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Marivaux, Les Fausses Confidences (1737)

Cours d’introduction

I – Etudier un texte théâtral

A – Les enjeux du texte de théâtre

Un texte de théâtre n’est pas destiné à être lu. Molière, par exemple, n’aimait pas faire publier ses pièces.
Il écrit ainsi, dans la préface de L’Amour médecin (1665) : « Tout le monde sait que les comédies sont faites pour
être jouées, et je ne conseille de lire celle-ci qu’aux personnes qui ont des yeux pour découvrir dans la lecture tout
le jeu du théâtre ».
On attend donc de vous, face à un texte théâtral, que vous fassiez un effort supplémentaire : celui
d’envisager la façon dont ce texte peut être représenté sur scène. Le texte théâtral étant une forme
particulièrement ouverte à l’interprétation (parce qu’elle est mise à disposition du metteur en scène et des acteurs),
il peut même s’agir d’envisager différentes mises en scène possibles du texte – en se plaçant du point de vue du
spectateur, et non du lecteur.

Il n’y a normalement pas de récit au théâtre, pas d’histoire : le théâtre est un genre fondé sur le discours et
sur la représentation physique des événements. C’est par les échanges verbaux entre les personnages et par les
actions réalisées sur scène que l’intrigue se déroule sous les yeux des spectateurs.
Il peut cependant arriver qu’un personnage se mette à raconter une histoire, en particulier dans le théâtre
classique, où certaines actions violentes ou obscènes sont simplement racontées, et non représentées, pour éviter
de choquer les spectateurs (selon le principe de la bienséance). Dans ce cas, il faut se poser la question de la
théâtralité de ces récits – qui sont très difficiles à jouer pour les acteurs, car ils les forcent à demeurer immobiles
et menacent de les rendre ennuyeux. Cherchez notamment les indices de l’hypotypose : comment le dramaturge
joue-t-il sur les effets visuels (figures d’analogie…), les effets sonores, le rythme, les temps verbaux (le présent en
particulier), ou encore le discours rapporté, pour que le spectacle ait lieu malgré tout, non pas sur scène, mais
plutôt dans la tête du spectateur ?
Dans le théâtre contemporain, certains auteurs introduisent un personnage de narrateur (ou une voix off) :
il faut l’interpréter comme un signe de modernité.

B – Le vocabulaire théâtral

Le dramaturge est l’auteur d’une pièce de théâtre.


La dramaturgie est la composition de la pièce de théâtre par le dramaturge (la façon dont il a organisé
l’intrigue). Ce mot peut également désigner la conception de la représentation par le metteur en scène.
Dramatique est un adjectif synonyme de « théâtral » (est « dramatique » ce qui concerne le théâtre), à ne
pas confondre avec « tragique ».
L’intrigue renvoie à la situation dans laquelle se trouvent les personnages, et aux actions qu’ils mettent en
place pour faire évoluer cette situation. Elle se déroule traditionnellement en trois temps : l’exposition
(présentation des personnages et du contexte), le nœud de l’intrigue (moment où la situation est la plus complexe,
où la résolution paraît impossible), le dénouement (moment où une solution est trouvée, soit heureuse, soit
malheureuse).
La création d’une pièce de théâtre est sa première représentation en public. La date que l’on associe au
titre d’une pièce est celle de sa création : il faut écrire « Phèdre de Racine, créée en 1677 » (et non « publiée »).

La pièce est l’œuvre théâtrale considérée dans son entier.


Un acte est une grande partie d’une pièce de théâtre, correspondant à une grande étape de l’intrigue. On
les trouve généralement en nombre impair : la tragédie étant le genre le plus noble, elle est toujours en cinq actes ;
les comédies en cinq actes sont les « grandes comédies », les comédies en un seul acte ou en trois actes sont les
« petites comédies ». A l’origine, la répartition de l’intrigue en actes est liée à des contraintes matérielles : les
théâtres étant, dans la période classique, éclairés à la chandelle, il fallait régulièrement remplacer les bougies. Les
auteurs s’arrangeaient ainsi pour que la longueur des actes correspondent au temps nécessaire pour qu’une
chandelle achève de se consumer. Dans le théâtre contemporain, ce découpage en actes tend à disparaître.
Une scène est une partie d’un acte. On change de scène dès lors qu’un personnage entre dans l’espace
scénique, ou quand un personnage sort. Attention à la rédaction : plutôt que d’écrire « dans l’acte II, scène 4 »,
écrivez « dans la quatrième scène du deuxième acte ».
La distribution est la liste des personnages de la pièce. Dans le travail de mise en scène, ce terme renvoie
à la répartition des rôles parmi les comédiens.
Les protagonistes sont les personnages principaux de la pièce.

Une didascalie est une indication laissée par l’auteur à destination des acteurs et du metteur en scène. Elle
est généralement ajoutée au texte en italique (parfois entre parenthèses), et n’est pas destinée à être prononcée.
Avant le XVIIIe siècle, les didascalies sont rares. Elles peuvent être analysées, mais ne se prêtent pas vraiment à
une étude de style.

Un dialogue est un échange verbal entre deux personnages, ou plus.


Une réplique est une intervention d’un personnage au sein d’un dialogue.
Une tirade est une longue réplique (à ne pas confondre avec le monologue).
Un monologue est un discours tenu par un personnage lorsqu’il est seul en scène.
Un aparté est une pensée que le personnage formule sans être entendu de ses interlocuteurs.
Les stichomythies sont un échange très vif entre différents personnages. Les répliques sont brèves, les
personnages se répondant du tac au tac, généralement en reprenant les mots que leur interlocuteur vient
d’employer.
Un quiproquo est un malentendu entre différents personnages : ils croient parler de la même chose, mais
parlent de deux choses différentes (quid pro quo en latin = « quoi pour quoi »).

Un propos métathéâtral est un propos qui peut être interprété comme un commentaire de l’écriture ou de
la pratique du théâtre. Par exemple, dans Le Roi se meurt de Ionesco (1962), la reine Marguerite, voyant le roi
s’agiter pour démontrer qu’il n’est pas mourant, s’exclame « Quelle comédie ! », soulignant le caractère comique
de cette réaction, face à un événement pourtant annoncé comme une tragédie (« tu vas mourir à la fin du
spectacle »).
Le quatrième mur est la frontière imaginaire qui sépare la scène de la salle : les spectateurs observent les
personnages comme à travers un mur transparent – ces personnages ignorant qu’ils sont observés. Lorsqu’un
personnage semble soudain prendre conscience qu’il est observé ou qu’il vient s’adresser directement au public,
on dit qu’il « brise le quatrième mur ». Dans la septième scène du quatrième acte de L’Avare de Molière, par
exemple, Harpagon paraît brièvement se rendre compte qu’il est un personnage de comédie : « Que de gens
assemblés ! Je ne jette mes regards sur personne qui ne me donne des soupçons, et tout me semble mon voleur.
Hé ! de quoi est-ce qu’on parle là ? de celui qui m’a dérobé ? […] De grâce, si l’on sait des nouvelles de mon voleur,
je supplie que l’on m’en dise. N’est-il point caché parmi vous ? Ils me regardent tous, et se mettent à rire. Vous
verrez qu’ils ont part, sans doute, au vol que l’on m’a fait. »
Un coup de théâtre est un événement inattendu (ou une révélation) qui surprend le spectateur et entraîne
un changement de situation brutal.
Un deus ex machina (en latin « dieu sorti de la machine ») est l’intervention finale d’une divinité (ou plus
largement d’une figure d’autorité) qui apporte la solution à l’intrigue.
Une mise en abyme est un procédé qui consiste à inclure, dans un élément, un élément de même nature
(par exemple un tableau dans un tableau). Il y a donc mise en abyme au théâtre lorsque les personnages se mettent
eux-mêmes à jouer une pièce de théâtre, ou à agir comme des comédiens (ex : dans Le Songe d’une nuit d’été de
Shakespeare, des artisans montent la Tragédie de Pyrame et de Thisbé pour le mariage du duc Thésée).

Côté cour et côté jardin sont des termes permettant de s’orienter sur les côtés lorsque l’on est sur scène.
Ces termes facilitent le travail du metteur en scène : lorsqu’il est face à ses comédiens qui répètent sur scène, il
risque d’entraîner des confusions s’il leur demande de se déplacer vers la droite ou vers la gauche (sa droite étant
la gauche du comédien). Le côté cour est à la gauche de l’acteur (« côté cœur ») lorsqu’il se trouve face au public,
et le côté jardin à sa droite.
La face est l’avant de la scène. Si une partie de la scène avance vers la salle, on la désigne par l’expression
avant-scène (ou proscenium). Le bord de la scène (où se trouvaient autrefois les chandelles) est appelé la rampe :
« passer la rampe », c’est, pour le comédien, se donner les moyens de transmettre ses émotions aux spectateurs.
Le lointain est le fond de la scène. Dans les théâtres de l’époque classique, on y faisait coulisser des toiles
peintes qui donnaient une illusion de perspective.
Les coulisses sont les espaces où l’on faisait autrefois coulisser les toiles peintes qui constituaient le décor,
et où les comédiens se tiennent prêts à entrer en scène.
Le costume est l’habit porté par le comédien lorsqu’il interprète un rôle. A ne pas confondre avec le
déguisement : un personnage peut être déguisé, s’il utilise un vêtement pour cacher son identité (par exemple un
personnage féminin qui se travestit en homme, un paysan qui se fait passer pour un noble…) – mais en aucun cas,
on ne parle de « déguisement » pour évoquer la tenue de scène d’un acteur.
C – Les principaux genres théâtraux et leur histoire

Rappel :
- Le genre d’une œuvre, c’est la catégorie à laquelle elle appartient : genres narratifs (romans, nouvelles,
contes…), poésie, théâtre (tragédie, comédie, tragicomédie, drame…), genres argumentatifs (essai, satire,
pamphlet, fable…).
- Un registre, c’est une tonalité qui est à l’origine liée à un genre : le registre satirique vient de la satire, le
registre épique vient de l’épopée, le registre tragique vient de la tragédie… Cependant, les registres peuvent
se déplacer : on peut trouver du registre épique dans une comédie, du tragique dans un roman…

Dans le théâtre antique, on voit naître deux genres principaux : la comédie et la tragédie. Assez
tardivement, le philosophe grec Aristote (IVe s. avant JC), dans une œuvre intitulée la Poétique, fixe un cadre pour
distinguer ces deux genres :

Genre Intrigue Personnages Style Effets recherchés


Tragédie Issue malheureuse Personnages de sang royal Elevé (langage soutenu) Terreur et pitié
Comédie Issue heureuse Personnages populaires Bas (langage familier) Rire

A la fin de l’Antiquité, le théâtre disparaît pendant une longue période. Il ne réapparaît que dans les
derniers siècles du Moyen Âge (vers l’an 1000), à l’initiative de l’Eglise catholique, sous des formes religieuses
d’abord (le drame liturgique, le miracle, les mystère), puis sous des formes plus populaires (la farce notamment,
qui apparaît au XIIIe siècle, et que Molière pratique encore au XVIIe siècle).

A la Renaissance (XVe siècle en Italie, XVIe siècle en France), le théâtre antique est redécouvert et imité.
La Poétique d’Aristote est abondamment commentée, notamment par les Italiens. Les auteurs produisent des
comédies et des tragédies (souvent très sanglantes), mais aussi des œuvres d’un genre intermédiaire : les
tragicomédies (les personnages semblent progresser vers une issue malheureuse, mais une solution heureuse est
finalement trouvée). Ce genre, très populaire jusqu’au premier tiers du XVIIe siècle, est considéré comme passé
de mode après la querelle du Cid en 1636 (dispute qui a lieu à l’Académie française après la création du Cid de
Corneille) : les auteurs qui continuent d’écrire des tragicomédies sont traités avec mépris par les savants.

Sous le règne de Louis XIV (seconde moitié du XVIIe siècle), des règles strictes, inspirées de la Poétique
d’Aristote, s’imposent dans la dramaturgie. Aristote avait pour projet de fixer des règles non seulement pour la
tragédie, mais aussi pour la comédie – or, soit la partie consacrée à la comédie n’a jamais été écrite, soit elle a
disparu. Par conséquent, les auteurs classiques appliquent par défaut les mêmes règles aux deux genres.

Selon Aristote, la tragédie doit provoquer la catharsis – ce que les commentateurs du XVIe et du XVIIe
siècle traduisent par l’expression « purgation des passions » : en venant assister à une tragédie, le spectateur vient
se guérir des passions destructrices qui l’animent (« passion » venant du verbe latin patior, qui signifie « souffrir »).
Les deux sentiments qui conduisent à la catharsis sont la terreur et la pitié : en assistant au châtiment divin
que subissent les héros tragiques, les spectateurs sont saisis de terreur, mais ils sont aussi travaillés par la pitié, non
seulement pour les victimes des crimes qui sont commis, mais aussi pour les criminels eux-mêmes, qui ne sont
que des jouets entre les mains des dieux.
Afin que les spectateurs éprouvent ces sentiments, il faut qu’ils croient à l’action représentée : la règle
fondamentale est donc celle de la vraisemblance. Le spectateur ne doit pas douter que les événements qui se
déroulent sous ses yeux puissent avoir lieu dans la réalité. Les actions doivent ainsi être liées par un rapport
logique. Pour les classiques, cela peut impliquer de modifier des événements historiques, car l’enchaînement des
faits dans la réalité semble parfois invraisemblable.
Pour que l’action soit vraisemblable, les dramaturges classiques appliquent la règle des trois unités :
- L’unité de temps : le spectacle durant généralement entre une et deux heures, l’illusion théâtrale ne peut
fonctionner, aux yeux des classiques, si l’action représentée se déroule sur une période excessivement
longue (par exemple si l’intrigue s’étend sur tout le règne d’un roi). Le dramaturge doit donc faire coïncider
au maximum le temps de la représentation et le temps de l’intrigue : la limite à ne pas dépasser est celle
d’une journée (entre le lever et le coucher du soleil).
- L’unité de lieu : le spectateur ne quittant pas son siège, il ne semble pas logique, pour les classiques, que
le décor change. Cela implique, pour le dramaturge, de choisir un lieu de passage, où tous les personnages
sont susceptibles de se croiser.
- L’unité d’action (ou d’intrigue) : afin de faciliter la compréhension du spectateur, tous les personnages
doivent être concernés par la même intrigue.
A ces règles s’ajoute la règle de bienséance : il faut éviter de mettre le spectateur en état de choc (ce qui
serait aller au-delà de la terreur). Par conséquent, cette règle interdit de représenter des actions obscènes ou
violentes sur scène, ou encore la mort des personnages. Si de telles actions sont nécessaires à l’intrigue, elles
doivent avoir lieu hors scène, et n’être que racontées.

Ces règles entrent cependant en concurrence avec un autre principe, plus important, que les auteurs
classiques ont tiré de l’Art poétique d’Horace (poète latin du Ier siècle avant JC) : la littérature doit plaire (placere)
et instruire (docere). Par conséquent, il est possible d’enfreindre les règles aristotéliciennes si cette infraction plaît
aux spectateurs – en particulier les spectateurs dont le bon goût est universellement reconnu (le roi, les maîtresses
des salons…). C’est ainsi que, dans Phèdre de Racine (1677), l’héroïne, après avoir avalé une gorgée de poison,
vient avouer son amour incestueux pour Hippolyte et mourir sur scène, aux pieds de son mari, Thésée : dans la
préface de sa pièce, l’auteur justifie cette infraction à la règle de bienséance par les larmes versées par ses
spectatrices.
Racine fait subir quelques déplacements à la doctrine classique : dans certaines de ses pièces – en particulier
dans ses tragédies historiques (Bérénice, Britannicus…), la fatalité ne semble plus s’exercer, du moins pas au sens
strict du terme. Plutôt que d’être les victimes de la volonté des dieux, les héros romains de Racine sont soumis à
des contraintes psychologiques : c’est en eux que se situe l’obstacle qui les empêche de progresser vers une fin
heureuse. La terreur et la pitié ne sont plus systématiquement recherchées : dans la préface de Bérénice (1670),
Racine affirme que c’est une forme de « tristesse majestueuse » qui fait « tout le plaisir de la tragédie ».

En ce qui concerne la comédie, comme il s’agit d’un genre mineur, le public savant y est moins attaché au
respect des règles. La règle de bienséance s’y applique moins étroitement : les coups de bâton sont par exemple un
ressort comique traditionnel, dont Molière ne se prive pas dans ses comédies (voir Le Médecin malgré lui ou Les
Fourberies de Scapin). On y applique par défaut la règle de vraisemblance et la règle des trois unités. On trouve chez
Molière un équivalent de la catharsis : sa devise était « Castigat ridendo mores » ([la comédie] châtie les mœurs par
le rire), ce qui signifie qu’en riant au spectacle ridicule des défauts humains, le spectateur apprend à corriger son
propre comportement.
Molière fait évoluer la pratique théâtrale vers un jeu moins déclamé, plus naturel (ce qui le fâche avec
Racine, qui ne veut plus voir ses pièces représentées par sa troupe). Il s’éloigne légèrement des modèles antiques
pour proposer des intrigues ancrées dans son siècle, dans lesquelles tous les rangs sociaux sont susceptibles d’être
représentés (y compris la noblesse, qui n’a traditionnellement sa place que dans la tragédie).

Au siècle des Lumières (XVIIIe siècle), la comédie, plus souple, trouve les moyens de se renouveler, avec
des auteurs tels que Beaumarchais ou Marivaux. La tragédie, elle, est en crise, les dramaturges étant condamnés,
sans vraiment s’en rendre compte, à imiter le modèle écrasant des tragédies de Racine. Voltaire, par exemple,
croyait atteindre la gloire éternelle par son œuvre tragique (qui connaissait un grand succès), or, son théâtre n’est
plus joué aujourd’hui.
Certains dramaturges du XVIIIe siècle prennent conscience de cette difficulté : c’est le cas notamment de
Diderot, qui invente un genre mixte, le drame bourgeois. Comme son nom l’indique, ce type de pièce, quoique
sérieux, ne représente plus des nobles, mais des personnages issus du peuple. Les intrigues des drames bourgeois
se déroulent de préférence dans l’espace domestique, sans respect ni de l’unité de temps, ni de l’unité de lieu. On
n’y recherche plus la vraisemblance mais le vrai et le naturel. La terreur et la pitié sont abandonnées au profit de
l’empathie (manifestée par les larmes) et de l’instruction morale du public. Cette innovation ne résout cependant
pas tout à fait la crise : le genre du drame bourgeois a été jugé assez informe et ennuyeux.

Au XIXe siècle, les Romantiques poursuivent la réflexion menée par Diderot, en inventant le drame
romantique, inspiré notamment du théâtre de Shakespeare (dramaturge anglais du XVIe siècle). Ce genre mêle
deux esthétiques contradictoires : le grotesque et le sublime. Les règles du théâtre classiques sont définitivement
abandonnées. Les principes du drame romantique sont précisés par Victor Hugo dans la préface de Cromwell
(1827). La création d’Hernani de Victor Hugo en 1830 donne lieu à de violents affrontements à la Comédie
française, entre les partisans du classicisme et la jeunesse romantique (= la Bataille d’Hernani).

Dans la suite de l’Histoire littéraire, si l’on peut distinguer quelques mouvements, comme le théâtre
symboliste (XIXe siècle) ou le théâtre de l’absurde (XXe siècle), les pratiques dramaturgiques se diversifient, et il
devient difficile d’associer la plupart des auteurs à un courant précis. Il en va de même pour les genres : les auteurs
jouent plutôt sur les registres pour innover, mêlant le comique et le tragique, et exploitant des tonalités empruntées
à d’autres genres.
D – Les ressources du comique (Bergson)

On doit au philosophe Henri Bergson l’élaboration de concepts très utiles pour l’analyse du théâtre
comique. Dans son ouvrage intitulé Le Rire (1900), il commence par s’interroger ce qui peut déclencher le rire
lorsqu’on voit quelqu’un tomber dans la rue : selon lui, cette réaction s’explique par l’aspect mécanique de ce
mouvement accidentel (la personne était sur sa lancée, marchant d’un pas régulier, léger, jusqu’à ce que son corps
s’effondre, devenant brutalement inerte et lourd). Le rire implique donc qu’on ne voie plus, dans l’homme qui
tombe, une personne, mais un simplement la « machine » d’un corps qui déraille. Il repose sur la suspension de
notre sens moral : sitôt qu’on se rend compte que la personne s’est fait mal, ou qu’elle souffre du sentiment d’être
humiliée, le rire disparaît. Bergson définit ainsi le comique comme « du mécanique plaqué sur du vivant ».

Il distingue différentes ressources du comique :


- Le comique de mots : lié au comique de répétition, aux jeux sur le sens propre et le sens figuré, aux
calembours, aux contrepèteries, aux grossièretés, aux exagérations, à l’ironie, aux fautes de français, aux
accents…
- Le comique de gestes : les coups, les chutes, les gestes répétitifs…
- Le comique de caractère : lié à la personnalité des personnages.
- Le comique de situation : les quiproquos, les dissimulations, les inversions (ex : les travestissements),
diverses formes de tensions entre les personnages… Bergson distingue notamment différentes figures du
jeu, des mécaniques très anciennes du comique, dont :
o La mécanique du diable à ressort (qui renvoie à un jeu constituant à renfermer le diable dans sa
boîte, à refermer le couvercle avant que le ressort sur lequel il est fixé ne le fasse ressortir) : deux
obstinations se confrontent, de façon répétitive (ce qui entraîne une mécanisation).
o La mécanique du pantin à ficelles : un être humain est mené par le bout du nez, sans qu’il en ait
conscience (image utile pour commenter Les Fausses Confidences de Marivaux…).

II – Du théâtre classique au théâtre du temps des Lumières

A – Les institutions théâtrales au XVIIIe siècle

Lorsque Molière meurt en 1673, Louis XIV décide de réunir les troupes théâtrales qui étaient en
concurrence à Paris : c’est ainsi que naît la Comédie-Française, à partir de la troupe de Molière. Cette nouvelle
troupe jouit d’un privilège royal : elle est la seule à pouvoir jouer des pièces en français à Paris. Elle est chargée
d’entretenir le patrimoine dramatique français, mais accueille aussi de nouvelles productions. Tous les genres y
sont représentés.
Les seuls concurrents de la Comédie-Française dans la capitale sont ainsi les comédiens du Théâtre-
Italien. Les Italiens poursuivent la tradition de la commedia dell’arte : à l’origine, un théâtre d’improvisation,
inventé au XVIe siècle, qui implique des personnages stéréotypés tels qu’Arlequin, Polichinelle, Scaramouche ou
Colombine. Ils ne représentent que des pièces comiques, en italien, avec un petit répertoire. Chassés par
Louis XIV en 1697, ils sont rétablis dans la capitale par Philippe d’Orléans, le régent de Louis XV, en 1716, et
connaissent un grand succès.
On trouve également, hors les murs, le Théâtre de la Foire, qui pratique un comique plus grossier.

Au XVIIIe siècle, les comédiens administrent les théâtres, et se partagent les recettes après avoir acheté les
pièces aux auteurs. Marivaux est l’un des seuls à écrire à la fois pour la Comédie-Française (un tiers de ses pièces)
et pour la troupe des Italiens (les deux tiers restants).
Les Fausses Confidences sont créées par les Comédiens italiens à l’Hôtel de Bourgogne le 16 mars 1637
(sous le titre de La Fausse Confidence), mais ne rencontrent pas un grand succès. Marivaux meurt en 1763 : cette
pièce est reprise trente ans plus tard à la Comédie-Française, où elle est enfin bien accueillie par le public.

Le théâtre est un espace très mixte socialement : le public populaire est debout au niveau du parterre, les
spectateurs plus aisés prennent place dans les loges, et (sauf à Versailles) les spectateurs importants sont installés
sur des chaises, directement sur scène – ils sont plus tard chassés par Beaumarchais, qui établit une distinction
claire entre la scène et la salle. Les représentations sont bruyantes : on vient au théâtre pour se montrer, pour
converser, et le public n’hésite pas à commenter la pièce à haute voix. La difficulté pour le dramaturge est donc
d’attirer l’attention sur le spectacle et de plaire à tout le monde.
La scène est encore éclairée à la bougie (les lampes à huile ne font leur apparition qu’à la fin du siècle,
permettant l’utilisation du noir et les premiers jeux de lumières). Il n’y a pas encore de metteur en scène (jusqu’au
XXe siècle) : les comédiens eux-mêmes assurent ce travail.
A la Comédie-Française, deux pièces sont jouées dans la même soirée : une petite pièce (une comédie) et
une grande pièce (une tragédie).

B – La Querelle des Anciens et des Modernes

La redécouverte des trésors culturels de l’Antiquité gréco-romaine, à la Renaissance, a entraîné le rejet de


la culture médiévale, et la pratique systématique de l’imitation. Considérant que les Anciens (les artistes et auteurs
de l’Antiquité) avaient atteint la perfection dans tous les domaines, les hommes de la Renaissance estiment que le
seul moyen de bien faire est de reproduire les œuvres parfaites du passé. Dans sa Défense et illustration de la langue
française (1549), Du Bellay, poète du groupe de la Pléiade, invite ainsi les auteurs de son époque à « [piller] sans
conscience les trésors sacrés » du monde antique.
Cette culture de l’imitation se poursuit au XVIIe siècle. La Fontaine imite par exemple le fabuliste grec
Esope et Phèdre, fabuliste romain, dans ses Fables. Racine reprend les œuvres des tragédiens grecs, s’inspire des
historiens romains, ou reprend des épisodes de la Bible dans ses tragédies. Boileau imite le poète latin Horace dans
ses Satires et son Art poétique. La Bruyère imite les Caractères du grec Théophraste. Molière emprunte certaines
scènes de ses comédies aux comiques latins, Plaute (IIIe-IIe s. avant JC) et Térence (IIe s. avant JC).
En 1671, Charles Perrault (auteur de Cendrillon, du Petit Poucet, du Petit Chaperon rouge, de La Belle au bois
dormant…) est élu à l’Académie française : une institution fondée par Richelieu, et qui a pour but de règlementer
la langue française (produire un dictionnaire pour faire le tri parmi les mots et déterminer leur orthographe, fixer
les règles de grammaire…) et de trancher de grands débats littéraires (par exemple la Querelle du Cid en 1636).
Son discours de réception, intitulé plus tard Le Siècle de Louis-le-Grand, commence ainsi :

« La belle Antiquité fut toujours vénérable ;


Mais je ne crus jamais qu’elle fût adorable.
Je vois les Anciens, sans plier les genoux ;
Ils sont grands, il est vrai, mais hommes comme nous ;
Et l’on peut comparer, sans craindre d’être injuste,
Le siècle de Louis au beau siècle d’Auguste. »

Ce discours fait scandale, car Perrault remet en cause le principe de l’imitation. Selon lui, les modèles antiques
ont été dépassés par les auteurs modernes : il n’est plus nécessaire de les copier. La Querelle des Anciens et des
Modernes est ainsi lancée, opposant d’un côté les partisans de l’imitation (les « Anciens » : La Fontaine, Racine,
Boileau, La Bruyère…) et de l’autre, les partisans de l’originalité (les « Modernes » : Perrault, Fontenelle…).

Cette querelle, non résolue au XVIIe siècle, est relancée en 1713. Elle oppose au départ Madame Dacier,
une helléniste très respectée, traductrice d’Homère, et le dramaturge Antoine Houdar de la Motte, qui critique sa
traduction et déclare publiquement qu’il y a beaucoup de fautes de goût chez Homère. Cette critique entraîne de
nouveau l’indignation. L’écrivain et théologien Fénelon se range du côté de Madame Dacier, tandis qu’on
retrouve, aux côtés d’Houdar de la Motte, l’académicien Fontenelle (déjà impliqué dans la première querelle, car
il est mort centenaire, en 1750).
Proche de Fontenelle, Marivaux intervient dans cette nouvelle Querelle des Anciens et des Modernes,
du côté des Modernes. En 1716, il fait publier L’Homère travesti, ou l’Iliade en vers burlesques : une parodie d’Homère.
Dans son théâtre, il se moque souvent de la pratique de l’imitation (voir le document annexe). Ses comédies
respectent cependant la règle de vraisemblance et celle des trois unités.

C – Les Lumières et la question du comique

Au XVIIIe siècle se pose la question de l’héritage du théâtre de Molière, qui cultivait le comique de
caractère : comme l’indiquent de nombreux titres de ses pièces (L’Avare, Le Misanthrope, Les Femmes savantes, Le
Tartuffe ou l’Imposteur, Le Malade imaginaire…), il prend pour cible des personnages qui incarnent à l’extrême un
défaut humain, et les tourne en ridicule. Ces caractères difficiles sont les principaux obstacles de la comédie : dès
lors que le personnage caractériel est neutralisé, la pièce trouve sa résolution heureuse.

Le choix du comique est, dans l’œuvre de Marivaux, immédiat. Il n’a écrit qu’une tragédie, dans sa
jeunesse : Annibal, unique incursion du sérieux dans son œuvre, sans doute dans l’objectif de faire ses preuves.
Ayant pris le parti des Modernes, Marivaux n’est pas complexé par la hiérarchie des genres. Il fait le choix
de la comédie, genre faiblement codifié, réputé plus facile à écrire, et qui n’a pas de lettres de noblesse. Il a
conscience de cette infériorité du genre comique, mais fait délibérément le choix du genre non aristocratique. En
outre, il privilégie la prose, et préfère les pièces courtes (les « petites comédies » en un ou en trois actes – sa seule
pièce en cinq actes étant Les Serments indiscrets) : il renonce ainsi à la « grande comédie », par modestie.

La production dramaturgique de Marivaux s’étend des années 1720 aux années 1750. Il s’agit d’une
période charnière dans l’histoire de la comédie, qui subit un tournant en termes de sensibilité. On se demande
alors s’il est bien légitime (moral), de faire rire aux dépends d’autrui ; si l’on ne s’est pas un peu trop moqué
des catégories sociales inférieures et de traits de caractère inoffensifs.

Dans la période post-moliéresque (mort de Molière en 1673 - début des années 1720), la comédie poursuit
l’héritage de Molière, dans un registre de plus en plus cruel, avec des auteurs tels que Regnard ou Lesage. Dans
Le Légataire universel (1708) de Regnard, pièce très gaie, on assiste ainsi à une machination diabolique des jeunes
gens pour s’emparer de l’héritage d’un vieillard, Géronte.

L’entreprise de L’Encyclopédie a commencé en 1751. A la fin des années 1750 est publié le volume G, qui
contient un article de d’Alembert sur Genève : d’Alembert fait l’éloge de ce qui constitue pour lui un modèle de
république, une terre de tolérance, un système politique parfait ; mais il regrette un certain puritanisme calviniste
qui a conduit à l’interdiction du théâtre – la seule chose qui manque à Genève.
Cet article provoque une vive réaction de Rousseau, philosophe d’origine genevoise. Dans sa Lettre à
monsieur d’Alembert sur les spectacles (1758), il veut prouver à d’Alembert qu’il a tort, parce que le théâtre est une
calamité (paradoxalement, car Rousseau a beaucoup fréquenté les théâtres, et écrit une pièce). Il y fait l’analyse
de ce qu’est la comédie et de ce que le spectateur en retire. Aux yeux de Rousseau, le comique est intrinsèquement
mauvais. Il prend l’exemple du Légataire universel de Regnard : à quelle édification morale assiste-t-on dans cette
pièce, si le spectateur n’a qu’une envie, c’est que Géronte meure pour que les jeunes gens machinateurs puissent
hériter ? Il prend également l’exemple de Molière, qui s’est moqué des bourgeois (alors qu’il l’était lui-même) dans
le but de plaire à la Cour et de faire rire le parterre – en se gardant bien de faire rire des grands seigneurs. Pour
Rousseau, on a confondu traditionnellement dans la comédie le vice et le ridicule : on peut être ridicule
complètement malgré soi (c’est le cas du bègue, du bossu, du boiteux…) ; le vice indigne et ne fait pas rire.
Cette lettre provoque la brouille de Rousseau avec les encyclopédistes dans ces années difficiles
(l’Encyclopédie bascule dans la clandestinité l’année suivante), du fait d’une mauvaise interprétation : le discours
de Rousseau est associé à celui de l’Eglise catholique, et on lui reproche de donner du grain à moudre aux
adversaires de l’Encyclopédie.
On trouve cependant un cheminement intellectuel comparable de la part de Diderot, dans son essai De la
Poésie dramatique (1758), qui repose sur des enjeux moins moraux mais plus politiques : quel genre de citoyens
produit-on si on leur apprend à mépriser leur propre classe (97% de roturiers dans la population française) ?
Diderot ne trouve aucun intérêt à représenter pour un public bourgeois les tourments d’une princesse grecque de
l’Antiquité : il réclame plus d’horizontalité, et la présence sur scène d’une classe moyenne, intermédiaire, qui
donnerait un modèle de vertu. Il renonce également aux valets, qui apportent une dimension triviale. Il veut
représenter sur scène, de façon réaliste, les difficultés propres à cette classe moyenne. Avec Le Père de famille et Le
Fils naturel, il fait le pari qu’on peut éprouver des émotions douces, et sortir du théâtre le cœur gonflé de vertu,
en ayant ri et pleuré. C’est un échec : ces pièces n’ont aucun succès.
Les philosophes des Lumières ont l’idée qu’il faut éduquer le rire, le canaliser, mieux désigner ses cibles.
C’est un débat qui se poursuit jusqu’à Beaumarchais. Ces réflexions débouchent cependant sur une aporie : quand
rit-on ? ne fera-t-on plus que sourire ? où est le plaisir ?

Marivaux ne prend pas part à ces débats, et n’est jamais cité en exemple, mais il a dû s’en imprégner. Son
œuvre témoigne, quoi qu’il en soit, d’une volonté de garder le rire sans en faire une émotion orgueilleuse et
méprisante : un rire qui n’exclut pas la sympathie (on ne rit pas contre les personnages, on rit avec eux), qui ne
place pas le spectateur en position de surplomb moral par rapport aux personnages. Il ne renonce pas aux rôles
de domestiques, ni aux quiproquos (bannis par Diderot). Il est conscient qu’il faut réviser certains fondements
affectifs de la comédie, mais le rire lui apparaît comme le moyen le plus efficace pour faire part de sa vision de
l’humanité.
Marivaux ne cherche pas à faire rire des caractères. Il n’a pas de cibles bien précises (pas de cibles politico-
sociales, pas de cibles collectives comme les femmes – contrairement à Molière dans Les Femmes savantes par
exemple) : on rit de tout le monde, de ces individus aveuglés dans leurs désirs, qui se débattent dans leurs
contradictions.
Il se prive des ressources traditionnelles du ridicule : les ridicules sociaux et personnels (les cocus, les
provinciaux montés à Paris…). Il privilégie l’humour : le terme est contemporain de son théâtre (on le trouve pour
la première fois en français dans la Lettre sur les Anglais et les Français de Muralt en 1725), il a été importé de l’anglais
(qui avait pris le mot français « humeur »). L’humour fonctionne sur le principe d’une distanciation entre
l’énonciateur et l’énoncé, pas nécessairement ironique. Michel Gilot, dans L’Esthétique de Marivaux, évoque une
« dramaturgie de l’humour » reposant sur deux niveaux :
- Le niveau métathéâtral : l’humour du dramaturge, qui peut inclue des parodies, voire des autoparodies.
- Le niveau des personnages : beaucoup des personnages font de l’esprit, sont spirituels, y compris les valets.
Certains personnages entretiennent avec le spectateur un rapport de complicité.

III – Marivaux : un auteur à part du siècle des Lumières

A – Eléments biographiques

Marivaux naît à Paris en 1688 (année de publication des Caractères de La Bruyère)


et meurt à Paris en 1763.
Il appartient à la petite noblesse sans fortune. Son nom de naissance est Pierre
Carlet. Il adopte plus tard le nom d’une terre lointaine possédée par sa famille, se faisant
nommer Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux.

En 1717, il épouse une femme nommée Colombe Bologne, qui lui donne une fille
et meurt en 1723. Grâce à la dot apportée par sa femme, il vit confortablement. Malgré
son opposition, sa fille entre au couvent. Marivaux termine ses jours auprès d’une autre
compagne, qu’il n’a jamais épousée.

Fontenelle l’introduit dans les salons parisiens ;


- Dans les années 1710-1720, il fréquente le salon de Madame de Lambert, une femme d’esprit de premier
plan, très influente, très libérale en matière de mœurs et soucieuse de la dignité des femmes (elle est
l’autrice anonyme des Réflexions sur les femmes, où elle plaide notamment pour l’éducation des filles). Elle
exerce une forte influence sur Marivaux, qui fait preuve d’une attention constante au sort des femmes.
- Dans les années 1730-1740, il fréquente le salon de Madame de Tencin, plus politique, notamment
fréquenté par Montesquieu. Madame est une romancière au caractère exceptionnel et à la vie sulfureuse :
elle s’est enfuie du couvent où elle avait été placée de force, a vécu des aventures amoureuses en grand
nombre, a intrigué dans les milieux d’affaires et de politique. Elle a abandonné de son fils devant la
chapelle St Jean-le-Rond à Paris : un fils qu’on retrouve plus tard dans l’Histoire littéraire sous le nom de
Jean le Rond d’Alembert (principal collaborateur de Diderot dans l’entreprise de l’Encyclopédie).
- A la fin de sa vie, il fréquente le salon de Madame du Deffand, haute aristocrate, très proche amie de
Voltaire et de Montesquieu, figure de la France et de la femme française en Europe.
 Trois femmes qui l’ont incité à se mettre du côté des femmes (son roman La Vie de Marianne est rédigé à la
première personne : il témoigne d’une fine connaissance de la psychologie féminine).

Il fréquente les cafés parisiens et prend part à la Querelle des Anciens et des Modernes. En 1742, il
présente sa candidature à l’Académie française, où il est élu contre Voltaire, grâce à l’influence de Madame de
Tencin.
Il est à la fois dramaturge, romancier et auteur de « journaux » (notations sans ordre particulier).
Marivaux est un auteur discret qui n’a pas laissé de documents dans lesquels il expliquerait son travail d’écriture,
ni de correspondance, ni aucune forme d’autobiographie.
Si l’on consulte les chiffres des entrées dans les théâtres, on constate qu’il a un succès équivalent à celui
de Voltaire (dramaturge adoré par ses contemporains). La plupart de ses pièces comptent entre une quinzaine et
une vingtaine de représentations à Paris, ce qui est beaucoup, compte tenu de l’exigence du public parisien.

Quelques œuvres majeures de Marivaux :

- Arlequin poli par l’amour (comédie, 1720), - La Vie de Marianne (roman, 1731-1742),
- La Surprise de l’amour (comédie, 1722), - Le Paysan parvenu (roman, 1735),
- La Double Inconstance (comédie, 1723), - Les Fausses Confidences (comédie, 1737),
- L’Ile des esclaves (comédie, 1725), - Les Acteurs de bonne foi (comédie, 1748).
- Le Jeu de l’amour et du hasard (comédie, 1730),
B – Le marivaudage : Marivaux face à la critique

Si Marivaux n’est pas malmené par le public, il l’est cependant par la critique : c’est du vivant de Marivaux
que s’inventent le verbe « marivauder » et le nom de « marivaudage », des termes péjoratifs, qui désignent au
départ un style excessivement compliqué – gracieux, certes, mais sans doute un peu trop.

Définitions du MARIVAUDAGE
- Citation attribuée à Voltaire (selon la légende) : le marivaudage est l’art de « peser des œufs de mouche dans des balances
de toile d’araignée ».
- Dictionnaire Littré (XIXe s.) : « Un style où l’on raffine sur le sentiment et l’expression » - L’article cite La Harpe (Lycée ou
Cours de littérature, 1799) : « Marivaux se fit un style si particulier qu’il a eu l’honneur de lui donner son nom ; on l’appela
marivaudage : c’est le mélange le plus bizarre de métaphysique subtile et de locutions triviales, de sentiments alambiqués et
de dictons populaires. »
- Sainte-Beuve (critique littéraire du XIXe siècle) : « une sorte de pédantisme pétillant et joli. »
- Roland Barthes (critique littéraire, dans « Marivaux au TNP », 1956) : « Le marivaudage classique, c’est le jeu de deux êtres
qui sont toujours à l’extrême limite de se connaître et s’épuisent à nommer ce qu’ils savent parfaitement. »

On lui reproche fréquemment :


- Son manque de naturel : Voltaire notamment trouve ses personnages trop spirituels, et regrette qu’on ne
rie pas des personnages, mais qu’ils fassent rire eux-mêmes, en faisant de l’esprit.
- La trop grande ressemblance entre ses pièces.
- Sa trop grande complexité.
- Sa préciosité, c’est-à-dire le fait que ses personnages ne cessent de s’engager dans des batailles sur les mots,
leur excès de raffinement dans l’expression. Jamais un personnage de Marivaux ne répond simplement
« oui » à la question « m’aimez-vous ? ».

Les attaques les plus dures viennent des Anciens, qui lui collent une image de précieux (assez tenace).
Marivaux est refusé à l’Académie française en 1736 en ces termes : « Notre métier à l’Académie est de travailler à
la composition de la langue et celui de monsieur de Marivaux est de la décomposer. »
Marivaux fait l’objet de plusieurs satires, notamment au Théâtre de la Foire où il est représenté sous les
traits d’un jargonneur ridicule. Crébillon fils parodie La Vie de Marianne dans L’Ecumoire (1734) : il crée le
personnage de la taupe Moustache, équivalent de Marianne, qui fait le récit de sa vie à un auditoire qui ne cesse
de souligner le manque de clarté de son propos. Diderot dans Les Bijoux indiscrets (1748) représente Marivaux sous
les traits de « Girgiro l’Entortillé ».
 Cette idée d’une excessive subtilité stylistique qui confine à l’obscurité parcourt tout le XVIIIe siècle.

Marivaux occupe une position singulière sur la scène littéraire de son temps : il est apprécié (on l’admire
pour sa connaissance fine du cœur humain) mais en même temps ne constitue pas une figure centrale.
Il est difficile à ancrer dans la chronologie littéraire, dans la mesure où il n’a pas vraiment de disciples ni
d’imitateurs, et s’est trouvé très vite passé de mode – de son vivant (Diderot, dans Le Neveu de Rameau, le présente
comme un auteur qui survit à sa réputation). Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, Marivaux s’éclipse, sa
gloire décline, et sa survie n’est plus assurée que par quelques-unes de ses pièces de théâtre. Sous la Révolution,
aucune de ses pièces n’est représentée, son théâtre étant sans doute trop marqué par l’Ancien Régime.
Au XIXe siècle, son théâtre fait un retour discret, avec quelques pièces : Le Jeu de l’amour et du hasard, Les
Fausses Confidences, La Double Inconstance.
Au XXe siècle, Léon Blum considère le théâtre de Marivaux comme positif parce qu’il montre une société
corrompue et justifie donc la Révolution française. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que Marivaux
connaît une résurrection spectaculaire, et qu’une à une, ses œuvres réapparaissent : il suscite l’intérêt pour les faux
semblants du langage, le double jeu, l’idée d’un individu opaque à lui-même. Il fait l’objet de lectures
psychanalytiques et politiques (marxistes).

La définition psychanalytique du marivaudage est particulièrement fructueuse : le langage des personnages


laisse échapper, malgré eux, des sentiments inconscients. Ils verbalisent, au fil de leurs échanges, un amour face
auquel ils sont encore dans une attitude de déni, et qu’ils n’admettent qu’à l’issue de l’intrigue.
IV – Les Fausses Confidences et le parcours « Théâtre et stratagème »

A. Tromperies et révélations : la dynamique du théâtre marivaudien

Dans le théâtre de Marivaux, les êtres de sont pas des types, des caractères. Ils sont indécis, indéfinis, dans
l’ignorance d’eux-mêmes et de leurs sentiments : la machine comique vise à faire tomber leurs illusions, à leur
donner une claire conscience d’eux-mêmes.
Au XVIIe siècle, les auteurs témoignaient plutôt d’une pensée fixiste de l’être humain, perçu comme une
créature déterminée par son caractère. On voit apparaître au XVIIIe siècle une nouvelle anthropologie (un
nouveau discours sur l’homme) : la vision d’une identité mouvante, changeante, d’un flou de l’être. On commence
à trouver chez les auteurs des Lumières l’idée que l’individu ne se gouverne pas, qu’il n’est pas transparent à
lui-même (même s’il peut l’être aux autres), qu’il ne sait pas qui il est.
Dans le théâtre de Marivaux, il n’y a pas de vérité des êtres pour toujours, les individus sont à l’état de
latence (quelque chose couve en eux, mais refuse de se manifester). La comédie agit comme un révélateur : les
protagonistes se révèlent à eux-mêmes, mais jamais dans la solitude de la conscience. Ils ont besoin pour cela du
regard de l’autre. La comédie les conduit à petits pas d’un point à un autre, et les personnages finissent par
s’étonner d’avoir fait tant de chemin.
L’obstacle n’est plus extérieur mais intérieur : ce sont les personnages eux-mêmes qui s’opposent, à leur
corps défendant, à leur propre bonheur. « Chez mes confrères, l’amour est en querelle avec ce qui l’environne, et
finit par être heureux malgré les opposants ; chez moi, il n’est en querelle qu’avec lui seul, et finit par être heureux
malgré lui » (Marivaux cité par d’Alembert).

Le mouvement général de la plupart des pièces de Marivaux part d’un état d’ignorance pour aller vers
la connaissance de soi : du déni vers l’acceptation. Le critique Michel Deguy évoque à ce sujet un « non
liminaire » : dans les scènes d’exposition des pièces de Marivaux, le spectateur est confronté à un protagoniste qui
dit « non ». Les protagonistes sont persuadés de leur désir, ils sont arc-boutés sur ce désir qu’ils croient
authentique, ce qui fait résistance à leur évolution.
Ce motif de la révélation se double, en contrepoint, du motif du secret : quelque chose doit être cachée
(une identité, un stratagème) pour donner l’impression à l’individu qu’il fait son cheminement seul (pour ne pas
blesser sa vanité). Il y a d’un côté un groupe de complices et de l’autre un groupe d’ignorants, et la pièce s’achève
quand le secret est révélé, ce dévoilement du secret étant concomitant avec la fin du déni.
 Le paradoxe est que pour accéder à la transparence, il faut passer par la dissimulation.

En 1984, dans Forme et signification, Jean Rousset théorise la structure du théâtre (et des romans) de
Marivaux. Il met au jour l’existence de deux niveaux :
- Des protagonistes aveuglés, qu’il s’agit de faire évoluer (vers la prise de conscience de l’amour, en
général).
- Des « personnages témoins », « délégués indirects du dramaturge dans la pièce », qui savent ce qu’il y a
dans le cœur des autres, ce qui doit se passer, et sont capables d’infléchir les événements, d’accélérer les
choses.
Il constate ainsi la présence d’un « double palier » : d’un côté le « cœur qui jouit de soi », de l’autre la
« conscience spectatrice ». La vraie pièce est dans la surimpression, l’entrelacement des deux plans, les décalages
et les échanges, qui entraînent le plaisir d’une double lecture (« vision binoculaire »). La pièce est finie quand les
deux paliers se confondent.
On assiste ainsi à des scènes de déchiffrage ou de traduction qui jettent des ponts entre les deux groupes
de personnages.

B. « Théâtre et stratagème » dans Les Fausses Confidences : quelques pistes de réflexion

Dans Les Fausses Confidences, tous les personnages principaux mettent en place des stratagèmes pour
arriver à leurs fins, y compris Araminte, lorsqu’elle fait mine d’accepter d’épouser le Comte pour que Dorante
lui révèle ses sentiments (II, 13), ou lorsqu’elle affirme à Dubois que Dorante « ne lui a rien dit » (II, 16) au sujet
de son amour, pour éviter d’avoir à renvoyer son intendant. Dans une moindre mesure, Marton se montre
également manipulatrice, lorsqu’elle ment au livreur du portrait pour s’en emparer (II, 7).

Avec Dubois, on retrouve un personnage traditionnel de la comédie : celui du valet fourbe, qui connaît le
cœur humain et se montre donc capable de mettre en place une machination savante pour servir les intérêts de
son maître (voir Les Fourberies de Scapin de Molière, à titre d’exemple). Dubois est ainsi le « personnage témoin »
par excellence : il voit les événements arriver de loin, et en maîtrise le déroulement, puisqu’il agit « de sang-froid »
(III, 1). Si certains comportements lui échappent il ne s’en inquiète jamais, et trouve toujours le moyen d’en tirer
profit. Ainsi, lorsque Monsieur Rémy fait croire à Marton que Dorante l’aime depuis longtemps et qu’elle se prend
au jeu – ce qui n’était pas prévu par Dubois – le valet se sert de cette croyance pour susciter la jalousie d’Araminte.

Dorante est, quant à lui, impliqué sentimentalement et financièrement dans l’intrigue : il se montre donc
plus hésitant, et se trouve parfois dépassé par la situation (en particulier lorsqu’Araminte lui dicte une lettre
adressée au Comte, dans laquelle elle accepte de l’épouser – II, 13). Son pouvoir de manipulation repose
essentiellement sur la confiance qu’il accorde à Dubois.

Dubois et Dorante se rencontrent fréquemment pour faire le point sur la mise en œuvre de leur
stratagème : ce sont des scènes d’intimité où on les voit ôter leur masque et qui permettent, le reste du temps, de
mesurer l’étendue de leur talent pour la comédie. L’action est par ailleurs fréquemment commentée par ces deux
personnages, qui se félicitent de la progression de l’intrigue et rendent les spectateurs complices de leur
machination – ce qui rend le spectacle plaisant.

L’objectif de Dubois est tout à fait classique : il s’agit de permettre à son maître Dorante d’épouser une
femme, contre la volonté de leur entourage. La pièce s’achève ainsi sur un projet de mariage, comme la très grande
majorité des comédies de la période classique. Cependant, cette intrigue a une particularité : Dorante semble
moins animé par un amour sincère que par un intérêt financier : il est ruiné, et Araminte est riche. Malgré l’élan
de sincérité qu’il manifeste après avoir révélé son stratagème à Araminte (III, 12), ses intentions ne sont pas pures.
Le pragmatisme et le cynisme dont font preuve certains personnages, mêlant des intérêts financiers à leurs
entreprises de séduction, sont une particularité du théâtre de Marivaux : ce mélange des genres est particulièrement
sensible dans une autre de ses pièces, intitulée La Fausse Suivante (1724).

Araminte est un personnage de même nature : quand elle rencontre Dorante, elle semble séduite (elle
l’interroge notamment sur son âge), mais regrette qu’il soit « sans fortune ». Tout l’enjeu du stratagème de Dubois
semble être de lui faire oublier que Dorante est pauvre et qu’il n’est que son intendant, pour qu’elle n’exprime
plus qu’un sentiment pur et sincère. Mais en la détachant de ses intérêts sociaux et financiers, il sert en même
temps les intérêts cyniques de son maître.

Pour atteindre son objectif, Dubois doit déjouer les plans de deux autres personnages : monsieur Rémy,
qui souhaite marier Dorante avec Marton, et madame Argante, qui souhaite qu’Araminte épouse le comte
Dorimont. Cependant, Araminte est veuve : elle est par conséquent libre, légalement, d’épouser qui elle veut (ou
de ne pas se remarier). Le principal obstacle se trouve donc plutôt dans la mauvaise foi du personnage
d’Araminte, qui refuse jusqu’au dernier moment d’avouer son attirance pour Dorante : son discours n’évolue
ainsi qu’à tous petits pas. Elle se montre d’abord embarrassée par l’amour de Dorante, puis fait preuve de
compassion, se trouble en sa présence (comme l’indiquent ses nombreux apartés), se laisse emporter par la
jalousie… jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus se cacher à elle-même qu’elle est tombée amoureuse. Pour dissimuler
ses sentiments, elle joue sur les mots : on la voit ainsi utiliser des détours pour éviter de se montrer touchée par
l’amour de Dorante. Par exemple, lorsque Madame Argante lui demande, « en bon français », pour quelles raisons
elle garde auprès d’elle « un intendant qui [l’]aime », elle répond « pourquoi faut-il qu’un intendant me haïsse ? »,
utilisant ainsi une « équivoque » (III, 6) : plutôt que d’entendre le sens amoureux du verbe « aimer », Araminte le
prend comme un antonyme de « haïr », pour éviter d’avoir à traiter la question. Ce type de débats lexicologiques
est caractéristique du marivaudage.

Dubois utilise divers accessoires pour réaliser son stratagème : des portraits, des fausses lettres… Ces
artifices, déjà très employés dans le théâtre du XVIIe siècle (par Corneille ou Quinault notamment), trouvent leur
origine dans les romans précieux.

Une forme de comique plus légère est déployée par Marivaux à travers le personnage d’Arlequin : valet
naïf, aisément manipulable, il suscite le rire par son indiscrétion, ou sa difficulté à entendre le sens figuré – même
s’il se montre lui-même assez spirituel dans la dernière réplique de la pièce, lorsqu’il évoque les nombreuses
« copies » qu’Araminte s’apprête à faire de son portrait (c’est-à-dire les nombreux enfants qui doivent naître de son
mariage avec Dorante). Même si Arlequin est un personnage-type de la commedia dell’arte, dont le caractère est fixé
par la tradition du Théâtre-Italien, on voit ainsi que sa personnalité peut se montrer flottante, sujette à des
changements au fil de la pièce, Marivaux se souciant moins de la cohérence de son personnage que du rire du
spectateur.
C. Recueil de citations

➢ Dubois et Dorante : la planification stratégique de l’intrigue

Dubois à Dorante : « notre affaire est infaillible, absolument infaillible : il me semble que je vous vois déjà en
déshabillé dans l’appartement de Madame. » (I, 2, p. 14)

Dubois à Dorante : « je connais l’humeur de ma maîtresse, je sais votre mérite, je sais mes talents, je vous conduis,
et on vous aimera, toute raisonnable qu’on est ; on vous épousera, toute fière qu’on est, et on vous enrichira, tout
ruiné que vous êtes » (I, 2, p. 15)

Dubois, après avoir conseillé à Dorante de se faire aimer de Marton : « L’amour et moi, nous ferons le reste. »
(I, 2, p. 15)

Dubois à Dorante : « Elle opine tout doucement à vous garder par compassion : elle espère vous guérir par
l’habitude de la voir. […] Elle n’en réchappera point » (I, 16, p. 44)

Dubois à Dorante : « Il est bon de jeter dans tous les esprits les soupçons dont nous avons besoin » (I, 16, p. 44)

Dubois seul, après un échange avec Marton : « Allons faire jouer toutes nos batteries » [terme militaire] (I, 17, p.
45)

Dorante, après un échange avec Marton (croyant que le portrait est le sien) : « Tout a réussi ! elle prend le
change à merveille ! » [= elle se laisse entraîner sur une fausse piste] (II, 8, p. 57)

Dubois, passant près de Dorante qui rejoint Araminte (prête à lui tendre un « piège ») : « Il m’est impossible de
l’instruire ; mais qu’il se découvre ou non, les choses ne peuvent aller que bien » (II, 13, p. 68)

Dubois, seul, après le départ d’Araminte : « Voici l’affaire dans sa crise. » (II, 16, p. 78)

« DORANTE – […] N’allons-nous pas trop vite avec Araminte ? Dans l’agitation des mouvements où elle est,
veux-tu encore lui donner l’embarras de voir subitement éclater l’aventure ?
DUBOIS – Oh ! oui : point de quartier. Il faut l’achever, pendant qu’elle est étourdie. Elle ne sait plus ce qu’elle
fait. » (III, 1, p. 79)

Dubois, répondant à Dorante qui lui reproche de ne rien lui avoir dit du stratagème d’Araminte : « votre
douleur n’en a paru que plus vraie. Vous repentez-vous de l’effet qu’elle a produit ? » (III, 1, p. 80)

Dubois à Dorante : « Voulez-vous qu’elle soit de bonne humeur avec un homme qu’il faut qu’elle aime en dépit
d’elle ? Cela est-il agréable ? Vous vous emparez de son bien, de son cœur ; et cette femme ne criera pas ! Allez,
vite, plus de raisonnements : laissez-vous conduire » (III, 1, p. 81)

Dubois à Dorante : « laissez faire un homme de sang-froid » (III, 1, p. 81)

Dubois qui quitte Araminte en riant : « Allons, voilà qui est parfait » (III, 9, p. 96)

Dorante à Araminte : « Tous les incidents qui sont arrivés partent de l’industrie d’un domestique qui savait mon
amour, qui m’en plaint, qui par le charme de l’espérance, du plaisir de vous voir, m’a pour ainsi dire forcé de
consentir à son stratagème ; il voulait me faire valoir auprès de vous. » (III, 12, p. 101)

➢ L’entreprise de séduction de Dorante

Dorante à Araminte : « C’est que, si, dans votre procès, vous avez le bon droit de votre côté, on souhaite que je
vous dise le contraire, afin de vous engager plus vite à ce mariage »
Araminte : « On aura de mauvais procédés avec vous parce que vous en avez d’estimables ; cela serait plaisant ! »
(I, 12, p. 32)

Dubois à Araminte, au sujet de Dorante : « c’est un démon que ce garçon-là. » (I, 14, p. 34)
Arlequin à Dubois, devant Mme Argante et Araminte : « de quoi t’avises-tu d’ôter ce tableau qui est tout à fait
gracieux, que mon maître considérait il n’y avait qu’un moment avec toute la satisfaction possible ? »
Araminte : « Eh ! que m’importe ? Il était bien nécessaire de faire ce bruit-là pour un vieux tableau qu’on a mis là
par hasard, et qui y est resté » (II, 9, p. 62-63)

Dorante à Araminte : « J’aime encore mieux regretter votre tendresse que de la devoir à l’artifice qui me l’a
acquise ; j’aime mieux votre haine que le remords d’avoir trompé ce que j’adore. » (III, 12, p. 101)
Araminte à Dorante : « Ce trait de sincérité me charme, […] il est permis à un amant de chercher les moyens de
plaire, et on doit lui pardonner lorsqu’il a réussi. » (III, 12, p. 101-102)

Dorante à Araminte : « Mon respect me condamne au silence ; et je mourrai du moins sans avoir eu le malheur
de lui déplaire » (II, 15, p. 76)

Dorante à Araminte : « Ah ! Madame, songez que j’aurais perdu mille fois la vie, avant d’avouer ce que le hasard
vous découvre. » (II, 15, p. 77)

➢ L’évolution des sentiments d’Araminte

Araminte à Dubois, apprenant que Dorante est amoureux d’elle : « Y a-t-il rien de si particulier ? Je suis si lasse
d’avoir des gens qui me trompent, que je me réjouissais de l’avoir parce qu’il a de la probité ; ce n’est pas que je
sois fâchée, car je suis bien au-dessus de cela. » (I, 14, p. 38)

Dubois à Araminte : « Est-ce que vous croyez qu’il songe à être aimé ? Nullement. Il dit que dans l’univers il n’y
a personne qui le mérite ; il ne veut que vous voir, vous considérer, regarder vos yeux, vos grâces, votre belle taille ;
et puis c’est tout : il me l’a dit mille fois. »
Araminte : « Voilà qui est bien digne de compassion » (I, 14, p. 39).

Araminte, seule : « La vérité est que voici une confidence dont je me serais bien passée moi-même » (I, 15, p. 42)

Araminte, à part, face à Dorante : « Je n’ai pas le courage de l’affliger !... […] Je n’oserais presque le regarder. »
(I, 15, p. 43)

Araminte, à Monsieur Rémy qui lui demande de commenter le comportement déraisonnable de Dorante : « Je
vous laisse, parlez-lui vous-même. (A part.) Il me touche tant, qu’il faut que je m’en aille. » (II, 2, p. 51)

Araminte à Marton (qui exprime son mécontentement au sujet de Dorante), avec ironie : « Qu’est-ce donc que
vous voyez et que je ne vois point ? Je manque de pénétration : j’avoue que je m’y perds ! Je ne vois pas le sujet
de me défaire d’un homme qui m’est donné de bonne main, qui est un homme de quelque chose, qui me sert bien,
et que trop bien peut-être ; voilà ce qui n’échappe pas à ma pénétration, par exemple. »
Araminte, à Madame Argante : « chacun a ses lumières », « on aura la bonté de trouver bon que je le garde, en
attendant qu’il me déplaise à moi » (II, 11, p. 63-64)

Araminte à Mme Argante : « Est-ce qu’on peut me voir sans m’aimer ? Je n’y saurais que faire : il faut bien m’y
accoutumer et prendre mon parti là-dessus. » (III, 6, p. 91)

Araminte à Mme Argante : « Il y aurait de la bizarrerie à se fâcher de ce qu’il est bien fait. Je suis d’ailleurs comme
tout le monde : j’aime assez le gens de bonne mine. » (III, 6, p. 91)

Le Comte à Araminte, concernant son refus d’accueillir le nouvel intendant qu’il lui propose : « Vous vous
expliquez là-dessus d’un air de vivacité qui m’étonne. » (III, 8, p. 94)

Araminte à Dubois : « Il m’importait peu d’en être instruite ; c’est un amour que je n’aurais jamais su » (III, 9, p.
96)

« MARTON – […] J’ai persécuté par ignorance l’homme du monde le plus aimable, qui vous aime plus qu’on n’a
jamais aimé.
ARAMINTE, à part – Hélas ! » (III, 10, p. 97)
Araminte, à part, quand Dorante lui dit « Je n’ose presque paraître devant vous » : « Ah ! je n’ai guère plus
d’assurance que lui. » (III, 12, p. 99)

Araminte, à part, face à Dorante : « Ah ! que je crains la fin de tout ceci ! » (III, 12, p. 100)

Araminte à Dorante : « il faut se quitter. On sait que vous m’aimez, et l’on croirait que je n’en suis pas fâchée. »
(III, 12, p. 100)

« ARAMINTE – Vous donner mon portrait ! Songez-vous que ce serait vous avouer que je vous aime ?
DORANTE – Que vous m’aimez, Madame ! Quelle idée ! qui pourrait se l’imaginer ?
ARAMINTE, d’un ton vif et naïf – Et voilà pourtant ce qui m’arrive. » (III, 12, p. 101)

Araminte : « Je ne sais plus où je suis. » (III, 12, p. 101)

Dorante à Araminte : « J’aime encore mieux regretter votre tendresse que de la devoir à l’artifice qui me l’a
acquise ; j’aime mieux votre haine que le remords d’avoir trompé ce que j’adore. » (III, 12, p. 101)
Araminte à Dorante : « Ce trait de sincérité me charme, […] il est permis à un amant de chercher les moyens de
plaire, et on doit lui pardonner lorsqu’il a réussi. » (III, 12, p. 101-102)

➢ Confiance et défiance

Araminte, à Dorante qui suggère de placer Dubois comme concierge dans une des terres d’Araminte et de le
remplacer par un autre domestique : « c’est un garçon de confiance, qui me sert bien et que je veux garder » (II,
1, p. 48)

Le Comte à Marton, au sujet de Dorante : « Il a bonne mine, en effet, et n’a pas trop l’air de ce qu’il est. » (II, 4,
p. 54) Double lecture possible : il a l’air plus noble qu’il ne l’est / il dissimule quelque chose.

Araminte à Dubois : « Me fierais-je à un désespéré ? Ce n’est plus le besoin que j’ai de lui qui me retient, c’est moi
que je ménage. » (II, 12, p. 66)

« ARAMINTE – […] Voyez-vous souvent la personne que vous aimez ?


DORANTE, toujours abattu – Pas souvent à mon gré, Madame ; et je la verrais à tout instant, que je ne croirais
pas la voir assez.
ARAMINTE, à part. – Il a des expressions d’une tendresse ! » (II, 15, p. 75)

Araminte à Dorante, cherchant indirectement à obtenir un compliment : « Elle est donc au-dessus de toute
comparaison ? » (II, 15, p. 76)

Araminte à Dorante (après que Marton a vu Dorante à ses genoux) : « Laissez-moi, allez-vous-en ; vous m’êtes
insupportable. Rendez-moi ma lettre. » (II, 15, p. 77)

Dubois à Marton : « Moi ! un dissimulé ! Moi ! garder un secret ! » (III, 2, p. 82)

Marton à Dubois : « Tu as la mine d’en savoir plus que moi là-dessus. » [sur l’amour de Dorante pour Araminte]
(III, 2, p. 82)

Madame Argante : « Dubois est un coquin qui nous trompe » (III, 4, p. 85)

➢ Des trompeurs en série

Madame Argante à Dorante : « C’est moi qui suis sa mère et qui vous ordonne de la tromper à son avantage,
entendez-vous ? c’est moi, moi. » (I, 10, p. 30)

Le Comte à Marton : « Elle ne voudra pas soutenir l’embarras d’un procès » (II, 4, p. 54)

Araminte à Dubois, à propos de Dorante : « Le voici, j’ai envie de lui tendre un piège. » (II, 12, p. 68)
Araminte à Dorante : « toute réflexion faite, je suis déterminée à épouser le Comte. […] (A part.) Il change de
couleur. », « (A part.) Il souffre, mais il ne dit mot ; est-ce qu’il ne parlera pas ? » (II, 13, p. 69-70)
Araminte, relisant la lettre qu’elle a dictée à Dorante : « Voilà qui est écrit tout de travers ! […] (A part.) Il n’y a
pas encore là de quoi le convaincre. » [= le forcer à avouer son amour] (II, 13, p. 71)
Dorante, à part, après l’épisode de la lettre : « Ne serait-ce point aussi pour m’éprouver ? » [= me mettre à
l’épreuve] (II, 13, p. 71)

➢ Un amant encombrant

Mme Argante à Araminte : « votre intendant se passera bien de ses contemplations » (II, 9, p. 63)

Mme Argante à Araminte, au sujet de Dorante : « Je suis persuadée que ce petit monsieur-là ne vous convient
point ; nous le voyons tous ; il n’y a que vous qui n’y prenez pas garde » (II, 11, p. 63)
Mme Argante à Araminte : « votre entêtement finira sans notre secours » (II, 11, p. 65)

Mme Argante à Araminte : « Vos gens ne vous font pas peindre, vos gens ne se mettent point à contempler vos
portraits, vos gens n’ont point l’air galant, la mine doucereuse. » (III, 6, p. 90)

Madame Argante, commentant la lettre de Dorante : « Bon voyage au galant. » (III, 8, p. 93)

➢ L’amour et l’argent

Monsieur Rémy à Dorante : « Vous n’avez rien, mon neveu, je dis rien qu’un peu d’espérance. » (I, 3, p. 18)

Araminte à Dorante : « Il est vrai que je suis toujours fâchée de voir d’honnêtes gens sans fortune, tandis qu’une
infinité de gens de rien et sans mérite en ont une éclatante. » (I, 7, p. 23)

Madame Argante à Dorante : « Le beau nom de Dorimont et le rang de comtesse ne la touchent pas assez ; elle
ne sent pas le désagrément qu’il y a de n’être qu’une bourgeoise » (I, 10, p. 29)

Marton à Dorante : « Monsieur le Comte me fait présent de mille écus le jour de la signature du contrat ; […]
méditez bien sur cette somme, vous la goûterez aussi bien que moi »
Dorante, quand Marton est sortie : « Je ne suis plus si fâché de la tromper » (I, 11, p. 31)

Monsieur Rémy propose à Dorante un mariage qu’il refuse, en présence d’Araminte :


« MONSIEUR REMY – Entendez-vous ce que je vous dis, qu’elle a quinze mille livres de rente ? entendez-vous ?
DORANTE – Oui, Monsieur ; mais en eût-elle vingt fois davantage que je ne l’épouserais pas ; nous ne serions
heureux ni l’un ni l’autre : j’ai le cœur pris ; j’aime ailleurs.
MONSIEUR REMY d’un ton railleur, et traînant ses mots – J’ai le cœur pris : voilà qui est fâcheux ! Ah, ah, le cœur
est admirable ! » (II, 2, p. 50)
Plus loin, monsieur Rémy à Dorante : « Oh ! le sot cœur, mon neveu » (II, 2, p. 50)

Marton, croyant que Dorante « refuse d’être riche » pour l’épouser : « Ah ! Dorante, que je vous estime ! Je
n’aurais pas cru que vous m’aimassiez tant. » (II, 3, p. 51)
« c’est le garçon de France le plus désintéressé » (II, 4, p. 54)

Dorante à Araminte, niant son amour prétendu pour Marton : « Je suis hors d’état de donner mon cœur à
personne : je l’ai perdu pour jamais, et la plus brillante des fortunes ne me tenterait pas. » (II, 15, p. 75)

Monsieur Rémy à propos de Dorante : « s’il était riche, le personnage en vaudrait bien un autre » (III, 8, p. 94)

Araminte à Dorante, à propos d’une somme d’argent qu’il doit lui remettre : « Oui… je le recevrai… vous me
le donnerez. (A part.) Je ne sais ce que je lui réponds. » (III, 12, p. 100) Jeu sur le double sens : recevoir et donner de
l’argent / recevoir et donner de l’amour (connotation sexuelle probable).
➢ L’humour

Arlequin à Araminte : « Comment, Madame, vous me donnez à lui ! Est-ce que je ne serai plus à moi ? » (I, 8, p.
24)

« MONSIEUR REMY – […] Savez-vous bien qu’il y a cinquante ans que je parle, Madame Argante ?
MADAME ARGANTE – Il y a donc cinquante ans que vous ne savez ce que vous dites. » (III, 5, p. 88)

Arlequin : « Pardi ! nous nous soucions bien de ton tableau à présent ; l’original nous en fournira bien d’autres
copies. » (III, 13, p. 106)

➢ Le marivaudage

Madame Argante à Araminte : « Seriez-vous d’humeur à garder un intendant qui vous aime ? » (III, 6, p. 89)
Mme Argante, à Araminte qui joue sur les mots (aimer = contraire de haïr) : « Eh ! non, point d’équivoque.
Quand je vous dis qu’il vous aime, j’entends qu’il est amoureux de vous, en bon français ; qu’il est ce qu’on appelle
amoureux ; qu’il soupire pour vous ; que vous êtes l’objet secret de sa tendresse. »
Araminte : « L’objet secret de sa tendresse ! Oh ! oui, très secret, je pense. Ah ! ah ! je ne me croyais pas si
dangereuse à voir. » (III, 6, p. 90)
DOCUMENT ANNEXE

Frontin et Trivelin sont deux valets. Au début de la pièce, Trivelin donne de ses nouvelles à Frontin.

TRIVELIN
[…] Ensuite, un beau matin, je me trouvai sans un sol 1. TRIVELIN
Comme j’avais besoin d’un prompt secours, et qu’il n’y Oui, vraiment, tu es un Moderne, et des plus modernes ; il
avait point de temps à perdre, un de mes amis que je n’y a que l’enfant qui vient de naître qui l’est plus que toi,
rencontrai me proposa de me mener chez un honnête car il ne fait que d’arriver.
particulier qui était marié, et qui passait sa vie à étudier des
langues mortes ; cela me convenait assez, car j’ai de FRONTIN
l’étude : je restai donc chez lui. Là, je n’entendis parler que Et pourquoi ton maître nous haïssait-il ?
de sciences, et je remarquai que mon maître était épris de
passion pour certains quidams, qu’il appelait des Anciens, TRIVELIN
et qu’il avait une souveraine antipathie pour d’autres, qu’il Parce qu’il voulait qu’on eût quatre mille ans sur la tête
appelait des Modernes ; je me fis expliquer tout cela. pour valoir quelque chose. Oh ! moi, pour gagner son
amitié, je me mis à admirer tout ce qui me paraissait
FRONTIN ancien ; j’aimais les vieux meubles, je louais les vieilles
Et qu’est-ce que c’est que les Anciens et les Modernes ? modes, les vieilles espèces, les médailles, les lunettes ; je
me coiffais chez les crieuses de vieux chapeaux ; je n’avais
TRIVELIN commerce qu’avec des vieillards : il était charmé de mes
Des Anciens…, attends, il y en a un dont je sais le nom, et inclinations ; j’avais la clef de la cave, où logeait un certain
qui est le capitaine de la bande ; c’est comme qui te dirait vin vieux qu’il appelait son vin grec ; il m’en donnait
un Homère. Connais-tu cela ? quelquefois, et j’en détournais aussi quelques bouteilles,
par amour louable pour tout ce qui était vieux. Non que je
FRONTIN négligeasse le vin nouveau ; je n’en demandais point
Non. d’autre à sa femme, qui vraiment estimait bien autrement
les modernes que les anciens, et, par complaisance pour
TRIVELIN son goût, j’en emplissais aussi quelques bouteilles, sans lui
C’est dommage ; car c’était un homme qui parlait bien en faire ma cour.
grec.
Marivaux, La Fausse Suivante (1724).
FRONTIN
Il n’était donc pas français cet homme-là ?

TRIVELIN
Oh ! que non ; je pense qu’il était de Québec, quelque part
dans cette Égypte, et qu’il vivait du temps du déluge. Nous
avons encore de lui de fort belles satires ; et mon maître
l’aimait beaucoup, lui et tous les honnêtes gens de son
temps, comme Virgile, Néron, Plutarque, Ulysse et
Diogène.

FRONTIN
Je n’ai jamais entendu parler de cette race-là, mais voilà de
vilains noms.

TRIVELIN
De vilains noms ! c’est que tu n’y es pas accoutumé. Sais-
tu bien qu’il y a plus d’esprit dans ces noms-là que dans le
royaume de France ?

FRONTIN
Je le crois. Et que veulent dire : les Modernes ?

TRIVELIN
Tu m’écartes de mon sujet ; mais n’importe. Les
Modernes, c’est comme qui dirait… toi, par exemple.

FRONTIN
Oh ! oh ! je suis un Moderne, moi ! .

1
Un sou.

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