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Tartuffe

La pièce Tartuffe a été interdite deux fois par la cabale des Dévots, car le texte porte sur la vraie ou
fausse dévotion, ce qui est difficile à distinguer. En 1669, Molière avec une troisième version a la
permission de la jouer. En attendant, il joue d’autres pièces. Enfin, ce texte constitue la première
scène, la scène d’exposition qui a un caractère informatique mais pas seulement ; il faut accrocher le
spectateur en faisant preuve d’originalité. Nous verrons ainsi dans un premier temps, quelles sont les
informations qui sont données de façon vraisemblable ; par une grand-mère qui fait des remarques
sur des membres de sa famille en les nommant. Puis, nous verrons quels sont les procédés comiques
qui donnent à cette scène un caractère alerte et accrocheur.

Une didascalie indique le lieu où se déroule la scène, Paris. Cette indication très évasive donne tout
le loisir au metteur en scène de placer un dispositif scénique qui rende le lieu moins anonyme. Par
exemple, Planchon choisi un énorme tableau en fond qui représente la descente de croix.
Mme Pernelle indique au vers 17 qu’elle est la grand-mère et ainsi précise les relations familiales en
blâmant les siens. Son fils dont on ignore le nom dans la pièce est le maître de maison. Elmire est sa «
bru » ce qui traduit une dureté de la belle-mère envers sa « belle-fille ». Celle-ci est la seconde
femme d’Orgon, ce qui fait d’Elmire la belle mère de Damis et Marianne (vers 28). Elle est critiquée
par Mme Pernelle pour sa coquetterie. Dorine est une femme de chambre qui parle beaucoup ce qui
est surprenant. Elle est la suivante et est « forte en gueule » et « impertinente ». Son rôle est
exceptionnel ; elle défend Damis et Elmire en tenant tête à ses maîtres. Cléante est le beau frère du
maître de maison et passe pour un libertin (vers 93 à 102). Lorsque Mme Pernelle le complimente,
elle fait preuve d’ironie, Cléante lui raisonne et est pour le juste milieu.
Dans cette scène, à partir du vers 41, grâce à Damis nous avons un début de portrait de Tartuffe. Ce
personnage divise la famille en deux clans : ses seuls défenseurs sont Mme Pernelle, le maître de
maison et Laurent. Tartuffe lui n’apparaît qu’à l’acte III. Enfin, au vers 84, Dorine suggère que Tartuffe
est peut-être amoureux d’Elmire. Elle a déjà tout compris.

Dans cette seconde partie, nous allons étudier les différents procédés comiques rencontrés dans ce
texte. Tout d’abord, le comique de mots. Mme Pernelle empêche sa famille de parler. En effet, des
répliques brèves prononcées par les autres membres de la famille sont suivis d’une longue
succession de reproches de la part de Mme Pernelle. Elle emploie pour cela des insultes populaires.
Elle fait allusion, au vers 12, en s’adressant à Elmire, à la cour du roi Péto considérée comme la cour
des miracles où se trouvaient les pauvres de Paris. Puis, elle utilise une insulte très fréquente au
XVIIème siècle « gaupe » qui signifie « sale ». Aujourd’hui, celle-ci paraît désuète.
Pour ce qui est du comique visuel, la sortie de scène de Mme Pernelle suivie par toute sa famille
incite le public à rire. Tout comme le soufflet de Flipote jouée par une actrice ahurie ou encore Mme
Pernelle interprétée par un acteur boiteux.
Nous verrons ensuite le comique de situation. Mme Pernelle est seule face aux autres. Dans la mise
en scène de Planchon, cette situation est tragique, le metteur en scène cherche à nous faire réfléchir
et aucun rire n’est attendu. Enfin, le caractère des personnages constitue un enjeu comique. Dorine
est franche et dévouée. Mme Pernelle elle joue le personnage de la dévote, et est aveuglée au sujet
de Tartuffe. C’est le malin esprit qui responsable, c'est-à-dire le démon qui manipule le reste de la
famille contre Tartuffe.

Cette scène d’exposition est considérée comme parfaite. La dispute familiale présente toute
vraisemblance. Mme Pernelle est aveuglée par Tartuffe, c’est son fils qui tentera de la désaveugler.
Ce n’est qu’à l’acte III que Tartuffe apparaît. L’impatience des spectateurs est à son maximum, il est
rare que le personnage éponyme n’intervienne pas tout de suite.

Libertin : esprit libre penseur qui s’affranchit du ciel et de la pensée au profit de son plaisir.

Mais de soi Tartuffe est un libertin car selon la définition d' un libertin Tartuffe comble le portrait
d’une telle personne. Au dessus de tout mais pourtant la fois d’une telle faute. L araison se définit
dans l’ acte trois. Le tartuffe de Molière

Les personnages :

• Madame Pernelle : mère d'Orgon et favorable à Tartuffe qui est, d'après elle, un personnage
pieux et respectable. Dès la scène d'exposition, elle est immédiatement disqualifiée par Molière : elle
incarne l'aveuglement d'une génération dépassée. D'ailleurs, elle sera la dernière personne à
comprendre son erreur.

• Orgon : mari d'Elmire et fils de Madame Pernelle. C'est une personne naïve et entêtée.

• Elmire : femme d'Orgon. Contrairement à Orgon, elle est présentée comme un personnage
entièrement positif. Elle est caractérisée par deux termes : la discrétion et l'efficacité. En effet, sans
les interventions intempestives de Damis, la pièce aurait pu se terminer bien plus tôt. Elle est le
dernier recours pour démêler des situations familiales complexes (mariage entre Tartuffe et
Marianne).

• Damis : fils d'Orgon et frère de Marianne, il a reçu le caractère de son père (colérique) mais ses
actions demeurent inefficaces.

• Marianne : fille d'Orgon, sœur de Damis et amante de Valère. Elle est très timide et plutôt
passive.

• Valère : amant de Marianne.

• Cléante : beau-frère d'Orgon. Personnage calme, réfléchi et intelligent. C'est pourquoi il essaye
de raisonner Tartuffe à l'acte 4.

• Tartuffe : faux dévot. Hypocrite et pique assiette. il n'arrive pas avant la scène 2 de l'acte III et
sera absent pendant presque tout l'acte V.

• Dorine : servante de Marianne. Personnage plein de bon sens et de franc parler.

• Monsieur Loyal : sergent royal

• Un exempt : officier royal chargé des arrestations.


• Flipote : servante de Madame Pernelle.

Résumé :

Orgon est un personnage assez important tombé sous la coupe de Tartuffe, un hypocrite et faux
dévot. Il est le seul (avec sa mère, madame Pernelle) à en être dupe. Tartuffe réussit à le manipuler
en singeant la dévotion et a réussi à devenir son directeur de conscience. Cet aventurier se voit
proposer la fille de son bienfaiteur en mariage, en même temps qu’il tente de séduire Elmire,
beaucoup plus jeune que son mari. Démasqué grâce à un piège tendu par Elmire afin de convaincre
son mari de l'hypocrisie de Tartuffe, il veut ensuite chasser Orgon de chez lui grâce à une donation
inconsidérée que celui-ci lui a faite de ses biens. En se servant de papiers compromettants qu’Orgon
lui a remis, il va le dénoncer au Roi. Imprudence fatale : le Roi a conservé son affection envers celui
qui l’avait jadis bien servi. Il lui pardonne et c’est Tartuffe qui est arrêté.

Acte I

La scène d'exposition s'ouvre sur le départ mouvementé de madame Pernelle, mère d'Orgon qui
part, déçue et révoltée du train de vie que mènent ses petits enfants, sa belle fille et son beau-fils par
alliance. Ainsi l'acte s'ouvre sur le chaos installé par Tartuffe dans cette famille bourgeoise moyenne.
Orgon apparaît alors. Il raconte avec émotion à Cléante sa première rencontre avec Tartuffe.

Acte II

En effet Orgon veut briser son engagement envers Valère et marier sa fille Marianne à Tartuffe. Cette
nouvelle cause une dispute entre les deux amants, dispute vite réglée par Dorine la servante, qui
complote pour rétablir le calme dans la maison.

Acte III

Tentative de Tartuffe pour séduire Elmire. Damis entend la conversation entre les deux gens et en
informe son père. Par la suite, Damis est chassé par son père qui l'accuse de dénigrer Tartuffe. Orgon
veut faire de Tartuffe son héritier.

Acte IV
Tartuffe est "victime" de la stratégie d'Elmire. Orgon se rend compte de la véritable personnalité de
Tartuffe. Il s'en indigne et le chasse.

Acte V

Tartuffe réclame l'arrestation d'Orgon, comme traître au Roi (Orgon l'avait mis au courant pour une
cassette qu'un ami lui avait confié, cette cassette contenant des documents compromettants); afin de
récupérer ses biens. Coup de théâtre : l'exempt lui rétorque que c'est lui, Tartuffe qu'on va arrêter
sur le champ sur ordre du Roi. Tartuffe ne comprend pas. C'est que le Roi, en récompense des
services rendus par Orgon, lui pardonne cette correspondance et punit le délateur Tartuffe, coupable
d'un crime commis avant le temps de la pièce.

Ainsi la pièce se termine dans la joie, car, de ce fait et par autorité royale, le Prince annule les papiers
signés par Orgon et faisant acte de donation à Tartuffe et Orgon donne la main de Marianne à Valère,
"amant fidèle".

Les thèmes

Dans cette pièce de Molière, plusieurs thèmes sont traités. Le plus important est celui de l’hypocrisie
autour duquel rayonnent d'autres thèmes comme la religion et le mariage forcé.

L'hypocrisie

Parmi les thèmes abordés dans la pièce, l'hypocrisie en est le plus important. On peut classer Le
Tartuffe dans la lignée des autres pièces de Molière, L'Avare, Les Précieuses ridicules Le Bourgeois
gentilhomme, Le Misanthrope, destinées à dépeindre et ridiculiser un vice (comédie de caractère).
Molière précise dans son introduction que son objectif premier est de dépeindre « un méchant
homme ». Il précise en outre que « l'hypocrisie est dans l'Etat, un vice bien plus dangereux que tous
les autres ». Un hypocrite est une personne dont les actes ne correspondent pas à la pensée. Tartuffe
est un personnage qui ne révèle pas ses sentiments intérieurs. Molière va donc pendant deux actes
présenter Tartuffe au travers des descriptions qu'en font les autres personnages sans jamais le
montrer. Son objectif est clairement avoué : que le spectateur se fasse une opinion du personnage
avant que celui-ci n'apparaisse. Dès la première scène, le personnage est campé, décrit par Damis
comme un « cagot de critique », par Dorine comme « un gueux, qui quand il vint n'avait pas de
soulier » et qui se comporte en maître, un hypocrite et un jaloux, un goinfre et un bon vivant (scène
IV). Orgon le lui voit comme un humble, un doux, priant avec de grands soupirs, refusant l'aumône et
se chargeant de tous les péchés, un être vertueux combattant tous les vices. Sous cette humilité se
cache un ambitieux qui a pris le pouvoir dans la maison d'Orgon. Ainsi la double facette du
personnage est présentée et quand Tartuffe paraît, le spectateur connait déjà la duplicité de ce faux
dévot et se demande seulement comment « les honnêtes gens » vont réussir à mettre à jour sa
supercherie. Son attirance pour Elmire qu'il ne peut cacher semble être son point faible mais quand il
est accusé de ce fait, il abonde tant dans ce sens, se traitant lui-même plus bas que terre (méchant,
coupable, scélérat, chargé de souillure, de crimes et d'ordures, perfide, infâme, perdu, homicide)
qu'il coupe l'herbe sous les pieds de ses accusateurs et se pose en victime. Il faudra qu'Orgon lui
même soit témoin de la scène pour qu'il comprenne enfin le personnage capable de dire de la morale
« ce n'est pas pécher que pécher en silence » et d'Orgon « Je l'ai mis au point de tout voir sans rien
croire ».

La religion

Le XVIIe siècle est un siècle très pieux, d'où l'interdiction qui frappa la pièce pendant cinq ans car elle
constituait une atteinte à la religion et pouvait prêter à confusion entre les vrais et les faux dévots.
Pour combattre l'hypocrisie, Molière a choisi de présenter un faux dévot. Donc, bien que Molière
s'en défende, la religion semble être un thème important de la pièce. Le champ lexical emprunte de
nombreux termes à la religion : Dieu y est constamment invoqué, on parle de péché, d'enfer, de
tentation, de dévotion, de repentir, de pardon, de charité, de conscience et de bénédiction. Cléante,
dans la scène V de l'acte I attaque férocement cette religion de façade et les faux dévots d'autant
plus dangereux qu'ils utilisent comme armes pour régenter le monde des principes religieux que
leurs interlocuteurs respectent profondément. Il leur oppose les dévots de cœur, ceux dont les actes
sont humains et discrets, qui s'attaquent au péché et non pas au pécheur. Molière présente ainsi
deux pratiques religieuses, une condamnable et l'autre respectable. Pour avocat, il se sert de Cléante
personnage qui représente l'honnête homme à la religion aimable et modérée.

Le mariage forcé

Présent dans la pièce, il reste un thème secondaire, mais très discuté. En effet, les personnages dans
cette pièce ont des principes autres que dans la grande vie bourgeoise. Les personnages ont donc des
préoccupations simples et diverses tels l'argent, la santé mais aussi le mariage. D'où cette action
secondaire dans le Tartuffe. Molière à travers cette pièce nous rappelle que le mariage forcé est à
l'époque très courant et que le père a tous les droits sur sa fille.

Les réactions

La pièce présentée en mai 1664, en avant-première, devant le roi, est une pièce inachevée en 3
actes. Mais son contenu déjà soulève l’indignation du parti des dévots. La Compagnie du Saint-
Sacrement usa de son influence pour faire interdire la pièce, en faisant pression sur Louis XIV qui,
contrairement à eux, a aimé la pièce. Ils y voyaient une attaque en règle de la religion et des valeurs
qu’ils véhiculaient. En effet, derrière la critique de l’hypocrisie, thème principal de la pièce, se cache
aussi une attaque du rôle très influent de certains dévots directeurs de conscience, captateurs
d’héritage.

Après quelques représentations privées, Molière tente de jouer sa pièce sous le titre de Panulphe ou
l’Imposteur en août 1667. Mais après une seule représentation, la pièce est de nouveau interdite par
le responsable de la police avec l’argument « ce n’est pas au théâtre de prêcher l’Evangile ».
L’archevêque de Paris, Hardouin de Péréfixe de Beaumont, menace même d’excommunication toute
personne qui tenterait de représenter ou d’écouter la pièce, car il lui reproche d’être une critique
virulente de la religion.

Ce n’est que le 1er février 1669 que Molière reçoit du roi l’autorisation de jouer sa pièce qui reprend
alors son titre initial de Le Tartuffe. Louis XIV, en effet peut autoriser cette version, car, de 1664 à
1669, le climat politique, social et moral français a beaucoup évolué : mort d'Anne d'Autriche et
dissolution de son cercle d'intimes, dissolution, sur ordre de Louis XIV, de la Compagnie du Saint-
Sacrement et pour finir, signature de la "Paix de l'Église" : fin du débat qui opposait depuis longtemps
Louis XIV et le Pape.

Les intentions de Molière

En écrivant cette pièce, Molière s’attaque à un bastion très influent : les dévots. Parmi eux se
trouvent des hommes religieux corrects, sincères et innocents mais aussi des hommes sans aucune
morale d'esprit et qui profitent de ce rôle sans pitié. C’est cette seconde catégorie que Molière tente
de critiquer.

Mais il dépeint aussi une famille aisée de la grande bourgeoisie. Orgon, ayant établi sa position
financière, cherche une sorte de légitimité religieuse. Comme tous les grands bourgeois dépeints par
Molière, il fait preuve d’une certaine naïveté. Il pratique une sorte de dictature sur ses enfants. Le
thème du mariage forcé, si contraire aux principes de Molière, est présent dans la pièce.

La pièce est ancrée dans la réalité historique avec l’allusion à la Fronde, qui a déchiré la France une
quinzaine d’années auparavant. Le roi y apparaît plein de mansuétude et de sagesse.

Gravitent autour d’Orgon et de Tartuffe (qui n’apparaît que très tardivement, à la scène 2 de l'acte
III) les personnages chers à Molière : les enfants naïfs et impétueux (Damis, Marianne et Valère), les
personnages sages et raisonnables (Elmire et Cléante), la servante pleine de bon sens au franc parler
(Dorine), la vieille dame hors du temps et de la raison (Mme Pernelle).

Malgré tous ces ingrédients qui font de Tartuffe une comédie de facture assez classique, la pièce
reste révolutionnaire par sa mise en cause d’une religion qui deviendrait dictatoriale. Elle est, avec
Dom Juan, une des pièces qui a soulevé le plus de polémiques et d’oppositions.

Même si sa préface semble indiquer qu’il a installé une sorte de vision manichéenne, Molière laisse
peser l’ambiguïté sur l’hypocrite : il a tout fait pour « bien distinguer le personnage de l’hypocrite
d’avec celui du vrai dévot ». On peut supposer que Molière a été lui-même hypocrite sur cette
affirmation, parce qu’il voulait voir sa pièce jouée, mais Tartuffe n’est pas seulement un faux dévot
mais également un libertin. Il trouve avec le Ciel des « accommodements » et sait se servir de ce Ciel,
comme un fils qui aimerait son père mais saurait, en cas de besoin, se servir de lui. Malgré tout ce
qu’il a pu dire, Molière n’est pas tombé dans une vision manichéenne, et ces personnages du vrai et
du faux dévot se retrouvent tous deux dans Tartuffe. Ce personnage est le résultat d’une société qui
condamne amour et plaisirs, qui force les hommes à agir sous chape, et lorsque leur renommée en
dépend, ils sont prêts à mentir, à être hypocrites pour la conserver. Le monde dévot est à l’origine de
sa propre perversion, en condamnant le plaisir, ils se retrouvent avec des hypocrites, qu’ils soient
dévots ou non, le vice du siècle trouve une explication, Molière combat ce vice et donc les bigots qui
en sont à l’origine.

Commentaire critique

L’hypocrite au théâtre : Tartuffe, clé de voûte d’un système dramaturgique composite. D’un point de
vue dramaturgique, Tartuffe est une pièce composite qui réécrit des schèmes propres à la farce, à la
comédie à l’italienne, mais également à la tragédie. La pièce respecte la règle des trois unités :
l’action (que l’on peut résumer à la tentative de Tartuffe, faux dévot et imposteur, pour s’emparer
des biens d’Orgon, son bienfaiteur) se déroule dans un lieu unique : le salon d’Orgon où défilent les
personnages. Le temps est celui de l’urgence tragique : Orgon annonce à plusieurs reprises que le
mariage de Marianne et de Tartuffe se fera le soir même ; il est sur le point d’être contraint à fuir et
la famille manque de se retrouver à la rue. Comme dans la comédie à l’italienne, le personnel
dramatique est restreint à une famille noble et à ses alliés proches. Valère, l’amoureux, fait presque
partie de la famille, puisqu’Orgon lui a, avant l’ouverture de la pièce, donné sa parole qu’il épouserait
Marianne. Tartuffe est le seul personnage étranger à un ordre familial, qu’il vient perturber. C’est
autour de lui que s’organise l’action. C’est lui qui fait obstacle au mariage de Marianne et de Valère,
c’est lui qui trouble la quiétude et l’honneur d’Elmire, c’est encore lui qui déshérite Damis, vole les
biens d’Orgon et menace jusqu’à sa liberté.

Sur ce schéma de comédie à l’italienne qu’il affectionne particulièrement et que l’on retrouve dans
beaucoup de ses comédies (Les Fourberies de Scapin, L’Avare…), Molière greffe et réécrit un scénario
farcesque : le trio du mari, de la femme et de l’amant. Tartuffe convoite Elmire, la femme d’Orgon.
Mais Orgon est tellement fasciné par Tartuffe (une fascination presque amoureuse - il l’avoue lui-
même qui « verrait mourir frère, enfants, mère et femme / Qu’il ne s’en soucierait autant que de cela
» -), qu’il refuse de croire à la perfidie de celui-ci. Elmire est obligée de recourir au scénario du mari
caché pour qu’il accepte de voir et de croire. Encore qu’Orgon ne réagit que lorsque Tartuffe dévoile
sa pensée sur lui et c’est donc finalement l’amour propre et le dépit qui le pousse à sortir de sa
cachette plus que la jalousie ou le souci de protéger l’honneur de sa femme. D’ailleurs, le procédé du
personnage caché revient par trois fois : la première fois à l’acte II quand Orgon s’assure, dans son
entretien avec Marianne, que personne n’est caché. Ensuite à l’acte III, où Damis surprend la
déclaration de Tartuffe à Elmire. Il est ensuite réutilisé par Elmire à l’acte IV comme une ruse pour
confondre Tartuffe aux yeux d’Orgon. Il est également un quatrième personnage caché dont le rôle
est éminent : c’est le roi, qui occupe la place de spectateur et qui, témoin épris de justice, est seul
capable de déjouer la fourberie de Tartuffe. Nous y reviendrons. La ruse est le seul moyen de
démasquer un hypocrite, trahi par sa passion, mais également par son ambition. Sur ces éléments de
comédie et de farce, plane une tonalité tragique : la situation de Marianne l’est. Un père tyrannique
auquel elle n’ose s’opposer l’oblige à épouser un homme qu’elle n’aime pas. Ne pouvant désobéir,
elle dit n’avoir d’autre choix que de mourir ou de fuir dans un couvent. Et Tartuffe, qui apparaissait
d’abord comme un vulgaire profiteur, personnage « gros et gras », gourmand de la farce, dont le
corps et les désirs sont envahissants, se révèle être bien plus dangereux qu’il n’y paraît, qui est la
cause de l’accumulation des périls à partir de l’acte III. Pourtant Molière ne laisse pas le tragique
prendre le dessus. Dorine est toujours là, qui veille à ce que l’action prenne le pas sur la posture. Et le
roi, acteur-spectateur et destinataire final, ne souffre pas que l’imposture triomphe sous ses yeux : le
tragique n’aurait alors rien à imputer à une fatalité transcendante et n’aurait d’autre source que le
politique.

Tartuffe est une pièce composite, dont le personnage éponyme, clé de voûte du système
dramatique, est éminemment théâtral. Au XVIIe siècle, le personnage de l’hypocrite est à la mode.
Molière s’inspire de sources littéraires variées, telles L’Ipocrito de l’Aretin (qui comme Tartuffe
s’établit dans la maison d’un vieillard dont il devient le parasite et où il fait parade de dévotion), Les
Hypocrites de Scarron, Les Provinciales de Pascal. L’hypocrite est par définition un personnage
théâtral. En le mettant sur scène, Molière n’a qu’à forcer le trait d’un acteur né, tout en ostentation,
et à transposer sur scène le masque qu’il porte déjà dans le monde. Orgon raconte sa rencontre à
l’église avec un Tartuffe qui feint l’humilité. Plus tard, on voit apparaître sur scène un Tartuffe qui,
apercevant Dorine, ordonne à son valet de resserrer sa discipline (ostentation d’une mortification du
corps que les vrais dévots tenaient secrète). Tartuffe joue de ses airs et de ses discours. Mais son
attitude le démasque. Ainsi Dorine raconte comment, gros et gras, il mange comme six. On le voit se
traîner aux pieds d’Orgon pour qu’il pardonne à Damis, puis justifier de belles paroles la décision
d’Orgon de déshériter son propre fils. Le masque transparaît à la fois à travers ce que le
spectateur/lecteur apprend des faits et gestes de Tartuffe en dehors de la scène, et des
contradictions qui naissent sur scène entre son attitude et ses discours, qui maquillent
outrageusement un intérêt, bien éloigné de celui du dévot qu’il prétend être. Ce qui le trahit, c’est sa
passion de la chair, carnée et féminine, et une ambition politique maquillée sous une fausse
dévotion. L’hypocrite est un acteur. Le génie de Molière est de l’avoir fait démasquer dans un
scénario théâtral. Ni la colère de Damis ni les maximes de Cléante n’ont eu raison du personnage,
trop aux prises avec son intérêt et qui maîtrise les rouages de la rhétorique. L’intelligence d’Elmire et
de Dorine, c’est d’avoir compris qu’il fallait pousser le personnage à bout, titiller ses faiblesses pour
que son jeu devienne flagrant, et qu’il soit obligé de dire une vérité (sa véritable opinion sur Orgon, la
manière dont il convient de s’accommoder de principes rigoristes hostiles au plaisir). A force
d’hypocrisie, sa parole finit par dire le vrai, et n’être plus - et il est à deux doigts de parler clairement
- que forme vide où se lit son être. Le dupeur est dupé, parce qu’il ne réussit pas à habiller une laide
passion d’un costume verbal suffisamment grand pour la recouvrir complètement.

Une pièce à scandale Aisée à mettre en scène, si l’hypocrisie est un thème littéraire à la mode, c’est
aussi parce que la théologie en débat, et surtout parce que les dévots prennent, en ce début du
règne personnel de Louis XIV, une importance croissante. L’hypocrisie des hommes d’Eglise est
souvent dénoncée. Depuis longtemps entraient en religion les cadets de famille, non par vocation,
mais par intérêt. L’Eglise était riche et le sort de ses membres moins désagréable que beaucoup
d’autres. Quelle place occupe l’hypocrisie dans la théologie du XVIIe siècle ? Son statut hybride en
fait un « péché réservé » qui peut devenir mortel si l’acte qu’elle accompagne l’est. Pour le
Dictionnaire de théologie catholique, rédigé entre 1930-1950, « l’hypocrisie est un vice méprisable,
mais moins odieux que de braver ouvertement les coutumes les plus saintes et de vilipender la
religion en bravant ouvertement ses lois sous prétexte de franchise et de sincérité. » L’hypocrisie est
somme toute reconnue comme nécessaire à la conservation de la religion et de ses lois. Si critiquer
l’hypocrisie entraîne la remise en question de ce dont elle permet le maintien, mieux vaut l’accepter
comme un mal nécessaire.

Cette conception tardive reflète assez bien l’état d’esprit où elle était tenue au XVIIe siècle. Mais
même pour des auteurs et des hommes d’Eglise qui, tel Bossuet, en reconnaissent la gravité, il ne
revient pas aux comédiens, ni même aux hommes, de la juger. Seul Dieu, qui sonde les cœurs et les
reins, est à même de démêler le vrai du faux, le mensonge de l’authenticité. L’audace de Molière est
donc triple : il fait de la religion le sujet de sa pièce, alors que la comédie est sujette à caution et que,
sur scène, il est interdit de représenter les choses sacrées ; il s’attaque en laïc au problème de
l’hypocrisie, et en fait dans Tartuffe le domaine réservé de l’Eglise, ce qui ne manque pas d’être
simpliste.

Lors de la première représentation de Tartuffe, le 12 mai 1664, le personnage éponyme est habillé en
dévot, postulant aux bénéfices ecclésiastiques, qui a reçu la tonsure et les ordres mineurs et renoncé
aux élégances du monde. Molière est allé trop loin et les versions suivantes de la pièce font du
personnage de Panulphe en 1667 et de Tartuffe en 1669 un élégant, qui se dit gentilhomme et porte
l’épée. Le texte définitif de 1669 adoucit les propos de Tartuffe, qui n’apparaît plus comme homme
d’Eglise, mais comme homme du monde, faisant profession de directeur de conscience. Molière se
sert du personnage pour faire le portrait d’une Eglise prise entre jansénisme et jésuitisme. Le
jansénisme est la doctrine initiée par Jansenius, qui défend les idées de grâce et de prédestination.
Ses partisans respectent une morale stricte et austère. Les Jésuites, membres de la compagnie de
Jésus fondée en 1534 par Ignace de Loyola, sont traditionnellement les confesseurs du roi et des
grands, et pratiquent une religion moins austère. Tartuffe emprunte en effet ses attitudes dévotes
aux deux mouvements. Mais les pervertit par l’ostentation de gestes qu’une vraie dévotion
réserverait à l’intimité de la prière. Tartuffe se mortifie, et entend faire régner une morale hostile aux
plaisirs et aux divertissements qui éloigne l’esprit de Dieu. On reconnaît là une morale toute
janséniste, dont s’inspire la confrérie du Saint-Sacrement. Mais il prône également une morale toute
jésuite, qui propose une doctrine plus conciliante aux plaisirs de ce monde. Il suffit de manier
habilement la direction d’intention et la restriction mentale, pour que vice passe pour vertu. La
première consiste à attribuer un acte condamnable à une intention louable, à « rectifier le mal de
l’action / Avec la pureté de notre intention »6. Tartuffe s’en sert pour tenter de faire plier Elmire à
ses désirs, qui lui oppose le scrupule du péché. La seconde permet de jurer que l’on n’a pas dit ou fait
quelque chose, alors qu’on l’a dite ou faite, mais dans une autre circonstance : autre forme de
laxisme pratiqué par Tartuffe avec Orgon, pour le convaincre de lui remettre la cassette d’Argas. Dans
les deux cas, les procédés sont utilisés par Tartuffe non pas tant pour alléger des consciences
endolories par la mauvaise conscience, mais pour s’assurer de son pouvoir sur l’âme de ceux
auxquels seul son intérêt s’adresse. Là réside toute son habilité et l’audace de Molière : à ne
considérer que le seul personnage de Tartuffe, il ne serait de dévotion dans l’Eglise que maquillage
d’une volonté de puissance qui ne reculerait devant aucun cynisme. Molière frappe fort, et force le
trait. Ce qui n’est pas pour plaire aux dévots, à ceux qui, sincèrement, s’engagent à réformer mœurs
et esprit du temps dominés par la frivolité. La finalité politique d’une pièce au service du roi
Pourtant, le roi et la Cour prennent soin de faire passer la condamnation aussi doucement que
possible, comme si la décision avait été prise à contrecœur.

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