Université de Yaoundé I 2020 (suite) b) De violents contrastes sociaux Dans tous ces pays avec des nuances dans les pays plus industrialisés, mais, sans que le phénomène disparaisse, car il est structurel, s’individualise une société dualiste. D’un coté, on a la société intégrée à peu près totalement dans le monde économique qui a adopté, jusqu’à l’excès parfois, les modes de vie matériels, les loisirs des modèles occidentaux.
Elle habite dans les immeubles modernes
relativement confortables et participe aux circuits «normaux» du commerce et des services. Son niveau de vie est élevé. A coté d’elle, évolue le reste de la population, à des degrés d’intégration divers, par transitions ménagées, jusqu’aux groupes marginalisés sans habitat urbain spécifique, exclus des circuits économiques habituels, de niveau de vie très bas. Les deux groupes extrêmes se côtoient sans se pénétrer, mais, il existe une infinité de transitions, de passerelles.
Les classes moyennes font lentement leur
apparition. Mieux que société duale, il faut parler de société urbaine «plurielle», en évolution. Les clivages sont de toute façon très visibles. Dans les villes, ils ont plusieurs origines: ceux dérivant de l’argent ou de la puissance politique sont clairs et banals. Il s’y ajoute, pour des raisons sociologiques et historiques complexes, des coupures dues à l’appartenance à des groupes religieux, raciaux ou tribaux. • Dans les pays d’Afrique du sud, où les traces de l’apartheid sont encore visibles, le fait est évident et imposé, mais, d’ailleurs sans que la loi écrite l’exige et même si elle le combat, les quartiers typés par leurs populations existent toujours.
• En Inde, les groupements par castes, en
Afrique, les rassemblements par tribus d’origine sont nets. • En Extrême-Orient, les populations chinoises, malaises, habitent des quartiers individualisés lorsqu’elles sont minoritaires.
• Au Moyen Orient et dans les pays
méditerranéens, les clivages religieux sont évidents. • Il n y a pratiquement plus de quartiers juifs, les mellahs dans les pays musulmans, par départ plus ou moins volontaire de leurs habitants, mais les chrétiens et les adeptes des différents courants de l’Islam cohabitent depuis peu. Il y a des quartiers chrétiens, sunnites, druses, chiites à tous les niveaux de l’échelle sociale.
• Le divisionnisme, en secteurs aux visibles
ou invisibles frontières, est un des éléments sans doute le plus caractéristique des villes des pays tropicaux. 1- Des problèmes urbains considérables 1) Les problèmes techniques dus au surpeuplement -La vitesse de la croissance, alliée à la pénurie générale de moyens financiers, explique en partie les défauts techniques de ces villes ; il s’y ajoute un certain laisser aller ou le manque de pouvoir réel des autorités sur les habitants. Le niveau des équipements est faible sauf dans les quartiers centraux ou les zones coloniales (et encore, car elles sont souvent obsolètes). Si l’alimentation en eau par les bornes fontaines à la périphérie, à l’étage, ou dans les appartements dans les meilleurs cas, est assurée, l’électricité est réservé aux quartiers centraux.
La pénurie la plus grave réside dans
l’insuffisance (40% de l’agglomération de São Paulo sont raccordés aux égouts) trop générale d’un réseau d’assainissement efficace. C’est vrai pour les eaux pluviales, ce qui provoque fréquemment des catastrophes qui touchent en priorité les quartiers défavorisés installés sur les pentes ou dans les fonds de vallée, une grande partie de Bangkok (les khongs) est bâtie sur pilotis pour pallier la montée des eaux en période de pluies de mousson. C’est vrai aussi pour les eaux usées qui s’infiltrent ou circulent librement, ce qui peut être générateur d’épidémies. 2- Des problèmes sociaux pratiquement insolubles - L’inadéquation des activités productrices d’emploi face à la population active génère un taux de chômage exceptionnellement élevé. Même s’il est difficile de donner des chiffres précis, il dépasse en général 40% de la population en âge de travailler. Les niveaux de vie sont donc très bas, particulièrement dans les grandes métropoles où un sous-prolétariat sans qualification et sans espoir de promotion sociale vit en marge de la ville, aidé parfois par des organisations charitables internationales (mère Teresa à Calcutta). Il ne dispose parfois même pas d’habitat réel, vivant dans des asiles ou dans les rues. L’Inde devrait construire 1 700 000 logements par an jusqu’en l’an 2025. Les risques d’explosion sociale sont énormes, limités seulement pour le moment, par la solidarité des groupes car les pauvres pratiquent généralement l’entraide au moins familiale ou tribale. La religion est leur opium. Les solutions à ces problèmes ne sont pas en vue. 3°- Des politiques partielles pour résoudre les problèmes L’une des thérapies à ces questions est évidemment l’arrêt à la croissance incontrôlée des mégalopoles. Tous les Etats ont essayé avec des méthodes plus ou moins radicales : renvoi massif des habitants des bidonvilles dans leurs lieux d’origine; expulsion dans étrangers comme au Nigéria en 1984; interdiction de venir en ville sans travail. D’une manière constante, ces moyens demeurent sans effet. On brave les interdictions, les expulsés reviennent plus ou moins vite et tous n’ont rien à perdre. La croissance des mégalopoles ne se ralentit pas. Seule la ville d’Alger apparaît comme une exception dans un pays, il est vrai, à forte armature urbaine différenciée. La solution à tous ces problèmes passe évidemment par celle plus générale du sous-développement ; quelques pays privilégiés par leurs ressources minérales (Gabon) ou leur adaptation aux technologies modernes : Singapour, Formose y parviennent et les villes s’en ressentent. Pour l’énorme majorité des autres pays, ce sombre tableau a beaucoup de chances de durer. II- DES TYPES DE VILLES INDIVIDUALISEES PAR LEUR CONTEXTE Dans les centaines de grandes villes des pays du tiers-Monde beaucoup de variantes existent. Elles sont essentiellement liées aux types de société qui les ont générés et à leur histoire. Ainsi les villes islamiques constituent- elles un ensemble organique auquel est consacré le chapitre suivant. UNE GRANDE VILLE DE L’AFRIQUE CENTRALE HUMIDE Le nom même de la ville indique son origine. En 1880, Savorgnan de Brazza fonde la colonisation française pacifique sur la rive septentrionale du Congo, face à ce qui va devenir Léopoldville puis Kinshasa. Site et situation confondus rendaient quasiment obligatoire le choix du lieu, en bordure du fleuve, navigable en amont sur plusieurs centaines de kilomètres mais brusquement affecté par des rapides infranchissables qui se poursuivent au-delà vers l’aval, par le site du barrage d’Inga jusqu’au voisinage de l’estuaire. L’emplacement de la ville est un plateau élevé de 30 à 40 mètres au dessus du fleuve, entaillé par quelques petits ravins et s’étendant au Sud jusqu’à la berge (site de la case De Gaulle qui fut occupée par le Général lors de la conférence de Brazzaville en 1942). Au Nord, le bord du plateau s’éloigne, laissant la place à une plaine alluviale humide parcourue par de petits cours d’eau canalisés (fig. 33) ; Les fonctions de la ville sont caractéristiques d’une capitale hypertrophiée dans le domaine du tertiaire directionnel : Ministères, Universités, centres de recherches (O.R.S.T.O. français), lycées car le pays est l’un des plus scolarisées d’Afrique, le grand stade et l’aéroport international. Les autres activités sont bien moindres : peu d’industries sauf alimentaires et un peu de textile ; les fonctions de transport ferroviaire et fluvial dépendent de la production fluctuante du bois. L’artisanat et le petit commerce ont leur place traditionnelle dans tous les quartiers populaires. Bien que le Congo soit fort peu peuplé, la croissance urbaine est forte, Brazzaville compte plus de 300 000 habitants pour une population totale du pays de 3 millions sans que les fonctions productrices suivent. Avec le port de Pointe-Noire, elle concerte toutes les activités tertiaires (80% des médecins) constituant une armature bicéphale typique, les autres villes ne sont en fait que de grosses bourgades pratiquement sans équipement : le chef-lieu de province du Nord Ouesso n’avait même plus de réseau de distribution d’eau un 1981. La structure urbaine est caractéristique par la division en quartiers bien marqués socialement et par la grande anarchie du développement récent en tâche d’huile grignotant la savane arborée. La disposition de la parité centrale oppose, de manière classique, la Brazzaville «blanche» construite par les Français et les Brazzaville noires. Celles-ci sont implantées dans deux sites principaux : Bacongo occupée par les populations de l’ethnie du même nom et dans les zone basse, humide surtout après chaque averse, Poto-poto (l’étymologie en est discutée : poteau-poteau par allusion aux pieux de bois des maisons ou onomatopée comme flac-flac pour exprimer le bruit des pieds dans la boue) occupée par les autres ethnies non dominantes. La ville moderne, d’inspiration européenne est sur le plateau et comporte les grands édifices administratifs et culturels. De façon typique deux faits rapprochent ces deux grandes entités ; d’une part l’aspect verdoyant qui dérive des jardins des parties modernes et des petits enclos cultivés des parties traditionnelles : La ville tout entière, malgré le grignotage actuel des réserves d’espaces naturels, est verte ; d’autre part la géométrie des plans : physionomie en damier des Brazzaville noires, plan plus sophistiqué mais tout de même clair de la ville moderne. Les différences sont au niveau de la dimension des parcelles : 1 000 à 4 000 m2 dans les quartiers aisés, rectangles de 50 mètres en moyenne dans les parties pauvres, au niveau des constructions (béton d’un coté, argile , briques crues, tôles et parpaings de l’autre), au niveau de l’animation et des formes du commerce : hypermarché et commerces à l’européenne d’une part, profusions d’étalages et activités très soutenues la plus grande partie de la journée et e la nuit à POTO-POTO d’autre part. Finalement dans ce type de ville, qui est celui de l’Afrique centrale humide, les contrastes sociaux sont marqués qu’ailleurs parce que la faim n’y est pas un problème, même si la malnutrition demeure, et que la diffusion du savoir par la scolarisation est forte ; les bidonvilles, les populations marginalisées par le corps urbain sont peu importantes ; la variante est d’importance par rapport à des villes de l’Afrique de la faim comme Antananarivo ou les capitales des Etats du Sahel :Mali ou Burkina-Faso.