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Le carnet d'or, de Doris Lessing

J'ai fini Le carnet d'or hier soir, et c'est sans doute


la chose la plus importante que j'ai faite cette
semaine.
Je suis toujours un peu sceptique et ironique quand
je lis sur une 4ème de couverture des phrases
comme "On ne dira jamais assez combien ce livre
a compté pour les jeunes femmes de ma
génération." Mais le livre une fois refermé, je
capitule : oui, c'est une lecture fondamentale, non
seulement pour les femmes, mais pour les hommes
aussi.

Dans la préface écrite par l'auteur, quelques années


après la parution du livre, elle s'étonne que les
lettres de lecteurs qu'elle reçoit ne mentionnent en
général qu'un des thèmes qu'elle y a traités, et elle
cite : l'engagement politique, les rapports entre les
sexes évidemment, et la maladie mentale.
J'y vois surtout une quête d'identité, la quête du sens de la vie, qui est évidemment un thème
universel même si l'histoire qu'elle raconte, en partie autobiographique si j'ai bien compris ce que
j'ai lu notamment dans le papier que Libé lui consacrait au moment où elle a reçu le Nobel (j'en
parle ici), est tout à fait singulière.

Le parcours d'Anna est celui d'une romancière qui décide de cesser d'écrire après son premier
roman, qui a connu suffisamment de succès pour qu'elle puisse encore vivre sur ses droits d'auteurs
des années après, bien qu'ayant refusé les adaptations cinématographiques et télévisuelles qu'on lui
propose régulièrement. A part ça, Anna est communiste et divorcée, avec une petite fille. C'est une
femme émancipée, et j'avoue avoir été surprise de voir les libertés que prenaient déjà les femmes
dans les années 50. Oui, je fais partie de ces idiotes (Lessing dixit) qui pensaient que la libération
sexuelle datait plutôt de la fin des années 60.

Le livre est d'une modernité étonnante, soulevant des questions qui sont toujours d'actualité, avec un
regard d'une acuité rare. Même si le contexte a évolué. L'état du monde et son cheminement
politique posent plus que des questions, et l'on se demande en tant qu'individu où s'engager pour
faire changer les choses. La question des relations entre les hommes et les femmes n'est pas
davantage résolue, qu'il s'agisse de l'application de droits égaux, ou de trouver le bon équilibre dans
le domaine privé. Dans l'ouvrage de Lessing, tout cela interfère évidemment fortement avec la quête
de sens d'Anna, qui s'approche tout au bord du gouffre de la folie en essayant de comprendre et de
faire "l'expérience" d'identités multiples qui pourraient lui permettre de trouver sa place dans
l'univers, et des raisons d'espérer en demain...

L'écriture est dense et riche en images, tout en restant très fluide et facile à lire. Très fortement
interpelée par toutes les questions que se pose l'héroïne, j'ai eu la sensation en lisant que l'auteur me
laissait libre, malgré la richesse du livre, de mener ma réflexion et mon questionnement personnel
en parallèle, au fil de la lecture. Une expérience intense, que je recommande vivement à tous les
lecteurs.

Je note au passage que l'édition de poche est étrangement en réimpression depuis que Lessing a
décroché le Nobel. Mais les éditions Albin Michel ont en revanche trouvé le temps de réimprimer
l'édition originale. Bon, je ne regrette pas mes 24 euros, mais je trouve quand même le procédé un
peu gros !

Voyons maintenant ce qu'en pensent les lecteurs.

Premier constat : on ne lit plus beaucoup Lessing, au moins parmi les bloggeurs... à moins que les
papiers de la presse ne noient leurs billets dans les résultats de requête.

Second constat : les avis sont mitigés. Sur Le Club des rats de biblio-net, les notes oscillent entre
3/5 et 5/5. Papillon ne lui décerne que 3,5, mais par contre je suis assez contente d'avoir découvert
son blog, car elle semble partager pas mal de mes goûts littéraires. Karine lui met 6,5... mais sur 10,
et a trouvé le livre long.

Certaines (plus de lectrices que de lecteurs selon toute apparence) trouvent la structure du livre
compliquée, et le magazine Jeune Afrique souligne d'ailleurs que la forme du roman (divisé en 5
parties, dont 4 carnets écrits par l'héroïne, qui s'entremêlent régulièrement dans le récit) était
également expérimentale et innovante. J'avoue que pour ma part, cela ne m'a pas du tout gênée :
c'est au contraire une manière de regarder les mêmes choses sous des angles différents, et pour le
lecteur une sorte de "jeu des correspondances" que j'ai trouvé assez jubilatoire.

Certaines trouvent le livre déprimant, ou fatiguant. Certes, il ne laisse pas le lecteur en repos. Mais
c'est le but, et moi, ça me remet en marche plutôt que de m'abattre. Une lectrice trouve les
réflexions d'Anna "démodées", voire "agaçantes". Je ne partage pas du tout cette vision, bien au
contraire. Le fond des questions reste tout à fait pertinent, et les jeunes femmes qui pensent que le
féminisme est un combat d'arrière-garde sont justement celles qui permettent à la société
contemporaine de détruire les quelques avancées obtenues par leurs mères ou leurs grand-mères
(Lessing pourrait être ma grand-mère, la fille d'Anna ma mère).

Finalement, j'ai préféré aller relire le papier du Monde "Un Nobel soigneusement pesé", ou
l'interview de l'auteur réalisée par Didier Jacob du Nouvel Obs à l'occasion de ce Nobel. Lessing
montre que même avec les années, elle est restée une "sacrée bonne femme". Personnellement, je
lui sais gré des voies qu'elle a ouvertes au travers de ses livres et de ses actions, et je pense que je
lirai d'autres romans d'elle... bien qu'il semble difficile de faire mieux que ce Carnet d'or, défini
comme son chef d'œuvre.
Ce roman n'est pas un roman au sens classique du terme, car pour
Doris Lessing, la littérature doit avoir une portée sociale : il ne s'agit pas seulement
de raconter une histoire, mais de transmettre une expérience. Ce roman a donc une
structure très particulière. D'u côté, Le carnet d'or raconte une histoire intitulée
"Femmes libres" qui met en scène deux amies, Anna et Molly, vivant à Londres dans les
années cinquante et qui ont des vies très semblables : toutes deux sont artistes,
communistes et élèvent seules un enfant, ce qui, à l'époque, en fait des marginales.
L'histoire commence comme une pièce de théâtre et montre les deux amies
préoccupées par Tommy, le fils de Molly, un adolescent sans désir et sans volonté qui
ne sait que faire de sa vie. Par ailleurs, l'auteur nous donne à lire les carnets d'Anna.
Car Anna, écrivaine, a renoncé à écrire des romans mais couche sa vie et ses
expériences dans quatre carnets, chacun étant réservé à une facette de sa
personnalité : l'écrivain, la communiste, la femme amoureuse, l'Anna intime.
J'ai eu beaucoup de mal à entrer dans l'histoire, ou plutôt dans les histoires, puisque
les anecdotes se succèdent, chacune avec son atmosphère particulière, et on se
demande sans cesse : "Où cela va-t-il nous mener ?". Et puis, sans vraiment m'en
rendre compte, je me suis laissée embarquer dans la vaste toile que tissent toutes les
vies d'Anna. Anna a une écriture très analytique : elle se regarde vivre et interroge
chacun de ses comportements. C'est parfois très fastidieux de la lire. On finit par
comprendre qu'Anna traverse une période de sa vie qui est cruciale, pleine de
bouleversements. Et ces bouleversements sont à l'image de la société dans laquelle
elle vit, où tous les repères changent, où le statut de la femme est en pleine mutation.
Anna est une mère célibataire, qui crée un rapport nouveau avec les hommes. Ce n'est
pas une situation facile. Elle aimerait se marier, "comme toutes les femmes", dit-elle.
Elle voudrait être aimée. Elle vit très mal d'avoir été abandonnée par son amant. Elle
pense qu'il est important d'être engagé dans la vie politique, d'avoir un regard
critique sur le monde, mais elle se rend compte que le communisme n'est plus la
solution. Elle a écrit un roman qui est devenu un best-seller et lui a rapporté beaucoup
d'argent, ce dont elle éprouve une telle culpabilité qu'elle ne peut plus écrire. Elle se
rend compte par l'intermédiaire de la réflexion qu'elle mène sur elle dans ses carnets
qu'elle a échoué dans tous les domaines de sa vie, ce qui cause chez elle une grave
dépression.
En fait, Anna traverse ce que les américains appellent la « middle-life crisis », cette
période de la vie, où il faut renoncer à pas mal de ses illusions de jeunesse. Anna finira
par s’en sortir, mais le lecteur en sort physiquement épuisé tant cette écriture
analytique est déroutante et semble tourner dans un cercle infernal. Est-ce qu’il faut
vraiment s’approcher si près de la folie pour devenir soi-même ? Je n’en suis pas
convaincue.

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