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La Belgique connaît la crise la plus longue de son histoire

De notre correspondant à Bruxelles JEAN QUATREMER


QUOTIDIEN : lundi 5 novembre 2007

Cela fait 148 jours depuis les élections législatives du 10 juin que la Belgique est à la recherche
d’une majorité de gouvernement. Presque cinq mois ! Cette crise va donc dépasser celle de 1987,
jusque-là la plus longue de l’histoire du royaume. A l’époque, il avait fallu 148 jours aux partis
belges pour surmonter la violente crise provoquée par la question des Fourons, une enclave
flamande en terre wallonne.

Pourquoi la crise s’éternise-t-elle ?

La Belgique est en réalité scindée en trois parties depuis 1962, date à laquelle la «frontière
linguistique» a été gravée dans le marbre : au nord, la Flandre néerlandophone, la région la
plus riche et la plus peuplée (6 millions d’habitants), au sud, la Wallonie francophone (3,5
millions) et pauvre, et, au milieu, enclavé en Flandre, Bruxelles (1 million d’habitants, à 90 %
francophones), à la fois capitale de la Flandre et de la Belgique. Entre 1968 et 1978, tous les
partis se sont scindés, Flamands d’un côté, francophones de l’autre. Résultat : chaque
communauté vote pour ses partis sans possibilité de voter pour ceux situés de l’autre côté de la
frontière linguistique (hormis la circonscription de Bruxelles-Halle-Vilvorde, créée pour
permettre aux quelque 120 000 francophones de la périphérie bruxelloise de voter pour des partis
francophones).

Les Flamands, une fois leur «territoire» reconnu, n’ont eu de cesse de déshabiller l’Etat central au
profit des régions. En 1993, la Belgique est ainsi devenue un Etat fédéral. Et, à chaque élection
législative, les partis flamands – qui n’ont de comptes à rendre qu’à leurs électeurs flamands –
réclament et obtiennent davantage de compétences. Mais, cette fois-ci, les partis francophones
ont refusé tout net les demandes flamandes (régionalisation de la Sécurité sociale, de la politique
de l’emploi, d’une partie de la justice, du code de la route…), estimant qu’on était «à l’os» et que
la Belgique risquait de devenir une coquille vide.

Depuis cinq mois, le Flamand Yves Leterme, vainqueur des élections en Flandre avec son parti
démocrate-chrétien, le CD & V, essaye de convaincre, les francophones de céder. S’il n’y avait
pas cette question communautaire, la coalition aurait été formée depuis longtemps entre les
chrétiens-démocrates du CD & V et les libéraux de l’Open-VLD au nord, et les libéraux du MR
et les centristes (ex-démocrate-chrétien) du CDH au sud, leurs programmes économique et social
étant très proches.

La crise va-t-elle durer ?

Les jours de «l’orange bleue» (les couleurs des démocrates-chrétiens et des libéraux) semblent
comptés, les partis flamands ne voulant pas renoncer à leurs revendications communautaires. Le
problème est que le CD & V n’a gagné les élections que parce qu’il s’est présenté en cartel avec
le petit NV-A, un parti ouvertement indépendantiste. Si le CD & V cède aux francophones, le
NV-A quittera le cartel. Ce qui rendra la Belgique ingouvernable. De plus, l’allié libéral du CD &
V, l’Open-VLD, est aussi engagé dans une surenchère communautaire, car des élections
régionales auront lieu en juin 2009. Autrement dit, le premier qui cède a perdu. Au sud, c’est la
même chose. Les socialistes, qui ont subi une déculottée aux dernières élections, en perdant la
première place en Wallonie, ne manqueront pas de crier à la trahison si le MR et le CDH lâchent
quoi que ce soit aux Flamands.

La Belgique va-t-elle disparaître ?

Un compromis de dernière minute ne peut pas être exclu, même s’il semble douteux. D’autant
que les Flamands, toutes tendances confondues, veulent scinder rapidement la circonscription
électorale de Bruxelles-Halle-Vilvorde, pour parachever l’unité territoriale de la Flandre, ce que
les francophones refusent afin de défendre les droits de leur minorité. Un passage en force
pourrait avoir lieu le 7 novembre à la Chambre des députés, ce qui signerait la fin des
négociations gouvernementales en cours, voire des élections anticipées. En imaginant même que
la crise soit évitée et que les questions communautaires soient renvoyées à un comité, comme il
en est question, le répit ne serait que de courte durée : les élections régionales de 2009 se joueront
uniquement sur ce terrain, ce qui menacera l’existence du gouvernement…

Autant dire que le fossé n’a jamais été aussi profond entre le nord et le sud : pour les Flamands,
le passage de la fédération à la confédération est une exigence minimale, ce que refusent les
francophones. Si ces derniers ne cèdent pas, cela achèvera de convaincre les Flamands que seule
la séparation leur permettra de prendre leur destin en main. Sauf à imaginer un sursaut unitaire en
Flandre, sursaut que rien n’annonce.

http://www.liberation.fr/actualite/monde/289122.FR.php
© Libération

Le rêve d’un grand Deltaland néerlandophone


SABINE CESSOU
QUOTIDIEN : vendredi 16 novembre 2007

Et si la Flandre était rattachée aux Pays-Bas ? Pour 45 % des Néerlandais, voilà une
excellente manière de régler le problème belge. A en croire un sondage publié le 12 novembre par
le journal gratuit Dag, l’avenir politique de la Belgique divise au moins autant les Pays-Bas que
les Wallons et les Flamands. Une fusion entre le royaume néerlandais et la Flandre, grande région
néerlandophone de Belgique, séduit certes 45 % des Néerlandais interrogés, mais une courte
majorité de 49 % y reste opposée.

Maurice de Hond, le très sérieux institut qui a réalisé ce sondage, met en évidence une ligne de
fracture politique sur le sujet. L’éventuel rattachement plaît beaucoup à la droite, surtout chez
les sympathisants du populiste Geert Wilders, mais pas du tout à la gauche. «C’est logique,
analyse le politologue Dick Pels. Les courants de nationalisme linguistique sont forts, chez le
Vlaams Belang (parti nationaliste et xénophobe) en Belgique comme chez les populistes
néerlandais».

Panneaux. Aux Pays-Bas, ce n’est pas l’usage du français qui est en cause, mais la progression,
parfois jugée alarmante, d’un bilinguisme néerlandais-anglais. La disparition de la langue
officielle des Pays-Bas sur les panneaux de signalisation de l’aéroport international
d’Amsterdam, par exemple, a fait l’objet d’un débat au Parlement en septembre. En dehors de la
solidarité linguistique, les arguments ne manquent pas aux partisans d’un grand royaume
néerlandophone.

«Un pays de 22 millions d’habitants au lieu de 16 millions actuellement pèserait bien plus lourd
en Europe», avance le journal Dag. Et de lancer une pétition pour demander aux députés
néerlandais d’inscrire le rattachement à leur ordre du jour. Le quotidien gratuit rappelle par
ailleurs qu’entre 1815 et 1830 les Pays-Bas et la Flandre ont déjà formé un seul pays, le
Royaume-Uni des Pays-Bas – un lien «historique» de courte durée, certes, mais qui se manifeste
encore. «La pensée des Grands Pays-Bas n’a pas disparu, confirme Dick Pels, nourrie par le
sentiment que la séparation entre Flandre et Pays-Bas a quelque chose d’artificiel.» Un consensus
remarquable se dégage du sondage Maurice de Hond : 80 % des Néerlandais tombent d’accord
pour dire qu’ils «aiment bien» les Flamands.

A tout point de vue, des Pays-Bas élargis seraient bénéfiques, plaide le journal Dag. «Ce serait la
fin d’une concurrence acharnée entre les ports d’Anvers et de Rotterdam», peut-on y lire, et il y
aurait de meilleures chances de l’emporter lors du concours de chansons Eurovision.

La princesse Maxima, catholique, pourrait avantageusement devenir un jour la reine des Belges
néerlandophones, catholiques eux aussi. «Mais les Belges peuvent aussi garder leur roi Albert»,
précise l’éditorial de Dag sur un ton qui confine à la plaisanterie.

Orangeland. Parmi les noms proposés pour le nouveau pays : Orangeland, du nom de la famille
royale néerlandaise, Deltaland, ou plus simplement, la Fédération néerlando-flamande.

Balkanisation. L’esprit de malice néerlandais donnerait-il des idées plus sérieuses de l’autre côté
de la frontière ? Steve Stevaert, le gouverneur de la province flamande du Limbourg, s’est
prononcé hier en faveur d’un rattachement avec la province «sœur» du même nom, aux Pays-Bas.
Au lieu de faire la distinction entre le Limbourg belge et le Limbourg néerlandais, Steve Stevaert
suggère une nouvelle appellation de Limbourg-Ouest et Limbourg-Est, en vue de la création
d’une seule et même province «européenne». Comme une menace de balkanisation qui planerait
au cœur de l’Union.

Dick Pels conclut, amer : «Le fait que les Belges pensent à ce point nationalisme à une
époque d’intégration européenne nous en dit long sur l’avenir de l’Europe.»

http://www.liberation.fr/actualite/monde/291787.FR.php

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