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UN FESTIN DE PLAISIR

Par Ariadna Majewska


Traduction française: André
@février 2024

Tout art est à la fois surface et symbole.


Ceux qui vont sous la surface le font à leurs risques et périls.
Ceux qui lisent le symbole le font à leurs risques et périls.
- Oscar Wilde, Le portrait de Dorian Gray

Cher ami,

En repensant à mon parcours depuis la sortie de mon premier livre en 2018, une gratitude
profonde m'envahit pour le parcours sinueux qui nous a menés à notre dixième aventure
littéraire. Chaque publication est le fruit d'un labeur passionné, une déclaration vibrante de
mon engagement indéfectible à vous livrer le meilleur de mon imagination.

Pour ceux qui ont déjà exploré mes œuvres précédentes, vous savez que je suis passionnée
par les plaisirs les plus raffinés de la vie, particulièrement ceux que l'on déniche dans
l'univers des délices culinaires. Je vous convie à vous laisser emporter par un festin
somptueux de sensualité, un banquet d'histoires et de clichés qui fusionnent
harmonieusement les ardeurs du désir avec la douceur des plaisirs.

Plongez-vous dans ma cuisine, où je vous accueille dans une atmosphère sensuelle, prête à
vous servir quelque chose d'exceptionnel qui dépassera toutes vos attentes. C'est une mise
en bouche pour les sens, lançant le ton des histoires délicieuses à venir.

À travers les pages, les secrets de Milan se dévoileront devant vos yeux. Ici, nous ne nous
contentons pas de déguster des mets exquis, mais nous nous trouvons également enlacés
dans l'attrait d'une œuvre d'art unique, une peinture qui raconte la profondeur de nos
expériences partagées.

La troisième histoire promet une aventure enchanteresse pour ceux qui ont toujours rêvé
d'une escapade avec une collègue séduisante, surtout si vous avez un faible pour les
bodystockings irrésistibles, une petite surprise exclusivement réservée à vous.

En apothéose, nous clôturerons cette expérience avec une Saint-Valentin inoubliable. Au


cœur d'un château empreint d'histoire ou de rêve, nous nous abandonnerons à des délices
sublimes, couronnés par un voyage à la découverte des secrets de notre corps, une
célébration de l'amour dans sa forme la plus intime.

Laissez-vous emporter par chaque récit, permettez aux mots de danser sur votre palais
comme le meilleur des vins. Partagez avec moi la fantaisie qui a le plus enchanté vos sens,
et peut-être celle que vous aspirez à faire naître. Vos impressions enrichissent cette
expérience sensorielle.

Avec amour et impatience!


Ariadna
GOÛT, TOUCHER ET TENTATION

Alors que la journée touchait à sa fin au bureau, ses pensées se tournaient déjà vers le lieu
où ils partageraient leur dîner. La perspective d'être servi par d'autres, loin de la fatigue
persistante et de l'abstraction finale d’être asservi par des pixels sur un écran bidimensionnel
semblait particulièrement attrayante. Il aspirait à voir sa présence tridimensionnelle vivante
en face de lui, une expérience nécessaire pour apaiser son esprit.

D’un même élan, ses autres sens se faisaient entendre, exprimant leurs propres besoins:
savourer le parfum qui se combinerait à celui des plats. Abandonner les formalités du
couteau et de la fourchette, la pizza qu'on tient à deux mains, ni rigide, ni épaisse, mais fine
et souple, guidée délicatement jusqu'à la bouche, cédant aux courbes descendantes de la
gravité; ou les fruits de mer, les crustacés, les doigts humides qui glissent et séparent la
carapace flexible de la chair chaude à l'intérieur, glissant dans la prise et fondant sur la
langue.

La pensée des mains qui s'affairaient à préparer un tel plat captura son esprit. Pas dans un
restaurant, mais dans l'intimité d'un repas fait maison, peut-être des œufs cuisinés à sa façon,
brouillés, moelleux ou pochés, le jaune s'étalant sur un muffin anglais, nappé de sauce
hollandaise... Il lui a passé un coup de fil vers 16 heures, lui accordant du temps. Elle a
discerné une supplique dans sa voix et lui a fait la promesse d'une attention très spéciale.

Sur le chemin du retour, il s'attarda délibérément, calculant le temps nécessaire à la


préparation de cette surprise. Il souhaitait éviter de la bousculer, tout en imaginant le plat
qu'elle lui concocterait, ses éléments savoureux moulés, façonnés et même caressés par ses
mains. Un cadeau visuel qui se transformerait en un délice pour son palais, avec son parfum
complexe titillant ses narines, sa texture chaleureuse fondante dans ses mains.

Il s'est arrêté devant la vitrine d'une pizzeria où ils avaient l'habitude de se restaurer, captivé
par l'art du chef jonglant avec la pâte. Le chef était conscient de son public, à la fois à
l'intérieur et à l'extérieur du restaurant. Il y avait une telle virtuosité dans la manière dont le
cercle de pâte s'élevait gracieusement dans les airs, tournoyant et s'étendant, comme un
partenaire dans un numéro de trapèze culinaire. En pensant aux mains, l'intimité est plus
étroite et crée une relation de commandement et de soumission qui fait de deux personnes
un couple chorégraphié, dans lequel la volonté et l'obéissance se fondent en une seule et
même danse de plaisir sensuel.

En approchant de chez lui, son esprit était habité par des pensées de crevettes et d'huîtres à
demi-coquille, tandis que son nez anticipait les délices olfactifs qui flotteraient dans l'air en
provenance de cuisine. En insérant la clé dans la serrure, il perçut des notes de musique et la
voix profonde d'une femme. À l'ouverture de la porte, il fut enveloppé non pas par des
arômes, mais par des sons. Les lumières à l'intérieur étaient tamisées, et son instinct le
poussait vers l'interrupteur à proximité, mais la voix de la femme, plus proche à présent, lui
intima de se détendre, de bouger lentement, très lentement. Il retira sa main.

Il pouvait discerner une fragrance dans l'air, mais pas celle de la nourriture , plutôt des notes
intimes et féminines. La voix l'encourageait à laisser le rythme guider ses pas. Il connaissait
cette voix, qui coulait dans les méandres de son esprit... mais d'où venait-elle ? Aucun bruit
n'émanait de la cuisine, pas de bruit de casseroles, seulement une lueur d'appel, un îlot dans
la pénombre qui esquissait la trajectoire de ses pas sur la moquette. Alors qu'il s'approchait
du seuil, l'espace intérieur autrefois familier ne l’était plus. La musique, en mouvement
quelque part derrière lui, se transformait en un tourbillon de sons évoquant le ruminement
des pensées avant le sommeil. Son regard rencontra le sien. Elle se tenait à l'intérieur,
gracieusement appuyée contre le bloc central en marbre qui servait de table de préparation.
Elle était vêtue d'un ensemble qui transcendait les limites de tout vêtement ordinaire.

Aucune marmite ne trainait, mais le repas avait été préparé.

Elle portait une courte robe bleu cobalt, délicatement ornée d'un audacieux "V" en dentelle
noire juste au-dessus de ses seins. Un peu en dessous, une bordure assortie caressait à peine
le bas de son pubis, laissant entrevoir un string transparent d'une finesse remarquable, qui se
dessinait à travers le noir des motifs. Des collants noirs également, lisses et sensuels,
habillaient ses jambes. Ce chef-d'œuvre était complété par une paire de talons hauts de luxe,
un de ses cadeaux d’anniversaire, portés désormais lors d'occasions spéciales pour célébrer
des moments partagés de connexion intime comme cela promettait manifestement d'être le
cas.

Le plaisir culinaire initialement recherché avait pris une forme différente, une exploration
du plaisir où chaque contact, chaque soupir, et chaque regard demeureraient comme un
témoignage du banquet à partager. Derrière lui, une mélodie sulfureuse avait commencé,
suivie d'un rythme lent et ondulant qui la portait et la structurait. Cette cadence donnait à
son regard émerveillé le tempo dans lequel il pouvait la percevoir, le rythme dans lequel elle
désirait être vue, souhaitait être découverte.

Le tissu de la robe n'était pas ostensiblement serré, il semblait plutôt couler doucement
comme de l'eau sur son torse et ses hanches accentuant chaque détail d’un doux et subtil
relief. Et puis, il y avait ses jambes gainées de collants neufs. Son désir pour la caresse
complexe du nylon était un secret de polichinelle, l'attrait des bas accélérant inévitablement
son pouls. Il pouvait sentir leur nouveauté, tout comme il pouvait détecter l'odeur du slip,
sorti d'une boîte récemment ouverte. Ce parfum se mêlait à l'odeur de sa chair, pas encore
imprégnée de son être physique, attendant ses mains, guettant les remous de sa virilité.

Cependant, son désir de s'approcher fut confronté à l'ordre taquin de patienter. Avec une
grâce hypnotique qui semblait défier les lois de la gravité, elle monta sur la table, se
soulevant sur ses orteils, s’appuyant sur ses coudes, glissant vers l'arrière dans un flux
continu, captivant son attention. La surface froide du marbre fit frissonner son corps,
intensifiant l'expérience sensorielle. Il sentit une réponse en retour, captant les respirations
brutales du choc et du désir, les siennes ou les siens ? Non, c’était là derrière et également
dans la musique qui avait continué d’égrener ses notes tout au long de cette expérience.
C'était la pulsation rythmique de la mélodie qui guidait désormais ses mouvements, chaque
étape de sa danse culinaire devenant une révélation érotique. Ses yeux bleus, illuminés par
le désir, l'attiraient comme un aimant. Avec une lenteur délibérée, elle fit glisser ses doigts le
long de ses cuisses, le tissu transparent du collant ajoutant une couche subtile de friction,
l'observant, se nourrissant de ses réactions.
Les mots émergeaient dans les rythmes du son et de la mémoire. "Les principes de la luxure
sont faciles à comprendre..." La voix de la femme résonnait aussi bien à l'intérieur de lui
qu'à l'extérieur, et l'espace alentour semblait battre au rythme de la soif de sa bien-aimée.
L'air s'épaississait d'une tension électrisante. Le tissu coulait comme la plus intime et la plus
savante des caresses de ses seins vers le bas de son torse. Sa main goûtant à la douce texture
de sa surface et elle se penchant en arrière sur ses coudes, l'attirait à l'intérieur, ses jambes
s'ouvrant gracieusement, s'écartant, révélant l'alléchant gousset de ses fins collants et la
transparence de son string noir. Les semelles rouges de ses talons hauts étaient visibles
maintenant que sa jambe gauche se levait et que sa cheville se posait sur son épaule, tandis
que sa jambe droite tournait dans son dos, l'attirant vers elle. S'appuyant d'une main sur le
plateau de la table, il posa l’autre sur elle, juste au-dessus du nombril. Ses doigts sentirent
un frémissement de réponse. Ils descendirent doucement le long de la courbe subtile de son
bas-ventre et son souffle fut parcouru d'un frisson involontaire ou bien était-ce encore
l'enregistrement sonore ou alors les deux ne faisaient plus qu'un seul et unique être ?

La cheville glissa de son épaule vers son dos. Le creux de son genou prenant sa place l’attira
lentement vers l'intérieur et vers le bas. L'intensité urgente de ses gémissements augmenta,
oui, les siens plus aucun doute, se rapprochant de son oreille. Son bras l'entoura, la
rapprochant pour se stabiliser, et les doigts écartés de sa main rencontrèrent une autre
surprise. Le tissu bleu et chaud attendu n'était pas là. A sa place, une étendue lisse et encore
plus chaude de sa chair, une peau nue, et, plus bas encore, les courbes délicieusement
rebondies de ses fesses sous la dentelle noire.

Il reconnaissait enfin la chanson, quelque chose datant de ses jeunes années quand
l'émerveillement se transformait en mystère. Cette mélodie avait été sa bande-son apaisante,
invitante et séduisante, taquinant une union impossible de péché et de salut dans son esprit
encore juvénile. "Fais ce que tu ressens... ressens jusqu'à la fin..." Mais comment avait-elle
su ? Depuis combien de temps avait-elle préparé cette rencontre ? Les moments de crise et
de relâchement, de redécouverte et de nouvelle découverte, les respirations rapides et
désordonnées sur sa joue, dans ses cheveux, lui parvenaient tout près de l'oreille.

Il connaissait son corps, du moins le pensait -il. Mais elle avait appris à connaître son âme.
Elle avait attendu le moment propice où ses appétits et ses besoins seraient alignés, guettant
le signe lui indiquant que le temps de la révélation était venu. Un signe qu'elle avait enfin
discerné dans son plaidoyer au téléphone cet après-midi. Ainsi, elle pouvait elle-même être
comblée dans les puits inexploités de ses désirs. Au cœur du chaos des respirations
entremêlées, sa voix émergea, une mélodie distincte, douce et séduisante, emplissant et
animant l'espace qui se contractait entre eux.

"Le dîner est prêt", murmura-t-elle.

LA TOILE DU DÉSIR

Le soleil de l'après-midi écrasait Milan de sa chaleur, rappelant la moiteur estivale. Une


brise légère flottait dans les rues, embrassant doucement les passants. Elle sortit de
l'immeuble qu'elle avait choisi, le cœur battant la chamade, scrutant les environs pour voir
s'il était là. Cela faisait un long moment qu'ils s'étaient parlé en ligne pour la première fois.
Leurs conversations avaient dérivé d'un sujet à l'autre sans relâche, jusqu'à ce que les jours
se transforment en semaines et les semaines en mois. Ils avaient alors choisi la capitale
mondiale de la mode pour se rencontrer dans le monde réel. L'idée n'avait pas été lancée au
hasard. Elle avait une affection particulière pour la cuisine italienne et l'architecture
historique, tandis que lui était fasciné par le design moderne et l'art de la Renaissance. Mais
ils n'en seraient pas là sans l’existence d’un tableau d'un certain maître italien...

Pour eux, le moment tant attendu était enfin arrivé. Se rencontrer en personne et découvrir si
leurs sentiments étaient réels. Leur idée idéaliste de deux âmes artistiques perdues se
retrouvant enfin après de nombreuses années de recherche, était-elle vraie ou allait-elle
décevoir deux étrangers assoiffés d'espoirs trop grands ? Pour cette occasion spéciale, elle
avait opté pour une robe rouge vif, suffisamment moulante pour souligner ses courbes, mais
pas trop provocante. À son cou, un collier en or brillait, contrastant avec sa peau de
porcelaine. Sur ses pieds soignés, on pouvait voir de belles sandales à talons hauts en daim
agrémentées de nœuds.

La masse du bâtiment, derrière elle, était de style Liberty du début du siècle. Sa façade était
composée de pierres gris-pâle, ponctuée d'îlots de verdure débordant des balcons et de
fresques à axe vertical encadrant les fenêtres du premier étage. Elle espérait que le rouge vif
de sa robe marquait sa silhouette élancée dans un premier plan saisissant pour une
composition soigneusement pensée qu'il apprécierait. Même son sac à main faisait partie de
la composition. Elle jeta un nouveau coup d'œil à son smartphone. Un instant plus tôt, un
message de sa part était apparu sur l'écran. Il venait d'arriver. Elle rougit visiblement, car il
était là, de l'autre côté de la rue, les yeux fixés sur elle.

Il adoptait une posture assurée et elle sursauta involontairement en réalisant à quel point il
était vraiment beau, mystérieux, intense et très attirant... Mais au-delà de cela, c'est une
force intérieure qui l'attirait vers lui comme un aimant. Ses yeux sombres scintillaient dans
la lumière du soleil, ses lèvres étaient courbées d'une manière invitante et ses cheveux
étaient légèrement désordonnés, juste assez pour qu'elle s'imagine passer ses mains dedans.

En guise de bonjour, il l'embrassa doucement sur la joue. Elle sentit sa barbe effleurer sa
peau délicate et ses narines s'emplirent de l'odeur d'une eau de Cologne sophistiquée, son
odorat particulièrement sensible captant des notes d'ambre, de patchouli et celle de l'arôme
profond et caractéristique du cuir. Elle le regarda, en attente, le cœur battant, observant
comment il absorbait chaque détail du décor et de sa garde-robe, fusionnant le monde de la
chair et de la pierre, de l'Art nouveau et du prêt-à-porter de cette saison. Elle sentit son esprit
s'élever lorsqu'il sourit en signe de compréhension. Puis, avec un élan de courtoisie
étonnante pour un homme si jeune, il lui tendit le bras. Leur journée commença ainsi...

Après une heure d'errance apparemment improvisée à travers les rues principales et les
ruelles moins fréquentées, leur laissant le temps de s'adapter aux subtils chocs de leur
présence physique l'un avec l'autre, ils se retrouvèrent au musée des sciences et de la
technologie de Milan installé dans un ancien monastère. Leur destination. Qui l'avait choisie
? À ce stade, leur rapport semblait déjà si développé qu'il était difficile de le dire.
Cela semblait être un moyen naturel d'en apprendre davantage l'un sur l'autre, puisque c'était
l'art qui les avait réunis. Ils parcoururent les salles comme ils avaient parcouru les rues,
chacun observant l'autre du coin de l'œil, apprenant et évaluant les possibilités de
compatibilité à travers leurs réactions aux œuvres exposées, ou les commentaires échangés,
ou encore les moments de pause à l'unisson sans le dire. Il l’a surprise par son intérêt pour
un modèle fonctionnel du grand métier à tisser mécanisé de Léonard de Vinci et elle l’a
étonné par sa fascination pour une Alfa Romeo des années 1930. Il a commenté comment le
rouge de sa robe s'accordait avec la voiture et elle imagina sa robe en train d'être
confectionnée sur le métier à tisser.

L'après-midi cède sa place au crépuscule. L'air est encore chaud et aucun des deux ne
souhaite que cette première rencontre se termine. Ils savaient que le meilleur restait à venir
et ils prendraient leur temps pour y arriver. Peut-être quelque chose à manger, une collation
légère après la visite du musée ?

Le quartier des canaux n'est pas loin...

Ils dénichèrent une table quelque part le long des Navigli bondés et bavardèrent autour d'une
glace à la pistache et d'un café. Le reflet dans le canal des lumières vives de la rangée
presque ininterrompue de cafés s’équilibrait parfaitement avec celui des tons rougeoyants du
coucher de soleil. Le tout se détachaient sur le bleu du ciel qui s'assombrissait. Ils étaient
devenus plus qu'à l'aise l'un avec l'autre et la conversation revenait presque inévitablement
sur la façon dont tout avait commencé. Pour lui, un simple clic sur un bouton "rejoindre" un
soir sans énergie, assis seul devant son ordinateur. Au cours des derniers mois, il s'était
intéressé au monde de l'art. Un ami qui avait des contacts lui avait recommandé un groupe
international en ligne sur lequel les inscriptions n’était possible que sur invitation.

Cherchant à s'informer, il avait suivi plusieurs fils de discussion sur la Renaissance italienne
et septentrionale, mais il avait hésité à poster et à exposer les limites de son apprentissage.
Cependant, son attention avait été captée par la franchise de quelqu'un qui ne semblait pas
avoir de telles préoccupations. Dans une des discussions sur les aspects moins publics et
plus érotiques de la peinture de la Renaissance, une image frappante était apparue à laquelle
personne n'avait encore attribué de nom. Quelques messages plus loin, une jeune femme
avait demandé s'il s'agissait d'un détail ou de la peinture entière, car le rapport d'aspect de
l'image était certainement Cinémascope. Quelqu'un pourrait-il, s'il vous plaît, l'identifier et
indiquer si elle avait été peinte avec un objectif anamorphique.

La question était si inattendue, si allègrement idiosyncrasique, dénotant une réaction


personnelle, osant presque demander si elle était sérieuse, qu'il a immédiatement consulté sa
photo de profil. Puis il a effectué une recherche Google sur le tableau, de peur que quelqu'un
de mieux informé que lui n'y parvienne en premier. Les deux amants de Giulio Romano.
Qui était donc ce Giulio Romano ? Peu importe, il avait un nom. Mais le simple fait de
l'identifier lui semblait un peu court. Alors, audacieusement, il a demandé à son tour si,
compte tenu de l'accouplement imminent du couple presque entièrement dévêtu représenté
sur le tableau, la question des rapports d'aspect était-elle vraiment sa véritable
préoccupation ?
Elle admit à son tour que ce n'était probablement pas le cas. Que ce qui avait plus
probablement capté son attention était l'expression alarmée du chat qui émergeait de sous le
canapé. La pauvre bête ayant sans doute été tirée de son sommeil par les corps qui se
mêlaient juste au-dessus de sa tête. Cette réponse correspondait parfaitement aux yeux
pétillants et au sourire mystérieux de sa photo de profil. La gentillesse et la douceur qui
transparaissaient dans son expression laissaient penser que l'inquiétude pour le chat n'était
pas tout à fait feinte.

C'est ainsi que leur badinage s'est poursuivi. Elle lui révéla bientôt sa formation de
photographe et il se trouva attiré par les tournures inattendues de sa nature curieuse. Leurs
conversations ont traversé le temps, et leur répartie pleine d'esprit s'est progressivement
transformée en une connexion plus profonde qui a façonné l'histoire et la culture dans des
proportions plus intimes. Suite à un partage d'adresses électroniques, ils ont quitté le forum,
et leurs échanges variés ont abordé des sujets allant des goûts culinaires aux récits de leurs
périples personnels. Cette connexion, qui semblait naître naturellement, a gagné en intensité
au fil du temps, les conduisant finalement jusqu'à cette ville, dans un après-midi qui s'est
doucement mué en soirée.

Leur table, bien que petite était le cadre idéal, elle avait légèrement incliné son siège, faisant
ainsi de ses sandales à talons hauts agrémentées de nœuds, une distraction constante. En
ligne, les échanges se limitaient à des séries de texte sur un écran. Ici, en personne, c'était la
totalité de leurs êtres, leurs présences physiques qui déambulaient dans leurs orbites. À
mesure que la soirée progressait et que les tables se remplissaient, la conversation revenait
inévitablement au tableau, à la fois comme une réminiscence du passé mais aussi avec un
sentiment d'urgence nouvellement ressenti.

Ils étaient tous deux conscients que l'absence de nom pour ce tableau découlait en partie de
la pléthore de choix disponibles. La mythologie proposait "Mars et Vénus" ou "Zeus et
Alcmène"; l'histoire évoquait "Alexandre et Roxana"; enfin, il y avait le nom tout à fait
séculier et à la morale ambiguë de "Servante avertissant une femme infidèle du retour de
son mari". Chaque appellation apporte une nuance subtile à l'interprétation de ces deux
visages se touchant délicatement, de ces yeux de profil qui sondent et cèdent, de la main de
la femme qui descend, apparemment sans artifice, comme si elle était animée d'une vie
propre, et qui se déroule si près, que ses doigts n'ont qu'à se déplier pour trouver et caresser
la chaleur à sa portée. Plus intrigante encore que les conjectures sur les noms est la question
des modèles pour une telle œuvre : des femmes de la noblesse, des épouses, des maîtresses,
des courtisanes ? Et que dire de la supposée servante à l'extrême droite qui observe à travers
la porte ? Était-elle vraiment une domestique, ou peut-être une proxénète, ou encore une
indiscrète admirative poussée à observer de plus près ?

À son tour, la jeune femme avait approfondi sa connaissance de Giulio Romano, et tout
aussi captivant, de son mécène, Federico Gonzaga, duc de Mantoue, qui avait clairement
exprimé sa préférence pour le profane plutôt que le religieux. En effet, aux environs de
Mantoue, dans la salle de Psyché du Palazzo Te, Giulio Romano avait conçu pour le duc une
authentique fantaisie érotique peuplée de dieux, de satyres et de nymphes, une corne
d'abondance de chair nue mêlée pour laquelle The Two Lovers n'était qu'une mise en bouche
en comparaison. Le jeune homme a souligné avec une désinvolture étudiée que ce lieu
semblait offrir une immersion totale dans une éducation humaniste. Puis leurs regards se
sont croisés, se sont maintenus, et ils ont continué à discuter du sujet dans un silence
empreint d'une intensité chaleureuse...

Il était tard dans la soirée lorsqu'ils gravirent les quelques marches de la rue et franchirent le
seuil de l'immeuble qui avait servi de cadre à leur rencontre. Une fois de plus, elle scruta
attentivement chacune de ses réactions, se réjouissant de son enchantement immédiat face à
l'intérieur chaleureux et accueillant des pièces qu'elle avait choisies, de la patine du temps et
du sens des générations à travers les siècles dans les meubles, des tableaux sur les murs et
des objets d'héritage sur les étagères. Lorsqu'il se tourna vers elle, l'invitation qu'elle lui
lançait du regard à faire un pas de plus dans cette soirée devint finalement irrésistible.

Ils étaient proches, presque côte à côte, assez près pour entendre le souffle de l'autre,
suffisamment pour qu'il perçoive le changement dans le sien lorsqu'il posa ses mains de
chaque côté de sa taille. C'était leur premier contact physique prolongé depuis le début de la
journée. Elle leva ses bras et entoura son cou, ses doigts effleurant ses cheveux légèrement
en désordre. Elle était consciente des battements de son cœur, mais aussi que ses doigts
sentaient sa nudité sous l'étoffe de sa robe. Leurs têtes s'inclinèrent vers l'avant. Leurs fronts
se touchèrent, et ils écoutèrent leur respiration dans le silence, la sienne tremblant
légèrement, et celle de son compagnon, contrôlée et lente, mais avec un effort évident de
maîtrise.

Ses mains remontèrent lentement de sa taille, explorant sous le tissu le délicat contour du
dos d'un soutien-gorge. Une douce accélération de son souffle accompagna leur progression
jusqu'à la fermeture éclair à la base de son cou. Elle respira plus fort alors qu'il entreprenait
de la faire glisser vers le bas, leurs hanches se touchant, leurs torses reculant légèrement.
Leurs yeux se trouvèrent, se cherchèrent intérieurement tandis que ses mains se détachaient,
révélant la robe qui glissait le long de ses épaules. En dessous, le soutien-gorge se dévoila,
ses bonnets d'un tissu transparent plus fin orné de deux étroites diagonales de dentelle au
centre de chacun. Une mince couverture, à peine suffisante, voilant ses mamelons tendus.
Les regards se croisèrent, plongeant dans la chair chaude et nue de sa taille. La fermeture
éclair descendue complètement, leurs fronts se touchant à nouveau dans une communion
silencieuse. Puis, elle s'éloigna d'un pas, laissant la robe glisser jusqu'à ses hanches, ses
mains descendant désormais sous le tissu jusqu'à ce qu'il glisse au sol…

A son réveil, il constata un vide à ses côtés, laissant place à l'interrogation jusqu'à ce que son
regard découvre la jeune femme encadrée dans l'embrasure de la porte du balcon, baignée
par la lumière du soleil matinal.

Ce qu'elle portait, ou plutôt ce qu'elle ne portait pas, redéfinissait l'expression "en


déshabillé" : des collants transparents sans nuances de couleur, un chemisier assorti à sa
peau, dont le dos se serrait au niveau de la taille. Aucune chaussure n'ornait ses pieds, mais
elle se tenait avec élégance sur la pointe des orteils, arborant l'assurance et la grâce d'une
danseuse, se déplaçant avec la fluidité d'un ruban de soie. Il l'observa avancer sous le soleil,
parmi les pots de verdure qui l'entouraient, se penchant sur le fer forgé du balcon. C'était un
éden miniature, quelques mètres de large et de profondeur, la toile d'un désir. Était-ce le
sien?
À l'appel de son nom, elle se tourna vers lui, s'adossant à la balustrade ouverte. Son soutien-
gorge, de couleur nude comme le reste, n'avait même pas de cercles diagonaux de dentelle
cette fois-ci, les mamelons pleinement visibles tandis qu'elle maintenait son regard, son
sourire énigmatique s'élargissant légèrement au cri soudain de "Bravissima !" provenant de
la rue en contrebas. Il se souvint que le balcon était à peine à dix pieds du trottoir, encadré
par des fresques de chaque côté.

Revenant dans la chambre, elle s'allongea sur un canapé bas, l'invitant du regard à observer
la table de nuit à côté du lit. Une petite enveloppe s'y trouvait, et à l'intérieur, il découvrit
deux billets de train pour Mantoue, un trajet de deux heures, avec un départ plus tard dans la
matinée.

Le Palazzo Te.

Les mots d'un poème du passé lui vinrent spontanément aux lèvres : "La route de l'excès
mène au palais de la sagesse." Depuis le canapé, le son de sa voix les compléta : "Car nous
ne savons jamais ce qui est suffisant tant que nous ne savons pas ce qui est plus que
suffisant." Elle le surprit à nouveau, révélant qu'elle le surprendrait toujours.

Et dire que tout a commencé avec une seule peinture…

TENTATRICE DU TEMPLE

La soirée d'intégration de l'entreprise avait été conçue pour transcender les attentes et
marquer les esprits, mais pour un homme ce soir-là, l'expérience a pris une tournure
inattendue, bien loin des prévisions des organisateurs de l'événement.

Plongeons dans les origines de cette narration mystérieuse !

La capacité de l'entreprise à réserver pour l'occasion l'un des plus grands musées du
continent, s'appropriant les trois vastes salles voûtées du XVIIe siècle qui composent sa
célèbre galerie de sculptures, témoigne de la rapidité avec laquelle elle a atteint une
envergure mondiale. Une entreprise qui n'existait pas deux ans plus tôt revendique
aujourd'hui un statut équivalent à celui de l'héritage culturel de toute l'Europe. Tel était le
message. Mais au milieu des conversations étouffées et des dégustations de cocktails,
entourés de nymphes sculptées et de déesses païennes, les participants croyaient-ils
réellement en cette vision? Pour l'observateur sceptique, les statues ne se contentaient pas de
présider l'assemblée, elles la dominaient. Les invités et les organisateurs invisibles
semblaient être des parvenus qui ne percevaient même pas les marées figées de la vie qui les
entouraient.

Soudain, elle est apparue dans l'arène, et les proportions, ainsi que les dynamiques, ont
commencé à se transformer. Évoluant parmi les statues de l'Antiquité et au cœur des scènes
bibliques et allégoriques, sa présence semblait injecter une vie jusqu'alors assoupie et figée à
travers les siècles. En retour, elles semblaient transporter son corps mobile, vivant et
respirant, dans un royaume intemporel.

Un jeune homme observait de loin la dense chevelure châtain qui tombait en cascade sur les
épaules de la jeune femme, dansant à chaque pas de manière envoûtante. Des récits depuis
longtemps oubliés sur la descendance issue de l'union de dieux et de mortels lui revinrent en
mémoire.

Dans les couloirs de la tour de l'entreprise, elle suscitait fréquemment fascination et


admiration, mais on ne l’apercevait généralement qu’à distance, pendant quelques instants
seulement. Le jeune homme présent à la réunion de ce soir n'avait croisé aucune personne
affirmant avoir réellement échangé avec elle. Bien que plusieurs aient mentionné une
rencontre directe vécue par quelqu'un d'autre, la nature précise de celle-ci restait floue. De
toute façon, cet employé n'était plus membre de l'entreprise.

Aucun individu ne semble en mesure de dire si ses déplacements au sein de l'immeuble


étaient prévisibles ou irréguliers. Le service dans lequel elle travaillait, l'étage où elle se
trouvait demeuraient des énigmes. La colonne des numéros d'étage sur le panneau de
l'ascenseur s'avérait décourageante. Cependant, un jour, le jeune homme tenta une visite
méthodique étage par étage. Cette déambulation fut rapidement interrompue par la sécurité.
Il échappa à leur attention en prétendant chercher un service, embrouillant volontairement le
nom juste assez pour rendre ses recherches plausibles.

Combien de fois l'avait-il vue ? Il pouvait les compter sur les doigts d'une main, mais
chacune était gravée dans sa mémoire.

Cette nuit a été de loin la plus longue et la plus soutenue.

Sa silhouette élancée était vêtue d'un chemisier ajusté à manches longues. Une jupe midi
soulignait sa taille fine et ses hanches pleines; des collants en dentelle noire ornaient ses
longues et fines jambes et des escarpins vernis à talons hauts transformaient sa posture et sa
démarche en celles d'un podium de haute couture. Aucun compagnon ou amie ne semblait
l'accompagner. Les têtes se retournent, les regards la suivent et les conversations s'animent.
Quel groupe va-t-elle rejoindre ? Avec une constante provocation dans ses mouvements et
une grâce qui défie l'inconfort présumé de ses talons, elle se meut parmi les îlots de
conversations admiratives, parfois stupéfaites, mais toujours à la lisière de leurs centres de
gravité. Son parcours est trop imprévisible, son rythme légèrement trop rapide pour qu’une
connaissance apparemment fortuite puisse l’attirer.

Dans son sillage flottaient les notes envoûtantes d'un parfum luxueux. En fermant les yeux,
il pouvait suivre sa progression dans la galerie grâce au son distinctif de ses talons. L'oreille
s'habituant rapidement à cette signature sonore spécifique, comme si l'acoustique de la salle
voûtée avait été conçue sur mesure pour elle seule. Quel pouvait être le timbre de sa voix ?
Une telle occasion se représenterait-elle bientôt ? Se détachant du groupe avec lequel il
discutait distraitement, il entama son propre parcours de rencontres improvisées. Il espérait
la croiser fortuitement, comme par le plus grand des hasards.
C'est ainsi qu'ils évoluaient, suivant des trajectoires excentriques mais presque
imperceptiblement connectées, au milieu de figures antiques figées mais apparemment
observatrices, dressées sur leurs piédestaux et socles. Des formes idéalisées dans la pierre,
parmi lesquelles se déplaçait un idéal vivant de chair. Son cœur s'emballa: l'avait-elle
remarqué ? Son regard avait-il suivi ses mouvements parallèles ? Avait-elle ralenti, espérant
qu'il la rattrape ?

Une voix proche le salua, détournant son attention, et de précieuses secondes s'écoulèrent
dans la conversation avant qu'il ne puisse s'en libérer, avec une infinie maladresse. Ses yeux
cherchèrent à nouveau les mouvements de son corps, cette trace caractéristique laissée par
ses talons...

Mais où est-elle ?

Elle était descendue d’un étage, elle était assise. Au centre de la pièce, en position
prédominante, se dressait l'un des ensembles allégoriques les plus célèbres, sculpté dans le
marbre, jetant encore aujourd'hui son sort d'interdits violés et d'appétits assouvis. Elle avait
pris place sur le long banc coussiné qui se trouvait devant lui.

Elle était seule, silencieuse, immobile. Il avait sa chance.

Il y avait une place confortable pour trois personnes, et peut-être de manière significative,
elle avait choisi une position légèrement décentrée, réduisant l'espace disponible pour
qu'une seule autre personne puisse se joindre à elle. Plus vite que prévu, se demanda-t-il ? Il
s'assit à côté d'elle, à une distance courtoise mais suffisamment proche pour percevoir son
parfum. Discrètement, il tourna la tête dans sa direction, notant son profil, la chute de ses
cheveux, les motifs de dentelle qui couvraient ses jambes, assez près pour étudier leur motif
floral avec attention.

Elle ne tourna pas son regard vers le sien, mais il sentait qu'elle était consciente de son
observation. Un filet de sueur glissa le long du col de sa chemise.

Doit-il prononcer une remarque anodine ? L'ensemble sculpté se dressait devant eux sur sa
plate-forme surélevée. N'étant pas un grand connaisseur en art, il envisagea la possibilité
qu'elle puisse en savoir un peu plus que lui. C'est à ce moment-là qu'il se souvint d'une
expérience de dégustation de vins à laquelle il avait participé autrefois par jeu et par défi.

• J'ai été troublé par votre parfum exceptionnel , commença-t-il. Enfin, la jeune femme
tourna la tête dans sa direction, les yeux pétillants de curiosité, silencieuse, en attente...
• Il laisse dans l'air des traces intéressantes, poursuivit-il en improvisant un peu
désespérément.
• Je détecte du jasmin, avança-t-il, cherchant une confirmation qu'elle refusa.
• Et peut-être de la vanille...

Un sourire amusé se dessina sur ses lèvres.

• Y a-t-il d'autres notes ? demanda-t-elle, avec une évidence qu'il devait y en avoir.
• Rose ?, répondit-il, incapable de dissimuler le point d'interrogation dans sa voix, mais
encouragé par le sourire.
• Mais il y a quelque chose d'autre qui m'échappe.
• Poivre, dit-elle, une trace espiègle de victoire glissant dans sa voix.
• Poivre ?
• Poivre, confirma-t-elle, et la glace était rompue.

Sentant le besoin de consolider son ouverture, il élargit le sujet aux sculptures qui les
entouraient, pariant sur le fait que l'ignorance pouvait parfois être une vertu. Il espérait que
manifester du respect envers ce palais de culture pourrait éventuellement jouer en sa faveur.
Il commença par formuler quelques observations sur les idéalisations des formes féminines
exposées autour d'eux, cherchant des indices de réaction qui demeurèrent poliment neutres.
Osant un peu plus, il prit le risque de souligner que malgré tout, ces idéalisations semblaient
être basées sur une connaissance très réaliste, voire intime, du corps. La glace avait-elle été
suffisamment brisée pour que ce risque soit pris et qu'elle approfondisse la conversation ?

Manifestement, c'était le cas, car après une brève pause, elle a donné son point de vue et a
réfléchi à voix haute sur la manière dont une telle connaissance pourrait être acquise. Se
pourrait-il qu'elle ait été acquise uniquement par l'observation visuelle ? Il nota avec
satisfaction le retour de l'étincelle d'amusement dans ses yeux. Finalement, dit-elle, c'est à
travers les mains du sculpteur que la connaissance de l'œil est transmise au marbre, créant
ainsi une connexion tangible entre l'observation visuelle et l'art de donner forme.

Elle l'invita à examiner les plis du tissu qui descendaient de la taille de la sculpture féminine
à proximité et lui demanda s'il pensait que le sculpteur aurait pu véritablement comprendre
la façon dont ils tombaient s'il n'avait pas eu une connaissance approfondie de chaque
courbe et contour du corps moulé. Quelle connaissance intime aurait-il dû transférer du
modèle lui-même, avec sa chair souple, pour représenter ces courbes dans la pierre avec
autant d'élégance sous tous les angles ? Elle suggéra que la découverte et la création
devaient se dérouler simultanément dans les mouvements des doigts du sculpteur. Avant
même le passage au marbre, il y aurait eu des études dans l'argile, des doigts qui pressent,
l'argile qui se plie à la volonté. Des linges mouillés épousant la forme partielle du corps
sous-jacent.

Elle s’est tue, absorbée par la contemplation de la statue, et il ressentit un changement


significatif dans les possibilités offertes par leur situation. Se levant, elle s'éloigna de
quelques pas, puis se retourna, lui lançant un regard d’invitation et d’ordre. Ils quittèrent la
foule, elle en tête, le guidant à travers des virages, des passages, puis ils prirent un couloir
où les bruits de l'assemblée se transformèrent soudainement en murmures. Rapidement,
l’objectif de ce couloir devint une évidence. Mais quelle sera la finalité de leur parcours ?

Juste devant elle, le symbole de l'entrée des toilettes des femmes trône. Elle marque un bref
arrêt devant lui. Après un regard scrutateur dans les yeux de son interlocuteur, elle poursuit
son chemin et se dirige vers l'entrée des hommes. Le jeune homme hésite, incertain de ce
qu'il a perçu dans les yeux de la jeune femme. Il l'observe pousser la porte et disparaître à
l'intérieur, la voyant se retourner après une brève inspection, lui faisant signe de la suivre. À
l'échelle, l'endroit ressemble à une installation muséale autonome, une œuvre de design
sculptée aux couleurs audacieuses et à la lumière éblouissante. Presque égyptienne dans son
abstraction géométrique, c'est un temple d'un autre monde dédié aux besoins les plus
élémentaires. À l'exception d'eux, l'endroit est complètement désert.

Un déclic se fait entendre derrière lui. Il se retourne et constate qu’elle a fermé le verrou de
la porte privatisant et sécurisant ainsi leur rencontre à l'abri des regards indiscrets du monde
extérieur. Elle fait un geste vers son chemisier comme pour transmettre un ordre silencieux.
Ou bien a-t-elle parlé, sa voix étant un murmure sulfureux issu d'un rêve oublié ? La
respiration du jeune homme est profonde, ce qu'il cherche à cacher. La sienne est calme.
Alors que ses doigts commencent à parcourir les boutons un par un, dévoilant les secrets
dissimulés sous son chemisier, il se rend compte qu'elle a déjà fait cela auparavant. Les
noms des déesses murmurent leurs permutations à travers le temps et dans les méandres de
sa mémoire, Vénus, Aphrodite, Inanna, Isis...

Son corsage est orné de dentelle noire, reflétant les motifs de ses jambes. L'absence de
soutien-gorge laisse ses courbes librement exposées sous le tissu délicat. Dans l'espace entre
la perfection de ses seins, trois trous ovales placés verticalement laissent entrevoir sa peau.
Son parfum l’enivre et retarde sa prise de conscience qu'elle porte un bodystocking complet
et diffère l’interrogation à laquelle elle répond rapidement sur un ton doucement
ronronnant : "Non, je n'ai pas de sous-vêtements".

Des coups sont frappés à la porte depuis l'extérieur, mais il n'entend que la délicieuse
mélodie de sa voix séduisante l'encourageant à vérifier ses dires. Ses mains, guidées par le
fil invisible du désir, s'aventurent vers le tissu de sa jupe. L'exposition initiale de ses genoux
cède la place au dévoilement de ses cuisses pleines et chaudes, le tissu montant de plus en
plus haut sous ses mains tremblantes guidées par le rythme de sa voix. Les coups sur la
porte extérieure se répètent plus fortement, plus insistants, mais son excitation a été trop
exacerbée pour qu’il s’arrête.

Trois alvéoles. Y en a-t-il une quatrième ? Il doit y en avoir une quatrième. Ses doigts sont si
près du trésor à découvrir, mais les demandes provenant de l'extérieur des toilettes sont
devenues trop fortes pour être ignorées. "Peux-tu te dépêcher, je n'en peux plus d'attendre !"

Oui, finir, c'est tout ce qu'il désire en ce moment. Sa voix se glisse dans son oreille, si douce
par rapport au martèlement sur la porte. "Il semble que notre moment d'intimité soit pris
d’assaut !" S’ensuit une délicate pression de sa main sur son épaule. Si près... si près...

Maudissant silencieusement l'intrus, il se force à sourire et commence à réajuster ses


vêtements. Il lui tend son chemisier et replace le tissu de sa jupe dans sa position originale.
Le tissu noir tout en dentelles qui promettait tant de révélations est maintenant à nouveau
dissimulé. Arrivé près du comptoir, il s'appuie contre la rangée d'éviers et observe son reflet
avec frustration et confusion. Il la voit ouvrir la porte d'un geste nonchalant, jetant un regard
à l'homme à l'extérieur comme si rien d'extraordinaire ne s’était passé. En la suivant, le
jeune homme remarque instantanément le changement d'expression sur le visage de
l'homme passant de la confusion à une gêne soudaine.

Elle le précède de quelques mètres et ils traversent à nouveau le couloir. À l'intersection


menant à la galerie, elle se tourne vers lui avec un sourire, puis retourne dans l'effervescence
de la grande salle. Le parfum qui l'accompagne, semblant prendre vie de manière autonome,
persiste à tourbillonner dans l'air autour de lui.

Elle se fond harmonieusement dans la foule, une vision d'élégance au milieu de la mer des
mortels. C'est seulement maintenant qu'il remarque qu'il tient toujours son chemisier dans la
main. Chacun de ses pas est une danse gracieuse, attirant les regards étonnés comme un
aimant. Les voix s'élèvent dans la confusion, puis se taisent comme dans une cathédrale
imprévue. Le tissu de sa jupe, maintenant devenu un secret chuchoté, oscille à chaque
mouvement, dissimulant avec insouciance les mystères qu'elle renferme.

À la dernière seconde avant de disparaître tout à l'autre bout de la galerie, les trous
individuels dans la foule s'alignent, et elle jette un regard d'adieu dans sa direction. Pour un
bref instant, il semble que toute distance s'effondre entre eux, puis il se retrouve seul,
entouré par les échos persistants de la passion et les complexités d'un parfum qui hanteront
chaque heure de son réveil et de son sommeil.

SÉDUCTION À LA LUMIÈRE DES BOUGIES

L'enveloppe crème, renfermant une invitation inattendue, repose à côté de votre smartphone
sur le siège de la voiture. Le lettrage gaufré du carton rigide évoque une formalité raffinée,
tandis que la signature sous l'enveloppe est tracée d'une écriture devenue familière au fil du
temps.

La route s'élève graduellement à mesure que vous avancez, dévoilant la promesse de


montagnes basses à l'horizon. Le soleil de fin d'après-midi se dissimule derrière les pentes
boisées, créant des jeux d'ombre de plus en plus prolongés. La voix féminine automatisée du
smartphone vous guide à travers les virages de plus en plus rares, transformant l'après-midi
de conduite en un voyage nostalgique à travers le temps, dans un royaume aux frontières
floues, aux langues et aux nationalités incertaines. Enfin, les lumières d'un château,
vraisemblablement votre destination, percent l'obscurité, s'élevant majestueusement.

Les impressionnants murs du château descendent pour fusionner avec la paroi abrupte de la
falaise, puis la route s'éloigne et la lumière disparaît. Vous entamez une montée encore plus
raide, des plaques de neige apparaissent sur le sol. La lueur des lumières du château
réapparaît enfin, maintenant à votre niveau, émergeant des silhouettes noires des arbres. Elle
brille à travers la haute arche de l'entrée qui se dresse devant vous. Quelque part doit exister
une ville ou un village adjacent, mais la route l'a apparemment contourné. Vous ne ressentez
qu'une immense solitude. En quittant la douce chaleur de l'habitacle, l'air presque glacial
vous frappe de plein fouet. Les doubles portes de la résidence s'ouvrent devant vous, et
presque immédiatement, la magnificence du vaste hall vous fait oublier le froid. Le plafond
s'élève majestueusement très haut, et des escaliers de marbre mènent à des salles
somptueusement meublées. Des lustres en cristal illuminent des ailes s'évanouissant de part
et d'autre. Un portier a poliment pris en charge votre téléphone, vous remettant un reçu pour
sa restitution à votre départ. Furtivement, un chat gambade sur les tapis. Au loin, un
orchestre de chambre joue, mais la musique semble s'écouler mystérieusement depuis un
endroit indéfini, à travers quel passage ?

Comme des îlots émergeant sur l'étendue du hall, des personnages en tenue de soirée,
arborant la haute couture de la prochaine saison ou de décennies révolues, se tiennent
immobiles par paires ou par petits groupes. Certains forment des grappes plus denses autour
de canapés circulaires à la base des colonnes de marbre. En traversant ces groupes pour
atteindre l'escalier le plus éloigné, on note que tous ne sont pas vêtus, voire pas habillés du
tout. Au pied de l'escalier, un valet de pied discret tend la main en signe d'invitation. Un
battement d'ailes se fait entendre dans le ciel tandis que vous montez les marches, laissant le
hall derrière vous, ignorant encore ce qui vous attend.

Depuis quand n'avez-vous pas enfilé un smoking ? C'est elle qui a sélectionné cet endroit, et
qui a insisté sur la nécessité de revêtir une tenue de soirée. Malgré vos nombreux voyages,
vous prenez conscience que vous n'êtes pas, comme l'a mentionné un jour l'un de vos amis,
particulièrement en phase avec la vie.

Mais alors que vous atteignez les dernières marches, elle apparaît au sommet, se déplaçant
vers vous sous les voûtes à nervures croisées, parfaitement équilibrée sur ses talons les plus
hauts. Sa robe noire moulante épouse ses courbes comme une seconde peau. Sa démarche
est longue, gracieuse et fluide, ses yeux bleus pétillent tandis qu'elle sourit, impatiente de
découvrir ce que la nuit lui réserve...

Tout débute par des cocktails, dans un bar faiblement éclairé adjacent à la salle à manger.
Les boissons sont aussi surprenantes que l'ensemble de l'établissement , un mélange de jus
de grenade et de purée de figues de Barbarie avec une généreuse portion de liqueur Amaro.
"C'est sicilien", murmure-t-elle, sa voix basse et sulfureuse oscillant entre le formel et
l'enjoué. "Mais bien sûr, la figue de Barbarie provient des Aztèques". Donc, c'est une
boisson qui marie l'ancien et le moderne".

Vous vous tenez tous les deux près des hautes fenêtres, à l'écart des tables, contemplant la
longue chute vertigineuse du flanc de la falaise, ainsi que les lumières ornementales teintées
de bleu au loin, près du lac et de ses bordures d'arbres. Un serveur s'approche, annonçant
que votre table est prête...

Il y a des avantages à être un gentleman ! En l'asseyant, en tirant la chaise, on peut la


contempler de dos, intimement. Ses longs cheveux ont été coiffés, retenus par une simple
épingle en bois, et sa robe est maintenue entre les omoplates par un seul gros bouton,
laissant sa peau ivoire parfaite entièrement exposée jusqu'au bas de son dos. Sa peau est-elle
chaude ou froide ? Vous imaginez vos mains en contact, la chair intacte cédant à votre
toucher. Le temps s'arrête, à l'exception du léger tremblement d'une boucle d'oreille, dont la
chaîne délicate est exposée à la vue, et dont la perle capte la lumière. Mais ce n'est qu'un
tableau momentané, et vous êtes maintenant à votre place, assis en face d'elle, alors que le
serveur est déjà en train d'apporter un plateau d'amuse-bouche. Votre compagne attribue
tranquillement un nom aux plats disposés devant vous.

Les arancini al ragu sont pour vous. Ce sont des boulettes de riz dans une sauce à la viande
avec du fromage de brebis râpé. Les bocconcini di primosale in salsa di peperoni e miele,
dont les syllabes trébuchent sur sa langue, sont pour elle. Le plat consiste en des boules de
fromage primosale, entourées d'une sauce au piment, sur lesquelles le serveur verse un peu
de miel en guise de touche finale. Un sommelier apporte un chariot garni de bouteilles et
vous propose un vin rouge millésimé. Vous constatez la nuance de la sauce rouge dans vos
deux plats, vous observez la couleur rubis de ses lèvres lorsqu'elle prend une gorgée, et vous
notez la vibrante teinte rouge vif de son vernis à ongles. Finalement, vous commencez à
vous immerger dans la palette du décor environnant, riche en nuances de rouge, d'or et de
noir. Le noir prédomine, tel sa robe qui épouse gracieusement chaque contour de son corps,
s'ajustant à chaque changement subtil de pose.

Les tableaux qui vous entourent sur les murs dépeignent des scènes allégoriques et des rites
d'initiation. Des aliments, des fruits et des fleurs sont méticuleusement disposés comme des
commentaires codés ; poissons, raisins, poires, pommes, oranges, roses, iris, tulipes, le tout
représenté avec une précision photographique. "Ce ne sont pas des reproductions",
mentionne-t-elle avec désinvolture, puis changeant de sujet, elle entame une discussion sur
les tomates.

"On dit qu'elles ont été apportées en Italie par les conversos juifs lorsqu'ils ont été expulsés
d'Espagne", partage-t-elle, "ou peut-être par Aliénor de Tolède, lorsqu'elle a épousé Cosimo
I de Médicis". Pendant longtemps, on l'a appelée la "pomme empoisonnée", jusqu'à ce que
les médecins découvrent qu'une tomate non mûre, utilisée pour soigner une maladie de
peau, améliorait l'état de cette dernière. Aujourd'hui, nous dirions que c'est grâce à la
vitamine C. Elle vient du Nouveau Monde, en fait, 'tomatl' tout comme la figue de
Barbarie". Elle part du principe que le sujet vous intéresse autant qu'elle, mais vous
constatez que les mamelons sous le tissu fin et presque transparent de sa robe réclament
votre attention avec autant d'insistance. Sa robe, dans sa coupe, ses coutures, sa parfaite
élasticité, précisément adaptée à sa forme spécifique, ressemble beaucoup à un Alaïa
vintage.

Son parfum se mêle à celui du vin. Les chaises de style Renaissance sur lesquelles vous êtes
assis soutiennent le poids de l'histoire, les murs peints d'un rouge pompéien créent un décor
élaboré, dont elle est le centre et le point focal. Vous vous remémorez les soirées passées
dans les bars en compagnie d'amis, d'étrangers et d'associés, ainsi que les histoires qu'ils
vous avaient racontées, que vous aviez autrefois écartées ou du moins réduites à quelque
chose de plus terrestre et banal. Cependant, en présence de votre compagne de la nuit, vous
commencez à les reconsidérer.

Le serveur est de retour avec un autre chariot. Tout avait été soigneusement sélectionné à
l'avance, et le regard inquisiteur ainsi que l'étincelle dans ses yeux à chaque nouveau plat
laissaient aisément deviner par qui. Ce qui semblait être une succession d'amuse-bouche, ne
laissant pas de place pour un plat principal traditionnel, s'est transformé en la clé de la soirée
: un banquet en série de dégustations. Chaque mets était imprégné de saveurs siciliennes,
transportant ainsi les convives au cœur du centre de la Méditerranée.

"On pourrait la qualifier d'italienne", dit-elle, "mais les Grecs étaient aussi en Sicile, ainsi
que les Arabes, les Juifs, les Normands, les Français et les Espagnols. Les Elymes, les plus
anciens de tous, prétendent être venus de Troie. Chacun d'eux a laissé son empreinte sur la
gastronomie. Le sommelier se tient à la périphérie de votre champ de vision, vaguement
visible dans l'ombre, prompt à présenter un nouveau millésime dans un nouveau verre pour
chaque plat qui arrive. "La cuisine, c'est de la chimie", dit-elle. "La vie est une chimie.
Chaque ingrédient a sa propre vie intérieure, mais c'est dans leur fusion et leur assemblage
que réside le mystère."

Le plat du moment s'étale dans une palette de tons jaune et rouge, arborant la caponata aux
œufs sublimés par la sauce St Bernardo, vantée comme "la plus célèbre de toutes leurs
créations et l'une des plus anciennes". La sauce, une symphonie complexe d'amandes,
d'anchois, de jus d'orange, de cidre de pomme, de vinaigre et de chocolat noir, offre une
expérience gustative captivante que nous identifions aujourd'hui comme l' "umami". Bien
que les Occidentaux aient longtemps cru en seulement quatre goûts fondamentaux, sucré,
acide, salé et amer, les Japonais ont ajouté un cinquième : une nuance du "salé". Une
cuillère vous est tendue, vous invitant à goûter. Elle plonge son regard dans le vôtre,
curieuse de savoir si vous envisagez l'éventualité d'un sixième goût.

Le dessert se présente avec des oranges sanguines pour vous, tandis qu'elle succombe à une
pâtisserie délicieuse à la pistache. Elle souligne que ces agrumes et noix proviennent du sol
volcanique de l'Etna, prononçant le mot "volcanique" avec une tendresse particulière dans sa
voix. Un silence enveloppe l'espace entre vous, un moment de connivence né de la
dégustation partagée du vin et des récits personnels échangés. Le serveur achève son service
en offrant deux petites boîtes de macarons à la fraise, façonnés en forme de cœur.

Ses yeux scrutent les vôtres tandis qu'elle déguste avec précision de petites bouchées,
annonciatrices de la transition. Vous observez à votre tour son attention délicate au goût qui
danse sur sa langue. Votre esprit vagabonde, imaginant les autres ingrédients qu'elle pourrait
incorporer en pensée. Quels sont les arômes et les saveurs suscités par les mélanges sensuels
des épices et des sauces du désir ?

En empruntant une voie différente de celle par laquelle vous êtes arrivés, vous pénétrez dans
une longue galerie qui suit le périmètre intérieur du château. D'un côté, des tableaux se
déploient, une extension des œuvres qui ont encadré votre repas, mettant désormais l'accent
de manière presque exclusive sur la forme féminine. La galerie débouche sur une vaste
mezzanine circulaire dont l'étendue se perd dans l'ombre, accompagnée d'un majestueux
escalier, semblable à celui du hall d'entrée mais en double, aux larges marches de marbre
menant vers une nouvelle section du château.

Au sommet de l'escalier, un doux battement d'ailes invisible résonne de nouveau dans les
chevrons au-dessus, tandis que plusieurs horloges éparpillées dans le vaste espace ouvert
devant vous sonnent l'heure. Au deuxième et troisième coup de cloche, des murmures de
mouvement se font entendre dans les couloirs et les galeries ombragés qui s'étendent à côté
et en face de vous. Au quatrième coup de cloche, les tableaux qui vous ont accompagné
depuis le restaurant semblent prendre vie. Seules ou par groupes de deux ou trois, une
procession silencieuse de jeunes femmes statufiées émerge de l'obscurité d'un couloir
lointain, traverse la galerie de la mezzanine, descend les escaliers et se croise sur l'étendue
ouverte en contrebas. Toutes sont nues, à l'exception d'un unique élément vestimentaire
différent pour chacune, des gants, un chapeau, des étoles de fourrure ou des colliers. Elles
portent également des chaussures à talons hauts ou des bottes d'une hauteur extrême.
Incapable de surveiller toutes les directions simultanément et distrait successivement par
l'apparition puis la disparition de l'une, puis de l'autre statue, il vous faut un moment pour
réaliser que chaque nouvelle observation est rapidement remplacée par la disparition d'une
autre. Lors du dernier carillon, au onzième coup, toutes les statues s'évanouissent aussi
silencieusement qu'elles sont arrivées. Momentanément dérouté, vous commencez à
descendre l'escalier, tandis que votre compagne, restée à vos côtés, se déplace avec une
sérénité imperturbable, comme si rien d'extraordinaire ne s'était produit. Sa suite l'attend au
milieu d'un long couloir éclairé, dont l'extrémité se perd dans l'obscurité. Elle vous laisse
passer en premier et observe attentivement votre réaction lorsque vous franchissez le seuil.

Dans le miroir au cadre doré qui surplombe la commode, son reflet apparaît lorsque,
derrière vous, elle ferme la porte puis se retourne pour vous observer. L'éclairage intérieur
est doux, presque tamisé, avec des bougies éclairant la pièce principale. Des vases
débordant de bouquets de fleurs ornent la pièce, leur nombre évoquant une profusion
incommensurable. Les murs, les meubles et le lit sont de style néo-rococo, tous immaculés
dans des nuances de blanc, une suite digne de la royauté.

Vous vous tournez vers elle, l'attirant dans vos bras, et enfin, vous réalisez ce que vous avez
désiré toute la soirée. Délicatement, vous passez votre main derrière elle pour retirer
l'unique épingle en bois retenant ses cheveux. Vous sentez chaque mèche tomber en cascade
dans son dos, glissant entre vos mains et s'entrelaçant entre vos doigts. Le baiser partagé
entre vous est prolongé, empreint de tendresse et de profondeur, laissant ensuite vos corps si
proches qu'ils semblent battre en harmonie comme un seul et unique cœur.

Vous cherchez des yeux un endroit où vous asseoir. Vous remarquez rapidement que toutes
les places sont occupées par des ensembles provocants de lingerie fine. Un soutien-gorge
rouge attire et retient d'abord votre attention. Le string associé est quasiment inexistant. Une
autre composition en dentelle noire est follement transparente. L’atmosphère de la pièce
semble soudain plus chaude de plusieurs degrés.

"Je crois que je connais tes goûts", dit-elle en se détachant gracieusement, "mais il a été très
ardu de faire une sélection". Votre attention, cette fois, est détournée par un maillot de bain
noir. Vous l’entendez se diriger vers la salle de bains. "Il vaut peut-être mieux que ce soit
vous qui fassiez le choix final", dit-elle. "Quand votre décision sera prise, venez me
l’apporter."

Vous vous retournez, et pour un fugace instant, elle se trouve baignée dans la lumière
électrique de la salle d’eau, mettant en évidence ses talons hauts et sa robe Alaïa vintage, la
même vision vous avait attiré, il y a plus de trois heures. Elle referme la porte, vous laissant
seul dans une pièce emplie de fantasmes.

La pièce noire, unique, dont la partie centrale est transparente, rendue encore plus intrigante
par l'absence de tissu au dos en-dessus de la taille, est celle qui vous fascine le plus. Le
soutien-gorge rose et la culotte assortie, à quelques distances de là, sont peut-être les plus
classiques, mais vous commencez à imaginer leur couleur sur sa peau. Difficile de faire la
part des choses, en effet.
Vous retrouvez sa robe abandonnée sur la moquette à l'extérieur de la salle de bains. En la
prenant, vous ressentez encore la chaleur résiduelle de son corps et inhalez son parfum
imprégné dans le tissu. Vous marquez une pause, réfléchissant brièvement, avant de
finalement échanger la robe contre la dentelle noire transparente qui reposait sur la chaise
blanche rembourrée. Vous toquez à la porte de la salle de bain et vous déposez votre choix
dans la main magnifiquement manucurée qu’elle vous tend tout en observant le contraste
classique des ongles rouges sur le délicat tissu noir.

Seul, une fois de plus, votre regard se pose sur le service à thé où trône une seule orange
sanguine. "All the way from China", cette mélodie résonne quelque part dans votre
mémoire. La chaise où vous avez déposé sa robe est confortable, mais la tension qui vous
habite est palpable. Vous savez tous les deux ce qui va suivre, elle semblant l’anticiper
encore plus que vous. Vous vous débarrassez de vos vêtements. Le contact et la fraicheur
des draps de lit sur votre peau vous apporte un léger apaisement

A sa sortie de la salle de bains, elle ne vous déçoit pas. Elle a éteint la lumière avant de vous
rejoindre et dans le faible éclairage des bougies éparses, on peut distinguer son dos nu et à
travers la transparence du soutien-gorge l'ivoire de sa peau si pâle. Un petit triangle assorti
essaye de couvrir son pubis. Elle s’approche toujours chaussée de ses talons haut, comme
l’avait signalé un sec claquement caractéristique sur les carreaux de la salle de bains avant
de se fondre dans le tapis moelleux de la pièce.

Elle se tient au pied du lit et vous étudie en silence, notant chaque détail visible, chaque
forme sous le drap. Dans le reflet du miroir à cadre doré vous admirez ses fesses nues
parfaitement arrondies. Elles sont un cadeau auquel vous ne pouvez-vous empêcher de
répondre, avec un effet sans aucun doute visible. Sa cascade de cheveux enfin libres, il est
difficile de discerner ses traits, mais sa voix, quand elle vous parvient, est douce et assuré.

"Nous avons eu un début prometteur, dit-elle, mais je pense que nous pouvons vous amener
plus loin. Tournez-vous et allongez-vous sur le ventre."

Vous obéissez et attendez, captivé par les doux bruits de mouvement derrière vous. Une
odeur particulière vous enveloppe, délicate, complexe, finalement inexprimable. Ce n'est
pas simplement un parfum, c'est quelque chose de plus profond. Le matelas craque et se
déplace tandis qu'elle s'assoit à côté de vous, retirant le drap qui vous couvrait entièrement.
Le contact de sa main sur votre dos nu est comme une douce décharge électrique. L'odeur
est proche, intimement proche, remplissant votre tête, fusionnant avec la pression apaisante
de ses mains sur votre chair. Elle trace de lents cercles autour de vos épaules et le long de
votre colonne vertébrale. Une agréable chaleur pénétrante suit ses mouvements comme des
tracés, et vous fermez les yeux, la sentant se répandre et s'infiltrer dans votre corps, en
même temps que ses paroles, car elle parle tout en massant.

"Il existe un moi secret en chacun de nous", dit-elle, "un labyrinthe de soi, enfoui dans les
muscles", et c'est votre peau, vos muscles, votre corps tout entier qui entendent et écoutent.

"Il a ses propres souvenirs et ses vies secrètes", ses mains semblant couler et descendre au
plus profond de vous. "Il se souvient et sait presque, indépendamment de vous, mais il se
souvient du toucher qui connaît sa nature. C'est une nature qui peut être trouvée, sentie,
pétrie et caressée."

Elle s'attarde, prenant son temps, et la chaleur qui vous enveloppe se transforme en lumière,
en sons et en couleurs. Une lumière qui évoque une porte de balcon ouverte... mais où cela
pourrait-il être ? Où l'avez-vous vue auparavant ? Ce n'est pas seulement votre mémoire qui
réagit, mais votre corps lui-même, trouvant son écho, sa convocation et son invocation dans
la voix qui plane au-dessus de vous et qui coule à travers vous.

"La mortalité est poreuse, une trame ouverte", pas des mots, pas des souvenirs, mais des
réalités... Depuis combien de temps la connaissez-vous ? L'avez-vous toujours connue ?
Est-ce possible ?

La pièce semble s'obscurcir à mesure que les lumières, les sons et les couleurs grandissent
en vous. Ses mains s'enfoncent dans vos nerfs et vos fibres, vous métamorphosant en une
image que vous n'auriez jamais imaginé pouvoir être la vôtre.

"Tous les mortels sont des vaisseaux de l'esprit, des sorties et des entrées", dit-elle, évoquant
des visions avec la clarté d'un jour d'été. Ce ne sont pas des mots, ni des souvenirs, mais des
réalités.

La pièce n'est plus que ténèbres, mais lorsque vous vous tournez vers elle, incapable de
contenir plus longtemps vos besoins, elle devient la lumière elle-même. Ce corps de lumière
qui vous a accompagné toute votre vie, dont les hanches poussent maintenant contre vos
paumes en planant au-dessus de vous. "Me reconnais-tu ?" chuchote-t-elle." Me connais-tu
maintenant ?" Elle s’abaisse lentement sur vous, millimètre par millimètre, vos mains
pressant ses cuisses, ultimatums de danger, de certitude, de connaissance finale.

"Ça a toujours été moi. Toujours." La lente invasion de son être parcourt chaque muscle et
chaque nerf, ouvrant une infinité de plaisirs en vous deux. "Connaissez-moi..." et elle gémit
doucement tandis que les sensations que vous ressentez commencent à se répandre en elle.

"Me connaître !"

Une fusion totale s'opère, abolissant les limites de vos corps.

- FIN -

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