sa foi catholique sa marque
de fabrique. Avec le carlisme naît toute une tradition politique qui
irriguera progressivement tout le volet intégriste du catholicisme espa-
gnol. La fracture des droites trouve là une de ses origines. Pour tracer
XQSDUDOOªOHDYHFOD)UDQFHHQDGRSWDQWODW\SRORJLHGH5HQ«5«PRQG
don Carlos incarne l’ultracisme tandis que Marie-Christine aurait une
pratique orléaniste8.
/D SDL[ GH 9HUJDUD HQ  PHW ȴQ ¢ OD JXHUUH FLYLOH (OOH SODFH
au premier rang politique le général Espartero qui a mené les troupes
LVDE«OLQHV¢ODYLFWRLUH(QLOHVW¢OȇRULJLQHGȇXQpronunciamiento.
,O GHYLHQW P¬PH U«JHQW IRU©DQW 0DULH&KULVWLQH ¢ OȇH[LO /D UHLQH QH
dispose pas d’une grande force politique. Son comportement personnel
— elle s’est remariée en secret à l’un de ses gardes du corps dont elle

šRené RʣƳƵƴƪ, Les droites en France, Paris, AWDKGTMontaigne, 1982.

252
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

D KXLW HQIDQWV WRXV HQYR\«V HQ )UDQFH SRXU FDFKHU OH VFDQGDOH ȃ OD
fragilise. Ses tergiversations — elle n’est libérale que pour sauver son
WU¶QHȃ SXLV SOXV WDUG VHV PDOYHUVDWLRQV ȴQDQFLªUHV DXURQW PLQ« OH
chemin qui devait conduire la jeune Isabelle sur le trône9 -RV« *¾HOO
avait proposé en 1858 un parallèle entre Isabelle II et la grande Isabelle
OD FDWKROLTXH ,O VȇDJLVVDLW ELHQ GH G«IHQGUH OD ȴJXUH GȇXQH WUªV MHXQH
IHPPHTXLRFFXSDLWXQWU¶QHFRQWHVW«SDUOHVFDUOLVWHVHWGȇ\YRLUODSUR-
messe d’un grand règne10. Cet essai restera infructueux et la réputation
d’Isabelle II sera toujours sulfureuse. Cela commença par la question
hautement politique de son mariage.
)UXLW GȇXQH ORQJXH Q«JRFLDWLRQ GLSORPDWLTXH GRQW *XL]RW D ODLVV«
le récit11 OH PDULDJH Gȇ,VDEHOOH VHUD HVSDJQRO HOOH «SRXVH VRQ FRXVLQ
JHUPDLQ)UDQ©RLVȴOVGXȴOVFDGHWGH&KDUOHV,9XQDXWUH)UDQ©RLV/D
VĕXU FDGHWWH GH OD UHLQH OȇLQIDQWH /RXLVH)HUQDQGH «SRXVH OH GXF GH
0RQWSHQVLHU XQ GHV ȴOV GH /RXLV3KLOLSSH /H PDULDJH UR\DO F«O«EU«
HQIXWLPP«GLDWHPHQWREMHWGHVFDQGDOH1RQVHXOHPHQWLOQȇ«WDLW
SDVFRQVRPP«PDLVLOVHPEOHTXHODMHXQHUHLQH HOOHDHQWUHVHL]HHW
dix-sept ans) s’attache à d’autres hommes. Il faudra l’intervention du
pape Pie IX pour forcer la reine et son époux à vivre ensemble. Si des
HQIDQWV QDTXLUHQW GH FHWWH XQLRQ OHV DSS«WLWV VH[XHOV WDQW Gȇ,VDEHOOH
TXHGH)UDQ©RLVȃRQOHVXUQRPPDLWm3DTXLWD}GLPLQXWLII«PLQLQGH
)UDQ©RLVȃHXUHQWW¶WIDLWGȇDOLPHQWHUWRXWHVVRUWHVGHUXPHXUVHWGȇLQ-
sinuations. La chose ne serait qu’anecdotique si elle n’avait eu des effets
SROLWLTXHV7RXWU«FHPPHQW,VDEHO%XUGLHO¢TXLOȇRQGRLWODPHLOOHXUH
biographie d’Isabelle12DSU«IDF«ODU««GLWLRQGȇXQRXYUDJHVFDQGDOHX[
du XIXe siècle : Los Borbones en pelota OLWW«UDOHPHQW Les Bourbons à
poil13. Les images satiriques du pamphlet sont d’une violence inouïe :
on y voit la reine offrant son sexe à ses courtisans dont le pénis est en
YLROHQWH«UHFWLRQ/HFRQIHVVHXUGHODUHLQHOHSªUH&ODUHWVDFRQVHLOOªUH
VSLULWXHOOH6ĕXU3DWURFLQLRVRQWWRXWDXVVLREV«G«VVH[XHOVHWG«QXG«VȐ
&LUFXODQWVRXVOHPDQWHDXFHVLPDJHVRQWIDLWSOXVTXȇDE°PHUODȴJXUH
de la reine : elles minaient l’institution monarchique en discréditant la

šIsabelle est proclamée majeure à ses treize ans en 1843. Mérimée dans sa correspondance
insinue que la reine mère, Marie Christine, qu’il appelle « la vieille coquine », avait tenté de
vendre des toiles originales du Prado et de les remplacer par des copies… le tout à son profit
GZENWUKHšЏ
šUne deuxième guerre carliste a eu lieu entre 1854 et 1856.
šFrançois GƺƯƿƵƹ, Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps, Paris, 1874.
šIsabel BƺƷƪƯƫƲ, Isabel II, Madrid, Taurus, 2010.
šIsabel BƺƷƪƯƫƲ FKT  Los Borbones en pelota, Saragosse, Institución Fernando el Católico,
2012.

253
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

G\QDVWLH0«ULP«HGªVLQIRUPH1DSRO«RQ,,,GXP«SULVGRQWHOOH
fait l’objet14.
(QOȇ«PHXWHGLWHGHODVDLQW'DQLHOQ«HGHODG«FLVLRQGXJRX-
YHUQHPHQWGHVXVSHQGUHOHUHFWHXUGHOȇXQLYHUVLW«GH0DGULGSORQJHHQ
U«DOLW«VHVUDFLQHVGDQVXQHQRXYHOOHLQFDUWDGHSROLWLTXHHWȴQDQFLªUH
de la reine Isabelle. Celle-ci avait décidé de céder une partie de son
SDWULPRLQH ¢ Oȇ‹WDW DȴQ TXH FHOXLFL SXLVVH ¢ VRQ WRXU OH YHQGUH HW HQ
WLUHUGHVUHFHWWHVTXLU«GXLUDLHQWOHG«ȴFLW&HSHQGDQWGXSURGXLW
GHODYHQWH«WDLWDIIHFW«¢Oȇ‹WDWWDQGLVTXHOHVUHVWDQWDOLPHQWDLHQW
ODFDLVVHSHUVRQQHOOHGHODPRQDUTXH/HVDɚG«VYLUHQWGDQVFHJHVWHOD
répétition du geste généreux d’Isabelle la Catholique vendant ses bijoux
SRXU ȴQDQFHU OȇH[S«GLWLRQ GH &KULVWRSKH &RORPE 0DLV OȇRSSRVLWLRQ
libérale et démocrate y vit la spoliation pure et simple d’un patrimoine
QDWLRQDO 3RXU (PLOLR &DVWHODU SURIHVVHXU ¢ OȇXQLYHUVLW« GH 0DGULG HW
OHDGHU G«PRFUDWH OD UHLQH YRODLW OHV (VSDJQROV /ȇ«PHXWH SURYRTXD
QHXI PRUWV OH WU¶QH HQ UHVWD WRXW ¢ IDLW YDFLOODQW 7URLV DQV SOXV WDUG
la « Gloriosa } FȇHVWOHQRPGRQQ«¢ODU«YROXWLRQTXLHVWGȇDERUGXQH
FRQMXUDWLRQ GH WRXWHV OHV RSSRVLWLRQV  PHW ȴQ DX UªJQH Gȇ,VDEHOOH (OOH
part en exil en France et connaît dès lors un « triste destin15 ». Isabelle
a échoué comme reine constitutionnelle et la fragilité morale de ses
comportements a convaincu les élites espagnoles de l’abandonner.
,QFDSDEOH GH VȇHQ WHQLU DX U¶OH TXH OXL ȴ[DLHQW OHV WH[WHV FRQVWLWXWLRQ-
nels (essentiellement celui de 1845 puisque la constitution progressiste
GH  QH IXW SDV DSSOLTX«H  ,VDEHOOH D G«PRQWU« TXH VD SUDWLTXH
perturbait l’équilibre des pouvoirs. La solution passe donc par son
renversement.
/HQRXYHDXSRXYRLU¢0DGULGDSUªVTXHOHV&RUWHVFRQVWLWXWLRQQHOV
RQWU«GLJ«XQWH[WH  FKHUFKHXQURL3DUPLOHVFDQGLGDWVOHGXF
GH0RQWSHQVLHUEHDXIUªUHGHODUHLQHG«FKXHTXLVHYDQWHGȇDSSDUWH-
nir à la famille d’Orléans : c’est une manière de dire son libéralisme.
On sonde un prince Hohenzollern (ce qui provoquera la guerre entre
la France et la Prusse). On écarte l’hypothèse d’un roi choisi parmi les
SUHVWLJLHX[ J«Q«UDX[ HVSDJQROV $X ȴQDO FȇHVW OH ȴOV FDGHW GH 9LFWRU
Emmanuel II roi de Piémont qui est élu. Amédée de Savoie arrivera à
Madrid en décembre 1871 et quittera l’Espagne en février 1873. Son
bref règne ne fait que traduire l’instabilité dans laquelle s’enfonce le

14. « J’ai dit textuellement à Leurs Majestés que la haine qu’elle inspirait n’était tempérée que
par le mépris », Lettre 2082, au général L.A. Callier, 2 janvier 1854, CG, t. VII, p. 244.
šL’expression est de PƫƷƫƿGƧƲƪƵƸ, La de los tristes destinos, Madrid, Pelardo y PGNȄG\

254
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

SD\V $SUªV FHWWH SDUHQWKªVH LWDOLHQQH GH OD FRXURQQH HVSDJQROH OD
République est proclamée.
3HQGDQWFHWHPSVDXWRXUGȇ$QWRQLR&DQµYDVGHO&DVWLOOROHVSDUWL-
sans d’une restauration de la monarchie et des Bourbons s’activent. Ils
REWLHQQHQWXQHUHQRQFLDWLRQDXWU¶QHGHODUHLQH,VDEHOOH,,DXSURȴWGH
VRQ ȴOV D°Q« OH MHXQH SULQFH $OSKRQVH GRQW Oȇ«GXFDWLRQ VH SRXUVXLW ¢
Paris puis à l’académie militaire britannique de Sandhurst. Publiant un
manifeste le 1er décembre 187416OHMHXQHSULQFHVȇRIIUHSRXUXQHUHV-
tauration qui reprendrait la forme d’une monarchie constitutionnelle.
3«UH]*DOGRVWURXYHUDODIRUPXOHTXLGLWODV\QWKªVHSURSRV«HLOVȇDJLW
d’unir dans un même corps l’esprit de Pie IX et celui d’Espartero. Début
 $OSKRQVH IDLW VRQ HQWU«H ¢ 0DGULG HW GHYLHQW URL VRXV OH QRP
d’Alphonse XII. Une constitution mettant en place un système bicaméral
et faisant du roi l’un des détenteurs de la souveraineté est votée en 1876.
Le suffrage est redevenu censitaire. La pensée politique de Cánovas
emprunte au libéralisme anglais et au libéralisme doctrinaire17. Il rêve
d’un système bipartisan : à un grand parti conservateur s’oppose un
JUDQGSDUWLOLE«UDOOHVGHX[«WDQWXQLVVXUODIRUPHGHOȇ‹WDW&HWLG«DO
est mis en forme à partir de 1876. Il surmontera trois grandes épreuves :
la mort prématurée d’Alphonse XII en 1885 et la mise en place d’une
U«JHQFHVRXVOȇDXWRULW«GHODUHLQH0DULH&KULVWLQHGH+DEVERXUJOȇLQV-
tauration du suffrage universel en 1890 par le gouvernement libéral de
0DWHR3UD[HGHV6DJDVWDHWHQȴQODJUDQGHFULVHGHFRQVFLHQFHQDWLRQDOH
GHFRQV«FXWLYH¢ODSHUWHGHVFRORQLHVFXEDLQHHWSKLOLSSLQHDUUD-
FK«HVSDUOHV‹WDWV8QLVDXWHUPHGHFRPEDWVUDSLGHVHWKXPLOLDQWV
(Q  OH MHXQH $OSKRQVH HVW SURFODP« URL VRXV OH QRP Gȇ$O-
SKRQVH;,,,,ODWRXWMXVWHVHL]HDQV1«DSUªVODPRUWGHVRQSªUHLOHVW
l’enfant du miracle mais aussi roi dès sa naissance. Dès son plus jeune
¤JHLOUHFHYUDOHVPDUTXHVGȇKRPPDJHHWGHU«Y«UHQFHDX[TXHOOHVVRQ
VWDWXW OXL GRQQH GURLW 3V\FKRORJLTXHPHQW FHOD QH IXW SDV VDQV FRQV«-
quence : le jeune homme n’a jamais fait l’expérience d’une résistance…
(QWRXU«GȇKRPPHVSROLWLTXHV¤J«VLOVHVHQWEHDXFRXSSOXV¢OȇDLVHGDQV
XQHDPELDQFHPLOLWDLUHR»VHVWDOHQWVHWVRQ«QHUJLHVHOLEªUHQW&RPPH
URLLOGRLWIDLUHIDFHDXOHQWG«UªJOHPHQWGXV\VWªPHGHVSDUWLVOLE«UDX[
et conservateurs continuent d’alterner au pouvoir mais des dissidences
SXUHPHQWSHUVRQQHOOHVFRPSOLTXHQWODVWDELOLW«GHVJURXSHV‚0DGULG
¢ %DUFHORQH OH VRFLDOLVPH FRPPHQFH ¢ VH PDQLIHVWHU «OHFWRUDOHPHQW

šCe document est connu sous le nom de Manifeste de Sandhurst.


šLuis DƯƫƿDƫƲCƵƷƷƧƲ, El liberalismo doctrinario, Madrid, 1955.

255
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

(Q &DWDORJQH HW DX 3D\V EDVTXH GHV PRXYHPHQWV U«JLRQDOLVWHV VDQV
UHPHWWUHHQFDXVHOHXUDOO«JHDQFH¢OD&RXURQQHG«YHORSSHQWGHQRX-
velles perspectives pour l’Espagne.
/H PDL  ORUV GX PDULDJH GX URL DYHF OD SULQFHVVH DQJODLVH
9LFWRLUH(XJ«QLH GH %DWWHQEHUJ XQ DWWHQWDW IDLW YLQJWWURLV PRUWV VXU
le passage du convoi nuptial. La chance du roi aurait pu être un signe
IDYRUDEOH PDLV OD SRXUVXLWH GHV IHVWLYLW«V PDOJU« OH GUDPH KHXUWH
OȇRSLQLRQ SXEOLTXH 3UHPLªUH JUDYH IDXWH GH FRPPXQLFDWLRQ HOOH VHUD
VXLYLHGȇDXWUHVHUUHXUVVHPEODEOHV4XLQ]HDQVSOXVWDUGDORUVTXHOHV
troupes espagnoles au Maroc ont subi à Annual un véritable massacre
RQ SDUOH GH GL[ PLOOH PRUWV  OH URL F«OªEUH ¢ %XUJRV OH UDSDWULHPHQW
GHVFHQGUHVGX&LGFDPSHDGRU/ȇ«FDUWHVWG«FLG«PHQWWURSPDQLIHVWH
entre une élite enfermée dans ses codes et ses symboles et un pays qui
ploie sous les épreuves et les revers. La violence politique qui se déve-
loppe à partir de la grève générale de 1917 accentue cette impression
de crise désormais ouverte et non plus larvée. Les contemporains ont
conscience de cette crise. Les historiens ont d’ailleurs appelé ce temps
mOD FULVH GH OD 5HVWDXUDWLRQ} VRXVHQWHQGDQW Oȇ«SXLVHPHQW GH OD IRU-
mule historique de 1876.
2QVDLWFRPPHQWFHODVHU«JODHQVHSWHPEUHOHFRPPDQGDQW
PLOLWDLUH GH &DWDORJQH OH J«Q«UDO 0LJXHO 3ULPR GH 5LYHUD UHQYHUVH
le gouvernement civil et s’installe à la tête d’un directoire militaire.
$OSKRQVH;,,,HQW«ULQHOHFRXSGȇ‹WDW3ULPRGH5LYHUDDYDLWSURPLVXQ
gouvernement provisoire de 90 jours : il présidera le gouvernement
MXVTXȇHQ/DFRQVWLWXWLRQGHHVWVXVSHQGXHVDQVSRXUDXWDQW
que soit institutionnalisée la dictature sous la forme d’un régime poli-
tique réglé par des lois fondamentales. Alphonse XIII a beau voir en
3ULPR GH 5LYHUD mVRQ 0XVVROLQL} Oȇ(VSDJQH QȇHVW SDV IDVFLVWH18. Elle
QȇHVW SOXV OLE«UDOH 4XDQG OHV RSSRVLWLRQV VXUPRQWDQW QRQ VDQV PDO
leurs divisions se rassemblent — c’est le Pacte de Saint-Sébastien de
Oȇ«W«ȃHOOHVVȇDFFRUGHQWVXUOȇLG«HTXHIRUPXOHUDDYHFDXGDFH-RV«
2UWHJD\*DVVHWmDelenda est Monarchia19 ». Incriminant directement
$OSKRQVH;,,,LOOȇDFFXVHGHYRXORLUIDLUHmFRPPHVȇLOQȇ\DYDLWSDVHX
GH GLFWDWXUH} FRPPH mVL ULHQ QH Vȇ«WDLW SDVV«} HW TXȇXQ UHWRXU ¢ OD
normale était possible.

šLes deux tantes du roi, les infantes, Eulalie et Paz, disent leur admiration pour Mussolini
dans leurs mémoires. Voir María VKEVQTKȄLʭǞƫƿCƵƷƪʭƴ, La casa de BorbónXQNš
Madrid, Alianza Editorial, 2000, p. 676.
šLa formule conclut l’article donné par le philosophe le 15 novembre 1930 et passé à la posté
rité. « Espagnols, écrit Ortega, votre État n’existe pas. RGEQPUVTWKUG\NGšЏDelenda est Monarchia ».

256
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

/H DYULO  GHV «OHFWLRQV PXQLFLSDOHV RQW OLHX GDQV WRXWH
l’Espagne. Elles sont le prélude à la reprise d’une vie politique selon les
règles de la constitution de 1876. L’opposition républicaine l’emporte
dans 45 des 50 capitales de province. Et même si ses conseillers tentent
de faire croire à Alphonse XIII que le rapport de forces numériques
est favorable aux monarchistes (en comptabilisant tous les conseillers
PXQLFLSDX[RUSUªVGHYLQJWGHX[PLOOHDYDLHQW«W««OXVVDQVFRPS«WL-
teurs aux termes de la loi électorale qui prévoyait l’absence de vote en
FDVGHFDQGLGDWXUHXQLTXH OHURLQHFªGHSDV¢ODWHQWDWLRQGHFHWWHOHF-
ture biaisée. Il abdique et le 14 avril 1931 la République est proclamée.
Arrêtons-nous un instant pour faire un bilan de cette monarchie
du XIXe et du début du XXe siècle. Ferdinand VII et Alphonse XII sont
PRUWVURLVGȇ(VSDJQH,VDEHOOH,,HW$OSKRQVH;,,,PRXUURQWHQH[LOHQ
 ¢ 3DULV SRXU OD SUHPLªUH ¢ 5RPH HQ  SRXU OH VHFRQG 7RXV
DXURQW FRQQX OȇH[LO )HUGLQDQG9,, GH ¢ ,VDEHOOH,, GH
¢$OSKRQVH;,,FRPPHMHXQHSULQFHGH¢$OSKRQVH;,,,
GH  ¢  7RXV ¢ OȇH[FHSWLRQ Gȇ$OSKRQVH;,, GRQW OH UªJQH IXW
EUHI XQH GL]DLQH GȇDQQ«HV  RQW G½ JRXYHUQHU DYHF GHV DGYHUVDLUHV
politiques. Ils n’y ont jamais vraiment consenti et ont toujours voulu
reprendre la main. Ils n’ont pas joué le jeu de la constitution qui leur
DVVLJQDLWXQHIRQFWLRQSU«FLVHGDQVOȇ‹WDW/HXU«GXFDWLRQOHSOXVVRX-
YHQWQ«JOLJ«HFRQWLQXDLWGHOHVFRQYDLQFUHTXȇLOVLQFDUQDLHQWOȇ(VSDJQH
HWTXHOȇ‹WDWVHFRQIRQGDLWDYHFOHXUYRORQW«
Ce bilan politique et historique explique la fragilité de la monarchie.
‹FODERXVV«HSOXVTXȇLOQHIDXWSDUGHVFRPSRUWHPHQWVRXWUDJHXVHPHQW
VFDQGDOHX[ TXDQG LO VȇDJLVVDLW GH PDOYHUVDWLRQV ȴQDQFLªUHV OD UHLQH
0DULH&KULVWLQH GH %RXUERQ ,VDEHOOH,,  RX JULYRLVHPHQW FRPLTXHV
FRQFHUQDQW ,VDEHOOH,, HW $OSKRQVH;,,, JUDQG FROOHFWLRQQHXU GH SKR-
WRV «URWLTXHV  OD PRQDUFKLH D VRXIIHUW SDU HW GH VHV LQFDUQDWLRQV VXF-
cessives. Le principe qu’incarne l’homme ou la femme qui règne n’a
jamais vraiment percé devant des comportements qui trahissaient une
trop grande complaisance à l’égard de pulsions privées. On ne compte
pas les libelles et les articles qui dénonçaient les Bourbons. Un siècle
GHFULWLTXHVGHEODJXHVI«URFHVHWGHP«SULVPLQHOHUHVSHFWSULQFLSH
essentiel sur lequel reposent le pouvoir royal et sa symbolique.
Il faut avoir présent à l’esprit ces réalités qui sont entrées dans la
FXOWXUH SROLWLTXH HVSDJQROH (OOHV \ VRQW GHPHXU«HV HW VL HOOHV RQW XQ
WHPSV«W«PDVTX«HVSDUODSRSXODULW«GH-XDQ&DUORVRQDSXYRLUDYHF
quelle intensité elles sont revenues au premier plan lors de la crise de
l’institution monarchique ces dernières années. Les images négatives

257
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

que l’on peut avoir des Bourbons ne sont pas que des effets d’opinion :
GXUDEOHPHQWDQFU«HVGDQVOȇHVSULWSXEOLFHOOHVIRQWSDUWLHGȇXQHFXOWXUH
GHODSURWHVWDWLRQHW¢FHWLWUHHOOHVSHXYHQW¬WUHU«DFWLY«HVGªVORUVTXH
des similitudes entre le présent et le passé semblent apparaître.

LA MONARCHIE ET LE PACTE DÉMOCRATIQUE


3RXU DXWDQW QH YRLU OȇLQVWLWXWLRQ PRQDUFKLTXH TXH SDU OH SULVPH
de l’héritage historique négatif ne permet pas de comprendre la place
TXȇHOOH D RFFXS«H ¢ SDUWLU GH  TXDQG -XDQ &DUORV VXFF«GDQW ¢
)UDQFR GHYLQW OH mSLORWH GX FKDQJHPHQW} SRXU UHSUHQGUH OȇH[SUHV-
sion de l’historien Charles Powell20. Mais pour que Juan Carlos puisse
GHYHQLUFHSLORWHLODYDLWIDOOXTXHOȇRSWLRQPRQDUFKLVWHUHSU«VHQWHXQH
alternative possible. Reprenons donc rapidement l’histoire des hommes
qui font la monarchie pour comprendre l’héritage politique et familial
dont Juan Carlos était lesté.
Nous avons laissé Alphonse XIII en exil. Sa famille se déchire : il
YLW V«SDU« GH VRQ «SRXVH OD UHLQH 9LFWRLUH(XJ«QLH 6RQ SUHPLHU ȴOV
$OSKRQVH SULQFH GHV $VWXULHV UHQRQFH ¢ VHV GURLWV G\QDVWLTXHV OH
MXLQ  SRXU SRXYRLU «SRXVHU XQH &XEDLQH ULFKH SHXW¬WUH PDLV
SDVGHVDQJUR\DO/HVWHPSVQHVRQWSDVP½UVSRXUXQPDULDJHPRU-
JDQDWLTXH RX SOXW¶W OHV PHQWDOLW«V UR\DOHV QH VRQW SDV SU¬WHV ¢ FHOD
'RQ $OSKRQVH PHXUW GDQV XQ DFFLGHQW GH YRLWXUH ¢ 0LDPL HQ 
/HVHFRQGȴOVGRQ-DLPHHVWFRQWUDLQWGHUHQRQFHU¢VHVGURLWVG\QDV-
WLTXHVVRXUGHWPXHWRQHVWLPHTXȇLOHVWLQFDSDEOHGȇ¬WUHURL21. Marié
¢(PPDQXHOOHGH'DPSLHUUHLODXUDXQȴOV$OSKRQVHGXFGH&DGL[HW
GXFGȇ$QMRXTXLHQ«SRXVHUDODSHWLWHȴOOHGH)UDQFR22. C’est donc
DXWURLVLªPHȴOVGRQ-XDQTXȇ«FKRLHQWOHVGURLWVG\QDVWLTXHV(QLO
devient le chef de la famille royale et le prétendant au trône d’Espagne
quand son père Alphonse XIII abdique quelques mois avant sa mort en
G«VLJQDQWVRQȴOVFRPPHVRQVXFFHVVHXU
Sa vie politique s’organisera désormais autour de sa volonté de
UHVWDXUDWLRQGHV%RXUERQV&HFRPEDWHVWGRXEOHSRXUGRQ-XDQLOHVW
un combat dynastique et historique mais aussi un combat politique

šCharles T. PƵƼƫƲƲ, El piloto del cambio. El rey, la monarquía y. la transición a la democracia,


Barcelone, Editorial Planeta, 1991.
šLes monarchistes légitimistes français ne reconnaissent pas cette renonciation et tiennent
cette branche pour la branche légitime. C’est ainsi que l’actuel duc d’Anjou, Louis est Louis XX
pour les légitimistes.
šLouis d’APLQWGUVFQPENŨCTTKȋTGRGVKVHKNUFŨAlphonse XIII et de FTCPEQšЏ

258
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

et il saura faire évoluer le sens de la monarchie pour lui redonner


toutes ses chances dans le débat espagnol. Le manifeste de Lausanne
de mars 1945 en est la première étape : le comte de Barcelone entend
SURȴWHUGXFRXUDQWTXLHPSRUWHWRXVOHVU«JLPHVWRWDOLWDLUHVHQ(XURSH
et présente la monarchie comme la solution. Ce sera une « monarchie
U«FRQFLOLDWULFH MXVWH HW WRO«UDQWH} HQFDGU«H SDU XQH FRQVWLWXWLRQ TXL
reconnaîtra « les droits inhérents à la personne humaine et les libertés
SROLWLTXHV} «WDEOLUD XQH mDVVHPEO«H O«JLVODWLYH «OXH SDU OD QDWLRQ}
qui reconnaîtra les diversités régionales de l’Espagne et qui approuvera
une « large amnistie politique ». Il n’hésite pas à exprimer son opposi-
tion frontale aux principes du franquisme23.
&RPPHWRXWFRPEDWSROLWLTXHLOHVWG«SHQGDQWGHVFLUFRQVWDQFHV(Q
)UDQFRIDLWUDWLȴHUSDUU«I«UHQGXPODORLGHVXFFHVVLRQTXL«WDEOLW
HQVRQSUHPLHUDUWLFOHTXHmOȇ(VSDJQHHVWXQUR\DXPH}HQVRQDUWLFOH
TXH )UDQFR HVW OH FKHI GH Oȇ‹WDW HW HQ VRQ DUWLFOH TXH m)UDQFR SHXW
proposer aux Cortes la personne qui sera appelée à lui succéder comme
roi ou régent »24. Don Juan proteste contre cet arbitraire qui donnait
à Franco toute latitude pour restaurer la monarchie des Bourbons ou
DXFRQWUDLUHLQVWDXUHUXQHQRXYHOOHG\QDVWLH0DLVHQLODFFHSWH
GHUHQFRQWUHU)UDQFRHWGHOXLFRQȴHUVRQȴOV-XDQ&DUORVSRXUTXHFH
prince espagnol soit éduqué en Espagne. L’épisode est essentiel parce
TXȇLO DSSDUD°W SRXU OȇRSSRVLWLRQ DQWLIUDQTXLVWH SOXV TXH FRPPH XQ
FRPSURPLVFRPPHXQHFRPSURPLVVLRQHQWUHGRQ-XDQHWOHGLFWDWHXU
$SUªVOȇDYRLUSXEOLTXHPHQWG«QRQF«YRLO¢TXHGRQ-XDQVHSODFHVRXV
VD I«UXOH HQ OXL DEDQGRQQDQW VRQ ȴOV 3RXU OHV IUDQTXLVWHV FȇHVW XQH
Y«ULWDEOH mSULVH GH JXHUUH} HW )UDQFR MRXHUD OH ȴOV FRQWUH OH SªUHȐ
4XDQW ¢ -XDQ &DUORV DORUV ¤J« GH GL[ DQV LO HVW Q« OH MDQYLHU 
¢ 5RPH  FȇHVW XQ DUUDFKHPHQW DX FDGUH IDPLOLDO HW XQH SORQJ«H GDQV
l’inconnu.
Le jeune prince sera de fait éduqué par Franco dans l’Espagne de
)UDQFR ,O \ IHUD XQH FDUULªUH PLOLWDLUH UHQRXDQW DYHF OD SU«SDUDWLRQ
au trône que l’on avait donnée à Alphonse XII qui lui aussi fut le

23. « Dès que j’ai assumé les devoirs et les droits de la Couronne d’Espagne, j’ai montré mon
insatisfaction à l’égard de la politique intérieure et extérieure suivie par le général Franco. […] Je
ne lève aucune étendard de sédition, je n’incite personne à se soulever, mais je veux rappeler à
ceux qui soutiennent le régime l’immense responsabilité qu’ils assument en prolongeant ainsi
une situation qui est en train de mener le pays vers une irrémédiable catastrophe », Manifeste
de Lausanne, 19 mars 1945.
šPour une approche détaillée voir Gonzalo RƫƪƵƴƪƵ, Política, cultura y sociedad en la España
de Franco (1939-1975)VšLa configuración del Estado español, nacional y católico (1939-1947),
Pampelune, EUNSAR

259
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

UHVWDXUDWHXUGHV%RXUERQV-XVTXȇHQODȴJXUHGH-XDQ&DUORVHVW
GLVFUªWH6RQPDULDJHDYHF6RSKLHGH*UªFHHVWXQ«Y«QHPHQWGHODYLH
mondaine. L’installation du nouveau couple à Madrid reste discrète. La
QDLVVDQFH GH OHXUV WURLV HQIDQWV ȃ +«OªQH HQ  &KULVWLQH HQ 
3KLOLSSHHQȃUHVWHXQ«Y«QHPHQWSULY«P¬PHVLOHEDSW¬PHGH
3KLOLSSHSHUPHW¢ODUHLQH9LFWRLUH(XJ«QLHODYHXYHGȇ$OSKRQVH;,,,GH
revenir en Espagne pour la première fois depuis 1931. Il faut attendre
juillet 1969 pour que Juan Carlos devienne une personnalité politique.
Franco le désigne en effet comme son successeur. Cette décision pro-
voque une crise familiale : le comte de Barcelone est furieux de consta-
WHUTXHVRQȴOVDFFHSWHODVXFFHVVLRQGH)UDQFRVDQVOHFRQVXOWHUHWHQ
YLRODWLRQȵDJUDQWHGHVUªJOHVVXFFHVVRUDOHVHWG\QDVWLTXHV25. Juan Carlos
prendra d’ailleurs le titre de « prince d’Espagne » et non le titre tradi-
tionnel des héritiers de la couronne à savoir « prince des Asturies ». Ce
IDLVDQWLOFKHUFKDLW¢P«QDJHUVRQSªUHHW¢QHSDVYLROHUSURWRFRODLUH-
ment les règles de la famille royale.
(Q)UDQFRHVWFKHIGHOȇ‹WDWGHSXLVSOXVGHWUHQWHDQV,OYLHLOOLW
et les cercles politiques bruissent des spéculations que génèrent ce que
OȇRQ DSSHOOH SXGLTXHPHQW mOH IDLW ELRORJLTXH} FȇHVW¢GLUH OD PRUW GX
vieux général. Juan Carlos est idéalement placé pour recueillir cette
succession… si l’ordre franquiste survit à son fondateur. Le prince
VHUD DLG« SDU OȇDFWLRQ GX GLUHFWHXU J«Q«UDO GH OD 7«O«YLVLRQ HVSDJQROH
un certain Adolfo Suárez26 3HQGDQW VL[ DQV OH SULQFH VȇHVW GRQQ« ¢
FRQQD°WUH HW ORUVTXH )UDQFR PHXUW OH QRYHPEUH  LO QȇHVW SOXV
un inconnu. Il demeure cependant une énigme tant il s’est habilement
enfermé dans le silence. On sait désormais que cette attitude était
le fruit d’une prudence absolue. Juan Carlos sait qu’il possède peu
GȇDWRXWV G«VLJQ« SDU )UDQFR FRQWUH VRQ SªUH LO QȇD SDV OD O«JLWLPLW«
PRQDUFKLTXH SXUH K«ULWLHU GX GLFWDWHXU LO DSSDUD°W FRPPH OH FRQWL-
QXDWHXUGXU«JLPHKRQQLSDUVHVDGYHUVDLUHV(QȴQLOQHMRXLWSDVGHOD
FRQȴDQFHGHVFHUFOHVIUDQTXLVWHV/HSU«VLGHQWGXFRQVHLO&DUORV$ULDV
Navarro le méprise ouvertement et Juan Carlos déclarera publiquement
ORUVGHVRQYR\DJHRɚFLHODX[‹WDWV8QLVHQPDLTXHVRQ3UHPLHU
PLQLVWUH mHVW XQ G«VDVWUH} &H QȇHVW TXȇHQ MXLOOHW GH OD P¬PH DQQ«H
que le jeune roi abat sa première carte : il nomme Adolfo Suárez chef
GXJRXYHUQHPHQW3DUXQHIIHWGȇDQDFKURQLVPHRQHVWDPHQ«¢SHQVHU

šCGRQKPVGUVKORQTVCPVšNCFȌUKIPCVKQPFGJuan Carlos n’est pas le résultat d’un accord au


sein de la famille royale comme l’avait été, par exemple, la renonciation au trône d’Isabelle II en
faveur de son fils Alphonse XII.
šVoir Juan FƷƧƴƩƯƸƩƵFƺƫƴƹƫƸ, Adolfo Suárez. Una biografía política, Barcelone, Planeta, 2011.

260
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

que la nomination suscita l’approbation générale. Tant s’en faut. Dans


ODSUHVVHXQHVVD\LVWH5LFDUGRGH/D&LHUYDWHQWHUDGHGHYHQLUOȇ2UWHJD
\ *DVVHW GH VD J«Q«UDWLRQ HQ G«QRQ©DQW mOȇHUUHXU 6X£UH]27 ». Suárez
vient du courant phalangiste du régime : il a été ministre du Mouvement
(c’est-à-dire secrétaire général du parti unique). Il n’a que sa jeunesse (il
est de 1932) pour lui et son sens de la communication. Tout cela procède
bien d’un pari politique fait par Juan Carlos qui a vu dans cet homme la
personnalité idoine pour démanteler de l’intérieur le franquisme.
'ªV OȇDXWRPQH  OD ORL GH U«IRUPH SROLWLTXH HVW YRW«H SDU OHV
Cortes franquistes dans un acte d’auto-immolation politique étonnant.
Le pari légaliste de Juan Carlos est en route. Des élections générales
sont convoquées pour le 15 juin 197728. Elles seront des élections
pleinement libres et régulières. Le Parti communiste espagnol peut y
concourir après avoir été légalisé le samedi saint de cette année 1977.
6DQWLDJR &DUULOOR VRQ OHDGHU GRQQH LPP«GLDWHPHQW XQH FRQI«UHQFH
GHSUHVVHDYHFGHUULªUHOXLOHGUDSHDXPRQDUFKLVWHHWQRQOHGUDSHDX
U«SXEOLFDLQ/HPDLOHFRPWHGH%DUFHORQHUHQRQFH¢VHVGURLWV
G\QDVWLTXHVHWUHFRQQD°W-XDQ&DUORVVRQȴOVFRPPHOHURLGȇ(VSDJQH,O
WHUPLQHVRQGLVFRXUVHQVHWRXUQDQWYHUVVRQȴOVHWHQGLVDQWm0DMHVW«
SRXUOȇ(VSDJQHWRXWSRXUOȇ(VSDJQHYLYHOȇ(VSDJQHYLYHOH5RL}$LQVL
DXPDWLQGXMXLQ-XDQ&DUORVSHXWHVWLPHUTXȇLODPHQ«ODSUH-
mière phase de la transition démocratique sans heurts et qu’il a libéré
l’expression démocratique des opinions politiques des Espagnols.
/D GHX[LªPH SKDVH GȇXQH FHUWDLQH ID©RQ QH OXL DSSDUWLHQW SOXV
/ȇDVVHPEO«H«OXHHVWGHIDLWXQHDVVHPEO«HFRQVWLWXWLRQQHOOH/HWH[WH
élaboré par une commission de sept membres sera approuvé par réfé-
rendum le 6 décembre 1978 par plus de 88 % de oui et une participation
GHSOXVGH'DQVFHWH[WHOȇDOLQ«DGHOȇDUWLFOHer désigne la forme
SROLWLTXH GH Oȇ‹WDW XQH PRQDUFKLH SDUOHPHQWDLUH /H WLWUH,, SRUWH VXU
la Couronne (articles 56 à 65) et établit les fonctions du roi et les règles
de son action.
Il y aura une troisième phase qui ne pouvait être prévue. Le
I«YULHUXQHWHQWDWLYHGHFRXSGȇ‹WDWDOLHXDXPRPHQWR»OȇHQ-
semble des forces politiques est rassemblé au Parlement pour la séance
GȇLQYHVWLWXUH GH /HRSROGR &DOYR 6RWHOR G«VLJQ« FRPPH SU«VLGHQW GX
gouvernement à la suite de la démission d’Adolfo Suárez. Alors que les

šOrtega y Gasset avait en 1930 dénoncé « l’erreur Berenguer », nom du général nommé à la
tête du gouvernement par Alphonse XIII après la démission de Primo de Rivera.
šÀ cause du souvenir d’avril 1931, on a choisi d’aller directement aux élections générales et de
retarder les élections municipales. De fait, il faudra attendre avril 1979

261
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

LQVWLWXWLRQVSROLWLTXHVVRQWDLQVLSULVHVHQRWDJHVHXOOHURLHQWRXU«GH
TXHOTXHV VHFU«WDLUHV Gȇ‹WDW HVW ¢ P¬PH GȇDVVXUHU OH IRQFWLRQQHPHQW
U«JXOLHUGHVLQVWLWXWLRQV'DQVODQXLW¢KGXPDWLQ-XDQ&DUORVHQ
XQLIRUPH GH FDSLWDLQHJ«Q«UDO LQWHUYLHQW ¢ OD W«O«YLVLRQ 6RQ GLVFRXUV
est centré sur la défense de la Constitution et il agit comme l’un de ses
organes en incarnant la « Couronne ». Il a ordonné aux autorités civiles
et militaires de « maintenir l’ordre institutionnel dans la législation
en vigueur » et rappelle que « la Couronne ne peut tolérer l’action de
personnes qui prétendraient interrompre par la force le processus
démocratique que la Constitution votée par le peuple espagnol lors
GȇXQU«I«UHQGXPG«WHUPLQDQW}'DQVOȇ«PRWLRQGXPRPHQWRQDWURS
peu prêté attention au calibrage extrême de ce très bref message d’une
PLQXWH HW GHPLH /H URL QȇD FHVV« GH VH SODFHU GDQV OH FDGUH FRQVWLWX-
tionnel. Il a sauvé la démocratie et la constitution de 1978 en jouant le
rôle que celle-ci lui avait dévolu. Il a agi comme pouvoir constitutionnel
démontrant que la Couronne était parfaitement compatible avec la
démocratie. Il est le premier roi d’Espagne à faire cette démonstration.
,PP«GLDWHPHQWOHVHQWLPHQWTXHOHURLYLHQWGHJDJQHUXQHSDUWLH
décisive se répand non seulement parmi les Espagnols mais dans l’opi-
nion publique mondiale. Si certains pouvaient douter de la légitimité
GX URL VXFFHVVHXU GH )UDQFR -XDQ &DUORV YLHQW HQ DJLVVDQW FRQVWLWX-
WLRQQHOOHPHQWGHJDJQHUVDO«JLWLPLW«KLVWRULTXHHWSROLWLTXH(OOHVHUD
longtemps la base de l’immense respect qu’il inspirait. Fort de cette
WUDQVLWLRQG«PRFUDWLTXHU«XVVLH-XDQ&DUORVYDGHYHQLUOȇDPEDVVDGHXU
de la nouvelle Espagne démocratique. La signature de l’adhésion de
Oȇ(VSDJQH¢OD&((HQMXLQOȇDFFXHLOGHODFRQI«UHQFHSRXUODSDL[
DX 0R\HQ2ULHQW ȴQ  OHV -HX[ RO\PSLTXHV GH %DUFHORQH HQ 
sont autant de moments fastes du règne de Juan Carlos. L’alternance
démocratique — de 1982 à 1996 ont gouverné les socialistes de Felipe
*RQ]£OH]GH¢OHVFRQVHUYDWHXUVGH-RV«0DU¯D$]QDUSXLV
GH¢¢QRXYHDXOHVVRFLDOLVWHVȃODSURVS«ULW«GXSD\VHWVD
modernisation accréditent l’idée d’un succès espagnol. Juan Carlos est
célébré comme le promoteur de la période la plus brillante de l’histoire
contemporaine de l’Espagne29.
Le contraste est saisissant en effet entre ce règne qui voit fonc-
tionner une constitution libérale et démocratique et les expériences
antérieures qui avaient vu les rois être en eux-mêmes une partie

šVoir par exemple, Real Academia de la Historia, 25 años de reinado de S. M. D. Juan Carlos I,
Madrid, Espasa Calpe, 2002.

262
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

des obstacles à la démocratisation du pays. Juan Carlos apportait un


démenti à l’histoire passée de la dynastie des Bourbons en inscrivant
celle-ci dans un système de monarchie parlementaire. Mais à ce pre-
PLHU YROHW LO HQ DMRXWDLW XQ DXWUH LO FRQMXUDLW OȇKLVWRLUH GH Oȇ(VSDJQH
avec laquelle se confond celle de sa famille et il en écrivait une autre
GRQWOHV(VSDJQROVSRXYDLHQW¬WUHȴHUV

UNE MONARCHIE DÉMOCRATIQUE


Il est temps de conclure car nous avons peut-être là la clef de la crise
qui affecta l’institution monarchique dans le courant des années 2000.
/ȇ(VSDJQH «WDLW GHYHQX XQ SD\V QRUPDO 'DQV OȇKLVWRULRJUDSKLH RQ
pouvait mesurer cela dans les ouvrages qui désormais insistaient sur la
non-exception espagnole30. Un vertige de succès s’empara de la société
HVSDJQROHLOGHYDLWFRQGXLUH¢GHVH[FªVGHWRXWHVRUWH4XDQGODFULVH
économique éclata et révéla brutalement les fragilités du modèle espa-
JQRO OȇHIIHW QH IXW SDV TXH PDW«ULHO ,O IXW DXVVL PRUDO &ȇHVW XQ GRXWH
TXL SURJUHVVLYHPHQW JDQJUHQD OD VRFL«W« /ȇHIIRQGUHPHQW GX PDUFK«
LPPRELOLHUOȇH[SORVLRQGXFK¶PDJHOHUHWRXUGHOȇ«PLJUDWLRQGHVMHXQHV
pour trouver un emploi : le pays douta de lui-même et du récit que l’on
avait donné de sa prospérité. Pire encore : l’ampleur de la corruption
des élites se révéla supérieure à ce que les Cassandre avaient pu déjà
G«QRQFHU/DU«Y«ODWLRQGHVDIIDLUHVWURXEOHVGXJHQGUHGH-XDQ&DUORV
,³DNL 8UGDQJDULQ PDUL GH OȇLQIDQWH &KULVWLQH DOODLW O«]DUGHU OȇLPDJH
jusque-là épargnée du roi et de sa famille. Urdangarin fut accusé de
G«WRXUQHPHQWGHIRQGVSXEOLFVHWVDIHPPHHVWGHIUDXGHȴVFDOH0DLV
LO\DSOXVOȇDFFLGHQWGXURLDX%RVWZDQDR»LO«WDLWSDUWLHQDYULO
SRXUXQVDIDULDOODLWPHWWUHVXUOHGHYDQWGHODVFªQHVDOLDLVLRQDYHFOD
SULQFHVVH&RULQQH]X6D\Q:LWWJHQVWHLQ(QȴQOHVSUREOªPHVGHVDQW«
GRQQDLHQWGH-XDQ&DUORVOȇLPDJHGȇXQKRPPHIDWLJX«HWXV«7UªVYLWH
OȇRSLQLRQGHYLQWGȇXQHH[WU¬PHV«Y«ULW«(QDYULOOȇXQGHVMRXUQD-
OLVWHVOHVSOXVHQYXH,³DNL*DELORQGRVLJQDLWVXUEl Pais. com un édito-
ULDOTXLVHFRQFOXDLWDLQVLm0DMHVW«GLYRUFH]RXDEGLTXH]}
Depuis Juan Carlos a abdiqué. La fragilisation de sa position dans
l’opinion publique était réelle. Elle posait un problème politique.
3RXUTXRL-XDQ&DUORVDWLOFHSHQGDQWF«G«DORUVTXȇHQORUVGHVHV
YĕX[DX[(VSDJQROVLODYDLWFODLUHPHQWIDLWVDYRLUTXHmOHVHUYLFHGH

šL’un des premiers titres à représenter ce courant est Juan Pablo FƺƸƯ, Jordi PƧƲƧƬƵƖ, España.
El desafio de la modernidad, Madrid, Espasa Calpe, 1998.

263
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

l’Espagne était sa passion et sa mission » ? La presse avait dès le len-


demain titré sur le rejet de l’hypothèse de l’abdication. Les pressions
politiques et familiales ont été nombreuses. La bonne image du prince
K«ULWLHU UHQGDLW IDFLOH OD VXFFHVVLRQ (QVXLWH OD PRUW HQ PDUV
d’Adolfo Suárez avait d’un coup ramené à la mémoire des citoyens cette
page glorieuse du début du règne. Juan Carlos intervint à la télévision
pour rendre hommage à son ancien Premier ministre31. Ce message est
un premier testament politique. Il y revendique « un des épisodes les
plus brillants de l’histoire de l’Espagne contemporaine : la Transition
TXL SRUW«H SDU OH SHXSOH HVSDJQRO IXW LPSXOV«H SDU $GROIR HW >OXL@}
)RUWGHFHUHJDLQGHSRSXODULW«TXLHVWGȇDERUGOHIUXLWGȇXQHQRVWDOJLH
-XDQ &DUORV D DFFHSW« GH VH VDFULȴHU SRXU VDXYHU OȇLQVWLWXWLRQ PRQDU-
FKLTXH2QSHXW¬WUHV½UTXHGDQVFHFKRL[DSHV«OȇH[HPSOHGHVRQSªUH
GRQ-XDQFRPWHGH%DUFHORQH-XDQ&DUORVORUVGȇXQHQWUHWLHQW«O«YLV«
U«DOLV« ¢ OȇRFFDVLRQ GH VHV VRL[DQWHTXLQ]H DQV HQ MDQYLHU  DYDLW
rappelé que son père fut son mentor politique et que c’est de lui qu’il
avait appris que la monarchie était au service des Espagnols.
La relève désormais est assurée d’une main ferme et rigoureuse.
Cette étape est essentielle dans la consolidation du modèle de la
monarchie parlementaire et rappelle que la couronne est réglée par
la Constitution. Mais si ce pacte de la Couronne avec la démocratie est
YLYDQW HW VROLGH OȇKLVWRLUH UDSSHOOH TXH OD IUDJLOLW« GȇXQH PRQDUFKLH
WLHQWPRLQV¢VHVSULQFLSHVTXȇ¢VHVLQFDUQDWLRQV&ȇHVWWRXWOHG«ȴTXL
HVW SRV« ¢ 3KLOLSSH9, TXH GH FRQWLQXHU ¢ E«Q«ȴFLHU GX VRXWLHQ GH
l’opinion alors même qu’il est exonéré de toute compétition électorale.
/ȇRSLQLRQSXEOLTXHMRXHGDQVODFRQȴUPDWLRQGHODPRQDUFKLHXQU¶OH
plus éminent qu’on ne l’a cru. La monarchie espagnole est bien démo-
FUDWLTXHFȇHVWSDUGHO¢VDVRXPLVVLRQ¢OȇHVSULWSXEOLFVDIRUFH

šLe roi n’intervient que pour son message de Noël le 24 décembre à 21 heures Par quatre
HQKUKNGUVKPVGTXGPWGZEGRVKQPPGNNGOGPVšFCPUNCPWKVFWCWHȌXTKGTRQWTGORȍEJGT
le coup d’État, le 11 mars 2004 au soir des attentats de Madrid qui avaient coûté la vie à
192 personnes, le 23 mars 2014 à l’annonce de la mort d’Adolfo SWȄTG\ NG LWKP  RQWT
expliquer son abdication.

264
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

10
La crise de la représentation
et l’ascension de Podemos :
L’émancipation citoyenne « au
cœur » de l’échiquier politique ?
Mathieu PETITHOMME

« Les démocraties contemporaines sont issues d’une


forme de gouvernement que ses fondateurs opposaient
à la démocratie ».
(Bernard Manin)

'DQV VRQ RXYUDJH FODVVLTXH %HUQDUG 0DQLQ UDSSHOOH TXH OȇXVDJH


QRPPHmG«PRFUDWLHVUHSU«VHQWDWLYHV}SDURSSRVLWLRQ¢ODG«PRFUDWLH
GLUHFWH OHV U«JLPHV G«PRFUDWLTXHV DFWXHOV TXL WURXYHQW OHXUV RULJLQHV
GDQV OHV WURLV U«YROXWLRQV PRGHUQHV DQJODLVH DP«ULFDLQH HW IUDQ©DLVH 
DORUV P¬PH TXH mFHV LQVWLWXWLRQV QȇRQW QXOOHPHQW «W« SHU©XHV ¢ OHXUV
G«EXWV FRPPH XQH YDUL«W« GH OD G«PRFUDWLH RX XQH IRUPH GH JRXYHU-
nement par le peuple1 ». De nombreuses démocraties font aujourd’hui
IDFH¢XQHmFULVHGHODUHSU«VHQWDWLRQ}GDQVOHVHQVR»OHVJRXYHUQDQWV
¢ OȇKHXUH GH OD PRQGLDOLVDWLRQ HW GH OD FRQGLWLRQQDOLW« HXURS«HQQH
WLHQQHQWUDUHPHQWOHXUVSURPHVVHV«OHFWRUDOHVYRLUHP¬PHJRXYHUQHQW
en reniant complètement leurs engagements. Les citoyens ordinaires s’en
trouvent d’autant plus frustrés qu’ils ont le sentiment que le principe de
Oȇ«OHFWLRQIRQGHPHQWP¬PHGHODG«PRFUDWLHGHYLHQWDORUVYLGHGHVHQV
/ȇ(VSDJQHQHIDLWSDVH[FHSWLRQ¢FHWWHWHQGDQFH(OOHDYX«PHUJHUHQ
U«SRQVHXQPRXYHPHQWFLWR\HQIRQG«HQMDQYLHUPodemos (« Nous
SRXYRQV} TXLDIDLWXQHHQWU«HIUDFDVVDQWHVXUODVFªQHSROLWLTXHORUV
des élections européennes du 25 mai 2014.
(Q DWWLUDQW OHV YRL[ GH SOXV GH PLOOLRQ Gȇ«OHFWHXUV LO D REWHQX
GHVVXIIUDJHVH[SULP«VHWHQYR\«FLQTHXURG«SXW«VDXSDUOHPHQW
GH6WUDVERXUJ'HSXLVORUVOȇmHIIHW}Podemos recompose jour après jour

šBernard MƧƴƯƴ, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Flammarion, [1995] 2012, p. 6.

265
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

le débat politique espagnol et fait pressentir des mutations plus pro-


fondes qui pourraient avoir lieu lors des prochaines élections législatives
GHG«FHPEUHVXUIRQGGȇXQHFULVH«FRQRPLTXHJUDYHHWGXUDEOH OH
WDX[GHFK¶PDJHHVWWRXMRXUVGHHQDYULOHWWRXFKHPLO-
OLRQV GH SHUVRQQHV  GH VFDQGDOHV U«FXUUHQWV GH FRUUXSWLRQ DIIDLUH
%£UFHQDV FDV *¾UWHO SRXU OH 33 VFDQGDOH GHV (5( SRXU OH 362(HWF  HW
du discrédit de la classe politique. Les sondages d’opinion ne cessent
de montrer que « la mayonnaise semble prendre » suivant l’expression
Gȇ,³LJR(UUHMµQVHFU«WDLUHSROLWLTXHGXPRXYHPHQWOHVLWXDQWDXPRLQV
HQWURLVLªPHSRVLWLRQ(QDR½WEl Mundo plaçait Podemos¢
GHVLQWHQWLRQVGHYRWHVXUOHVWDORQVGX362(SURQRVWLTX«¢GHV
suffrages2. Le sondage le plus pessimiste pour la nouvelle force poli-
WLTXHFHOXLGXMRXUQDOWUªVFRQVHUYDWHXU La RazónOHSOD©DLW¢HQ
VHSWHPEUHVRLWOHGRXEOHGHVRQU«VXOWDWGHVHXURS«HQQHVGHUULªUH
OH 362(   HW OH 33 HQ W¬WH  3 0DLV HQ QRYHPEUH OH
SOXVRSWLPLVWHOHSOD©DLWG«VRUPDLVHQSUHPLªUHSRVLWLRQDYHFGHV
LQWHQWLRQVGHYRWHFRQWUHSRXUOH362(HWSRXUOH334.
Même s’il faut prendre ces enquêtes avec précaution en raison de
« l’abstention différentielle » des électeurs du PP et des appels certains
du PSOE au « vote utile » qui pourront remobiliser leurs sympathisants
OH PRPHQW YHQX OD SHUF«H GH Podemos dans l’opinion n’en est pas
moins spectaculaire5 $LQVL  GHV (VSDJQROV SRXU TXL OH FK¶PDJH
la corruption et la situation économique constituent les trois enjeux
SULQFLSDX[ FRQVLGªUHQW mOHV SURSRVLWLRQV GH 3DEOR ,JOHVLDV FRPPH
positives6 ». Sa montée en puissance s’effectue d’abord au détriment
d’Izquierda Unida m*DXFKH XQLH} ,8  OD FRDOLWLRQ GRPLQ«H SDU OH
3DUWL FRPPXQLVWH Gȇ(VSDJQH UHSU«VHQWDQW WUDGLWLRQQHO GH OD JDXFKH
DOWHUQDWLYH TXL DSUªV DYRLU SURJUHVV« GHSXLV  HQ VH IDLVDQW OH
SRUWHSDUROHGHOȇRSSRVLWLRQ¢OȇDXVW«ULW«HWREWHQXGHVYRL[HWVL[
HXURG«SXW«VHQPDLQȇDWWLUHSOXVTXHGHVLQWHQWLRQVGHYRWH

šSondage El MundoSigma Dos, 31 août 2014.


šSondage La RazónNC Report, 1er septembre 2014.
šSondage El PaísMetroscopia, 2 novembre 2014.
šL’« abstention différentielle » est un phénomène bien connu en sociologie électorale, qui
KORNKSWGSWGNQTUFGUȌNGEVKQPUkKPVGTOȌFKCKTGUz TȌIKQPCNGUOWPKEKRCNGUGWTQRȌGPPGUGVE 
GPVTGFGWZȌNGEVKQPUOCLGWTGU RTȌUKFGPVKGNNGUGVNȌIKUNCVKXGU NGUȌNGEVGWTUFWRCTVKCWRQWXQKT
ont tendance à plus s’abstenir que ceux de l’opposition, qui profitent de ces scrutins pour mar
quer leur défiance à l’égard du gouvernement. Cf. Raul MƧƭƴƯBƫƷƹƵƴ, « Pourquoi les partis
IQWXGTPGOGPVCWZRGTFGPVKNUFCPUNGUȌNGEVKQPUKPVGTOȌFKCKTGUš!Enquête Eurobaromètre 2004
et élections européennes », Revue française de science politiqueXQNPoR
šBarómetro La Sexta, 7 décembre 2014.

266
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

Mais Podemos cherche surtout à disputer le statut de principal parti de


l’opposition au PSOE : 49 % des sympathisants socialistes considèrent
d’ailleurs que Podemos SHXW GRPLQHU OD JDXFKH 'DQV XQ FRQWH[WH R»
GHV(VSDJQROVSHQVHQWTXHOHSD\VQȇHVWSDVVRUWLGHODFULVHHWR»
70 % évaluent négativement l’action du gouvernement conservateur
GH 0DULDQR 5DMR\ OH PRXYHPHQW VȇHVW FRQVWLWX« HQ SDUWL SROLWLTXH
ORUV GH VRQ mDVVHPEO«H FLWR\HQQH} GH 0DGULG HQ RFWREUH HW
cherche désormais à occuper « la centralité de l’échiquier politique » en
« replaçant l’émancipation citoyenne au cœur du débat » suivant Pablo
,JOHVLDVVRQGLULJHDQWHWKDELOHFRPPXQLFDQW7.
/RUV GHV «OHFWLRQV U«JLRQDOHV GH PDUV HQ $QGDORXVLH Podemos
D REWHQX  YRL[ VRLW  GHV VXIIUDJHV H[SULP«V OXL SHUPHW-
tant d’envoyer quinze députés au parlement régional. Le parti a donc
FRQȴUP«VRQVWDWXWGHWURLVLªPHIRUFHSROLWLTXHGHYHQDQWXQmRXWVLGHU}
potentiellement déterminant dans la formation d’une majorité. Mais son
U«VXOWDWIXWDXVVLSOXVIDLEOHTXȇHVS«U«SDUVDGLUHFWLRQQDWLRQDOHIDFHDX
PDLQWLHQGX362( PLOOLRQGHYRL[HWVLªJHV GDQVOȇXQGHV
« bastions » historiques du socialisme espagnol. Pour Podemos FH VFUX-
tin illustra toutefois la transformation de l’essai des européennes et la
S«Q«WUDWLRQGXSDUWLGDQVOHVLQVWLWXWLRQV,OFRQȴUPDDXVVLXQH«YROXWLRQ
locale qui pourrait être prémonitoire de mutations futures plus larges au
QLYHDX QDWLRQDO ¢ WUDYHUV OD IUDJPHQWDWLRQ FURLVVDQWH GX SD\VDJH «OHF-
WRUDOGHP¬PHTXHOHG«FOLQGHVGHX[SDUWLVGRPLQDQWVWUDGLWLRQQHOV8.
En alliant des critiques radicales à l’égard du « système » et de « la
FDVWH3362(}WRXWHQDGRSWDQWXQmSURJUDPPH«FRQRPLTXHSRXUOHV
gens » teinté de références sociales-démocrates et en se disant disposé à
GHVDOOLDQFHVPodemos cherche à incarner le changement et une alter-
native de gouvernement en jouant le même rôle que le PSOE durant
la transition démocratique9 4XHOV VRQW OHV UHVVRUWV GH FHWWH QRXYHOOH
mobilisation politique ? En s’appuyant sur une enquête de terrain
PHQ«H DX VHLQ GH GHX[ mFHUFOHV} GX SDUWL HQ I«YULHU DX FĕXU
historique de Podemos dans son local du quartier populaire de Lavapiés

šPablo Manuel Iglesias Turrión est né le 17 octobre 1978 dans le quartier populaire de
Vallecas à Madrid. AWVGWTGPFŨWPGVJȋUGUWTNŨCEVKQPEQNNGEVKXGRQUVPCVKQPCNGKNGUVFGXG
nu la même année maître de conférences en sciences politiques à l’université Complutense.
šEn effet, le PSOE  GVNGPP  CVVKTGPVFGOQKPUGPOQKPUFŨȌNGEVGWTUÀ l’inverse, les
partis de la « nouvelle politique », Podemos, mais aussi le parti Citoyens représenté en Andalousie
par Juan Marin LQ\CPQSWKQDVKPVšXQKZFGUUWHHTCIGUGZRTKOȌUGVUKȋIGUHKTGPVNGWT
GPVTȌGUWTNCUEȋPGRQNKVKSWGNQECNG FGXCPVIUCA, qui obtint 6,89 % des voix et seulement 5 sièges).
šJacobo RƯƻƫƷƵ, Conversación con Pablo Iglesias. Podemos, de la calle a Bruselas G GF 
Madrid, Ediciones Turpial, 2014, p. 12.

267
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

HW GDQV OH FHUFOH GX TXDUWLHU SOXV KXSS« GH 6DODPDQFD ¢ 0DGULG FH
chapitre explique les raisons de l’ascension fulgurante du nouveau
parti. Il revient d’abord sur le contexte de crise de la représentation en
Espagne et sur la structure d’opportunité politique favorable à l’émer-
gence d’une formation qui entend fournir un débouché politique aux
mouvements sociaux des indignés. La seconde partie étudie la structu-
ration organisationnelle de Podemos¢SDUWLUGHVPLOLWDQWVKLVWRULTXHV
de Lavapiés et d’Izquierda Anticapitalista m*DXFKH DQWLFDSLWDOLVWH}
,$  HQ VȇDSSX\DQW VXU XQH I«G«UDWLRQ GȇDVVHPEO«HV HW GH FROOHFWLIV
autonomes et en utilisant largement les nouvelles technologies et les
U«VHDX[ VRFLDX[ /D WURLVLªPH SDUWLH UHYLHQW HQȴQ VXU OH OHDGHUVKLS
le discours politique et la stratégie de compétition de Podemos DYDQW
Gȇ«YRTXHUSRXUFRQFOXUHOHVHIIHWVTXHVRQ«FORVLRQSRXUUDLWSRWHQWLHO-
lement engendrer sur le système partisan espagnol.

AUSTÉRITÉ ET CORRUPTION : TOILES DE FOND


DE LA CRISE DE LA REPRÉSENTATION POLITIQUE

Le discrédit du « système PPSOE »


La crise de la représentation entraîne une rupture politique et éco-
nomique profonde des élites des partis dominants avec les aspirations
citoyennes : responsables de la spéculation bancaire et immobilière des
DQQ«HV GX mERRP}   GRW«V GȇDSSDUHLOV FRUURPSXV HW D\DQW
WRXU ¢ WRXU VRXWHQX OHV SROLWLTXHV GȇDXVW«ULW« OH 362( GH  ¢ 
SXLVOH33GHSXLVORUVIHUDLHQWSDUWLHGXSUREOªPHHWQRQGHODVROXWLRQ
Il est vrai que l’exaspération des jeunes et des classes populaires est à son
FRPEOHIDFH¢ODSHUVLVWDQFHGȇXQFK¶PDJHGHPDVVH¢ODVXFFHVVLRQGHV
H[SXOVLRQVORFDWLYHV¢OȇDSSDXYULVVHPHQWGHODUJHVVHFWHXUVGHODVRFL«W«
et à la hausse des inégalités qui fait désormais de l’Espagne le pays le
SOXVLQ«JDOLWDLUHGȇ(XURSHGHYDQWOD*UªFH)DFH¢FHWWHG«JUDGDWLRQGHOD
VLWXDWLRQVRFLDOHSHU©XHSDUWRXVSXLVTXȇXQHIDPLOOHVXUGHX[D«W«WRX-
FK«HSDUOHFK¶PDJHGHSXLVHWTXHPLOOLRQGHIDPLOOHVVXUYLYHQW
DYHFOȇHQVHPEOHGHOHXUVPHPEUHVVDQVHPSORLOHJRXYHUQHPHQWHWOH33
VHU«MRXLVVHQWGXmUHWRXUGHODFURLVVDQFH}HWGHODmVRUWLHGHFULVH}HQ
déphasage complet avec le ressenti des citoyens ordinaires10.

šFondation FƵƫƸƸƧ NKȌG ȃ NŨCUUQEKCVKQP EJTȌVKGPPG Caritas), VII Informe sobre exclusión y
desarrollo social en España, Madrid, 2014, p. 2. Sur l’optimisme macroéconomique du gouver
nement, cf. Soraya SʛƫƴƿƪƫSƧƴƹƧƳƧƷʨƧkLa recuperación empieza a llegar a las familias »,
ABC, 11 décembre 2014.

268
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

‹FODERXVV«VSDUOHVVFDQGDOHVGHIDXVVHVIDFWXUHVGHG«SHQVHVH[FHV-
VLYHV GHV G«SXW«V GH G«WRXUQHPHQW GH IRQGV Gȇ«YDVLRQ ȴVFDOH HW GH
marchés publics surfacturés par des élites locales à des grandes entre-
SULVHVGXE¤WLPHQWTXLVRQWU«Y«O«VTXRWLGLHQQHPHQWSDUODSUHVVHOHV
membres des deux grands partis sont plus que jamais perçus comme une
ROLJDUFKLH XQ mFDUWHO} GH SHUVRQQDOLW«V TXL SDUWDJHQW OHV P¬PHV LQW«-
rêts au maintien du système politique actuel et de ce qu’un nombre crois-
sant de citoyens perçoit comme des « privilèges » indus11. Les Espagnols
VRQWIUXVWU«VGHOȇDOWHUQDQFHȴJ«HDXSRXYRLUMXJ«HLQHɚFDFHHQWUHOH33
HWOH362(&HWWHVWUXFWXUHGȇRSSRUWXQLW«SROLWLTXHODEHOOLV«HSDUPodemos
FRPPHOHm3362(} TXLUDSSHOOHOHm8036}GX)1HQ)UDQFH FDUDFW«-
ULV«HSDUOHGLVFU«GLWGHVGHX[JUDQGVSDUWLVWUDGLWLRQQHOVGXELSDUWLVPH
HWGXmV\VWªPH}TXȇLOVRQWPLVHQSODFHORUVGHODWUDQVLWLRQQRWDPPHQW
OH V\VWªPH «OHFWRUDO OD G«VLJQDWLRQ GHV FDQGLGDWV SDU OLVWHV IHUP«HV HW
la politisation de la justice et des grandes entreprises au sein desquelles
Oȇ‹WDW SRVVªGH GHV SDUWV HQWUH HQ U«VRQDQFH DYHF OHV DVSLUDWLRQV GHV
citoyens au changement.
,PSU«JQ« GH OȇLQW«U¬W FRPPXQ GHV GHX[ JURXSHV GRPLQDQWV OHV
élites de « l’ancien régime » franquiste qui se recyclèrent dans les rangs
de l’Union du centre démocratique (UCD) d’Adolfo Suarez puis du Parti
SRSXODLUH ¢ SDUWLU GH  HW OHV mQRXYHDX[ G«PRFUDWHV} LQFDUQ«V
SDU OH 362( GH )HOLSH *RQ]£OH] HW Gȇ$OIRQVR *XHUUD OH mSDFWH GH OD
transition » explique le choix en 1978 d’instaurer un système électo-
ral proportionnel en théorie mais majoritaire dans les faits et surtout
WUªV LQ«JDOLWDLUH TXL IDYRULVH VWUXFWXUHOOHPHQW OHV JUDQGV SDUWLV DX
détriment des plus petites formations12. Face à ce qui est perçu comme
XQ IUHLQ DX FKDQJHPHQW GH QRPEUHX[ LQWHOOHFWXHOV HW PHPEUHV GH OD

šSur la théorie de la cartelisation et ses critiques, cf. Peter MƧƯƷ, « Changing models of party
QTICPK\CVKQP CPF RCTV[ FGOQETCE[š VJG GOGTIGPEG QH VJG ECTVGN RCTV[z Party Politics, vol. 1,
PoRšYohann AƺƩƧƴƹƫ et Alexandre Dʤƿƫ FKT Les systèmes de partis dans les
démocraties occidentales. Le modèle du parti cartel en question, Paris, Presses de Sciences Po,
2008.
šPour l’élection des 350 membres du Congrès des députés tous les quatre ans, chacune des
EKTEQPUETKRVKQPU NGURTQXKPEGURNWUNGUkXKNNGUCWVQPQOGUzFGCeuta et Melilla) se voit
attribuer un nombre de sièges proportionnel à leur population, avec un minimum de deux. La
RNWRCTVFGUEKTEQPUETKRVKQPUTWTCNGUGVRGWRGWRNȌGUPŨGPCRRQTVGPVSWŨWPPQODTGVTȋUNKOKVȌš
le pourcentage de voix nécessaires pour obtenir un siège est si élevé que les petits partis ne
peuvent espérer être représentés que dans les grandes circonscriptions. En 2008, par exemple,
le Parti socialiste a obtenu 169 sièges avec 11 millions de voix, alors qu’IU n’a obtenu que deux
sièges avec un million de voix. Pour le Parti socialiste, chaque siège au Congrès correspondait
ȃšXQKZCNQTUSWŨKNGPHCNNCKVšRQWTSWŨIU obtienne un même siège. Sur le pacte de
la transition, cf. Álvaro SƵƹƵ, Transición y cambio en España 1975-1996, Madrid, Alianza Editorial,
R

269
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

société civile demandent désormais une « seconde transition » à travers


XQHU«IRUPHGHODFRQVWLWXWLRQHWGHODORL«OHFWRUDOHGHTXHQLOH
PP ni le PSOE ne sont prêts à soutenir puisque cela remettrait en cause
leur hégémonie13. Le « système » semble d’autant plus bloqué qu’une
réforme requiert une majorité des trois cinquièmes tant au Congrès des
G«SXW«VTXȇDX6«QDWGLVSRVLWLRQTXLUHQGTXDVLPHQWLPSUHVFULSWLEOHXQ
accord entre le PP et le PSOE14.
Mais les citoyens ne sont pas dupes. Ils savent aussi que l’indépen-
dance assez partielle de la justice explique que peu de responsables
politiques soient condamnés malgré le nombre très élevé de mises en
examen : ce sont en effet les partis dominants qui nomment les vingt et
XQPHPEUHVGX&RQVHLOJ«Q«UDOGXSRXYRLUMXGLFLDLUH &*3- HWFHX[GX
7ULEXQDOFRQVWLWXWLRQQHOFHTXLH[SOLTXHOHVLQWHUI«UHQFHVFRQVWDQWHVGH
la classe politique dans les affaires judiciaires. Les mairies et les exécu-
tifs des communautés autonomes peuvent aussi nommer un tiers (2 087
sur 6 000) des conseillers généraux des quarante-sept caisses d’épargne
QDWLRQDOHV FH TXL IDYRULVH OHV «FKDQJHV GH IDYHXU HW OȇHQULFKLVVHPHQW
LOOLFLWH GHV GLULJHDQWV DORUV P¬PH TXH GH QRPEUHXVHV HQWLW«V ȴQDQ-
cières expulsent des particuliers de leur logement en se fondant sur
une loi hypothécaire très défavorable aux acheteurs. Mais des partis en
situation dominante cherchent rarement à transformer un système qui
leur a permis de maintenir leur hégémonie.
%LHQ ORLQ GX mSRSXOLVPH} GH OD mG«PDJRJLH} RX GȇXQH SRVWXUH
mGȇH[WU¬PH JDXFKH} DXWDQW GH FDW«JRULHV DX[TXHOOHV VHV DGYHUVDLUHV
YHXOHQW U«GXLUH OH PRXYHPHQW FȇHVW OȇRIIUH SROLWLTXH UHQRXYHO«H GH
Podemos qui séduit les électeurs. Le parti se dirige très clairement aux
FLWR\HQVGȇHQEDVDX[YLFWLPHVGHODFULVHHWGHOȇLQMXVWLFHVRFLDOHHQDFWL-
vant le clivage contre les responsables de la crise politico-économique
GXSD\VOH33OH362(OHVEDQTXHVHWOHVSXLVVDQWVTXLVHVRQWHQULFKLV
depuis 2008 sans répondre au désarroi de la jeunesse et des classes
PR\HQQHV HW SRSXODLUHV 'HSXLV WUHQWH DQV OH 362( VȇHVW DSSX\« VXU
un système politique favorisant structurellement le bipartisme : s’étant
HPERXUJHRLV«LOVȇHVWFRXS«GHVFODVVHVSRSXODLUHVVȇHVWFRQYHUWLHQXQ
parti « électoral professionnel » sachant mieux faire campagne et user
de la communication politique que gouverner pour les générations

šSur le débat sur la « seconde transition », cf. notamment Sebastian BƧƲƬƵƺƷ et Alejandro
QƺƯƷƵƭƧ, España reinventada. Nación e identidad desde la Transición, Madrid, Peninsula, 2007,
R
šFrédéric VƫƷƨƫƱƫ, « En Espagne, le bipartisme rend les élections moins démocratiques »,
EiTB, 11 septembre 2011.

270
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

IXWXUHVWRXWHQGHYHQDQWWUªVmOLE«UDO}VXUOHSODQ«FRQRPLTXHHWHQ
perdant de vue tout objectif d’émancipation sociale15.
La formule de base qui permet à Podemos de percer dans l’opinion
est en fait assez simple mais très puissante. Elle se fonde sur une repo-
litisation des thèmes traditionnels de la gauche délaissés par le PSOE :
GHPDQGH Gȇ«JDOLW« KRPPHVIHPPHV G«QRQFLDWLRQ GHV VDODLUHV LQG«-
FHQWVGHV«OLWHVSROLWLTXHVHWȴQDQFLªUHVGHODKDXVVHGHVLQ«JDOLW«VGX
VFDQGDOH GHV H[SXOVLRQV GX FR½W FURLVVDQW GHV «WXGHV QH SHUPHWWDQW
SDV DX[ FODVVHV SRSXODLUHV GȇDFF«GHU ¢ OȇXQLYHUVLW« GH OD SULYDWLVDWLRQ
GHV K¶SLWDX[HWF /ȇDXVW«ULW« OD FRUUXSWLRQ SROLWLTXH OD KDXVVH GHV
inégalités et surtout l’incapacité des élites politiques traditionnelles à
formuler un discours crédible proposant des solutions alternatives à
FHVSUREOªPHVTXLWRXFKHQWOȇHQVHPEOHGHODVRFL«W«H[SOLTXHQWODIRUWH
réceptivité des citoyens à l’égard du discours de PodemosTXLLQFDUQH
une nouvelle offre politique et une organisation ex novoFU««HGHWRXWHV
SLªFHVHWVDQVOLHQVV\PEROLTXHVDYHFOHSDVV«OHVYLHLOOHVLG«RORJLHVHW
les anciens appareils partisans.

Transformer l’indignation citoyenne


en une nouvelle alternative politique
Podemos D«W«RɚFLHOOHPHQWFU««OHMDQYLHUSRXUGRQQHUXQ
débouché politique aux revendications des « indignés » qui ont occupé
OD 3XHUWD GHO 6RO ¢ 0DGULG OH PDL  3DEOR ,JOHVLDV -XDQ &DUORV
Monedero et les autres fondateurs du mouvement issus du département
GH VFLHQFHV SROLWLTXHV GH OȇXQLYHUVLW« &RPSOXWHQVH FRQ©RLYHQW OHXU
doctrine politique comme une réponse à l’indignation populaire et au
slogan « Ils ne nous représentent pas16}'DQVXQHWULEXQHSXEOL«HSDU
El País-XDQ&DUORV0RQHGHURHW-HV¼V0RQWHURPHPEUHGXJURXSHGH
WUDYDLO FKDUJ« GH OȇRUJDQLVDWLRQ «WDEOLVVHQW DYHF LURQLH OH FRQVWDW TXL
MXVWLȴHVHORQHX[ODFU«DWLRQGHPodemos :
L’Espagne ressemble aujourd’hui à un reality show R» OHV SDUWLFLSDQWV
ont laissé leur carte de citoyens à l’entrée de l’enceinte. Un million de
MHXQHVRQWFKRLVLOȇ«PLJUDWLRQSUHVTXHH[SXOVLRQVTXRWLGLHQQHVSUªV
GHPLOOLRQVGHFK¶PHXUVXQ(VSDJQROVXUTXDWUHHQULVTXHGȇH[FOXVLRQ
VRFLDOHGHVFRXSHVEXGJ«WDLUHVGDQVOHVVHFWHXUVGHODVDQW«HWGHOȇ«GXFD-
WLRQODIHUPHWXUHGHOȇXQLYHUVLW«DX[VHFWHXUVDSSDXYULVGHODVRFL«W«HW

šSur la notion de « parti électoral professionnel », cf. Angelo PƧƴƫƨƯƧƴƩƵ Political parties.
Organization and Power, Cambridge, Cambridge University Press, 1988.
šPablo IƭƲƫƸƯƧƸTƺƷƷƯʭƴ et Juan Carlos MƵƴƫƪƫƷƵ, ¡Que no nos representan ! : El debate
sobre el sistema electoral español, Madrid, Editorial Popular, 2011.

271
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

le président du patronat madrilène qui utilise sa “carte B” de Caja Madrid


pour multiplier illégalement ses notes de frais payées par le contri-
EXDEOHWRXWHQGXUFLVVDQWODORLVXUOHVPDQLIHVWDWLRQVHWHQDXJPHQWDQW
les frais de santé à la charge des patients. […] Le vote pour Podemos est
OHU«VXOWDWGHOȇLQGLJQDWLRQVRFLDOHGHVSODFHVGHVUHYHQGLFDWLRQVGHVPD-
U«HVHWGHVPDUFKHVFRQWUHȊOȇ‹WDWU«HOGHODQDWLRQȋPDLVDXVVLGXG«VLU
GHFKDQJHPHQWDȴQGHU«FXS«UHUODG«PRFUDWLHHVSDJQROHG«PRUDOLV«H
HWGLVFU«GLW«H,OIDXWUHFRQVWUXLUHOȇHVSRLUSHUGXHQODSROLWLTXHTXLD«W«
trop longtemps abandonné et déléguée aux élites. À travers un processus
SRSXODLUHSDUWLFLSDWLIPodemosYLVH¢PRUDOLVHUODYLHSXEOLTXHG«PR-
cratiser le pouvoir et retrouver le bonheur17.

0LJXHO8UE£QDQFLHQQHW¬WHGHOLVWHGȇIzquierda Anticapitalista lors des


«OHFWLRQVGHUHFRQQD°WOXLP¬PHTXȇLOIDOODLWmURPSUHDYHFOHVSDUWLV
SROLWLTXHVWUDGLWLRQQHOVHWLQFDUQHUXQGLVFRXUVQRQSDVLG«RORJLVDQWPDLV
FRQFUHWTXLSDUOHDX[JHQV18 ». Podemos se fonde ainsi sur cette volonté
de proposer un débouché politique aux revendications sociales exprimées
SDUOHVLQGLJQ«V/HQRPGXSDUWLPodemos m1RXVSRXYRQV} SURSRV«
par Miguel Urbán lors du retour d’un diner en voiture dans la banlieue de
5LYDVDYHF3DEOR,JOHVLDVHWOȇ«FULYDLQ-RUJH0RUXQRHQWHQGGȇDLOOHXUVDOOHU
au-delà du slogan « Sí se puede » (« Si c’est possible ») des manifestations
des indignés. Ces origines « mouvementistes » de PodemosDQFU«GDQVOHV
OXWWHVVRFLDOHVGHVGHUQLªUHVDQQ«HVVRQWELHQ«YRTX«HVSDU3DEOR2UWHJD
«WXGLDQWHQFRPPXQLFDWLRQGHYLQJWTXDWUHDQVDFWLYLVWHGHJuventud Sin
Futuro et désormais militant de Podemos :
PodemosHVWQ«GHODFRQVFLHQFHGHODȴQGȇXQF\FOHDXVHLQGXPRXYH-
ment des indignés. Même si nous étions et nous restons profondément
G«ȴDQWV ¢ Oȇ«JDUG GHV SDUWLV OH PRXYHPHQW D FRQQX XQ UHȵX[ GHSXLV
un an. Nous avons touché un “plafond de verre”. Les assemblées ont
débouché sur de nombreuses initiatives locales dans les quartiers : des
DVVRFLDWLRQVFXOWXUHOOHVDUWLVWLTXHVGHVFROOHFWLIVGHG«IHQVHGHVVDQVSD-
SLHUVGHVJURXSHVTXLVHVRQWRUJDQLV«VFRQWUHOȇDXVW«ULW«RXODORLFRQWUH
OHGURLWGHPDQLIHVWHU0DLVDXQLYHDXQDWLRQDOULHQQȇDFKDQJ«/H33HVW
toujours au pouvoir et la classe politique est toujours corrompue. C’est ce
FRQVWDWTXLH[SOLTXHTXHPDOJU«OHXURSSRVLWLRQDX[SDUWLVOHVLQGLJQ«V
ont massivement investi Podemos qui propose un discours de change-
ment social et redonne du sens à l’action politique19.

šJuan Carlos MƵƴƫƪƫƷƵ et Jesús MƵƴƹƫƷƵ, « Claro que Podemos », tribune dans le quoti
dien El País, 17 octobre 2014.
šMiguel UƷƨʜƴ, cité dans Patricia OƷƹƫƭƧDƵƲƿ, « Las cuatro esquinas de Podemos », El País,
12 novembre 2014, p. 27.
šEntretien avec Pablo Ortega, Lavapiés, 27 février 2015.

272
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

Cette volonté d’entrer dans l’arène politique pour répondre aux


luttes sociales qui se sont succédé depuis 2008 est évoquée par Juan
Carlos Monedero : « Nous avons formé Podemos pour que dans quelques
DQQ«HV VL TXHOTXȇXQ QRXV GHPDQGH Ȋ(W WRL TXȇHVWFH TXH WX DV IDLW"ȋ
nous puissions lui répondre : « Nous avons fait revenir la politique aux
JHQV HW QRXV DYRQV UHQGX SRVVLEOH OȇHVSRLU HQ SROLWLTXH20. » Il s’agirait
VHORQ 3DEOR ,JOHVLDV GH mWUDQVIRUPHU OD PDMRULW« VRFLDOH HQ XQH QRX-
YHOOHPDMRULW«SROLWLTXH}'«SDVVHUOȇDSDWKLHODU«VLJQDWLRQSDVVLYHGHV
citoyens en incitant à l’engagement par une « pédagogie participative »
est l’un des objectifs de Podemos.
Le parti contribue à la repolitisation de secteurs de la société qui
Vȇ«WDLHQWODUJHPHQW«ORLJQ«VGHODSROLWLTXHQRWDPPHQWOHVMHXQHVOHV
précaires et les abstentionnistes. « Nous naviguons et nous construi-
VRQVOHSDUWLHQP¬PHWHPSV}G«FODUH/XLV3RUWHODXQDYRFDWORUVGH
OȇDVVHPEO«HGXMHXGLGXTXDUWLHUKXSS«GH6DODPDQFDTXLU«XQLVVDLWFH
jour-là une cinquantaine de personnes21. En discutant avec les membres
GHOȇDVVHPEO«HMHPHVXLVUHQGXFRPSWHTXHVHXOVTXHOTXHVXQV«WDLHQW
directement issus du mouvement des indignés. La plupart avaient été
GHV mLQGLJQ«V SDU W«O«YLVLRQ LQWHUSRV«H} FRPPH PH GLW &ODUD XQH
LQȴUPLªUH GH TXDUDQWH DQV GH OȇK¶SLWDO /D3D]22. Lors de rencontres
KHEGRPDGDLUHV DX VHLQ GH ORFDX[ SU¬W«V RX ORX«V VH IRUPHQW GHV
JURXSHV GH WUDYDLO HW GHV FRPPLVVLRQV mPXQLFLSDOH} mH[WHQVLRQ}
mȴQDQFH}HWF IRUP«HVSDUGHVFLWR\HQVLVVXVGHSURIHVVLRQVGLYHUVHV
HWGȇ¤JHVWUªVGLVSDUDWHVDOODQWGHGL[QHXI¢VRL[DQWHFLQTDQVHQFHTXL
concerne mon enquête. J’ai rencontré des personnes issues des milieux
DLV«V HW GHV FODVVHV PR\HQQHV SURIHVVHXUV GȇXQLYHUVLW« MRXUQDOLVWHV
DYRFDWV PDLV DXVVL GHV HPSOR\«V GH EDQTXH HW GH OD FRPPXQDXW« GH
0DGULG XQ LQVWLWXWHXU HW TXHOTXHV FRPPHU©DQWV  GDQV OH TXDUWLHU
GH 6DODPDQFD HW GHV FLWR\HQV SOXV PDMRULWDLUHPHQW LVVXV GHV FODVVHV
moyennes et populaires dans le quartier de Lavapiés (travailleurs
VRFLDX[DUWLVWHV«WXGLDQWVHWFK¶PHXUVQRWDPPHQW 
Le point commun entre ces individus issus de milieux sociaux très
divers est leur volonté de changement et leur indignation face à la
corruption politique et la hausse des inégalités. Favorable à la sépa-
UDWLRQ GH Oȇ‹JOLVH HW GH Oȇ‹WDW PDLV VXUWRXW SUDJPDWLTXH Podemos se
réapproprie des pratiques issues de la charité chrétienne : au sein des

šJuan Carlos MƵƴƫƪƫƷƵ, cité dans « ¿Hacia dónde camina PQFGOQUš!zEl Mundo, 15 sep
tembre 2014, p. 15.
šEntretien avec Luis Portela, quartier Salamanca, 26 février 2015.
šEntretien avec Clara, quartier Salamanca, 26 février 2015.

273
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

FHUFOHVGH6DODPDQFDHWGH/DYDSL«VFKDTXHDVVHPEO«HVHWHUPLQHSDU
XQH mTX¬WH} GDQV GHV ER°WHV HQ SODVWLTXH VXUQRPP«HV mEDODLV} HQ
U«I«UHQFHDXVRXWLHQȴQDQFLHUDXPRXYHPHQWSHUPHWWDQWGHmEDOD\HU
ODFODVVHSROLWLTXH}HQSODFH/DFDUWHGH0DGULGGXORFDOGH/DYDSL«V
FROO«HDXPXUGHUULªUHXQYLHX[WDEOHDXHVWXQHP«WDSKRUHGXG«ERU-
dement : les membres collaient initialement des petites pastilles de cou-
OHXUSRXUVLWXHUFKDTXHQRXYHDXmFHUFOH}PDLVIDFH¢ODFU«DWLRQGH
QRXYHOOHVDVVHPEO«HVFKDTXHVHPDLQHSDUWRXWHQ(VSDJQHOHVPLOLWDQWV
n’ont plus le temps ni l’espace pour mettre la carte à jour. En s’appuyant
VXU OH VRFOH GX PRXYHPHQW GHV LQGLJQ«V Podemos attire des citoyens
G«©XVGHVSDUWLVWUDGLWLRQQHOVHWLVVXVGHGLII«UHQWVPLOLHX[HWFKHUFKH
désormais à s’adresser à l’ensemble des Espagnols.

LA CRÉATION RAPIDE D’UNE


ORGANISATION PARTISANE MODERNE

Izquierda Anticapitalista et le tissu militant de Lavapiés


Choisie dès la réunion fondatrice du 17 janvier 2014 tenue au sein
GX WK«¤WUH GH /DYDSL«V OD P«WKRGH SDUWLFLSDWLYH GH Podemos s’est
diffusée à travers les réseaux sociaux en s’appuyant sur le tissu social
construit par les indignés suite au « 15-M » de mai 2011. Les membres
les plus impliqués de Podemos ont l’impression d’être sans cesse
« débordés » par le succès populaire de leur initiative et la création
hebdomadaire de nouveaux cercles locaux. Ils disent « travailler contre
ODPRQWUH}SRXUVWUXFWXUHUOHXUSDUWLGDQVOȇXUJHQFHPDLVRQWHQIDLW
SHX GH SULVH VXU OD FU«DWLRQ OD VWUXFWXUDWLRQ HW OHV LQLWLDWLYHV SULVHV
SDU OHV FHUFOHV ORFDX[ mFH TXL V«GXLW OHV JHQV FȇHVW TXH OHV EDVHV GX
SDUWL IRQFWLRQQHQW GH ID©RQ DXWRJ«U«H} PH GLW 3DEOR XQ «WXGLDQW GH
24 ans23. Mais au-delà de l’image d’un « parti d’assemblées » décentra-
OLV«HVTXLSURSRVHQWHWTXLYRWHQWOHVJUDQGHVRULHQWDWLRQVQDWLRQDOHV
Podemos se fonde sur un cercle dirigeant restreint issu de professeurs
GHODIDFXOW«GHVFLHQFHVSROLWLTXHVGHOȇXQLYHUVLW«&RPSOXWHQVHVXUOHV
militants historiques d’Izquierda Anticapitalista et sur le tissu de mou-
vements sociaux et de collectifs qui ont foisonné au sein du quartier de
/DYDSL«V ¢ 0DGULG GHSXLV  3DEOR ,JOHVLDV -XDQ &DUORV 0RQHGHUR
³LJR (UUHMµQ &DUROLQD %HVFDQVD HW /XLV $OHJUH VRQW WRXV GRFWHXUV HW

šEntretien avec Pablo, 24 ans, Lavapiés, 27 février 2015.

274
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

professeurs issus du département de sciences politiques et de sociologie


GH OD &RPSOXWHQVH /RLQ Gȇ¬WUH XQ PRXYHPHQW mVSRQWDQ«} Podemos
HVWGRPLQ«DXFRQWUDLUHSDUGHVSROLWRORJXHVVRFLRORJXHVHWSKLORVRSKHV
spécialistes de la communication politique24. Illustrant l’engouement
SRSXODLUH SRXU OD SHQV«H SROLWLTXH GH FHV mFLQT IRQGDWHXUV} OH
livre Cours urgent de politique pour les gens honnêtes de Juan Carlos
0RQHGHURDXWKHQWLTXHEHVWVHOOHUHQHVW¢VDQHXYLªPH«GLWLRQ
Podemos se fonde aussi sur la structure et les six cents militants d’Iz-
quierda Anticapitalista et sa branche catalane Revolta Global (« Révolte
JOREDOH} XQSDUWLGȇH[WU¬PHJDXFKHIRQG«HQSDUOȇRUJDQLVDWLRQ
Espacio Alternativo m(VSDFH DOWHUQDWLI}  TXL UHJURXSDLW OHV PLOLWDQWV
HVSDJQROV PHPEUHV GH OD 4XDWULªPH ,QWHUQDWLRQDOH TXL DYDLHQW IDLW
partie de la coalition Izquierda Unida25. Certains membres de Podemos
ont animé la revue Corriente Alterna Gȇ,$ WHOV OȇHXURG«SXW«H 7HUHVD
5RGU¯JXH] QXP«UR GHX[ VXU OD OLVWH GH Podemos aux européennes et
G«VRUPDLV G«SXW«H U«JLRQDOH HW GLULJHDQWH GX SDUWL HQ $QGDORXVLH RX
0LJXHO 8UE£Q IXUHQW PHPEUHV Gȇ,$ MXVTXȇ¢ VD GLVVROXWLRQ U«FHQWH26.
/H SªUH Gȇ³LJR (UUHMµQ -RV« $QWRQLR (UUHMµQ 9LOODFLHURV HVW XQ KDXW
fonctionnaire de l’administration espagnole et un militant d’Izquierda
Anticapitalista favorable à l’abolition de la monarchie27. Dans le projet
de « principes éthiques » adopté par 80 % des voix lors du congrès
IRQGDWHXU GX QRYHPEUH  LO D «W« G«FLG« TXH OHV PHPEUHV GHV
DXWUHVSDUWLVWRXWHQSRXYDQWPLOLWHUDXVHLQGHPodemosQHSRXUUDLHQW
SDV¬WUH«OXVDXmFRQVHLOFLWR\HQ}GHODIRUPDWLRQGLVSRVLWLRQUHVWUHL-
gnant le « double militantisme » et empêchant une prise de pouvoir
«YHQWXHOOH GHV PLOLWDQWV Gȇ,$ ¢ OȇHQFRQWUH GHV VRXKDLWV GH IXVLRQ GH
Pablo Echenique et de Teresa Rodríguez28. Face à la perte de pouvoir
de ses membres au sein de Podemos ,$ D G«FLG« GDQV XQ GRFXPHQW
LQWHUQH GȇDYDQFHU VRQ GHUQLHU FRQJUªV DX DX I«YULHU  SRXU
G«EDWWUHGHVDVWUDW«JLHGHVRQDGDSWDWLRQHWGHVRQU¶OHSDUUDSSRUW¢

šPour justifier leur engagement, Juan Carlos Monedero évoque sur ce point la « responsa
bilité sociale » des professeurs de science politique de faire surgir une politique utile pour les
Espagnols. Cf. Juan Carlos MƵƴƫƪƫƷƵ, Curso urgente de política para gente decente G ȌF 
Madrid, Seix Barral, 2014, p. 15.
25. « Espacio Alternativo becomes Izquierda Anticapitalista and decides to stand in European
elections », International Viewpoint, 24 novembre 2008.
šSegundo SƧƴƿ, « Quién es quién en Izquierda Anticapitalista, el partido que mueve los hilos
dentro de Podemos », Vozpópuli, 16 juin 2014.
šSegundo SƧƴƿ, « El padre de ETTGLȕP Podemos) acusa a CGDTKȄPFGKORWNUCTWPCūQRGTC
ción” para salvar la Corona », Vozpópuli, 19 juin 2014.
28. « Pablo Iglesias deja a Izquierda Anticapitalista fuera de Podemos », El Confidencial Digital,
21 octobre 2014.

275
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Podemos : ce congrès a débouché sur la dissolution d’IA pour permettre


à ses membres de pleinement militer et d’accéder à des positions de
pouvoir au sein de Podemos297HUHVD5RGU¯JXH]QRWDPPHQWTXLDYDLW
initialement renoncé à faire partie de l’exécutif de PodemosDMRX«XQ
U¶OHFHQWUDOGDQVODGLVVROXWLRQGȇ,$SRXUSRXYRLUFRQWLQXHU¢LQȵXHQ-
cer PodemosGHOȇLQW«ULHXUHWSHUPHWWUH¢VHVPLOLWDQWVTXLFRQVWLWXHQW
OȇRVVDWXUHGHQRPEUHX[JURXSHVORFDX[GHODIRUPDWLRQGHVHSU«VHQWHU
à des responsabilités internes30.
3DEOR ,JOHVLDV TXL SRUWH OH P¬PH QRP TXH OH IRQGDWHXU KLVWR-
ULTXH GX 362( ȴOV GH /XLVD 7XUULµQ DYRFDWH GH Comisiones Obreras
HW GH -DYLHU ,JOHVLDV LQVSHFWHXU GX WUDYDLO HW SURIHVVHXU GȇKLVWRLUH
¢ OD UHWUDLWH IXW OXLP¬PH PHPEUH GH Oȇ8QLRQ GHV MHXQHVVHV FRP-
PXQLVWHV Gȇ(VSDJQH GH TXDWRU]H ¢ YLQJW HW XQ DQV   HW
conseiller d’Izquierda Unida lors des législatives de 2011. Il conseilla
ensuite Alternativa Galega de Esquerda $*(  ORUV GHV U«JLRQDOHV GH
 HQ *DOLFH SHUPHWWDQW ¢ OD FRDOLWLRQ GȇREWHQLU QHXI G«SXW«V HW
de devenir la troisième force régionale avec 14 % des voix31 GHYDQ-
çant le Bloque Nacionalista Galego (« Bloc nationaliste galicien »). Ces
élections constituèrent en quelque sorte le « laboratoire électoral »
de Podemos32. Mais la nouvelle formation entretient aussi des liens
personnels et politiques avec Izquierda Unida XQ SDUWL DYHF OHTXHO
Podemos est en concurrence directe : Juan Carlos Monedero a par
H[HPSOH «W« FRQVHLOOHU GH *DVSDU /ODPD]DUHV OH VHFU«WDLUH J«Q«UDO
Gȇ,8GH¢HW3DEOR,JOHVLDVHVWHQFRXSOHDYHF7DQLD6£QFKH]
0HOHURG«SXW«HGXSDUWL¢OȇDVVHPEO«HGH0DGULG
(QȴQ Oȇ«PHUJHQFH GH Podemos ne peut être comprise sans tenir
compte de son ancrage sociologique au sein du tissu militant du quar-
WLHUGH/DYDSL«V¢0DGULG/HORFDOGXSDUWLGH/DYDSL«VDXUXH=XULWD
HW¢OȇDQJOHGHODUXH7RUUHFLOODGH/HDOIXWGȇDLOOHXUVODOLEUDLULHFRRS«-
rative MarabuntaGH0LJXHO8UE£QTXȇLOWUDQVIRUPDHQTXDUWLHUJ«Q«UDO
de la nouvelle organisation. Lavapiés est non seulement le quartier
OH SOXV PXOWLFXOWXUHO GH 0DGULG SHXSO« Gȇ,QGLHQV GH 3DNLVWDQDLV

šIzquierda Anticapitalista, « El papel y tareas de IA ante la crisis del régimen surgido en 1978.
Adecuación organizativa del activismo anticapitalista ante las nuevas responsabilidades »,
document de travail interne, 24 novembre 2014.
šAitor RƯƻƫƷƵ, « Izquierda Anticapitalista busca la forma de que sus militantes puedan aspi
rar a cargos en Podemos », [Eldiario. es], 15 novembre 2014.
31. « Anova e IU UG RTGUGPVCTȄP EQOQ Alternativa Galega de Esquerda », El Mundo, 11 sep
tembre 2012.
šDavid LƵƳƨƧƵ, « Galicia fue el laboratorio electoral de Podemos », [Eldiario. es], 10 octobre
2014.

276
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

Gȇ‹TXDWRULHQVGH6«Q«JDODLVHWGHQRPEUHX[DXWUHVSHXSOHVGXPRQGH
PDLVDXVVLOHSOXVSROLWLV«GDQVODSOXSDUWGHVEDUVORFDX[RXFHQWUHV
VRFLDX[ GHV U«XQLRQV VRQW RUJDQLV«HV HW GHV PRXYHPHQWV VRFLDX[
emblématiques de l’Espagne d’aujourd’hui comme Juventud Sin Futuro
ou Espacio Alternativo s’y sont structurés. Podemos s’est par exemple
appuyé sur les sympathisants du Teatro del Barrio¢OȇDQJOHGHODUXH
IRQG«SDUOȇDFWHXU$OEHUWR6DQ-X£QTXLHVWXQSURMHWWK«¤WUDOFRRS«UD-
WLI PHWWDQW HQ VFªQH GHV SLªFHV HW GHV SHUIRUPDQFHV FULWLTXHV HW GRQ-
nant un espace de libre expression à de nombreux artistes réalistes et à
des collectifs politiques qui dénoncent et s’inscrivent pleinement dans
la réalité sociale de la crise espagnole. Le noyau fondateur de Podemos
VH VLWXH GRQF ¢ OD FRQȵXHQFH GȇLQWHOOHFWXHOV GH PLOLWDQWV GH OD JDXFKH
anticapitaliste et d’activistes du mouvement social des indignés ancrés
dans un territoire urbain.

Des assemblées citoyennes au parti politique


8QHDQHFGRWHTXHUDFRQWH0LJXHO8UE£QWUHQWHTXDWUHDQVSURFKH
du cercle des fondateurs de Podemos et ami intime de Pablo Iglesias
GHSXLVVDMHXQHVVH«WXGLDQWHLOOXVWUHELHQOȇDVFHQVLRQIXOJXUDQWHGHFH
parti de nouvelle génération33. Lors de la première réunion publique
GX PRXYHPHQW LO UDFRQWH FRPPHQW XQ TXLGDP OXL GHPDQGD m7X HV
de Podemos Saragosse ? ». Miguel pensa alors : « Comment puis-je lui
expliquer que Podemos n’existe pas avant que nous réunissions cin-
TXDQWHPLOOHVLJQDWXUHVTXHQRXVSU«VHQWLRQVOȇLQLWLDWLYHHWTXHOHVJHQV
FKRLVLVVHQWGHIRUPHUXQJURXSHSROLWLTXH"},OOXLU«SRQGLWm1RQMH
VXLVGH0DGULG}(WOȇKRPPHOXLGLWm$KHQFKDQW«-HVXLVGHPodemos
Catalogne ». Podemos QȇH[LVWDLW SDV HQFRUH SRXU 0LJXHO SRXUWDQW UHV-
SRQVDEOH GH OȇRUJDQLVDWLRQ HW GH VRQ H[WHQVLRQ PDLV OH PRXYHPHQW
DYDLWG«M¢XQHYLHORFDOHSURSUH¢ODPDUJHGHOȇ«TXLSHQDWLRQDOHGLUL-
JHDQWH &HWWH SHWLWH KLVWRLUH SHUPHW GH FRPSUHQGUH FRPPHQW DYDQW
P¬PH GH VH WUDQVIRUPHU HQ SDUWL Podemos s’est cristallisé en une
mP«WKRGHSDUWLFLSDWLYH}LQFLWDQWOHVFLWR\HQV¢FU«HUHX[P¬PHVGHV
DVVHPEO«HVHWGHVFHUFOHVORFDX[DXVHLQGHVTXHOVLOVVȇDXWRRUJDQLVHQW
G«EDWWHQW U«DJLVVHQW ¢ OȇDFWXDOLW« HW IRUPXOHQW GHV LQLWLDWLYHV &RPPH
OHG«FODUH-DLPHTXLPLOLWHHQVHUHQGDQWDXVHLQGXORFDOIRQGDWHXUGX
SDUWLGDQVOHTXDUWLHUSRSXODLUHGH/DYDSL«V¢0DGULG
De nouvelles personnes passent la porte tous les jours. Ils viennent de
WRXVOHVKRUL]RQVPDLVFHTXLDWWLUHFHVJHQVFȇHVWODP«WKRGH/HG«EDW

šCette anecdote est citée par Patricia OƷƹƫƭƧDƵƲƿ, op. cit., 12 novembre 2014, p. 27.

277
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

GȇLG«HV RXYHUW OD SRVVLELOLW« GH VH IDLUH HQWHQGUH GH GLUH FH TXH OȇRQ
SHQVHHWGȇ¬WUH«FRXW«GHSDUWLFLSHU'DQVOHVDXWUHVSDUWLVOHVFLWR\HQV
GRLYHQW«FRXWHUOHVGLULJHDQWVLOVQȇRQWSDVGHIRUXPVSRXUVȇH[SULPHU
,OVQHVRQWSDVYUDLPHQWFRQVXOW«V,FLLOVVHVHQWHQWYDORULV«VLOVRQWOH
sentiment d’être utiles et d’avoir un réel pouvoir. En renversant la pyra-
PLGHKL«UDUFKLTXHOHVJHQVVHVHQWHQWSOXVFRQFHUQ«VHWLOVVȇHQJDJHQW
C’est la clé du succès de Podemos : remettre l’engagement des citoyens au
centre et leur redonner du pouvoir34.

Le parti veut montrer qu’il est possible de « diriger en obéissant »


VXLYDQWOȇH[SUHVVLRQGH-XDQ&DUORV0RQHGHURHQVHVWUXFWXUDQWHQXQH
I«G«UDWLRQ GȇDVVHPEO«HV DXWRQRPHV R» OHV JURXSHV ORFDX[ FKRLVLVVHQW
eux-mêmes leurs représentants. Traditionnellement utilisé par les par-
WLV HQ (VSDJQH OH V\VWªPH GH OLVWHV IHUP«HV IDYRULVH OD UHSURGXFWLRQ
VRFLDOHOȇHQGRJDPLHHWODV«OHFWLRQGHVFDQGLGDWVVXUODEDVHGHOHXUDOO«-
geance aux appareils partisans plutôt qu’en fonction de leur implication
ORFDOHGHOHXUVVRXWLHQVFLWR\HQVHWGHOHXUVFRPS«WHQFHV/DSU«VHQWD-
WLRQ V\VW«PDWLTXH SDU OHV SDUWLV GH WHOOHV OLVWHV GRQW OHV FDQGLGDWXUHV
VRQW G«VLJQ«HV mGȇHQ KDXW} SDU OHV GLULJHDQWV HVW DLQVL GLUHFWHPHQW
responsable de la clôture du champ politique. En favorisant la constitu-
tion d’assemblées et de plateformes citoyennes pour les élections muni-
FLSDOHV GH  QRWDPPHQW DYHF OD SHWLWH IRUPDWLRQ «FRORJLVWH Equo
RXIRQG«HVVXUGHVFROOHFWLIVFLWR\HQVPodemos cherche à rompre avec
FHVFK«PDHQSULYLO«JLDQWGHVOLVWHVRXYHUWHVFHTXLVXVFLWHXQHQJRXH-
ment populaire. Cela contredit la thèse d’un déclin de la participation
FLWR\HQQH HQ PRLQV GȇXQ DQ HQYLURQ PLOOH mDVVHPEO«HV FLWR\HQQHV}
RQW«W«FRQVWLWX«HVVXUOȇHQVHPEOHGXWHUULWRLUHFU«DQWGHWRXWHVSLªFHV
un réseau de 260 000 sympathisants356HUJLR3DVFXDOVHFU«WDLUHGHOȇRU-
JDQLVDWLRQFKHUFKH¢FHTXHFHVFHUFOHVIRUPHQWHWGLULJHQWHX[P¬PHV
« des candidatures d’unité populaire » lors des élections municipales
HWU«JLRQDOHVGHVDQVXWLOLVHUSRXUDXWDQWODmPDUTXH}QDWLRQDOH
Podemos36. Des plateformes telles que Ganemos Madrid ou Ganemos

šEntretien avec Jaime, 29 ans, militant de Madrid, Lavapiés, 25 février 2014.


šCherchant à s’appuyer sur une large base sociale, le parti remet en cause la division
VTCFKVKQPPGNNG GPVTG NGU kOKNKVCPVUz SWK RCKGPV PQTOCNGOGPV WPG EQVKUCVKQP  GV NGU kU[ORC
thisants ». Il se structure de fait comme un parti d’électeurs où le militantisme est plus fluide.
Pour être considéré comme « sympathisant » de Podemos EGSWKKORNKSWGUWKXCPVUGURTQRTGU
critères, faire partie de l’organisation), il suffit de s’affilier à l’un de ses cercles locaux ou d’enre
gistrer son inscription sur le site internet du parti. Aucune cotisation n’est exigée, mais les dons
sont encouragés.
šSergio PƧƸƩƺƧƲ, « Debemos alentar candidaturas de unidad popular en las municipales »,
El Mundo, 10 décembre 2014.

278
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

Barcelona GLULJ«H SDU $GD &RODX GH OD 3$+ VRQW DLQVL HQ WUDLQ GH VH
former dans cet esprit au sein de différentes villes d’Espagne.
PodemosDHQWDP«XQSURFHVVXVFRQVWLWXDQWHQVHSWHPEUHTXL
déboucha sur une assemblée préparatoire au sein de la Plaza de Toros
GH 9LVWDOHJUH OHV  HW RFWREUH HW HQW«ULQD OH FKRL[ GH VD WUDQVIRU-
mation en parti politique. Mille personnes organisées en 164 équipes
RQW IRUPXO«  SURSRVLWLRQV GRQW FHOOHV TXL RQW UHFXHLOOL OH SOXV GH
YRL[RQWSHUPLVGHG«ȴQLUOHVSULQFLSHVGHEDVHGXSDUWL3XLVORUVGH
son assemblée constituante du 15 novembre 2014 au théâtre Nuevo
Apolo GH 0DGULG OH SDUWL VȇHVW GRW« GȇXQ mFRQVHLO FLWR\HQ} FRPSRV«
GH  PHPEUHV VXU SOXV GH PLOOH FDQGLGDWV  FKRLVLV SDU OȇHQVHPEOH
GHV V\PSDWKLVDQWV Vȇ«WDQW H[SULP«V SOXV GL[VHSW UHSU«VHQWDQWV GHV
communautés autonomes et un membre élu par les sympathisants
résidant à l’étranger. Pablo Iglesias a été élu secrétaire général en
REWHQDQW  GHVYRWHV«OHFWURQLTXHV«PLVVXLYDQWXQ
processus en ligne géré par la compagnie Agora Voting. Le fait que le
second meilleur candidat sur les soixante-deux personnes qui se sont
SU«VHQW«HV DX SRVWH GH VHFU«WDLUH J«Q«UDO QȇDLW REWHQX TXH  YRL[
illustre bien la très forte personnalisation de Podemos autour de Pablo
Iglesias. Seuls 41 % des sympathisants du parti (environ 260 000) ont
cependant voté. Les votants furent les sympathisants inscrits sur le site
internet de PodemosTXLSXUHQWSDUWLFLSHUVDQVDYRLUEHVRLQGHSD\HU
une adhésion.
Le « conseil citoyen » du parti se divise en aires de travail (organi-
VDWLRQ «FRQRPLH FRPPXQLFDWLRQ «JDOLW« U«VHDX[HWF  HW FRQVWLWXH
en quelque sorte le parlement de la formation. L’autre organe natio-
QDO HVW XQ mFRQVHLO GH FRRUGLQDWLRQ} SOXV UHVWUHLQW TXL «TXLYDXW DX
mFRPLW« GH GLUHFWLRQ} DX VHLQ GȇDXWUHV SDUWLV HW TXL HVW FRPSRV« GH
dix à quinze personnes élues par le conseil citoyen sur proposition du
VHFU«WDLUHJ«Q«UDO‚FHMRXUHQSOXVGHVFLQTIRQGDWHXUVLOU«XQLWOȇHX-
URG«SXW«H7DQLD*RQ]£OH]OȇDQFLHQMXJHDQWLFRUUXSWLRQ&DUORV-LP«QH]
9LOODUHMR OȇDYRFDW GH OD 3$+ 5DID 0D\RUDO Oȇ«FRQRPLVWH $OEHUWR
0RQWHURGHOȇXQLYHUVLW«GH0£ODJDOȇ«GLWHXU-RUJH/DJRGHODPDLVRQ
d’édition Lengua de Trapo et quelques membres de l’équipe technique
FKDUJ«H GȇRUJDQLVHU OȇDVVHPEO«H GX SDUWL GRQW 0LJXHO 8UE£Q (QȴQ
XQmFRPLW«GHJDUDQWLHVG«PRFUDWLTXHV}FRPSRV«GHGL[SHUVRQQHV
GRQW*ORULD(OL]RUHVSRQVDEOHGHOȇ«TXLSHMXULGLTXHGHPodemos et de
ODUHSU«VHQWDWLRQGHODSDUWLHFLYLOHGDQVOȇDIIDLUH2OHJXHU3XMROHWOH
SURIHVVHXUGHGURLWS«QDO0DQXHO0DURWRDSRXUU¶OHGȇ¬WUHOHMXJHGH
la démocratie interne. Suite à l’approbation des structures centrales

279
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

GX SDUWL GHV UHSU«VHQWDQWV RQW «W« «OXV DX VHLQ GH FKDTXH FRPPX-
nauté autonome.
Même si Podemos s’appuie sur des procédures visant à créer une
mG«PRFUDWLHU«HOOH}VXUOHSODQLQWHUQHLOVHUDLWWURPSHXUGHOHTXDOL-
ȴHUGHmSDUWLGȇDVVHPEO«H}&HUWHV¢WUDYHUVODI«G«UDWLRQGȇDVVHPEO«HV
ORFDOHV OD FRQVXOWDWLRQ SDU YRWH GHV PLOLWDQWV VXU OHV JUDQGHV RULHQWD-
tions du parti et la revendication de « transparence » en publiant ses
FRPSWHVVXULQWHUQHWPodemos cherche à mettre en application les prin-
cipes de la démocratie participative et directe37. Mais la ligne politique
adoptée lors du congrès fondateur a intronisé un secrétaire général
XQLTXH HW OȇHQVHPEOH GX SRXYRLU LQWHUQH D «W« FRQȴ« DX[ JURXSHV GHV
fondateurs38/HSDUWLHVWFHUWHVGRW«GȇXQmFRQVHLOFLWR\HQ}PDLVDXVVL
GȇXQH[«FXWLIGLULJHDQWGȇXQHKL«UDUFKLHHWGȇXQHGLVFLSOLQHFRPPXQH
DX[SDUWLVWUDGLWLRQQHOVHW¢ODmORLGȇDLUDLQGHOȇROLJDUFKLH}G«ȴQLHSDU
Robert Michels39 )«G«UDWLRQ GȇDVVHPEO«HV ORFDOHV DXWRJ«U«HV GRQW OHV
G«FLVLRQVVRQWVRXPLVHV¢OȇDSSUREDWLRQGHVEDVHVPodemos est aussi un
parti au leadership très marqué.
La marginalisation des courants internes favorables au maintien
d’un mouvement d’assemblées et critiques de la ligne des fondateurs
l’illustre bien. Représentant le courant interne « Sumando Podemos »
DYHF OHV HXURG«SXW«HV 7HUHVD 5RGU¯JXH] HW /ROD 6£QFKH] OHV PLOLWDQWV
9LFWRU *DUF¯D HW %HDWUL] *LPHQR HW OH mFHUFOH GHV LQȴUPLªUHV} GH
PodemosOȇHXURG«SXW«3DEOR(FKHQLTXHUHWLUDVDFDQGLGDWXUHDXVHFU«-
WDULDW J«Q«UDO DSUªV DYRLU PLV HQ FDXVH OD P«WKRGH GH YRWH HVWLPDQW
qu’une compétition interne avec l’équipe de Pablo Iglesias était impos-
sible40. Le courant « Construyendo Podemos » dirigé par Clara Marañòn
HW&DUROLQD+XHOPRTXLU«XQLWXQHGL]DLQHGHFHUFOHVWUªVDFWLIV GRQW
FHX[GH0DGULG6«YLOOH0XUFLH&LXGDG5HDO$OLFDQWHHW*XLSXVFRD ȴW
DXVVLGHVG«FODUDWLRQVFULWLTXHV‹O«PHQWSUREO«PDWLTXHOHVV\PSDWKL-
sants devaient soit voter en bloc pour la liste fermée proposée par les
IRQGDWHXUVVRLWFKRLVLUXQ¢XQOHVVRL[DQWHGHX[FDQGLGDWVDXmFRQVHLO
FLWR\HQ}'DQVXQWHOV\VWªPHOHFKRL[SRVVLEOHGHVFDQGLGDWVVXUXQH
base individuelle ne pouvait être qu’en compétition inégale avec la liste

šFrancesco MƧƴƫƹƹƵ, « Podemos corona a Pablo Iglesias para liderar la pugna al biparti
dismo », El País, 14 novembre 2014, p. 22.
šFrancesco MƧƴƫƹƹƵ, « IINGUKCUšLas dificultades comienzan ahora », El País, 15 novembre
2014, p. 1.
šRobert MƯƩƮƫƲƸ, Les partis politiques. Essais sur les tendances oligarchiques des démocraties,
Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, [1914], 2009.
40. « Las renuncias de Echenique », El Periódico de Catalunya, 24 octobre 2014, p. 5.

280
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

GH3DEOR,JOHVLDVHQUDLVRQGXG«ȴFLWGHQRWRUL«W«GHODSOXSDUWGHVFDQ-
GLGDWV/HFHUFOHGHVLQȴUPLªUHVGHPodemosOHSOXVFULWLTXHHQYLQW¢
DFFXVHURXYHUWHPHQW,JOHVLDVGHGRQQHUFRUSVDX[mSUHPLHUVU«ȵH[HV
GH FDVWH} DX VHLQ GX PRXYHPHQW PRQWUDQW Oȇ«YROXWLRQ UDSLGH GH
Podemos vers une organisation dotée d’une discipline partisane autour
d’une direction verticale et hiérarchisée41.

Une révolution « technopolitique »


Dimanche 19 octobre 2014 dans la soirée. Les 26 membres de
l’équipe technique chargés d’organiser l’assemblée constituante de
Podemos se connectent tous sur Telegram pour leur « rendez-vous vir-
WXHO} ‚ WUDYHUV FHWWH DSSOLFDWLRQ GH W«O«SKRQH SRUWDEOH LOV G«EDWWHQW
et votent sur la méthode de choix des documents fondateurs du futur
parti. Cet épisode est une bonne illustration du fait que la maîtrise de
l’internet et des nouvelles technologiques constitue l’une des pierres
angulaires de l’organisation interne de la formation42. Dès son lance-
PHQWOHMDQYLHU7ZLWWHUDG½VXVSHQGUHGHX[IRLVOHFRPSWHGH
Podemos devant l’avalanche de tweets des suiveurs. Depuis les élections
HXURS«HQQHV JU¤FH DX[ ȴQDQFHPHQWV IRXUQLV SDU OH 3DUOHPHQW HXUR-
S«HQ SRXU OȇRUJDQLVDWLRQ GX WUDYDLO GHV HXURG«SXW«V Podemos occupe
un local au septième étage d’un immeuble près de la Plaza de España à
0DGULGR»WUDYDLOOHOHJURXSHVS«FLDOLV«GDQVOHVQRXYHOOHVWHFKQRORJLHV
OȇLQWHUQHWOHVU«VHDX[VRFLDX[HWOHVDSSOLFDWLRQVSRXUVPDUWSKRQHV&H
groupe se fonde notamment sur des militants de Juventud Sin Futuro
qui ont acquis des compétences en matière de partage numérique des
informations dans le cadre du mouvement des indignés et du 15-M.
m5«VHDX[ VRFLDX[} mSDUWLFLSDWLRQ} HW mWHFKQRORJLHV} FRQVWLWXHQW
OHVWURLVSLOLHUVGHOȇRUJDQLVDWLRQQXP«ULTXHGXSDUWLTXLYHXW¬WUH¢OD
SRLQWHGDQVFHGRPDLQHDȴQGȇLPSOLTXHUOHSOXVGHV\PSDWKLVDQWVSRV-
sible et de renouveler les façons de faire de la politique.
Eduardo Rubiño gère le groupe « réseaux sociaux » et coordonne une
«TXLSHGHTXLQ]H¢YLQJWYRORQWDLUHVTXLVHUHODLHQWTXRWLGLHQQHPHQW

šLe caractère décentralisé du parti constitue sa plus grande force mais aussi sa plus grande
HCKDNGUUGšEGNCRGTOGVFŨKPUVCWTGTWPGFȌOQETCVKGKPVGTPGRCTVKEKRCVKXGOCKURGWVFQPPGTWPG
image d’incohérence de son positionnement idéologique. La question de la maîtrise des prises
de parole commence à se poser. Preuve en est par exemple, la polémique sur la proposition
de Fonsi Loaiza, membre du « cercle des sports », de limiter le salaire maximum des sportifs,
une proposition ensuite désavouée par ÍȓKIQErrejón. Cf. « Podemos no propone futbolistas con
GUVWFKQUQUCNCTKQOȄZKOQz, El País, 9 décembre 2014, p. 19.
šGuiomar DƫƲSƫƷ, « La infraestructura de Podemos vive en internet », El País, 15 novembre
2014.

281
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

de 10 heures à 23 heures et diffusent du contenu sur la Toile. Ce travail


d’organisation et de diffusion de contenus numériques porte d’ores et
déjà ses fruits. Podemos est la formation politique la plus suivie sur
Twitter (428 000 suiveurs contre 181 000 pour le PSOE et 177 000 pour
OH 33  HW GRPLQH HQFRUH SOXV VHV FRQFXUUHQWV VXU )DFHERRN 
suiveurs contre 77 000 pour le PP et 73 000 pour le PSOE). La jeunesse
de nombreux militants du parti constitue un atout majeur face à ses
concurrents pour réinventer des pratiques internes de vote et de
SDUWDJH GH OȇLQIRUPDWLRQ &RPPH OH G«FODUH )HUQDQGR XQ PLOLWDQW
GH /DYDSL«V GH WUHQWHWURLV DQV TXL VH GLW mMRXUQDOLVWH SU«FDLUH} HW
mK\SHUFRQQHFW«}VXU7ZLWWHU)DFHERRNHW,QVWDJUDP
Nous avons un coup d’avance sur les autres partis. Nous sommes mieux
organisés qu’eux sur les réseaux sociaux et internet. Il y a un vrai travail
d’organisation. Je pense que cela va payer et faire la différence. On voit
d’ailleurs les dirigeants du PP qui commencent à dire qu’ils doivent réagir
et être plus actifs. On est en train de créer des brèches dans les partis tra-
GLWLRQQHOV/ȇLG«HHVWGȇDWWLUHUOHVIRUFHVYLYHVGHIDLUHWUDYDLOOHUOHVMHXQHV
FU«DWHXUV GH VȇHQWRXUHU GȇLQJ«QLHXUV HW GH SURIHVVLRQQHOV GH OȇLQWHUQHW
PodemosHVWXQHVRUWHGHȊVWDUWXSȋSROLWLTXHR»VHUHWURXYHQWFHX[TXL
veulent mettre l’innovation au service du changement politique43.

Pablo Iglesias est désormais suivi par 663 000 personnes sur Twitter
FRQWUH  SRXU 0DULDQR 5DMR\ HW WUªV ORLQ GHYDQW 3HGUR 6£QFKH]
  ‚ FHOD LO IDXW DMRXWHU OHV GL]DLQHV GH FRPSWHV VHFWRULHOV HW
régionaux promus par les cercles et les assemblées territoriales de
PodemosPDLVDXVVLFHX[DQLP«VSDUOHV(VSDJQROV¢Oȇ«WUDQJHU(QXWL-
OLVDQWOȇDSSOLFDWLRQ7HOHJUDP FRQFXUUHQWHUXVVHGH:KDWV$SS OHSDUWL
a aussi entrepris de recenser l’ensemble des comptes et des applications
V\PSDWKLVDQWHV DȴQ Gȇ«YLWHU OHV LPSRVWXUHV HW GȇDP«OLRUHU OD FDSDFLW«
GH U«DFWLRQ FROOHFWLYH SDU UDSSRUW ¢ OȇDFWXDOLW« *U¤FH ¢ 7HOHJUDP GHV
débats en temps réel pouvant inclure simultanément des représen-
tants de près de 250 cercles distincts ont lieu lors des grandes réunions
publiques. La progression des adhésions sur les réseaux sociaux ne
FHVVH GH VȇDPSOLȴHU GHSXLV OHV «OHFWLRQV HXURS«HQQHV TXL RQW PDUTX«
XQSRLQWGȇLQȵH[LRQ
‚QJHO XQ «WXGLDQW GH YLQJWFLQT DQV LPSOLTX« DX VHLQ GX JURXSH
mSDUWLFLSDWLRQ} GLULJ« SDU 0LJXHO $UGDQX\ PȇD H[SOLTX« TXH OH SDUWL
XWLOLVH OȇDSSOLFDWLRQ GH YRWH $SSJUHH GLVSRQLEOH VXU OHV W«O«SKRQHV
SRUWDEOHVTXLSHUPHWGHV«OHFWLRQQHU¢SDUWLUGHFULWªUHVV«PDQWLTXHV

šEntretien avec Fernando, Lavapiés, 25 février 2015.

282
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

HW QXP«ULTXHV SDUPL OHV FHQWDLQHV GȇRSLQLRQV HW GH SURSRVLWLRQV GHV
XWLOLVDWHXUVVXUXQVXMHWGRQQ«FHOOHVTXLSU«VHQWHQWOHVSOXVIRUWVWDX[
GȇLQWHUDFWLRQ GH SRSXODULW« HW GH UHGRQGDQFH 3RXU OXL LO VȇDJLW GȇXQ
« exemple d’intelligence collective » permettant de travailler en temps
U«HOHWGHIDLUHUHPRQWHUYHUVODGLUHFWLRQGXSDUWLOHVSRVLWLRQVOHVSOXV
appréciées par les sympathisants de base44&HODSHUPHWDXVVLJU¤FH¢
OD WHFKQRORJLH GH WLUHU SURȴW HW GH VWUXFWXUHU OH WUDYDLO GH SURFHVVXV
d’assemblées qui ont montré leurs limites organisationnelles suite
au 15-M. L’application Appgree a ainsi été utilisée lors de l’assemblée
citoyenne d’octobre 2014 pour sélectionner cinquante questions (sur
  «PDQDQW GHV FHUFOHV GH EDVH GX SDUWL ¢ WUDYHUV  YRWHV
qui furent ensuite posées aux porte-parole de chaque aire thématique.
Podemos utilise aussi le système de vote créé grâce à l’algorithme des
HQWLW«V LQG«SHQGDQWHV 2SHQ .UDWLR HW $JRUD 9RWLQJ TXL H[LVWH G«M¢ HQ
6XLVVHHWHQ1RUYªJHHWTXLSHUPHWIDFLOHPHQWGȇRUJDQLVHUGHVYRWHVHQ
DOOLDQWUHVSHFWGHODYLHSULY«HDQRQ\PDWHWJDUDQWLHVGHV«FXULW«HWGH
ȴDELOLW«
L’idée de la direction de Podemos est d’instaurer la possibilité de
révocation interne des élus de la formation si 25 % des votants en
G«FLGHQW DLQVL HW GH IDYRULVHU GHV G«EDWV LQWHUQHV VXU OHV LQLWLDWLYHV
programmatiques citoyennes qui obtiennent le soutien d’au moins
 GHV YRWDQWV (QȴQ HQ XWLOLVDQW OD WHFKQRORJLH DP«ULFDLQH 5HGGLW
la formation a créé Plaza Podemos XQ VLWH LQWHUQHW GȇDJU«JDWLRQ HW
GȇLQWHUDFWLRQHQWUHXWLOLVDWHXUVTXLSHUPHWGHIDLUHYLYUHHQVHPEOHOHV
FULWLTXHV GH FHUWDLQV VHFWHXUV OHV SURSRVLWLRQV HW OHV G«EDWV 2Q YRLW
donc bien comment l’essor de PodemosQȇHVWSDVOHIUXLWGXKDVDUGHWVH
fonde notamment sur sa rénovation des pratiques politiques au service
de la démocratie partisane interne et de la communication politique
à l’heure de l’internet et des réseaux sociaux. Les nouvelles techno-
logies sont activement utilisées par Podemos comme des instruments
GHPRELOLVDWLRQHWGȇLQYLWDWLRQDXG«EDWFHTXLSHUPHWGHUHOD\HUSOXV
HIIHFWLYHPHQWOHVSULVHVGHSRVLWLRQSXEOLTXHVGHVSRUWHSDUROHGXSDUWL
et de mener une « campagne 2.0 » plus effective que ses concurrents.
Cela rappelle l’innovation technologique utilisée de façon déterminante
au service de la campagne présidentielle de Barack Obama en 200845.

šEntretien avec Àngel, siège « numérique » de Podemos, Plaza de EURCȓCHȌXTKGT


šSur ce point, cf. notamment François HƫƾƴƪƫƷƯƩƱƖ, « ODCOCNŨKPHNGZKQPPWOȌTKSWGz
HermèsPoRšMaria MƫƷƩƧƴƹƯGƺƫƷƯƴ, « FCEGDQQMWPPQWXGNQWVKNFGECO
RCIPGšAPCN[UGFGUTȌUGCWZUQEKCWZGVOCTMGVKPIRQNKVKSWGzLa Revue des sciences de gestion,
PoRšPatrice FƲƯƩƮƾ, « La démocratie 2.0 », ÉtudesPoR

283
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

RENOUVELLEMENT IDÉOLOGIQUE
ET STRATÉGIES POLITIQUES

Un leader médiatique
Podemos SRXU OH JUDQG SXEOLF FȇHVW DYDQW WRXW OH YHUEH DVVH] UHV-
pectueux de ses adversaires et la parole critique étayée d’exemples
GH 3DEOR ,JOHVLDV (Q  FH GHUQLHU ODQ©D HW SU«VHQWD La Tuerka sur
Público TVXQH«PLVVLRQGHG«EDWVSROLWLTXHVTXȇLODFU««HVXUOȇLQWHUQHW
DYHF TXHOTXHV FROOªJXHV HW DPLV GRQW -XDQ &DUORV 0RQHGHUR GHSXLV
OHG«EXWGHVDQQ«HV3XLVOHW\SHGHGLVFRXUVTXHSURSRVHG«VRU-
mais Podemos fut testé lors d’une émission hebdomadaire diffusée sur
XQHFKD°QHW«O«YLV«HORFDOHGXTXDUWLHUPDGULOªQHGH9DOOHFDVGȇR»HVW
RULJLQDLUH 3DEOR ,JOHVLDV 'HYDQW OH VXFFªV UHQFRQWU« SDU OȇLQLWLDWLYH
les plateaux télévisés et radios l’invitèrent peu à peu. Ces analyses
minutieusement travaillées commencèrent à créer la polémique sur
les réseaux sociaux et à faire monter l’audience des chaînes de télévi-
VLRQ(QDR½WLOG«EXWDXQHFROODERUDWLRQSOXVJ«Q«UDOHDYHFFHWWH
FKD°QHHWHQQRYHPEUHLOGHYLQWDQDO\VWHDXVHLQGXSURJUDPPH
La Sexta Columna de la chaîne Sexta.
6D SUHPLªUH DQDO\VH LQWLWXO«H m5DMR\ DQ, /D U«DOLW« Fȇ«WDLW ©D}
TXL FULWLTXDLW OD SUHPLªUH DQQ«H GX JRXYHUQHPHQW FRQVHUYDWHXU
ȴW OH mEX]]} VXU OȇLQWHUQHW HW OHV U«VHDX[ VRFLDX[46. À partir de jan-
YLHU LO FU«D HW SU«VHQWD OH SURJUDPPH Fort Apache U«DOLV« SDU
les productions CMI et émis par la chaîne de télévision publique
internationale iranienne Hispan TV GHVWLQ«H DX PRQGH KLVSDQLTXH
/H DYULO  LO IXW HQVXLWH LQYLW« ¢ Oȇ«PLVVLRQ WUªV VXLYLH El Gato
al Agua sur la chaîne IntereconomíaSRXUU«DJLU¢OȇDSSHOGXFROOHFWLI
25-S de tenter d’occuper le Congrès des députés le 25 avril jusqu’à
obtenir la démission du gouvernement47. Ayant milité au sein du
PRXYHPHQW DOWHUPRQGLDOLVWH HQ  3DEOR ,JOHVLDV G«IHQG OD G«VR-
E«LVVDQFH FLYLOH FRPPH PR\HQ GH OXWWH /RUV GH FHWWH LQWHUYHQWLRQ
WRXW HQ FRQGDPQDQW OȇXVDJH GH OD YLROHQFH LO MXVWLȴH OHV PDQLIHVWD-
tions populaires en cherchant à montrer le manque de légitimité du
JRXYHUQHPHQW GH VHV SROLWLTXHV GȇDXVW«ULW« HW SOXV J«Q«UDOHPHQW OD
crise du système politique issu de la constitution de 1978. Ses prises de

šPablo IƭƲƫƸƯƧƸ, « RCLQ[CȓQIšLa realidad era esto », [atresplayer. com], 16 novembre 2012.
šMiguel HƫƷƴʜƴƪƫƿ, « El 25SNNCOCCūCUGFKCTŬGNCongreso el 25 de abril y a no abandonar
hasta que dimita el Gobierno », La Razón, 31 mars 2013.

284
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

SRVLWLRQWUªVKDELOHVHWDSSX\«HVGHGRQQ«HVFRQFUªWHVOXLRQWSHUPLV
de se faire connaître du grand public et ont suscité un large débat sur
internet et dans la presse écrite48.
Il est dès lors devenu peu à peu un analyste et un collaborateur
habituel invité à différentes « Tertulias políticas} El Gato al Agua et
El Cascabel al Gato  79  La SextaNoche /D 6H[WD  Las Mañanas
de Cuatro (Cuatro) et La noche en 24 horas présenté par Sergio Martin
(24 horas)49. La principale nouveauté du discours qu’il propose et sa
percée à l’écran s’expliquent par le fait que le format télévisuel des
« Tertulias} GHV G«EDWV VXU OȇDFWXDOLW« SROLWLTXH HQWUH VXSSRV«V mVS«-
FLDOLVWHV}MRXUQDOLVWHVHWLQYLW«VD«W«ODUJHPHQWmYDPSLULV«}SDUGHV
pseudo-experts au cours des dernières années. Ces « spécialistes du ciel
HW GH OD WHUUH} SRXU UHSUHQGUH OȇH[SUHVVLRQ Gȇ,JOHVLDV RQW SULV OȇKDEL-
tude d’opiner sur tous les sujets et de se dire compétents sur toutes les
WK«PDWLTXHVHQUHVVDVVDQWOHVP¬PHVSRLQWVGHYXHHWLG«HVUH©XHV(Q
préparant au contraire très sérieusement en amont ses interventions
W«O«YLV«HVHQU«GLJHDQWGHVQRWHVGHVDUJXPHQWDLUHVHWHQ«WD\DQWVRQ
SURSRVGHQRPEUHX[H[HPSOHV3DEOR,JOHVLDVDVRXGDLQHPHQWPRQWU«
OH IDLEOH QLYHDX LQWHOOHFWXHO GH QRPEUHX[ G«EDWV SUHQDQW VRXYHQW OH
dessus sur ses interlocuteurs grâce à un vrai travail méthodique d’argu-
mentation et de contre-argumentation.
6HVLQWHUYHQWLRQVWUªVFULWLTXHVPDLVLQWHOOLJHQWHVHWWUªVGRFXPHQ-
W«HVG«VWDELOLVHQWDLQVLVRXYHQWOHVDXWUHVPHPEUHVGXSODWHDXHQPHW-
tant le doigt sur les questions qui fâchent50. Avant même la création de
PodemosHQMDQYLHUHOOHVOXLRQWSHUPLVGHȴG«OLVHUXQSXEOLFHWGH
diffuser ses prises de position à des heures de grande écoute. Depuis la
IRUPDWLRQGXPRXYHPHQW3DEOR,JOHVLDVHVWGHYHQXXQYUDLSK«QRPªQH
P«GLDWLTXH LQYLW« HQ  DX VHLQ GH QRPEUHXVHV DXWUHV «PLVVLRQV
comme La LupaVia VAl Rojo vivoEl ObjetivoViajando con ChesterUn
tiempo nuevo et Salvados. L’émergence de Podemos doit ainsi beaucoup
DX FKDULVPH DX WUDYDLO FULWLTXH VXU OH FRQWHQX HW ¢ OD FRPPXQLFDWLRQ
politique de Pablo Iglesias. L’essor de la formation est donc intimement
lié à la diffusion de nouveaux cadres d’interprétation et d’un discours
critique renouvelé au sein même des médias de masse traditionnels.

šMario LʭǞƫƿ, « Pablo Iglesias y la conquista de la inteligencia », Diario Siglo XXI, 4 juillet
2013.
šIl a aussi participé à l’émission Te vas a enterar en 2013.
šEn octobre 2013, il a d’ailleurs obtenu un prix journalistique octroyé par le département de
journalisme de l’université Carlos III de Madrid, puis le prix « Enfocados » de journalisme de
l’ONG Coordinadora para el desarrollo, pour sa contribution au changement social.

285
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Un discours transversal s’adressant à tous


Une autre clé du succès de Podemos réside dans la volonté de ses
dirigeants de se démarquer des étiquettes politiques traditionnelles
et du clivage gauche-droite. En refusant d’être « étiqueté » comme un
SDUWL mGH JDXFKH} Podemos se place dans une posture visant à arti-
FXOHU XQ GLVFRXUV WUDQVYHUVDO VȇDGUHVVDQW ¢ WRXV XQH FDUDFW«ULVWLTXH
GHV SDUWLV mDWWUDSHWRXW} SOXV D[«V VXU OD FRQTX¬WH GX SRXYRLU HW OD
volonté de convaincre une majorité des citoyens que sur la défense
acharnée d’une idéologie51. La présence de l’eurodéputée Maria Matìas
du Bloco de EsquerdaSRUWXJDLVHWGȇ$OH[LV7VLSUDVGLULJHDQWGHSyriza
FRDOLWLRQGHJDXFKHUDGLFDOHJUHFTXHORUVGHVRQFRQJUªVIRQGDWHXUHW
l’insertion de Podemos dans le groupe de la gauche unitaire européenne
DX3DUOHPHQWHXURS«HQQHODLVVHQWFHSHQGDQWDXFXQGRXWHVXUVRQDɚ-
liation politique52. Mais contrairement à SyrizaTXLQȇDMDPDLVFKHUFK«
¢RFFXOWHUVRQLG«RORJLHK«ULW«HGHOȇHXURFRPPXQLVPHPodemos refuse
OH ODEHO mJDXFKH UDGLFDOH} MXJ« WURS S«MRUDWLI HW SU«IªUH VH SU«VHQWHU
comme un « mouvement citoyen » ou « un processus populaire partici-
patif53}3HU©XVDQVDPELJX±W«FRPPHmGHJDXFKH}SDUOHVFLWR\HQVVD
SRVWXUHOXLSHUPHWGHGLVSXWHUOȇHVSDFHSROLWLTXHWUDGLWLRQQHOGX362(
tout en étant en phase avec la radicalisation de l’électorat de gauche et
en cherchant à attirer un électorat plus vaste : sur une échelle de 0 à
OHV(VSDJQROVVLWXHQWPodemos¢VRLWDXFĕXUGHODJDXFKHYRLUH
P¬PHSOXV¢SUR[LPLW«GHODmGHX[LªPHJDXFKH}HWPHWWHQWOH362(
¢¢VDYRLUSOXVDXFHQWUHJDXFKH54. Cela explique l’accent mis par le
parti sur la volonté de représenter « les gens » et « le peuple » face à
« la caste » des partis traditionnels qui coopèreraient pour maintenir

šSWT NC PQVKQP FG kRCTVK CVVTCRGVQWVz EH NŨCTVKENG ENCUUKSWG FG Otto KƯƷƩƮƫƯƳƫƷ, « The
transformation of the West European party systems », dans Joseph LƧPƧƲƵƳƨƧƷƧ et Myron
WƫƯƴƫƷ FKT  Political Parties and Political Development, Princeton, Princeton University Press,
R
šFrancesco MƧƴƫƹƹƵ, « TUKRTCUCTTQRCTȄCPablo Iglesias en la clausura de la asamblea de
Podemos », El País PQXGODTG  Rš María Antonia SʛƴƩƮƫƿVƧƲƲƫưƵ, « El espejo
griego de Syriza », El País, 23 novembre 2014.
šLes expressions sont ici reprises de Juan Carlos MƵƴƫƪƫƷƵ et Jesús MƵƴƹƫƷƵ, op. cit.,
17 octobre 2014. De 3 % lors des européennes de 2004, Syriza est devenu le premier parti de
NŨQRRQUKVKQP NQTU FGU NȌIKUNCVKXGU FG  GPXQ[CPV  FȌRWVȌU UWT   CW Parlement grec,
RWKUNGRTGOKGTRCTVKITGENGRNWUXQVȌ  NQTUFGUGWTQRȌGPPGUFGPas à pas, Syriza
s’est transformé en un parti de gouvernement cherchant à rassurer ses partenaires européens,
ce qui a débouché sur sa conquête du pouvoir lors des élections législatives du 25 janvier 2015.
Cf. Lamprini RƵƷƯet Elias DƯƴƧƸkLGUȌNGEVKQPUNȌIKUNCVKXGUITGESWGUFGšFGUȌNGEVKQPUȃ
haut risque », Pôle sud. Revue de science politique de l’Europe méridionalePoR
šSondage El PaísMetroscopia, 2 novembre 2014.

286
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

l’immobilisme du système politique malgré les fortes demandes de


changement social55.
'«SRXUYXIDFH¢OȇDVFHQVLRQIXOJXUDQWHGXSDUWLOH362(OHTXDOLȴD
GȇDERUGGHmSRSXOLVWH}PDLVGHYDQWOȇLQHɚFDFLW«GȇXQHWHOOHVWUDW«JLH
LOFKHUFKHG«VRUPDLVVHORQXQGRFXPHQWLQWHUQH¢mG«YRLOHUDXSXEOLF
le mouvement comme une organisation d’extrême gauche56 ». Comme
OHQRWH3DWULFN&KDUDXGHDXOHmSRSXOLVPH}FRQVLVWHm¢VHU«FODPHUGX
peuple et de ses aspirations profondes » mais « en manipulant la réa-
lité politique et en la dramatisant à l’extrême57}1«DQPRLQVPodemos
ne manipule pas plus la réalité politique en sa faveur que les autres
partis. Il propose un discours simple mais pas simpliste. Pablo Iglesias
YHXW mSDUOHU YUDL} HQ U«Y«ODQW OHV LQMXVWLFHV WRXW HQ HPSOR\DQW XQ
ton mesuré face à ses adversaires. Derrière chacune de ses interven-
WLRQV SXEOLTXHV HW W«O«YLV«HV LO \ D XQ LQWHQVH WUDYDLO GH SU«SDUDWLRQ
GH UHFKHUFKH GH GRQQ«HV FKLIIU«HV GH SHWLWHV IRUPXOHV HW GH VORJDQV
qui sont repris par les grands médias et qui entrent en écho avec les
attentes des citoyens. Ses adversaires sont souvent déstabilisés parce
TXȇHQ SURIHVVLRQQHOV FRQȴUP«V GH OD SROLWLTXH LOV VH VRQW KDELWX«V ¢
OD mODQJXH GH ERLV} HW ¢ LPSURYLVHU FH TXL QȇHVW SDV VXɚVDQW IDFH ¢
VHVTXHVWLRQVWUªVSU«FLVHV0¬PHVȇLOSURSRVHGHVVROXWLRQVGHJDXFKH
le discours de Podemos HVW DYDQW WRXW FRQFUHW HW FKHUFKH ¢ PHWWUH HQ
avant des problèmes qui concernent « tout le monde ». C’est donc un
discours qui s’adresse à la majorité et qui est différent de celui de la
JDXFKHWUDGLWLRQQHOOHFRPPHOȇH[SOLTXH3DEOR,JOHVLDV
J’ai vu que ce discours fonctionnait et qu’il plaisait. Les gens m’arrêtait
GDQVODUXHHWPHGLVDLWm-HVDLVTXHWXHVGHJDXFKHHWMHQHOHVXLVSDV
mais je suis d’accord avec ce que tu dis58 ».

Dans son discours d’investiture en tant que nouveau secrétaire


J«Q«UDO GX SDUWL OH QRYHPEUH  3DEOR ,JOHVLDV D VRXWHQX TXH
« Podemos>Qȇ«WDLWSDV@XQHH[S«ULPHQWDWLRQSROLWLTXHPDLVOHU«VXOWDW
de l’échec d’un régime ». Sa formation serait « un balai pour balayer la
société de la corruption ». Il a cherché à répondre à la « peur » que ses

šPablo Machuca, « Entrevista a Pablo IINGUKCUšūNo es izquierda o derecha, es dictadura o


democracia” », El Huffington Post, 26 février 2014.
56. « Documento estratégico », PSOE, 25 novembre 2014, cité dans Anabel DƯƫƿ, « El PSOE
VTCVCTȄFGUKVWCTCPodemos en la extrema izquierda », El País, 30 novembre 2014, p. 21.
šPCVTKEMCƮƧƷƧƺƪƫƧƺ, « Réflexions pour l’analyse du discours populiste », Mots. Les langages
du politiquePoR
šPablo IƭƲƫƸƯƧƸ, cité dans « ¿Hacia dónde camina PQFGOQUš!z El Mundo, 15 septembre
2014, p. 15.

287
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

DGYHUVDLUHV HVVDLHQW GH U«SDQGUH ¢ Oȇ«JDUG GH VD IRUPDWLRQ HQ GLVDQW
que « ce qui fait réellement peur aujourd’hui en Espagne est que pen-
dant que le nombre de citoyens riches a augmenté de 24 % l’année der-
QLªUHGHVSHUVRQQHVHQULVTXHGHSDXYUHW«QHVRUWHQWSDVGHFHOOH
ci lorsqu’elles trouvent un travail59 ». Il s’est principalement focalisé
sur la lutte contre la corruption et la nécessité de « changer de régime »
pour résoudre le problème au-delà des nombreuses affaires indivi-
duelles qui ne seraient que « la pointe de l’iceberg ». Critique des excès
GXQ«ROLE«UDOLVPHOHGLVFRXUVSROLWLTXHGHPodemos donne une impor-
tance centrale aux aspects les plus concrets de la vie des gens : le droit à
XQHDOLPHQWDWLRQVDLQHHW¢OȇHDXSRXUWRXVDX[OLEHUW«VGHGLVSRVHUGH
son corps et de s’exprimer (contre les réformes du PP anti-avortement
HWUHVWUHLJQDQWOHGURLWGHPDQLIHVWHU HWDX[GURLWVIRQGDPHQWDX[GH
se loger et d’accéder à l’éducation60. Comme le collectif de la PAH depuis
Podemos prône l’utilisation des logements vides possédés par les
banques et un moratoire sur les expulsions.
(Q PDWLªUH «FRQRPLTXH OD SRVLWLRQ GH Podemos a d’ores et déjà
«YROX« QRWDPPHQW VXU OȇHXUR HW OD GHWWH SXEOLTXH HQ FKHUFKDQW VXU-
tout à rassurer61. Les économistes Bibiana Medialdea et les professeurs
$OEHUWR 0RQWHUR HW 1DFKR ƒOYDUH] G«IHQGHQW G«VRUPDLV XQ SODQ GH
UHVWUXFWXUDWLRQ SDUWLHOOH HW FRQFHUW«H GH OD GHWWH QRWDPPHQW SRXU
répondre aux critiques à l’égard de son projet initial lors des euro-
S«HQQHVTXLG«IHQGDLWOHQRQSDLHPHQWGHVSDUWLHVmLOO«JLWLPHV}GHOD
dette62. Iglesias cherche aussi à rassurer en défendant qu’il ne s’agira
de sortir ni de l’euro ni de l’UE. Son « Programme économique pour les
JHQV}VȇLQVSLUHGHVUHFRPPDQGDWLRQVGHV«FRQRPLVWHV-XDQ7RUUHVHW
9LFHQ©1DYDUURTXLSURSRVHQWQRWDPPHQWXQmSODQGHG«YHORSSHPHQW

šPablo IƭƲƫƸƯƧƸ, discours d’investiture, Madrid, 15 novembre 2014.


šCJGTEJCPVȃTGVQWTPGTNGUVKIOCVGFGUOQWXGOGPVUCPVKCXQTVGOGPVSWKUGFKUGPVkFȌHGPUGWTU
de la vie », Iglesias a par exemple défendu que « défendre la vie, c’est défendre le droit des femmes
à décider lorsqu’elles veulent un enfant ». Cf. Discours d’investiture, op. cit., 15 novembre 2014.
šCritiqué pour les liens supposés du parti avec le Venezuela, dans un entretien au quotidien
El País, ÍȓKIQErrejón a bien précisé que Podemos n’a pas l’intention de s’inspirer des politiques
menées par Hugo CJȄXG\ GV NKEQNȄU Maduro, un pays « qui n’est pas un modèle pour l’Es
pagne » selon lui. Cf. Entretien numérique avec ÍȓKIQErrejón, El País, 13 novembre 2014, p. 15.
Cette polémique se fonde notamment sur le fait que Juan Carlos Monedero a été conseiller
du gouvernement vénézuélien dirigé par Hugo CJȄXG\ GPVTG GV VCPV FKTGEVGOGPV
avec le président de la république bolivarienne, qu’au sein du ministère de la Planification ou du
Centre international Miranda où il fut responsable de formation.
šL’économiste Carlos Díez, particulièrement critique envers la formation, estime par exemple
que « Podemos a choisi un programme utopique, en vendant des promesses aux gens qu’ils
ne vont pas pouvoir réaliser ». Selon lui, « ils sont partis vers la Voie lactée et sont toujours sur
Mars ». Cf. Carlos Dʨƫƿ, « Podemos en el país de Nunca JCOȄUzEl País, 27 novembre 2014, p. 36.

288
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

LQW«JUDO} SRXU GLYHUVLȴHU Oȇ«FRQRPLH HVSDJQROH WURS G«SHQGDQWH GHV


secteurs du bâtiment et du tourisme. Podemos propose de revenir sur
ODU«IRUPHGXPDUFK«GXWUDYDLOGX33GHGLPLQXHUOHWHPSVGHWUDYDLO
HWGȇDP«OLRUHUODSURWHFWLRQGHVVDODUL«V,OYHXWPHWWUHȴQDX[FRXSHV
budgétaires et favoriser l’investissement public pour créer de l’emploi
GDQV OHV VHFWHXUV GH OD G«SHQGDQFH GH OD UHFKHUFKH HW GHV «QHUJLHV
UHQRXYHODEOHV /H SDUWL SU¶QH HQȴQ XQ mFKDQJHPHQW GX PRGªOH SUR-
ductif » qui soutiendra les PME et facilitera l’accès des entreprises au
crédit. En s’entourant d’intellectuels et en leur demandant de proposer
GHV DOWHUQDWLYHV HW GHV VROXWLRQV Podemos cherche à se faire le porte-
parole de nouvelles idées et donne l’image d’un parti qui pense et qui
veut se doter d’un projet positif et progressiste pour le futur. Le parti
entreprend en fait le renouvellement du discours de gauche et des pra-
tiques politiques que le PSOE n’a pas su réaliser.
Prenant en compte les critiques à l’égard de la monarchie qui ont
poussé Juan Carlos Ier à abdiquer au nom de sa volonté même de pré-
VHUYHU HW GH UHQRXYHOHU OȇLQVWLWXWLRQ Podemos propose un référendum
HW VH GLW IDYRUDEOH ¢ OȇLQVWDXUDWLRQ GȇXQH U«SXEOLTXH /H MXLQ 
7HUHVD5RGU¯JXH]QRXYHOOHHXURG«SXW«HGHODIRUPDWLRQSDUWLFLSD¢XQH
manifestation à Bruxelles d’Espagnols en faveur d’un référendum sur
ODPRQDUFKLH$\DQWPDLQWHQXXQSURȴOEDVORUVGXU«I«UHQGXPV\PER-
OLTXHVXUOȇLQG«SHQGDQFHGHOD&DWDORJQHOHQRYHPEUHOHSDUWLVRXWLHQW
mOH GURLW ¢ G«FLGHU} GHV &DWDODQV ORUV GȇXQ U«I«UHQGXP mFRPPH OHV
‹FRVVDLV} VHORQ ³LJR (UUHMµQ63. Il cherche à replacer la question terri-
WRULDOHGDQVOHFDGUHGHOȇHVVRXɛHPHQWGHODFRQVWLWXWLRQGHHWGH
ODQ«FHVVLW«GHVDU«IRUPHSRXU«YROXHUYHUVXQmSD\VGHSD\VXQSD\V
de nations ». Mais l’ensemble des membres de Podemos ne sont pas sur
ODP¬PHORQJXHXUGȇRQGHFRPPHOHSURXYHQWOHVFULWLTXHVGHOȇH[MXJH
DQWLFRUUXSWLRQ&DUORV-LP«QH]9LOODUHMRTXLFDUDFW«ULVDGȇmDQWLG«PRFUD-
WLTXH}HWGȇmLOO«JDOH}ODFRQVXOWDWLRQFDWDODQH/DSRVLWLRQRɚFLHOOHGX
SDUWLHVWFHSHQGDQWGHVRXWHQLUXQU«I«UHQGXPWRXWHQGLVDQWmQRQ}¢
OȇLQG«SHQGDQFHGHOD&DWDORJQHPDLVmRXL}DXGURLW¢OȇDXWRG«WHUPLQD-
WLRQGHODQDWLRQFDWDODQHGDQVOHFDGUHGȇXQ‹WDWSOXULQDWLRQDO

Une stratégie électorale de conquête du pouvoir


Pablo Iglesias et les dirigeants du parti ne cachent pas leurs
ambitions et le répètent à chaque intervention publique : leur but est

šElsa GƧƷƩʨƧ Dƫ BƲƧƸ, « ETTGLȕPš ūLos catalanes tienen derecho a decidir como los esco
ceses” », El País, 13 novembre 2014, p. 19.

289
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

d’attirer « la majorité sociale » et d’« occuper la centralité de l’échi-


TXLHUSROLWLTXH}GHVH[SUHVVLRQVTXLRQWIDLWPRXFKHHWVRQWUHSULVHV
par les journalistes et les médias. Devant sept mille militants lors de
OȇDVVHPEO«H GH 9LVWDOHJUH 3DEOR ,JOHVLDV G«FODUD FODLUHPHQW YRXORLU
conquérir le pouvoir en incarnant l’opposition au PP et l’alternative
DX 362( m/HV YUDLHV GLɚFXOW«V FRPPHQFHQW PDLQWHQDQW HW ORUVTXH
QRXV JDJQHURQV OHV «OHFWLRQV HQ G«FHPEUH GH OȇDQ SURFKDLQ G«EXWH-
URQW OHV GLɚFXOW«V SRXU GH YUDL64} -RV« 3DEOR )HUU£QGL] VRFLRORJXH
HW YLFHSU«VLGHQW GH OȇLQVWLWXW GH VRQGDJH 0HWURVFRSLD DQDO\VH DLQVL
FHWWH VWUDW«JLH m,OV VDYHQW TXH FȇHVW O¢ R» VH WURXYHQW OHV FLWR\HQV
/HXU REMHFWLI ȴQDO HVW GȇRFFXSHU DX VHLQ GH OD VRFL«W« OD SRVLWLRQ TXȇD
occupé le PSOE dans les années qui suivirent la transition démocra-
tique65}/DUDGLFDOLW«SHUPHWGHmIDLUHOHEX]]}GȇDWWLUHUOȇDWWHQWLRQ
P«GLDWLTXHPDLVQȇHVWSDVXQHȴQHQVRL,OVȇDJLWDYDQWWRXWGȇXQLQV-
trument de communication politique au service d’un programme qui
apparaîtra « radical » à la droite conservatrice et que le PSOE s’efforce
¢SU«VHQWHUFRPPHmH[WU«PLVWH}PDLVTXLHVWHQIDLWDVVH]ORLQGȇXQH
LG«RORJLHGȇH[WU¬PHJDXFKHWUDGLWLRQQHOOHHVWEHDXFRXSSOXVPRG«U«HW
progressiste. Le document fondateur de Podemos«ODERU«SDU,JOHVLDV
0RQHGHUR ³LJR (UUHMµQ &DUROLQD %HVFDQVD HW /XLV $OHJUH UHFRQQD°W
GȇDLOOHXUVXQFHUWDLQP«ULWH¢Oȇ«WDSHGXVRFLDOLVPHGH)HOLSH*RQ]£OH]
HW Gȇ$OIRQVR *XHUUD TXL LQFDUQªUHQW XQH UXSWXUH J«Q«UDWLRQQHOOH HW
progressiste avec le passé :
/H SDUWL VRFLDOLVWH D «W« VXLWH DX U¶OH LQLWLDO GX 3&( HW GHV && 22 
OȇDUWLVDQGHOȇLQW«JUDWLRQGHVFODVVHVVXEDOWHUQHV¢Oȇ‹WDWHQHWSDU
FRQV«TXHQWGHVFRQTX¬WHVVRFLDOHVDXVHLQGHFHOXLFLDYDQWGHGHYHQLU
XQHSLªFHFO«GHOȇLQFRUSRUDWLRQGHOȇ‹WDWDXSDFWHVRFLDOQ«ROLE«UDO&ȇHVW
lui qui ferme l’espace politique de la gauche et c’est sa crise qui ouvre
les opportunités politiques pour une nouvelle majorité. En récupérant le
SUHVWLJHSHUGXHQPHWWDQWȴQDX[SUREOªPHVLQWHUQHVHWHQSURPRXYDQW
XQQRXYHDXGLULJHDQWGRW«GHSHXGHOLHQVV\PEROLTXHVDYHFOHSDVV«LO
devrait être possible de récupérer une partie de l’espace politique perdu
HWGHUHQIRUFHUOHVRSWLRQVGȇXQHIRUFHGHUXSWXUHG«PRFUDWLTXHUHODWLYH-
ment transversale au sein d’un discours d’unité populaire et citoyenne66.

šPablo IƭƲƫƸƯƧƸ, discours de l’assemblée de Vistalegre, 8 octobre 2014.


šJosé Pablo FƫƷƷʜƴƪƯƿ, cité dans « Pablo Iglesias, del ajedrez a la batalla política », El País,
22 septembre 2014, p. 22.
šPodemos, « Claro que podemos », document fondateur de l’assemblée de Madrid,
15 novembre 2014.

290
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

Photo 10.1. La « Marche du changement » de Podemos0DGULGMDQYLHU

Cette quête du pouvoir à laquelle aspirent les dirigeants de Podemos


explique la recherche d’un discours transversal et rassembleur au-
delà du clivage gauche-droite traditionnel. Contrairement au Front de
gauche en France et au Bloco de Esquerda DX 3RUWXJDO TXL VȇDSSXLHQW
sur des coalitions de partis et de mouvements dominées en termes orga-
QLVDWLRQQHOVSDUOHVSDUWLVFRPPXQLVWHVIUDQ©DLVHWSRUWXJDLVPodemos
cherche à ne pas apparaître comme un cartel d’organisations et à dépas-
ser les partis traditionnels67. Cela différencie le parti du positionnement
clairement axé et revendiqué à gauche d’Izquierda Unida qui se divise
HQGHX[VHFWHXUVIDFH¢VRQDVFHQVLRQ/ȇH[FRRUGLQDWHXUJ«Q«UDOGȇ,8
&D\R/DUDVȇRSSRVH¢XQHDOOLDQFHVDQVDFFRUGVXUXQSURJUDPPHFRP-
PXQ ‚ 0DGULG SDU H[HPSOH OH UHSU«VHQWDQW GX SDUWL (GG\ 6£QFKH]
vainqueur en 2012 avec 51 % des voix des primaires pour les élections
U«JLRQDOHV IDFH ¢ 7DQLD 6£QFKH] 0HOHUR GLULJH OH FRXUDQW PDMRULWDLUH
« Somos IU } HW QH YHXW SDV mSHUGUH VRQ LGHQWLW« GDQV Ganemos68 ».
0DLV OH MHXQH G«SXW« $OEHUWR *DU]µQ DFWXHO FRRUGLQDWHXU J«Q«UDO GX
parti et candidat favori à la primaire de la coalition pour les législatives
GHSHQVHTXHmOHVJHQVQHFRPSUHQGUDLHQWSDVTXH,8HWPodemos
ne s’allient pas pour faire face au bipartisme69 ».

šLoïc LƫCƲƫƷƩ, « Pourquoi Podemos progresse quand le Front de gauche patine », Marianne,
6 septembre 2014.
šGregorio ÀƲƻƧƷƫƿ, « IU se divide ante el ascenso de Podemos », El País, 7 novembre 2014.
šAlberto GƧƷƿƵƴ, conférence de presse publique, Madrid, 25 octobre 2014.

291
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Des brèches s’ouvrent aussi au sein du parti socialiste : José Antonio


3«UH]7DSLDVGLULJHDQWGXFRXUDQWm*DXFKHVRFLDOLVWH}GX362(TXLD
REWHQX  GHV YRL[ ORUV GH OD SULPDLUH GH  D TXDOLȴ« Podemos
GHmUHQRXYHDX}SRXUODYLHSROLWLTXHHWLQYLW«VHVGLULJHDQWV¢SRXU-
suivre leur évolution avec en vue de possibles connexions. Il a assisté
à l’assemblée de Podemos du 15 novembre avec le socialiste madrilène
(QULTXHGHO2OPRFDQGLGDWYDLQFXSDU0LJXHO$QWRQLR&DUPRQDORUVGH
la primaire du PSOE pour la mairie de Madrid. La dirigeante du PSOE
Gȇ$QGDORXVLH6XVDQD'¯D]VȇHVWDXVVLG«FODU«HIDYRUDEOH¢XQHDOOLDQFH
avec PodemosVLFHOXLFLVȇ«ORLJQHGHOȇDQWLFDSLWDOLVWHGȇ,$PDLVOHQRX-
veau parti semble désormais exclure cette option suite à la victoire élec-
torale du PSOE en Andalousie et à son peu de volonté de négocier sur les
politiques qui seront menées par le nouveau gouvernement.
'H SOXV Podemos n’absorbe pas seulement IU et une bonne partie
des électeurs socialistes : son discours attire aussi une frange minori-
WDLUH GHV RXYULHUV HW GHV «OHFWHXUV GRQW OȇLGHQWLȴFDWLRQ ¢ XQ SDUWL HVW
OD SOXV IDLEOH HW TXL RQW YRW« SRXU OH 33 RX SRXU 83\' HQ  SRXU
sanctionner et « voter contre » le PSOE et sa gestion désastreuse de la
crise. Podemos attire ainsi une partie des électeurs du parti de Rosa
'¯H]TXLFKHUFKHGHSXLV¢LQFDUQHUXQHDOWHUQDWLYHGHFHQWUHGURLW
DXELSDUWLVPHPDLVVHKHXUWHDXV\VWªPH«OHFWRUDOHW¢ODFRQFXUUHQFH
du PP. Il y a de même fort à croire que les partis nationalistes catalans
(CiU et ERC) et basques (PNV et Bildu) se verront affectés par l’essor de
PodemosORUVGHVO«JLVODWLYHVGHGȇDXWDQWSOXVORUVTXHOȇRQFRQQD°W
OHFRPSRUWHPHQW«OHFWRUDOGXDOGHOHXUV«OHFWHXUVTXLRQWSOXVWHQGDQFH
à voter pour des partis « nationaux » lors des législatives que lors des
régionales70.
&HWWH VWUDW«JLH DɚUP«H GH FRQTX¬WH GX SRXYRLU DX QLYHDX QDWLR-
nal explique le choix de se focaliser sur l’échéance des législatives de
décembre 2015 et de ne pas engager directement Podemos dans les élec-
WLRQVPXQLFLSDOHVHWU«JLRQDOHVP¬PHVLOHSDUWLVRXWLHQWOȇDXWRRUJDQL-
sation de candidatures d’unité populaire et se dit ouvert à des alliances
ORFDOHV ¢ J«RP«WULH YDULDEOH 3RXU OH PRPHQW DX QLYHDX QDWLRQDO OD
VWUDW«JLHGXSDUWLHVWGHUHIXVHUOHVDOOLDQFHVSU««OHFWRUDOHVWRXWHQVH
disant « ouvert » au dialogue avec les autres formations politiques pour
PHWWUHHQSODFHXQHU«IRUPHȴVFDOHODȴQGHVH[SXOVLRQVHWODUHPLVH

šFrancesc PƧƲƲƧƷʣƸ et Michael KƫƧƹƯƴƭ, « Les élections autonomiques et les systèmes par
VKUCPUTȌIKQPCWZšNŨGUUQTFŨWPGEQORȌVKVKQPȌNGEVQTCNGOWNVKPKXGCWZzFCPUAlicia FƫƷƴʜƴƪƫƿ
GƧƷƩƯƧ et Mathieu PƫƹƯƹƮƵƳƳƫ FKT  Les nationalismes dans l’Espagne contemporaine.
Compétition politique et identités nationales, Paris, Armand CQNKPR

292
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

en cause de la réforme du travail votée par le PP. Mais ses dirigeants


pensent que « le PSOE devrait adopter un tournant à 180 degrés pour
IDLUHSDUWLHGHODVROXWLRQHWQRQGXSUREOªPH}HWVRQWWUªVVFHSWLTXHV
sur la possibilité d’un tel tournant71. Podemos se concentre donc sur
deux actions : s’organiser et développer ses assemblées citoyennes sur
OȇHQVHPEOH GX WHUULWRLUH HW FRQVWUXLUH XQ VROLGH GLVFRXUV SROLWLTXH DX
QLYHDX QDWLRQDO TXL G«WHUPLQHUD VRQ SURJUDPPH «OHFWRUDO VXLYDQW
OȇREMHFWLIDɚUP«GHGHYHQLUODSUHPLªUHIRUFHSROLWLTXHGHJDXFKHYRLUH
même d’Espagne72.

2015, LA FIN DU BIPARTISME IMPARFAIT ?


$XȴQDOFRPPHQWSHXWRQH[SOLTXHUOȇHVVRUGHPodemos ? L’ascension
GX QRXYHDX SDUWL VH IRQGH VXU SOXVLHXUV «O«PHQWVFO«V 'ȇDERUG LO VH
structure comme une « méthode participative » plus que comme un
parti traditionnel. Il illustre la volonté de construire un parti hétéro-
GR[H PRGHUQH VȇDSSX\DQW VXU OHV PRXYHPHQWV FLWR\HQV HW VRFLDX[
HQ DWWLUDQW OHV PLOLWDQWV DVVRFLDWLIV OHV DEVWHQWLRQQLVWHV HW OHV FLWR\HQV
G«©XV GHV SDUWLV WUDGLWLRQQHOV HW DOOLH XQH I«G«UDWLRQ GȇDVVHPEO«HV
locales à un exécutif national dominant en s’appuyant sur des procé-
GXUHVQXP«ULTXHVGHG«PRFUDWLHLQWHUQH(QVXLWHLOIRUPXOHXQHSUR-
position politique positive qui redonne de l’espoir aux citoyens et qui
QȇHVW SDV mDQWLSROLWLTXH} RX DQWLV\VWªPH HQ FKHUFKDQW ¢ FRQYDLQFUH
que chacun peut être acteur de la politique et du changement social.
7URLVLªPHPHQWPodemos repose sur la communication politique média-
WLV«HGHVRQGLULJHDQW3DEOR,JOHVLDVTXLOXLDRXYHUWOȇHVSDFHSXEOLFGH
PDVVH HQ VH IRQGDQW VXU VRQ H[S«ULHQFH GHV MRXWHV RUDWRLUHV HW SROL-
tiques au sein de La TuerkaODFKD°QHGHG«EDWVW«O«YLV«VHQOLJQHTXȇLO
a créé il y a déjà une dizaine d’années.
4XDWULªPHPHQWOHVU«VHDX[VRFLDX[HWODEDVHPLOLWDQWHGȇIzquierda
Anticapitalista ont joué un rôle majeur pour activer des structures de
base et diffuser les prises de position du cercle dirigeant à un large
SXEOLF(QȴQVRQUHIXVGȇ¬WUHFDW«JRULV«FRPPHXQSDUWLmGHJDXFKH}
et sa recherche d’un discours plus transversal s’adressant et cherchant
¢ UHSU«VHQWHU mOH SHXSOH} GDQV VRQ HQVHPEOH WD[« ¢ WRUW ¢ PRQ VHQV
GHmSRSXOLVWH}SDUVHVDGYHUVDLUHVHVWQ«DQPRLQVFDUDFW«ULVWLTXHGȇXQ

šDéclaration publique de ÍȓKIQEƷƷƫưʬƴ, Madrid, 12 décembre 2014.


šFrancesco MƧƴƫƹƹƵ, « Podemos aparta de su agenda el debate sobre pactos para las gene
rales », El País, 2 décembre 2014, p. 12.

293
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

parti « attrape-tout » et « électoral-professionnel » clairement axé sur


la conquête du pouvoir. L’essor de Podemos se fonde sur sa volonté
de dominer le tempo politique en formulant un discours interclassiste
qui recentre le débat autour des grandes questions transversales qui
FRQFHUQHQW OD PDMRULW« GHV FLWR\HQV SODQV GH ULJXHXU FRUUXSWLRQ
HPSORLORJHPHQWHWF REOLJHDQWSDUO¢P¬PHOȇHQVHPEOHGHVIRUFHVSROL-
WLTXHVGHGURLWHFRPPHGHJDXFKH¢VHMXVWLȴHURX¢VHUHVLWXHUSDUUDS-
port à ses propositions. L’ascension de PodemosUHVWH¢FRQȴUPHUGDQV
les urnes et dépendra de nombreux facteurs économiques et politiques
tant internes qu’européens. Mais les élections municipales et régionales
de mai 2015 ont d’ores et déjà illustré une restructuration inédite du sys-
tème partisan espagnol à travers un déclin du « bipartisme imparfait »
LQFDUQ«SDUOH33HWOH362(HWDXFRQWUDLUHXQHSOXVJUDQGHIUDJPHQ-
tation avec l’essor de nouveaux partis comme Citoyens et Podemos73.
3RXUWHUPLQHULOHVWSRVVLEOHGȇ«YRTXHUOHVVF«QDULRVSROLWLTXHVOHV
plus plausibles en vue des législatives de décembre 2015. L’hypothèse
stratégique du PP est de se dire que la fragmentation de la gauche lui
permettra de maintenir sa position de parti dominant. Il s’agirait alors
GHJRXYHUQHUVDQVPDMRULW«DEVROXHHQUHFKHUFKDQWVRLWOȇDSSXLGH&L8
FRPPH HQ  VRXV OH JRXYHUQHPHQW GH -RV« 0DU¯D $]QDU VRLW FHOXL
GX362(RXFHOXLGXQRXYHDXSDUWLGHFHQWUHGURLW&LWR\HQV8QSDFWH
SRWHQWLHODYHF&L8VHPEOHWRXWHIRLVDXMRXUGȇKXLWUªVLPSUREDEOHP¬PH
GDQVOHFDVGHFRQFHVVLRQVȴVFDOHVFDUDXYXGHODSRXVV«HLQG«SHQGDQ-
WLVWH &L8 FRQGLWLRQQHUDLW XQ WHO DFFRUG ¢ OȇRUJDQLVDWLRQ GȇXQ U«I«UHQ-
GXP 3DU OD YRL[ GH VD VHFU«WDLUH J«Q«UDOH 'RORUHV GH &RVSHGDO OH 33
Qȇ«FDUWHGRQFSOXVOȇK\SRWKªVHGȇXQHmJUDQGHFRDOLWLRQ}DYHFOH362(
même s’il s’agit plus d’une posture de communication qu’une volonté
réelle743HGUR6£QFKH]UHIXVHFDW«JRULTXHPHQWFHWWHSHUVSHFWLYHPDLV
QHVȇRSSRVHSDVWRXWHIRLV¢ODSRVVLELOLW«GȇDFFRUGVSRQFWXHOVDYHFOH33
SDU H[HPSOH VXU OH G«EDW WHUULWRULDO RX OD U«IRUPH GH OD FRQVWLWXWLRQ
TXH OH SDUWL SURSRVH SRXU LQVWDXUHU XQ ‹WDW I«G«UDO HW U«SRQGUH DX[
aspirations autonomistes catalanes75. En l’absence de majorité abso-
OXHOHVGLULJHDQWVGX33SU«I«UHUDLHQWGRPLQHUXQH[«FXWLIFHUWHVVDQV

šSur cette notion, cf. Gérard GƷƺƴƨƫƷƭ et Florence HƧƫƭƫƲLa FUDQFHYHUVOHELSDUWLVPH̰"La


présidentialisation du PS et de l’UMP, Paris, Presses de Sciences Po, 2007.
šCarlos Cƺʤ, « Dolores de CQURGFCNPQFGUECTVCWPCūITCPEQCNKEKȕPŬUKPQQDVKGPGNCOC[QTȐC
absoluta », El País, FȌEGODTGRšXQKTFWOȍOGCWVGWTkEl PP flirtea con un posible
pacto con el PSOE, que lo niega rotundamente », El País, 2 décembre 2014, p. 18.
šFrancesco MƧƴƫƹƹƵk5ȄPEJG\PQFGUECTVCCEWGTFQURCTNCOGPVCTKQUEQPQVTCUHWGT\CUz
El País, 1er décembre 2014, p. 15.

294
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

PDMRULW« SDUOHPHQWDLUH PDLV SRXYDQW JRXYHUQHU HQ PLQRULW« VL XQ


pacte est passé avec le PSOE pour qu’il s’abstienne. De tels pactes ont de
fait déjà eu lieu depuis la transition démocratique76. L’argument utilisé
SDU OH 33 HVW TXH VȇLO PDLQWLHQW VD SRVLWLRQ GH SUHPLHU SDUWL LO VHUDLW
« antidémocratique » qu’il ne puisse pas gouverner. Mais l’émergence
GXSDUWL&LWR\HQVGȇ$OEHUW5LYHUDDQFLHQPHPEUHGX33HWFDWDODQQRQ
QDWLRQDOLVWH FRPSOLTXH OD W¤FKH GX SDUWL FRQVHUYDWHXU HW UHQIRUFH OD
FRQFXUUHQFH ¢ GURLWH 6XLWH DX[ «OHFWLRQV DQGDORXVHV GH PDUV LO
apparaît de plus en plus que Citoyens exerce une certaine attraction
chez les libéraux et les jeunes conservateurs.
0¬PH VȇLO VȇDJLW GH mSROLWLTXHȴFWLRQ} GHX[ DXWUHV FRQȴJXUD-
WLRQV SHXYHQW «PHUJHU /D SUHPLªUH DVVH] LPSUREDEOH ¢ PRQ VHQV
DXMRXUGȇKXL VHUDLW FHOOH GȇXQH JUDQGH DOOLDQFH YLFWRULHXVH GHV WURLV
FRPSRVDQWHVGHODJDXFKHOH362(Podemos et Izquierda Unida. Si l’on
se fonde sur les récentes enquêtes d’opinion sur les intentions de vote
UHVSHFWLYHVGX362( GHPodemos  HWGȇ,8  XQH
« grande coalition » de gauche aurait de grande chance de l’emporter.
Mais une telle perspective est quasiment impossible pour une raison
VLPSOH ¢ FDXVH GX PRGH GH VFUXWLQ PDMRULWDLUH ¢ XQ WRXU LO IDXGUDLW
que ces trois forces politiques se mettent d’accord en amont sur un
SURJUDPPH SROLWLTXH SDUWDJ« PDLV DXVVL VXU XQH OLVWH FRPPXQH GH
candidats. Cela impliquerait des négociations ardues entre les appareils
SROLWLTXHV PDLV VXUWRXW OH UHWUDLW GH QRPEUHX[ mEDURQV} ORFDX[ GX
362( DX SURȴW GH FDQGLGDWXUHV LVVXHV GH Podemos et d’IU. Ce serait
LQWHOOLJHQWSRXUFRQTX«ULUOHSRXYRLUPDLVVRQQHUDLWOHJODVGHVDPEL-
WLRQV GH QRPEUHX[ UHVSRQVDEOHV ORFDX[ GX 362( GȇDXWDQW SOXV TXH
ce dernier devrait ensuite trouver des compromis avec deux autres
IRUFHV SROLWLTXHV SRXU JRXYHUQHU DORUV P¬PH TXȇLO HVW SURIRQG«PHQW
empreint d’une culture de parti dominant. Mais le principal obstacle est
VXUWRXWLG«RORJLTXHSRXUOH362(VȇDOOLHUDYHFPodemos serait s’avouer
YDLQFX DYDQW P¬PH GȇDYRLU FRPEDWWX SRXU ,8 XQH DOOLDQFH DYHF OH
PSOE serait contradictoire avec sa forte opposition aux mesures d’aus-
W«ULW«SU¶Q«HVSDU-RV«/XLV5RGULJXH]=DSDWHURGH¢HQȴQ
pour PodemosXQHWHOOHDOOLDQFHVHUDLWDXVVLWRWDOHPHQWFRQWUDGLFWRLUH
avec son objectif politique de devenir le nouveau parti dominant de la
gauche et d’incarner le renouveau en opposition à la « caste PPSOE ».

šSur ce point, la secrétaire d’analyse politique et sociale Carolina Bescansa juge « plausible »
WPRCEVGRQUVȌNGEVQTCNGPVTGNGPP et le PSOE, ce qui serait certainement désastreux pour ce
FGTPKGT GP CEVCPV UQP FȌENKP GV TKUSWGTCKV FŨGPVTCȑPGT UC SWCUKFKURCTKVKQP EQOOG NG PASOK
grec.

295
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Tant PodemosSRXUFRQȴUPHUVRQDQFUDJH«OHFWRUDOTXHOH362(SRXU
ne pas le voir disparaître n’ont donc aucun intérêt stratégique à former
une alliance préélectorale. Mais au vu de l’évolution idéologique rapide
de PodemosYHUVODVRFLDOG«PRFUDWLHXQHFRQYHUJHQFHSRVW«OHFWRUDOH
VRXVODIRUPHGȇXQDFFRUGGHJRXYHUQHPHQWSHXW¬WUHSRVVLEOHFRPPH
ce fut le cas dans de nombreuses municipalités. Mais il faudrait pour
FHOD TXH OHV GHX[ IRUFHV REWLHQQHQW VXɚVDPPHQW GH VRXWLHQV «OHFWR-
raux pour pouvoir constituer une majorité ensemble. Il faudrait aussi
que le PSOE préfère s’allier avec Podemos SOXW¶W TXȇDYHF &LWR\HQV
puisqu’un tel pacte est aussi possible.
/DVHFRQGHFRQȴJXUDWLRQVHUDLWFHOOHGȇXQHDOOLDQFHDOWHUQDWLYHHQWUH
IU et Podemos$SUªVWRXW3DEOR,JOHVLDVDOXLP¬PHFROODERU«DYHF,8
dans le passé et de nombreux membres du cercle dirigeant du parti
VRQW LVVXV GHV UDQJV Gȇ,8 0DLV ¢ FH MRXU Podemos dépasse quasiment
FRQVWDPPHQW OHV  GȇLQWHQWLRQV GH YRWH VDQV ,8 HQ «WDQW DQQRQF«
DX PLHX[ FRPPH OD SUHPLªUH DX SLUH FRPPH OD WURLVLªPH IRUFH SROL-
tique. L’intérêt d’une telle alliance semble donc limité pour Podemos
et ses dirigeants optent plutôt pour préserver leur indépendance et
absorber de fait l’électorat d’IU sans avoir besoin d’accords partisans.
Il semble clair qu’un affrontement entre le PSOE et PodemosVHSURȴOH
pour le leadership de la gauche. La stratégie du PSOE est de « rappe-
ler aux gens que la majorité des dirigeants de Podemos sont issus de
Izquierda Anticapitalista} HQ mG«YRLODQW OD FRQWUDGLFWLRQ HQWUH OHXUV
paroles modérées d’aujourd’hui et leur discours radical de toujours77 ».
On estime qu’environ un tiers des électeurs de Podemos lors des euro-
péennes du 25 mai 2014 ont au moins voté une fois pour le PSOE dans
OHSDVV«FHTXLW«PRLJQHGHOȇH[LVWHQFHGȇXQ«OHFWRUDWmȵRWWDQW}TXHOHV
VRFLDOLVWHV HVSªUHQW U«FXS«UHU 0DLV OD W¤FKH VHPEOH GLɚFLOH SXLVTXH
cela risque de stigmatiser comme « extrémistes » des électeurs qui ne se
UHVVHQWHQWSDVFRPPHWHOVHWGȇDFFUR°WUHHQFRUHOȇDWWUDLWGHPodemos au
PRPHQWR»LOHQWUHSUHQGmXQUDSLGHYR\DJHLG«RORJLTXHYHUVODVRFLDO
démocratie78 ». Le PSOE reconnaît d’ailleurs lui-même que « les élec-
teurs de Podemos sont majoritairement des personnes progressistes qui
expriment leur indignation face au fonctionnement du système et qui
ne trouvent pas aujourd’hui au sein du PSOE la réponse adéquate79 ».
Mais les dirigeants socialistes ne comprennent pas la montée en

šPSOE, Documento estratégico, novembre 2014.


šFrancesco MƧƴƫƹƹƵ, « PQFGOQUšGNTȄRKFQXKCLGKFGQNȕIKEQJCUVCNCUQEKCNFGOQETCEKCzEl
País, 30 novembre 2014.
šPSOE, Documento estratégico, novembre 2014.

296
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

SXLVVDQFHGXPRXYHPHQWHPS¬WU«VTXȇLOVVRQWGDQVXQHYLVLRQU«GXF-
trice du parti comme « une scission de la gauche d’Izquierda Unida }
alors que la vraie question est celle de la radicalisation de l’électorat
GH JDXFKH SURJUHVVLVWH IDFH DX PDLQWLHQ GȇXQ FK¶PDJH GH PDVVH ¢ OD
hausse des inégalités et à la corruption politique80. Dans un contexte
général de fragmentation et de multiplication des organisations parti-
VDQHVOHVF«QDULRGȇXQHWULSDUWLWLRQYRLUHP¬PHGȇXQHTXDGULSDUWLWLRQ
(Podemos-PSOE-Citoyens-PP) de l’espace politique semble donc le plus
SUREDEOHDYHFSRXULQFRQQXHVOHSRLGVUHODWLIGHFKDFXQHGHFHVTXDWUH
composantes principales et leurs stratégies d’alliances respectives.

šCarlos CƧƷƴƯƩƫƷƵ, « El PSOE frente a Podemos », El Periódico, 8 novembre 2014.

297
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

11
Un tournant historique
en Espagne ?
Nouvelles alternatives et
renouveau de l’engagement citoyen
Alicia FERNÁNDEZ GARCÍA

Le futur a été créé pour être changé »


(Paulo Coelho)

La séquence historique qui s’est ouverte en 2008 est sans précé-


dent dans l’histoire de l’Espagne contemporaine à plus d’un titre : le
pays a connu une récession économique majeure aux effets réels et
GXUDEOHVVXUODVRFL«W«ODMHXQHVVHOHVWUDYDLOOHXUVSHXTXDOLȴ«VHWOHV
SOXV YXOQ«UDEOHV /D KDXVVH GHV LQ«JDOLW«V GH OD SU«FDULW« HW OH G«YH-
loppement des bas salaires donnent corps à un paysage social plus
IUDJPHQW« R» OHV PRQGHV TXL V«SDUHQW FODVVHV VRFLDOHV SRSXODLUHV HW
aisées tendent à se différencier de plus en plus. Mais loin d’être atone
HW PDOJU« OH G«FRXUDJHPHQW OH G«VHVSRLU HW OD SHXU GH OȇDYHQLU TXL
touchent de nombreuses familles à travers la dégradation de leurs
FRQGLWLRQV GH YLHV OD VRFL«W« HVSDJQROH VȇHVW UHPLVH HQ PRXYHPHQW
descendant massivement dans les rues pour exprimer son méconten-
WHPHQWHWVRQLQGLJQDWLRQ¢Oȇ«JDUGGHV«OLWHVSROLWLTXHVGHVEDQTXHV
et de l’austérité.
3RXUFORUHFHWRXYUDJHFROOHFWLIQRXVG«JDJHURQVTXHOTXHVSLVWHVGH
U«ȵH[LRQVXUOHVH[SOLFDWLRQVGHODFULVH«FRQRPLTXHVRFLDOHHWSROLWLTXH
qu’a traversée l’Espagne d’aujourd’hui. Mais loin du pessimisme qui se
dégage si l’on s’intéresse à la situation sociale des classes moyennes et
SRSXODLUHV¢OHXUVFRQGLWLRQVGHYLHHWGHWUDYDLOQRXVWHQRQV¢VRXOL-
gner toutefois la vitalité des mouvements sociaux qui ont émergé au
FRXUVGHVGHUQLªUHVDQQ«HVHWOHXUFRQWULEXWLRQDXFKDQJHPHQWVRFLDO
et à l’évolution des mentalités. Les crises multiples auxquelles le pays
DG½IDLUHIDFHRQWDXPRLQVHXSRXUHIIHWSRVLWLIGHFRQWULEXHU¢XQH

299
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

UHSROLWLVDWLRQGHODVRFL«W«HVSDJQROHHQUHPHWWDQWGHVHQMHX[VRFLDX[
majeurs sur le devant de la scène publique et médiatique. La défense
GHVGURLWVIRQGDPHQWDX[DXWUDYDLODXORJHPHQW¢ODVDQW«HW¢Oȇ«GXFD-
tion a engendré un renouveau de l’engagement citoyen. Il semble ainsi
désormais que l’Espagne soit à un tournant de son histoire contem-
SRUDLQH PDUTX« SDU OȇHVVRU GH QRXYHOOHV GHPDQGHV FLWR\HQQHV TXL
déboucheront très certainement sur des alternatives et des pratiques
politiques et sociales renouvelées.

UNE CRISE AUX ORIGINES ET AUX EFFETS MULTIPLES

8QmPLURLUJURVVLVVDQW}GHVG«ULYHVSROLWLFRȴQDQFLªUHV
'DQV FHW RXYUDJH FROOHFWLI OHV DXWHXUV RQW PLV HQ DYDQW GHV GLD-
gnostics assez proches en ce qui concerne les principales causes du
déclenchement de la crise économique. La responsabilité des élites
SROLWLTXHV GȇDERUG ODUJHPHQW FRXSDEOHV GH OȇHQGHWWHPHQW H[FHVVLI
des communautés autonomes par des investissements publics déme-
VXU«V TXL RQW SDUIRLV HQJHQGU« GH Y«ULWDEOHV JRXIIUHV ȴQDQFLHUV /HV
gouvernements successifs depuis les années 1990 ont aussi très sou-
YHQW IHUP« OHV \HX[ VXU OHV SUDWLTXHV GRXWHXVHV HPSUXQWV WR[LTXHV
FODXVHVDEXVLYHVGHSU¬WHWF GHV«WDEOLVVHPHQWVEDQFDLUHV/HVLQW«-
U¬WVGHQRPEUHXVHV«OLWHVSROLWLTXHVPHPEUHVGHVFRQVHLOVGȇDGPLQLV-
WUDWLRQGHVEDQTXHVGHVFDLVVHVGȇ«SDUJQHRXHQFRUHGHVSULQFLSDOHV
PXOWLQDWLRQDOHV HVSDJQROHV RQW «YLGHPPHQW UHQIRUF« OH PDQTXH GH
FRQWU¶OHHWGHWUDQVSDUHQFHWDQWGDQVOȇXWLOLVDWLRQGHVGHQLHUVSXEOLFV
que dans les prêts consentis aux particuliers. Les échanges de faveur
HQWUHPHPEUHVGHOȇ«OLWHSROLWLFRȴQDQFLªUHVRQWDXVVLGLUHFWHPHQWPLV
HQFDXVH/HVFRQȵLWVGȇLQW«U¬WVODVXUIDFWXUDWLRQGHVPDUFK«VSXEOLFV
HWOHȴQDQFHPHQWLOO«JDOGHVSDUWLVSROLWLTXHVVRQWDXWDQWGHSUDWLTXHV
qui ont été mises en lumière et qui ont suscité l’indignation générale
des citoyens.
Une deuxième raison qui permet d’expliquer pourquoi l’impact
social de la crise a été plus important en Espagne qu’ailleurs en Europe
est liée aux limites du modèle économique espagnol et à ses déséqui-
OLEUHV VWUXFWXUHOV (Q HIIHW OHV JRXYHUQHPHQWV VXFFHVVLIV GX 33 HW GX
PSOE ont plébiscité depuis les années 1980 un modèle de croissance
«FRQRPLTXHDVVH]DUWLȴFLHOHWSHXYLDEOH¢ORQJWHUPHIRQG«SULQFLSD-
lement sur les secteurs du bâtiment et du tourisme. Les limites de ce

300
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

PRGªOH H[SOLTXHQW OȇHIIRQGUHPHQW GH OD mEXOOH LPPRELOLªUH} OȇH[SOR-


VLRQ HW OH PDLQWLHQ GȇXQ IRUW WDX[ GH FK¶PDJH GH P¬PH TXH OȇDJJUD-
YDWLRQ GHV LQ«JDOLW«V ‚ FHW «JDUG (O®HV )XUL´ %ODVFR 0DWKLOGH $ORQVR
Pérez et Christel Birabent Camarasa ont bien exposé comment la per-
sistance d’un fort taux de chômage en Espagne « n’est pas uniquement
ODFRQV«TXHQFHGHODFULVH«FRQRPLTXH}PDLVU«VXOWHSOXW¶WGHIDFWHXUV
VWUXFWXUHOV Oȇ«FKHF VFRODLUH OD SURSRUWLRQ LPSRUWDQWH GH WUDYDLOOHXUV
DX IDLEOH QLYHDX GH TXDOLȴFDWLRQ OȇLPSRUWDQFH VXUGLPHQVLRQQ«H GX
VHFWHXUGXE¤WLPHQWRXHQFRUHODG«SHQGDQFHWUªVIRUWHGHOȇ«FRQRPLH
¢Oȇ«JDUGGHODGHPDQGHLQW«ULHXUH&HVG«V«TXLOLEUHVFRQQXVGHORQJXH
GDWH QȇRQW SDV «W« FRUULJ«V SDU OHV GLII«UHQWV JRXYHUQHPHQWV TXL RQW
dirigé le pays au cours des deux dernières décennies. Les élites poli-
WLTXHVHVSDJQROHVGHJDXFKHFRPPHGHGURLWHVHVRQWDFFRPPRG«HV¢
l’idée que la forte croissance des années d’expansion (1993-2008) serait
durable sur ces bases pourtant fragiles.
Le fait que l’Espagne a été plus touchée que d’autres pays européens
VXLWH ¢ OD JUDYH U«FHVVLRQ PRQGLDOH TXL G«EXWD HQ  VȇH[SOLTXH
donc par une conjonction de facteurs : les nombreux risques inconsi-
dérés pris par le secteur bancaire ; le fort endettement des familles et
GHV HQWUHSULVHV OD VRXVTXDOLȴFDWLRQ GH QRPEUHX[ WUDYDLOOHXUV SHX ¢
même de se reconvertir suite à la perte de leur emploi dans les secteurs
GXE¤WLPHQWHWGHOȇK¶WHOOHULHUHVWDXUDWLRQQRWDPPHQWRXDXFRQWUDLUH
OD VXUTXDOLȴFDWLRQ GH QRPEUHX[ MHXQHV GDQV GHV ȴOLªUHV TXL RQW YX
leurs perspectives d’avenir remises en cause par la crise. Parmi les
jeunes Espagnols évoqués par Sylvie Koller qui s’organisèrent autour de
Juventud Sin FuturoGHDemocracia Real Ya et du mouvement des indi-
JQ«V¢SDUWLUGHRQWURXYHFHUWHVGHMHXQHVSU«FDLUHVSHXTXDOLȴ«V
PDLV DXVVL HW VXUWRXW GHV GLSO¶P«V XQLYHUVLWDLUHV ELHQ SOXV TXDOLȴ«V
TXHOHXUVSDUHQWVPDLVTXLSHLQHQW¢WURXYHUXQHSODFHVXUXQPDUFK«
GXWUDYDLOSHXȵXLGHHWGRPLQ«SDUOHORFDOLVPHHWOHU«JLRQDOLVPH/HV
perspectives d’embauche de toute une génération se sont progressive-
ment assombries et le règne des enchufes (« pistons ») à travers l’utilisa-
WLRQGHVU«VHDX[IDPLOLDX[HWDPLFDX[TXLFRPPHQ©DLW¢¬WUHUHPLVHQ
FDXVHDEUXVTXHPHQWUHSULVOHGHVVXVVXUFHOXLGXP«ULWHFRPSOLTXDQW
l’accès des jeunes au marché du travail et poussant nombre d’entre eux
à partir à l’étranger.
L’Espagne a ainsi connu une longue phase de crise sociale pendant
DX PRLQV FLQT DQV VL FH QȇHVW SOXV GHSXLV  &HUWDLQV HVWLPHQW
P¬PHTXHODFULVHHVWORLQGȇ¬WUHWHUPLQ«HHWTXHPDOJU«ODUHSULVHGH
OD FURLVVDQFH «FRQRPLTXH GHSXLV  VHV HIIHWV VXU OD VRFL«W« VHURQW

301
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

EHDXFRXS SOXV GXUDEOHV /HV SROLWLTXHV GȇDXVW«ULW« OD GLPLQXWLRQ GHV


G«SHQVHVSXEOLTXHVHWOHVDXJPHQWDWLRQVGȇLPS¶WGHP¬PHTXHmOȇRE-
MHFWLISULRULWDLUHGHGLPLQXWLRQGXG«ȴFLWSXEOLF}FRPPHOHVRXOLJQHQW
(O®HV)XUL´%ODVFRHWVHVFRDXWHXUVRQWODUJHPHQWFRQWULEX«¢UHQIRUFHU
l’impact social de la crise. L’effet collatéral des dernières années est que
les choix des gouvernements du PSOE et du PP ont largement été per-
çus par les citoyens comme faisant partie du problème plus que de la
VROXWLRQHQWUD°QDQWXQHFULVHGHO«JLWLPLW«VDQVSU«F«GHQWGHFHVSDUWLV
dominants.
&HUWHV DYHF OH UHWRXU GH OD FURLVVDQFH ODUJHPHQW G½ GȇDLOOHXUV ¢
la baisse des taux d’intérêt et à la mise sur le marché de nombreuses
OLTXLGLW«VSDUOD%DQTXHFHQWUDOHHXURS«HQQHOHJRXYHUQHPHQWFRQVHU-
vateur soutient désormais avec force que les « efforts » des Espagnols et
ses choix de politiques publiques commencent à porter leurs fruits. Le
fait que le discours des institutions de la Troïka loue la politique du gou-
YHUQHPHQWHVSDJQROGRQWODSULRULW«GHPHXUHODU«GXFWLRQGHVG«ȴFLWV
SXEOLFVUHQIRUFHODO«JLWLPLW«GHVHVFKRL[SROLWLTXHVIDFH¢VHVDGYHU-
saires internes. L’entrée dans une phase de précampagne électorale en
YXHGHVO«JLVODWLYHVTXLVHWLHQGURQW¢ODȴQGHOȇDQQ«HODLVVHDXJX-
rer que ce discours de la « récupération » constituera l’axe dominant de
la campagne du parti conservateur. D’autant plus qu’il doit désormais
faire face à l’émergence de nouvelles alternatives politiques. Il est très
probable que Mariano Rajoy cherchera donc à agiter le chiffon rouge
de « l’instabilité » et à s’octroyer les mérites du retour de la croissance
pour tenter de convaincre les électeurs.
/HVFRQVHUYDWHXUVE«Q«ȴFLHURQWGRQFSHXW¬WUHGHOȇHIIHWGHVmF\FOHV
«FRQRPLTXHV} GDQV OH VHQV R» OD FULVH G«M¢ WUªV ORQJXH QH SHXW SDV
GXUHU«WHUQHOOHPHQW0DLVSRXUOHVFODVVHVPR\HQQHVHWSRSXODLUHVVHV
effets sociaux se font encore largement sentir. L’Espagne d’aujourd’hui
est plus inégalitaire que celle de 2008 : si certains Espagnols vivent aussi
ELHQHQODSOXSDUWYLYHQWPRLQVELHQ8QHGXDOLW«WUªVIRUWHVȇHVW
LQVWDOO«H VXU OH PDUFK« GX WUDYDLO DYHF XQH PLQRULW« GH WUDYDLOOHXUV
E«Q«ȴFLDQW GH ERQQHV FRQGLWLRQV GH WUDYDLO HW GH FRQWUDWV ¢ GXU«H
LQG«WHUPLQ«H HW XQH PDMRULW« GHYDQW HQFKD°QHU OHV FRQWUDWV ¢ GXU«H
déterminée et les emplois précaires. Il est de même important de noter
que la plupart des emplois créés depuis le renouveau de la croissance
«FRQRPLTXH HQ  VRQW GHV HPSORLV SU«FDLUHV HW SHX TXDOLȴ«V /HV
employeurs utilisent désormais la réserve de travailleurs pour tirer les
FRQGLWLRQVGHWUDYDLOHWOHVVDODLUHVYHUVOHEDVFHTXLWRXFKHGȇDERUGOHV
FODVVHVSRSXODLUHVHWOHVVDODUL«VSHXTXDOLȴ«V

302
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

$XWUHFRQV«TXHQFHGHODFULVHOHWUDYDLODXQRLUDDXVVLODUJHPHQW
UHIDLWVXUIDFHSHUPHWWDQWGHOLPLWHUOȇLPSDFWVRFLDOGHODFULVHHQGRQ-
QDQWGHVUHYHQXVGȇDSSRLQWDX[IDPLOOHVPDLVREOLJHDQWDXVVLGHQRP-
breuses personnes à travailler sans cotisations retraites ni protection
sociale. Le chômage reste très élevé et touche fortement les jeunes pour
qui les perspectives d’avenir ne sont plus les mêmes. Elìes Furiò Blasco
et ses coauteurs ont bien mis en avant le fait que la hausse des frais
d’inscription à l’université décidée par le gouvernement conservateur
LOOXVWUH mXQH YLVLRQ LG«RORJLTXH GH Oȇ«GXFDWLRQ} TXL ULVTXH GH SULYHU
toute une génération de jeunes issus des classes populaires de l’accès à
OȇHQVHLJQHPHQW VXS«ULHXU OHV H[SRVDQW GȇDXWDQW SOXV DX FK¶PDJH VXU
le long terme et accroissant la fracture entre les classes sociales. La
U«IRUPHGXPDUFK«GXWUDYDLOGHIDFLOLWHOHVOLFHQFLHPHQWVP¬PH
VLOHV«WXGHV«FRQRPLTXHVRQWPRQWU«VHORQHX[mTXȇLOQȇH[LVWHHQIDLW
SDVGHUHODWLRQFDXVDOHGLUHFWHHQWUHOHVFR½WVGHOLFHQFLHPHQWHWOHWDX[
de chômage moyen ». La diminution de la capacité d’action collective
GHV V\QGLFDWV ULVTXH DXVVL GH PRGLȴHU GXUDEOHPHQW mOH UDSSRUW GH
IRUFH HQWUH OHV DJHQWV VRFLDX[} &HUWHV OD VLWXDWLRQ SHXW «YROXHU GDQV
les années à venir avec des changements possibles de majorité à l’éche-
lon local ou au niveau national. Mais il sera impossible de compenser
OHVVRXIIUDQFHVSDVV«HVGHUHQGUHOHXUDUJHQWDX[«SDUJQDQWVȵRX«VHW
leur appartement aux personnes expulsées durant la crise.

Une crise de légitimité des institutions


$XGHO¢ GH OD FULVH «FRQRPLTXH HW VRFLDOH Oȇ(VSDJQH GȇDXMRXUGȇKXL
a aussi connu une crise de légitimité des élites et du système politique
issu de la transition et de la constitution de 1978. En étudiant les mani-
IHVWDWLRQVU«SXEOLFDLQHVQRXVDYRQVPRQWU«FRPPHQWOHXUUHQRXYHDX
a été intimement lié au contexte des crises multiformes depuis 2008.
&HWWH VLWXDWLRQ QRXYHOOH VȇHVW WUDGXLWH SDU XQH SHUWH GH FRQȴDQFH
HQYHUV OHV «OLWHV HW OHV SULQFLSDOHV LQVWLWXWLRQV FH TXL mD DPHQ« XQ
nombre croissant de citoyens à réévaluer de façon critique le “pacte”
GHODWUDQVLWLRQ}G«VRUPDLVSHU©XFRPPHOHV\PEROHGȇXQHG«PRFUD-
tisation inachevée. La récession économique a déclenché une crise du
SROLWLTXH UHPHWWDQW HQ FDXVH OHV SULQFLSDX[ SLOLHUV GX FRPSURPLV GH
ODWUDQVLWLRQG«PRFUDWLTXH/HV\VWªPH«OHFWRUDOPDMRULWDLUHODORLVXU
OHVSDUWLVOHPDQTXHGHWUDQVSDUHQFHGHODYLHSROLWLTXHOHV«FKDQJHV
GHIDYHXUVHWODFLUFXODWLRQGHV«OLWHVSROLWLTXHVHWȴQDQFLªUHVHQWUHOHV
VSKªUHVSXEOLTXHVHWSULY«HVRXHQFRUHOHPDQTXHGȇLQG«SHQGDQFHGH
OD MXVWLFH VRQW G«QRQF«V SDU OHV FLWR\HQV FRPPH DXWDQW GH OLPLWHV GX

303
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

V\VWªPH G«PRFUDWLTXH DFWXHO /D SHUVLVWDQFH GH FHUWDLQHV SUDWLTXHV


FRPPHOȇDPSOHXUGHODFRUUXSWLRQSROLWLTXHWHQG¢GRQQHUOȇLPDJHGȇXQ
SD\V HXURS«HQ HQ UHWDUG R» OH FOLHQW«OLVPH UªJQH HQFRUH HQ PD°WUH
Mais cette image ne constitue qu’un versant de la réalité : la révélation
GH QRPEUHXVHV DIIDLUHV HVW DXVVL MXVWHPHQW OL«H ¢ OD G«PRFUDWLVDWLRQ
au travail des juges et aux condamnations de plus en plus récurrentes
de pratiques qui passaient inaperçues dans les années 1980 et 1990.
'ȇDXWUH SDUW OHV FLWR\HQV HVSDJQROV GX XXIe siècle sont devenus plus
H[LJHDQWVHWSOXVFULWLTXHVFHTXLG«ERXFKHVXUGHQRXYHOOHVGHPDQGHV
sociales et sur un contrôle accru des pratiques politiques.
6XU OD IRUPH GH Oȇ‹WDW OD U«VXUJHQFH GX U«SXEOLFDQLVPH QȇD WRXWH-
IRLV SDV WUDGXLW XQ PRXYHPHQW VRFLDO PDVVLI GȇRSSRVLWLRQ FDU FRPPH
OH UDSSHOOH %HQR°W 3HOOLVWUDQGL OD PRQDUFKLH FHUWHV mPDUTX«H SDU XQ
K«ULWDJH KLVWRULTXH TXL OD IUDJLOLVH} GHPHXUH SHU©XH FRPPH mXQH
institution d’équilibre et d’incarnation ». Les manifestations lors de
l’abdication de Juan Carlos IerPDUTX«HVSDUOHXUFDUDFWªUHVSRQWDQ«HW
SULQFLSDOHPHQWmOL«HV¢OȇHIIHWGHVXUSULVHHW¢OȇHXSKRULHGXPRPHQW}
LOOXVWUªUHQW mOD G«ȴDQFH J«Q«UDOLV«H} HW mOD YRORQW« GH FKDQJHPHQW
GHV FLWR\HQV} SOXW¶W TXȇXQ G«VLU GȇHQ ȴQLU DYHF OD PRQDUFKLH (Q «WX-
GLDQWODP«PRLUHKLVWRULTXHU«SXEOLFDLQHQRXVDYRQVUDSSHO«OHIDLEOH
VRXWLHQDXU«SXEOLFDQLVPHHQ(VSDJQHG«O«JLWLP«SDUOHVH[S«ULHQFHV
WUªVFRXUWHGHOD3UHPLªUH5«SXEOLTXHHWSOXVFRQWURYHUV«HHWWUDXPD-
WLTXHGHOD6HFRQGH5«SXEOLTXH,OHVWYUDLTXHSRXUFHUWDLQVVHFWHXUV
QRWDPPHQWSRXUOHVGHVFHQGDQWVGHVU«SXEOLFDLQVU«SULP«VH[LO«VRX
YLFWLPHV GH OD JXHUUH FLYLOH HW GX IUDQTXLVPH OD WUDQVLWLRQ GHPHXUH
le symbole d’un « pacte de l’oubli » qui n’a pas permis d’obtenir jus-
WLFH Y«ULW« HW U«SDUDWLRQ SRXU OHV FULPHV FRPPLV 'H P¬PH GDQV XQ
contexte marqué par l’austérité et la radicalisation des revendications
LQG«SHQGDQWLVWHVOD6HFRQGH5«SXEOLTXHODUJHPHQWLG«DOLV«HGHPHXUH
XQU«I«UHQWLHOLQFRQVFLHQWSRXUODJDXFKHDVVRFL«DXSURJUªVVRFLDOHW¢
l’autonomie régionale. Mathieu Petithomme et Mercè Pujol s’accordent
d’ailleurs à dire que le renouveau de l’indépendantisme tant au Pays
EDVTXHTXȇHQ&DWDORJQHHVWLQWLPHPHQWOL«¢OȇDWWLWXGHGRJPDWLTXHGX
JRXYHUQHPHQW FRQVHUYDWHXU TXL UHIXVH Gȇ«YRTXHU XQH U«IRUPH GH OD
VWUXFWXUHWHUULWRULDOHGHOȇ‹WDWYHUVSOXVGȇDXWRQRPLHHWGHI«G«UDOLVPH
%HQR°W3HOOLVWUDQGLDGȇDLOOHXUVVXJJ«U«¢MXVWHWLWUHTXHODG«ȴDQFH
que les Espagnols ont exprimée à de nombreuses reprises lors des
PDQLIHVWDWLRQV U«SXEOLFDLQHV DOODLW SOXV ¢ OȇHQFRQWUH GHV UHVSRQVDEOHV
SROLWLTXHV HW GHV «OLWHV ȴQDQFLªUHV TXH GH OD PRQDUFKLH HOOHP¬PH
'HYDQWODSHXUGHOȇLQFRQQXOHV(VSDJQROVGHPHXUHQWPDMRULWDLUHPHQW

304
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

attachés à l’image rassurante de stabilité que transmet la monarchie1.


La tourmente dans laquelle Juan Carlos Ier a plongé l’institution monar-
chique par ses frasques personnelles n’a donc pas débouché sur un
mouvement massif favorable à un changement de régime : « à l’heure
GXELODQOȇDFWLIODWUDQVLWLRQG«PRFUDWLTXHODFDSDFLW«¢DFFRPSDJQHU
la métamorphose de l’Espagne et à représenter le pays sur la scène
LQWHUQDWLRQDOH OȇHPSRUWDLW ODUJHPHQW VXU OH SDVVLI FRQVWLWX« SDU OHV
scandales de corruption ». Ce ne fut pas un hasard si les manifestations
les plus importantes lors de l’abdication eurent lieu en Catalogne et
DX 3D\V EDVTXH R» OHV UHYHQGLFDWLRQV U«SXEOLFDLQHV VH P¬OHQW DX[
demandes d’indépendance. Mais il est vrai que le clivage à l’égard de la
PRQDUFKLHHWGHODȴJXUHGH-XDQ&DUORV,er demeure avant tout généra-
WLRQQHO &ȇHVW FH G«ȴ VXVFLWHU OȇHQWKRXVLDVPH RX SDU G«IDXW DX PRLQV
OH UHVSHFW GHV MHXQHV SRXU TXL OD PRQDUFKLH QH YD SOXV IRUF«PHQW GH
VRLTXLHVWDXFĕXUGHODQRXYHOOHPLVVLRQGH3KLOLSSH9,GRQWOȇDFFHV-
sion au trône incarne d’une certaine manière en elle-même une forme
GH UHQRXYHOOHPHQW (Q HIIHW VXLYDQW %HQR°W 3HOOLVWUDQGL mOD IUDJLOLW«
d’une monarchie tient moins à ses principes qu’à ses incarnations ».
La résorption de la crise de légitimité de l’institution monarchique
dépendra essentiellement de la capacité du nouveau roi à incarner une
DXWRULW«QHXWUHH[HPSODLUHHWUDVVHPEOHXVH

LA CONTRIBUTION DES MOUVEMENTS


SOCIAUX AU CHANGEMENT

8QHGLYHUVLȴFDWLRQGHVIRUPHVGHFRQWHVWDWLRQ
(QVHPRELOLVDQWHQPDQLIHVWDQWHQVLJQDQWGHVS«WLWLRQV2HQFKHU-
FKDQW¢HQWRXUHUOH&RQJUªVGHVG«SXW«VHQXWLOLVDQWOȇKXPRXUODG«VR-
béissance civile (des médecins par exemple dans la défense de la santé

šComme le note Benoît Pellistrandi, malgré que Juan Carlos Ier fût « éduqué par Franco dans
l’Espagne de Franco », ce qui apparaît pour l’opposition antifranquiste comme « une compro
mission avec le dictateur », le fait qu’il devint le « pilote du changement démocratique », et qu’il
incarne la légitimité et la défense de la Constitution lors du coup d’État raté du 23 février 1981,
contribua à asseoir sa légitimité auprès des Espagnols de la génération de la transition. Voir
aussi Charles T. PƵƼƫƲƲ El piloto del cambio, op. cit., 1991. Sur l’importance historique du coup
d’État de 1981, on peut se référer à l’essai historique primé, sous la forme d’un roman, de Javier
CƫƷƩƧƸ, Anatomía de un instante, Madrid, Editorial Mondadori, 2009.
šOn peut citer la pétition de l’ILP pour un moratoire sur les expulsions à l’initiative de la PAH,
mais aussi suite aux révélations d’El Mundo sur la « comptabilité B » du PP le 31 janvier 2013,
la pétition lancée le 1er février sur le site internet change. org, demandant la démission de
Mariano Rajoy, qui recueillit un million de signatures en une semaine seulement.

305
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

XQLYHUVHOOH  RX GHV DFWLRQV DQWLFRQYHQWLRQQHOOHV OHV (VSDJQROV RQW


fait advenir un renouveau de nombreuses pratiques de contestation.
&RQWUDLUHPHQW DX[ DQQ«HV HW OHV FLWR\HQV VRQW GHVFHQGXV
massivement dans les rues depuis 2008 lors d’actions collectives qui
UHVWHURQW GDQV OȇKLVWRLUH TXDWUH JUªYHV J«Q«UDOHV FRQWUH OȇDXVW«ULW«
OH FK¶PDJH HW OD SU«FDULW« RQW DLQVL «W« RUJDQLV«HV HQWUH HW
du jamais vu depuis la transition ; des dizaines de milliers de jeunes
ont protesté puis occupé la Puerta del Sol à Madrid le 11 mai 2011 ;
plus d’un million de Catalans ont manifesté pour l’indépendance le
VHSWHPEUHSXLVSOXVGHGHX[PLOOLRQVVHVRQWPRELOLV«VORUVGH
la consultation symbolique sur le futur de la Catalogne le 9 novembre
 /HV (VSDJQROV RQW SURWHVW« FRQWUH OD FODVVH SROLWLTXH OD FRUUXS-
WLRQOȇLPSXQLW«GHV«OLWHVOHELSDUWLVPHOHVEDQTXHVOHQ«ROLE«UDOLVPH
FRQWUH OHV H[SXOVLRQV OD PRQDUFKLH OHV YLROHQFHV GH JHQUH HW SRXU OH
droit à l’avortement. Des pratiques traditionnelles des mouvements
VRFLDX[VRQWDLQVLUHYHQXHVVXUOHGHYDQWGHODVFªQHG«ȴO«VPDVVLIVGH
manifestants ; signature de pétitions (comme lors de l’initiative législa-
tive populaire contre les expulsions à l’initiative de la PAH) ; sitting de
protestation devant des gouvernements de communautés autonomes et
OH&RQJUªVGHVG«SXW«VRXHQFRUHXVDJHVGHVLɛHWVHWGHFDVVHUROHVSDU
les militants indépendantistes catalans.
/HVUHVVRXUFHVLQIRUPDWLRQQHOOHVQRWDPPHQWOȇXWLOLVDWLRQGHVU«VHDX[
VRFLDX[HWGHOȇLQWHUQHWVHVRQWLPSRV«HVFRPPHGHQRXYHOOHVDUPHVGDQV
l’arsenal militant3. Karine Bergès estime en ce sens que « l’usage politique
des nouvelles technologies » a participé au « renouvellement des réper-
toires d’action du féminisme contemporain ». Dans une « démocratie
GX SXEOLF} SRXU UHSUHQGUH OȇH[SUHVVLRQ GH %HUQDUG 0DQLQ DX VHLQ GH
ODTXHOOH OHV P«GLDV MRXHQW XQ U¶OH FHQWUDO OD mVSHFWDFXODULVDWLRQ GHV
DFWLRQVPLOLWDQWHV}DSHUPLVGȇDWWLUHUOȇDWWHQWLRQGHVP«GLDVFRPPHFH
fut par exemple le cas pour les initiatives et les « performances » des
militantes féministes4. Patrick Champagne parle sur ce point de « mani-
IHVWDWLRQVGHSDSLHU}GDQVOHVHQVR»OHVPRXYHPHQWVVRFLDX[FRQWHP-
porains se jouent certes sur le terrain à travers la force du nombre de
PDQLIHVWDQWVPDLVDXVVLGDQVOHVLQWHUSU«WDWLRQVTXHOHVP«GLDVGRQQHQW
de ces mobilisations5 /H U¶OH GHV «PRWLRQV GDQV OD GUDPDWLVDWLRQ GHV
DFWLRQVGHU«VLVWDQFHDX[H[SXOVLRQVORFDWLYHVGLIIXV«HV¢ODW«O«YLVLRQD

šPierre MƫƷƩƱƲƫSociologie des réseaux sociaux, Paris, La Découverte, 2011, p. 87.


šBernard MƧƴƯƴ, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Flammarion, [1995] 2012,
p. 6.
šPCVTKEMCƮƧƳǞƧƭƴƫ, Faire l’opinion, Paris, Éditions de Minuit, 1990.

306
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

permis à des acteurs faiblement dotés de ressources de toucher l’opinion


publique6. Olivier Fillieule et Danielle Tartakowsky ont en effet démon-
tré que l’immense majorité des manifestations n’obtient pas de couver-
ture médiatique (2 à 5 %)7. Les événements routiniers n’intéressent pas
OHV P«GLDV GH WHOOH VRUWH TXH OHV PRXYHPHQWV VRFLDX[ GRLYHQW VRXYHQW
avoir recours au spectaculaire pour attirer leur attention8.
'ȇDXWUHVU«SHUWRLUHVGȇDFWLRQMXVTXȇDORUVSHXXWLOLV«VHQ(VSDJQHVH
sont développés. Mercè Pujol a rappelé comment les indépendantistes
catalans ont mis en place une chaîne humaine massive (la Via Catalana)
OHVHSWHPEUHRXHQFRUHRQWIRUP«XQGUDSHDXFDWDODQKXPDLQ
gigantesque dans les rues de Barcelone en 2014. Le phénomène des
mPDU«HV} YHUWH MDXQH JUHQDW YLROHWWHHWF  D G«YRLO« OD YRORQW«
GH FRQȵXHQFH GH GLII«UHQWV PRXYHPHQWV VRFLDX[ «WXGLDQWV HW SHU-
VRQQHOV GH Oȇ«GXFDWLRQ GH OD VDQW« IRQFWLRQQDLUHV GHV FRPPXQDXW«V
DXWRQRPHVI«PLQLVWHVHWF OHXUDSSURSULDWLRQGȇXQFRGHFRXOHXUHWOH
WUDQVIHUW GH FHUWDLQHV SUDWLTXHV HQWUH OHV JURXSHV PRELOLV«V 'H SOXV
des pratiques artistiques de contestation ont illustré une repolitisation
GHODFXOWXUHGXFLQ«PDOHUHWRXUGXmWK«¤WUHVRFLDO}DXWRXUGXTeatro
del BarrioHWGȇ$OEHUWR6DQ-XDQ¢0DGULGRXHQFRUHOHUHQRXYHDXGHOD
YHLQHFRQWHVWDWDLUHGXȵDPHQFR )OR[ /HVDUWLVWHVRQWVRXYHQWMRX«
un rôle direct dans le mouvement social en s’associant à d’autres collec-
WLIV3DUH[HPSOH)OR[HWGHVPHPEUHVGHOD3$+VHVRQWDVVRFL«VDX[
étudiants de l’université Pablo de Olavide en 2013 lors de la venue d’un
UHSU«VHQWDQWGHOD%DQTXH6DQWDQGHUVXUOHFDPSXVSRXUFRQWHVWHUOHV
SURȴWVG«PHVXU«VGHVHVDFWLRQQDLUHVHWVHVDFWLRQVGȇH[SXOVLRQFRQWUH
certains de ses épargnants. Cette action collective illustra bien la syn-
WKªVHHQWUHDUWLVWHV«WXGLDQWVMHXQHVSU«FDLUHVPRELOLV«VHWPLOLWDQWVGH
la PAH pour dénoncer les pratiques d’une entité jugée comme respon-
VDEOHGHODEXOOHLPPRELOLªUHGHODFULVH«FRQRPLTXHHWGHQRPEUHXVHV
expulsions locatives.
/HV I«PLQLVWHV FRPPH OHV LQGLJQ«V HW GȇDXWUHV FROOHFWLIV RQW GH
même utilisé les escraches XQH SUDWLTXH DQFLHQQH ORQJWHPSV WRPE«H
HQ G«VX«WXGH 3RXU 0DWKLHX 3HWLWKRPPH LO VȇDJLW GH mPDQLIHVWDWLRQV

šSur les émotions en politique, Christophe TƷƧƯƴƯ FKT , Émotions… mobilisations, Paris, Presses
de SEKGPEGUPo, 2009. Voir aussi Dominique WƯƸƲƫƷ, « La couverture médiatique de l’action pro
testataire, étude à partir du cas suisse », Revue française de sociologiePoR
šOlivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ et Danielle TƧƷƹƧƱƵƼƸƱƾ, La manifestation, Paris, Presses de SEKGPEGUPo,
2013, p. 145.
šÉTKMNƫƻƫƺ, « Médias, mouvements sociaux, espaces publics », Réseaux, vol. 17, n° 98, 1999,
R

307
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

devant une institution publique ou privée ou le domicile d’un particu-


OLHUTXLYLVHQW¢G«QRQFHUSDUOȇLQWLPLGDWLRQOHVFULVOHVVLɛHWVHWOHV
VORJDQVOHVDJLVVHPHQWVFRQVLG«U«VFRPPHKRQWHX[GȇHQWLW«VSXEOLTXHV
ou de personnes privées ». Ces pratiques donnant lieu à des rassemble-
ments populaires et à des intimidations existaient déjà au Moyen Âge
sous la forme de ce que l’on appelait alors les « charivaris ». Le retour
GHFHU«SHUWRLUHGȇDFWLRQQȇHVWSDVDQRGLQGDQVOHVHQVR»LOLOOXVWUHXQH
forme de rage et de colère populaire à l’égard de certaines déviances
et de personnes jugées responsables de pratiques délictueuses ou hon-
teuses. Ces réactions populaires peuvent mener à des dérives liées à
FHWWH mHIIHUYHVFHQFH FROOHFWLYH} «YRTX«H SDU *XVWDYH OH %RQ GDQV La
psychologie des foules9. Les intimidations peuvent déboucher sur une
YLROHQFH SK\VLTXH U«HOOH GHV PHQDFHV TXH OHV SHUVRQQHV FRQFHUQ«HV
n’hésitent pas à exagérer pour substituer au débat sur leurs pratiques
un autre sur la violence « inacceptable » des manifestants. Elles
peuvent conduire à incriminer une personne lors d’un jugement média-
WLTXHVDQVUHVSHFWHUODSU«VRPSWLRQGȇLQQRFHQFH0DLVOHVH[HPSOHVGHV
dernières années montrent que les personnes qui ont subi ces protesta-
tions d’indignation avaient souvent des faits lourds à se reprocher. Les
escraches ont toujours eu lieu après la révélation par la presse ou les
médias de pratiques frauduleuses ou répréhensibles. Le renouveau de
ce type d’intimidation révèle donc surtout les frustrations populaires
ODWHQWHVOHUHWRXUGȇXQHIRUPHGHUHIRXO«IDFH¢GHVLQMXVWLFHV¢OȇLPSX-
QLW« HW ¢ GHV SUDWLTXHV MXJ«HV QRQ VHXOHPHQW FRPPH KRQWHXVHV PDLV
aussi comme intolérables et nocives pour la démocratie.
'H SOXV OHV RFFXSDWLRQV SRSXODULV«HV GDQV OHV DQQ«HV  SDU OH
mouvement Okupas VRQW GHYHQXHV SOXV V\VW«PDWLTXHV 6\OYLH .ROOHU
a rappelé comment la forme du campement ouvert sur des places et
GHV OLHX[ SXEOLFV ELHQ DGDSW«H DX WLVVX XUEDLQ ¢ OD ORFDOLVDWLRQ HW ¢
OȇDQFUDJHWHUULWRULDOGHVOXWWHVDMRX«XQU¶OHFHQWUDOGDQVODP«GLDWLVD-
tion du mouvement des indignés et la diffusion de ses revendications. Il
est d’ailleurs intéressant de noter que l’essor d’une nouvelle formation
comme Podemos doit beaucoup à l’adoption d’une structure organisa-
tionnelle décentralisée autour de « cercles » et d’« assemblées » locales
DQFU«HV GDQV XQ WHUULWRLUH HW XQ TXDUWLHU TXL GRQQHQW OH VHQWLPHQW
aux citoyens d’agir concrètement dans un espace physique familier.
Mathieu Petithomme a expliqué comment les occupations ont été utili-
V«HVGHID©RQU«FXUUHQWHSDUOHVFROOHFWLIVGHOD3$+DȴQGȇRFFXSHUGHV

šGustave LƫBƵƴ, La Psychologie des foules, Paris, Flammarion, 2003 [1895].

308
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

VRFL«W«VEDQFDLUHVGHSRUWHUDWWHLQWH¢OȇLPDJHGHPDUTXHGHVEDQTXHV
et de les forcer à ouvrir une négociation avec les particuliers pour éviter
des expulsions et renégocier des prêts bancaires.
La Coordination 25-S a de même appelé à « entourer le Congrès »
OHVHSWHPEUHSXLV¢mDVVL«JHUOH&RQJUªV}OHDYULOHQ
estimant que les députés ne représentent pas les aspirations du peuple
espagnol10. Autour de la Coordination 25-S mais aussi d’autres organisa-
WLRQVSURFKHVGHVPLOLHX[GȇH[WU¬PHJDXFKHHWDQDUFKLVWHVQRWDPPHQW
HQ &DWDORJQH OD YLROHQFH GH UXH D IDLW VRQ UHWRXU &HUWHV GXUDQW OHV
DQQ«HVHOOHMRXDLWG«M¢XQU¶OHFHQWUDOSRXUFHUWDLQVPRXYHPHQWV
VRFLDX[ FRPPH DXWRXU GH OD Kale borroka utilisée politiquement par
le nationalisme basque radical pour monopoliser l’espace public et
intimider ses adversaires. Mais les affrontements avec la police lors des
DFWLRQVGȇLQWHUSRVLWLRQGHVFLWR\HQVSRXU«YLWHUOHVH[SXOVLRQVRXOȇLQȴO-
tration de radicaux violents lors des manifestations contre les banques
HWOȇDXVW«ULW«VȇH[SOLTXHQWDXVVLSDUOȇLQGLJQDWLRQJ«Q«UDOHGHODVRFL«W«
et la radicalisation d’une certaine frange de la jeunesse11. Ils traduisent
XQH IRUWH G«ȴDQFH YLV¢YLV GH OD FULPLQDOLVDWLRQ HW GH OD S«QDOLVDWLRQ
croissante des mouvements sociaux par la récente loi sur la sécurité
intérieure12. Le « moment manifestant » selon l’expression de Pierre
)DYUHDDLQVLSDUIRLVFRQWULEX«¢G«O«JLWLPHUOHVSRXYRLUVSXEOLFVVXLWH
à l’usage disproportionné de la répression par les forces de l’ordre13.

šLuz SʜƴƩƮƫƿMƫƲƧƪƵ, « LQUKPFKIPCFQUOȄUHWTKDWPFQUzEl País, 25 septembre 2013.


šSur ce point, la récente loi sur la sécurité a d’ailleurs été votée par le gouvernement conser
vateur en réponse aux affrontements et aux arrestations massives qui eurent lieu en sep
tembre 2012. Plutôt que de voir la radicalisation violente d’une partie de la jeunesse comme la
conséquence directe de l’inaction des pouvoirs publics à l’égard d’une jeunesse condamnée au
EJȖOCIGFGOCUUG WPLGWPGUWTFGWZGUVCWEJȖOCIG NGIQWXGTPGOGPVCRTȌHȌTȌkUWTXGKNNGT
et punir » pour reprendre l’expression de Michel Foucault, cf. Surveiller et punir. Naissance de la
prison, Paris, Gallimard, 1975.
šLC PQWXGNNG NQK KPVTQFWKV WP EJCPIGOGPV FG NC FQEVTKPG FG OCKPVKGP FG NŨQTFTGš KN UŨCIKTC
désormais de « prévenir » les troubles à l’ordre public plutôt que de simplement les encadrer,
de contrôler les personnes suspectées comme « déviantes », bref pour reprendre l’expression
d’Éric Fassin, « d’institutionnaliser la surveillance ». Ceci implique des atteintes croissantes aux
libertés individuelles, une pratique plus courante des arrestations de masse et du fichage poli
cier, de même que des actions « préventives ». L’interdiction des manifestations républicaines
lors de l’abdication de Juan Carlos Ier, symbolisèrent par exemple la primauté des considéra
tions sécuritaires sur la liberté d’expression. Cf. Èric FƧƸƸƯƴ, La force de l’ordre. Une anthropologie
de la police des quartiers, Paris, Le Seuil, 2011.
šCe fut notamment le cas lors des manifestations étudiantes de 2013 ou de la tentative
d’occupation du CQPITȋUFGUFȌRWVȌUšNCFKHHWUKQPFGNCTȌRTGUUKQPRQNKEKȋTGȃNCVȌNȌXKUKQPC
développé une certaine solidarité émotionnelle de nombreux Espagnols avec les protestataires.
Cf. Pierre FƧƻƷƫ, « Le moment manifestant », dans Pierre FƧƻƷƫ FKT La manifestation, Paris,
Presses de SEKGPEGUPo, 1990, p. 20.

309
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

La politisation de nouveaux enjeux


Les mouvements sociaux espagnols ont également contribué à
mettre de nouveaux enjeux au cœur de l’agenda politique. L’une des
caractéristiques essentielles des manifestations de rue est liée à « la
nature politique de la démonstration » : elles « doivent se traduire par
ou déboucher sur l’expression de revendications de nature politique ou
sociale14} m/ȇDUªQH GHV FRQȵLWV VRFLDX[} TXL VH VRQW H[SULP«V GHSXLV
DGRQFIRQFWLRQQ«VXLYDQWOȇH[SUHVVLRQGȇ‹ULN1HYHXmFRPPHXQ
espace d’appel au double sens d’expression d’une demande de réponse à
XQSUREOªPHHWDXVHQVMXGLFLDLUHGHUHFRXUV15}3DUOHXUVVORJDQVOHXUV
SDQFDUWHVHWOHXUVFKDQWVWUDQVPLVVXUOHVU«VHDX[VRFLDX[GHP¬PHTXH
ȴOP«V SXLV GLIIXV«V SDU OHV FKD°QHV GH W«O«YLVLRQ OHV (VSDJQROV TXL VH
VRQWPRELOLV«VHQPDVVHGHSXLVOHG«EXWGHODFULVHRQWGRQQ«XQHYLVL-
ELOLW«SXEOLTXH¢GHVLQMXVWLFHVHW¢GHVSUREOªPHVVRFLDX[HWSROLWLTXHV
en demandant des réponses et des solutions aux responsables publics.
‚ WUDYHUV XQH IRUPH GȇmLQVXUUHFWLRQ PRUDOH} OH PRXYHPHQW GHV
indignés a ainsi contribué à diffuser au sein de la société espagnole la
demande d’instauration d’une démocratie plus participative et d’une
moralisation de la vie publique. Il a dénoncé les limites de la person-
QDOLVDWLRQH[FHVVLYHGXSRXYRLUOHVFRPSRUWHPHQWVU«SU«KHQVLEOHVOHV
salaires et les avantages parfois démesurés des élites politiques. Sylvie
Koller a bien noté que les principales revendications du mouvement
sont de fait soutenues par une large majorité des Espagnols. Il en va
ainsi de la volonté d’imposer le « caractère imprescriptible des délits
GHFRUUXSWLRQ}mOȇLQWHUGLFWLRQGHVOLFHQFLHPHQWVFROOHFWLIVORUVTXȇXQH
HQWUHSULVH U«DOLVH GHV E«Q«ȴFHV} mOD UHVWLWXWLRQ GH OȇDUJHQW SXEOLF
SU¬W« DX[ EDQTXHV HW DX[ FDLVVHV Gȇ«SDUJQH HQ GLɚFXOW«} RX HQFRUH
d’obtenir « la possibilité de solder un prêt hypothécaire en remet-
tant son bien à l’organisme prêteur ». Cette sympathie montrée par
OȇHQVHPEOHGHVHQTX¬WHVGȇRSLQLRQGHVHSW(VSDJQROVVXUGL[¢Oȇ«JDUG
GHV LQGLJQ«V HW GH OHXUV UHYHQGLFDWLRQV PRQWUH ELHQ OH U¶OH FHQWUDO
qu’a joué le mouvement dans la politisation de nouveaux enjeux et la
diffusion de leurs propositions de réformes et de changement au sein
de la société16.

šOlivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ et Danielle TƧƷƹƧƱƵƼƸƱƾ, La manifestation, Paris, Presses de SEKGPEGUPo,


2013, p. 17.
šÉTKMNƫƻƫƺSociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte, 2000, p. 35.
16. « SKGVG FG ECFC FKG\ GURCȓQNGU UKORCVK\CP EQP GN OQXKOKGPVQ M », El Mundo, 20 sep
tembre 2013.

310
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

/D TXHVWLRQ GH OD FRUUXSWLRQ SROLWLTXH TXL QȇHVW SDV QRXYHOOH HQ
(VSDJQH WDQW FHV SUDWLTXHV «WDLHQW G«M¢ FRXUDQWHV GXUDQW OHV DQQ«HV
HVWG«VRUPDLVDSSU«KHQG«HGLII«UHPPHQWSDUODVRFL«W«FRPPH
XQ ȵ«DX PDMHXU ¢ WUDLWHU $XSDUDYDQW OD FRUUXSWLRQ «WDLW SHU©XH
FRPPH XQ SK«QRPªQH U«VLGXHO FRPPH OD U«VXOWDQWH GHV FRQGXLWHV
déviantes de certains individus. Elle est désormais associée à un « sys-
WªPH} SOXV J«Q«UDO TXL SHLQH ¢ FRPEDWWUH FHWWH WDUH FH TXL DPªQH ¢
SRVHU OD TXHVWLRQ GH U«IRUPHV SURIRQGHV DXGHO¢ GHV FDV LQGLYLGXHOV
nécessité de remédier au manque de transparence dans la gestion des
IRQGV SXEOLFV PLVH HQ FDXVH GX FXPXO GHV PDQGDWV GH OȇRSDFLW« GX
ȴQDQFHPHQWGHVSDUWLVRXHQFRUHGHOȇLPSXQLW«GHV«OLWHVTXLWLUHQWSUR-
ȴWGȇXQV\VWªPHMXGLFLDLUHTXLPDQTXHGȇLQG«SHQGDQFH0¬PHVȇLOUHVWH
HQFRUH EHDXFRXS GH FKHPLQ ¢ SDUFRXULU OHV SDUWLV SROLWLTXHV HW OHXUV
acteurs commencent à prendre conscience que la corruption mine leur
LPDJH HW G«WRXUQH OHV «OHFWHXUV GHV IRUPDWLRQV TXL QȇH[FOXHQW SDV OHV
personnes soupçonnées de corruption ou qui présentent une attitude
jugée trop reprochable. Tant à travers l’essor de nouveaux partis qui
PHWWHQW FODLUHPHQW FHW HQMHX DX FHQWUH GH OHXUV SU«RFFXSDWLRQV TXH
JU¤FH¢Oȇ«YROXWLRQSURJUHVVLYHGHVSUDWLTXHVGHVSDUWLVWUDGLWLRQQHOVLO
est possible d’espérer que des mesures plus coercitives pour combattre
ces dérives et que de nouvelles pratiques seront adoptées au cours de
la prochaine décennie.
D’autres enjeux ont aussi ressurgi grâce aux mouvements sociaux :
la réforme du système électoral et de la loi sur les partis demandée par
OHV LQGLJQ«V OD U«IRUPH GH Oȇ‹WDW GHV DXWRQRPLHV YRXOXH SDU OHV LQG«-
pendantistes basques et catalans ; la dénonciation de l’austérité par les
mPDU«HV}FLWR\HQQHVRXHQFRUHFHOOHGHODȴQDQFLDULVDWLRQGHOȇ«FRQR-
mie et des pratiques frauduleuses des banques par la mobilisation des
SHWLWV «SDUJQDQWV QRWDPPHQW DXWRXU GX VFDQGDOH GHV preferentes FHV
placements à risque autour d’actifs toxiques vendus sans informations
VXɚVDQWHV TXL RQW FDXV« OD UXLQH GH QRPEUHX[ SDUWLFXOLHUV 0DWKLHX
3HWLWKRPPH D GH P¬PH ELHQ PRQWU« FRPELHQ OD 3$+ D FRQWULEX« ¢
G«QRQFHU OD ORL K\SRWK«FDLUH HVSDJQROH OHV FODXVHV DEXVLYHV GDQV OHV
contrats de prêts immobiliers et le scandale des expulsions. Par ses
DFWLRQVGȇLQWHUSRVLWLRQVHVSODLQWHVHWVHVUHFRXUVGHYDQWOHVWULEXQDX[
FHFROOHFWLIDIDLWSUHVVLRQVXUOHVSRXYRLUVSXEOLFV*U¤FH¢VHVDFWLRQV
les Espagnols ont pris conscience de la responsabilité des banques
dans le déclenchement de la bulle immobilière. Si l’actuel gouverne-
PHQWFRQVHUYDWHXUDG«FLG«HQPDUVDYDQWWRXWSRXUGHVUDLVRQV
«OHFWRUDOLVWHVGHIDLUHYRWHUXQHIXWXUHORLIDFLOLWDQWOHVUHQ«JRFLDWLRQV

311
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

entre les particuliers et les banques et instaurant une forme limitée de


mGRQDWLRQ SRXU SDLHPHQW} FȇHVW SDUFH TXH OȇHQMHX GX GURLW DX ORJH-
ment politisé par la PAH depuis 2008 fait désormais consensus dans la
VRFL«W«,OVȇDJLWGȇXQH[HPSOHFRQFUHWGȇLQȵXHQFHGXPRXYHPHQWVRFLDO
tant sur des situations locales et personnelles que sur une réforme
législative.
Karine Bergès a aussi mis en avant le rôle majeur des femmes dans
les mobilisations sociales du temps présent. Elles se sont mobilisées
VXUOHVTXHVWLRQVGHJHQUHQRWDPPHQWGDQVOHFDGUHGXmPRXYHPHQW
intergénérationnel et contestataire » contre le projet de réforme sur
OȇDYRUWHPHQWGHIRU©DQWOHJRXYHUQHPHQW¢IDLUHPDUFKHDUULªUH
(Q SUHPLªUH OLJQH GX PRXYHPHQW GHV LQGLJQ«V VȇLQVXUJHDQW mFRQWUH
OH SRLGV GH OȇRUGUH SDWULDUFDO K«W«URVH[LVWH HW FDSLWDOLVWH} HOOHV RQW
plus généralement dénoncé « la dégradation des conditions de vie des
IDPLOOHVHWGHVIHPPHVOL«HDX[FRXSHVEXGJ«WDLUHVHQPDWLªUHGHVDQW«
GȇDLGHV VRFLDOHV HW GH JHO GHV VDODLUHV} &RPPH OH QRWH .DULQH %HUJªV
mOȇLQVWLWXWLRQQDOLVDWLRQ GX I«PLQLVPH VRXV OHV JRXYHUQDQFHV VRFLD-
OLVWHV}DFHUWHVmLQVFULWOHVSROLWLTXHVGHJHQUH¢OȇDJHQGDSROLWLTXH}
&HSHQGDQWFHmI«PLQLVPHGHVHUYLFHO«JLWLPHHWQ«FHVVDLUHDHXSRXU
effet de reléguer le féminisme autonome dans les interstices de la
FRQWHVWDWLRQPLQRULWDLUH}'HSXLVRQSHXWREVHUYHUXQHQRXYHOOH
SKDVHPDUTX«HSDUXQFHUWDLQUHQRXYHDXGXI«PLQLVPHFRQWHVWDWDLUH
et par l’insertion croissante des revendications féministes au sein de
luttes transversales et à l’avant-garde du mouvement social : Sylvie
Koller a évoqué le rôle de la « marée violette » au sein du 15-M ; Karine
%HUJªV FHOXL GHV mI«PLQLVPHV DOWHUQDWLIV} GH OD mWURLVLªPH YDJXH
I«PLQLVWH}PDLVDXVVLGXFHUFOHI«PLQLVWHDXVHLQGHPodemos ; Mercè
3XMRO OȇLQȵXHQFH G«FLVLYH GH 0XULHO &DVDOV HW GH &DUPH )RUFDGHOO OHV
présidentes respectives d’Òmnium Cultural et de l’Assemblée nationale
FDWDODQH VXU OH PRXYHPHQW LQG«SHQGDQWLVWH 0DWKLHX 3HWLWKRPPH OH
charisme d’Ada Colau dans la création de la Plateforme des affectés
SDU OȇK\SRWKªTXH &HWWH FHQWUDOLW« GHV IHPPHV GDQV OHV OXWWHV D QRQ
seulement permis d’inclure « les sujets des marges » et de politiser les
TXHVWLRQVVH[XHOOHVHWGXTXRWLGLHQPDLVDXVVLVHORQ.DULQH%HUJªVGH
mFURLVHUV\VW«PDWLTXHPHQWOHVSURSRVLWLRQVI«PLQLVWHVDYHFODUDFHOD
FODVVHOHJHQUHHWODVH[XDOLW«}/HVHQMHX[I«PLQLVWHVVRQWGHYHQXVSOXV
WUDQVYHUVDX[¢WUDYHUVGHQRPEUHXVHVG«FOLQDLVRQVHWHQS«Q«WUDQWOH
corpus des revendications d’autres mouvements.
(QȴQOHVDFWLRQVFROOHFWLYHVQRPEUHXVHVHWSOXULHOOHVTXLRQW«PHU-
J«GHSXLVRQWFRQWULEX«¢TXHVWLRQQHUHW¢UHPHWWUHHQFDXVHOHV

312
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

GLVFRXUVGRPLQDQWVHQSURSRVDQWGHQRXYHDX[U«FLWVHWmFDGUHVGȇLQ-
terprétation » pour expliquer le réel et l’histoire espagnole du temps
SU«VHQW/HV«OLWHVSROLWLTXHVFRPPHOȇDELHQPRQWU«OHFRPSRUWHPHQW
GH-RV«/X¯V5RGU¯JXH]=DSDWHURRQWGȇDERUGQL«OȇH[LVWHQFHGHODFULVH
pour ensuite minimiser son impact et ses effets. La repolitisation de la
société espagnole est en ce sens intimement liée au manque d’empa-
thie et à la déconnexion du réel de la classe politique. Les pensions de
UHWUDLWHJ«Q«UHXVHVGHVG«SXW«VOHVmSDUDFKXWHVGRU«V}GHVGLULJHDQWV
GH PXOWLQDWLRQDOH TXL OLFHQFLHQW VDQV «WDW Gȇ¤PH OHV U«PXQ«UDWLRQV
démesurées des actionnaires de banques au bord de la faillite sont
devenues intolérables pour les citoyens et le symbole même des limites
du système politique issu de la transition et de l’ordre économique
néolibéral. Face à des acteurs politiques dominants qui partageaient
JOREDOHPHQW OH P¬PH GLVFRXUV OD P¬PH Y«Q«UDWLRQ GX OLEUH«FKDQJH
et le même maniement de la langue de bois pour éviter toute réforme
VWUXFWXUHOOHGXV\VWªPHGHGXPRGªOH«FRQRPLTXHHVSDJQROHWGH
OHXUVSUDWLTXHVOHVFLWR\HQVSDUOHXUVPRELOLVDWLRQVRQWMRX«OHU¶OHGH
mODQFHXUVGȇDOHUWH}G«QRQ©DQWOHVLQMXVWLFHVHWSURSRVDQWGHQRXYHOOHV
DOWHUQDWLYHV (Q DWWLUDQW OȇDWWHQWLRQ VXU GH QRXYHDX[ HQMHX[ HQ «YR-
TXDQW GHV FDXVHV HQ G«QRQ©DQW GHV UHVSRQVDEOHV HW HQ SURSRVDQW GHV
VROXWLRQVOHVPRXYHPHQWVVRFLDX[RQWUHGRQQ«GXVHQV¢OȇHQJDJHPHQW
rompant avec le cercle vicieux de la lassitude et redonnant de l’espoir
DX[ FLWR\HQV /D WUDQVIRUPDWLRQ GX VORJDQ m2XL FȇHVW SRVVLEOH} GHV
LQGLJQ«V HQ FHOXL GH Podemos m%LHQ V½U TXH RXL QRXV SRXYRQV} RX
HQFRUHOȇDSSHOODWLRQP¬PHGXQRXYHDXSDUWLm&LWR\HQV}V\PEROLVHQW
bien cette volonté de remettre la citoyenneté et son engagement au
cœur de l’action politique.

Activisme citoyen et nouvelles pratiques


Le mouvement des indignés espagnols a eu un retentissement pla-
Q«WDLUH LOOXVWUDQW OD G«ȴDQFH GȇXQH J«Q«UDWLRQ HQWLªUH ¢ Oȇ«JDUG GHV
«OLWHVSROLWLTXHVHWGXV\VWªPH«FRQRPLTXHQ«ROLE«UDO7RXWHIRLV6\OYLH
.ROOHU D ELHQ PRQWU« FRPPHQW DSUªV TXHOTXHV PRLV GȇHIIHUYHVFHQFH
FROOHFWLYHOHPRXYHPHQWVȇHVWSHX¢SHXHVWRPS«IDFH¢OȇmDWRPLVDWLRQ
des groupes » et à la « tendance au ressassement de ses revendica-
WLRQV}/HVG\QDPLTXHVKRUL]RQWDOHVOHUHIXVGHSRUWHSDUROHHWGHGLUL-
JHDQWVHWOHFKRL[GHPRGHVGHIRQFWLRQQHPHQWIRQG«VVXUOȇDXWRJHVWLRQ
les dynamiques consensuelles et la démocratie directe ont conduit le
mouvement à l’« épuisement en discussions interminables » de même
qu’à l’« empilement des propositions sans hiérarchie ». Mais au-delà de

313
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

OȇLPDJHGȇXQHPLVHHQVRPPHLOGX0OHVDFWHXUVGHFHPRXYHPHQW
VHVRQWSHX¢SHXLQYHVWLVmGDQVGHVFROOHFWLIVFLWR\HQVGHVSODWHIRUPHV
GHV FRPLW«V GH TXDUWLHU HW GHV H[S«ULHQFHV Gȇ«FRQRPLH DOWHUQDWLYH}
diffusant en fait de nouvelles pratiques citoyennes au sein d’arènes et
de lieux publics distincts. Cette « contre-culture » de la protestation a
débouché sur des initiatives telles que la création de jardins commu-
QDXWDLUHV GH FRRS«UDWLYHV GH WURF Gȇ«OHFWULFLW« GHV FHQWUHV VRFLDX[
DOWHUQDWLIV GHV RFFXSDWLRQV GȇLPPHXEOHV DEDQGRQQ«V SDU GHV SURPR-
WHXUVLPPRELOLHUVHQIDLOOLWHRXHQFRUHGHVYLOODJHVUXUDX[DXWRJ«U«V
(Q FH VHQV OȇmHVSULW FLWR\HQ HW QRQSDUWLVDQ GȇRULJLQH GX 0}
a eu un impact plus global sur la société espagnole. Il explique par
H[HPSOH OȇHVVRU GX mPXQLFLSDOLVPH} ¢ VDYRLU GH QRXYHOOHV SODWH-
formes citoyennes présentées dans le contexte des élections municipales
(Ganemos Barcelona SDU H[HPSOH  6HORQ 6\OYLH .ROOHU HQ LQFLWDQW VHV
V\PSDWKLVDQWVm¢FRQVWLWXHUGHVFHUFOHVVXUXQHEDVHORFDOHSURIHVVLRQ-
QHOOHRXWK«PDWLTXHGHID©RQOLEUHHWDXWRQRPH}Podemos a suscité un
large engouement citoyen. Cette dynamique montre l’attachement d’une
frange importante des citoyens à l’auto-organisation et à la territoria-
lisation des luttes dans leur quartier et leur municipalité. L’activisme
GX PRXYHPHQW GHV LQGLJQ«V OHV QRPEUHX[ PRXYHPHQWV VRFLDX[ TXL
VRQW GHVFHQGXV GDQV OD UXH GHSXLV  GH P¬PH TXH Podemos dans
OHXUVLOODJHSDUODIRUPXODWLRQGȇXQHQRXYHOOHSODWHIRUPHSROLWLTXHRQW
contribué à une repolitisation de la société espagnole par le bas.
Les limites de la dynamique d’assemblée du mouvement des indi-
JQ«VQRWDPPHQWOHVGLɚFXOW«V¢SUHQGUHGHVG«FLVLRQVSDUFRQVHQVXV¢
KL«UDUFKLVHUOHVUHYHQGLFDWLRQVHW¢G«ȴQLUXQHVWUDW«JLHSROLWLTXHFRK«-
UHQWHRQWORJLTXHPHQWG«ERXFK«VXUXQHYRORQW«GHWUDQVIRUPHUOȇLQGL-
gnation sociale et citoyenne en de nouvelles alternatives politiques.
$LQVL VHORQ 6\OYLH .ROOHU OH QRXYHDX SDUWL Podemos « a emprunté au
0FHUWDLQHVUªJOHVGHIRQFWLRQQHPHQWFRPPHXQPRGHGȇDɚOLDWLRQ
souple (sans cotisation exigée et des formes de cyberactivisme : délibé-
rations et forums de participation sur l’internet ». Il s’inspire de même
des propositions du mouvement sur la question du contrôle démocra-
tique à travers « des primaires ouvertes pour désigner les candidats
DX[«OHFWLRQVRX¢FHUWDLQHVIRQFWLRQV}mODSRVVLELOLW«GHU«YRTXHUOHV
«OXV}HWmODOLPLWDWLRQ¢HXURVGHVLQGHPQLW«VSDUOHPHQWDLUHV}
0DLV FRPPH OȇD VRXOLJQ« 0DWKLHX 3HWLWKRPPH Podemos est certes
mXQH I«G«UDWLRQ GȇDVVHPEO«HV ORFDOHV DXWRJ«U«HV GRQW OHV G«FLVLRQV
VRQW VRXPLVHV ¢ OȇDSSUREDWLRQ GHV EDVHV} PDLV DXVVL mXQ SDUWL DX
leadership très marqué ». La centralisation du parti autour d’un noyau

314
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

GLULJHDQW LVVX GHV IRQGDWHXUV OH PDQTXH GH QRWRUL«W« GH QRPEUHX[
FDQGLGDWVTXLDG«ERXFK«VXUXQHFRPS«WLWLRQDVVH]LQ«JDOHHQWUHOHV
différentes listes dans l’élection de son « conseil citoyen » et de son
VHFU«WDLUHJ«Q«UDOVRQWDXWDQWGȇH[HPSOHVPRQWUDQWOHVOLPLWHVGXSUR-
FHVVXV GH G«O«JDWLRQ GH SRXYRLU ‚ FH MRXU OH IRQFWLRQQHPHQW LQWHUQH
de Podemos illustre cependant une tentative de créer une organisation
SDUWLVDQH VXU GHV EDVHV QRXYHOOHV DOOLDQW XQH FHQWUDOLVDWLRQ HW XQH
autonomie du cercle dirigeant avec la décentralisation et l’autogestion
GHV DVVHPEO«HV ORFDOHV 'ȇXQHFHUWDLQH PDQLªUH Podemos incarne une
IRUPHGHmODERUDWRLUHSROLWLTXH}XQHH[S«ULHQFH¢PLFKHPLQHQWUHOD
verticale du pouvoir des partis traditionnels hiérarchisés et la mise en
œuvre de nouvelles pratiques de démocratie participative directement
issues du mouvement des indignés.
De par la nécessité d’adopter une stratégie politique claire pour
FRQYDLQFUHOHV«OHFWHXUVHWSDUYHQLUDXVXFFªV«OHFWRUDOGHQRPEUHX[
événements de l’actualité incitent à penser que la centralisation des
G«FLVLRQVGHVSULVHVGHSDUROHHWGHODVWUDW«JLHQDWLRQDOHGXSDUWLWHQG
¢VHUHQIRUFHU0DLVFHTXLHVWLPSRUWDQWHVWOHSURFHVVXVOXLP¬PHHW
ce que feront les acteurs de cette organisation de cette expérience de
mQRXYHOOHSROLWLTXH}‚FHW«JDUGOHV«OHFWLRQVU«JLRQDOHVDQGDORXVHV
qui ont permis au parti d’obtenir quinze représentants au parlement
U«JLRQDO RQW LOOXVWU« WDQW OȇDFFªV ¢ OD IRQFWLRQ SROLWLTXH GH QRXYHOOHV
«OLWHVTXHODG«IHQVHGHOHXUQRXYHOOHDXWRQRPLHSROLWLTXHOHVFRQȵLWV
HQWUH 7HUHVD 5RGULJXH] HXURG«SXW«H HW GLULJHDQWH GX JURXSH SDUOH-
PHQWDLUH DQGDORX HW OD GLUHFWLRQ QDWLRQDOH VXU OD VWUDW«JLH ¢ DGRSWHU
à l’égard du gouvernement régional du PSOE mettent ainsi à l’épreuve
le principe d’autonomie des groupes locaux. L’élection de l’eurodéputé
3DEOR (FKHQLTXH DX SDUOHPHQW U«JLRQDO Gȇ$UDJRQ XQH SHUVRQQDOLW«
DVVH] FULWLTXH GX PDQTXH GH G«O«JDWLRQ GH SRXYRLU GH OD GLUHFWLRQ
laisse augurer de futures négociations internes entre les acteurs du
SDUWLDȴQGHU«HOOHPHQWDSSOLTXHUOHVSUDWLTXHVG«PRFUDWLTXHVUHYHQ-
diquées par Podemos6XUFHSRLQW.DULQH%HUJªVOȇDGHP¬PHVRXOLJQ«
« à travers le grand nombre de féministes qu’il compte dans ses rangs »
qui se regroupent dans le cercle Podemos)«PLQLVPHVGRQWXQHȴJXUH
HPEO«PDWLTXHFRPPH%HDWUL]*LPHQROHQRXYHDXSDUWLVȇLPSRVHDLQVL
comme un « laboratoire expérimental » de la mise en œuvre transver-
VDOHGHOȇ«JDOLW«IHPPHVKRPPHV$XGHO¢GHVG«FODUDWLRQVGȇLQWHQWLRQ
ce sera ainsi la pratique politique des acteurs locaux et nationaux de
PodemosTXLSHUPHWWUDGHGLUHVLGHQRXYHOOHVSUDWLTXHVGHG«PRFUDWLH
LQWHUQHSDUWLFLSDWLYHHWGȇ«JDOLW«VȇLPSRVHURQW

315
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

'ȇDXWUHV WHQGDQFHV U«FHQWHV FRQV«TXHQFHV GLUHFWHV GH OȇDFWLYLVPH


HWGHOȇ«YROXWLRQGHVSU«I«UHQFHVGHVFLWR\HQVLQGLTXHQWGHV«YROXWLRQV
,O HQ YD DLQVL SRXU OH V\VWªPH GH OLVWHV RXYHUWHV FKRLVL SDU Podemos
SRXUODG«VLJQDWLRQGHVHVFDQGLGDWVORFDX[OȇXWLOLVDWLRQGHYRWHV«OHF-
WURQLTXHVRXHQFRUHODSXEOLFDWLRQGHVFRPSWHVGHFHSDUWLHWGHFHX[
d’UPyD sur internet. Une autre tendance intéressante est celle du choix
GH SRVLWLRQQHPHQWV WUDQVYHUVDX[ DX PRLQV DX QLYHDX GX GLVFRXUV 
mis en avant par Podemos et le parti Citoyens. Ces deux nouvelles
IRUPDWLRQVTXLLQFDUQHQWODmQRXYHOOHSROLWLTXH}UHIXVHQWGȇXQHFHU-
taine manière le clivage gauche-droite et tentent de se démarquer des
«WLTXHWWHV mJDXFKH} HW mGURLWH} 3RXU EHDXFRXS GH JHQV FH FOLYDJH
politique est perçu comme dépassé : un nombre croissant d’entre eux
SO«ELVFLWH OH UHWRXU ¢ GHV SROLWLTXHV FRQFUªWHV VLPSOHV VRXWHQXHV GH
ID©RQ DVVH] FRQVHQVXHOOHV HW DX[ HIIHWV LPP«GLDWV HQ IDYHXU GX SOXV
grand nombre17.
Les mouvements sociaux les plus emblématiques des années de
crise ont directement contribué à ce changement de paradigme et à ce
recentrage sur l’humain. Sylvie Koller a par exemple montré le soutien
quasiment consensuel (proche de 90 %) de l’opinion publique espa-
JQROH DX[ SULQFLSDOHV UHYHQGLFDWLRQV GHV LQGLJQ«V ¢ VDYRLU mOH FDUDF-
WªUHLPSUHVFULSWLEOHGHVG«OLWVGHFRUUXSWLRQOȇLQWHUGLFWLRQGHVOLFHQFLH-
PHQWV FROOHFWLIV ORUVTXȇXQH HQWUHSULVH U«DOLVH GHV E«Q«ȴFHV OD UHVWLWX-
tion de l’argent public prêté aux banques et aux caisses d’épargne en
GLɚFXOW«HWODSRVVLELOLW«GHVROGHUXQSU¬WK\SRWK«FDLUHHQUHPHWWDQW
VRQ ELHQ ¢ OȇRUJDQLVPH SU¬WHXU} 6HORQ 0DWKLHX 3HWLWKRPPH LO HVW
possible de dire la même chose au sujet du soutien des Espagnols aux
GHPDQGHVGHOD3$+LOVVRXWLHQQHQWWUªVODUJHPHQWVRQLG«H«YRTX«H
SU«F«GHPPHQWGȇLQVWDXUHUXQHGRQDWLRQSRXUSDLHPHQWPDLVDXVVLVD
GHPDQGHGȇXQPRUDWRLUHVXUOHVH[SXOVLRQVHWOHVLG«HVGHG«YHORSSHU
le logement social et de mieux contrôler les pratiques abusives et frau-
duleuses des banques.

šAWPKXGCWNQECNEGVVGVGPFCPEGCWFȌRCUUGOGPVFWENKXCIGICWEJGFTQKVGGVCWTGEGPVTCIG
sur des « coalitions de projet » a par exemple débouché sur le soutien inédit d’Izquierda Unida au
PP en EUVTȌOCFWTGGPVTGGV ȃVTCXGTUUQPCDUVGPVKQPRQWTHCEKNKVGTNGIQWXGTPGOGPV
du PP avec une majorité simple), une entente qui semblait d’autant plus improbable vu la dis
tance idéologique qui sépare les partis, et le caractère quasiment impossible d’une telle alliance
au niveau national. Mais le PP régional, sans majorité absolue, devait absolument trouver un
partenaire, et a su convaincre IU en faisant des concessions programmatiques concrètes
OCKPVGPKTNŨKORȖVUWTNGUUWEEGUUKQPUPQVCOOGPVEQPVTCKTGOGPVȃNCRQUKVKQPFWPP national),
qui donna à la majorité régionale un programme globalement de droite mais teinté de certaines
mesures de gauche. Cf. « Rajoy autoriza a Monago a mantener el impuesto de sucesiones para
atraer a IUz=JVVRYYYRWDNKEQGU?LWKPEQPUWNVȌNGCXTKN

316
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

'DQV OD PHVXUH R» OHV MHXQHV OHV SOXV WRXFK«V SDU OD FULVH HW OH
FK¶PDJH RQW «W« HQ SUHPLªUH OLJQH GHV PDQLIHVWDWLRQV HW GHV DFWLRQV
FROOHFWLYHVOHmF\FOHSURWHVWDWDLUH}HQWDP«GHSXLVDG«ERXFK«VXU
de fortes demandes en faveur d’un renouvellement idéologique mais
aussi générationnel des organisations politiques18. Dans les mouvements
SURWHVWDWDLUHV GHV FRQȵXHQFHV HQWUH J«Q«UDWLRQV RQW «W« REVHUY«HV
SDU6\OYLH.ROOHU¢SURSRVGX0SDUPRLP¬PHDXVXMHWGXPRXYH-
PHQW U«SXEOLFDLQ RX HQFRUH SDU .DULQH %HUJªV GDQV OH FURLVHPHQW GH
plusieurs générations de militantes féministes. L’activisme des jeunes
dans le cadre de Juventud Sin Futuro Democracia Real Ya GX 0
GHVPRXYHPHQWV«WXGLDQWVGHVPRELOLVDWLRQVGHOD3$+RXGHVDFWLRQV
collectives lors de l’abdication de Juan Carlos IerSHUPHWGHQXDQFHUOD
thèse d’un déclin de l’engagement19. Les partis traditionnels connaissent
XQ G«FOLQ GX PLOLWDQWLVPH PDLV XQH IRUPDWLRQ FRPPH Podemos plaît
DX[MHXQHVHW¢GHQRPEUHX[FLWR\HQVHWVXVFLWHXQHQJRXHPHQWPLOL-
WDQW &HUWHV OH PLOLWDQWLVPH HVW DXMRXUGȇKXL SOXV GLIIXV PRLQV VWDEOH
GDQVOHWHPSVSOXVU«DFWLIHWVSRQWDQ«HWLQWLPHPHQWOL«DX[QRXYHDX[
moyens de diffusion de l’information que constituent les réseaux
sociaux. Militer aujourd’hui ne veut plus vraiment dire la même chose
que du temps des partis de masse. Mais l’exemple espagnol montre que
ORUVTXH OH MHX HQ YDXW OD SHLQH OHV FLWR\HQV VȇHQJDJHQW VH PRELOLVHQW
dans des collectifs formés sur de nouvelles bases et font valoir leurs
droits sociaux et politiques.
‚ FH MRXU KRUPLV OH 3DUWL SRSXODLUH DX SRXYRLU HW &L8 OȇHQVHPEOH
des autres partis politiques ont renouvelé leurs dirigeants en faveur
GHUHVSRQVDEOHVSOXVMHXQHV$OEHUWR*DU]´Q DQV DUHPSODF«&D\R
Lara à la tête d’Izquierda Unida ; Pedro Sánchez (43 ans) a remporté la
primaire socialiste de juillet 2014 ; Oriol Junqueras (46 ans) est devenu
OH GLULJHDQW Gȇ(5& HW FKHI GH OȇRSSRVLWLRQ HQ &DWDORJQH 3DEOR ,JOHVLDV
le nouveau leader de PodemosHVW¤J«GHDQVHW$OEHUW5LYHUDFHOXL
GH&LWR\HQVGHDQV0¬PHVȇLOQȇH[LVWHSDVGHOLHQGLUHFWHQWUHOȇ¤JH
HWOHVSROLWLTXHVSXEOLTXHVVRXWHQXHVSXLVTXHSDUH[HPSOHXQHIUDQJH
importante de la jeunesse présente des attitudes tout à fait conserva-
WULFHV SDUIRLV P¬PH SOXV TXH OHXUV SURSUHV SDUHQWV IRUFH HVW WRXWH-
fois de constater que la crise a débouché sur un renouvellement sans
SU«F«GHQWGHVGLULJHDQWVSROLWLTXHVQDWLRQDX[DXSURȴWGȇXQHQRXYHOOH

18. « LQULȕXGPGUEQPFGPCPCNQURCTVKFQUENȄUKEQUCWPHWVWTQRTGECTKQzEl País, 6 avril 2015.


šJacques IƵƴ, LDILQGHVPLOLWDQWV̰", BGNNGEQODGCPBauges, Éditions de l’AVGNKGTšXQKTFG
même Olivier FƯƲƲƯƫƺƲƫ, Le désengagement militant, Paris, Editions Belin, 2005.

317
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

génération de trentenaires et de quadragénaires. Il reste à savoir si ce


PRXYHPHQWDXGHO¢GHVRQHIIHWFRVP«WLTXHVHSRXUVXLYUDDXQLYHDX
local et dans les structures de base des partis. Mais les évolutions
U«FHQWHVVHPEOHQWDOOHUGDQVOHERQVHQVFHOXLGHODYRORQW«GHFKDQJH-
PHQWHWGHUHQRXYHOOHPHQWGHVFLWR\HQVHQIDLVDQWHQWUHUXQHQRXYHOOH
J«Q«UDWLRQDYHFXQDXWUHY«FXHWSRWHQWLHOOHPHQWGȇDXWUHVPDQLªUHVGH
voir les choses.

NOUVELLES ALTERNATIVES ET
RECOMPOSITION DU PAYSAGE POLITIQUE

Un jeu électoral plus ouvert


(QȴQOHVPRXYHPHQWVVRFLDX[TXLVHVRQWG«YHORSS«VGHSXLV
ont directement contribué à faire émerger de nouvelles alternatives
électorales et déboucheront vraisemblablement sur une recomposition
du paysage politique, notamment à travers un affaiblissement des partis
dominants. Il est possible d’établir un parallèle entre « l’épuisement
GH OD IRUPXOH KLVWRULTXH GH } «YRTX«H SDU %HQR°W 3HOOLVWUDQGL HW
OD FULVH LQVWLWXWLRQQHOOH HW G«PRFUDWLTXH DFWXHOOH (Q HIIHW OD FRQVWLWX-
tion de l’époque faisait du roi l’un des détenteurs de la souveraineté et
avait mis en place un système bicaméral et bipartisan organisé autour
GH GHX[ SDUWLV OȇXQ FRQVHUYDWHXU OȇDXWUH OLE«UDO WRXWHIRLV XQLV VXU OD
IRUPH GH Oȇ‹WDW TXL DOWHUQDLHQW DX SRXYRLU VDQV Y«ULWDEOH DOWHUQDWLYH
conduisant peu à peu à un « dérèglement du système des partis » qui
se transforma en une sorte de « cartel politique » marqué par l’entente
entre les deux partis oligarchiques20. Benoît Pellistrandi note d’ailleurs à
propos du système politique du début du XXeVLªFOHTXHmOȇ«FDUW}«WDLW
« décidément trop manifeste entre une élite enfermée dans ses codes
et ses symboles et un pays qui ployait sous les épreuves et les revers ».
De nombreux points communs peuvent être mis en avant avec cette

šLa notion de « parti de cartel » a été proposée en science politique par Peter Mair pour
évoquer la tendance des partis dominants dans les démocraties occidentales à dépendre de
plus en plus des ressources de l’ÉVCV PQVCOOGPVFWHKPCPEGOGPVRWDNKE GVȃȍVTGFGOQKPUGP
OQKPUCPETȌUFCPUNCUQEKȌVȌ ȃVTCXGTUWPFȌENKPFWOKNKVCPVKUOG La survie des grands partis
serait donc de plus en plus liée à leur capacité à sauvegarder leurs positions de pouvoir au sein
du système institutionnel et à maintenir des règles en leur faveur, plutôt que directement liée
à leurs soutiens dans la société, qui tendent à décliner. Pour une discussion de cette théorie,
voir l’ouvrage de référence en français, Yohann AƺƩƧƴƹƫ et Alexandre Dʤƿƫ FKT Les systèmes
de partis dans les démocraties occidentales. Le modèle du parti cartel en question, Paris, Presses
de Sciences Po, 2008.

318
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

période que les historiens ont appelée la « crise de la Restauration ».


'HSXLV  OD FULVH «FRQRPLTXH HW VRFLDOH D GXUHPHQW WRXFK« OHV
(VSDJQROV /D FRQVWLWXWLRQ GH  OD IRUPH GH Oȇ‹WDW OH V\VWªPH SROL-
tique et la légitimité des deux principaux partis ont été mis en cause.
/HV «OLWHV HQIHUP«HV GDQV OHXUV FDOFXOV SROLWLFLHQV HW SHUVRQQHOV HW
OHXUVYLHX[VFK«PDVQȇRQWSDVYXPRQWHUODG«ȴDQFHFLWR\HQQHHWOHXU
volonté de changement.
C’est ce contexte qui explique la sympathie retranscrite par les
VRQGDJHV HW H[SULP«H GDQV OHV XUQHV ORUV GHV PXQLFLSDOHV GH 
à l’égard des nouvelles formations Podemos et Citoyens (devenu le
principal parti de l’opposition en Catalogne suite aux régionales du
27 septembre 2015). Mathieu Petithomme a bien illustré les raisons de
la percée dans l’opinion du discours du nouveau parti de Pablo Iglesias
depuis janvier 2014 : un retour aux fondamentaux des « marqueurs »
GHODJDXFKH GURLWVGHVWUDYDLOOHXUVGURLWV¢Oȇ«GXFDWLRQ¢ODVDQW«DX
ORJHPHQWHWF  XQ WUDYDLO VXU OH FRQWHQX SRXU SURSRVHU XQ mFRQWUH
discours » opposé au discours conservateur et néolibéral dominant ;
une mise en application des principes de la démocratie participative
TXLV«GXLWOHVFLWR\HQVHWXQHXWLOLVDWLRQU«ȵ«FKLHGHVU«VHDX[VRFLDX[
HW GHV RXWLOV PRGHUQHV GH OD FRPPXQLFDWLRQ SROLWLTXH 'H P¬PH
&LWR\HQVIRQG«OHer juin 2006 et qui se présente comme « le parti de la
FLWR\HQQHW«}RIIUHXQSURȴO¢ODIRLVSURFKHGHODGURLWHVXUOHVTXHV-
tions économiques (libéralisme et proximité au monde des affaires)
PDLVSURFKHGHODJDXFKHVXUOHVYDOHXUV GURLW¢OȇDYRUWHPHQWPDULDJH
homosexuel). Il est centriste sur le soutien au fédéralisme européen. Il
SU¶QHOȇDXWRQRPLHU«JLRQDOHPDLVUHIXVHOHmQDWLRQDOLVPHREOLJDWRLUH}
DGRSWDQWXQHSRVWXUHSOXVFRQVHUYDWULFHVXUODTXHVWLRQLGHQWLWDLUHHQ
G«FDODJHDYHFODPDMRULW«GHV&DWDODQVPDLVHQSKDVHDYHFOȇ«OHFWRUDWGX
parti conservateur dans le reste de l’Espagne. Initialement localisé en
&DWDORJQH&LWR\HQVVȇDSSXLHG«VRUPDLVVXUXQU«VHDXGȇHQYLURQ
PLOLWDQWV GH P¬PH TXH VXU  G«SXW«V DXWRQRPLTXHV  FRQVHLOOHUV
municipaux et deux eurodéputés21. Comme Podemos&LWR\HQVFKHUFKH
¢G«SDVVHUOHFOLYDJHJDXFKHGURLWHHQDFFHSWDQWVHXOHPHQWOHTXDOLȴFD-
tif de « libéral ». Il occupe l’espace politique du centre laissé vacant par
OH33FDXVHOȇK«PRUUDJLHGȇ83\'HWGLVSXWH¢Podemos le monopole de
la « nouvelle politique ».
3RXU 6\OYLH .ROOHU RQ DVVLVWH DLQVL DXMRXUGȇKXL ¢ mXQH WUDQVIRU-
mation de l’indignation sociale en un nouveau capital politique ».

21. « Cidudadanos, un parti centrista y liberal », El Mundo, 12 juin 2014.

319
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

L’application de mesures d’austérité et de coupes budgétaires mas-


VLYHVSDUOHVJRXYHUQHPHQWVVRFLDOLVWHHWFRQVHUYDWHXUVDQVY«ULWDEOHV
réformes du système politique et institutionnel ni des pratiques des
DFWHXUVSROLWLTXHVGRQQHOȇLPSUHVVLRQ¢GHQRPEUHX[(VSDJQROVTXHOH
système ne peut pas être réformé de l’intérieur par les mêmes acteurs
qu’hier. 74 % des citoyens considèrent en effet que les mesures du
gouvernement conservateur ont engendré plus d’inégalités22. Ils sont
¢QHSDVFURLUHDXGLVFRXUVGHODmU«FXS«UDWLRQ«FRQRPLTXH}HW
63 % ne mettent pas l’amélioration récenteau crédit du gouvernement.
‚OȇKHXUH GX WULRPSKH GHV U«VHDX[ VRFLDX[ OHV FLWR\HQV PLHX[ LQIRU-
P«VQHFURLHQWSOXVDX[DUWLȴFHVGHODFRPPXQLFDWLRQSROLWLTXH&ȇHVW
cette perception qui explique la crise de légitimité des deux grands par-
WLVOH33HWOH362(HWOHG«VLUGHYRLU«PHUJHUGHQRXYHOOHVIRUPDWLRQV
HWGHQRXYHOOHV«OLWHV,OHVWWRXW¢IDLWVLJQLȴFDWLITXHGHVFLWR\HQV
ne veulent plus que le PP ou le PSOE décident seuls du futur du pays
grâce à des majorités absolues23. Cela témoigne d’une forte volonté de
changement et du désir que l’émergence de nouveaux partis et de leur
« capacité de chantage » et « potentiel de coalition » oblige les partis tra-
ditionnels à évoluer24. Seuls 26 % des citoyens souhaitent une « grande
FRDOLWLRQ} HQWUH OH 33 HW OH 362( LQGLFDWLRQ a contrario du soutien
SRVVLEOH¢XQJRXYHUQHPHQWTXLVHUDLWVRLWGHJDXFKHRXGHGURLWHPDLV
s’appuierait surtout sur une coalition entre plusieurs acteurs.

De l’indignation citoyenne au changement politique


3RXU FRPSUHQGUH HW DQWLFLSHU Oȇ(VSDJQH GH GHPDLQ LO IDXW FHUWHV
tenir compte du sentiment d’indignation de nombreux citoyens. Mais il
est encore trop tôt pour savoir si les Espagnols plébisciteront un chan-
JHPHQWUDGLFDOGXV\VWªPH¢WUDYHUVOȇDFFHVVLRQDXSRXYRLUDXQLYHDX
U«JLRQDORXQDWLRQDOGHQRXYHDX[SDUWLVWHOVTXH&LWR\HQVRXPodemos.
Il faut aussi tenir compte d’un certain conservatisme qui imprègne

šMême parmi les sympathisants du parti conservateur, 44 % pensent la même chose. Cf.
« Clima político en EURCȓCzUQPFCIGMetroscopia pour El País, 10 avril 2015.
23. « PP y socialistas repuntan ligeramente aunque el 77 % quiere que dejen de ser predomi
nantes », El País, 13 avril 2015.
šDans son ouvrage classique sur les systèmes de partis, Giovanni Sartori évoque ces
notions de « capacité de chantage » et de « potentiel de coalition » afin de caractériser le rôle
important que peuvent jouer des organisations politiques certes mineures, mais qui dans un
système fragmenté, ont un rôle central dans la formation des coalitions gouvernementales,
ce qui leur permet d’exercer une influence, soit sur la stratégie et le programme des autres
partis, soit sur les politiques publiques adoptées par un gouvernement. Cf. Giovanni SƧƷƹƵƷƯ,
Partis et systèmes de partis. Un cadre d’analyse, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles,
2011 [1976].

320
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique

OD VRFL«W« WDQW GDQV OHV PLOLHX[ FDWKROLTXHV TXH SDUPL OHV FODVVHV
PR\HQQHVTXLSRXUUDLWUHQGUHSOXVGLɚFLOHSRXUPodemos ou Citoyens
le fait de devenir de vrai partis de gouvernement et pas seulement des
partenaires minoritaires de coalition. Le refus de l’extrémisme et du
radicalisme est désormais largement ancré dans une société espagnole
SDFLȴTXHTXLGHPHXUHODUJHPHQWLQȵXHQF«HSDUOHVYDOHXUVG«PRFUD-
WLTXHVLVVXHVGHODWUDQVLWLRQGXFRQVHQVXVHWGHODQ«JRFLDWLRQ6XUFH
SRLQWFȇHVWGRQFSOXW¶WODFRQIURQWDWLRQSROLWLFLHQQHVW«ULOHHWOHVDIIURQ-
tements partisans sur fond de stratégies électorales lors des alternances
HQWUHOH33HWOH362(FHWWHmOXWWHSROLWLTXH¢OȇHVSDJQROH}«YRTX«HSDU
(QULTXH*LO&DOYRTXLVHPEOHHQG«SKDVDJHDYHFOHG«VLUGHFRPSURPLV
des Espagnols et le retour d’une « culture de la négociation25 ». Pour
EHDXFRXSGHFLWR\HQVFHWWHYRORQW«GȇHQWHQWHGDQVXQEXWFRPPXQGH
PRGHUQLVDWLRQSROLWLTXHHWVRFLDOHTXLSHUPLWOHVSULQFLSDOHVU«XVVLWHV
GHODWUDQVLWLRQDSURJUHVVLYHPHQWGLVSDUXDXSURȴWGHVFRQVLG«UDWLRQV
politiciennes.
Les enquêtes sociologiques ont également bien montré que la
VRFL«W« HVSDJQROH HVW GH P¬PH PRLQV FULWLTXH ¢ Oȇ«JDUG GHV «WUDQJHUV
SOXV WRO«UDQWH RXYHUWH HW SURHXURS«HQQH TXH GH QRPEUHXVHV DXWUHV
sociétés européennes26 $XVVL «YLGHQW VRLWLO OȇXQ GHV PHLOOHXUV LQGLFD-
WHXUVGHPHXUHWRXWHIRLVTXHFRQWUDLUHPHQW¢OD*UªFHHW¢Oȇ,WDOLHSRXU
Oȇ(XURSHGXVXGPDLVDXVVL¢OD)UDQFH¢OD%HOJLTXHDX[3D\V%DVDX
'DQHPDUNHW¢GȇDXWUHVSD\VHXURS«HQVODFULVHSRXUWDQWSOXVLPSRU-
WDQWH HQ (VSDJQH TXȇDLOOHXUV QȇD SDV G«ERXFK« VXU Oȇ«PHUJHQFH GȇXQ
SDUWLSRSXOLVWH[«QRSKREHHWDQWLHXURS«HQ&HWWHH[FHSWLRQHVSDJQROH
P«ULWH UHVSHFW WDQW HOOH VH VLWXH ¢ FRQWUHFRXUDQW GX UHSOL LGHQWLWDLUH
et du retour de valeurs réactionnaires qui touche la plupart des pays
européens.
3RXUOȇHQVHPEOHGHFHVUDLVRQVOHVF«QDULROHSOXVSUREDEOHGDQVOHV
années à venir ne semble donc pas celui d’un renversement complet
GHOȇ«FKLTXLHUSROLWLTXHHWLQVWLWXWLRQQHO3OXW¶W¢OȇLPDJHGHV«OHFWLRQV
U«JLRQDOHV DQGDORXVHV LO HVW SUREDEOH TXH Oȇ(VSDJQH FRQQDLVVH XQH
forme de rééquilibrage politique à travers l’entrée de nouveaux acteurs
comme Podemos &LWR\HQV PDLV DXVVL (5& TXL SRXUUDLW VȇLPSRVHU HQ
&DWDORJQH HQWUD°QDQW XQ DIIDLEOLVVHPHQW GHV GHX[ SDUWLV GRPLQDQWV

šEnrique GƯƲ CƧƲƻƵ, La lucha política a la española. Tragicomedia de la crispación, Madrid,


Taurus, 2007.
šSur ce point, voir les nombreux travaux de Juan DƯƫƿNƯƩƵƲƧƸ, par exemple, « Opinión Pública
y Políticas de Inmigración », dans Ricard ZƧǞƧƹƧBƧƷƷƫƷƵ FKT Políticas y Gobernabilidad de la
Inmigración en España, Ariel, BCTEGNQPCR

321
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

33HW362( HWXQHFULVHRXXQHTXDVLGLVSDULWLRQGHFHUWDLQHVRSWLRQV
83\'Izquierda Unida ou encore le PSC en Catalogne). Le paysage poli-
WLTXH ¢ OȇLPDJH GH OD VRFL«W« GHYLHQGUD FHUWDLQHPHQW SOXV IUDJPHQW«
DYHFXQHIRUPHGȇLQVWDELOLW«¢FRXUWWHUPHTXLREOLJHUD¢PR\HQWHUPH
OHVDFWHXUV¢FRRS«UHU¢WURXYHUGHQRXYHOOHVDOOLDQFHVHW¢VȇDGDSWHU¢
ODQRXYHOOHGRQQH,OHVWGLɚFLOHGHSU«GLUHOHV«YROXWLRQVIXWXUHVWDQW
HOOHVVHURQWG«SHQGDQWHVGHIDFWHXUVLQWHUQHV WDX[GHFK¶PDJHUHSULVH
«FRQRPLTXHHWF  HW H[WHUQHV FRQWH[WH LQWHUQDWLRQDO SROLWLTXH PRQ«-
WDLUHHXURS«HQQHWHUURULVPHHWF 
La très forte volatilité électorale observée dans les intentions de
YRWHTXL«YROXHQWFKDTXHPRLVGDQVXQVHQVRXGDQVXQDXWUHPRQWUH
TXH mOH MHX HVW G«VRUPDLV SOXV RXYHUW} SRXU UHSUHQGUH OȇH[SUHVVLRQ
du journaliste Ignacio Urquizu27. Face à la concurrence de PodemosOH
362( YD GHYRLU U«RULHQWHU VRQ GLVFRXUV SOXV ¢ JDXFKH 'H P¬PH IDFH
¢ Oȇ«PHUJHQFH GH &LWR\HQV DX SRVLWLRQQHPHQW SOXV OLE«UDO HW PRLQV
WUDGLWLRQQDOLVWHVXUOHVTXHVWLRQVGHVRFL«W«OH33YDGHYRLUPRGHUQLVHU
son discours et son image. L’ordre d’arrivée et la hiérarchisation des
IRUFHV SROLWLTXHV SDU OHV «OHFWHXUV MRXHURQW XQ U¶OH FHQWUDO SXLVTXȇHQ
Oȇ«WDW OH V\VWªPH «OHFWRUDO PDMRULWDLUH E«Q«ȴFLH DX SDUWL TXL UHFXHLOOH
OH SOXV GH YRWHV HW GDQV XQH PRLQGUH PHVXUH ¢ OD VHFRQGH IRUPDWLRQ
tout en pénalisant largement les organisations qui terminent troisième
RXTXDWULªPH0DLVFHTXLHVWFODLUFȇHVWTXHOȇ(VSDJQHHVWDXMRXUGȇKXL
m¢XQWRXUQDQW}&HUWHVSRXUOHVVFHSWLTXHVODS«ULRGHKLVWRULTXHTXL
VȇRXYUHLQFDUQHSHXW¬WUHXQHSKDVHGȇLQFHUWLWXGHHWGȇLQVWDELOLW«PDLV
les optimistes verront dans la redistribution possible des cartes le sym-
bole même de changements démocratiques possibles. Comme le disait
$QWRQLR0DFKDGROHFKHPLQVHIDLWHQPDUFKDQW

šIgnacio UƷƶƺƯƿƺ« UPGUEGPCTKQOȄUCDKGTVQzEl País, 11 avril 2015.

322
Liste des sigles employés
$*( Alternativa Galega de Esquerda (Alternative galicienne de
gauche)
AMI Associació de Municipis per la independència (Association
des municipalités pour l’indépendance)
ANC Assemblea Nacional Catalana (Assemblée nationale cata-
lane)
ANV Acción Nacionalista Vasca (Action nationaliste basque)
AP Alianza Popular (Alliance populaire)
%1* Bloque Nacionalista Gallego %1*
CAA Comandos Autónomos Anticapitalistas (Commandos auto-
nomes anticapitalistes)
CC Coalición Canaria (Coalition Canaries)
CCOO Comisiones Obreras (Commissions ouvrières)
CDC Convergència Democrática de Catalunya (Convergence
démocratique de Catalogne)
CDS Centro Democrático y Social (Centre démocratique et social)
CEDA Confederación española de las derechas autónomas
(Confédération espagnole des droites autonomes)
&*3- Consejo Superior del Poder Judicial (Conseil supérieur du
pouvoir judiciaire)
&*7 Confederación General del Trabajo (Confédération générale
du Travail)
&,* Confederación Intersindical Galega (Confédération inter-
syndicale galicienne)
CiU Convergència i Unió (Convergence et union)
CNT Confederación Nacional del Trabajo (Confédération natio-
nale du Travail)
C’s Ciutadans de Catalunya (Citoyens de Catalogne)

323
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

CUP Candidatura d’Unitat Popular (Candidature d’unité popu-


laire)
EA Eusko Alkatasuna (Solidarité Basque)
EE Euskadiko Ezkerra *DXFKHGX3D\V%DVTXH
EH Euskal Herritarok (Pays Basque Populaire)
EH Bildu Euskal Herria Bildu (Réunir le Pays basque)
EIA Euskal Iraultzarako Alderdia (Parti pour la révolution
Basque)
ELA-STV Eusko Langileen Alkartasuna (Solidarité des travailleurs
basques)
EPK Euskadiko Partidu Komunista (Parti communiste du Pays
Basque)
EPPK Euskal Preso Politikoen Kolektiboa (Collectif des prison-
niers et des prisonnières politiques basques)
ERC Esquerra Republicana de Catalunya *DXFKH U«SXEOLFDLQH
de Catalogne)
ERE Expediente de Regulación de Empleo (Dossier de régulation
de l’emploi)
ESEI Euskadiko Sozialistak Elkartze Indarra 8QLȴFDWLRQ GHV
socialistes du Pays Basque)
ETA Euskadi Ta Askatasuna (Pays Basque et Liberté)
ETAm ETA militar (ETA militaire)
ETApm ETA político-militar (ETA político-militaire)
EUPV Esquerra Unida del País Valencia *DXFKH 8QLH GX 3D\V
valencien)
*$/ Grupos Antiterroristas de Liberación *URXSHV
Antiterroristes de Liberation)
HASI Herriko Alderdi Sozializta Iraultzailea (Parti socialiste révo-
lutionnaire du peuple)
HB Herri Batasuna (Unité populaire)
IA Izquierda Anticapitalista *DXFKHDQWLFDSLWDOLVWH
ICV-EUiA Iniciativa per Catalunya-Esquerra Unida i Alternativa
8QLWLDWLYHSRXUOD&DWDORJQH*DXFKHXQLHHWDOWHUQDWLYH
ILP Iniciativa Legislativa Popular (Initiative législative popu-
laire)

324
Liste des sigles employés

IU Izquierda Unida *DXFKHXQLH


KAS Koordinadora Abertzale Sozialista (Coordination patriote
socialiste)
LAB Langile Abertzaleen Batzordeak (Commissions d’ouvriers
patriotes)
/*%7 Lesbianas, Gais, Bisexuales y Transexuales /HVELHQQHV
JD\VELVH[XHOVHWWUDQVJHQUHV
MLNV Movimiento de Liberación Nacional Vasco (Mouvement de
libération national basque)
PAH Plataforma de Afectados por la Hipoteca (Plateforme des
affectés par l’hypothèque)
PCE Partido Comunista de España (Parti communiste d’Espagne)
PCTV-EHAK Partido Comunista de las Tierras Vascas-Euskal
Herrialdeetako Alderdi Komunista (Parti communiste des
Terres Basques)
PNV Partido Nacionalista Vasco (Partinationaliste basque)
PP Partido Popular (Parti populaire)
PSC Partit dels Socialistes de Catalunya (Parti des socialistes de
Catalogne)
PSE-EE Partido Socialista de Euskadi-Euskadiko Ezkerra (Parti
VRFLDOLVWHGX3D\V%DVTXH*DXFKHGX3D\V%DVTXH
PSOE Partido Socialista Obrero Español (Parti socialiste ouvrier
espagnol)
TSJ Tribunal Superior de Justicia (Tribunal supérieur de Justice)
UCD Unión de Centro Democrático (Union du centre démocra-
tique)
8*7 Unión General de los Trabajadores (Union générale des tra-
vailleurs)
UJM Unión de Juventudes Maoístas (Union des jeunesses
maoïstes)
UPyD Unidad, Progreso y Democracia 8QLW«SURJUªVHWG«PRFUD-
tie)

325
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Liste des tableaux,


graphiques et schémas
*UDSKLTXH/ȇ«YROXWLRQGXFK¶PDJHHQ(VSDJQH  ... 51
*UDSKLTXH/ȇHPSORLHQ(VSDJQH. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
*UDSKLTXH&K¶PDJHGHFRXUWHHWGHORQJXHGXU«HHQ(XURSH
  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
*UDSKLTXH/HFK¶PDJHGHORQJXHGXU«HHQ(VSDJQH
SDU¤JHHWSDUJHQUH   . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
*UDSKLTXH  ,PSDFW GH OD FULVH VXU OH PDUFK« GX WUDYDLO
européen (base 2007) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
*UDSKLTXH/DU«IRUPHGXWUDYDLOGH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66

7DEOHDX7DX[GHFK¶PDJHHQ(VSDJQHSDU¤JHHWSDUJHQUH
2006 et 2012 (%) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
Tableau 2.5. Immigration en Europe (% de population immigrée
par rapport à la population totale) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
7DEOHDX)RUFHGHWUDYDLODFWLYLW«SRSXODWLRQDFWLYHRFFXS«H
et chômage en Espagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57

Schéma 2.3. Les facteurs de la croissance démographique . . . . . . . . . . . . . . . . . 54


Schéma 2.4. Population et offre de travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
Schéma 2.11. Réforme du travail de 2012. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52

326
Liste des photographies

Liste des photographies


3KRWRm/ȇKRPPHDYLRQ}VFXOSWXUHGH-XDQ5LSROO«V
aéroport de Castellón de la Plana . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Photo 1.2. Tract de convocation de la grève générale du
29 septembre 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
3KRWR$FWLRQGXFROOHFWLI)OR[ m)ODPHQFRHW$FWLYLVPH} 
GHYDQWXQHEDQTXH%%9$6«YLOOH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
Photo 3.1. Caricature de la Ire5«SXEOLTXHUHYXHVDWLULTXH
La FlacaPDUV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
Photo 3.2. Manifestation républicaine lors de l’abdication de
Juan Carlos Ier3XHUWDGHO6RO0DGULGMXLQ. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
3KRWR3DQFDUWHI«PLQLVWH0Puerta del Sol0DGULG
mai 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
Photo 4.2. Manifestation contre la loi de réforme de
OȇDYRUWHPHQW0DGULGPDUV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125
3KRWR0DQLIHVWDWLRQHQVRXWLHQDX[IHPPHVHVSDJQROHV
3DULVer février 2014 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126
3KRWR0DQLIHVWDWLRQGX3&((3.FRQWUHODYLROHQFH
3RUWXJDOHWHMXLQ. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
Photo 6.2. Manifestation de dénonciation de la politique
pénitentiaire (2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181
3KRWR0DQLIHVWDWLRQHQIDYHXUGHVSULVRQQLHUVGHOȇ(7$
Saint-Sébastien (2015) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188
3KRWR/D3XHUWDGHO6ROOHPDL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197
Photo 10.1. La « Marche du changement » de Podemos0DGULG
31 janvier 2015. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 291

327
Table des matières
Les auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
1. La crise démocratique espagnole et le renouveau
de la contestation sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
De la récession économique à la crise sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
L’éclatement de la « bulle immobilière » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
Une dégradation sans précédent des conditions de vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
'HODFULVH«FRQRPLTXH¢ODG«ͤDQFHSROLWLTXH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
La perception de l’échec du néolibéralisme et des politiques d’austérité. . . . . 17
L’impact de la corruption sur la crise de la représentation politique . . . . . . . . . . 24
#WFGNȃFGUCHHCKTGUNGUNKOKVGUFWU[UVȋOGKPUVKVWVKQPPGNKUUWFGNC
constitution de 1978 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
Le renouveau de la contestation dans l’Espagne contemporaine . . . . . . . . . . . . . 32
7PGOWNVKRNKEKVȌFGOCPKHGUVCVKQPUCPVKCWUVȌTKVȌ. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
L’émergence du mouvement des indignés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
Le développement de nouveaux répertoires d’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
Comprendre la crise démocratique espagnole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

Première partie :
De la crise économique au renouveau de la contestation sociale . . . . . . . . 45
/HG«ͤGHODPRQW«HGXFK¶PDJHHWODU«IRUPHGXPDUFK«GXWUDYDLO. . . . . 47
Le problème du chômage en Espagne et ses explications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
Un enjeu ancien, revenu sur le devant de la scène depuis 2008 . . . . . . . . . . . . . . . 49
Offre et demande de travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
L’hétérogénéité du marché du travail européen face à la crise . . . . . . . . . . . . . . . . 59
Les points communs de l’Espagne avec le chômage en Europe . . . . . . . . . . . . . . 59
Le chômage européen . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
/DU«IRUPHGXPDUFK«GXWUDYDLOHQ(VSDJQHXQHSROLWLTXHHͦFDFHGH
lutte contre le chômage ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
Politique économique générale et réforme du travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
Le contenu de la réforme du travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
/DU«IRUPHGXWUDYDLOHWOHSUREOªPHGXFK¶PDJHREVHUYDWLRQVͤQDOHV . . . . . 69
3. Le renouveau du mouvement républicain :
GHODQRVWDOJLH¢ODG«ͤDQFHFLWR\HQQH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
La mémoire historique républicaine en Espagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
.C2TGOKȋTG4ȌRWDNKSWGšNŨKOCIGPȌICVKXGFGNCk4ȌRWDNKSWGFGz . . . . 77
.C5GEQPFG4ȌRWDNKSWGšWPGKOCIGVTȋUENKXȌG . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80

329
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

Républicanisme et victimes de la guerre civile. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83


/HPRXYHPHQWU«SXEOLFDLQ¢ODFRQͥXHQFHGHVPRXYHPHQWVVRFLDX[ . . . . . . . 86
La « Troisième République », un concept rassembleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
Les manifestations républicaines lors de l’abdication de Juan Carlos . . . . . . . 91
Républicanisme et indépendantisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
La demande d’un référendum dans le contexte de la consultation catalane 95
#W2C[UDCUSWGšWPGPLGWOQDKNKUCVGWTRQWTNGUKPFȌRGPFCPVKUVGU . . . . . . . . . . 98
Des mobilisations minoritaires en Galice, symbole d’un régionalisme
conservateur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
5HQRXYHDXHWG«FOLQGXU«SXEOLFDQLVPHGDQVO̵(VSDJQHG̵DXMRXUG̵KXL . . . . . 100
/HVI«PLQLVPHVGDQVO̵(VSDJQHG̵DXMRXUG̵KXL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
« Nosotras, las mujeres}OHVG«EDWVDXWRXUGHODUHG«ͤQLWLRQGXmVXMHWGX
féminisme ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110
D’une vague à l’autre : l’émergence de nouveaux courants féministes . . . . . 114
« a.CTGXQNWEKȕPUGTȄHGOKPKUVCQPQUGTȄšЏ » : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
la « marée violette » au sein du Mouvement des indignés. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
« En nuestros úteros, no se legisla » :. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
la (re)mobilisation unitaire autour de la question de l’avortement . . . . . . . . . . 123

Deuxième partie
Revendications identitaires et nouveaux mouvements sociaux . . . . . . . . 133
5. Mouvements de contestation en Catalogne : manifestations et
consultation(s) sur l’indépendance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
Repères historiques : le nationalisme catalan en perspective . . . . . . . . . . . . . . . 137
La constitution de 1978 et l’Espagne des autonomies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
Les statuts d’autonomie de 1979 et 2006 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
/DODQJXHFDWDODQHFRPPHV\PEROHG̵LGHQWLW«HWGHFRK«VLRQVRFLDOH . . . . 143
La place des contestations : la voix du peuple. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146
Le mouvement vers l’indépendance et la consultation du 9 novembre 2014 152
La Catalogne face au renouveau indépendantiste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
6. La « transition démocratique » du nationalisme basque radical : de
la légitimation de la violence à l’indépendantisme démocratique ? . . . . . . 159
La « résistance » au régime franquiste et la légitimité originelle du
nationalisme radical (1958-1977). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
La résistance antifranquiste et le procès de Burgos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
La marche pour la liberté du Pays basque. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165
Le tournant de l’amnistie générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168
Violence politique et monopolisation de l’espace public (1978-1994) . . . . . . 170
Légitimation de la violence politique et culte des « gudaris » . . . . . . . . . . . . . . . . 170
De l’« Alternative KAS » au monopole de la rue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 172
.GFȌENKPFGNŨJȌIȌOQPKGOQDKNKUCVTKEG  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176
.CTWRVWTGFGNCURKTCNGFWUKNGPEGšNŨȌOGTIGPEGFGGesto por la Paz . . . . . . . 177
De la fracture à la dissolution des mouvements antiviolence . . . . . . . . . . . . . . . 179

330
Table des matières

Institutionnalisation et « transition démocratique » du nationalisme


basque radical (depuis 2011). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181
7PGTWRVWTGCXGENGRCUUȌšƒPFGNCXKQNGPEGTGPQWXGCWFG
NŨKPFȌRGPFCPVKUOGGVRCEKƒECVKQP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182
Une transition inachevée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186
7. Le mouvement des indignés : la création du 15-M et sa postérité . . . . . . . 191
Un anniversaire peut en cacher un autre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193
La Toile et la Place . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195
Un campement, des campements. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 196
Le socle intergénérationnel du mouvement des indignés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 198
%QOOGPVUŨQTICPKUGTš!1EEWRCVKQPUCUUGODNȌGUGVGZVGPUKQPFW
mouvement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199
L’importance de l’expérimentation sociale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201
De l’insurrection morale aux propositions de changement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203
Le dur désir de durer : que s’est-il passé depuis le 15 mai 2011 ?. . . . . . . . . . . . 206
.ŨCRRTQRTKCVKQPFGNŨGURCEGRWDNKEšCUUGODNȌGUOCPKHGUVCVKQPUOCTȌGU
marches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206
&KXGTUKƒECVKQPGVEQPXGTIGPEGFGUOCPKHGUVCVKQPU . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207
Occupations, obstructions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208
Défense des libertés fondamentales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209
Le rôle de Juventud Sin futuro . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 210
.ŨCXGPKTRQNKVKSWGFW/ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213
L’avènement du « municipalisme » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214

Troisième partie :
De la crise sociale à la crise institutionnelle et politique. . . . . . . . . . . . . . . . . . 217
8. Le droit au logement et la lutte contre les expulsions :
la Plataforma de Afectados por la Hipoteca. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219
Crise du droit au logement et luttes collectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
« Dernier toit avant liquidation » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
.CURKTCNGFGNCRCWRȌTKUCVKQPškFGNCRTȌECTKVȌȃNŨGZRWNUKQPKNPŨ[C
qu’un pas » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223
Un mouvement décentralisé et transversal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225
Autonomie et coopération des collectifs locaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225
Un mouvement social citoyen . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227
Des revendications sociales concrètes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229
Instaurer une donation pour paiement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231
Militer pour un moratoire sur les expulsions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231
Développer le logement social . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232
'HVVWUDW«JLHVG̵DFWLRQFROOHFWLYHGLYHUVLͤ«HV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 234
.WVVGTRCTNGFTQKVšLWFKEKCTKUCVKQPGVFȌDCVRWDNKE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 234
.WVVGTRCTNGPQODTGšOCPKHGUVCVKQPUQEEWRCVKQPUGVTȌUKUVCPEGU
citoyennes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239
La lutte nécessaire et les victoires concrètes du collectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 242

331
Contester dans l’Espagne d’aujourd’hui

9. La monarchie espagnole entre crises et restaurations (1808-2015) . . . . 247


La monarchie, un héritage fragilisé par l’histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 249
La monarchie et le pacte démocratique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 258
Une monarchie démocratique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263
10. La crise de la représentation et l’ascension de Podemos :
/̵«PDQFLSDWLRQFLWR\HQQHmDXFĕXU}GHO̵«FKLTXLHUSROLWLTXH" . . . . . . . . 265
Austérité et corruption : toiles de fond de la crise de la représentation
politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 268
Le discrédit du « système PPSOE » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 268
Transformer l’indignation citoyenne en une nouvelle alternative politique . 271
La création rapide d’une organisation partisane moderne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 274
Izquierda Anticapitalista et le tissu militant de Lavapiés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 274
Des assemblées citoyennes au parti politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 277
Une révolution « technopolitique » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 281
Renouvellement idéologique et stratégies politiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 284
Un leader médiatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 284
Un discours transversal s’adressant à tous . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 286
Une stratégie électorale de conquête du pouvoir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 289
ODͤQGXELSDUWLVPHLPSDUIDLW" . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 293
11. Un tournant historique en Espagne ? Nouvelles alternatives et
UHQRXYHDXGHO̵HQJDJHPHQWFLWR\HQ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 299
Une crise aux origines et aux effets multiples . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 300
7PkOKTQKTITQUUKUUCPVzFGUFȌTKXGURQNKVKEQƒPCPEKȋTGU . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 300
Une crise de légitimité des institutions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 303
La contribution des mouvements sociaux au changement . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305
7PGFKXGTUKƒECVKQPFGUHQTOGUFGEQPVGUVCVKQP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305
La politisation de nouveaux enjeux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 310
Activisme citoyen et nouvelles pratiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 313
1RXYHOOHVDOWHUQDWLYHVHWUHFRPSRVLWLRQGXSD\VDJHSROLWLTXH . . . . . . . . . . . . . . 318
Un jeu électoral plus ouvert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 318
De l’indignation citoyenne au changement politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 320
/LVWHGHVVLJOHVHPSOR\«V . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 323
Liste des tableaux, graphiques et schémas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 326
Liste des photographies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 327

332
Déjà parus aux éditions DEMOPOLIS

Brossat, Alain .KDOGL(GG\


Abécédaire Foucault ABC de la Laïcité
Boltanski, Luc .KDOGL(GG\̰)LWRXVVL0XULHO
Rendre la réalité inacceptable Main basse sur l’École publique
Bourdieu, Pierre – Boltanski, Luc La République contre son école
La Production de l’idéologie Kalfon, Pierre
dominante Chroniques chiliennes
Césaire, Aimé – Malcolm X Kamata, Satoshi,
Black revolution 6Q[QVCšNŨWUKPGFWFȌUGURQKT
Clover, Charles Mamdani, Mahmoud
Surpêche La CIA et la fabrique
Da Lage, Olivier (sous la dir. de) du terrorisme islamique
3CVCTšNGUPQWXGCWZOCȑVTGUFWLGW Labat, Séverine
Denord, François .GUKUNCOKUVGUVWPKUKGPUŤGPVTG
Néo-libéralisme, version française l’État et la mosquée

Duclert, Vincent Latour, Bruno — Lippman, Walter


Occupy Gezi Le public fantôme

Durpaire, François – Lénine


Richomme, Olivier Petit manuel pour rompre avec le
L’Amérique de Barack Obama capitalisme
Obama face à la crise 1914, repenser le nationalisme et la
guerre
*DXODUG0\OªQH
-CTN/CZȃ2ȌMKPŤ.GUTCEKPGUFGNC Marx, Karl
crise en Chine capitaliste 3WŨGUVEGSWGNGECRKVCNKUOGš!
Les Crises du capitalisme
Garo, Isabelle .G%CRKVCNƒPCPEKGT
(QWECWNV&GNGW\G#NVJWUUGTGV/CTZ
Mordillat, Gérard –
Hobsbawm, Éric Prieur, Jérôme
/CTZGVNŨJKUVQKTG &GNCETWEKƒZKQPEQPUKFȌTȌG
Hroub, Khaled comme un accident du travail
Le Hamas Nsar, Vali
Jaurès, Jean Le renouveau chiite
Le socialisme et la Révolution Pivert, Marceau
française L’Église et l’École
Jennar, Raoul Marc Khieu Samphan Prochasson, Christophe
& les Khmers rouges .Ũ'ORKTGFGUȌOQVKQPUš
les historiens dans la mêlée
Rebérioux, Madeleine Collection « QUAERO »
Vive la République &DVVLQ%DUEDUDHW:RVQ\'DQLªOH
Rodinson, Maxime (dir.)
Islam et capitalisme Les intraduisibles du patrimoine en
Afrique subsaharienne
Sassen, Saskia
Critique de l’État Dawod, Hosham (dir.)
La constante « Tribu », variations
Saurin, Patrick
arabo-musulmanes
.GURTȍVUVQZKSWGUšWPGCHHCKTGFŨÉtat
Shah, Sonia Ehrenfreund, Christian et Schreiber,
%QDC[GUJWOCKPUšNGITCPFUGETGV Jean-Philippe (dir.)
des essais pharmaceutiques Les marranismes. De la religiosité
cachée à la société ouverte
Uchitelle, Louis
Le salarié jetable Emmanuel Ethis,
Le cinéma près de la vie. Prises de
Wallerstein, Immanuel vue sociologique sur le spectateur
.Ũ7PKXGTUCNKUOGGWTQRȌGPš du ƖƖƯe siècle
de la colonisation au droit
d’ingérence Fontaine, Alexandre
#WZJGWTGUUWKUUGUFGNŨȌEQNGTȌRW-
Wilkinson, Richard blicaine
L’égalité, c’est la santé
Ghasarian, Christian
4CRCǶNGFWDQWVFWOQPFGȑNGFCPU
le monde
+RDL-XRQJ$XEHUW1JX\HQHW
Michel Magne (dir.)
Le Vietnam, une histoire de
transferts culturels
Niveleau, Charles-Édouard (dir.)
8GTUWPGRJKNQUQRJKGUEKGPVKƒSWGŤ.G
programme de Brentano
Émilie Oléron Evans,
Nikolaus Pevsner, arpenteur des arts
Rabault-Feuerhahn, Pascale (dir.)
6JȌQTKGKPVGTEQPVKPGPVCNGUŤ
Voyages du comparatisme
postcolonial
Achevé d’imprimer en France en 2015
dans les ateliers de Dupli-print à Domont (95)
N° d’impression :
Dépôt légal : janvier 2016
Violence de la crise payée au prix fort par
les classes populaires après l’éclatement
de la bulle immobilière, plans d’austérité
drastiques et chômage avoisinant les 25 %,
renouveau de l’émigration des jeunes, multi-
plication des affaires de corruption touchant
jusqu’à la famille royale, radicalisation de
CONTESTER EN ESPAGNE. CRISE DÉMOCRATIQUE ET MOUVEMENTS SOCIAUX

l’indépendantisme en Catalogne, crise du


bipartisme et des partis socialiste et conser-
vateur, les éléments « dramatiques » ne
manquent pas dans le tableau de l’Espagne
d’aujourd’hui. La crise économique, sociale
et politique enclenchée depuis 2008 mar-
quera toute une génération. Mais ce livre
montre que cette période troublée a aussi été
marquée par le renouveau de la contestation
et l’essor de nouveaux mouvements sociaux :
luttes contre les expulsions, mouvement des
indignés mobilisés à Madrid en 2011, résis-
tances syndicales contre les plans d’austé-
rité, « marées » citoyennes contre les coupes
budgétaires dans l’éducation et la santé, L’ouvrage a été dirigé par Alicia Fernán-
mobilisations féministes et républicaines, dez García, doctorante à l’université de
renouveau des pratiques artistiques cri- Nanterre et ATER en civilisation espa-
tiques. Neuf spécialistes offrent des analyses gnole à l’université Paris Est Marne La
de l’intérieur de l’actualité sociale et poli- Vallée ; et Mathieu Petithomme, maître
tique espagnole, de l’indignation citoyenne de conférences en science politique
à l’émergence de nouvelles alternatives poli- à l’IUT de Besançon et chercheur au
tiques telles que Podemos et Citoyens. CRJFC de l’université de Besançon.
Illustration © AP
SODIS : 7235630
ISBN : 978-2-35457-090-3 32 €
www.demopolis.fr

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